Trois Couleurs #115

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le monde à l’écran

le transperceneige du 9 oct. au 5 nov. 2013

Interview en tête de train avec Bong Joon Ho

jackie berroyer

Rock et philo avec le standardiste de Nulle part ailleurs

et aussi

Vandal, Chris Marker, Histoire de ma mort, Paul Greengrass…

no 115 – gratuit

Comment filmer l’espace ? Réponses avec Alfonso Cuarón, le réalisateur de Gravity




l’e ntreti e n du mois

Jackie Berroyer Connu pour ses apparitions au cinéma (Encore, Calvaire, Je suis un no man’s land) ou pour son rôle de standardiste intempestif dans Nulle part ailleurs (période Gildas-de Caunes), Jackie Berroyer a aussi une belle carrière de scénariste (Lune Froide, Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel), de journaliste (Hara-Kiri, Charlie Hebdo, Rock & Folk, Actuel, Vibrations) et d’écrivain, dans un style humoristique et singulier. Pour la réédition de son premier livre, Rock’n’roll & chocolat blanc, on a parlé rock et philo avec lui.

© fabien breuil

PAR WILFRIED PARIS

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octobre 2013


l’e ntreti e n du mois

« Je m’étais fait enfermer dans un hôpital psychiatrique pour observer ça de l’intérieur. »

J

’ai rencontré Jackie Berroyer à une soirée où l’on devait tous les deux passer des disques. Comme il avait oublié ses lunettes, on m’avait intronisé assistant DJ : je devais appuyer sur la touche lecture pour lancer les morceaux de sa sélection. Mais quelle sélection ! Le krautrock de Can, l’afrobeat de Fela, le rock prog de Gong, le dubstep de James Blake ou un titre de son fils Guillaume, alias Ark, pour relancer la machine electro… Jackie a bon goût et il me racontait, pendant que sa playlist défilait, des anecdotes sur Miles Davis, le « James Brown Picasso » tel qu’il le décrivait déjà en 1979 dans son tout premier bouquin, Rock’n’roll & chocolat blanc. La maison d’édition Wombat réédite justement ce road trip un peu gonzo sur la scène rock française de la fin des années 1970 (Téléphone, Starshooter, Higelin, Marie et les Garçons, Stinky Toys…), et je me retrouve à sonner à l’interphone de Jackie, dans l’immeuble du boulevard de Sébastopol qu’il habite depuis plus de vingt ans et qui est presque devenu un personnage de ses nombreux romans – Mon cancer, ma jaguar, Je vieillis bien, La femme de Berroyer est plus belle que toi, connasse… Apparemment, il a oublié notre rendez-vous. Il dormait, après une semaine bien chargée, à tourner un film de science-fiction avec Anna Mouglalis (Cosmodrama, de Philippe Fernandez), à être juré au festival international du Film grolandais à Toulouse ou bien en promo pour le film de Yolande Moreau, Henri. L’exercice ne l’enchante pas : « La promo, c’est comme un boulot supplémentaire : prendre un train, aller dans une ville inconnue, mal dormir à l’ hôtel, manger des petits fours réchauffés. En fait je ne me sens en vacances qu’ici, chez moi. » On se pose quand même dans la cuisine, devant une bière pour moi, un thé pour lui, entre un portrait de Louis de Funès au-dessus de l’évier, un autre de Charley Patton dessiné par Crumb et plein de bouquins dispersés sur la table – La Chaîne de Topor, un Philip K. Dick, Je suis une légende de Richard Matheson… Je pose mon enregistreur à côté d’une soupière.

En 1979, tu es chroniqueur musical à Charlie Hebdo et à Rock & Folk et tu écris ce livre qui dépeint l’éclosion du nouveau rock français. C’est un ouvrage qui raconte la jeunesse, mais grâce auquel on assiste aussi à la naissance d’un écrivain. D’un « écriveur » en tout cas. C’est effectivement le tout début de mon travail d’écriture. J’arrive en disant : « Bon voilà, j’écris un livre, maintenant on aura tout vu. » Je n’étais pas sûr de vouloir le voir rééditer, ce texte, je trouve que j’y enfonce un peu des portes ouvertes. Si tu vas voir Jean-Louis Aubert et que tu lui parles de Téléphone, il va te répondre : « Parlez-moi de mon dernier disque ! » Mais je suis peut-être un peu sévère avec moimême, il y a des gens qui trouvent amusant ce témoignage sur l’époque… Et j’aime beaucoup la couverture dessinée par Serge Clerc. On y trouve en tout cas des traits communs à toute ton œuvre : l’autofiction, l’humour, une grande tendresse pour tes sujets, un sens aigu de l’observation. Est-ce que tu étais influencé par le journalisme gonzo de Lester Bangs ou de Hunter S. Thompson ? Non, je ne lisais pas trop ça. À Charlie Hebdo et à Hara-Kiri, on m’envoyait bien faire des reportages, par exemple dans une centrale nucléaire, mais dans mon article, je racontais comment je n’y étais pas allé ! J’étais toujours un peu dilettante, décalé. Plus tard il y a eu des demandes d’Actuel pour des articles où les journalistes se mettaient dans la peau d’autres gens. Il y en avait un qui faisait très jeune et qui était donc retourné au lycée ; un autre s’était grimé en noir pour observer le racisme dans une usine ; moi je m’étais fait enfermer dans un hôpital psychiatrique pour observer ça de l’intérieur. Par la suite, quand j’ai travaillé sur le scénario du film de Laurence Ferreira Barbosa Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel, j’ai repris des éléments de ce reportage. Mais je ne suis pas quelqu’un qui théorise son travail, qui se dit : « Il faudrait aller écrire sur le toit de la maison et y coucher avec la concierge. » Non, moi je couche avec la concierge sur le toit, sans penser que je vais écrire quelque chose.

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l’e ntreti e n du mois

© fabien breuil

« C’est comme le swing, ça se sent. »

Dans Rock’n’roll & chocolat blanc, Kent, le chan­ teur de Starshooter, s’attend à rencontrer un critique qui « joue les rockers ». Et finalement, il te trouve « autrement, ordinaire ». Et il préfère ça, il te parle plus volontiers. Oui. Un jour, à la rédaction de Rock & Folk, j’ai croisé Philippe Garnier, qui était le correspondant du journal à Los Angeles. Il était tout étonné : « Ah ! c’est lui, Berroyer ? » Il s’attendait à un mec en blouson de cuir et santiags, et moi j’avais une veste en velours et j’avais l’air d’un étudiant ! Mais Kent était assez exceptionnel dans le monde des rockers, moins moutonnier, parce qu’il renversait les choses : Starshooter, ils avaient l’énergie de la jeunesse et en même temps ils buvaient du lait et du coca et s’habillaient comme des sportifs. Ce n’était même pas un concept, ils le sentaient vraiment. Kent disait : « Je ne vais pas aller me mettre des épingles à nourrice, je fais ça sainement. » Téléphone donnaient de bons concerts, mais ce n’étaient pas des bêtes de scène comme Starshooter, qui étaient vraiment excellents. Tes livres te ressemblent beaucoup, avec un ton assez unique, oral, et une manière singulière de t’adresser au lecteur, de le faire rentrer doucement dans ton univers. J’arrive parfois à être amusant. Ça peut être un statut, humoriste, mais ça peut aussi être un problème, car l’humoriste est celui qui est le plus durement jugé. Là, je prépare un recueil de mes textes parus dans Vibrations, et lorsque je les ai présentés, un peu inquiet, à l’éditeur, il m’a répondu : « Oui, bah… c’est toi quoi. » C’est déjà pas mal d’être soi. Je suis d’accord avec Céline pour dire que c’est le style qui compte, et pas les histoires. Il y a plein de livres qui sortent, avec des titres du genre Les Feuilles d’automne, qui sont correctement écrits, avec de bonnes

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histoires, mais derrière lesquels on ne sent personne. N’importe quel prof de français pourrait les écrire. Céline dit aussi que c’est quelque chose que l’on doit « sentir », l’écriture. C’est un peu comme conduire une voiture : au début, tu fais attention à tout ce qu’on t’a dit à l’auto-école, et puis, au bout d’un moment, tu conduis plus en sentant qu’en regardant. Dans les bandes dessinées, il y a plein d’auteurs qui écrivent « chuis » à la place de « je suis ». Il faut plutôt pouvoir écrire « je suis » et que le lecteur entende « chuis ». C’est comme le swing, ça se sent. La philosophie revient fréquemment dans tes livres : Sénèque, Spinoza, Levinas… Et tu dis souvent : « La philosophie, c’est mon football. » Qu’est-ce que ça signifie ? Ça me donne envie d’écrire, ça remet la musique en route. L’exercice intellectuel réveille l’esprit, de la même manière que l’exercice physique réveille le corps. Quand j’animais une émission de philo sur Canal+, Pas si vite !, on avait préparé un sujet sur la question du vertige chez Sartre. Il disait que le vertige, ce n’est pas la peur du vide, mais la peur de sauter. Ce genre de pensées me touche, m’interpelle. Choron [cofondateur de Hara-Kiri, ndlr] disait : « Les pires, ce sont les cons instruits. » Ils t’impressionnent avec leur vocabulaire, mais on voit bien en fait que ce sont des cons. Aujourd’hui, la doxa dominante, c’est la parole libérée. Avec la libération de la sexualité, les choses sont en train de virer à la grande partouze, et c’est un peu pareil avec les opinions. Tu parles de Kant à un mec dans une discussion, il te dira : « Ah bah moi je ne suis pas d’accord. » Mais Kant, il a peut-être pensé un peu avant d’écrire tout ça, non ? Rock’n’roll & chocolat blanc de Jackie Berroyer (Nouvelles Éditions Wombat) Disponible

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é dito

TENEZ, VOILÀ MA CARTE PAR ÉTIENNE ROUILLON ILLUSTRATION DE CHARLIE POPPINS

E

lle a foutu le camp. Elle donne des nouvelles, quand même. Depuis trente-six ans, la sonde spatiale Voyager 1 trace tout droit vers le milieu interstellaire. Cet automne, elle est devenue le troisième objet créé par l’homme à se frayer un chemin dans la limite de notre système solaire, quittant peu à peu son influence magnétique. À dix-neuf milliards de kilomètres de nous, Voyager 1 gloutonne toutes les infos possibles sur ce qui remue alentour et continuera à le faire jusqu’en 2025, lorsque ses batteries seront à plat. Ce qui ne l’empêchera pas de toujours tracer à pleine balle, tous feux éteints, entraînée par son élan vers un hypothétique contact. Voyager 1 n’est pas qu’un super couteau suisse, c’est une carte de visite de l’humanité tendue à nos voisins. Un curriculum vitæ béton, compilé sous la forme d’un disque doré embarqué sur la sonde

et qui contient symboles, images fixes et sons (du cri de bébé à Johnny B. Goode) censés résumer le travail abattu depuis cinq mille cinq cents ans. En 1977, la mémoire des systèmes d’enregistrement était limitée. Aujourd’hui on pourrait embarquer un long métrage. Lequel ? Comme pour les sons, il faut quelque chose d’exemplaire et d’universel. Pas un trophée cinéphile, ni un morceau de bravoure façon biopic oscarisé, mais un film qui parle de nous avec le plus grand dénominateur commun : une bande qui gigote autour et sur cette planète bleue, dans le noir là-bas. Un film qui, techniquement, a aussi une sacrée gueule, parce qu’on est bons, et qui est porté par une actrice qui exprime avec conviction ce qui nous meut : survivre. Notre carte de visite, c’est Gravity, d’Alfonso Cuarón. Nous lui consacrons un large dossier dans nos pages ce mois-ci.

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Sommaire Du 9 octobre au 5 novembre 2013

ÉDITEUR MK2 Agency 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. : 01 44 67 30 00

L’entretien du mois 4 On a parlé rock et philo avec Jackie Berroyer

RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com)

Édito 9 La sonde Voyager I Preview 12 Wrong Cops de Quentin Dupieux Les actualités 14 Le tour rapide sur les chiffres, visages et infos du mois Exclusif 22 Paul Greengrass dans la tempête de Capitaine Phillips À suivre 24 Zinédine Benchenine dans Vandal

DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr)

l’agenda 26

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTEUR EN CHEF Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com)

DIRECTEUR ARTISTIQUE ADJOINT Tom Bücher (hello@tombucher.com) SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) ICONOGRAPHE Juliette Reitzer STAGIAIRES Marie Ponchel, Pékola Sonny ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Chris Bourn, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Oscar Duboÿ, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Maureen Lepers, Stéphane Méjanès, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Alexandre Prouvèze, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Louis Séguin, Claire Tarrière, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Ugo Gattoni PHOTOGRAPHES Fabien Breuil, Jean-Romain Pac PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) CHEF DE PROJET Clémence Van Raay (clemence.vanraay@mk2.com)

Les sorties de films du 9 octobre au 30 octobre 2013

histoires du cinema 31

James Franco 31 Acteur, réalisateur, il est partout Scène culte 34 Salò ou les 120 Journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini Hollywood stories 36 Tournages infernaux, épisode 2 : Les Anges de l’enfer de Howard Hughes Gender studies 38 La comédie féminine, épisode 2 : 8 femmes de François Ozon En couverture : Gravity, comment filmer l’espace ? 40 Rencontre avec Alfonso et Jonás Cuarón ; décryptage avec l’astronaute Jean-François Clervoy ; guide du voyageur spatial La Vie d’Adèle – Chapitres 1 & 2 54 Naissance d’une actrice et d’une héroïne Chris Marker 56 Voyage dans le labyrinthe visuel du cinéaste Nouveau genre 62 Le fantastique d’apprentissage Snowpiercer – Le Transperceneige 64 Entretien avec le réalisateur Bong Joon Ho Portfolio 66 Plongée dans l’univers irréel et mélodramatique d’Alex Prager

les films 72 Le meilleur des sorties en salles Les DVD 94 Ceci n’est pas un film de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb

cultures 96 L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris Illustration de couverture © Ugo Gattoni pour Trois Couleurs

© 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

actus mk2 126 Le MK2 Bibliothèque fête ses dix ans et l’ouverture de quatre nouvelles salles à la BnF

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previ ew

Wrong Cops Après Wrong, voici Wrong Cops. L’occasion, pour Quentin Dupieux, de préciser les choses : dans un Los Angeles hautement anxiogène, une bande de flics complétement pourris s’adonnent à leurs activités quotidiennes qui incluent racket, dissimulation de cadavre et composition de tubes techno. Avec un humour sec et grinçant qui rappelle certains films des frères Coen et dans une atmosphère hébétée telle qu’on pouvait la trouver dans la série Twin Peaks (Ray Wise y tient d’ailleurs un petit rôle), Wrong Cops s’affirme comme un ovni très maîtrisé où la folie se met au service de l’ordre. Chaos assuré. LAURA TUILLIER

Wrong Cops de Quentin Dupieux avec Mark Burnham, Éric Judor… Distribution : UFO Durée : 1h25 Sortie en janvier 2014

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e n bre f

Les actualités Votre film commence dans cinq minutes ? Le tour rapide sur les chiffres, visages et informations culturelles du mois. PAR JULIEN DUPUY, QUENTIN GROSSET, MAUREEN LEPERS, LAURA PERTUY, MARIE PONCHEL, JULIETTE REITZER, PÉKOLA SONNY ET LAURA TUILLIER

> L’INFO GRAPHIQUE

Évolution de la durée moyenne d’un film

2H01 1H50

1H41 1H34

90’

1920

100’

1930

110’

1980

1H57

1970

2H01

1950

1H58

1940

120’

2H10

1990

2H06

2000

130’

1H13

70’

1910

80’

DURÉE

60’

ANNÉES

1910

1920

1930

1940

1950

1960

1970

1980

1990

2000

EN

2012

> FESTIVAL

Mostra de Venise

dr

On la disait épuisée, mais la Mostra de Venise reste maîtresse d’un juste équilibre entre sélections pointues et œuvres plus accessibles. Son film d’ouverture d’abord, Gravity d’Alfonso Cuarón, percée spatiale dans la douleur des hommes, qui met en orbite un duo chorégraphique magistral. Puis Le vent se lève, il faut tenter de vivre, l’excellent dernier film d’Hayao Miyazaki, qui télescope deux passions dans un rêve de perfection tragique. Jonathan Glazer, quant à lui, fait montre de maturité avec son radical Under the Skin, réflexion troublante sur l’image et le sexe où Scarlett Johansson campe une extraterrestre croqueuse d’Écossais solitaires. La Jalousie de Philippe Garrel atteint des sommets d’apesanteur en interrogeant les motivations de l’amour. Tom à la ferme de la comète Xavier Dolan rejoue les codes du thriller en une exquise farce campagnarde. Mais c’est Sacro GRA de Gianfranco Rosi, et son exploration de la ceinture périphérique de Rome, qui l’emporte. Retour sur la terre ferme. L.P. Under the Skin

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2012

Durée moyenne, par décennie, des films projetés au cinéma. Chiffres obtenus à partir des dix premiers films arrivés en tête du box-office américain, chaque année, de 1915 à 2012. P.S.



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> LE CHIFFRE DU MOIS

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C’est, en pourcentage, l’augmentation des ventes de cigarettes Lucky Strike depuis les débuts de la série Mad Men, en 2007. Son héros Don Draper y allume clope sur clope. Conséquence de ce placement de produit devenu emblème du feuilleton : la marque a dépassé le cap des 33 milliards de paquets vendus en un an. Q.G.

Calé

Décalé

Recalé

Sans culotte Habitué aux rôles de gentleman bien sous tous rapports, Jude Law joue les dévergondés et enlève le bas dans la bande-annonce de Dom Hemingway, réalisé par Richard Shepard. Tous poils dehors, l’acteur britannique y incarne un vicelard alcoolique.

Culotté Le 29 septembre dernier, c’était la fête du slip pour les fans de Breaking Bad. À l’issue de la diffusion du dernier épisode de la saison finale, la chaîne de télévision AMC a mis en vente le slip kangourou blanc porté par Walter White (Bryan Cranston).

PAR MA.PO.

Déculotté En 2012, Daniel Radcliffe a tourné des scènes de nu dans trois de ses films (Horns, Kill Your Darlings, The F Word). Mais l’acteur en a assez de devoir se déshabiller pour prouver son talent. Qu’il est loin le temps où il jouait l’apprenti sorcier.

> LA PHRASE

Vince Gilligan

dr

Le créateur de la série Breaking Bad, interviewé dans le quotidien britannique The Guardian :

> LA TECHNIQUE

L’impressionnant plan-séquence qui ouvre 9 mois ferme (lire aussi p. 80), depuis l’intérieur du Palais de justice jusqu’à la sortie du bâtiment, est en fait un assemblage de raccords indécelables. Le cadre de la fenêtre et une partie du mur sont conçus en images de synthèse : cette portion numérique permet le raccord avec un plan aérien dans la cour intérieure, tourné par un drone équipé d’une caméra. L’image s’immobilise enfin devant une fenêtre dans l’embrasure de laquelle est incrustée Sandrine Kiberlain, filmée en studio.

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J.D.

© kevin winter / wireimage

9 mois ferme

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« LA POLITIQUE DES AUTEURS EST LA PIRE CHOSE QUE LES FRANÇAIS NOUS AIENT DONNÉE. C’EST UN MONCEAU DE CONNERIES. ON NE FAIT PAS UN FILM TOUT SEUL DANS SON COIN, ENCORE MOINS UNE SÉRIE. »



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vs

> EMPORTÉS PAR LA FOULE

Une chambre en ville vs. Autant en emporte le vent L’étreinte furieuse d’Édith et François, les héros d’Une chambre en ville de Jacques Demy, rappelle celle, célèbre, des très flamboyants Rhett Butler et Scarlett O’Hara (Autant en emporte le vent). Dans ces deux histoires d’amour contrarié sur fond de révolte sociale, les corps enlacés des amants luttent au diapason des masses sombres et menaçantes d’insurgés anonymes : ouvriers en grève chez Jacques Demy, guerre de Sécession pour la superproduction de David O. Selznick. Le

mélodrame se raconte sur deux fronts, entre la petite et la grande histoire. Mouvement des corps contre mouvement social : source de tension pour l’image, conduite par deux impulsions contraires. Si la révolte n’ébranle pas Rhett Butler, monstre viril aux épaules solides venu sauver Scarlett O’Hara des flammes, elle semble faire vaciller l’équilibre fragile du couple de Jacques Demy. Va-t-il s’écrouler ? Réponse le 9 octobre avec la ressortie du film en copie restaurée. M.L.

LU SUR LE WEB

« 8,8 POUR HUIT ET DEMI » Le site web senscritique.com s’est amusé à calculer « la durée moyenne d’un plan chez quelques maîtres ». Aux deux extrêmes, on trouve Steven Spielberg avec 6,5 secondes et Béla Tarr avec 178,3 secondes.

NAISSANCE Comme son nom l’indique, le dernier-né des festivals de cinéma, War on Screen, a opté pour un parti pris conflictuel. Parrainée par Albert Dupontel, cette première édition champardennaise a programmé, du 2 au 6 octobre, dix longs métrages de tous horizons. MA.PO.

RETRAITE

Jean-Louis Trintignant (Un homme et une femme, Ma nuit chez Maud, Amour) a tiré sa révérence artistique, le 2 octobre dernier, lors d’un récital poétique donné à l’Antipolis théâtre d’Antibes. À 82 ans, l’acteur se retire également des écrans de cinéma. MA.PO.

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DÉCÈS Étoile filante du Nouvel Hollywood, le cinéaste américain Richard Caspar Sarafian s’est éteint, le 18 septembre dernier, à l’âge de 83 ans. Après un passage par le petit écran (Maverick, Les Mystères de l’Ouest), il réalise en 1971 le road movie Point limite zéro. MA.PO.

dr ; ©vittorio zunino celetto/wireimage ; ©rda

> DÉPÊCHES



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> STREET ART

> FILMS

©chrysalis films

Immeuble de neuf étages, parquet, bord de Seine, au cœur de Paris. Les papiers peints à fleurs sont un brin défraîchis, mais on s’en fiche, parce que la crème du street art mondial les a recouverts de fresques, collages et autres lettrages pimpants. Vous avez jusqu’à fin octobre pour visiter les trente-six appartements vides de la tour Paris 13, investis par plus de cent artistes venus de seize pays différents, sous l’impulsion de la galerie Itinerrance. Passée cette date, l’endroit sera démoli. Un conseil, ne ratez surtout pas les clowns de carnaval mystiques et colorés peints par le Chilien Inti Castro. J.R. Jusqu’au 31 octobre au 5, rue Fulton, Paris XIIIe, fermé le lundi Visite virtuelle en ligne sur www.tourparis13.fr

© meghan pluemer ; aldo sorcia ; ella martin ; thomas dougherty

Metallica x2 On lève l’index et l’auriculaire pour la sortie de deux films autour du célèbre groupe de heavy metal. Metallica Through the Never suit le parcours de Trip, un régisseur envoyé pour une mission urgente dans une ville déserte pendant un concert du groupe. Poupées maléfiques, pendus… on est bien dans l’univers apocalyptique habituellement vénéré par les fans. Ceux-ci apprécieront également le documentaire Mission to Lars, car ils pourront y amener leur mémé qui sera attendrie par l’histoire touchante de Tom Spicer, un jeune autiste rêvant de rencontrer son idole Lars Ulrich, le batteur du groupe. Q.G. Metallica Through the Never de Nimród Antal (1h32) / Distribution : Chrysalis Films Mission to Lars de James Moore et William Spicer (1h17) / Distribution : Clearvision Sorties le 9 octobre

> COURT MÉTRAGE

> PHOTOGRAPHIE

« My Hometown is » Lens Blog, l’annexe web du New York Times dédiée au photojournalisme, s’est lancé dans un projet d’envergure : réunir trois mille adolescents américains originaires de tout le pays pour documenter leur vie quotidienne au moyen de leur appareil photo. Une initiative qui fait écho à l’épopée de la Farm Security Administration, l’organisme chargé d’aider les fermiers les plus touchés par la Grande Dépression, sous l’égide duquel opérait,

de 1935 à 1943, une armée de photographes dont la mission était de témoigner des conditions de vie de leurs concitoyens dans les coins les plus reculés du pays et qui, ce faisant, allait écrire l’une des plus belles pages de la photographie. Les premiers résultats, cent quarante-cinq clichés éclatants de fraîcheur et visibles sur le site, donnent à penser que la relève des Walker Evans, Dorothea Lange et autres Marion Post Wolcott frappe à la porte. Q.G .

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Avis avant démolition

Réalisé par Patrick Cederberg et Walter Woodman, Noah fait défiler la vie numérique d’un adolescent canadien, de sa rupture sur Skype à sa déconnexion de la Toile. YouPorn, Facebook, Lolcats… tout y passe. Lauréat du Prix du meilleur court métrage au festival de Toronto, Noah est visible sur YouTube. MA.PO.



exclusi f

Capitaine Phillips Le réalisateur britannique Paul Greengrass (La Vengeance dans la peau) a bravé vents et marées pour filmer des pirates modernes.

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PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Je ne connaissais que vaguement le calvaire de Richard Phillips, un capitaine de navire marchand dont le bâtiment a été pris d’assaut par des pirates somaliens en avril 2009. Lorsque les producteurs m’ont proposé d’adapter son histoire au cinéma, j’ai été attiré par l’intensité de cette situation. C’était l’opportunité d’aborder le problème de la piraterie moderne et de travailler avec Tom Hanks. Et puis mon père était dans la marine marchande ; j’étais donc familier de ce milieu trop peu traité à l’écran. Lorsque je suis arrivé sur le projet, j’ai tout d’abord recentré l’histoire sur la confrontation entre le capitaine Phillips et le chef des pirates. Ensuite, j’ai choisi de ne faire appel qu’à des acteurs somaliens novices pour incarner ceux-ci, ce qui confère une puissance folle à leur interprétation. Enfin, j’ai refusé de tourner en studio, préférant filmer en mer à bord de véritables bateaux. Le tournage fut un calvaire, mais le résultat à l’écran est aussi puissant qu’authentique. » Capitaine Phillips de Paul Greengrass avec Tom Hanks, Catherine Keener… Distribution : Sony Pictures Durée : 2h14 Sortie le 20 novembre

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à su ivre

Zinédine Benchenine Dans Vandal d’Hélier Cisterne, il découvre avec une même ferveur l’amour et le graffiti. À tout juste 17 ans, c’est son premier film, et sa première interview.

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PAR JULIETTE REITZER - PHOTOGRAPHIE DE JEAN-ROMAIN PAC

Tu t’es pris pour Alain Delon ou quoi ? » Zinédine a 15 ans, il rentre de son club de boxe d’Aubervilliers en claironnant parce qu’une dame l’a abordé pour un rôle au cinéma, et son grand frère se fout de sa gueule. Deux ans plus tard, le film en question, Vandal, sort enfin. Zinédine y impressionne en gamin déraciné, fasciné par l’univers nocturne du graffiti et par les yeux sombres d’Élodie (Chloé Lecerf), sa camarade en C.A.P. maçonnerie. « Le plus dur pour moi, ça a été la scène avec Chloé dans la maison abandonnée. J’avais jamais embrassé une fille auparavant. J’ai eu pratiquement toutes mes premières expériences sur ce film. » Poli, attentif et spontané, le jeune homme a lâché le lycée cette année, mais jure de s’y remettre l’an prochain, conscient que « c’est très important ». Et le grand frère dans tout ça ? « Il twitte, il appelle tout le monde, il est à fond derrière moi. » Nous aussi.

© jean-romain pac

Vandal d’Hélier Cisterne (lire aussi p. 72) avec Zinédine Benchenine, Chloé Lecerf... Distribution : Pyramide Durée : 1h24 Sortie le 9 octobre

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ag e n da

Sorties du 9 oct. au 30 oct. Sidewalk Stories de Charles Lane avec Charles Lane, Tom Alpern… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h37 Page 74

L’Extravagant Voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet de Jean-Pierre Jeunet avec Kyle Catlett, Judy Davis… Distribution : Gaumont Durée : 1h45 Page 78

Metallica Through the Never de Nimród Antal avec Dane DeHaan, James Hetfield… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h32 Page 20

C’est la fin de Seth Rogen et Evan Goldberg avec James Franco, Jonah Hill… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h47 Page 76

9 mois ferme d’Albert Dupontel avec Sandrine Kiberlain, Albert Dupontel… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h22 Page 80

Mission to Lars de James Moore et William Spicer avec Kate et Tom Spicer… Distribution : Clearvision Durée : 1h17 Page 20

Northwest de Michael Noer avec Gustav et Oscar Dyekjaer Giese… Distribution : Bac Films Durée : 1h31 Page 76

Salvo de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza avec Saleh Bakri, Sara Serraiocco… Distribution : Bodega Films Durée : 1h48 Page 82

As I Lay Dying de James Franco avec James Franco, Tim Blake Nelson… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h50 Page 31

État commun, conversation potentielle d'Eyal Sivan Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 2h04 Page 78

Au bonheur des ogres de Nicolas Bary avec Raphaël Personnaz, Bérénice Bejo… Distribution : Pathé Durée : 1h32 Page 82

La Vie d’Adèle – Chapitres 1 & 2 d’Abdellatif Kechiche avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux… Distribution : Wild Bunch Durée : 2h59 Page 54

Prisoners de Denis Villeneuve avec Jake Gyllenhaal, Hugh Jackman… Distribution : SND Durée : 2h33 Page 78

Donner / Recevoir de Bernard et Michele Dal Molin Documentaire Distribution : Destiny Durée : 1h15 Page 82

Vandal d’Hélier Cisterne avec Zinédine Benchenine, Chloé Lecerf… Distribution : Pyramide Durée : 1h24 Page 72

Room 514 de Sharon Bar-Ziv avec Asia Naifeld, Guy Kapulnik… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h30 Page 78

The Mortal Instruments – La Cité des ténèbres de Harald Zwart avec Lily Collins, Jamie Campbell Bower… Distribution : UGC Durée : 2h10 Page 82

Super Trash de Martin Esposito avec Martin Esposito, Raymond Pettavino… Distribution : Kanibal Films Durée : 1h14 Page 74

Planes de Klay Hall Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h32 Page 98

Gabrielle de Louise Archambault avec Gabrielle Marion-Rivard, Alexandre Landry… Distribution : Haut et Court Durée : 1h44 Page 84

9 oct.

