Trois Couleurs #118 - Février 2014

Page 1

le monde à l’écran

wes anderson du 5 février au 4 mars 2014

Visite du Grand Budapest Hotel avec son réalisateur

bernard menez

Bilan d’étape avec le cycliste de Le Quepa sur la Vilni !

Oscars

Coulisses d’une cérémonie

et aussi

Les Bruits de Recife, Mike Hodges, Mogwai…

no 118 - gratuit


2

novembre 2013


Sommaire

Du 5 février au 4 mars 2014

À la une… 50

entretien

en ouverture

Wes Anderson

Casting délirant pour saga historique, The Grand Budapest Hotel est le très riche huitième film du réalisateur américain (La Vie aquatique, Moonrise Kingdom). Visite guidée de son cinéma, depuis son bureau parisien, avec en prime notre poster central, The Grand Anderson Hotel.

le retour de

6

Les Bruits de Recife Kleber Mendonça Filho plante son premier film au cœur d’un quartier prospère bouleversé par l’irruption d’une société de sécurité privée.

27

l’album

80

Mogwai Le groupe écossais qui fait le plus gros son de la planète est de retour avec un nouvel album, leur huitième, qui tape juste et fort : Rave Tapes.

Bernard Menez

©20th century fox ; DR ; gullick ; fabien breuil ; hulton archive/getty images ; collection christophel

Découvert en 1973 dans Du côté d’Oroüet de Jacques Rozier, où il campait un jeune homme maladroit malmené par trois chipies, Bernard Menez serpente depuis entre cinéma d’auteur et comédie populaire, avec des détours par la télévision et par la chanson. Cet hiver, à presque 70 ans, il est cycliste dans Le Quepa sur la Vilni ! de Yann Le Quellec et dans Tonnerre de Guillaume Brac. Bilan d’étape.

en couverture

38

erratum

Oscars, coulisses d’une cérémonie Derrière l’habituel « qui va gagner quoi ?», les questions que l’on se pose sur la grande boum du cinéma.

nouveau genre

46

La robinsonnade apocalyptique Où sont-ils tous passés ? Sixième épisode de notre voyage à travers les genres inconnus de l’histoire du cinéma.

pôle emploi

48

Mike Hodges Quarante ans après, le Britannique est toujours intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer le tournage de La Loi du milieu.

www.troiscouleurs.fr 3

Dans le numéro 117, pour illustrer l’article « Le cinéma peut-il rendre heureux ?», nous avons utilisé des extraits d’un film présenté comme étant réalisé par Lev Koulechov en 1922. Il s’agit en réalité d’extraits du documentaire de François Niney L’Effet Koulechov (Delta Productions), réalisé pour une soirée d’Arte intitulée « Faux et images de faux ». Toutes nos excuses à l’auteur du film et à l’acteur Georges Bigot.



… et aussi

Du 5 février au 4 mars 2014

Édito 11 Que peuvent nous apprendre les documentaires animaliers ? Preview 12 Tom à la ferme de Xavier Dolan Les actualités 14 Retour sur ce qui a le plus agité les pages de notre site Internet À suivre 20 Pierre Rochefort dans Un beau dimanche

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTEUR EN CHEF Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com)

l’agenda 22

RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com)

histoires du cinema 27

RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com)

Les sorties de films du 5 au 26 février 2014

Il était une fois Verônica et Gloria p. 30 // Liliane d’Alfred E. Green p. 32 // Eden de Mia Hansen-Løve p. 34 // Portrait du cinéaste Bo Widerberg p. 36 // Le Convoi de la peur de William Friedkin p. 56 // Festival de Belfort p. 57 // Festival d’Angers p. 58…

DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) Graphiste-mAquettIste Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) ICONOGRAPHE Juliette Reitzer STAGIAIRE Timé Zoppé

les films 60

© dr ; warner home video ; dr ; metropolitan filmexport ; le pacte ; michel roggo

American Bluff de David O. Russell p. 60 // C’est eux les chiens de Hicham Lasri p. 62 // Ida de Paweł Pawlikowski p. 66 // L’Éclat du jour de Tizza Covi et Rainer Frimmel p. 67 // For Those in Peril de Paul Wright p. 67 // Bethléem de Yuval Adler p. 69 // Tout va bien : 1er commandement du clown de Pablo Rosenblatt et Émilie Desjardins p. 69 // Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch p. 70 // L’Experience Blocher de Jean-Stéphane Bron p. 72 // Phantom of the Paradise de Brian De Palma p. 73 // Terre des ours de Guillaume Vincent p. 73 // At Berkeley de Frederick Wiseman p. 76… Les DVD 78 Les Meilleures Intentions de Bille August et la sélection du mois

ont collaboré à ce numéro Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Oscar Duboÿ, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Claude Garcia, Lorraine Grangette, Stéphane Méjanès, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michaël Patin, Elsa Pereira, Pamela Pianezza, Alexandre Prouvèze, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Léo Soesanto, Louis Séguin, Claire Tarrière, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Charlie Poppins PHOTOGRAPHES Fabien Breuil, Jean-Romain Pac PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com)

cultures 80 L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

CHEF DE PROJET Clémence Van Raay (clemence.vanraay@mk2.com)

time out paris 102 La sélection des sorties et des bons plans compilés par Time Out Paris

trois couleurs présente 106 Danton Eeprom, les événements MK2

Illustration de couverture

© Raphael Urwiller pour Trois Couleurs

© 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

www.troiscouleurs.fr 5


l’e ntreti e n du mois

Les Bruits de Recife Rencontre avec le réalisateur Kleber Mendonça Filho Critique de cinéma avant de passer à la réalisation, le Brésilien Kleber Mendonça Filho implante son premier long métrage au cœur d’un quartier prospère de la ville de Recife, dont l’insouciante routine est bouleversée par l’arrivée d’une société de sécurité privée. Avec la précision d’un géomètre, le cinéaste met à jour une géographie humaine et sociale complexe, hantée par le passé. PAR JULIETTE REITZER

6

février 2014


l’e ntreti e n du mois

« ma vision est plutôt pessimiste, même si je pense avoir fait un état des lieux honnête de la situation. »

P

armi la galerie des nombreux habitants du coin, voici par exemple João, riche jeune homme, qui se réveille dans son appartement immaculé, sa nouvelle conquête dans les bras ; Mariá, sa bonne, qui quittera bientôt son poste pour être remplacée par sa fille ; Bia, mère de famille neurasthénique, qui rivalise de ruse pour tenter de faire taire le chien du voisin ; Francisco, taciturne patriarche, qui semble régner avec autorité sur les lieux. Leur quotidien ronflant se voit ébranlé par l’arrivée dans le quartier d’une équipe de vigiles suspicieux venus prévenir un danger jusqu’ici impalpable. Dès lors, dans une torpeur de plomb, un étrange malaise dérègle lentement les relations pourtant solidement codifiées entre les familles bourgeoises blanches et leurs employés de maison, d’origines métissées. Une violence larvée s’immisce peu à peu, qui fissure les cloisons sociales, laissant entrer les haines séculaires, la culpabilité, une peur poisseuse. À l’image, les plans larges se déploient dans la durée, enserrant le spectateur dans un étau d’attente inquiète, saisissant dans un même mouvement les personnages et les lieux dans lesquels ils se meuvent – perspectives bouchées par les gratte-ciel, fenêtres ouvertes mais grilla­ gées, halls impersonnels, obscurité moite des chambres à coucher. Puis l’un des personnages, João, s’échappe enfin de ce carcan de lignes droites et de béton, pour une courte virée à la campagne. La verdure envahit le cadre, mais déjà le champ s’élargit : João se trouve entre les vieilles pierres d’un cinéma en ruines rongé par les plantes. Dans la séquence suivante, le jeune homme se baigne sous une puissante cascade. Quand son regard croise celui de la caméra, l’eau, qui l’écrase littéralement, devient rouge sang. L’image reste l’une des plus puissantes vues en ce début d’année. Rencontre avec le cinéaste, dont le film représentera le Brésil aux Oscars.

diriez-vous que le film est pessimiste quant à la possibilité de transcender les barrières de classe au brésil ? Je pense que les clivages sociaux existent dans toutes les sociétés, de façon naturelle. Les choses sont différentes lorsque ces clivages révèlent une maladie sociale, comme c’est souvent le cas. Les clivages entre les classes sont particulièrement marqués au Brésil, à cause de l’héritage de l’esclavage, qui a créé une forme de racisme propre à ce pays ; un racisme généralement non violent, sans haine apparente, mais paralysant. Je veux croire que les choses peuvent et vont s’améliorer avec davantage d’éducation. Mais pour l’instant, ma vision est en effet plutôt pessimiste, même si je pense avoir fait un état des lieux honnête de la situation. comment avez-vous travaillé le parallèle, fort de sens, entre les espaces publics (immeubles, rues, couloirs) et l’intimité des personnages (nudité, sexualité, scènes de sommeil) ? L’architecture est un excellent moyen de figurer à l’image la manière dont les individus appréhendent l’existence. Espaces très structurés, lignes droites, murs, clôtures, halls et couloirs, chambres, cuisines… Ce sont des lieux très ordinaires, à l’opposé du spectaculaire. Pour compenser, j’ai voulu les filmer de manière très cinématographique, dans des plans larges très composés et travaillés, pour que les gens aient envie de regarder ces lieux et ceux qui y vivent. Les gros plans sont rares, réservés pour des moments particuliers – Bia qui regarde la machine à laver, par exemple. À Recife, en ce moment même, il y a un vaste débat sur l’usage des lieux publics. Les propriétaires de centres commerciaux, les entreprises de construction et l’industrie automobile utilisent les médias et la publicité pour dissuader les gens d’occuper l’espace public : évidemment, ça ne leur rapporte pas d’argent ! Ils jouent sur la peur de l’insécurité pour diffuser leur message. C’est écœurant.

www.troiscouleurs.fr 7


l’e ntreti e n du mois

« pour ce film, je voulais que l’enjeu se situe autour de la présence “absente” de la violence. » il y a beaucoup de scènes de voyeurisme et de surveillance dans le film, les gens se toisent, et votre caméra les observe pendant qu’ils regardent à travers des fenêtres ou des écrans (de télévision, de vidéosurveillance, de téléphone). Au milieu du film, il y a ce que j’appelle « la trilogie vidéo », trois scènes consécutives dans lesquelles les images vidéo jouent un rôle important. Je ne sais pas, je pense que depuis que j’ai vu Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, à 16 ans, j’adore regarder des gens qui regardent des choses. C’est très « cinéma ». très tôt dans le film, il y a une scène de violence physique inattendue entre bia et sa sœur. par la suite, la violence est toujours suggérée, jamais frontale. J’adorerais faire un film avec de la violence graphique, qui est bien sûr très photogénique. Il n’y a qu’à penser aux films de Sergio Leone, de Brian De Palma, de David Cronenberg ou de Paul Verhoeven. Mais pour ce film, je voulais que l’enjeu se situe autour de la présence

8

« absente » de la violence. Personne ne la voit, personne ne sait où elle se cache, mais elle est sans doute tapie quelque part. Les personnages ont peur, parce qu’ils ont été condi­tionnés, encouragés sur cette voie. Quant aux deux sœurs qui se battent, ça vient d’une scène que j’ai vue dans une épicerie, un combat de chats entre deux femmes, sorties de nulle part. Elles étaient sœurs. comment avez-vous pensé la scène dans laquelle joão rend visite à son grandpère, à la campagne ? c’est une rupture formelle, mais aussi narrative. Après avoir écrit environ soixante pages de scènes qui se déroulaient en ville, j’avais besoin de m’échapper, et c’est là que m’est venue l’idée de João se rendant à la campagne, dans sa maison de famille. C’est littéralement un voyage dans le passé : une maison ancienne, un vieil homme à l’intérieur, de jeunes gens qui lui rendent visite, une école abandonnée, un cinéma en ruine. Au Pernambouc [l’état fédéré du Brésil dont la capitale est Recife, ndlr], où nous avons tourné, les engenhos [lieux qui regroupaient les plantations et l’ensemble de la chaîne de transformation de la canne à sucre, ndlr] étaient des communautés très riches, très complètes, avec école, bureau de poste, centre médical… Elles sont aujourd’hui complètement à l’abandon. Ce sont des endroits fascinants. Les Bruits de Recife de Kleber Mendonça Filho avec Irandhir Santos, Gustavo Jahn… Distribution : Survivance Durée : 2h11 Sortie le 26 février

février 2014



10

novembre 2013


é dito

bête comme chou Par Étienne Rouillon Illustration de Charlie Poppins

C

e mois-ci, le très joli et cruel documentaire Terre des ours met fin au mythe de nos contes pour enfants – avec papa ours chasseur, maman ours docile et aimante. En vrai, y’a pas de papa. Les mâles du Kamchatka glandent sec, pendant que les femelles chassent et élèvent seules. On a facilement l’œil anthropocentré quand on regarde les cellules familiales du cinéma bestial. Étonnamment, l’un des publics visés par le genre du docu animalier ne partage pas du tout cette idée. Les enfants présents à une projection de

Terre des ours recrachaient comme des éponges le premier degré de leur expérience cinéphile. Ils venaient voir des ours pour apprendre des trucs sur les ours, et non pour s’étonner du degré de rapprochement ou d’opposition entre leurs comportements et ceux des hommes. Qui est dans le vrai ? Le documentaire animalier doit-il documenter la réalité, ou bien la mettre en récit ? Terre des ours est fascinant, parce qu’il se promène entre ces deux territoires. C’est un peu comme ça qu’on est allés étudier l’autre faune agitée du mois, celle des Oscars. Un dossier sans star pour flatter la mise en récit, mais avec des gens qui nous apprennent des trucs.

www.troiscouleurs.fr 11


previ ew

Tom à la ferme Après trois films sur l’amour impossible, Xavier Dolan revient avec une forme plus sobre, mise au service d’un thriller psychologique au suspense implacable. Affublé d’un perfecto et d’une crinière blonde filasse, le réalisateur canadien incarne Tom, un publicitaire se rendant dans une campagne morne pour assister aux funérailles de son amant. La mère du défunt ne semble rien savoir du couple, et le frère de celui-ci est prêt à tout pour cacher la nature de leur relation. Variation sur le deuil, Tom à la ferme est un film de non-dits dont la violence sourde résonne avec vacarme en pleine cambrousse. Quentin Grosset

© clara palardy

Tom à la ferme de Xavier Dolan avec Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal… Distribution : Diaphana Durée : 1h35 Sortie le 16 avril

12

février 2014


www.troiscouleurs.fr 13


e n bre f

Les actualités Retours et compléments d’information sur les nouvelles culturelles qui ont le plus agité les pages de notre site Internet, troiscouleurs.fr. PAR Ève beauvallet, JULIEN DUPUY, QUENTIN GROSSET, ÉTIENNE ROUILLON, LAURA TUILLIER ET TIMÉ ZOPPÉ

> l’info graphique

Avortement : comment la télévision et le cinéma américain en parlent ? Une étude réalisée par des sociologues de l’université de Californie à San Francisco a analysé trois cent dix films et épisodes de séries télévisées dont l’intrigue tourne autour de l’avortement et en a tiré des tendances, du point de vue de l’évolution du scénario. *

55,8 %

6,7 %

Dans 55,8 % des cas, la question (de l’avortement) posée débouche effectivement sur une interruption volontaire de grossesse, légale ou non.

Dans 6,7 % des cas, la femme enceinte fait une fausse couche.

25,8 %

5,1 %

Dans 25,8 % des cas, un enfant naît, et il est finalement élevé par ses parents.

Dans 5,1 % des cas, la suite du scénario et la fin du film ne renseignent pas sur l’issue de la grossesse.

13,5 %

4,2 %

Dans 13,5 % des cas, on assiste au décès de la femme qui envisageait un avortement, que celui-ci soit pratiqué ou non.

Dans 4,2 % des cas, un enfant naît, et il est finalement adopté par d’autres adultes.

* Chiffres tirés d’une étude publiée par Gretchen Sisson et Katrina Kimport dans le Contraception Journal.

> fuite

d. r.

À quoi aurait ressemblé le prochain film de Tarantino ? Il y a quelques mois, Tarantino avait annoncé plancher sur un western. Alors qu’il était en train de caster ses Hateful Eight (Les Huit Rageux aurait pu être une traduction du titre), une fuite inattendue du scénario sur Internet a mis fin au projet, Tarantino estimant que s’il ne pouvait pas faire confiance à son équipe à ce stade, il valait mieux tout arrêter. Drôle de fin pour un film qui devait mettre en scène une poignée d’affreux jojos qui ne savent plus à qui faire confiance pour sauver leur peau. Le film sacrifié, il reste la lecture du scénario, passionnante, pour patienter jusqu’à ce que Tarantino se remette en selle. The Hateful Eight est un western, certes, filmé en 70 mm, comme l’annonce la première page, mais réduit à son plus simple appareil : chasseurs de primes contre hors-laloi, prêts à dégainer et attendant simplement le moment idéal pour le faire. Pour patienter, ils discutent au coin du feu, cherchant à tirer au clair les motivations de chacun. Huis clos, donc, que Tarantino organise dans une langue brillante et malicieuse qui laissait augurer du meilleur. L. T.

14

février 2014


www.troiscouleurs.fr 15


e n bre f

72

> LE CHIFFRE DU MOIS C’est le montant, en dollars, des recettes engrangées par le film britannique Storage 24. Avec cette somme, ce film de science-fiction horrifique arrive bon dernier dans le classement de boxofficemojo.com qui recense les succès et les échecs du box-office américain en 2013. Storage 24 est disponible en France en DVD. L. T.

Calé Filles en vogue Pour la troisième saison de sa série Girls, Lena Dunham a sorti le grand jeu côté promo avec une tournée internationale. De passage à Paris le 17 janvier avec sa coscénariste Jenni Konner, elle a joyeusement raconté son parcours lors d’une master classe destinée à la presse.

Décalé

Recalé

Vague de filles Dans l’édition américaine du magazine Vogue, elle a annoncé ses prochains projets, toujours avec Jenni Konner : un documentaire sur Hilary Knight, la dessinatrice de la BD Éloïse, ainsi qu’une nouvelle série pour HBO sur Betty Halbreich, « conseillère shopping » des stars.

PAR T. Z.

Filles vs Vogue Les photos de Dunham dans Vogue sont retouchées. Ce qui n’a pas manqué de mettre en émoi des sites Internet féministes comme Jezebel qui a publié les photos non trafiquées. La jeune femme assume, arguant que pour savoir à quoi elle ressemble, il suffit de regarder Girls.

> LA PHRASE

Bill Murray © 20th century fox

Sur le site web Reddit, un forum très populaire aux États-Unis, Bill Murray a répondu aux questions des internautes. À l’un d’entre eux qui s’interrogeait sur les origines du génie de l’acteur, celui-ci a rétorqué :

> LA TECHNIQUE

Comment créer l’explosion d’une grenade capable de retourner un camion sans jamais perdre le contrôle des événements ? Telle est la gageure qu’a dû relever l’équipe technique de La Voleuse de livres. Dans un premier temps, celle-ci a soudé sur le châssis du camion un canon à air assez puissant pour soulever de terre le véhicule. Cette action, répétable à volonté, était synchronisée avec une explosion relativement inoffensive à base de poudre noire et de tourbe placées dans un entonnoir enterré sous le camion. La déflagration a ensuite été amplifiée par l’ajout, en images de synthèse, de flammes et de projections de terre. J. D. La Voleuse de livres de Brian Percival (20th Century Fox) Sortie le 5 février

16

© jason laveris / filmmagic

La Voleuse de livres

février 2014

« rien ne me préparait à être génial à ce point. C’est un peu un choc. se réveiller tous les matins et baigner dans cette lumière violette. »



e n bre f

> SUCCESS STORY

box-office

d. r.

Louis C. K. Fin 2013, la chaîne américaine FX signe un contrat avec Louis C. K. lançant la production de la quatrième saison de sa série Louie, mais donnant surtout carte blanche à l’auteur pour produire les programmes de son choix sur ce canal. Mais qui est cet individu qui se paye la télé U.S. ? Depuis l’avènement de sa série en 2010, Louis C. K. connaît enfin la gloire outre-Atlantique, mais tarde à se faire un nom en France. Longtemps scénariste pour des shows comiques (David Letterman, Conan O’Brien...), il mélange dans Louie les formes qui le passionnent (la narration pure, le stand-up…), l’autofiction et les problématiques qui l’obsèdent (le divorce, le sexe...). Le comédien a annoncé qu’il mettrait en ligne courant février son premier long métrage en tant que réalisateur, inédit à ce jour, Tomorrow Night (1998). Les accros peuvent patienter en se procurant son deuxième film, Pootie Tang (2001), ou en regardant ses spectacles pour 5 $ sur son site. T. Z.

© haywood magee / picture post

Louie, saisons 1 à 3, jusqu’en février sur OCS City https://buy.louisck.net

Le cinéma français s’exporte moins Selon des chiffres publiés en janvier, les films français se sont trois fois moins bien exportés en 2013 qu’en 2012. Les 480 films exploités hors de nos frontières n’ont attiré que 50 millions de spectateurs à l’étranger, soit une baisse de 65 % par rapport à l’année précédente. Interrogé par le quotidien Le Monde, Jean-Paul Salomé, le président d’Unifrance (une structure engagée dans la promotion des films français à l’exportation), a relié cette diminution à « une offre française moins forte ». Il a ajouté que cette perte était dûe à un manque au niveau de la production. « La France a produit des films d’auteur porteurs, mais ce qui lui a fait cruellement défaut, ce sont des blockbusters », a-t-il précisé. Q. G.

Bande annonce

d. r.

J. R. R. Tolkien en 1955

> Histoire

Bilbo le Hobbit (1928-1929). Au ive siècle, le Romain Silvanius s’était fait dérober un anneau dans le temple celte dédié à Nodens, dieu de la guérison. Persuadé de connaître l’identité du voleur, il aurait demandé au dieu de le venger et consigna la malédiction sur deux tablettes, retrouvées au xixe siècle. Ne vous approchez pas trop près, on ne sait jamais. È. B.

Le site Tastes Funny fait la liste des clichés présents dans les films sélectionnés à Sundance dans une amusante parodie de bande annonce. Michael Cera, qui « se réinvente » en empoté, des acteurs passant à la réalisation, des crises de larmes ou des camionnettes vintage… Les programmateurs de Sundance auraientils un goût un peu redondant ? Q. G.

Manoir The Vyne, en Grande-Bretagne www.nationaltrust.org.uk/vyne

Not Another Sundance Movie, visible sur troiscouleurs.fr

La légende de l’anneau Fans de Tolkien, vous pouvez réserver vos billets pour le Hampshire où est désormais conservé l’anneau qui aurait inspiré le fameux « précieux » de la saga du Seigneur des anneaux. En effet, peut-on lire dans Courrier International, le mensuel britannique History Today rapporte que Tolkien, qui était très calé en philologie celtique, avait été invité par deux archéologues à travailler sur un curieux sujet au moment même où il peaufinait

18

février 2014


www.troiscouleurs.fr 19


à su ivre

Pierre Rochefort Dans Un beau dimanche, il interprète un instituteur taiseux en froid avec sa famille, portant avec élégance ce conflit intime en forme de nouveau départ. PAR TIMÉ ZOPPÉ – Photographie de Jean-Romain Pac

L

e fils de Jean Rochefort et de Nicole Garcia, né en 1981, l’avoue d’emblée : « Je m’interdisais le métier de comédien, je n’avais pas envie de me mesurer à mes parents. » Il commence donc par travailler à la FNAC, tout en rappant au sein de Désolé pour le bruit, un duo hip-hop. « À 26 ans, j’ai intégré le conservatoire du VIIe arrondissement. En trois jours, j’ai compris que j’avais fait tout un parcours pour éviter une voie qui en fait m’apportait énormément. » Après des apparitions dans Les Adieux à la reine de Benoît Jacquot et dans la série Les Revenants, sa mère lui offre, avec Un beau dimanche, son premier grand rôle au cinéma : « Comme moi, Baptiste est réservé et discret, mais il garde une colère contenue. » Face à l’expérimentée Louise Bourgoin, il parvient à imposer un jeu tout en nuances, en attendant la suite : « Jouer dans une grosse comédie française ? Pourquoi pas, si elle est bien écrite. »

© jean-romain pac

Un beau dimanche de Nicole Garcia (lire aussi p. 64) avec Louise Bourgoin, Pierre Rochefort… Distribution : Diaphana Durée : 1h35 Sortie le 5 février

20

février 2014


www.troiscouleurs.fr 21


ag e n da

Sorties du 5 au 26 février Jack et la Mécanique du cœur de Mathias Malzieu et Stéphane Berla Animation Distribution : EuropaCorp Durée : 1h42

Hipótesis de Hernán Goldfrid avec Ricardo Darín, Alberto Ammann… Distribution : Eurozoom Durée : 1h46 Page 66

American Bluff de David O. Russell avec Christian Bale, Amy Adams… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h17 Page 60

Le Casse des casses de Florian Hessique avec Florian Hessique, Camille Bessière-Mithra… Distribution : FH Production Durée : 1h18

Les Grandes Ondes (à l’ouest) de Lionel Baier avec Valérie Donzelli, Michel Vuillermoz… Distribution : Happiness Durée : 1h24 Page 66

C’est eux les chiens de Hicham Lasri avec Hassan Badida, Imad Fijjaj… Distribution : Nour Films Durée : 1h25 Page 62

Les Rayures du zèbre de Benoît Mariage avec Benoît Poelvoorde, Marc Zinga… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h20

Les Trois Frères, le retour de Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus avec Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h46 Page 66

L’Île des Miam-nimaux : Tempête de boulettes géantes 2 de Cody Cameron et Kris Pearn Animation Distribution : Sony Durée : 1h35 Page 62

Les Variations de Macha Ovtchinnikova avec Ophélie Bazillou, Ornella Boulé… Distribution : Ciné-cessaire Films Durée : 1h20

L’Éclat du jour de Tizza Covi et Rainer Frimmel avec Philipp Hochmair, Walter Saabel… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h31 Page 67

Mea culpa de Fred Cavayé avec Vincent Lindon, Gilles Lellouche… Distribution : Gaumont Durée : 1h30 Page 62

Robocop de José Padilha avec Joel Kinnaman, Gary Oldman… Distribution : StudioCanal Durée : 2h

For Those in Peril de Paul Wright avec George Mackay, Kate Dickie… Distribution : DistriB Films Durée : 1h32 Page 67

5 fév.

Goltzius et la Compagnie du Pélican de Peter Greenaway avec Fahrid Murray Abraham, Kate Moran… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h56 Page 64

12 fév.

Abus de faiblesse de Catherine Breillat avec Isabelle Huppert, Kool Shen… Distribution : Rezo Films Durée : 1h44 Page 68

La Voleuse de livres de Brian Percival avec Geoffrey Rush, Emily Watson… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h11 Page 64

Le Quepa sur la Vilni ! de Yann Le Quellec avec Bernard Menez, Christophe… Distribution : Shellac Durée : 38min Page 27

Tante Hilda ! de Jacques-Rémy Girerd et Benoît Chieux Animation Distribution : SND Durée : 1h29 Page 68

Un beau dimanche de Nicole Garcia avec Louise Bourgoin, Pierre Rochefort… Distribution : Diaphana Durée : 1h35 Page 64

Il était une fois Verônica de Marcelo Gomes avec Hermila Guedes, W. J. Solha… Distribution : Urban Durée : 1h32 Page 30

La Belle et la Bête de Christophe Gans avec Vincent Cassel, Léa Seydoux… Distribution : Pathé Durée : 1h50 Page 87

Viva la libertà de Roberto Andò avec Toni Servillo, Valeria Bruni Tedeschi… Distribution : Bellissima Films Durée : 1h34 Page 64

Ida de Paweł Pawlikowski avec Agata Kulesza, Agata Trzebuchowska… Distribution : Memento Films Durée : 1h19 Page 66

M. Peabody et Sherman : les Voyages dans le temps de Rob Minkoff Animation Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h24 Page 87

22

février 2014


www.troiscouleurs.fr 23


ag e n da

Sorties du 5 au 26 février Brasserie Romantiek de Joël Vanhoebrouck avec Mathijs Scheepers, Sara De Roo… Distribution : Chamade Durée : 1h40

L’Expérience Blocher de Jean-Stéphane Bron Documentaire Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h40 Page 72

Week-ends d’Anne Villacèque avec Karin Viard, Noémie Lvovsky… Distribution : Haut et Court Durée : 1h30 Page 72

Macadam Baby de Patrick Bossard avec François Civil, Camille Claris… Distribution : Kanibal Films Durée : 1h35

La Grande Aventure Lego de Phil Lord et Chris Miller Animation Distribution : Warner Bros. Durée : N.C. Page 72

Phantom of the Paradise de Brian De Palma avec Paul Williams, William Finley… Distribution : Solaris Durée : 1h32 Page 73

Les Éléphants d’Emmanuel Saada avec Cathy Nouchi, Cendrine Genty… Distribution : La VingtCinquième Heure Durée : 1h28

Terre des ours de Guillaume Vincent Documentaire Distribution : Paramount Durée : 1h27 Page 73

Gloria de Sebastián Lelio avec Paulina García, Sergio Hernández… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h50 Page 30

Tarzan de Reinhard Klooss avec Kellan Lutz, Spencer Locke… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h34

African Safari de Ben Stassen Documentaire Distribution : StudioCanal Durée : 1h29 Page 74

Lettre d’une inconnue de Max Ophüls avec Joan Fontaine, Louis Jourdan… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h26 Page 68

Y a des limites de Charly Cassan et Marie Havenel avec Michel Coste, Domano… Distribution : Reportage34 Durée : 1h37

La Femme du ferrailleur de Danis Tanovi avec Nazif Muji , Senada Alimanovi … Distribution : Zootrope Films Durée : 1h15 Page 74

19 fév.

