Trois Couleurs #123 juillet-août 2014

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le monde à l’écran

christophe honoré du 16 juil. au 9 sept. 2014

Le réalisateur relit Les Métamorphoses d’Ovide

andy serkis

Gollum, Haddock… Rencontre avec l’acteur polymorphe

et aussi

Adèle Haenel, Agnès Varda, Para One, Olivier Assayas…

Winter Sleep Palme d’or 2014 Souffle d’hiver au milieu de l’été

no 123 – gratuit


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été 2014


Sommaire

Du 16 juillet au 9 septembre 2014

À la une… 40

entretien

en ouverture

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entretien

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Christophe Honoré En adaptant Les Métamorphoses d’Ovide, Christophe Honoré fait un grand écart temporel plus prononcé encore que dans son précédent long métrage, Les Bien-Aimés. Il transpose les mythes gréco-romains dans l’époque contemporaine. Rencontre avec un cinéaste curieux de son époque.

© fabien breuil ; marco castro ; stéphane manel ; philippe quaisse / pasco ; caroline deloffre ; cruschiform ; yann legendre pour trois couleurs

portfolio

Marceline Loridan-Ivens La coréalisatrice de Comment Yukong déplaça les montagnes nous raconte les coulisses du tournage de cette incroyable fresque dans la Chine des années 1970.

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Zach Braff Après Garden State, il aura fallu dix ans à l’acteur et réalisateur pour se remettre derrière la caméra. Moins ado, plus adulte, le héros de Scrubs fait le point.

Lewis Baltz

À Paris, les paysages américains dévastés par les constructions et les destructions humaines, chers au photographe Lewis Baltz, ont déjà eu les honneurs des musées. Mais la sélection qui occupe cet été les deux salles du Bal est « un véritable coming out cinématographique ». Explications avec le critique de cinéma Dominique Païni, commissaire de l’exposition.

entretien

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erratum

Adèle Haenel On la retrouve cet été à l’affiche des films de Thomas Cailley et d’André Téchiné. Rieuse et concentrée, la comédienne Adèle Haenel nous a parlé éclate à l’armée, Tip top et galvanisation collective.

entretien

50 Nuri Bilge Ceylan Au dernier festival de Cannes, nous avions rencontré en pleine tempête le calme réalisateur turc de Winter Sleep, récompensé d’une Palme d’or qui salue la maîtrise d’un film aussi exigeant que puissant.

entretien

98 Para One Aussi à l’aise avec TTC qu’avec Alizée, il construit patiemment une carrière protéiforme mais cohérente, à cheval entre la musique et le cinéma d’auteur de Chris Marker, Céline Sciamma ou Pascale Ferran.

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Dans le numéro 122, nous avons publié en page 90 une interview d’Étienne Daho. Il nous parlait du choix d’un film pour une carte blanche au MK2 Quai de Seine, Des jeunes gens mödernes de Jean-François Sanz (2014), que nous avons confondu avec le film du même nom de Jérôme de Missolz (2012). Il s’agissait bien de celui de Jean-François Sanz dont vous pouvez retrouver une interview sur notre site troiscouleurs.fr.


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… et aussi

Du 16 juillet au 9 septembre 2014

Édito 7 Le chaud et le froid Preview 12 White Bird in a Blizzard de Gregg Araki Les actualités 14 Retour sur ce qui a agité les pages de notre site Internet l’agenda 20 Les sorties de films du 10 juillet au 3 septembre 2014 histoires du cinéma 27 Thomas Cailley p. 30 // Will Smith p. 32 // Olivier Assayas p. 34 // Agnès Varda p. 36 // Le panthéon d’Honoré p. 44 // Damien Chapelle p. 46 // Andy Serkis p. 48

les films 63

© nord-ouest films et julien panié ; philippe quaisse / pasco ; 20th century fox ; d. r.

Ping Pong Summer de Michael Tully p. 63 // Boyhood de Richard Linklater p. 66 // Comrades de Bill Douglas p. 68 // Des chevaux et des hommes de Benedikt Erlingsson p. 68 // Maestro de Léa Fazer p. 70 // Mister Babadook de Jennifer Kent p. 74 // Moonwalk One de Theo Kamecke p. 76 // Kumbh Mela. Sur les rives du fleuve sacré de Pan Nalin p. 77 // Detective Dee 2. La légende du dragon des mers de Tsui Hark p. 77 // Trap Street de Vivian Qu p. 80 // Le Grand Homme de Sarah Leonor p. 82 // Des lendemains qui chantent de Nicolas Castro p. 84 // Party Girl de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis p. 86 // Lacrau de João Vladimiro p. 88 // The Salvation de Kristian Levring p. 88 // Enemy de Denis Villeneuve p. 90 // Le Secret de Kanwar d’Anup Singh p. 92 // Hippocrate de Thomas Lilti p. 92 // Boys Like Us de Patric Chiha p. 94 Les DVD 96 La sélection du mois

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTEUR EN CHEF Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) ICONOGRAPHE Juliette Reitzer STAGIAIRE Marion Pacouil ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Oscar Duboÿ, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Claude Garcia, Stéphane Méjanès, Wilfried Paris, Michaël Patin, Alexandre Prouvèze, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Claire Tarrière, Laura Tuillier, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEURS Stéphane Manel, Charlie Poppins PHOTOGRAPHES Fabien Breuil, Marco Castro, Jean-Romain Pac, Philippe Quaisse PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) CHEF DE PROJET Clémence Van Raay (clemence.vanraay@mk2.com)

cultures 98 L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

time out paris 124 La sélection des sorties et des bons plans compilés par Time Out Paris

trois couleurs présente 128

« Culture TV », « Mémoires Vives », « Tiki Pop », les événements MK2

© 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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Illustration de couverture © Sergio Membrillas pour Trois Couleurs


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é dito

LE CHAUD ET LE FROID PAR ÉTIENNE ROUILLON ILLUSTRATION DE CHARLIE POPPINS

O

liver Sacks est un neurologue britan­ nique qui a inspiré le personnage de Raleigh St. Clair, joué par Bill Murray dans La Famille Tenenbaum. Sacks est aussi l’auteur d’un ouvrage au titre rigolo, L’Homme qui prenait sa femme pour son chapeau. Dans ce livre, pas très marrant au demeu­ rant, il rapporte des cas de patients affli­ gés de troubles neuronaux surprenants, dont celui d’un homme qui, comme l’in­ dique le titre, saisit le visage de sa femme en pensant attraper son chapeau. Il est atteint d’agnosie visuelle. Victime de

lésions, le cerveau ne comprend plus ce qu’il voit. Il ne le reconnaît plus, ou alors n’importe comment : tout ce qui est de couleur bleue devient « la mer » ; un châ­ teau de sable devient un « bonhomme de neige » ; l’été est en fait l’hiver. Le cinéma est capable de nous plon­ ger temporairement dans de tels états d’agnosie, de changer nos repères, de tordre nos perceptions, et c’est par la mise en scène que les choses finissent par faire à nouveau sens. C’est en suivant ce pro­ gramme que notre film de couverture trouve son mystère. Palme d’or du der­ nier Cannes, Winter Sleep (voir page 50) est une brillante agnosie, un hiver qui réchauffera votre été.

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l’e ntreti e n du mois

Marceline Loridan-Ivens

© marco castro

Souvenirs de tournage dans la Chine de la Révolution culturelle

« On a fait une grève de deux mois : “On ne peut pas continuer si on n’a pas plus de liberté.” » 8

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l’e ntreti e n du mois

Déportée à 15 ans, militante, actrice, elle a eu mille vies avant de partager celle du grand documentariste Joris Ivens. En 1971, ils partent filmer la Chine de la Révolution culturelle. Les douze documentaires qui constituent Comment Yukong déplaça les montagnes ressortent cet été en DVD, accompagnés de deux inédits. Marceline Loridan-Ivens a aujourd’hui 86 ans, un appartement parisien décoré de souvenirs du bout du monde et de bonnes bouteilles d’un vin blanc qu’elle nous sert avant de raconter. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE ROUILLON

C

omment ce projet d’aller filmer la chine dans l’après révolution culturelle est-il tombé dans votre caméra ? En 1938, Joris a réalisé Les 400 Millions, le seul docu­ mentaire tourné pendant la guerre entre la Chine et le Japon. Il avait donné sa caméra et des mètres de pellicule à la huitième armée de route [armée du Parti communiste chinois, ndlr]. Zhou Enlai, Premier ministre de la Chine [de 1949 à 1976, ndlr], ne l’a pas oublié lors­ qu’au début des années 1970 nous nous trou­ vions, Joris et moi, au Japon pour rencontrer des révolutionnaires opposés à la construction d’un aéroport. Zhou Enlai nous a invités par le biais de l’ambassade de Chine. On arrive donc en Chine, il nous dit que le monde entier est contre eux, que si l’on veut faire un film pour montrer la Chine, eh bien, il est d’accord. On est revenus en France pour chercher de l’argent, acheter une caméra Éclair, un Nagra IV et on a monté une équipe de tournage chinoise. et vous avez commencé à tourner ces douze documentaires. Pas du tout. L’équipe ne savait pas filmer selon notre méthode. Moi, je venais du cinéma direct avec mon expérience d’actrice sur Chronique d’un été 1. Joris, lui, venait du cinéma muet du début du siècle 2. On avait trente ans de diffé­ rence, et cette combinaison des deux cinémas était importante. On avait confiance l’un en l’autre, et quand on n’était pas d’accord on fai­ sait deux séquences différentes pour garder la meilleure au montage. Le premier film fait en Chine, on n’a rien pu en faire. Mais je suis reve­ nue à Paris avec ces 7 000 mètres de pellicule pour monter quelque chose et prouver à l’opéra­ teur chinois que sa méthode n’était pas la bonne. Imaginez, à l’époque, on avait une caméra à quartz, ce qui faisait que l’on n’était plus obli­ gés de câbler ensemble le cameraman et le pre­ neur de son (c’était mon rôle, parce que je posais les questions). Quand je voulais enregistrer un son de quelqu’un, l’opérateur foutait le camp ail­ leurs ! Pour lui faire comprendre ma méthode, j’ai cherché un plan-séquence sur toute une

bobine de douze minutes en 16 mm. J’ai trouvé un film de Yann Le Masson qui avait capté une danse algérienne en plan séquence. L’opérateur chinois a observé toute la bobine, centimètre par centimètre, pour chercher des coupes, mais il n’y en avait pas ! À partir de là, il a compris ce que l’on pouvait faire. Et puis j’ai voulu que l’on se re-câble, comme ça il ne pouvait plus se bar­ rer. Les choses sont rentrées, et il est devenu un très grand opérateur. que vouliez-vous montrer avec ces films ? On est partis avec l’intention de faire un film sur la Révolution culturelle… Mais pour ça, il aurait fallu être dans les secrets de la poli­ tique, pour comprendre, pour rendre compte. On n’avait pas les moyens d’être autant à l’in­ térieur. On s’en est aperçu au Xinjiang, lorsque l’on a filmé Les Ouïgours et Les Kazaks 3. On m’a accusée d’espionnage parce que j’avais fait des photos de femmes voilées. Les autorités pré­ paraient trop la réalité pour nous. Elles embellis­ saient. Par exemple, on voyait des ouvriers sor­ tir de l’usine à sept heures du matin devant nos caméras, habillés comme si c’était un dimanche. les ouïgours et les kazaks n’avaient jamais été montrés avant cette édition dvd ? Non, parce qu’à l’époque on avait raté notre coup. On a fait une grève de deux mois pendant ces tournages : « On ne peut pas continuer si on n’a pas plus de liberté. » On a lutté, on a perdu sur ces deux films, c’est pour cela qu’ils ne sont pas sortis avec les autres. Après la grève, on a réclamé à Zhou Enlai quelqu’un qui aurait du poids sur les cadres locaux, qui étaient très sec­ taires et nous opprimaient. Il a trouvé cet ancien responsable de la jeunesse qui parlait très bien le français. Il sortait d’une école du 7 mai, qui envoyait les jeunes intellectuels à la campagne après leurs études. Tout a changé avec lui, on avait un meilleur accès aux choses. toutefois, le pan sanglant de la révolution culturelle n’est pas franchement présent dans vos films. vous n’avez pas été témoins de cette violence ? Non. Et c’est la vérité. On n’a jamais vu le côté sanglant, cette phase était passée. Nous sommes

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© arte france développement

l’e ntreti e n du mois

Les Kazaks (1972) de Joris Ivens et Marceline Loridan-Ivens

« découvrir un peuple dont on ne savait rien ou pas grand-chose. »

de l’oppression japonaise, ils avaient une attitude de très grande compassion pour mon histoire.

arrivés après, en 1972. Les étudiants étaient retour­ nés dans les universités. Il y avait des retombées de cette violence, et ça, cela se sent dans les films. On l’aurait filmée si on l’avait vue. Par exemple en 1989, avec Joris, on a totalement soutenu les étudiants lors des manifestations de la place Tian’anmen. Quand je vous parle d’un meilleur accès aux choses, c’est par exemple dans le film Le Village de pêcheurs. Il y a cet homme qui dit : « Je ne comprends rien à la Révolution culturelle. » Les gens parlent assez librement, ils n’ont pas peur de dire que… Maintenant, quand je revois les films, je me dis que peut-être on aurait pu aller plus loin, mais c’était déjà un tel monde à découvrir, un tel pont à dresser entre Orient et Occident, hors des stéréotypes imbéciles des Occidentaux pour qui les Chinois, c’étaient ces « fourmis bleues ». vous tournez au fin fond de la chine, dans les années 1970, pourtant les gens n’ont pas l’air de faire attention à la caméra. comment avez-vous bâti cette confiance ? Le fait que l’équipe de tournage soit composée de Chinois a joué. On passait beaucoup de temps avec les gens. Les femmes me déshabillaient pour voir ce que je portais en dessous, quel soutien-gorge, quelle culotte. leur avez-vous parlé de votre passé dans les camps ? Oh oui, j’ai un numéro tatoué sur le bras, vous savez. Ils m’ont souvent posé la question. Et puis ils aimaient bien les Juifs. Zhou Enlai connaissait bien mon histoire d’adolescente déportée au camp d’Auschwitz-Birkenau 4. Eux qui avaient souffert

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aviez-vous écrit une structure avant de partir tourner ? Puisque l’on ne pouvait pas faire un film sur la Révolution culturelle, il fallait montrer sans pré­ tention, en assumant le fait que ce n’était pas toute la Chine, mais des aspects de la Chine. Je suis par­ tie avec deux cents questions que j’avais notées en France, les questions que les gens se posaient lorsque l’on parlait de la Chine. On a cherché des endroits différents pour montrer des réalités dis­ semblables, l’avant et l’après Révolution cultu­ relle. À partir de ces lieux, on trouvait les gens, les séquences. On a filmé pendant un an et demi sans voir nos rushes, qu’on envoyait par bouts en avion. 150 000 mètres de pellicule. Et puis un jour on s’est dit : « Ça va bien comme ça. » C’était prêt en 1975. Succès mondial à la sortie. Les gens ont aimé ces films. C’était découvrir un peuple dont on ne savait rien ou pas grand-chose. et en chine, a-t-on pu les voir ? Certains oui, d’autres sont interdits. Comme celui qui s’appelle L’Usine de générateurs, qui montre la révolte d’ouvriers à l’intérieur d’une entreprise. Des gens qui prennent la parole et osent critiquer leurs chefs, ça, ils ne le montrent pas. Mais l’ensemble des films a été montré dès le début aux seuls étu­ diants des instituts de cinéma chinois. Les films ont servi de base à leur formation, à la modernisa­ tion de leur cinéma. Quand on est arrivés, ils tour­ naient comme on filmait il y a cent ans. 1. Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin (Éditions Montparnasse) 2. Joris Ivens. Cinéaste du monde 1946-1988 de Joris Ivens et Marceline Loridan-Ivens (Arte Éditions) 3. Comment Yukong déplaça les montagnes de Joris Ivens et Marceline Loridan-Ivens (Arte Éditions) 4. Ma vie balagan (Robert Laffont) et La Petite Prairie aux bouleaux (StudioCanal), tous deux de Marceline Loridan-Ivens

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previ ew

White Bird in a Blizzard Adaptation du roman de Laura Kasischke, le nouveau film de Gregg Araki (The Doom Generation) marque le retour du réalisateur à sa veine la plus classique. À la fin des années 1980, dans une banlieue morne, Kat (Shailene Woodley), 17 ans, regarde l’échec du mariage de ses parents avec perplexité. Un jour, sa mère (Eva Green) disparaît. La jeune fille essaye tant bien que mal de vivre son adolescence, mais se trouve rattrapée par des rêves qui les plongent, elle et sa mère absente, dans un hiver froid et menaçant. Sont-ils significatifs ou, comme l’affirmait Stella dans Kaboom (2010), le précédent film du cinéaste, est-ce juste son « cerveau qui défèque en fin de journée » ? Quentin Grosset

de Gregg Araki avec Shailene Woodley, Eva Green… Distribution : Bac Films Durée : 1h31 Sortie le 15 octobre

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Les actualités Retours et compléments d’information sur les nouvelles culturelles qui ont agité notre site Internet, troiscouleurs.fr. PAR JULIEN DUPUY, QUENTIN GROSSET, JÉRÉMIE LEROY, MARION PACOUIL, TIMÉ ZOPPÉ

> l’info graphique

Combien coûte un film documentaire en 2013 ? Fin juin, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a rendu publique son étude Le Marché du documentaire en 2013, qui se base sur des films d’initiative française destinés au grand écran et ayant reçu l’agrément de production, c’est-à-dire qui remplissent les conditions fixées par la réglementation dudit CNC. État des lieux en quelques chiffres. Ma. P. budget

Les genres plébiscités par la télé

Financement

(en volume horaire)

19,2 % 49,6 % Devis moyen d’un film de fiction :

5,24m €

Devis moyen d’un film documentaire :

1,5m €

Le devis moyen d’un film documentaire est trois fois et demie moins important que celui d’un film de fiction.

Société

Tourisme, loisirs, sport, géographie

32,4 %

15,6 %

15,8 %

Nature, animaux

13,7 %

Autres 38,1 %

Par rapport à 2012, le volume de documentaires consacrés à des sujets de société est en augmentation, celui de ceux traitant de la nature est en recul.

10,3 % 5,3 % Diffuseurs CNC Producteurs français Autres Financements étrangers Les financements français des productions documentaires sont en hausse de 10,8 % en 2013. Les apports financiers sont en hausse par rapport à 2012.

LE RECORD D’ENTRÉES DE 2013

1,16

million de spectateurs

au cinéma

Sur le chemin de l’école de Pascal Plisson a réalisé en 2013 presque un tiers des entrées salles, tous documentaires réunis. Sources : Le Marché du documentaire en 2013 (CNC), La Production cinématographique en 2013 (CNC)

> POLÉMIQUE

Seth Rogen vs Kim Jong-un

© d. r.

Seth Rogen et Evan Goldberg ne reculent devant rien. Dans leur prochain film, The Interview, Rogen et James Franco incarnent des vedettes de la télé américaine auxquelles la C.I.A. demande d’assassiner Kim Jong-un, l’actuel dirigeant de la Corée du Nord. À l’évidence, la comédie loufoque ne prend pas de gants. Dans la bande-annonce, un agent américain met ainsi le duo en garde : « Vous entrez dans le pays le plus dangereux au monde. Le peuple de Kim Jong-un croit tout ce qu’il lui dit, y compris le fait qu’il puisse parler aux dauphins, ou qu’il n’urine et ne défèque pas. » Qu’en pense l’intéressé ? L’agence officielle du régime a protesté auprès de l’ONU, réclamé la censure du film et annoncé des « représailles impitoyables » si celui-ci sortait malgré tout. Peu après, son porte-parole officieux, Kim Myong-chol, a déclaré au quotidien britannique The Daily Telegraph que le leader nord-coréen regarderait sans doute le film. Sur Twitter, Seth Rogen s’en est réjoui : « J’espère qu’il l’aimera !! » T. Z.

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> LE CHIFFRE DU MOIS

341,8

Il s’agit, en millions de dollars, du coût de Pirates des Caraïbes 3. Jusqu’au bout du monde (2007). Il devient le film le plus cher de l’histoire selon une nouvelle étude du site d’information américain Business Insider, qui tient compte de l’inflation. Il détrône ainsi Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, qui détenait le titre depuis sa sortie en 1963. T. Z.

> dépêches

FESTIVAL

Pour les 40 ans du festival du cinéma américain de Deauville, du 5 au 14 septembre prochain, un hommage sera rendu au réalisateur et producteur John McTiernan. Costa-Gavras présidera le jury, composé d’ancien(ne)s président(e)s des vingt dernières éditions.

TWIN PEAKS

DÉCÈS

La maison de la famille Palmer dans la série culte de David Lynch est en vente. Moyennant 549 950 $, il est possible d’acquérir la demeure située à Everett, dans l’État de Washington, qui a servi de décor pour le pilote et le film Twin Peaks. Fire Walk with Me.

En juin, deux grands acteurs nous ont quittés : l’une des muses d’Andy Warhol, Ultra Violet, alias Isabelle Collin Dufresne, a été emportée par un cancer à l’âge de 78 ans. Eli Wallach, le mythique truand du film de Sergio Leone, s’est, lui, éteint à 98 ans.

> LA PHRASE

Tilda Swinton © marvel 2014

Sur le site Reddit, l’actrice a répondu à un internaute adepte de la théorie selon laquelle elle serait un clone de David Bowie créé en 1983, date de sortie de sa chanson Modern Love, afin que le chanteur puisse s’adonner à une carrière d’acteur.

> LA TECHNIQUE

Très attaché aux trucages à l’ancienne réalisés directement devant la caméra, James Gunn, le réalisateur des Gardiens de la galaxie, a exigé de la comédienne Karen Gillian qu’elle rase sa belle crinière rousse. Grâce à ce sacrifice, le superviseur des maquillages, David White, pouvait, à l’aide d’un jeu de prothèses en silicone, la transformer en Nébula, une tueuse robotique. Mais rien ne se perd : les cheveux de Karen Gillian ont depuis servi à créer une perruque destinée à l’une des créatures extraterrestres du prochain épisode de Star Wars que tourne actuellement J. J. Abrams. J. D. Les Gardiens de la galaxie de James Gunn (Walt Disney) Sortie le 13 août

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© amanda edwards / wireimage

Les Gardiens de la galaxie

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« LE LABORATOIRE M’A DONNÉ DES INSTRUCTIONS STRICTES POUR QUE JE ne fassE AUCUN COMMENTAIRE. »

© d. r. ; jack mitchell / getty images

PAR MA. P. & T. Z.


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> SALLES

© d. r.

Le cinéma 4D prend ses quartiers

Fin juin, la première salle de cinéma 4D américaine – il en existe déjà en Chine, au Japon ou au Chili – s’est installée à Los Angeles. Au programme : jets d’eau dans la figure, projection d’odeurs et sièges dynamiques. Comme il est possible de tourner un film en 2D puis de l’adapter en 4D par la suite, on peut déjà fantasmer le résultat sur de vieux classiques. Imaginez-vous dans la peau de Jack : le Titanic va sombrer à l’écran et les embruns marins viennent vous chatouiller les narines ; le froid vous transperce les os, et votre siège, réputé aussi insubmersible que le paquebot, se brise en deux. En attendant l’arrivée de ces salles en France, il vous faudra débourser 25 $… et un aller-retour pour les États-Unis. Ma. P.

EN TOURNAGE Arnaud Desplechin retrouve Paul Dédalus, le héros de son film de 1996 Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle). Il imaginera sa jeunesse dans Nos Arcadies dont le tournage est annoncé cet été entre Paris et Roubaix • Céline Sciamma et André Téchiné écrivent un scénario à quatre mains. Le film, dont le titre n’est pas encore connu, se focalisera sur deux garçons qui ne cessent de se battre et que personne n’arrive à séparer. Casting en juillet à Toulouse • Un spin-off de la série des Harry Potter se prépare. J. K. Rowling en personne signe l’adaptation de son livre Les Animaux Fantastiques. L’histoire se déroule soixante-dix ans avant les aventures du célèbre sorcier. Le tournage est prévu avant la fin d’année. T. Z.

© 1952 studiocanal

© d. r.

Tutotal

Jeux interdits de René Clément, sortie en version restaurée le 23 juillet

> À L’affiche

Les ressorties de l’été Parmi les nombreuses ressorties de l’été, deux ont retenu notre attention. La rétrospective Jacques Tati permettra de redécouvrir cet artisan du burlesque à la française. Playtime (1967), variation sur la standardisation filmée en 70 mm, ouvre le bal, le 16 juillet. Dans ce film, le réalisateur peaufine sa science du plan large, laissant toute liberté au spectateur de repèrer les

nombreux gags disséminés dans l’image. D’autres films de Tati (Mon oncle, Les Vacances de M. Hulot, Jour de fête, Parade, Trafic) suivront le 6 août • Le 23 juillet, la version restaurée de Jeux interdits (1952) ressort sur les écrans. Dans ce portrait de la France occupée de 1940, tendre et déchirant, René Clément confronte le monde des enfants et celui des adultes, l’insouciance et la cruauté. Q. G.

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Cette année, l’émission Personne ne bouge (Arte) nous a régalés avec ses détournements de tutoriels internet (guides d’apprentissage) « qui décident si, oui ou non, on va voir un film d’après sa bande annonce ». Cette rubrique, réalisée par Géraldine de Margerie et Maxime Donzel, vous initie au camping et aux armes à feu avec Métamorphoses ou vous apprend à vous faire de plus belles dreads que Sandrine Bonnaire dans Sans toit ni loi. On espère une deuxième saison. Q. G.


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ag e n da

Sorties du 16 juillet au 3 septembre Paris, Texas de Wim Wenders avec Harry Dean Stanton, Nastassja Kinski… Distribution : Tamasa Durée : 2h27

Des chevaux et des hommes de Benedikt Erlingsson avec Ingvar Eggert Sigurðsson, Charlotte Bøving… Distribution : Bodega Films Durée : 1h21 Page 68

L’Homme qu’on aimait trop d’André Téchiné avec Adèle Haenel, Guillaume Canet… Distribution : Mars Durée : 1h56 Page 27

Sexy Dance 5. All in Vegas de Trish Sie avec Briana Evigan, Ryan Guzman… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h50

Maestro de Léa Fazer avec Pio Marmaï, Michael Lonsdale… Distribution : Rezo Films Durée : 1h25 Page 70

Ping Pong Summer de Michael Tully avec Marcello Conte, Lea Thompson… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h32 Page 63

Transformers. L’âge de l’extinction de Michael Bay avec Mark Wahlberg, Nicola Peltz… Distribution : Paramount Pictures Durée : 2h45

American Nightmare 2. Anarchy de James DeMonaco avec Frank Grillo, Kiele Sanchez… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h40 Page 70

Les Ponts de Sarajevo collectif Distribution : Rezo Films Durée : 1h54 Page 64

Two Hundred Thousand Dirty de Timothy L. Anderson avec Mark Greenfield, Coolio… Distribution : Mangoustine Durée : 1h29

Locke de Steven Knight avec Tom Hardy, Ruth Wilson… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h27 Page 70

16 juillet

Shapito Show. Parties 1 & 2 de Sergey Loban avec Aleksey Znamenskiy, Piotr Mamonov… Distribution : Damned Durée : 1h46 et 1h51 Page 64

23 juillet

Loup-Garou de Stéphane Lévy avec Régis Jauffret, Anna Sigalevitch… Distribution : bonne séance Durée : 1h10 Page 70

Tanta Agua d’Ana Guevara Pose et Leticia Jorge Romero avec Néstor Guzzini, Malú Chouza… Distribution : A3 Durée : 1h42 Page 64

Jeux interdits de René Clément avec Brigitte Fossey, Georges Poujouly… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h25 Page 18

The Face of Love d’Arie Posin avec Annette Bening, Ed Harris… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h32 Page 64

Boyhood de Richard Linklater avec Ellar Coltrane, Patricia Arquette… Distribution : Diaphana Durée : 2h45 Page 66

Ablations d’Arnold de Parscau avec Denis Ménochet, Florence Thomassin… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h34 Page 66

The Raid 2 de Gareth Evans avec Iko Uwais, Julie Estelle… Distribution : The Jokers / Le Pacte Durée : 2h30 Page 66

La Preuve d’Amor Hakkar avec Nabil Asli, Anya Louanchi… Distribution : Sarah Films Durée : 1h33 Page 72

Fastlife de Thomas Ngijol avec Thomas Ngijol, Karole Rocher… Distribution : EuropaCorp Durée : 1h31 Page 66

Comrades de Bill Douglas avec Alex Norton, Robin Soans… Distribution : UFO Durée : 3h10 Page 68

Planes 2 de Robert Gannaway Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h40 Page 104

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Au premier regard de Daniel Ribeiro avec Guilherme Lobo, Fabio Audi… Distribution : Pyramide Durée : 1h36 Page 72 Palma Real Motel d’Aarón Fernandez avec Kristyan Ferrer, Adriana Paz… Distribution : Urban Durée : 1h40 Page 72


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Sorties du 16 juillet au 3 septembre Belle d’Amma Asante avec Gugu Mbatha-Raw, Tom Wilkinson… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h45

Baby Balloon de Stefan Liberski avec Ambre Grouwels, César Domboy… Distribution : Pyramide Durée : 1h24 Page 76

Ana Arabia d’Amos Gitaï avec Yuval Scharf, Yussuf Abu-Warda… Distribution : Océan Films Durée : 1h24 Page 78

Les Francis de Fabrice Begotti avec Lannick Gautry, Medi Sadoun… Distribution : Mars Durée : 1h25

Echo de Dave Green avec Teo Halm, Brian Bradley… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h31 Page 76

Young Ones de Jake Paltrow avec Michael Shannon, Nicholas Hoult… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h40 Page 78

Kumbh Mela. Sur les rives du fleuve sacré de Pan Nalin Documentaire Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h55 Page 77

Opération Casse-noisette de Peter Lepeniotis Animation Distribution : SND Durée : 1h26 Page 105

Rétrospective intégrale Jacques Tati de Jacques Tati Distribution : Carlotta Films Durée : 1h16 / 1h54 / 1h56 / 1h32 / 1h25 Page 18

La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock avec Cary Grant, Eva Marie Saint… Distribution : Carlotta Films Durée : 2h16

Black Storm de Steven Quale avec Richard Armitage, Sarah Wayne Callies… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h29

Agnès Varda in California. 5 films made in USA d’Agnès Varda Distribution : Ciné-Tamaris Durée : 22min / 28min / 1h50 / 1h20 / 1h05 Page 36

Hasta Mañana de Sébastien Maggiani et Olivier Vidal avec Amir Ben Abdelmoumen, Antoine Gautron… Distribution : Zelig Films Durée : 1h21

Irina. La mallette rouge de Bernard Mazauric avec Aman Bain, Anna Cottis… Distribution : Axxon Films Durée : 1h30

30 juillet

La Planète des singes. L’affrontement de Matt Reeves avec Andy Serkis, Jason Clarke… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h07 Page 48

6 août

New York Melody de John Carney avec Keira Knightley, Mark Ruffalo… Distribution : UGC Durée : 1h44 Page 72

Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen… Distribution : Memento Films Durée : 3h16 Page 50

Mister Babadook de Jennifer Kent avec Essie Davis, Noah Wiseman… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h34 Page 74

Nos pires voisins de Nicholas Stoller avec Seth Rogen, Rose Byrne… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h37 Page 76

Moonwalk One de Theo Kamecke Documentaire Distribution : Ed Durée : 1h48 Page 76

Detective Dee 2. La légende du dragon des mers de Tsui Hark avec Mark Chao, William Feng… Distribution : The Jokers / Le Pacte Durée : 2h14 Page 77

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J’arrête quand je veux de Sydney Sibilia avec Majlinda Agaj, Valerio Aprea… Distribution : Bellissima Films Durée : N.C.

