cinéma culture techno avril 2013 n°110 by RENCONTRE AVEC PHOENIX Et aussi… Gus Van Sant • L’Écume des jours • Jeff Nichols • SXSW • Ill Manors Wong Kar-wai • Adolpho Arrietta • Oblivion • Les Croods • Christophe
Angela Davis
honore ses engagements
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SOMMAIRE Éditeur MK2 Agency 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. : 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com)
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5 ... ÉDITO 6 ... ENTRETIEN > Phoenix pour Bankrupt! 10 ... PREVIEW > The Great Gatsby de Baz Luhrmann 12 ... SCÈNE CULTE > Jurassic Park de Steven Spielberg 14 ... HOLLYWOOD STORIES > Greta Garbo
17 LES NEWS
Directrices artistiques Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr)
17 ... CLOSE-UP > Pauline Parigot pour Les Lendemains de Bénédicte Pagnot 18 ... COURTS MÉTRAGES > Voice Over de Martin Rosete 20 ... FESTIVALS > South by Southwest ; Festival du film asiatique de Deauville ; Cinéma du réel 22 ... MOTS CROISÉS > Adolpho Arrietta pour Flammes 24 ... SÉRIES > Real Humans de Lars Lundström 26 ... ŒIL POUR ŒIL > Berberian Sound Studio vs Blow Out 28 ... FAIRE PART > « Le Monde enchanté de Jacques Demy » à la Cinémathèque 30 ... PÔLE EMPLOI > Claudio Miranda, directeur de la photographie du Oblivion de Joseph Kosinski 32 ... ÉTUDE DE CAS > Stoker de Park Chan-wook 34 ... TOUT TERRAIN > Anika, L’Écume des jours de Michel Gondry 36 ... SEX TAPE > Perfect Mothers d’Anne Fontaine
Secrétaire de rédaction Vincent Tarrière
40 DOSSIERS
Rédactrice en chef adjointe Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com)
Iconographe Juliette Reitzer Stagiaire Stéphane Odrobinski Ont collaboré à ce numéro Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Jean-Paul Chaillet, Renan Cros, Jérémy Davis, Julien Dupuy, David Elbaz, Yann François, Adrien Genoudet, Clémentine Gallot, Quentin Grosset, Donald James, Gladys Marivat, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michael Patin, Pamela Pianezza, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer Illustrateurs Dupuy et Berberian, Stéphane Manel, Charlie Poppins Illustration de couverture ©Eirian Chapman / The Jacky Winter Group Publicité Directrice commerciale Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) Chef de projet communication Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) Assistante chef de projet Anaïs Benguigui (anais.benguigui@mk2.com) © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.
38 ... FREE ANGELA > Rencontre avec Angela Davis 42 ... PROMISED LAND > Entretien avec Gus Van Sant ; la démocratie dans le cinéma américain 52 ... MUD > Entretien avec Jeff Nichols ; critique du film 58 ... ILL MANORS > Entretien avec Ben Drew ; infographie : hip-hop et cinéma 64 ... THE GRANDMASTER > Rencontre avec Wong Kar-wai 68 ... KINSHASA KIDS > Critique du film 72 ... HAUTES TENSIONS > Festival cirque et hip-hop à la Villette 76 ... BIOSHOCK INFINITE > Visite dans les studios de création du jeu vidéo
81 STORE 81 ... OUVERTURE > Après Mai d’Olivier Assayas 82 ... RUSH HOUR > Mag Bodard, portrait d’une productrice ; Philippe Garrel, en substance ; Les Hauts de Hurlevent 84 ... KIDS > Les Croods de Chris Sanders et Kirk DeMicco 86 ... DVD-THÈQUE > Jaurès de Vincent Dieutre 88 ... CD-THÈQUE > Wakin on a Pretty Daze de Kurt Vile 90 ... BIBLIOTHÈQUE > Fantôme de Jo Nesbø 92 ... BD-THÈQUE > Poissons en eaux troubles de Susumu Katsumata 94 ... LUDOTHÈQUE > la sélection de la rédaction
97 LE GUIDE 98 ... SORTIES EN VILLE > GaBLé ; Diplo and friends ; « Paint it Black » ; Paul Jacoulet ; Philippe Quesne ; le syndrome de l’asperge 110 ... SORTIES CINÉ > Effets secondaires de Steven Soderbergh ; La Maison de la radio de Nicolas Philibert ; La Belle Endormie de Marco Bellocchio ; The Act of Killing de Joshua Oppenheimer ; L’Intervallo de Leonardo di Costanzo 124 ... LES ÉVÉNEMENTS MK2 > Mon petit MK2 ; Jazz au cinéma ; Carte blanche à Christophe ; rencontre avec Marc-Antoine Mathieu 130 ... « TOUT OU RIEN » PAR DUPUY ET BERBERIAN 131 ... LE CARNET DE CHARLIE POPPINS
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ÉDITO J’irai cracher sur ma tombe L’Écume des jours a déjà commencé, avant même que l’écran ne s’allume et que le spectateur ne puisse prendre le train à toute berzingue, sans souffler entre les vagues incessantes des trucs et astuces visuels qui font la cartographie de l’appartement du personnage principal Colin, du lexique bricoleur de Boris Vian ; du casting poids lourd qui campe des personnages qui s’autorisent toutes les incises, comme le réalisateur – toutes les digressions – et des parenthèses (y’en a un paquet), tant et si bien qu’on n’en peut plus (vraiment plus) ; ça commence trop fort, trop lourd : il nous faut des phrases, il faut mettre un point. Michel Gondry entasse toutes ses idées, comme Vian accumulait les casquettes : trompettes, carnets, chansons, soirées, un cœur malade. Vian empilait les projets, persuadé que plus ils sont nombreux, plus ils mettent de temps à se flétrir, à disparaître, et lui à mourir. C’est l’écume des jours, le bouillon continu qui mousse cette salive, si utile pour articuler les idées en mots. Il faut cracher ses idées sur sa tombe, pour lui rappeler que ce n’est pas encore le moment. Pour avoir des idées mais ne pas se faire d’idées, il faut parfois passer par une idée fixe. Pour s’y retrouver. Quand la peine était trop dense, Vian devenait Vernon Sullivan. L’auteur à la plume qui rigole et qui allume des incendies, en bloquant les issues de secours : Et on tuera tous les affreux et J’irai cracher sur vos tombes, bombe bileuse lancée sur l’Amérique raciste et ségrégationniste. La même Amérique qui donna à Angela Davis l’idée de son engagement. Dans un entretien, à retrouver au centre du magazine, elle prévient : une idée, une cause, au début c’est facile, ça s’entretient tout seul, par vagues incessantes. Et puis l’idée se structure en forme de phrase, quand les points surgissent. Quand les parenthèses se font rares, quand l’idée devient slogan. Le slogan, l’icône, Angela Davis s’en est toujours méfié : le symbole flétrit vite en évidence, et on évite de dire les évidences. Le militant devient alors muet, incapable d’honorer son engagement. Gondry raconte ça avec brio, quand il ôte petit à petit les mots de son langage cinématographique, pour montrer comment l’idée de Colin flétrit. Il fait des phrases. Il se tait. Met des points. Et puis plus rien . _Étienne Rouillon
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Le réveil du phoenix
ENTRETIEN
Leur disque Wolfgang Amadeus Phoenix (2009) a permis aux quatre Versaillais de jouer au Saturday Night Live, de remporter un Grammy Award et de remplir le Madison Square Garden. Pour ne pas se brûler les ailes, Phoenix a du renaître à l’abri du tumulte, dans son nidstudio. Laurent Brancowitz et Christian Mazzalai évoquent la gestation de Bankrupt!, sous le signe de la patience et de la pop italienne. _Propos recueillis par Éric Vernay
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otre disque s’appelle Bankrupt! (« en faillite »), mais il y a un point d’exclamation : c’est l’énergie en temps de crise ? Laurent Brancowitz : Exactement ! Je n’y
avais pas pensé. Mais ce n’est pas une crise financière, là. Alors pourquoi la banqueroute ? Christian Mazzalai : Vas-y, je t’écoute… (rires) L. B. : Chercher un titre d’album, c’est compliqué. Ça nous prend des mois. Après avoir épuisé les plus beaux mots du monde – qui évoquent la grâce, l’élégance, un succès racé –, l’ennui arrive, et on se rend compte que ces mots ont été employés mille fois. Et c’est là que les choses commencent à devenir intéressantes. On cherche les mots oubliés par l’art. Il y a aussi l’influence de Warhol. Je me rappelle avoir vu son expo « Headlines » (consacrée à l’obsession de l’artiste américain pour les unes sensationnelles – ndlr). Cet esprit nous plaisait, l’impact du gros titre de journal, avec le point d’exclamation. En plus de ce côté sérieux, il y a l’ambiance Roue de la fortune – l’émission télé. J’ai des souvenirs assez flous, mais lorsque quelqu’un tombait sur la case « banqueroute », il y avait un mélange de plaisir et de déplaisir pour le spectateur. C’est comme la case « double zéro » au casino, c’est la plus magique finalement. Phoenix a changé de dimension depuis le passage au Saturday Night Live en 2009. Comment est-ce arrivé ? C. M. : On venait à peine de terminer Wolfgang
Amadeus Phoenix et l’album a leaké (« fuité »), comme on dit sur le net. Du coup, il s’est retrouvé dans les oreilles de la productrice de Saturday Night Live, qui a aimé. À ce moment-là, on avait à peine un deal, pas de maison de disque, en tout cas pas en Europe je crois… Ce n’était pas du tout prévu, le disque n’était pas sorti, rien. On a appris qu’on devait faire l’émission deux semaines plus tard, on n’avait même pas les visas, tout s’est fait à la dernière seconde, jusqu’au moment où on a joué en direct. Tout aurait pu devenir une catastrophe.
L. B. : Je n’ai jamais été aussi stressé de ma vie. Monter
sur scène, sans être préparé, c’est assez terrifiant. Surtout à la télé américaine, dans une des émissions les plus regardées…
Vous avez mis quatre ans à sortir Bankrupt! La pression était-elle grande ? L. B. : On a fait deux ans de tournée, puis deux ans
de studio. Ce qui est très long. Mais c’est à peu près la norme pour nous ! (rires) On a une méthode qui demande du temps, de la patience et d’avoir foi dans le hasard. C. M. : On a eu deux périodes. Beaucoup d’expérimentations d’abord, en lâcher prise total. Puis beaucoup de réflexion. L. B. : C’est long, mais c’est la seule manière qu’on a trouvé pour dépasser nos limites. C. M. : Malgré le succès du disque précédent, on n’a pas eu plus de pression que d’habitude. Au bout d’un an, cette pression extérieure n’existe plus… Concrètement, on n’est pas allé au restaurant pendant deux ans. On était en autarcie totale. La pression existe plutôt entre nous, on essaie de faire mieux que l’album précédent. N’aviez-vous pas peur de l’échec, après le carton de votre précédent disque Wolfgang Amadeus Phoenix ? L. B. : Sans doute. On aime bien mettre toutes nos billes
dans un truc, c’est-à-dire faire n’importe quoi, mais si on se plante, c’est extrêmement grave. (rires) Ce sentiment nous habite en permanence, on l’aime bien. C’est un esprit d’engagement, un peu comme les producteurs de cinéma à l’ancienne, qui mettent leur maison en hypothèque.
Vous considérez-vous comme un groupe de studio ? L. B. : Non, on aime le live aussi. Mais c’est vrai qu’on
a commencé dans un studio. On a grandi à Versailles, il n’y a pas vraiment de musique ou de scène là-bas. On n’arrivait même pas à imaginer qu’on pouvait jouer en live quelque part. www.mk2.com
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De gauche à droite : Thomas Mars, Laurent Brancowitz, Christian Mazzalai et Deck d’Arcy
Adam Yauch des Beastie Boys vous a proposé de venir dans son studio : comment ça s’est passé ? C. M. : On l’avait croisé lors de notre concert au
Madison Square Garden. On cherchait un studio, il nous a généreusement proposé le sien. On a beaucoup discuté avec les Beastie Boys pendant trois mois, c’était génial. Aviez-vous une direction précise en tête pour cet album ? L. B. : On a découvert ensemble où on
voulait aller. On ne sait jamais exactement ce qui nous attend. Avoir un projet, c’est le meilleur moyen de détruire l’excitation. Savoir où l’on va, c’est toujours très mauvais signe. C. M. : L’émotion est plus extrême, sur ce disque. L. B. : Et il y a plus de facettes, comme sur un bijou.
lienne pour ce disque, mais on ne connaît pas les trucs récents. On s’est concentré sur les originaux. Lucio Battisti, à fond ! C’est notre dieu pour cet album. Franco Battiato, aussi. Ce « L’objet clé, pour n’est pas vraiment disco, mais c’est cet album, était un l’émotion italienne.
synthétiseur qu’on a acheté le premier jour à Versailles. Un synthé à vingt euros. Un jouet, quoi. »
Sur ce disque, vous avez choisi des instruments vintage utilisés par Stevie Wonder ou par Michael Jackson (sur l’album Thriller). Le choix de l’objet est-il un point de départ ? L. B. : C’est très important, oui. L’objet clé, pour cet
album, était un synthétiseur qu’on a acheté le premier jour à Versailles. Un synthé à vingt euros. Un jouet, quoi. On s’en est servi sur tous les morceaux. Sinon, on aime bien soit les objets très cheap, soit le top. Le moyen est à proscrire. Dans la musique, il y a un moment où la qualité a baissé. Les instruments étaient mieux faits avant. L’âge d’or a pris fin en 1982, quelque chose comme ça. Quand tu achètes un instrument neuf aujourd’hui, ce n’est pas bon… C’est triste ! Mais il ne faut pas avoir que des instruments de qualité, mieux vaut s’éloigner de la zone de confort. Sinon c’est comme une pizza bio ! Une pizza doit être un peu cheap. Il faut des ingrédients « sales » pour que le « surgoût » apparaisse.
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Il y a des sons « italiens » sur le disque. Êtes-vous un amateurs de Johnny Jewel (Glass Candy, Chromatics, la B.O. de Drive) et de l’actuel revival italo-disco ? C. M. : On a écouté uniquement de la musique ita-
Sur la chanson Bankrupt!, le chant vient tard. Aviez-vous envie de vous écarter un peu du format pop ? L. B. : Spontanément, c’est le genre
de morceau qu’on fait. Mais le spontané, ce n’est pas toujours ce qu’il y a de mieux. On a beaucoup de chutes de studio, par forcément des morceaux finis, mais des milliers d’idées de chansons. Deux mille ou trois mille, rien que pour ce disque. C. M. : D’ailleurs, on va sortir le disque dans une édition spéciale, avec en bonus soixante-douze idées de chansons. Parfois une minute, ou trente secondes. Des petites ébauches. Depuis vos débuts, votre musique est liée au cinéma américain, à Sofia Coppola notamment. Êtes-vous cinéphiles ? C. M. : Oui, on parle beaucoup de cinéma entre nous.
On a écrit un morceau de Bankrupt! pour la B.O. du prochain film de Sofia Coppola (The Bling Ring, ndlr). C’est grâce au film que la chanson existe. Pour nous, c’est plus rapide d’écrire une chanson pour le cinéma, car on est au service de quelqu’un. Ça nous prend une ou deux journées maximum ! C’est très agréable. ♦ Bankrupt! de Phoenix Label : Glassnote/Loyauté/ V2 Sor tie : 22 avril
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PREVIEW
Nouveau riche
©2013 BAZMARK FILM III PTY LIMITED
Gatsby le Magnifique de Baz Luhrmann Avec : Leonardo DiCaprio, Tobey Maguire… Distribution : Warner Bros. France Durée : non communiquée Sor tie : 15 mai
Film d’ouverture du prochain festival de Cannes, cette quatrième adaptation au cinéma du portrait acide de la bourgeoisie américaine dressé par Francis Scott Fitzgerald en 1925 est signée par l’Australien Baz Luhrmann (Romeo + Juliette, Moulin rouge !). Après Robert Redford, c’est au tour de Leonardo DiCaprio d’incarner le mystérieux milliardaire Gatsby. Tobey Maguire, qui joue Nick Carraway, nous a confié : « Je n’avais jamais lu le livre avant que Baz Luhrmann ne me fasse part de son projet. Le film respecte la belle prose poétique de Fitzgerald, même si certains dialogues ont été modernisés. Nick admire Gatsby, il comprend la beauté de son rêve illusoire, ce rêve incorruptible. Baz est une sorte de Gatsby ! Un cinéaste à l’esthétique très musicale qui adore explorer. » _Jean-Paul Chaillet, à Los Angeles
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scène culte
STEVEN SPIELBERG sera cette année le grand manitou de « cinéphile park ». Président du jury du prochain festival de Cannes, il est à décidément à l’honneur ce printemps avec la ressortie, en salles et en 3D, de son cultissime Jurassic Park. John Hammond (Richard Attenborough), savant mégalo, a redonné vie aux dinosaures pour ouvrir un parc d’attraction. Il convie une équipe d’experts, parmi lesquels les paléontologues Alan Grant (Sam Neill) et Ellie Sattler (Laura Dern), pour vérifier la sécurité des lieux. Lors de leur première balade en voiture dans le parc, Alan aperçoit une masse qui bouge au loin… _Par Stéphane Odrobinski
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©Universal Pictures
JURASSIC PARK (Ellie observe une feuille d’arbre alors qu’Alan se lève.) ELLIE : Alan, cette variété de Veriforman a disparu depuis le crétacé… Quoi ? (Absorbé, il lui tape sur l’épaule, puis lui prend la tête et la tourne... Ils ont sous les yeux un diplodocus, vivant. Ils se lèvent pour le suivre, Alan le montre du doigt.) ALAN : C’est … c’est… un dinosaure. (John les suit, amusé par leur incrédulité. Ian Malcolm, un autre scientifique toujours dans la voiture, est béat.) IAN : Il l’a fait, il y est arrivé, ce vieux dégénéré. […] (Sous le choc, Alan interroge John.) ALAN : Ils sont rapides ? JOHN : Nous avons chronométré le T. rex à 40 km/h. ELLIE : Vous avez un T. rex, vous dites que vous avez un T. rex ? ALAN : Redites ça ! JOHN : Oui, oui nous avons un T. rex. (Allen, à ces mots, ressent des vertiges.) […] JOHN : Docteur Grant, mon cher professeur Sattler, bienvenue à Jurassic Park. ♦ (Pour [re]découvrir cet te scène dans une version… par ticulière, tapez « Jurassic Park theme song melodica cover » sur Youtube.) Jurassic Park de Steven Spielberg, scénario de Michael Crichton et David Koepp (19 9 3) Disponible en DVD (Universal Pictures) // Ressor tie en salles en 3D le 1 er mai
©RDA/BCA
hollywood stories
Un tombeau pour Greta
Retirée du cinéma en 1941, après l’échec relatif de La Femme aux deux visages, Greta Garbo a longtemps rêvé d’un grand retour en héroïne balzacienne. Dans son livre Un renoncement, René de Ceccatty raconte l’abandon brutal du tournage de La Duchesse de Langeais sous la direction de Max Ophüls en 1949, métaphore du renoncement qui aura marqué la vie de l’actrice. _Par Gladys Marivat
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l faut pouvoir se représenter cette attente à Rome, les journées encore chaudes de ce mois de septembre 1949. Le 3, Greta Garbo a posé ses valises dans un grand hôtel. Elle y occupe trois chambres avec son indispensable de voyage, son amant George Schlee, milliardaire russe et époux de sa couturière Valentina. Le 18 septembre, jour de ses 44 ans, doit commencer le tournage de La Duchesse de Langeais, adaptation du roman de Balzac mettant en scène une des plus belles héroïnes du « non », une coquette qui séduit, puis se refuse à un général et se réfugie dans un monastère. Quelque chose attire irrésistiblement Garbo dans ce personnage. Ce renoncement dans le désir, si proche de la relation qu’elle entretient avec le cinéma – « prisonnière de son fantasme », écrit René de Ceccatty. Celle qu’on surnommait « la Divine » dans les années 1930 désire ce film qui pourrait la ramener en Europe, elle qui se déteste dans les films hollywoodiens où seules sa beauté hors du commun, la modernité de son jeu, sa sensualité masculine, sa démarche singulière explosent à l’écran. De La Reine Christine (Rouben Mamoulian, 1933), souvent considéré comme son plus beau rôle, elle dira que c’est son pire film, où elle a « tenté de paraître suédoise ». Greta Garbo voulait faire de l’art. Plus tard, elle comprendra « qu’on ne pouvait pas faire d’art à Hollywood ». 14
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Jusqu’au 17 septembre donc, Garbo reste barricadée dans sa chambre, attendant le début du tournage. En vain. Les producteurs ont pris la fuite. Le scandale causé en Italie par Ingrid Bergman et Roberto Rossellini ? L’attitude arrogante de Garbo ? René de Ceccatty n’a qu’une certitude : très vite, l’actrice a su qu’il n’y aurait pas de film. Les tests photo pour La Duchesse avaient révélé une bouche déformée, cette bouche qui avait fait sa renommée. Sa beauté s’était comme évaporée. Écrire sur Garbo, c’est comme vouloir photographier un fantôme. René de Ceccatty le montre avec ce récit-enquête très documenté, qui se déploie comme un kaléidoscope où l’on découvre ce qui a pu se cacher derrière le fantasme. « Une légende qui n’avait plus aucune réalité », dira Cecil Beaton quand Garbo se retire définitivement du cinéma pour vivre en recluse. Cinquante dernières années à vivre, à ressasser seize ans de cinéma... À la fin des années 1940, Garbo suivait des régimes pour tenter de retrouver sa beauté. Elle cherchait des rôles proches de l’image qu’elle se faisait d’elle-même. Une reine, une amante passionnée. Comme la duchesse de Langeais, Greta Garbo attendait que revienne cet amour qu’elle avait tant méprisé et rejeté. Et finalement tant désiré. ♦ Un renoncement de René de Ceccat t y (Flammarion) Disponible
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Close-up
©Philippe Quaisse/Pasco
NEWS
PAULINE PARIGOT
Elle est aussi pétillante que son personnage est mutique. C’est pourtant sa première interview. Dans Les Lendemains de Bénédicte Pagnot (sortie le 17 avril), Pauline Parigot, 20 ans, comédienne d’origine bretonne, fraîchement débarquée à Paris pour étudier au Conservatoire du XVIIIe arrondissement, joue son premier rôle dans un long métrage : Audrey, une étudiante de Rennes, qui rencontre un groupe de squatters. « J’avais des préjugés sur ce milieu. Aujourd’hui, je pense qu’il faut un courage extrême pour vivre dans ces conditions », raconte-t-elle. Pauline, qu’on verra bientôt dans Bici de Dominique Laroche, évoque avec plaisir le décor du film, qui lui a permis d’expérimenter la vie en communauté : « Ce pensionnat abandonné est devenu un vrai squat, c’est formidable cette histoire. » _Quentin Grosset
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NEWS courts métrages Courts, toujours
DR
_Par S.O.
Valtari Mystery Film Experiment d’Alma Har’el, Christian Larson… Les Islandais de Sigur Rós, après avoir inventé leur langue (le Vonlenska), réinventent leur musique. À leur demande, des clippeurs du monde entier ont illustré leur album Valtari (2012). On y croise par exemple Shia LaBeouf dans le clip de Fjögur píanó.
©Kamel Films
DVD disponible (Parlophone)
_Par Clémentine Gallot
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es minutes suffocantes s’étirent pour un astronaute échoué sans oxygène, à moins que ce ne soit un soldat cul-de-jatte enfoncé dans la boue pendant la Première Guerre mondiale, ou un marin asphyxié par la noyade. Trois possibilités mortelles, avec pour seul fil rouge la voix chaude de Féodor Atkine, mystérieux narrateur guidant le spectateur vers le dénouement. Voice Over, astucieux court-métrage de dix minutes qui s’éloigne peu à peu de la piste S-F, est sorti de l’anonymat grâce à sa diffusion sur la plateforme de vidéos en ligne Vimeo. Sa notoriété sur la Toile lui a valu une diffusion dans quarante-quatre festivals, dont Clermont-Ferrand et Tribeca, ainsi qu’une nomination aux Goyas, équivalent espagnol de nos Césars. Le cinéaste madrilène
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de 32 ans a également fait appel au bon cœur des internautes sur le site de financement collaboratif Kicktarter. Voice Over est ainsi le dernier né d’une pratique en voie de généralisation, qui fluidifie le passage du web à la salle : Andrew Allen, réalisateur du court d’animation The Thomas Beale Cipher, a fait appel à la même rampe de lancement et compris que le public touché sur Internet représentait une masse bien plus vaste que celle des spectateurs des festivals. Quant à Rosete, il passe déjà au long métrage avec Moses, un documentaire sur un SDF qui arpente depuis vingt ans les rues de San Francisco. ♦ Voice Over de Mar tin Rosete Avec : Féodor Atkine, Jonathan D. Mellor… Durée : 9 min 43 À voir sur w w w.vimeo.com/58150375
Croissant de triomphe de Paul Rudish, Aaron Springer, Clay Morrow Paris : Minnie, la serveuse, n’a plus de croissants, et ses clients rouspètent. Mickey vole à son secours… en scooter. Le dernier court métrage Disney inaugure une série à venir de dix-neuf épisodes : les héros devraient explorer Venise, Tokyo, etc.
DR
Jeune espoir du cinéma espagnol, Martin Rosete a utilisé le web – et la plateforme Vimeo – comme tremplin pour propulser son court métrage en festivals : voici Voice Over.
© Disney
Bonne voix
Adieu Absalon de Pierre Denoits Le roi David flanque son fils Absalon d’une ceinture de chasteté. Celui-ci prend le maquis pour trouver Irène la sorcière qui seule peut le libérer. Sous influence Guiraudie, un premier court champêtre qui indique gaiement la route vers l’insurrection.
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©Met ropol ita n Fi l m E x por t
NEWS FESTIVAL
The Land of Hope de Sono Sion
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Festival du Film asiatique de Deauville Chaque année, le festival du Film asiatique de Deauville rend hommage, en leur présence, aux grands noms d’un cinéma bigarré. En mars, la 15 e édition faisait le grand écart entre le poète punk Sono Sion et l’esthète extatique Wong Kar-wai. La compétition offrait un joli paradoxe : si un festival est une envie d’ailleurs pour le spectateur, la sélection montrait des personnages brûlant d’échapper à un pays ou une situation, du chinois The Last Supper (un splendide Rashomon en chambre et clair-obscur) à l’iranien Taboor (une fable énigmatique transformant Téhéran en un fascinant décor de S-F). Des fuites souvent vaines mais belles, qui dessinent l’Asie en territoires de désirs contrariés. _Léo Soesanto
Prince Avalanche de David Gordon Green
Tex MESSE _Par Clémentine Gallot
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a sélection cinéma du festival SXSW reste fidèle aux microbudgets et confirme son éclectisme avec plus de cent films cette année. Deux des plus belles fictions présentées avaient pour toile de fond, joli hasard, de flamboyants feux de forêt : Prince Avalanche de David Gordon Green et The Wait de M. Blash, tournés respectivement au Texas avec Paul Rudd et en Oregon avec Chloë Sevigny. Des séances de minuit endiablées ont proposé d’improbables pitchs : déjà culte, Milo de Jacob Vaughan suivait un homme tourmenté par les allées et venues d’un bébé démon ayant élu domicile dans son colon. Outre plusieurs reprises du festival de Sundance, la
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South by Southwest (SXSW), la fête annuelle de la musique, des nouvelles technologies et du cinéma indépendant américain, avait lieu mi-mars à Austin, au Texas. Coup de projecteur sur la programmation cinéma de cette 20e édition. Transports à dos d’hommes de Bertille Bak
sélection plus expérimentale, nommée Visions, et la compétition principale ont toutes deux confirmé la bonne santé du cinéma texan, représenté par Jeff Nichols, Richard Linklater, Andrew Bujalski ou encore Sean Gallagher. Le vingtième anniversaire de SXSW a surtout été marqué par l’essor du documentaire, notamment musical : The Punk Singer, This Ain’t No Mouse Music, Downloaded. Ont été primés, le drame social Short Term 12 de Destin Cretton (Prix narratif), avec l’excellente Brie Larson, et dans la catégorie documentaire, William and the Windmill de Ben Nabors, sur la bonne conscience de l’Occident en Afrique. ♦
Festival Cinéma du réel Fin mars, le festival Cinéma du réel, au centre Pompidou, consacrait une partie de sa programmation au thème « Pays réels, pays rêvés ». Entre Luc Moullet tentant de trouver une alternative à Paris dans le déjanté Imphy, capitale de la France (1995) et le portrait surprenant d’un camp rom dans Transports à dos d’hommes (2012) de Bertille Bak, un débat passionnant sur les femmes cinéastes face aux révolutions arabes était organisé avec les réalisatrices Fatma Cherif (Tunisie), Jihane Chouaib (Liban) et Hala Mohammad (Syrie). Pour questionner les bouleversements et contradictions de leurs pays respectifs, elles ont pris appui sur le titre d’un film de Fatma Chérif : Y aura-t-il un printemps pour les femmes ? _Quentin Grosset
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NEWS MOTS CROISÉS
Une petite fille rêve d’un beau pompier, et voilà que celui-ci, des années après, vient la chercher. Flammes, romantique en diable, est un chef-d’œuvre d’érotisme souterrain, par un des réalisateurs les plus underground de sa génération. Adolpho Arrietta était resté dans l’ombre d’Eustache et de Garrel, ses contemporains. Aujourd’hui à l’honneur grâce à une rétrospective qui lui est consacré, nous lui avons proposé quelques citations qu’il a commentées, sans cesser de rêver. _Propos recueillis par Laura Tuillier _Illustration : Stéphane Manel
Au feu ! « L’enfance croit ce qu’on lui raconte, et ne le met pas en doute. » (Carton d’ouverture de La Belle et la Bête de Jean Cocteau)
Le premier film que j’ai vu, c’était Le Magicien d’Oz. J’avais 4 ans. Les films de mon enfance sont restés dans mon inconscient et m’ont beaucoup influencé. Par exemple, L’Homme de mes rêves de Don Hartman et Rudolph Maté, que je vous recommande. Je l’ai vu pour la première fois à 7 ans, je viens de le revoir et de découvrir qu’il est peut-être à l’origine de Flammes. Ah, et j’aimerais filmer La Belle au bois dormant en 3D !
« La jeune fille ne change pas la cité, c’est la cité qui la change. La magie c’est cela : c’est le concret qui, avec toute sa charge, de lui-même, s’abstrait. » (Marguerite Duras, à propos du Château de Pointilly d’Adolpho Arrietta)
Je crois que Pointilly et l’article de Marguerite sont inséparables. C’est son article qui m’a amené à dépouiller le film d’une lourdeur qui me déprimait. 22
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Je trouve que la version courte (dans sa première version, le film s’appelait Le Château de Pointilly ; le titre de la deuxième version – Pointilly – est comme le film, raccourci – ndlr) s’accorde mieux avec l’article de Marguerite. Maintenant, je trouve le film léger, mystérieux et très envoûtant !
