Trois Couleurs #114 - Septembre 2013

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le monde à l’écran

récit du 11 sept. au 8 oct. 2013

Rencontre avec l'équipe de La Bataille de Solférino

rentrée littéraire De A à Z, on a ramassé les bonnes feuilles de l’automne

et aussi

Shirley Clarke, Serge Bozon, MGMT, Joël Pommerat…

EXCLUSIF

Visite guidée avec l'un des créateurs du jeu vidéo le plus attendu de l’année

no 114 - gratuit



Sommaire Du 11 septembre au 8 octobre 2013

éditeur MK2 Agency 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. : 01 44 67 30 00 directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) rédacteur en chef Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) rédactrice en chef adjointe Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com)

En couverture : Grand Theft Auto V En route pour le casse du siècle avec le créateur du jeu

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Édito 13 Jack Palance, le grand méchant du cinéma hollywoodien Preview 14 C’est la fin de Seth Rogen et Evan Goldberg Les actualités 16 Le tour rapide sur les chiffres, visages et infos du mois À suivre 22 Samuel Mercer dans Opium

rédacteurs Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com)

l’agenda 24

directrice artistique Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr)

histoires du cinema 29 Tip Top 29 Rencontre avec le réalisateur Serge Bozon Nouveau genre 34 Effluves capiteuses annonciatrices d’un grand péril : les femmes dans la jungle La Bataille de Solférino 36 Revue des troupes : on est parti au front tout l’été, à la rencontre des membres de l’équipe du film Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines) 46 Test autour du film d’Arnaud Desplechin : quel patient de cinéma êtes-vous ? Hollywood stories 50 Tournages infernaux, épisode 1 : Fitzcarraldo de Werner Herzog Shirley Clarke 52 Portrait de la cinéaste indépendante américaine des années 1960 Gender studies 56 La comédie féminine, épisode 1 : The Hit Girls de Jason Moore En tournage 58 Sur le plateau de Tristesse club de Vincent Mariette Portfolio 60 Dans les coulisses de la collection Christophel, caverne d'Ali Baba du cinéma Joël Pommerat 68 Rencontre cinéphile avec le metteur en scène de théâtre Scène culte 70 À nos amours de Maurice Pialat

directeur artistique adjoint Tom Bücher (hello@tombucher.com) secrétaire de rédaction Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) iconographe Juliette Reitzer stagiaires Maureen Lepers, Marie Ponchel ont collaboré à ce numéro Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Chris Bourn, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Oscar Duboÿ, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Claude Garcia, Stéphane Méjanès, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Alexandre Prouvèze, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Éric Vernay, Etaïnn Zwer illustrateur Charlie Poppins photographes Fabien Breuil,Alexandre Guirkinger publicité directrice commerciale Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) chef de projet communication Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) chef de projet Clémence Van Raay (clemence.vanraay@mk2.com)

Illustration de couverture ©Rockstar Games

© 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

Les sorties de films du 11 septembre au 2 octobre 2013

les films 73

Le meilleur des sorties en salles Les dvd 90 Happiness Therapy de David O. Russell cultures 92 La rentrée littéraire de A à Z 92 + l’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris actus mk2 130 Diffusion dans vos salles des ballets et opéras du Bolchoï et du Met

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« Il faut que l’expérience provoque une réflexion. Sinon, c’est juste une bouse commerciale. C’est pareil au cinéma, non ? »

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l’e ntreti e n du mois


e n couve rtu re

Rockstar Games est en route pour le casse du siècle avec Grand Theft Auto V. Virée exclusive dans les rues du jeu vidéo le plus important de ces dernières années, avec au volant Dan Houser, cofondateur de Rockstar Games et producteur des GTA. Par Étienne Rouillon, à Londres

D

an Houser est un homme très rare en interview, mais aussi chaleureux que bavard, le genre discret quand ses jeux font parler d’eux. D’entrée, il précise que pour les besoins de l’interview, il donnera probablement du « je » dans ses réponses, mais qu’il faut évidemment comprendre « nous, l’équipe de Rockstar Games ». Pas de fausse modestie, on n’a aucun doute sur le fait que Grand Theft Auto V soit un travail d’équipe – seul, on n’aurait pas assez d’une vie pour fabriquer ce qui est à date le titre le plus riche de l’histoire vidéoludique. Le studio monté par Dan et son frère Sam a fait de sa série GTA un chemin de choix vers l’alpha et l’omega du jeu vidéo. Cette dernière étape marque peut être la ligne d’arrivée. Deux heures avant de se retrouver dans le bureau londonien de Dan, nous étions à Los Santos, la ville virtuelle qui abrite l’action de GTA V. Une arrivée en parachute dans une cité bluffante de vie, scotchante d’étendue. GTA V révolutionne la manière dont on raconte l’histoire au joueur, un récit dialogué dans lequel celui qui tient la manette peut prendre la parole. Sur la table basse de Houser, pas de console, mais un gros bouquin sur Stanley Kubrick. Dan regrette qu’il n’ait pas achevé son film sur Napoléon. On attrape alors la perche pour tirer la bonne grosse ficelle de la question du statut du jeu vidéo par rapport aux autres formes de…

Quel est le point de départ d’un nouveau volet de Grand Theft Auto ? D.H. : On commence toujours par penser à un lieu, puis à l’histoire. Prenons GTA IV. L’idée première, c’était la reproduction de New York en haute définition. Ensuite, on a cherché un genre de héros qu’on voit rarement, un immigré, d’où l’idée de ce migrant d’Europe de l’Est qui débarque à New York. Si les choses s’enchaînent correctement par A plus B, alors le personnage et le lieu se marient, et de cette association découle l’histoire. C’est un procédé assez organique : le personnage A pénètre l’environnement B. Pour GTA V, ce fut un peu différent. On avait donc à la base cette idée de recréer Los Angeles en haute définition, en y ajoutant la campagne environnante à une échelle sans précédent. Le lieu, c’est aussi le point de départ, parce que la création de la « carte», du territoire de jeu, c’est ce qui prend le plus de temps à bâtir : les distances effarantes, les montagnes, les fonds sous-marins, la ville elle-même… Sauf qu’on cherchait autre chose sur le plan narratif. GTA IV a été suivi d’épisodes (l’un sur un gang de motards, l’autre sur le New York des paillettes) qui complétaient plus qu’ils ne prolongeaient l’intrigue. Cela fonctionnait un peu sur le mode platfromage-­dessert. On voulait dépasser cela avec une intrigue aux points de vue multiples. Et on est arrivés à cette idée de trois personnages jouables.

Dan Houser : … mais bien sûr que c’est une forme de création artistique ! C’est très français de vouloir prolonger ce débat, alors qu’ailleurs, il est réglé depuis longtemps. Le médium importe peu, c’est votre expérience qui détermine si c’est une œuvre artistique ou non. Comme pour les livres ou les films, si vous vous engagez dans une produc­tion artistique destinée au commerce, il faut que les gens y identifient un commentaire sur le monde qui les entoure, que l’expérience provoque une réflexion. Sinon, c’est juste une bouse commerciale. C’est pareil au cinéma, non ? Ce qu’il y a de particulier au jeu vidéo, c’est que nous synthé­tisons les outils des autres médias, pour les utiliser de manière inédite. Et avec un peu de bol, cela donne un résultat cohérent.

Cette multiplicité des personnages jouables présente évidemment un grand intérêt pour le scénario, mais comment la traduire dans les mécanismes mêmes du jeu ? D.H. : Trois personnages, c’est d’abord un atout en termes d’architecture de jeu. Il y a énormément de choses à faire dans ce GTA V : les missions annexes, les promenades, les minijeux… Si c’est le même héros qui fait du tennis, du saut en parachute et de la plongée, ça ne marche pas – dans le GTA IV, par exemple, on ne voulait pas que Niko puisse danser. Plusieurs personnages permettent de maintenir une cohérence, même si le contenu est très varié. Ce trio a aussi changé l’écriture, la manière dont on raconte et dont on fait progresser l’histoire. Il fallait trouver des outils narratifs puissants. suite page 8

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i n fog r aph i e

sur les routes de En quinze ans, Rockstar Games a tout autant suivi que guidé l’évolution du jeu vidéo narratif. Le secret de cette réussite réside dans le lien tissé entre l’histoire du jeu et son territoire. Comment faire avancer de concert le fil narratif et l’exploration spatiale ? Avec sa série des Grand Theft Auto, le studio a sans cesse rebattu les cartes, tout en gardant en main un jeu imbattable. Par Yann François

2001 Grand Theft Auto III

2004 Grand Theft Auto: San Andreas

(2001, sur PS2)

Le GPS à la carte. GTA III opère une petite révolution, en s’ouvrant à la vue en trois dimensions avec une caméra dans le dos du héros. Les déambulations dans Liberty City (réplique de New York) sont conduites pour la première fois par un scénario fort. Pour s’y retrouver, Rockstar Games instaure le premier système de guidage GPS dans un monde ouvert. On parle désormais de GTA-like pour qualifier les jeux qui s’inspirent de la série.

(2004, sur PS2)

Le territoire régional. Avec ce carrefour imaginaire entre la Californie, le Nevada et l’Arizona, la série explose les frontières de la ville et nous offre un pan des États-Unis. On peut visiter les répliques de Las Vegas ou de la Zone 51. Un cap est franchi : l’enceinte urbaine s’ouvre sur un territoire-monde digne d’un grand jeu de rôle sur le sol américain. On le parcourt avec la seule beauté de l’errance pour horizon, à moto comme en avion.

sarah kahn

2002

2006

Grand Theft Auto: Vice City

Canis canem edit (Bully )

(2002, sur PS2)

(2006, sur PS2)

La carte de référence. Vice City reprend les principes de son aîné pour les perfectionner, dans une reproduction survoltée de Miami à l’orée des années 1980 – fastueuse, fluo et décadente. C’est aussi un jeu de piste référentiel, avec de nombreux clins d’œil aux films et aux séries de l’époque logés à chaque coin de rue. Au volant de sa Ferrari Testarossa, on croise aussi bien les sosies bouffons de Scarface que ceux de Miami Vice.

Le plan d’évasion. Premier GTA-like de Rockstar Games, mais qui n’appartient pas à la série, Canis Canem Edit (Bully) change d’échelle  – l’enceinte scolaire et ses alentours. Dans la peau d’un ado rebelle envoyé de force dans une école privée de province, le joueur doit faire son chemin entre les salles de classe et les virées au centre ville. Plus fermé en apparence, l’espace du jeu n’en demeure pas moins d’une densité affolante.


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rockstar games 2008 Grand Theft Auto IV

Red Dead Redemption

(2008, sur PS3, X360, PC)

Cartographie de précision. Avec la nouvelle génération de consoles en haute définition, Rockstar Games revient à Liberty City pour lui donner un degré de photo­réalisme hallucinant. La ville prend vie, avec ses vendeurs de hot-dogs et ses passants pressés. La conquête de Liberty City offre une dimension plus politique avec un superbe scénario inspiré du mythe de l’immigrant qui égratigne le rêve américain avec justesse.

Midnight Club: Los Angeles

2010

2009

(2008, sur PS3, X360)

La carte routière. Détour par le jeu de course classique pour Rockstar Games, avec cet exercice de genre entièrement dédié à la conduite et au tuning. Pour autant, ce Midnight Club conserve la patte du studio. Certes le but est de finir premier sur la ligne, mais ce Los Angeles est si fouillé que l’on se surprend à faire des virées pour le plaisir d’une promenade avec dans le rétro un soleil couchant ou des gyrophares de police.

(2010, sur PS3, X360)

La carte topographique. Rockstar Games réinvente le western sur console avec un nouveau défi : quitter la ville pour la nature, la voiture pour le cheval. En plus de son personnage ultracharismatique et d’une mise en scène digne de Leone et Peckinpah, ce sont ces forêts, déserts et montagnes qui donnent le vertige au joueur. Cours d’eau, faune, flore, géologie en mouvement, l’écosystème est traversé en un grand frisson pionnier.

L.A. Noire

2011

(2011, sur PS3, X360, PC)

La carte historique. Changement de cap pour Rockstar Games, avec un jeu d’enquêtes de police. Le but n’est plus de figurer au plus vrai une ville contemporaine, mais de la reproduire sous ses traits passés, ici le Los Angeles des années 1940 et 1950, période de l'affaire du Dahlia Noir. Un L.A. en pleine expansion où certains vestiges – comme le décor pharaonique du tournage d’Intolerance, aujourd’hui disparu – vivent sous la manette.

2013 Grand Theft Auto V Grand Theft Auto: Chinatown Wars (2009, sur DS, PSP, psn)

Le doigt sur la carte. Retour à Liberty City pour un épisode centré autour des guerres entre les triades chinoises. Retour aussi à la vue aérienne des origines, mais avec une caméra entièrement libre et dynamique. Rockstar Games adapte idéalement ses mécanismes de jeu aux fonctionnalités tactiles des consoles portables. L’espace a beau tenir sur un écran de poche, le studio en fait une oasis intarissable, bouillonnante d’idées de génie.

(2013, sur PS3, X360)

Le jeu de cartes. Fini de rire. Le bac à sable devient une plage qui s’étend à perte de vue. Présenté comme son plus grand monde ouvert (plus grand que ceux de Grand Theft Auto:San Andreas, de GTA IV et de Red Dead Redemption réunis), GTA V incarne le fantasme du monde total, dans lequel chaque parcelle cache un vivier de trouvailles, à découvrir seul ou à plusieurs en ligne. Reste une question : combien de vies seront nécessaires pour explorer Grand Theft Auto V ?


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L’un d’eux, c’est la possibilité, en dehors des missions, de passer d’un personnage à l’autre à tout moment. Ces personnages vivent leur vie même quand vous ne les jouez pas. Des vies intelligemment chorégraphiées, dans lesquelles vous plongez. On transforme ainsi un déroulé d’intrigue classique en un soap opera. Pendant les missions, vous pouvez aussi passer d’un joueur à l’autre. Cela vous permet de rester constamment dans l’œil du cyclone. Les scènes d’action à deux ou trois personnages sont bien plus intenses pour le joueur. Du point de vue de la mise en récit de ces séquences, cela a aussi eu une incidence riche. Trois personnages, cela peut impliquer le risque que l’un d’eux prenne le pas sur les deux autres. Était-ce une préoccupation centrale lors de l’écriture ? D.H. : Oui, c’est une question d’équilibre. Nous cherchions un personnage de criminel plus âgé. C’est Michael, un ex-braqueur, installé en Californie – la fin de l’Amérique géographique, mais aussi la finalité d’un certain idéal américain… Nous voulions qu’il ait une famille – c’est rare, dans un jeu vidéo. Michael va replonger aux côtés de Franklin, un jeune voyou qui voit en lui un modèle. Franklin n’est pas si jeune, il a déjà connu son lot de déceptions dans ce monde de l’après-crise financière. Michael voit en lui le fils qu’il aimerait avoir. Il fallait un troisième personnage pour contrebalancer cette relation. Trevor est apparu

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dans un flash. Michael est un personnage qui veut être pardonné. Mais que donnerait un type qui s’en fout ? Qui ne veut pas grandir ? Franklin, qui n’est qu’ambition, se trouve face à deux idées du criminel : Trevor, un concentré de haine, et Michael, un concentré d’ego. L’autre élément clé, c’est le lieu, qui est centré sur une dichotomie devenue fondamentale sur le plan social aux États-Unis : le milieu urbain et le milieu rural. Aujourd’hui, en Amérique, la différence entre urbains et ruraux est peut être plus importante que la différence ethnique. La série des GTA est reconnue pour sa capacité à saisir la substance d’une ville et à dresser le portrait d’une société. Comment vous documentez-vous ? D.H. : Il faut aller sur le terrain. Beaucoup. Depuis 2008, on a été très nombreux, jusqu’à trente personnes, à faire le voyage. Faire des patrouilles avec la police, des tours avec des experts de toutes sortes, des architectes… Des guides qui peuvent vous immerger, vous faire ressentir la singularité, la substance de Los Angeles, ce qui la différencie de n’importe quelle ville américaine ou européenne. C’est une ville qui manque d’une histoire ancienne, une invention de promoteurs immobiliers et de producteurs de cinéma. Qu’est-ce que cela dit des gens qui y vivent ? Quelles sont leurs valeurs ? C’est le point final des désirs américains – l’obsession pour l’exercice physique, la chirurgie esthétique… Comment est-on gentil à Los Angeles ?

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Comment y est-on méchant ? Comment y est-on honnête, fourbe ? Il faut traduire cette masse de ressentis et de documents en un jeu. À la différence d’un reportage photo ou d’un plateau de cinéma, on doit créer un environnement qui sera parcouru. Le plus important, pour créer une ville, c’est de faire de la recherche sur le terrain, de rencontrer des gens bizarres dans des endroits bizarres. Cela ressemble aux méthodes de travail des scénaristes de séries comme The Wire ou Sons of Anarchy. Vous inspirez-vous d’œuvres récentes pour écrire un jeu ? D.H. : De moins en moins. On a regardé des classiques du cinéma qui se passent à L.A. Mais j’évite de regarder ou de lire des œuvres contemporaines, pour ne pas être influencé dans la manière de représenter la ville et ses habitants. En 2007, nous travaillions sur le personnage central de GTA IV, ce Serbe lié à la pègre russe de New York, et voilà que David Cronenberg sort Les Promesses de l’ombre, à l’univers voisin. Puis nous avons réalisé un épisode additionnel de GTA IV autour d’un groupe de bikers, et c’est là qu’a déboulé la série Sons of Anarchy – que je n’ai jamais regardée. Ça fait bizarre. C’est pour cela qu’il est important que je ne regarde pas de productions contemporaines, pour éviter de recopier malgré moi. Si d’autres font, comme nous, des recherches sérieuses sur le terrain, en faisant des rondes avec la police, en allant trouver les dealers de meth [méthamphétamine, une

« Aujourd’hui, en Amérique, la différence entre urbains et ruraux est plus importante que la différence ethnique. » drogue de synthèse hautement addictive, ndlr], il y a de grandes chances que l’on recueille les mêmes informations. Mais si l’on n’est pas influencés les uns par les autres, on aura des angles d’approche différents du même matériel. Je peux donc regarder Mad Men, parce que je ne fais pas de jeux qui se passent dans des bureaux, mais je m’interdis de regarder The Wire. La série GTA est réputée pour la qualité des musiques que l’on peut entendre dans les autoradios. Mais GTA V met aussi l’accent sur des bandes originales qui accompagnent le joueur. D.H. : Le travail sur la musique originale est exceptionnel – je peux le dire sans problème parce que je n’y suis pas pour grand-chose. Elle installe l’action, l’assaisonne, l’accompagne, sans l’écraser. On a commencé à jouer avec ces compositions originales en 2006, pour Bully. C’était cool, ça donnait

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une atmosphère, le ton de la mission, mais ce n’était pas assez interactif. Les boucles de musique sont aussi efficaces que dans un film, sauf que dans un jeu vidéo, le joueur est libre de ses faits et gestes. La musique doit le suivre à la seconde près, sinon elle peut être en dehors du rythme, de l’action, et alors on brise l’illusion. On a commencé à atteindre un résultat satisfaisant avec Red Dead Redemption, en réussissant à fondre plusieurs types de climats musicaux (action, suspense, ballade…) dans un seul et même morceau. Pour GTA V, on a poussé plus loin la réactivité entre ce qui se passe à l’écran et ce que l’on entend. GTA V abrite un GTA Online, une déclinaison multijoueur en ligne de la carte. Pourquoi avoir pensé ces deux volets de manière autonome ? D.H. : On s’est essayé au mode multijoueur en ligne avec GTA IV et Red Dead Redemption, mais seulement la moitié des joueurs en solo passaient au mode multijoueur. Pendant des années, on a convaincu – allez, on peut même dire qu’on a évangélisé – les joueurs que les mondes ouverts en solo étaient une expérience pertinente. Il n’y avait pas de raison, autre qu’une limitation technique, que l’on ne puisse pas retrouver cette pertinence en mode multijoueur. Les jeux en ligne les plus populaires – ceux de tir – se concentrent sur une expérience frénétique, compétitive. Nous voulions retrouver la patte GTA dans un monde en ligne, ce voyage qui suit le rythme du joueur dans une ambiance,

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un environnement que nous ferions évoluer en fonction des joueurs et de leur parcours. Une bonne histoire de jeu vidéo doit-elle comporter une fin, ou au contraire s’ouvrir sur un univers perpétuel ? D.H. : C’est une question cruciale. Il faut faire les deux. Avec les modes de jeu en ligne, on a un monde permanent. Des relations s’y établissent et évoluent, mais il n’y a pas d’histoire à proprement parler. Il n’y a donc pas de fin. L’idée est de mettre en place un univers en ligne qui survive à la fin de l’histoire parcourue par le joueur au fil des missions hors ligne. C’est ce que l’on a fait à la fin de Red Dead Redemption, lorsque le héros va… Non, on ne peut pas raconter la fin du jeu dans les colonnes de votre journal… Sans rentrer dans les détails, on avait plusieurs pistes pour conclure l’histoire, et on a pris la plus courageuse à nos yeux. C’est la même idée avec GTA V, on tourne le dos à l’architecture classique du genre puisqu’on vous donne accès à l’ensem­ble de la zone de jeu dès le début. On ne voulait plus se servir du classique déblocage des zones jouables comme d’une carotte qui fait avancer le joueur. Il y a un autre moyen de vous immerger dès la première seconde dans le jeu, et de vous accrocher jusqu’à sa fin : c’est l’histoire. Grand Theft Auto V Développeur : Rockstar Games Plateformes : PS3, X360 Sortie le 17 septembre

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é dito

En revanche

«

Par Étienne Rouillon Illustration Charlie Poppins

Incitations à la violence / C’est comme si pour chaque meurtre on inculpait Jack Palance. » En 1997, avec ces mots, Akhenaton revient dans la chanson Dangereux (L'École du micro d'argent, IAM) sur le tollé de son morceau Éclater un type des Assedic, sorti au moment des grandes grèves de 1995. Ce qui lui vaut une convocation devant la justice et donne de l’eau à certains moulins qui voient dans cette musique la pompe à essence d’un champ de cocktails Molotov. Qui est ce Jack Palance ? Il a le blase d’un lieutenant du gang de la Brise de mer, mais Palance est bien un acteur américain, né en 1919 de parents immigrés ukrainiens. Pilote pendant la Seconde Guerre mondiale, la légende veut qu’il ait été brûlé au visage, défiguré, rafistolé. Sa gueule fracassée de truand triste est de

tous les westerns et films de gangsters des années 1950 et 1960. Morris utilisera ses pommettes saillantes pour créer le tueur Phil Defer dans Lucky Luke. Palance meurt en 2006, après avoir refroidi une bonne partie des acteurs à l'affiche de près de quatre-vingts films. Aucun de ses rôles n’aura inspiré de meurtres dans la vie réelle. En revanche, on a salué une carrière brillante (Bagdad Café, 1987). Comme le hip-hop, le jeu vidéo a son Jack Palance : c’est Grand Theft Auto, dont le dernier volet fait la couverture de notre numéro, motivée par une rencontre exclusive avec le producteur et créateur de la série. Surtout connu du grand public – au début – parce qu’on pouvait y écraser des piétons, GTA s’est depuis imposé comme le maître étalon d’un jeu vidéo total, par la qualité de son scénario et la densité de son univers. Revanche.

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C’est la fin

James Franco organise une grosse fête avec ses potes stars de cinéma à Los Angeles. Mais l’apocalypse interrompt brutalement l’entre-soi californien. Exit Michael Cera, au feu Rihanna. Reste une bande de copains adeptes du chichon qui profitent de leurs derniers instants dans ce film déchaîné : Seth Rogen, Jay Baruchel, James Franco et Jonah Hill, dans leurs propres rôles. Un joli spécimen de film de défoncés où la ganja fait office de moteur narratif. Vrai concentré de comédie à l’américaine, ce nouveau trip des comparses Seth Rogen et Evan Goldberg livre, en ricanant, une réflexion sur le culte de la célébrité. On le comprend à demimots : Hollywood, c’est l’enfer. Clémentine Gallot

C’est la fin de Seth Rogen et Evan Goldberg avec Seth Rogen, James Franco… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h47 Sortie le 9 octobre

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Les actualités Votre film commence dans cinq minutes ? Le tour rapide sur les chiffres, visages et informations culturelles du mois. Pages réalisées par renan cros, quentin grosset, Maureen Lepers, Marie Ponchel, guillaume regourd, Laura Tuillier et ÉRIC VERNAY

> l’info graphique

Le butin des braquages au cinéma ?

L’Ultime Razzia Buster de Stanley Kubrick de David Green

Ocean’s Eleven de Steven Soderbergh

No Pain No Gain de Michael Bay

Public Ennemies de Michael Mann

(200 000 000 f [anciens])

42 806 €

(76 000 $)

56 825 €

(3 200 000 $)

(150 000 000 $)

11.6 de Philippe Godeau

2 500 000 €

112 000 000 €

11 600 000 €

(2 600 000 £)

3 000 000 €

(2 000 000 $)

1 500 000 €

Rançons, arnaques et hold-up, le crime paie sur grand écran. Dans No Pain No Gain de Michael Bay (sortie le 11 septembre), une armada de musclors moissonnent 3,2 millions de dollars. Peut mieux faire ? Revue de butins parmi les braquages cultes.

Du rififi chez les hommes de Jules Dassin

> COURT MÉTRAGE

Filmer bourré

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Si Han Solo et Chewbacca étaient ivres morts aux commandes du Faucon Millenium, pourraient-ils passer en vitesse lumière ? Début de réponse avec les réalisateurs Chris R. Wilson et Zach Persson. Ils se sont réunis un soir avec leurs scénaristes pour relever un défi : boire jusqu’à plus soif et écrire un film qu’ils feraient ensuite jouer à des acteurs parfaitement saouls (le trait est un peu forcé pour certains). Le résultat, c’est Star Drunk, un court métrage mis en ligne cet été sur YouTube, détournement marrant de Star Trek, Star Wars et Battlestar Galactica. Chris R. Wilson n’en est pas à son premier coup d’éclat en matière de science-fiction absurde. En février dernier, il avait mis en ligne Do You Love Me, le premier film scénarisé par l’intelligence artificielle Cleverbot. La légende veut qu’en leur temps Baudelaire, Rimbaud ou Verlaine aient signé quelques-uns de leurs plus beaux textes défoncés au haschish : pas sûr que Star Drunk soit l’équivalent cinématographique des Fleurs du mal, mais s’il est moins beau, il est assurément plus fun. Ma.Po et M.L.

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> LE CHIFFRE DU MOIS C’est, en pourcentage, la part du financement d’un film que serait prêt à payer le maire de Rio de Janeiro pour que Woody Allen vienne tourner dans sa ville, d'après le quotidien O Globo. La municipalité d’Eduardo Paes fait les yeux doux au réalisateur new-yorkais depuis 2010, moment où il tournait activement en Europe. Ma.Po .

Calé LE CAFÉ Pionnier des sketchs vidéos sur Internet, le collectif CollegeHumor se lance dans le cinéma avec un premier film, Coffee Town. L’histoire est signée Brad Copeland : un trentenaire simule un braquage pour empêcher la fermeture de son café préféré.

Décalé

Recalé

ENCORE LE CAFÉ Si vous passez prochainement par Los Angeles, faites un tour au Whole Foods Market : vous y trouverez du café de la marque « David Lynch ». Expresso ou déca sont à déguster en écoutant le dernier album de l’« ex-cinéaste », The Big Dream, sorti en juillet.

TOUJOURS LE CAFÉ Toujours en Californie, la patronne d’un coffee shop a cru que sa boutique était attaquée par des braqueurs, quand ceux-ci étaient en fait des acteurs en plein tournage. Drôle de boucle avec ce fait divers qui ressemble étrangement au pitch du film de CollegeHumor.

Par M.L.

