Trois Couleurs #127 décembre 2014 - janvier 2015

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le monde à l’écran

eau argentée 10 déc. 2014 – 3 fév. 2015

Rencontre avec le cinéaste syrien Ossama Mohammed

alex ross perry

Entretien avec le réalisateur de Listen Up Philip

Larry Clark

L’éternelle jeunesse ?

et aussi

Lolita Chammah, Panda Bear, Les Nouveaux Sauvages…

no 127 – gratuit


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hiver 2014-2015


Sommaire

Du 10 décembre 2014 au 3 février 2015

À la une… 6

entretien

portrait

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en couverture 44

© stéphane manel ; flavien prioreau ; ruth orkin & morris engel, avec l’aimable autorisation de orkin/engel film and photo archive ; jeff vespa / wireimage ; philippe quaisse ; warner bros. ; dr

Ossama Mohammed

À partir d’images tournées sur place par des milliers d’anonymes, et de sa rencontre avec une jeune femme vivant dans Homs assiégée, le cinéaste syrien signe avec Eau argentée un film d’une ampleur narrative et émotionnelle rare sur le conflit qui déchire son pays.

portfolio

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Ariane Labed Dans Fidelio. L’odyssée d’Alice, sensuel premier long métrage de Lucie Borleteau, elle campe une mécanicienne qui brave les amours et les océans sur un vieux cargo.

Larry Clark Avec son dernier film, le remuant The Smell of Us, le cinéaste offre, comme un autoportrait, un regard rétrospectif sur les motifs qui jalonnent son œuvre.

Ruth Orkin et Morris Engel

Leurs clichés ont été publiés dans différents magazines tels que Look, Cosmopolitan, Fortune ou PM… Mais le couple de photographes a franchi le pas du cinéma en 1952 avec Le Petit Fugitif, un film qui a ouvert la voie aux Quatre cents coups de François Truffaut et à la Nouvelle Vague. Le journaliste Stefan Cornic a retracé leur travail dans un ouvrage magnifiquement illustré, Morris Engel. Ruth Orkin. Outside. Quand la photographie s’empare du cinéma. Il nous donne ici quelques clés de lecture de l’œuvre de ces deux pionniers méconnus.

entretien

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enquête

Alex Ross Perry Après The Color Wheel, Alex Ross Perry s’entoure pour Listen Up Philip d’acteurs chevronnés et passe à la couleur, mais en gardant le même ton cynique et gentiment cruel, teinté par endroits d’une noirceur déroutante.

portrait

36 Lolita Chammah À 31 ans, Lolita Chammah tient enfin son premier rôle principal au cinéma dans Gaby Baby Doll, une comédie régressive de Sophie Letourneur. Ce rôle lui permet de donner libre cours à un jeu tendre et burlesque.

entretien

58 Damián Szifron Réalisateur de deux longs métrages inédits en France, l’Argentin Damián Szifron perce enfin à l’international avec Les Nouveaux Sauvages, une hexalogie de contes cruels et hilarants raclant le vernis de la bienséance sociale.

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Course aux remakes à Bollywood Les studios de la plus grande industrie du cinéma mondial, Bollywood, lorgnent sur les films français, et les projets de remakes fleurissent. Alors que les producteurs indiens font des bénéfices gigantesques, pourquoi se mettre à acheter français ?


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… et aussi Du 10 décembre 2014 au 3 février 2015

Édito 11 Premières fois Les actualités 12 Channing Tatum, festival d’Amiens, Peau d’âne À suivre 18 Adama Niane dans L’Affaire SK1 p. 20 l’agenda 22 Les sorties de films du 10 décembre 2014 au 28 janvier 2015 histoires du cinéma 29 Dorothy Dandridge p. 32, Avoir 20 ans dans les Aurès p. 34, le cinéma d’action indonésien p. 40, Lisbon & Estoril Film Festival p. 42

les films 67

Timbuktu d’Abderrahmane Sissako p. 67 // Notre enfance à Tbilissi de Téona et Thierry Grenade p. 68 // Le Chant de la mer de Tomm Moore p. 70 // Charlie’s Country de Rolf de Heer p. 74 // La Famille Bélier d’Éric Lartigau p. 74 // Au revoir l’été de Koji Fukada p. 76 // 20 000 jours sur Terre de Iain Forsyth et Jane Pollard p. 76 // La Terre éphémère de George Ovashvili p. 78 // Exodus. Gods and Kings de Ridley Scott p. 80 // Fidelio. L’odyssée d’Alice de Lucie Borleteau p. 80 // Whiplash de Damien Chazelle p. 82 // Pasolini d’Abel Ferrara p. 84 // Cold in July de Jim Mickle p. 86 // Les Règles du jeu de Claudine Bories et Patrice Chagnard p. 90 // La Rançon de la gloire de Xavier Beauvois p. 92 // Wild de Jean-Marc Vallée p. 92 // Loin des hommes de David Oelhoffen p. 96 // Foxcatcher de Bennett Miller p. 100 // Les Nuits d’été de Mario Fanfani p. 104 // Sud eau nord déplacer d’Antoine Boutet p. 106 Les DVD 110 Règlement de comptes de Fritz Lang et la sélection du mois

cultures 112

L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris time out paris 136 Le Top 10 des spectacles de l’hiver par Time Out Paris

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) STAGIAIRE Chloé Beaumont ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Adrien Dénouette, Oscar Duboÿ, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Claude Garcia, Noé Garel, Stéphane Méjanès, Wilfried Paris, Michaël Patin, Elsa Pereira, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Claire Tarrière, Laura Tuillier, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Stéphane Manel PHOTOGRAPHES Marco Castro, Flavien Prioreau, Philippe Quaisse PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) CHEF DE PROJET OPÉRATIONS SPÉCIALES Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com) ASSISTANTE CHEF DE PROJET Sylvie Rubio (sylvie.rubio@mk2.com) ASSISTANT RÉGIE PUBLICITAIRE Martin Bagourd

trois couleurs présente 138 © rue des archives ; d. r.

Micha Lescot, les Îles Salomon, la Philharmonie de Paris

l’actualité des salles mk2 144 La séance Fricote x MK2, Jean Imbert Cinéma Club

Illustration de couverture © 2014, Chad Gowey pour Trois Couleurs © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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l’e ntreti e n du mois

Ossama Mohammed

© stéphane manel

Depuis Paris, le réalisateur syrien détaille la genèse d’Eau argentée.

