CNRS Info spécial 20 ans CNRS INFO • N° 394 • JUIN 2001
De l’utilité de la reformulation du discours scientifique Quel « vulgarisateur en herbe » ne s’est pas un jour demandé si le mode de reformulation du discours scientifique qu’il avait choisi, de l’article de fond, de la conférence publique, de l’animation expérimentale, de la pièce de théâtre ou de toute autre formule, était finalement le plus adapté à ce qu’il voulait transmettre à son auditoire ou à son lectorat ? La question du « pourquoi » comme préalable à la question du « comment » Une attitude courante consiste à commencer par élaborer un mode de vulgarisation « à tâtons ». Partant d’une formule conforme à sa personnalité et aux moyens dont il dispose, le scientifique élabore progressivement son discours, le confronte à différents publics et peut dire finalement : « Ma méthode fonctionne, donc c’est une bonne façon de procéder ». Mais à ce stade, il est bien difficile de préciser en quoi, justement, la formule « fonctionne ». Permet-elle de transmettre des connaissances, une forme de raisonnement, de donner un aperçu de la vie du scientifique, d’expliquer ce qu’est vraiment la science ? Est-elle simplement un moyen de créer une « relation » à la science ? Mais alors cette relation est-elle émerveillement, engouement, méfiance ? Et s’il ne s’agissait, au fond, que de divertir, de faire rire ou rêver ? Bien souvent, la formule élaborée « à tâtons » couvre à peu près tous ces domaines et répond
partiellement à toutes ces questions ; c’est pourquoi quel que soit le public, en effet, elle « fonctionne ». Pourtant quelle qu’en soit la forme, et à force de dispersion, elle perd en efficacité et en pertinence et le vulgarisateur avisé finit bien par s’en rendre compte un jour ou l’autre. Il incombe donc au vulgarisateur de dépasser le stade de la construction « à tâtons » de sa pratique, en prenant la peine de mener une réflexion profonde sur l’utilité de la reformulation du discours scientifique. En d’autres termes, la question « Pourquoi vulgariser ? » constitue un préambule indispensable à la question « Comment vulgariser ? ». Pourquoi vulgariser ? Le vulgarisateur peut en premier lieu tenir un rôle informatif et sensibilisateur. En expliquant à son public les applications qui découlent de la science en cours, en lui faisant prendre conscience des aspects aussi bien négatifs que positifs du progrès en marche,
Dans un bain de science...
... et de vulgarisation Ancien élève de l’École normale supérieure de Lyon, Richard-Emmanuel Eastes est professeur agrégé de Sciences physiques à l’École normale supérieure et directeur du Service de gestion des concours scientifiques des écoles normales supérieures depuis la rentrée 2000. Il est également responsable du groupe de travail Diffusion des savoirs créé en 1997 par la direction de l’École normale supérieure pour promouvoir la science auprès du grand public et des établissements scolaires de tous niveaux, en France et à l’étranger. Il a effectué des travaux de recherche en chimie supramoléculaire au Collège de France dans le laboratoire du Professeur Jean-Marie Lehn, en chimie de l’atmosphère au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement du CEA à Saclay et en électrochimie organométal lique au sein de l’unité PASTEUR sous la direction du Professeur Christian Amatore à l’École normale supérieure. Outre ses diverses activités pédagogiques (Olympiades nationales et internationales de chimie, diffusion du concept de « microchimie » en France et à l’étranger, rédaction de trois ouvrages et une vingtaine d’articles pédagogiques…), il s’est particulièrement consacré depuis cinq ans au développement de l’enseignement des sciences physiques dans les pays francophones africains, au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (NTICE) en France et à l’étranger et à la réalisation de conférences et d’animations scientifiques destinées au grand public (festivals, émissions de radio, musées et spectacles scientifiques).
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Expérience de l’azote liquide.
il combat une certaine forme d’obscurantisme que suscitent la désinformation, les parasciences et les discours démagogiques de certaines organisations économiques et politiques, véhiculés par certains media mal informés. En cela, il facilite la consultation citoyenne et les prises de décisions politiques relatives à l’application et au contrôle des découvertes scientifiques1. Le vulgarisateur a également un rôle incitatif. En mettant les jeunes générations en « appétit de science », en déclenchant ou en réactivant leur engouement pour les cursus scientifiques, il contribue au renouvellement de professions dont les qualités garantissent les futurs développements économiques et culturels des sociétés humaines, mais aussi le traitement efficace des inévitables « effets pervers du progrès »2. Et grande est sa joie lorsqu’un parent ravi vient spontanément lui glisser à l’oreille : « Depuis que mon fils a assisté à votre animation, il veut devenir chimiste… ». Plus généralement, le rôle du vulgarisateur peut être éducatif. Certes, il ne saurait se substituer à l’enseignant et aux manuels de cours, qui seuls permettent un réel apprentissage des sciences en vertu de l’absolue nécessité que revêt le travail personnel actif dans le processus d’appropriation des concepts qu’elles soustendent. Toutefois, il peut indéniablement viser à développer la curiosité de son public et, à travers elle, son sens critique et sa capacité à raisonner.
À cette fin, il dispose par exemple de l’évocation de faits spectaculaires et « contreintuitifs », qui marquent l’esprit des spectateurs et les incitent au questionnement ; parallèlement, l’interprétation d’observations courantes issues de la vie quotidienne, éventuellement par le biais de concepts scientifiques complexes, conduit à l’accroissement de la curiosité et de l’esprit d’observation des plus profanes. Enfin, le vulgarisateur ne cherche-t-il pas tout simplement à rendre le monde plus beau en le rendant intelligible ? Qui n’a pas expérimenté le plaisir saisissant que procure l’identification de telle nébuleuse, de telle constellation, de telle planète lors de la contemplation d’un ciel étoilé ? N’éprouve-t-on pas une jouissance particulière à déguster un bon vin lorsque l’on parvient à en distinguer les arômes subtils
1) À ce titre, les informations scientifiques étant essentiellement transmises à la population par les media, il est crucial de leur permettre l’accès à une information claire et précise. C’est par exemple l’objectif que s’est fixé l’organisme Science Contact, fondé à la Cité des sciences par des membres de l’Académie des sciences.
2) À ce sujet, consulter l’ouvrage d’Alain Lipietz, directeur de recherches au CNRS, député Vert au Parlement européen : Qu’est-ce que l’écologie politique ?, La Grande Transformation du XXIe siècle. Éditions La découverte, 1999.
Expérience de la bouteille bleue.
et la provenance ? La capacité de pouvoir différencier les plantes, les coquillages, les oiseaux, les roches et les parfums lors d’une randonnée ne procure-t-elle pas une satisfaction supplémentaire, une véritable impression d’appartenance à l’Univers ? Aussi la vulgarisation scientifique prend-elle probablement son sens véritable dans ce pouvoir extraordinaire de transformer la vision en regard, l’ouïe en écoute, le goût et l’odorat en imprégnations et plus généralement, les perceptions en plaisirs.
Contact Richard-Emmanuel Eastes, tél. : 01 47 40 74 32 mél : emmanuel.eastes@ens.fr
Contact département SC Laurence Mordenti, tél. : 01 44 96 41 09 mél : laurence.mordenti@cnrs-dir.fr
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