Trois Couleurs #122 juin 2014

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le monde à l’écran

under the skin du 11 juin au 15 juillet 2014

Rencontre avec le cinéaste britannique Jonathan Glazer

cannes 2014

Retour sur le palmarès et sur les temps forts du Festival

et aussi

Ken Loach et Paul Laverty, Terry Gilliam, Étienne Daho…

MK2 fait le point De Godard à Dolan, récit de 40 ans de cinéphilie active

no 122 – gratuit


« NOUS POUVONS CHANGER LE MONDE (...) TOUT EST POSSIBLE À QUI

RÊVE, OSE, TRAVAILLE ET N’ABANDONNE JAMAIS » XAVIER DOLAN Extrait du discours prononcé lors de la cérémonie de remise des prix du 67ème Festival de Cannes

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MOMMY RÉALISÉ PAR XAVIER DOLAN - PRIX DU JURY FESTIVAL INTERNATIONAL DE CANNES 2014

AU CINÉMA LE 8 OCTOBRE

MARIN, NATHANAËL, ELISHA KARMITZ, MICHEL SAINT-JEAN, TOUTES LES ÉQUIPES DE MK2 ET DIAPHANA FÉLICITENT ET REMERCIENT XAVIER DOLAN ET TOUTE L’ÉQUIPE DU FILM MOMMY

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Sommaire

Du 11 juin au 15 juillet 2014

À la une… 36

en ouverture 10 entretien

entretien

Jonathan Glazer

Le réalisateur anglais revient avec Under the Skin, le film le plus troublant de l’été. Jonathan Glazer y met en scène un alien sexualisé et vorace qui, sans scrupule, fait disparaître les hommes sur son passage. Dans un Glasgow inamical et authentique, Scarlett Johansson campe cette incarnation réactualisée de la femme fatale. Rencontre avec un cinéaste énigmatique.

Terry Gilliam Roi du collage loufoque, digne héritier de l’esprit satirique du magazine Mad, le chevalier de l’ordre des Monty Python nous revient en prophète avec Zero Theorem.

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dossier

La rédaction était sur la Croisette le mois dernier pour rendre compte au quotidien des films vus pendant le festival, toutes sélections confondues. Morceaux choisis parmi les critiques et entretiens publiés sur notre site troiscouleurs.fr : Sommeil d’hiver, Timbuktu, Léviathan, Party Girl, Bande de filles, Mommy, Adieu au langage, P’tit Quinquin, Still the Water…

© jill furmanovsky / rock archive ; stéphane manel ; yann legendre ; richard dumas

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erratum

MK2 fait le point Inventaire de quarante ans de cinéphilie pour sonder la maxime de MK2 : « Une autre idée du cinéma. » D’où vient-elle ? Quelles en furent les incarnations ? Quarante ans après, est-elle toujours pertinente ?

exposition

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Henri Langlois La Cinémathèque française, qu’il a cofondée en 1936, consacre une exposition à cet homme méconnu, véritable pionnier de la cinéphilie qui a passé sa vie à exhumer d’innombrables pépites du septième art.

entretien

Ken Loach et Paul Laverty Le réalisateur de Sweet Sixteen et du Vent se lève retrouve son scénariste préféré pour Jimmy’s Hall, en compétition au dernier Festival de Cannes.

Cannes 2014

Sommeil d’hiver de Nuri Bilge Ceylan, Palme d’or

en couverture

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90 Étienne Daho Invité d’honneur du festival Days Off, Étienne Daho, tout auréolé du succès de son dernier album, célèbre sur scène et sur les écrans une éternelle jeunesse hexagonale, pop, libre, moderne. Dahoesque.

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Dans notre numéro 121, nous avons publié en page 4 l’article « Profession sous-titreur » dans lequel nous avons écrit que l’Association des traducteurs et adaptateurs de l’audiovisuel aurait fixé un tarif minimal de 4,10 euros la ligne de sous-titre, ce qui est inexact, comme nous l’a fait justement remarquer l’ATAA. L’ATAA n’a ni le pouvoir ni le droit de « fixer » des tarifs. Elle ne fait que relayer les tarifs minimaux recommandés par le Syndicat national des auteurs et des compositeurs (SNAC).


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… et aussi

Du 11 juin au 15 juillet 2014

Édito 9 Bon poing, bon œil Les actualités 14 Retour sur ce qui a agité les pages de notre site Internet Exclusif 20 John Lloyd Young nous raconte son parcours de Broadway à Hollywood l’agenda 22 Les sorties de films du 11 juin au 9 juillet 2014 histoires du cinéma 27 Tom Cruise p. 30 // Le Saturne-film p. 34

©2014 warner bros entertainment inc. and ratpac entertainment/photo keith bernstein ; collection christophel ; pyramide distribution ; amit berlowitz/les films du losange ; les films du camélia

les films 63

Palo Alto de Gia Coppola p. 63 // Black Coal de Diao Yinan p. 64 // La Ritournelle de Marc Fitoussi p. 68 // Xenia de Pános H. Koútras p. 68 // Pan pleure pas de Gabriel Abrantes p. 70 // Au fil d’Ariane de Robert Guédiguian p. 72 // Résistance naturelle de Jonathan Nossiter p. 72 // The Two Faces of January de Hossein Amini p. 73 // Danger Dave de Pilippe Petit p. 74 // Le Conte de la princesse Kaguya d’Isao Takahata p. 76 // Le Procès de Viviane Amsalem de Ronit et Shlomi Elkabetz p. 77 // Le Cœur battant de Roberto Minervini p. 78 // À la recherche de Vivian Maier de John Maloof et Charlie Siskel p. 82 // Metropolitan de Whit Stillman p. 83 // Coldwater de Vincent Grashaw p. 84 // Sunhi de Hong Sang-soo p. 86 Les DVD 88 Coffret Jean Epstein et la sélection du mois

cultures 90 L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

time out paris 112

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTEUR EN CHEF Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) ICONOGRAPHE Juliette Reitzer STAGIAIRE Marion Pacouil ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Oscar Duboÿ, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Stéphane Méjanès, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Alexandre Prouvèze, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Louis Séguin, Claire Tarrière, Laura Tuillier, Éric Vernay, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEURS Stéphane Manel, Charlie Poppins PHOTOGRAPHE Philippe Quaisse PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) CHEF DE PROJET Clémence Van Raay (clemence.vanraay@mk2.com) ASSISTANTE CHEF DE PROJET Mathilda Brissy (mathilda.brissy@mk2.com)

La sélection des sorties et des bons plans compilés par Time Out Paris

trois couleurs présente 116 « Tatoueurs, tatoués », le cinéma-club, les événements MK2

Illustration de couverture © Yann Legendre pour Trois Couleurs © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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é dito

BON POING, BON ŒIL PAR ÉTIENNE ROUILLON ILLUSTRATION DE CHARLIE POPPINS

L

e 1er mai 1974, la société de production MK2 devient un groupe cinématographique avec l’ouverture de sa première salle de cinéma, le 14-Juillet Bastille. C’est le point de départ d’une « cinéphilie active » figurée en couverture de ce numéro. Le lancement du 14-­Juillet Bastille fut motivé par l’impossibilité de distribuer certains films dans les circuits classiques et par la difficulté de trouver des lieux prêts à accueillir des débats pour faire résonner ce cinéma d’auteur militant au cœur de la ville. Exploitation de salles, production et distribution de films, catalogue patrimonial… Pendant quatre décennies, MK2

(édi­t eur de Trois Couleurs) a concentré tous les métiers du cinéma pour défendre sa maxime « une autre idée du cinéma », soit un coup de main, une courte échelle pour des films qui n’avaient pas droit de cité. Quarante ans après, cette maxime est-elle toujours pertinente ? D’où vientelle ? Du Jean-Luc Godard de Sauve qui peut (la vie) au Xavier Dolan de Mommy (lire notre compte rendu du Festival de Cannes p. 48), en passant par Jonathan Glazer et son Under the Skin (voir notre entretien p. 36), quelles en furent les incarnations ? Éléments de réponse avec un livre, édité pour ce quarantième anniversaire, dans lequel MK2 ouvre ses archives. Nous en publions quelques pages dans notre dossier central.

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l’e ntreti e n du mois

Terry Gilliam Le réalisateur de Brazil est de retour dans le futur Le chevalier de l’ordre des Monty Python, Terry Gilliam (L’Armée des douze singes, Las Vegas parano) revient en prophète, pas loin de trente ans après son film Brazil. Zero Theorem nous montre un Londres futuriste dans lequel végète Qohen (Christoph Waltz), génie informaticien qui doit décoder le sens de la vie alors que la sienne n’en a aucun. Prémonition de ce qui est à venir ou constat de ce qui est déjà là ? Gilliam commence chacune de ses réponses par un grand éclat de rire.

© stéphane manel

PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE ROUILLON illustration de stéphane manel

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l’e ntreti e n du mois

« c’est terrifiant. ce n’est plus nous qui allons vers le futur, c’est lui qui vient vers nous. il arrive à toute vitesse. »

v

otre nouvelle vision du futur est pleine de twizy, des voitures électriques qui roulent déjà dans nos rues, d’ipad avec lesquels on se photographie en soirée et de gens qui s’espionnent en planquant des gopro. zero theorem se passet-il vraiment dans le futur ? Nous voulions parler d’un futur proche, tant et si bien que lorsque l’on a terminé le film, c’était en quelque sorte déjà le passé. C’est terrifiant. Ce n’est plus nous qui allons vers le futur, c’est lui qui vient vers nous. Il arrive à toute vitesse. Des années avant de tourner Zero Theorem, je me demandais : « Si je devais faire un Brazil aujourd’hui, qu’est ce que je raconterais du futur ? » On ne sait plus vraiment comment parler du futur, il est difficile à appréhender parce qu’il est déjà là, partout. De manière étrange, le premier script de Zero Theorem ressemblait d’avantage à Brazil, notamment la fin. Mais en montage, je me suis dit que c’était des conneries. cette tristesse est portée comme un boulet par l’informaticien solitaire qohen qui n’est sorti de sa torpeur que par l’arrivée de bainsley, une prostituée délurée. vos héros se soulèvent souvent contre un système. qohen préfère ne rien faire, est-ce une forme de rébellion ? Non, et c’est sa faille, son échec. Il a toujours des tas de raisons de ne rien faire. Clairement, la vie est vache avec lui, mais ce n’est pas une excuse. C’est pour cela que j’ai travaillé avec l’actrice Mélanie Thierry pour le rôle de Bainsley, elle permettait de faire ressortir chez le personnage de Qohen cette vulnérabilité, ce caractère détruit. Je crois que c’est Albert Dupontel qui m’a parlé d’elle, je l’ai vue ensuite dans ce film de Bertrand Tavernier, La Princesse de Montpensier. Tavernier m’a dit de Mélanie que c ’est un Stradivarius, que l’on peut jouer toutes les émotions avec elle. C’est grâce à elle que Qohen parait si désemparé. qu’est-ce qui vous a donné l’envie de retourner dans le futur ? Il fallait bien que je fasse quelque chose ! Il y a six ans, on m’a envoyé ce scénario de Pat Rushin, qui m’a intrigué, parce que nous partageons les mêmes interrogations, les mêmes réflexions. Et puis je suis parti travailler sur autre chose, de nouveau mon

projet sur don Quichotte. C’est tombé à l’eau. Et je me suis repenché sur Zero Theorem. À partir de là tout est allé très vite. Ce rythme à toute berzingue, cela a été une expérience nouvelle pour moi. Il fallait avancer à l’instinct, mettre en images mes réactions face au monde qui m’entoure. comment avez-vous bâti ce londres composite et délabré ? Tout s’est fait en même temps sur ce film, à partir du moment où nous avons trouvé le lieu de tournage, Bucarest. On n’avait pas des moyens déments, il a fallu être très pragmatique dans nos choix. Mais j’aime travailler dans la contrainte. Cela m’oblige à rester concentré. Si je n’ai pas de cadre, j’ai tendance à vouloir tout essayer. Je détestais ça par le passé, mais aujourd’hui j’aime travailler avec des limites, parce que cela m’oblige à trouver un moyen de m’amuser avec les outils que j’ai à ma disposition. Par exemple, en me promenant sur Google Earth autour du studio où nous tournions, je suis tombé sur une ancienne usine métallurgique. Immense. À l’intérieur, on a trouvé cette énorme structure utilisée pour façonner les plus grosses pièces. On est parti de ça pour faire notre immense ordinateur. Aujourd’hui ils sont tous très petits au cinéma. Pourquoi pas immenses ? Avec une mémoire liquide qui coule à l’intérieur ! Je voulais quelque chose comme ça parce que ça a l’air idiot. Pour l’église dans laquelle habite Qohen, on a associé des éléments d’imageries orthodoxes, catholiques et protestantes. Le monde de Zero Theorem est né à mesure qu’on s’installait, à mesure qu’on se mettait à jouer avec le matériel à disposition. Je m’entoure de gens très joueurs, mon rôle c’est simplement de veiller à ce que ce qui sort du jeu reste cohérent. C’est ma grande blague, je dis que je ne suis pas un auteur mais un filtre. Je filtre les idées : bon ; pas bon. Et cette fois, pour pouvoir filtrer en aussi peu de temps, je ne pouvais pas intellectualiser, il fallait être instinctif. Il ne s’agit part d’art conceptualisé mais d’art trouvé ; un peu comme jouer du jazz. le rythme est un élément de compréhension de ce qui se passe dans la tête de qohen : ses lents moments de souffrance apathique, comme ses accélérations jubilatoires face à un logiciel informatique. Vous trouvez ça rapide ? Pour moi cela reste assez lent. Non, c’est intéressant, cette différence de

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perception du rythme. Il y a effectivement des moments où l’on a voulu que ça aille vite, comme avec les séquences dans l’ordinateur, on voulait figurer l’enthousiasme de Qohen : il peut voler. Yeah ! Puisque tout est allé si vite, je découvre encore la manière dont le film agit sur le spectateur, je comprends ses mécanismes. Pour être tout à fait honnête, ça m’a pris du temps avant que je sois pleinement sûr d’aimer ce film. Avec ce processus créatif tout à fait différent, j’ai cherché et trouvé le film à mesure qu’on le façonnait. Le montage a été une expérience plus intense et audacieuse que d’habitude. On jetait des séquences parce qu’elles ne paraissaient pas pouvoir être intégrées à l’ensemble, et puis le film prenait forme, son squelette se structurait, il pouvait désormais porter ces séquences écartées. C’est une manière étrange de faire les choses, mais c’est très addictif. le montage s’appuie souvent sur de brèves ellipses, quelques secondes ou quelques minutes. on ne perçoit qu’un fragment des dialogues, qu’une portion des déambulations du personnage dans l’espace. Ça, c’est parce que l’on a fait un premier montage à partir du script original. Je n’ai pas aimé le résultat, alors, de manière étrange, j’ai décidé de procéder comme pour mes œuvres de collages. J’ai coupé au milieu des séquences qui étaient trop longues, et j’ai collé le début et la fin. Pour ne garder que ce qui est important. On n’a pas besoin d’apprendre de façon explicite comment on arrive d’un point important à un autre point important. Il suffit d’avoir une idée de ce mouvement. Plus tard, on comprendra. Bien sûr, il faut que cela fonctionne, et c’est ce qui m’inquiétait jusqu’à ce que je montre le

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« je ne sais pas pourquoi, mais il y a encore des gens qui pensent qu’ils vont voir un film des monty python. » film. J’ai vu que certaines personnes appréciaient ce jeu de puzzle. D’autres pas du tout. Mes films divisent toujours le public de façon tranchée. Et à mon avis, celui-ci le fera plus que tous les autres. est-ce un mal ou un bien ? C’est un fait. Je lis les critiques de mes films dans la presse, c’est la seule façon de savoir ce que les gens en pensent. Personne ne vient me dire ce qu’il pense de mes films autrement. Parfois, en lisant, je me demande quel film les critiques ont bien pu voir. Ils en décrivent un tout autre. Je ne vois pas du tout de quoi ils parlent ! Par exemple, pour Zero Theorem, un journaliste a passé son article à parler des blagues ratées du film. Mais ce n’est pas une comédie ! Il y a certes de l’humour mais pas de gags. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a encore des gens qui pensent qu’ils vont voir un film des Monty Python. Zero Theorem de Terry Gilliam avec Christoph Waltz, Mélanie Thierry… Distribution : Wild Side / Le Pacte Durée : 1h39 Sortie le 25 juin

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Les actualités Retours et compléments d’information sur les nouvelles culturelles de ces derniers jours qui ont agité notre site Internet, troiscouleurs.fr. PAR ÈVE BEAUVALLET, JULIEN DUPUY, JÉRÉMIE LEROY, MARION PACOUIL, TIMÉ ZOPPÉ

> l’info graphique

Audiences de la fiction dans les grands pays européens Le 2 juin dernier, le CSA a publié son rapport annuel sur les audiences des fictions télévisuelles dans cinq pays européens. En comparant les dix meilleures audiences de chaque pays, le document confronte la place donnée aux productions nationales et le type de contenu plébiscité par le public. J. L. & T. Z.

ROYAUME-UNI

ESPAGNE

ALLEMAGNE

ITALIE

FRANCE

40 % de comédies

50 % de drames

60 % de séries policières

50 % de drames

70 % de séries policières

Au fil des ans, les audiences des feuilletons quotidiens à l’antenne depuis des décennies (Coronation Street, EastEnders) baissent progressivement au Royaume-Uni.

En Espagne, l’affaiblissement de la production nationale dû à la crise permet à deux programmes américains d’intégrer le classement parmi les séries espagnoles.

Le palmarès des programmes aux meilleures audiences en Allemagne est constant et n’est composé, comme au Royaume-Uni et en Italie, que de productions nationales.

Les nouvelles saisons des principales séries italiennes à succès (Il commissario Montalbano, Un medico in famiglia, Don Matteo) reviennent dans le peloton de tête.

La moitié des programmes qui trustent le haut du classement vient des États-Unis. Pour la quatrième année consécutive, toutes les séries du palmarès sont diffusées sur TF1.

Nationalité de la fiction la plus regardée : Genre dominant dans le top 10 :

> CRISE THAÏLANDAISE

En signe de protestation

© collection christophel

Dans Hunger Games (la trilogie littéraire écrite par Suzanne Collins et adaptée au cinéma depuis 2012), les héros Katniss Everdeen et Peeta Mellark manifestent leur soutien aux habitants opprimés de leur monde dystopique par un geste : le bras tendu, trois doigts joints et le pouce et l’auriculaire repliés. La Thaïlande a vu ce signe fleurir parmi sa population après le coup d’État militaire du 22 mai, qui était censé favoriser un dialogue entre les ultraroyalistes et leurs opposants. Ces manifestants silencieux revendiquent la référence à Hunger Games. Ils protestent ainsi contre une loi martiale interdisant toute manifestation ou rassemblement de plus de cinq personnes, mais militent surtout pour un retour à un gouvernement civil. Le Bangkok Post rapporte que le 1er juin, une femme a été interpellée pour avoir fait ce signe dans la rue. Il est rare que des mouvements de citoyens reprennent des symboles de fiction, même si on se souvient de la récupération du masque de V pour Vendetta (2006) par le collectif hacktiviste Anonymous. T. Z.

Hunger Games de Gary Ross (2012)

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> LE CHIFFRE DU MOIS C’est le nombre de B.O. des classiques de Disney disponibles via une application mobile et sur la plateforme Deezer. À terme, c’est tout le répertoire musical de Disney qui devrait être numérisé. Parce que pouvoir écouter Baloo chanter n’importe où, dans son bain, dans le train ou dans la jungle, ça n’a pas de prix. Oui, vraiment : 0 €. Ma. P.

> dépêches

FESTIVAL

DÉCÈS

CÔTE COURT

Du 27 juin au 6 juillet, le 42e festival international de La Rochelle, non compétitif et ouvert au public, accueillera notamment des hommages (Bruno Dumont…), des rétrospectives (le cinéma muet soviétique…) et des avant-premières (Bande de filles, Timbuktu…).

En mai, le monde du cinéma a pleuré deux de ses artisans. Le plasticien suisse Hans Ruedi Giger, créateur du monstre d’Alien, s’est éteint à l’âge de 74 ans. Gordon Willis (photo), directeur de la photographie célèbre pour Le Parrain et Manhattan, est lui décédé à 82 ans.

Du 11 au 21 juin se tiendra, au Ciné 104 à Pantin et en SeineSaint-Denis, Côté Court, l’un des principaux festivals de courts métrages dans l’Hexagone. Au programme, 250 films projetés, des performances, 150 artistes présents, des ciné-concerts et bien d’autres choses encore.

> LA PHRASE

Xavier Dolan © snd

À 8 ans, le réalisateur de Tom à la ferme, déjà acteur dans des films et des pubs, écrivait une lettre d’admiration à Leonardo DiCaprio, que le magazine So Film a exhumée des tréfonds de Twitter.

> LA TECHNIQUE

Face à la révolution numérique, Wally Pfister, le chef opérateur de Christopher Nolan, fait de la résistance. Pour Transcendance, son premier film en tant que réalisateur, Pfister a non seulement choisi de tourner avec de la pellicule 35 mm, mais aussi d’étalonner son film par photochimie. L’étalonnage est l’opération qui consiste à modifier les teintes de l’image au tirage de la pellicule en dosant les couleurs rouge, vert et bleu. Offrant moins de latitude que l’étalonnage numérique aujourd’hui quasi exclusivement employé par l’industrie, l’étalonnage photochimique aboutit à un résultat plus organique qui devrait distinguer Transcendance du tout-venant des productions contemporaines. J. D. Transcendance de Wally Pfister (SND) Sortie le 25 juin

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© anthony harvey / filmmagic

Transcendance

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« J’AI REGARDÉ LE FILM TITANIC (5 FOIS). VOUS JOUEZ TRÈS BIEN. […] J’AIMERAIS JOUER DANS L’UN DE VOS FILMS UN JOUR. »

© gordon willis ; steve granitz / wireimage

PAR Ma. P. & T. Z.


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> Internet

Spoiler, ennemi public numéro 1 Cauchemar absolu des fans de cinéma et de série télé, le spoiler (fait de révéler un élément clé d’une intrigue à son interlocuteur) s’est infiltré dans tous les recoins de la vie sociale numérique. Heureusement, la résistance s’organise. Outre les médias, qui se disciplinent en optant pour des avertissements (« spoiler alert »), ou les campagnes de responsabilisation, qui tentent d’éduquer les spectateurs (ce qu’a fait le site CollegeHumor avec quelques stars de séries), des applications fleurissent pour bloquer tout commentaire contenant les mots clés de votre choix : titre de série, de livre, etc. TweetDeck (rachetée en 2011 par Twitter), Twivo (lancée en avril 2013), Spoiler Foiler de Netflix ou les plus complètes Spoiler Shield (qui sécurise Twitter mais aussi Facebook) et tinyFilter (l’extension pour Chrome). Plus pratique et moins radical que la retraite pastorale. È. B.

© save mos espa

Patrimoine

Mos Espa, le village d’enfance d’Anakin Skywalker, tombe en ruines et menace d’être englouti sous le sable. Autrement dit, les décors de Stars Wars, situés dans le désert tunisien, ont besoin d’un sérieux rafraîchissement. Une collecte a été lancée sur le site participatif indiegogo.com. Le projet s’appelle « Save Mos Espa ». Fan de Star Wars, que la générosité soit avec toi. Ma. P.

EN TOURNAGE

> MUSIQUE

Dracula fait du métal À l’abri des regards et du soleil, Dracula poursuit sa carrière de chanteur de metal. À 92 ans, Christopher Lee, connu pour son rôle, en 1958, de célèbre buveur de sang, et plus récemment pour avoir été Saroumane dans Le Seigneur des anneaux, sort un album – le quatrième à son compteur – intitulé Metal Knight. Sept titres habités et chevaleresques sur lesquels l’acteur chante avec un lyrisme

épique. Le quasi-centenaire va jusqu’à proposer une reprise du My Way de Frank Sinatra ou une autre de La Chanson du toréador de Bizet. Le résultat est brut mais convenablement mixé, et l’on ressort complètement ébouriffé de cette écoute. Metal Knight est une idée aussi absurde qu’aboutie. Ma. P. Metal Knight de Christopher Lee (Charlemagne Production) Disponible

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Le premier tournage, depuis 1959, d’un film américain sur le sol cubain s’est achevé en mai. Papa de Bob Yari est un biopic de l’écrivain Ernest Hemingway • De retour de Cannes où il présentait Sils Maria, Olivier Assayas se remet aux fourneaux pour The Idol’s Eyes, un film de gangsters avec Robert Pattinson et Robert De Niro, dont le tournage est prévu en novembre aux États-Unis • Au même moment, Quentin Tarantino devrait finalement réaliser le fameux Hateful Eight d’après une nouvelle mouture du scénario qui avait fuité en janvier dernier • L’Autrichien Michael Haneke se prépare, quant à lui, à tourner cet été Flashmob, qui prendra pour sujet ce phénomène des « rassemblements éclair ». T. Z.


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© 2014 warner bros entertainment inc and ratpac entertainment photo credit keith bernstein

exclusi f

Jersey Boys John Lloyd Young incarnait Frankie Valli, le leader du groupe The Four Seasons, dans la comédie musicale Jersey Boys, succès à Broadway. Clint Eastwood lui a offert le rôle dans l’adaptation qu’il en a faite pour le grand écran. Le comédien récapitule les étapes qui l’ont propulsé depuis les planches jusqu’à Hollywood. PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

Les Four Seasons ont, en quelque sorte, écrit la bande originale de la vie américaine. On entend leur musique partout… J’ai rencontré Frankie Valli lors d’une répétition, quand je jouais le spectacle à Broadway. Mais celui qui m’a le mieux conseillé pour l’incarner est son meilleur ami, Bob Gaudio, qui a écrit toutes les chansons du groupe. À New York, j’ai interprété le rôle de Frankie Valli dans Jersey Boys huit fois par semaine pendant deux ans. Après une pause de quelques années, on m’a demandé de reprendre le rôle à Los Angeles. Au même moment, Clint Eastwood cherchait quelqu’un pour tourner dans

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l’adaptation de la comédie musicale au cinéma. Il a assisté au spectacle, qui a fait office d’audition puisqu’après ça il m’a choisi. Clint est très impressionnant, à cause de tous les grands rôles qu’il a joués. Sa direction d’acteur m’a d’emblée beaucoup parlé. Malgré son expérience, il reste ouvert aux propositions, et j’ai apprécié son choix de nous faire réellement chanter les chansons, pour garder l’énergie du direct. » Jersey Boys de Clint Eastwood avec John Lloyd Young, Christopher Walken… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h14 Sortie le 18 juin

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ag e n da

Sorties du 11 juin au 9 juillet The Activist de Cyril Morin avec Chadwick Brown, Tonantzin Carmelo… Distribution : Bodega Films Durée : 1h30 Page 66

Con la pata quebrada de Diego Galán Documentaire Distribution : IberiFilms Durée : 1h22 Page 70

Palo Alto de Gia Coppola avec Emma Roberts, Jack Kilmer… Distribution : Pathé Durée : 1h40 Page 63

La Ritournelle de Marc Fitoussi avec Isabelle Huppert, Jean-Pierre Darroussin… Distribution : SND Durée : 1h38 Page 68

Triple alliance de Nick Cassavetes avec Cameron Diaz, Leslie Mann… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h49 Page 70

Black Coal de Diao Yinan avec Liao Fan, Gwei Lun Mei… Distribution : Memento Films Durée : 1h46 Page 64

Pan pleure pas de Gabriel Abrantes avec Édith Scob, Lætitia Dosch… Distribution : Capricci Films Durée : 1h14 Page 70

Au fil d’Ariane de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Jacques Boudet… Distribution : Diaphana Durée : 1h40 Page 72

Cupcakes d’Eytan Fox avec Ofer Shechter, Anat Waxman… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h32 Page 64

Soongava de Subarna Thapa avec Deeya Maskey, Nisha Adhikari… Distribution : Tamasa Durée : 1h25

Résistance naturelle de Jonathan Nossiter Documentaire Distribution : Rezo Films Durée : 1h23 Page 72

Le monde nous appartient de Stephan Streker avec Vincent Rottiers, Ymanol Perset… Distribution : Zelig Films Durée : 1h28 Page 64

Un amour sans fin de Shana Feste avec Alex Pettyfer, Gabriella Wilde… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h44

The Two Faces of January de Hossein Amini avec Viggo Mortensen, Oscar Isaac… Distribution : StudioCanal Durée : 1h37 Page 73

11 juin

Les Voies du destin de Jonathan Teplitzky avec Colin Firth, Nicole Kidman… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h56 Page 64

18 juin

Danger Dave de Pilippe Petit Documentaire Distribution : Petit Dragon Durée : 1h27 Page 74

Débutants de Juan Pittaluga avec Naïs El Fassi, Nicolas Avinée… Distribution : Les Films à Fleur de Peau Durée : 1h20 Page 66

Jersey Boys de Clint Eastwood avec John Lloyd Young, Christopher Walken… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h14 Page 20

Épilogue d’Amir Manor avec Yosef Carmon, Rivka Gur… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h36 Page 74

Mouton de Gilles Deroo et Marianne Pistone avec David Merabet, Cindy Dumont… Distribution : Shellac Durée : 1h40 Page 66

Xenia de Pános H. Koútras avec Kostas Nikouli, Nikos Gelia… Distribution : Pyramide Durée : 2h08 Page 68

La Fête sauvage de Frédéric Rossif Documentaire Distribution : Zoroastre Durée : 1h32 Page 96

Sarajéviens de Damien Fritsch Documentaire Distribution : Iskra Durée : 1h45 Page 66

Comme le vent de Marco Simon Puccioni avec Valeria Golino, Filippo Timi… Distribution : Bodega Films Durée : 1h52 Page 70

Le soleil brille pour tout le monde de John Ford avec Charles Winninger, Arleen Whelan… Distribution : Les Acacias Durée : 1h40

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ag e n da

Sorties du 11 juin au 9 juillet Le Procès de Viviane Amsalem de Ronit et Shlomi Elkabetz avec Ronit Elkabetz, Simon Abkarian… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h55 Page 77

Palerme d’Emma Dante avec Emma Dante, Alba Rohrwacher… Distribution : Jour2fête Durée : 1h32 Page 80

Zero Theorem de Terry Gilliam avec Christoph Waltz, David Thewlis… Distribution : Wild Side Films / Le Pacte Durée : 1h39 Page 10

