N 288 N° 2 – Avr 28 A ril 20111
Le mensuel
du monde arabe et de la francophonie
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Monde Monde arabe arabe
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DE LA R ERS A RI
LA TÉLÉ
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David Delos
L’émission de TV5MONDE qui donne la parole aux acteurs du développement durable.
UN “COUP DE POUCE”
valorisation d’une initiative verte ou portrait d’un acteur engagé dans le développement durable.
UN “COUP DE GUEULE”
UN “COUP DE PRESSE”
billet d’humeur sur les l’actualité verte glanée anomalies, scandales et sur Internet ou dans la autres pollutions de la presse écrite. planète.
UN “COUP DE FOUDRE”
SÏLECTION DE LIVRES lLMS ou DVD estampillés “Développement durable”.
UN “COUP D’ŒIL”
diffusion d’un clip d’une ONG “verte” ou d’une campagne nationale qui invite les téléspectateurs à changer leur comportement.
UNE CARTE BLANCHE
pendant 40 secondes, l’invité donne son “Coup de Pouce” pour améliorer les choses.
Nilesat 11900-V-27500-3/4 Badr 11747-V-27500-3/4
SOMMAIRE
POUVOIR 4 Points de vue Le réveil des peuples arabes Les statuts de la liberté
8 Repère Yémen, l’autre révolution
10 Coulisses 12 Tunisie : la partie n’est pas jouée… Dans un climat de crise économique qui perdure, le Premier ministre s’inquiète du risque d’un enlisement sociopolitique qui se ferait aux dépens des valeurs constantes de l’État.
18 Le pragmatisme égyptien La jeunesse du 25 janvier et le Conseil suprême des forces armées, qui gère provisoirement le pays, montrent au fil des jours un sens des responsabilités sans précédent. Focus…
24 Libye : la déchirure Entre essoufflement de la rébellion, hésitations de l’Occident, divisions entre Arabes et équilibre des forces sur le terrain, la probabilité d’une guerre civile n’a jamais été aussi grande.
30 Algérie : alliances et divergences Entre manœuvres politiques, grogne sociale et alliances stratégiques, les jeux de pouvoir
s’intensifient… Avec en toile de fond, les perspectives d’une succession inéluctable dans laquelle chacun espère jouer un rôle.
Omar Bengdara. Arabie Saoudite, Ibrahim al-Assaf. Irak, Hussein Shahrestani.
34 Bahreïn : un seul choix, la démocratisation
Après Berlin, Barcelone et Milan, l’Algérie a continué d’assurer la promotion de ses produits touristiques en France pour Le Monde à Paris (MAP), salon qui s’est tenu du 17 au 20 mars dernier. Interview : Ahmed Bouchedjira, directeur général de l’ONT.
Dépêchées par le Conseil de coopération du Golfe, les forces du « Bouclier de la Péninsule » ont préservé la monarchie. Mais les contestataires, plus radicaux que jamais, ne s’avouent pas vaincus.
38 Maroc : la bataille des réformes
50 Le Monde à Paris accueille l’Algérie
52 Tunisie : investissements, la bonne affaire ?
Le Maroc connaît, depuis le 20 février dernier, une mobilisation politique et sociale qui pourrait bien se poursuivre jusqu’à la concrétisation du projet de réformes constitutionnelles.
Au moment où la Tunisie amorce sa reconstruction, de nouveaux investisseurs pourraient supplanter les partenaires historiques que sont la France et l’Italie. État des lieux…
42 Algérie : décisions et des scissions
56 Algérie : vers une révolution de l’éducation
Si le vent de la révolte ne souffle que timidement sur l’Algérie, le ton monte dans l’opposition malgré les décisions sociales adoptées dans l’urgence pour lutter contre la précarité socio-économique…
AVOIR 44 Point de vue
Face à l’échec de sa politique de scolarisation forcée, l’Algérie, avec le soutien de l’Unesco, prépare sa mutation vers un enseignement pertinent et performant.
60 Communication SAVOIR
2011 : remise en question des valeurs et des certitudes
62 Événement
46 Arabies éco
64 Tribune
48 Sociétés Managers Tunisie, Ridha ben Mosbah. Libye, Farhat
Kadhafi et moi…
66 Entre nous
Avril 2011 Arabies I 3
POUVOIR POINT DE VUE
Le réveil des peuples arabes Par Hervé DE CHARETTE ticences. La crainte de l’extrémisme et d’une dérive potentielle vers le terrorisme est un chiffon rouge agité devant ceux qui s’opposent au changement. En Europe, des voix s’élèvent contre le risque de voir déferler des vagues incontrôlées d’immigration. Cette attitude conservatrice, si elle pouvait s’expliquer il y a quelques années en raison de la guerre civile en Algérie et de l’invasion de l’Irak, n’est plus d’actualité. Je pense en effet qu’il faut accueillir favorablement ce vent du changement qui souffle sur le monde arabe. L’impasse politique patente dans laquelle il se trouvait ne pouvait perdurer indéfiniment. Avec le réveil de ses peuples, le monde arabe a enfin l’opportunité de ne plus rester à l’écart des grands mouvements du monde. Le nouveau modèle qui sera créé par les Arabes eux-mêmes permettra de garantir une véritable stabilité à long terme, fondée sur une cohésion politique consentie et non pas imposée. Ce modèle devra concilier islam et démocratie – qui sont loin d’être incompatibles – et permettra de moderniser les pays arabes.
Président de la chambre de commerce franco-arabe, ancien ministre des Affaires étrangères
4 I Arabies Avril 2011
Dylan Martinez / Reuters
L
es révoltes qui secouent le monde arabe depuis trois mois auront un impact profond et irréversible. La propagation rapide de ce mouvement de contestation, depuis les premiers jours de la révolution tunisienne, montre qu’aucun pays n’est à l’abri, pas même là où règne un calme précaire. Les peuples arabes, en particulier leurs jeunesses, aspirent à la liberté et à la démocratie, ils rejettent la corruption et ils veulent établir un partage plus juste des richesses, notamment issues de la rente pétrolière ou du tourisme. La chute des présidents tunisien et égyptien a levé un tabou. Si les aspirations sont communes, à l’évidence les chemins suivis sont forts différents. La Tunisie et l’Égypte ont ouvert la voie, avec un mélange de révolte populaire pacifique et de coup d’État civilo-militaire… tandis qu’en Libye nous faisons face à un déchaînement de violence qui entraîne le pays dans une guerre civile. De plus, alors que le roi du Maroc a voulu accompagner le mouvement en annonçant des réformes politiques importantes, c’est une autre voie qui a été, pour le moment, choisie dans la péninsule Arabique. Partout, l’initiative en est revenue aux peuples eux-mêmes qui ont décidé de prendre leur destin en main, bien loin de la tentative de démocratisation à marche forcée incarnée par George W. Bush et son dessein de « Grand Moyen-Orient ». Pour certains, cet ébranlement du monde arabe est source de grandes inquiétudes. La déstabilisation de régimes bien établis et reconnus fait peur. La remise en cause de liens économiques, voire de certains privilèges acquis, suscite des ré-
Au plan économique, si dans les premiers temps l’impact de ces révoltes peut être négatif, à long terme c’est la seule issue. Les réserves d’hydrocarbures ne sont pas infinies et, comme le soulignaient les rapports du Programme de développement des Nations unies (Pnud) sur le monde arabe, développements politique et économique vont de pair. Face à ce réveil arabe, la Communauté internationale – en particulier l’Europe et les États-Unis – doit être avant tout disponible. Comme je l’ai déjà écrit dans ces colonnes, la démocratie n’est jamais arrivée dans les wagons de l’étranger. Il faut donc être à l’écoute du monde arabe et de ce qu’il demande, car ce qui se passe est d’abord de sa responsabilité. Cela ne doit pas nous empêcher d’agir, mais il faut résister à la tentation de se précipiter, pétris de bonnes intentions, mais avec des effets contre-productifs. C’est pourquoi, il était essentiel que l’intervention militaire de l’ONU en Libye se fasse à la demande expresse de la Ligue arabe et en coopération avec certains de ses membres. À plus long terme, l’Union européenne doit repenser son partenariat avec le monde arabe pour prendre en compte ces grands bouleversements. La diversité des situations nous imposera d’agir de manière spécifique avec chacun des pays arabes. Les grandes messes perdent ainsi de leur pertinence, il faut privilégier les actions concrètes, voire discrètes. Désormais, l’Europe ne doit plus hésiter à donner une prime aux pays qui s’engagent franchement dans un processus de transition démocratique et à encourager les autres à suivre ce chemin. Dans cette perspective, les fonds européens alloués à la Méditerranée devront être augmentés, à rebours de la lente érosion constatée au profit de l’Europe orientale et de l’Asie centrale. En effet, le réveil arabe est une chance pour l’Europe si elle sait construire un partenariat sur de nouvelles bases, entre égaux. ■
POUVOIR POINT DE VUE
Les statuts de la liberté Par Christian MALARD, éditorialiste sur France 3
www.christian-malard.com
Q
ue les Occidentaux ne rêvent pas : les révolutions arabes ne vont pas déboucher d’un coup de baguette magique sur une transition en douceur vers des démocraties de type occidental. Tout comme pour les soulèvements de l’ex-Europe de l’Est, qui ont abouti à la chute du Mur de Berlin et à celle du communisme il y a vingt-deux ans, les blessures mettront du temps à se refermer. Les soutiens politiques et l’aide économique qui ont été apportés par les Américains et leurs alliés occidentaux à ces pays n’ont pas résolu tous les problèmes. Au moment où les dictateurs sont renversés les uns après les autres dans le monde arabe, la révolution en Libye ne sera pas la seule révolution violente et sanglante, pas plus que la chute annoncée de Kadhafi ne débouchera sur une démocratie libérale et sur la prospérité économique… Pas quand on sait à quel point ces sociétés ont été, des années durant, étouffées par l’autoritarisme. Habituer ces pays à la liberté et à l’État de droit constituera une rude tâche. Il y a plus de risques que ces révolutions connaissent des périodes chaotiques. Il faudra donc beaucoup de patience et de persévérance. Parmi les plus gros défis à relever : celui d’une assistance très structurée pour faire face aux difficultés à court terme. Le monde doit se féliciter aujourd’hui de ces avancées historiques vers la liberté et la démocratie dans un cadre qui doit rester strictement arabo-musulman. Les Occidentaux doivent se résoudre à comprendre que le monde arabo-musulman a droit à sa démocratie, et que son choix n’oscille pas forcément entre dictature et extrémisme islamique… Dans toutes les révolutions en cours, le dé-
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Si la réponse politique de l’Occident à ces révolutions est de renforcer leur légitimité internationale, il doit obtenir le soutien du Conseil de sécurité des Nations unies, Chinois et Russes compris. L’aide au développement économique devrait aussi figurer à l’agenda du prochain sommet du G20, le 4 novembre à Cannes. Jusqu’à présent, Américains et Européens ont marqué beaucoup d’hésitation devant ces révolutions en cours. Ils s’inquiètent surtout des risques de pénurie et de flambée des prix du pétrole, qui ne pourraient que creuser leurs propres déficits. Les enjeux sont devenus énormes avec la perspective d’un Moyen-Orient démocratique, partageant les valeurs universelles, combattant les extrémismes et prêt à défier les ayatollahs et autres Gardiens de la révolution iraniens. En revanche, si cela tourne mal, le coût économique et humain sera terrible… Ce sera l’heure de la flambée des prix du pétrole, du déclin économique, de la radicalisation des populations et d’un flux migratoire incontrôlable. Il est donc temps que l’Amérique et ses partenaires soient visionnaires et osent prendre les bonnes initiatives. Celles que le monde arabo-musulman respectera et dans lesquelles il retrouvera son identité respectée. ■
Khaled Abdullah Ali Al Mahdi
Spécialiste de politique étrangère, consultant pour CNN, NBC, MSNBC, BBC, BBC World, Al-Arabiya
tonateur n’a jamais été islamiste. On n’a pas brûlé de drapeaux américains dans les rues du Caire, ni dans celles de Tunis ou de Tripoli. Pas plus qu’on n’a entendu des slogans anti-Américains. Les jeunes, les nouvelles générations révolutionnaires, ont démontré qu’ils souhaitaient avant tout la liberté et la dignité humaine, qui ne sont certes pas au programme des mouvements extrémistes. D’où le soutien indéfectible que les Occidentaux doivent apporter au pluralisme démocratique, sans s’ingérer dans les affaires de ces pays. Ces révolutions n’appartiennent pas aux Occidentaux, mais aux peuples qui les ont faites. Chacun devra accepter le verdict des urnes dans ces pays. Les États-Unis et l’Europe, longtemps attentistes, doivent se mobiliser pour faciliter l’avènement de la démocratie. L’heure doit être aux investissements pour montrer à ces pays que l’on croit en leur avenir. L’Union européenne a aussi un rôle majeur à jouer pour aider la Tunisie, l’Égypte et la Libye à bâtir des institutions démocratiques et leur proposer un partenariat stratégique. Les États-Unis et surtout l’Europe, plus proche encore de ces pays, ont des responsabilités particulières. Dans cette région, la Turquie, seule démocratie islamique, a aussi son rôle à jouer.
Khaled Abdullah Ali Al Mahdi / Reuters
POUVOIR REPÈRE
Yémen, l’autre révolution Par Samir SOBH
S
i ce qui se passe en Libye et à Bahreïn occupe le devant de la scène, c’est parce que le premier est un des pays les plus riches en pétrole, et que le second est le centre financier des pays du Golfe. Le Yémen aussi est important, par sa situation géostratégique. Mais le fait est que le président, Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis un peu plus de trois décennies, continue à manœuvrer. Il a le soutien d’une partie de sa tribu Hached – la plus nombreuse du pays –, de l’armée – dont il est issu et qui est tenue par son fils – et des États-Unis – qui voient en son régime le fer de lance de la lutte contre Al-Qaïda dans la région. Et il bénéficie des aides financières des riches pays voisins. Tout cela diminue les pressions externes et lui fait gagner du temps
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en attendant le résultat des autres révolutions en cours. Mais tous ses appels au dialogue sont jusqu’alors restés lettre morte. Alors même que les protestations montent chaque jour d’un cran, tout comme le nombre de morts… La majorité des contestataires ne croit plus aux bonnes intentions d’un Ali Abdallah Saleh qui ressort de telles initiatives chaque fois que son régime traverse une phase difficile. Et qui en revient à ses mauvaises habitudes de gouvernance sitôt la situation redressée… Les Yéménites ne croient pas plus aux appels des Américains au dialogue pour trouver une solution à la crise. Ils accepteraient sans doute un départ en douceur de Saleh, mais ce dernier ne semble pas prêt à quitter le pouvoir avant la fin de son mandat, dans un peu moins de deux ans…
Ceux qui manifestent au quotidien ne veulent rien moins que la chute du régime. Ils rejettent toute forme de dialogue, notamment parce que la classe politique les a déçus par le passé en composant avec ce pouvoir totalitaire et corrompu. Ces contestataires sont plus déterminés que jamais à aller jusqu’au bout. Ali Abdallah Saleh a pourtant fait des concessions, limogeant même tout son gouvernement le 20 mars dernier. Il a aussi promis de quitter son poste en 2013 et de ne pas confier la succession à son fils, qui s’y y préparait pourtant depuis des années. À l’instar de ce que faisait l’ex-raïs égyptien Hosni Moubarak pour son fils cadet, Gamal. Le président yéménite a même proposé de modifier la Constitution en donnant plus de pouvoirs au Parlement. Il s’est aussi engagé à octroyer des aides à la
population, tout en sachant que la santé financière du pays ne le permet pas… Saleh semble en fait compter sur certains pays donateurs – occidentaux et arabes – alliés de Washington. C’est sans doute pourquoi il a refusé toutes les offres des protestataires appelant à un changement progressif du pouvoir durant l’année en cours… Même s’il était conscient qu’il perdrait encore un peu plus le soutien des tribus, des hommes politiques, des ministres et, surtout, des religieux. Ainsi la participation de cheikh Abdel Majid al-Zindani – figure de proue des salafistes yéménites – aux manifestations est-elle un message que Saleh devra prendre en compte dans les prochaines semaines… Guerre tribale. De plus, le conflit au sein de son clan Sanhane – une des neuf branches qui constituent la tribu Hached – risque de transformer la lutte en guerre tribale. Car les Sanhane et leur descendance verrouillent l’armée, ainsi que les services de sécurité… Les analystes du Bureau international pour la prévention des crises évoquent d’ailleurs cette probabilité d’enlisement du Yémen dans une guerre tribale. De quoi inquiéter les partisans de la démocratie et la population, qui craignent que cette nouvelle donne ne s’installe jusqu’à la destitution du régime en place. C’est en s’appuyant sur cette préoccupation que l’administration américaine est revenue à la charge pour convaincre les représentants des manifestants d’opter pour un dialogue qui aboutirait à un transfert pacifiste du pouvoir. Et qui éviterait surtout de répéter le scénario libyen… Mais cette initiative semble avoir encouragé Ali Abdallah Saleh à manœuvrer pour gagner du temps. Assez, en tout cas, pour suivre le déroulement des opérations en Libye. Les analystes politiques estimaient en effet que si Kadhafi réussissait à conserver le pouvoir, Saleh suivrait la même voie en ayant recours à la force, plus particulièrement à l’armée… Mais le régime d’Ali Abdallah Saleh n’a pas attendu que se lèvent les vents de protestations populaires en Tunisie et en Égypte pour être confronté à d’énormes défis. Il faisait déjà face à la rébellion des Houthis, un groupe armé affilié au chiisme qui a réussi à déstabiliser le pouvoir pendant de longs mois. À tel point qu’il a fallu l’inter-
Khaled Abdullah Ali Al Mahdi / Reuters
REPÈRE POUVOIR
vention de l’armée saoudienne et un fort soutien logistique des services de renseignement américains pour lui imposer une trêve. Saleh et son régime ont également dû endiguer le retour en force d’un mouvement séparatiste du Sud-Yémen. De plus, le mouvement Al-Qaïda dans la péninsule Arabique multiplie ses démonstrations de force dans le pays. À Sanaa, la capitale, la classe politique est prise dans des scissions sans fin qui durent depuis plus de deux ans. L’objet de la discorde étant les réformes envisagées du processus électoral et de la Constitution. Tout cela pendant qu’une féroce concurrence fait rage en coulisses pour la succession de Saleh. Tous ces facteurs ont affaibli le régime et appauvri encore plus les Yéménites. Ce qui a précipité l’explosion populaire. Par ailleurs, la corruption, les détournements de fonds, le clientélisme et la mainmise sur les institutions militaire, sécuritaire et financière n’ont fait qu’accélérer cette inévitable explosion. Aujourd’hui, des parlementaires qui ont rejoint les protestataires n’ hésitent pas à dévoiler des secrets… Tel Sakhr al-Wajih, qui a promis de livrer à la presse américaine des documents prouvant que le chef de l’État aurait détourné au profit de ses parents plus de 30 milliards de dollars prélevés sur les revenus hydrocarbures de la zone franche d’Aden… Cela en sus des
commissions qui lui avaient été attribuées par les compagnies pétrolières et gazières opérant dans le pays. Président d’une organisation parlementaire de lutte contre la corruption, Al-Wajih a même cité les noms de ces compagnies. Selon lui, Saleh et son entourage auraient accordé pour des montants dérisoires l’exploitation du gaz naturel liquéfié, principale ressource naturelle du Yémen, à des compagnies étrangères telles que Kogas (Corée du Sud), Total (France) et Hunt (États-Unis). Le procédé aurait ainsi fait perdre à l’économie yéménite environ 60 milliards de dollars sur vingt ans… Et Al-Wajih de préciser que le prix de l’unité de réchauffement s’élève aujourd’hui à 17 dollars, alors que l’État yéménite l’avait vendue à 3 dollars. Pour les dirigeants du mouvement de protestations, la destitution du régime est donc la seule solution viable. Mais cela ne peut se faire qu’avec l’appui de la puissante tribu Hached, dont Saleh est issu. Faute de quoi le Yémen s’enliserait dans une guerre civile meurtrière. Pour l’heure, Ali Abdallah Saleh ne semble pas prêt à céder sans résistance. Mais les premières lézardes sont apparues au sein de ses principaux soutiens. Après la défection du puissant général Ali Mohsen, commandant de la zone militaire du Nord-Ouest, ce sont les tribus Hached et Baqil – deux ethnies qui représentent 50 % de la population yéménite – qui ont annoncé leur ralliement aux manifestants. ■
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POUVOIR COULISSES
Mohamed Hammi / Reuters
OMAN La vigilance iranienne
TUNISIE Alger s’implique Le Premier ministre tunisien, Beji Caïd Essebsi, a obtenu, lors de sa visite à Alger, une aide de 100 millions de dollars. Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, lui a ainsi montré qu’il peut compter sur le soutien de l’Algérie. Et que ce geste financier ne sera pas le dernier. Bouteflika aurait en effet demandé à Essebsi de dresser une liste des urgences tunisiennes afin de faire face à certaines échéances cruciales au plan socio-économique.