Pompei de Paul W. S. Anderson avec Kit Harington, Carrie-Anne Moss… Distribution : SND Durée : 1h42 Page 68

26 fév.

Le Sens de l’humour de Marilyne Canto avec Marilyne Canto, Antoine Chappey… Distribution : Pyramide Durée : 1h28 Page 74

Bethléem de Yuval Adler avec Shadi Marei, Tsahi Halevi… Distribution : Diaphana Durée : 1h39 Page 69

Les Bruits de Recife de Kleber Mendonça Filho avec Irandhir Santos, Gustavo Jahn… Distribution : Survivance Durée : 2h11 Page 6

Un été à Osage County de John Wells avec Meryl Streep, Julia Roberts… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h59 Page 74

Tout va bien : 1er commandement du clown de Pablo Rosenblatt et Émilie Desjardins Documentaire Distribution : Coopérative DHR Durée : 1h33 Page 69

The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson avec Ralph Fiennes, Tony Revolori… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h40 Page 50

At Berkeley de Frederick Wiseman Documentaire Distribution : Sophie Dulac Durée : 4h04 Page 76

Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch avec Tom Hiddleston, Tilda Swinton… Distribution : Le Pacte Durée : 2h03 Page 70

Non-Stop de Jaume Collet-Serra avec Liam Neeson, Julianne Moore… Distribution : StudioCanal Durée : 1h46 Page 72

Supercondriaque de Dany Boon avec Dany Boon, Kad Merad… Distribution : Pathé Durée : 1h47

24

octobre2014 février 2013


www.troiscouleurs.fr 25



histoires du

C I Né M A

EN COUVERTURE

Oscars : coulisses et chronologie de la grande boum du cinéma p. 38

wes anderson

Visite guidée du Grand Budapest Hotel avec le maître des lieux p. 50

scÈne culte

Le Convoi de la peur du réalisateur William Friedkin p. 56

© fabien breuil

« J’ai même joué Shakespeare avec Tatoune ! »

Bernard Menez Découvert en 1973 dans Du côté d’Oroüet de Jacques Rozier, où il campait un jeune homme maladroit malmené par trois chipies, Bernard Menez serpente depuis entre cinéma d’auteur et comédie populaire, avec des détours par la télévision et par la chanson. Cet hiver, à presque 70 ans, il est cycliste dans Le Quepa sur la Vilni ! de Yann Le Quellec et dans Tonnerre de Guillaume Brac. Bilan d’étape. par laura tuillier

www.troiscouleurs.fr 27


h istoihre istoi de re cisn édu maci- ngabarit é ma 0

Vous voyez, avant j’habitais cet immeuble que l’on voit par la fenêtre. Et encore avant, dans le même quartier, mais au rez-de-chaussée, dans une chambre de 15 m2. » Aujourd’hui, Bernard Menez nous reçoit au huitième et dernier étage d’un immeuble moderne de ce XVe arrondissement qu’il n’a jamais quitté depuis son arrivée à Paris, alors jeune débutant cherchant à se hisser sur les planches parisiennes. De cette période, après quelques années passées à enseigner la physique-chimie à des collégiens, il TITRE INDIRECt garde le souvenir d’avoir galéré. « Je n’arrivais pas à percer et, comme à l’époque le Canada incitait les jeunes à immigrer, j’avais pris un billet d’avion pour tenter ma chance à Montréal. » Une semaine avant la date du départ, son agent lui propose de rencontrer Jacques Rozier, qui évolue alors dans les marges de la Nouvelle Vague et recherche un jeune homme « dans son style » pour Du côté d’Orouët. La veille du départ, le réalisateur rend son verdict, par xxxxxx Menez annule son billet et, une semaine plus tard, Lorem ipsum dolor sitqui amet, le voilà sur le tournage de ce deviendra un film consectetur adipiscing elit. eu de vacances culte et inaugurera sonUt personnage urna arcu, non congue tellus.etQuisque d’échalas maladroit et tendre, distrait dragueur. nec sapienans quis tincidunt Quarante plusnulla tard, Bernard Menez a gardé vestibulum. Fusce ullamcorper son flegme étourdi, et son immense nez pointe felis eget sollicitudin. nisl. toujours, alerte et volontaire.purus Dans Le Quepa sur Ut pharetra commodo 250 de Yann la Vilni !, le deuxième moyenju.métrage Le Quellec (Je sens le beat qui monte en moi), il Lorem doloraventure sit amet,sportive consectetur adipisse lanceipsum dans une et collective cing elit. Proin vitae mi et urna lobortis ornare. avec l’entrain d’un damoiseau. Il incarne André, un Integer blandit tempor. son Praesent leo ancien facteur (untincidunt métier qu’exerçait père) qui, lorem, bibendum gravida id, du ullamcorper id sur ordre du maire,eu doit reprendre service pour turpis. Cras àpellentesque purus id magna gravida une équipée bicyclette crevante et fantaisiste. « Le malesuada. dapibus velit ornare. côté sportif Etiam de l’affaire ne posuere me faisait pasnec peur. J’ai Aenean vitae ligula vel mauris convallis accumsan beaucoup pratiqué le vélo. À 10 ans, il m’arrivait at orci. ac neque at turpisensagittis euisde at faire desDonec centaines de kilomètres une journée mod. porta dapibus at euismod. Donec alidans Cras les Pyrénées. J’ai leo même été la mascotte de quam tempus luctus.aux In championnats auctor, risus iddu sagittis matl’équipe de France monde de tis, leo misur tincidunt est, non placerat justo ligula cyclisme route de 1993 à Oslo. D’ailleurs c’est eget dolor. Proin nonBernard magna Hinault iaculis velit fermenmoi qui ai convaincu d’apparaître tum nislainsi, justo,embarqués lacinia id cursus danstristique. le film. »Quisque On trouve pêleat, posuere nontour turpis. Nullam arcu quam, ultricies mêle dans ce de piste bucolique et libertaire, vel in, ultricies facilisis dolor. Nulla dolor nonmollis seulement le quintuple vainqueur du Tour de orci, molestie consequat, varius ut lecFrance, dans non son facilisis propre rôle, mais également le tus. In ut Christophe, tortor ut lorem aliquam in id chanteur qui campe unsollicitudin maire cinéphile

Soustitre

28

désireux de rouvrir le cinéma du village. Un bain de jouvence que Bernard Menez a gaiement partagé avec ces deux anciennes gloires et une troupe de comédiens tout juste sortis du conservatoire ; et qu’il prolonge dans Tonnerre, le premier long métrage de Guillaume Brac, qui le voit pédaler de nouveau, cette fois sur les routes bourguignonnes et en compagnie de Vincent Macaigne, la coqueluche du jeune cinéma français. Père et fils à l’écran, ils vivent ensemble un hiver qui redéfinit leur relation. « Vincent est torturé, un peu chien battu, un peu sauvage. Je le comprends, ça me ressemble pas mal. Et puis j’avais en face de moi l’acteur fétiche mi. Ut volutpatBrac, aliquet id fringilla. Integer de Guillaume c’estmassa ensemble qu’ils ont comcursus velit laoreet pretium. In mencé àpretium faire des choses importantes. Çahac mehabiraptasse platea dictumst. estibulum semJacques ligula. pelle la relation que j’ai pu avoiratavec Quisque enim vel affiche eros sollicitudin Rozier. » vitae Une immense de Mainevenenatis. Océan, le Vestibulum antemétrage ipsum primis in faucibus orci luccinquième long de Rozier, réalisé en 1986, tus et ultrices posuere cubilia Curae; viverra trône d’ailleurs dans l’entrée, juste àMorbi côté de celle ultrices purus vitae sollicitudin. matde Pleure pas la bouche pleine deVestibulum Pascal Thomas, tis, quam quissoutien tincidunt urna tincidunt l’autre grand de suscipit, Bernardelit Menez. sapien, quis facilisis arcu velit sed neque. Etiam Vaguealiquet et nanars eu turpisNouvelle libero. Vestibulum placerat lectus Le vaste appartement, avec libero vue imprenable sur la vitae adipiscing. Maecenas sem, malesuada Eiffel et grand fouetté les vents, atour consequat vel, luctusbalcon non justo. Sed par tincidunt auca des faux Donec airs de lacinia loge devenenatis comédienurna, à l’ancienne. tor mattis. sit amet Bernard Menez, unevel. ferveur touchante, ullamcorper nuncavec ultrices In bibendum, elit un ac brin midinette, a mêmeeros encadré photos de lui sollicitudin venenatis, auguedes dictum justo, at sur la Croisette en compagnie de Penélope de accumsan dui ipsum quis turpis. AeneanCruz, at urna Sharon Stone ouauctor de Claudia Schiffer. au-dessus fermentum sem suscipit in vitaeEtarcu. Etiam dumetus piano nunc, sont encadrées, ut at tinciduntjoyaux dui. de sa collection, deux émouvantes lettres que François In aliquam, turpis sed viverra vehicula, Truffaut eros lacusa écrites à l’acteur femmerisus pourvelit leur eget mariage vestibulum purus,etinà sa tristique torauquel il ne pouvait assister. « François avait vu tor. Maecenas non ligula sit amet nibh varius interdes rushes de erat. Du côté d’Orouët et il vitae a voulu me dum ac vitae Nulla quis lorem lorem rencontrer. Il m’a nec présenté sonSuspendisse projet pendant dix pulvinar faucibus in odio. adipisminutes et ac c’était j’avais le rôleerat de eleifend. l’accescing lectus nulla fait, ultrices ac sodales soiriste dans Laturpis Nuit américaine », s’exclame le Vivamus laoreet sit amet nunc ultrices tincicomédien, l’air de ne toujours pas en revedunt. Loremavec ipsum dolor sit amet, consectetur adinir. L’année 1973 unmolestie début denisi carrière sur piscing elit. Proinmarque interdum sit amet les chapeaux de roue, puisqu’elle le vit rutrum. Suspendisse pulvinar faucibus leotourner ac poravec Jacquesut, Rozier, François et Pascal tet venenatis fermentum sed Truffaut nunc. Integer henThomas, un petittellus rôle dans Grande drerit, leoetatdécrocher porta ultricies, tortorLatincidunt Bouffe de Marcoante Ferreri. mi, eu facilisis sapien vel felis. Sed rhoncus Une danssed. le cinéma populaire lectus at incursion ligula tempus 2500 sans chapo. qui va déterminer la singularité de sa carrière. Car si Tip Top de Serge Bozon Yann Le Quellec et Guillaume Brac sont, à son avec Isabelle Huppert, Sandrine Kiberlain… Distribution : Rezo Films avis, « admiratifs des films de Jacques Rozier et de Durée : 1h46 Sortie le 11 septembre son côté Nouvelle Vague », l’acteur est également

octobre2014 février 2013


© shellac

portr ait

Le Quepa sur la Vilni ! de Yann Le Quellec

« Le côté sportif de l’affaire ne me faisait pas peur. J’ai beaucoup pratiqué le vélo. » très célèbre dans le milieu du « nanar ». Le site Nanarland lui consacre d’ailleurs une page biographique, et à égrener les titres de sa filmographie (La Frisée aux lardons, Le Chaud Lapin, Tendre Dracula…), on réalise que son personnage de gentil étourdi a navigué avec aisance du film d’auteur à la comédie populaire. Dans les années 1980, faisant fi des clivages culturels, Menez a aussi réussi un passage par la télévision via la sitcom drolatique Vivement lundi ! (qui vit débuter Élie Semoun) et, surtout, une conversion inattendue à la chanson de variétés tendance pantalonnade, dont Jolie poupée reste le titre phare. Le disque d’or de 1984 est accroché au salon. Bernard Menez le pointe fièrement du doigt : « C’est vraiment cette chanson qui fait que, aujourd’hui encore, on me tape sur l’épaule dans la rue ! » Tatoune et paella

Confessant qu’il n’a jamais eu de plan de carrière et qu’il lui reste malgré tout quelques regrets (« ne pas avoir tourné avec Claude Sautet ou André Téchiné, les grands de ma génération »), il évoque l’unique fois où, sa timidité vaincue, il est entré dans la loge de Louis de Funès pour lui proposer ses services. « Je savais qu’il s’apprêtait à tourner L’Avare, je lui ai demandé si je pouvais jouer le rôle de La

Flèche, il a dit oui immédiatement ! J’aurais dû faire ça plus souvent… » Électron libre, acceptant les rôles au gré du vent, Bernard Menez a mené une carrière haletante, allant jusqu’à pousser la porte de la Comédie-Française, en 1991. « J’ai même joué Shakespeare avec Tatoune ! » Tatoune, c’est le charmant yorkshire qui suit bien attentivement l’interview, lové contre la cuisse de son maître. En 2005, le metteur en scène Marc Feld vient répéter avec Bernard Menez La Répétition des erreurs, chez lui. Il découvre le chien qu’il décide d’inclure dans le spectacle. « Il avait une petite collerette élisabéthaine, il était très bien. » Depuis peu, Bernard Menez semble être redevenu l’idole d’un jeune cinéma français qui, dans ses façons, rappelle la bande de copains de la Nouvelle Vague. « J’ai fait une paella il y a quelques mois, avec Guillaume Brac, Yann Le Quellec et des gens qui ont participé à leurs films. Vincent Macaigne et Jacques Rozier [86 ans, ndlr] nous ont rejoints plus tard dans la soirée. Vers 1 heure du matin, Christophe m’appelle en me demandant s’il est toujours temps de passer. Il est arrivé, il s’est mis au piano, il nous a chanté Les Paradis perdus, que l’on entend à la fin du film de Yann. » Du haut de sa tour du XVe arrondissement, mais de façon très démocratique, Bernard Menez veille ainsi sur ce petit monde qui voit en lui l’un des derniers phares de l’insouciance fougueuse des seventies. Le Quepa sur la Vilni ! de Yann Le Quellec avec Bernard Menez, Christophe… Distribution : Shellac Durée : 38 minutes Sortie le 12 février

www.troiscouleurs.fr 29


h istoi re s du ci n é ma - œ i l pou r œ i l

Spleen et idéal Ce mois-ci, deux films sud-américains demandent : faut-il faire son âge, dans une société où le temps de la vie en entreprise rythme le passage des générations ? Une même problématique, figurée par deux femmes prises à une période charnière de leur vie. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Il était une fois Verônica de Marcelo Gomes avec Hermila Guedes, W. J. Solha… Distribution : Urban Durée : 1h32 Sortie le 12 février

Gloria de Sebastián Lelio avec Paulina García, Sergio Hernández… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h50 Sortie le 19 février

Gloria, qui donne son nom au film du Chilien Sebastián Lelio, est une célibataire dynamique bientôt sexagénaire. Elle passe ses soirées dans un dancing où elle rencontre des hommes de son âge. Verônica, chez le Brésilien Marcelo Gomes, est moitié moins âgée. Elle termi­ne ses études de psychologie et entre dans la vie active. Deux femmes qui ont tout pour être heureuses, mais qui sont sub­m ergées par une intense mélancolie. Chevilles ouvrières d’un pays émergent

(le Brésil) ou nouvellement industrialisé (le Chili), elles font face à la nouvelle norme libérale du cycle de vie des actifs : travailler sans relâche pendant sa jeunesse et, l’âge venu, vivre une retraite dorée mais sans saveur. Aimantée au visage mystérieux de Gloria, la caméra en épie les traits rieurs pour saisir les nuances mélancoliques qui s’en échappent dans l’intimité. Plus loquace, Verônica illustre son vague à l’âme en se racon­tant en voix off. Les choix musicaux illustrent à merveille ces conflits

30

février 2014

intérieurs : au volant, Gloria chante des ballades romantiques parce que, comme une ado, elle veut croire à un nouvel amour ; dans un club, Verônica se laisse envoûter par un morceau dont les paroles évoquent les peurs de la jeune génération face à l’avenir. Refusant les carcans géné­rationnels, les deux femmes trouvent une échappatoire par le sexe. Gomes et Lelio montrent sans détours les ébats libres et libérateurs de chacune, dernière soupape de survie face à la pression sociale.



h istoi re s du ci n é ma - g e n de r stu di e s

© warner home video

Chaque mois, une étude des enjeux de représentation du genre à l’écran

« Servez-vous des hommes, ne les laissez pas vous utiliser » : en appliquant à la lettre les préceptes de Nietzsche, une fille de rien s’élève en société.

SAISON 3 : LES FILMS DU PRÉ-CODE

2. Liliane Coucher pour réussir : du nouveau sous le soleil de Hollywood avec ce piquant portrait d’une ambitieuse working girl incarnée par la grande Barbara Stanwyck, fille de feu période bitchy. Par Clémentine Gallot

Liliane, plus connu sous le nom trompeur de Baby Face en V.O., s’annonce en 1933 comme l’un des piliers de l’époque bénie d’avant la mise en place du code Hays et de son implacable censure. Prête à tout, Liliane, jeune fille issue d’un milieu populaire et élevée par un père maquereau, se sort du ruisseau à la seule force de son corps et de sa débrouillardise. Barbara Stanwyck, ancienne danseuse légère aux Ziegfeld Follies, puis plus tard actrice star d’Assurance sur la mort de Billy Wilder (1944),

y campe un nouveau modèle de femme émancipée qui vient enrichir le stéréotype de la vamp des années 1920, dont l’érotisme constituait une menace pour la société. L’héroïne séductrice se réapproprie ici son corps, suivant avec malice les préceptes de Nietzsche dictés par un vieux sage au début du film : « Servezvous des hommes, ne les laissez pas vous utiliser. » Malgré un amer retour à la norme dans son final, des plus conventionnels – puritanisme, quand tu nous tiens ! –, Liliane encourage

32

octobre2014 février 2013

ouvertement ascension sociale et sexualité hors des liens du mariage, gageures de ce film, emblématiques des avancées du pré-code, qui s’autorise des audaces que la morale ne tardera pas à réprouver. Liliane d’Alfred E. Green, disponible en DVD (Warner Bros.) Pour aller plus loin : Sin in Soft Focus: Pre-Code Hollywood de Mark A. Vieira ( Harry N. Abrams)

le mois prochain : Female de Michael Curtiz


www.troiscouleurs.fr 33


h istoi re s du ci n é ma

EDEN

French Touch Après Un amour de jeunesse, qui documentait la fin de l’adolescence de la réalisatrice, Eden, le prochain film de Mia Hansen-Løve, s’inspire du parcours de son frère aîné, Sven, DJ et acteur clé de l’émergence des musiques électroniques en France dans les années 1990. Un récit ambitieux qui dresse le portrait d’une jeunesse et d’une époque, des raves clandestines au Queen, des clubs de New York à l’anonymat parisien. Reportage.

© carole bethuel

PAR LAURA TUILLIER

C

hampigny-sur-Marne, par un bel après-midi d’hiver de l’année 1993. Une flopée de kids en salopettes, pantalons Cargo, gilets sans manches, sweats à capuche et Doc Martens, se pressent à l’entrée de l’ancien fort de la ville, qui abrite ce jour-là une rave clandestine. De grandes banderoles annoncent l’événement. Par terre traînent déjà des flyers qui mentionnent une P.A.F. de 50 francs et la présence des DJs Guillaume La Tortue et Marco Bresciani. Voilà pour le décor de la première partie d’Eden, le prochain film de Mia Hansen-Løve, qui retrace l’histoire de la French Touch à travers l’ascension contrariée vers la gloire de Paul. Cette histoire, la réalisatrice la tire comme pour ses précédents films d’une expérience intime, en l’occurence la jeunesse de son frère Sven Løve (il cosigne d’ailleurs le scénario), DJ et organisateur des soirées

34

Cheers dans les années 1990 et 2000. Elle l’a mûrie pendant près de trois ans, comme se souvient Félix de Givry (Paul), dont c’est le premier grand rôle au cinéma : « J’avais énormément répété avec Mia, je connaissais le scénario par cœur. Depuis un an, je ne l’ai plus relu, mais il a infusé en moi. » Dans la cour du fort de Champigny, Mia HansenLøve se faufile entre les figurants, silhouette gracile et discrète, et s’engouffre dans les souterrains de la bâtisse. On lui emboîte le pas. C’est là, sous les voûtes anciennes, que l’on s’apprête à danser jusqu’à la nuit noire. Plan séquence

Bières sans alcool et bâtons lumineux en main, les figurants commencent à se déhancher sur Follow me de Aly-Us, un classique garage sorti sur le label Strictly Rhythm. Les premières notes retentissent, le directeur de la photographie Denis Lenoir fait légèrement panoter sa caméra pour suivre

février 2014


d.r

e n tou rnag e

Félix de Givry et Pauline Étienne

« J’ai un petit rôle marrant, je suis Thomas Bangalter des Daft Punk ! » V. Lacoste

l’arrivée dans la salle de Vincent Lacoste, suivi par sa bande de potes. « Coupez ! » Mia HansenLøve se concerte avec sa première assistante, qui réunit la foule autour d’elle : « Nous sommes dans les années 1990, on ne danse pas les bras en l’air comme maintenant. On est high, on bouge lentement, plutôt en solitaire qu’en groupe. » Les prises s’enchaînent. Au changement de plan, on aborde Vincent Lacoste, qui zone près du bar. « J’ai un petit rôle marrant, je suis Thomas Bangalter des Daft Punk ! » Il incarne l’alter ego victorieux de Paul qui, quant à lui, traversera pas mal de galères, explorées par Mia Hansen-Løve sur une période de vingt ans. Mais, pour le moment, Paul est jeune et plein d’espoir. Deuxième séquence de la rave : il fend la foule, cherche une fille des yeux, ne la trouve pas, assiste au baiser goulu d’un jeune couple sur le dancefloor, s’en retourne comme il est venu. Plan séquence, Denis Lenoir, caméra à l’épaule, le suit de près. Les figurants ont compris le mouvement, il est tard, les gestes des danseurs se font souples et languides. Paul les traverse, les yeux comme aimantés par son futur, par ce qui est sur le point de lui arriver : devenir DJ, connaître la gloire et les filles – en plus de son grand amour, joué par Pauline Étienne, Greta Gerwig, Laura Smet et Golshifteh Farahani croiseront son chemin –, puis l’enfer de la cocaïne et de l’oubli.

2013, Paris par une grise après-midi d’hiver. Les années ont passé, Paul a presque 40 ans. Félix de Givry envoie un texto sur le seuil du lieu de tournage, un atelier d’écriture du Ve arrondissement. À mi-parcours, il fait le point : « Comme on ne tourne pas dans l’ordre, parfois, c’est dur. Aujourd’hui je suis censé être vieux, j’ai trois poils de fausse barbe et c’est tout. Ce sont les sentiments qui doivent changer avec les époques, je trouve ça intéressant, beaucoup plus que les biopics avec prothèse qu’on voit tout le temps depuis dix ans. » Pour son personnage, fini les sets endiablés, fini la drogue, le voilà de retour à Paris et à son premier amour : la littérature. Le décor est exigu ; seuls Mia Hansen-Løve, son assistante, Denis Lenoir et l’ingénieur du son peuvent s’y mouvoir. Dans le moniteur, on voit Paul refuser de lire son texte aux autres participants de l’atelier. Plus tard, à la fin de la séance, une jeune femme l’aborde, et ils font un bout de chemin ensemble. Pendant que l’équipe technique s’affaire à installer un rail de travelling rue Saint-Julien-le-Pauvre, Félix de Givry continue de décrypter Paul et le film en train de se faire : « Ces derniers mois sont sortis un certain nombre de films qui ont pour héros des losers : Frances Ha, Inside Llewyn Davis… J’aime bien que Paul s’inscrive dans cette lignée. » La nuit tombe, Mia Hansen-Løve appelle son acteur pour répéter le mouvement de la séquence : Paul marche au côté d’Estelle, la fille rencontrée à l’atelier, et lui explique ce qu’a été la musique garage. Un travelling bienveillant les observe s’éloigner dans la nuit. Comme toujours chez Mia Hansen-Løve, le renouveau a un doux parfum de nostalgie. Eden de Mia Hansen-Løve avec Félix de Givry, Pauline Étienne… Sortie : prochainement

www.troiscouleurs.fr 35


h istoi re s du ci n é ma

l’anti-bergman

d. r.

Bo Widerberg

Elvira Madigan (1967)

Widerberg se propose de capturer dans des films « expressifs » les conditions de vie véritables des « personnes ordinaires ». 36

février 2014


portr ait

Il traitait Bergman de bourgeois irresponsable, croyait dur comme fer au cinéma comme instrument du changement social et a signé au moins deux chefs-d’œuvre, Elvira Madigan et Ådalen 31. Hors de son pays natal pourtant, la filmographie de ce cinéaste génial, têtu et excentrique reste encore méconnue. Alors que trois de ses films ressortent en salles, portrait de la figure la plus mystérieuse du cinéma suédois. PAR PAMELA PIANEZZA

P

eut-on aimer à la fois Ingmar Bergman et Bo Widerberg ? Vénérer l’un, est-ce trahir l’autre ? Ce cas de conscience, qui longtemps n’a tiraillé qu’un petit groupe de cinéphiles, s’est démocratisé au rythme du travail de diffusion des œuvres de Widerberg par feu le festival du Cinéma nordique de Rouen, par les éditions Malavida, qui ont sorti en DVD quatre de ses meilleurs films, et par le festival Premiers plans d’Angers, qui lui consacrait une rétrospective en janvier dernier. Même Olivier Assayas (dont Après mai cite ouvertement Joe Hill, film de Widerberg sorti en 1971) s’est posé la question, avant de conclure que ce n’était sans doute pas incompatible et qu’il suffisait de ne pas choisir. Mais comment clore le débat, sachant que Widerberg lui-même se présentait comme l’anti-Bergman, et ce dès l’âge de 32 ans ? L’affaire se déroule en 1962. Bergman a déjà quelques trophées (aux Oscars, à Cannes, à Berlin, à Venise) en poche. Widerberg lui, s’il a écumé les festivals de cinéma et exercé son talent de critique dans la presse, vient seulement de terminer son premier court métrage, Le Petit Garçon et le Cerf-volant. C’est donc un quasi inconnu qui, bien qu’il ne soit le cadet de Bergman que de treize ans, s’atta­que ouvertement au maître dans un essai baptisé Visions pour le cinéma suédois (Visionen i svensk film). Le texte détaille les « responsabilités » accompagnant le métier de réalisateur : exprimer des opinions personnelles sur les grands débats qui animent la société, et proposer des pistes pour un changement social. Ce que ne fait certainement pas Bergman dans ses drames conjugaux et familiaux dont Widerberg reconnaît néanmoins la quasi­-perfection formelle. « Widerberg reprochait à Bergman de mettre en scène des caricatures bourgeoises avec lesquelles personne ne pouvait s’identifier, plutôt que de faire un portrait réaliste de la société, résume le journaliste et critique suédois Jan Lumholdt. Il le surnommait le Cheval de Dalécarlie, ce qui équivaudrait en France à un petit moustachu en t-shirt rayé avec une baguette à la main… » Widerberg, au contraire, se propose de capturer dans des films « expressifs » les conditions de vie véritables des « personnes ordinaires », dans un style néoréaliste qui, note-t-il, aura en plus le mérite de réduire les budgets, puisque les

tournages se feront en extérieur et non plus en studio. C’est précisément ce qu’il fera dès l’année suivante, en 1963, avec la sortie de son premier long métrage, Le Péché suédois, portrait d’une jeune mère célibataire plutôt délurée. Cinéma social

Peuplé d’antihéros sans cesse confrontés à des choix moraux, le cinéma de Widerberg se caractérise par une remise en question permanente des classes sociales, de la répartition des richesses et, surtout, par une délégitimation de la violence et de la corruption policière. Ce dernier thème est au cœur de ses deux polars, réalisés dans une veine réaliste sous l’influence avouée de William Friedkin : Un flic sur le toit (1976), adaptation d’un roman des marxistes Maj Sjöwall et Per Wahlöö dans laquelle il met en scène une métaphore de la guerre civile, et L’Homme de Majorque (1984). Mais cela s’exprime plus violemment encore dans son chefd’œuvre Ådalen 31 (Prix spécial du jury à Cannes en 1969), l’histoire (inspirée de faits réels) d’une manifestation de mineurs affamés réprimée dans un bain de sang par l’armée. Même dans le plus lyrique de ses films, Elvira Madigan, le conservatisme de la société suédoise apparaît comme le bourreau empêchant la réunion amoureuse d’un comte et d’une artiste de cirque (Pia Degermark, Prix d’interprétation féminine à Cannes en 1967). Lorsqu’il s’éteint en 1997, à 66 ans, Widerberg a tourné une petite dizaine de films. « Ses nombreux admirateurs et disciples autoproclamés étaient désespérés que celui qu’ils considéraient comme un génie incompris n’ait achevé qu’une partie de l’œuvre immense qu’il avait prévu d’accomplir, se souvient Jan Lumholdt. Mais ils étaient également nombreux à ne plus le supporter et à ne même plus vouloir l’approcher. » Dans son esprit, Bo Widerberg restera cet homme « incroyablement créatif, passionné, joueur, franc et énergique, mais aussi têtu, parfois brutal, provocant et volontiers conflictuel, peut-être un peu paranoïaque, et sans aucun doute bipolaire ». De quoi continuer de nourrir le mythe. Le Péché suédois, Ådalen 31 et Elvira Madigan de Bo Widerberg Distribution : Malavida Sortie le 29 janvier

www.troiscouleurs.fr 37


h istoi re s du ci n é ma

oscars COULISSES D’UNE CÉRÉMONIE

Les Oscars en dates Par Q. G.

1927

L’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, futur organisateur de la cérémonie des Oscars, est créée sous l’impulsion du producteur Louis B. Mayer.

1929

Première cérémonie, présidée par Douglas Fairbanks, le 16 mai, au Hollywood Roosevelt Hotel. Les Ailes de William A. Wellman est sacré meilleur film.