Le Cœur battant de Roberto Minervini avec Sara Carlson, Colby Trichell… Distribution : Aramis Films Durée : 1h41 Page 78

Terra Nullius. Confessions d’un mercenaire de Salomé Lamas Documentaire Distribution : Shellac Durée : 1h12 Page 80

Transcendance de Wally Pfister avec Johnny Depp, Morgan Freeman… Distribution : SND Durée : 2h Page 16

Sangue de Pippo Delbono Documentaire Distribution : Les Films du Paradoxe Durée : 1h32 Page 78

À la recherche de Vivian Maier de John Maloof et Charlie Siskel Documentaire Distribution : Happiness Durée : 1h24 Page 82

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Under the Skin de Jonathan Glazer avec Scarlett Johansson, Jeremy McWilliams… Distribution : Diaphana Durée : 1h47 Page 36

2 juillet

Duo d’escrocs de Joel Hopkins avec Emma Thompson, Pierce Brosnan… Distribution : SND Durée : 1h34 Page 82

Aux mains des hommes de Katrin Gebbe avec Julius Feldmeier, Sascha Alexander Geršak… Distribution : UFO Durée : 1h50 Page 74

Jimmy’s Hall de Ken Loach avec Barry Ward, Simone Kirby… Distribution : Le Pacte Durée : 1h49 Page 27

Match Retour de Corneliu Porumboiu avec Corneliu Porumboiu, Adrian Porumboiu… Distribution : Contre-Allée Durée : 1h37 Page 82

Le Conte de la princesse Kaguya d’Isao Takahata Animation Distribution : Walt Disney Durée : 2h17 Page 76

Albert à l’Ouest de Seth MacFarlane avec Seth MacFarlane, Amanda Seyfried… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h56 Page 78

Dragons 2 de Dean DeBlois Animation Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h45 Page 97

L’Ex de ma vie de Dorothée Sebbagh avec Géraldine Nakache, Kim Rossi Stuart… Distribution : UGC Durée : N.C. Page 76

Les Ponts de Sarajevo collectif Documentaire Distribution : Rezo Films Durée : 1h54 Page 78

On a failli être amies d’Anne Le Ny avec Karin Viard, Emmanuelle Devos… Distribution : Mars Durée : 1h31 Page 76

Big Bad Wolves d’Aharon Keshales et Navot Papushado avec Lior Ashkenazi… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h50 Page 80

Wolf de Jim Taihuttu avec Marwan Kenzari, Bo Maerten… Distribution : ARP Sélection Durée : 2h02 Page 76

Boro in the Box / Living Still Life de Bertrand Mandico avec Elina Löwensohn, Thierry Benoiton… Distribution : Malavida Durée : 40min & 15min Page 80

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9 juillet À toute épreuve d’Antoine Blossier avec Marc Lavoine, Louise Grinberg… Distribution : Gaumont Durée : 1h35 Page 82 Metropolitan de Whit Stillman avec Carolyn Farina, Edward Clements… Distribution : A3 Durée : 1h38 Page 83


ag e n da

Du goudron et des plumes de Pascal Rabaté avec Sami Bouajila, Isabelle Carré… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h31 Page 83

Blue Ruin de Jeremy Saulnier avec Macon Blair, Devin Ratray… Distribution : The Jokers / Le Pacte Durée : 1h32 Page 84

Circles de Srdan Golubovi avec Aleksandar Ber ek, Leon Lu ev… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h52 Page 86

Qu’il est étrange de s’appeler Federico d’Ettore Scola Documentaire Distribution : Carlotta Films Durée : 1h30 Page 83

Everyone’s Going to Die de Jones avec Nora Tschirner, Rob Knighton... Distribution : ARP Sélection Durée : 1h23 Page 84

Les Vacances du Petit Nicolas de Laurent Tirard avec Valérie Lemercier, Kad Merad… Distribution : Wild Bunch Durée : N.C. Page 86

Coldwater de Vincent Grashaw avec P. J. Boudousqué, James C. Burns… Distribution : KMBO Durée : 1h44 Page 84

Sunhi de Hong Sang-soo avec Jeong Yu-mi, Kim Sang-joong... Distribution : Les Films du Camélia Durée : 1h28 Page 86

Je voyage seule de Maria Sole Tognazzi avec Margherita Buy, Stefano Accorsi... Distribution : Bellissima Films Durée : 1h25 Page 86

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histoires du

CINéMA

UNDER THE SKIN

EN COUVERTURE

CANNES 2014

Rencontre avec le réalisateur Jonathan Glazer p. 36

MK2 fête quarante ans de cinéphilie active p. 42

Notre compte rendu des films vus pendant le festival p. 48

Ken Loach

© philippe quaisse

« Il y a toujours des idées qui grattent à la porte. »

Le réalisateur de Sweet Sixteen et du Vent se lève retrouve son scénariste préféré, Paul Laverty (ils ont collaboré sur plus d’une dizaine de films), pour Jimmy’s Hall, en compétition au dernier Festival de Cannes. L’histoire vraie de l’Irlandais Jimmy Gralton, de retour au pays après un exil de dix ans aux États-Unis. Les jeunes du coin lui demandent de rouvrir sa salle de danse, un endroit d’échange et de débat qui fait grincer des dents les puissants – religieux et grands propriétaires – du coin. Début d’interview du duo sur une plage cannoise. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE ROUILLON

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h istoi re s du ci n é ma

V

ous travaillez ensemble depuis le milieu des années 1990. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Paul Laverty : Par la poste. Je revenais d’un séjour de trois ans en Amérique Centrale. J’avais passé du temps au Nicaragua, où je travaillais pour une association qui relevait les atteintes aux droits de l’homme liées au soutien apporté par les États-Unis aux Contras, opposés aux Sandinistes. J’ai écrit à Ken pour lui soumettre une idée qui, en 1995, est devenue le film Carla’s Song. Ken, il y a un an, on s’était parlé pour la sortie de votre documentaire L’Esprit de 45, pas tendre avec Margaret Thatcher. On avait fait l’entretien le jour de son enterrement et... Ken Loach (coupant la parole) : Eh bien, malheureusement, son esprit, lui, vit encore, et c’est une vraie plaie pour notre socié… (Avant qu’il puisse terminer sa phrase, un énorme coup de vent balaie la plage cannoise sur laquelle nous sommes installés et soulève un parasol qui retombe lourdement sur la nuque de Ken Loach. Paul Laverty fait un bond, saisit le pied du parasol et libère Loach. Nous battons tous en retraite à l’intérieur d’un restaurant. Ken Loach reprend en rigolant.) K. L. : Qu’est-ce que je disais ? Vous voyez le genre d’attaques que l’on subit de la droite, ils sont même capables de nous jeter des parasols ! Dans vos films, comment trouvez-vous l’équilibre entre message politique et proposition artistique ? K. L. : Ces deux éléments sont indissociables. Les choix esthétiques découlent de votre point de vue, de votre regard sur la société et sur ceux qui la composent. Cela commande la lumière que vous allez utiliser, le type d’objectif. Par exemple, pour cette interview, vous nous filmez avec un grand angle. On n’utiliserait pas ce genre d’objectif dans un film comme Jimmy’s Hall, car il est plus large que l’œil humain. Si vous voulez avoir une approche humaine de votre sujet, si vous voulez faire preuve de solidarité, si vous voulez rencontrer vos personnages, alors le regard de votre caméra doit être équivalent à celui d’un homme, les micros doivent capter le son comme le feraient des oreilles. Votre vision, votre intention dictent des choix esthétiques. On ne peut séparer les deux.

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Dans Jimmy’s Hall, le regard porté sur les événements est souvent celui des adolescents qui se pressent autour de Jimmy. Ils voient en lui et en sa salle de danse un moyen d’échapper à l’oppression de l’Église. P. L. : Le point de vue des jeunes est ce qui guide le propos du film. Cette jeunesse est transportée par une fraîcheur lumineuse, une curiosité. On ne peut qu’imaginer ce qui les poussait à faire des kilomètres de vélo pour trouver un peu de liberté dans le foyer de Jimmy. Toutefois ce genre d’oppression, qui pèse sur les jeunes et sur les sociétés dans lesquelles ils grandissent, n’appartient pas qu’au passé. Dans les sociétés contemporaines comme l’Espagne, on a vu dernièrement une remise en cause du droit à l’avortement. Il y a quelques jours, ici, à Cannes, Leila Hatami, membre du jury du festival, a été critiquée par les autorités iraniennes pour avoir fait une bise à Gilles Jacob. K. L. : Une autre forme d’oppression actuelle pour les jeunes, c’est le chômage. Se savoir en insécurité financière, c’est ne pas pouvoir se projeter avec dignité dans le futur. Pour trouver cette sécurité économique, des jeunes doivent quitter leur pays. La force des jeunes, dans Jimmy’s Hall, c’est qu’ils tendent vers une manière de s’organiser pour réclamer et pour construire un avenir meilleur. Comment avez-vous découvert l’histoire de Jimmy Gralton ? P. L. : Eh bien, c’est amusant, mais c’est encore venu du Nicaragua. Là-bas, j’ai rencontré le comédien Donal O’Kelly. Il y a quelques années, il m’a parlé du calvaire des demandeurs d’asile dans l’Irlande d’aujourd’hui. Il voulait monter un spectacle mettant en lien leur histoire avec celle de Jimmy Gralton, Irlandais expulsé de son propre pays en 1933. J’ai découvert cet homme, comment il avait construit un foyer culturel pour sa communauté. Un endroit où les gens pouvaient danser, débattre, penser par eux-mêmes. Ce qui n’était pas du goût des autorités ou de l’Église. Cette histoire était un bijou. On a commencé à se documenter sur la vie publique de Gralton, puis on a imaginé sa vie intime. On s’est attachés à ce personnage, parce qu’il dégage cette générosité et cette intégrité qui transportent les gens. Il est passé par la prison, a effectué des travaux de forçat, il est allé à New York, il a été témoin de la Grande Dépression… Ce personnage est fascinant, parce qu’il est d’un côté ce type qui fait des petits coups espiègles,

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© sixteen films

e ntreti e n

Jimmy’s Hall de Ken Loach

de l’autre un acteur de la vie politique locale, un homme engagé des pieds à la tête. On voulait faire sentir cet engagement chaleureux, drôle. On voulait une figure qui permette de dépasser l’image d’Épinal du militant qui fait toujours la tête, misérable. Aujourd’hui on trouve encore des centres comme celui de Jimmy, des librairies, des foyers, ce sont des endroits pleins de vie. Le fait même qu’on parle de Gralton aujourd’hui prouve cette vitalité. Son histoire a fait germer une graine qui a fleuri chez les générations suivantes. Est-ce que Jimmy Gralton est une figure célèbre en Irlande ? K. L. : Non, il n’est pas très connu. Certains documents qui parlent de lui, de la manière dont l’État l’a poursuivi, ont été planqués. C’est assez choquant. Quatre-vingts ans plus tard, il faut encore faire profil bas à propos de Jimmy Gralton. (On nous sert une assiette remplie de superbes petits cupcakes colorés.) L’ironie dans tout ça, c’est que l’on est là, à Cannes, tranquillement assis dans un endroit exorbitant, en train de parler de militants gauchistes tout en mangeant des gâteaux. Là aussi il y a une part de comique : comment peut on parler d’engagement à gauche quand on mène la belle vie ici ? Ha, ha ! Mais bon, on le fait parce que c’est aussi une manière de raconter cette histoire, de planter cette graine. Et maintenant, si vous voulez bien m’excuser, je vais mordre dans ce gâteau. Ken, vous avez réalisé des documentaires et des films de fiction. Quel genre est, selon vous, le plus efficace pour planter cette graine ? K. L. : Ce sont simplement deux moyens différents de le faire. Dans un documentaire, ce que vous présentez ou racontez à l’écran est solide comme un roc. Je veux dire par là que ce qui est rapporté ce sont des faits exacts, le discours est béton. Avec la

« On voulait une figure qui permette de dépasser l’image d’Épinal du militant. » Paul Laverty

fiction, on peut perdre ce coté carré, mais on peut aller plus en profondeur, plonger pour atteindre des sphères intimes, révéler les motivations. On peut s’appuyer sur des moments et sur des personnages qui vont cristalliser les enjeux. La fiction est le medium le plus complexe, il nous pénètre d’avantage. Mais les documentaires ont leur place. Personnellement, parmi mes films préférés, je compte de nombreux documentaires. À la télévision, c’est ce que je préfère, avec le football. Mais dans ce cas, pourquoi avoir annoncé arrêter les films de fiction après celui-ci ? K. L. : Eh bien… Écoutez, d’abord on va regarder la Coupe du monde de football, après on regardera sûrement un peu de cricket. À l’automne, on verra bien ce qu’il se passe. Il y a toujours des idées qui grattent à la porte. Tellement d’histoires à raconter. Avant de faire Jimmy’s Hall, avant d’entamer le tournage, j’avais l’impression de faire face à une énorme montagne, et je ne savais pas si je pourrais en gravir encore une autre. Et puis, vous vous retrouvez de l’autre côté en un seul morceau… Ce n’est pas un travail que l’on quitte facilement. C’est un tel privilège. Retrouvez cette interview en vidéo sur troiscouleurs.fr Jimmy’s Hall de Ken Loach avec Barry Ward, Simone Kirby… Distribution : Le Pacte Durée : 1h49 Sortie le 2 juillet

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h istoi re s du ci n é ma - g e n de r stu di e s

© collection christophel

Chaque mois, une étude des enjeux de représentation du genre à l’écran

Top Gun de Tony Scott (1986)

SAISON 4 : NOUVELLES MASCULINITÉS

2. Tom Cruise À l’occasion de la sortie de Edge of Tomorrow, film de Doug Liman dans lequel Tom Cruise est pris dans une boucle temporelle, focus sur cet éternel jeune homme de 51 ans. L’acteur, producteur et pierre angulaire de la masculinité américaine depuis Risky Business, n’a eu de cesse de brouiller les pistes en s’humanisant. PAR CLÉMENTINE GALLOT

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omète insaisissable des années 1980 et 1990, l’adolescent court sur pattes d’Outsiders a lancé sa carrière avec des fictions du dépucelage (American Teenagers). L’horizon du cinéma incarné par Tom Cruise a accompagné une certaine idée du masculin, le « devenir homme », posé comme tel au début de Né un 4 Juillet, dans lequel il joue un vétéran handicapé de la guerre du Viêt Nam. Problématique résumée plus tard ainsi dans Walkyrie : « Révéler une autre manière d’être un homme, plus humaine. » L’épisode fameux du canapé chez Oprah Winfrey a durablement altéré la persona cruisienne, celle du Wasp lisse, lui adjoignant une sexualité nébuleuse et un fanatisme de scientologue. Le temps a eu raison du patriotisme de Top Gun, c’est aujourd’hui la lecture homo-érotique qui prime : les regards langoureux échangés par Maverick (Tom Cruise) et Iceman (Val Kilmer) ont terminé de brouiller une masculinité déjà paradoxale. Dans son essai intitulé Il était un petit Tom *, Hélène Valmary distingue trois stades de la masculinité cruisienne à l’écran. D’abord, le choix de rôles définis par une performance de la virilité, de Jours de tonnerre à Lions et Agneaux, mais aussi de Walkyrie à la série des Mission impossible. Pourtant, à chaque fois, ces figures de héros guerriers sont choisies pour mieux « détourner les attentes que l’on peut nourrir autour d’un héros d’action » et se « dépouiller

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de la possibilité d’une performance ». Dans un deuxième temps, l’acteur apparaît marqué par son rapport au féminin et par la difficulté d’être en couple. Dans Legend, Eyes Wide Shut ou Entretien avec un vampire, le héros cruisien amoureux fait sans cesse diversion. Il fuit sa compagne pour mieux la retrouver ensuite, « seul vrai homme présent qui a gardé en lui de la place pour la femme. » Enfin, après Jerry Maguire, la masculinité se définit par rapport à la paternité et à la filiation, multipliant les partitions de père absent ou faillible, moins figure paternelle que mentor, jusqu’à faire de ses enfants des élèves, comme dans La Guerre des mondes. Son dernier rôle en date assume intégralement le jeu d’une masculinité empêchée : dans Edge of Tomorrow, Tom Cruise est une mauviette qui n’en finit pas de mourir et apprend les rudiments du combat auprès de sa comparse, jouée par Emily Blunt, la vraie action hero du film.

Edge of Tomorrow de Doug Liman avec Tom Cruise, Emily Blunt… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h54 Actuellement en salles * Pour aller plus loin : Masculinité à Hollywood. De Marlon Brando à Will Smith de Noëlle de Chambrun (L’Harmattan)

le mois prochain : dernier épisode de la saison Nouvelles masculinités

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h istoi re s du ci n é ma - hom mag e

EXPOSITION

Henri Langlois Henri Langlois a passé sa vie à explorer les territoires du cinéma international et à en rapporter d’innombrables pépites. La Cinémathèque française, qu’il a cofondée en 1936, consacre une exposition à cet homme méconnu, véritable pionnier de la cinéphilie.

© enrico sarsini

© dr © collection la cinémathèque française

PAR TIMÉ ZOPPÉ

Portrait d’Henri Langlois

Langlois transportant des bobines de film

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ès son enfance, Henri Langlois a fait l’expérience de la disparition. Né en 1914 à Smyrne (aujourd’hui Izmir), en Turquie, il subit les conséquences de l’incendie qui ravage une partie de la ville en 1922 pendant la guerre gréco-turque. Sa famille, des Français expatriés, est obligée de rentrer à Paris. C’est peut-être cet événement qui a suscité chez le jeune Henri l’instinct de conservation. Après une adolescence passée dans les salles obscures, il entre dans l’âge adulte à la période charnière durant laquelle le cinéma passe du muet au parlant. Sa passion pour la pellicule alliée à son intuition l’alertent : si personne ne fait rien, les premiers films de l’histoire finiront par tomber dans l’oubli. Deux rencontres lui permettent de concrétiser ses ambitions. En 1934, il fait la connaissance du jeune Georges Franju et s’essaie avec lui à la réalisation avec le court métrage expérimental Le Métro. Par la suite, seul Franju persévérera dans la mise en scène (Les Yeux sans visage, Judex). Langlois rencontre ensuite l’historien du septième art Jean Mitry, et les trois hommes décident de créer un ciné-club basé sur la programmation de films muets, le Cercle du cinéma. En 1936, le succès de la formule et l’appui financier de Paul Auguste Harlé, propriétaire de la revue La Cinématographie française, aboutissent à

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la fondation de la Cinémathèque française, qui sera un lieu de projections autant qu’un musée d’objets liés au cinéma. Langlois continue sa quête de bobines rares, entamée avec le ciné-club, mais profite maintenant de la réputation grandissante de la Cinémathèque. En 1968, il est évincé de la direction administrative de l’institution par le ministre de la Culture André Malraux. Des cinéastes du monde entier lui manifestent leur soutien. Les jeunes réalisateurs de la Nouvelle Vague protestent et clament l’importance de la Cinéma­thèque. Langlois finit par réintégrer son poste. Il reçoit un Oscar en 1974 pour l’ensemble de son travail et succombe à une crise cardiaque trois ans plus tard. Depuis, la Cinémathèque poursuit sa mission et entretient la mémoire de son fondateur. Pour preuve, l’exposition « Le Musée imaginaire d’Henri Langlois », intelligent parcours en trois temps qui révèle d’abord la trace qu’il a laissée dans l’imaginaire de certains artistes, avant de décrire sa vie sur une frise chronologique murale, puis de se clore sur le travail des peintres et des cinéastes qui l’ont particulièrement fasciné. De quoi confirmer l’immensité de la dette des cinéphiles envers le fondateur de la Cinémathèque. « Le Musée imaginaire d’Henri Langlois », à la Cinémathèque française, jusqu’au 3 août

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exposition

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ÉPISODE 9

Le Saturne-film Film noir, mélodrame, road movie… mais encore ? Derrière les dénominations officielles retenues par les encyclopédies, nous partons chaque mois à la recherche d’un genre inconnu de l’histoire du cinéma. Ce mois-ci : le Saturne-film.

© collection christophel

Par Jérôme Momcilovic

Shining de Stanley Kubrick (1980)

Le monstre, c’est le pouvoir acquis d’emblée au père, sous la forme de l’autorité patriarcale. 34

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© rda / bca

nouveau g e n re

Derrière le miroir de Nicholas Ray (1957)

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ans la cave de la maison familiale, deux enfants jouent à se faire peur. Soudain un fracas sourd, à l’étage, les arrête net dans leur jeu : un monstre véritable est entré dans la maison, qui a commencé à tout casser. Il est en train de répandre de l’essence quand finalement l’aîné des enfants monte à sa rencontre et découvre son visage. Sidéré, le petit garçon s’étrangle : « Papa ? » Le monstre qui, au début de The Crazies (1973) de George Romero, craque une allumette pour réduire la maison en cendres, c’est le père, transformé en ogre, décidé à engloutir ses propres enfants, comme Saturne. Les pèresogres sont légion dans l’histoire du cinéma (que l’on songe aux récents The Tree of Life [2011] de Terrence Malick ou Le Ruban blanc [2009] de Michael Haneke), mais seuls quelques films ont exploré, comme l’introduction glaçante du film de Romero, cet effroi d’enfant face au visage d’un père devenu diabolique. Derrière le miroir (Nicholas Ray, 1957) et Shining (Stanley Kubrick, 1980) mettent en scène une peur double, et paradoxale. Elle vient d’abord de l’inquiétante étrangeté d’un père qui se ressemble et en même temps ne se ressemble plus. C’est l’irruption d’un étranger dans la maison, comme le suggère cette scène

précoce de Derrière le miroir durant laquelle le père, pris de malaise sur le pas de la porte, se met à presser nerveusement le bouton de la sonnette. Qui est là ? Le Mal, déguisé sous le masque de la famille. À moins que le Mal ne soit dans la famille elle-même, dans l’idée même du père. Là est le paradoxe : l’emprise exercée par le monstre n’est pas si différente de celle qu’il exerçait sous son visage d’agneau. Le monstre, c’est le pouvoir acquis d’emblée au père, sous la forme de l’autorité patriarcale. Entre le père aimant et celui qui veut dévorer sa progéniture, il n’y a qu’un changement d’échelle, une ombre qui grossit – celle de James Mason sur les murs de la maison de Derrière le miroir, ou celle évidemment du pasteur de La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1956), puisqu’à travers ce faux père menaçant, c’est le vrai père des enfants qui exerce la tyrannie du secret mortel qu’il leur a confié. De Derrière le miroir à Shining ou au méconnu Parents (Bob Balaban, 1989), c’est un même passage à l’acte qui vient percer les apparences du bonheur familial et dire que tous les pères ont secrètement envie de tuer leurs enfants. Y compris et surtout quand il s’agit de les protéger, comme le suggérait le père bouleversant de Take Shelter (Jeff Nichols, 2012), indistinctement père idéal et ogre fatal, condamnant sa famille à un bunker d’amour et d’angoisse.

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Under the Skin

© jill furmanovsky / rock archive

Jonathan Glazer

Ce qu’il y a « sous la peau » ? Passionnante question de cinéma, aux multiples atours. 36

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Avec Under the Skin, Jonathan Glazer met en scène un alien sexualisé et vorace qui, sans scrupule, fait disparaître les hommes sur son passage. Dans un Glasgow inamical et authentique, Scarlett Johansson campe cette incarnation réactualisée de la femme fatale. Expérience de cinéma tournée vers la métaphysique, le film pose là quelques interrogations elliptiques sur la sexualité, la vie sur Terre et ailleurs et la communication entre êtres humains. Rencontre avec un cinéaste énigmatique.

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© diaphana

Propos recueillis par Quentin Grosset et Laura Tuillier

éalisateur de nombreux clips et de deux longs métrages (Sexy Beast et Birth), le Britannique Jonathan Glazer revient avec le film le plus troublant de l’été. Représenter notre monde selon le point de vue d’un alien était une entreprise périlleuse pour le cinéaste, et son Under the Skin risque bien de faire date, car le défi est pleinement relevé. Sous couvert de science-fiction, le film donne lieu à une déambulation existentielle pour laquelle Scarlett Johansson incarne une nouvelle fois, après le récent Her, une entité non humaine qui se découvre des émotions. Quant à Glazer, il revisite un thème – la discordance entre le psychique et l’apparence – qu’il avait déjà travaillé dans Birth, film qui nous contait l’histoire d’un adulte dont l’enveloppe corporelle était celle d’un enfant. Ce qu’il y a « sous la peau » ? Passionnante question de cinéma, aux multiples atours, qui, dans Under the Skin, prend sa forme la plus fascinante lors d’une rencontre entre un homme défiguré et une extraterrestre sans sentiments ni préjugés – dans les deux cas, un rapport à un monde dont on ne fait pas partie.

Comment avez-vous découvert Sous la peau, le livre de Michel Faber dont le film est inspiré ? C’est mon producteur qui me l’a donné, il y a douze ans. Le livre m’a tout de suite fortement interpellé, mais j’ai mis du temps avant de trouver l’histoire que je voulais inventer à partir de ce matériau. Il fallait soustraire beaucoup d’éléments, s’en tenir au cœur des choses et trouver le langage visuel qui irait avec mon histoire. J’adopte un point de vue très différent de celui du livre, la dramatisation n’est pas du tout la même. Vous avez donc travaillé douze ans à ce projet ? Oui. D’abord à partir du livre, pendant un an. Puis je l’ai abandonné et n’y suis jamais revenu – je ne l’ai lu qu’une seule fois. J’ai rencontré l’auteur il y a très peu de temps. C’était étrange, je ne lui avais jamais parlé auparavant, j’avais l’impression d’avoir entamé une longue relation avec un inconnu. À un moment donné, nous avions écrit un projet dont le tournage coûtait beaucoup plus cher. Brad Pitt devait jouer dedans, il devait tenir le rôle du faux mari de Laura. C’était très différent, j’avais peur de ce projet, il me semblait étranger, même

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© diaphana

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s’il était bon. De toute façon, nous n’avons pas eu les financements pour le réaliser et, à partir de là, j’ai soustrait au scénario tout ce qui ne concernait pas directement Laura. Et j’ai tout réécrit en me concentrant sur elle, elle est le cœur d’Under the Skin, ce qui donne son unité au film. Vous souvenez-vous de la première image qui vous a donné envie de faire le film ? Je me souviens du sentiment que j’avais et qui m’a conduit à imaginer des images. Le sentiment est resté le même et les images ont beaucoup évolué au fil des années. Il m’est arrivé de me sentir dans le film avant même que celui-ci soit tourné, ce qui est extraordinaire. Dans ces moments-là, on ne doute plus de ce que sera le film. Il y a beaucoup d’improvisation dans Under the Skin. Le scénario était-il très détaillé ? Oui, mais à la façon d’un livre. Il comportait de longues descriptions, parfois vingt pages sans dialogue. Le mouvement du film était très précisément travaillé. Nous avons beaucoup filmé, avec des caméras cachées, des gens qui ne savaient pas que Scarlett leur parlait dans le cadre d’un tournage, donc nous savions que les dialogues allaient germer à ce moment-là. Pourquoi avez-vous plongé Scarlett Johansson dans un bain presque documentaire, au contact des hommes de Glasgow ? Pour moi, en tant que star hollywoodienne, Scarlett, avec son camion et son faux accent anglais, est un alien déguisé parmi les routiers de Glasgow. Je voulais jouer avec ce double niveau de lecture. J’étais très excité à l’idée de la plonger dans le monde réel et non de la filmer sur un plateau de tournage traditionnel. Je trouve également intéressant qu’elle soit le seul mensonge dans un monde que, par ailleurs, je filme comme un documentariste. Pour la séquence dans la boîte de nuit, par exemple, nous étions dans un club de Glasgow, un vendredi soir

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comme un autre. Nous n’avons pas utilisé de figurants. Pour la séquence au cours de laquelle elle tombe dans la rue et des gens l’aident à se relever, la caméra était cachée dans une mallette et le cameraman qui la portait se servait de l’écran de son iPhone comme retour caméra. Aviez-vous peur de ne pas arriver à tourner correctement dans de telles conditions ? J’avais peur que les hommes filmés ne nous donnent pas la permission d’utiliser leur image. D’ailleurs certains ont dit non, alors que les scènes étaient très bonnes. Techniquement, nous avons construit un appareillage filmique spécialement pour le film. J’étais caché à l’arrière du van, je pouvais tout voir et je pouvais lui parler, car elle avait une oreillette. Une fois les choses en place, c’était simple : elle conduisait, elle rencontrait des gens, je savais que c’était la bonne façon de faire. Nous avons quand même beaucoup tourné, deux cent cinquante heures je crois. Comment Scarlett Johansson a-t-elle réagi à la proposition de tourner en caméra cachée ? Elle a été super, elle n’a jamais flanché. J’avais été clair depuis le départ sur ce que cela impliquerait pour elle. Elle a utilisé son sens commun, beaucoup plus que moi d’ailleurs. Parfois je lui disais d’aller aborder tel homme et elle refusait, parce qu’elle sentait un danger potentiel. Je crois qu’elle avait autant envie que moi de faire le film, ce qui est précieux. Longtemps, dans le film, le mystère est préservé, on ne sait pas qui est Laura… Je ne voulais pas d’un rebondissement final. Mais lorsque, à la fin du film, on découvre ce qui lui arrive, il fallait que ça paraisse inévitable, que le spectateur puisse le comprendre de façon rétrospective, en rejouant tout le film dans sa tête. La fin devait être logique. Bien sûr, moi je sais dès le départ en faisant le film que c’est une extraterrestre.