« On peut toujours jouer. Qu’est ce qu’on peut faire d’autre ? On ne peut pas s’arrêter. » (Le pompier dans Flammes)
Pour Flammes, j’ai éprouvé le plaisir de travailler de façon très ordonnée. Mes autres films étaient faits dans un désordre total. J’écrivais avec la caméra, et le scénario se faisait au montage. Mais le tournage de Flammes était magique. Mon assistant, Laurent Laclos, avait trouvé le petit château près d’Orléans. Il avait enlevé tous les trophées hippiques de cette résidence pour poneys, et le directeur de la photographie Thierry Arbogast a éclairé le lieu avec son génie. Une nuit que j’étais seul en bas, j’ai eu le sentiment que les personnages du film n’étaient plus des acteurs, mais qu’ils étaient là, avec
La réplique
« Quand je fais un film, j’ai le sentiment de jouer un jeu plus passionnant que n’importe quel jeu. Jouer à faire un film ou faire un film, c’est la même chose. » moi. Quand je fais un film, j’ai le sentiment de jouer un jeu plus passionnant que n’importe quel jeu. Jouer à faire un film ou faire un film, c’est la même chose.
« Et si on échoue, on recommence l’instant suivant, on a toute la vie pour réussir. » Audrey Tautou, qui joue l’amoureuse Chloé, dans l’adaptation de L’Écume des Jours de Boris Vian par Michel Gondry.
La phrase « Le casting de The Expendables 3 a besoin de sang frais. Et par sang frais, j’entends entre 22 et 27 ans. Pas des grosses baraques, mais des petits génies de l’informatique, des cerveaux. Et une jeune femme qui ne soit pas un sex-symbol, mais drôle. » Le sociologue Sylvester Stallone sur son compte Twitter, le 13 mars dernier.
« Nous sommes la main d’œuvre de forces profondes que nous connaissons très mal. En quelque sorte, le poète est un médium. » (Jean Cocteau)
Je ne sais pas d’où ça vient, l’inspiration. Cocteau disait qu’il fallait parler d’expiration plutôt que d’inspiration. Le rêve est très important. Par exemple, j’avais envie de faire une version de Pointilly avec le personnage de la préceptrice. Un soir que j’écrivais et que je n’étais pas très inspiré, soudain, la figure d’un pompier est apparue dans mon imagination, sans que je sache pourquoi. Son apparition a tout bouleversé. Mon scénario est devenu Flammes.
Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux Le Gorafi : Hollywood : un studio va sortir un film sans zombie, vampire ni super-héros. Dom : Ryan Gosling et Leonardo DiCaprio font un break en même temps. Ça commence à ressembler au pitch du Secret de Brokeback Mountain.
« Si le film que vous allez voir vous semble énigmatique, ou incongru, la vie l’est aussi. »
Davy : Omar Sy a été pris dans X-Men pour pousser le fauteuil roulant du professeur Xavier.
(Luis Buñuel, avertissement au début de L’Ange exterminateur)
Marie : Tom Cruise qui va incarner Kurt Cobain. C’est comme si on demandait à Cher de jouer Heidi.
L’Ange exterminateur me fascine à chaque fois que je le vois. Je ne pensais pas à Buñuel quand j’ai tourné Tam-Tam, mais le rapprochement me plaît. Les personnages de Tam-Tam sont aussi sous un charme qui les empêche de sortir : le charme de l’attente. Une fois que l’invité appelle pour s’excuser de son absence, le mystère n’est plus là, tout le monde s’en va.
« J’aimais cette surveillance, qui ne m’importunait pas. » (La jeune fille dans Pointilly)
Je n’aime pas perturber les acteurs, leur jeu obéit à un rapport télépathique qui s’établit entre nous. Je corrige leur jeu comme s’ils chantaient, je soigne leur image comme s’ils posaient, je surveille leurs mouvements comme s’ils dansaient. Le cadre est un tableau. ♦ Flammes d’Adolpho Arriet ta Avec : Caroline Loeb, Dionys Mascolo… Distribution : Capricci Durée : 1h30 Ressor tie : 17 avril, en version inédite et restaurée Rétrospective « Adolpho Arriet ta » à par tir du 17 avril au MK 2 Beaubourg
Christophe : Le clip du dernier Sigur Rós, on dirait que quelqu’un a pissé sur une vidéo de Woodkid. Guardian : Une étude montre que « la culture des Français leur apprend à être tristes ». She Ratchet : Quel bel hiver nous avons ce printemps. Chersvoisins : « Ce matin, un hamster a été retrouvé mort dans la cour. Il est vraisemblablement tombé de plusieurs étages. Ce n’est pas un accident. C’est le troisième en deux mois. Je trouverai le coupable. » Le gardien. NotWillFerrell : L’amitié, c’est comme se pisser dessus. Tout le monde peut le voir, mais il n’y a que vous qui pouvez ressentir la douce chaleur qu’elle procure. Thierryfremaux : RT. Nous essayons d’apporter notre soutien à John McTiernan. Intertitres : Le ridicule ne tue plus.
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NEWS SÉRIES ©Alo Ceballos /FilmMagic
le caméo
Chloë Sevigny dans The Mindy Project Depuis sa parenthèse britannique Hit & Miss, dans laquelle elle jouait une vénéneuse transsexuelle, Chloë Sevigny s’est faite omniprésente à la télé américaine : après American Horror Story et Portlandia, elle participera, en avril, à The Mindy Project. Elle jouera l’ex de Danny Castellano, l’un des médecins de cette comédie hospitalière créée et emmenée à l’écran par la galvanisante Mindy Kaling. Manière, pour Sevigny, de ne pas se faire oublier des directeurs de casting, au moment où se concoctent les programmes de la saison prochaine. _G.R.
Robots après tout
Déjouant le piège d’une science-fiction gourmande en moyens, Real Humans applique habilement à la figure classique de l’androïde le traitement « meuble en kit » pour dessiner un futur à la fois familier et déroutant. Qualité suédoise certifiée. _Par Guillaume Regourd
Real Humans de Lars Lundström (Suède, 2012, 1 saison) Diffusion : à partir du 4 avril sur Arte // saison 1 en DVD le 3 avril (Arte)
tant admis que Blade Runner reste la matrice indépassable de tout récit d’anticipation, mieux vaut se faire une raison : les élans visionnaires d’un Ridley Scott, à la télé, on oublie. Lars Lundström, le créateur de la série Real Humans, plante prudemment son décor dans un futur pas si lointain, pioché du côté de Bienvenue à Gattaca. La science-fiction s’insinue ici par petites touches dans un quotidien autrement très familier. La Suède telle qu’on se la figure, à un détail près : la robotique a connu un tel développement que des androïdes produits en série, les Hubots, équipent tous les foyers et entreprises. Achetés chez le concessionnaire local, ils ne coûtent guère plus cher qu’une commode Ikea. Le meilleur des mondes dépeint par Real Humans ne demande qu’à déraper, et la cavale d’un groupe d’Hubots rebelles constitue le fil rouge de la série. Là encore, pas
©Arte
é
de champs de bataille en images de synthèse, promesse d’un rendu Terminator fauché. Real Humans préfère sanctifier le port USB et la multiprise dans une esthétique lo-fi totalement raccord avec ses visées intimistes. Via sa famille témoin de cadres moyens faisant l’acquisition d’un Hubot ménager, ce show tenant autant de la chronique
Zapping
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Séries Mania En trois éditions, le festival parisien consacré aux séries est devenu incontournable. Cette année, il se déroulera du 22 au 28 avril au Forum des images. Master classes et projections d’inédits en entrée libre sont au programme. DR
Hemlock Grove Après House of Cards, deuxième test d’envergure le 19 avril pour la plateforme Netflix, qui mettra en ligne les treize épisodes de sa série d’horreur Hemlock Grove. Famke Janssen est la tête d’affiche de cette histoire de loup-garou produite par Eli Roth.
©Netflix
©James Lemke ©WireImage
_Par G.R.
Steven Spielberg Après A.I. Intelligence artificielle, le réalisateur de Lincoln continue de se voir en dépositaire de l’œuvre de Stanley Kubrick. Il envisage d’adapter en minisérie le projet de film dédié à Napoléon, imaginé dès les années 1960 par le maître britannique.
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acide que du thriller d’action passe le fameux modèle social suédois à la question : faut-il accorder le droit de s’aimer aux couples humains-robots ? Quel sort réserver aux modèles devenus obsolètes ? Real Humans appuie là où ça fait mal, avec un réjouissant mauvais esprit et de belles inspirations visuelles. Une vraie découverte. ♦
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©RDA/DILTZ
NEWS ŒIL POUR ŒIL
Blow Out de Brian De Palma Avec : John Travolta, Nancy Allen... Disponible en DVD (Carlot ta)
Son pour son Hommage amusé au giallo (thriller horrifique à l’italienne), Berberian Sound Studio nous plonge dans le dédale sonore d’un studio de postproduction miteux. Avec talent, PETER STRICKLAND pille un pilleur de génie : Brian De Palma et son Blow Out. _Par David Elbaz
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avril 2013
©Wild Side Films 2013 Berberian Sound Studio de Peter Strickland Avec : Toby Jones, Cosimo Fusco… Distribution : Wild Side/Le Pacte Durée : 1h32 Sor tie : 3 avril
I
talie, 1976. Gilderoy (Toby Jones), ingénieur du son guindé, débarque de son Angleterre natale pour sonoriser un film gore, entouré d’autochtones gominés franchement louches. On fabrique des bruits de tonnerre avec des morceaux de tôle, on mime les pires carnages en éclatant des pastèques au burin, pendant que des filles hurlent à la mort, un casque vissé sur la tête et les yeux rivés sur l’image. Là où De Palma, dans Blow Out (1981), décortiquait le matériau sonore pour mieux manipuler personnages et spectateurs, Peter Strickland rend avant tout un hommage ludique à sa fabrication modeste.
Ici, comme dans Blow Out, il y a un film dans le film : un giallo fauché dont on ne voit que le début. De Palma débutait sur une fausse piste, un pastiche à l’esthétique désuète. Berberian Sound Studio s’ouvre sur le générique ampoulé et baroque du film sur lequel travaille l’équipe de bruiteurs, ensuite uniquement matérialisé par sa bande son. Une ambiance fantasmatique qui va bientôt gagner l’antihéros Gilderoy. Loin de la paranoïa politique typique du cinéma américain des seventies dont Blow Out porte la marque, Berberian Sound Studio développe une paranoïa intime. Une hallucination auditive dans laquelle Peter Strickland se plaît à nous perdre. ♦
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Photographie Agnès Varda © Agnès Varda
NEWS FAIRE-PART
Catherine Deneuve et Nino Castelnuovo sur le tournage du film Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, en 1963
EXPOSITION
DEMY TEINTES
Une explosion chromatique pour sublimer des villes éteintes, des chansons chatoyantes qui viennent colorer jusqu’aux films en noir et blanc : Jacques Demy est un peintre des sentiments. L’exposition que lui consacre la Cinémathèque revient, entre divers inédits, sur un pan méconnu de son œuvre : ses inspirations et velléités picturales. _Par Quentin Grosset
N
e trouvant pas son idéal féminin, Maxence, le marin blondinet des Demoiselles de Rochefort, peint son portrait, alors que sans le savoir, il ne cesse de le croiser. Ce personnage a presque valeur de double pour Jacques Demy qui, à 13 ans, peignait déjà sur la pellicule. Dans Le Pont de Mauves, un film d’animation sur celluloïd représentant les bombardements auxquels il avait assisté pendant la guerre, les attaques aériennes,
rendues dans une abstraction bariolée, portaient déjà ce mouvement propre à son œuvre : non pas s’écarter du réel, mais le réinventer, l’investir par le biais d’images enchantées par son décorateur, Bernard Evein, et son compositeur, Michel Legrand. La guerre d’Algérie (Les Parapluies de Cherbourg), celle du Vietnam (Model Shop), les luttes sociales à Nantes (Une chambre en ville) : autant de thèmes sombres au vernis lumineux. Certaines toiles
Le carnet
« Le monde enchanté de Jacques Demy » Du 10 avril au 4 août à la Cinémathèque
avril 2013
Naissance Après Yippee Ki-Yay! le mois dernier, voici Bande à part, la dernière née des revues de cinéma conçues pour les iPad. En mars, Ryan Gosling, en couverture, partageait l’affiche avec Judd Apatow et G.I. Joe : Conspiration. Son interface classieuse et ses sujets ludiques et pointus lui promettent un bel avenir.
©Bande a part
Anniversaire 2013 marque le centenaire du cinéma indien. Il sera entre autres célébré sur la Croisette cannoise, qui fait de l’Inde son « pays invité ». En 1913 a en effet été tourné le film muet Raja Harishchandra de Dadasaheb Phalke, père fondateur du cinéma indien, réalisateur de plus de quatrevingt-quinze longs métrages.
DR
©Louis Monier/RDA
_Par L.T.
Hommage Jusqu’au 29 septembre, le musée des Années Trente de Boulogne rend hommage à Jean-Jacques Beineix à travers 900 m2 d’exposition. Chaque salle a été pensée comme une pièce dédiée à un film : la salle de bain est celle de Diva, et c’est à la cuisine qu’on pourra se réchauffer dans le souvenir de 37°2 le matin.
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l’ayant inspiré seront ici exposées, comme celles de Raoul Dufy ou David Hockney, des artistes dont le cinéaste suit la voie plastique à partir des années 1980. Il reprendra même des cours de peinture à l’académie Poussin, renouant avec son désir d’étudiant aux Beaux-Arts. Dans le « demy-monde », les chassés-croisés amoureux débouchent toujours sur une rencontre tardive. ♦
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NEWS PÔLE EMPLOI
Le cycle des lumières Nom : Claudio Miranda Profession : directeur de la photographie Dernier projet : Oblivion de Joseph Kosinski (Universal Pictures France, sor tie le 10 avril)
Entre tradition et innovation, Claudio Miranda confirme avec Oblivion qu’il n’a pas son égal pour sculpter les ténèbres et faire danser la lumière. _Par Julien Dupuy
A
ve c s a lo n g u e c r i n iè r e blanche, Claudio Miranda est l’un des visages les plus mémorables de la dernière cérémonie des Oscars, où il fut récompensé pour L’Odyssée de Pi. S’il n’a signé la lumière que de six longs métrages, il est déjà une légende vivante de son corps de métier. Toujours à l’avantgarde, il a contribué à donner ses lettres de noblesse au film numérique et a propulsé l’art du tournage en relief vers de nouveaux sommets. Bien entendu, un tel savoir-faire ne peut s’acquérir qu’avec une longue expérience. Avant de décrocher un poste de directeur de la photographie sur son premier film, en 2006, Miranda fut assistant de grands noms du milieu (en particulier Dariusz Wolski sur les films de Tony Scott) et signa la lumière de dizaines de publicités et de clips vidéos. « À l’époque, se souvient-il, on avait droit à tous les jouets imaginables pour ces tournages. Aujourd’hui, les budgets sont si serrés que vous pouvez vous estimer chanceux s’ils vous laissent filmer avec un appareil photo 5D ! » L’audace et l’efficacité de Miranda 30
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« Je ne crois pas qu’une seule caméra soit adaptée à tous les films : à chaque projet, sa caméra. » impressionnent David Fincher qui lui offre son premier travail d’envergure : L’Étrange Histoire de Benjamin Button. Un coup de maître, que Miranda consolide l’année suivante en retrouvant un complice de ses années pub, Joseph Kosinski, sur le plateau de Tron, l’héritage. LE PHARE C’est d’ailleurs sur ce tournage que Kosinski parle pour la première fois à Miranda d’un projet qui ne s’intitule pas encore Oblivion, mais Horizons : « Malheureusement, j’ai décliné son offre, parce que j’étais déjà engagé sur L’Odyssée de Pi. Mais le tournage d’Oblivion a été repoussé et j’ai pu terminer le film
CV Date gardée secrète Claudio Miranda naît à Santiago de Chili et grandit à Los Angeles. 1995 Miranda travaille pour la première fois sur le plateau d’un film de David Fincher (Seven) en tant que chef électricien. Courant 2000 Miranda éclaire plusieurs pubs réalisées par David Fincher (notamment pour Nike) et rencontre Joseph Kosinski sur une publicité pour les cigarettes Mezzo. 2007 Miranda devient directeur de la photographie additionnel pour Zodiac. Il occupera le poste de directeur de la photographie sur le film suivant de David Fincher, L’Étrange Histoire de Benjamin Button. 2013 Déjà nominé en 2009 pour L’Étrange Histoire de Benjamin Button, Miranda décroche l’Oscar pour L’Odyssée de Pi.
d’Ang Lee avant de rejoindre Joe. » Comme sur presque tous ses films, Miranda n’a pas hésité à essuyer les plâtres sur Oblivion, en étant le premier au monde à tourner un long métrage avec la toute nouvelle caméra de Sony, la CineAlta F65 : « Nous voulions saisir la richesse des textures que l’on trouve en Islande, où nous avons filmé une partie des extérieurs, et c’était la meilleure caméra pour ça. Le piqué de l’image est merveilleux, et les couleurs sont éclatantes. De plus, la sensibilité de ces caméras numériques me permet de garder une lumière très naturaliste. J’ai éclairé tout un décor avec une seule bougie ! Dans cette scène, la lumière vient de la bougie, mais aussi de la réflexion de la flamme sur le visage de Tom Cruise. J’ai d’ailleurs dit à Tom qu’il était le réflecteur le plus onéreux que j’avais jamais utilisé sur un tournage ! » DANS LES NUAGES Miranda n’est cependant pas un fanatique de l’innovation, et il n’a pas hésité à remettre au goût du jour la rétroprojection sur Oblivion. Cette
technique quasi séculaire, employée notamment sur 2001 : l’odyssée de l’espace, fut utilisée pour le tournage des scènes situées dans les Sky Towers, d’immenses demeures flottant au milieu des nuages : « Pour montrer le ciel à travers les baies vitrées, nous avons construit un écran de cent vingt mètres de long sur treize mètres de haut, sur lequel vingt et un projecteurs diffusaient des images de cieux qu’une équipe avait tournées à Hawaii. Tout était réalisé en direct : nous avions de vrais reflets sur le décor et des nuances de lumière sur les comédiens. Les acteurs ont adoré, ils avaient l’impression d’être réellement perchés dans le ciel. » Ultime preuve de l’ouverture d’esprit de Miranda : il est question qu’il revienne au tournage en pellicule pour son prochain film, Tomorrowland, de Brad Bird, avec George Clooney : « Je ne crois pas qu’une seule caméra soit adaptée à tous les films : à chaque projet, sa caméra. Et quand le sujet s’y prête, comme c’est le cas pour Tomorrowland, j’adore travailler à l’ancienne. » ♦
Flamand rock Je n’ai pas l’habitude de faire des présentations de carte blanche devant un public de salle de cinéma. En coulisses, j’angoisse, je grille cigarette sur cigarette. Je vais voir Arno, avec qui je dois faire l’entretien, et je lui dis qu’il me stresse grave. « T’inquiète, ça va bien se passer », me rassuret-il. Sur la scène, mes premiers mots sont suivis d’un silence pétaradant. Le chanteur évoque alors Blow Up d’Antonioni : « C’est la nostalgie des sixties, j’écoutais beaucoup les Yardbirds, qui jouent dans le film. » Il se souvient aussi de sa grand-mère (qu’il insulte), de sa vie de cuisinier pour Marvin Gaye… Et là, il me parle flamand, et me lance que je devrais arrêter de fumer. _Q.G. Future Vintage d’Arno (Naïve) // Disponible
La technique
©Warner Bros
©Universal Pictures
©Danny Willems
Brève de projo
Aux antipodes Pour les scènes se situant à l’étage zéro, le lieu réunissant les deux mondes inversés de Upside Down, le réalisateur Juan Solanas a eu recours à des caméras pilotées par ordinateur. Les plans montrant la cohabitation entre ces univers à l’apesanteur opposée étaient filmés dans deux studios simultanément. Chaque plateau utilisait sa propre caméra, et les deux appareils étaient reliés par un logiciel « maître-esclave » : chaque fois qu’une caméra était déplacée, l’autre caméra dupliquait les mêmes mouvements automatiquement. Les deux prises ainsi obtenues étaient fusionnées en temps réel sur le même plan, afin que le cinéaste puisse s’assurer que les deux mondes étaient correctement réunis à l’image. _J.D. Upside Down de Juan Solanas // Sor tie le 1 er mai
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NEWS ÉTUDE DE CAS
1,38 101
milliard de dollars. C’est le chiffre d’affaire de la MGM pour l’année 2012. 35 millions ont été engendrés par Skyfall et Le Hobbit : un voyage inattendu, chacun ayant généré 1 milliard au box-office mondial. Le Lion de la MGM en rugit de plaisir.
heures. C’est la durée du plus long film de 2013, Les Trois Petits Cochons d’Albert Serra, projeté au centre Pompidou en continu dès le 17 Avril. Le record mondial (240 h) est détenu par un film danois de 2011, Modern Times Forever.
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secondes. C’est la durée imposée à des spectateurs pour livrer leurs impressions après la projection du film La Chute de la Maison Blanche aux États-Unis. Une pub virale qui s’appuie sur Vine, nouveau module vidéo de Twitter.
Park Chan-wook, bienvenu à Hollywood ? NON Park Chan-wook abandonne patrie et casquette de scénariste (qu’il avait endossée pour tous ses films jusqu’à présent) pour se concentrer sur la mise en scène d’un thriller horrifique sur fond de vilaines histoires de famille. À partir d’un pitch rappelant étrangement celui de L’Ombre d’un doute d’Hitchcock – un jeune oncle séduisant s’installe dans la famille de sa nièce et tisse lentement son inquiétante toile –, Park Chan-wook multiplie les angles de prises de vue virtuoses sans parvenir à accrocher ni l’œil ni l’esprit. Si tout est question de mise en scène, on regrette que celle de Park Chan-wook ne serve ici qu’une morale simple à l’extrême : la cruauté serait un atavisme qui engendrerait une jeunesse viciée dès l’origine.
©20th Century Fox
_Laura Tuillier
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Le maître sud-coréen du film noir, gore (Old Boy) et sulfureux (Thirst, ceci est mon sang), quitte son pays pour filmer Mia Wasikowska dans Stoker, un thriller familial. Le voyage en valait-il la peine ?
Stoker de Park Chan-wook Avec : Mia Wasikowska, Nicole Kidman... Distribution : 20 th Centur y Fox France Durée : 1h40 Sor tie : 1 er mai
OUI Puisque Park Chan-wook n’est pas le scénariste de Stoker, il invente un monde où tout est image. On croise dans le film aussi bien les fantômes d’Hitchcok que ceux, plus tordus encore, de De Palma (Carrie au bal du diable, Furie). Le fétichisme de l’un, le mauvais goût joyeux de l’autre sont mis au carré pour décupler la puissance malsaine de ce récit d’une initiation au mal. La mise en scène, génialement artificielle et grotesque, donne à cette série B des allures d’Alice au pays des horreurs. Mélangeant allègrement le sexe, la mort et la famille, chaque scène donne lieu à des expérimentations visuelles stupéfiantes qui trahissent la folie qui guette. En débarquant à Hollywood, Park Chan-wook redonne enfin au thriller américain un goût de soufre et d’excès. _Renan Cros
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NEWS TOUT-TERRAIN COVER boy +
=
Ils ont dévoré le punk des bad boys californiens de The Offspring et l’innocence bien cachée des enfants du nu métal de Korn. Les insectes s’attaquent maintenant au rock électrique des New-Yorkais de Yeah Yeah Yeahs et de leur nouvel album Mosquito. Avril sera trash. _S.O.
UNDERGROUND
©Alisa Resnik
LA TIMELINE D’ANIKA
Incorporation dub Plus qu’une jolie muse à voix de cathédrale spleenétique, Geoff Barrow a trouvé en Anika la petite sœur avec qui s’empiffrer de (compilations) Nuggets et de dub, pour rentrer dans le lard des vieux paradigmes pop. Une antistar qui subjugue sur son EP éponyme. _Par Michael Patin Anika EP d’Anika Label : Invada Sor tie : 9 avril
En 2009, Geoff Barrow (Portishead) cherche une voix pour son projet Beak> et craque sur Anika, une jeune journaliste politique qui gravite dans le milieu de la musique. Sauf que cette voix, aux accents de Nico ressuscitée, est 34
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trop troublante pour se fondre dans le krautrock impressionniste du trio. Leurs premières sessions seront publiées en 2010 sous le nom de Anika par le label de Barrow, Invada. Trois ans plus tard, la formule esthétique est aboutie et condensée sur un nouvel EP : reprises vénéneuses de perles sixties (Crystals, Kinks, Shocking Blue) et actuelles (Chromatics) et deux splendides dub, rêves gothicojamaïcains d’avant le trip hop. Mieux que pygmalion et muse, Beak> et Anika s’entretiennent ainsi dans leur rejet des codes de la pop. « Je ne pense pas qu’une chanson appartienne à son auteur. C’est le contexte, le moment où on l’interprète qui la fait exister. Peutêtre que les miennes seront utilisées par McDo après ma mort », lancet-elle sans ciller. Les stars sont déchues, Anika est notre héroïne. ♦
Hier « Quand j’ai rencontré Geoff, on m’avait parlé de Beak>, dit-elle, mais je n’avais pas fait le lien avec Portishead. Je les ai rejoints quelques fois en studio, j’enregistrais une prise et c’était tout. Je n’imaginais pas qu’ils en feraient un album. »
Aujourd’hui « J’ai décidé de me consacrer à la musique, parce que je m’y sens plus libre de m’exprimer qu’ailleurs. On a beaucoup tourné ces dernières années, donc le groupe est soudé. On a fait ce nouvel EP en prenant notre temps. »
Demain Son second album, actuellement en préparation, contiendra sans doute autant de reprises que de compositions. Cette posture anti-auteur fait du bien, d’autant que chaque interprétation d’Anika est une révélation.
CALÉ Allô L’interjection de la bimbo Nabilla a eu son lot de remontages parodiques (Une journée en enfer ou La Chute). Mais son « allô quoi » résonne surtout avec une scène quasi identique dans le Brüno de Sacha Baron Cohen : « D&G ? Bah Dolce & Gabbana… Allô quoi. »
DÉCALÉ Hållö Parmi le déluge de rebonds sur la petite phrase de Nabilla, on retient la publicité de l’Ikea Marseille – La Valentine, qui vante sa gamme de coussins réversibles Hållö : « Allô ? Non mais allô quoi ? T’es une chaise et t’as pas de coussin ? Allô ? Allô ? »
RECALÉ
_Par É.R.
Halo Peter Jackson ou Steven Spielberg ont été jadis annoncés pour prendre les commandes d’une adaptation du jeu vidéo Halo. Mais si David Fincher a bien produit la bande annonce du dernier opus sur console, personne ne répond plus à l’appel du cinéma.
OVERGROUND Mousse amère En adaptant L’Écume des jours, le roman culte de Boris Vian, Michel Gondry réussit un grand film, écartelé avec beauté entre inventions bricoleuses et audace d’un récit sombre et angoissé. _Par Laura Tuillier
L’Écume des jours de Michel Gondr y Avec : Romain Duris, Audrey Tautou… Distribution : StudioCanal Durée : 2h05 Sor tie : 24 avril
©StudioCanal
Le film de Gondry commence très fort, presque trop. Dans la cuisine de Colin (Romain Duris), le cuistot intello Nicolas tente d’attraper une anguille récalcitrante. Coincé dans un écran de télé, Alain Chabat vocifère des conseils cuisine. Valse des objets rétro-futuristes, montage rapide de plans fantaisistes et colorés, Michel Gondry explose le potentiel visuel du roman de Vian, qui avait su restituer, dans une langue débridée, l’absurdité flottant au-dessus de la société du progrès. Duris et Tautou, suivis par une valse de seconds rôles bankable (Omar Sy, Gad Elmaleh, Charlotte Le Bon), débutent leur histoire d’amour sur les chapeaux de roue. Mais Gondry, lentement, change de ton : le film progresse par soustraction, augmentant par là sa puissance. Les objets marrants se raréfient et deviennent malins, l’appartement du couple se déglingue, la couleur de l’image se ternit. Chloé est malade, et c’est comme si, soudain, sous l’écume, apparaissait l’essence des jours : des nuits sans sommeil, sans argent, en noir et blanc. ♦
La timeline de Michel Gondry Hier Grandi dans une famille de musiciens, Michel Gondry commence comme clippeur : il signe le clip d’Around the World des Daft Punk, collabore avec Björk et les Chemical Brothers. Attiré par les États-Unis, son premier film, Human Nature, est coscénarisé par Charlie Kaufman.
Aujourd’hui Gondry alterne avec bonheur superproductions hollywoodiennes (The Green Hornet, 2011), ciné indé avec une bande de lycéens du Bronx (The We and the I, présenté à la dernière Quinzaine) et conjugue dans L’Écume des jours la somme de ses talents.
Demain Jamais là où on l’attend, Gondry est en train de mettre la dernière touche à un documentaire sur Noam Chomsky qui aura pour titre Is the Man Who is Tall Happy?… Les premières images dévoilent des séquences animées ludiques, mêlées à la voix du philosophe.
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ŠMon voisin productions - Gaumont - France 2 cinema
NEWS SEX TAPE
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Bonnes mamans Per fect Mothers d’Anne Fontaine Avec : Naomi Wat ts, Robin Wright… Distribution : Gaumont Durée : 1h51 Sor tie : 3 avril
Après la comédie franchouillarde Mon pire cauchemar, Anne Fontaine s’envole vers l’hémisphère sud pour adapter le best-seller de Doris Lessing, Les Grand-mères. En Australie, au bord d’une plage merveilleuse, les quinquagénaires Roz et Lil vivent en harmonie, meilleures amies depuis l’enfance et mères de deux fils au physique d’Apollon. Tout se complique lorsque les gamins se mettent à reluquer la mère de leur pote de façon peu catholique. Libido en crise d’un côté, hormones adolescentes bouillantes de l’autre, le passage à l’acte est inévitable. Dès lors les cœurs et les corps se tortillent d’hésitation : faut-il céder à la tentation pécheresse ou rentrer dans le rang et devenir grands-mères ? _Laura Tuillier
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©Courtesy of Angela Davis
ANGELA DAVIS
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avril 2013
ANGELA DAVIS
Rencontre avec l’une des dernières icônes militantes du XXe siècle. ANGELA DAVIS revient sur la genèse de son parcours activiste dans le documentaire de SHOLA LYNCH, Free Angela and all Political Prisoners. Un demi-siècle en lutte continue, marqué par l’émergence et la permanence des causes qu’elle défend. _Propos recueillis par Étienne Rouillon
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COURTESY OF THE LIBRARY OF CONGRESS
ANGELA DAVIS
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avril 2013
ANGELA DAVIS
Le 7 août 1970, une tentative de libération d’un membre du Black Panther Party se conclut par la mort d’un juge. Soupçonnée d’avoir fourni les armes, Angela Davis, une enseignante communiste et noire de l’université de San Diego, est en cavale. Rattrapée par le FBI, elle est accusée dans un procès qui peut lui valoir la peine de mort. Fleurissent alors des banderoles « Free Angela » sur toute la planète. Le documentaire qui porte leur nom revient sur ces moments urgents qui ont forgé l’engagement d’Angela Davis.