« soudain, l’un de ces filmeurs anonymes me parlait, m’écrivait, et me demandait mon aide. » 6

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l’e ntreti e n du mois

Depuis le petit appartement parisien dans lequel il vit, le Syrien Ossama Mohammed a réalisé Eau argentée, un film d’une ampleur narrative et émotionnelle rare sur le conflit qui déchire son pays. À partir d’images tournées sur place par des milliers d’anonymes et postées sur Internet, il conduit en voix off une émouvante réflexion, hantée par la détresse de l’exil. Le film prend une nouvelle direction lorsque Mohammed reçoit un e-mail d’une jeune femme qu’il ne connaît pas nommée Simav (« eau argentée » en kurde), qui vit dans Homs assiégée. Elle s’est procuré une caméra et lui demande ce qu’elle doit filmer… Bijou de montage et d’écriture, Eau argentée relate aussi cette rencontre, et la naissance d’une cinéaste. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

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n mars 2011, vous êtes en syrie lorsqu’éclate le soulèvement contre le pouvoir de bachar el-assad. quel souvenir gardez-vous de cette période ? Le 15 mars 2011, date de la première manifestation contre le régime, les Syriens ont décidé de prononcer le mot « liberté » pour la première fois de leur histoire contemporaine. Le régime avait peu à peu privé les gens de leur identité, par la propagande, en propageant une philosophie nationaliste de bas étage. Ma préoccupation en tant que cinéaste – c’est d’ailleurs ainsi que je me présente dans le film – était aussi une autocritique : dans un tel climat de terreur, ne perdions-nous pas l’imagination, la créativité nécessaire pour décrire la réalité du peuple syrien ? La Syrie est un grand pays multiculturel, multiconfessionnel. En 2011, il est devenu clair que cette culture, cette mémoire profonde avaient été protégées, conservées, génération après génération, à l’intérieur même des individus. C’était un moment de grande joie. en mai de la même année, vous quittez la syrie, invité par le festival de cannes, alors que vous n’avez aucun film à y présenter. pourquoi ? Sélectionné à Cannes sans film, mais sélectionné en tant que Syrien. À Damas, avec d’autres réalisateurs syriens, on avait lancé un appel pour demander aux cinéastes du monde entier de soutenir les Syriens qui réclamaient leur liberté. Ce fut une grosse surprise pour le régime. Cet appel a très vite rassemblé mille sept cents signataires, parmi lesquels Juliette Binoche, Mike Leigh, Ken Loach… J’ai ensuite reçu une invitation pour participer, à Cannes, à un débat dont le thème était « le cinéma sous la dictature ». Il m’a semblé très important d’y aller, parce que c’est une scène internationale. J’ai demandé à lire un texte que j’avais écrit, une analyse de cette imagerie nouvelle apparue avec le conflit, celle des vidéos filmées par des milliers d’anonymes et postées sur YouTube.

l’utilisation des images et leur diffusion sur internet sont-elles l’une des particularités de la révolution syrienne ? Oui, c’était une révolution des images, un référendum par la rue et par les images. Avec la révolution, chacun est devenu cinéaste. Cette histoire qui se raconte en temps réel, par la vidéo, est une passionnante réflexion pour un réalisateur. Cela ouvre de nombreuses questions de sens, de structure, de point de vue… Ces images racontent des histoires personnelles en même temps que l’histoire de toute une nation. Il m’a semblé qu’il fallait les sauver d’une utilisation commerciale, télévisuelle, politique. Et j’avais le besoin psychologique de m’y plonger, pour être avec le peuple syrien. En même temps, je découvrais les innombrables possibilités de montage qu’elles offraient. comment les avez-vous sélectionnées, et comment avez-vous affronté l’atrocité de certaines d’entre elles ? Je ne voulais pas choquer les gens, ni faire de la propagande. Il y avait beaucoup d’images bien plus dures que celles qui sont dans le film. Le choix des images, je l’ai abordé comme un casting. Comment commencer ? C’est comme en biologie, la première cellule qui se multiplie… J’ai commencé par monter la première séquence, le bébé qui vient de naître, le jeune homme torturé et la botte qu’on le force à embrasser. Ce garçon torturé qui s’assoit dans un coin, immobile, dans quelles pensées est-il plongé ? Je ne fais pas le choix de la violence : c’est l’histoire telle qu’elle s’est déroulée, et qui pose de vraies questions sur ce qu’est la vie, ce qu’elle représente, son absurdité. aviez-vous commencé le montage quand vous avez reçu le premier e-mail de simav ? Non. J’ai commencé le montage après. Je construisais un film dans ma tête, virtuellement. Quand j’ai reçu son message, ce fut une grande émotion, une très belle promesse de cinéma. Soudain, l’un de ces filmeurs anonymes me parlait, m’écrivait, et me demandait mon aide. J’avais trouvé mon

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« l’histoire naît vraiment quand le personnage prend son envol et commence à l’écrire avec vous. » personnage. Dès lors, mon inquiétude, en permanence, était de savoir comment je pouvais l’aider. Dans une telle situation de terreur, les phrases banales comme « Ne t’inquiète pas » n’ont plus aucun sens, on a le sentiment qu’il faudrait changer jusqu’à la parole… De la même manière, vous ne pouvez pas utiliser le même langage cinématographique que pour n’importe quel autre film. simav vous demande ce que vous filmeriez si vous étiez en syrie. comment répondre ? C’est la question à l’origine même du cinéma. On a parlé longuement de la caméra, des objectifs… J’essayais de lui dire de suivre ses sens, de s’écouter. Je refusais de lui dire quoi filmer. Je voyais dans ses écrits qu’elle avait son univers, et beaucoup de talent. Je lui ai conseillé de ne pas limiter son imagination. Je lui ai dit que le mouvement de la caméra ne doit pas être le moyen pour atteindre le sens. Mais elle n’arrivait pas à faire des cadres fixes, elle avait besoin de bouger : le mouvement était pour elle synonyme de vie. Je lui ai conseillé de ne pas zoomer, car les grands-angles sont merveilleux, ils ouvrent toutes les perspectives. Enfin, elle avait le souhait dès le début de faire des portraits, et au bout d’un moment, je le lui ai rappelé : « Ne pense pas que tu vas perdre ton histoire si tu t’arrêtes sur des détails, des individus. Au contraire… »

pour le film, car cet enfant est un être humain merveilleux, un artiste, un philosophe. Il est sa Syrie, de la même manière que Simav est ma Syrie : Simav, qui essaie de trouver de la beauté, qui refuse de croire que le monde est si laid ; et puis Omar, qui cherche des fleurs dans les ruines de Homs assiégée. Comme en littérature, il me semble que l’histoire naît vraiment quand le personnage prend son envol et commence à l’écrire avec vous. en plus des images prises sur youtube et de celles de simav, il y a celles que vous filmez ici, à paris. des images a priori banales, comme une goutte d’eau qui glisse sur une vitre de votre appartement, mais qui se chargent de poésie et d’émotion. J’étais totalement habité par la question : « Comment puis-je rester là ? » C’est un sentiment très lourd. Paris, c’était cette fenêtre [il montre la fenêtre du petit salon dans lequel il nous reçoit, ndlr]. Dans une de ces scènes, je m’interroge sur le temps : est-ce vraiment la même temporalité, quand je suis là et que Simav est là-bas ? Comment accepter que nous partagions le même instant, pourtant si différent ? Je peux raconter cela avec des images très élémentaires, minimalistes. Les Syriens filment pour rester en vie, et moi… peut-être que je filme pour la même raison, pour continuer à respirer.

en effet, un très beau personnage apparaît : c’est omar, ce petit garçon que simav filme dans les ruines de homs. Oui. Quand elle a trouvé Omar, elle a à son tour trouvé son personnage. C’était un grand moment

Eau argentée d’Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan Documentaire Distribution : Potemkine Films Durée : 1h33 Sortie le 17 décembre

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é dito

PREMIÈRES FOIS PAR JULIETTE REITZER

52 ans, Larry Clark réalise son premier film, Kids. La scène d’ouverture raconte la première fois d’une ado, dans les bras de Telly, un garçon dont l’occupation favorite est de déflorer les jeunes filles. On l’apprendra bientôt, Telly est séropositif. En réunissant dans cette étreinte une figure de l’innocence et une figure de la destruction, la toute première scène du cinéma de Larry Clark résume l’obsession qui infusera tous ses films : saisir la beauté d’une jeunesse à la dérive, éphémère et menacée. Cet hiver sort en salles le nouveau film de Larry Clark, The Smell of Us. Pour la première fois, le cinéaste tourne hors des États-Unis, à Paris. Le film s’ouvre sur l’esplanade du Palais de Tokyo, où s’entraînent des skateurs – la faune favorite de Clark. Les gamins agiles et excités prennent de l’élan pour sauter par-dessus une masse sombre ramassée au sol. C’est un vieux clochard dépenaillé, ivre et inconscient, joué par Larry Clark. En se confrontant ainsi directement, de façon inédite, à ses kids, le cinéaste américain de 71 ans se renouvelle avec une audace toute juvénile.