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ment en effet que le soutien aux opposants bahreïniens, chiites, est une cause sacrée que même l’alliance avec Damas ne peut contourner. Malgré ce revers diplomatique, le président Assad a tout de même annoncé que son pays se rangeait du côté du pouvoir à Manama et que l’intervention des forces saoudiennes à Bahreïn était légitime au regard de la charte du Conseil de coopération du Golfe. LIBYE Double jeu des compagnies
Photos / D.R
BAHREÏN Le rôle syrien Au cours de mars dernier, une personnalité officielle a fait une visite à Damas pour s’entretenir avec le président syrien, Bachar al-Assad. Mais sa motivation n’était pas de « calmer le jeu » au Liban, comme le croyaient bon nombre d’observateurs. Son objectif consistait en réalité à demander la médiation de la Syrie auprès de ses alliés iraniens concernant ce qui se passe à Bahreïn. À la suite de cette réunion, le chef de l’État syrien a dépêché un émissaire auprès de son homologue iranien, Mahmoud Ahmadinejad, qui n’a apparemment pas donné de réponse positive du fait du refus des ultraconservateurs du régime. Ces derniers esti-
De quoi réduire les pressions des partenaires européens, qui hésitent à accorder à la Tunisie le soutien financier nécessaire. Pour les observateurs, l’aide apportée par l’Algérie consiste à permettre de faire face aux contestataires politiques internes, notamment les islamistes représentés pour le moment par le parti Ennahda de Rached Ghannouchi. Alger n’a pas oublié le soutien apporté par ce parti au Front islamique du salut (FIS) qui tenta de prendre le pouvoir à la fin des années 1980.
C’est bien Téhéran qui a dévoilé la tentative de coup d’État perpétrée par les Émirats arabes unis (EAU) contre le sultanat d’Oman, il y a deux mois. Très influents dans les pays du Golfe, les services de renseignement iraniens ont découvert un réseau formé de militaires, de membres de différents services gouvernementaux et d’hommes d’affaires arabes et étrangers, dont des Iraniens résidant à Abou Dhabi et à Dubaï. Tout cela aurait été financé, selon Téhéran, par les EAU. Les Iraniens n’ont averti le sultan d’Oman, Kabous
Alors que les pays occidentaux s’apprêtaient à frapper les forces du colonel Kadhafi, dans le cadre de la résolution du Conseil de sécurité, les grandes compagnies pétrolières occidentales – qui avaient déjà annoncé leur retrait de Libye – ont presque toutes affirmé que les contrats ratifiés avec la National Oil Corporation (NOC) libyenne étaient toujours valables. Initiateur du mouvement, le géant italien ENI est allé plus loin par la voix de son P-DG,
ben Saïd, qu’après avoir mis la main sur tous les détails du plan. De sources concordantes à Mascate, on apprend que les services iraniens ont demandé à leurs homologues omanais de ne pas révéler l’existence de ce complot avant l’arrestation des figures de l’opération. Preuves à l’appui, le sultan d’Oman a ensuite tout révélé aux autres chefs d’État du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Les tensions entre Iran et États du Golfe sont au plus fort… À la suite des récentes émeutes, le CCG a consenti une aide financière de l’ordre de 10 milliards de dollars.
qui a appelé l’Europe à lever les sanctions imposées à la Libye. Il a été suivi par le groupe autrichien OMV, très présent dans ce pays. Mais la surprise est venue de British Petroleum (BP), dont le pays d’origine, la Grande-Bretagne, avait affirmé que ses sociétés pétrolières s’étaient déjà retirées de Libye ! De son côté, le président de la NOC, Chucri Ghanem, a laissé entendre aux journalistes américains – qui étaient venus interviewer Kadhafi à Tripoli – que durant toute la période des confrontations, les compagnies pétrolières européennes étaient restées en contact avec lui pour assurer l’acheminement du pétrole.
Finb Fin n arr a rO ar O’Re O’R Reeil R illy iill lllly / Reuters
POUVOIR TUNISIE
La partie n’est pas jouée… Dans un climat de crise économique qui perdure, le Premier ministre s’inquiète du risque d’un enlisement sociopolitique qui se ferait aux dépens des valeurs constantes de l’État. Par S. SOBH
L ALGÉRIE Récemment en visite à Alger, le Premier ministre, Beji Caïd Essebsi, a obtenu une aide de 100 millions de dollars
12 I Arabies Avril 2011
e nouveau Premier ministre, Beji Caïd Essebsi, croit profondément à l’évolution de son pays, même si ses intellectuels et ses néo-contestataires ont l’art de compter moins que ce qu’ils pensent réaliser… Le fort vent de liberté qui a abattu comme des dominos certaines sanglantes dictatures du monde arabe encourage « Si El Beji » – comme tiennent à l’ap-
peler les Tunisiens – à se montrer plus que jamais déterminé à aller jusqu’au bout, malgré les obstacles qui surgissent presque tous les jours. Tout en prenant des initiatives qui dérangent toutes les parties, toutes tendances confondues, il a tiré la sonnette d’alarme le 17 mars dernier à l’occasion du discours inaugural d’un forum international sur le changement démocratique en Tunisie.
Le chef de l’Exécutif tunisien a tenu à insister sur la nécessité de faire face à ceux qui visent à récupérer la révolution qui a destitué le régime de l’ancien président, Zine el-Abidine Ben Ali. Pour l’avocat chevronné qu’est Essebsi, cette révolution a ses spécificités. Elle est d’abord le résultat d’une situation interne liée à la dérive morale du pouvoir et à ses déboires. Il estime donc qu’elle n’a pas été encadrée et
Par ailleurs, la majorité de ceux qui ont participé à la révolution affirme que le rôle des islamistes dans ce changement n’a pas été plus important que celui des autres formations politiques ou syndicales. Qu’il s’agisse du monde politique, des intellectuels, des mouvements féministes ou des partis de gauche et du centre, beaucoup s’interrogent sur les ambitions de ces islamistes pour l’avenir. D’autant plus que la chute du régime a créé dans la vie publique un vide et qu’il faudra du temps pour le combler. D’où une certaine crainte vis-à-vis de ces islamistes qui apparaissent, au moins pour cette phase, comme la seule force organisée capable d’exploiter ce vide… En outre, les laïcs aussi bien que les autres forces craignent l’émergence d’une nouvelle génération d’islamistes purs et durs au sein du parti Ennahda, dont les forces vives sont constituées de ceux qui n’ont pas quitté le pays. La plupart d’entre eux ont même été emprisonnés, voire soumis à la torture. Et ils esti-
ment avoir participé à la révolution alors que les autres profitaient du luxe de leur vie à l’étranger, notamment en Europe. Pour Hamadi Redissi, politologue et président d’une toute nouvelle association de défense de la laïcité en Tunisie, la seule garantie contre tout débordement serait la constitution d’un Conseil républicain auquel participeraient les ministères de souveraineté et les organisations de la société civile. Sa mission : défendre l’article I de la Constitution. En d’autres termes, les libertés publiques et privées.
PARTIS Plus de 40 demandes d’autorisation de nouveaux partis politiques ont été enregistrées depuis la fin de la révolution
Avec l’arrivée des centaines de milliers de Tunisiens qui ont perdu leur travail en Libye, le chômage enregistre une hausse considérable
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LIBYE
qu’elle manque de leadership. Le processus démocratique, tel qu’il est souhaité, ne doit pas être à la seule mesure des partis et des forces politiques. Tout le peuple tunisien doit y participer, sans exclusion, mais avec des lignes rouges que personne ne doit dépasser. Indépendamment du résultat des prochaines élections législatives et du poids de la nouvelle majorité qui en sera issue, il conviendra par exemple de garantir les lois régissant la liberté de la femme et l’égalité entre les citoyens. Un message adressé aux courants islamiques et islamistes qui commencent à s’exprimer comme des vainqueurs potentiels du prochain processus électoral. Une manière aussi d’apaiser les craintes du courant laïc dans le pays. Reprendre à zéro. Il est certains ministres tunisiens pour déclarer que le pays est déjà sur la bonne voie et que les problèmes sont en train d’être réglés graduellement. Mais les plus avisés, à commencer par Beji Caïd Essebsi, reconnaissent que « la politique est au point mort, l’économie peine à sortir des effets ravageurs de plus de deux mois de dérapages révolutionnaires, et tout est à reprendre à zéro ». En fin de compte, il faut que les politiciens qui se bousculent pour prendre le pouvoir en Tunisie sachent que la politique – y compris l’instauration d’une vraie démocratie – est aussi un exercice de culture et de mémoire. Ce qu’une partie des intéressés semble loin d’être capable d’assumer. Dans ce contexte, l’inquiétude grandissante des laïcs tunisiens est de voir les leaders de la mouvance islamique occuper ce créneau, notamment après que le parti Ennahda de cheikh Rached Ghannouchi a été autorisé à participer. Si ces laïcs estiment que le projet d’« islamisation de la société et de l’État É est inconcevable dans le court terme », ils craignent néanmoins que ce soit un objectif à long terme.
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TUNISIE POUVOIR
Fabrizio Bensch / Reuters
POUVOIR TUNISIE
TOURISME Le nombre de nuitées est tombé de 60,5 %, diminuant de 39,4 % des revenus qui s’affichent à quelque 135 millions de dollars
INDICATEURS En termes de création d’entreprises, l’Agence de promotion des investissements enregistre une baisse moyenne de 7,17 % alors que les Investissements directs étrangers ont régressé de 17,9 %
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Redissi ne cache pas non plus son inquiétude quant au recul observé par les imams modérés dans les mosquées, alors même que Rached Ghannouchi y trouve une tribune idéale. Le même qui traitait l’ancien président Habib Bourguiba de « mécréant » sans que personne n’ose le contredire. Ce que Redissi trouve particulièrement grave. Malgré les bonnes intentions de son chef, le problème majeur du gouvernement de transition reste de gérer les affaires courantes et d’essayer d’avoir les aides financières nécessaires pour éviter le pire. C’est dans ce cadre que Beji Caïd Essebsi s’est récemment rendu à Alger, où on lui a aussitôt accordé une aide de 100 millions de dollars. Mais il convient aussi de réussir les prochaines élections législatives. Or, l’urgence de la situation l’éloigne des choix stratégiques – aussi bien sociopolitiques qu’économiques –, qui devraient être du ressort du prochain gouvernement. Jusque-là, les défis seront de taille, et les risques aussi…
Parallèlement, l’absence de partis politiques capables de gérer cette situation délicate et l’échec des élites – dont certaines importées de l’étranger par l’ancien gouvernement de Mohamed Ghannouchi – rendent plus difficile encore la tâche de Beji Caïd Essebsi. La population s’inquiète aussi de l’afflux des demandes d’autorisation de nouveaux partis politiques, qui ont atteint le nombre de 40… Car la majorité d’entre eux n’a pas de siège, ne défend aucun programme et ne compte pas le minimum d’adhérents… Penser l’économie. À cela s’ajoute la montée considérable du chômage, plus particulièrement avec l’arrivée des centaines de milliers de Tunisiens qui ont pperdu leur travail en Libye. L’É tat s’abstient jusqu’à présent d’en révéler le nombre exact, mais le ministère des Finances évoque un gros manque à gagner en se basant sur la baisse du flux de leurs virements.
L’économiste britannique John Maynard Keynes a en son temps démontré que « l’action économique de l’État É pouvait servir la cause de la liberté ». C’est ce que le gouvernement de transition doit placer en tête des priorités. Car l’intelligentsia a tunisienne revendique souvent son ignorance de l’économie, voire son indifférence pour la chose. Penser la société, penser la révolution, penser la religion, penser l’islam, telles sont aujourd’hui les priorités des Tunisiens. Penser l’économie ? Cela pourrait attendre… Mais avec la fermeture des frontières avec le riche voisin libyen, le Tunisien moyen – sans même parler du pauvre – craint sérieusement les répercussions qui pourraient émaner des emplois fragilisés depuis le mois de décembre 2010. Surtout au moment où les acteurs sociaux sont incapables de jouer un rôle sécurisant… D’ores et déjà, des voix se font entendre à tous les niveaux dans le pays pour tirer la sonnette d’alarme à l’égard de cette ferveur née de la révolution. Certains analystes
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POUVOIR TUNISIE
ÉTATS-UNIS En visite à Tunis, la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, a affirmé son soutien à un plan de développement économique et à la création de nouveaux emplois
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pensent que cette dernière a fait oublier des réalités socio-économiques si difficiles qu’elles pourraient déclencher de nouveaux mouvements de contestations populaires. Sans être alarmants, les indicateurs économiques des deux premiers mois de 2011 sont significatifs, si l’on en croit le ministre tunisien des Finances, Jaloul Ayed. En termes de création d’entreprises, l’Agence de promotion des investissements (API) a enregistré une baisse moyenne de 7,17 % par rapport à la même période en 2010. Si le Grand Tunis enregistre une hausse de 12,79 %, certaines régions comme celle de la ville industrielle de Sfax ont subi une chute brutale (60,73 %). Parallèlement, le volume des Investissements directs étrangers (IDE) était en nette régression (17,9 %) entre janvier et la fin de février 2011. Les statistiques montrent aussi un recul des revenus du secteur touristique, où le nombre de nuitées enregistrées a régressé de 60,5 % pour générer une diminution des revenus de 39,4 % avec un chiffre d’affaires de quelque 135 millions de dollars. Un signe d’autant plus décourageant pour l’économie tunisienne qu’on parle là d’un de ses secteurs-clés…
Indicateurs au rouge. De son côté, la production de pétrole a chuté de 21,1 % en décembre 2010. Bref, la plupart des indicateurs sont aujourd’hui au rouge. À cela s’ajoute l’évaporation des réserves en devises, qui étaient d’environ 4,5 milliards de dollars à la veille de la révolution. Le gouvernement de transition doit donc sérieusement repenser l’économie et trouver, à tout prix, des aides et des investissements. C’est pourquoi les Tunisiens attendent avec impatience les visites annoncées des responsables français et des représentants de leur patronat au Mouvement des entreprises de France (Medef). Sans oublier celles de la Commission européenne et des États-Unis. Par la voix de leur secrétaire d’État, Hillary Clinton – qui était en visite à Tunis le 17 mars dernier –, les Américains se sont engagés à soutenir un plan de développement économique et la création de nouveaux emplois. « Le peuple tunisien le mérite », avait déclaré Mme Clinton lors de sa conférence de presse au ministère tunisien des Affaires étrangères. Un épisode où les journalistes locaux se sont malheureusement sentis humiliés à deux reprises. D’abord quand ils ont été fouillés à l’entrée par les
gardes du corps d’Hillary Clinton plutôt que par les services d’ordre tunisiens ; ensuite quand on les a fait attendre trois heures avant que la secrétaire d’État daigne faire son apparition… Hillary Clinton a par la suite indiqué que son pays participerait au forum des pays donateurs qui se réunira cette année pour apporter l’aide nécessaire à la Tunisie. Face à l’urgence des prochaines échéances économiques, les analystes financiers considèrent que la Tunisie aura du mal à faire face. Et les élections législatives, le changement de la Constitution ou l’élection d’un nouveau président de la république n’y changeront pas grand-chose… L’annonce faite au début du mois de mars dernier par l’agence financière de notation internationale Fitch est à cet égard significative. Outre qu’elle a baissé d’un cran la note de la dette à long terme de la Tunisie, elle a maintenu sa perspective « négative » en raison des incertitudes quant à la situation sociopolitique. Selon Fitch, la transition vers la démocratie pourrait certes améliorer la confiance à long terme, mais l’agitation politique récurrente a détérioré les perspectives économiques à court terme, les finances ppubliques et le système financier… À tel point que l’agence n’exclut pas un nouvel abaissement de sa note dans les prochaines semaines, à moins d’une nette amélioration du climat dans les affaires. La Tunisie est lancée dans une course contre la montre pour préserver son milieu financier d’un risque majeur d’accident. Mais un abaissement supplémentaire de sa note la ferait entrer dans la catégorie dite « spéculative » des émetteurs présentant une faible garantie de remboursement. Là est l’obsession permanente du Premier ministre, Beji Caïd Essebsi, et du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Mustapha Nabli. ■
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POUVOIR ÉGYPTE
Le pragmatisme égyptien La jeunesse du 25 janvier et le Conseil suprême des forces armées, qui gère provisoirement le pays, montrent au fil des jours un sens des responsabilités sans précédent. Focus… Par Pierre FAUCHART
O DÉMISSION Premier ministre nommé par Moubarak, le maréchal Ahmed Chafik a démissionné pour céder la place à l’opposant Essam Charaf
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utre son engagement de garantir la sécurité et la stabilité, l’armée égyptienne ne cesse de prouver qu’elle honore sa parole quant à l’assainissement de l’establishment. Dans des délais records, elle a démantelé les structures du pouvoir mises en place par le président déchu, Hosni Moubarak. Dernier acte dans ce sens, l’acceptation de la démission du maréchal Ahmed Chafik, Premier ministre nommé par l’ancien raïs, et la
désignation du candidat de l’opposition, Essam Charaf, pour former le nouveau gouvernement. Ancien ministre des Transports, ce dernier jouit de la confiance des jeunes « révolutionnaires » de la place Tahrir, mais sa tâche s’annonce difficile. Notamment avec le retour des tentatives de déstabilisation, certes relatives, menées par ce qui reste de la vieille garde. Témoins, les violentes confrontations entre certains de ses éléments, soutenus
par des salafistes, et des citoyens coptes. Ou encore l’incendie d’une église à Al-Moukatam, dans la banlieue du Caire. Autant d’éléments qui devraient attirer l’attention sur le fait que la contre-révolution est toujours présente et qu’elle doit être considérée par le nouveau gouvernement comme l’un des principaux défis à relever. De fait, le dossier sécuritaire vient aujourd’hui en tête des préoccupations de l’académicien Es-
ment issu des élections législatives. En tout état de cause, l’opposition a cautionné le point de vue de l’armée en ce qui concerne les élections. Mais l’accélération de ce processus suscite des interrogations chez les Égyptiens. Ils réclament plus de temps afin que la vie politique se redresse complètement pour mieux se démarquer des effets rétroactifs de trente ans de répression. La société civile égyptienne estime que ce trop court délai de six mois pourrait favoriser les politiciens liés au Parti national démocrate (PND) de Moubarak. Et plus particulièrement ceux qui ont échappé aux différentes formes d’inculpations. Car ces derniers disposent toujours d’énormes moyens financiers, en plus de l’existence de réseaux dormants qui pourraient se réveiller au moment opportun… De l’avis de l’opposition, l’armée ne pourrait alors rien faire pour endiguer ce « retour de flamme » puisqu’elle est en principe tenue d’observer une distance égale vis-à-vis de
toutes les forces politiques qui participent à cette échéance. Alors que les symboles de l’ancien régime se préparent d’ores et déjà, l’organisation des Frères musulmans – appelée à bientôt devenir l’un des principaux acteurs politiques – se tient prête, dès demain, à participer en force. Mais elle aussi conteste ce délai. C’est aussi le cas de l’opposant Mohamed el-Baradei, candidat à la présidentielle, qui ne cache pas ses réserves quant à la phase de transition. Même s’il estime que l’Égypte passe actuellement du statut d’État dictatorial à celui d’État libre et indépendant.
DÉFICIT Le déficit budgétaire atteignait 8,5 % au 10 mars dernier et pourrait augmenter pour dépasser la barre des 10 %
Outre un taux de croissance économique tombé de 6 % à 3,5 %, le ministère des Finances a injecté 250 millions de livres égyptiennes dans la Bourse pour éviter un krach
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CROISSANCE
sam Charaf. Sans oublier la relance d’une économie qui a été touchée par une paralysie de plus d’un mois. Le nouveau ministre des Finances, Samir Radwane, a ainsi déclaré à Arabiess que le déficit budgétaire atteignait 8,5 % au 10 mars dernier, et qu’il pourrait augmenter pour dépasser la barre des 10 % à moins d’un retour à la stabilité dans les plus brefs délais… Le gouvernement doit également améliorer les performances de l’économie afin de compenser le recul du taux de croissance, tombé de 6 % à 3,5 %. Radwane a d’ailleurs révélé que son ministère a injecté 250 millions de livres égyptiennes dans la Bourse pour éviter un krachh dès son ouverture. Délai insuffisant. Dirigé par le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, ancien ministre de la Défense sous l’ère Moubarak, le Conseil suprême des forces armées réaffirme son engagement quant à l’organisation des élections législatives d’ici à six mois. Mais les activistes politiques qui ont fait chuter l’ancien régime craignent toujours ses « reliquats »… D’autant qu’ils considèrent que ce délai de six mois est insuffisant pour faire aboutir cette échéance cruciale. Beaucoup de choses ont certes changé, certains symboles de la dictature et de la corruption sont même déjà en prison. Mais la majeure partie du système sécuritaire et des instruments qui avaient eu la mainmise sur la vie politique et sociale pendant trois décennies sont toujours là… Face à ce constat, l’armée, qui a pris le pouvoir le 11 février dernier, répète à l’envi qu’elle sera là pour superviser des élections qu’elle annonce démocratiques et transparentes. Et qu’elle tient par la suite à transmettre le pouvoir à une autorité civile. En dépit de cette configuration, l’armée semble rechigner à prendre des initiatives qui vont au-delà des réformes. Elle entend laisser cette tâche au prochain gouverne-
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ÉGYPTE POUVOIR
Jin Lian Lia gkkua uuaai / Corb Corbis
POUVOIR ÉGYPTE
MANIPULATION Après les premières manifestations, le président égyptien répétait devant ses visiteurs que ces manifestations ne rassemblaient que quelques centaines d’individus et qu’elles n’iraient pas très loin
FRÉGATES LL’autorisation accordée à deux frégates iraniennes de traverser le canal de Suez n’a guère servi la cause de l’apaisement
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Les Égyptiens ont besoin de plus de temps pour former de nouveaux partis politiques qui soient directement liés au peuple. Et dans l’esprit d’El-Baradei, cela ne peut se faire en six mois. D’après certains diplomates en poste au Caire, l’armée – contrairement à ce qui s’est passé lors de la révolution de 1952 – n’a aucunement l’intention aujourd’hui de rester au pouvoir. Elle veut réintégrer ses casernes et ses bases pour se contenter du rôle de garant des institutions et de la défense de la nation. Et préserver ses privilèges économiques acquis au fil des ans. Les proches des dirigeants de l’institution militaire affirment que ces derniers ne sont pas satisfaits de ce rôle actuel de gouvernance. Ils ont hâte de transmettre le pouvoir aux politiques. Ce qui explique, selon les observateurs dans la capitale égyptienne, l’accélération des réformes, notamment au plan constitutionnel. Quant au reste, les chefs militaires ne veulent pas en entendre parler.