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n me demande régulièrement pourquoi je me définis encore comme communiste, après toutes ces années. Ma réponse est toujours la même : à ce que je sache, le capitalisme n’a toujours pas été abattu. » Angela Davis savoure l’effet de son anecdote, appuie sur les mots là où c’est important. Elle se sait épiée pendant ce préambule d’une séance de débat qui fait suite à l’avant-première fin mars du documentaire de Shola Lynch. La réalisatrice n’intervient pas dans cet instant obligé. Le public est en train de chercher la jeune femme à l’afro et aux dents du bonheur qui s’est affichée sur les murs des années 1970 et 1972. Il la trouve. Même capacité à fixer l’attention, à synthétiser son propos autour d’idées techniques à la simplicité concrète. Pour exemple, ce conseil à une jeune étudiante : les réseaux sociaux à l’heure des mouvements Occupy, c’est bien, mais cela ne sert qu’à informer un mouvement, il a aussi besoin d’être organisé. « Communiste », prof de philo, militante, étudiante, prisonnière… Ou encore ce surnom de Sweet Black Angel, titre de la chanson que les Rolling Stones lui consacrent en 1972 et qui dit : « J’ai un bel ange noir, j’ai une pin-up. J’ai un bel ange noir accroché à mon mur. Certes, ce n’est pas une chanteuse, ni une star. Mais ce qui est sûr c’est qu’elle parle bien et que c’est une fonceuse.
Mais cette fille est en danger, cette fille est enchaînée. Mais elle poursuit son combat, prendriez vous sa place ? » Comment définir Angela Davis ? On la retrouve le lendemain en compagnie de Shola Lynch, pas loin du musée du Louvre. Chansons de stars du rock, prises de positions par des intellectuels internationaux, posters au murs des piaules d’étudiants. Entre 1970 et 1971, votre nom n’est plus un état civil, il devient un message, un slogan. Quand en avez-vous pris conscience ?
Angela Davis : J’ai un sentiment partagé par rapport à cette idée d’icône, de symbole. Après mon arrestation, j’ai eu des contacts réguliers avec mes amis, mes camarades et mes avocats. Du coup, même si je ne voyais pas les images télé, j’ai pu voir des photos des manifestations de soutien en ma faveur sur toute la planète. Ma famille me racontait chacune de ces manifestations par le menu. Mon frère, par exemple, était joueur de football américain dans l’équipe des Cleveland Brown. Lui et sa femme ont organisé le plus grand rassemblement politique de Cleveland depuis les années 1930… Donc je savais qu’il y avait des gens qui faisaient le maximum. Mais je n’ai pas pensé que ça participait à la transformation de mon image en un symbole. J’étais par contre consciente du dévouement et
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© Courtesy of Fania Davis
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Banderole « Avec Angela Davis » pendant une manifestation de soutien en France, vers 1971
de l’investissement des gens. Je leur en serai toujours reconnaissante. Je ne pense pas qu’ils avaient en tête cette idée de symbole. Ils voulaient simplement me sortir de là. Par contre, cette action était intégrée et s’est prolongée dans les mouvements contre le racisme et l’oppression. Participer à ce documentaire vous a-t-il permis de reconsidérer ces événements et votre engagement sous un autre jour ?
A. D. : Puisque j’étais en prison à l’époque, et que je n’avais pas accès à la télé, je n’avais pas vu la plupart des images et des vidéos d’archives présentes dans le documentaire. Ce film a donc été l’occasion d’en apprendre d’avantage sur ma propre histoire. Shola a interrogé un agent du FBI qui participait aux recherches. J’ai ainsi découvert comment cette administration m’avait traquée et trouvée. Les archives vous montrent dans des situations critiques mais cruciales dans votre parcours militant.
A. D. : C’est douloureux de replonger dans cette période. J’imagine que c’est le cas de n’importe qui lorsqu’il s’agit de se pencher sur son passé, surtout quand on y trouve des événements tragiques. Mais en même temps, c’était bon de se rappeler les gens, aujourd’hui disparus, qui furent proches de moi. Ils ont été en quelque sorte ressuscités à travers le film. Participer au documentaire, c’était un mélange de chagrin et de joie. Marxisme, système carcéral, féminisme noir, histoire des consciences… Les causes que vous avez épousées sont nombreuses. Lesquelles 42
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« Participer au documentaire, c’était un mélange de chagrin et de joie. » trouvent leurs sources dans la période présentée dans le documentaire ?
A. D. : La période qui est rapportée dans le film précède l’émergence du féminisme noir, ou de ce que l’on a appelé le féminisme des femmes de couleur. Vous pouvez voir dans Free Angela des éléments constitutifs du féminisme noir. Mais il faut noter que derrière ce terme se cache un raccourci pour parler de l’importance d’intégrer la dimension du genre dans les questions raciales et sociales. Ainsi aujourd’hui on parle de la nécessité d’intégrer de nouvelles dimensions, comme la préférence sexuelle ou les questions de handicap. C’est la continuité d’un processus. C’était donc très intéressant de revenir sur ces années fondatrices et formatrices. J’ai pu voir avec une certaine distance comment les choses se sont faites. Shola Lynch : Voilà pourquoi il était intéressant de se concentrer sur cette période-là. Des gens m’ont demandé pourquoi je ne couvrais pas une partie plus étendue de la vie d’Angela. Pourquoi je ne faisais pas un documentaire sur l’ensemble de sa vie. Ça nous aurait demandé de faire ça en une série d’au moins dix épisodes ! Souvent, les origines d’un engagement sont masquées, difficiles à cerner. Comment expliquer les choix qui t’ont transformée toi, Angela l’étudiante, en une activiste politique
« J’ai un bel ange noir accroché à mon mur, elle parle bien et c’est une fonceuse. »
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« Freedom to Angela », banderole tenue par des enfants au cours d’un rassemblement pour Angela Davis en Europe de l’Est, vers 1971
de premier plan sur la scène internationale ? Du point de vue d’un jeune d’aujourd’hui, cela parait impensable comme parcours. Je ne veux pas dire que c’était ton but au départ, mais il fallait comprendre comment cela est arrivé de manière empirique. Je pense que cela donne du courage aux jeunes, aux femmes, à tous ceux qui sont investis dans les luttes liées aux problèmes judiciaires. Votre libération peut être perçue de manière amère. Finalement, le système judiciaire américain ne semble pas être transformé par la pression populaire qui réclame un traitement égal entre Blancs et Noirs. Il bat simplement en retraite, il lâche l’affaire. Pour cette fois seulement.
A. D. : Je n’y pensais pas en ces termes. Mais à ma libération, je voulais être sûre que toutes les personnes qui avaient soutenu le mouvement pour ma libération poursuivent la lutte. Qu’ils ne considèrent pas ma libération comme une fin. La lutte continuait. La lotta continua. S. L. : Ce qui me frappe, c’est qu’après toutes ces années, tu n’es pas devenue une militante aigrie. J’ai vu dans un entretien que tu estimes que l’on ne peut pas supporter le militantisme si on est aigri. Mais au bout de quarante ans d’activisme… A. D. : Oh tu sais… plus que ça… S. L. : Ah ah, je minimise ! Allez, disons des décennies d’engagement. Ça parait intenable. A. D. : Mais tu sais, j’ai grandi dans un milieu… entourée de gens qui ont été des militants toute leur vie. La meilleure amie de ma mère est toujours en vie, elle a 98 ans. Elle va toujours à des
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Sweet Black Angel, les Rolling Stones
ANGELA DAVIS PAR JEAN GENET L’écrivain Jean Genet, dans le documentaire Genet parle d’Angela Davis de Carole Roussopoulos (1970)
« C’est aux libéraux blancs, c’est à la nation blanche américaine que je m’adresse. Nous connaissons votre plan. Vous vous êtes aperçus que les Noirs américains sont intelligents. Depuis que vous savez qu’ils vous dépassent dans la réflexion révolutionnaire, vous avez décidé – et je redis le mot « décidé » – de les anéantir. […] Vous essaierez de faire disparaître Angela Davis. […] Donc tout est en place : vos flics qui ont déjà tiré sur un juge de façon à mieux tuer trois Noirs… Vos flics, votre administration, vos magistrats s’entrainent tous les jours pour massacrer les Noirs. D’abord les Noirs, tous. Ensuite, les Indiens qui ont survécu. Ensuite, les Chicanos. Ensuite, les radicaux blancs. Ensuite, je l’espère, les libéraux blancs. Ensuite, les Blancs. Ensuite, l’administration blanche. Ensuite vous-même. Alors le monde sera délivré. Il y restera après votre passage, le souvenir, la pensée et les idées d’Angela Davis et du Black Panther (Party – ndlr). » www.mk2.com
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© Sandi Sissel
ANGELA DAVIS
La réalisatrice Shola Lynch et Angela Davis
rassemblements politiques, des meetings, des manifestations pour des luttes actuelles. S. L. : Ça veut dire que tu n’es qu’à mi-chemin de ta vie militante ? A. D. : Oui. Hier, vous évoquiez le fait que l’on vous demande souvent pourquoi vous vous définissez encore comme une communiste. N’y a-t-il pas un danger à placer son militantisme dans une forme d’anachronisme ?
A. D. : C’est vrai. Mais une des leçons que j’ai tirée de ces années d’engagement, c’est qu’une personne ne peut pas tout faire. Il faut se concentrer sur une cause. Sinon on se disperse, on gaspille son énergie. Et l’on n’arrive à rien. Par contre, il est tout à fait possible de rester alerte et attentive aux connexions, aux liens qui peuvent se tisser entre des causes militantes différentes. Reconnaitre par exemple les liens entre les luttes contre la précarité du travail et les luttes pour les droits des femmes. Ou alors les liens entre les causes antiracistes et les luttes émergentes pour le mariage pour tous ou les droits des handicapés. En ce moment par exemple, je suis très investie dans la libération des prisonniers politiques palestiniens. Il faut apprendre à se concentrer sur une cause. Mais il faut rester attentif, être conscient que les luttes entretiennent des liens intimes, organiques. Pour répondre à ta question Shola, j’ai été marquée moi aussi par l’énergie et l’optimisme de certains Palestiniens qui subissent pourtant une répression intense dans leur vie quotidienne. Si tu es aigri ou aveuglé par la colère, tu ne peux pas supporter une lutte d’une durée aussi 44
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« J’étais perçue comme un cas exceptionnel, quelque chose que je ne voulais pas. » longue. Il faut que tu trouves un moyen d’insuffler de cette égalité, cette justice, cette paix dans ton quotidien. Sinon ton activisme n’est pas soutenable. Aujourd’hui, estimez-vous que votre affaire a eu un impact sur le système judiciaire américain ?
A. D. : D’une certaine façon, je pense que pendant le procès, j’étais perçue comme un cas exceptionnel. C’est quelque chose que je ne voulais pas. Je ne voulais pas être une exception, par rapport aux autres personnes qui étaient en prison pour des raisons politiques. Et même si certaines personnes étaient bien responsables des faits pour lesquels elles étaient condamnées, nombreuses sont celles qui ont passé leur vie entière en prison. Mon coaccusé est toujours en prison. Il y est depuis plus de cinquante ans, et il n’y a rien qui puisse justifier cela. C’est l’une des raisons pour lesquelles je milite pour l’abolition des prisons en tant que modèle punitif dominant. Voilà pourquoi j’encourage les gens à penser à des alternatives en matière de justice. Une justice qui n’est plus basée sur la vengeance et le châtiment, mais qui chercher à rétablir des relations entre les hommes. ♦ Free Angela and all Political Prisoners de Shola Lynch Documentaire Distribution : Jour2Fête Durée : 1h37 Sor tie : 3 avril
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FORCE TRANQUILLE Une modeste commune rurale accueille Steve (Matt Damon, aussi scénariste) et Sue (Frances McDormand), envoyés par un groupe énergétique qui souhaite forer les terres pour en extraire du gaz de schiste. Mais un retraité futé et un militant écolo (John Krasinski, coscénariste) se rebiffent. Au-delà de son pitch bio, Promised Land, le nouveau film de GUS VAN SANT, progresse vers une édifiante mise à jour des ficelles qui sous-tendent toute communauté – malléabilité et puissance de l’opinion publique, rivalités et enjeux intimes. Doucement, mais sûrement.
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_Propos recueillis par Juliette Reitzer
«
John krasinski, Gus Van Sant et Matt Damon sur le tournage de Promised Land
Je ne comprends pas pourquoi je suis aussi fatigué », s’excuse Gus Van Sant, en baîllant pour la cinquième fois, enfoncé dans le sofa de la suite surchauffée où les journalistes défilent pour le rencontrer. La veille, il présentait Promised Land, son quinzième long métrage, au festival de Berlin – le film y a obtenu une mention spéciale du jury. Le cinéaste retrouve Matt Damon, scénariste et interprète de Will Hunting (son plus gros succès à ce jour), pour renouer avec le militantisme généreux et la foi dans les vertus du collectif qui faisaient la force de Harvey Milk (2009). Une poigne de fer, glissée ici dans le gant de velours d’une americana nostalgique : les vallons verdoyants de l’Amérique rurale et ses dignes paysans, en prise avec un sujet éminemment sensible et actuel, l’extraction du gaz de schiste et ses possibles conséquences sur
l’environnement. Une confrontation que Gus Van Sant orchestre magistralement, mettant la délicatesse de sa mise en scène au service d’une démonstration à charge certes, mais gonflée d’une encourageante bienveillance. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce scénario, écrit par Matt Damon et John Krasinski ?
J’ai beaucoup aimé le fait que Steve, le personnage principal, soit un commercial très dévoué à son entreprise. Il pense que les habitants de la petite ville où il se rend seront ravis de louer leurs terres, mais il se retrouve confronté à un tas de problèmes politiques et relationnels. Ce désenchantement était pour moi l’attrait principal de l’histoire. Le débat autour du forage était aussi très intéressant. Je n’en avais jamais entendu parler et je me suis dit que d’autres gens devaient être dans ce cas. Il fallait donc tirer ça au clair. www.mk2.com
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Rosemarie DeWitt et Matt Damon
John Krasinski
L’extraction du gaz de schiste est un sujet controversé. Avez-vous été confronté à des pressions, des difficultés particulières ?
Non, pas directement, mais c’est en effet un sujet qui est au cœur d’une lutte de très grande ampleur. La mobilisation est très active, il y a des groupements contre les forages à New York, il y a même eu des manifestations pendant le festival de Berlin (où le film était présenté en compétition – ndlr). C’est aussi un sujet d’actualité en France et en Europe.
«c’est le genre de phrase que dirait n’importe quel homme politique rencontrant une quelconque opposition : “Je ne suis pas un sale type. ” » industrielles, mais aussi à l’importation de produits moins chers cultivés dans des pays pauvres ; rivaliser avec ça, c’est très dur. En France aussi, il y a beaucoup de subventions gouvernementales pour aider les petites fermes à maintenir leur production. Malheureusement, la situation est telle que les subventions permettent tout juste aux agriculteurs de survivre. Steve, accroché à ses certitudes, n’arrête pas de répéter : « Je ne suis pas le méchant. »
À l’image du film, le personnage de Hal, le retraité qui alerte ses condisciples sur les dangers des forages, est une vraie force tranquille.
Je pense qu’il croit sincèrement être un mec bien, mais en même temps, c’est le genre de phrase que dirait n’importe quel homme politique rencontrant une quelconque opposition : « Je ne suis pas un sale type. »
Vous filmez Hal et cette communauté rurale avec beaucoup de tendresse…
Après un début ensoleillé, champêtre et enjoué, le film change subtilement de direction : dans un diner, Steve propose un pot-devin au maire pour qu’il l’aide à convaincre ses ouailles du bien fondé des forages… Pouvez-vous nous parler de ce champcontrechamp et de sa progression ?
Hal est l’obstacle, la force sur laquelle Steve vient buter. Sa douceur était là dès le scénario. C’est un vieil homme, un chercheur à la retraite, et il s’est largement intéressé aux affaires dans lesquelles l’entreprise de Steve, Global, est impliquée.
Je vis moi-même depuis un certain temps dans une zone rurale de l’Oregon, où je connais très bien les fermiers et les propriétaires de petites terres agricoles. Ils m’ont vraiment influencé pour le film. Ce sont des gens très doux et très calmes, mais ils mènent une lutte permanente pour survivre. J’écoute leurs histoires, je constate les difficultés financières auxquelles ils font face, liées surtout à la concurrence des grosses fermes 48
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Je voulais jouer avec la direction de la lumière naturelle : quand la conversation cordiale se transforme en chantage financier, j’ai déplacé la caméra pour filmer le côté sombre des personnages, c’est à dire littéralement leurs visages dans l’ombre, contrairement au début de la séquence où la caméra est posée du côté où les personnages reçoivent la lumière de la fenêtre. J’avais utilisé le même principe de changement d’axe dans Will Hunting.
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Une autre scène marque une rupture de rythme dans le film, il s’agit de la séquence musicale sur le morceau Snake Eye de The Milk Carton Kids. Comment l’avez-vous pensée ?
C’est un morceau assez nostalgique. Cette séquence s’est décidée un peu par hasard, au montage, on s’est vraiment laissé porter par le rythme de la chanson, qui est très bon. On avait d’abord choisi d’autres morceaux pour le film, mais finalement, on n’avait pas les moyens de les utiliser. Au dernier moment, on a dû s’agiter pour trouver de nouvelles musiques. J’étais en contact avec The Milk Carton Kids, j’étais allé voir un de leurs concerts, donc je les ai appelés. Il se trouve qu’on était tous à Los Angeles à ce moment-là, donc ils sont venus nous jouer quelques morceaux de leur nouvel album, The Ash & Clay (sorti en France le 25 mars dernier – ndlr). Ils venaient tout juste de finir l’enregistrement. Et nous avons choisi trois morceaux pour le film. La douceur du film tient beaucoup à votre manière de filmer les lieux, les paysages, les ciels clairs ou nuageux. Les couleurs, notamment, sont très douces. Travaillez-vous à partir d’une palette chromatique ?
Le chef décorateur, Daniel B. Clancy, et le département des costumes avaient une palette. S’ils y tiennent, pourquoi pas… Mais moi, jamais. Elles imposent trop de contraintes. Mon expérience m’a montré que le film est meilleur si vous laissez la place à l’aléatoire et à l’inattendu. Ma méthode, sur certains films comme
Gerry, Elephant ou Last Days, était donc de ne surtout pas m’en occuper. Ça m’a tellement porté chance que j’ai décidé de conserver cette règle. Vous avez réalisé des films indépendants et des films à gros budgets, plus commerciaux. Arrivez-vous toujours à conserver cette liberté ?
J’arrive toujours à ménager de la place pour l’inattendu, qu’est-ce qui pourrait m’en empêcher ? J’y arrive d’ailleurs d’autant plus maintenant. Il y a vingt ans, la sensibilité des pellicules était moins précise, les images avaient tendance à être vite très contrastées, donc il fallait beaucoup de temps pour éclairer les scènes. Si vous aviez filmé cette pièce par exemple, ces deux lampes (il désigne les lampes d’appoint posées sur des guéridon – ndlr) auraient eu l’air de diffuser une couleur orange, alors que la lumière de la fenêtre aurait été violette. Bref, le rendu aurait été horrible. Aujourd’hui, ce serait très beau, sans avoir besoin d’ajouter ou de modifier quoi que ce soit. Vous tournez donc en pellicule ?
Oui. J’étais ouvert à l’idée de tourner en numérique, mais mon directeur de la photographie tenait à la pellicule. Pour l’instant, je trouve encore qu’il est plus simple de tourner en pellicule. Mais je sais qu’un jour je changerai d’avis. ♦ Promised Land de Gus Van Sant Avec : Mat t Damon, Frances McDormand... Distribution : Mars Distribution Durée : 1h46 Sor tie : 17 avril
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WE, THE PEOPLE
Frank Yates
Qui aurait parié, il y a encore quelques années, que Gus Van Sant deviendrait un grand cinéaste politique ? Il suffisait pourtant de suivre dans son œuvre le fil d’une veine folk qui doit désormais être entendue au sens littéral. Plus qu’un manifeste sur le sujet brûlant du gaz de schiste, Promised Land est un grand film sur le peuple américain. Il est en cela l’héritier d’une double tradition hollywoodienne interrogeant le mythe, autant que la pratique, de la démocratie léguée par les pères fondateurs.
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e quelle terre promise est-il question, au juste, dans Promised land ? Pour qui veut bien entendre son ambition, ce titre résonne plus loin que l’eldorado contemporain des terres riches en gaz de schiste. Il suffit, pour s’en convaincre, d’entendre les scénaristes John Krasinski et Matt Damon expliquer qu’ils avaient d’abord envisagé d’évoquer l’énergie éolienne, l’exploitation du charbon, du pétrole ou encore l’élevage des saumons en Alaska. C’est qu’un enjeu à la fois plus vaste et plus ancien pousse sur le sujet de leur film, depuis des racines plantées 50
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_Par Jérôme Momcilovic
dans l’histoire d’Hollywood et du pays. Éloge du peuple contre les puissances de l’argent, Promised Land s’inscrit dans une longue tradition populiste hollywoodienne, et c’est bien à l’Amérique entière que renvoie le titre. L’Amérique comme terre, c’est-à-dire l’Amérique comme idée : celle du rêve américain qui conduisit les premiers colons vers la Terre promise de leur imaginaire puritain, propulsa les convois des pionniers, et à laquelle la déclaration d’indépendance puis la Constitution devaient donner sa forme politique. Idée d’un pays acquis au peuple, ainsi que l’a garanti le préambule de la
Constitution (« We, the people of the United States… ») comme le discours prononcé par Abraham Lincoln en 1863 à Gettysburg célébrant le gouvernement « du peuple, par le peuple, et pour le peuple ». CAPRA VS. GLOBAL Cet idéal démocratique, Hollywood n’a eu de cesse de le célébrer, en battant le rappel des principes fondateurs. « La liberté est une chose trop précieuse pour être enterrée dans les livres », expliquait Jefferson Smith dans Mr. Smith au Sénat de Frank Capra, en 1939. Modèle éternel de cette tradition hollywoodienne, il portait doublement le nom de l’idéal
GUS VAN SANT
« Ici, le cynisme n’est plus le cauchemar à quoi s’oppose le rêve démocrate de l’Amérique des origines ; il est le fondement même de l’exercice du pouvoir. »
nouvelle chez Gus Van Sant, laisse filtrer l’écho des grandes tirades pastorales de Jefferson Smith. Et qu’il est évident très vite que, selon le modèle canonique de Capra, s’ouvre au début du film une voie édifiante qui débouchera, pour les personnages comme pour le spectateur, sur une leçon.
démocratique américain – il était à la fois Monsieur Tout-le-monde (Mr. Smith) et l’héritier des Pères de la Nation (Jefferson). Il n’y a rien d’étonnant à ce que Matt Damon, John Krasinski et Gus Van Sant luimême revendiquent pour Promised Land l’influence des fables de Capra. Face au film, difficile de ne pas penser à Mr. Smith, Vous ne l’emporterez pas avec vous, L’Extravagant Mr. Deeds, ou aux plus sombres L’Homme de la rue et L’Enjeu. Un même combat s’y joue entre les vertus d’un peuple fidèle aux principes fondateurs de l’Amérique (modestie, solidarité, bon voisinage) et une structure cynique (ici, un grand groupe énergétique baptisé Global, allégorie limpide de la mondialisation) déguisant ses intérêts propres dans une considération feinte pour ceux du peuple – c’était aussi, parmi d’autres, la dynamique de Rocky, remake objectif de Mr Smith. De même que la toile de fond du film, faite d’americana et d’éloge de la vie au grand air, si elle n’est pas
IT’S JUST A JOB Pourtant, à cette voie édifiante, Gus Van Sant semble vite préférer un chemin de traverse plus réaliste et pragmatique. Nulle trace ici de cette innocence qui fut la vertu cardinale des grands films démocratiques de Capra, où ce sont toujours les enfants, fussent-ils adultes, qui sauvent la démocratie. Ainsi, lorsqu’un militant écologiste décidé à gripper la mécanique de la propagande vient s’opposer au « salaud malgré lui » campé par Matt Damon, c’est avec les mêmes armes, qui n’ont rien de naïves, et qui sont celles de la manipulation des masses. Le film dérive alors vers une analyse très fine des mécanismes de la persuasion politique, révélant qu’il est en fait travaillé par deux traditions antagonistes du regard hollywoodien sur la démocratie. La première, sous le patronage de Capra, est donc idéaliste, son horizon est celui d’un déssillement pour un personnage éclairé par le peuple (comme dans Les Voyages de Sullivan de Preston Sturges, ou, dans les années 1980, le Wall Street d’Oliver Stone). L’autre est analytique, c’est une tradition plus subtile, vouée à l’étude de la
démocratie en actes. Elle passe par Tempête à Washington, chef d’œuvre d’Otto Preminger, par la méconnue Dernière Fanfare de John Ford, par la série À la Maison Blanche ou par le récent Lincoln de Steven Spielberg. Ici, le cynisme n’est plus le cauchemar à quoi s’oppose le rêve démocrate de l’Amérique des origines ; il est le fondement même de l’exercice du pouvoir, y compris, voire surtout, quand celui-ci est guidé par de légitimes intentions. Rien d’étonnant à ce qu’on pense surtout à un documentaire, quand l’employé de la mondialisation et le militant se font la guerre des consentements : dans ce précis de méthode de communication politique, on retrouve un peu du duel KennedyHumphrey pour les primaires démocrates de 1960, tel que l’avait immortalisé Robert Drew, maître du « cinéma direct », dans Primary. Entrelaçant ces deux voies, Van Sant dessine avec une impressionnante habileté une fable désenchantée de la démocratie américaine, un Capra movie qui croirait toujours au peuple, mais plus tellement à la politique. Quand, au moyen d’un coup de théâtre final aussi surprenant qu’agile, le film semble retrouver les rails de la première voie, c’est au prix d’une lourde désillusion pour le personnage comme pour le spectateur, abandonnés tous deux aux mains d’une réplique terrible dont le principe de réalité finit de rendre caduque la frontière entre innocents et cyniques, entre bad guys et good guys : « It’s just a job. » ♦
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© Nicolas Guérin
l’amour en fuite
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Poursuivant l’une des ascensions les plus prometteuses du jeune cinéma indépendant américain, Jeff Nichols s’installe sur un îlot perdu, sur lequel un jeune garçon à la dérive, Ellis (Tye Sheridan, vu dans The Tree of Life), et un fugitif allumé, Mud (la star Matthew McConaughey), tentent de s’apprivoiser. Troisième film magnétique du cinéaste, Mud – Sur les rives du Mississippi prend à rebours les codes du film de fuyard romantique, épousant de sa caméra élégiaque les sinuosités du récit. Un projet qui, pour arriver à maturation, aura pris au jeune cinéaste près de dix ans. _Propos recueillis par Clémentine Gallot et Laura Tuillier
À
34 ans, chef de file d’un nouveau cinéma d’auteur sudiste, sous l’influence croisée de Mark Twain et de Terrence Malick (avec qui il partage sa productrice, Sarah Green), Jeff Nichols est natif de l’Arkansas, l’unique horizon de ses films, même après son déménagement au Texas. En 2007, son premier long métrage, Shotgun Stories, chroniquait la lutte à mort entre deux fratries de Little Rock et révélait l’ombrageux Michael Shannon. Sorti l’an dernier, Take Shelter, drame conjugal atmosphérique avec Jessica Chastain, était aussi pensé pour l’Arkansas. Le Sud toujours en tête, le cinéaste préparerait actuellement The Boy who Played with Fusion, un biopic sur un adolescent surdoué de l’Alabama ayant réalisé à 14 ans des expériences nucléaires avec l’autorisation de ses parents produit par la Fox. Il aurait également en projet un film de genre, à la manière du John Carpenter des années 1980, intitulé Midnight Special. Il y a presque un an, nous l’avions rencontré au festival de Cannes, où Mud était présenté en compétition officielle.
Comment le film s’est-il mis en place ?
Nous cherchions un financement pour Mud au moment où nous avons reçu le Prix de la semaine de la critique pour Take Shelter au festival de Cannes en 2011. Cela nous a beaucoup aidé. Nous avons commencé le casting avec mes producteurs après le festival. La préproduction a eu lieu en août, et nous avons tourné à partir de septembre 2011.
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Michael Shannon
Contrairement à Take Shelter, l’horizon du film s’est déplacé, la mise en scène de Mud est plus aquatique : quel regard portez-vous sur l’évolution de votre style ?
Le style visuel de mes trois films a beaucoup évolué, jusqu’à Mud qui en est l’aboutissement. Shotgun Stories est très statique, voire stagnant ; Take Shelter progresse lentement, à un rythme inquiétant, comme si la caméra sur rails se refermait sur vous ; pour Mud, le mouvement du film est tout entier inspiré par la rivière. Je recherchais une certaine énergie, élégante, mais je ne voulais surtout pas de caméra à l’épaule. Il est essentiel, esthétiquement et d’un point de vue narratif, que les scènes dans lesquelles les enfants découvrent ce nouveau monde s’enchaînent et glissent de cette manière. Après avoir mis en scène les tourments de jeunes hommes dans vos deux précédents films, vous filmez pour la première fois un adolescent dans le rôle principal…
Mud parle d’initiation et de masculinité. Je voulais faire un film sur un cœur brisé et un amour fou non réciproque. Quand j’ai vécu ça, j’avais l’âge d’Ellis, j’étais même un peu plus âgé. Il était donc normal que le personnage ait cet âge-là.
Quelle est la symbolique de l’île onirique où trouvent refuge Ellis et son ami Neckbone ?
