Trois Couleurs #125 octobre 2014

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le monde à l’écran

céline sciamma du 8 oct. au 4 nov. 2014

Rencontre avec la réalisatrice de Bande de filles

le sel de la terre

Les photos de Sebastião Salgado commentées par son fils

et aussi

Alain Cavalier, Tobe Hooper, Mommy, Yelle…

David Fincher

no 125 – gratuit

Visite guidée dans le dédale de Gone Girl


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l’e ntreti e n du mois

Alain Cavalier

© stéphane manel

Le réalisateur se frotte aux grands mythes en animant des jouets.

« aujourd’hui je ne pourrais plus filmer un comédien et une comédienne qui s’agitent sur un lit. » 4

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Dans Pater (2011), il se déguisait en président de la République. Pour Le Paradis, il anime des petites figurines et se frotte aux mythes les plus imposants. Du haut de ses 83 ans, Alain Cavalier est un grand enfant. D’un regard toujours tendre et malicieux, avec une simplicité désarmante derrière l’œilleton de sa petite caméra numérique, il réalise un film-patchwork inventif et ludique, un véritable miracle de poche. On y croise un bébé paon, Ulysse, le Christ, des jeunes gens, des jouets, un robot, une oie (ou un jars, on n’est pas très sûr), des rollmops… Rencontre. PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET illustration de stéphane manel

C

omment avez-vous imaginé le paradis ? J’ai vu un petit paon vaciller sous l’aile de sa mère… mon enfance est venue rôder dans ma tête, avec tout ce que j’avais appris à ce moment-là : Homère, l’Odyssée, la Bible, les Évangiles, le Christ, Ulysse… tout cela m’a suivi toute ma vie, mais le vrai sujet, c’est cette émotion paradisiaque que j’ai ressentie à deux reprises dans mon existence et dont je ne dévoilerai pas les détails à vos lecteurs [ils sont racontés dans le film, ndlr]. Deux instants très brefs, sinon ce serait intenable, vingt secondes sans doute au maximum, pendant lesquelles j’ai été inondé, submergé de bonheur. J’attends que cela revienne une troisième fois, j’aimerais tant, trois fois. par rapport à cette émotion, vous parlez dans la note d’intention du film de « mini dépressions de bonheur ». « dépression » et « bonheur » ne seraient donc pas forcément antithétiques ? On dit bien « J’ai une pêche d’enfer », on parle « d’un silence fracassant ». vous filmez beaucoup d’objets. que représentent-ils pour vous ? Je les ai trouvés là où je filmais, dans différentes maisons. Je m’y installais quinze jours, j’attendais. En regardant à droite ou à gauche, je tombais sur des choses : un œuf en cristal, un petit automate rouge qui incarne Ulysse et puis… une oie en plastique ? On ne sait pas si c’est une oie ou un jars, une femelle ou un mâle. Et comme à la fin, il y a une séquence hot avec le petit robot rouge… justement, comment avez-vous pensé cette scène à la fois très drôle et sensuelle ? J’étais dans une chambre d’hôtel, j’avais ces objets dans mon sac, au cas où. Il y a eu une petite lumière agréable, diffusée par la lampe près du lit. J’avais posé le jars (ou l’oie) et Ulysse l’un en face de

l’autre, ils se regardaient, ils étaient amoureux. Comme j’avais bu un petit coup dans le bar de l’hôtel, j’ai imaginé qu’ils s’y étaient rencontrés et que je les avais suivis : ils montent dans leur chambre et, moi, je les filme. Ça passe vite, et en même tant ça dure trois minutes, le temps pour Lester Young d’enchanter son saxophone en jouant Stardust (« poussières d’étoile » en anglais). Entre nous, aujourd’hui je ne pourrais plus filmer un comédien et une comédienne qui s’agitent sur un lit devant la caméra, cela m’apparaîtrait comme une copie un peu pauvre de la vie. Comme de jouer la mort. vous avez déclaré ne jamais retoucher l’image en postproduction. pourquoi ? Parce que tout ce qui est bien né au tournage, il ne faut pas y toucher. Ça vient comme ça, avec naturel, avec les défauts, les qualités, rien n’est parfait. Le sentiment au moment de filmer est fort, alors il ne faut pas le trafiquer. plusieurs jeunes gens interviennent dans le film. pourquoi avoir fait appel à eux ? Ils sont venus à moi, sans que je les cherche. Je les voyais, je les regardais et je me disais : ils sont faits pour le film, et moi pour les filmer. Un ado qui devient un homme – puisque le film se déroule sur deux ans –, c’est magnifique. Quand une jeune fille entre dans le film, c’est le toit qu’attendaient les murs en construction. Comme je voulais que le spectateur sorte du film en planant un peu, je choisissais des visages plutôt attirants. Ils ne savent pas à cet âge-là qu’ils ont du charme. Ce n’étaient pas seulement des corps d’un certain éclat, mais des corps innocents. ce qui est vraiment étonnant et réussi dans le film, c’est qu’avec une certaine économie de moyens, vous arrivez à développer des récits épiques ou grandioses. avec un petit robot et des courges, vous racontez l’odyssée d’ulysse. Ces légendes ou ces mythes ont une origine familière. Dans beaucoup de textes ou de films qui les reprennent, il y a une sorte de boursouflure, alors

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© alain cavalier

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C’est mieux qu’avant. Les gros problèmes commencent au stade de la diffusion des films.

« pourquoi être grandiloquent alors que l’on peut parler d’une voix simple de sentiments assez costauds ? » que c’est plus simple. Dans la Bible, le fils prodigue, par exemple, il quitte son père, il dépense l’argent de ses parents bêtement, il va voir des prostituées, il va se vautrer partout, avant de revenir à la maison. même dans votre commentaire en voix off, il n’y a aucune grandiloquence… Pourquoi être grandiloquent alors que l’on peut parler d’une voix simple de sentiments assez costauds ? vous êtes plutôt difficile à joindre, vous n’avez pas de téléphone portable, vous utilisez peu Internet et, pourtant, vous êtes à la pointe de la technologie concernant les caméras. n’est-ce pas paradoxal ? J’ai suivi l’évolution de mon outil de travail. Je ne suis ni moderne, ni ancien, ni quoi que ce soit. Petit à petit, la taille des caméras a diminué. Quand j’ai commencé, il fallait quatre personnes pour les faire fonctionner. Aujourd’hui, il existe deux façons de filmer. Seul et libre, avec une caméra numérique et avec peu d’argent. Ou en équipe, avec budget, scénario et acteurs. Les jeunes cinéastes ont le choix.

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toujours dans la note d’intention du film, vous déplorez un manque d’innocence chez les cinéastes. ce serait donc ça, la différence entre le « filmeur », comme vous vous définissez, et le « cinéaste » ? Non, non. On est tous dans le même bain. Je fais des films depuis longtemps. Ma fraîcheur d’âme s’évapore. Vous savez, sur l’écran, je vois bien comment l’actrice va, au moment qu’elle choisit, relever son regard vers un homme pour que le public comprenne bien qu’elle est amoureuse. Je scanne tout. Je compense cette lucidité par la recherche d’éléments innocents à filmer. J’arrive à laisser la saveur de la vie entrer par mes oreilles et par mes yeux. à quel moment avez-vous compris que le film était terminé, qu’il ne fallait plus tourner d’autres plans ? J’étais dans un café, je vois un vieux couple qui traverse la rue en s’aidant à marcher. Je suis en alerte, je suis ému, je prends ma caméra, et là, miracle, merci à ces inconnus à jamais, une jeune femme entre dans l’image de dos, un jeune homme s’avance de face, ils se croisent, un petit enfant traverse le champ dans une poussette. Tout est là, avec grâce. Qu’ajouter de plus ? Vous naissez, vous grandissez, vous faites des enfants, vous devenez vieux. Adios. Le Paradis d’Alain Cavalier Distribution : Pathé Durée : 1h10 Sortie le 8 octobre

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Sommaire

Du 8 octobre au 4 novembre 2014

entretien

À la une… 29

portrait

Céline Sciamma

Après Naissance des pieuvres et Tomboy, Céline Sciamma clôt sa trilogie sur l’adolescence avec Bande de filles. Elle poursuit son exploration de la construction de l’identité féminine en s’intéressant à un groupe de jeunes filles noires de banlieue décidées à défier les lois qu’on leur impose.

© fabien breuil ; julien weber ; stéphane manel ; sebastião salgado ; the filmakers - d. r.µ ; 20th century fox ; paradis films

reportage

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Karidja Touré Bande de filles lui offre un premier rôle dont elle osait à peine rêver. À 20 ans, Karidja Touré a trouvé sa place et compte bien la garder.

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en ouverture

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Alain Cavalier Pour Le Paradis, il anime des petites figurines et se frotte aux mythes les plus imposants. Du haut de ses 83 ans, le « filmeur » Alain Cavalier est un grand enfant.

Salgado, père et fils

Lorsque Juliano Ribeiro Salgado était enfant, son père, le célèbre photographe brésilien Sebastião Salgado, commentait pour lui ses clichés à chaque retour de voyage. Dans Le Sel de la Terre, documentaire présenté au dernier Festival de Cannes, qu’il a coréalisé avec Wim Wenders, le cinéaste rend un hommage émouvant à l’œuvre de l’homme qui l’a élevé. Morceaux choisis, commentés pour nous par Juliano Ribeiro Salgado.

en couverture

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l’album

David Fincher Dans Gone Girl, passionnant thriller sur l’enfer du mariage, David Fincher bâtit un dédale de fausses pistes et de brusques révélations. Rencontre avec le réalisateur, aussi retors que son film.

gender studies

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Ida Lupino La femme fatale du cinéma des années 1940 a surtout innové dans la production indé. Chronique du destin hors norme de cette risque-tout, dans l’ombre des studios.

décryptage

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Les films Cannon Ils ont bousculé Hollywood, ravivé l’esprit forain du septième art, pour finir par être oubliés. Voici l’histoire improbable et truculente de Menahem Golan et Yoram Globus et de leur société Cannon Films.

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80

Yelle En deux albums survitaminés, elle a secoué la pop « made in France » et a séduit l’Amérique. Elle revient avec Complètement fou, opus coloré et hypercharnel, produit par le hitmaker Dr. Luke.


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… et aussi Du 8 octobre au 4 novembre 2014

Édito 13 La règle du jeu Preview 14 Eden de Mia Hansen-Løve Les actualités 16 « Dessins du studio Ghibli », Marguerite Duras, Matthew Barney événement 22 Tobe Hooper nous parle de Massacre à la tronçonneuse l’agenda 24 Les sorties de films du 8 au 29 octobre 2014 histoires du cinéma 29 L’Aventure de Mme Muir de Joseph L. Mankiewicz p. 36

© vortex inc. / kim henkel / tobe hooper © 1974 vortex inc. tous droits réservés  ; collection christophel ; shayne laverdiere

les films 55

Mommy de Xavier Dolan p. 57 // National Gallery de Frederick Wiseman p. 58 // Le Dernier Métro de François Truffaut p. 62 // Lilting ou la Délicatesse de Hong Khaou p. 65 // White Bird de Gregg Araki p. 66 // Des hommes et de la guerre de Laurent BécueRenard p. 67 // La Légende de Manolo de Jorge R. Gutierrez p. 67 // Magic in the Moonlight de Woody Allen p. 68 // Chante ton bac d’abord de David André p. 70 // Fidaï de Damien Ounouri p. 72 // Fils de d’HPG p. 72 Les DVD 78 Le Génie du mal de Richard Fleischer et la sélection du mois

cultures 80 L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

time out paris 100 La sélection des sorties et des bons plans compilés par Time Out Paris

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) STAGIAIRE Chloé Beaumont ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Léa Chauvel-Lévy, Oscar Duboÿ, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Claude Garcia, Nicolas Hecht, Stéphane Méjanès, Wilfried Paris, Michaël Patin, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Claire Tarrière, Laura Tuillier, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Stéphane Manel PHOTOGRAPHES Fabien Breuil, Julien Weber PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) CHEF DE PROJET opérations spéciales Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com) ASSISTANTE CHEF DE PROJET Sylvie Rubio (sylvie.rubio@mk2.com)

trois couleurs présente 102 « Hokusai », Les Nègres de Genet, Lignes de vie d’un peuple

l’actualité des salles mk2 104 Franck Kestener, rétrospective François Truffaut, l’agenda

Illustration de couverture © Thomas Danthony pour Trois Couleurs © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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é dito

La règle du jeu PAR JULIETTE REITZER

Oui, mais non. » Léger froncement de sourcil, sourire narquois mais poli au x lèvres, David Fincher renvoie la balle au journaliste venu l’interviewer. La partie s’annonce difficile. Il est de ces réalisateurs qui ne se laissent pas entraîner sur le terrain de l’interprétation. Parlez-lui de structure du scénario, d’angles de prise de vue, de modèles de caméra et ses yeux – deux billes bleues – retrouveront leur éclat. Mais ne comptez pas sur lui pour vous remettre les clés de compréhension de ses films, qui se déploient pourtant en structures complexes et entrecroisent de multiples niveaux de lecture, de Seven à L’Incroyable Histoire de Benjamin Button, de Fight Club à Zodiac ou à Millenium. Les hommes qui n’aimaient pas les femmes. « Je ne donne jamais au spectateur ce qu’il veut », nous a-t-il confirmé. C’est que Fincher, à qui l’on doit aussi le bien nommé The Game, n’aime rien tant que jouer. Céder à l’interprétation, ce serait déflorer le mystère, imposer une manière de regarder, placer le spectateur dans une position passive – autrement dit, neutraliser le partenaire de jeu et signer la fin de la partie. C’est avec ce même plaisir ludique et analytique que nous fabriquons ce magazine, préférant aux films qui donnent des réponses claires ceux qui continuent, chaque mois, de nous interroger.

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previ ew

Eden Inspiré de la vie du frère de la réalisatrice, Eden évoque le paradis vite perdu de Paul, un DJ parisien qui, dans les années 1990, connaîtra une fulgurante et éphémère ascension dans l’univers des musiques éléctroniques. Non, Eden n’est pas un biopic déguisé des Daft Punk, groupe emblématique du mouvement, ni une fresque pédagogique sur la French Touch, mais l’histoire plus universelle d’un homme qui, électrisé par sa passion, se réveille après quinze ans de fête avec une insurmontable gueule de bois. Après avoir filmé des parcours solitaires (Tout est pardonné, Le Père de mes enfants, Un amour de jeunesse), Mia Hansen Løve dresse le portrait d’une génération fragile, hédoniste et désenchantée. Sous le « boum boum » résonne toujours un air profondément mélancolique. RAPHAËLLE SIMON

de Mia Hansen Løve avec Félix de Givry, Pauline Étienne… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h11 Sortie le 19 novembre

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e n bre f

Les actualités PAR CHLOÉ BEAUMONT, HENDY BICAISE, JULIEN DUPUY, QUENTIN GROSSET, raphaëlle Simon ET TIMÉ ZOPPÉ

> l’info graphique

Répartition et fréquentation des cinémas à Paris en 2013 par arrondissement À Paris, les arrondissements qui abritent le plus de salles de cinéma ne sont pas forcément ceux qui font le plus d’entrées. Petite promenade chiffrée dans les cinémas de la capitale. R. S. Nombre d’établissements en activité (Total Paris : 88)

Pourcentage d’entrées (Total Paris : 100 %)

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Source : La Géographie du cinéma en 2013 (CNC)

> EXPOSITION

Dessins du studio Ghibli

© studio ghibli

Il y a presque un an, le musée Art Ludique ouvrait ses portes avec une exposition dédiée au premier grand studio d’animation numérique, Pixar ; aujourd’hui, c’est au tour de l’un des derniers grands studios d’animation traditionnelle d’investir ces galeries. Présentée pour la première fois en Europe, l’exposition « Dessins du studio Ghibli » propose de découvrir plus de mille trois cents croquis originaux conçus durant la création de chefs-d’œuvre de la japanimation tels que Mon voisin Totoro, Le Conte de la princesse Kaguya ou encore Le Voyage de Chihiro. Outre le caractère pédagogique de ces documents, témoignant d’un art cinématographique en voie d’extinction, cette célébration promet d’être particulièrement émouvante puisque les deux piliers de Ghibli, Isao Takahata et Hayao Miyazaki, ont eux-mêmes conçu une large partie de ces dessins. L’exposition offre ainsi une occasion rarissime d’admirer des œuvres signées directement de la main de ces deux génies du cinéma. J. D. jusqu’au 1 er mars à Art Ludique

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> LE CHIFFRE DU MOIS C’est, en milliers, le nombre de personnages des Simpson (série diffusée depuis vingt-cinq ans) que l’acteur américain Hank Azaria estime avoir doublés. Dans chaque épisode, il prête sa voix à plusieurs personnages comme Moe le barman, Apu l’épicier ou encore l’agent de police. T. Z.

> dépêches PAR C. B.

Résonances Le Centre Pompidou met à l’honneur Bertrand Bonello (Le Pornographe, Tiresia, Saint Laurent…) avec une rétrospective de son œuvre, une master classe, des installations mêlant musique et cinéma, et une programmation de ses films fétiches jusqu’au 26 octobre.

Décès

Antoine Duhamel, auteur de musiques originales pour Godard, Truffaut ou Tavernier, est mort le 11 septembre dernier à 89 ans. Actrice aux côtés de Jerry Lewis, chez John Waters (Cry-Baby) et dans Desperate Housewives, Polly Bergen est décédée le 20 du même mois à 84 ans.

> LA PHRASE

Emma Stone © universal pictures

Nouvelle égérie du réalisateur Woody Allen, à l’affiche de son dernier film Magic In The Moonlight (sortie le 22 octobre), l’actrice Emma Stone a exposé au quotidien britannique The Independent sa théorie sur les désirs profonds et inconscients du cinéaste.

> LA TECHNIQUE

Le film étant tourné en image par image, il était impossible d’utiliser un véritable liquide pour représenter l’eau qui alimente les égouts au fond desquels se terrent les monstres du titre. L’équipe du studio Laika a donc inventé une eau factice capable d’être animée, constituée de deux plaques rondes de plexiglas translucide dont la surface était sculptée en forme de vaguelettes. Durant le tournage, l’animateur tournait légèrement les plaques l’une sur l’autre entre chaque image, tout en faisant varier un éclairage de LED teintées, illuminant en transparence cette installation. Nous oserons dire que l’on n’y voit que du feu. J. D. Les Boxtrolls de Graham Annable et Anthony Stacchi (Universal Pictures) Sortie le 15 octobre

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© dominique charriau / wireimage

Les Boxtrolls

« J’ai le sentiment que Woody aimerait bien être Diane Keaton dans un film de Woody Allen. »

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© d. r. ; pictorial parade / getty images

Cycle Jusqu’au 2 novembre au Forum des images, le cycle « Quelle connerie la guerre ! » célèbre le centenaire de la Première Guerre mondiale avec des films (de À l’Ouest, rien de nouveau à Platoon), une exposition, et des conférences (« Le cinéma peut-il œuvrer pour la paix ? »).


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> FILM-FLEUVE

© d. r.

River of Fundament

L’artiste contemporain Matthew Barney est notamment connu pour The Cremaster Cycle (1994-2002), mémorable pentalogie d’une durée totale supérieure à six heures et demie. Sa nouvelle œuvre, cosignée avec le compositeur Jonathan Bepler, n’est pas moins intimidante : River of Fundament dure près de six heures et son tournage s’est étendu sur six ans. Ce film-fleuve se compose à la fois d’un récit de fiction autour du souvenir, de l’héritage et des résurrections de l’écrivain Norman Mailer, et du document de sa propre conception, puisque trois performances réalisées par Barney entre 2008 et 2013 sont ingérées dans le flot narratif. En résulte un opéra filmique en trois actes, d’une beauté terrassante, qui sublime la scatologie et puise dans la mythologie. H. B. les 24 et 25 octobre à la Cité de la musique (Festival d’Automne à Paris)

EN TOURNAGE La deuxième saison de la série fantastique française Les Revenants de Fabrice Gobert (produite et diffusée par Canal+) se tournera entre septembre 2014 et mars 2015 en Rhône-Alpes et en Île-de-France • De son côté, Jessica Chastain s’est réjouie de son rôle dans le prochain film de Xavier Dolan, The Death and Life of John F. Donovan, dont le tournage débutera en 2015 • Après maintes rumeurs, Colin Farrell et Vince Vaughn ont été annoncés comme les interprètes principaux de la deuxième saison de la série anthologique True Detective. Le tournage est prévu courant octobre 2014 pour une diffusion début 2015 aux États-Unis. T. Z.

© d. r.

© collection christophel

court métrage

> ANNIVERSAIRE

Le cinéma de Marguerite Duras Cette année, Marguerite Duras aurait eu 100 ans. Certains des événements organisés à cette occasion sont consacrés à son œuvre cinématographique. Peu satisfaite des adaptations de ses romans, l’écrivaine aborde le cinéma en 1959 avec le scénario de Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais. Entre 1966 et 1984, elle réalisera dix-neuf films, parmi lesquels Nathalie Granger ou India Song.

Tandis qu’une rétrospective intégrale aura lieu du 28 novembre au 20 décembre au Centre Pompidou, Capricci publie Filmer dit-elle, un petit livre très éclairant dans lequel se mêlent textes critiques et entretiens avec l’auteure, comme la très riche conversation avec Jacques Rivette et Jean Narboni parue dans Les Cahiers du cinéma en 1969. Q. G.

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Le photographe et vidéaste américain Matthew Frost a mis en ligne fin septembre Aspirational, un hilarant court métrage. Dans un quartier résidentiel chic, Kirsten Dunst (dans son propre rôle) se fait alpaguer par deux femmes qui l’ont reconnue. Plutôt flattée, l’actrice accepte de se faire mitrailler de selfies avec elles, avant de comprendre qu’elles ne cherchent que les « likes » sur les réseaux sociaux. Sa mine profondément dépitée en dit plus qu’un long discours. T. Z. http://vimeo.com/106807552


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évé n e m e nt

Massacre à la tronçonneuse À l’occasion du quarantième anniversaire de son film Massacre à la tronçonneuse, le cinéaste Tobe Hooper revient sur la genèse et l’impact de ce classique de l’horreur. PAR QUENTIN GROSSET

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© vortex inc. / kim henkel / tobe hooper © 1974 vortex inc. tous droits réservés

obe Hooper, 71 ans, entretient sa voix basse et gutturale en enchaînant les cigarettes mentholées pendant l’interview. C’est en mai dernier qu’on l’a rencontré, à Cannes. La veille, il avait présenté la version restaurée en 4K de son chef-d’œuvre à la Quinzaine des réalisateurs, sélection dans laquelle son film avait déjà été montré en 1975. « Je me suis assuré que la restauration ne trahisse pas l’esprit crasseux du film. Je pense sincèrement que s’il est devenu culte, c’est grâce à son sens du réalisme. » Comme le Norman Bates de Psychose ou le Buffalo Bill du Silence des agneaux, le personnage de Leatherface s’inspire d’Ed Gein, un tueur en série arrêté en 1957 dans le Wisconsin. Cet énergumène avait

« Les gens parlent du côté gore, mais il y a peu de sang à l’image. » pour particularité de confectionner des gants ou des rideaux avec de la peau humaine (comme le détraqué et sa famille, dans Massacre à la tronçonneuse, qui pourchassent cinq jeunes gens dans l’atmosphère poisseuse du Texas). « J’ai eu l’idée du film alors que je faisais mes courses dans un magasin bondé. La foule m’a paniqué, je voulais sortir. Je suis tombé sur les tronçonneuses. J’ai pensé que le seul moyen d’écarter les gens de mon chemin serait d’en utiliser une. » Célèbre pour son tournage très mouvementé (« C’était très tendu. J’avais choisi de séparer Leatherface du reste de l’équipe, qui ne l’avait jamais vu avant que je le fasse entrer dans le cadre. »), Massacre à la tronçonneuse tient aussi sa renommée du fait qu’il a trau­ matisé les spectateurs des années 1970. À sa

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sortie, en 1974, il est retiré des écrans français après une petite semaine d’exploitation. Il faudra huit ans pour que cette interdiction soit levée (entre-temps, l’éditeur René Château l’avait sorti en vidéo en 1979). « Les gens parlent du côté gore, mais il y a peu de sang à l’image. Ce qui a choqué, c’est que je proposais une vision ironique de la famille qui tranchait avec celle qu’offrait la télévision américaine de l’époque. Ces valeurs étaient tournées en dérision par la famille dysfonctionnelle de Leatherface. C’est pour cela que le film a causé un tel scandale. » Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper avec Marilyn Burns, Allen Danziger… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h23 Sortie le 29 octobre

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ag e n da

Sorties du 8 oct. au 29 oct. 8 oct. Le Paradis d’Alain Cavalier Distribution : Pathé Durée : 1h10 Page 4

Gone Girl de David Fincher avec Ben Affleck, Rosamund Pike… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h29 Page 42

Le Garçon et le Monde d’Alê Abreu Animation Distribution : Les Films du Préau Durée : 1h19 Page 86

Hautes terres de Marie-Pierre Brêtas Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 1h27 Page 64

MinoPolska Collectif Animation Distribution : Malavida Durée : 46min Page 87

Le Labyrinthe de Wes Ball avec Dylan O’Brien, Aml Ameen… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h54 Page 64

15 oct.