Malgré les réticences et les craintes des uns et des autres, la « Révolution du 25 janvier » a bel et bien abattu la forêt de mensonges que le régime de Moubarak a tenté d’enraciner, aussi bien aux plans interne qu’externe. Il a fait croire à ses alliés américains et occidentaux qqu’une révolution était exclue en Égypte. D’abord parce qu’il ne prenait pas au sérieux cette jeunesse égyptienne qu’il estimait superficielle, lâche, et pas prête à concéder le moindre sacrifice. Après les premières manifestations, le président égyptien répétait ainsi devant ses visiteurs occidentaux, arabes et israéliens que ces manifestations ne rassemblaient que quelques centaines ou milliers d’individus et qu’elles n’iraient pas très loin. Citoyens engagés. Mais le cours des événements a prouvé le contraire. Et la mobilisation de plus de 2 millions de personnes a montré que ces jeunes sont des citoyens engagés, responsables et, surtout, déterminés à aller jusqu’au bout. C’est là que les Occidentaux, alliés
de Moubarak et de son régime, ont commencé à revoir leur position. Au point de demander à Moubarak de quitter le pouvoir dans les vingt-quatre heures… Un autre mensonge que cette révolution populaire a fait tomber est cette propagande du régime, rabâchée durant des années, selon laquelle le pouvoir en place était le seul réel barrage face au danger islamiste qui menace l’Égypte. Une façon pour Moubarak et son régime de diaboliser les Frères musulmans. Ce mensonge a fini par faire monter les tensions entre la majorité musulmane et la minorité chrétienne, érigeant un mur de haine entre les deux communautés, qui s’est soldé par des massacres tout au long des trente ans de gouvernance du système… Les premières enquêtes menées récemment sur l’attentat perpétré contre une église copte d’Alexandrie, durant les fêtes de Noël, ont montré que le ministre de l’Intérieur, Habib al-Adli – homme de confiance de Moubarak et allié de
son fils Gamal –, aurait donné des ordres à la police secrète pour perpétrer cette horreur. C’est en unissant dans les manifestations étudiants, chrétiens et musulmans, ouvriers et intellectuels, riches et pauvres, que la « révolution du Nil » a su faire tomber ce régime corrompu qui utilisait la torture contre toutes les composantes de la société égyptienne. C’est ainsi qu’elle a mis fin aux mensonges montés de toutes pièces par ce régime policier p et affairiste qui recevait des États-Unis et d’Israël toute l’aide nécessaire pour se maintenir par la force… Les analystes ggéopolitiques spécialistes de l’Égypte suivent aujourd’hui de très près l’évolution des positions de ce pays vis-à-vis de son environnement. Plus particulièrement des grands dossiers et conflits qui menacent la région du Moyen-Orient et le continent africain. Ne pas brûler les étapes. Le Conseil suprême des forces armées tient à ne pas brûler les étapes pour ne pas avoir à payer trop cher dans l’avenir le prix d’éventuelles erreurs. Il préfère rester mesuré, en donnant simplement les tendances à suivre. Toujours est-il que l’establishment égyptien montre un pragmatisme sans précédent afin d’éviter de commettre des erreurs stratégiques. Jusqu’à présent, il s’est efforcé d’adopter des positions qui ne sortent pas du cadre de la légitimité internationale. En rappelant, par exemple, que l’Égypte respecterait à la lettre tous les accords signés par l’ancien régime. Mais il est certain que rien ne sera plus comme avant si l’Égypte insiste pour retrouver son leadership d’antan. Or, c’est bien dans cet esprit que le Conseil suprême des forces armées est en train de réviser ses alliances et de compter ses adversaires. En attendant un éclaircissement de la situation après les protestations et les révolutions qui frappent tout le monde arabe,
Hannibal Hanschke / Corbis
ÉGYPTE POUVOIR
l’Égypte fait ses calculs, analyse les réactions et décrypte les messages, notamment ceux qui émanent de ses partenaires occidentaux et régionaux. L’avenir des relations avec Israël demeure le grand point d’interrogation. Les commentaires et les craintes des responsables israéliens envers le changement intervenu en Égypte reflètent un nouveau climat d’incertitude et de tensions. Et l’autorisation accordée à deux frégates iraniennes de traverser le canal de Suez pour se rendre au port syrien de Tartous n’a guère servi la cause de l’apaisement. Selon les Israéliens, l’alliance entre Le Caire et Tel-Aviv s’en trouve faussée… Israël a même qualifié cet événement de « très dangereux ». Ses stratèges ont ainsi commencé à demander au gouvernement de reconsidérer les relations avec l’Égypte, qui pourrait bientôt passer du camp des amis à celui des ennemis. Ils ont aussi réclamé une sensible augmentation du budget de défense, sans attendre l’année prochaine.
Face à ces réactions, les responsables militaires égyptiens qui gouvernent provisoirement sont restés froids. Même si le porte-parole du Conseil est revenu à la charge pour rappeler que l’Égypte respecterait tous ses accords internationaux, plus particulièrement les accords de paix de Camp David, signés en 1978 avec l’État hébreu. Malgré ces assurances, les Israéliens craignent le pire. Ils justifient leur méfiance par les reports successifs d’acheminement de gaz naturel vers Israël, décidés par les autorités égyptiennes concernées depuis l’explosion du gazoduc durant la révolution du 25 janvier. Par ailleurs, Israël craint sérieusement que l’Égypte ne change d’attitude à l’égard des négociations de paix qui n’avancent pas entre le gouvernement de Netanyahou et l’Autorité palestinienne. Pire encore, Tel-Aviv redoute de voir Le Caire se rapprocher du Fatah et du Hamas pour ouvrir plus largement le point de passage de Rafah avec la bande de Gaza.
RAFAH TTel-Aviv redoute de voir Le Caire se rapprocher du Fatah et du Hamas pour ouvrir plus largement le point de passage de Rafah avec la bande de Gaza
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Asmaa Waguih / Reuters
POUVOIR ÉGYPTE
COLONIES Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est prononcé contre la construction de nouvelles colonies israéliennes sur des terrains palestiniens
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D’autre part, les Israéliens ne peuvent guère concevoir une réconciliation avec la Syrie, ce qui pourrait changer g la donne régionale. En bref, l’État hébreu craint que ce changement n’intervienne au moment même où de nombreux ppays dans le monde reconnaissent l’État palestinien. Une reconnaissance internationale qui risque de faire tache d’huile dans les prochains mois, d’autant que l’Union européenne a fait savoir qu’elle n’était pas très loin d’en faire autant… alors même que le rôle des États-Unis commence à faiblir… Dernier exemple en date, le vote du Conseil de sécurité des Nations unies contre la construction de nouvelles colonies sur des terrains palestiniens. Un vote où Washington s’est retrouvée bien seule après que ses alliés potentiels – Grande-Bretagne, Allemagne et France – se sont rangés du côté palestinien. Outre que cela a rendu pour le moins caricatural le veto américain,
on a pu voir que les États-Unis ne pesaient plus du même poids que par le passé. Et ce n’est pas la montée en puissance des pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil – qui siégeront, tôt ou tard, au Conseil de sécurité – qui risque d’inverser la tendance. D’autant que ces trois pays ont rejoint la Russie pour afficher leur soutien aux droits légitimes du peuple palestinien. État palestinien. Israël a donc la hantise de voir l’Égypte revenir en force sur la scène internationale pour rassembler les États arabes autour de leur cause centrale : la reconnaissance d’un État palestinien. De là à songer que tous les efforts déployés pendant plus de quarante ans pour faire sortir l’Égypte du conflit israélo-arabe, sont tombés à l’eau… Pour certains analystes israéliens, l’État hébreu pourrait être confronté à une catastrophe économique après la chute de Moubarak. La dégringolade des régimes arabes qualifiés de « modérés » devrait
donc logiquement voir Tel-Aviv réviser ses priorités. Les leaders de l’opposition égyptienne, qui ont récemment rencontré les membres du Conseil suprême des forces armées, affirment que ces derniers sont bien décidés à rester loin de toute provocation. Ils montrent au contraire une volonté d’ouverture envers tous les acteurs extérieurs qui affichent leur soutien au changement démocratique en cours. Parallèlement, les chefs militaires font savoir que l’intérêt de l’Égypte passe avant tout et invitent tous ceux qui s’interrogent sur l’avenir à se tourner vers le gouvernement qui sera issu des prochaines élections législatives. Une manière de faire comprendre à tous que l’institution militaire ne fait pas de politique, ni d’affaires. Mais ce recul et ce mutisme persistant laissent perplexes tous ses interlocuteurs. Sans doute doit-on y voir la force du pragma■ tisme égyptien…
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Goran Tomasevic / Reuters
POUVOIR LIBYE
Libye : la déchirure Entre essoufflement de la rébellion, hésitations de l’Occident, divisions entre Arabes et relatif équilibre des forces sur le terrain, la probabilité d’une guerre civile n’a jamais été aussi grande. Par S. SOBH SANCTIONS L’Union européenne et la Ligue arabe ont demandé au Conseil de sécurité de l’ONU d’imposer une zone d’exclusion aérienne sur la Libye
24 I Arabies Avril 2011
J
uste après le deuxième discours houleux du colonel Kadhafi, prononcé sur la place Verte de Tripoli au huitième jour des protestations, les analystes politiques et les médias occidentaux ont affirmé que cet
acte serait son dernier baroud d’honneur avant sa chute, annoncée pour les vingt-quatre heures qui suivaient. Néanmoins, le Guide était toujours là, enfermé dans sa caserne de Bab al-Azizia, au moment où nous écrivions ces
lignes, quelque vingt-deux jours plus tard… Dans l’intervalle, il a reçu plus d’une dizaine de médias internationaux – chaînes de télévision et presse écrite – dans des hôtels et restaurants du bord de mer à Tripoli.
tribus n’arrivent de Benghazi à Tripoli. Tout cela alors même que 1 200 kilomètres séparent ces deux grandes villes… Après que l’Union européenne et la Ligue arabe ont obtenu du Conseil de sécurité des Nations unies qu’il impose une zone d’exclusion aérienne sur la Libye – malgré les réticences russe et américaine –, la vraie question qui se pose désormais est de savoir qui gouvernera la Libye après Kadhafi… Récemment reconnu par la France, le Conseil national de transition (CNT) qui siège à Benghazi se considère comme le seul pouvoir légitime. Mais serait-il capable d’assurer la succession ? Porte-parole de ce nouveau gouvernement, Abdelhafidh al-Ghouga, un des leaders de l’Intifada de Benghazi, affirme à Arabies que la révolution sortira victorieuse du fait qu’elle peut
compter sur la majorité du peuple. Pour Al-Ghouga, Kadhafi, sa famille et ses forces finiront par céder. Quant à la question portant sur les batailles gagnées par le régime et sur les revers essuyés par les révolutionnaires, Al-Ghouga répond que « les généraux de l’armée libyenne qui ont rejoint la révolution sont en train de mettre sur pied une véritable armée qui pourrait faire face à celle du dictateur ».
D’abord livrés à eux-mêmes, les insurgés ont subi de nombreux revers sur le terrain, notamment dans les villes de Zaouia, Ras Lanouf, Ben Jawad et Tobrouk
Avril 2011 Arabies I 25
COMBATS
L’erreur de ces analystes et médias a été de mal décrypter les messages envoyés par un Kadhafi dont on a trop vite oublié qu’il fut d’abord qualifié de terroriste et de dictateur avant la volte-face qui lui permit d’endosser l’habit de respectable chef d’État auprès de ses homologues occidentaux. Ces derniers se bousculaient alors devant sa tente, aussi bien à Bab al-Azizia que dans son fief de Syrte, en espérant décrocher de juteux contrats… Sans compter les invitations officielles qui lui étaient adressées pour être reçu en grande pompe à l’étranger. Bref, les analystes ont très mal interprété ses propos lorsqu’il déclarait : « Si la rébellion continue, je vais ouvrir les entrepôts d’armes au peuple et aux tribus ». Conséquence, la rébellion a subi de nombreux revers sur le terrain, notamment dans les villes de Zaouia, Ras Lanouf, Ben Jawad et Tobrouk. À tel point que l’on craint que les forces de Kadhafi sont arrivées aux portes de Benghazi, foyer de l’insurrection. Tous ceux qui espéraient faire tomber le Guide et son régime ont surtout commis l’erreur d’assimiler les événements de Tunisie et d’Égypte à ce qui se passe en Libye. Ainsi ont-ils basé leurs analyses des faits sur des tendances plus que sur la réalité du terrain. Soutien des tribus. Parallèlement, les médias ont largement surévalué les « victoires des révolutionnaires » qui, avec le soutien des tribus, étaient censés rapidement s’emparer de Tripoli et destituer le dictateur. Ces optimistes ont même cité les noms des tribus qui s’étaient ralliées à la vague de protestations : Ourfellas, Obeidates et même les Mgarhas – la tribu la plus nombreuse et la plus puissante de Libye. Selon la presse occidentale, ce n’était plus qu’une question de jours avant que les révolutionnaires et les guerriers de ces
Ali Jarekji / Reuters
LIBYE POUVOIR
Max Rossi / Reuters
POUVOIR LIBYE
RECONSTRUCTION La société civile libyenne ne disposant pas d’associations, ni d’ONG, le ministère du Pétrole semble seul capable de fournir des technocrates aptes à gérer le pays
26 I Arabies Avril 2011
Cette version n’est toutefois pas partagée par l’un des grands opposants de Kadhafi à Benghazi, qui préfère garder l’anonymat. Ce dernier estime qu’en ouvrant les entrepôts d’armes de Benghazi, Zaouia et Misrata, le pouvoir a semé la pagaille : « Nous souhaiterions que notre résistance soit pacifique, à l’instar de celle qui s’est déroulée en É Égypte. Malheureusement, nous sommes tombés dans son piège et voilà les résultats aujourd’hui. Malgré l’existence de Comités populaires pour organiser la vie quotidienne dans les villes libérées, nous ressentons un grand vide car le gouvernement provisoire n’arrive pas à mettre de l’ordre. Tout le monde a des armes en main et chacun croit
que c’est grâce à lui que cette Intifada a vu le jour… » Renseignement. Tout aussi flous sont les rapports établis jusque-là par les services de renseignement occidentaux, qui suivent pourtant de très près la situation en Libye. Ces rapports soulignent cependant que « la formation d’une armée révolutionnaire unie est difficile au vu de la complexité des composantes de la société libyenne et de ses ramifications tribales. Ce qui risque d’enliser le pays dans une guerre civile sans fin »… Ce constat rappelle le discours prononcé par Saif el-Islam Kadhafi, trois jours après le déclenchement de la rébellion. Ce dernier avait affirmé que si
les protestataires n’optaient pas pour un dialogue avec le pouvoir et n’écartaient pas l’idée d’un changement par la force, le pays entrerait dans une longue guerre civile qui finirait par le diviser… Une thèse que les Occidentaux prennent au sérieux, surtout que le fils Kadhafi a fait comprendre que cette situation constituerait un terrain fertile pour les terroristes d’Al-Qaïda et leurs alliés intégristes en Libye. Si cette configuration devait s’installer, ces terroristes ne seraient alors plus qu’à une petite demi-heure des côtes européennes. Et la Jamahiriya libyenne ne serait plus là pour les endiguer… En dépit des déclarations des différents responsables ci-
vils et militaires du CNT portant sur la stabilité dans les villes libérées, le scénario de l’après-Kadhafi inquiète la grande majorité des Libyens. Notamment lorsqu’on sait que l’armée régulière a été affaiblie depuis la création des Comités révolutionnaires – soupape de sécurité du régime – dans les années 1980. De plus, la société civile libyenne ne dispose pas d’associations, ni d’organisations non gouvernementales (ONG). Le seul ministère qui semble en mesure de résister à l’onde de choc est celui du Pétrole, capable de fournir des technocrates qui seraient aptes à gérer le pays et ses intérêts. Lutte antiterroriste. Mais il est un autre scénario qui préoccupe les analystes et les services de sécurité nationale des pays occidentaux – plus particulièrement les États-Unis – en matière de lutte antiterroriste. On parle là d’une éventuelle transformation de la Libye en pays déchiré et déstabilisé, à l’instar de l’Afghanistan et de la Somalie. Si un certain vide devait perdurer au niveau du pouvoir, les groupes proches d’Al-Qaïda pourraient en pprofiter pour instaurer leur propre État… Certains minimisent l’impact d’un tel scénario en affirmant que les tribus et les forces révolutionnaires pourraient combler ce vide. Mais les plus pessimistes craignent que la rébellion reste unie jusqu’à la chute du régime et que les scissions apparaissent à ce moment-là. Car le seul dénominateur commun qui lie les différentes parties est la destitution de Kadhafi. En Égypte, la plupart des spécialistes de la Libye estiment que Tripoli va connaître une vacance du pouvoir exécutif. De plus, il va être difficile pour les citoyens de se séparer des armes qu’ils avaient acquises en échange d’emplois au sein de la nouvelle administration libyenne.
Suhaib Salem / Reuters
LIBYE POUVOIR
La liste des candidats qui pourraient remplacer Kadhafi est longue. Mais aucun ne fait l’unanimité au niveau national. Même les tribus n’ont pas encore trouvé un candidat de compromis. Quant au Conseil de commandement né de la révolution menée par Kadhafi, ses 12 membres ont atteint un âge qui leur interdit toute idée de succession. Le seul qui semble en mesure de sauver la mise est le commandant Abdessalam Jalloud. Longtemps considéré comme le numéro deux du régime, jusqu’à son retrait de la vie politique en 1996, Jalloud est aussi l’un des notables de la tribu des Mgarhas. Mais il rejette jusqu’à présent toutes les propositions qui lui ont été faites…
Les observateurs les plus avisés n’hésitent pas à souligner la menace des courants islamistes. Qu’il s’agisse de l’Organisation libyenne des Frères musulmans, de la Jamaa Islamiya ou encore du Groupe islamique combattant en Libye (GICL) – proche d’Al-Qaïda et dont les militants ont combattu en Afghanistan –, tous ont subi la répression de Kadhafi durant les trois dernières décennies. Et ils seraient sans doute les mieux placés, voire les mieux organisés, pour prendre le pouvoir. En l’absence d’une armée forte, ces groupes extrémistes pourraient profiter du climat d’anarchie et des querelles entre révolutionnaires.
TRIBUS La rébellion peut compter sur le soutien des Orfellas, des Obeidates et des Mgarhas, la tribu la plus puissante de Libye
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Asmaa Waguih / Reuters
POUVOIR LIBYE
PÉTROLE TTroisième producteur de brut du continent africain, la Libye dispose des plus grandes réserves avérées, estimées à 44 milliards de barils
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Pour leur part, les an alystes américains estiment que, malgré le recours de Kadhafi à la menace d’Al-Qaïda en Libye, cette nouvelle configuration a peu de chances d’aboutir. Car l’opposition libyenne est nuancée, elle a des orientations différentes. Pour ce qui est des tribus, aucune n’est assez forte pour mobiliser les masses et contrôler la rue. De fait, le nouveau régime serait donc issu d’un mélange de toutes les parties pour constituer un gouvernement d’union nationale. Quant au poids du pétrole libyen, les analystes pensent qu’il est plus porteur de stabilité que le contraire. Car en maintenant les revenus annuels à leur niveau
actuel (65 milliards de dollars), il serait plus facile de surmonter les difficultés. D’une part parce que la Libye est très riche en pétrole et en gaz naturel – jusque-là inexploité –, et d’autre part parce que la révolution libyenne est différente de celles qui ont frappé la Tunisie et l’Égypte. C’est pour cette raison que les Occidentaux ont laissé la situation se détériorer avant d’intervenir. En coulisses, une concurrence silencieuse fait rage entre trois pays européens : la France, la Grande-Bretagne et l’Espagne. La France et son président, Nicolas Sarkozy, ont su anticiper en recevant à l’Élysée deux des leaders du CNT. Quant à la
Grande-Bretagne, elle est devenue, après la levée de l’embargo (1999), le partenaire privilégié de la Jamahiriya libyenne. Enfin, l’Espagne s’est positionnée sur deux créneaux importants : le pétrole – avec la percée de son fleuron Repsol – et la vente d’armes aux six brigades de l’armée régulière tenues par deux des fils de Kadhafi et ceux de ses cousins. Les gouvernements de ces trois États européens ont, d’ores et déjà, ouvert leurs portes à la rébellion pour mieux les claquer à la face du régime Kadhafi. Par ailleurs, ils ont été les premiers – avec les États-Unis – à geler les avoirs du Guide, de sa famille et de son entourage.