Lucy de Luc Besson avec Scarlett Johansson, Morgan Freeman… Distribution : EuropaCorp Durée : N.C.

13 août Les Gardiens de la galaxie de James Gunn avec Chris Pratt, Zoe Saldana… Distribution : Walt Disney Durée : 2h02 Page 16


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ag e n da

Sorties du 16 juillet au 3 septembre Le Rôle de ma vie de Zach Braff avec Zach Braff, Kate Hudson… Distribution : Wild Bunch Durée : 2h Page 54

Sils Maria d’Olivier Assayas avec Juliette Binoche, Kristen Stewart Distribution : les Films du Losange Durée : 2h03 Page 34

22 Jump Street de Phil Lord et Chris Miller avec Channing Tatum, Jonah Hill… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h52 Page 86

Le Grand Paysage d’Alexis Droeven de Jean-Jacques Andrien avec Jan Decleir, Nicole Garcia… Distribution : Shellac Durée : 1h28 Page 78

Des lendemains qui chantent de Nicolas Castro avec Pio Marmaï, Laetitia Casta… Distribution : UGC Durée : 1h34 Page 84

Hercule de Brett Ratner avec Dwayne Johnson, Ian McShane… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h39 Page 86

The Double de Richard Ayoade avec Jesse Eisenberg, Mia Wasikowska… Distribution : Mars Durée : 1h33 Page 78

Nos étoiles contraires de Josh Boone avec Shailene Woodley, Ansel Elgort… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h05 Page 84

Une équipe de rêve de Mike Brett et Steve Jamison Documentaire Distribution : Bodega Films Durée : 1h30 Page 86

Trap Street de Vivian Qu avec Lu Yulai, Wenchao He… Distribution : ASC Durée : 1h33 Page 80

Reaching for the Moon de Bruno Barreto avec Glória Pires, Miranda Otto… Distribution : Outplay Durée : 2h Page 84

Lacrau de João Vladimiro Documentaire expérimental Distribution : Norte Durée : 1h39 Page 88

Le Grand Homme de Sarah Leonor avec Jérémie Renier, Surho Sugaipov… Distribution : Bac Films Durée : 1h47 Page 82

Catacombes de John Erick Dowdle avec Ben Feldman, Perdita Weeks… Distribution : Universal Pictures Durée : N.C.

The Salvation de Kristian Levring avec Mads Mikkelsen, Eva Green… Distribution : Jour2fête / Chrysalis Films Durée : 1h31 Page 88

Le Beau Monde de Julie Lopes-Curval avec Ana Girardot, Bastien Bouillon… Distribution : Pyramide Durée : 1h35 Page 82

Expendables 3 de Patrick Hughes avec Sylvester Stallone, Jason Statham… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : N.C.

Enemy de Denis Villeneuve avec Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent… Distribution : Version Originale / Condor Durée : 1h30 Page 90

La Dune de Yossi Aviram avec Niels Arestrup, Emma de Caunes… Distribution : Le Pacte Durée : 1h26 Page 82

SMS de Gabriel Julien-Laferrière avec Guillaume De Tonquédec, Anne Marivin… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h24

Siddarth de Richie Mehta avec Tannishtha Chatterjee, Rajesh Tailang… Distribution : ASC Durée : 1h36 Page 93

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Les Combattants de Thomas Cailley avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs… Distribution : Haut et Court Durée : 1h38 Page 27

Party Girl de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis avec Angélique Litzenburger, Joseph Bour... Distribution : Pyramide Durée : 1h36 Page 86

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été 2014

Budori. L’étrange voyage de Gisabur Sugii Animation Distribution : Eurozoom Durée : 1h48

La Clepsydre de Wojciech Has avec Jan Nowicki, Tadeusz Kondrat… Distribution : Baba Yaga Films Durée : 2h04


ag e n da

Le Secret de Kanwar d’Anup Singh avec Irrfan Khan, Sonia Bindra… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h45 Page 92

Délivre-nous du mal de Scott Derrickson avec Eric Bana, Édgar Ramírez… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h59 Page 94

Métamorphoses de Christophe Honoré avec Amira Akili, Sébastien Hirel… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h42 Page 40

Obvious Child de Gillian Robespierre avec Jenny Slate, Jake Lacy… Distribution : Paradis Films Durée : 1h23 Page 93

Maintenant ou jamais de Serge Frydman avec Leïla Bekhti, Nicolas Duvauchelle… Distribution : Mars Durée : 1h35 Page 94

Hippocrate de Thomas Lilti avec Vincent Lacoste, Reda Kateb… Distribution : Le Pacte Durée : 1h41 Page 92

Boys Like Us de Patric Chiha avec Florian Carove, Jonathan Capdevielle… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h30 Page 94

Si je reste de R. J. Cutler avec Chloë Grace Moretz, Mireille Enos… Distribution : Warner Bros. Durée : N.C. Page 94

3 septembre

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CINéMA

MÉTAMORPHOSES

WINTER SLEEP

PORTFOLIO

Le panthéon d’Ovide revu par Christophe Honoré p. 42

Rencontre avec le réalisateur de la dernière Palme d’or p. 50

« Lewis Baltz. Common Objects » p. 56

Adèle Haenel

« La vie est souvent plus inventive que la fiction. »

César du meilleur second rôle féminin au début de l’année pour son interprétation d’une sœur courage dans Suzanne de Katell Quillévéré, Adèle Haenel, 25 ans, a déjà du métier derrière elle. À 13 ans, elle débute dans Les Diables de Christophe Ruggia, au côté de Vincent Rottiers. Encore lycéenne, elle est la révélation du premier film de Céline Sciamma, Naissance des pieuvres. Depuis, l’actrice est partout. Cet été, elle brille dans Les Combattants de Thomas Cailley et dans L’Homme qu’on aimait trop d’André Téchiné. Rencontre. PROPOS RECUEILLIS PAR LAURA TUILLIER

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© philippe quaisse / pasco

histoires du


h istoi re s du ci n é ma

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epuis ses débuts en jeune nageuse séductrice dans Naissance des pieuvres, la jeune femme aux yeux de chat a posé son regard timide et tenace chez Valérie Mréjen et Bertrand Schefer (En ville), Bertrand Bonello (L’Apollonide) ou Guy Maddin (Spiritismes, sor­ tie prévue cette année). À chaque fois, elle impose une présence physique singulière, à la fois languide et un peu gauche, rehaussée par une voix chaude, légèrement cassée, pas de son âge. L’été dernier elle a enchaîné les tournages de deux films que tout oppose. Dans Les Combattants, premier long métrage de Thomas Cailley, elle est Madeleine, une jeune fille obsédée par la fin du monde et les moyens de s’y préparer. Chez André Téchiné, elle incarne Agnès Le Roux, grande amoureuse dont la disparition, à la fin des années 1970, est restée un mystère. Rieuse et concentrée, Adèle Haenel nous a parlé éclate à l’armée, Tip top et galvanisa­ tion collective. Comment s’est passée la rencontre avec Thomas Cailley ? Assez simplement. Au casting, il m’a posé une question sur mon envie de partir, de changer d’air. Comme j’étais mal lunée, je lui ai répondu que la question n’avait pas de sens, qu’on ne réfléchissait pas quand on voulait changer de vie. Ça lui a plu. J’ai senti, autant dans le projet que chez Thomas, quelque chose qui me faisait rire et me touchait. Comment était l’ambiance sur le tournage ? On a sillonné le Sud-Ouest, j’avais l’impression qu’on était une bande de fous itinérants. Il y avait une énergie dingue, d’autant que la plupart des chefs de poste débutaient. Dès le départ, je sentais cette promesse d’amusement, le côté super ludique du tournage. La parenthèse du stage à l’armée, par exemple, nous a fait beaucoup de bien, on tournait près de Pau, avec des jeunes du coin. La forêt éga­ lement était un formidable espace de jeu, tout y devenait possible. Thomas Cailley a tourné Les Combattants dans l’ordre chronologique du scénario. C’est agréable pour un acteur ? Les personnages ne changent pas, ce ne sont pas des malades qui guérissent. En revanche, ils s’ouvrent l’un à l’autre. Tourner dans l’ordre m’a permis de ne pas chercher à « psychologiser » Madeleine. Je

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pouvais me contenter de me laisser influencer par les scènes tournées la veille pour trouver son état émotionnel du lendemain, sans passer par l’intel­ lect. En plus, Kevin Azaïs est le frère de Vincent Rottiers, avec qui j’ai tourné mon premier film, Les Diables, donc je me sentais connectée à lui, il a insufflé beaucoup de fraîcheur. Le comique de Madeleine vient de son très grand sérieux. Oui, d’ailleurs je suis assez sujette aux fous rires et là, j’arrivais à y échapper, car je trouvais tout ça très logique. Pour moi le film repose sur un comique de collision davantage que sur un comique de déri­ sion. Les deux héros sont à la fois ridicules et magnifiques dans leur manière d’inventer leur vie. Le film joue beaucoup avec les stéréotypes de genre, c’est quelque chose dont tu étais consciente ? Il se trouve que la vie est souvent plus inventive que la fiction. Donc même si on croise souvent des filles courageuses et des garçons timides, le cinéma montre peu ce genre de personnages. Les Combattants parle du féminin et du masculin d’une façon plus libre que ce que l’on a l’habitude de voir, ça fait du bien. Comment es-tu arrivée sur le film d’André Téchiné ? Ça s’est presque fait du jour au lendemain ! André m’a appelée, on s’est vus, il m’a dit que j’avais le rôle immédiatement. C’est nouveau pour moi de tourner avec un cinéaste aussi aguerri. André a des obsessions, il leur court après en permanence, c’est quelque chose que j’adore chez les cinéastes. Avec lui, j’ai appris à ne pas avoir peur de rater. Il est tel­ lement clair dans ce qu’il attend que l’on n’a plus peur de mal faire, parce qu’il le voit tout de suite. Je me suis mise à son service comme une matière brute. Il avait son idée du personnage, notam­ ment qu’Agnès est quelqu’un qui vit les choses de manière extrêmement intense. Est-ce difficile, pour une actrice, de jouer une femme qui a existé ? C’est dur, surtout lorsqu’il s’agit d’un drame. Je me suis beaucoup documenté sur la vie d’Agnès Le Roux, mais c’est quelqu’un de très mystérieux, on a peu d’informations sur elle. De toute façon, le film est une interprétation, c’est la vision d’An­ dré. Je n’ai pas cherché à imiter ce que je pensais

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© mars distribution

e ntreti e n

Adèle Haenel et Guillaume Canet dans L’Homme qu’on aimait trop de André Téchiné

être Agnès, mais plutôt à me mettre à sa place : comment aurais-je réagi confrontée aux mêmes épreuves qu’elle ? Je suis donc partie de situations concrètes. J’ai aussi fait attention à toujours res­ ter dans le présent d’Agnès. Comme le spectateur connaît sa fin tragique, il ne fallait pas que tout soit noir dès le départ. Le personnage brûle petit à petit, parce que la vie cogne trop fort en elle. Je cherchais en permanence à apprendre des choses sur moi plutôt qu’à me projeter vers une altérité que je ne connais pas. Je trouve ça assez honnête comme façon de faire. Avec Guillaume Canet, vous construisez une relation complexe. Comment y avez-vous travaillé ? Guillaume réfléchit énormément sur ce qu’il fait, au point de devenir une force de propositions dra­ maturgiques. Contrairement à moi qui suis plus instinctive, qui envisage les scènes les unes après les autres, il réfléchit beaucoup aux structures. Comme il faisait beaucoup de suggestions, ça me permettait de rebondir, c’est agréable d’avoir un partenaire de jeu aussi investi. Tu parles de jeu instinctif. C’est ta méthode ? Le travail en amont d’une scène ou d’un person­ nage, c’est comme construire un ring. Le ring, c’est les règles, mais pour moi, ce qui est essentiel, c’est l’accident, l’énergie, ce qui va se passer sur ce ring au moment précis où la caméra tournera. Ce n’est pas uniquement de l’instinct, d’ailleurs je m’inté­ resse beaucoup aux différentes techniques de jeu. Tu vois beaucoup de films ? Récemment j’ai vu Tip top de Serge Bozon, qui m’a captivée. Dans ce film, le jeu est en perma­ nence montré comme tel, on est dans une distorsion

« Ce qui est essentiel, c’est l’accident, l’énergie. » totale par rapport au naturalisme. Du coup, lorsque quelqu’un joue « normal », il semble très étrange. C’est du cubisme ! Et le théâtre ? Je fais une tournée cet été, on reprend Le Moche de Marius von Mayenburg, dans une mise en scène de Mariette Sandoz. Je suis très fière de ce projet, on a démarré avec rien et on va jouer l’année pro­ chaine au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Ce qui me plaît, au théâtre, c’est qu’on s’approprie nos limites et notre capacité à les dépasser. Au cinéma, ça me semble plus dur, le talent ne t’appartient jamais vraiment, tu peux être bon par hasard. Le théâtre permet de rester connecté avec soi-même, on est dans une expérience de vie très singulière, certains soirs c’est de la galvanisation collective. Quels sont tes projets de cinéma ? Je vais tourner dans le deuxième film de Léa Fehner, Les Ogres. Justement, ça parle d’une troupe de théâtre itinérante. L’Homme qu’on aimait trop d’André Téchiné avec Adèle Haenel, Guillaume Canet… Distribution : Mars Durée : 1h56 Sortie le 16 juillet Les Combattants de Thomas Cailley avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs… Distribution : Haut et Court Durée : 1h38 Sortie le 20 août

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h istoi re s du ci n é ma - e ntreti e n

LES COMBATTANTS

Thomas Cailley Avec Les Combattants, Thomas Cailley (déjà auteur du court métrage Paris Shanghai) imagine une comédie romantique aux airs de robinsonnade qui commence au beau milieu d’un stage à l’armée pour finir dans un décor utopique de nature sauvage. Rencontre.

© nord-ouest films et julien panié

PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

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omment avez-vous eu l’idée de mixer ces deux genres, la comédie romantique et le survival ? Je voulais que le film retrace un par­ cours libre. À l’écriture du scénario, je ne me suis pas rendu compte de cette hétérogénéité. Pendant l’étape du financement, on me posait beaucoup de questions sur l’unité du long métrage. Je répon­ dais instinctivement que la mise en scène allait lier les éléments antagonistes. Avec mon frère, David Cailley, le chef opérateur du film, on a réfléchi aux ambiances en collant des images sur un grand tableau de liège. Des photos de films réa­ lisés par les frères Coen, Bruno Dumont, ou Steven Spielberg, qui a une façon très particulière d’éclai­ rer des forêts de nuit… Le trajet du film correspond à un voyage : du froid vers le chaud, de l’immobi­ lité vers le mouvement, du diurne vers le crépus­ culaire. Sa richesse, c’est la variété des expériences que traversent les personnages. Comment décririez-vous l’évolution des protagonistes ? Peu à peu, ils deviennent des héros de cinéma. Dans la fiction, ça m’énerve quand on présente des personnages malades qui finissent par guérir. Cela donne souvent lieu à des scènes qui nous montrent qu’ils ont eu tort d’être comme ils sont. Ils font des concessions, je trouve ça terrible. Arnaud et Madeleine doivent grandir, et non pas changer. L’idée n’est pas d’arriver à une prise de conscience, mais de les voir agir. Les deux ont ensemble une énergie qu’ils n’ont pas séparément, c’est ce qui leur permet d’inventer des mondes.

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À un moment, le film devient presque onirique. Comment avez-vous pensé ce basculement ? C’est un glissement vers la fiction qui s’opère depuis le début. On démarre de façon très ancrée dans le réel sur le personnage d’Arnaud avec son quotidien, sa famille, ses potes, son boulot. Puis arrive Madeleine, cette fille étrange qui bouscule ses habitudes. Plus il la côtoie et plus il se passe des choses bizarres. Elle croit à la fin du monde, et c’est littéralement ce qu’Arnaud subit dans chaque scène. On avance peu à peu sur un terrain plus rêveur, jusqu’à la séquence de fin qui lorgne vers le fantastique. Pourquoi avoir inscrit l’intrigue dans ce décor militaire ? C’est un cadre idéal pour une interrogation existen­ tielle. Depuis quelques années, la communication de l’armée utilise des slogans tels que « Devenez vous-même » ou « Pour soi, pour les autres ». C’est une institution censée nous protéger d’ennemis divers ; or elle n’appelle pas les jeunes à se réunir autour de valeurs collectives, mais plutôt au nom de l’épanouissement personnel. C’est ce dont il s’agit pour les personnages : apprendre à trouver sa place dans la société. Pour que ce soit réaliste, je me suis inscrit au stage que font Madeleine et Arnaud. Ce qui est drôle, c’est de voir les fantasmes d’aventure avec lesquels les jeunes y débarquent. Car, concrè­ tement, ils font juste du sport. Les Combattants de Thomas Cailley avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs… Distribution : Haut et Court Durée : 1h38 Sortie le 20 août

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h istoi re s du ci n é ma - g e n de r stu di e s

© collection christophel

Chaque mois, une étude des enjeux de représentation du genre à l’écran

SAISON 4 : NOUVELLES MASCULINITÉS

3. Will Smith Dans le contexte post-11-Septembre et un New York en ruines, Je suis une légende (2007) de Francis Lawrence faisait appel à la récente mémoire collective et à Will Smith, acteur bankable et dépositaire d’une longue tradition de représentation de la race à Hollywood. PAR CLÉMENTINE GALLOT

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ans cette adaptation du roman post­ apocalyptique de Richard Matheson, le savant Robert Neville (Will Smith) est l’un des derniers survivants à un virus qui a anéanti la population mondiale. Il se terre à New York, où il affronte des mutants. Je suis une légende s’inscrit parmi les productions du cinéma post-11-Septembre dans lesquelles la construc­ tion de la masculinité apparaît intimement liée à la question du traumatisme – Will Smith y person­ nifie la nation américaine sous le choc. Un essai de Claire Sisco King, paru dans l’ouvrage collectif Millenial Masculinity 1, illustre ces échos avec l’ac­ tualité récente, tel l’entraînement physique quoti­ dien auquel se livre Neville, qui s’apparente au tra­ vail de résilience du pays. Se référant au discours ambiant sur la chute des Twin Towers comme sup­ posée castration symbolique, le film participe de son côté d’une entreprise de « remasculinisation nationale ». Le Dr Neville lance le même message à la radio tous les jours, disant qu’il dispose d’un toit et de nourriture, remplissant les critères même du schéma patriarcal. La réponse au traumatisme vu comme expérience d’émasculation féminisante n’est donc autre que la reconstruction d’une mas­ culinité hégémonique. L’inscription de Will Smith se fait également dans une généalogie afro-américaine présente au cinéma, qui court du cliché du « méchant nègre »

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violent au « bon héros noir » intégrationniste. Le chercheur Adilifu Nama se félicite de ce choix, qu’il n’estime pas anodin : « Will Smith a fait progresser le statut de l’identité noire dans le cinéma de science-fiction 1 » avec Independence Day, I, Robot ou Men in Black. Mais, en endossant souvent des rôles écrits pour des acteurs blancs, « la déracialisation va souvent avec une désexualisation », déplore de son côté Anne Crémieux 2, maître de conférences à l’université Paris-Ouest Nanterre. Surtout, l’album Legend de Bob Marley irrigue tout le film, comme la promesse d’une réconciliation qui dépasserait le passé raciste des États-Unis, fai­ sant d’un Afro-Américain l’avenir de l’humanité. Fausse piste que ce programme postracial, puisque le sang régénérateur nécessaire à la renaissance de la population mondiale est finalement… celui d’une « caucasienne ». Paradoxal, cet aveu d’échec aboutit finalement à une revalorisation de la blan­ cheur (pure, naturelle) qui renforce des fantasmes traditionnels éculés. 1. Millennial Masculinity. Men in contemporary american cinema sous la direction de Timothy Shary (Wayne State University Press) 2. Masculinité à Hollywood. De Marlon Brando à Will Smith sous la direction de Noëlle de Chambrun (L’Harmattan)

en septembre : retrouvez un nouveau cycle de gender studies

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sils maria

olivier assayas Après avoir puisé dans ses souvenirs d’adolescence pour Après Mai (2012), Olivier Assayas a-t-il pioché dans son passé de critique pour Sils Maria ? Partant de la confrontation d’une actrice installée et de son assistante, le film se penche sur les frontières poreuses entre l’art et la vie. L’occasion, pour le cinéaste, d’offrir à Juliette Binoche et à Kristen Stewart deux rôles troublants.

© philippe quaisse / pasco

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otre film Irma Vep (1996) était déjà une variation sur la figure de l’actrice. En quoi ces deux longs métrages se répondent-ils ? Je reprends ce schéma d’une comédienne à qui je fais jouer quasiment son propre rôle, à cette différence près que, dans Irma Vep, la démarche était plus littérale : Maggie Cheung jouait Maggie Cheung ; il s’agissait d’explorer la perte de repères de quelqu’un qui se trouve transplanté d’une culture à une autre. Dans Sils Maria, une comédienne essaie d’aller chercher le personnage en elle, de le comprendre, avant de le jouer. Je me suis inspiré de Juliette Binoche, et je n’aurais certainement pas fait le même film sans elle. Il se trouve que Juliette se définit par le travail, là où d’autres comédiennes apprennent leur texte cinq minutes avant de tourner. Vous vous êtes rencontrés sur le tournage de Rendez-vous (1985) d’André Téchiné, dont vous cosigniez le scénario. Comment votre relation a-t-elle évolué depuis lors ? C’est sans doute grâce au succès de Rendez-vous que j’ai pu réaliser mon premier film et ça a donné une vraie impulsion à la carrière de Juliette. En toute logique, on aurait dû continuer ensemble, mais on s’est rendu compte qu’il y avait un trou dans nos filmographies, que l’on a timidement essayé de combler avec L’Heure d’été (2008). Puis Juliette m’a proposé qu’on refasse un film ensemble. D’où vient l’idée de planter le décor dans ces paysages montagneux ? Je suis souvent allé en vacances en Suisse, à Sils Maria, et, une nuit, alors que je ne dormais pas, j’ai vu passer ce nuage long de plusieurs kilomètres. Quelques mois plus tard, alors que je regardais un DVD de Tempête sur le mont Blanc (1930), un film allemand d’Arnold Franck avec Leni Riefenstahl, j’ai visionné un bonus intitulé Le Phénomène nuageux de Maloja. Progressivement l’idée m’est venue d’inscrire l’intrigue à Sils Maria, même si je ne savais pas comment me servir du nuage. C’est un paysage magnifique, imprégné de la culture de la Mitteleuropa et traversé par de mauvaises ondes. Les scènes pendant lesquelles Maria (Juliette Binoche) et son assistante (Kristen Stewart) répètent prennent la forme d’une confrontation autour de la création. Comment éviter un ton trop didactique ? Il faut une dose d’humour. L’assistante de Maria lui renvoie un regard ironique, la ramène sur des ques­ tions triviales dès qu’elle commence à aborder des

questions trop abstraites. En réalité, au cinéma, on ne fait pas passer des idées, mais de la dialectique. La question, d’une certaine façon, n’existe que si le film ne propose pas de résolution. On imagine que vos actrices avaient des techniques de jeu différentes. Comment faire pour les harmoniser ? En les plongeant dans le tournage sans qu’elles aient besoin de théoriser. Moi, je ne répète jamais, j’essaie qu’elles aient confiance en moi. On a tourné la longue séquence du début en deux jours, ce qui est très peu. Cette scène, qui se passe dans un train, a été réalisée avec des fonds verts, dans un musée où des assistants faisaient bouger le wagon à l’ar­ rêt. Ça nous a permis de travailler à toute vitesse, et elles ont trouvé leur synchronisme. Pour les scènes importantes, je tournais à deux caméras : ainsi elles pouvaient parler l’une sur l’autre, réa­ gir d’une façon imprévue, partir dans des digres­ sions. Juliette et Kristen ont fini par former une même entité.

« Le cinéma est un art du présent. Le passé devient intéressant grâce à la perspective qu’on a sur lui. » Maria regrette son passé glorieux. Mais votre regard n’est jamais nostalgique. C’est parce que fondamentalement, le cinéma a à voir avec la jeunesse. C’est sa nature documentaire, puisqu’il est un art du présent. Le passé devient intéressant grâce à la perspective qu’on a sur lui. Vous êtes l’un des rares cinéastes français à mélanger acteurs français et étrangers. La transformation du monde se produit de façon transnationale. Il y a quelque chose de passionnant dans la façon dont les cultures se croisent, se ren­ contrent, cohabitent. Cela crée de nouveaux terri­ toires de cinéma, car notre culture, notre imagi­ naire se déploient désormais dans un monde plus riche et complexe que la simple perspective franco-­ française. J’ai toujours vu le cinéma comme un outil d’exploration du monde. Sils Maria d’Olivier Assayas avec Juliette Binoche, Kristen Stewart... Distribution : les Films du Losange Durée : 2h03 Sortie le 20 août

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8. 1. et 7. : Lions Love (… and Lies) ; 2 et 3 : Mur Murs ; 4 et 6 : Documenteur ; 5 : Black Panthers ; 8 : Uncle Yanko

« Je m’avançais vers eux avec un accent bien français et je disais : “French television.” C’était un mot magique à l’époque. » 36

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© max raab - agnès varda ; cine tamaris

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re ncontre

Agnès Varda IN CALIFORNIA

Des années 1960 aux années 1980, Agnès Varda a fait plusieurs séjours en Californie. Elle en a ramené cinq films, réunis cet été dans le programme « Agnès Varda in California » : Uncle Yanco, Black Panthers, Lions Love (… and Lies), Mur murs et Documenteur. Toujours inventives et concernées, ses cartes postales font preuve d’une réjouissante propension à l’exploration et à la rencontre. La cinéaste se souvient. PAR QUENTIN GROSSET

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ai 1968. La France bouillonne de révolte, et les cinéastes de la Nouvelle Vague, en solida­ rité avec les mouvements étu­ diants et ouvriers, empêchent la diffusion des films au Festival de Cannes. Au même moment, Agnès Varda tourne des films aux ÉtatsUnis. Elle est accompagnée par Jacques Demy, qui vient de signer un contrat avec la Columbia pour réaliser Model Shop. Attentive à d’autres boulever­ sements politiques sur lesquels elle pose son regard lucide et pétillant, la cinéaste est soudain plongée dans une Amérique au climat très « sex and politics ». « Jacques et moi étions relativement sages, ça a été un choc ! Tout le monde portait le symbole “peace and love”, même les patrons de studios. Mais les vrais hippies se réunissaient dans de grands parcs où l’on amenait les enfants, les chiens, des cageots de cerises que tout le monde partageait. Les Mamas & Papas ou les Doors venaient chanter gratuitement. Il y avait beaucoup de cigarettes “artistiques”. Certains prenaient du LSD dans le but de libérer l’invention, les couleurs, l’exubérance », raconte la réalisatrice. À l’automne 1967, Agnès Varda est invi­ tée à présenter son film Les Créatures (1966) dans un festival à San Francisco. Elle apprend par Tom Luddy, producteur qui dirigeait alors la Pacific Film Archives, l’existence d’un délicieux

personnage, Jean Varda, qui s’avère être un oncle éloigné. Sur un bateau-maison fait de bric et de broc, à Sausalito, ville aquatique dans la baie de San Francisco, vit un artiste haut en couleur dont la cinéaste tire le portrait dans Uncle Yanco (1967). Promenades en mer, bohême avec ses amis hippies, discussions sur ses collages ou ses peintures de villes byzantines… l’oncle Varda réinvente le quo­ tidien. Dans ce premier court métrage américain, Varda tourne déjà dans les recoins rarement filmés des États-Unis, là où résident ceux qui contestent l’American way of life. Tom Luddy lui fait rencontrer les responsables du Black Panther Party, alors que les manifesta­ tions autour du procès de Huey Newton, cofonda­ teur de l’organisation avec Bobby Seale, battent leur plein à Oakland. Une émission de télévi­ sion française lui commande un reportage sur le sujet, qui ne sera finalement pas diffusé, pour ne pas réveiller les feux de Mai 68 – on était à l’au­ tomne 1968. « C’était un moment éphémère où le Black Panther Party était encore cohérent, organisé, avec un programme en dix points et un entraînement militaire. Ils étaient persécutés par les pigs [les flics, ndlr] qui n’hésitaient pas à briser leurs vitrines. Je m’avançais vers eux avec un accent bien français et je disais : “French televi­ sion.” C’était un mot magique à l’époque. » Pour ce film, Agnès Varda et Pascal Thomas réussissent à avoir une interview de Newton, en prison. Dans

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h istoi re s du ci n é ma - re ncontre

© cine tamaris

Agnès Varda s’intéresse aux « anges lésés » de la ville, qu’elle poétise et met en valeur.

un commentaire radical et déterminé, elle évoque la répression policière en adoptant le ton révolu­ tionnaire de ceux qu’elle filme. triangle amoureux

Comme Jacques Demy, Agnès Varda écrit un scé­ nario pour la Columbia, Peace and Love. Mais le studio ne lui accorde pas le final cut. Tant qu’à faire, elle réalise Lions Love (… and Lies) (1969), un film hippie hollywoodien sur trois acteurs chevelus qui jouent leurs propres rôles : Viva!, échappée de la Factory de Warhol, et Jim Rado et Gerome Ragni, qui avaient écrit et jouaient la comédie musicale Hair. Ces idoles, sur le point de devenir des stars, vivent en triangle amoureux dans une maison sur une colline de Hollywood. Varda mêle docu­ mentaire et fiction en faisant réagir ses acteurs à l’annonce, à la télévision, du meurtre de Robert Kennedy. « Henri Langlois m’avait dit, à quelques mots près : “Ce film, en exagérant la fiction, est finalement un documentaire sur Hollywood.” » D’ailleurs, la réalisatrice Shirley Clarke, qui appa­ raît dans Lions Love…, dit à un moment ne jamais savoir si elle filme ou si elle est dans le film. Cette hésitation pourrait s’appliquer à toute l’œuvre d’Agnès Varda. « Dans une scène, Shirley, dont le personnage essuyait beaucoup de refus de la part de l’industrie, devait faire semblant d’avaler des pilules pour se suicider. Elle n’a pas voulu la jouer. L’opérateur de la caméra n’a pas coupé. On me voit arriver dans le champ, je prends sa robe et j’avale moi-même les pilules nerveusement. Du coup, elle reprend le rôle. » Mur murs (1980) sort en salles en 1982 dans un double programme avec Documenteur (1981). Dans le premier, la cinéaste filme les murals, d’immenses fresques peintes par des artistes de rue sur les murs de Los Angeles. « La moitié de ces œuvres ont depuis été effacées. Le combat des muralistes consistait à s’opposer au système des galeries. Ils peignaient sur les murs pour tout le