> LA PHRASE

Zack Snyder

© dr

Le réalisateur de Man of Steel 2 (sortie prévue en 2015), dans Variety, à propos de Ben Affleck, choisi pour incarner Batman face à Superman (Henry Cavill) :

> Séries TV

Depuis cet été, Dailymotion joue les bienfaiteurs : la plate-forme vidéo propose une poignée de fictions inédites en streaming gratuit (et en V.O.S.T.). Le bon goût est de mise avec deux comédies british sympas (Him & Her, Threesome). On y trouve aussi l’ovni américain The Booth at the End, avec son protagoniste capable d’exaucer des vœux en échange de services, et un drame urbain remarquable, Top Boy, qui s’intéresse à des gamins des cités de l’Est londonien sur fond de trafic de drogue. G.R.

©june sato / wireimage

Inédits en streaming

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« Il a les qualités d’interprétation nécessaires pour créer le portrait nuancé d’un homme plus âgé et plus avisé que Clark Kent. »


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> Tête d’affiche

Ma vie avec Liberace vs Elysium Rococo d’un côté, gros biscotos de l’autre. Matt Damon ne cesse de souffler le froid et le chaud sur sa carrière, passant sans broncher du costume à paillettes du dernier film de Steven Soderbergh à la carapace électronique du blockbuster Elysium. Chez Soderbergh, l’acteur arbore une coupe blond peroxydé qui le rajeunit de dix ans, assumant sans ostentation le rôle d’un gigolo naïf qui s’amourache de l’idole chantante Liberace. Pour Elysium, il troque

sa tignasse et son sourire gourmand contre des traits tirés et une posture guerrière idéale pour sauver le monde. Pourtant, ce qui frappe chez Matt Damon, au-delà du raccord maquillage, c’est une constance dans le jeu, une posture en retrait qui lui permet paradoxalement d’exceller dans tous les emplois. Son allure de Monsieur Tout-le-monde, son timbre de voix doux, son regard franc sans être innocent sont autant d’attributs qui font de lui un brillant caméléon. L.T.

ENTENDU SUR LE WEB

« Perso, je pense que The Who attaquent 1D pour plagiat parce qu’ils veulent se faire connaître. » Citation extraite du Tumblr Who the fuck is the Who? qui compile les réactions des fans du boys band One Direction après que ces derniers aient été accusé d'avoir plagié le Baba O'Riley des Who.

Filiation

Gia Coppola, petite-fille de Francis Ford, présentait à la Mostra de Venise son premier long métrage, Palo Alto, un teen movie désabusé s’inspirant des nouvelles écrites par l’hyperactif James Franco, qui s’invite au casting dans le rôle d’un entraîneur de football. Ma.Po.

Découverte

Décès

Une version inédite de Malec forgeron, court métrage de Buster Keaton, a été retrouvée à Buenos Aires par le chercheur Fernando Peña, sorte de Lara Croft cinéphile. En 2008, il avait déjà mis la main sur le premier montage du Metropolis de Fritz Lang. M.L.

Alors qu’il planchait sur son quarante-sixième roman, l’écrivain et scénariste Elmore Leonard s’est éteint à l’âge de 87 ans. Il était notamment l’auteur de Punch créole, adapté au cinéma par Quentin Tarantino sous le titre de Jackie Brown (1997). Ma.Po.

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© donato sardella ; dr ; vera anderson / wire image

> dépêches



e n bre f

> En salles

© laurie sparham

Diana, héroïne malgré elle Cet été, de nouvelles informations aux sources nébuleuses ont relancé l’intérêt de Scotland Yard pour la disparition en août 1997 de la princesse de Galles, Diana. Meurtre commandité par la couronne ou par la famille de Dodi al-Fayed, les pistes soulevées entendent moins trouver la vérité que nourrir le mérite romanesque de sa biographie. Preuve en est avec Diana du réalisateur allemand Oliver Hirschbiegel, en salles le 2 octobre. On y découvre une femme dans ses dernières années, amoureuse, secrète et prête à tout pour sauver son bonheur nouveau. Portée par la prestation troublante de Naomi Watts, ce faux biopic aux allures de soap opera hitchcockien prolonge le mystère de Lady Di. C’est heureux. R.C.

©luca teuchmann / wireimage

> En tournage

• Sara Forestier est bien partie pour tourner son premier film, M. Cette histoire d’amour entre une jeune femme bègue et un marginal vient en effet de recevoir l’avance sur recettes du CNC • Jean-Paul Civeyrac adapte Victoria et les Staveney de Doris Lessing : une jeune femme noire issue d’un milieu pauvre retrouve le fils d’une famille bourgeoise avec qui elle a eu un enfant • Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni seront mère et fille dans le prochain film de Benoît Jacquot, Trois Cœurs. Charlotte Gainsbourg est également au casting.

© jen lewis

> Site internet

> Internet

Nicolas Cage partout Un vent cinéphile souffle sur les « mèmes » internet (un mème est une image récurrente déclinée en masse). Après la coolitude d’Iron Man/Robert Downey Jr. ou le scepticisme de David Lynch, c’est l’omniprésence de Nicolas Cage dans les castings qui a été moquée. Nicolas Cage as Everyone, sorte de concours informel entre internautes, a débouché

sur des milliers d’images détournées. Avec ses princesses Disney, Jen Lewis, du site Buzzfeed, a remporté la palme. Quant à Nicolas Cage, il répondait cet été au Guardian : « Je n’arrive même plus à suivre ce phénomène. Internet a créé tout ce truc autour de moi (…) et pourtant, je n’ai pas d’affinité particulière avec les ordinateurs. J’imagine que c’est une forme de preuve d’affection, mais alors, chargée d’un paquet d’ironie. » Prochain candidat au titre de « ciné-mème », Ben Affleck, cible de moult montages photo depuis qu’il reprend le rôle de Batman. Ma.Po.

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Qu’a bien pu penser Lou Reed du dernier Kanye West ? Et Laurie Anderson, du disque d’Animal Collective ? La réponse se trouve sur The Talkhouse. Lancé en 2012 par l’écrivain et journaliste Michael Azerrad, le site permet aux musiciens de chroniquer les albums de leurs confrères, plutôt que de commenter leur propre travail pour la énième fois. « Personne ne connaît mieux la musique que les musiciens », proclame The Talkhouse. Pas bête. Même si, pour l’instant, peu d’entre eux osent critiquer leurs pairs. É.V. http://thetalkhouse.com



à su ivre

Samuel Mercer À 21 ans, il incarne avec fièvre Raymond Radiguet, écrivain et amant de Jean Cocteau, dans le film musical d’Arielle Dombasle, Opium. Par Laura Tuillier – Photographie de Maya Mercer

C

’est sa première apparition sur grand écran. Mais Samuel Mercer n’a rien d’un débutant. Sa voix est d’ailleurs douce et assurée : « Je joue au théâtre depuis que j’ai 16 ans, j’ai commencé dans les pièces de mes grands-parents, Maria Machado et Roland Dubillard. » À 19 ans, Samuel Mercer entre à l’école de danse de Pina Bausch, ce qui lui permet de donner à Raymond Radiguet le relief d’un personnage qui valse en permanence entre euphorie créatrice, désir pour Cocteau et vague à l’âme de tragédien. À le voir déambuler sur une plage tangéroise, au début d’Opium, corps disponible et teint diaphane, Samuel Mercer évoque nombre de figures mythiques : l’adolescent de Mort à Venise de Visconti autant que le jeune Denis Lavant dans Mauvais Sang de Carax. Logiquement, Samuel Mercer rêve de prendre sa place « dans des beaux films sur la jeunesse, comme on a pu en voir à Cannes cette année ».

© maya mercer

Opium d’Arielle Dombasle avec Grégoire Colin, Samuel Mercer… Distribution : Margo Cinéma Durée : 1h18 Sortie le 2 octobre

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ag e n da

Sorties du 11 sept. au 8 oct. Ma belle gosse de Shalimar Preuss avec Lou Aziosmanoff, Jocelyn Lagarrigue… Distribution : Nour Films Durée : 1h20 Page 76

Elle s’en va d’Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve, Camille… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h53 Page 76

Tip Top de Serge Bozon avec Isabelle Huppert, Sandrine Kiberlain… Distribution : Rezo Films Durée : 1h46 Page 29

La Tour de guet de Pelin Esmer avec Olgun Simsek, Nilay Erdönmez… Distribution : Arizona Films Durée : 1h36 Page 76

Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh avec Michael Douglas, Matt Damon… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h58 Page 78

Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines) d’Arnaud Desplechin avec Benicio del Toro, Mathieu Amalric… Distribution : Le Pacte Durée : 1h56 Page 46

Copains pour toujours 2 de Dennis Dugan avec Adam Sandler, Kevin James… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h41

Moi & Toi de Bernardo Bertolucci avec Jacopo Olmo Antinori, Tea Falco… Distribution : KMBO Durée : 1h37 Page 78

No Pain No Gain de Michael Bay avec Mark Wahlberg, Dwayne Johnson… Distribution : Paramount Pictures Durée : 2h09 Page 73

Enfants valises de Xavier de Lauzanne Documentaire Distribution : Aloest Durée : 1h26

Les Amants du Texas de David Lowery avec Rooney Mara, Casey Affleck… Distribution : Diaphana Durée : 1h36 Page 80

La Légende de Kaspar Hauser de Davide Manuli avec Vincent Gallo, Silvia Calderoni… Distribution : Les Films à un dollar Durée : 1h35 Page 74

Océane de Philippe Appietto et Nathalie Sauvegrain avec Lou Lesage, Olivier Clastre… Distribution : Premium Films Durée : 1h45

Les Miller, une famille en herbe de Rawson Marshall Thurber avec Jennifer Aniston, Jason Sudeikis… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h50 Page 80

Gibraltar de Julien Leclercq avec Gilles Lellouche, Tahar Rahim… Distribution : SND Durée : 1h50 Page 74

Voyage sans retour de François Gérard avec François Gérard, Samy Naceri… Distribution : Oreo Durée : 1h37

L’Œil du cyclone de Fred Schepisi avec Charlotte Rampling, Maria Theodorakis… Distribution : Films sans Frontières Durée : 1h59 Page 80

11 sept.

Le Majordome de Lee Daniels avec Forest Whitaker, Oprah Winfrey… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h12 Page 74

18 sept.

The Conspiracy de Christopher MacBride avec Aaron Poole, James Gilbert… Distribution : Ouranos Films Durée : 1h25

Rock the Casbah de Laïla Marrakchi avec Morjana Alaoui, Nadine Labaki… Distribution : Pathé Durée : 1h40 Page 74

La Bataille de Solférino de Justine Triet avec Lætitia Dosch, Vincent Macaigne… Distribution : Shellac Durée : 1h34 Page 36

Les Invincibles de Frédéric Berthe avec Gérard Depardieu, Atmen Kelif… Distribution : EuropaCorp Durée : 1h38

Dehors c’est l’été de Friederike Jehn avec Maria-Victoria Dragus, Ueli Jäggi… Distribution : Damned Durée : 1h36 Page 76

The Connection de Shirley Clarke avec Warren Finnerty, Jerome Raphael… Distribution : Les Films du Camélia Durée : 1h50 Page 52

Le monde doit m’arriver de Jonathan Taïeb avec Alex Skarbek, Jérémy Taïeb… Distribution : Grizouille Durée : 1h25

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ag e n da

Sorties du 11 sept. au 8 oct. Riddick de David Twohy avec Vin Diesel, Karl Urban… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h59

Mon âme par toi guérie de François Dupeyron avec Grégory Gadebois, Céline Sallette… Distribution : Alfama Films Durée : 2h04 Page 85

Machete Kills de Robert Rodriguez avec Danny Trejo, Tom Savini… Distribution : Wild Bunch Durée : N.C. Page 88

Rush de Ron Howard avec Chris Hemsworth, Daniel Brühl… Distribution : Pathé Durée : 2h03 Page 85

Robert sans Robert de Bernard Sasia et Clémentine Yelnik Documentaire Distribution : ZED Durée : 1h30 Page 88

Blue Jasmine de Woody Allen avec Cate Blanchett, Sally Hawkins… Distribution : Mars Durée : 1h38 Page 80

The Way – La Route ensemble d’Emilio Estevez avec Martin Sheen, Emilio Estevez… Distribution : Version Originale/ Condor Durée : 2h08 Page 85

La Vie domestique d’Isabelle Czajka avec Emmanuelle Devos, Julie Ferrier… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h33 Page 88

Lettre à Momo de Hiroyuki Okiura Animation Distribution : Les Films du Préau Durée : 2h Page 82

Artémis, cœur d’artichaut d’Hubert Viel avec Noémie Rosset, Frédérique Barré… Distribution : Niz ! Durée : 1h04 Page 86

Celui que nous laisserons de Caetano Gotardo avec Fernanda Vianna, Rômulo Braga… Distribution : Damned Durée : 1h37

2 Guns de Baltasar Kormákur avec Denzel Washington, Mark Wahlberg… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h49 Page 82

La Belle et la Bête de Jean Cocteau avec Josette Day, Jean Marais... Distribution : SND Durée : 1h36 Page 100

Eyjafjallajökull d’Alexandre Coffre avec Valérie Bonneton, Dany Boon… Distribution : Mars Durée : 1h32

25 sept.

Players de Brad Furman avec Justin Timberlake, Ben Affleck… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h30 Page 82

2 oct.

Insidious 2 de James Wan avec Patrick Wilson, Rose Byrne… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h45

Sur le chemin de l’école de Pascal Plisson Documentaire Distribution : Walt Disney Durée : 1h15 Page 82

Opium d’Arielle Dombasle avec Grégoire Colin, Samuel Mercer… Distribution : Margo Cinéma Durée : 1h18 Page 22

Papa vient dimanche de Radu Jude avec Serban Pavlu, Sofia Nicolaescu… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h47

Miele de Valeria Golino avec Jasmine Trinca, Carlo Cecchi… Distribution : Jour2fête Durée : 1h36 Page 84

Diana d’Oliver Hirschbiegel avec Naomi Watts, Naveen Andrews… Distribution : Le Pacte Durée : 1h48 Page 26

Parkland de Peter Landesman avec Zac Efron, Billy Bob Thornton… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h32

Les Conquérants de Xabi Molia avec Mathieu Demy, Denis Podalydès… Distribution : Pyramide Durée : 1h36 Page 85

Fifi hurle de joie de Mitra Farahani Documentaire Distribution : Urban Durée : 1h38 Page 88

La Tendresse de Marion Hänsel avec Olivier Gourmet, Marilyne Canto… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h18

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histoires du

Récit

CINéMA

Rencontre avec l’équipe de La Bataille de Solférino p.36

Jimmy P.

Test : quel patient de cinéma êtes-vous ? p.46

Trésors du cinéma

La collection Christophel nous a ouvert ses portes p.60

« La rupture

est générale, elle est là à chaque cut. »

© alexandre guirkinger

S. Bozon

Top niveau Six ans après La France (2007), comédie musicale chez les Poilus, Serge Bozon revient avec un quatrième film au titre énergique, Tip Top, présenté à la dernière Quinzaine des réalisateurs. Coécrit avec Axelle Ropert, cette comédie policière met en scène un duo féminin étrange en prise avec le passé colonial de la France. L’occasion pour le réalisateur, qui est aussi acteur et critique de cinéma, de renouveler le paysage comique français et d’embarquer Isabelle Huppert et Sandrine Kiberlain dans une enquête sans queue ni tête mais pleine de nœuds. Propos recueillis par Laura Tuillier

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h istoi re s du ci n é ma

« Après La France, je voulais faire un film moins contemplatif, plus dru, plus contemporain. Un film avec une énergie presque vulgaire. »

© patrick muller

S. Bozon

Sandrine Kiberlain

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e ntreti e n

S

erge Bozon, c’est d’abord une voix : un débit accéléré qui révèle autant une angoisse à discourir qu’un enthousiasme fou à parler de cinéma. Un temps professeur de logique mathématique, puis critique, notamment pour la revue Trafic, il réalise son premier film, L’Amitié (1997), en neuf jours, en puisant dans ses propres économies. Cinéphile inépuisable et cinéaste prometteur, Serge Bozon tourne ensuite Mods (2002) et La France (2007), deux films infusés de musique qui posent les bases d’un cinéma érudit sans être théorique, radical sans être dépourvu de lyrisme. Entre-temps, il offre au septième art quelques apparitions réjouissantes en tant qu’acteur, notamment chez Axelle Ropert. Tip Top est sûrement le film qui traduit le mieux la fièvre bozonienne : les envolées comiques sont cadrées par un montage nerveux, l’énergie y est tour à tour euphorique et inquiète. Au centre d’une affaire policière nauséabonde avance une paire de flics mal assorties, l’une sèche (Huppert), l’autre molle (Kiberlain), que Serge Bozon dirige à merveille, poussant malaise et jubilation à leur paroxysme. Rencontre effrénée. Quelle a été la première image à l’origine de Tip Top ? Celle de la scène de fin. Disons que c’est une fin qui claque. Après La France, je voulais faire un film moins contemplatif, plus dru, plus contemporain. Un film avec une énergie presque vulgaire, quelque chose de moins raffiné. La France ou Mods appartenaient à la même communauté, les ruptures de ton étaient données par la musique. Là, la rupture est générale, elle est là à chaque cut. Et elle n’est plus seulement musicale, elle est totale, elle passe par le rapport entre les personnages, le heurt entre les générations, le montage. C’est un film sur l’altérité, comme s’il existait une perpétuelle « épreuve de l’étranger ». J’aime beaucoup cette expression qui vient du romantisme allemand.

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© ricardo vaz palma

h istoi re s du ci n é ma

« Je voulais une mise en scène frontale, arriver directement au cœur des scènes, ne pas les enrober. Au contraire, je cherchais l’abrupt. » Axelle Ropert cosigne le scénario. Elle avait déjà écrit ceux de vos précédents films. Comment collaborez-vous ? D’habitude elle écrit tout. Pour La France, je n’avais écrit que les passages chantés. Il n’y avait pas un mot de dialogue de moi. Alors que là, j’ai participé : la scène d’ouverture, c’est moi ; celle où Karole Rocher se fait interpeller par un Algérien qui n’arrive pas à joindre l’Algérie, aussi. Je ne suis pas capable d’être très conceptuel sur le scénario, j’écris mes idées de scène, et puis Axelle travaille la construction. Avez-vous beaucoup préparé le découpage du film en amont ? En général, j’allais sur les lieux de tournage avec ma sœur, qui est ma chef opératrice, et je décidais d’un découpage que j’avais déjà commencé à élaborer tout seul dans ma chambre. J’avais quelques idées directrices. Je voulais une mise en scène frontale, économe, quelque chose de très nu. Comme dans les films américains des années

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1940-1950. Je voulais arriver directement au cœur des scènes, ne pas les enrober. Au contraire, je cherchais l’abrupt. Pas de longs travellings, mais des panoramiques très secs. Plan sur un violon, panoramique rapide sur Samy Naceri, et cut. Comme une incise rythmique. Fritz Lang était très fort là-dessus. Autre principe, les scènes de nuit sont en général des plans-séquences, tandis que les scènes de jour, comme les interrogatoires au commissariat, sont découpées. Le montage joue sur le retour d’un quotidien, d’une routine qui est à chaque fois bouleversée par l’évolution étrange des personnages. L’idée était de rendre l’humour agressif, mais aussi de développer un rythme obsessionnel. J’ai beaucoup emprunté à la série B : peu de décors, retour des mêmes plans, même axe et même lumière ; peu de costumes, les acteurs sont toujours habillés pareil ; et les personnages rôdent dans ces lieux avec leurs obsessions. Je voulais rendre le film entêtant, en creusant un seul sillon.

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© ricardo vaz palma

e ntreti e n

Le rapport entre la France et ses immigrés Algériens irrigue peu à peu tout le film : c’était important pour vous ? Au début, on se dit que la mort de l’indic arabe est un McGuffin [un prétexte au développement du scénario, ndlr]. En fait, il y a une montée en puissance de cette question dans le film, c’est ça qui le sédimente. Je tenais beaucoup à ce que le film ne soit pas ludique ou fantaisiste, je ne voulais pas qu’il ressemble à la série Absolutely Fabulous. Il y a un malaise au cœur de Tip Top, c’est une question qui me travaille depuis longtemps. D’ailleurs à l’origine, La France devait se passer en Algérie, pendant la guerre d’indépendance. Je ne suis pas du tout un spécialiste de la question, mais j’ai une intuition en tant que cinéaste. Pour moi, le cinéma vient du roman, et le temps du roman, c’est le xix e siècle. On voit bien que Les Contrebandiers de Moonfleet tient davantage de Stevenson que de Joyce, c’est évident. Mais la plupart des romans sont inadaptables aujourd’hui, parce que les clivages sociaux dont ils sont porteurs ont un peu disparu de la société contemporaine. Il me semble qu’avec le rapport à l’étranger (que ce soit une religion ou une culture différente), on peut retrouver un clivage fort, de vraies différences, des ponts à franchir, une matière romanesque. Et le film arrive comme ça à parler de la France contemporaine.

Le rapport entre Esther (Isabelle Huppert) et sa collègue Sally (Sandrine Kiberlain) est également un fil conducteur du film. J’étais excité par la notion de duo. Je suis allé chercher chez Sandrine une « godicherie » diaphane, quelque chose de très attentiste. Et chez Isabelle, un mélange bizarre d’agressivité et de lenteur. Je voulais que son personnage soit un peu perdu, que ce ne soit pas le rouleau compresseur attendu. Je pensais à elle dans Loulou de Pialat ou dans Passion de Godard. Vous avez beaucoup travaillé en amont avec vos deux comédiennes ? J’ai fait zéro répétition. On surenchérit beaucoup trop sur la nécessité du travail. Sur le tournage de La Charge de la huitième brigade, Raoul Walsh ne faisait quasiment rien. Le culte de la maîtrise m’agace, tout comme l’idée qu’il faudrait tomber amoureux de ses acteurs pour bien les filmer. John Ford n’avait pas besoin de désirer John Wayne tous les matins pour le filmer. C’est plus excitant d’être léger. Tip Top de Serge Bozon avec Isabelle Huppert, Sandrine Kiberlain… Distribution : Rezo Films Durée : 1h46 Sortie le 11 septembre

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épisode 4

© christophel

Les femmes dans la jungle

Jean Harlow et Clark Gable dans La Belle de Saïgon de Victor Fleming (1932)

Les indigènes retiennent leur souffle : ils ont compris que les effluves capiteuses descendues de l’avion, du bateau, annoncent pour l’homme un grand péril. 34

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nouveau g e n re

Film noir, mélodrame, road movie… mais encore ? Derrière les dénominations officielles retenues par les encyclopédies, nous partons chaque mois à la recherche d’un genre inconnu de l’histoire du cinéma. Ce mois-ci : les femmes dans la jungle.

© mary evans / rda

Par Jérôme Momcilovic

A

Charlton Heston et Eleanor Parker dans Quand la marabunta gronde de Byron Haskin (1954)

u fond de la jungle, l’homme coule des jours paisibles. Il s’est retranché là il y a longtemps, régnant sur une plantation de cacao (Quand la marabunta gronde, Byron Haskin, 1954) ou d’hévéas (La Belle de Saïgon, Victor Fleming, 1932), un laboratoire où guérir l’humanité du cancer (Medicine Man, John McTiernan, 1992) ou sur la faune qu’il arrache à la savane pour remplir les zoos d’Occident (Mogambo, remake de La Belle de Saïgon par John Ford, en 1953 ; Hatari!, Howard Hawks, 1962). Son torse viril déborde d’une saharienne boutonnée à demi, parce qu’il fait chaud. Sur son royaume il laisse parfois glisser, quand se terminent les journées moites bientôt lavées dans un verre de Scotch, le regard serein d’un roi dont personne ne discute le trône : ni les indigènes dociles ni les bêtes féroces, qu’il a toutes domptées. Toutes, sauf une. Celle-ci n’a pas grandi dans la jungle, aussi il ne la connaît pas. Ou il l’a connue, jadis, et c’est pour la fuir qu’il s’est enfoncé dans la jungle. Descendue d’un bateau, d’un avion, elle fait irruption dans le royaume, et à son passage les indigènes retiennent leur souffle : ils ont compris que les effluves capiteuses descendues avec elle de l’avion, du bateau, annoncent pour l’homme un grand péril. Cette espèce inconnue qui fait se

figer la jungle entière à son arrivée, c’est évidemment la femme. C’est-à-dire : la femme civilisée, sophistiquée – hollywoodienne. « Dans la jungle, l’homme n’est qu’un animal de plus », philosophe Charlton Heston dans Quand la marabunta gronde. Et la femme, alors ? La femme blanche et la jungle, c’est une vieille histoire pour les studios, commencée dans les années 1930 avec un double sommet d’érotisme, l’enlèvement d’une brune (Maureen O’Sullivan) et d’une blonde (Fay Wray) par un homme-singe (Tarzan, the Ape Man, 1932) et un singe-homme (King Kong, 1933). Mais Clark Gable (La Belle de Saïgon, Mogambo), John Wayne (Hatari!), Sean Connery (Medicine Man) et Charlton Heston (Quand la marabunta gronde) n’entendent pas, eux, partager leur royaume et prient à chaque fois la belle intruse (Jean Harlow, Ava Gardner, Elsa Martinelli, Eleanor Parker, Lorraine Bracco) de rentrer par le premier bateau, le premier avion. Comment donc s’y prend la femme, qui est amoureuse, pour parvenir à ses fins ? En pliant subtilement la loi de la jungle à la loi du cœur, et inversement ; en réussissant à faire de l’homme, sans distinction, le chasseur en même temps que la proie. Au bout du facétieux safari sentimental qui clôt Hatari!, John Wayne finit par rattraper Elsa Martinelli. Mais c’est bien lui, sans aucun doute, le trophée de chasse.