La Confrérie des larmes de Jean-Baptiste Andrea avec Jérémie Renier, Audrey Fleurot… Distribution : Rezo Films Durée : 1h40 Page 74

16 oct.

Shérif Jackson de Logan et Noah Miller avec January Jones, Jason Isaacs… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h35 Page 74

Salò ou les 120 Journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini avec Sergio Fascetti, Paolo Bonacelli… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h57 Page 34

retrouvez toutes les séances sur www.troiscouleurs.fr

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Mademoiselle C de Fabien Constant Documentaire Distribution : Mars Durée : 1h32 Page 84

Omar de Hany Abu-Assad Avec Adam Bakri, Waleed Zuaiter… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h37 Page 84



ag e n da

Sorties du 9 oct. au 30 oct. La Ruée vers l’art de Marianne Lamour Documentaire Distribution : Rezo Films Durée : 1h26 Page 84

Histoire de ma mort d’Albert Serra avec Vicenç Altaió i Morral, Lluís Serrat Masanellas… Distribution : Capricci Films Durée : 2h28 Page 87

Snowpiercer – Le Transperceneige de Bong Joon Ho avec Chris Evans, Tilda Swinton… Distribution : Wild Side Films / Le Pacte Durée : 2h05 Page 64

Haewon et les hommes de Hong Sang-soo avec Jeong Eun-chae, Lee Sun-kyun… Distribution : Les Acacias Durée : 1h30 Page 86

Heimat I & II d’Edgar Reitz avec Jan Dieter Schneider, Antonia Bill… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h47 et 2h08 Page 88

Prince of Texas de David Gordon Green avec Paul Rudd, Emile Hirsch… Distribution : Memento Films Durée : 1h34 Page 90

La Santé dans l’assiette de Lee Fulkerson Documentaire Distribution : Jupiter Communications Durée : 1h32

Nos héros sont morts ce soir de David Perrault avec Denis Ménochet, Jean-Pierre Martins… Distribution : UFO Durée : 1h34 Page 88

Attila Marcel de Sylvain Chomet avec Guillaume Gouix, Anne Le Ny… Distribution : Pathé Durée : 1h46 Page 92

Turbo de David Soren avec Ryan Reynolds, Samuel L. Jackson… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h36

Imagine d’Andrzej Jakimowski avec Edward Hogg, Alexandra Maria Lara… Distribution : KMBO Durée : 1h42 Page 90

Un château en Italie de Valeria Bruni Tedeschi avec Valeria Bruni Tedeschi, Louis Garrel… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h44 Page 92

Malavita de Luc Besson avec Robert De Niro, Michelle Pfeiffer… Distribution : EuropaCorp Durée : 1h51 Page 90

Blood Ties de Guillaume Canet avec Clive Owen, Billy Crudup… Distribution : Mars Durée : 2h07 Page 93

Gravity d’Alfonso Cuarón avec Sandra Bullock, George Clooney… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h30 Page 40

Pink de Jeon Soo-il avec Lee Seung-yeon, Seo Kap-sook… Distribution : Les Films du Paradoxe Durée : 1h37 Page 90

Jasmine d’Alain Ughetto Animation Distribution : Shellac Durée : 1h10 Page 93

Baikonur de Veit Helmer avec Alexander Asochakov, Marie de Villepin… Distribution : Aramis Films Durée : 1h35 Page 86

Ma maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill de Marc Boreal et Thibaut Chatel Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 1h15 Page 99

Thor – Le Monde des ténèbres d’Alan Taylor avec Chris Hemsworth, Natalie Portman… Distribution : Walt Disney Durée : 2h10 Page 93

23 oct.

Le Cœur des hommes 3 de Marc Esposito avec Bernard Campan, Jean-Pierre Darroussin… Distribution : Diaphana Durée : 1h54 Page 86

30 oct.

Grandir (Ô heureux jours !) de Dominique Cabrera Documentaire Distribution : Splendor Films Durée : 1h30 Page 86

Interior. Leather Bar. de James Franco et Travis Mathews avec Val Lauren, James Franco… Distribution : KMBO Durée : 1h Page 31

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Workers de José Luis Valle avec Jesus Padilla, Susana Salazar… Distribution : ASC Durée : 2h Page 93

Avec Dédé de Christian Rouaud Documentaire Distribution : Niz ! Durée : 1h20 Page 93




histoires du

CINÉMA

EN COUVERTURE

© fabrizio maltese

Interview d’Alfonso et Jonás Cuarón pour Gravity P.40

CHRIS MARKER

Déambulation dans le labyrinthe visuel du cinéaste P.56

PORTFOLIO

Plongée dans l’univers mélodramatique d’Alex Prager P.68

Le Roi Midas Tout le monde a déjà vu James Franco, mais pas sur le même écran. La série culte Freaks and Geeks pour les uns, Spider-Man pour les autres. Les années 2000 ont été schizophrènes pour l’acteur, qui a gravi sa trentaine entre préparation d’un doctorat d’anglais et rôles en vue à Hollywood. La décennie 2010 est celle d’un touche-à-tout, qui n’y va pas du bout des doigts mais à pleines mains, franco, embrassant tous les cinémas, grand public, indépendant, voire expérimental. Ce mois-ci, James Franco est à l’affiche de trois films, dont deux qu'il a réalisés. PAR ÉTIENNE ROUILLON

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h istoi re s du ci n é ma

F

ini de tourner pour la matinée. L’acteur Val Lauren fait le point avec son réalisateur et ami James Franco. Il y a un truc qui le chiffonne : pourquoi cette bonne bouille de 35 ans, appréciée des studios qui sont capables de lui donner le rôle titre dans Le Monde fantastique d’Oz, se lance-t-il dans un projet pareil ? Pourquoi James Franco réalise-t-il un film montrant des scènes de sexe non simulées ? Une orgie gay, en plus. « James, t’es quand même la star d’un film Disney ! » Franco lui répond avec son sourire favori : les yeux plissés un peu fous et les lèvres tendues jusqu’à un menton bien carré. Le genre de grimace qu’il a travaillé pour son rôle de rappeur braque dans Spring Breakers, l’an dernier. Et d’assurer qu’il peut tout faire à la fois parce qu’il se rend « disponible ». Le tout est de s’y retrouver, en cultivant un projet cohérent. RETOUR SUR IMAGES

Cette scène, qui fait office de profession de foi pour Franco, est la pierre angulaire d’un objet particulier qu’il a réalisé avec Travis Mathews : Interior. Leather Bar. Un documentaire, faux, mais à moitié seulement, puisque le projet qu’il suit est vrai. En 1980, William Friedkin sort La Chasse – Cruising, avec Al Pacino en flic hétéro, infiltré dans un milieu sado-maso gay, à la recherche d’un tueur en série. À la fois critiqué par la communauté gay – qui y voit (à raison) une caricature facile de mecs pervers tout sanglés de cuir – et menacé d’interdiction par les autorités, le film est amputé de quarante minutes pour pouvoir sortir en salles. James Franco et Travis Mathews veulent imaginer ces quarante minutes que personne n’a pu voir, en tournant à nouveau les scènes dans lesquelles le personnage d’Al Pacino (joué par Val Lauren) se retrouve paumé dans une boîte de nuit libertine. C’est très malin. Les interrogations candides amenées par le format du documentaire (tout le monde en coulisse se demande quelle idée Franco a en tête), permet­ tent à l’acteur-réalisateur d’expliquer ce qu’il veut faire : interroger son hétéronormativité, le fait qu’il soit plus gêné de filmer deux hommes en train de faire l’amour plutôt qu’un homme et une femme. Et de partir sur un discours enflammé sur l’importance de mettre un peu plus de vrai sexe au cinéma, de ne pas le cantonner « à des apparitions sous la forme de blagues de vestiaire ». Et là, pour le coup, on se demande s’il ne se moque pas de nous.

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C’est que, quasiment au même moment, sort un autre film, dans lequel il ne fait que jouer, là aussi, son propre rôle : C’est la fin. Un film d’apocalypse dans lequel Franco retrouve une autre de ses bandes, à mille lieux du cinéma expérimental, celle bien plus potache de Seth Rogen (lire notre critique page 76). Très marrant, c’est pourtant un vivier de blagues de cul tout droit sorties de ce vestiaire qu’il dénonce avec Interior. Leather Bar. Dans C’est la fin, ses potes de Hollywood ne se privent pas d’ailleurs de moquer les projets artistiques de Franco à coup de vannes homophobes un peu lourdes. Franco n’est pas le dernier à faire dans l’humour gras, il y mime une masturbation punitive sur l’un de ses compères. Un grand écart qu’il assume dans Interior. Leather Bar., estimant que son projet est fort, parce qu’il joue sur ces deux fronts. Bête de casting populaire d’un côté, cinéaste militant de l’autre, Franco a une troisième facette, celle du cinéphile. Quand il ne poste pas des critiques de classiques sur vice.com, il réalise des longs métrages de fiction. Présenté au dernier Festival de Cannes, As I Lay Dying, de et avec James Franco, sort en France, également en octobre. On avait fait une demande d’interview pendant le Festival. Réponse de l’attachée de presse : « Impossible de trouver un créneau, James veut aller voir les films en compétition. » Ce passionné s’est donc lancé dans une adaptation d’un roman de William Faulkner, Tandis que j’agonise. Un projet compliqué par la structure morcelée d’un livre aux innombrables narrateurs et chapitres. Franco figure cette multiplicité par le recours à un split screen quasi omniprésent et par une direction d’acteurs fiévreuse. Ça passe, parfois en force, mais sans casser. Son film a de la gueule, du charme. Il séduit par son ambiance, ses variations de ton et son mystère captivant. Certes, le touche-à-tout ne transforme pas tout en or. Franco a, dans son rôle de réalisateur, une tendance à souligner une esthétique un peu mode. Mais il tente, et au fil des films, convainc : tout cela est férocement cohérent. As I Lay Dying de James Franco avec James Franco, Tim Blake Nelson… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h50 Sortie le 9 octobre Interior. Leather Bar. de James Franco et Travis Mathews avec Val Lauren, James Franco… Distribution : KMBO Durée : 0h55 Sortie le 30 octobre

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dr

jam e s fr anco

James Franco dans Interior. Leather Bar. …

©metropolitan filmexport

« James, t’es quand même la star d’un film Disney ! » v. lauren

… et dans As I Lay Dying (avec Jim Parrack)

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h istoi re s du ci n é ma - scè n e cu lte

LA RÉPLIQUE :

« Imbécile, comment as-tu pu croire que nous allions te tuer ? »

Salò…

Interdite en France aux moins de 16 ans, cette adaptation de l’œuvre du marquis de Sade réalisée en 1976 par Pier Paolo Pasolini est une critique frontale de l’exercice du pouvoir, en forme d’exposé sans espoir. Salò ou les 120 Journées de Sodome ressort en salles, aussi important qu’insoutenable. À l’image de cette séquence où les postérieurs de jeunes adolescents sont passés en revue.

© carlotta

PAR ÉTIENNE ROUILLON

U

ne fois de plus, le palais est le théâtre d’un jeu dégueulasse, animé par les fantasmes immondes de quatre notables dans les derniers jours de la république mussolinienne de Salò. Une vingtaine d’adolescents, achetés ou kidnappés, constituent un catalogue de corps déshumanisés dans lequel piochent les quatre affreux, afin de nourrir des scénarios de torture thématisés. Après le « cercle des passions », avant le « cercle du sang », voici le « cercle de la merde ». Si le début de cette partie interroge le choix de Pasolini de tout montrer, à l’extrême limite de la pornographie, sa fin, tout en étant aussi crue, prend enfin une ampleur critique construite, avec cette métaphore de la dimension esclavagiste de la société de consommation. C’est donc un étal de derrières anonymes, réduits à l’état d’objets par la pénombre et le positionnement à raz

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du sol de la caméra. Une lampe torche balaie les fesses. La récompense du propriétaire du « plus beau cul » ? La mort. En opposition à la large composition de chairs entassées, des gros plans sur les notables, émoustillés par le risque de choisir l’un de leurs préférés. C’est le cas. On presse un pistolet sur sa tempe. Dans le regard du condamné, saisit en longueur, on lit la peur de la mort et le soulagement de la libération. Feu. Mais le pistolet n’est pas chargé. C’était pour rire. Salò ou les 120 Journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini avec Sergio Fascetti, Paolo Bonacelli… Distribution: Carlotta Films Durée: 1h57 Sortie le 16 octobre « Pasolini Roma », à la Cinémathèque française du 16 octobre 2013 au 26 janvier 2014 Toutes les informations sur www.cinematheque.fr

octobre 2013



h istoi re s du ci n é ma – holly wood stori e s

TOURNAGES INFERNAUX (2/3)

Les Anges de l’enfer deuxième épisode, « le plancher des vaches » Le jeune et richissime industriel Howard Hughes se rêve le plus grand des aviateurs – et des réalisateurs. Autant associer les deux dans un film sur les pilotes de la Première Guerre mondiale. 1928 : sur le tournage, ses cascadeurs refusent un plan de vol jugé suicidaire. Ni une ni deux, Hughes monte dans le cockpit pour réaliser la manœuvre.

© suddeutsche zeitung / rda

PAR ÉTIENNE ROUILLON

L

Howard Hughes en 1938

e moteur se met à hurler. Hughes s’acharne sur les commandes pour ralentir la course de son avion qui poursuit son piqué en accélérant. Il est encore à quatre cent cinquante mètres d’altitude, ça va passer. Il ne va pas redresser le nez de l’engin si tôt ; il sortirait du champ des caméras postées sur la tour au loin. Il lui faut ce plan, et c’est un pilote hors pair. Lui qui détient déjà des records de vitesse, lui qui bâtira bientôt un empire aéronautique fait de lignes aériennes prestigieuses et d’aéronefs horsnorme. Deux cent trente mètres d’altitude. Ça peut passer. Les ailes du biplan gémissent en fendant le vent de la côte californienne. La terre d’Inglewood se rapproche trop vite. Il tire sur le manche comme un mort. Mais l’avion continue de chuter. Ça ne

va pas passer. En face, l’équipe de cameramen filme le crash de son réalisateur. Howard Hughes passera trois jours dans le coma. De quoi reconsidérer les avertissements de Paul Mantz, l’as des as du pilotage, le chef d’orchestre des séquences aériennes de son film. Pour Mantz, la manœuvre de mitraillage était impossible à effectuer en voulant redresser l’avion si bas. Le golden boy se remettra de son accident. Cela ne l’empêchera pas de s’écraser à répétition tout au long de sa carrière de constructeur désireux de tester ses avions. Le tournage a été des plus brouillons, de 1927 à 1930, date de l’avant-première monumentale des Anges de l’enfer au Chinese Theatre de Hollywood. Le financement a été pioché de singulière manière dans les

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caisses de l’entreprise paternelle. Le scénario, d’une platitude épuisante, a été réécrit dans tous les sens. Pire, par volonté de rester à la page des dernières innovations techniques, Hughes décide de passer du muet au parlant en plein milieu de la production. Le jeune homme d’à peine 25 ans épuise deux réalisateurs qui finissent par lui dire de faire son foutu film lui-même. Dès lors, Hughes prendra tous les risques. Ils le mèneront au succès. Après cet accident, trois autres pilotes auront moins de chance sur le plateau des Anges de l’enfer, et resteront sur le carreau.

le mois prochain : La Croisière jaune – le calvaire d’André Sauvage sur la route de la soie



h istoi re s du ci n é ma - g e n de r stu di e s

© collection christophel

CHAQUE MOIS, UNE ÉTUDE DES ENJEUX DE REPRÉSENTATION DU GENRE À L’ÉCRAN

8 Femmes de François Ozon, pétillant film choral : un malentendu entourerait-il cette comédie macabre ?

SAISON 2 : LA COMÉDIE FÉMININE

2. 8 femmes Cette comédie musicale populaire et enjouée se révèle être, à la deuxième vision, un petit théâtre des horreurs peuplé, cela va sans dire, de femmes. Bouh ! PAR CLÉMENTINE GALLOT

Une maison, gynécée où survient un décès violent, celui du patriarche, Marcel : tout laisse à croire que l’assassin est une meurtrière. Il faut savoir se moquer de soi, et c’est sans doute sur ces prémices que s’est constitué le casting des huit stars féminines se prêtant au jeu de ce huis clos enchanté (Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart...). Une brochette de femmes fortes, en apparence. Mais le développement

des personnages s’arrête là où commence leur unique fonction, parler de et se définir par rapport à « papa » (Marcel, toujours moribond). Sous couvert d’humour noir, les grosses ficelles du théâtre de boulevard servent ici d’écran de fumée pour renforcer, de façon souvent condescendante, d’antiques stéréotypes de genre : femme duplice, frigide, vicieuse, pingre ou séductrice. Exemple parmi cent autres, le personnage joué par Fanny

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Ardant, devenu lesbienne... à cause des hommes, qui lui ont fait du mal. Appréciez en souriant, mesdames, l’hommage qui vous est rendu. 8 femmes de François Ozon, disponible en DVD (M6 Vidéo) Pour aller plus loin : Bossypants de Tina Frey (Back Bay Books)

le mois prochain : L’une chante, l’autre pas d’Agnès Varda



h istoi re s du ci n é ma

Le réalisateur mexicain Alfonso Cuarón fait danser Sandra Bullock et George Clooney dans un ballet en apesanteur et filme l’espace comme jamais. Grand technicien, habile monteur, il fait décoller son cinéma avec l’histoire de ces deux astronautes perdus autour de la Terre qui ont pour seul objectif d’y retourner. Rencontre avec Alfonso et Jonás, son fils, coscénariste. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE ROUILLON


Š 2013 warner bros. entertainment inc.

e n couve rtu re


© 2013 warner bros. ent. – photo : robert ascroft

h istoi re s du ci n é ma

ès les premières images, spectaculaires, Gravity s’avance comme un tour de force technique. Pourtant, la tonalité de ce duo d’astronautes isolé en orbite est intimiste, volontiers taiseuse. Pourquoi êtes-vous allés sur l’un des terrains de jeu préféré des blockbusters pétaradants ? Jonás Cuarón : Il y a quatre ans et demi, j’ai montré à mon père le script d’un film que je compte réaliser l’année prochaine, l’histoire de deux personnages qui essaient de survivre dans le désert. C’est assez différent de Gravity, mais il y a la même idée qui consiste à se servir des scènes d’action comme de métaphores pour convoquer des thèmes plus profonds. À partir de ce script, on a commencé à discuter de notre envie de faire un type de cinéma très épuré du point de vue narratif, avec peu de dialogues, en se concentrant sur d’autres manières de transmettre des idées et des concepts. Les scènes d’action peuvent remplir ce rôle. L’une des premières images que nous avions en tête était celle d’un astronaute dérivant dans le vide. Parmi les thèmes que nous voulions aborder dans un film d’action, il y avait l’adversité et la capacité des individus à affronter celle-ci pour enfin revenir à la vie. L’espace était l’endroit parfait pour accueillir les métaphores qui figureraient ces idées. Le personnage central était dès le départ une femme, nous voulions une présence maternelle qui fasse écho à celle de la Terre. Ryan Stone (Sandra Bullock) réapprend à vivre, c’est une renaissance. Autre point crucial, il fallait un traitement très réaliste, très proche d’un documentaire comme Hubble (Toni Myers, 2010), mais dans lequel la mission aurait dérapé.

Alfonso Cuarón

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e n couve rtu re

« Plus d’une fois je me suis dit : “C’est la fin de ta carrière”. »

Ce réalisme a été salué par James Cameron qui a déclaré, dans les colonnes du magazine Variety : « C’est le meilleur film jamais fait sur l’espace. » Alfonso Cuarón : C’est très flatteur, mais je pense qu’il a oublié 2001 : l’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968), LE meilleur film sur le sujet. Cameron a ouvert une voie aux réalisateurs : il ne faut plus avoir peur de faire des outils techniques des éléments de l’écriture. Il y a quatre ans et demi, quand beaucoup disaient que Gravity était impossible à faire, Cameron disait : « Non, ce film est possible. Tous les films sont possibles, il s’agit seulement d’inventer les bons outils pour les faire. » Il y a quelques mois, on a dîné ensemble. Ça faisait une paie que je ne l’avais pas vu, et il m’a branché : « Tu vois, tu l’as fait ton film, je te l’avais dit. » Ce qu’il ne m’avait pas dit, c’est que ça me causerait autant de cheveux blancs… Une fois le scénario achevé, il a fallu construire des outils. On n’avait pas prévu que ce serait aussi long. Les studios ont investi de l’argent dans des technologies, alors que nous n’avions aucune idée de la pertinence et du bon fonctionnement de celles-ci. Plus d’une fois je me suis dit : « C’est la fin de ta carrière. » Un peu comme dans la séquence de guerre de mon précédent film, Les Fils de l’homme, je devais tourner des choses sans savoir si ces plans s’intégre­raient correctement dans le processus de production. J’ai dû attendre trois-quatre mois après le début du tournage pour voir trois-quatre secondes du film. À l’écran tout était très encourageant, mais en même temps, je me disais : « Merde, s’il a fallu tant de temps pour quatre secondes, ça va être sans fin. » Dans le film, les astronautes utilisent l’expression « Houston, à l’aveugle » quand ils essaient de rétablir le contact avec la Terre. Sur le plateau de tournage, nous étions nous aussi « à l’aveugle ». Comme dans 2001 : l’odyssée de l’espace, il y a une approche très documentée du milieu spatial. Sur quels fonds se sont basées vos recherches, quels films d’espace aviez-vous en tête ? A.C. : À partir du moment où l’on a commencé à faire le film, j’ai pris la décision de ne pas regarder

2001… J’ai vu par contre d’autres films qui se passent dans l’espace, pour voir quelles solutions techniques avaient été retenues. 2001…, cela m’aurait paralysé de le revoir, j’aurais arrêté le cinéma. C’est comme vouloir prendre une douche à coté de Rocco Siffredi avant d’aller faire l’amour avec sa compagne. C’est à ne pas faire. Je veux le revoir dans quelques années, une fois que j’aurai digéré Gravity. Stanley Kubrick est un maître, au même titre que Friedrich Wilhelm Murnau ou Éric Rohmer. Le film qui a eu le plus d’importance dans la préparation de Gravity, c’est Un condamné à mort s’est échappé (Robert Bresson, 1956). J.C. : Un condamné à mort s’est échappé, mais aussi Runaway Train (Andrei Konchalovsky, 1985) ou le premier succès de Steven Spielberg, son téléfilm Duel (1971). On a regardé ces films parce qu’ils suivent l’idée que les scènes d’action peuvent devenir le support de métaphores et de thématiques. Pour ce qui est de l’aspect visuel, on s’est beaucoup basé sur des images d’archives documentaires. Petit, j’étais obsédé par les films au format Imax qui relataient l’épopée de la navette spatiale américaine. A.C. : Je suis de la génération qui a vu Neil Armstrong alunir en direct à la télévision. Enfant, je voulais être astronaute. Mais en faisant Gravity, je me suis rendu compte que la vision que j’avais de l’espace était dictée par ce que m’en disaient les films. Il fallait enrichir ce point de vue. J’ai été par exemple faire un vol parabolique [un avion suit une courbe permettant de recréer des situations de micropesanteur pendant un bref moment, ndlr]. C’est extraordinaire. Je déteste les montagnes russes, du coup j’appréhendais ce vol. Mais cela n’a rien de comparable. L’astronaute Jean-François Clervoy m’a dit quelque chose de tout à fait vrai : « Ce qu’il y a d’étonnant avec l’apesanteur, c’est précisément que cela n’a rien d’étonnant. » Ce sentiment de flotter est tout à fait familier. Les astronautes avec lesquels on a travaillé ont apprécié que l’on fasse attention à ces détails. Le

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h istoi re s du ci n é ma

directeur de la photographie, Emmanuel Lubezki, leur a demandé comment se comportait la lumière là-haut, à quoi ressemblaient les étoiles, etc. J.C. : Avant d’approcher les astronautes, on avait travaillé un premier scénario à partir de recherches faites avec des livres et des articles. On le leur a montré. Ils ont gommé pas mal de situations. « Non, ça ne se passerait jamais comme ça. » On a beaucoup parlé également avec des physiciens. En tant que scénariste, il était important que je comprenne et que j’accepte le comportement des corps soumis à l’apesanteur. J’étais nul en physique à l’école, ça m’a donc pris du temps. Un exemple : si vous jetez une balle dans l’espace, non seulement cette balle ira tout droit infiniment, mais la force que vous avez utilisé pour la lancer en avant vous projettera en arrière. La situation initiale, une opération de maintenance sur le télescope spatial Hubble, est brutalement perturbée par le syndrome de Kessler. C’est un véritable scénario scientifique qui fait l’hypothèse d’une réaction en chaîne entre les débris spatiaux qui sont en orbite autour de la Terre. Ceux-ci s’agglomèrent jusqu’à créer une nuée qui tourne à la vitesse de dix kilomètres par seconde. Pourquoi avoir choisi ce désastre ? J.C. : On voulait évoquer l’adversité. Mais quelle forme prendrait-elle ? Le gros cliché hollywoodien voudrait une météorite géante qui fonce sur la Terre. On voulait quelque chose de plus réaliste et on a trouvé le syndrome de Kessler. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que c’est une menace cyclique, une bonne analogie avec les épreuves que l’on traverse dans l’existence, qui arrivent par vague, entre deux moments de paix. Il y a aussi quelque chose d’un peu ironique, puisque c’est un danger créé par les humains et qui se retourne contre eux, un progrès qui met en péril le progrès puisque dans le film, les satellites deviennent une

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menace pour nos communications. En étudiant les explorations spatiales, on se rend compte aussi que le profil des astronautes a changé. Je trouvais intéressant d’avoir deux personnages qui incarnent deux âges des voyages dans l’espace : d’abord les figures tutélaires du programme Apollo, qui étaient des militaires à la dure, venus de l’aviation, des space cowboys ; et aujourd’hui, les scientifiques qui embarquent à destination de la station spatiale internationale. Matt Kowalski (George Clooney) incarne ce type à l’ancienne qui sait qu’il devient obsolète, que l’espace est de plus en plus un endroit pour les scientifiques. Le docteur Ryan Stone, c’est tout le contraire, elle est comme un poisson hors de l’eau, une scientifique qui a peu d’entraînement, elle est dans la pire des situations lorsque la mission prend un tour critique. Alfonso, vous vous dites méfiant quant à la place du scénario dans un film. Pourquoi ? A.C. : Aujourd’hui, beaucoup de films grand public fonctionnent à la manière des fictions radiophoniques, à tel point que si vous fermez les yeux pendant la séance, vous ne perdez rien de l’intrigue. Tout est expliqué, tout est dit. Jonás sait que je suis obsédé par une idée de « cinéma pur ». Il m’a dit : « Tes films sont pas mal, mais ils sont encore trop rhétoriques, tu peux dépasser cela. » Quand je dis que j’ai des doutes sur la place du scénario, cela ne veut pas dire que je n’aime pas les histoires au cinéma. J’adore les œuvres avec de bons scénarios, mais je pense que dans un film, l’histoire est secondaire par rapport à la cinématographie. Ce n’est qu’un outil du cinéma parmi d’autres. L’expression cinématographique peut être purement abstraite. Le cinéma a plus à voir avec la musique qu’avec la littérature. Je suis méfiant quand on considère que le récit est le point central du film, car le récit peut apporter trop d’illusions. C’est un travers humain que d’embellir notre histoire ou notre identité par la chronique.

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e n couve rtu re

CRITIQUE

La mère vue du ciel Centre de gravité de cette odyssée métaphorique signée Alfonso Cuarón (Les Fils de l’homme), Sandra Bullock incarne une héroïne endeuillée qui tente, seule, d’échapper à la force d’attraction du néant.