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monde, c’était gratuit. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. » Varda n’hésite pas à arpenter des terri­ toires réputés ingrats, sièges de la criminalité, des gangs, du trafic de drogue. Elle s’intéresse, pour reprendre son expression, aux « anges lésés » de la ville, qu’elle poétise et met en valeur, particulière­ ment les minorités ethniques qui racontent leur his­ toire à travers leur art. Ce sont bien des murs, mais qui, au lieu de le bloquer, ouvrent l’horizon. Le dernier plan de Mur murs est aussi le pre­ mier plan de Documenteur. C’est que les deux films sont liés : après avoir montré l’exil avec son œil de documentariste, elle invite le spectateur à ressentir cette souffrance d’une manière plus introspective à travers le personnage d’Émilie (Sabine Mamou, la monteuse de Mur murs), une Française qui vient de vivre une séparation et cherche un logement avec son fils de 8 ans (joué par Mathieu Demy). « Pour une fois, j’assumais d’être triste. J’ai eu une crise d’“abandonite” aiguë qui m’a permis de regarder les gens de façon très sensible, comme si tout me faisait mal. J’utilisais des images documentaires pour parler à la place d’Émilie. Elle est dans l’exil des mots, chose que je ressentais très fort parce que les gens parlaient anglais. Je pensais à des mots français : “malotru”, “cyclamen”… Ce n’est pas que Jacques m’abandonnait, mais on se décollait. La douleur était si vive que c’était comme si tous les hommes m’abandonnaient. Cette femme et son fils qui n’arrivent pas à se loger, c’est l’idée qu’on n’a pas de place. » Si Agnès Varda quitte la Californie sur cette note mélancolique, son fils Mathieu Demy reviendra plus tard sur ces lieux pour son film Americano (2011), dans lequel il réu­ tilise des images de Documenteur, se réappropriant ses souvenirs d’exil à deux. Agnès Varda in California. 5 films made in USA d’Agnès Varda Distribution : Ciné-Tamaris Durée : 22min / 28min / 1h50 / 1h20 / 1h05 Sortie le 30 juillet

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entretien

CHRISTOPHE HONORÉ

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« J’avais envie de rendre à une jeunesse française d’aujourd’hui, plutôt métissée, une culture qui est devenue élitiste. »

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Dans son précédent long métrage, Les Bien-Aimés, il suivait plusieurs destins sur une période allant des années 1960 à 2000. En adaptant Les Métamorphoses d’Ovide, Christophe Honoré fait un grand écart temporel encore plus prononcé et transpose les mythes gréco-romains dans l’époque contemporaine. À la sortie du lycée, une Europe d’origine algérienne se laisse séduire par un Jupiter camionneur et découvre un monde inconnu : celui des dieux et de l’hédonisme. Rencontre avec un cinéaste curieux de son temps. PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

uand avez-vous lu pour la première fois Les Métamor­ phoses d’Ovide ? J’en ai lu des extraits en cours de latin, en quatrième. L’œuvre comprend quinze livres, donc peu de gens la lisent en entier. J’ai toujours aimé les mythes grecs, et, racontés par un poète latin comme Ovide, ça leur donne une grande richesse d’expression. Ovide passe par plein de genres différents, et son récit peut être élégiaque, grotesque, comique, poétique – certains textes sont presque politiques. C’est une œuvre infinie, on s’y perd. Comment s’est fait le travail de sélection des mythes ? J’ai enlevé tout ce qui se trouve aussi dans L’Iliade et L’Odyssée et tout ce qui concerne la création du monde. Ensuite, je me suis principalement basé sur des récits de désir et d’amour entre des dieux et des mortels, qui sont d’ailleurs surtout des rela­ tions d’abus sexuel. Dans le scénario, il y avait beaucoup plus de mythes, mais je ne voulais pas faire un manuel d’histoire. Il a donc fallu se sépa­ rer de certaines parties. Mais c’est impossible qu’il n’y ait pas des rivalités entre celles qui restent. Les spectateurs ont forcément leurs préférences, c’est ça qui rend le film vivant. Il se transforme sans cesse. Dans presque tous les mythes que vous avez choisis, les personnages sont métamorphosés contre leur gré. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette notion de punition ? Je ne sais pas si c’est de l’ordre de la punition. Ce qui est beau avec les dieux, c’est que l’échange sexuel est le lieu de la connaissance et de la révé­ lation, notamment pour Europe. Le rapport qu’elle a avec Jupiter relève d’un premier amour. Au début, elle est attirée par lui, mais le pense mythomane. Son trajet dans le film est bien celui d’une révéla­ tion, elle trouve une place dans l’univers. La ren­ contre avec les dieux grecs, donc avec son passé, la libère de son présent, qui semble lui imposer

une vie toute tracée de jeune fille française d’au­ jourd’hui, d’origine algérienne : un père autoritaire et conventionnel, un lycée pour lequel elle n’a pas d’intérêt… Elle devient soudain témoin et actrice d’histoires insensées, mais comme elle est prête à y croire, ça lui donne une liberté nouvelle. Pour vous, quel sens y a-t-il à reprendre ces mythes au cinéma maintenant ? Il y a toujours eu des époques de renaissance de la mythologie grecque en littérature, un peu moins au cinéma. Avec Métamorphoses, c’est très frontal. C’était l’envie de rendre à une jeunesse française d’aujourd’hui, plutôt métissée, une culture qui est devenue élitiste, liée à l’école. Je cherchais à savoir si cet héritage pouvait être aussi important pour des jeunes gens de 2014 que celui de la pop culture américaine, ou de la religion, qu’elle soit musul­ mane ou catholique. Je voulais voir ce qui reste des dieux grecs de nos jours. En 2008, Nicolas Sarkozy avait moqué La Princesse de Clèves. En réaction, vous étiez parti de ce livre pour réaliser La Belle Personne. Est-ce qu’un événement précis a déclenché l’envie d’adapter Les Métamorphoses ? Je n’avais pas d’idées préconçues avant de démar­ rer le film. J’avais seulement ce mot, « Europe ». Europe enlevée par un dieu grec. La place de la Grèce en Europe, le discours qu’on tient autour de la dette… J’ai l’impression qu’on est plutôt redevable à ce pays. Je parle surtout en tant que cinéaste et écrivain, puisque toute la fiction est dans la mythologie grecque. Par rapport à Europe, je voulais qu’elle soit la spectatrice d’his­ toires qu’elle ne connaissait pas, mais dont elle est curieuse. C’est une Europe qui est prête à croire à son passé grec. Pourquoi avoir en plus choisi d’ancrer le récit dans une banlieue française ? Je viens de Bretagne, je connais mal la Méditerranée. Il fallait que je descende dans le Sud, mais je vou­ lais éviter la mer. Je trouvais que c’était facilement poétique de filmer des longs travellings le long des

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© jean-louis fernandez

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plages, les oliviers… Ensuite, je me suis posé des questions simples, comme : « Où les dieux choisiraient-ils d’apparaître au xxie siècle? » J’ai pensé à toutes les zones périurbaines qu’on ne filme pas beaucoup, autour des rocades. Ce lieu où la nature reprend ses droits, mais où l’on est encore dans la ville. Je me disais que ce pouvait être le domaine des dieux, que c’était un endroit où ils pouvaient se balader tout nus et croiser des mortelles qui avaient une beauté actuelle. J’aimais bien cette idée d’al­ ler traquer une beauté irrésistible dans des endroits qu’a priori on va toujours filmer pour leur contenu sociologique mais jamais pour leur esthétique. On entend souvent le bruit de la circulation, même lors des plans sur la nature. C’était l’idée que l’on ne soit jamais vraiment ins­ tallés. Pour mon ingénieur du son et pour la régie, c’était l’enfer, c’était toujours des endroits inconfor­ tables. Il y a très peu d’intérieurs, on changeait de lieu tous les jours. Mais je voulais qu’ils soient tout le temps menacés par une civilisation, que l’on ne soit jamais imperméables au monde actuel.

presque chef de secte. Ça m’a amusé de retarder le moment où il est aux Enfers, après qu’on l’a vu pro­ férer des choses assez désagréables dans une cité. Le premier mythe exposé est celui d’Actéon. Qu’est-ce qui vous a poussé à imaginer Diane en femme transgenre ? Je voulais mettre les gens dans le bain dès la pre­ mière métamorphose. C’est toujours compliqué d’inscrire un film au caractère fantastique comme celui-ci dans quelque chose de très réel. Il fallait dire que la réalité d’aujourd’hui réservait aussi du merveilleux, mais dans une forme simple, humaine, incarnée. L’usage que fait Samantha Avrillaud (qui joue Diane) de son corps a quelque chose de fantastique. Je me suis demandé comment j’allais représenter ces dieux : grandes barbes blanches et toges ? Dans la mythologie grecque, ils ont l’ap­ parence des mortels. Mais j’ai choisi des acteurs avec une particularité : Samantha Avrillaud donc, Sébastien Hirel, qui a une voix qui semble flotter autour de lui, Nadir Sönmez, le comédien turc qui joue Mercure, qui parle à peine français… Quant à

« Aller traquer une beauté irrésistible dans des endroits qu’on va toujours filmer pour leur contenu sociologique mais jamais pour leur esthétique. » Les scènes dans la nature évoquent la peinture. Comment les avez-vous pensées ? Quand on filme la nature, il y a peu de lignes aux­ quelles se raccrocher. On en vient à faire des com­ positions qui sont un peu picturales. Avant, j’avais peur de faire des plans qui pèsent, je ne me le serais pas permis. Mais chez Ovide il y a une infinie variété de styles. J’espère que le film a une grande impureté à ce niveau-là. On peut se retrouver avec de la musique classique puis de la pop, mélanger les types de corps, faire se cotoyer des comédiens professionnels et des amateurs. Je souhaitais que le film soit toujours inattendu pour les spectateurs. Je l’ai tout de même divisé en trois parties, parce que je me suis dit qu’il fallait les accompagner un peu. Vous ne recherchiez pas du tout la cohésion ? Il y a le personnage d’Europe, qui est comme l’au­ ditrice idéale de ces légendes. J’espère aussi que des systèmes de correspondances et d’échos sou­ terrains dans le film le stabilisent. Je tiens vrai­ ment à ce que quelqu’un qui ne connaîtrait rien à la mythologie grecque ne soit pas perdu. Je ne veux pas que ce soit une espèce d’objet culturel pour les personnes qui en ont déjà une idée. Par exemple, les gens connaissent Orphée, mais peut-être pas la partie que je mets en scène ; l’Orphée prophète,

Bacchus, interprété par Damien Chapelle, c’est le dieu le plus proche de nous, le plus nietzschéen. Il est comme un homme raté. Après le casting impressionnant des BiensAimés, pourquoi avoir choisi des inconnus pour ce film ? J’aime travailler avec la mythologie des acteurs connus, dans la continuité de ce qu’ils proposent dans les films des autres. Mais après Les BiensAimés, je me suis demandé ce qu’allait être l’étape suivante. Il y avait d’abord l’envie de filmer des inconnus. J’ai fait en partie du casting sauvage, j’interpellais les gens dans la rue. Je ne voulais pas non plus les transformer en comédiens, mais res­ pecter leur étrangeté, leurs voix bizarres. Ils sont mystérieux et indécis sur leurs intentions de jeu. Comme, en plus, ils disent des textes qui sont inso­ lites pour eux, j’aime bien le décalage que ça crée. C’est un film très peuplé, il y a beaucoup de monde, mais je trouve ça très agréable de voir des nou­ veaux visages.

Métamorphoses de Christophe Honoré avec Amira Akili, Sébastien Hirel… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h42 Sortie le 3 septembre

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ACTÉON ET DIANE Célèbre chasseur, Actéon est le petit-neveu d’Europe. Un jour, alors qu’il poursuit en forêt un gibier avec ses chiens, il tombe sur la déesse Diane qui sort du bain. Courroucée, elle transforme le malappris en cerf. Actéon finit dévoré par sa propre meute qui ne le reconnaît pas.

EUROPE Elle est la fille du roi de Tyr, Agénor. Jupiter remarque la jeune fille alors qu’elle se promène sur une plage. Il l’approche sous la forme d’un taureau blanc, l’enlève, reprend forme humaine et la séduit. De son union avec Jupiter naîtront plusieurs fils parmi lesquels Minos.

JUPITER ET JUNON Frères et sœurs mais aussi époux, ils gouvernent les dieux. Jupiter n’a de cesse de descendre sur Terre pour faire des enfants aux humaines. Jalouse et vengeresse, Junon fait elle également souvent le voyage pour punir les très nombreux mortels qui l’ont contrariée.

PAR ÉTIENNE ROUILLON – illustration de sarah kahn

Le casting divin des Métamorphoses avance sous des traits parfois inattendus. Gravitant autour d’une Europe lycéenne, on trouve un Jupiter routier, un Bacchus loubard déboussolé et un Pan en baskets… Revue des mythes rapportés par Ovide qui ont inspiré les personnages de Christophe Honoré.

LE PANTHÉON D’HONORÉ

IO ET ARGUS Se sachant surveillé par sa femme, Jupiter transforme sa conquête Io en génisse. Junon fait garder l’animal par Argus, celui qui voit tout. Le fils de Jupiter, Mercure, parvient à tromper la vigilance d’Argus et lui tranche la tête. Junon transforme les yeux d’Argus en queue de paon.


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TIRÉSIAS Né homme, il a été transformé en femme pendant quelques années. Jupiter lui demande qui, de la femme ou de l’homme, prend le plus de plaisir pendant le coït. Tirésias prend le parti de Jupiter. Junon le punit en lui retirant la vue. Embêté, Jupiter offre à Tirésias le don de divination.

ORPHÉE Il use de ses dons de poète et de musicien pour arracher Eurydice aux Enfers, à la condition de ne pas la regarder avant d’être sorti. Ne l’entendant plus, il se retourne et la perd pour toujours. Effondré, il cesse de chanter pour les bacchantes qui, en représailles, l’étripent et jettent sa tête au fleuve.

PHILÉMON ET BAUCIS Un soir que Jupiter et Mercure errent, butant sur toutes les portes, un couple de vieillards leur offre enfin l’hospitalité. Pour les récompenser, Jupiter exauce le vœu exprimé par Philémon et Baucis de disparaître ensemble. Ils meurent en prenant la forme d’arbres aux feuillages entremêlés.

HERMAPHRODITE ET SALMACIS Salmacis rencontre Hermaphrodite, fils de Mercure et de Vénus. Le trouvant à son goût, elle l’attire dans un lac pour l’y violer. Elle supplie les dieux de les rendre inséparables. En ressortant de l’eau, Hermaphrodite hérite des attributs féminins de Salmacis.

PAN ET SYRINX La belle Syrinx se refuse au dieu des bergers, Pan, qui lui court après dans les champs au milieu des troupeaux. Alors qu’il va la violer, elle se transforme en roseau. Le père de Pan, Mercure, confectionne à partir des roseaux un instrument dont le fils joue pour se souvenir de Syrinx : la flûte de Pan.

BACCHUS ET LES BACCHANTES Son père Jupiter achève sa gestation en le plaçant dans sa cuisse. Dieu du vin, de la fête, des excès et du théâtre, Bacchus fait un retour remarqué à Thèbes, ville d’origine de sa mère. Les femmes le suivent pour une vie de débauche dans la forêt. Elles deviennent les bacchantes.

ATALANTE ET HIPPOMÈNE Atalante ne se mariera qu’avec l’homme qui sera capable de la battre à la course. Hippomène relève le défi. Vénus lui offre trois pommes d’or qu’il laisse choir. Atalante les ramasse, perdant du temps. Hippomène oublie de remercier Vénus qui se venge en transformant le couple en lions.

NARCISSE On amène à Tirésias un nouveau-né. Narcisse vivra-t-il longtemps ? Oui, « s’il ne se connaît pas ». Devenu jeune adulte, Narcisse séduit tout ce qui bouge, tombe sur son reflet, en devient amoureux, dépérit de ne pouvoir l’étreindre. Sous son corps on découvre des fleurs qui prendront son nom.


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Il arrive essoufflé, un sandwich entamé à la main, une étrange chemise hawaïenne sur le dos, un énorme sac sur les épaules, tout juste descendu du train de Bruxelles. Parmi les acteurs inconnus de Métamorphoses, le Belge Damien Chapelle est celui qui impressionne le plus, en Bacchus borderline et exubérant. S’il débute au cinéma (on l’apercevra aussi dans Bande de filles de Céline Sciamma), le jeune homme de 25 ans a déjà vécu plusieurs vies, de la boxe thaï aux planches de l’opéra. Propos recueillis par Juliette Reitzer

Damien Chapelle

C

om ment as- t u rencont ré Christophe Honoré ?

J’ai fait un casting. Et Céline Sciamma ?

Ça, c’est une histoire rigolote. Enfin, pas trop rigolote, en fait. J’avais passé une audition avec une directrice de casting assez connue, c’était pour le film d’un mec horrible, avec un scénario horrible, enfin, c’était vraiment le pire truc de la Terre. J’y suis quand même allé, pour faire plaisir à mon agent. Je me retrouve à donner la réplique à une fille de la Comédie-Française. La directrice de casting lui dit que je suis belge, et vu qu’elle n’avait pas de cerveau, la fille commence à me par­ ler avec l’accent belge. J’étais déjà un peu fragile ce jour-là, j’avais beaucoup couru, donc j’ai pété un

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© jean-romain pac

à suivre

câble sur elle, malheureusement. Je lui ai crié des­ sus, je l’ai insultée, on m’a demandé de me calmer. Évidemment, je n’ai pas eu le rôle. Mais la direc­ trice de casting a tout de suite pensé à moi quand il y a eu un désistement chez Sciamma, sans doute parce que c’était le rôle d’un mec un peu fâché qui met un coup de pression à sa copine. Ton agent n’essaie pas de te calmer un peu ?

C’est un peu sa peur, mais j’en ai un peu rien à foutre. Si ça marche pas, c’est pas grave. Au moins, je dormirai bien la nuit. J’ai pas envie de me sacri­ fier. J’ai l’impression que je fais l’acteur par inté­ rim, c’est pas mon métier. Qu’est-ce que c’est, ton métier ?

Je fais un peu de tout. Je danse, je suis metteur en scène aussi, j’écris, je joue de la musique. Ma

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première formation est musicale, j’étais chanteur avant, à l’opéra royal de Wallonie. Je suis arrivé à la danse parce que j’ai toujours fait beaucoup de sport, de la boxe thaï, en compétition. Quelle est ta formation théâtrale ?

J’ai fait l’Institut national supérieur des arts du spectacle, à Bruxelles, pendant un an et demi, mais j’ai arrêté parce que j’ai été pris dans la compagnie de danse Ultima Vez. J’y ai travaillé pendant quatre ans et je suis parti, parce que j’avais l’impression que la beauté commençait à disparaître. Je préfère toujours partir avant qu’on me dise au revoir, ça me permet de rester actif. Il n’y a qu’en amour que c’est différent. Qu’est-ce qui t’a intéressé dans l’histoire de Bacchus ?

Bacchus devait être un mortel. Mais vu qu’il a fini de grandir dans la cuisse de Jupiter, c’est devenu un bâtard, un demi-dieu. Ça l’a rendu ultra frustré parce qu’à chaque fois, on doute de sa nature divine et on se fout de sa gueule. Si tu crois en lui, il est prêt à tout pour t’aider, mais si tu doutes, il te met cher. C’est un mec assez cool : il est chaud quand il faut, et il est gentil quand il faut. C’est un rôle où il y a moyen d’exploser un peu. Ce n’est pas écrasant de jouer un personnage mythologique ?

réalisateurs qui me laissent une liberté pour jouer. Je crois que Gaspar Noé est comme ça. Quels sont tes projets ?

Je joue le premier rôle dans un court métrage en septembre. Sinon je prépare un long qu’on va tour­ ner en hiver avec mon ami Florian Berrutti. On voudrait montrer un Bruxelles sale, nocturne. J’ai aussi écrit une pièce avec un ami, on va coréaliser le film en mars. On voudrait le tourner dans une villa aux abords de Las Vegas. Quelle est l’histoire ?

Ça s’appelle Le Tuba des pédiluves. On voudrait bien qu’Arielle Dombasle joue dedans, mais elle ne nous a jamais répondu. Il fait très chaud, c’est la canicule. Il y a une piscine, mais elle est condam­ née, parce qu’elle a un taux d’acidité trop élevé. C’est l’élément déclencheur du drame : vu qu’il fait très chaud et qu’on ne peut plus se baigner, les gens vont commencer à partir en couilles. Dans l’histoire, il y a un extraterrestre cactus. C’est très sérieux, hein. Dans le prologue, il y a une sorte d’Amanda Lear sous botox qui fait une fausse couche, et elle enterre le placenta dans une forêt de cactus. Vingt-cinq ans plus tard, le placenta a muté en extraterrestre cactus. L’extraterrestre cac­

« Bacchus, si tu doutes, il te met cher. »

Non, c’est génial. Je me suis mis dans la merde pour faire ce film, car j’étais employé ailleurs et j’ai dit un peu tard que je partais. Je suis toujours endetté d’ailleurs. J’ai flashé en lisant le scénario. C’est ni « je t’aime moi non plus », ni « Mamadou sans papiers », ni « Benjamin et Kevin se roulent des pelles ». J’ai aussi senti, chez Christophe Honoré, qu’il avait une vraie passion pour son projet.

tus embrasse une jeune fille et se transforme en espèce de Ken, avec juste un sexe cactus. À la fin, la fille se suicide en buvant l’eau de la piscine, mais vu qu’il y a des colorants rouges dans l’eau, elle a des traînées rouges autour de la bouche. Du coup, son père croit à un assassinat par fellation, tu vois ?

C’est un rôle très physique.

Tu vas jouer dedans ?

C’est moi qui ai amené ça. J’ai une manière de tra­ vailler très chorégraphique. Au-delà du texte, j’ai besoin d’écrire mon trajet dans l’espace. Une fois que mon trajet est clair, je peux me libérer. C’était marrant, parce que ça permettait de propo­ ser plein de choses. Et puis, faire vibrer des culs avec des galets, c’était cool.

Peut-être un petit rôle, mais on aimerait mieux avoir une guest star, on va essayer de choper Robert Downey Jr. J’ai son contact. J’ai joué dans une pièce en Californie, à l’U.C.L.A., et il est venu la voir. Je l’ai confondu avec Hugh Jackman, c’était un peu la honte. Ça serait bien d’avoir un anglophone. Moi, ça va, en anglais, mais… D’ailleurs, mon agent m’a demandé de faire un casting pour jouer le méchant dans le pro­ chain Mission impossible. C’est tentant. C’est comme jouer un druide dans Astérix, ça peut être super.

Avec quels cinéastes aimerais-tu travailler ?

Les costumes t’aident pour jouer ?

J’aime beaucoup Alain Guiraudie. Le problème, c’est que je ne suis pas vraiment un comédien pour lui, il aime plus les acteurs sous Xanax. C’est le seul qui arrive à assumer encore la poésie. Du soleil pour les gueux, c’est d’une beauté contemporaine hallucinante. Après, ce qui m’intéresse, c’est les

Non. Moi, ce que j’aime bien, c’est la magie. Après il y a des acteurs qui t’aident beaucoup. J’aime les acteurs inventifs, comme Amalric. Il est très fort dans l’invisible. C’est un truc que je dois apprendre, aller dans le minimal, faire exister des choses en dehors du physique.

Le tournage avec les bacchantes nues était-il plaisant ?

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Andy Serkis, acteur pionnier

La Planète des singes Andy Serkis est d’ores et déjà l’un des héros de l’histoire du cinéma : à travers plusieurs films prototypes, dont la toute nouvelle adaptation de La Planète des singes, l’acteur britannique s’est imposé comme l’un des plus téméraires explorateurs du cinéma numérique.

© 20th century fox

Par Julien Dupuy

A

ndy Serkis, il y a encore quelques années, n’était qu’un acteur dis­ cret abonné aux seconds rôles, un anonyme perdu dans la distribu­ tion de petits films oubliables. Il est désormais à la fois la star et le porte-parole d’une évolution de l’art dramatique amenée à bouleverser l’industrie audiovisuelle toute entière : la capture de mouve­ ments (motion capture, en anglais). Derrière cette terminologie quelque peu rébarbative se cache une simple méthode d’enregistrement du jeu des comé­ diens. Au lieu d’employer une caméra, la capture de mouvements saisit puis convertit en données numériques l’interprétation d’un acteur pour l’in­ suffler à un personnage en image de synthèse, qui peut être une reproduction photoréaliste du comé­ dien, mais qui permet surtout les plus folles varia­ tions. « En tant qu’acteur, mon objectif est de m’effacer derrière mon personnage, explique Serkis. Or, avec la capture de mouvements, je ne suis plus limité par mon physique. Seule l’imagination que j’investis dans mon rôle compte. » Grâce à ce procédé, Serkis a en effet campé des personna­ ges aussi mémorables que le rachitique Gollum, le truculent capitaine Haddock ou encore le singe

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César, qui est de retour dans La Planète des singes. L’affrontement. Et même si Serkis rappelle que la capture de mouvements est « un véritable exercice d’humilité », puisque le visage du comédien n’appa­ raît plus à l’image, l’acteur est devenu, au fil de ses exploits, une vraie star. Aujourd’hui courtisé par J. J. Abrams et Joss Whedon (il sera à l’affiche des prochains volets de Star Wars et d’Avengers), Serkis a été qualifié par le magazine anglais Empire de « Laurence Olivier de la capture de mouvements ». « Et pourtant, rappelle Serkis, pendant longtemps, les gens n’ont pas compris ce qu’était la capture de mouvements. Ils pensaient que ça consistait à n’être qu’une doublure d’une chose réalisée ensuite par les infographistes. » Apprivoiser son avatar

Si ses efforts de communication finissent par por­ ter leurs fruits, les progrès constants de la tech­ nologie aident également à abattre les a priori des spectateurs les plus réactionnaires. Alors que, par le passé, la capture de mouvements ne pouvait s’ef­ fectuer que dans le cadre très contrôlé d’un hangar stérile dénué de tout décor, 95 % du tournage de La Planète des singes. L’affrontement a été assuré en extérieur, sous la pluie, dans la boue ou à dos

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pôle e m ploi

> CV 20 avril 1964

Naissance d’Andy Serkis à Londres

1999

Andy Serkis rejoint le tournage du Seigneur des anneaux pour interpréter Gollum

2011

© 20th century fox

Andy Serkis fonde The Imaginarium, studio dédié à la capture de mouvements qui accueille aussi bien des cinéastes que des développeurs de jeux vidéo ou des metteurs en scène de théâtre

« La capture de mouvements est un exercice d’humilité. » de cheval. « Et je peux vous dire que les chevaux détestent les singes », se lamente Serkis, qui ren­ chérit : « Si l’on compare les singes de La Planète des singes. Les origines à ceux de ce nouveau film, on voit nettement à quel point le jeu des comédiens est bien mieux reproduit par les personnages numériques. À l’époque du Seigneur des anneaux, je devais travailler avec les infographistes de la société d’effets spéciaux Weta qui concevaient Gollum. Il me fallait notamment leur expliquer quelles étaient mes intentions pour chaque scène, afin que mon avatar puisse bien les retranscrire. Mais ça n’est plus nécessaire aujourd’hui. Déjà parce que tous ces artistes connaissent désormais le moindre muscle de mon visage. Mais surtout parce que la saisie de notre jeu est devenue extrêmement précise. Rien n’échappe aux capteurs que l’on porte durant le tournage, et la puissance des ordinateurs est telle que nos avatars sont très fidèles à notre interprétation. » Apprivoiser ces avatars est d’ailleurs l’une des principales étapes d’un film tourné avec la capture de mouvements. « Tous les singes du film sont joués par des acteurs, même dans les scènes de foule. Et nous avons dû tous faire une séance d’essayage. Nous avons mis nos costumes avec les capteurs et nous nous tenions devant un écran géant sur lequel était projeté notre avatar de singe. C’était un peu comme d’essayer

son costume et se regarder dans un miroir. Il fallait donc comprendre la relation de notre corps à ces êtres virtuels. Dans le cas des singes, par exemple, nous devions apprendre à baisser notre centre de gravité. Et puis il y a la gestuelle propre au personnage. Ainsi César se tient plus droit dans La Planète des singes. L’affrontement que dans le précédent film. » Cette pantomime s’accompagne, comme tou­ jours chez Serkis, d’une transformation de sa voix. Après avoir mis ses cordes vocales à rude épreuve avec les intonations gutturales de Gollum, l’acteur a copieusement travaillé cet aspect de son person­ nage dans La Planète des singes. L’affrontement. « Dans le premier film, César ne disait que quel­ ques mots, comme une émotion qu’il ne pouvait plus contenir. Là, il utilise sa voix de façon plus réfléchie. Sa pensée se traduit par le langage. Nous avons eu beaucoup de mal à trouver le bon équilibre, parce qu’il ne fallait pas que César sonne trop humain, mais il devait également rester intelligible. Alors nous nous sommes dit qu’il utilisait un prototype de langage ; il parvient à dire tout ce qu’il veut, mais il cherche continuellement ses mots. » Une forme d’expression en devenir, donc, qui s’affine pour refléter avec plus de fidélité les intentions de son utilisateur : dans le film, comme dans ses coulisses, la révolution est bien en marche, et rien ne semble pouvoir l’arrêter. La Planète des singes. L’affrontement de Matt Reeves avec Andy Serkis, Jason Clarke… Distribution : 20th Century Fox Durée : 2h07 Sortie le 30 juillet

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Winter Sleep NURI BILGE CEYLAN

Aydin est un type formidable. Aydin est un pourri. Quel est le vrai visage du personnage central du film de Nuri Bilge Ceylan ? Palme d’or du dernier Festival de Cannes, Winter Sleep fait mine d’autopsier un quotidien petit bourgeois en pleine campagne anatolienne. Mais le véritable objet du réalisateur turc est une enquête souterraine sur les pouvoirs de dissimulation et de révélation du cinéma. Cette fascinante investigation durera 3 heures et 16 minutes. Les longues scènes de dialogues feront office de salles d’interrogatoire, le cadre servira de loupe. Gardé à vue de caméra, Aydin ne sera libéré qu’une fois la vérité de son personnage établie. Retour sur la scène du crime avec Nuri Bilge Ceylan.