Les Petits Gars de la campagne d’Arnaud Brugier Documentaire Distribution : Les Productions de la Main Verte Durée : 1h20 Page 64

Mommy de Xavier Dolan avec Antoine Olivier Pilon, Anne Dorval… Distribution : Diaphana/MK2 Durée : 2h18 Page 57

Le Sel de la Terre de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado Documentaire Distribution : Le Pacte Durée : 1h49 Page 50

Samba d’Éric Toledano et Olivier Nakache avec Omar Sy, Charlotte Gainsbourg… Distribution : Gaumont Durée : 1h58 Page 64

National Gallery de Frederick Wiseman Documentaire Distribution : Sophie Dulac Durée : 2h53 Page 58

Les Boxtrolls de Graham Annable et Anthony Stacchi Animation Distribution : Universal Pictures Durée : 1h37 Page 60

Lilting ou la Délicatesse de Hong Khaou avec Ben Whishaw, Cheng Pei-pei… Distribution : Jour2fête Durée : 1h31 Page 65

Annabelle de John R. Leonetti avec Annabelle Wallis, Ward Horton… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h38 Page 58

¡G.A.R.I! de Nicolas Réglat Documentaire Distribution : A-Parts Durée : 1h23 Page 60

White Bird de Gregg Araki avec Shailene Woodley, Eva Green… Distribution : Bac Films Durée : 1h31 Page 66

Lou ! Journal infime de Julien Neel avec Ludivine Sagnier, Kyan Khojandi… Distribution : StudioCanal Durée : 1h44 Page 58

Geronimo de Tony Gatlif avec Céline Sallette, Rachid Youcef… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h44 Page 60

À la poursuite du roi Plumes d’Esben Toft Jacobsen Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 1h18 Page 87

Papa Was not a Rolling Stone de Sylvie Ohayon avec Doria Achour, Aure Atika… Distribution : Pathé Durée : 1h39 Page 58

Ninja Turtles de Jonathan Liebesman avec Megan Fox, Will Arnett… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h40 Page 60

Heritage Fight d’Eugénie Dumont Documentaire Distribution : Dock 66 Durée : 1h30 Page 60

Le Dernier Métro de François Truffaut avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu… Distribution : Diaphana pour MK2 Durée : 2h13 Page 62

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22 oct. Bande de filles de Céline Sciamma avec Karidja Touré, Assa Sylla… Distribution : Pyramide Durée : 1h52 Page 29


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Sorties du 8 oct. au 29 oct. The Go-Go Boys. The Inside Story of Cannon Films de Hilla Medalia Documentaire Distribution : Paradis Films Durée : 1h30 Page 40

On a marché sur Bangkok d’Olivier Baroux avec Kad Merad, Alice Taglioni… Distribution : Pathé Durée : 1h33 Page 68

Que ta joie demeure de Denis Côté Documentaire Distribution : Norte Durée : 1h10 Page 74

Fury de David Ayer avec Brad Pitt, Shia LaBeouf… Distribution : Sony Pictures Durée : 2h14 Page 66

Chante ton bac d’abord de David André Documentaire Distribution : Bodega Films Durée : 1h22 Page 70

#Chef de Jon Favreau avec Jon Favreau, Sofia Vergara… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h54 Page 74

Le Grimoire d’Arkandias d’Alexandre Castagnetti et Julien Simonet avec Christian Clavier, Ryan Brodie… Distribution : UGC Durée : 1h40 Page 66

Le Moment et la Manière d’Anne Kunvari Documentaire Distribution : Iskra Durée : 59min Page 70

The Giver de Phillip Noyce avec Brenton Thwaites, Jeff Bridges… Distribution : StudioCanal Durée : 1h37 Page 74

Lili Rose de Bruno Ballouard avec Salomé Stévenin, Mehdi Dehbi… Distribution : Zelig Films Durée : 1h30 Page 66

Patria Obscura de Stéphane Ragot Documentaire Distribution : DHR Durée : 1h23 Page 70

Mary. Queen of Scots de Thomas Imbach avec Camille Rutherford, Sean Biggerstaff… Distribution : Aramis Films Durée : 2h Page 74

Des hommes et de la guerre de Laurent Bécue-Renard Documentaire Distribution : Why Not Productions Durée : 2h22 Page 67

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Fièvres d’Hicham Ayouch avec Didier Michon, Slimane Dazi… Distribution : Commune Image Média/La Vingt-Cinquième Heure Durée : 1h30 Page 76

La Légende de Manolo de Jorge R. Gutierrez Animation Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h35 Page 67

Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper avec Marilyn Burns, Allen Danziger… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h23 Page 22

Vie sauvage de Cédric Kahn avec Mathieu Kassovitz, Céline Sallette… Distribution : Le Pacte Durée : 1h46 Page 76

Magic in the Moonlight de Woody Allen avec Colin Firth, Emma Stone… Distribution : Mars Films Durée : 1h38 Page 68

Fidaï de Damien Ounouri Documentaire Distribution : Les Films de l’Atalante Durée : 1h23 Page 72

Felicidad de Daniel Burman avec Guillermo Francella, Inés Estévez… Distribution : Eurozoom Durée : 1h32 Page 76

Heart of a Lion de Dome Karukoski avec Peter Franzén, Laura Bryan Birn… Distribution : Jupiter Communications Durée : 1h39 Page 68

Fils de d’HPG avec HPG, Gwenaëlle Baïd… Distribution : Capricci Films Durée : 1h10 Page 72

Félix et les loups de Philippe Sisbane avec Julien Baumgartner, Patrick Messe… Distribution : Zelig Films Durée : 1h30 Page 76

Le Juge de David Dobkin avec Robert Downey Jr., Robert Duvall… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h21 Page 68

Chemin de croix de Dietrich Brüggemann avec Lea van Acken, Franziska Weisz… Distribution : Memento Films Durée : 1h50 Page 74

John Wick de David Leitch et Chad Stahelski avec Keanu Reeves, Willem Dafoe… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h36 Page 76

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histoires du

CINéMA

LES FILMS CANNON

Gone Girl

PORTFOLIO

L’histoire improbable et truculente de Menahem Golan et Yoram Globus P. 38

Entretien avec David Fincher et visite dans le dédale de sa filmographie P. 40

Les photos de Sebastião Salgado commentées par son fils P. 48

« Je pensais plus à Jane Campion qu’à La Haine. »

Après deux premiers films intimes et pudiques, Naissance des pieuvres et Tomboy, Céline Sciamma clôt sa trilogie sur l’adolescence avec Bande de filles, une ode à l’indiscipline saluée à la Quinzaine des réalisateurs. Toujours agitée par les mêmes obsessions (l’adolescence, la métamorphose, la marge…), la Française poursuit son exploration de la construction de l’identité féminine en s’intéressant à un groupe de jeunes filles noires prises entre les tours d’une cité de la banlieue parisienne. Plus réservée que sa bande de filles tchatcheuses, Céline Sciamma aborde pourtant sans langue de bois les questions sensibles. Rencontre. PROPOS RECuEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON ET TIMÉ ZOPPÉ

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© fabien breuil

Céline Sciamma


h istoi re s du ci n é ma

À

16 ans, Marieme opère sa métamorphose de l’enfance vers l’âge adulte grâce à sa nouvelle bande de copines insoumises qui l’aident à s’émanciper, notamment dans la violence. Lancée dans son parcours initiatique, Marieme va alors essayer un par un les rôles que la société veut bien lui assigner (sœur battue, copine grande gueule, petite amie rangée, dealeuse asservie…) pour tenter de trouver qui elle est. En filmant des jeunes filles noires dans un quartier sensible, la réalisatrice blanche Céline Sciamma se savait attendue au tournant. Elle parvient à brouiller les pistes en jouant sur le paradoxe. À l’image de son indomptable héroïne, le film est construit sur des pentes contradictoires où le lyrisme du récit à rebondissements côtoie le réalisme du contexte, où les scènes d’improvisation se mêlent aux dialogues plus écrits, où les rêves des jeunes filles se heurtent au déterminisme social. Vous posez un regard de femme blanche sur des femmes noires de banlieue. Le projet de ce film est parti des personnalités de ces filles que je croisais en bande dans la rue. Des filles avec du style, une attitude, une vraie présence dans l’espace public, et qui m’attiraient. Dans le même temps, j’ai constaté qu’elles n’étaient pas présentes au cinéma, que je les voyais dans la vie mais pas sur les écrans, et que, au-delà du désir de les rencontrer, il y avait peut-être une nécessité de les représenter. Vous partiez donc d’une ambition politique ? Je pensais plus à Jane Campion qu’à La Haine. C’est l’itinéraire d’une jeune fille ; l’idée, c’était de le réactualiser. Montrer qu’il y a une continuité dans les enjeux de jeunesse et d’affirmation, c’est ça aussi le projet politique du film. Ça s’inscrit dans mon obsession de l’exploration de la construction de l’identité féminine. On grandit tous soumis à des interdits et à des injonctions, mais ces filles-là doivent se positionner encore plus fort, dans une virilité commode qui leur permet de passer inaperçues ou une hyperféminité qui leur fait une place dans une forme d’empowerment collectif. Comment avez-vous dosé l’équilibre entre cet ancrage social et la dimension romanesque des personnages ? L’idée, c’est justement de ne pas choisir et de trouver un équilibre dans le récit. J’ai essayé de ne pas me laisser intimider par le côté « sujet de société », qui pouvait être un horizon d’attente sur le film, et de me plonger dans la puissance du récit. Je l’ai pensé comme un roman d’apprentissage. Si la jeunesse change sans cesse de visage, de tout temps,

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l’envie d’être, l’envie d’aimer, l’amitié, le fait de surmonter les obstacles posés par la société jalonnent l’itinéraire de l’héroïne romanesque. Je me suis tout de même documentée sur les bandes de filles et sur la violence féminine, qu’on nous présente comme un phénomène grandissant. J’ai constaté que c’était faux, que ça tenait du fantasme. La statistique de la délinquance féminine est stable depuis un siècle en fait… Ça m’a confortée dans l’idée qu’il fallait le raconter comme une histoire de jeunesse éternelle et ne pas se laisser envahir par les présupposés de faits divers du sujet. Vous accordez une grande attention aux corps adolescents, que vous filmez ici de manière très frontale – les muscles qui gonflent, les seins qui pointent, les hormones qui bouillonnent… La puberté est-elle particulièrement cinégénique ? Oh oui ! C’est un corps en métamorphose, quelque chose qui n’existe déjà plus. Ça tient presque du fantastique de filmer l’adolescence, d’autant que le film s’amuse à faire muter l’héroïne, ce qui donne une double ration de métamorphose. C’est quelque chose qui m’émeut, même si c’est la dernière fois que je filme la jeunesse. J’ai envie de me confronter à autre chose, je suis allée au bout d’un dispositif. Le film s’ouvre sur un match de football américain cadré en contre-plongée, dans un souffle épique. Pourquoi avoir choisi un sport aussi peu culturellement français ? Cette ouverture synthétisait ce qui allait agiter le film, c’est-à-dire un collectif avec ses règles, une forme de violence ludique, la force du groupe, une féminité représentée à l’envers, d’autant que, au début, on ne sait pas que ce sont des filles, on le découvre… J’ai appris qu’il y avait des équipes de football américain féminin en France depuis peu et j’ai trouvé ça très singulier. Ce n’était donc pas une lubie de transposer ça ici ; l’idée était plus de réactualiser le tropisme du sport chez les jeunes aujourd’hui. Et il y avait aussi le fantasme du football américain comme territoire de cinéma : c’est un sport assez pénible à regarder dans la vie, alors que c’est fabuleux à regarder au cinéma. Du coup, c’était un chantier de mise en scène très excitant. Quelle est la part d’improvisation dans les dialogues ? Il y avait quelques séquences dédiées à l’improvisation, comme la scène du minigolf ou celle de la chambre d’hôtel, qui sont des moments de lâcher prise verbal ; mais je voulais montrer qu’elles parlent plusieurs langues. Tout le projet du film, c’est de montrer à quel point elles sont plurielles : plurielles dans le temps, à travers leurs

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e ntreti e n

métamorphoses, et puis plurielles dans le présent aussi, dans leur langage notamment. Au cinéma, les personnages « de banlieue » sont souvent cantonnés à une forme d’énergie incarnée par la tchatche… Il y a de ça, mais il y a aussi autre chose, et c’est tout le projet du film de déplier toutes ces facettes et de dire qu’elles peuvent parler une langue soutenue ou une langue plus triviale… comme tout le monde. Pourquoi avoir choisi d’occulter les phases de transformation de l’héroïne par des ellipses ? Le film est pensé en chapitres, comme dans une série télé. Il y a cinq épisodes, avec des effets d’ellipses qui permettent à la fois le côté « chronique », qui nous lie d’amitié avec le personnage dans le présent, et des accélérations dramatiques, avec quelque chose de ludique – on finit par se demander à chaque fois quelle tête elle aura, il y a une vraie attente de la part du spectateur. Ça crée une dynamique de super-héros, avec plusieurs identités. Ne redoutiez-vous pas que cette succession d’instantanés détourne le spectateur d’un certain naturalisme ? Je ne me pose pas tellement la question du naturalisme, c’est d’ailleurs un sujet très français… Sous prétexte que mon film se passe en banlieue, on me pose constamment la question de la stylisation et de la méfiance qu’il faudrait en avoir. Comme s’il y avait quelque chose à trahir. Comme si, aussi, filmer la banlieue dans la grisaille et à l’épaule, ce n’était pas de la stylisation… Certains l’ont filmée de façon plus épique encore : on ne peut pas dire que La Haine de Kassovitz soit

« Tout le projet du film, c’est de montrer à quel point ces filles sont plurielles. » naturaliste ! Et la place que Kechiche laisse au langage est-elle si réaliste ? C’est comme si c’était le style qui déterminait le vérisme, finalement. Ce qui compte, ce n’est plus la vérité ou la justesse, c’est le côté « j’y suis allé ». Vous filmez la banlieue comme réalité sociale mais aussi comme réalité géographique. C’est la troisième fois que je filme la banlieue, je ne filme que ça. J’en viens, par ailleurs, donc je pense que c’est déjà une raison. Ce n’est pas une affaire de légitimité, mais je connais le sentiment d’ennui, d’errance, de désert que la banlieue implique aussi parfois… Mon but, c’est de filmer la banlieue comme lieu de circulation, comme lieu graphique qui a du sens. Ce sont des lieux qui sont nés d’un coup, avec des pensées d’urbanisme hyper fortes, souvent des utopies. Ça m’intéresse de filmer comment un endroit qui a été pensé avec plein de passerelles pour créer du lien finit par créer des enclaves. Ou comment le terrain en forme de vague au milieu du quartier, qui se voulait un lieu de rencontres, une agora, est en fait un lieu d’attente, de pause, sans passage. Ça raconte quelque chose qui a dérapé. Filmer les lieux dans toutes leurs propriétés plastiques, ça dit beaucoup de choses.

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h istoi re s du ci n é ma

La bande constitue pour Marieme un rempart et une délivrance. Quand l’héroïne la quitte, elle se perd. Est-ce à dire que ces filles ne peuvent s’accomplir qu’en groupe, qu’elles n’ont pas d’autre échappatoire ? Non, pas du tout. Le fait d’assumer qu’au départ elle est seule et qu’à la fin elle l’est aussi, c’est une façon d’aller au bout du trajet et du destin. Si elle s’en sort, ce sera seule. L’identité de groupe permet beaucoup d’émancipation et d’épanouissement, mais rentrer dans le monde adulte, c’est aller au bout de son trajet de solitude. Je ne sais pas si le film est pessimiste, parce qu’elle finit par refuser toutes les identités qu’on lui propose, par s’en inventer une autre et par partir. Pour moi, c’est une héroïne puissante, parce qu’elle dit « non », elle refuse son assignation. Le dernier plan du film, pour le coup, c’est un plan de combat, un plan à la Million Dollar Baby.

Elle a exactement la même attitude que son frère a pu avoir envers elle. En devenant dominante, elle reproduit les schémas de l’oppresseur. Au final, je ne veux pas désigner les garçons comme bouc émissaire, je désigne des systèmes de domination, dont la virilité. L’héroïne achève sa libération en exerçant sa violence sur une rivale. Pourquoi avoir montré la violence sous un aspect positif ? Il ne s’agit pas de la défendre la violence, mais je crois qu’il y a des violences nécessaires et des colères qui sont saines. On ne peut évidemment pas promouvoir la violence, mais pour le personnage, à ce moment-là, elle est une forme d’épanouissement personnel. Elle lui donne toute la puissance de s’exprimer, y compris érotiquement, de passer à l’acte dans des endroits d’interdits, l’hybris du héros classique. Je crois que quand on subit de la violence,

« Il y a des violences nécessaires et des colères qui sont saines. » Dans le film, les hommes sont violents, dangereux ou insipides, il y a peu de nuances sur les personnages masculins. Justement, j’ai pensé que je n’allais pas du tout les regarder. L’impressionnisme du film va jusque-là. Comme les adultes, les garçons sont un horschamp. Ils sont complètement iconiques, sans nuances. Ils sont comme les filles les voient, une autre planète qui a une forme de pouvoir sur la leur. Pour une fois, on ne regarde qu’elles. Mais dans l’itinéraire de l’héroïne, il y a quelque chose qui explique le trajet des garçons. Par exemple, quand la petite sœur de Marieme se met à s’émanciper dans sa bande de copines en usant de violence, comme Marieme a pu le faire, celle-ci la frappe.

l’expulser d’une façon ou d’une autre peut être vertueux. C’est aussi un personnage qui avance en se contredisant, qui est plus dans l’incarnation que dans le symbole. On est dans une expérience sensorielle, on est avec elle tout le temps et au présent, avec ses nuances et ses états d’âmes. Le film n’est pas dans une chose mais dans plusieurs, il soulève des paradoxes et des questions. C’est en ça qu’on ne peut pas définir une morale. Bande de filles de Céline Sciamma avec Karidja Touré, Assa Sylla… Distribution : Pyramide Durée : 1h52 Sortie le 22 octobre

© pyramide films

BANDE DE FILLES VU PAR CHRISTEL BARAS, DIRECTRICE DE CASTING « Le casting a duré quatre mois. Nous avons rencontré entre deux cent cinquante et trois cents jeunes filles que nous sommes allés chercher dans la rue. On a sillonné le Forum des Halles, les Champs-Élysées et les R.E.R., principalement. Ce à quoi je m’accroche à cette étape, c’est à un physique, à une attitude. Après commencent les impros. Je faisais la CPE [Conseillère principale d’éducation, ndlr], je les mettais en situation d’échec et je voyais comment elles réagissaient

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émotivement. Le tout, avec ce genre de casting, c’est de ne pas tromper la personne. Ne pas lui faire croire qu’il y a potentiellement une carrière qui s’ouvre, mais simplement une expé rie nce à vivre, ici et mainte nant. A prè s, j’accompagne celles qui ont l’envie de poursuivre, bien sûr. Elles reviennent à moi pour préparer des castings, pour comprendre une scène. C’est le troisième film que Céline réalise avec du “sang neuf”, donc les agents sont aux aguets… Certaines pourraient bien s’imposer, comme Assa Sylla, la jeune fille qui joue Lady, chez qui le désir d’interprétation est très fort. » È. B.

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Karidja Touré Bande de filles lui offre un premier rôle dont elle osait à peine rêver. À 20 ans, Karidja Touré a trouvé sa place et compte bien la garder. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Elle avoue d’ailleurs ne pas trouver quelqu’un à qui pouvoir s’identifier dans le cinéma fran­­çais. « On connaît seulement Aïssa Maïga et Omar Sy, et aucun acteur noir jeune. C’est aussi pour ça qu’on se tourne plus vers les États-Unis, car il y en a plein là-bas. » Au j o u rd ’h u i , K a r i d j a Touré parvient à concilier la promo du film et sa deuxième année de BTS en assista­ nat de mana­g e­m ent. « Au lycée, on m’a obligée à suivre une filière profes­s ion­n elle, alors que j’avais une bonne moyenne. Pareil pour A s s a S y l l a [ l ’ i n t e rprè­te de Lady dans le film, ndlr] , alors qu’il y avait dans sa classe une élève blanche qui avait un point de moins qu’elle et qui elle a pu suivre une filière générale. » Enchantée par son premier tournage, elle a surtout compris que sa prestation dans Bande de filles lui ouvrait des portes. « Je viens d’avoir un agent, j’ai déjà passé quelques auditions. J’ai pas le temps de prendre mon temps, c’est maintenant que ça se passe. » L’urgence est aussi pressante pour elle que pour le cinéma français.

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© julien weber

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endant la séance photo, le flash crépite à quelques centimètres de son visage, mais Karidja Touré ne cille pas. Aucun doute : elle a déjà la concentration et l’aura d’une actrice. Née à Bondy, elle a grandi dans une HLM du XVe arrondissement, à la différence de son personnage, qui vit en banlieue, mais avec lequel elle se trouve p o ur ta nt d ’a utres points communs. « Sa réser ve au début du film , les délires à la D éfe nse , danse r su r Diamonds de Rihanna… Je suis pareille dans la vraie vie. » Repérée à la Foire du Trône, elle ne connaissait pas la filmographie de Céline Sciamma. « Je ne regardais que des films américains. J’ai vu qu’il y avait beaucoup d’ellipses dans Tomboy et j’ai compris qu’il y avait d’autres manières de faire des films. » Avant cela, elle avait bien songé au cinéma, mais avait été découragée par la teneur des annonces pour les castings. « Ça m’arrivait de regarder, mais quand ils attendent une Noire, ils précisent “Femme africaine”. Si ce n’est pas mentionné, c’est qu’ils ne pensent pas à toi. »


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© the filmakers - d. r.

