Trois Couleurs #119 - mars 2014

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le monde à l’écran

marli renfro du 5 mars au 1er avril 2014

devine qui vient dîner…

avatar

laurence anyways

La doublure de Psychose nous parle d’outre-tombe

la vie d’adèle

pretty woman

le secret de brokeback mountain

eva green

Sur tous les fronts, de 300 au prochain Araki

et aussi

Metronomy, Bruce LaBruce, le festival Hautes Tensions…

no 119 - gratuit

tarzan

harvey milk

twilight

bonnie & clyde

la belle et la bête

CINÉMA

gerontophilia

POUR TOUS

autant en emporte le vent

grease

Tomboy, L’Inconnu du lac… L’évolution des mœurs à l’épreuve des films

her

jules et jim

happiness therapy

titanic


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Sommaire

Du 5 mars au 1er avril 2014

À la une… 25

entretien

en ouverture

Eva Green

On l’a découverte dans Innocents – The Dreamers de Bernardo Bertolucci, avant de la retrouver en James Bond Girl dans Casino Royale. Aujourd’hui, elle nous revient sur un double front, furieuse Artémise à la tête de la marine perse dans 300 : la Naissance d’un empire, et dans un registre plus intime dans le prochain film de Gregg Araki, White Bird in a Blizzard.

Marli Renfro Obsédé par la disparition tragique de la doublure de Janet Leigh dans Psychose, Robert Graysmith nous raconte son enquête et sa surprenante découverte.

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portrait

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exclusif

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Harry Ettlinger Rencontre avec l’un des membres des Monuments Men, les chasseurs d’œuvres d’art volées par les nazis qui ont inspiré le film de George Clooney.

Bruce LaBruce

© 2013 warner bros entertainment inc - photo rankin ; dorothy gunn ; philippe quaisse / pasco ; national archives and records administration ; michael arnold ; jemal countess ; grégoire alexandre

Le réalisateur canadien délaisse le porno. Mais le chef de file du mouvement queercore n’a rien perdu de sa radicalité. L’autoproclamé « pornographe réticent » a longtemps été confiné dans les sphères underground où il réalisait des films explicites et politiques. Avec Gerontophilia, il signe un grand film romantique sur l’idylle entre un ado et un vieillard. Portrait d’un cinéaste très fleur bleue.

en couverture

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spectacles

Cinéma pour tous L’évolution des mœurs à l’épreuve des films et du public : L’Inconnu du lac, Tomboy ou Nymphomaniac 1 et 2… Enquête sur les polémiques liées à la diffusion de ces films.

reportage

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Sundance On est partis à la recherche du « film de Sundance », une bête curieuse, mignonne et parfois décriée, née dans ce haut lieu du cinéma indépendant américain.

l’album

84 Metronomy Trois ans après le carton de The English Riviera, le leader du groupe, Joseph Mount, nous parle de Love Letters, quatrième album attendu au tournant par les fans de pop anglaise racée.

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Le festival Hautes Tensions se déroulera du 2 au 13 avril prochain au Parc de la Villette. Raffaella Benanti, conseillère artistique de l’événement, programme les jeunes artistes de cirque et de danse hiphop qui feront parler d’eux demain. Elle revient pour nous sur l’évolution de ces deux disciplines longtemps snobées par les institutions.


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… et aussi

Du 5 mars au 1er avril 2014

Édito 7 Les films doivent-ils accompagner ou devancer l’évolution des mœurs ? Les actualités 10 Retour sur ce qui a le plus agité les pages de notre site Internet À suivre 16 Camille Chamoux dans Les Gazelles et Née sous Giscard

l’agenda 20 Les sorties de films du 5 au 26 mars 2014

histoires du cinema 25

Entretien avec Quentin Dupieux p. 28 // Cinéma kazakh p. 30 // Festival de Clermont-Ferrand p. 32 // Female de Michael Curtiz p. 34 // La folle cité cinéphile de Kusturica p. 36 // La chef costumière Judianna Makovsky p. 40…

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTEUR EN CHEF Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) ICONOGRAPHE Juliette Reitzer

les films 55

Arrête ou je continue de Sophie Fillières p. 55 // Parce que j’étais peintre de Christophe Cognet p. 58 // Dans l’ombre de Mary : la Promesse de Walt Disney de John Lee Hancock p. 58 // Braddock America de Jean-Loïc Portron et Gabriella Kessler p.  60 // Les Chiens errants de Tsai Ming-liang p. 61 // Son épouse de Michel Spinosa p. 61 // L’Étrange Couleur des larmes de ton corps d’Hélène Cattet et Bruno Forzani p. 62 // Her de Spike Jonze p. 64 // Le Grand Cahier de János Szász p. 66 // Les Vivants de Barbara Albert p. 66 // Real de Kiyoshi Kurosawa p. 68 // Aimer, boire et chanter d’Alain Resnais p. 70 // Sacro GRA de Gianfranco Rosi p. 72 // El Impenetrable de Daniele Incalcaterra p. 73 // Holy Field, Holy War de Lech Kowalski p. 73… DVD 74 Julie est amoureuse de Vincent Dietschy

STAGIAIRE Timé Zoppé ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Camille Brunel, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Tiffany Deleau, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Claude Garcia, Lorraine Grangette, Camille Griffoulières, Gladys Marivat, Stéphane Méjanès, Ana , Wilfried Paris, Michaël Patin, Alexandre Prouvèze, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Léo Soesanto, Claire Tarrière, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Charlie Poppins PHOTOGRAPHES Fabien Breuil, Lucas Tua PUBLICITÉ

© quentin dupieux ; warner home video ; 2014 marvel, all rights reserved ; les films du losange ; shellac ; version originale / condor

DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com)

cultures 76 L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

time out paris 100 La sélection des sorties et des bons plans compilés par Time Out Paris

CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) CHEF DE PROJET Clémence Van Raay (clemence.vanraay@mk2.com)

trois couleurs présente 102 The Notwist, Florent Marchet, les événements MK2

Illustration de couverture © Michael Arnold pour Trois Couleurs

© 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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é dito

C’EST NORMAL Par Étienne Rouillon Illustration de Charlie Poppins

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e mois-ci, notre couverture ne rebondit pas sur l’actualité des sorties ciné, mais réagit à une suite d’événe­ments à l’écho complexe dans l’après « manif pour tous » et le scandale du « tous à poil » : l’interdiction de Nymphomaniac 2 aux moins de 18 ans ; la polémique autour de la diffusion de Tomboy à l’école et sur Arte ; plus tôt, à l’été 2013, le retrait de l’affiche de L’Inconnu du lac par deux municipalités… Les protestations de groupes catholiques intégristes combinent réprobation morale et actions en justice. Leur écho peut laisser penser que

les organes qui classifient les films actuellement sont défaillants. Il n’en est rien. Notre dossier central explique sans passion comment cela fonctionne en France, comment et pourquoi on définit le public d’un film. La crispation des débats menace aussi l’idée d’un « cinéma pour tous ». Pas dans le sens d’un « cinéma visible par tous » – il est évident que Nymphomaniac 2 ne doit pas être montré à des élèves de CM2 –, mais dans le sens d’un « cinéma qui parle de tous », qui accompagne ou qui devance l’évolution des mœurs, en présentant par exemple toutes les nuances du couple – vous en reconnaitrez en couverture quelquesunes des plus célèbres du cinéma.

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l’h istoi r e du moi s

Marli Renfro Nous avons parlé aux deux protagonistes d’une affaire rocambolesque En 2001, la presse rapporte une étonnante histoire : Marli Renfro, la doublure de Janet Leigh dans la célèbre scène de la douche de Psychose, aurait été sauvagement assassinée en 1988. Obsédé depuis sa jeunesse par cette femme, qui avait posé en couverture du magazine Playboy, le journaliste américain Robert Graysmith, auteur de l’enquête qui a inspiré le film Zodiac de David Fincher, est parti sur sa trace. Il a fait une surprenante découverte qu’il raconte dans un livre, aujourd’hui traduit en français.

© d.r., dorothy gunn

PAR GLADYS MARIVAT

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l’h istoi r e du moi s

« tout le monde pensait que j’étais morte ! »

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marli renfro

epuis la sortie de son livre Zodiac – trente ans de recherches et quelque trois cents interviews pour identifier un des tueurs en série les plus célèbres des ÉtatsUnis – on savait que Robert Graysmith était du genre acharné. Avec la parution de La Fille derrière le rideau de douche, on découvre que le journaliste américain a le don de transformer la moindre de ses enquêtes en moment de cinéma. L’auteur, âgé de 71 ans, nous a raconté la première fois qu’il a vu Marli Renfro et le début de son obsession pour cette femme : « J’avais 17 ans, en septembre 1960, quand j’ai vu la couverture de Playboy sur laquelle elle posait. Je vivais en Californie, dans une cabane isolée, avec la photo de Marli accrochée au mur. C’était une présence réconfortante, à une époque où j’étais très seul. » Marli Renfro, 23 ans. 91-58-89. Une masse de cheveux roux flamboyants. Un corps athlétique qu’elle expose dans les camps de naturistes, les revues de Las Vegas et le premier Playboy Club de Hugh Hefner. « Elle a franchi toutes les barrières sexuelles d’une Amérique très puritaine, et je trouve encore des gens aujourd’hui qui se souviennent de son pouvoir d’attraction unique. » Comme Graysmith, qui a grandi dans une famille très stricte, sur une base militaire au Japon. Pourtant, la scène de la douche de Psychose ne dure que quatre-vingt-dix secondes. On y voit le corps de Marli Renfro dans tous les plans où n’apparait pas le visage de Janet Leigh. Deux ans après, Marli joue encore dans Tonight For Sure, un western nudiste de Coppola. Puis on perd sa trace. Pendant quarante ans, Graysmith nourrit le projet de lui consacrer un livre. Et comme tous les Américains, il lit en 2001 la dépêche de l’Associated Press : « Un réparateur de 44 ans aurait été reconnu coupable du meurtre par strangulation de deux femmes, dont une actrice qui avait doublé Janet Leigh dans le film Psychose. » L’actrice en question s’appelle Myra Davis. C’était la doublure ­lumière de Janet Leigh. Mais selon certains journaux, ce nom serait le pseudonyme de Marli Renfro. Graysmith tique. Il sait que doublure lumière et doublure corps sont deux métiers différents… Cinq ans passent. Il retombe sur le numéro de Playboy, puis se souvient du témoignage d’une proche de Myra Davis qui insistait sur le fait qu’elle n’avait jamais joué nue.

Graysmith en est persuadé : Davis a été tuée à la place de Renfro. C’est alors qu’il reçoit un coup de fil : « J’ai cru comprendre que vous écriviez un livre sur moi. Je suis Marli Renfro. »

CONFUSION fatale

L’actrice lui a raconté avoir appelé Playboy en 2001, quand elle cherchait à récupérer des magazines pour une émission télévisée. On lui a répondu : « Vous ne pouvez pas le faire sans l’autorisation de Marli Renfro, et elle est morte. » Alors, elle est restée dans son désert, au Nouveau Mexique, où elle vit toujours aujourd’hui, à 75 ans. On lui a passé un coup de fil. « Comment j’ai su que Robert Graysmith me cherchait ? C’était en 2006. J’achetais sur eBay les anciens magazines dans lesquels j’avais posé – il y en a plus de cinquante. Graysmith faisait la même chose. Un jour, on a enchéri sur le même numéro, et il a gagné. Plus tard, la même vendeuse a proposé un autre magazine, et cette fois c’est moi qui ai gagné. Je lui ai dit que j’étais la fille sur la couverture, et elle m’a répondu que l’écrivain Robert Graysmith écrivait un livre sur moi. Je l’ai appelé. Il m’a dit qu’il me croyait morte ! On a eu tous les deux un choc. Tout le monde pensait que j’étais morte ! Après Psychose, j’ai continué à tourner des pubs et à doubler des voix pour la télévision, mais je travaillais moins, j’ai eu des enfants. Robert Graysmith m’a dit que le tueur avait confondu Myra Davis avec moi. En fait, Myra avait seulement posé pour le storyboard. Ça aurait dû être moi, la victime, c’est horrible, horrible ! Je me souviens au détail près du tournage de Psychose. Deux jours, qui sont devenus une semaine. Avec des journalistes dans les gradins, et moi, complètement nue, à l’exception d’une sorte de tissu couleur chair sur le pubis et les fesses. Mais j’étais naturiste à l’époque, alors j’étais très naturelle : je faisais des étirements dans la baignoire, pour ôter tout caractère érotique à ma nudité. Mon souvenir le plus fort ? Quand Hitchcock m’a touché les tétons en prenant des mesures dans la salle de bains. Aujourd’hui, quand je repense à cette époque, je me dis que je n’échangerais mon passé pour rien au monde. » La Fille derrière le rideau de douche de Robert Graysmith Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuel Scavée (Denoël) Disponible

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e n bre f

Les actualités Retours et compléments d’information sur les nouvelles culturelles de ces derniers jours qui ont agité notre site Internet, troiscouleurs.fr. Par Camille Brunel, Tiffany Deleau, Julien Dupuy, Quentin Grosset, Juliette Reitzer, étienne rouillon, Laura Tuillier, Timé Zoppé

> l’info graphique

Comment définir un personnage de Star Wars ? Jusqu’au 30 juin, l’exposition « STAR WARS Identities » se tient à la Cité du cinéma à Saint-Denis. Plus qu’une simple collection d’objets cultes de la star des sagas de science-fiction, le parcours permet à chaque visiteur de devenir un personnage inédit de cet univers : du wookie jedi au ewok commerçant. Il suit pour cela un arbre de compétences composé de trois grands troncs et d’une dizaine de branches. J. L. & É. R.

1.origines

2.influences

3.choix

espèces

gènes

mentors

amis

occupations

personnalité

Robot, alien ou clone ?

êtes-vous sensible à la Force ?

Chevaliers jedi ou chasseurs de prime ?

Gros ours velu ou petits ewoks douillets ?

Pilote de course ou soldat de l’Empire ?

Gaffeur, héros ou soiffard ?

culture

parents

événements

valeurs

Habiter dans des cabanes ou des grottes ?

Fermiers de Tatooine ou droïdes ?

Votre papa a-t-il tué votre mentor ?

ça vous tente, le côté obscur de la Force ?

> HOLLYWOOD

© steve granitz / wireimage

Megan Ellison, productrice ou mécène ?

Megan Ellison entourée des acteurs d’American Bluff (Amy Adams, Bradley Cooper, Jennifer Lawrence), après la cérémonie des Golden Globes 2014

Avec dix-sept nominations aux Oscars cette année pour des films qu’elle a produits (American Bluff, Her et The Grandmaster) Megan Ellison fait sensation à Hollywood, à seulement 28 ans. C’est la fille de l’homme d’affaire Larry Ellison, cinquième homme le plus riche du monde. En 2011, elle abandonne ses études de cinéma pour fonder sa propre société de production, Annapurna Pictures. Dotée d’un large portefeuille – son père lui aurait offert 2 milliards de dollars pour ses 25 ans –, la jeune femme laisse carte blanche aux réalisateurs. Son truc ? Financer sans compter des films d’auteurs boudés par les gros studios. Zero Dark Thirty et American Bluff lui ont coûté 40 millions de dollars chacun, et rapporté respectivement 132,8 millions de dollars et 216,4 millions de dollars. Produit avec un budget identique, The Master n’a quant à lui récolté que 28,3 millions de dollars. Un échec qui pousse des gens du métier à s’interroger sur sa crédibilité. Sauveuse du ciné indé ou fille à papa en quête d’un hobby ? Le prochain film qu’elle produit, Foxcatcher de Bennett Miller, sera assurément attendu au tournant. T. D.

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> LE CHIFFRE DU MOIS C’est, en pourcentage, l’augmentation en moins de 24h des ventes d’un livre vieux de 120 ans sur Amazon. The King in Yellow, un recueil de nouvelles méconnu de Robert Chambers, a été propulsé dans le top 10 des ventes du site suite aux nombreuses références qui y sont faites dans la série True Detective. T. Z.

Calé

Décalé

Recalé

Sexe Le 19 mars, Lindsay Lohan est à l’affiche de The Canyons de Paul Schrader, un thriller scénarisé par le sulfureux écrivain Bret Easton Ellis (American Psycho, Les Lois de l’attraction). On la voit fricoter à l’écran avec l’acteur porno James Deen. Hot.

Rock’n’roll L’actrice américaine vient de tourner une émission de télé-réalité sur sa vie. Sobrement intitulé Lindsay, le programme sera diffusé en mars sur OWN, la chaîne d’Oprah Winfrey. La célèbre présentatrice a décrit le tournage comme « chaotique ».

PAR T. Z.

& drogues Lindsay Lohan est connue pour ses addictions et ses fréquents séjours en cure de désintox. Selon le tabloïd américain New York Post, elle s’apprête à tourner dans le thriller Inconceivable, qui serait financé par d’anciens trafiquants de drogue.

> LA PHRASE

© warner bros entertainment inc and legendary pictures funding llc

Marina Abramovi L’autoproclamée « grand-mère de l’art performance » réagit sur le site Internet Vulture à la dernière installation artistique de l’acteur Shia LaBeouf, que d’aucuns considèrent comme un pliagiat de son travail.

> LA TECHNIQUE

S’il est indéniable que les mâles en slip – et en furie – de 300 : la Naissance d’un empire ont sué sang et eau pour se sculpter un corps d’éphèbe en travaillant sous l’égide des coachs de la société Gym Jones, il faut tout de même ajouter que nos gaillards ont également été aidés par la magie du cinéma. Avant chaque jour de tournage, le galbe de leurs muscles était en effet copieusement accentué par une peinture en trompe-l’œil posée à l’aérographe sur le torse et les bras des comédiens. Une petite tricherie qui, grâce à l’image très contrastée du film, passe inaperçue à l’écran. J. D. 300 : la Naissance d’un empire de Noam Murro (Warner Bros.) Sortie le 5 mars

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© gary gershoff / wirelmage

300 : la Naissance d’un empire

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« Il me semble très intéressant que Hollywood revienne à la performance […]. Ils ont peut-être besoin de notre expérience, de plus de simplicité »


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> BERLINALE

d. r.

L’Enlèvement de Michel Houellebecq Présenté dans la section Forum de la dernière Berlinale, le film de Guillaume Nicloux suit son programme à la lettre avec une économie de moyens qui confine au reportage. Le Goncourt 2010, as himself, s’y retrouve séquestré par trois étranges culturistes cultivés, qui signent la part de fantasmagorie ajoutée par Guillaume Nicloux à un événement bien réel – la disparition subite de l’écrivain lors de sa promo de La Carte et le Territoire. Houellebecq suit le mouvement et se déréalise à son tour : menotté à longueur de journée, chouinant pour son briquet, il cesse d’être une star des lettres en représentation d’elle-même pour devenir le troll sympa de ses ravisseurs. Extension du domaine du clown ? C. B.

cycle « Berlin magnétique » Au Forum des images, du 1er mars au 20 avril, c’est toute l’histoire du cinéma berlinois, de 1924 à aujourd’hui, qui sera passée en revue. Suivant des axes historiques (les films au sujet du mur, de Wenders à Godard) ou thématiques (Berlin gay), les cycles de projections seront étayés par de nombreuses conférences et rencontres. Autre moment fort : la projection sur tout un weekend de Berlin Alexanderplatz, la série culte de Fassbinder. L. T.

© collection christophel

© collection christophel

décès

> un jour, la fin

Harold Ramis est mort Le 24 février 2014 s’est éteint l’une des voix majeures de la comédie américaine du siècle dernier. Harold Ramis est mort à Chicago, où il fit ses armes dès les années 1970 au sein de la troupe d’improvisation de Second City aux côtés de John Belushi, Dan Aykroyd et Bill Murray. Avec les deux derniers, il formera l’escouade de choc des chasseurs de spectres de S.O.S. fantômes (Ramis jouait le binoclard), film qu’il a par ailleurs coécrit. Mais c’est sans doute comme

réalisateur d’Un jour sans fin que Ramis restera dans les mémoires cinéphiles. Le réalisateur y filme son ami Bill Murray revivant ad nauseam la même journée insignifiante. Cette comédie romantique qui trône au-dessus de la foisonnante concurrence des années 1990 reste à ce jour l’un des meilleurs rôles de son interprète principal, et le sommet de la carrière de Harold Ramis, malgré de louables succès postérieurs, comme Mafia Blues. L. T.

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Philip Seymour Hoffman (Truman Capote, The Master), 46 ans, est mort dans son appartement de Manhattan le 2 février dernier. Il avait récemment joué dans quatre films encore inédits, dont les deux derniers volets de Hunger Games pour lesquels il lui restait quelques scènes à tourner Le Danois Gabriel Axel s’est éteint le 9 février, à 95 ans. Il avait réalisé plus de vingt films dont Le Festin de Babette (1987) avec Stéphane Audran dans son plus beau rôle Shirley Temple, la fillette aux fossettes et aux boucles blondes qui régna sur le cinéma hollywoodien des années 1930, est décédée le 10 février. Elle avait 85 ans. J. R.



à su ivre

Camille Chamoux Seule sur scène dans Née sous Giscard, entourée d’une bande de filles au cinéma dans Les Gazelles, elle décline avec humour les angoisses de la génération X. PAR JULIETTE REITZER – Photographie de fabien breuil

E

« J’ai eu une migraine ophtalmique fulgurante en voyant mon affiche dans le métro. » Elle fait hypokhâgne et khâgne, puis se consacre enfin aux planches. En 2006, elle coécrit un one woman show, Camille attaque, avec la metteure en scène Pauline Bureau, qui lui ouvre les portes de chroniques humoristiques régulières à la télé (L’Édition spéciale sur Canal+), et à la radio (Faites entrer l’invité sur Europe 1). Il y a trois ans, des producteurs lui proposent

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© fabien breuil

lle arrive presque à l’heure, dans l’euphorie un peu anxieuse des premières représentations de Née sous Giscard et de la sortie imminente des Gazelles. À l’écran et sur scène, Camille Chamoux est drôle, d’une sincérité désarmante, très attachante. Elle a écrit le film et le spectacle en même temps, et tous deux tirent leur humour du pathétique de situations très réalistes. « Un producteur nous a dit : “C’est sympa, Les Gazelles, mais ça sent les pieds, Oberkampf et les intermittents crasseux.” » Camille sourit, c’est ce qu’elle appelle « l’humour du debrief », manière de désamorcer les angoisses autour d’un verre. Elle vient d’une famille « de droite, vaguement réac ». C’est pourtant sa mère qui, sans le vouloir, lui met le pied à l’étrier : « À 7 ans, elle m’a fait jouer une scène de L’Avare pour divertir ma grand-mère, qui s’était pété le poignet. » Plus tard, dans son lycée jésuite à Paris, elle a demandé à monter l’histoire de David. « C’est dire si je voulais faire du théâtre. » d’écrire un scénario : ce sera Les Gazelles, pour lequel elle choisit la réalisatrice Mona Achache – elles planchent depuis sur un second film ensemble, « un truc plus radical ». Parce qu’elle a tendance à gratter le vernis bleu qu’elle a sur les ongles, on lui demande si elle est angoissée. « Moins qu’avant. Enfin, il y a cinq jours, j’ai eu une migraine ophtalmique fulgurante. En arrivant dans le métro, j’ai vu mon affiche plein de fois, ça fait bizarre. » Elle ferait bien de s’y habituer : on va beaucoup entendre parler de cette fille brillante. Née sous Giscard de Camille Chamoux, mise en scène de Marie Dompnier, au théâtre du Petit Saint-Martin Les Gazelles de Mona Achache, scénario de Camille Chamoux, au cinéma le 26 mars

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© national archives and records administration

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Harry Ettlinger (à droite) inspecte un autoportrait de Rembrandt retrouvé dans la mine d’Heilbronn, en Allemagne, en 1946

The Monuments Men Le nouveau film de George Clooney raconte l’histoire de ces hommes de l’armée américaine qui, à la fin de la guerre, sont partis en chasse des œuvres d’art volées par les nazis. Rencontre avec l’un d’entre eux, l’Américain Harry Ettlinger, émigré juif allemand qui avait 18 ans en 1945. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE ROUILLON

Lorsque les Monuments Men m’ont enrôlé, on m’a d’abord demandé de jeter un coup d’œil à des monceaux de documents. Il ne fallait pas tout traduire de l’allemand, mais en résumer le sujet général. C’étaient des lettres de hauts dignitaires nazis. Deux semaines plus tard, l’officier James Rorimer m’a emmené à Munich pour interroger Heinrich Hoffmann, le photographe personnel d’Adolf Hitler. Quelques jours après, Rorimer nous a conduit en jeep jusqu’à Berchtesgaden, en Bavière, là où se trouvait le fameux Nid d’aigle, non loin du Berghof, le lieu de villégiature de Hitler. Dans les niveaux inférieurs du bâtiment, nous avons trouvé des étagères sur lesquelles étaient empilés des tableaux. Et croyez-moi, c’était un assez gros château… De mes années chez les Monuments Men, je n’ai gardé qu’une chose prise ce jour-là : un insigne SS arraché à un costume de haut gradé. » Monuments Men de George Clooney avec George Clooney, Matt Damon… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h58 Sortie le 12 mars

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Sorties du 5 au 26 mars Parce que j’étais peintre de Christophe Cognet Documentaire Distribution : Jour2fête Durée : 1h44 Page 58

L’Étrange Couleur des larmes de ton corps d’Hélène Cattet et Bruno Forzani avec Klaus Tange, Jean-Michel Vovk… Distribution : Shellac Durée : 1h42 Page 62

300 : la Naissance d’un empire de Noam Murro avec Sullivan Stapleton, Eva Green… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h42 Page 25

Free Fall de Stephan Lacant avec Hanno Koffler, Max Riemelt… Distribution : KMBO Durée : 1h40 Page 60

La Cour de Babel de Julie Bertuccelli Documentaire Distribution : Pyramide Durée : 1h29 Page 63

L’Étudiant de Darezhan Omirbayev avec Nurlan Baitasov, Maya Serikbayeva… Distribution : Les Acacias Durée : 1h30 Page 30

N’importe qui de Raphaël Frydman avec Rémi Gaillard, Nicole Ferroni… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h40 Page 60

How I Live Now (Maintenant c’est ma vie) de Kevin Macdonald avec Saoirse Ronan, George MacKay… Distribution : UGC Durée : 1h46 Page 63

5 mars

Arrête ou je continue de Sophie Fillières avec Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h42 Page 55

12 mars

Patéma et le Monde inversé de Yasuhiro Yoshiura Animation Distribution : Eurozoom Durée : 1h39 Page 83

Diplomatie de Volker Schlöndorff avec Niels Arestrup, André Dussollier… Distribution : Gaumont Durée : 1h24 Page 56

Monuments Men de George Clooney avec George Clooney, Matt Damon… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h58 Page 18

Se battre de Jean-Pierre Duret et Andrea Santana Documentaire Distribution : Aloest Durée : 1h33 Page 56

Braddock America de Jean-Loïc Portron et Gabriella Kessler Documentaire Distribution : ZED Durée : 1h41 Page 60

Wrong Cops de Quentin Dupieux avec Mark Burnham, Éric Judor… Distribution : UFO Durée : 1h25 Page 28

Un week-end à Paris de Roger Michell avec Jim Broadbent, Lindsay Duncan… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h33 Page 56

Un amour d’hiver d’Akiva Goldsman avec Colin Farrell, Jessica Brown Findlay… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h58 Page 60

The Canyons de Paul Schrader avec Lindsay Lohan, James Deen… Distribution : Recidive Durée : 1h40 Page 63

Youth de Tom Shoval avec David Cunio, Eitan Cunio… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h47 Page 56

Les Chiens errants de Tsai Ming-liang avec Lee Kang-sheng, Lee Yi-cheng… Distribution : Urban Durée : 2h18 Page 61

Exit Maroc de Sean Gullette avec Chaimae Ben Acha, Soufia Issami… Distribution : Rezo Films Durée : 1h26 Page 63

Dans l’ombre de Mary : la Promesse de Walt Disney de John Lee Hancock avec Emma Thompson, Tom Hanks… Distribution : Walt Disney Durée : 2h5 Page 58

Son épouse de Michel Spinosa avec Yvan Attal, Charlotte Gainsbourg… Distribution : Diaphana Durée : 1h47 Page 61

Her de Spike Jonze avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson… Distribution : Wild Bunch Durée : 2h6 Page 64

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Sorties du 5 au 26 mars Le Vertige des possibles de Vivianne Perelmuter avec Christine Dory, Vincent Dieutre… Distribution : Esperanza Productions Durée : 1h48

Dark Touch de Marina de Van avec Missy Keating, Marcella Plunkett… Distribution : KMBO Durée : 1h30 Page 64 La Légende d’Hercule de Renny Harlin avec Kellan Lutz, Scott Adkins… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h39 Page 64