© nuri bilge ceylan

PAR ÉTIENNE ROUILLON

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C

ela commence par un menu délit, un gamin jette un caillou dans la vitre d’une voiture. Elle pile. Un homme fort en sort, rattrape le gamin, le jette sur la banquette arrière et file chez ses parents pour obtenir excuses et répara­ tions. Le 4x4 roule dans la neige boueuse d’une route de la superbe Anatolie. Arrivé chez le lanceur de pierre, engueulade sans fin ; à la place du mort, Aydin, propriétaire nanti du véhicule, regarde tout cela avec la distance de l’homme sage qui ne s’agite que lorsque l’on a vraiment besoin de lui. D’un mot, il pourrait tout régler, dire qu’après tout rien n’est grave. Il ne bouge pas. C’est son crime, répété pen­ dant tout le film : tout content de son pouvoir de notable éduqué, Aydin s’en gargarise, annonce le bien qu’il pourrait apporter à ses proches et à la communauté. Mais il ne fait rien. Rencontré à Cannes, le réalisateur Nuri Bilge Ceylan confesse : « Ce personnage, c’est quelqu’un que je connais bien, parce qu’il y a des choses de moi en lui, des choses que je retrouve chez certains de mes amis proches. Cela peut être quelqu’un d’un peu antipathique. Disons que j’essaie de le comprendre. » Aydin est une ancienne star du théâtre turc qui, la

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retraite venue, a décidé de tenir un charmant hôtel peuplé de rares touristes (pressés), de sa femme Nihal (distante), de sa sœur Necla (fâchée). Les journées sont occupées par l’écriture de pompeux éditos pour des journaux locaux et par quelques audiences accordées aux petites gens de ces alen­ tours ruraux et pauvres. Dressage de cheval, palabre sans motif avec les clients de l’hôtel, pro­ menade… En somme, tout ce qui peut permettre à Aydin de reporter la rédaction de son grand projet, une monographie du théâtre turc. Le nu tchekhovien

L’intuition géniale de Ceylan, c’est de penser que la longueur et la langueur du film feront naître chez le spectateur un sentiment d’urgence, un besoin de vitesse qui le redresse sur son fauteuil d’un air de dire : Aydin, magne-toi ; ta femme, ta sœur, les vil­ lageois, tout le monde est fatigué de te courir après, ils vont te laisser te perdre dans ta suffisance. « Ce film est inspiré d’histoires courtes d’Anton Tchekhov. En partant de là, j’ai développé une histoire qui me trottait dans la tête depuis quinze ans. Et depuis dix ans, c’est avec ma femme Ebru que j’y travaille. Comme dans le film, l’écriture à deux a donné lieu à des disputes qui ont permis

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de trouver ce qu’il nous fallait. » Coscénariste, la compagne du cinéaste est pour beaucoup dans l’exploration des nouvelles pistes narratives de Winter Sleep – L’œuvre de Ceylan est habituelle­ ment moins dialoguée, voire mutique. Winter Sleep tente de déshabiller le quotidien de ses personnages pour contempler leur vérité nue, et paradoxale­ ment, pour approcher cette réalité, il s’appuie sur le pouvoir de révélation de très longues discussions proches du discours théâtral – elles peuvent appro­ cher la demi-heure avec deux personnages filmés en champ-contrechamp. « C’était risqué, mais je voulais que l’on trouve cette dimension littéraire. Quand j’ai commencé à faire du cinéma, l’un des problèmes du cinéma turc, c’était qu’il ne proposait pas de dialogues naturels. Par réaction, on se forçait à trouver ce ton naturel. Aujourd’hui, ce problème n’existe plus. Même dans les publicités que je vois à la télé, ils réussissent à convoquer le langage qu’on entend dans la rue. Alors je me suis dit : “O.K., puisqu’il y a cette base maintenant, je peux trouver, essayer un autre langage pour mon cinéma.” » Le nouveau langage de Ceylan est agile et grave, comme la mélodie de la sonate de Schubert qui accompagne discrètement Aydin et qui, par petites

D’un mot, Aydin pourrait tout régler. Il ne bouge pas. notes, module, affecte la tonalité, fait apparaître des fêlures dans son entêtement. Une partition virtuose, mais composée en prenant garde à ne jamais être futile ou inconséquente. Ainsi, à coté des moments de bravoure bergmaniens qui font passer Aydin de patriarche bonhomme à manipulateur narcissique, on note des piques au pouvoir d’Istanbul, vaine­ ment autoritaire, concrètement démissionnaire dans cette campagne reculée. Dans la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, Ceylan reconnaît : « Bien sûr, le cinéaste ressent ce qu’il se passe, et il est impossible de ne pas prendre position. Chaque artiste a une façon différente de le montrer. » La manière de Ceylan, c’est de faire tomber les masques, de nous rendre la vue en chaussant les lunettes de son cinéma magistral. de Nuri Bilge Ceylan avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen… Distribution : Memento Films Durée : 3h16 Sortie le 6 août

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LE RÔLE DE MA VIE

« Pour financer mon film, il aurait fallu que je propose à The Rock de jouer le vieux rabbin. » 54

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© stéphane manel

Zach Braff


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Il aura fallu dix ans à Zach Braff pour se remettre derrière la caméra. Le héros de Scrubs avait fait chavirer les cœurs avec son premier long métrage, Garden State, balade indé sur la famille, l’amour et le deuil. Le Rôle de ma vie rejoue les mêmes thèmes avec en prime l’amertume des années passées. Le réalisateur fait le point avec nous sur les embûches qu’il a rencontrées. PROPOS RECUEILLIS PAR RENAN CROS illustration de stéphane manel

P

ourquoi avoir attendu si longtemps pour refaire un film ? Au début, je n’ai pas voulu enchaî­ ner tout de suite. Après Garden State, on m’a proposé pas mal de films, mais rien qui me tentait vrai­ ment. À ce moment-là, je tournais encore dans Scrubs. Faire une série télévisée, aussi cool soit-elle, reste contraignant en termes d’em­ ploi du temps. Donc j’ai laissé filer les choses. Malheureusement, quand je me suis remis à écrire, plus personne ne voulait de mes films. Je n’étais plus à la mode, alors qu’on produisait partout des copies de Garden State ! J’aurais dû accepter à l’époque les films très commerciaux qu’on me pro­ posait. Mais j’avais envie de continuer sur ma lan­ cée et de faire des films qui racontaient des his­ toires qui m’étaient propres. Sauf que l’industrie ayant changé, j’en ai payé le prix. Vous avez vraiment l’impression qu’en dix ans, la manière de faire des films a changé ? Bien sûr ! C’est très compliqué parce que de nos jours, presque tout le monde a les moyens de « faire » un film. La technologie s’est démocrati­ sée. Le souci, c’est qu’aujourd’hui, il est devenu presque impossible de faire « exister » votre film. Tourner n’est plus un problème. C’est tout le reste… Je rencontre beaucoup d’apprentis réalisateurs qui me demandent comment faire financer leur pro­ jet. Si je le savais, je n’aurais pas eu autant de dif­ ficultés avec mon second film. Entendons-nous bien, je suis un privilégié. J’ai joué dans une série qui a eu beaucoup de succès et j’ai fait un premier long métrage dont les gens ont entendu parler. Mais même avec cette petite notoriété-là, les choses restent au point mort. Le système est cassé, l’in­ dustrie tourne en rond. Il lui faut des « noms ». Pour s’assurer de fonctionner, elle veut les mêmes gens dans les mêmes films. Pour financer mon film, il aurait fallu que je propose à The Rock [l’acteur et catcheur américain Dwayne Johnson, ndlr] de jouer le vieux rabbin. Là, ça aurait peut-être com­ mencé à les intéresser.

Pour le financement, justement, vous avez utilisé la plateforme de dons participatifs Kickstarter. Pourquoi ? J’étais fatigué, j’en avais assez d’essuyer tout un tas de refus. Grâce à Scrubs, j’ai réuni autour de moi une communauté de gens qui me suivent sur Internet. Ils n’arrêtaient pas de me deman­ der : « Alors, c’est pour quand le prochain film ? » Donc, un peu par défi, j’ai pensé qu’il fallait que je me tourne vers ceux qui comprenaient vraiment mon travail. Plein de gens n’y croyaient pas, et moimême je me suis dit que, si ça ne marchait pas, je jouais gros. C’est la première fois qu’on osait faire un film par ce biais-là. Attention, contrai­ rement au projet avec la série Veronica Mars, je ne leur proposais pas Scrubs, le film ou Garden State 2. Non, je leur ai demandé de miser sur moi,

« Le système est cassé, il tourne en rond. » mon univers, ma manière de voir les choses. Très vite, la somme espérée était atteinte. C’était fou ! Je me devais d’être à la hauteur de la confiance de tous ces gens. Vous savez, tourner un film, c’est déjà épuisant. Mais un film comme ça, en si peu de jours, avec des milliers de « producteurs » qui comptent sur vous, ça vous met dans des conditions de travail assez particulières. Je n’ai eu aucun mal à jouer l’angoisse de mon personnage dans le film. En ce moment, je joue Coups de feu sur Broadway de Woody Allen sur scène. Chaque soir, j’inter­ prète le rôle d’un compositeur qui finit par utiliser la pègre pour qu’enfin un de ses spectacles puisse exister. Pareil, je n’ai eu aucun mal à m’identifier. Quand sur scène je hurle des répliques comme « Plus de compromis ! », j’ai l’impression de revivre mon quotidien. Le Rôle de ma vie de Zach Braff avec Zach Braff, Kate Hudson… Distribution : Wild Bunch Durée : 2h Sortie le 13 août

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LEWIS BALTZ

À

Paris, les paysages américains dévastés par les constructions et les destructions humaines, chers au photographe Lewis Baltz, ont déjà eu les honneurs, notamment, du Centre Pompidou (en 1992) et du musée d’Art moderne de la ville de Paris (en 1993). Mais la sélection qui occupe cet été les deux salles du BAL suit un fil rouge bien particulier. « C’est un véritable coming out cinématographique de la part de Lewis Baltz, explique l’ancien directeur de la Cinémathèque et critique de cinéma Dominique Païni, commissaire de l’exposition. Je l’ai connu dans les années 1980, je ne savais pas qu’il avait tant aimé Hitchcock, Antonioni et Godard. » Les séries emblématiques de l’artiste – The Tract Houses, The Prototype Works ou Candlestick Point – répondent ici avec une belle évidence à des extraits choisis des films Zabriskie

Point, Les Carabiniers, Cinquième colonne, Psychose, La Notte, L’Éclipse et Le Désert rouge, projetés au centre de l’exposition. L’œuvre de Baltz, ainsi prise dans son ensemble, témoigne de la permanence de l’influence cinématographique sur le travail de l’artiste – composition interne des images, importance du hors-champ, cadres dans le cadre… « Dans le générique de Psychose, note par exemple Dominique Païni, après un travelling général sur la ville de Phoenix, Hitchcock s’approche d’une fenêtre derrière laquelle se trouve Janet Leigh, et tout à coup le cadre de la fenêtre disparaît, est absorbé par le cadre du film. Baltz fait ça : il repère, dans la réalité, des cadrages déjà faits. » Pour Trois Couleurs, Païni revient sur quelques éléments clés de l’œuvre de Lewis Baltz, de ses influences picturales à ses amours cinématographiques. propos recueillis par juliette reitzer

« LEWIS BALTZ. COMMON OBJECTS », JUSQU’AU 24 AOÛT AU BAL

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© lewis baltz, courtesy galerie thomas zander, cologne

– tract house no. 4, série the tract houses, 1969-1971 – paris, collection particulière « Lewis Baltz a cette manière d’observer les États-Unis avec un regard détaché, architectural, un regard de plasticien radical. Il considère ces maisons comme des sculptures. Il a été très marqué par la vision froide des Allemands Bernd et Hilla Becher sur les objets quelconques de l’architecture industrielle, et par les photographies en série de stations-service d’Ed Ruscha. Ce qui est fascinant aussi, dans ces photos, c’est qu’on ne sait pas si ces bâtiments sont en ruine ou en construction. »

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© lewis baltz, courtesy galerie thomas zander, cologne

– tract house no. 8, série the tract houses, 1969-1971 – paris, collection particulière « Baltz a travaillé sur des grands ensembles mais aussi sur des détails. S’approcher en détail d’une maison ou d’un objet abandonné, c’est une manière d’en faire un objet plastique, un fragment. Et fragmenter un ensemble, ou fragmenter un motif cohérent pour en extraire un élément, c’est sa manière d’être un artiste. Par le moyen de la photographie, il rappelle qu’un artiste participe toujours d’un travail de fractionnement, de mise en détail des choses du monde. »

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© lewis baltz, courtesy galerie thomas zander, cologne

– fairfax 1973, série the prototype works, 1967-1976 – bruxelles, fondation a stichting «  L’œuvre de Baltz est très proche des toiles du peintre Ellsworth Kelly. Kelly faisait des choses très minimalistes et géométriquement symétriques. Mais, dans ses tableaux, une des formes tend toujours vers une sorte de défaut, de décadrage. Une tension qui, dans l’image, fait en sorte de détruire la géométrie. Il y a ça aussi chez Lewis Baltz : poser, affirmer une géométrie pour tendre vers sa destruction, vers la non-symétrie. »

© lewis baltz, courtesy galerie thomas zander, cologne

– tract house no. 17, série the tract houses, 1969-1971 – paris, collection particulière « Bien qu’étant un photographe très minimaliste, Lewis Baltz introduit de l’inquiétude dans ses images. Sur cette photographie, il y a une porte noire, d’une part, et puis une ombre dans la porte, une sorte de fantôme évanescent qui tout à coup donne une puissance poétique à l’image. Non seulement il témoigne d’un désastre du monde, mais en plus il produit de l’angoisse dans la froideur de son constat. »

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© lewis baltz, courtesy galerie thomas zander, cologne

– candlestick point, 1987-1989 – bruxelles, fondation a stichting « Baltz regarde la dévastation du paysage américain. Il montre la façon dont les ruines du monde deviennent des détritus réduits à des brindilles, comme si le monde entier passait dans des machines qui transforment en poussière ce que l’homme construit. Il y a chez lui quelque chose de très métaphysique, ou romantique, de très funéraire aussi : derrière sa froideur, Lewis Baltz est également un artiste symboliste. »

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portfolio

© lewis baltz, courtesy galerie thomas zander, cologne

– near reno, 1986-1987 – « Devant cette photographie, on pense au final de Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni. C’est une vanité, au sens pictural du terme, une vanité moderne. À l’époque de la peinture hollandaise, on représentait des cartes à jouer, des arbres, des palettes de peintre, pour dire l’inanité du monde, la futilité de toute chose. Ce poste de télévision jeté et explosé, c’est une vanité des images contemporaines. »

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les F I L M S du 16 juillet au 3 septembre BOYHOOD

Douze ans de tournage, le projet fou de Richard Linklater p. 66

MISTER BABADOOK

Ce film fantastique gothique marque la naissance d’une réalisatrice à suivre p. 74

pARTY GIRL

Caméra d’or à Cannes pour cet émouvant portrait de femme p. 86

Ping Pong Summer Avec ses héros suspendus à mi-chemin entre le cool et la lose, Ping Pong Summer prend le parti simple de filmer l’adolescence comme un âge burlesque. Un pur feel good movie estival, tendre et drôle.

O

PAR JULIETTE REITZER

cean City, dans le Maryland, est un peu notre Grande-Motte nationale : une station balnéaire populaire aux infrastructures vieillottes, entièrement tour­ née vers les plaisirs simples des grandes vacances. Le réalisateur Michael Tully, qui y passait jadis ses étés en famille, filme la ville comme un gigantesque parc d’attractions qui se reflète dans les yeux écarquillés de Rad, 13 ans, 14 ans maximum. Au programme, buffets à volonté, jeux d’arcade, ping-pong, shorts trop courts et beats de Run-D.M.C. – car nous sommes en 1985. Aidée par les décors naturels d’Ocean City, dans leur jus, la recons­ titution historique est bluffante. Mais la vraie réussite du film, c’est de faire baigner les étapes attendues du récit initiatique (l’amitié vraie, le flirt, les rivalités, le dépassement de soi…) dans l’euphorie extatique propre à l’âge adolescent. Cela passe à la fois par une mise en scène enthousiaste, généreuse en effets (tournage en 16 mm, ralentis, arrêts sur image, distorsions du son) et par l’expressivité des corps et des visages des jeunes héros, dont la maladresse est inversement proportion­ nelle à leur désir d’être cool. Dès la scène d’ouverture, Michael Tully trouve là un efficace ressort comique :

sur les quelques mètres qui séparent la maison fami­ liale de la boîte aux lettres, Rad s’essaie très sérieuse­ ment à un mouvement de popping endiablé (un genre de danse urbaine), franchement raté. La caméra, qui le suit au ralenti, confère à l’instant des allures d’épopée. Même effet plus tard lorsque Rad postillonnera sous la douche en se prenant pour un beatboxeur ou déam­ bulera fièrement avec un ghetto blaster aussi épais que lui, tout en épiant d’un œil torve d’autres jeunes moins empotés – un skateur agile, un nageur musclé, un dan­ seur déchaîné. Tout le film met ainsi en balance ces contradictions physiques, jusque dans la salle de jeu où les gamins se rassemblent : autour des parties de ten­ nis de table stagnent des grappes de mioches avachis, immobiles, comme épuisés. Défié au ping-pong par la tête de nœud locale, Rad trouve finalement un soutien inattendu auprès de la voisine du bungalow familial, une quinquagénaire solitaire nimbée de rumeurs ter­ rifiantes, campée par Susan Sarandon. C’est elle qui l’aidera à trouver un équilibre, en lui soufflant : « Fais plus simple ! » de Michael Tully avec Marcello Conte, Lea Thompson… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h32 Sortie le 16 juillet

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Shapito Show. Parties 1 & 2 PAR LAURA TUILLIER

Ce film en deux parties du Russe Sergey Loban reprend un prin­ cipe proche de celui déjà exploré en France par Lucas Belvaux dans sa trilogie : les héros d’un film deviennent les personnages secondaires d’un autre. Ici, le ballet s’organise selon quatre thèmes – amour, amitié, respect, association – dépliés sur les bords de la mer Noire. Évoquant les fantaisies de Kusturica, Shapito Show assume de bout en bout sa veine loufoque, contrairement aux films de Belvaux, qui pariaient sur le mélange des genres.

PAR QUENTIN GROSSET

exceptionnelle de ses deux acteurs principaux, Annette Bening et Ed Harris. Le réalisateur Arie Posin installe un troublant jeu de miroir, teintant la pure comédie roman­ tique de suspense et d’une pro­ fondeur insoupçonnée.

Sous la direction artistique de Jean-Michel Frodon, treize cinéastes européens, de Jean-Luc Godard à Isild Le Besco, donnent leur point de vue sur Sarajevo et son histoire. Si, comme souvent avec les œuvres collectives, l’en­ semble est inégal, certains réalisa­ teurs posent un regard sensible sur cette cité pleine de fêlures. Parmi eux, Ursula Meier et Serguei Loznitsa organisent, chacun à sa façon, un beau dialogue entre vivants et fantômes, qui met en perspective la situation contem­ poraine de la ville.

d’Arie Posin avec Annette Bening, Ed Harris… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h32 Sortie le 16 juillet

Collectif Distribution : Rezo Films Durée : 1h54 Sortie le 16 juillet

de Sergey Loban avec Aleksey Znamenskiy, Piotr Mamonov… Distribution : Damned Durée : 1h46 et 1h51 Sortie le 16 juillet

The Face of Love Un couple de sexagénaires, amou­ reux comme au premier jour, fête son anniversaire de mariage au Mexique. Sauf que l’époux meurt accidentellement. Cinq ans plus tard, la veuve croise le sosie par­ fait de son amour perdu… Le film, qui embrasse d’emblée un roman­ tisme fiévreux (flash-back émus, balades au bord de l’eau), est sauvé de l’indigeste par la performance

Les Ponts de Sarajevo

PAR J. R.

Tanta Agua PAR Timé Zoppé

Un père divorcé emmène ses en­ fants en vacances dans une sta­ tion thermale. Malgré ses efforts, il a des difficultés à nouer un lien avec sa fille. Et ce ne sont pas les trombes d’eau qui ne cessent de tomber qui vont faciliter leur rap­ prochement… Avec une grande sensibilité, ce premier long métrage se focalise sur ce moment charnière de l’adolescence pen­ dant lequel le lien d’intimité avec les parents se redéfinit et le besoin d’autonomie se fait pressant. d’Ana Guevara Pose et Leticia Jorge Romero avec Néstor Guzzini, Malú Chouza… Distribution : A3 Durée : 1h42 Sortie le 16 juillet

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Boyhood Douze ans de tournage pour regarder un petit garçon grandir. Boyhood, le projet fou de Richard Linklater, est autant le portrait d’une génération qu’une œuvre universelle sur l’enfance. PAR QUENTIN GROSSET

Boyhood aurait pu tomber dans les travers du film à concept : être un simple récit sur le passage de l’en­ fance à l’âge adulte, avec pour particularité un gad­ get, la transformation physique de ses acteurs. Mais, de ses 6 ans à sa majorité, le jeune Mason apparaît comme un personnage plutôt opaque, sage et discret, autour de qui s’agite une famille. Cet aspect mysté­ rieux du héros, que l’on voit pourtant évoluer durant 2 heures et 45 minutes, rend le film bien plus inté­ ressant. Pour Richard Linklater, cela tient à un choix de casting : « Pour le rôle, j’ai vu beaucoup d’enfants programmés pour être mignons à l’écran. À côté, Ellar paraissait détaché, presque ailleurs. » La nar­ ration, avançant par ellipses, saute les étapes atten­ dues de la chronique d’une adolescence : premier bai­ ser, perte de la virginité… « Les transitions étaient très importantes. Comment raccorder un plan de

> FASTLIFE

Franklin n’a qu’un mot à la bouche : fastlife. Autrement dit, briller encore et toujours plus, le plus vite possible. Une comédie sans pitié envers le monde contemporain, avec un Thomas Ngijol – ancien du Jamel Comedy Club et du Grand Journal de Canal+ – en grande forme. Ma. P. de Thomas Ngijol (1h31) Distribution : Europacorp Sortie le 16 juillet

Mason à 12 ans avec un autre plan de lui un an plus tard ? Ce sont ces jonctions qui donnent le ton du film. » Le réalisateur cherche à raréfier les artifices dramatiques pour retrouver le sentiment du quoti­ dien : « Ma fille, qui joue la sœur de Mason, voulait que son personnage meure. Ce n’était pas vraiment l’idée du film, qui a pour ambition de retranscrire la sensation du temps qui passe. » Blink-182, Harry Potter, Arcade Fire… Boyhood prend une inclination nostalgique lorsque les références culturelles s’accu­ mulent. Ces repères temporels deviennent le support d’une variation sensible et presque impressionniste sur l’âge des possibles. de Richard Linklater avec Ellar Coltrane, Patricia Arquette… Distribution : Diaphana Durée : 2h45 Sortie le 23 juillet

> ABLATIONS

Un homme se réveille un beau matin avec un rein en moins et sombre peu à peu dans la folie. Ce thriller décalé au scénario inspiré (signé Benoît Delépine) est servi par des seconds rôles ciselés au scalpel – Yolande Moreau est fantastique en prêcheuse inquiétante. Ma. P. d’Arnold de Parscau (1h34) Distribution : Ad Vitam Sortie le 16 juillet

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> THE RAID 2

Rama, flic à Jakarta, infiltre une organisation criminelle mêlant mafia indonésienne et yakusas. Il feint de devenir ami avec Uco, le fils d’un des pontes du gang… Les combats de pencak-silat (art martial d’origine malaise) sont chorégraphiés de façon absolument virtuose. Q. G. de Gareth Evans (2h30) Distribution : The Jokers / Le Pacte Sortie le 23 juillet


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Des chevaux et des hommes PAR HENDY BICAISE

La première séquence du film évoque le cinéma de Bill Plympton, tel un pendant live de ses délires animés : un homme parade à cheval devant ses voisins, qui expriment leur admiration à coup d’onomatopées et de mimiques cartoonesques. La fanfaronnade tourne court quand un autre étalon fait irrup­ tion dans le champ pour chevau­ cher celui du héros, qui devient aussitôt la risée du village. Voilà qui donne le ton. Le plus curieux étant que Benedikt Erlingsson fait ensuite tout pour en chan­ ger. Son récit saute du coq à l’âne, ou plutôt du cheval à l’homme, encore et encore. À chaque nou­ velle séquence, un protagoniste et sa monture vivent leur propre aventure. Si le burlesque façon Plympton ne dure qu’un temps, d’autres influences lui succèdent :

Aki Kaurismäki, Roy Andersson, Thomas Vinterberg… L’esprit du film change en permanence, et sa nature est difficile à cerner : s’agit-il d’un film à sketches au fil rouge particulièrement ténu, ou bien d’une œuvre chorale hachée menu ? À défaut de trancher, on se laisse porter par ce flot narratif

singulier. La nature, non plus celle du film mais celle du monde, étant magnifiée à chaque instant, la balade se révèle très plaisante.  de Benedikt Erlingsson avec Ingvar Eggert Sigurðsson, Charlotte Bøving… Distribution : Bodega Films Durée : 1h21 Sortie le 23 juillet

Comrades PAR MARION PACOUIL

Jusqu’ici inédit en France, Comrades (1986) raconte l’histoire vraie de six ouvriers agricoles originaires d’un village du sud de l’Angleterre qui, pour s’être constitué en syndicat, furent arrêtés et déportés en 1834 en Australie, alors colonie britannique. Un sujet qui pousse

le réalisateur écossais Bill Douglas à intégrer une dimension politique au sein d’une œuvre (sa trilogie My Childhood, My Ain Folk et My Way Home) jusque-là essentielle­ ment autobiographique. Comme un dernier virage pour un dernier film – il décède quatre ans plus tard –, Comrades prend la forme

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d’un poème fleuve de plus de trois heures. L’histoire des « martyrs de Tolpuddle » est racontée par un montreur de lanterne magique iti­ nérant – comment ne pas penser à Bill Douglas lui-même, collec­ tionneur frénétique d’objets ciné­ matographiques en tout genre ? Ces allers-retours entre réflexions politiques et artistiques insuf­ flent au film un esprit poétique et engagé. La séquence mettant en scène un photographe fou tentant d’immortaliser un aborigène est sur ce point édifiante ; les photos finiront par se volatiliser, comme pour rappeler qu’aucun maître ne peut écrire l’histoire des opprimés à leur place. de Bill Douglas avec Alex Norton, Robin Soans… Distribution : UFO Durée : 3h10 Sortie le 18 juin


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> LOUP-GAROU

Maestro Pour son cinquième film, Léa Fazer réalise une comédie autofictionnelle qui ne s’inspire pourtant pas de sa vie. Coécrit avec Jocelyn Quivrin, le film se base sur l’expérience de l’acteur avec Éric Rohmer lors du tournage des Amours d’Astrée et de Céladon. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Léa Fazer et Jocelyn Quivrin se rencontrent en 2006. « C’était pour mon deuxième film, Notre uni­ vers impitoyable, se souvient la réalisatrice. Puis nous avons fait Ensemble c’est trop. Il est mort un mois avant la sortie de ce film. » L’acteur décède dans un accident de voiture le 15 novembre 2009. Entretemps, il s’était lancé dans un projet très personnel avec Léa Fazer. « Il m’a raconté son tournage avec Éric Rohmer, qui l’avait beaucoup troublé. Il voulait écrire sur cette expérience pour comprendre ce qui lui avait été transmis. » Pour ce faire, il n’a pas transposé ses souvenirs de manière littérale, mais a privilégié l’autofiction. Maestro se concentre donc sur Henri (Pio Marmaï), un acteur débutant qui, pour séduire une comédienne (Déborah François), passe un casting chez un grand réalisateur de films d’auteur

dont il n’a jamais entendu parler, Cédric Rovère (Michael Lonsdale). Le superficiel Henri ne saisit pas l’intérêt que trouve le vieil homme dans la littérature du xvii e siècle. Une communication d’un naturel inattendu s’installe malgré tout. « Il s’agit d’une transmission, mais ce n’est pas un jeune homme qui trouve un père. Le réalisateur a les clés d’immenses plaisirs, mais qui sont difficiles d’accès. » Hilarant dans sa restitution de l’ambiance de tournage fauché et de l’érudition de Rohmer, le film réserve aussi plusieurs habiles scènes d’émotion, jamais pesantes. Preuve qu’il est possible de rendre des hommages respectueux et profonds dans un climat de joyeuse légèreté. de Léa Fazer avec Pio Marmaï, Michael Lonsdale… Distribution : Rezo Films Durée : 1h25 Sortie le 23 juillet

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Un homme étrange (interprété par l’écrivain Régis Jauffret, qui signe le scénario) accueille une baby-sitter pour son fils, qui doit bientôt arriver. Écrasé par la chaleur estivale, le film, très écrit, installe entre eux une relation inquiétante. J. R. de Stéphane Lévy (1h10) Distribution : bonne séance Sortie le 23 juillet

> AMERICAN NIGHTMARE 2. ANARCHY

Suite au succès de la première nuit de « purge » autorisant tous les crimes, le gouvernement américain a décidé de rendre le procédé annuel pour réguler la criminalité. Toujours aussi fun, ce deuxième volet évite même quelques clichés du genre. T. Z. de James DeMonaco (1h40) Distribution : Universal Pictures Sortie le 23 juillet

> LOCKE

À l’heure où Ivan Locke s’apprête à réaliser le plus gros coup de sa carrière en acheminant le béton nécessaire à la construction d’un immeuble, il voit sa vie menacée de destruction par un coup de téléphone. Un huis clos angoissant porté par Tom Hardy. Ma. P. de Steven Knight (1h27) Distribution : Metropolitan FilmExport Sortie le 23 juillet


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La Preuve PAR T. Z.

Chauffeur de taxi en Algérie, Ali est marié à Houria, qui a déjà deux filles issues d’un premier mariage. Le couple ne parvient pas à avoir d’enfant, ce qui préoccupe beau­ coup Ali. Sans en parler à sa femme, il décide de faire un test de fertilité dans une autre ville, mais l’arrivée d’une cliente inat­ tendue dans son taxi bouleverse son alibi. Après l’homosexualité masculine en Iran dans Quelques Jours de répit, Amor Hakkar s’empare avec justesse d’un sujet encore tabou dans la société algé­ rienne : la stérilité masculine.

PAR T. Z.

doit d’abord gagner son indépen­ dance avant d’avoir suffisamment confiance en lui pour tenter de le séduire. Un premier long métrage couronné du Teddy Award à Berlin cette année.

Au Mexique, Sebastián, 17 ans, vient s’occuper du motel de son oncle pendant son absence. Il observe d’un œil amusé les cou­ ples plus ou moins légitimes qui y prennent du bon temps, mais fait aussi preuve d’un profession­ nalisme étonnant pour son âge. Seule Miranda, une trentenaire retrouvant régulièrement un homme marié, éveille discrète­ ment sa curiosité. Sous l’appa­ rence d’une banale chronique de vie, Palma Real Motel dresse l’as­ tucieux portrait d’un adolescent qui se responsabilise seul, en res­ pectant les autres.

de Daniel Ribeiro avec Guilherme Lobo, Fabio Audi… Distribution : Pyramide Durée : 1h36 Sortie le 23 juillet

d’Aarón Fernandez avec Kristyan Ferrer, Adriana Paz… Distribution : Urban Durée : 1h40 Sortie le 23 juillet

d’Amor Hakkar avec Nabil Asli, Anya Louanchi… Distribution : Sarah Films Durée : 1h33 Sortie le 23 juillet

Au premier regard Lycéen à São Paulo, Leonardo partage tout avec sa meilleure amie, Giovana. Le dernier jour des vacances d’été, ils déses­ pèrent de vivre enfin leur premier amour. Sans se l’avouer mutuel­ lement, ils vont tous deux être attirés par Gabriel, un nouvel élève qui devient vite populaire. Mais Leonardo est aveugle et il

Palma Real Motel

PAR T. Z.