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© diaphana

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© diaphana

« Scarlett Johansson est le seul mensonge dans un monde que, par ailleurs, je filme comme un documentariste. »

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« La vérité de ce qu’est Laura est toujours repoussée, jusqu’à arriver à l’écran noir qui est pour moi la chose la plus terrifiante du film. »

Mais je voulais préserver le doute, cela me semblait plus intéressant, pour le spectateur, de côtoyer Laura sans savoir qui elle est réellement. C’était crucial, pour moi, de toujours voir le monde et les gens à travers son regard, qui d’ailleurs n’en est peut-être pas un. C’est là que ça devient vertigineux, infini. La vérité de ce qu’est Laura est toujours repoussée, jusqu’à arriver à l’écran noir qui est pour moi la chose la plus terrifiante du film. Laura est l’archétype de la femme fatale. Avez-vous pensé à des films noirs classiques, dont Vertigo serait le parangon ? Oui, pour moi Laura est un prototype, une couleur primaire. Elle a seulement quelques attributs, les plus évidents, de la femme fatale. C’est un appât. Il me semble que le film a à voir avec la série B, d’où la place du sexe comme force d’attraction. Je voulais que le spectateur ait l’impression d’être en terrain familier, avant que tout vacille. En y repensant, il y a une très belle séquence dans Vertigo, lorsque James Stewart suit Kim Novak pendant de longues minutes. Rien qu’eux deux et le silence. Je suis sûr que cette scène m’a influencé.

le miroir constitue son identité. Elle ressemble à un enfant qui fait ses premiers pas. Et même si l’alien qu’elle est ne ressent rien, c’est la tentative pour accéder à l’émotion qui m’intéresse. La musique composée par Mica Levi est magnifique… Je ne voulais pas d’une musique dirigiste, qui oriente le spectateur vers telle ou telle émotion. Je trouve que la musique de Mica [leader du groupe Micachu & The Shapes, ndlr] est parfaite pour ça. On ne sait jamais quel instrument joue, on est libre dans l’écoute. On sent aussi dans sa musique à la fois le côté organique du monde et quelque chose de beaucoup plus artificiel. Comment avez-vous pensé le style visuel d’Under the Skin ? Under the Skin ne me semble pas avoir beaucoup à faire avec des technologies compliquées comme beaucoup d’autres films de science-fiction. En nous débarrassant de toute l’artillerie propre au genre, il ne nous restait que l’écran noir qui est pour moi l’extraterrestre parfait.

Un basculement s’opère au milieu du film lorsque Laura tente d’appartenir au monde. Laura essaye de mimer les humains. Puis elle commence à croire que ce qu’elle voit d’elle dans

Under the Skin de Jonathan Glazer avec Scarlett Johansson, Jeremy McWilliams… Distribution : Diaphana Durée : 1h48 Sortie le 25 juin

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MK2 fait le point

une autre

idĂŠe du cinĂŠma

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Le 1er mai 1974, la toute jeune société MK2 ouvrait sa première salle, le 14-Juillet Bastille. En exhumant quarante ans d’archives, MK2 dessine l’histoire d’un cinéma d’auteur international que l’entreprise cinématographique a produit, distribué ou diffusé, de Godard à Dolan, de Chabrol à Chaplin, de Varda à Van Sant, des salles de quartier à celles des festivals. Un récit compilé dans un livre de 244 pages, illustré de documents rares (manuscrits, photos de tournage…) et qui sort ce mois-ci. Nous reproduisons ici quelques chapitres de cet ouvrage qui fait l’inventaire de quarante ans de cinéphilie pour sonder la maxime de MK2 : « Une autre idée du cinéma. » D’où vient-elle ? Quelles en furent les incarnations ? Quarante ans après, est-elle toujours pertinente ? Textes extraits d’Une autre idée du cinéma. MK2, 40 ans après… (collectif, MK2 Agency)

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Chapitre v : Le réalisateur

© yann legendre

t il s’y met, en 1963. Marin Karmitz réalise pour la première fois. Ça le titille, il est intrigué par cette bande, la Nouvelle Vague, qui fait des contraintes matérielles une opportunité d’inventer un nouveau langage cinématographique qui colle aux moyens dont elle dispose. Son premier film, c’est Les Idoles, une commande du ministère des Affaires étrangères, qui produit de petits documentaires de société. Marin doit parler du mouvement yé-yé, on y voit Johnny. Il continue dans le court métrage, mais comme producteur. Il monte sa première boîte. Cherche des sujets. Il commence à travailler autour de celui de l’alcoolisme ; à l’époque, la rumeur court qu’un produit miracle va sortir, permettant de soigner la maladie. Le laboratoire commande un court métrage sur le sujet. Marin en parle à Marguerite Duras, rencontrée via la bande de Pierre Kast et dont il aime beaucoup les livres. Elle lui rend un scénario, Nuit noire Calcutta (qui deviendra le livre Le Vice-Consul). Un écrivain (Maurice Garrel) ne trouve pas dans l’alcool l’encre qui manque à sa plume. Le labo est ravi, l’entourage de Marin le félicite, mais le film fait un bide. Le jeune réalisateur de 27 ans se terre chez lui pendant des mois. Lorsqu’il sort enfin, il rencontre Samuel Beckett. Ou plus exactement sa pièce, Comédie. Il tanne le directeur des Éditions de Minuit, Jérôme Lindon, lui demande de convaincre Beckett de lui vendre les droits de Comédie. Après des mois à boire ensemble du whisky à la Closerie des Lilas, à pister le souvenir de leur premier cri de naissance et à regarder des matchs


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de rugby, ils se mettent à tourner Comédie dans un studio du haut de la rue Mouffetard. Les acteurs Michael Lonsdale, Éléonore Hirt et Delphine Seyrig sont filmés dans des jarres, mimant un texte préenregistré et accéléré, sans altération de la hauteur de la voix, grâce à une machine mise au point par le compositeur et inventeur génial du service recherche de l’ORTF, Pierre Schaeffer. Le directeur de la photographie, Pierre Lhomme, éclaire successivement les acteurs, la lumière leur donnant la parole. Beckett est ravi, il offre le manuscrit de Comédie à Marin. Le film de vingt minutes fait l’ouverture du Festival de Venise en 1966. Il en suffit de dix pour que la salle soit à feu et à sang. Gros scandale. Marin ferme sa boîte de courts métrages, MK, pour en monter une autre, MK2, dédiée aux longs métrages. Il réalise son premier long métrage en 1967. Il s’intitule Sept jours ailleurs. Un jeune compositeur (Jacques Higelin), engoncé dans son confort consumériste, finit par sortir son fusil. Paf ! Arrive Mai 68. Le réalisateur Karmitz n’a pas tout à fait fini son film, mais décide de se joindre aux événements et rejoint le syndicat CGT des techniciens du film. Le vice-président est le père de Romain Goupil. Les états généraux du cinéma français sont lancés à l’école Louis-Lumière occupée. On y trouve Louis Malle, Jean-Luc Godard, Pierre Kast, Claude Chabrol et son homme à tout faire, surnommé Nanar. Ils parlent réforme du

Godard touche du doigt un point fondamental : qui possède les moyens de communication ? cinéma, en appellent à un cinéma pour tous, Marin se souvient d’avoir lancé l’idée d’un cinéma… gratuit. François Truffaut, Jean-Luc Godard, Roman Polanski se font leur écho à Cannes. Le festival est annulé. Quelques mois plus tard, Sept jours ailleurs est sélectionné à la Mostra de Venise. Les réalisateurs italiens souhaitent un boycott semblable à celui de Cannes. Marin retire son film et le condamne à une sortie en catimini. Il est criblé de dettes. Mais il a une nouvelle idée de film, inspirée par un livre, Le Camarade de Cesare Pavese, et par la rencontre en 1968 de deux Bretons qui ont dirigé la grève contre les syndicats chez Citroën à Nanterre : Jean-Pierre Melec et JeanPaul Giquel, que l’on appellera bientôt « Yan », en référence au personnage – son propre rôle – qu’il joue dans Camarades. Il en est le coscénariste. C’est l’histoire de jeunes Bretons qui montent à Paris, bossent à l’usine chez Renault, découvrent les syndicats et les luttes militantes.

Nuit noire : cinéma gratuit

© collection marin karmitz

Pour fêter ses 40 ans, MK2 invite ses spectateurs à une nuit de cinéma gratuit, le 19 juin prochain, pour voir tous les films à l’affiche dans les salles de son réseau. Pour récupérer les places, il suffit de se présenter en caisse à partir de 20h30 pour la séance de 22h00, 22h30 pour celle de minuit. Un grand jeu concours est également organisé jusqu’au 19 juin sur la page facebook de MK2. À gagner : une carte spéciale donnant droit à 40 ans d’accès illimité dans tout le réseau MK2. Plus d’informations sur www.mk2.com

Marin Karmitz

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© collection marin karmitz ; mk2

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Coup pour coup de Marin Karmitz (1972)

Affichette annonçant la projection de Coup pour coup au palais des congrès de Troyes, en novembre 1973

Le film tourne partout, de Cannes à New York. Il précipite la rencontre de Marin avec les chefs de la Gauche prolétarienne qui sont en fuite après leur dissolution. Il planque Serge July chez lui et lui permet de rester en contact, de monter des actions militantes favorisant l’émergence de contre-­ pouvoirs entre 1971 et 1974. Marin fait des photos pour l’APL, s’occupe avec July de J’accuse, dont le directeur de la publication est Jean-Paul Sartre. Et le cinéma ? Chapitre vi : Coup pour coup

Le cinéma revient vite dans les mains de Karmitz, qui veut répondre à une question : qu’est-ce qui ne va pas avec Camarades ? La place de la caméra. On parle d’ouvriers, de manifs, de syndicalisme. Certes. Mais on filme comme dans un journal télévisé : l’opérateur, debout, filme les ouvriers assis. Il faut aller au-delà, faire descendre l’appareil de prise de vue au niveau des ouvriers. Pour Coup pour coup (1972), ce sera celui d’ouvrières du textile, engagées dans une action violente. Camarades avait amorcé ce virage avec des réalités formelles, telles que le tournage en 16 mm ou un faible budget. Cette fois il faut aller plus loin, il ne faudra compter que sur des actrices non professionnelles, des ouvrières. Godard compare Coup pour coup à son film Tout va bien (1972) dans une interview télévisée : « Ces deux films veulent lutter pour, disons, ceux qui veulent du changement. Pour les exploités, les opprimés, et leur représentation principale en France : la classe ouvrière, hommes et femmes. Coup pour coup va directement voir les ouvrières d’Elbeuf et fait un film avec elles. À mon avis, c’est mon avis personnel, [Karmitz] saute une étape,

c’est-à-dire qu’il pense qu’on peut aller directement [les] écouter parler comme ça, [elles qui ont été] privées de communication pendant longtemps. Qu’on peut se mettre “au service” sans problème. Nous, on pense qu’il y a un problème et que ce problème, c’est le moyen même qu’on emploie. Qui, jusqu’à maintenant, était entre les mains des gens contre lesquels on lutte et qui fait que, malgré notre meilleure volonté, on ne le domine pas bien et que, en pensant faire un film au “service de”, on risque de faire un film “contre”. » Karmitz refuse effectivement de passer par une étape dissociant acteurs de terrain et acteurs de l’écran. Toutefois, Godard touche du doigt un point fondamental : qui possède les moyens de communication ? La Nouvelle Vague ouvre certes une voie de réappropriation du cinéma par des techniques de tournage et une esthétique plus libres. Reste que les moyens de diffusion sont entre les mains de ceux contre qui Coup pour coup entend lutter : les circuits dominants, en l’occurrence ceux des salles cinématographiques. Coup pour coup sort tout de même dans quatre salles parisiennes le 23 février 1972. Deux jours plus tard, le militant maoïste Pierre Overney est abattu par un vigile devant les usines Renault à Boulogne. Un jeune photographe d’APL, Christophe Schimmel, 18 ans, prend un cliché quelques secondes avant le coup de feu. La Gauche prolétarienne est en deuil. Marin Karmitz aurait dû couvrir la manifestation, mais avait été retenu par la sortie du film. À la sortie des projections, Jane Fonda, et d’autres, anonymes, tiennent des corbeilles pour participer aux obsèques d’Overney. Coup pour coup profite d’une large couverture critique. On prend parti, pour ou contre ; dans Charlie Hebdo, Reiser et Wolinski racontent le

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film en dessins. Le débat sera prolongé trois mois plus tard, à la sortie de Tout va bien de Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, avec Jane Fonda et Yves Montand. Mais pour l’heure, Coup pour coup accuse une forme de censure en province. Critique frontale des ententes entre patronat et syndicats, Coup pour coup se fait un paquet d’ennemis que ne veulent pas se mettre à dos les distributeurs et exploitants de salles. Le début des années 1970 est une période charnière qui voit l’émergence de nouveaux réseaux nationaux, avec l’exemple d’UGC, et l’affirmation de l’importance de l’exploitation des salles dans les activités de sociétés cinématographiques comme Pathé ou Gaumont. Quelle place dans ces réseaux pour les projections tumultueuses de Coup pour Coup ? Aucune. Avec le concours d’Évelyne July – rencontrée dans les années du journal J’accuse et coscénariste de Coup pour coup –, Marin Karmitz entame une tournée musclée pour montrer son film, le faire exister coûte que coûte. Quitte à prendre le

salle indépendante des enjeux de programmation commerçants. On y projettera des films traitant des luttes, mais qui convoqueront d’autres moyens d’expression de la contestation : des livres, de la musique, des photographies. Marin fait un essai en louant le Studio de la Harpe, dans le bastion cinéphile du ve arrondissement. Il y projette par exemple Il ne suffit plus de prier (1972) du Chilien Aldo Francia. Mais le site n’autorise pas la caisse de résonnance politique que Karmitz ambitionne. C’est déjà le début de l’après-midi du 1er mai 1974, le 14-Juillet Bastille sera inauguré dans quelques heures, et on s’active encore à mettre les dernières touches à la transformation de cet ancien restaurant en un cinéma de trois salles. On va ouvrir avec Le Courage du peuple du Bolivien Jorge Sanjinés. Le film raconte le massacre de mineurs boliviens dans la nuit du 24 juin 1967 à Llallagua. Sanjinés met en scène des acteurs non professionnels, des survivants de la boucherie. Il donne la parole à ceux qui ne l’ont pas. Le réali-

Après la projection, un débat réunit pour la première fois Israéliens et Palestiniens autour du film. Cela vaut à MK2 une alerte à la bombe et des intimidations. volant avec projecteur et bobines dans le coffre. Des draps pour écran, des usines pour salles de cinéma. Nancy, Lille, Rouen, Rennes, Angers, Tours, Elbeuf… À chaque ville, il faut se faire inviter dans un local, un réfectoire, une salle des fêtes. Puis assumer la tenue de débats secoués par les menaces d’élus communistes ou de syndiqués cégétistes, quand ce ne sont pas les différents mouvements gauchistes qui menacent de se mettre sur la figure. Le film existe malgré tout, mais Karmitz a échoué à faire entrer les luttes dans les salles de cinéma. Pour y parvenir, il faut qu’il construise les siennes. Chapitre viI : 14-Juillet Bastille

La Gauche prolétarienne dissoute et le Programme commun du PS et du PCF signé le 27 juin 1972, le temps où l’on comptait autant de groupes et d’organisations que de luttes semble révolu. En France, le militantisme se fédère dans le jeu politique, devient plus policé. Les motifs de mobilisation, les combats, n’ont pas disparu pour autant, mais leurs moyens d’expression ne sont plus cantonnés à l’action militante, ils repassent dans les mains des artistes : peintres, poètes, cinéastes. Reste à trouver un lieu pour la diffusion de leurs œuvres. Une salle de cinéma par exemple. Mais une

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sateur de Coup pour coup donnera, lui, la parole aux films qui ne l’ont pas, en agrégeant ce 1er mai les métiers qui constitueront la moelle épinière de MK2 : production, distribution, exploitation. Cette association, toute dédiée à des œuvres hors logique commerciale, entend proposer au spectateur cette « autre idée du cinéma » qui deviendra la maxime de l’entreprise. La matrice des expériences cinématographiques et politiques de Karmitz accouche d’un projet incarné par le 14-Juillet Bastille. Concrètement, qu’y voit-on ? Comment se met en branle ce dialogue entre diverses formes d’expression des luttes ? Par le cinéma d’abord. Dès les premiers mois, de nombreuses réalités sociales sont présentées sur grand écran. Dans un quartier où les salles proposaient surtout du porno et du karaté. La réalité des mineurs boliviens donc, mais aussi celle des Chiliens, avec des films de Miguel Littín ou, à nouveau, Il ne suffit plus de prier. Sauf qu’ici le film de Francia peut enfin résonner avec les voix de musiciens dissidents en exil, venus chanter dans la salle. Sur les murs on expose photos et peintures qui témoignent de la présidence de Salvador Allende et du tout récent coup d’État de Pinochet. Le 14-Juillet Bastille montre en 1975 Kafr Kassem, du réalisateur libanais Borhane Alaouié. Ce documentaire raconte le massacre de Palestiniens dans le village de Kafr Kassem par

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40 ans… et après ? MK2 en Espagne

© moviepix / getty images

Après une dizaine d’années de réflexion autour de l’opportunité de développer son activité d’exploitant en province et dans le monde, MK2 a annoncé début juin l’acquisition d’un réseau de salles en Espagne, Cinesur, circuit majeur de l’autre côté des Pyrénées, et notamment leader en Andalousie. De Séville à Cordoue, en passant par Malaga ou Tolède, Cinesur compte neuf complexes cinématographiques, soit plus d’une centaine de salles, pour un total de vingt mille fauteuils, et accueille près de quatre millions de spectateurs chaque année. L’ambition est de mettre en place des synergies entre les deux groupes, notamment en termes de programmation et d’animation culturelle. Affiche d’Attica (dessinée par Ernest Pignon-Ernest), un film de Cinda Firestone, programmé au 14-Juillet Bastille au milieu des années 1970

les forces israéliennes, le 29 octobre 1956. Après la projection, un débat réunit pour la première fois Israéliens et Palestiniens autour du film. Cela vaut à MK2 une alerte à la bombe et des intimidations. Le 14-Juillet Bastille est devenu ce point chaud d’expression des luttes dans la cité, et cela marche suffisamment fort pour que MK2 décline le projet dans d’autres espaces. Le 14-Juillet Bastille devient aussi un lieu de débat pour des sujets de société comme celui du système carcéral. On y montre Attica (1974), incroyable documentaire de Cinda Firestone qui revient sur l’émeute de 1971 dans la prison du même nom. L’occasion pour MK2 d’éditer des brochures sur les mouvements dans les prisons françaises, en collaboration avec des organisations comme le syndicat de la magistrature. L’antipsychiatrie sera aussi largement débattue dans les salles avec le concours de Gilles Deleuze,

Félix Guattari ou encore Michel Foucault, venus voir Fous à délier (1975) de Marco Bellochio, qui fait résonner le travail du psychiatre Franco Basaglia. Pour prolonger la réflexion, le 14-Juillet Bastille compte aussi une librairie, montée en association avec l’éditeur François Maspero, qui doit finalement abandonner le projet au moment de l’ouverture. Qu’importe. Après avoir appris les métiers d’opérateur et de réalisateur, Karmitz peut bien se frotter à celui de libraire. Et pour continuer à faire venir dans ses salles un cinéma du monde entier, indépendant, il se consacre résolument à celui de producteur à partir de 1979.

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Retrouvez la suite de ce récit dans le livre Une autre idée du cinéma. MK2, 40 ans après… 244 pages (collectif, MK2 Agency). Sortie en librairie le 11 juin


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CANNES 2014 Pendant le festival, la rédaction de Trois Couleurs a rendu compte quotidiennement des films vus à Cannes, toutes sélections confondues, sur son site internet, troiscouleurs.fr. Morceaux choisis.

Un palmarès frileux Début mai, à l’annonce de la sélection officielle, nous avons été nombreux à ironiser sur le titre et sur la durée du septième long métrage de Nuri Bilge Ceylan. Sommeil d’hiver, trois heures et seize minutes. Alors que le cinéaste turc vient de remporter la Palme d’or (méritée, lire ci-contre), ce titre sonne comme une provocation adressée aux cyniques de tous poils. Si Sommeil d’hiver n’a pas plongé les festivaliers dans le froid ennui qu’ils redoutaient, le reste du palmarès en a glacé plus d’un, exception faite du symbolique – et sympathique – Prix du jury décerné ex aequo au cinéaste le plus jeune de la compétition (Xavier Dolan, avec Mommy) et au plus âgé (Jean-Luc Godard, avec Adieu au langage). Les Merveilles d’Alice Rohrwacher (Grand prix du jury), Foxcatcher de Bennett Miller (Prix de la mise en scène), Léviathan d’Andreï Zvyagintsev (Prix du scénario) sont de beaux films, personnels et parfois bouleversants. Julianne Moore (dans le génial Maps to the Stars de David Cronenberg, voir notre dernier numéro) et Timothy Spal (dans Mr. Turner de Mike Leigh), respectivement Prix d’interprétation féminine et masculine, sont de grands acteurs. Mais les absences du sublime Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, de Deux jours, une nuit des frères Dardenne (dont nous vous parlions le mois dernier) ou de Still the Water de Naomi Kawase ont assurément de quoi refroidir. JULIETTE REITZER ET AUSSI DANS CE NUMÉRO :

- entretien avec Ken Loach et Paul Laverty pour Jimmy’s Hall (Compétition officielle), p. 27 - critique de Xenia de Pános H. Koútras (Un certain regard), p. 68 - critique du Conte de la princesse Kaguya d’Isao Takahata (Quinzaine des réalisateurs), p. 76 - critique du Procès de Viviane Amsalem de Ronit et Shlomi Elkabetz (Quinzaine des réalisateurs), p. 77


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Sommeil d’hiver Compétition officielle / Palme d’or Logiquement couronnée par la Palme d'or, la nouvelle réalisation du Turc Nuri Bilge Ceylan est le réveil malin du spectateur englué dans sa torpeur. PAR ÉTIENNE ROUILLON (retrouvez une interview du réalisateur sur troiscouleurs.fr)

On peut piquer du nez quelques instants devant Sommeil d’hiver. Ce n’est pas interdit, puisque le réalisateur lui-même nous « endort » dès le début. Non pas que le film est assommant, il faut entendre « endormir » au sens argotique de « mettre notre vigilance en sommeil pour mieux nous arnaquer ». Et cette arnaque va ensuite nous clouer sur notre fauteuil, les yeux grands ouverts, pendant plus de trois heures. Sommeil d’hiver, c’est l’histoire d’une méprise du spectateur, qui se prend immédiatement d’affection pour Aydin, comédien à la retraite qui dirige un charmant hôtel en Anatolie et fait figure de patriarche et de bienfaiteur dans l’alentour pauvre et rural de

son établissement. La dramaturgie de Nuri Bilge Ceylan, dont la maîtrise et la variété forcent le respect, déconstruit ce personnage, gratte les apparences et révèle, sous le vernis du sage au grand cœur, un atroce manipulateur. Le temps du film, très long, c’est le temps nécessaire pour que le spectateur réalise son erreur, démasque Aydin au fil de dialogues empruntant beaucoup au théâtre (et en premier lieu à Anton Tchekhov). Durs ou drôles, ils peuvent s’étaler sur une pleine demi-heure. Avec ces séquences magistrales Ceylan interroge les puissances usurpées : celle d’Aydin, Narcisse qui met en scène sa fausse omnipotence, celle d’un gouvernement centralisé démissionnaire dans une petite province rurale, celle du verbe sur les actes. La puissance de son cinéma, elle, est incontestable. de Nuri Bilge Ceylan avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen… Distribution : Memento Films Durée : 3h16 Sortie le 6 août


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Timbuktu Compétition officielle

Grand absent du palmarès, le très beau Timbuktu du Mauritanien Abderrahmane Sissako est un état des lieux édifiant et déchirant d’une société en proie à l’islamisme radical. Par Quentin Grosset

Une petite fille console un jeune berger qui a laissé une vache dont il avait la charge se faire tirer dessus. En pleurant, un peu frondeur, il lui assène que son père, puisqu’il est mort, était peut-être plus vaillant que le sien à elle, heureux et en pleine santé. Déterminée, la fillette lui répond que son père, lui, continue de chanter. Là-bas, c’est signe d’un vrai courage. Abderrahmane Sissako suit le parcours de femmes et d’hommes tombés sous le joug de la police islamique de Tombouctou, au Mali, qui applique la charia pour diverses raisons, souvent dérisoires ou absurdes. Interdiction de traîner dans les rues, de pratiquer le football ou de jouer de la musique. Qu’importe, Sissako filme des groupes qui leur tiennent tête, jouant sans ballon s’il le faut,

ou continuant à chanter pendant des séquences de lapidation brèves mais insoutenables. Le réalisateur ne charge pas les djihadistes en les montrant comme des monstres, mais soulève les paradoxes et les contradictions de leur doctrine. Souvent même, ils sont un peu gauches, voire un peu comiques : ce balancement des tons peut dérouter le spectateur, compte tenu des enjeux graves mis en scène par le film. Ceux qui conduisent les procès sont mis face à leurs doutes et à leurs représentations figées, quand les accusés ne courbent jamais l’échine. d’Abderrahmane Sissako avec Ibrahim Ahmed, Toulou Kiki… Distribution : Le Pacte Durée : 1h37 Sortie le 10 décembre

Mr. Turner

Eau argentée. Syrie autoportrait

compétition officielle / Prix d’interprétation masculine Le film du Britannique Mike Leigh fait le portrait de son pays en utilisant les couleurs jetées sur les toiles du peintre William Turner. À l’écran, l’acteur Timothy Spall donne corps toutes bronches dehors à l’artiste prodige, excentrique et taciturne, qui concentra l’attention de ses pairs britanniques pendant la première moitié du xixe siècle. Mike Leigh fait le choix d’une photo très travaillée, hyper léchée, au plus près des couleurs de Turner et de ses aquarelles. É. R.

Séances spéciales Une correspondance magnifique entre le cinéaste syrien Ossama Mohammed, réfugié en France, et une jeune réalisatrice de Homs. Tous deux interrogent la position du docu­ mentariste face aux images de guerre. Le résultat est un objet singulier et souvent terrible qui suscite l’effroi, notamment avec quelques scènes de tortures, et donne lieu à de grands moments de poésie. Comme ce petit garçon qui parle à son père décédé et se promène dans les ruines de sa ville, un bouquet de fleurs à la main. Q. G.

de Mike Leigh avec Timothy Spall, Paul Jesson… Distribution : Diaphana Durée : 2h29 Sortie le 3 décembre

d’Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan Documentaire Distribution : Potemkine Durée: 1h50 Sortie : prochainement

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Party Girl Un certain regard / Caméra d’or & Prix d’ensemble Un certain regard Un émouvant portrait de femme réalisé par un trio de jeunes cinéastes de La Fémis. PAR ÉRIC VERNAY

Angélique a 60 ans. Elle travaille, en tant qu’entraîneuse, dans un bar en Lorraine, près de la frontière allemande. Michel, un vieil habitué bourru mais attentionné, est peut-être son dernier client. Lorsque le retraité la demande en mariage, l’occasion de se retirer du métier semble assez idéale, du moins pour son entourage. Party Girl raconte l’histoire vraie de la mère (incarnée par cette dernière) d’un des trois réalisateurs, Samuel Theis, lequel joue également son propre rôle dans le film. De ce matériau autobiographique au potentiel tire-larmes carabiné, le trio, formé à La Fémis, extrait un portrait de femme sensible, tout en nuances et en questionnements. La mise en scène refuse l’hystérie, le coup de force et l’auto-apitoiement. Elle se fait très discrète, au risque même de paraître un peu conventionnelle, pour laisser l’espace aux personnages, incarnés par des non-­ professionnels, tous excellents. Au milieu de cet entourage touchant, plein d’attentions et de bonnes intentions, Angélique semble n’avoir plus d’obstacle à une nouvelle vie confortable. Mais elle hésite à se ranger. Est-ce par manque d’amour pour son bedonnant prétendant ? Par défiance ? Ou simplement par goût pour la liberté ? Le mystère persiste autour de ce beau personnage féminin, indomptable et têtu, héritier du Wanda de Barbara Loden.