Le Sud des États-Unis est baigné de mythologies et de superstitions. Nous avons eu la chance de trouver cette île du Mississippi, dans le sud-est de l’Arkansas, et nous n’avons rien changé ; les arbres étaient tordus, l’endroit magique. Matthew McConaughey y a même campé quelques jours, avant le tournage, pour s’imprégner de l’atmosphère. Le scénario puise dans le mélange des genres : romance, film de gangsters, récit d’apprentissage, buddy movie…
Je voulais m’approprier toutes ces idées, avec des variations. J’ai passé dix ans à mettre en forme ce film, et le résultat est très dense. Il s’y passe beaucoup de choses que j’ai collectées au fil des années et déposées dans le scénario. La famille est source de conflits dans vos films : violence fraternelle dans Shotgun Stories, anxiété conjugale dans Take Shelter. Dans Mud, ce sont les parents d’Ellis qui se déchirent…
Pourtant, je viens d’une famille très heureuse et soudée. Je voulais qu’Ellis soit pris dans la recherche désespérée d’un exemple d’amour qui fonctionne. La tension
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LES INFLUENCES DE MUD La Balade sauvage de Terrence Malick (1973) Maître étalon de la romance entre deux fuyards (Sissy Spacek et Martin Sheen) dans les plaines du Dakota. De l’aveu de Jeff Nichols : « La Balade sauvage affecte tous mes films, on peut voir mon cinéma comme un effort constant pour relire cette œuvre fondatrice. »
L’Autre de Robert Mulligan (1972) L’on retrouve chez Ellis et Neckbone un peu du garçonnet et de son jumeau maléfique, témoins du surgissement du fantastique autour de la ferme familiale. Mulligan signait un grand film gothique sur la perversité de l’enfance, dans l’inquiétude moite du Sud.
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Jacob Lofland et Matthew McConaughey
« La dramaturgie est très différente, mais dans Take Shelter et dans Mud, il y a l’idée que l’avenir des personnages s’ouvre devant eux. » narrative vient du fait que les gens les plus proches de lui, ses parents, ne constituent pas un exemple sur lequel il puisse se projeter. J’ai essayé de me mettre à sa place, cela doit être très douloureux. Vous semblez être très lié avec Michael Shannon, qui vous suit depuis Shotgun Stories et que l’on retrouve ici dans un petit rôle.
Nous sommes très amis. C’est gentil de sa part d’être venu, alors qu’il était en plein tournage du Superman de Zack Snyder (Man of Steel, qui sortira le 19 juin 2013 – ndlr). Il a pu se libérer deux jours. Ses rôles dans mes deux premiers films étaient très sérieux, et nous nous sommes davantage amusés sur Mud. On ne dirait pas, mais en réalité il est très drôle. Vos deux films les plus récents se terminent en s’ouvrant sur l’eau, pourquoi ?
Je pourrais vous répondre en faisant le malin, mais c’est juste une coïncidence, la dramaturgie est très différente entre Take Shelter et Mud. Mais dans les deux cas, il y a l’idée que l’avenir des personnages s’ouvre devant eux. Vos personnages féminins, notamment celui de Juniper, la petite amie de Mud, joué par Reese Whiterspoon, ne sont pas très positifs…
Tous mes personnages féminins ne peuvent pas être joués par Jessica Chastain ! Le film est un commentaire
sur l’amour, d’un point de vue masculin. Parfois les femmes ne se rendent pas compte du pouvoir qu’elles exercent sur les hommes. Elles nous torturent ! Quand j’ai commencé à écrire le personnage de Juniper, j’étais jeune et j’avais le cœur brisé, je voulais m’exprimer d’un ton vindicatif et faire d’elle le « bad guy ». Puis j’ai vieilli, je me suis marié, et ma perspective sur Juniper a évolué, notamment avec la scène du balcon. J’ai mûri, et cela m’a permis de donner une fin à l’histoire entre Mud et Juniper. Je travaille à améliorer mes personnages féminins, j’en ai d’ailleurs discuté avec Jessica Chastain pour un prochain film. Mud a été projeté à Cannes en même temps que Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin. Y a-t-il une renaissance du cinéma sudiste ?
Je crois aux cycles, même si je ne sais pas exactement ce qui se passe dans le Sud. Il y a effectivement de plus en plus de jeunes cinéastes indépendants qui essayent de s’éloigner des côtes, de sortir de New York et de Los Angeles. C’est bien qu’il y ait plus d’histoires issues d’autres parties du pays. Personnellement, je ne fais pas partie d’un mouvement et j’ai toujours fait mes films dans le Sud, d’où je viens. De quoi traiteront vos prochains films ?
Dans Shotgun Stories, je parlais de la relation entre mes frères, et dans Take Shelter, de mon rapport à ma femme. Pour Mud, je me suis inspiré d’une histoire que j’ai vécue au lycée. Logiquement, l’un de mes prochains films parlera de mon fils, qui est âgé de 21 mois et avec qui je fais chaque jour l’expérience d’une nouvelle relation. Je veux le protéger et l’éduquer, il est en plein apprentissage. Je suis en extase devant ce processus et je voudrais pouvoir le montrer à l’écran. ♦
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©James Bridges Neckbone Productions Inc
MUD
Tye Sheridan et Jacob Lofland
L’île enchantée
Récit d’initiation onirique et romantique sur les rives du Mississippi, Mud arpente, sur les traces de ses deux jeunes héros, les territoires mystérieux de l’Arkansas, terre natale du réalisateur et formidable source fictionnelle. _Par Laura Tuillier
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©RDA
es maisonnettes f lottent dans la nuit, sur les bords du Mississippi. Dans l’une d’elle, Ellis, 14 ans, assiste à une dispute de ses parents. Furtivement, il prend le large. Comme échappatoire à la réalité – dure, heurtée –, Ellis s’arrime au fleuve dont les ondes moelleuses le portent jusqu’à une île mystérieuse. Jeff Nichols épouse totalement le point de vue de ses deux petits héros, Ellis et son inséparable pote Neckbone, qui traversent un âge flottant, entre l’enfance, dont ils gardent jalousement le potentiel de croyance, et l’adolescence, qui leur fait déjà subir les assauts de la libido. L’île, et ses arbres noueux, est une force d’attraction pour les enfants, pressés de se soustraire au principe de réalité. Elle l’est d’autant plus qu’elle révèle une merveille : Mud, hobo magnétique (magnifique Matthew
McConaughey), adulte mal grandi et amoureux comme seuls savent l’être les fous.
Le baiser du serpent
Mud cherche à retrouver Juniper, sa fiancée perdue, et demande aux gamins de l’aider. Comme retenu par une force invisible, il ne quitte pas l’île, et ce sont les gamins qui continuellement, par goût de l’aventure et du secret, reviennent accoster les rives enchantées du domaine de Mud. Lui, chef de file dépenaillé de ces enfants perdus – Ellis voit ses parents se déchirer, Neckbone n’en a jamais eu –, contribue dans un premier temps à prolonger leur univers de rêve. Le vagabond dort dans les arbres, ne quitte jamais sa chemise porte-bonheur, arbore des tatouages mystiques. C’est lorsque Mud se révèle aussi désarmé qu’un Le Guet-apens de Sam Peckinpah (1972) Le couple formé par les tourtereaux en fuite, Mud et Juniper, évoque aussi, selon Nichols, les fugitifs de Sam Peckinpah, joués par Steve McQueen et Ali MacGraw, dans cette course poursuite vers le Mexique, adaptée d’un roman noir de Jim Thompson.
enfant, face à l’absence de Juniper et aux menaces bien réelles qui pèsent sur eux, qu’Ellis retourne sur la terre ferme pour affronter le monde adulte et son lot de désillusions. Jeff Nichols confie à Tye Sheridan ce rôle de préado romantique qui ne cesse de se prendre des coups – littéralement –, dans ses tentatives désespérées pour continuer de croire en l’amour. Plane alors le fantôme de Ponyboy, celui des Outsiders de Coppola, qui ne survivra pas à la mort de l’enfance. Ellis, mordu par un serpent sournois, en réchappe de justesse. Entre temps, il aura fait l’expérience d’un premier baiser qui, malgré son goût amer, ouvre les vannes au flot sensuel de l’émoi amoureux. ♦ Mud – Sur les rives du Mississippi de Jeff Nichols Avec : Matthew McConaughey, Tye Sheridan… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h10 Sortie : 1er mai
Tuez Charley Varrick ! de Don Siegel (1973) « J’ai pensé à ce polar de Don Siegel sur un chasseur de primes appelé Molly, avec Walter Matthau et Joe Don Baker », nous expliquait Jeff Nichols. Méconnu en France, ce film de bracage seventies serait resté un modèle pour Clint Eastwood, qui aurait dû jouer dedans.
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DistriB Films
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Londres brûle. Le désengagement de l’État alimente le brasier, et BEN DREW mesure les flammes dans Ill Manors, un premier long métrage révolté, où huit destins marqués par la violence s’entrechoquent dans un quartier défavorisé de la capitale. Star du rap au Royaume-Uni sous le nom de Plan B, le réalisateur étend son talent de conteur hors pair dans ce projet double, composé d’un disque incendiaire et d’un film brûlant. Du rap conscient sur grand écran, profondément militant. _Propos recueillis par Juliette Reitzer
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IIL MANORS
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en Drew aime raconter des histoires. Après un premier album rap, Who Needs Actions When You Got Words (2006), il sort en 2010 The Defamation of Strickland Banks, un opus soul qui rencontre le succès (500 000 exemplaires vendus) et relate le parcours d’un chanteur imaginaire, Strickland Banks, qui finit en taule. Après un duo avec Elton John et plusieurs rôles au cinéma (notamment dans Harry Brown), le jeune homme de 29 ans revient là où ne l’attendait plus : au pur hip-hop, énervé et engagé. Avec Ill Manors, il offre à son goût pour le storytelling une nouvelle dimension : un album (brillant) et un long métrage, sortis en Angleterre l’été dernier à quelques semaines d’intervalle, qui se répondent et se complètent. Chaque morceau explore le passé d’un personnage ou les enjeux d’une situation, et le film offre à l’ensemble une caisse de résonnance, un décor et des visages pour se déployer. S’y raconte une jeunesse désenchantée, viciée par un
environnement délétère – drogue, meurtre, prostitution. Et un encouragement à se battre pour exister. Rencontre. Le rap est une forme musicale particulièrement narrative et visuelle. Était-ce naturel pour vous de passer à la réalisation ?
Je dis souvent que mon deuxième album est un « film pour aveugle », car j’ai essayé d’y décrire les situations de manière si précise et vivante que tu pouvais mettre ton casque, fermer les yeux et visualiser le film. J’ai fait Ill Manors pour donner au hip-hop un endroit pour vivre et pour toucher plus de gens, parce qu’il y a toujours d’énormes préjugés à l’encontre des musiques dites noires et urbaines. Vous avez ménagé des personnages féminins forts, à l’encontre des préjugés sur le rap…
Jody, l’adolescente blanche, est très forte. La prostituée Michelle le devient aussi. Et la seule personne sur laquelle le personnage principal
Aaron peut s’appuyer, c’est son assistante sociale. Elle est peu présente dans le film, mais c’est un personnage très important. Après, la rue est un monde d’hommes, c’est une réalité. Les trafics, la drogue, la prostitution, ce sont les hommes qui infligent ça aux femmes, rarement le contraire. Qu’avez-vous écrit d’abord, les morceaux de l’album ou le scénario du film ?
J’ai d’abord essayé d’écrire les chansons, mais je me suis rendu compte que beaucoup de choses allaient changer pendant le tournage. Par exemple, je voulais que la deuxième prostituée soit albanaise, mais j’ai finalement choisie l’actrice Natalie Press pour le rôle, qui est blonde, donc j’ai décidé qu’elle serait russe. J’ai changé son nom d’Aisha en Katya, et dans une chanson, ce genre de changement affecte toutes les paroles, toutes les rimes. Donc j’ai décidé de filmer d’abord et d’enregistrer les morceaux ensuite. En plus, comme il y avait beaucoup d’improvisations www.mk2.com
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Riz Ahmed
sur le tournage, je ne savais pas quelles parties du film seraient racontées par la musique, et lesquelles seraient racontées par l’action. C’est un premier film très ambitieux…
J’ai tourné le court métrage qui est le point de départ de Ill Manors en 2007, et le long métrage en 2011. Entre temps, je n’ai pas arrêté d’essayer de faire ce film. Pendant le tournage, on a eu à gérer plein de trucs compliqués. On n’avait pas de budget. La police est venue, on n’avait aucune autorisation pour tourner. J’avais tout le temps l’impression d’avoir les mains liées dans le dos, et je me dis que si c’est ce que je peux faire avec les mains liées, alors imagine ce que je pourrai faire quand elles seront libres ! Je suis fier de ce film, même si je connais ses défauts. Il est trop long de quinze minutes, mais je pense que les gens en sortent en ayant ressenti quelque chose. Je préfère ça comme compliment à « c’était bien fait ». Je préfère un film avec une personnalité. Comment s’est déroulé le montage, était-ce compliqué de lier ces multiples intrigues de façon cohérente ? 60
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La structure est très organique, et c’est au montage que tout s’est débloqué. C’était à Noël. J’étais chez ma mère et j’ai bossé tout le temps, le soir du réveillon, la nuit du nouvel an… J’avais écrit les histoires un peu à la manière de Pulp Fiction, en commençant au troisième jour pour revenir ensuite au premier jour. Mais ça ne marchait pas. C’était un vrai coup au cœur, parce que j’avais tout mis dans ce film, j’avais l’impression qu’en changeant la struc-
« J’avais les mains liées Dans le Dos, alors imagine ce que je pourrai faire quand elles seront libres ! » ture je perdais mon objectif initial. Ensuite, je me suis retrouvé tout seul avec mon travail. Je buvais des vodka-Red Bull pour rester éveillé, je passais tout mon temps sur l’ordinateur, je m’endormais sur le clavier. Quand j’ai enfin fini la deuxième version, j’étais devenu à moitié fou, malade, et je détestais le film. C’était un travail difficile et solitaire.
Dans le film, vous reprenez une scène de Taxi Driver, déjà reprise dans La Haine, durant laquelle un personnage, Aaron, s’apostrophe devant un miroir pistolet en main…
Je voulais rendre hommage à ces films. Mais cette scène face au miroir est aussi un très bon mécanisme pour montrer la psychologie d’un personnage. À ce moment du film, on ne sait rien du passé d’Aaron, de son histoire familiale. Je voulais l’humaniser, en dire un peu plus sur lui. Ce genre de scènes permet aussi de ne pas être trop dans la démonstration, de ne pas tout dire par des dialogues, comme dans un feuilleton télé. Dans la chanson I’m the Narrator, vous samplez le morceau Aquarium de Camille Saint-Saëns, la musique sur laquelle débutent les projections au festival de Cannes…
Oui, mais c’était un accident. Je travaillais encore sur le film pendant l’enregistrement des morceaux, j’avais le matériel de montage dans une pièce et le studio d’enregistrement dans l’autre. Je vivais littéralement dans le studio, donc je me suis endormi avec mon ordinateur allumé, et ce morceau qui tournait en
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Ryan De La Cruz
boucle. Des producteurs m’avaient envoyé la démo. Et pendant que je dormais, la musique a contaminé mon rêve. Donc je l’ai utilisée. Mais avant ça, c’était juste un titre sur une liste, avec un nom stupide. Les enjeux sociaux sont très présents dans le cinéma anglais, les films de Ken Loach en sont un bon exemple. Il nous avait parlé de son rapport à la violence : d’après lui, il faut la montrer, à condition d’en montrer aussi les conséquences. Qu’en pensez-vous ?
Je suis d’accord, mais le contexte aussi est indispensable. S’il y a violence, j’ai besoin de justifier, d’expliquer. Les gens voient ces jeunes comme des animaux parce que les journaux les décrivent comme des décérébrés, mais un gamin ne devient pas criminel sans raisons. Ils grandissent dans des cadres malsains, avec de la haine, de la colère. Ils sont en échec à l’école, ils ne trouvent pas de boulot, donc ils partent en vrille. Et la réponse de la société, c’est de les traiter de déchets. Si tout le monde vous dit que vous êtes une merde, pourquoi ne pas vous comporter comme tel ? Ma génération est dénigrée quotidiennement. J’ai besoin de montrer
au monde qu’il y a une raison pour laquelle les choses qu’ils voient aux infos arrivent. Chaque jour, on vous explique à la télé que vous avez besoin de tel portable, de telles chaussures. Vous ne pouvez pas vous les payer mais sans, vous n’êtes rien. C’est réussir ou mourir, et réussir par tous les moyens possibles. Étiez-vous en tournage au moment des émeutes de Londres, en 2011 ?
J’ai fini de tourner juste avant les
« personne ne peut dire que mon film exagère une réalité que nous devrions affronter depuis les années 1980 » émeutes. Quand elles ont éclaté, j’ai d’abord été excédé, je me disais que mes efforts pour changer les mentalités étaient réduits à néant. Mais en fait, j’ai pris du recul et vous savez quoi ? Je trouve que c’est une bonne chose. Car personne ne peut dire que mon film exagère la réalité, une réalité que nous devrions affronter depuis les années 1980.
Les émeutes sont devenues le sujet d’inquiétude prioritaire. Pendant un moment, le gouvernement a eu l’air de se mobiliser pour trouver des solutions, et puis ils ont oublié. Puisque le gouvernement ne fait rien, c’est à chacun d’agir. C’est pour ça que j’ai mis en place le projet Each One Teach One, dont le but est d’apporter une formation aux jeunes grâce à des professeurs qui s’impliquent vraiment. Quels sont vos projets ?
Je vais travailler sur moi. J’ai besoin de ne pas être sous les projecteurs pendant un moment, de me reconnecter avec les gens dont je me suis éloigné ces dernières années. Ma mère, ma famille, mes amis. Être sur des tapis rouges, donner des concerts, faire des films, j’adore ça, mais ce n’est pas réel, c’est un monde de chimères. Mon art se nourrit de ce qui se passe dans la vie, donc je veux prendre le temps de vivre. Je continue à écrire, parfois je fume un joint d’herbe bien tassé, et l’inspiration vient. Mais rien ne presse. ♦ Ill Manors de Ben Drew Avec : Riz Ahmed, Natalie Press... Distribution : DistriB Films Durée : 2h Sor tie : 3 avril
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III MANORS
MIXTAPES Que ce soit sous la forme de K7 ou de VHS, les featurings entre cinéma et hip-hop prennent la forme d’un grand mix qui a des faces A comme des faces B, voire Z. Playlist des différentes pistes jouées par des MCinéphiles. _Par Juliette Reitzer et Étienne Rouillon
BIOPICS Le bal des débutantes est ouvert par Eminem et 8 Mile (2002). Dépassement de soi et misère sociale, même combat pour 50 Cent dans Réussir ou mourir (2005). Tous deux jouaient leur propre rôle. Plus dur pour Biggie, décédé 12 ans avant Notorious B.I.G.
FILMS DE DANSE Ils orchestrent le clash entre chaussons de danse et baskets (Save the Last Dance, Sexy Dance, StreetDance 3D) ou documentent l’évolution de cet art, des années 1980 (Breakin’, Beat Street) aux années 2000 (les docus Rize ou Turn it Loose : l’ultime battle)
DOCUMENTAIRES Ils racontent un univers hip-hop en mutation permanente, à travers toutes ses disciplines – rap (Block Party de Michel Gondry), DJing (Scratch), danse (Faire kiffer les anges), graff (Style Wars) – ou icones décédées (Biggie and Tupac).
ACTEURS Quand il ne joue pas un gentil allumé (How High avec Method Man et Redman), le rappeur incarne une petite frappe, comme dans Belly (Method Man) ou Juice (Tupac). Chez nous, il y a JoeyStarr côté pile, et côté face, des directs DVD (African Gangster avec Alpha 5.20).
B.O. CULTES Nos préférés : Retour aux pyramides des X Men pour Ma 6-T va cracker et les Musiques inspirée du film La Haine. Côté ricain, les B.O. de Kill Bill et Ghost Dog par RZA, ou Fight the Power de Public Enemy dans Do the Right Thing.
SAMPLES Si les films de kung-fu alimentent l’univers du Wu-Tang Clan, c’est chez Sergio Leone que les Marseillais d’IAM ont souvent puisé (« toi, tu creuses »). Mention spéciale à Mokless de la Scred Connexion, qui sample un extrait de Shining dans Trou de mémoire.
CHRONIQUES SOCIALES Dans l’Angleterre prolétaire de Fish Tank, dans le béton du Dodge City de Slam (Caméra d’or à Cannes) avec Saul Williams, ou au pied des barres à l’abandon de La Haine, les vers et les beats sont les seuls repères des sociétés brisées.
PARODIES Joint au bec, casquette sur la tête et dents en or, la caricature du rappeur vomit un gloubi-boulga benêt, entre misogynie et petite délinquance dans Spring Breakers (James Franco tatoué), Ali G (Sacha Baron Cohen en fourrure) ou I’m Still Here (Joaquin Phoenix déprimé).
RÉALS Plan B (Ill Manors) n’ouvre pas la voie à RZA, membre du Wu-Tang et pote de Quentin Tarantino, qui sortait cette année son premier film, L’Homme aux poings de fer. Spéciale dédicace à Snoop Dogg, producteur de pornos à ses heures.
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Š2013 Wild Bunch Distribution
Wong Kar-wai
Wong Kar-wai
Master classe
Après avoir exploré le sentiment amoureux dans des volutes de fumée vintage (In the Mood for Love, 2046), et revenu de son échappée américaine (My Blueberry Nights), le Hongkongais Wong Kar-wai se lance dans une épopée sensible du kung-fu. The Grandmaster, inclassable, déroute autant qu’il fascine. Rencontre avec un maître du cinéma qui a mis son talent au service des arts martiaux. _Par Renan Cros
C
aché derrière ses légendaires lunettes noires, qui ornent d’ordinaire un visage impassible, Wong Kar-wai esquisse un léger sourire. Il faut dire que la promotion de The Grandmaster sonne pour lui la fin d’un périple cinématographique qui aura duré plus de neuf ans. Centré autour de la figure d’Ip Man, maître du kung-fu et mentor de Bruce Lee, le film aura nécessité six ans de préparation et plus de trois ans de tournage et de post-production, avant qu’enfin la nouvelle œuvre tant attendue du cinéaste arrive sur nos écrans. À l’écouter, on comprend vite que The Grandmaster est plus qu’un film comportant des scènes de kung-fu : c’est un film profondément marqué par l’esprit de cet art martial. S’il précise qu’il ne pourrait pas le pratiquer, parce qu’il nécessite « une discipline et une rigueur dont je ne suis pas capable », le cinéaste a pourtant accompli un travail de documentation long et minutieux. Avec l’aide du célèbre chorégraphe chinois Yuen Wooping, à qui l’on doit notamment les scènes de combat de Matrix, Tigre et Dragon ou Kill Bill, il est allé à la rencontre des maîtres du kung-fu encore vivants. Ce périple à travers la Chine s’est transformé en initiation, non seulement aux techniques de combat, mais aussi et surtout à l’histoire et à la philosophie de cet art martial. S’il s’était déjà intéressé au kung-fu dans Les Cendres du temps, avec la puissance graphique qu’on lui connait, Wong Kar-wai s’est plutôt fait connaître avec des œuvres urbaines et mélancoliques. Pas
étonnant alors que l’idée de raconter l’histoire d’Ip Man lui soit venue devant une vidéo du vieux maître, fatigué mais toujours debout, en pleine démonstration. Touché par la vigueur du personnage, le réalisateur a vu là l’angle parfait pour aborder cet art qui le fascinait : « Petit, j’étais captivé par les écoles de kung-fu dont je voyais les devantures dans la rue. Elles nourrissaient mon imagination. Avec ce film, j’ai voulu pousser la
« Comment appelezvous des gens qui ne vivent que pour leur passion, avec un sens de la discipline rare ? » porte et aller voir ce qu’il y a derrière. Aujourd’hui, tout le monde considère les arts martiaux comme un sport ; les films de kung-fu se concentrent sur la puissance des personnages et enchaînent les scènes de combat. Mais en faisant mes recherches, j’ai découvert toutes ces histoires à raconter, cette mystique du kung-fu. The Grandmaster n’est pas un film de super-héros. Je voulais poser la question de ce qu’était la société chinoise des arts martiaux : des gens avec une manière de penser bien particulière. » Le film offre une réponse à la fois romanesque et nostalgique en croisant le destin de ces artisans du kung-fu, confrontés à l’histoire et à leurs devoirs. Wong Kar-wai avait imaginé appeler son film Il était une fois le kung-fu,
mais le choix de The Grandmaster s’explique par son attention particulière à incarner cet art dans des personnages denses et humains. Car c’est bien l’authenticité que cherche le réalisateur, dans cette fresque pourtant très stylisée. De même que Bruce Lee avait apporté au kung-fu « du charisme et de l’épaisseur », Wong Kar-wai ne veut pas noyer son film sous les effets spéciaux où « le kung-fu se transforme en ballet volant ». Lorsqu’on lui demande s’il considère Ip Man comme un artiste, le parallèle entre le réalisateur et son personnage devient évident : « Comment appelez-vous des gens qui ne vivent que pour leur passion, qui s’y dévouent complètement, avec un sens de la discipline rare ? Quand j’ai rencontré certains maîtres, ils espéraient que le cinéma allait pouvoir faire survivre leur art. Comme tous les artistes, ils cherchent à lutter contre le temps. » Ce temps qui, comme toujours chez le réalisateur, débouche sur une puissante nostalgie qu’il décrit comme « un sens des valeurs qui se perdent, comme l’honnêteté et la rigueur, un goût pour l’élégance et pour un style qui forcément reviendra au goût du jour ». Si le mystère du kung-fu se niche quelque part entre « le vertical et l’horizontal », The Grandmaster prouve à nouveau que la magie du cinéma de Wong Kar-wai tient dans la recherche, forcement bouleversante, d’un temps perdu. ♦ The Grandmaster de Wong Kar-wai Avec : Tony Leung Chiu-wai, Zhang Ziyi... Distribution : Wild Bunch Durée : 2h10 Sor tie : 17 avril
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Fiction aux airs de documentaire, Kinshasa Kids suit les tribulations pas toujours joyeuses de huit shégés, des gamins accusés de sorcellerie et jetés à la rue par leurs parents. Une vie en forme de cauchemar à ciel ouvert, jusqu’à ce qu’ils se découvrent un projet fou : monter un groupe et faire vibrer la violente et tentaculaire Kinshasa. _Par Pamela Pianezza
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ans une cacophonie de cris et de larmes, un pasteur exorciste s’acharne sur de prétendus enfants sorciers dont il tente d’extirper le démon. « Chassons les mauvais esprits ! Enterrons-les ! » Il balance des gerbes d’eau bénite à la figure d’un garçon haut comme trois pommes. « Dis-leur ce qui t’arrivera si tu reprends la sorcellerie ! » L’enfant répond à l’adresse du public : « La punition sera la mort. » Un rituel humiliant et violent, qui ne servira de toute façon pas à grand-chose. Au final, la plupart des « possédés » se retrouvent tôt ou tard à la rue. C’est le cas de José, dont le père s’est remarié avec une femme qui hait ce beau-fils, convaincue qu’il la « dévore de l’intérieur »
abandonnés. La démarche du Belge Marc-Henri Wajnberg n’en est que plus troublante. Dans le film par exemple, le réalisateur est interpelé par un policier corrompu, puis pris à témoin par une mère de famille incapable de payer une boîte de paracétamol à son fils fiévreux. Ces scènes filmées en caméra subjective entretiennent l’illusion volontairement dérangeante que tout est vrai. Or si le récit est fictionnel, tout n’est pas non plus totalement faux… Après deux ans passés en république démocratique du Congo, où il tourna plusieurs documentaires, Wajnberg a décidé de tourner son deuxième long métrage de fiction et a procédé à un casting sau-
« Kinshasa Kids n’est pas un film pour enfants. » et qu’il est responsable de tous les maux de la famille. À l’issue d’une énième séance de coups et d’insultes, José embarque dans un train bondé pour Kinshasa, où personne ne l’attend. Sans un sou, le voici devenu un shégé, un gamin des rues. Kinshasa Kids n’est pas un film pour enfants. C’est une fiction pour adultes, tournée comme un documentaire et mettant en scène de vrais enfants
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vage, recrutant dans les rues huit shégés parmi les vingt mille – peut-être plus – que compte Kinshasa. Tous lui ont plus ou moins raconté la même histoire : leurs parents ou, très souvent, leur nouvelle bellemère, les ont mis à la porte, officiellement pour cause de sorcellerie, en réalité pour se débarrasser d’une bouche à nourrir. Passées quelques cruelles séances d’exorcisme orchestrées par des pasteurs évangélistes dans l’une des Églises du réveil qui pullulent dans la
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région, ils ont fini par fuir, préférant l’inconnu et les nuits à la belle étoile à ces sévices répétés. C’est donc un double portrait que livre Marc-Henri Wajnberg. Se prostituer, mendier, vendre du chanvre ou du whisky, voler pour son compte ou pour celui de policiers qui n’ont pas touché leur solde depuis des lustres. Le jour, les gosses de Kinshasa appliquent la règle du chacun pour soi, luttant pour leur survie – comme la plupart des adultes – et pas toujours de la plus belle manière. La nuit, ils se regroupent et s’endorment les uns contre les autres, leurs tongs autour du bras, pour éviter que leur seule possession n’ait disparu au réveil. Un cauchemar à ciel
et aux viols. Et pourtant, Kinshasa Kids ne s’autorise jamais la déprime ou l’apitoiement, concepts totalement étrangers aux huit jeunes héros du film et au musicien un peu fou qui deviendra leur mentor. Il s’appelle Bebson, porte des lunettes de star. Ensemble, ils rêvent de faire vibrer la ville entière. Présenté pendant la dernière Mostra dans la section Venice Days, Kinshasa Kids rappelle forcément Benda Bilili!, le documentaire de Renaud Barret et Florent de la Tullaye qui fit l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2010. Tourné lui aussi dans les rues de Kinshasa, il suivait une bande d’apprentis musiciens en fauteuils roulant…
« comme un fluide aussi vital que l’eau, l’air ou le sang. » ouvert donc, mais pas seulement. Le film offre un concentré d’émotions contradictoires : indignation, chagrin, impuissance, honte… Et soudain, sans que l’on ne comprenne vraiment ni comment ni pourquoi, un sentiment de liesse et d’espoir, à la limite de l’ivresse. Il est bouleversant d’observer les premiers pas de José à Kinshasa, tout aussi noyé dans son t-shirt Winnie l’Ourson que dans cette ville tentaculaire. Il est insupportable d’assister aux ratonnades
Mais question énergie contagieuse, on ne peut s’empêcher de penser également à une version très juvénile du Buena Vista Social Club de Wim Wenders. La musique y circule comme un fluide aussi vital que l’eau, l’air ou le sang. ♦ Kinshasa Kids de Marc-Henri Wajnberg Avec : Emmanuel Fakoko, Gabi Bolengue… Distribution : Diaphana Durée : 1h25 Sor tie : 3 avril
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C’EST QUOI CE CIRQUE ?