New York Melody PAR T. Z.

© 2013 killifish productions inc ; photo andrew schwartz

Deux êtres au bout du rouleau se rencontrent dans un bar newyorkais. Seule à la guitare, Greta (Keira Knightley) chante son spleen après l’infidélité de son amoureux (Adam Levine). Sa prestation redonne foi à Dan, un producteur de musique sans emploi. Ensemble, ils vont tenter d’enregistrer une maquette dans les rues de la ville… Le réalisa­ teur de Once retrouve sa formule magique et compose un film musi­ cal plein d’espoir et d’énergie. de John Carney avec Keira Knightley, Mark Ruffalo… Distribution : UGC Durée : 1h44 Sortie le 30 juillet

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Mister Babadook Film fantastique gothique situé quelque part entre Les Innocents, L’Orphelinat et Le Locataire, Mister Babadook brosse un portrait sans tabou d’une famille monoparentale dysfonctionnelle. Éprouvant et émouvant à la fois. PAR JULIEN DUPUY

Orphelin de père à l’imagination débordante, le petit Samuel est persuadé que les sombres recoins de sa maison recèlent des créatures innommables ; une pho­ bie qui fait de lui un danger ambulant pour ses cama­ rades. Vivant en permanence dans la peur et l’adver­ sité, le garçon se raccroche désespérément à la seule et faible lueur de son existence : sa mère, personnage immaculé à la blondeur diaphane, qui tente vaille que vaille de défendre son fils. L’équilibre précaire du duo est ébranlé lorsqu’un livre de conte est mys­ térieusement déposé sur le perron de leur demeure : Mister Babadook. L’ouvrage les fascine, puis les ter­ rifie, avant de réveiller leurs peurs les plus profondes. Ancienne comédienne, l’Australienne Jennifer Kent confirme avec ce premier long métrage qu’elle porte en elle un univers fort et singulier. Comme dans sa précédente réalisation, le court métrage Monster, le

fantastique lui permet de créer une héroïne d’une magnifique ambivalence. À la fois protecteur et intransigeant, délicat et effrayant, son personnage principal se joue avec brio de l’intouchable figure maternelle. Dans ce rôle, la performance de l’ac­ trice Essie Davis éclipserait presque celle, carrément miraculeuse, du jeune Noah Wiseman. Avec la can­ deur inhérente à ses 6 ans, il interprète un person­ nage d’enfant comme on en voit peu au cinéma, tour à tour désarmant de charme et exaspérant à tuer. Déjà plébiscité par Guillermo del Toro, Mister Babadook marque la naissance, dans la peur et dans la douleur, d’une réalisatrice à suivre. de Jennifer Kent avec Essie Davis, Noah Wiseman… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h34 Sortie le 30 juillet

3 QUESTIONS À jennifer kent Propos recueillis par J. D. Qu’avez-vous appris de votre passé de comédienne ?

Qu’il ne faut pas tricher. Dans mon cas, si je n’avais pas été honnête avec Essie Davis, qui joue la mère, je pense qu’elle n’aurait pas survécu psychologiquement au tournage. Il en va de même pour Noah Wiseman, qui joue son fils ; même s’il n’avait que 6 ans lors des prises de vues, nous avons eu de longues conversations pour construire son personnage.

Comment boucle-t-on un film aussi ambitieux avec un si petit budget ?

Je n’avais pas assez de temps ni d’argent pour tourner ; alors j’ai longuement préparé en amont ma mise en scène – je tournais peu de prises – et nous avons fait appel à Kickstarter pour compléter notre budget. Mais surtout, mon équipe m’a offert trois jours de travail pour que l’on parvienne à boucler les prises de vues. C’est dire s’ils avaient foi dans le projet !

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Qui est réellement Babadook ?

J’estime qu’il faut savoir se confronter à tout ce que l’on est, en bien comme en mal. Si vous refoulez ce qu’il y a de pire en vous, cette noirceur rejaillira d’une façon ou d’une autre, sous une forme plus violente et surtout plus incontrôlable : c’est là que les gens sombrent dans la drogue ou la folie. Dans le cas de mon film, ce qui est refoulé se matérialise en Babadook.


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Moonwalk One Près d’un demi-siècle après les premiers pas de l’homme sur la Lune, un documentaire de 1970, inédit en France, ressort des cartons. Il rappelle combien cet événement fut avant tout une incroyable machine à fantasmagories. PAR LOUIS BLANCHOT

Entièrement consacré à la mission Apollo 11, Moonwalk One atteint très vite une autre dimen­ sion que celle du documentaire officiel et édifiant. Disposant d’un stock d’images d’une richesse et d’une diversité absolument exceptionnelles (archives du programme spatial, décollage filmé sous toutes les coutures, journal vidéo des trois astronautes), Theo Kamecke ne contrevient certes pas complète­ ment à l’éloge techniciste de la superpuissance amé­ ricaine. Ainsi, lorsque la fusée Saturn V allume ses réacteurs pour se détacher du sol, un carillon de clo­ ches des plus éloquents accompagne le défilé vertical des lettres U.S.A. peintes sur le fuselage. C’est que, au-delà du pied de nez définitif au programme spa­ tial soviétique, l’expédition revêt bien évidemment les atours d’une croisade interplanétaire, la conquête d’un monde inconnu sur lequel l’homme n’a encore

> ECHO

Trois jeunes amis se mettent à recevoir des messages cryptés sur leurs smartphones. Ils découvrent que ceux-co proviennent d’un petit être robotique tombé sur Terre. En 2014, E. T. prend un coup de jeune et demande plus qu’un simple combiné pour « téléphoner maison ». T. Z. de Dave Green (1h31) Distribution : Metropolitan FilmExport Sortie le 30 juillet

aucune prise. Dès lors, Moonwalk One montre avec beaucoup de justesse comment ce projet technolo­ gique démesuré a su entretenir une connivence natu­ relle avec les prérogatives du spectacle. Car ce qui demeurera à tout jamais incroyable dans l’accomplis­ sement de ce rêve universel, ce n’est pas tant qu’un Américain ait posé un engin sur le sol lunaire pour venir sans délai y planter le pavillon national, mais bien davantage que, installée aux avant-postes, atten­ dant sa sortie triomphale, prête à consacrer l’exploit, une caméra allumée l’y attendait déjà. Avant de deve­ nir une affaire de drapeau, la conquête est toujours une histoire de regard. de Theo Kamecke Documentaire Distribution : Ed Durée : 1h48 Sortie le 30 juillet

> BABY BALLOON

Bici a 18 ans et quelques kilos en trop. Elle chante dans un groupe de rock garage, avec à la guitare Vince, son ami d’enfance. Tombée secrètement amoureuse du beau gosse, elle va tenter par tous les moyens de le faire succomber. Une tragi-comédie fraîche et spontanée. Ma. P. de Stefan Liberski (1h24) Distribution : Pyramide Sortie le 30 juillet

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> NOS PIRES VOISINS

Mac et Kelly, jeunes parents d’une petite Stella, emménagent dans la maison de leurs rêves. Mais une fraternité étudiante s’installe dans le quartier… Sur un fond réactionnaire (la famille avant toute chose), le duo Seth Rogen/Zac Efron fonctionne à plein régime. Q. G. de Nicholas Stoller (1h37) Distribution : Universal Pictures Sortie le 6 août


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Détective Dee II

La légende du dragon des mers Par Julien Dupuy

À presque 65 ans, avec une carrière riche d’une cinquantaine de films en tant que réalisateur, et bien plus encore en tant que producteur, l’incroyable Tsui Hark persiste à faire preuve d’une vitalité ahurissante. Bien plus inventif et audacieux que le premier opus (mineur au regard

du reste de sa filmographie), ce Détec­tive Dee II prend appui sur une intrigue policière improbable pour plonger tête la première dans un univers feuilletonesque à l’imaginaire désinhibé. Avec un plaisir de filmer communicatif (il faut impérativement voir le film en relief), Tsui Hark orchestre un

capharnaüm réjouissant où s’en­ trechoquent romance tragique, conte mythologique grandiose et parabole politique d’une dupli­ cité d’autant plus réjouissante que le film a bénéficié des lar­ gesses financières du gouverne­ ment chinois. Car, grâce à son exception­n elle intelligence, le héros du film, Dee, combat autant les adversaires de l’empire du Milieu qu’il éduque les puissants de son pays, souvent bien mal avi­ sés. Une superproduction d’avantgarde folle, savoureusement sub­ versive : une espèce rare qui confirme à quel point Tsui Hark est un cinéaste précieux.  de Tsui Hark avec Mark Chao, William Feng… Distribution : The Jokers / Le Pacte Durée : 2h14 Sortie le 6 août

Kumbh Mela

Sur les rives du fleuve sacré PAR MARION PACOUIL

Tous les douze ans, et durant cinquante-cinq jours, plus de cent millions de pèlerins participent à la Kumbh Mela, le plus grand rassemblement du monde, sur les berges du Gange. La mythologie hindoue raconte qu’au confluent de trois rivières, les dieux ont fait tomber de leurs cruches quelques gouttes de « nec­ tar d’immortalité » ; s’y baigner, c’est être lavé de ses péchés et béni pour les douze années à venir. Le cinéaste Pan Nalin (La Vallée des fleurs, Samsâra) a suivi les par­ cours singuliers d’hommes et de femmes, tous liés par la même foi : un jeune vagabond farouche et débrouillard, un père et une mère en quête de leur fils disparu depuis une semaine ou encore des sâdhus – ascètes – dont certains baptisés « iPad Baba » ou « Baba

Visa » et défoncés à la marijuana. Au milieu de ce splendide fourbi chamarré, la caméra de Pan Nalin parvient à trouver sa place et à embrasser de petites oasis de quié­ tude : il faut voir avec quelle bien­ veillance et quelle délicatesse il filme la relation d’un « Baba » et du petit garçon orphelin qu’il a adopté. Plus loin, un banal trajet

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vers le bain sacré devient un voyage plein de rebondissements que la caméra prend le temps d’accompa­ gner. Pan Nalin n’est pas un bru­ tal chasseur de prodigieux, mais un patient passeur d’images.  de Pan Nalin Documentaire Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h55 Sortie le 30 juillet


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Ana Arabia Par L. T.

Aux alentours de Tel-Aviv, Yael (Yuval Scharf), une jeune jour­ naliste, enquête sur la vie de Hannah Klibanov, une Israélienne convertie à l’islam. Tout le film se déroule dans une grande cour où les différents témoins – juifs et musulmans – de cette évolution religieuse se livrent à la jeune femme et racontent ainsi leur quo­ tidien déchiré… Amos Gitaï pro­ pose un dispositif audacieux (un unique plan séquence en mouve­ ment) et livre un film modeste et utopique, parfois quelque peu engoncé dans sa forme.

PAR J. R.

maîtrisé, le film tient du mélange corsé entre le Brazil de Terry Gilliam, le Barton Fink des frères Coen et le Lost Highway de David Lynch. Une fable aussi déconcer­ tante que fascinante.

Dans un avenir proche privé de pluie, l’accès à l’eau est devenu source de violence. Ernest con­ sacre son quotidien aride à la protection de sa famille, un fis­ ton loyal et une ado narcissique. En tombant amoureuse d’un salaud, cette dernière plonge le foyer dans la tragédie. Malgré ce personnage féminin mièvre et archétypal, Jake Paltrow (frère de Gwyneth) installe un univers futuriste et suranné convaincant, entre trouvailles scénaristiques (comment faire la vaisselle sans eau ?) et recyclages formels (fon­ dus enchaînés, zooms…).

de Richard Ayoade avec Jesse Eisenberg, Mia Wasikowska… Distribution : Mars Durée : 1h33 Sortie le 13 août

de Jake Paltrow avec Michael Shannon, Nicholas Hoult… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h40 Sortie le 13 août

d’Amos Gitaï avec Yuval Scharf, Yussuf Abu-Warda… Distribution : Océan Films Durée : 1h24 Sortie le 6 août

The Double PAR RENAN CROS

Dans un monde terne et oppres­ sant, un jeune bureaucrate aliéné voit sa misérable vie basculer quand il rencontre son double parfait. Avec ce second film bizarre et schizo, le réalisateur du remarqué Submarine trans­ forme une adaptation d’un roman de Dostoïevski en cauchemar kaf­ kaïen. Extrêmement graphique et

Young Ones

Le Grand Paysage d’Alexis Droeven

PAR L. T.

Plus de trente ans avant Il a plu sur le grand paysage, documentaire sorti cet été, Jean-Jacques Andrien avait réalisé Le Grand Paysage d’Alexis Droeven, son versant fic­ tionnel. Jean-Pierre, fils d’agricul­ teurs, fait face à un drame intime de la transmission : à la mort du père, doit-il devenir citadin ou persister dans la défense du pay­ sage de son enfance ? Mention spéciale à la lettre lue par Nicole Garcia en voix off, alors que le train emporte le fils de la cam­ pagne à la ville. © shellac

de Jean-Jacques Andrien avec Jan Decleir, Nicole Garcia… Distribution : Shellac Durée : 1h28 Sortie le 13 août

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Trap Street Un assistant géomètre rencontre une femme mystérieuse dans une rue qui ne figure sur aucune carte. La réalisatrice chinoise Vivian Qu ne choisit pas le versant fantastique que pourrait augurer cette trame, mais ose plutôt une fine divulgation politique. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Dans la métropole chinoise de Nanjing, l’apprenti topographe Li Qiuming regarde à travers un tachéo­ mètre – ce grand appareil de mesure jaune – pour prendre les dimensions d’un rond-point. Son atten­ tion est perturbée par l’arrivée d’une jeune femme élé­ gante. Il braque alors son viseur sur elle et, sans s’en rendre compte, sur la rue qu’elle emprunte ; ruelle qui va devenir son autre centre d’intérêt, puisque son chef refusera qu’il la place sur une carte. C’est ainsi que Vivian Qu (jusqu’ici productrice de films indépen­ dants chinois comme le récent Black Coal) construit sa narration : en progressant par alternance des points de vue (celui de son héros, des appareils qu’il utilise, des caméras de surveillance qu’il pose pour son deu­ xième travail). En cartographie, une « trap street » est une rue qui n’existe pas dans la réalité, placée intentionnellement sur une carte par son auteur pour

pouvoir détecter un éventuel plagiat. Le principe est ici retourné puisque la rue existe bel et bien, mais que les activités qui s’y trament sont tellement secrètes qu’on ne doit pas pouvoir les situer. Le héros, qui a réussi à nouer une relation pudique et douce avec la jeune femme, doit se rendre à l’évidence : cette der­ nière est sous le joug d’une mystérieuse organisa­ tion. Lorsqu’il tente de l’aider, un groupe d’hommes le kidnappe et le séquestre pour le questionner. Sans rien nommer, la réalisatrice parvient ainsi à lever le voile sur les curieuses méthodes d’intimidation qui ont cours dans son pays. de Vivian Qu avec Lu Yulai, Wenchao He… Distributeur : ASC Durée : 1h33 Sortie le 13 août

3 QUESTIONS À vivian qu Propos recueillis par t. z. Comment avez-vous pris conscience de ce phénomène de kidnapping ? C’est un peu le secret le plus connu de Chine. Rien n’est dit dans les médias, mais on l’apprend si ça arrive à quelqu’un de proche. Dans mon équipe, j’ai découvert qu’au moins trois personnes avaient vécu une expérience similaire. Même des étrangers ont été retenus dans des hôtels pour être questionnés.

Pourquoi avoir placé des héros jeunes au cœur d’une histoire aussi pessimiste ?

La Chine a connu des changements vraiment dramatiques. Les jeunes ne connaissent pas l’histoire de leurs parents. Je pense que la première chose est d’éveiller les consciences, parce que les jeunes Chinois pensent vivre dans une société libre, alors que le contrôle est toujours présent.

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Pensez-vous que le film pourra être diffusé en Chine ?

Je ne sais pas encore. Comme tous les films, il doit passer devant une commission de censure pour avoir une chance d’être distribué sur le territoire, mais il n’a pas été spécialement conçu pour ça. C’est difficile de savoir comment cette commission fonctionne… Encore une chose sur laquelle on ne sait rien !


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La Dune PAR Q. G.

Un homme, Hanoch, est retrouvé sans connaissance sur une plage d’Aquitaine. Il a quitté Israël pour la France et a fait une longue route à vélo avant de s’écrouler. À son réveil, il ne prononce plus un mot. Alors qu’il est sur le point de par­ tir en retraite, l’inspecteur Ruben Vardi est sommé de se charger de cette troublante affaire… Si le film a quelques problèmes de rythme, Niels Arestrup est éton­ nant dans ce registre mélanco­ lique, loin des truands qu’il a incarnés ces dernières années. de Yossi Aviram avec Niels Arestrup, Emma de Caunes… Distribution : Le Pacte Durée : 1h26 Sortie le 13 août

Le Beau Monde PAR Q. G.

Le Grand Homme PAR QUENTIN GROSSET

Pour son deuxième long métrage, après Au voleur (2009), la réalisatrice Sarah Leonor se penche sur un univers très masculin, celui des soldats de la Légion étrangère, qu’elle dessine avec pudeur et densité. En mission en Afghanistan, Markov (Surho Sugaipov) et Hamilton (Jérémie Renier) forment un binôme com­ plémentaire et inséparable. Lors d’une expédition non autorisée par leurs supérieurs, Hamilton prend une balle, et Markov le sauve. De retour à Paris, les deux hommes, qui n’ont pas eu droit aux hon­ neurs de leur institution, sont en errance. Markov, d’origine tché­ tchène, se retrouve sans papiers et doit renouer avec le petit Khadji, son fils qu’il n’a pas vu grandir.

Hamilton propose de lui don­ ner son identité civile afin qu’il puisse travailler. Les deux soldats déracinés ne font alors plus qu’un. Sarah Leonor a choisi de confron­ ter Jérémie Renier à des acteurs tchétchènes non professionnels. Il excelle dans un rôle tout en fêlures et en dureté, un registre dans lequel on le voit peu. Surho Sugaipov, ne parlant pas français, a appris son texte phonétique­ ment ; il amène quant à lui une sorte de décalage qui permet à la cinéaste de décrire avec une émo­ tion diffuse cette amitié à la fois retenue, fusionnelle et blessée.

Alice, étudiante d’origine mo­ deste, est passionnée de brode­ rie. Elle rencontre une bourgeoise attentionnée qui l’aide à intégrer une prestigieuse école d’arts appli­ qués. La jeune fille tombe amou­ reuse d’Antoine, le fils de cette riche parisienne, qui, lui, est pho­ tographe et rejette son milieu aisé… La caractérisation sociale est un peu trop appuyée dans le scénario, mais Ana Girardot et Bastien Bouillon livrent une inter­ prétation juste et touchante.

de Sarah Leonor avec Jérémie Renier, Surho Sugaipov… Distribution : Bac Films Durée : 1h47 Sortie le 13 août

de Julie Lopes-Curval avec Ana Girardot, Bastien Bouillon… Distribution : Pyramide Durée : 1h35 Sortie le 13 août

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Nos étoiles contraires PAR Q. G.

© thibault & anouchka - karé production - delante films

Lors d’une réunion d’un groupe de discussion de malades du can­ cer, deux adolescents, Hazel et Gus, deviennent amis, puis, mal­ gré l’appréhension de la jeune fille, tombent amoureux l’un de l’autre. Ensemble, ils vont ten­ ter de réaliser le rêve de Hazel : aller à Amsterdam pour y rencon­ trer l’écrivain Peter Van Houten… Mélodrame parfois un peu trop larmoyant, cette adaptation du roman à succès de John Green a le mérite d’évoquer le parcours des deux jeunes héros avec humour et optimisme. de Josh Boone avec Shailene Woodley, Ansel Elgort… Distribution : 20th Century Fox Durée : 2h05 Sortie le 20 août

Reaching for the moon PAR É. r.

Des lendemains qui chantent PAR TIMÉ ZOPPÉ

Dans l’isoloir, Léon ( Pio Marmaï) hésite : doit-il voter pour le candidat socialiste, Lionel Jospin, alors que ce dernier n’incarne pas, selon lui, la gauche ? Surtout, le fait que son frère Olivier (Gaspard Proust) ait piloté la communication de sa campagne influence-t-il sa décision ? Nous sommes en 2002, mais ce questionnement fait ressurgir le passé des deux hommes. Vingt et un ans plus tôt, ils fêtaient la victoire de François Mitterrand à Saint-Étienne : Léon amorçait une carrière de jour­ naliste engagé ; Olivier s’apprê­ tait à monter à Paris pour se faire une place dans la pub… Nicolas Castro, qui a signé jusqu’ici plusieurs documentaires pour la

télévision, s’empare d’un vaste sujet : les mutations politiques et médiatiques françaises entre les années Mitterrand et la défaite de la gauche au premier tour de l’élection de 2002. Il tente de comprendre ce qui s’est joué dans l’intervalle en retraçant des par­ cours-types, heureusement huma­ nisés par leurs liens intimes. En intégrant des images d’archives réelles à la fiction – le jeune loup Bernard Tapie, Mitterrand en fin de course… –, il parvient à décrire les rouages d’un mécanisme com­ plexe. Si le fond est amer, le ton est toujours drôle et désinvolte.

Le réalisateur brésilien Bruno Barreto (Dona Flor et ses deux maris) retrace une partie de la vie de la poétesse américaine Eliza­ beth Bishop. En 1951, traversant une crise artistique, Bishop décide de quitter New York quelques temps pour rendre visite à une amie émigrée au Brésil. Celle-ci vit en couple avec une architecte, Lota de Macedo Soares. Malgré leurs différences de tempéra­ ment, Elizabeth et Lota vont trou­ ver l’une chez l’autre l’inspiration qu’elles recherchaient. Une obser­ vation minutieuse du lien tor­ tueux entre amour et création.

de Nicolas Castro avec Pio Marmaï, Laetitia Casta… Distribution : UGC Durée : 1h34 Sortie le 20 août

de Bruno Barreto avec Miranda Otto, Glória Pires… Distribution : Outplay Durée : 2h Sortie le 20 août

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> 22 JUMP STREET

Party Girl Présent dans la sélection Un certain regard et récompensé par la Caméra d’or à Cannes cette année, Party Girl est un émouvant portrait de femme docu-fictionnel qui révèle un trio de jeunes cinéastes. PAR ÉRIC VERNAY

Angélique a 60 ans. Elle travaille, en tant qu’entraîneuse, dans un bar en Lorraine, près de la frontière allemande. Michel, un vieil habi­ tué bourru mais attentionné, est peut-être son dernier client. Elle le sait. Lorsque le retraité la demande en mariage, l’occasion de se reti­ rer du métier semble assez idéale. Du moins pour son entourage. Car Angélique aime encore faire la fête. Party Girl raconte l’histoire vraie de la mère (incarnée par cette der­ nière) d’un des trois réalisateurs, Samuel Theis, lequel joue égale­ ment son propre rôle dans le film, un dispositif autobiographique déjà expérimenté dans le précé­ dent moyen métrage des cinéastes. De ce matériau réel au potentiel tire-larmes carabiné, le trio, formé à La Fémis, extrait un portrait de femme sensible, tout en nuances

et en questionnements. Discrète, la mise en scène refuse l’hystérie et l’auto-­apitoiement pour laisser l’espace aux personnages, incarnés par des non-­p rofessionnels, tous excellents. Au milieu de cet entou­ rage touchant, plein d’attentions et de bonnes intentions, Angélique semble n’avoir plus d’obstacle à une nouvelle vie confortable. Mais elle hésite à se ranger. Est-ce par manque d’amour pour son bedon­ nant prétendant ? Par défiance ? Ou simplement par goût de la liberté ? Le mystère persiste autour de ce beau personnage féminin, indomp­ table et têtu, héritier du Wanda de Barbara Loden. de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis avec Angélique Litzenburger, Joseph Bour… Distribution : Pyramide Durée : 1h36 Sortie le 27 août

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Suite d’un premier volet qui adaptait la série culte des années 1980, cet opus assume le même pitch : deux flics se font passer pour des élèves et tentent de faire tomber un réseau de dealers. Cette fois, ils passent du lycée à la fac. Plus grand, plus costaud. É. R. de Phil Lord et Chris Miller (1h52) Distribution : Sony Pictures Sortie le 27 août

> HERCULE

The Rock, ancien demi-dieu du catch, prête ses pectoraux au mythe d’Hercule. Du lion de Némée au sanglier d’Érymanthe, le film pioche dans les moments de bravoure du fils de Jupiter pour une aventure faisant la part belle à sa dimension humaine. É. R. de Brett Ratner Distribution : Paramount Pictures Sortie le 27 août

> UNE ÉQUIPE DE RÊVE

En 2001, l’équipe des Samoa américaines enregistre la pire défaite de l’histoire du football : 31-0 contre l’Australie. Un entraîneur hollandais a pourtant l’espoir de les qualifier pour la Coupe du monde. Un documentaire sur le courage de croire à nouveau. Ma. P de Mike Brett et Steve Jamison (1h30) Distribution : Bodega Films Sortie le 27 août


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The Salvation À travers la descente aux enfers d’un pionnier danois au Far West, Kristian Levring signe un western crépusculaire esthétisant dans lequel la violence s’impose comme seul salut. Jon (Mads Mikkelsen), un ancien sol­ dat danois émigré en Amérique, accueille sa femme et son fils, qu’il n’a pas vus depuis sept ans. À peine descendus du train, ils sont enlevés et assassinés par deux malfrats que Jon retrouve dans la nuit même et tue. La densité narra­ tive des quinze premières minutes du film est sidérante et immerge d’emblée le spectateur dans un puits de brutalité sans fond. Car cet acte de vengeance initial en déclenche irrémédiablement un autre : l’un des types éliminés par Jon est le frère de Delarue (Jeffrey Dean Morgan), la brute sangui­ naire qui terrorise la population

© joe alblas

PAR JULIETTE REITZER

locale. Les ennuis ne font donc que commencer. Avec un certain brio formel (filmés en Afrique du Sud et retravaillés en postproduc­ tion, les horizons changeants de l’Ouest américain sont à couper le souffle), Kristian Levring force son héros solitaire à de multiples renoncements successifs – à sa

famille, puis à son argent, volé par un spéculateur corrompu, et enfin à sa foi en l’humanité. Une déli­ vrance dans la violence, toujours douloureuse.  de Kristian Levring avec Mads Mikkelsen, Eva Green… Distribution : Jour2fête / Chrysalis Films Durée : 1h31 Sortie le 27 août

Lacrau PAR MARION PACOUIL

Avec Jardim, en 2007, João Vladimiro filmait les premiers pas d’un gamin dans un jardin public. La scène de prologue de Lacrau – poursuite de son cinéma expérimental – montre un enfant adossé à un rocher, qui rit et qui hésite à sauter. Chez le cinéaste, faire le grand

saut, c’est aussi choisir de quit­ ter la vie moderne et ses lourdes machines, ses escalators et ses panneaux d’affichage, et pré­ férer une vie au vert. Il trouble sans cesse la frontière entre ville et campagne, à l’instar d’un plan panoramique d’une nature sau­ vage qui débouche sur un paysage

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de zone industrielle – surprise de la discontinuité. Parce qu’il prend le genre expérimental au pied de la lettre, João Vladimiro déplace nos intuitions sensitives pre­ mières et dérègle les boutons de cette gigantesque table de mixage qu’est la nature. Filmé en 16 mm, avec un grain d’image râpeux, Lacrau joue sur les textures. Des bruits d’usine sont apposés sur un plan d’arbres nus en hiver et le bois se transforme en métal. Pour corser davantage la tâche, le son est bien souvent désynchrone ; une violente chute de cascade devient, privée de son, une pièce de velours argenté. Cet éloge de la sensation atteint son acmé dans une scène finale magistrale, d’un ballet hors norme, céleste et irréel.  de João Vladimiro Documentaire expérimental Distribution : Norte Durée : 1h39 Sortie le 27 août


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Enemy Après Incendies et Prisoners, le Québécois Denis Villeneuve adapte un roman de l’écrivain portugais José Saramago. Exploitant le motif de la toile d’araignée, Enemy est une réflexion vertigineuse sur la dualité et la confiance en soi. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Il n’est pas aisé de tenter l’adaptation d’un roman du prix Nobel de littérature 1998. « J’ai appris qu’un ami producteur avait réussi l’exploit d’avoir les droits d’un de ses livres [L’Autre comme moi, ndlr], qui sont très difficiles à obtenir, raconte Denis Villeneuve. Le style de Saramago, en soi, est inadaptable. C’est une forme littéraire très singulière, foisonnante. Je n’ai pas cherché à transposer le style, mais les idées. » L’Autre comme moi est le récit de la vie d’Adam, professeur d’histoire à l’université. Dans Enemy, il est incarné par un Jake Gyllenhaal miteux, cheveux gras et cravate en velours côtelé serrée autour du cou. Il traîne sa carcasse entre sa salle de classe, où il donne des cours sur le chaos, et son appartement, où il reproduit chaque jour la même routine. Un soir, devant un film loué, il a la surprise de découvrir le visage d’un figurant qui lui ressemble trait pour trait. Commence alors un jeu de piste fébrile qu’Adam ne semble jamais sûr de vou­ loir mener à terme. « Mon travail avec Jake n’a pas été de lui faire différencier ses deux rôles. Quand je lui demandais de passer d’un personnage à un autre, son corps changeait. C’était tellement impressionnant que j’ai plutôt dû m’assurer qu’ils se ressemblaient le plus possible. » Anthony, le double en

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question, se révèle être un acteur de seconde zone, mais possède bien plus de charisme qu’Adam. Arène de ce duel aux enjeux troubles, une ville oppres­ sante, sur laquelle la caméra insiste. « L’idée était de montrer une mégapole pour créer un sentiment de claustrophobie. En repérage, j’ai trouvé dans Toronto une ville déshumanisée à l’architecture brutale qui m’a semblé être un espace vierge, relativement peu filmé, sauf par David Cronenberg. » Deux autres éléments prennent une importance capitale : les figures féminines qui gravitent autour des per­ sonnages, ainsi que l’image récurrente d’un animal angoissant. « L’araignée est une image précise qui n’était pas dans le roman, mais qui synthétise des idées qui y étaient très présentes. La sculpture de Louise Bourgeois Maman a été ma référence, car je voulais que l’araignée ait une intelligence, une certaine grâce et un rapport à la maternité. » Entre thriller esthétique et fable psychanalytique, Enemy laisse un sentiment de sidération, suivi par de pas­ sionnantes cogitations. de Denis Villeneuve avec Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent… Distribution : Version Originale / Condor Durée : 1h30 Sortie le 27 août

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Le secret de Kanwar PAR TIMÉ ZOPPÉ

Après avoir été violemment déraciné, un patriarche sikh retourne sa frustration contre sa femme en la blâmant de ne donner naissance qu’à des filles. Il ne supportera pas que le prochain bébé ne soit pas un garçon. Une téméraire réflexion sur le genre en Inde.