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© alexandre guirkinger

LA BAT

Justine Triet, Vincent Macaigne, Virgil Vernier, Lætitia Dosch, Arthur Harari et Marc-Antoine Vaugeois septembre 2013 36


récit

AILLE

DE SOLFÉRINO

revue de troupe Dans son moyen métrage Vilaine fille, mauvais garçon (2011), Justine Triet filmait deux artistes ne parvenant pas à entamer une histoire d’amour. Son premier long, La Bataille de Solférino, ausculte au contraire un couple qui se démantèle, en prenant pour toile de fond le deuxième tour des élections présidentielles de 2012. La réalisatrice en profite pour questionner les frontières entre documentaire et fiction, intime et spectaculaire, espace publi et sphère privée. Le film est si ambitieux et stimulant qu’on est parti au front tout l’été, à la rencontre de chaque membre de l’équipe. Par Quentin Grosset

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E

n mars 2006, place d’Italie, à Paris, une dizaine de milliers d’étudiants et lycéens manifestent contre la réforme du CPE. Ceux-ci entonnent les chants repris par les sonos des organisations syndicales, tandis que le service d’ordre entoure le cortège qui commence à déborder sur les trottoirs. De simples bousculades à des accrochages plus sérieux, l’ambiance commence à dégénérer. Quelques casseurs aux visages masqués se pointent, des agressions ont lieu, les CRS balancent des gaz lacrymogènes, et les journalistes aux tendances sensationnalistes sont à l’affût d’images ravageuses. Au milieu de ce chaos, Justine Triet, 28 ans à l’époque, réalise son premier documentaire, Sur place, et filme la foule avec application : « Plus il y a de bordel, mieux ça se passe pour moi. Si tu me mettais dans une salle vide, je serais paralysée. J’aime faire des films saturés, bruyants », nous dit-elle d’un air déterminé quand on évoque son aisance à embrasser le tumulte. Virgil Vernier, grand ami de la cinéaste, rencontré aux Beaux-Arts de Paris, partage ce goût pour les grandes affluences, qu’il a lui-même pu filmer lors des fêtes de Jeanne d’Arc pour son Orleans, sorti en mai dernier. L’artiste parle de ce motif lié à l’œuvre de Triet : « La foule, c’est fascinant, c’est une sorte d’utopie révolutionnaire devenue très flippante, sans forme, sans idée, sans pensée, juste une masse compacte qui marche dans la même direction. Pour l’appréhender, Justine cherche à tenir un point de vue omniscient où il y aurait tous les axes possibles pour filmer la même action. » Un an après ces événements mouvementés, Triet est revenue sur un autre rassemblement, rue de Solférino, pour tourner un documentaire sur les deux soirées électorales des présidentielles de 2007 qui se déroulait au siège du Parti socialiste. « Ce film, Solférino, m’a permis de comprendre le déroulement d’une telle journée, de collecter des anecdotes sur les à-côtés turbulents de ce genre de manifestation ; de saisir ce que pouvait être le vocabulaire journalistique, aussi. C’était pour moi une phase d’expérimentation, car j’estime le film un peu raté. Jamais je n’aurais pensé écrire une fiction, je pensais que j’allais rester documentariste toute ma vie. » En 2009, elle réalise le documentaire Des ombres dans la maison, sur un

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« Plus il y a de bordel, mieux ça se passe pour moi. J’aime faire des films saturés, bruyants. » J. Triet adolescent et sa mère alcoolique dans un bidonville de Sao Paulo. Il marque sa première collaboration avec Emmanuel Chaumet, futur producteur de La Bataille de Solférino, mais également des films d’Antonin Peretjatko, Sophie Letourneur, Benoît Forgeard… Cette nouvelle garde, composée de cinéastes aux styles variés et tranchés, se réunit selon Chaumet autour de l’idée de la petite folie artistique, du défi : « Un film ambitieux raté est préférable à un film réussi sans ambition », résume-t-il. L’audace, dans Vilaine fille, mauvais garçon (2011), le premier moyen métrage de fiction de Triet, tenait surtout à ses acteurs, tous des proches de la réalisatrice, qui se frottaient indistinctement au réel. Les personnages, inspirés par les parcours et les épreuves des comédiens, animés par leur débit de parole ou leur gestuelle finement observée, s’inséraient ainsi dans un cadre quasi documentaire. Dans l’environnement braillard d’une soirée parisienne, Triet insufflait la vie à un récit flottant et irrésolu sur la possibilité ou non d’une histoire entre une comédienne désœuvrée et un dessinateur isolé. Une direction naturaliste, certes. Mais, plus que cela, résolument incarnée. La nature expansive et pleine de drôlerie de la formidable Lætitia Dosch – qui porte son propre prénom dans les deux films – nourrissait un personnage chancelant malgré son air enjoué. Elle est la grande révélation de La Bataille de Solférino. FAITES DES GOSSES

On retrouve donc le personnage de Lætitia dans un séjour-cuisine lumineux, avec un grand couloir, une entrée spacieuse, loin des pièces désordonnées et exiguës où on l’avait laissée. Le contraste est saisissant. Toujours en mouvement, son visage est fermé et ses gestes sont moins amples, plus nerveux, ses mains sont toujours occupées. Elle semble submergée par son quotidien. « Tout mon jeu est basé sur l’accroche à mon environnement,

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© Shellac

récit

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« Les films ont tendance à vouloir tout amoindrir. La vie est souvent plus étonnante que ce que le cinéma en représente, non ? »

© alexandre guirkinger

v. macaigne

Justine Triet et Vincent Macaigne

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récit

« Sous ses airs de femme de gauche sympathique, Lætitia se comporte par moments comme quelqu’un de droite, notamment en vendant son ex aux flics. » J. Triet comme si les objets allaient plus vite que moi », explique Dosch, qui pour La Bataille de Solférino a construit sa performance en imaginant ce qu’aurait pu devenir le personnage de Vilaine fille, mauvais garçon quelques années plus tard. « Justine me disait que je pouvais reprendre cette même élocution, cette même légèreté. Mais, dans le scénario, ce n’était pas ce langage, c’était une parole plate. Entre les deux films, je me suis demandée ce qui avait pu se passer pour que ce personnage soit si abîmé. Je jouais sur le regret d’avoir perdu une identité », ajoute la comédienne, qui nous fait remarquer que le script comportait un dialogue, finalement disparu, suggérant que Lætitia avait égaré son humour. Non plus comédienne, mais journaliste à i>Télé, Lætitia se prépare pour couvrir la journée du deuxième tour des élections présidentielles de 2012. Pendant qu’elle s’agite et qu’elle s’habille, Virgil (interprété par Virgil Vernier), son compagnon, encore en slip, s’occupe des deux filles que Lætitia a eues avec Vincent (joué par Vincent Macaigne), dont elle est séparée. Quand arrive le baby-sitter (campé par MarcAntoine Vaugeois), les deux enfants en bas âge hurlent à faire péter les tympans. Vaugeois, hilarant dans ce rôle de jeune homme débordé par ce marasme assourdissant, se souvient du tournage : « Dès que leurs parents se cachaient pour qu’on puisse tourner, les petites se mettaient tout de suite à pleurer. Ça a conditionné le ton de cette séquence

d’exposition qui dure dix minutes. Justine l’avait écrite avec une inflexion plus calme, pour que la tension monte ensuite en crescendo. » La consigne pour le baby-sitter est claire : sous aucun prétexte il ne doit laisser Vincent, présenté comme un homme dangereux par Lætitia, rentrer dans l’appartement. Macaigne explique : « Je ne me suis pas penché sur le passé de mon personnage, car je trouve ça intéressant qu’on ne sache pas qui a raison ou qui a tort. J’ai juste essayé de prendre parti du fait qu’il voulait voir ses enfants. » Triet complète : « C’est quelqu’un qui a été écarté de la société, mais je ne voulais surtout pas que ce soit une caricature de l’homme violent, il apparaît aussi très attachant. On est dans une époque où c’est compliqué de ne pas marcher dans les rangs. Et, sous ses airs de femme de gauche sympathique, Lætitia se comporte par moments comme quelqu’un de droite, notamment en vendant son ex aux flics. » Tout comme Dosch, Macaigne livre l’une de ses performances les plus impressionnantes. Avec une palette encore plus spontanée et nuancée que d’ordinaire, passant aisément du pathétique inquiet à une sorte d’effervescence dont la confusion est appuyée par ses bégaiements, l’acteur franchit un nouveau cap et acquiert une stature toujours plus imposante au sein du cinéma français. À propos de cette aura évidente, Damien Maestraggi, le monteur du film, déclare : « Avec sa personnalité très forte, son exubérance, le fait qu’il soit touchant

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© cédric sartore

h istoi re s du ci n é ma

Justine Triet (au centre) sur le tournage de La Bataille de Solférino

ou drôle, il peut vite écraser les comédiens non professionnels. L’un des buts du montage, c’est d’éviter cela. Et je crois que, dans le film de Justine, on a réussi à faire apparaître des personnages complexes à partir d’archétypes comme le baby-sitter, l’avocat, la journaliste, le marginal… » PRENDRE La bastille

Scène de liesse à Solférino. Arborant un sourire de façade, Lætitia avance de manière hébétée au milieu de militants serrés comme des sardines. Devant le cadreur d’i>Télé qui l’accompagne, elle répète les mêmes banalités à chaque direct. Pour préparer son rôle, Dosch a suivi une vraie journaliste de la chaîne, Delphine Godard : « C’est très drôle la façon dont elle travaille. Elle est enfermée dans un tout petit enclos relié à plein de fils, elle a trois portables, elle gueule. Elle a ce geste très beau que je lui ai piqué : elle parle à l’antenne et

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lorsqu’elle a fini, elle enlève son oreillette, comme si elle enlevait un masque. » Pendant le tournage, l’emballement de la cohue permet à l’actrice de se fondre dans son personnage sans craindre d’être identifiée comme partie prenante d’un film de fiction. Un type l’arrête pour la réprimander : « Je n’ai pas du tout aimé ce que vous avez dit sur les homosexuels, l’autre soir, à la télé. » Une vraie journaliste d’i>Télé vient vers elle pour lui demander, presque en pleurs, pourquoi elle lui vole sa journée. C’est elle qui doit couvrir les élections ! La comédienne ne se démonte pas et lui répond que la chaîne a envoyé une équipe en renfort, puis va tranquillement interviewer Jack Lang. Une journée type dans la vie d’une journaliste sur ce type d’événement. Sauf qu’en même temps, le personnage de Vincent s’est introduit dans l’appartement pour voir ses enfants, et que le baby-sitter a appelé le voisin pour l’en sortir. Lætitia, paniquée, a immédiatement

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récit

« Les gens se forcent à être joyeux. C’est un enthousiasme factice qui cache une tristesse et une violence profondes. » M.-A. Vaugeois éloignaient tout de suite. Je me suis dit : “Si c’est la vraie vie, si vraiment ta femme emmène tes enfants ici et que c’est dangereux, tu deviens fou.” Et puis, on crie dans la vie. Les films ont tendance à vouloir tout amoindrir. La vie est souvent plus étonnante que ce que le cinéma en représente, non ? », s’interroge Macaigne. Les résultats tombent dans l’allégresse. Lætitia va mal, mais doit garder la face pour les caméras. Du haut de ses 21 ans, Vaugeois, dont le personnage a finalement la même position impuissante que le spectateur, délivre le plus beau commentaire sur cette contradiction entre la joie d’un peuple et l’accablement de Lætitia, sur la façon dont cette situation peut intimement résonner sur nos vies : « Aujourd’hui, les événements liés au politique sont surtout médiatiques. Quand il y a des manifestations autour d’une personnalité ou d’idéaux, tout a l’air très artificiel. Le 6 mai, j’ai ressenti quelque chose de très mis en scène, on avait l’impression que tout le monde jouait le jeu d’être super excité, super content. Ça sentait le faux. Les gens se forcent à être joyeux, à danser. Quand, un peu plus tard, on revient à Bastille à la fin de la soirée, avec les bouteilles qui volent, se pètent, les gens beurrés qui se battent avec les flics, ou les CRS qui essayent de faire descendre les gens de la statue, on dirait des images de guerre civile. C’est une sorte d’enthousiasme factice qui cache une tristesse et une violence profondes. » ordonné à Marc-Antoine de ramener ses filles dans l’immense fourmilière de Solférino. Une gageure pour Triet et ses intrépides techniciens, qui vont devoir suivre leurs personnages éparpillés dans cet énorme troupeau. Le chef opérateur, Tom Harari, détaille l’organisation presque militaire des prises de vues : « On avait deux points de vue en hauteur, sur des balcons, tandis que l’action était divisée en deux pôles : un endroit où était Lætitia, et un autre où se trouvaient Vincent, le baby-sitter, et les enfants. Il fallait tout filmer dans un temps très court, car les actions étaient synchrones. Des cadreurs plus volants filmaient aussi des interviews de militants. » Vincent et Lætitia finissent par se retrouver. Devant la violence du premier, certaines personnes tentent de le calmer, ne se doutant pas qu’il joue ; parce qu’il gueule, il gueule vraiment très fort : « Pour les gens autour, c’est forcément Lætitia qui a raison, il y a des mecs qui m’en

Sans cynismE

Si c’est la superficialité de l’événement qui ressort plus que son sens, c’est que La Bataille de Solférino préfère concentrer ses développements politiques sur une séquence de dispute intense. Presque historique, cette engueulade nocturne imbibée d’alcool – tantôt triste, tantôt très gaie – questionne les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes. Le 6 mai au soir, Vincent franchit une nouvelle fois la porte de l’appartement de Lætitia, accompagné d’un ami vaguement juriste, incarné par le réalisateur Arthur Harari (La Main sur la gueule), qu’il présente carrément comme son avocat, mais qui tient en fait plutôt le rôle de juge. Celui-ci, qui parle pour la loi, qui prêche le compromis, va essayer de tempérer l’atmos­phère électrique qui siège autant dans la diégèse du film que sur le plateau de tournage. Harari explique : « C’est un terrain de jeu sur lequel les gens ne font pas que jouer, une forme de cinéma ancrée chez Renoir, Cassavetes, Pialat. Justine se

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h istoi re s du ci n é ma – récit

© alexandre guirkinger

« Tout mon jeu est basé sur l’accroche à mon environnement, comme si les objets allaient plus vite que moi. » L. Dosch

nourrit de situations qu’elle connaît, et pense très vite à des acteurs. Elle se répartit équitablement entre Vincent et Lætitia. L’idée, c’est de créer une sorte d’entropie, de chaos. Toute situation peut aussi déraper sur la drôlerie, un rire souvent nerveux, mais pas sur la dérision, parce que c’est du premier degré, il n’y a pas de cynisme. » Si le spectateur peine à s’identifier à l’un ou à l’autre, sa position peut varier au milieu même d’une séquence, à mesure que les ruptures de tons rendent un personnage plus sympathique ou plus léger. Pour preuve, ce merveilleux moment où Virgil, le nouveau copain de Lætitia, débarque en plein cataclysme et manifeste des élans presque amoureux envers Vincent. La réaction de celui-ci est imprévisible, et le jeu de Macaigne est si fin qu’on ne sait si son personnage va exploser de rire ou de furie. La tension ininterrompue depuis le début du film va s’apaiser, et Vincent va prendre un peu plus possession des

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© shellac

© shellac

Lætitia Dosch

lieux, tenter d’imposer sa virilité. Harari a un point de vue tranché sur la question : « Je pense qu’il y a un net avantage psychologique de Vincent. Derrière lui, il y a le patriarcat. Il est à l’aise dans sa monstruosité, alors que Lætitia ne l’est pas. Je trouve qu’il est plus facile d’être en empathie avec Lætitia dans le film. En même temps, c’est compliqué, car c’est le personnage le plus opaque. Quand ils promettent de se rappeler, on a l’impression que ça va repartir, qu’ils vont se réengueuler. Rien ne nous dit que ça va s’arranger. » Si bien qu’au final, on ne sait pas qui a gagné la bataille, mais on sait que personne ne gagnera la guerre. La Bataille de Solférino de Justine Triet avec : Vincent Macaigne, Lætitia Dosch... Distribution : Shellac Durée : 1h34 Sortie le 18 septembre

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h istoi re s du ci n é ma – psychanalyse

Jimmy P.

Arnaud Desplechin s’exile au cœur de l’Amérique de l’aprèsguerre pour retracer l’histoire vraie d’une amitié vertueuse dont la psychanalyse fut le terreau fertile. Avec Jimmy P., adaptation de Psychothérapie d’un Indien des plaines de l’anthropologue Georges Devereux, le réalisateur français (Rois & Reine, Un conte de Noël) signe un film classique et lumineux, et confirme qu’il est un excellent directeur d’acteurs. Par Juliette Reitzer et Laura Tuillier

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© nicole rivelli – why not production

(psychothérapie d’un indien des plaines)


E

n 1948, Jimmy Picard, un Indien Blackfoot blessé au cours de la Seconde Guerre mondiale et souffrant de troubles inexpliqués est pris en charge par l’anthropologue Georges Devereux dans une clinique du Kansas. Avec la parole pour vecteur, les deux hommes progressent de pair, le premier vers la connaissance de soi, le second vers la mise au point d’une cure psychanalytique nourrie des apports de l’anthropologie. « C’est l’histoire de deux hommes qui deviennent américains », a précisé Desplechin, lors de sa conférence de presse au Festival de Cannes, où le film était présenté en compétition. L’Indien et le Juif roumain expérimentent ensemble la satisfaction de trouver leur place. Ce mouvement vertueux donne sa tonalité au film, tout entier baigné d’une douceur sereine. Benicio del Toro déploie une vulnérabilité aussi étonnante que convaincante. Face à lui, Mathieu Amalric compose un humaniste électrisé par son sujet, plein de bonne volonté et avide de « faire le bien ». Malgré une facture et un déploiement assez classiques, qui peuvent dérouter lorsqu’on pense aux précédents films de Desplechin, Jimmy P. trouve son ampleur lorsqu’il s’attache de près à la naissance d’une amitié. Un peu à la façon de Django et du docteur Schultz dans Django Unchained de Quentin Tarantino, le couple formé par Jimmy Picard et Georges Devereux tisse un lien précieux en ce qu’il semblait de prime abord impossible. Séparés par leur statut – le patient et le docteur –, ils se retrouvent sur le terrain de la langue – leur accent respectif les sépare de la communauté locale du Kansas, en même temps qu’il les rapproche l’un de l’autre. Si le chemin est parfois monotone, à mesure que les longues discussions en champ-contrechamp s’enchaînent, la mise en récit du mécanisme psychanalytique est passionnante et ouvre la voie à des flashbacks qui, en évoquant le western américain, illustrent à mesure qu’ils resurgissent les souvenirs et sentiments refoulés de Jimmy – guerre, erreurs de jugement, traumatismes d’enfance. Arnaud Desplechin réaffirme alors son talent de metteur en scène en filmant rêves et flashbacks comme une même matière dont Jimmy doit s’emparer… scènes étranges pendant lesquelles il déambule dans son propre subconscient, d’abord hébété, puis de plus en plus vif ; d’abord au côté de Devereux, puis seul, et libre.

Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines) d’Arnaud Desplechin avec Benicio del Toro, Mathieu Amalric… Distribution : Le Pacte Durée : 1h56 Sortie le 11 septembre


h istoi re s du ci n é ma

TEST

Quel patient de cinéma êtes-vous ? Schizophrénie, hystérie, dépression ou simple névrose, de nombreux cinéastes se sont intéressés aux méandres de notre esprit. Et vous, si vous deviez faire votre analyse sur grand écran, à qui vous confieriez-vous ? Réponse au bout de ce questionnaire. Par Renan Cros

Une bonne thérapie, ça ressemble plutôt à :

Vos cauchemars ressemblent le plus souvent à :

 La danse hip-hop libératrice

 Un long travelling inquiétant

Pour vous, la psychanalyse, ça rime avec :

Le plus grand névrosé du cinéma, c'est :

 Confidences trop intimes

 Anthony Perkins, dans la série

(Patrice Leconte) T  A Dangerous Method (David Cronenberg) F  Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) (Arnaud Desplechin) D

Votre thérapeute idéal, vous l’imaginez plutôt comme :  Michael Caine, dans Pulsions,

avec des bas résille et une perruque F  Alexandre Astier, dans David et Madame Hansen, en colère et agacé T  Robin Williams, dans Will Hunting, jovial mais aussi atteint que vous D

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de David Lynch, façon Lost Highway D  Un plan-séquence étouffant de Stanley Kubrick, façon Shining T  Une plongée gore de David Cronenberg, façon Chromosome 3 F

des Psychose F  Woody Allen, dans tous ses films D  Mathieu Amalric, chez Arnaud Desplechin T

Votre série-thérapie, c’est plutôt :  Les Soprano, parce que comme Tony,

vous avez besoin de décompresser

T

même mieux en rire !

D

 Louie, parce qu’il vaut quand

 Lost, les disparus, parce que leurs

vies ont quand même l’air nettement plus compliquées que la vôtre F

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© nicole rivelli – why not production

de Mathieu Amalric, dans Rois et Reine T  L’inception prise de tête, façon Christopher Nolan D  La technique radicale Ludovico d’Orange mécanique F


psychanalyse

L’endroit parfait pour suivre une thérapie, c'est :

À choisir, vous préféreriez déprimer chez :

 Shutter Island, pour fouiller

 Wes Anderson, au moins

votre passé F  La maison familiale d’Un conte de Noël, pour régler ses comptes T  La Maison du docteur Edwardes, pour savoir qui l’on est D

on y est bien habillé

T

bousculer un peu

F

 Lars von Trier, pour vous

 Ingmar Bergman, histoire

de devenir un classique D

Votre ami imaginaire ressemble à :

Si vous deviez faire une crise, ce serait plutôt :

 B rad Pitt, alias Tyler Durden

 Une crise de nerfs aiguë, façon

dans Fight Club T  Frank, le gigantesque lapin de Donnie Darko F  Zoe Kazan, dans Elle s’appelle Ruby D

D

vous avez une majorité de

profil dépressif (type Woody Allen)

T

profil torturé (type Jimmy P.)

F

profil flippant

(type Norman Bates)

Kate Winslet, dans Carnage

 Une crise de larmes éprouvante,

façon Juliette Binoche, dans Camille Claudel, 1915  Une crise de rire libératrice, façon Valeria Bruni Tesdeschi, dans Un château en Italie

vous confiez votre thérapie à :

Woody Allen. En gros, tout va mal et vous vous demandez bien comment vous allez pouvoir survivre dans ce monde cruel. En espérant que votre sens de l’humour vous sauve, vous attendez la fin. Plutôt qu’un bon divan, on vous conseille l’intégrale de ce cher Woody, dont le nouveau film, Blue Jasmine, vient de sortir.

vous confiez votre thérapie à :

Arnaud Desplechin. La prise de tête et l’Œdipe mal placé, ça vous connaît. Souvent en colère, vous cherchez à régler vos comptes en famille. Heureusement, Desplechin s’offre ce mois-ci en salles une parenthèse apaisée avec Jimmy P., sorte de buddy movie psychanalytique sur la réconciliation. Comme quoi, rien n’est perdu.

vous confiez votre thérapie à :

Brian De Palma. Parfois, vous voyez double et votre jumeau diabolique risque à tout moment de réapparaître. Un peu flippante, votre analyse peut sortir des cadavres du placard. Ça tombe bien, Brian De Palma adore ça. Alors, histoire de vous préparer, on vous conseille de revoir son film Obsession qui ressort en salles ce mois-ci. Ça devrait vous plaire…

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F D T


h istoi re s du ci n é ma – holly wood stori e s

Tournages infernaux (1/3)

Fitzcarraldo premier épisode,

« c’est pas le pérou » En 1972, le réalisateur Werner Herzog s’enfonce pour la première fois dans la jungle péruvienne avec l’acteur Klaus Kinski, réputé pour planter nombre de projets. Ça ne loupe pas. Un jour de furie, le héros d’Aguirre, la colère de Dieu met ses affaires dans un hors-bord, bien décidé à quitter le tournage.

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© christophel

Par Étienne Rouillon

Werner Herzog et Klaus Kinski sur le tournage de Cobra Verde (1987)

J’ai une arme. Si tu prends ce bateau, sois sûr qu’avant que tu n’atteignes l’autre rive, tu auras huit balles dans la tête, et la neuvième sera pour moi. » Klaus Kinski comprend que Werner Herzog est tout ce qu’il y a de plus sérieux. Il ne pourra pas quitter sur un coup de tête le tournage d’Aguirre... Kinski se met à gueuler sur le jeune réalisateur (28 ans), lui fait ses gros yeux sidérés, secoue sa crinière, veut lui foutre dessus, réclame la police. Mais l'acteur transpire au fin fond de la forêt péruvienne – le premier poste est à des centaines de kilomètres. C’est le début d’une relation furibarde, volontiers mythifiée par les deux Allemands, comme sur cette photo de tournage pour leur dernière collaboration, Cobra Verde, en 1987 – ils feront cinq

films, grandioses. Au début des années 1980, ils se retrouvent pour Fitzcarraldo, à nouveau perdus au Pérou. Kinski remplace Jason Robards, qui a attrapé la dysenterie. Le plateau est infernal : Herzog veut notamment hisser en haut d’une montagne un bateau de plusieurs centaines de tonnes, à la force de milliers de bras de locaux. Un jour, un Indien qui dégage le plateau à la tronçonneuse se fait mordre au pied par un serpent extrêmement venimeux. Pas de sérum à disposition. Il réfléchit aux options pendant cinq secondes, prend sa tronçonneuse, se tranche le pied. Ce genre d’événement met Kinski en pétard, il n’est plus au centre de l’attention et prend alors tout pour prétexte à des vociférations sans fin. En pleine préparation d’une scène, il hurle pendant un quart d’heure contre la

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nourriture. « T’as qu’à manger ta propre merde », lui rétorque le directeur de production. Le moment est filmé, visible dans le documentaire Mon plus cher ennemi. Herzog ne prête pas attention aux cris de Kinski, mais les Indiens qui jouent dans le film apparaissent terrorisés, minés par cet énième braillement. Ils font une proposition à Herzog : on tue Kinski pour toi, ici, dans la jungle. Réponse d’Herzog : « Bon dieu non ! J’ai encore besoin de lui pour le tournage ! » Ce qui ne l’empêchera pas, plus tard, de son propre aveu, d’envisager de faire sauter la maison de Kinski avec une bombe incendiaire.

le mois prochain : Les Anges de l’enfer – Les pilotes de Howard Hughes meurent sur le tapis.



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The Connection

Shirley Clarke sur le tournage de The Connection (1961)

© dr

Shirley Clarke

D’autres voix s’élèvent pour créer un nouveau cinéma américain, en rupture avec les films faux, bien faits, roublards de Hollywood. 52

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portr ait

Focus sur la cinéaste indépendante Shirley Clarke, figure méconnue de la nouvelle vague américaine des années 1960, à l’occasion de la ressortie en salles et en copies restaurées de The Connection et Portrait of Jason, ainsi que la rétrospective que lui consacre ce mois-ci le centre Pompidou. Par Maureen Lepers

© dr

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The Connection (1961)

Nous ne voulons pas de films roses, nous les voulons de la couleur du sang », écrivent en 1961 les membres du New American Cinema Group, dans un texte à valeur de manifeste publié par la revue Film Culture. À cette époque, une odeur de rance flotte sur Hollywood. C’est l’année des Désaxés de John Huston, western crépusculaire dans lequel l’idylle des stars vieillissantes Clark Gable et Marilyn Monroe raconte en creux la fin des majors. Kennedy porte à quinze mille l’effectif des « conseillers militaires » de l’oncle Sam au Viêtnam, l’orage populaire gronde, et le public américain peine à trouver des héros de cinéma qui lui ressemble. D’autres voix, inédites, s’élèvent alors depuis New York pour créer un « nouveau cinéma américain », en rupture avec les films « faux, bien faits, roublards » de Hollywood. Entre Jonas Mekas, John Cassavetes ou Stan Brakhage, on croise la silhouette délicate et singulière d’une femme adulée des cinéphiles : Shirley Clarke. Son œuvre, moins connue que celle de ses camarades, n’en fait pas moins date.