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Aimer, boire et chanter d’Alain Resnais avec Sabine Azéma, Michel Vuillermoz… Distribution : Le Pacte Durée : 1h48 Page 70 All About Albert de Nicole Holofcener avec Julia Louis-Dreyfus, James Gandolfini… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h33 Page 70

Situation amoureuse : c’est compliqué de Manu Payet et Rodolphe Lauga avec Manu Payet, Emmanuelle Chriqui… Distribution : StudioCanal Durée : 1h40 Page 64

Les Gazelles de Mona Achache avec Camille Chamoux, Audrey Fleurot… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h39 Page 16

Closed Circuit de John Crowley avec Eric Bana, Rebecca Hall… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h36 Page 70

Le Grand Cahier de János Szász avec András Gyémánt, László Gyémánt… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h49 Page 66

Leçons d’harmonie d’Emir Baigazin avec Timur Aidarbekov, Aslan Anarbayev… Distribution : Arizona Films Durée : 1h44 Page 30

Sacro GRA de Gianfranco Rosi Documentaire Distribution : Alfama Films Durée : 1h33 Page 72

Les Vivants de Barbara Albert avec Anna Fischer, Emily Cox… Distribution : Bodega Films Durée : 1h52 Page 66

Captain America : le Soldat de l’hiver d’Anthony et Joe Russo avec Chris Evans, Scarlett Johansson… Distribution : Walt Disney Durée : 2h8 Page 40

I am Divine de Jeffrey Schwarz Documentaire Distribution : Zelig Films Durée : 1h30 Page 72

Qui a peur de Vagina Wolf ? d’Anna Margarita Albelo avec Anna Margarita Albelo, Guinevere Turner… Distribution : Outplay Durée : 1h23 Page 67

Gerontophilia de Bruce LaBruce avec Pier-Gabriel Lajoie, Walter Borden… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h22 Page 48

Layla de Pia Marais avec Rayna Campbell, August Diehl… Distribution : Jour2fête Durée : 1h48 Page 72

Valse pour Monica de Per Fly avec Edda Magnason, Sverrir Gudnason… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h51 Page 67

De toutes nos forces de Nils Tavernier avec Jacques Gamblin, Fabien Héraud… Distribution : Pathé Durée : 1h30 Page 67

El Impenetrable de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini Documentaire Distribution : Les Films d’ici Durée : 1h32 Page 73

3 Days to Kill de McG avec Kevin Costner, Amber Heard… Distribution : EuropaCorp Durée : 1h54

Le Sac de farine de Kadija Leclere avec Hafsia Herzi, Hiam Abbass… Distribution : Mica Films Durée : 1h32 Page 67

Holy Field, Holy War de Lech Kowalski Documentaire Distribution : Revolt Cinema Durée : 1h45 Page 73

Le Souffle des dieux de Jan Schmidt-Garre Documentaire Distribution : Jupiter Communications Durée : 1h46

Real de Kiyoshi Kurosawa avec Haruka Ayase, Takeru Satô… Distribution : Version Originale / Condor Durée : 2h7 Page 68

Le Parfum de la carotte d’Arnaud Demuynck et Rémi Durin Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 45min Page 83

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histoires du

CINéMA

Drvengrad

EN COUVERTURE

Bruce LaBruce

Reportage dans la folle cité cinéphile de Kusturica p. 34

Cinéma pour tous : l’évolution des mœurs à l’épreuve des films et du public p. 40

Rencontre avec le réalisateur très fleur bleue de Gerontophilia p. 46

Eva Green Le film 300 avait marqué les esprits à sa sortie en 2007, grâce à sa photographie unique et à un parti pris outrancier dans la mise en scène des combats. C’était un film de bonhommes, centré sur les abdos d’une bande de spartiates. Surprise, dans 300 : la Naissance d’un empire, sa suite, c’est une héroïne qui mène la barque et la marine perse contre les armées grecques. Retour sur ce personnage de la furieuse Artémise et rencontre avec son interprète, la Française Eva Green. PAR RENAN CROS

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« Là, c’est parfait : je coupe des têtes. »


h istoi re s du ci n é ma

C

heveux noir de jais en bataille, regard bleuté creusé par un maquillage sombre, bagues métalliques à chaque doigt… Eva Green arbore un look gothique spectaculaire. Ajoutant une touche de rock au glamour de Hollywood, la jeune fille en fleur que le public a découverte avec Innocents – The Dreamers de Bernardo Bertolucci a fait du chemin depuis 2002. Elle s’est construit de film en film une image de femme fatale. « Je sais bien que c’est ce que tout le monde voit en moi, déclare-t-elle, mais je trouve cela un peu réducteur. J’aime les rôles de femmes fortes. Sont-elles forcément fatales ? Je ne suis pas sûre. Dans l’imaginaire collectif, une femme à la fois sexy et forte est forcément dangereuse. Moi je vois surtout des rôles intéressants, avec des choses à jouer et à défendre. » Avec Vesper Lynd dans Casino Royale, l’actrice s’est vu offrir un personnage inédit dans l’histoire des James Bond girls. Loin d’être réduite à un simple fantasme ou à une silhouette, Vesper incarnait le grand amour perdu de 007. « C’est une James Bond woman, pas une James Bond girl. Le rôle était magnifiquement écrit. » Ce personnage a offert une visibilité internationale à l’actrice, boostant une carrière américaine déjà bien lancée avec une apparition dans Kingdom of Heaven en 2005. En Sybille de Jérusalem, elle campait déjà une femme déterminée. Mystérieuse et souveraine, l’actrice est très à l’aise dans les univers épiques. « J’adore les récits historiques. On y trouve de formidables personnages féminins. Mais surtout, dans les épopées, les femmes ont une puissance dramatique qui leur donne une vraie stature. Elles incarnent quelque chose de sensible, au milieu d’un monde dévasté. Cela ne veut pas dire qu’elles restent là, à se lamenter. Non, leur douleur leur donne la force de lutter. Elles prennent le pouvoir. » Ainsi dans 300 : la Naissance d’un empire, elle incarne une Artémise si puissante qu’elle submerge l’écran, reléguant la horde de soldats spartiates au second plan. Eva Green est le surprenant centre névralgique du champ de bataille, dans cette suite très attendue du film de Zack Snyder, lui-même adapté des romans graphiques de Franck Miller. Moulée dans une armure, elle

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fait la guerre avec une rage et une folie communicatives. Extrêmement violent et diabolique, ce rôle de soldate grandiloquente et sans scrupules permet à l’actrice de s’en donner à cœur joie dans la démesure. « Ce genre de rôle, c’est du divertissement. On ne peut pas prendre ça au sérieux. Alors il faut y aller à fond et s’amuser le plus possible. J’ai tendance à trop me prendre la tête. Là, c’est parfait : je coupe des têtes, je crie, je me bagarre. Pas le temps de trop réfléchir. C’est une autre manière de jouer, plus physique. Le corps vous entraîne, et le personnage arrive. » La comédienne revient ensuite sur l’entrainement intensif qu’elle a suivi durant plusieurs mois. Mais plus encore que sa prestation au combat, c’est une scène de sexe très cru, entre elle et l’acteur Sullivan Stapleton, qui va marquer les esprits. « Ce n’est jamais très agréable à tourner. Je la trouve justifiée dans le film, car elle amène une surenchère dans la folie. Je crois que c’est le personnage le plus dingue et le plus dangereux que j’ai eu à jouer. Quand elle vous aime, c’est encore pire que lorsqu’elle vous déteste. » Ce personnage s’ajoute à la longue liste de celles que l’actrice aime appeler ses « garces préférées ». Déjà, dans Dark Shadows de Tim Burton, elle s’était follement amusée à jouer les sorcières glamour et dingo façon soap opera. « On me propose souvent des personnages démesurés. Le premier rôle que j’ai eu à jouer, quand je suis rentrée dans une école de théâtre, c’est celui de Lady Macbeth dans la pièce de Shakespeare. Ça a dû me marquer, car, depuis, je suis toujours attirée par ce genre de challenge. Dans la vie, je suis quelqu’un de très réservé. Avec ce genre de rôle, j’extériorise. » univers plus marqué

L’actrice ne veut pas être cantonnée aux superproductions numériques en costumes. Si elle avoue prendre beaucoup de plaisir sur ces tournages récréatifs, elle est aussi à la recherche d’univers artistiques plus marqués. Récemment, elle donnait la réplique à Ewan McGregor dans la romance apocalyptique Perfect Sense. Mais c’est surtout dans White Bird in a Blizzard, le nouveau film de Gregg Araki, présenté cette année au festival de Sundance, qu’on l’attend. « C’est un rôle incroyable. Peut-être l’un des plus beaux que j’ai jamais eu. Je joue une mère, un peu folle, un peu

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portr ait

Eva Green en Artémise dans 300 : la Naissance d’un empire

« Ce genre de rôle, c’est du divertissement. On ne peut pas prendre ça au sérieux. » perdue. C’est un film qui m’a fait du bien. O.K., je ne disposais pas de tout le confort auquel une actrice peut prétendre dans une énorme production ; mais moi, perso, les caravanes et le personnel au petit soin, je m’en passe très bien. » Après le film d’Araki, on retrouvera l’actrice dans le nouvel épisode de Sin City réalisé par Robert Rodriguez. Là encore, elle joue un personnage mystérieux. « Une garce, comme d’habitude ! C’est un personnage de femme à la fois très glamour, très sexy, mais avec des vraies manières de mec. Elle utilise les hommes pour se faire de l’argent. » Autre énorme attente, Penny Dreadful, qui fait se rencontrer les monstres de la littérature fantastique dans le Londres victorien. La série anglaise, produite par Sam Mendes, offre un casting de luxe : Eva Green y donne la réplique au revenant Josh Harnett et à l’ancien 007 Timothy Dalton. L’actrice française n’a pas tourné de film dans l’Hexagone depuis Arsène Lupin, en 2004. « J’aime beaucoup le cinéma français. Avec mon nom, “Green”, les gens pensent que je suis danoise ou américaine. J’ai envie de faire des films

en français. Je rêve de travailler avec les frères Dardenne. Je suis amoureuse de leur cinéma. On a trop tendance à me mettre dans un écrin. Je suis toujours très maquillée, très bien habillée. Avec eux, je serais un peu bousculée. Ça m’obligerait à jouer autrement. Sinon, Jacques Audiard, évidemment, mais tout le monde veut travailler avec lui, non ? » Des envies de collaborations qui rappellent celles de sa mère, Marlène Jobert, qui a tourné avec Pialat, Godard ou encore Rappeneau. « Ma mère est toujours avec moi. J’en ai besoin. Elle me conseille, elle me recadre. C’est elle qui me ramène sur la terre ferme, quand je pourrais me laisser emporter par Hollywood et par toutes ces conneries. Surtout, elle est un exemple. Elle m’a appris que l’on pouvait être féminine et forte à la fois, que je n’avais pas à rougir d’être ce que je voulais être, que je n’avais pas à me laisser faire. » Comme sa fille aujourd’hui, Jobert s’amusait à mélanger les genres et à afficher haut et fort dans la France des années 1970 et 1980 l’image d’une féminité décomplexée et militante. « Ma mère me soutient dans ma carrière. Mais ça n’a pas dû être évident. C’est un métier de masochiste. Dépendre du désir des autres, c’est forcément se faire du mal. Et une mère doit avoir du mal à le supporter. » 300 : la Naissance d’un empire de Noam Murro avec Sullivan Stapleton, Eva Green… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h42 Sortie le 5 mars

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h istoi re s du ci n é ma

WRONG COPS

© quentin dupieux

Quentin Dupieux

Quentin Dupieux (au centre) et des images extraites de son nouveau film, Wrong Cops

Exilé à Los Angeles depuis bientôt quatre ans, Quentin Dupieux a du mal à supporter le retour à Paris pour la promo de Wrong Cops : à peine le pied posé dans la capitale qu’il a chopé une belle « crève française », comme il l’appelle. Entre deux cachets de vitamine C, le réalisateur et musicien electro (sous le pseudonyme de Mr. Oizo) nous a parlé de son nouvel ovni, une comédie noire et acide sur une bande de flics incompétents, égoïstes et corrompus jusqu’à la moelle. PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

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e ntreti e n

uelle place occupe Wrong Cops dans votre filmographie, par rapport à vos précédents films, Wrong et Rubber ? C’est un autre enfant, moins bien formé, composé à partir d’un premier court métrage de quinze minutes dans lequel jouaient Marylin Manson et Mark Burnham, et qui était destiné à mettre en lumière un nouveau disque que je sortais. Le public a aimé, et je me suis dit qu’en écrivant six autres chapitres de quinze minutes, mis bout à bout, ça ferait un long métrage. J’ai l’impression d’avoir supprimé toutes les vapeurs d’absurde et les trucs planants par rapport à mes précédents films. C’est ce que j’aime dans celui-ci : il est plus terre à terre. Wrong Cops, c’est le même monde que Wrong, en plus déviant. Je me rendais bien compte en tournant Wrong que je faisais un film un peu mignon, précieux, sans gros mots. J’aimais bien, mais j’ai toujours besoin de détruire le jouet précédent. J’ai rencontré Mark Burnham sur le tournage de Wrong. Il jouait le flic qu’on ne voit qu’une minute. Il m’a fasciné. J’ai adoré son côté méchant, con et basique. Ce nouveau film, c’est vraiment un spin-off, j’ai voulu savoir ce qu’était la vie de ce mec. Visuellement, Wrong Cops est très marqué : le montage, les arrêts sur image très seventies, les flous sur les bords du cadre… Pourquoi avoir ainsi souligné la mise en scène ? L’image de Rubber était très particulière, mais maintenant on s’y est habitué, puisque depuis, tout le monde a fait des films avec cet appareil photo [le film est tourné avec un Canon 5D, ndlr]. J’ai remis ça avec Wrong, ce qui était moins osé. Pour Wrong Cops, j’ai donc dû trouver une autre idée. L’autre raison c’est que, cette fois, je faisais un film autour de ma musique, donc que je voulais une image un peu crade et mal foutue, comme elle. J’ai mis un vieil objectif russe des années 1960 sur la caméra, ce qui donne ces bords flous. Comme vos précédents films, Wrong Cops compte beaucoup d’éléments surprenants qui ne sont jamais évoqués dans le cours du récit ; l’énorme bosse sur le front du personnage que joue Éric Judor, par exemple, qu’aucun des autres personnages ne semblent remarquer. Je n’ai qu’un seul but, c’est de faire des films marrants dont on se rappelle. La zone qui m’angoisse, c’est les films qui veulent être seulement drôles. Je trouve ça tragique. Un film qui me dit « tu vas te marrer » de la bande-annonce au générique d’intro, je n’ai déjà plus envie de me marrer. En même temps, pour moi, au scénario, il n’y a pas cette réflexion : j’écris ce qui me vient, et je choisis les idées les plus drôles et les plus cinématographiques.

Vous vous décrivez volontiers comme un fainéant qui ne cherche pas la perfection. Qu’est-ce qui vous motive, alors ? Ma motivation, c’est de faire du neuf. Quitte à rater. Mon moteur, c’est de ne jamais être professionnel. Avec mon premier film, Nonfilm, j’avais envie de désapprendre tout ce que je savais sur le cinéma. C’est le problème de beaucoup d’artistes, ils se spécialisent et sont embarqués dans le système. Pour Wrong Cops, mon cinquième film, j’ai décidé de faire un film de série Z. Je n’ai pas non plus envie de me foutre de la gueule du monde : quand je dis que je suis fainéant, c’est juste une façon de dire que j’aime faire les choses très vite. Je ne supporte pas l’idée de passer trois ans sur un film. Je fais peut-être des films moyens, mais je m’amuse davantage. Je suis un enfant de 40 ans ; dans mon esprit, tout est encore possible. Avec votre producteur, vous avez instauré une règle de fonctionnement, le « Rubber dogma », qui vous permet de réaliser vos films avant que les financements ne soient réunis. En fait, on va arrêter le « Rubber dogma », parce que c’est dangereux pour la boîte, et pour la santé mentale de mon producteur aussi. Mais oui, ce film n’a pas été financé. Jusqu’à présent, je nage dans la liberté totale, et je remercie mon producteur Grégory Bernard, mais l’industrie va nous rattraper. J’ai tourné deux films en 2013 : Wrong Cops et Realité, avec Alain Chabat. Les recettes de ces deux films vont déterminer si j’aurai le droit de refaire un tour de manège. Mais quoi qu’il arrive, je prendrai cette liberté, d’une manière ou d’une autre. Je vais tout simplement faire des tournées dans des festivals du monde entier et me servir de l’argent pour faire des petits films. C’est un super modèle, parce qu’il me permet de me soustraire aux enjeux de l’industrie. Je suis très satisfait d’une seule projection où cinq cents personnes se marrent. Mais dans tous les cas, je ne peux pas me passer de musique, c’est un truc trop intime. Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre prochain film, Realité ? C’est mon projet le plus ancien. La première version du script existait avant Rubber, et le film n’a pu se faire qu’après l’accord d’Alain Chabat. C’est un film-cauchemar bourré de magie. Je n’ai jamais autant réécrit un scénario, et c’est un peu angoissant de voir qu’en travaillant plus, on crée plus de sens. Mais ça ne va pas me décourager de continuer à être inconscient pour autant. Wrong Cops de Quentin Dupieux avec Mark Burnham, Éric Judor… Distribution : UFO Durée : 1h25 Sortie le 19 mars

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L’école kazakh Les cinéastes kazakhs Emir Baigazin et Darezhan Omirbayev dissèquent la loi du plus fort avec une précision clinique. Leurs deux films dénoncent les violences d’une société en proie aux inégalités à travers la figure d’un adolescent tourmenté. PAR QUENTIN GROSSET

L’Étudiant de Darezhan Omirbayev avec Nurlan Baitasov, Maya Serikbayeva… Distribution : Les Acacias Durée : 1h30 Sortie le 5 mars

Leçons d’harmonie d’Emir Baigazin avec Timur Aidarbekov, Aslan Anarbayev… Distribution : Arizona Films Durée : 1h44 Sortie : 26 mars

Ils n’ont pas le même âge, mais les réalisateurs de L’Étudiant et de Leçons d’harmonie observent les difficultés que traverse leur pays avec la même rigueur et la même acuité. Dans le premier de ces films, le vétéran Darezhan Omirbayev « remixe » le roman Crime et Châtiment de Fiodor Dostoïevski publié en 1866 en le transposant dans le Kazakhstan contemporain : un étudiant en philosophie est affligé par le remords après avoir commis deux assassinats. Réalisation statique, sous l’influence évidente de Bresson pour la direction d’acteurs, cette adaptation souffre parfois d’un didactisme superflu. Les cours de politique auxquels assistent les étudiants dans le film sont en effet purement illustratifs par rapport au parcours émaillé d’injustices vécu par ce jeune Raskolnikov. Reste que

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ce portrait en creux d’une société post-soviétique qui vit la libéralisation économique convainc lorsqu’il ne se disperse pas et qu’il se concentre sur ce magnifique personnage taciturne. Moins réaliste, mais tout aussi minimaliste, Leçons d’harmonie, premier long métrage d’Emir Baigazin, suit pareillement un jeune homme impuissant face à la violence qui l’entoure dans son collège. Souffre-douleur du chef de gang qui met ses camarades à genoux, Aslan est victime d’un réseau de racket mené par des caïds eux-mêmes persécutés par leurs chefs. Baigazin décrit une oligarchie dans laquelle le seul moyen de survivre est de se soumettre au système, ce que, bien sûr, ne fera pas Aslan. Sans concession, le cinéma kazakh propose ce mois-ci deux beaux chemins vers l’insubordination.

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Clermont-Ferrand Chaque hiver, le festival de Clermont-Ferrand dévoile les formats courts qui compteront dans l’année à venir. Le cru 2014 réservait de belles surprises, notamment du côté de l’animation et des moyens métrages.

d.r.

PAR LAURA TUILLIER

Peine perdue d’Arthur Harari, Prix de la presse et Prix de la jeunesse

Sous des températures anormalement clémentes pour la saison, Sébastien Betbeder est venu présenter un moyen métrage aussi dépaysant que la place de Jaude sous un grand soleil d’hiver. Cinéaste super actif, il a tourné, dans la foulée de 2 automnes, 3 hivers, Inupiluk, l’histoire de deux amis, Thomas et Thomas (dont le très bon Thomas Blanchard, découvert par Guiraudie), qui vont voir leur quotidien de bobos désœuvrés chamboulé par l’arrivée de deux Groenlandais à qui ils doivent faire découvrir Paris. Ancrant son film dans un terreau documentaire (la véritable visite d’Adam et Ole dans la capitale) et jouant avec les clichés de l’exotisme et de la découverte de la différence, Betbeder fait prendre l’air au genre du « film de potes fauché » et repart de Clermont avec le Prix du public… Bol d’air également avec Arthur Harari

(génial avocat dans La Bataille de Solférino) et sa Peine perdue, Prix de la presse et Prix de la jeunesse, tournée au bord d’une rivière. Une histoire simple, celle d’un adolescent maladroit (Lucas Harari, le frère du réalisateur) qui tente d’ap­procher une fille, aidé par Rodolphe, un jeune homme énigmatique. Quelque part entre Eustache et les contes moraux de Rohmer, Arthur Harari installe une atmosphère légère et tragique au cœur de laquelle se noue un drame de la séduction et du dépit. Enfin, en compétition internationale, le Brésilien Gabriel Mascaro signe avec A onda traz, o vento leva le portrait d’un trentenaire sourd qui élève seul sa fille à Recife. Proche de Kleber Mendonça Filho (Les Bruits de Recife), le réalisateur affirme d’un beau geste le pouvoir de la mise en scène à sublimer le quotidien le plus humble.

Trois films d’animation vus à Clermont-Ferrand PAR L. T.

> Love Games

> Montaña en Sombra

> Through the Hawthorn

Un décor minimal, un trait simple (mais néanmoins très élégant), du noir et blanc. Love Games est un interlude amoureux ludique et cruel qui met en scène un couple en train de se livrer à des jeux érotiques. Ce court film, presque muet, et quasi silencieux, impose sa sensualité et sa fraîcheur sans jamais se départir d’une malicieuse simplicité.

Prix spécial du jury, Montaña en Sombra, documentaire expérimental ambitieux, retravaille des images de montagne, de pistes de ski. Dans un noir et blanc charbonneux qui évoque le fusain, on assiste à la déambulation totalement silencieuse de petits personnages (le film est réalisé en plans larges) qui se détachent peu à peu de l’arrière plan. Visuellement superbe.

Though the Hawthorn s’attaque à la représentation de la schizophrénie à travers le récit de la consultation psychiatrique d’un jeune homme hanté par la voix d’une femme. En divisant le cadre en trois et en adoptant pour chacune des vignettes un style d’animation différent, les réalisatrices obtiennent un film rempli d’énigmes.

de Joung Yumi

de Lois Patiño

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d’Anna Benner, Gemma Burditt et Pia Borg


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h istoi re s du ci n é ma - g e n de r stu di e s

© warner home video

Chaque mois, une étude des enjeux de représentation du genre à l’écran

« Pour certaines femmes, les hommes sont une nécessité domestique. Personnellement, j’aimerais mieux avoir un canari », professe avec panache Alison Drake (Ruth Chatterton) dans Female

SAISON 3 : LES FILMS DU PRÉ-CODE

3. Female Female de Michael Curtiz (1933) remporte haut la main la palme du faux ami des films du pré-code. Ruth Chatterton s’affirme en femme d’affaires à poigne de fer dans ce film qui retourne sournoisement sa veste à la dernière minute. PAR CLÉMENTINE GALLOT

On doit au pré-code d’avoir diversifié l’éventail des typologies de personnages féminins : divorcée, femme volage, travailleuse (parfois, elle doit avorter). Ruth Chatterton, qui fut elle-même écrivaine à succès puis aviatrice, incarne dans cette comédie Alison Drake, la jeune patronne workaholic d’une usine automobile, semblant, dans la première partie du film, aller à l’encontre de tous les clichés du genre. Raccord avec la première vague du féminisme, le film déconstruit d’abord les codes de la masculinité (les garçons se bousculent à ses pieds) comme de la féminité (une mangeuse d’hommes façon magazines pulp). Déguisée en bourgeoise, elle tombe sous le charme de l’un de ses ingénieurs. Pour plaire à ce mâle dominant qui, reconnaissant sa patronne, résiste à ses avances, elle décide de

jouer la féminité, faible et éplorée, celle du titre, Female. Ce renversement des rôles est une belle démonstration de la notion de genre comme performance. Jeu manipulateur ou régression fatale vers des valeurs traditionnelles ? Lorsque celle-ci laisse tout tomber pour son promis, le retour à l’ordre établi est cinglant. Un syndrome aigu de « mégère apprivoisée » ? Female de Michael Curtiz disponible en DVD (Warner Bros.) Pour aller plus loin : Pre-Code Hollywood: Sex, Immorality, and Insurrection in American Cinema, 1930-1934 de Thomas Doherty (Columbia University Press)

le mois prochain : retrouvez un nouveau cycle de gender studies

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festival de KÜSTENDORF

Le village de Kusturica Il y a quelques années, Emir Kusturica a créé un village, Drvengrad, dans la montagne serbe de Mokra Gora. L’endroit accueille le festival international du film et de la musique de Küstendorf. Proche de la frontière avec la Bosnie-Herzégovine, cette bourgade dessine aussi les enjeux d’une identité complexe, pour un réalisateur d’origine bosniaque et athée, devenu Serbe et orthodoxe. Nous avons demandé à une journaliste habituée de l’événement (Ana est aussi attachée à son service presse) de nous raconter la septième édition du festival, qui s’est déroulée du 18 au 23 janvier dernier. PAR ANA OTAŠEVI PHOTOGRAPHIES DE LUCAS TUA

En République Serbe de Bosnie, Kusturica regarde les rives de la Drina depuis un bateau

« Avec ce festival, j’essaie de transmettre quelque chose aux jeunes, pour qu’ils comprennent mieux le monde dans lequel nous vivons et pour les encourager à faire du cinéma. » Emir Kusturica

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Vues de la place principale du village de Drvengrad

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eux heures du matin, restaurant Visconti, à Drvengrad, le village d’Emir Kusturica. La table du réalisateur serbe, à laquelle sont invités Bérénice Bejo et le réalisateur mexicain Guillermo Arriaga, est entourée par un groupe de musiciens gitans. Kusturica s’empare d’une guitare et lâche quelques accords. On n’est pas loin de l’ambiance onirique et survoltée de ses films. Nous sommes à la soirée de clôture du festival international du film et de la musique de Küstendorf, fondé par Kusturica en 2008. De jeunes auteurs et étudiants en cinéma y présentent leurs courts ou moyens métrages en compétition. Le jury, présidé cette année par Bérénice Bejo, vient de décerner l’Œuf d’or à The Exhibition des Slovaques Andrej Kolenčík et Peter Begányi. « Avec ce festival, j’essaie de transmettre quelque chose aux jeunes, pour qu’ils comprennent mieux le monde dans lequel nous vivons et pour les encourager à faire du cinéma », explique Kusturica. Le cinéaste porte un regarde pessimiste quant à l’évolution du film d’auteur face à l’industrie du cinéma, à l’image de l’affiche de la dernière édition (inspirée par le célèbre tableau de Munch, Le Cri) et son slogan « They shoot movies, don’t they ? » Maisons en kit

Le pari de créer un festival international au milieu des montagnes serbes a fait suite à l’installation du cinéaste dans cette région. L’idée lui est venue en 2003, pendant le tournage de La vie est un miracle. « J’étais impressionné par l’architecture des maisons en bois, très typique de cette région. » Il décide donc de s’en construire une, après des années passées à Paris et à New York. Ici, la vue

sur la vallée, entourée de massifs montagneux, est époustouflante. La maison de Kusturica donne sur la place principale Nikola Tesla, dominée par une petite église orthodoxe. En face, une cour en pierre accueille l’héliport. Autour, un petit village est né, traversé par les rues Federico Fellini, Jean Vigo, Jim Jarmusch, Che Guevara ou même Novak Djokovic. Quand il n’accueille pas les festivaliers, le village forme un complexe touristique créateur d’emplois dans une région à l’économie dévastée : « Avant, je voulais quitter la région, mais j’ai été embauché comme cuisinier à Drvengrad », nous confie un trentenaire d’Užice, à vingt kilomètres de là. Ce complexe permet à Kusturica de financer ses films et son festival, en complément d’importants soutiens publics. Comment un village né il y a dix ans peut-il paraître aussi ancien aux visiteurs qui entrent pour la première fois à Drvengrad (« la ville en bois » en serbe) ? Kusturica a racheté de vieilles maisons dans la vallée, 2 500 euros chacune, et les a ensuite déplacées. La particularité de ce type de maisons, appelées brvnara en serbe, est qu’elles sont démontables (la charpente en bois se détache de la base en pierre), héritage du passé tumultueux d’une région traversée par de nombreuses armées au fil des siècles. Ces habitations à la structure légère permettaient aux gens de la vallée de se réfugier rapidement dans les montagnes. Si Kusturica a construit sa maison ici, c’est aussi parce qu’il ne peut plus retourner dans sa ville natale, Sarajevo, capitale de la BosnieHerzégovine. Cette ancienne république yougoslave est devenue un État indépendant après la guerre civile (1992-1995). Sarajevo fut le théâtre de terribles affrontements ethniques entre, d’un côté, les Bosniaques (musulmans slaves), partisans d’un