Le collectif Subliminati Corporation
Installé au Parc de la Villette, dans le XIXe arrondissement, le festival Hautes Tensions fête ses trois ans à coups de cirque et de hip-hop. Des jeunes stars des battles aux nouveaux espoirs de la voltige, des icônes de Youtube à celles du parkour (« art du déplacement »), les artistes misent sur des formats courts de dix minutes comme sur des créations d’envergure pour montrer la vitalité de l’ère postforaine et du hip-hop nouvelle génération. Un mix bien senti entre trampolines et ghetto-blasters… _Dossier réalisé par Ève Beauvallet
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CIRQUE, HIP-HOP : À LA RUE ?
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oin des clowns poudrés de naphtaline ou des clichés ghetto émergent des artistes innovants et malins qui savent aussi bosser à l’ancienne. Le hip-hop et le cirque ont changé de look. Présentation. Certes, le combo Birkenstock/dread-locks fait encore des ravages dans le secteur… Mais le circassien ne se réduit plus forcément à une créature moyennement hygiénique qui déguise son chien en Robert Smith et sifflote Bobby Lapointe au festival d’Aurillac. Comme ses cousins du hip-hop, le nouveau cirque a digéré son propre folklore et a mobilisé une nouvelle génération, internationale, qui ne rêve plus forcément du cirque du Soleil ou du cirque Plume. La preuve avec un collectif comme Subliminati Corporation, regroupant des interprètes originaires de France, de Catalogne, de Corée ou d’Italie. À partir de là, le but du jeu pour Hautes Tensions, c’est de faire copiner nouveaux talents du cirque et jeunes pousses du hip-hop le temps d’un festival. Pourquoi ce rapprochement ? Circassiens et danseurs hip-hop n’ont pas la même culture,
HAUTES TENSIONS
©Little SHAO
C’est quoi?
Madrootz
LE KRUMP
©Willy Vainqueur
Né au mitan des années 1990 dans les ghettos de Los Angeles, le krump est une danse de rue qui peut vite déstabiliser le passant. Ultra-speed et enragée, quoique quasi statique, elle mêle les mouvements de base du hip-hop et des arts martiaux à des influences tribales. Un combo qui a vite retenu l’attention de Christina Aguilera, des Chemical Brother’s ou de David LaChapelle, qui en raconte l’évolution dans son documentaire Rize. On en voit où ? Chez le R.A.F. Crew (Grichka est champion d’Europe de krump) ou chez le collectif Madrootz qui regroupe des pionniers du mouvement en France. > R.A.F. Crew et Madrootz, du 25 au 27 avril – Scène partagée, Nef sud de la Grande halle de la Villette
Serial Stepperz
LA HOUSE DANCE
DR
certes, mais les parallèles sont nombreux : le culte de la performance, le vertige du défi, la pratique spontanée dans la rue, l’appartenance à un groupe, même si le collectif de cirque pousse à la cocréation alors que le crew du hip-hop cultive plus volontiers l’affrontement via les face-à-face chorégraphiques. « Surtout, ils ont en commun d’être longtemps restés les vilains petits canards des programmations des théâtres », explique Raffaella Benanti, programmatrice du festival. « Le cirque, poursuit-elle, a aujourd’hui de très bonnes écoles. Le croisement avec d’autres pratiques est inscrit dans son histoire. » Il s’intègre mieux aux circuits institutionnels. Des deux côtés, les formats se multiplient. La rue, le chapiteau et la scène pour le cirque. La rue, la scène, l’entertainment, la pub, les battles et surtout Internet pour la danse hip-hop, qui est la seule à avoir choisi Youtube comme véritable studio chorégraphique. « Les danseurs avec lesquels j’ai créé Standards travaillent toujours avec leur image », explique Pierre Rigal, qui présente sa deuxième création avec des danseurs hip-hop. « Ils se filment, partagent des vidéos, ce qu’on ne fait pas du tout en contemporain, par exemple. » ♦
Inventée par des clubbers de Chicago (au mythique Warehouse) et de New York dans les années 1980, la house dance entretient une relation très sensuelle à la musique éponyme. Avec ses jeux de jambes primesautiers (le footwork) et son flux ondulatoire, c’est la plus planante, la plus collective et la plus transcendantale des danses urbaines. On en voit où ? Dans Motherland du mythique collectif Serial Stepperz, une pièce de house aux influences africaines. > Serial Stepperz, du 18 au 20 avril – Scène partagée, Nef sud de la Grande halle de la Villette
LE PARKOUR Dit aussi « art du déplacement » ou free running, il est pratiqué depuis les années 1990, en France puis à l’étranger, par des « traceurs » – qu’on confond souvent avec les Yamakasi (qui est le nom d’un groupe de traceurs). Courses libres dans l’espace urbain, avec sauts d’obstacles et escalade de façades en bétons… Luc Besson les qualifiait avec émotion de « samouraïs des temps modernes » dans son film éponyme. Ne faites pas les malins en les imitant, ivres, en fin de soirée. On en voit où ? Lors du premier championnat de France de speed running où un parkour inédit est recréé en plein air. > Xtreme Gravity, le 28 avril – Péristyle de la Grande halle de la Villette
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HAUTES TENSIONS
© Ben Hopper
Notre sélection
La Meute
CASCADEURS
© Pierre Grosbois
Les amateurs de scènes d’action et de gros carambolages flasheront sur les six Musclor de La Meute, des acrobates kamikazes fraichement sortis de l’école de Stockholm qui entendent retrouver le côté brut et primaire de la voltige. Le programme est simple : s’élancer et (parfois) se scratcher au sol par pur plaisir du défi. Déjà culte. Du 25 au 27 avril – Scène partagée, Nef sud de la Grande halle de la Villette
Standards de Pierre Rigal les 27 et 28 avril au Parc de la Villet te, w w w.villet te.com
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R.A.F. Crew
PRIME TIME Les choré’ du R.A.F. Crew se sont imposées dans les battles comme sur les plateaux télé. Sacrés champions du monde lors du World Hip Hop Dance Championship de Las Vegas en 2009, alignant les contrats pour Mariah Carey ou Christian Louboutin, ces as du break, du krump ou du new style offrent, en version « Deluxe », ce que vous retrouvez dans les clips des starlettes de R’n’B. Du bon mainstream, esthétique, sophistiqué. Du 25 au 27 avril – Scène partagée, Nef sud de la Grande halle de la Villette
© Nathaniel Baruch
Le chorégraphe et ancien athlète Pierre Rigal dribble avec les nomenclatures du hip-hop dans Standards, une variation acidulée et inquiète sur l’uniformisation des comportements. Du krump, du top rock, du break, du new style… Un plateau couleurs pop, un gros déballage de sneakers flashy assortis à des maquillages fluo-tribaux et huit danseurs parmi les plus virtuoses de leur génération. A priori, tout est réuni pour que l’on trouve ici fraîcheur de vivre, bonne humeur et Juvamine… Verdict, oui et non. Car Standards, petite bombe chorégraphique signée Pierre Rigal, est une sorte de chewing-gum bigoût : côté pile, une compile bluffante des techniques qui énergisent la street culture actuelle ; côté face, un sous-texte anxiogène déployé sur une électro stressante. Tout s’explique à l’annonce du thème : à quel point sommes-nous guettés par le danger d’uniformisation ? La standardisation est-elle inéluctable ? Le groupe est-il une force d’émancipation ou une puissance d’aliénation ? Derrière ces énigmes un peu pompeuses se cache une chorégraphie qui est loin de l’être. Pas de poétisation niaiseuse (grosse dérive, habituellement, du hip-hop de création) ou de prouesses ambiance simili battle, mais des jeux de jambes ressassés à l’infini façon GIF animé, des impressions de rewind qui évoquent, par flashs, le Chaplin des Temps modernes, des attitudes individuelles reprises à l’unisson jusqu’au chaos et un petit précis des stéréotypes corporels de 2013 (on se ressemble un peu tous quand on exprime le défi, la condescendance ou la violence nous dit Standards). Après son reboot chorégraphique du match France – RFA de 1982 (Arrêts de jeu, 2006), ou son ersatz de concert rock avec le groupe Moon Pallas (Micro, 2010), cette pièce maligne, créée dans le cadre du festival Suresnes Cité Danse, confirme les espérances qu’on plaçait en Pierre Rigal. Celles de trouver enfin un chorégraphe ludique et élégant qui nous embarque à plein dans les rythmes urbains. ♦
© Little SHAO
BANDE STRESSANTE
Qui-Vive de Thierry Collet
HACKTIVISTE Dans le nouveau monde du cirque, on ne maltraite plus forcément les lapins, mais on étudie le monde du management politique et des nouveaux outils de communication, à l’image du travail de Thierry Collet (Qui-Vive), une sorte de Wikileaks du mentalisme qui fait pâlir les spin doctors, en décryptant les stratégies de détournement de l’attention et les mécanismes de propagande. Prochaine recrue de Christopher Nolan ? Du 23 au 27 avril – Scène partagée, salle Boris Vian (Grande halle de la Villette)
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BIOSHOCK
LE SHOCK D E S T I TA N S Alors que Bioshock Infinite s’apprête à ravir des millions de fans transis, les créateurs de cette saga culte nous ont ouvert les portes de leur studio américain et d’un monde titanesque. _Par Yann François, à Boston
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plan. On aurait pu refaire un nouveau Bioshock à Rapture. Le jeu aurait marché, mais notre amourpropre, lui, en aurait pris un coup. Avec Infinite, on a voulu bousculer le joueur, en le plongeant au cœur d’une expérience narrative forte, dans laquelle il n’est plus un simple spectateur de son histoire. C’est un pari risqué, qui nous a souvent plongé dans des abîmes de doutes. Heureusement, c’est ce sentiment d’insécurité qui vous pousse à vous lever chaque matin avec l’envie de tenter quelque chose de nouveau. » Bienvenue en nouvelle Columbia. De l’Atlantide à l’Olympe Infinite rompt peut-être avec ses aînés, mais il ne déroge pas à une règle primordiale de Bioshock : la découverte, en vue subjective, d’une cité imaginaire gouvernée par une utopie. Rapture, cousine de l’Atlantide revenue à l’état sauvage, laissait le souvenir impérissable d’une descente aux enfers dans les entrailles d’une idéologie devenue folle. Alors que Rapture n’était qu’un cimetière urbain que l’on parcourait comme un train fantôme, Columbia plonge le joueur dans un environnement encore vivant et habité. Construite sous l’égide du père Comstock, religieux aux idées visionnaires, la ville est un phalanstère humaniste qui, après avoir fait sécession avec les ÉtatsUnis, à la fin du XIXe siècle, émigra vers les cieux pour fuir la médiocrité terrienne. Baptisé Booker DeWitt, le héros est un détective privé qui se voit missionné sur Columbia en 1912 pour retrouver
© 2K Games / Irrational Games
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oston, février 2013. La ville se remet doucement d’un blizzard qui l’a paralysée la veille. Au milieu des congères, un taxi file vers Quincy, petite bourgade au sud de la capitale du Massachusetts. À son bord, une horde de journalistes étrangers, impatients à l’idée de visiter Irrational Games, le célèbre studio de jeu vidéo qui, à quelques semaines de la sortie de Bioshock Infinite, a accepté d’ouvrir ses portes à la presse. En ce jour du Presidents Day (jour férié aux États-Unis), la plupart des employés sont restés chez eux. Les visiteurs parcourent un open-space immense et désert, plongé dans la pénombre. Ceux qui se souviennent du premier Bioshock, FPS révolutionnaire qui secoua les années 2000, et de Rapture, sa ville fantôme à 20 000 lieues sous les mers, se sentent alors en terrain conquis. Mais l’équipe créative du studio arrive et arrache ses invités à l’errance. Ken Levine, patron d’Irrational, créateur génial de System Shock 2 et de Bioshock, s’avance alors pour présenter ses collaborateurs : scénaristes, spécialistes du son, de l’animation, du gameplay, etc. Le ton est bon enfant, mais on sent de leur part un mélange d’excitation et de crainte à devoir lâcher le nouveau né dans la fosse aux lions. Après le succès retentissant de ses deux premiers volets, Irrational se sait attendu au tournant. Vaille que vaille, le studio a néanmoins pris le risque du renouveau, en changeant radicalement de décor. « Quand vous passez quatre à cinq ans de votre vie à travailler sur un projet, nous confie Ken Levine, la question financière finit par passer au second
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BIOSHOCK
la trace d’Elizabeth, une mystérieuse adolescente retenue captive par Comstock. Accusé de profaner le sanctuaire volant, Booker découvre alors le sombre secret qui ronge le régime de Columbia, dominé par des idéaux eugénistes et racistes. Perchée sur les nuages, hors du temps, Columbia ressemble à un cliché de l’americana dans lequel l’idéal national est devenu religion et les pères fondateurs, ses nouveaux apôtres. « Dans tous les Bioshock, le joueur visite une ville comme un touriste visiterait un Disneyland vintage du rêve américain, poursuit Levine. Il nous fallait montrer cette force de séduction, à la fois merveilleuse et totalement illusoire, que peuvent revêtir
les utopies. » Quand on émet l’hypothèse d’une ressemblance troublante entre certaines architectures de Columbia et celles croisées à Boston, le créateur sourit : « En Amérique, on a trop tendance à édulcorer le passé, pour le rendre attractif et populaire. Boston est considérée comme le berceau des États-Unis et de la déclaration d’indépendance. Si vous visitez son musée de la révolution américaine, vous verrez qu’il y a un décalage presque grotesque entre la réalité et sa représentation. Le passé n’a pourtant rien de simple, il est aussi complexe que notre présent. » Au moyen d’un prologue exemplaire, le jeu parvient à aveugler son joueur, à lui faire croire au bonheur feint d’une communauté, avant de le rappeler violemment à la réalité fasciste qui dort sous la propagande vernie de Columbia. Drew Holmes, scénariste du jeu, intervient sur ce contraste brusque : « Les personnalités historiques qui sont vénérés à Columbia, comme Benjamin Franklin ou Abraham Lincoln, sont souvent considérées comme des icônes de l’identité américaine. Ces hommes étaient de grands visionnaires. Mais ils restaient des hommes de leurs temps, avec des idéaux inconcevables aujourd’hui. Notre but n’est pas de condamner les crimes de notre histoire, mais d’impliquer le joueur et sa conscience face à une situation uchronique de ce type. » Peu à peu, Columbia se dévoile comme un immense monstre steampunk, protégé par des cerbères mécaniques et d’étranges phénomènes surnaturels. À l’instar de Rapture, son identité se
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BIOSHOCK
résume en une alchimie complexe d’architectures classiques américaines et de rétro-futurisme dans laquelle chaque détail a une place bien réfléchie. « Nous nous sommes principalement inspirés de 1984 d’Orwell, pour sa description incroyablement méthodique de la propagande sur l’esprit collectif, et de The Devil in the White City d’Eric Larson, qui raconte l’histoire d’un tueur en série sévissant à l’époque de l’Exposition universelle de Chicago, en 1893. Ce livre décrit une période incroyable : les gens commençaient à voler, à utiliser l’électricité. Dans notre esprit, Columbia est l’héritière de cette renaissance technologique, durant laquelle les machines ont pris le pas sur tout. Le jeu vidéo permet un choc unique entre une réalité historique et son fantasme. Même si l’action se déroule dans une autre dimension, sa matière résonne forcément avec notre présent. » Le mythe de Prométhée Autre changement, et de taille : la présence d’Elizabeth, qui accompagne le héros tout au long du jeu. Habituellement solitaire, la saga tente l’expérience inédite (et risquée) du duo coopératif sur le champ de bataille. Fierté d’Irrational, le personnage a bénéficié d’un traitement intensif. Aux yeux de Levine, elle est la pierre angulaire de son ambition : « OK, Bioshock Infinite est un conte philosophique sur l’utopie et le mensonge d’État. Mais c’est surtout l’histoire de deux personnages qui s’élèvent contre le reste du monde. Elizabeth est un lien émotionnel entre le joueur et l’idéologie qu’il doit combattre. » Comme en écho à la légende de Rapunzel, Elizabeth, après avoir été enfermée toute sa vie dans une tour d’ivoire, découvre la beauté du monde extérieur, en même temps que sa violence. Shawn Robertson, responsable de l’animation sur Bioshock Infinite, avoue avoir travaillé d’arrache-pied avec son équipe et son actrice pour donner au personnage une incarnation unique : « L’histoire d’Elizabeth est celle d’un éveil au monde. Chacun de ses gestes doit participer à cet éveil des sens ; sa manière de parler, de bouger, de vous regarder. Parvenir à reproduire ce sentiment sans recourir aux mots, c’est le Graal ultime de tout animateur.
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« L’industrie du jeu vidéo a toujours eu du mal à proposer des personnages complexes et torturés, sans doute par pudeur. »
Si les joueurs parviennent à oublier qu’Elizabeth est une intelligence artificielle, notre acharnement aura servi à quelque chose. » Panthéon En plus d’avoir bâti un univers sensationnel, Irrational a su préserver l’efficacité d’un système de jeu qui fit la renommée des Bioshock. Avec Elizabeth, future prétendante au panthéon des personnages cultes, Irrational livre un véritable manifeste pour une approche mâture et existentielle de la mise en récit vidéoludique. Au terme de la rencontre, le mot de la fin revient à Ken Levine : « Le jeu vidéo est à son âge de raison. Il est devenu un média suffisamment expressif pour aborder des problématiques complexes, comme la philosophie ou la politique. Mais l’auteur doit finir par lâcher la barre du navire, contrairement au cinéma et à la littérature. C’est le joueur qui a le dernier mot sur le rythme et la façon de vivre une histoire. C’est cette liberté qui rend cet art exceptionnel. » Avec des exemples comme Bioshock Infinite, cette quête de liberté n’est pas prête de s’achever. ♦ Bioshock Infinite (2K Games) Genre : aventure Développeur : Irrational Games Plateformes : PS3, X360, PC, Mac Sor tie : disponible
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L’ÉMOI DE MAI
Une plongée dans la vie étudiante du début des années 1970 qui a remporté le Prix du meilleur scénario au festival de Venise l’an dernier. C’est la chronique d’un groupe qui se construit après les années lycée, alors que les traces des événements de Mai 68 éclaboussent encore les murs et les esprits. Des tracés politiques, activistes ou artistiques qui se télescopent à mesure que chacun affirme et affine sa manière de s’engager. Assayas sonde le maelström 68 en évitant de l’affronter par sa seule face historique. C’est ce qui fait la profondeur de cet instantané. _C.Ga. Après mai d’Olivier Assayas (MK 2 Vidéo) disponible le 24 avril au Store du MK 2 Bibliothèque et au Store du MK 2 quai de Loire
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RUSH HOUR AVANT
PENDANT
APRÈS
Après une première vie passée en Asie, Mag Bodard est devenu productrice, au début des années 1960, parce qu’elle avait vu Lola de Jacques Demy et qu’elle voulait aider ce jeune réalisateur à réaliser ses films. C’est ainsi qu’elle a financé Les Parapluies…, Les Demoiselles… et Peau d’Âne, avant de travailler avec Varda, Bresson, Godard et Resnais, pour ne citer qu’eux. Au fil d’un long entretien avec le producteur Philippe Martin, Mag Bodard livre un passionnant témoignage sur le métier de productrice. _L.T.
Le 24e festival Théâtres au cinéma a comme invité d’honneur Philippe Garrel, à qui sera consacré une rétrospective, en sa présence. Celui qui n’a jamais cessé de tourner depuis l’âge de 16 ans est également célébré dans un livre de Philippe Azoury. Le critique revient, au fur et à mesure de notes écrites pendant des années, sur son attachement intime à l’œuvre de Garrel. Le cinéaste livre également, dans un passionnant entretien, un peu de sa méthode de travail, qui est aussi une façon de vivre. _L.T.
Après Red Road et Fish Tank, très ancrés dans l’Angleterre contemporaine, Andrea Arnold s’offre un détour par l’adaptation littéraire de l’œuvre unique d’Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent. Au XIXe siècle, dans l’inhospitalière campagne anglaise, Heathcliff, enfant abandonné, est recueilli par un père de famille. Il tombe amoureux de la petite Cathy. Fidèle à sa mise en scène fiévreuse, Andrea Arnold déploie leur histoire d’amour tragique jusqu’à un âge adulte sans pitié. Déchirant comme la plainte du vent. _L.T.
de visiter l’expo sur Jacques Demy, lire Mag Bodard, portrait d’une productrice
Mag Bodard, por trait d’une productrice de Philippe Mar tin (La Tour ver te) // Disponible Exposition « Le monde enchanté de Jacques Demy », à la Cinémathèque française du 10 avril au 4 août (lire p. 28)
le festival Théâtres au cinéma, lire Philippe Garrel en substance
Philippe Garrel en substance de Philippe A zour y (Capricci) Disponible Festival Théâtres au cinéma au Magic cinéma de Bobigny // Jusqu’au 14 avril
avoir lu Emily Brontë, regardez Les Hauts de Hurlevent
Les Hauts de Hurlevent d’Andrea Arnold (Diaphana) Sor tie le 17 avril
TROP APPS _Par É.R.
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Bonne nuit ! Face à l’invasion des écrans, faut-il préserver à tout prix l’un des derniers bastions du papier : l’histoire pour endormir les petits ? Pas sûr, au vu de cette ferme numérique que votre petit doit mener au lit. Interactif et assoupissant.
Podcasts L’application d’Apple a enfin droit à une mise à jour qui apporte des modifications nécessaires, comme la création de stations personnalisées ou une gestion poussée des playlists et de l’actualisation des programmes. Qui sait, un jour on aura notre podcast.
Angry Birds Toons Les oiseaux de la colère, qui ont participé au succès planétaire de l’iPhone avec leurs jeux addictifs, voient leurs aventures adaptées en dessins animés. Pastilles délirantes pour des personnages qui n’ont pas fini de se voler dans les plumes.
Gratuit // iPhone et iPad
Gratuit // iPhone, iPod touch et iPad
Sur la chaîne Gulli le samedi à 10h30
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©20th Century Fox
KIDS LA GUERRE DU JEU
Bataille pour la survie dans un monde hostile préhistorique, Les Croods est le jouissif prétexte d’un jeu de mains pas vilain. _Par Étienne Rouillon
Chez les Croods, il y a le papa poule mouillée qui s’accroche à son mantra – « ne jamais pas avoir peur » –, enferme sa famille dans une grotte à la nuit tombée et définit un périmètre de sécurité rachitique dans lequel son ado de fille se sent étouffer. Et puis la grotte est détruite, forçant les Croods à un exode géographique, psychologique et technique. C’est
Le dvd
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Ernest et Célestine
de Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier (Studio Canal) Avant d’être un petit bijou de l’animation sur grand écran, Ernest et Célestine s’écrivait sur les pages de garde cartonnées des livres pour enfant de Gabrielle Vincent. Le scénario de Daniel Pennac est mis en image par un dessin ravissant et une technique habile. De quoi rendre à cette impossible amitié entre une souris et un ours toute la magie discrète qui sait ravir les petits lecteurs au moment d’aller au lit.
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que, dans un monde préhistorique dans lequel tout est encore à inventer, les Croods vont devoir se faire la main sur une faune et une flore extravagantes. Pincées, mordues, caressées, baisées ou agrippées, les paumes vont tâtonner, tenter, expérimenter, sélectionner et façonner les armes d’une guerre menée contre l’ignorance et le repli sécuritaire. L’occasion d’un brillant défouloir pour les scénaristes et animateurs qui imposent respect et bouche bée devant l’enchaînement de gags, malins comme un épisode d’Il était une fois… la vie et débridés comme un Tex Avery. Ballon dirigeable, lunettes de soleil, tongs – et un briquet bien sûr –, à chaque situation périlleuse son invention, en forme de clin d’œil anachronique et ludique. On applaudit des deux mains. ♦ Les Croods de Chris Sanders et Kirk DeMicco Avec les voix de : Nicolas Cage, Ryan Reynolds… Distribution : 20 th Centur y Fox Durée : 1h32 Sor tie : 10 avril
Le livre
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Cet élan est à moi
d’Oliver Jeffers (Éditions Kaléidoscope) Ce nouvel album du dessinateur irlandais Oliver Jeffers met en image un élan et son maître haut comme trois pommes, Wilfried. Le petit garçon baptise l’élan Marcel et en fait son compagnon de jeu. Un jour pourtant, Marcel retrouve sa véritable maîtresse sous les traits d’une petite vieille. À partir de cette histoire d’amitié, le dessinateur expérimente une large palette stylistique, depuis des bulles de dialogues pop jusqu’à de somptueux paysages peints à la gouache.
©Jour2Fête
DVDTHÈQUE FENÊTRE SUR L’OURCQ
Comme à son habitude, le documentariste VINCENT DIEUTRE (Bologna centrale, Después de la revolución) part d’un territoire pour se raconter. Aux confins de l’intime et du social, Jaurès est le portrait d’un quartier parisien, en même temps que l’évocation bouleversante d’un amour perdu. _Par Quentin Grosset
C’est un regard posé sur un autre regard. Une jolie mise en abyme qui permet d’interroger les points de vue de chacun sur une même histoire. Une conversation entre deux vieux amis, le réalisateur Vincent Dieutre et la comédienne Éva Truffaut, qui commentent des rushes que le premier a gardés précieusement. Car ce sont les souvenirs éparpillés de sa relation avec Simon, son amant. Dans l’appartement de ce dernier, situé près de la station Jaurès, Vincent filme le soir et le matin. La caméra est posée sur la fenêtre qui donne sur le canal de l’Ourcq. Là, sous la voûte La Fayette, des réfugiés afghans ont dressé leur camp. Le cinéaste fantasme leurs craintes et leurs espoirs, il va les voir évoluer quotidiennement, pendant quatre saisons, jusqu’à ce que son histoire d’amour se 86
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termine et qu’il n’en reste plus que ces bribes de vidéo : « Ce sont les seules traces de Simon. Dans ces plans où on ne le voit jamais, il y a sa présence sonore, parfois sa voix. C’est aussi la mémoire d’un instant politique, le sarkozysme, un moment de marasme où on se sentait tous un peu piteux », nous dit le réalisateur. Que faire donc de cette matière brouillonne ? « Mon producteur m’a fait sentir qu’on pouvait en faire un film, mais nous n’avions aucun budget. J’ai tout de suite pensé à Éva, car elle a connu cette personne, qui ne s’appelle pas réellement Simon. On a eu cette idée de visionner ces rushes et d’en parler. Cela nous permettait de tout rassembler en une journée de tournage, sans répétitions. » Éva Truffaut guide Vincent avec ses questions, elle permet d’organiser le tout, de faire surgir l’émotion sourde contenue dans le paysage urbain, où le personnel et une dimension plus collective s’interpénètrent : « Ces images sont les témoins de mon impuissance par rapport à Simon qui, lui, militait activement auprès des sans-papiers. Comment dire ce désarroi-là, qui n’est pas de la politique traditionnelle, mais pas non plus une affaire strictement privée ? Il fallait arriver à tresser les deux, car la vie, c’est comme ça. » Dans des plans d’ensemble très larges, distants, le cinéaste évite le voyeurisme, risque d’un tel dispositif. Parfois, de l’animation vient se superposer aux vues du dehors, les rendant plus abstraites, plus oniriques : « La position de caméra de surveillance ne m’intéresse pas », dit-il. Il est juste un homme qui rêve à sa fenêtre. ♦ Jaurès de Vincent Dieutre Documentaire Édition : Jour2Fête Durée : 1h22 Sor tie : disponible
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films La sélection de la rédaction
LA BOUCHE DE JEAN-PIERRE de Lucile Hadzihalilovic (Badlands)
L’implacable expérience viscérale de Lucile Hadzihalilovic sort enfin en DVD, quinze ans après sa confection. Sous les atours du conte édifiant, ce moyen métrage suit Mimi, une fillette laconique en proie à la concupiscence d’adultes dévitalisés. Écrasés dans un scope radical et enclavés dans une architecture étriquée, les personnages sont captifs d’un comportement social hypocrite, qui martyrise en sourdine les plus faibles. Un DVD indispensable, soutenu par un fabuleux travail éditorial : en bonus, documentaires, scénario et un court-métrage de la trop rare réalisatrice. _J.D.
WOMAN ON THE BEACH ET NIGHT AND DAY
de Hong Sang-soo (Blaq Out) Réalisés coup sur coup en 2006 et 2008, ces deux films de Hong Sang-soo bâtissent déjà des ponts vers In Another Country, dernière pépite du prolifique Coréen. Dans Woman on the Beach, un réalisateur convie son chef décorateur et la petite amie de celui-ci à un séjour balnéaire pendant lequel il espère trouver l’inspiration. À la place, il tombe sous le charme de la jeune fille. Dans Night and Day, HSS avoue pour la première fois sa francophilie en emmenant son antihéros en voyage dans le XIVe arrondissement parisien. Entre deux croissants, il fera l’expérience de l’adultère et du doute existentiel. _L.T.
LE SOMMEIL D’OR
de Davy Chou (Orange Studio et Bodega Films) Ce bouleversant premier documentaire de Davy Chou, Français d’origine cambodgienne, explore parallèlement l’histoire familiale du jeune réalisateur et celle du cinéma cambodgien. Foisonnant dans les années 1960 et 1970, il fut interdit puis rageusement anéanti par les Khmers rouges, dès 1975 : acteurs, réalisateurs et producteurs assassinés ; studios, bobines et salles détruits. Davy Chou s’appuie sur les témoignages des survivants et sur sa propre capacité à rêver ces films disparus pour réinventer, à partir de bribes (bandes originales, rares photos d’époque), la mémoire d’un cinéma sacrifié. _J.R.
RENGAINE
de Rachid Djaïdani (Arte Éditions) Paris, aujourd’hui. Dorcy et Sabrina projettent de se marier. Elle est originaire du Maghreb, lui d’Afrique noire. Les quarante frères de la jeune fille décident d’empêcher leur union. À partir de ce scénario, mi-chronique contemporaine mi-conte de fées, Rachid Djaïdani a réalisé un premier film très libre, tant dans sa forme que dans son processus de création. Assistant de Peter Brook au théâtre, le réalisateur a mis neuf ans à terminer Rengaine, suivant ses acteurs dans une durée hors du commun qui donne sa force à la mise en scène. Conçue comme un combat de boxe, elle empreint le film d’une vitalité réjouissante. _L.T.
