Trajectoire N°90, Spécial femmes

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PRINTEMPS 2010 CHF 9.- / € 6.-

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SPÉCIAL FEMMES

L’axe du luxe  Genève - Lausanne - Gstaad - Verbier


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HORLOGERIE Par Melinda MARCHESE Photos François WAVRE / REZO

«Je n’Ai JAmAis AutAnt voyAGé» La maison Chopard lance pour son 150e anniversaire une impressionnante collection de haute joaillerie consacrée aux animaux. Après un ralentissement des ventes l’an dernier, la co-présidente Caroline Gruosi-scheufele évoque le développement prévu en 2010.

L’

assurance qu’elle dégage en marchant, en s’exprimant ou en recoiffant ses cheveux, rappelle que Caroline Gruosi-Scheufele n’en est plus à ses débuts. A bientôt 50 ans, la co-présidente de Chopard compte près de trente ans d’une carrière couronnée de valorisants succès. En cette année 2010, elle lance, pour le 150e anniversaire de la marque, une collection de bijoux qui s’inspire du règne animal. Tigre, tortue, poisson, koala, coq, cochon, singe, cigogne et autre antilope donnent vie à 150 pièces de haute joaillerie réalisées dans les ateliers genevois de la maison.

«Nos joailliers et sertisseurs se sont surpassés», se félicite l’épouse de Fawaz Gruosi. Au total, quarante artisans ont travaillé à plein temps pendant une année afin de terminer chaque création pour la présentation officielle de la collection à la Foire de Bâle. «Il faut compter de 40 à 1500 heures de travail pour les plus grosses pièces, estime Marc Couttet, responsable du département

création haute joaillerie. Les prix varient entre 150’000 et 1 millions de francs.» Rien n’est laissé au hasard pour garantir à la collection le rayonnement souhaité. L’infaillible femme d’affaires mise une fois encore sur une marraine de charme, le sculptural top-modèle tchèque Eva Herzigova. «Elle m’a toujours porté chance, confie Caroline GruosiScheufele. Eva était présente lors de mes premiers pas à Cannes il y a plus de 10 ans.» Autre valeur sûre de la marque, les célèbres Happy Diamonds (les diamants «mobiles») tiennent compagnie aux animaux à l’intérieur du cadran de certains modèles de montres. Quelques jours avant le lancement, la cadette de la famille Scheufele s’est confiée à Trajectoire dans les locaux feutrés du siège de l’entreprise à Meyrin. Comment est née l’idée d’une collection sur le règne animal? Elle est née dans les airs… Je voyageais en avion en compagnie de mon singe et de mon lapin; c’est en les observant que je me suis dit: «les animaux composeront la collection anniversaire de Chopard!»

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Bio express Caroline Scheufele Née en 1961 à Pforzheim en Allemagne, Caroline Gruosi-Scheufele n’a que deux ans lorsque sa famille rachète la manufacture horlogère Chopard. Elle s’installe en Suisse à l’âge de 12 ans et entreprend sa formation à l’Ecole internationale de Genève. Dès la fin de ses études, à 18 ans, elle rejoint l’entreprise familiale et suit parallèlement des leçons intensives de design et de gemmologie. Depuis, elle a largement contribué au développement de la haute joaillerie de la marque. Outre son rôle de co-présidente, elle supervise également la décoration des boutiques Chopard à travers le monde. En 1995, elle épouse le célèbre joailler Fawaz Gruosi. Côté loisirs, Caroline Gruosi-Scheufele dit cultiver une passion «pour tout ce qui est créatif. Que ce soit la musique, la mode ou l’art. Et j’adore cuisiner également.»



RENCONTRE

HORLOGERIE

Chopard

En haute joaillerie, la thématique animale n’est pas novatrice… On se souvient par exemple de la collection «Bestiaire» de la maison Boucheron… Je suis bien consciente que le thème animalier n’a rien de nouveau. Mais la particularité de cette collection est qu’elle met aussi en valeur des bêtes que l’on a tendance à délaisser parce qu’elles ne sont pas très attachantes. On retrouve par exemple des boucles d’oreilles «ver de terre», un bracelet «sardines» et un collier composé de petits rats! Je voulais surtout offrir un vaste panel d’espèces en faisant le tour de la planète. Pour ce faire, j’ai feuilleté des livres et des encyclopédies pour couvrir les cinq continents. Etes-vous confiante en ce qui concerne la vente de ces pièces? Je pense que nous n’aurons pas de peine à trouver des amatrices. Des clientes fidèles à la maison veulent voir les pièces avant qu’elles ne partent faire le tour du monde. Leur attribution sera un véritable cassetête… Ce sont des pièces uniques, mais certains modèles vont être déclinés en plusieurs exemplaires, comme le collier «tigre», le collier «singe» ou la bague «panda». La Chine et l’Inde – des pays qui culturellement vénèrent les animaux – sont d’importants nouveaux marchés pour l’horlogerie et la joaillerie. Outre votre passion pour les animaux, ce thème n’estil pas également un choix stratégique? Il s’agit avant tout d’un choix artistique et personnel. Toutefois, il est juste de dire que