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Drvengrad en fin de journée

Hongrie Roumanie

R.S.B. Croatie

Serbie

BosnieHerzégovine R.S.B. Montenegro

Kosovo Mer Adriatique Albanie Macédoine Italie

BOSNIE

M-5

Serbie M-5

M-5

Montagne Mokra Gora

République Serbe de Bosnie

Ville Frontières R.S.B. : République Serbe de Bosnie M-5

Route

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État indépendant, et de l’autre les Serbes de Bosnie. Au début de la guerre, le leader des partisans d’une Bosnie-Herzégovine autonome, Alija Izetbegović, a sollicité le soutien du cinéaste à l’aura internationale. Kusturica vivait alors en France avec sa femme et leurs deux enfants et avait obtenu sa première Palme d’or pour Papa est en voyage d’affai­ res (1985). Le cinéaste, opposé à l’éclatement de son pays, a refusé de défendre cette cause. Cette prise de position lui couta le pillage de son appartement de Sarajevo et provoqua l’exil forcé de ses parents. Depuis, il reste persona non grata à Sarajevo. « Ma situation était dramatique. J’ai dû retrouver mes racines, car l’identité yougoslave n’existait plus », explique-t-il aujourd’hui. Il prend alors la nationalité serbe et embrasse la foi orthodoxe de ses lointains ancêtres. La construction de Drvengrad terminée, le cinéaste s’est attelé à un nouveau projet : un autre village, Andrićgrad, de l’autre côté de la frontière, en République serbe de Bosnie (l’une des divisions administratives de la Bosnie-Herzégovine, voir notre carte). On y trouve des salles de cinéma, un théâtre, une salle de concert, un institut de recherches historiques, sortis de terre en trois ans. « Je suis contre les frontières », nous dit Kusturica, dans la voiture qui nous emmène à Andrićgrad, ainsi baptisée en hommage au romancier yougoslave Ivo Andrić, prix Nobel de littérature en 1961. C’est une ville dans une autre ville, Višegrad, immortalisée par Ivo Andrić dans son roman Le Pont sur la Drina. À bord du bateau qui glisse sur ledit cours d’eau, Kusturica raconte l’histoire de l’édifice aux jeunes cinéastes qui l’accompagnent. « C’est formidable d’avoir accès à tous ces gens », nous confie un étudiant venu d’Israël. Des réalisateurs, des scénaristes et des producteurs confirmés viennent chaque année au festival de Küstendorf pour échanger avec les jeunes. Les frères Dardenne, Jim Jarmusch, Abel Ferrara,

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Feux d’artifices au village

Abbas Kiarostami, Matteo Garrone, Kim Ki-duk, Marjane Satrapi, Elia Suleiman, Cristian Mungiu ont notamment participé aux éditions précédentes. « On est ensemble quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, on se retrouve au restaurant, au bar, devant les films, aux concerts », raconte Bérénice Bejo, assise dans la bibliothèque de la maison de Kusturica. En examinant les rayons, Guillermo Arriaga plaisante : « Je vais lui dire que je suis fâché de ne pas voir mes livres ici. » Le scénariste d’Amours chiennes, de 21 grammes et de Babel a dû laisser son arc et ses flèches à l’aéroport de Belgrade, faute de permission. Il comptait aller chasser dans les montagnes. Il nous dévoile son projet de tétralogie, Le Pouls du monde, sur quatre thèmes : la religion, le sexe, la politique et les vices. C’est un projet gigantesque, en collaboration avec l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, qui devrait être achevé en 2020 et qui rassemblera une quarantaine de réalisateurs reconnus. Kusturica se penchera sur l’orthodoxie dans le premier opus de cette série de courts métrages consacrée aux religions, intitulée Parlez avec des dieux . Álex de la Iglesia travaillera quant à lui sur le catholicisme, Amos Gitaï sur le judaïsme, Bahman Ghobadi sur l’islam et Guillermo Arriaga sur l’absence de Dieu. rakia et pogaca

Le son d’un hélicoptère à l’approche emplit la bibliothèque. Dans la cour, devant la maison de Kusturica, la petite tribu rassemblée autour du réalisateur accueille un invité de marque, Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, qui vient régulièrement à Küstendorf. À peine arrivé, il est embarqué à nouveau dans l’hélicoptère pour faire un tour, avec le maître des lieux aux commandes. De retour sur terre, Kusturica organise une projection privée pour montrer à Frémaux une trentaine de minutes de son prochain film, Sur la voie lactée, une histoire d’amour sur fond de

« Je suis contre les frontières. » Emir Kusturica

guerre dans laquelle le réalisateur joue aux côtés de Monica Bellucci. Le tournage du film reprendra au mois de mai, Kusturica vise une projection au Festival de Cannes 2015. Si la plupart des invités arrivent du ciel, Paolo Sorrentino, le réalisateur italien de La grande bellezza, a fait exception. Venu dans un gros 4x4, il est accueilli comme les autres avec un verre de rakia (l’eau de vie locale) faite à base de miel, du pogaca (un pain campagnard) et du sel – un geste ancré dans la tradition serbe. À 21 heures, comme chaque soir, la projection des films de la compétition commence. Au fond de la salle est assis Janusz Kamiński, chef opérateur attitré de Steven Spielberg depuis La Liste de Schindler, venu de Los Angeles pour présider le jury du Prix de la meilleure photographie. « Je suis chanceux, très peu de cinéastes américains ont l’occasion de voir autant de films étrangers », lâche-t-il, avant de comparer l’ambiance de Küstendorf à celle du festival de Telluride dans le Colorado, autre lieu de rencontre pour jeunes cinéastes. « Ça ressemble un peu à Sundance aussi, pour le côté familial. Mais Sundance reste un gros marché. » La salle est remplie d’étudiants en cinéma venus d’Allemagne, de France, de République tchèque, d’Italie, de Turquie, de Pologne, de Russie ou de Chine, mais aussi de villageois du coin venus voir les films, car les projections sont ouvertes au public. Une occasion rare de se faire une toile dans un pays où les salles de cinéma disparaissent les unes après les autres, faute de financement. À la fête de clôture, ce sont bien eux, les villageois, les stars de la soirée. Lorsqu’ils se mettent à danser le kolo, une danse traditionnelle, les invités du festival se lèvent et les rejoignent, essayant de suivre leurs pas.

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JUDIANNA MAKOVSKY, CHEF COSTUMIÈRE

L’étoffe du héros

Sous l’œil de hordes de fans impitoyables et d’une société de production très impliquée, la chef costumière Judianna Makovsky a dû accomplir l’impossible sur le tournage de Captain America : le Soldat de l’hiver. Créer un uniforme crédible et fonctionnel pour le super-héros à la bannière étoilée de Marvel.

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PAR JULIEN DUPUY

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu fabriquer des costumes. Enfant, j’ai rejoint le corps de ballet du Metropolitan Opera. Mais si j’aimais le travail des danseurs, ce sont surtout les coulisses qui me fascinaient, et en particulier le travail des costumiers. » Après des études de design à l’université de Yale, Judianna Makovsky réalise son rêve dès la fin des années 1980 en travaillant sous les ordres d’une chef costumière de légende, Milena Canonero, collaboratrice de Kubrick et Coppola. Très vite, elle devient l’une des chef costumières les plus prisées de Hollywood, ce qui la conduit fatalement à travailler sur le genre actuellement le plus populaire, l’adaptation de comics : « Ces uniformes de super-héros sont, de loin, ce qu’un chef costumier peut faire de plus difficile, admet Judianna Makovsky, qui s’était déjà frotté au genre avec X-Men : l’Affrontement final. En premier lieu, ce sont des projets extrêmement techniques, qui demandent un grand nombre de savoir-faire : des sculpteurs, des teinturiers, des mouleurs, des peintres… De plus, ces costumes sont un vrai défi esthétique : vous devez respecter l’univers d’origine,

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tout en faisant en sorte que les personnages ne semblent pas ridicules une fois placés dans un contexte contemporain. Sur un film comme Thor, on est tranquille : tout se passe dans un monde décalé. À l’inverse, Captain America… se déroule à Washington DC, et ce n’est pas évident de faire en sorte que le héros n’ait pas l’air stupide quand il déambule dans la rue en costume. » La loi du geek

Ces défis sont d’autant plus difficiles à relever que la marge de manœuvre de Judianna Makovsky est très limitée. « Quand vous travaillez avec Marvel, vous ne faites pas ce que vous voulez. Leurs personnages sont réutilisés de film en film, et ils ont une idée très précise de ce qu’ils veulent. De plus, les scénarios sont inspirés de comics déjà parus, donc vous avez d’office tout un tas de règles à respecter. » Autre garant du respect du matériau original, le fan, qui scrute avec méticulosité et intransigeance les moindres plis et replis des nouveaux costumes et n’hésite pas à déverser sa bile sur Internet si un détail lui déplaît. « Ce n’est pas la première fois que je travaille sur un film qui a une énorme base de fans, c’était déjà le cas sur Harry Potter à l’école des sorciers ou sur Hunger

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© jeffrey mayer / wireimage

pôle e m ploi

> CV 24 août 1967

Naissance dans le New Jersey

1987

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Judianna Makovsky est créditée chef costumière pour la première fois sur Jardins de pierre de Francis Ford Coppola.

janvier 1999

Elle reçoit sa première nomination aux Oscars pour Pleasantville. Elle sera de nouveau nominée en 2002 et en 2004 pour Harry Potter à l’école des sorciers et pour Pur Sang : la Légende de Seabiscuit.

Games. La chose que j’ai apprise avec ces films, c’est qu’il faut certes faire attention à ce que disent les fans, mais qu’il faut aussi mettre des limites à leur influence. Certains fans, par exemple, ne sont pas contents que notre Captain America ne possède pas d’ailettes sur son casque, comme dans la BD. C’est une chose que nous avons envisagée, mais nous avons finalement estimé que ces ailettes n’étaient pas fonctionnelles et qu’elles risquaient de sortir le public du film. Il faut aussi que les fans sachent que ce casque nous a donné du fil à retordre. Marvel tenait à ce que l’on voit les oreilles de Steve Rogers, comme c’est le cas dans le comics ; d’autres pensaient que ça lui donnait l’air abruti. C’est devenu un énorme débat qui semblait ne jamais devoir se terminer. » Et puis, il y a évidemment le secret qui cerne ces productions, et que doit contractuellement respecter la chef costumière : « Nous tournions la plupart du temps en décors réels ; alors il fallait couvrir au maximum nos comédiens avec de grandes capes, pour que les paparazzis ne puissent pas les photographier. Nous avions également pour interdiction d’envoyer des photos de nos travaux par email. Tout devait se faire par écrit pour éviter au maximum les fuites. » Du muscle

Plus inattendu, Judianna Makovsky doit également composer avec les variations de la silhouette des comédiens. « Quand on a débuté notre travail sur ce film, Chris Evans n’avait pas encore son corps de Captain America. Ce n’est qu’au bout de plusieurs semaines d’exercices qu’il a récupéré la masse musculaire qu’il avait sur le tournage

de Captain America: First Avenger. Si bien que ses mensurations changeaient radicalement tandis que nous concevions son costume sur mesure. Heureusement, nous pouvions nous appuyer sur l’expérience des précédents films ; nous savions jusqu’où ses muscles allaient gonfler, et c’est en nous basant sur son gabarit final sur le tournage de Captain America: First Avenger que nous avons

« Ce n’est pas évident de faire en sorte que le héros n’ait pas l’air stupide quand il déambule en costume. » conçu le nouveau costume. » Bref, si travailler sur ce film est difficile, en revanche, le résultat est gratifiant. Judianna Makovsky estime en effet que le nouvel uniforme du Cap’ est l’un des meilleurs travaux de sa carrière, juste derrière les costumes qu’elle avait conçus pour Sharon Stone dans le western de Sam Raimi, Mort ou Vif. Et puis elle ne cache pas sa fierté d’avoir apporté sa touche à une icône aussi populaire. « J’aime bien voir les jouets tirés des films sur lesquels je travaille. C’est amusant. Par contre, ajoute-t-elle avec une vraie inquiétude dans la voix, je redoute toujours l’adaptation qui est faite de mes costumes pour les déguisements de Halloween. Ça, ça peut devenir vite très effrayant, dans le mauvais sens du terme. »

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Pour illustrer ce dossier, nous avons mélangé les couples emblématiques présents en couverture du magazine. Une façon d’interroger notre rapport au « cinéma pour tous ». L’équilibre entre un cinéma qui parle de tous (reflet de l’évolution des mœurs) et un cinéma qui soit visible par tous (donc régulé par tranches d’âge) est perturbé par les récentes polémiques liées à la diffusion des films L’Inconnu du lac, Nymphomaniac 1 et 2 ou Tomboy. Enquête sur les origines et sur les effets de cette crispation. PAR JULIETTE REITZER, ÉTIENNE ROUILLON, LAURA TUILLIER (AVEC QUENTIN GROSSET ET TIMÉ ZOPPÉ) - illustrations de Michael Arnold

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embobinons. Pour qu’un film, français ou étranger, puisse être diffusé sur les écrans hexagonaux, il faut qu’il détienne un visa d’exploitation. Pour l’obtenir, le film doit être visionné par la commission de classification du CNC qui décide d’une éventuelle « restriction pour des publics jeunes », comme l’explique JeanFrançois Mary, conseiller d’État et président de ladite commission depuis août 2012. « On ne peut pas parler de censure, ajoute-t-il. Celle-ci consiste en l’interdiction totale de diffusion d’une œuvre. » La commission se veut représentative de la société. Elle est composée de vingt-huit titulaires et de cinquante-­cinq suppléants, répartis en quatre collèges : représentants des ministères, professionnels du cinéma, jeunes de 18 à 24 ans et experts, parmi lesquels notamment des spécialistes des sciences humaines qualifiés dans le domaine de la protection de l’enfance et de l’adolescence. La commission émet un avis auprès du ministre de la Culture qui tranche in fine : tout public, interdiction aux moins de 12 ans, aux moins de 16 ans, aux moins de 18 ans, éventuellement assortie d’un avertissement. Comme le note Jean-François Mary, « les films classifiés représentent un très faible pourcentage des films projetés, moins de 1 %. Les classifications “interdit aux moins de 18 ans” sont très rares. » Pour L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie, la commission a par exemple retenu une interdiction aux moins de 16 ans. Sa conclusion est consultable sur le site du CNC. « Ce film, dont le sujet est

« Ce que Civitas vient dire, c’est : “On ne peut pas regarder avec douceur ceux que nous devons regarder comme des monstres.” » virginie despentes

consacré à un lieu de rencontres homosexuelles, comporte des scènes de sexe non simulées, ce qui justifie, en conséquence, (l’)interdiction. » Sylvie Pialat, la productrice du film, estime la décision juste : « Ça nous convient parfaitement. Alain voulait que son film soit vu, il s’était beaucoup renseigné avant, pour éviter l’interdiction aux mineurs. » Le travail collégial de la commission semble bien rôdé, soucieux à la fois des évolutions des mœurs et de la liberté des cinéastes. C’est en tous cas la ligne que défend Jean-François Mary. « Nous veillons à un équilibre entre la vocation d’un film à s’adresser au plus large public et la protection des mineurs par rapport à des images qui peuvent les choquer. » En France, un distributeur ne change pas le montage d’un film suite à une décision de la commission. Laurent Jullier, professeur d’études cinématographiques et auteur du livre Interdit aux moins de 18 ans : Morale, sexe et violence au

les interdits au cinéma, dates clés Par Q.G. et T.Z. 1909

Naissance du contrôle du cinéma en France. Suite à la captation par les opérateurs Pathé de l’exécution de quatre condamnés à Béthune, Georges Clemenceau, ministre de l’Intérieur, donne consigne aux maires et aux préfets d’interdire la diffusion du film.

1916

Mise en place d’une commission nationale de contrôle pour attribuer aux films de création (autres que les actualités de guerre) un visa d’exploitation autorisant leur diffusion. Cette première commission est composée de cinq fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et de cinq représentants de la préfecture de police.

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1930 La première projection de L’Âge d’or de Luis Buñuel au Studio 28 à Paris est interrompue par des militants d’extrême-droite qui saccagent la salle et les œuvres surréalistes qui s’y trouvent. Le préfet Jean Chiappe saisit la copie utilisée pour la projection et interdit le film. Il faudra attendre 1981 pour que cette interdiction soit levée.


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cinéma évoque le modèle en vigueur aux ÉtatsUnis : « Là-bas, les producteurs pensent que la classification joue un rôle économique non négligeable et font volontiers remonter leur film jusqu’à ce que la sanction leur convienne. » Aujourd’hui en première ligne, la représentation du sexe à l’écran n’est d’ailleurs pas ce qui pose le plus problème aux membres de la commission : « La majeure partie des films sur lesquels nous sommes amenés à réagir posent la question des images violentes. » à l’épreuve de l’artiste

En 2000, la sortie de Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi met brutalement en lumière la limite du pouvoir de la commission. Le film racontait « l’histoire de deux gamines rebeu violées par des blancs, ou qui se vendaient à des blancs, et qui se mettaient ensemble pour tuer un peu tout le monde », résume Despentes. Suivant l’avis du CNC, Catherine Tasca, la ministre de la Culture de l’époque, délivre au film un visa assorti d’une interdiction aux moins de 16 ans. Mais l’association Promouvoir (qui « se donne pour objet la promotion des valeurs judéo-chrétiennes », dixit son site Internet) dépose un recours contre cette décision au motif que le film aurait dû être classé dans la catégorie des films pornographiques et d’incitation à la violence – autrement dit classé X, donc interdit dans les salles traditionnelles. Statuant en huit jours (un délai exceptionnellement court), le Conseil d’État donne raison à Promouvoir et annule 1956

La commission qui délivre les visas d’exploitation des films demande à Alain Resnais de supprimer de son documentaire Nuit et Brouillard une photo du camp de Pithiviers sur laquelle figure un gendarme français. Le cinéaste dessine à la gouache une fausse poutre qui masque le képi du gendarme, rendant son identification impossible.

le visa d’exploitation. Le film sera finalement interdit aux moins de 18 ans, suite à la création de cet échelon de classification venu combler un vide juridique. À l’époque, le classement le plus rigoureux était l’interdiction aux moins de 16 ans, puisque le classement X, qui permettait l’interdiction aux mineurs, entraînait le retrait des salles classiques. Virginie Despentes se souvient : « J’ai réalisé à quel point la France était devenue, sur des sujets comme le féminisme, les études postcoloniales ou la critique cinématographique, un pays d’arriérés, de ploucards et de mormons. Le problème, avec le Conseil d’État, c’est que tu retrouvais sept septuagénaires qui regardaient ce film en noir et blanc parce qu’ils ne savaient pas régler leur magnétoscope, et ces malheureux papys n’avaient jamais vu un film de William Friedkin ou de John Waters de toute leur vie… Ils ne comprenaient pas grand-chose. » à l’épreuve de la justice

Depuis l’affaire Baise-moi, les choses ont changé. Suite à un décret du 22 février 2010, les recours dirigés contre les décisions de classification des films sont désormais de la compétence des tribunaux administratifs, qui peuvent être saisis en référé. Ce transfert au tribunal administratif permet des recours en appel, ce qui n’était pas le cas auparavant. C’est vers le juge des référés que la même association Promouvoir s’est tournée en début d’année. Dans leur collimateur, les films Nymphomaniac : volume 1 et 2 de Lars von Trier. Là encore, Promouvoir a obtenu gain de cause : les interdictions initiales (respectivement aux moins de 12 ans et aux moins de 16 ans) sont durcies (interdiction aux moins de 16 ans et aux moins de 18 ans). On peut s’inquiéter de ce pouvoir de blocage. Le critique de cinéma Jean-Michel Frodon, dans un article paru sur Slate, estime que « la décision du juge est prise de manière solitaire et discrétionnaire, sur son “sentiment” […] Cette décision s’impose à la fois à une réflexion collective de personnes aussi légitimes qu’il est possible de le souhaiter pour ces questions et à un arbitrage de niveau ministériel. » L’obsession des médias pour le sujet n’est pas gratuite, elle répond à une augmentation bien réelle. Les statistiques des contentieux liés aux visas d’exploitation montrent un fort accroissement du nombre de requêtes depuis le début de

1959 Les maires d’une soixantaine de communes interdisent la diffusion des Liaisons Dangereuses de Roger Vadim. La commission se prononce à son tour pour l’interdiction du film, mais le réalisateur parvient finalement à obtenir un visa d’exploitation assorti d’une simple interdiction aux – 16 ans.

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1966

Jugée blasphématoire, l’adaptation de La Religieuse de Diderot signée Jacques Rivette se voit accorder un visa d’exploitation assorti d’une interdiction aux – 18 ans. Mais le secrétaire d’État à l’Information Yvon Bourges interdit le film, déclenchant un tollé. Cette décision est annulée l’année suivante pour vice de forme.


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Si les cinéastes s’attachent à filmer les évolutions des mœurs, parviennent-ils à faire évoluer les consciences ?

1974

Une partie de campagne, le documentaire de Raymond Depardon qui retrace la campagne de Valérie Giscard d’Estaing à l’élection présidentielle de 1974, est bloqué par le Président nouvellement élu, gêné par l’image que donne de lui le film, pourtant réalisé à sa demande ; VGE attendra 2002 pour autoriser sa diffusion.

1975

Le décret du 30 octobre 1975 introduit le classement X pour les films considérés comme pornographiques, violents ou portant atteinte à la dignité humaine. Outre une interdiction aux – 18 ans, ces films (et les salles qui les diffusent) se voient privés de tout financement public, ce qui les exclus de facto des circuits commerciaux normaux.

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1980

Cannibal Holocaust est saisit à sa sortie en Italie. Accusé d’avoir filmé des scènes non simulées de viol, de torture et de cannibalisme, son réalisateur, Ruggero Deodato, est finalement disculpé. En France, le film s’en sort mieux, puisqu’il est exploité dans une version amputée de quelques scènes et interdite aux – 16 ans.


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l’année 2014. Au 21 février, huit requêtes avaient déjà été déposées (dont cinq en référé-­suspension, une procédure d’urgence garantissant un jugement rapide, raccord avec la faible durée d’exploitation des films en salles), contre seulement une chaque année en 2012 et en 2013. L’efficacité des procédures en urgence, utilisées par Promouvoir, offre une caisse de résonance à d’autres prises de position dans le débat public, fédérées dans l’opposition au mariage pour tous et dans les polémiques autour d’une supposée « théorie du genre ». Pour Despentes, « le sujet qui obsède les censeurs intégristes catholiques, c’est le genre. Les femmes appartiennent à l’église tradi­ tionnelle – leur sexualité, leur corps, leurs enfants –, tout leur est confisqué. » On assiste à une traque d’objets culturels accusés de soutenir cette fameuse « théorie » : Tous à poil, dans le domaine de la littérature pour enfants, ou Tomboy, dans celui du cinéma. Le film de Céline Sciamma, sorti en 2011, raconte l’histoire de Laure, 10 ans, qui se fait passer pour un garçon le temps d’un été. Tomboy fait partie d’une sélection d’œuvres listées dans le cadre du dispositif « École et cinéma », mis en place par l’association Les Enfants de cinéma en collaboration avec l’Éducation nationale. Une pétition a été lancée en novembre dernier par la fondation conservatrice Citizengo pour réclamer le retrait du film dudit dispositif. Le 17 février, l’institut Civitas s’alarme de la programmation de Tomboy, 1990

Le décret du 23 février 1990 remplace les interdictions aux – 13 ans et aux – 18 ans par des interdictions aux – 12 ans et aux – 16 ans dans le but de libéraliser l’accès aux films. Seuls les films classés X restent interdits aux - 18 ans.

prévue deux jours plus tard sur Arte, en appelant « les familles françaises à réagir et à empêcher la diffusion de ce film de propagande pour l’idéologie du genre ». Civitas est une association connue, notamment, pour son opposition au mariage pour tous, et qui se définit sur son site comme « un mouvement politique inspiré par le droit naturel et la doctrine sociale de l’Église et regroupant des laïcs catholiques engagés dans l’instauration de la Royauté sociale du Christ sur les nations et les peuples. » Civitas accuse Tomboy d’être un outil de prosélytisme en faveur de l’idéologie du genre, qui expliquerait aux enfants que l’on peut changer d’identité sexuelle. à l’épreuve de l’enfant

La pédopsychiatre et psychanalyste Caroline Eliacheff (et actionnaire de la société éditrice de Trois Couleurs) conteste ce postulat de départ. Elle juge la polémique « ridicule », estimant que dans le film de Céline Sciamma, Laure « ne change pas de sexe. Elle est toujours bien consciente de son identité de fille, mais elle joue à se déguiser en garçon. » Virginie Despentes ne croit pas « que chez Civitas, qui que ce soit imagine sincèrement qu’il suffise de voir Tomboy pour changer d’orientation sexuelle. Tomboy ne devient subversif que parce que Civitas s’y oppose. Je n’imagine pas trop Céline Sciamma se frottant les mains en relisant son scénario et se réjouissant dans un éclat de rire

1998

Hustler White de Bruce LaBruce et Rick Castro échappe à la classification X réclamée par l’union nationale des associations familiales grâce à l’intervention de la ministre de la Culture Catherine Trautmann. Jack Lang, son prédécesseur, avait vivement défendu le film en dénonçant un « retour de l’ordre moral ».

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2000

Promouvoir attaque Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi pour contenu pornographique et incitation à la violence. Interdit par le Conseil d’État, puis classé X, seuls les cinémas MK2 décident de le maintenir à l’affiche. Le film reçoit finalement un visa d’exploitation assorti d’une interdiction aux – 18 ans.


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sardonique : “Ha ha ha ! je vais convertir plein de gentilles petites filles en grosses gouinasses” – ou alors elle cache bien son jeu, parce que le film ne ressemble pas franchement à une œuvre de propagande. C’est l’histoire d’une petite fille qu’on va regarder avec douceur. C’est cette douceur du regard qui impressionne, et qui, pour Civitas, est subversive, de façon insupportable. Ce que Civitas vient dire, c’est : “On ne peut pas regarder avec douceur ceux que nous devons regarder comme des monstres.” Il y a quelque chose de touchant, car de désespéré dans leur démarche : à l’heure d’Internet, les gars, bonne chance pour mettre vos enfants sous coupe ! » À l’heure où les plus petits ont un accès démultiplié à diverses sources d’images, l’essentiel, pour Caroline Eliacheff, est d’accompagner leur regard : « Les enfants sont choqués par des images visiblement choquantes, mais aussi par des images anodines, qui peuvent trouver leur place dans des films pour enfants, mais qui entrent en résonnance avec leur imaginaire personnel. On ne peut jamais vraiment savoir. Il faut instaurer un dialogue autour de ce qui a été vu. C’est là que l’enfant dira ce qui le choque. Il ne faut pas prémunir les enfants de tout, mais leur demander d’en parler, pour ne pas rester sur l’émotion pure. » Les sujets qui déchaînent aujourd’hui les passions n’étaient pas absents du grand écran au xx e siècle (voir notre chronologie). Avant les questions d’identité ou d’orientation sexuelle, Laurent

Jullier rappelle que d’autres motifs moraux ou politiques aboutissaient à des interdictions totales : « Les exemples les plus fameux sont ceux liés à la guerre d’Algérie. Il y a aussi 1974, une partie de campagne, le documentaire de Raymond Depardon, sur Giscard, qui est resté interdit presque trente ans… Je pense aussi à Comme les anges déchus de la planète Saint-Michel, un documentaire de Jean Schmidt sur la dépendance à la drogue, interdit en 1978 du fait de son caractère “anxiogène” – c’est le mot utilisé par le ministère de l’Intérieur. Aujourd’hui, on peut le voir sur YouTube. » On pense aussi à Afrique 50 (1950) de René Vautier, considéré comme le premier film anticolonialiste : les négatifs lui seront confisqués, Vautier fera un tour en prison. Aujourd’hui, les levées de boucliers sont tout aussi virulentes. Si les cinéastes s’attachent toujours à filmer les évolutions des mœurs, parviennent-ils à faire évoluer les consciences ? Le réalisateur Xavier Dolan (Laurence Anyways, Tom à la ferme) confesse : « Je ne suis pas particulièrement engagé, mais je parle de la différence et de la tolérance dans mes films. Personne ne m’a dit : “J’étais un immense homophobe, puis j’ai vu ton film, et maintenant j’adore les homosexuels.” Ce serait trop beau. Mais ca ne veut pas dire qu’ils n’ont pas initié des débats, des conversations, pour instiller le doute chez certaines personnes plus réfractaires. En tout cas je l’espère. »

Retrouvez notre interview grand format de Virginie Despentes sur notre site troiscouleurs.f r

2003

Presque quatre mois après sa sortie en salles, le visa d’exploitation assorti d’une interdiction aux – 16 ans de Ken Park est annulé par le Conseil d’État, saisi par Promouvoir. Le film de Larry Clark et Edward Lachman rejoint finalement Baise-moi au club des films interdits aux – 18 ans.