Au plan militaire, les frappes aériennes françaises et britanniques, ainsi que les missiles tirés par les sous-marins américains, ont principalement visé les chars de Kadhafi, les aéroports militaires et la caserne de Bab al-Azizia à Tripoli, QG du chef de l’État libyen. Mais cela ne semble pas assez efficace pour contraindre le régime à faire marche arrière. Au soir du 22 mars dernier, les troupes loyalistes contrôlaient la majorité des villes et menaçaient toujours celles qui restaient entre les mains des insurgés. Hydrocarbures. C o n c e r n a n t la question cruciale des hydrocarbures, les États-Unis – dont les majors pétroliers tels que Exxon-Mobil étaient en phase d’exploration en Libye – ne se contenteront certainement pas de miettes après la chute du régime de Kadhafi. C’est dans ce sens que leur dernier mot risque d’être déterminant… En semant le trouble, sans précipiter la chute de la Jamahiriya, l’administration Obama veut négocier son intervention décisive au prix fort. En d’autres termes, se tailler la part du lion dans le secteur des hydrocarbures. Quel que soit le résultat des confrontations militaires, le secteur pétrolier va en payer le prix. Les raffineries sont déjà touchées, la production s’est arrêtée à 70 %, et les travaux d’exploration sont gelés avec la fuite des équipes des compagnies pétrolières étrangères. Selon Chucri Ghanem, P-DG de la National Oil Company (NOC) – la compagnie pétrolière nationale libyenne –, les ingénieurs, cadres et ouvriers spécialisés libyens sont capables de faire tourner la machine dans les plus brefs délais. À condition que les équipements des sites et les pipelines ne soient pas endommagés. Pour les experts basés à Houston, fief de l’industrie pétrolière
Suhaib Salem / Reuters
LIBYE POUVOIR
américaine, l’inquiétude concerne la relève si les troupes de Kadhafi se retiraient des sites pétroliers. Surtout si une guerre civile devait éclater… L’enjeu est capital, d’où la concurrence féroce entre les forces étrangères. Outre sa position géostratégique, la Libye est le troisième producteur de brut du continent africain. Elle dispose des plus grandes réserves avérées, estimées à environ 44 milliards de barils. Sans compter le gaz naturel, dont les quantités s’annoncent énormes… Jusque-là, les deux camps libyens ont évité de toucher les sites de production. Mais si le pays s’enlise dans une guerre civile, et si Kadhafi résiste, le cours des événements prendra une tout autre
allure. L’équilibre tribal jouera alors à plein. Seule ou en association, chacune des tribus voudra mettre la main sur les champs situés dans sa zone de domination. Le cas échéant, la tribu des Ghedadfas – celle de Kadhafi – et ses alliés mettraient la main sur les sites du bassin offshore de Syrte, où se trouvent 80 % des réserves avérées du pays… Voilà pourquoi les États-Unis ont offert à Kadhafi de garantir son exil et celui de ses proches. Nul doute qu’un tel compromis serait possible avec un gouvernement d’union nationale où les Ghedadfas seraient représentés. Un scénario à ne pas écarter si les compagnies américaines veulent mettre la main sur les fabuleuses richesses du bassin de Syrte. ■
JALLOUD Considéré comme le numéro deux du régime jusqu’à son retrait de la vie politique en 1996, le commandant Abdessalam Jalloud refuse pour l’instant de s’impliquer
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Louafi Larbi / Reuters
POUVOIR ALGÉRIE
Alliances, approches et divergences Entre manœuvres politiques, grogne sociale et alliances stratégiques, les jeux de pouvoir s’intensifient… Avec en toile de fond les perspectives d’une succession dans laquelle chacun espère jouer un rôle. Par Samar SMATI
OPPOSITION L’opposition peine à se rassembler. Si les avis convergent sur la nécessité d’un changement, ils divergent sur les responsabilités et les revendications
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as un jour ne passe sans qu’un mouvement de grève ou de protestation voit le jour : étudiants, médecins, enseignants, chômeurs, mal-logés ou en attente de logement, gardes communaux, salariés de la Sonatrach ou même du quotidien gouvernemental El Moudjahid d et de la présidence… Invisible depuis des mois, le chef de l’État
distille messages et promesses par l’intermédiaire de communiqués ou de déclarations lues en son nom. Aux chômeurs, il lance les mesures du microcrédit ; aux étudiants, il supprime un décret d’équivalence de diplômes ; aux travailleurs du secteur public, il accorde des augmentations. Autant de mesures conjoncturelles qui visent l’apaisement.
« Nous sommes dans un État défaillant qui dérive vers un État déliquescent. Exploiter la rente pétrolière pour acheter la paix sociale est une fuite en avant », s’insurge Ahmed Benbitour, ancien chef du gouvernement qui figure aujourd’hui parmi les initiateurs de l’Alliance nationale pour le changement (ANC). Ces « mesurettes » ne peuvent répon-
cessité de changements majeurs dans le mode de gouvernance, l’ouverture du champ politique, la liberté d’expression, ainsi que dans les réformes économiques et sociales. Et ils ne ménagent pas la responsabilité du président, Abdelaziz Bouteflika, dans la situation actuelle. Certaines personnalités politiques ont joint leur voix à la vague protestataire. Abdelhamid Mehri, dernier secrétaire général du Front de libération nationale (FLN) sous sa forme de parti unique, est l’initiateur d’un appel au changement adressé à Abdelaziz Bouteflika. Et il trouve un écho favorable auprès de Hocine Aït Ahmed, président du FFS. Le 22 mars dernier, ce dernier a ainsi adressé un message aux Algériennes et Algériens pour « une alternative démocratique et pacifique ». Louiza Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT) répond elle aussi favorablement aux propositions de « chan-
gement radical ». Cela vaut aussi pour Mouloud Hamrouche, ancien chef du gouvernement qui, dit-on, s’activerait actuellement en vue d’un retour sur la scène politique en s’appuyant sur une alliance avec Abdelhamid Mehri et Hocine Aït Ahmed. Une alliance connue et qui a toujours ménagé le président depuis 1999. Avec l’espérance in fine pour certains d’un renvoi d’ascenseur lors de la succession… Toutes ces personnalités s’accordent sur la nécessité d’un changement de système qui passerait par la construction de
DISCRET Invisible depuis des mois, le président Bouteflika distille messages et promesses par l’intermédiaire de communiqués ou de déclarations lues en son nom
Nouveau mode de gouvernance, ouverture du champ politique, liberté d’expression et réformes socio-économiques figurent parmi les principales revendications
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ATTENTES
dre, selon lui, aux conditions économiques et sociales « très difficiles » des Algériens. Une appréciation que partage également le premier secrétaire national du Front des forces socialistes (FFS), Karim Tabbou : « La responsabilité du pouvoir est entière. Ces mesures vont réamorcer la bombe sociale. On veut gagner du temps, il ne s’agit pas de réformes importantes, mais d’une logique de corruption d’une partie de la population qui ne s’appuie sur aucune logique économique, politique ou sociale… » Opposition divisée. Les revendications politiques sont portées par divers courants : une opposition divisée, mais aussi les partis de l’Alliance présidentielle et la coalition gouvernementale. L’opposition peine toujours à se rassembler, chacun semblant adopter une stratégie personnelle de prise de pouvoir. Entre regroupements et alliances, mésententes et équilibres, les avis convergent sur la nécessité de changement. Tout autant qu’ils divergent sur les responsabilités et les revendications. Deux groupes s’affrontent indirectement. D’un côté, la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) avec ses deux composantes séparées (Alger et Oran) et les organisations de la société civile. De l’autre, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ainsi que l’ANC, coalition regroupant Ahmed Benbitour et des représentants du mouvement islamiste El Islah, du mouvement El Infitah, de l’Association des oulémas algériens, du Mouvement de la jeunesse pour le développement (MJD) et d’organisations syndicales. Chaque mouvement a ses revendications, ses méthodes de contestation et ses relais. Ils se rejoignent toutefois sur la né-
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ALGÉRIE POUVOIR
Louafi Larbi / Reuters
POUVOIR ALGÉRIE
ISLAMISTES Échaudés ou ayant tiré les enseignements de la situation du parti Ennahda en Tunisie et des Frères musulmans en Égypte, les principaux leaders islamistes restent dans l’ombre
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nouvelles fondations de l’Algérie à travers une assemblée constituante. Et ce, sans pour autant imputer la responsabilité de la situation actuelle au chef de l’État, qui deviendrait même l’un des acteurs du changement. « Il ne suffit pas de changer les personnes pour changer le régime », déclare ainsi Abdelhamid Mehri. Cette distribution des rôles n’est pas sans rappeler l’épisode de la communauté de Sant’Egidio, qui avait réuni à Rome les partis de l’opposition algérienne en janvier 1995. Ne manquent que les représentants de la mouvance islamiste, qui auraient été approchés sans donner de suite. Ali Belhadj excepté, les principaux leaders de la mouvance optent pour une position « d’observateurs », certains ayant été échaudés dans le passé ou ayant tiré les enseignements de la situation du parti Ennahda en Tunisie et des Frères musulmans en Égypte. Pour certains analystes, les artisans de Sant’Egidio et
l’entourage d’Abdelaziz Bouteflika œuvrent de concert. Appuyés et confortés en coulisses par les proches du président – « Sa famille politique naturelle », comme l’écrit Abed Charef dans les colonnes du Quotidien d’Oran –, les premiers espèrent « compter sur l’échiquier de la succession » quand les seconds parlent de gérer le « timing ». Diluer les responsabilités . Tout cela remet au goût du jour un débat éculé. Celui entre « janvieristes » et « islamistes » ; entre « éradicateurs » et « réconciliateurs » ; entre militaires et Bouteflika… Une manière comme une autre de diluer les responsabilités et de contourner les problèmes. Le scandale Sonatrach et l’implication assumée des services de Renseignement et de la Sécurité a aussi conduit une grande partie de la classe politique à envisager la probabilité d’un conflit mis au grand jour par cette affaire… Le président ? En douze ans de règne, il a cumulé trois mandats, le
dernier en faisant fi de la Constitution, sans qu’il soit question à l’époque du poids de l’armée. Aujourd’hui, par le retour des « artisans » de Sant’Egidio et leur rapprochement avec l’entourage présidentiel, ce débat renaît de ses cendres quelque vingt ans plus tard. Après la Réconciliation nationale si chère à Bouteflika. Mais ce rapport de forces semble virtuel et dépassé face aux impératifs de bonne gouvernance, aux attentes de la jeunesse et aux enjeux de l’avenir. Karim Tabbou s’insurge toutefois contre l’idée d’une jonction entre Hocine Aït Ahmed et Bouteflika : « Je ne rentre pas dans ce débat. Nous appelons à un vrai changement de système, pas à un changement de personnes… » De son côté, lors d’une conférence de presse, Abdelhamid Mehri s’est également défendu de « ménager » le président, allant jusqu’à déclarer qu’il n’avait pas la prétention de « sauver » Abdelaziz Bouteflika, ni le système qu’il préside. Le sauver, peut-être pas. Mais lui faire gagner du temps, sans doute. Et c’est dans ce cadre que les jeux de pouvoir politiques se mettent en place… À quelques nuances près, les membres de l’Alliance présidentielle tiennent un discours similaire. Président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Bouguerra Soltani a profité d’une rencontre avec la jeunesse, à Chlef, pour déclarer que le changement est « inéluctable », selon un communiqué de l’agence officielle Algérie Presse Service (APS). Soltani a ajouté que ce changement pourrait intervenir « dans trois ou six mois, au plus tard dans un an » et qu’il devrait se faire dans un cadre de « concertation et de dialogue » entre les différents partenaires de la société. Une position assez inattendue et dont le timing a étonné.
Dans un entretien accordé à l’APS, Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, a estimé que les initiatives politiques des partis de l’opposition, des associations de la société civile et des personnalités politiques en faveur d’un changement pacifique « sont naturelles et reflètent la bonne santé et le pluralisme de la scène politique en Algérie ». Cette agitation politique donne une apparence de mouvement. Mais une apparence seulement… Elle confère surtout à Bouteflika le rôle d’un « arbitre » qui intervient ponctuellement, même par personnes interposées. Rumeurs . Aux revendications politiques, Abdelaziz Bouteflika répond par la levée de l’état d’urgence et son engagement à conduire des « réformes globales profondes ». Sans détail ni explication. Le président promet, s’engage, sans que rien ne filtre sur la teneur de ces changements. Alger vit donc au rythme des rumeurs. La presse relaie des informations relatives à des rencontres au sommet entre Bouteflika et les présidents des deux chambres du Parlement, ainsi que celui du Conseil constitutionnel. Et la rumeur d’évoquer aussitôt la possibilité d’une dissolution des assemblées populaires dans les communes et les wilayate, voire de l’Assemblée populaire nationale – la chambre basse du Parlement. À un moment où les partis politiques sont en butte à leurs propres capacités de mobilisation et au désintérêt des Algériens pour les scrutins, les analystes s’interrogent sur le bien-fondé d’une telle démarche. Le principal parti politique, le FLN, est déchiré par des clivages internes importants qui risquent de compromettre toute velléité électorale. Pris entre les guerres intestines que se livrent partisans et opposants de Belkhadem, les légalistes sont toujours majoritai-
Louafi Larbi / Reuters
ALGÉRIE POUVOIR
res au niveau de la base du FLN. À moins d’un miracle, Belkhadem ne serait donc pas en mesure de constituer une liste électorale, ni de mener le parti vers des élections anticipées. Abdelaziz Bouteflika ne pourrait alors plus s’appuyer sur un FLN au bord de l’implosion… Quant à l’assemblée que le président s’apprêterait à sacrifier, c’est celle-là même qui lui a offert la levée de la limitation des mandats présidentiels, une « surprésidentialisation » du régime et un troisième mandat à El-Mouradia. Difficile d’imaginer Abdelaziz Bouteflika se dédire à un tel niveau… Abdelaziz Belkhadem, quant à lui, a d’ailleurs repris l’idée d’une révision constitutionnelle en profondeur. Une Constitution que le président avait dénoncée dès 1999, sans y apporter de changements majeurs avant 2008 et son désir de briguer un troisième mandat. Dans ce marasme politique, ni les différents courants politiques ni
les alliances de l’opposition n’ont porté à leur compte les revendications sociales, économiques et politiques des diverses franges de la population. La rue ? Elle est imperméable aux spéculations, aux alliances et aux jeux politiques. De fait, Alger ressemble à une partition musicale où chacun s’efforce de placer ses notes. D’un côté, Abdelaziz Bouteflika et ses alliés veulent gagner du temps en utilisant la rente pétrolière pour apaiser la grogne sociale. De l’autre, une opposition divisée, avec des objectifs distincts – déclarés ou non –, espère faire entendre sa voix. Entre les deux, un peuple qui, dans sa grande majorité, continue à s’enliser dans ses problèmes. Même si opposition et pouvoir s’accordent à vouloir éviter un embrasement populaire. Les deux camps semblent ainsi se mobiliser pour éviter que la rue n’entre dans la partie. Avec, en chef d’orchestre, un président invisible qui a le plus à y gagner. Ou à y perdre… ■
RUE Opposition et pouvoir se mobilisent pour éviter que la rue n’entre dans la partie avec le risque d’un embrasement populaire
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Andrea Bruce / VII Network / Corbis
POUVOIR BAHREÏN
Un seul choix : la démocratisation Dépêchées par le Conseil de coopération du Golfe, les forces du « Bouclier de la Péninsule » ont préservé la monarchie. Mais les contestataires, plus radicaux que jamais, ne s’avouent pas vaincus. Par P. FAUCHART, Manama
PREMIÈRE Pour la première fois, Bahreïn a demandé l’aide d’une intervention militaire à ses partenaires du Conseil de coopération du Golfe
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D
imanche 13 mars au soir, alors que la nuit s’apprête à tomber, un convoi inédit parcourt les quelques kilomètres de la gigantesque chaussée du roi Fahd, qui relie le grand royaume d’Arabie Saoudite à la petite monarchie voisine de Bahreïn. Une centaine de véhicules blindés, à bord desquels ont embarqué un millier de soldats saoudiens et
quelque 500 policiers émiratis, traversent la frontière pour prêter assistance à cet État du Golfe en proie à des troubles grandissants depuis plus d’un mois. Pour la première fois, le gouvernement bahreïni a demandé à ses partenaires du Conseil de coopération du Golfe (CCG) d’activer le mécanisme baptisé « Bouclier de la Péninsule » qui,
jusque-là, n’a pas encore fait ses preuves. Riyad et Abou Dhabi ont rapidement réagi en envoyant des renforts armés sur place. Si un tel scénario – sans précédent dans la région – est en cours, c’est que la situation à Bahreïn s’est détériorée en l’espace de quelques jours. Et les autres monarchies de la région craignent le pire… Notamment du fait de ce
politiques. Il va même accéder à la majorité des revendications de l’opposition, tout en répétant que la seule issue possible est un retour à la table de négociations. Soucieux de donner des gages de confiance, le prince héritier arrache à son père la libération de plusieurs prisonniers politiques. Il autorise aussi le retour au pays de plusieurs opposants historiques exilés. Salman ben Hamad al-Khalifa occupe également les plateaux de télévision nationaux et internationaux, répétant inlassablement sa « disponibilité pour trouver une issue négociée », et s’excusant – fait inédit – pour les décès causés par les services de sécurité. Alors que tous les observateurs pariaient sur un essoufflement du mouvement de protestation et sur le début de négociations entre le pouvoir et l’opposition, cette dernière décide pourtant de revenir en force sur la place de la Perle… Pour la première fois surgissent alors des banderoles réclamant
le départ de la famille régnante Al-Khalifa. Dans le même temps, le bloc chiite annonce son retrait du Parlement. La tension est montée d’un cran… C’est alors que les autorités bahreïnies commencent à perdre le contrôle de certains quartiers de Manama. Surgies de nulle part, des milices entraînées rôdent de nuit comme de jour, attaquant les forces de sécurité. Plutôt que de réagir brutalement, le gouvernement se contente d’appeler au calme et à la négociation. Mais les chefs politiques chiites semblent perdre du terrain face à
MANIFESTATIONS Bahreïn vit depuis des années au rythme des manifestations de l’opposition, dont plusieurs centaines pour la seule année 2010
Désigné médiateur, r le prince héritier a proposé de vastes réformes politiques, accédant même à la majorité des revendications de l’opposition. En vain…
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CONCESSIONS
bras de fer quasi permanent qui les oppose à l’Iran au sujet de ce pays dont la population est chiite à plus de 65 %. D’abord pacifiques, les manifestations pour des réformes socio-économiques ont viré aux affrontements violents, durant lesquels les manifestants se sont radicalisés… La contestation au royaume de Bahreïn s’est intensifiée au début du mois de février dans le sillage des révolutions tunisienne, égyptienne puis libyenne. Mais estimer qu’il ne s’agit là que d’un simple effet domino serait un peu réducteur. En effet, Bahreïn vit depuis plusieurs années au rythme des manifestations de l’opposition – plusieurs centaines en 2010. L’État semblait pourtant habitué à gérer le dialogue avec les contestataires de manière plutôt intelligente pour mieux les absorber. Mais le printemps arabe, agissant comme un accélérateur, aura eu raison de la médiation qui avait cours jusqu’alors. Il a suffi que des centaines de manifestants chiites décident d’occuper l’emblématique place de la Perle, au centre de la capitale, Manama. Inacceptable pour les autorités, qui voient dans l’occupation de cette place un déficit d’image important pour un pays qui s’est tourné vers les services, notamment financiers, et qui ne peut donc accepter de voir son centre financier pris en otage. De l’impasse… Pour sortir de l’impasse, le roi, Hamad ben Issa al-Khalifa, va nommer comme médiateur son fils et prince héritier, Salman ben Hamad. Considéré comme un homme « neuf », respecté par l’opposition, ce quadragénaire formé aux États-Unis et en Grande-Bretagne est spécialisé dans les problématiques liées à l’éducation. Dès le lendemain de sa nomination, il va chercher à apaiser les tensions en proposant de vastes réformes
Hamad I Mohammed / Reuters
BAHREÏN POUVOIR
Hamad I Mohammed / Reuters
POUVOIR BAHREÏN
OPPOSANT À peine rentré de son exil à Beyrouth, Hassan Machaimaa a refusé la main tendue du prince héritier, appelant l’Iran et le Hezbollah libanais à intervenir à Bahreïn
IRAN En faisant basculer Bahreïn dans son giron, l’Iran compléterait le croissant chiite qui va de l’Irak au Liban, en passant par les pays du Golfe
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une base de militants travaillée par des éléments radicaux qui exigent l’abolition de la monarchie et l’établissement d’une république islamique. Par ses déclarations incendiaires, un nom commence à s’imposer sur la scène : Hassan Machaimaa. À peine rentré de son exil à Beyrouth, au bénéfice d’une grâce royale, il refuse la main tendue par le prince héritier. Il va même plus loin en appelant l’Iran et le Hezbollah libanais – avec lesquels il entretient des relations très poussées – à intervenir à Bahreïn… Ce qui rend d’autant plus complexe la possibilité de négociations entre les autorités et les contestataires. … à la confrontation. De fait, manifestations et sit-in tournent peu à peu à la désobéissance civile généralisée puis à la confrontation, notamment à travers le blocage du port financier de Bahreïn, qui est la première place financière de la région avec plus de 415 institutions financières installées à Manama.