COFFRET JOSH & BENNY SAFDIE (Blaq Out)
Le précieux travail d’artisan mené à New York depuis plusieurs années par les jeunes frères Josh et Benny Safdie est ici compilé dans un coffret qui réunit leurs deux longs métrages, The Pleasure of Being Robbed et Lenny and the Kids. Un art de rue do it yourself et familial qui doit sa cohérence à la collaboration au long cours entre leur maison de production, Red Bucket Films, et des proches comme l’actrice Eleonore Hendricks ou le directeur de la photographie Sean Price William. En sus d’interviews et de making of, deux courts métrages inédits, John’s Gone et The Black Balloon. _C.G.
COFFRET YOUSRY NASRALLAH
(Orange Studio) Projet urgent, le film Après la bataille interrogeait le legs de la révolution égyptienne de 2011 en sondant quelques mois plus tard l’un de ses moments les plus tragiques : la charge de cavaliers sur les manifestants de la place Tahrir. Yousry Nasrallah était sorti de ce tournage avec une crainte : que la diversité des moteurs de ces soulèvements ne divise le peuple égyptien. L’histoire de la rencontre de Mahmoud et Reem demeure d’actualité et prouve la sagacité réalisateur, déjà perceptible dans son documentaire À propos des garçons, des filles et du voile (1995), présent dans ce coffret. _É.R.
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©Shawn Brackbill
CDTHÈQUE Nouveau western
Wakin on a Pretty Daze, cinquième album solo du songwriter américain Kurt Vile, s’ouvre aux grands espaces (et aux grands studios) américains. Entre stupéfaction d’être vivant et jetlag du chanteur en tournée, Kurt Vile est un rêveur en marche. _Par Wilfried Paris
Né à Philadelphie, en 1980, dans une fratrie de dix enfants, Kurt Vile a appris à jouer de la guitare sur un banjo offert par son père quand il était adolescent et n’a cessé de perfectionner depuis son art singulier de la six cordes à l’aune de ce démarquage do it yourself initial, devenant un des plus singuliers musiciens de son époque. D’abord adepte du rock lo-fi des années 1990 (Smog, Beck, Pavement), il a progressivement élargi son champ de références pour acoquiner son écriture au classic-rock américain (Creedence, Tom Petty, Neil Young), tout en payant son tribut aux grands maîtres de la gratte (John Fahey, Bert Jansch). De ses premiers jets, avec le groupe The War On Drugs ou en solo sur un quatre pistes, jusqu’aux studios pros des derniers Smoke Ring for My Halo et Wakin on a Pretty Daze, sa musique
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a gagné en ampleur et en virtuosité ; le jeune homme sauvage de 33 ans, caché derrière ses longs cheveux, sait que pour transgresser la norme, il faut d’abord en connaître les règles : « J’essaie constamment de progresser, d’être meilleur musicien. J’ai commencé en enregistrant en home-studio, parce que je voulais gérer moi-même ma carrière, mais les musiciens des seventies qui m’ont influencé n’enregistraient pas leurs albums dans leur cave, ils savaient utiliser un studio. C’est important pour moi d’apprendre à me servir d’un studio professionnel, de repousser mes limites. » Kurt Vile est ainsi autant thuriféraire d’une tradition que représentant d’un nouveau classic-rock, pas loin d’Ariel Pink dans un registre nostalgico-embrumé.De fait, la stupéfaction (« daze ») qui teinte le titre et les chansons de ce nouvel album s’exprime dans un psychédélisme doux et lumineux, plein de réverbe et d’échos, et dans la manière de chanter de Kurt, doucement envapée. Et quand je lui rappelle les paroles de sa chanson Too Hard (« I will promise not to smoke too much »), il rit et admet : « Je fume beaucoup moins d’herbe depuis que j’ai des enfants. Il s’agit moins d’états altérés par la drogue, ou de somnambulisme, que de rêveries diurnes. » Entre balades languissantes sous le soleil (Wakin on a Pretty Day), folk-song jetlaggée (Air Bud) et rock solitaire dans la chambre d’hôtel (Shame Chamber), tout l’album documente le quotidien du chanteur en tournée, de la nostalgie du foyer à l’envie d’aller de l’avant. C’est que Kurt Vile est une sorte de cow-boy des temps moderne. ♦ Wakin on a Pretty Daze de Kurt Vile Label : Matador/Beggars Sortie : 8 avril
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ALBUMS La sélection de la rédaction
Dresses
de Loch Lomond (Chemikal Underground Records/Pias France)
Da Roach
de Dope D.O.D (Dope D.O.D. Records/Ping Pong) Sur le single « Rocket », les Dope D.O.D. se présentent comme un « croisement de Keith Flint (chanteur de the Prodigy) avec Sticky Fingaz (rappeur hardcore) ou un mélange entre Jason (le méchant dans Vendredi 13), La Mouche et L’Homme-mystère (Batman Forever) ». Des références sombres pour un rap gavé aux sons industriels ou dubstep. Aux côtés de légendes du rap east coast telles que Redman, Kool Keith ou Onyx, le quatuor batave crache sa bile en anglais sur ce deuxième (double) album placé sous le signe du cafard (« roach »). Violent et angoissant comme « un thriller de Stephen King ». _É.V.
Signés sur un label écossais, leur nom évoque un joli lac au sud des Highlands, mais aussi le whisky préféré du capitaine Haddock dans Tintin. Pourtant, les Loch Lomond viennent de Portland, dans l’Oregon, une ville d’esthètes pop indé tels que Elliott Smith, M. Ward ou les Shins. Parfois proche du lyrisme délicat de ces derniers, le groupe à géométrie variable de Ritchie Young modèle depuis dix ans sa folk de chambre mélancolique. Sur ce quatrième album richement orchestré, les chœurs se mêlent aux cordes, le piano répond au banjo, dans une valse bucolique et brumeuse, aussi triste que flamboyante. _É.V.
Head in the dirt de Hanni El Khatib (Innovative Leisure)
Produit par Dan Auerbach (Black Keys), le deuxième album du skateur de San Francisco, désormais émigré à L.A., où il codirige le label Innovative Leisure, développe les intentions du précédent, Will the Guns Come out : rhythm’n’blues séminal (Save Me), guitares saturées pour stage diving (Family), riff bien lourd (Pay No Mind) et même un morceau punky-reggae (Nobody Move) rappelant les Clash. Désormais moins garage que pop moderne, bouffant à tous les râteliers avec efficacité, les chansons accrocheuses de Hanni, quand bien même elles vous mettent la tête dans la saleté, devraient marcher du feu de Dieu. _W.P.
GHOST CARNIVAL
WHERE IS THE LIGHT
L’eurodance est redevenu un genre branché, dont la pop tire une influence, sans plus crever de honte. Il ne faudrait pas oublier le rôle joué par Hypnolove. Le trio franco-portugo-allemand était silencieux depuis l’introductif et bien nommé Eurolove (2006) et son beau tube dancefloor Mademoiselle. Hypnolove revient avec Ghost Carnival, un disque encore plus italo et exigeant. Bande son d’un été avant l’heure, gorgée de funk et de mélancolie – strings à paillettes et pailles à sniffer –, qui parle à la tête en s’adressant aux corps. Ils le disent eux-mêmes : « We like it simple / Classic / Beautiful ». _M.P.
Enregistré dans les forêts nordiques, cet opus signe le retour, après trois ans d’absence, du quatuor suédois The Amplifetes. Ce combo de producteurs à succès – ils ont travaillé avec Madonna ou Sophie Ellis-Bextor, l’un d’entre eux à coécrit le Toxic de Britney Spears – a enflammé en 2008 la scène électro pop avec une première bombe It’s my life, puis a imposé un son dans la publicité, pour enfin sortir un premier album éponyme en 2010. Brillant comme un soleil en hiver, Where is the Light rend hommage à Pink Floyd ou à David Bowie, plongeant des mélodies oniriques seventies dans une électro millimétrée. _S.O.
de Hypnolove (Record Makers)
de the Amplifetes (AMP Music)
APRÈS MOI LE DÉLUGE
d’Alex Beaupain (AZ/Universal) Alex Beaupain s’est installé dans la nouvelle scène française, signant les bandes originales des films de Christophe Honoré, entamant ensuite un projet solo, Garçons d’honneur, et multipliant les collaborations, jusqu’à sa consécration en 2008 avec la bande originale des Chansons d’amour. Après moi le déluge, son quatrième album solo, qu’il coréalise avec Nicolas Fiszman, met à flot une chanson française exigeante et tourmentée. De Je peux aimer pour deux à Baiser tout le temps, Beaupain nous embarque sur son arche, parcourant un océan musical toujours plus vaste avec ses textes acides pour gouvernail. _S.O.
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BIBLIOTHÈQUE
©NESBO Jo photo Caroline Helie Editions Gallimard
Fantôme réunit toutes les qualités qui ont fait le succès de la série – style sec, humour noir, personnages bien dessinés, précision documentaire.
TIRER SA RÉVÉRENCE
Avec Fantôme, JO NESBØ plonge dans les milieux de la drogue et tire un trait sur les aventures de son flic fétiche, Harry Hole. Haletant. _Par Bernard Quiriny
« Une bombe atomique opioïde. Extrêmement antalgique. Six à huit fois plus puissant que la morphine. Trois fois plus que l’héroïne. » Cette nouvelle drogue qui déferle sur Oslo s’appelle la fioline, et c’est peu dire qu’elle a du succès. Tous les toxicomanes se l’arrachent, au point qu’elle est en train de remplacer l’héroïne et de faire place nette sur le marché… C’est dans ce contexte qu’Harry Hole revient de son exil à Hong-Kong, appelé à la rescousse par Rakel, son ex-grand amour. Oleg, le fils de cette dernière, vient d’être arrêté pour le meurtre d’un dealer, et Rakel ne sait pas quoi faire pour le
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sortir de prison. Pendant ce temps, un pilote d’Airbus transporte des petits sachets bien remplis dans ses bagages, une politicienne à la cuisse légère grimpe les échelons du pouvoir avec des méthodes étranges et un baron de la drogue surnommé Dubaï inonde la ville avec ses produits… Tels sont les ingrédients du nouveau roman de Jo Nesbø, le dernier de la série des Harry Hole, un gaillard intuitif, bourru, téméraire, pas très porté sur la procédure et très accroc à la bouteille. Grâce à lui, Nesbø s’est imposé en quinze ans comme la locomotive du polar scandinave, l’un des romanciers les plus vendus au monde. Ce succès planétaire n’a pas manqué d’intéresser le cinéma puisque les aventures d’Harry, après avoir été adaptées en Norvège, sont à présent dans le viseur de Scorsese… Lancé avec des moyens dignes d’une superproduction (trailers, promo intensive), immédiatement classé numéro un des ventes un peu partout (Suède, Allemagne, Grande-Bretagne), Fantôme réunit toutes les qualités qui ont fait le succès de la série – style sec, humour noir, personnages bien dessinés, précision documentaire, etc. Mais il s’en différencie par deux aspects : d’abord, Harry n’intervient plus comme policier, mais à titre personnel, ce qui l’affranchit d’autant plus facilement des formalités ; surtout, cet épisode est présenté par l’auteur comme le dernier, les fans devant donc se préparer à dire adieu à leur héros. Aujourd’hui absorbé par la télévision américaine (il coécrit une série pour NBC), Nesbø a-t-il envie de tourner la page ? Sur Internet, on dit pourtant qu’un dixième épisode est en vue. À croire que les ténèbres dans lesquels tombe Harry à la fin du roman ne sont pas celles qu’on croit, et qu’il nous ment lorsqu’il lâche l’une de ces phrases bien trempées dont il a le secret : « La vie ne nous enseigne peut-être pas grand-chose, mais elle nous enseigne ceci : on ne peut pas faire marche arrière. » ♦ Fantôme de Jo Nesbø Traduit du nor végien par Paul Dot t Éditeur : Gallimard Genre : roman Sor tie : 12 avril
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LIVRES La sélection de la rédaction _Par B.Q.
Le Ciel antérieur
de Mark Greene (Seuil)
Qu’est devenu le romancier Marc Williams, dont la dernière adresse connue est un camping en Auvergne ? Sa mère le cherche, son éditeur s’interroge, son amante se souvient… Construction ingénieuse et suspense habile pour ce brillant puzzle qui se lit comme un polar.
La Belle
de Mathieu Terence (Grasset) Mathieu Terence revient, dans ce livre en forme de confession et d’autoportrait, sur sa naissance à l’écriture, son rapport à la mort, son malaise devant la rationalité froide qui nous menace. Un petit texte précieux et élégant, à lire aussi entre les lignes.
Séraphin, c’est la fin !
de Gabriel Matzneff (La Table Ronde) Depuis Le Sabre de Didi, en 1986, l’auteur rassemble périodiquement ses textes de circonstance, pas moins nobles selon lui que les « grands romans ». Élégance du style, souveraine liberté du ton, tout Matzneff est dans ces pages, écrites de 1964 à aujourd’hui.
Bon pour la morale
©The Granger Collection NYC/RDA
Ambrose Bierce a composé des centaines de fables animalières parodiant celles d’Ésope. Les voici enfin traduites. Un régal ! _Par Bernard Quiriny
Roi du sarcasme et grand maît re de l’hu mou r, Ambrose Bierce (18421914) est déjà célèbre aux États-Unis quand il part séjourner à Londres, en 1871. Il y passera quatre ans, écrivant pour divers journaux, parmi lesquels l’hebdomadaire satirique Fun qui lui commande des fables animalières inspirées des mythiques Fables d’Ésope. Enthousiasmé, Bierce en écrira plusieurs centaines et continuera d’en imaginer après son retour aux États-Unis, en 1875. Les voici traduites pour
la première fois : un bijou d’humour et de nonsense qui rejoindra sur vos étagères le fabuleux Dictionnaire du Diable et les indispensables Histoires impossibles. En deux ou trois paragraphes, Bierce invente des historiettes complètes, avec un petit dialogue et une morale souvent décalée, qui n’a parfois rien à voir avec le sujet, ou qui se limite avec culot à une autojustification péremptoire – « cette fable est rapportée pour sa valeur intrinsèque ». À l’époque, les lecteurs anglais ou américains n’avaient
pas de peine à discerner, derrière ces tableautins, des allusions voilées à l’actualité. Un siècle plus tard, cette dimension historique nous échappe, mais cela n’enlève rien au plaisir que procurent ces inventions pleines de liberté et d’autodérision, « égales, dit joliment Bierce, à celles du regretté M. Ésope, en tous cas aux plus nulles d’entre elles ». ♦ Les Fables de Zambri d’Ambrose Bierce Traduit de l’anglais (États-Unis) par Thierr y Beauchamp Éditeur : Le Dilet tante Genre : fables Sor tie : 10 avril
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BDTHÈQUE L’ENFANT SEUL
Parfois un orphelin devient un auteur de bande dessinée. Entre les lignes, SUSUMU KATSUMATA s’acharne à percer le mystère de relations humaines qu’il n’a pas connues enfant. _Par Stéphane Beaujean
Voici une anthologie qui, de prime abord, déroute. Un recueil de nouvelles sans autre lien apparent qu’une signature, celle de feu Susumu Katsumata. En ouverture, deux récits dépeignent le quotidien d’employés de centrales nucléaires, avec une étonnante précision documentaire quant aux tâches à accomplir et au danger encouru. Les récits suivants, eux, s’inscrivent au contraire dans la tradition des légendes populaires, avec pour cadre une campagne bucolique, peuplée de créatures folkloriques, le plus souvent dangereuses. Les trois derniers récits, enfin, s’ancrent dans le registre littéraire typiquement japonais du « roman du moi », soit une confession d’épisodes intimes proche de l’autobiographie occidentale. Mais, pour peu que le lecteur s’attache aux motifs récurrents entre ces nouvelles hétérogènes, il se devine un fil conducteur, celui de l’auteur : le désarroi d’un enfant illégitime, en mal de père, et dont la mère est décédée alors qu’il était en bas 92
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âge. Un exclu, élevé dans les campagnes paupérisées par l’exode rural d’après-guerre. Par réaction, l’étudiant se spécialise d’abord dans la physique nucléaire. Il finit cependant par virer de cap, pour entrer dans une revue de bande dessinée indépendante, tandis que grondent les révoltes étudiantes et les tensions entre le gouvernement japonais et l’occupant américain. Susumu Katsumata expérimente alors tout un répertoire de nouvelles formes (qu’importe le thème) pour résister à l’époque par l’art. Et il décline, inconsciemment peut-être, cette douloureuse quête d’une réponse, pour expliquer la solitude, l’exclusion, et plus encore l’abandon. C’est beau, cette manière dont chacun des versants de son œuvre concocte une émotion et une seule. Le sentiment d’injustice se devine derrière le destin des ouvriers du nucléaire, poussés vers une mort prématurée, victimes d’une forme de banalité du mal. Le renoncement et la fatalité s’enracinent dans les contes de fées où créatures fantastiques et êtres humains s’apprécient, mais sont condamnés à se déchirer par nature. Enfin, la colère la plus crue se fait jour dans les récits intimes, habités par des figures imaginaires de mère tuberculeuse et de père défaillant. Le livre bouleverse par cette oscillation perpétuelle, de la résignation à la résistance. Car cette empathie-là ne se fabrique pas, le militantisme n’est pas sa visée. C’est l’émotion incoercible d’un auteur qui saigne sur la société qui l’a vu naître. Pour mieux en révéler les failles. ♦ Poissons en eaux troubles de Susumu Katsumata Éditions : Le Lézard noir Sor tie : mi-avril
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bandes dessinées La sélection de la rédaction _Par S.B.
La Fille
de Christophe Blain et Barbara Carlotti (Gallimard) Jamais là où on l’attend, Christophe Blain publie un drôle d’objet. Un livre-disque composé avec la chanteuse Barbara Carlotti. Tout est parti d’un hommage à l’esprit de Mai 68, et plus précisément au personnage de Pravda la survireuse. Une muse, éprise d’indépendance et à la sexualité revendiquée, créée par le plasticien Guy Peellaert. Blain se réapproprie l’icône et la plonge dans une épopée merveilleuse. Le dialogue entre texte, images muettes des bandes et chansons est savamment construit et impose des ruptures de rythme. De brusques accélérations aux plages de calme et de liberté.
Les Temps mauvais
de Carlos Gimenez (Fluide Glacial) Carlos Gimenez incarne l’engagement de la bande dessinée espagnole dans le long combat de la récupération de la mémoire historique par les perdants. Or, pour la première fois, il ne construit pas son récit à partir de sa propre expérience du franquisme, mais s’attaque à une guerre civile qu’il n’a pas connue – et qui pourtant a détruit sa destinée. Toujours à hauteur d’homme, construit à partir de témoignages, Les Temps mauvais démultiplie les points de vue pour rendre compte du quotidien à la fois ordinaire et extraordinaire d’une Madrid assiégée et bombardée pendant près de trois ans.
100 Bullets – tome XVIII
de Brian Azzarello et Eduardo Risso (Urban Comics) C’est fini. La série noire se conclut, en toute logique, sur son centième épisode, après son lot de retournements de situation, mais également quelques coups de mou. Globalement, cette enquête fleuve, matinée de vengeance et de conspirations gouvernementales, aura évité les facilités. Elle s’appuie notamment sur de beaux personnages, un sens du dialogue percutant et un dessin sacrément intelligent, tout en contrastes. Les motivations à l’origine de la vengeance se font enfin jour, les victimes s’accumulent. Azzarello est au comble de la tragédie, Risso au sommet de son esthétique. L’apothéose.
Cowboy Henk de Herr Seele et Kamagurka (Fremok)
Méconnues, les aventures pour le moins corrosives du Cowboy Henk (auparavant connu sous les noms de « Cowboy Maurice » ou « Cowboy Jean ») sont compilées pour la première fois dans un recueil. À cette occasion, les couleurs de cet anti-Tintin de la bande dessinée belge ont été refaites et les planches nettoyées. Brutaux, autant inspirés par le surréalisme de Magritte que par les classiques naïfs de la jeunesse, ces gags souvent sexués entrecroisent la vulgarité et le raffinement avec naturel. Vont se régaler ceux qui se réclament de l’humour présoixante-huitard et qui croient dans le potentiel comique du caca.
Luttes des corps et Chutes des classes
de François Henninger et Thomas Gosselin (L’Apocalypse) Autant dire qu’ils se font rares, les auteurs qui parviennent à associer recherche fondamentale du langage, humour décapant, musicalité littéraire et pensée politique articulée. Mais c’est le cas ici. Un pied dans l’exercice de style, l’autre dans l’étude des relations entre « épanouissement du corps et existence sociale ». Sur fond de guerre froide, c’est une hilarante et étrange histoire d’espionnage qui développe de jolis motifs. Couple d’agents doubles liés par une relation homosexuelle, inventeur de gadgets ratés, transsexuel au clitoris greffé en place de bouche… Un livre à la hauteur de ses ambitions.
Les Pieds bandés
de Li Kunwu (Kana) Auteur chinois, Li Kunwu se retrouve pour la première fois sans scénariste français pour l’assister. Ce qui ne l’empêche pas de livrer une bande dessinée parfaitement cohérente dans son projet politique et percutante en termes d’émotions – la scène du bandage heurte, par un habile dialogue texte-images. Il revient sur le destin de sa nourrice. Enfant, elle fut victime de la barbarie des traditions séculaires, puis adulte, de la frénésie de la révolution communiste. Lui ne l’aura connue que vieille dame, généreuse mais brisée. Elle lui aura légué le goût des belles histoires, autant dire une vocation d’auteur.
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LUDOTHÈQUE
jeux La sélection de la rédaction _Par Y.F.
PERSONA 4 GOLDEN
(Atlus, sur PS Vita) La réédition, sur PS Vita, de ce chef-d’œuvre méconnu tient du génie. Sous le patronnage de Lewis Carroll et de David Lynch, Persona 4 est une hybridation unique entre la fiction adolescente et le RPG. Dans la peau d’un lycéen confronté à d’étranges phénomènes surnaturels, le joueur se fond dans un quotidien réglé comme une partition où chaque action (sociabiliser, étudier, combattre le mal) a une répercussion décisive sur l’évolution du personnage. En plus d’être un RPG exemplaire, Persona 4 s’impose comme un portrait émotif et flippé d’une jeunesse courant désespérément après le temps pour trouver sa voie.
MONSTER HUNTER 3 ULTIMATE
(Capcom, sur Wii U et 3DS) Monster Hunter a un seul défaut : être un drame pour toute vie sociale. Pour ceux qui en ont fait le deuil, on tient là un monument du genre, qui trouve un aboutissement ultime dans ce director’s cut de la version Wii initiale. Comme son nom l’indique, le jeu n’a d’autre programme que le braconnage de bêtes fantastiques. Mais sa philosophie (ne faire qu’un avec l’écosystème de ses proies) donne à l’expérience une âme unique, supérieure à toute concurrence. Cerise sur le gâteau : la compatibilité entre versions Wii U et 3DS permet la chasse coopérative entre amis quelle que soit la console utilisée.
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CASTLEVANIA: LORDS OF SHADOW – MIRROR OF FATE (Konami/Mercury Steam, sur 3DS)
Après un premier volet exceptionnel, la série Lords of Shadow continue de parachever son reboot de Castlevania avec un épisode 3DS d’une beauté à couper le souffle. Les puristes se réjouiront aussi d’un retour de la série vers la plateforme et l’exploration des premiers temps. Mais le coup de force de Mirror of Fate reste sa mécanique narrative, incarnée par trois générations successives de héros, au sein d’un même décor. En reprenant à zéro la guerre historique entre la famille Belmont et Dracula, Mirror of Fate redonne à Castlevania l’éclat d’une nouvelle saga d’anthologie.
GOD OF WAR – ASCENSION (Sony, sur PS3)
God of War n’a jamais eu l’ambition de renouveler quoi que ce soit, et ce quatrième épisode n’est pas là pour changer la donne. Kratos, le barbare balafré, continue de faire ce qu’il sait faire le mieux : retourner ciel et terre et humilier les divinités de l’Olympe qui osent croiser son chemin. La formule a beau dater, son pouvoir de fascination reste intact : festival de brutalité, God of War est une récréation pour sale gosse hyperactif, trop heureux de martyriser ses jouets mythologiques. En plus de combats intensifiés et d’un mode multijoueurs étonnant, le jeu nous terrasse par sa mise en scène herculéenne.
NARUTO SHIPPUDEN: ULTIMATE NINJA STORM 3
(Namco Bandai/ CyberConnect2, sur PS3 et X360)
En dépit d’un nombre vertigineux d’adaptations en jeu vidéo, le manga Naruto n’avait pas encore trouvé celle qui rendrait hommage à sa densité romanesque. Derrière son titre à rallonge, cet énième volet est là pour enfin réparer cette injustice. En rajoutant pléthore de gameplays parallèles à ses traditionnels combats en arène, le jeu jouit d’un renouvellement constant. Si son scénario, déjà bien avancé dans le manga, peut effrayer les néophytes, ce jeu reste heureusement servi par une hallucinante maîtrise graphique qui fait de lui le meilleur anime interactif qui soit.
SIMCITY
(EA/Maxis, sur PC) Tiraillé entre ouverture grand public et fidélité aux fans, ce nouveau SimCity n’est pas la révolution qu’on espérait. Rien de bien grave, tant sa force est préservée : faire de la gestion urbaine un spectacle de tous les instants. Placé sous le signe de la symbiose complémentaire entre villes (et entre joueurs), le jeu s’anime comme un immense flux sanguin de globules voyageurs dont on déciderait de chaque pulsation. Maximisée en HD, la croissance de villes-champignons n’a jamais été aussi hypnotique. S’il faut encore lui laisser le temps de se parfaire, on tient là le nouveau monstre chronophage de l’année.
LE GUIDE
SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS
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DR
©Claude Germain Jacoulet
© Vivarium Studio
bit s & pieces-clubbing / ar t con temporain-Pein t ure / THE ÂTRE / LE PL AT
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SORTIES EN SALLES CINÉMA DU MERCREDI 3 avril au mardi 7 mai
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DR
SORTIES EN VILLE CONCERTS
MORTEL bi t s & pieces GaBLé, le 18 avril au Café de la Danse, 19 h30, 15 € MuRDeD de GaBLé (Ici d’Ailleurs, disponible)
Le trio caennais revient sur disque et sur scène avec ses chansonnettes de bric et de broc, entre lo-fi pop, électro choc et expérimentations azimutées. De la vraie musique vivante à ne pas louper. _Par Wilfried Paris
Officiant depuis dix ans, avec plusieurs CDs faits maison, deux albums et un EP (I’m Ok, clin d’œil au Hi, How Are You: The Unfinished Album du pape de la lo-fi, Daniel Johnston), GaBLé sort son troisième album officiel, MuRDeD. Un petit chef-d’œuvre de bric-à-brac pop et foutraque, plein de surprises, de contre-pieds et de chausse-trappes, enregistré à la maison, mais plus que jamais soucieux du détail sonore. Il joue sur la progression et la frustration, à coups de cuts, de bits et de pieces qui relèvent autant de l’art du sampling hip-hop que de la musique concrète de Pierre Schaeffer. MuRDeD ne perd pour autant jamais son évidence pop : mélodies entêtantes, refrains fédérateurs, 98
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harmonies vocales de plagistes… Un assemblage hétéroclite et bidouillé que le trio distille sur disque et qui trouve un pendant jouissif, ludique et malicieux sur scène – où tout devient un possible instrument, d’une batterie de casseroles au démembrement précautionneux d’une cagette en bois. GaBLé a ainsi fondé son excellente réputation sur des tournées sans fin qui l’ont vu passer par moult salles et festivals. D’aucuns gardent un souvenir ému de leur résidence aux Transmusicales de Rennes, en 2009, où le groupe avait convié une chorale de personnes du troisième âge à l’accompagner sur scène, leur confiant finalement une trentaine de guitares pour une relecture barrée des concertos pour guitares de Glenn Branca. Ainsi, entre pop songs les larmes aux yeux, saillies électro impromptues et montages sonores enfantins, GaBLé se glisse avec grâce dans un interstice qui lui est propre, à la lisière de la pop et de l’expérimentation. C’est dire l’intérêt à la fois pédagogique (ouverture des pavillons) et hédoniste (on remue son boule) de la musique du trio, qui repart ces jours-ci sillonner la France. Suivez-le. ♦
©Linda Bujoli
Tomorrow’s World, le 12 avril à la Maroquinerie
L’AGENDA _Par M.P. et É.V.