Chaque mois, une étude des enjeux de représentation du genre au cinéma

SAISON 5 : LES PIONNIÈRES DU CINÉMA AMÉRICAIN

1. Ida Lupino Qui se souvient qu’Ida Lupino, femme fatale du cinéma des années 1940, a surtout innové dans la production indé ? Le festival Lumière à Lyon lui rend hommage et célèbre le destin hors norme, dans l’ombre des studios, de cette risque-tout. PAR CLÉMENTINE GALLOT

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n 1953, Bigamie (bigre !) est devenu le premier film réalisé par sa vedette féminine. Visage marquant du cinéma hollywoodien – mais dont le travail de cinéaste dans les années 1950 est remarquablement oublié –, Ida Lupino a ouvert la voie, mais ses œuvres restent à ce jour peu visibles et mal distribuées. Comment en est-elle arrivée là ? Issue d’une éminente dynastie d’acteurs britanniques, cette enfant star – qui faisait plus vieille que son âge – a joué les vamps dès l’âge de 14 ans et a décroché son premier contrat à Hollywood un an plus tard. La fabrique à vixens n’a fait qu’une bouchée de cette brune aux pommettes rebondies, la cataloguant en jolie pépée peroxydée pour séries B. Repérée en garce séductrice aux côtés de Humphrey Bogart dans Une femme dangereuse de Raoul Walsh (1940), elle en a profité pour se faire remarquer dans des partitions abrasives de filles crânes ; jusqu’à finir par claquer la porte des studios Warner, à 27 ans, usée par un système qui la condamnait à jouer les remplaçantes de Bette Davis. Femme fatale de films noirs populaires (La Femme aux cigarettes, 1948), actrice vue chez Nicholas Ray et Sam Peckinpah, Ida Lupino, en réalité, se préparait depuis longtemps à une carrière de metteuse en scène et de scénariste. Avec l’appui de son deuxième époux,

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Collier Young, elle fonde une société de production indépendante, Emerald Productions, bientôt rebaptisée The Filmakers. Gonflée, Ida Lupino cumule alors les casquettes – productrice, réalisatrice, scénariste, actrice… –, dirige une équipe technique entièrement masculine et cartonne. Alors que la chasse aux sorcières menace, la petite boîte s’attaque à des sujets de société plutôt mal vus comme la condition des filles-mères (Avant de t’aimer, pour lequel elle remplacera le metteur en scène au pied levé, en 1949) ou le viol (Outrage, 1950) et s’essaye au genre hybride du « mélo noir ». En 1953, Le Voyage de la peur est ainsi le premier film noir réalisé par une femme. Le public suit, jusqu’à un certain point. Après une série de flops qui précipite la fermeture de The Filmakers, Lupino, sentant le vent tourner, finit logiquement sa carrière à la télévision (la série des Alfred Hitchcock présente, La Quatrième Dimension, The Donna Reed Show…), avant de raccrocher les gants, à 60 ans. « Hommage à Ida Lupino », du 13 au 19 octobre au festival Lumière (Lyon) Pour aller plus loin : Ida Lupino. A biography de William Donati (University Press of Kentucky)

le mois prochain : épisode 2

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La réplique :

« Les rêves s’évanouissent au réveil. »

L’Aventure de Mme Muir Premier chef-d’œuvre de Joseph L. Mankiewicz, sorti en 1948, L’Aventure de Mme Muir continue de briller par la modernité de son propos. Mieux qu’un conte fantastique ou qu’une comédie romantique, c’est une parabole sublime sur l’émancipation féminine.

© collection christophel

PAR MICHAËL PATIN

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eune veuve têtue, Lucy Muir (Gene Tierney) quitte sa belle-famille pour s’installer dans une maison sur la côte, ignorant les mises en garde des locaux qui disent le lieu hanté. Plutôt que d’entretenir un suspense, Mankiewicz contourne les codes du fantastique en présentant le fantôme, un truculent capitaine de navire (Rex Harrison), comme l’incarnation du fantasme d’indépendance de son héroïne – « J’existerai tant que vous croyez que j’existe », lui confie-t-il. Lucy Muir cède finalement aux avances de Miles Fairley (George Sanders) en qui elle espère trouver une aventure plus tangible. La nuit même, pendant son sommeil, le fantôme lui rend visite une dernière fois. Ce qui donne lieu à une scène de mo­no­logue

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onirique d’une clarté bouleversante au cours de laquelle les variations du cadre et de l’échelle des plans figurent les tourments intérieurs de Lucy. D’abord séparés par la caméra, la jeune femme et son double évanescent se trouvent finalement réunis pour un baiser impossible, instant de symétrie symbolique avant le retour au réel. « Les rêves s’évanouissent au réveil », lance le fantôme, avant de disparaître. Mais rien ne pourra plus détruire l’âme de cette femme à jamais libérée. L’Aventure de Mme Muir de Joseph L. Mankiewicz avec Gene Tierney, Rex Harrison… Distribution : Swashbuckler Films Durée : 1h44 Ressortie le 22 octobre

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MENAHEM GOLAN ET YORAM GLOBUS

Les films Cannon Ils ont façonné une bonne partie des années 1980, bousculé les géants de Hollywood, ravivé l’esprit forain du septième art, pour finir par être oubliés, voire honnis, de l’industrie du cinéma. Voici l’histoire improbable et truculente de Menahem Golan et Yoram Globus et de leur société Cannon Films.

© paradis films

PAR JULIEN DUPUY

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Yoram Globus et Menahem Golam

ela devait arriver : deux documentaires consacrés à la société de production Cannon et à ses dirigeants, Menahem Golan et Yoram Globus, voient le jour quasi simultanément. Le premier, The Go-Go Boys. The Inside Story of Cannon Films, qui sort au cinéma ce mois-ci, frise l’hagiographie, mais a le mérite d’être très émouvant, notamment dans son récit de l’amitié tumultueuse qui unit Golan et Globus. Le second, l’officieux Electric Boogaloo. The Wild, Untold Story of Cannon Films, présenté en septembre à L’Étrange Festival, à Paris, se focalise sur le versant le plus crapuleux de cette compagnie, à grand renfort d’anecdotes croustillantes et d’extraits de films hilarants. La vérité est probablement quelque part entre ces deux films et reste fascinante. Cannon est d’abord une minuscule société de

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production fondée dans les années 1960 et spécialisée dans les films à petits budgets, notamment les nudies (films érotiques soft). À deux doigts de fermer ses portes, elle est rachetée en 1979 par deux cousins tout juste débarqués d’Israël : Menahem Golan, cinéphile et cinéaste, et Yoram Globus, qui a hérité de son père, exploitant de salles de cinéma, un solide sens des affaires. Déjà bien installés en Israël, où ils ont produit nombre de films au travers de leur société Noah Films et réalisé quelques superproductions comme le film de guerre Opération Thunderbolt (1977), avec Yitzhak Rabin et Shimon Peres dans leur propre rôle (!), les duettistes ont atteint les limites d’un marché local trop étriqué pour leur appétit de grandeur. C’est donc sans le sou mais armés d’ambitions démesurées qu’ils partent à la conquête de l’Amérique. Rapidement, Golan et Globus flairent un coup juteux en découvrant une danse qui fait fureur

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décryptag e

De gauche à droite, affiches des films Breakin’(1984), L’Implacable Ninja (1981) et Invasion U.S.A. (1985)

sur la promenade de Venice Beach : le breakdance. En quelques semaines, ils bouclent Breakin’ (1984), un film entièrement dédié à cette mode émergente, qui rapporte presque 60 millions de dollars pour un petit million de budget. Mais c’est avec le film d’action de série B musclé que Cannon connaît une ascension fulgurante, soutenue par l’essor du marché de la VHS. La société initie quantité de sous-genres délectables comme le film de ninja occidental (L’Implacable Ninja, 1981, American Warrior, 1985), le film d’action patriotique (Delta Force, 1986, Invasion U.S.A., 1986) ou le péplum fantas­tique sous stéroïdes (Hercule, 1984, Les Bar­ barians, 1987), révélant par là même de nouvelles stars du genre comme Michael Dudikoff, Chuck Norris et Lou Ferrigno. FOLIE DES GRANDEURS

Mais Globus et Golan aspirent à la reconnaissance de leurs pairs, qui les considèrent avec dédain. Alors que le premier s’épuise à courir après l’argent, le second dépense des fortunes pour s’associer à des auteurs respectés : John Cassavetes réalise avec Cannon son dernier film, Big Trouble (1986), et le cinéaste russe Andreï Kontchalovski fait grâce au studio ses débuts aux États-Unis avec Runaway Train (1986). Mieux encore : à la suite d’un mythique repas pendant le Festival de Cannes, Menahem Golan fait signer à Jean-Luc Godard un contrat rédigé sur la nappe de leur table. Mais le résultat, King Lear (sorti sur les écrans français quinze ans après sa projection à Cannes en 1987), déplaît hautement aux duettistes de Cannon. Menahem Golan menace d’ailleurs, au cours d’une conférence de presse, de conduire le cinéaste devant les tribunaux… Malgré ce faux pas, Cannon parvient à redorer son image : en 1986, six de ses films sont en compétition à Cannes. Mais la folie des grandeurs du duo finit par causer leur

Menahem Golan fait signer à Jean-Luc Godard un contrat rédigé sur une nappe. perte. Aveuglés par leur réussite, ils investissent dans quelques affaires aléatoires (dont l’onéreux rachat d’EMI) et dans une poignée de blockbusters bancals, comme Les Maîtres de l’univers (1987) ou Superman IV (1987), qui se soldent par des échecs. Désespérés, ils multiplient les effets d’annonce (dont une adaptation de Spider-Man), sans parvenir à concrétiser ces films bien trop prometteurs pour êtres honnêtes. La faillite est inévitable. Le pragmatique Globus finit par s’associer avec Pathé pour sauver les pots cassés, et l’intransigeant Golan quitte Cannon pour fonder sa propre société, 21st Century Film Corporation. Irrémédiablement fâchés, les deux hommes poursuivent leur route seuls, fidèles à eux-mêmes : le premier développe une petite affaire fructueuse en créant des studios de tournage ; le second continue vaille que vaille à monter ses films, sans jamais parvenir à sortir de l’ornière de la série Z. Il décède, ruiné mais fier, en août dernier. Les deux compères laissent derrière eux une œuvre éloquente de tous les excès des années 1980, décennie qu’ils ont indéniablement contribué à dessiner en ravivant une certaine idée du cinéma, hautement putassière, certes, mais portée par un amour du spectacle et une envie de plaire au public qui forcent le respect. The Go-Go Boys. The Inside Story of Cannon Films de Hilla Medalia Documentaire Distribution : Paradis Films Durée : 1h30 Sortie le 22 octobre

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Qu’est-il arrivé à Amy (Rosamund Pike), une jeune romancière disparue dans des circonstances inquiétantes le jour de son cinquième anniversaire de mariage ? Pour épaissir le mystère, David Fincher (Seven, Fight Club, Zodiac…) bâtit un dédale de fausses pistes et de brusques révélations au centre duquel il lâche Nick (Ben Affleck), l’insaisissable époux d’Amy, bientôt soupçonné. Soutenu par une mise en scène implacable qui fait se télescoper les points de vue et les flash-back, Gone Girl est un passionnant thriller sur le mariage, cet enfer pavé de rancœur et de suspicion. Rencontre avec le réalisateur, aussi retors que son film. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

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’intrigue de Gone Girl s’appuie sur une structure complexe comprenant des points de vue multiples, différents temps du récit, plusieurs voix off. Comment avezvous abordé l’adaptation du roman avec son auteure, Gillian Flynn ? J’ai rencontré Gillian Flynn et l’on a commencé à parler des éléments du livre que nous voulions conserver. C’est un livre très dense, très feuillu même, et l’on a donc procédé par élagage, jusqu’à n’avoir plus qu’un tronc, une seule histoire à raconter. Cette histoire, c’est celle d’un mariage et de la façade narcissique que nous construisons pour séduire notre « âme sœur », à quel point tout cela devient épuisant et quels renoncements, quelles frustrations cela engendre. C’est une vision plutôt cynique du mariage. Non, cette vision me semble très réaliste. Le film comporte des éléments hyperboliques et absurdes, mais je pense que la colère qui habite les personnages, elle, est tout à fait réaliste. Quand les spectateurs rient devant certaines scènes, c’est parce que, d’une certaine manière, ils se reconnaissent.

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Après Seven ou Zodiac, vous montrez une fois encore votre intérêt pour le thriller. Je ne pense pas que Gone Girl soit un thriller. Il est divisé en trois parties distinctes, trois capsules de tonalités différentes : d’abord, jusqu’au retournement qui intervient à la moitié du film, on est dans le registre du mystère ; puis le film devient un thriller, qui tire vers l’absurde ; avant de se transformer finalement en satire. Je ne m’intéresse au thriller que s’il me permet d’atteindre la satire, de toucher au mystérieux. Et j’aime les histoires qui n’ont pas encore été racontées. Au début du film, Nick offre à sa sœur Margo un jeu de société Mastermind. Faut-il y voir un programme, une annonce de ce qui attend les protagonistes ? Oh God ! Non. Nick et Margo sont des jumeaux qui ont grandi ensemble. Cette scène pendant laquelle il lui apporte un cadeau qui s’avère être un jeu de société merdique et vieillot, c’était plutôt une manière, dès le début du film, d’évoquer leur passé commun et la relation qui les unit, à l’écart du mariage de Nick et de sa vie d’adulte. Ce n’est pas une façon lourde d’annoncer la suite du film. Cela

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« Je hais le tournage. Se lever très tôt, être complètement épuisé, et devoir tirer le meilleur de l’équipe au quotidien. Tout en sachant que c’est impossible. » dit, quand je raconte une histoire, je reste conscient en permanence que les spectateurs ont tendance à charger de sens la moindre chose que je filme. Comme, par exemple, lorsqu’un personnage sort un jeu Mastermind… Dans Gone Girl, vous distillez les informations au compte-gouttes. Je dois être très prudent avec ce que je décide de montrer au public, surtout dans un film comme celui-ci dans lequel les faits et gestes de chaque personnage sont scrutés en permanence. Je sais que les informations que je donne au spectateur seront prises en compte, et qu’elles mèneront à différents niveaux de compréhension. Au début du film, par exemple, quand Amy Dunne vient de disparaître, l’enquêtrice visite la maison du couple. Elle entre dans le bureau d’Amy et commence à fouiner dans des dossiers. L’un d’entre eux porte la mention « services de recouvrement ». À ce moment-là, on voit Nick Dunne qui regarde ce qui se passe et qui s’écarte du mur contre lequel il était appuyé. On peut se dire que sa réaction cache quelque chose. Mais pour moi, ça signifie simplement qu’il n’est pas particulièrement fier de l’état de ses finances, qu’il n’a pas envie que la police sache qu’il a des paiements en retard. Une des choses intéressantes, dans un film qui se demande si oui ou non une femme est morte, c’est que la première réaction des spectateurs est de ne pas s’attacher à elle. Ils

ne veulent pas prendre le risque qu’on retrouve son cadavre dans un baril à la moitié du film. Pendant la première partie de Gone Girl, les spectateurs sont dans cet état d’esprit, et vous ne pouvez rien y faire. Ils ne veulent pas passer de « Cette fille est vraiment géniale » à « Oh mon dieu ! Regarde, ils ont retrouvé sa tête ». Le personnage de Nick est difficile à cerner. Il paraît effacé, comme résigné. C’est notamment frappant lorsque les médias s’emparent de l’affaire : sa maison est assaillie par les journalistes, mais rien ne semble l’atteindre. On parle ici d’un segment très réduit des médias, les vampires de la tragédie. Dans le film, les journalistes qui campent devant le domicile de Nick Dunne incarnent le genre de marée contre lequel on ne peut pas lutter. Ben Affleck a bien compris la fatalité à laquelle est confronté son personnage. Il est parfait dans le rôle du type qui sait que, dans ce genre de situation, votre colère, votre déni, votre abattement, votre résignation ne changeront strictement rien. Quelle étape de la fabrication d’un film préférez-vous : le développement, le tournage, la postproduction ? J’adore le développement, le casting, les répétitions. J’adore tous les détails des costumes et des décors, les essais caméra… Je hais le tournage.

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« Votre film est une preuve de votre bêtise qui restera dans le temps. Vous avez donc plutôt envie qu’il soit bon. » Parce que ce ne sont que des compromis. Se lever très tôt, être complètement épuisé, savoir que tout le reste de l’équipe l’est aussi, et devoir tirer le meilleur de chacun au quotidien. Tout en sachant que c’est impossible. Puis vient la postproduction. Je blague toujours sur ça, mais c’est vrai : au montage, vous ne pouvez que rendre le film meilleur. Donc j’aime aussi beaucoup le montage. Vous êtes souvent décrit comme un metteur en scène perfectionniste, voire obsessionnel. Les gens qui me trouvent perfectionniste sont probablement des fainéants. Ou alors ils n’ont jamais mis les pieds sur un plateau de tournage, ils ne savent pas à quel point c’est un bordel complet. Vous vous retrouvez avec tous ces gens qui ont des capacités intellectuelles différentes et qui sont issus de milieux socio-économiques variés. Tous ont reçu le même scénario, mais interprètent les choses différemment. Cela peut prendre sept ou huit prises pour que le perchman réussisse à se planquer dans un coin tout en suivant l’action, sans

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qu’on le voie dans le reflet de la fenêtre. Vous avez un temps très limité pour transformer vos intentions, vos idées de départ en un produit fini, pour toujours. Car votre film est une preuve de votre bêtise qui restera dans le temps. Vous avez donc plutôt envie qu’il soit bon. Vous avez tourné avec une toute nouvelle caméra numérique, la RED Dragon 6K. Quel regard portez-vous sur l’évolution rapide des techniques de prise de vue ? Les caméras numériques vont devenir de plus en plus petites et efficaces, avec une plus grande latitude d’exposition, une meilleure définition… D’ici deux ans, elles seront sans doute aussi évoluées qu’elles ne pourront jamais l’être. Moi, j’attends avec impatience le jour où tout sera sans fil. Sur Gone Girl, je me suis disputé avec l’assistant caméra. Il réclamait un gros camion pour stocker ses outils, je lui ai demandé ce qu’il comptait réparer avec : les lentilles numériques haut de gamme,  la caméra ? Non, il en est incapable. Il n’avait pas besoin de ses putains d’outils. Si ça ne marche pas, tu redémarres. Et si ça ne redémarre pas, tu prends une nouvelle caméra, point barre. Une caméra Panaflex 35 mm coûte 400 000 dollars. Ces nouvelles caméras numériques coûtent 25 000 dollars. Bientôt, les équipes de tournage devraient logiquement passer de soixante-quinze à vingt-cinq personnes. Et l’on pourra faire trois fois plus de films chaque année. Voilà le monde d’aujourd’hui, il faut vivre avec son temps.

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CRITIQUE

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SECRETS ET MENSONGES Faux-semblants, jeux de rôle, figures du double : dans Gone Girl, David Fincher s’évertue à faire tomber les masques, pour révéler ce qui se cache sous la surface. L’actrice Rosamund Pike, qui interprète Amy, nous aide à y voir clair. PAR JULIETTE REITZER

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p pu yé e c o nt r e le torse de Nick D u n ne, la tête bl o n d e d’A m y D u n ne s’aba ndonne aux cares­ ses. En voix off, le mari confie avoir toujours voulu fracasser le crâne de son épouse pour découvrir ce qu’il contient. Dès son plan d’ouverture, Gone Girl confronte l’image du bonheur conjugal à une violence larvée et annonce son programme : mettre au jour ce qui est caché. Avec acharnement, la caméra de David Fincher ne cesse dès lors de scruter les visages de ses deux héros, masques de chair trompeurs. « Parfois, à la fin d’une journée de tournage, vous avez l’impression de n’avoir fait qu’effleurer la surface, confie l’actrice Rosamund Pike. Avec Fincher, vous n’avez jamais ce sentiment, car il gratte tout le temps, il veut toujours aller au-delà. » La disparition inquiétante d’Amy intervient dès les premières minutes du film, et le montage fait alors alterner deux temps du récit : le présent de l’enquête policière, et des flashback qui révèlent peu à peu l’histoire du couple, de son idyllique rencontre à ses récentes disputes, effritant progressivement l’image du mariage heureux. Se dévoilent aussi les personnalités troubles de Nick et Amy : « C’est d’abord un couple très amoureux, souffle

Rosamund Pike, même si chacun prétend être quelqu’un qu’il n’est pas tout à fait. » Cette idée du jeu de rôle infuse tout le film, comme lorsque Nick répète avec son avocat avant de répondre aux questions d’une journaliste, ou qu’il cache certains éléments de sa vie privée à la police. Amy, quant à elle, est l’auteure reconnue d’une série de livres pour enfants dont l’héroïne s’appelle Amazing Amy, sorte de

Gone Girl confronte l’image du bonheur conjugal à une violence larvée double fictionnel : « Amazing Amy est un personnage que ses parents ont façonné. Imaginez que l’on vous brandisse en permanence un miroir dans lequel vous voyez quelqu’un de meilleur à tous points de vue, plus beau, plus intelligent, plus sportif… Amy est une actrice. Elle est capable de présenter différentes versions d’elle-même. » Entre ces deux adeptes du trompe-l’œil, le film navigue jusqu’à un retournement spectaculaire – autre secret bien gardé, qu’on ne dévoilera évidemment pas ici.  Gone Girl de David Fincher avec Ben Affleck, Rosamund Pike… Distribution : 20th Century Fox Durée : 2h29 Sortie le 8 octobre

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LES DÉDALES DE DAVID FINCHER Au fil d’une filmographie étourdissante, David Fincher n’a cessé de plonger ses héros hagards, et avec eux ses spectateurs, dans de diaboliques mécanismes labyrinthiques. Jamais linéaires, les récits fincheriens progressent en circonvolutions complexes et surprenantes. Visite guidée. PAR JULIETTE REITZER

Alien 3 (1992)

Échouée dans une prison galactique, Ripley (Sigourney Weaver) affronte le monstre alien dans un dédale de couloirs métalliques. Venu de la pub et du clip, Fincher commence son parcours cinématographique douloureusement, perdu dans les méandres d’une production chaotique. Renié par le cinéaste, le film porte néanmoins les promesses visuelles de l’œuvre à venir.

Seven (1996)

Les inspecteu rs Somerset (Morgan Freeman) et Mills (Brad Pitt) suivent la piste tortueuse d’un tueur en série obnubilé par les sept péchés capitaux. L’enquête chemine de salles de bibliothèque en scènes de crime sordides, jusqu’à un final grand iose, en for me de ter r ible impasse. Ce pur film noir impose Fincher en maître des jeux de piste cérébraux.

The Game (1997)

Fight Club (1999)

Panic Room (2002) Lorsque des intrus pénètrent par ef f r a ct ion d a n s leur vaste demeure sur Central Park, une mère célibataire (Jodie Foster) et sa fille (la toute jeune Kris­ten Stewart) s’enferment dans la panic room construite par le précédent propriétaire. Malgré un plan-­séquence virtuose, l’intrigue tourne un peu en rond, prise au piège de ce huis clos aux allures d’exercice de style.

Zodiac (2007)

L’Étrange Histoire de Benjamin Button (2009)

The Social Network (2010)

Coincé dans son quotidien gris et monotone, un exper t en assurances ( Edwa rd Norton) rencontre son charismatique alter ego (Brad Pitt) et fonde un club de combat. Passé le générique, qui cartographie les ramifications d’un cerveau, le film dit la frustration de vivre à l’intérieur d’un système de valeurs rigide et le parcours pour s’en libérer – par la violence.

Benjamin (Brad P i t t) p a r c o u r t l’existence à l’envers : il naît vieillard et meurt nourrisson. Au détour de ses aventures épiques, de La Nouvelle-Orléans à Pearl Harbor, il croise et recroise Daisy (Cate Blanchett), son amour d’enfance. Arrivés tous deux à mi-chemin de leur vie, ils peuvent enfin s’aimer, brièvement : « On a fini par se rattraper », souff le Benjamin.

Fincher raconte la création de Facebook par le jeune ét udiant Mark Zuckerberg (incarné par Jesse Eisenberg). Pris au centre de ce réseau dense et en permanente mutation, l’inventeur génial et son ego meurtri se heurtent sans cesse au même mur – celui de la solitude. À l’image du dernier plan du film, dans lequel Mark rafraîchit mé­caniquement la page de son profil virtuel, encore et encore.

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Nicholas Van Hor­ ton (Michael Dou­ glas) est un homme d’affaires cynique et pressé. Pour son anniversaire, son frère Conrad (Sean Penn) lui offre de participer à u n je u g r a n d e u r n a t u r e. Déboussolé, Nicholas se retrouve pris au piège d’une partie infernale dont il ne soupçonne pas l’issue. Fincher signe un thriller brillant aux rouages scénaristiques implacables.

L’histoire vraie, dans la Californie des années 1960, du tueur en série Zodiac qui sème indices énigmatiques et messages cryptés pour égarer ses poursuivants, dont Robert (Jake Gyl­ lenhaal), un jeune homme obsédé par l’insoluble casse-tête. La mise en scène brillante tient le spectateur captif, bien qu’il sache la résolution impossible : Zodiac n’a jamais été attrapé.

Millénium : les Hommes qui n’aimaient pas les femmes (2012)

Un jou r naliste (Daniel Craig) et une hackeuse (Rooney Mara) en-­ quêtent sur la disparition de la nièce d’un industriel, avec pour fil d’Ariane les lignes de son arbre généalogique. Fidèle à l’atmosphère confinée de ses précédents films, Fincher construit un enchevêtrement narratif complexe, dont les héros ne pourront sortir indemnes.