certains marchés sont plus susceptibles d’acheter des pièces de cette collection, de par leur culture ou leur tradition. D’où vient votre passion pour les animaux? Elle date de l’enfance. Quand j’étais très jeune, ma famille avait un chien, un airedale terrier. Pour s’amuser, il me sautait dessus et me faisait tomber, ce qui affolait ma mère! Mes parents ont préféré s’en séparer… Mon frère (Karl-Friedrich, co-président de Chopard à ses côtés, ndlr) et moi avons boudé pendant un long moment. Je me promenais même dans la rue avec une peluche que je tenais en laisse! Mes parents ont fini par m’acheter un chien de plus petite taille… Quel est le bilan 2009 pour Chopard? Avez-vous observé un ralentissement des ventes suite à la crise financière? Comme tout le monde nous avons été touchés par la crise et, par conséquent, nous avons subi une baisse des ventes. Toutefois, nous avons traversé 2009 avec sérénité. Et malgré un chiffre d’affaire en baisse, nous avons terminé l’année sur un bilan globalement positif. Nous avons surtout redoublé d’efforts pour être créatifs et pour soutenir nos partenaires à travers le monde. Je n’ai jamais autant voyagé qu’en 2009. Chopard a été jusque dans les années 1980 une manufacture horlogère uniquement. La joaillerie a-t-elle réussi à s’imposer depuis? Les deux secteurs représentent aujourd’hui

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les piliers de Chopard et chacun de ces piliers est développé avec le même investissement, mais pas au même rythme. L’horlogerie nécessite de plus en plus de temps pour créer de nouveaux calibres ou mouvements par exemple, ce qui convient parfaitement au caractère de mon frère qui sait attendre, alors que moi je suis extrêmement impatiente! Mais en termes de production, 75’000 bijoux et autant de montres sortent annuellement de nos ateliers. Le développement de la marque n’a cessé de s’accélérer depuis la fin des années 1990 avec l’ouverture d’une centaine de boutiques à travers le monde. Souhaitez-vous encore développer ce réseau? Effectivement, notre réseau de boutiques s’est considérablement développé et nous souhaitons poursuivre dans cette voie. Les prochaines ouvertures prévues sont Shanghai, Singapour et Shenzhen. Vous êtes née en Allemagne et vivez en Suisse depuis près de trente ans. De quel pays vous sentez-vous la plus proche? Bien que je sois née en Allemagne et que j’y ai passé une partie de mon enfance je me sens plus proche de la Suisse où j’ai vécu la majeure partie de ma vie. C’est un très beau pays, accueillant, et c’est toujours un vrai bonheur pour moi, lorsque je rentre de mes nombreux voyages, de retrouver le bout du lac. Le paysage est absolument magnifique et je me sens chez moi. ——


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Photo: Stefano Trovati Modèle: Laura Chiatti

Photos: Chopard


HORLOGERIE

SÉLECTION Par Simone RIESEN / Swiss Watch Makers

UNE MOISSON DE BELLES DÉCOUVERTES Lors du dernier Salon de la Haute Horlogerie les nouveautés présentées étaient à la hauteur des attentes. Les amoureuses de beaux garde-temps ne se contentent pas des modèles féminins, elles aiment également la belle mécanique. Alors, nous n’avons pas pu résister… Voci quelques modèles destinés aux hommes, qu’elles sauront détourner à leur profit !

Vacheron Constantin «Collection Excellence Platine» Platine 950 pour ce boîtier de 43 mm, matière également utilisée pour le cadran, les aiguilles et pour la confection du bracelet. Le calibre 2253, développé et manufacturé par Vacheron Constantin, estampillé Poinçon de Genève, est mécanique à remontage manuel. Il est équipé de l’équation du temps, lever et coucher du soleil (éphéméride de la ville au choix du client). Edition limitée à dix exemplaires numérotés. CHF 511’000.- TTC

Van Cleef & Arpels «Butterfly Symphony»

Deux papillons en vol indiquent, par un mouvement mécanique rétrograde, les minutes et les heures. Le boîtier en or blanc serti de 38 mm abrite un cadran en nacre, onyx et or sculpté. La boucle en or blanc et en diamants accompagne un bracelet en alligator ou briquettes en or blanc et brillants. Edition numérotée.CHF 113’000.-

Badollet

« La Stellaire » Le mouvement BAD1630 mécanique à remontage manuel est

équipé d’un tourbillon volant effectuant un tour en une minute avec pivotement de la cage sans roulement à billes. La boîte en or gris est munie d’un fond saphir. Bracelet en alligator cousu main à boucle ardillon ou déployante. Edition limitée à 30 exemplaires. CHF 240’000.-

Cartier«Captive» D’un diamètre de 50 mm, ce boîtier en or gris rhodié est

muni d’une lunette sertie de diamants ronds. Le cadran, également en or gris rhodié, est partiellement serti de diamants ronds. Bracelet en toile brossée gris clair à boucle ardillon en or gris rhodié sertie. Sertissage total de 4,1 carats. Mouvement à quartz. CHF 69’600.« Star Magie d’Etoiles Lady Diamonds » Une boîte en or blanc reçoit un mouvement MB4810/103 à quartz Swiss Made. Le cadran, en nacre véritable, est parsemé d’étoiles, symbole de la marque, perles en rhodium. Le sertissage de cette pièce représente un total de 2,215 carats de diamants. Bracelet en satin à boucle en or. Edition limitée à 15 pièces. CHF 31’000.-

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Parmigiani

« Bugatti Atalante » Le mouvement PF 335

à remontage automatique, deux barillets en série, décoration Côtes de Genève, ponts anglés a pour fonctions : heures, minutes, petites secondes, quantième, chronographe de seconde, retour en vol (flyback). Le boîtier de 43 mm pour une épaisseur de 13,40 mm en or rose – aux finitions polies et satinées – est doté d’une lunette à tachymètre. Bracelet en alligator Hermès à boucle déployante en or.