Saint Laurent Compétition Officielle Après L’Apollonide…, Bertrand Bonello s’intéresse au célèbre couturier. Le film, qui suit sa passion ardente mais empoisonnée avec le dandy Jacques de Bascher, est éclaté, non chronologique, et joue avec les sensations du spectateur. La vision kaléidoscopique de la période 1967-1976 ne permet pas de dire, à la fin, qui était vraiment Saint Laurent, incarné par un formidable Gaspard Ulliel. La force du film consiste justement à en faire une silhouette insaisissable et mystérieusement déconnectée du monde. Q. G. de Bertrand Bonello avec Gaspard Ulliel, Louis Garrel… Distribution : EuropaCorp Durée : 2h30 Sortie le 1 er octobre

de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis avec Angélique Litzenburger, Joseph Bour... Distribution : Pyramide Durée : 1h35 Sortie le 3 septembre

FLA Semaine de la critique Ousmane est un rappeur qui perd l’ouïe. Kahina, sa belle-sœur, sort de prison et veut voir son fils. Les deux vont tomber amoureux. Coréalisatrice avec Djinn Carrénard (Donoma), Salomé Blechmans raconte : « On a beaucoup retravaillé le scénario, que Djinn avait écrit avant Donoma. On procédait par extraction d’idée : on avait des discussions sur les grandes thématiques du film, que j’essayais de retranscrire. » La version de 2 h 48, montrée à Cannes, a été réduite de 20 minutes pour la sortie en salles. Q. G. de Djinn Carrénard et Salomé Blechmans avec AZU, Laurette Lalande… Distribution : ARP Sélection Durée : 2h48 Sortie : le 3 septembre

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Le Challat de Tunis ACID

3 QUESTIONS À KAOUTHER BEN HANIA, RÉALISATRICE PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

Le fait divers, réel, de l’agresseur à mobylette qui lacérait les fesses des femmes dans les rues de Tunis était-il le point de départ du film ? Mon souhait de départ était de faire un documentaire sur cette affaire, qui date de 2003, mais c’était impossible sous le régime de Ben Ali, parce que les informations n’étaient pas accessibles. J’ai donc abandonné l’idée, et le film est devenu une fiction, que j’ai commencée à écrire en 2009. Puis il y a eu la révolution, et tout est devenu plus accessible. Pourquoi cette affaire a-t-elle retenu votre attention ? C’est un fait divers très particulier. Onze femmes ont été attaquées, très différentes les unes des autres. La même histoire s’est produite à Sousse, une autre ville tunisienne, à la fin des années 1980, ainsi qu’au Caire en 2009, au Maroc, en Syrie… Il y a là quelque chose de très intriguant, qui a rapport à la situation d’oppression que connaissent ces pays-là, qui génère parfois des folies criminelles. Le discours sur la place et l’image de la femme dans la société tunisienne est-il réaliste ou satirique ? J’ai travaillé sur un fait divers précis et sur tout ce qui gravite autour. On est dans un univers très misogyne, machiste. J’ai creusé ce terrain-là, mais ce n’est pas représentatif de l’ensemble de la société tunisienne, heureusement. C’est aussi une forme de satire, oui, car j’avais besoin de cet humour. de Kaouther Ben Hania avec Jallel Dridi, Moufida Dridi… Distribution : Jour2fête Durée : 1h30 Sortie : prochainement

National Gallery Quinzaine des réalisateurs Après At Berkeley, dans lequel il analysait les rouages de la célèbre université, Frederick Wiseman nous plonge dans les entrailles d’un musée londonien. Le documentariste s’interroge sur la manière dont y est présentée une collection de deux mille quatre cents tableaux. National Gallery est aussi un film sur la communication autour des œuvres : comment amener des publics différents à s’y intéresser ? Ce faisant, Frederick Wiseman signe une réflexion magistrale sur la façon dont notre regard est construit. Q. G. de Frederick Wiseman Documentaire Distribution : Sophie Dulac Durée : 2h53 Sortie le 3 septembre

Run un certain regard Le premier long métrage ambitieux de Philippe Lacôte est un portrait saisissant de la Côte d’Ivoire pendant la crise de 2002 à 2011 à travers le parcours d’un homme, de l’enfance à la violence. Après un démarrage un peu hésitant, le film atteint sa vitesse de course grâce à un juste mélange de poésie mystique, de violence stylisée et d’humour trivial, aidé par une bande-son fabuleuse dans laquelle cohabitent tubes de coupé-décalé (Jonathan de DJ Arafat) et musique traditionnelle (Moussio d’Amédée Pierre). J. R. de Philippe Lacôte avec Abdoul Karim Konaté, Isaach de Bankolé… Distribution : Bac Films Durée : 1h40 Sortie le 5 novembre

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Bande de filles Quinzaine des réalisateurs

Solidarité, bastons, cuirs et larmes… Céline Sciamma a éléctrisé la Croisette en dynamisant le genre du film de bande. PAR QUENTIN GROSSET

Ces dernières années, les bandes de filles sont légion au cinéma. En suivant l’intégration de Marieme, 16 ans, dans un groupe de filles charismatiques de son quartier, la réalisatrice épouse le schéma traditionnel de l’individu qui va se révéler à travers le collectif, tout en y agrégeant les problématiques de genre au cœur de ses œuvres précédentes. Bande de filles est en prise avec les questionnements féministes autour de l’empowerment, idée figurant les moyens qu’utilise un individu pour augmenter sa capacité d’agir sur la société qui l’entoure. Si Marieme rejoint ses amies Lady, Adiatou et Fily, c’est aussi une façon de se faire respecter, dans un espace où les garçons font la loi. Pour cela, elle doit adopter les rites de son clan : un Laguiole dans le jean, un cuir sur le dos, et des

roulements d’épaules qui en imposent quand elles s’avancent devant les types amassés sur les escaliers au bas de leur immeuble. Karidja Touré, qui incarne Marieme, est parfaite dans ses jeux de regards francs, quand ceux-ci font baisser la tête des gens qu’elle rackette ou que, d’un sourire, elle intimide le garçon qui la convoite. Son interprétation impressionne encore plus dans la seconde partie du film, lorsque le groupe se disperse et que Céline Sciamma, comme dans Tomboy, met en scène un personnage brouillant les codes de la féminité et de la masculinité. de Céline Sciamma avec Karidja Touré, Assa Sylla… Distribution : Pyramide Durée : 1h52 Sortie le 22 octobre

Sils Maria

Les Merveilles

compétition officielle Lorsqu’elle débutait en tant qu’actrice, Maria a tenu le rôle de Sigrid, une jeune femme qui pousse sa supérieure Helena au suicide. Aujourd’hui plus âgée, un metteur en scène renommé lui propose de reprendre cette pièce auréolée de succès, mais cette fois pour incarner Helena. Dans une propriété retirée en Suisse, elle répète le texte avec son assistante, puis doute et vacille. Juliette Binoche et Kristen Stewart composent un duel étourdissant dans cette mise en abyme de la carrière d’une actrice. Q. G.

Compétition officielle / Grand Prix Gelsomina travaille dur aux côtés de son père, les pieds dans la boue et les mains dans les ruches bourdonnantes qui produisent le miel artisanal qui fait vivre toute sa famille. Elle est repérée par une émission de télévision. La réalisatrice italienne de Corpo celeste explore des terres cinématographiques, sans vouloir les conquérir, avec l’envie, non pas de raconter, mais de suggérer une ambiance, entre la lumière crue d’un plateau de télévision et celle, vacillante, des souvenirs d’enfance. É. R.

d’Olivier Assayas avec Juliette Binoche, Kristen Stewart… Distribution : les Films du Losange Durée : 2h03 Sortie le 20 août

de Alice Rohrwacher avec Maria Alexandra Lungu, Sam Louwyck… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h50 Sortie le 8 octobre

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Mange tes morts Quinzaine des réalisateurs 3 QUESTIONS À JEAN-CHARLES HUE, RÉALISATEUR Propos recueillis par Laura Tuillier

Après La BM du Seigneur, vous filmez de nouveau la famille Dorkel. Il fallait y revenir ? J’avais depuis longtemps en tête l’histoire que raconte Mange tes morts. En fait, cette nuit en voiture, je l’ai vécue avec Fred il y a dix ans, bien avant de tourner La BM du Seigneur : les coups de feu, la poursuite avec les motards, les yeux en verre trouvés dans le coffre… La seule chose que j’ai rajoutée au scénario, c’est la volonté de Jason de devenir chrétien.

Comme dans La BM du Seigneur, la question religieuse est très présente. J’aime beaucoup les récits de rédemption, Bad Lieutenant, Taxi Driver, La Pri­sonnière du désert. Dans ces films, il y a toujours un moment de lumière, une illumination. J’ai toujours cherché à construire des personnages qui, à travers les épreuves, vont changer pour de bonnes raisons. Comment Fred Dorkel a-t-il accepté de se glisser dans la peau d’un type qui sort de prison ? Sans problème. D’abord parce qu’il a vécu des choses similaires, il a été chouraveur, il a fait de la taule. Ensuite, je lui ai demandé de jouer le rôle d’une personne qu’il admire beaucoup, son oncle Pierrot, à qui est dédié le film, et qui a réellement passé quinze ans derrière les barreaux. de Jean-Charles Hue avec Jason François, Frédéric Dorkel… Distribution : Capricci Films Durée : 1h34 Sortie le 24 septembre

L’Institutrice Semaine de la critique

Une institutrice découvre que l’un de ses élèves, âgé de 5 ans, est un prodige de la poésie, et met tout en œuvre pour l’encourager. Au diapason de ses deux héros, la caméra virtuose de l’Israélien Nadav Lapid (Le Policier) tente de résister à la barbarie du monde moderne, épinglant au passage la société israélienne. Cet affrontement entre le haut (l’art, la beauté) et le bas (la brutalité, la vie quotidienne) sous-tend tout le film, par exemple quand

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le garçonnet récite des vers sublimes et enchaîne avec les paroles obscènes d’un chant de supporters de foot. La mise en scène adopte alternativement les points de vue des deux personnages, tissant entre eux un fil ténu, puis de plus en plus solide à mesure qu’un dialogue s’installe. Une des réussites du film, c’est d’infuser au cœur de cette relation une touche d’inquiétant mystère, incarné par l’institutrice au regard d’aigle que la quête d’absolu rend capable de tout. « Écrire de la poésie, c’est lutter contre la nature du monde », dit-elle. Le temps de ce beau film, Nadav Lapid y parvient. J. R. de Nadav Lapid avec Sarit Larry, Avi Shnaidman… Distribution : Haut et Court Durée : 2h Sortie le 8 octobre

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Les Combattants Quinzaine des réalisateurs Avec son très séduisant premier long métrage, Thomas Cailley imagine un beau duo dépareillé et signe une comédie romantique à la fois rude et sensuelle. Par Quentin Grosset

Quelle bonne idée de choisir pour cadre un stage dans l’armée et d’y déployer une histoire d’amour. Et quand deux acteurs au charme fou (Adèle Haenel et Kevin Azaïs, tous deux formidables) donnent vie à des personnages aussi bizarres que touchants, on tient là une belle combinaison. Rêvant d’intégrer une caserne dans les Pyrénées-Atlantiques, Madeleine veut passer l’été dans le régiment le plus hardcore qui soit, celui qui pourra la mettre en condition pour affronter la fin du monde. Quand

Arnaud, grand dadais distrait, se présente avec son frère afin de construire un abri de jardin pour les parents de la jeune fille, il est fasciné. Contre toute attente, il va la suivre dans son stage de guerrière. Mais Madeleine déchantera lorsqu’elle se rendra compte que les pontes de l’armée sont plus mous que de la gelée. Commence alors une fuite dans la nature en forme de lutte pour survivre, des conditions parfaites pour qu’Arnaud se dépasse et pique enfin la curiosité de Madeleine. Avec une fantaisie surprenante, Thomas Cailley plante les deux corps abrasifs de ses héros dans une caserne qu’ils abandonnent pour rejoindre un décor utopique. Peu à peu, le contexte évoquant Les Bidasses en folie laisse place à un film rêveur au cours duquel les amants délaissent le champ de bataille pour jouer innocemment à la guerre et faire l’amour. de Thomas Cailley avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs… Distribution : Haut et court Durée : 1h38 Sortie le 20 août

Foxcatcher

Compétition officielle / prix de la mise en scène

Bennett Miller signe un drame inspiré d’une histoire qui s’est déroulée à la fin des années 1980. Un milliardaire, John E. du Pont (Steve Carell, ici dans un rôle dramatique), recrute deux frères lutteurs de haut niveau (Channing Tatum et Mark Ruffalo) pour réaliser son rêve : devenir entraîneur d’une équipe qui triompherait aux Jeux

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olympiques. Il est ici question de regards en biais, de jalousie et de refoulement. Sous les auspices du généreux financeur, les corps à corps sportifs entre les deux frères tournent peu à peu au conflit d’ego. John E. du Pont se construit sa petite fiction en écrivant les discours de ses poulains et en orchestrant de bout en bout le documentaire qui lui est consacré. Plus que Steve Carell, c’est ici Tatum qui impressionne en athlète blessé. Son interprétation est certes plus discrète que celle de son partenaire, mais l’acteur joue subtilement de son corps lourd et abattu pour composer un personnage emporté dans des dilemmes dédaléens. Q. G. de Bennett Miller avec Channing Tatum, Steve Carell… Distribution : Mars Durée : 2h14 Sortie le 21 janvier 2015

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Still the Water COMPÉTITION officielle Un couple adolescent dans la tempête, sur une petite île japonaise. Naomi Kawase signe un délicat récit d’apprentissage en forme de retour à la nature. Par juliette reitzer

Le film de Naomi Kawase évoque ceux, animés, de Hayao Miyazaki. S’en dégagent la même pureté des sentiments exprimés, la même volonté, dénuée de tout cynisme, de croire dans la force de la nature, alors même que les personnages traversent des cataclysmes. Dans Still the Water, les deux héros adolescents affrontent ainsi de nombreuses tempêtes, et pas seulement celles, sentimentales et sensuelles, liées à leur âge. Lui, Kaito, fils d’une mère célibataire absente, est hanté par le souvenir d’un cadavre flottant près du rivage. Elle, Kyoko, fait face à la mort annoncée de sa mère, gravement malade. Ils appréhendent les événements avec leur tempérament propre, avec pour seules bouées l’amour qu’ils se portent, la transmission entre les

générations et la musique – dans les deux plus belles scènes du film, elle revêt le pouvoir presque magique de guérir les blessures et de repousser la mort. Le décor paradisiaque et verdoyant de la petite île d’Amami offre au film des paysages et des lumières naturelles d’une beauté sidérante. Le ciel et la mer, immenses, accordent leurs couleurs et leurs mouvements aux grandes émotions qui se jouent sous leur nez : la mer déchaînée, dont on dit dans le film qu’elle est vivante, finira ainsi, peutêtre, par s’apaiser. de Naomi Kawase avec Nijirô Murakami, Jun Yoshinaga… Distribution : Haut et Court Durée : 1h59 Sortie le 17 septembre

Lost River

It Follows

Un certain regard Ryan Gosling signe son premier film en tant que réalisateur. Résultat des courses ? Un conte macabre personnel et fascinant. Dans la banlieue de Detroit, au beau milieu d’un quartier déserté par ses habitants, une mère et son fils vont être confrontés à des monstres de genres très différents. Morbide et décousu, le long métrage est magnifié par le travail du chef opérateur Benoît Debie (Enter the Void, Spring Breakers) dont le goût pour les ambiances fluo donne une véritable ampleur aux visions hallucinées et cauchemardesques de Ryan Gosling. Q. G.

Semaine de la critique David Robert Mitchell a réveillé les festivaliers avec un film d’horreur aussi jouissif que terrorisant, soit le calvaire d’une adolescente poursuivie par un étrange croque-mitaine marcheur. Extrêmement stylisé et élégant, le film s’avère redoutablement efficace, alliant mythologie adolescente et techniques d’épouvante éprouvées. Quand, pendant la projection, on entend au loin dans le bâtiment une porte claquer, c’est toute la salle qui sursaute d’un même bond. À Cannes, les films d’horreur se vivent comme des récréations. Pour It Follows, ce fut plutôt une consécration. R. C.

de Ryan Gosling avec Christina Hendricks, Saoirse Ronan... Distribution : The Jokers / Le Pacte Durée : 1h45 Sortie : prochainement

de David Robert Mitchell avec Maika Monroe, Keir Gilchrist… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h37 Sortie : prochainement

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Mommy compétition officielle / Prix du jury Après le sombre Tom à la ferme, Xavier Dolan revient à l’un de ses thèmes phares : les rapports mère-fils. Il livre un mélodrame magnifique et poignant. PAR QUENTIN GROSSET

Au milieu du film, Dolan a une belle idée de mise en scène, applaudie par les festivaliers. Ce tour de force aurait pu être lourd et artificiel chez d’autres cinéastes, mais il y a quelque chose de mystérieux chez Dolan : il cède à des tics qui nous agaceraient en temps normal, mais, on ne sait comment, il les retourne et les transcende. Il nous fait même, le temps d’une séquence, apprécier On ne change pas de Céline Dion. Le résultat est franchement émouvant. Par exemple, ce format 1:1 qui enserre les personnages, une mère et son fils hyperactif, et insiste sur leur situation inextricable. Effet facile, mais seulement en apparence. Dolan le met à profit pour composer de magnifiques portraits colorés. Surtout, l’amour déborde de ce cadre un peu rigide. Le fils turbulent, la mère dépassée et leur voisine bègue ont des parcours cabossés, mais jamais le cinéaste

n’accentue leurs difficultés, préférant insister sur leur force, leur résistance. Leur réunion est un gage d’espoir, leur drôlerie une façon de rester combatifs face à l’adversité. Il y a quelques mois, lorsque Xavier Dolan a su que son film serait présenté en compétition officielle à Cannes, il a tenu à exprimer sur un réseau social son bonheur de concourir aux côtés de Ken Loach dans la sélection officielle. Sweet Sixteen, disait-il, était l’une de ses inspirations pour Mommy. Les œuvres se rapprochent effectivement dans leur peinture d’une adolescence compliquée. Mais ce que Dolan retient avec brio de Loach, c’est un humanisme juste et généreux. de Xavier Dolan avec Suzanne Clément, Anne Dorval… Distribution : Diaphana Durée : 2h14 Sortie le 8 octobre

Adieu au langage Compétition officielle / Prix du jury Pour faire aussi concis et précis que Godard avec Adieu au langage, ce film n’est finalement pas l’avis redouté d’un ermite descendu de son Olympe pour envoyer promener tout son monde. C’est une géniale lettre d’amour au cinéma, à ses réalisateurs, ses acteurs, ses techniciens, ses spectateurs. Il y a toutefois une part d’avertissement : le cinéma est une chose trop chouette pour l’enfermer dans la médiocrité. JLG ose donc un montage son vertigineux, une 3D relief révolutionnaire, un discours sans langage, purement sensoriel. É. R. de Jean-Luc Godard avec Héloïse Godet, Zoé Bruneau… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h10 Actuellement en salles

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Léviathan

Compétition officielle / Prix du scénario Au fil des renoncements successifs imposés à son héros, Andreï Zviaguintsev déploie une tragédie puissante en forme de triste constat : quand le pouvoir (étatique, religieux) anéantit l’individu, il reste la vodka. PAR JULIETTE REITZER

Kolia vit avec sa femme et son fils, issu d’un précédent mar iage, dans une maison en bois qui surplombe la mer de Barents, au nord de la Russie. Mais le maire du village veut récupérer le terrain et ne compte pas renoncer, malgré le refus de vendre que lui oppose notre héros. Le cinéaste joue de brusques changements de registres, du drame conjugal au polar, pour dresser une critique féroce du pouvoir et de sa capacité à annihiler les libertés individuelles – pouvoir personnifié par le maire véreux, gros lard aussi grotesque que dangereux, filmé à plusieurs reprises dans son bureau, pile sous le portrait de Poutine. Le talent de

Zviaguintsev, outre sa grande maîtrise de la mise en scène, tient justement à cette manière subtile de déployer son attaque, en s’autorisant des détours, en prenant par exemple le temps (le film dure 2 h 21) d’installer des scènes de pure satire, irrésistibles d’humour noir, dans lesquelles Kolia et ses amis devisent, imbibés de vodka. Dans le premier face à face entre Kolia et le maire, la violence est ainsi à la fois amplifiée et ridiculisée par le fait que les deux protagonistes sont complétement saouls. Au milieu de cette gueule de bois généralisée, le personnage de Kolia se révèle petit à petit en grande figure tragique et mutique, porté par le jeu tout en subtilité de l’acteur Aleksei Serebryakov. d’Andreï Zviaguintsev avec Aleksei Serebryakov, Elena Lyadova… Distribution : Pyramide Durée : 2h21 Sortie le 24 septembre

P’tit Quinquin Quinzaine des réalisateurs 3 QUESTIONS À BRUNO DUMONT, RÉALISATEUR PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

presque une autoparodie – la veine humoristique était contenue dans mes précédents films –, même si, ici, les dialogues sont beaucoup plus travaillés. L’expérience m’a plu et j’ai déjà écrit une nouvelle comédie. Vous changez radicalement de cap avec cette minisérie en quatre épisodes qui suit une enquête loufoque en plein Pas-de-Calais. Comment avezvous appréhendé le registre comique ? C’était une envie que j’avais depuis longtemps, alors quand Arte m’a donné carte blanche, j’ai sauté sur l’occasion. C’est

Après Camille Claudel 1915, vous tournez encore avec un acteur handicapé. Était-ce plus périlleux dans le registre comique ? Non, mais il faut prendre des gens qui ont un niveau de handicap qui ne soit pas trop fort, qui comprennent qu’ils jouent. Il faut donc faire des essais, et voir avec qui cela fonctionne.

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La drôlerie provient essentiellement de la confrontation entre le monde des enfants et celui des adultes. Dans cette enquête policière, les adultes sont grotesques et lugubres. Il y a beaucoup d’hypocrisie. L’enfance, c’est le choc de l’innocence qui vient révéler tout ça. Quoique les gamins ont une niaiserie naturelle qui m’énerve aussi. Ce sont de petits adultes, il y a déjà quelque chose de mauvais en eux. P’tit Quinquin sera programmé au festival de la Rochelle, du 27 juin au 6 juillet, dans le cadre de la rétrospective Bruno Dumont Les quatre épisodes seront diffusés sur Arte en septembre


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les F I L M S du 11 juin au 9 juillet black coal

Diao Yinan signe un excellent polar à l’intrigue sanguinolente p. 64

pan pleure pas

Gabriel Abrantes questionne la situation postcoloniale avec loufoquerie et mélancolie p. 70

le procès de viviane amsalem

Un film stupéfiant et combatif sur la condition des femmes en Israël p. 77

Palo Alto Après avoir fait ses débuts derrière la caméra en réalisant le making of de Twixt, de son grand-père Francis Ford Coppola, Gia Coppola signe un premier long métrage adapté du recueil de nouvelles de James Franco, Palo Alto. PAR LAURA TUILLIER

Palo Alto, c’est le nom d’une ville limitrophe de San Francisco, une banlieue chic de la Silicon Valley. Gia Coppola, évoluant sur les traces de sa tante Sofia, choisit de réaliser un premier film autour du mal-être adolescent d’une poignée de gosses de riches qui tournent en rond dans ce voisinage, entre soirées trop arrosées, virées en voiture et cours de sport servis par un prof prédateur, James Franco himself. Pourtant, le film de Gia Coppola ne ressemble pas à un copier-coller de Virgin Suicides. Et s’il s’inscrit assez sagement dans une tradition familiale, il faudrait plutôt la chercher du côté d’Outsiders de Francis Ford Coppola, grand film sur la jeunesse réalisé en 1982. En choisissant le débutant Jack Kilmer (le fils de Val) dans le rôle de Teddy, Gia Coppola fait preuve d’une bonne intuition : parfait en lycéen lunaire et mesuré, il se frotte à une brutalité adolescente incarnée par son meilleur

ami, l’incontrôlable Fred. La réalisatrice parvient ainsi à capter non seulement la nonchalance de Jack mais également les sorties de route de Fred, qui insufflent au récit une énergie directe et évitent au film trop de délicatesse. De l’autre côté, le couple désaxé formé par Emma Roberts et son prof de sport (James Franco donc) donne l’occasion de quelques séquences réussies au cours desquelles deux générations se confrontent, et un douloureux écart apparaît, alors même que Franco brille encore d’une insolente jeunesse. Palo Alto trouve dans cet art du contraste les moyens de faire entendre sa petite musique singulière. Palo Alto de Gia Coppola avec Emma Roberts, Jack Kilmer… Distribution : Pathé Durée : 1h40 Sortie le 11 juin

3 QUESTIONS À GIA COPPOLA PROPOS RECUEILLIS PAR L. T. Comment avez-vous découvert le livre de James Franco qui a inspiré le film ?

Notre première rencontre a eu lieu dans un diner. Plus tard dans la soirée, nous nous sommes retrouvés à une fête, nous voulions faire quelque chose ensemble. Il m’a parlé de son recueil de nouvelles ; j’ai aimé la façon dont il évoquait l’adolescence, ça m’a semblé à la fois drôle et touchant.

Comment avez-vous abordé votre premier tournage ?

J’ai travaillé avec le même groupe de personnes que sur mes précédents projets, ce qui m’a permis de ne pas me sentir intimidée. Nous étions dans l’état d’esprit du tournage d’un court métrage, il y avait juste plus de jours de tournage. Chacun pouvait endosser plusieurs rôles, nous essayions de nous amuser le plus possible.

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Comment avez-vous rencontré Jack Kilmer, très bon dans ce premier rôle ?

Nous étions à l’école primaire ensemble et nous sommes restés en contact. Son père, déjà, avait travaillé avec mon grand-père sur Twixt. J’ai auditionné plein d’acteurs professionnels, mais il me semblait beaucoup plus captivant, il a une façon très belle de simplement vivre devant la caméra.


le s fi lm s

> LE MONDE NOUS APPARTIENT

Black Coal

Les parcours parallèles de deux jeunes hommes, un sportif et un malfrat, qui ne se connaissent pas, mais vont se croiser sur un hasard malheureux. Le film repose sur les talents de ses acteurs, Vincent Rottiers, parfait en brute sanguine, et la révélation Ymanol Perset. Q. G. de Stephan Streker (1h28) Distribution : Zelig Films Sortie le 11 juin

Ours d’or à la dernière Berlinale, Black Coal de Diao Yinan est miraculeusement parvenu jusqu’aux écrans chinois, sans pour autant échapper à quelques coupes. Un amusant parallèle avec l’intrigue sanguinolente de cet excellent polar. PAR LAURA PERTUY, À PÉKIN

D’une poésie grave et lancinante, le troisième long métrage du discret Diao Yinan retrace l’enquête d’un policier à la dérive (Liao Fan, récompensé par l’Ours d’argent du meilleur acteur). Quand le corps d’un mineur est retrouvé en plusieurs morceaux dans des cargaisons de charbon, l’inspecteur Zhang interpelle plusieurs suspects, lesquels abattent ses coéquipiers. Cinq ans après, devenu gardien de nuit et alcoolique, Zhang reprend du service après que deux nouveaux meurtres liés à l’épouse du défunt ont été commis. Se met alors en place une routine binaire de surveillance, parade lente et violente au cours de laquelle ces deux écorchés vifs tissent une relation sensuelle. Présenté comme « commercial » au public chinois biberonné aux blockbusters américains et aux films de kung-fu en 3D, Black Coal n’a pas pu éviter certaines coupes dans son pays d’origine. Pour assembler les pièces de ce puzzle morbide, les

spectateurs chinois ont dû éplucher les blogs – non censurés – de cinéphiles avertis et s’essayer à un montage très subjectif. Entre le charbon qui ensevelit les corps et la glace sur laquelle patine le tueur en série s’installe cette crasseuse « zone grise », fameux concept chinois dans lequel l’imbroglio général permet d’ouvrir le champ des possibles. On y perçoit autant la difficulté à résoudre une enquête au cours de laquelle s’entremêlent les sentiments que celle de sortir un film atypique sans intervenir sur sa narration. Un amical coup de coude à la dernière œuvre de son collègue Jia Zhang-ke (A Touch of Sin), toujours inédit en République populaire de Chine, et pourtant sur tous les rayons des vendeurs de DVD à la sauvette. Black Coal de Diao Yinan avec Liao Fan, Gwei Lun Mei... Distribution : Memento Films Durée : 1h46 Sortie le 11 juin

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> LES VOIES DU DESTIN

Fait prisonnier par les Japonais durant la Seconde Guerre mondiale, Eric (Colin Firth) souffre toujours, bien des années après, d’un terrible traumatisme… Par le biais de la fresque, le réalisateur Jonathan Teplitzky interroge la résilience et le pardon. T. Z. de Jonathan Teplitzky (1h56) Distribution : Metropolitan FilmExport Sortie le 11 juin

> CUPCAKES

Un groupe d’amis déjantés compose une chanson pour rire. Contre toute attente, elle est sélectionnée pour représenter Israël dans un festival international de chansons, type Eurovision. L’Israélien Eytan Fox (Tu marcheras sur l’eau, Yossi) signe un feel good movie pop et enlevé. Ma. P. d’Eytan Fox (1h32) Distribution : Ad Vitam Sortie le 11 juin


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les films

Mouton

Léopard d’or du meilleur premier film au festival de Locarno, Mouton, dans sa première partie, s’attache à suivre le quotidien d’un jeune homme qui vit simplement, employé dans un restaurant du bord de l’océan, après avoir été retiré à la garde de sa mère. Mais voilà que Mouton disparaît de la fiction à la suite d’une mystérieuse blessure. Le film s’intéresse alors à sa bande d’amis, à ceux qui restent. Le talent des cinéastes réside dans un art du portrait dont le jeune Mouton est la face la plus réussie.

PAR L. T.

de Gilles Deroo et Marianne Pistone avec David Merabet, Cindy Dumont… Distribution : Shellac Durée : 1h40 Sortie le 11 juin

Sarajéviens

PAR MARION PACOUIL

Presque vingt ans après la fin du siège de Sarajevo, le réalisateur Damien Fritsch s’est rendu sur place, caméra à l’épaule, et a enregistré les « sandwichs de sentiments » – l’expression est d’un des intervenants – que ses habitants ont à partager. Sarajéviens est un film parcouru d’images bouleversantes, à l’instar de cette

Débutants

scène qui montre un petit garçon derrière une f lamme, donnant ainsi l’illusion de s’immoler. Si la ville se révèle finalement pleine de poésie, les traumatismes de la guerre ne sont jamais bien loin. de Damien Fritsch Documentaire Distribution : Iskra Durée : 1h45 Sortie le 11 juin

PAR Ma. P.