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SALGADO PORTFOLIO

PÈRE ET FILS PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

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orsque Juliano Ribeiro Salgado était enfant, son père, le célèbre photographe brésilien Sebastião Salgado, commentait pour lui ses clichés à chaque retour de voyage. Un jour, lorsque Juliano a eu 6 ans, Sebastião lui a mis un appareil photo dans les mains. Adolescent, Juliano a accompagné son paternel au Rwanda, en Inde ou dans le tunnel sous la Manche. Un jeu s’est même installé entre les deux

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hommes : en fonction du sujet, le fils devait dégainer l’objectif qu’aurait choisi son père… Cette éducation à la photographie a donné à Juliano le goût de l’image et l’a mené vers une carrière de documentariste – il est notamment l’auteur de Suzana (1996), un film sur l’usage des mines antipersonnel en Angola. Dans Le Sel de la Terre, documentaire présenté au dernier Festival de Cannes, qu’il a coréalisé avec Wim Wenders, le cinéaste rend un hommage émouvant à l’œuvre de l’homme qui l’a

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sebastião salgado, la main de l’homme, 1993

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« C’est un moment très tendu dans la mine d’or de la Serra Pelada, au Brésil. Le flic a un fusil qu’il pointe sur quelqu’un qui a probablement vidé un sac de terre là où il ne fallait pas. S’il tire, les deux hommes mourront, car le policier sera directement lapidé par ceux qui les entourent. On a l’impression que ce sont des esclaves se rebellant contre l’autorité, alors qu’en réalité ils espèrent trouver de l’or. Ces types sont tous des millionnaires potentiels. »

élevé. Le film revient sur le parcours du père photographe à travers un entretien-fleuve illustré par une large sélection d’images emblématiques. C’est que, depuis quarante ans, Sebastião Salgado pénètre des lieux dans lesquels personne ne va pour documenter des enjeux brûlants comme la famine au Sahel, le génocide au Rwanda, les conditions de travail particulièrement rudes dans une mine d’or, au Brésil, ou pour réaliser des sujets plus contemplatifs comme dans la récente série Genesis à travers

laquelle il révèle la beauté de paysages majestueux ou d’animaux considérés avec une grande empathie. Morceaux choisis, commentés pour nous par Juliano Ribeiro Salgado.  Le Sel de la Terre de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado Documentaire Distribution : Le Pacte Durée : 1h49 Sortie le 15 octobre

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sebastião salgado, genesis, 2013

« C’est un iceberg de la mer de Weddell, en Antarctique. On dirait un gros glaçon dans un verre de whisky. Je voulais insérer une séquence sur la prise de cette photo dans mon film, mais je l’ai finalement enlevée au montage. On y voyait le bateau s’approcher du cube de glace, ce qui permettait à Sebastião d’être à bonne distance et de prendre cette photo, sachant qu’il y a une part de chance dans cette opération, car les clichés suivants ne sont pas bons. »

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sebastião salgado, une certaine grâce, 2002

« Cette photo, prise au Mali en 1984, me rappelle cette période au cours de laquelle mon père a disparu pendant quelques mois alors qu’il réalisait un reportage sur la famine dans plusieurs pays africains. En fait, il avait été enlevé en Éthiopie. Le gouvernement éthiopien obligeait alors ses populations à quitter les régions dans lesquelles opéraient les séparatistes. Le peuple était affamé, et c’est le gouvernement qui était à l’origine de cette famine. »

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sebastião salgado, workers, 1986

« Graphiquement, cette photo est très forte. Elle me rappelle le travail du vidéaste Bill Viola. La scène se déroule au Koweït en 1991. Ces hommes essaient d’éteindre un puits de pétrole auquel l’armée de Saddam Hussein a mis le feu en se retirant du pays. Ces types sont en train de risquer leur vie. Le cliché révèle un paysage complétement chaotique dans lequel il faut quand même trouver les moyens d’exister et de faire son travail. »

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sebastião salgado, genesis, 2013

« C’est impressionnant la façon dont la patte de l’iguane ressemble à une main humaine. Il y a un côté guerrier du Moyen Âge qui aurait enfilé un gant de métal. Genesis, le livre dont est extraite cette photo, reflète bien les paradoxes de Sebastião, entre références religieuses et appréhension rationnelle et scientifique du monde. Cet ouvrage marque aussi un tournant dans sa carrière : il passe de problématiques journalistiques à une perspective plus artistique. »

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les F I L M S du 8 octobre au 29 octobre LE DERNIER MÉTRO

Le classique de François Truffaut ressort en version restaurée P. 62

LILTING OU LA délicatESSE

Un premier film sensible sur le deuil et la difficulté à communiquer P. 65

MAGIC IN THE MOONLIGHT

Woody Allen signe une délicieuse comédie romantique P. 68

Mommy

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Acclamé à Cannes, où il a partagé le Prix du jury avec Adieu au langage de Jean-Luc Godard, le puissant cinquième long métrage de Xavier Dolan fait écho à son premier film, tout en jouissant d’une plus grande maîtrise. PAR TIMÉ ZOPPÉ

a productivité du Québécois semble intarissable. À raison d’un film par an – exception faite des deux années qui se sont écoulées entre Les Amours imaginaires et Laurence Anyways –, Xavier Dolan court après le temps, pressé de livrer ses idées au monde depuis J’ai tué ma mère, son premier essai, en 2009. Alors âgé de 19 ans, il amorçait son travail sur le dialogue entre le fond et la forme, usant pêle-mêle de décadrages et de ralentis stylisés, et mélangeant les genres musicaux pour décrire, déjà, les rapports volcaniques entre une mère et son fils. Mommy confirme que les années n’ont pas entamé cette frénésie et cette audace formelle. Il ose le format carré (1:1) pour filmer à nouveau un couple mère/fils borderline et matérialiser le carcan qui les enserre, entre leur amour fusionnel et les explosions de violence du garçon. Avec ardeur, Antoine Olivier Pilon campe Steve, un ado atteint de troubles du comportement renvoyé de son centre d’accueil après avoir provoqué un accident grave. Sa mère (Anne Dorval, qui tenait déjà le rôle de la maman dans J’ai tué ma mère, mais qui compose ici un jeu aux antipodes de cette première prestation) le récupère, assumant ses troubles en même temps que leurs difficultés financières. Afin de

compléter ce duo d’acteurs renversants, Dolan choisit Suzanne Clément, qu’il dirigeait déjà dans J’ai tué ma mère et Laurence Anyways, pour incarner Kyla, la voisine de Steve et de sa mère. Foudroyée par un bégaiement l’ayant forcée à prendre un congé sabbatique, elle s’intègre miraculeusement dans cette filiation incendiaire pour en modifier l’équilibre. Au lieu de s’appesantir sur les racines de leurs problèmes (le doute plane sur l’origine du bégaiement de Kyla ou de l’absence du père de Steve), le récit se focalise sur les enjeux du présent. Le franchissement des limites et l’énergie féroce que déploient les trois héros s’imposent ainsi comme la principale matière du film, ce que Dolan magnifie par ses fameux « effets clip ». Cette fois, il les compose sur des tubes des années 1990-2000 (Dido, Céline Dion, Oasis…), ajoutant la nostalgie à l’intensité du procédé. À l’évidence, tout est fait pour émouvoir, et le réalisateur s’est forgé un sens du mélodrame si aiguisé qu’il parvient à emporter le spectateur dans ses élans lyriques, une fois de plus mis au service d’une histoire gorgée d’humanité. de Xavier Dolan avec Antoine Olivier Pilon, Anne Dorval… Distribution : Diaphana/MK2 Durée : 2h18 Sortie le 8 octobre

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National Gallery Avec National Gallery, présenté à la dernière Quinzaine des réalisateurs, le documentariste américain Frederick Wiseman prolonge son exploration des grandes institutions de ce monde en investissant le célèbre musée londonien. Une réflexion magistrale sur la façon dont se construit notre regard sur l’art. PAR QUENTIN GROSSET

Après le récent At Berkeley (sorti en février dernier), dans lequel Frederick Wiseman s’attachait à étudier tous les rouages de l’université américaine pendant un semestre, c’est donc dans un musée que le réalisateur s’est immergé pendant deux mois. Prenant le temps de le parcourir dans ses moindres recoins – le film dure presque trois heures – le cinéaste s’interroge sur la manière dont est présentée une collection de deux mille trois cents tableaux réalisés entre le xiiie et le xix e siècle. Dans cette immense galerie où le moindre éclairage comme la place d’une peinture par rapport à une autre sont le fruit d’une intense réflexion menée par les nombreuses équipes, tout est affaire de mise en scène. National Gallery est aussi un film sur la communication autour des œuvres : comment amener des publics différents à s’y

> ANNABELLE

Pour fêter la naissance de leur futur bébé, John offre à sa femme, Mia, une poupée ancienne qui va leur faire vivre un enfer… Spin-off du film d’horreur Conjuring. Les dossiers Warren, Annabelle joue sur les mêmes leviers, certes classiques, mais toujours efficaces. R. S. de John R. Leonetti (1h38) Distribution : Warner Bros. Sortie le 8 octobre

intéresser ? Frederick Wiseman filme autant les cours ultra pointus suivis par les étudiants en conservation que les interventions de conférenciers spécialisés pour les enfants en bas âge ou pour les personnes aveugles ; ou encore les désaccords entre membres de la direction du musée à propos des compromis à faire sur l’exposition publicitaire que peut offrir l’événement sportif se déroulant devant les portes de l’établissement. Attentif et passionné, le réalisateur nous montre avec une grande finesse d’analyse que si les peintures vivent encore, c’est grâce à la parole qui circule et oriente notre façon de les aimer. de Frederick Wiseman Documentaire Distribution : Sophie Dulac Durée : 2h53 Sortie le 8 octobre

> PAPA WAS NOT A ROLLING STONE

Stéphanie grandit à La Courneuve dans les années 1980. Fan de Jean-Jacques Goldman, elle rêve de danse et de Paris… En dépit de maladresses dans la caractérisation des personnages, le film fait preuve de bonnes intentions dans son portrait de la banlieue. Q. G. de Sylvie Ohayon (1h39) Distribution : Pathé Sortie le 8 octobre

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> LOU ! JOURNAL INFIME

Les aventures de Lou, une préado rêveuse, et de sa mère, à la masse et accro aux jeux vidéo. Julien Neel adapte sa propre bande dessinée et, malgré un univers en carton pâte hyper saturé un peu irrespirable, donne vie à des personnages qu’il considère avec une grande tendresse. Q. G. de Julien Neel (1h44) Distribution : StudioCanal Sortie le 8 octobre


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> ¡G.A.R.I!

Heritage Fight PAR Q. G.

En Australie, la communauté aborigène Goolarabooloo du village de Broome se bat avec détermination pour sauvegarder son patrimoine, une terre encore sauvage sur laquelle le gouvernement a prévu d’implanter une usine à gaz qui menace l’environnement. Eugénie Dumont filme les batailles tendues entre les autorités et les citoyens

qui défendent leur héritage, tout en donnant la parole aux anciens Goolarabooloo qui racontent leur culture. Elle signe un documentaire édifiant dans lequel s’affrontent deux visions du monde. d’Eugénie Dumont Documentaire Distribution : Dock 66 Durée : 1h30 Sortie le 8 octobre

En 1973, un banquier espagnol est enlevé en France par les GARI (Groupes d’action révolutionnaires internationalistes) pour faire pression sur la justice franquiste qui menace de condamner à mort cinq jeunes anarchistes. Quarante ans plus tard, ce documentaire militant sonde les détails de l’affaire. J. R. de Nicolas Réglat (1h23) Distribution : A-Parts Sortie le 15 octobre

> NINJA TURTLES

Dans ce reboot plutôt fidèle à l’esprit du comics de Kevin Eastman et Peter Laird, les Tortues Ninja, toujours aidées de la journaliste April O’Neil, doivent encore protéger New York du terrifiant Shredder. Mais, cette fois, elles sont animées en 3D. Q. G. de Jonathan Liebesman (1h40) Distribution : Paramount Pictures Sortie le 15 octobre

Les Boxtrolls PAR Q. G.

Dans la ville de Cheesebridge, des créatures habillées d’une boîte en carton, les Boxtrolls, vivent dans les égouts. Elles pâtissent d’une mauvaise réputation, la rumeur voulant qu’elles enlèvent les enfants et volent les fromages. Œuf, un petit humain orphelin, a pourtant été recueilli et élevé par ces monstres. Il doit combattre Archibald Trap-

penard, un dératiseur qui veut tous les capturer… Cet infâme personnage est pour beaucoup dans la fantaisie du film : son allergie au fromage donne lieu à des séquences absolument désopilantes. de Graham Annable et Anthony Stacchi Animation Distribution : Universal Pictures Durée : 1h37 Sortie le 15 octobre

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> GERONIMO

Dans une cité du sud de la France, l’idylle entre une ado d’origine turque et un jeune Gitan embrase les deux communautés. Sur un rythme trépidant, Tony Gatlif suit les efforts d’une éducatrice énergique (Céline Sallette) qui tente d’apaiser les esprits. J. R. de Tony Gatlif (1h44) Distribution : Les Films du Losange Sortie le 15 octobre


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Le Dernier Métro Énorme succès public à sa sortie en 1980, couronné de dix Césars, Le Dernier Métro marque la première collaboration entre François Truffaut et Gérard Depardieu. Chronique en clair-obscur du monde du spectacle pendant l’Occupation, le film revient dans la lumière avec une version restaurée. PAR RAPHAËLLE SIMON

En 1942, le metteur en scène juif Lucas Steiner fait mine de fuir Paris en laissant la direction du Théâtre Montmartre à son épouse, Marion (Catherine Deneuve). Il est, en réalité, caché dans la cave du théâtre, où sa femme vient lui rendre visite chaque jour et d’où il suit les répétitions. Grâce aux directives secrètes de son mari et à l’aide d’un ami introduit dans les milieux collaborateurs, Marion tente de monter la pièce dans laquelle elle donne la réplique à Bernard Granger, résistant et grand séducteur (Gérard Depardieu). Avec Le Dernier Métro, François Truffaut signe le deuxième acte de sa trilogie sur le spectacle – après La Nuit américaine, sur le cinéma –, trilogie qui restera inachevée puisqu’il mourra avant de tourner le troisième et dernier volet sur le music-hall dont il avait écrit le scénario. Filmer les coulisses d’un théâtre, et filmer aussi le quotidien pendant l’Occupation, voilà la double ambition du réalisateur, qui voulait depuis longtemps faire « son film sur l’Occupation ». Il en ressort une chronique très bien documentée qui fourmille de détails historiques sur les conditions de vie et qui présente, à travers la troupe, un spectre complet de la France d’alors : journaliste antisémite à Je suis partout, actrice prête à pactiser avec l’ennemi pour avoir un rôle, administrateur qui fait jouer ses relations collabos pour échapper à la censure, régisseur qui se

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fournit au marché noir, acteur résistant qui refuse tout compromis… Le panel est large, et le jugement peu présent ; c’est d’ailleurs ce qui vaudra à Truffaut la réputation de réalisateur consensuel qui consacrera sa rupture avec la famille des cinéastes plus engagés. Mais ce contexte historique est aussi un fabuleux prétexte pour aborder un thème cher au réalisateur : la dissimulation. Le Dernier métro est un film de l’ombre, qui se déroule presque toujours la nuit, dans des espaces clandestins – coulisses, caves et autres cachettes. C’est que, au Théâtre Montmartre, tout le monde a un secret et tout le monde porte un masque. « Il y a deux femmes en vous », lit Bernard, dans les mains des femmes qu’il courtise. Ce n’est que trop vrai pour Marion, qui aime deux personnes : l’homme du bas, homme d’esprit qui écrit des pièces caché dans la cave, et l’homme du haut, homme d’action qui entre dans la Résistance. Une dualité qui fait l’essence et la beauté des héroïnes de Truffaut et qui résonne comme un clin d’œil quand Catherine Deneuve reprend sur scène une réplique de La Sirène du Mississipi dans lequel elle avait joué sous sa direction dix ans plus tôt. de François Truffaut avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu… Distribution : Diaphana pour MK2 Durée : 2h13 Sortie le 15 octobre

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Les Petits Gars de la campagne PAR T. Z.

Alors qu’elle est en place depuis plus de cinquante ans, la politique agricole commune n’avait jusqu’ici jamais fait l’objet d’un documentaire. Le Français Arnaud Brugier a mis cinq ans pour mener à bien son projet et mettre au jour les conséquences de la PAC sur la vie des agriculteurs auxquels il donne la parole. Tous témoignent d’une certaine amertume et expliquent comment ce système de subventions, censé les soutenir, s’est transformé en piège. L’analyse a tardé, mais cela en valait la peine.

Thomas (Dylan O’Brien), se réveille dans une cage projetée au cœur d’une clairière. L’adolescent, qui ne se souvient de rien, est alors accueilli par un groupe exclusivement composé de garçons. Ceux-ci lui expliquent qu’ils se trouvent au milieu d’un gigantesque et dangereux dédale dont ils peinent à trouver la sortie… Sorte de fusion entre Cube et la

PAR T. Z.

saga Hunger Games, Le Laby­ rin­the, construit sur un principe d’une simplicité efficace, se révèle tout aussi ludique et haletant. Les ressorts sont classiques, mais sportifs et claustrophobes avides de frisson s’y retrouveront.

Après La Campagne de São José, la documentariste Marie-Pierre Brêtas retrouve le Nordeste brésilien. Avec Hautes terres, elle s’intéresse au Mouvement des sansterres en suivant un couple de paysans, Vanilda et Antonio, au moment où celui-ci dispose enfin d’une parcelle, une terre arable qui leur est prêtée par le gouvernement. Mais tout reste à faire, à commencer par la construction de maisons en bois et en boue à la seule force de leurs bras… Le rythme du film est paisible, mais l’enjeu palpitant.

de Wes Ball avec Dylan O’Brien, Aml Ameen… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h54 Sortie le 15 octobre

de Marie-Pierre Brêtas Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 1h27 Sortie le 15 octobre

d’Arnaud Brugier Documentaire Distribution : Les Productions de la Main Verte Durée : 1h20 Sortie le 15 octobre

Le Labyrinthe

Hautes terres

PAR T. Z.

Samba PAR R. S.

Sans-papiers, Samba enchaîne les petits boulots jusqu’au jour où il est menacé d’expulsion. Au centre d’assistance aux migrants, il rencontre la fragile Alice. Ensemble, ils vont tenter de s’en sortir… Trois ans après le succès d’Intou­ chables, Toledano et Nakache changent de registre en basculant dans le mélodrame social (avec quelques bons gros gags quand même). Omar Sy, tout en douceur malgré son accent à couper au couteau, vous décrochera peutêtre même une petite larme. d’Éric Toledano et Olivier Nakache avec Omar Sy, Charlotte Gainsbourg… Distribution : Gaumont Durée : 1h58 Sortie le 15 octobre

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Lilting ou la Délicatesse Malgré les barrières culturelles qui les séparent, un jeune homme tente de se lier avec la mère de son amant décédé. Le réalisateur britannique Hong Khaou signe un premier long métrage sensible et délicat sur le deuil et sur la difficulté à communiquer. PAR QUENTIN GROSSET

Le pitch du film pourrait rappeler celui de Tom à la ferme de Xavier Dolan, sorti en avril dernier. Soit l’histoire de Richard (Ben Wishaw, pudique et gracieux), trentenaire londonien qui, après avoir perdu son compagnon, Kai, souhaite se rapprocher de la mère de celui-ci, Junn (la légendaire actrice chinoise Cheng Pei-pei). D’origine sino-cambodgienne, la vieille dame vit dans une maison de retraite et ne parle pas l’anglais. Elle ne sait rien de la nature de la relation qu’entretenait son fils avec cet homme qui vient déranger son quotidien. Aidés d’une interprète, Richard et Junn vont apprendre à communiquer et à mieux se connaître. Comme dans le thriller de Dolan, donc, on retrouve les thèmes du deuil, de l’acceptation de l’homosexualité et du fossé social. Mais Lilting ou la Délicatesse emprunte

d’autres chemins, moins rudes, moins tendus. Dans une veine plus intimiste et mélodramatique, le réalisateur Hong Khaou (d’origine cambodgienne, lui aussi) distille une certaine suavité, alors même que la violence des sentiments ne cesse de s’intensifier tout au long du film. Faisant le choix d’une narration éclatée, le cinéaste organise des allers-retours entre passé et présent qui ramènent le mort au centre du jeu. Le contact de sa peau, ses derniers mots avant l’accident, ses disputes anodines avec sa mère ou son ami… C’est sur ce genre de détails que se concentre ce film évasif et bouleversant. de Hong Khaou avec Ben Whishaw, Cheng Pei-pei… Distribution : Jour2fête Durée : 1h31 Sortie le 15 octobre

3 QUESTIONS À HONG KHAOU PROPOS RECUEILLIS PAR Q. G. Que signifie le titre du film ?

« Lilting » désigne un rythme doux ou mélodique. J’ai choisi un mot poétique qui s’incarne dans plusieurs éléments du film : les langages, la musique, la douceur avec laquelle les scènes alternent entre passé et présent. Il paraît que les films dont le titre contient le mot « amour » attirent plus de monde. J’aurais peut-être dû faire ça.

À quel point cette histoire est-elle personnelle ?

C’est une histoire très intime, mais pas au sens autobiographique. Ce que l’on voit dans le film ne m’est jamais arrivé. Les thèmes abordés, le deuil, les relations interculturelles ou intergénérationnelles, l’expérience de l’immigration, sont par contre des sujets qui me sont très proches.

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Comment avez-vous accordé les jeux de Ben Wishaw et de Cheng Pei-pei ? Je ne cherchais pas l’harmonie, mais plutôt le contraste. Cheng Pei-pei n’a pas beaucoup de dialogues, et son jeu est très expressif, tandis que Ben Wishaw prononce chaque phrase avec une grande vérité. Cette différence est très belle à voir quand les personnages expriment leur douleur.


