Approche didactique du "développement durable": un concept entre utopie et réalité

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-1Education permanente no 148, 3/2001

Approche didactique du "développement durable": un concept entre utopie et réalité Francine Pellaud LDES, Université de Genève Résumé Le développement durable est à considérer comme un nouveau paradigme, voire une nouvelle philosophie et une éthique de vie. Pour le comprendre, le rendre efficient en y participant activement, de nouveaux modes de raisonnement, axés sur l'approche systémique des problèmes et la complexité, doivent être développés. S'inspirant de la didactique des sciences et de l'utilisation du modèle d'apprentissage allostérique dans le cadre muséal, cet article propose quelques pistes pour y parvenir. Abstract Sustainable development should be considered as a new paradigm, a new philosophy and life ethics. In order to understand it and to make it efficient through personal investment, new ways of thinking based on a systemic problem approach and on complexity must be developed. Using sciences didactics and allosteric learning model as sources, this article proposes some ways to achieve this goal on the basis of a museology approach.. Vache folle, réchauffement climatique, pollutions de l'eau, de l'air, des sols, trou d’ozone, sida, maladies nosocomiales, exode rural, inondations, diabète, etc. Ce ne sont là que quelques-uns des symptômes d’une maladie grave qui met en péril la survie même de notre propre espèce et dont souffre notre planète: le développement d’une économie libérale débridée. Pour y faire face, un concept est apparu, il y a bientôt dix ans, celui de développement durable. Mais entre la signature de conventions internationales et la réalité quotidienne de M. et Mme Toulemonde, le fossé paraît souvent infranchissable. Pourtant, ce n'est qu'au prix d'une implication individuelle d'une majorité de citoyens que ce concept a des chances de passer de la simple déclaration de bonnes intentions à une réalité tangible. C'est dans cette optique de "passage à l'action" que nous avons développé l'idée d'une "muséologie de l'implication".

"Le développement durable répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins", nous dit les Nations-Unies1 . Si la définition paraît simple, la notion de besoin reste problématique. Qu’est-ce qu’un besoin? Comment le définit-on? La consommation quotidienne de 400 litres d’eau en moyenne par Américain est-il un besoin? Et celui d’utiliser sa voiture pour les 500 mètres qui nous séparent de la boulangerie? Qui peut trancher? Nous préférons donner à ce concept une définition peut-être moins élégante, mais plus complète, mettant l'accent sur le fait qu'il s'agit avant tout d'un processus, adaptable aux différentes cultures, tout en gardant un but universel de protection de l'homme et de son environnement dans des buts qualitatifs plutôt que quantitatifs. Concrètement, il s'agit de tenir compte des implications écologiques, sociales et économiques qui sont indissociables de toute action ou activité humaine, quelle qu'elle soit. Cette dernière phrase distingue clairement une éducation au développement durable de celle relative à l'environnement. Il ne s'agit plus seulement de tenir compte des retombées écologiques de nos actes, mais bien de prendre conscience de notre responsabilité globale face aux multiples interactions entre ces trois 1

Les termes de développement durable apparaissent pour la première fois en 1987 avec les conclusions de la Commission Mondiale pour l'Environnement et le Développement, plus connue sous la dénomination de "Rapport Brundtland", du nom de sa présidente. Cette commission indépendante, mandatée par l'Assemblée Générale des Nations Unies en 1983, avait pour tâche d'élaborer une stratégie internationale à long terme, intégrant pour la première fois l'environnement au développement économique. Mais ce n'est qu'en 1992, lors de la Conférence de Rio que ces termes sont consacrés.