Avec sa silhouette de gavroche et son esprit d’indépendance, difficile de croire que Shirley Clarke, née en 1919, est la fille d’un industriel multimillionnaire aux idées bien arrêtées. La jeune femme passionnée de danse, fatiguée d’entendre son père dire que danseuse et pute sont deux métiers qui se ressemblent, s’affranchit vite pour se marier et se consacrer à ses études, jusqu’à devenir chorégraphe. C’est sur ce terrain qu’elle réalise ses premiers films, des courts métrages expérimentaux placés sous l’influence d’une autre femme de cinéma, Maya Deren, grâce auxquels elle pourra intégrer, en 1955, les rangs des Independant Filmakers of America. Ce sera un tournant : elle fonde, avec Mekas, le New American Cinema Group, une organisation chargée de défendre l’existence d’un cinéma en marge des studios. Délaissant pour un temps le champ expérimental, elle fait son entrée dans le cinéma de fiction avec The Connection, un premier long métrage adapté d’une pièce de Jack Gelber créée par le Living Theater. Ses héros – une bande de junkies qui, en attendant l’arrivée de leur dealer, acceptent

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h istoi re s du ci n é ma – portr ait

© dr

« C’est juste un film. Ce n’est pas réel, enfin, pas vraiment. »

Portrait of Jason (1967)

de se soumettre à la caméra d’un documentariste – témoignent d’emblée de l’importance accordée par la réalisatrice à la réalité sociale des ÉtatsUnis, dont elle mettra en scène, successivement, les différents visages. Filmé en décor unique (un appartement désaffecté), The Connection fait grand bruit lors de sa projection à Cannes, en 1961, donnant naissance, l’année suivante, à la Semaine de la critique. Surtout, il amorce une réflexion sur la notion de vérité au cinéma, qui va irriguer toute l’œuvre de Shirley Clarke. Comme le dit l’un des personnages : « C’est juste un film. Ce n’est pas réel, enfin, pas vraiment. » Vertigineux

En 1964, The Cool World prolonge ce questionnement. Cristallisant à l’écran l’action de la cinéaste en faveur du mouvement des droits civiques, cette bombe naturaliste est, dixit la réalisatrice, « le premier film tourné dans Harlem et sur Harlem » – la plupart des jeunes acteurs sont des membres, parfois illettrés, de gangs locaux. Fidèle au passé de danseuse de Clarke, The Cool World est gouverné par le mouvement – course folle de gosses en Converse qui déambulent dans des rues cradingues ou se laissent porter par un bus qui les emmène, le temps d’une excursion scolaire, de Harlem à Manhattan, de la marge vers le centre, comme une façon d’imposer aux standards hollywoodiens une alternative poisseuse, de cadrer une population que les studios refusent de voir. Trois ans plus tard, Portrait of Jason, confession frontale et en plan fixe du gigolo noir Jason Holliday, radicalise

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encore la rupture sociale et formelle avec les studios. Shirley Clarke interroge le dispositif de l’interview, son authenticité, son degré de mise en scène. L’exercice est vertigineux et, à mesure qu’avance ce film entièrement composé autour du regard caméra de Jason, on ne sait plus si l’on est face à un personnage réel ou à un acteur. Ce paroxysme est aussi une forme de non-retour pour le « nouveau cinéma américain », engoncé dans ses principes d’indépendance et de rejet des circuits de diffusion traditionnels. Privés de visibilité, les films peinent à exister et sont consignés par Jonas Mekas à la Film Archive Anthology de New York, temple et vestige d’un cinéma américain indépendant. À la même époque, ce dernier renie son poulain, l’enfant prodige John Cassavetes, au motif qu’il est trop tenté par les lumières de Hollywood. Shirley Clarke, quant à elle, retourne à ses premières amours expérimentales et se tourne vers la vidéo, avant de refaire un passage furtif par le long métrage en 1985 avec Ornette: Made in America. Elle est morte en 1997, et l’empreinte de son œuvre est facilement repérable, quoique rarement mentionnée, chez les artisans du Nouvel Hollywood. Grands cinéastes de la figure masculine, Martin Scorsese (Mean Streets) ou Brian De Palma (Le Voyeur) doivent ironiquement beaucoup à cette petite femme aux cheveux courts et au regard vif. The Connection et Portrait of Jason de Shirley Clarke Distribution : Les Films du Camélia Sorties le 18 septembre et le 16 octobre Rétrospective Shirley Clarke au centre Pompidou, du 16 au 29 septembre

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h istoi re s du ci n é ma - g e n de r stu di e s

©universal

Chaque mois, une étude des enjeux de représentation du genre à l’écran

Dans ce film inspiré de la série musicale Glee, Beca atterrit dans un groupe de chant a capella en pleine compétition universitaire contre un groupe rival masculin

Saison 2 : La comédie féminine

1. The Hit Girls Pour ce premier volet sur la comédie féminine, retour sur The Hit Girls, désopilant campus movie passé inaperçu lors de sa sortie. Par Clémentine Gallot

Produit par Elizabeth Banks, actrice et féministe, et écrit par la scénariste de la série 30 Rock, Kay Cannon, The Hit Girls, sous ses atours de grossière comédie, œuvre de manière souterraine pour des représentations plus progres­sistes et un renouveau de la comédie féminine. Ce film choral se joue d’abord du cliché misogyne du crêpage de chignons, véhiculant depuis trop longtemps l’idée selon laquelle les femmes entre elles

ne pourront jamais s’entendre et colla­borer. S’inscrivant en porteà-faux d’une féminité traditionnelle, le film poursuit la veine « frères Farelly » amorcée par Mes meilleures amies, celle du comique sous la ceinture. Les clichés sur la masculinité, incarnée ici par un groupe de chanteurs aux trémolos vibrants, en prennent aussi un coup. Le film intègre ainsi la notion de fat-­ shaming à travers le personnage de Fat Amy, fière de son tour

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de taille (Rebel Wilson, génie venue d’Australie). Bref, un bel exemple de féminisme troisième vague, qui ne tourne pas le dos à la culture populaire. The Hit Girls de Jason Moore, disponible le 10 septembre en DVD (Universal Pictures) Pour aller plus loin : We Killed: The Rise of Women in American Comedy de Yael Cohen (Sarah Crichton Books)

le mois prochain : Huit Femmes de François Ozon



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Tristesse club

Journée de chien Fin août, en Savoie, Vincent Mariette terminait le tournage de son premier long métrage, Tristesse club, une comédie mélancolique avec Vincent Macaigne, Laurent Lafitte et Ludivine Sagnier, tous trois à la recherche d’un père disparu. Visite sur ce décor inquiétant de maison abandonnée, près d’un lac trop calme, où l’on nous a parlé de chiens errants et de vies cabossées comme une vieille Porsche accidentée.

© laurent thurin-nal

Par Quentin Grosset

L

e vieux chien regarde par terre, abattu. Il est à moitié sourd et souffre d’arthrite. À 14 ans, c’est la bête la plus âgée du chenil de Gilles, dresseur de canidés pour le cinéma : « Ross est à la retraite, il fait un peu de rab. Prendre un vieil animal comme lui, c’est un handicap, il faut lui demander de faire dix fois la même chose. » Le clébard sénile n’a pourtant pas un rôle très complexe, il doit simplement traverser la pièce dans laquelle se trouve Léon, incarné par Laurent Lafitte. Assis bien tranquillement sur le lit de sa chambre d’ado, celui-ci est censé être effrayé par Ross puis, tout à coup, penser reconnaître le labrador fidèle de ses jeunes années. Malgré les saucisses bien cachées sous les vêtements de Lafitte, le molosse grabataire semble avoir des envies d’ailleurs. Dans son très remarqué dernier court métrage, Les Lézards, Vincent Mariette, 33 ans, filmait deux

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squamates apathiques et frustrés, Benoît Forgeard et Vincent Macaigne, suant dans les vapeurs humides d’un hammam transformé en vivarium moite et exigu. Après les reptiles mous et rampants, les chiens de la casse, donc. « Tristesse club sera tout aussi composé et cadré, mais moins statique. Le ton sera celui d’une comédie triste qu’on n’arrive pas trop à appréhender », indique le réalisateur. Plutôt que le noir et blanc brumeux des Lézards, celui-ci a cette fois opté pour des teintes très douces, un peu passées. « L’ambiance sera chocolat, avec des couleurs un peu tabac », annonce Julien Roux, le chef opérateur. Aux environs de Chambéry, le cinéaste a retrouvé Vincent Macaigne, accompagné de Ludivine Sagnier et de Laurent Lafitte, pour cinq semaines d’un tournage qui s’achève lorsqu’on arrive dans le décor, une imposante baraque inhabitée et décatie bordée par le lac d’Aiguebelette qui, à l’horizon, donne sur un mont dont le sommet est caché par les nuages.

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© laurent thurin-nal

e n tou rnag e

Vincent Macaigne, Ludivine Sagnier et Laurent Lafitte

« Une comédie triste qu’on n’arrive pas trop à appréhender. » V. Mariette Comment peut-on avoir de mauvais souvenirs quand on a habité face à un si beau panorama ? Dans la pièce principale de la maison du père vidée par les huissiers, Chloé (Ludivine Sagnier) pose la question à Léon et Bruno. Vincent Macaigne joue ce dernier, un type un peu inadapté, timide, plutôt aisé financièrement, parce qu’il a créé un site de rencontres. « Il a réussi dans ce sur quoi il est mauvais, car lui-même n’est pas foutu de trouver une fille », souligne l’acteur. Le personnage de Léon, frère de Bruno, est plus sûr de lui : « C’est un sale type, un ancien tennisman professionnel qui a dû arrêter sa carrière à cause d’un souffle au cœur, nous raconte Laurent Lafitte entre deux prises. Depuis, il enchaîne les déboires professionnels et familiaux, il est en plein divorce. Avec Bruno, il se retrouve convoqué aux funérailles de son père. » Seulement voilà, au crématorium, pas de corps, pas d’amis, pas de famille. Juste cette fille, Chloé, qui prétend être leur demisœur. Le trio va tenter de résoudre le mystère des obsèques désertées. « Ce sera une quête absurde qui n’avance pas tellement, avec des rencontres bizarres qui, en creux, dessinent la figure d’un

père », développe Vincent Mariette, qui a écrit le scénario pour son projet de fin d’études à la Fémis. tas de ferraille

Au bord de l’étendue d’eau bleu-vert du lac au calme plat est garée une vieille voiture rouge à la carrosserie bosselée, « une Porsche 944 de 1986 », précise la régisseuse, qui fait visiter le plateau de tournage aux enfants du centre aéré de LépinLe-Lac, petite commune de quatre cents habitants. Ce véhicule est le seul vestige de la flamboyance passée du personnage de Léon. Ce tas de ferraille pimpant est aussi un lieu-clé du film, que Ludivine Sagnier considère comme « une sorte de road movie à la Wes Anderson, un parcours initiatique au cours duquel les personnages croisent sans cesse des chiens errants sans collier, comme une façon de figurer la crise identitaire qu’euxmêmes subissent ». Forcément, leurs péripéties vont autant abîmer le véhicule que le petit club formé par ces trois protagonistes névrosés. On ne s’étonne donc pas quand, entre deux prises, on tombe sur Macaigne et Sagnier absorbés par un test de Psychologies magazine. Pas de surprise non plus quand cette dernière, en souriant, nous montre fièrement le gros hématome qu’elle a sur le bras, un petit accident de tournage. Alors, qui veut sa carte de membre ? Tristesse club de Vincent Mariette avec Vincent Macaigne, Ludivine Sagnier… Sortie : prochainement

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h istoi re s du ci n ĂŠ ma

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portfolio

affaires classées

D

par juliette reitzer photographies de fabien breuil

ans une vaste pièce souterraine carrelée de blanc, sous la lumière crue des néons, des dossiers suspendus recouvrent les murs, du sol au plafond. Pas très glamour. Et pourtant, on est au cœur de l’une des plus vastes collections d’images originales de cinéma au monde. Serge Darmon, quinquagénaire avenant, est le propriétaire de la collection Christophel, installée là depuis 1985. Il a nourri sa cinéphilie au rythme des presses de l’entreprise paternelle, qui imprimait les dossiers de presse et les photos affichées dans les salles de cinéma (dites « photos d’exploitation ») pour tous les distributeurs

de films en France. Au début des années 1980, il complète les archives de son père en rachetant les collections d’un fan de westerns (le fameux Christophel), puis écume les fonds privés, les salles de vente, les caves des studios et des magazines de cinéma. Un trésor compilé dans des dossiers – il y en a deux cent mille. Sur la tranche de chacun, le titre d’un film est noté à la main. Cette photothèque patiemment constituée n’est accessible qu’aux professionnels – presse écrite, télévision, sociétés de production, éditeurs de DVD, festivals de cinémas. Elle recèle des merveilles : photos et documents destinés à la presse de l’époque, affiches et photos d’exploitation.

– un fonds abyssal –

À l’intérieur de chacun des deux cent mille dossiers entreposés, des dizaines de photographies couleurs et noir et blanc. Ci-dessus, le jeu d’exploitation d’Abyss, le film de James Cameron (1989). Serge Darmon estime posséder du matériel pour environ 90 % des films sortis en France depuis les débuts du cinéma parlant, et pour environ 30 % de ceux sortis au temps du muet.

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h istoi re s du ci n é ma

– entre les mains –

« Dites-moi un film que vous aimez ! », lance le propriétaire des lieux. De Brève rencontre de David Lean (1945), au Village des damnés de John Carpenter (1995), ça marche à tous les coups : en une minute, on a entre les mains un foisonnant dossier tout droit sorti du passé. La magie des lieux tient au plaisir nostalgique des archives physiques, à l’heure du tout numérique.

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– pot belge –

Les plus belles affiches de la collection sont les affichettes belges des films hollywoodiens d’aprèsguerre. « L’affichette belge, c’est un sport de collectionneur. Elles sont plus travaillées que les affiches françaises. Après 1939-1945, il restait beaucoup de bases américaines en Belgique, donc les films hollywoodiens sortaient en plus grand nombre là-bas qu’ici. »

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– poubelles –

Serge Darmon a chiné aux États-Unis beaucoup de jeux d’exploitation américains – ici celui de La Chevauchée fantastique de John Ford (1939). « À New York, il y avait ce type, Jerry Ohlinger, qui avait des centaines de cartons dans une boutique dég ueulasse en entresol, récupérés dans les poubelles des grands studios. À chaque fois, j’en revenais avec deux valises pleines. »


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Affiches originales des Visiteurs du soir de Marcel CarnĂŠ (1942), de Jason et les Argonautes de Don Chaffey (1963), de Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe... sans jamais oser le demander de Woody Allen (1972) et de Vivre et laisser mourir de Guy Hamilton (1973).

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intérieur nuit

© agathe pommerat

Joël Pommerat

« L’opération a été très douloureuse. Je me rêvais homme de cinéma, et j’ai anéanti ce rêve. » 68

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re ncontre

Silhouette effilée, le fabuliste taiseux Joël Pommerat a inventé un théâtre d’angoisse d’une excellence inégalée en imaginant des voisinages avec son premier amour, le cinéma. Rencontre en clair-obscur avec ce grand réalisateur de spectacles, qui ouvre la saison en reprenant trois de ses plus belles œuvres.

P

par Ève Beauvallet

as question d’adapter des chefsd’œuvre du cinéma au théâtre ou de caster des stars du grand écran, aucune volonté de rendre les armes pour passer à la réalisation de films… Et pourtant, Joël Pommerat, auteur de fables documentaires convoité à l’international, s’impose en réinventant les liens entre théâtre et cinéma. Ses plateaux, où la sophistication des outils rencontre l’épure d’écriture du conte, sont éminemment cinégéniques. Montage et traitement sonore lynchéen, maîtrise des durées hitchcockienne, atmosphères fantastico-chelou façon Atom Egoyan… Le Petit Chaperon rouge, Les Marchands, Ma chambre froide, chaque best-seller est une caverne magique pour tout cinéphile excité par les jeux de correspondances et de filiations. « J’ai grandi avec bien plus de références du côté du cinéma que du théâtre », commence-t-il, citant Éric Rohmer pour l’art du dépouillement, Raymond Depardon pour la façon de capter les présences, Federico Fellini et « celui auquel vous pensez sûrement », David Lynch. Alors quoi ? Joël Pommerat se serait-il trompé de médium ? Il y a longtemps, la question s’est formulée dans l’amertume. Pommerat se destinait initialement au cinéma, il avait commencé à préparer un film (« la réécriture d’une pièce, Les Événements »). Mais du rythme de la production à l’obligation d’écrire trop en amont, rien ne correspondait à celui qui, désormais, écrit ses textes au fil de la création plateau. « La frustration au cinéma a été telle que j’ai pris la décision de ne jamais y revenir, de me consacrer exclu­sivement au théâtre, tranche-t-il. L’opération a été très douloureuse. Je me rêvais homme de cinéma, et j’ai anéanti ce rêve. » Pommerat se reconstruira sur ce deuil, sans jamais penser à faire du théâtre faute de mieux. La renaissance s’appelle la compagnie Louis Brouillard, créée en 1990, et son nom sonne comme une revanche mélancolique sur le père du cinéma, Louis Lumière. micro polémique

Dès 1994, Pommerat se distingue par une façon perturbante – et polémique, à l’époque – d’utiliser la sonorisation des voix. Le micro, pour lui, « ne sert pas seulement à ce que l’on entende mieux les acteurs. Il sert à placer la voix dans un espace particulier, à construire d’autres architectures, à

travailler des tensions entre distance et proximité ». Peu à peu, on entend dire qu’il est le seul à savoir faire peur au théâtre. On parle de ses pièces en termes de cadrage, de gros plans sonores. Mais surtout, on commence à souligner l’influence de David Lynch : même fragmentation de la narration, même obsession pour les frontières du réel et de l’illusion, même façon de travailler la dramaturgie sonore… « J’ai découvert le travail de Lynch sur le tard, peutêtre deux ans après la sortie de Mulholland Drive. Mon obsession est de créer de purs instants de densité, d’intensité de présence. Quand j’ai découvert sa manière d’utiliser des flux de bourdonnements sonores, je me suis dit : “Mince, il travaille dans cette direction depuis bien plus longtemps que moi, et de manière plus aboutie !” La question alors était de savoir si j’allais l’ignorer ou m’en nourrir. » dépasser les limites

La réponse se trouve dans la pièce culte de Pommerat, Je tremble, sorte de dérivation de la séquence du cabaret Silencio de Mulholland Drive. On y trouve l’excellence du style de l’auteur, résultat d’une entente esthétique parfaite avec son scénographe Éric Soyer. Tous deux partagent les intuitions suivantes : ne pas considérer le visage des acteurs comme le centre névralgique du drame ; pas de projecteurs à la face ; travailler la lumière en négatif, dans la dissimulation, dans l’envers. « Ce qui m’intéresse, précise Soyer, c’est de moduler l’espace, pour que le spectateur oublie les limites physiques de la scène, en travaillant parfois des effets dynamiques sur les ouvertures et fermetures de scène. En cela, on peut dire que l’on tend vers le cinéma. » Difficile d’oublier, dans le dernier spectacle de Pommerat, La Réunification des deux Corées, la scénographie bifrontale (deux gradins de spectateurs qui se font face) qui offrait à Soyer un très grand panoramique. Grâce à des vidéoprojecteurs qui balayaient le sol de lumières, le moindre froissement de robe, la moindre tasse de thé avaient tendance à faire flipper. On s’était dit alors que chez Pommerat, le théâtre était bien le futur du cinéma. Au monde, du 14 septembre au 19 octobre et Les Marchands, du 18 septembre au 19 octobre au théâtre de l’Odéon La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce, du 9 octobre au 16 novembre au théâtre des Bouffes du Nord

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h istoi re s du ci n é ma - scè n e cu lte

La réplique :

« Pour une fois qu’on a bien parlé, tiens. »

À nos amours

Sorti en 1983, À nos amours est l’œuvre de la maturité pour Maurice Pialat. Le film révèle Sandrine Bonnaire, 15 ans, qui compose le personnage de Suzanne, inoubliable adolescente révoltée qui couche pour ne pas pleurer. Dans cette séquence, Pialat et Bonnaire, dans les rôles du père et de sa fille, improvisent un dialogue bouleversant.

©gaumont

Par Laura Tuillier

Sandrine Bonnaire et Maurice Pialat dans À nos amours (1983)

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uzanne rentre tard à la maison. Un montage alterné la montre en train de masquer un suçon qu’elle a dans le cou, tandis que son père, fourreur, travaille dans le salon – qui fait également office d’atelier. Lorsqu’elle le rejoint dans le cadre, elle mange une tranche de jambon avec désinvolture. Le dialogue débute en plan rapproché, comme une banale discussion enfant-parent, elle impertinente, lui moralisateur. La caméra se rapproche une première fois du visage de Suzanne qui fait la bise à son père, initiant la fin de la séquence. C’est à ce moment-là qu’on devine le début d’une improvisation entre les acteurs, qui les entraîne vers un sommet d’émotion contenue. Au lieu d’aller se coucher, Suzanne fixe son père, en amorce du cadre, d’un air inquiet. La jeune

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fille est maintenant filmée en gros plan. Les questions de son père – « Tu souris plus beaucoup. Qu’est ce qui va pas ? » – semblent la mettre en porte-à-faux. Lorsque le contrechamp sur Pialat arrive, il entame une confession – « Je ne suis pas triste, je suis fatigué » –, qui se clôt par un verdict sans appel : « Je crois que je vais vous quitter, Suzanne. » À partir de ce moment-là, les visages, proches, annoncent une complicité inouïe entre le père et la fille, capables de se parler, comme des grands, des choses de la vie. À nos amours de Maurice Pialat avec Sandrine Bonnaire, Maurice Pialat… Durée : 1h42 Disponible en DVD (Gaumont)

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les F I L M S du 11 sept. au 2 oct. Blue Jasmine

Woody Allen de retour en Amérique avec Cate Blanchett p.80

Lettre à Momo

Une petite fille chagrine rencontre d’étranges monstres p.82

Miele

Premier long métrage grave et pudique de Valeria Golino p.84

No Pain No Gain Le rêve américain dézingué par son plus grand chantre : tel est le concept fou du dernier film du réalisateur de Bad Boys, Armageddon et Transformers, Michael Bay. Par Julien Dupuy

Derrière ses airs de chronique sociale à petit budget, No Pain No Gain reste bien une œuvre de Michael Bay, empereur incontesté du blockbuster décérébré et désinhibé. Seul son cinéma dopé aux stéroïdes et dégoulinant de testostérone pouvait rendre justice à cette peinture d’une rare violence de la décadence de l’Empire américain. Les biscotos luisants et la veine saillante, trois bodybuilders obsédés par la réussite s’associent pour un kidnapping qui vire au jeu de massacre. Lorsqu’il expose sa vision du monde, le personnage principal, Daniel Lugo (Mark Wahlberg), met en parallèle l’histoire des États-Unis et le bodybuilding : accroître par la force de maigres acquis (les colonies/ les muscles), jusqu’à dominer le monde. Ainsi, à l’exception d’un privé évoluant en marge du système, tous les personnages ne vivent que dans cet objectif : augmenter, coûte que coûte, leurs biens matériels, qu’il

s’agisse de leur corps ou de leur compte en banque. Une voracité frénétique et stérile qui débouche, fatalement, sur l’horreur. No Pain No Gain a beau être d’une rare cruauté vis-à-vis de ces amas de chair, de silicone ou de dollars en quête éperdue de sens, l’empathie de Michael Bay pour ses personnages l’absout de tout cynisme. Ainsi, une ultime pirouette scénaristique rappelle que ces enfants monstrueux du rêve américain ne sont que les victimes d’un système dysfonctionnel, incapable de gérer ces rejetons honteux. Pas de doute : sous ses quintaux de muscles agités de rires gras, No Pain No Gain a bien un cœur qui bat. de Michael Bay avec Mark Wahlberg, Dwayne Johnson… Distribution : Paramount Pictures Durée : 2h09 Sortie le 11 septembre

©jaimie trueblood

La technique L’homme aux caméras Pour répondre aux besoins du réalisateur Michael Bay, le directeur de la photographie de No Pain No Gain, Ben Seresin, a utilisé plus de cinq modèles différents de caméras au cours du tournage, mélangeant les supports avec une audace inédite. Son équipement allait des classiques caméras argentiques 35 mm, principalement utilisées pour les

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scènes diurnes, aux caméras numériques, adoptées pour leur grande sensibilité à la lumière, en passant par les appareils photos 7D de Canon et même les minuscules GoPro, des caméras destinées à l’origine aux sports de l’extrême et dont la souplesse d’utilisation a permis la réalisation d’images d’un rare dynamisme. J.D.


les fi lms

> Le Majordome

La Légende de Kaspar Hauser

L’histoire des États-Unis et de la lutte pour les droits civiques vue à travers l’expérience d’un Afro-Américain qui fut au service de sept locataires de la Maison Blanche. Le personnage du majordome est incarné par Forest Whitaker. É.R. de Lee Daniels (2h12) Distribution : Metropolitan FilmExport Sortie le 11 septembre

Un prince héritier nommé Kaspar Hauser, disparu depuis de nombreuses années, réapparaît en bord de mer. Ou quand une vieille légende bavaroise adopte le tempo d’une electro surexcitée. > Gibraltar

Par Quentin Grosset

« Je suis venu calme orphelin / Riche de mes seuls yeux tranquilles / Vers les hommes des grandes villes / Ils ne m’ont pas trouvé malin », écrivait Paul Verlaine, dans un poème consacré à Kaspar Hauser, un adolescent ayant vécu à Nuremberg, en Allemagne, au xix e siècle. Cet enfant sauvage, surnommé l’Orphelin de l’Europe – il a inspiré plus de trois cents livres –, a été séquestré jusqu’à ses 16 ans, avant de découvrir la civilisation, puis d’être assassiné quelques années plus tard pour, si l’on en croit la rumeur, masquer une noble ascendance. Le réalisateur italien Davide Manuli ne retient que les grandes lignes du mythe, pour en livrer une version très personnelle, rythmée par l’electro de Vitalic, dont la puissance s’accorde si bien avec les paysages déserts du film, magnifiés par un noir et blanc éclatant. Car l’intrigue a été délocalisée sur une

île rocailleuse, dans des temps indéfinis où l’on peut apercevoir des soucoupes volantes à l’horizon. Le corps androgyne de Kaspar Hauser (incarné par Silvia Calderoni) arrive par la mer et se fait recueillir par le shérif (Vincent Gallo). Celui-là l’élèvera pour en faire le plus grand DJ du monde, une sorte de messie. Mais la grande-duchesse de l’île (Claudia Gerini) mettra son amant, un dealer et tueur à gages, sur la route de Kaspar. Bien loin du réaliste L’Énigme de Kaspar Hauser (1974) de Werner Herzog, ce film en transe réinterprète l’histoire de l’héritier supposé avec la poésie graphique d’un Jodorowsky et un zeste d’absurde à la Quentin Dupieux. de Davide Manuli avec Vincent Gallo, Silvia Calderoni… Distribution : Les Films à un dollar Durée : 1h35 Sortie le 11 septembre

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Le scénariste d’Un prophète et de Mesrine s’inspire de l’histoire vraie de Marc Fiévret, père de famille et indic des douanes françaises infiltré dans un réseau à Gibraltar, plaque tournante de la cocaïne colombienne à destination de l’Europe. É.R. de Julien Leclercq (1h50) Distribution : SND Sortie le 11 septembre

> Rock the Casbah

Une famille marocaine, aussi explosive qu’un morceau des Clash, périclite après le décès du patriarche. Tiraillé entre respect de la tradition et modernité, les femmes encerclant le défunt vivent chacune leur propre révolution. Un vrai souk. Ma.Po. de Laïla Marrakchi (1h40) Distribution : Pathé Sortie le 11 septembre



le s fi lm s

Ma belle gosse Par L.T.

L’île de Ré pendant les vacances d’été. Maden et ses deux sœurs font l’expérience de l’adolescence : fous rires, désœuvrement, secrets… Maden surtout cache le sien, une mystérieuse correspondance avec un détenu. Shalimar Preuss, dont c’est le premier film, tente de laisser vivre ses acteurs pour capter les petites choses qui volent dans l’air estival. Malgré les saillies volontaristes du scénario, Ma belle gosse sait faire surgir le parfum, fugace mais délicat, de la saison la plus cinégénique. de Shalimar Preuss avec Lou Aziosmanoff, Jocelyn Lagarrigue… Distribution : Nour Films Durée : 1h20 Sortie le 11 septembre

La Tour de guet

Elle s’en va

Par L.T.

Dans une région rurale de Turquie, Nihat accepte un emploi de gardien dans une tour de guet isolée. En bas de la colline, la jeune Seher abandonne ses études pour devenir serveuse dans une station-service. Prenant comme points de départ deux solitudes douloureuses, la réalisatrice organise avec intelligence leur rapprochement incertain. Soignant ses cadres et profitant de décors naturels somptueux, le film prend son ampleur lorsque la rencontre, longtemps retardée, devient inévitable.

à une stase estivale. S’il peine à surmonter une certaine fadeur, ce teen movie initiatique ménage une solide acmé émotionnelle (jeune fille en f leur vs voisin libidineux).