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© why not productions - desperate

> LILI ROSE

White Bird Dans Kaboom, le précédent film de Gregg Araki, il s’agissait, entre autres choses, de retrouver le père. Ici, c’est une mère qui disparaît, et une jeune fille qui éclôt. Sensuel et lumineux. PAR LAURA TUILLIER

En se volatilisant, la mère de Kat la laisse finir le lycée et commencer la fac toute seule, comme une grande. Sous la trame du mélodrame domestique – la mère a mené une existence conjugale malheureuse qui l’a rendue méchante – se cache un récit de jeunesse profondément optimiste, accroché en permanence au sourire serein de son héroïne. Ce qui intéresse Araki, c’est la réussite de Kat (Shailene Woodley) qui, loin de se laisser miner par la disparition de sa mère et par la démission de son père, s’épanouit. Comme d’habitude chez le cinéaste, le sexe est au centre de cet apprentissage sensuel de l’existence : il faut voir avec quel érotisme il met en scène les rencontres de la jeune fille avec l’inspecteur chargé de l’enquête, celle-ci préférant faire du policier un amant plutôt qu’un père de substitution. La limpidité du film va de

pair avec la lucidité de l’héroïne, consciente qu’il est en son pouvoir de jouer sa vie comme un drame ou une comédie. Ainsi, White Bird est soutenu par la voix off de Kat, par le regard plein de malice qu’elle se jette dans une glace du rétroviseur, par les pouvoirs dont elle est dotée (jeunesse, beauté, intelligence…) et qui lui permettent de s’évader de l’histoire familiale. Lorsque Kat revient au bercail après un an de fac, le film prend un tournant plus noir qui est presque celui du polar parodique et qui permet à Kat, encore une fois, d’ajuster son regard aux événements et de prendre de la hauteur. Le film finit d’ailleurs dans les airs et Kat en liberté. de Gregg Araki avec Shailene Woodley, Eva Green… Distribution : Bac Films Durée : 1h31 Sortie le 15 octobre

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Deux amis ouvriers rencontrent une jeune bourgeoise (Salomé Stévenin). Ensemble, ils entament un voyage qui va chambouler leurs petits mondes respectifs… Premier film de Bruno Ballouard, ce road trip triangulaire sonne comme une ode revigorante à la liberté. R. S. de Bruno Ballouard (1h30) Distribution : Zelig Films Sortie le 22 octobre

> FURY

Aux derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, l’équipe du sergent Wardaddy (Brad Pitt) doit faire face aux Allemands à bord de son char d’assaut « Fury »… Comme pour ses précédents films, David Ayer (Sabotage, End of Watch) aligne gros casting et gros calibres. R. S. de David Ayer (2h14) Distribution : Sony Pictures Sortie le 22 octobre

> LE GRIMOIRE D’ARKANDIAS

Théo trouve un vieux livre de magie qui donne le mode d’emploi pour fabriquer une bague d’invisibilité. Avec ses amis, il décide de bricoler cette bague, mais reste coincé dans les sphères du non-visible… Imaginez : Harry Potter avec Christian Clavier. Q. G. d’Alexandre Castagnetti et Julien Simonet (1h40) Distribution : UGC Sortie le 22 octobre


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La Légende de Manolo PAR TIMÉ ZOPPÉ

Produit par Guillermo del Toro, qui tentait de concrétiser le projet depuis quatorze ans, La Légende de Manolo méritait bien sa place au cinéma. Premier long métrage d’animation d’un grand studio hollywoodien (la Fox) centré sur la culture mexicaine, il propose aussi un regard intelligent sur la notion de masculinité et de féminité. Sur le modèle des histoires qui se télescopent, on assiste d’abord à la visite d’un musée américain par des enfants survoltés qu’une guide parvient à canaliser grâce au récit d’une légende qui prend vie sous nos yeux : au Mexique, Manolo et Joaquin aimaient depuis leur enfance la même fille, Maria. Passionné par la musique, le premier se vit forcé d’apprendre la tauromachie pour respecter la tradition familiale ; le deuxième

entama une carrière militaire, avec le désir – plus assumé – de prouver sa virilité ; Maria, elle, s’éloigna un temps pour faire ses études dans une grande ville et en revint cultivée, indépendante et apte à se battre… À cette rivalité romantique, qui se joue des clichés, s’ajoutent des aventures liées à la célébration folklorique

du Día de Muertos, le jour des Morts. L’occasion, pour le réalisateur Jorge R. Gutierrez, qui signe ici son premier long métrage, de développer une animation diablement rythmée et colorée.  de Jorge R. Gutierrez Animation Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h35 Sortie le 22 octobre

Des hommes et de la guerre PAR QUENTIN GROSSET

Pour son deuxième long métrage, présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes, le réalisateur français Laurent Bécue-Renard a rencontré des vétérans américains des conflits en Irak et en Afghanistan. Après De guerres lasses (2003), dans lequel le documentariste suivait

déjà la thérapie de trois femmes marquées par le conflit de BosnieHerzégovine, Des hommes et de la guerre revient sur cette thématique des souffrances psychiques héritées des guerres. En s’intéressant à de jeunes soldats rentrés aux États-Unis et dont l’existence est bouleversée par ce qu’ils

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ont vu ou ce qu’ils ont fait sur le champ de bataille, Bécue-Renard offre un recul bienvenu sur ce qui agite quotidiennement la sphère médiatique. Si la longueur des plans est privilégiée, c’est pour garantir la qualité d’écoute donnée à ces témoignages, souvent durs et déchirants. Filmés dans le cadre de leur groupe de discussion ou de leur vie de famille, il est étonnant de voir que ces hommes robustes – qui se livrent peu à leur entourage – se dévoilent ainsi face caméra. Comme si celle-ci était aussi importante que le thérapeute, qui leur apprend doucement à poser des mots sur leurs angoisses, dans le long processus qui mène à la confidence.  de Laurent Bécue-Renard Documentaire Distribution : Why Not Productions Durée : 2h22 Sortie le 22 octobre


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Magic in the Moonlight Comment se laisser enchanter par la vie, alors que l’on pense en connaître tous les sortilèges ? Réponse avec cette délicieuse comédie romantique de Woody Allen, qui a pour cadre la Côte d’Azur des années 1920. PAR ÉRIC VERNAY

Air connu : les clowns ont beau faire les rigolos sur la piste, dès qu’ils retirent leur nez rouge, ils broient du noir. Il en va de même pour le magicien Stanley Crawford (Colin Firth). Sans son grimage de prestidigitateur chinois, il redevient un indéfectible sceptique, doublé d’un sacré snob. Pour lui, en effet, la magie n’est rien d’autre qu’une histoire de « trucs » habiles, de mécaniques rationnelles. Rien ne l’agace plus que la crédulité des gogos devant les mystiques, ces faussaires qui, contrairement à lui, n’ont même pas l’honnêteté de dire qu’ils mentent. Quand l’un de ses collègues magiciens lui propose d’aller débusquer l’imposture présumée de Sophie Baker (Emma Stone), une jeune médium sévissant dans le sud de la France, Stanley y voit une jolie occasion de conforter ses certitudes. Woody Allen, qui nous avait laissés sur une note sombre avec Blue Jasmine,

> ON A MARCHÉ SUR BANGKOK Kad devant la caméra et Olivier derrière : le duo comique embarque pour une nouvelle aventure rocambolesque. En Thaïlande, deux journalistes (Kad Merad et Alice Taglioni) enquêtent sur le mystère entourant la retransmission télé de la mission Apollo 11. J. R. d’Olivier Baroux (1h33) Distribution : Pathé Sortie le 22 octobre

nous revient plein d’entrain et d’amour pour son prochain. Magic in the Moonlight est une comédie romantique gorgée de malice, dans la lignée de Comédie érotique d’une nuit d’été (1982) ou du plus récent Minuit à Paris (2011), qui célébrait déjà le charme rétro de la France des années 1920. Dans le rôle de l’arroseur arrosé – ou du magicien ensorcelé, c’est selon –, Colin Firth est irrésistible. Goujat au possible, mais drôle et attendrissant dans sa quête métaphysique refoulée – son désir de croire s’écharpe avec son athéisme profond –, il forme un couple idéal avec Emma Stone, piquante en fausse ingénue. Dieu est mort ? Vive Woody Allen. de Woody Allen avec Colin Firth, Emma Stone… Distribution : Mars Films Durée : 1h38 Sortie le 22 octobre

> HEART OF A LION

Teppo (Peter Franzén) dirige un groupe néonazi. Il rencontre Sari (Laura Bryan Birn), une serveuse, et entame une relation avec elle sans évoquer ses activités. Elle ne tarde pas à les découvrir, et lui à apprendre qu’elle a un fils métis… Une réflexion sur l’intrication des choix. T. Z. de Dome Karukoski (1h39) Distribution : Jupiter Communications Sortie le 22 octobre

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> LE JUGE

Un avocat solitaire et brillant (Robert Downey Jr.) revient dans sa petite ville natale alors que son père (Robert Duvall), un juge âgé et respecté, est inculpé pour assassinat. L’enquête du fils pour préparer le procès du père resserre des liens filiaux pour le moins distendus. J. R. de David Dobkin (2h21) Distribution : Warner Bros. Sortie le 22 octobre


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Patria Obscura PAR É. V.

Lassé de son métier de photographe, Stéphane Ragot retourne l’objectif sur lui. Sur les traces de ses grands-pères décédés, l’un légionnaire, l’autre parachutiste, le documentaire ébauche l’autoportrait d’un enfant « de l’orgueil et de la honte » au passé familial rongé par les silences. L’occasion, à travers un captivant film-collage jalonné de photos argentiques, de s’interroger sur l’identité française, lacunaire et mouvante. de Stéphane Ragot Documentaire Distribution : DHR Durée : 1h23 Sortie le 22 octobre

Le Moment et la Manière

Chante ton bac d’abord

PAR Q. G.

PAR TIMÉ ZOPPÉ

Le projet, pour le moins singulier, de David André consiste à suivre un groupe d’amis et leurs parents durant l’année du bac et à leur faire écrire et chanter des chansons reflétant leurs sentiments. Son documentaire a pour cadre Boulogne-sur-Mer, une ville dans laquelle le marché du travail est durement touché par la crise. L’objectif des parents, que l’on sent aimants mais inquiets, est que leur progéniture trouve un emploi, quel qu’il soit. Leurs enfants, eux, rêvent surtout de quitter la ville et de partir à l’aventure. Conservant toujours une distance pudique, le réalisateur observe leurs échanges contradictoires et ose les pauses chantées. Dans ces scènes musicales,

le kitsch qui menace est esquivé par une mise en scène dépouillée, loin de l’esthétique du clip. On pense parfois, toutes proportions gardées, aux Chansons d’amour de Christophe Honoré. Surtout, la sincérité manifeste des jeunes gens, qui forment une galerie de personnages attachants (un gentil punk, une apprentie artiste, un dandy décalé…), donne du crédit à l’entreprise. Aucun d’entre eux n’a la velléité de faire carrière dans la chanson – il s’agit seulement de faire quelque chose de leurs émotions –, mais le résultat est aussi plaisant que rafraîchissant.

Dès le commencement, Anne Kunvari nous prévient : nous allons partager le quotidien de son amie Anne Matalon, atteinte d’un cancer, et l’issue sera fatale. Quelques jours après le début du tournage, l’état de santé d’Anne Matalon s’aggrave. Hospitalisée durant deux mois, celle-ci souhaite choisir « le moment et la manière » pour mourir. Portrait d’une femme déterminée, le film questionne les conditions d’accueil des personnes en fin de vie.

de David André Documentaire Distribution : Bodega Films Durée : 1h22 Sortie le 22 octobre

d’Anne Kunvari Documentaire Distribution : Iskra Durée : 59min Sortie le 22 octobre

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Fils de PAR LOUIS BLANCHOT

C’était déjà la problématique d’On ne devrait pas exister, son premier essai pour le grand écran : comment HPG, porno­ crate lo-fi et mégalo, sorte de Louis de Funès du X, pouvait-il s’intégrer au monde du cinéma « traditionnel » ? En le fuyant à toute vitesse. Aussi on ne s’étonnera pas que ce nouveau long métrage commence précisément par l’annonce qu’il ne se fera pas. Abandonnant un plateau de tournage, une équipe et sa « vraie caméra de cinéma », HPG file en voiture pour continuer sa thérapie grand-guignolesque et sournoise dans une sorte de journal de bord schizophrénique à la forme ingrate et pauvre tout droit inspirée du gonzo. On le voit ainsi s’exhiber en clown manipulateur, aimanté par la volonté de devenir un autre homme à cause de sa paternité,

mais toujours en butte avec son environnement et constamment à contretemps — qu’il se révèle incapable de bander pour une scène porno ou qu’il reçoive des convives en peignoir lors d’un dîner. Hésitant sur les orientations à prendre, s’installant sur des territoires créatifs à la fois vierges

et proches du néant, le film est à l’image de son personnage, maladroit, éraflé, mais touchant dans sa manière de ne pouvoir exister qu’en se mettant à nu.  d’HPG avec HPG, Gwenaëlle Baïd Distribution : Capricci Films Durée : 1h10 Sortie le 29 octobre

Fidaï PAR HENDY BICAISE

Avec Fidaï, le réalisateur franco-­ algérien Damien Ounouri ex­­hume ses racines, invitant son grand-oncle à révéler face caméra un pan obscur de son existence. Soit un grand écart avec ses précédents projets, plus aventureux, comme Xiao Jia rentre à la maison (2007), un documentaire

sur le cinéaste Jia Zhang-ke qu’il a réalisé à l’âge de 25 ans sans parler un mot de chinois. De cette rencontre, il a gardé un goût pour le simulacre comme révélateur de vérités jusqu’alors voilées, procédé à l’œuvre dans certains films de Jia (The World, 24 City). Le parti pris de Damien Ounouri consiste

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ici à demander à son grand-oncle El Hadi de décrire et de rejouer ses expéditions punitives d’antan – durant la Révolution algérienne, l’homme était tueur à gages pour le compte du FLN. Pourtant, ce sont d’abord les interludes qui interpellent, notamment un montage choc d’images d’archives et les énumérations glaçantes des principes inhérents au fidaï, nom donné au combattant prêt à donner sa vie pour son groupe armé. Puis, à mesure qu’El Hadi rejoue et revit ses tentatives d’assassinat, l’angoisse et la souffrance du passé le rattrapent. Cette violence, qui traverse les âges et renverse les strates de la représentation, rend ce témoignage unique d’autant plus précieux.  de Damien Ounouri Documentaire Distribution : Les Films de l’Atalante Durée : 1h23 Sortie le 29 octobre


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> #CHEF

Chemin de croix PAR T. Z.

Enserrée entre une famille catholique intégriste et sa propre dévotion au catéchisme, la jeune Maria, à peine 14 ans, s’accable d’un destin de sainte. Son esprit, tout comme la structure du film, chapitrée en quatorze plans-séquences, épouse ainsi le chemin de croix du Christ. La résignation de la jeune fille, qui

reste malgré tout alliée à une touchante candeur, fascine et horrifie tour à tour. Cet implacable scénario a décroché l’Ours d’argent au dernier Festival de Berlin.

Un cuisinier décide de pimenter son quotidien. Entouré de son ex-femme, de son fils et de son meilleur ami, il investit dans un food truck et retrouve goût à la vie… Jon Favreau (Iron Man, Cowboys & Envahisseurs) réalise et interprète ce savoureux road trip culinaire. J. R. de Jon Favreau (1h54) Distribution : Sony Pictures Sortie le 29 octobre

de Dietrich Brüggemann avec Lea van Acken, Franziska Weisz… Distribution : Memento Films Durée : 1h50 Sortie le 29 octobre

> MARY. QUEEN OF SCOTS Inspiré de la biographie romancée écrite par Stefan Zweig en 1938, le film retrace la courte vie de la reine Mary Stuart. Dans une atmosphère angoissante, il déroule le récit de son règne entravé de toute part et de sa fascination pour sa cousine, la reine Élisabeth Ire. T. Z. de Thomas Imbach (2h) Distribution : Aramis Films Sortie le 29 octobre

Que ta joie demeure PAR T. Z.

Après le drame postcarcéral Vic+ Flo ont vu un ours, le Qué­bécois Denis Côté s’attaque au thème du travail à l’usine avec un essai à forte teneur documentaire – dans la veine de son Carcasses (2009) – qui pri­ vi­légie la contemplation. Les mouvements des ma­chines forment un ballet mécanique, alors que les travailleurs sont souvent montrés

dans les moments de pauses, abasourdis par leur labeur. Plus sporadique, la fiction s’insinue par les interventions de quelques personnages, accentuant le malaise qu’installe le travail à la chaîne. de Denis Côté Documentaire Distribution : Norte Durée : 1h10 Sortie le 29 octobre

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> THE GIVER

Jonas vit dans une société du futur dans laquelle les individus sont dépourvus de tous souvenirs et émotions. Désigné comme « passeur », il est le seul à avoir accès à ces vestiges perdus… Le réalisateur de Salt adapte le premier tome de la tétralogie SF de Loïs Lowry. T. Z. de Phillip Noyce (1h37) Distribution : StudioCanal Sortie le 29 octobre


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© carole bethuel

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> FELICIDAD

Vie sauvage PAR R. S.

Paco (Mathieu Kassovitz) décide de partir vivre dans la nature avec ses deux jeunes fils, loin de la vie conventionnelle que leur réservait leur mère. Pendant onze ans, le trio en cavale va trouver refuge dans les bois, les greniers ou les communautés. Mais les enfants grandissent et se lassent de jouer aux Indiens… Après Roberto Succo (2001),

Cédric Kahn adapte un nouveau fait divers pour montrer, avec une tendre bienveillance, le parcours d’un homme qui voit ses utopies se frotter à l’épreuve de la vie.

Du jour au lendemain, Eugenio, associé et ami de toujours de Santiago, se volatilise. Santiago est alors obligé de composer avec l’épouse du disparu, au bureau comme dans l’enquête… Le réalisateur du Fils d’Elias signe une comédie légère sur la quête du bonheur. T. Z. de Daniel Burman (1h32) Distribution : Eurozoom Sortie le 29 octobre

de Cédric Kahn avec Mathieu Kassovitz, Céline Sallette... Distribution : Le Pacte Durée : 1h46 Sortie le 29 octobre

> JOHN WICK

Un cambriolage qui tourne mal, des victimes collatérales, une vengeance à assouvir, une chasse à l’homme… À partir de cette trame limpide se déploie un thriller sombre et violent porté par un Keanu Reeves mutique et énervé, tous flingues dehors. J. R. de David Leitch et Chad Stahelski (1h36) Distribution : Metropolitan FilmExport Sortie le 29 octobre

Fièvres PAR T. Z.

Lorsque sa mère est écrouée, Benjamin, 13 ans, insiste pour aller vivre chez son père, qu’il n’a pour­ tant jamais connu. Celui-ci vit toujours chez ses parents, dans une morne cité de la banlieue parisienne qui semble perpétuellement plongée dans la nuit. Enfermé dans sa colère, Benjamin méprise et dégrade tout ce qu’il côtoie, objets

comme relations… Tout en contant plusieurs trajectoires de libération, le film ne cède pas la place aux illusions et porte un regard sensible sur la solitude de chacun. d’Hicham Ayouch avec Didier Michon, Slimane Dazi… Distribution : Commune Image Média/ La Vingt-Cinquième Heure Durée : 1h30 Sortie 29 octobre

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> FÉLIX ET LES LOUPS

Après une rupture difficile, Félix est embrigadé par une secte qui projette de propager un virus pour contaminer la ville de Nice… Si le film n’a pas toujours les moyens de ses ambitions, Julien Baumgartner se distingue par son interprétation borderline. Q. G. de Philippe Sisbane (1h30) Distribution : Zelig Films Sortie le 29 octobre


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© d. r.

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Le Génie du mal Richard Fleischer, réalisateur hollywoodien prolifique, s’inspire pour Le Génie du mal d’un fait divers sordide et signe un somptueux film noir en scope dans lequel bonne famille rime avec mauvaises manières. PAR LAURA TUILLIER

Un duo inséparable de jeunes bourgeois décide de commettre un crime par pur désir d’expérience extrême. Dès l’ouverture du Génie du mal, le couple d’amis formé par Archie et Judd apparaît comme un étrange alliage d’intelligence audacieuse et de maladresse naïve. Ainsi, à la place d’un crime parfait, les deux meurtriers en herbe laissent traîner un indice qui – Richard Fleischer ne laisse pas planer le doute – les désigne d’emblée comme coupables. Car ce qui intéresse le réalisateur, davantage qu’un suspense d’ailleurs inexistant, c’est de dresser le portrait grotesque et terrible d’une jeunesse détraquée. Archie, le meneur, annonce la folie d’Anthony Perkins dans Psychose (qui sortira un an plus tard, en 1960). Son regard fixe, sa relation maladive à sa mère en font un héros effrayant, tapi sous une bonne éducation et une intelligence glaçante. Quant à Judd, le suiveur, il est le dépositaire de l’émotion qui irrigue le film. Sans cesse au bord des larmes, il suit Archie par attachement à son ami, et, lorsque celui-ci lui ordonne de violer la jeune fille qu’il aime, la scène est stupéfiante. Un champ-contrechamp sur les visages

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bouleversés de Judd et de la fille donne à voir toute la douleur contenue dans une soif du mal que rien ne peut satisfaire. Mais ce qui fait toute la beauté du Génie du mal, c’est l’effet de surprise qu’il ménage à mi-parcours. Alors que le film semble joué, Orson Welles déboule sous les traits d’un avocat anti-peine de mort. Sa présence revivifie le récit, qui se mue alors en huis clos et se concentre sur le procès des deux meurtriers, défendus par un géant charismatique et insondable. Au-delà de la belle séquence de plaidoirie, réquisitoire contre la peine capitale toujours très poignant aujourd’hui, c’est la présence physique d’Orson Welles qui confère au Génie du mal sa force finale. Visage meurtri et corps invincible, Welles apparaît comme le bon génie d’un film pessimiste et prouve aux jouvenceaux que le bel âge n’est pas forcément celui que l’on croit. Le Génie du mal de Richard Fleischer Éditeur : Rimini Durée : 1h43 Disponible

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LES SORTIES DVD

> GERONTOPHILIA

> TOM À LA FERME

> SIDEWALK STORIES

Avec Gerontophilia, le réalisateur canadien Bruce LaBruce, chef de file du mouvement queercore dans les années 1990, délaisse le porno mais ne perd rien de sa radicalité en s’intéressant à l’idylle entre un ado et un vieillard. Même s’il ne comporte aucune scène explicite, le film est très sexuel. Tout en étant très doux, parsemé de ralentis et de gentilles caresses, ou en avançant une critique louable sur la manière dont les personnes âgées sont traitées en hospice, il parle tout de même de fétichisme. Comme dans toute sa filmographie, le cinéaste aborde des sujets trash avec un romantisme exacerbé. Q. G.

Alors que, ce mois-ci, le tant attendu Mommy sort sur grand écran, le précédent film de Xavier Dolan, que l’on avait défendu en avril dernier, paraît en DVD. Tom, jeune publicitaire citadin, est soudain plongé dans la campagne profonde à l’occasion des funérailles de son amant. Le jeune homme ne s’attend pas à ce que la mère du défunt ne sache rien de lui ni à ce que le frère de celui-ci soit prêt à tout pour cacher la nature de leur relation… Pour son quatrième film, le réalisateur canadien s’empare avec brio des codes du thriller, dans une évocation angoissante et sensuelle d’un deuil empesé par les non-dits. Q. G.