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domaines. Nous sommes tous concernés, tant dans notre vie professionnelle que privée, puisque l’ensemble de nos choix de vie participent, d’une manière ou d’une autre à ce processus. Et pourtant, mettre en relation les divers paramètres qui interviennent dans ce processus, comprendre la place que l'individu y occupe, appréhender les multiples mécanismes dont nous faisons partie, souvent à notre insu n'est pas chose aisée. De nombreux obstacles apparaissent, liés principalement à la pauvreté des modes de raisonnement que l'école continue de véhiculer. Pour parvenir à dépasser ces multiples handicaps et mener les gens à entrer dans une véritable démarche, la muséologie ne peut se permettre d'en rester à la seule explication, voire la seule démonstration. Elle a le devoir de permettre au visiteur de se confronter à ses propres conceptions, de les remettre en question, à travers un environnement scénographique qui l'entraîne dans une réflexion active… ou dans une action réfléchie. Etre citoyen, responsable... des mots à la mode? M. Poubelle qui, sans le vouloir, donna son nom à l’un des objets les plus utilisés dans nos sociétés industrielles, ne pouvait prévoir les conséquences sociales et philosophiques qu’engendrerait le geste de se débarrasser de ses ordures. En laissant à d’autres le soin de s’en occuper, nous nous déchargeons en même temps de la conséquence de nos actes. Cette attitude va de paire avec le développement d’une certaine mentalité “d’assistés” où l’importance du “je” n’est jamais remise en question. La notion de liberté individuelle qui en découle, et qui est celle que proposent les médias, peut se résumer alors à “je peux faire ce qui me plaît quand et où je veux”. Elle nous laisse croire que la liberté n’est faite que de droit, version dérivée et déformée des “Droits de l’Homme”, et nous fait oublier nos devoirs. Les bonnes excuses sont multiples, mettant en exergue cet état de défection perpétuel. “Je ne l’ai pas fait exprès”, “on” ne m’avait pas dit, “on” ne m’a pas montré comment il fallait faire.... Mais alors, qui doit porter cette responsabilité que plus personne ne veut hologrammatique: l'individu vient d'une société qui produit l'individu qui produit la société => responsabilité dialogique: principes complémentaires et antagonistes économie, écologie, social local, global

interactions

interdépendances

entre les diff. acteurs de l'Etat à l'individu

récursion organisationnelle: effets causes et producteurs de ce qui les produit => interactions

complexité

Aborder le développement durable c'est prendre en compre des notions telles que:

processus

incertain

paradoxal

pour l'individu: "je suis une goutte d'eau, mais je suis indispensable" => clairvoyance, lucidité

temps: notion de long terme: économie: 5-10 ans social: génération écologie: aujourd'hui à ... espace: échelle humaine, le relativité pays, voire le continent, à l'échelle de la terre, de l'atmosphère

flou, contradictoire: partage des avis

régulation (feed-back)

gérer l'inattendu

notions telles que: le moins mauvais

décider sans connaître tous les enjeux principe de précaution

implique de tenir compte implique

assumer? Le développement durable en tant que concept complexe, Pellaud (2000)

La réponse à cette interrogation n’est pas simple. Le concept de développement durable est complexe et


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nécessite une distanciation d’avec l’évidence. En effet, envisager l’évolution du monde dans une telle optique nécessite de penser en termes de régulation d’un processus dont les différents facteurs, contextualisés dans un espace et un temps en perpétuel changement, doivent être mis en réseau. Accepter ce premier état de fait, c’est également accepter l’idée que des “solutions définitives” ne peuvent être trouvées. Il convient dès lors de réfléchir en fonction “d’optimums fluctuants”, notion qui renvoie à celles de flou, d’incertain, de “moins mauvais”, voire de contradictoire. Nous sommes loin des films à grand succès où un “bon” combat un “méchant” pour défendre une cause “juste”. Le premier grand défi que jette le développement durable est donc l’abandon, ou du moins la modification d’un certain nombre de nos repères, ancrés dans la volonté de trouver une stabilité tranquille. Le deuxième défi est celui des interactions. Celles-ci font se croiser en même temps les acteurs et les domaines dont dépend le développement durable. Notre vie de tous les jours nous offre de multiples aperçus de cette complexité en œuvre. Par exemple, “investir” le montant nécessaire à l’achat d’un kilo de bananes a des répercussions sur l’ensemble de la filière, de la production du produit à son conditionnement, son transport et sa commercialisation. Notre argent participe donc au problème de l’exode rural, de la concentration d’une population de plus en plus pauvre dans les mégapoles, de la recrudescence de certaines maladies, de la montée de la violence, de l’appauvrissement des sols, de la désertification, de la déforestation, de la pollution de l’air et de l’eau et donc de l’apparition de nouvelles maladies, de la famine, etc. Ces choix participent également à favoriser ou non un certain type de commerce. Tel bien, matériel ou non, est-il diffusé par une multinationale? Est-ce un produit d’importation ou issu de la production locale? Sa commercialisation est-elle soumise à un comité d’éthique? Etc. Cet exemple banal, présenté de manière succincte, met également ESPACE l'accent sur le troisième défi à relever, le défi éthique. Comme l'illustre notre exemple, l'acte L OG de consommer est en relation directe avec la I E CO C I AU X E o conscience que nous avons de notre propre E S C “pouvoir d’influence” en tant que O consommateur. Il s’agit de savoir jusqu’à N o quel point nous voulons briser cette sorte de M cercle vicieux qui caractérise le principe S 2 I hologrammatique qui régit toute société R U Ed’une manière générale. E S oC I A L ACT Ces trois défis requièrent l’abandon définitif du sectarisme des disciplines académiques et TEMPS de l'approche cartésienne3 basée sur une logique classique qui modèlent profondément nos sociétés occidentales. Le geste du Modélisation de la dynamique consommateur ressemble peut-être au du développement durable Pellaud, 2000 battement d’aile d’un papillon. Métaphore classique pour illustrer la théorie du chaos, ce 2

