EN VUE L’INVITÉ Jean-Jacques Gauer
un chantier perpétuel. Cette année, nous allons encore rénover nos chambres, un des restaurants et le hall d’entrée. Je préfère de loin une rénovation en continu, qui permet de rester en permanence dans la tendance, plutôt qu’un grand lifting tous les dix ou quinze ans. Ces dépenses ne fragilisent-elles pas le secteur en cette période incertaine? Ces investissements étaient absolument nécessaires. Aujourd’hui, l’Arc lémanique est devenu beaucoup plus attrayant qu’il ne l’était, ce qui lui permettra de mieux résister au ralentissement actuel. Existe-t-il des risques de faillite dans l’hôtellerie? Il ne faut pas dramatiser! J’ai 56 ans, ce n’est pas la première crise que je vis et ce n’est certainement pas la dernière! Bien sûr, la crise affecte les comptes de l’hôtellerie, mais le Lausanne Palace dispose des moyens financiers pour la traverser. Après, tout dépendra de la durée du ralentissement. Sur les 457 hôtels figurant parmi les Leading Hotels of the World, on note en 2008 une baisse de 15% du taux d’occupation par rapport à 2007. En janvier 2009, cette baisse s’est accentuée, atteignant 24% par rapport au même mois de l’année précédente. Mais tout ne peut pas toujours aller vers le haut. Il existe des cycles. D’ici à quelques mois, je pense néanmoins que les réservations repartiront à la hausse. Je reste optimiste. En ce qui concerne le Lausanne Palace, je m’attends pour 2009 à une année similaire à 2007, en termes de chiffre d’affaires. Or en 2007, j’étais très content des résultats. Et puis, cette crise peut aussi avoir un effet salutaire. Quand tout va trop bien, le succès donne naissance à l’arrogance. Une cure d’amaigrissement pourrait faire du bien à certains palaces… Quelles mesures allez-vous prendre pour endurer la crise? Dans un marché orienté à la baisse, rien ne sert de démarcher. Nous allons en revanche adapter certains prix à la baisse, être davantage prudents en contrôlant plus rigoureusement nos frais et peut-être réduire le personnel. Les hôtels indépendants deviennent rares: ils sont rachetés par de grands groupes. Pensez-vous que ce phénomène de concentration va se poursuivre? Personnellement, je suis issu d’une famille hôtelière dont les propriétés ont été rachetées à la suite d’une succession difficile. Mais, de manière générale, je ne suis pas certain que les grands groupes vont continuer à proliférer. Dans les prochaines années, nous allons peutêtre assister à la tendance inverse: les clients sont de nouveau à la recherche d’une authenticité que les grands groupes ne peuvent pas leur apporter. Par ailleurs, face à la crise, les chaînes hôtelières s’exposent à des risques qui ne touchent pas les hôtels individuels: il est beaucoup plus facile de maîtriser les coûts d’un site unique que ceux de dizaines d’hôtels éparpillés partout dans le monde. Que pourraient faire les institutions pour améliorer l’attractivité touristique de l’Arc lémanique? Je trouve que le chemin pris depuis quelques années est le bon. Il faut donc continuer dans la même voie. Grâce aux efforts de Suisse Tourisme, l’image du pays a changé. On a dépassé les clichés sur le
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Une vie dans les hôtels Né en 1953 à Berne, JeanJacques Gauer dirige le Lausanne Palace depuis treize ans. Diplômé de l’Ecole hôtelière de Lausanne en 1974, il a fait ses gammes au sein de l’entreprise familiale, le groupe Gauer Hôtel qui possède 14 établissements. A seulement 28 ans, il est propulsé directeur général du célèbre Schweizerhof. En 1989, il est élu président des Leading Hotels of the World, association qui regroupe 450 hôtels prestigieux dans le monde. A la suite d’une succession douloureuse, le groupe familial Gauer est divisé. JeanJacques Gauer quitte alors Berne et le giron familial. En 1996, il est nommé directeur du Lausanne Palace & Spa, qui se trouve alors en difficulté. En une décennie, il parvient à redresser l’établissement, triplant au passage son chiffre d’affaires. En 2002, le Lausanne Palace reprend la gestion de l’Hôtel des Trois Couronnes à Vevey, puis celle du Château d’Ouchy en août 2008.
chocolat, les vaches et Heidi. Bref, la Suisse n’est plus synonyme d’ennui! L’image de notre pays est devenue plus jeune, sportive et dynamique. En revanche, il serait souhaitable d’accélérer les grands projets d’infrastructures comme la troisième voie ferroviaire ou autoroutière. Face à Genève la capitale du luxe, Lausanne est-elle à la traîne selon vous? Avec ses banques et ses institutions internationales, Genève est effectivement la capitale romande du luxe. On y trouve les mêmes boutiques, les mêmes marques qu’à Paris, New York ou Shanghai. Lausanne a su conserver une certaine authenticité, un caractère très local. C’est ce que les gens cherchent lorsqu’ils viennent ici. Que pensez-vous de la concurrence entre les deux villes? Je suis en faveur d’un rapprochement. Se rendre d’un bout à l’autre du lac prend une heure et demie. Il s’agit approximativement du temps qu’il faut pour traverser une grande ville ailleurs dans le monde. Tout ce qui peut être entrepris en matière de coopération entre Lausanne et Genève, mais aussi avec Evian ou Montreux doit être tenté. Un tel rapprochement n’empêche pas chaque ville de conserver sa spécificité: pour Montreux les festivals, pour Genève les banques, Evian les bains thermaux et Lausanne son authenticité. ——