Cette escalade menace sérieusement la stabilité du pays et les dirigeants du CCG prennent vite conscience que la partie qui se joue à Bahreïn est vitale. En effet, au-delà du conflit interne, la présence d’acteurs étrangers complique la situation. Tout report d’une intervention militaire aurait dès lors des conséquences néfastes sur la stabilité de chacun des cinq autres membres (Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar) de cette entité géographique. Car en tentant de faire basculer Bahreïn dans son giron, l’Iran risquerait de compléter le croissant chiite qui va de l’Irak au Liban, en passant par les pays du Golfe… Plus qu’un changement de régime politique ou une démocratisation, les manifestations à Bahreïn font cette fois craindre un probable accord caché avec Téhéran. Et les implications géostratégiques dépassent de loin le seul sort de Bahreïn… La réaction du CCG ne se fait donc pas attendre alors que, de
son côté, la diplomatie américaine – d’habitude si prompte à condamner les dirigeants des pays arabes – fait profil bas lorsqu’elle évoque le cas de Bahreïn. Car l’administration américaine sait que l’avenir de la région du Golfe se joue en partie dans ce petit État… Si l’un des pays de la région venait à passer sous influence iranienne, cela constituerait un précédent capable de remettre en cause les intérêts stratégiques des États-Unis. Après le choix d’un règlement de la crise par la force, le royaume de Bahreïn traverse l’un des moments les plus cruciaux de son histoire. Coincé entre un Iran de plus en plus « impérialiste » et des monarchies pétrolières confrontées à des contestations sociopolitiques qui émergent chaque jour davantage, Manama n’a plus guère qu’un seul choix : celui de la démocratisation. À condition que l’opposition chiite joue le jeu et accepte de décréter l’union sacrée pour mieux préserver l’unité nationale. ■
Pascal Rossignol / Reuters
POUVOIR MAROC
La bataille des réformes Le Maroc connaît, depuis le 20 février dernier, une mobilisation politique et sociale qui pourrait bien se poursuivre jusqu’à la concrétisation du projet de réformes constitutionnelles. Par P. FAUCHART, Rabat
L CONTESTATION Les manifestations du 20 mars dernier ont rassemblé 400 000 personnes, selon les organisateurs, et touché 60 villes
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a dernière manifestation qui s’est déroulée pacifiquement, le 20 mars dernier, a rassemblé environ 400 000 personnes, selon les organisateurs – pas plus de 15 000 selon les autorités –, et a touché 60 villes du royaume. Voilà qui montre qu’une partie de la société marocaine est bien déterminée à aller jusqu’au bout de ses revendications ; et que le pouvoir est convaincu de devoir lâcher du lest pour anticiper d’éventuelles protestations populaires qui risquent de faire tache d’huile, plaçant la monarchie sur le fil du rasoir… Les slogans
se sont cette fois concentrés sur l’appel à une bonne gouvernance, la limitation de la hausse des prix, l’amélioration du pouvoir d’achat et la libération des prisonniers politiques. Aucun excès n’a été enregistré tout au long des trois heures qu’ont duré ces manifestations. Même si certains ont appelé le roi, Mohammed VI, à se débarrasser de son conseiller financier, Mohamed Mounir Majidi – considéré comme le personage le plus corrompu du système –, et de son ancien conseiller politique Fouad Ali al-Himma, actuel leader du Parti authenticité
et modernité (PAM). Les manifestants accusent ce dernier, ami d’enfance du roi, d’abuser de la confiance du souverain pour faire croire aux Marocains que le parti qu’il dirige est lié au palais royal. En tout état de cause, la mobilisation initiée par le « Mouvement des jeunes du 20 février » et la réaction pacifiste des forces de l’ordre prouvent que le projet de réformes constitutionnelles a de fortes chances de voir le jour. Pour la première fois, l’organisation Human Rights Watch (HRW) a d’ailleurs indiqué que les auto-
les propositions émises par les partis politiques et les syndicats. Le 21 mars, leurs représentants ont ainsi rencontré Mohamed Moatassim, chargé du suivi de la concertation et de l’échange de points de vue sur le projet de réforme constitutionnel, et Abdellatif Menouni, président du comité consultatif pour la révision de la Constitution. L’objet de cette réunion était de mettre en place une feuille de route pour organiser le référendum populaire prévu pour le mois de juin prochain. Peut-on dire que le Maroc est aujourd’hui sur la bonne voie en ce qui concerne les réformes politiques ? Les analystes marocains estiment qu’il est encore prématuré d’aller dans ce sens, car les divergences restent de taille entre les différents courants de chaque parti politique, notamment ceux qui sont pris en considération par les « historiques » que sont le Parti de l’Istiqlal (PI) – au pouvoir – et son allié de l’Union socialiste des forces populaires (USFP).
Certains souhaitent s’impliquer davantage dans les manifestations pour ne pas laisser le champ libre au Mouvement du 20 février. Mais d’autres, les purs et durs, sont convaincus que ce mouvement va s’essouffler depuis que le roi a montré qu’il était prêt à faire des concessions. Un membre du bureau politique de l’USFP affirme quant à lui que, en faisant savoir qu’il était prêt à satisfaire les revendications de réformes constitutionnelles, Mohammed VI aurait surtout voulu gagner du temps et montrer à l’Occident qu’il était
DISCOURS Le roi Mohammed VI a répété dans son dernier discours que le peuple est seul à pouvoir décider de son avenir
Au Maroc, la corruption généralisée au sein de l’establishment est pointée du doigt par les manifestants
Avril 2011 Arabies I 39
CORRUPTION
rités s’étaient mieux contrôlées que les manifestants. La d i r e c t r i c e d e H RW p o u r l e Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Sarah Leah Whitson, a souligné que « les autorités marocaines ont respecté le droit des citoyens au rassemblement, à la protestation pacifique ». Selon les observateurs occidentaux présents à Casablanca, Rabat, Fès ou Al-Hoceima, cela ne peut que renforcer les positions du roi Mohammed VI, qui avait déjà répété dans son dernier discours que le peuple est seul à pouvoir décider de son avenir. D’ores et déjà, les pays occidentaux ont affiché leur satisfaction après que le roi a cautionné les revendications focalisées sur les réformes constitutionnelles et pris des initiatives pour mettre fin à la corruption généralisée de l’establishmentt marocain. Les États-Unis et l’Union européenne ont ainsi promis de soutenir ce pays allié afin qu’il puisse surmonter ses difficultés internes. Réformes constitutionnelles. Conseiller du roi, Mohamed Moatassim a laissé entendre que le souverain avait donné des consignes visant à recenser tous les slogans enregistrés lors des manifestations, pour les intégrer à la longue liste des revendications… Parmi ces slogans, l’appel à la création d’une monarchie constitutionnelle, la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. Même les revendications portant sur la dissolution du Parlement, la démission du gouvernement d’Abbas el-Fassi ou la libération des prisonniers salafistes auraient été intégrées au dossier des concertations à venir. Dès le lendemain de la dernière manifestation, le Comité royal auquel Mohammed VI a confié la préparation du projet de réforme de la Constitution a lancé des réunions pour entendre toutes
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MAROC POUVOIR
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POUVOIR MAROC
DIVERGENCES Les divergences restent de taille entre les différents courants de chaque parti politique, notamment ceux qui sont pris en considération par le Parti de l’Istiqlal au pouvoir et son allié de l’USFP
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démocrate et progressiste. Ce qui retirerait presque toutes les cartes des mains des protestataires. Comité d’experts. Après avoir confié les concertations officielles à un comité d’experts en matière de réformes constitutionnelles, il semble donc que le palais royal ait d’ores et déjà préparé, voire bouclé, certains des dossiers les plus sensibles. C’est que souligne Abdelwahed Radi, secrétaire général de l’USFP, qui est proche du palais. Ce dernier laisse entendre que le pouvoir marocain mise sur les surenchères qui pourraient émaner du mouvement Al Adl wal Ihsane – le parti islamiste radical de cheikh Yassine – et du Parti socialiste unifié (PSU) issu de
l’extrême gauche. En rehaussant le plafond des revendications, ces deux formations pourraient générer une scission au sein du front uni qui espère s’imposer comme force incontournable avec laquelle la monarchie doit négocier. En marge du Forum France-Maroc qui s’est tenu à Paris le 23 mars dernier, certains analystes des banques d’affaires européennes et différentes personnalités du monde politique et économique estimaient que le royaume avait réussi à anticiper les événements socio-économiques qui ont touché la région du Maghreb. La création d’un fonds socio-économique pour faire face à
toutes les éventualités et la subvention à hauteur de 40 % des produits de première nécessité – bien avant l’explosion de la situation en Tunisie – ont aidé à absorber le premier choc. Quant aux autres mesures prises par la suite, elles ont aidé à maîtriser l’inflation et à limiter la hausse des prix de certains produits. Le décollage de la Bourse de Casablanca, depuis le début de l’année 2011, et la hausse des revenus du secteur touristique (17 % pour les deux premiers mois de l’exercice en cours) sont d’autres indices encourageants. Voilà qui devrait consolider les positions du gouvernement et accompagner positivement sa politique d’anticipation dans les domaines socio-économiques. Et qui devrait permettre de faire face aux critiques émanant des contestataires. Le Forum organisé à Paris s’apparentait, selon les observateurs, à une manifestation du soutien franççais accordé au Maroc. Comme les États-Unis, la France tient à tenir ce pays allié loin des turbulences qui envahissent le monde arabe. La sauvegarde de la stabilité politique du Maroc passe, en premier lieu, par la préservation de sa stabilité économique. D’où la mobilisation affichée par les grands groupes et investisseurs français lors de ce Forum. Quoi qu’il en soit, la bataille des réformes fait déjà rage au Maroc. Plus que quiconque, le roi Mohammed VI est conscient de l’importance et de la gravité des enjeux. Surtout si le Comité royal devait échouer à trouver un terrain d’entente avec les forces représentatives du paysage politique marocain. En d’autres termes, il s’agit de répondre concrètement à une partie des revendications qui, de l’avis des spécialistes, n’iront certainement pas jusqu’à vouloir imposer une monarchie constitutionnelle. ■
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POUVOIR ALGÉRIE
Décisions et des scissions Si le vent de la révolte ne souffle que timidement sur l’Algérie, le ton monte dans l’opposition malgré les décisions sociales adoptées dans l’urgence pour lutter contre la précarité socio-économique… Par Saïd KHATIBI
A
ÉTAT D’URGENCE Le gouvernement a annoncé la levée de l’état d’urgence, instauré depuis dix-neuf ans pour lutter contre la guérilla islamiste
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u moment où la Tunisie franchit une nouvelle étape, après la chute du régime de Ben Ali, et où l’Égypte a poussé Hosni Moubarak à démissionner, le gouvernement algérien envisage un scénario presque identique. Ainsi, les mesures visant à apaiser la tension et à gagner la confiance de la population se poursuivent, à l’image de ce nouveau décret qui consiste à
exempter tous les hommes de plus de 30 ans du service militaire. Les dernières sorties médiatiques des différents ministres vont aussi dans ce sens, qui promettent un coup de pouce au développement local, une amélioration des services de première nécessité et un renforcement du pouvoir d’achat. Tayeb Louh, ministre du Travail, avance ainsi la création de trois millions d’emplois d’ici à 2014… Au profit des jeu-
nes chômeurs, on annonce aussi la mise en place d’un fonds qui pourrait octroyer des microcrédits allant jusqu’à 100 millions de centimes. Quant à Noureddine Moussa, ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, il met en avant un programme additionnel de 50 000 logements promotionnels qui sera mis en œuvre cette année à l’intention des jeunes. Les deux tentatives de marche pacifique au cœur de la capitale,
Banque mondiale (BM), trois diplômés de moins de 30 ans sur quatre sont des chômeurs. Et sur les 120 000 diplômés algériens qui quittent chaque année les bancs de l’université, 50 000 se retrouvent sans travail. Tout cela en sus d’un taux d’analphabétisme qui avoisine 20 % pour une population de 36 millions d’habitants… Depuis la fin du mois de décembre 2010, la diplomatie algérienne semble en tout cas moins intéressée par les différents bouleversements politiques qui touchent les pays voisins. Le 26 décembre, alors que Sidi Bouzid est en état de siège, l’ancien Premier ministre tunisien, Mohamed Ghannouchi, arrive à Alger dans le cadre d’une visite officielle d’une journée. Il doit coprésider la 18e session de la Grande Commission mixte algéro-tunisienne. Face à la presse, Ghannouchi ne dit pas un mot sur la révolution
qui va pousser l’ex-président Zine el-Abidine Ben Ali à fuir le pays… De leur côté, les officiels algériens mettront beaucoup de temps à réagir, de façon assez vague… Deux semaines après la chute du régime Benaliste, le ministre algérien des Affaires étrangères, Mourad Medelci, déclare ainsi : « L’Algérie entretient des relations historiques avec la Tunisie. Et elle respecte les peuples et les gouvernements qui sont l’émanation de ces peuples. » ■
BEZZEF Apparu récemment sur les réseaux sociaux, ce groupe qui milite pour un changement démocratique affiche plus de 1 800 membres
Les trois quarts des diplômés algériens de moins de 30 ans sont des chômeurs et sur les 120 000 nouveaux diplômés qui sortent chaque année, 50 000 se retrouvent sans travail
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DIPLÔMÉS
initiées par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), ont été réprimées par les forces de l’ordre. Ils ont aussi conduit en partie à la division de la CNCD en deux branches divergentes… Mais le malaise social existe et les gens, aspirant à un changement concret, font de moins en moins confiance aux politiciens… « Le changement est inévitable. Le monde, pas seulement l’Algérie, est en perpétuelle mutation. La chose la plus fatale est le changement », explique Mohamed Achir, professeur d’économie à l’université de Tizi Ouzou. Réseaux sociaux. À l’instar de leurs homologues dans plusieurs pays arabes, les réseaux sociaux, notamment Facebook, représentent des espaces de mobilisation et d’échange très fréquentés par les jeunes Algériens. Des groupes ont vu le jour dans le but de contester la négligence g et l’injustice sociale. À l’image du groupe Bezzef (Assez !) qui réunit des journalistes et des intellectuels algériens, affichant plus de 1 800 membres militant pour un changement démocratique. Cofondateur de Bezzef, Kader Fares Affak, comédien et architecte de formation, pense que « la levée de l’état d’urgence, loin d’être une réponse aux revendications du mouvement contestataire, est une manœuvre pour contrarier le développement de la mobilisation et de l’activité démocratique ». Et d’ajouter que « c’est en s’inspirant des expériences passées, échecs et réussites comprises, que la société doit trouver les formes qui permettront la réalisation de ses aspirations ». L’Algérie est donc prise dans un tunnel avec, d’une part, un discours officiel où s’enchaînent les décisions promettant une vie meilleure et, d’autre part, une réalité socio-économique précaire. Selon le rapport 2010 de la
Mohamed Kadri / Corbis
ALGÉRIE POUVOIR
AVOIR POINT DE VUE
Remise en question des valeurs et des certitudes Par Florence KLEIN-BOURDON est fragile. Ce tremblement de terre – suivi de ce terrible tsunami – entraîne des conséquences humaines épouvantables. Y compris cette menace nucléaire qui amène tous les pays dotés de centrales à repenser leur modèle et leurs équipements. Cette source efficace d’énergie, qui assure une certaine indépendance énergétique aux pays non producteurs, se rappelle à notre souvenir comme un danger monstrueux et terrifiant. Le choix est difficile. D’un côté, une énergie peu chère et sans émission de CO2 ; de l’autre, un pétrole dont la dimension géopolitique est avérée et souvent douloureuse pour ceux qui n’en produisent pas… Mais l’angoisse née de ce qui se passe au Japon provoque une prise de conscience au sein des pays équipés de centrales. En France, par exemple – où 80 % de l’électricité est d’origine nucléaire –, le gouvernement vient de lancer un plan de révision et de contrôle de l’ensemble de ses centrales. En Allemagne, Angela Merkel a décidé l’arrêt immédiat des sept centrales les plus anciennes. Quant à Barack Obama, qui faisait du développement nucléaire une des priorités de son mandat pour faire face à la demande croissante d’électricité, ses projets risquent d’être ralentis, voire supprimés. Et c’est sans parler de la Chine – très dépendante de l’extérieur –, de la Corée du Sud, ni même des pays producteurs comme les Émirats arabes unis qui envisageaient de s’équiper de centrales de dernière génération. Mais quel paradoxe que ce souhait d’indépendance énergétique face aux crises à
Éditorialiste économique
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Photo / D.R
C
omme il est difficile d’évoluer et de s’adapter aux événements de ce début de millénaire, tant le monde change. On a l’impression d’assister à une accélération vertigineuse de l’Histoire, où tout s’enchaîne avec une violence inouïe. Tout cela ébranle nos certitudes, ainsi que nos repères économiques, sociaux, culturels et philosophiques. Après les attaques terroristes et deux guerres non résolues en Afghanistan et en Irak, c’est la crise économique qui a touché de plein fouet le monde occidental. Les grandes institutions bancaires et les fondements même du capitalisme sont remis en question, alors que le G20 n’en finit plus d’essayer de trouver des solutions en tentant d’établir de nouvelles règles, sorte de garde-fous universels. En vain… L’Europe a bien du mal à sortir de ses déficits et l’Amérique a vacillé à plusieurs reprises. Tandis que les puissances occidentales s’affaiblissent, les forces émergentes prennent inexorablement le dessus. Mais rien n’est écrit, rien n’est certain. À l’image de ce que nous avons vécu ces trois dernières années, tout peut basculer très rapidement. Et puis, qui sommes-nous face aux forces de la nature ? L’homme, malgré son intelligence et ses avancées technologiques, ne peut toujours ni prévoir ni changer le cours des catastrophes naturelles ; il peut, au mieux, en atténuer les effets. Cela nous replace dans une dimension inquiétante où nous ne maîtrisons pas grand-chose. C’est dur à accepter et pourtant, nous devons nous rendre à l’évidence. L’horrible catastrophe qui a touché le Japon montre à quel point notre équilibre
répétition du pétrole – notamment celle née des tensions de ces trois derniers mois dans les pays arabes, qui ont amené une flambée du prix du baril – dans ce monde interdépendant où le moindre changement a des répercussions planétaires et dans lequel nos destins semblent liés. Que faire sinon avancer, continuer à inventer, à innover et, surtout, à réfléchir. Car nous sommes si désemparés face à ces crises multiples dont les conséquences humaines sont terribles. L’impact économique pose lui aussi de terribles interrogations : Quelle énergie pour demain ? Quel développement afin de préserver un équilibre qui soit respectueux de tous les humains ? Quelle organisation ? Quel type de contrôle ? La Chine, par l’intermédiaire de son Premier ministre, Wen Ja-bao, vient de déclarer au cours de la réunion annuelle de l’Assemblée nationale du peuple que les prochaines années seraient consacrées au droit au bonheur et au respect de l’environnement. La voix de la sagesse ou de la raison ? Les revendications des populations arabes auxquelles nous assistons depuis trois mois ont les mêmes bases : volonté d’accéder à une vie meilleure pour eux-mêmes et leurs enfants, désir d’intégrer cette grande communauté mondiale telle qu’on la voit dans les médias. Où est la vérité et quel est le bon modèle de développement ? Difficile de trouver la bonne réponse… En un siècle, la plupart des pays ont vécu des régimes politiques si différents, des décolonisations, des guerres, des crises économiques, des mutations technologiques sans précédent… Sans parler des catastrophes naturelles dont la résonance est maintenant planétaire. Devons-nous apprendre à relativiser ou devons-nous baisser la tête et accepter la fatalité ? Notre monde et sa civilisation sont en pleine mutation économique et politique. Nul doute que nous essaierons de nous adapter, mais la tâche est difficile et, surtout, terriblement angoissante. ■
Photos / D.R
AVOIR ARABIES ÉCO
TUNISIE Un effet libyen En sus de la situation économique difficile générée par la destitution de l’ancien régime, le nouveau Premier ministre tunisien, Beji Caïd Essebsi, va devoir gérer les répercussions des événements libyens. En effet, les économistes
EAU Programme Offset, le point L’unité d’industrialisation auprès du Bureau d’équilibre économique émirien a indiqué avoir déjà réalisé 50 projets entre le lancement du Programme Offset (1992) et la fin de 2010. Soit un chiffre d’affaires de 6 milliards de dirhams (1,65 milliard de dollars). Ce résultat a été révélé en marge du Congrès international d’Abou Dhabi sur l’offset (principe de compensation) – dont le thème était « l’Avenir des partenariats industriels » –, qui a été inauguré le 16 février 2011 sous le haut patronage du prince héritier de l’émirat, cheikh Mohamed ben Zayed al-Nahyane. Par ailleurs, le Bureau a reçu de certaines sociétés internationales d’exportation d’armement des études portant sur la réalisation de dix nouveaux projets aux Émirats arabes unis (EAU) dans le cadre du Programme Offset. Ces projets industriels
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tunisiens craignent sérieusement les conséquences de l’arrêt quasi total des échanges commerciaux entre les deux pays, sans oublier l’afflux de dizaines de milliers de Tunisiens qui travaillent habituellement en Libye. Un exode qui devrait grossir les rangs des chômeurs, en nombre croissant
de défense portent notamment sur les chars, les composants d’avions et les équipements dits « sensibles ». Voilà qui devrait partiellement assurer les besoins des forces armées de l’État fédéral en plus de dynamiser les exportations. Sans oublier la participation aux projets de développement et de services qui entrent dans le cadre de la diversification de l’économie du pays. MAROC Tourisme à la hausse Les révolutions en Tunisie et en Égypte ont nettement profité au secteur touristique marocain. Depuis plus de deux mois, ce dernier connaît une hausse considérable du nombre de touristes étrangers, qui affluent
depuis deux mois. De fait, il est fort probable que les agences de notation internationales spécialisées optent une nouvelle fois pour une baisse d’indice de la Tunisie. Tout cela au moment où les institutions financières prévoient déjà une chute du taux de croissance de l’économie, qui devrait tomber de 5 % à 3 % en 2011, pour peu que le redressement souhaité soit effectif. Ce qui est certain, c’est que l’économie tunisienne sera le grand perdant des événements en Libye. Outre le manque à gagner lié aux échanges commerciaux, le tourisme devrait voir baisser ses revenus en devises tandis que la Tunisie ne pourra plus compter sur les investissements publics et privés de son voisin.