Trois acteurs âgés de 20 ans en pleine éclosion – à la ville comme à la scène – et trois manières d’affronter les désillusions à venir. Naïs s’évade dans la drogue et s’éteint à petit feu, Jackee se débat entre ses ambitions théâtrales et son milieu familial, Jean refuse de mettre à mal ses idéaux sociaux et politiques pour percer dans le métier… Débutants esquisse avec finesse et sensibilité des réponses à cette question cruciale : comment chuter dans le réel sans trop se faire mal ? de Juan Pittaluga avec Naïs El Fassi, Nicolas Avinée… Distribution : Les Films à Fleur de Peau Durée : 1h20 Sortie le 11 juin

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The Activist PAR Timé Zoppé

Huis clos carcéral, The Activist se déroule pendant les événements de Wounded Knee – des centaines d’Amérindiens et de sympathisants ont été assiégés par les autorités américaines fin février 1973 alors qu’ils occupaient un village pour exiger la reconnaissance de leurs droits. Deux leaders sont emprisonnés dans un petit poste de police reculé et reçoivent des visites liées à l’insurrection… Le compositeur Cyril Morin réalise un premier long métrage rigoureux et engagé. de Cyril Morin avec Chadwick Brown, Tonantzin Carmelo… Distribution : Bodega Films Durée : 1h30 Sortie le 11 juin


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les films

La Ritournelle par Renan Cros

Il y a quelque chose de joliment incongru chez Marc Fitoussi. Après avoir mis Sandrine Kiberlain en bikini dans Pauline détective, le voici qui réinvente Isabelle Huppert en agricultrice. « L’amour est-il encore dans le pré ? », c’est plus ou moins la question que pose, avec pas mal

de délicatesse et d’humour, cette jolie Ritournelle. Brigitte (Isabelle Huppert) s’ennuie dans sa maison normande, au milieu des vaches. Bourgeoise les pieds dans la gadoue, mariée à Xavier (le toujours génialement taciturne JeanPierre Daroussin), elle se réveille soudain quand son corps prend le

dessus. C’est une musique dans un supermarché qui la fait se dandiner. Et puis un jeune homme, très beau, qu’elle croise chez ses voisins. La jeunesse, la séduction, la solitude, tout se mélange pour qu’elle envisage une fuite à Paris comme une bouffée d’air frais. Malicieusement, Marc Fitoussi construit son film comme une petite musique délicate, un petit air en apparence anodin, qui finit par nous rester en tête. La fausse légèreté du film, son sens de la répartie font immédiatement mouche. Mais ce chassé-croisé de « vieux amants » se révèle surtout, in fine, très juste et très émouvant sur la complexité de l’amour au quotidien.  de Marc Fitoussi avec Isabelle Huppert, Jean-Pierre Darroussin… Distribution : SND Durée : 1h38 Sortie le 11 juin

Xenia PAR QUENTIN GROSSET

Le réalisateur de L’Attaque de la moussaka géante livre une odyssée folle et turbulente centrée autour de deux frères en quête d’un père disparu. Tout en portant un regard sévère sur la société grecque contemporaine. Quand Pános H. Koútras filme deux frères, nés d’une mère albanaise et d’un père grec qui ne les a jamais reconnus, qui prennent la route pour retrouver ce dernier, cela donne lieu à des situations rocambolesques. Le premier rejoint son grand frère à Athènes pour l’enjoindre de chercher leur paternel avec lui, et ainsi pouvoir prétendre à la nationalité grecque. Mais aussi pour convaincre ledit frangin de participer à l’équivalent grec du télé-­crochet Nouvelle Star… Le film de Koútras, présenté en sélection Un certain regard à Cannes, navigue toujours

dans cet entre-deux : à la flamboyance et l’excentricité du cadet répond la mesure et l’inquiétude de l’aîné, aux chorégraphies et aux chansons endiablées qui parsèment le récit s’oppose une attention circonspecte aux effets de la crise économique ou un regard amer sur la montée de l’extrême droite en Grèce. Tantôt acerbe,

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toujours désinvolte, le film met aussi en scène un personnage très attachant, celui du jeune frère, un ado gay naïf et dissipé qui aime les belles chanteuses et parle à son lapin en peluche.  de Pános H. Koútras avec Kostas Nikouli, Nikos Gelia… Distribution : Pyramide Durée : 2h08 Sortie le 18 juin


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> CON LA PATA QUEBRADA

Pan pleure pas

Le documentariste Diego Galán a épluché les archives du cinéma espagnol des années 1930 à nos jours. Par un judicieux montage d’extraits emblématiques, il se propose de mettre en évidence l’évolution de la représentation des femmes au fil du temps. T. Z. de Diego Galán (1h22) Distribution : IberiFilms Sortie le 18 juin

Dans ses trois courts métrages réunis sous le titre Pan pleure pas, le cinéaste portugais Gabriel Abrantes habille ses questionnements sur la situation postcoloniale d’une loufoquerie teintée de mélancolie. Une belle découverte. PAR QUENTIN GROSSET

Cinéaste prolifique (déjà treize courts métrages à son actif), Gabriel Abrantes s’interroge sur le monde contemporain avec un humour oscillant entre farce potache et rire angoissé. « Mes parents travaillent dans la finance internationale. Ils sont passés du maoïsme des années 1970 à un postcapitalisme agressif. Ce sont des opposés assez intenses. Tous mes films tournent autour de l’idée que la morale est une surface que nous utilisons pour cacher nos vrais désirs. » Dans Liberdade, un jeune Angolais, n’arrivant pas à faire l’amour à sa fiancée chinoise, braque une pharmacie pour se procurer du Viagra. Trapobana suit Camoes, écrivain colonial du xvi e siècle, dans ses délires sexuels aux Indes. Ennui Ennui dépeint les ébats fougueux d’un taliban avec la fille de l’ambassadrice de France en Afghanistan. Sous des airs de farces, les trois

courts métrages empruntent des esthétiques opposées (le réalisme rêveur de Liberdade contre le cartoonesque bouffon d’Ennui ennui). Si le premier de ces films a été tourné en Angola et le second au Sri Lanka, le dernier a lui été conçu en France, au fin fond du Limousin. « J’ai une fascination ambiguë pour les pays reconstruits en studios. Recréer une autre culture de toute pièce peut être offensif. » Questionnant son propre regard, Abrantes se met d’ailleurs en scène en tant que comédien dans Trapobana : « Une façon de souligner que les artistes européens qui réfléchissent à la condition postcoloniale, moi y compris, ont tendance à épouser la structure de ce qu’ils critiquent. » de Gabriel Abrantes avec Édith Scob, Lætitia Dosch… Distribution : Capricci Films Durée : 1h14 Sortie le 11 juin

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>Triple alliance

Trois femmes réalisent qu’elles couchent avec le même homme. Problème. Qu’à cela ne tienne, elles échafaudent un plan de vengeance. Une pure comédie américaine, réalisée par le fils du géant John Cassavetes, avec Nicki Minaj en guest-star. Ma. P. de Nick Cassavetes (1h49) Distribution: 20 th Century Fox Sortie le 18 juin

> COMME LE VENT

Être une femme et diriger une prison : c’est l’histoire d’Armida Miserere, dont la vie bascule brutalement après l’assassinat de son mari par la mafia… Premier film pour Marco Simon Puccioni qui livre là un portrait de femme émouvant et tragique. Ma. P. de Marco Simon Puccioni (1h52) Distribution : Bodega Films Sortie le 18 juin


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Résistance naturelle PAR QUENTIN GROSSET

Le réalisateur de Mondovino poursuit son engagement pour la défense du vin, de son âme, de sa culture et de son goût. De nombreuses considérations politiques et financières pèsent sur les bouteilles qui sont posées sur nos tables. Les réglementations européennes induisent des contraintes que de plus en plus de vignerons refusent en produisant du vin bio. C’est dans plusieurs régions d’Italie que Jonathan Nossiter filme quelques-uns de ces viticulteurs, menacés par des amendes bien salées parce qu’ils respectent leur patrimoine. Un plan du documentaire est particulièrement parlant : celui durant lequel l’un de ces résistants compare les sols de deux vignes, l’une traitée par les produits chimiques exigés par les institutions, l’autre cultivée naturellement. Dans la

première, la terre apparaît compacte et grise, tandis que, dans la seconde, elle est brillante et granuleuse. Si Résistance naturelle est moins pertinent lorsqu’il se risque à quelques comparaisons bancales entre le travail des cinémathèques et celui d’une agriculture à portée militante, Nossiter,

filmant le vin avec une certaine gourmandise, réussit à faire un film hédoniste tout en intéressant le spectateur à des enjeux économiques plutôt secs.  de Jonathan Nossiter Documentaire Distribution : Rezo Films Durée : 1h23 Sortie le 18 juin

Au fil d’Ariane PAR TIMÉ ZOPPÉ

À son grand désarroi, personne n’est présent pour l’anniversaire d’Ariane, pas même ses enfants et son mari. Pour ne pas sombrer, elle prend sa voiture et part à l’aventure dans Marseille. Après plusieurs drames (L’Armée du crime, Les

Neiges du Kilimandjaro), Robert Guédiguian s’essaye à une comédie légère aux accents surréalistes. Il réunit sa fidèle équipe d’acteurs (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan) autour d’un scénario ludique à la fantaisie rafraîchissante. Au gré

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des rencontres, Ariane tisse son fil entre les lieux (un restaurant en bord de plage, une petite embarcation où elle passe ses nuits…) et les êtres (un chauffeur de taxi, le patron du restaurant, une prostituée…). Ils en viennent à former une famille hétérogène dont les membres n’ont, au fond, pas d’autre point commun que de se vouloir mutuellement du bien. L’utopie convainc et émeut quand le réalisateur pose un regard tendre et sans jugement sur les lubies de chacun, sans forcer le trait. Le temps de cette petite odyssée, tout semble possible, et les rêves d’Ariane nous restent longtemps dans la tête.   de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Gérard Meylan… Distribution : Diaphana Durée : 1h40 Sortie le 18 juin


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The Two Faces of January Hossein Amini, le scénariste de Drive et de 47 ronin, ne veut plus se contenter d’écrire. Il endosse pour la première fois le rôle de réalisateur et adapte avec style un roman de Patricia Highsmith, égratignant au passage l’élégance de Viggo Mortensen. PAR TIMÉ ZOPPÉ

S’attaquer, dès son premier essai derrière la caméra, à une œuvre de la célèbre romancière américaine est un pari risqué : les adaptations réussies des romans de Highsmith sont déjà légion. À commencer par L’Inconnu du Nord-Express d’Alfred Hitchcock à qui la mise en scène de Hossein Amini semble d’ailleurs devoir beaucoup. Mais entre lui et le neuvième roman de l’auteure, publié en 1964, l’histoire dure depuis plus de vingt ans. « J’ai lu ce livre lorsque j’étais à l’université, et cela m’a poursuivi. Peut-être à cause des personnages, qui sont tellement complexes », confie le réalisateur. Le film suit trois protagonistes aux destins entremêlés. En 1962, Chester (Viggo Mortensen) et Colette (Kirsten Dunst), un couple d’Américains aisés en vacances en Grèce, font la connaissance de Rydal (Oscar Isaac), guide à Athènes. Si les menues escroqueries de Rydal sont vite percées à jour, la découverte de la raison du voyage du couple constitue le véritable tournant du film vers la face obscure suggérée par le titre. « Pour le début de l’histoire, quand les personnages ont encore l’air parfait, je voulais filmer des lieux bateaux, comme l’Acropole. Mais par la suite, j’explore un aspect plus inattendu de la Grèce. » Après une visite du FBI, le trio décide de fuir Athènes. De

petits ports où l’on festoie toute la nuit en chambres d’hôtel modestes écrasées par la chaleur, l’étau se resserre autour d’eux. Au sein du groupe, les liens se modifient sans cesse, mais se devinent dans les nondits. « Quand j’ai commencé le scénario, cela ressemblait plus à un triangle amoureux. Je trouve que Highsmith, peut-être parce qu’elle était lesbienne, a souvent conféré à ses histoires cette aura homo-érotique déguisée. » Pour donner de l’ampleur à la spirale destructrice qui emporte les personnages, le cinéaste juxtapose différentes échelles de symbolisme. Les allusions mythologiques confèrent au récit une intensité de tragédie, alors que, de manière plus prosaïque, le corps de Chester se détériore à vue d’œil. « L’idée que le malaise qu’il porte en lui ressorte physiquement est venue assez tôt entre Hossein et moi, explique Viggo Mortensen. C’est typiquement un personnage de film noir, qui a besoin de blesser les autres et de se blesser. » Ainsi, Hossein Amini insuffle de la vie dans sa mise en scène et finit par se délester de ses références. Pari gagné. de Hossein Amini avec Viggo Mortensen, Oscar Isaac… Distribution : StudioCanal Durée : 1h37 Sortie le 18 juin

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Épilogue PAR T. Z.

En Israël, un couple d’octogénaires subit plus qu’il ne vit sa retraite. Si Hayuta et Berl peuvent encore prendre soin l’un de l’autre, ils ne sont plus capables de suivre le rythme de la société. Le manque d’argent, la fatigue du corps, l’exaspération qu’ils suscitent chez les jeunes… Le temps d’une journée, ils constatent que tout s’est transformé en obstacle. Le premier long métrage du cinéaste Amir Manor offre plusieurs scènes poignantes à ses deux excellents acteurs. d’Amir Manor avec Yosef Carmon, Rivka Gur… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h36 Sortie le 18 juin

Aux mains des hommes PAR T. Z.

Danger Dave PAR QUENTIN GROSSET

Danger Dave ou le portrait attachant du Français David Martelleur, vieux routard du skateboard professionnel. Mais, plus que ça, une sorte de buddy movie dans lequel les deux potes que l’on suit seraient un réalisateur et son personnage, tous deux embarqués dans les mêmes joies, les mêmes galères, les mêmes beuveries et les mêmes contests aux quatre coins du monde. Le film commence d’ailleurs par la fin, sur une dispute, quand les deux décident d’arrêter de tourner. La suite remonte donc l’histoire d’une débâcle, mais d’une débâcle en beauté, car Martelleur se relève obstinément tandis que le cinéaste Philippe Petit l’encourage toujours. Pendant cinq ans, celui-ci (déjà auteur d’un long

métrage, Insouciants, en 2004) a écumé les spots en compagnie de son antihéros qui, réticent au début, s’est finalement laissé amadouer par la caméra. Dans une esthétique brute et morcelée, son corps pataud s’épuise au contact des soirées déglingues et des nouvelles générations de skateurs. Précis sur ce sport et ses évolutions (avec notamment une vraie attention aux enjeux du sponsoring), poétisant la gaucherie de son personnage avec humour, Philippe Petit déroule admirablement un sujet peu traité au cinéma, à savoir : comment vieillir au sein d’une contre-culture ? de Philippe Petit Documentaire Distribution : Petit Dragon Durée : 1h27 Sortie le 18 juin

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Tore, jeune homme aux allures d’ange blond dégingandé, fait partie d’une communauté de punks chrétiens à Hambourg. Plein d’innocence et d’empathie, il rencontre Benno et sa famille et les aide à faire redémarrer leur voiture. Benno propose à Tore de s’installer chez eux, mais dévoile lentement son vrai visage. Aux mains des hommes est de ces œuvres qui interrogent le spectateur par la violence, sans lui imposer de réponse. À chacun de digérer la matière brute de ce premier film sombre et audacieux. de Katrin Gebbe avec Julius Feldmeier, Sascha Alexander Geršak… Distribution : UFO Durée : 1h50 Sortie le 25 juin


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> L’EX DE MA VIE

Le Conte de la princesse Kaguya Pour son grand retour (son précédent film, Mes voisins les Yamada, est sorti en France en 2001), le réalisateur du Tombeau des lucioles présentait à la Quinzaine des réalisateurs un conte cruel dont l’esthétique naïve cache un cœur amer et inquiet. Par Éric Vernay

Une luisante tige de bambou accouche d’une princesse minuscule, un vieux couple de paysans la recueille, et la petite grandit à vue d’œil, s’ébattant avec joie dans la nature en compagnie d’autres enfants. Mais cette vie simple convient-elle à une princesse ? Son père adoptif est persuadé du contraire. La preuve ? Les dieux ont laissé de l’or pour elle dans les bois. Isao Takahata raconte cette tentative (forcée) d’élévation sociale au cours de laquelle l’innocence de la jeune fille des campagnes se frotte au cynisme de la haute société obsédée par le prestige, l’apparence et l’argent. Inspiré d’un conte japonais du xe siècle, le film épouse l’esthétique traditionnelle des estampes : couleurs pastel, dessin au crayonné apparent, naïveté du trait. Visuellement, c’est un ravissement total, attendrissant comme une esquisse enfantine. Mais sous cette peau délicate

bat un cœur terriblement amer. Le récit d’apprentissage est d’ailleurs troué par une brutale et magnifique scène d’évasion onirique tailladant les perspectives avec une violence expressionniste inouïe. Malgré quelques scènes amusantes (le grotesque défilé de prétendants), on assiste surtout à une suite de renoncements (le sourire effacé au pinceau noir) observés avec un regard désabusé. Car ce paradis perdu, forcément panthéiste (on est chez le cofondateur, avec Hayao Miyazaki, du Studio Ghibli), semble impossible à retrouver. Un sentiment de perte irrigue ainsi ce long poème tragique dont le thème musical a pour nom Mémoire de la vie – titre idéal pour un film-testament aussi sombre que bouleversant. d’Isao Takahata Animation Distribution : Walt Disney Durée : 2h17 Sortie le 25 juin

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Ariane (Géraldine Nakache), violoniste, accepte la demande en mariage d’un chef d’orchestre. Sauf qu’elle est toujours mariée à un autre, à qui elle donne rendez-vous à Paris, ville de l’amour, pour divorcer en huit jours chrono. Est-ce vraiment une bonne idée ? Ma. P. de Dorothée Sebbagh Distribution: UGC Sortie le 25 juin

> WOLF

En liberté conditionnelle, Majid tente de se refaire une place dans la société. Faisant fi des risques, il se renfloue grâce à de menus larcins et à des matchs de boxe. Dès son premier combat, la mafia le repère… Le réalisateur signe un portrait un peu convenu mais qui sonne juste. T. Z. de Jim Taihuttu (2h02) Distribution : ARP Sélection Sortie le 25 juin

> ON A FAILLI ÊTRE AMIES Marithé (Karin Viard) travaille dans un centre d’orientation pour adultes. Elle prend en charge Carole (Emmanuelle Devos), qui vit dans l’ombre professionnelle de son mari (Roschdy Zem)… Le film déroule la sympathique chronique de leur relation d’amitié, d’amour et de jalousie. T. Z. d’Anne Le Ny (1h31) Distribution : Mars Sortie le 25 juin


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Le Procès de Viviane Amsalem Une femme veut divorcer, mais son mari s’y refuse. S’ensuit un long combat judiciaire de cinq ans… Ronit et Shlomi Elkabetz signent un film stupéfiant et combatif sur la condition des femmes en Israël. Par Quentin Grosset

Après Prendre femme (2005) et Les Sept Jours (2008), Ronit et Shlomi Elkabetz mettent un terme à leur trilogie sur la lutte d’une femme pour conquérir sa liberté dans la société israélienne. Dans Le Procès de Viviane Amsalem, le frère et la sœur se lancent dans un défi de mise en scène en filmant en huis clos un procès qui s’éternise sur plusieurs années. En Israël, les rabbins, seuls habilités à prononcer la dissolution d’un mariage, ne peuvent le faire sans le consentement du mari. Le dispositif, quelque peu oppressant, aurait pu s’épuiser sur la longueur, mais les réalisateurs parviennent à tirer profit de l’unité de lieu. Dans une si petite pièce, les possibilités sont infinies pour placer la caméra, le piège étant seulement de ne pas tomber dans le théâtre filmé. Ici, le choix est celui d’une dramaturgie guidée par les regards des hommes autour de Viviane Amsalem. Ce

sont bien eux qui conduisent le procès, pas elle. Tout au long du film, elle reste digne, souvent silencieuse, ne sachant si elle doit rire ou pleurer des absurdités proférées dans l’enceinte du tribunal. Car les conversations entre les juges, les témoins et les avocats sont parfois confondantes : il n’est jamais question d’amour ni de la volonté de Viviane, mais toujours de ce qui est conforme ou non. Pourquoi demande-t-elle le divorce, puisque tout le monde s’accorde à dire que son mari, Elisha, est un bon époux ? Ronit et Shlomi Elkabetz s’emparent ainsi d’un sujet malheureusement très actuel qui invite à une prise de conscience urgente de la part des hommes de leur pays. de Ronit et Shlomi Elkabetz avec Ronit Elkabetz, Simon Abkarian… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h55 Sortie le 25 juin

3 QUESTIONS À Ronit et Shlomi Elkabetz Propos recueillis par Q. G. Pourquoi avoir choisi le huis clos dans l’enceinte du tribunal ?

Ronit Elkabetz : Pour Viviane Amsalem, il n’y a plus du tout de vie en dehors de ces quatre murs, il n’y a que son divorce, le procès contre son mari, Elisha, qui compte. Alors pourquoi sortir ? Cette femme est dans un état d’attente insoutenable pendant cinq ans et, en tant que réalisateurs, nous sommes restés fidèles à ce qu’elle ressent.

Comment faire sentir la vie extérieure dans le cadre d’un huis clos ?

Shlomi Elkabetz : Dès le départ, la question s’est posée, et, finalement, ce sont les différents témoins qui amènent de l’air dans cet espace fermé. Le son et la lumière sont également très importants sur ce point : en sourdine, on entend les bruits de la ville derrière une fenêtre, un autre procès qui a lieu à côté, on voit les saisons qui passent…

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À quelles réactions vous attendez-vous en Israël ?

Ronit Elkabetz : Le film fera polémique, j’en suis sûre. Là-bas, les procès pour meurtre sont publics, mais, pour les divorces, les portes sont fermées. Nous, on les ouvre et on s’attend à ce que ça lance un mouvement. La situation ne changera pas d’une minute à l’autre, mais, enfin, on commencera à parler. Ce n’est pas acceptable. Les femmes ne peuvent plus se taire.


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> Sangue

Le Cœur battant Au fin fond du Texas, Sara vit entourée de ses onze frères et sœurs et d’un troupeau de chèvres. Non loin de là, le jeune Colby joue au cow-boy et au mâle… Un docu-fiction hybride, projeté à Cannes l’an passé en sélection officielle. PAR MARION PACOUIL

Nourrir les chèvres puis vendre le fromage au marché, s’occuper des petits, relire la Bible, prier à la messe… Les journées de Sara passent et n’en finissent pas de se ressembler. Jusqu’à ce qu’elle fasse la connaissance de Colby, passionné de rodéo, garçon sensible au milieu d’une lourde mascarade sociale de virilité. Il ne s’agit pas d’une révélation, mais d’un apprivoisement lent, d’une brèche toute en finesse. « Ce n’est pas de l’amour, mais une sorte d’équilibre rompu », affirme le réalisateur italien Roberto Minervini, qui clôt ici sa trilogie texane (The Passage, Low Tide) et s’avoue fasciné par « ce moment de perte de la pureté de l’enfance, par ce que cela représente de grandir dans une culture d’une certaine manière violente ». À cheval entre le documentaire et la fiction, il précise : « Le seul scénario que j’ai écrit,

c’était juste avant le montage. » Les acteurs, tous des non-professionnels, campent leurs propres rôles, et certaines séquences sont mises en scène. Le réalisateur, dont la mère était une activiste féministe italienne, « une figure forte du mouvement », assume le caractère engagé de son film, il évoque un projet futur sur un pilier du féminisme. Mais Le Cœur battant est aussi un film d’après-midi ensoleillé, doux et tranquille, un monde hors-sol dans lequel les habitants vivent paradoxalement les deux pieds dans la boue. Minervini ne s’intéresse pas à ses personnages pour ce qu’ils ont de bizarre, mais pour la lumière qui émane d’eux. Lumière qu’il capte divinement. de Roberto Minervini avec Sara Carlson, Colby Trichell… Distribution : Aramis Films Durée : 1h41 Sortie le 25 juin

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Le comédien et metteur en scène Pippo Delbono a filmé sa rencontre avec un ex-leader des Brigades Rouges, Giovanni Senzani. À quelques jours d’intervalle, la mère du cinéaste et la femme de Senzani meurent. Un projet intriguant, capté dans l’intimité. T. Z. de Pippo Delbono (1h32) Distribution : Les Films du Paradoxe Sortie le 25 juin

> LES PONTS DE SARAJEVO

Ursula Meier, Isild Le Besco, Cristi Puiu, Sergei Loznitsa, Jean-Luc Godard… treize cinéastes européens sont réunis pour autant de courts métrages livrant leurs regards sur Sarajevo. Ce film collectif a été projeté hors compétition au Festival de Cannes. Ma. P. Collectif (1h54) Distribution : Rezo Films Sortie le 2 juillet

> ALBERT À L’OUEST

Albert n’étant pas la plus fine gâchette de l’Ouest américain, sa fiancée part avec un esthète de la moustache. Une mystérieuse femme l’aide alors à devenir un vrai cow-boy. S’il n’est pas à son meilleur, Seth MacFarlane (Ted) séduit grâce à son jeu cartoonesque. Q. G. de Seth MacFarlane (1h56) Distribution : Universal Pictures Sortie le 2 juillet


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Big Bad Wolves Par L. P.

Dror, un jeune enseignant en théologie, est soupçonné d’avoir commis une série de meurtres de très jeunes filles. Finalement relâché, il n’en reste pas moins la cible du père de l’une des victimes comme du policier renvoyé pour s’être mépris sur son compte. S’engage alors une course-­poursuite souvent gagnée par un humour noir presque trop glaçant pour être vraiment goûté par tous – à Tribeca, en 2013, ce thriller israélien avait fait son effet sur l’assistance.

PAR Q. G.

abouti, Living Still Life permet néanmoins de se faire une idée de l’utilisation de la couleur par le cinéaste français et de retrouver son actrice fétiche, la magnétique Elina Löwensohn.

Deux voitures face à face dans une ruelle étroite de Palerme ; laquelle des deux laissera passer l’autre en premier ? À partir de cette très bonne idée, Emma Dante met en scène un duel acharné entre deux conductrices têtues. Étirer une telle situation et la traiter jusque dans ses aspects les plus banals aurait pu affadir les personnages. Si le scénario ne s’épuise pas et si les rebondissements ne paraissent jamais artificiels, c’est que la réalisatrice anime avec une drôlerie acide l’espace autour des véhicules.

de Bertrand Mandico avec Elina Löwensohn, Thierry Benoiton… Distribution : Malavida Durée : 40min & 15min Sortie le 2 juillet

d’Emma Dante avec Emma Dante, Alba Rohrwacher… Distribution : Jour2fête Durée : 1h32 Sortie le 2 juillet

d’Aharon Keshales et Navot Papushado avec Lior Ashkenazi, Rotem Keinan… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h50 Sortie le 2 juillet

Boro in the Box / Living Still Life PAR L. T.

Le très prolif ique Bertrand Mandico fait fi des formats et des genres. Tourné en pellicule noir et blanc, Boro in the Box est la biographie assez imaginaire du réalisateur Walerian Borowczyk (La Bête) selon un abécédaire qui mêle expériences sensorielles et visions fantasmagoriques avec une folie réjouissante. Moins

Palerme

Terra Nullius. Confessions d’un mercenaire La jeune cinéaste portugaise Salomé Lamas plante sa caméra devant Paulo de Figueiredo, 66 ans. Patiemment, elle recueille son témoignage sur une vie en marge du système : Paulo affirme s’être engagé dans plusieurs groupes armés et avoir été tueur à gage pendant des années. Étrangement, aucun plan de coupe, aucune image d’archives ne vient appuyer ses propos, à la fois précis et choquants. Dit-il vrai ? Les preuves manquent, mais, quoi qu’il en soit, l’homme est passionnant. de Salomé Lamas Documentaire Distribution : Shellac Durée : 1h12 Sortie le 2 juillet

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PAR T. Z.


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© vivian maier/collection john maloof/courtesy howard greenberg gallery, new york/les douches la galerie, paris

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Autoportrait de Vivian Maier, sans titre, 1955

À la recherche de Vivian Maier L’incroyable success-story posthume d’une nounou américaine, photographe à ses heures perdues, inconnue de tous jusqu’à ce qu’un jeune homme se donne pour mission de faire éclater son talent au grand jour. Un documentaire qui croit encore aux fantômes.

> MATCH RETOUR

Représentant de la nouvelle vague du cinéma roumain, le réalisateur de 12h08 à l’est de Bucarest s’essaye au genre documentaire. Le sujet – son père et lui commentent un match de football peu de temps avant que n’éclate la révolution roumaine – a de quoi intriguer. Ma. P. de Corneliu Porumboiu (1h37) Distribution : Contre-Allée Sortie le 2 juillet

PAR MARION PACOUIL

Tout commence en 2011. Un jeune agent immobilier se rend à une vente aux enchères dans les environs de Chicago et remporte, pour 380 dollars, un carton rempli de négatifs. Bouleversé par les clichés qu’il commence à numériser, John Maloof part alors en quête de leur auteur : ils sont l’œuvre d’une certaine Vivian Maier, nounou à Chicago dans les années 1950 à 1990. Ironie du sort, elle est décédée deux ans plus tôt. Désireux de montrer ses trouvailles, il contacte le MoMA qui lui claque la porte au nez. Qu’importe. Gonflé à bloc, Maloof organise seul une petite exposition. Il vient d’appuyer sur le déclen­cheur de la saga Vivian Maier. Le monde de l’art s’accorde pour vanter l’œil exceptionnel de cette photographe de rue, inconnue de son vivant, qui entassait les pellicules sans jamais les développer – au total, plus de cent mille négatifs seront finalement retrouvés. Avec son appareil en permanence autour du cou, Vivian Maier photographiait tout, des enfants

pleins de cambouis aux bourgeois risibles. À la recherche de Vivian Maier tente de percer le mystère : qui était vraiment cette nanny secrète ? Le montage furieux rend compte de cette quête effrénée et labyrinthique. Au fil des témoignages, le portrait fantasmé de la nounou parfaite se noircit peu à peu. La paranoïa s’installe, et ceux qui l’ont connue, employeurs et enfants, vont jusqu’à remettre en cause l’authenticité de son accent français – sa mère était française, son père, américain. Émerge alors le portrait d’une femme mystérieuse et obsessionnelle, voire maniaque – des journaux emplissaient sa chambre du sol au plafond – qui portait des chemises d’hommes et prenait un malin plaisir à s’inventer des pseudonymes. Vivian Maier ou la preuve qu’il n’est jamais trop tard pour réécrire l’histoire de l’art. de John Maloof et Charlie Siskel Documentaire Distribution : Happiness Durée : 1h24 Sortie le 2 juillet

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> DUO D’ESCROCS

L’heure de la retraite a sonné pour Richard Jones (Pierce Brosnan) et les ennuis ne font que commencer. Un trader a mis en faillite sa boîte et son plan de retraite. Les voilà lancés, lui et son ex-femme (Emma Thompson), dans une chasse à l’homme délirante. Ma. P. de Joel Hopkins (1h34) Distribution : SND Sortie le 2 juillet

> À TOUTE ÉPREUVE

Greg a de l’énergie à revendre, mais pas pour les révisions du bac. Il opte plutôt pour la triche en échafaudant un plan pour voler les sujets. Marc Lavoine et le rappeur La Fouine participent à cette comédie délirante par le réalisateur de La Traque (2010). T. Z. d’Antoine Blossier (1h35) Distribution : Gaumont Sortie le 9 juillet


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Qu’il est étrange de s’appeler Federico PAR T. Z.

À 83 ans, le grand cinéaste italien Ettore Scola rend un hommage plein de verve à son ami Federico Fellini, décédé en 1993. Scola utilise les procédés du maître en imbriquant brillamment réalité et reconstitution de souvenirs. Les lieux chers à Fellini sont illustrés par des images d’archives (Cinecittà, la fontaine de Trevi), tandis que des bribes de sa vie et de son amitié avec Scola sont rejouées par des acteurs. d’Ettore Scola Documentaire Distribution : Bodega Films Durée : 1h30 Sortie le 9 juillet

Du goudron et des plumes PAR JULIETTE REITZER

Metropolitan PAR LOUIS SÉGUIN

Dans le Manhattan de l’orée des nineties, Tom Townsend (Edward Clements) découvre le grand monde par l’intermédiaire d’un groupe de jeunes gens qui l’attire tout en heurtant ses principes politiques. L’histoire, celle d’un Rastignac moderne, n’annonce rien de nouveau : comment l’apprentissage amoureux peut-il cohabiter avec l’apprentissage social ? Whit Stillman met en scène ce petit groupe comme une entité déliquescente qui cherche à conserver ses prérogatives sociales malgré l’évident anachronisme de ses coutumes. Mais l’originalité fondamentale du film consiste à regarder cette société avec tendresse et sans cynisme. Et pour cause : la quête de cette petite bande est

aussi celle du réalisateur ; l’histoire de ce Metropolitan, tourné en 1990, c’est la sienne. La mise en scène souligne que la politesse de ces jeunes gens n’est pas froide et guindée, qu’elle est révélatrice d’une douceur et d’un idéal des rapports sociaux qui passent par la richesse des dialogues. La filmographie rare et précieuse du cinéaste (Les Derniers Jours du disco, Damsels in Distress), ouverte avec ce Metropolitan, n’a eu de cesse depuis d’élaborer cette langue particulière qui trouve ici, dans les salons d’une jeunesse dorée new-yorkaise vouée à l’extinction, un écrin à sa mesure.