En 1947, lors de la partition de l’Inde et du Pakistan, de nom­ breux sikhs sont contraints à l’exil. Umber Sigh (l’acteur Irrfan Khan, récemment à l’affiche de The Lunchbox) et sa famille doivent fuir leur village, ce qui le perturbe profondément. Alors que son épouse donne naissance à une fille, il s’entête : pour lui,

c’est un garçon. Kanwar est donc élevée comme un homme par ses parents, à tel point que même ses sœurs ne décèlent pas la super­ cherie… Pour traiter de ce sujet délicat, le réalisateur Anup Singh commence par s’abriter derrière une photographie irréprochable. Cette impression de papier glacé s’efface toutefois dès que son sujet

gagne en densité et transcende la forme, ce qui se produit lorsque Kanwar, encore enfant, se met à s’interroger secrètement sur son genre. Une fois adulte, il est marié par son père à une jeune fille de caste inférieure. Jusqu’au bout, le réalisateur ouvre toutes les possi­ bilités, mais ne sacrifie jamais la cohérence psychologique de ses personnages, même lorsqu’il se lance sur la pente du fantastique. Le Secret de Kanwar est une pro­ position intelligente et pleine de surprises, une nécessaire explo­ ration de thèmes rarement traités dans le cinéma indien. d’Anup Singh avec Irrfan Khan, Sonia Bindra… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h45 Sortie le 3 septembre

Hippocrate PAR JULIETTE REITZER

Présenté en clôture de la dernière Semaine de la critique, le deuxième long métrage de Thomas Lilti (Les Yeux bandés) s’annonce comme un récit initiatique articulé autour du parcours d’un jeune interne. Benjamin (Vincent Lacoste, convaincant à contre-emploi) effectue son premier stage dans le service hospitalier que dirige son père (Jacques Gamblin) et fait l’expérience du doute et de la culpabilité inhérents à ses nou­ velles responsabilités, écrasantes. Rapidement, le film s’impose surtout comme une passionnante plongée, documentaire et mili­ tante, dans les coulisses agitées d’un grand hôpital. Et pour cause : le réalisateur et scénariste est éga­ lement médecin de profession.

L’ancrage réaliste est si prégnant qu’on s’interroge d’abord sur l’in­ térêt du choix de la fiction – infir­ miers dans leurs propres rôles, tournage en décors réels, ques­ tionnements politiques (l’inté­ gration de médecins étrangers, le manque de personnel, la vétusté des équipements…). Mais c’est justement dans la confrontation

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entre ce terreau naturaliste et les éléments de fiction – les rebondis­ sements de l’intrigue, les acteurs professionnels, dont l’excellent Reda Kateb – que le film puise sa force et sa justesse. de Thomas Lilti avec Vincent Lacoste, Reda Kateb… Distribution : Le Pacte Durée : 1h41 Sortie le 3 septembre


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Siddharth PAR Q. G.

Réparateur de fermetures Éclair à New Delhi, Mahendra envoie Siddharth, son fils de 12 ans, travailler dans une autre province du pays. Mais celui-ci ne revient jamais à la maison : a-t-il été kid­ nappé ? Devant le désarroi de sa famille, Mahendra part à sa recherche jusqu’à Mumbai… Dans cette plongée réaliste et saisissante, le cinéaste canadien Richie Mehta documente le dénuement des couches populaires indiennes et le peu de réponses qu’ap­ portent les forces de l’ordre au trafic d’enfants. de Richie Mehta avec Tannishtha Chatterjee, Rajesh Tailang… Distribution : ASC Durée : 1h36 Sortie le 27 août

Obvious Child PAR Ma. P.

Donna fait du stand-up dans un café-théâtre de Brooklyn. Frondeuse et maladroite, elle y raconte ses déboires sexuels. Lorsqu’elle perd son travail et se fait larguer par son copain, la déprime pointe le bout de son nez, et elle se console avec un coup d’un soir… dont elle tombe enceinte. Mais comment penser bébé lorsqu’on dort encore la nuit avec sa maman ? Plus que dans son propos, la force du film réside dans l’humour corrosif administré par l’actrice Jenny Slate, véritable révélation. de Gillian Robespierre avec Jenny Slate, Jake Lacy… Distribution : Paradis Films Durée : 1h23 Sortie le 3 septembre


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Boys Like Us Dans une Autriche dont la quiétude est presque pesante, trois célibataires gays aux caractères dépareillés viennent chercher la paix. Le cinéaste Patric Chiha les regarde s’écharper et signe une comédie d’une grande douceur. Par Quentin Grosset

Après le magnifique Domaine (2009), qui offrait à Béatrice Dalle l’un de ses plus beaux rôles, le réa­ lisateur Patric Chiha filme à nouveau l’Autriche et ses paysages montagneux. Il y plonge Rudolf, qui vient de subir une rupture, et deux de ses amis pari­ siens aux allures de post-ados, Gabriel et Nicolas, qui décident de changer d’air en suivant leur pote dans sa région natale. Le cinéaste explore lui aussi de nouveaux territoires en investissant avec raffine­ ment le genre de la comédie. Ces trois trentenaires gays un peu déprimés sont filmés avec une grande tendresse et donnent l’occasion à Chiha de tourner en dérision certains stéréotypes autour de l’homo­ sexualité (notamment sur l’urbanité des personnages, perdus dans des plans larges au beau milieu d’une

> SI JE RESTE

Mia (Chloë Grace Moretz) est victime d’un accident de voiture tandis qu’elle marche le long d’une route de l’Oregon. Catapultée à l’hôpital, elle se retrouve au chevet d’elle-même, à observer son propre corps. À 17 ans, saura-t-elle préférer la vie à la mort ? Ma. P. de R. J. Cutler Distribution : Warner Bros. Sortie le 3 septembre

nature luxuriante : discussions sur les changements de ligne de métro, survie sans appli de drague…). Même si la montagne a quelque chose de trop calme et menaçant, la photographie ouatée et les couleurs pastel idéalisent ce décor et en font le lieu idoine pour panser ses plaies. Dans un climat étrange et volup­ tueux, parfois fantastique lorsqu’il s’agit de commu­ nier autour d’un fantasme de jeunesse, les liens de cette petite communauté solidaire se serrent et se desserrent au rythme de remises en cause existen­ tielles et de questionnements sur le « vieillir gay ». de Patric Chiha avec Florian Carove, Jonathan Capdevielle… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h30 Sortie le 3 septembre

> MAINTENANT OU JAMAIS

Oubliez la figure du braqueur mafieux, le gangster moderne est une mère prête à tout pour offrir une vie normale à ses enfants, y compris dévaliser une banque. Leïla Bekhti et Nicolas Duvauchelle campent des Bonnie et Clyde hésitants et tourmentés. Ma. P. de Serge Frydman (1h35) Distribution : Mars Sortie le 3 septembre

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> DÉLIVRE-NOUS DU MAL

À New York, le policier Ralph Sarchie enquête sur une série de meurtres. Épaulé par un prêtre borderline, il lui faut envisager l’existence du mal originel. Le réalisateur de L’Exorcisme d’Emily Rose n’a pas fini de nous filer des cauchemars. Ma. P. de Scott Derrickson (1h59) Distribution : Sony Pictures Sortie le 3 septembre


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LES SORTIES DVD

> 2 FILMS DE WERNER HERZOG

> ALPS

> IDA

Deux documentaires saisissants, deux visages de l’homme face à sa nature sauvage. Dans Into the Abyss (2011), Werner Herzog remonte le fil d’un fait divers sordide (deux adolescents ont tué pour voler une voiture) pour questionner la peine de mort – les interviews d’un condamné et d’un ancien bourreau sont stupéfiantes. Pour Happy People. Un an dans la Taïga (2010), le cinéaste fait un montage d’images tournées par Dmitry Vasyukov. En voix off, il dit l’insensée rigueur dans laquelle vivent les trappeurs de la Taïga qui arpentent, solitaires, d’immenses forêts enneigées, peuplées d’ours et balayées de tempêtes. J. R.

Quelque part en Grèce, une société secrète dénommée Alps se réunit dans un gymnase pour développer ses prestations. Elle propose aux personnes ayant perdu un proche de le remplacer afin de rejouer des scènes de sa vie, et ainsi d’adoucir la douleur de la perte. Yórgos Lánthimos, auteur du remarquable Canine en 2009, poursuit sa captivante déconstruction des comportements humains et sociaux. En plus d’un court métrage du cinéaste, les bonus de cette édition contiennent une interview de lui et de l’actrice Aggeliki Papoulia, ainsi qu’une analyse permettant d’éclairer les enjeux d’un film puissant mais théorique. T. Z.

En 1962, en Pologne, la jeune orpheline Anna s’apprête à prononcer ses vœux. Avant quoi la mère supérieure l’enjoint à sortir du couvent. C’est ainsi qu’elle se retrouve face à sa tante Wanda, surnommée Wanda la Rouge à l’époque du parti communiste. Celle-ci apprend à Anna sur un coin de table qu’elle est juive et que son prénom est Ida. S’ensuit alors un road-trip mélancolique et initiatique – Ida semble toujours reculer le moment de se jeter dans le monde – sur les traces d’un sombre secret de famille. Tourné en noir et blanc en format 1:1 et magnifiquement cadré, Ida est un film envoûtant et mystérieux. Ma. P.

> L’HÉRITIÈRE

> A TOUCH OF SIN

Avant La Rumeur (1961) et L’Obsédé (1965), William Wyler s’intéressait déjà au lourd poids des conventions sociales avec L’Héritière, en 1949. Au xixe siècle, Catherine est la fille d’un riche médecin new-yorkais. Sa timidité et sa maladresse n’attirent personne, jusqu’à l’arrivée d’un beau prétendant désargenté. Est-il sincère, ou en veut-il à sa fortune ? Wyler enferme les protagonistes dans des espaces confinés et transforme presque cette romance en film à suspense. Montgomery Clift, alors à l’aube de sa carrière, est déjà charismatique et troublant : son jeu ne trahit jamais les intentions de son personnage. T. Z.

Justement récompensé d’un prix du scénario à Cannes en 2013, ce film s’inspire de faits divers qui ont récemment secoué la société chinoise. Quatre portraits de faibles (masseuse, ouvrier…) écrasés par des puissants (notables du parti, chefs d’entreprise, maquereaux…) et qui, pour crever l’abcès de l’oppression, n’ont plus d’autre choix que la violence, qu’elle soit perçue comme juste, perverse, salvatrice ou destructrice. Jia Zhang-ke fait preuve d’une maitrise aiguë de la construction des séquences, le cadre jouant le rôle de narrateur. Ce discours sec et cru sur la Chine d’aujourd’hui reste inédit. É. R.

de Werner Herzog et Dmitry Vasyukov (Why Not Productions et France Inter)

de William Wyler (Carlotta)

de Yórgos Lánthimos (La Vie est Belle)

de Jia Zhang-ke (Potemkine)

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de Paweł Pawlikowski (Mémento Films)

> LES HISTOIRES DE RENÉ ALLIO, VOLUME 2 de René Allio (Shellac)

Excellente nouvelle : la restauration des films du Marseillais René Allio se poursuit. Dans le génial La Vieille Dame indigne (1965), une femme âgée vide la maison de ses vieilleries pour rattraper les années passées à s’oublier. Ses longues jupes noires soulevées par le mistral, elle trotte de grands magasins en échappées bucoliques, au grand dam de ses enfants. Dans L’Heure exquise (1981), Allio raconte l’histoire de sa famille, posant sa voix off sur un montage d’images de Marseille et de photos jaunies. Les vies complexes et minuscules qui s’y déploient tractent une puissante mélancolie. J. R.


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cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

SPECTACLES

ELECTRO

Para One

Aussi à l’aise avec les rappeurs de TTC qu’avec la chanteuse Alizée, Para One construit patiem ment une c arrière protéiforme mais cohérente, à cheval entre la musique (électronique, mais aussi pop et rap) et le cinéma d’auteur de Chris Marker, Céline Sciamma ou Pascale Ferran. Rencontre avec un électron libre.

L PAR ÉRIC VERNAY

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© caroline deloffre

e paradoxe va à l’encontre du sens com­ mun. Il surprend par sa contradiction même, avec style. Paradox, c’était jus­ tement le surnom de Jean-Baptiste de Laubier lorsqu’il faisait du rap, au début des années 1990. « J’ai adopté ce pseudo parce qu’il me décrivait bien, confie le Français, aujourd’hui âgé de 35 ans. Je venais d’un milieu aristo et je me retrouvais avec des cailleras en banlieue. J’étais aussi à l’aise des deux côtés, il y avait un côté grand écart social que je revendique. » Le surnom de ce fils d’homme d’affaires est vite raccourci en Para, plus aisé à peindre sur les murs de Chambéry, où le jeune Jean-Baptiste s’initie au graffiti « avec pas mal d’alcool dans le sang, avoue-t-il. C’était un peu débile parce que je me suis fait arrêter à chaque fois, les flics ne rigolaient pas trop. C’était une activité secondaire, pour le fun. La musique, en revanche, ça a toujours été sérieux. »

XVIIIe XIXe

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Domaine de Saint-Cloud

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CONCERT Flume le 23 août au festival Rock en Seine p. 102

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THÉÂTRE Dancing Grandmothers du 6 au 9 août au théâtre national de La Colline p. 112


KIDS

LIVRES

Planes 2 : la chronique d’Élise, cinq ans et demi p. 104 ARTS

JEUX VIDÉO

Avec D., Robert Harris signe le plus captivant des thrillers d’été p. 106

JEUX VIDÉO

Among the Sleep ou le jeu d’horreur à travers les yeux d’une gosse. p. 116

FOOD

Sa discographie, riche et exigeante, en atteste. Repéré par Cut Killer en 1997, il aiguise ses pla­ tines au sein du groupe ATK puis explose dans les années 2000 avec deux bombes de rap dit « alterna­ tif », « Baise les gens » du Klub des Loosers et « Dans le club » de TTC ; soit du rap de blanc-bec mal élevé dopé aux beats acides. Cet ancrage hip-hop n’empêche pas Para One d’aller voir ailleurs. Sur ses propres albums, il élabore une electro sophistiquée aux accents mélan­ coliques, volontiers festive, comme sur son remuant dernier LP Club. Il s’est aussi aventuré sur des ter­ rains plus pop. On l’a notamment vu produire des mor­ ceaux pour Micky Green ou Alizée. Entre ses mains expertes, la chanteuse de « Moi… Lolita » faisait subi­ tement oublier son côté nunu­che pour révéler sa part enfouie de Kylie Minogue frenchy. La classe. « Kylie Minogue, c’est quelqu’un que je respecte vachement. C’est une influence. Les gens pensent qu’on a fait cet album d’Alizée comme un hold-up, mais pas du tout, on aimait vraiment ! » Toujours un pas de côté – en grec Para veut dire « à côté ». Le contraste, plutôt que la lumière. « J’aime bien être dans l’ombre, ça me rassure beaucoup », reconnaît le musicien. Dans l’ombre des salles obs­ cures, par exemple. Car Para One fraie aussi avec le septième art. C’est notamment le compositeur fétiche de Céline Sciamma ; ses nappes électroniques tra­ versent toutes ses B.O., de Naissance des pieuvres à Bande de filles, présenté à Cannes cette année. « Céline était dans ma promotion à La Fémis. Elle était dans le département scénario et moi dans le département réalisation. Elle a écrit tous les scénarios de mes courts métrages. On est devenus très proches. C’est l’une des personnes les plus intelligentes que je connaisse. Tout ce qu’elle fait est limpide. Tout a une raison, ça donne

DESIGN

« Céline Sciamma a écrit tous les scénarios de mes courts métrages. Tout ce qu’elle fait est limpide. » un cadre libérateur. Mais on peut aussi transiger. Pour Bande de filles, par exemple, elle avait un concept que l’on a appliqué à la lettre, pour s’en éloigner ensuite. Sinon ç’aurait été trop systématique, ce serait devenu un truc à la Haneke, au cordeau. » Pendant ses quatre ans à La Fémis, Jean-Baptiste de Laubier a également rencontré Rebecca Zlotowski (« une très bonne amie ») et a suivi les cours de Pascale Ferran, qui lui a ensuite offert un petit rôle dans Lady Chatterley. Mais Para One se sent mieux derrière la caméra. On lui doit une petite dizaine de courts métrages, dont le très beau It Was on Earth That I Knew Joy, conte de SF intime inspiré par Chris Marker. « Quand j’avais 19-20 ans, j’avais laissé des cassettes de mes courts métrages chez lui. » Le réalisateur de La Jetée est séduit. Les deux hommes entament une correspon­ dance. « C’était comme un parrain virtuel. Du coup, je ne l’ai jamais rencontré. J’aimais bien l’idée de parler à un cerveau, quelque chose d’abstrait. J’aimerais vieillir comme lui. Rester curieux. » Para One écrit actuellement son premier long métrage, qu’il fait macé­ rer depuis dix ans. « Ça risque d’être mental, comme tout ce que j’aime. Je ferai sans doute la B.O. La musique et le cinéma vont enfin se rejoindre. » Club de Para One (Because) Disponible

le PARCOURS PARISIEN du mois

EXPOSITION « Kapwani Kiwanga. Maji Maji » jusqu’au 21 septembre au Jeu de Paume p. 114

FOOD Aux Deux Cygnes 36, rue Keller Paris XIe p. 120

présente

DESIGN « Réenchanter le monde » jusqu’au 6 octobre à la Cité de l’architecture & du patrimoine p. 122

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© denee petracek

cultures MUSIQUE

Ty Segall ROCK

Issu de la scène garage californienne, le prolifique Ty Segall publie Manipulator, un sommet de rock’n’roll 70’s mâtiné de grunge énervé et une jolie collection de portraits de control freaks. Comme lui ? PAR WILFRIED PARIS

En solo ou en tant que membre d’une multitude de groupes (The Traditional Fools, Epsilons, Party Fowl, Sic Alps, The Perverts, Fuzz ou Ty Segall Band), le blondinet Ty Segall a su se faire, depuis 2008, une réputation de bête de scène en même temps que d’accoucheur prolifique d’albums (garage, punk ou psych-rock) de haute tenue. Issu de la scène garage de San Francisco (White Fence, Thee Oh Sees…), il paie son tribut aux années 1970 de Black Sabbath, de T. Rex, de Bowie ou des Byrds sur un album plutôt conceptuel organisé autour de « figures archétypiques du contrôle. Ça peut être une rock star, un politicien, un banquier, votre boss, qui tous font un mauvais usage du contrôle, de la manipulation… Mes chansons parlent souvent de paranoïa, de surveillance, voire du voyeurisme. J’aborde ici ces questions sous la forme d’une galerie de portraits, comme des petits sketchs. » Les différents per­ sonnages/chansons de Manipulator – « The Singer », « The Faker », « Mister Main », « Connection Man », « The Crawler »… – dessinent ainsi le portrait d’une

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Amérique qui met sa NSA partout, en même temps que celui en creux du musicien lui-même, ici figuré en guitar hero débitant ses chansons pop-punk à deux cents à l’heure. « Sur scène, un groupe manipule les sensations, les émotions du public, mais de manière positive. Je veux que les gens aient une belle expérience collective, physique, intense. J’ai toujours vu les concerts de rock’n’roll comme des moments rituels, comme des visites à l’église. Je n’ai pas vraiment l’aspiration de mener les gens quelque part ou de changer leurs opinions. Le moment du concert est lui-même une expérience rituelle. » En dix-sept bombinettes passant du glam syncopé au grunge saturé, le manipulateur bienfaisant Ty Segall délivre le feu électrique à l’auditeur/danseur dans une expérience sonique aussi nostalgique dans sa forme que moderniste dans ses thèmes. Que demande le peuple, sinon un peu plus de stage-­diving  ? Manipulator de Ty Segall – (Drag City/Modulor)

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sélection

Angus & Julia Stone

STUDIO ONE DANCEHALL

BARRAGÁN

d’Angus & Julia Stone

Collectif

de Blonde Redhead

Étincelants entrelacs de voix, guitares bluesy, pianos ouatés, pulsations satinées… Écrit à quatre mains et produit par le sorcier Rick Rubin (Beastie Boys, Adele), le troisième opus du duo australien réinvente le charme tamisé du désarmant Down the Way (2010). Entre la désinvolture West Coast de « Grizzly Bear », le magnétisme langoureux de « Main Streets » et la soul trip-hop de « Death Defying Acts », ces treize ballades de poche brûlent d’une pop-folk subtilement entêtante et habitée. E. Z.

Si le R’n’B actuel semble déconnecté du R&B originel, il en va de même pour le dancehall dont les derniers développements n’ont plus grand-chose à voir avec ce qu’il était à la fin des années 1970, à savoir une remise au goût du jour des riddims de la décennie précédente. Soul Jazz rend au légendaire producteur Clement « Coxsone » Dodd ce qui lui appartient avec ces dix-huit pistes qui voient s’opérer le basculement du reggae canonique dans le monde digital, dernière autoroute du soleil avant mutation. M. P.

N’en déplaise à certains fans aigris, l’évolution de Blonde Redhead de l’avant-poste du rock bruitiste vers le confort d’une dream pop spacieuse et précieuse s’est révélée être une réussite. Plus acoustique et artisanal dans ses intentions que 23 ou Penny Sparkle, Barragán célèbre le retour (discret) des guitares et des digressions libres agitant le cocon mélancolique des années 4AD. De quoi remettre tout le monde d’accord, à l’image d’un « No More Honey » aussi sobre que bouleversant. M. P.

(Discograph)

LESE MAJESTY

(Soul Jazz)

GHOST COMPANY STORY

(Kobalt/[PIAS])

LE MONDE MÖÖ

de Shabazz Palaces

de Nikkfurie of La Caution

de Moodoïd

Le titre du deuxième album de Shabazz Palaces confirme l’impression laissée par leur chef-d’œuvre Black Up : ce duo de Seattle est là pour déshonorer les puissants du hip-hop. Non seulement certaines de leurs productions balaient la concurrence en termes d’originalité et d’efficience, mais ils traitent les codes du rap sans aucune dévotion (flow minimal, anti-punchline), développant une science de la répétition qui doit autant au krautrock qu’à la sanza africaine, rêvant les slogans d’un black power réincarné. M. P.

Un clochard des catacombes se prend pour Louis XIV, défèque au parc Monceau et prend de la codéine entre deux coups de poing et de Villageoise. Ses hallucinations constituent la trame narrative d’un drôle d’electro-trip digne de Leos Carax. La plupart des vingt-deux morceaux de Nikkfurie ont été composés entre 1996 et 2001. La moitié de la trop rare fratrie La Caution imagine la B.O. instrumentale d’un film de fantômes dans lequel le hip-hop abstrait se nourrit de synthés élimés et de rythmiques tordues. Ensorcelant. É. V.

Après le psyché-gourmand « Je suis la montagne », buzzé et mixé par Kevin Parker (Tame Impala), le jeune Pablo Padovani sort un album en français mais sans frontières, cannibalisant genres (rêveries mockasinniennes, funk princier, glam bowiesque) et géographies (pop occidentale et rythmiques orientales), tels les tropicalistes Os Mutantes. Géniteur d’une planète plastique et toxique pleine de matière vivante, de personnages burlesques et de textures goûtues, le gourou doux Moodoïd nous charme et nous réoriente. Bon vent. W. P.

(Sub Pop/[PIAS])

(Maison Closed/Idol)

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(Entreprise/Al-so)


cultures MUSIQUE

© daniel shipp

agenda

ELECTRO

Flume Par Etaïnn Zwer

Vingt-deux ans, un minois angélique, une horde de singles affolants et un premier album disque d’or au pays des kangourous : pépite 2013, le jeune producteur australien Harley Streten a trouvé la formule – electro – magique. La légende raconte que le jeune prodige aurait bricolé son premier logi­ ciel de MAO à partir d’un gadget pioché dans une boîte de céréales. Depuis, ce fan de Jamie xx et de J Dilla concocte dans le sous-sol de ses parents à Sydney une bass music mélodique diablement sédui­ sante : efficacité pop, boucles cajoleuses, beats bien trempés et maelström de voix vaporeuses. Repéré par le label Future Classic, il ouvre le feu avec l’ex­ citant EP Sleepless (2011) et le tube du même nom, duo enlevé avec la chanteuse Jezzabell Doran, avant d’asseoir sa réputation avec l’opus Flume, bombe d’une maturité folle encensée par la presse. Du gos­ pel électrique de « Holdin On » à l’hypnose douce de « Star Eyes », entre dubstep, hip-hop (« On Top ») et nu soul, le garçon navigue sous influences avec une rare aisance et sait s’entourer, multipliant les featurings élégants, compatriotes – le crooner Chet Faker (« Drop the Game »), la suave George Maple – ou pointures – Ghostface Killah, Freddie Gibbs. Futur classique ? Sûrement. Adoubé par Hudson Mohawke et Flying Lotus, Flume ouvre pour The xx et Totally Enormous Extinct Dinosaurs, enchaîne les remixes, de Disclosure (le parfaitement lascif « You & Me ») à la pop teen de Lorde, et chacun de ses shows enchante. À Rock en Seine, entre la fée Émilie Simon, la tornade Thee Oh Sees et le folk stellaire de Junip, le beatmaker de génie devrait briller. Ample, colorée, fraîche, jouissive, son electronica a tous les atouts pour faire pulser l’été. le 23 août, au festival Rock en Seine,

Par E. Z.

DU 12 JUILLET AU 10 AOÛT

DU 14 JUILLET AU 2 AOÛT

BANDE ORIGINALE Hardi ! le collectif MU propose « une exploration artistique du canal de l’Ourcq » : des balades rythmées par les œuvres sonores d’une vingtaine d’artistes et des concerts sur l’eau ou sur les berges – Sir Alice, Femminielli Noir, Mondkopf, Tristesse Contemporaine, Afrikan Sciences, Bader Motor…

BLACK SUMMER FESTIVAL Blues, reggae, afrobeat, salsa… cette 14e édition hisse haut les couleurs : la légende soul Bettye LaVette, les fringants papys du Tout-Puissant Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou, Bunny Wailer, la rencontre Moriarty/Christine Salem, Oscar D’Leon, le pape du funk George Clinton et son Parliament-Funkadelic…

dans une quinzaine de lieux au long du canal de l’Ourcq (www.bande-originale.net)

LE 2 AOÛT

LE 16 AOÛT

AMERICA L’inusable « A Horse With no Name », « Tin Man », « You Can Do Magic », c’est eux. Le groupe chéri des années 1970 revisite, en duo, ses racines et quatre décades de chansons folk-rock aux harmonies luxuriantes pour une nuit américaine déguisée en trip spatio-temporel. Nostalgie et cheveux longs bienvenus.

CONCRETE Quand le boss du label Stroboscopic Artefacts, s’acoquine à Speedy J, vétéran techno des années 1990, cela donne l’ovni Zeitgeber, opus expérimental sciemment affranchi des codes du dancefloor. Une expérience de transe limite qui devrait bousculer la cultissime after parisienne.

au Trianon

été 2014

à la péniche Le Montecosy, port de la Rapée

LE 2 SEPTEMBRE

DU 3 AU 14 SEPTEMBRE

CHAD VANGAALEN Indie rock tordu, psyché folk, balades ambiguës : entre sobriété expérimentale et lyrisme mystère, l’univers lo-fi du génial touche-à-tout canadien célèbre le beau et le bizarre. Il déploiera les grands espaces de son dernier opus, Shrink Dust, lors d’une envoûtante session. Frissons garantis.

Jazz à la Villette Line-up de choc pour cette 19e édition : Maceo Parker, Archie Shepp, Charles Bradley, la sirène Laura Mvula, Cascadeur, le crooner rétro Nick Waterhouse, mais aussi un nouveau cycle plus expérimental (« Under The Radar ») et un hommage à l’année (phare) 1959. « Jazz is not dead », assurément.

au Point Éphémère

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au Cabaret Sauvage

à la Villette



cultures KIDS

CINÉMA

Planes 2

l’avis du grand

Il y a un an environ, Élise avait vu pour Trois Couleurs le premier Planes. La sortie du second opus était donc l’occasion rêvée d’initier notre petite critique à l’art délicat de la suite. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier d’ Élise, 5 ans et demi « En fait, ils ont dû faire un deuxième film parce que le premier n’était pas assez long et qu’ils sont allés plus loin que ce qui était prévu. Par contre, il va falloir qu’ils sortent les deux films en même temps, sinon les gens ne vont pas comprendre. Comme pour le pre­ mier Planes, c’est l’histoire d’avions qui ne sont pas conduits par des humains. Mais leurs moteurs fonctionnent comme ils veulent, même si des fois ils peuvent se casser. C’est ce qui se passe pour le pauvre Dusty ; sa boîte de vitesses ne marche plus parce qu’il est allé trop vite. Alors Dusty traverse le monde entier pour aller là où l’on devient pompier.

C’est une grande forêt, avec du feu par­ tout. Comment font les pompiers pour éteindre l’incendie ? C’est très simple : ils prennent l’eau dans la rivière et l’eau se transforme en eau rouge qu’ils font tomber sur le feu. Et voilà ! Après avoir été réparé, Dusty est trop beau ! Je crois que je suis amoureuse de lui. Et y’a pas intérêt à y avoir un troisième film de Dusty, parce que là, il y a une vraie chanson de fin ! » Planes 2 de Robert Gannaway Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h40 Sortie le 23 juillet Dès 3 ans

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été 2014

Plus soigné que le premier opus, qui avait gardé de ses origines de téléfilm une confection assez grossière, Planes 2 a surtout le mérite de proposer une trame moralement plus plaisante. Alors que le précédent film, entièrement centré sur une course entre avions, vantait les mérites de l’esprit de compétition, ce nouveau volet promeut des vertus plus altruistes. En délaissant sa carrière sportive, le héros Dusty doit effectivement faire preuve d’abnégation pour sauver ses comparses d’un immense incendie de forêt. Le film ose quelques références aussi pointues que réjouissantes pour les cinéphiles les plus tordus, notamment à Howard. Une nouvelle race de héros, improbable série B estampillée Lucasfilm, aussi culte qu’inattendue dans une production familiale Disney. J. D.