38

1930

L’Oscar de la meilleure actrice, attribuée à Mary Pickford, fait jaser. L’épouse de Douglas Fairbanks est aussi membre fondatrice de l’Académie. Le règlement ne tarde pas à changer.

février 2014

1932

Walt Disney reçoit ses deux premiers Oscars pour Des arbres et des fleurs et pour la création du personnage de Mickey Mouse. Il détient le record absolu avec un total de vingt-deux statuettes.


e n couve rtu re

Difficile de savoir quels noms se trouveront dans les enveloppes qui seront ouvertes le 2 mars prochain. Difficile de savoir pour qui les membres de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences auront voté. Difficile même de savoir qui vote. Il est en revanche très facile de savoir qui foule le tapis rouge. Entre surmédiatisation de sa cérémonie et discrétion de ses organisateurs, radiographie de la surboum du cinéma. Par Juliette Reitzer, Étienne Rouillon et Laura Tuillier

L

’Academy of Motion Picture Arts and Sciences (l’Académie des arts et des sciences du cinéma) n’a pas été créée pour organiser une surprise-partie sur tapis rouge. Au départ, il s’agit surtout d’apaiser les conflits sociaux qui tendent les relations entre les différents métiers du cinéma : se réunir, poser des bases communes concernant la manière de financer, de réaliser et de commercialiser les films, limiter les coups bas et les mouvemements de protestation de telle ou telle profession. L’idée vient de Louis B. Mayer, au cours d’un dîner entre gens du métier, au tout début de l’année 1927. Le patron de la Metro-GoldwinMayer, qu’il a créée en 1924, veut monter une structure dont le but serait de mettre de l’huile dans les rouages de l’industrie cinématographique. Rendez-vous est pris pour un deuxième dîner la semaine suivante. On y invitera d’autres personnes influentes. Le 11 janvier 1927, le réalisateur Cecil B. DeMille et l’acteur Douglas Fairbanks prennent, en même temps que trente-quatre autres convives, la direction de l’Ambassador Hotel de Los Angeles.

1934

Shirley Temple, 6 ans, se voit décerner le premier Oscar de la jeunesse (aujourd’hui disparu), devenant ainsi la plus jeune personne récompensée.

1936

Avec Imprudente Jeunesse, la Metro-Goldwyn-Mayer est la première compagnie à mener une campagne publicitaire en vue d’une sélection aux Oscars. Sans succès.

On leur présente les grandes lignes du projet. Tout le monde est partant, et, dès la mi-mars, Douglas Fairbanks est nommé président. Un banquet est organisé, le 11 mai 1927, pour célébrer la naissance officielle de l’Académie. Elle ouvre des bureaux sur Hollywood Boulevard et développe ses activités à la fin des années 1920 et durant la décennie 1930 : publication de rapports sur l’industrie du cinéma, organisation de séminaires, formation de soldats à la réalisation, prises de position lobbyistes, création d’annuaires, comités d’experts techniques, constitution d’une médiathèque… Mais c’est en 1928 que l’initiative la plus populaire de l’Académie se dessine. Une commission propose à la direction de décerner un prix annuel dans douze catégories. La première cérémonie a lieu en présence de 270 person­nes, le 16 mai 1929, au Hollywood Roosevelt Hotel. C’est un banquet. Les têtes se penchent pour voir les lauréats tenir leur petit homme d’acier dans les mains. À ce jour, 2 809 statuettes ont été distribuées. La formule de la soirée a certes changé, mais la cérémonie s’est tenue tous les ans.

1936

Dudley Nichols, Oscar de la meilleure adaptation avec Le Mouchard, refuse de recevoir sa récompense pour soutenir le syndicat américain des scénaristes dans son conflit contre l’Académie.

www.troiscouleurs.fr 39

1940

Hattie McDaniel obtient l’Oscar du meilleur second rôle féminin pour Autant en emporte le vent, devenant ainsi la première personne noire récompensée.


h istoi re s du ci n é ma

On ne s’échinera pas à tenter de pronostiquer le palmarès des Oscars 2014, dont la cérémonie aura lieu le 2 mars prochain au Dolby Theatre, sur ce même Hollywood Boulevard, à Los Angeles. Disons seulement que Gravity, nominé dans dix des vingt-quatre catégories que compte désormais la compétition (comme American Bluff ), est partout annoncé comme le grand favori pour la très convoitée statuette du meilleur film. Pour se retrouver là, Gravity a dû répondre à plusieurs critères, comme les dix-huit autres longs métrages rassemblés dans cette grand-messe du cinéma (sans compter ceux de la catégorie du meilleur film étranger). Rigoureusement listés, les critères d’éligibilité sont consultables sur le site officiel des Oscars. D’abord, durer plus de quarante minutes. Ensuite, avoir été projeté dans au moins un cinéma commercial du comté de Los Angeles pendant une durée minimale de sept jours consécutifs, et ce entre le 1er janvier et le 31 décembre de l’année écoulée. L’étape suivante, pour les films éligibles, c’est donc de figurer sur la short list des nominés. C’est là qu’entrent en scène les plus de six mille membres de l’Académie : à bulletin secret, ils votent une première fois pour sélectionner les nominés (pour chaque catégorie) puis une seconde fois pour élire les gagnants. Mais qui sont ces fameux électeurs, issus des différents métiers du cinéma (acteurs, réalisateurs, chefs opérateurs, costumiers, monteurs, etc.) ? DANS LE SECRET DE L’ISOLOIR

Ce sont principalement des hommes blancs et âgés, ont répondu en février 2012 deux journalistes du quotidien Los Angeles Times, John Horn et Nicole Sperling, dans un article titré « Oscar voters overwhelmingly white, male ». Nicole Sperling travaille aujourd’hui pour le magazine Entertainment Weekly. Elle nous explique : « L’idée de l’enquête est née du fait que l’Académie restait très secrète sur ses membres. Elle ne partage ses listes avec personne, pas même avec les studios, qui doivent se débrouiller seuls pour envoyer dates de projection et autres emails aux membres. Au total, nous avons passé huit mois à enquêter. Une équipe de quinze personnes travaillait à recouper les informations, en cherchant sur Internet, en passant

des coups de fil et en allant sur le terrain. Nous avons découvert que l’Académie était encore plus vieille, plus blanche et plus masculine que ce que nous pensions. » Au moment de l’enquête, l’Académie compte 5 765 membres votants. Ils sont blancs à près de 94 %, 77 % sont des hommes, et leur âge médian est de 62 printemps. Les Noirs, comme les Hispaniques, sont environ 2 %. Les moins de 50 ans constituent seulement 14 % du groupe. L’enquête de Horn et Sperling, largement relayée outre-Atlantique, sert aujourd’hui de seule base statistique sur le sujet. Pour quels effets ? Deux ans plus tard, il semble que l’Académie ait décidé de s’ouvrir à davantage de diversité, en témoigne l’élection de Cheryl Boone Isaacs comme présidente de l’organisation, en juillet dernier, pour un mandat d’un an renouvelable. Cette ancienne cadre de la Paramount, aujourd’hui à la tête de CBI Enterprises, est la première personne afro-­américaine à occuper ce poste, et la troisième

Les Oscars en dates 1943

Greer Garson, récompensée pour son rôle dans Madame Miniver, prononce le discours le plus long jamais déclamé par un lauréat – presque six minutes.

1948

Les studios américains arrêtent temporairement de financer la cérémonie, en réponse aux rumeurs les accusant d’essayer d’influencer le choix des votants.

40

1953

Première télédiffusion de la cérémonie – et audience record à la clé – en direct du RKO Pantages Theatre de Hollywood et du NBC International Theatre de New York.

octobre2014 février 2013

1972

Jugé trop violent, Orange Mécanique fait chou blanc, tandis que French Connection triomphe avec cinq Oscars dont ceux du meilleur film, du meilleur scénario et du meilleur acteur.


©hulton archive / getty images

e n couve rtu re

Premier rassemblement officiel de l’Academy of Motion Pictures Arts and Sciences, le 11 mai 1927 au Biltmore Hotel, à Los Angeles

Les membres de l’Académie sont principalement des hommes (77 %) blancs (94 %) et âgés (leur âge médian est de 62 printemps). femme, après Bette Davis (en 1941 – elle avait démissionné au bout de deux mois) et Fay Kanin (de 1979 à 1983). « Je ne peux pas affirmer que notre enquête ait joué un rôle dans l’élection de Cheryl Boone Isaacs, qui était un membre actif de l’Académie depuis des années, poursuit Nicole Sperling. Par contre, je pense que c’est un pas dans la bonne direction pour les membres qui trouvent important que l’organisation reflète la société dans laquelle ils vivent. » En 2013, 276 personnes ont été invitées à devenir membres – parmi elles, les Françaises Julie Delpy ou Agnès Varda. La liste, consultable en ligne, est assurément plus fournie

1973

Sacré meilleur acteur pour son rôle dans Le Parrain, Marlon Brando refuse la récompense et envoie une militante indienne lire un texte de soutien aux assiégés de Wounded Knee.

1978

L’actrice et militante pro-palestinienne Vanessa Redgrave reçoit l’Oscar du meilleur second rôle. Son discours dénonçant les agissements du rabin Kahane provoque une controverse.

et plus ouverte à la diversité que les années précédentes. Reste que chaque membre vote pour des intérêts qui lui sont propres, comme dans n’importe quelle organisation au sein de laquelle des professionnels récompensent leurs pairs. Jonathan Taplin est membre de l’Académie. Il dirige un laboratoire d’études à l’université de Californie du Sud. L’Annenberg Innovation Lab a développé un système d’analyse de tweets, l’Oscar Senti-meter, utilisé pour disséquer l’opinion publique pendant toute la campagne des Oscars 2012. Taplin estime que « l’avis du public ne semble avoir aucun effet sur ce collège d’électeurs.

1982

Avec La Maison du lac, Katharine Hepburn remporte l’Oscar de la meilleure actrice pour la quatrième fois, devenant ainsi l’actrice la plus titrée.

www.troiscouleurs.fr 41

1992

L’acteur Billy Cristal ouvre la cérémonie affublé du masque de Hannibal Lecter. Le Silence des agneaux est le premier thriller horrifique à recevoir l’Oscar du meilleur film.


h istoi re du ci n é ma

Qu’est ce que la Black List ? Avant d’être un scénario oscarisable, le script d’American Bluff figurait en bonne place dans l’un des classements les plus courus de Hollywood : la « Black List ». Aux antipodes de son homonyme du temps du maccarthysme, cette liste noire désigne un site très prisé des scénaristes en mal de reconnaissance et des producteurs en quête de bonnes histoires.

© michael caulfield / wireimage

Par Julien Dupuy

T

Harrison Ford remet l’Oscar du meilleur scénario original à Diablo Cody pour Juno, le 24 février 2008

out a commencé par le sentiment de rasle-bol d’un cadre de l’industrie du cinéma, ulcéré par l’inertie de la hiérarchie hollywoodienne, qui impose aux scénarios de passer par le filtre d’un agent, puis de traverser les innombrables strates de cabinets de lecture des studios, avant d’espérer atteindre un décideur capable de concrétiser ces pages en film. En 2004, pour contrecarrer l’inefficacité de ce système, ce producteur invite anonymement soixante-quinze de ses confrères à lui citer les meilleurs scénarios non produits qu’ils ont lus ces douze derniers mois. La première Black List est née : il s’agit alors d’un simple document PDF, un classement envoyé par courriel répertoriant les scénarios et fournissant leur pitch et les coordonnées de leurs auteurs. Contre toute attente, la liste s’échange dans tout Hollywood à la vitesse de l’éclair et attire l’attention des agents et des producteurs qui piochent sans vergogne dans ce vivier de perles passées à travers les mailles trop larges de leur filet. Au fil des ans, l’initiative isolée se transforme en institution : sept des douze derniers Oscars du meilleur scénario figuraient sur la Black List, et notamment Juno et Le Discours d’un roi. Devenue un site Internet depuis trois ans, la Black List compte deux cent cinquante votants et est partenaire du festival de Sundance et de la Writers Guild of America, le syndicat des scénaristes.

42

Plus d’un millier de membres payants (ils leur en coûtent une vingtaine d’euros chaque mois) ont soumis leurs scénarios aux lecteurs du site. Quant à son créateur, il se voit contraint de sortir de l’anonymat en 2009 : il s’agit de Franklin Leonard, un ancien de Universal qui travaillait dans la société de production de Leonardo DiCaprio lorsqu’il eut cette fabuleuse idée qui accapare aujourd’hui la majeure partie de son temps. Chaque année, à la mi-décembre, la profession guette la publication de la nouvelle Black List. Leonard a transformé son site en « Google des scénarios ». Grâce à un algorithme, l’utilisateur peut désormais chercher dans cette base de données le script qui correspondra le mieux à ses envies et à ses besoins. Rançon de la gloire, la Black List est copiée (la « Blood List », dédiée aux films de genre ; la « Brit List », pour les scénarios de langue anglaise non américains) et décriée. Ses détracteurs l’accusent de monétiser le désespoir des scénaristes ou de permettre à des agents calculateurs d’instrumentaliser son mode de sélection à leur profit. Mais personne ne peut nier qu’en dehors de prodiguer ses services pour des sommes raisonnables, la Black List a l’immense avantage d’avoir replacé au cœur du processus de création d’un film son intrigue. Quelle agence ou grand studio peut en dire autant ? http://www.blcklst.com/

octobre2014 février 2013


e n couve rtu re

ENVELOPPES ET STATUETTES

En 1928, l’Académie planche sur le projet d’une cérémonie annuelle, et la discussion tourne vite autour de l’idée d’un trophée. Le chef décorateur Cedric Gibbons dessine alors un chevalier, debout sur une bobine de film, tenant dans ses mains une épée de croisé. On envoie le croquis au sculpteur George Stanley qui façonne la statuette. En britannium plaqué or, elle fait trentequatre centimètres de haut et pèse plus de trois kilos. Les origines de son petit nom, Oscar, sont floues. La

légende veut qu’un membre de l’Académie ait trouvé une ressemblance avec son oncle, qui s’appelait ainsi. La première année, en 1929, les lauréats étaient connus trois mois à l’avance. Pour ménager le suspense, on décide l’année suivante de garder les résultats secrets jusqu’à la cérémonie. Toutefois, les journaux reçoivent le palmarès à l’avance, sous embargo. La règle est rompue en 1940 par le Los Angeles Times qui publie les noms avant la fête. En 1941, l’Académie adopte donc le système, toujours en vigueur aujourd’hui, des enveloppes scellées. É. R.

« En 2010, Avatar n’a pas remporté l’Oscar ; l’Académie n’a pas suivi l’engouement populaire. » J. taplin

Il n’y a aucune garantie que le sentiment de la foule se traduise dans les récompenses. En revanche, après les cérémonies, les films primés sont davantage soutenus par le public. Il y a un phénomène de masse, beaucoup de gens prennent le train en marche. » Taplin a commencé sa carrière comme organisateur de tournée pour Bob Dylan, avant de devenir producteur de films, dont plusieurs présentés à Cannes, comme Mean Streets de Martin Scorsese. « Les films susceptibles d’être primés dans un festival comme Cannes sont jugés sur leur mérite artistique davantage que sur leur capacité à soulever l’enthousiasme des foules. Cette année, par exemple, le film des frères Coen, Inside Llewyn Davis, a été bien reçu à Cannes, mais il n’a pas été retenu par l’Académie. Toutefois l’inverse se vérifie aussi : en 2010, Avatar n’a pas remporté l’Oscar du meilleur film ; l’Académie n’a pas suivi le gigantesque engouement populaire pour ce film. » LE GODFATHER DE LA CARTE DE VŒUX

Cette année-là, c’est le titre Démineurs qui se trouve dans l’enveloppe que tous les regards convoitent. « Avant que je propose mes services, l’Académie se contentait de simples enveloppes sans charme. Je me suis dit qu’il fallait que cet objet très symbolique devienne, comme la statuette,

une icône. » Sous le titre fleuri de « communication couturier », l’autoproclamé « godfather of invitation » Marc Friedland officie depuis vingt-sept ans à Los Angeles. Il confectionne des cartes de vœux. Ses clients sont des stars (Steven Spielberg, John Travolta…). Depuis maintenant quatre ans, il est chargé de fabriquer les enveloppes et les cartes sur lesquelles sont inscrits les noms des gagnants de la cérémonie des Oscars. Une fois les nominés dévoilés, celles-ci sont fabriquées à la main dans un atelier où travaille une dizaine de personnes. Mais même là-bas, nul n’a connaissance de l’identité des gagnants : « Nous créons un carton au nom de chaque nominé, en trois exemplaires. Puis nous apportons le tout à l’Académie dans une mallette. On se croirait dans Mission Impossible. Ce sont eux qui détruisent les cartons des perdants. » Marc Friedland nous tend l’enveloppe dorée qu’il a conçue. Les reflets laissent apparaître des petites statuettes. En décollant le sceau rouge qui la retient fermée, on découvre un bristol épais sur lequel apparaît le nom du gagnant. « L’enveloppe et le carton restent les mêmes d’année en année, de façon à instaurer une tradition. Il fallait quelque chose de solide, de très beau, un papier qui prenne bien la lumière et s’accorde avec l’élégance des gens qui l’ont en main ce soir-là. »

Les Oscars en dates 1994

Le compositeur John Williams reçoit son cinquième Oscar pour la musique de La Liste de Shindler, après Un violon sur le toit, E. T., le deuxième Star Wars et Les Dents de la mer.

1999

Un hommage est rendu à Elia Kazan. Une partie du public refuse d’applaudir le cinéaste qui avait dénoncé des acteurs accusés de sympathies communistes pendant le maccarthysme.

2000

Cinquante-cinq statuettes sont volées pendant leur transport. Cinquante-deux sont retrouvées quelques jours avant la cérémonie dans une benne à ordures. Les trois dernières n’ont jamais refait surface.

www.troiscouleurs.fr 43

2003

Michael Moore reçoit l’Oscar du meilleur documentaire et prononce un discours qui critique l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Une partie du public le siffle.


h istoi re s du ci n é ma

SUR LA ROUTE DES OSCARS Claire Babany, chargée de production aux Films du Poisson, raconte le parcours de The Gatekeepers, en compétition aux Oscars 2013 dans la catégorie du meilleur film documentaire : « À l’été 2012, Sony Pictures Classics achète les droits du film pour le territoire américain. Ils font une bande-annonce très accrocheuse et envoient le film dans des festivals qui sont connus pour être des Oscars boosters, tels que Telluride, Toronto, New York et Sundance. The Gatekeepers est assez américain dans sa mise en scène, avec des effets spéciaux, beaucoup d’interviews. Le film

sort ensuite en salles aux États-Unis et marche bien. Les journalistes le voient, il suscite le débat et commence à être cité dans les tops 10 de l’année 2012. La rumeur que le film a sa chance en compétition commence à se répandre… Pour nous, les retombées ont été positives. La productrice, Estelle Fialon, a ainsi été choisie pour faire partie de la commission de sélection du film français * aux Oscars 2014, qui s’est réunie à l’automne. » L. T.

©marc friedland couture communications

* Réunie au CNC, cette commission choisit le film représentant la France aux Oscars. Ses membres sont en partie désignés par la ministre de la Culture et de la Communication.

Dans l’atelier de Marc Friedland, on fabrique les enveloppes en vue de la cérémonie

Le 2 mars prochain, le tapis rouge verra défiler les plus grandes stars du cinéma mondial. Une arène rêvée pour les marques. Car, au-delà des quelques 3 332 privilégiés assis dans le théâtre, le public est chaque année au rendez-vous, confortablement installé dans son salon. Retransmise en direct sur la chaîne ABC depuis 1976, la cérémonie a rassemblé l’an dernier 40,4 millions de téléspectateurs, d’après l’institut de mesure d’audience Nielsen. Conséquence directe, les prix des pages de pub s’envolent : selon le magazine spécialisé Advertising Age, il fallait en 2013 débourser entre 1,65 et 1,8 millions de dollars pour diffuser un spot de trente secondes pendant le programme. « La cérémonie des Oscars, c’est le Super Bowl des événements sur tapis rouge », nous confirme Susan J. Ashbrook. Cette experte en relations presse et en marketing s’est spécialisée dans les liens entre les marques et les stars, travaillant notamment pour Ralph Lauren ou Lanvin. Elle a publié un véritable précis du placement de produit sur tapis rouge, Will Work for Shoes (Greenleaf Book Group). Elle nous

explique : « Il faut établir une relation avec la célébrité que vous voulez approcher, et ça peut prendre du temps. Lui écrire un bref courrier pour lui expliquer pourquoi votre produit est spécial et pourquoi vous la contactez. Est-ce que vous lui offrez le produit ? Est-ce que vous le lui prêtez ? Va-t-elle être payée pour en parler sur Twitter ? Une fois que Jennifer Lawrence et son styliste ont choisi la robe qu’elle portera pour la cérémonie des Oscars, ils commencent à se mettre en chasse de bijoux assortis. Si vous êtes une grande marque de joaillerie, c’est là que vous lui envoyez des photos de votre modèle le plus cher. » La cérémonie terminée, les effets de l’après-Oscars se font sentir. Phil Contrino est le vice-président et analyste en chef de boxoffice.com, un site qui suit l’actualité du business du cinéma. Il nous répond : « Financer une campagne pour les Oscars peut parfois coûter plusieurs millions de dollars. Mais cela vaut le coup, car les retours en termes de recettes peuvent être énormes, que ce soit dans les salles de cinéma ou sur les plateformes de vidéo à la demande. Avant même les résultats, le simple fait d’être sélectionné peut donner une seconde vie en salles à un film ; cette année, on peut citer 12 Years a Slave ou Gravity. On peut surtout prendre l’exemple de The Artist [Oscars 2012 du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur, ndlr]. Sans la visibilité apportée par les Oscars, jamais un film (quasi) muet n’aurait pu générer 133 millions de dollars à travers le monde. » Le dîner de Louis B. Mayer a bien respecté son objectif de départ : faciliter le rayonnement de l’industrie cinématographique.

Les Oscars en dates 2004

Le Seigneur des anneaux : le Retour du roi de Peter Jackson remporte onze statuettes, égalant le record détenu par Ben-Hur en 1960 et Titanic en 1998.

2008

Avec La Môme d’Olivier Dahan, Marion Cotillard est la première de nos compatriotes à obtenir l’Oscar de la meilleure actrice pour un rôle dans un film en langue française.

44

2012

The Artist est le premier film français à recevoir l’Oscar du meilleur film – et seulement le deuxième film muet à décrocher cette récompense après Les Ailes, en 1929.

octobre2014 février 2013

2013

Dans la catégorie meilleur actrice, Quvenzhané Wallis est la plus jeune nominée de l’histoire, face à Emmanuelle Riva qui est, elle, la plus âgée. C’est finalement Jennifer Lawrence qui se verra remettre la statuette.



h istoi re s du ci n é ma

épisode 6

© collection christophel

La robinsonnade apocalyptique

Le Monde, la Chair et le Diable de Ranald MacDougall (1959)

Autour de lui, le silence est assourdissant. Où sont-ils tous passés ? Est-ce parce qu’il est tôt ? Vont-ils finir par se réveiller ?

46

février 2014


nouveau g e n re

Film noir, mélodrame, road movie… mais encore ? Derrière les dénominations officielles retenues par les encyclopédies, nous partons chaque mois à la recherche d’un genre inconnu de l’histoire du cinéma. Ce mois-ci : la robinsonnade apocalyptique.

© collection christophel

Par Jérôme Momcilovic

Je suis une légende de Francis Lawrence (2007)

C

’est un jour comme les autres. Il est tôt. Comme tous les matins, l’homme arpente les rues où glissent, poussées par un vent léger, les pages de journaux. Autour de lui, le silence est assourdis­sant. Où sont-ils tous passés ? Est-ce parce qu’il est tôt ? Vont-ils finir par se réveiller ? Remplir enfin la ville, si nue sans eux que, dans la lumière matinale, elle a quelque chose d’un peu obscène ? Ils ne se lèveront pas : ils ont tous disparu. Le marcheur est le dernier des hommes. Au début, il criait : « hello ! » dans les rues vides, comme pour les peupler de l’écho de sa voix (Le Monde, la Chair et le Diable, Ranald MacDougall, 1959). Puis il a fini par entendre sonner, partout, des cabines téléphoniques réveillées par la force désespérée de son imagination (Le Survivant, Boris Sagal, 1971). Il a sorti de leurs vitrines des mannequins de plastique auxquels il donne des rendez-vous (Je suis une légende, Francis Lawrence, 2007, adapté comme le précédent du livre de Richard Matheson I am Legend). C’est l’ultime Robinson : l’humanité n’a pas été seulement repoussée loin de son monde ; elle s’est évanouie, tout entière. Il est son dernier vestige, sa légende. Il est « condamné à vivre »,

comme le dit le Robinson scientifique du Dernier Survivant (Geoff Murphy, 1985). « Que va-t-il arriver dans le monde insulaire sans autrui ? », demandait Deleuze, relisant Fournier. Sans autrui, c’est le monde lui-même qui disparaît, privé de structure. Le cinéma postapocalyptique a exploré plus que tout autre genre cette effroyable hypothèse. Mais les films finissent, tôt ou tard, par tricher. Autrui revient toujours : soit pour révéler à l’homme-vestige que face aux monstres, c’est lui désormais qui est l’Autre, puisqu’il n’a plus de reflet (Je suis une légende) ; soit pour rappeler que la structure est toujours sociale, et que, face à la femme blanche, le Noir ne cesse pas d’être l’Autre, même s’ils sont seuls au monde (Le Monde, la Chair et le Diable) – ou alors, il faudrait que l’homme ait vraiment souhaité être enfin seul, et que l’apocalypse soit venue réaliser son fantasme. Dans Question de temps, l’un des plus beaux épisodes de la série télévisée La Quatrième dimension, elle vient exaucer le vœu secret d’un bibliophile : seul au monde, il va enfin pouvoir lire tout son soûl. Mais le monde sans autrui n’est pas sans cruauté : un faux mouvement fait tomber les lunettes du rat de bibliothèque, le condamnant à errer à jamais seul, parmi ses rêves de livres et d’opticiens.

www.troiscouleurs.fr 47


h istoi re s du ci n é ma

Mike Hodges, réalisateur

La dure loi du milieu Le réalisateur Mike Hodges est connu pour La Loi du milieu (1971), film noir british et culte, avec Michael Caine en super gangster macho. En novembre dernier, le festival d’Amiens lui rendait hommage, éclairant une œuvre en réalité vouée à déconstruire le mâle à l’écran et à ramener les héros sur terre. Rencontre.

© collection christophel

Par Léo Soesanto

Sur le tournage de La Loi du milieu (1971)

uarante ans après, Mike Hodges, 81 ans, est toujours intarissable lorsqu’il faut évoquer La Loi du milieu. Comme tout film culte, sa réputation a grandi au fil des années – à sa sortie, Get Carter (en V.O.) fit un nombre d’entrées correct, mais les critiques d’alors avaient l’air de se pincer le nez, insistant principalement sur son côté sordide. C’est surtout à la fin des années 1990 que la « culture lad » en Angleterre, celle des fans de foot, de Guy Ritchie et de magazines masculins comme Loaded, en fit l’un de ses emblèmes. Michael Caine alias Jack Carter, au sommet du cool dans son costume trois pièces, prend d’assaut Newcastle pour venger la mort de son frère : de quoi impressionner les hommes, les « vrais », et un Guy Ritchie qui cherchera à dupliquer le charisme ouvrier sous la cravate de Caine dans sa propre filmo – un peu en vain. Avant de devenir trésor national, La Loi du milieu fut, pour Hodges, son premier long métrage, un cadeau non prémédité pour un technicien passé par la télé. Michael Caine lui était pour ainsi dire « imposé » dès le départ. « C’était comme un rêve de voir une telle star bouger à travers l’objectif et accepter de jouer un salaud. »

48

Au-delà de l’acteur enfilant les scènes d’anthologie (faire jouir deux femmes au téléphone, pétrifier son monde d’un regard, casser du voyou…), l’aspect le plus mémorable du film est sa facture documentaire, Hodges parvenant à saisir un Newcastle décrépit comme un personnage à part entière. « Comme les acteurs qui s’enracinent dans leur personnage, j’aime m’ancrer dans un contexte que je sais réel. J’ai fait beaucoup de recherches sur les faits divers locaux qui ont nourri le récit. En général, un réalisateur demande qu’on lui apporte des figurants, mais moi je les choisis moi-même. Les clients dans les pubs, les fêtards, cette fanfare un peu pathétique, ces lieux étranges comme ce restaurant en construction… ce sont des ajouts personnels au scénario qui me permettaient d’expérimenter au-delà du thriller. » Une solitude existentielle étreint aussi Carter, tandis que le recul de Hodges sur son antihéros empêche de l’applaudir à tout rompre. Le film le regarde comme un pro au travail, pas si éloigné des truands glacés et racés d’un Jean-Pierre Melville dont Hodges admire Le Samouraï et Bob le flambeur. La seconde collaboration Hodges/Caine sera Retraite mortelle (1972), plus léger en surface, mais rongé par un même fatalisme. « Le film est truffé

février 2014


© mylène kokel

pôle e m ploi

> CV 1932

Naissance de Mike Hodges à Bristol.

1971

Sortie de La Loi du milieu. La fameuse critique Pauline Kael en vante « l’élégance métallique » et « le vice virtuose ».

1998

© collection christophel

Sortie de Croupier. Clive Owen y incarne un écrivain en mal d’inspiration qui accepte un poste de croupier dans un casino.