2008

La commission de classification des œuvres interdit aux – 18 ans le thriller Martyrs de Pascal Laugier. Des voix s’élèvent pour défendre le cinéma de genre français. La commission le reclasse in fine en – 16 ans avec avertissement pour ses scènes de supplice.

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2014

Initialement interdit aux – 16 ans, le deuxième volet du diptyque de Lars von Trier Nymphomaniac est attaqué en justice par l’association Promouvoir qui réclame au juge des référés son interdiction aux – 18 ans pour contenu pornographique. Elle obtient gain de cause.


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GERONTOPHILIA

© philippe quaisse - pasco

BRUCE LABRUCE

Comme toutes les étiquettes, LaBruce refuse celle de l’icône queer. 48

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Le réalisateur canadien délaisse le porno. Mais le chef de file du mouvement queercore n’a rien perdu de sa radicalité. Venu de l’univers des fanzines et de la culture punk, celui qui s’est autoproclamé « pornographe réticent » a longtemps été confiné dans les sphères underground où il réalisait des films explicites et politiques. Avec Gerontophilia, il signe un grand film romantique sur l’idylle entre un ado et un vieillard. Portrait d’un cinéaste très fleur bleue. PAR QUENTIN GROSSET

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ruce LaBruce a toujours été un grand sentimental. Il serait même – c’est du moins ce qu’il prétend – le réali­ sateur à l’origine du plus long baiser gay de l’histoire du cinéma avec Hustler White (1996). Mais c’est aussi un auteur très sexuel. Gerontophilia ne déroge pas à la règle, même s’il ne comporte aucune scène porno. Le film a beau être très doux, tout en ralentis et en gentilles caresses, et avancer une critique louable sur la manière dont les vieux sont traités en hospice, il parle tout de même de fétichisme. Pour l’activiste et théoricienne Marie-Hélène Bourcier, qui, dans son ouvrage Queer Zones : Politiques des identités sexuelles, des représentations et des savoirs, a analysé les films de LaBruce, « ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de scènes codées explicites que le film n’est pas sexuel. Il y a une attitude positive sur la sexualité que l’on ne retrouve pas ailleurs. Je pense notamment à la scène où l’on voit un pensionnaire de l’hospice se branler sur un magazine, et au regard bienveillant que porte Lake, le jeune garçon gérontophile, sur ce geste. » pornographe réticent

Bruce LaBruce a la même tendresse pour les rebuts de la société que dans ses œuvres précédentes. Ce qui change, c’est le budget, le plus important de toute sa filmographie. Car LaBruce vient de l’undergound. Il est considéré comme l’un des fondateurs du mouvement queercore, qui fusionne les questions de genre et de sexualité à la scène musicale punk. Après une enfance dans une ferme de l’Ontario, il passe par l’université dans le but de devenir journaliste. Mais il change vite de braquet en fréquentant G. B. Jones, une artiste charis­ matique avec laquelle il crée le fanzine J.D.s, au début des années 1980. LaBruce raconte : « C’était un bon moyen pour expérimenter plusieurs disciplines. Je prenais des photos, je posais nu, je commençais à me mettre à la pornographie, j’écrivais des nouvelles ou des manifestes dans lesquels j’attaquais les franges bourgeoises et assimilationnistes du mouvement gay. Je trouvais que le punk avait plus d’intérêt et de style. »

Comme toutes les étiquettes, LaBruce refuse celle de l’icône queer. « J’ai toujours eu du mal avec ce terme idéologiquement très chargé. J’ai l’impression qu’il n’avait rien à voir avec des sujets qui me préoccupaient, comme les problè­mes de racisme, de sexisme ou de transphobie dans les communautés gays », précise le cinéaste. Dans ses films, la fille révolutionnaire est un personnage récurrent. C’est encore le cas avec Désirée dans Gerontophilia. Par son parti pris féministe, l’œuvre de LaBruce dépasse le seul combat gay. MarieHélène Bourcier analyse ce rejet du mot « queer » : « Je crois aussi qu’il veut se démarquer du côté intello des Todd Haynes et compagnie qui ont appris à faire du cinéma en lisant Derrida. C’est eux qu’il vise quand il dit qu’il n’a rien à voir avec des fils de riches bardés de diplômes en sémiologie qui font des films de métaphores filées sur le sida avec des acteurs tout droit sortis du magazine The Advocate. » Si bien que LaBruce préfère s’auto­définir comme un « pornographe réticent », selon le titre de son livre paru en 1997. Angélique Bosio, réalisatrice du documentaire The Advocate for Fagdom consacré au cinéaste, évoque cette ambivalence : « Il n’a aucun problème à se mettre en scène et à montrer du porno, mais, en même temps, au départ, ce n’est pas non plus un acte de foi : il aurait préféré marcher dans les pas d’un Robert Altman. Je pense qu’il ne rêvait pas d’être un pornographe provocateur, même si aujourd’hui il accepte totalement cette image. Ça lui a déjà permis de financer ses films avec Jürgen Brüning, un producteur qui le suit depuis le début et accepte le mélange entre art et porno. » Cela le conduit souvent à proposer plusieurs versions de ses films, une mouture soft et plus narrative, et une autre plus hard, plus « vendeuse », avec beaucoup plus de sexe et moins de parlote. « La première fois que j’ai fait ça, c’était avec Skin Flick (1999), qui était comme un porno castré, car je coupais les séquences de pénétration. Parfois, ce procédé change carrément l’histoire. Dans la version soft de L.A. Zombie (2010), l’alien joué par François Sagat a une fausse bite d’extraterrestre. Techniquement, ce n’est pas un porno, mais ça

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Gerontophilia de Bruce LaBruce

reste visuellement extrême. Pour la variante hard, c’est sa vraie queue, donc on peut penser que c’est un SDF qui croit venir d’une autre planète. » L’une des choses les plus intéressantes chez LaBruce, c’est qu’il est pétri d’ambiguïtés et de contradictions. « Il est contre le mariage gay, parce que ça s’approche trop de la norme, d’une institution. Sauf qu’il est marié à un réfugié cubain. En fait, il s’écarte de tout regroupement idéologique ou politique », précise Angélique Bosio. S’il y a bien un sujet ambivalent et matière à polémique dans son œuvre, c’est celui de son fétichisme pour la culture skinhead. Dans Skin Flick, on peut voir un jeune skin se masturber et jouir sur un exemplaire de Mein Kampf. LaBruce explique : « Dans les années 1980, j’avais un boyfriend hétéro qui se prostituait. Après notre rupture, il est devenu skinhead et s’est fait laver le cerveau avec cette idéologie raciste. Bien que je réprouve celle-ci, je le trouvais très hot quand il retirait son tee-shirt. » équivoque

Dans le documentaire d’Angélique Bosio, tout l’entourage de LaBruce est clair : il est attiré par ceux qui vont lui casser la gueule. Au début des années 1990, dans un programme télévisé du câble intitulé Glenda and Friends que son ami Glenn Belverio avait lancé à New York, on peut par exemple voir LaBruce, déguisé en f lamboyante drag-queen et défoncé aux poppers, aller provoquer des intégristes en leur demandant de le guérir de son homosexualité. Les films de LaBruce sont d’ailleurs toujours politiques, mais surtout équivoques. Dans The Raspberry Reich (2004), il met en scène un groupe de terroristes marxistes visant la révolution sexuelle, avec des slogans parodiés tels que : « No revolution without sexual

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L’une des choses les plus intéressantes chez LaBruce, c’est qu’il est pétri d’ambiguïtés et de contradictions. revo­lution. No sexual revolution without homosexual revolution. » Si le réalisateur adhère aux idéaux de ses personnages, il s’en prend aussi au côté glamour, à l’aspect radical chic que peut prendre leur combat. « C’est comme quand tu vois ces mecs avec des tee-shirts de Che Guevara dans les bars gays, qui ne se rendent pas compte que c’était un horrible homophobe. » Pour Angélique Bosio, ce n’est pas qu’une critique de sa part, c’est aussi Bruce, en tant qu’ado innocent, qui est figuré. Selon elle, il aurait très bien pu lui aussi avoir un poster du Che au mur de sa chambre, parce qu’il le trouvait sexy : « Il y a vraiment chez lui ce côté “syndrome de Stockholm” : c’est le kidnappé qui tombe amoureux de son kidnappeur dans The Raspberry Reich, c’est son amour pour les skins. Il tourne en ridicule sa propre fascination, mais, au final, Bruce est comme une jeune fille sortie du couvent qui tombe amoureuse de son premier braqueur de banque. » Un mec qui aime se faire casser la gueule, donc, mais avec tendresse et beaucoup d’amour. Gerontophilia de Bruce LaBruce avec Pier-Gabriel Lajoie, Walter Borden… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h22 Sortie le 26 mars

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h istoi re s du ci n é ma

SUNDANCE

L’indé tendance Haut lieu du cinéma indépendant américain, le festival de Sundance, créé par Robert Redford, soufflait en janvier dernier ses 30 bougies. Une belle longévité, qui a enfanté une bête curieuse, mignonne et décriée : le « film de Sundance », ou l’idée d’un cinéma indépendant calibré et corseté. Reportage sur place, à Park City, dans l’Utah. PAR LÉO SOESANTO

Michael Cera partout : ici dans le court métrage Gregory Go Boom de Janicza Bravo

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ot Another Sundance Movie (« Non ! pas encore un film de Sundance »). Tel est le titre de la vidéo postée sur Internet le premier jour du festival par le collectif comique californien Tastes Funny. Un cadeau d’anniversaire acide déroulant les clichés du « film de Sundance » : l’Amérique profonde taillée pour les hipsters, de mignons enfants acteurs issus de minorités, des personnages gentiment excentriques ou dépressifs, une B.O. rock indé, et Michael Cera partout… Soit une parodie empruntant, en vrac, à Juno, Little Miss Sunshine, Precious, Les Bêtes du Sud sauvage et beaucoup d’autres. Pour ses détracteurs, le « film de Sundance » incarne un cinéma « instagramé », lové dans la bonne conscience politique et le frisson de voir des stars de Hollywood démaquillées s’encanailler sur des sujets risqués. On a compté les points en scrutant le programme de cette trentième édition du festival : Michael Cera répondait présent (dans le court métrage Gregory Go Boom, et dans le long Hits), Michael Pitt sauvait une fillette en Inde dans I Origins, tandis que le dossier de presse de Song One nous racontait comment Anne Hathaway, tentant de reconstituer la vie de son frère musicien tombé dans le coma, rencontrait le musicien favori de ce dernier, une

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figure de la scène de Brooklyn, et nouait une relation inattendue avec lui. Fait-on du mauvais esprit ? C’est à Sundance que furent révélés des films tels que Sexe, Mensonges et Vidéo (1989), Metropolitan (1990), Reservoir Dogs (1992), Clerks (1994), Buffalo ’66 (1998) ou Primer (2004), qui ont peu à voir avec les clichés cités. Les quatre premiers titres symbolisent l’âge d’or du festival, le début des années 1990, période durant laquelle des inconnus avec peu d’argent mais beaucoup d’idées firent leur baptême du feu. Sexe, Mensonges et Vidéo coûta 1,2 million de dollars, et en rapporta 25 millions rien qu’aux États-Unis. Une décennie plus tard, Little Miss Sunshine sera produit pour 8 millions de dollars, acheté pour 10 millions et rapportera 100 millions de dollars dans le monde. Le « film de Sundance » est aujourd’hui le symptôme d’un cinéma « indé » devenu un marché comme un autre pour Hollywood. Clichés mainstream

Les cinéastes sélectionnés à Sundance, premiers concernés, sont lucides. Comme David Lowery, réalisateur du beau néo-western Les Amants du Texas, présenté l’an dernier : « Oui, on trouve à Sundance des films truffés de clichés faits pour plaire au grand public sous couvert d’“indépendance”, mais

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© courtesy of sundance institute

Le « film de Sundance » est aujourd’hui le symptôme d’un cinéma « indé » devenu un marché comme un autre pour Hollywood.

qui diffèrent peu des films mainstream. Ils ont l’air d’être omniprésents parce que ce sont eux qui sont achetés, moyennant souvent de grosses sommes. Ils sont conçus à cette fin. Les Amants du Texas évoque peut-être les clichés que vous citez, avec son côté folk et ses acteurs nommés aux Oscars [Rooney Mara et Casey Affleck, ndlr], mais je crois que le film vaut mieux que cela. » next

Le festival est conscient de cette perte d’identité. D’où, depuis 2010, la création de la section NEXT, censée promouvoir les films se jouant de leur petit budget. On y a notamment vu la pépite Listen Up Philip d’Alex Ross Perry (découvert avec The Color Wheel), jolie déflagration comico-tragique tournée en 16 mm dans laquelle l’espoir de rédemption, figure obligée des « films de Sundance », brille par son absence. Perry raconte : « C’était notre blague en salle de montage. Le “ film de Sundance” est vendu comme le triomphe de l’esprit. Nous avons alors écrit dans le synopsis que Listen Up Philip était le triomphe de la réalité SUR l’esprit. Les cinéastes “indépendants” ont tendance à s’autocensurer une fois qu’ils ont un budget correct et des acteurs célèbres, pour ne pas humilier ces derniers ou les financiers.

Et pas mal d’ateliers d’écriture et de réalisation diluent des scénarios initialement audacieux ; d’où ces nombreux détails qui peuvent être parodiés. Peut-être que certains pensent même qu’ils seront sélectionnés à Sundance s’ils incorporent ces éléments. Nous sommes allés dans la direction opposée. Nous avions un très joli plan de soleil et de lumière estivale, et notre directeur photo a insisté pour qu’on le coupe. » Tout n’est donc pas perdu. L’une des images marquantes de cette édition 2014 de Sundance n’était pas tirée d’un film, mais vue sur un ordinateur. Au pavillon du sponsor informatique de l’événement, trois écrans détaillaient en temps réel l’activité du festival et des festivaliers sur les blogs et les réseaux sociaux, quantifiant films et spectateurs sous formes de graphiques, de cartes et de mots-clés comme « Kristen Stewart » ou « documentaire sur la nourriture ». Au démonstrateur, on demanda innocemment : « C’est un peu Big Brother, non ? » Réponse souriante et franche : « Oui, on fait aussi dans la surveillance. » On est donc reparti de Sundance avec l’impression que le cinéma y était passé à un nouveau stade de calcul et de contrôle dans lequel les films ne tiendraient plus à une formule, mais à des hashtags. La guerre d’indépendance s’y joue désormais sur un nouveau front, celui du buzz 2.0.

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les F I L M S du 5 au 26 mars HER

Joaquin Phoenix donne corps à un amour improbable p. 62

REAL

Un film de science-fiction romantique et lumineux p. 66

AIMER, BOIRE ET CHANTER

À 91 ans, Alain Resnais aime toujours rire et tourner p. 68

Arrête ou je continue Dix-huit ans après Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle), Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric n’en finissent pas de se retrouver et de se quitter. C’est Sophie Fillières qui sonne le glas de la romance dans cette comédie mordante. PAR CLÉMENTINE GALLOT

Chez Sophie Fillières, on achève bien les amants. On y enterre, comme chez Graham Greene, la fin d’une liaison. Dans Arrête ou je continue, la vie à deux est un sport de combat. Sur le ring s’affrontent Pomme (Devos) et Pierre (Amalric), couple de bourgeois lyonnais qui va bientôt recevoir le coup de grâce. On est en 2014, ils ne sont pas mariés, mais la grogne échauffe les esprits. Les dérèglements de ce ménage en fin de course font de ce marivaudage aigre-doux l’inverse d’une comédie romantique, une comédie du « démariage » selon les mots de la cinéaste. À la source de cette fiction sur le désamour on trouve… la friction. Les indices de la désunion annoncée se déchiffrent dans le quotidien, tel le signe, futile, qu’un homme qui, au sortir de la douche, se drape dans une serviette de plage au lieu d’une serviette de bain n’est définitivement plus amoureux de sa compagne. Ce goût du détail et de la répartie à côté de la plaque fait, comme chez Hong Sang-soo, jaillir le sens d’une somme d’infimes quiproquos. L’inspiration du film, qui doit peu à ses compatriotes, lorgne également du côté de la comédie dramatique névrosée de Judd Apatow ou de l’humour juif de Jerry Seinfeld. Sophie Filières n’avait pas tourné depuis cinq ans, période durant laquelle

elle a tout de même cosigné plusieurs scénarios pour d’autres, comme Week-ends ou De bon matin. La fémisarde a tour à tour mis en scène Emmanuelle Devos (Gentille), Chiara Mastroianni (Un chat un chat) et sa sœur Hélène Fillières (Aïe) ; et c’est la première qui se plie le mieux au timing comique de la cinéaste, dont l’écriture a depuis gagné en précision et en vélocité. Le film exploite à merveille la nature burlesque de la comédienne, déjà lunaire dans le rôle de l’anesthé­ siste Fontaine Leglou (Gentille). L’originalité de ce cinquième long métrage est surtout d’avoir pris comme point de départ la fuite dans les bois de la conjointe récalcitrante. Une retraite façon Walden conjugal qui rappelle aussi l’escapade de l’héroïne de l’unique film réalisée par Barbara Loden, Wanda. Une sortie de route qui ménage à ce huis clos un ailleurs sylvestre. Le fillièrisme est sans doute un humanisme en ce sens qu’il est question de rendre à un personnage prisonnier des conventions sa liberté. La rupture, c’est maintenant, et elle lui va bien. de Sophie Fillières avec Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h42 Sortie le 5 mars

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le s fi lm s

Se battre

Pour filmer la pauvreté de millions de Français au quotidien, Jean-Pierre Duret et Andrea Santana ont eu la bonne idée de placer leur caméra dans un unique lieu, à Givors, ancienne ville ouvrière durement touchée par la crise. En faisant le portrait de ses habitants les plus pauvres, les réalisateurs tissent ainsi une toile plus vaste qui relie dans l’infortune un jeune boxeur et une ancienne éditrice aujourd’hui au chômage. Sans jamais tomber dans le misérabilisme, le film est pourtant impitoyable.

Par Laura Tuillier

hommes est inspirée de faits réels, et finement adaptée d’une pièce de théâtre de Cyril Gély par Volker Schlöndorff, réalisateur du Tambour, Palme d’or au festival de Cannes en 1979. de Volker Schlöndorff avec Niels Arestrup, André Dussollier… Distribution : Gaumont Durée : 1h24 Sortie le 5 mars

de Roger Michell avec Jim Broadbent, Lindsay Duncan… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h33 Sortie le 5 mars

PAR É. R.

Le iii e Reich en pleine débâcle ordonne la destruction de Paris, qui doit être enseveli sous les décombres de ses ponts et de ses monuments minés, prêts à sauter. Un diplomate (André Dussollier) intervient pour retenir le bras du général allemand (Niels Arestrup) seul habilité à donner l’ordre. Cette joute verbale entre les deux

Youth

PAR Étienne Rouillon

Un couple d’Anglais, la cinquantaine bien tassée, fête ses trente ans de vie commune lors d’un weekend à Paris. Joliment jouée par le tandem d’acteurs, cette escapade n’évite pas quelques poncifs sur la jeunesse retrouvée dans la cité de l’amour ( french kiss et joints sur fond de tour Eiffel), mais le ton singulier de ce duo, qui aime s’agacer pour mieux se réconcilier, donne de beaux moments, avec par exemple un dîner animé par Jeff Goldblum en auteur exaspérant imbu de lui-même.

de Jean-Pierre Duret et Andrea Santana Documentaire Distribution : Aloest Durée : 1h33 Sortie le 5 mars

Diplomatie

Un week-end à Paris

PAR C. G.

Deux frères jumeaux paumés kidnappent une lycéenne, comptant sur la rançon pour s’acquitter du loyer familial. L’équipée sordide est maladroitement menée et tourne mal. Ce portrait au vitriol d’une jeunesse sans avenir, par l’ancien critique Tom Shoval, fustige en pointillés l’exercice du pouvoir en Israël, dans un climat de violentes manifestations citoyennes depuis 2011. Une brèche dans laquelle s’était brillam­ment engouffré Le Policier de Nadav Lapid, dont Shoval reprend ici le flambeau. © ad vitam

de Tom Shoval avec David Cunio, Eitan Cunio… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h47 Sortie le 5 mars

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Parce que j’étais peintre Le documentariste Christophe Cognet s’intéresse depuis des années à la question de la présence de l’art dans les camps nazis. Après L’Atelier de Boris en 2004, dans lequel il recueillait le témoignage du peintre français déporté Boris Taslitzky, il retrouve ici d’autres rescapés qui ont dessiné dans les camps. Le sujet est passionnant, et soustendu par une terrifiante interrogation : peut-on développer un propos artistique au sein même de la barbarie nazie ? Les expériences présentées témoignent de cas très différents : certains artistes ont tout fait pour continuer à exercer dans les camps, glanant du papier et croquant à la hâte les événements et les gens pour qu’il en reste une trace, mais d’autres avouent aujourd’hui avoir dessiné des charniers parce

© jour2fête

PAR TIMÉ ZOPPÉ

Franciszek Jazwiecki, 114 portraits faits à Buchenwald, Gros Rosen, Sachsenhausen et Auschwitz, conservées dans les réserves du Museum d’Auschwitz-Birkenau – 1943 à 1945.

que leur œil de peintre ne pouvait s’empêcher d’y trouver un attrait plastique. Si l’on peut regretter les interventions ponctuelles du réalisateur dans des propos qui se suffisent amplement à eux-mêmes, les choix esthétiques les soulignent en revanche à merveille. Filmés de nos jours, dans la neige

immaculée et le silence qui ont figé ces lieux d’horreur en lieux de mémoire, les camps prennent alors une dérangeante dimension graphique. de Christophe Cognet Documentaire Distribution : Jour2fête Durée : 1h44 Sortie le 5 mars

Dans l’ombre de Mary : la Promesse de Walt Disney PAR QUENTIN GROSSET

Les studios Disney se penchent sur leur propre histoire, et la guimauve guette à chaque plan. Mais c’est justement cet aspect sirupeux qui donne envie d’aller plus loin, après un premier visionnage du film. Centré sur la difficile gestation du classique Mary Poppins, et plus particulièrement sur la collaboration électrique entre Walt Disney et Pamela Lyndon Travers, l’auteure du livre original sur la célèbre nounou, le long métrage devient ludique de par ses omissions. L’écrivaine était-elle vraiment la bourgeoise célibataire pincée et acariâtre que le film dépeint ? Walt Disney était-il seulement ce gros nounours à l’âme d’enfant ? Meryl Streep, qui était un temps envisagée pour incarner la femme de lettres, s’est exprimée sur les

raisons qui l’ont conduit à refuser le rôle : selon elle, Walt Disney était sexiste et soutenait un lobby antisémite. Par ailleurs, Dans l’ombre de Mary… passe sous silence le fait que Pamela Lyndon Travers était la mère adoptive d’un enfant, ou encore qu’elle a vécu de nombreuses années avec une femme. Au-delà de ces quelques

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oublis, le film fourmille d’anecdotes délicieuses sur les coulisses de Mary Poppins, et le duo formé par Emma Thompson et Tom Hanks, qui joue Walt Disney, fonctionne à merveille. de John Lee Hancock avec Emma Thompson, Tom Hanks… Distribution : Walt Disney Durée : 2h5 Sortie le 5 mars


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> FREE FALL

Braddock America

Marc, un jeune policier, est bien installé dans la vie qu’il mène avec sa femme. Mais son quotidien vacille lorsqu’il découvre qu’il est attiré par Kay, un collègue qui rejoint son équipe. Un film touchant et un beau portrait d’homme qui doute. Q. G. de Stephen Lacant (1h40) Distribution : KMBO Sortie : 5 mars

Détroit est devenu le lieu favori des documentaires qui figurent les effets de la crise économique aux États-Unis. Mais la ville de Braddock ne sera plus oubliée après ce film à quatre mains dressant l’édifiant panorama d’une classe ouvrière abandonnée. > UN AMOUR D’HIVER

PAR CLÉMENTINE GALLOT

Jadis, à Braddock, la neige était noire. Noire de la crasse des usines tournant à plein régime. Aujourd’hui, elle est de nouveau blanche. Ce détail glaçant, rap­porté dans le documentaire, suggère l’ampleur des dégâts dans cette petite ville assoupie de Pennsylvanie. C’est à Braddock (lieu de tournage du Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino, et récemment des Brasiers de la colère de Scott Cooper) que l’on a construit la première aciérie d’un empire industriel colossal. Le chemin de fer ? Il vient de là. Des migrants venus de toute l’Europe se sont pressés vers ce sanctuaire du syndica­ lisme américain. La prospérité est telle, dans les années 1950, que les ouvriers y sont mieux payés que les profs. L’effondrement survient trente ans plus tard, avec la crise de l’acier. La population chute

de vingt mille à deux mille têtes. Sur les quatre aciéries, trois ont fermé, « comme si cette ville avait été bombardée », dit-on dans le film. Ce fascinant documentaire choral, qui rassemble images d’archives et témoignages, est allé tirer de leur torpeur les « survivants » de Braddock. L’un des interviewés, ancien syndicaliste, raconte que, chaque nuit, il rêve qu’il retourne dans l’aciérie. « Rien à faire, on ne peut pas quitter cette ville. » L’agglomération sinistrée se réinvente ainsi comme lieu d’expérimentations pour des politiques urbaines progressistes. Le portrait d’une communauté soudée et sommée de retrousser ses manches face aux caisses vides de l’État. de Jean-Loïc Portron et Gabriella Kessler Documentaire Distribution : ZED Durée : 1h41 Sortie le 12 mars

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Le premier long métrage d’Akiva Goldsman, scénariste d’Un homme d’exception, réunit Colin Farrell et Jessica Brown Findlay (Downton Abbey) dans une histoire d’amour tellement forte qu’elle défie la mort et transcende le temps, du début du xxe siècle à aujourd’hui. J. R. d’Akiva Goldsman (1h58) Distribution : Warner Bros. Sortie le 12 mars

> N’IMPORTE QUI

Pionnier des vidéos potaches sur l’Internet francophone, Rémi Gaillard passe au format long avec ce film au tour extravagant, fiction au fond autobiographique dans laquelle l’humoriste fait une rechute après s’être rangé des canulars en caméra cachée. É. R. de Raphaël Frydman (1h40) Distribution : Wild Bunch Sortie le 5 mars


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Son épouse Quand le cinéma français, ici incarné par le couple star Yvan Attal et Charlotte Gainsbourg, se frotte à la complexe et mystique culture tamoule en Inde, on peut s’attendre au pire. Mais c’est sans compter sur la finesse du réalisateur Michel Spinosa (Anna M., Emmène-moi). Ce dernier parvient à dépeindre avec justesse et sans effets de manche une histoire de deuils à multiples facettes. Après sa difficile séparation d’avec son époux Joseph (Yvan Attal), Catherine (Charlotte Gainsbourg) quitte la France pour Chennai où elle essaye de reconstruire sa vie. Mais ses vieux démons la rattrapent et la terrassent avant qu’elle n’ait pu s’expliquer avec son mari. À partir de là, son amie tamoule Gracie change spectaculairement de

© exnihilo 2013

PAR TIMÉ ZOPPÉ

comportement et affirme être possédée par un pey – un esprit maléfique dans les croyances locales – qui résulterait de la mort de Catherine. Le pragmatique Joseph s’oblige alors à quitter sa campagne froide pour gagner une Inde caniculaire et grouillante de vie et rendre visite à Gracie dans

un sanctuaire reculé. Sans exotisme déplacé, le film construit des ponts entre les imaginaires des deux cultures en faisant dialoguer leurs fantômes. de Michel Spinosa avec Yvan Attal, Charlotte Gainsbourg… Distribution : Diaphana Durée : 1h47 Sortie le 12 mars

Les Chiens errants PAR LAURA TUILLIER

Lorsqu’il a réalisé Les Chiens errants, Tsai Ming-liang se savait très malade et imaginait qu’il tournait peut-être son dernier film. Si Journey to the West, présenté à la récente Berlinale, a valeur de démenti, Les Chiens errants porte néanmoins en lui une profonde mélancolie et un regard tourné vers l’audelà. Énigmatique et violente, la première partie du film s’attache au quotidien de Hsiao Kang, homme-sandwich qui élève seul ses deux enfants. Plans-séquences terribles sur cet homme assiégé par le monde, immobile au milieu du f lot de voitures de Taipei, contraint de tenir à bout de bras et contre le vent une pancarte publicitaire. Plans plus doux mais tout aussi cruels des interstices de vie qu’il parvient à ménager avec ses enfants, mais qui se réduisent

à assurer des fonctions biologiques : manger et dormir, toujours de façon inconfortable. Le film se trouve bouleversé lorsque les apparitions de femmes – au nombre de trois, indistinctes les unes des autres – l’emmènent vers le rêve, le passé et le fantasme. Une magnifique séquence d’enlèvement des enfants sous une pluie

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dilu­vienne, qui tranche le film en deux, laisse la place à un monde caché, rempli de gouffres, mais qui dévoile un possible horizon, fut-il seulement une projection sur les murs d’une caverne.  de Tsai Ming-liang avec Lee Kang-sheng, Lee Yi-cheng… Distribution : Urban Durée : 2h18 Sortie le 12 mars


© shellac

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L’Étrange Couleur des larmes de ton corps Après Amer, Hélène Cattet et Bruno Forzani s’engouffrent une nouvelle fois dans la déconstruction du giallo. Un casse-tête élégant et dangereux dont on cherche encore désespérément la solution. PAR QUENTIN GROSSET

En 2009, après plusieurs courts métrages, Hélène Cattet et Bruno Forzani s’étaient fait remarquer avec leur premier long, Amer, sorte de réinter­ prétation saisissante des codes esthétiques du giallo, ce genre de film d’exploitation italien, entre horreur et policier, dont les baroques Mario Bava et Dario Argento sont les réalisateurs les plus emblématiques. En plus d’avoir été largement salué par la critique, le film s’était retrouvé dans le top 20 annuel de Quentin Tarantino, si bien que L’Étrange Couleur des larmes de ton corps est aujourd’hui très attendu. Les deux œuvres, dans lesquelles pulsions de vie et de mort s’enchevêtrent, fonctionnent en fait en diptyque. La première donne à voir un point de vue féminin sur le désir, quand la seconde offre son pendant masculin… Alors que sa femme a disparu, un homme se met à sa recherche dans les dédales de son immeuble, une

inquiétante bâtisse de style Art nouveau, fourmillant de passages secrets. Dès lors, celui-ci va perdre tous ses repères, et le spectateur avec. Le morcellement des plans, la narration en tiroirs, le son et les sensations qu’il provoque, la confusion entre les faciès presque identiques des différents acteurs… une avalanche d’effets nous entraîne tout droit dans l’esprit tordu et déboussolé du personnage. Ses fantasmes mus par le cuir, les lames ou le verre sont alors pour les réalisateurs, qui s’attachent énormément aux matières et travaillent le meurtre comme une œuvre d’art, le parfait levier vers l’abstraction. d’Hélène Cattet et Bruno Forzani avec Klaus Tange, Sylvia Camarda… Distribution : Shellac Durée : 1h42 Sortie le 12 mars

3 questions à hélène cattet et bruno forzani Propos recueillis par Q. G. Pourquoi avoir situé l’intrigue dans une bâtisse de style Art nouveau ?