Un peintre sans-le-sou trouve une enfant dans la rue et décide de l’élever. L’histoire de Sidewalk Stories ressemble à celle du Kid de Chaplin. Plus qu’une simple relecture, ce film muet tourné en 1989 a la volonté de parler de son époque. Si cette relation paternelle entre le vagabond et la petite fille a en effet une portée universelle, son message politique vise spécifiquement le New York des années 1980, gangrené par les yuppies et les gangsters. Malgré un happy end relatif, Lane rend littéralement la parole aux oubliés de cette société, les sans-abri, auxquels le film désire rendre hommage. C. B.

de Bruce LaBruce (Épicentre)

> 3 PERLES DE LA COMÉDIE BRITANNIQUE d’Alec Guinness (Tamasa)

Alec Guinness, fidèle des films de David Lean (Le Pont de la rivière Kwaï…), a également officié comme acteur comique dans une série de productions anglaises. Ces trois films lui permettent de déployer tout un spectre de jeu, du beau parleur de The Captain’s Paradise (1953) à l’homme falot transfiguré par l’annonce de sa mort prochaine de Vacances sur ordonnance (1950). Mais c’est dans Barnacle Bill (1958) qu’il est le plus touchant. Capitaine condamné à l’échec par le mal de mer, il débarque dans une station balnéaire et réalise un projet fou : la construction d’un bateau immobile qui devient le lieu d’une belle comédie utopique. L. T.

de Xavier Dolan (TF1)

> UNDER THE SKIN

de Jonathan Glazer (Diaphana)

Une mystérieuse vamp (Scarlett Johansson) sillonne les rues de Glasgow en camionnette. Elle cherche des hommes à séduire et attire ceux qui mordent à l’hameçon dans des lieux abandonnés. Là, elle s’adonne à un rituel insoupçonnable, lié à son origine extraterrestre… Jonathan Glazer, qui a auparavant réalisé Sexy Beast (2001) et Birth (2004), livre avec Under the Skin un objet filmique à l’étrangeté pénétrante. Son cinéma fantastique repousse les limites visuelles et se marie parfaitement avec la musique vénéneuse de Mica Levi. Si l’enthousiasmant postulat d’une héroïne dangereuse et prédatrice finit par se retourner, l’expérience reste inoubliable. T. Z.

www.troiscouleurs.fr 79

de Charles Lane (Carlotta)

> COMMENT J’AI DÉTESTÉ LES MATHS

d’Olivier Peyon (Blaq Out)

Le titre est aguicheur mais trompeur. Si Olivier Peyon s’intéresse brièvement aux dégoûtés des maths, c’est pour mieux se libérer d’un sujet plutôt facile et se plonger dans sa véritable problématique, soit l’impact sous-estimé des mathématiques sur le monde. Le réalisateur choisit de se focaliser sur les individus qui aiment et transmettent cette science : des professeurs, des chercheurs… Entre la France, l’Allemagne et les États-Unis, le film met en relief l’aspect imaginatif voire artistique des maths, sans oublier la responsabilité des chiffres et des algorithmes dans la crise des subprimes, prenant ainsi des allures d’œuvre engagée. C. B.


cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

SPECTACLES

Yelle ELECTROPOP

En deux albums survitaminés, Yelle a secoué la pop « made in France » et séduit l’Amérique. Elle revient avec Complètement fou, opus coloré et hypercharnel, produit par le hitmaker Dr. Luke. Rencontre. PAR ETAÏNN ZWER

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© 2014 maciek pozoga

Le truc le plus dément que j’aie fait ? Un concert à Mexico, à La Feria Chapultepec Mágico, une immense fête foraine. Les manèges tournaient, il y avait des lumières partout, c’était fou ! » À l’image de la trajectoire de Yelle. Repérée sur Myspace en 2005 avec « Je veux te voir », riposte au rap macho de TTC, la comète bretonne Julie Budet, acoquinée à son amoureux/acolyte GrandMarnier, s’offre le grand huit. Du hit fluo « À cause des garçons » au déluré Pop-Up (2007), du génial Safari Disco Club (2011) aux premières parties de Katy Perry, sa pop électrique aux punchlines espiègles l’a entraînée dans des tournées XXL, et sa french touch a fait craquer les Américains… et le producteur star Dr. Luke (Britney Spears, Nicki Minaj…). « C’est dingue, ce qui nous arrive. Dr. Luke ! Je ne savais pas qui c’était. On l’a “googlé” : le mec avait signé tous les tubes de ces dernières années ! Il a adoré notre remix de “Hot N Cold” de Katy Perry, on est partis

XVIIIe XIXe

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CONCERT Baxter Dury le 15 novembre à La Cigale P. 84

CIRQUE Tempus Fugit ? jusqu’au 28 décembre au parc de la Villette P. 92

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octobre 2014


LIVRES

KIDS

Le Garçon et le Monde : la chronique d’Élise, six ans P. 86 ARTS

Vous parler de ça de Laurie Halse Anderson provoque le débat P. 88

JEUX VIDÉO

FOOD

bosser à L.A. avec sa team. C’était impressionnant, et à la fois très cool. On a construit chaque titre en partant des mélodies – c’était nouveau pour nous – et de manière très spontanée. C’est lui qu’on entend sur “Complètement fou”. On lui avait traduit et il répétait en boucle : “Complètement fou.” Du coup, on l’a enregistré. » Verdict ? « “C’est du pur Yelle, mais en mieux !” nous a dit un copain. On s’est tout autorisé sur ce disque, c’est de la pop au sens large. » La mutine « Coca sans bulles » tisse electro années 1980 et disco à la Daft Punk ; « Jeune fille garnement » jette Lio dans une mêlée techno ; « Ba$$in » flirte avec le rap et l’eurodance… Moins provoc mais toujours sauvage, entre ironie et mélancolie, ritournelles dancefloor acidulées et textes diaboliquement candides cosignés ici et là par Jérôme Echenoz alias Tacteel de TTC, Complètement fou fait crépiter tous les sens. « Je sais pas si je suis folle de cul, mais l’album parle beaucoup de sexe. On l’a réalisé seulement après coup, en listant les chansons. Et sur “Les Soupirs et les Refrains”, qu’on a écrite avec GrandMarnier, on s’est rendu compte qu’on se livrait vachement. Je vais être émue en la chantant… » L’extatique « Florence en Italie », « Nuit de baise », « Bouquet final »… les relations, l’amour, les corps obsèdent cet opus très sensuel. La mort aussi (« Dire qu’on va tous mourir »), memento mori façon clin d’œil. CRIS DE JOIE

À l’origine, Julie Budet et GrandMarnier avaient choisi d’appeler leur formation YEL pour « You Enjoy Life », avant de s’apercevoir que le nom était déjà pris par un groupe belge. Et puisque yell signifie « crier » en anglais… soyons fous ; crions et embrassons la vie à pleine bouche. « C’est notre album le plus mature, et

JEUX VIDÉO

Bayonetta 2, un des meilleurs jeux de baston au monde P. 96

DESIGN

présente

« Je ne savais pas qui c’était, Dr. Luke. On l’a “googlé” : le mec avait signé tous les tubes de ces dernières années ! » le plus intime. Sur la pochette, ce plan sur mon visage caché dans du pop-corn bleu, c’est une invitation, en mode “Je vais vous en dire plus”, mais sans me dévoiler tout à fait. On voulait traduire aussi notre sentiment d’entre-deux, la France vs les États-Unis, avec les couleurs, cette masse bleue comme un océan, et le pop-corn, symbole de la culture américaine, mais surtout de la fête ! » La dance comme stratégie de rapprochement ? Car si outre-Atlantique on nous l’envie, le duo rêve de conquérir l’Hexagone : « On a fait le grand écart entre « Parle à ma main » [avec Michaël Youn] et des labels comme Kitsuné. Aucun regret, on a toujours fait ce qu’on voulait, mais ici c’est mal vu. J’espère vraiment que le public français va aimer cet album et surtout qu’il viendra nous voir jouer, parce que c’est sur scène qu’on est le plus Yelle. Notre musique s’adresse aux corps et fonctionne à l’énergie pure. » La paire, « accro à la scène » et réputée pour ses shows fabuleux, a donc peaufiné son grand retour avec un live « ultravisuel » : deux batteurs, un set chorégraphié et un final euphorisant durant lequel le pop-corn devrait couler à flots. Il faudrait être fou pour manquer ça. Complètement fou de Yelle (Kemosabe/Because) Disponible En concert le 16 décembre à La Gaîté Lyrique

le PARCOURS PARISIEN du mois

EXPOSITION « Niki de Saint Phalle » jusqu’au 2 février au Grand Palais P. 94

FOOD Jacques Génin – La Chocolaterie 133, rue de Turenne Paris IIIe P. 98

www.troiscouleurs.fr 81

DESIGN H&M Home 115, avenue de France Paris XIIIe P. 99


cultures MUSIQUE

sélection

©thomas neukum

PAR MICHAËL PATIN

ELECTRO

Caribou PAR ÉRIC VERNAY

« Je ne peux pas me passer de vous. » De cette déclaration initiale découle un disque généreux. Dan Snaith, alias Caribou, a changé. Auréolé du succès de Swim en 2010 et désormais père d’une fille de 3 ans, le Canadien est moins centré sur sa personne. « Pour la première fois, j’ai fait de la musique pour les autres, et non plus seulement pour moi-même. J’ai voulu à la fois donner quelque chose, faire plaisir au public et incorporer ma vie personnelle. C’est un disque inclusif, et non solitaire comme auparavant. » Et musicalement, qu’est-ce que ça change ? Les nappes aquatiques semblent s’éclaircir ; comme si le musicien-scaphandre, après avoir contemplé les abysses drum and bass au parfum pop et psychédélique, remontait doucement vers la surface inondée de lumière. Les pulsations se font plus sensuelles, tachées de couleurs soulful et volontiers hip-hop ou R&B grâce au grain vocal voluptueux de Jessy Lanza. Mais tout gorgé d’amour qu’il est, l’ex-fan de rock progressif ne s’est pas pour autant transformé en Bisounours new age. La mélancolie palpite encore çà et là. « Comme souvent dans la musique électronique, qui permet à des gens appartenant à différentes minorités de trouver un endroit où ils peuvent célébrer le fait d’avoir surmonté leurs difficultés ensemble, le disque mêle mélancolie et bonheur. Il inclut les aspects négatifs de la vie, sa tristesse, mais la célèbre au lieu de se lamenter », explique ce diplômé de mathématiques. « J’ai la trentaine bien sonnée, autour de moi les gens ont des enfants ou ont divorcé, les relations amoureuses sont plus complexes, ce n’est plus l’âge des premiè­ res fois. L’amour dont je parle est donc compliqué, retors, en mouvement. » Et réciproque. Our Love de Caribou (City Slang/[PIAS]) Disponible

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NEHRUVIANDOOM

BENIDORM DREAM

de NehruvianDOOM

de Koudlam

En ces temps de cruauté où souiller les légendes est devenu un sport populaire (le Wu-Tang Clan vient d’en faire l’amère expérience), cette vieille canaille de MF DOOM continue de slalomer entre les crachats. Hier muse au flow de kryptonite (Madlib, Danger Mouse, Jneiro Jarel), il se change en pygmalion pour le flow moelleux du très jeune Bishop Nehru. Samples de jazz, beats agités, ambiance cinoche, il place son esthétique entre les mains du présent et s’en trouve ressourcé.

Imaginez un disque de techno qui plairait autant au fan de Pink Floyd qu’à celui de Gucci Mane. Un disque qui donnerait de la joie à votre sœur comme à votre grand-mère. Impossible ? Koudlam l’a fait, en s’égarant dans la galeuse Benidorm, là où les scansions de fêtes foraines servent de grandes orgues et où les crooners ricanent en prostituant leur spleen. Un voyage au bout de l’Occident duquel surgit un autre rêve, aussi universel que possible.

(Lex/Differ-Ant)

SPIRIT OF MALOMBO

Collectif

(Strut/La Baleine)

On entend dire que le futur de la musique est en Afrique, mais il ne faudrait pas oublier que son passé l’est aussi. Avant de s’exiler à Londres dans les années 1970 pour y faire carrière, le batteur sud-africain Julian Bahula a déjà inventé un genre à part entière avec son groupe, The Malombo Jazzmen, mêlant les traditions rythmiques locales aux dernières innovations du jazz. Grâce à cette compilation très bien fournie (deux heures de pur bonheur), le label Strut nous replonge dans cette modernité méconnue.

octobre 2014

(Pan European Recording/ Sony)

TYRANNY

de Julian Casablancas + The Voidz (Kobalt/[PIAS])

Cinq ans après une première escapade solo maîtrisée (Phrazes for the Young), le chanteur des Strokes revient, et il n’est pas content. Accompagné du groupe The Voidz, il crie sa haine de l’industrie et promet de faire exploser les standards de l’époque. Tyranny est un disque excessif, bourré d’expériences bruitistes et d’arrangements carabinés, dans lequel le sublime (« Human Sadness », single de onze minutes) côtoie le ridicule. Pas de quoi changer le monde, mais un suicide commercial de haute volée.



cultures MUSIQUE

Baxter Dury

© margaux ract

POP

Après Happy Soup, retour gagnant du lad anglais avec un quatrième album de pop à deux voix, entre conduite adroite et sorties de route alcoolisées. Moins soupe à la grimace que cocktail tropical, It’s a Pleasure est un nectar. PAR WILFRIED PARIS

Après les confidentiels Len Parrot’s Memorial Lift (2002) et Floor Show (2005), tous deux sortis sur Rough Trade, et l’adoubé, tant par la presse que par le public, Happy Soup (2011), publié lui par Regal, le Londonien Baxter Dury développe son propos (petits meurtres entre amis, déconfitures sentimentales, nostalgie instantanée) et son style (minimalisme electropop, mix aéré, spoken words) sur l’ambivalent, aigredoux et faussement ingénu It’s a Pleasure. Le rejeton quadra de Ian Dury (auteur, avec ses Blockheads, du très culte single « Sex & Drugs & Rock & Roll ») au savoureux accent cockney y raconte ses (boires et) déboires sentimentaux en un permanent contrepoint entre chant désabusé masculin (le bad lad) et chœurs ou refrains féminins gracieux (la pretty girl Fabienne Debarre), comme une version so british de Bonnie & Clyde ou la vision simultanée des deux côtés du yin et du yang – Serge Gainsbourg meets Shakespeare. Baxter Dury s’y présente sous différentes facettes plus ou moins engageantes comme un « tueur en série amical », mariant avec finesse

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l’autodérision et la conduite dangereuse. « Les comportements extrêmes sont plus possibles à Londres que partout ailleurs, car les Londoniens sont extrêmement tolérants avec les différents types de modes de vie. » D’une party s’achevant par la visite des bobbies appelés par des voisins en colère (« Police ») aux rêvasseries d’une femme sous les palmiers artificiels d’un centre commercial (« Palmtrees »), en passant par les flux de pensées du chanteur au bord d’une piscine dans l’eau de laquelle ondule la sirène désirée (« Other Men’s Girl »), Baxter délivre une collection de chansons à clés (exit les très littérales « Claire » et « Isabel » du précédent opus), plus abstraites et poétiques, mais aussi plus enlevées et enjouées, en particulier grâce aux mélodies fines, à la production nette (guitare-basse-boîtes à rythmes et une pincée de synthés) et au mixage rendant tout clair et distinct, à la fois doux et riche, pop et clever. C’est un vrai plaisir. le 15 novembre à La Cigale

octobre 2014


agenda Par E. Z.

LE 11 OCT.

LE 23 OCT.

LA JIMI Bonne pioche au salon annuel des indés (labels, fanzines, radios…), avec le duo sonore et visuel Gangpol und Mit et sa synthpop de cartoon acidulée, l’ovni groovy congopunQ et son electro funk vaudou, et les allumés de Salut C’est Cool – coucou fans de Sexy Sushi – armés de leur techno variété bordélique.

SHABAZZ PALACES Contre le rap auto-tuné, le duo de Seattle (ou plus sûrement de Mars) lance un « cri de guerre béat » : Lese Majesty, deuxième LP virtuose et déjanté, au long duquel s’épanouit son hip-hop mutant croisant esprit afro, trap, beats viciés, bleeps technoïdes et flow habité, dans un chaos psyché étrangement captivant.

LE 21 OCT.

DU 30 OCT. AU 1 ER NOV.

TY SEGALL Aux côtés du spunk band Zig Zags et du combo psyché noise J. C. Satàn, l’hyperactif et talentueux Californien fera honneur à sa réputation de bête de scène en lâchant le rock’n’roll mâtiné de glam et de grunge de son dernier opus – la bombe Manipulator – lors d’un show rituel garage et rétro à souhait.

PITCHFORK MUSIC FESTIVAL Caribou en version dancefloor, le crooner post-dubstep James Blake, Jamie xx, l’electro capiteuse de Four Tet, Mogwai, St. Vincent, le magicien pop Son Lux, Chvrches, Mø… entre pointures et jeunes loups sémillants, cette 4e édition s’annonce (très) excitante.

LE 23 OCT.

LE 4 NOV.

OPAL TAPES Les Instants Chavirés invitent le jeune mais ardent label anglais pour une nuit techno radicale et bandante animée par l’hypnotique Américaine Karen Gwyer, l’acid house frissonnante du génie Patricia, le cascadeur lo-fi Holovr, l’abstract ambient de Wanda Group et la noise pulsée de Basic House.

ZOLA JESUS Artisane d’une goth pop/ electronica sophistiquée, la sœur rêvée de Siouxsie et de Fever Ray revient avec Taiga, cinquième pépite coproduite par Dean Hurley (Lykke Li, Danger Mouse), louvoyant entre dance théâtrale et envolées cristallines, qu’elle dévoilera lors d’une session sauvage, forcément.

au Hangar (Ivry)

à La Cigale

au Café La Pêche (Montreuil)

au Batofar

à la Grande Halle de la Villette

au Badaboum


cultures KIDS

CINÉMA

Le Garçon et le Monde

l’avis du grand

Plus habituée aux films narratifs que sensoriels, notre petite critique a été à la fois bouleversée et enthousiasmée par le Cristal du long métrage (et Prix du public) du dernier festival d’Annecy. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier « Ça parle d’un petit garçon dont le papa part et prend un train bizarre, avec une trompe à la place de la cheminée. Ensuite le garçon découvre le monde et rencontre des gens gentils ou méchants. Il apprend aussi comment on fait du tissu : il faut prendre des fleurs dans un arbre, les mettre dans des camions qui les emmènent dans une usine où ensuite des machines font le tissu. Les dessins du film ressemblent à des choses toutes simples mais un peu travaillées. Les personnages parlent, mais on ne comprend pas ce qu’ils disent – je pense qu’ils parlent japonais. Des fois c’est très étrange, parce qu’il n’y a plus rien sur

d’ Élise, six ans l’image ; quand le petit garçon écoute la musique de son papa, il n’y a plus que le petit garçon, une boîte de son papa et rien d’autre ! C’est peut-être parce que le petit garçon ferme les yeux et ne voit plus rien. Je trouve qu’il faut aller voir le film, même si c’est un peu triste. D’ailleurs j’ai un peu pleuré, mais c’est bizarre, il n’y a pas vraiment d’explication à pourquoi j’ai pleuré. » Le Garçon et le Monde d’Alê Abreu Animation Distribution : Les Films du Préau Durée : 1h19 Sortie le 8 octobre Dès 4 ans

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octobre 2014

Le Garçon et le Monde est une pure expérience viscérale. Sans aucun dialogue intelligible et sur une trame extrêmement ténue (un garçon quitte la maison familiale pour chercher son père, parti travailler à la ville), le cinéaste brésilien Alê Abreu a conçu un voyage intérieur bouleversant, celui d’un jeune héros contraint d’affronter un monde en pleine métamorphose qui va le faire grandir trop vite. Tour à tour épuré et foisonnant, le graphisme atypique du film se plie aux émotions des personnages avec des envolées lyriques mémorables, soutenues par une bande originale incroyable. À la fois extrêmement intime et indéniablement universel, Le Garçon et le Monde est de ces films qui nous rappellent à quel point l’animation peut être un médium d’expression artistique d’une rare puissance. J. D.


À la poursuite du roi Plumes PAR T. Z.

Le petit Johan mène une vie heureuse jusqu’à ce que sa mère succombe à la maladie. Son père lui dit que le roi Plumes l’a emmenée dans son royaume et qu’elle ne reviendra plus. Pour ne pas connaître le même sort, père et fils déménagent sur un bateau… Esben Toft Jacobsen construit un univers doux pour alléger cette histoire sur la difficulté du deuil dans l’enfance. Les personnages sont figurés par des animaux et les paysages sont lumineux. Le voyage de Johan dans différents mondes évoque l’imaginaire imprévisible d’Hayao Miyazaki, dont on retrouve aussi le goût pour les personnages riches, loin du modèle binaire « méchant ou gentil ». Sérénité et optimisme font bon ménage face à un sujet aussi sensible. d’Esben Toft Jacobsen Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 1h18 Sortie le 15 octobre

Dès 6 ans

et aussi

© succession pierre zucca ; a. robin

PAR CHLOÉ BEAUMONT

CINÉMA

FESTIVAL

Des artistes de cirque, des jouets, des statues dansantes, un bébé voiture et des cow-boys sont les personnages de ces cinq courts métrages polonais des années 1960. L’artisanat de l’animation fait le charme de ces discours sur la liberté artistique (Le Petit Quartet), la tolérance interraciale (Le Chapiteau sous les étoiles) ou les travers de la modernité technique (La Surprise). MINOPOLSKA

Mon Premier Festival fête ses 10 ans. Au programme, une centaine de films, dont une rétrospective consacrée à Michel Ocelot (Azur & Asmar), en sa présence, des thématiques (Cinémas d’Afrique, Créatures et compagnie), des avant-premières, des ciné-concerts… En plus, l’entrée est gratuite pour les enfants qui fêtent leurs 10 ans en même temps que le festival – quatre euros pour les autres. Mon Premier Festival

Collectif Animation Distribution : Malavida Durée : 46min Sortie le 8 octobre Dès 3 ans

du 22 au 28 octobre dans onze cinémas, au Forum des images et à la Gaîté Lyrique Dès 2 ans


cultures LIVRES / BD

Vous parler de ça

© d. r.

COUP-DE-POING

Avec l’histoire d’une lycéenne traumatisée en secret par un viol, Laurie Halse Anderson provoque le débat outre-Atlantique depuis quinze ans. Son roman est enfin traduit en français. PAR BERNARD QUIRINY

Melinda, 14 ans, entre au lycée. Bizarrement, cette ado brillante et pétulante traîne les pieds en classe. Ses notes s’effondrent, son comportement laisse à désirer. Aucune bande ne l’accepte. Seuls les cours d’art plastique du loufoque M. Freeman suscitent son intérêt, mais elle ne voit pas comment relever le défi qu’il lui propose : consacrer toute l’année à peindre des arbres. Pour finir, Melinda s’enferme dans le mutisme et fait l’école buissonnière. « Je n’ai pas d’amis, songe-t-elle. Je n’ai rien. Je ne dis rien. Je ne suis rien. Je commence à me demander combien de temps il faudrait pour atteindre l’Alaska en bus. » Évidemment, un traumatisme est à l’origine de cette spirale. Au fil des pages surgissent des indices : une soirée du mois d’août, des parents absents, un coup de fil à la police… Que s’est-il passé pour que son monde se brise ? Écrit à l’origine pour un public adolescent par Laurie Halse Anderson, auteure spécialisée dans les récits pour la jeunesse, Vous parler de ça a rencontré dès sa sortie en 1999 un succès monstre : deux millions d’exemplaires vendus aux États-Unis et une adaptation au cinéma (Speak) par Jessica Sharzer, avec Kristen Stewart dans le rôle principal. Cet engouement doit sans doute au sujet tabou dont il s’empare, le viol chez les adolescents,

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mais ses qualités littéraires jouent aussi. Écrit à la première personne, en courts chapitres qui sont autant de sketches sur la vie scolaire, Vous parler de ça mélange le bagout d’une ado sarcastique avec la désespérance née de son viol, la romancière construisant en outre une symbolique à partir des sujets abordés en cours, La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne, la peinture cubiste ou les poèmes de Maya Angelou. Quinze ans plus tard, ce beau roman continue de susciter le débat aux ÉtatsUnis, en raison des ligues de vertu qui hurlent à l’immoralité et se plaignent qu’on le trouve dans les bibliothèques publiques et dans les écoles. Ce à quoi Laurie Halse Anderson répond qu’il est temps de confronter la jeunesse à la réalité du drame qu’est le viol, qui frappe une femme sur six et un homme sur trente-trois en Amérique. En attendant, le livre continue de se vendre et d’être traduit partout dans le monde. On annonce même une adaptation en roman graphique pour 2016. Melinda en a bavé, mais sa bonne étoile veille désormais sur elle. Vous parler de ça de Laurie Halse Anderson Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Chabin (La Belle Colère)

octobre 2014


sélection Par b. q.

RIVIÈRES DE LA NUIT

de Xavier Boissel (Inculte)

En prévision du jour où tout sombrera, une puissante fondation construit un conservatoire d’espèces naturelles dans le sous-sol du Groenland. Sa gardienne, Elja, s’y réveille au lendemain du cataclysme, immergée sous les eaux… Xavier Boissel reprend les thèmes de l’apocalypse et du dernier homme dans ce court roman spéculatif et critique, et rejoint ainsi toute une nouvelle école française de l’anticipation sociale, menée par des auteurs tels que Philippe Vasset ou Benjamin Berton. Pas mal.

SAN MICHELE

L’HOMME DESCEND DE LA VOITURE

de Pierre Patrolin (P.O.L)

Le héros achète une nouvelle voiture. L’odeur des plastiques neufs, les paysages qui défilent, ce torrent de sensations multiples… Puis, chez lui, il découvre un fusil. Qu’en faire ? Tout déraille imperceptiblement dans cet étrange roman de Pierre Patrolin, qui commence comme une ode à l’automobile, avant de virer vers le polar décalé, avec un suspense miniature et curieusement captivant. Une expérience de lecture pleine de détails et de parfums. Laissez-vous conduire.

TROISIÈMES NOCES

de Thierry Clermont

de Tom Lanoye

Depuis 1837, l’île de San Michele est le cimetière de Venise. Des artistes célèbres comme Igor Stravinsky, Ezra Pound ou le compositeur Luigi Nono y sont enterrés ; c’est aussi un lieu de promenade mélancolique et poignant où le journaliste et poète Thierry Clermont a souvent marché… Il en tire ce récit inclassable et érudit, somptueuse méditation sur Venise, le temps, l’amour et le passé, en multipliant les citations littéraires et dans une langue parfaite. Splendide.

Il est vieux, gay, fauché, malade. Elle est jeune, noire, expulsable. On propose à Maarten d’épouser Tamara : un pur mariage blanc, contre rémunération. Il accepte. Une cohabitation improbable commence, le temps de convaincre les contrôleurs sociaux que leur amour n’est pas bidon… De cette idée, Tom Lanoye tire une comédie burlesque et ravageuse, qui compense la maigreur de l’intrigue par un humour noir implacable et une écriture exubérante du meilleur effet.

(Seuil)

(Éditions de la Différence)


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Building Stories

sélection par s. b.

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

ULYSSE. LES CHANTS DU RETOUR

de Jean Harambat

Building Stories de Chris Ware (Delcourt) Sortie le 29 octobre

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(Denoël Graphic)

La littérature hante l’œuvre de Jean Harambat. Avec Ulysse. Les chants du retour, il construit un dialogue pertinent, souvent comique, entre les mythes grecs et notre époque. Les allers-retours, entre l’intrigue adaptée de Homère et les interviews de contemporains (bibliothécaires, lettrés…) invitent à réfléchir sur le vieillissement des mythes grecs et sur leur place dans nos sociétés modernes.