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PAR JULIETTE REITZER

«

Ici la spécialiste de mission Ryan Stone, vous me recevez ? » Cette phrase lancée dans le vide, elle la prononce en boucle, sur tous les tons. Mais Houston ne répond plus ; Ryan est seule dans le noir et le silence, à six cents kilomètres au-dessus de la Terre. Pour survivre, elle ne peut compter que sur elle-même – et la novice, si elle a suivi des entraînements avant son départ, s’est « crashée à chaque fois ». Mais a-­t-elle vraiment envie de s’en sortir, puisque en bas, personne ne l’attend ? Dans Gravity, c’est d’abord contre sa propre inertie qu’il faut lutter ; au diapason de la lenteur imposée au moindre de ses mouvements par l’apesanteur et par son encombrante combinaison, Ryan est comme paralysée par le deuil de sa fille, morte accidentellement quelques années plus tôt. Son épopée solitaire l’amènera donc, en premier lieu, à se confronter à ses traumas. C’est la première des nombreuses métaphores qui traversàent le film, servies par l’alternance des scènes d’action (navettes fracassées par des débris, astronautes projetés en tous sens) et des pauses contemplatives (la Terre vue du ciel) pareillement époustouflantes. Chez Alfonso Cuarón, qui a mis pas moins de quatre ans à concevoir son film, le séjour spatial

Pour le spectateur aussi, l’immersion est totale, suffocante. est une lente gestation – le thème de la maternité irriguait déjà Les Fils de l’homme, dans lequel les femmes étaient devenues stériles et l’humanité, par conséquent, courrait à sa perte. Dans Gravity, des câbles ombilicaux relient les astronautes à leur navette-matrice, les sons sont étouffés, la solitude semble infinie… Pour le spectateur aussi, l’immersion est totale, suffocante, et ce dès le début du film. Un accident arrache Ryan de son vaisseau, elle est happée par le vide, et la caméra virtuose la rattrape dans un plan-séquence d’une extrême fluidité, glissant du plan large panoramique au très gros plan sur le visage terrifié de la scientifique à la dérive. Sur la visière de son casque, la Terre se reflète, énorme, féconde, rassurante : parvenir à la regagner, ce serait revenir à la vie. Gravity d’Alfonso Cuarón avec Sandra Bullock, George Clooney… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h30 Sortie le 23 octobre

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? GRAVITY VU PAR UN ASTRONAUTE Terrain des possibles pour les délires sans limites de la science-fiction ou laboratoire des documentaires qui le scannent du microscope au télescope, le cosmos est une zone dont la frontière est mal définie par le cadre du grand écran. Fantasmé pendant les premières décennies du cinéma, l’espace a, depuis plus d’un demi-siècle, accueilli de nombreuses caméras qui montrent ce qui s’y trouve, de l’alunissage de Neil Armstrong jusqu’au saut en parachute de Félix Baumgartner. Dès lors, quel choix pour les réalisateurs ? Maintenir le souffle extravagant de Jules Verne ou approcher les images d’archives par la reconstitution ? Éléments de réponse avec l’astronaute Jean-François Clervoy, l’un des rares hommes à avoir vu à la fois l’espace et les films qui le représentent. PAR ÉTIENNE ROUILLON

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J

© nasa

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Jean-François Clervoy

ean-François Clervoy est monté trois fois là-haut. Un total de vingt-huit jours en apesanteur. La première fois, c’était en 1994, à l’âge de 36 ans, à bord de la navette spatiale Atlantis, pour déployer un satellite. En 1997, l’astronaute est le premier à lancer un boomerang dans l’espace, entre autres expériences conduites sur la station Mir. Sa dernière mission date de 1999, il est chargé de la capture du télescope spatial Hubble pour une opération de maintenance. « La première scène de Gravity, c’est un panorama du cosmos avec un bout de Terre. On voit l’héroïne Ryan Stone qui travaille sur Hubble, c’est ma mission. J’avais l’impression de tenir la caméra. J’ai été subjugué par le réalisme du film qui m’a replongé dans ces moments qui m’ont marqué à vie. » En décortiquant les principes de mise

en scène d’Alfonso Cuarón avec Clervoy, on sent qu’il en a une lecture unique que seule une poignée d’hommes et de femmes peut partager sur la planète. Par exemple, quand le spectateur non initié se rappelle de tel ou tel moment du film, il les décrit en disant « la scène ou Ryan s’arrime à la station spatiale internationale » ou « la scène dans laquelle les débris arrachent Kowalski de la navette ». Clervoy l’astronaute, lui, préférera vous parler de « la scène où l’on voit le Nil », ou de « celle dans laquelle on reconnaît la Sicile et l’Italie ». Le réalisme recherché et vanté par les Cuarón, père et fils, est donc bien atteint, puisque le film, dans ses cadrages et dans ses plans, suit le regard des hommes qui se sont retrouvés en orbite : « Les astronautes vous diront que ce qui les marque le plus, au niveau des sensations extraterrestres, c’est la vue de notre propre planète. » Dans Gravity, la

> faire vroum vroum

ça n’arrive qu’au cinéma

Dans l’espace, il est impossible d’entendre le vrombissement d’un moteur. Le son se propage en faisant vibrer un support : l’eau, l’air… Voilà pourquoi, dans Gravity, on n’entend aucun bruit dans l’espace, sauf quand l’astronaute est en contact avec un objet capable de vibrer, comme la carlingue d’un vaisseau.

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> les rayons laser

Les canons laser, figure obligée lorsqu’on filme des batailles spatiales, ne sont pas de la pure fiction. Entre 2002 et 2011, l’armée américaine a développé le Airborne Laser Test Bed, un laser à haute énergie, niché dans le nez d’un Boeing 747. Mais il est malheureusement invisible, ce qui est peu cinégénique.


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« Si Youri Gagarine, une fois en orbite, avait dit : “Je ne me sens pas bien du tout et c’est moche ”, cela aurait tout cassé.” » Terre est proche, on la touche du bout des doigts, et c’est ce qui fait enfler l’angoisse du vide dès qu’on la perd de vue. Exit le fameux plan avec la Lune en amorce d’un portrait d’une Terre bien ronde et entière, que l’on retrouve dans Transformers 3 – La Face cachée de la Lune (Michael Bay) ou dans Apollo 13 (Ron Howard). Dans Gravity, le décor n’est planté qu’avec des portions de notre planète, elle bouffe la moitié de l’écran, sa courbe est légère et non circulaire. Si l’on met de côté la distinction immédiate entre réalisme et science-fiction, c’est d’abord le lieu de l’action choisi par les Cuarón qui singularise Gravity. Clervoy confirme : « C’est fidèle à la réalité, on n’est pas très haut, à peine à quelques centaines de kilomètres. L’éclairage est très bien rendu, comme la vitesse de défilement de la Terre. On tourne très vite autour, on passe de la nuit au jour. » plans sur la comète Avant même de se préoccuper des solutions techniques en plateau, filmer l’espace est, pour un réalisateur, une question de choix astrophysiques. On peut en compter six majeurs : le son, la lumière, le temps des trajets, l’équipement des hommes, les laser (pour la science-fiction) et bien sûr l’apesanteur. Où placer le curseur sur l’échelle du respect des contraintes liées à l’espace ? Quatre possibilités s’offrent aux cinéastes : nier le problème, bricoler une arnaque, trouver une solution, ou faire sienne la contrainte. Prenons l’exemple du traitement de l’apesanteur : George Lucas, dans sa saga Star Wars, s’en moque complétement. Un vaisseau comme le Faucon Millenium est soumis à la gravité, sans aucune explication ; dans la série télévisée Star Trek, on se contente de dire qu’il y a un système de gravitation, sans expliquer pourquoi ; Stanley Kubrick est plus futé dans son 2001 : l’odyssée de l’espace. Ce film de science-fiction est très documenté et très réaliste en ceci qu’il propose une solution d’anticipation dans la veine d’un Jules Verne. Face à la nécessité technique de limiter les séquences dans lesquelles les

protagonistes évoluent en apesanteur, il cherche une manière de justifier le rétablissement artificiel de la gravité. Ainsi, sa station spatiale est articulée autour d’une grande roue qui crée une force centrifuge, clouant les passagers au sol. « Je suis un grand fan de science-fiction, reprend Jean-François Clervoy, qui connaît le générique de Star Trek par cœur. Il y a effectivement beaucoup de films qui ne s’embêtent pas avec des gens sous gravité dans les vaisseaux. Mais dans Star Wars ou dans Star Trek, on est dans des coins perdus de l’univers, ce sont des idées toujours un peu farfelues, mais il est important que l’espace permette l’expression de cette imagination. » Gravity, à l’instar d’autres films réalistes comme Apollo 13, ne pouvait ni proposer des solutions hors des clous établis par la conquête spatiale ni nier ces contraintes. Elles sont résumées et assumées par des cartons textuels dès l’ouverture du film, pour donner le ton. Le réalisateur a décidé de les figurer au plus près, reconnaît Jean-François Clervoy : « Alfonso Cuarón s’est efforcé de reproduire la réalité du sensoriel, du visuel, du sonore que l’on éprouve dans l’espace. On palpe cet environnement comme si on y était réellement. Le film rend bien compte de l’hostilité de l’espace. Tout y est complexe : il faut un scaphandre équipé d’outils, avec lequel il est difficile de se déplacer. Il y a des sécurités à prendre, il faut s’attacher… Dans le film, les bruits sont ceux que j’ai entendus dans la réalité : un choc à l’extérieur, un petit objet qui flotte à l’intérieur du vaisseau et rebondit sur une paroi. Idem pour le son à l’intérieur de notre propre scaphandre pressurisé à l’oxygène : quand on parle, il y a cette réverbération intérieure de notre propre voix dans le casque. Un autre moment très bien rendu, c’est lorsque la caméra passe de l’extérieur à l’intérieur du casque, le changement d’ambiance sonore… C’est exactement ça. » Les risques du métier Gravity est un film de survie construit sur des sauts dans le vide entre deux habitacles. Ryan dérive

ça n’arrive qu’au cinéma

> la gravité dans les vaisseaux

L’intérieur d’une navette n’est pas naturellement soumis à la gravité. Si vous n’êtes pas attaché, vous devez donc flotter. Le premier à avoir fourni une réelle solution à l’écran fut Stanley Kubrick avec son système de gravitation artificielle embarqué sur le vaisseau de 2001 : l’odyssée de l’espace.

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> un ciel rempli d’étoiles

On est tenté de penser que depuis un vaisseau spatial, on voit plus d’étoiles que depuis la Terre. C’est le contraire : elles sont masquées par la luminosité du Soleil (il fait jour dans l’espace, même si le « ciel » est noir), les éclairages des astronautes ou la réverbération de la lumière du Soleil sur la Terre.

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LES DIFFÉRENTES COUCHES DE L’ATMOSPHÈRE Bienvenue dans les confins de l’atmosphère, terrain de jeu des satellites. L’exosphère représente moins de 1 % de la masse totale de l’atmosphère. C’est cette faible densité qui permet aux satellites extrêmement lourds de rester en orbite. Sans cela, ils s’écraseraient.

Dans la thermosphère, la température augmente avec l’altitude et peut atteindre les 2 000 °C en cas de forte activité solaire. C’est la couche la plus propice aux aurores boréales, phénomène lumineux se produisant au niveau du pôle Nord.

altitude

PAR MARIE PONCHEL

EXOSPHÈRE

600 km hubble

THERMOSPHÈRE (85 à 600 km)

station internationale (environ 400 km)

85 km

MESOSPHÈRE Zone de transition entre la Terre et l’espace, c’est la couche la plus froide de l’atmosphère, avec une température minimale d’environ -100 °C. La vapeur d’eau peut y geler, formant des nuages nacrés à l’aspect irisé.

Dans cette strate atmosphérique, l’air est irrespirable, et le port d’une combinaison est nécessaire pour tout être vivant en raison de la raréfaction des molécules de dioxygène. À 35 km environ, on croise la couche d’ozone, ce gaz qui protège la Terre des rayons ultraviolets émis par le Soleil.

(50 à 85 km)

50 km

STRATOSPHÈRE (10 à 50 km) record de saut en parachute (39 km)

TROPOSPHÈRE (0 à 10 km)

Couche la plus dense de l’atmosphère, c’est là que se manifestent les phénomènes climatiques. La troposphère monte à peine plus haut que le sommet de l’Everest (8 848 m). Tous les kilomètres, la température chute de 6 °C, jusqu’à atteindre les -55 °C.

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10 km


©stanley kubrick estate

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Stanley Kubrick sur le tournage de 2001 : l’odyssée de l’espace

du télescope Hubble jusqu’à la station spatiale internationale puis cherche refuge dans un autre vaisseau. Cela figure un autre enjeu de mise en scène : comment passer d’un univers clos à un espace infini ? À de rares exceptions près, comme le paquebot touristique du Cinquième Élément (Luc Besson), ou le vaisseau-mère d’Oblivion (Joseph Kosinski), le théâtre de la dramaturgie dans l’espace est généralement confiné. Coincée dans les couloirs des navettes et des stations, la caméra est tentée d’aller voir ailleurs, de se promener dans cet infini, juste derrière le hublot. Solaris de Steven Soderbergh met en scène cette dualité claustrophobe, avec un équipage sujet à des hallucinations dues à l’environnement direct de sa station spatiale. Pour Clervoy, « le vaisseau nous protège, c’est notre mother ship [le vaisseau-mère, ndlr], notre coquille de protection, une extension de notre corps humain parce qu’on a fini par l’apprivoiser, par le connaître par cœur grâce à l’entraînement. On s’y sent bien, c’est extraordinaire comme l’homme est capable de vivre et tra­vailler dans l’espace. Si Youri Gagarine, une fois en orbite, avait dit : “ Je ne me sens pas bien du tout et

c’est moche ”, cela aurait tout cassé. » Au cinéma, le cocon qui nous protège devient volontiers un piège, comme dans Alien, le huitième passager de Ridley Scott. Le vaisseau abrite un danger mortel, mais en sortir est tout aussi périlleux. Ce n’est pas qu’une marotte de scénariste. Jean-François Clervoy raconte la mésaventure arrivée l’été dernier à un astronaute italien : « Luca Parmitano a effectué deux sorties dans l’espace en juillet, dont une qui a failli mal se terminer. C’est l’incident le plus grave que la NASA ait connu dans un de ses scaphandres depuis quarante ans. Il a failli se noyer. Il avait de l’eau qui s’accumulait dans son casque : un demi-litre, un litre… Cela venait de derrière pour lui chatouiller le nez et lui bloquer la communication, avec de l’eau dans les écouteurs. Il pouvait créer une fuite vers l’extérieur, mais il y avait le risque de ne plus pouvoir la refermer… » L’histoire s’est bien terminée. Parmitano a rejoint la station internationale sain et sauf et a conclu sur son blog : « L’espace est une frontière inhospitalière, nous sommes des explorateurs et non des colons. » Un texte préambule tout indiqué pour la prochaine balade spatiale sur grand écran.

ça n’arrive qu’au cinéma

> passer en vitesse-lumière

Gag récurrent dans Star Wars, Han Solo n’arrive pas à enclencher la vitesse-lumière. De toute façon, sauf révolution apportée par une nouvelle science, l’information quantique, les voyages luminiques nous sont inaccessibles. Le système le plus proche est un projet de la NASA à base de bombes nucléaires.

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> les visières transparentes

Rare accroc au réalisme tatillon de Gravity, les visières des casques des astronautes. Elles sont transparentes, pour des raisons de perception du jeu des acteurs par le spectateur. En sortie, les fameuses visières dorées sont pourtant indispensables, pour se protéger des rayons du Soleil.

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VERS L’INFINI ET AU-DELÀ Destinations de quelques missions spatiales de cinéma qui se déroulent dans notre système solaire.

DISTANCE AU SOLEIL

PAR MA.PO. ET É.R.

LE SOLEIL

Sunshine de Danny Boyle (2007)

VENUS

108 208 930 km

La Guerre de l’espace de Jun Fukuda (1977)

LA LUNE

Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès (1902)

149 597 887 km

AUTOUR DE LA TERRE

Les échelles de distances et de dimensions ne sont pas respectées

Armageddon de Michael Bay (1998)

227 936 637 km

MARS

778 412 027 km

JUPITER

Mission to Mars de Brian De Palma (2000)

2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968)

1 421 179 772 km

Les 4 Fantastiques et le Surfeur d’argent de Tim Story (2007)

2 876 679 082 km

URANUS

Journey to the Seventh Planet de Sidney W. Pink (1962)

4 498 253 000 km

NEPTUNE

Event Horizon, le vaisseau de l’au-delà de Paul W. S. Anderson (1997) www.troiscouleurs.fr 51


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GUIDE DU ROUTARD GALACTIQUE

Vous avez décidé de vous offrir un séjour dans l’espace ? Avant d’embarquer, suivez les bons conseils du cinéma pour un voyage réussi. PAR RENAN CROS

COMMENT S’HABILLER

POUR LE VOYAGE ? Si l’on peut être tenté par l’uniforme moulant en lycra des membres de l’Enterprise de Star Trek, on vous conseillera de préférence la panoplie complète d’astronaute de Tom Hanks dans Apollo 13, pas très seyante mais tellement sécu. Sinon, rien n’empêche d’opter pour la version aluminium disco de Roger Moore dans Moonraker ou pour une tenue légère façon Barbarella.

QUE FAIRE

DURANT LE VOYAGE ? Sur certains long-courriers, comme dans Avatar, c’est hibernation obligatoire. Sinon, profitez du voyage pour réfléchir sur vousmême, comme les héros de Sunshine ou de Solaris ; délires psychotiques à prévoir. Ou alors, discutez avec HAL 9000, l’ordinateur de bord de 2001 : l’odyssée de l’espace. Mais veillez à ne pas le vexer pour vous assurer un vol sans encombre.

COMMENT SE PRÉPARER

AVANT LE DÉPART ? Sachez que l’espace n’est pas pour les petites natures. Un entraînement éprouvant vous attend avant de monter dans la navette. Il vous faudra supporter le test de la centrifugeuse, comme Jodie Foster dans Contact ou Michael Youn dans Les 11 Commandements. Bien évidemment, le trafic d’ADN à la manière de Bienvenue à Gattaca est fortement déconseillé.

AVEC QUI

PARTIR ? Surtout, ne laissez personne sur Terre en promettant de revenir vite ; ça risquerait de mal tourner. Ensuite, préférez au choix les papys de l’espace rigolards de Space Cowboys ou les têtes brûlées d’Armageddon, pour un voyage viril. Mais en cas de pépins galactiques, il est toujours bon d’être très copain avec Riddick ou avec le lieutenant Ellen Ripley d’Alien, le huitième passager.

QUELLE COMPAGNIE

CHOISIR ? Si le feu des projecteurs ne vous effraie pas, partez tous frais payés par le gouvernement dans une fusée de la NASA, comme dans L’Étoffe des héros. Sinon, préférez le vol Fhloston Paradise façon croisière de luxe du Cinquième élément. À éviter, le voyage à tendance crash sur la lune de Méliès. Et espérez ne jamais entendre « Houston, on a un problème ».

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QUE VISITER

DANS L’ESPACE ? Amateur de vieilles pierres, suivez les traces des héros de Mission to Mars ou de Prometheus. Attention cependant à ne pas vous aventurer trop loin. Dans la galaxie de Star Wars, pour un climat plus tempéré que celui des déserts de la planète Tatooïne, préférez la Lune forestière d’Endor. Vous aurez de grandes chances d’y apercevoir des Ewoks.

QUE FAIRE

LE SOIR ? L’espace n’est pas un endroit très sûr et il vous faudra sûrement passer la soirée seul dans votre navette devant un repas lyophilisé, comme le héros de Moon. Si vous aimez les quartiers chauds, cherchez les bonnes adresses dans Total Recall, ou ruezvous à La Cantina de Star Wars, où tous les malfrats de la galaxie se retrouvent dans une ambiance jazzy.

QUE RAMENER

DE VOTRE VOYAGE ? Interdiction formelle de ramener quoi que ce soit sur Terre. Veillez à bien vérifier que le parasite extraterrestre d’Alien, le huitième passager n’a pas élu domicile dans votre intestin. Si, de retour sur Terre, vous constatez un changement étrange de comportement comme celui de Johnny Deep dans Intrusion, contactez immédiatement les autorités compétentes.

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ABDELLATIF KECHICHE

LA VIE D’ADÈLE

En mai dernier, Abdellatif Kechiche et ses deux actrices, Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, remportaient la Palme d’or pour La Vie d’Adèle – Chapitres 1 & 2. Le film, librement inspiré de la bande dessinée de Julie Maroh Le bleu est une couleur chaude, signe la double naissance d’une actrice et d’une héroïne que Kechiche cherche, dévisage et trouve finalement, au terme de trois heures de passion. PAR LAURA TUILLIER

L

ycéenne, Adèle dévore La Vie de Marianne de Marivaux, les pâtes à la bolognaise et les sucreries cachées sous son lit. Son visage, que Kechiche ne cesse de scruter avec fièvre, est ce qu’on appelle une « bouille ». Adèle a des grosses joues mal dessinées, sa figure est brouillonne, elle doit trop à l’enfance. Comme va le lui faire remarquer Emma lors de leur première rencontre, elle est mineure. Gagner une majorité, gagner une vie, c’est tout l’enjeu du film, c’est le parcours gigantesque que s’apprête à effectuer Adèle. Il faut mériter le titre de son film. Adèle, gloutonne, sensuelle, aime beaucoup de choses, mais elle ne sait pas choisir. Kechiche la cueille au moment où elle s’apprête à sortir avec un garçon qui ne lui plaît pas ; enfin, qui lui plaît bien, mais pas vraiment. À l’inverse, Emma s’impose, elle est l’évidence même. Il suffit d’un regard, bleu,

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croisé dans la rue, pour qu’Adèle perde le sommeil. Elle se caresse vaguement dans son lit en pensant à Emma lorsque, à la faveur d’un raccord, Emma est là, apparition quasi divine qui montre son destin à la jeune indécise. Lors de leur véritable première rencontre, dans un bar gay du vieux Lille, Adèle et Emma ont une longue discussion bizarre pour le lieu et l’heure. Emma, plus âgée, interroge presque sèchement Adèle sur ses matières préférées, ses notes, sa culture. Cette dernière hésite, répond que ses notes vont « de quinze à quatre », comme un grand écart entre ce qu’elle est et ce qu’elle aimerait devenir, entre ce qu’elle ose espérer et ce qu’elle se permet de vivre. ESQUISSE

Une des premières choses que fait Emma, c’est dessiner Adèle, la fixer sur le papier, comme pour en préciser les contours. Mais elle prévient : le dessin

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critiqu e

Emma est là, apparition quasi divine qui montre son destin à la jeune indécise.

n’est qu’une esquisse. Les filles s’embrassent, dans un rayon de soleil qui disparaît lorsque leurs lèvres se touchent ; il n’y a plus d’écart entre la vie vécue et la vie rêvée. La séquence suivante est une très longue scène d’amour, une des plus troublantes vues depuis longtemps dans le cinéma français. Kechiche s’attarde longuement sur les corps qui se contorsionnent à la recherche de la figure parfaite, celle qui apportera à la fois le plaisir et l’harmonie. Le sexe est central dans l’amour des deux filles, il est l’endroit de la plus grande liberté, de la forme libre. Mais alors qu’Emma présente franchement Adèle à ses parents comme sa petite amie, celle-ci ment, n’assume pas. C’est cette indécision qui sera au cœur de la deuxième partie du film. Quelques années plus tard, Adèle est devenue institutrice, tandis qu’Emma est une jeune peintre branchée. Elles s’aiment toujours et vivent ensemble. Mais Adèle a gardé son air d’ado, comme ébahie d’être là. Autant Emma est affirmée, ambitieuse, intransigeante, autant Adèle est molle, à modeler. La différence de milieu social entre les deux amoureuses devient alors évidente et gênante, chacune semblant se conformer à ce que sa classe lui autorise comme mode de vie : à Emma, la liberté d’aimer qui bon lui semble et de vivre de sa sensibilité artistique ; à Adèle, une existence laborieuse et modeste. Mais là encore, Kechiche offre à son

héroïne une option qu’il dénie à Emma : celle de douter, d’osciller, de devoir choisir. Pas de chemin tout tracé pour Adèle. Adèle aime être institutrice, Kechiche filme de longues scènes de classe où la jeune fille s’épanouit. Elle aime aussi Emma, elle aime vivre avec une fille. Elle fait du surplace et c’est ce qui rend son personnage à la fois si pitoyable et si grandiose. Parce qu’elle continue de vivre, même lorsque Emma n’est plus là. Le visage de la jeune fille se mouille de grosses larmes, elle a le nez qui coule, sa figure est comme noyée par le sort. Adèle n’a rien choisi, encore une fois. Mais son chagrin, sa dépression, son impossibilité à oublier Emma lui donnent une ténacité inattendue, l’occasion de très belles scènes de solitude, où la jeune fille est comme morte mais bel et bien présente. Kechiche la force à rester, héroïne malgré elle, au centre d’un cadre qu’elle aimerait fuir puisque Emma, la seule évidence, l’a délaissée. On imagine qu’il faudra attendre les épisodes suivants pour que l’esquisse devienne tableau, pour que l’amour revienne, qui seul avait pu créer une composition abstraite, corps nus sur fond bleu, tout écart comblé, tout désir réconcilié. d’Abdellatif Kechiche avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux… Distribution : Wild Bunch Durée : 2h59 Sortie le 9 octobre

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Sans Soleil (1982)

©argos films, tamasa distribution

©argos films

©argos films

Immemory (1997)

©argos films

La Jetée (1962)

Le cinéaste n’a cessé de jouer avec les images, tout au long d’une carrière protéiforme aujourd’hui célébrée par la réédition en DVD de quelques-uns de ses films les plus marquants et par une exposition au Centre Pompidou. Tentative de reconstitution de ce puzzle, à partir de photogrammes tirés de son œuvre.

hris Marker et son chat C Guillaume-en-Egypte

E-CLIP-SE, 1999 (vidéo)

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© coll. centre pompidou

PAR QUENTIN GROSSET ET LAURA TUILLIER


analyse

INTÉGRALE

MARKER INDÉLÉBILE

P

eu de repères biographiques, guère plus de photographies de son visage : Chris Marker (1921-2012) a, tout au long de son existence, savamment entretenu un mystère parfaitement raccord avec le labyrinthe de sa filmographie. Cinéaste, voyageur, photo­ graphe, écrivain… Christian BoucheVilleneuve (son vrai nom) ne rentre dans aucune catégorie sinon celle qu’il s’est choisie à travers son pseudonyme, « celui qui prend des notes ». Afin de rassembler son œuvre, les théoriciens ont bien essayé de délimiter des périodes : ses

« films-essais », tournés vers le voyage (1952-1962) ; sa décennie militante (1967-1977) ; sa fascination pour le multimédia et les nouvelles technologies, à partir des années 1980… Mais cette chronologie bornée minimise la capacité des films de Marker à s’intégrer dans un réseau de correspondances thématiques, poétiques, plastiques ou sonores. C’est pourquoi, à l’occasion de la sortie d’un coffret de dix DVD et de la rétrospective que lui consacre le Centre Pompidou, nous avons choisi de fixer quelques-unes de ses productions à travers certains points d’entrée lacunaires mais exemplaires. les adresses au spectateur : Le Tombeau d’Alexandre (1992)

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Chris Marker, tout discret et planqué derrière son mystère qu’il fut, n’a pourtant jamais cessé de communiquer avec ses spectateurs (une voix off leur parle dans chacun de ses films). Dans Le Tombeau d’Alexandre, cette adresse prend la forme de lettres que le cinéaste lit pour son ami disparu, le réalisateur russe Alexandre Medvedkine. Dans son CD-Rom Immemory, la communication est portée à un degré supérieur : celui de l’interactivité.

Le héros de La Jetée est hanté par « une image d’enfance » : un visage de femme entrevu sur la jetée d’Orly, alors qu’un avion en partance pour Rome décolle. Au début de Sans soleil, ce sont trois enfants qui incarnent le bonheur pour le cameraman imaginaire Sandor Krasna ; trois enfants aperçus sur une route d’Islande, en 1965. Il y a chez Chris Marker une nostalgie des images qui se rattache avant tout au premier souvenir : celui-ci est-il véridique ? Et surtout, est-il possible de le ramener à la vie ?