Yasiin Bey et le Robert Glasper Experiment Showman réputé, le rappeur Yasiin Bey, connu sous le nom de Mos Def, pourra donner libre court à son penchant pour l’improvisation en compagnie d’un jazz band de prestige, le Robert Glasper Experiment. Le 11 avril au Bataclan, à 19 h, à par tir de 39,9 0 €
Chilly Gonzales Gonzo aux Folies Bergère, une évidence pour ce performer hypersexué ? L’occasion d’agrandir la pièce où sont nées les miniatures de Solo Piano II et de tomber enfin la robe de chambre. Le 25 avril aux Folies Bergère, 20h30, à par tir de 25 €
And Also The Trees + Lonely Walk Avec son rejeton illégitime bordelais (Lonely Walk), la formation culte des frères Jones revient hanter le Point Éphémère de sa cold wave érudite et capiteuse. Au bonheur des éthéromanes. Le 3 mai au Point Éphémère, 20h, à par tir de 21, 20 €
Gonzaï XIV Le rock psyché ébouriffant de Yeti Lane, la synthpop néosincère de Ricky Hollywood et le nouveau projet d’une moitié de Air, Tomorrow’s World. Gonzaï nous redonne foi dans le destin de la France. Le 12 avril à la Maroquinerie, 19 h30, 11,80 €
Riff Cohen Riff Cohen n’est pas qu’une jolie Israélienne francophile et pleine de vie. C’est une rockeuse, une vraie, plus Rita qu’Olivia, plus Tawa que Zebda. Charmante sur disque, elle sait aussi partir en live. Le 9 avril au Café de la Danse, 20h, 23 €
Death Grips Les sacrés malades mentaux de Sacramento débarquent au Trabendo avec leurs tatouages de taulards et leur rap électropunk 3.0. Trash, paranoïa et acouphènes : le prix à payer pour être à la pointe. Le 12 mai au Trabendo, 19 h30, 18,80 €
Aufgang Deux pianistes (Francesco Tristano et Rami Khalifé) et un batteur (Aymeric Westrich) érigent un majestueux pont entre musique classique et électronica et transcendent les genres dans une transe hypnotique. Le 16 avril au Trabendo, 19 h30, 26,40 €
©Mathieu Hwang
SORTIES EN VILLE Clubbing
Diplo aux platines
MAJOR DE PROMO D ancehall Diplo and friends, le 25 avril à La Machine du Moulin Rouge, 23h 16,80 €, w w w.lamachinedumoulinrouge.com Free The Universe de Major Lazer (Mad Decent /Because, 15 avril)
DIPLO sort l’artillerie lourde au Bataclan. Le DJ et producteur star y défend Free the Universe, le second opus de Major Lazer, son projet de dancehall mutant. Il joue aussi les prolongations à La Machine du Moulin Rouge, aux côtés de Manaré et Cashmere Cat, pour un after show bouillant. _Par Etaïnn Zwer
Fan de dinosaures et de Jamaïque, l’Américain Diplo a mis très tôt le cap au sud, un chemin pavé de beats aphrodisiaques. Du duo Hollertronix au planant Florida, le destin va piano jusqu’à la mixtape Piracy Funds Terrorism (2004) qui lance M.I.A. La boulimie virtuose de l’animal s’épanouit en bande, à deux ou plus : avec son acolyte Switch, il crée en 2009 Major Lazer, un personnage en forme de Mister T. intergalactique, émissaire d’un reggae psyché où copinent dub, 2 tone, snap, crunk et fidget house. Le groove belliqueux de l’album Guns Don’t Kill People... Lazers Do est ahurissant. Ses featurings 100
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calibrés et les titres Hold the Line ou Pon de Floor – samplé par Beyoncé sur Run the World (Girls) – mettent le feu aux poudres. Kanye West, Santigold, Snoop Lion, Kid Cudi… le gratin s’arrache ce producteur génial. Diplo signe aussi des pépites sur son label Mad Decent (l’ovni Zebra Katz) et livre mille remixes foutraques, de Spank Rock à Radiohead. Aujourd’hui, copilotée par les DJs Jillionaire et Walshy Fire, la créature Lazer lâche un Free The Universe bourré d’excitants et d’invités de première classe : Bruno Mars, Peaches, Wyclef Jean, Ms. Dynamite, Haim. Porté par les singles Get Free (hypnotique, avec Amber des Dirty Projectors) ou l’explosé Jah No Partial (avec l’apport féroce de Flux Pavilion), l’album est brûlant et le Bataclan affiche complet. Le frotti frotta de rattrapage, c’est donc à La Machine du Moulin Rouge, où cap’taine Diplo culbutera l’électro ghetto du prodige Manaré (ClekClekBoom) et la Jersey club music de Cashmere Cat (Pelican Fly). Diplo ouvre grand son parc d’attractions sonores, pour affoler les corps et libérer les esprits via un tabassage en règle, fêtard et jouissif. ♦
DR
Acid Arab, le 12 avril à la Gaîté Lyrique
L’AGENDA _Par E.Z.
Acid Arab À l’occasion de la sortie de son premier maxi, Acid Arab Collections / EP 01, le collectif rhabille Paname à la mode Turkish delight et convie les DJs Asma & Guendiz (alias Hervé Carvalho et Guido Minisky, les piliers du projet), le mystérieux Crackboy (Krikor) et sa house old school et le crooner syrien Omar Souleyman pour une nuit explosive. Le 12 avril à la Gaî té Lyrique, 23h55, 16 €
Concrete
Sésame de la culture after à la parisienne, cette fête s’étale sur toute une journée. Biberonnée à l’esprit club berlinois, elle noie le blues dominical par une programmation pointue et excitante : Onur Özer (Turquie), Mara Trax (Allemagne), Vincent Lemieux (Canada), Priku (Roumanie) et Lowris (France). Mêlée survoltée sur le love boat. Le 21 avril sur la péniche Le Ponton, 69, por t de la Râpée, 07h, 15 -20 €
Délicieuse Entre la deep house organique du duo à pépites Tube & Berger (In my Dip), l’électro pop érudite et glitch du hippie berlinois Acid Pauli, mais aussi la minimale délicate du frenchie Viken Arman, le dancefloor prend des allures de guérilla pacifique. Une petite claque sonore exquise ; frileux s’abstenir. Le 26 avril au Social Club, 23h, 13-15 €
WIHMini Festival Day 9 Troisième édition et line-up vertigineux : du 30 mars au 30 avril, outre Trentmøller, Ellen Allien, Gui Boratto et Joy Orbison, le WIHMini s’offre le grand label hambourgeois Diynamic. Sous la charge deep house et sensuelle du patron Solomun, du jeune Néerlandais Karmon ou des Italiens Hunter/Game, ce Day 9 promet d’être joliment inoubliable. Le 27 avril au Showcase, 23h, 16,80 -20 €
Bambounou Residency Adoubé par les huiles Joakim ou Para One, le poupon foufou du label YounGunZ colore la nuit d’une bande son jungle foutraque et gavée de beats. Joueur, il partagera ses quartiers au Social Club avec le très furieux duo suédois Skudge et l’intrigant songwriter techno Cosmin TRG (Simulat). Une session badass pour pécho l’été. Le 4 mai au Social Club, 23h, 14,60 €
©Olaf Nicolai ©ADAGP
SORTIES EN VILLE EXPOS
Olaf Nicolai, Partition Innere Stimme (Movement II), 2010
NUANCES DE GRIS A R T con t emporain « Paint it Black » jusqu’au 12 mai au Plateau, w w w.fracidf-leplateau.com
L’exposition « Paint it Black » rassemble une vingtaine d’œuvres récemment acquises par le Frac Île-de-France sous la bannière aussi intemporelle que radicale du noir et blanc. _Par Anne-Lou Vicente
Concevoir une exposition à partir d’œuvres en noir et blanc : tel a été le parti pris audacieux de Xavier Franceschi, commissaire de l’exposition « Paint it Black ». « Le choix pourra paraître arbitraire. Il l’est totalement », assume-t-il. Alors que la plupart des expositions réunissent des œuvres selon leur capacité à illustrer un propos, il est ici question de retourner ce principe en optant pour un critère de sélection non pas thématique, mais strictement chromatique, donnant alors aux œuvres l’occasion d’inventer leur propre sujet. Silence Score de Pierre Huyghe consiste en une transcription annotée sur partition des sons enregistrés lors d’une interprétation publique du fameux 4’33’’ de John Cage, partition proposant à un pianiste de ne pas jouer 102
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et de garder le silence pendant quatre minutes et trentetrois secondes, laissant ainsi place aux sons ambiants d’un auditoire littéralement déconcerté… Alors que Huyghe propose ici de donner à voir, à lire, et potentiellement à entendre les bruits du silence, plus loin, la série de cinq photographies de Bettina Samson « Comment, par hasard, Henri Becquerel découvrit la radioactivité » donne à voir l’invisible, à travers ces images qui procèdent de l’exposition de plans-films au rayonnement issu d’une pechblende, un minerai d’uranium, rejouant ainsi les conditions accidentelles qui ont conduit le physicien français à cette découverte en 1896. Occupant la dernière salle, l’installation de Bertrand Lamarche Looping (Kate Bush Remix) repose sur une boucle sonore, réalisée à partir d’un échantillon d’une chanson de Kate Bush, qui donne son rythme et sa rotation à 360° au disque vinyle sur lequel elle est couchée et auquel est greffé un miroir anamorphique dans lequel vient se refléter l’œil d’une caméra projetant, dans une parfaite synchronisation, l’image de sa propre mécanique... Hypnotique et entêtant. ♦
©Editions Particules
Henrique Oliveira, Transubstantiation, 2013, au collège des Bernardins
L’AGENDA _Par L. C.-L.
« L’Arbre de vie » Exploration délicate des liens entre l’homme et l’arbre, à travers l’image biblique de l’arbre de vie, symbole du triomphe de la vie sur la mort. Une exposition optimiste, jalonnée d’œuvres d’artistes reconnus ou naissants. Des racines jusqu’à la cime, le collège des Bernardins fleurit et bourgeonne d’idées. Un parcours tout simplement indispensable, et de saison. Jusqu’au 28 juillet au collège des Bernardins, w w w.collegedesbernardins.fr
Laure Albin Guillot En 1937, au Jeu de paume, se tenait une exposition de Laure Albin Guillot. Aujourd’hui, la boucle est rouverte, avec une rétrospective sur cette photographe, classique à souhait et au charme désuet. Photos de mode, de publicité et même de science firent la renommée de Laure Albin Guillot dans la France de l’entre-deux-guerres. Jusqu’au 12 mai au Jeu de paume, w w w.jeudepaume.org
Jesús Rafael Soto Attention, épileptiques s’abstenir. Les œuvres de Jesús Rafael Soto, grande figure de l’art cinétique, font mal aux yeux, dans le bon sens, évidemment. Ce Vénézuélien, installé en France dans les années 1950 et disparu en 2005, a été jusqu’ici sous-exposé. Le mal est réparé par le centre Pompidou, qui exhume fort heureusement ses incroyables interférences optiques. Jusqu’au 20 mai au centre Pompidou, w w w.centrepompidou.fr
Peter Vos, « Métamorphoses » C’est l’un des artistes figuratifs néerlandais les plus doués de sa génération (1935-2010). Ses dessins, nourris des Métamorphoses d’Ovide, affichent une espièglerie toute naturaliste, animant tour à tour griffons, harpies et autres monstres hybrides. Ou l’art de la mythologie revisitée, détournée. Jusqu’au 26 mai à l’institut Néerlandais, w w w.institutneerlandais.com
Marc Chagall Depuis l’exposition au musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Marc Chagall commençait à sérieusement nous manquer, avec ses couples suspendus dans les ciels de Vitebsk et ses toiles qui charrient l’univers des shtlel (« petite ville » en yiddish). Une plongée très réussie dans le monde de l’auteur du Cirque bleu. Jusqu’au 21 juillet au musée du Luxembourg, w w w.museeduluxembourg.fr
©Musée du quai Branly, photo Claude Germain
SORTIES EN VILLE EXPOS
Coupelles de pigments ayant appartenues à Paul Jacoulet
L’EMPIRE DES SENS PEIN T UR E « Un ar tiste voyageur en Micronésie, l’univers flot tant de Paul Jacoulet », jusqu’au 19 mai 2013 au musée du quai Branly, w w w.quaibranly.fr
Il y a des espaces qui semblent n’exister que par la caresse d’un regard ; comme il y a des regards seuls capables de capter la justesse d’un lieu. De cette posture naît une authenticité qui ne s’offre qu’à certains poètes. L’exposition « Un artiste voyageur en Micronésie, l’univers flottant de Paul Jacoulet », au musée du quai Branly, permet de savourer l’œuvre d’un homme ayant croqué une Asie et une Océanie sensibles et bigarrées. _Par Adrien Genoudet
C’est au contact des différents travaux de Paul Jacoulet réunis dans cette exposition que l’on prend conscience de la puissance pénétrante de son œuvre. Dessins, croquis, aquarelles et estampes, réalisés en Micronésie (petites îles du Pacifique), en Corée et au Japon, entre les années 1920 et 1950, composent ce florilège d’un artiste qui reste encore trop méconnu. Le visiteur 104
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restera marqué par la volupté qui émane de l’ensemble présenté ici, soit une sélection de plus de cent soixante pièces parmi les deux mille neuf cent cinquante qui constituent l’incroyable donation faite par la fille adoptive de l’artiste au musée. Comme autant d’efflorescences, les courbes sensuelles et le tracé délicat des œuvres de cet amoureux de l’Asie mettent les sens en émoi. L’artiste artisan Paul Jacoulet (1896-1960) est de ces hommes qui naissent pour vivre ailleurs, pour s’incarner dans un au-delà de la Terre-Mère, là où les sens se posent et épousent un environnement qui semble constamment s’offrir à la vue. Il fut de ces artistes pour qui seule la poésie discrète du monde, de sa force visuelle à son équilibre fragile, est digne de composer l’essence de l’acte artistique. Né en France, mais ayant passé la majeure partie de sa vie au Japon, Jacoulet est rapidement initié aux beautés des arts asiatiques encore profondément marqués par l’ère Edo (1600-1868).
©Musée du quai Branly, photo Claude Germain ©ADAGP, Paris 2013
Paul Jacoulet, Guiltamag, jeune homme de l’île de Yap, 1934
Il devient rapidement un grand admirateur d’estampes, notamment celles de Kitagawa Utamaro. C’est ainsi qu’il a utilisé prioritairement la gravure sur bois ukiyo-e comme moyen d’expression, un art de l’estampe qui se traduit joliment par « images du monde flottant » et qui met en avant la représentation de la vie quotidienne et de la culture de la société bourgeoise. Cet homme fasciné par la culture japonaise – il excelle en calligraphie et dans le gidayu (« récit chanté ») – n’aura de cesse d’ajuster et de perfectionner cette puissance stylistique et esthétique propre à l’ukiyo-e. L’exposition présente un documentaire qui retrace la complexité technique de la réalisation de ce type d’estampe polychrome, obtenue par la gravure du dessin original de l’artiste sur une matrice de bois. La délicatesse d’un humaniste On peut contempler lors du parcours trois de ces matrices mises en parallèle avec leurs estampes finales ; un face à face essentiel pour saisir les liens intrinsèques entre art et technique, éclat du beau et beauté du geste. De cette association entre l’art et l’artisanat naît dans les années 1930 l’institut de gravure Jacoulet qui produit les premières séries d’estampes ; des réalisations qui jouissent rapidement d’une profonde renommée au Japon. Mais c’est
avant tout au cœur de ses multiples voyages, et plus particulièrement en Micronésie, que l’œuvre de Paul Jacoulet exerce sa puissance de fascination. Comme saisies par une étreinte charnelle, les estampes reproduisent des corps et des espaces bercés par la tendresse colorée du ciel et de la nature. Plantes chamarrées, papillons bariolés le tracé semble incarner la sensibilité fragile de l’artiste, comme conscient de saisir un monde paradisiaque au tournant du siècle. Les estampes de Jacoulet contiennent en elles ce bouleversement propre à la saisine délicate du temps qui passe, d’une mémoire colorée comme le souvenir clair d’une enfance heureuse. Jolies femmes et jeunes hommes, parures, insectes et tatouages composent une harmonie sensuelle qui s’apparente à une courbe ethnographique où le corps pris dans sa beauté et dans sa quotidienneté incarne une certaine exactitude de l’être au monde. À la fois intime et puissant, ces êtres des îles apparaissent comme bercés par la lancinante beauté de leur environnement ; un espace de vie comme un décor, dont Jacoulet faisait entièrement partie. Au détour de quelques objets exposés ayant appartenu à l’artiste, on s’éprend d’une amitié contagieuse pour cet homme, emprunt de douceur et d’humanisme, qui aura su, en mélangeant les extrémités des cultures, produire l’inestimable témoignage des impressions synésthésiques du monde. ♦ www.mk2.com 105
© Vivarium Studio
SORTIES EN VILLE SPECTACLES
MICROCOSMOS T HÉ ÂT R E Anamorphosis de Philippe Quesne, du 22 au 26 avril au théâtre de Gennevilliers, w w w.theatre2gennevilliers.com
Aux confins du laboratoire de biophysique et du parc à jouet, l’inratable Philippe Quesne présente avec Anamorphosis le résultat d’une immersion au cœur de la jeunesse japonaise. _Par Ève Beauvallet
Héritier de Georges Pérec, collectionneur d’insectes, Philippe Quesne a été élevé par un père décorateur dans les coulisses du théâtre. De cette enfance passée à scruter les micromondes et à veiller dans les à-côtés de la représentation, il a conservé une façon d’observer le théâtre de biais, avec la patience de l’entomologiste, en posant sa loupe sur les tentatives fumeuses et les ratages tordants qui composent la création. De La Mélancolie des dragons à Big Bang, en passant par L’Effet de Serge, toujours le même pitch métathéâtral déployé entre bienveillance et ironie : des apprentis artistes créent une œuvre, elle est évidemment nulle, mais ils la débriefent avec le même sérieux que celui qu’on accorde aux grandes causes. Ainsi, on a vu des 106
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métalleux interpréter des tubes de Scorpions à la flûte à bec ; un personnage bidouiller des spectacles faits maison pour ses voisins ; le comique naitre de situations d’attente déraisonnable… et on a compris, avec Quesne, qu’au théâtre aussi, l’esquisse pouvait être plus belle que le tableau. Depuis le début des années 2000, le public et les professionnels s’enchantent unanimement pour ces microsituations comiques et leurs héros minuscules. Surtout au Japon où l’on aime travailler, comme Quesne, en mode mineur, loin du culte du texte à la française et de la physicalité tonitruante des scènes allemandes. C’est là-bas, en résidence, que vient d’être créée Anamorphosis, une œuvre interprétée par quatre jeunes Japonaises et une collection de verres luisants. En toile de fond, on nous annonce l’ambivalence de l’époque postFukushima, entre menace et insouciance, catastrophe et élan ludique. Un motif qui pourrait résonner de façon particulièrement puissante dans le climat d’« inquiétante douceur » (selon ses mots) qui nimbe les plateaux de Quesne. ♦
©Brigitte Enguerand
Un fil à la patte, à la Comédie-Française
L’AGENDA _Par È.B.
Après la répétition et Persona
Procédés de théâtre dans le cinéma et vice versa… Le flamand Ivo van Hove sonde les marges entre réel et fiction avec un talent d’inventivité sans pareil. Avec deux adaptations de films d’Ingmar Bergman, il s’impose une nouvelle fois comme la figure incontournable du festival Exit. Les 8 et 9 avril à la maison des Ar ts de Créteil, w w w.maccreteil.com
De quoi tenir jusqu’à l’ombre Rien de spectaculaire : une façon fantomatique de se lever, une manière trouble de se saisir la main, une certaine patience pour enfiler son manteau… Le chorégraphe Christian Rizzo possède cet art bien singulier de la fusion des mondes parallèles, des territoires enfumés et des communautés étranges. Une expérience planante en deçà du quotidien. Du 19 au 30 mars à la Villet te, w w w.villet te.com
Festival Circus next Les ballons, la magie, la voltige… Rien n’est plus comme avant dans le cirque, et c’est tant mieux. Une poignée de jeunes artistes, sélectionnés dans toute l’Europe, cassent les pratiques traditionnelles du cirque Zavatta, ou celles plus féérico-commerciales du cirque du Soleil, pour défendre un art contemporain en plein boum. Les 27 et 28 avril au théâtre de la Cité internationale, w w w.circusnext.eu
Batsheva Dance Company Liquides et ultraspeed, moelleux mais agressifs… Les danseurs reptiliens de la « Batsheva » ne semblent pas dotés du même corps que nous autres terriens. C’est qu’ils ont tous été élevés par Ohad Naharin, le grand chorégraphe israëlien, qui présente à Chaillot trois pièces de son répertoire, dont l’excellent Deca Dance. Du 24 au 28 avril au théâtre national de Chaillot, w w w.theatre-chaillot.fr
Un fil à la patte Du De Funès mêlé à des bastons façon Rocky, le tout porté à deux cents à l’heure, dans des costumes traditionnels et le cadre classique de la Comédie-Française… Jérôme Deschamps, le créateur de feu les Deschiens, s’éclate un maximum avec le vaudeville de Feydeau. Et nous avec. Jusqu’au 9 juin à la Comédie Française, w w w.comedie-francaise.fr
©Bruno Verjus
SORTIES EN VILLE RESTOS
LE SYNDROME DE L’ASPERGE L E plat
Le jaune de l’œuf se mêle au vert des jeunes légumes, herbes et fleurs. Il consacre un printemps frais, flavescent, verdoyant. Un printemps vif et croquant, à l’égal d’asperges à peine sorties de terre, de leurs turions cassant comme le verre. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.fr)
Ce sont les turions (bourgeons souterrains issus de la racine) que l’on déguste au printemps, dès leur sortie de terre. La saveur de l’asperge tiendrait à son extrême fraîcheur et à sa courte cuisson. Suétone rapporte que l’empereur Auguste, pour exprimer la célérité avec laquelle il voulait qu’on exécute ses ordres, employait le proverbe Ocius quam asparagi coquantur (« plus promptement que pour avoir des asperges cuites »). Asperges blanches, violettes ou vertes ? Je propose de les réunir dans une seule et même assiette, autour d’une recette printanière : les asperges à l’œuf cassé. Assaisonner quelques asperges encore tièdes d’un œuf 108
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mollet, de copeaux de parmesan, d’herbes variées (persil plat, livèche, thym, cerfeuil…), d’huile d’olive vierge, de vinaigre, de fleur de sel, et de poivre. Avec un couteau, trancher l’œuf mollet sur les têtes d’asperges, juste avant de les servir. Sur certaines grandes tables, comme à la brasserie Thoumieux de Jean-François Piège ou à l’Arpège d’Alain Passard, l’asperge paraît en majesté. Alain Passard les cuisine droites dans leur botte, simplement arrosées de beurre noisette. Le pied de l’asperge fond en bouche, tandis que la pointe, plus affutée que jamais, croque au palais. Jean-François Piège aime caresser leur velouté. Pour cela, il nacre des asperges blanches dodues au sautoir, avec une noix de beurre frais, un peu de sucre et quelques gouttes de jus d’orange. L’asperge se cueille en sauvageonne dès le mois de mai, dans les talus et les vignes. Auguste, elle dresse un épi, semblable au blé, sur une tige frêle. Sa saveur presque piquante rappelle la sève du sureau. Cuite en quelques secondes, voilà bien l’asperge d’un empereur. ♦
©Studio Canal
la recette
L’anguille façon L’Écume des jours Dans les marmites de Michel Gondry, le cuisinier Nicolas (Omar Sy) mijote un plat d’anguille pour son drôle de poisson de patron, Colin (Romain Duris). Sous la fourchette, l’anguille se dérobe, sculpte le plat de sa ligne fuyante, comme pour retarder le plaisir du goût au profit de celui des yeux. Si vous n’avez pas cette patience, l’anguille aux tomates et au persil se prépare en trente minutes. Maintenez la tête avec un linge et roulez la peau vers la queue. Passez rapidement à la poêle les morceaux du poisson débité. Faites ensuite mijoter à couvert et pendant vingt minutes avec de la sauce tomate, des oignons, de l’ail et du persil. Servir avec du riz ou une ratatouille. _É.R. L’Écume des jours de Michel Gondr y Avec Romain Duris, Audrey Tautou… StudioCanal // Sor tie le 24 avril
©Deborah Lesage
où deguster…
Saturne
… l’asperge L’Ami Jean 27, rue Malar – Paris VIIe Tél. : 01 47 05 86 89 Saturne 17, rue Notre-Dame-des-Victoires Paris IIe Tél. : 01 42 60 31 90 Le 6 Paul Bert 6, rue Paul-Bert – Paris XIe Tél. : 01 43 79 14 32 Table 3, rue de Prague – Paris XIIe Tél. : 01 43 43 12 26 L’Évasion 7, place Saint-Augustin – Paris VIIIe Tél. : 01 45 22 66 20 Thoumieux 79, rue Saint-Dominique – Paris VIIe Tél. : 01 47 05 49 75
SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA _Par Q.G., S.O., J.R., É.R. et L.T.
Derrière la Colline d’Emin Alper
03/04 DEAD MAN DOWN
AMOUR & TURBULENCES
Victor, meurtri par l’assassinat de sa famille, et Béatrice, défigurée dans un accident de voiture, s’unissent pour achever leur vengeance. Les premiers pas à Hollywood du Danois Niels Arden Oplev, réalisateur de Millenium, dans un thriller haletant.
Victimes d’un hasard malheureux, deux ex se retrouvent coincés côte à côte dans un avion, pour un vol long courrier. Au programme, un trajet parsemé de tourments et de flash-backs, avec l’espiègle Ludivine Sagnier et l’insolent Nicolas Bedos.
INCH’ALLAH
QUARTET
Chloé s’occupe de femmes enceintes dans un camp de réfugiés palestiniens. Elle se lie d’amitié avec Ava, militaire israélienne, et Rand, jeune Palestinienne. Mais lorsque le conflit s’intensifie, préserver ces amitiés contraires va s’avérer délicat et douloureux.
Beecham house, une maison de repos pour musiciens à la retraite, accueille une nouvelle venue, la diva Jean Horton. Son arrivée va bouleverser les pensionnaires, surtout Reginald, Cissy et Wilfried, ses anciens partenaires. Drôle et magistral.
DES GENS QUI S’EMBRASSENT
LE REPENTI
Roni et Zef sont deux frères que tout oppose. Alors que le premier a fait fortune et vit la grande vie, le second est un musicien austère qui vient de perdre sa femme. Comédie familiale, Des gens qui s’embrassent confirme le talent de la jeune Lou de Laâge.
Algérie, années 2000. Grâce à la loi de « concorde civile », Rachid, ancien islamiste, peut regagner son village sans être inquiété. Mais son retour fait ressurgir les anciennes blessures. Sélectionné à la Quinzaine, le film laisse planer un mystère déroutant.
DERRIÈRE LA COLLINE
PIETA
Ce premier film, mention spéciale au dernier festival de Berlin, dépeint la réunion d’un patriarche et de sa famille dans une ferme menacée par de mystérieux nomades. Le film déroule son beau suspense, lorsqu’il apparaît que la menace vient de l’intérieur.
Entre élans mystiques et charnels, le nouveau film de Kim Ki-duk (Printemps, été, automne, hiver… et printemps), Lion d’or du dernier festival de Venise, orchestre la rencontre entre un jeune homme violent et solitaire et une femme qui prétend être sa mère.
de Niels Arden Oplev Avec Colin Farrell, Noomi Rapace… Metropolitan FilmExpor t, États-Unis, 1h57
d’Anaïs Barbeau-Lavalet te Avec Évelyne Brochu, Sabrina Ouazani… Happiness, Canada/France, 1h41
d’Alexandre Castagnet ti Avec Ludivine Sagnier, Nicolas Bedos… Universal Pictures France, France, 1h36
de Dustin Hof fman Avec Maggie Smith, Tom Cour tenay… Pyramide, Royaume-Uni, 1h38
10/04 de Danièle Thompson Avec Kad Merad, Éric Elmosnino… Pathé, France, 1h40
d’Emin Alper Avec Tamer Levent, Reha Özcan… Memento, Turquie/Grèce, 1h34
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de Merzak Allouache Avec Nabil Asli, Adila Bendimered… Sophie Dulac, Algérie/France, 1h27
de Kim Ki-duk Avec Lee Jung-Jin, Min-soo Jo… Pret t y Pictures, Corée du Sud, 1h44
et surtout… 03/04 Berberian Sound Studio (lire p. 26) Perfect Mothers (lire p. 36) Free Angela (lire p. 38) Ill Manors (lire p. 58) Kinshasa Kids (lire p. 68) Effets secondaires (lire p. 114) La Maison de la radio (lire p. 116) 10/04 Oblivion (lire p. 30) Les Croods (lire p. 84) La Belle Endormie (lire p. 118) The Act of Killing (lire p. 120) 17/04 Les Lendemains (lire p. 17) Flammes (lire p. 22) Promised Land (lire p. 46) The Grandmaster (lire p. 64) 24/04 L’Écume des jours (lire p. 35) 01/05 Stoker (lire p. 32) Mud (lire p. 54) L’Intervallo (lire p. 122) Orléans (lire p. 123)
17/04 CLIP
de Maja Milos Avec Isidora Simijonovic, Vukasin Jasnic… KMBO, Serbie, 1h40
Premier long métrage choc pour la jeune cinéaste serbe. Téléphone portable en main pour se filmer, son héroïne adolescente fuit un quotidien familial vicié (père mourant, décor terne, tendresse en berne) en s’abandonnant dans le sexe, l’alcool et la drogue.
LA PLAYA
de Juan Andrés Arango Garcia Avec Luis Carlos Guevara, Jamés Solís… Jour2fête, Colombie/Brésil/France, 1h30
Un adolescent afro-colombien passionné de dessin et de coiffure qui erre dans un quartier de Bogotá, tentant d’aider son frère cadet pris par la drogue et les galères. Joli portrait d’un Bogotá en pleine mutation, par le prisme de ses clivages culturels.
LA TRAVERSÉE
d’Élisabeth Leuvrey Documentaire Shellac, France, 1h12
De Marseille à Alger, une journée de traversée. Avec délicatesse, Élisabeth Leuvrey, la réalisatrice, a fait l’aller-retour, le temps de filmer les trajectoires d’Algériens en partance ou de retour au pays et de faire entendre le récit contrasté de vies de grand écart.
LA TÊTE LA PREMIÈRE
d’Amélie van Elmbt Avec Alice de Lencquesaing, David Murgia… Héliotrope, Belgique/France, 1h29
Ancienne assistante de Jacques Doillon, Amélie van Elmbt signe un premier film sous son influence revendiquée. Zoé prend la route pour rejoindre l’écrivain qu’elle admire. En chemin, elle rencontre Adrien, qui trouble son cœur et ses projets.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA _Par C.G., Q.G., S.O., J.R., É.R. et L.T.
Hannah Arendt de Margarethe von Trotta
24/04 HANNAH ARENDT
LA SIRGA
En 1961, la philosophe juive allemande Hannah Arendt couvre pour le New Yorker le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem. Ses articles et son concept de la « banalité du mal » lui attirent les foudres du monde. Un regard déroutant sur l’histoire de sa pensée.
Alicia, jeune orpheline, se refugie à la Sirga, lieu reculé de Colombie, où elle retrouve son oncle. Le vieil homme, d’abord plutôt rustre, se laisse adoucir au contact de sa nièce. Sobrement, le réalisateur prend le pouls de son héroïne traumatisée.
PARADIS : FOI et PARADIS : ESPOIR
THE LAND OF HOPE
Les deux derniers volets de la trilogie sulfureuse d’Ulrich Seidl. Après s’être penché sur le tourisme sexuel, le réalisateur s’attaque à l’intégrisme religieux et aux désirs adolescents. Un parcours relié par une thématique commune : la misère sexuelle.
Un tremblement de terre entraîne l’explosion d’une centrale nucléaire. Sono Sion délaisse son style outrancier pour une mise en scène plus classique. Il parvient ainsi à cerner les différents enjeux autour des catastrophes survenues en 2011 au Japon.
MOHAMED DUBOIS
EVIL DEAD
Fils de son père, banquier gaulois, ou fruit de la liaison de sa mère avec un prof de tennis tunisien ? En pleine crise existentielle, Arnaud Dubois décide de prendre le prénom de Mohamed lorsqu’il quitte son douillet Vésinet pour la cité de la belle Sabrina.
Remake du premier film culte du réalisateur Sam Raimi sorti en 1981, cet opus rouvre le « livre des morts ». Ses chapitres incantatoires n’ont rien perdu de leur tranchant et terrorisent tout autant le petit groupe de protagonistes que les spectateurs.
LE CŒUR A SES RAISONS
I WANT YOUR LOVE
Plongée dans la communauté juive hassidique sur les pas d’une réalisatrice qui en fait elle-même partie : prise entre raison et sentiments, une jeune femme (Hadas Yaron, Prix d’interprétation féminine à Venise) doit épouser le mari de sa défunte sœur.