À Bruxelles où l’on habite, on trouve beaucoup d’exemples de cette d’architecture fascinante. On a toujours voulu visiter l’une de ces maisons, qui ont une aura très fantastique ou onirique, avec leurs motifs foisonnants. Ce style convoque des figures de femmes fantasmées qui résonnaient bien avec le film.

Au niveau de la narration, ce sont les images qui font avancer l’intrigue… Pour nous, la forme raconte le fond. Les idées nous viennent par images et par sons, et notre manière de travailler le scénario consiste à décrire ces bruitages et ces éléments plastiques. Le fait que le montage soit très morcelé entraîne le spectateur dans une surréalité qui est une porte d’entrée dans l’esprit du personnage.

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La bande-son a un impact physique sur le spectateur. Comment l’avez-vous pensée ?

On a tourné sans son direct, donc tout s’est fait au montage, et c’est là que la tension est arrivée. C’est le plus gros travail pour nous, car on joue sur des nuances qui ne sont pas forcément audibles. Si l’on ne veut pas avoir peur, il ne faut pas se cacher les yeux, il faut se boucher les oreilles.


le s fi lm s

How I Live Now (Maintenant c’est ma vie) PAR T. Z.

Portée par l’intrigante Saoirse Ronan (Lovely Bones, The Grand Budapest Hotel), cette adaptation du best-seller de Meg Rosoff surprend par le mélange des genres qu’elle propose. Oscillant entre des images acidulées de romance naïve entre ados et une plongée apocalyptique dans une Troisième Guerre mondiale en train d’éclater, le film peine à trouver son ton. Mais le jeu sur la peur enfantine de l’abandon parental, amplifiée à l’extrême par celle de la guerre, suffit à marquer durablement l’imaginaire. de Kevin Macdonald avec Saoirse Ronan, George MacKay… Distribution : UGC Durée : 1h46 Sortie le 12 mars

Exit Maroc PAR T. Z.

Au Maroc, Malika fait des choix trop radicaux au goût de sa famille. Confiante, elle ne cherche pas de mari et préfère tenter de percer dans la musique avec son groupe punk plutôt que de se trouver un travail. Pour sa première réalisation, l’acteur et scénariste américain Sean Gullette préfère quant à lui se rassurer en empruntant des

chemins balisés. Restent de belles ambiances, comme ces rues de Tanger dans lesquelles le groupe projette clandestinement ses clips depuis un van. de Sean Gullette avec Chaimae Ben Acha, Soufia Issami… Distribution : Rezo Films Durée : 1h26 Sortie le 19 mars

La Cour de Babel

PAR L. T.

Retour au documentaire pour Julie Bertuccelli, après deux films de fiction remarqués (Depuis qu’Otar est parti, L’Arbre). La réalisatrice a placé sa caméra un an durant dans une classe d’accueil pour des collégiens récemment arrivés en France, qui eux-mêmes réalisent un film sur leur expérience. Au fil des mois, elle observe avec sensibilité les changements qui se produisent chez ces élèves à la jeunesse chahutée et la dynamique de groupe qui naît de rencontres aussi hasardeuses qu’émouvantes. de Julie Bertuccelli Documentaire Distribution : Pyramide Durée : 1h29 Sortie le 12 mars

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The Canyons PAR L. T.

Paul Schrader (Mishima) et Bret Easton Ellis (auteur du roman culte American Psycho) se sont associés pour livrer un projet qui, sur le papier, s’annonce corrosif : la sulfureuse Lindsay Lohan face à l’acteur porno James Deen, dans une histoire de jalousie meurtrière sur les hauteurs de Hollywood. Le résultat final déçoit pourtant, car, malgré le mystère que chaque plan appuie, le tout risque souvent de virer à la parodie. Lindsay Lohan tire cependant son épingle du jeu, dans un rôle assez autobiographique. de Paul Schrader avec Lindsay Lohan, James Deen… Distribution : Recidive Durée : 1h40 Sortie le 19 mars


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Her Spike Jonze poursuit habilement sa remise en question des formes narratives traditionnelles avec cette audacieuse histoire d’amour entre un dépressif solitaire (Joaquin Phoenix) et une intelligence artificielle matérialisée par la seule voix de Scarlett Johansson. PAR JULIETTE REITZER

Dans un Los Angeles futuriste, Theodore Twombly traine les stigmates d’une rupture douloureuse. Il se dote d’un nouveau programme informatique capable de créer une intelligence artificielle réactive et intuitive : voici donc Samantha. Au fil de longues discussions, Theodore et Samantha tombent amoureux. Mais l’intelligence de Samantha évolue à toute vitesse, et ses besoins avec… Après la figure centrale de l’acteur (Dans la peau de John Malkovich), puis celle du scénariste (Adaptation), Spike Jonze poursuit, en creux, une réflexion sur les rouages de la création cinématographique. Ainsi Samantha, personnage sans existence physique, qui ne communique avec Theodore que par le biais du téléphone et de l’ordinateur, pose la question de l’importance de l’acteur au cinéma – son corps, ses gestes, son regard. Pour Jonze, l’enjeu est donc : que filmer, quand

> DARK TOUCH

Après avoir vu les membres de sa famille se faire tuer par les objets de leur maison, une fillette de 11 ans tente de surmonter son traumatisme. Mais le cauchemar continue dans sa nouvelle famille… Marina de Van signe un singulier film de genre. T. Z. de Marina de Van (1h30) Distribution : KMBO Sortie le 19 mars

Samantha parle ? La caméra, comme hypnotisée par la voix de Johansson, glisse lentement sur les objets, les paysages, s’accroche au visage de Phoenix, luimême saisi dans la posture passive de celui qui écoute. Comme dans La Dame du lac de Robert Montgomery (1947), premier film presque entièrement tourné en caméra subjective (et dans lequel, par conséquent, on ne voyait quasiment jamais le héros), le résultat met parfois le spectateur à distance, bride un peu le potentiel émotionnel de l’histoire. Mais la volonté de défricher de nouveaux espaces narratifs, loin de la zone de confort des habituelles comédies romantiques, est fascinante. de Spike Jonze avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson… Distribution : Wild Bunch Durée : 2h6 Sortie le 19 mars

> SITUATION AMOUREUSE : C’EST COMPLIQUÉ

Un trentenaire bientôt marié (Manu Payet) retombe sur la fille canon du lycée (Emmanuelle Chriqui). « Faut absolument que tu la baises », lui souffle son meilleur pote, annonçant les grands dilemmes qui attendent le héros… J. R. de Manu Payet et Rodolphe Lauga (1h40) Distribution : StudioCanal Sortie le 19 mars

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> LA LÉGENDE D’HERCULE

Le réalisateur de 58 minutes pour vivre (1990) s’empare du mythe d’Hercule avec cette histoire qui met en images les origines du héros grec. On le découvre en gladiateur exilé par un tyran, prêt à faire jouer ses pouvoirs de fils de Zeus pour retrouver sa place. É. R. de Renny Harlin (1h39) Distribution : Metropolitan FilmExport Sortie le 19 mars


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Le Grand Cahier PAR TIMÉ ZOPPÉ

Le Hongrois János Szász adapte le premier tome de la Trilogie des jumeaux d’Agota Kristof, un conte délicieusement sombre et rugueux sur deux frères qui s’astreignent à une discipline de fer pour s’endurcir et ne plus souffrir pendant la guerre. Élevés dans l’amour par leurs parents, Klaus et Luca, jumeaux âgé de 13 ans à la beauté sauvage, n’acceptent d’abord pas la profonde déchirure que la guerre leur impose. Et pour cause : alors que leur père part au combat, leur mère les cache à la campagne chez leur grand-mère, une ogresse misanthrope qui les oblige à exécuter tous les travaux de la ferme avant de daigner les nourrir de mauvaise soupe. Les deux frères, en plus de froidement consigner leur quotidien dans un journal,

décident de combattre le mal par le mal et élaborent une série de cruels exercices censés leur ôter toutes sensations physiques et émotionnelles. Explorant intelligemment les limites de l’innocence supposée de l’enfance, cet intrigant récit est tout de même légèrement ankylosé par l’insistance sur les minois butés des

jeunes protagonistes. Un cinéma à l’esthétique et aux thèmes puissants, qui n’est pas sans rappeler celui de l’Argentine Lucía Puenzo (XXY, Le Médecin de famille).  de János Szász avec András Gyémánt, László Gyémánt… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h49 Sortie le 19 mars

Les Vivants PAR JULIETTE REITZER

Une étudiante découvre le passé nazi de son grand-père : au-delà d’une réf lexion un peu attendue sur le devoir de mémoire, le portrait vibrant d’une Europe contempo raine dynamique et bigarrée. Autrichienne, Sita, jeune femme moderne et vive, fait ses études à Berlin. De passage à Vienne pour

le quatre-vingt-quinzième anniversaire de son grand-père, elle tombe par hasard sur une photo de lui en uniforme SS. Devant l’incapacité du papy qui perd la boule à lui donner des réponses, Sita se lance dans une captivante enquête familiale et historique en forme de voyage initiatique entre l’Alle­magne, l’Autriche, la

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Pologne et la Roumanie – elle descend d’une famille de Saxons de Transylvanie, vaste commu nauté ger manophone de Roumanie. Si le scénario appuie un peu lourdement sur les liens entre passé et présent (Sita se découvre une malformation du cœur héréditaire, noue une relation amoureuse avec un Israélien qui photographie des Palestiniens, etc.), le film dessine la cartographie d’une Europe actuelle en mouvement permanent dans laquelle circulent activistes et militants, minorités exilées et artistes engagés. Cet ancrage dans le contemporain donne à l’ensemble une énergie salutaire, toute entière incarnée par la tenace Sita.  de Barbara Albert avec Anna Fischer, Emily Cox… Distribution : Bodega Films Durée : 1h52 Sortie le 19 mars


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PAR T. Z.

Éclatant succès au box-office suédois, Valse pour Monica est le biopic de Monica Zetterlund, chanteuse devenue une légende dans son pays après avoir osé chanter du jazz dans sa langue natale. Elle tenta tant bien que mal de concilier sa carrière en dents de scie (la gloire avec la reprise en suédois de Waltz for Debby accompagné par le trio de Bill Evans, et l’échec après avoir obtenu zéro point lors de sa prestation à l’Euro­vision en 1963) et sa vie personnelle. Un récit de vie fidèlement et linéairement retracé. de Per Fly avec Edda Magnason, Sverrir Gudnason… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h51 Sortie le 19 mars

Qui a peur de Vagina Wolf ? Anna décide de changer de vie. Cinéaste excentrique ayant déjà connu le succès, elle vit aujour­ d’hui dans un garage et est résolument déterminée à en sortir. Sa rencontre avec Katia va la mener à réaliser une nouvelle version du film de Mike Nichols Qui a peur de Virginia Woolf ? Avec ce récit autofictionnel déjanté,

PAR Q. G.

Anna Margarita Albelo signe une comédie romantique assez plaisante avec à l’affiche la star du cinéma lesbien Guinevere Turner, excellente en copine cash. d’Anna Margarita Albelo avec Anna Margarita Albelo, Guinevere Turner… Distribution : Outplay Durée : 1h23 Sortie le 19 mars

De toutes nos forces

Le Sac de farine

PAR J. R.

© micafilms

Valse pour Monica

Sarah grandit dans une institution catholique en Belgique. Un jour, son père (Smaïn) refait surface. Au prétexte d’un week-end à Paris, il enlève la fillette qui se réveille au Maroc, son pays d’origine dont elle ignore tout. Des années plus tard, Sarah n’a qu’un but : retourner en Europe… La réalisatrice adopte sans vrai recul la vision manichéenne de son héroïne. L’Europe est ici synonyme de paradis perdu, le Maroc de cauchemar. Restent des acteurs excellents, à commencer par la jeune Rania Mellouli. de Kadija Leclere avec Hafsia Herzi, Hiam Abbass… Distribution : Mica Films Durée : 1h32 Sortie le 26 mars

PAR Q. G.

© guy ferrandis

Alors qu’ils entretiennent des rapports distants et difficiles, un père, Paul, et son fils, Julien, infirme moteur cérébral, se rapprochent à l’occasion d’une épreuve sportive particulièrement ardue, le triathlon Ironman de Nice, qui mêle natation, cyclisme et course à pieds. Inspiré d’une histoire vraie, ce deuxième film de Nils Tavernier (Aurore), fils de Bertrand, révèle le comédien Fabien Héraud, jeune homme handicapé dont c’est la première expérience au cinéma. de Nils Tavernier avec Jacques Gamblin, Fabien Héraud… Distribution : Pathé Durée : 1h30 Sortie le 26 mars

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Real Après Shokuzai, diptyque fleuve assumant ses outrances, Kiyoshi Kurosawa signe Real, un film de science-fiction romantique et lumineux dans lequel un couple communique par delà la mort. PAR LAURA TUILLIER

Le premier plan du film serait celui de la vie heureuse que mènent Atsumi, une dessinatrice de mangas, et son petit ami Koichi. Pourtant, quelque chose cloche dans l’image : le numérique rend les choses trop nettes ; l’appartement est agencé comme un intérieur-­test pour un magazine de déco ; Atsumi et Koichi ont le teint anormalement translucide. La fiction démarre, le pot aux roses est révélé : l’un des deux est dans le coma (on ne dira pas lequel). La communication entre les amants s’effectue donc grâce à un système de connexion des cerveaux proposé par l’hôpital, et les visites dans l’inconscient des héros révèlent des pans entiers d’existence insoupçonnée, traumatismes d’enfance, angoisses face au monde, tourments artistiques. Real se déploie dans la lignée de Shutter Island ou d’Inception, films dans lesquels il est rapidement impossible de distinguer le

vrai du faux. Kurosawa maîtrise très bien les effets, notamment visuels, qui lui permettent de bâtir un monde à la fois banal et affolant dans lequel les villes s’effondrent dans le silence et les voisins n’ont pas de visage. L’autre grande réussite de Real est de s’intéresser réellement à l’histoire d’amour entre les héros, de ne jamais la sacrifier au profit de l’idée du film. Ainsi, au fil de séquences de plus en plus déconnectées du réel, l’amour prend corps. Le couple parvient à se trouver et à restaurer, sur l’île de leur enfance, une communication faussée par une vie sous pression et qui n’entretenait plus qu’un rapport lointain avec le fait d’exister. de Kiyoshi Kurosawa avec Haruka Ayase, Takeru Satô Distribution : Version Originale / Condor Durée : 2h7 Sortie le 26 mars

3 questions à KIYOSHI KUROSAWA PROPOS RECUEILLIS PAR T. Z. Pourquoi avoir adapté un roman de science-fiction de Rokurô Inui ? J’étais très intéressé par le fait de pénétrer dans la conscience de quelqu’un. Plus on s’enfonçait, plus on découvrait des choses enfouies dans un passé qui avait été refoulé. J’ai aussi choisi de donner une plus grande place au plésiosaure présent dès le titre du roman, mais qui y était moins actif.

L’univers des mangas vous était-il familier ?

Non, pas du tout, mais comme l’héroïne est dessinatrice de manga, j’ai forcément dû m’y initier en faisant beaucoup de recherches. C’est un monde très difficile à retraduire au cinéma, car le manga laisse l’imaginaire beaucoup plus libre. Manga et cinéma sont deux modes d’expression totalement différents.

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Real est plus lumineux et romantique que Shokuzai. Comment les deux films se répondent-ils ? Shokuzai étant une série produite par une chaîne qui diffuse des œuvres d’auteur, je pouvais faire un film sombre. Real est distribué en salles, il fallait que ça soit plus simple et positif. Et quand je fais des films avec des héros jeunes, j’ai besoin qu’ils se terminent sur une note d’espoir.


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Aimer, boire et chanter À 91 ans, Alain Resnais a reçu à Berlin le Prix Alfred-Bauer (qui récompense un film pour son caractère innovant) pour Aimer, boire et chanter, réjouissante comédie champêtre en carton-pâte réunissant six acteurs au sommet. PAR LAURA TUILLIER

Troisième adaptation par Resnais du dramaturge anglais Alan Ayckbourn, Aimer, boire et chanter est, comme son précédent film, Vous n’avez encore rien vu, entièrement tourné en studio. Cette fois, décors et costumes affichent leurs couleurs acidulées pour ce qui se présente, au premier abord, comme un vaudeville minimaliste découpé sur fond de campagne anglaise légèrement ringarde. Le quotidien de trois couples qui répètent une pièce de théâtre se trouve chamboulé par l’annonce de la maladie foudroyante de leur ami George Riley. Celui-ci restera jusqu’au bout le point aveugle, hors-champ obsédant de la fiction, jamais représenté mais largement fantasmé. Présence angoissante, puisque synonyme de mort prochaine, mais également moteur du désir de ses amis, surtout celui des trois femmes, Sabine Azéma, Sandrine Kiberlain et Caroline Silhol. Celles-ci sont aimantées par la puissance vitale de George qui, bien

> CLOSED CIRCUIT

À Londres, deux avocats, anciens amants, se retrouvent à défendre un terroriste. Lorsqu’ils découvrent que le gouvernement est impliqué dans cette affaire, ils réalisent que leur vie est en danger… Un scénario efficace grâce à ses retournements de situations. Q. G. de John Crowley (1h36) Distribution : Universal Pictures Sortie le 26 mars

que condamné, possède plus de charme que leurs trois maris fatigués. La troupe des fidèles de Resnais, excellente comme toujours, prend un plaisir goulu à jouer les tourments du cœur, dans un décor de pacotille qui rend les émois légers comme les murs en tissus des cottages. Légèreté des émotions – ici, on passe de la colère au détachement en un raccord –, qui va de pair avec une étrangeté entêtante de l’existence – fausseté évidente des accessoires, des intérieurs, de certains dialogues. Les personnages alors se détachent d’un grand fond artificiel pour offrir, en gros plan, quelques secrets profonds, toujours bien gardés par Resnais. d’Alain Resnais avec Sabine Azéma, Michel Vuillermoz… Distribution : Le Pacte Durée : 1h48 Sortie le 26 mars

> ALL ABOUT ALBERT

Ce très attachant film de Nicole Holofcener, dernier rôle de James Gandolfini, a été chroniqué dans notre numéro de Noël, avant que sa sortie ne soit décalée. Vous pouvez en retrouver la critique complète sur notre site, troiscouleurs.fr. C. GA. de Nicole Holofcener (1h33) Distribution : 20th Century Fox Sortie le 26 mars

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> LES GAZELLES

Marie découvre en bande les joies et les déboires de son nouveau statut de célibataire, pas toujours facile à assumer. Mona Achache (Le Hérisson) sonde les angoisses de la génération X par le biais des relations amoureuses et sexuelles vues par des filles. J. R. de Mona Achache (1h39) Distribution : Paramount Pictures Sortie le 26 mars


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Sacro GRA

Layla PAR Q. G.

PAR LAURA TUILLIER

Vainqueur du Lion d’or au festival de Venise, Sacro GRA est le troisième long métrage documentaire de Gianfranco Rosi. Le GRA est un acronyme qui désigne le boulevard périphérique de Rome, l’une des plus grandes autoroutes urbaines d’Europe. Rosi s’empare de son sujet en liant le motif esthétique du périphérique (un espace à la marge, circulaire) à la trajectoire de son film. Poursuivant sa recherche sur la vie dans la marginalité, le cinéaste choisit de suivre ceux qui gravitent autour du GRA, n’accédant jamais à la cité romaine et portant constamment leur regard sur le hors-champ. Un ambulancier, deux prostituées, un vieux père et

sa fille parqués dans une tour… Le talent du cinéaste consiste à présenter doucement ses personnages, à les laisser revenir dans le film plusieurs fois, au fil de tours de piste qui leur donnent clarté et densité. Film presque totalement nocturne, Sacro GRA prend la mesure de son décor : les bords de la civilisation – à la fois le flux interrompu des voitures et l’existence comme ralentie des habitants de ce paysage disparate où les tombes côtoient les pâturages, les forêts profondes et les baraques à frites.

Afrique du Sud. Layla, jeune mère célibataire, se retrouve simultanément engagée dans une entreprise spécialisée dans la détection de mensonges et au cœur d’un accident qu’elle doit cacher pour conserver sa situation. Doitelle dire la vérité ou tout avouer, au risque de compromettre l’avenir de son fils ? Grâce à Rayna Campbell et à son jeu impassible qui masque les interrogations de son personnage, la réalisatrice Pia Marais maintient une tension qui profite à ce film de facture somme toute assez classique.

de Gianfranco Rosi Documentaire Distribution : Alfama Films Durée : 1h33 Sortie le 26 mars

de Pia Marais avec Rayna Campbell, August Diehl… Distribution : Jour2fête Durée : 1h48 Sortie le 26 mars

I am Divine PAR J. R.

Harris Glen Milstead, alias Divine, drag-queen obèse et très maquillée, a dynamité les codes du genre et de la féminité sous l’égide du cinéaste John Waters, son ami d’enfance. Au-delà de la célèbre performance de l’acteur dans Pink Flamingos (on l’y voit manger un étron canin), le documentaire compile images d’archives et interviews pour dresser l’émouvant portrait de ce jeune homme originaire de Baltimore devenu icône trash. Vingt-cinq ans après sa mort d’une crise cardiaque, il n’a rien perdu de son pouvoir de subversion. de Jeffrey Schwarz Documentaire Distribution : Zelig Films Durée : 1h30 Sortie le 26 mars

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Holy Field, Holy War PAR JULIETTE REITZER

Chantre d’un cinéma documentaire underground et punk, Lech Kowalski fait le constat rageur d’une agriculture polonaise déshumanisée et morti­ fère. À l’image, les noms barbares d’insecticides s’étalent en gras sur les camions rutilants qui sillonnent la campagne, alternant avec des bribes d’une nature assiégée – abeille à demi-noyée, poule déplumée, populations locales impuissantes et sidérées. Les fermes industrielles puent et déversent des déchets toxiques, les opérations de prospection de gaz de schiste laissent les maisons lardées de fissures profondes, les désherbants polluent les puits d’eau potable. Seul avec sa caméra, Kowalski gratte le réel avec une patience opiniâtre, comme lorsqu’il filme l’ubuesque présentation

PowerPoint d’un Américain venu vanter les mérites de l’exploitation du gaz de schiste. Dans la salle communale, les inquiétudes très concrètes des villageois se heurtent aux alliances financières entre pouvoirs locaux et groupes industriels, leurs questions sont noyées dans la grande nébuleuse

des filiales, des sous-traitants et des multinationales. Motif central du film, cette impossibilité d’obtenir la moindre réponse est absolument vertigineuse.  de Lech Kowalski Documentaire Distribution : Revolt Cinema Durée : 1h45 Sortie le 26 mars

El Impenetrable PAR ÉTIENNE ROUILLON

Un documentariste décide de solder l’héritage complexe de son père, cinq mille hectares de terres sauvages dans le Chaco, au fin fond du Paraguay. Son projet : rendre aux Indiens cette parcelle vierge cernée par de larges exploitations pétrolières,

des cultures de soja ou des élevages de bétail. Dans cette zone reculée, les routes ne s’ouvrent que pour les contrebandiers ou pour les rares policiers qui patrouillent aidés d’un GPS dans ce territoire sans cartes routières ni lois. Se débarrasser de ce legs s’avère plus

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compliqué que prévu, et ce qui s’annonçait comme un documentaire intimiste autour de la transmission paternelle se transforme en enquête policière aux ramifications insoupçonnables : biens mal acquis sous une dictature, spoliation des indigènes, magouilles administratives, coups de pressions de bandits, coulisses des Nations Unies, et même audience présidentielle. Il est rare de voir un documentaire à l’histoire aussi incarnée prendre l’ampleur d’une démonstration à grande échelle, tentaculaire, sans perdre la clarté de son propos. Le dénouement de l’affaire est à l’image de l’ensemble, humble et grandiose.  de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini Documentaire Distribution : Les Films d’ici Durée : 1h32 Sortie le 26 mars


le s fi lm s - dvd

Julie est amoureuse L’édition en DVD de Julie est amoureuse, seize ans après sa sortie en salles, est une excellente nouvelle : comédie champêtre inclassable, le film ne ressemble à rien d’autre qu’à ses personnages. Tous sont charmants. PAR LAURA TUILLIER

Sorti en 1997, Julie est amoureuse est le premier long métrage de Vincent Dietschy, qui n’en a depuis réalisé qu’un seul autre, Didine, en 2007. Ce coup d’essai était pourtant un coup de maître, mais un maître dilettante et joueur, pas plombant pour un sou. Julie est amoureuse est un film limpide, à la fois très ambitieux et très simple : ambitieux par sa longueur, par la façon dont il fait s’entrecroiser les intrigues amoureuses qui se nouent entre les personnages, par les liens qu’il tricote patiemment entre la pièce de théâtre qui se répète et la vie qui coule ; simple parce que le film est aussi et surtout le récit d’un été en Dordogne, d’une période échappant au train-train quotidien durant laquelle chaque jour est susceptible d’apporter son lot de romanesque. Le film est d’abord l’histoire d’une rencontre entre deux mondes, s’inscrivant par là dans une lignée renoirienne : la troupe de théâtre amateur qui monte Roméo et Juliette, à la tête de laquelle officie Bart, mari volage de Julie, et le couple formé par le célèbre acteur Michaël Monk et sa femme (Anne Le Ny, excellente), qui voit ses vacances agréablement troublées par l’arrivée de

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ladite troupe dans leur demeure. Vincent Dietschy regarde ce grand groupe hétérogène comme une source de vacarme et de bazar qu’il ne cherche jamais à brider, mais dont il n’accentue pas non plus la portée. Ici, pas de personnages caricaturaux, mais des caractères qui se révèlent à mesure qu’ils se frottent aux autres. C’est dans ce beau mouvement qu’apparaît progressivement Julie qui, dans la première partie du film, est comme effacée par sa peine de femme trompée. Au fur et à mesure des séquences du film et des répétitions de la pièce, lorsqu’elle devient Juliette et qu’elle s’éloigne de son Roméo, on la découvre, elle trouve le ton juste. Comme si le contact rapproché avec la vie – ici, la troupe joyeuse et intenable – lui permettait paradoxalement de devenir un personnage à part entière, héroïne véritable et insaisissable de la fiction. de Vincent Dietschy avec Marie Vialle, François Chattot… Distribution : Shellac Durée : 2h6 Disponible

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cultures SPECTACLES

KIDS

MUSIQUE

LIVRES / BD

Hautes Tensions festival

Du 2 au 13 avril prochain, le festival Hautes Tensions prendra ses quartiers au Parc de la Villette. Raffaella Benanti, conseillère artistique de l’événement, y programme les jeunes pousses du cirque et de la danse hip-hop qui feront parler d’elles demain. Elle revient pour nous sur l’évolution de ces deux disciplines longtemps snobées par les institutions. PROPOS RECUEILLIS PAR ÈVE BEAUVALLET

P © queralt vinyoli

ourquoi vouloir rapprocher le cirque contemporain et la danse hip-hop dans un même festival ? Nous ne sommes pas les seuls à organiser des focus groupés sur ces deux disciplines. Évidemment, ce n’est pas innocent, car elles présentent un certain nombre de points communs. Circassiens et danseurs hip-hop partagent, entre autres choses, une même quête de virtuosité, un amour du défi, de la performance physique, du groupe… Il y a d’ailleurs pas mal de chorégraphes hip-hop qui viennent des arts du cirque [c’est, par exemple, le cas de Mourad Merzouki, ndlr]. D’un point de vue historique, ensuite, ce sont deux disciplines qui ont été tenues à l’écart des institutions. La danse hip-hop a longtemps été sous-­f inancée, écartée des programmations officielles, sans réel accompagnement institutionnel. Ce fut aussi le cas pour le cirque, mais disons que le

êt us es

ici

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La Meute du collectif La Meute

XVIIIème XVIIe

XIXe IX

VIIIe

Xe

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IIe

IIIe

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XVIe

IVe

VIIe VIe XV

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XIe

XXe

théâtre

Germinal du 4 au 19 mars au Centquatre p. 80

XIIe XIIIe

XIVe

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concert

Earl Sweatshirt le 19 mars au Trabendo p. 86


KIDS

La Pie voleuse : la chronique d’Élise, cinq ans p. 82

Rencontre avec Metronomy pour la sortie de Love Letters p. 84

ARTS

JEU VIDÉO

Lords of Shadow 2 remet Dracula sur le devant de la scène p. 94

JEUX VIDÉO

FOOD

© rek-on

SÉRIES

MUSIQUE

Le duo Phorm : David Colas et Santiago Codon-Gras

cirque a une décennie d’avance pour ce qui concerne la reconnaissance institutionnelle. Il existe, depuis un certain temps, de très bonnes écoles nationales de cirque, qui n’ont pas d’équivalent en danse hip-hop. Disons que le cirque est moins structuré que la danse contemporaine, mais plus que la danse hip-hop. Ces deux disciplines véhiculent-elles encore beaucoup de clichés ? Oui, pour le cirque, c’est certain. À la Villette, ça fait des années qu’on en programme, donc on a parfois tendance à considérer que c’est acquis, que le public a conscience de l’évolution des traditions, de la modernité des recherches artistiques menées par ces artistes… Et l’ on se rend compte que non, l’imaginaire du public non initié reste très caricatural : les paillettes, Monsieur Loyal, les animaux… alors qu’ils sont rarissimes dans le cirque contemporain.