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l’enfance et le bonheur : Sans soleil (1982)

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le militantisme : extrait du Cuirassé Potemkine dans Le fond de l’air est rouge (1977)

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Dans les années 1950, dixit Catherine Lupton (Memories of the Future) Chris Marker parcourt le globe pour « voir et montrer le monde avec des perspectives inouïes ». De ses voyages dans les pays communistes il ramène plusieurs films : Dimanche à Pékin, Lettre de Sibérie, Cuba Si… Aboutissement et synthèse de cette période, Le fond de l’air est rouge propose, parmi un magma d’archives documentant divers luttes et combats de la gauche entre 1967 et 1977, une forme d’analogie

caractéristique de la réthorique markerienne. En faisant un parallèle entre les manifestations contre la guerre du Vietnam et la célèbre séquence de mutinerie du Cuirassé Potemkine d’Eisenstein, Marker opère non seulement un raccord entre le présent et le passé, mais surtout entre le réel et la fiction. Ainsi, le rôle des images n’est pas simplement mémoriel mais bien pragmatique : peu importe leur provenance, celles-ci forgent et politisent les consciences. Une manière, pour le réalisateur, d’illustrer cette citation du philosophe George Steiner, mise en avant dans Le Tombeau d’Alexandre (1992) : « Ce n’est pas le passé qui nous domine, ce sont les images du passé. »

la manipulation des images : le Yakoute de Lettre de Sibérie (1958) Chris Marker était sévère avec ses courts métrages de jeunesse auxquels il n’accordait plus qu’un « relatif intérêt historique ». Pourtant, ces films nous apprennent au moins une chose : « on ne sait jamais ce que l’on filme », comme il le dira plus tard dans Le fond de l’air est rouge. Dans Lettre de Sibérie, il nous montre trois fois la même séquence, assortie d’un commentaire tantôt dithyrambique,

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tantôt dénonciateur, tantôt objectif. L’homme que nous apercevons à l’écran est tour à tour décrit comme « un pittoresque représentant des contrées boréales », « un inquiétant Asiate » ou, plus sobrement, comme « un Yakoute affligé de strabisme ». Derrière l’ironie de ce montage se cache un refus de l’objectivité, logée à la même enseigne que la propagande. Marker propose une association d’images et de sons qui fait la part belle à la subjectivité de l’auteur, seule manière d’exprimer un point de vue singulier sur le monde filmé.

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analyse

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Sandor Krasna dans Sans soleil, le chat Guillaumeen-Égypte dans Immemory, Sergei Murasaki sur Second Life… Chris Marker s’est incarné dans tous ces personnages, semant le trouble sur sa véritable identité, refusant toute publication de photographies le représentant. On entr’aperçoit à peine son visage dans un plan du Tombeau d’Alexandre ou au détour d’un rapide panoramique dans Sans soleil. En 2009, dans sa dernière interview à la revue en ligne Poptronics, il citait un poème de T. S. Eliot : « Tout chat a un nom secret, qu’il est seul à connaître. »

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les avatars : La main de Chris Marker aperçue dans Le Tombeau d’Alexandre (1992)

la spirale : extrait de Sueurs froides dans Sans soleil La citation chez Chris Marker fonctionne à plusieurs niveaux : dans Sans soleil, on trouve ainsi non seulement des images qui renvoient à La Jetée, mais également une longue séquence d’analyse de Sueurs froides, film culte de Hitchcock, et film de chevet de Marker. Dans Sueurs froides, la figure centrale est la spirale, qui menace en permanence de broyer Scottie dans son tourbillon infini. Chez

les deux cinéastes, elle est le symbole d’un temps qui se brouille et qui se joue des frontières établies entre présent, passé et futur. Une fois dans la spirale, impossible de faire la différence entre le passé et son souvenir. C’est ce vertige qui s’empare de Scottie lorsqu’il croit reconnaître l’être aimé, la bien nommée Madeleine, sous les traits de Judy. Ce retour circulaire des images chez Marker crée une nostalgie sourde dont Sans soleil, avec son montage tissé d’associations d’images libres et rêveuses, est l’exemple le plus poignant.

©argos films

les visages : le regard caméra de la femme du marché de Praia dans Sans soleil Marker a fait du gros plan l’une de ses figures favorites – voir l’évocation, dans Immemory, du souvenir du visage de Simone Genevoix en Jeanne d’Arc. Cette attention aux faciès est d’autant plus intense lorsqu’un regard est lancé à l’opérateur. Celui de cette dame capté au marché de Praia ne dure qu’un vingt-quatrième de seconde, mais, le temps d’une image, il permet de mettre sur un plan d’égalité filmeur et filmée. Dans ses œuvres ultérieures, Marker aura toujours ce souci d’équilibre.

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son film de cet ancrage dans la vie réelle. À travers le montage et la voix off, Marker efface les frontières géographiques et sociales du film pour réunir tous les protagonistes dans une communauté de rêveurs. Comme le note le journaliste Jacques Chevallier dans son article La Caméra et le Porteplume selon Chris Marker en 1963, « la continuité issue du montage est toute entière fondée sur un jeu de correspondances sensibles et poétiques ». Ainsi, chaque film de Marker serait le morceau d’un rêve qui appartiendrait autant à son auteur qu’au spectateur, laissé libre d’y projeter ses propres songes.

le rêve éveillé : les dormeurs de Sans soleil (1982) Des hommes et des femmes assoupis dans le train qui les ramène du travail. Chris Marker filme des instants du quotidien, images qu’il monte dans Sans soleil et qu’il commente sous le pseudonyme de Sandor Krasna, cameraman imaginaire, voyageur infatigable. Au-delà du contenu documentaire des images rapportées du Japon et de la GuinéeBissau, ce que vise Marker en scrutant les visages endormis de ces héros fugitifs, c’est de faire évader

©ciné tamaris

À la fin de sa vie, on pouvait rendre visite à Chris Marker (enfin, à son avatar numérique) dans le monde virtuel en ligne Second Life. Il y avait créé un lieu d’exposition appelé L’Ouvroir dans lequel il donnait à voir nombre de ses collages d’images fixes ou animées. Cet appétit pour les nouvelles technologies s’explique par les possibilités que lui offraient ces supports multimédias de fédérer et de naviguer entre différents moyens d’expressions, le CD-Rom Immemory en étant un puissant exemple.

Agnès Varda et l’avatar de Chris Marker dansent sur Second Life (extrait d’Agnès de ci de là Varda d’Agnès Varda) « Planète Marker », du 16 octobre au 22 décembre au Centre Pompidou Planète Chris Marker (Arte Éditions), coffret de dix DVD, sortie le 19 novembre

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©arte france développement

La vie numérique : Second Life

l’hommage : Mémoires pour Simone (1986) En 1985, Simone Signoret meurt, à l’âge de 65 ans. Qui d’autre que son ami d’enfance Chris Marker pour lui rendre hommage ? C’est chose faite l’année suivante, dans un film commandé par le Festival de Cannes. Quelques années avant Le Tombeau d’Alexandre, Marker se penche sur la biographie d’un être regretté. En mêlant de longs extraits de films et d’émissions à une voix off qui tente de se souvenir de qui était Simone, Chris Marker met sa science du montage au service du portrait fragmenté. Bibliographie: Also Known as Chris Marker d’Arnaud Lambert (Le Point du jour) Chris Marker de Bamchade Pourvali (Cahiers du cinéma) Qu’est-ce qu’une madeleine ? En savoir plus à propos du CD-Rom Immemory de Chris Marker de Laurent Roth et Raymond Bellour (Centre Pompidou)

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ÉPISODE 5

© collection christophel

Le fantastique d’apprentissage

La vie est belle de Frank Capra

Que faire quand l’héritage de la geste nationale ne suffit plus, quand le rêve est introuvable ? 62

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nouveau g e n re

Film noir, mélodrame, road movie… mais encore ? Derrière les dénominations officielles retenues par les encyclopédies, nous partons chaque mois à la recherche d’un genre inconnu de l’histoire du cinéma. Ce mois-ci : le fantastique d’apprentissage.

© collection christophel

PAR JÉRÔME MOMCILOVIC

Retour vers le futur de Robert Zemeckis

l’orée d’un long voyage initiatique, Debbie Reynolds chante pour donner du courage à tout le monde. Entendue au début de La Conquête de l’Ouest (Henry Hathaway, John Ford et George Marshall, 1962), la chanson promet, au bout du périple, un pays merveilleux où les étoiles brillent plus fort qu’ailleurs et, sous les étoiles, une prairie superbe où bâtir une maison. Pour l’Amérique, pour Hollywood, c’est le premier de tous les voyages, un rêve national dont les rêveurs, pionniers appelés par la Terre promise, allaient se réveiller Américains. Mais que faire quand l’héritage de la geste nationale ne suffit plus, que faire quand le rêve est introuvable ? Quand le train bondé du rêve américain a laissé sur le quai un bon samaritain suicidaire (La vie est belle, Frank Capra, 1946), une épouse mélancolique (Peggy Sue s’est mariée, Francis Ford Coppola, 1986 ; La Rose pourpre du Caire, Woody Allen, 1985 ; Alice, Woody Allen, 1990), un lycéen avide de succès mais lesté par un père trop mou et velléitaire (Retour vers le futur, Robert Zemeckis, 1985), un jeune garçon qui n’en peut plus d’attendre sa puberté (Big, Penny Marshall, 1988), un présentateur météo aigre et misanthrope (Un jour sans

fin, Harold Ramis, 1993), un scénariste insatisfait aux grandes ambitions littéraires (Minuit à Paris, Woody Allen, 2011) ? Pour ces cas désespérés, il reste la magie. La mécanique perfectionniste, alors, prend pour de bon la forme d’un rêve – et parfois d’un cauchemar. Qu’il propulse dans un autre temps, dans une réalité parallèle, ou qu’il actualise un fantasme de toute-puissance, le rêve garde néanmoins la même trajectoire morale. Une fois réveillé, une fois ramené à la maison (« there’s no place like home », concluait la Dorothy du Magicien d’Oz, revenue de ce côté-ci de l’arc-en-ciel), le rêveur a, forcément, appris quelque chose, il est toujours héritier du Scrooge de Dickens (Un chant de Noël). Pour les plus chanceux, la leçon revient du fond de l’histoire ou de l’idéologie nationales, pour les sauver (la morale chrétienne du « love thy neighbor » dans La vie est belle et dans Un jour sans fin ; l’esprit d’entreprise reaganien qui sauve Marty McFly dans Retour vers le futur, en transformant son père en yuppie). Les autres devront faire avec une leçon moins lisible et manichéenne, administrée moins par l’Amérique que par la vie. Ce sont, souvent, des femmes (Kathleen Turner chez Coppola, Mia Farrow, par deux fois, chez Woody Allen). C’est à elles, en général, que Hollywood réserve le destin amère et sublime des faux happy ends.

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LE TRANSPERCENEIGE

Bong Joon Ho Après s’être imposé comme une figure majeure du cinéma sud-coréen en seulement quatre longs métrages, dont Memories of Murder et The Host, Bong Joon Ho quitte sa zone de confort pour tourner à l’étranger, en studio et avec une distribution majoritairement anglophone. Ce baptême du feu prend la forme d’une parabole sociale d’une réjouissante véhémence, portée par un projet esthétique fascinant. PAR JULIEN DUPUY

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omment avez-vous découvert la bande dessinée de Jacques Lob et de Jean-Marc Rochette dont est tiré votre film ? Je suis un client assidu d’une petite librairie de Séoul qui est l’une des rares à proposer des œuvres occidentales, alors que le marché coréen est monopolisé par les mangas et les manhwas [bandes dessinées sud-coréennes, ndlr]. C’est là que j’ai découvert Le Transperceneige. Le style de la couverture se distinguait du tout-venant des étals, et j’ai tout de suite été saisi par le concept de cette humanité à l’agonie, captive d’un train condamné à

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rouler dans un monde éteint. Je dois également dire que je suis un inconditionnel des trains. Pourquoi ? J’aime filmer les lieux longs, étroits et sombres, comme le tunnel de Memories of Murder ou les égouts de The Host. Non seulement un train correspond à ce type d’espace, mais en plus il est mobile. Cela m’offrait de nombreuses possibilités cinématographiques que je voulais exploiter au maximum, comme lors du passage dans le tunnel, ou lorsque la rame emprunte un virage. Pour un cinéaste, un tel décor induit une fascinante gestion de l’espace.

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e ntreti e n

En même temps, cela vous contraint à ne travailler que sur l’horizontalité. Oui, ce fut l’euphorie pendant un moment, et puis très vite, j’ai déchanté (rires). Avec mon directeur de la photographie, pour éviter la monotonie, nous avons choisi de tout miser sur le mouvement : le train bouge, nos protagonistes avancent en permanence, et la caméra n’est jamais statique. Ce credo fut parfois difficile à tenir, comme dans la scène entre le personnage principal, Curtis (Chris Evans), et son mentor, Gilliam (John Hurt). C’est une scène posée, entre deux personnages immobiles. Dans ce cas, nous avons travaillé sur le déplacement de la lumière dans le wagon : elle le parcourt de long en large et réinsuffle ainsi de l’énergie à l’image. L’évolution de Curtis s’articule autour de deux longs plans qui se répondent : son dialogue avec Gilliam, au début du film, et celui avec Wilford (Ed Harris), à la fin. Le Transperceneige est l’histoire d’une relation triangulaire entre Curtis et ses deux pères spirituels, Gilliam et le chef de cet ultime bastion de l’humanité, Wilford. Curtis est amené à regarder vers la tête du train lorsqu’il parle avec Gilliam, et vers la queue du train lors de son dialogue avec Wilford. Il est dans un anneau de Möbius : son parcours est infini, car les deux extrémités de son périple se rejoignent. C’est une façon de dire que Curtis n’est qu’un outil au service d’idéologues : il incarne une force motrice vide de sens. Son mouvement n’a effectivement aucune issue, puisque son corps et son esprit restent prisonniers du train, mais aussi du trauma généré par les conditions de vie qu’on lui a imposées, ainsi qu’aux autres passagers. Curtis est un pur produit du monde qu’il aimerait changer.

« L’avenir appartient à ceux qui pensent en dehors des chemins balisés, même s’ils sont des parias, comme Namgoong Minsoo. » Finalement, la seule figure réellement révolutionnaire du film est celle de Namgoong Minsoo (Song Kang-ho). Le film s’ouvre avec Curtis, mais se termine avec Namgoong Minsoo. Curtis avance de façon rectiligne ; Minsoo, lui, réfléchit à un déplacement alternatif. Lors de leur dialogue, à la fin, Curtis ne parle que du passé. Minsoo, pour sa part, pense au futur. L’avenir appartient à ceux qui pensent en dehors des chemins balisés, même s’ils sont des parias, comme ce personnage. Pourquoi avoir choisi un traitement aussi distinct des deux classes sociales représentées dans Le Transperceneige : registre réaliste pour les pauvres, franche caricature pour les nantis ? L’environnement de ces deux groupes participe de cette distinction. La frontière entre eux est marquée par les wagons de la serre et de l’aquarium. On passe alors d’un monde décrépit, très natu­ raliste, à des décors baroques. Or, les wagons des nantis, comme leurs passagers, ont un aspect factice : leur existence n’est qu’un mensonge, car tous sont prisonniers d’un appareil qui roule inéluctablement vers sa perte. Les pauvres se lamentent, eux se voilent la face. Snowpiercer – Le Transperceneige de Bong Joon Ho avec Chris Evans, Tilda Swinton… Distribution : Wild Side Films / Le Pacte Durée : 2h05 Sortie le 30 octobre

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ALEX PRAGER PAR JULIETTE REITZER

Despair, Film Still #1, 2010

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lle a commencé par acheter une chambre noire sur eBay, enthousiasmée par les clichés vintage et colorés de William Eggleston, découverts au hasard d’une exposition. Depuis, Alex Prager est devenue une photographe, puis une réalisatrice, branchée – exposée au MoMA, choisie par le New York Times pour diriger une série de films courts autour de poids lourds du box-office tels que Ryan Gosling ou Rooney Mara. L’artiste américaine, née en 1979, considère ses photos comme « des images de films qui n’existent pas », reconstituant ainsi une mémoire fantasmée du cinéma. Coiffées de perruques, portant faux cils et tenues vieillottes, ses héroïnes

sont éclairées et apprêtées comme les stars de la période classique hollywoodienne. « Le fait de vivre et d’avoir grandi à L.A. m’a permis de voir les possibilités offertes par le cinéma. Pourquoi ne pas les utiliser pour mes photos ? » À l’opposé de la photographie de rue, les images de Prager sont ainsi minutieusement préparées puis longuement retouchées, pour un rendu léché proche de la photographie de mode. Ce maniérisme un peu mièvre peut agacer, mais son univers aux couleurs saturées, irréel et mélodramatique, est indéniablement troublant. Nous publions ici des images tirées de trois de ses courts métrages, qu’elle commente.

Despair, Film Still #2, 2010

– despair – avec bryce dallas howard, 2010

Chez Prager, les femmes semblent toujours suspendues au bord d’un gouffre, prêtes à sombrer dans la tragédie. Les yeux humides, la bouche entrouverte, les lèvres écarlates : « Les couleurs sont très liées à des émotions. J’aime utiliser de belles couleurs vives pour raconter des histoires sombres. Un peu à la manière des vieux contes de fées, où les histoires colorées annoncent souvent un grand danger. »

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La Petite Mort #5, 2012

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La Petite Mort #4, 2012

Judith Godrèche prête ses traits à cette desperate housewife qui se jette sous un train. « Elle a un visage très expressif, et cette beauté classique des Françaises que nous Américains idéalisons tellement. Dans mon travail, je cherche à créer un monde parallèle complexe et irréel pour y installer mes personnages. Mais ce monde est bien plus semblable au nôtre qu’il n’y paraît. »

– la petite mort – avec judith godrèche, 2012

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Still from Face in the Crowd, 2013

– face in the crowd – avec elizabeth banks, 2013

Prager explore ici « la complexité des émotions qui traversent une foule » à travers le visage de l’actrice Elizabeth Banks. « Je cherchais quelqu’un qui pourrait nous guider parmi cette foule comme dans une danse. Et je voulais que la foule soit vue tantôt comme une mer d’anonymes, tantôt comme un ensemble d’individus ayant chacun une histoire à raconter. »

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toutes les images : courtesy of the artist, lehmann maupin, new york and hong kong, yancey richardson gallery, new york and m+b gallery, los angeles

Les courts métrages d’Alex Prager sont visibles sur Vimeo, à l’exception de Face in the Crowd qui sera présenté lors de l’exposition « Alex Prager : Face in the Crowd » à la galerie Corcoran de Washington, du 23 novembre au 9 mars prochain.

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L Edu S9 oct.FauI30Loct. MS Vandal Pour son premier long métrage, le Français Hélier Cisterne radiographie la mue adolescente d’un jeune déraciné qu’il plonge dans l’univers nocturne et mystérieux du graffiti vandale. PAR JULIETTE REITZER

À

15 ans, Chérif est un gamin agité. Dépassée, sa mère (Marina Foïs) décide de l’envoyer vivre à Strasbourg chez son oncle (Jean-Marc Barr), sa tante (Brigitte Sy) et leur fils (Émile Berling), espérant qu’avec eux il filera droit. Sans opposer de résistance, l’ado timide et renfrogné part donc, laissant derrière lui son petit frère, sa mère divorcée, ses échecs scolaires. « Le point de départ du film, raconte Hélier Cisterne, qui a coécrit le scénario avec Katell Quillévéré et Gilles Taurand, c’était de faire le portrait d’un ado mis à découvert : tu es quoi une fois que tu n’as plus tes attaches, tes repères ? » En choisissant Zinédine Benchenine (lire p. 24) pour

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le rôle principal, un débutant qu’il place au milieu d’acteurs confirmés, le cinéaste poursuit son entreprise féconde de mise à nu : l’interprète et le héros, pareillement démunis, progressent dans l’inconnu avec une même curiosité candide. Comme souvent dans les portraits d’adolescents, il est dès lors question de mues successives, de peaux dont on se débarrasse et des nouvelles qui les remplacent, plus résistantes et mieux ajustées. Le jour, Chérif endosse donc combinaison orange et casque de chantier pour son C.A.P. maçonnerie. La nuit, emmitouflé dans un sweat à capuche, le gamin suit son cousin dans des échappées clandestines et découvre l’univers secret du graffiti.

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9 MOIS FERME

Albert Dupontel revient, derrière et devant la caméra P. 80

TENUE DE SOIRÉE

HISTOIRE DE MA MORT

Albert Serra retrace la fin de la vie de Casanova P. 87

Dans ces scènes nocturnes, qui occupent environ la moitié du métrage, le film glisse du pur naturalisme vers un traitement plus onirique : quitter la maison en cachette, secouer les bombes de peinture pour recouvrir les murs, se faire courser par des vigiles et par leurs chiens, poursuivre le mystérieux Vandal, graffeur rival, le long des voies de chemin de fer… Ces séquences sont traversées par un puissant souffle romanesque et tutoient le fantastique – musique hypnotique signée Ulysse Klotz, temporalité modifiée, lumière plus expressionniste. La nuit devient ainsi le lieu du film où s’incarnent les rêveries adolescentes : « Ce qu’on ressent quand on est adolescent, ce qu’on fantasme, c’est tellement puissant qu’on le vit dans sa chair. Je voulais que ce soit matérialisé à l’écran. » Masqué, le graffeur mène une double vie. Il sort la nuit, grimpe sur les toits, signe la ville ; l’ado rebelle et solitaire se drape alors dans l’étoffe du super-héros. « À la base, c’était l’histoire d’un gamin qui trouvait un costume, le mettait pour une soirée déguisée, et découvrait que ça lui donnait une sorte de super pouvoir. L’idée du super-héros est restée, mais s’est transformée pour s’agglomérer au réel », précise le réalisateur. La rencontre avec Élodie (la débutante Chloé Lecerf), une camarade de classe, vient alors agir comme un nouveau

DVD

Ceci n’est pas un film de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb P. 92

« L’idée du super-héros est restée, mais s’est transformée pour s’agglomérer au réel. » révélateur. Face à cette gamine noyée dans son pantalon baggy – mais bien droite dans ses baskets –, Chérif se dévoile progressivement, jusqu’à cette scène charnière où les deux ados, réfugiés dans l’immeuble abandonné qui sert de repaire aux graffeurs, échangent leur premier baiser puis se déshabillent gauchement. Chérif, enfin débarrassé de ses oripeaux superflus, dessine alors au marqueur sur la cuisse nue d’Élodie, manière d’affirmer qu’il a, enfin, trouvé sa place. « Chérif découvre le graffiti comme j’ai découvert le cinéma, confirme Cisterne. Comme un moyen de prendre de la hauteur, de se dégager, mais en même temps de vivre sa vie comme tous les autres. De découvrir le sentiment d’appartenance. » d’Hélier Cisterne avec Zinédine Benchenine, Chloé Lecerf… Distribution : Pyramide Durée : 1h24 Sortie le 9 octobre

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les fi lms

> SHÉRIF JACKSON

Super Trash Caméra au poing, Martin Esposito est retourné dans les Alpes-Maritimes, sur les lieux de son enfance, pour filmer la décharge arrivée à saturation de Villeneuve-Loubet. Un premier long métrage en forme de documentaire militant. PAR MARIE PONCHEL

En mai 2008, Martin Esposito fait ses premiers pas sur le tapis rouge du Festival de Cannes. Sauf que le tout jeune réalisateur ne se pavane pas sur la Croisette, pas plus qu’il ne monte les marches du Palais des festivals. Son bout de moquette à lui tombe d’un camion-benne en provenance directe des mondanités cannoises, et son ascension prend fin sur une montagne de détritus. Pendant dix-huit mois, cet ancien champion de windsurf a en effet posé sa caméra dans la décharge de la Glacière, à Villeneuve-Loubet, sur une colline où mille tonnes d’ordures sont déversées chaque jour, à dix kilomètres de la Côte d’Azur et de ses yachts de luxe. Le sable fin et les starlettes semblent loin. Pour servir son propos, le réalisateur écolo accumule les contrastes visuels et les images chocs

(mouettes à l’agonie, cercueils fraîchement déterrés, polluants déversés sans contrôle), n’hésitant pas à se mettre en scène avec une bonne dose d’humour noir. Équipé d’une chasuble orange et d’un indispensable masque de protection, il prend son déjeuner au milieu du ballet des camions-poubelles, surfe sur les dunes d’immondices ou discute avec Raymond, un briscard du coin affligé par le trépas de la nature environnante. Sa croisade militante, rock’n’roll et électrique, ne laissera personne indifférent : immergé dans cette marée de déchets, le spectateur nage en eaux troubles, recevant en pleine face les ravages de son mode de consommation. de Martin Esposito avec Martin Esposito, Raymond Pettavino… Distribution : Kanibal Films Durée : 1h14 Sortie le 9 octobre

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Après le meurtre de son mari, une ancienne fille de joie chausse les bottes de Calamity Jane dans un village contrôlé par un shérif balourd et un prophète satanique au fin fond du Nouveau-Mexique. Une parodie insolente de western spaghetti. MA.PO. de Noah et Logan Miller (1h35) Distribution : Potemkine Films Sortie le 9 octobre

> LA CONFRÉRIE DES LARMES

Ne jamais ouvrir la mallette (le pitch du Transporteur n’est pas loin). Préférant s’écarter du blockbuster adepte des coups de tatane pour cultiver l’auréole mystique, ce thriller emmène le spectateur sur les traces d’un Jérémie Renier taciturne. MA.PO. de Jean-Baptiste Andrea (1h40) Distribution : Rezo Films Sortie le 9 octobre

> SIDEWALKS STORIES

Ce film muet de 1989 ressort en copie restaurée. Charles Lane s’y met en scène en SDF au grand cœur qui recueille une petite fille après l’assassinat de son père. Hommage réussi au Kid de Chaplin, Sidewalks Stories enchantera une nouvelle fois petits et grands. L.T. de Charles Lane (1h37) Distribution : Carlotta Films Sortie le 9 octobre



le s fi lm s

C’est la fin PAR ÉTIENNE ROUILLON

Les nouvelles stars de la comédie américaine, jouant leur propre rôle, se retrouvent à Hollywood pour faire la bringue dans le loft flambant neuf de James Franco. L’objectif de la soirée : faire une bamboche de tous les diables, sans penser au lendemain. De fait, demain devient un horizon peu plausible, puisque cette nuit, c’est le début de l’apocalypse. Version longue d’un court métrage des mêmes réalisateurs, C’est la fin réunit une galaxie informelle d’acteurs qui se croisent régulièrement dans des films à l’humour à la fois absurde et très référencé – SuperGrave, Délire Express ou Funny People. La bande de Seth Rogen s’éloigne de la voie ouverte par Ben Stiller

et son Frat Pack. Ici, le comique de situation laisse la place à un jouissif festival d’apparitions clins d’œil : Rihanna, Emma Watson et un surprenant Michael Cera en mâle dominant, tout en stupre et regard torve. La carrière des protagonistes est débitée à la hache : les expérimentations artistiques chelous de Franco, le bide de The

Green Hornet pour Rogen… un déluge de vannes autocentrées qui côtoie bizarrement une critique d’un Hollywood nombriliste. Redoutable d’efficacité pour qui est familier du clan Rogen. de Seth Rogen et Evan Goldberg avec James Franco, Jonah Hill … Distribution : Sony Pictures Durée : 1h47 Sortie le 9 octobre

Northwest PAR MAUREEN LEPERS

Deux fantômes hantent le film du Danois Micheal Noer. Le premier, c’est celui de Pusher, étalon du polar nordique, réalisé par un autre Danois, Nicolas Winding Refn. Le second, c’est Casper, 18 ans, un cambrioleur fasciné par le crime organisé. Visage osseux, silhouette gracile noyée dans un

survêtement blanchâtre, le gosse a tout du jeune à la dérive venu errer dans les rues ternes des banlieues pauvres des grandes villes – ici Northwest, le quartier de Copenhague qui donne son titre au film. Pour ce héros toujours dissout dans le monochrome gris du film, tout l’enjeu est de trouver où s’incarner. S’il n’est d’abord

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rien qu’une ombre qui dérobe en coup de vent le mobilier des riches pour le revendre au rabais, Casper trouve une nouvelle consistance dans sa rencontre avec Bjørn, un gangster local qui l’adopte pour en faire l’un de ses lieutenants. Logiquement, l’incarnation mafieuse du héros est aussi celle de l’image dans la couleur : aux nuances pâlottes du dehors répondent la chaleur du bois de la demeure de Bjørn, ainsi que les premières effusions de sang. Car devenu homme et chair, Casper apprend à ses dépends qu’il est faillible et périssable. Jusqu’au bouleversant plan final.  de Michael Noer avec Gustav et Oscar Dyekjaer Giese… Distribution : Bac Films Durée : 1h31 Sortie le 9 octobre



le s fi lm s

État commun, conversation potentielle PAR L.T.

Le dispositif est simple mais déroutant, au premier abord : un écran scindé en deux, des Palestiniens et des Israéliens qui semblent ne pas réussir à communiquer, divisés par cette frontière visuelle. Peu à peu s’impose pourtant une idée qui leur permet de dialoguer, au-delà des enjeux traditionnels du conflit. Celle d’un État commun qui les autoriserait à vivre côte à côte en partageant le territoire et le pouvoir. Idée utopique, certes, mais qui ouvre des espaces de réflexion pertinents et originaux. d’Eyal Sivan Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 2h04 Sortie le 9 octobre

Room 514 PAR Q.G.

Alors qu’elle s’apprête à quitter l’armée israélienne, Anna termine une enquête impliquant des soldats accusés d’avoir frappé un Palestinien. Malgré les réserves de l’administration, elle mène les interrogatoires dans une salle confinée. La force des mots est le thème central du film : comment ceux-ci peuvent lui conférer du pouvoir, mais sont aussi susceptibles de se retourner contre elle. Huis clos étouffant, Room 514 devient alors une étude saisissante sur le discours de l’autorité.

celui de l’inspecteur Loki. Les tics nerveux et le corps désormais lourd et fatigué de Jake Gyllenhaal peuvent se lire comme le prolongement du rôle qu’il tenait chez David Fincher dans Zodiac. de Denis Villeneuve avec Jake Gyllenhaal, Hugh Jackman… Distribution : SND Durée : 2h33 Sortie le 9 octobre

de Jean-Pierre Jeunet avec Kyle Catlett, Judy Davis… Distribution : Gaumont Durée : 1h45 Sortie le 16 octobre

PAR MAUREEN LEPERS

Après Incendies, le Canadien Denis Villeneuve s’invite aux États-Unis pour mettre en scène les enquêtes parallèles d’un flic (Jake Gyllenhaal) et du père de la petite Anna (Hugh Jackman), disparue avec sa meilleure amie. Efficace, ce polar impose surtout deux personnages d’hommes assez réussis, à commencer par

PAR MA.PO.