Jaeger-LeCoultre «Duomètre à Quantième Lunaire » Le mouvement mécanique à remontage

CHF 65’000.-

manuel - calibre JLC 381 fabriqué, assemblé et décoré main – a pour fonctions les heures, les minutes, les secondes, une seconde foudroyante, la date, l’âge et la phase de lune (pour les deux hémisphères). Réserve de marche et réserve de marche du mouvement. Boîtier en or jaune de 42 mm et bracelet alligator à boucle déployante en or. CHF

35’900.-

Audemars

Piguet

« Tourbillon

Chronographe Royal Oak Offshore » Le calibre, 100% manufacture 2912 à remontage manuel, est muni d’un chronographe à roue de colonne, d’un double barillet et d’un tourbillon. Le boîtier en or rose aux finitions satinées et polies - diamètre 44 mm - est muni d’une lunette en carbone forgé et d’un fond saphir. Bracelet en crocodile noir à boucle déployante en or rose. CHF 273’130.-

Richard Mille

« RM 028 » Cette montre de plongée - 47 mm de diamètre à fond saphir et lunette unidirectionnelle – est travaillée en titane. Le mouvement squeletté à remontage automatique a pour fonctions les heures, les minutes, les secondes, un quantième et un rotor à géométrie variable, qui s’adapte à l’activité de celui qui la porte, une exclusivité Richard Mille. Etanche à 300 mètres. CHF 96’000.« Aquascope » La marque revisite un modèle historique des années 1960. Le boîtier, en acier poli et satiné, abrite un mouvement à remontage automatique de manufacture JR1000 aux dimensions de 44,5x40mm pour une hauteur 11,85mm. Etanche à 300 mètres et lunette tournante bidirectionnelle. Bracelet en veau structuré noir ou blanc à boucle déployante. CHF 6900.-

JeanRichard

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PORTRAIT Par Emilie VEILLON

Il était une fois...

SVETLANA ZAKHAROVA

Elle a interprété les rôles principaux des plus grands ballets classiques. Rencontre avec cette étoile du Bolchoï, considérée par beaucoup comme la plus grande danseuse du monde.

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orps svelte. Regard de velours. Svetlana Zakharova déploie une grâce inouïe sur scène. Danseuse étoile au Théâtre du Bolchoï, au New National Theater Ballet à Tokyo et à La Scala de Milan, cette jeune femme de 31 ans est considérée comme l’une des plus grandes ballerines du moment. Sa maîtrise technique absolue et le sens du romantisme dont elle fait preuve en incarnant de grandes héroïnes, telle qu’Aurore de la Belle au Bois Dormant, lui ont valu des prix d’excellence. Native d’Ukraine, elle vit aujourd’hui à Moscou où elle a reçu le titre d’Artiste du Peuple de Russie. Entre deux entrechats, elle s’implique dans la vie politique de son pays. Députée à la Douma, elle représente le parti au pouvoir de Vladimir Poutine, Russie unie, au conseil présidentiel pour la culture. Vous avez quitté votre famille pour rejoindre l’Ecole de Ballet de Kiev à l’âge de dix ans, après que votre mère ait fait naître en vous la passion de la danse classique. Quel a été l’impact de cette discipline quotidienne sur votre vie d’enfant ? En intégrant l’école, j’ai compris assez vite que je vivais le début de ma vie indépendante, loin de mes proches. J’habitais dans une pension avec dix autres jeunes danseuses et je suis donc devenue totalement responsable de moi-même et de mes études.

Quel genre de petite fille étiez-vous ? A Loutsk, ma ville d’origine, je vivais une enfance heureuse, sans souci. Je ne pensais pas à l’avenir, ni à la danse. Mais dès mon déménagement à Kiev, ma vie a changé d’un coup. Je suis entrée dans un monde impitoyable, J’y ai découvert la solitude, la rivalité et la jalousie. Votre carrière vous a rendue riche et célèbre. Profitez-vous de ce nouveau statut ? J’ai si peu de temps libre que je ne veux pas le gaspiller en me comportant en jet-setteuse. Je préfère passer du temps avec mes amis et ma famille. Lorsque la vie fait de tels cadeaux, il faut savoir rester modeste et simple. Comment vous sentez-vous parmi les différentes compagnies de danse au sein desquelles vous êtes danseuse étoile ? J’adore le Bolchoï et son atmosphère unique. Ce théâtre est ma seconde maison. Mais je reconnais que le quotidien entre professionnels de la danse n’est pas toujours zen. En général, je n’ai pas de problème avec mes proches partenaires. Et si c’est le cas, nous renonçons à travailler ensemble. Tombez-vous amoureuse des danseurs ? Bien sûr. Cela m’est arrivé et m’arrivera encore. Danser est un acte d’amour. Lorsque je répète avec mon partenaire pendant des heures les chorégraphies