Bettie pète les plombs. Cette fringante sexagénaire, qui vit encore chez sa mère, abandonne sans prévenir le restaurant familial, pour partir prendre l’air sur les routes de France. L’occasion pour elle de faire moult rencontres, d’un jeunot avec qui elle passe la nuit, à son petit-fils qui la suivra jusqu’à la fin du voyage. Emmanuelle Bercot prend un réel plaisir à filmer une Catherine Deneuve en goguette, tantôt insatisfaite et inquiète, tantôt charmante et enfantine dans son ciré jaune.

de Friederike Jehn avec Maria-Victoria Dragus, Ueli Jäggi... Distribution : Damned Durée : 1h36 Sortie le 11 septembre

d’Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve, Camille… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h53 Sortie le 18 septembre

de Pelin Esmer avec Olgun Simsek, Nilay Erdönmez… Distribution : Arizona Films Durée : 1h36 Sortie le 11 septembre

Dehors c’est l’été Le premier film attentif de la jeune cinéaste berlinoise Friederike Jehn chronique le déménagement d’une famille allemande en Suisse à travers les yeux de leur fille adolescente, Wanda. Celle-ci, incarnée avec doigté par la jeune actrice ambiguë du Ruban Blanc, Maria-Victoria Dragus, peine à sortir de l’enfance et s’abandonne

Par L.T.

Par C.G.

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Moi & toi Par Laura Tuillier

Après dix ans d’absence, Bernardo Bertolucci est revenu dans son pays natal, l’Italie, pour tourner ce qui ressemble à un premier film indépendant. Lorenzo, issu d’une famille de la grande bourgeoisie romaine, est un ado en crise qui semble ne pas encore avoir digéré son Œdipe. Au lieu de partir en classe de neige, il imagine une retraite dans la cave de l’appartement familial. L’organisation méthodique de ce geek aux yeux clairs (inquiétant, façon Malcolm McDowell) se trouve bouleversée lorsque débarque sa demi-sœur délurée, junkie en cours de sevrage qui ne va plus le laisser tranquille. Comme dans Innocents (2003), huis clos parisien en Mai 68, Bernardo Bertolucci excelle à créer des espaces confinés en redéfinition

constante, modelés par les personnages qui s’y cachent. Ainsi, la cave se transforme, de séquence en séquence, en trou sordide que les ados remplissent de leur tristesse, en caverne d’Ali Baba propice à la régression ou en salon artistique qu’ils investissent gaiement. Lorgnant vers le film de vampires, cette histoire d’amour

platonique gentiment gothique (The Cure et David Bowie en bande originale) prouve une fois encore que le padrone italien sait rester jeune. de Bernardo Bertolucci avec Jacopo Olmo Antinori, Tea Falco… Distribution : KMBO Durée : 1h37 Sortie le 18 septembre

Ma vie avec Liberace Par É.R.

Moins connu en France que les magiciens Siegfried et Roy, Władziu Valentino Liberace fut l’une des figures artistiques majeures de Las Vegas. Ce pianiste surdoué se fit connaître dans les années 1950 par ses récitals exubérants mêlant sketches, musique classique et ragtime, garde robe au kitch sans limites

et arrivées sur scène par les airs ou en Rolls-Royce. Le chauffeur de celle-ci, Scott Thorson, eut un autre métier pendant une dizaine d’années : celui d’amant et d’amuseur de Liberace. Un rôle bien amer dans la douceur de l’éclat des candélabres, qui après avoir fait briller l’amour du couple ne fait plus que jeter une

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lumière crue sur la déchéance de Scott, rongé par les drogues et les coups de bistouri. Les feux de la rampe ne repousseront qu’un temps la vieillesse et la maladie qui frappent Liberace, mort du sida en 1987. Passée la surprise transformiste du très convaincant couple Douglas-Damon, Soderbergh réussit à nous faire étouffer de concert avec Scott Thorson, qui halète dans les appartements de Liberace où sa place est celle d’un bibelot. Le film perd de son souffle par moments, contraint par les temps faibles biographiques, mais respire une intelligence du portrait. de Steven Soderbergh avec Michael Douglas, Matt Damon… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h58 Sortie le 18 septembre



les fi lms

> L’Œil du cyclone

Blue Jasmine Après son tour d’Europe, Woody Allen réinvestit le territoire américain pour une tragi-comédie cruelle sur l’amour post-Madoff. Du Woody amer mais corsé. Par Renan Cros

Que ce soit Annie Hall, Alice, Hannah et ses sœurs ou encore Vicky Cristina Barcelona, le cinéma de Woody Allen n’est jamais meilleur que lorsqu’il s’écrit au féminin. Mettant de côté pour un temps son projet de filmer l’Europe façon carte postale, Woody atterrit sur le sol américain pour rejoindre son héroïne, Jasmine (Cate Blanchett), venue rendre visite à sa sœur, Ginger (Sally Hawkins), qu’elle méprise. Entre elles, les barreaux d’une échelle sociale à deux vitesses. Mais quand Jasmine se retrouve à sec suite aux malversations de son mari, le conflit de classe vire soudain à la leçon de vie. Rendue à demi folle, Jasmine doit se réinventer et entraîne avec elle sa sœur dans une quête éperdue et illusoire du bonheur. Miroir aux alouettes, cruauté des rapports humains, dégringolade des états d’âme, on retrouve ici tout ce

qui fait le sel des plus noirs films d’Allen. Sans concession, mais avec empathie, il n’hésite pas à faucher en plein vol l’arrogance et la morgue de son héroïne que l’on s’étonne souvent de voir encore debout. La sécheresse du film rappelle celle de Tennessee Williams – l’ombre d’Un tramway nommé Désir plane au-dessus de ce récit à tiroirs qui se resserre petit à petit sur une héroïne circulant entre les fantômes de son passé et les lambeaux de son présent. Récit d’une femme amoureuse, satire sociale, comédie amère sur la quête du bonheur, Blue Jasmine zigzague entre les personnages pour dessiner un monde où la crise financière est avant tout une crise de larmes. de Woody Allen avec Cate Blanchett, Sally Hawkins… Distribution : Mars Durée : 1h38 Sortie le 25 septembre

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Pèlerinage familial accidenté dans la haute société australienne. Charlotte Rampling prête ses traits à une vieille femme acariâtre en pleine réminiscence affective au retour de ses enfants. L’ambiance est électrique et le climat tempétueux. Ma.Po. de Fred Schepisi (1h59) Distribution : Films sans Frontières Sortie le 18 septembre

> Les Amants du Texas

Bob et Ruth, un couple de gangsters, s’aiment mais sont rapidement séparés par la loi. David Lowery injecte une bonne dose de Terrence Malick dans cette histoire à la Bonnie and Clyde et compte sur ses acteurs (Ben Affleck et Rooney Mara) pour faire le reste. L.T. de David Lowery (1h36) Distribution : Diaphana Sortie le 18 septembre

> Les Miller, une famille en herbe

Le réalisateur de Même pas mal ! (Dodgeball) retrouve ses premières amours, la comédie débridée, avec cette histoire de dealeur à la petite semaine obligé de monter de toutes pièces une famille parfaite composée d’une strip-teaseuse et de deux ados paumés. É.R. de Rawson Marshall Thurber (1h50) Distribution : Warner Bros. Sortie le 18 septembre



le s fi lm s

Lettre à Momo Sur une île couleurs pastel de la mer intérieure de Seto, une petite fille chagrine est visitée par d’étranges et grotesques monstres. Le Japonais Hiroyuki Okiura signe un film d’animation d’une justesse rare. Par Juliette Reitzer

À bord du bateau qui l’emmène, avec sa mère, sur l’île de Shio, où elles vont désormais vivre, Momo, 11 ans, déplie une feuille de papier où sont écrits ces seuls mots : « Chère Momo. » Un flashback nous apprend bientôt qu’elle a trouvé ce courrier inachevé sur le bureau de son père, qui vient de mourir. Lourde de cette peine, la gamine soucieuse et réservée découvre son nouveau village – pour elle qui vient de Tokyo, c’est l’ennui annoncé. Sauf que déboulent dans sa vie trois yōkai, des monstres bizarres qu’elle seule peut voir : un grand dadais verdâtre et flasque, une sorte de Gollum simplet à la langue pendante et un sumo poilu, la bouche figée dans un rictus métallique. D’abord liquéfiée de terreur, la fillette finit par se familiariser avec la présence de ces créatures dissipées et chapardeuses, dont on ne dévoilera pas ici la mission. Hiroyuki

> Players

Cocktails, poker et arnaques sont réunis dans ce thriller où Justin Timberlake campe un étudiant surdoué en mathématiques contraint de s’associer à l’escroc Ben Affleck pour payer ses études. Un casting glamour, pour un divertissement forcément efficace. M.L. de Brad Furman (1h30) Distribution : 20th Century Fox Sortie le 25 septembre

Okiura a choisi pour Lettre à Momo, son deuxième film après Jin-Roh, la brigade des loups en 1999, une méthode d’animation traditionnelle (avec un papier et un crayon) qui confère à l’ensemble un réalisme bluffant, tant dans le rendu des mouvements des personnages que dans l’expression de leurs tourments intimes. Mais le sérieux du récit initiatique, qui voit Momo cheminer vers l’adolescence, entre le deuil de son père et les conflits avec sa mère, est joliment adouci par l’humour trivial apporté par les yōkai, qui pètent pour repousser des sangliers énervés et remuent leur popotin pour entrer en contact avec l’au-delà. Réjouissant. de Hiroyuki Okiura Animation Distribution : Les Films du Préau Durée : 2h Sortie le 25 septembre

> 2 Guns

Mark Whalberg et Denzel Washington, en duo, dans une comédie à gros biscotos. Deux braqueurs de banque se rendent comptent qu’ils sont en fait l’un et l’autre des agents infiltrés. Lâchés par leurs supérieurs, ils doivent se blanchir eux-mêmes. É.R. de Baltasar Kormákur (1h49) Distribution : Sony Pictures Sortie le 25 septembre

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> Sur le chemin de l’école

Pour eux, l’école se trouve au bout du monde. Chaque matin, c’est un véritable parcours du combattant que vivent ces écoliers, handicapés par leur habitat. Ce documentaire signé Disney prend des chemins détournés pour mieux arpenter l’échelle du savoir. Ma.Po. de Pascal Plisson (1h15) Distribution : Walt Disney Sortie le 25 septembre



le s fi lm s

Miele Tout en tirant le portrait opaque d’une jeune fille inquiète, l’actrice italienne Valeria Golino (Respiro, Actrices) réalise un premier long métrage grave mais pudique sur le suicide médicalement assisté. Par Quentin Grosset

L’euthanasie semble être un motif qui captive le cinéma italien. Sorti il y a quelques mois, La Belle Endormie de Marco Bellochio partait d’un fait divers pour raconter les déchirements politiques autour de ce débat particulièrement sensible de l’autre côté des Alpes, du fait de l’influence du Vatican. Valeria Golino préfère s’intéresser aux angoisses d’Irène, son personnage principal, qui, afin de gagner sa vie, aide clandestinement des malades à mourir, en prenant le pseudonyme de Miele (« miel » en français). Ses proches, qui la croient étudiante, ne savent rien de sa dangereuse affaire : quand la jeune Romaine part au Mexique pour se procurer le barbiturique qu’elle administre aux personnes en fin de vie, elle est officiellement avec son directeur de thèse. Avec prudence, la réalisatrice se détache de sa périlleuse thématique pour emprunter une voie plus sensorielle.

Et cela sans céder à une psychologie simpliste, mais en étant attentive à l’anxiété d’Irène, qui ne transparaît pourtant qu’au cours de ses brefs épisodes de palpitations. Avec un jeu réservé mais tendu, Jasmine Trinca incarne ce personnage impénétrable, passant à un rythme effréné d’une vie à une autre. Sa rencontre fortuite avec un misanthrope désirant mourir favorisera sa remise en question. Justement, prenant le parti de l’ambiguïté, le film pose surtout des points d’interrogation et ne se risque jamais à émettre un jugement définitif sur son sujet. Au spectateur d’endosser cette responsabilité. de Valeria Golino avec Jasmine Trinca, Carlo Cecchi… Distribution : Jour2fête Durée : 1h36 Sortie le 25 septembre

3 QUESTIONS À Valeria Golino Comment vous êtes-vous documentée pour ce film ?

J’ai lu tout un tas de livres, parmi lesquels Vi Perdono de Mauro Covacich. L’histoire s’inspire d’une enquête au Mexique : des barbituriques vétérinaires disparaissaient en masse des pharmacies de Tijuana. La police s’est rendue compte que ces produits étaient utilisés en Europe pour des suicides assistés.

Quels sont les pièges à éviter quand on aborde un tel sujet ?

Il ne faut pas que le sujet mange l’histoire. Surtout, je ne voulais pas d’un film à thèse. Ce genre de problème éthique est trop pesant pour être rendu à l’écran avec un point de vue arrêté, c’est au-delà du bien et du mal. Ensuite, je trouve que le sentimentalisme facile est vulgaire, obscène.

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Avez-vous eu envie de jouer le personnage principal ?

Miele n’est pas encore tout à fait mûre, c’est un personnage que j’aurais pu interpréter quand j’avais 30 ans ! Pendant les essais, Jasmine n’était pas la meilleure, mais c’était elle qu’il fallait. D’habitude elle travaille des rôles plus féminins, plus chics. Là, je voulais plutôt explorer sa masculinité.


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Les Conquérants Par J.R.

Persuadés d’être sous le coup d’une malédiction depuis que leur père, récemment décédé, s’est emparé d’une relique dans une grotte du Pays basque, deux demi-frères (impeccables Mathieu Demy et Denis Podalydès) entreprennent de récupérer l’objet pour le remettre à sa place. Après une première partie urbaine un peu terne, le film trouve un souffle romanesque dans sa quête du Graal en montagne, où les périls de la rando côtoient avec humour le merveilleux d’un conte (avec pouvoirs magiques à la clé).

Par Ma.Po.

toujours mouche, le film réserve quelques belles images et doit beaucoup à la finesse des interprétations de Céline Sallette et Grégory Gadebois, beau couple d’écorchés vifs.

Appelé à se rendre dans les Pyrénées après l’accident mortel dont a été victime son fils, Tom se retrouve sur un des chemins de Compostelle. Au fil de son périple, il prend conscience de la véritable motivation qui l’anime : marcher sur les pas de son rejeton, dont il n’a jamais compris l’indépendance. Le réalisateur Emilio Estevez se met en scène aux côtés de son propre père, l’acteur Martin Sheen, dans un récit initiatique au symbolisme fort où les deux générations s’accordent pour faire route ensemble.

de François Dupeyron avec Grégory Gadebois, Céline Sallette... Distribution : Alfama Films Durée : 2h04 Sortie le 25 septembre

d’Emilio Estevez avec Martin Sheen, Deborah Kara Unger... Distribution : Version Originale/Condor Durée : 2h08 Sortie le 25 septembre

de Xabi Molia avec Mathieu Demy, Denis Podalydès… Distribution : Pyramide Durée : 1h36 Sortie le 25 septembre

Mon âme par toi guérie À Nice, un guérisseur que personne ne peut guérir du deuil de sa mère vit dans une caravane et noie sa tristesse dans la bière. Un jour, il croise l’ancienne muse d’un peintre, une femme alcoolique et suicidaire qu’il se met en tête de sauver. Si la rencontre des deux types d’ambiance, naturaliste et mystique, ne fait pas

The Way – La Route ensemble

Par M.L.

Rush Par É.R.

Le réalisateur d’Apollo 13 s’attaque à un autre piège mortel fait de métal et de vitesse : l’habitacle d’une Formule 1. Avec pour moteur la rivalité entre les grandes figures de ce sport que furent James Hunt et Niki Lauda, Rush suit la carrière de ce dernier, depuis ses débuts de fils à papa capricieux, jusqu’à sa reconstruction après le terrible accident qui lui emporta la moitié du visage sur le circuit du Nürburgring. Les passionnés de Grand Prix apprécieront le rythme, pied au plancher, des courses. de Ron Howard avec Chris Hemsworth, Daniel Brühl… Distribution : Pathé Durée : 2h03 Sortie le 25 septembre

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Artémis, cœur d’artichaut Premier film autoproduit, Artémis, cœur d’artichaut est l’ovni de la rentrée. Tourné en super-huit et en noir et blanc, il fait le pari d’un rafraîchissant mélange des genres. Entre mythologie et cartoon, poésie et buddy movie. Par Laura Tuillier

Alors qu’Artémis conduit sur une route de Normandie, la nymphe Kalie, côté passager, s’écrit en regardant le paysage : « D’un côté c’est super moche et de l’autre c’est trop beau ! » La phrase résume bien l’esprit du premier long métrage d’Hubert Viel, qui associe les contraires avec audace. Artémis est une étudiante en lettres morose et solitaire, jusqu’à ce que sa rencontre avec Kalie, petite tornade peroxydée, bouleverse son quotidien. Lors d’un mini road trip normand, le film se déploie et fait fleurir sur son passage nombre d’inventions narratives et stylistiques. En s’appuyant sur le mythe, le réalisateur se permet des incursions dans le fantastique – Artémis déclenche la foudre et autres sortilèges –, tandis que la contemporanéité de l’histoire d’amitié autorise humour et trivialité badine, à l’image de cette séquence de drague polluée par un fond sonore paillard. Hubert Viel en personne n’hésite

pas à apparaître à l’écran, en narrateur distrait qui rectifie le cours de l’histoire lorsque celle-ci semble lui échapper. Tirant profit de son côté « marabout d’ficelle », le film mise sur le charme d’une image super-huit qui évoque les films de vacances, tout en y injectant une dose de stylisation, comme ces ralentis qui rythment le générique d’ouverture, ou ce passage brutal à la couleur pour symboliser le souvenir. Le jeu contrasté des actrices, toutes deux non professionnelles, achève de donner à Artémis, cœur d’artichaut sa belle spontanéité, son enthousiasme des premières fois. d’Hubert Viel avec Noémie Rosset, Frédérique Barré… Distribution : Niz ! Durée : 1h04 Sortie le 25 septembre

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3 QUESTIONS À Hubert Viel Pourquoi s’inspirer de personnages mythologiques ?

J’avais envie de me faire plaisir dans l’écriture, transcrire des éléments mythologiques dans le contemporain a un côté très ludique. Je n’avais pas envie d’écrire un scénario ex nihilo. Dans cette optique, m’appuyer sur les deux actrices m’a également beaucoup servi : j’ai écrit le film en fonction d’elles.

La comédie est-elle un genre qui vous attire particulièrement ?

Non ! J’ai été très étonné, après la première projection, que les gens aient autant ri. Pour moi, il est normal que le film oscille entre mélancolie et humour, c’est une question de rythme. Finalement, je suis retourné en salle de montage pour ajouter des voix off comiques. Il fallait faire un choix clair.

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Pourquoi avoir choisi de tourner en 8 mm ?

Je ne voulais pas tourner en vidéo, parce que je savais que ça allait être trop facile du point de vue de la mise en scène, qu’il n’y aurait pas eu assez de pression pour les techniciens et les acteurs. D’autre part, je venais de tourner un clip en super-huit avec ma chef opératrice et nous étions très contents du rendu de l’image.



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Fifi hurle de joie Par J.R.

L’artiste et documentariste Mitra Farahani retrouve dans un hôtel de Rome, ville où il s’est réfugié depuis trente ans, le peintre Bahman Mohasses, légende de l’art moderne iranien qu’on pensait disparue. Sous l’un de ses tableaux ironiquement titré Fifi hurle de joie, ce vieillard cynique et malicieux, fasciné par les figures de l’anéantissement (il a lui-même détruit la plupart de ses œuvres, par ailleurs sublimes), interroge les notions d’indépendance, d’engagement, de postérité et d’argent. Édifiant. de Mitra Farahani Documentaire Distribution : Urban Durée : 1h38 Sortie le 2 octobre

La Vie domestique Par Ma.Po.

Machete Kills

Des desperate housewives à la française dissertent sur la condition féminine dans une résidence bourgeoise de la banlieue parisienne. Après D’amour et d’eau fraîche, où elle prenait la température du quotidien laborieux d’une étudiante, la réalisatrice dissèque celui de femmes multitâche jonglant avec leur rôle de mère et d’épouse. Du ménage au surmenage, le personnage interprété par Emmanuelle Devos tente de se frayer une place dans la sphère professionnelle. Mais la sortie d’école n’attend pas.

marseillais. Engagement, attachement à la cité phocéenne et à trois acteurs, Ariane Ascaride, Gérard Meylan et Jean-Pierre Darroussin, qu’il est très émouvant de voir vieillir à l’écran.

Trois ans après l’explosif Machete, Robert Rodriguez poursuit son hommage décomplexé au cinéma de drive-in qui a bercé son enfance. Revenu d’entre les morts, son héros est cette fois chargé par le président des États-Unis de déjouer les plans d’un redoutable terroriste. La montagne Danny Trejo renfile le costume du Mexicain déchaîné, aux côtés de Charlie Sheen et de Mel Gibson en maniaque des missiles. Au rayon des pépés armées jusqu’aux dents, on croise notamment Lady Gaga en femme fatale de série Z.

de Bernard Sasia et Clémentine Yelnik Documentaire Distribution : ZED Durée : 1h30 Sortie le 2 octobre

de Robert Rodriguez avec Danny Trejo, Mel Gibson... Distribution : Wild Bunch Distribution Durée : N.C. Sortie le 2 octobre

d’Isabelle Czajka avec Emmanuelle Devos, Julie Ferrier… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h33 Sortie le 2 octobre

Robert sans Robert Monteur des films de Robert Guédiguian, Bernard Sasia s’empare des innombrables rushes du cinéaste pour lui rendre un hommage joueur. En associant de façon thématique de courts extraits de ses films, de Dernier été aux Neiges du Kilimandjaro, le monteur dévoile les fils rouges qui parcourent l’œuvre du réalisateur

Par M.L.

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Par L.T.

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Happiness Therapy Après Fighter, film de boxe réussi, David O. Russell s’attaque à la romance maladroite d’une jeune veuve et d’un dépressif obsédé par son ex-femme. Où comment trouver sa place dans un monde de fou. Par Laura Tuillier

Sa sortie d’hôpital psychiatrique est synonyme, pour Pat Solitano, d’ennuis en cascade. De retour dans la maison parentale, il doit affronter un père pour qui les paris sur les matchs de baseball tiennent de l’obsession et une mère trop inquiète. Surtout, il cherche à approcher son ex-femme, qu’il n’a plus le droit de voir, puisqu’il a failli tuer l’amant de celle-ci en découvrant son adultère. Sa rencontre avec Tiffany, veuve désespérée qui vient de se faire virer après avoir couché avec tous ses collègues, menace de rompre l’équilibre disjoncté dans lequel il se complaisait jusqu’alors. La trame pourrait sembler grossière, mais David O. Russell évite l’écueil de la caricature, notamment grâce à sa direction d’acteurs, impeccable. Jennifer Lawrence, Oscar de la meilleure actrice, donne à Tiffany une rage qui tient davantage de l’énergie enfantine que de l’hystérie. Bradley Cooper lui oppose un corps tellement solide qu’il en devient pétrifié, comme glacé par le traumatisme. Robert De Niro, enfin, trouve, après une traversée du désert, un rôle à sa hauteur, celui du père joueur et roublard dont les

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obsessions ajoutent au désordre ambiant. Pour filmer cette expérience de guérison par l’amour, David O. Russell adopte un style tout en vitalité, ses mouvements de caméras souples et affirmés n’hésitant pas à brusquer les personnages pour maintenir un rythme bondissant. Le film tient ses séquences les plus réussies lorsque Tiffany propose à Pat d’apprendre à danser avec elle pour un concours local : dans le petit studio improvisé de Tiffany, elle et lui s’entraînent et s’entraident, réalisant très tardivement qu’en fait de chorégraphie, il s’agit du début d’une histoire d’amour. Pour que celle-ci prenne vie, il faudra qu’ils parcourent, sans faux pas, la distance qui leur permettra de se regarder en face, fragiles mais combatifs, névrosés mais vivants. Le talent et le charme d’Happiness Therapy résident là, dans cette capacité à soutenir coûte que coûte son couple d’inadaptés. de David O. Russell avec Bradley Cooper, Jennifer Lawrence… Édition : Studio Canal Durée : 2h02 Disponible en DVD

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dvd

LES SORTIES DVD

> Contre-enquête

> Le Météore de la nuit

> Nana

Dernier volet de la trilogie new-yorkaise de Sidney Lumet (après Serpico et Le Prince de New York), le film commence comme un classique bras de fer policier – un jeune procureur veut compromettre un vieux flic impliqué dans le meurtre d’un gangster – et finit comme un polar conceptuel où sont digérés tous les codes du genre. Regard désespéré sur l’appareil judiciaire américain, Contre-enquête peut se lire comme la suite amère de Serpico. Vingt ans après, rien n’a changé. Le cinéaste transcende le réalisme cru des scènes policières en leur donnant une dimension théâtrale prodigieusement grotesque. M.L.

Dans l’Arizona, un astronome amateur (Richard Carlson) et sa fiancée (Barbara Rush) voient un météore s’écraser dans le désert et découvrent qu’il s’agit en fait d’un vaisseau spatial. Ses occupants, gros globes oculaires sur pattes, ont le pouvoir de prendre apparence humaine… Sorti en 1953, It Came from Outer Space (en V.O.) est le premier film en 3D des studios Universal. Jack Arnold, roi de la série B et futur réalisateur de La Créature du lac noir, déroule une mise en scène inventive et un scénario surprenant : les envahisseurs sont ici des pacifistes égarés, mis face à des Terriens violents et bornés. J.R.

Nana, 4 ans, vit recluse avec sa mère en pleine forêt, jusqu’à ce que cette dernière disparaisse et la laisse seule. La belle idée de Valérie Massadian est de remettre en scène les gestes du quotidien, précédemment accomplis en famille, pour les éclairer d’une lumière nouvelle à mesure que Nana les exécute pour elle-même. Tout devient aventure. Nana prend alors des allures merveilleuses de conte et peut se lire comme un pendant hexagonal aux Bêtes du sud sauvage dans lequel l’épaisseur lyrique du bayou laisserait place au foisonnement silencieux des grandes forêts françaises. M.L.

de Sidney Lumet (Carlotta)

de Jack Arnold (Universal)

de Valérie Massadian (Épicentre Films)

> Les Lèvres rouges

> 2/Duo

> Aujourd’hui

Les traditionnels fondus au noir qui enserrent les séquences sont ici rouge sang, comme les lèvres laquées de l’héroïne, vampire lesbienne interprétée par la sublime Delphine Seyrig et inspirée du personnage historique d’Élisabeth Báthory. Atmosphère étrange mêlant fantastique et érotisme, musique crépusculaire, jeunes femmes vénéneuses, esthétique seventies baroque à souhait : Daughters of Darkness (en V.O.), réalisé en 1971 par le Belge Harry Kümel, est un petit bijou du cinéma de genre. En bonus, des entretiens avec le cinéaste et les actrices Danielle Ouimet et Andrea Rau. J.R.

Réalisé en 1997, ce film japonais n’a été projeté sur les écrans français que quinze ans plus tard. Son édition en DVD est l’occasion de faire encore davantage sortir de la confidentialité ce drame conjugal erratique et violent. Le cinéaste enregistre la mort à petit feu d’un jeune couple dont le garçon, comédien raté, vit aux crochets de la fille. À mesure que le film avance, leur quotidien se laisse contaminer par une angoisse sombre, claustrophobe, qui atteint la jeune fille comme une maladie. Bien plus fou qu’il n’y paraît, 2/Duo est aussi bien plus pessimiste que son titre ne le laisse présager. L.T.