notamment vers Agadir, Marrakech et Casablanca. Selon les statistiques publiées par le ministère concerné, plus d’un million de touristes ont visité le Maroc durant le mois de janvier 2011, soit 18 % de plus qu’en 2010 à la même période. La moitié de ces touristes sont arrivés via l’aéroport international Mohamed V de Casablanca. En un mois, les revenus touristiques ont ainsi atteint un montant de 470 millions de dollars, soit une hausse de l’ordre de 10 %. Cela représente la meilleure recette depuis le début de la crise financière internationale, en septembre 2009. L’Office national du tourisme marocain (ONTM) prévoit en outre une consolidation de cet afflux touristique, au moins jusqu’au premier semes-
tre 2011. Une prévision notamment due au fait que les agences de voyage et les opérateurs ont transféré un nombre important de leurs offres touristiques en Méditerranée vers l’Espagne, la Turquie et le Maroc. De sources proches du ministère du Tourisme, on apprend aussi la mise en place d’une vaste campagne de sensibilisation auprès des touristes habitués à se rendre en Tunisie et en Égypte. ALGÉRIE La loi des 51/49 maintenue Le ministre de l’Industrie, des PME et de la Promotion des investissements, Mohamed Benmeradi, a affirmé que l’Algérie ne reviendra finalement pas sur le principe qui garantit 51 % des actions aux entreprises algériennes dans tout projet mixte. Néanmoins, les partenaires étrangers auront un droit de gestion sur l’ensemble dudit projet. Pour rappel, le gouvernement algérien avait introduit, en 2010, des modifications strictes sur la loi d’investissement après avoir découvert des fuites de capitaux vers l’étranger, à hauteur de 50 milliards de dollars. Des fuites liées à des contrats signés avec les sociétés étrangères, plus particulièrement dans les domaines de l’énergie, du transport, du commerce extérieur et de la réhabilitation des ports et aéroports. De plus, le gouvernement algérien avait imposé aux entreprises étrangères de réinvestir une partie importante de leurs bénéfices en Algérie. Des sources concordantes à Alger associent ces rumeurs d’une révision de la loi des 51 %/49 % sur l’investissement à l’annonce des manifestations programmées par l’opposition.
AVOIR SOCIÉTÉS
Photos / D.R
comme ceux des pays émergents. Parallèlement, la société produit des médicaments qui ne portent pas sa marque, ce qui augmente son chiffre d’affaires annuel de 10 %. La majorité de ces opérations est réalisée aux États-Unis, en Égypte en Algérie et en Arabie Saoudite. Soit dans des pays à forte densité démographique.
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ÉNERGIE Sonatrach avance Lors de la présentation des résultats de la Sonatrach en 2010, son P-DG, Nordine Cherouati, a indiqué que les prévisions d’investissements en Algérie pour 2011 étaient de 17,2 milliards de dollars. Toutefois, on ne sait pas si ce montant comprend les seuls investissements de l’entreprise ou s’ils incluent les autres acteurs pétroliers en Algérie… Pour 2011, le secteur amont se taillerait une fois de plus la part du lion en bénéficiant de 71 % de l’investissement total. Les 29 % restant seraient répartis entre l’aval (22 %), le transport par canalisations (5 %) et les dépenses pour les structures des sièges (2 %). Parallèlement, Cherouati a souligné que 29 nouvelles sources d’hydrocarbures avaient été découvertes en Algérie l’an dernier, contre 16 en 2009. La compagnie nationale ayant été à l’origine de toutes ces découvertes, elle détient l’intégralité des permis d’exploitation. PHARMACEUTIQUE Percées d’Al-Hikma Fleuron de l’industrie pharmaceutique jordanienne, Al-Hikma s’apprête à investir 600 millions de dollars en 2011 pour acquérir des parts dans des
laboratoires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Son objectif est de consolider ses positions et de renforcer son leadership dans ce domaine. La société tente ainsi d’effectuer de nouvelles percées dans des pays arabes tels que le Maroc et la Syrie, mais aussi en Turquie, pour descendre plus loin au sud et toucher notamment l’Est et l’Ouest de l’Afrique. Grâce à ses ventes, Al-Hikma est considérée comme le plus important de tous les laboratoires pharmaceutiques régionaux. Bien qu’elle soit présente dans plus de 40 pays y et qu’elle exporte vers les États-Unis et l’Union européenne, Al-Hikma a décidé de se concentrer davantage sur ses marchés traditionnels,
Dreamstime
AÉRONAUTIQUE MEA dans la Sky Team La compagnie aérienne nationale libanaise, Middle East Airlines (MEA), a rejoint au sein de l’alliance Sky Team son associé Air France. Cette adhésion devrait permettre aux « Ailes du Cèdre » de toucher 898 destinations dans 169 pays. En vertu de cet accord, MEA sera officiellement membre de Sky Team en 2012, devenant la seconde compagnie du Moyen-Orient à agir en ce sens. Le P-DG de la compagnie, Mohamed al-Hout, a indiqué que cette décision d’intégrer l’alliance était liée aux changements en cours dans le monde de l’aéronautique et à la concurrence grandissante au niveau des transporteurs aériens internationaux. Al-Hout estime par ailleurs que cette adhésion va permettre à MEA d’augmenter progressivement ses revenus de 10 % à 15 % sur les quatre prochaines années. En 2012, Middle East Airlines devrait donc profiter des activités élargies de Sky Team en Asie, en Amérique du Nord et en Amérique latine. Ce nouveau contexte devrait également lui assurer plus d’ouvertures sur le Moyen-Orient et l’Afrique. Rappelons que Sky Team assure quotidiennement quelque 13 000 vols.
TÉLÉCOMS Inwi s’impose Lors de la présentation du bilan de sa société, le directeur général d’Inwi, Frédéric Debord, a indiqué que le chiffre d’affaires avait augmenté de 38 % pour s’afficher à 3,7 milliards de dirhams. Un an seulement après le lancement de la marque, Inwi représente ainsi 12,5 % du chiffre d’affaires global du marché des télécoms au Maroc. Le management relie cette réussite à Bayn (fixe) et HDM (Internet 3G), deux segments d’Inwi qui ont vu leurs activités progresser respectivement de 27 % et 32 %. Les investissements engagés jusqu’en 2010, qui s’élèvent à 11 milliards de dirhams, ont donc commencé à porter leurs fruits, notamment avec le lancement du troisième opérateur GSM. Selon Frédéric Debord, un nouvel investissement de 1,1 milliard de dirhams est prévu en 2011, notamment pour déployer plus de 600 nouveaux sites GSM. À moyen terme, Inwi vise 15 % de parts sur le marché du mobile, contrôlé par Maroc Télécom avec plus de 50 % des parts. L’exercice en cours s’annonce donc capital pour les trois opérateurs télécoms du marché marocain : Itissalat Al-Maghrib (Maroc Télécom), Méditel et Inwi.
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Photos / D.R
TUNISIE Ridha ben Mosbah Ridha ben Mosbah a été nommé P-DG de la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg). Il succède à Othman
ben Arfa, qui part à la retraite. Ridha ben Mosbah (57 ans) a notamment été président de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) et du Groupe chimique de Tunisie (GCT). Il a également exercé auprès du gouvernement les fonctions de secrétaire d’État à l’Industrie, puis à la Recherche scientifique, avant de devenir ministre du Commerce et de l’Artisanat en 2009. Ben Mosbah est par ailleurs titulaire du diplôme d’ingénieur civil des mines et du certificat en analyses de projets industriels de l’Institut de développement économique de la Banque mondiale. Bien que nommé ministre par l’ancien président, Ben Ali, Ben Mosbah n’a pas adhéré au Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) et n’a jamais été proche des cercles du pouvoir. Son parcours est dû avant tout à ses compétences professionnelles et aux bons résultats obtenus partout où il est passé. Ridha ben Mosbah a été l’un des rares commis de l’État tunisien dont le nom n’a pas été contesté par les différentes forces qui insistaient, ces derniers mois, pour écarter tous les ministres et hauts fonctionnaires qui ont accompagné le pouvoir déchu.
LIBYE Farhat Omar Bengdara Le gouverneur de la Banque centrale de Libye (CBL), Farhat Omar Bengdara, aurait rallié Dubaï le 22 février dernier en raison des événements qui secouent son pays avant de réapparaître en Turquie au début de mars… De fait, il a été remplacé « provisoirement » par le ministre des Finances, Mahmoud Abdel Hafiz Zlitni. Après avoir annoncé ce changement, le porte-parole du gouvernement libyen a justifié cette mesure par le fait qu’il y a des « opérations bancaires spéciales » à superviser, ce que Farhat Bengdara et son adjoint ne peuvent faire puisqu’ils n’ont pas le titre de ministre. Le gouverneur déchu conteste déjà ce changement, qu’il considère comme illégal dans la mesure où une telle décision ne peut être prise que par le Parlement. Selon des sources concordantes à Tripoli, la décision de remplacer Bengdara aurait été prise du
fait que ce dernier est originaire de Benghazi, foyer principal de la rébellion. Le régime aurait ainsi craint que Bengdara puisse rejoindre les contestataires et ne les aide à se procurer des documents compromettants pour le régime du colonel Kadhafi. Certains observateurs en doutent toutefois, et soulignent que Bengdara est très proche des Comités révolutionnaires, soupapes de sécurité du pouvoir.
IRAK Hussein Shahrestani Hussein Shahrestani, ancien ministre du Pétrole et actuel
vice-Premier ministre pour les Affaires pétrolières ne laisse passer aucune occasion de montrer qu’il est seul maître à bord du secteur irakien des hydrocarbures. Ainsi vient-il de démentir certains propos que le Premier ministre, Nouri al-Maliki, a tenus à l’Agence France-Presse (AFP). Selon ces déclarations, le gouvernement central serait prêt à valider les contrats portant sur le partage de la production, contrats signés par le gouvernement régional du Kurdistan avec des compagnies pétrolières étrangères. Mais, dès le lendemain, Shahrestani a affirmé que les propos de Nouri al-Maliki avaient été mal interprétés et qu’il n’était pas question que le ministère du Pétrole accepte le principe de partage… Tous les contrats avec les compagnies étrangères, y compris ceux qui émanent des deux appels d’offres pétroliers, portaient uniquement sur le développement des champs. Au grand étonnement des observateurs, le Premier ministre n’a pas répondu au démenti de son adjoint pour les Affaires pétrolières. Ce qui tendrait à renforcer l’idée selon laquelle Hussein Shahrestani reste bienseul maître à bord en ce qui concerne ce secteur.
ARABIE SAOUDITE Ibrahim al-Assaf Alors même que la vague de protestations bat son plein dans le monde arabe, Ibrahim al-Assaf, ministre saoudien des Finances, a affirmé que la situation financière et économique du royaume est stable. Il a tenu à préciser que, malgré les grandes tensions régionales, les revenus attendus à la fin de l’exercice en cours tendent nettement vers la hausse. Dans cette allocution – à l’occasion de l’inauguration du Forum économique saoudien, qui s’est tenu à Riyad au début de mars –, Ibrahim al-Assaf a insisté sur le fait que l’Arabie Saoudite possède la plus importante économie du
monde arabe. D’autant qu’elle demeure isolée de la vague de protestations populaires qui frappe bon nombre des pays de la région. En marge de cette déclaration, Al-Assaf a indiqué qu’il n’y aura pas des répercussions négatives sur l’économie saoudienne. Pour rappel, l’Arabie Saoudite est le plus grand exportateur mondial de pétrole et le siège du plus important marché d’actions dans le monde arabe. Le ministre saoudien des Finances a aussi précisé que le gouvernement avait d’ores et déjà pris des dispositions pour faire face à toutes les conséquences d’une éventuelle aggravation des « turbulences ». Al-Assaf faisait ainsi allusion au royaume de Bahreïn, au sultanat d’Oman et au Yémen.
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Louafi Larbi / Reuters
AVOIR ALGÉRIE
Le Monde à Paris accueille l’Algérie Après Berlin, Barcelone et Milan, l’Algérie a continué d’assurer la promotion de ses produits touristiques en France pour Le Monde à Paris (MAP), salon qui s’est tenu du 17 au 20 mars dernier. Par Hakima KERNANE
TOURISMES Le marché algérien est très varié entre tourisme saharien, balnéaire, thermal, culturel et d’affaires
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lacé sous l’égide de l’Office national du tourisme (ONT), le stand algérien occupait un espace de 100 mètres carrés, décoré aux couleurs des paysages de sites historiques du patrimoine algérien. Des opérateurs du secteur touristi-
que comme les agences de voyages et les organismes chargés de la gestion du tourisme étaient présents pour accueillir le public et l’informer des produits touristiques proposés par le marché algérien : tourisme saharien, balnéaire, thermal,
culturel et d’affaires. Des produits artisanaux (tenues vestimentaires traditionnelles et musique folklorique) étaient également exposés pour séduire le public français. « L’ambition de l’Algérie est d’avoir plus de visibilité à l’étran-
ALGÉRIE AVOIR
ger », a déclaré Ahmed Bouchedjira, directeur général de l’ONT algérien. Pour atteindre cet objectif, l’Office mène des campagnes de promotion en organisant et en visitant des salons nationaux et internationaux. Il édite aussi des ouvrages dans le but de populariser l’histoire et le patrimoine du pays sous toutes leurs formes. Selon les experts rencontrés sur place, l’Algérie suscite un intérêt certain auprès des visiteurs et des professionnels du secteur touristique. À commencer par le marché du tourisme français vers l’Algérie, qui est particulier. Il s’agit, en général, de séjours organisés pour rendre visite à la famille et aux amis. Pour drainer plus de touristes, la stratégie de l’Office national du tourisme se définit par la mise en œuvre d’une politique de communication et d’information visant à faire découvrir les divers potentiels du pays. Pour répondre à une attente qui semble grandissante, il est également question d’établir des relations de partenariat et d’affaires dans toutes les branches liées au secteur touristique. L’Algérie espère surtout y trouver une alternative aux hydrocarbures, dont le pays est bien trop dépendant. Mais le manque d’infrastructures est pénalisant et vient s’ajouter à une image ternie par les années de terrorisme. Même si ce dernier cliché tend à se dissiper peu à peu. Néanmoins, les institutions publiques sont confiantes et assurent pouvoir faire de l’Algérie une authentique destination touristique dans les prochaines années. On enregistre d’ailleurs une progression positive de la fréquentation touristique. En 2010, le nombre de visiteurs a ainsi augmenté de 8,32 % par rapport à l’année précédente. Et si 57,53 % de ces touristes ont visité le pays pour les loisirs et la détente, 41,02 % étaient là pour le tourisme d’affaires. Un vrai bon signe…
Interview : Ahmed Bouchedjira, Directeur général de l’ONT Pourriez-vous nous dire un mot sur votre participation au salon Le Monde à Paris 2011 ? La participation de l’Algérie au MAP s’articule autour du repositionnement de la destination Algérie. Nous sommes dans une phase qui consiste à mettre en œuvre une stratégie marketing qui puisse cibler plusieurs marchés européens. Nous étions ainsi présents à Berlin, Milan et Madrid. Le salon de Paris fait partie des événements que nous avons retenus pour promouvoir l’Algérie en tant que destination touristique. Le marché européen est un marché de première importance, auprès duquel nous devons faire valoir le potentiel touristique algérien. Ce processus vous semble-t-il en bonne voie ? Des opérateurs touristiques – agences de voyages et représentants du secteur hôtelier – sont déjà venus nous proposer leurs produits pour la saison estivale 2011. Mais nous avons également axé notre stratégie de promotion sur ce produit d’appel qu’est le tourisme saharien. Avez-vous fait des efforts particuliers pour sortir des rangs de ce MAP 2011 ? Vous avez dû constater que la conception de notre stand est en
adéquation avec l’architecture de nos sites historiques classés par l’Unesco. Nous avons aussi programmé des animations et une présentation de notre artisanat traditionnel pour donner une idée de notre patrimoine culturel. Nous avons constaté une affluence importante sur le stand… Effectivement, les visites ont été très satisfaisantes dès l’ouverture. Il y a un intérêt certain de la part des journalistes et du public. Cela s’explique par les actions que nous avons menées. La diversité de notre potentiel touristique est aujourd’hui un peu plus visible. Quelle stratégie comptez-vous adopter pour la prochaine saison estivale ? Notre campagne a déjà commencé. Pour l’occasion, nous allons organiser la XIIe édition du Salon international du tourisme, en mai 2011, afin de permettre aux Algériens de préparer leurs vacances d’été. C’est une stratégie nouvelle, mise en place par le ministère du Tourisme pour accentuer les efforts dans la relance du tourisme algérien. Nous orientons également nos actions vers le développement du tourisme domestique en montrant à nos concitoyens les énormes potentialités de notre pays. ■
PROGRESSION Le nombre de touristes qui ont visité l’Algérie a augmenté de 8,32 % en 2010. 57,53 % d’entre eux sont venus pour les loisirs et 41,02 % pour les affaires
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AVOIR TUNISIE
Investissements, la bonne affaire ? Au moment où la Tunisie amorce sa reconstruction, de nouveaux investisseurs étrangers pourraient supplanter les partenaires historiques que sont la France et l’Italie. État des lieux… Par Véronique NARAME
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PROMOTION Dirigé par Noureddine Zekri, directeur général, Fipa-Tunisia contribue à promouvoir les investissements en soutenant les partenaires étrangers
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n Tunisie, le développement économique se poursuit, nonobstant les bouleversements qui interviennent après tant d’années de gestion autocratique des affaires. Fipa-Tunisia, l’agence de promotion de l’investissement extérieur, contribue à la promotion des investissements en apportant son appui aux partenaires étrangers. À sa tête, le directeur général, Noureddine Zekri, remplace depuis février dernier Mongia Khemiri, qui s’ac-
tive maintenant à restaurer le climat d’affaires en dépit des gros dégâts et dysfonctionnements qui ont été à déplorer durant les affrontements du mois de janvier. « La grande majorité des entreprises retrouve déjà son rythme normal. Les projets en cours de réalisation – aussi bien les extensions que les nouvelles créations – continuent leur progression. L’ensemble des lois et accords qui régissent l’investissement, local et étranger, est toujours d’actualité. Les insti-
tutions de soutien sont opérationnelles, tout comme Fipa-Tunisia qui est toujours présente pour vous assister et répondre à toutes vos interrogations », confirme-t-elle. Les activités des 3 100 entreprises étrangères implantées sur le sol tunisien se poursuivent dans la filière aéronautique, dans celle des Industries mécanique, électrique et électronique (IMEE), dans les métiers du textile ou dans le secteur des services aux entreprises. L’usine Aerolia, filiale de la
À Tunis, la place du 7-Novembre, qui abrite le siège de la Banque de Tunisie, a été rebaptisée place du 14-Janvier 2011.