2010

Hodges publie son premier roman, Watching the Wheels Come Off, un polar teinté d’humour noir. Clive Owen dans Croupier (1998)

« Vos images me font comprendre ce qu’est une image. » T. Malick

de coïncidences, et les personnages s’y demandent jusqu’où pousser sa chance quand le sort vous sourit. Ma réponse est : “Pas d’explication, pas de psychologie, il faut y aller.” » Mauvaise et bonne fortunes encore, lorsque Hodges dirige deux autres spécimens de mâles cinégéniques : Mickey Rourke en ancien de l’I.R.A. dans L’Irlandais (1987), sur lequel il perdra le final cut ; et Clive Owen, qu’il révèle dans l’excel­lent Croupier (1998). « Clive est plus doux que Caine dans la vie ; Caine est aussi dur en vrai qu’à l’écran. » Cela n’empêche pas Hodges de recruter Owen en truand minéral pour son dernier film à ce jour, Seule la mort peut m’arrêter (2003), superbe mais injustement méconnu. Une réponse au culte dont fait l’objet La Loi du milieu ? « C’était une manière d’interroger la façon dont Jack Carter est adulé sans distance. Si l’argument de départ est le même – venger un frère disparu (Jonathan Rhys-Meyers) –, la lecture que j’en donne est plus mature, plus atmosphérique. » Et aussi plus abstraite et provocatrice, puisque le personnage de Rhys-Meyers s’y suicide après avoir été violé. « Le viol masculin est plus courant qu’on ne le pense, mais reste tabou par sa façon d’anéantir la masculinité. C’était l’aspect le plus intrigant du script. »

Entretemps, Hodges a connu une carrière en dents de scie : neuf films, quelques téléfilms et un échec retentissant à Hollywood, The Terminal Man (1974), un étrange Frankenstein moderne sous couvert de thriller médical. « J’ai toujours été à l’écart de tout, de l’industrie anglaise du cinéma, des fêtes où il faut aller pour se faire voir. » C’est sur le conseil de son fils qu’il met en scène la fantaisie la plus éloignée qui soit de La Loi du milieu, le kitschissime Flash Gordon (1980) : « C’est comme un soufflé, avec ce que cela suppose de légèreté. Curieusement, j’aime bien le résultat, alors que je n’avais pas vraiment voix au chapitre. Le producteur Dino De Laurentis était le vrai patron et mon job était plutôt d’empêcher que le film soit totalement camp. » De l’ancrer encore et toujours dans un semblant de réalité. Une rafraîchissante absence d’ego, qui explique peut-être l’admiration que lui vouaient deux cinéastes fous de contrôle : Terrence Malick d’abord, fan de The Terminal Man. « Alors que je considérais ce film comme un échec, il m’avait envoyé cette belle lettre disant : “Vos images me font comprendre ce qu’est une image.” » ; et puis Stanley Kubrick. « Il ne m’a jamais expliqué pourquoi il aimait mes films, mais c’est lui qui m’a recommandé auprès de Fellini pour que je supervise la version anglaise de Et vogue le navire. On se téléphonait souvent. Je lui disais : “Tu ne veux pas venir dîner avec moi à Londres ?” Il répondait : “Tu ne vas quand même pas croire la réputation de reclus qu’ils me font dans les journaux, si ?” Bien sûr, nous n’avons jamais dîné ensemble. »

www.troiscouleurs.fr 49


h istoi s du cicroisé n é ma s - portr ait h istoi re du ci n é mare - mots

INTERVIEW

Titre The Grand Budapest Hotel

© 20th century fox

WES ANDERSON

Synthèse de son savoir-faire d’artisan conteur, The Grand Budapest Hotel est le très riche huitième film du réalisateur américain. La grandeur et la décadence d’un hôtel de luxe dont les occupants traversent la tumultueuse période de l’entredeux-guerres. Nous rencontrons Wes Anderson dans son bureau parisien du vie arrondissement, caché dans un bel immeuble truffé de couloirs et d’entresols. Avant de commencer l’entretien, nous faisons les habituelles présentations en tendant le Trois Couleurs de janvier. Il tourne les pages et s’arrête sur une publicité pour le film de Lars von Trier. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE ROUILLON

A

h tiens, vous avez vu Nympho­ maniac ? Je suis allé hier voir la première partie. C’est bien. Assez extraordinaire même. J’y trouve des similitudes avec mon film. Dans la forme. Dans les deux cas, on est en présence d’un personnage qui en rencontre un autre et qui se met à lui raconter sa vie. Ce déroulé devient l’histoire du film. J’associe ça à des méthodes de narration littéraire que l’on peut trouver dans certains romans du xixe siècle.

l’impression d’être véritablement en présence des gens à l’écran. Les scènes de ses documentaires sont bien plus vivantes que chez les autres. J’aime le rythme qu’il instaure, avec ces séquences très incarnées, et des moments de pause où l’on voit des détails lointains de la vie du campus, pour ensuite retrouver une séquence très forte. Ces variations font que vous restez cloué à votre fauteuil pendant toute la symphonie.

Vos films ont beau être des contes à la limite du fantastique, ils empruntent souvent des éléments du langage documentaire : images d’arLa semaine dernière, on vous a aussi croisé chives, interview face caméra… Pourquoi ? à la projection du dernier documentaire de Parfois, j’utilise des principes formels du docu­ Frederick Wiseman, At Berkeley, qui sortira mentaire pour présenter une information d’une Lorem ipsum dolorBudapest sit amet,Hotel. consectetur adipiscing elit. UtComme eu urna le même jour que The Grand manière très directe et très claire. la une d’un arcu, non congue tellus. Quisque journal, nec sapien quis tincidunt Qu’en avez-vous pensé ? avec des motsnulla en gros sur l’écran. Ce peut vestibulum.très Fusce ullamcorper eget C’est un documentaire intéressant. Il dure khkhcwxhhwxfacilisis être aussi des outils visuels,felis comme des équations sollicitudin. Nam sed purus nisl. mathématiques Ut pharetra que commodo ju. 250 quatre heures et pourtant j’aurais pu rester vous mettez dans le cadre pour xxxxxxxx | illustration par stéphane assis facile deux heures de plus,parparce qu’on a souligner cemanel que dit le personnage. Ces insertions

50

octobre2014 février 2013


e ntreti h istoi re du ci n é ma - motse ncroisé s - portr ait

Vehicula tincidunt. Mauris quis elementum elit. Aliquam nisi metus." quis elementum elit. Mrem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. sed vitae faucibus ante? Nam id lacus et nisl ullamcorper accumsan. Donec porttitor ornare sem at ullamcorper. Fusce velit justo, auctor vel faucibus in, lobortis eu sapien. Sed rutrum, leo sed tristique viverra, augue sapien gravida ligula, in gravida quam diam non sapien. Nullam sit amet rutrum magna. Integer vel libero massa, ut laoreet eros. Quisque vel arcu sapien. Curabitur eget neque orci. Praesent est sapien, pharetra ut imperdiet id, accumsan porta risus. Aliquam eget sapien in augue posuere placerat. Duis eget dui metus. Vivamus mauris elit, sagittis quis tristique nec, interdum ac sem. Nam rhoncus faucibus laoreet. Vivamus elit justo, gravida nec feugiat vel, consectetur et orci.Nulla at nisi et libero tristique pulvinar. Nunc laoreet suscipit tristique. Nam id scelerisque felis. Fusce pretium tempus eros non eleifend. Proin vestibulum placerat augue rem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. sed vitae faucibus ante? olestie sed vulputate ut, aliquet vel nunc. Donec placerat nulla non nisi pellentesque nec tempus turpis vestibulum. Donec ullamcorper suscipit tristique. Aliquam accumsan hendrerit ultricies. Cras vel ligula elit. Donec quis tellus scelerisque purus dignissim pellentesque ac id leo. Fusce lorem risus, porta eget consectetur ut, scelerisque tristique ante. ont aussi un rôle Et puis parfois, la fiction Vestibulum vitaedécoratif. dui sapien, a feugiat nibh. Morbi et le documentaire peuvent se retrouver la ultrices sodales augue, sed imperdiet auguesur sollimanière de Praesent raconterpulvinar un même événement. Par citudin sed. nulla vel ipsum dicexemple dans mon filmcondimentum. Rushmore (1998), j’avais, tum vel dictum lectus Integer leo sans rendre compte, reproduit quasi à l’idennunc,m’en ornare eu fermentum rhoncus, placerat id tique une scène tirée desit High School (1968),adiun ante. Lorem ipsum dolor amet, consectetur documentaire de Frederick Unu gamin piscing elit. Mauris nec tellusWiseman. purus, quis dans le couloir d’un collège est au téléphone, quelqu’un il raccroche. rem ipsuml’interrompt, dolor sit amet, consectetur adipis cing elit. sed vitae faucibus ante? Ce langage documentaire, on le surolestie sed vulputate ut, aliquet velretrouve nunc. Donec tout dans lesnon introductions de vos films. Des placerat nulla nisi pellentesque nec tempus turmoments qui peuvent durer plus d’une dizaine pis vestibulum. Donec ullamcorper suscipit trisde minutes. Comment savoir quand doit s’arrêtique. Aliquam accumsan hendrerit ultricies. Cras ter une introduction ? vel ligula elit. Donec quis tellus scelerisque purus Je ne sais pellentesque pas quand terminer introduction. dignissim ac id leo. une Fusce lorem risus, À la finis toujours par trop en faire. Dans portafin, egetjeconsectetur ut, scelerisque tristique ante. The Grand Budapest Hotel, il y en a tellement… Vestibulum vitae dui sapien, a feugiat nibh. Morbi Je suis allé à laaugue, limitesed maximum deaugue l’exercice. ultrices sodales imperdiet solliAvec introductions dans nulla l’introduction, ces citudinces sed. Praesent pulvinar vel ipsum dicallers-­ retours entre elles. tum vel dictum lectus condimentum. Integer leo

nunc, ornare eu fermentum rhoncus, placerat id ante. Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Mauris nec tellus purus, quis u rem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. sed vitae faucibus ante? olestie sed vulputate ut, aliquet vel nunc. Donec placerat nulla non nisi pellentesque nec tempus turpis vestibulum. Donec ullamcorper suscipit tristique. Aliquam accumsan hendrerit ultricies. Cras vel ligula elit. Donec quis tellus scelerisque purus dignissim pellentesque ac id leo. Fusce lorem risus, porta eget consectetur ut, scelerisque tristique ante. Vestibulum vitae dui sapien, a feugiat nibh. Morbi ultrices sodales augue, sed imperdiet augue sollicitudin sed. Praesent pulvinar nulla vel ipsum dictum vel dictum lectus condimentum. Integer leo nunc, ornare eu fermentum rhoncus, placerat id ante. Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Mauris nec tellus purus, quis u rem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. sed vitae faucibus ante? olestie sed vulputate ut, aliquet vel nunc. Donec placerat nulla non nisi pellentesque nec tempus turpis vestibulum. Donec ullamcorper suscipit tristique. Aliquam accumsan hendrerit ultricies. Cras vel ligula elit. Donec quis tellus scelerisque purus dignissim pellentesque ac id leo. Fusce lorem risus, Pour eget résumer, il y a ut, un scelerisque narrateur tristique qui parle au porta consectetur ante. temps présent, rapporter une histoire qui Vestibulum vitaepour dui sapien, a feugiat nibh. Morbi se passesodales dans les années 1930, mais qui lui asolliété ultrices augue, sed imperdiet augue racontée dans les années 1960. citudin sed. Praesent pulvinar nulla vel ipsum dicC’estvel cedictum rapportlectus au temps qui fait Integer la spécifitum condimentum. leo cité duornare film. La du récit est inspirée par id le nunc, eu forme fermentum rhoncus, placerat romanLorem La Pitié dangereuse, le premier livre adique ante. ipsum dolor sit amet, consectetur j’ai lu de Stefan Zweig. Un grand livre. piscing elit. Mauris nec tellus purus, quisLisez-le. u Cela commence avec une version fictive de l’auteur qui fait dolor une annonce. C’est presque une nourem ipsum sit amet, consectetur adipisvelle elit. autonome, un homme enante? rencontre un autre, cing sed vitae faucibus et de cesed qu’ils se racontent naît vel la véritable hisolestie vulputate ut, aliquet nunc. Donec toire. Cenulla procédé on le retrouve placerat non de nisinarration, pellentesque nec tempussouturventvestibulum. chez Zweig,Donec ou chez Conrad. C’est une techpis ullamcorper suscipit trisnique Aliquam ancienne.accumsan J’ai toujours aiméultricies. ce sentiment tique. hendrerit Cras d’être d’abord transporté part, avant vel ligula elit. Donec quis quelque tellus scelerisque d. que les choses commencent pour de bon. À l’époque où je lisais La Pitié dangereuse, j’ai découvert une Tip Top de Serge Bozon statue de Zweig jardinKiberlain… du Luxembourg, dans avec Isabelle Huppert,au Sandrine Distribution : Rezo Films le coin de l’orangerie. Toutes ces expériences ont Durée : 1h46 Sortie le 11 septembre influencé la structure de ce film.

www.troiscouleurs.fr 51


h istoi re s du ci n é ma

© 20th century fox

« Savoir jusqu’à quel point on peut aller dans le faux est une question pertinente. »

Le présent qui raconte le passé, les accessoires vintage nombreux sur vos plateaux de tournage… Êtes-vous nostalgique ? Je ne dirai pas que je rejette la nostalgie, mais je n’aime pas l’idée d’être nostalgique dans le sens où la nostalgie me semble un état très passif. Enfin, tout dépend de la façon dont on définit le terme… disons…. Voilà ce que je peux dire : vous voyez le marché de Noël avec ses petites cabanes sur les Champs-Élysées ? Eh bien, dans l’une de ces cabanes, il y a un petit magasin avec des ordinateurs sur lesquels vous pouvez entrer votre adresse et qui vous sortent des photos de l’endroit il y a cinquante ou cent ans. J’adore voir des images anciennes des endroits que je connais bien. C’est très intéressant de se plonger dans le passé, mais y rester, ce n’est pas très dynamique. Lors de l’écriture du scénario de The Grand Budapest Hotel, avez-vous d’abord rédigé la partie qui se passe dans les années 1930 d’un bloc, puis celle qui se passe dans les années 1960, pour recomposer le tout ensuite ? J’ai écrit dans l’ordre chronologique de ce que vous voyez à l’écran. C’est rare chez moi. D’habitude, j’écris des scènes par-ci, des scènes par-là, je ne sais pas comment je vais les agencer ; et d’un coup, c’est la surprise : tout se met en place logiquement. Cette fois, l’idée centrale du scénario était un hôtel qui aurait eu sa grande époque glorieuse et qui, au fil du temps, serait devenu moins populaire, aurait vieilli, mal entretenu, jusqu’au déclin. Mais en voyageant à travers l’Europe de l’Est, en Hongrie, en République tchèque, en Pologne, j’ai réalisé que pendant la période communiste, l’identité des bâtiments ne s’était pas estompée, elle avait radicalement changée dans un mouvement idéologique. L’identité des lieux ne s’est pas perdue,

52

elle a été transformée. Il y a des endroits qui ont connu leur belle époque, ils ont ressemblé à de gros gâteaux de mariage, et puis à l’intérieur de cet ensemble, on a dessiné une nouvelle architecture. On a décidé de reproduire cela quand on a trouvé notre hôtel : un ancien grand magasin dans le genre du Bon Marché. On y a construit un hall d’entrée pour la période des années 1930, puis à l’intérieur on a construit une seconde version pour les années 1960. On a commencé à tourner dans cette boîte que l’on a ensuite retirée pour se trouver dans les années 1930. Dans vos films, vous pouvez tourner en prise de vue réelle en extérieur, puis faire jouer vos acteurs dans des décors peints, animer des marionnettes, promener votre caméra entre des maquettes miniatures. Comment trancher entre telle et telle technique ? La question est de savoir jusqu’à quel point on peut aller dans le faux. C’est une question pertinente, parce que j’ai toujours peur d’aller trop loin. J’aime l’idée d’être capable de fabriquer ma propre version des choses. Par exemple, dans le film, il y a cette scène autour d’un observatoire. J’avais l’image en tête, et on en a vu un certain nombre. Chacun avait des éléments qui m’intéressaient, mais aucun ne les synthétisait. J’essaie toujours de construire ma version de tels éléments en extérieur, de ne pas les reproduire en studio. Et je ne suis pas emballé par les images de synthèse. C’est vrai que j’adore les miniatures dans les films, mais en même temps, je ne veux pas que cela amoindrisse le travail des acteurs qui font tout pour que les personnages sonnent vrai, pour que le spectateur s’y attache. Même si le contexte est fantastique, même si le langage est surréaliste ou exagéré, il faut que les personnages sonnent vrai.

février 2014


© 20th century fox

e ntreti e n

Votre expérience sur le film d’animation image par image Fantastic Mr. Fox vous a-t-elle permis d’aller plus loin dans cette voie ? Cela m’a ouvert plus de possibilités techniques pour le faire. Et après avoir passé autant de temps sur de l’animé, désormais, quand je tourne un film en prise de vue réelle, je me demande toujours comment j’aurais mis en scène les choses dans un film d’animation. Parfois l’animation est la meilleure solution, comme ici avec la scène de course-poursuite à ski. C’est un mélange de miniature, d’acteurs en chair et en os, et d’animation. J’essaie de penser en termes de direction artistique. Je savais que si je voulais tourner la scène à la manière d’un James Bond ça ne rendrait pas bien, que je ne serais pas bon pour ça. Il fallait que je trouve des astuces. J’avais vu des images de Noël de l’époque Victorienne sur lesquelles des gens sont pris en photo dans des studios décorés avec tout un attirail hivernal (de la fausse neige, etc.). Je voulais prendre cette esthétique et l’introduire dans une scène de poursuite à ski, tout en veillant à ce que cela reste excitant.

Les personnages de vos films semblent suivre ce même mouvement. Diriez-vous que votre filmographie tire de plus en plus vers le « cartoon » ? Eh bien le personnage central de The Grand Budapest Hotel, Gustave, est inspiré d’une personne réelle, il lui ressemble franchement. Ce que je veux dire, c’est que les gens réels peuvent être très cartoon. Ça me fait penser aux personnages des frères Coen. Ils sont intéressés par les caricatures, mais pas dans un sens péjoratif pour leurs personnages. Prenez ce type, Llewyn Davis. Idem pour Fellini avec Huit et demi ou avec Les Nuits de Cabiria. Même si les personnages sont très finement écrits et profonds, il y a toujours quelque chose de caricatural chez eux. Cela tient à la tonalité des dialogues, des choix visuels. La caricature ne fait pas partie de la palette de Zweig pour le coup, mais on trouve ça chez Dickens. The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson avec Ralph Fiennes, Tony Revolori… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h40 Sortie le 26 février

à la recherche de zero antoinette boulat, directrice de casting pour the grand budapest hotel

© 20th century fox

propos recueillis par laura tuillier

« En juin 2012, Wes Anderson m’a contactée pour que je trouve son héros, Zero Moustafa, à Paris. Il voulait un adolescent typé, dont le physique puisse coller avec l’époque du film et dont le visage recèle une part d’enfance, quelque chose de très vivant. Wes était très ouvert, prêt à prendre un non-professionnel. En revanche, nous avions une contrainte de taille pour un casting en France : il fallait qu’il parle anglais. Dans le même temps, une équipe faisait des recherches aux États-Unis et une autre à Londres. J’ai vu les jeunes comédiens du moment et nous avons fait un mois de casting sauvage, le samedi, à la sortie des écoles. Finalement, Zero a été trouvé en Californie. Wes est quelqu’un de très sympathique, très marrant, il ressemble beaucoup à ses films. Il est très attentif durant la préparation, il a regardé tous les essais que nous avons faits, il n’hésitait pas à faire revenir les jeunes plusieurs fois, même si finalement le casting de Paris n’a rien donné. »

www.troiscouleurs.fr 53


LA SALLE DE JEUX Maisons de poupée, théâtres de marionnettes, livres animés : tout est fait ici pour mettre en scène son propre univers. De Rushmore à Moonrise Kingdom, ces séquences de spectacle au tour volontier naïf sont soutenues par une précision d’orfèvre. Régner sur le pays des miniatures n’est pas un jeu d’enfant.

LES CHAMBRES D’ENFANTS Les couleurs sont le plus souvent pastel, mais ici tout n’est pas rose. Difficile de devenir un ado ou un adulte. Les premiers sont violents ; les seconds, faibles. Seul point de salut, la chambre, chez Wes Anderson, est un refuge, où il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre en regardant par la fenêtre.

PAR RENAN CROS - ILLUSTRATION SARAH KAHN

Film après film, Wes Anderson est l’architecte d’une œuvre en forme de palace, avec suites, chambres communicantes et locataires aussi inattendus que prestigieux. Alors que sort The Grand Budapest Hotel, visite guidée pour ceux qui n’ont pas encore séjourné dans cet univers où mélancolique rime forcément avec chic.

LE GRENIER Ici, c’est le paradis où les vieux objets accumulés disent à eux-seuls des histoires. Un vieux tourne-disque, une montre cassée, une table escamotable, des bagages de luxe, un vieux kart rouillé, tous ces objets devenus désuets racontent leurs propriétaires et la tristesse du temps qui passe. Le cinéma leur redonne alors vie.


LA SALLE À MANGER Autour de la table et des patriarches (les personnages cultes Mr. Fox, Steve Zissou ou Royal Tenenbaum), chacun est à sa place, mais tout le monde rêve d’être ailleurs. Au menu de ces films qui passent au tamis la cohésion généalogique : soupe à la grimace, règlements de compte salés et famille-je-vous-hais.

LA GALERIE DE PORTRAITS Ici trônent tous les pensionnaires qui reviennent de film en film. Une famille idéale. Il y a là Bill Murray (le père), Anjelica Huston (la mère), Owen Wilson (le fils aîné), Jason Schwartzman (le petit dernier) ou encore Roman Coppola (le cousin scénariste), et bien d’autres têtes connues.

LA CHAMBRE DES PARENTS Ici, on se prend la tête pour tout. Peines de cœur, crises de nerfs, dépressions chroniques ou ras-le-bol général, tout est bon pour aller mal. Se lamenter devient une manière d’aller au lit. Moues désabusées et bons mots de rigueur, l’humour devient la politesse du désespoir. Demandez à Bill Murray !

LE DRESSING Pièce maîtresse de l’hôtel, puisqu’ici l’élégance prime. Bien porté, même le pire des survêtements devient le comble du chic dans La Famille Tenenbaum, et l’autorité se mesure au lustre de la fourrure dans Fantastic Mr. Fox. Anderson se sert du costume pour dire le personnage au premier coup d’œil.

LE JARDIN Il pousse dans l’Inde mystique (À bord du Darjeeling Limited), dans une Saxe intrigante (The Grand Budapest Hotel) ou dans les fonds sous-marins (La Vie aquatique). À l’abri, dans un train ou dans un bathyscaphe, on le traverse d’abord à distance avant que le scénario n’oblige à mettre pied à terre.

LE SALON DE MUSIQUE Sous l’aiguille du phonographe tournent moult disques de bon goût. La playlist, très recherchée, mêle Benjamin Britten et Françoise Hardy, les Kinks et Satyajit Ray, et même d’improbables refrains yéyé. Le Life on Mars? de David Bowie nous est servi en portugais par Seu Jorge dans La Vie aquatique.

LA BIBLIOTHÈQUE On y trouve les volumes qui inspirent les scénarios du conteur Anderson : des classiques de la littérature signés J. D. Salinger, Roald Dahl, Stefan Zweig. À l’écran, on parcourt souvent de drôles d’ouvrages scientifiques et même d’incroyables romans d’aventures populaires aux couvertures illustrées.


h istoi re s du ci n é ma - scè n e cu lte

La réplique :

« C’est la mauvaise route ! C’est la mauvaise route ! »

Le Convoi de la peur Chef-d’œuvre culte jusqu’ici invisible, Le Convoi de la peur de William Friedkin retrouve une seconde jeunesse dans une restauration incroyable présentée en avant-première au festival Toute la mémoire du monde de La Cinémathèque française, prélude à une ressortie en salles mondiale au printemps prochain. L’occasion de redécouvrir le morceau de bravoure de ce film ô combien traumatisant.

© warner bros

Par Julien Dupuy

L

e Salaire de la peur de Clouzot (1953) était une aventure humaine extrême. Le remake signé Friedkin relève du trip métaphysique. Prisonniers d’un enfer vert, les antihéros du film doivent expier leurs fautes dans un périple suicidaire à bord de camions vétustes chargés de nitroglycérine. Pinacle de leur châtiment : une interminable traversée d’un pont de corde pourri, sous une pluie torrentielle. Et comme le calvaire de Regan dans L’Exorciste, c’est à travers une épreuve physique que Friedkin atteint nos frayeurs existentielles. Cette séquence quasi muette révèle en effet la fragilité de l’humain dans son vain combat contre une nature déchaînée et sert une mécanique indifférente et carnassière. La scène alterne les plans subjectifs des personnages, brouillés par le vent et la boue, avec des cadres de

56

profil juxtaposant la masse sombre des camions à la finesse du pont. Si, à intervalles réguliers, Friedkin rappelle via des inserts la dangerosité de la cargaison et la fragilité du pont, la scène est construite autour d’un plan de face récurrent cadrant l’un des personnages rampant sur le pont au premier plan et tentant de guider le conducteur du camion au second plan. L’emploi de la longue focale, qui écrase les perspectives, rend le trajet interminable car imperceptible, tout en créant la sensation que le guide est sur le point d’être dévoré par le véhicule dont la grille d’aération évoque la gueule d’une créature insatiable. Le Convoi de la peur de William Friedkin (1978) avec Roy Scheider, Bruno Cremer… Durée : 2h Ressortie : printemps 2014

février 2014



D. R.

h istoi re s du ci n é ma

Révolution Zendj de Tariq Teguia

Belfort Sous l’impulsion d’une nouvelle directrice artistique et d’un nouveau comité de sélection, la vingt-huitième édition du festival EntreVues, qui se déroulait à Belfort, du 30 novembre au 8 décembre dernier, a réaffirmé sa volonté de défendre un cinéma de la modernité radical et engagé. Par Juliette Reitzer

En février dernier, l’avenir du festival EntreVues, créé il y a vingt-huit ans par Janine Bazin, semblait incertain. Sa déléguée générale et directrice artistique Catherine Bizern, à ce poste depuis 2006, annonçait que l’association Cinémas d’aujourd’hui, organisatrice de l’événement, ne renouvelait pas son contrat pour l’édition 2013. D’après Le Monde, la mairie de Belfort serait à l’origine de son limogeage, en raison d’une programmation jugée trop radicale. Reste qu’après ces remous, et suite à la nomination de Lili Hinstin au poste de directrice artistique (après avoir été adjointe du directeur artistique du festival Cinéma du réel), l’édition 2013 n’a pas déçu les festivaliers qui venaient chercher à Belfort, comme chaque année, un cinéma international exigeant et audacieux. Pour preuve, le Grand prix attribué, parmi les treize longs métrages de la compétition, à Révolution Zendj de l’Algérien Tariq Teguia. Le film, aussi innovant dans sa forme qu’insurrectionnel dans son sujet, réunit à l’écran les soulèvements étudiants de la Grèce contemporaine, des affrontements communautaires au sud de

58

l’Algérie et le parcours jusqu’à Beyrouth d’un journaliste algérien enquêtant sur une révolte menée aux viiie et ixe siècles par des esclaves noirs sous le califat abbasside, en Irak. Fidèle à sa tradition, le festival a mêlé fictions et documentaires, longs et courts métrages (dont Juke Box d’Ilan Klipper, avec le chanteur Christophe en musicien cinglé, reclus chez lui), œuvres contemporaines et films de catalogues. Des rétrospective étaient dédiées à Jacques Doillon et à John Carpenter – son révolté Invasion Los Angeles a fait salle comble. Seul bémol, Too Much Johnson, annoncé comme « le film retrouvé d’Orson Welles », en fait une succession de scénettes inachevées, tournées en 1938 pour compléter l’intrigue d’une pièce de théâtre. Les comédies sociales et leurs héros, losers magnifiques, étaient à l’honneur dans la sélection « La Commedia des ratés », de Charlot à Louise-Michel. En compétition, c’est un autre personnage échoué qui a retenu notre attention. Quelque part entre Rosemary’s Baby, John Waters et Possession d’Andrzej Żuławski, See You Next Tuesday, tragi-­comédie en tous points insolente de l’Américain Drew Tobia, prend pour héroïne une femme enceinte complètement à l’ouest : « Je voulais aborder la grossesse comme métaphore de la maladie mentale et montrer des chocs culturels entre différents groupes sociaux », nous confiait le cinéaste. Le film, tourné avec 25 000 dollars, a reçu le Prix de l’aide à la distribution, doté de 5 000 euros. Depuis, Tobia est en pourparlers avec le distributeur Independencia pour une potentielle sortie française en 2014. On croise les doigts pour que ce genre d’œuvres, qui avancent résolument hors des sentiers battus, continue effectivement à parvenir sur nos écrans.

février 2014


© les films de pierre

fe stival s

L’Armée du salut d’Abdellah Taïa

Angers Le festival Premiers plans d’Angers s’est une fois de plus fait l’écho du bouillonnement de la jeune création en Europe. Mais il a également assuré son rôle de passeur avec ses rétrospectives (Robert Bresson, Lars von Trier…) et son hommage à feu Patrice Chéreau. PAR QUENTIN GROSSET