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d’une histoire passionnelle, comme Roméo et Juliette, je rêve beaucoup la nuit. Parfois, je prends ces songes pour la réalité. Mais ce sont des sentiments amoureux qui se dissipent très vite. Pas l’Amour, le vrai. Depuis septembre 2009, vous êtes devenue ambassadrice de la marque de haute horlogerie suisse Audemars Piguet. Qu’est-ce que ce nouveau rôle représente pour vous ? C’est un honneur et un vrai plaisir d’être la première ambassadrice russe de la maison. Audemars Piguet est une marque légendaire et leurs gardetemps sont des oeuvres d’art. En plus, c’est une entreprise familiale, dont les membres m’ont accueilli chaleureusement. J’ai presque l’impression d’être l’une des leurs. Qu’aimez-vous faire de votre temps libre ? J’adore les banya russes (sauna), c’est le meilleur rituel que j’ai trouvé pour me détendre. Et lorsque j’ai deux jours d’affilée sans obligation professionnelle ou politique, je quitte Moscou pour aller dans ma dacha et me promener dans la nature. Sous quels cieux votre statut de danseuse étoile vous emmène-t-il prochainement ? Je prépare une tournée aux Etats-Unis, puis en Chine et en Angleterre avec la troupe du Bolchoï. J’ai aussi des galas personnels prévus au Japon, en Serbie et en Grèce. Et j’espère, plein d’événements passionnants pour l’horlogerie suisse !


© Audemars Piguet

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FEMMES

PORTRAIT Par Chantal-Anne JACOT

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MATHILDE LAURENT

Mathilde Laurent est le Parfumeur de la Maison Cartier. Elle nous parle des fragrances, doux mélanges entre la réalité et le fantasme, qui se portent comme des parures. Elle crée en toute liberté.

Q

uand et comment est né le plaisir de découvrir des fragrances ? Très naturellement lorsque j’étais une petite fille. Je regardais et observais ma grand-mère et ma mère qui se parfumaient. Je fleurais et humais avec délicatesse les fragrances qu’elles portaient, qui se dégageaient autour d’elles. J’avais en moi une capacité à éprouver des émotions. J’étais fascinée. Votre parcours avant de devenir le nez de Cartier ? A l’âge de 17, 18 ans, j’ai décidé de devenir parfumeur. J’ai su que ce serait mon métier. J’ignorais que la faculté de sentir, de découvrir pouvait mener à la profession de créatrice de parfum. La seule école publique était l’Institut Supérieur International du Parfum de la Cosmétique et de l’Aromatique Alimentaire (ISIPCA) à Versailles qui enseignait l’art de l’olfaction. J’ai suivi le cursus consacré à la cosmétique et j’ai obtenu le diplôme de cette école.

personne qui les portera. Imaginer une enveloppe physique ne correspond pas. C’est le reflet de soi qui importe. Il est impossible de donner un modèle physique à un parfum, mais par contre il faut suggérer les désirs, les humeurs, les envies qui se trouvent dans chaque corps. Je souhaite sortir des sentiers balisés, privilégier l’imaginaire et l’élégance d’un style neuf et contemporain. Lorsque je crée un parfum, je n’oublie jamais qu’il sera l’odeur fétiche de la personne qui le portera, que cette odeur la représentera en son absence, sera son fantôme olfactif.

Qu’est-ce que le parfum, une mise en scène ? Une représentation de soi. En fait, c’est la mise en odeur de l’image intérieure que l’on a de soi qui correspond vraiment à ce que l’on se sent être et vouloir être. Un doux mélange entre la réalité et le fantasme. Une parure.

Combien de temps pour réaliser une nouvelle senteur ? Il faudrait toute une vie ! En général, je compte entre six mois et une année. Certaines notes ont la politesse de se mettre en place plus facilement. Quand je travaille sur un vrai parfum avec un réel accord de départ, c’est un cheminement intellectuel. J’ai besoin d’environ 150 essais pour un projet et pour atteindre l’harmonie parfaite. Quel que soit le nombre d’entre eux, ce qui prend du temps, c’est le fait de les penser… Un peu comme un peintre qui réfléchit à la construction de sa toile, ou un écrivain qui élabore les chapitres de son livre, je dois me concentrer, me recueillir, approfondir, sentir…

Vous créez des notes qui vous inspirent. Comment imaginez-vous la personne qui les portera ? Je n’imagine jamais la

Est-ce plus simple de concevoir pour une femme ou pour un homme ? Les parfums n’ont pas de sexe. Il n’y a pas d’ingré-

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dients totalement féminins ou masculins. Je pars d’un accord. Je ne me pose pas la question et je n’ai pas de règle. En fait, les parfums féminins et masculins sont une conséquence de notre marché par rapport aux codes de la société. Vos ingrédients préférés ? J’aimerais vous répondre que je n’en ai pas ! Ceux que je préfère sont simplement ceux qui me permettent de progresser pour terminer une fragrance. Parfois, il m’arrive d’être un peu perdue et de me demander : « Quelle voie vais-je emprunter pour faire avancer cet accord ? ». Certains jus patientent des années avant d’aboutir. « Les Heures de Parfum », une inspiration venue d’où ? Des ingrédients, de la vie quotidienne. Pour les « Heures de Parfum », je me suis également inspirée de la citation de Marcel Proust : « Une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. » Il faut replacer le parfum dans notre existence. Un parfum n’est pas un produit d’hygiène, mais une fresque de soi qui contient la vie. Les mots de Marcel Proust sont forts et démontrent que le parfum est lié au temps, aux heures, à la mémoire, à notre état d’âme, à l’être que l’on est et que l’on veut être.