Le festival a-t-il pour objectif de susciter des créations mêlant ces deux disciplines ? Non, pas du tout. Sur le plan artistique, l’idée n’est pas de leur forcer la main ni de créer des passerelles artificielles. Si le festival provoque des envies de collaborations entre artistes venant de ces deux disciplines, tant mieux, mais ce n’est pas le cahier des charges que nous nous donnons. Une de nos motivations était de faire se confronter deux types de publics très différents. Le public du cirque, qui est assez familial, est aussi celui de l’art contemporain, du théâtre et de la danse. Celui du hip-hop est plus ciblé, plus spécialisé. Le cirque contemporain et la danse hip-hop sont issus de cultures très différentes… Oui, c’est certain. On le ressent notamment dans leur rapport à la transmission, à la formation. Les circassiens accordent beaucoup d’importance aux écoles, ce

le PARCOURS PARISIEN du mois

concert

Savages le 21 mars à La Gaîté Lyrique p. 86

photographie

Henri Cartier-Bresson jusqu’au 9 juin au Centre Pompidou p. 92

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food

Restaurant David Toutain 29, rue Surcouf Paris VIIe p. 98


cultures SPECTACLES

© frederic veilleux

« L’imaginaire du public non initié reste très caricatural : les paillettes, Monsieur Loyal, les animaux…alors qu’ils sont rarissimes dans le cirque contemporain. »

Me, Myself & Us de de la Cie Tête d’enfant

qui est normal, car elles ont eu un impact réel sur la maturation des esthétiques, au point de créer parfois des tendances. En ayant l’œil exercé, on peut deviner, par exemple, que tel artiste sort du Centre national des Arts du cirque et non de l’académie Fratellini, car il aura sans doute un sens de l’interdisci­plinarité plus accentué. Il est très rare de voir aujourd’hui des jeunes circassiens émerger hors des institutions en se revendiquant autodidactes. La danse hip-hop, au contraire, reste elle attachée à un apprentissage moins académique. C’est une discipline plus jeune, née dans la rue, partageable sur YouTube, riche de plusieurs formats : la scène, la rue, les battles, les shows, l’événementiel, etc. Les frontières entre l’aspect artistique et l’aspect divertissement sont moins rigides, la culture est plus décomplexée.

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Vous qui voyagez énormément pour dénicher les perles du cirque international, pouvez-vous identifier les pays qui en produisent le plus ? La France a été leader pendant longtemps. Lorsque j’étais programmatrice en Italie, je choisissais quasiment toujours des Français. Quelques Belges aussi… C’est en France, dans les années 1970-­1980, qu’est né ce qu’on a appelé le « Nouveau Cirque » – aujourd’hui on parle davantage de « cirque contemporain » –, des artistes français comme Archaos, le Cirque Plume, plus tard Les Colporteurs ou Johann Le Guillerm, qui se sont clairement détachés des codes traditionnels. On s’est mis à mixer le cirque à d’autres disciplines, à renoncer aux successions de numéros au profit d’une vraie recherche dramaturgique, à utiliser les agrès en les fondant dans des scénographies créatives. Et

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© gilles aguilar

Sakalapeuch d’Undercover

bien sûr, plus du tout d’animaux ni de folklore, ou alors avec un traitement ironique ou « cita­tionnel ». Aujourd’hui, des écoles se sont créées un peu partout dans le monde, les artistes voyagent davantage. La Scandinavie est devenue une vraie place forte du cirque avec la D.O.C.H. de Stockholm [université de la danse et du cirque, ndlr]. Sans parler du Québec, qui fait bouger les lignes depuis longtemps. Concernant la danse hip-hop, la France a-t-elle également un statut de pionnier ? Au risque de paraitre chauvine, la France est clairement la principale pourvoyeuse de bons danseurs hip-hop. Enfin, ça dépend de quelle forme on parle : pour ce qui est de l’écriture et de la création, oui, c’est la France. En ce qui concerne les shows – ces formes courtes ultra performatives et techniques –, l’Asie est également devenue un incroyable vivier. Chaque zone géographique a ses spécificités, c’est pourquoi les battles et les shows organisés par le festival réunissent des artistes russes, coréens, etc. Des tendances fortes se dégagent-elles pour cette nouvelle édition du festival ? Non. Il est très difficile de dégager des tendances dans le cirque contemporain ou dans la danse hiphop, car il existe vraiment un éclatement des références et des techniques. Le festival revendique d’ailleurs cette palette esthétique très large, offerte par des artistes dont c’est souvent la première ou la deuxième création. En cirque, on pourra découvrir des spectacles aussi différents que celui de La Meute, des

« Circassiens et danseurs hip-hop partagent une même quête de virtuosité, un amour du défi, du groupe. » acrobates français formés à Stockholm qui revendiquent la performance avec humour, ou Tania’s Paradise, une pièce, que je considère comme un vrai petit bijou, signée par une jeune Israélienne qui utilise la contorsion pour raconter le conflit israélo-­ palestinien. Ou encore, dans un style très différent, l’immanquable spectacle Vu, une sorte de performance dérisoire réalisée par un homme qui fabrique des architectures incroyables autour du rituel du thé. Pour ce qui est de la danse hip-hop, Anne Nguyen est selon moi l’une des artistes les plus passionnantes du moment. Son spectacle, Bal.exe, revisite de façon très singulière la gestuelle du popping. Un autre projet très attendu, c’est Fighting Spirit de Babson, un des fondateurs du Wanted Posse, qui chorégraphie une courte pièce de house uniquement pour femmes. Vous nous expliquez ce qu’est la house ? Écoutez, on a justement programmé une conférence dansée organisée par O’Trip House autour de cette question. Ça sera l’occasion de venir voir. Festival Hautes Tensions, du 2 au 13 avril au Parc de la Villette

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cultures SPECTACLES

agenda Par È. B.

© alain rico

THÉÂTRE

Germinal PAR ÈVE BEAUVALLET

Germinal, du 4 au 19 mars au Centquatre

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mars 2014

au Théâtre de la Ville

LES 28 ET 29 MARS

au Montfort Théâtre

DU 6 AU 22 MARS

© pierre grosbois

Avec ses délires formels et ses cahiers des charges incongrus, Georges Perec n’a pas seulement influencé des générations d’écrivains. Il s’est également transformé en réservoir d’idées pour les plasticiens et en bonne fée pour certains metteurs en scène. Et souvent de très bons, si l’on pense à Philippe Quesne, à la compagnie Grand Magasin ou, aujourd’hui, à Antoine Defoort et Halory Goerger, deux outsiders venus des sciences de la communication et des arts plastiques et réunis par l’amour des titres chelou (ils ont créé & et &&&&& & &&&), de la data-vision perchée (un « Jeu de l’oie » du spectacle vivant, des graphiques type « fun – not so fun ») et des marges de la création (sa sociologie, son économie, sa juridiction). On avait déjà flashé sur les projets de l’Amicale de production, la bannière franco­-belge sous laquelle ils opèrent avec d’autres compagnons, à l’origine notamment de Bonjour Concert, une pastille vidéo qui confrontait, dans l’esprit de la pub Mac vs PC, la personnification du concert de rock à celle du spectacle de danse contemporaine pour déterminer qui avait l’apanage du cool. Aujourd’hui, Germinal surpasse les espérances de ceux qui espèrent du théâtre un vrai virage pop, inventif, bonne ambiance… Sorte de parodie des jeux de simulation divine façon Civilization (dans lesquels on doit créer un monde à partir de rien), cette épopée philosophique déconnante rejoue l’évolution de l’humanité depuis l’apprentissage du langage jusqu’à la maîtrise des nouvelles technologies avec un système de classement de données et de mesure scientifique tout subjectif. Une façon d’agrandir le monde – et le théâtre – avec du dérisoire.

poursuit son ascension vers la reconnaissance internationale en déclinant l’art de la fugue tel qu’il fut magnifié, notamment, par le pianiste canadien Glenn Gould, immense interprète de Bach.

© theo mercier, photo erwan fichou

DU 5 AU 16 MARS

THIERRY COLLET À rebours du folklore de David Copperfield, le néo-magicien Thierry Collet propose, avec Qui-vive, de déconstruire les mécanismes du mentalisme, pour l’analyser comme un outil de connaissance de la psychologie humaine… Vous ne regarderez plus jamais les lapins de la même façon.

PAULINE BUREAU Repérée avec Modèles, pétillante étude autour de la construction de l’identité féminine, la metteure en scène Pauline Bureau signe un nouveau patchwork sociologique intitulé Sirène, sur la transmission familiale cette fois, construit à partir de textes existants (Annie Ernaux, Hans Christian Andersen…) et de contributions de membres de la troupe, pour raconter comment les vies de ceux qui nous ont précédés nous traversent. au Nouveau Théâtre de Montreuil

DU 25 AU 29 MARS

EMMANUEL GAT Après le carton de son très délicat Brilliant Corners, le chorégraphe Emmanuel Gat, nouveau prodige du dialogue danse-musique,

DU FUTUR FAISONS TABLE RASE Avide de créations non balisées, le toujours très électrisant festival EXIT programme, entre autres choses, le premier projet scénique de Théo Mercier, jeune plasticien post-popeux qui mise sur un casting bien à son image (Sexy Sushi, François Chaignaud, Marlène Saldana, Jonathan Drillet, Pauline Jambet).

à la Maison des arts et de la culture de Créteil

DU 1 ER AU 12 AVRIL

YVES-NOËL GENOD Dandy barroco-kitsch à fort pouvoir poétique, Yves-Noël Genod a déjà eu sa somme d’éloges dans nos pages. Ce qui ne nous empêchera pas d’insister : on parie gros sur sa prochaine création intitulée 1er avril, un délire autour du quartier de La Chapelle où est implanté le Théâtre des Bouffes du Nord qui accueille cette nouvelle incongruité. au Théâtre des Bouffes du Nord



cultures KIDS

La Pie voleuse cinéma

l’avis du grand

Ce mois-ci, nous avons soumis au regard impartial de notre jeune critique trois petits classiques oubliés de l’animation avec cette anthologie de courts métrages construits autour de l’œuvre de Rossini. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier « J’ai adoré le premier et le dernier film [L’Italienne en Algérie et La Pie voleuse, ndlr], mais j’aime pas la deuxième histoire [Pulcinella, ndlr]. Il y a un petit bonhomme qui est détesté par tout le monde parce qu’il est tout blanc. C’est affreux. Dans la première histoire, il y a une jeune femme qui se marie avec un jeune roi, mais il y a un autre roi qui a l’air très sévère et qui veut se marier avec la femme du premier roi. C’est très beau, mais je préfère encore plus la dernière histoire, avec des rois qui font la guerre aux oiseaux de toutes les couleurs. À la fin, les rois retournent dans leur château, mais la pie voleuse danse et vole les couronnes. Ensuite, il se met à pleuvoir, et c’est inondé. Les

d’ Élise, cinq ans rois vont sur leur parapluie et font la rame avec leurs sceptres. Mais la pie voleuse fait des trous dans la mer pour qu’ils soient noyés… et voilà tout ! Il y a moins de décorations que dans La Reine des neiges. Dans La Reine des neiges, il y avait deux cents mille décorations, dans La Pie voleuse, il y en a dix-sept ou vingt. Les visages ne bougent pas beaucoup aussi, et on ne voit pas tous les côtés de leur corps, mais tout ça me dérange pas parce que j’adore les couleurs et la musique ! » La Pie voleuse d’Emanuele Luzzati et Giulio Gianini Distribution : Les Films du Préau Durée : 35mn Sortie le 2 avril Dès 3 ans

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mars 2014

On a oublié aujourd’hui l’œuvre animée de l’artiste peintre Emanuele Luzzati et de son compère le cinéaste Giulio Gianini. Pourtant, dans les années 1970, les duettistes furent récompensés dans plusieurs festivals (Annecy notamment), et deux des trois courts métrages qui composent cette anthologie furent nominés aux Oscars. Il est donc impératif de redécouvrir ces petits bijoux animés selon la méthode du papier découpé, une technique qui produit une animation limitée, certes, mais qui garantit de préserver le style graphique très riche de Luzzati. Et contrairement à Élise, on avoue avoir un faible pour la seconde histoire (Pulcinella) qui suit la fuite de la marionnette Polichinelle jusqu’en enfer. Une course-poursuite débordante d’énergie et portée par un humour très latin. J. D.


cinéma PAR J. D.

Après une expérience scientifique désastreuse, notre planète est scindée en deux univers à la gravité opposée : une cité souterraine étouffante où se terre un peuple pétrifié par la peur, et le monde extérieur, une dictature orwellienne glaciale. La rencontre entre deux adolescents issus de ces mondes aux antipodes va faire exploser les structures établies pour ouvrir des perspectives surprenantes, effrayantes mais finalement prometteuses. Non content d’exploiter tout ce qu’un tel concept peut avoir de visuellement enthousiasmant, Yasuhiro Yoshiura s’appuie sur cette idée forte pour construire une belle métaphore sur la nécessité d’explorer le monde pour briser les a priori et mieux apprendre à vivre ensemble. Patéma et le Monde inversé de Yasuhiro Yoshiura Animation Distribution : Eurozoom Durée : 1h39 Sortie le 12 mars Dès 9 ans

et aussi

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Par t. z.

cinéma

Dans ce programme de quatre courts métrages, la carotte est assaisonnée à tous les goûts. Le légume qui rend aimable est particulièrement à l’honneur dans l’histoire qui donne son nom à la sélection, un entraînant conte musical qui explore l’amitié, basée sur l’échange culinaire, qui lie un lapin à un écureuil. Les dessins soignés et l’animation pétillante raviront les jeunes pousses, qui trouveront aussi de quoi réfléchir à partir des questions soulevées ici sur la part de déterminisme dans nos comportements alimentaires. LE PARFUM DE LA CAROTTE

d’Arnaud Demuynck et Rémi Durin... (45min) Distribution : Gebeka Films Sortie le 26 mars Dès 4 ans

spectacle

Voilà un sacré méli-mélo ! Sur scène, deux comédiens et une petite fille reçoivent un colis rempli d’une multitude d’objets insolites. La porte de leur imaginaire s’ouvre alors tout grand, et les histoires magiques s’enchaînent avec comme point de départ les marionnettes et les masques. La compagnie Patchwork porte bien son nom, puisqu’elle manie de nombreuses techniques d’expressions théâtrales qu’elle associait jusqu’ici dans des comédies musicales. Pour sa nouvelle création, elle crée un conte rythmé, poétique et intelligent. MÉLI-MÉLO

de la compagnie Patchwork (55 min)

au Funambule Montmartre Dès 4 ans

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cultures MUSIQUE

Metronomy POP

Trois ans après le carton de The English Riviera, Metronomy est attendu au tournant par les fans de pop anglaise racée. Rétif à toute routine, leur leader Joseph Mount met un peu de côté ses productions ultra léchées pour réinventer un son brut infusé au psychédélisme et à la soul sixties. Rencontre avec le néo-Parisien qui nous parle de sous-marin jaune, de lettres d’amour et de François Truffaut. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC VERNAY

« Je me suis forcé à écrire comme les autres, d’une manière “normale”. »

© grégoire alexandre

Joseph Mount

De gauche à droite: Joseph Mount, Anna Prior, Gbenga Adelekan et Oscar Cash

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mars 2014


V

ous vivez à Paris depuis quelques années. Pourquoi ce choix ? Je suis père d’un enfant dont la mère est française. Voilà pourquoi. L’Angleterre ne me manque pas vraiment, car j’y retourne beaucoup. Parfois, je repense à la campagne anglaise, mais ça va. Ce que j’aime à Paris, c’est quand le printemps et l’été arrivent. Les gens sont plus sociables, ils se baladent, restent en terrasse.

L’album s’intitule Love Letters. Vous êtes nostalgique des lettres d’amour ? J’ai toujours été romantique. C’est marrant, j’ai chez moi une boîte dans laquelle, depuis que je suis jeune, je range certaines des lettres que je reçois. J’ai aussi gardé des lettres d’ex-copines, sans trop savoir pourquoi. Je ne les ai pas jetées, parce que je suis nostalgique. Mais je ne suis pas fou ! Je connais des gens qui impriment leurs SMS par exemple, c’est bizarre… Le son de l’album est très brut… On a enregistré dans un studio analogique huit pistes [le studio Toe Rag, à Londres, apprécié des White Stripes notamment, ndlr], à la manière des groupes des sixties. C’étaient les artistes que j’écoutais au moment d’entrer en studio : les Beatles, Diana Ross et les Supremes, la Motown, Sly and the Family Stone, les Zombies, les Byrds… Et pas David Bowie ? Ah oui, je ne le mentionne pas, mais Bowie est toujours présent en moi. Je l’écoute régulièrement. Il est là, dans ma conscience. Enregistrer dans ces conditions spartiates, était-ce un moyen de libérer votre créativité par la contrainte, comme Thomas Vinterberg et Lars von Trier avec leur Dogme95 ? C’est différent, parce que les cinéastes du Dogme se sont donnés beaucoup plus de règles. Comme eux, je pense que les contraintes peuvent générer de la créativité. Mais je n’ai pas inventé mes contraintes, elles existaient déjà. On a tellement de possibilités, avec la technologie et les ordinateurs, que parfois c’est stimulant de voir ce qui se passe quand on a moins d’options à sa disposition. Ça m’a permis de changer ma manière de composer. La plupart des musiciens le font avec leur guitare, alors que moi,

d’habitude, je commence avec mon ordinateur. Je me suis donc forcé à écrire comme les autres, d’une manière « normale ». Et qu’est-ce que ça change, de devenir « normal » ? Le cinéma actuel me donne ici une bonne analogie. Aujourd’hui, le gros du travail est effectué en postproduction. On filme avec des fonds verts. De nombreuses décisions sont prises après le tournage en lui-même. Alors que si l’on veut faire un film à l’ancienne, il faut prendre toutes les décisions sur le moment. Pour moi c’était pareil, quand j’avais fini d’enregistrer une chanson, je ne revenais plus en arrière. Le processus devait donc forcément être plus réfléchi en amont. À propos de votre album précédent, vous aviez déclaré que c’était la rencontre des Eagles et de Daft Punk. Pourriez vous faire de même pour Love Letters, mais avec des films ? Ah ah ! c’est « Yellow Submarine rencontre Les Quatre Cents Coups ». Yellow Submarine [film d’animation de George Dunning, inspiré par l’album du même nom des Beatles, ndlr], pour le côté psychédélique, avec des univers drôles et inatten­ dus. Truffaut, parce que ma copine me montre beaucoup de films de la Nouvelle Vague. Je ne parviens jamais à me souvenir du nom du réalisateur ou des titres de ces films d’ailleurs. [rires] Comme les personnages de ces films, j’aime me balader dans Paris. Ce garçon qui grandit d’un film à l’autre [Antoine Doinel, personnage incarné par JeanPierre Léaud dans cinq films de François Truffaut, ndlr], c’est intéressant. Les Quatre Cents Coups, c’est un film assez triste, sans début ni fin, ça crée une atmosphère particulière qui me plait. Vous avez l’impression de construire un personnage d’un album à l’autre, comme Jean-Pierre Léaud avec Antoine Doinel ? Ah merci, j’avais oublié son nom… Il est devenu fou, non ? Une partie de moi pense que la musique doit être très personnelle, l’autre pense au contraire qu’il ne faut pas trop se livrer à travers son œuvre. Parce que sinon, les gens écrivent d’horribles commentaires sur ta personne. Chaque album, c’est moi, mais dans un univers musical différent. Love Letters de Metronomy (Because) Sortie le 10 mars

Love Letters de METRONOMY (Because) SMS qui ne partira jamais, lettre d’amour sans retour, missive de rupture, toutes les chansons de Joseph Mount semblent ici relever de l’épistolaire, moins Liaisons Dangereuses qu’ultra moderne solitude, lettres restées mortes dans l’espace où personne ne l’entend pleurer. Ce nouveau spleen londonien, au romantisme down-tempo (la plupart des chansons sont des balades) et au minimalisme low-tech (boites à rythmes sourdes, guitares décharnées), ressemble au squelette d’une superproduction soul à imaginer, se lovant dans l’absence et le silence comme dans l’attente de l’appel amoureux (Call me) qui viendra remplir le vide. Le morceau-titre (envolée Motown, basse McCartney) s’égaie, tandis que des instrumentaux ravivent la flamme dissonante des anciennes boîtes à musique freaks, missives émotives qui sont autant de flèches perçant les cœurs dans l’attente d’une oreille à embrasser. Touchant. W. P.

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cultures MUSIQUE

agenda

Le duo québécois Forêt

FESTIVAL

Les Femmes s’en mêlent

Par E. Z.

PAR ETAÏNN ZWER

Esprit libre, le festival qui célèbre la scène féminine indépendante poursuit son œuvre de défrichage avec cette dix-septième édition éclectique, hardie et séduisante. La slacker-pop de Courtney Barnett, l’east-rap 90’s de D E N A, le show lynchien de la créature texane Chrysta Bell, le rock hanté d’Anna Aaron, l’ovni québécois Forêt et sa « pop de recherche » poétique et déroutante… Les Femmes s’en mêlent aime les artistes émergentes et une singularité aux visages multiples. Engagé et généreux, le festival s’offre cette année deux soirées affriolantes au Centquatre (les 21 et 22 mars), avec la nostalgie groovy de Cults, la pop rock épique de Nicole Sabouné, l’electro mélancolique d’Alice Lewis ou la sauvagerie glacée de Nadine Shah ; une nuit américaine dédiée aux fées folk (Emily Jane White, Angel Olsen) ; et des créations originales (entourée du chœur féminin de l’école de musique de Sannois, l’élégiaque Julianna Barwick investira l’église Saint-Merry, tandis que la Française Sir Alice s’acoquinera au styliste Bernhard Willhelm pour une performance au Centre Pompidou). Cette mêlée 2014 est aussi plus badass et convie le must du rap féminin : la Brésilienne Karol Conka et son hip-hop mâtiné de baile funk, la MC chérie de la scène scandinave, Gnučči, au fluo-rap aguicheur, et la furie U.S. Dominique Young Unique. Quand à la joussive prom night du crew Barbi(e)turix le 28 mars à La Machine du Moulin Rouge, épaulées par l’excitant quatuor surf rock La Luz et par les ambiances new-wave du duo stambouliote Kim Ki O, elle devrait clore en beauté cette édition de caractère. « De l’énergie, de la dérision et de l’esprit », comme le résume Stéphane Amiel, créateur du festival. Et beaucoup de plaisir. Festival Les Femmes s’en mêlent, du 18 mars au 3 avril

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LE 14 MARS

LE 19 MARS

DIYNAMIC Depuis Hambourg, l’immense label de Solomun dépêche ses meilleurs artisans pour une nuit grisante tirée à quatre épingles : David August et sa house downtempo délicate, la minimal techno au romantisme entêtant du duo Kollektiv Turmstrasse, et le mouse Thyladomid et sa deep house léchée. Lecker, comme on dit là-bas.

Earl Sweatshirt Émancipé de l’écurie Odd Future, le jeune prodige de L.A. en impose avec Doris, premier opus rugueux au long duquel se côtoient vapeurs psyché et névroses intimes, Frank Ocean et RZA, flow asthénique et beats asphyxiants : une salve d’arguments pour une magistrale leçon de rap underground au charme poisseux.

au Zig Zag

LE 20 MARS

ST.LÔ Ovni télescopant, entre Brooklyn et Lorient, le jazz de Nina Simone, l’abstract hip-hop de Buck 65 et une electro rageuse, ce jeune groupe se joue des frontières pour fourbir une alchimie sonore envoûtante, habitée par la voix de la charismatique Mezz Walidah. Élégant, intense : une pépite. au Nouveau Casino

LE 21 MARS

SAVAGES Les quatre filles de Londres filent un post-punk noir et viscéral, croisant Joy Division et Siouxsie and the Banshees, blues flippé et élégance arty. Elles libèreront les pulsations abrasives de leur premier album, Silent Yourself, lors d’un live minimaliste et puissant : un pur shoot d’adrénaline. à La Gaîté Lyrique

LE 23 MARS

DU 4 AU 13 AVRIL

DARKSIDE L’orfèvre house Nicolas Jaar s’acoquine au génial guitariste Dave Harrington. Expérimentant à quatre mains, ils livrent Psychic, astéroïde déconcertant au décorum ténébreux, niché entre blues cosmique et electro murmurante : un monde lent, nocturne, futuriste, propice aux égarements hypnotiques.