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Les actualités PAR CHLOÉ BEAUMONT, JULIEN DUPUY, CLÉMENTINE GALLOT, QUENTIN GROSSET, RAPHAËLLE SIMON & TIMÉ ZOPPÉ

> l’info graphique

Qu’est-ce qui attire les jeunes dans les salles ? En novembre, le CNC a publié les résultats d’une enquête qui rapporte, par tranches d’âge, l’évolution des pratiques cinématographiques en France. L’étude révèle notamment l’impact des différentes sources de promotion ou d’information sur les 15-24 ans. T. Z. pour les jeunes de 15 à 24 ans pour l’ensemble des spectateurs

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Source : Les Jeunes et le Cinéma (CNC)

> POLÉMIQUE

Des têtes d’affiche bien pâles

© 20th century fox 2014

Aux États-Unis, des voix se sont élevées l’été dernier contre le choix des comédiens de Ridley Scott pour son dernier film, Exodus. Gods and Kings. Christian Bale et Joel Edgerton y incarnent respectivement Moïse et le pharaon Ramsès, au côté d’autres têtes d’affiche à la peau blanche. Révoltés contre ce blanchiment et contre le fait que les acteurs noirs du film interprètent seulement des esclaves, les internautes avaient lancé le hashtag #BoycottExodusMovie sur Twitter, qui réapparaît à l’approche de la sortie du film, en décembre. Pour sa défense, le réalisateur a déclaré au magazine américain Variety : « Je ne peux pas monter un film avec un tel budget […] et dire que mon acteur principal est Mohammed MachinChose qui a tourné dans Bidule et dans Truc. » En 2007, Angelina Jolie incarnait une femme d’origine cubaine, chinoise et africaine dans Un cœur invaincu, et en 2013, Johnny Depp jouait un Indien d’Amérique dans Lone Ranger. Autant d’exemples qui prouvent que, pour ce qui est des castings, Hollywood est plus proche de la fiction que de la réalité. T. Z.

Joel Edgerton dans Exodus. Gods and Kings de Ridley Scott

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> LE CHIFFRE DU MOIS

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C’est, en dollars, la somme moyenne que gagnait Channing Tatum (Foxcatcher) les mauvais soirs (contre 150 $ les bons soirs) lorsqu’il était stripteaseur, comme le rapporte le Hollywood Reporter. Tatum a commencé le strip-tease à 19 ans, après avoir lâché ses études à l’université et avoir envisagé de devenir vétérinaire. Une expérience qui a certainement servi son interprétation dans le film Magic Mike (2012), qui se déroule dans ce milieu. Q. G.

> dépêches

DÉCÈS

FESTIVAL

WES ANDERSON

Le réalisateur américain Mike Nichols, auteur du Lauréat et de Qui a peur de Virginia Woolf ?, est mort le 19 novembre dernier. Acteur dans plus de deux cents films, Ken Takakura, le « Clint Eastwood japonais », est décédé le 10 du même mois. Ils avaient tous deux 83 ans.

Du 16 au 25 janvier aura lieu la 27e édition du festival Premiers Plan d’Angers, qui s’attache, depuis 1989, à révéler des nouveaux talents du cinéma européen (Abdellatif Kechiche, Nuri Bilge Ceylan…). Au programme notamment, des hommages à Bertrand Blier et à Dino Risi.

Le réalisateur de Moonrise Kingdom et Mark Mothersbaugh (fondateur du groupe Devo et auteur de plusieurs B.O. du cinéaste) prévoient de créer dans l’Ohio un parc à thème fidèle à leur univers loufoque et onirique, parsemé d’attractions tantôt amusantes, tantôt effrayantes.

> LA PHRASE

Jurassic World © gebeka films

Après avoir visionné la bande-annonce du quatrième volet de la saga Jurassic Park, le paléontologue Jean-Sébastien Steyer, interviewé par le Huffington Post, s’insurge :

> LA TECHNIQUE

108 Rois-Démons Lorsque sa production fut lancée, 108 Rois-Démons devait être un film d’animation classique. Durant ses trois ans de développement, cette adaptation sino-franco-belge du classique de la littérature chinoise Au bord de l’eau a évolué, pour bénéficier d’une combinaison de techniques totalement inédite. 108 Rois-Démons a en effet été interprété par des comédiens costumés et filmés devant un écran vert afin d’être incrustés dans des décors peints. Mais seul le corps des interprètes est resté sur l’image définitive, la tête des personnages, elle, étant conçue en image de synthèse, animée à la main et enfin calée sur le buste des acteurs. J. D. 108 Rois-Démons de Pascal Morelli (Gebeka Films) Sortie le 21 janvier

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« LES PLUS GRANDS SPÉCIMENS DE PROGNATHODONS MESURAIENT PRÈS DE 20 MÈTRES DE LONG. ON CONSTATE QU’IL EN FAIT AU MOINS LE DOUBLE DANS LA VIDÉO. »

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© walter mcbride / wireimage ; mike pont / filmmagic

PAR C. B.


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> DVD

Les frères Coen ont débuté le tournage de Hail Caesar! en novembre. Le film se déroule dans les années 1950, au crépuscule de l’âge d’or de Hollywood, et réunit entre autres Tilda Swinton et George Clooney. Christophe Honoré adapte le roman Les Malheurs de Sophie de la comtesse de Ségur, avec Golshifteh Farahani, Anaïs Demoustier et Muriel Robin. Le tournage débute fin décembre. Park Chan-wook porte à l’écran Fingersmith, un roman policier de Sarah Waters, en déplaçant l’intrigue du Londres victorien à la Corée sous occupation japonaise (1910-1945). Tournage prévu en mai 2015 pour une sortie courant 2016. T. Z.

La famille Varda-Demy continue son travail de transmission de l’œuvre de Jacques Demy avec cette nouvelle édition DVD de Peau d’âne, dans une version restaurée par Ciné-Tamaris. Un très bon niveau de définition qui offre une seconde jeunesse à l’adaptation du conte de Charles Perrault tournée il y a quarante-quatre ans, en ravivant les couleurs chatoyantes et les détails enchanteurs (ou décalés) de son univers poétique et psychédélique. Dans les nombreux bonus (dont de géniales archives de tournage), le résumé du film proposé par des jeunes écoliers d’aujourd’hui vient rappeler avec malice la duplicité de lecture qu’offre le chef-d’œuvre de Demy, qui corrompt délicieusement la féerie naïve du conte avec une bonne dose d’ironie et de perversion. R. S. Peau d’âne (Arte Éditions/Ciné-Tamaris) Disponible

© adult swim

PARODIE

© d. r.