Jeune surdoué de 10 ans tout droit sorti d’un épisode de C’est pas sorcier, T. S. Spivet quitte son ranch natal pour vivre son rêve américain. Ce « Léonard de Montana » embarque alors dans un road trip rétro et joliment bricolé pour recevoir un prix scientifique de renom à Washington. En auscultant les fantaisies psychiques d’un enfant prodige en vadrouille, Jean-Pier re Jeunet fusionne voyages terrestre et spirituel avec l’extravagance du détail et la conquête de l’anecdote.

de Sharon Bar-Ziv avec Asia Naifeld, Guy Kapulnik… Distribution: Sophie Dulac Durée : 1h30 Sortie : le 9 octobre

Prisoners

L’Extravagant Voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet

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– Le sujet qui divise la rédaction –

9 mois ferme a commence fort. Un plan-séquence d’ouverture f lamboyant dévoile Sandrine Kiberlain en juge opiniâtre, ensevelie sous les dossiers qui s’entas­ sent en accéléré alors que le réveillon du Palais de justice bat son plein. On imagine, après son interprétation incroyable de flic mollassonne dans Tip Top de Serge Bozon, que l’actrice rempile pour une comédie. En fait, le constat s’impose rapidement : Albert Dupontel peine à faire naître le rire. La juge, forcément coincée, se retrouve enceinte malgré elle. Lorsqu’elle se met à rechercher le père, elle tombe sur le voyou Dupontel, forcément débile. Forcément, à la fin, ils vont s’entendre. Pour en arriver là, le réalisateur se fait plaisir en multipliant les prises de vues estampillées « bizarres » – contre-plongées outrancières, gros plans déformants – et teinte ses plans d’un vert aqueux qui rappelle Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Dans ce grand bain, les répliques graveleuses éclatent en bulles inoffensives, tandis que les deux acteurs enclenchent le pilotage automatique. Le mauvais goût revendiqué du réalisateur ne sert ici aucune subversion, mais plutôt une morale fade et condescendante sur l’air du « même les teubés ont un cœur et peuvent faire des bébés ». PAR LAURA TUILLIER

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videmment, quiconque est allergique à la petite musique d’Albert Dupontel trouvera dans ce 9 mois ferme de quoi alimenter sa répulsion. Toujours la même histoire, à base de filiation tordue, toujours les mêmes effets comiques, entre grotesque et grand-guignol, et toujours cette volonté forcenée de dénoncer la tyrannie des puissants sur les lais­sés-pour-compte. On appellera ça, au choix, une redite ou l’affirmation d’un auteur. Mais si le film tient donc vraiment de son père, on peut surtout lui accorder le crédit de tenir de sa mère, alias Sandrine Kiberlain. Très à l’aise dans l’univers tordu du cinéaste, elle apporte à son cinéma un jeu plus mesuré, plus subtil aussi, qui, quand il s’élance dans le délire absolu, atteint des sommets. Tout en chignon et rectitude, l’actrice s’amuse tellement dans cette comédie romantique loufoque qu’elle oblige son partenaire de jeu, d’ordinaire en roue libre, à mettre un peu le holà sur les grimaces. En résulte un film étonnamment plus doux et grand public que d’ordinaire. Véritable écrin pour son talent burlesque, 9 mois ferme confirme surtout que Sandrine Kiberlain est ce qui est arrivé de mieux à la comédie française depuis longtemps. PAR RENAN CROS

d’Albert Dupontel avec Sandrine Kiberlain, Albert Dupontel… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h22 Sortie le 16 octobre

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Albert Dupontel revient, derrière et devant la caméra, avec une comédie policière romantique sur fond de grossesse non désirée par la juge Sandrine Kiberlain. Mais à l’heure du verdict, le doute subsiste : le réalisateur a-t-il accouché d’un bon film ?



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> AU BONHEUR DES OGRES

Adaptation du roman de Daniel Pennac, le film dépeint l’univers fantaisiste de Benjamin Malaussène (Raphaël Personnaz), bouc émissaire au service réclamations d’un magasin. Quand des bombes éclatent dans l’immense boutique, tous les soupçons se tournent vers lui. Q.G. de Nicolas Bary (1h32) Distribution : Pathé Sortie le 16 octobre

Salvo Grand prix de la Semaine de la critique à Cannes, annoncé comme l’exemple d’un renouveau du cinéma italien, Salvo de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza est un film de mafia, sous influence melvillienne. Sec mais aux atours romantiques. PAR QUENTIN GROSSET

Avec son intrigue autour d’un bourreau qui se lie à son otage, Salvo évoque d’emblée L’Intervallo de Leonardo Di Costanzo, un autre film italien sorti ces derniers mois. Deux adolescents s’y trouvaient forcés de rester une journée dans un entrepôt désaffecté par la seule volonté de la Camorra napolitaine, peu présente à l’écran mais toujours menaçante aux alentours. En filmant la mafia de biais, en empruntant ce détour loin des violences attendues, le cinéaste créait un îlot d’innocence et prenait alors le parti pris de la légèreté. Rien de tel ici puisque Fabio Grassadonia et Antonio Piazza suivent d’un regard froid le parcours de Salvo (Saleh Bakri), tueur sicilien attendri par Rita, une jeune aveugle qui se trouve être la sœur d’un homme à éliminer. Lui laissant la vie sauve, il est rattrapé par ses supérieurs et

tente de la cacher dans une usine abandonnée, refuge qui finira en cul-de-sac. Dirigeant Bakri en se calquant sur l’impassibilité d’Alain Delon dans Le Samouraï, les deux réalisateurs partagent avec Melville une certaine idée du polar minimaliste, privilégiant les longs plans séquences et épurant leurs images de tout spectaculaire. Les mafieux sont des spectres restant hors champ, planant sur la relation mutique mais peut-être amoureuse entre Salvo et Rita. Grassadonia et Piazza s’immiscent donc dans une tendance contemporaine du cinéma transalpin qui aime à revisiter ses tropes et son folklore pour mieux s’en débarrasser ensuite. de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza avec Saleh Bakri, Sara Serraiocco… Distribution : Bodega Films Durée : 1h48 Sortie le 16 octobre

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> DONNER / RECEVOIR

En confrontant les récits de malades et de donneurs aux paroles de médecins, philosophes ou sociologues, ce documentaire interroge le don d’organes et son fonctionnement. S’y déploient les questions du rapport à l’autre, de la culpabilité, de l’acceptation. J.R. de Bernard et Michèle Dal Molin (1h15) Distribution : Destiny Sortie le 16 octobre

> THE MORTAL INSTRUMENTS – LA CITÉ DES TÉNÈBRES

Adaptation cinématographique de la saga fantastique signée Cassandra Clare, ce Twilight bis propulse Clary, une adolescente new-yorkaise portant secours à sa mère, dans un univers parallèle peuplé de chasseurs d’ombres et de démons. MA.PO. de Harald Zwart (2h10) Distribution : UGC Sortie le 16 octobre



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Mademoiselle C PAR PÉKOLA SONNY

Carine Roitfeld ne règne plus sur la mode parisienne. Après dix années passées à la tête du magazine Vogue, la voilà partie à la conquête du marché new-yorkais. Entourée de collaborateurs fascinés, toutes les portes semblent s’ouvrir pour cette Mademoiselle C que l’on suit à toute vitesse sur fond de musique pop, de photos de mode en soirées mondaines. Si le réali­sateur peine à étoffer son sujet, le documentaire a le mérite de rendre compte de ce milieu clos où l’exubérance n’a pas de limites.

Le Palestinien Hany Abu-Assad (Paradise Now) signe un thriller militant au rythme effréné qui parvient à convaincre : il est reparti de Cannes avec le Prix du jury Un certain regard. de Hany Abu-Assad avec Adam Bakri, Waleed Zuaiter… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h37 Sortie le 16 octobre

de Marianne Lamour Documentaire Distribution : Rezo Films Durée : 1h26 Sortie le 16 octobre

PAR J.R.

En Cisjordanie, au cœur des tensions entre la population locale et l’armée israélienne, le jeune résistant Omar escalade chaque jour le mur qui le sépare de celle qu’il aime. Emprisonné, puis relâché en échange de sa promesse de dénoncer ses amis, il fait l’expérience de l’engagement, de la trahison et de la quête de liberté.

PAR MA.PO.

L’art contemporain a quitté la sphère culturelle pour gagner celle de la finance. C’est sur la base de ce constat que ce documentaire s’aventure, avec honnêteté et neutralité, dans le circuit d’un marché en plein essor où l’on spécule comme on négocie en bourse. Extérieures à ce milieu, désormais contrôlé par les nouvelles fortunes et partie intégrante du luxe, les enquêteuses parviennent à s’entretenir avec des collectionneurs et des artistes du monde entier et à percer un peu le mystère de cette toile opaque.

de Fabien Constant Documentaire Distribution : Mars Durée : 1h32 Sortie le 16 octobre

Omar

La Ruée vers l’art

Gabrielle PAR J.R.

Gabrielle, Prix du public au festival de Locarno, pose avec empathie et réalisme la question du désir d’autonomie des personnes handicapées mentales en filmant l’histoire d’amour contrariée de Gabrielle, interprétée par une jeune femme souffrant du syndrome de Williams, et de Martin. Au cœur du film se déploie la charge émotive des chansons de Robert Charlebois, chantées par la chorale où se rencontrent et s’épanouissent les deux héros. de Louise Archambault avec Gabrielle Marion-Rivard, Alexandre Landry… Distribution : Haut et Court Durée : 1h44 Sortie le 16 octobre

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Haewon et les hommes

Hong Sang-soo retrouve et décline les obsessions thématiques qui hantent ses films séouliens. Un art habile de la variation que le réalisateur pousse ici dans ses retranchements, pour mieux montrer l’instabilité qui en résulte. PAR LOUIS SÉGUIN

Comme chaque année, Hong Sang-soo apporte des nouvelles de Séoul, qu’il filme sous toutes les coutures depuis près de vingt ans (lire p. 119). On est donc en terrain connu avec Haewon et les hommes, pour peu que l’on soit familier de la filmographie du Sud-Coréen. Ne manque à l’appel ni les frasques sentimentales du prof de cinéma à l’université, ni les beuveries en plan-séquence, ni les promenades donnant lieu à autant de saynètes comiques. Noyée dans ce monde codifié, Haewon, jeune femme de 20 ans éprise de son professeur, catalyse ici les particules élémentaires du cinéma de Hong Sang-soo. Bien que le film soit une variation sur un thème connu, il ne faut pas sous-estimer son originalité. Car la répétition est le drame de Haewon dont l’amant n’ose pas quitter sa femme, malgré des promesses sans cesse réitérées. Outre ce patinage sentimental, Haewon,

> LE CŒUR DES HOMMES 3

C’est reparti pour un tour, mais Gérard Darmon ayant quitté le navire, c’est Éric Elmosnino qui rejoint Bernard Campan, Jean-Pierre Darroussin et Marc Lavoine au bord de la piscine, les coudes serrés, les pieds dans l’eau et le cœur dans l’épuisette. J.R. de Marc Esposito (1h54) Distribution : Diaphana Sortie le 23 octobre

attirée par l’étranger où elle n’ira sans doute jamais, ne parvient pas à s’intégrer tout à fait dans le petit théâtre du cinéaste, ne connaissant d’autres voyages que ses rêves qui la cloîtrent dans les mêmes échecs que la réalité. Inadaptée, la jeune femme est soupçonnée d’être étrange et métisse, adjectif teinté d’une xénophobie ouvertement assumée par d’autres étudiants lors d’un dîner. Nobody’s Daughter Haewon, le titre anglais, dit assez la condition orpheline du personnage. Bâti sur les mêmes fondations que les précédents films du réalisateur, Haewon et les hommes met ces bases en branle, faisant le triste constat de l’échec de l’altérité. de Hong Sang-soo avec Jeong Eun-chae, Lee Sun-kyun… Distribution : Les Acacias Durée : 1h30 Sortie le 16 octobre

> BAIKONUR

Dans ce film un brin simpliste, Marie de Villepin incarne Julie Mahé, une astronaute française dont la capsule, partie de la base de Baïkonour, s’écrase à son retour sur Terre dans le petit village kazakh où vit Iskander, un autochtone qui rêve d’étoiles. P.S. de Veit Helmer (1h35) Distribution : Aramis Films Sortie le 23 octobre

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> GRANDIR (Ô HEUREUX JOURS !) Documentaire familial mené durant une dizaine d’années, Grandir… est une somme d’instants du quotidien qui font le sel de la vie, mais également une quête des origines, menée par Dominique Cabrera, malgré ses angoisses et ses insomnies. Q.G. de Dominique Cabrera (1h30) Distribution : Splendor Films Sortie le 23 octobre


© romain ynan

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Histoire de ma mort Après avoir revisité l’histoire de Don Quichotte dans son premier long métrage, Honor de cavallería, Albert Serra retrace la fin de la vie de Casanova et lui organise un rendez-vous inattendu avec Dracula. Une fresque envoûtante, Léopard d’or au festival de Locarno. PAR LAURA TUILLIER

Casanova adore manger des grenades, dont il cueille les graines avec empressement grâce à cinq doigts richement bagués. Le plan dure longtemps, comme Albert Serra nous en a donné l’habitude depuis le mutique Honor de cavallería. Une fois encore, il saisit des personnages aux destins extraordinaires dans des moments ordinaires d’attente, d’ennui ou de latence. Voici donc le quotidien d’un Casanova vieillissant qui reçoit un nouveau serviteur (le Sancho de Don Quichotte dans Honor…) chargé de lui tenir compagnie dans sa retraite helvète. Outrageusement poudré, décadent – Serra ne fait pas l’impasse sur la scatologie du personnage, lors de longues séquences troublantes de défécation –, le séducteur semble pourtant fatigué, alternant moments de jouissance et crises de larmes. Servi par une photographie picturale et un sens du cadre sublime, le film d’Albert Serra déploie ainsi une première partie fin de siècle, à la fois outrageuse et empesée, au cours de laquelle Casanova s’empâte jusqu’à l’écœurement. Puis, brusquement, le métrage bifurque vers les grandes forêts du nord de l’Europe, plus sombres et mystérieuses, propices à des séquences nocturnes à peine éclairées. Casanova, toujours suivi par son placide serviteur, y trouve des villageoises, proies tout indiquées pour son appétit

sexuel, mais se rapproche par là-même du danger : il faut le voir se fracasser le front contre une vitre, en plein ébats, et observer son sang qui coule, première trace de sa mort à venir. La mort qui rôde, c’est alors ce petit vieillard étrange qui fait irruption dans le récit pour proposer à l’une des jeunes filles de Casanova de le suivre dans son château. Lorsqu’elle se change en vampire, le doute n’est plus permis : Dracula œuvre, sous les traits de cet homme à chignon, sinistre et un peu ridicule. Sans qu’ils se livrent un combat avoué, les deux hommes, à force d’agir sur le même territoire, se trouvent hantés l’un par l’autre. Casanova, surtout, voit ses forces diminuer inexorablement, puisque les jeunes filles, symbole de sa puissance vitale, s’en vont les unes après les autres rejoindre les terres obscures du vampire. Film d’époque sans reconstitution (à peine quelques costumes), biopic sans événements, bataille sans affrontement, Histoire de ma mort impose à la place sa mélancolie immémoriale et sa croyance d’enfant dans la puissance des légendes. d’Albert Serra avec Vicenç Altaió i Morral, Lluís Serrat Masanellas… Distribution : Capricci Films Durée : 2h28 Sortie le 23 octobre

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Heimat I et II PAR ÉRIC VERNAY

Partir vivre ses rêves, loin d’un pays meurtri par la pauvreté. Ou bien rester, pour aider les siens à survivre. De nombreux Allemands ont dû faire face à ce cruel dilemme, au milieu du xix e siècle. En particulier Jakob Simon, adolescent rêveur, moins intéressé par la forge paternelle que par les récits de voyage amazoniens de ses livres. Ce désir d’ailleurs est le moteur de Heimat I – Chronique d’un rêve et de Heimat II – L’Exode. Le diptyque d’Edgar Reitz constitue un prequel aux cinquante-six heures de sa trilogie Heimat qui relatait la saga de la famille Simon au xxe siècle. Pour illustrer la frustration du jeune Jakob, dont le départ vers

le Brésil ne cesse d’être repoussé, le cinéaste joue sur les contrastes. Au surplace géographique du personnage répond la mobilité de la caméra, virevoltant au-dessus des champs. À la morosité glacée des paysages en noir et blanc viennent s’agréger de chaleureuses taches colorées, comme si l’espoir de beaux lendemains faisait trembler

le vernis d’une image élégante mais figée par un tragique plombant. Patiemment, en désamorçant les attentes, Reitz parvient à faire de cette torpeur le terreau d’une émotion inespérée. d’Edgar Reitz avec Jan Dieter Schneider, Antonia Bill… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h47 et 2h08 Sorties le 23 octobre

Nos héros sont morts ce soir PAR LAURA TUILLIER

Présenté à la Semaine de la critique, Nos héros sont morts ce soir fait le pari d’une stylisation en noir et blanc jouant sur les codes du milieu du catch parisien de la fin des années 1950. « Je suis fasciné par les masques. Un de mes premiers chocs cinéma­ tographiques a été Eyes Wide Shut », explique David Perrault,

dont c’est le premier film. Victor et Simon, deux catcheurs à succès, sont en effet identifiés par le public grâce à leurs masques de soie, l’un blanc, l’autre noir, qui définissent également leurs fonctions, le premier, adulé par la foule qui se presse pour les voir combattre, et le second, honni. Jusqu’à ce que Victor (Denis Ménochet, dont la

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ressemblance avec Gabin est troublante), lassé de jouer les méchants, commence à confondre le ring et la vie. Le réalisateur s’aventure alors vers le film de genre, organisant de longues séquences aux dialogues littéraires, entrecoupées de surprenantes scènes de combat en clair-obscur. « La mythologie du catch fait écho à une mythologie du cinéma que j’ai décidé de prendre à bras-le-corps. » La réussite du film tient dans cette volonté farouche du réalisateur de recréer un Paris désuet, plein des fantômes de Belphégor et Fantômas, pour un hommage en forme de dernier tour de piste. de David Perrault avec Denis Ménochet, Jean-Pierre Martins… Distribution : UFO Durée : 1h34 Sortie le 23 octobre



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> IMAGINE

Prince of Texas

À Rome, une institution pour aveugles accueille un professeur peu conventionnel. Non voyant, ce jeune dandy se déplace sans chien ni canne blanche… Au diapason de son héros, la mise en scène tire habilement profit de la richesse d’évocation du son. J.R. d’Andrzej Jakimowski (1h42) Distribution : KMBO Sortie le 23 octobre

Un remake texan d’une comédie dramatique islandaise (Either Way de Hafsteinn Gunnar Sigurðsson, inédit en France), pourquoi pas ? Une parenthèse champêtre avec Paul Rudd en bleu de travail, par le frondeur David Gordon Green. PAR CLÉMENTINE GALLOT

> PINK

Que vient faire cet ovni dans la filmographie de David Gordon Green ? C’est à l’aune de sa trajectoire en dents de scie que se comprend ce retour au cinéma indépendant à (très) faible budget : après les petites productions southern gothic qui l’ont fait connaître (L’Autre Rive, George Washington…), Gordon Green a répondu à l’appel des sirènes de Hollywood pour réaliser plusieurs comédies aux succès variés (Délire express) avec sa bande de copains. Après l’échec commercial de son dernier film, la nécessité de Prince of Texas tient autant de la coquetterie minimaliste que d’une salutaire prise de distance avec les studios. Prince Avalanche (en V.O.) repose sur un duo burlesque d’ouvriers, Alvin (Paul Rudd, remarquable) et Lance (Emile Hirsch), chargé de l’entretien d’une route de campagne. Livré à soi-même,

chacun traverse une crise existentielle qui trouve écho dans un paysage bucolique en pleine renaissance. Le tournage a en effet eu lieu en équipe réduite dans un parc national texan dévasté par des feux de forêt – des conditions ayant permis à Paul Rudd à la fois d’improviser et d’incorporer des passages documentaires avec des autochtones. Le film déploie ainsi une armosphère mélancolique, par petites touches, appuyées par la musique du groupe texan Explosions in the Sky. S’il n’a pas la détermination rigoureuse de son comparse Jeff Nichols, Gordon Green fait preuve d’une remarquable versatilité : un rebond qui s’illustrera à nouveau en janvier dans son prochain film, Joe. de David Gordon Green avec Paul Rudd, Emile Hirsch… Distribution : Memento Films Durée : 1h34 Sortie le 30 octobre

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Su-jin partage le quotidien de sa nouvelle patronne, gérante d’un bar modeste, le Pink. Côtoyant le fils mentalement perturbé de cette dernière, elle tente d’oublier la noirceur de son passé. Dans un port coréen, l’intrigue mêle subtilement illusion et réalité. P.S. de Jeon Soo-il (1h37) Distribution : Les Films du Paradoxe Sortie le 23 octobre

> MALAVITA

Hommage du réalisateur de Léon aux films de gangsters façon Scorsese, Malavita exile un ancien ponte de la mafia (Robert De Niro) dans un tranquille village normand. Peinard, jusqu’à ce que ses anciens frères d’armes décident de le déloger de son nid. É.R. de Luc Besson (1h51) Distribution : EuropaCorp Sortie le 23 octobre



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Attila Marcel PAR ÉTIENNE ROUILLON

L’auteur des dessins animés Les Triplettes de Belleville et L’Illusionniste opte pour le cinéma traditionnel. La petite magie quotidienne de Chomet a-t-elle profité de ce passage d’un monde à l’autre ? Le style du réalisateur, qui dans son pendant dessiné louchait sur Tati ou Sempé, emprunte ici des pistes foulées par Jean-Pierre Jeunet ou Michel Gondry. Avec le premier, il partage un goût pour des personnages très caractérisés ; avec le second, un appétit pour les bricolages oniriques. Attila Marcel raconte la renaissance de Paul, à travers les yeux mi-mouillés mi-émerveillés de Guillaume Gouix. L’histoire d’un pianiste, transformé en bête à concours par ses tantes

jusqu’au-boutistes (Bernadette Lafont et Hélène Vincent). Muet depuis un trauma­tisme oublié, Paul cherche à se rappeler l’origine de la commotion, en cachette de ses tutrices. Il boit des tisanes psychédéliques chez sa voisine fantasque, expériences chantées et en vue subjective qui lèvent peu à peu le voile sur un secret familial.

Audacieux, quoique systématique dans ses séquences, Chomet en version prise de vue réelle garde sa patte, qui saura accrocher ceux qui aiment pécher les grenouilles à la grenade. de Sylvain Chomet avec Guillaume Gouix, Anne Le Ny… Distribution : Pathé Durée : 1h46 Sortie le 30 octobre

Un château en Italie

© guy ferrandis

PAR CLÉMENTINE GALLOT

La liquidat ion imminente du château familial inspire à Valeria Bruni Tedeschi non pas d’insupportables jérémiades, comme on a pu le lire à Cannes, mais l’occasion de délivrer le troisième volet d’une autofiction tragi-comique débutée il y a dix ans avec Il est plus facile pour un chameau…

Par un effet de vases communicants, cet effondrement familial répond au délabrement personnel de l’héroïne, Louise, voguant de peine de cœur avec un amant plus jeune en désir d’enfant solitaire. Si la manie de faire jouer son ancien compagnon, l’acteur Louis Garrel, ainsi que sa propre mère, en crispera plus d’un, le reste l’emporte

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par un charme irrésistible. Les reproches déplacés que l’on ne manque d’adresser à la cinéaste sont souvent les mêmes qu’à Sofia Coppola : des considérations trop bourgeoises, un patronyme trop connu ; or l’actrice et cinéaste se met à nu sans craindre la caricature, dans cette comédie borderline à l’italienne, avec une frénésie désespérée, quitte à en venir aux mains avec des nonnes ou à se ridiculiser en public. Un déballage impudique réjouissant qui doit beaucoup à la plume de Noémie Lvovsky, collaboratrice de Bruni Tedeschi depuis ses débuts, en binôme avec Agnès de Sacy. de Valeria Bruni Tedeschi avec Valeria Bruni Tedeschi, Louis Garrel… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h44 Sortie le 30 octobre


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Thor : Le Monde des ténèbres PAR É.R.

Le fils d’Odin revient jouer du marteau dans un second volet qui écrit un nouveau chapitre de la saga des super-héros Marvel sur grand écran, relancée avec Iron Man en 2008. Quelques temps après les événements narrés par le film Avengers, le monde de Thor est menacé par un peuple aussi puissant que mystérieux. Le voilà contraint de s’allier à Loki, son frère diabolique, personnage plus que plébiscité par les fans. Un duo en duel qui nous rapproche du prochain Avengers, prévu pour 2015.

des années 1970. Tutoyant l’univers de James Gray, qui cosigne le scénario, cette adaptation tourmentée, à la bande originale envoûtante, fait du lien fraternel le meilleur allié contre le destin. de Guillaume Canet avec Clive Owen, Billy Crudup… Distribution : Mars Durée : 2h07 Sortie le 30 octobre

de José Luis Valle avec Jesus Padilla, Susana Salazar… Distribution : ASC Durée : 2h Sortie le 30 octobre

PAR MA.PO.

Pour son quatrième long métrage, Guillaume Canet a posé sa caméra sur le sol américain pour tourner le remake des Liens du sang, polar remarqué de Jacques Maillot dans lequel il jouait. Deux frères que tout oppose – Chris sort de prison, Frank porte l’uniforme de policier – vont jouer au chat et à la souris dans l’Amérique poisseuse

PAR P.S.

D’un côté du « mur de la tortilla » (la frontière qui sépare le Mexique des États-Unis), Rafael fait le ménage dans une usine d’ampoules électriques. De l’autre, Lidia est domestique chez une riche femme éprise de son chien. Exploitant des situations a priori cocasses, Workers est une peinture très juste du quotidien ingrat d’une classe de petits travailleurs mexicains. Ce premier long métrage travaille habilement l’acuité des ambiances sonores, opposées au silence de personnages portés par un subtil jeu d’acteurs.

d’Alan Taylor avec Chris Hemsworth, Natalie Portman… Distribution : Walt Disney Durée : 2h10 Sortie le 30 octobre

Blood Ties

Workers

Jasmine PAR L.T.

© alhambra – amélie debacker

Jasmine et Alain se sont aimés lorsqu’ils avaient 20 ans, mais leur amour n’a pas survécu à la révolution iranienne de 1979 à laquelle Jasmine a pris part. Pour revenir sur le souvenir de son amour perdu, le réalisateur choisit de mettre en scène deux bons­ hommes de pâte à modeler bleue qu’il plonge dans le grand bain du conflit. En mêlant animation image par image et film d’archives, Alain Ughetto trouve une forme poétique qui dit bien l’émotion figée que charrie son passé. d’Alain Ughetto Animation Distribution : Shellac Durée : 1h10 Sortie le 30 octobre

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Ceci n’est pas un film Reclus en son domicile iranien, dans l’attente de son jugement en appel, le cinéaste Jafar Panahi, aidé du chef opérateur Mojtaba Mirtahmasb, concocte en secret des images qui forment un véritable précis de cinéma. PAR LAURA TUILLIER

En mars 2011, Jafar Panahi est condamné à six ans de prison et à vingt ans d’interdiction de tourner, de voyager ou de donner des interviews. Le voilà enfermé à son domicile, dans l’attente angoissée du jugement en appel. « L’important, c’est que les caméras restent allumées », affirme Mojtaba Mirtahmasb à Jafar Panahi, cependant que celui-ci se décourage. Leur projet est en effet une ultime tentative de révolte, alors même que l’état d’isolement du cinéaste laisse présager que les images, même enregistrées, ne donneront jamais de film. C’est justement cette frontière, qui délimite l’existence du cinéma, que Ceci n’est pas un film interroge. Jafar Panahi décide de lire et de jouer le scénario de son prochain film, qu’il ne pourra visiblement pas réaliser. On le découvre en train de mettre en scène la première séquence, endossant le rôle de sa jeune héroïne. Sur le tapis du salon, il figure les cloisons d’une chambre et d’une maison à l’aide de scotch, trace des escaliers. Il permet ainsi l’existence d’un nouveau lieu dans l’aire confinée de l’appartement – définition d’un espace singulier, première leçon de

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mise en scène. Abandonnant ensuite le projet du film à venir, qui n’était qu’une sorte d’échauffement, les deux cinéastes prisonniers se concentrent sur ce qui se joue dans leur journée, enregistrant tout un hors-champ sonore (les appels de l’avocate et des amis de Panahi) et visuel (les feux d’artifice de la fête du feu qui se déroule sous leurs fenêtres) qui documente la situation du réalisateur. Agrippant le réel comme dernière source narrative, Panahi trouve finalement son personnage en la personne du jeune homme chargé de vider les poubelles de l’immeuble. L’étudiant, fasciné par la présence de la caméra numérique, se laisse suivre dans l’ascenseur et commence à raconter sa vie. Le cinéaste, emporté par la joie de filmer, s’aventure alors à capter quelques images fiévreuses du dehors. Faire histoire de tout événement et vice versa – deuxième, et essentielle, leçon de mise en scène. de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb Documentaire Édition : Potemkine Durée : 1h15 Sortie le 1 er octobre

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dvd

LES SORTIES DVD

> MAUVAISE GRAINE

> MYSTERY

> DES MORCEAUX DE MOI

Alors qu’il vient de fuir l’Allemagne d’Hitler, Billy Wilder fait escale à Paris en 1934 et y tourne son premier film, en français. Mêlant avec brio humour burlesque et réalisme documentaire – de nombreuses séquences sont tournées en décors réels dans les rues du XVIe arrondissement –, Mauvaise Graine met en vedette une toute jeune Danielle Darrieux face au cabotin Pierre Mingand, en fils à papa intégrant une bande de voleurs de voiture. Les deux héros finiront par fuir. « Partons ! C’est la seule chance de nous en sortir. » Wilder, lui, s’exilera bientôt à Hollywood, avec le succès que l’on sait. J.R.