Présidée par la cinéaste Catherine Corsini, cette vingt-sixième édition du festival Premiers plans d’Angers a récompensé plusieurs films marqués par le thème de l’exil. Décrochant ex-aequo le Grand prix du jury pour un long métrage français, Des Etoiles de Dyana Gaye et L’Armée du salut d’Abdellah Taïa traçaient tous deux des trajectoires irrégulières et clandestines. Le premier, signé par la réalisatrice du remarqué Un transport en commun, croise des destins éloignés qui, entre New York, Dakar et Turin, sont à la recherche d’un travail, d’une personne aimée ou de leurs origines. Chacun découvre son environnement, s’en débrouille, et Dyana Gaye filme sans lourdeur, mais également sans grande intensité, les parcours de personnages forcés de se réinventer. Adapté de son roman autobiographique paru en 2006, le film d’Abdellah Taïa paraissait un peu plus remuant, malgré ses cadres fixes et le mutisme de ses personnages. L’écrivain, qui souhaitait depuis longtemps passer à la réalisation, réussit son récit d’émancipation grâce à la douceur et la pudeur avec lesquelles il revient sur

les aventures erratiques et douloureuses d’un jeune homosexuel, du Maroc jusqu’à la Suisse. Cette histoire résonnait franchement avec L’Homme blessé de Patrice Chéreau, présenté à l’occasion de l’hommage rendu au metteur en scène et cinéaste disparu. Pascal Greggory, l’un de ses comédiens fétiches, nous a donné son sentiment sur cette œuvre phare, autour d’un jeune homme qui, la nuit, rôdant autour de la gare du Nord, fait l’apprentissage de l’amour et de la sexualité : « C’est un film qui pose plusieurs questions qui se retrouvent dans tout le travail de Chéreau. Comment faire pour vivre ensemble ? Comment s’aimer alors que rien n’est fait pour que deux personnes s’unissent ? Ça rejoint sa vie à lui, cet homme qui ne s’aimait pas, qui ne comprenait pas qu’on puisse l’aimer. » Membre du jury du festival, Maria de Medeiros nous a quant à elle parlé de son prochain long métrage en tant que réalisatrice pour lequel elle est toujours à la cherche d’un distributeur français. Intitulé Les Yeux de Bacuri, celui-ci revient sur la dictature brésilienne entre 1964 et 1985 à travers trois générations de femmes. « J’ai eu cette proposition de travailler avec la Commission amnistie et réparation qui se charge de demander pardon aux victimes au nom du gouvernement brésilien. Bacuri était un guérilléro qui est mort sous la torture, dans des conditions atroces. Sa femme, qui venait d’accoucher, a rejoint sa mère au Chili. Après le coup d’état, elles ont dû partir pour l’Europe. Pour ces femmes, traverser les frontières était une source d’angoisse monstrueuse. Aujourd’hui, elles ont pu rentrer au Brésil et ont des papiers en règle », raconte-t-elle. Si le déracinement était un sujet privilégié cette année, cela n’a donc pas fini d’en inspirer certains.

www.troiscouleurs.fr 59


les F I L M S du 5 au 26 février American Bluff Le nouveau film de David O. Russell, grand gagnant des récents Golden Globes et donné favori pour les Oscars, est autant une comédie d’escroquerie seventies que la synthèse d’une filmographie obsédée par la médiocrité. PAR LOUIS SÉGUIN

Le monde n’est pas noir ou blanc, comme tu le penses ; il est extrêmement gris. » C’est Irving Rosenfeld (Christian Bale), escroc bedonnant et atteint de calvitie, qui parle. Il s’adresse à Richie DiMaso (Bradley Cooper), tête brûlée du FBI, auquel il prodigue ses conseils d’arnaqueur chevronné afin de mettre en œuvre un plan tordu. Il s’agit, en ces sulfureuses seventies, de piéger de hauts dignitaires en les faisant tremper dans une combine orchestrée de bout en bout par un couple d’escrocs (Rosenfeld est flanqué de Sydney Prosser, inter­ prétée par Amy Adams). Cette phrase est prononcée alors que Rosenfeld se promène dans un musée avec

60

DiMaso et qu’il lui désigne un Rembrandt que le monde entier admire, mais qu’il assure être un faux. On jurerait que David O. Russell délivre ici le credo qui anime tous ses films. Depuis Les Rois du désert (1999), qui voyait quatre soldats américains basés en Irak pendant la guerre du Golfe fomenter (et foirer) le braquage parfait, jusqu’à cet American Bluff dans lequel rien ne marche comme prévu, le réalisateur n’a cessé de faire de la médiocrité le sujet de son cinéma. Pas une médiocrité molle, mais bien une médiocrité extrême, agressive, à l’image de la carrière de Micky Ward, le boxeur de Fighter (2010). Car la caméra de David O. Russell se fait toujours gant de boxe, qui assène travellings et steadicams

février 2014


Only Lovers Left Alive

Jim Jarmusch, pour un film de vampires romantique en diable p. 70

L’Expérience Blocher

Le documentariste Jean-Stéphane Bron réalise un portrait édifiant p. 72

comme autant de crochets et de jabs à des personnages qui essaient de tenir debout malgré la pluie de coups. Personnages qui sont toujours plus ou moins mauvais dans leur domaine, que ce soit la boxe dans Fighter, les enquêtes dans J’adore Huckabees (2005) ou l’amour dans Happiness Therapy (2012). C’est sans doute dans ce dernier film que la médiocrité représente l’enjeu le plus important. Les deux futurs amants (interprétés par Bradley Cooper et Jennifer Lawrence) semblent inadaptés à l’amour, se dévoilant leur attachement respectif par des coups et des crises de nerfs. Et lorsqu’ils obtiennent la très moyenne note de cinq lors d’un concours de danse final, ils sautent de joie et peuvent enfin s’aimer : ils ne pouvaient convoiter mieux. Dans American Bluff, David O. Russell s’amuse à compliquer le plan élaboré par les héros qui, s’il est assurément tordu, n’en est pas moins simple pour autant. Chaque protagoniste, au lieu d’être un maillon essentiel du plan, se transforme en obstacle ; car derrière un personnage, il n’y a jamais tant une fonction (agent du FBI, spécialiste de l’arnaque, femme de ce dernier) qu’une aspiration, une énergie égoïste et incompatible avec celles des autres.

At Berkeley

Frederick Wiseman pose sa caméra sur le célèbre campus p. 76

David O Russell n’a cessé de faire de la médiocrité le sujet de son cinéma. Tout l’art du cinéaste consiste alors à régler sa mise en scène sur ces énergies individuelles et à tenter, au terme d’un film lancé à plein régime, d’accorder ces instruments déréglés, de les faire jouer ensemble. Comme par magie, chacun retourne donc à sa place, alors que l’implosion semblait à chaque instant menacer le système de départ. Comme si, à défaut de professionnalisme, chacun – les escrocs comme l’agent du FBI –, affichait une volonté, bonne ou mauvaise, à toute épreuve. On accuse parfois David O. Russell d’être un réalisateur survolté ; ça n’est pourtant pas un reproche pour un cinéaste qui montre, de film en film, qu’en s’agitant beaucoup, on finit forcément par arriver quelque part. de David O. Russell avec Christian Bale, Amy Adams… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h17 Sortie le 5 février

www.troiscouleurs.fr 61


le s fi lm s

Mea culpa PAR JULIEN DUPUY

Après s’être essayé au thriller avec Pour elle et À bout portant, Fred Cavayé s’attaque au film d’action avec Mea culpa. Avec la rigueur d’écriture qui caractérisait déjà ses deux premières œuvres, ce brillant artisan cisèle un film imparable. À la fois ludique et éprouvant, porté par des enjeux évidents, mais également par la duplicité de ses personnages, Mea culpa redore le blason du cinéma populaire français. de Fred Cavayé avec Vincent Lindon, Gilles Lellouche… Distribution : Gaumont Durée : 1h30 Sortie le 5 février

C’est eux les chiens PAR ÉTIENNE ROUILLON

L’équipe d’un journal télévisé marocain cherche un sujet à tourner, en plein « printemps arabe ». Elle tombe sur un type hagard, qui entre dans le champ de la caméra. Les journalistes comprennent qu’il s’agit d’un ancien opposant politique, porté disparu pendant les émeutes du pain de 1981, relâché sans explication au bout de trente ans de détention. Ils décident de l’aider à retrouver la trace de sa famille et ne cessent de filmer le tout. Le réalisateur décide de montrer ce retour à la vie uniquement à travers l’objectif de la caméra du reporter, laquelle filme aussi le retour à la vie politique d’un peuple tendu vers la démocratie. Le procédé est très immersif et prenant, donnant à l’ensemble une cohérence faite de

naïveté urgente à la colère tantôt triste, tantôt amusée par le chaos ambiant. Le réalisateur Hicham Lasri aurait réalisé un sans-faute si le film n’était pas plombé par un problème technique. Les récentes caméras numériques, qui donnent un très beau rendu pour un coût relativement faible, déforment salement l’image quand on court avec l’appareil de prise de vues à l’épaule ou que l’on fait un panorami­que trop rapide (un phénomène que l’on appelle le shutter rolling), ce qui arrive nécessairement quand on filme à la manière d’un reportage. Mais cette petite réserve mis à part, on tient là un grand film. de Hicham Lasri avec Hassan Badida, Imad Fijjaj… Distribution : Nour Films Durée : 1h25 Sortie le 5 février

62

février 2014

L’Île des Miam-nimaux : Tempête de boulettes géantes 2 PAR RENAN CROS

Retour des aventures de Flint Lockwood et de sa bande azimutée pour un nouvel opus loufoque et régressif à souhait. Hommage aux films catastrophes, ce second volet invente d’étranges créatures, mi-animaux mi-aliments, à grands coups de surprises visuelles bluffantes et de jeux de mots crétins. Filant à toute allure, multipliant les gags absurdes et les clins d’oeil référencés, cette récréation cinématographique délirante se dévore sans faire la fine bouche. de Cody Cameron et Kris Pearn Animation Distribution : Sony Pictures Durée : 1h35 Sortie le 5 février


www.troiscouleurs.fr 63


le s fi lm s

Viva la libertà PAR Laura Tuillier

Le chef de l’opposition disparaît à la veille de l’élection. Son conseiller politique prend alors la décision de le remplacer par son frère jumeau, un philosophe schizophrène. À partir d’un nœud scénaristique qui aurait pu donner aussi bien un thriller qu’un drame psychologique, Roberto Andò tire une comédie bouffonne et satirique. Toni Servillo (La grande bellezza) s’en donne à cœur joie, incarnant tour à tour l’homme politique fatigué de la vie et le philosophe fantaisiste.

© lia pasqualino

de Roberto Andò avec Toni Servillo, Valeria Bruni Tedeschi… Distribution : Bellissima Films Durée : 1h34 Sortie le 5 février

La Voleuse de livres Pendant la Seconde Guerre mondiale, en Allemagne, la jeune Liesel est adoptée par un couple, sa mère ne pouvant subvenir à ses besoins. Son père adoptif, farceur et attentionné, lui apprend à lire. La joie de cette découverte s’accentue lorsque la famille cache un réfugié juif, Max, qui noue avec Liesel une relation fraternelle

Un beau dimanche

PAR Timé Zoppé

basée sur la littérature. Entre récit d’initiation et fresque humaniste, La Voleuse de livres rend compte des moments heureux comme de ceux, très sombres, que traverse la petite troupe. de Brian Percival avec Geoffrey Rush, Emily Watson... Distribution : 20th Century Fox Durée : 2h11 Sortie le 5 février

Goltzius et la Compagnie du Pélican PAR T. Z.

Pou r s u iva nt s on ex plor a tion de l’histoire de l’art, Peter Greenaway (Meurtre dans un jardin anglais, La Ronde de nuit) revient avec une fable érotique inspirée de faits réels. Au xvi e siècle, Hendrick Goltzius et sa Compagnie du Pélican tentent de convaincre le marquis d’Alsace de leur financer une imprimerie. Pour ce faire, ils lui proposent de lui jouer les histoires grivoises de l’Ancien Testament. Greenaway aère une mise en scène très dense par des cadres amples et travaillés sur des espaces monumentaux. de Peter Greenaway avec Fahrid Murray Abraham, Kate Moran... Distribution : Épicentre Films Durée : 1h56 Sortie le 5 février

PAR T. Z.

© carole bethuel les films pelleas

Baptiste, un instituteur enchaînant les remplacements (Pierre Rochefort, lire p. 20), recueille un de ses élèves pour le week-end et rencontre la mère de celui-ci (Louise Bourgoin), noyée dans des problèmes d’argent. Baptiste entrevoit alors une issue possible à sa fuite inlassable, mais doit franchir ses barrières personnelles avant de pouvoir commencer à bâtir sa vie… Nicole Garcia construit son récit sur la retenue de son protagoniste principal. de Nicole Garcia avec Louise Bourgoin, Pierre Rochefort... Distribution : Diaphana Durée : 1h35 Sortie le 5 février

64

février 2014


www.troiscouleurs.fr 65


le s fi lm s

> HIPÓTESIS

© sylwester ka mierczak

En Argentine, un professeur de droit pénal (Ricardo Darín) est persuadé que l’un de ses élèves a commis un meurtre dans l’enceinte de la faculté. Il mène sa propre enquête et finit par être obnubilé par l’affaire, au point d’extrapoler à partir de chaque détail. T. Z . de Hernán Goldfrid (1h46) Distribution : Eurozoom Sortie le 12 février

Ida En 1962, une jeune nonne découvre le monde extérieur avant de prononcer ses vœux. Le cinéaste polonais Paweł Pawlikowski accompagne le voyage d’Ida avec puissance et bienveillance. PAR TIMÉ ZOPPÉ

La jeune femme étant plutôt réfractaire à l’idée, c’est la mère supérieure elle-même qui lui conseille d’aller goûter à la vie avant de s’enfermer au couvent. La timide Ida rend donc visite à sa tante Wanda, une juge d’instruction qui brûle la chandelle par les deux bouts en consommant sexe et alcool. Mais le traitement du film est fidèle au caractère de son héroïne : « J’ai voulu que le film soit simple, dépouillé. Comme une alternative à notre société, saturée de bruits et d’images, et qui a perdu le fil », explique le réalisateur de My Summer of Love et de La Femme du Vème. « Je sculpte toujours les films pendant les repérages, à partir seulement d’une vingtaine de pages de scénario. Pour Ida, j’ai moins tâtonné que d’ habitude, parce que j’ai fait appel à mes souvenirs d’enfance de la Pologne. » Formellement, il

livre son objet le plus radical. Noir et blanc, écran 4/3 et épure des dialogues donnent toute sa force à un récit chargé de tensions que l’on sent vibrer dans les silences et dont on finit par découvrir les motifs. Surtout, la sublime composition des plans, alternance de champs visuels dégagés isolant les personnages et de cadres obstrués, passant de la contre-plongée vers les cieux à la franche plongée vers la terre au fur et à mesure du périple d’Ida, confère une ampleur mystique à l’ensemble. Mystique, parce qu’Ida et Wanda entreprennent un voyage pour déterrer les secrets de leur vie, et parce que leurs choix sont guidés par la foi (ou par son insupportable absence) plutôt que par la morale. de Paweł Pawlikowski avec Agata Kulesza, Agata Trzebuchowska… Distribution : Memento Films Durée : 1h19 Sortie le 12 février

66

février 2014

> LES TROIS FRÈRES, LE RETOUR

Quinze ans après le premier épisode, les frères Latour, toujours aussi losers, se trouvent de nouveau réunis par leur mère décédée, pour toucher un héritage. La nostalgie fonctionne à plein tube, même si Les Inconnus ont déjà été plus drôles. Q. G. de et avec Didier Bourdon, Bernard Campan, Pascal Légitimus (1h46) Distribution : Wild Bunch Sortie le 12 février

> LES GRANDES ONDES (À L’OUEST)

Avril 1974, une équipe de radio suisse se trouve prise au cœur de la « révolution des œillets » au Portugal. Cette joyeuse comédie dessine le portrait d’une Europe aux visages multiples joliment campés, notamment, par Valérie Donzelli et Michel Vuillermoz. J. R. de Lionel Baier (1h24) Distribution : Happiness Sortie le 12 février


le s fi lm s

L’Éclat du jour PAR LAURA TUILLIER

Sélectionné au festival de Locarno, L’Éclat du jour est le deuxième long métrage de Tizza Covi et Rainer Frimmel, couple de cinéastes venus de la photo­ graphie et du documentaire. Après La Pivellina, qui immergeait une enfant dans le milieu du cirque, L’Éclat du jour est centré autour de la vie d’un comédien dénommé Philipp. Les premiers plans dévoilent un homme presque chauve et au physique ingrat en train de se faire tirer le portrait dans un Photomaton. La caméra le suit, il entre dans un théâtre, dans une loge, une maquilleuse l’attend, le débarrasse de ses postiches, le voilà redevenu lui-même : un beau jeune homme, comédien accompli qui travaille entre Vienne et Hambourg. Pour enrayer le manège bien réglé de

son existence, les réalisateurs organisent la rencontre de Philipp avec son oncle circassien Walter, qui s’installe chez lui. Les deux acteurs, magnifiques, jouent leur propre rôle, mais inventent, au fil de longues séquences improvisées, une relation familiale peu évidente, entre partage de leur vécu d’artiste et tensions

générationnelles. Se produisent alors, dans ce cinéma plein d’attention et d’empathie, de véritables moments de grâce suspendus au fil ténu qui sépare captation de la vie et mise en scène du réel.  de Tizza Covi et Rainer Frimmel avec Philipp Hochmair, Walter Saabel… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h31 Sortie le 12 février

For Those in Peril

© sagatha-a. -nitecka

PAR ÉRIC VERNAY

Les villageois sont unanimes : Aaron n’aurait jamais dû reve­ nir d’entre les morts. Seul survi­ vant d’un accident de pêche qui a englouti cinq vies, dont celle de son frère aîné, l’adolescent veut absolument repartir en mer à sa recherche. Les légendes baignant ce petit coin d’Écosse fouetté par

les vagues parlent d’un monstre marin amateur de chair fraîche. Une sorte de Moby Dick diabolique que cet émouvant capitaine Achab acnéique compte bien défier avec son radeau. Seul contre tous. Comme le Take Shelter de Jeff Nichols, ce premier film, présenté à la Semaine de la

www.troiscouleurs.fr 67

critique en 2013, nous plante au beau milieu d’une tempête sous un crâne où tambourinent les visions apocalyptiques. Mais la mise en scène de Paul Wright, cinéaste anglais de 33 ans, vise moins l’épure d’un Jeff Nichols que l’onirisme incandescent, le trip expiatoire vaudou. Au contact de différents régimes d’images (pixels télévisés, écrans de téléphone, noir et blanc charbonneux) et d’horizons narratifs (naturalisme teen façon Larry Clark, voix off malickienne, voyage initiatique à la Pinocchio et mythes anciens) qui s’entrechoquent comme des silex, jaillit le portrait fracassé d’un jeune homme en prise avec son deuil. Sidérant.  de Paul Wright avec George Mackay, Kate Dickie… Distribution : DistriB Films Durée : 1h32 Sortie le 12 février


le s fi lm s

Tante Hilda ! PAR T. Z.

Alors qu’elle mène une vie paisible dans une gigantesque serre, Hilda doit faire face à un problème écologique majeur : une plante génétiquement modifiée envahit toutes les cultures de la planète. Seul Michaël, un scientifique russe, se joint à elle pour combattre ce fléau dont personne ne semble soupçonner la gravité. Fort d’une animation de grande qualité et d’un doublage convaincant, une histoire riche, dynamique et pleine de sens. de Jacques-Rémy Girerd et Benoît Chieux Animation Distribution : SND Durée : 1h29 Sortie le 12 février

© flach film production

PAR L. T.

Maud, cinéaste, est victime d’un AVC qui la laisse paralysée du côté gauche. Lorsqu’elle décide de se remettre au travail, elle fait appel à un célèbre escroc, Vilko, pour jouer le rôle principal de son film. Directement inspiré des déboires de Catherine Breillat avec Christophe Rocancourt, depuis condamné pour abus de faiblesse, le film adopte le ton d’une chronique distanciée des événements, laissant éclater le talent d’Isabelle Huppert, parfaite en réalisatrice égarée mais pugnace.

PAR Juliette Reitzer

série). Un peu de 300, avec une photographie sombre et contrastée. Le mélange est mijoté par le réalisateur de la série des Resident Evil, Paul W. S. Anderson, toujours très efficace.

Allemand naturalisé Français, Max Ophüls s’exile aux ÉtatsUnis en 1940 – le cinéaste reviendra en Europe pour y tourner notamment les chefs-d’œuvre La Ronde et Lola Montès. Lettre d’une inconnue est, en 1948, son premier film hollywoodien, en noir et blanc, admirablement restauré pour cette ressortie. Les constructions de plans virtuoses subliment le romantisme incandescent du roman originel de Stefan Zweig : un riche séducteur reçoit la lettre d’une femme à l’agonie (magnifique Joan Fontaine), qui a consumé sa vie à l’aimer en secret.

de Paul W. S. Anderson avec Kit Harington, Carrie-Anne Moss… Distribution : SND Durée : 1h42 Sortie le 19 février

de Max Ophüls avec Joan Fontaine, Louis Jourdan… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h26 Sortie le 19 février

de Catherine Breillat avec Isabelle Huppert, Kool Shen… Distribution : Rezo Films Durée : 1h44 Sortie le 12 février

Pompéi PAR É. R.

Un peu de Gladiator, avec cette histoire d’esclave qui combat dans l’arène pour obtenir la liberté. Un peu de 2012, avec le cataclysme de l’an 79, provoqué par l’éruption du Vésuve, ici figurée à grands renforts de nuées ardentes et de tsunami fondant sur Pompéi. Un peu de Game of Thrones, avec l’acteur Kit Harington (Jon Snow dans la

Lettre d’une inconnue

d. r.

Abus de faiblesse

68

février 2014


le s fi lm s

Tout va bien

1er commandement du clown PAR QUENTIN GROSSET

On pensait les clowns dépassés ou trop flippants, et voilà que ce documentaire vient bouscu­ ler nos préjugés sur un art popu­ laire un peu plus transgressif que dans nos souvenirs d’enfance. Les réalisateurs Pablo Rosenblatt et Émilie Desjardins ont posé leur caméra sur la scène du Samovar

à Bagnolet, une école spécialisée dans cette pratique, et contestent le côté ringard qu’on pouvait prêter au nez rouge. De plus en plus de jeunes arborent fièrement cet accessoire, et la majorité des apprentis pitres sont aujourd’hui des filles. Au fil des cours, menés par des professeurs bizarrement

sérieux et exigeants, les artistes apprennent le timing comique et grossissent leurs propres défauts afin de construire un personnage original, ce qui donne lieu à bon nombre de performances trash ou poétiques. Cela ne se déroule pas sans difficultés, car le foutoir et le ridicule clownesque sont bien sûr une affaire de techniques, précises, qu’il faut maîtriser. En filmant la diversité et le renouvellement propre à cette branche artistique, les réalisateurs piquent notre curiosité, mais c’est surtout lorsqu’ils sondent l’essence anar et dérangeante du clown qu’ils parviennent à nous convaincre.  de Pablo Rosenblatt et Émilie Desjardins Documentaire Distribution : Coopérative DHR Durée : 1h33 Sortie le 19 février

Bethléem Sanfur est un jeune palestinien qui a pour grand frère un leader terroriste et pour ami un agent secret israélien qui le manipule émotionnellement pour lui sou­ tirer des informations pou­ vant prévenir des attentats à la bombe. Dans le ballet incessant des films parlant des tensions dans les territoires palestiniens et israéliens, Bethléem tire son épingle du jeu et dépasse les tentatives récentes d’une bonne tête : d’abord parce qu’il se concentre sur un sujet précis et s’y tient (le recrutement d’informateurs palestiniens par les services secrets israéliens), au lieu de vouloir rendre compte de toute une situation géopolitique ; ensuite parce que le film prend le temps de présenter des réalités complexes, même si les coulisses des oppositions

© pie films 2013

PAR ÉTIENNE ROUILLON

entre le Fatah, les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa et le Hamas ne sont pas très cinégéniques. Ce refus documenté du compromis face à la mise en fiction fait la force du film, scénarisé par un journaliste palestinien et un cinéaste israélien. Vu d’ici, impossible pour nous de dire si le discours est équilibré vis-à-vis

www.troiscouleurs.fr 69

des responsabilités de chacun. Reste que le propos est précis, les séquences exemplaires et l’ambiguïté du lien entre l’agent et Sanfur tout à fait captivante.  de Yuval Adler avec Shadi Marei, Tsahi Halevi… Distribution : Diaphana Durée : 1h39 Sortie le 19 février


© pandora film - exoskeleton inc

le s fi lm s

Only Lovers Left Alive Deux amants maudits contemplent l’absurdité du monde moderne sur fond de larsens et de name dropping littéraire. Chez Jim Jarmusch, le film de vampires est prétexte à une comédie de mœurs sophistiquée et un peu snob, romantique en diable. PAR JULIETTE REITZER

À Tanger, de nos jours, Eve (Tilda Swinton) collectionne les ouvrages anciens qu’elle lit dans le texte, quand elle ne traîne pas au bar à chicha avec Marlowe (John Hurt) – car le dramaturge anglais du xvie siècle est un vampire. Reclus dans sa maison de Détroit, Adam (Tom Hiddleston) compose un rock caverneux sur du matériel analogique et d’antiques guitares de collection, entre deux pulsions suicidaires. Les vampires Adam et Eve sont des artistes torturés. Ils s’aiment depuis si longtemps (des centaines, des milliers d’années ?) qu’ils vivent séparés, se retrouvant parfois avec une ferveur intacte. Eve prend donc l’avion (de nuit) pour rejoindre Adam à Détroit – ce qui donne lieu à de sublimes scènes d’errance nocturne dans la ville sinistrée, dans la lignée du très en vogue abandoned porn (photographies de lieux aban­ donnés). Mais les retrouvailles des amants sont assombries par l’arrivée de l’ingérable sœur d’Eve, Ava (Mia Wasikowska). L’intrigue est minimaliste, les personnages volontairement archétypaux : Jarmusch livre un pur film d’ambiance ultra maîtrisé, une méditation contemplative et musicale sur l’amour dans l’immortalité et sur le triste état du monde moderne. Derrière leurs lunettes noires, les vampires raillent ainsi la dégénérescence de l’humanité – les pauvres

70

mortels, ces décérébrés, sont nommés « les zombies ». Ils ressassent les bons moments passés en compagnie de Byron, de Shelley, de Darwin ou de Copernic, sans se mêler au monde qui les entoure et qu’ils ne comprennent pas. La limite d’Only Lovers Left Alive, présenté en toute fin de Festival à Cannes l’an dernier et reparti bredouille, c’est peut-être qu’il se complaît, avec une fascination certaine, dans cet entre-soi hype et archi référencé. Mais il le documente à merveille, sur l’air de la comédie de mœurs existentielle, dans un écrin formel époustouflant et grâce à ses deux interprètes principaux qui parviennent à rendre tangibles ces êtres surnaturels. Ces figures d’artistes amoureux, marginaux et cultivés, prolongent alors le romantisme exacerbé de la littérature fantastique anglaise du xixe siècle, mais elles en inversent les codes : chez Jarmusch, les vampires n’ont plus rien d’effrayant, ils sont des junkies qui s’enfilent leur dose de sang humain comme d’autres se shootent à l’héroïne. Cette dépendance les rend vulnérables, donc terriblement attachants. de Jim Jarmusch avec Tom Hiddleston, Tilda Swinton… Distribution : Le Pacte Durée : 2h03 Sortie le 19 février

février 2014


www.troiscouleurs.fr 71


le s fi lm s

L’Expérience Blocher Dans une atmosphère de conte, Jean-Stéphane Bron retrace sa rencontre avec le sulfureux Christoph Blocher, homme politique suisse, leader de l’Union Démocratique du Centre. Un portrait édifiant, habile et angoissant. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Percer l’image médiatique et sonder l’homme qui se cache derrière des idées parmi les plus radicales du débat politique suisse – il est notamment à l’origine d’une affiche titrée « Pour plus de sécurité » sur laquelle des petits moutons blancs projet­ tent leur homologue noir hors du drapeau national. L’entreprise de Jean-Stéphane Bron (Cleveland contre Wall Street) n’était pas aisée. Il a suivi Christoph Blocher lors sa dernière campagne, en 2011, et l’a filmé en assumant un point de vue politique opposé et en constatant sa propre incapacité à parler de ce sujet avec lui. Si les séquences montrant Blocher voyager de ville en ville en voiture dévoilent un homme banal, accessible, et même sympathique à l’égard du documentariste, celui-ci ne s’y laisse pas prendre et nous raconte en voix off le parcours très controversé du leader populiste, en n’omettant aucun

> WEEK-ENDS

La maison de campagne de Christine et Jean côtoie celle de Sylvette et Ulrich. Au fil des week-ends, la réalisatrice déroule la chronique des relations amicales et amoureuses de ce quatuor alors que le couple formé par Christine et Jean traverse une crise. L. T. d’Anne Villacèque (1h30) Distribution : Haut et Court Sortie le 26 février

détail signifiant. Paradoxalement, il utilise les codes du conte pour démystifier son sujet et le décortiquer par la psychanalyse, enchevêtrant les différentes époques de la vie de Blocher par un brillant travail de montage. Les références permanentes à un cinéma de fiction lui-même féru de psychanalyse (Lynch, Kubrick) agissent comme un moyen efficace d’entrer dans le propos en installant une grille de lecture connue. Si aujourd’hui l’écho politique de Blocher est moindre du fait de sa défaite aux élections de 2011, le documentaire de Jean-Stéphane Bron résonne malgré tout dans une Europe elle aussi toujours très préoccupée par la couleur des moutons. de Jean-Stéphane Bron Documentaire Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h40 Sortie le 19 février

> NON-STOP

À bord d’un vol pour Londres, un agent de la police de l’air reçoit des SMS d’un inconnu le sommant de transférer cent-cinquante millions de dollars sur un compte bancaire, faute de quoi un passager sera tué toutes les vingt minutes. Un efficace survival aérien. T. Z. de Jaume Collet-Serra (1h46) Distribution : StudioCanal Sortie le 26 février

72

février 2014

> LA GRANDE AVENTURE LEGO Un jeune homme sans histoires devient l’unique espoir de salut pour le monde Lego. Rappelez-vous les plus homériques de vos mercredis après-midi, les genoux sur la moquette et les mains pleines de petites pièces colorées. Ils en ont fait un film. É. R. de Phil Lord et Chris Miller Distribution : Warner Bros. Sortie le 19 février


le s fi lm s

Terre des ours La péninsule volcanique du Kamchatka est un coin fasci­ nant situé à la pointe de l’Extrême­-Orient russe. Peu d’hommes y vivent. Les habi­ tants les plus connus sont d’im­ menses ours bruns. À la fin de l’hiver, ces mastodontes et leurs petits sortent de leurs grottes pour se faire une ventrée de saumons et amasser de la graisse qui leur permettra de tenir pendant la prochaine période d’hibernation. Ce documentaire animalier à grands moyens est extrêmement bien tourné, monté et raconté. Le tout est un étalon de bon goût, même si le texte lu par Marion Cotillard est de temps en temps un poil trop lyrique, appuyé en ce sens par une musique pop sympa mais mal à propos. La 3D relief apporte beaucoup à la majesté du territoire, qui

© sergey gorshkov

PAR Étienne Rouillon

révèle dès le début des surprises qui vous clouent à votre fauteuil. Et c’est donc l’histoire d’un peuple de machines à tuer qui pour autant a du mal à survivre dans un environnement inhospitalier, dépendant uniquement de la bonne migration d’énormes saumons. Cycle saisonnier d’un écosystème, mue de l’ourson en ours,

les sujets du film sont traités avec une grande pédagogie, ce qui les rend accessibles aux enfants. À partir de 7 ans, si le joli déchiquetage d’un saumon est susceptible de les impressionner. de Guillaume Vincent Documentaire Distribution : Paramount Durée : 1h27 Sortie le 26 février

Phantom of the Paradise PAR MICHAËL PATIN

Quarante ans après sa première apparition, quelques semaines avant son retour en salles, le visage glaçant du méchant de Phantom of the Paradise, le dia­ bolique producteur Swan, est réapparu à la télévision. En effet, Paul Williams, qui incarnait cette figure maléfique à l’écran (et avait par ailleurs composé la musique du film), a joué les porte-­parole des Daft Punk lors de la dernière cérémonie des Grammy Awards en sa qualité d’invité sur l’album Random Access Memories. Comme le phœnix, le personnage central du film de Brian De Palma renaît de ses cendres pour célébrer la créativité au cœur du mainstream. Ou comment un film unani­mement considéré comme « culte » – relecture croisée du mythe de Faust et du Fantôme de

l’Opéra de Gaston Leroux, bourrée d’humour noir et de romantisme cruel, poussant tous les voyants de l’imagerie rock dans le rouge – réactualise, hors de lui, son propos. Du producteur accapareur Swan et de l’artiste naïf Winslow, on ne sait qui a vendu son âme au diable et qui cache ses plaies sous un masque d’horreur.

www.troiscouleurs.fr 73

Le fait que l’un et l’autre semblent aujourd’hui confondus agrée la dimension prophétique du film, dont les excès et les métaphores trouvent de nouvelles résonances à chaque génération. de Brian De Palma avec Paul Williams, William Finley… Distribution : Solaris Durée : 1h32 Sortie le 26 février


le s fi lm s

© richard foreman

PAR T. Z.