© ciné tamaris

Peau d’âne

EN TOURNAGE

Des jeunes femmes disparaissent de Jean-Claude Brisseau

> FESTIVAL

Amiens crée des liens La 34e édition du festival international du film d’Amiens a récompensé fin novembre de son Grand prix Ventos de Agosto du Brésilien Gabriel Mascaro. La manifestation picarde consacrait notamment sa sélection aux auteurs d’un unique film, ainsi qu’à Merian C. Cooper, le créateur du mythique King Kong. Au rayon découvertes, signalons Des jeunes femmes disparaissent, un moyen métrage en 3D conçu par Jean-Claude Brisseau au Fresnoy, ainsi que De la terre sur la langue du

jeune réalisateur colombien Rubén Mendoza, fine étude sur la fin des propriétaires terriens en Amérique Latine. L’Italien Vittorio Storaro, 74 ans, chef opérateur star d’Apocalypse Now, a rendu hommage entre deux quintes de toux à son complice Bernardo Bertolucci, « qui lui a tout appris ». Impérial, il a rappelé que l’auteur des images peut revendiquer le titre de « cinématographeur », un néologisme tout indiqué pour cet inventeur décadent à la palette baroque. C. G.

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Too Many Cooks : c’est le nom de la vidéo qui a enflammé le web au début du mois de novembre. Conçue par le scénariste Chris « Casper » Kelly et diffusée sur la chaîne câblée américaine Adult Swim, cette parodie des génériques de séries télévisées des années 1980, qui évolue vers le slasher avec l’apparition d’un tueur fou, totalise à ce jour plus de 4 millions de vues sur YouTube. Un succès qui tient en bonne partie à la musique entêtante qui accompagne ces onze minutes aussi vaines qu’impertinentes. C. B.


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à su ivre

Ariane Labed « Je n’aime pas, de manière générale, l’image que le cinéma a créée de la femme. »

Dans Fidelio. L’odyssée d’Alice, beau et sensuel premier long métrage de Lucie Borleteau, elle campe une mécano qui brave les océans et les amours sur un vieux cargo. L’intrépide Ariane Labed parcourt elle aussi le globe, nourrissant ainsi un jeu qui part du corps. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Ça me plaît que les gens me croient grecque. Je me considère plutôt comme européenne. » Officielle­ ment l’actrice est française, mais elle a vu le jour à Athènes en 1984, de parents berrichons. Ceux-ci ont déménagé en Allemagne lorsqu’elle avait 6 ans, puis sont retournés en France. Enfant, Ariane Labed se rêvait en danseuse classique, mais elle arrête subitement les cours à 16 ans. « Ça me rendait folle, ce rapport rigide à mon corps. » Elle découvre le théâtre et cofonde la compagnie Vasistas à la fac, avec laquelle elle tourne toujours. « C’est plutôt du théâtre corporel, je retrouve le plaisir de la danse classique, mais en plus libre. » L’aventure la ramène en Grèce, où Athiná-Rachél Tsangári lui propose le rôle principal d’Attenberg. Mais le cinéma ne l’attire pas. « Je pensais que c’était un autre langage, j’avais une crainte énorme de l’image. Je n’aime pas, de manière générale, celle que le cinéma a créée de la femme. » La rencontre avec la cinéaste la décide à accepter le rôle, alors qu’elle ne parle pas grec. Elle apprend la langue à la suite du tournage, car elle y rencontre son futur mari, le réalisateur Yórgos Lánthimos. Ils emménagent à Athènes, puis à Londres. « Ça m’est très dur de tourner en français. Une langue étrangère, ça devient un corps concret à travailler. » Après une femme marin dans Fidelio, elle sera une femme soldat dans le prochain film de Delphine et Muriel Coulin. Elle se réjouit aussi de tourner cet été un film d’Alessandro Comodin en italien… Alors que, là encore, elle ne parle pas un mot de cette langue. © flavien prioreau

Fidelio. L’odyssée d’Alice de Lucie Borleteau (lire aussi p. 80) avec Ariane Labed, Melvil Poupaud… Distribution : Pyramide Durée : 1h35 Sortie le 24 décembre

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à su ivre

Adama Niane Dans L’Affaire SK1, Adama Niane interprète Guy Georges, le Tueur de l’Est parisien. Si le rôle est sombre, sa performance est lumineuse.

© marco castro

PAR HENDY BICAISE

U

ne voix suave et un regard perçant, une allure à la fois frêle et puissante, c’est cette ambivalence qui nous a surpris et envoûtés dans L’affaire SK1. Le comédien évoque ses débuts : «  B e a u c o u p d e s c è n e , surtout du théâtre public subventionné, mais aussi plusieurs mois de tournage pour la série Plus belle la vie, et quand on connaît leur cadence de production, ça fait pas mal d’épisodes ! » En marge de nombreux rôles dans des séries policières (Julie Lescaut, P. J., Flics...), Adama Niane apparaît brièvement sur grand écran dans Baise-moi de Virginie Despentes et dans 35 rhums de Claire Denis. En interprétant cette année Guy Georges, il passe au niveau supérieur. Pour incarner en toute intelligence le célèbre tueur en série, il fallait trouver le bon ton : « C’était très compliqué, mais le réalisateur,

Frédéric Tellier, a fait un travail extraordinaire pour trouver la distance idéale et éviter d’emprisonner le spectateur dans des situations trop contradictoires. » Humble, l’acteur ne précise pas que les nuances apportées par son jeu font le reste, qu’il impressionne par son habileté à revêtir différentes peaux, naviguant de l’enfant apeuré à l’ogre imprévisible avec une aisance troublante. La découverte d’Adama Niane rappelle celle de Tahar Rahim dans Un prophète en 2009. Avec une même certitude, celle de tenir devant soi un nouveau visage incontournable du cinéma français.

Il impressionne par son habileté à revêtir différentes peaux.

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L’Affaire SK1 de Frédéric Tellier avec Adama Niane, Raphaël Personnaz… Distribution : SND Durée : 2h Sortie le 7 janvier

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Sorties du 10 déc. au 28 janv. Ceci est mon corps de Jérôme Soubeyrand avec Jérôme Soubeyrand, Marina Tomé… Distribution : CALM Durée : 1h34

10 déc. Timbuktu d’Abderrahmane Sissako avec Ibrahim Ahmed, Toulou Kiki… Distribution : Le Pacte Durée : 1h37 Page 67

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Charlie’s Country de Rolf de Heer avec David Gulpilil, Peter Djigirr… Distribution : Nour Films Durée : 1h48 Page 74

La Famille Bélier d’Éric Lartigau avec Louane Emera, Karin Viard,… Distribution : Mars Durée : 1h45 Page 74

Notre enfance à Tbilissi de Téona et Thierry Grenade avec Irakli Basti Ramishvili, Zuka Tsirekidze… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h39 Page 68

Eau argentée d’Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan Documentaire Distribution : Potemkine Films Durée : 1h33 Page 6

Au revoir l’été de Koji Fukada avec Fumi Nikaid , Mayu Tsuruta… Distribution : Survivance Durée : 2h05 Page 76

Le Hobbit. La bataille des cinq armées de Peter Jackson avec Martin Freeman, Ian McKellen… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h24 Page 68