Après L’Afrance (2001) et Andalucia (2007), Alain Gomis filme une promenade sensorielle et poétique dans Dakar, située dans un ici et maintenant bien délimité, pour célébrer le présent. Et pour cause, le titre du film, Aujourd’hui, désigne le dernier jour d’un condamné à mort, Satché, accueilli en héros ou en revenant malvenu, sans qu’aucune explication ne soit livrée sur les raisons de sa disparition prochaine. Avec un grand attachement aux couleurs et au rythme de la ville, Gomis filme simplement ses dernières rencontres, le temps d’une flânerie aux airs métaphysiques. Q.G.

de Harry Kümel (Malavida)

de Nobuhiro Suwa (Capricci)

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d’Alain Gomis (Jour2Fête)


cultures KIDS

MUSIQUE

LIVRES-BD

SÉRIES

Rentrée littéraire 2013

ARTS


MGMT

Rencontre avec Ben Goldwasser pour leur troisième album p.102

SPECTACLES

JEUX VIDÉO

Community

La série, hommage débridé aux cultures populaires, revient in extremis p.108

Gwénaël Morin

Un théâtre-somme autour de l’œuvre de Rainer Werner Fassbinder p.112

FOOD

DESIGN

VOYAGES

555 : c’est le nombre de romans programmés pour cette rentrée littéraire 2013, français et étrangers confondus. Un chiffre en léger recul par rapport aux années précédentes, que les spécialistes du secteur interprètent tantôt comme un signe de la crise, tantôt comme un retour à la raison, après la démesure du passé. Au catalogue, donc, une belle moisson de premiers romans (86 en tout !), d’incontournables poids lourds, d’inévitables marronniers et aussi, il faut bien le dire, quelques navets. Un automne romanesque à décliner en 26 lettres, suivant notre alphabet. Bonnes lectures. Par Bernard Quiriny

comme abeilles

Futur proche : les abeilles ont disparu, mais à travers le monde, cinq veinards se font miraculeusement piquer. Branle-bas des autorités… Coupland reprend le dispositif narratif de son Génération X dans ce techno-thriller aux airs de méditation sur la fin des temps. Génération A

de Douglas Coupland, traduit de l’anglais par Christophe Grosdidier

comme blockbusters

La rentrée, c’est l’occasion de retrouver les plus grandes pointures étrangères, de l’incontournable Richard Ford (Canada) à l’Argentin Alan Pauls (Histoire de l’argent), en passant par d’anciens prix Pulitzer (Junot Díaz) et Nobel (J. M. Coetzee). On évitera le pensum soporifique de Colum McCann (Transatlantic, fastidieuse célébration des relations irlando-­ américaines à travers les âges), mais on découvrira avec intérêt Le Cœur par effraction, brillante fresque de l’Écossais James Meek. Le Cœur par effraction

de James Meek, traduit de l’anglais par David Fauquemberg (Métailié)

(Au diable vauvert)

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cultures LIVRES / BD

comme Cantal

comme enfance

À lire la couverture, c’est un roman générationnel ronflant. Mais quand on s’y plonge, le nouveau Tristan Garcia est un polar psychologique captivant à base de souvenirs d’enfance et de vengeance, légèrement teinté de fantastique. Décidément, il surprend toujours.

La Première Pierre

Faber

de Pierre Jourde

de Tristan Garcia

(Gallimard)

(Gallimard)

comme duo

C’est une exception dans le monde solitaire de l’écriture romanesque : Emmanuelle Maffesoli et Clément Bosqué s’y sont mis à deux pour écrire Septembre ! Septembre !, satire plutôt bien vue des milieux universitaires, médiatiques et intellos dont ils sont d’ailleurs issus. Comique et bien menée, cette aventure au pays de la matière grise parisienne, avec ses figures et sa bien-pensance, vaut aussi pour ses portraits à peine voilés de figures réelles, comme Michel Onfray. Qui aime bien…

Marc Weitzman

comme faits divers

Ils inspirent les romanciers depuis toujours, et la rentrée 2013 n’échappe pas à la règle : les faits divers sont partout, qu’il s’agisse d’un dramatique accident de car en Suisse chez Matthieu Mégévand (Ce qu’il reste des mots) ou de la noyade de six adolescents en Louisiane chez Judith Perrignon (Les Faibles et les Forts). Dans un registre moins tragique, l’inévitable affaire DSK résonne en arrière-plan de la fresque sur le pouvoir de Marc Weitzmann, qui signe un roman ambitieux quoiqu’un peu confus. Une matière inflammable

Septembre ! Septembre !

de Marc Weitzmann

d’Emmanuelle Maffesoli et Clément Bosqué

(Stock)

(Léo Scheer)

comme garçonnièrE

« Je vais essayer de tout dire. » Telle est la promesse de Dominique Noguez, dans ce texte autobiographique qui détaille sa relation avec un jeune éphèbe capricieux dans les années 1990. Sous le côté garçonnière, un superbe récit, ample et classique. Une année qui commence bien

de Dominique Noguez (Flammarion)

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© julien falsimagne

Il y a dix ans, Pierre Jourde se faisait caillasser par les habitants du village du Cantal qu’il décrivait dans Pays perdu. Il revient sur cette affaire dans un superbe récit, au carrefour de l’autobiographie, de l’ethnographie et de la déclaration d’amour à son pays.


comme huis clos

Un jour de Noël, un pavillon, une mère et sa fille bloquées par le blizzard : c’est le décor minimaliste du nouveau roman de Laura Kasischke, variation magistrale sur le ressort classique de la révélation finale qui tue. On ne vous dit rien, mais c’est très fort. Esprit d’hiver

de Laura Kasischke, traduit de l’anglais par Aurélie Tronchet

Comme Compagnie K

(Christian Bourgois)

Paru en 1933, Compagnie K, inspiré de l’expérience sur le front, durant la Grande Guerre, de William March, est un peu l’équivalent aux États-Unis des mythiques À l’Ouest rien de nouveau et Le Feu chez nous. On attendait qu’il soit traduit, c’est maintenant chose faite.

© le dilettante

Compagnie K

Romain Puértolas

de William March, traduit de l’anglais par Stéphanie Levet (Gallmeister)

comme Ikea

Le premier roman humoristique est un classique des rentrées littéraires. Ingrédients : intrigue loufoque, gags en cascades, titre amusant. Attention, Tartes aux pommes et fin du monde, de Guillaume Siaudeau, est un contre-exemple. Malgré son titre souriant, ce petit roman est tout à fait dépressif, quoique très réussi. Romain Puértolas exemplifie, en revanche, bien le genre avec L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, un pavé marrant, inégal mais sympathique. L’extraordinaire voyage du fakir…

de Romain Puértolas (Le Dilettante)

comme lectures

Une série de lectures de « penseurs tristes » : c’est ce que propose Frédéric Schiffter dans ce petit volume élégant où il passe au scanner le charme d’écrivains anachroniques comme Caraco, Cioran, Gómez Dávila ou Hérault de Séchelles. Précieux. Le Charme des penseurs tristes

de Frédéric Schiffter (Flammarion)

comme jazz

Spéciale dédicace aux amateurs de jazz : Alexis Salatko raconte la vie de Django Reinhardt (mort il y a soixante ans) dans Folles de Django, Owen Martell sonde les failles de Bill Evans dans Intermède, et les éditions 13e note publient Lâchez-moi, les mémoires d’Hampton Hawes, pianiste bebop culte. Mais la musique classique est bien servie elle aussi avec Nikolai Grozni (Wunderkind, sur les écoles de musique dans la Bulgarie communiste), Alain Claude Sulzer (Une mesure de trop) ou Sarah Quigley (La Symphonie de Leningrad). Folles de Django

d’Alexis Salatko (Robert Laffont)

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comme maison

Hélène Frappat revisite (c’est le cas de le dire) la figure de la maison hantée et les codes du roman gothique à l’anglaise dans Lady Hunt, brillant exercice de style tout en floutage et en ambiguïté. Prenant, déroutant, réellement inquiétant. Brrr. Lady Hunt

d’Hélène Frappat (Actes Sud)


cultures LIVRES / BD

comme navets On a beau regarder le bon côté des choses, il faut admettre que certains romans parmi les centaines à paraître ne sont pas, disons, d’authentiques réussites. Un navet, un seul ? Allez : au hasard, Neverdays d’Alizé Meurisse (l’ex de Pete Doherty), variation bâclée sur le thème de Dorian Gray farcie de dialogues débiles et écrite avec les pieds. Elle paye pour tous les autres, me direz-vous : c’est injuste. C’est vrai. Mais elle l’a cherché, avec des phrases comme : « Si j’avais envie d’écouter un trou du cul, je lâcherais un pet. » © siegfried de turckheim

Neverdays

d’Alizé Meurisse (Allia)

Alizé Meurisse

© david ignaszewski / flammarion

comme Orient

La rentrée 2013 serait-elle orientale ? Amélie Nothomb raconte son retour au Japon (La Nostalgie heureuse), Dominique Noguez situe à la villa Kujoyama toute une partie de son récit autobiographique (Une année qui commence bien), Philippe Rahmy part à l’assaut de la tentaculaire Shanghai (Béton armé) et Thomas B. Reverdy explore le quartier San’ya de Tokyo et les environs de Sendai dans son nouveau roman, remarqué dès le début de l’été grâce à la sélection des libraires de la FNAC. Les Évaporés

de Thomas B. Reverdy (Flammarion)

Thomas B. Reverdy

comme people

Cachés sous des pseudos plus ou moins transparents ou cités dans leur propre rôle, de nombreux people hantent cette année encore les pages des romans de la rentrée. Michel Onfray chez Emmanuelle Maffesoli et Clément Bosqué, mais aussi Arielle Dombasle ou Matthieu Pigasse chez Fabrice Pliskin, Bertrand Delanoë chez François Marchand, ou encore Nicolas Hulot et Jean Rochefort dans le très réussi Art nègre de Bruno Tessarech… Liste non-exhaustive : saurez-vous reconnaître les autres ? Art nègre

de Bruno Tessarech (Buchet-Chastel)

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comme quatre

Et de quatre : on retrouve à nouveau la Marie découverte en 2002 dans Faire l’amour avec ce nouveau roman où Jean-Philippe Toussaint rôde autour d’un thème rebattu, l’amour, en le prenant à l’envers, via la séparation, de l’île d’Elbe au Japon. Nue

de Jean-Philippe Toussaint (les Éditions de Minuit)

comme secte

Comme Recherche

Et si l’urbanisme moderne débouchait sur une religion nouvelle ? Cette idée apparemment étrange court sous l’épatant nouveau roman de Philippe Vasset, qui continue son exploration de l’espace urbain dans une veine plus ballardienne que jamais.

Il y a cent ans paraissait Du côté de chez Swann, premier tome d’À la recherche du temps perdu. Les célébrations s’enchaînent toute l’année dans les revues, en librairie et jusqu’au Collège de France où Antoine Compagnon a consacré son séminaire à Proust. Et ça continue en cette rentrée avec une pléiade de parutions parmi lesquelles on retiendra François Bon (Proust est une fiction), Claude Arnaud, qui explore les relations Proust-Cocteau, et les Enthoven père & fils, qui s’y mettent à deux pour écrire leur Dictionnaire amoureux de Marcel Proust. Proust contre Cocteau

La Conjuration

de Claude Arnaud

de Philippe Vasset

(Grasset)

(Fayard)

© frank courtes – rosebud

comme Utøya

François Busnel

comme télévision

Bonne nouvelle : François Busnel et sa Grande Librairie rempilent sur France 5. Côté France 2, en revanche, c’est le désert : suppression des Mots de minuit, modeste rythme hebdo pour Ce soir (ou jamais !)… À quand le retour d’un rendez-vous littéraire style Apostrophes ? « Ça ne marche pas », nous dira-t-on. À quoi l’on répondra : oui, et alors ? Justement, tant qu’à faire des audiences ridicules, autant y aller à fond et jouer la carte de l’exigence, au lieu de n’inviter que des people et des auteurs de best-sellers. La Grande Librairie

Coïncidence : Utøya de Laurent Obertone et Toute la noirceur du monde de Pierre Mérot sont à la fois les romans les plus sulfureux de la rentrée (on parlait d’eux dès le printemps) et deux récits mettant en scène un assassin. Le très réel Anders Breivik d’un côté, dans la tête duquel plonge Obertone ; le fictif Jean Valmore de l’autre, prof dépressif et misanthrope qui fricote avec des néonazis et mijote un massacre. Pas les meilleurs livres de la saison, mais le buzz n’était pas tout à fait injustifié. Toute la noirceur du monde

de François Busnel

(sur France 5, tous les jeudis à 20h35)

de Pierre Mérot (Flammarion)

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cultures LIVRES / BD

comme Väätonen Maria Cristina Väätonen : improbable nom de l’héroïne du nouveau roman de Véronique Ovaldé, poids lourd de cette rentrée. Elle ne déçoit pas : inclassable, cette histoire de famille, de mythomane plagiaire et d’enfants secrets est l’un des meilleurs romans de l’automne. La Grâce des brigands

de Véronique Ovaldé

comme western

Après avoir remixé combat de sabres et féodalité dans Bastard Battle, l’inventive Céline Minard part à l’assaut d’un genre canonique, le western, qu’elle revisite comme un kaléidoscope, avec tous les accessoires, lasso, bétail et compagnie. Déroutant. Faillir être flingué

de Céline Minard (Rivages)

comme XXL

Jaume Cabré

Alors qu’on avait eu droit l’an passé à quelques romans hors normes, tel celui de la chercheuse Sylvie Taussig, Dans les plis sinueux des vieilles capitales (près de 1 800 pages !), les formats restent plutôt sages cette année. Mentionnons quand même, au rayon français, l’ovni improbable, égocentrique et tentaculaire de Yann Moix, Naissance (1 200 pages), qui divise les critiques, et surtout, au rayon étranger, le monumental Confiteor du Catalan Jaume Cabré (près de 800 pages) qui fait, lui, l’unanimité : chef-d’œuvre. Confiteor

de Jaume Cabré, traduit du catalan par Edmond Raillard (Actes Sud)

Comme You talkin’ to me? Claro traduit l’excellent roman que le poète new-yorkais Richard Elman a tiré en 1976 du scénario de Taxi Driver auquel il a collaboré. La fameuse réplique de Robert De Niro n’y est pas (l’acteur l’a improvisée en plateau) ; la puissance brute du personnage, si.

comme zone

Loïc Merle

La zone, les quartiers, la banlieue : décor pas si fréquent dans notre littérature, mais qu’explorent à leur façon Cloé Korman et Loïc Merle dans leurs romans. Après le succès des Hommes-couleurs (Prix du livre Inter en 2010), la première met en scène dans Les Saisons de Louveplaine une Algérienne perdue dans un « neuf-trois » plus vrai que nature, à la recherche de son mari volatilisé. Quant à Loïc Merle, il s’attaque aux émeutes de 2005 dans un premier roman remarqué, ample, ambitieux… mais aussi un peu hermétique, et parfois ampoulé.

Taxi Driver

L’Esprit de l’ivresse

de Richard Elman, traduit de l’anglais par Claro

de Loïc Merle (Actes Sud)

(Éditions inculte)

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© malania avanzato

© xavier mikel laburu

(Édition de l’Olivier)



cultures KIDS Le petit papier d’ Élise, 4 ans et demi cinéma

© 1946 snc (groupe m6) / comité cocteau. crédit photo : g.r. aldo

La Belle et la Bête

Premier film en noir et blanc pour Élise, très friande d’histoires de princesses, et qui n’est pas restée insensible au charme du chef-d’œuvre de Cocteau. propos recueillis par julien dupuy

l’avis du grand Rares sont les cinéates qui se sont attaqués au patrimoine des contes français. Convoquant Gustave Doré et Georges Méliès, Jean Cocteau prouve, avec ce bijou réalisé en 1946, que le grand écran tricolore peut aussi offrir matière à rêver. La version qui ressort aujourd’hui complète la restauration de 1995 qui, faute de moyens techniques suffisants, avait alors laissé sur le carreau des images jugées irrécupérables. Pas de doute possible, nous n’avions jamais vu La Belle et la Bête dans d’aussi beaux atours. J.D.

« C’est bizarre ce film, il y a pas de couleurs, on dirait qu’il pleut. Le papa de la belle se perd là où il y a le château de la bête. Il vole une rose et du coup, la belle doit aller dans le château de la bête qui est magique : il y a des bras dans les murs qui tiennent des bougies. Peut-être que c’est des copains à lui, cachés dans la pièce d’à côté, avec des trous pour passer les bras. Par contre, il y a un bras qui sert à boire sur la table qui est magique pour de vrai, parce qu’il n’y a personne sous la table. La bête fait peur : elle boit comme un chien, et elle tue un animal. Mais en fait elle est gentille. La belle elle se promène avec lui, et la bête lui offre un collier qui se fait tout seul dans sa main et un miroir qui n’est pas de notre Terre parce qu’il montre des drôles de choses. La belle voit dans le miroir que son papa

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est malade. Alors elle met le gant de la bête et passe dans les murs pour arriver chez son père. Mais les sœurs de la belle sont jalouses et elles volent à la belle la clé du trésor de la bête ! Mais une statue tire une flèche sur un des jeunes hommes qui était venu voler l’or et il se transforme en bête. Et la bête se transforme en prince, le plus beau prince que j’ai jamais vu ! Il a une vraie tête de prince. Il a pas été si longtemps en bête en fait. À la fin, ils s’envolent dans les nuages vers le château du prince. Du coup, je pense qu’ils vont rentrer dans le château par le haut. Je me demande s’il va y avoir un mariage après. » La Belle et la Bête de Jean Cocteau avec Josette Day, Jean Marais… Distribution : SND / Durée : 1h36 Sortie le 25 septembre


2 objets Par Ma.Po.

LIVRE

DVD

Des robots en pièces détachées attendent de s’animer. Le dernier cahier d’activités de la série « Le Monde en Pyjamarama » investit les rouages de la fabrication de ces petites machines, à travers coloriages et devinettes surgissant de chaque recoin du livret. Gros bonus à l’intérieur : une grille à glisser sur des images striées permet de s’essayer à la technique de l’ombrocinéma. Un objet farfelu et ingénieux, sur les traces du dessin animé. Mes robots en pyjamarama

de Michaël Leblond et Frédérique Bertrand (éditions du Rouergue)

Voyager très loin en restant devant son poste de télévision. Grâce aux quatre contes slaves sélectionnés par les Films du Préau, les enfants sillonnent le folklore des provinces de Russie. En préambule de chaque histoire, un teaser pédagogique et malicieux sur les symboles emblématiques du plus grand pays au monde. Touchées par la grâce, les saynètes, plus proches de Grimm que de Perrault, enchantent et déconcertent par leur cruelle réalité. L’Ogre de la taïga – Contes et merveilles de Russie (Les Films du Préau/Arte Éditions), dès 4 ans

2 sorties Par Ma.Po.

cinéma

exposition

Pollux, Milou, Rox et Rouky, Croc-Blanc… la rentrée sera mordante au Forum des images, avec une programmation de plus de cinquante films mettant à l’honneur les chiens de tous poils. Tantôt compagnon domestique, tantôt bête curieuse, l’animal le plus fidèle du cinéma suivra les enfants âgés de 18 mois à 11 ans. Les séances de projection seront accompagnées d’un débat et d’un goûter : de quoi mettre en appétit les cinéphiles en herbe. « Les Après-midi des enfants »

Du cinéma d’animation traditionnelle à l’utilisation d’images de synthèse, l’exposition joue les prolongations et propose une plongée dans les coulisses de fabrication du cinéma d’animation à la française. Tout au long du parcours, des ateliers interactifs donnent l’occasion de dessiner, modeler et réaliser entièrement son propre court métrage. Une traversée de l’autre côté de l’écran qui suscitera peut-être des vocations pour nos apprentis réalisateurs. « Anim’action »,

au Forum des images, du 14 septembre au 28 décembre

jusqu’au 22 septembre à L’Exploradôme (Vitry-sur-Seine)


© danny clinch

cultures MUSIQUE

MGMT Rock Psychédélique

Moins pop, plus psychédélique, MGMT sort son troisième album, un monstre hallucinatoire, tantôt toxique, tantôt euphorisant. Indéfini. Rencontre avec l’un des deux dompteurs de la bête, Ben Goldwasser. Par Quentin Grosset

On est face à une masse informe et écrasante. C’est l’impression qui domine à la première écoute du nouveau MGMT, le duo formé par Ben Goldwasser et Andrew VanWyngarden. Leur troisième album, après le tubesque Oracular Spectacular en 2007 (et le raz de marée des titres Kids et Time to Pretend) et le déjà moins accessible Congratulations (2010). L’abandon de structures pop au profit du foisonnement psyché se poursuit plus avant avec ce nouvel opus précise le timide Ben Goldwasser, la moitié binoclarde du groupe : « Ce disque est différent parce qu’on s’est donné plus de liberté, qu’on s’est autorisé à prendre plus de temps et à ne pas s’imposer de structures artificielles qui auraient bloqué notre créativité. On a peu parlé de la couleur de l’album, on l’a simplement enregistré suite à nos concerts qui nous ont permis d’expérimenter de nouveaux styles et de nous concentrer sur l’improvisation, les séquenceurs ou les boîtes à rythmes. » Dans cette œuvre folle, tentaculaire, les voix se perdent, en retrait. Impossible d’extraire une chanson de l’ensemble pour la faire entrer de force dans une playlist. Le disque forme un tout étourdissant où les transitions sont presque

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indécelables, égarées entre les claviers sixties et les percussions enfouies dans les effets de reverb ou de saturation. Passée la stupéfaction face à ce vacarme envoûtant, on peut se concentrer sur les thèmes abordés, qui sont plus sombres que dans leurs précédents disques. « C’est drôle, on n’a jamais été aussi heureux qu’à l’enregistrement de cet album. Pour Oracular Spectacular, on se sentait stressés parce que c’était notre premier disque, et pour Congratulations, nous n’avions pas eu le temps de souffler parce que nous venions juste de terminer notre tournée. Musicalement, MGMT est positif, mais si le fond paraît empli de noirceur, c’est parce que le monde est un chaos effrayant. On l’accepte et on est heureux d’en faire partie. » Une chanson porte d’ailleurs un titre surprenant : A Good Sadness. Il résume le programme poétique de MGMT. La tristesse y est épique, presque héroïque, un combat réconfortant contre toute tentation d’apathie. MGMT de MGMT (Sony/Columbia) Sortie le 16 septembre

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sélection Par Wilfried Paris

Stay Golden

de Tristesse Contemporaine (Record Makers)

Le trio parisien quoiqu’international (une Japonaise, un Suédois, un Anglais) passe de l’ombre à la lumière, de la mélancolie à l’élégie, après un premier album rétro maniéré et ambigu, entre cold wave et electroclash. À la manière de Fujiya & Miyagi ou de Holger Hiller, il murmure la fuite du temps – l’or du titre désigne la jeunesse. Les compositions sont claires et concises, entre krautrock au cordeau, house chirurgicale et rock enlevé. Désormais plus Bataclan que Silencio.

Glow

de Jackson & his Computer Band (Warp) Après un Smash de haute volée paru en 2005, qui transformait l’IDM post-rave en cathédrale gothique fourmillante de détails, le second album du parisien Jackson avait des allures d’arlésienne techno. Il déçoit d’abord dans ses tentatives de songwriting pop, avant que la production, épique, baroque, n’emporte le morceau. Funk princier, beachboyseries, stoner rock ou bangers electro subissent ici tous les outrages d’une orgie de plugins (crush, reverb…) À écouter au casque absolument.

Howlin

de Jagwar Ma (Marathon Artists)

Ce duo australien, adoubé par Noel Gallagher (Oasis) dans les pages du NME, synthétise (ou pompe allègrement, c’est selon) la crème de l’indie dance depuis trente ans – toute la scène Madchester, Foals, Django Django… Depuis The Throw, tube sous ecstasy Primal ScreamHappy Mondays jusqu’aux guitares inversées de Man I Need piquées aux Stone Roses, le résultat est assez réussi pour faire passer la concurrence pour des plagiats de leur rejeton. C’est quand même très, très roublard.

Dream River

de Bill Callahan (Drag City)

L’éternel cow-boy solitaire, qui a traversé glorieusement les années 1990 sous le sobriquet de Smog, connaît un retour en grâce depuis trois albums, traversés de sa voix chaude et claire si particulière. Celle-ci égrène ici huit longues dérives folk-rock, de plus en plus littéraires et narratives, enrichies de flûtes, guitares allongées, violons impressionnistes, planant sur l’americana et le songwriting aussi haut dans le ciel désormais que Neil Young ou Leonard Cohen.


cultures MUSIQUE

agenda Par Etaïnn Zwer

DU 16 AU 24 SEPT.

CONCERT

Willis Earl Beal Par Éric Vernay

Ex-SDF à Albuquerque et ancien candidat de l’émission de télé-crochet X Factor, Willis Earl Beal a un destin peu ordinaire. Son numéro de téléphone, le jeune homme d’à peine 30 ans l’avait inscrit lui-même, début 2010, sur de nombreux flyers illustrés à la main et distribués dans les rues de Chicago. Si vous l’appeliez, il vous chantait une chanson. Si vous lui écriviez, il vous envoyait un dessin. Désor­ mais signé sur une filiale de XL Recordings, le label de Vampire Weekend, le barde, débordé, a cessé de pratiquer cet inhabituel service à la demande. Sa légende écrite, il peut maintenant se concentrer sur sa discographie, qui compte déjà un EP et deux albums, Acousmatic Sorcery, sorti en 2012 sous les vivats de la critique, et Nobody Knows, dans lequel Willis Earl Beal, accompagné de Cat Power sur une chanson, continue de désosser le blues à sa manière, rêche et hantée. Gospel rachitique, protorap, folk bruitiste, soul expérimentale… Voilà quelques-unes des étiquettes hybrides qu’on peut scotcher sur les crasseux tubes à essais de l’apprenti sorcier. Lequel se mue parfois en crooner vaudou : « Ne me laisse pas en plan comme une araignée sans mouche », scandet-il sur l’hypnotique chanson d’amour Too Dry Too Cry. Aussi friand d’images surréalistes que de dissonances soniques, le compositeur-dessinateur fait penser à Tom Waits, un autre amateur de mélanges de sonorités bien timbrées. Screamin’ Jay Hawkins et Daniel Johnston sont d’autres influences qui palpitent chez le Chicagoan, au détour d’un cri guttural ou d’une note de guitare mal dégrossie. Mais ne vous fiez pas à son nouveau mantra, « I’m nobody ». Ce gars-là, c’est quelqu’un. Willis Earl Beal En concert lundi 7 octobre à 20h au Point Éphémère

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ELDORADO MUSIC FESTIVAL Rab d’été avec cette cinquième édition métissée. Au programme : Thomas Azier (protégé de Woodkid), Cascadeur, Psychopharmaka, le projet commun de Rodolphe Burger et Olivier Cadiot, Olivier Libaux (Nouvelle Vague) et son Uncovered Queens of the Stone Age, l’ensorceleuse Laura Marling, Roken Is Dodelijk, l’acid-funk culte de Gramme… au café de la Danse LE 27 SEPT.

DEMENT3D LABEL NIGHT L’équipe de Hartzine s’offre le discret et hypnotique label parisien, soit les cinq activistes noise de DSCRD, François X et sa deep house affûtée, la brume sci-fi énigmatique de Polar Inertia, l’electro drone de Heartbeat et l’ambient pénétrante de Ligovskoï, pour une nuit radicale techno orgasmique. au Petit Bain LE 28 SEPT.

CROCODILE Pour cette première nu-disco party de la saison, le petit mais excitant label berlinois Leonizer dépêche deux de ses meilleurs

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artisans : Léonard de Léonard livrera un set malin croisant tueries house et hip-hop, et l’Australienne Rodeo (Way Back Home) servira sa pop estivale et électronisée. à la Java LE 12 OCT.

ROCK IN JOHANNESBURG Pour inaugurer la programmation de concerts du cycle « Sharp Sharp Johannesburg », qui explore la foisonnante scène artistique sud-africaine, la Gaîté Lyrique convie BLK JKS, Desmond & the Tutus, Motèl Mari et The Brother Moves On, quatre groupes indé hybridant rock, folk psyché et tradition vocale. à la Gaîté Lyrique LE 14 OCT.

JAMES BLAKE Sacré surdoué du postdubstep avec son délicat remix du Limit To Your Love de Feist, le songwriter londonien qui vient de livrer Overgrown, second opus somptueux gorgé de pépites (Digital Lion avec Brian Eno), égrènera son electro soul épurée lors d’un voyage atmosphérique grisant. au Trianon



cultures LIVRES / BD

sélection

Bande dessinée

Amy et Jordan

Par S.B.