Un ferrailleur bosniaque fait difficilement vivre sa famille avec le maigre revenu qu’il gagne. Sa femme se trouve en danger de mort à la suite d’une fausse couche et du refus du médecin d’extraire le fœtus si la famille ne paye pas d’avance. Le principe fort de cette fiction est de mettre en scène la famille qui a réellement vécu cette histoire, en lui faisant rejouer les scènes. Alliée à un cadrage documentaire, mais à un étalonnage non réaliste, l’idée fonctionne et donne à réfléchir.

PAR É. R.

Cumberbatch, Juliette Lewis…), deux reines du mélodrame américain s’affrontent : Meryl Streep et Julia Roberts, en mère et en fille partageant un caractère tyrannique dévastateur.

Grosse pointure de la 3D relief, que ce soit pour le documentaire animalier ou pour le film d’animation (Fly Me to the Moon, Le Voyage extraordinaire de Samy), le réalisateur Ben Stassen a associé son savoir-faire à des techni­ ques de pointe pour filmer les bêtes d’Afrique sous des angles uniques, depuis la Namibie jusqu’à la Tanzanie en passant par les contreforts du Kilimandjaro. Éléphants, rhinocéros, girafes, lions, chauve-souris, profitent de cette direction hors normes pour promener leurs formes dans ces décors majestueux.

de John Wells avec Meryl Streep, Julia Roberts… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h59 Sortie le 26 février

de Ben Stassen Documentaire Distribution : StudioCanal Durée : 1h29 Sortie le 26 février

de Danis Tanovi avec Nazif Muji , Senada Alimanovi … Distribution : Zootrope Films Durée : 1h15 Sortie le 26 février

Un été à Osage County Trois sœurs, qui ne se côtoient plus, se retrouvent dans la maison familiale, au fin fond de l’Oklahoma, après la disparition de leur père. L’occasion de faire le point et de se confronter à leur mère, cancéreuse et cynique, qui déverse frustration et mal-être sur les siens. Au centre d’un casting étoilé (Ewan McGregor, Benedict

African Safari

© studiocanal

La Femme du ferrailleur

Le Sens de l’humour

PAR T. Z.

PAR J. R.

La meilleure défense, c’est l’atta­ que : Élise est odieuse avec Paul, l’homme qu’elle fréquente et qui ne demande qu’à l’aimer. Cette mère célibataire parisienne, plus fragile qu’elle n’y paraît, porte la colère sourde d’un deuil douloureux depuis le décès de son mari, des années auparavant. Caustique et enlevé, le premier long métrage de la délicate Maryline Canto, qui tient le premier rôle face à Antoine Chappey, séduit par la justesse des sentiments exprimés et des dialogues teintés d’humour noir. © ivan mathie

de Maryline Canto Avec Maryline Canto, Antoine Chappey… Distribution : Pyramide Durée : 1h28 Sortie le 26 février

74

février 2014



© zipporah films

le s fi lm s

At Berkeley Poursuivant avec opiniâtreté son examen des institutions occidentales, Frederick Wiseman a posé sa caméra sur le campus de Berkeley, prestigieuse université publique de la côte ouest des États-Unis. Passionnant. PAR LAURA TUILLIER

© zipporah films

Frederick Wiseman s’empare de son sujet avec frontalité : dès la deuxième séquence, le spectateur est immergé dans une salle de classe où il assiste à un exposé sur la pauvreté contemporaine donné avec ferveur par une prof qui se révèle passionnante. L’impression est étrange, celle d’oublier presque le film tant les sujets soulevés au fil des classes sont captivants et filmés dans la longueur. Le mouvement de At Berkeley est pourtant plus complexe et souter­ rain. En alternant captations des cours et débats de l’administration sur l’avenir du financement de l’université, Frederick Wiseman filme une parole en action, une énonciation tellement maîtrisée qu’elle devient performative. Sa caméra est un spectateur de plus pour des profs, des élèves et un personnel extrême­ment bien rôdés à la représentation, à l’exercice de la mise en scène de soi. Qu’il s’agisse d’une

analyse de Walden ou la Vie dans les bois, d’une conférence sur la formation des tumeurs ou d’une discussion entre élèves sur le racisme qui sévit sur le campus, l’attention est toujours portée sur le discours tel qu’il se déploie dans cet univers privilégié où chacun dispose des moyens adéquats pour transmettre sa pensée. Les intermèdes silencieux en extérieur – le travail des jardiniers ou des maçons –, délivrent alors une puissance bizarre, comme si corps et esprits se trouvaient déconnectés. Au fil des séquences, l’ambition et l’humilité du cinéaste se dévoilent : comme l’évoque un spectacle étudiant, « laisser une trace de ce que nous avons été ». de Frederick Wiseman Documentaire Distribution : Sophie Dulac Durée : 4h04 Sortie le 26 février

3 questions à Frederick Wiseman Propos recueillis par Q. G. et L. T. La parole est importante dans le film, tout le monde semble être en représentation.

Oui, les profs sont semblables à des comédiens, mais en même temps le jeu fait partie de la vie. Ce qui m’a marqué, c’est que les étudiants ont vraiment le droit de parler, ce n’est pas comme dans les universités françaises où le prof est un petit général et les élèves ne peuvent pas en placer une !

Comment avez-vous choisi les cours auxquels vous avez assisté ?

À partir des sujets qui m’intéressaient. C’était important, aussi, de montrer que Berkeley est une université tournée vers la science. Et puis je trouvais ça drôle d’insérer des séquences auxquelles les spectateurs ne comprendraient rien, comme celle du cours d’astrophysique mené par un prix Nobel.

76

février 2014

Comment avez-vous tourné pendant la contestation étudiante ? Je courais entre la bibliothèque, où les élèves manifestaient, et la salle où se tenait le conseil d’administration qui tentait de trouver une issue au conflit. L’université se prépare toujours à ces situations extrêmes. Heureusement pour moi, les deux bâtiments étaient très proches. Lorsque je m’ennuyais, je passais de l’un à l’autre.


www.troiscouleurs.fr 77


D. R.

le s fi lm s

Les Meilleures Intentions Palme d’or en 1992, le film de Bille August a été écrit par Ingmar Bergman qui y raconte la jeunesse de ses parents. La version télévisuelle, longue de plus de cinq heures, a la beauté d’un mélodrame classique. PAR LAURA TUILLIER

Après qu’Ingmar Bergman a décidé de ne plus réaliser de films (son dernier long métrage, Fanny et Alexandre, est sorti en 1982), il a néanmoins continué à travailler pour le théâtre et la télévision et a écrit le scénario des Meilleures Intentions. Cette minisérie, réalisée par Bille August, a ensuite été remontée pour le cinéma et a recueillis deux récompenses à Cannes en 1992 (la Palme d’or et le Prix d’interprétation féminine pour Pernilla August). Les Meilleures Intentions fait figure de récit biographique un peu particulier : si Ingmar Bergman part d’une expérience intime, l’enfance, il imagine la vie de ses parents avant sa naissance (le film prend fin alors que sa mère est enceinte de lui) avec la volonté d’observer et de comprendre l’environnement qui l’a accueilli. Le récit, ambitieux, suit Anna et Henrik de leur rencontre, alors qu’ils sont encore étudiants, jusqu’à la crise conjugale qui ébranlera durement leur couple. Dès le début de la série, le sort s’acharne contre leur union, sous les traits de la mère d’Anna qui n’accepte pas les origines désargentées d’Henrik. Cette différence de classe est le ver dans le fruit, la chose qui empêchera le coup de foudre d’Anna et Henrik de se

78

muer en amour profond. En dépit de quelques heures de bonheur partagé (qui voient Anna, son frère Ernst et Henrik s’amuser comme des enfants, bras dessus bras dessous), le couple passe deux années séparé. Lorsqu’ils se retrouvent enfin et se marient, il est trop tard. Ces occasions manquées sont ce qui semble toucher le plus Bergman : les meilleures intentions sont celles de chacun des personnages (Anna, Henrik, leurs mères respectives), mais ne suffisent pas à assurer la possibilité de relations heureuses entre les êtres. La mise en scène de Bille August, classique et sobre, inscrit les personnages dans des cadres à la beauté picturale et les nimbe d’un calme qui laisse effleurer le grand bouillonnement des sentiments. Au terme des plus de cinq heures que dure la série (trois heures pour la version film) rien ne sera résolu et à peine davantage pardonné, mais chacun aura pu laisser s’exprimer son drame intérieur, égoïste et humain. de Bille August avec Pernilla August, Samuel Froller… Édition : Blaq Out Durée : 3h (film) et 5h20 (série) Disponible

février 2014


dvd

LES SORTIES DVD

> LA DERNIÈRE FOIS QUE J’AI VU MACAO

> BLUE JASMINE

> MEKONG HOTEL

de João Rodrigues et João Rui Guerra da Mata (Épicentre Films)

À la fois documentaire et film noir, La dernière fois que j’ai vu Macao est une œuvre qui aurait pu ne pas dépasser son concept. Soit un héros qui revient sur les lieux de son enfance pour enquêter sur une disparition. Sur des images de paysages urbains déserts, son commentaire las dresse le portrait d’une ville hantée par les souvenirs du cinéma hollywoodien classique. Les réalisateurs parviennent à aller au-delà de la simple expérimentation lorsque le film, à la manière d’un Chris Marker, épouse les circonvolutions labyrinthiques de la mémoire. Q. G.

Après un voyage européen mi-figue, mi-raisin, plombé par un exotisme parfois balourd, le cinéma de Woody Allen revient aux États-Unis et retrouve sa cohérence et son mordant. Femme de la haute société new-yorkaise, Jasmine perd tout lorsque son mari est embarqué dans une magouille financière. Lointainement inspiré par l’affaire Madoff, ce scandale est le point de départ pour Jasmine d’un exil contraint et forcé chez sa sœur qui vit simplement dans un petit appart à San Francisco. Explosée en permanence par un cocktail d’antidépresseurs et d’alcool, Jasmine tente de se reconstruire une vie. É. R.

Sur les ruines d’un projet avorté, Apichatpong Weerasethakul a réalisé ce moyen métrage présenté à Cannes en 2012. À partir de ce qu’on devine être des répétitions ou des improvisations filmées, le réalisateur tisse le fil de plusieurs espaces temporels, tous arrimés aux rives du fleuve Mekong et à l’hôtel qui lui fait face : un jeune couple d’amants, une fille aux prises avec sa mère habitée par l’esprit Pob, qui la force à se nourrir de viande humaine, le tout bercé par une ritournelle dont la douceur s’accorde au rapport apaisé que les personnages entretiennent avec les fantômes. L. T.

> LA ROUTE DES INDES

> LILITH

> DARK STAR

Dans les années 1920, Adela rend visite à son fiancé en Inde, accompagnée par la mère de celui-ci. Indignées du racisme des Anglais envers les autochtones, les deux femmes se lient d’amitié avec l’un d’eux, Aziz. Pour son dernier film, David Lean (Lawrence d’Arabie, Le Docteur Jivago) explore les préjugés raciaux au travers d’une intrigue amoureuse influencée par la psychanalyse et le mysticisme local. Rongée par des questions sur l’amour et par ses propres désirs, Adela laisse ses phobies dégénérer lors de ses visites dans les lieux sacrés hindous, que le cinéaste filme magistralement. T. Z.

En 1964, quatre ans après À bout de souffle, Jean Seberg est de retour aux États-Unis dans un rôle qu’à l’époque on estime très proche de la réalité. Elle incarne Lilith, une jeune malade internée depuis sa majorité dans un hôpital psychiatrique. Vincent (Warren Beatty), le nouvel interne, tombe sous son charme et accède alors à une nouvelle réalité, bien éloignée de sa vie de jeune homme. Le film de Rossen, cruel et lumineux, est troué de visions admirables, chatoiements éclatants qui disent tout autant le trouble amoureux que l’approche des rives de la folie pour les deux amants maudits. L. T.

Le premier long métrage de John Carpenter (Halloween) est un film de fin d’études tourné en 1971 qui fut augmenté de quelques scènes pour sa sortie en salles en 1974. Délire de science-fiction parodique, Dark Star suit le quotidien de cinq astronautes hirsutes qui, entre deux missions de destruction de lointaines planètes instables, s’ennuient ferme dans leur vaisseau. L’absurde se mêle au potache pour délivrer quelques moments inoubliables, comme lorsque la machine qui largue les bombes s’éveille à la conscience et au doute et se lance dans une redoutable diatribe nihiliste. J. R.

de David Lean (Carlotta)

de Woody Allen (TF1)

de Robert Rossen (Wild Side)

www.troiscouleurs.fr 79

d’Apichatpong Weerasethakul (Jour2Fête)

de John Carpenter (Carlotta)


cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

Mogwai MUSIQUE

SÉRIES

ARTS

Ce n’est pas le plus gros groupe du monde, mais ils font assurément le plus gros son. Avec Rave Tapes, le rock-muraille de Mogwai construit une nouvelle enceinte béton, protégeant toujours mieux l’un des derniers bastions de la musique instrumentale analogique. Rencontre avec les guitaristes Stuart Braithwaite et John Cummings. PAR ÉTIENNE ROUILLON

À retrouver en vidéo sur troiscouleurs.fr

I êt us es

ici

vo

© gullick

ls parlent très peu fort. Murmurent presque. Pourtant ces deux Écossais ont fait exploser des paquets d’écouteurs de Discmans, de MiniDiscs ou de baladeurs MP3. Mogwai est apparu en 1997 avec un album au titre programmatique, Mogwai Young Team. Du sang neuf dans le sillon du rock instrumental, portant le nom de créatures à poils doux comme un chapelet de notes de piano, mais capables de se transformer en gremlins agressifs comme une distorsion de guitare. Mais tout ça est peut-être complètement bidon. Le groupe aime à répéter que son nom, comme celui des titres de ses chansons, et même leurs rares paroles, sont venues au hasard des formules qui sonnent bien, ou alors faute de trouver mieux sur le moment. On pioche donc sur les tracklists de leurs huit albums dans un éventail de slogans sans cap apparent, allant de Ratts of the Capital à I Love You, I’m Going to Blow up Your School, en passant par Hardcore Will Never Die, But You Will. Si on veut bien croire que le sens est bricolé de toute pièce, la syntaxe, elle, témoigne d’un sens aigu du rythme, fait de ruptures et de renversements, à l’image de leur musique. Leurs

XVIIIème XVIIe

XIXe IX

VIIIe

X

e

IIe

IIIe

Ie

XVIe

e

IVe

VIIe VIe XV

e

Ve

XIe

XXe

XIIe

concert

concert

St. Vincent le 18 février à La Cigale p. 84

Moderat les 17 et 18 février au Trianon p. 84

XIIIe XIVe

80

février 2014


KIDS

livres

Mary Poppins : la chronique d’Élise,cinq ans p. 86

SPECTACLES

La Corde de Stefan aus dem Siepen p. 88

JEUX VIDÉO

JEU VIDÉO

The Walking Dead, saison 2, épisode 1 p. 96

FOOD

disques parlent donc pour eux, mais il est toutefois possible d’arracher quelques mots à John Cummings : « Il y a cette idée stupide qui veut que pour qu’une musique soit écoutable, il doit y avoir obligatoirement des paroles, un refrain que l’on peut chanter. Je ne sais pas, peut-être que ça rassure ceux qui écoutent. Pour toute musique, et c’est d’autant plus vrai pour la musique instrumentale, que ce soit du classique ou de la dance, ce qui est important c’est de… Pour être plus clair, prenons cette analogie un peu débile de l’histoire qui se déploie à mesure que l’on tourne les pages. Tout est affaire de mouvements et de changements. On peut commencer par quelque chose de petit, de chétif, et ensuite l’enrichir, faire disparaître des éléments, les faire revenir. La chanson prend alors la forme d’une expérience qui fait sens. » Il ne dit pas ça pour rigoler. Marcher normalement dans la rue en écoutant certains morceaux de Mogwai s’avère assez casse-gueule. On peut vite perdre l’équilibre, parce que le mur de son posé par le groupe peut passer d’un coup du petit muret de cailloux à l’immeuble de cinquante étages, 100 % parpaing. Chef de chantier, Stuart Braithwaite nous donne la méthode de construction : « On compose généralement chacun de notre coté, puis on se réunit pour échanger, et on travaille ensuite l’arrangement en répétant tous ensemble. » FUTURS CLASSIQUES

Pour se familiariser avec le langage de Mogwai, on peut commencer avec le mètre étalon de leurs ballades furieuses, la chanson 2 Rights Make 1 Wrong sur l’album Rock Action, sorte de bande-son pour émeute filmée au ralenti : introduction à la guitare, nette et gentille, autour de laquelle tourne une voix robotique inintelligible, puis entrée de la batterie, dont la rythmique est toujours imprévisible et le groove, lourd mais

DESIGN

présente

« Il y a cette idée stupide qui veut que pour qu’une musique soit écoutable, il doit y avoir obligatoirement des paroles, un refrain. » nerveux ; et ensuite, c’est l’habile montage et démontage de pistes qui s’enchevêtrent, s’emmêlent, se séparent, pour arriver au bout des neuf minutes. Mogwai a déjà sonné bien plus chargé que sur Rave Tapes. Stuart le reconnaît : « C’est peut-être le plus minimaliste de nos disques. Je trouve qu’il y a beaucoup d’espace à l’intérieur des chansons. Elles ne sont pas surchargées par des tonnes et des tonnes de trucs. » Rave Tapes aligne dix chansons, avec les habituelles trahisons à l’identité sonore du groupe. À chaque fois les fans crient au scandale, et puis vient un nouvel album et les anciens morceaux apocryphes deviennent finalement des classiques. Il y a eu Glasgow Mega-Snake, Mexican Grand Prix, cette fois c’est la troisième piste de Rave Tapes qui fait débat : Remurdered. Ses arpèges de synthé font penser au travail de Daft Punk sur la bande-son de Tron : Legacy. Le nom même de la chanson rappelle les Recognizer ou Derezzed du groupe casqué, mais puisqu’il ne faut pas faire attention aux noms… Un peu comme si les deux groupes avaient répondu au même brief avec des consignes opposées : Daft Punk ferait une musique cinématographique, Mogwai ferait une musique instrumentale. John précise : « Musique de cinéma et musique instrumentale sont deux choses différentes. Parfois, une bande son doit se faire moins musicale, de manière à pouvoir

le PARCOURS PARISIEN du mois

danse

So blue du 26 février au 6 mars au Centquatre p. 92

art vivant

Nouveau festival du Centre Pompidou, du 19 février au 10 mars p. 94

www.troiscouleurs.fr 81

food

Boucherie Yves-Marie Le Bourdonnec 43, rue du Cherche-Midi Paris VIe p. 98


© gullick

cultures MUSIQUE

« La musique instrumentale n’est pas faite pour avoir la tête de l’emploi, elle se tient d’elle-même. » coller avec ce qui se passe à l’écran. Du coup, si vous l’écoutez sans l’image, vous pouvez avoir l’impression qu’il manque quelque chose dans la composition. La musique instrumentale n’est pas faite pour avoir la tête de l’emploi, elle se tient d’elle-même. Il faut avoir une approche différente pour chacun de ces types de musique. » Et Stuart de poursuivre en disant qu’ils adoreraient composer pour des films d’horreur, d’énumérer les réalisateurs avec lesquels il aimerait travailler : « Todd Solondz, Jim Jarmusch, David Cronenberg, David Lynch, David Fincher… En fait, tous les réals qui s’appellent David. Jusqu’ici on a toujours eu de la chance quand on est venu nous chercher pour faire des musiques de films. Les gens voulaient le son de Mogwai, on n’avait pas à se transformer pour coller à l’atmosphère attendue. » La force narrative de leur musique muette a ainsi été utilisée pour accompagner des films comme The Fountain ou Zidane, un portrait du xxie siècle. Récemment, vous avez pu l’entendre dans la série télévisée Les Revenants. Les concerts de Mogwai ont donné corps à des légendes homériques, faites de spectateurs des premiers rangs avec les oreilles en sang, d’ingénieurs du son jetant l’éponge face aux Scuds sonores que les Écossais leurs envoyaient depuis la scène. Des

82

mythes. Mais on conseille de potasser un minimum Rave Tapes pour pouvoir en profiter tout son soûl en live. Dix titres à l’enchaînement très réfléchi. En ouverture, Heard About You Last Night est un brillant petit rappel des épisodes précédents, avec xylophone rebondissant et lointains breaks mitraillette de la caisse claire. Simon Ferocious, comme son nom l’indique, c’est pas de la musique de rigolo, avec un thème simple en boucle que viennent agresser successivement d’autres lignes, quand ce n’est pas tout en même temps. Plus on avance dans l’album et plus le vocabulaire est nourri, les syntaxes variées, le verbe conjugué à des temps composés. Surprenant, le morceau Repellish rappelle la controverse qui a entouré le Stairway to Heaven de Led Zeppelin (certains pensaient qu’en jouant le morceau à l’envers, on entendait des paroles sataniques). Mogwai se paie ici très probablement la tête de ceux qui veulent expliquer leur musique à tout prix, en essayant de trouver des messages cachés dans les structures des chansons, dans leurs paroles, dans leurs titres. OK. Message bien reçu. L’édifice somptueux de Rave Tapes se tient debout, sans que l’on doive connaître le secret de ses architectes. Rave Tapes de Mogwai (Rock Action/[Pias]) Disponible

février 2014



cultures MUSIQUE

agenda © ramona raksha

Par E. Z.

CONCERT

St. Vincent PAR wilfried Paris

Annie Clark, alias St. Vincent, sort à la fin du mois son quatrième album, tout simplement inti­ tulé… St. Vincent. « Je lisais l’autobiographie de Miles Davis, et entre beaucoup de “fuck” et de “motherfucker”, il écrit que la chose la plus difficile pour un musicien, c’est de sonner comme soimême : de jouer comme soi-même, de chanter comme soi-même, d’écrire comme soi-même, d’une manière que personne d’autre ne peut vraiment imiter. Sur ce disque, je pense que je sonne enfin comme moi-même. C’est pour cela qu’il s’appelle St. Vincent. » Ses trois opus précédents (dont Strange Mercy, « l’un des meilleurs disques de l’année 2011 », selon le New York Times) ont affiné et affirmé son style, désormais identifiable entre tous : de parfaites mélodies pop, chantées d’une voix tantôt éthérée tantôt plongeant sous terre, de lourdes sections rythmiques indie-rock hyper compressées et des guitares saturées affutées en picking complexes ou en riffs rageurs. Le pied sur mille pédales d’effet, faisant sonner sa collection de guitares comme autant d’instruments inédits, synthétiseurs de métal inouïs, cette belle jeune femme de 32 ans déploie une énergie à la fois explosive et contenue oscillant entre éther et profondeur, comme les textes de ses chansons, ambivalentes sinon schizophrènes, et soufflant le chaud et le froid : « Ce qui a toujours été intéressant pour moi, c’est de faire une musique accessible, pop, mais lunatique sur les bords. » Une balade nue dans le désert texan en compagnie des serpents (Rattlesnake) ou une « naissance à l’envers » (Birth in reverse) comptent parmi les plus fascinantes pépites de lune qui soient tombées sur Terre ces jours-ci.

LE 12 FÉV.

du 12 au 23 fév.

SUZANNE VEGA Héritière de Lou Reed et du revival folk des fifties, la New-Yorkaise revisitera avec une joie délicate son répertoire (Marlene on the Wall, Tom’s Diner) et dévoilera au public parisien, lors d’un concert intimiste et vibrant, les morceaux de son huitième album, à venir, l’énigmatique Tales from the Realm of the Queen of Pentacles.

Fireworks ! Festival Orgie musicale pour la troisième édition : Jenny Wilson et sa pop soul sauvage, la fièvre surf rock d’of Montreal, les incantations blues lo-fi de Willis Earl Beal, l’électro freak envoûtante de Planningtorock, la techno cinématique de Mondkopf…

au Divan du Monde

les 17 et 18 fév.

MODERAT Épaulés par le Berlinois Anstam et sa techno nébuleuse, les b-boys de la bass music Modeselektor et le crooner dream-pop Apparat sabreront leur nouvel opus II, une pépite croisant punch dancefloor et lyrisme atmosphérique (l’obsédant Bad Kingdom) taillé pour un trek grisant en terra electronica. au Trianon

le 23 fév.

EBONY BONES Afro-punk, rock psyché, nu funk : Behold, a Pale Horse, deuxième album bigarré, est un cocktail affriolant où se bousculent l’orchestre symphonique de Bombay, les Smiths et mille excentricités pour huit titres furieusement troussés annonçant un show épique et électrique, à l’image de cette Beyoncé sous acide. à La Maroquinerie

le 1 er mars

LE 6 mars

DANNY BROWN Entre mixtapes bouillantes et collaborations XXL (de Schoolboy Q à A$AP Rocky), le plus punk des rappeurs de Détroit lâche Old, kaléidoscope introspectif criblé de salves folles siphonnant dark rap, drogues multiples et beats léchés : une bombe livrée sans bling-bling dans un live extra jouissif.

Breton Esprit garage, collages synthpop, ambiances urbaines, le collectif au nom surréaliste a l’art de l’alchimie. Pour preuve ce War Room Stories, deuxième disque des plus excitants qui, de la charge noire, charnelle, de Got Well Soon au mantra pop catchy de Envy, a tout pour subjuguer les corps, et les esprits.

au Bataclan

St. Vincent en concert à La Cigale le 18 février

84

au Nouveau Casino, au Point Éphémère, au Café de la Danse, au Social Club, à La Maroquinerie, à La Gaîté Lyrique…

février 2014

à La Cigale


sélection Par Michaël Patin et Éric Vernay

VEX RUFFIN

de Vex Ruffin (Stones Throw)

Creuser des tunnels post-punk avec les techniques du sampling hip-hop, c’était déjà, à la fin des années 1980, la ligne directrice de Baron Zen et de son ami Peanut Butter Wolf, fondateur du label Stones Throw, sur lequel est aujourd’hui logiquement signé Vex Ruffin. Ce jeune homme invite les fantômes de Suicide et de PiL à conquérir l’oreille postmoderne sans renier leur radicalité d’origine, mettant sa culture de beatmaker au service de chansons minimalistes, répétitives et addictives.

BUM

de Cheveu (Born Bad)

Programmé à la Cité de la musique dans le cadre de l’exposition « Europunk », Cheveu ne risque pas pour autant de s’institutionnaliser. La preuve, ce nouveau disque, le plus mélodique et le plus accessible à ce jour, le bien nommé Bum (« clochard »). Sans domicile répertorié, souvent sale et méchant, divaguant bruyamment, Cheveu farfouille dans les marges de la culture populaires (rock, ciné, BD) pour assembler des chansons d’une grisante impureté. La lune était dans le caniveau, Cheveu vient (encore) de la décrocher.