Opération Casse-noisette PAR Renan Cros

Après une catastrophe qui a brûlé toute leur récolte, une bande de rongeurs dégénérés décide de faire le casse du siècle : braquer le magasin de noix le plus proche. Mais cette mission impossible, menée par un écureuil gaffeur, un rat stressé, une taupe et des marmottes envahissantes, les entraîne dans une série d’aventures improbables. Construit comme une parodie des films de casse, cet Ocean’s Eleven animalier n’a d’autres ambitions que de faire rire le jeune public. Extrêmement cartoonesque, le film enchaîne les courses-poursuites et les gags burlesques avec dynamisme. On se laisse entraîner sans déplaisir dans cette histoire rocambolesque portée par des personnages aussi délirants qu’attachants. Un divertissement familial parfait pour l’été. de Peter Lepeniotis Animation Distribution : SND Durée : 1h26 Sortie le 6 août Dès 6 ans

et aussi © sergey gorshkov

PAR é. r & T. Z.

dvd

dvd

Les tout-tout-petits pourront être impressionnés par une scène de déchiquetage de saumon assez crue, mais pour le reste, Terre des ours est une magnifique plongée pour tous les âges dans la région russe du Kamtchatka. Une terre effarante de beauté que l’on traverse durant quatre saisons, avec les ours bruns pour guides. Ce documentaire profite d’une réalisation virtuose et d’une écriture accessible et prenante. Terre des Ours

Dans ces trois courts métrages d’animation, on n’entend aucune parole mais beaucoup de musique classique. Chacun convie le spectateur à un voyage inédit : dans le cerveau de Ludwig van Beethoven en plein concert, dans les méandres colorés d’un tableau abstrait, et enfin sur un piano volant capable de traverser les continents en jouant des airs de Chopin. Une réjouissante initiation. Le Piano magique

Durée : 1h25 Édition : Orange studio Disponible Dès 5 ans

Durée : 47min Édition : Arte vidéo Disponible Dès 7 ans

de Guillaume Vincent

de Martin Clapp, Anne Kristin Berge, Gabriel Jacquel


© peter von felbert

cultures LIVRES / BD

D.

POLICIER

Quand le maître du polar s’attaque au plus grand scandale politique de l’histoire française… Avec D., Robert Harris signe le plus captivant des thrillers de l’été. PAR BERNARD QUIRINY

Un traître dans l’armée française. Un contre-espion à l’ambassade d’Allemagne. Un bordereau accusateur. Des expertises graphologiques contradictoires. Des secrets militaires. La presse qui hurle aux loups. Un capitaine juif dégradé le 5 janvier 1895 à l’École mili­ taire de Paris, avant d’être envoyé dans une prison à l’autre bout du monde… Vous avez reconnu les ingré­ dients de l’affaire Dreyfus. Mais ne trouvez-vous pas qu’ils ressemblent aux éléments d’un polar ou d’un livre d’espionnage ? De là à transformer l’affaire his­ torique en récit policier, il n’y a qu’un pas que fran­ chit Robert Harris, le célèbre auteur de L’Homme de l’ombre (adapté au cinéma en 2010 par Roman Polanski sous le titre de The Ghost Writer), en « utilisant les techniques du roman pour relater l’histoire véridique ». Pour ce faire, il choisit un personnage central : Georges Picquart, le jeune colonel qui hérite en 1895 de la direction du service du renseignement militaire et qui jouera un rôle clé dans toute l’af­ faire. Il a connu jadis Alfred Dreyfus, ancien élève à l’École militaire, et a assisté à la sinistre cérémonie de dégradation. Très vite, il découvre cependant qu’un autre espion sévit dans les rangs de l’armée française, et que les forfaits imputés au capitaine Dreyfus ne

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sont peut-être pas tous de son fait. Vertige… « Mes pensées s’affolent devant les implications possibles. Je me donne des ordres à moi-même : procède par étapes, Picquart ! Aborde la question sans passion, Picquart ! » Commencé comme un récit d’enquête traditionnel, le livre prend soudain une tournure plus politique, la petite histoire se connectant avec la grande. On entre ainsi au cœur de la manipulation, tout en découvrant l’immense lame de fond soule­ vée par l’affaire dans la société de cette fin de siècle. Conduit avec la maestria habituelle de Robert Harris, ce pavé remporte haut la main son pari et cumule l’ef­ ficacité implacable du polar et la précision historique de l’enquête, tout en dessinant une réflexion sur les mécanismes des haines populaires et sur l’impossi­ bilité du mensonge d’État à l’ère de la transparence et de l’omniprésence des médias. Autant d’éléments d’une actualité paradoxale qui expliquent peut-être pourquoi Roman Polanski n’a pas hésité une seconde à acheter les droits du livre, comme il l’avait fait précédemment pour The Ghost Writer. D. de Robert Harris Traduit de l’anglais par Natalie Zimmermann (Plon)

été 2014


6 poches pour la plage PAR b. q.

LA PISCINE

MATEO

COUPABLES

d’Alain Page

d’Antoine Bello

de Ferdinand von Schirach

Ah ! la peau dorée de Romy, le regard de braise de Delon, la langueur troublante de Birkin… Chacun se souvient de La Piscine, film de Jacques Deray sorti en 1969. Mais qui a lu le roman d’Alain Page, dont il est tiré, publié la même année sous le nom de Jean-Emmanuel Conil ? Un polar d’ambiance à la plume sèche et imagée, qui inaugure ici une collection dédiée aux romans adaptés à l’écran. Au programme : Maurice Pialat (Nous ne vieillirons pas ensemble) et Claude Néron (Max et les Ferrailleurs). En attendant, tous à la piscine.

Pour prolonger l’ambiance de la Coupe du monde, restons dans l’univers du foot avec Mateo, pari osé d’un romancier surdoué, Antoine Bello : raconter le destin d’un jeune joueur idéaliste et talentueux qui, au lieu de céder aux sirènes des grands clubs, s’échine à triompher au sein d’une équipe de second rang. Sa méthode ? Travail, tactique, modélisation de tous les paramètres du jeu. Et le roman de se transformer en parabole sur le dépassement de soi, les rapports entre groupe et individu et le perfectionnement des talents naturels. Réussi.

Deuxième recueil de nouvelles policières pour l’écrivain allemand, et deuxième coup de maître. Ces quinze récits décrivent comment des MM. Tout-le-Monde plutôt huppés (grosses voitures, beaux costumes) basculent tout à coup dans le crime et s’en accommodent tant bien que mal. Par ailleurs avocat, Schirach agrémente ses récits de détails choisis sur le fonctionnement du système judiciaire, rajoutant à la crédibilité de l’ensemble. Du grand art, avec une pointe d’humour qui montre que l’auteur ne manque pas d’autodérision.

(Archipoche)

PARADIS (AVANT LIQUIDATION)

de Julien Blanc-Gras (Le Livre de Poche)

De loin, c’est un décor de rêve : lagon bleu, poisson en abondance, autochtones désinvoltes. De près, c’est un enfer : tout est pollué, il n’y a de W-C nulle part et, surtout, le niveau de la mer monte si vite que, bientôt, tout aura disparu. Bienvenue aux îles Kiribati, avant-poste de la catastrophe écologique annoncée. En bon héritier des écrivains-baroudeurs, Julien Blanc-Gras en rapporte ce récit de voyage à la fois cocasse et inquiétant, bel hommage aux gens du cru et cri d’alerte sur ce qui les attend, avant nous.

(Folio)

LE PETIT DÉJEUNER DES CHAMPIONS

de Kurt Vonnegut (Gallmeister)

À gauche, Kilgore Trout, écrivain de SF méconnu (et personnage secondaire d’Abattoir 5, du même auteur). À droite, Dwayne Hoover, vendeur de bagnoles à Midland City. Trout est invité dans un festival et croise la route de Hoover. À partir de là, tout part en quenouille… Paru en 1973, traduit l’année suivante sous le titre Le Breakfast du champion et introuvable depuis longtemps, cet excellent roman satirique du maître américain Kurt Vonnegut ressort dans une nouvelle traduction signée Gwilym Tonnerre.

www.troiscouleurs.fr 107

(Folio)

BERNADETTE A DISPARU

de Maria Semple (10/18)

Bernadette, architecte géniale, mène une vie de femme au foyer depuis qu’elle a emménagé à Seattle avec son mari. Sa fille Bee a bien du mal à la convaincre de faire avec elle un voyage en Antarctique, en récompense de ses bons résultats à l’école… Aussi efficace qu’une série télé (Maria Semple a longtemps été scénariste), Bernadette a disparu mélange comédie familiale, polar et récit d’aventure dans une intrigue à base de documents (mails, fax, interviews, etc.), d’où un rythme trépidant et une incroyable originalité.


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Rasl

sélection

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

par s. b.

GREEN ARROW & GREEN LANTERN

de Neal Adams et Dennis O’Neil (Urban Comics)

Imaginez le mariage de deux univers de prime abord incompatibles. Imaginez que ce mariage fonctionne et engendre un nouveau monde, évidement baroque mais crédible, et plus encore, vivant. Tel est le miracle de l’écriture chez Jeff Smith. Bone, son premier succès, s’inspirait de Donald Duck et du Seigneur des anneaux pour créer l’une des quêtes les plus épiques de ces dernières années. Sur 1 300 pages, une fragile créature égarée loin de chez elle se trouvait aspirée dans un combat contre le mal par amour pour une jeune fermière. Cette originalité de forme et de ton, Jeff Smith l’ex­ pliquait par son choix, rare à l’époque aux États-Unis, de conserver les droits sur sa création et de s’autoé­ diter, en dépit des risques financiers qu’implique une telle démarche. Heureusement, il allait rencon­ trer un immense succès qui inciterait nombre d’aspi­ rants artistes à emprunter la même voie. Avec Rasl, Jeff Smith change d’univers – mais pas de méthode. Il marie le genre noir américain, Dashiell Hammett et Chester Gould en tête, avec un décorum proche de la science-fiction de l’âge classique. Son dessin se fait réaliste, la mise en scène installe des atmos­ phères étouffantes. La grammaire est plus adulte, la sexualité plus complexe, les rapports se font plus vio­ lents. L’histoire du xxe siècle et du règne de l’indus­ trie résonne en toile de fond du duel de Rasl contre le gouvernement et son propre passé. Tout au long de sa repentance tonne cette question fon­ damentale : pour une humanité qui n’a plus foi qu’en la modernité, se perdre, n’est-ce pas la solution ? Rasl. Tome 1 de Jeff Smith (Delcourt) Sortie le 27 août

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été 2014

Composé par deux auteurs qui voyaient dans ces deux héros ringardisés un moyen de gagner de la liberté créative, ce périple initiatique à travers les États-Unis s’est fait le vecteur d’un portrait de société désespéré dans lequel même les disciples des super-héros finissent par sombrer dans la drogue. Un récit culte, qui a contribué à faire sauter les verrous de la censure.

DERNIÈRE BANDE

JÉRÔME K. JÉRÔME BLOCHE #24. L’ermite

de Dodier (Dupuis)

Dodier est le dernier des dinosaures, l’auteur classique par excellence, qui a su traverser les époques pour nous donner rendez-vous, tous les dix-huit mois, avec son héros Jérôme K. Ce classicisme n’empêche pourtant pas Dodier d’innover. Cette nouvelle enquête, à cheval sur deux époques, alterne un récit au présent avec de très beaux flash-back. L’académisme à son sommet.

MES CENT DÉMONS

d’Alex Barbier

de Lynda Barry

Alex Barbier fait ses adieux à la bande dessinée avec un dernier ouvrage radical – comme à son habitude. Ce long monologue intérieur de pages décomposées en deux cartes postales, réalisé entièrement à la peinture, conclut une œuvre qui a beaucoup sondé les rapports de force qu’entretiennent le désir, le besoin d’image et l’héritage de l’enfance. Un au revoir en forme d’appel à l’Armageddon. Sans espoir de renaissance.

Ancienne camarade de classe de Charles Burns et Matt Groening, Lynda Barry s’est forgé un style unique entièrement construit autour de la spontanéité et l’émotion. Dans cet ouvrage autobiographique, proche du scrapbook d’écolière, elle se remémore, à partir d’une centaine de mots-clés tirés au sort dans un chapeau, son adolescence ingrate dans un environnement multiculturel et populaire. Comme autant de démons à exorciser par l’écriture.

(Frémok)

(Éditions ça & là)


3 objets

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3 sorties

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cultures SÉRIES

HORREUR

Le Bal des vampires Les modes passent, les suceurs de sang restent. Alors que True Blood s’achève cet été, les candidats à la succession se bousculent sur le câble américain.

le caméo MARILYN MANSON DANS SONS OF ANARCHY

© showtime

© steve granitz / wireimage

PAR GUILLAUME REGOURD

Penny Dreadful

L’hystérie Twilight retombée, on ima­ ginait l’engouement pour les vampires passé de mode. Vœu pieu. À la télé, le business Dracula fait encore florès et reste un placement sans risque pour les patrons de chaîne, voire le pas­ sage obligé pour espérer être pris au sérieux. Pour sa première série origi­ nale, la petite antenne latino El Rey s’est ainsi tournée vers Robert Rodriguez pour qu’il ressuscite avec le mauvais goût réjouissant qui le caractérise les succubes aztéco-­rock’n’roll d’Une nuit en enfer. Netflix poursuit la production de Hemlock Grove, avec une Famke Janssen très forte en goule. True Blood n’a qu’à bien se tenir, et d’ailleurs, la

saison 7 diffusée cet été sera celle de sa mort véritable, HBO ayant décidé, mal­ gré des audiences encore reluisantes, d’arrêter les frais de cette pantalonnade devenue franchement embarrassante. Mais en face, FX lance déjà The Strain, adaptation par Guillermo del Toro de sa trilogie de romans. Que du léger, même si Showtime est là pour apporter une touche de sophistication avec Penny Dreadful. Cette saga victorienne, créée par John Logan (scénariste de Skyfall), n’invente rien, mais file avec malice une convaincante métaphore de l’acteur/ monstre. Et Eva Green y est belle à se damner. Les mythes ont la peau dure et les canines bien aiguisées.

Saison 2 sur OCS City

MÉTAL HURLANT CHRONICLES Rare incursion hexagonale dans le space opera, cette collection de one-shots tournés en anglais avec force acteurs de la grande internationale du cinéma bis rend un hommage sincère mais fauché à la légendaire revue née dans les années 1970. Pas encore de quoi crier au triomphe de la science-fiction à la française. Saison 2 sur France 4 et en DVD chez Condor Entertainment

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été 2014

© d. r.

© d. r.

MASTERS OF SEX La première saison de ce drame en costumes – mais pas très habillé – avait fait forte impression. Retraçant les travaux révolutionnaires sur la sexualité menés par deux chercheurs dès les années 1960, la série contait aussi la passionnante mutation de deux partenaires sexuels pour la science en amants. Saison 2 à surveiller de près.

Par G. R.

© bnp paribas

sélection

Stephen King, le punk-rocker Henry Rollins et maintenant l’icône trash Marilyn Manson… La série Sons of Anarchy s’achèvera cette année au terme de sa septième saison, et la liste des guest stars qu’elle aura accueillies aura donc été une longue suite de surprises du chef, raccord avec la personnalité anar de Kurt Sutter, le créateur du show. La participation de Manson, qui jouera un suprémaciste blanc, confirme en tout cas les sérieuses envies de comédie exprimées par le musicien dernièrement, notamment chez Quentin Dupieux dans Wrong Cops. G. R.

TWIN PEAKS Si vous ne cassez votre tirelire qu’une fois cet été, offrez-vous l’inestimable coffret regroupant pour la première fois en Blu-ray les trente épisodes du chef-d’œuvre télé de David Lynch ainsi que son long métrage Twin Peaks. Fire Walk With me. Laura Palmer, la musique de Badalamenti, la femme à la bûche… Tout est là, mieux qu’intact, rehaussé par la HD. En Blu-ray chez TF1 Vidéo



cultures SPECTACLES

Dancing Grandmothers THÉÂTRE

Nouvelle production de « théâtréalité », Dancing Grandmothers met en scène des grand-mères venues du fin fond de la Corée du Sud sur un dancefloor electro-tripé.

© young-mo cheo

PAR ÈVE BEAUVALLET

Il y a plusieurs années, le Berlinois Stefan Kaegi, le Français Rachid Ouramdane ou l’Argentine Lola Arias cartonnaient déjà avec un même principe : créer une pièce sur des muezzins avec de vrais muez­ zins, sur des ados sportifs de Gennevilliers avec de vrais ados sportifs de Gennevilliers… Bref, jouer des « effets de réel » pour créer une sorte de ready-made, version scénique. Ce qui restait encore balbutiant il y a dix ans est aujourd’hui devenu une lame de fond charriant avec elle quelques déchets, mais aussi plu­ sieurs perles, au rang desquelles un Roi Lear créé avec tous les papas des membres du collectif She She Pop ou un Hamlet faisant intervenir sur scène de vrais juristes (Please, continue de Yan Duyvendak et Roger Bernat). Aujourd’hui, on place de sérieux espoirs sur un spectacle concocté par la très chauve et très déjantée Ahn Eun-me, qui repousse loin, très loin, les frontières de l’insolite. Cette chorégraphe sud-coréenne, mélange de PSY et de Lewis Carroll, est allée auditionner des grand-mères originaires des régions les plus reculées du pays pour les faire

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danser sur les tubes de leurs jeunesses. Durant les premières rencontres, « leurs danses étaient si naturelles et si vivantes qu’elles ont entraîné dans leur mouvement les jeunes danseurs professionnels de ma troupe, écrit la chorégraphe, en présentation de sa création. Chacun de leurs gestes reflétait la rudesse de leurs conditions de vie ; comme si on regardait un extrait d’un documentaire qui parlerait à la fois du passé et du sol. Les corps ridés de ces grand-mères étaient comme un livre dans lequel auraient été consignées des vies vécues depuis plus d’un siècle. » Cette approche anthropologique de la danse se fondra dans l’esthétique mi-K-Pop mi-underground de cette artiste, star en Corée du Sud (elle a chorégraphié la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de football à Daegu en 2002), connue jusqu’alors pour s’être jetée du haut d’une grue ou avoir défoncé des pianos à coup de hache. Tout un programme. de Ahn Eun-me, du 6 au 9 août, au théâtre national de La Colline (festival Paris quartier d’été)

été 2014


agenda Par È. B.

© frank berglu

DU 1 er AU 12 JUILLET

Raphaëlle Boitel Recrutée (comme sa mère et son frère Camille) par James Thiérrée et la famille Chaplin alors qu’elle n’avait que 13 ans, la circassienne Raphaëlle Boitel ondule aujourd’hui dans sa propre création, L’Oubliée, un conte fantastique autour du coma et du deuil, décliné entre voltiges et contorsions. à la Grande Halle de la Villette

© annely boucher

DU 14 JUILLET AU 3 AOÛT

DU 19 AU 25 JUILLET

LE SPECTACLE MYSTÈRE À L’OPÉRA COMIQUE Alléchant coup de marketing, l’Opéra Comique vous invite à un spectacle sans vous dire ni par qui ni de quoi il sera fait. Cela dit, peu de risques de vous retrouver devant un gala de fin d’année de grande section de maternelle. La qualité devrait être à la hauteur du teasing… à l’Opéra Comique

DU 22 AU 26 JUILLET

Tino Fernandez Enfermé dans une boîte en plastique transparente, le chorégraphe colombien Tino Fernandez, connu pour avoir travaillé sur les rituels de mises à mort et sur la tauromachie, revisite cette fois la peinture de Francis Bacon Étude sur le portrait du pape Innocent X en la mariant à une variété de figures et d’expressions empruntées aux liturgies. au Carreau du Temple

JUSQU’AU 15 AOÛT

Via Katlehong Dance Jusqu’à récemment, le nom de Katlehong évoquait principalement l’un des plus sinistres townships de Johannesburg. Mais aujourd’hui, il évoque aussi une compagnie spécialiste du pantsula, une danse du ghetto devenue peu à peu un mode d’expression pour des milliers de jeunes Sud-Africains. Démonstration avec ce Via Sophiatown. au Théâtre de la Cité internationale

DOMAINE DE CHAMARANDE Des pique-niques champêtres dans le plus pur esprit Louis XIII vous attendent au domaine de Chamarande (Essonne), hyperactif dans la valorisation de l’art contemporain. Le spectacle Sport fiction du ballet national de Marseille le 19 juillet ou la carte blanche au circassien Yoann Bourgeois le 24 juillet ont de quoi vous motiver à faire le trajet.

au domaine de Chamarande (Chamarande)


cultures ARTS

installations

Kapwani Kiwanga

Mêlant science et fiction, réalités historiques et mythes, les films, installations et performances de Kapwani Kiwanga se nourrissent autant de sources documentaires que littéraires et interrogent nos systèmes de savoirs et de croyances.

© kapwani kiwanga

PAR ANNE-LOU VICENTE

Stade du Maji Maji Football Club, Songea, Tanzanie

Maji Maji : tel est le nom du soulèvement, parti du sud de l’actuelle Tanzanie, entre 1905 et 1907, de plusieurs tribus contre le colonisateur allemand. Médium possédé par l’esprit Hongo, le chef religieux Kinjilitile Ngawale distribuait aux insurgés de l’eau sacrée – maji, en swahili – censée les protéger des balles ennemies… C’est sur ce fait historique, chargé de croyances populaires et magiques, que l’artiste canadienne d’origine tanzanienne Kapwani Kiwanga a bâti son exposition. Elle est intégrée à la program­ mation intitulée « Satellite » actuellement menée par Nataša Petrešin-Bachelez. Au cœur du processus de travail de l’artiste, anthropologue de formation, on trouve de larges recherches, menées notamment dans les réserves des collections de plusieurs musées eth­ nographiques, à Dar es-Salaam en Tanzanie, mais aussi à Londres, Berlin et Paris, sur les traces de ce conflit et des vides qui peuplent sa mémoire. Un sys­ tème de rayonnages allant du sol au plafond abrite des éléments hétérogènes – livres, carte routière,

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plant de ricin, tissus, images d’amulettes tanza­ niennes, etc. Il est articulé à un ensemble de vidéos et de photographies. Ce dispositif, colonne vertébrale de l’exposition, structure l’ensemble en même temps qu’il formalise le caractère fragmentaire des his­ toires à plusieurs niveaux que nous raconte Kapwani Kiwanga – puisque l’on peut entendre sa voix portant un récit qui associe son expérience à un ensemble de légendes et autres rumeurs glanées çà et là au cours de l’élaboration du projet, à l’instar de ces hommeslions friands de chair humaine… Évoquant ce régime de connaissance à deux têtes, voilà une double pro­ jection vidéo qui montre, d’un côté, les mains d’un conservateur du musée ethnologique de Berlin pré­ sentant des objets liés à la rébellion Maji Maji et, de l’autre, celles de l’artiste manipulant, sur le mode du mime, des objets absents et a fortiori invisibles, fan­ tômes. Une idée de génie. « Kapwani Kiwanga Maji Maji » jusqu’au 21 septembre au Jeu de Paume

été 2014


agenda ©courtesy de l’artiste et sicardi gallery, houston

Par L. C.-L.

JUSQU’AU 21 SEPTEMBRE

Óscar Muñoz, El juego de las probabilidades [Le Jeu des probabilités], 2007 ÓSCAR MUÑOZ Photographie, gravure, dessin, installation, vidéo, sculpture… aucun médium ne manque dans cette rétrospective consacrée à l’artiste colombien Óscar Muñoz, star dans son pays, mais encore peu connu dans l’Hexagone. Une méconnaissance qui ne devrait pas durer tant la force de son travail sur l’image – et sa formation – est déroutante. Sur l’eau ou sur le papier, celle-ci captive la rétine jusqu’à l’hypnotiser. au Jeu de Paume

© marc domage

JUSQU’AU 21 SEPTEMBRE

JUSQU’AU 22 SEPTEMBRE

MASQUEs, MASCARADES, MASCARONS En suivant ce parcours, on découvrira que les anciens déguisements consistaient à se noircir le visage, à se tacher – en italien, maschera a aussi le sens de « tache noire » ou de « salissure ». Dessins, sculptures, peintures, gravures explorent depuis la haute Antiquité le pouvoir du masque, qui dissimule, crée le double autant que le mystère, fait peur ou fait rire. Il fallait bien une exposition pour rendre compte de ces multiples acceptions, entre sublimation et défiguration. au Louvre

JUSQU’AU 2 NOVEMBRE

LEE UFAN Un souffle zen est tombé sur les jardins de Le Nôtre à Versailles. L’artiste sud-coréen Lee Ufan imprègne de sa philosophie orientale le temple de la grandeur occidentale. Il faut chercher dans les bosquets ses œuvres minimalistes qui racontent l’histoire de l’homme, comme une partie de cache-cache de somptueuse facture. au Château de Versailles

Vue de l’exposition LE MUR La Maison Rouge souffle ses dix bougies. Pour l’occasion son fondateur, Antoine de Galbert, expose sa pléthorique et émouvante collection. Le résultat : 1 200 œuvres, 500 artistes, 3 mètres de hauteur de mur, et un titre d’expo qui dit tout : « Le Mur ». Espace physique volontairement saturé et implacable sur lequel Jean Dubuffet et Annette Messager conversent pour notre plus grand plaisir. à La Maison Rouge

JUSQU’AU 5 NOVEMBRE

FORMES SIMPLES Simplicité de la forme et modernité sont allées de pair dans l’histoire de l’art. Épure et absence de géométrie ont ainsi marqué l’entrée dans le xxe siècle. Plus tard, les artistes contemporains en prirent de la graine ; en témoigne Richard Serra, dont les créations, longues plaques d’acier admirées sous la nef du Grand Palais lors de la deuxième édition de « Monumenta », sont d’un minimalisme vertigineux. au Centre Pompidou-Metz


cultures JEUX VIDÉO

SURVIE

Among the Sleep Venu de Norvège, Among the Sleep revisite le jeu d’horreur à travers les yeux d’une petite fille. Une étonnante odyssée dans une psyché enfantine qui s’exprime par un chamboulement des perceptions. PAR YANN FRANÇOIS

L’EXPÉRIENCE DU MOIS SOLDATS INCONNUS. MÉMOIRES DE LA GUERRE (Ubisoft/PC, X360, Xbox One, PS3, PS4)

Confirmant une fois de plus la capa­ cité du jeu indé à accoucher de concepts improbables, Among the Sleep nous invite à vivre une aventure surnaturelle à travers les yeux d’une petite fille de 2 ans partie à la recherche de sa mère dans les méandres hantés de sa propre maison. Ici, gameplay et sujet font corps : condi­ tionnées par la vulnérabilité balbutiante de l’avatar, les actions sont réduites au strict minimum. Heureusement, il est moins question d’agir que de ressen­ tir. Avec sa vision façon fisheye qui amplifie la moindre des perspectives, le jeu donne l’impression de retomber en enfance. Chaque événement de la vie domestique devient prétexte à une angoisse inattendue : le moindre grince­ ment de porte, le moindre craquement

de plancher… Among the Sleep a l’intelligence de confronter ses expé­ rimentations visuelles aux différentes branches généalogiques du jeu d’hor­ reur – revenir aux bases de la percep­ tion, c’est aussi revenir à l’abécédaire de l’épouvante. À mesure que l’enfant découvre le monde et se découvre luimême, le joueur est invité à revisiter sa propre mémoire du genre en explorant les différentes salles de ce petit musée des horreurs. Avec son pitch intrigant, son héros et ses mécanismes de jeu tout aussi atypiques que cohérents, Among the Sleep nous entraîne dans un très beau voyage initiatique. Among the Sleep (Krillbite Studio/PC, Mac)

3 jeux de l’été INAZUMA ELEVEN GO Pour prolonger la ferveur footballistique, il est indispensable de découvrir le nouvel épisode de cette excellente saga nippone. Décliné en deux versions, Ombre et Lumière, Inazuma Eleven Go est un mélange habile de RPG et jeu de foot simplifié qui fournit aussi l’occasion de découvrir un superbe conte initiatique dont la dramaturgie épouse à merveille celui d’un match d’anthologie. (Level 5/3DS)

Par Y. F.

EA SPORTS UFC Plutôt que de prétendre à la subtilité, EA Sports UFC assume et excelle dans l’art du défoulement libérateur. Portée par une technique photoréaliste à tomber par terre, cette nouvelle simulation de free fight met moins l’accent sur la violence voyeuriste que sur l’abnégation indispensable pour devenir le nouveau gladiateur des temps modernes. (EA Sports/PS4, Xbox One)

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été 2014

Porté par une direction artistique dans un style bande dessinée franco-belge de toute beauté, Soldats inconnus revisite l’histoire de la Première Guerre mondiale avec beaucoup de finesse. S’inspirant de vraies lettres de poilus, le jeu imagine un récit rocambolesque qui suit plusieurs personnages pris dans le même engrenage meurtrier. Minimaliste dans ses interactions, il compense son déficit de challenges par une humanité poignante qui vient briser pas mal de tabous autour d’un conflit trop peu traité par le jeu vidéo. Y. F.

TROPICO 5 Il n’y a que le jeu vidéo pour nous laisser incarner un dictateur de république bananière sans qu’un soupçon de remords ne vienne gâcher notre plaisir. Jeu de gestion d’une profondeur exemplaire, Tropico 5 permet une relecture caustique et colorée de l’exercice du pouvoir et de l’art des manœuvres politiciennes pour rester sur le trône. (Kalypso Media/PC)


sélection par Y. F.

MARIO KART 8

(Nintendo/Wii U)

Si ce nouveau Mario Kart fait office de bouée de sauvetage pour une Wii U en sale état, il n’en garde pas moins sa classe indémodable. Adapté (enfin !) aux canons esthétiques de la HD, le jeu revisite et sublime la plupart des anciens circuits de la licence. Mais surtout, il revigore son gameplay à coups de phases d’antigravité, de force loopings et autres vertiges en apesanteur. En marchant sur les pas de l’immense F-Zero, Mario Kart sort là sa botte secrète.

BOUND BY FLAME

(Focus Home Entertainment/ PC, PS3, PS4, X360)

Les jeux de rôle français n’étant pas légion, celui-ci mérite assurément le coup d’œil. Si Bound by Flame s’inspire çà et là de ses cousins japonais et américains, l’originalité de son scénario le dédouane de tout procès en plagiat. Avec sa vision d’une humanité menacée d’extinction par le retour d’outre-tombe de ses morts, Bound by Flame fait preuve de suffisamment de maturité pour que l’on puisse l’apprécier pour ce qu’il est : une bonne série B.

WOLFENSTEIN. THE NEW ORDER

KIRBY. TRIPLE DELUXE

Avant de se diluer dans des suites toujours plus médiocres, Wolfenstein fut le grand pionnier du FPS. Sans marquer un retour en grâce, ce nouvel essai a l’heureuse idée de détourner le genre avec les armes de la série B (voire Z). The New Order – et son univers uchronique sous domination nazie – est le théâtre d’un joyeux carnage vengeur et décomplexé dans la lignée d’Inglourious Basterds. Le défouloir cathartique a ses limites, mais il fait bien le job.

Kirby n’est pas loin d’être le personnage le plus régressif de l’histoire de Nintendo, mais il est également l’une de ses créatures les plus expérimentales. Avec sa capacité d’ingérer ses ennemis pour voler leur pouvoir, le héros revisite à chaque fois des mécanismes de jeu différents. Toujours aussi inventif, jouant habilement des effets de relief de la 3DS, ce nouvel épisode confirme le grand talent caméléon du meilleur outsider de Nintendo.

(Bethesda Softworks/PC, X360, Xbox One, PS3, PS4)

(Nintendo/3DS)


cultures JEUX VIDÉO

session de rattrapage PAR y. f.

valeurs sûres de l’année passée

GRAND THEFT AUTO V

(Rockstar/PS3, X360)

Le blockbuster le plus attendu de l’année a tenu ses promesses, et bien plus encore. Inspirée du modèle angelin, la ville monde fantasmée par Rockstar affiche une profusion de détails à tomber par terre. Porté par trois personnages, archétypes de gangsters complètement barrés, le jeu continue de malmener le rêve américain avec une rare insolence dans une fresque digne des plus grandes sagas mafieuses. À son sommet, Rockstar n’a jamais donné plus belle leçon de monde ouvert et de liberté narrative.