Commercial pour une société de traitement contre les termites, Christian n’hésite pas à tricher un peu pour finaliser ses ventes. Encouragé par sa fille, qu’il élève seul, il accepte de participer à un triathlon estival (ambiance Interville) et rencontre la charmante Christine. Saura-t-il accepter les bonheurs simples qui s’offrent à lui ? Couleurs vives, cadres au cordeau, humour poétique façon Tati : Pascal Rabaté (Les Petits Ruisseaux) confirme son grand talent de cartooniste.

de Whit Stillman avec Carolyn Farina, Edward Clements… Distribution : A3 Durée : 1h38 Sortie le 2 juillet

de Pascal Rabaté avec Sami Bouajila, Isabelle Carré… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h31 Sortie le 9 juillet

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le s fi lm s

Coldwater

Everyone’s Going to Die

Monteur, producteur et acteur de Bellflower, succès indé de 2011, Vincent Grashaw réalise son premier long métrage, un film carcéral qui a la particularité de se dérouler sous un soleil radieux. « Coldwater était mon premier scénario, je l’ai écrit au lycée. J’ai passé une dizaine d’années à essayer de le tourner, ça a failli se concrétiser deux ou trois fois avec de grands acteurs, un gros budget, et ça a foiré. Après Bellflower, l’industrie m’a accepté. » Jeune ado impliqué dans une série de délits, Brad est envoyé dans un camp de redressement pour mineurs, un lieu de maltraitances insoutenables. Film d’évasion frénétique, Coldwater

évoque les grandes tragédies portées ces dernières années par la jeunesse américaine. Grashaw cite le massacre de Columbine, en 1999, comme inspiration pour ses personnages. « J’ai lu énormément à propos des deux gosses qui ont organisé la fusillade et ont inspiré le personnage. J’ai essayé de caractériser celui-ci comme un gamin qui n’aurait pas dû être envoyé dans un camp, mais plutôt être hospitalisé. » Dans ce rôle, le jeune P. J. Boudousqué, quasi-­ sosie de Ryan Gosling, excelle dans la rage et la démesure.

Ray est un truand qui cherche à se ranger, Melanie n’a pas de travail et s’ennuie ferme avec un petit ami trop peu présent à son goût. Ces deux-là vont se rencontrer et, un peu par hasard, passer deux jours ensemble… Certes, ce film réalisé par Jones (sous ce mystérieux pseudonyme se cache un duo de réalisateurs) a un titre plombant, il met en scène des dépressifs et donne une vision pas très joviale de l’Angleterre. Mais derrière ce vernis mélancolique se niche une comédie romantique dotée d’une douce fantaisie.

de Vincent Grashaw avec P. J. Boudousqué, James C. Burns… Distribution : KMBO Durée : 1h44 Sortie le 9 juillet

de Jones avec Nora Tschirner, Rob Knighton… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h23 Sortie : 9 juillet

PAR QUENTIN GROSSET

PAR Q. G.

Blue Ruin PAR T. Z.

Le directeur de la photo Jeremy Saulnier (Putty Hill, I Used to Be Darker) assure pour la deuxième fois la réalisation d’un long métrage, après Murder Party en 2007. Son sens de l’image donne du cachet à cette histoire de vagabond cherchant à venger le meurtre de ses parents. Après un départ sobre et élégant, les aspects de série B gore du film se font jour, alternant avec des séquences plus subtiles de retrouvailles familiales et amicales. de Jeremy Saulnier avec Macon Blair, Devin Ratray… Distribution : The Jokers / Le Pacte Durée : 1h32 Sortie le 9 juillet

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le s fi lm s

Sunhi Avec Sunhi, Hong Sang-soo arpente de nouveau ses terres favorites : à Séoul, des bars, des parcs et, au milieu, une jeune fille perdue entre trois désirs. Une belle variation sur la profondeur des relations. Par Laura Tuillier

Le réalisateur sud-coréen donne l’impression de livrer ses films de plus en plus vite. Ainsi, Sunhi, présenté au dernier festival de Locarno (où il a remporté le Prix de la mise en scène), sort sur les écrans français tout juste sept mois après Haewon et les hommes et aurait pu s’appeler Sunhi et les hommes. Sunhi, étudiante en cinéma timide – c’est ce que disent d’elle les hommes qui la côtoient –, hésite sur la voie à suivre : partir étudier aux États-Unis, persévérer en Corée du Sud, voire retourner chez sa mère cultiver la terre. Sur le chemin de ses interrogations, la jeune fille croise son ex, également étudiant, son professeur de cinéma, épris d’elle, et un réalisateur qu’elle ne laisse pas non plus indifférent. Sa route, émaillée de désirs, est également semée de bars où la bière et le soju [l’alcool local, ndlr] coulent à flots, ce qui ne contribue pas à clarifier ses choix. Dans cet art du plan-séquence discursif qui voit rêves, digressions

> CIRCLES

En 1993, en pleine guerre de Bosnie, Marko sauve un vendeur de cigarettes des coups de trois soldats. Une dizaine d’années plus tard, tous ceux qui ont côtoyé Marko se trouvent face à des choix moraux qui les replongent au cœur du conflit. L. T. de Srdan Golubovi (1h52) Distribution : Zootrope Films Sortie le 9 juillet

philosophiques et conseils de vie s’empiler, le point de fuite reste Sunhi. Si chacun des hommes pense l’aimer et la connaître, Sunhi, elle, ne sait rien de ses envies. Réduit à son plus simple appareil dramatique, malgré quelques chassés-­croisés aux abords d’un des palais de la ville, Sunhi fascine par la capacité de Hong Sang-soo de créer de l’emballement fictionnel à partir de situations brumeuses et ramollies. Les personnages, constamment dans l’affirmation de leur profondeur, sont paradoxalement incapables de parvenir à une forme d’échange constructif ou instructif. C’est l’humour du cinéaste, mais aussi sa mélancolie, que de faire se fréquenter en permanence de parfaits inconnus. de Hong Sang-soo avec Jung Yoo-mi, Kim Sang-joong… Distribution : Les Films du Camélia Durée : 1h24 Sortie le 9 juillet

> LES VACANCES DU PETIT NICOLAS

L’école est finie, les grandes vacances peuvent commencer. Le réalisateur Laurent Tirard signe la suite des aventures du garçonnet, toujours excellent dans l’art des bêtises, quiproquos et espiègleries. Ma. P. de Laurent Tirard Distribution : Wild Bunch Sortie le 9 juillet

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> JE VOYAGE SEULE

Pour son quatrième long métrage, Maria Sole Tognazzi se penche sur la vie d’une célibataire italienne quadragénaire. Alors qu’elle se sent épanouie, plusieurs événements la font douter de son bonheur. Récit d’un voyage intercontinental révélateur. T. Z. de Maria Sole Tognazzi (1h25) Distribution : Bellissima Films Sortie le 9 juillet


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© le trident / béatrice costantini

le s fi lm s – dvd

Le Tempestaire de Jean Epstein (1947)

Coffret Jean Epstein Les films les plus marquants du cinéaste et philosophe Jean Epstein sont réunis dans un magnifique coffret. Parcours d’un réalisateur qui a fui l’académisme de son époque pour s’embarquer dans une recherche quasi spirituelle autour de la mer. PAR QUENTIN GROSSET

En 1928, Jean Epstein part en Bretagne pour se reposer. Son entreprise de production croule sous les dettes. Il vient pourtant de signer un envoûtant chef-d’œuvre, La Chute de la maison Usher (1928), un conte fantastique, adapté d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe, qui expérimente un procédé novateur, la caméra à grande vitesse, pour produire des ralentis langoureux. Le cinéaste ne quittera plus jamais vraiment la région. Depuis 1922, il a certes été l’un des représentants de la « première avant-garde française », également appelée « impressionnisme français ». Son influence sur le cinéma infuse autant les œuvres de Robert Bresson que celles de Bruno Dumont. Mais certains films, comme Le Lion des Mogols (1924), produit par la Société des Films Albatros, sont moins aventureux sur le plan formel. Après la chute des Films Jean Epstein, qui lui donnent un moment le luxe de l’indépendance, il lui suffit de se laisser emporter par le courant de l’Atlantique pour atteindre les tréfonds de son œuvre. En 1929, Finis Terrae suit le quotidien des pêcheurs de goémons entre l’île d’Ouessant et celle, inhabitée, de Bannec. L’aspect documentaire de ce récit, vécu puis fictionnalisé, a souvent été évoqué, parce que le

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réalisateur a fait tourner des Ouessantins non professionnels (une prouesse à l’époque : dans un bonus, la sœur du cinéaste raconte que les filles n’osaient pas défiler devant la caméra de peur de ne plus pouvoir se marier). Mais la portée de ce film a bien plus à voir avec une vision intime de la mer, une vérité non pas naturaliste mais humaine. Les Poèmes bretons (L’or des mers [1932], Chanson d’Ar-Mor [1935], Les Feux de la mer [1948]…) sont très plastiques, très découpés, le paysage devient une expression de l’intériorité des hommes. Le rapport secret que l’humain entretient avec la nature anime le cinéaste, et c’est dans Le Tempestaire (1947) qu’il réalise un vieux fantasme, celui d’une maîtrise des éléments par les moyens du cinéma. Une femme vient demander à un vieil homme d’adoucir la tempête pour que son fiancé en revienne. Epstein fait varier la vitesse de l’image et du son pour calmer le déferlement des vagues et les contempler dans tout ce qu’elles ont de puissant et mystique. Coffret Jean Epstein Édition : Potemkine, La Cinémathèque française, agnès b. Durée : 15h45 Disponible

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le s fi lm s – dvd

LES SORTIES DVD

> THE MYTH OF THE AMERICAN SLEEPOVER

> LÉGENDES VIVANTES

> DALLAS BUYERS CLUB

de David Robert Mitchell (Metropolitan)

Sorti aux États-Unis en décembre dernier, cette suite de Présentateur vedette. La légende de Ron Burgundy, malgré son succès outre-Atlantique, n’a droit en France qu’à une sortie vidéo. Avec ce film, le duo Will Ferrell (acteur) et Adam McKay (réalisateur) continue de brocarder le rêve américain avec un sens de l’absurde et de la farce sans équivalent à l’heure actuelle. Non content d’être une satire féroce des chaînes d’information en continu, Légendes vivantes nous offre une romance à la fois surréaliste et touchante entre deux êtres décalés interprétés avec brio par Kristen Wiig et Steve Carell. J. D.

D’un côté, l’histoire vraie et étonnante d’un cow-boy des années 1980, bien droit dans ses bottes d’hétéro, qui découvre qu’il est atteint du sida. Passée l’incompréhension (il associe sida et homosexualité), il monte un club privé pour malades afin d’organiser un accès clandestin à des médicaments efficaces mais non autorisés par le gouvernement américain. De l’autre, les performances physiques des très amaigris Matthew McConaughey et Jared Leto. Elles ne prennent toutefois pas une importance phagocytante, placées à leur juste place par la caméra mesurée et claire de Jean-Marc Vallée. É. R.

> GARE DU NORD / GÉOGRAPHIE HUMAINE

> BUNNY LAKE A DISPARU

> TEL PÈRE, TEL FILS

Réalisé par Otto Preminger en 1965, Bunny Lake a disparu met en scène Steven et Ann, un frère et une sœur américains tout juste débarqués à Londres. La petite fille d’Ann disparaît lors de son premier jour d’école. Manipulant avec un plaisir palpable les soupçons du spectateur (Bunny Lake existe-t-elle seulement ? Le frère et la sœur sont-il honnêtes ?), Otto Preminger organise une enquête haletante menée par Laurence Olivier dans une ville maquillée d’ombres inquiétantes. Si le scénario est classique du film de genre, la réalisation, d’une souplesse virtuose, entretient le mystère de bout en bout. L. T.

Un beau jour, la clinique dans laquelle la mère de Keita a accouché l’appelle pour lui annoncer, ainsi qu’à son mari, que leur enfant a été malencontreusement « échangé » à la naissance avec celui d’une autre famille – à la vie plutôt délurée en comparaison de celle très millimétrée de Keita. La question de rendre à chaque famille sa « vraie » progéniture se pose. Quels liens seront les plus forts ? Ceux du cœur ou du sang ? Le réalisateur de Still Walking propose là une réflexion, parfois cruelle mais toujours pertinente, sur ce qu’être père signifie dans un Japon contemporain qui érige l’excellence en unique modèle possible. Ma. P.

Dans la banlieue de Detroit, c’est le dernier week-end avant la rentrée. Le temps d’une nuit d’été, plusieurs ados naviguent, de pyjama parties en fêtes à ciel ouvert, à la recherche d’un peu d’expérience ou d’amour. Pour son premier film, le réalisateur de It Follows (bien accueilli à la Semaine de la critique cette année) esquisse avec douceur des portraits d’ados à la fois oniriques et réalistes. En proposant la vision d’une jeunesse bien loin d’être insouciante, il réussit un beau teen movie à contre-courant. T. Z.

de Claire Simon (Blaq Out)

Claire Simon a trouvé dans l’agitation de la gare du Nord matière à un documentaire, Géographie humaine, et à un film de fiction, Gare du Nord. Le premier empile les récits stupéfiants de ceux qui arpentent le lieu – fugueurs, travailleurs immigrés, cadres épuisés. Prenant racine dans ce terreau documentaire, le second orchestre la rencontre entre un jeune sociologue (Reda Kateb) et une prof plus âgée (Nicole Garcia) qui se retrouvent chaque jour gare du Nord pour questionner ceux qui la font vivre – dames pipi, SDF, commerçants. Deux films pour un portrait de la gare en fascinant village-monde. J. R.

d’Adam McKay (Paramount)

d’Otto Preminger (Wild Side)

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de Jean-Marc Vallée (TF1)

de Hirokazu Kore-eda (Wild Side)


cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

SPECTACLES

POP

Étienne Daho

Invité d’honneur du festival Days Off, programmateur d’une carte blanche au MK2 Quai de Seine, Étienne Daho, tout auréolé du succès de son dernier album (Les Chansons de l’innocence retrouvée) célèbre sur scène et sur les écrans une éternelle jeunesse hexagonale, pop, libre, moderne. Dahoesque. PAR WILFRIED PARIS

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© richard dumas

u 3 au 13 juillet prochain, le MK2 Quai de Seine va projeter neuf longs métrages et deux courts métrages que tu as sélectionnés. Comment as-tu choisi ces films? L’idée était de proposer une célébration de la culture pop française – et donc de la musique – à travers le cinéma. J’avais envie de montrer des films qui capturent un moment d’une certaine jeunesse, en France. Je n’ai pas pu obtenir certains d’entre eux, comme La Cicatrice intérieure de Philippe Garrel ou New Wave de Gaël Morel, mais, globalement, je suis très content de la sélection, parce que je crois qu’elle contient des films qui ont vraiment réussi à attraper ce qu’est une génération : Les Tricheurs, de Marcel Carné ; Orphée, de Jean Cocteau, qui saisit un bout de la jeunesse des années 1950, le Café de Flore [figuré par le Café des Poètes dans le

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CONCERT Blitz The Ambassador le 28 juin à l’hippodrome de Longchamp p. 94

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THEÂTRE Lucrèce Borgia jusqu’au 20 juillet à la Comédie-Française p. 102


KIDS

LIVRES

La Fête sauvage : la chronique d’Élise, cinq ans et demi p. 96 ARTS

Bill Bryson décrypte l’origine cachée des objets du quotidien p. 98

JEUX VIDÉO

JEUX VIDÉO

Kentucky Route Zero marie road trip et introspection existentielle p. 106

FOOD

film, ndlr], les existentialistes ; Après mai, d’Olivier Assayas, film qui m’a vraiment bouleversé parce qu’il parle de ma génération, et de la sienne – ces envies radicales, ces espoirs de vraies conditions politiques, je me suis vraiment retrouvé dedans – et parce que la B.O. est dingue – l’apparition de la chanson Decadence de Kevin Ayers y est parfaite. Peux-tu nous parler du film de Jérôme de Missolz (Des jeunes gens mödernes) qui sera projeté en avant-première ? As-tu toi-même le sentiment de faire partie d’une bande ? Oui, j’ai toujours travaillé en famille, avec des amis. C’est important pour moi qu’il y ait une dimension amicale dans la réalisation des disques ou des clips. Je suis un solitaire, accompagné d’une bande. J’ai toujours du mal à faire partie de quelque chose, mais il y a en permanence des gens autour de moi. Elli et Jacno, c’est un peu plus que ça, parce qu’ils sont vraiment comme ma famille. À partir du moment où l’on s’est rencontrés, on était unis pour l’éternité. Des jeunes gens mödernes montre cette scène des années 1980, Elli et Jacno, Lio, Daniel Darc, Philippe Pascal, ce moment extrêmement rapide de l’histoire de la musique française. C’est une génération qui était un peu coincée entre la fin des années 1970, les illusions, les espoirs que portaient nos grands frères, et les années 1980, avec le cynisme et l’idée de profit qui allaient arriver. On faisait de la musique avec beaucoup de candeur, sans projections sur ce que pourrait être notre avenir. On montait sur scène et on chantait sans avoir jamais chanté ni joué de guitare. Il y a eu une sorte d’ébullition comme ça, très belle, spontanée, et une forme de révolution esthétique, avec des gens comme Jacno dont Rectangle, dès 1979, a vraiment fait bouger les lignes.

DESIGN

présente

« Il y a eu une sorte d’ébullition comme ça, très belle, spontanée. » Tu invites toute la nouvelle génération de musiciens français à t’accompagner sur scène, le 8 juillet prochain, à la salle Pleyel. J’ai l’impression que tu es toujours resté en contact avec la/ta jeunesse. Oui, à partir du moment où j’ai commencé à être plus mature, j’ai toujours rencontré de jeunes artistes qui étaient sensibles à mon travail et avec qui j’ai pu créer des liens. La soirée « Tombés pour la France » permettra aussi de jeter un pont entre des musiciens des années 1980 comme Patrick Vidal et Philippe Pascal et toute cette nouvelle vague incarnée notamment par Aline, Lou Doillon, La Femme, Frànçois & The Atlas Mountains, John & Jehn, Lescop, Mustang, Perez, The Pirouettes, Poni Hoax, Calypso Valois et Yan Wagner. Ce sont deux générations qui ont beaucoup d’affinités musicales, avec, chez tous, une même forme de candeur, de pureté. Je m’entends très bien avec ces jeunes artistes. C’est une bande qui se constitue un peu malgré eux, mais c’est une scène extrêmement intéressante, vivace, créative. Ils sont très touchants : on les a filmés pour projeter leurs images en fond de scène pendant les concerts, en plans un peu warholiens, tous seuls devant la caméra, et c’est incroyable ce qu’ils ont pu être inventifs et émouvants. Dans les années 1980, j’ai découvert le Velvet Underground, Syd Barrett et les B-52’s grâce à une interview de toi dans Rock’n’Folk. On sent que tu

le PARCOURS PARISIEN du mois

EXPOSITION « Martial Raysse. Rétrospective 1960–2014 » jusqu’au 22 septembre au Centre Pompidou p. 104

FOOD Le Laurent 41, avenue Gabriel Paris VIIIe p. 108

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DESIGN L’Atelier parisien d’Ida M. du 14 juin au 22 septembre au marché Dauphine (Saint-Ouen) p. 110


© richard dumas

cultures MUSIQUE

« Pour écrire des chansons, il faut tremper sa plume dans la vraie vie. » as toujours plaisir à faire découvrir les œuvres et les artistes qui t’ont marqué. De quelle manière conçois-tu ce rôle de « personnage public » comme passeur culturel ? Ça me fait très plaisir, parce que j’ai moi-même découvert beaucoup de choses de la même manière, grâce aux artistes que j’aimais. On apprécie un artiste pas seulement pour son travail, mais aussi pour sa vision des choses, ses goûts. Cela suscite une curiosité pour d’autres œuvres. Ado, on se fait des cassettes pour faire découvrir les artistes que l’on aime. Faire des disques, c’est un peu la même chose, sauf que le fait d’avoir accès à des médias plus larges permet de rayonner davantage. Certains artistes peuvent vraiment changer la vie, la faire concevoir différemment. Quand, grâce à des amis, j’ai découvert le Velvet, ça a changé ma vie pour l’éternité, je n’ai plus jamais été la même personne… Tu vas faire plusieurs concerts à la Cité de la musique, qui revisiteront ton répertoire, dont une version live de Pop Satori, paru en 1986. Ne crains-tu pas une certaine « muséification », une nostalgie rétromaniaque ? On se sert du passé pour avancer. Moi, je ne suis pas nostalgique, et je ne peux pas être nostalgique d’une chose que j’ai vécue, je n’ai pas de regrets. Après, la place que j’occupe, l’image, la perception que les gens ont de mon travail, c’est quelque chose d’extérieur à moi. Je suis plutôt tourné vers le futur, avec l’envie, toujours, d’établir un lien avec le passé et le présent. Pour cette série de concerts, il n’y a pas de nostalgie, dans l’intention, en tout cas. Après, on ne peut pas empêcher la nostalgie du public. Parce que la musique, c’est ça aussi : ça rappelle des moments, agréables ou pas d’ailleurs. L’écoute d’un morceau te replonge forcément dans ces moments passés. Ta carrière est étrangement ponctuée de disparitions et de résurrections : dans les années 1990, une rumeur te donnait pour mort, et tu as répondu en musique avec Reserection et Eden ;

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ton dernier disque, Les Chansons de l’innocence retrouvée, fait suite à une péritonite qui a failli t’emporter… Comment intègres-tu à ta création ces allers-retours entre vie et trépas (quand bien même ceux-ci sont fictifs, imaginaires) ? Chaque album est une nouvelle jeunesse, un nouveau chapitre, une renaissance. J’ai l’impression de recommencer à chaque fois, de mourir pour mieux renaître. Je pense que les disparitions sont aussi importantes que les réapparitions. Je ne m’imagine pas faire ce métier sans parfois disparaître de la circulation pour retrouver mes racines, me nourrir, découvrir de nouvelles choses. Pendant toute la période d’exploitation d’un album, je passe ma vie avec mes chansons, je ne fais que parler de moi-même, et je n’ai pas beaucoup d’occasions de me ressourcer – même si je ne suis pas non plus inactif, puisque je travaille avec d’autres artistes, et que j’ai produit l’album de Lou Doillon par exemple. Or, pour écrire des chansons, il faut tremper sa plume dans la vraie vie. Après, les rumeurs… c’est extérieur à moi. Chaque fois qu’il y a une nouvelle rumeur de mort, je me dis : « Ah bon, encore ? » (rires.) Pour toi, l’innocence, c’est quoi ? Le contraire de la culpabilité, l’enfance, la naïveté, l’hédonisme ? C’est revenir à une forme de tranquillité et au sentiment d’être juste dans ce que tu fais. J’ai eu la sensation, en faisant ce disque, d’avoir atteint une sorte de maturité que j’identifie à l’innocence. Il y a aussi une référence littéraire aux Chants de l’innocence et de l’expérience de William Blake, que j’ai lu quand j’étais adolescent et que j’ai retrouvé lorsque j’ai aménagé à Londres. L’album devait s’appeler Disque noir, parce que j’aimais bien l’impact de ces mots, mais tout d’un coup, ce jour-là, Les Chansons de l’innocence retrouvée, ça faisait vraiment sens pour moi. « Étienne Daho. Une jeunesse moderne », festival Days Off, à la Cité de la musique, les 1er et 5 juillet, et à la salle Pleyel, le 8 juillet « Étienne Daho fait son cinéma », au MK2 Quai de Seine, du 3 au 13 juillet

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electro

Mr Flash PAR ÉRIC VERNAY

Comme un coup de tonnerre retentissant longtemps après un éclair, Mr Flash s’est fait attendre. Débarqué en fanfare avec Radar Rider, morceau pionnier qui allait jeter les bas(s)es remuantes de l’aventure Ed Banger dès 2003, Mr Flash a mis plus d’une décennie à sortir son premier LP. « J’ai dû remettre cinquante fois le couvert sur ce disque, confie le Français au look de biker. J’ai produit d’autres artistes, c’était une manière de remettre à plus tard. » Mr Flash est un control freak, « un vrai nazi ». Avant d’être l’homme de l’ombre de TTC et de Sébastien Tellier dans les années 2000-2010, Mr Flash a grandi à Aix-en-Provence sous le nom de Gilles Bousquet. Son père l’oblige à faire du solfège, comme son brillant pianiste de frangin, mais le petit Gilles préfère « se castagner ». « Mon père m’a mis à la batterie. Il s’est dit que ça allait me permettre de me défouler, canaliser cette malfaisance que j’avais en moi. Lucifer n’est pas parti, mais ça m’amusait. » Puis il monte à Paris pour se lancer dans le cinéma, en tant que technicien, bosse sur différents films. « Le Loup-garou de Paris, par exemple, avec Julie Delpy. Se lever à 4h du mat pour faire un travelling, c’est cool, mais ça va un temps. Ça use. » Le salut musical viendra d’un sampleur et du rap. Les TTC habitent dans le coin, ils sympathisent. « Je venais de la new wave, du rock, de la pop. Je suis arrivé au rap, car c’était le son de ma génération. » On retrouve ce télescopage sur Sonic Crusader, épopée synthétique où le hip-hop new-yorkais croise le fer avec des ambiances menaçantes à la John Carpenter.

Sonic Crusader de Mr Flash (Ed Banger) Disponible


cultures MUSIQUE

Blitz The Ambassador hip-hop

Sur le brillant Afropolitan Dream, Blitz The Ambassador conte son parcours d’artiste ghanéen devenu rappeur new-yorkais puis citoyen du monde rêvant d’Afrique désenclavée. Rencontre avant son passage au festival Solidays.

© quazy king

Par Michaël Patin

L’histoire de Blitz The Ambassador aurait pu être celle d’une intégration réussie propre à faire vibrer les défenseurs du rêve américain. Celle d’un artiste africain qui, après avoir remporté un Ghana Music Awards à 18 ans, part poursuivre ses études et sa carrière aux États-Unis, embrassant les codes du hip hop new-yorkais tels que ses idoles Public Enemy, Nas ou Mos Def les ont définis. « Je ne m’en suis jamais remis, avoue-t-il dans la pénombre d’un bar parisien. C’est pour cette raison que Joey Bada$$ et The Underachievers sont mes artistes favoris du moment. New York, c’est la vivacité d’esprit, et j’adore ça. Le mec qui ramasse les poubelles est plus affûté que les intellectuels qu’on rencontre dans d’autres villes. » Dans ses bagages, Blitz emporte les disques d’afrobeat et de highlife qui ont composé la bande-son quotidienne de son enfance. Et développe, à travers une œuvre résolument multimédia (musique, films, poésie, car « d’où je viens, tout le monde touche à tout »),

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une vision politique qui sonne comme un soulagement alors que le rap étouffe sous le (culte du) fric. D’où le titre de son troisième album, Afropolitan Dream. « C’est un concept récent, dont la définition varie selon les personnes. Pour moi, ça signifie que les jeunes Africains qui ont l’opportunité de voyager, physiquement ou mentalement, acquièrent les outils nécessaires pour construire l’avenir de leur pays. Cette idée américaine de contribuer à faire de son pays le meilleur du monde, je compte désormais l’appliquer au Ghana. » En attendant ce retour au pays natal, où il projette déjà de réaliser un long métrage sur la boxe (une autre de ses passions), ne manquez pas sa venue dans nos contrées. Accompagné d’un groupe survolté (avec section de cuivres), il s’impose comme le plus juste ambassadeur d’un rap conscient rendu à sa musicalité et à son génie social. le 28 juin, à l’hippodrome de Longchamp (festival Solidays)

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agenda Par E. Z.

GLAM POP

Jef Barbara Par Etaïnn Zwer

Invité à la Galerie des Galeries, l’artiste Xavier Veilhan a confié la programmation musicale de son exposition-scène « ON/OFF » à une poignée de labels fureteurs dont Tricatel, lequel sera notamment représenté par la plus excentrique créature de son cheptel, le dénommé Jef Barbara. Rimmel, manières, look piqué à Dynastie et à Bowie, minihits délicatement accrocheurs : le Montréalais joue de ses multiples ambiguïtés – métis, androgyne, frangliche – pour bricoler depuis dix ans une synth­ pop décomplexée qui fait se côtoyer post-punk et variété pailletée, cold wave lascive et electro DIY, profondeur kitsch et fantaisie queer. Performer né, il a louvoyé entre théâtre et happenings dans la rue avant de devenir « son propre réalisateur ». Avec Jef & the Holograms, il a peaufiné ce projet warholien et ses lives d’une classe folle, puis a publié une série de singles qui ont séduit l’inventif Bertrand Burgalat, à raison. Après l’habile Contamination et ses Larmes de Crocodile, le déviant et raffiné Soft to the Touch enchante la critique en 2013. Ambitieux et léger, intimiste, ironique, mélancolique ou érotico-ludique (Erection), ce second opus livre douze pistes radioactives dont l’imparable I know I’m late, la gifle moite Soft to the Touch ou le planant About Singers façon Roxy Music. Ultracontemporain et royalement hors du temps, l’univers de la diva devrait trouver un écho favorable avec l’exposition « ON/OFF » qui mêle art et spectacle dans un décor luxueux de grand magasin propice aux artifices. Succédant à Zombie Zombie, Moodoïd, Tristesse Contemporaine et Chassol (autre ovni sensible made in Tricatel), Jef Barbara viendra égrener ses bonbons acidulés pour clôturer ce show en beauté. Cool et sauvage, forcément. le 21 juin, à la Galerie des Galeries (Galeries Lafayette)

Le 23 juin

Du 1 er au 10 juillet

THE SUN Ra ARKESTRA Poète-prophète de génie, l’ovni du free jazz aurait eu 100 ans cette année. Emmené par l’éternel Marshall Allen, son arkestra perpétue sa légende et son audacieux répertoire cosmique : blues, funk, swing, cabaret et afro-futurisme promettent une séance de transe jubilatoire. Space is the place.