© Cartier

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PORTRAIT Par Chantal-Anne JACOT

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MAGALI METRAILLER

Un sourire éclatant et spontané. Magali Metrailler est l’une des designers de la Manufacture Jaeger-LeCoultre. Entre elle et son travail est né un tendre écho qui résonne par les mots passion et amour de la création.

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omment est née votre attirance pour le design ? J’ai toujours aimé imaginer des courbes, inventer des contours, jouer avec les lignes, esquisser des croquis. J’ai senti que je devais me tourner vers une profession créative. J’ai obtenu un diplôme en architecture d’intérieur en 1995, puis un autre en architecture en bâtiment en 1996. J’ai alors décidé de prolonger mes études en intégrant l’Institut européen de Design (IED) à Milan.

Vous entrez de suite chez JaegerLeCoultre ? Parallèlement à mes études, de 1991 à 1995, je passe quatre années à collaborer avec l’architecte Bernard Heutte, à Sion. Je rejoins le bureau d’architecture Comina & Co de 1995 à 1996, en Valais également. Ensuite, je me suis lancée en tant qu’indépendante pour différentes sociétés suisses. J’avais envie de m’essayer à tous les genres et de laisser au talent le temps d’arriver à maturité. Quelques bons souvenirs : la création d’un ascenseur pour l’entreprise « Neuwerth & Cie » ou « Ivresse », une bouteille de vin pour le concours des verreries Bruni ou encore une chaise de bureau pour la firme allemande « Dauphin ». Pourquoi la Manufacture JaegerLeCoultre ? Attirée par le travail de précision, j’étais séduite par les garde-temps de la Manufacture. De plus, je voulais me

sentir intégrée au sein d’une équipe et ne plus travailler seule. Apprendre à connaître les horlogers, acquérir leur confiance, partager des émotions de la création à la finition, poser des questions pour mieux comprendre. Respecter et se faire respecter. Ces aspects m’enthousiasmaient. Les horlogers ont une ouverture d’esprit qui m’épate. Nous travaillons ensemble tout le temps et dans le temps ! Qu’est-ce que créer ? « Créer, c’est audelà des apparences, voir ailleurs, voir plus loin, essayer de s’imaginer les choses différemment. » Vos réalisations, votre inspiration ? La participation à divers modèles de Reverso, Master Compressor Memovox, Amvox Chronographe, Diving pour les dames… Nous organisons des séances de réflexion à l’interne. Nous commençons par une approche globale et peu à peu nous arrivons à concrétiser un modèle. J’ai la chance de voyager dans des salons internationaux de design où j’observe des meubles, des téléphones, des chaînes stéréo ou des objets originaux qui m’inspirent. J’aime le contact ergonomique avec des matières différentes, inattendues qui me mènent sur d’autres voies et sont le fruit de mon imaginaire. Aujourd’hui, en horlogerie, nous avons poussé très loin les technologies, les matières, l’esthétique. L’évolution est fulgurante.

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Un petit rêve spontané, là tout de suite ? Toujours et encore apprendre au quotidien. M’enrichir. Continuer à jouer avec les variétés de produits qui me permettent de jongler. C’est un réel défi. Comment vous situez-vous ? Je suis davantage une esthète qu’une artiste. Tous les jours – et cela fait dix ans – lorsque je viens travailler à la Manufacture, j’ai une étincelle dans les yeux. Je suis animée par une flamme. J’apprécie autant un modèle récent aux technologies avant-gardistes qu’une pendule Atmos Art Déco qui raconte son histoire au fil des heures, minutes et secondes. En dehors de l’horlogerie, vos objets préférés ? Les meubles anciens et les antiquités m’attirent. Je chine des bibelots rares dans les brocantes. L’architecture d’intérieur me plaît, car elle parle des lieux. Un trait de votre personnalité ? Curieuse de tout. J’aimerais que rien ne m’échappe, tout voir, tout regarder, tout enregistrer.


© Jaeger-LeCoultre

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PORTRAIT Par Chantal-Anne JACOT

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AERIN LAUDER

Un style très personnel... En sa qualité de senior vice-présidente et directrice de la création, elle est responsable de tous les concepts créatifs de l’entreprise du Groupe Estée Lauder.