Gaby Baby Doll de Sophie Letourneur avec Lolita Chammah, Benjamin Biolay… Distribution : Shellac Durée : 1h28 Page 36

Benoît Brisefer. Les taxis rouges de Manuel Pradal avec Gérard Jugnot, Jean Reno… Distribution : Walt Disney Durée : 1h17

Men, Women & Children de Jason Reitman avec Ansel Elgort, Adam Sandler… Distribution : Paramount Durée : 2h Page 68

Coming Home de Zhang Yimou avec Chen Daoming, Gong Li… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h49 Page 72

Le Temps des aveux de Régis Wargnier avec Raphaël Personnaz, Kompheak Phoeung… Distribution : Gaumont Durée : 1h35

Qu’Allah bénisse la France d’Abd al Malik avec Marc Zinga, Sabrina Ouazani… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h32 Page 68

Terre battue de Stéphane Demoustier avec Olivier Gourmet, Valeria Bruni Tedeschi… Distribution : Diaphana Durée : 1h35 Page 72

Le Chant de la mer de Tomm Moore Animation Distribution : Haut et Court Durée : 1h33 Page 70

Amours cannibales de Manuel Martín Cuenca avec Antonio de la Torre, Olimpia Melinte… Distribution : Zootrope Films / Luminor Durée : 1h56 Page 72

20 000 jours sur Terre de Iain Forsyth et Jane Pollard Documentaire Distribution : Carlotta Films Durée : 1h37 Page 76

La Belle Jeunesse de Jaime Rosales avec Ingrid García Jonsson, Carlos Rodríguez… Distribution : Bodega Films Durée : 1h43 Page 70

Dumb & Dumber De de Peter et Bobby Farrelly avec Jim Carrey, Jeff Daniels… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h49 Page 72

La Terre éphémère de George Ovashvili avec lyas Salman, Mariam Buturishvili… Distribution : Arizona Films Durée : 1h40 Page 78

Something Must Break d’Ester Martin Bergsmark avec Saga Becker, Iggy Malmborg… Distribution : Outplay Durée : 1h21 Page 70

Les Pingouins de Madagascar de Simon J. Smith et Eric Darnell Animation Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h33 Page 72

Cours sans te retourner de Pepe Danquart avec Kamil Tkacz, Andy Tkacz… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h52 Page 78

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24 déc.


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Sorties du 10 déc. au 28 janv. Zouzou de Blandine Lenoir avec Laure Calamy, Florence Müller… Distribution : Happiness Durée : 1h22 Page 78

Cold in July de Jim Mickle avec Michael C. Hall, Sam Shepard… Distribution : The Jokers / Le Pacte Durée : 1h49 Page 86

Les Règles du jeu de Claudine Bories et Patrice Chagnard Documentaire Distribution : Happiness Durée : 1h46 Page 90

Exodus. Gods and Kings de Ridley Scott avec Christian Bale, Joel Edgerton… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h31 Page 80

The Gambler d’Ignas Jonynas avec Vytautas Kaniušonis, Oona Mekas… Distribution : ASC Durée : 1h49 Page 86

My Two Daddies de Travis Fine avec Alan Cumming, Garret Dillahunt… Distribution : Septième Factory Durée : 1h38 Page 90

Fidelio. L’odyssée d’Alice de Lucie Borleteau avec Ariane Labed, Melvil Poupaud… Distribution : Pyramide Durée : 1h35 Page 80

The Riot Club de Lone Scherfig avec Sam Claflin, Max Irons… Distribution : Paramount Durée : 1h40 Page 86

Whiplash de Damien Chazelle avec Miles Teller, J. K. Simmons… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h45 Page 82

A Most Violent Year de J. C. Chandor avec Oscar Isaac, Jessica Chastain… Distribution : StudioCanal Durée : 1h50 Page 88

31 déc.

7 janv.

Queen & Country de John Boorman avec Callum Turner, Caleb Landry Jones… Distribution : Le Pacte Durée : 1h55 Page 90 Valentin Valentin de Pascal Thomas avec Marilou Berry, Vincent Rottiers… Distribution : SBS Durée : 1h46 Page 90 La Rançon de la gloire de Xavier Beauvois avec Benoît Poelvoorde, Roschdy Zem… Distribution : Mars Films Durée : 1h54 Page 92

Mon amie Victoria de Jean-Paul Civeyrac avec Guslagie Malanda, Nadia Moussa… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h35 Page 82

L’Affaire SK1 de Frédéric Tellier avec Adama Niane, Raphaël Personnaz… Distribution : SND Durée : 2h Page 20

Hard Day de Kim Seong-hun avec Lee Sun-gyun, Jo Jin-woong… Distribution : Bodega Films Durée : 1h41 Page 94

Une heure de tranquillité de Patrice Leconte avec Christian Clavier, Rossy de Palma… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h19 Page 82

Captives d’Atom Egoyan avec Ryan Reynolds, Rosario Dawson… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h53 Page 88

Chic ! de Jérôme Cornuau avec Fanny Ardant, Marina Hands… Distribution : StudioCanal Durée : 1h43

Territoire de la liberté d’Alexander Kuznetsov Documentaire Distribution : Aloest Durée : 1h08 Page 82

Invincible d’Angelina Jolie avec Jack O’Connell, Garrett Hedlund… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h42 Page 88

Pasolini d’Abel Ferrara avec Willem Dafoe, Ninetto Davoli… Distribution : Capricci Films Durée : 1h24 Page 84

Le Scandale Paradjanov de Serge Avédikian et Olena Fetisova avec Serge Avédikian, Yulia Peresild… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h35 Page 88

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14 janv. The Smell of Us de Larry Clark avec Lukas Ionesco, Diane Rouxel… Distribution : Jour2fête Durée : 1h32 Page 44


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Sorties du 10 déc. au 28 janv. Les Nouveaux Sauvages de Damián Szifron avec Ricardo Darín, Darío Grandinetti… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h02 Page 58

Alda et Maria de Pocas Pascoal avec Cheila Lima, Ciomara Morais… Distribution : JHR Films Durée : 1h36 Page 98

Discount de Louis-Julien Petit avec Olivier Barthélémy, Corinne Masiero… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h45 Page 102

Wild de Jean-Marc Vallée avec Reese Witherspoon, Gaby Hoffmann… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h55 Page 92

Heinrich Himmler. The Decent One de Vanessa Lapa Documentaire Distribution : ASC Durée : 1h34 Page 98

Pioneer d’Erik Skjoldbjærg avec Aksel Hennie, Wes Bentley… Distribution : KMBO Durée : 1h46 Page 102

The Cut. La blessure de Fatih Akın avec Tahar Rahim, Simon Abkarian… Distribution : Pyramide Durée : 2h18 Page 94

Les Aventures d’Émile à la ferme de Per Åhlin, Alicja Björk Jaworski et Lasse Persson Animation Distribution : KMBO Durée : 1h03 Page 118

Atlit de Shirel Amitay avec Géraldine Nakache, Yaël Abecassis… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h30 Page 102

Souvenirs de Marnie de Hiromasa Yonebayashi Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h43 Page 94

21 janv.