et Tunis, il a avoisiné les 3 milliards d’euros en 2010. La Belgique et la Suisse progressent aussi de façon notable, tout comme le Luxembourg, l’Espagne et le Portugal. L’Union européenne est ainsi devenue le premier partenaire industriel et client de la Tunisie. 80 % des exportations industrielles du pays lui sont dédiées. Pour autant, les partenariats s’intensifient avec les pays du Maghreb, la Turquie et les Émirats arabes unis tandis que Fipa-Tunisia cherche à accroître ses échanges avec l’Asie. Cette année, ce sont 200 nouveaux projets qui vont d’ores et déjà être exécutés. Parmi eux, ceux portés par Fidelity Invest, qui a déjà créé quelque 380 postes depuis le démarrage du projet en 2010 et qui a planifié la création de 2 000 emplois hautement qualifiés. De leur côté, Microsoft et Cisco entérinent leur développement sur le territoire avec des programmes de logiciels et du conseil qui fournissent in fine du travail à des ingénieurs et cadres supérieurs. Bien d’autres secteurs drainent des IDE. Depuis quarante ans que la Tunisie s’est insérée dans l’économie internationale, elle a faci-
lité l’implantation de nombreuses entreprises étrangères et a pu diversifier la gamme de ses activités économiques. Elle a raffermi sa position sur la rive sud de la Méditerranée, sur le continent africain et au sein du monde arabe. « Les exportations ont connu une hausse de 2,4 % en 2010. Des secteurs comme le textile et l’habillement, ainsi que les industries mécanique et électrique, affichent de bons scores. Les importations, qui suivent la même courbe ascendante, sont en augmentation de 4,8 % », confirme Hakim ben Hammouda, économiste et directeur de l’Institut de formation et de la division de la coopération technique à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
IMPORT-EXPORT En 2010, les exportations ont connu une hausse de 2,4 % tandis que les importations ont augmenté de 4,8 %
Entre l’aéronautique, les IMEE, le textile ou le service aux entreprises, ce sont quelque 3 100 entreprises étrangères qui sont implantées en Tunisie
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IMPLANTATION
compagnie aéronautique EADS, a repris du service le 24 janvier en estimant que les conditions étaient réunies pour que tout fonctionne normalement. Il en va de même pour la plupart des opérateurs, en particulier français – qui sont les plus nombreux à avoir investi dans le pays. Au cours de l’année 2010, plus de 150 projets ont été réalisés par ces partenaires français qui disposent au total de 1 200 entreprises. Cela représente un investissement de 192,4 millions de dinars et plus de 6 000 emplois. Les Italiens sont eux aussi bien implantés sur ce rivage qui jouxte leurs côtes, avec plus de 130 réalisations l’année dernière pour un investissement de 89 millions de dinars et près de 4 000 emplois créés. Partenariats diversifiés. Le couple franco-italien est le principal fournisseur d’Investissements directs étrangers (IDE) de la Tunisie. Mais depuis quelques temps, les partenariats se diversifient, notamment avec l’arrivée d’investisseurs anglais et américains qui ont, sur les deux dernières années, contribué à près de 193,06 millions de dinars d’investissements. Au début du mois de février, le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a d’ailleurs effectué une visite en Tunisie. Durant son séjour, il a signifié son intention d’inciter le secteur privé à identifier de nouvelles opportunités, en particulier dans les domaines de l’énergie, des finances et du tourisme. Dans le sillage des Anglo-Saxons, d’autres pays européens ont multiplié leurs investissements en Tunisie ces deux dernières années. À commencer par l’Allemagne, qui affiche 280 entreprises pour 50 projets réalisés et 45 000 personnes employées, la majorité dans le secteur manufacturier : 50 % du personnel dans la finition textile, 30 % dans le secteur de l’électronique et de l’électrotechnique et 20 % dans d’autres domaines. Quant au volume des échanges entre Berlin
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TUNISIE AVOIR
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AVOIR TUNISIE
FIDELITY INVEST
PROJECTION D’ici à 2016, la Tunisie souhaite augmenter de 9 % par an son volume d’exportations agricoles et agroalimentaires
Démarré en 2010, le projet Fidelity Invest a déjà généré quelque 380 postes et planifié la création de 2 000 emplois hautement qualifiés
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En 2010, les IDE ont enregistré une croissance de 3 % par rapport à 2009 avec 2,425 milliards de dinars. Pour accroître le volume des investissements, Fipa-Tunisia assure la promotion des secteurs stratégiques que sont le textile – qui concentre plus de 20 % des IDE de l’industrie manufacturière –, les IMEE, l’offshoring et les Technologies de l’information et de la communication (TIC). Cette dernière activité a permis la création de 15 300 postes en 2010 – dont 3 000 à 4 000 pour les diplômés du supérieur. Près de 1 600 sociétés de services en ingénierie informatique (SSII) opèrent sur ce segment, qui compte également 300 intégrateurs de systèmes, 400 distributeurs, 12 fournisseurs d’accès Internet et 8 centres de développement. En 2008, la contribution de cette activité au PIB était de
l’ordre de 8 % et devrait atteindre 13,5 % en 2011 avant de viser 20 % en 2016. Industrie textile. Avec 2 000 entreprises (dont la moitié à capitaux étrangers ou mixtes) et 200 000 salariés (soit 44 % des emplois industriels), l’industrie du textile et de l’habillement est le premier pourvoyeur d’emplois. Elle représente 5 % du PIB tunisien et assure 20 % des recettes en devises. En décembre 2010, les exportations de textile ont enregistré une hausse de 26 % en valeur et de 19,4 % en volume comparativement à l’année précédente. Quant à la filière habillement, elle a progressé de 7 % en valeur et de 10,1 % en volume. « Ces évolutions ont permis de clôturer l’année 2010 avec un taux de croissance global du secteur textile/habillement de 6,77 % en valeur et de 10,93 % en poids », atteste Rym Charradi Milad, chef du département du Centre au Cettex (Centre technique du textile). La branche des composants automobiles et aéronautiques connaît, depuis une dizaine d’années, un essor considérable. L’investissement dans les industries électrique et électronique progresse en moyenne de 15 % par an. Cela vaut aussi pour l’agriculture et l’agroalimentaire, qui ont enregistré une hausse
significative depuis 2004, tout comme les exportations (30 %). D’ici à 2016, la Tunisie souhaite augmenter de 9 % par an son volume d’exportations agricoles et agroalimentaires en développant la valeur ajoutée de sa production et en mettant à niveau ses circuits de distribution. Depuis quelques années, l’industrie chimique et plastique se structure et le volume des IDE est là encore en constante augmentation. En 2009, des partenaires indiens ont investi 37 millions de dinars dans un grand projet industriel chimique. Le bâtiment et les travaux publics (BTP) sont également en progression avec le développement des infrastructures (voies ferroviaires et routières, ports et aéroports, centrales électriques, raffineries, unités de dessalement et d’épuration…) et de l’habitat. Reste le tourisme, principale source de devises qui génère 6,5 % du PIB et emploie 12 % de la population active. Après avoir fortement investi par le passé, les principaux opérateurs d’Europe – hôteliers et voyagistes – se repositionnent graduellement sur la destination et la Tunisie escompte bien qu’ils répondent présents pour relancer la création d’emplois et relever le défi économique. ■
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Algérie, vers une révolution de l’éducation Face à l’échec de sa politique de scolarisation forcée, l’Algérie, avec le soutien de l’Unesco, prépare sa mutation vers un enseignement pertinent et performant. Par H. KERNANE
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IMMOBILISME Les programmes scolaires algériens n’ont pas été revus depuis plus de vingt-cinq ans
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’éducation, facteur d’émancipation et de progrès, est une priorité nationale pour tous les gouvernements. Mieux encore, elle est considérée comme étant un socle sur lequel se construit une société moderniste et économiquement développée. En l’absence d’instruction, de savoir-faire et de maîtrise des technologies, une nation ne peut prétendre à une ascension sociale et économique.
Entre 1962 et 1976, l’Algérie a reproduit le système éducatif français. Basé sur une coopération renforcée, ce modèle n’a malheureusement concerné que la petite bourgeoisie… Entre 1976 et 1988, les autorités publiques ont décidé de mettre en place une scolarisation touchant toutes les classes sociales. Des milliers d’établissements ont ainsi été construits et des centaines de
milliers d’enseignants ont été formés pour répondre aux besoins de scolarisation d’une population croissante – la jeunesse représente actuellement le quart de la population algérienne. Néanmoins, cette généralisation massive a masqué de graves dysfonctionnements dans le système scolaire. Car cette scolarisation forcée s’est faite au détriment de l’acquisition des compétences de base. Pour le sociologue algérien
gieuses des autres sociétés. Or, on constate que dans les programmes de ladite réforme, la question de la laïcité, indispensable pour la construction d’un monde plus tolérant et plus ouvert aux autres, n’est pas incluse. Un autre défi de l’école algérienne est donc d’introduire ces notions de tolérance et de diversité en enseignant, par exemple, toutes les religions. « Certains pays arabes y sont arrivés », confie un Aissa Kadri très confiant et très impliqué dans ce débat « Les contenus ont été décidés sur des considérations d’ordre idéologique et culturel », a déclaré de son côté Mustapha Haddab, lui aussi sociologue, lors d’un débat sur le thème « Éducation et mondialisation » organisé par l’Association algérienne du développement de la recherche en sciences sociales (Aadress). Les intervenants ont notamment déclaré que la dernière réforme en date n’apportait que quelques modifications et arrangements ponctuels. Les programmes scolaires, par exemple, n’ont pas été revus depuis plus de vingt-cinq ans…
La refonte du système scolaire devrait commencer par la réforme de la pédagogie et des programmes. Les spécialistes sont formels : ce n’est que par une refonte profonde et concrète de ces deux éléments que l’école algérienne pourra, enfin, proposer un enseignement pertinent et de qualité. Centrée sur l’acquisition des compétences, notamment celles concernant la culture générale et la maîtrise des langues, cette approche implique la mise en place de stratégies ciblées dans la conception des programmes et des manuels scolaires. Elle nécessite également l’instauration d’un système d’éva-
PRIMAIRE Les élèves qui parviennent à la fin du cycle primaire n’ont pas forcément les connaissances de base, ni la validation des acquis fondamentaux
Le taux alarmant d’abandon scolaire et la dévalorisation du diplôme algérien ont poussé les autorités à établir un plan de réformes
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INDICATEURS
Aissa Kadri, « le développement de la scolarisation a permis de cacher les vrais problèmes. Les statistiques servent à valoriser l’aspect quantitatif au détriment de l’aspect qualitatif de l’enseignement ». Jusqu’en 2007, les experts parlent de désaffection pour les études. Les valeurs éducatives essentielles sont remises en question par une jeunesse désabusée, plus attirée par d’autres promesses de gain facile, notamment avec l’économie parallèle du trabendo (marché noir). Le travail scolaire est ainsi dévalorisé et le désintérêt pour l’école inquiète enseignants et parents d’élèves. Cette inquiétude s’est amplifiée lorsqu’on a constaté que les élèves qui parvenaient à la fin du cycle primaire n’avaient pas forcément les connaissances de base, ni la validation des acquis fondamentaux comme la lecture et l’écriture. Les contenus et méthodes en vigueur dans l’école algérienne sont inadaptés et expliquent, en partie, cette baisse significative du niveau d’instruction. Certes, des efforts ont été déployés ces dernières années pour réformer ce système éducatif chaotique, mais sans atteindre les objectifs escomptés. Plan de réformes. Des indicateurs inquiétants, comme le taux alarmant d’abandon scolaire et la dévalorisation du diplôme algérien – autrefois reconnu en France et ailleurs – ont poussé les autorités publiques à établir un plan de réformes. Pour favoriser une mutation qualitative du système d’enseignement, l’Assemblée nationale a voté, en juillet 2002, une loi qui devait répondre aux besoins des élèves dans l’acquisition d’une culture civique, sociale et économique. Selon les témoignages de certains chercheurs et universitaires, le rôle majeur de l’école est de représenter les spécificités géographiques, historiques, humaines et civiques du pays. Mais il convient également d’enraciner les valeurs culturelles, linguistiques et reli-
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ÉDUCATION AVOIR
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AVOIR ÉDUCATION
RÉFORME
MESURES La nouvelle approche implique la mise en place de stratégies ciblées dans la conception des programmes et manuels scolaires
Le nouveau plan de réformes est centré sur l’acquisition des compétences, notamment celles concernant la culture générale et la maîtrise des langues
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luation qui permettrait de recueillir des données fiables, efficaces et durables. En effet, les acteurs du secteur de l’éducation sont unanimes : l’évaluation des compétences ne devrait pas uniquement reposer sur l’attribution de notes chiffrées et reportées sur un bulletin. Une évaluation efficace consisterait plutôt à suivre la progression de l’élève à travers sa façon d’apprendre, en mesurant les acquis enregistrés pendant sa scolarité. Les enseignants et les responsables chargés de l’inspection pourraient ainsi disposer de données fiables sur l’évolution de cette réforme du système édu-
catif. Mais Aissa Kadri va même plus loin en déclarant qu’il faudrait « créer un observatoire de l’éducation qui développera des outils statistiques fiables ». Programme Pare Unesco. En Algérie, l’accompagnement pédagogique est assuré par la Commission nationale des programmes (CNP) et par l’Institut national de recherche en éducation (INRE). Ces deux organismes ont pour mission de concevoir les programmes et les manuels scolaires. Pour soutenir le pays dans la concrétisation de cette réforme, l’Algérie a bénéficié, en 2004, du programme Pare Unesco. Ce protocole d’accord sur l’appui à la réforme du système éducatif algérien a notamment permis de mettre en place une série de mesures d’accompagnement technique. D’autres observateurs insistent sur l’importance de la formation des enseignants. Principaux vecteurs de la transmission du savoir, ces derniers manquent d’encadrement et disposent de moyens de
travail dérisoires. Alors même que ces enseignants devraient régulièrement bénéficier de stages de recyclage et de perfectionnement sur les méthodes pédagogiques et les contenus des programmes éducatifs. C’est la loi sur l’orientation de l’éducation nationale qui prend normalement en charge la formation des différents personnels de ce secteur : « La formation des personnels d’enseignement a pour but de leur faire acquérir les connaissances et les savoir-faire nécessaires à l’exercice de leur métier. » (art. 77). L’amélioration du statut social des enseignants g algériens g est également g primordiale. L’État a certes consenti des augmentations progressives des salaires, mais ces mesures restent insuffisantes face au coût de la vie dans le pays. Accorder plus de moyens matériels, technologiques et scientifiques devrait conduire le personnel encadrant et les élèves à fournir plus d’efforts dans l’acquisition des compétences.
L’évolution du système éducatif algérien dépendra également de la volonté des gouvernants. L’introduction de la notion de « culture de la démocratie » vise à mettre l’école algérienne en adéquation avec les choix politiques. La langue arabe, par exemple, est enseignée de la même manière depuis des décennies. Sur le modèle de celle qu’on utilisait déjà au… IIe siècle. Cet apprentissage de la langue arabe, qui fait souvent référence aux textes religieux, prend une place majeure dans les programmes scolaires, au détriment d’autres enseignements très importants comme l’éducation civique, la laïcité, la démocratie ou la tolérance. Effondrement. Pédagogue et professeur d’université depuis trois décennies, le professeur Abderazak Dourari a déclaré dans un entretien accordé au quotidien Le Temps d’Algérie que « le système éducatif algérien s’est effondré ». Depuis plus de vingt ans, les spécialistes expliquent cet effondrement par l’échec de la politique linguistique initiée par les pouvoirs publics depuis les années 1980. En revanche, l’enseignement du français et de l’anglais, qui font référence à l’enseignement de la technologie et à la science, a connu une petite réforme en 2003. Cette dernière a introduit une nouvelle méthode d’apprentissage très positive qui se base sur la recherche personnelle de l’élève à travers la lecture et la recherche sur la Toile. Quant à l’introduction de la langue tamazight à l’école, elle répond à une revendication exprimée par la population berbère depuis des décennies. Les modalités d’application de cette mesure ont été définies par voie de décret. Enfin, la réforme du système éducatif a autorisé l’ouverture de l’éducation à l’enseignement pprivé, ainsi que q la fin du monopole d’État sur la conception et la réalisation des livres scolaires (art. 90).
Zohra Bensemra / Reuters
ÉDUCATION AVOIR
Le secteur de l’éducation étant particulièrement sensible, la mise en place de réformes constructives nécessite l’organisation de profonds débats impliquant tous les acteurs concernés. Ce qui n’a jamais été le cas, comme en atteste la faible couverture médiatique des grands médias, notamment sur les chaînes de télévision. L’état des lieux n’a lui non plus pas été réalisé. Ainsi les responsables chargés de cette réforme n’ont-ils pas effectué la moindre mission d’évaluation des conditions d’application des nouvelles orientations décidées par le ministère de l’Éducation nationale. Un travail partiel a certes été effectué, mais il se limite aux seules zones urbaines. Or, ces dernières sont déjà considérées comme les plus favorisées du pays, car disposant d’infrastructures adéquates comme les librairies, bibliothèques et autres salles d’informatique. De toute évidence, on ne peut faire une évaluation concrète des
lacunes et besoins des institutions éducatives sans étendre ces travaux à tout le territoire. Surtout dans les zones rurales, notamment celles du Sud du pays, où les besoins sont considérables. Ne pas satisfaire ces besoins entraverait sérieusement le développement de la qualité de l’éducation en Algérie. « Le système éducatif algérien s’est complètement écroulé et il est très difficile d’y remédier, confie un professeur sous couvert d’anonymat. La coopération étrangère est le seul moyen pour faire face à cette situation catastrophique. Il faudra faire appel aux compétences étrangères dans le cadre de programmes de coopération et d’échanges. » L’école doit donc avant tout retrouver sa mission principale : favoriser l’ascension sociale et non pas devenir une usine de fabrication de chômeurs. L’enjeu est de taille pour les Algériens, qui attendent depuis des décennies cette ouverture constructive sur le marché du travail. ■
PROGRÈS La réforme a autorisé l’enseignement privé, ainsi que la fin du monopole d’État sur la conception et la réalisation des livres scolaires
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QATAR Oryx FM en français 24 h/24 Basée au Qatar, la radio publique Oryx FM a été lancée en janvier 2011. Cette radio qui émet ses programmes en français 24 h/24 se veut un point de rencontre entre les cultures francophone et arabe. Diffusée sur les ondes 94.0 FM, elle est le fruit d’une coopération entre Qatar Media Corporation (QMC), Radio France Internationale (RFI), l’Audiovisuel extérieur de France (AEF) et
l’ambassade de France au Qatar. Son objectif, à très court terme, est d’être entendue dans les autres pays du Golfe. Pour rappel, l’anglais est la langue prédominante dans les pays du Golfe. MED-IT 2011 Rendez-vous à Alger Placé sous le haut patronage du ministre algérien de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication (TIC), Moussa Ben-
hamadi, la VIIIe édition du salon Med-It se tiendra du 26 au 28 septembre 2011 à Alger, au palais de la Culture. Med-It est un salon destiné aux professionnels du secteur des nouvelles TIC. Cet événement accueille chaque année plus de 5 000 visiteurs professionnels et près de 150 exposants, dont 30 % sont de grandes multinationales. Considéré par les professionnels du secteur comme un moyen d’échanges et de découvertes des nouvelles innovations et solutions IT, ce salon est également une occasion de débattre de l’intérêt et des applications des innovations technologiques lors
de conférences et d’ateliers ponctuels qui suscitent de plus en plus d’intérêt auprès des visiteurs.
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ALGÉRIE Nouveaux statuts en cours pour la télévision et la radio
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Le ministre algérien de la Communication, Nacer Mehal, a assuré que les nouveaux statuts de la télévision et de la radio sont en cours de préparation. Il a aussi insisté sur le fait que des débats politiques seront bientôt lancés dans les médias lourds. Les changements structurels et la définition des nouvelles prérogatives, plus ouvertes et plus démocratiques, de ces deux médias sont attendus par la société civile depuis plusieurs années.
MENA CRISTAL AWARDS Razzia pour TBWA\ A RAAD Organisée en février au Liban, l’édition 2011 des Mena Cristal Awards a plébiscité l’agence conseil en communication TBWA\RAAD, la plus récompensée avec pas moins de neuf prix… Fo n d é e e n 2 0 0 0 , c e t t e agence a été récompensée
dans divers secteurs comme l’automobile (Nissan Middle East), la finance (Visa) ou les produits de grande consommation (Henkel). À cette occasion, le directeur général du groupe, Reda Raad, a déclaré que ce sont ses clients qui ont encouragé l’agence à être plus créative. Et d’ajouter que la créativité amène la notoriété et l’augmentation des parts de marché. M. Raad a également estimé que le fait de remporter des prix dans plusieurs catégories prouve que TBWA\RAAD dispose d’un large éventail de talents qui contribue à son évolution dans des secteurs aussi divers que la publicité, les relations publiques, la communication numérique et les médias sociaux. Outre ses 14 agences de services à travers Moyen-Orient et Afrique du Nord, TBWA\ RAAD comporte trois divisions principales : publicité, numérique et relations publiques. Pour rappel, le festival Mena Cristal Awards rassemble professionnels de la publicité, agences de communication, annonceurs, producteurs et réalisateurs, médias, etc.