Sur une autoroute, une voiture fauche une jeune femme qui est achevée à coups de pied. L’ouverture nauséeuse de Mystery dit la noirceur à venir. Après avoir installé Love and Bruises (2011) dans les rues de Paris, le réalisateur chinois Lou Ye revient filmer chez lui, doté, pour la première fois, d’un consentement officiel. Dans la grise ville de Wuhan, il tisse une intrigue meurtrière à couches multiples. On y observe la réalité d’une classe moyenne matérialiste, mais aussi, en filigrane, les malaises engendrés par la politique de l’enfant unique mise en place par les autorités de son pays. P.S.

Erell, vidéaste amatrice, filme son quotidien pour passer le temps. En pleine crise d’adolescence, la jeune effrontée en veut à la terre entière et surtout à sa mère, malade et obnubilée par la mort. Un peu garçon manqué, un peu paumée, Erell prend la caméra à témoin pour adresser un message à son entourage et laisser une trace indélébile des événements marquants de sa vie, du retour de sa sœur aînée à ses premier émois. Pleine de fougue, Adèle Exarchopoulos brille dans cette ode à l’adolescence qui cristallise avec un sombre éclat le malaise lié à cette étape de l’existence. MA.PO.

de Billy Wilder (Lobster Films)

de Lou Ye (Wild Bunch)

de Nolwenn Lemesle (Citel Video)

> LE FILS UNIQUE

> HANNAH ARENDT

> LE VENT

Ryosuke, originaire de la province japonaise de Shinshu, est parti étudier à Tokyo grâce aux sacrifices de sa mère, modeste fileuse de soie. Après plus de dix ans, celle-ci vient rendre visite à ce fils unique en qui elle a placé tous ses espoirs. Mais l’homme n’a pas pris la trajectoire attendue : il donne des cours du soir et vit chichement. Pour son premier film parlant, tourné en 1936, Yasujirō Ozu, en maître du temps qui passe, tricote les liens précaires qui unissent ces deux héros en quête mutuelle de reconnaissance, dans une société qui les a faits prisonniers d’un idéal. MA.PO.

En 1986, Margarethe von Trotta dirigeait Barbara Sukowa en marxiste dans Rosa Luxembourg. Suite à ce premier biopic réussi, la réalisatrice convie l’actrice à incarner Hannah Arendt, autre figure déterminante de l’histoire intellectuelle allemande. Le film, très classique mais fidèle, retrace la période, brève et intense (de 1960 à 1963), durant laquelle la philosophe, exilée à New York depuis les années 1940, s’improvise reporter pour le New Yorker. Elle part à Jérusalem couvrir le procès d’Adolf Eichmann, haut dignitaire du régime nazi, et forge le concept phare de « banalité du mal ». P.S.

Letty (Lillian Gish) emménage dans la famille de son cousin Beverly. Mais la tension monte à mesure que le vent se lève, et l’épouse de Beverly fait preuve d’une jalousie qui obligera Letty à accepter de se marier avec un cow-boy épris d’elle. Dans ce mélodrame muet de 1928, réalisé par l’un des pionniers de l’école suédoise, alors parti faire carrière à Hollywood, les phénomènes climatiques miment les désordres mentaux causés par les dilemmes vécus par l’héroïne. Un grand film de tempête intérieure dans lequel, malgré le silence, on peut entendre le vent hurler. Q.G.

de Yasujiro Ozu (Carlotta)

de Margarethe von Trotta (Blaq Out)

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de Victor Sjöström (Bach Films)


cultures KIDS

MUSIQUE

LIVRES-BD

SÉRIES

ARTS

Kanak, l’art est une parole EXPOSITION

Le musée du quai Branly fait escale dans l’océan Pacifique en exhumant des pièces oubliées de l’art kanak, dont le patrimoine artistique a longtemps été marginalisé par une lecture folklorique. PAR MARIE PONCHEL

© musée du quai branly, photo claude germain

Qui se cache derrière ces visages de bois, ces manteaux de plumes et ces coiffes de cheveux humains ? Le musée du quai Branly fait tomber le masque. Premiers habitants de l’archipel de Nouvelle-Calédonie, situé entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, le peuple kanak a construit au fil du temps un art aux nombreuses facettes, singulier, oral comme gravé, dans lequel se côtoient f lèches faîtières, haches ostensoirs en jade, totems sculptés et masques au rictus figé. Figure de ce patrimoine, ce masque se porte principalement lors des cérémonies funéraires. Souvent incompris et minimisé par les colons, missionnaires et autres visiteurs, l’art kanak fait pourtant preuve d’une inventivité foisonnante. Quand ces

êt us es

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Masque (restauré grâce au soutien de la Fondation BNP Paribas)

XVIIIème XVIIe

XIXe IX

VIIIe

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IIe

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XVIe

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XXe

XIe

IVe

VIIe VIe XVe

Ve

XIIe

concert

kids

Kidexpo, du 19 au 23 octobre à la porte de Versailles p.99

XIIIe XIVe

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Pitchfork Music Festival, du 31 octobre au 2 novembre à La Grande Halle de la Villette p.102


KIDS

Planes de Klay Hall : la chronique d’Élise, cinq ans P.98 SPECTACLES

JEUX VIDÉO

MUSIQUE

BANDE DESSINÉE

La Propriété de l’artiste israélienne Rutu Modan P.106

Deltron 3030 : interview de Dan the Automator P.100 FOOD

VOYAGES

DESIGN

© museum der kulturen, bâle

archidiocèse de nouméa, nouvelle-calédonie /© eric dell’era

Ci-contre : le Chef Mindia et ses lieutenants, carte postale ancienne

Hache ostensoir montée en ostensoir catholique

© adckt-cct

Sculpture à planter en bois

peuples indigènes voyaient dans la sculpture un moyen de graver les traces d’un passé colonial violent ou de transmettre une culture artistique, certains Européens ne retenaient que défilés de grimaces grotesques et effrayantes. Depuis la découverte de l’archipel par James Cook en 1774, les Kanaks, pointés du doigt comme des spécimens préhistoriques et sauvages, ont porté cette étiquette carnavalesque. Le legs artistique kanak est mis à l’honneur pendant trois mois et demi sur les deux mille mètres carrés de la galerie Jardin. Une collection qui est le fruit de trente années d’inventaire mené dans les musées

internationaux. Avec deux parcours parallèles présentant plus de trois cents œuvres, l’expo­ sition « Kanak, l’Art est une parole » révèle un savoir-faire ancestral, reflet d’une identité aux multiples visages. Les visiteurs ont accès à de nombreux témoignages documentaires dans lesquels Kanaks et Européens échangent leurs regards sur leurs cultures respectives.

« Kanak, l’Art est une parole » Du 15 octobre au 26 janvier, au musée du quai Branly

LE PARCOURS PARISIEN DU MOIS

photographie

« Sergio Larrain – Vagabondages », jusqu’au 22 décembre à la Fondation Henri Cartier-Bresson p.110

spectacle

Suite no 1 ‘ABC’, du 16 au 20 octobre au Centre Pompidou p.112

www.troiscouleurs.fr 97

food

Encore, 43, rue Richer, 75009 Paris p.116


cultures KIDS Le petit papier d’ Élise, cinq ans

Planes CINÉMA

© disney

Bien qu’elle ait repéré quelques légers trous d’air dans le scénario, notre chroniqueuse Élise, qui n’est encore jamais montée dans un avion, était sur un petit nuage durant toute la projection de Planes. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

L’AVIS DU GRAND Ça a la couleur d’un Pixar, ça a le goût d’une de leurs plus célèbres franchises (le fameux Cars, donc), mais ce n’est pas un film du studio d’Emeryville. Planes a en effet été conçu au sein des studios d’animation de Disney, initialement pour le marché de la vidéo, avant que la qualité du résultat final ne pousse les pontes de Disney à gratifier le film d’une sortie en salles. Loin de ces considérations terre à terre, cette petite production qui s’est senti pousser des ailes devrait faire le bonheur des hordes de jeunes amateurs de Cars. J.D.

« Le héros, c’est l’avion Dusty. Au début du film, le métier de Dusty, c’est de donner du parfum au maïs pour qu’il pousse. Et il rêve de voler très haut dans le ciel. Mais il a le vertige. Mais pourquoi il aurait le vertige, alors qu’il a des ailes ? C’est quand même bébête. Mais bon, il y peut rien, c’est comme ça. Dusty décide de faire une course autour de la Terre avec d’autres avions. On voit plein de pays, mais ce que je préfère comme paysage, c’est quand une avionne emmène Dusty en Inde voir un grand truc qui ressemble à un château tout blanc. Dusty a des copains qui l’aident : des voitures, un camion et des avions, dont un Mexicain qui parle mal. Il y a trois méchants aussi, qui veulent se débarrasser de lui. Du coup, Dusty a plein de malheurs, et il tombe même dans l’eau ! J’avais envie

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de pleurer. Mais ses copains viennent le sauver. D’ailleurs, je sais pas trop comment ils savent où il est Dusty, ils le disent pas dans le film. C’est un film qui fait penser à Cars. Mais je préfère Dusty, parce que les avions peuvent faire plus de choses que les voitures ; et ils font des jolis dessins dans le ciel. Il y a même un des avions qui fait une fumée verte, peutêtre parce qu’il est malade. Le film de Dusty m’a donné envie d’aller dans un avion. Et puis il y a plein de choses gentilles dans le film. Dusty est très poli, il dit merci tout le temps. C’était trop bien. J’aimerais le voir trois fois ce film. Trois fois par jour. » Planes de Klay Hall Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h32 Sortie le 9 octobre


cinéma PAR MARIE PONCHEL

Jean entre en CP. Quand sa nouvelle maîtresse le questionne sur la profession de ses parents, le petit garçon n’a pas la moindre idée du métier de sa mère. Il ne sait même pas où elle est. Jusqu’à ce que Michèle, une voisine qui a grandi bien trop vite, ne lui lise une série de cartes postales prétendument envoyées par la maman en question. Jean se projette déjà en Amérique, en compagnie de Buffalo Bill. À Noël, il commande même un costume d’Indien. Mais l’hiver sera propice à la perte de l’innocence… Aussi cruelle que poétique, cette fable sur la brutalité des rapports entre les enfants qui ont quitté le pays de Peter Pan et ceux qui croient encore au Père Noël se dessine comme une variation douce-amère sur le temps des pourquoi et les illusions de l’enfance. Ma Maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill de Marc Boreal et Thibaut Chatel Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 1h15 Sortie le 23 octobre

et aussi PAR M.P.

SALON

DVD

Pour sa septième édition, Kidexpo, véritable plateau de jeu à taille humaine, revient avec tout plein de nouveautés : une piste de karting électrique, une maquette géante du fort Boyard, une initiation à l’équitation ou encore une salle de jeux géante pour tester les avant-premières de Noël. En plus d’être un espace de loisirs pour les enfants, le salon familial propose aux parents une sélection de jeux éducatifs et de bons plans pour la vie quotidienne. KIDEXPO

Les mains de Rodolfo Pastor sont aussi magiques que le personnage en pâte à modeler qu’il a créé. Le champignon espagnol Capelito n’a qu’à presser le bout de son nez pour changer de coiffe et d’identité à l’infini. En langue originale, huit histoires folkloriques célèbrent le travail d’orfèvre du réalisateur, dont on découvre le laboratoire dans un supplément apportant une vraie valeur ajoutée au dessin animé. CAPELITO, LE CHAMPIGNON MAGIQUE

du 19 au 23 octobre à la porte de Versailles

de Rodolfo Pastor

(Arte Éditions), dès 2 ans

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dr

cultures MUSIQUE

Deltron 3030 HIP-HOP

Égaré dans les coulisses de la production pop rock depuis trop longtemps, Dan the Automator revient à ses amours hip-hop en réactivant son projet phare, Deltron 3030. Quand le futur du passé se conjugue au présent. PAR MICHAËL PATIN

Le principe de compétition féroce propre au rap game n’a pas pour seul effet la diffusion d’idéaux ultracapitalistes ; il porte une nécessité de mise en danger artistique et de constant renouvellement, maintenant le genre à la pointe des musiques populaires. Sans fausse provocation, on peut dire qu’une année en temps rap équivaut à cinq ou dix ans en temps rock. Aussi, depuis 2000 et leur première révolution commune, de l’eau a coulé sous les ponts pour Dan the Automator, Kid Koala et Del the Funky Homosapien. Si le premier a su transposer sa science de la production dans des univers variés et souvent plus mainstream (Gorillaz, Miles Kane, Kasabian) et si ses deux collègues restent des valeurs sûres dans leur domaine de prédilection respectif (DJing et MCing), l’histoire n’a pas donné raison à leur vision futuriste du rap, mêlant bases boom bap, fantaisies orchestrales et embardées psyché et surréalistes. Event II s’inscrit dans cette droite lignée esthétique, sans perdre en originalité ni en charme, et pourrait même rallier de nouveau les déçus de l’actualité à sa cause dystopique. « Tout ce qui s’est

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passé dans le monde depuis treize ans se reflète dans l’évolution de Deltron 3030. La dimension politique du projet me semble plus évidente et plus profonde que jamais », affirme le grand Dan, au téléphone depuis San Francisco. Actualisation du discours mais aussi de la narration, puisque le trio s’est entouré, en plus des habituels featurings musicaux venus des mondes de la pop ou du rock (Damon Albarn, Mike Patton, Zach De La Rocha), d’un impressionnant casting de personnalités du grand et du petit écran (« ce sont toutes des amies proches »), de Joseph Gordon-Levitt à Mary Elizabeth Winstead, en passant par David Cross ou le chef étoilé David Chang. Ainsi ancré dans un contexte élargi, Event II peut dépasser son statut d’anachronisme et renouer un dialogue (dé)constructif avec l’avenir. « Je pense que c’est le meilleur album dans sa catégorie », lâche le producteur. On est bien d’accord, d’autant que c’est aussi le seul. Event II de Deltron 3030 (Bulk) Sortie le 1 er octobre

octobre 2013


sélection PAR M.P. ET É.V.

MATRICE

de Wilfried* (Clapping Music)

Le krautrock de demain épousera-t-il la forme d’une chanson de geste synthétique ? La poésie gnostique est-elle conciliable avec la pop bubble gum ? Existe-t-il une voix apte à réunir les amateurs d’Alain Kan et ceux de Bertrand Burgalat ? Surtout, peut-on vaincre le capitalisme avec la marche à pied ? Les réponses à ces questions sont dans Matrice, troisième album délié et tourneboulant de notre collaborateur régulier Wilfried Paris. À (re)découvrir sur scène grâce à un dispositif visuel immersif.

ILLUMINATE

de Chop (Now-Again)

En choisissant pour nom le geste primordial de l’electro (to chop, couper), le Britannique Coz Littler pourrait paraître, selon le point de vue, soit un peu prétentieux, soit excessivement réservé. Débat inutile puisque Illuminate s’impose comme l’œuvre explosive d’un franc-tireur abordant les machines comme des prolongements du corps humain. Un corps enfin libéré du carcan du genre (pop cosmique ? rock motorique ? techno post-apocalyptique ?) et s’épanouissant dans la transe intérieure et le cauchemar éveillé.

DORIS

d’Earl Sweatshirt (Columbia)

Attention, génie. Trois ans après sa mixtape Earl, le MC de 19 ans revient d’un exil forcé dans un centre de redressement pour délivrer un premier disque impressionnant. Sur Doris, son flow funambule fait des saltos au-dessus d’un magma de beats faméliques signés The Neptunes, RZA ou The Alchemist. Mais le rappeur-producteur ne se laisse pas déborder par les prestigieux invités, déballant ses valises pleines d’idées noires (absence du père, peur de décevoir) dans un écrin âpre et cohérent.

PSYCHIC

de Darkside (Other People/Matador)

Auréolé du succès de son premier disque Space Is Only Noise en 2011, le New-Yorkais Nicolas Jaar revient avec Darkside. Formé avec son ami guitariste Dave Harrington, ce projet parallèle n’a rien de superflu. Sur la lancée de leur bel EP éponyme, et d’une savoureuse relecture du dernier album de Daft Punk, le duo sillonne des espaces psychiques tantôt bruitistes et abstraits, tantôt soul et sensuels, le jeu de guitare protéiforme de Harrington sublimant l’electro atmosphérique de Jaar.


cultures MUSIQUE

agenda © timothy saccenti

PAR E.Z.

CONCERT

Rone PAR ETAÏNN ZWER

Repéré par le label ovni InFiné avec le fascinant Bora, manifeste deep techno hanté par l’écrivain SF Alain Damasio, celui qui composait « par pure récréation » a conquis en une salve de titres la planète electro. Devenu Rone, Erwan Castex bricole Spanish Breakfast, un premier album élégiaque publié en 2009 où se mêlent visions de saturnales et épopées tripées, Gui Boratto et Orbital. Acclamé mais à l’étroit dans son nouveau costume, le garçon aux airs de Harry Potter s’évade à Berlin où il cisèle l’envoûtant Tohu Bohu (2012). Fils d’Aphex Twin et de Boards of Canada, il signe là de mini­ symphonies electronica fougueuses ou enjouées (Bye Bye Macadam), des Rubik’s Cube sonores (la transe club de King of Batoofam) et ose pop atmosphérique (sublime Parade), hip-hop habité (Let’s Go, avec High Priest d’Antipop Consortium) et violons grandioses (Icare). « Bande-son d’un film imaginaire », Tohu Bohu déploie des paysages oniriques contrastés, un chaos aérien subtil cousu d’harmonie où flirtent mélancolie discrète et optimisme radieux, hypnose ambient et techno mélodique. C’est un voyage contemplatif et un plaisir pour les corps. Une rêve party que ce fou de cinéma, entouré de créatifs de génie, livre dans un décor futuriste coloré : clips à énigmes hallucinés, visuels comics naïfs et scénographie de concerts magnétique – Module, conçue par le collectif Studio Fünf. Précédé des gentlemen cosmiques de Blind Digital Citizen, le magicien Rone lâchera donc, le 31 octobre à l’Olympia, entre candeur et « décadanse », sa vibrante prière electro, ornée d’inédits entêtants tirés du EP estival Tohu Bonus, pour une nuit euphorique et feutrée défiant l’apesanteur. Pépite. Rone En concert jeudi 31 octobre à 20h30 à l’Olympia

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LE 18 OCT.

DU 31 OCT. AU 2 NOV.

OSTGUT TON NACHT Le Rex célèbre son vingt-cinquième anniversaire toute l’année avec une foule d’invités. Pour ce vendredi-ci, on s’enfoncera dans une nuit moite au son de la deep house avec les as du monstrueux label berlinois Ostgut Ton, gourous du célèbre club Berghain : le discret Nick Höppner, l’élégante Tama Sumo et l’hyperactif Kosme. au Rex Club

PITCHFORK MUSIC FESTIVAL Pour sa troisième édition parisienne, le festival signe une programmation électrique, branchée et gonflée : The Knife, Hot Chip, les héros de la soulful house anglaise Disclosure, le (trop rare) duo d’italo-disco Glass Candy, Junip, les furies de Savages, Sky Ferreira, Omar Souleyman, Todd Terje… à La Grande Halle de la Villette

LE 19 OCT.

DU 6 AU 12 NOV.

WE ARE ENFANT TERRIBLE Cool et turbulent, le trio lillois revient avec Carry On, deuxième album brut et dansant. Entre énergie crasse et mélancolie séduisante, son patchwork d’electro 8-bit, de mélodies pop revêches et de guitares punk fera honneur aux 16 ans de l’association PopinGays. Soirée sauvage, forcément. au Petit Bain

FESTIVAL LES INROCKS Les Inrocks rempilent avec du beau monde : Major Lazer, HollySiz, AlunaGeorge et son R’n’B futuriste et sexy, Petite Noir, l’excentrique MØ, Austra, Foals, Breton, le phénomène London Grammar, Deptford Goth et son spleen electro, Sohn, la bombe Christine and the Queens… Mêlée gagnante. à La Cigale, à l’Olympia, à La Boule Noire et au Zénith

LE 27 OCT.

LE 11 NOV.

CONCRETE INVITES CLUB DER VISIONÄRE Berlin Calling bis : les soirées Concrete, ces after échevelées façon La Croisière s’amuse invitent l’armada du légendaire Club der Visionäre. Rhadoo, Binh, Fumiya Tanaka et les Frenchies Ultrakurt, Cabanne et Lowris serviront un shot tech house mâtiné de minimal lors d’une nuit blanche atomique. à la péniche Le Montecosy, port de la Rapée

UNKNOWN MORTAL ORCHESTRA Attendu en France comme le messie, le trio sorcier de Portland qui fait de l’ombre à Tame Impala distillera les pépites psyché et racées de son deuxième opus, II. Puisant autant chez Love que chez Led Zeppelin ou Sly and the Family Stone, leur univers promet un voyage en contrée pop à la fois sinueux, boisé et hanté. au Point Éphémère

octobre 2013



© michael cilders

cultures LIVRES / BD

Bacchus et moi CHRONIQUES

Jay McInerney n’est pas seulement l’un des grands romanciers américains d’aujourd’hui ; c’est aussi un œnophile passionné, dont les chroniques, qui font référence, sont enfin traduites en français. PAR BERNARD QUIRINY

Il y a de nombreuses années, interviewant Jay McInerney au sujet de Glamour attitude, je laissai la conversation dériver vers les vins de Bourgogne. Grave erreur : s’il commence à parler de puligny-montrachet, McInerney ne s’arrête plus. Collectionneur passionné, gastronome attentif aux accords, client fervent des meilleurs restaurants newyorkais et autodidacte incollable sur l’univers du vin, l’auteur de La Belle Vie publie fréquemment des chroniques dans House & Garden ou le Wall Street Journal. Bacchus et moi donne un aperçu saisis­sant de son immense compétence en la matière. Tout l’intéresse : la dégustation, bien sûr, mais aussi les techniques vinicoles, le marché du vin, les personnalités de la viticulture, les petites histoires de l’œnologie et la culture œnophile au sens large, avec un penchant pour les sujets non conventionnels (l’étique­ tage des vins allemands), les personnalités hors du commun (le journaliste Auberon Waugh, fils d’Evelyn Waugh, célèbre pour son caractère et son amour du bon vin) et les anecdotes improbables.

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Surtout, ces chroniques ont un avantage immense sur la littérature œnologique habituelle, parfois intimidante avec son vocabulaire majestueux : leur humour incisif et leur style rock’n’roll en font de vraies pièces de littérature, truffées de formules ravageuses et de métaphores inattendues. Aviez-vous déjà songé, par exemple, à comparer le nez d’un haut-brion à « une boîte à cigares contenant un Montecristo, une truffe noire et une brique chauffée à blanc posée en équilibre sur une vieille selle » ? Vous découvrirez au passage la richesse insoupçonnée du vin californien, rendrez ses lettres de noblesse au pinot gris et ferez des incursions dans le monde de l’armagnac et du champagne. Bacchus et moi, enfin, remplacera avantageusement le Guide Vert pour vous faire découvrir la Bourgogne et le Bordelais. Avec un peu de chance, vous tomberez là-bas sur McInerney. Il rôde souvent dans les vignes. Bacchus et moi de Jay McInerney, traduit de l’anglais par Sophie Brissaud (La Martinière)

octobre 2013


sélection PAR B.Q. ET Q.G.

COMME BAPTISTE

de Patrick Laurent (Gallimard)

Voici un premier roman étrangement touffu, un peu bancal, comme éclaté entre plusieurs sujets. Informaticien spécialisé dans l’intelligence artificielle, Baptiste apprend qu’il est né d’un donneur de sperme. Il retrouve son géniteur et tombe sur la fille de ce dernier, Luna, amazone qui lui propose des défis inattendus… Bourré de développements parallèles sur le cerveau, la science ou la Hongrie communiste, ce coup d’essai possède un côté biscornu qui, paradoxalement, participe de son charme.

MUETTE

LE PERSONNAGE : DE LA « GRANDE » HISTOIRE À LA FICTION

de M.-F. Briselance et J.-C. Morin

(Nouveau Monde éditions)

Faire la généalogie du concept de « personnage » en remontant aux sources antiques, c’est le pari de cet essai passionnant. Ou comment le dieu des morts Osiris a donné lieu à l’archétype du martyr, tandis que son frère Seth, esprit du mal et de la destruction, est à l’origine des pires misanthropes de l’histoire de la fiction. Les deux auteurs montrent comment les dieux ont directement informé nos représentations les plus contemporaines.

WUNDERKIND

d’Éric Pessan

de Nikolai Grozni,

(Albin Michel)

(Plon)

Les romans d’Éric Pessan sont des exercices de style dont l’enjeu consiste à trouver le dispositif idéal pour l’histoire, la correspondance parfaite entre forme et fond. Ici, la contrainte s’affiche sur la couverture : l’héroïne, une adolescente fugueuse, ne dit pas un mot. Mais elle porte la parole des autres, qui exsude d’elle comme un poison… Pessan creuse ses sujets de prédilection, le langage et les discours dont chacun est rempli, les possibles qui se réalisent ou non.

Le roman sur la musique classique est un genre en soi, et le roman sur les concours de piano une variété à part, avec des scénarios à base de rivalités entre jeunes prodiges et d’amourettes sur fond de symphonies romantiques. Nikolai Grozni s’y essaye dans ce récit situé dans la Bulgarie communiste des années 1980, bourré de tirades enflammées sur Chopin, Rachmaninov ou Schubert. Lyrisme juvénile qui charme et fatigue, et fait oublier que l’intrigue n’est pas toujours bien tenue.


cultures LIVRES / BD

sélection

BANDE DESSINÉE

La Propriété

PAR S.B.

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

C’EST TOI MA MAMAN ?

LA DEMEURE DE LA CHAIR

(Denoël)

(Le Lézard noir)

d’Alison Bechdel

Rutu Modan est la jeune chef de file de la bande dessinée israélienne ; un art récent, mais déjà doté d’une identité unique, qui a germé il y a un peu plus de vingt ans dans la salle de cours d’un professeur de dessin d’origine belge, installé à TelAviv, et ayant pour projet d’initier sa classe aux rudiments d’un langage inconnu. De cette expérience allait émerger un collectif nommé Actus Tragicus, cofondé en 1995 par Rutu Modan, qui produira un recueil de bandes dessinées en anglais par an, diffusé à travers le monde, afin de se faire connaître. Aujourd’hui, leur talent est internationalement reconnu, et, si le collectif se fait plus discret, Rutu Modan, elle, trace sa route, seule, avec une esthétique et une personnalité qui font d’elle l’un des auteurs de bande dessinée les plus prometteurs au monde. Et ce n’est pas son dernier livre qui trahira les espoirs et les affections que son travail suscite. La Propriété consolide en effet sa peinture d’une société israélienne complexe et divisée. La mise en scène y est théâtrale, et les personnages animés d’une myriade d’expressions, au service tantôt d’une émotion retenue, tantôt d’un sens de l’humour exubérant. Le dessin, maladroit en apparence, cache en fait une réinvention perspicace de la photographie et un goût pour les textures baroques. Et cette nouvelle intrigue, très personnelle, nous emporte au long de la touchante odyssée d’une vieille dame qui retourne en Pologne, accompagnée de sa petite-fille, à la recherche de la maison dont ses parents furent expropriés à l’arrivée du nazisme. Subtile, inventive et pertinente, La Propriété s’inscrit à coup sûr parmi l’une des deux ou trois meilleures bandes dessinées de l’année, pas moins. La Propriété de Rutu Modan, traduit de l’hébreux par Rosie Pinhas-Delpuech (Actes Sud)

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Après Fun Home, qui examinait les causes de la mort mystérieuse du père, Alison Bechdel reprend son travail autobiographique et s’attaque aux relations conflictuelles à la mère. Un livre très analytique, au sens freudien du terme, qui détourne avec une grande prévenance le langage métis de la bande dessinée (de textes et de dessins conjugués) pour recomposer le puzzle de son inconscient. Dense, référencé et d’une humanité profondément fragile.