Disparue en hiver de Christophe Lamotte avec Kad Merad, Géraldine Pailhas… Distribution : Rezo Films Durée : 1h40 Page 102 Une merveilleuse histoire du temps de James Marsh avec Eddie Redmayne, Felicity Jones… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h03 Page 102

Sous X de Jean-Michel Correia avec Jean-Michel Correia, Karim Leklou… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h39 Page 94

108 Rois-Démons de Pascal Morelli Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 1h50 Page 14

Les Souvenirs de Jean-Paul Rouve avec Michel Blanc, Annie Cordy… Distribution : UGC Durée : 1h36 Page 94

Listen Up Philip d’Alex Ross Perry avec Jason Schwartzman, Elisabeth Moss… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h48 Page 29

Loin des hommes de David Oelhoffen avec Viggo Mortensen, Reda Kateb… Distribution : Pathé Durée : 1h41 Page 96

Someone You Love de Pernille Fischer Christensen avec Mikael Persbrandt, Trine Dyrholm… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h35 Page 98

Les Nuits d’été de Mario Fanfani avec Guillaume de Tonquédec, Jeanne Balibar… Distribution : Le Pacte Durée : 1h40 Page 104

A Girl Walks Home Alone at Night d’Ana Lily Amirpour avec Sheila Vand, Arash Marandi… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h40 Page 96

Une belle fin d’Uberto Pasolini avec Eddie Marsan, Joanne Froggatt… Distribution : Version Originale / Condor Durée : 1h27 Page 98

Deux temps, trois mouvements de Christophe Cousin avec Aure Atika, Zacharie Chasseriaud… Distribution : A3 Durée : 1h25 Page 104

Bébé Tigre de Cyprien Vial avec Harmandeep Palminder, Élisabeth Lando… Distribution : Haut et Court Durée : 1h27 Page 96

Foxcatcher de Bennett Miller avec Steve Carell, Channing Tatum… Distribution : Mars Durée : 2h14 Page 100

Imitation Game de Morten Tyldum avec Benedict Cumberbatch, Keira Knightley… Distribution : StudioCanal Durée : 1h55 Page 104

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hiver 2014-2015

28 janv.


ag e n da

Nuits blanches sur la jetée de Paul Vecchiali avec Astrid Adverbe, Pascal Cervo… Distribution : Shellac Durée : 1h34 Page 104

Things People Do de Saar Klein avec Wes Bentley, Jason Isaacs… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h50 Page 106

Phoenix de Christian Petzold avec Nina Hoss, Nina Kunzendorf… Distribution : Diaphana Durée : 1h38 Page 108

Sud Eau Nord Déplacer d’Antoine Boutet Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 1h50 Page 106

Hope de Boris Lojkine avec Justin Wang, Endurance Newton… Distribution : Pyramide Durée : 1h31 Page 108

Snow Therapy de Ruben Östlund avec Johannes Bah Kuhnke, Lisa Loven Kongsli… Distribution : Bac Films / DistriB Films Durée : 1h58 Page 108

Le Prix à payer de Harold Crooks Documentaire Distribution : ARP Sélection Durée : 1h33 Page 106

Into the Woods. Promenons-nous dans les bois de Rob Marshall avec Emily Blunt, Johnny Depp… Distribution : Walt Disney Durée : 2h04 Page 108

Taken 3 d’Olivier Megaton avec Liam Neeson, Maggie Grace… Distribution : EuropaCorp Durée : N.C.

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hiver 2014-2015


histoires du

CINéMA

LOLITA CHAMMAH

LARRY CLARK

PORTFOLIO

L’actrice est tendre et burlesque dans Gaby Baby Doll p. 36

Avec The Smell of Us, le cinéaste américain signe son film somme p. 44

Ruth Orkin et Morris Engel, photographes et auteurs du Petit Fugitif p. 60

Alex Ross Perry Après le très indé The Color Wheel, road movie en noir et blanc sorti en 2012 et dans lequel il tenait le rôle principal, Alex Ross Perry s’entoure pour Listen Up Philip d’acteurs chevronnés (Jason Schwartzman, Elisabeth Moss) et passe à la couleur, mais conserve un ton cynique et gentiment cruel. Philip est un jeune auteur new-yorkais arrogant qui abandonne sa compagne pour aller travailler à la campagne auprès de Ike, un écrivain misanthrope qu’il admire pour avoir sacrifié sa vie au nom de son art – ou de son narcissisme, c’est selon. Rencontre avec un réalisateur qui fait briller la noirceur. PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON

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©jeff vespa / wireimage

« On pardonne aux gens brillants leurs défauts beaucoup plus facilement. »


h istoi re s du ci n é ma

V

otre précédent film, The Color Wheel, était typique du mumblecore, ce courant du cinéma indépendant américain caractérisé par ses petits budgets et le recours à des acteurs non professionnels… Cette fois, vous tournez avec une plus grosse équipe et des acteurs reconnus. Où vous situez-vous dans le cinéma américain actuel ? Je n’ai pas l’impression d’appartenir à un quelconque mouvement. Je pense que le mumblecore, c’est surtout une manière pratique de réunir des réalisateurs indépendants qui sont en réalité très différents. Mais tous les petits réalisateurs qui faisaient des petits films il y a six ans font des films avec plus d’argent aujourd’hui… Aucun mouvement ne reste figé très longtemps. Pour ma part, c’était cool de pouvoir déléguer à une équipe entière de professionnels, un vrai luxe ! Quel était le point de départ de Listen Up Philip ? Je voyageais beaucoup, de festival en festival, pour présenter The Color Wheel, ce qui fait que je me suis éloigné de New York et de mes proches. C’est ce qui arrive aux gens qui ont du succès ou qui sont très occupés. J’ai eu envie de faire un film où l’on ne reste pas toujours avec le personnage principal et où l’on observe ce qui se passe dans son entourage quand il n’est plus là. J’ai donc décidé de passer d’un personnage à l’autre : c’est une structure qui me semble adaptée pour raconter une histoire qui se passe à New York, une ville où tout le monde est tout le temps en interaction. Vous montrez New York comme une ville agressive et anxiogène : Philip doit s’exiler à la campagne pour trouver l’inspiration. C’est lié à mon expérience de la communauté artistique de cette ville, que je n’ai jamais vue représentée de cette manière au cinéma et que je voulais montrer sans œillères. Je voulais filmer autre chose que l’image idyllique d’une ville magique où la créativité est hyper vivante et où tout le monde a bon esprit… À quoi ressemblait le scénario de ce film très bavard ? Le scénario était très écrit, très long et dense. Mais je travaillais avec des acteurs professionnels