L’adaptation, par Ugo Bienvenu, du roman de David Vann Sukkwan Island (prix Médicis étranger 2010) fait montre d’un grand et beau désir de dessin, de s’affronter à l’âpreté de la nature par le trait, d’en saisir l’état sauvage et les effets sur la psyché d’un père et de son fils venus s’isoler loin des tourments familiaux. Quelque chose manque pour dissiper l’ambiguïté de ce roman cruel sur la responsabilité, mais le malaise s’insinue indubitablement chez le lecteur.

TU MOURRAS MOINS BÊTE. T. 3

de Frank Miller

(Actes Sud BD)

C’est un joli coffret qui renferme quatorze ouvrages de formats variés, comme autant de fragments de la vie d’une fleuriste unijambiste submergée par la solitude ; la somme d’une existence capturée dans une boîte. La bande dessinée est-elle capable de capturer une vie ? Voilà la question qui, depuis plusieurs années, hante Chris Ware. Building Stories est l’une des réponses formelles qu’il propose. Et comme à son habitude, la réflexion et la concrétisation sont exceptionnelles. Seul, et sans indication, chaque lecteur doit saisir au hasard un livre, attiré par le format ou par un détail de fabrication. Peu à peu, il pénètre l’émouvant quotidien d’une fleuriste unijambiste. Chaque ouvrage adopte une forme, une narration et une temporalité différentes. L’un s’attarde sur les réminiscences d’un amour de jeunesse évanoui subitement dans la nature ; un autre donne un aperçu de sa vie de famille ; un autre encore plonge dans les pensées d’une abeille qui butine non loin de l’appartement ; un dernier enfin cède la parole au fameux building du titre, vieil édifice qui en a vu, du monde, en un siècle, et qui aime autant gloser sur le quotidien de ses locataires que sur celui de la vieille logeuse qui l’a toujours administré. Building Stories offre à chaque lecteur une expérience de lecture singulière. Nul doute que ce livre-objet s’érigera, par sa forme mais également par sa perfection littéraire, comme l’événement de la bande dessinée de ces dernières années. D’autant que Chris Ware, le temps aidant, apprend à libérer ses émotions. Qu’elle semble loin, la froideur de la jeunesse et de Jimmy Corrigan, face à la bienveillance et au désespoir désarmant avec lesquels il dépeint aujourd’hui la condition humaine.

SUKKWAN ISLAND

d’Ugo Bienvenu

de Marion Montaigne (Delcourt)

Voici enfin le nouveau recueil – le troisième – du meilleur blog de bande dessinée de France, et de loin. Une ode à la science et à l’absurde entremêlés, en prise avec les sujets les plus variés. Tout, chez Marion Montaigne, invite à l’éloge : la crédibilité des informations qu’elle diffuse, le ton professoral hilarant de son personnage, la présentation sous forme de courrier des lecteurs. Génial.

octobre 2014

DAREDEVIL. T. 1

(Panini Comics)

Tous les épisodes dessinés par Frank Miller au début des années 1980 – et alors publiés, en France, dans les pages du magazine Strange –, sont réédités pour la première fois dans une version non censurée, sur du papier mat et avec des couleurs sublimes. Moment culte de la mythologie Marvel, avec, notamment, la création d’Elektra, Daredevil amorçait la transformation de la bande dessinée de super-héros vers des récits plus adultes.


cultures SÉRIES

PLATEFORME

Amazon

Tandis que Netflix fait les gros titres, un autre acteur du web bouscule à sa manière le paysage sériel. Amazon vient de lancer Transparent et prépare la suite via ses désormais rituelles sessions de pilotes en ligne.

© amazon studios

© julien hekimian / getty images

PAR GUILLAUME REGOURD

LE CAMÉO George Clooney dans Downton Abbey

Transparent

Bosch, d’après Michael Connelly. Et, déjà, Amazon a présenté en septembre une nouvelle fournée de pilotes. On passera sur Hysteria, thriller idiot sur une épidémie touchant des lycéennes, et sur Hand of God, avec Ron Perlman en juge affublé de visions mystiques. Plus réjouissantes, les comédies Red Oaks, sorte d’Aventure Land dans un country club produite par David Gordon Green, The Cosmopolitans, badinage un peu cliché autour d’expatriés américains à Paris signé Whit Stillman, et Really, réflexion grinçante sur le mariage. Pas encore le nouvel HBO, mais l’envie est là de bousculer l’écosystème des séries, pardon, des « contenus originaux ».

sélection Extant Une astronaute (Halle Berry) rentre d’une mission solo d’un an dans l’espace. Surprise : elle est enceinte – postulat SF classique et toujours efficace. Mais Extant, la dernière série produite par Steven Spielberg, veut trop en faire et introduit aussi un garçonnet-robot copié sur celui d’A. I. Résultat : un mille-feuille de références par trop indigeste.

Sur M6

Sur ITV

Par G. R.

The Americans La saison 2 de The Americans confirme le potentiel seulement entrevu lors de son premier exercice. Les intrigues à tiroirs demeurent un peu systématiques, mais l’étude de caractères, elle, prend une autre dimension. Matthew Rhys et Keri Russell sont fabuleux en barbouzes emperruqués tiraillés entre la mère patrie soviétique et leur famille en voie d’américanisation. S2 sur Canal+ Séries

www.troiscouleurs.fr 91

Rectify Impossible de lui échapper ce mois-ci, et c’est tant mieux : l’éblouissante Rectify mérite de gagner en notoriété. Ce drame de la réinsertion, avec son héros sorti de prison après vingt ans passés dans le couloir de la mort, alterne avec brio séquences introspectives et poussées d’adrénaline ; et marque l’éclosion d’un grand comédien, Aden Young.

S1 sur Arte, S2 sur Sundance Channel

© cbs ; 2014 twentieth century fox film corporation and bluebush productions, llc. all rights reserved ; blake tyers

Le monopole de la télé sur les séries a décidément vécu. Derrière l’épouvantail Netflix, Amazon se montre de plus en plus agressif. Sur le terrain de la V.O.D. depuis 2006, le géant de la vente par correspondance s’est mis en 2013 à produire ses propres contenus, soumettant au vote des internautes leur pilote façon La Une est à vous. En février, Transparent, tragi-comédie à la Noah Baumbach sur un père de famille transgenre (Jeffrey Tambor), réussissait son examen de passage. Sa première saison vient d’être mise en ligne. Suivront le sous-X-Files The After, la comédie sur les coulisses d’un orchestre symphonique Mozart in the Jungle et le polar

Enfin presque. La star hollywoodienne jouera bien en costume aux côtés du comte de Grantham, incarné par Hugh Bonneville, son partenaire dans Monuments Men. Mais il ne s’agira que d’un sketch diffusé le jour de Noël au Royaume-Uni dans le cadre d’une soirée caritative de la chaîne ITV. Clooney, fan déclaré de la série, s’est en tout cas amusé comme un petit fou à garder le secret autour de cette apparition, prétextant même, au moment du tournage, effectuer un repérage pour son propre mariage dans le monumental château de Highclere. G. R.


cultures SPECTACLES

Tempus Fugit ? CIRQUE

Spectacle anniversaire sur la fuite du temps et sur le caractère éphémère des arts vivants, Tempus Fugit ? Une ballade sur le chemin perdu retrace trente années d’aventures du légendaire Cirque Plume.

© yves petit

PAR ÈVE BEAUVALLET

Le vent a soufflé sur le Cirque Plume depuis sa fondation en 1984. Délicatement, il a transporté cette troupe « familialo-amicale » des fêtes rurales franc-comtoises jusqu’aux grandes capitales du monde où retentissent, à chacun de ses passages, des tonnerres d’applaudissements. D’une rafale, il a aussi emporté en 2012 son compositeur attitré Robert Miny. « Lorsque, un an après son décès, je suis entré sous le chapiteau pour les répétitions, sa disparition m’est tombée sur la tête, confiait au Monde Bernard Kudlak, cofondateur de la compagnie. J’ai cru que je n’allais pas pouvoir reprendre le travail. » La nostalgie, pourtant, ne lui a pas été funeste. Preuve en est la création de Tempus Fugit ? Une ballade sur le chemin perdu, spectacle « onirico-métaphysique » avec lequel cette compagnie essentiellement autofinancée fête sa trentaine, entourée de jeunes et virtuoses artistes issus des quatre coins du globe. La jeune équipe, comme la majorité des circassiens qui émergent actuellement, sait ce qu’elle doit à l’onirisme de

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ses aînés. Car si, en trente ans, le cirque s’est frayé un chemin royal vers les programmations des grandes scènes internationales, diversifiant son public et soignant son plumage, il le doit pour une large part à cette troupe légendaire qui balançait habilement entre performances spectaculaires et ADN bricolo, poésie commerciale et valeurs foraines. Locomotive du « nouveau cirque » des années 1980, Plume fut pionnier dans l’art de remixer les agrès traditionnels en métaphores sociales ou de détourner le dressage d’animaux en jeux de rôles inventifs. Forts de leurs inébranlables idéaux (le théâtre citoyen, l’éducation populaire de Jean Vilar…) et de leurs signatures inchangées (l’ambiance terroir, la poésie des cours d’eaux, les oiseaux « à la Prévert »…), ils portent, avec leur dixième création, les couleurs flamboyantes de ces arts de la piste qui n’ont pas fini de se réinventer. Jusqu’au 28 décembre au parc de la Villette

octobre 2014


agenda PAR È. B.

une insolite adaptation du Roi Lear, les actrices du collectif berlinois She She Pop s’attaquent à la réunification de l’Allemagne dans Schubladen et aux rituels maternels en embauchant cette fois-ci leurs propres mères pour Le Sacre du printemps.

au Théâtre des Abbesses (Festival d’Automne à Paris)

DU 9 OCT. AU 14 NOV.

© simon gosselin

jusqu’AU 12 OCT.

Vincent Macaigne N’oublions pas que, avant de devenir le « nouveau Depardieu » (comme d’aucuns le désignent), Macaigne est l’un des plus puissants metteurs en scène de sa génération. En témoigne son adaptation vociférante de L’Idiot de Dostoïevski, rebaptisée Idiot ! parce que nous aurions dû nous aimer, entre chant du cygne générationnel et plaidoyer en faveur de la naïveté.

au Théâtre de la Ville (Festival d’Automne à Paris)

© denis farley

JUSQU’AU 18 OCT.

Frédérick Gravel Après Dave St-Pierre, c’est au tour du jeune Frédérick Gravel de venir à Paris convaincre du dynamisme de la danse contemporaine québécoise. Il s’y emploie avec un concert chorégraphique d’electro rock, Usually Beauty Fails, mais aussi avec Ainsi parlait…, un monologue dansé sur les traces de Nietzsche cosigné avec le dramaturge Étienne Lepage. au Théâtre de la Bastille

DU 14 AU 24 OCT.

She She Pop Après avoir collé sur scène leurs propres pères dans Testament,

Les Particules élémentaires Cartographie de la mélancolie contemporaine, synthèse extralucide d’un demi-siècle d’histoire socio-politique, Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq n’est plus seulement l’un des grands romans de la fin du siècle passé, mais aussi un spectacle de théâtre signé Julien Gosselin, largement salué durant l’édition 2013 du Festival d’Avignon

à l’Odéon–Théâtre de l’Europe

DU 22 OCT. AU 20 DÉC.

Stéphanie Cléau/ Éric Reinhardt Actualité dense pour le romancier Éric Reinhardt, sous les feux de la rentrée littéraire avec L’Amour et les Forêts et sous ceux du Théâtre de la Bastille où son roman Le Moral des ménages est adapté par Stéphanie Cléau avec Matthieu Amalric en père humilié, artiste raté et mari sordide. au Théâtre de la Bastille


cultures ARTS

EXPOSITION

Niki de Saint Phalle

agenda

PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

JUSQU’AU 26 OCT.

Niki de Saint Phalle, Vive l’Amour, 1990

Bariolées de couleurs pimpantes, les seize sculptures de la fontaine Stravinsky, nichées au chevet de l’église Saint-Merri, à deux pas de Beaubourg, sont les œuvres les plus célèbres de Niki de Saint Phalle et de son époux Jean Tinguelly. Impossibles à démonter, elles seront les pièces manquantes de l’exposition que consacre le Grand Palais à l’artiste. Avec cette première rétrospective française, thématique et chronologique, on découvre la profusion des pratiques de cette créatrice dont tout le monde connaît les réalisations phares mais pas nécessairement l’identité : peinture, gravure, sculpture, performance, cinéma expérimental… autant d’expressions qui lui permirent d’égayer le grand public, mais aussi de construire un lacis de réflexions politiques. Soutenant le mouvement des droits civiques aux États-Unis, profondément féministe (ses fameuses Nanas, tantôt pulpeuses, tantôt dévorantes), Saint Phalle a bâti de ses mains un monde pétri de convictions. Deux cents œuvres et archives rendent vivante cette pensée engagée. Les écrans qui permettent de la voir commenter son travail offrent une présence émouvante. Et belle ! Car sa beauté saute aux yeux, elle qui fut d’abord mannequin pour Vogue, puis chanteuse. Totalement autodidacte, elle se met à peindre en 1952 et rejoint en 1961 le groupe des nouveaux réalistes (Yves Klein, César…). D’inconscientes influences d’Antoni Gaudí nourriront son travail, comme en témoignent ses nombreux projets architecturaux, d’envergure, qu’elle finançait parfois seule. À l’image du jardin des Tarots, en Toscane, réalisation magistrale, ésotérique, autour des vingt-deux arcanes majeurs de ce jeu divinatoire, qui montre la force de ses rêves, devenus réalité. jusqu’au 2 février au Grand Palais

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Biennale de Belleville Dédiée à la marche et à l’exploration urbaine, cette troisième édition se déploiera depuis ce fameux quartier parisien jusqu’en périphérie de la capitale. Entre autres réjouissances, Dector & Dupuy nous baladeront littéralement jusqu’aux Lilas, tandis que Laurent Tixador fera du trajet Nantes-Paris un espace-temps de production.

dans différents lieux à travers Belleville et ses environs

JUSQU’AU 31 OCT.

Mathieu Mercier « Sexe, béatitude et logique comptable. » Derrière ce titre aussi déconcertant qu’accrocheur, Mathieu Mercier présente des travaux élaborés à partir d’un corpus d’œuvres produites par la galerie MFC-Michèle Didier, spécialisée dans les publications et les éditions d’artistes. Il y confronte deux motifs que tout semble a priori opposer, l’art minimal et les représentations érotiques.

à la galerie MFC-Michèle Didier

JUSQU’AU 21 DÉC.

Mandla Reuter, The Agreement, 2011 The Promise of Moving Things Avant-dernier volet du cycle « The Registry of Promise » développé par le commissaire Chris Sharp, cette exposition se penche sur la vie

octobre 2014

présumée des objets au sein d’une société promise à l’extinction. au Crédac

JUSQU’AU 4 JANV.

IN SITU – 1 IN SITU – 1 est un nouveau programme d’ateliers ouverts proposé par les espaces culturels Louis Vuitton de Paris, de Tokyo et de Munich. Pendant quatre mois, les visiteurs sont invités à découvrir le travail d’une artiste de renommée internationale en plein processus de création. À Paris, c’est l’Américaine Andrea Bowers qui montre un ensemble d’œuvres chargées de militantisme civique procédant de cette expérience de travail in situ.

à l’espace culturel Louis Vuitton

JUSQU’AU 25 JANV.

Tania Mouraud L’anéantissement par l’homme de sa propre histoire, évoqué ici par la destruction massive de livres dans une usine de recyclage, constitue le thème de l’installation audiovisuelle Ad Nauseam dotée d’une bande-son élaborée avec l’Ircam à partir de mille cinq cents samples de sons mécaniques et industriels. Elle s’accompagne d’interventions sur les façades extérieures du musée, ainsi que sur plus de soixante-dix panneaux d’affichage de la ville. au Mac/Val (Vitry-sur-Seine)

© andré morin / le crédac. courtesy galerie mezzanin, vienne. © mandla reuter / adagp 2014  ; © urubu films / louis vuitton

© 2014 niki charitable art foundation, all rights reserved / photo : ed kessler

PAR ANNE-LOU VICENTE



cultures JEUX VIDÉO

BEAT THEM ALL

Bayonetta 2 Retour aux affaires pour un des meilleurs jeux de baston au monde. Enjôleur et diablement technique, Bayonetta 2 offre à la Wii U son feu d’artifice de rentrée. PAR YANN FRANÇOIS

BLOCKBUSTER DESTINY

(Activision/PS4, Xbox One)

Plus qu’un beat them all, le premier Bayonetta relevait du coup de génie. Météorite venue du Japon, il réussissait, pour qui osait relever ses challenges hardcore, le tour de force d’offrir un spectacle aussi provocant qu’exigeant. Avec son héroïne Bayonetta, sorcière vénéneuse et transgenre, il imposait une nouvelle icône, brisant bon nombre de clichés sexistes qui empoisonnent trop souvent le jeu vidéo. Attendue par des hordes de fans, cette suite nous éblouit comme au premier jour. Qui dit nouvel épisode dit nouvelle guerre entre Bayonetta et les forces du ciel et de l’enfer, invoquées en masse pour aiguiser la fureur de notre sorcière virtuose. Moins

pop et kawaii, plus mythologique et wagnérien, Bayonetta 2 pousse la grandiloquence à un rare degré de sophisti­ cation. Heureusement, il n’en néglige pas pour autant le plaisir des combats, parfaits de fluidité et de précision. Toute la beauté du jeu réside dans ce mouvement incessant, ce ballet étourdissant de bastos et de bourre-pifs au cours duquel il est toujours moins important de tuer son ennemi que de danser au préalable avec lui. Premier diamant noir de la Wii U (qui en avait bien besoin), Bayonetta 2 confirme le talent d’une saga décidément hors norme. Bayonetta 2 (Nintendo/Wii U)

3 perles indés WASTELAND 2 Réactualisation d’un classique de 1988, ce jeu s’adresse aux nostalgiques du RPG post-apocalyptique d’antan. Si sa simplicité graphique nous renvoie des années en arrière, l’immersion fonctionne admirablement. Entre cynisme et mélancolie, Wasteland 2 nous renverse par sa vision terrifiante d’une Amérique dévastée par l’apocalypse nucléaire. (inXile Entertainment/PC, Mac)

Par Y. F.

HOHOKUM Un long serpent coloré traverse des tableaux constellés de créatures cartoonesques et de formes kaléidoscopiques qui prennent vie à son passage. C’est tout ? C’est tout. Dans la lignée de Flower, Hohokum est de ces expériences déambulatoires sans mode d’emploi ni but apparent. Mais derrière cet hermétisme se cache une superbe ode à l’errance. (Sony/PS3, PS4, PS Vita)

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octobre 2014

Il est rare qu’un blockbuster innove autant. Concentré d’actions spectaculaires aux décors renversants, Destiny est bien plus qu’une belle coquille vide ; c’est une expérience multijoueur à l’ambition démesurée qui fantasme une odyssée-fleuve à travers toutes les planètes de notre galaxie. Sa conquête de l’espace est aussi celle d’un nouveau territoire pour le jeu vidéo moderne. Repoussant nombre de frontières, dont celles de notre imagination, Destiny vise l’infini, et au-delà. Y. F.

VELOCITY 2X Tout est dans le titre : avec Velocity 2X, on se doit d’aller vite sans trop réfléchir. Dédoublé en deux gameplays (à pied/ en vaisseau), ce petit shoot them up offre d’innombrables défis. Aussi classique qu’imprévisible, il se révèle surtout être un bijou d’efficacité sans chichi qui va toujours à l’essentiel. Une idée parfaite du plaisir du jeu d’arcade, en somme. (FuturLab/PS4, PS Vita)


sélection par Y. F.

SHERLOCK HOLMES. CRIMES AND PUNISHMENTS

(Focus Home Interactive/PC, PS3, PS4, X360, Xbox One)

Œuvrant depuis une dizaine d’années à l’adaptation de Sherlock Holmes en une série de jeux vidéo, le studio Frogwares livre ici son épisode le plus abouti. Crimes and Punishments fait preuve d’une imagination débordante, transformant chaque trait du génie analytique du détective en mécaniques de jeu et dépoussièrant le mythe tout en restant fidèle aux préceptes de son créateur, Conan Doyle.

METRO. REDUX

(Koch Media/PS4, PC, Xbox One)

Cette remastérisation de Metro 2033 et Last Light reste une occasion immanquable pour qui veut (re)découvrir l’une des grandes licences du FPS moderne. La saga imagine le quotidien post-apocalyptique de survivants qui se terrent dans les tunnels du métro moscovite pour échapper aux radiations et aux mutants. Plus qu’un jeu d’action, Metro. Redux se vit comme une odyssée sensorielle au cours de laquelle chaque décor est un somptueux tableau atmosphérique.

DANGANRONPA 2. GOODBYE DESPAIR (NIS America/PS Vita)

Six mois après la sortie de son premier volet, Danganronpa nous revient déjà. Si le cadre change, la trame, elle, demeure identique : sur une île, une quinzaine d’étudiants sont pris en otage par une peluche diabolique. Pour s’échapper de cette prison, chacun doit se débarrasser discrètement de ses condisciples. Cette suite confirme le génie pervers du thriller à croquer le portrait de la jeunesse nippone tout en révélant ses failles existentielles.

MURASAKI BABY

(Sony/PS Vita)

Murasaki Baby imagine le voyage trouble d’une petite fille et de son ballon mauve (s’il éclate, fin de partie) que l’on doit guider uniquement au moyen de l’interface tactile. Cramponné à notre doigt, l’enfant n’avance qu’à condition de lui dégager la voie de tous les dangers qui peuplent chaque tableau. Entre conte freudien et jonglage digital, Murasaki Baby bouleverse par son décor expressif et par le lien affectif qu’il instaure entre l’avatar et soi, lien qui ne tient qu’à un doigt.


cultures FOOD

CACAO

Merci pour le chocolat Le Salon du chocolat fête ses 20 ans, du 29 octobre au 2 novembre, au parc des expositions de la porte de Versailles. Mais le plaisir, coupable et jouissif à la fois, de croquer à même la tablette, c’est possible toute l’année. Petit tour de Paris (non exhaustif) en cinq adresses. PAR STÉPHANE MÉJANÈS

© d. r.

© d. r.

CLIN D’œIL

Le laboratoire grouille de petites mains, jeunes et affairées. Des pâtes sucrées aux légumes (fenouil, tomate ou navet) par ci, des tartes au citron (les meilleures de Paris) par là, et des bonbons de chocolat partout. Jacques Génin a un geste, un mot, un sourire pour chacun. Il peut se renfrogner, aussi, lorsqu’un millefeuille arrive bancal. « Le câlin, tu le fais comme ça ? Non ? Alors, pourquoi tu traites mal mes gâteaux ? » Autodidacte, cuisinier avant de se consacrer à la pâtisserie, il est le « meilleur chocolatier du monde », selon l’ancien critique d’Associated Press Mort Rosenblum. Malicieux, intuitif et hypersensible, il possède le goût absolu. Lorsqu’il sort un whisky japonais pour un accord avec

son Paris-Brest, c’est toujours juste. S’il ne travaille pas directement le cacao brut, le choix de ses « couvertures de chocolat » (fèves de cacao déjà transformées) est irréprochable. Il leur associe des fruits, mais aussi des plantes et des épices, infusées avec tendresse. Il faut tout goûter. Et plutôt deux fois qu’une : une seconde boutique ouvre très bientôt au 27, rue de Varenne (VIIe). Pour couronner le tout, en octobre, on le découvrira croqué par le dessinateur Franckie Alarcon, qui l’a suivi un an durant, dans une bande dessinée publié aux éditions Delcourt. Avec le génie Génin, c’est du plaisir au carré. Jacques Génin – La Chocolaterie 133, rue de Turenne – Paris IIIe – Tél. : 01 45 77 29 01

de la fève à la tablette PIERRE MARCOLINI Le dandy du chocolat belge milite depuis des années pour le concept « from bean to bar » (« de la fève à la tablette »). Il a cessé d’acheter du chocolat à des tiers, il gère tout, du producteur de cacao au consommateur. Ses créations allient élégance et profondeur de goût. Pour l’éprouver, on fonce dans sa toute nouvelle boutique, belle comme une joaillerie. 235, rue Saint-Honoré – Paris Ier Tél. : 09 67 15 07 22

FRANÇOIS PRALUS Formé à Lyon chez Bernachon, maison historique pour la création de chocolat à partir de la fève de cacao, François Pralus propose aujourd’hui une vingtaine de purs crus et quatre assemblages, tous d’une typicité et d’une finesse assez bluffantes. Ses barres infernales (noir ou au lait, fourrées aux amandes ou aux noisettes) portent bien leur nom.