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otre formation est-elle en rapport avec votre fonction actuelle  ? Je suis titulaire d’un diplôme de l’Université de « Pennsylvania Annenberg School of Communication ». J’ai débuté ma carrière auprès des Estée Lauder Companies Inc. dès 1992 au sein de l’équipe marketing pour divers projets relevant du domaine des couleurs, des parfums et des soins de la peau. En 1995, j’ai rejoint la marque Estée Lauder en tant que directrice du « Creative Product Development ». J’ai participé aux lancements de maquillage. Deux ans plus tard, j’ai été nommée « Executive Director, Creative Marketing ». D’avril 2001 à 2004, je suis devenue vice-présidente pour les campagnes publicitaires globales, en étroite collaboration avec les équipes création et marketing de la marque. Les trois parfums que vous avez lancés ? Mon premier parfum est Private Collection Tuberose Gardenia, en août 2007. Il a été suivi par Private Collection Amber Ylang Ylang à la fin 2008. Le troisième est Private Collection Jasmine White Moss, distribué en Suisse en octobre 2009. Cette collection privée de fragrances est un merveilleux hommage à l’amour que je partageais avec ma grand-mère pour les beaux parfums. Pourquoi posez-vous personnellement pour Private Collection ? Au début, j’étais très nerveuse, puis je me suis habituée à poser de l’autre côté de l’objectif et à cap-

ter certaines ambiances ou émotions. Mais c’est surtout l’histoire qui se cache derrière Private Collection qui me fascine, car elle représente l’héritage de la marque. Les créations d’Estée sont splendides. Si, en plus, un membre de la famille donne luimême un visage à Private Collection, on en fait un produit très convaincant et vraiment unique. J’en suis extrêmement fière !

qui me rappelaient les créations d’Estée et qui avaient fait naître mon admiration pour les senteurs délicates. Le flacon porte des pierres bleues et blanches, un hommage à ma grand-mère, son style, son amour du détail et à sa conception du luxe. Le pendentif avec le parfum crème a pu être porté par les mannequins aux défilés de mode actuels comme bijou.

Où avez-vous trouvé l’inspiration pour Private Collection Jasmine White Moss ? Jasmine White Moss a une très belle histoire. En fait, il s’agit d’un parfum très spécial que ma grand-mère Estée avait jadis commencé à créer sans jamais le terminer. Elle y avait travaillé jusqu’en 1989 avant qu’il ne tombe dans l’oubli. J’ai retrouvé ses ébauches dans les archives et j’ai immédiatement voulu parachever son œuvre. Depuis toute petite, je me souviens qu’Estée laissait un peu partout des échantillons de parfum : sur le lit, la coiffeuse, le bureau et dans son sac à main. Elle avançait toujours sur plusieurs projets en même temps. Remonter dans le temps, cela m’a interpellée. La phase de développement a duré une année et demi. Nous avons pu construire sur une base exceptionnelle déjà existante. Quelle aventure de peaufiner un tel parfum !

Quels sont vos inconditionnels de beauté ? J’aime les looks naturels, mes produits de beauté favoris sont donc très simples : une crème de soin Time Zone, Bronze Goddess Bronzer et Pure Color Lip Gloss en Quartz sont toujours dans ma trousse de maquillage.

Pourquoi précisément ce parfum ? Je suis immédiatement tombée amoureuse. Il avait des effluves très verts, un chypré floral, classique, intemporel, riche, élégant ainsi que toutes les caractéristiques

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Vos accessoires préférés ? Mon alliance en or de Tiffany, qui me rappelle mon mari, et mon sac à main Hermès sont des accessoires classiques et intemporels. Vos artistes préférés ? Au fil des ans, je me suis découvert une passion pour plusieurs artistes : Picasso, Brice Marden, Jasper Johns, Fontana et Elsworth Kelly. Chez moi, j’ai de l’art moderne. Comment aimez-vous passer vos weekends ? J’aime être entourée de ma famille dans ma maison à Long Island. C’est incroyablement relaxant de quitter la ville de New York le week-end et de passer des moments de tranquillité avec mon époux et mes enfants.


© Estée Lauder

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WELLNESS

SPA

Par Chantal-Anne JACOT Designer © Suzanne de Freitas

UN ÉCRIN DE BEAUTÉ AU CŒUR DE LA VILLE

Envie de détente, de relaxation, de bien-être… A toute heure de la journée, il est désormais possible de s’octroyer des instants de remise en forme et de bénéficier de soins exclusifs dans le nouvel « Atelier de Beauté » du Bongénie à Genève.

L

a parfumerie est un lieu magique totalement dédié à la cosmétique et au bien-être. Un espace réservé aux plus prestigieux noms de la beauté, du maquillage, des essences les plus rares. Fragrances précieuses, parfums de niche : Serge Lutens, L’Artisan Parfumeur, Annick Goutal, Amouage, Etat Libre d’Orange... Des créateurs, dont l’histoire est unique et originale, réunis pour le plaisir des connaisseurs et la curiosité des néophytes ! Parmi les incontournables, Chanel, Estée Lauder, Dior, Guerlain, Clarins, Sisley, La Prairie, La Mer, des produits de soins tels que Ren et Erborian ou encore des exclusivités telles la collection Champs-Elysées

de Guerlain ou Private Blend Collection de Tom Ford rivalisent de jalousie pour mieux séduire. Côté maquillage, deux pôles make-up sont à disposition : Bobbi Brown et by Terry. Le Bongénie cultive ainsi sa différence et sa spécificité dans le domaine des produits de niche. L’atmosphère de cet endroit porte l’inscription d’un esprit zen. L’architecture contemporaine, linéaire, lumineuse et aérée, utilise des matériaux comme le bois, la pierre, la laque; les parois murales sont en noyer, le mobilier en bois laqué gris brillant, nacré et moiré. Le tout dans des tonalités chaudes et froides. Ce projet a été entièrement conçu par le bureau d’architectes genevois Version B.