FESTIVAL DAYS OFF Entre créations originales et invités de choix – Dominique A, Verity Susman, La Femme –, Étienne Daho, figure libre de la pop hexagonale, est à l’honneur de cette 5e édition dotée d’une programmation des plus excitante – Damon Albarn, Eels, Rufus Wainwright, Anna Calvi, Chilly Gonzales…

au New Morning

à la Cité de la musique et à la salle Pleyel

Le 2 juillet

Du 4 au 6 juillet

Angus & Julia Stone Attendu depuis Down the Way (2010) et son tube Big Jet Plane, le duo australien revient avec un troisième opus mystère produit par le sorcier Rick Rubin. On l’imagine tissé de récits intimistes et de mélodies rêveuses, désarmante pépite folk-pop à découvrir lors de cette unique date parisienne.

PARIS INTERNATIONAL Festival Of Psychedelic Music Programmation abrasive pour cette première édition : les magnétiques The Soft Moon, The KVB, le shoegaze lumineux de Toy, le french duo Zombie Zombie, The Cosmic Dead, Cabaret Contemporain…

à La Maroquinerie

à La Machine du Moulin Rouge et sur la plage du Batofar

Les 6, 13, 20 et 27 juillet

Du 11 au 14 juillet

Les Siestes électroniques Pour ses sessions en plein air inspirées des collections sonores du musée, l’audacieux festival convie notamment Joakim et Kindness en un duo inédit, la chorale Les Cris de Paris, Frank Fairfield et son americana primitive, le trio vietnamien Giai dieu #57 x et Ron Morelli. Chill-out cultivé.

Signal Festival Deux scènes (en intérieur et en extérieur), des labels triés sur le volet à l’honneur (Dement3d, InFiné), et l’avant-garde techno française (Polar Inertia, François X, Antigone) qui se frotte à des invités étrangers de haute tenue tels que l’hypnotique duo barcelonais Downliners Sekt : ce nouveau festival electro s’annonce aussi grisant que corsé.

au musée du quai Branly

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au Glazart


cultures KIDS

CINÉMA

La Fête sauvage

l’avis du grand

Absolument pas rebutée par les hordes de loups en chasse ou le festin sanguinolent des lions, Élise s’est laissée porter par le charme du documentaire poétique de Frédéric Rossif, qui a manifestement su parler au petit carnivore qui sommeille en elle. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier d’ Élise, 5 ans et demi « Ce film est étrange. Il n’y a pas vraiment d’histoire : juste une voix qui dit des choses bizarres que l’on ne comprend pas. Le film raconte quand même que l’on relâche les animaux que les hommes domestiquent et que du coup, c’est la fête sauvage. Il y a plein d’animaux partout, beaucoup trop même. Mais en fait, les animaux ne s’amusent pas du tout pendant la fête sauvage, ils n’arrêtent pas de se manger, parce qu’il y a des animaux gentils et des animaux méchants. Les gentils, c’est comme les biches, les moutons ou les flamants roses, qui sont très beaux à cause de la couleur rose dans leur prénom. Les animaux méchants, c’est comme les tigres, les dinosaures

ou les loups, qui ne ressemblent pas du tout aux loups des contes de fées. Ces animaux méchants mangent de la chair fraîche de la savane. D’un côté, je ne voudrais pas d’un lion chez moi, parce que j’aurais quand même peur qu’il me mange ; mais d’un autre, j’aimerais bien être un lion, parce que moi aussi j’adore la viande, et j’aimerais bien manger des buffles. » La Fête sauvage de Frédéric Rossif Documentaire Distribution : Zoroastre / Sophie Dulac Durée : 1h32 Dès 5 ans Sortie le 18 juin

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juin 2013

La Fête sauvage, classique incontournable du film animalier sorti initialement en 1976, compte notamment parmi ses laudateurs Costa-Gavras et Sergio Leone. Le film reste, encore aujourd’hui, un tour de force technique avec ses ralentis irréels détaillant le vol d’un hibou et ses virevoltants plans aériens talonnant un troupeau d’éléphants lancés au galop. Voir ou revoir l’œuvre de Frédéric Rossif permet également de mesurer l’évolution du documentaire animalier, genre aujourd’hui dominé par des blockbusters obnubilés par la quête de l’image choc et, surtout, plombés par une volonté forcenée de raconter un propos romancé. Composé de vignettes souvent dénuées de lien logique, La Fête sauvage assume à l’inverse son caractère impressionniste, invitant le spectateur à une rêverie unique en son genre. J. D.


Dragons 2 PAR Q. G.

Alors que son père Stoïk la Brute s’apprête à le laisser devenir chef de l’île de Berk, le jeune Harold, se promenant dans les cieux avec son dragon Krokmou, découvre une grotte secrète dans laquelle cohabitent de nombreux dragons colorés et sauvages. Une mystérieuse femme, y vivant seule, les accompagne et connaît apparemment tous leurs secrets. Harold découvre que c’est sa mère, Valka, qu’il n’a jamais connue, et qui lui ressemble en tous points. Ensemble, ils vont combattre l’armée du machiavélique Drago, qui veut soumettre tous les dragons pour assembler une meute dévastatrice. Épique et touchante, cette suite du succès de DreamWorks sorti en 2010 sensibilisera les plus jeunes, grâce à un message consciencieux, à la façon dont les hommes doivent traiter les animaux. de Dean DeBlois Animation Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h45 Sortie le 2 juillet Dès 5 ans

et aussi PAR T. Z. & Q. G.

dvd

dvd

Amoureuse de la nature, Hilda doit faire face à une catastrophe écologique majeure : une plante génétiquement modifiée envahit la planète. Le scientifique russe Michael se joint à elle pour chercher une solution. L’édition DVD de cette jolie fiction animée est enrichie d’un making of très pédagogique qui lève le voile sur les secrets de confection du film. Des entretiens éclaircissent l’origine de ce projet écologique et militant. TANTE HILDA !

Adaptation de la série animée du même nom, Minuscule… suit le parcours d’une intrépide coccinelle mêlée malgré elle à une guerre entre les fourmis noires et les fourmis rouges. L’objet de la querelle ? Une boîte de sucre abandonnée par un couple en pique-nique… Jouant sur le caractère inexpressif des insectes, les deux réalisateurs partent d’une base réaliste pour mieux la décaler et donner lieu à un vrai film d’aventure. Minuscule, la vallée des fourmis perdues

de Jacques-Rémy Girerd et Benoît Chieux (1h29) Edition : M6 Vidéo Sortie le 18 juin Dès 6 ans

d’Hélène Giraud et Thomas Szabo (1h29)

Édition : Montparnasse Disponible Dès 4 ans


cultures LIVRES / BD

Une histoire du monde sans sortir de chez moi

© julian james

curiosités

Vous ne vous en rendez pas compte, mais votre intérieur douillet est une source inépuisable d’informations historiques. La preuve avec Bill Bryson, qui décrypte l’origine cachée des objets du quotidien. PAR BERNARD QUIRINY

Vous êtes tranquillement installé chez vous, dans votre fauteuil, à lire ce numéro de Trois Couleurs. Regardez autour de vous. Votre table de salle à manger, par exemple. Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi on mange toujours au même endroit, au lieu d’utiliser une tablette portative dans chaque pièce où l’on se trouve ? Passez à la cuisine, contemplez la théière. Connaissez-vous l’incroyable histoire du thé et l’étrange destin de la Compagnie des Indes orientales ? Le téléphone sonne. Alexander Bell se rappelle à votre souvenir, qui a passé le premier coup de fil de l’histoire en 1876. Des infos comme celles-là, vous en trouverez des milliers dans Une histoire du monde sans sortir de chez moi, de Bill Bryson, écrivain américain connu pour ses encyclopédies humoristiques, ses ouvrages de vulgarisation et son anti-biographie de Shakespeare, dans laquelle il démontait les nombreux fantasmes à quoi se résument nos connaissances sur l’auteur d’Hamlet. En fait, il n’y avait que lui pour imaginer pareil projet : écrire un énorme livre d’histoire en déambulant simplement chez soi (un joli presbytère ancien dans le Norfolk) pour se demander d’où viennent les objets et habitudes de la vie courante. Depuis quand dort-on dans une chambre à coucher ? Quel était le

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niveau d’hygiène sous Henri viii ? Comment se chauffait Benjamin Franklin ? Qui a inventé la cheminée ? « La maison n’est pas un refuge contre l’histoire, explique très sérieusement l’auteur. C’est le lieu où l’histoire aboutit. » Dans un style narratif bourré d’humour (« Le duc de Marlbourough était tellement radin que, lorsqu’il écrivait, il ne mettait pas de points sur ses i pour économiser l’encre »), Bryson entasse anecdotes et révélations, résume des kilomètres de sources et reconstitue par le petit bout de la lorgnette l’histoire entière de l’Occident, de Christophe Colomb à Gustave Eiffel. On vous recommande le chapitre consacré à la literie et celui qui traite de la salle de bains, le premier pour ses informations sur l’intimité sexuelle au cours des âges, le second pour ses inévitables développements sur la technologie des toilettes, lieu dont on apprend que, contrairement aux idées reçues, il contient cinq fois moins de bactéries que votre planche de bureau. La vérité, décidément, se trouve parfois où on l’attend le moins. Une histoire du monde sans sortir de chez moi de Bill Bryson Traduit de l’anglais (États-Unis) par Hélène Hinfray (Payot)

juin 2014


sélection Par b. q.

Sans voix

d’Edward St Aubyn (Christian Bourgois)

Le prix Elysian, richement doté par la firme agrochimique du même nom, récompense chaque année le meilleur roman britannique. Divers écrivains convoitent cette prestigieuse récompense, notamment un Indien, mégalomane, ainsi que l’auteur d’un livre de cuisine, qui concourt par erreur… Toujours aussi caustique, St Aubyn multiplie les pastiches et sautille entre ses nombreux personnages, dans une ronde comique qui tourne en dérision le petit monde littéraire et ses batailles d’ego.

Ce qui est arrivé aux Kempinski

d’Agnès Desarthe (Éditions de L’Olivier)

Un prof de français perfectionniste cherche, tout au long de sa carrière, l’élève modèle dont il fera son disciple, en vain. (Quoique.) Une sexagénaire se voit offrir pour son anniversaire un saut à l’élastique. (Solide ?) Cette quinzaine de nouvelles, écrite par Agnès Desarthe depuis une dizaine d’années, certaines déjà parues dans la presse, traverse une large palette d’ambiances. Les meilleures touchent à une étrangeté proche du fantastique, façon Ozon.

Le jeune homme qui voulait ralentir la vie

de Max Genève (Serge Safran)

Benoît, garçon indolent qui ne sacrifierait pour rien au monde sa sieste d’après-déjeuner, se trouve invité à la réunion d’une mystérieuse association secrète, le MPL (Mouvement pour la lenteur). En parallèle, son patron le missionne pour surveiller sa fille de 17 ans, abonnée à l’école buissonnière et aux passe-temps pornographiques… Max Genève tresse les fils de ce scénario improbable et propose une comédie fantaisiste légère qui, comme souvent chez lui, ne recule pas devant le fantastique. Plaisant.

Literary Life

de Posy Simmonds (Denoël Graphic)

L’auteure de Tamara Drewe a publié dans les colonnes du Guardian durant trois ans une chronique dessinée sur la vie des lettres, dans un genre cousin de La Chose littéraire de J.-P. Delhomme. Satires tendres ou acides de l’ego des écrivains, piques amusées sur le discours du « tout fout le camp », inventions fantaisistes (le docteur Derek, spécialisé dans la thérapie pour écrivains névrosés) : une centaine de gags bien sentis, dans un kaléidoscope de formes et de styles.


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

La Technique du périnée

sélection

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

par s. b.

L’Ermite

de Simon Hanselmann

Avec ce deuxième ouvrage, Marijpol brode une fable sur la mort qui impressionne et trouble par son approche esthétique, toute en atmosphères puissantes, lourdes, référencées à la peinture religieuse – mais réinventées. Dans un monde où l’humanité menace de s’éteindre par manque d’enfants, un ascète, installé dans une forêt tropicale, accompagne les vieillards qui le désirent vers une mort paisible.

Il y a une mode du dessin régressif, qui se retranche derrière les pratiques de l’enfance (crayons de couleur, traits maladroits) pour justifier un humour des plus stupides. C’est le cas des aventures de Megg, Mogg & Owl, une sorcière, un hibou et un chat qui passent le plus clair de leur temps à fumer de l’herbe et à faire n’importe quoi. Successions de fous rires ou profonde consternation, tout dépend.

(Atrabile)

Toute carrière est plus ou moins jonchée de moments clés, d’œuvres qui ouvrent un nouveau pan d’écriture. Tel est le cas de La Technique du périnée pour Ruppert & Mulot. D’une certaine manière, ces deux formalistes autodidactes passaient jusqu’à présent leur temps à assimiler les subtilités de la bande dessinée. Leurs exercices de style les plus ludiques ne s’embarrassaient pas d’intrigue ou de personnages incarnés, laissant le dispositif – un par livre, souvent bardé de pièges pour le lecteur – se suffire à lui-même. Et c’est vrai que le lecteur, souvent, s’amusait, réfléchissait, décodait. Mais pour en retenir quoi ? Pas toujours grand-chose, une fois le jeu terminé. C’est donc une vraie surprise que de pénétrer dans cette intrigue habitée par des problématiques contemporaines et des héros incarnés. Une histoire de passion virtuelle qui tourne à l’initiation pour un artiste contemporain égaré sur une voie de garage en termes de création. Les auteurs distribuent les figures de styles assimilées dans leurs précédents ouvrages uniquement quand la dramaturgie le justifie – l’ouverture et la conclusion sur un dessin identique mais dont les bords de la case ont changé, et par là même, le sens de la scène racontée, est un excellent exemple de la subtilité du récit. D’ailleurs, le pari formel – car il y en a toujours un – de renouveler l’imagier de la sexualité avec des analogies graphiques n’est pas toujours gagné, en témoigne l’éjaculation finale, en forme de tour de manège, un peu convenu. Non, la surprise, c’est de découvrir une modeste romance contemporaine, complètement sublimée par la mise en scène. Et de voir un héros, et deux auteurs, apprendre de concert à se retenir d’en foutre partout. La Technique du périnée de Ruppert & Mulot (Dupuis)

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juin 2013

Maximal Spleen

de Marijpol

Locke & Key # 6. Alpha & oméga

de Joe Hill et Gabriel Rodriguez (Milady)

Avec cet ultime volume, c’est tout simplement la meilleure saga comics de ces six dernières années qui touche à sa fin. Créée par le fils de Stephen King, l’écrivain prodige de sa génération selon la plupart des scénaristes américains, Locke & Key raconte l’histoire d’une maison de famille pas tout à fait comme les autres, dont chacune des clés recèle un pouvoir et est convoitée par un étrange personnage. Indispensable.

(Misma)

C’est la vie ! conversation avec Maurice Rosy

de Maurice Rosy et José Louis Bocquet (Dupuis)

Quelle surprise que cette exceptionnelle autobiographie, aussi intéressante dans son propos que dans sa forme, mélange d’interviews et de bande dessinée. La vie de Maurice Rosy, machine à idées pour les éditions Dupuis à leur grande époque, s’y révèle avec beaucoup d’humour et de légèreté. Les anecdotes sur le milieu, la parole franche mais jamais sévère, la forme du livre… tout est parfait.


cultures SÉRIES

adaptation

Fargo Adapter Fargo, quelle sinistre blague. Surprise, à l’arrivée, cette recréation, fidèle à l’esprit plutôt qu’à la lettre, rend un hommage enthousiasmant aux frères Coen.

le caméo Sarah Silverman dans Masters of Sex

© chris large et fx

© gregg deguire / wireimage

Par GUILLAUME REGOURD

sonner à la fois identique ET différent. Le cadre reste le même, l’intrigue et les personnages sont inédits, l’essentiel étant de ressusciter « l’esprit Fargo », son humour noir et ses dialogues ciselés. Les comédiens se régalent à se glisser dans les bottines fourrées de leurs prédécesseurs. Mention spéciale au Britannique Martin Freeman (Sherlock), qui dans un registre hommage à William H. Macy fait sien le Minnesota nice, cette politesse un brin forcée typique du Midwest. L’ancrage local était l’une des raisons d’être du film, de l’aveu des Coen, natifs de la région. Il donne, ici aussi, tout son sel à ce polar réjouissant, à la manière du Kentucky croqué dans Justified. La neige en plus.

Halt and Catch Fire Annoncée comme un Mad Men dans le milieu de l’informatique des années 1980, cette nouveauté de la chaîne AMC, diffusée chez nous par Canal+ Séries, promet beaucoup. On a hâte de voir Lee Pace emmener un trio de renégats désireux de créer leur propre ordinateur personnel pour concurrencer les géants du secteur. Saison 1 sur Canal+ Séries

Par G. R.

© amc

© canal +

sélection

Hell on Wheels La saga ferroviaire Hell on Wheels a toujours payé de passer après Deadwood et sa méditation définitive sur le western. Envisagée comme un pur divertissement forain avec cow-boys et Indiens, la série, modeste dans ses ambitions, remplit pourtant parfaitement son rôle. Et elle, au moins, peut se targuer d’avoir une saison 4. Saison 3 en DVD chez Wild Side

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© e4

« Basé sur des faits réels. » Quand s’ou­ vre la série Fargo, command(it)ée par la chaîne américaine FX, on se dit d’abord que ses créateurs vont nous les faire toutes : le carton inaugural vantant (pour de rire) la véracité des événements à venir, le tueur à gages bizarrement coiffé, la flic faussement empotée, etc. Et en effet, tout ce qui a rendu culte le film des Coen y passe. Les frangins Joel et Ethan, crédités comme producteurs, ont lu le script du pilote et prodigué quelques conseils. Ils ont surtout dû se sentir flattés : la série prend la forme d’un hommage, un album de reprises à leur gloire (les clins d’œil à toute leur filmographie abondent) sur lequel leur tube de 1996 aurait été réarrangé pour

L’humoriste apparaîtra dans la seconde saison de Masters of Sex, que Showtime doit diffuser à partir de juillet. Un rôle dramatique, c’est assez rare pour cette pointure du stand-up américain, plus habituée aux émissions satiriques ou aux participations amicales à Louie, la série de son pote Louis C.K. Pour ce qui est de changer de registre, bon choix en tout cas que la saga en costumes de Showtime sur un couple de pionniers de l’étude des comportements sexuels. Rappelons que Sarah Silverman a accédé à la reconnaissance mondiale avec son tube viral I’m fucking Matt Damon. G. R.

Misfits Dernière salve d’épisodes pour les délinquants juvéniles de Misfits, avant extinction définitive des feux. Avec le temps, l’énergie punk des débuts s’est quelque peu tarie, mais la série demeure capable d’audaces narratives et de gags scabreux ahurissants. Quant au pitre Joe Gilgun, il est tout bonnement inépuisable.

Saison 5 en DVD chez Koba Films


cultures SPECTACLES

Lucrèce Borgia THÉÂTRE

Chic et sanguinaire, venimeuse et raffinée, la mise en scène de Denis Podalydès à la Comédie-Française sublime la puissance lyrique du drame de Victor Hugo.

© artcomart

PAR ÈVE BEAUVALLET

Avec Lucrèce Borgia, personnage parmi les plus insondables de tous ceux qu’il a composés, Victor Hugo allait chercher les reliques d’humanité jusque dans les tréfonds de l’ignominie. « Mêlez à toute cette difformité morale un sentiment pur, le sentiment maternel ; dans votre monstre, mettez une mère, et le monstre fera pleurer. » La recette fonctionne-t-elle si la mère est jouée par un homme ? C’est le genre de question qui fait actuellement jaser dans les parages de la Comédie-Française. Alors oui, Guillaume Gallienne dans le rôle de Lucrèce Borgia, c’est beau, pudique, retenu, au-delà de l’exercice de style. Et non, la distribution choisie par Denis Podalydès n’a rien de gratuit ou facile. Il explique son parti pris ainsi : le travestissement, c’est moins une femme jouée par un homme qu’une femme enfermée dans une apparence qui n’est pas la sienne. Car c’est bien là le cœur du sujet, et la violence redoutable d’un drame qui s’affiche à plein, ici, comme un drame identitaire. Veuve noire fratricide, incestueuse, hantant les eaux sombres et vaseuses de l’Italie médiévale, la

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terrible Lucrèce Borgia a goûté au poison du crime et n’en peut plus. Du carnaval de Venise au bal masqué de Ferrare, elle dit la douleur d’habiter un corps qui ne lui convient plus, la possibilité d’abattre les masques et de réinventer son visage. Ce nœud dramaturgique, on l’avait rarement autant ressenti qu’avec cette mise en scène à l’élégance macabre, sublimée par des corps ultralyriques, des déplacements fantomatiques, le jeu de dissimulation de la scénographie et les effets de volumes et de matières des costumes de Christian Lacroix. À cela, ajoutons la puissance farcesque de Christian Hecq, génial dans le rôle du bourreau machiavélique déguisé en Espagnol fêtard, et nous touchons du doigt le raffinement tel que l’entendait Hugo : l’équilibre parfait entre le sublime et le grotesque. Avec de l’excès, du sang et des larmes. Un programme sur lequel Béatrice Dalle est également en train de plancher, dans une mise en scène du jeune David Bobée. à la Comédie-Française, jusqu’au 20 juillet

juin 2013


agenda Par È. B.

Du 4 au 20 juin

Festival June Events Non seulement le festival créé par Carolyn Carlson squatte quelques-uns des lieux les plus magiques d’Île de France – la Briqueterie (Vitry), la Cartoucherie (Vincennes) –, mais il réunit en plus quelques artistes soucieux de travailler sur les déambulations et les mouvements du public. Ce qui fait donc deux bonnes nouvelles.

montrent une nouvelle fois l’étendue de leur savoir-faire en matière d’ironie et de jeu sans filets avec le texte de Johan Daisne, L’Homme au crâne rasé. au Théâtre de la Bastille

Le 23 juin

www.junevents.fr

© severine charrier

Du 16 au 28 juin

Josef Nadj Pantins grotesques rembourrés de mousse, Godots perdus dans leurs propres corps, les personnages muets inventés par le chorégraphe Josef Nadj luttent contre leurs déboires existentiels dans Les Philosophes et Ozoon (conçu avec le photographe Charles Fréger), à l’occasion d’une carte blanche proposée à Joseph Nadj par la Villette. à la Grande halle de la Villette

© compagnie de koe

Jusqu’au 17 juin

De Koe Encore trop méconnue en France, la compagnie flamande De Koe (« la vache », en néerlandais) bouscule les habitudes du public depuis près de vingt ans. Ces grands copains des tg STAN

Paris Danse hip-hop Invité spécial de la soirée Paris Danse Hip Hop, le collectif Paradox-Sal se vante d’être 100 % féminin. Plus que le fighting spirit, que ces danseuses issues des quatre coins du monde mettent en avant dans un milieu encore largement masculin, c’est leur mélange de pantsula sud-africain, de sabar sénégalais et d’afro house que vous garderez sûrement en tête. au Casino de Paris

Jusqu’au 29 juin

Aurélien Bory et LE GROUPE ACROBATIQUE DE TANGER Avant 2003, le Maroc était riche d’une acrobatie unique au monde, élevée à très haut niveau grâce à plusieurs familles, mais difficilement tournée vers la création. C’est avec le rêve un peu fou de monter la première troupe de création internationale que le fleuron du nouveau cirque Aurélien Bory a monté avec Sanae El Kamouni le Groupe acrobatique de Tanger, qui virevolte aujourd’hui dans l’élégant Azimut. au Théâtre du Rond-Point


cultures ARTS

Martial Raysse ARTS PLASTIQUES

Peintures, films, photographies, sculptures, dessins… aucun medium ne manque à l’appel de cette première monographie que le Centre Pompidou consacre à l’artiste Martial Raysse. Vivant, envoûtant, le parcours dessine à travers deux cents œuvres la mise à mort de l’idée de fin et l’intronisation sans condition de la couleur.

© photo arthus boutin / pinault collection / adagp, paris 2014

Par Léa Chauvel-Lévy

Martial Raysse, Ici Plage, comme ici-bas (2012)

Pop, Martial Raysse le fut et l’est encore, mais il est bien plus que cela. Inclassable, il peut en effet se targuer d’avoir frayé avec de nombreux courants artistiques d’après-guerre sans jamais s’être entièrement rattaché à aucun d’entre eux. Néo-Dada, Nouveau Réaliste, Pop, Raysse fut une pierre indépendante à tous ces édifices. S’il fallait trouver, des années 1960 à aujourd’hui, un fil conducteur qui passerait d’œuvre en œuvre – plus de deux cents sont présentées ici –, ce serait sans conteste la couleur. Quinze ans après la guerre, il fallait de la gaieté, du bonheur en pagaille, même factice. Tourner le dos aux démons des camps, aux corps perdus ou endoloris et à l’absence de courage. Raysse se réfugia dans une palette criarde. Violemment kitsch, volontairement provocatrice. Du côté de la vie, à tout prix, et au détriment, diront certains, de la beauté. Suave, acide, son trait frôle l’esthétique du laid. Lui-même le dit sans ambages, ses influences ont été celles de « mauvais peintres ». Violet pâle et vert pistache se prêtent à une lutte sans merci. Du bleu, aussi, emprunté à Yves Klein, son aîné, dont il croisa la route dans le Nice bouillonnant qui vit aussi Ben et Arman expérimenter l’abstraction informelle. Ses portraits récents (Yolanda ; Te voilà, cruelle ; You ; Tue-moi, Yasmina) rappellent le

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trait d’Enki Bilal. Raysse est actuel, n’a pas peur de heurter le regard. Il s’inscrit à sa façon dans l’histoire de l’art, revisitant depuis ses débuts des sujets et des motifs classiques en leur donnant des allures contemporaines et délibérément flashy. En 1964, Made in Japan – La Grande Odalisque, une peinture acrylique dont les contrastes saisissants entre le rouge et le vert rappellent les tests de détection du daltonisme, s’emparait déjà de la célèbre toile d’Ingres peinte en 1814. Raysse détourne l’orientalisme et jette sur la toile sa propre vision des vierges. De femmes, il est d’ailleurs souvent – pour ne pas dire toujours – question dans son travail. Lumineuses, solaires, elles agitent houppettes et roses, souvent ornées de paillettes, comme autant d’odes à la vie. Plus que pop, Raysse n’a cessé surtout d’être le peintre de la joie de vivre, fut-elle volontariste, de l’hymne au printemps et des joies de la plage. En témoigne sa série de grands formats des années 1990 dans laquelle les humains affichent des mines carnavalesques : Le jour des roses sur le toit et Ici Plage, comme ici-bas incitent à rire, invitent au jeu et nous destinent à une naïve et touchante immortalité. au Centre Pompidou, jusqu’au 22 septembre

juin 2013


agenda Par L. C.-L.

© marc domage et ccs

JUSQU’AU 13 JUILLET

l’Europe à l’été 1914 et rappelle les enjeux d’une guerre au bilan humain inimaginablement lourd. Aussi passionnant que glaçant. à la BnF

au Centre culturel suisse

JUSQU’AU 27 JUILLET

EMMET GOWIN C’est une grande première que cette réunion à Paris de l’ensemble des travaux du photographe américain Emmet Gowin. Cent trente tirages qui retracent la carrière de cet œil formé auprès de Harry Callahan, des épreuves intimistes qu’il a faites, dans les années 1960, de sa femme Edith, nue et féline, aux vues aériennes des mines de charbon de République tchèque.

à la Fondation Henri Cartier-Bresson

JUSQU’AU 3 AOÛT

ÉTÉ 1914. LES DERNIERS JOURS DE L’ANCIEN MONDE La Grande Guerre a beau être au programme, on ne se souvient pas forcément de sa genèse dans le détail. À part peut-être de l’assassinat de l’archiduc d’Autriche, élément catalyseur et déclencheur du premier conflit mondial. La BnF dresse un portrait de

JUSQU’AU 31 AOÛT

L’ORIENT EXPRESS Vous n’irez pas jusqu’à Alep, Damas ou Louxor, mais vous pourrez néanmoins visiter le train mythique de l’Orient Express dans la gare reconstituée pour l’occasion sur le parvis de l’Institut du monde arabe. La visite s’effectue en deux temps : d’abord on monte à bord, dans le ventre feutré et art déco de la locomotive, puis on poursuit l’expo sur deux étages dans l’IMA pour se documenter sur l’aspect géopolitique des voyages vers l’Orient à la fin du xixe siècle. à l’Institut du monde arabe

JUSQU’AU 30 NOVEMBRE

JUSQU’AU 30 NOVEMBRE

Douglas Gordon, Pretty much every film and video work from about 1992 until now, 2011 DOUGLAS GORDON En 2012, Douglas Gordon a légué une cinquantaine de ses œuvres au musée d’Art moderne de la ville de Paris. Aujourd’hui, le MAM présente quarante-trois vidéos supplémentaires, faisant de l’institution le plus grand fond du travail de l’artiste contemporain écossais. Le tout forme Pretty much every film and video work from about 1992 until now, une installation monumentale faite d’une multitude d’écrans agglutinés tel un bouillonnant essaim d’images. au musée d’Art moderne de la ville de Paris

© studio lost but found / adagp, paris 2014

Adrien Missika, As The Coyote Flies, 2014 ADRIEN MISSIKA Un drone survole la frontière mexicaine et passe d’un pays à l’autre, fait du rase-mottes et se pose ici ou là comme une abeille butinerait… La vidéo Amexica, qui ouvre l’exposition d’Adrien Missika, n’a l’air de rien de prime abord. Mais à bien y regarder, cette œuvre interroge avec intelligence l’arbitraire d’une frontière et cherche à faire tomber du regard les barrières, sans lourdeur.


cultures JEUX VIDÉO

point ‘n’ click

Kentucky Route Zero. Acte 3 Peut-on marier road trip et introspection existentielle dans un jeu vidéo ? La réponse se nomme Kentucky Route Zero, ovni indé qui fait de la route un espace ludique à la beauté insaisissable. Par Yann François

L’EXPÉRIENCE DU MOIS FRACT OSC

(Phosfiend Systems/PC, Mac)

Maintes fois arpentée par le cinéma et la littérature, le thème de l’errance reste un territoire relativement peu exploré par le jeu vidéo. Kentucky Route Zero, dont le troisième acte (sur cinq) sort ce mois-ci, compte parmi ces valeureux pionniers. Tout commence par une histoire des plus simples : alors qu’il traverse les étendues désertiques du Kentucky, un chauffeur routier s’égare. Cherchant vainement à rejoindre la Route Zero, le héros vagabonde alors d’un point à l’autre, croisant le destin de personnages aussi paumés que lui. Comme un point ‘n’ click, le jeu déplace son visiteur à travers une série de décors, des tableaux statiques dont le style se résume à un enchevêtrement austère (mais parfaitement expressif)

de polygones émaciés. Les dialogues, laissés aux choix du joueur, servent juste à donner une couleur émotionnelle aux états d’âme des personnages, chacun pouvant écrire son propre rêve éveillé. Placé sous le patronage de David Lynch et de Jack Kerouac (on pense aussi au Paris, Texas de Wim Wenders), Kentucky Route Zero vaut plus qu’un détournement arty de ses références. Malgré une interactivité réduite, le jeu s’impose comme un hymne au vagabondage d’un nouveau genre, au hasard et au temps présent que l’on traverse en autostoppeur halluciné sans jamais faire fausse route. Kentucky Route Zero (Cardboard Computer/PC, Mac)

3 découvertes indés Faster than Light. Advanced Edition Ce chef-d’œuvre poids plume se paie le double luxe d’une extension gratuite et d’une adaptation pour tablettes. En plus d’offrir des bonus d’une richesse exemplaire, FTL se fend d’une maniabilité parfaitement repensée pour le tactile. Cette fois-ci, plus aucune excuse pour passer à côté de ce pur bijou du jeu d’aventure spatiale. (Subset Games/iOS, PC, Mac)

Blackwell Epiphany Une grande saga du point ‘n’ click s’éteint en catimini et c’est un crève-cœur. Après sept ans d’enquêtes new-yorkaises paranormales, Blackwell livre ses révélations finales. Le programme ne change pas (décors pixel art, mélancolie jazzy, personnages dissertant sur le sens de la vie), mais les adieux, eux, prennent la forme d’un véritable feu d’artifice d’émotions.