LORD STEPPINGTON

de Step Brothers (Rhymesayers)

En regardant Frangins malgré eux, l’hilarante comédie d’Adam McKay (2008) avec Will Ferrell et John C. Reilly, Alchemist et Evidence ont eu l’idée de former le duo Step Brothers. Amis depuis des lustres, le producteur et le MC avaient déjà collaboré, notamment sur les disques de Dilated People. Ce projet leur permet d’aiguiser leur boom bap menaçant sans pour autant l’asphyxier dans un régime autarcique : Action Bronson, Oh No et Roc Marciano sont venus apporter leur pierre à l’édifice.

7 DAYS OF FUNK

de 7 Days of Funk (Stones Throw)

On croyait Snoop Dogg disparu, remplacé par son sosie rasta Snoop Lion (voir le film Reincarnated). Le double G rangeait les guns pour écouter pousser ses ongles, le pimp lubrique se changeait en amoureux universel, la fumette comme mode de vie s’éclairait de justifications mystiques. Mais chassez le naturel… et il revient dans son étincelant costume G-funk, accompagné du fils caché de Dr. Dre, DâM-FunK, qui lui permet de renouer avec la classe licencieuse de Doggystyle pile vingt ans après.


cultures KIDS

Mary Poppins

© walt disney company

cinéma

l’avis du grand

Alors que le film souffle cette année ses cinquante bougies et profite d’une sortie en Blu-ray, le pouvoir de fascination de Mary Poppins n’a pas faibli. Notre jeune critique ne s’est pas fait prier pour en témoigner. Propos recueillis par Julien Dupuy

Le petit papier « Ça se passe à Londres. C’est drôlement beau Londres. Il y a des enfants qui font des bêtises et un papa pas très gentil qui travaille dans une banque, un endroit où l’on donne des sous pour ne pas se faire voler. Ils sont pas sympas dans la banque. Les enfants demandent une nounou. Alors il y a une tempête, et Mary Poppins arrive avec son parapluie dans la maison des enfants pour ranger leur chambre avec son super pouvoir. Et ils chantent beaucoup. Je déteste quand le papa et la maman chantent, par contre j’aime bien quand Mary chante. La chanson du morceau de sucre, c’est la mieux. Mary conduit les enfants au parc voir un monsieur qui rigole tout le temps et qui

d’ Élise, cinq ans fait semblant de faire de la magie. Ce monsieur parle trop vite, je comprends rien à ce qu’il dit. Mary, elle, fait de la vraie magie et emmène les enfants dans le paysage d’un dessin. À un moment, ils rencontrent des pingouins et ils dansent. Le monsieur qui rigole tout le temps se fait un pantalon un peu court pour ressembler aux pingouins. C’est un film super, parce qu’il se passe bien plus de choses que dans les autres films, et qu’en plus ce sont de vrais humains ! » Mary Poppins de Robert Stevenson avec Julie Andrews, Dick Van Dyke… Distribution : Walt Disney Durée : 2h14 Sortie en Blu-ray le 5 mars

86

février 2014

Il y a la réputation ou le souvenir que l’on a des œuvres de Walt Disney ; et puis il y a les films eux-mêmes. Or, comme pour la plupart des classiques du studio, revoir aujourd’hui Mary Poppins dans des conditions optimales (la restauration tient du miracle, les suppléments sont fascinants) est riche en surprises. Loin du conte inoffensif et moralisateur dont on croyait se rappeler, Mary Poppins est une condamnation violente de la course au profit, une ode enthousiaste à la bohème, mais aussi une satire acide de la société patriarcale ; et évidemment, les exploits technologiques parviennent encore à surprendre. Œuvre hybride à mi-chemin entre film live, dessin animé et peinture impressionniste, Mary Poppins demeure l’une des plus belles réussites du grand Walt. J. D.


dvd © 1952 renewed 1980 columbia pictures industries inc. all rights reserved

Par J. R.

Les 5 000 Doigts du Dr T. Ce titre bizarre cache un film d’une inventivité visuelle et narrative folle. Sortie en 1953 et tournée en Technicolor, cette immersion dans l’imagination débordante d’un gamin fera l’effet d’un délire hallucinatoire à quiconque a dépassé les 10 ans. Dégoûté des interminables gammes que lui impose son sévère prof de piano, Bart s’endort sur le clavier et se rêve prisonnier du terrible docteur T., qui souhaite capturer une foule d’enfants pour les forcer à jouer sur un instrument géant. Sans aucun temps mort, les scènes de danse, de chant, de courses poursuites ou de bagarres s’enchaînent dans des décors gigantesques aux formes abracadabrantes. Un régal, ne serait-ce que pour la performance sidérante de Hans Conried en docteur T. Les 5 000 Doigts du Dr T. de Roy Rowland avec Tommy Rettig, Hans Conried Durée : 1h28 Distribution : Wild Side Disponible Dès 5 ans

et aussi photo christophe beaucarne, d. r

© 20th century fox

Par R. C. et C. Ga.

cinéma

cinéma

Avec ses lunettes sur la truffe et son nœud papillon, M. Peabody est le père adoptif de Sherman. Inventeur de génie, ce chien a même créé, pour son fils, une incroyable machine à remonter le temps, pour lui apprendre l’histoire. Quand Sherman lui désobéit pour les beaux yeux d’une petite peste, M. Peabody s’embarque dans une aventure temporelle délirante. Une leçon d’histoire décalée pour un divertissement familial tendre et sympathique. M. PEABODY ET SHERMAN : LES VOYAGES DANS LE TEMPS

En 1899, les studios Pathé ont été les premiers à transposer sur grand écran ce conte. Près de soixante-dix ans après l’inoubliable film de Jean Cocteau, Pathé et Christophe Gans en livrent aujourd’hui une version très libre, destinée aux enfants qui n’ont pas froid aux yeux. Léa Seydoux incarne une Belle à la fois enfantine et téméraire, face à une Bête travaillée aux effets numériques sous les traits de laquelle se cache Vincent Cassel, carnassier à souhait. LA BELLE ET LA BÊTE

Distribution : 20 th Century Fox Sortie le 12 février Dès 6 ans

Distribution : Pathé Sortie le 12 février Dès 8 ans

de Rob Minkoff (1h24)

de Christophe Gans (1h50)


© bernd shumarcher

cultures LIVRES / BD

La Corde fantastique

Quand une simple corde à l’orée d’un bois conduit un village à la folie pure… Une fable angoissante, quelque part entre Shyamalan et Kafka, signée par le diplomate allemand Stefan aus dem Siepen. Par Bernard Quiriny

On ne sait pas où, ni quand. Peut-être il y a trente ans, peut-être il y a trois siècles. Toujours est-il que l’histoire se passe au cœur d’une campagne de conte pour enfants, en lisière d’une forêt, dans un village de quelques dizaines d’âmes dont l’existence est régentée par les travaux des champs. Personne ne s’en va jamais, sauf pour vendre des denrées au bourg voisin ou pour chercher une femme ; on naît, on vit et on meurt sur place, dans une monotonie totale. Sauf qu’un jour, Bernhardt trouve l’extrémité d’une corde. Une grosse corde solide, épaisse « comme le pouce », qui traîne dans l’herbe devant la forêt. Quand il tire, elle résiste : l’autre bout est donc attaché quelque part. Mais où ? Pour en avoir le cœur net, les hommes s’enfoncent dans le bois, oubliant la moisson qui approche. Les femmes et les vieillards restent au village, attendant les époux qui ne reviennent pas… Voilà le pitch tout simple de La Corde, court roman qui a fait un tabac en Allemagne. L’auteur, le diplomate Stefan aus dem Siepen, joue à la perfec­ tion sur les codes du récit fantastique et, malgré une mise de départ des plus ténues (une communauté

88

face à un phénomène perturbateur), parvient à un résultat saisissant, dosant avec tact les plages de calme et les moments de vertige. S’ensuit une fable sur la soif de savoir, la fascination du nouveau, la prise de risque et l’obstination, avec une pointe d’absurde qui rappelle lointainement Beckett ou Kafka, ainsi bien sûr que l’atmosphère paranoïaque du film de M. Night Shyamalan Le Village. Seul regret : on eût aimé, en guise de conclusion, une chute plus spectaculaire, ou un renversement révélateur qui aurait mis la touche finale à cette histoire captivante. Mais on n’en garde pas moins longtemps en bouche la saveur intrigante de ce petit texte à lire d’une traite qui, derrière son apparente simplicité, pose une foule de questions psychologiques et philosophiques dans un style tranquille où se niche un soupçon d’humour noir qui n’est pas pour déplaire. Tirez sur la corde : le bizarre est au bout. La Corde de Stefan aus dem Siepen Traduit de l’allemand par Jean-Marie Argelès (Écriture) Disponible

février 2014


sélection Par B. Q.

William Blake ou l’infini

de Christine Jordis (Albin Michel)

Il a donné leur nom aux Doors, est cité dans Seven de Fincher, a inspiré John Zorn et Jim Jarmusch, et reste l’un des plus puissants poètes de la littérature britannique : William Blake (1757-1827) est inépuisable et se lit en français dans les somptueuses traductions de Pierre Leiris. Christine Jordis mêle critique et biographie dans ce petit livre très personnel qui vous donnera envie de lire ou relire les chefs-d’œuvre de Blake, en commençant par le célèbre Mariage du Ciel et de l’Enfer.

Étienne regrette

d’Antoine Sénanque (Grasset)

Prof de philo las de tout, Étienne Fusain tombe sur un graffiti qui le traite de con. C’en est trop : il rompt momentanément avec sa vie ordinaire, se réfugie chez un pote médecin légiste et reconquiert une vieille amie d’enfance… Sur le thème classique de la parenthèse enchantée et de la cure de jouvence, Antoine Sénanque compose un bref roman débonnaire et plaisant, plein d’humour noir (la médecine légale est un vivier de gags morbides) et de petites phrases parfaites. Étienne regrette, nous pas.

Le Miel

de Slobodan Despot (Gallimard)

En 1995, un jeune Serbe se met en tête de récupérer son père, isolé dans la montagne croate, au milieu de ses ruchers. Une improbable épopée dans un pays dévasté commence alors, avec contrôles policiers et relents de haine ethnique… Cet envoûtant premier roman de Slobodan Despot ressemble à une fable ou à une parabole cabossée dans l’Europe des Balkans, avec la sagesse rustique du vieil apiculteur serbe en guise de boussole. « C’est une drôle d’époque, un temps de lièvres. »

Le Diable à Westease

de Vita Sackville-West (Autrement)

Le narrateur s’installe à Westease, village anglais de carte postale où résident un peintre célèbre, un professeur numismate, un pasteur avec femme et enfant… La vie s’écoule, paisiblement, jusqu’au jour où l’on trouve le pasteur assassiné… Avec ce joli petit roman, inédit en français, sur le thème de la double identité et du crime (presque) parfait, Victoria Sackville-West (1892-1962) s’offre une enquête policière à la Agatha Christie dans un décor bucolique et britishissime.


cultures LIVRES / BD

bande dessinée

Lune l’envers Par Stéphane Beaujean

sélection par s. b.

Vois comme ton ombre s’allonge

de Gipi

(Futuropolis)

Lorsqu’il était chez Futuropolis, Blutch expéri­ mentait, s’échinait à tordre le langage de la bande dessinée pour le conjuguer au dessin contempo­ rain ou à la peinture. Mais, depuis son départ pour Dargaud, il délaisse la recherche de formes pour se rabattre vers une pratique à l’académisme affirmé. Du moins, en apparence. Car sous le vernis du récit de science-fiction aux teintes désuètes grondent, cadenassées par son maître, la virtuosité de l’artiste, mais également ses angoisses. Dans le monde futuriste de Lune l’envers, nature et architecture s’enchevêtrent en toute harmonie, comme organisées par la main de l’homme. Pour seules extravagances, au sein de cet environnement d’une parfaite élégance, quelques masses informes, ni tout à fait minérales ni tout à fait végétales, dans lesquelles les femmes plongent les mains pour travailler. Un auteur de bande dessinée célèbre, perdu dans sa carrière et dans sa vie dissolue, s’éprend d’une de ces magnifiques et innocentes vestales. Sans le savoir, elle rédige ce Nouveau Nouveau Testament tant attendu que l’auteur de bande dessinée peine à livrer dans les temps. Blutch a ouvert avec Pour en finir avec le cinéma, son précédent livre, un cycle créatif où le conformisme formel cache un sombre antijournal. Avec Lune l’envers, il part à la reconquête symbolique de son innocence perdue, élimée par les années de pratique, avec beaucoup d’humour, et plus encore, d’humilité. Voilà pourquoi le dessin, d’une puissance incroyable, passe désormais son temps à masquer sa virtuosité derrière les références. Mais qu’on ne s’y trompe pas, Blutch, même courbé sous le poids de la culpabilité et de l’héritage, reste le plus inspiré et exigeant des auteurs de sa génération. Lune l’envers de Blutch (Dargaud) Disponible

90

Le nouveau livre de Gipi compte parmi les plus réussis de sa carrière, déjà fort belle. Il y revient sur ses inquiétudes : la guerre, le legs émotionnel des parents, la peur de sombrer dans la folie… Ses aquarelles, peut-être ici un peu trop décoratives, cristallisent avec force la brutalité des sentiments. Une lecture bouleversante, qui s’appuie sur une grande maîtrise de la bande dessinée.

Bonbons Atomiques

Wet Moon vol. 1

d’Atsushi Kaneko (Casterman)

Atsushi Kaneko est un caméléon qui change de registre et d’esthétique à chacune de ses séries. Avec Wet Moon, il s’engage dans un polar en trois volumes habité par l’obsession. Grand narrateur, son découpage rend compte avec beaucoup d’efficacité des troubles de la perception, des montées d’anxiété, et de stases d’onirisme. Impossible de ne pas être captivé.

Moderne Olympia

d’Anthony Pastor

de Catherine Meurisse

Anthony Pastor continue sur la lancée de Las Rosas et de Castilla Drive. Son nouveau polar pousse encore plus loin ses recherches d’ambiances américaines, quasi plastiques, fabriquées, et qui citent les films des frères Coen ou les photographies de Martin Parr. En bon Français, il sait se glisser dans le registre du récit de genre avec la distance et l’intelligence qui rendent son enquête stimulante.

Quel bonheur de voir Catherine Meurisse céder à la commande du musée d’Orsay et s’en sortir haut la main par une pirouette aussi audacieuse qu’élégante. La visite du bâtiment sert de prétexte au tournage d’une comédie musicale dans laquelle se rejoue l’histoire des arts, à la manière d’un West Side Story, avec dans le rôle-titre Olympia, muse de Manet devenue aspirante comédienne.

(Actes Sud/L’An 2)

février 2014

(Futuropolis)


cultures SÉRIES

blockbusters

Steven Moffat Entre un Doctor Who plus épique que jamais et le retour ébouriffant de Sherlock, les fêtes furent explosives sur la BBC. Le mérite en revient au scénariste Steven Moffat, maître du divertissement total à la télé. Par Guillaume Regourd

ET AUSSI

© bbc

© ifc

The Spoils of Babylon

Sherlock, saison 3

constater la maturité atteinte par Moffat. Il souhaitait une saison 7 épique ? Les consignes à ses équipes étaient de livrer là-aussi l’équivalent d’un blockbuster chaque semaine ? Pari gagné à chaque coup, ce qui ne manquera pas d’interpeller les pontes de Hollywood et leur année 2013 assez contrastée côté locomotives à gros budget. La dernière fois qu’on a tenté de le débaucher outre-­ Atlantique (Spielberg, pour sa trilogie des Aventures de Tintin), Moffat a commencé par donner son accord, avant de se rétracter quand il s’est agi de choisir entre le docteur extra-terrestre et le reporter du Petit Vingtième. Sherlock sur France 2 / Doctor Who sur France 4

sélection Black Sails La lame de fond générée par Pirates des Caraïbes au cinéma aura donc mis plus de dix ans à déferler sur les plages de la télévision. Produite par Michael Bay, Black Sails se propose de revenir aux sources du récit de pirates en narrant les aventures du capitaine Flint, vingt ans avant les événements de L’Île au Trésor. Sinon original, du moins spectaculaire.

Saison 1 sur OCS Max

Saison 1 sur IFC (États-Unis)

Par G. R.

Homeland À force d’atermoiements risibles en début de saison, héritage d’une saison 2 déjà très chaotique, Homeland passe tout près du fiasco irrémédiable. Ses scénaristes reprennent heureusement leurs esprits à mi-parcours en revenant aux fondamentaux de la série : du suspense et une réflexion assez fine sur le renseignement. Tout est encore possible. Saison 3 sur Canal+

www.troiscouleurs.fr 91

Broadchurch Le corps d’un enfant de 11 ans assassiné est retrouvé sur une plage d’une petite station balnéaire anglaise. Deux policiers aux caractères diamétralement opposés mènent l’enquête et se heurtent au silence et aux non-dits des locaux. À voir pour Olivia Colman, grande dame de la télé britannique, et pour David Tennant, un ex-Doctor Who, ici à contre-emploi. Saison 1 sur France 2

© 2014 starz ent. llc ; canal + ; france 2

Cela faisait deux ans que les fans trépignaient dans l’attente du retour de Sherlock. Une éternité pour accoucher de trois malheureux épisodes ? Une peccadille, plutôt, quand on voit la qualité du produit fini, virtuose à en donner le tournis et supérieur par l’ampleur du spectacle proposé à bien des grosses productions sorties en salles. Sherlock ne compte guère qu’un équivalent, égale­ment produit par la BBC et piloté par le même homme, Steven Moffat : Doctor Who. Le onzième interprète du Seigneur du Temps, Matt Smith, vient de tirer sa révérence lors d’un épisode de Noël bouleversant. À raison de pas moins de treize à quatorze épisodes par saison depuis 2009, on ne se lasse pas de

L’équipe du film Casa de mi padre, parodie états-unienne de telenovela, s’attaque aux miniséries type Les oiseaux se cachent pour mourir. Le résultat est à peu près le même : une pochade luxueuse au casting cinq étoiles (Tobey Maguire, Tim Robbins, Jessica Alba…) qui, si elle veut faire événement, se révèle tout sauf inoubliable. Chaque apparition de Kristen Wiig ou de l’hôte Will Ferrell, irrésistible en vieille baderne convaincue d’avoir réalisé son Citizen Kane, suffit néanmoins à justifier que l’on succombe au charme indolent de ce Spoils of Babylon. G. R.


cultures SPECTACLES

agenda Par È. B.

d. r.

Borrowed Light de Tero Saarinen

Danse

En transe Par Ève Beauvallet

So blue, du 26 février au 6 mars au Centquatre Borrowed Light, du 13 au 15 mars au théâtre national de Chaillot

92

La Pornographie des âmes (du 6 au 14 fév.) / Un peu de tendresse, bordel de merde ! (du 7 au 11 fév.) / Foudres (du 8 au 15 fév.) au Théâtre de la Ville

DU 22 fév. AU 2 mars

© marc domage

Signe du hasard ou vrai symptôme social ? Les rituels, transes, danses folkloriques ou anthro­ pologiques, inspirent de nombreux plateaux de danse contemporaine. La preuve encore ce mois-ci : pendant qu’Olivier Dubois tourne son best-seller post-tribal Tragédie, que Louise Lecavalier cherche la transe sur de la « techno soufie », le chorégraphe Tero Saarinen, sorte de Preljocaj finlandais nourri au butō et aux ballets contemporains, transpose à Chaillot les danses communautaires des shakers américains. Non dans l’optique, devance-t-il, de livrer un documentaire chorégraphié sur cette branche du protestantisme, mais pour livrer à partir d’elle une réflexion plus large sur « la communauté et la dévotion ». Le sujet s’y prête : plus austères et radicaux que les puritains anglais du xviie siècle, les shakers ont épousé (particulièrement au xviiie et xixe siècle) un mode de vie communautaire qui bannissait la propriété privée, contraignait au célibat et proposait un style d’habitat fonctionnaliste et minimal d’une glauquitude intersidérale (donc super hype selon les designers contemporains). Surtout, les disciples de cette secte protestante se sont distingués dans le champ du prosélytisme religieux par leurs prophéties publiques, sorte de happenings plutôt effrayants pour les passants de l’époque, mais évidemment inspirants pour les artistes d’aujourd’hui. Expressivité soulignée, rythmique sophistiquée, partis pris vestimentaires radicaux… Dans les années 1950, la chorégraphe Doris Humphrey avait déjà décortiqué les fondamentaux du shakerisme. Restait à les fondre dans un néoclassicisme élégant et à écouter l’écho que cette passion communautaire peut déclencher en 2014.

Pascal Rambert Mi-tragédiens grecs, mi-bobos parisiens, « Stan et Audrey » (Stanislas Nordey et Audrey Bonnet) massacrent l’idéal amoureux le temps de deux monologues dans Clôture de l’amour de Pascal Rambert, œuvre foudroyante sur la séparation. au Théâtre du Rond-Point

DU 4 AU 9 mars

David Bobée Des corps hargneux, perdus dans des décors mornes et réfrigérants… David Bobée, jeune et très « bankable » directeur du nouveau centre dramatique national de HauteNormandie, décline ses

février 2014

fondamentaux sur le Hamlet de Shakespeare avec les acteurs moscovites du groupe Studio 7. aux Gémeaux (Sceaux)

DU 5 AU 7 mars

© pierre ricci

DU 6 AU 15 fév.

Dave St-Pierre Vous êtes excité par le théâtre-performance tendance déconstructivisme foutraque avec bon dosage d’ironie, de scènes cracra et d’élans poétiques ? Le sulfureux et parfois hilarant Dave St-Pierre, sorte de petit-cousin québécois du Flamand Jan Fabre, s’occupera de vous en trois pièces malpolies.

Robyn Orlin et James Carlès Né au début des années 2000 dans la communauté ivoirienne de Paris, le coupédécalé (en argot ivoirien, « couper » signifie tricher, voler ou arnaquer, et « décaler », prendre la fuite) est une musique et une danse sociale à haut degré subversif qui rejoue de manière bariolée les relations Nord/Sud. Robyn Orlin et James Carlès nous offrent chacun un regard singulier (voire décalé) sur ce mouvement culturel encore trop méconnu. au Centre national de la danse (Pantin)

jusqu’au 5 avril

Festival ArtDanThé En seize éditions, le téméraire festival du théâtre de Vanves est devenu la Mecque des jeunes têtes chercheuses les plus barrées de la scène internationale. Dans cette constellation d’ovnis, vous pouvez vous diriger sans hésitation vers Love de Loïc Touzé ainsi que vers Le renard ne s’apprivoise pas de Mylène Benoit. au théâtre de Vanves


www.troiscouleurs.fr 93


cultures ARTS

art vivant

Nouveau festival du Centre Pompidou Du 19 février au 10 mars, oubli, souvenir et réminiscence, sont à l’honneur du Nouveau festival du Centre Pompidou, manifestation pluridisciplinaire annuelle proposant des expositions et une multitude de rendez-vous.

© lluís bover, cc by-nc-sa 3

Par Anne-Lou Vicente

Xavier Le Roy, Rétrospective, Fundació Antoni Tàpies, Barcelone, 2012

Comment parler d’un événement que l’on n’a pas (encore) vu – qui plus est lorsqu’il en recèle lui-même des dizaines d’autres mettant la parole et le vivant au premier rang ? Peut-être en se souvenant que les éditions précédentes de cet événement ont, chaque fois, été plaisantes, surprenantes, voire déroutantes. Il y a donc fort à parier que cette nouvelle édition du Nouveau festival du Centre Pompidou, placée sous la direction artistique de Bernard Blistène, fraîchement nommé à la tête de l’institution, saura nous séduire et nous étonner à nouveau… Oubli, souvenir et réminiscence, constituent précisément le fil rouge de cette cinquième édition. Au cours de celle-ci, il sera notamment possible de déambuler dans l’espace labyrinthique ayant servi à l’exposition achevée de Pierre Huyghe pour cette fois y découvrir les œuvres d’artistes historiques comme Ed Ruscha ou Mel Bochner. Celles-ci seront confrontées à un ensemble de performances, de conférences et autres interventions artistiques mettant les corps en paroles et en mouvements, résonnant ainsi notamment avec la programmation du festival Vidéodanse,

94

cette année associée à la manifestation, ainsi qu’avec l’exposition « Rétrospective » qui propose à une vingtaine de performeurs de s’approprier et réinterpréter de mémoire des bribes de différents solos conçus par le chorégraphe Xavier Le Roy entre 1994 et 2010. Quant aux deux directeurs du Centre culturel suisse de Paris, ils redonnent vie à l’hôtel Furkablick, un établissement alpin perché à près de 2 500 mètres ayant accueilli, entre 1983 et 1999, les œuvres de nombreux artistes de renommée internationale tels que Marina Abramović & Ulay ou Daniel Buren. Outre les expositions et les nombreux événements (spectacles, conférences, projections, concerts, performances, etc.) attendus lors de cette cinquième édition, « Le Train fantôme » de Charles de Meaux, installé dans l’espace du forum, fait resurgir les imposants tuyaux blancs situés sur la Piazza Beaubourg, comme si ces derniers avaient, aussi, une existence souterraine ici rappelée à notre souvenir sur un mode fictionnel. Nouveau festival du Centre Pompidou, du 19 février au 10 mars

février 2014


agenda

aux Docks

JUSQU’AU 9 mars

THE Happy Show Pour ce parcours coloré et bien barré, votre guide spirituel sera Stefan Sagmeister, graphiste, artiste et typographe autrichien installé à New York, dont l’univers a envahi la Gaîté Lyrique afin de prouver que le bonheur existe. Au programme, parmi d’autres installations qui font exploser notre taux de sérotonine, un vélo qui rend heureux et des ballons de baudruche d’un bleu ciel qui renvoie à nos plus belles rêveries.

à la Gaîté Lyrique

© richard dumas

JUSQU’AU 16 MARS

David Lynch À l’invitation de la MEP, le cinéaste – et plasticien – a imaginé « Small Stories », une quarantaine de photographies en noir et blanc, créées spécialement pour

l’occasion. Oniriques, troublantes, ses images sont porteuses d’une part de mystère qui se laisse deviner sans jamais être complètement déflorée.

à la Maison européenne de la photographie

JUSQU’AU 30 MARS

Typorama Logos, affiches, signatures visuelles… l’exposition Typorama retrace trente ans de carrière du graphiste Philippe Apeloig dont vous avez forcément croisé le travail sur les murs de la ville. Le logo du théâtre du Châtelet, par exemple, c’est lui. Tout comme beaucoup d’affiches d’expositions, dont celle consacrée à Yves Saint Laurent au Petit Palais. Un bain de typo revigorant.

au musée des Arts décoratifs

JUSQU’AU 6 avril

Marcelo Montecino, Managua, 1979 America Latina Ce panorama de la photographie latino-américaine des années 1960 à nos jours nous fournit l’occasion de plonger, images à l’appui, dans l’histoire de ce vaste ensemble linguistique et géographique. En noir et blanc et en couleurs, ces photos font sortir l’Amérique latine du cliché. Souvent montrée comme exotique, lointaine, elle trouve ici une chambre d’écho fidèle et passionnante. à la Fondation Cartier pour l’art contemporain

© marcelo montecino. collection privée, courtesy toluca fine art, paris

JUSQU’AU 8 mars

Au Masculin Comment ça, les hommes ne s’intéressent pas à la mode ? Pour faire tomber cette croyance, les Docks reconstituent le vestiaire masculin depuis que l’homme s’habille. Des talons de la Renaissance au tablier du garçon de café, en passant par les écharpes soignées des écrivains du xixe siècle, toutes les coupes et toutes les matières de leur garde-robe sont passées au crible avec manière.

par l. c.-l.


cultures JEUX VIDÉO

pointer-et-cliquer

The Walking Dead, saison 2, épisode 1

Parti pour une deuxième saison, The Walking Dead dévoile les premières clés d’un nouveau chef-d’œuvre en devenir. Une odyssée morale renversante portée par Clementine, nouvelle icône du jeu vidéo. Par Yann François

Le RPG du mois Bravely Default

(Square Enix/3DS)

Il y a deux ans, l’adaptation du comic book The Walking Dead bouleversait nos vies. Avec sa modestie exemplaire, ce jeu dessinait un portrait sans concession du genre humain face à l’apocalypse zombie et nous jetait dans un gouffre émotionnel. S’il s’apparente, en surface, à une série interactive, n’offrant que peu de marges d’action au joueur, The Walking Dead reste un jeu, un grand même. Peu importe si nos choix ne chamboulent pas le cours de ses événe­ ments ; c’est nous qu’il chamboule, par ses tourments moraux, et c’est largement suffisant. Menée par un personnage autrefois secondaire, Clementine, cette deuxième saison se construit sur les

cendres de la première. Livrée à ellemême, la jeune survivante doit à présent faire avec l’expérience transmise par Lee, le héros précédent, s’en inspirer ou s’en désolidariser, faire des choix dans des situations qui sont autant de crèvecœur. Le défi existentiel de The Walking Dead n’est plus seulement une question de survie, c’est également l’expérience de la perte de l’innocence et du passage à l’âge adulte. Ce passage, c’est aussi le nôtre, nous qui portons aussi le poids de cet héritage passé. Les plus grandes fictions sont celles qui nous font grandir. En voici encore une preuve. The Walking Dead (Telltale Games/PC, X360, PS3, Ipad)

3 découvertes indé The Banner Saga The Banner Saga nous place à la tête d’un clan viking nomade dont il nous faut arbitrer les moindres affaires quotidiennes. Le résultat : un jeu de stratégie politique des plus passionnants dont le graphisme, crayonné et artisanal, proche des films d’animation de Don Bluth, est une vibrante célébration du Grand Nord et de ses légendes. (Stoic/PC)

Risk of Rain Ne pas se fier aux apparences. Sous un design des plus basiques se cache en fait un jeu d’action coriace à maîtriser sur le long terme. Le concept de Risk of Rain est simple (survivre à des vagues de monstres de plus en plus belliqueux), mais ses subtilités tactiques font preuve d’une telle science du gameplay qu’on ne décolle plus de l’écran. Une leçon de modestie.