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pour la première fois, donc je devais leur laisser la liberté qu’ils méritaient et dont ils ont besoin pour apporter leurs idées, des idées que je n’aurais jamais eues. La scène de fête chez Ike, d’inspiration très cassavetsienne, a par exemple été complètement improvisée : on se laissait emmener par Jonathan Pryce, c’était très excitant. Ike, que Philip admire profondément, a sacrifié sa vie et sa famille au nom de son art. Que pensez-vous de ce culte de l’artiste ? Mon expérience dans le cinéma m’a montré que les gens talentueux et créatifs ont beaucoup plus de liberté pour mal se comporter que les autres. Très souvent, les célébrités ne sont pas punies pour leurs crimes. On pardonne aux gens brillants leurs défauts beaucoup plus facilement. Cette idée est à la base du film. Malgré son talent, Philip est en effet condescendant, autocentré, voire méchant. Pourtant, on sent que vous ne le blâmez pas. Il n’y a pas de haine ou de jugement de ma part : je ne passerais pas deux ans à faire un film sur un personnage qui ne m’intéresse pas. C’est parce qu’ils échouent et qu’ils prennent des mauvaises décisions que ces personnages sont captivants à suivre. Ce qui m’intéresse, c’est justement de voir jusqu’où ils iront avant de se retourner. Philip n’évolue pas, même au contact de son mentor, Ike. Vous ne croyez pas à la rédemption ? La rédemption, c’est plus dans les films que dans la vraie vie. C’est un dispositif, une porte de sortie utilisée au cinéma ou dans les livres pour faire plaisir au public. La plupart des films qui montrent un mentor et un prodige se concluent sur un changement mutuel, mais pour cette histoire, ça ne me paraissait pas réaliste. Pourquoi avez-vous choisi Jason Schwartzman pour le rôle ? En écrivant le film, je ne pensais pas qu’on pourrait l’avoir, mais je voulais quelqu’un dans son style. Quand, après avoir envoyé le scénario à son agent, on a appris qu’on allait faire le film avec lui et pas avec un ersatz, on était aux anges. Jason parvient à apporter de la douceur et de la sympathie au personnage, malgré sa vraie nature. Il a naturellement amené de la nuance et de l’ambiguïté.

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© potemkine films

e ntreti e n

Elisabeth Moss et Jason Schwartzman

« La rédemption, c’est une porte de sortie utilisée au cinéma pour faire plaisir au public. » Le film parle très peu de sexe, alors même que les relations de couple y occupent une place centrale. Pourquoi ? J’ai volontairement évité tout partage d’intimité avec les personnages : vous ne voyez jamais Ike en pyjama ou Philip et Ashley ensemble au lit… Le film souligne l’isolement et le manque d’amour que Ike et Philip expérimentent, donc cela fait sens qu’ils ne soient jamais vus dans un moment d’intimité ou de joie. Pourquoi cette dichotomie entre les hommes, puérils, bornés et égoïstes, et les femmes, aimantes et réfléchies ? Je voulais deux lignes d’arrivées distinctes : à la fin, les deux personnages masculins n’ont pas évolué d’un poil, alors que les trois femmes ont avancé en rejetant justement l’attitude néfaste des hommes. C’était la trame du film : trois femmes qui disent : « Trop, c’est trop. » Si le ton est souvent cruel, il y a aussi beaucoup d’humour dans le film. Cet équilibre était-il important à trouver ? Il y a beaucoup de noirceur et d’intransigeance dans le film, mais les spectateurs sont aussi là pour passer un bon moment… C’est pour ça que j’ai introduit de l’humour et un peu de légèreté dans ces propos graves. Ce film, c’est un drame, avec des gens drôles.

Vous êtes un grand admirateur de Philip Roth. Dans quelle mesure son œuvre a-t-elle influencé le film et les personnages ? C’est le meilleur. Il a énormément influencé l’écriture et la narration du film. Même si je faisais un film d’horreur, il y aurait du Roth partout. Mais pour modeler les personnages, je me suis inspiré de gens que je connais vraiment, pas d’écrivains que je n’ai jamais rencontrés. Le film tient aussi de Woody Allen. Maris et Femmes (1992) a de loin la plus grande influence visuelle et stylistique sur le film : les mouvements de caméra, la palette de couleurs, l’esthétique, les décors, les costumes… Sur le fond aussi, Maris et Femmes a eu son influence. Contrairement à ce que fait Woody Allen d’habitude, c’est un film assez désordonné, avec une forme de liberté qui m’a désinhibé pour laisser surgir des moments qui n’étaient pas prévus dans le scénario. Quel est votre prochain projet ? Je suis en train de monter un film qui aura pour titre Queen of Earth. Je l’ai tourné en septembre, cette fois encore avec Elisabeth Moss. C’est l’histoire de deux femmes un peu dérangées qui partent en vacances au bord d’un lac. C’est une sorte de thriller inspiré des Larmes amères de Petra von Kant (1972) de Rainer Werner Fassbinder. Après les hommes, c’est au tour des femmes d’être mises à l’épreuve. Listen Up Philip d’Alex Ross Perry avec Jason Schwartzman, Elisabeth Moss… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h48 Sortie le 21 janvier

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h istoi re s du ci n é ma - g e n de r stu di e s

© rue des archives

Chaque mois, une étude des enjeux de représentation du genre au cinéma

Carmen Jones d’Otto Preminger (1954)

SAISON 5 : LES PIONNIÈRES DU CINÉMA AMÉRICAIN

3. Dorothy Dandridge Actrice, danseuse et chanteuse à la beauté incendiaire, première star internationale noire du septième art et aujourd’hui tombée dans l’oubli, Dorothy Dandridge affiche une trentaine de rôles à son actif. Ou comment une fille de rien née à Cleveland, dans l’Ohio, a mis à genoux l’Amérique raciste des années 1950. PAR CLEMENTINE GALLOT

Le public n’est pas prêt… » Tout au long de sa courte vie (quarante-trois rudes années), on a servi la même soupe à Dorothy Dandridge. Cette chanteuse à la voix envoûtante a écumé le chitlin’ circuit, le réseau des établissements réservés aux artistes noirs dans l’Amérique ségréguée. En 1932, elle s’installe à Hollywood, où l’on ne lui propose – au mieux – que de jouer les potiches dans des séries B exotiques. Il lui faut attendre 1953 pour se voir enfin offrir un premier grand rôle. Otto Preminger a l’idée géniale d’adapter l’opéra de Bizet Carmen en comédie musicale avec une distribution exclusivement noire. Une première. L’histoire est transposée sur une base militaire du sud des États-Unis en 1942 et, dans le rôle-titre, Dorothy Dandridge, brûlante et hyper sexualisée, crève l’écran. Le succès commercial de cette grosse production permet de rompre temporairement avec les représentations racistes de la féminité noire au cinéma (les actrices afro-américaines y étaient cantonnées à des rôles de cuisinières, de bonniches ou de nourrices) et de toucher un large public, toutes couleurs confondues. Projeté à Cannes en 1955, le film est l’objet d’un imbroglio juridique, les héritiers des librettistes (auteurs des paroles de l’opéra) bloquant sa diffusion dans

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l’Hexagone – il ne sera montré sur les écrans français qu’à partir de 1981. À 32 ans, Dandridge est propulsée, brièvement, première star internationale noire du septième art et devient la première comédienne afro-américaine nommée aux Oscars. La 20th Century Fox lui offre un contrat de trois films, une embellie de courte durée. Otto Preminger, avec qui elle vivra une passion destructrice, la dirige de nouveau, aux côtés de Sidney Poitier, dans Porgy and Bess. Pourtant, bien que loin du Sud ségrégationniste, Hollywood n’a pas su l’aimer : écartée après son refus de jouer une esclave dans Le Roi et Moi (Walter Lang, 1957), elle finira par faire une overdose de cachetons en 1965, avec deux dollars sur son compte en banque. En 2013, un morceau de Janelle Monae (« Dorothy Dandridge Eyes ») lui rend hommage. Quelques années plus tôt, en 1999, un téléfilm diffusé par HBO racontait son parcours. Ironie de l’histoire : Dorothy Dandrige y était incarnée par Halle Berry, première actrice noire à remporter une statuette… en 2002. Carmen Jones d’Otto Preminger (BFI Video), DVD, disponible Pour aller plus loin : Dorothy Dandridge. A biography de Donald Bogle (Amistad Press)

le mois prochain : un nouveau cycle de Gender Studies

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h istoi re s du ci n é ma - scè n e cu lte

La réplique :

« Ça fait un an que je suis ici, je ne sais même pas dire “merci” en arabe. »

Avoir 20 ans dans les Aurès

Prix de la critique internationale à Cannes en 1972, cette chronique de sept jours de la vie d’un commando de l’armée française en Algérie, en avril 1961, n’a rien perdu de sa force antimilitariste.