Avant son départ de San Francisco, Jesse réunit ses amis et ex-amants pour une fête qui s’annonce mémorable. Entre porno queer et drame sentimental, Travis Mathews réalise une belle variation sur l’expérience gay contemporaine.
de Margarethe von Trot ta Avec Barbara Sukowa, A xel Milberg… Sophie Dulac, Allemagne/France, 1h53
d’Ulrich Seidl Avec Maria Hofstät ter, Mélanie Lenz… Happiness, Autriche/France/ Allemagne, 1h53 et 1h31
de William Vega Avec Joghis Seudin Arias, David Fernando Guacas… Zootrope Films, France/Mexique/Colombie, 1h28
de Sono Sion Avec Isao Natsuyaqi, Jun Murakami… Metropolitan FilmExpor t, Japon/ Grande-Bretagne/ Taïwan, 2h13
01/05 d’Ernesto Ona Avec Éric Judor, Sabrina Ouazini... Wild Bunch, France, durée non communiquée
de Rama Burshtein, Ygal Burszt yn Avec Hadas Yaron, Yif tach Klein… ARP Sélection, Israël, 1h30
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de Fede Alvarez Avec Jane Lev y, Jessica Lucas… Metropolitan FilmExpor t, États-Unis, 1h30
de Travis Mathews Avec Jesse Metzger, Keith McDonald… KMBO, États-Unis, 1h11
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
EFFETS SECONDAIRES Femme sous influence
L’infatigable STEVEN SODERBERGH semble avoir trouvé son rythme de croisière : après Piégée et Magic Mike en 2012, il entame 2013 avec Effets secondaires, un thriller qui cache manipulation psychologique et manœuvres financières sous le lit de la dépression de son héroïne. Tranquillement inquiétant. _Par Laura Tuillier
Le dernier film de Steven Soderbergh s’ouvre sur la sortie de prison de Martin Taylor (Channing Tatum, le Mike de Magic Mike), condamné pour délit d’initié. Martin, démarche décontractée, filmé par le réalisateur comme un bloc de confiance exemplairement américain, retrouve sa femme, la fragile Emily (Rooney
Mara). Celle-ci ne tarde pas à perdre le contrôle, dans une scène qui rappelle étrangement Passion, le dernier film de De Palma : dans un parking souterrain, elle pète les plombs et abime sa tête et sa voiture contre un mur. Effets secondaires continuera (sans que l’on puisse trop dévoiler l’intrigue) à ressembler à Passion : tandis que Martin et le psychiatre d’Emily (l’excellent Jude Law) la croient dépressive et la gavent d’antidépresseurs, celle-ci se retranche dans une autre folie, calculée et meurtrière. Aux diagonales de Passion, Soderbergh oppose quelques plans qui retournent la réalité à quatre-vingt-dix degrés : un immeuble filmé à l’envers, une héroïne qui sombre dans le sommeil en travers du lit… Dans ce désordre, le trop confiant Martin ne survit pas, et c’est le docteur Banks, moins limpide et honnête, qui devient l’antihéros pris dans la tourmente. L’ordre des choses subit dans Effets secondaires une
rotation à la fois bouleversante et insignifiante : Banks joue aux liaisons dangereuses avec l’industrie pharmaceutique, se trouve compromis dans une affaire de meurtre, mais sauve finalement sa peau, et son honneur, et retrouve sa place au soleil. Soderbergh filme comme si son histoire n’avait pas vraiment eu lieu, mais cette nonchalance légère rend le plaisir très contagieux. ♦ De Steven Soderbergh Avec : Jude Law, Rooney Mara… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h46 Sor tie : 3 avril
3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que l’actrice Rooney Mara, découverte dans le Millenium de David Fincher, livre une interprétation ambiguë de la folie qui fait tourner la tête au spectateur.
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2… Parce que Steven Soderbergh, en bon enfant prodige d’Hollywood, signe lui-même la photographie de son film sous le pseudonyme de Peter Andrews.
3… Parce qu’Effets Secondaires mêle habilement plongée dans les magouilles de l’industrie pharmaceutique et thriller psychologique sexy et retors.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
LA MAISON DE LA RADIO L’ouïe fine
Dix ans après le remarqué Être et avoir, portrait d’une classe unique en milieu rural, NICOLAS PHILIBERT s’aventure, avec La Maison de la Radio, dans les dédales de Radio France. Un documentaire malin et sensible.
_Par Stéphane Odrobinski (avec Laura Tuillier)
« Dis donc, l’homme retrouvé coupé en deux en Isère est mort d’une balle dans le dos », s’esclaffe la responsable du bureau des faits divers, personnage savoureux et récurrent du film de Philibert. Le réalisateur se place d’emblée dans l’intimité du quotidien de Radio France, dont il a reconstitué une journée et une nuit emblématiques, de la préparation des émissions à l’antenne. Engueulade du stagiaire, répétition de l’orchestre de France Musique,
enregistrement des Fictions de France Culture… les morceaux sont choisis avec un plaisir que le réalisateur rend extrêmement communicatif. En se servant du montage comme un peintre impressionniste use de ses couleurs, il réussit, par la superposition des couches, une distorsion de la réalité : La Maison de la Radio apparaît comme une totalité organique harmonieuse dont les membres s’expriment dans un même souffle sur les ondes. Le film débute par La Matinale de France Info. La journaliste ouvre l’antenne, puis sa voix se trouve accompagnée par d’autres, les sons s’entremêlent, jusqu’à créer un tumulte rythmé et mélodieux. De la mystérieuse invisibilité radiophonique, Nicolas Philibert tire un tableau sonore dont les personnages, en s’animant, deviennent follement attachants. ♦
De Nicolas Philiber t Documentaire Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h43 Sor tie : 3 avril
3 questions à
Nicolas Philibert Comment ce sujet vous est-il venu ? Il a dû cheminer longtemps, de manière souterraine. Je l’ai d’abord rejeté, croyant que ce serait bête de mettre des images sur un média qui nourrit l’imaginaire. Puis je me suis dit : « Comment filmer la radio sans dévoiler son mystère ? » J’ai compris qu’il y avait un défi à relever. Faire un film sur le son, les voix, l’écoute. Comment filmer les voix de Radio France ? Je dis aux gens : « Faites comme si j’étais là. » Je ne leur demande pas de tricher. Le film est construit sur notre connivence. Je pense que tout film dit quelque chose de la relation entre réalisateur et personnes filmées. À quel point le film était-il écrit avant le tournage ? Je pense au montage tout le temps, sinon tourner, c’est juste accumuler des plans. Mais je pense qu’un film se construit sur des rencontres. J’étais convaincu d’une chose : il ne fallait pas laisser trop de place à l’actualité, ce n’était pas le sujet du film. Le sujet, c’est la grammaire de la radio.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le travail d’orfèvre réalisé sur le son. Superpositions, enchaînements, hors-champ : Nicolas Philibert a fait lui même son montage.
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2... Parce que le film sait donner l’impression d’une immersion totale dans l’institution : vingt-quatre heures particulièrement palpitantes, à vivre depuis les coulisses.
3… Pour la scène d’enregistrement de la chanteuse, laquelle dispose d’un organe dont le timbre, la puissance et la maîtrise laissent tout simplement… sans voix.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
LA BELLE ENDORMIE La vie, à la mort
À partir de l’histoire vraie d’Eluana Englaro, jeune femme plongée dix-sept ans dans le coma, pour laquelle la justice italienne a autorisé l’arrêt de traitement en 2008, MARCO BELLOCCHIO esquisse avec La Belle Endormie un film à l’image de l’Italie : ample, passionné, plein de ferveur et de contradictions. _Par Donald James
Plus porté à mettre en images la part d’ombre tapie en l’être humain qu’à admonester une leçon d’éthique au spectateur à propos de l’épineuse question de l’euthanasie, Marco Bellocchio campe trois récits articulés autour d’une mort choisie : un sénateur qui hésite à voter, avec son parti, contre la décision
de justice autorisant à interrompre le traitement d’Eluana Englaro ; une comédienne célèbre qui veille sur son enfant, plongée elle-aussi dans un coma profond ; une droguée qui s’ouvre les veines devant un jeune médecin. Dans La Belle Endormie, comme dans son précédent film, Vincere, le réalisateur italien ne cherche pas tant à raconter une affaire qui a divisé son pays qu’à s’aventurer hors des sentiers de la grande histoire, pour finir par toucher juste. Rythmée et montée comme un chant de guerre dédié à l’amour, cette grande fresque chorale, avec son fascinant miroitement entre le vrai et faux, la vie et la mort, le politique et le religieux, organise une immersion toute bellocchienne dans les clairs-obscurs de la société et de l’âme humaine, non sans humour et émotion. ♦ De Marco Bellocchio Avec : Isabelle Hupper t, Toni Ser villo... Distribution : Bellissima Films Durée : 1h50 Sor tie : 10 avril
3 questions à
Marco Bellocchio Qu’est-ce qui vous motive encore à faire des films ? J’ai presque éliminé de mon travail tous les mouvements lourds de caméra et j’essaie de simplifier mon rapport à la technique, pour que ma pratique du cinéma soit celle d’un corps à un autre corps. Pourquoi avoir choisi l’affaire Eluana Englaro comme catalyseur de votre scénario ? Je n’ai, en aucun cas, voulu réaliser un film-testament. Mais mon imagination se projette plus facilement à partir d’une colonne vertébrale réelle. Ensuite, je vois si, d’un point de vue financier, mon histoire peut être produite. Comment a été reçu votre film en Italie ? Il a été très bien accueilli par la critique au festival de Venise. Dans le monde catholique, si l’on ne tient pas compte d’une minorité intolérante, on a pu noter une certaine ouverture. Le décès du cardinal Carlo Maria Martini n’y est sans doute pas pour rien : progressiste, il était atteint de la maladie de Parkinson. Peu de jours avant que ne sorte mon film, il a demandé l’arrêt de son traitement.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que La Belle Endormie est signé par l’un des derniers grands princes du cinéma italien, auteur entre autres de Buongiorno Notte. À 72 ans, il touche au sommet de son art.
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2… Pour le sans faute du coté de l’interprétation, avec notamment Toni Servillo dans le rôle du fragile sénateur, et Alba Rohrwacher, pleine de grâce et de sensualité, dans le rôle de sa fille.
3… Parce que le film, d’une profonde tendresse pour l’humanité, aurait pu disputer la Palme d’or à Amour de Michael Haneke s’il avait été présenté au festival de Cannes en 2012.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
THE ACT OF KILLING Coupé court
Entre cinéma-vérité et mise en abîme de la fable cinématographique, le film bouleversant de Joshua Oppenheimer, The Act of Killing – L’Acte de tuer, détruit la déontologie fragile du documentaire et rend palpable l’histoire fissurée et douloureuse de l’Indonésie. _Par Adrien Genoudet
« L’acte de tuer », c’est celui d’Indonésiens qui en 1965 ont massacré un million de supposés opposants politiques, issus du Parti communiste indonésien et accusés d’une tentative de coup d’État. Des gangsters qui, bercés par le système politique, n’ont eu aucun compte à rendre, si ce n’est face à la réalité
de leurs actes. Toute la puissance filmique de Joshua Oppenheimer, qui a retrouvé et suivi quelques-uns de ces assassins à la retraite, dont l’irrévérencieux Anwar, se trouve dans cette assurance presque philosophique que le réel, dévoilé dans toutes ses porosités, devient le seul juge des actes du passé. Persuadés du bien fondé de leurs faits d’armes, ces meurtriers décident de tourner un film de fiction basé sur leurs exploits. C’est ce tournage, ces hommes et leurs images, que le réalisateur saisit avec une justesse insolite qui permet d’atteindre les bas-fonds de la mémoire indonésienne. C’est au cœur de séquences sidérantes – la reconstitution pour la fiction du massacre d’un village – que l’écriture documentaire se trouve transcendée par ce qui constitue la matrice du cinéma : la mise en récit d’une histoire. Dans cette séquence, les enfants-acteurs du village pleurent après le « cut ! »
signifiant la fin de la reconstitution, jouée par les assassins euxmêmes. Ils pleurent, perdus dans le réel et dépassés par la fiction. Toute la vigueur du film éclate avec ce « coupez ! », dérisoire face aux horreurs du réel. Dans le regard de cette jeune génération, on croit entendre un hurlement ; comme un autre « cut ! », pour stopper l’aberration d’une vérité surréaliste. ♦
De Joshua Oppenheimer Documentaire Distribution : ZED Durée : 1h55 Sor tie : 10 avril
3 raisons d’aller voir ce film 1 … Parce que le réalisateur et son équipe – la plupart d’entre eux sont « anonymes » dans le générique – sont aujourd’hui poursuivis par le pouvoir en Indonésie suite à ce film.
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2 … Pour découvrir une forme documentaire inédite qui permet de renouveler la dimension mémorielle de films s’attachant à une période trouble de l’histoire d’un pays.
3 … Pour prendre connaissance de l’état politique de l’Indonésie actuelle et des problèmes sociaux et culturels que pose un tel déni d’actes contraires aux droits de l’homme.
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L’INTERVALLO Camorrades
L’Intervallo est la première fiction de LEONARDO DI COSTANZO, après plusieurs documentaires (Un cas d’école, Les Sept marins de l’Odessa). Deux adolescents, contraints par la mafia de rester une journée dans un immeuble abandonné de Naples, s’y apprivoisent. À mesure que ces derniers se découvrent, le regard d’abord vériste du réalisateur se fait plus rêveur. _Par Quentin Grosset
C’est comme un film sur la mafia italienne dont on aurait retiré les scènes d’action et le folklore armé de la Camorra. Si les bandits napolitains ne sont pas absents, ils évoluent hors-champ, en périphérie du décor où le rondouillard Salvatore
et Veronica l’effrontée sont captifs. Les malfrats y ont placé la jeune fille parce qu’elle a osé flirter avec un garçon d’un autre quartier. Et Salvatore, qui vendait des citronnades, s’est vu confisquer son chariot et a été sommé de la surveiller pour récupérer son outil de travail. D’abord méfiants l’un envers l’autre, le gardien maladroit et l’otage insolente vont finalement nourrir une belle complicité en visitant les recoins cachés du lieu de détention. Tourné en lumière naturelle et caméra à l’épaule, le film emprunte les modes de narration employés par Leonardo Di Costanzo dans ses documentaires. C’est ainsi avec le même souci d’un contact rapproché au réel que le réalisateur a laissé ses deux acteurs investir librement l’espace de jeu, s’adaptant à leurs improvisations. L’emplacement de l’action permet au cinéaste de décoller de cette veine naturaliste pour basculer dans l’onirisme.
L’immeuble immense où les personnages sont coincés dissimule des pièces mystérieuses et bizarrement habitées par des animaux ou des fantômes de locataires. En même temps que Salvatore et Veronica s’immiscent dans ces coulisses investies par la végétation environnante, ils se dévoilent l’un à l’autre. L’Intervallo devient alors un film d’exploration. Plutôt intéressant pour un huis clos. ♦ De Leonardo Di Costanzo Avec : Salvatore Ruocco, Carmine Paternoster... Distribution : Bellissima Films Durée : 1h30 Sortie : 1er mai
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’habileté de Leonardo Di Costanzo, qui s’appuie sur une matière concrète et réaliste pour mieux la renverser. Le film devient alors plus évasif et propice à la rêverie.
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2… Parce que le décor est une belle métaphore sur les rapports entre adultes et adolescents. Les héros réinventent un espace où leurs aînés n’ont pas leur place.
3… Parce que le film constitue un intervalle plutôt malin entre le film de mafia et le portrait de deux adolescents dépassés par la situation du crime à Naples.
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ORLÉANS Des cendres en ville
Les déambulations de deux strip-teaseuses pendant les fêtes folkloriques autour de Jeanne d’Arc. Portrait d’une ville et d’une génération, entre documentaire et fiction, Orléans de VIRGIL VERNIER s’approprie la vaillante héroïne avec une belle désinvolture. _Par Quentin Grosset
Le bûcher, la barre de pole dance. Virgil Vernier opère un parallèle graphique audacieux. Joane, jeune stripteaseuse, brûle quand elle danse. Elle est la version actualisée du mythe de Jeanne d’Arc, fêtée chaque année à Orléans. Ainsi, le réalisateur va organiser une série de rapprochements inattendus : des gravures anciennes précédant les vues d’une ville moderne, le sermon d’un curé avant une messe
électro… On est d’abord indécis : est-ce un documentaire ? une fiction ? Puis, naturellement, on ne s’occupe plus des étiquettes. Car ce sont ces basculements discrets qui semblent intéresser le cinéaste, lequel nous entraîne à sa suite dans une promenade invitant à la rêverie, de la périphérie au centre-ville, du Moyen Âge à nos jours. L’écriture de Vernier pourrait être assimilée à un palimpseste. Un nouveau texte vient se superposer au premier, et la figure mythique apparaît dans toute sa dimension contemporaine. Jeanne d’Arc aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’icône de l’extrême droite. En sortant le film le 1er mai, au moment où le Front national se rassemblera devant sa statue rue de Rivoli, Vernier montre avec malice que d’autres voix appellent « la Pucelle » d’Orléans. ♦ De Virgil Vernier Avec : Andrea Brusque, Julia Auchynnikava Distribution : Independencia Durée : 58 minutes Sor tie : 1 er mai
3 questions à
Virgil Vernier Pourquoi cette analogie entre Joane et la figure mythique de Jeanne d’Arc ? Pour moi, ce film, c’est une tentative de parallèle entre Jeanne d’Arc et une fille des années 2010. J’ai pensé à toutes ces filles qui, comme Jeanne d’Arc quittant sa province, rêvent de partir à la conquête de la capitale. Pourquoi cette envie de filmer Orléans ? Pour cette ville banale et étrange à la fois, et pour ses festivités autour de Jeanne d’Arc : une semaine durant laquelle une jeune fille de la ville incarne « la Pucelle ». Je tenais à ce que le film se déroule durant le contexte réel de cette période de célébrations. Pouvez-vous dire quelques mots sur Andorre, le courtmétrage qui précèdera Orléans lors de sa sortie en salle ? Ces deux films se répondent-ils ? Oui, ils ont en commun de partir d’un territoire pour tenter d’en saisir l’aura étrange, de révéler les mythes qui sommeillent en eux et d’en tirer un récit. Non pas juste un décor, mais une ville comme un personnage principal à part entière.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que Virgil Vernier a tourné très vite, en cinq jours. Cette urgence rend le film spontané : le réalisateur investit une icône nationale avec une grande liberté.
2… Pour le balancement entre un naturalisme très concret et des divagations d’ordre plus poétique. Le film, dans un tel entre-deux, apparaît comme inclassable.
3… Pour Andrea Brusque, jeune actrice professionnelle très convaincante au milieu de comédiens amateurs. Son jeu oscille avec brio entre aplomb et fragilité.
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©Éric Garault
LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES
Kids
JEUX D’ENFANTS
Le MK2 Bibliothèque accueille MON PETIT MK2, des ateliers à l’occasion desquels les bambins sont pris en charge pendant que leurs parents vont voir un film. Les équipes du centre ludo-éducatif Filapi gardent les enfants les weekends et jours fériés et leur font découvrir un tas d’activités en rapport avec le cinéma. L’occasion de retomber en enfance pour un reportage en immersion. _Par Claude Garcia
J
e suis arrivé un peu tôt dans la nouvelle garderie du MK2 Bibliothèque. Les enfants ne sont pas encore là, alors je traîne dans l’espace d’éveil où l’on trouve des tipis indiens, des maisons de carton, une grande table pour dessiner, et même une petite salle de cinéma. Le tout fourni par le site de mode et de design Smallable. Joëlle, Laëtitia et Graziella, les animatrices de Filapi, proposent de s’occuper de moi. « Tu veux faire un pantin ? », nous demande Laëtitia. Je m’empare aussitôt des feutres pour colorier Charlie Chaplin. Je lui fais des moustaches bleues en l’affublant d’une veste orange ridicule, puis on le découpe grossièrement. Notre Charlot ressemble à Marge Simpson. Pendant que Laëtitia nous gronde parce que j’ai mal rebouché la colle, je finis mon pantin, et tout le monde me félicite. Mais
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là, Aloïse, 4 ans, se ramène comme une f leur. Je suis carrément jaloux. Alors je vais voir Charlot et le masque de fer dans la petite pièce attenante, et la fillette me suit. Elle saute sur les gros coussins rouges. Vient le moment de se déguiser : une moustache de laine pour moi, un chapeau melon pour elle. Puis l’atelier de mime commence : Joëlle fait comme si elle se réveillait. Moi, je trouve la bonne réponse le premier, et Aloïse se réfugie dans un tipi. La mauvaise perdante. Tout fier et victorieux, je vais offrir mon pantin au rédacteur en chef pour qu’il l’accroche sur son bureau. ♦ « Mon petit MK 2 » au MK 2 Bibliothèque avec Smallable 25 € pour quatre heures d’ateliers, séance parents 4,9 0 € Informations et réser vations au 01 44 67 30 88 et monpetitmk 2@mk 2 .com
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INSTALLATION Xperia Water Show
DR
Le 19 mars dernier, le bassin de la Villette à Paris a accueilli un écran de projection d’un genre nouveau. Un énorme mur d’eau faisait office d’écran de projection dans le cadre de l’évènement « Sony Mobile Xperia Water Show ». L’association du DJ Pedro Winter avec MK2 Agency et l’agence artistique Superbien a permis la réalisation d’un film de six minutes en 3D qui mettait l’accent sur des techniques visuelles de pointe, résonnant au son des musiciens du label Ed Banger. Étonnante, cette technique d’écran d’eau donne une profondeur et un grain onirique aux images. À quand la projection d’un long métrage comme 20 000 lieues sous les mers ? _C.Ga.
Yukonstyle de Sarah Berthiaume
SOIRÉE QUÉBEC Théâtre de la Colline Quatre personnes égarées dans l’immensité du Yukon. Le défi qui leur est imposé par cette frontière hors du monde, c’est de survivre à la misère morale et économique. Yukonstyle, de la jeune auteur québécoise Sarah Berthiaume, est mise en scène par Célie Pauthe. À l’occasion de sa création au théâtre de la Colline en avril, elles viendront échanger autour de la projection d’une rareté au MK2 quai de Seine : En terrains connus. Le long métrage du réalisateur Stéphane Lafleur (à qui l’on doit aussi Continental, un film sans fusil) raconte comment le quotidien d’un frère et d’une sœur montréalais est bouleversé par l’arrivée d’un homme qui se dit venu du futur. _C.Ga. En terrains connus de Stéphane Lafleur, le 8 avril au MK 2 QUAI DE SEINE Yukonstyle de Sarah Ber thiaume, jusqu’au 27 avril au théâtre de la Colline
LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES
L’AGENDA Les 5 et 6 avril Opération 48h BD - MK2 BIBLIOTHÈQUE
Les tomes I de huit albums choisis par les éditeurs associés à l’opération seront distribués gratuitement. Plus d’infos sur w w w.48hbd.com
Le 6 avril à 15h Dédicace - MK2 QUAI DE LOIRE
Alexis Dormal pour Pico Bogue, dans le cadre de l’opération 48h BD.
Le 8 avril à 18h Séminaire philosophique de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE
Sujet : « Pouvons-nous vivre sans mystère ? » Tarif normal : 15 € / réduit : 9 €
FESTIVAL
CINÉJAZZ
Cousins, frangins, amants, le jazz et le cinéma griffent avec le même pouvoir évocateur bobines et partitions. La première édition du festival international du Jazz au cinéma sonne des retrouvailles au diapason. _C.Ga.
I
l y a d’abord les évidences. Il est par exemple communément admis que Le Chanteur de Jazz (1927) est le premier film parlant. Les biopics aussi, avec le très bon Bird (1988) de Clint Eastwood, dans lequel Forest Whitaker incarne Charlie Parker. Et puis il y a cette plume commune, planquée entre les grilles d’accords et les lignes du script. Les jazz, les cinémas. D’arts en essais, ils fixent leur époque et leur temps sans les figer. Les points de rencontre sont nombreux, le premier festival international du Jazz au cinéma en offre une vertigineuse cartographie. Trois grands de ces deux mondes font office de géographes. Le réalisateur Bertrand Tavernier (Autour de minuit), l’arrangeur et producteur Quincy Jones, qui a travaillé pour le cinéma comme pour Michael Jackson, et le jeune prodige de la trompette Ibrahim Maalouf. Et sur la carte : des films (Ascenseur pour l’échafaud), des captations de concerts (Miles Davis – live at Montreux 1991), des cartoons (Tex Avery), des cartes blanches et bien sûr de la musique live. ♦ Du 12 au 14 avril dans le réseau MK 2 , au Duc des Lombards, Baiser Salé, Sunside et sur la péniche L’Improviste Retrouvez toute la programmation sur w w w.mk 2 .com
Le 9 avril à 14h Cycle « Connaissance du monde » - MK2 NATION Sujet : « La Russie aujourd’hui, de Moscou à Saint-Pétersbourg »
Le 14 avril à 11h Atelier pour les enfants - MK2 QUAI DE LOIRE En partenariat avec le magazine Bonbek.
Le 15 avril à 18h Séminaire philosophique de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE
Sujet : « Les choses ne se donnent-elles qu’au travers des mots ? Introduction à Michel Foucault, Les mots et les choses ». Tarif normal : 15 € / réduit : 9 €
Le 16 avril à 20h Ciné BD Dargaud - MK2 QUAI DE LOIRE À l’occasion de la sortie du tome IV de Long John Silver, rencontre et dédicace avec les auteurs, suivie de la projection de L’Île au trésor de Victor Fleming, choisi par les auteurs. Le 22 avril à 20h30
Rendez-vous des docs - MK2 QUAI DE LOIRE
Soirée « Brouillon d’un rêve » en partenariat avec la Scam. Projection de Visages d’une absente de Frédéric Goldbronn (2013), en présence du réalisateur.
Le 23 avril à 19h Rencontre-dédicace - MK2 QUAI DE LOIRE
Rencontre avec Simon Roussin, auteur de bande dessinée qui vient de publier Le Bandit au colt d’or chez Magnani et Heartbreak Valley chez 2024.
Jusqu’au 8 mai MK2 Bout’chou et MK2 Junior
Programmation pour les enfants, avec Petit Corbeau, La Ballade de Babouchka, Portrait de famille, Rox et Rouky, Le Roi Lion et La Belle et la Bête. Plus d’infos sur w w w.mk 2 .com/evenements
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Cycle
BEAU BAZAR
Christophe sort Paradis Retrouvé, un album de trésors inédits composés entre 1972 et 1982, témoins de l’époque où le dandy expérimentait les nouveaux synthétiseurs. Cinéphile averti, les salles MK2 lui donnent ce mois-ci une carte blanche. Pour nous, il s’est souvenu du temps où, dans son appartement bordélique, il programmait lui-même des films. _Par Quentin Grosset
C
hristophe n’est pas très disert lorsqu’il parle du cinéma qui lui plaît : « Il n’y a pas d’explications, chéri, j’aime, ou j’aime pas », nous prévient-il. Marlène Dietrich ? « Elle déchire. » Billy Wilder ? « C’est pas de la merde. » David Lynch ? « Putain, c’est trop bien. » Il nous montre la jaquette DVD du premier film où apparaît Brigitte Bardot, Le Trou normand de Jean Boyer et précise fièrement : « Y’a pas beaucoup de gens qui le connaissent, celui-là. » Le chanteur est un cinéphile comme on n’en fait plus. Dans son home-studio du boulevard Montparnasse, où on le rencontre la nuit, il y a des affiches de cinéma partout sur les murs, des pellicules éparpillées près des synthés, des piles de DVDs en vrac sur le piano : « C’est comme l’appartement de Thomas, le personnage de Blow Up de Michelangelo Antonioni. C’est mon endroit, quoi. Le sien est peut-être un peu plus ordonné. Pendant un moment, je voulais mettre un rideau, ici, pour faire un labo photo. Mais, bon, fallait virer le piano. Tu sais que ma fille est photographe ? » En 1972, il va jusqu’à déménager pour sa passion. Dans un appartement du 128
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XVIe arrondissement assez spacieux pour accueillir une salle de projection. Christophe s’installe et se tape alors des toiles avec Patrick Dewaere ou Michel Berger : « J’avais cinq cents films en 35 mm, ça fait une piaule remplie, et j’avais beaucoup de V.O., ce qui était rare. Mais je ne faisais pas payer. La flicaille s’imaginait que je m’adonnais au trafic de copies, alors ils ont fini par tout me confisquer. » À l’époque, le « Beau Bizarre » est tellement implanté dans le milieu que Fellini fait appel à lui pour récupérer une copie de La Strada : « Henri Langlois, le directeur de la Cinémathèque, lui avait dit qu’il n’y avait qu’une seule version française, et qu’elle était en ma possession. Fellini m’a alors écrit pour emprunter le film. Il voulait me rencontrer, mais j’avais autre chose à faire. » Aujourd’hui, Christophe n’a plus sa salle privée. Il garde cependant un grand écran dans sa chambre. Et de confier : « Au cinéma, j’aime bien être loin. » Loin de l’écran ou loin dans le film. ♦ Paradis Retrouvé de Christophe (BMG) Le 23 avril au MK 2 quai de Seine Cycle à retrouver sur w w w.mk 2 .com
dédicace
CASE TÊTE
Les pages audacieuses de Marc-Antoine Mathieu seront à l’honneur pour une séance de dédicace entre les cases. _Par C.Ga.
J
ulius Corentin est de retour. Mais cette fois-ci, il n’est plus le héros de sa propre histoire. D’ailleurs, y a-t-il une histoire ? Les amoureux de la série reconnaîtront derrière cette question les énigmes philosophiques chères à Marc-Antoine Mathieu. Une fois n’est pas coutume, le monde kafkaïen de son héros vaut pour laboratoire. L’auteur y tord la langue, brise les règles de la narration académique. Le livre est touché dans sa chair : l’histoire ne commence pas à la première page, la couverture se cache au milieu de l’ouvrage, certaines pages sont déchirées à dessein. Rarement l’idée de monde fantastique aura trouvé concrétisation aussi palpable. L’auteur se pose la question de la relation entre « temps contenu dans un dessin » et « taille de la case ». Plus la case est grosse, plus le temps qui s’y écoule est long. Mais l’inverse est vrai aussi. Les amoureux des récits sous contraintes (ceux de l’OuLiPo ou de Francis Masse) vont se régaler. ♦ Projection de La Planète sauvage de René Laloux, suivie d’une séance de dédicace avec Marc-Antoine Mathieu le samedi 20 avril à 10h30 au MK 2 quai de Loire Julius Corentin Acquefacques 6 – Le décalage de Marc-Antoine Mathieu (Delcour t)
la chronique de dupuy & berberian
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Le carnet de Charlie Poppins
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