S'inspirant de Morin (1990), il s’agit dans ce cas de la reproductibilité de la société, puisque l’individu vient d’une société qui le produit et que luimême produit cette société. Il ne s'agit pas d'abandonner l'approche cartésienne, celle-ci étant indispensable pour approfondir certains domaines et comprendre des problématiques spécifiques. Il s'agit de contextualiser cette approche afin que sa spécificité soit prise en compte à travers une démarche systémique et une pragmatique qui lui soient complémentaires. 3


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dernier n’est-il pas désigné comme pouvant être à l’origine d’un ouragan? Encore faut-il que le papillon ait "envie" de battre des ailes… Nous touchons là la corde la plus sensible sur laquelle se joue la partition du développement durable. Adhérer à un concept est une chose, accepter de quitter son confort intellectuel et la facilité des habitudes prises pour entrer dans une action qui, souvent, apparaît comme rébarbative et contraignante en est une autre4 . Et pourtant, le développement durable est l’affaire, sinon de tous, du moins de chacun... Dès lors, comment favoriser une telle démarche? Porter le développement durable à la connaissance du plus grand nombre de personnes est certes indispensable, mais largement insuffisant. Face à la complexité que recèle l’acte d’apprendre, même le modèle constructiviste que proposait Piaget (1967), basé sur une “assimilation” et une “accommodation”, se révèle trop fruste. En effet, nous savons aujourd’hui qu’un tel cas de figure est rare, et qu’une rupture avec les acquis antérieurs5 ou plus exactement une transformation6 de ceux-ci est le plus souvent indispensable. Pour envisager cette transformation, il est nécessaire de partir des conceptions7 des apprenants, et de faire “avec” pour aller à “l’encontre” de celles-ci, comme le propose Giordan, tout en conservant à l’esprit que l’apprenant, quel que soit son âge, a besoin de ses conceptions puisqu'elles sont les seuls outils à sa disposition pour appréhender et comprendre, ou du moins interpréter son environnement. Partant du constat qu’on ne peut intéresser les gens que si l’on s’intéresse à eux, prendre le temps de savoir ce qu’ils pensent et connaissent du sujet qu’on leur propose, découvrir leurs attentes, leurs questions, analyser ce qui fait obstruction à leur compréhension, etc. devient un préalable indispensable. Par exemple, nous avons pu constater que, pour beaucoup de personnes, le développement durable ne concerne que les pays en voie de développement. Dès lors, les gens qui ont une telle conception ne se sentent pas concernés et se détournent de la problématique. Parallèlement, une certaine ambiguïté subsiste quant à la mise en œuvre d'un tel projet de société. Pour une majorité de personnes, la globalité de son approche ne peut être appréhendée que par une autorité estimée supérieure, généralement politique, et ceci malgré le fait que bon nombre d'entre elles font part d’une grande méfiance face à ce pouvoir. Ces conceptions, couplées à des limites très pratiques comme les disparités économiques, le manque d’informations sur le sujet, les infrastructures proposées, etc. se mêlent à des arguments beaucoup plus individuels, voire intimes et souvent difficilement avouables tels que ceux qui se rapportent à la peur de toucher à tout ce qui est assimilé à une liberté personnelle. “Retour en arrière”, ou “retour à la nature” excluant le confort et les avantages de la société industrielle, nécessité de “réfléchir” lors des achats, vision d’un collectif et d’une solidarité excluant en tout ou partie les plaisirs individuels, etc., autant d’arguments qui “diluent” l’envie de s’impliquer dans un tel processus. La relation ambiguë envers les autorités, ainsi que la conception “tiersmondiste” révèlent également une difficulté à accéder à une pensée complexe nécessitant une approche systémique. Cette dernière tient d’ailleurs une place considérable dans la formation de ce que nous avons nommé le “syndrome de la goutte d’eau”. Ce dernier, dénommé ainsi à cause de l’expression “je ne suis qu’une goutte d’eau dans 4