SONIC PROTEST Entre noise cinétique, electro motorik et friches bruitistes, la dixième édition de ce festival dédié aux musiques expérimentales est généreuse et fascinante : l’icône Merzbow, Thurston Moore, Brigitte Fontaine, le singulier Radian, l’excité Usé…

à L’Olympia

mars 2014

au Trabendo

à La Générale, à l’église Saint-Merry, au Cirque électrique, au Centre Barbara et à La Parole errante (Montreuil)


sélection Par Michaël Patin

PIÑATA

D.R.

de Freddie Gibbs & Madlib (Madlib Invazion)

rap

ScHoolboy Q PAR ÉRIC VERNAY

C’est l’un des albums de rap les plus attendus de 2014. D’abord parce que ScHoolboy Q a déjà livré deux excellents disques en indé, Setbacks (2011) et surtout Habits & Contradictions (2012). Dans ce projet dense porté par le single Hands on the Wheel avec A$AP Rocky, il déployait sa palette cool-agressive sur des beats saignants de Mike WiLL Made It, Lex Luger ou The Alchemist. Ensuite parce que le rappeur constitue avec Kendrick Lamar, Jay Rock et Ab-Soul, le collectif Black Hippy. Soit le crew le plus affûté de la West Coast depuis N.W.A. Enfin parce que la sortie d’Oxymoron a été précédée de quatre morceaux imparables : Yay Yay, Collard Greens, Break the Bank et Man of the Year, sur un sample de Chromatics. Tour à tour nerveux et hédoniste, son style musical contrasté fait écho à son look, mêlant tatouages de gangster et bob à fleurs. Les titres de ses albums reflètent d’ailleurs les paradoxes du personnage. Surnommé « ScHoolboy » lorsqu’il était petit, à cause de ses lunettes d’écolier, Quincy (d’où le « Q ») est né en 1986, sur une base militaire américaine située en Allemagne où ses parents étaient affectés. Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, le gangsta rap crachait ses premières odes aux armes, à la weed et au sexe explicite. Vingtsept ans plus tard, ScHoolboy Q reprend le flambeau à sa manière, façon oxymoron. Maître du clair-­ osbcur, il dépeint sa vie écartelée entre les études et les gangs de L.A. (il a été membre des Crips à 12 ans), le football à la fac et le deal d’oxycodone, les spliffs entre potes et la prison. Une existence narrée par ce jeune père de famille en compagnie de figures locales comme Kurupt et Tyler, The Creator. Oxymoron de ScHoolboy Q (Interscope) Disponible

Originaire de l’Indiana, Freddie Gibbs s’est fait le champion tardif d’un gangsta rap collé à la rue, dans la lignée d’un Tupac ou d’un Scarface (qui lui passe le témoin sur le titre Broken), plutôt que de prendre part à la course aux jouets de Rick Ross et consorts. Étonnante sur le papier, brillante dans les faits, son association avec Madlib réconcilie, via quelques featurings de haut vol, plusieurs générations de rappeurs, de Raekwon à Earl Sweatshirt, et réactualise l’esprit de la blaxploitation.

LA NUIT EST LÀ

de Bertrand Burgalat (Tricatel)

Malgré l’embarras du choix, s’il ne fallait garder qu’un artiste portant les initiales B. B., ce serait sûrement Bertrand Burgalat. L’influence du boss du label Tricatel (clin d’œil à L’Aile ou la Cuisse) est plus forte que jamais sur la scène pop française, et lui-même ne lâche rien, sortant un nouvel album live avec les pistoleros d’A.S Dragon et Aquaserge. Chant adolescent, textes imparables, souplesse du groove, mélodies raffinées, embardées cosmiques : le vrai dandy-génie, c’est lui.

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UNDERNEATH THE RAINBOW

de Black Lips (Vice)

Les Black Lips n’ont pas inventé l’eau tiède – c’est même la dernière chose qu’on attend de ces Américains obsédés par le rock garage, lointains et pourtant frais descendants des Seeds et des Remains. Huitième album paru en dix ans de carrière, Underneath the Rainbow confirme leur indéfectible foi dans le genre dont ils visitent chacune des déclinaisons traditionnelles, du pôle country au pôle psyché, sans forcer le trait ni économiser leur énergie de joyeux couillons en rut.

SISYPHUS

de Sisyphus (Asthmatic Kitty/ Joyful Noise)

Rencontre entre les francs-tireurs Sufjan Stevens (chant), Son Lux (production) et Serengeti (rap), Sisyphus se veut porteur d’une voie neuve entre electropop et hip-hop. Promesse à moitié tenue sur ce premier album prolixe et déséquilibré, dont presque tous les sommets sont à mettre au compte du dénommé Serengeti. Seul son flow prodigieusement cool parvient à calmer les ardeurs parfois usantes de ses insatiables partenaires.


© richard giligan

cultures LIVRES / BD

Un ciel rouge, le matin western irlandais

Dans l’Irlande des années 1830, course-poursuite entre un paysan pauvre et un contremaître inflexible. Paul Lynch signe un premier roman magique, entre western et tragédie. PAR BERNARD QUIRINY

Un homme qui en poursuit un autre. En résumant, voilà toute l’histoire que raconte Paul Lynch (à ne pas confondre avec son homonyme, le réalisateur britannique) dans ce premier roman qui a fait sensation en Irlande et que se sont arrachés les éditeurs américains. Le décor : l’Irlande et l’Amérique, justement, au début du xixe siècle. L’histoire commence dans la verte Érin, avec ses tourbières et ses paysages à couper le souffle. Coyle, père de famille honnête et fermier sans le sou, est expulsé par son propriétaire, le riche Hamilton. L’explication tourne mal, Coyle tue Hamilton sans le vouloir. Il prend la fuite, abandonnant femme et enfant. Mais le contremaître Faller se lance à ses trousses, et il ne reculera devant rien pour lui faire la peau. Même si Coyle embarque pour l’Amérique ? Dès les premières lignes, on sent qu’on a affaire à un écrivain d’une certaine trempe, dans la pure tradition irlandaise : le style un peu rugueux se mélange à un puissant lyrisme paysager, avec des descriptions de la lande et du climat qui rappellent les tableaux de l’Écossais Dominic Cooper (Le Cœur de l’hiver). La narration au présent restitue

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l’urgence de la poursuite et le sentiment de fuite en avant qui s’empare du héros. Puis, après cent pages de course sur les chemins, on change de registre : Paul Lynch connecte l’aventure de Coyle à la grande histoire de l’émigration irlandaise, avec l’interminable voyage en bateau vers l’Amérique, puis le sort peu enviable des ouvriers irlandais employés sur les chantiers du chemin de fer américain. Il s’inspire de l’histoire vraie d’un site de Pennsylvanie sur lequel ont été retrouvés cinquante-sept cadavres de travailleurs exploités à mort par un patron sans scrupule. Limpide et intense comme une tragédie, ce western irlando-américain porte d’emblée Paul Lynch au premier rang des écrivains irlandais, dans le sillon d’un Joseph O’Connor ou d’un Hugo Hamilton. Une réplique pour la route ? « Tout le monde a quelque chose à se reprocher, tout dépend de celui qui juge. » Un ciel rouge, le matin de Paul Lynch Traduit de l’anglais (Irlande) par Marina Boraso (Albin Michel) Disponible

mars 2014


sélection Par B. Q.

SCISSION

SOUVIENS-MOI

de Tim Winton

d’Yves Pagès

De Tim Winton, on connaissait surtout les romans, traduits dans le monde entier. Voici maintenant les nouvelles, dans une veine à la Carver : de brefs récits d’une dizaine de pages, souvent racontés du point de vue d’un enfant, comme dans cette histoire qui voit une famille en difficulté louer sa maison à une vieille folle qui la ravage et la remplit de chats… Paru en 1985, Scission est le premier recueil de nouvelles de l’écrivain australien. Pas son chef-d’œuvre, sans doute, mais l’ensemble vaut le détour.

Souviens-moi. Drôle de titre pour un drôle de livre : un « objet littéraire non identifié » dans lequel Yves Pagès agrafe quelques centaines d’instantanés, souvenirs, saynètes, images, une phrase à chaque fois, toujours avec les mêmes mots pour commencer : « De ne pas oublier… » De là un livre-collage à lire d’une traite, comme une séance de zapping sur papier, qui dessine par touches furtives et souriantes un autoportrait, un tableau d’époque et un jeu sur la mémoire et la nostalgie… Perecquien, mettons.

(Rivages)

BORGESTEIN

de Sergio Bizzio (Christian Bourgois)

Sergio Bizzio est l’un des auteurs argentins actuels les plus intéressants, et aussi l’un des plus inclassables. La preuve avec la traduction (signée André Gabastou) de ce Borgestein, récit bizarroïde dans lequel un psy, récemment agressé par son patient, s’installe dans une bicoque isolée et décide de combler avec des pierres la cascade toute proche dont le raffut le rend fou… Dans une ambiance ironique et quasi fantastique, un petit livre insolite et envoûtant, à découvrir absolument.

(Éditions de L’Olivier)

LES FILLES N’ONT PAS DE BANANE

de Copi

(Éditions de L’Olivier)

Romancier, dramaturge, héraut du Paris gay des années 1970, Copi fut découvert sur le tard par le grand public grâce aux pubs Perrier (« C’est fou ! »). Mais d’aucuns l’avaient connu vingt ans plus tôt grâce à ses crobars dans Le Nouvel Obs, Hara-Kiri et Charlie : les dialogues, tantôt nonsensiques tantôt sarcastiques, d’une éternelle femme assise, avec sa fille, des poulets ou des souris. Cette première fournée couvre la période 1965-1979, la deuxième est au four, et le tout n’a rien perdu de sa saveur.


cultures LIVRES / BD

bande dessinée

San Mao, le petit vagabond

sélection par s. b.

Par Stéphane Beaujean

LA PLANÈTE IMPOSSIBLE

de Joseph Callioni (Atrabile)

La plupart des caractères de l’écriture chinoise sont des idéogrammes ou des pictogrammes qui désignent en un symbole graphique une idée ou un objet. Lorsque cette écriture imagée en vient à trahir le réel qu’elle est censée représenter, quel symbole faut-il lui opposer pour rétablir la vérité ? La réponse de Zhang Leping semble être une autre forme de dessin. Ainsi, l’opposition entre l’idéogramme et le dessin sert souvent de dénonciation comique dans San Mao, bande dessinée créée entre 1946 et 1949, qui met en images les déambulations d’un bambin miséreux dans une Chine annexée par le Japon, en voie de modernisation, et de prime abord incapable de regarder la pauvreté en face. San Mao, l’enfant vagabond, ne cesse de tomber sur des coupures de journaux, des affichettes ou des enseignes qui vantent le bonheur de l’époque. Mais à chaque fois que le bambin croise ces mots, il s’y cogne le nez, littéralement, avant de choir sur ses fesses, une larme à l’œil. Au fil de quatre-cents gags muets se forme ainsi le portrait transgressif et détaillé de la société chinoise à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. À la manière d’un Chaplin, Zhang Leping ourle les péripéties de son héros d’une distance burlesque que seule l’expérience personnelle d’un auteur qui a connu la misère permet de retranscrire au plus juste. Comment ne pas être effondré lorsque San Mao, perpétuellement inconscient de sa condition, se met à pleurer devant un film contant les mésaventures d’un orphelin des rues ? San Mao est une bien belle découverte du patrimoine chinois qui offre, comme le rappelle la préface, un intéressant contrepoint au personnage de Tchang dans Le Lotus Bleu d’Hergé, écrit à la même époque. San Mao, le petit vagabond de Zhang Leping (Fei) Disponible

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Voilà un très beau conte philosophique sur la condition humaine qui puise sa force dans un dessin évanescent et précis, entre l’imagier de science-fiction psychédélique de Moebius et le trait fragile d’Anders Nielsen. Cosmo, terrien rescapé, arpente une planète qui ressemble comme deux gouttes d’eau au paradis perdu. Mais les apparences sont trompeuses, et la quête de sagesse inéluctablement vouée à l’échec… Un jeune auteur à suivre de près.

TRANSMETROPOLITAN

DONJON CRÉPUSCULE T. 110 & 111

de Joann Sfar, Lewis Trondheim, Alfred et Mazan (Delcourt)

Commencée il y a quinze ans, la série Donjon devint rapidement un phénomène. Depuis, sa dimension novatrice s’est évanouie avec l’acceptation du dessin minimaliste et animalier par le grand public. Pour autant, les dialogues régressifs à l’humour singulier des deux scénaristes fonctionnent toujours. Avec la fin de l’histoire, une forme sincère de mélancolie point. Que reste-il des actes de bravoure ? Triste question.

EURÊKA !

de Warren Elis

de Hitoshi Iwaaki

Publié pour la première fois il y a quinze ans, ce portait héroïque du journalisme gonzo a un peu perdu de sa force puisque de nombreuses références à l’actualité politique de l’époque ne font plus sens. Restent l’acidité des dialogues et l’outrance d’une société futuriste dans laquelle l’individualisme et la consommation règnent sans partage. Une des meilleures séries de Warren Elis, bel hommage à la bande dessinée anglo-saxonne d’Alan Moore.

C’est le grand retour de l’auteur de la série de science-fiction Parasite. Passée la surprise de se retrouver dans une fresque historique qui raconte le siège de Syracuse par l’armée romaine, le lecteur se réjouit de renouer avec ce génie de la mise en scène de la violence, trop rare ici. Mais Eurêka ! demeure un excellent compromis entre détente et pédagogie – la barbarie de la guerre et le génie de la science y font bon ménage.

(Urban Comics)

(Komikku)


cultures SÉRIES

POLICIER

True Detective Saluée de toute part avec une rare unanimité, True Detective faisait figure d’événement télévisuel avant même sa diffusion. Engouement mérité : ce polar mélancolique, emmené par Matthew McConaughey, en impose par sa classe. PAR GUILLAUME REGOURD

le caméo MICHAEL PITT

© hbo

© steve granitz / wireimage

dans Hannibal

par McConaughey : dépressive et intarissable, au grand désespoir de Martin (Harrelson), son coéquipier. Loin du classique buddy movie, le vrai projet de True Detective consiste à observer (et surtout à écouter) ces deux types s’épuiser l’un l’autre, ayant de moins en moins de choses à se dire à force de sillonner en bagnole une Louisiane de trailer parks et de bouges miteux. Une jolie idée de télévision, servie par un texte beau comme du Cormac McCarthy, et par les modulations texanes d’un McConaughey au sommet de son art. On s’en souvient maintenant : c’est long, une semaine d’attente entre deux épisodes. Saison 1 sur OCS City

sélection The Office Ne pas savoir s’arrêter à temps, le grand drame de la série moderne. Dans le cas de la version américaine de The Office, les adieux de Steve Carell, dès la saison 7, auraient dû s’accompagner d’un départ anticipé à la retraite de tous les salariés de Dunder Mifflin. Ceux qui restent font dignement le job, mais le cœur n’y est plus. Restera une belle aventure.

Saison 9 en DVD (Universal Pictures), le 25 mars

Par G. R.

House of Cards Un an à peine après son arrivée tonitruante sur le marché de la série de prestige, Netflix, battant le fer tant qu’il est chaud, propose déjà une deuxième fournée d’épisodes de House of Cards. Le politicien véreux Frank Underwood, incarné par Kevin Spacey, n’a rien perdu de son ambition, aiguisée par ses nouvelles fonctions et un pouvoir de nuisance accru. Haletant. Saison 2 sur Canal+

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Malcolm La sortie de Malcolm en DVD est un petit événement : déjà parce que les fans attendaient cela depuis des lustres, la faute à un blocage lié aux droits musicaux ; ensuite parce que cette comédie familiale est un petit bijou de loufoquerie dont la vraie star est moins le gamin du titre, joué par Frankie Muniz, que le déjà fabuleux Bryan Cranston (Breaking Bad). Disponible en DVD (Showshank Films)

© 2012-2013 reveille productions, nbc universal television, deedle-dee productions, universal television, netflix / sony pictures television

Pas même arrivée à l’antenne qu’elle faisait déjà du bien. Sur la foi de premiers échos dithyrambiques et d’un casting de rêve (Matthew McConaughey, Woody Harrelson…), la nouvelle série de HBO donnait l’envie de croire qu’on serait fidèle au poste chaque semaine. À l’ancienne. De fait, il ne faut pas dix minutes pour se sentir happé par cette histoire naviguant en territoire policier balisé (la traque, durant dix-sept ans, d’un tueur en série), mais avec à la barre un capitaine Achab follement charismatique. Émacié, les paupières lourdes, le baluchon chargé de drames intimes et des imprécations de prêcheur impie plein la bouche, le personnage de Rust a le cafard lyrique. La série est au diapason de ce flic joué

Le comédien, vu chez Gus Van Sant ou chez Larry Clark, et aussi en gangster, donnant la réplique à Steve Buscemi dans Boardwalk Empire, fera une apparition au cours de la deuxième saison de Hannibal, actuellement diffusée par NBC. Il y interprètera un riche et tourmenté patient du docteur Lecter (Mads Mikkelsen), et pas n’importe lequel : le retors Mason Verger, déjà apparu à l’écran sous les traits d’un Gary Oldman méconnaissable dans le Hannibal de Ridley Scott, sorti en salles en 2001. On se souvient encore de ses sangliers domestiques. G. R.


cultures ARTS

PHOTOGRAPHIE

Henri Cartier-Bresson Le Centre Pompidou accueille la première grande rétrospective européenne d’Henri Cartier-Bresson depuis sa disparition, en 2004. À travers quelques cinq cents photos, dessins, films et peintures, le parcours chronologique insiste sur la diversité de l’œuvre du célèbre photographe français.

© henri cartier-bresson / magnum photos, courtesy fondation henri cartier-bresson

PAR LÉA CHAUVEL-LEVY

Rue de Vaugirard, Paris, France, mai 1968

On le surnomma « l’œil du siècle », le photographe de « l’instant décisif » (en référence à son « manifeste » de 1952 ainsi titré). Henri Cartier-Bresson est d’abord un monstre sacré du photoreportage : à Cuba, en 1963 ; à Paris, en 1968 ; à Shanghai, pour les derniers jours du Kuomintang, en décembre 1948 ; et plus tôt, en 1936, sur les bords de Seine, lorsque furent fêtés les premiers congés payés ; ou, la même année, sur le front de la guerre civile espagnole. Cofondateur de l’agence Magnum, en 1947, il exprima avec simplicité ce que photographier veut dire : « C’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. » Connu pour son engagement politique, il fut aussi passionné de peinture et de cinéma. Aux États-Unis, dans les années 1930, il apprend à manier la caméra, puis travaille avec le cinéaste Jean Renoir jusqu’aux débuts de la Seconde Guerre mondiale – il fut second assistant réalisateur en 1936 sur La vie est à nous (ainsi que sur Une partie de campagne), et en 1939 sur La Règle du Jeu. Avant

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même de se lancer dans la photographie, il commence par s’intéresser à la peinture, intègre les cours d’André Lhote à Paris. Certes, ses tableaux, dessins et croquis ne passèrent pas à la postérité avec autant d’aisance que ses photos, mais le Centre Pompidou les exhume pour montrer l’influence qu’ils eurent par la suite sur sa création. Les collages qu’il fit, à l’instar de son ami Max Ernst, dessinent un versant surréaliste du photographe, que certains découvriront avec émotion. Comme par magie, les images mythiques de Cartier-Bresson prennent une autre allure, s’auréolent d’une autre dimension. Les jambes de Martine Franck, sa seconde épouse, qu’il shoota en 1967, dégagent un parfum de mystère. Des jambes fines qui s’enlacent comme deux fils tresseraient une natte infinie… De quoi relire l’œuvre d’un homme qui fut plus qu’un œil, mais aussi deux mains qui tenaient la caméra et le pinceau. au Centre Pompidou, jusqu’au 9 juin

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agenda PAR ANNE-LOU VICENTE

JUSQU’AU 29 MARS

DU 28 MARS AU 11 MAI

TOUT, EST CE QUE NOUS AVONS TOUJOURS VOULU L’exposition réunit les travaux réalisés dans le cadre du projet de l’association Orange rouge par dix artistes, en collaboration avec des adolescents scolarisés dans les dispositifs Ulis (Unités localisées pour l’inclusion scolaire), en Île-de-France et à Besançon. Ou l’art de faire dialoguer processus de création et handicap.

INTERPRÈTE Premier volet d’un triptyque d’expositions, « Interprète » réunit un ensemble d’acquisitions récentes du Frac Île-de-France dont le dénominateur commun est l’interprétation. Impliquant jeu, reprise, traduction et transposition, ces œuvres mobilisent inéluctablement le champ musical et notamment la question de la partition.

À Khiasma (Les Lilas)

© rebecca fanuele, courtesy galerie suzanne tarasiève

DU 7 MARS AU 15 JUIN

Romain Bernini, Bientôt un pouvoir, 2013 DES HOMMES, DES MONDES Convoquant la figure du poète martiniquais Édouard Glissant et son concept de « créolisation », l’exposition rassemble les « œuvres-bagages » de dix-sept artistes internationaux qui reflètent, par leur mobilité comme par leur mixité, le phénomène de mondialisation. au Collège des Bernardins

au Plateau

DU 1 er AVRIL AU 24 MAI

NEÏL BELOUFA Le critique d’art et commissaire Mihnea Mircan propose l’exposition personnelle « En torrent et second jour », dans laquelle les installations vidéo du jeune artiste français sont remplacées par les signes de leur existence à travers des documents, systèmes de diffusion et autres retransmissions. à la Fondation d’entreprise Ricard

JUSQU’AU 7 SEPT.

NOUVELLES HISTOIRES DE FANTÔMES Le philosophe Georges Didi-Huberman et l’artiste Arno Gisinger présentent une installation conçue d’après le légendaire Atlas Mnémosyne de l’historien de l’art Aby Warburg (1866-1929). Une réflexion sur l’impact des images et la façon dont la photographie et le cinéma transmettent la mémoire des œuvres du passé. au Palais de Tokyo


cultures JEUX VIDÉO

Castelvania : Lords of Shadow 2 saga

Dernier né du studio MercurySteam, Lords of Shadow 2 remet Dracula sur le devant de la scène. Une vision unique et sans concession qui transcende l’un des plus grands mythes modernes. PAR YANN FRANÇOIS

N

é sous la plume de l’écrivain irlandais Bram Stoker, le personnage de Dracula a beaucoup voyagé, des step­p es de Transylvanie jusqu’aux collines de Hollywood – rien qu’au cinéma, on compterait aujourd’hui plus de deux cent histoires dédiées au célèbre vampire. De Friedrich Wilhelm Murnau à Francis Ford Coppola en passant par Dario Argento, Dracula a hanté les plus grands auteurs comme les plus brouillons. De Béla Lugosi à Christopher Lee, de ses premières incarnations jusqu’à la lointaine descendance de la série télévisée True Blood, le constat demeure sans appel : le mythe moderne le plus vampirisé de tous, c’est bien celui-là. Et le jeu vidéo dans tout ça ? Sans surprise, Dracula a fait l’objet de nombreuses adaptations ludiques. S’il ne fallait en retenir qu’une, ce serait bien Castlevania. Née sur NES en 1986, la saga de Konami peut se targuer d’être une des plus endurantes du jeu vidéo – une immortelle, comme son modèle. Dès le début, son programme prend ses distances avec le roman de Stoker : exit Van Helsing, place aux Belmont, lignée de chevaliers héroïques en guerre avec le seigneur des ténèbres depuis la nuit

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des temps. À chaque épisode, un Belmont différent se rend, armé de son fouet, au château de Dracula, pour le nettoyer dans ses moindres recoins des monstres qui l’habitent et affronter son propriétaire en boss de fin. Format classique mêlant à l’origine séquences de plates-formes et action, la saga n’a eu de cesse d’évoluer, au fil des épisodes, vers des systèmes de jeux de plus en plus complexes. Le seul à ne pas changer, finalement, c’est Dracula : souvent relégué au rôle de prétexte, le personnage s’est contenté, pendant vingt ans, d’apparaître juste avant le rideau final. Heureusement les cartes sont rebattues en 2010 avec Lords of Shadow. Alors que Castlevania se réfugie dans un marché de niche pour hardcore gamers, Konami décide de lui donner un second souffle. Il embauche MercurySteam, petit studio espagnol, qui lui soumet un pitch radical : « Du passé de Dracula faisons table rase. » Revenir des siècles avant les premiers épisodes, lorsque Dracula est humain et se prénomme encore Gabriel Belmont (eh oui ! le pire ennemi de la famille est aussi son ancêtre), chevalier éploré suite au décès de sa femme, qui part en quête d’un objet magique pour la ressusciter. La formule est doublement payante. Non seulement le jeu est un spectacle épique de toute beauté, mais,

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Dracula a beau être à l’apogée de sa puissance, il n’a rien perdu de sa mélancolie. surtout, il apporte une mémoire neuve à la saga en redéfinissant le rôle de son icône. Dracula redevient ce damné tragique des origines qui, après avoir défié les dieux, se retrouve condamné à errer sur Terre à l’état de vampire pour l’éternité. Du sang neuf

Sorti sur la pointe des pieds, Lords of Shadow est un succès inespéré pour Konami qui supplie MercurySteam de donner une suite à cette renaissance. Après un épisode transitoire sur 3DS, Lords of Shadow 2 vient clôturer un cycle flamboyant. Menacé par l’arrivée apocalyptique de Satan sur Terre, Dracula se met en quête de la source du mal, qui s’est tapie au fond de son château. Pour cela, il bénéficie de nouveaux pouvoirs démoniaques et doit voyager entre les époques (le xiie siècle et notre monde actuel) pour déjouer le complot satanique, tout en faisant face aux souvenirs de sa vie antérieure. Pas moins de quatre ans séparent les deux Lords of Shadow. Créé en 2001 par une bande de passionnés autodidactes, le studio madrilène emploie aujourd’hui une soixantaine de personnes, un nombre qui semble bien petit par rapport à l’ampleur de la tâche. En comparaison, un blockbuster lambda mobilise un effectif

dix fois plus conséquent. À la fois patron du studio et réalisateur-scénariste du jeu, Enric Álvarez confirme ce besoin de développer un jeu à échelle humaine, et à son rythme : « À côté d’un Call of Duty, le nombre paraît dérisoire, c’est sûr. Mais nous, on pense que soixante personnes, c’est déjà trop ! On ne cherche pas la performance. Quatre ans de développement, ça peut sembler long, mais un personnage comme Dracula mérite un traitement à sa hauteur. C’est une des histoires les plus tristes du monde. On ne pouvait se permettre de l’expédier en deux temps trois mouvements. » Sombre, épique, désespéré, Lords of Shadow 2 offre à sa créature une conclusion en lettres de sang. Dracula a beau être à l’apogée de sa puissance, il n’a rien perdu de sa mélancolie. Égaré entre ses souvenirs et ses traumas, le héros erre dans les couloirs d’un espace en rébellion contre lui d’où surgissent monstres et hallucinations – un espace mental à l’image de sa psyché malade, qui contredit à chaque pas l’invincibilité illusoire du personnage. « J’ai écrit Lords of Shadow comme l’odyssée d’un être humain, avec tous ses défauts et ses contradictions, à travers les nuances du bien et du mal, confirme Álvarez. Dans le premier, on assiste à sa perte d’humanité, on la provoque même. Cet épisode te met face à sa transformation en demi-dieu. O.K., Dracula est devenu un monstre de puissance. Cela fait-il de lui un personnage intouchable ? » Les mythes ont la carapace solide. MercurySteam est arrivé pour magnifier ses belles fêlures. Castelvania: Lords of Shadow 2 (Konami) Développeur : MercurySteam Plateforme : PS3, X360

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cultures JEUX VIDÉO

PLATE-FORME

Donkey Kong Country: Tropical Freeze Pur exercice de perfectionnement, cette énième déclinaison du célèbre gorille est une véritable leçon de savoir-faire autant qu’une ode au challenge retors et obsessionnel. PAR YANN FRANÇOIS

l’ovni du mois DANGANRONPA: TRIGGER HAPPY HAVOC (NIS America/PS Vita)

C’est triste, mais le constat est sans appel : la console Wii U ne va pas très bien. Malgré une identité un peu floue, elle reste pourtant le dernier bastion, avec la 3DS, d’une philosophie ludique inventée par Nintendo. Ce nouveau Donkey Kong en est la parfaite incarnation. Suite d’un excellent épisode sorti sur Wii, le jeu ne cherche jamais à révolutionner quoi que ce soit : un changement de décor (déporté en terres polaires), un lifting HD léger, quelques ajustements de jouabilité, de nouveaux personnages secondaires. Mais au fond, rien ne change : il s’agit toujours de faire le jeu de plate-forme 2D le plus efficace qui soit ; et le titre s’y emploie avec un brio hallucinant. Ses niveaux, assez

faciles en apparence, se révèlent d’une complexité affolante (il faut les recommencer plusieurs fois pour saisir tout le génie de leur structure). Derrière l’emballage simiesque kawaii se cache une science de la jouabilité tactique tellement maniaque qu’elle en devient poétique. C’est finalement là que réside tout l’attrait de Nintendo aujourd’hui : ne jamais sucomber aux sirènes de la course à la technologie (laissons ça aux next-gen de Sony et Microsoft), mais situer le challenge obsessionnel (celui qui nous tient éveillés des nuits entières) sur des cimes inexplorées, à quelques mètres de la perfection. Donkey Kong Country: Tropical Freeze (Nintendo/Wii U)

sélection OCTODAD: DADLIEST CATCH Incarner un poulpe obligé d’imiter un humain, voilà qui est audacieux – et malaisé –, surtout quand le jeu assigne à chaque touche du pad un tentacule du céphalopode. La moindre action, même marcher, devient alors un exploit. Décliné en multiples défis d’adresse psychomotrice, Octodad fait d’une jouabilité improbable un véritable défouloir burlesque. (Young Horses/PC, Mac, PS4)

Par Y. F.