COMMUNICATION AVOIR
Samsung Electronics dispose de 11 bureaux dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. L’entreprise commercialise des produits électroniques numériques (téléphones portables, téléviseurs, appareils audio, ordinateurs) destinés au grand public. ALGÉRIE XIIe édition du SIFTech T « Pour un avenir numérique partagé », tel est le thème de la XIIe édition du Salon international du futur technologique (SIFTech), qui se tiendra du 17 au 19 mai à Alger. Organisée au palais de la Culture, cette manifestation s’inscrit dans le cadre d’une politique de généralisation de l’usage des nouvelles technologies. Placée sous le haut patronage du ministre algérien de la Poste et des Technologies de l’informa-
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MOYEN-ORIENT Samsung Electronics honoré Leader mondial dans les médias numériques et les technologies de convergence numérique, Samsung Electronics Co. Ltd a reçu le prix du Moyen-Orient et des Organisations des affaires pour le service clientèle mondial dans la catégorie « Électronique » pour la seconde année consécutive. June Woo-lee, directeur général de Samsung Satisfaction Client au Golfe (SCG), a reçu le prix des mains de cheikh Maktoum ben Hasher al-Maktoum, neveu de l’émir. La cérémonie était organisée à Dubaï, en collaboration avec la Conférence pour la stratégie de développement des entreprises mondiales pour la compétitivité du service clientèle. La sélection a été effectuée sur l’évaluation d’un panel de juges, et basée sur la qualité de services, le professionnalisme et l’accessibilité aux clients. « L’anticipation du client est l’un des principaux objectifs. Nous sommes constamment à la recherche de moyens nouveaux et innovants pour offrir des services différenciés », a déclaré June Woo-lee. Situé à Dubaï, le siège régional de
FORMATION Les femmes d’affaires en Algérie À la fin de février, l’hôtel Hilton d’Alger s’est transformé durant trois jours en centre de formation. L’Institut italien pour le commerce extérieur (ICE) avait en effet choisi ce palace pour organiser une session de formation au bénéfice des femmes algériennes chefs d’entreprise. Ce sont donc 50 managers de PME qui ont été initiées aux techniques de marketing et de commercialisation. Directeur du bureau de l’ICE à Alger, Giuseppe Agostinacchio a déclaré que l’objectif de l’Italie dans le pays n’est pas seulement d’exporter ses produits sur le marché algérien, mais également de développer « une série de projets de formation sélectionnés en fonction des priorités économiques du pays ». Quant à l’ambassadeur d’Italie à Alger, Giampaolo Cantini, il a notamment estimé que « la femme algérienne a toujours joué un rôle fondamental dans la construction de ce pays… »
tion et de la communication (TIC), Moussa Benhamadi, ce SIFTech 2011 accueillera des exposants nationaux et étrangers, spécialisés dans les équipements, services et solutions en technologies numériques. Trois espaces seront notamment consacrés à la promotion du savoir-faire algérien. Outre un espace pour les start-up, un village numérique réservé au grand public donnera une vision concrète des nouveaux services technologiques proposés aux opérateurs publics et privés
dont pourront bénéficier les citoyens. Le troisième espace sera quant à lui consacré à une bourse de l’emploi dans le domaine des TIC. Il permettra aux diplômés du secteur de postuler aux offres d’emplois proposées par les entreprises en quête de compétences. Ce XIIe SIFTech coïncidera par ailleurs avec la Journée mondiale des télécommunications et de la société de l’information, placée cette année sous le thème « Mieux vivre dans les communautés rurales grâce aux TIC ».
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SAVOIR ÉVÉNEMENT
Vénus Khoury-Ghata, officier de la Légion d’honneur
Lancement de la Ladymatic d’Omega
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our le lancement de cette montre mythique, Omega a choisi pour cadre l’hôtel Shangri-La, un lieu pétri d’histoire, jadis propriété de la famille Bonaparte. Le dîner, pris dans la salle à manger restaurée à l’identique, a regroupé 100 invitées issues du monde de la presse,
Vénus Khoury-Ghata a reçu l’insigne d’officier de la Légion d’honneur des mains de Frédéric Mitterrand.
C
’est en présence d’un grand nombre d’écrivains, d’éditeurs et de critiques littéraires que le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a décerné dans ses salons de la rue de Valois l’insigne d’officier de la Légion d’honneur à la romancière et poètesse Vénus Khoury-Ghata. La lauréate a répondu à son discours par un éloge des deux langues – française et arabe – qui se mélangent si inti-
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mement dans son écriture qu’elle finira un jour par écrire le français de droite à gauche. Réponse du ministre : « dire qu’on me reproche d’avoir viré à droite après avoir été à gauche… » Cette même cérémonie a également distingué l’écrivaine Benoîte Groult (membre du jury Femina), l’éditrice Nicole Lattès, la journaliste et romancière Irène Frain, ainsi que le romancier Maurice Denuzière. ■
de la mode et de la littérature. Les montres, exposées dans de superbes vitrines, ont fait briller plus d’un regard féminin.
VITRINE SAVOIR
1821-2011 : Montblanc fête l’invention du chronographe Le chronographe Montblanc Nicolas Rieussec fête ses 190 ans. Pour l’occasion, Montblanc lance cette année une édition anniversaire en série limitée : 190 montres en or rouge 18 carats, 90 montres en or blanc 18 carats et 25 montres en platine 950. Une guilloche très sobre souligne le caractère icône de la montre tandis que le tour d’heures, fixé par des aiguilles bleuies, est orné de chiffres Breguet. À 6 h, un pont en V émerge du cadran et met en valeur les rubis des deux disques rotatifs du chronographe : à gauche, un compteur 60 secondes et à droite un compteur 30 minutes.
Cartier le dit avec des fleurs Quelle femme n’a pas rêvé de fleurs précieuses qui garderaient toujours leur fraîcheur et leur éclat ? Entre or gris, saphirs, améthyste et diamants, Cartier fait de ce rêve une réalité avec Caresse d’orchidées : une bague en or gris 18 carats serti de 38 diamants et de 88 pierres de couleur (saphirs bleu clair et bleu foncé, améthystes violettes). Vous pouvez même choisir la taille de votre fleur (de 25 mm pour le plus grand motif d’orchidées à 18 mm pour le plus petit).
JeanRichard réinvente ses Highlands Highlands Sandd ou la renaissance d’un modèle JeanRichard des années 1990. Le design du boîtier a évolué, utilisant une lunette ronde sur une carrure de type tonneau. Le boîtier est étanche à 100 m et sa lunette tournante crantée permet la lecture d’un second fuseau horaire. Inspiré du modèle original, le cadran écru affiche de grands chiffres arabes. Outre un bracelet de toile doté d’une boucle de sécurité déployante, le mouvement à remontage automatique JR1000 se découvre au travers du fond saphir de la montre. Ce modèle est également disponible avec un cadran kaki (Highlands Baobab) ou un cadran noir (Highlands Ebony).
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SAVOIR TRIBUNE
Kadhafi et moi Par Christian MALARD, éditorialiste sur France 3
www.christian-malard.com
C
’est en 1981, douze ans après son arrivée au pouvoir, que j’ai rencontré pour la première fois à Tripoli, la capitale libyenne, le leader de la Jamahiriya (révolution libyenne) y : le colonel Mouammar Kadhafi. À l’époque, j’étais grand reporter à RTL et je devais faire une double interview de lui pour la radio, mais aussi pour Télé-Luxembourg. Le rendez-vous m’avait été fixé un matin de septembre. Mon équipe et moi-même résidions dans un hôtel du bord de mer où les proches conseillers de Kadhafi nous avaient demandé de nous tenir prêts à 7 h 30 pour une interview prévue une heure et demie plus tard. Mais à 9 heures, nous étions tous en train d’attendre dans nos chambres… À partir de ce moment-là, ce ne fut qu’un festival de tasses de thé et de jus d’orange. Les heures s’égrenaient et, comme Sœur Anne, nous ne vîmes rien venir, en tout cas pas le Colonel. À 19 heures, branle-bas de combat : « Messieurs, nous partons rejoindre le Colonel ! » s’exclamèrent ses proches conseillers, qui venaient de faire irruption dans notre hôtel. Nous partons aussitôt à bord de voitures noires, pour une destination inconnue. Finalement, nous réalisons que nous arrivons à l’Université de Tripoli, où le Colonel avait fait construire une fausse bibliothèque pour les besoins de l’interview… Le voilà qui arrive vers 20 heures, entouré de ses fidèles « amazones », ces femmes gardes du corps, brunes aux yeux bleus ou verts pour la plupart, en treillis kaki. Le Colonel, drapé dans sa gandouraa blanche, s’installe sur un fauteuil et prononce quelques mots de bienvenue pendant que ses amazones s’assoient à même le sol.
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Avant que débute l’interview, le Colonel retire de son bras gauche un bracelet en or, qu’il fait rouler sur le sol à l’intention de l’une de ses amazones : « Drôle d’entrée en matière ! » me dis-je. Aussitôt, je demande à l’interprète : « Que signifie ce roulé de bracelet ? » Et ce dernier de me répondre : « Il veut remercier sa garde du corps pour bons et loyaux services. » Je ne sais toujours pas, aujourd’hui, ce que signifie chez Kadhafi « bons et loyaux services »… Cette première interview fut sans grand intérêt, digne des discours-fleuves de Fidel Castro ou Hugo Chavez. Bref, de la bouillie pour journalistes. Quelques années plus tard, en février 1984, en plein conflit franco-tchado-libyen – dans lequel Kadhafi soutenait l’un des ennemis de la France, Goukouni Oueddei –, je me retrouve à Tripoli, toujours pour le compte de RTL, cette fois en compagnie de six confrères français et étrangers : TF1, Antenne 2, FR3, la chaîne de télévision américaine ABC et le magazine américain Newsweek. Le Colonel avait profité de la visite du ministre français des Affaires étrangères, Claude Cheysson – venu à Tripoli en Mystère 50 –, pour nous convier à une conférence de presse très res-
Cette rubrique permet à diverses personnalités d’exprimer leurs opinions en toute liberté.
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treinte en plein cœur de Tripoli. En fait, dans la caserne de Bab al-Azizia que les avions américains allaient bombarder deux ans plus tard (avril 1986) sur ordre du président Ronald Reagan, qui considérait alors que Kadhafi était le « voyou » à abattre. Le Colonel, vêtu d’un treillis kaki, nous accueille dans une salle de conférence avec trois de ses conseillers et répond à nos questions pendant une heure et demie. Durant le jeu des questions-réponses, je m’aperçois que le Colonel a le regard rivé sur ma consœur et amie de FR3, Memona Affejee-Hintermann, assise à côté de moi. Je lui dis en aparté : « Je te fais le pari que, à la fin de notre entretien, il va te proposer une interview privée. » Et Memona de me rabrouer amicalement : « Arrête de me charrier. » Au terme de la rencontre, je me suis senti prophète. Mes prédictions étaient devenues réalité. Le Colonel envoie auprès de Memona l’un de ses conseillers qui lui dit : « Le Colonel serait honoré de vous accorder une interview exclusive. » Memona se tourne vers moi : « Tu avais vu juste ! Que penses-tu de sa proposition ? » Je lui réponds alors : « Tu sais, en quatre-vingt-dix minutes, nous avons ob-
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Spécialiste de politique étrangère, consultant pour CNN, NBC, MSNBC, BBC, BBC World, Al-Arabiya
tenu tout ce que nous attendions de lui. Maintenant, si tu considères qu’une interview privée t’apportera plus par rapport à tes concurrents de TF1 et d’Antenne 2, pourquoi pas ? » Memona hésite puis, battante qu’elle est, déclare : « Finalement, j’y vais ! » Cinq minutes plus tard, la voilà qui part dans une 604 Peugeot blanche en compagnie du Colonel, de son chauffeur et d’une belle Algérienne très jeune qui faisait office d’interprète à l’intérieur de la forteresse de Bab al-Azizia. Mes quatre autres confrères et moi-même, pendant ce temps-là, embarquons à bord d’un minibus blanc pour regagner notre hôtel, situé sur la fameuse place Verte de Tripoli. Nous décidons d’échanger nos points de vue sur l’interview lors d’un petit dîner. Vers 21 heures, coup de théâtre ! Flanquée de l’interprète algérienne, Memona rentre à l’hôtel en pleurs et lance à la cantonade : « Je vous raconterai ce qui s’est passé dans quelques minutes, le temps de me débarrasser de l’interprète de Kadhafi… » « Après mon départ, nous dit-elle, je me suis retrouvée à quelque cent mètres du lieu de la conférence, au premier étage d’un des bâtiments de la caserne. L’interprète s’est volatilisée, sous prétexte qu’elle devait se remaquiller. Et me voilà qui me retrouve seule face à Kadhafi, dans une chambre avec un lit aux draps roses bordés de dentelle blanche. Tout autour, des étagères sur lesquelles cohabitaient des cassettes de films pornographiques et les parfums dernier cri de chez Chanel, Guerlain et autres Dior. Soudain, le Colonel descend la fermeture É Éclair de son treillis et laisse apparaître une énorme cicatrice au-dessus du cœur… » C’est à ce moment-là qu’il tente de violer Memona qui, dans un réflexe extraordinaire, lui dit en anglais : « I am in my period! » (« J’ai mes règles ! ») Le Colonel, décontenancé, entre dans une furie telle qu’il lui lance : « Get out of here! Next time, be in a better mood! » (« Fous le camp d’ici ! La prochaine fois, sois de meilleure humeur »). Il demande aussitôt à l’interprète et au chauffeur, réapparus par miracle, de la ramener à l’hôtel. Memona venait d’échapper au pire… Un peu plus tard, après avoir écouté attentivement son récit, nous prenons l’ini-
Alessandra Benedetti / Corbis
TRIBUNE SAVOIR
tiative d’appeler l’ambassadeur de France à Tripoli, Christian Graff – un excellent connaisseur du monde arabe qui est aussi un ami –, pour lui raconter ce qu’elle venait de vivre. L’ambassadeur arrive à l’hôtel et se résout à en parler à notre ministre des Affaires étrangères, Claude Cheysson, tout juste rentré de Tripoli. Ce dernier décide aussitôt d’en référer au président de la république, François Mitterrand. Il est près de minuit… Entre-temps, Christian Graff nous demande d’assurer à plusieurs la garde de Memona en nous relayant toutes les quatre heures pour faire la ronde devant sa chambre. Il propose de venir nous récupérer tôt le lendemain matin et de nous accompagner à l’aéroport, telle une délégation officielle en partance de Tripoli pour Paris via Zurich. L’avion décolle vers 10 heures. À notre grand soulagement, le cauchemar est terminé… Quelques jours après son retour à Paris, Memona se voit convoquée par le président qui, au vu de la gravité de l’affaire, lui demande de tout lui raconter… Soir du 31 décembre 1988. Quelques heures avant le réveillon du Nouvel An, ma consœur de La Cinq Marie-France Cubadda et moi-même sommes en plateau pour un direct dans le journal de 20 heures afin de tenter une interview par satellite avec le Colonel. Impossible de lui faire décrocher quelques mots. Il susurre et fait preuve d’une grande absence. Bref, l’interview tourne court. Ses incohérences nous décident à arrêter la triste plaisanterie.
Un an et demi plus tard, en 1990, nous refaisons une tentative pour avoir le Colonel par satellite, mais cette fois en « faux direct ». Le satellite est réservé de 16 h à 16 h 30 et l’ambassadeur de Libye en France, très courtois et très bien éduqué, nous demande d’assister à l’enregistrement, ce que nous acceptons volontiers. Le Colonel fait son apparition sur notre écran de contrôle par liaison satellite. Il est vêtu d’une gandoura marron avec une chèche assortie sur la tête. Nous lui faisons savoir que nous sommes prêts à enregistrer l’interview. Le Colonel gesticule, se contorsionne sur son siège et ne cesse de passer son temps à regarder en l’air. Nous réitérons nos appels, le Colonel est toujours aussi absent. La demi-heure passe, nous n’avons rien pu enregistrer… L’ambassadeur libyen, consterné par le spectacle auquel il vient d’assister, nous présente ses excuses et nous confie : « Je suis désolé, mais je dois vous faire un aveu… Je crois que c’est encore une de ces journées où le Colonel… » Et, de son index, il se frotte la narine droite puis la gauche pour nous faire comprendre que le Colonel avait inhalé un produit qui expliquait son « absence ». Depuis ce jour-là, j’ai toujours refusé toute interview avec le Colonel, étant arrivé à la conclusion que cet homme était imprévisible et incohérent, voire irresponsable. Ce dont nous avons, hélas, la preuve aujourd’hui. ■
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SAVOIR ENTRE NOUS
MONDE ARABE Après la Tunisie et l’Égypte, qui aurait pu croire que viendrait le tour de la Libye ? Cette année 2011 est définitivement celle du bouleversement pour un monde arabe que l’on croyait enlisé dans l’immobilisme social et politique. Bien sûr, rien n’est encore acquis et les lendemains sont incertains. En Tunisie, le gouvernement provisoire a déjà subi plusieurs remaniements ministériels et doit composer avec la fougueuse impatience d’un peuple qui découvre la liberté et ses aléas. L’approche des élections législatives, avec l’apprentissage du pluralisme, laisse bien des questions en MODÉRATION En cette période de révoltes et de contestations, il me semble important de souligner la réaction positive de certains souverains « éclairés ». Je parle bien sûr de Mohammed VI au Maroc et du roi Abdallah en Arabie Saoudite. Dans un discours parfaitement maîtrisé, le premier a su anticiper les revendications de son peuple, promettant d’élargir les libertés individuelles et d’adopter d’importantes réformes démocratiques qui seront soumises à un référendum populaire. Au point d’accepter de prendre du recul pour renforcer les pouvoirs du Premier ministre. Quant au second, il
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suspend… Idem en Égypte, où se pose en plus l’épineux problème des relations avec Israël… Dans le même temps, l’Algérie a levé
l’état d’urgence, le Maroc prépare sa réforme constitutionnelle et la Libye est au bord de la guerre civile… Mouloud Arfa Paris, France
a une fois encore fait preuve d’un bel esprit d’ouverture en annonçant des mesures sociales sans attendre d’avoir le couteau sous la gorge… Saïd Bouita Marrakech, Maroc
ALGÉRIE Dans la foulée des révoltes tunisienne et égyptienne, on aurait pu croire que l’Algérie suivrait. Mais c’est la Libye qui s’est embrasée pour être au bord de la guerre civile… De quoi renforcer l’image d’immobilisme qui est associée depuis plusieurs années à l’Algérie. Avec plus de 10 000 émeutes en 2010,
le terrain semblait pourtant propice à un élan démocratique. Mais les manifestations du samedi sont restées sans lendemain. L’opposition reste confidentielle, le président Bouteflika conserve un étonnant mutisme, les étudiants sont retournés à leurs études et les chômeurs à leur inquiétude… Tout juste peut-on se féliciter de la levée annoncée de l’état d’urgence, qui, pour l’heure, n’est guère suivie d’effets sur le terrain, et de quelques mesures visant à favoriser une économie qui semble ne profiter qu’à une élite restreinte. Au moins n’aura-t-on pas à déplorer un bain de sang qui semble désormais promis à la Libye. De là à songer que le train de l’Histoire est déjà passé… Abdelkader Arkoun Tizi Ouzou, Algérie
ÉGYPTE J’ai particulièrement apprécié l’objectivité et la sobriété dont Arabies a fait preuve dans son article sur l’Égypte, publié au mois de mars dernier. Outre qu’il était très complet, le sujet exposait clairement les tenants et les aboutissants de la position égyptienne par rapport à Israël et à la question palestinienne. Car dans un pays qui ne dispose guère de ressources naturelles, l’enjeu est avant tout géostratégique. À l’aube d’élections législatives qu’on annonce démocratiques et transparentes, on est effectivement en droit de s’interroger sur le futur statut de l’Égypte : médiateur ou acteur de premier plan ? La réponse est attendue par toute la Communauté internationale… Taher al-Khatib Alexandrie, Égypte É
18, rue de Varize 75016 Paris Tél. : +33 1 47 66 46 00 Fax : +33 1 43 80 73 62 FONDATEUR Yasser Hawary (Tél. : +33 1 47 66 46 00) RÉDACTRICE EN CHEF Lila D. Schoepf (Tél. : +33 1 47 66 95 15) RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT Samir Sobh (Tél. : +33 1 47 66 96 93) SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Fabrice Pavée COLLABORATEURS ■ POLITIQUE, ÉCONOMIE E : Antoine Arman, Akima Bedouani, Mekioussa Chekir, Yves Dubois, Pierre Fauchart, Hakima Kernane, Christian Malar, Véronique Narame, Mourad Saouli, Georges Sassine. ■ CULTURE, SOCIÉTÉ : Alexandre Aublanc, Philippe Cendrier, Dominique Francœur, Anne Samar CORRESPONDANTS Abou Dhabi : Gerald Butt, Beyrouth : Ed Blanche, Dubaï : Paul Weston, Tunis : Moncef Mahroug CONCEPTION & DIRECTION ARTISTIQUE Randa Khouri ADMINISTRATION Arabies : Mensuel édité en France par la Société de Conseil en Communication S.A.R.L. au capital de 124.000 FF. RC. Paris 86 BO 1718 GÉRANT - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Julien Hawary RESPONSABLE ADMINISTRATIF Maguy Paniagua (Tél. : +33 1 47 66 95 14) PUBLICITÉ DIRECTEUR DU DÉVELOPPEMENT Manuel Dias Tél. : +33 1 47 66 95 14 E-mail : dias@arabies.com MEDIALEADER Régie de Presse 18, rue de Varize - 75016 Paris Tél. : +33 1 47 66 46 00 / +33 1 42 12 06 12 Fax : +33 1 47 63 63 31 ABONNEMENTS Catherine Dobarro Tél. : +33 1 47 66 46 00 PRODUCTION PHOTOGRAVURE Kamel Graphic 6, Villa Saint-Charles 75015 PARIS Tél. : +33 6 20 61 62 25 IMPRESSION Imprimerie Corlet Tél. : +33 2 31 59 53 28 ZI Route de Vire 14110 Condé sur Noireau DISTRIBUTION NMPP Membre inscrit à l’OJD
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du monde arabe et de la francophonie
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ALGÉRIE ALLGÉ A GÉRI GÉRI RIE IE Le Le pays pay ays oscille oosscciill lle entre een nttrre re grogne grroog g gn nee sociasoc ocia iale, le, luttes le llu utte tttes es de de pouvoir poou p uvvooiir et et manœuvres man anœ œu uvr vreess politiques pooli p littiiiqu liti queess pour qu poou ur la la succession suc uccceess ssiio on
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