Toutes les données concernant les conceptions sur le développement durable sont tirées de la thèse de PELLAUD, F. (2000) "L'utilisation des conceptions du public lors de la diffusion d'un concept complexe, celui de développement durable,dans le cadre d'un projet en muséologie" LDES-FPSE, Université de Genève 5 Les acquis antérieurs regroupent les connaissances, les savoirs, les croyances, la logique interne, les modes de raisonnement, etc., tout ce que nous appelons “conceptions” dans le jargon didactique. 6 Il est difficile de décrire ou de qualifier la transformation. Celle-ci peut être comparée à une intégration ou à une appropriation, mais les mécanismes cognitifs qui y conduisent sont complexes et variés, dépendant très fortement de la nature et du statut de la conception à transformer. 7 Pour en savoir plus sur les conceptions et l’utilisation des modes de raisonnement dans l’acte d’apprendre, lire les différents livres d’A. Giordan proposés en bibliographie.


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l’océan…” est fréquemment utilisé pour refléter l’impuissance que ressent souvent l’individu face au collectif. Il entraîne une attitude de résignation qui pousse les gens à dénigrer leur propre action8 . Les conceptions, un outil pour une "muséologie de l'implication" Utilisant ces conceptions comme moteur à l’innovation, le message principal de l’exposition que nous proposons dans cet article repose pour l’essentiel sur un questionnement que l’on peut résumer par, “comment, personnellement, aimeriez-vous que le monde évolue?” L’ensemble du projet consiste ensuite à amener le “visiteur9 ” à y participer activement. Pour y parvenir, le visiteur, et d’une manière plus générale, l’apprenant, doit être confronté aux limites de son propre raisonnement afin qu’il ressente le besoin, si ce n’est l’envie, d’en “savoir plus”, d’aller “plus loin”. Diverses “mises en situation” doivent, d’une part, donner du sens au projet et offrir des outils adaptés en vue de transformer une conception préalable en un savoir plus adapté. Ces “mises en situation”, qui permettent de resituer le savoir dans un contexte, nécessitent la mise en place de différents “moments” ou “phases” inspirés par le modèle d’apprentissage allostérique proposé par Giordan et De Vecchi.

concerner

motiver

interpeler

Favoriser l’apprendre: transformer les conceptions

créer un climat de confiance

faire "avec" pour aller "contre”

diversifier les approches pédagogiques

questionner contextualiser

intentionnalité-sens

ébranler le système cognitif, créer des dissonnances

perturbations

aides à penser

confrontations

favoriser - l’esprit critique, - la confiance en soi, - la curiosité, - l’ouverture, etc. favoriser la prise de recul - par l’expression orale, - par le passage à l’écrit

imagination créativité

accompagnement

mobilisation du savoir

concepts organisateurs savoir sur le savoir

favoriser - la communication, - les mises en relation, - la mobilité de la pensée, - travail en réseau, etc.

Environnement didactique favorisant l'acte d'apprendre Giordan - Pellaud (2001)

utiliser les intérêts et les compétences spécifiques des élèves

diversifier les outils didactiques

proposer et/ou faire élaborer des repères: - notionnels - épistémologiques - métacognitifs

paramètres favorisant l’acte d’apprendre les rôles de l’enseignant / médiateur

Dans le cas spécifique du développement durable, la prise en compte de ces conceptions est d’autant plus importante que nous avons affaire à un concept qui, comme nous l’avons vu au début de cet article, nécessite d’une part des modes de raisonnement très différents de ceux que nous avons l’habitude de mettre en œuvre dans notre quotidien, et qui, d’autre part, s’appuie essentiellement sur des valeurs éthiques. Malgré cela, apprendre à raisonner avec la complexité, comprendre les enjeux du développement durable et la place que chaque individu occupe dans la réussite de ce processus ne sont pas des garanties pour un passage à l’action. La raison en est les formes plurielles que prend la motivation, ses racines 8