THE FLOOR IS JELLY Imaginer un jeu de plate-forme dont les décors sont entièrement faits de matière élastique, tel est le défi ardu relevé avec brio par Iain Snyder. L’ingéniosité de la conception des niveaux masque vite la simplicité de l’argument de départ, mais c’est surtout la poésie planante de ce jeu qui enchante : le ressenti du monde devient aussi onctueux que sa trippante bande sonore. (Iain Snyder/PC)

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Un groupe de lycéens, embastillés dans un lycée-laboratoire, sont les cobayes d’une expérience implacable : pour sortir, chacun doit tuer tous ses camarades sans se faire repérer. Entre Agatha Christie et Battle Royale, ce polar interactif, derrière son apparente lourdeur (beaucoup de textes à ingurgiter), recèle des trésors d’inventivité. Son petit jeu de massacre, fait d’enquêtes et de procès prenants (les plaidoyers prennent la forme de duels armés), distille un tel sadisme latent qu’on se surprend à intriguer sans vergogne. Y. F.

OLLI OLLI Le jeu de skate a fait son temps, et c’est bien dommage. Il existe encore des résistants de la dernière heure. Un skateur, un plan en 2D, des obstacles, des combos à enchaîner sans flancher. C’est tout, mais ça suffit. Entièrement tourné vers l’arcade, Olli Olli est un gouffre chronophage, un véritable sacerdoce pour les pouces et les nerfs, dont on peine à décrocher. (Roll7/PS Vita)



cultures FOOD

Food Paris, Paris food tout neuf

Il est de bon ton, dans le microcosme gastronomique, de trouver Copenhague, Londres ou Lima absolument formidables. Avis fort minables. La ville où l’on mange le mieux au monde, c’est Paris. La preuve en cinq ouvertures récentes, étonnantes, réjouissantes. PAR STÉPHANE MÉJANÈS

d.r.

d.r.

À CONTRE-COURANT

Peu de chefs ont été attendus avec autant de ferveur. Depuis qu’il a ouvert son restaurant rien qu’à lui, le 23 décembre 2013, c’est Noël tous les jours pour David Toutain. Plein, archi-plein, midi et soir. Il faut dire que deux ans durant, de 2011 à 2012, il avait enflammé la planète gastro. Dans son restaurantlaboratoire Agapé Substance, il avait bousculé les codes, tant par la configuration du lieu, un long couloir de néons et miroirs, que par l’assiette, minimaliste et foisonnante à la fois. Avant de partir à l’abordage de la rue Surcouf, il a voyagé, beaucoup ; cuisiné, très souvent. Il a aussi retrouvé la douceur d’une vie de famille avec sa femme, Thai, talentueuse photographe, et leur

jeune garçon. Il a fermé cette parenthèse enchantée, ni vraiment le même, ni tout à fait un autre. Il a toujours le génie de concentrer des saveurs d’une puissance folle dans très peu de matière. Mais, dans cette côte d’agneau aux crevettes grises, jus de crevettes et chou kale, on a pu percevoir l’envie d’aller dans d’autres directions, plus brutes, plus directes. L’ancien second d’Alain Passard et de Marc Veyrat n’a en tout cas pas renoncé à sublimer ses herbes chéries. Ses menus s’appellent Berce, Polypode ou Reinedes-Prés. Toutain programme. Restaurant David Toutain 29, rue Surcouf – Paris VIIe Tél. : 01 45 50 11 10 – www.davidtoutain.com Ouvert du lundi au vendredi

what’s up doc? PLANTXA Juan Arbelaez ? « Belle gueule à accent vue à la télé », gloussent les foodistas (c’est un ancien de Top Chef). En fait, un foutu bon cuisinier. Il s’est lancé discretos dans une petite rue de Boulogne-Billancourt (c’est presque Paris). Ça s’est su. Depuis, on court déguster ses plats punchy, très justes en textures, en acidité ou en amertume. On en sort plus joyeux. 58, rue Gallieni – Boulogne-Billancourt Tél. : 01 46 20 50 93

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74, rue des Archives – Paris IIIe Tél. : 01 42 77 23 62 www.dessance.fr Ouvert du mercredi au dimanche

Par S. M.

BAT BAT, c’est pour Bar à tapas. Fallait y penser. Cuisine en îlot, chef au milieu, et des assiettes qui virevoltent. Bœuf de Galice et grenailles fumées, veau à la crème de raifort, financier à la pistache et aux fruits rouges, ça déboîte. La faute à Yariv Berreby, ancien du KGB, l’annexe de Ze Kitchen Galerie du génial William Ledeuil. Casting parfait. 16, boulevard Montmartre – Paris IXe Tél. : 01 42 46 14 25 www.le-bat.com

UN PEU DE DESSANCE Un « bar gastronomique de desserts à l’assiette ». Vous avez bien lu. Une première à Paris, depuis novembre 2013, initiée par Philippe Baranes, patron de l’épatant Braisenville. Le plus dingue, c’est que ça marche. Les plats de Christophe Boucher, ancien de La Mare aux oiseaux, ne sont jamais saturés en sucre, les légumes côtoient les fruits, l’équilibre est parfait. Pommes crues et cuites, purée de vitelotte, roquette et granité marjolaine, ou omelette norvégienne fumée au foin et flambée au whisky Nikka, on ne veut plus jamais être privé de dessert. S. M.

CLAMATO À l’instar de Grégory Marchand rue du Nil, Bertrand Auboyneau rue Paul Bert, Thierry Breton rue de Belzunce ou Akrame Benallal rue Lauriston, Bertrand Grébaut a annexé la rue de Charonne. Après Septime et la Cave de Septime, voici Clamato, un restaurant 100 % marin. Huîtres Saint-Honoré, poissons de petite pêche, oursins. On boit la tasse et c’est bon.

80, rue de Charonne – Paris XIe Tél. : 01 43 72 74 53



© quentin dupieux

LE FILM DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

Wrong Cops

Cinquième long métrage de Quentin Dupieux – et certainement son plus abouti –, le délirant Wrong Cops combine esthétique seventies, cynisme provocateur et trivialité absurde. Un objet filmique non identifié d’une méchanceté irrésistible. PAR ALEXANDRE PROUVÈZE

Avec Steak (2007) et Rubber (2010), les amateurs d’humour absurde ont appris à connaître Quentin Dupieux, cinéaste singulier et producteur de musique électronique sous le pseudonyme de Mr. Oizo. Ses aficionados ont de quoi se réjouir car Wrong Cops, récit polyphonique et outrancier des aventures d’une brigade de flics californiens tous plus tarés, obsédés et négatifs les uns que les autres, s’affirme comme son film le plus agressivement drôle. Ainsi, tandis que l’un de ces cognes arrête les jolies automobilistes sous de fallacieux prétextes pour les contraindre à montrer leur poitrine, un autre (Éric Judor) rêve de devenir DJ-star tout en traînant à sa suite un type à l’agonie, alors qu’un troisième, dealer à ses heures perdues, se met en tête de parfaire l’éducation musicale d’un ado attardé interprété par Marilyn Manson… et encore, on vous épargne les travestis barbus, les maîtres chanteurs et quelques slips pas très propres. Corrompus, mesquins, viscéralement débiles, ces policiers se révèlent hilarants, d’autant que la réalisation, léchée, fait sonner une tonalité

décalée, très pince-sans-rire. La bande originale, composée par le cinéaste, est capable de vous réveiller un mort. Inattendu, provocateur, sale et méchant, Wrong Cops pousse ainsi la logique du précédent film de Dupieux (Wrong) dans ses derniers retranchements. S’il partage avec Wrong certains acteurs et un style similaire de réalisation chiadée, ce nouveau long métrage lorgne davantage vers la caricature et l’excès. Ces outrances permettent au réalisateur d’éviter les redites ou le surplace (principal défaut de ses précédents films) et d’orchestrer un crescendo comique étourdissant de mauvais goût autour de la médiocrité humaine. Certains trouveront sans doute ce spectacle navrant… ce qui le rend encore plus drôle. de Quentin Dupieux (lire aussi p. 28) avec Mark Burnham, Éric Judor… Distribution : UFO Durée : 1h25 Sortie le 19 mars Wrong Cops de Mr Oizo (Ed Banger / Because) Disponible

retrouvez ce film sur www.timeout.fr 100

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L’EXPO DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

top 5 du mois

Mathieu Pernot : la Traversée

par time out paris

1. EXPO Monstre sacré de l’art vidéo, Bill Viola fait de chacune de ses projections une expérience visuelle et sonore, quasi sensorielle. Le Grand Palais rend un hommage tonitruant à ses tableaux vivants marqués tant par le cinéma et la métaphysique que par l’art de la Renaissance. 2. FESTIVAL De belles découvertes à attendre de la dix-septième édition de ce festival de musique au féminin dans les salles de l’Institut suédois, du Centre Pompidou, du Centquatre ou de La Machine du Moulin Rouge. Les Femmes s’en mêlent, du 18 mars au 4 avril

3. DISQUE Nouvelle révélation de la scène rock-psyché, les Temples renvoient aux sixties des Beatles période Revolver, aux mélodies des Zombies et aux harmonies des Byrds. Un savoir-faire impressionnant, pour un album addictif à la production bluffante. Sun Structure des Temples (Heavenly Recordings/Pias)

4. LIBRAIRIE Entre librairie et lieu d’exposition, LO/A s’adresse aussi bien aux professionnels de l’art qu’aux simples curieux en mêlant expositions, installations et collections d’éditions indépendantes. On y trouve également des magazines rares et des fanzines pointus.

© mathieu pernot, courtesy de l’artiste

Bill Viola, jusqu’au 21 juillet au Grand Palais

Photographier l’impossible : un cri, la disparition d’un immeuble, les temps révolus… Mathieu Pernot témoigne d’une autre histoire contemporaine, celle des marges, des banlieues, des prisons, des Roms. Avec lui, la photographie documentaire n’est qu’une des pièces du puzzle ; elle raconte des lieux ou des vies, comme peut le faire une archive de police ou un témoignage d’immigré afghan gribouillé dans un carnet. En montrant avec pudeur l’envers Caravane, Série « Le Feu », 2013 du décor, elle devient l’empreinte et la mémoire de ceux qui ont été oubliés par les récits officiels. Au Jeu de Paume, l’artiste nous transporte au cœur de campements de gitans, il photographie des migrants cachés sous des couvertures au centre de nos villes, il immortalise la destruction de cités tout en affichant des cartes postales des années 1960 vantant le charme des « grands ensembles », récits utopiques d’un passé qui n’a jamais eu lieu. Au fil de ses pérégrinations, des histoires s’écrivent, comme des traces de pas sur des sables mouvants. Profondes et versatiles. au Jeu de Paume, jusqu’au 18 mai, du mercredi au dimanche de 11h à 19h et le mardi de 11h à 21h, http://www.timeout.fr/paris/art

LE RESTAURANT

5. DANSE Duo intime de cinquante minutes, ce spectacle explore avec finesse et douceur le lien qui unit Éric Lamoureux et Thierry Thieû Niang. Dans une atmosphère magnétique, on ressent la tension entre les objets et les corps, tantôt entrelacés, tantôt dressés. Une bromance corporelle à la lueur des projecteurs. Une douce imprudence, du 25 au 28 mars au Théâtre national de Chaillot

© yves czerczuk / time out paris

LO/A – 17, rue Notre-Damede-Nazareth – Paris IIIe

> CLINT Quand on entre dans un établissement nommé en l’honneur de l’interprète de Dirty Harry, on peut légitimement se demander quel accueil nous sera réservé. Le Clint, heureusement, n’a rien de la placide froideur d’Eastwood ; au contraire, ce joli lieu, qui fait à la fois café, restaurant

et concept store, est un endroit des plus chaleureux, plein de lumière et de vie.
 La décoration est simple et jolie. Quant au menu du jour (entre 15 et 18 €), chaque midi, il régale les visiteurs affamés avec, par exemple, une copieuse soupe de légumes de saison (panais et potimarron), suivie d’un haddock allongé sur un matelas de lentilles corail légèrement croquantes – un ensemble de couleurs vives presque aussi chatoyant pour les yeux que pour le palais. En dessert, le café gourmand s’amène avec des petites portions de crumble, une délicieuse panna cotta vanille-cannelle et quelques éclats de cheese-cake étonnamment légers. Une conclusion idéale avant de quitter la place, rassasié, sans avoir à subir les frais d’un excès de gourmandise. Le Clint sait garder la ligne. 174, rue de la Roquette – Paris XIe Du mardi au vendredi de 8h30 à 1h, le samedi de 10h à 1h et le dimanche de 10h à 18h http://www.timeout.fr/paris/restaurant

retrouvez toutes ces adresses sur www.timeout.fr www.troiscouleurs.fr 101


pré se nte

Musique

THE NOTWIST Les fans de The Notwist sont habitués à attendre. Après une parenthèse de six années, émaillée de B.O. et de projets parallèles, les Bavarois reviennent avec l’épatant Close to the Glass. Rencontre avec leur leader, Markus Acher. PAR ÉRIC VERNAY

L’album > Close To The Glass

© joergkoopmann.com

(City Slang)

« C’était difficile d’écrire ce nouveau disque, admet Markus Acher, de sa voix timide mais posée. On a mis un an et demi à trouver la bonne direction. » Tout le défi, pour le groupe originaire de Weilheim in Oberbayern, était de ne pas se répéter. Pas évident, sachant que depuis leurs débuts en 1989, les membres de The Notwist ont déjà frayé sur les terres électroniques, jazz, folk, punk et même hip-hop ou electropop, si l’on compte les nombreux projets annexes des touche-à-tout teutons. « On voulait faire un disque qui nous excite, que l’on ait nous-mêmes envie d’écouter. On a cherché dans plein de directions différentes, quelque chose de

totalement électronique ou de folk, ou seulement avec des guitares... Au bout d’un moment, nous étions vraiment désespérés. Ça ne fonctionnait pas, les chansons étaient trop hétéroclites. » Le déclic est venu d’un motif visuel. « On voulait proposer des chansons à la fois expérimentales et directes. J’ai puisé mon inspiration dans l’art, en particulier chez le « père » du collage, Wallace Berman, associé au mouvement Beat dans les sixties. Sa marque de fabrique était une main, qu’on retrouve en forme d’hommage sur notre pochette. » Entre folk et electro, The Notwist ne choisit pas, combinant ces teintes éparses en un bel et cohérent écrin.

© mnhn / b. faye

exposition

Le successeur du chef-d’œuvre Neon Golden (2002) et de The Devil, You + Me (2008) a été enregistré dans un bled bavarois situé au beau milieu de nulle-part. C’est un album-collage aux accents pop zappant d’une couleur à l’autre sans jamais perdre sa tonalité mélancolique. Conçu comme une collection de nouvelles dans laquelle chaque chanson raconterait une petite histoire, Close To The Glass secrète un folk entêtant aux éclats électroniques. À moins que ce ne soit l’inverse. É. V.

PAR C. GA.

Nuit Des espèces animales se promènent facilement sans lampe torche ni réverbère, et elles nous racontent une autre nuit, peuplée de choses qui nous échappent. La grande galerie de l’évolution du Jardin des Plantes accueille une fascinante exposition qui nous permet d’explorer la nuit autour de trois thèmes : la première partie de l’exposition est consacrée à la nuit en tant que telle (comment se produit ce phénomène ? quels objets astronomiques la composent ?) ; la deuxième présente les animaux nocturnes qui s’animent pendant que d’autres êtres s’endorment ; ces derniers sont les acteurs de la dernière partie de l’expo ; la question de la pollution lumineuse constituant le fil rouge sensible de toute l’installation. du 12 février au 3 novembre à la grande galerie de l’évolution du Jardin des Plantes

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mars 2014


festival

Pulp Festival

d.r.

PAR T. Z.

Histoire d’amour de la compagnie Teatrocinema Mêler bande dessinée et arts de la scène, c’est l’audacieuse idée d’Arte et de La Ferme du Buisson qui prend forme avec le Pulp Festival. La première édition se tiendra mi-mars. Des installations imaginées par Philippe Dupuy dévoileront l’univers de la revue en ligne Professeur Cyclope et donneront une nouvelle dimension au travail de dessinateurs comme Ludovic Debeurme ou Frederik Peeters. « L’idée n’était pas de présenter des dessins originaux, comme dans les autres festivals de BD, mais de montrer leur travail sous forme de vidéos, d’objets, de sons », explique Dupuy. Des spectacles seront au cœur de la programmation, comme l’adaptation théâtrale de la BD musicale La Fille de Christophe Blain et Barbara Carlotti, ou encore Le Moral des ménages, une pièce de théâtre de Stéphanie Cléau, adaptée d’un livre d’Éric Reinhardt, avec Mathieu Amalric et Anne-Laure Tondu, et Blutch pour les dessins. à La Ferme du Buisson, du 14 au 16 mars

festival

F.A.M.E. © drew denicola et olivia mori

PAR C. GA.

Big Star Le F.A.M.E. (Film & music experience) est un nouveau festival monté par l’équipe de La Gaîté Lyrique dont le nom ne fait pas mystère du propos. Pendant quatre jours, la programmation s’attache à décloisonner deux univers (celui des images qui bougent et celui des sons qui font bouger) en présentant diverses initiatives artistiques qui jettent des ponts entre les deux mondes. Ainsi le F.A.M.E. présente des projections de films augmentées de bandes-son jouées en live, des concerts, mais surtout une très belle sélection de films en compétition parmi lesquels de curieux et rares documentaires qui parlent de mélodies, de compositeurs et de morceaux de bravoure aux sonorités détonantes : un musicien-braqueur, un skater en fin de carrière, un homme d’affaire dingue d’opéra, ou un gang de bikers noirs de Baltimore. à La Gaîté Lyrique, du 13 au 16 mars


© olivier metzger

pré se nte

exposition

Florent Marchet

Dans son nouvel album, Bambi Galaxy, Florent Marchet interroge le futur de l’humanité sur la planète et dans l’univers. MK2 lui donne une carte blanche en mars. Il a choisi de projetter le film Soleil vert. Explications. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Curieux nom pour le nouveau disque du chanteur berrichon : « “Bambi”, c’ était le surnom de Michael Jackson. Dans les années 1980, c’était le premier homme 2.0 à renvoyer une image futuriste. Il avait aussi le côté capricieux et irresponsable des enfants. Ça résume bien les adultes qui dirigent le monde aujourd’hui. Quant à “Galaxy”, c’est parce qu’on pense en être le centre. » Tout un programme que ce cinquième album cosmique, à la fois pop et angoissant comme un film de science-fiction. Pour le composer, il s’est inspiré du cinéma qui l’a marqué dans l’enfance, puisqu’il assistait chaque semaine aux ciné-clubs organisés par ses parents dans le théâtre de leur village. « Par contre, on n’avait pas de magnétoscope, donc je n’ai, par exemple, pas pu revoir La Planète sauvage de René Laloux pendant très longtemps. Mais j’avais le CD de la B.O. d’Alain Goraguer, qui

me permettait de rentrer à nouveau dans le film. » Il a revu une foule d’autres classiques de l’anticipation : Rencontres du troisième type, L’Âge de cristal… « Pour moi, la musique d’une chanson, c’est la B.O. de mon texte. J’ai, par exemple, énormément écouté la musique composée par David Wingo pour le film Take Shelter de Jeff Nichols pendant l’enregistrement de l’album. » Le 20 mars, au MK2 Quai de Seine, il présente, après un showcase, Soleil vert de Richard Fleischer : « Quand on revoit le film aujourd’hui, on se demande si ce n’était pas prémonitoire. Ce n’est pas un hasard si les grands scientifiques sont pour la plupart très férus de science-­ fiction… » Rétrospective futuriste en perspective. Bambi Galaxy de Florent Marchet ([PIAS]) Disponible Carte blanche au MK2 Quai de Seine, le 20 mars / Showcase de Florent Marchet et projection de Soleil vert de Richard Fleischer

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mars 2014

> Les Impressionnistes en privé PAR C. GA.

Pierre-Auguste Renoir, Paysage à La Roche-Guyon, vers 1887 Le sous-titre de l’exposition précise : « Cent chefs-d’œuvre de collections particulières » ; un fond mis en valeur en 2014 à l’occasion du quatrevingtième anniversaire du musée Marmottant Monet. Cinquante collectionneurs du monde entier se sont ainsi prêtés au jeu de cette association inédite d’œuvres composée pour souligner leur importance dans l’édification de ce haut lieu du courant impressionniste. En moins d’un siècle, le musée est devenu le dépositaire du premier fonds mondial d’œuvres de Claude Monet et de Berthe Morisot, l’une des rares actrices du mouvement pictural. « Les impressionnistes en privé » présente une centaine d’œuvres rares, voire jamais vues en public, qui retracent l’histoire de l’Impressionnisme. On y voit des œuvres de Monet et Morisot, mais aussi de Manet, Renoir, Degas, Pissarro, Caillebotte, Cézanne ou Rodin. De quoi identifier les origines du courant, au milieu des années 1870, et suivre son évolution, pour mieux évaluer l’ampleur de son legs à l’histoire de l’art moderne. au musée Marmottan Monet, jusqu’au 6 juillet

© arturo piera, collection pérez simón, mexico

Carte blanche


pré se nte

rencontres

d.r.

> Diy days

Je suis un vague souvenir de Romain Quirot, Grand Prix du jury

court métrage

Nikon Film Festival Par Timé Zoppé

Le 10 février dernier, les quatre lauréats du Nikon Film Festival ont été désignés parmi plus de 870 films. Un record de participation pour cette jeune manifestation qui en est seulement à sa quatrième édition. Cette année, le jury était présidé par l’acteur Charles Berling, et la compétition a pris pour thème « je suis un souvenir ». Romain Quirot a décroché le Grand prix du jury avec son film malin et onirique Je suis un vague souvenir. Avant de s’inscrire, il avait pris soin de visionner d’autres films en compétion sur le site du concours : « Je trouvais le thème très intéressant, mais en jetant un œil aux premiers films proposés, je me suis rendu compte que les thèmes abordés étaient trop souvent liés à la mort, à Alzheimer ou à un sujet déprimant… Du coup, avec mes amis, on a tourné le film qu’on aurait aimé voir. » Outre cette ligne thématique imposée,

les courts métrages en lice ont tous dû respecter le même critère de durée (entre trente et cent quarante secondes). La plupart des films présentés prouvent bien que, si le concours est destiné à des productions amateurs, le niveau de réalisation ne l’est généralement pas. Certains participants ayant déjà au moins un pied dans le cinéma (étudiants, stagiaires, premiers boulots), le festival semble aujourd’hui représenter un véritable tremplin. À la clé des premiers prix, des dotations allant jusqu’à 5 000 €, des kits vidéos Nikon et des formations à la Nikon School. Une belle manière de lancer des projets plus ambitieux. Le Grand prix du jury remporte une diffusion de son film dans les cinémas MK2 pendant deux semaines. Les dix films choisis par le jury seront diffusés au festival international du Court Métrage de Clermont-Ferrand. Le palmarès complet est disponible sur le site du festival, www.festivalnikon.fr

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Mélangez l’esprit des conférences TED (Technology, Entertainment and Design) avec une bonne dose d’entreprenariat technologique et une flopée d’inventeurs débridés de la génération Y et vous obtiendrez les « diy days ». Lancées en 2007 par Lance Weiler, un pionnier du storytelling à l’ère d’Internet, ces journées de conférences, d’ateliers et de rencontres autour de l’innovation et de la création numérique essaiment cette année dans douze villes du monde. De quoi mettre les idées nouvelles en contact avec les fonds qui pourront les soutenir. C. GA. à l’ESCP Europe du 22 au 24 mars concours > Les Courts le Retour

Le site de financement participatif KissKissBankBank, MK2, Vodkaster et La Banque Postale ont lancé la troisième édition de leur concours de courts métrages. Vous avez jusqu’au 31 mars pour poster un film de trente secondes à deux minutes qui tourne autour du thème « il était une fois la révolution », qu’elle soit politique, scientifique ou artistique. Suivra une phase de votes du public entre le 15 avril et le 15 mai. Puis le jury, présidé cette année par l’actrice Aïssa Maïga, annoncera les quatre films primés le 2 juin. C. GA. www.lescourtsleretour.com


LES SALLES BASTILLE

BEAUBOURG

BIBLIOTHÈQUE

GAMBETTA

GRAND PALAIS

HAUTEFEUILLE

NATION

ODÉON

PARNASSE

QUAI DE LOIRE QUAI DE SEINE

agenda MK2 HAUTEFEUILLE

© oclara palardy; rda / bca; collection christophel

les 10, 17, 24 et 31 mars à 18h Conférences philosophiques de Charles Pépin

Tom à la ferme de Xavier Dolan

Witness de Peter Weir

Délivrance de John Boorman Le Prisonnier (série télévisée)

TROIS COULEURS PRÉSENTE

Cinéma-club PAR OLLIVIER POURRIOL

Trois Couleurs lance son cinéma-club avec Ollivier Pourriol. Avant la projection d’un film en avant première, le philosophe en décompose l’ADN en convoquant des extraits d’autres œuvres. Première édition ce 14 avril avec Tom à la ferme de Xavier Dolan. Résumé de ce que l’on se racontera. – Si je te dis Tom à la ferme, tu me réponds ? – Martine à la plage ? – Pas vraiment… On ne peut pas dire que Xavier Dolan fasse dans l’enfantin ni dans le bucolique. Tu connais l’histoire ? Tom est un jeune homo urbain qui se rend à l’enterrement de son petit ami, dans une bourgade reculée, pour ne pas dire arriérée, et violemment virile. – C’est le choc des civilisations. Est-ce que c’est comme dans Witness ? Harrison Ford, flic rat des villes, retrouvait, au contact des rats des champs mormons, la pureté d’une vie guidée par les valeurs de la nature… – Oui. Même scénario du type « fish out of water ». – Tom serait le « poisson qu’on sort de l’eau » pour le plonger dans un élément inconnu et voir s’il s’en sort. Comme si tu balançais Woody Allen dans Alerte à Malibu ? – Il y a de ça. Mais en plus angoissant. Comme dans Délivrance, où des hommes des villes rêvant de nature se retrouvaient pourchassés par des bouseux assoiffés de sang. Mais en huis clos, dans une ferme. On tend vers Misery, l’histoire de cet écrivain recueilli par une fan d’abord adorable qui finit par le séquestrer... – Comme dans Le Prisonnier ? Dis donc, Tom à la ferme, c’est plutôt Psychose que Martine à la plage… – Chut ! Ça commence. Tom à la ferme de Xavier Dolan au MK2 Bibliothèque, le 14 avril à 20h

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mars 2014

Sujets : « Qu’est-ce que croire ? » ; « La vie est-elle un grand jeu ? » ; « Que vaut la perfection ? » ; « Pouvons-nous vivre sans absolu ? » MK2 bibliothèque, loire, gambetta, nation et odéon

Le 11 mars à 20h Avant-première Monuments Men de George Clooney MK2 HAUTEFEUILLE

Le 16 mars à 10h30 Rencontre-débat

Projection de Lincoln suivie d’une rencontre avec Jean-Philippe Domecq, romancier et critique pour Politis et Marianne. MK2 bibliothèque

Le 17 mars à 20h Avant-première

Gerontophilia de Bruce LaBruce, en présence de l’équipe du film MK2 beaubourg

Le 19 mars à 20h Soirée Cléo de 5 à 7

Projection en présence de la réalisatrice Agnès Varda et des actrices Corinne Marchand et Dorothée Blank. MK2 HAUTEFEUILLE

Le 25 mars à 14h Opéra

Retransmission en différé de Werther de Jules Massenet MK2 QUAI DE LOIRE

Le 25 mars à 20h Ciné BD

À l’occasion de la sortie de Lip (Dargaud), rencontre avec les auteurs, suivie d’une projection d’Entre nos mains de Mariana Otero. MK2 HAUTEFEUILLE

À partir du 26 mars Cycle « Citizen Payne »

Avec Monsieur Schmidt, Sideways, The Descendants MK2 QUAI DE LOIRE

Le 31 mars à 20h30 Rendez-vous des docs

Cultiver son jardin de Nguyen Long Tuong Vi et Chez Michel de Véronique Buresi et Marie-José Costa


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