Par Stéphane Beaujean

Hawkeye vol. 1

de Benjamin Legrand, Jean-Marc Rochette et Jacques Lob

Nul besoin d’être amateur de super-héros pour apprécier les cinq premières aventures de Hawkeye. Cette série à la tonalité très noire s’amuse, avec beaucoup d’humour, de la condition humaine dans un monde de surhommes. Mais c’est surtout la mise en scène de David Aja, nouveau David Bowie de la BD, qui emporte le morceau. Ici, les formes hautes (composition empruntée à Chris Ware, épure du trait à la David Mazzucchelli) épousent le registre populaire.

La sortie prochaine du film de Bong Joon-ho Snowpiercer, Le Transperceneige a donné l’excellente idée aux éditions Casterman de rééditer le classique de science fiction dont il est adapté. Une ode désespérée au soulèvement populaire, portée par un imaginaire communiste délicieusement désuet et le dessin d’un artiste aux gestes amples et puissants, aimant la matière et l’épure. Une consécration tardive pour une œuvre indispensable.

(Panini Comics)

Rien n’est plus difficile que de donner envie de lire Amy et Jordan. Et pourtant, quelle claque ! Après vingt ans d’absence, voici le retour de Mark Beyer, l’un des génies du défunt magazine Raw. Les audacieux qui s’aventureront dans la lecture d’Amy et Jordan n’auront aucun problème à croire que son auteur est un ermite. Les éditeurs français l’ont d’ailleurs traqué deux décennies durant, en vain, avant de parvenir à faire traduire son chef-d’œuvre. Soit une série d’historiettes en une page qui valent pour autant de modestes peintures d’art brut, d’angoisse et de dépression mêlées. Amy et Jordan compte ainsi parmi les cauchemars urbains les mieux exprimés par l’image. Les agencements de pages tortueux installent un quotidien oppressant où l’air se fait rare. Et à l’intérieur de ces menues cases aux formes improbables déambule un drôle de couple, abandonné à la vie, hanté par la menace de la mort. Le récit serait d’ailleurs d’une violence insupportable s’il n’était pas filtré par le langage du rêve. Car c’est ici l’inconscient qui organise les formes graphiques comme les aventures. Et le sourd sentiment d’errer à l’intérieur d’un double labyrinthe (celui, physique, de la page, et celui, mental, de son auteur) finit par éprouver. Il faut tout de même lâcher le livre de temps à autre, pour reprendre son souffle. Descente aux enfers faite monument, échafaudée brique après brique des années durant, tel apparaît, vingt ans après sa conception, Amy et Jordan. Le raffinement des dessins n’a d’égal que son âpreté. Au milieu de cette beauté toute particulière, comme seul l’art brut sait en produire, résonne cette désespérante énigme : de quoi peut bien se nourrir l’amour de ces si tristes héros ? Amy et Jordan de Mark Beyer, traduit de l’américain par Madeleine Nasalik (éditions Cambourakis)

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Le Transperceneige

de Javier Pulido, David Aja et Matt Fraction

Deadline

de Christian Rossi et L.F. Bollée (Glénat)

Chaque livre de Christian Rossi creuse un sillage esthétique différent. L’homme n’en est pas à son premier western et pourtant, c’est comme s’il s’attaquait au genre pour la première fois. Ici, c’est le travail de la lumière qui mobilise cet immense technicien : il découpe la nature, installe les ambiances, fige les émotions sur les visages… L’histoire, classique, se veut documentée, avec la guerre de sécession et l’esclavage en toile de fond.

septembre 2013

(Casterman)

La Revue dessinée n 0 1

collectif

(La Revue dessinée)

Voici une intéressante initiative qui surfe sur deux vagues : les revues luxueuses et la bande dessinée dite « du réel ». Soit plus de deux cents pages d’enquête menée le plus souvent par des habitués de l’exercice, et parfois même du sujet : Jean-Philippe Stassen revient une nouvelle fois sur les situations complexes de l’Afrique, Marion Montaigne emploie son sens de l’humour décalé et son goût pour la rigueur scientifique. Une affaire à suivre.



cultures SÉRIES

Community Comédie

Pensée comme un hommage débridé aux cultures populaires, Community est aujourd’hui aussi culte que les œuvres qu’elle détourne chaque semaine. Un statut emporté de haute lutte, après quatre saisons mouvementées. Par Guillaume Regourd

le caméo Lars Mikkelsen

© sony pictures television

© nick harvey/wireimage

dans Sherlock

Être un fidèle de Community, c’est prendre des risques. Depuis bientôt cinq ans, cette sitcom à propos d’une bande de bras cassés revenus sur les bancs de la fac accumule les mauvais scores d’audience et n’a dû jusqu’ici son maintien à l’antenne qu’au soutien de la critique et d’une poignée de fans acquis à la cause de son créateur, Dan Harmon. Ce fantasque scénariste a façonné Community à son image ; soit un commentaire insolent sur la comédie américaine noyé sous un torrent de clins d’œil à la pop culture, de Glee à Die Hard. On se demande encore comment NBC a pu imaginer

faire tourner la boutique sans Harmon, limogé l’an passé. Face aux difficultés de ses suppléants, bien en peine de conserver la folie inhérente à la série, le chef d’orchestre a été piteusement rappelé. Nouveau coup de théâtre survenu cet été : outre Chevy Chase, une autre star de la distribution, Donald Glover, a annoncé son départ. Il n’apparaîtra que dans cinq épisodes en 2013-2014. Harmon espère malgré tout offrir encore deux saisons (et un film) à ses téléspectateurs. À ce stade, rien n’est moins sûr. Community de Dan Harmon, saison 3, tous les samedis sur Numéro 23

sélections

Jusqu’au 26 septembre sur Arte, disponible en DVD (éditions Montparnasse)

Par G.R

Le Visiteur du futur, saison 3 Désormais dotée de moyens un tout petit peu plus dignes de ses ambitions, cette rare incursion française dans la science-fiction, au départ autoproduite pour le Net, ne s’est pas reniée en chemin. La série en a surtout profité pour approfondir sa mythologie à base de voyages dans le temps, sans renoncer à son esprit débrouille et à son humour potache. Rafraîchissant. Disponible en DVD (éditions Ankama)

Justified, saison 3 Adaptée d’une nouvelle d’Elmore Leonard, Justified survivra donc à l’écrivain ; lequel ne pouvait rêver meilleure perpétuation de son imaginaire. Emmené par un Timothy Olyphant « plus cool tu meurs » en marshal à la gâchette facile, ce classique en devenir allie parfaitement humour et action. La saison 3, et son nouveau bad guy, joué par Neal McDonough, ne montre aucun signe de défaillance. Disponible en DVD (Sony)

© dr

La Gifle Adaptation du roman best-seller de Christos Tsiolkas, La Gifle en reprend le dispositif ultra-efficace : un épisode/un point de vue, sur un même événement d’apparence anodine (une claque donnée à un gamin lors d’un barbecue) et ses conséquences. Un modèle de fiction chorale à l’interprétation haut de gamme qui passe la société australienne toute entière au gril.

Fratries scandinaves, suite. Après les Skarsgård, c’est au tour des Mikkelsen de coloniser le petit écran. Si la superstar Mads s’est tranquillement installée aux commandes d’Hannibal dans le rôle du glaçant docteur Lecter, son aîné Lars sera l’une des attractions de la saison 3 de Sherlock sur la BBC, très attendue pour 2014. La productrice de la série a révélé qu’il jouerait Charles Augustus Magnussen, nouvelle némésis de Benedict Cumberbatch. Chez lui, le Danois a aussi participé à la saison 3 de Borgen. _ G.R.

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© estate of roy lichtenstein new york / adagp, paris, 2013

cultures ARTS

agenda Par L. C.-L.

© studio sébert photographes

Crying Girl (Jeune femme en pleurs), 1963

POP ART

Roy Lichtenstein

« Désirs & Volupté à l’époque Victorienne » Seins dénudés en forme de pomme, crinières rousses et tenues bucoliques blanches, vous voilà au cœur de la nouvelle exposition du musée JacquemartAndré, tournée vers la peinture victorienne (fin du xix e siècle jusqu’au début de la Grande Guerre). Une esthétique aussi kitch qu’alléchante.

Jusqu’au 20 oct.

« Sens dessus dessous » Rythmée, colorée, courte mais dense, cette exposition gratuite sur les auteurs-illustrateurs suédois de livres pour enfants mérite vraiment le détour. À la fois pour découvrir la célèbre illustratrice Eva Lindström et son influence sur les artistes contemporains, mais aussi pour le fameux brunch du café Suédois.

au musée Jacquemart-André

à l’institut Suédois

Du 18 sept. au 6 jan.

Georges Braque Le peintre a rarement fait l’objet d’expositions monographiques. C’est chose faite avec la rétrospective pléthorique que lui offre le Grand Palais. Et il ne sera pas exclusivement question de cubisme, car tout l’intérêt de ce parcours tient dans les entrelacs qu’il tisse avec la musique et la littérature.

aux galeries nationales du Grand Palais

Jusqu’au 14 oct.

« Les Nouvelles Folies françaises » Il faut visiter cette exposition entièrement dévolue à l’esprit du

septembre 2013

© courtesy galerie perrotin

On ne présente plus Roy Lichtenstein ; raison pour laquelle le centre Pompidou a décidé de faire résonner le travail du pape du pop art dans d’autres paroisses, en ajoutant profondeur et consistance à une œuvre iconique dont l’aspect le plus connu du grand public ne correspond finalement qu’à cinq minces années de son travail, entre 1961 et 1966. Certes, le New-Yorkais Lichtenstein (1923-1997) sera à jamais associé à l’imagerie des comics américains, à ses femmes aux lèvres carmin et à la chevelure jaune, aux apôtres de la culture populaire comme Mickey et Donald, aux bulles où s’étalent les stéréotypes mièvres et sexy de la desperate housewife. Mais dans cette chapelle du pop art passe souvent une sombre mélancolie, cousine de celle d’un Andy Warhol ou d’une Yayoi Kusama. Les couleurs criardes, les formes rondes et allègres laisseront en effet place, dans l’œuvre de l’artiste, à des tableaux qui se veulent moins immédiats, moins évidents, et qui intègrent brillamment un demi-siècle d’histoire de l’art. C’est ainsi un plasticien, un quasi-théoricien que l’on découvre dans les dernières salles du parcours ; un Roy Lichtenstein graveur, sculpteur, inspiré aussi bien par le cubisme que par le surréalisme, réinterprétant magistralement et en finesse certaines toiles de Braque, de Picasso ou de Matisse. Le pop art a ingéré et fait siennes les formes artistiques qui l’ont précédé ; de quoi repenser entièrement le statut d’artiste figuratif donné au peintre américain, lui qui est allé jusqu’à l’abstraction délicate, dans ses dernières années de production, très peu connues, y compris par les critiques. Le pop art se réincarne ainsi sous une forme moins légère et commerciale qu’habituellement, et touche d’un doigt divin l’essence même de l’art.

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au musée d’Archéologie nationale (SaintGermain-en-Laye)

Les Roses d’Héliogabale de Sir Lawrence Alma-Tadema, 1888

Par Léa Chauvel-Lévy

Jusqu’au 4 novembre au centre Pompidou

jardin à la française et aux Folies. Le parcours revisite ces pavillons grandiloquents inspirés de l’Antiquité avec des œuvres contemporaines. De quoi prolonger l’été sans se griller les neurones.

Du 13 sept. au 20 oct.

Jusqu’au 9 nov.

dé-finition/méthode 231. « d'après les maîtres. watteau : “l’enseigne de gersaint” » Claude Rutault La légende veut que Claude Rutault ait découvert son intérêt pour la peinture en repeignant sa cuisine. En passant un coup de pinceau sur une toile restée au mur, cet artiste, à mi-chemin entre grand théoricien et Homo faber, trouva ainsi un geste qu’il continue aujourd’hui de pratiquer. Simplement spectaculaire.

à la galerie Perrotin



© marc domage

cultures SPECTACLES

Gwénaël Morin théâtre

Adepte d’un art antispectaculaire, intense et chamailleur, l’ardent metteur en scène Gwénaël Morin revient, après son expérience de « théâtre permanent », avec un projet-somme autour de l’œuvre de Rainer Werner Fassbinder. Par Ève Beauvallet

Gwénaël Morin présente quatre pièces de Fassbinder : Anarchie en Bavière, Liberté à Brême, Gouttes dans l’océan, Le Village en flammes. Et ce n’est qu’un début. Le but du jeu, à terme, serait de monter toute son œuvre, dans l’intuition qu’elle forme « une anthologie et une archéologie de la violence », prévient Morin. À quarante ans d’écart, la rencontre entre le génial agitateur allemand, engagé dans un décryptage des processus d’aliénation et d’émancipation, et l’offensif metteur en scène français, qui incarne presque à lui seul le nouveau souffle du théâtre politique, tombe presque sous le sens. À la fin des années 1960, l’Antiteater, la troupe de Fassbinder, a fonctionné comme une utopie collective hyperprolifique, une sorte de cousin non médiatique de la Factory où s’élaboraient, tous les jours, à plusieurs, des formes expérimentales de théâtre et de cinéma. Sans aucune allégeance au rythme de production dicté par l’institution. Fidèle au rêve des avants gardes de fondre l’art et la vie… Avec son expérience de « théâtre permanent », menée en 2009 aux laboratoires d’Aubervilliers, et reconduite au théâtre du Point du jour à Lyon, dans laquelle les acteurs créent, jouent, avec présence du public dès

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le début des répétitions, Morin apparaît comme son héritier le plus légitime. Alors, révérence, hommage au père spirituel ? Prudence, explique le metteur en scène : « À la différence de Fassbinder, je ne fais pas de théâtre pour réaliser une certaine forme de la vie commune. La vie commune est pour moi la dynamique nécessaire à la création théâtrale et non pas un but à atteindre. » On comprend bien la nuance quand on a vu les grands textes de répertoire, Lorenzaccio ou Antigone, hurlés par les acteurs de Morin façon manif, joués comme on se lancerait dans un pogo, riches d’une urgence capable de transporter un public aussi diversifié que celui de la ville d’Aubervilliers. « Je fais du théâtre dans la panique », déclare-t-il. À ce rythme, on l’imagine mal débarquer à la Bastille avec une mise en scène proprette des textes de Fassbinder. Moins qu’une chaleureuse révérence, avec illustration fidèle des grandes fresques populaires, attendons-nous à une rencontre sur le mode du corps à corps. Antiteatre, d’après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwénaël Morin, du 18 septembre au 13 octobre au théâtre de la Bastille (Festival d’automne à Paris)

septembre 2013


agenda par è.b.

théâtrale à grand renfort d’effets multimédia et avec un casting séduisant (Cécile de France dans le rôle jadis tenu par Anna Karina). au théâtre du Rond-Point

© marianne rosenstiehl

Du 17 sept. au 19 oct.

Jusqu’au 6 oct.

Dada Masilo Symbole de l’âge d’or du ballet romantique, Le Lac des cygnes prend, chez la jeune virtuose Dada Masilo, le plumage d’une farce politique : derrière les rythmes zoulous, les tutus virginaux et les intermèdes iconoclastes pointent les problèmes liés aux mariages forcés et à l’homophobie en Afrique du Sud. au théâtre du Rond-Point

Muriel Robin Héritière de Louis de Funès génération La Classe, alter ego de Pierre Palmade, pilier des Enfoirés et modèle de la nouvelle scène stand-up, Muriel Robin revient sur scène après huit ans d’absence avec un one-woman-show en forme d’autobiographie fendarde. au théâtre de la Porte-Saint-Martin Le 29 sept.

Jusqu’au 6 octobre

Anna Histoire d’amour sur fond de dictature des images, le téléfilm Anna de Pierre Koralnik (1967), scénarisé par Jean-Loup Dabadie et mis en musique par Serge Gainsbourg, s’offre une déclinaison

Jusqu’au 2 nov.

© miet warlop

Tête de lecture Étonnant et chaleureux concept de soirée littéraire, les sessions Tête de lecture vous proposent, le dernier dimanche de chaque mois, d’apporter un texte court de votre choix pour, si le hasard le désigne, l’entendre lu par le comédien Yves Hecq, avec le concours d’invités de la trempe de Tanguy Viel ou de Marie Nimier. à la Loge

Corps en œuvre Née dans le champ des arts visuels avec l’« art d’action » d’Allan Kaprow, popularisée par des artistes comme Marina Abramović ou Gina Pane, la performance (ou live art) explose aujourd’hui avec des chorégraphes comme Jan Fabre, Daniel Larrieu ou Steven Cohen. Dix d’entre eux seront représentés via des photos et des vidéos dans cette expo ponctuée de performances en direct. à la galerie Coullaud&Koulinsky


cultures JEUX VIDÉO

Killer is Dead Action

Entre jeu de sabre et manga psychédélique, voici le nouveau coup d’éclat de l’immense Goichi Suda, alias Suda 51. Le patron du studio Grasshopper Manufacture nous renverse une fois encore de toute sa folie plastique. Par Yann François

l’ovni du mois The Wonderful 101

(Nintendo/Wii U)

Même s’il déborde d’idées foutraques, Killer is Dead a ce goût d’achevé qui marque le sommet d’une œuvre. Celle de Suda 51, qui peut désormais être présenté comme l’un des auteurs les plus géniaux de cette décennie vidéoludique qu’il a traversée avec une démence anar. Les puristes se souviennent encore de Killer 7, premier chef-d’œuvre du Nippon furieux sur Gamecube, avec lequel il inaugurait en 2005 sa « saga des assassins ». Le principe de Killer is Dead est identique : enchaîner, sans temps mort, les contrats sur des cibles improbables – un zombie mélomane, un samouraï chevaucheur de tigre, etc. Avec son héros, tueur taiseux en costard, armé d’un katana et

d’un bras cybernétique, avec ses allers-­ retours entre réalité et onirisme, avec ses clairs-obscurs et ses décors chromés, le jeu se fait manifeste. Chez Suda 51, tout doit être au service du style et de la sensation. Killer is Dead a beau être un jeu de baston ardu, son ambition est autre : inviter le joueur dans une cathédrale de références cinéphiles ou pop où sont conviés Lewis Carroll, Akira Kurosawa, Cowboy bebop et Samourai champloo. Si l’exercice manque parfois de liant, le tranchant de son anticonformisme sabre tout ce qui bouge. Killer is Dead (Deep Silver/X360, PS3)

trésors des jeux d’arcade Stealth Inc: A Clone in the Dark Le jeu d’exfiltration a connu son âge d’or avec Abe’s Odyssey ou Splinter Cell. Qu’apporte de plus ce petit jeu indé ? Un art de la synthèse. En écartant tout enjeu scénaristique (un clone s’échappe de son usine d’origine, point), Stealth Inc pousse le concept de fuite à un haut degré de prise de tête. S’adressant aux débutants comme aux accrocs du score parfait, ce parcours du combattant des plus sadique est un petit bijou. (Curve Studios/PC, PS3, PS Vita)

Au cœur d’une ville ravagée par une invasion extraterrestre, une escouade de cent super-héros multicolores se dresse contre le mal. Ils sont capables de fusionner entre eux pour matérialiser des armes géantes. Un concept abracadabrant qui nous donne l’un des jeux les plus ardus de cette rentrée. Hommage survolté aux Super sentai, ces fictions télévisées japonaises mettant en scène des justiciers aux tenues colorées, The Wonderful 101 est un gloubi-boulga insensé mais jamais indigeste. Y.F.

Cloudberry Kingdom De loin, Cloudberry Kingdom ressemble à une expérience d’étudiant informaticien qui aurait mal tourné. Dans ce jeu de plateforme, chaque niveau est calculé aléatoirement selon un algorithme complexe et ne ressemble jamais à aucun autre. Porté par ce principe de « hasard » mathématique, Cloudberry Kingdom devient (à quatre joueurs surtout) une chorégraphie hallucinante de sauts et d’esquives. (Ubisoft /PC, PS3, X360, Wii U, PS Vita)

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Par Y.F.

Rogue Legacy Le jeu vidéo rogue-like tient d’abord de la survie : fouiller un donjon, résister jusqu’à l’inéluctable game over, puis recommencer, ad nauseam. Mais voilà qu’arrive Rogue Legacy et son idée, géniale, d’ajouter une dimension familiale à cette quête (chaque avatar est le descendant du héros précédent). De cette alternative découle un mécanisme de jeu imprévisible, faisant de Rogue Legacy un nouveau modèle du genre. (Cellar Door Games/PC)


sélection par Y.F.

Divinity: Dragon Commander

Brothers: a Tale of Two Sons

(Focus Home Entertainment/PC)

(505 Games/X360, PS3, PC)

Dans ce jeu de guerre à l’apparence classique, le joueur se fait à la fois stratège, gestionnaire, commandant d’armée ou même dragon. En mélangeant la stratégie, la tactique et l’action, et en obligeant son joueur à la polyvalence, Divinity: Dragon Commander ne fait-il pas dans la surenchère ? Derrière ce brassage des genres dans un seul et unique jeu se cache une synthèse plus que complète des évolutions du wargame.

Payday 2 (505 Games/PC, X360, PS3)

C’était jusqu’ici une pépite connue des seuls initiés ; Payday prend avec ce nouveau volet toute l’ampleur qu’il mérite. Au sein d’une escouade, quatre joueurs en ligne doivent synchroniser leurs efforts pour réaliser le casse parfait. Enrichi d’un système de scénarios dynamiques dans lequel les objectifs et le déroulé de l’intrigue changent selon l’attitude des joueurs, le jeu s’impose avec fracas comme un concentré de tension et de suspense.

Le thème de la fratrie est largement sous-employé par le jeu vidéo. Brothers… comble cet oubli avec une approche subtile du sujet. L’intelligence du jeu passe par la pleine exploitation de l’idée du duo – assigner à chaque moitié de la manette le contrôle de l’un des deux frères. Grâce à cette jouabilité asymétrique, qui nécessite un temps d’adaptation, le jeu porte une belle idée de coopération entre soi et soi-même (ou entre nos deux pouces).

Pikmin 3 (Nintendo/Wii U)

Le potentiel de la Wii U ne demande qu’à s’épanouir, et Pikmin 3 arrive au bon moment pour nous le rappeler. Avec ses paysages naturels modélisés au microscope, la saga très écolo du créateur de Mario n’a rien perdu de sa grâce. Cet épisode est fortifié d’une dimension stratégique conséquente, où le temps et la faim pèsent à présent sur la survie de nos héros miniatures dans l’écosystème terrien. De loin le meilleur opus de la trilogie.


cultures FOOD

Le jus de Servell L’ARTISAN

En parallèle à une vie dans le cinéma, Christophe Servell, tombé tout petit dans la machine à torréfier, a créé Terres de Café. Il a eu du nez, les vrais amateurs de bons grains sont de plus en plus nombreux. Par Stéphane Méjanès

© DR

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LE CAFÉ DU NIL

De Courbevoie, où son grand-père était torréfacteur, à la Garenne-Colombe, où il cuit ses grands crus, il n’y a qu’une station de tramway. Christophe Servell, cofondateur de Terres de Café en 1979, a ensuite pris bien des détours avant de retrouver du grain à moudre. À la fin des années 1990, il innove ainsi dans l’Internet appliqué au cinéma avec sa société Web Side Story. Il produit même un long métrage en 2009, L’Enfance d’Icare, avec Guillaume Depardieu. Le succès le fuit, pas l’esprit d’entreprise. Bluffé par le modèle du géant de la capsule, mais frustré par l’absence de bruit, d’odeur et de dialogue dans ces boutiques aseptisées, il joue le contre-pied.

Dans sa première échoppe, ouverte en 2009, rue des Blancs-Manteaux, ça torréfie, ça moud, ça extrait, ça papote et ça rigole. Le petit noir, si mauvais et si cher ailleurs, est à un euro trente, tarif unique. Prix découverte pour des cafés de terroirs, purs ou assemblés comme des cépages. Sa mission évangélisatrice, il la poursuit depuis dans trois autres lieux. Et partout dans le monde où des producteurs se libèrent du carcan de l’agro-industrie. Des États-Unis à l’Australie, en passant par l’Asie, un monde meilleur carbure au café. Et ce n’est pas du cinéma. Infos, commandes et adresses des boutiques : www.terresdecafe.com

vous prendrez bien un café ? Coutume Café Antoine Nétien, le Français, et Tom Clarke, l’Australien, ont été parmi les premiers à ouvrir un coffee shop à Paris. Torréfaction sur place, mouture à la demande, expresso, filtre, mais aussi plats salés et glaces maison, telle la headless horseman, à base d’un mélange 50 % Brésil, 25 % Burundi, 25 % Colombie.

47, rue de Babylone – 75007 Paris / Tél. : 01 45 51 50 47 / www.coutumecafe.com

Ten Belles Un bébé dans la famille des coffee shops, mais déjà grand. Thomas Lehoux, cofondateur des Frog Fight (concours de baristi), y sert des cafés torréfiés par le Téléscope (www.telescopecafe.com), autre institution parisienne. Les pâtissiers du Bal Café font le reste, banana muffin ou peanut butter brownie.

10, rue de la Grange-aux-Belles – 75010 Paris / Tél. : 01 42 40 90 78 / www.tenbelles.com

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L’Arbre à Café Hippolyte Courty enseignait l’histoire quand le café, qu’en ces temps pas si éloignés il ne goûtait pas particulièrement, a déboulé dans sa vie, via un arabica du Guatemala. Devenu torréfacteur, il ne jure que par le monovariétal. Des chefs renommés le suivent : Sven Chartier, depuis le piano du Saturne, ou Stéphanie Le Quellec, qui l’a choisi pour son restaurant La Scène, dans les murs rénovés du prestigieux hôtel Prince de Galles. Il vient d’ouvrir une boutique à Paris. On y passerait des heures. S.M.

L’Arbre à Café 10, rue du Nil 75002 Paris info@larbreacafe.com

Par S.M.

Café Lomi Les créateurs du Café Lomi se définissent toujours comme des torréfacteurs artisanaux. Après être restés entre pros, ils se sont ouverts au public dans un lieu fourni par la Ville de Paris. Outre la sélection de cafés, expresso ou infusés, mention spéciale pour les pâtisseries, scones ou shortbreads, à tomber. 3 ter, rue Marcadet – 75018 Paris / Tél. : 09 80 39 56 24 / www.cafelomi.com



cultures DESIGN

L’Orient à la française Boutique

Voilà deux ans que la Compagnie Française de l’Orient et de la Chine s’est réveillée, grâce à une refonte globale. Elle vient de réinvestir sa deuxième adresse mythique, au 260, boulevard Saint-Germain.