Ce “syndrome” est en réalité beaucoup plus complexe, et n’est pas forcément lié à ce que nous pourrions considérer comme le manque d’une certaine “maîtrise” de l’approche complexe. En effet, nos recherches montrent que ce “syndrome” frappe également les personnes possédant une vision globale, systémique de cette problématique, et qu’il s’agit alors plus d’une façon d’être ou de ce que nous pourrions considérer comme un “état d’esprit” plus ou moins optimiste. 9 Dans un tel contexte, le terme de visiteur n’est plus adapté dans le sens où il participe activement, s’implique et modifie en permanence l’environnement qui lui est offert. Néanmoins, ce terme étant celui habituellement utilisé, nous l’avons donc conservé.


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plongeant allègrement dans des domaines aussi différents que la pédagogie, la psychologie, voire la psychanalyse. Ainsi, et bien qu'“aucune science ne peut se prévaloir d’avoir dévoilé les secrets de la motivation10 ” , nous pouvons espérer, qu'à l'instar de l'environnement didactique, un environnement scénographique diversifié conduira le visiteur à "entrer dans une action". Activités physiques ou projection virtuelle en trois dimensions, manipulation d’objets, jeux, expérimentations, écoute, enregistrement de récits, devinettes, publicité “à l’envers”, etc., tout est bon pour motiver le visiteur à agir. L’environnement proposé, en commençant par l’architecture extérieure, est composé de symboles, de métaphores, autant que d’éléments faisant référence à la stricte réalité. La mobilité, la mouvance se retrouvent jusque dans la transformation permanente des éléments intérieurs, ceux-ci évoluant en fonction des actions -ou des non actions- des “visiteurs”. Dépassant l’offre traditionnelle des musées ou des expositions, ce lieu est conçu pour devenir un élément de vie au sein de la cité en offrant les prestations d’un véritable “centre de ressources” sur le développement durable. Une sphère de questions... L’architecture de base est composée d’une gigantesque sphère qui en abrite une plus petite, elle-même inscrite dans un tétraèdre. Le choix d’une telle architecture n’est pas banal. Comme les gens ont tendance à découper la réalité, à la fractionner, à la réduire pour la raccrocher à quelque chose de plus simple -on parle de problèmes écologiques, de la question du chômage, de la pauvreté, mais on néglige les liens qui unissent ces domaines- la sphère, en tant que forme géométrique réunissant une infinité de lignes qui conduisent à elles-mêmes, offre alors une approche visuelle de la complexité11 , soulignée encore par les intersections des droites du tétraèdre. D'autre part, sachant que l'impression générale que le visiteur gardera de son passage sera son plus grand acquis, l'émotion joue un rôle prépondérant. Pour provoquer cette émotion, le visiteur doit se sentir perturbé dans ses convictions, déstabilisé dans ses croyances, confronté à différents points de vue, tout en ayant assez de repères pour se situer, se “rassurer”, se sentir accompagné dans sa démarche. De plus, cette émotion ne doit pas toucher que les sens. C'est la raison pour laquelle le “sas d'entrée” qui permet l’accès à la sphère est constitué de plusieurs jeux physiques. Amener l’idée de solidarité et de dépendance par des activités Le Caf'forum, lieu de 4 impossibles à réaliser détente, de débats, de spectacles en solitaire oblige l’individu à s’impliquer Expositions itinérantes des partenaires: éléments physiquement dans 3 de compréhension celles-ci et, plus Exposition permanente, symboliquement éléments de concernation et 2 d'implication 3 souligne l’idée que la Sas d'entrée, jeux, solidarité est avant tout éléments de sensibilisation 1 un plaisir avant d’être Multimédiathèque, 5 éléments de "savoir plus" une nécessité. 6

Le visiteur accède par un escalier au 10 11

DORTIER, J-F. (1999) Peut-on motiver autrui? in Sciences Humaines no 92, mars 1999 La symbolique de la sphère ne s'arrête pas là, car elle est profondément chargée d'histoire et de spiritualité.