KAMANDI

de Kazuichi Hanawa Voici quelques-unes des nouvelles de jeunesse de Kazuichi Hanawa, tirées du magazine d’avant-garde Garo, période années 1970. Loin du style féerique qui fera sa réputation, Hanawa verse ici dans l’esthétique érotique gore. Le trait se fait plus fin, les macules de sang structurent la page. Un magnifique flot d’images sadiques, voire scatologiques, qui rappellera les récits macabres de Suehiro Maruo, avec une appétence supplémentaire pour le grotesque. Glaçant.

GOGGLES

de Jack Kirby

de Tetsuya Toyoda

(Urban Comics)

(Éditions Ki-oon)

Jack Kirby fut le dessinateur de super-héros le plus important du siècle dernier. Une esthétique unique, instantanément reconnaissable, même si beaucoup ne sauraient apposer un nom dessus. La série Kamandi, l’un des sommets de son dessin, permet de se replonger dans l’imaginaire délirant de ce peintre de l’antimatière. Une fable inspirée de La Planète des singes, peut-être un peu trop naïve, mais d’une puissance graphique monumentale.

octobre 2013

Depuis Undercurrent, magnifique portrait de la vie d’un bain public de province japonais, la France n’avait plus de nouvelles de Tetsuya Toyoda. C’est maintenant chose faite avec ce petit recueil d’histoires courtes qui s’attardent à dépeindre la fragile insouciance de l’homo japonicus contemporain. Les amoureux de Jirō Taniguchi trouveront ici matière à se laisser aller à la contemplation mélancolique, tout en perçant, un peu plus, les mystères de la culture nipponne.



cultures SÉRIES

The Corner DRAME

À la croisée du documentaire et de la fiction, The Corner fut un choc à sa diffusion en 2000. Cette immersion dans un Baltimore gangréné par la drogue sort enfin en DVD. Un état des lieux toujours aussi saisissant, annonçant The Wire. PAR GUILLAUME REGOURD

LE DVD TREME, SAISON 3

©warner home video

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de David Simon

Il est des mentions « basé sur une histoire vraie » au début de certaines œuvres que l’on préférerait ne pas lire. The Corner, série tournée in situ à Baltimore, est l’adaptation de l’enquête journalistique du même nom signée David Simon et Ed Burns. Les « corners » du titre, ce sont ces bouts de trottoir où les dealers font leur commerce et les junkies leurs emplettes. Un écosystème bien connu des fidèles de David Simon : il servira par la suite de théâtre à The Wire. On y croise d’ailleurs nombre d’acteurs fétiches du scénariste (Khandi Alexander, Reg E. Cathey, Clarke Peters…), impressionnants en camés filmés avec une justesse évoquant celle de Jerry Schatzberg

et son Panique à Needle Park. En six épisodes documentant la détresse et les (petites) joies d’une famille étranglée par la drogue, The Corner a la puissance d’un roman de Zola ou de Dickens transposé dans les ghettos de l’Amérique. On n’en sort pas indemne, et s’il y a bien un jalon essentiel que cette série pose dans l’œuvre de son créateur, c’est le refus d’offrir au spectateur le luxe d’un impossible happy end. Le vrai DeAndre McCullough, l’attachant jeune dealer de la série, vient témoigner, fébrile, dans l’épilogue. Il est décédé d’une overdose en 2012. True story, hélas. The Corner de David Simon Disponible en DVD (Warner)

sélection A YOUNG DOCTOR’S NOTEBOOK Bonne surprise que cette adaptation enlevée des Carnets d’un jeune médecin, tribulations tragi-comiques du jeune Boulgakov du temps qu’il exerçait dans un hôpital de campagne. Une belle idée de casting y est pour beaucoup : les joutes imaginaires du jeune Daniel Radcliffe, en carabin, avec son double plus âgé, campé par Jon Hamm, sont un régal. Disponible en DVD (éditions Montparnasse)

Disponible en DVD (Warner), en exclusivité à la Fnac

PAR G.R.

LE PRISONNIER Essentielle ressortie en Blu-ray d’un des premiers chefs-d’œuvre universels de la télévision. À la fois pur produit des années 1960, entre parano et psychédélisme, mais aussi réflexion indémodable sur le totalitarisme, cet ovni porté par le Britannique Patrick McGoohan mérite d’être vu et revu pour des siècles. La haute définition ne gâte rien. Disponible en Blu-ray (TF1 Vidéo)

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Outre The Corner, Warner édite ce mois-ci un autre indispensable créé par David Simon. En déménageant à La Nouvelle-Orléans, Simon n’a pas oublié sa capacité à s’indigner. Ses cibles désignées en cette saison 3 : les spéculateurs immobiliers et la corruption policière. Mais le meilleur, ce sont toujours les passages musicaux, contribution vibrante de Simon à la préservation de cette culture locale à laquelle il est si viscéralement attaché. Une cause capable de tempérer pour une fois son inclination naturelle au fatalisme. G.R.

octobre 2013

BATES MOTEL Fallait-il vraiment produire un vrai-faux prequel de Psychose imaginant la jeunesse de Norman Bates, le héros du livre et des films, avec sa fameuse maman, Norma (Vera Farmiga) ? Question purement rhétorique, mais puisque cette variation sur les origines du mal louchant sur Twin Peaks a trouvé le chemin de l’antenne, nous vous laissons le soin de répondre. Sur 13ème Rue



©sergio larrain/magnum photos

cultures ARTS

agenda PAR ANNE-LOU VICENTE

Rue principale de Corleone, Sicile, 1959

PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

C’est touchant de voir transparaître la tendresse d’une commissaire d’exposition pour celui dont elle présente le travail. Cinq cents, c’est le nombre de lettres que Sergio Larrain échangea avec Agnès Sire, la directrice de la Fondation Henri Cartier-Bresson qui consacre une large rétrospective au photographe chilien disparu l’an dernier à 81 ans. Sans jamais se rencontrer, ils se sont plu, au moins intellectuellement. Aujourd’hui, l’accrochage en témoigne ; conforme, on imagine, aux souhaits du photographe. Où l’on comprend son dilemme : couvrir le monde d’un regard journalistique, tel qu’il le fit à partir des années 1950 lorsque, repéré par Henri Cartier-Bresson, il intégra l’agence Magnum ; ou satisfaire son besoin viscéral de vagabonder pour épingler la poésie, sans objet, pour sa seule beauté ? C’est ainsi qu’il finit d’ailleurs sa vie, loin de tout, au Chili, tentant d’écrire un livre qu’il n’aura jamais la force de terminer ni même de structurer, plus tourné vers la méditation et le souffle métaphysique que vers l’adrénaline de la photo de presse qu’il désertera après avoir fait un dernier reportage pour Paris Match. Près de cent trente photographies (dont des tirages inédits) remplissent les trois étages de la Fondation Henri Cartier-Bresson. On s’engouffre dans la mélancolie d’une série déchirante sur les enfants abandonnés de Santiago ; on arrive à Valparaiso, où il croisa au début des années 1960 une femme à la moue ambiguë. Le dernier étage est une rencontre avec un autre Larrain. On y découvre, avec l’étrange impression de fouiller dans ses affaires personnelles, son carnet intime fait de dessins, de textes et d’images… des évocations qui nous le rendent encore plus absent. « Sergio Larrain – Vagabondages », jusqu’au 22 décembre à la Fondation Henri Cartier-Bresson

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à la galerie Marcelle Alix

DU 14 SEPT. AU 9 NOV.

MATT MULLICAN Fasciné par les modèles de représentation du monde, l’artiste américain a développé un langage complexe composé de pictogrammes et associé à un code couleur. Il montre un ensemble d’objets de sa collection personnelle (pierres préhistoriques, machines industrielles…), de nouvelles peintures inspirées de comic books et des installations de dessins.

Rodtchenko, le Kiosque et le Pavillon de l’U.R.S.S., tous deux conçus par Melnikov. au Crédac (Ivry-sur-Seine)

DU 25 SEPT. AU 6 JAN.

Colony Collapse, 2012 PIERRE HUYGHE Rétrospective du Français Pierre Huyghe, qui n’a de cesse d’interroger notre rapport au temps, à la mémoire et à la célébration et qui brouille les pistes entre univers réel et fictionnel. L’occasion de (re) découvrir certaines de ses pièces cultes comme No Ghost Just a Shell qui met en scène Ann Lee, personnage virtuel détourné de son environnement naturel, le manga. au Centre Pompidou

DU 28 SEPT. AU 10 NOV.

à la galerie Nelson-Freeman

Thibault de Gialluly, État de Chiège, 2013

DU 20 SEPT. AU 15 DÉC.

« DÉPAYSEMENTS » C’est une première, que l’on doit largement à l’arrivée récente de Nicolas Bourriaud à la direction de l’école : l’exposition rituelle des félicités des Beaux-Arts a lieu cette année hors les murs, au Centquatre. Un dépaysement bienvenu orchestré par le commissaire islandais Gunnar B. Kvaran.

MICHEL AUBRY Pour son exposition au Crédac, Michel Aubry présente des réinterprétations d’architectures éphémères et de prototypes de mobilier présentés par l’Union soviétique à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925 : le Club ouvrier de

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© lionel roux et pierre huyghe © adagp, paris 2013

Sergio Larrain

DU 12 SEPT. AU 9 NOV.

IAN KIAER Puisant ses références dans les architectures de Ledoux, Melnikov et Brueghel ou dans les écrits de Mann et Malaparte, l’artiste britannique opère dans l’espace des arrangements poïétiques qui font signes et charrient les histoires plus ou moins heureuses des avant-gardes architecturales et picturales comme du processus de création.

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PHOTOGRAPHIE

au Centquatre



© patricia almeida

cultures SPECTACLES

Suite n° 1 ’ABC’

L’Encyclopédie de la parole THÉÂTRE

Depuis 2007, le collectif artistique L’Encyclopédie de la parole enregistre, décrypte et met en scène nos paroles ordinaires. Ou quand les questions de Julien Lepers deviennent matière d’une symphonie pop. PAR ÈVE BEAUVALLET

A priori, les similitudes entre Louis de Funès, Françoise Sagan et Michel Rocard ne sont pas particulièrement frappantes… Pourtant, si l’on en croit L’Encyclopédie de la parole, un collectif artistique qui réunit compositeurs, comédiens, sociologues ou linguistes, les traits communs entre ces trois personnalités sont saillants. Il suffit de laisser tomber le contenu de leur discours pour s’attacher à sa musicalité : « Ils se caractérisent tous trois par un flux de paroles très compressé, une manière de manger leurs mots à la fois unique et comparable. » Faites-leur confiance, les membres du collectif sont devenus experts dans l’art des analogies. En effet, depuis 2007, ils agrègent et dissèquent méthodiquement des enregistrements de propos extrêmement bariolés : des amis jouant au Pictionary, la voix synthétique du serveur vocal de Pôle Emploi, le flow d’Eminem, une plaidoirie de Jacques Vergès… Bref, à peu près tout et n’importe quoi, sans discrimination, pourvu que la parole en question se singularise par un débit inhabituel ou une cadence originale. De là, ils trient, recoupent et inventent

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des catégories (type « saturation », dans laquelle on trouve par exemple la vidéo virale Double Rainbow). Résultat : huit cents documents, organisés en dix-huit entrées, constituent aujourd’hui une base de données inédite sur nos paroles quotidiennes. Un fond de ressources inégalé, mis en scène dans Parlement (2009), partition pour une seule voix, et dans Suite no 1 ’ABC’ (2013), performance symphonique pour un chœur de onze interprètes et onze invités. Soit deux spectacles aux frontières de la poésie sonore et du collage pop dans lesquels les comédiens restituent vocalement, au balbutiement près, la voix de Marge Simpson ou une leçon d’anglais. Manière de surligner le caractère artificiel, profondément théâtral, du langage, qui nous rappelle à quel point nos façons de parler, plus qu’une coupe de cheveux ou un style vestimentaire, signent une époque et illustrent une société. Parlement, du 2 au 12 octobre à la Maison de la Poésie (Festival d’automne à Paris) Suite n° 1 ’ABC’, du 16 au 20 octobre au Centre Pompidou, et du 19 au 23 novembre au Nouveau Théâtre de Montreuil (Festival d’automne à Paris)

octobre 2013


agenda PAR È.B.

Please, Continue (Hamlet) YAN DUYVENDAK, ROGER BERNAT Fidèle à sa façon (géniale) d’entrelacer fiction et documentaire, le Néerlandais Yan Duyvendak fait sauter les conventions en s’emparant du Hamlet de Shakespeare. Sur scène, Ophélie et Hamlet sont joués par des comédiens, certes, mais ils font face à d’authentiques ténors du barreau et à un expert psychiatre. au Nouveau Théâtre de Montreuil

JUSQU’AU 26 OCT.

MARIE RÉMOND Après une variation réussie autour de la figure d’André Agassi, la jeune Marie Rémond retrouve ses talentueux compères de jeu en imaginant un dialogue avec Wanda, film-ovni de Barbara Loden dans lequel la deuxième compagne d’Elia Kazan semble exorciser sa relation ambiguë avec le réalisateur. au théâtre national de La Colline

JUSQU’AU 27 OCT.

PHILIPPE CARBONNEAUX « Sang, sueur, sperme » : la règle d’or du Théâtre du Grand-Guignol sera respectée. Collaborateur fidèle de Joël Pommerat,

Philippe Carbonneaux risque de faire du bruit en adaptant, dans le pur esprit des pièces d’horreur macabres d’antan, Une sacrée boucherie d’Emmanuelle Laborit et Pierre-Yves Chapalain. à l’International Visual Theatre

DU 31 OCT. AU 14 NOV.

SABURO TESHIGAWARA Avec sa façon de bouger plus vite que la lumière et de créer sur scène des expériences optiques ultrasophistiquées, le Japonais Saburo Teshigawara a, depuis le milieu des années 1980, gagné la reconnaissance internationale. Il manquait une commande de l’Opéra de Paris pour parfaire son CV. C’est chose faite. à l’Opéra Garnier

JUSQU’AU 5 JAN.

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© pierre abensur

JUSQU’AU 19 OCT.

ARTURO BRACHETTI Avec ses expériences capillaires dignes des Télétubbies et un titre de spectacle compliqué à souhait (Comedy Majik Cho), l’artiste italien Arturo Brachetti vous effraiera peut-être sur les colonnes Morris. Passez outre votre aversion : ce transformiste hors pair, converti à la magie, pourrait bien vous surprendre. au Théâtre du Gymnase


cultures JEUX VIDÉO

PLATEFORME

Rayman Legends

Longtemps outsider du jeu de plateforme, Rayman s’impose enfin comme le nouveau champion du genre. Une certaine idée de la perfection, doublée d’un spectacle grandiose.

© ubisoft

PAR YANN FRANÇOIS

Nous ne contredirons certainement pas son titre : Rayman a tout d’une légende. En vingt ans, le personnage sans bras ni jambes de Michel Ancel a grandi et évolué, gravant patiemment dans le marbre du jeu de plateforme sa marque fantaisiste et cartoonesque. De là à détrôner son père – et modèle – Super Mario ? Possible… Fourre-tout délirant et bariolé, le jeu vaut évidemment pour sa direction artistique, qui tout en conservant intacte une âme de créativité artisanale et indépendante surpasse tout ce qui s’est fait jusque-là. Mais c’est en réinventant chaque règle du genre qu’il s’impose en précis de jouabilité millimétrée et novatrice. Chaque architecture de niveau est l’occasion d’une nouvelle leçon artistique, agrémentée d’une composition sonore idoine. Les mouvements et les sauts se font au diapason de la bande-son, avec une telle exactitude qu’on a souvent l’impression de donner vie à l’immense partition d’un mélodiste de génie. D’autant que le jeu est plus que généreux : ses niveaux sont innombrables, tout comme les références dissimulées par Ancel, désireux de rendre hommage à toute

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une mémoire du jeu vidéo. On y croise moult clins d’œil à des jeux cultes (Ecco the Dolphin, R-Type), ainsi que des niveaux entièrement synchronisés avec les partitions frénétiques de classiques du rock qui font basculer cette aventure dans un son et lumière inoubliable. Il est conseillé d’y jouer sur Wii U, plateforme sur laquelle a été développé le projet, ne serait-ce que pour l’usage révolutionnaire des fonctions tactiles que celle-ci propose, lesquelles ajoutent une immersion renversante dans les courses folles après le chrono. Aussi jouissif en solo qu’à plusieurs, le jeu bénéficie d’une difficulté modulable permettant à chacun de se fixer les défis de son choix via un réseau social unique qui lui confère une rejouabilité proche de l’infini. Peut-être est-ce là la marque d’un grand jeu : offrir, alors qu’on recommence le même niveau pour la cinquantième fois, l’illusion de l’éternelle fraîcheur, et le sourire béat aux lèvres qui va avec. Rayman Legends (Ubisoft /PC, PS3, PS Vita, X360, Wii U)

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sélection PAR Y.F.

GONE HOME (The Fullbright Company/PC, Mac)

Une jeune étudiante, longtemps partie de chez elle, revient dans la maison familiale, vide de toute présence. Alors qu’une atmosphère trompeuse de film d’horreur s’installe, on l’aide à passer en revue chaque pièce et à déceler les indices qui lui (nous) permettront de comprendre le pourquoi du comment. Malgré son action inexistante, Gone Home se révèle être une déambulation bouleversante dans la psyché d’une famille dysfonctionnelle où la narration se tisse par l’espace et la suggestion.

PAPERS, PLEASE (Lucas Pope/PC)

Posté à la frontière d’un pays communiste fictif, un fonctionnaire est chargé de réguler le flot d’immigrants qui s’y pressent pour demander l’asile. À chaque jour la même routine, les mêmes actions, en boucle : contrôler les papiers d’identité, jauger la véracité des informations, mettre un coup de tampon décisif sur le visa (et le destin) des candidats. En dépit de son apparence famélique, Papers, Please est un gouffre de culpabilité morale au fond duquel chacun tentera désespérément de trouver prise.

PUPPETEER (Sony/PS3)

Savoir manier autant de concepts sans jamais rien lâcher de sa maestria visuelle, ça force le respect. Jeu de plateforme, point’n’click, récit interactif, Puppeteer est tout ça à la fois, et bien plus encore… C’est aussi un concentré de merveilleux, une expérience narrative à la croisée du théâtre de marionnettes et du pop-up interactif. Sublimement mis en scène, ce conte macabre aux accents shakespeariens est un spectacle enchanteur de tous les instants. Élégance et inventivité y font loi.

AMNESIA: A MACHINE FOR PIGS (Frictional Games/PC, Mac)

Ce nouvel Amnesia a de quoi calmer pour de bon ceux qui ne craignent pas les crises de tachycardie à répétition. Train fantôme en vue subjective, le jeu ne manque jamais l’occasion de réveiller les spectres de Lovecraft et de Poe qui hantent ce décor victorien. L’exercice a beau se complaire parfois dans le grand-guignol gothique, il fait mouche à chaque coup : jamais on n’aura autant avancé à reculons vers une porte close, seuil de toutes les angoisses imaginables.


cultures FOOD

Y a pas de sushi LA TENDANCE

Il y a deux sortes de chefs japonais à Paris. Ceux qui respectent leur tradition culinaire et ceux qui vénèrent la cuisine française. Ces derniers sont de plus en plus nombreux. Yoshi Morie n’est pas le moins talentueux. PAR STÉPHANE MÉJANÈS

© stéphan méjanès

© thai toutain

L’OUTSIDER

Dans la petite cuisine d’Encore, Yoshi Morie jongle avec les poêles. Il mime les gestes, rigole comme un enfant, l’air de dire : « Je n’ai que deux bras. » La précision de sa cuisine ne souffre pas l’éparpillement. Pourtant, il a gagné quelques décimètres carrés en quittant Le Petit Verdot où il a passé cinq ans dans l’ombre du génial mais lunatique Ide Ishizuka, ancien sommelier de Thierry Marx à Cordeillan-Bages. Chez Franck Aboudarham, patron d’Encore, il découvre la lumière, dans un mélange de stupeur et de tremblements. Malgré une ouverture en catimini, le restaurant ne désemplit pas. Originaire de la préfecture

d’Ehime, au sud-ouest de Tokyo, Yoshi a grandi à l’abri des sommets de l’île de Shikoku. Il a appris très tôt à maîtriser l’art des nouilles udon, mais c’est la cuisine française qui le transporte. Formé à Lyon, dans l’école hôtelière de son compatriote Shizuo Tsuji, il est resté sept ans au restaurant Côte d’Or, à Tokyo, avant de revenir à Paris. Il a bien fait. Ne serait-ce que pour cet encornet, terrine de tête et de langue de veau, sorbet salicorne et purée de papaye verte. La carte des vins, plutôt natures, est elle-même épatante. Arigatô. Encore – 43, rue Richer – 75009 Paris. Tél. : 01 72 60 97 72 Fermé samedi et dimanche

l’archipel nippon à Paris SOLA Si l’on est matinal, on peut croiser Hiroki Yoshitake au marché, rive droite. Le chef étoilé de Sola est fan de légumes, qu’il traite aussi bien que poissons et viandes. Sa cuisine aérienne se déguste de préférence en chaussettes, à la cave. Et quel pied ! 12, rue de l’Hôtel Colbert 75005 Paris Tél. : 01 43 29 59 04 www.restaurant-sola.com

VIVANT TABLE « Venez goûter la cuisine du Japonais. » Il le dit dans son langage direct, mais c’est la fierté qui anime Pierre Jancou, patron de Vivant. Il adore la cuisine d’Atsumi Souta, ancien de Troisgros et de Robuchon, qui gagne à être connue et reconnue. Parole de Jancou. 43, rue des Petites-Écuries 75010 Paris Tél. : 01 42 46 53 55 www.vivantparis.com

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AGAPÉ Né à Osaka, Toshitaka Omiya arrive en France en 2002. En 2004, il rencontre David Toutain chez Alain Passard (L’Arpège), puis le rejoint en 2011 à l’Agapé Substance. Un choc d’amitié et d’admiration. Mais l’heure de l’émancipation a sonné pour ce travailleur acharné. Même le Michelin l’a compris, en lui accordant une étoile. Sa noix de veau fumée au bois de hêtre, avec burrata au citron, vaut à elle seule le détour. S.M. Agapé 51, rue Jouffroy-d’Abbans 75017 Paris Tél. : 01 42 27 20 18 www.agape-paris.fr

PAR S.M.

ABRI Katsuaki Okiyama ne peut renier ses influences françaises. Passé chez Taillevent et Robuchon, il a déjà commencé à s’encanailler à l’Agapé Bistrot. Mais c’est dans son restaurant, Abri, cantine gastronomique au rapport qualité-prix imbattable, qu’il se lâche vraiment. 92, rue du Faubourg-Poissonnière 75010 Paris Tél. : 01 83 97 00 00



cultures VOYAGES

© les acacias

sur les traces de Hong Sang-soo dans un décor vintage. Le café est torréfié sur place et peut s’accompagner de mignardises comme le hotteok, délicieuse crêpe coréenne.

JOUR 1

À SÉOUL, LIEU DU TOURNAGE DE…

SAJIK PARK Joliment arboré, Sajik accueillait autrefois les rois de l’ère Joseon, qui y célébraient d’importants rites. Dans Haewon et les hommes, Seongjun y retrouve Haewon pour lui conter fleurette, tandis que sa mère s’émerveille de la beauté du parc qui vit s’élancer ses jeunes années. Départ idéal pour une balade dans Seochon.

Haewon et les hommes PAR LAURA PERTUY

Haewon et les hommes de Hong Sang-soo (lire aussi p. 86) Sortie le 16 octobre

JOUR 4

1-28 Sajik-dong, Jongno-gu, Séoul

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JOUR 2

© gagarin

Sur les maisons posées à flanc de colline, la briquette rouge et la tuile légèrement rebiquée dessinent peu à peu leurs ombres alors que la nuit descend sur Seochon, paisible quartier de Séoul. Et c’est l’éternel avatar de Hong Sang-soo que l’on voit flâner dans les ruelles désertes bientôt recouvertes des neiges silencieuses de Corée. Soudain, une rencontre burlesque, un cabotinage délicieux semble saluer le magnétisme de la capitale, accrochée à la montagne, entre nudité apaisante des jardins du palais Gyeongbokgung et grandeur fanfaronne des buildings du centre-ville. Chez Hong, les héros déambulent continuellement dans un maillage de ruelles similaires, des endroits qui semblent avoir oublié le temps en faveur d’interminables beuveries au soju [alcool local, ndlr]. Courtes vignettes cristallisant le quotidien, ces films pénètrent la ville comme une partition qu’il faudrait déchiffrer tout en la rejouant à sa façon. Dans Ha Ha Ha, l’un des héros tente de séduire une jolie guide touristique, comme si, à travers elle, il pouvait démêler le dédale infernal que lui inspirait sa vie, ou son scénario. Riche en explorations diverses, Haewon et les hommes gagne de la hauteur pour mieux redescendre dans les affres de la passion amoureuse ; et l’œuvre de Hong Sang-soo de réfléchir en tous lieux une quête longue comme une vie où l’on entame les mêmes airs de piano avec une mélancolie teintée d’absurde. Au loin, nébuleuse, la N Seoul Tower trace de ses néons les plus infimes sillons de la ville, réponse facile à ceux qui craignent de se perdre. On lui préfère les chemins encombrés de brume de Bukchon Hanok où l’on s’égare, ravi, et le bois réconfortant des échoppes où s’amoncellent les ramequins, derrière la mine rosée de Haewon.

69-1 Gye-dong, Jongno-gu, Séoul

GAGARIN BOOKSHOP « Donnez ce que vous voulez », glisse le vendeur à Haewon, tandis qu’elle parcourt les étals de vieux livres. Chez Gagarin, on farfouille dans une ambiance détendue pour trouver le titre insolite à ramener de Corée. Peut-être obtiendrezvous une jolie édition de L’Envers de la vie de Lee Seung-u pour une poignée de wons. 122-12 Changseong-dong, Jongno-gu, Séoul

JOUR 3

GYEDONG COFFEE Halte bienvenue lors d’une balade séoulite, ce café chaleureux aux accents brooklyniens attire geeks en goguette, jeunes filles rêveuses et couples poliment hilares

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NAMHANSANSEONG Vieille de deux mille ans, cette forteresse perchée sur la montagne dit le travail acharné d’ancêtres vite oubliés. C’est sur ses bancs que Haewon et Seongjun s’aiment et se déchirent. Chaque saison offre au lieu de nouvelles couleurs et un panorama splendide, bien plus bucolique que celui de la N Seoul Tower. Gyeonggi-do Gwangju-si Jungbu-myeon 158-1, Séoul

JOUR 5

TOSOKCHON Amateur de bonne chère comme Hong Sang-soo ? On vous recommande ce restaurant célébré pour son samgyetang, succulente soupe de poulet au ginseng préparée avec des graines de jujube, de l’ail et du gingembre, dont feu le président Roh Moo-hyun raffolait. Arrivez tôt, c’est vite plein à craquer. 85-1, Chebu-dong, Jongno-gu, Séoul


DESIGN

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LIVRE

Du nouveau aux Arts-Déco BOUTIQUE

Créée en 2004, la boutique 107RIVOLI renaît aujourd’hui. 300 m2 en plein Paris pour trouver une lampe signée, un beau livre, un collier d’artiste, une jolie vaisselle… et pour se cultiver.