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ATELIER DE BEAUTÉ BG BEAUTÉ Niché au rez-de-chaussée du Bongénie Genève, l’Atelier de Beauté BG Beauté accueille une clientèle urbaine, active, exigeante. Rayonnant et chaleureux, ce lieu esthétique et délicat, incitant aux voyages intérieurs, marie les matières avec noblesse : bois foncé laqué brillant, pierre, pâte de verre colorée et nacre, ponctués de notes teintées d’or blanc pour les plafonds. Une ambiance empreinte de naturalité. Deux très belles cabines sont à disposition pour des soins du visage et du corps « sur mesure » aussi bien pour les dames que pour les messieurs, avec un éventail de produits élaborés spécialement pour le Bongénie. Le protocole des soins porte la signature de Madame Anne Semonin – Designer en cosmétique et précurseur dans le domaine de l’aromathérapie. Dans cet atelier, « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté* ».

*Citation : Charles Baudelaire

Sur rendez-vous Du lundi au samedi, de 9h30 à 18h45 et le jeudi de 9h30 à 20h30 Rue du Marché 34 - 1204 Genève/GE Tél. +41(0)22 818 11 11


AVIEZ-VOUS DÉJÀ PORTÉ UNE VRAIE MONTRE ? R E V E R SO S Q U A D R A L AD Y D U E T TO. A celles qui aspirent à l’authenticité, la Reverso Squadra Lady Duetto de Jaeger-LeCoultre offre la certitude de porter une vraie montre : deux cadrans dos à dos animés par un seul mouvement mécanique, le légendaire boîtier réversible serti de 72 diamants et un astucieux système qui permet de changer aisément de bracelet. Le mariage du style et du génie horloger.

Boutique Jaeger-LeCoultre 2, rue du Rhône - Genève +41 (0)22 310 61 50


DESTINATION

TOKYO

Par Patrick GALAN Photos © D.R. / Patrick GALAN

LES HARAJUKU GIRLS, DE JOLIS BÉBÉS ! Il est impossible d’échapper à la guerre des modes à Tokyo où les boutiques, les magazines, le cinéma, la télévision et les mangas font et défont les tendances. Fini le traditionnel kimono. Avec ses créateurs géniaux et sa jeunesse branchée, le pays du Soleil Levant est devenu l’endroit le plus « hype » de la planète.

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assage obligé pour tout fashion addict qui se respecte,Tokyo fait figure de précurseur en matière de mode. Si toutes les grandes signatures internationales étincellent sur Omotesando ou Ginza, dans les rues des quartiers d’Harajuku, de Shibuya ou de Akihabara, les victimes adolescentes, les « cosplay-zoku » (litt. « qui jouent à se déguiser ») sont les reines du shopping. Afin de vous dépayser totalement, engouffrez-vous dans la Yamanote Line du métro et descendez à la gare d’Harajuku, entre Shinjuku et Shibuya. La rue Takeshita, la Carnaby Street des ados japonais(es), vous attend ! C’est à elle seule un podium ambulant incontournable où se côtoient les looks les plus extravagants et sophistiqués dans une frénésie plutôt sympathique et joyeuse. Transgresser l’uniformité nippone Cette petite voie piétonne de deux cents mètres de long, où se concentre la quintessence du Tokyo branché, est un théâtre célèbre pour ses boutiques décalées. Les jeunes s’y rassemblent, s’y rencontrent, dans un enchevêtrement d’étalages divers où ils peuvent trouver de quoi se créer l’apparence de leurs héros de mangas ou de science-fiction. Ils deviennent alors ces personnages, dans l’accoutrement, le maquillage et la gestuelle ! Car, au pays des collégiens en uniforme où les adolescentes se baladent avec des micro-jupes extravagantes et de grandes chaussettes

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blanches, le portable vissé dans la main, Takeshita Street offre tout ce qu’il faut pour transgresser l’uniformité nippone. C’est l’aire de jeu de la jeunesse insouciante. Les boutiques, très orientées sur le punk, mélangent les figurines ningyo et l’iconographie d’Hello Kitty, de Sakura, de Tsunade ou de Vampirella. Ici, les effigies de la bande dessinée sont des idoles, leurs symboles défilent dans la rue, et l’imagination des jeunes Japonais fait le reste entre le ridicule et le sexy. Chacun vit dans un univers clairement identifié avec ses icônes et ses stylistes, les références étant nombreuses entre le ninja et le chevalier celtique. Sweet ou Gothic Sourcils effilés qui donnent à tous les visages un même regard androgyne, décoloration des cheveux, habits de soubrette ou longues dentelles noires, les Harajuku Girls rivalisent d’excentricité. Takeshita et le pont Jingü-Bashi qui mène au parc Yoyogi sont des lieux de défoulement, envahis surtout durant les week-ends. Devant moi, Mi-