Amphithéâtre, lieu de formation, de conférence, de spectacles


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deuxième espace où il retrouve la sphère, tronquée à sa base, mais cette fois, vue de l'intérieur. Il découvre qu’elle est posée sur un tétraèdre fait de tubes lumineux dont les quatre sommets rappellent les pôles du développement durable, à savoir, l'économie en bleu, l'écologie en vert, le développement social en rouge et, pôle que l'on oublie fréquemment de mentionner car il est sous-jacent à chacun des trois autres, la réflexion éthique, point de rencontre des trois couleurs, qui culmine au-dessus des têtes. C’est à l’intérieur de ce deuxième espace que se déroule “Le grand jeu de la réalité” dans lequel chaque visiteur peut devenir le “héros”. En pénétrant dans cet espace, le visiteur reçoit un caddie. Objet pour le moins insolite dans un musée, oblige à se questionner sur sa présence, sa fonction, son rôle, tant symbolique que pratique. Il rappelle d'emblée que le développement durable nous concerne tous, individuellement et collectivement, qu'il ne s'agit pas d'un simple “retour à la nature” mais que l'économie y a une place importante, et que le concept ne s'adresse pas qu'aux pays en voie de développement. D'autre part, en ramenant le développement durable à la vie de tous les jours, le caddie lui fait perdre la dimension mondiale, globale et donc inatteignable qui le rend utopique aux yeux du grand nombre. Il perd également, en tout cas dans un premier temps, cette image de complexité, puisqu'il est ramené à un objet que tout le monde connaît et maîtrise, à un ensemble de gestes que chacun est capable de faire. Enfin, le caddie place le visiteur dans une situation familière et quotidienne, qui va faciliter l'apprentissage, et surtout favoriser le réinvestissement de ce qu'il aura “appris” au cours de sa visite dans sa vie de tous les jours. Au-delà de son rôle symbolique, le caddie offre des aspects pratiques indéniables. On peut y mettre une bouteille d'eau, la veste qu'on n'a pas voulu laisser à l'entrée, l'appareil de photo, etc. Par simple déplacement d’un de ses côtés, on peut le transformer en double siège. Ces aspects ergonomiques en font un objet précieux qui évite la fameuse “fatigue du visiteur de musée”. La position assise favorise en outre l’écoute des commentaires, diffusés par de petits haut-parleurs incorporés à l'engin, et évite ainsi le recours aux traditionnels et ennuyeux panneaux explicatifs. De plus, cette formule d'audioguidage offre la possibilité de sélectionner des commentaires “scientifiques”, “lyriques” ou de type “réflexif”, selon l'envie et les besoins des visiteurs. En plus du caddie, le visiteur reçoit une carte magnétique. Celle-ci permet au visiteur d'acheter virtuellement des produits et des prestations, de voter, d'effectuer des choix, etc. Il peut aussi avoir accès à des informations personnalisées, comme la population mondiale au moment de sa naissance, l’importance du parc automobile à la même époque, etc. Ces informations font référence à un laps de temps qui est familier au visiteur, qu'il peut parfaitement se représenter, même si dans l’absolu, il reste subjectif. Cette première introduction permet de reconnaître le visiteur comme une entité individuelle, tout en lui rappelant incidemment son appartenance planétaire. A la fin de la visite, la "carte de consommation" permet également d'imprimer un “bilan personnel de développement durable”. Bien sûr, le visiteur reste libre de ses actes et de ses choix et aucun élément n'est conçu pour “lui faire la morale”. Des “Standingues” au “Monopoléthique”... demain… la Terre! Muni de son caddie et de sa carte magnétique, le visiteur devient manager d’une multinationale, responsable du département de l’énergie, scientifique, PDG d’une raffinerie, d’une centrale nucléaire ou simple citoyen. Dans la peau de ce personnage, il effectue des choix, prend des décisions, est sollicité dans des débats, participe à des votations, etc. A sa disposition, des slogans “publicitaires” qui le poussent à la réflexion, des témoignages de personnalités mais aussi d’autres visiteurs, des informations à chercher sur des supports aussi variés que ludiques, des expériences à faire ou à mener. Tout cela à travers des sujets