THE STANLEY PARABLE

(Galactic Cafe/PC, Mac)

Un employé se réveille seul dans un open space déserté par ses collègues. Une voix off l’encourage alors à s’échapper de son quotidien paperassier. Libre au joueur d’obéir – ou pas – et d’aiguiller le récit vers des horizons de plus en plus improbables. Par la variété de ses bifurcations, The Stanley Parable est l’une des expériences narratives les plus drôles de l’année, à mi-chemin entre les Monty Python et Beckett. Mais il se dévoile in fine comme un conte initiatique d’une belle clairvoyance sur la liberté (et son illusion) dans un jeu vidéo.

DARK SOULS II

(From Software/PC, PS3, X360)

À tous ceux qui se lamentaient de l’affaissement du niveau de difficulté des jeux modernes, Dark Souls a su prouver que le RPG japonais en avait encore sous la pédale en la matière. Bien plus maîtrisé, ce deuxième opus érige le jeu punitif au rang d’œuvre d’art. Sous ses couches de cruauté, Dark Souls II est d’abord une odyssée d’une noirceur absolue, secouée de visions apocalyptiques et de fulgurances gothiques. Le genre d’expérience impitoyable qui vous chamboule et vous marque durablement.

TITANFALL

(Electronic Arts/PC, X360, Xbox One)

Dans le landernau de plus en plus formaté du jeu d’action en ligne, Titanfall a fait l’effet d’une bombe inespérée. Par son amalgame de voltiges et d’arabesques façon parkour au cœur d’un décorum futuriste peuplé de mechas géants et de fusillades frénétiques, ce MMOFPS d’un nouveau type a su réinventer tout un spectacle collectif. Développé par les pères fondateurs de Call of Duty, Titanfall transpire le savoir-faire du vieux routard prêt à se laisser aller aux hybridations les plus folles pour tirer de son apathie un genre endormi.

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HEARTSTONE. HEROES OF WARCRAFT

(Blizzard Entertainment/PC, Mac, Ipad)

En chassant sur les terres de Magic…, Blizzard Entertainment conquiert l’univers du jeu de cartes fantastique avec sa maestria habituelle : facilité de prise en main, dynamisme de la mise en scène, doublage digne des meilleurs films d’animation. Adapté à tous les publics, Heartstone est une spirale chronophage qui révèle rapidement sa profondeur diabolique. La preuve : en quelques mois à peine, Heartstone a déjà infiltré la plupart des compétitions de haut niveau.

TOWERFALL ASCENSION

(Matt Makes Games/PC, PS4)

Hommage au jeu de plate-forme old school, Towerfall Ascension oppose quatre archers au cœur d’arènes miniatures. Avec ses joutes éclairs, au cours desquelles toutes les crasses sont permises, et ses innombrables trouvailles tactiques, ce modeste jeu indé (développé par un seul homme !) ravive la flamme d’un genre sublimé par Bomberman ou Super Smash Bros. Melee et que l’on croyait tombé en désuétude : le jeu convivial, idéal pour passer une cool soirée entre potes susceptible de se transformer en une longue nuit blanche.



cultures FOOD

tendance

Les filles de l’été En cuisine, le machisme est encore roi. Mais les temps changent. Quelques ouvertures récentes en témoignent. Et si la cuisine féminine n’existe sans doute pas, la volonté de faire simple et bon semble une valeur partagée par ces jeunes entrepreneuses. PAR STÉPHANE MÉJANÈS

© d. r.

© jeremie carrere photography

FRONT POPULAIRE

« Au Danemark, on n’arrivait pas à dire mon nom. On m’appelait “two swans” [deux cygnes, en anglais, ndlr]. » Il ne faut pas chercher plus loin l’idée de l’enseigne du bistrot que vient d’ouvrir To Xuân (prononcez comme vous vou­ lez), 25 ans, d’origine vietnamienne. Après être passée du Crillon à Saturne, à Paris, puis chez Relæ et son petit frère, Manfred & Vin, à Copenhague, son option « entrepreneuriat » de l’école hôtelière de Lausanne l’a rattrapée. Elle s’est associée à Lucile Arnaud, 25 ans elle aussi, communicante, blogueuse (l’excellente www.deuxiemeservice. com) et cuisinière autodidacte. Dans une ancienne épicerie italienne déla­ brée, elles ont créé un bar où l’on vient

boire un verre de vin nature (de 3,50 € à 6 €) ou de la bière montreuilloise Deck & Donohue et grignoter des plats à prix très doux (de 3,50 € à 12 €) ou un formi­ dable sandwich banh mi thit, une recette de la maman de To Xuân. Au menu aussi, charcuterie espagnole, fromages bretons, et des plats simples bien ficelés, tel ce camembert rôti au miel et au thym, ces rillettes de poisson – si la pêche est bonne – ou ces œufs mimosas. Une vingtaine de places en salle complète la proposition des deux jeunes femmes à la générosité et au sourire communicatifs. Bons cygnes. Aux Deux Cygnes 36, rue Keller – Paris XIe – Tél. : 06 88 82 73 69

ELSA ET SES PÈRES Le blog où elle écrit trop peu, eu égard à son talent, s’appelle A(c) crocs (www.accrocs. com). Sous-titre : insurrections culinaires. Elsa Marie, 28 ans, a du caractère. Elle l’a forgé au contact de Guy Martin, Bertrand Grébaut et Cyril Lignac. Mais c’est auprès de ses bien nommés Pères Populaires qu’elle a acquis une forme de sérénité. Ses plats vifs et enjoués en témoignent. Gaspacho de betterave et fromage frais, agneau fermier, poireaux et salade de lentilles, cheesecake, tout est bon. Et si peu cher que c’en est presque gênant. Courez. S. M. Les Pères Populaires 46, rue de Buzenval – Paris XXe Tél. : 01 43 48 49 22

à Paris et au-delà du périph… LE SERVAN Deux sœurs, Tatiana et Katia Levha. L’une en cuisine, l’autre en salle et à la cave. Un vieux bistrot qui a retrouvé ses moulures et sa luminosité. C’est l’ouverture parisienne que l’on attendait. Tatiana (ex-L’Arpège et ex-Astrance) envoie des plats colorés et punchy. Menu déjeuner impeccable et tapas le soir (tourteau, petit pois, crème de corail à tomber). 32, rue Saint-Maur – Paris XIe Tél. : 01 55 28 51 82

LA TABLE DE CYBÈLE Cybèle Idelot est née à San Francisco. Depuis, elle a voyagé et vu du pays, grâce à la cuisine. Les Antilles, l’Italie, New York et enfin Paris. Mais c’est à Boulogne-Billancourt qu’elle a posé ses valises pour ouvrir le restaurant dont elle rêvait. Celui qui lui permet de faire son marché presque tous les jours pour concocter des menus aux saveurs marquées. 38, rue de Meudon (Boulogne-Billancourt) Tél. : 01 46 21 75 90

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pAR S. M.

LE CAFÉ DES ARTS Après une formation aux métiers du livre, la voie d’Alcidia Vulbeau semble toute tracée. Mais la passion de la cuisine est trop forte. Elle s’extériorise par l’écriture, Mint (www.magazine-mint.fr), puis par l’ouverture, fin avril 2014, d’un bistrot à la déco chinée. Produits frais et cuisine maison, un credo qui fait mouche dans ce lieu joyeux. 3, rue Proudhon (Saint-Denis) Tél. : 09 50 77 38 92



cultures DESIGN

© diana moreno

© florence joubert

MOBILIER

Bibliothèque-Parc España, Giancarlo Mazzanti, Medellin, Colombie, 2007

EXPOSITION

Réenchanter le monde

Cette exposition pas comme les autres montre comment l’architecture durable peut apporter des réponses nouvelles face aux transitions d’un monde en crise. Une vision positive et volontariste. PAR OSCAR DUBOŸ

N’en déplaise aux rabat-joie, la globa­ lisation tant décriée a aussi quelques effets heureux – peut-être malgré elle. La preuve avec « Réenchanter le monde. Architecture, ville, transitions », un événement conçu par Marie-Hélène Contal, laquelle a invité les lauréats du dernier Global Award for Sustainable Architecture à exposer leurs projets dans ce qui ressemble moins à une exposi­ tion traditionnelle qu’à un laboratoire… voire à un jeu de cubes pour enfant dans lequel chaque élément est mobile, dévoi­ lant sur ses six facettes un projet. On n’y trouve pas nécessairement des photos léchées de buildings dernier cri, mais plutôt des images de travaux en cours, car, comme le précise Marie-Hélène Contal : « Ce ne sont pas tellement les bâtiments finis qui m’intéressent ici, mais la démarche qui est derrière. » Par exemple, c’est dans les étapes de sa genèse que se révèle l’intelligence du

projet de résorption d’un bidonville au Chili signé Alejandro Aravena. Faute de moyens suffisants, ce dernier a pré­ féré assurer une architecture de qualité pour les pièces indispensables comme la cuisine ou la salle de bain au rezde-­chaussée, laissant ces structures se développer toutes seules… De l’Afrique du Sud à la Belgique en passant par la Thaïlande, chaque projet, avec un état d’esprit résolument novateur, apporte des réponses aux problèmes posés par les transitions urbaines, écologiques, démographiques, économiques et éner­ gétiques qui s’imposent au monde. Soit des solutions qui trouvent leurs racines dans l’adaptation et l’échange construc­ tif, dans un contexte finalement pas si désespéré que ça. « Réenchanter le monde. Architecture, ville, transitions » jusqu’au 6 octobre à la Cité de l’architecture & du patrimoine

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FABBRICABOIS Fasciné par les cabanes, Mattia Paco Rizzi a décidé de dédier Fabbricabois aux microarchitectures. Pour ceux qui n’auraient pas saisi, sa dernière trouvaille en date, Nid-In, illustre parfaitement le propos. Dans le kit, pas de colle ni de clous : simplement des planches en bois de qualité – et écoresponsable – qui se déplient comme un origami, et un coussin ergonomique. Ce dernier est pour le chien, car Nid-In sert de table basse, de porte-revues, mais aussi de niche. O. D. www.fabbricabois.com

LIVRE

MARC HELD Que connaissons-nous réellement de Marc Held, à part son iconique fauteuil Culbuto ? Ce livre comble toutes nos lacunes, nous rappelant notamment la géniale collaboration entre ce grand monsieur du design français et Prisunic alors que le plastique permettait de démocratiser le mobilier. À la lecture, on réalise la multiplicité des activités de Held, qui aura aussi cumulé les casquettes de galeriste, architecte et entrepreneur. O. D. Marc Held. 50 ans de design de Michèle Champenois (Éditions Norma)



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LES BONS PLANS DE TIME OUT PARIS En été, le théâtre, le cinéma ou la musique prennent l’air, quittant les salles habituelles devenues trop exi­ guës pour s’offrir un tour hors les murs, parcourir les esplanades et les parcs parisiens et se défaire du cloisonnement des genres. Du parvis de l’Hôtel de Ville au parc Georges-Valbon de la Courneuve en passant par la Villette, où se rencontrent enfin classi­que, hip-hop et techno, Paris devient pendant deux mois le terrain de jeu des festivals. Plus besoin de partir loin quand un tel choix culturel s’offre aux flâneurs urbains. Voilà la ville tout entière absorbée par cette affaire : voir sous la jupe des festivals.

Les Siestes électroniques
 Ne vous méprenez pas : le festival des Siestes Électroniques est sans doute l’un des moins fainéants de la scène française. Véritable Mecque des sonorités expérimentales, il accueillera notamment Bambounou, Ron Morelli et Joakim accompagné de Kindness.

Jazz à la Villette La contrebasse d’Avishai Cohen, le saxophone de Maceo Parker, le piano d’Éric Legnini ou la voix et la flûte traversière de Melanie De Biaso : entre la Cité de la musique, le Cabaret Sauvage et la Grande Halle, le festival de la Villette refait le plein de jazz avant la rentrée.

Paris Jazz Festival Dissonances à la Monk, néo-bop façon young lions, jazz-punk électrique ou folk minimaliste, les genres se mélangent avec élégance au beau milieu du bois de Vincennes, le tout pour un prix dérisoire (5,50 €). Attention : le rendez-vous est si populaire qu’il convient d’arriver tôt !

les dimanches 6, 13, 20 et 27 juillet, de 16h à 18h, aux jardins du musée du quai Branly

du 3 au 14 septembre, à la Villette, à L’Atelier du Plateau et à La Dynamo (Pantin)

Festival Silhouette Un concert pour ouvrir la soirée, puis des projections de courts métrages en plein air : documentaires, fictions, films d’art ou expérimentaux… Décloisonnant les genres et les formats, l’association Silhouette propose l’un des festivals les plus curieux de l’été. Et en entrée libre.

Cinéma en plein air à la Villette Une programmation alléchante et gratuite alternant entre monuments du septième art (Kubrick, Rohmer, Pialat...) et grands films récents (Elephant). Un rendez-vous incontournable de l’été citadin à la tombée de la nuit… Pensez à prendre un tire-bouchon.

Fnac Live
 Comme tous les ans, le parvis de l’Hôtel de Ville devient le terrain de jeux des artistes invités par la Fnac, des grosses huiles de la variété comme Bernard Lavilliers et Julien Doré aux jeunes pousses que sont Moodoïd, Glass Animals ou Arthur Beatrice. La culture pour tous. du 17 au 20 juillet, sur le parvis de l’Hôtel de Ville

du 7 juin au 27 juillet, au parc floral de Vincennes

Paris quartier d’été Après avoir occupé une place de la République fraîchement rénovée l’an dernier, le festival s’invite sur le plateau très convoité du Carreau du Temple, au jardin du Luxembourg ou aux musées de Cluny et du quai Branly, avec des spectacles des quatre coins du monde.

Rock en Seine
 Passage obligé de tous les amateurs de musique en Île-de-France, Rock en Seine est un festival aussi pointu que clinquant : entre les amateurs venus pour les Thee Oh Sees ou Flume et ceux qui confondent l’événement avec la Fashion Week, il y a de quoi faire.

Black Summer Festival Le festival des musiques noires est de retour pour sa quatorzième édition au Cabaret Sauvage, entre funk, soul, hip-hop, afrobeat, salsa, blues ou reggae. De George Clinton à Bunny Wailer, en passant par Fred Wesley, Spleen, Betty Lavette et U-Roy…

Signal Festival Tout nouveau festival, placé sous le signe de la house et de la techno et lancé par le Glazart, le Signal Festival promet de fédérer un public festif et pointu à la recherche d’éclectisme, entre nouveaux noms de la scène française et artistes internationaux.

du 29 août au 6 septembre, au parc de la Butte-du-Chapeau-Rouge

du 14 juillet au 15 août, à travers Paris et sa banlieue

du 23 juillet au 24 août, à la prairie du Triangle de la Villette

du 22 au 24 août, au domaine national du parc de Saint-Cloud

du 14 juillet au 3 août, au Cabaret Sauvage

du 11 au 14 juillet, au Glazart

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© nuri bilge ceylan

LE FILM DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

Winter Sleep

Après Il était une fois en Anatolie en 2011, le cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan revient avec Winter Sleep, Palme d’or cette année à Cannes et subtil monument de vertige psychologique qui convoque Tchekhov et Bergman. PAR ALEXANDRE PROUVÈZE

Un long métrage qui dure plus de trois heures, au beau milieu des montagnes turques et centré sur un personnage en crise : voilà qui, a priori, a l’air moins affriolant qu’Under the Skin. D’autant que la sortie en plein mois d’août d’un film aussi hivernal ne lui rend pas nécessairement justice. N’empêche, Winter Sleep s’avance comme un chef-d’œuvre tran­ quille. Magistral. Sans ostentation. Sexagénaire, comédien raté et chroniqueur parfois cynique pour une gazette locale, Aydin (Haluk Bilginer) dirige un petit hôtel dont il est propriétaire en Anatolie, où il vit avec sa femme, Nihal (Melisa Sözen), de plus en plus distante, et sa sœur, Necla (Demet Akbağ). Ici la vie pourrait être un long fleuve tranquille à travers les roches. Mais l’arrivée de l’hiver pous­ sera chacun à faire le point sur son existence. Le synopsis paraît simple, sec, sans fioritures. Presque

du Bergman. Et c’est en effet au maître suédois et à son modèle Anton Tchekhov que Winter Sleep fait d’abord penser, par sa théâtralité sobre et ses dia­ logues d’une densité psychologique assez inouïe. Mais à cette rigueur dans l’exploration de la psy­ ché – espoirs, regrets, souvenirs et présent mêlés –, Nuri Bilge Ceylan ajoute une douce bienveillance à l’égard de ses personnages, qui finit par conférer à son film une mélancolie d’une beauté singulière. Accompagné d’une sublime sonate pour piano de Schubert, Winter Sleep vaut largement le coup de laisser tomber l’été pour quelques heures. de Nuri Bilge Ceylan (lire aussi p. 50) avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen… Distribution : Memento Films Durée : 3h16 Sortie le 6 août

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L’EXPO DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

Le Mur

top 5 du mois 1. EXPO Photo, vidéo, dessin, installation, sculpture… Inlassablement, Óscar Muñoz repense son médium pour interroger l’immobilité et la supposée immortalité de l’image, délaissant le papier pour décliner l’outil photographique sur des supports inattendus. Le résultat est fascinant. « Óscar Muñoz : Protographies », jusqu’au 21 septembre, au Jeu de Paume

2. THÉÂTRE Plutôt qu’en Avignon, allons applaudir, le temps de dix-sept spectacles, une trentaine de compagnies – clown, théâtre d’objet, spectacle jeune public ou danse contemporaine – dans un ancien dépôt de la gare de fret de Vitry-sur-Seine.

© marc domage

par time out paris

Vue de l’exposition

Pour ses 10 ans, La Maison Rouge s’aventure une fois encore loin des parcours balisés en présentant la collection de son fondateur, Antoine de Galbert. Plus exactement, une partie de sa collection : environ un mil­ lier de peintures, dessins, photographies ou petites sculptures ; tout ce qui peut se mettre au mur. Quant à l’accrochage, il a été réalisé par un logi­ ciel qui a choisi de manière aléatoire où se plaçait telle ou telle œuvre, en partant de sa taille et de son numéro d’inventaire. Le résultat de ce pro­ cédé basé sur le hasard ressemble à une frise immense et interminable, un mur d’art de trois mètres de haut, qui voit se côtoyer des pièces du monde entier et de tous styles, Antoine de Galbert ayant bâti sa collection avec une grande curiosité et un goût iconoclaste. Anders Petersen, Henry Darger, Jochen Gerner, Eadweard Muybridge, Gilbert & George, Jan Fabre, Hans Bellmer et plusieurs centaines d’autres artistes se frottent, se répondent, s’affrontent au fil d’un parcours dantesque, au long duquel se tissent des liens féconds, souples et inattendus.

Nous n’irons pas à Avignon, du 2 au 27 juillet, à la Gare au théâtre (Vitry-sur-Seine)

3. CONCERTS Précurseur du sampling, père des musiques électroacoustiques, le génial et prolifique Pierre Henry revient en juillet pour six concerts, entre remix de ses œuvres essentielles (Psyché Rock) et nouvelles créations originales.

jusqu’au 21 septembre à La Maison Rouge du mercredi au dimanche de 11h à 19h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h

Pierre Henry, du 14 au 19 juillet, au Carreau du Temple

LE DISQUE DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

Marc Desse

4. RESTO Chez Kobus Botha, auguste barbu et roi du barbecue, on chasse la déprime à grands coups d’assiettes copieuses (barbaque grillée, frites maison) et de recettes traditionnelles sud-africaines. On vous recommande le bobotie, les alcools typiques et les assortiments de biltong et de droëwors. 5. SHOPPING Si Edwin ne s’est installée à Paris qu’en octobre 2013, la marque de prêt-à-porter existe au Japon depuis plus de soixante ans. Des jeans aux noms de colorants alimentaires, des chemises avec imprimés palmiers, des bermudas pour s’aérer le mollet… Avis de tempête pour hipsters. Edwin 33, rue de Charonne – Paris XIe

© d. r.

My Food 22, rue Robespierre – Montreuil

Et dire qu’il y en a encore pour prétendre que le français n’est pas une langue faite pour être chantée. Nouveau démenti avec le premier album de Marc Desse, dans la lignée du rock alternatif améri­ cain des années 1980, fidèle à un esprit à la fois mélancolique et lumineux. Si l’ombre d’un Daho (voire de Téléphone) plane sur Nuit noire, on pense davan­ tage aux Pixies devant la basse lanci­ nante de « Chanson pour Olive », l’in­ tro d’« Henri et Elsa » ou cette façon de dire « ho ! viens, allons faire un tour » sur un break, comme autant de codes empruntés au combo de Boston. L’ensemble est si plaisant qu’on se sur­ prend à faire tourner le disque en boucle, rêvassant à l’infini sur le beau « Plus louche que toi », comatant un matin sur « Oh Babe (C’était si bien) » alors que les rayons du soleil chatouillent le plancher. Rien de mieux qu’un léger spleen pour accompagner la saison estivale.

Nuit noire de Marc Desse (Bordeaux Rocks/Balades Sonores/Differ-Ant) Disponible

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pré se nte

ÉVÈNEMENT > LAPLAGE DU GLAZART

© musée des arts et métiers cnam et c. compan

La Plage du Glazart ouvre ses portes sept jours sur sept pendant trois mois et propose une programmation musicale éclectique (pop, indie rock, hip-hop, electro). Entre les concerts gratuits, on peut se détendre dans un transat, jouer au baby-foot ou encore flâner à la brocante organisée chaque dimanche. De vraies vacances sans quitter Paris. C. Ga. jusqu’au 20 septembre au Glazart Récepteur de télévision type 441 lignes LMT modèle 3703A et loupe accessoire, 1947

Exposition

Culture TV Le musée des Arts et Métiers retrace l’histoire du petit écran en France, de 1935 à nos jours, avec une exposition en forme de madeleine de Proust, ludique et savamment illustrée. PAR MARION PACOUIL

En se promenant dans la travée bordée d’écrans, on pense à la phrase de Pierre Bourdieu : « La télévision a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une partie très importante de la population. » Le parti pris des commissaires d’exposi­ tion Monique Sauvage et Isabelle Veyrat-Masson, c’est bien de nous faire mieux appréhender l’in­ f luence politique et collective du premier média de masse du xx e siècle. En collaboration avec l’INA et le musée de Radio France, elles ont sondé les mystères de cette petite boîte devant laquelle le Français passe en moyenne 3 heures et 50 minutes chaque jour. L’exposition « Culture TV. Saga de la télévision française » ravira autant les passionnés de vieilles machines – une collection impressionnante de modèles de téléviseurs est exposée – que les

zappeurs invétérés avec un bêtisier concocté pour l’occasion. Une salle de projection propose de retracer tous azimuts les grands événe­ ments historiques : le premier pas de l’homme sur la lune, le mariage du Prince Charles et de Lady Di, le 11-Septembre… Plus loin, séquence nostalgie : on retrouve avec plaisir les petits globules rouges souriants d’Il était une fois la vie ou encore les marionnettes, rétrospectivement effrayantes, des Minikeums. « Culture TV. Saga de la télévision française » se clôt sur une reconstitution interactive d’un plateau météo. Fausse carte, caméra, prompteur… tout est mis en place pour se glisser dans la peau d’un monsieur ou d’une madame météo. « Culture TV. Saga de la télévision française » jusqu’au 8 mars 2015 au musée des Arts et Métiers

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ACTIVITÉS > 802 C Durant tout l’été, les Docks organisent un « concentré d’activités (ré)créatives ». Lectures, projections, concerts, festivals, expos et même… cours de hula hoop. Tous le programme est détaillé sur le site 802c.tumblr.com. Un skatepark financé par le biais de la plateforme KissKiss BankBank sera installé sur le quai à partir du mois d’août. Une ribambelle d’événements pour tous les goûts, à venir picorer au gré des envies. T. Z. jusqu’en septembre aux Docks – Cité de la mode et du design EXPOSITION > LES ANNÉES 50 De 1947 à 1957, quelques créateurs visionnaires – Dior, Balenciaga, Chanel – contribuent à faire exploser les carcans vestimentaires féminins. Le Palais Galliera leur rend hommage et donne à voir une centaine de modèles et d’accessoires issus de ses collections. Culture et style y font bon ménage. T. Z. jusqu’au 2 novembre au Palais Galliera FESTIVAL > JAZZ À LA VILLETTE Pas moins de deux cents artistes (Melanie de Biasio, Mulatu Astatke, Éric Légnini, Nick Waterhouse…) viendront teinter de jazz la rentrée. Également au programme, des spectacles pour enfants, un hommage à l’année 1959 et un cycle de cinéma. C. Ga. du 3 au 14 septembre à la Villette


pré se nte

agenda MK2 beaubourg

Le 21 juillet à 20h Avant-première ©photo thomas salva / lumento

Moonwalk One de Theo Kamecke, projection suivie d’une rencontre avec l’astronaute français Jean-François Clervoy

Le 3 août à 14h Avant-première

Vue de l’exposition ; Ron Mueck, In Bed, 2005

exposition

MÉMOIREs VIVES La Fondation Cartier pour l’art contemporain fête ses 30 ans avec l’exposition « Mémoires Vives », savant ballet d’œuvres emblématiques, fragments des expositions passées entre ses murs de verre. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Opération Casse-noisette de Peter Lepeniotis, en VF et en 3D

figurines hybrides du cinéaste Takeshi Kitano, croisements ludiques d’animaux et d’ob­ jets, ou se laisser impression­ ner par le dérangeant mélange de réalisme et de disproportion de l’œuvre phare de Ron Mueck, In Bed. Dans la petite salle du rez-de-chaussée, un grand écran LED conçu par David Lynch dif­ fuse dans la lumière du jour de la fameuse verrière des vidéos et des diaporamas d’ar tistes (Nan Goldin, Matthew Barney, Agnès Varda…) qui montre une autre approche des univers pré­ sentés par la fondation au fil du temps. Soit un panorama essen­ tiel, reflet des multiples facettes de l’art contemporain que l’institution a contribué à faire connaître.

jusqu’au 21 septembre à la Fondation Cartier pour l’art contemporain

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MK2 quai de loire, MK2 QUAI DE SEINE

Du 6 au 31 août Cycle « Les succès des Quais 2013-2014 »

Avec Alabama Monroe, Gravity, The Lunchbox, Les Garçons et Guillaume, à table !, La Vie d’Adèle. Chapitres 1 et 2, The Grand Budapest Hotel

En 1994, après dix ans d’exis­ t e nc e à Jouy- e n -Jo s a s , la Fondation Car tier pour l’ar t contemporain déménage à Paris, au numéro 261 du boulevard Raspail. Pour marquer le coup, l’élaboration du bâtiment destiné à l’accueillir est confiée à l’ar­ chitecte français Jean Nouvel. Celui-ci conçoit une structure de verre qui donne sa particularité au lieu : à la scénographie mise en place pour chaque exposition viennent se mêler les variations perpétuelles et imprévisibles de la lumière du jour. Cette idée de mouvement cyclique et étonnant est à l’origine de « Mémoires Vives ». L’exposition rend visible la majeure partie de la collection de la fondation grâce à un accro­ chage qui va changer régulière­ ment pendant les quatre mois que dure l’événement. On pourra, par exemple, admirer les facétieuses

MK2 GAMBETTA, MK2 QUAI DE loire, MK2 BIBLIOTHÈQUE

MK2 beaubourg

Du 20 au 26 août Cycle « Beaubourg mon amour »

Avec Gerontophilia, La Vie d’Adèle. Chapitres 1 et 2, Tom à la ferme, L’Inconnu du lac, Aime et fais ce que tu veux, Free Fall

MK2 quai de loire, MK2 QUAI DE SEINE

Le 11 sept. Jazz à la Villette : « Around 1959 »

Le festival Jazz à la Villette propose une sélection de longs métrages qui ont rythmé l’année 1959 : Shadows de John Cassavetes, Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle, Deux hommes dans Manhattan de Jean-Pierre Melville et Certains l’aiment chaud de Billy Wilder

MK2 BASTILLE, MK2 ODÉON, MK2 GAMBETTA, MK2 QUAI DE SEINE, MK2 BIBLIOTHÈQUE

Le 22 juillet à 20h Avant-première

Boyhood de Richard Linklater


pré se nte

exposition

Tiki Pop Le doux parfum des mers du Sud qu’exhale l’exposition du musée du quai Branly consolera ceux qui ne partent pas en vacances. Quatre cents œuvres et objets y font revivre le mythe Tiki, divinité océanique réinventée par la culture américaine dans les années 1950 et 1960 et rapidement élevée au rang de symbole du divertissement.

© d. r.

PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

Le Kon Tiki Hotel à Phoenix Arizona. 1961. Collection Scott Schell

Dans les années 1950, les images stéréotypées du rêve des mers du Sud – hula girl, pirogue, guitare hawaïenne, palmier – sont solidement ancrées dans la conscience des Américains. Un nouvel élément va bientôt enrichir ce décor fantasmé et devenir incon­ tournable : le Tiki. Cette idole primitive va s’impo­ ser comme le nouveau Dieu tout-puissant de cette société des loisirs. La culture Tiki est alors massi­ vement réinventée. Le fantasme de la « vahiné » est largement entretenu par Tarita, personnage du film Les Révoltés du Bounty (1962), que Marlon Brando épouse immédiatement après le tournage. Campé à Bora-Bora, ce film culte de Lewis Milestone sur le commerce d’arbres à pain importés de Tahiti est une parfaite incarnation de la fascination de l’homme blanc pour la Tahitienne à la peau huilée de monoï, lascive, sensuelle. La musique exotique, les paysages aux eaux lim­ pides... Le style Tiki est le symbole d’une certaine idée du plaisir et de l’oisiveté. Il nourrit l’American Way of Life. On boit alors des cocktails inspirés par

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les îles Marquises et d’Hawaï, dont la composition est censée suivre au centilitre près la recette d’ori­ gine. Idem pour les bars, reconstitution fidèle de ceux que l’on trouve en Polynésie, de la boussole du marin jusqu’à la bouée en verre suspendue sous les palmes d’un cocotier au-dessus du comptoir. Autant d’objets exposés au musée du quai Branly, dans une scénographie qui restitue toute l’admiration qu’ont pu nourrir les Américains pour ces trésors d’une civilisation fantasmée. Le mythe du bon sauvage n’est pas loin… Herman Melville (Taïpi), Pierre Loti (Le Mariage de Loti) et d’autres avaient déjà planté leurs récits sur ces îles qui faisaient figure, pour ces écrivains, d’îlots sauvages non pervertis par la civilisation. Avant eux, les récits d’explora­ teurs au xviiie siècle évoquaient déjà les mers du Sud et charriaient des envies d’ailleurs, immuables et éternelles.  « Tiki Pop. L’Amérique rêve son paradis polynésien » jusqu’au 28 septembre au musée du quai Branly

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