(Hopoo Games/PC)

96

février 2014

Comment replonger une énième fois dans un RPG à la soixantaine d’heures de jeu bien tassée ? Bravely Default cultive, c’est indéniable, tous les clichés du jeu de rôle nippon (tour par tour, scénario fleuve, mélange de SF et d’onirisme kawaii). Mais il a l’astuce de lier son gameplay aux fonctionnalités sociales de la 3DS (StreetPass, podomètre, etc.). Comme si le scénario du jeu infiltrait notre quotidien et dépendait de lui. Derrière cette idée révolutionnaire se cache Square Enix, le créateur de Final Fantasy. Aucun hasard. Y. F.

Par Y. F.

Device 6 Un jeu vidéo qui se sert de textes interactifs comme mécanisme central, le défi était osé. Basé sur un principe voisin de celui des livres-jeux, Device 6 nous fait avancer à travers un récit qui tient autant de la série d’énigmes que du parcours d’orientation psychologique dans lequel les mots sont des portes sur un imaginaire à dévérouiller. Vertige sensoriel assuré.

(Simogo/Iphone, Ipad)


sélection par Y. F.

Need for Speed: Rivals On ne compte plus les déclinaisons, plus ou moins inspirées, de Need for Speed. Pour cette nouvelle livraison, Ghost Games a la bonne idée de remettre au goût du jour les poursuites flics vs voyous dans un immense monde ouvert. Chromé jusqu’au sublime, le jeu s’en tient à ce qu’il sait faire le mieux : des courses à toute blinde sur les routes américaines, dopées à l’adrénaline et à l’esprit de compétition, sans aucun respect pour le code de la route. Futile mais jouissif. (EA/PC, X360, Xbox One, PS3, PS4)

War Thunder Peut-on concilier gratuité et excellence ? C’est chose faite avec ce simulateur MMO de batailles aériennes de la Seconde Guerre mondiale. Entièrement gratuit, War Thunder demande un investissement chronophage à qui veut débloquer une armada digne de ce nom. Mais ses escarmouches ont le don de concilier accessibilité immédiate (très peu de commandes de pilotage) et réalisme implacable, ce qui donne souvent lieu à des ballets aériens de très haute volée. (Gaijin Entertainment/ PC, PS4)

Killzone : Shadowfall À chaque nouvelle console sa bête à concours, destinée à exposer tout le potentiel de l’engin. Avec Killzone, souvent habitué à jouer les vitrines graphiques de Sony, le constat est sans appel : la PS4 en a dans le ventre. Fort heureusement, le jeu n’a rien d’une démo technique. C’est d’abord un FPS très tactique, dans lequel l’instinct du chasseur est sublimé par la technologie (pad tactile, drone d’assistance), dans des décors dignes de Blade Runner, beaux à se damner.

(Sony/PS4)

Les Chevaliers de Baphomet 5 – La malédiction du serpent Voilà dix ans que George Stobbart était porté disparu. Grâce à la générosité de ses fans, cette gloire des années 1990 refait surface. Avec, toujours, ce sens élégant du décor artisanal et ce ton désuet. Bien sûr, tout ça ne nous rajeunit pas et manque parfois de liant, la faute à un scénario trop nanardesque. Mais le charme cosmétique fonctionne heureusement comme au premier jour. (Revolution Software/ PC, Mac, Ipad, Iphone, Android, PS Vita)


cultures FOOD

Invasion barbaque LA TENDANCE

Les attaques des végétariens sont parfois rudes, mais les carnivores résistent. Paris est à l’avant-garde du combat, et pas seulement dans ses parties les plus populaires. Du quartier Saint-Honoré au XVIe arrondissement, la viande, c’est chic et choc. Par Stéphane Méjanès

d. r.

© stéphane méjanès

GARÇON BOUCHER

Dans la famille Rostang, je demande le père, Michel, doublement étoilé au guide Michelin, les deux filles, Caroline et Sophie, mais aussi l’arrière-grandpère, qui tenait auberge au Pont-deBeauvoisin, dans l’Isère, à l’enseigne du café des Abattoirs. La plaque en marbre n’a jamais quitté la valise aux souvenirs. Elle a trouvé sa place dans le comptoir à viandes ouvert fin 2013 par ses héritiers. À deux pas du luxueux marché SaintHonoré, on vient s’encanailler dans une petite (trente couverts en salle, huit au bar) limousine (pas la race bovine) intérieur cuir (les murs en sont tapissés, dessinant des silhouettes d’animaux de la ferme). Pas de chichi, le terroir, rien que le terroir, à peine revisité avec cet agneau

en brochette façon kebab. Les volailles viennent d’en face, du Coq SaintHonoré, maison centenaire. L’entrecôte est taillée dans des bêtes d’une des deux races bretonnes oubliées, la nantaise ou l’armoricaine. Le porc, basque et au cul noir, se déguste par l’araignée, un morceau rare situé au-dessus de la palette, et qui est ici mariné délicatement dans la sauce soja. La viande, cuite au Josper, mi-four, mi-barbecue, arrive en caquelon de fonte, à partager, comme ça, sans façon. Et c’est bon. Comme chez l’arrière-grand-père. Le café des Abattoirs 10, rue Gomboust – Paris ier Tél. : 01 76 21 77 60 – www.cafedesabattoirs.com Ouvert sept jours sur sept

Paris bidoche ATELIER VIVANDA Tout ce que touche Akrame Benallal se transforme en or. En face de son gastro, étoilé après à peine un an d’existence, il a installé un minuscule mais réjouissant bar à viande. Un vrai chef, Nicolas Tissier, ancien de chez Thoumieux, et des produits de dingue traités avec férocité. La côte de bœuf holstein maturée soixante jours vaut à elle seule le détour. 18, rue Lauriston – Paris xvie Tél. : 01 40 67 10 00 www.ateliervivanda.com

98

février 2014

Boucherie Yves-Marie Le Bourdonnec 43, rue du Cherche-Midi – Paris vi e – Tél. : 01 42 22 35 52 www. http://le-bourdonnec. com/paris-6e-le-bourdonnec

Par S. M.

HUGO DESNOYER Le meilleur ennemi d’Yves-Marie Le Bourdonnec aime autant les médias. Il a même un jour signé une tribune dans les colonnes du Monde. Mais, comme son collègue, c’est encore la boucherie qui le botte. Il a repris la maison Tranchant et y a ajouté une épatante table d’hôte où l’on mange maison, bien sûr. Avec petits légumes, fromages et vins choisis. Régalez-vous.

28, rue du Docteur-Blanche – Paris xvie Tél. : 01 46 47 83 00 www.regalez-vous.com

YMLB se met en quatre On connaît ses coups de gueule médiatiques. Autoproclamé « boucherbohème », Yves-Marie Le Bourdonnec est surtout le super-héros d’un métier qu’il juge dévoyé, par paresse et par incompétence. À lui seul, il tente de redresser la filière, soutient l’installation d’éleveurs nourrissant leurs bêtes à l’herbe et ouvre boutique sur boutique. La quatrième fait 15 m2. Il l’a confiée à un fidèle, Paul de Monteynard, et à son fils, Yann Le Bourdonnec, fraîchement diplômé. Une occasion de plus de goûter à ses incroyables viandes maturées. S. M.

DRUGSTORE STEAKHOUSE Les amateurs de viande n’ont pas l’idée de pousser la porte du drugstore Publicis. Un peu m’as-tu-vu. Ils ont tort. À l’abri des regards, le chef exécutif Olivier Dupart fait un travail remarquable. Bœuf ou veau de Marie-Claire Poirier, cochon de Cyrille Journiac, sélection d’Olivier Metzger, la carte seule provoque une réaction pavlovienne intense. 133, avenue des Champs-Élysées – Paris viiie Tél. : 01 44 43 77 64 www.publicisdrugstore.com


cultures DESIGN

© colin streater

livre

Jo Nagasaka MOBILIER

Au Japon, ses projets architecturaux sont toujours plus nombreux, mais c’est avec une nouvelle collection de mobilier, fraîche et colorée, que Jo Nagasaka se pose à Paris à la Gallery S. Bensimon.

Villas 60-70 en France Voici enfin une occasion de pénétrer dans quelques-unes des plus impressionnantes demeures de l’Hexagone. La plupart d’entre elles, comme celle conçue par Antti Lovag à Théoule-sur-Mer, ou bien par Bruno Stahly à Crestet, sont de véritables bijoux d’architecture, symboles d’une époque à la croisée des styles où toutes les expérimentations étaient possibles. Une euphorie créative que l’auteure ne manque pas d’analyser, arguments et illustrations à l’appui. de Raphaëlle Saint-Pierre (Éditions Norma)

exposition

PAR OSCAR DUBOŸ

Au fil du temps, les amateurs de design nippon ont retenu les noms de Shiro Kuramata puis de Naoto Fukasawa, et depuis quelques années celui d’Oki Sato du studio Nendo, oubliant parfois, quelle injustice, celui de Jo Nagasaka. Né en 1971 à Osaka, il n’en est pourtant pas à son coup d’essai, puisque l’agence Schemata Architects, qu’il a fondée en 1998, enchaîne depuis lors les projets, aussi bien sur le front de l’architecture que du mobilier. Tout comme ses réalisations pour les privés, ses aménagements des boutiques Aesop dans les quartiers tokyoïtes d’Aoyama et Ginza ont donné l’impression d’un style épuré, très focalisé sur la matière brute. Idem pour ses créations de meubles. Mais la quête d’épure est ici rehaussée par un ton un peu plus bariolé, Nagasaka allant même jusqu’à y mettre du fluo. Illustration à la Gallery S. Bensimon,

avec l’exposition « A Colourful Mind » qui présente notamment la collection Iro créée par Nagasaka pour l’excel­lent fabricant anglais Established & Sons. On y découvre la suite logique de ses expérimentations autour des veines du bois, cette fois déclinées dans une direction très géométrique. Un travail déjà mis en valeur dans ses séries ColoRing et Flat Table pour lesquelles il utilisait l’« udukuri », une technique japonaise ancestrale consistant à éliminer les parties les plus tendres du bois afin de faire apparaître ses courbes et ses lignes les plus dures, que Nagasaka faisait ressortir ensuite en les teintant puis en les polissant (dans le premier cas), ou en coulant les parties ainsi creusées avec une résine époxy colorée (dans le second). « A Colourful Mind », jusqu’au 1 er mars à la Gallery S. Bensimon – 111, rue de Turenne – Paris IIIe

www.troiscouleurs.fr 99

Typorama Son premier coup de maître remonte à près de trente ans. Philippe Apeloig avait alors signé l’affiche de l’exposition « Chicago, naissance d’une métropole (1877-1922) » présentée au musée d’Orsay. Depuis, son graphisme n’a plus quitté les panneaux publicitaires, que ce soit pour les affiches de la fête du Livre à Aix-en-Provence ou via son logo pour le théâtre du Châtelet. De ses débuts, influencés par les prémices de l’informatique grand public, à ses inspirations modernistes, tout est exposé ici à grand renfort de documents.

Jusqu’au 30 mars au musée des Arts décoratifs


retrouvez toutes ces adresses sur www.timeout.fr

100

fĂŠvrier 2014


LES BONS PLANS DE TIME OUT PARIS

LE TOP 10 DES BOUTIQUES DÉCO POUR L’HIVER Plus de sapins ni de guirlandes, il est temps de faire place nette. Time Out Paris en profite pour vous livrer ses meilleures adresses déco. Car le shopping n’est pas une question futile : c’est un art de vivre, une philosophie de la ville, un sens aigu du rapport qualité-prix… Entre ceux qui ne savent jamais où aller, ceux qui attendent les soldes comme le messie, ceux qui refusent catégoriquement de sortir à la station Chaussée-d’Antin – La Fayette (mais vouent un culte au lèche-vitrine) et ceux qui ne veulent pas l’admettre (mais adorent rentrer les bras chargés de sacs), l’exercice n’a rien d’une évidence. Voici une liste qui mettra tout le monde d’accord.

CAROUCHE Carouche n’est pas une boutique de meubles ordinaire, mais une brocante singulière. Ici, on ne vend pas seulement, on interprète les objets. On les chine à travers le monde, notamment aux États-Unis, on les retape, et si besoin on les métamorphose. À deux pas du métro Charonne.

L’AUTRE SENS L’Autre Sens donne de la place à une déco éthique et responsable. Une majorité de marques « made in France », pour promouvoir le commerce local, et surtout beaucoup d’objets recyclés ou fabriqués à base de matériaux naturels. Une décoration d’intérieur qui pense à l’avenir en somme.

ROCKETSHIP En plus d’être une galerie d’objets design et colorés, de créations d’artistes et d’artisans venus d’un peu partout dans le monde (Suède, Japon, Afrique du Sud…), Rocketship est un lieu d’accueil et d’échange qui répond à l’envie de son fondateur de partager ses goûts et sa bonne humeur autour d’un savoureux café.

STORIE « Une boutique indépendante proposant des objets exceptionnels créés par des gens qui ont une histoire à raconter. » Voilà comment la souriante Fiona Cameron décrit Storie, un petit espace baigné de lumière, ouvert en juin 2011, à quelques pas de la tour Montparnasse, où la qualité est toujours au rendez-vous.

FLEUX’ S’étalant sur près de 350 m2, cette boutique offre aux désespérés de la déco à la fois le superflu et le luxe (d’où le mot-valise « Fleux’ ») via une profusion d’objets décalés et colorés pour réveiller leur intérieur : hiboux en céramique, patères oiseau, serre-livres en forme de mains…

20, rue Delambre – Paris xive

39 et 52, rue Sainte-Croixde-la-Bretonnerie – Paris ive

BEAU TRAVAIL Situé sur les hauteurs de Belleville, Beau Travail est un atelier à taille humaine qui expose bijoux finement dorés, sacs, lampes sérigraphiées, badges insolites… Un espace de vente, d’exposition et de rencontres charmant et convivial. Ouvert au public le samedi, de 14h à 19h.

PETIT PAN Outre les accessoires pour bébé (doudous et gants de toilette animal, gigoteuses matelassées…), vous trouverez ici des créations pleines de poésie et une multitude d’objets aussi farfelus que colorés allant du cerf-volant grenouille à des trophées hippopotame en papier de soie.

EX & TERRA Un petit espace joliment nommé EX & Terra où sont exposées les trouvailles glanées par Émilie et par Xavier au cours de leurs voyages. Mexique, Chine, Niger, Estonie… Un tour du monde d’objets parfois utiles, parfois moins, mais (presque) toujours excentriques.

18, rue Jean-Macé – Paris xie

141, avenue Émile-Zola – Paris xve

PAR ELSA PEREIRA ET LORRAINE GRANGETTE

ROBERT M. SMITH Bienvenue chez Robert M. Smith, un lieu aux multiples facettes situé à proximité de la très colorée rue Sainte-Marthe. Pièces de créateurs à prix atelier, objets chinés et meubles rétro sont renouvelés en permanence dans un salon où nombre d’événements sont programmés. 25, rue de Sambre-etMeuse – Paris xe

13 bis, rue Henry-Monnier – Paris ixe

LES ANNÉES SCOOTER Collectionneur compulsif depuis ses 15 ans, Philippe Devant a su développer pendant ses années de chine un véritable goût pour les objets et les scooters vintage. Une passion joyeusement bordélique qu’il transmet aujourd’hui dans son dépôt-vente amarré rue Faidherbe. 23, rue Faidherbe – Paris xie

67, rue de la Mare – Paris xxe

39, rue François-Miron – Paris ive

83, rue de Dunkerque – Paris ixe

retrouvez toutes ces adresses sur www.timeout.fr

www.troiscouleurs.fr 101


© pandora film - exoskeleton inc

LE FILM DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

Dandys sur les dents

Le charme essentiel des films de genre, c’est que l’on y met ce qu’on veut. Jim Jarmusch vampirise ici le film de vampire dans un amusant cannibalisme. Il en reprend les codes dans une décontraction totale, pour explorer la part la plus romantique du mythe. Par Alexandre Prouvèze – timeout.fr/paris/cinema

Only Lovers Left Alive se résume en une idée simple, mais assez suggestive pour y faire tenir tout le film: immortel, le vampire constitue la figure ultime du nostalgique, contraint de voir ses repères vaciller devant une société qui lui échappe, dont il ne parvient à appréhender une évolution qui lui paraît absurde. Cette intuition, qui participait déjà beaucoup de la saveur d’Entretien avec un vampire, permet ici à Jarmusch de recaser une bonne partie de sa collection de fétiches rock (guitares et amplis vintage, vinyles introuvables…) dans une atmosphère sensuelle et crépusculaire. Il est donc question d’esthétique (donc d’éthique) hissée au rang de règle de vie. De Détroit, ville-phare du rock garage, à un Tanger qui rappelle Burroughs, Adam et Eve (impeccables Tom Hiddleston et Tilda Swinton), couple de vampires classieux, s’aiment, bavardent, trinquent, se retrouvent et se séparent infiniment. Parfois, lui compose de la musique pendant qu’elle déambule. Épisodiquement, la sœur

d’Eve, Ava (Mia Wasikowska), vient semer la zizanie, et en profite parfois pour vider de son sang frelaté un roadie. Dans une veine comparable à celle de Coffee and Cigarettes, Only Lovers Left Alive combine ainsi légèreté et éloge de la parole, creusant la nostalgie d’une culture pré-Internet fourmillante, entre décadence fin de siècle et âge d’or des sixties – dont le long-métrage décline les références avec humour et goût. Tenant à la fois du métafilm et du manifeste esthétique cool, ce joli récit d’amours jarmuschiennes finit en somme par hanter le spectateur, habitant sa mémoire culturelle comme un spectre complice. C’est l’invocation, ésotérique et stonienne, d’un certain dandysme rock. de Jim Jarmusch (lire aussi p. 70) avec Tom Hiddleston, Tilda Swinton… Distribution : Le Pacte Durée : 2h30 Sortie le 19 février

retrouvez ce film sur www.timeout.fr 102

février 2014


L’EXPO DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

top 5 du mois

Le Surréalisme et l’Objet

par time out paris

1. Concert Au fil des ans, les Black Rebel Motorcycle Club se sont intéressés au blues sans jamais oublier leur penchant garage-noise, pour un résultat souvent enthousiasmant. On aime le son saturé des guitares et l’esprit vintage de leurs morceaux. 2. Théâtre Les Chiens de Navarre font partie de ces compagnies qui prennent tous les risques pour vous surprendre et vous amener là où personne avant n’avait osé s’aventurer. Avec Une raclette, ils offrent au public une histoire résolument déjantée, jouée par des comédiens dont la folie égale le talent. Une raclette, du 5 au 15 février, au Théâtre du Rond-Point

3. Shopping Ligne épurée, sportswear sophistiqué, matériaux nobles : la garde-robe Beaubien se veut à la fois élégante, subtile et robuste. Toile Oxford, coton peigné et maille fine, s’imposent dans une déco sobre rehaussée de portants en cuivre. Beaubien – 21, rue NotreDame-de-Nazareth – Paris iii e

photo : philippe migeat, centre pompidou © adagp, paris 2013

Black Rebel Motorcycle Club, le 24 février au Trianon

D e s a n n é e s 19 2 0 a u x années 1960 : c’est la période étudiée par cette exposition magnifiquement mise en scène. L’objet surréaliste va y prendre plusieurs formes, il devient le nouvel outil de détournement et de subversion poétique de la réalité, la réponse à cette adhésion au « matérialisme dialectique ». Des ready-made de Marcel Duchamp à La Vénus du gaz de Picasso, l’exposition traverse l’histoire des relations entre le surréalisme et l’objet. Au-delà Hans Bellmer, La Poupée, 1933-1936 de l’impressionnante liste d’artistes réunis à Beaubourg (Dalí, Calder, Ernst, Miró, Giacometti, Brassaï, Magritte…), « Le Surréalisme et l’Objet » montre comment cette nouvelle approche a bouleversé notre conception de l’art. La recréation (partielle) de l’exposition surréaliste de 1936, mélange de minéraux, d’objets mathématiques, de pièces ethnographiques, d’objets trouvés et d’œuvres surréalistes, rappelle comment la réflexion du mouvement fondé par Breton a fait éclater les frontières traditionnelles de l’art et a profondément influencé la création contemporaine.

Centre Pompidou, tous les jours sauf mardi de 11h à 21h, jusqu’au 3 mars. http://www.timeout.fr/paris/art/le-surrealisme-et-lobjet

4. Bar À deux pas de la gare de l’Est, l’Ours Bar a le mérite de ne pas jouer la carte de l’inflation en proposant des petits prix (5 € la pinte). Pas d’ambiance m’as-tu-vu ici, pas de dictature du cool, juste une atmosphère amicale que les gérants affichent comme leur étendard.

LE RESTAURANT

5. Festival Pour la troisième année consécutive, l’agence Super ! réunit une vingtaine de groupes et artistes pop, rock, folk et electro dans les meilleures salles de concert parisiennes. Au programme cette fois-ci : Au Revoir Simone, Tunng, Childhood ou encore Mondkopf. Fireworks ! Festival, du 12 au 23 février

d. r.

L’Ours Bar, 8 rue de Paradis – Paris xe

> La Boulangerie Cette ancienne boulangerie, nichée dans la discrète rue des Panoyaux, à Ménilmontant, accueille désormais un beau restaurant à l’ambiance et aux couleurs chaleureuses. La carte privilégie des plats de saison, simples mais revisités avec une touche qui fleure

bon la cuisine des aïeux : mousseline de topinambours avec la pêche du jour, trompettes de la mort pour l’agneau laiton, jus à la fève tonka pour la cocotte de veau de Corrèze. Les légumes d’antan ont la cote en ce moment, c’est vrai, et ils donnent à ces mets un relief appréciable et insolite. Même originalité pour la viande et le poisson, dont le goût prononcé et les saveurs corsées bousculent un peu le palais. Les excellents vins, qu’on peut boire à la ficelle, auront tôt fait d’anesthésier les effets secondaires de ces couleurs un peu vives. Les desserts, eux, s’avalent les yeux fermés, que ce soit la tarte Tatin ou l’assiette de fromages de la maison Alléosse. Quant au choix de digestifs, il est si raffiné que certains amateurs ne viennent à La Boulangerie que pour pouvoir les savourer en fin de repas. 15, rue des Panoyaux – Paris xxe http://www.timeout.fr/paris/ restaurant/la-boulangerie

retrouvez toutes ces adresses sur www.timeout.fr www.troiscouleurs.fr 103


pré se nte

Musique

DANTON EEPROM Remarqué en 2009, Danton Eeprom revient avec un deuxième disque d’electro racée, aux accents pop et R’n’B, en grande partie composé avec… un iPad. Car le français, exilé à Londres depuis huit ans, est aussi un geek. Rencontre. par Éric Vernay

LE DISQUE > if looks could kill

© fabien breuil

(inFiné)

« Quand je suis arrivé sur la scène électronique, tout le monde portait des t-shirts et arborait des looks destroy, pas super soignés, se souvient Danton Eeprom. J’ai pris le contre-pied : chapeau haut-de-forme, nœud pap, queuede-pie. Je me suis créé un personnage. » Le dandy français, qu’on découvre affublé d’un pantalon rose et d’une veste écossaise, soigne autant son look que sa musique. Son deuxième disque est l’œuvre d’un perfectionniste. « J’y joue de tous les instruments : batterie, basse, claviers bien sûr, percussions, chant, un peu d’accordéon, harmonica. Je préfère jouer de tout mal que d’un seul truc bien ! », ajoute-t-il en riant. Féru d’informatique, ce geek revendiqué aime

« savoir ce qu’il y a sous le capot » dans le studio d’enregistrement. « Beaucoup de producteurs sont tributaires d’une aide extérieure pour la technique. Or c’est comme si tu devais passer par un traducteur : quelque chose se perd dans l’histoire. » Sur cet album, le Marseillais a testé un nouvel instrument : la tablette tactile. « On peut, par exemple, sortir du schéma habituel avec des touches blanches et des touches noires, pour avoir des claviers circulaires. Du coup, tu composes complètement différemment, et sur scène ça change du DJ avec son ordi. » Excentrique, on vous dit. If Looks Could Kill de Danton Eeprom (InFiné) Disponible

sélection Up There in San Francisco Trois Couleurs vous conseille chaudement d’aller faire un tour sur le projet Kiss Kiss Bank Bank de la jeune réalisatrice Bettina Armandi-Maillard qui fait appel au financement participatif pour tourner le dernier volet de sa trilogie. Après Los Angeles et New York, c’est à San Francisco que l’on retrouvera ses acteurs Nadia Rosenberg et Jeremy O. Harris.

Par C. Ga.

LA FILMCUP DE VODKASTER Et c’est Django Unchained qui remporte l’édition 2013, succédant aux Bêtes du sud sauvage. La géniale FilmCup du site Vodkaster (le réseau social du cinéma) a opposé seize films, tour après tour. 428 268 votes exprimés, pas moins de 50 000 électeurs ont profité de ce jeu particulièrement bien fichu. S’ils veulent en faire deux par an, on est partants.

104

février 2014

Enfermé dans un studio londonien qu’il a lui-même conçu, Danton Eeprom a mis un an et demi à accoucher de ce disque. Mais pourtant, If Looks Could Kill ne sent ni la douleur ni le renfermé. Producteur méticuleux, le Français n’en oublie pas la légèreté et les chansons pour autant – il chante d’ailleurs beaucoup ici. Un parfum pop se dégage de cet album protéiforme qui cite le Oops!… I Did It Again de Britney Spears et n’a pas peur de frotter ses synthés à des sonorités plus R’n’B ou G-Funk, pour les couler dans l’electro. É. V.

Agnès Jaoui À l’occasion des représentations des Uns sur les autres au Théâtre de la Madeleine (jusqu’au début du mois de mai), l’actrice aura une carte blanche au MK2 Quai de Seine le 3 mars prochain. Aux côtés de l’auteure Léonore Confino et de la metteuse en scène Catherine Schaub, Agnès Jaoui présentera un film de son choix en présence du public.


www.troiscouleurs.fr 105


pré se nte

ET AUSSI

agenda

jusqu’au 28 fév. Exposition MK2 bibliothèque

BANDE-DESSINÉE

Blast, tome 4 : Pourvu que les bouddhistes se trompent

© manu larcenet

PAR É R.

Manu Larcenet compte parmi les plus grands auteurs de la BD populaire contemporaine parce qu’il sait tout faire : rire, pleurer, terroriser. Et tout cela grâce à sa maîtrise du temps mort, une pause à la fois dans l’image et dans le texte. Ce qui vient avant, ce qui viendra après, cela détermine le ton de la pause. Elle souligne la bêtise d’une situation, fait surgir l’émotion qui serre la gorge trop forte pour parler, révèle le vertige d’un néant psycho­ l ogique. Après ses autres séries à succès, Le Retour à la terre et Le Combat Ordinaire, Larcenet livre le dernier tome de Blast, son cycle le plus noir, le plus dur, très beau. Le témoignage d’un homme en proie à des flashs d’émotion brute.

le 10 fév. et le 3 mars à 18h Conférences philosophiques de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE

Sujets : « Vivre s’improvise-t-il ? » ; « Peut-on choisir son sort ? »

le 11 fév. à 20h Avant-première MK2 bibliothèque, MK2 bastille, mk2 beaubourg et MK2 QUAI DE SEINE

Ida de Pawel Pawlikowski

le 13 fév. à 20h Avant-première MK2 beaubourg

L’Expérience Blocher de Jean-Stéphane Bron, en présence du réalisateur

le 18 fév. à 14h Opéra MK2 HAUTEFEUILLE

Retransmission en différé de Rusalka d’Antonin Dvořák

les 20 et 27 fév. à 20h Les Séances Phamtom

de Manu Larcenet (Dargaud)

MK2 beaubourg

opéra

La Chatte métamorphosée en femme par T. Z.

d. r.

Pour la sortie, le 26 mars, de Real de Kiyoshi Kurosawa, exposition de planches tirées du manga inachevé de l’héroïne du film.

En marge de l’exposition « Gustave Doré (1832-1883), l’Imaginaire au pouvoir » qui se tiendra du 18 février au 11 mai 2014, le musée d’Orsay propose une opérette peu connue du compositeur et violoncelliste Jacques Offenbach (Orphée aux Enfers, Les Contes d’Hoffmann). Créé en 1858 au théâtre des Bouffes-Parisiens, qu’il a fondé trois ans plus tôt, La Chatte métamorphosée en femme, opéra-­ comique en un acte, raconte l’amour immodéré que le misanthrope Guido voue à sa chatte Minette, le poussant à délaisser sa gouvernante Marianne et sa cousine fortunée qui rêve de l’épouser. Une fable pleine de rebondis­sements, dont la légèreté apparente se voit contrebalancée par des figures de femmes fortes qui mènent la danse. de Jacques Offenbach au musée d’Orsay, du 4 au 9 février

106

février 2014

Autour des films d’Éric Baudelaire

le 25 fév. à 20h Soirée Premiers Pas MK2 HAUTEFEUILLE

Le Naufragé de G. Brac, Fais de beaux rêves de M. Canto, J de F. Cavayé et Deweneti de D. Gaye

le 3 mars à 20h30 Rendez-vous des docs MK2 QUAI DE LOIRE

Séance en partenariat avec le festival Cinéma du réel : La nuit coup d’état de Ginette Lavigne

le 4 mars à 20h Avant-première MK2 beaubourg

En chute libre, en présence du réalisateur Stephan Lacant

jusqu’au 4 mars Cycle « Famille je vous haime » MK2 QUAI DE LOIRE

Incendie de D. Villeneuve, Canine de Y. Lanthimos, J’ai tué ma mère de X. Dolan, Un conte de noël d’A. Desplechin et Ma mère de C. Honoré



4 salles supplémentaires via la nouvelle entrée BnF

Entrée BnF 4 salles Réservez vos places sur www.mk2.com


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.