(Wadjet Eye Games/PC)

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Le concept est simple : parcourir librement un univers fait de formes géométriques fluo, résoudre les énigmes architecturales qui le composent, avant de passer à la zone suivante. Aucune indication pour signifier l’avancée dans le jeu, si ce n’est les indices sonores que produit le décor. Non content de rendre hommage à tout un futurisme pop (Tron en tête), FRACT OSC fait de son décor une immense partition electro expérimentale que le joueur, autant cobaye de labyrinthe que chef d’orchestre, compose au seul moyen de son intuition. Y. F.

Par Y. F.

Super Time Force D’un concept très casse-gueule (rembobiner le temps pour se servir de ses « fantômes » comme alliés au combat), Super Time Force tire un shoot ‘em up ultra efficace et déjanté au cours duquel l’action se fait vertige métaphysique. Le titre fait montre d’une telle inventivité (humour, challenge) qu’on tient là sans conteste un des délires les plus productifs de l’année. (Capybara Games/Xbox One, X360)


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cultures FOOD

DE SAISON

Cultures en terrasses Oh les beaux jours ! L’heure n’est pas venue de s’enterrer jusqu’au cou dans les sables beckettiens. À Paris, on chasse le coin de verdure, la terrasse dépaysante, le jardin secret. Et comme on est en France, on mange et on boit bon. Suivez le guide. Par Stéphane Méjanès

© d. r.

LÀ-HAUT

En arrière-fond sonore, le défilé des voitures fait comme un bruit d’insectes. Face à soi, une petite bastide blanche avec balcons et terrasses. Autour, des arbres, des fleurs, de la pelouse. Le jardin du Laurent, c’est une vraie table aux champs. Aux Champs-Elysées, pour être plus précis, ce qui ajoute au charme incroyable de l’endroit. En plein Paris, on s’offre le privilège d’un déjeuner ou d’un dîner à la campagne, sous un parasol. Pour 95 € le midi, on accède à la cuisine inspirée et étoilée du chef Alain Pégouret, tombé amoureux du Laurent un 14 février 2001. Depuis, fidèle au

poste, il a fait évoluer la maison vers une cuisine à la fois aérienne et terrienne : le produit est roi, l’inventivité permanente. On vient de loin pour savourer l’araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil, ou les morilles farcies, écume d’une sauce poulette au savagnin. Mais aussi pour suivre les conseils de Philippe Bourguignon, meilleur sommelier de France en 1978. Le tout avec ou sans chapeau de paille, lunettes de soleil ou écran total. Le Laurent 41, avenue Gabriel – Paris VIIIe Tél. : 01 42 25 00 39 / www.le-laurent.com

Droit aux Buttes On ne passe pas par hasard dans la rue des Annelets. Mais la grimpette depuis les Buttes-Chaumont vaut le détour. Le restaurant Ô Divin s’y est posé, en annexe du studio Talk Over, l’ancien studio Plus XXX, qui vit défiler Gainsbourg et Bowie. Aux fourneaux, Mathieu Moity, un grand gars aux yeux azur qui envoie des assiettes culottées. Entre les deux salles intérieures, une terrasse sans apprêt particulier, mais d’un calme absolu. En sortant, on file vers le 130, rue de Belleville où le patron Redha Zaïm a ouvert une épicerie de produits roboratifs. S. M.

Ô Divin 35, rue des Annelets – Paris XIXe Tél. : 01 40 40 79 41 www.odivin.fr

Le mandarin fait la nouba au jardin… pAR S. M.

MANDARIN ORIENTAL Une immense cage à oiseaux, dessinée par l’agence Jouin-Manku, une table ronde ceinte de banquettes blanches… bienvenue à la « table du jardin » du Camélia, l’un des restaurants du Mandarin Oriental. Pour un verre, un déjeuner ou un dîner, on peut s’attabler à six et rêver à Vanessa Paradis dans un spot publicitaire pour un célèbre parfum. 251, rue Saint Honoré – Paris Ier Tél. : 01 70 98 78 88 www.mandarinoriental.com

NÜBA Sur le toit en teck de la Cité de la mode et du design, au bord de l’onde, le Nüba a tout pour plaire aux hipsters qui disent « rooftop » et pas « terrasse ». En plus des couchers de soleil sur la Seine, des cocktails pointus, des DJ qui font le buzz, des food trucks qui s’invitent à la fête et des burgers maison, on y croise aussi des gens normaux. 36, quai d’Austerlitz – Paris XIIIe Tél. : 01 76 77 34 85 www.nuba-paris.fr

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LES JARDINS DU MARAIS Avec son vaste espace de 1 500 m2, l’atmosphère de la terrasse des Jardins du Marais n’est pas vraiment intimiste. Mais avec son sol pavé, ses palmiers, ses arbres taillés et sa fontaine, elle reste propice à l’évasion. On peut y siroter une coupe au bar à champagne Moët Ice Impérial, pique-niquer au Grill Chic ou bruncher le dimanche. 74 rue Amelot – Paris XIe Tél. : 01 40 21 20 00 www.lesjardinsdumarais.com



cultures DESIGN

boutique

© smarin

marché dauphine Sur la mezzanine du marché Dauphine, Charlotte de la Grandière et Marion Vignal ont imaginé L’Atelier parisien d’Ida M., le musée imaginaire d’une plasticienne romanesque, à mi-chemin entre Ida Lupino et Meret Oppenheim, qui aurait atterri là on ne sait trop comment, au gré de l’inspiration. Et il y a des chances que son univers soit à la hauteur de la richesse et de la variété des marchands qui l’entourent, puisque c’est chez eux que tout a été glané, du mobilier à la mode vintage jusqu’aux objets d’hier et d’aujourd’hui.

Play YET! de Smarin

ENFANce

De 7 à 77 ans

du 14 juin au 22 septembre au marché Dauphine (Saint-Ouen)

livre

En mode vintage ou contemporain, le design frappe à la porte des chambres d’enfant. Retour sur cette tendance, qui ne se limite plus aux jouets et s’empare même des fabricants les plus prestigieux. PAR OSCAR DUBOŸ

La folie du vintage a entraîné un engouement pour le mobilier d’enfants, à tel point qu’on voit pulluler çà et là, parmi les fauteuils et les lampes, des chaises d’écolier ou des petits bureaux de l’après-guerre. De beaux livres en expositions, la lumière revient aussi sur le design de jouets anciens, pendant qu’un éditeur comme Vitra assume son rôle légataire en rééditant notamment l’Elephant de Charles & Ray Eames ou les horloges-­a nimaux de George Nelson pour les tout-petits, fidèle à l’esprit ludique qui traverse l’ensemble de leur travail jusqu’aux meubles pour les plus grands. D’autres comme Knoll lui ont emboîté le pas avec des versions miniatures d’icônes comme le Diamant d’Harry Bertoia ou la Womb Chair d’Eero Saarinen, répondant à la nouvelle gamme de couleurs qui égaye la mini-chaise S43 de Mart Stam pour Thonet. L’Italien Magis, lui, va jusqu’à

développer une ligne exprès pour les enfants intitulée Me Too, avec des créations originales comme le best-seller Puppy (un chien de petite taille, en plastique) ou la bibliothèque modulable EUR, imaginée avec beaucoup d’esprit par Giulio Iacchetti. Le Français Smarin travaille aussi depuis dix ans avec des matières naturelles pour éditer deux catégories d’éléments : structurants ou libres. D’un côté, les grands poufs galets Livingstones, en laine vierge, ou la liseuse Dune à l’allure de nuage ; de l’autre, un jeu de construction en bois et liège qui devient étagère, banc, table, selon ce qui vous passe par la tête. Son nom ? Play YET! Petits et grands n’ont pas fini de s’amuser. www.vitra.com www.knoll.com www.thonet.de www.magisdesign.com www.smarin.net

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ARTS & ARCHITECTURE 1945-49 Cette revue, A&A pour les habitués, a été fondamentale pour l’avènement de l’architecture américaine, contribuant notamment à révéler le modernisme californien tout en traitant d’art, de design, de politique ou de société avec un même esprit avant-gardiste. Après le facsimile complet, sorti en édition limitée en 2008, ce livre parcourt les cinq premières années d’après-guerre d’Arts & Architecture sous la houlette de son rédacteur en chef John Entenza. Sans lui, Richard Neutra et John Lautner ne seraient peut-être pas aussi reconnus aujourd’hui. par David F. Travers (Taschen)


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composition © jérémie leroy

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LES BONS PLANS DE TIME OUT PARIS Parce que l’homme de bien toujours chérira la bière, l’équipe de Time Out Paris a décidé d’étudier ce breuvage sous toutes les coutures, allant jusqu’à donner de sa personne, un peu de son âme et beaucoup de son foie. Résultat, une sélection resserrée de bistrots à faire pâlir les joues couperosées d’un Irlandais en pleine Saint-Patrick. Prêt à découvrir d’autres saveurs, à déguster voire à exiger une certaine qualité de houblon ? Grâce à ce top 10 des meilleurs bars à bières de la capitale, vous n’aurez plus à regretter de vous retrouver devant une vieille Grolsch éventée. Au fond, n’est-ce pas un beau symbole que l’homme naisse en tétant et qu’il finisse sa vie par une mise en bière ?

La Fine Mousse À deux pas de la station Saint-Maur, ce bar tenu par quelques « bièrologues » propose un choix pléthorique de mousses, toutes artisanales. Tous budgets et degrés d’alcool sont proposés. On vous conseille la Saison Dupont, ou la Silvanecte pour les aficionados de breuvages corsés.

Le Teddy’s Bar Happy hour interminable, de 16h à 20h, pintes à 3,5 €, ambiance feutrée et chaleureuse : il fait bon se lover dans les canapés et s’adosser aux murs recouverts de peau de léopard tout en sirotant sa bière du mois, que ce soit une bavaroise à fermentation basse ou une trappiste belge.

6, avenue Jean Aicard – Paris XIe

3, rue Thouin – Paris Ve

Les Trois 8 Voici venu le temps des bières artisanales et du vin bio, sur fond de rock qui défouraille et de restauration à la bonne franquette. Bonne ambiance garantie, mais attention à ne pas pointer le bout de son nez trop tard : l’endroit est étroit et l’affluence importante.

Connolly’s Corner C’est le plus ancien pub irlandais de la rive gauche. Et contrairement à beaucoup de ses concurrents un peu fades, le Connolly’s Corner ressemble à s’y méprendre à un authentique rade dublinois où l’on peut boire sur des tonneaux la meilleure Guinness de Paris.

Troll Café Duvel, Chimay, Orval, Westmalle, Chouffe et même Ch’ti… les bières en bouteille renommées du Plat Pays sont toutes là ! Le choix est si vaste – cent vingt bières belges à la carte – qu’il vaut mieux demander conseil au sympathique patron.

L’Express de Lyon Pas de doute, on a affaire à des passionnés ! Si la bière, servie ici par une dizaine de tireuses, est forcément plus chère que dans un rade de gare lambda (artisanat oblige), on donne volontiers un ou deux euros de plus pour se tapisser le palais de ces merveilles maltées.

Bouillon Belge Dans ce bar à bières belge, on ne sert pas que du divin breuvage d’outre-Quiévrain. Fruitée, sèche, légère, forte, blonde, ambrée, brune… tous les goûts sont permis parmi un choix de bières internationales. Les brasseurs belges y sont évidemment bien représentés.

Café Titon Bienvenue en Allemagne… Pendant la période de l’Oktoberfest, le Titon se transforme même en biergarten : les aficionados de bières teutonnes seront ravis ! Mais en dehors des currywurst et bratwurst, la carte propose des tartares, des grandes salades, des steaks et des tartines.

The Bottle Shop Ce repaire d’Anglo-Saxons a le mérite de proposer cinq bières à la pression et une dizaine de bouteilles triées sur le volet. On y papote gentiment sous des pochettes de 45 tours vintage. De 17h à 20h, l’happy hour est idéal pour des pintes et cocktails au prix syndical de 4,80 €.

Le Supercoin Ici, on aime concilier bières de caractère, rock et bonne humeur communicative, comme l’annonce la devise « Bière artisanale et pop culture ». Pas tape-à-l’œil pour un sou, le Supercoin mise sur la qualité de ses breuvages et sur des prix très raisonnables.

11, rue Victor Letalle – Paris XXe

6, rue Planchat – Paris XXe

12, rue de Mirbel – Paris Ve

34, rue Titon – Paris XIe

27, rue de Cotte – Paris XIIe

5, rue Trousseau – Paris XIe

1, rue de Lyon – Paris XIIe

3, rue Baudelique – Paris XVIIIe

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LE FILM DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

Black Coal

Ours d’or du meilleur film à la dernière Berlinale (coiffant au poteau The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson), le troisième long métrage du Chinois Diao Yinan, polar âpre et sinueux, nous plonge dans une Mandchourie glaciale où la violence et la pauvreté suintent, omniprésentes. PAR ALEXANDRE PROUVÈZE

Moins d’un an après l’excellent A Touch of Sin de Jia Zhang-ke, le cinéma chinois offre à nouveau une œuvre tendue, sombre, d’une puissance inattendue, sur laquelle planent les ombres de Raymond Chandler et de James M. Cain. S’inspirant du Faucon maltais de John Huston et du Troisième Homme de Carol Reed, le réalisateur Diao Yinan use des codes du film noir pour imposer une esthétique sans concessions, doublée d’une sourde problématique morale. Un ex-flic, tombé dans l’alcoolisme et enquêtant, à plusieurs années de distance, sur une série de meurtres, s’éprend d’une jeune femme liée aux victimes (dont les cadavres ont été retrouvés découpés et éparpillés comme des pétales de rose). En dépit de quelques évidents clichés du genre (femme fatale, enquêteur au bout du rouleau…) et d’un scénario parfois prévisible, Black Coal réussit, souvent magistralement,

à nous emporter dans son climat délétère, sans manichéisme, à travers des scènes du quotidien servies par de splendides plans-séquences. Ruelles lasses, voies de chemin de fer à l’abandon, rades populaires : les décors parlent d’eux-mêmes, entre chaos post-communiste et sauvagerie néo-­ libérale. À tel point qu’on s’étonne que le film parvienne à passer à travers les mailles de la censure. Jouant sur les références – notamment à Hitchcock et à l’angoissante fête foraine de L’Inconnu du Nord-Express – Black Coal nous rappelle qu’un polar c’est d’abord un rythme, une atmosphère. Une belle étrangeté. de Diao Yinan (lire aussi p. 64) avec Liao Fan, Gwei Lun Mei… Distribution : Memento Films Durée : 1h46 Sortie le 11 juin

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L’EXPO DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

top 5 du mois

Lewis Baltz. Common Objects

1. Art vidéo D’une durée totale de vingt-quatre heures, ce collage d’extraits vidéo créé par Christian Marclay, qui s’apparente à une horloge géante (chaque image comprend une indication horaire synchronisée avec la temporalité, réelle, de la projection) apparaît déjà comme l’une des œuvres les plus étonnantes et ludiques du moment. Courez-y donc, vous ne perdrez pas votre temps ! The Clock, au Centre Pompidou, jusqu’au 2 juillet

2/ Concert Jamais avares de bons gros riffs de guitare à la Black Sabbath ou de néo-psychedelia, les Australiens de Pond proposent des concerts survoltés parmi les plus excitants du moment.

© lewis baltz, courtesy galerie thomas zander, cologne

par time out paris

Pond, le 13 juin, au Point Éphémère

3/ Théâtre Que ceux qui, sur les bancs du collège, ont détesté la prose de Marivaux se rassurent : on peut en rire à gorge déployée des années plus tard. La preuve avec cette interprétation savoureuse et cette mise en scène parfaitement huilée. Les Serments indiscrets, au Théâtre Gérard Philipe (Saint-Denis), jusqu’au 15 juin

Avec cette exposition de Lewis Baltz, Le Bal prouve une fois encore sa volonté de rendre hommage aux maîtres de l’image documentaire, en dépit parfois de leur noirceur ou de leur gravité. Sans espoir, sans beauté, sans poésie, les paysages de Lewis Baltz Lewis Baltz, Tract House no. 4. The Tract Houses, 1969-1971 glacent. Sa végétation saupoudrée de déchets, ses bourgades sans âme ne croient plus en rien. Ni en une quelconque transcendance, fusse-t-elle tragique, ni en l’homme, ni même en la notion de paysage, voire d’image. Ici, on parle de « fatigue de la représentation », de « degré zéro » de la photographie, de « mesure du vide ». Dur. Mais méticuleux. Et parfois bouleversant. Car derrière ce fatalisme perce une fascination pour le cinéma de Godard, Hitchcock ou Antonioni, dont Baltz s’est nourri pendant sa jeunesse, au fin fond des États-Unis. Un angle sur lequel Le Bal insiste en projetant des extraits des Carabiniers, de Psychose ou de La Nuit au milieu de l’espace d’exposition, entrouvrant ainsi de nouvelles portes pour accéder à cette œuvre dense et résignée. « Il pourrait être utile de penser la photographie comme un espace profond et étroit entre le roman et le film », confie Lewis Baltz. Son travail en atteste. au Bal, jusqu’au 24 août http://www.timeout.fr/paris/art/lewis-baltz

4/ Boulot Espace de coworking orienté vers la création artisanale, L’Établisienne met à disposition des pièces équipées pour pratiquer l’impression 3D, la peinture, la tapisserie, la restauration de meubles anciens, la fabrication de cosmétiques… Un projet rafraîchissant et une atmosphère conviviale et détendue.

LA CONFISERIE > Käramell Croquettes de licornes, morve de vampires enrhumés, œufs de dragons danois, graines à faire pousser le nez… Non, vous n’êtes pas chez Honeydukes, le magasin de bonbons de Harry Potter, mais chez Käramell, une petite boutique planquée rue des Martyrs et entièrement dédiée aux friandises. La propriétaire, suédoise, a voulu rendre hommage à la passion de son pays natal pour les confiseries. Tous les bonbons que vous trouverez ici (plus de cent cinquante variétés) sont exclusivement suédois, danois, norvégiens ou finlandais, moins sucrés et fabriqués avec moins de colorant qu’en France. Alors, on tombe sur des choses connues – œufs aux plats, ours en chocolat, roudoudous –, mais aussi sur des friandises bien plus étranges, comme ces surprenantes réglisses salées. On succombe vite à l’envie de tout goûter. Ah ! caramels, bonbons et chocolats…

5/ Musiques Dissonances à la Monk, néo-bop, jazz-punk électrique ou folk minimaliste, les genres se mélangent avec élégance au beau milieu du bois de Vincennes, le tout pour un prix dérisoire (5,50 €). Attention : le rendez-vous est si populaire qu’il convient d’arriver tôt ! Paris Jazz Festival, du 7 juin au 27 juillet, au parc floral

© karl blackwell - time out

L’Établisienne – 88, boulevard de Picpus – Paris XIIe

15, rue des Martyrs – Paris IXe http://www.timeout.fr/paris/shopping/kaeramell

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pré se nte

exposition

Tatoueurs, tatoués Anne & Julien, fondateurs de la revue Hey ! et activistes de l’art underground, débarquent au musée du quai Branly avec une exposition, mi-punk, miethnologique, consacrée au tatouage et à ceux qui le pratiquent.

© jake verzosa

Par Marion Pacouil

Jake Verzosa, La dernière femme Kalinga tatouée, Philippines, 2011. Collection de l’artiste

Outil punitif, ornemental ou encore indice social, le tatouage a traversé les époques et les mers pour finir par s’installer en Occident comme pratique largement répandue – un corps sur dix en France est tatoué. Organisée en cinq parcours à la fois thématiques, historiques et géographiques, « Tatoueurs, tatoués » est une exposition qui s’ouvre sur un cabinet de curiosités. On est étonné de découvrir qu’au troisième millénaire avant notre ère, les hommes se tatouaient déjà : ce bras humain trônant dans sa petite vitrine est là pour nous le rappeler. Frissons garantis. Photographies, archives, tableaux, instruments, mais aussi peaux humaines – bel et bien authentiques –, ce sont au total plus de trois cents objets qui viennent nourrir et écrire l’histoire du tatouage. Bien plus qu’un simple caprice d’adolescent, il nous apparaît alors comme un marqueur ethnologique capital et un révélateur des normes sociétales. Le tatouage fait le grand écart entre les cultures. En Océanie, il symbolise la reconnaissance et le prestige, tandis qu’il est, au xixe siècle,

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en France, l’apanage des marginaux, des prostituées et autres figures de la pègre. Dans la suite du parcours, c’est la dimension artistique du tatouage qui est valorisée avec ces treize reproductions de corps – bras, jambes, ou torses moulés en silicone –, qui ont été offerts à l’inspiration des aiguilles les plus pointues de notre époque – Tin-Tin, Jack Rudy, Xed LeHead… Le résultat est hétérogène et offre au visiteur une promenade sensationnelle à la découverte du tatouage à travers le monde. L’exposition montre bien à quel point la publicité et l’exhibition des stars tatouées ont contribué à ce phénomène de normalisation. D’autres ont fait du tatouage leur marque de fabrique, et l’on croise au fil de l’exposition de singuliers et fascinants personnages tels que l’homme reptile (Lizard Man) ou la femme la plus tatouée du monde (Isobel Warley). Les tatoués de l’extrême, nouveaux freaks ou icônes mainstream du xxie siècle ? au musée du quai Branly, jusqu’au 18 octobre 2015

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© collection groupe jeune afrique

pré se nte

Ardeshir Mohassess, Jeune Afrique no 626, 1973

trois couleurs sélection food / ciné > La séance Fricote MK2

exposition

Unedited history Iran 1960-2014 Le MAM retrace les parcours d’artistes iraniens, de 1960 à 2014, au regard des événements historiques du pays. « Unedited history. Iran 1960-2014 » apporte sa pierre à la déconstruction de l’orientalisme et ouvre des pistes de recherches contemporaines. PAR MARION PACOUIL

« Unedited history », ou comment composer avec les rushes de l’histoire artistique iranienne, souvent épars ou incomplets ? Surtout pas en traçant une seule grande histoire, mais au contraire en exhumant plusieurs fragments. C’est le parti pris du MAM qui expose vingt artistes iraniens dont l’œuvre se place à un moment historique critique de la modernité iranienne. Trois crises dont rendent compte les trois séquences de l’exposition : les années 1960-1970 d’abord, l’époque de la révolution de 1979 et de la guerre Iran-Irak ensuite, puis une période qui va de la fin du conflit à aujourd’hui. Au fil de la visite, les clichés exotiques qui hantent notre imaginaire collectif se défont peu à peu. Conçue autour de la culture visuelle en général, « Unedited history » rassemble affiches, documentaires, textes, photographies, sculptures,

vidéos et installations. Des œuvres parfois censurées et pour la première fois exposées – il en va ainsi du précieux documentaire Memories of Destruction de Kamran Shirdel tourné lors de la révolution iranienne. Un peu en amont, les photographies de Kaveh Golestan, réalisées avant 1979, dénoncent les conditions de vie des prostituées de l’ancien quartier rouge de Téhéran. Les visages sont graves et dignes. Vers la fin du parcours, La Conférence des oiseaux de Narmine Sadeg rejoue par l’allégorie un poème iranien du même nom datant du xiie siècle – plus de cinquante oiseaux empaillés de toutes espèces sont couchés et disposés en cercle. « Unedited history », une exposition qui se bat contre les taxidermistes d’un Iran fantasmé. du 16 mai au 24 août au musée d’Art moderne de Paris

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Du jamais vu (ou goûté) dans les salles obscures. Le magazine Fricote (qui suit la food qui a bon goût) s’associe à MK2 pour des projections uniques en leur genre alliant félicité des yeux et des papilles. À boire, à manger, à voir, à danser. Rendez-vous très bientôt sur fricote.fr ou sur mk2.com pour retrouver la date de cette première qui a lieu cet été. musique > La playlist du mois

• I Never Learn de Lykke Li (Warner) •Z de SZA (Top Dawg Entertainment) • Sarh de Sahr (Believe) • John Coltrane A Love Supreme du Dal Sasso/Belmondo Big Band (Jazz & People/ Harmonia Mundi) food > Victor Si vous passez par Pigalle et que vous êtes partant pour un bistrot à la carte simple et élégante, avec des produits variés et habilement travaillés, arrêtez-vous chez Victor, un nouveau restaurant qui vaut le coup d’œil et de fourchette.

14, rue Victor Massé – Paris IXe Réservation au 09 84 07 60 22


LES SALLES BASTILLE

BEAUBOURG

BIBLIOTHÈQUE

GAMBETTA

GRAND PALAIS

HAUTEFEUILLE

NATION

ODÉON

PARNASSE

QUAI DE LOIRE QUAI DE SEINE

agenda MK2 bibliothèque

Du 11 juin au 4 juillet Exposition

© rda / collection cssf

Autour du film The Two Faces of January

Ci-contre : Under the Skin de Jonathan Glazer © diaphana

Ci-dessus, de haut en bas : Blue Velvet et Elephant Man de David Lynch

TROIS COULEURS PRÉSENTE

Cinéma-club PAR OLLIVIER POURRIOL

Nouvelle édition du cinéma-club de Trois Couleurs avec Ollivier Pourriol. Avant la projection d’un film en avant-première, le philosophe en décompose l’ADN en convoquant des extraits d’autres œuvres. Le 23 juin prochain, Under the Skin de Jonathan Glazer avec Scarlett Johansson. Résumé de ce que l’on se racontera. « Quand je vois Scarlett nue, je pense à Valéry. – C’est marrant, moi non. Je pense juste à Scarlett. Enfin, je pense à rien. Quelle Valérie ? – Paul Valéry. Qui disait : “Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau.” – Et tu penses à tout ça, quand tu vois Scarlett nue ? – Non, évidemment, je suis comme toi. Je pense à rien. Comme tous les hommes qu’elle approche dans le film. Le désir annule toute pensée dans son vertige noir. C’est drôle d’avoir choisi une star pour jouer une extraterrestre. Le plus connu pour incarner l’inconnu… – C’est un choix très judicieux. Une star tombée du ciel produit une double sidération : la sienne, et celle des Terriens. Le désir est à la fois sidéral et sidérant, en latin, c’est le même mot : étoile. La rencontre de 2001. L’odyssée de l’espace et d’Eyes wide shut. Une aventure perceptive bouleversante qui fait perdre tout repère. Un film fantastique à tous les sens du terme, à la limite de l’expérimentation vidéo – on pense à Bill Viola – et du film de genre dépouillé – on pense à THX 1138 de George Lucas. Une grande économie, et une beauté saisissante… – On est loin de La Guerre des mondes… – Moins d’effets spéciaux, mais aussi spectaculaire dans son genre. Plutôt à la Lynch, entre Blue Velvet et Elephant Man. Intus et in cute… – Quoi ? – C’est la devise de Rousseau : “À l’intérieur et sous la peau.” » Under the Skin de Jonathan Glazer au MK2 Bibliothèque, le 25 juin à 20h

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MK2 beaubourg

Le 14 juin à 11h Festival « Parfums de Lisbonne »

Projection de Photo de Carlos Saboga suivie d’une rencontre avec le réalisateur MK2 HAUTEFEUILLE

Le 17 juin à 20h Soirée Premiers Pas

Avec Un dîner avec M. Boy et la femme qui aime Jésus et Le Baiser de Pascale Ferran, Le Plus Grand des deux frères de Marianne Pistone, Une culture physique de Gilles Deroo, Checkpoint de Ruben Amar, Les Lézards de Vincent Mariette MK2 beaubourg

Le 19 juin à 20h30 « Séances Phantom »

Projection d’Histoire de l’ombre (histoire de France) d’Alex Pou, suivie d’une rencontre avec le réalisateur MK2 beaubourg

Le 21 juin à 11h Festival « Parfums de Lisbonne »

Projection des Grandes Ondes (à l’Ouest) de Lionel Baier, suivie d’une rencontre avec le réalisateur MK2 HAUTEFEUILLE

Les 23 et 30 juin à 18h Les Lundis Philo de Charles Pépin

Sujets : « L’enfer est-il pavé de bonnes intentions ? » (le 23 juin) et « Que peut la philosophie » (le 30 juin, suivi d’une rencontre avec Charles Pépin à l’occasion de la sortie du coffret DVD Les Lundis Philo de Charles Pépin, saison 1) dans tout le réseau mk2

Du 29 juin au 2 juillet La Fête du cinéma

La place de cinéma est à 3,50 €, pour tous les films et à toutes les séances MK2 quai de loire

Le 7 juillet à 20h30 Rendez-vous des docs

Barak de Mali Arun et Kijima Stories de Laetitia Mikles


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