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nacho, une sweet lolita kawaï (mignonne en japonais) à ombrelle est en représentation. Elle porte des anglaises rousses et une robe rose bonbon fluo ultra-courte sur un jupon bouffant. Les semelles de ses bottes en fourrure sont si épaisses qu’elle dépasse d’une bonne tête son compagnon qui, lui, est affublé d’une combinaison de style indéfini, mi-martien, mi-sac poubelle. Derrière elle, au bout d’une laisse, Minacho tire délicatement une… valise à roulettes transparente, le grand chic du moment ! Devant la vitrine d’une caverne de gadgets en tous genres, Hikitsu, une Gothloli (Lolita gothique) au maquillage fou et à l’air destroy hésite entre une tenue d’infirmière et une robe à crinoline. Vêtue d’une minirobe à lacets, de porte-jarretelles rouges descendant jusqu’aux genoux et de bas résille violets, elle promène fièrement un sac à main en forme de cercueil décoré de rubans de satin, de pin’s, de cerises en plastique et de petits nounours. Pour elle, « le concept, c’est d’être Visual K érotigothique, c’est-à-dire à la fois sexy, gothique et surtout hors norme. Notre spécificité, c’est d’inventer une esthétique grotesque ». Dans ses bras, Ayama, sa poupée inspirée de Naruto fait encore plus peur qu’elle. En fait, Hikitsu est un garçon déguisé en fille, comme dans le kabuki traditionnel japonais. Seuls les touristes étrangers se retournent sur son passage. Pour les locaux, elle fait partie du paysage. Le mouvement Visual K Il a été lancé au Japon au début des années 90 par une vraie femme, Honey K, la Nina Hagen japonaise. Androgynes et baroques, les premiers groupes musicaux de Visual K s’inspiraient de Bowie. À partir de 1998, le mouvement a explosé dans le sillage de Marylin Manson. Les orchestres ont alors fleuri par centaines et curieusement, ils choisirent leur nom dans un registre exotique... pour les Nippons : « Raphaël », « L a mule », « Syndrome », « Double volante » ou « Malice Mizer » : ce qui ne voulait rien dire, mais ça faisait rêver. Aujourd’hui, les grandes stars du Visual K vendent plus de disques au Japon que Jennifer Lopez ! Vendredi. C’est la fin des cours, il est 17 heures et les jeunes Tokyoïtes se rendent au concert des stars montantes du Visual K. Pour ces « Cendrillon » modernes qui se sont inventées un monde loin du Japon traditionnel, les places sont chères. Au Cyber, une petite boite d’Harajuku, neuf groupes se succèdent à partir de 17h30. Tarif : environ cinquante francs suisses. Soupape de décompression pour les cosplay-zoku, les spectacles se terminent

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bien avant minuit. L’heure du retour à la réalité passera par une séance collective de démaquillage. Les parents n’en sauront rien. Peuple uniformisé, jeunesse bariolée Comme à Shibuya, le quartier d’Harajuku est le territoire de la nouvelle génération d’une nation dangereusement décadente. La mode de ces jeunes filles qui ne veulent pas vieillir, travesties en soubrettes aux allures de « Barbie » nippones, est devenue une image d’Épinal qui commence à s’exporter dans le monde entier à travers nombre de shows, d’expositions ou de festivals. Le discours usé de la tradition épousant la modernité pousse l’excentrique jeunesse japonaise à refuser une société prétendument ancestrale mais tellement figée, rigidifiée. Cependant, les Japonaises restent vraiment les filles les plus stylées de la planète ! Si la Parisienne est lookée avec élégance et la Brésilienne irrésistiblement canon, la Tokyoïte est à la pointe de la mode ! On ne peut même pas imaginer son budget « fringues » ! Pour elle, le shopping est plus qu’une religion, un passe-temps ou une activité obligatoire. C’est un art national ! Quel que soit le degré de chaleur étouffante et d’humidité collante, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, la Japonaise est parfaite, impeccablement coiffée, maquillée, habillée, chaussée, accessoirisée ! C’est vrai aussi pour ces crazy étranges Harajuku Girls, même avec leurs états d’âme en délire...

Comment y aller - Il n’existe pas de liaison directe pour Tokyo au départ de Genève. Par contre, des vols non-stop sont opérés au départ de Zurich (Swiss), Paris-CDG (Air France), Londres (British Airways), Helsinki (Finnair), Francfort (Lufthansa), Rome (Alitalia), Copenhague (SAS) ou Amsterdam (KLM). - La durée du vol est comprise entre 12 et 14 heures. L’aéroport de Tokyo-Narita est situé à 65 km du centre-ville. - Décalage horaire : + 7 heures en été et + 8 heures en hiver.

Où se loger Au Japon, le choix de logements est vaste. On peut opter pour les auberges de jeunesse, les temples bouddhiques (shukubo), les pensions de famille (minshuku), les auberges traditionnelles (ryokan), les « capsules-hôtels » (capseru oteru) ou les grands hôtels. Notre choix se portera sur : SHINAGAWA PRINCE

Classe moyenne, près de la gare de Shinagawa, à 15 mn du shopping de Ginza, avec restaurants et piscine. Mandarin Oriental

L’un des meilleurs du Japon dans le quartier de Nihonbashi. Chambres de 50 m2. Vue panoramique spectaculaire depuis les restaurants. Fitness, sauna, spa wellness. The Peninsula

Raffinement dans la tradition japonaise. Près du palais impérial, de Ginza et du parc Hibiya. Excellents restaurants. Piscine couverte. Ryokan Shigetsu

Dans une petite rue proche des temples du célèbre quartier d’Asakusa, agréable établissement, chambres de style japonais avec Internet, bain commun donnant sur la pagode à 5 étages. Bon restaurant.

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