35, rue Rambuteau – Paris IVe – Tél. : 01 57 40 84 55 44, rue Cler – Paris VIIe – Tél. : 01 45 56 13 75

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CHOCO FUN Depuis près de quarante ans, on s’amuse dans les boutiques de Jadis et Gourmande. Le chocolatier s’est spécialisé dans l’art de créer des objets originaux à partir d’une matière première gourmande. En forme de crayons de couleurs, de tablette tactile ou de lettres pour écrire des mots cacaotés, le choix est vaste. Pour l’automne, feuilles et champignons sont au rendez-vous (jusqu’au 12 octobre), tandis que les fantômes de Halloween feront leur apparition du 13 octobre au 3 novembre. Une façon différente, plus joyeuse, d’aimer le chocolat. S. M. Jadis et Gourmande Cinq boutiques à Paris www.jadisetgourmande.fr

Par S. M.

MICHEL CLUIZEL Depuis 1983, la maison familiale Cluizel (fondée en 1948) revendique le terme de « cacaofévier » (transformateur de cacao en chocolat). On trouve ses chocolats délicats à Paris depuis 1987, et même à New York, sur la 5e Avenue, depuis 2009. Une nouvelle boutique vient d’ouvrir à Paris, rue des Rosiers (IVe), avant une autre, rue Tronchet (VIIIe), en novembre.

201, rue Saint-Honoré – Paris Ier Tél. : 01 42 44 11 66


cultures DESIGN

© aude cazeneuve

BOUTIQUE

© h&m home

Table de salle à manger Magnum par Pierre Favresse pour La Chance

POUR LA MAISON

H&M Home

La Chance Louise Breguet et Jean-Baptiste Souletie sont deux jeunes gens avec beaucoup de goût. Ils ont fondé il y a presque trois ans leur maison d’édition, baptisée La Chance. Coup d’essai, coup de maître, on y croise tout ce que le design compte de talents en vue : Dan Yeffet & Lucie Koldova, Luca Nichetto, le Pool ou encore Pierre Favresse. Mais encore fallait-il trouver un lieu digne de présenter leurs travaux… On parie que l’ouverture de leur première boutique sera couronnée de succès. o. d. 21, rue Michel-Le-Comte Paris IIIe

EXPOSITION

© roland halbe

Le géant suédois présente désormais sa collection maison dans certaines de ses boutiques françaises, dans la droite ligne de ce qui a fait la recette de son succès : un mélange de tendances bien trouvées et de tout petits prix. PAR OSCAR DUBOŸ

Les clients les plus assidus l’avaient peut-être déjà remarqué, mais ça y est, c’est officiel : la collection H&M Home a enfin débarqué en France. En réalité, tout a commencé en 2009 avec le linge de maison, avant que les accessoires (boîtes, cadres, vases, bougies…) ne voient le jour en 2012. D’un succès à l’autre, la gamme a ensuite été commercialisée au Royaume-Uni, jusqu’à arriver aujourd’hui dans deux boutiques françaises qui se partagent ce privilège, une à Mulhouse, l’autre à Paris, dans le XIIIe. Ici, 1 500 m² ont été déployés pour pouvoir accueillir des plaids, des rideaux, des cadres, des tapis, des draps de bain, des bougies, des photophores, des vases, mais aussi des assiettes, des tasses, des boîtes… Car si la maison suédoise

ne fait pas dans le mobilier, elle couvre néanmoins les besoins de toutes les pièces de notre habitat – salon, chambre, salle de bain, cuisine –, dans un esprit cosy et vintage, au gré des tendances relevées par la responsable du design Evelina Kravaev-Söderberg et par son équipe de designers. Pour cet automne, ils ont voulu restituer une sensation de chaleur qu’ils connaissent bien, celle du grand Nord et de sa lumière ; des gris, des pastels, du bois et des effets de matières, écoresponsables en l’occurrence. Et comme on reste fidèle au credo H&M « mode et qualité au meilleur prix », ces objets sont accessibles à toutes les bourses. H&M Home 115, avenue de France – Paris XIIIe

www.troiscouleurs.fr 99

Franck Gehry, DZ Bank Building, 1995-2001, Berlin, Allemagne Frank Gehry Tout le monde reconnaît ses réalisations à Bilbao, New York ou Paris, mais on a rarement vu autant d’éléments réunis dans une seule exposition. Quatre-vingts maquettes et deux cent vingt dessins pour parcourir l’œuvre de l’architecte star, depuis les années 1960 et ses débuts californiens, jusqu’aux commandes colossales comme la Fondation d’entreprise Louis Vuitton qui ouvre ses portes à la fin du mois. o. d. jusqu’au 26 janvier au Centre Pompidou


DES

DISQUAIRES 100

octobre 2014


LES BONS PLANS DE TIME OUT PARIS Longtemps surestimé, le CD est mort au XXIe siè­ cle. Quant au mp3, il compresse le son comme un cochon… Heureusement, le disque vinyle revient en force avec ses craquements délicieux, ses pochettes légendaires et, surtout, avec ce son incomparable, chaud, organique et sensuel. Mais le microsillon, c’est aussi une autre manière d’écouter la musique, de prêter attention à la cohérence de chacune des faces d’une galette ou d’échanger entre passionnés. Pour vous orienter dans l’actuel foisonnement de magasins spécialisés, Time Out Paris a sélectionné dix disquaires chez qui convivialité et éclectisme ne sont pas de vains mots. À bon entendeur !

Music Please Un vrai disquaire de quartier, à l’ancienne, chez qui la passion s’entend au quotidien. Aussi accueillante que bien fournie, la boutique a tout pour plaire : du rock psyché au hip-hop old school, il y en a pour tous, en occase comme en neuf, et à des prix tout à fait raisonnables.

Music Fear Satan 25 m2 consacrés au metal et à ses dérivés, mais aussi aux nouveautés rock indé. En plus du magasin, Music Fear Satan a étendu ses activités avec un label qui compte désormais une dizaine de références à son catalogue, dont les très remarquées Jessica93 et Year of no Light.

5, rue Jean Moinon – Paris Xe

PAR NICOLAS HECHT

4 bis, rue Richard Lenoir – Paris XIe

Bimbo Tower Bienvenue dans le temple du bizarre, la Mecque du freak weirdo en quête de nouvelles sensations sonores après avoir ingurgité les discographies de John Zorn, de Tangerine Dream et d’Albert Ayler. Un détour chez Bimbo Tower est toujours une expérience unique, autant pour les yeux que pour les oreilles.

Walrus Voici un disquaire, certes, mais aussi un bar où il fait bon venir boire un café et échanger autour de la musique. Un bel espace à la déco chatoyante, rétro juste comme il faut. Du grand art en matière de convivialité, à l’image d’une sélection de disques sacrément pointue qui privilégie le rock indé.

Born Bad Voici une boutique de disques au caractère bien trempé, qui sent le cuir, la chaîne de moto et l’aiguille de tatouage. Ici, la musique, du rock’n’roll des aïeux jusqu’à la oï, du blues au hardcore, prend aux tripes, dans un vrombissement de disto. Un lieu unique et incontournable qui a changé d’adresse en avril 2013.

Fargo Store Impossible de rater Fargo Store, avec sa vitrine boisée et ses néons rétro qui évoquent la devanture d’un disquaire de San Francisco. Et pourtant, vous êtes bien à deux pas du canal Saint-Martin ! Un lieu idéal pour (se) faire des cadeaux qui raviront les amateurs de rock.

La Fabrique Balades Sonores Après avoir écumé les concerts pendant sept ans avec leur association Balades Sonores, le très sympathique Toma et ses acolytes ont ouvert boutique en 2012 avec la ferme intention de poursuivre leur mission de défricheurs. À noter, des showcases en entrée libre tous les jeudis.

Souffle Continu Le Souffle Continu est l’un des poumons musicaux du quartier de la Roquette. La faute à ses patrons, Bernard et Théo, duo de passionnés avides de découvertes. Du jazz improvisé au harsh noise, du rock indé au black metal, les bacs regorgent de perles souvent méconnues qui n’attendent que d’être découvertes.

Plus de bruit Installé dans sa boutique depuis plus de quinze ans, Jean-Paul est une figure incontournable du quartier Saint-Georges. Pressage rare d’une compilation des Standells, vinyles de punk français… On peut passer des journées à fouiller les bacs à la recherche d’une pépite à prix très doux.

L’International Records Devant le succès – plus que mérité – du café-concert L’International, son équipe a eu la bonne idée d’ouvrir sa boutique de disques, à quelques mètres de là : un vrai bon repaire pour mélomanes dans un des quartiers les plus branchés de Paris. C’est bien simple, on y passerait des heures.

5, passage Saint-Antoine – Paris XIe

1, avenue Trudaine – Paris IXe

34 ter, rue de Dunkerque – Paris Xe

22, rue Gerbier – Paris XIe

11, rue Saint-Sabin – Paris XIe

35, rue de la Rochefoucauld – Paris IXe

42, rue de la FolieMéricourt – Paris XIe

12, rue Moret – Paris XIe

retrouvez toutes ces adresses sur www.timeout.fr

www.troiscouleurs.fr 101


pré se nte

© the british museum, londres, dist. rmn-grand palais / the trustees of the british museum

EXPOSITION

© christian baraja

IMPRESSION, SOLEIL LEVANT

Claude Monet, Impression, soleil levant, 1872

EXPOSITION

HOKUSAI Le Grand Palais consacre une rétrospective au célèbre peintre, graveur et dessinateur japonais Katsushika Hokusai (1760-1849). L’occasion de découvrir cinq cents de ses œuvres avant l’ouverture, en 2016, de l’institut Hokusai à Tokyo, d’où une grande partie d’entre elles ne devrait plus bouger. PAR CLAUDE GARCIA

Rien d’étonnant à ce que Paris accueille l’une des plus grandes rétrospectives jamais consacrées hors Japon à l’illustre maître japonais. À la fin du XIXe siècle, les artistes et écrivains français tels que Félix Bracquemond ou Edmond de Goncourt jouèrent un rôle déterminant dans la découverte de l’art de Hokusai (1760-1849) et dans la diffusion du « japonisme » en Europe. L’exposition s’ouvre d’ailleurs sur une salle présentant l’influence de Hokusai sur l’art français, de l’Impressionnisme à l’Art nouveau. La scénographie chronologique, qui reprend la traditionnelle découpe en six périodes, vient ensuite souligner la richesse et la diversité du travail de Hokusai, qui changea d’identité artistique (et de signature) tout au long de sa carrière.

Au fil des cinq cents œuvres présentées, on retrouve naturellement les estampes de paysages qui ont fait sa réputation (ces « images du monde flottant »), comme la série des Trente-six vues du mont Fuji dont fait partie la célèbre Grande Vague de Kanagawa. Mais on retrouve aussi des œuvres moins connues, comme Hokusai Manga, une merveilleuse anthologie de croquis en quinze volumes. Conçus comme un manuel à l’usage des jeunes artistes dépeignant les mœurs urbaines ou les légendes de l’époque, ces mangas (ou « dessins variés ») constituent une véritable encyclopédie de la vie quotidienne du Japon de l’ère Edo. Une belle leçon d’anthropologie et de poésie. jusqu’au 18 janvier au Grand Palais (relâche entre le 21 et le 30 novembre)

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THÉÂTRE LES NÈGRES Le metteur en scène et plasticien américain Robert Wilson s’approprie librement la pièce de Jean Genet (écrite en 1958, en pleine décolonisation) qui l’avait ému lorsqu’il était encore étudiant. Entre tragédie et clowneries, fiction et fausse réalité, Wilson accorde comme toujours une place privilégiée aux corps, aux gestes et à la musique (du free jazz) pour raviver le texte original. C. B. du 3 octobre au 21 novembre à l’Odéon-Théâtre de l’Europe LIVRE LIGNES DE VIE D’UN PEUPLE

© celine boyer

Katsushika Hokusai, Tametomo dans l’île, Ère Bunka, an VIII (1811)

L’Impressionnisme doit son nom au célèbre tableau de Monet Impression, soleil levant. À l’occasion du 140e anniversaire de sa première présentation publique, l’exposition propose de retracer l’histoire de l’œuvre en la rapprochant d’autres tableaux de Monet et de ses contemporains (Renoir, Pissarro). C. B. « Impression, soleil levant. L’histoire vraie du chef-d’œuvre de Claude Monet » jusqu’au 18 janvier au musée Marmottan Monet

La nouvelle collection des Ateliers Henry Dougier s’articule autour d’une idée simple : un auteur francophone interroge les habitants d’un pays, d’une région, d’une ville sur différents thèmes (leur mode de vie, leur culture, la politique…). Les Islandais, les Catalans, les Ukrainiens, les Suisses et les Napolitains se sont déjà exprimés. C. B. « Lignes de vie d’un peuple », collection conçue par Henry Dougier


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L’actualité DES salles AVANT- PREMIÈRE

CONFÉRENCE

RENCONTRE

JEUNESSE

© gilles pecqueur / www.pgi-photos.com

CYCLES

CHOCOLAT SHOW Franck Kestener a tout gagné dans l’univers du chocolat. Meilleur ouvrier de France et champion du monde de pâtisserie, il exerce aujourd’hui son talent dans trois boutiques, en France et en Allemagne. Et bientôt au MK2 Odéon, entièrement rénové. Choco-addicts, préparez vos papilles.

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PAR STÉPHANE MÉJANÈS

stragon, citron vert ; feuille de laurier frais ; tournesol ; café du brésil, zeste d’orange ; poire, caramel, safran ; framboise, baies de genièvre. La liste (non exhaustive) des bonbons au chocolat de Franck Kestener, 38 ans, forme comme un inventaire à la Prévert, exotique et poétique. Pour certains, le chocolatier originaire de Thionville est un sorcier, un alchimiste qui aurait trouvé la pierre philosophale pour transformer le chocolat en or. Mais si toutes ces créations sortent de son esprit diabolique, il en est une qui lui vient de son père, Robert : la perle de Lorraine à la mirabelle, une merveille en trois textures (caramel, pâte de fruits, praliné noisette croustillant). Résolument moderne dans ses associations de saveurs et dans ses techniques de fabrication, Franck Kestener s’inscrit ainsi dans une longue lignée de boulangers installés depuis 1936 à Mondelange, en Moselle. C’est dans cette famille d’artisans que sa vocation est née. À 10 ans, quand ses parents n’ont pas le temps de préparer à manger, il cuisine pour son grand frère. À l’école, il

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Un alchimiste qui aurait trouvé la pierre philosophale pour transformer le chocolat en or. s’ennuie beaucoup. « Je me lassais vite de la théorie, je voulais du concret, fabriquer quelque chose. » Il excelle en sport, en technologie, mais surtout dans les arts plastiques. Grâce à son père, il découvre sa voie : la pâtisserie, plutôt que la cuisine. « J’ai retrouvé le côté artistique que j’aimais et j’ai eu tout de suite un rapport naturel avec le chocolat : gestion de la température, mise au point pour qu’il soit maniable, refroidissement avec une belle brillance. » En apprentissage chez son père, son tempérament de compétiteur fait merveille. « Avec d’autres, on se mettait face à face avec 20 kg de pommes, et c’était à celui qui en épluchait le plus. » Cette volonté de se mesurer aux autres, mais surtout à

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© photo pierre zucca - succession pierre zucca

lui-même, ne l’a jamais quitté. Qualifié pour le concours du meilleur apprenti de France, la première place lui tend les bras lorsque son croquembouche prend une rafale de vent et se brise. « J’ai voulu jouer le volume avec des parois fines, c’était une bonne leçon. » Il parfait sa technique à l’Élysée lors de son service militaire, avec les compliments de Jacques Chirac pour sa tarte chocolat-café, puis chez Lenôtre et à La Maison du Chocolat. Il revient au pays à 22 ans, lorsque son père transfère sa boutique à Sarreguemines, pour qu’il puisse développer son art du chocolat. FAIM DE TITRES

En 2004, le démon de la compétition le reprend. Il vise le titre de Meilleur ouvrier de France (MOF). En finale, le thème le paralyse : « émotion ». Parti en virée à Paris pour stimuler son imagination, il tombe sur le livre d’un sculpteur espagnol, Pablo Gargallo, aperçu dix ans plus tôt dans un reportage sur France 3. Il se souvient aussi du récit d’Aurélie Dupont racontant son passage de « première danseuse » à « étoile ». Deux clins d’œil du destin. Il sculpte alors une danseuse de 1,50 m de haut en ayant recours à deux techniques inédites : découpe du chocolat en gros blocs à 30 °C pour lui donner une consistance de pâte à modeler, et dessèchement des fruits grâce à un appareil découvert dans un autre reportage sur le concours Lépine. Il est nommé MOF en 2003, puis champion du monde de pâtisserie par équipe – avec Franck Michel, Bruno Montcoudiol et David Wesmaël (suppléant), sous la houlette de Stéphanie Glacier – en 2006 à Phoenix, aux États-Unis. Depuis, il s’est un peu calmé, mais c’est dans son labo que se joue la performance. Il suffit de croquer dans l’une de ses créations pour s’en rendre compte. Une sélection des créations de Frank Kestener sera vendue dès le mois d’octobre au MK2 Odéon

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François Truffaut lors de la promotion de Baisers volés, 1968

L’œuvre de François Truffaut fait l’objet d’une grande exposition à la Cinémathèque française du 8 octobre 2014 au 25 janvier 2015. Emporté à 52 ans par une tumeur cérébrale, le cinéaste, figure emblématique de la Nouvelle Vague, aura tout de même eu le temps de mettre en scène trois courts métrages et vingt et un longs. Une partie de ces films seront projetés au MK2 Bibliothèque à partir du 22 octobre. On pourra ainsi redécouvrir son premier long métrage, Les Quatre Cents Coups, sorti en 1959, dans lequel Jean-Pierre Léaud interprète Antoine Doinel, alter ego du réalisateur que l’on retrouvera tout au long de sa filmographie (Baisers volés, Domicile conjugal…). Outre des films inspirés de sa propre vie, Truffaut s’est aussi illustré dans le genre de la science-fiction (Farenheit 451), du fantastique (La Chambre verte) ou encore du polar (Tirez sur le pianiste) notamment. Seront aussi projetées des œuvres plus rares, comme le court métrage Les Mistons, avec une jeune Bernadette Lafont dans son tout premier rôle. PAR claude garcia

à partir du 22 octobre au MK2 Bibliothèque, entrée BnF

Théâtre du chatelet 1, place du Châtelet – Paris Ier Théâtre Le Point virgule 7, rue Saint-Croix-de-la-Bretonnerie Paris IVe

Théâtre des bouffes du Nord 37 bis, boulevard de la Chapelle Paris Xe Théâtre de la Bastille 76, rue de la Roquette – Paris XIe

Théâtre Mouffetard 73, rue Mouffetard – Paris Ve

Théâtre Montfort 106, rue Brançion – Paris XVe

odéon – Théâtre de l’EUROPE place de l’Odéon – Paris VIe

Théâtre National de Chaillot 1, place du Trocadéro – Paris XVIe

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L’actualité DES salles CYCLES

AVANT-PREMIÈRES

07/10

CONNAISSANCE DU MONDE Connaissance du monde, c’est le concept unique d’une rencontre entre le public et un grand voyageur. Passionnés d’ethno­logie, de géographie ou d’histoire, les cinéastes conférenciers arpentent la planète caméra au poing. Ils s’immergent plusieurs mois dans une région du monde, pour livrer ensuite leur témoignage à un public en quête d’évasion. > MK2 Nation à 14h : le Japon

09/10

SÉANCE SPÉCIALE – CYCLE « PITCHFORK » Shut Up and Play the Hits > MK2 Quai de Seine à 20h

13/10

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « D’où vient notre culpabilité ? » > MK2 Hautefeuille à 18h15

16/10

SÉANCE SPÉCIALE – CYCLE « PITCHFORK » God Help the Girl > MK2 Quai de Seine à 20h

19/10 (jusqu’au)

CYC LE « L’ ÉCOS S E P R E N D LE LARGE » « L’Écosse devrait-elle devenir un pays indépendant ? » C’était la question posée le 18 septembre dernier aux 5,2 millions de Britanniques y résidant. Aperçu de la manière dont l’Écosse a inspiré les réalisateurs avec Les TrenteNeuf Marches d’Alfred Hitchcock (1935), Highlander de Russell Mulcahy (1986), Orphans de Peter

CONFÉRENCES

21/10

SOIRÉE RENCONTRE ET DÉDI­ CACES AVEC JOHNNY ROTTEN J o h n Ly d o n a l i a s John­ny Rotten, le chanteur emblématique des Sex Pistols, dédicacera son autobiographie La rage est mon énergie au store du MK2 Bibliothèque. La séance de signatures sera suivie à 20 h de la projection de La Chatte sur un toit brûlant de Richard Brooks (1958), film choisi et présenté par Johnny Lydon qui répondra aux questions du public. En partenariat avec les éditions du Seuil. > MK2Bibliothèque à partir de 18h

23/10

AVANT-PREMIÈRE Eden DE MIA HANSEN-LØVE En présence de l’équipe du film, dans le cadre du cycle « Pitchfork ». > MK2 Quai de Seine à 20h

03/11

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Comment vivre quand on ne croit en rien ? » > MK2 Hautefeuille à 18h15

03/11

AVANT-PREMIÈRE UNE NOU­ VELLE AMIE DE FRANÇOIS OZON En présence de l’équipe du film > MK2Bibliothèque à 20h

MK2 BOUT’CHOU LES MEILLEURS COURTS MÉTRAGES DE CHARLOT Deux programmes de courts métrages réunissant les films Une vie de chien, Charlot est content de lui, Une journée de plaisir, Une idylle aux champs et Jour de paye. > MK2Bibliothèque / MK2 Quai de Loire / MK2 Nation tous les mercredis, samedis et diman­ches en matinée

04/11 (jusqu’au)

MK2 JUNIOR LES MEILLEURS COURTS MÉTRAGES DE CHARLOT Trois programmes de courts métrages réunissant les films Jour de paye, Charlot est content de lui, Charlot soldat, Le Pèlerin, Une vie de chien, Une journée de plaisir, Une idylle aux champs et Charlot et le Masque de fer. > MK2Bibliothèque / MK2 Quai de Loire / MK2 Nation tous les mercredis, samedis et diman­ches en matinée

06/11

LES RENDEZ-VOUS GOODPLANET Chaque premier jeudi du mois, venez visionner un film documentaire étranger inédit et débattre en présence d’invités et d’experts. En novembre, Return to Homs de Talal Derki, sélectionné par Yann Arthus-Bertrand. > MK2 Quai de Seine à 20h

THAÏ LA ROUTE Midi : mardi et samedi Soir : tous les jours sauf dimanche et lundi LE CAMION QUI FUME Soir : tous les jours sauf dimanche et lundi

THE SUNKEN CHIP Midi : mercredi et vendredi Soir : tous les jours sauf lundi et mardi LA BRIGADE Midi : tous les jours sauf lundi et mercredi Soir : tous les jours sauf lundi et mardi

GLACES

04/11 (jusqu’au)

KORRIGANS Midi : tous les jours sauf jeudi et dimanche Soir : lundi, mardi, vendredi et samedi

SENOR BOCA Midi : tous les jours sauf le week-end Soir : mercredi et vendredi

BURGERS

JEUNESSE

Mullan (1999), Sweet Sixteen de Ken Loach (2002), Red Road d’Andrea Arnold (2006) et L’Illusionniste de Sylvain Chomet (2010). > MK2 Hautefeuille en matinée

UN IGLOO DANS LA VILLE Midi et Soir : tous les jours

THAÏ

RENCONTRES

CRÊPES

FISH&CHIPS

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LE CAMION QUI FUME

Midi : mercredi, samedi et dimanche

Soir : tous les jours sauf lundi et jeudi

MEXICAIN

VIANDE TRANCHÉE

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