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de la vie courante, qu’il s’agisse des vacances, de la manière de se nourrir, de se déplacer, de se divertir, de travailler, de s’impliquer dans la vie de quartier, ... Chaque décision, achat, vote, etc. est immédiatement transmis à un ordinateur central. Celui-ci traite la donnée reçue en fonction de critères de durabilité. Le résultat de la gestion informatique des données modifie la hauteur des couleurs des trois colonnes du tétraèdre, qui fonctionne comme une sorte de balance montrant le “poids” dont bénéficient les domaines que ces colonnes représentent. Le visiteur peut ainsi suivre de manière directe, l'influence de ses propres choix, mélangés à ceux des autres personnes participant en même temps que lui à cette activité. Quelles que soient la ou les couleurs qui dominent, au moment où l'une d'entre elles parvient au sommet “éthique” du tétraèdre, une projection tridimensionnelle est diffusée sur le plafond de la coupole. Réponse aux choix enregistrés, ce film de fiction met en relation ces derniers et l'avenir de la Terre. Utilisant les techniques de l'image de synthèse couplées à des images réelles, des commentaires, de type journalistique ou reportage, parlent des conséquences de l'action humaine. Images positives de l'évolution de la planète lorsque les choix ont été judicieux, scènes catastrophiques où les changements climatiques, l'accroissement d'une population de plus en plus pauvre, la raréfaction de l'eau potable, etc. dénoncent l'inconséquence des choix effectués, scènes le plus souvent paradoxales ou ambiguës démontrant la fragilité des savoirs et la difficulté de trouver une “moins mauvaise solution”. Des commentaires enfin stimulent les visiteurs à continuer dans une optique responsable. Ils mettent en exergue l'importance de l’action individuelle, et rappellent que le scénario n’est qu’une projection possible de l’avenir. Conclusion “Toucher” l'avenir, entrevoir le futur, envisager de quoi demain sera fait… comprendre, ou du moins visualiser les liens qui existent entre nos choix de vie et de consommation et l'évolution globale prévisible ou susceptible de notre planète, voilà quelques-unes des pistes que nous envisageons pour promouvoir, à travers le développement durable, une action citoyenne réfléchie. Celle-ci, nous l’avons vu, ne peut faire l’économie, ni d’une approche de la complexité, ni d’une recherche d’implication et d’action. Connaître les codes pénal et civil correspondait à une éducation civique, l’éducation citoyenne requiert d’autres outils, notamment au niveau de la réflexion qu’elle nécessite. A nous d’innover et de nous offrir de nouvelles voies pour appréhender ce monde en perpétuelle évolution qu’est le nôtre. Néanmoins, penser global, complexe, n’est jamais uniformisé. C’est au contraire utiliser à bon escient l’ensemble des informations que donne le contexte pour développer des approches “personnalisées” en vue de proposer des optimums, ces solutions intermédiaires et fluctuantes, qui nécessitent cette souplesse, cette mobilité d’esprit nécessaires à la vitesse d’adaptation que requièrent notre monde et l’urgence de ses problèmes. Le développement durable représente tout cela. Profondément inscrit dans notre quotidienneté, il est une source intarissable de questions, de remises en cause, d’approfondissements, de mobilisations, de connexions, de mises en réseau, etc. pour autant que l’intérêt soit présent, que l’individu se sente concerné, impliqué dans ce processus. Voilà le nouveau défi que doivent relever toutes formes d’éducation. Bibliographie indicative: BARBIER, J-M. sous la dir. de (1996) Savoirs théoriques et savoirs d’action, PUF, Paris CNUED (1993) Action 21: Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, Déclaration des principes relatifs aux forêts Nations Unies, New York-Genève, No de vente: F 93I11 DAVALLON, J. (1992) Le musée est-il vraiment un média? in Publics & Musées no 2, Presses Universitaires de Lyon


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GIORDAN, A. sous la dir. de (1996) Musées et Médias, Georg éditeur GIORDAN, A. DE VECCHI, G. (1987) Les origines du savoir, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel GIORDAN, A. (1998) Apprendre! Débats Belin GIORDAN, A. PELLAUD, F. (1999) The state of science teaching in The challenges of science education, Concil of Europe Publishing, Strasbourg MORIN, E. (1977) La Méthode 1: La nature de la nature, Seuil, Paris MORIN, E. (1990) Introduction à la pensée complexe, ESF éd. Paris MORIN, E. (1999) La tête bien faite, Seuil SCHIELE et KOSTER, sous la dir. de (1998) La révolution de la muséologie des sciences éd. PUL et Multimondes, Lyon - Ste-Foy (Québec) VALLERAND, J. & THILL, E. sous la dir. de (1993) Introduction à la psychologie de la motivation, éd. Etudes Vivantes, Laval, Québec


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