ESPRIT DU MEUBLE ET DU DESIGN – L’ÉVOLUTION ESTHÉTIQUE DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS Anne Bony est ce que l’on appelle une vraie connaisseuse du design, et ses nombreux livres spécialisés en attestent. Dernier en date, celui-là va encore plus loin, en empruntant à la sociologie et à l’anthropologie les éléments pour décrypter l’évolution du mobilier et de son artisanat au fil des époques, des modes et des tendances. Un excellent outil pour comprendre la naissance même du meuble, dans ce qu’elle a de plus spécifique. O.D. d’Anne Bony (les Éditions du Regard)

BOUTIQUE

Alors qu’autrefois son adresse était marquée au gros feutre dans l’itinéraire shopping design, la boutique du 107, rue de Rivoli – ou « boutique des ArtsDéco », pour certains – était quelque peu tombée en désuétude. Les aficionados râlaient – « toujours les mêmes objets », « un peu tristoune », « la librairie est trop petite » – et s’en détournaient… Mais après un changement de gérance et un réaménagement, voilà qu’ils reviennent ! Et pour cause, c’est désormais Arteum et la librairie Adélaïde qui ont repris l’affaire en main, avant de demander à l’archi­tecte d’intérieur Mathilde Bretillot de repenser l’espace de fond en comble. Résultat : tout est plus clair, les couleurs pastel mettent les objets en valeur, tandis que des toiles de fond amovibles et un mobilier modulable définissent les pôles,

structurant l’enfilade de l’entrée. Au fond, la librairie profite de ce changement pour retrouver un grand espace à la hauteur de son offre qui varie entre art, architecture, graphisme, design, mode et tout ce que le musée des Arts décoratifs voisin peut englober – vingt-quatre mille ouvrages, nous dit-on. Avec une note d’intention qui clame haut et fort son dynamisme et sa volonté de soutenir la jeune création et les savoir-faire, les assiettes Jeff Koons de Bernardaud, la maroquinerie Carré Royal ou le design de Patricia Urquiola font tout à coup très envie. Sans oublier les éditions limitées à venir, qui prolongeront les thèmes des expositions en cours. Un beau programme en perspective. 107, rue de Rivoli – 75001 Paris Tél. : 01 42 60 64 94

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PAR OSCAR DUBOŸ

MAISON M Ces tables basses en marbre sont fabriquées par Ox Design, un éditeur danois que vous ne trouverez pas partout à Paris, tout comme Ferm Living, Papier Tigre, Northern Lighting ou Discipline. Car ce sont des griffes, parfois confidentielles, que Maison M a savamment sélectionnées en sillonnant le Vieux Continent à la recherche d’un « design honnête » – à savoir sans esbroufe, produit en Europe et pas hors de prix. Entre chiné et contemporain, le catalogue est alléchant, pour cette boutique d’un genre nouveau. O.D. 25, rue de Bourgogne – 75007 Paris / Tél. : 01 47 53 07 74.


cultures

PRÉSENTE

Tindersticks MUSIQUE

L’histoire de Tindersticks a bien failli s’achever en 2003. Avec l’album Across Six Leap Years, composé de dix élégantes relectures de son propre répertoire, le groupe de Stuart Staples fête dignement son statut de survivant. PAR ÉRIC VERNAY

© neil fraser

LE DISQUE

Stuart Staples, bientôt 48 printemps, n’aime pas particulièrement les anniversaires. Mais celui-là est « difficile à ignorer », selon le leader de Tindersticks, qui fête deux décennies de vie commune : « Notre groupe aurait pu s’arrêter il y a dix ans. Mais des cendres de la première époque, quelque chose d’autre est né et a grandi. On a reconstruit à partir de là, on a exploré de nouvelles choses. On est devenu un groupe très fort. C’était si inattendu, souffle-t-il, son sourire d’enfant encadré par des favoris grisonnants. C’est ma plus grande surprise des vingt et une dernières années. Car c’est si rare d’avoir une seconde chance, dans la vie. » Sur Across Six Leap Years, il est

aussi question de seconde chance. Plutôt que de réciter paresseusement ses tubes, le mélancolique crooner de Nottingham exilé en France a préféré venir en aide à certaines de ses vieilles chansons « inachevées », comme Say Goodbye to the City ou I Know That Loving. « Elles errent dans un état fluide et continuent à se chercher, explique-t-il de sa voix profonde. Puis elles te tapent sur l’épaule et te demandent : “Quand est-ce que tu t’occupes de moi ?” » Pas de traces de nostalgie donc, sur cette curieuse anthologie faite de reprises tournées vers l’avenir. Across Six Leap Years de Tindersticks (City Slangs) Sortie le 11 octobre

Enregistré en quatre jours dans les mythiques studios d’Abbey Road, cet album rétrospectif est l’occasion de redécouvrir une partie de la discographie de Tindersticks. Dix morceaux datant de 1994 à 2006, parmi lesquels l’ondoyante reprise de la ballade disco-soul If You Are Looking for a Way Out d’Odyssey et une splendide version orchestrale de Marseilles Sunshine. Écrite pour le groupe en 2003, juste avant qu’il n’implose, la chanson avait atterri sur un disque solo de Stuart Staples. La voilà enfin arrivée à bon port. É.V.

sélection SAINT MICHEL Phoenix, Air… C’est bien connu, Versailles est un peu la capitale de l’electro pop. Mixé par Alex Gopher, lui aussi originaire de la ville, ce Making Love & Climbing de Saint Michel, révélation de l’année passée avec leur EP I Love Japan, vient réactualiser ce postulat avec une electro qui pousse à l’évasion. Avec des accents mélancoliques et aériens, la musique du duo formé par Philippe Thuillier et Émile Larroche, 28 et 19 ans respectivement, prend les couleurs rougeoyantes d’une fin de journée estivale,

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comme une version apaisée et feutrée des derniers disques des groupes Is Tropical ou Crystal Fighters. Efficace, cette dizaine de morceaux synthétiques où l’on distingue parfois un vocodeur tendent à une mélancolie douce, un romantisme nonchalant à la naïveté frondeuse. Des mèches rebelles et des chemises bien repassées, des textes fougueux lovés dans des mélodies langoureuses, un peu de soleil dans l’eau froide. Q.G. MAKING LOVE & CLIMBING

de Saint Michel (Columbia) Sortie le 21 octobre



© tom bücher

cultures

LES BONS PLANS DE TIME OUT PARIS À :

Los Angeles COMPILÉS PAR CHRIS BOURN RÉDACTEUR EN CHEF DE TIME OUT INTERNATIONAL

À Los Angeles, l’automne est impalpable. L’air ne se rafraîchit pas, au contraire, puisque c’est même la période de l’année où les journées sont les plus chaudes. Les vents de Santa Ana descendent des montagnes pour tout balayer façon sèche-cheveux. L’automne à L.A. marque donc ce moment entre le départ de la grosse partie des touristes et l’arrivée des guirlandes de Noël sur les palmiers. Même si l’on profite encore de la plage, certains signes ne trompent pas : l’envie d’acheter des pulls que vous ne porterez pas avant des mois, de jeter une écharpe sur sa robe d’été, ou de préparer son déguisement d’Halloween. L’automne est là.

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SCIENCES

PLAN DRAGUE

GRIFFITH OBSERVATORY La lunette astronomique Zeiss de 305 mm est de nouveau visible, après une rénovation qui a duré cinq ans. Le lieu est connu des cinéphiles pour avoir servi de décors à moult classiques du septième art tels que La Fureur de vivre, film qui en fit l’un des monuments phares de la ville.

EL MATADOR STATE BEACH Petite, sublime et marquée par des affleurements rocheux, elle rappelle les plages du Vieux Continent – il n’y a ni maîtres nageurs ni installations touristiques. C’est un endroit où l’on peut avoir un peu d’intimité, pour peu qu’on arrive à l’heure d’un coucher de soleil mémorable.

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retrouvez toutes ces adresses sur www.timeout.com/los-angeles

EXPOSITION

CINÉMA

MUSÉE

FESTIVAL

BECOMING L.A. Ce parcours à l’intérieur du National History Museum, qui fête son centième anniversaire en 2013, capte l’essence de L.A. en interrogeant sa genèse complexe, depuis l’implantation de ranchs mexicains jusqu’aux grandes transformations durant la Seconde Guerre mondiale.

THE CINEFAMILY L’équivalent angelin de la Cinémathèque française répond d’un grand « oui » à la question de Truffaut : le cinéma est-il plus important que la vie ? Tous les genres cinématographiques y sont représentés. Un patio à l’arrière accueille des fêtes et les rencontres avec les invités d’honneur.

MUSEUM OF JURASSIC TECHNOLOGY Caché derrière une modeste devanture sans vitre, le Museum of Jurassic Technology est un entrepôt pour curiosités scientifiques et mystères de la vie. Lesquels sont bidons ? Le sont-ils tous ? Et quelle importance ? Unique en son genre.

ANGEL CITY JAZZ FESTIVAL Cet événement présente à peu près tous les types de jazz auxquels vous pouvez penser, dans cinq lieux investis pour deux semaines. On entendra des musiciens venus de tout le pays, mais c’est la côte Ouest et son jazz créatif et innovant qui seront à l’honneur avec quelques super cool cats.

OPÉRA

RESTAURANT

EXPOSITION

PLAGE

EINSTEIN ON THE BEACH Voilà un marathon lyrique de près de cinq heures, une collaboration entre Philip Glass et Robert Wilson portée par une imagerie complétement hypnotique. Ne comptez pas sur l’entracte, le public est tout bonnement invité à quitter le spectacle lorsqu’il en a suffisamment vu et entendu.

THE TASTING KITCHEN L’endroit est somptueux, avec ses oliviers, son espace ouvert et ses tables communes qui vous donnent l’impression d’avoir atterri dans un pique-nique pour hippies nantis. S’il y a de la place, allez vous asseoir au bar, il est tenu par des gens parmi les plus amicaux et les plus talentueux de la ville.

THE POWER OF PHOTOGRAPHY Le vénérable National Geographic Magazine fête ses 125 ans avec une exposition regroupant les photographies les plus fortes publiées dans ses pages. Un patrimoine d’images qui vaut pour la beauté de ses paysages comme pour sa dimension politique.

SANTA MONICA STATE BEACH La plupart du temps il y a foule. L’ambiance est festive. Le must, c’est la jetée de Santa Monica, et ses fameuses attractions à l’ancienne : pêche par-dessus la rambarde, bornes d’arcade, diseuses de bonne aventure, grande roue et jeux de fête foraine.

FESTIVAL

EXPOSITION

MARCHÉ

DIA DE LOS MUERTOS Le 2 novembre, venez célébrer la journée des morts mexicaine au Paseo de la Plaza. Un voyage dans le temps de l’Ancien Monde. Les touristes comme les locaux déambulent pour trouver bonbons mexicains et autres souvenirs et goûter aux fameux tacos et huaraches à base de maïs.

JAMES TURRELL Cet artiste visionnaire, natif de Pasadena, a commencé sa carrière en faisant de la lumière un objet d’art, plutôt que de la considérer comme un simple moyen d’éclairer d’autres choses. Le résultat prend la forme d’une expérience qui interroge la manière dont le spectateur comprend ce qu’il voit.

GRAND CENTRAL MARKET Enterré dans le cœur du centre ville, c’est une halle de produits alimentaires à l’européenne qui est en activité depuis 1917. Certains étals méritent plus de louanges que d’autres. Les plus populaires sont ceux qui vendent de la nourriture d’Amérique du Sud, avec leurs aguas frescas.

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HALLOWEEN

WEST HOLLYWOOD HALLOWEEN COSTUME CARNAVAL C’est la plus grande célébration de rue de Halloween au monde. Bien sûr, la foule est immense et un peu agressive, mais l’incroyable profusion de costumes et l’intensité des festivités valent au moins le coup d’œil.


cultures

LE FILM DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

9 mois ferme

Albert Dupontel revient derrière et devant la caméra avec une comédie de mœurs à la fois douce et impertinente, portée par une Sandrine Kiberlain délicieusement barrée. Une réussite. PAR ALEXANDRE PROUVÈZE – TIMEOUT.FR/CINEMA

Enfin, une bonne comédie française : rythmée, originale et authentiquement drôle. Loin de l’habituel humour franchouillard vulgairement marketé, le nouveau film de Dupontel fait preuve d’une véritable inventivité et parvient à un bel équilibre entre douceur de ton et cruauté des gags. Comme pour les meilleures blagues, l’intrigue est ici toute simple : Ariane Fleder (Sandrine Kiberlain), juge hyperstricte et célibataire endurcie, découvre à son grand dam qu’elle est enceinte… et que le futur père, rencontré lors d’une exceptionnelle nuit d’ivresse, n’est autre qu’un cambrioleur multirécidiviste (Albert Dupontel) accusé d’avoir dévoré les yeux de sa dernière victime. Délirant et bien mené, à la fois bouffon et globalement crédible, le scénario sert intelligemment de prétexte à une succession de situations scabreuses et de séquences loufoques, parfois à mourir de rire. Servis par des dialogues solides et par un puissant comique de situation, les comédiens s’en donnent à cœur joie. D’autant que, si Dupontel

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et Kiberlain forment un tandem aussi réjouissant qu’efficace, les seconds rôles se révèlent largement à la hauteur, à commencer par Nicolas Marié, en avocat hystérique et sévèrement bègue. Quelques sympathiques caméos viennent également surprendre le spectateur : Terry Gilliam en double anthropophage de Charles Manson, Gaspar Noé et Jan Kounen en inquiétants taulards, ou Jean Dujardin en traducteur pour sourds et malentendants. Bref, on ne vous en dit pas plus : ce serait dommage de gâcher les effets de cette excellente farce où l’humour féroce et graphique de Dupontel se voit habilement mis en relief par la fantaisie poétique et la folie douce de Sandrine Kiberlain. Très certainement l’une des meilleures comédies de l’année. d’Albert Dupontel avec Sandrine Kiberlain, Albert Dupontel… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h22 Sortie le 16 octobre

octobre 2013


LE BAR DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

TOP 5 DU MOIS

Le Ciré jaune

PAR TIME OUT PARIS

1. EXPO On pourrait parler pendant des heures des quatre-vingts artistes réunis dans cette expo éblouissante tant leurs œuvres visionnaires, souvent mystiques, échappent à la norme. Ou comment l’art transforme l’ostracisme des bannis en poste d’observation privilégié sur le monde.

À l’évocation de son nom, on imagine un bistrot bariolé de bleu et blanc, des bottes en caoutchouc, une vague odeur de poiscaille flottant dans l’air et une pluie battante. Eh bien, pas du tout.

« Raw Vision », jusqu’au 22 août, à la Halle Saint-Pierre

3. THÉÂTRE Le nouveau spectacle de l’incontournable Joël Pommerat met en scène cinq démarcheurs, petits soldats solitaires du porte-à-porte, échangeant dans une chambre d’hôtel les ficelles parfois très sombres de leur métier.

112, rue Saint-Maur – Paris XIe http://www.timeout.fr/paris/bar

« La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce », du 9 octobre au 16 novembre, au Théâtre des Bouffes du Nord

« Sergio Larrain – Vagabondages », jusqu’au 22 décembre, à la Fondation Henri Cartier-Bresson

5. SHOPPING Le Rocketship n’est pas un magasin de déco comme les autres. À la limite du concept store, une belle énergie crée l’unité de la boutique : luminaires, affiches, beaux livres, meubles vintage, créations d’artistes et d’artisans d’un peu partout dans le monde. Le Rocketship – 13 bis, rue Henry-Monnier, Paris IXe

LE RESTO

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4. PHOTO À Paris, Londres ou Valparaíso, entre ruelles sinueuses, bordels enfumés et bars interlopes, les photos de Sergio Larrain captent la grâce avec une fougue teintée de merveilleux, « libre comme un enfant dans ses premières découvertes de la réalité ».

LE QUARTIER

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Pitchfork Music Festival, du 31 octobre au 2 novembre, à La Grande Halle de la Villette

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2. CONCERTS Pitchfork a souvent su dénicher des groupes promis à un bel avenir. Désormais, son festival s’exporte à Paris : au programme cette année, des pointures telles que Hot Chip et Yo La Tengo, et des talents en herbe comme Jagwar Ma ou Savages.

Ce nouveau bar, branchouille mais pas prétentieux, ouvert par la même bande de jeunes Parisiens que La Droguerie moderne, ressemble en fait… à un appart suédois. Pas de meuble Ikea ici, mais du vrai mobilier vintage, allié à du carrelage à la française des années 1930. Quelques fauteuils dépareillés, une vieille machine à écrire et une grande table d’hôtes côté salle à manger appellent les groupes à s’installer là. La partie bar est particulièrement réussie, avec un joli comptoir, de grandes baies vitrées et quelques tables en terrasse. À la carte, des tapas, des pâtés artisanaux et de délicieuses mozzarellas, burratina ou bufala, qu’on agrémente d’huile d’olive et de vinaigre en spray qui font pssshhht. Le Ciré jaune vient d’ouvrir, mais des rendez-vous réguliers sont déjà programmés : projections de courts métrages tous les premiers mardis du mois et DJ sets du jeudi au samedi. C.GR.

BLUEBERRY Rose, orange, vert… Ici, les couleurs s’étalent de la déco aux assiettes. Le poisson cru à la japonaise fait sa révolution façon pop. Spécialité de la maison, les makis, servis par six et aux noms loufoques, se révèlent bien pensés et bousculent nos habitudes. Ainsi, le unagiii est un assortiment d’anguille grillée, de tempura de crevettes, d’avocat, de concombre et de bonite séchée. À goûter aussi, des entrées comme le tartare de saumon épicé aux œufs de poissons volants. On décolle. 6, rue du Sabot – Paris VIe http://www.timeout.fr/paris/restaurant/

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OURCQ L’ardoise des toits parisiens, c’est certes mignon, mais bonjour la déprime quand le ciel vient y poser de gros nuages couleur cendre. On remercie alors les graffeurs qui viennent colorier les briques de la capitale ; par exemple à l’angle de l’avenue Jean-Jaurès et de la rue de l’Ourcq, tout près de la Villette. On y croise des oiseaux, Dark Vador ou des chevaux en pleine course… Une belle promenade graphique au cœur d’une fascinante oasis chromatique. M˚ Ourcq ou Jaurès http://www.timeout.fr/paris/streetart/


LES SALLES BASTILLE

BEAUBOURG

BIBLIOTHÈQUE

GAMBETTA

GRAND PALAIS

MK2 BIBLIOTHÈQUE : 10 ANS + 4 NOUVELLES SALLES = 1 QUARTIER

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© tom bücher

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HAUTEFEUILLE

NATION

ODÉON

PARNASSE

QUAI DE LOIRE

QUAI DE SEINE

En 1974, MK2 ouvre un premier cinéma dans un quartier populaire de Paris, avec l’envie de sortir les films art et essai du Quartier latin. Le MK2 Bastille devient un lieu de pratiques culturelles décloisonnées. Le septième art bien sûr, mais aussi une librairie, une galerie d’exposition, un espace de débats… C’est le début d’un lien tissé par MK2 entre ses salles et les quartiers dans lesquels elles sont installées. Réactualisée à chaque ouverture de site (MK2 Odéon, MK2 Beaubourg, MK2 Quai de Seine et MK2 Quai de Loire), cette réflexion sur la place du cinéma dans la ville s’est incarnée une nouvelle fois en 2003 dans le projet du MK2 Bibliothèque. En dix ans, le site a contribué à modeler le nouveau visage d’une partie du XIIIe arrondissement jusque-là quelque peu délaissée. Fin octobre, quatre nouvelles salles ouvrent au sein même de la Bibliothèque nationale de France, accompagnant la naissance d’un « nouveau Quartier latin ». PAR PÉKOLA SONNY

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LE MK2 BIBLIOTHÈQUE

Situé entre les deux ailes de la BnF jouxtant l’avenue de France, ce complexe cinématographique, conçu par les architectes Jean-Michel Wilmotte, Véronique Kirchner et Serge Barbet, a été ouvert en 2003. Long de trois cents mètres, il compte aujourd’hui seize salles de projection, pour une capacité totale de deux mille neuf cent quarante spectateurs.

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LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE

Inaugurée le 30 mars 1995 par le président François Mitterrand, c’est la plus grande bibliothèque de France. Sa collection compte quatorze millions de livres, revues, manuscrits et cartes et s’enrichit d’environ cent cinquante mille nouveaux documents chaque année. On peut en consulter plus de deux millions via la bibliothèque numérique Gallica.

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L’AVENUE DE FRANCE

La percée de cet axe débute en 1995, sur d’anciens terrains de la SNCF. Le premier tronçon est mis en service en 2001 et est ouvert à la circulation sur toute sa longueur en 2012. Large de quarante mètres, l’avenue débute au niveau du boulevard du Général-JeanSimon et court jusqu’au boulevard Vincent-Auriol.

LE MK2 BIBLIOTHÈQUE ENTRÉE BNF

Accessibles depuis l’accès Est de la BnF, les nouvelles salles proposeront une programmation de films art et essai. Quatre salles pour une capacité totale de cinq cent vingt spectateurs qui sont accueillis par Relebainturc, une œuvre du peintre français Martial Raysse.


©dominique perrault architecture

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« L’installation du MK2 Bibliothèque a été une étape majeure dans la dynamisation du quartier. » b. racine

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e 19 février 2003, MK2 ouvre son premier multiplexe, dans le quartier morose de la Bibliothèque nationale de France (BnF). L’endroit, en pleine mutation, est le théâtre d’un grand projet d’aména­gement : la ZAC Paris Rive Gauche. Pour faire accoster son navire blanc, l’exploi­tant de salles a creusé un trou triangulaire de trois cents mètres sur trente pour sa partie large, entre deux bâtiments de la BnF, sur cette portion du XIIIe arrondissement, no man’s land parisien, où la bibliothèque trônait bien seule jusqu’alors. Brigitte Einhorn, vice-présidente de l’ADA 13, une association de riverains créée il y a cinquante ans, se souvient. Habitante depuis le début des années 1990 de ce qu’elle appelle le vieux XIIIe [le quartier Olympiades, ndlr ], elle raconte : « Je trouvais que c’était un quartier mort, l’arrivée du MK2 lui a donné de la vie. Avec la BnF, on a d’abord eu

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une vie intellectuelle, puis le cinéma a apporté quelque chose de plus moderne. » Bruno Racine, président de la BnF, confirme : « Quand la BnF a été construite, ce quartier était en friche. Les choses ont beaucoup changé, et cela va continuer. L’installation du MK2 Bibliothèque a été une étape majeure dans la dynamisation du quartier. » Clé de ce dynamisme, une attractivité fondée sur une série d’équipements pensés pour conférer toute sa singularité au MK2 Bibliothèque. On trouve, dans cet espace vitré de treize mètres de hauteur, seize salles réparties entre le sous-sol et un premier étage dont la vue surplombe d’un côté les quais de Seine et de l’autre les anciens rails de la gare d’Austerlitz, ainsi que deux restaurants, un bar et un concept store qui propose à la vente des livres, des DVD et des gadgets en tous genres, souvent introuvables ailleurs. « C’est le cinéma qui fait naître de nouveaux services », analyse Marine Carpentier-Daubresse

octobre 2013


©dominique perrault architecture

©dominique perrault architecture

le s salle s

dans son mémoire consacré aux cinémas MK2 de l’Est parisien (Les cinémas MK2 et le renouvellement des territoires de l’Est parisien : la ZAC du bassin de la Villette [XIXe] et la ZAC Paris Rive Gauche [XIIIe]). On pense ainsi à ces fauteuils à double place, les fameux love seats, conçus par le designer Martin Szekely, parfait exemple de cette volonté affichée de profiter du cinéma autrement. Les jeunes étudiants de la faculté voisine ne s’y trompent pas. « Je fais toujours un tour à l’espace magasin », dit Clémentine, qui fréquente essentiellement ce cinéma, parce que « c’est moins cher », ou alors le multiplexe de l’autre coté de la Seine, l’UGC Bercy. Le MK2 du XIIIe arrondissement propose en effet des tarifs préférentiels pour les moins de 26 ans comme pour les seniors. Étudiante en cinéma à Paris-VII, située à quelques pâtés du

MK2, Clémentine s’engouffre dans les salles obscures entre deux cours, ou emprunte les transports en commun pour y revenir depuis le 77 où elle vit. Marine Carpentier-Daubresse appuie : « C’est très bien desservi en transport, il y a la ligne 14, le RER C. Tout cela facilite une fréquentation venue de la banlieue. C’est une aubaine pour MK2. » Et la fréquentation est au rendez-vous. Troisième cinéma parisien, le MK2 Bibliothèque a accueilli un million six cent mille spectateurs en 2012. CarpentierDaubresse poursuit : « Les gens n’investissent pas les lieux comme ils le font sur les quais du canal de l’Ourcq où se font face les MK2 Quai de Seine et Quai de Loire. Ici, l’esplanade ne se prête pas particulièrement aux pique-niques par exemple. Dans le cadre du MK2 Bibliothèque, c’est bien le cinéma en tant que tel qui est attractif. » De son point de vue d’habitante du quartier, Brigitte Einhorn confirme : « Le week-end, les gens restent davantage sur place. » À ses côtés, dans les locaux de leur association, Jacques Goulet retient l’évolution de l’architecture de ce quartier : « Ça va devenir très beau. Si j’étais jeune, j’irais vivre là-bas. » « Il faut reconnaître que MK2 a réussi ex nihilo une prouesse architecturale qui s’insère parfaitement bien dans le quartier », estime de son côté Marine Carpentier-Daubresse. LE MASQUE ET LA PLUME

La réussite du projet, qui prend les allures d’un nouveau Quartier latin, repose également sur un dialogue de plus de dix ans avec la BnF, imposante et solennelle voisine. « On peut rappeler que le complexe, initialement nommé cité de l’Image et du Son, a pris le nom de MK2 Bibliothèque pour marquer cette proximité », continue la jeune diplômée

CRÉER DES LIEUX DE VIE ET DE CULTURE Depuis 1974, quels que soient la taille et le nombre de salles de ses sites, MK2 poursuit la même logique : implanter des salles de proximité et associer le cinéma à d’autres formes de création. Le MK2 Bibliothèque cristallise ces visées. Par sa structure d’abord, avec ce bâtiment tout en transparence, message de confiance et de convivialité dans un quartier peu sûr en 2003.

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La façade, qui est en fait l’arrière du plus grand écran, figure la place du cinéma dans la ville. La programmation du lieu, ensuite, qui concentre les innovations portées par MK2 depuis quarante ans : la défense de la V.O. sous-titrée, des formes d’animations culturelles décloisonnées (cinéphilo), et du cinéma art et essai avec l’ouverture de quatre nouvelles salles dans la BnF.


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agenda LE 14 OCT. ET LE 4 NOV. À 18H15 Les conférences philosophiques de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE

« À quoi sert la colère ? » ; « Pouvons-nous vraiment être présents ? »

LE 15 OCT. À 14H Metropolitan Opera MK2 HAUTEFEUILLE

Retransmission en direct d’Eugène Oneguine

©martial raysse

LE 18 OCT. À 19H 11e soirée de la petite édition

L’installation lumineuse Relebainturc de Martial Raysse, dans le foyer du MK2 Bibliothèque entrée BnF

de l’institut d’Urbanisme de Paris. « Le cinéma et la bibliothèque sont deux activités complémentaires. Comme dans le cas du MK2 Beaubourg, qui est à deux pas du Centre Pompidou, s’implanter à côté d’une bibliothèque est une manière d’attirer un public étudiant. » Bruno Racine salue vivement l’initiative : « Cette coexistence (du MK2 et de la BnF) va dans le sens de ce que nous souhaitons, à savoir une bibliothèque ouverte sur la ville, sur des publics les plus divers. » QUATRE NOUVELLES SALLES

Une ouverture qui se confirme à la fin du mois d’octobre : le troisième exploitant de Paris s’apprête à concrétiser son ambition d’installer le pendant rive gauche du MK2 Beaubourg, en ouvrant, au sein même de la BnF, quatre nouvelles salles à la programmation art et essai. On y retrouvera les love seats et plus que jamais cette volonté d’ouvrir les salles aux autres formes d’expression artistique, avec par exemple une création du plasticien Martial

DU 19 OCT. AU 17 NOV. Cycle Federico Fellini MK2 QUAI DE LOIRE

Raysse, installée dans le foyer d’accueil. Conséquence directe de ce nouveau partenariat, la bibliothèque bénéf icie d’une nouvelle entrée, financée par MK2. Elle l’attendait depuis longtemps, comme le confirme son président : « D’un côté, il y avait la nécessité de doter la BnF d’une entrée digne de ce nom. De l’autre, il existait, à l’intérieur de la Bibliothèque, un espace destiné à accueillir un ou des restaurants publics, mais qui n’avait jamais trouvé preneur et donc restait vide. Voilà plus de quinze ans que nous n’avions trouvé aucune utilisation pour ce volume prévu dès le départ pour une activité commerciale. Je me réjouis que celle-ci soit de nature culturelle.» Côté contenu, outre la programmation du cinéma, les deux établissements devraient travailler de manière combinée, notamment dans le cadre de futures expositions. MK2 Bibliothèque (entrée BnF), 128/162 avenue de France 75013 ouverture début novembre Retrouvez toutes les informations sur www.mk2.com/salles/mk2-bibliotheque

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MK2 QUAI DE LOIRE

Autour de la maison d’édition strasbourgeoise La Dernière Goutte

octobre 2013

Les samedis et dimances en matinée : Fellini Roma, Satyricon, Huit et demi, Ginger et Fred

LE 22 OCT. À 20H Soirée Premiers pas MK2 HAUTEFEUILLE

Avec des courts métrages de Justine Triet, Isabelle Czajka, Shalimar Preuss, Jean-Pierre Jeunet et Hélier Cisterne

DU 23 AU 29 OCT. Mon premier festival MK2 QUAI DE SEINE

Infos sur www.monpremierfestival.org

LE 24 OCT. À 19H Carte blanche à Leslie Kaplan MK2 QUAI DE LOIRE

Rencontre-lecture autour de Déplace le ciel (editions P.O.L) et projection de La Fièvre dans le sang d’Elia Kazan

LE 26 OCT. À 20H Rencontre-lecture avec Marion Fayolle MK2 QUAI DE LOIRE

À l’occasion de la parution de La Tendresse des pierres (éditions Magnani)

DU 30 OCT. AU 3 NOV.

MK2 sera présent au salon Paris Games Week avec la mise en place d’une salle éphémère

LE 4 NOV. À 20H30 Rendez-vous des docs MK2 QUAI DE LOIRE

Tren de sombras de José Luis Guerin (1997)




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