100 CONTEMPORARY GREEN BUILDINGS Renzo Piano, Shigeru Ban, Office DA… Beaucoup d’architectes, plus ou moins connus, ont répondu à l’appel de la nature, parfois bien avant l’arrivée de la vague écologique. Dans ce beau livre, Philip Jodidio a gardé les projets plus photogéniques, s’autorisant heureusement quelques libertés vis-à-vis des critères HQE (haute qualité environnementale) avec un seul credo : « green ! » De quoi laisser respirer un peu vos murs et embellir votre table basse. O.D. 100 Contemporary Green Buildings de Philip Jodidio (Taschen)

EXPOSITION © cliché baranger / coll. pavillon de l’arsenal

© dr

LIVRE

Par Oscar Duboÿ

Aficionados du style oriental, souvenez-­ vous : il y a encore quelques années, vous aviez coutume d’acheter un bol à poissons iranien, une théière ou une petite table en bambou sur le boulevard Haussmann ou le boulevard SaintGermain, suivant votre rive. Ça s’appelait la Compagnie Française de l’Orient et de la Chine et ça dégageait un petit air désuet, venu de Chine ou d’ailleurs, toujours exotique. Aujourd’hui, le vent y souffle encore, mais avec une fraîcheur un peu plus moderne puisqu’en 2011 la maison – appelez-là désormais CFOC – a été reprise par le groupe Emerige, qui en a confié la direction artistique à François Schmidt et Sarah Lavoine. Grâce à eux, la magie continue d’opérer sous des lignes plus épurées : linge

de maison, vaisselle, vases, luminaires ont subi un lifting minimaliste pour le moins tonifiant et comptent déjà leurs nouveaux best-sellers. Il faut avouer que la recette est efficace puisque les prix sont assez variés pour concerner toutes les bourses et que les collections de Valérie Le Héno y côtoient des pièces signées par la jeune garde du design – A+A Cooren, Benjamin Graindorge… Mélangez ensuite une esthétique asiatique sans trop de chichi et un savoirfaire qui va de la laque à la verrerie de Toyama et vous obtenez une sacrée galerie d’idées cadeaux à même de satisfaire aussi bien votre frère que votre grandmère, pourvu qu’ils aient bon goût. www.cfoc.fr

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Pigalle la nuit, vers 1950 PARIS LA NUIT Le pavillon de l’Arsenal donne un beau coup de pied aux mornes soirées de la capitale : Paris la nuit est un objet hybride qui mélange exposition, promenades fluviales et explorations insolites à travers les méandres d’une ville pas aussi endormie qu’on le dit. Côté visite, sous un impressionnant abri de Daniel Vaniche, on (re) découvre une sorte de grand atlas interactif de Paris qui nous laisse espérer encore quelques bonnes nuits en perspective. O.D. Jusqu’au 6 octobre au pavillon de l’Arsenal



cultures VOYAGES

sur les traces d’Ann ©rda

jour 1

sur les lieux du tournage de…

Vacances romaines

garçonne. Joe tente, quant à lui, de racketter un appareil photo à un bambin, afin de pouvoir immortaliser Ann. On conseille plutôt une visite tard la nuit, façon Dolce vita. jour 4

Par Laura Tuillier (à Rome)

« Introducing Audrey Hepburn. » Voilà comment s’ouvre Vacances romaines (1953) de William Wyler. Hepburn a 24 ans et s’apprête à décrocher l’Oscar de la meilleure actrice pour ce rôle de princesse téméraire qui se volatilise dans Rome, mettant la ville et le charmeur Gregory Peck en émoi. William Wyler réalise ici, avant son mythique péplum de 1959, Ben-Hur, une comédie romantique essentiellement tournée en extérieur. La princesse Ann effectue la visite des grandes capitales européennes, prise dans l’étau d’un protocole poussiéreux qui ne sied guère à son jeune âge. Lors de sa première soirée à Rome, elle succombe au charme de la ville éternelle et prend la poudre d’escampette. Près des ruines du Colisée, elle fait la rencontre de Joe Bradley, un journaliste de l’American News Service. Après une nuit mouvementée, la princesse décide de profiter de son escapade pour s’encanailler incognito. Commence alors, pour les deux Américains en goguette, une visite festive de la ville doublée d’une idylle. Alors que les scènes d’extérieur ont été tournées sur les pavés romains, celles d’intérieur (notamment dans la chambre du reporter) ont été filmées à Cinecittà, le célèbre studio italien, qui vit alors son âge d’or. Si le film de Wyler souffre de quelques longueurs et de l’interprétation mollassonne de Gregory Peck, il donne l’occasion à Audrey Hepburn de dévoiler son talent multifacette. La princesse gracieuse et blasée laisse peu à peu la place à une jeune fille survoltée et mutine, volontiers comique. Sa pérégrination européenne annonce d’ailleurs d’autres vacances réussies, à Paris cette fois : ce sera dans Drôle de frimousse (1957) de Stanley Donen, en compagnie de Fred Astaire.

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Via Margutta Reconstituée en studio, la charmante Via Margutta, qui abrite la chambre de bonne de Joe Bradley, existe bel et bien. Elle se situe dans le quartier très touristique de la Piazza di Spagna et offre au promeneur une halte fraîche et paisible. Aujourd’hui, les créateurs de mode et les restos branchés y ont élu domicile. jour 2

Piazza di Spagna Ann s’achète une glace qu’elle s’en va déguster sur les marches de cette place monumentale, située au centre du « quartier des étrangers », qui abrite depuis le xviii e siècle une quantité impressionnante d’hôtels. À deux pas de là, on recommande le Ristorante alla Rampa, qui lui est typiquement italien. www.allarampa.it

jour 3

Fontana di Trevi C’est l’étape matinale de la princesse. Comme un acte libératoire, elle décide de s’y faire couper les cheveux à la

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Le Panthéon À la mi-journée, Ann et Joe font une halte bienvenue au Caffè G. Rocca, où la princesse, reprenant les habitudes de son rang, commande du champagne, avant de s’aventurer à fumer sa première cigarette. Ledit café n’existant pas, c’est à l’Antico Caffè della Pace qu’il faut aller pour savourer un délicieux et savoureux cappuccino bien crémeux. www.caffedellapace.it jour 5

Castel Sant’Angelo Pour clore en beauté son tour de Rome, Ann va danser sur une péniche amarrée au pied du somptueux Castel Sant’Angelo, mausolée de l’empereur Hadrien. De jour, une balade sur les quais qui entourent le Ponte Sant’Angelo s’impose, avant d’enchaîner sur la visite du château, qui offre une vue panoramique sur la ville. www.castelsantangelo.com



cultures

PRÉSENTE

Photoquai Exposition

La quatrième édition de la biennale des images du monde, Photoquai, présente du 17 septembre au 17 novembre les œuvres de quarante photographes contemporains méconnus en Europe, à découvrir sur les quais de Seine et dans le jardin du musée du quai Branly.

© musée du quai branly, photoquai 2013

Par Claude Garcia

Andrés Figueroa, Bailarines del Desierto, 2008

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© musée du quai branly, photoquai 2013

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Amit Madheshiya, At a Tent Near You, 2008

epuis plus de six ans, le musée dédié aux arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques prend le pouls de la photographie en dehors des frontières de l’Europe en allant à la rencontre d’artistes qui travaillent sous d’autres latitudes. En 2011, les photographes retenus avaient été réunis autour d’un sujet inattendu, « le bruit du monde ». Pour cette édition, quarante photographes sont fédérés autour du thème « regarde-moi ». En jeu, l’approche du masque humain, ses gammes d’expressions et la manière de les fixer et de les transcender à travers cet autre œil qu’est l’objectif. Les regards photographiés croisent ceux des visiteurs, miroirs tendus pour certes faire dialoguer des cultures aux visages différents, mais aussi pour nous rapprocher de la photographie extraoccidentale dont les figures contemporaines sont peu présentes sur nos murs d’expositions. Les quarante photographes de cette édition ont été sélectionnés par des commissaires d’expositions venus des quatre coins du globe : Asie, Afrique, Proche et Moyen-Orient, ex-U.R.S.S., Chine et Extrême-Orient, Océanie, Amérique Latine. La direction artistique a été confiée à l’Espagnol Frank Kalero. Directeur du magazine Punctum, spécialisé dans la photographie panasiatique, il est un acteur incontournable de plusieurs grands rendez-vous photographiques et culturels, en Espagne comme au Brésil.

L’intérieur du musée accueillera deux expositions à l’occasion de cette biennale photographique : Résidences de Photoquai, (du 13 novembre 2013 au 26 janvier 2014) qui présente les lauréats des résidences des années passées, et Nocturnes de Colombie, Images contemporaines (du 17 septembre 2013 au 2 janvier 2014), qui est axée elle sur la photographie colombienne contemporaine. Les œuvres de quatre artistes actuels – Juan Manuel Echavarría, Miguel Ángel Rojas, José Alejandro Restrepo et Óscar Muñoz – refléteront en quatre sections les mutations d’un pays d’Amérique du Sud trop peu représenté dans l’Hexagone. Parmi ces artistes, le parcours de Miguel Ángel Rojas est exemplaire de la portée symbolique de Photoquai. Dans les années 1970/1980, il a photographié des visages d’homosexuels réfugiés dans des salles de cinéma de la capitale colombienne. Son œuvre, composée de clichés aux contours flottants et de silhouettes d’hommes en clair-obscur, fait écho à l’ambition du projet de la manifestation photographique organisée par le musée du quai Branly, à savoir faire du visage de l’homme le théâtre d’un monde mis en relief par sa diversité.

Photoquai, quatrième biennale des images du monde Du 17 septembre au 17 novembre, jardin du musée du quai Branly et quai Branly

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cultures

PRÉSENTE

Agnes Obel Musique

Auréolée du succès public et critique de son beau premier disque, et forte du tube Riverside, Agnes Obel n’a pas pris la grosse tête. La Danoise revient avec Aventine, un album fidèle à elle-même : simple, épuré et hors du temps. Par Éric Vernay

© alex bruel flagstad

Le disque

Publié en 2010, Philharmonics s’est vendu à un demi-million d’exemplaires. Mais les lauriers n’ont pas vraiment changé Agnes Obel. Pas de melon, ni de pression à l’horizon. « J’avais cons­cience que ma musique serait plus écoutée et exposée cette fois-ci. Mais je n’ai pas eu à me hâter, j’ai fait cet album à mon rythme, sans contrainte extérieure, au moment où il s’est imposé à moi. » Agnes Obel est comme sa pop-folk : accessible, sans chichi. « J’ai l’air très normale », précise-t-elle en riant. Chez elle, à Berlin, les gens ne la reconnaissent toujours pas dans la rue. C’est vrai qu’avec ses longs cheveux détachés et ses pieds nus dépassant d’un vieux jean délavé, la trentenaire

évoque moins la diva branchée des villes que la timide fille des champs. Depuis son apparition dans un court métrage de Thomas Vinterberg en 1994, elle se tient éloignée de la lumière. « J’aimerais travailler pour un film, mais pas devant la caméra. Je préfère prendre une photo qu’être le modèle », confie la cinéphile. Sur la pochette de Philharmonics, inspirée des Oiseaux de Hitchcock, elle n’était « pas à l’aise avec le fait d’être au centre de l’image. Du coup, on a rajouté une chouette à côté de moi, pour décaler un peu l’atten­tion. » Raté. Aventine d’Agnes Obel (PIAS) Sortie le 30 septembre

sélection Ciné BD En partenariat avec les éditions Dargaud, carte blanche à René Pétillon, à l’occasion de la sortie du tome XV de Jack Palmer, sa célèbre bande dessinée qui suit un inénarrable détective privé dans ses enquêtes au tour imprévisible. Projection de To Be or Not to Be d’Ernst Lubitsch, choisi par l’auteur, précédée d’une rencontre et d’une séance de signatures. au MK2 Quai de Loire, le 1 er octobre à 20h

Par C.Ga.

Georges Braque Le Grand Palais accueille une rétrospective de l’artiste. Né en 1882 et mort en 1963, Georges Braque est l’une des figures de proue du cubisme et des papiers collés. Il a par la suite recentré son travail sur les natures mortes et les paysages. Venues du monde entier, les œuvres sont mises en perspective avec la peinture, la littérature ou la musique de leur temps.

au Grand Palais, du 18 septembre au 6 janvier

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Comme Philharmonics, Aventine s’ouvre sur une rêverie instrumentale au fil des quatre-vingt-huit touches du piano, à la Erik Satie. Puis, là encore, on se laisse ensorceler par les dignes successeurs de Riverside et de Brother Sparrow, les singles ô combien mélancoliques qui ont révélé la Danoise. Si l’apparition d’une harpe écossaise ou d’un altiste du groupe folk Timber Timbre offrent quelques variations au répertoire épuré de cette héritière d’Elliott Smith, ces subtiles nouveautés n’entament pas son entêtant parfum atemporel. É.V.

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Mensonges d’États Portée par Samuel Le Bihan et Marie-­Josée Croze, cette pièce revient sur l’opération Fortitude, pendant peu connu du débarquement. Le but : faire croire à Hitler que le véritable débarquement aura lieu dans le Pas-de-Calais et non en Normandie. Un spectacle prenant qui interroge les mécanismes du mensonge. de Xavier Daugreilh, mise en scène de Nicolas Briançon, au théâtre de la Madeleine, à partir du 20 septembre



cultures

EXPORT

70 cl

iye türk

ista nbu

l

Les bons plans de Time Out Paris à :

Istanbul Compilés par Chris Bourn Rédacteur en chef de Time Out International

Pour ceux qui profitent de leurs congés en septembre, Istanbul reste un endroit chaud et moite à la fin de l’été. Cela ne vous empêchera pas de vous y plaire, même si vous n’avez ni air conditionné ni yacht privé. Avec l’expérience multiséculaire des jours bouillants, les Stambouliotes ont développé une grande variété d’activités qui vous maintiennent au frais. Les vieux classiques, bien sûr, comme s’asseoir sur les rives du Bosphore ou sentir le vent sur le pont d’un ferry, mais chaque été apporte aussi son lot de nouveautés avec des terrasses, des bars ou des galeries d’art. Où que vous soyez, vous trouverez un moyen de vous rafraîchir… y compris dans un bain turc.

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Petit déjeuner

Musée

Au bord de l’eau, dans une ambiance sereine et amicale, le Bebek Kahve est l’un des meilleurs endroits pour prendre un petit déjeuner à tout petit prix. Achetez un simit dans un étal de la rue, puis dégustez-le avec un thé dans l’autre main et la vue imprenable sur le Bosphore pour salon.

Le Pera Müzesi est réputé pour la qualité et la diversité de ses expositions temporaires qui convoquent des artistes venus des quatre coins du monde. L’endroit présente aussi une collection permanente de peintures orientalistes, des mosaïques et des céramiques de la ville des princes de Germiyan, la merveilleuse Kütahya.

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retrouvez toutes ces adresses sur www.timeout.com/istanbul

Art contemporain

Végétarien

Le Masumiyet Müzesi (« musée de l’Innocence »), qui a ouvert ses portes en avril 2012, est inspiré du roman du même nom, publié en 2008 par Orhan Pamuk. Arts graphiques, vidéos, photographies et installations sonores s’unissent pour créer une atmosphère nostalgique dans laquelle baignent des éléments clés du livre.

Le Parsifal est un petit endroit très confortable, meublé de tables et de chaises en bois, encadré par des murs décorés de photographies. L’ambiance est plus que détendue. Au menu : des repas complètement végétariens à des prix tout à fait accessibles. Une bonne option pour faire une pause, le midi comme le soir.

Club

Le Hayal Kahvesi est l’un de nos endroits favoris. Son atmosphère et son animation garantissent un moment de joie dans le quartier de Beyoğlu. Dans ce cadre chaleureux et authentique, on trouve de l’excellente nourriture, une musique de qualité, du théâtre et même des spectacles de magie.

Bains turcs

Les hammams à Istanbul ferment rarement avant dix heures du soir et sont pour la plupart ouverts jusqu’à minuit. Pour un luxueux récurage nocturne, essayez l’Ayasofya Hürrem Sultan Hamamı, un joyau récemment restauré au cœur de Sultanahmet, ou la valeur sûre, le Çemberlitaş Hamamı.

Galerie

The Empire Project repère et expose des formes d’art contemporain venues de régions qui sont directement liées historiquement à la zone d’influence culturelle d’Istanbul, parmi lesquelles le pourtour méditerranéen, la péninsule arabique, l’Europe de l’Est, l’Anatolie ou la mer Noire.

Musique indé

Si vous cherchez un lieu où découvrir la scène musicale alternative stambouliote, c’est au Peyote que vous devez vous rendre. Le premier étage du club a été transformé en salle de concert. La fête dure toute la nuit, que l’on soit en train de chauffer la piste ou relax, assis en terrasse.

Jazz

Bar

Le Istanbul Jazz Center accueille les fans de jazz avec le message suivant : « L’épicentre du jazz à Istanbul. » L’endroit est bien sûr réputé pour sa programmation – il accueille fréquemment de grands noms comme Stanley Clarke ou Lee Konitz –, mais son bar impressionnant leur vole parfois la vedette.

Le Beer Port est sans aucun doute le nec plus ultra, en ces jours de chaleur, pour ceux qui doivent attendre le prochain ferry en direction de la rive asiatique de la ville. Avec ses prix attractifs, le Beer Port fait tout pour vous convaincre de marquer une pause autour d’une bière fraîche.

Shopping

Bar

Le Beyrouth Cafe Club sert de délicieuses spécialités venues du Moyen-Orient et de la Méditerranée, rehaussées de petites touches de modernité. Comme son nom l’indique, l’endroit est divisé en deux : un café et une boîte. Parfait pour faire connaissance la journée, et pour se lâcher en soirée.

Vintage

Le magasin Binbavul Vintage est probablement le plus expérimenté des fournisseurs de trouvailles d’un autre temps. Fehmi Gönen y vend depuis des années fringues, chaussures, lunettes et toutes sortes de babioles. Ici on peut trouver une robe psychédélique des années 1960 à côté d’un caftan.

Ouvert en 1972, Urart est un magasin spécialisé dans la joaillerie d’inspiration ottomane qui abrite moult chefs-d’œuvres. 2013 étant l’année du serpent dans le calendrier zodiacal chinois, la nouvelle collection compte de délicates créatures rampantes en pierres précieuses.

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Club

Nublu est à la fois le nom du club new-yorkais du saxophoniste Ilhan Ersahin et de son label de disques. Depuis l’hiver dernier, c’est aussi le nouveau haut lieu du quartier de Karaköy, très prisé des musiciens. L’endroit parfait pour assister à un bon concert, après avoir dîné à Asmalımescit.


cultures

le film du mois par time out paris

Jimmy P.

(Psychothérapie d’un Indien des plaines) Tourné aux États-Unis et en anglais, Jimmy P. s’impose comme une intéressante variation dans l’œuvre d’Arnaud Desplechin, portée par l’inédite rencontre de son acteur fétiche, Mathieu Amalric, et d’un surprenant Benicio del Toro. Par Alexandre Prouvèze – timeout.fr/paris/cinema

Pour son premier long métrage américain, Arnaud Desplechin poursuit son exploration des caractères névrotiques, en choisissant de s’attaquer aux balbutiements mêmes de la psychanalyse, pour rejoindre un registre ayant déjà largement fait ses preuves, celui du « film de psy », à la manière de La Maison du docteur Edwardes d’Alfred Hitchcock ou, plus récemment, du A Dangerous Method de David Cronenberg. S’inspirant des écrits de Georges Devereux, psychanalyste et anthropologue européen des années 1950, Desplechin délocalise ses thèmes de prédilection dans un Kansas de western. Devereux, interprété ici par l’évident – mais toujours réjouissant – Mathieu Amalric, se trouve appelé à étudier les troubles d’un Indien traumatisé par la Seconde Guerre mondiale, Jimmy Picard (Benicio del Toro). Le scénario est surtout l’occasion pour le cinéaste d’orchestrer la rencontre de son comédien fétiche et

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de l’inattendu et magnétique Benicio del Toro. Et effectivement, l’alchimie fonctionne bien : le premier apporte nervosité, humour et un truculent accent français ; le second, un jeu tout en douceur et retenue, colosse Blackfoot à l’inconscient d’argile. Les seconds rôles, dont la pétulante Britannique Gina McKee, permettent alors de sortir le film d’un faceà-face qui aurait couru le risque d’une trop grande linéarité. Au final, cette aventure américaine du réalisateur de Rois & Reine se révèle aussi agréable que classique dans l’exploration de thèmes universels – le rêve, la famille, la mémoire, le déracinement… Même si le fameux sens du dialogue de Desplechin semble parfois un tantinet moins inspiré. d’Arnaud Desplechin avec Benicio del Toro, Mathieu Amalric… Distribution : Le Pacte Durée : 1h56 Sortie le 11 septembre

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LE BAR DU MOIS par time out paris

top 5 du mois

En attendant Rosa

par time out paris

1. Scènes À partir du 13 septembre, plus de soixante manifestations entre musique, théâtre, danse, cinéma et arts plastiques dispersées aux quatre coins de la capitale. Si l’on ne voyait pas les premières feuilles se détacher des arbres, on se croirait presque à Avignon. Festival d’automne à Paris, du 13 septembre au 12 janvier

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3. Exposition Du corset au slip kangourou, en passant par la robe en cage ou le justaucorps, le musée des Arts décoratifs propose une expo érudite et ludique autour de ces tenues retorses qui, du Moyen Âge à nos jours, ont compressé, muselé, pétri et enlacé les corps. « La mécanique des dessous, une histoire indiscrète de la silhouette », jusqu’au 24 novembre, au musée des Arts décoratifs

5. Art Avec plus de soixante artistes, nouveaux talents de l’illustration, du street art ou de la typographie, Sergeant Paper propose un florilège de découvertes artistiques en éditions limitées : des œuvres graphiques provocantes, surréalistes ou burlesques, à partir de vingt euros. Sergeant Paper — 38, rue Quincampoix, Paris IV e

37, quai d’Orsay, Paris VIIe timeout.fr/paris/bar

le resto

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4. Film Après la présentation d’une rétrospective et de sa correspondance avec Lisandro Alonso au centre Pompidou en début d’année, le catalan Albert Serra revisite les derniers moments de la vie de Casanova en y mêlant esthétique, libertinage et vampirisme. Histoire de ma mort, avant-première le 12 septembre au centre Pompidou, en présence d’Albert Serra

En attendant Rosa reste en place, même si les attractions estivales ont plié bagage, offrant un panorama unique sur la tour Eiffel, le Grand Palais et le pont Alexandre III. Des bâches et des chauffages seront installés pour passer l’hiver, avant l’arrivée du bateau définitif. Pour l’instant, on vient s’abandonner au soleil sur des coussins moelleux, travailler en wifi, s’asseoir en groupe à des tables conviviales, les pieds dans l’eau. Les berges de la Seine se muent en haut lieu de la jeunesse parisienne, et une fois n’est pas coutume, toutes tribus confondues. À côté, le Flow, moins bobo et plus branché, armé d’une forêt de transats, attendra lui aussi sa barge, qui n’arrivera qu’à la fin de l’été prochain et sera multiforme : salle de concert, club, bar-resto… Quant au Faust (restaurant, bar, salle de spectacle et club haut de gamme), il commencera ses travaux pharaoniques dès septembre. C.GR.

Le Jardin

© dr

2. Concert Après un premier concert à guichets fermés en mai dernier, les Pixies, et leur mythique Where is my Mind?, reviennent (sans la bassiste Kim Deal) à l’Olympia. Emmenés par Frank Black, ces préfigurateurs du grunge ont largement de quoi retrouver une deuxième jeunesse. The Pixies, les 29 et 30 septembre, à l’Olympia

La guinguette de l’équipe du Rosa Bonheur vient d’installer son bar de plage sur les nouvelles voies sur berges. En attendant un prochain bateau qui doit accueillir d’ici décembre un bar et un restaurant.

La Pulperia Une cuisine recouverte de céramique blanche, ouverte sur une salle chaleureusement bruyante, et une popote de bistrot, enflammée par le talent d’un chef argentin. Selon les saisons, on trouve à la carte de jolies spécialités latines ou des classiques au (bon) goût du jour. Il faut compter environ quarante-cinq euros au dîner, mais pour la qualité des produits et le tempérament de feu de cette cuisine, ce n’est pas exagéré. D’autant que les tarifs chutent à l’heure du déjeuner, avec sa formule à seize euros cinquante. 11, rue Richard Lenoir, Paris XIe timeout.fr/paris/restaurant

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Jardin Albert Kahn La ligne 10 termine sa course aux portes d’un village japonais et d’une forêt des Vosges. Bienvenue au jardin Albert Kahn, au cœur de Boulogne-Billancourt. Chaque section fut modelée selon le style et la flore d’une région du monde. L’occasion d’une douce flânerie, à l’ombre de cèdres marocains ou d’épicéas bleus du Colorado. Les mardis et dimanches de septembre, on peut même assister à une cérémonie traditionnelle de thé japonaise. 10-14, rue du Port, 92120, Boulogne-Billancourt Du mardi au dimanche de 11h à 18h, et jusqu’à 19h de mai à septembre. timeout.fr/paris/musee


LES SALLES BASTILLE

BEAUBOURG

BIBLIOTHÈQUE

GAMBETTA

GRAND PALAIS HAUTEFEUILLE

NATION

ODÉON

PARNASSE

QUAI DE LOIRE QUAI DE SEINE

agenda Jusqu’au 22 septembre Cycle « Jazz à la Villette » MK2 quai de Loire et MK2 quai de Seine

© ken howard

Les samedis et dimanches en matinée, projection des documentaires The Soul of Man de Wim Wenders, La Route de Memphis de Richard Pearce, Red, White and Blues de Mike Figgis, Du Mali au Mississipi de Martin Scorsese, Godfathers and Sons de Marc Levin et Devil’s Fire de Charles Burnett.

À partir du 25 septembre Cycle Spike Lee MK2 quai de Loire

DANS LE RÉSEAU MK2 Renée Fleming chante Rusalka

festival

L’opéra part en live Par Claude Garcia

Les plus belles représentations de ballet et d’opéra reviennent dès la rentrée dans vos cinémas. Pour la quatrième année consécutive, le public des salles MK2 va pouvoir assister à des retransmissions en direct depuis le Bolchoï de Moscou ou le Metropolitan Opera de New York. Les célèbres institutions y révéleront ce qui fait toute la richesse de la création contemporaine. Pour ouvrir la saison en beauté, Spartacus, l’un des ballets phares du Bolchoï, retrace l’histoire légendaire de l’esclave devenu gladiateur. Afin de bien commencer l’hiver, il faudra assister à la représentation de La Belle au bois dormant de Tchaïkovski et poursuivre avec Joyaux, chorégraphié par Georges Balanchine en un délicieux mélange des genres. L’année prochaine, au mois de février, il ne faudra manquer sous aucun prétexte L’Âge d’or

de Chostakovitch et Les Illusions perdues de Desyatnikov, avec une dramaturgie revue par Guillaume Gallienne dont le film, Les garçons et Guillaume, à table !, a été remarqué à Cannes en mai dernier. Du côté du Met, l’automne sera l’occasion de découvrir une nouvelle version d’Eugène Oneguine, ainsi qu’une Tosca mise en scène par Luc Bondy. La saison continuera avec Le Nez et Falstaff, deux comédies lyriques hautes en couleur. Mars permettra de profiter d’une nouvelle mise en scène de Werther (musique de Jules Massenet), tandis que La Bohème de Puccini éclairera le début du printemps. Enfin, le monument Così fan tutte (Mozart) clôturera la saison du Met avec faste. Ballets et opéras du Bolchoï et du Met Retrouvez la saison 2013-2014 sur mk2.com Eugène Oneguine, le 5 octobre, au Mk2 quai de Seine et au Mk2 Gambetta

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septembre 2013

Les samedis et dimanches en matinée, projection d’Inside Man : L’Homme de l’intérieur et La 25e Heure de Spike Lee, à l’occasion de la sortie de son nouveau film, Old Boy.

Le 16 septembre à 20h Avant-première MK2 quai de seine

Projection de La Bataille de Solférino de Justine Triet, en présence de l’équipe du film.

Le 23 septembre à 20h Avant-première MK2 bibliothèque

Projection de Blue Jasmine de Woody Allen.

Le 30 septembre à 20h30 Rendez-vous des docs MK2 quai de Loire

Projection de Vies d’Alain Cavalier (2000), en présence du réalisateur.

Le 1 er octobre à 20h Ciné BD MK2 quai de Loire

En partenariat avec les éditions Dargaud, carte blanche à René Pétillon à l’occasion de la sortie du tome XV de Jack Palmer. Projection de To Be or Not to Be d’Ernst Lubitsch, choisi par l’auteur, précédée d’une rencontre et d’une séance de signatures.

Les lundis à 18h15 Les conférences philosophiques de Charles Pépin MK2 hautefeuille

Au programme : « Qu’est-ce qu’être fou de joie ? » ; « Qu’est-ce que l’intériorité ? » ; « Est-ce quand on cherche qu’on trouve ? » ; « L’optimisme, pour quoi faire ? ».


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