© d. r.

PAR JULIETTE REITZER

A

près le très beau Afrique 50 (1950), considéré comme le premier film anticolonialiste français, Les Mutins de Pangée poursuivent un admirable travail d’édition en DVD de l’œuvre de René Vautier avec ce coffret réunissant quinze films sur l’Algérie. Long métrage de fiction, Avoir 20 ans dans les Aurès s’annonce dès son carton de prologue comme un « condensé de huit cents heures de témoignages de six cents appelés de la guerre d’Algérie ». Patchwork formel, expérimental et libertaire, le film s’intéresse aux mécanismes qui conduisent un groupe de jeunes soldats français à la sauvagerie, avant de délaisser la bande pour suivre Nono,

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l’un d’eux, qui déserte avec l’insurgé algérien qu’il devait exécuter. Son errance le mène à la tente d’une famille berbère, qui lui apporte son aide. « Ça fait un an que je suis ici, je ne sais même pas dire “merci” en arabe », regrette le jeune appelé. Échanges pudiques de regards au-dessus d’un thé brûlant, mouvements feutrés, la quiétude de cette scène est troublée par le bruit d’un jeune garçon qui manipule, fasciné, le fusil du soldat français. L’image est bouleversante et annonce l’issue tragique du film, en même temps qu’elle réaffirme son engagement profondément pacifiste. Coffret René Vautier en Algérie (Les Mutins de Pangée) Disponible

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GABY BABY DOLL

© philippe quaisse

LOLITA CHAMMAH

« Le métier d’actrice est fragilisant. Ce qu’il y a autour du cinéma est violent aussi, cette quête effrénée pour susciter le désir. » 36

hiver 2014-2015


portr ait

À 31 ans, Lolita Chammah tient enfin son premier rôle principal au cinéma dans Gaby Baby Doll, une comédie romantique régressive de Sophie Letourneur (La Vie au ranch). Elle y incarne Gaby, une jeune femme que la peur panique de la solitude mène jusqu’à la cabane d’un homme solitaire (Benjamin Biolay). Un rôle qui permet à la comédienne de donner libre cours à un jeu tendre et burlesque. Rencontre.

L

PAR LAURA TUILLIER

orsqu’elle arrive, mèches rousses échappées d’une chapka en fourrure noire, l’impression est saisissante, même s’il faut passer outre : Lolita Chammah ressemble à Isabelle Huppert, sa mère, mais, de la même façon qu’elle ne porte pas son nom, elle ne joue pas du tout sur le même registre, et c’est tant mieux. Dans Gaby Baby Doll, le troisième long métrage de Sophie Letourneur, l’actrice construit un personnage très étonnant, moue dubitative et corps nonchalant, et porte le film de la légèreté à une angoisse enfantine étonnante. Le défi était grand pour Lolita Chammah, puisque Gaby est de tous les plans, et souvent seule dans le cadre. Et si la précision de son jeu prouve que l’actrice avait les épaules pour le rôle, elle a quand même besoin d’être rassurée : « Je ne suis pas sûre de moi. Un premier rôle c’est formidable, mais c’est aussi de la solitude, on sait que l’on va être au centre des regards. » Ces regards, Lolita Chammah semble en avoir besoin autant qu’elle les craint. D’où peut-être son début de carrière en douceur, avec une série de seconds rôles discrets mais impeccables. En 2010, elle joue la fille de sa mère dans Copacabana de Marc Fitoussi, façon d’exorciser une fois pour toutes l’héritage familial. « Au début, j’avais l’impression étrange d’une intimité dérobée. Mais, rapidement, on s’est trouvées face à face, comme deux actrices. » BAPTÊME DU FEU

Cette même année, on la remarque dans Memory Lane de Mikhaël Hers, portrait mélancolique d’un groupe d’amis en train de passer à l’âge adulte. Un film qui pose, dans un tout autre style, la même interrogation que Gaby Baby Doll : comment grandir ? L’actrice analyse d’ailleurs très bien ce qui fait la singularité de cette héroïne : « C’est une fille ultra comique et ultra tragique. Elle mange n’importe quoi, elle fait pipi partout, elle est d’un abandon absolu, comme un enfant. » La question de la fin de l’enfance taraudait justement Lolita Chammah lors de sa rencontre, il y a quelques années, avec Sophie Letourneur. « J’ai l’impression que c’est notre amitié qui a donné naissance au personnage de Gaby. Je ne veux pas trop m’avancer, mais il me semble que Sophie a trouvé en moi un alter ego cinématographique. Gaby, c’est une fusion entre elle et moi. »

Le projet mûrit pendant quelques années, comme les deux amies. Lorsqu’elles se retrouvent pour tourner, Sophie Letourneur remet à Lolita Cham­ mah un scénario dont il faudra pourtant rapidement s’éloigner : « Sophie a une façon particulière de travailler, basée sur de l’improvisation en amont, puis sur un texte très précis à respecter scrupuleusement au tournage. » L’actrice se souvient d’un tournage « exigeant, sans répit », un baptême du feu en quelque sorte. Car Chammah a beau fréquenter les plateaux depuis l’enfance – elle tient des petits rôles au côté de sa mère dans Une affaire de femmes de Claude Chabrol et dans Malina de Werner Schroeter – et avoir fait ses vrais débuts à 15 ans dans La Vie moderne de Laurence Ferreira Barbosa, elle ne se sent pas invulnérable pour autant. Faire ses preuves

« Le métier d’actrice est fragilisant. Jouer est une épreuve, même si ça fait enfant gâtée de dire ça. Ce qu’il y a autour du cinéma est violent aussi, cette quête effrénée pour susciter le désir est angoissante. Il y a tellement d’acteurs, il faut trouver son endroit à soi. » Pour trouver cet ancrage, Lolita Chammah a préféré prendre son temps. Un passage heureux par le conservatoire du Ve arrondissement, puis c’est l’école supérieure d’art dramatique de Strasbourg (TNS), qu’elle abandonne avant la fin du cursus, parce qu’elle ne s’y sent pas bien. Dès lors, elle fraye avec le jeune cinéma français. Ses copains s’appellent Virgil Vernier, Guillaume Brac ou Katell Quillévéré. « On a toujours envie de circuler, de n’appartenir à rien ni à personne. Mais je suis heureuse de croiser ces gens-là. Le cinéma d’auteur, c’est davantage mon truc que les grosses comédies. » Fréquenter une bande, certes, mais aussi faire ses preuves en solitaire, pour que l’apprentissage soit complet. Lolita se transformera dans les prochains mois en Marilyn, seule en scène pour donner à entendre les Fragments écrits par l’actrice tout au long de sa vie. Son admiration pour cette autre baby doll remonte aux Hommes préfèrent les blondes, un de ses premiers souvenirs de cinéma. Et d’enfance, forcément. Gaby Baby Doll de Sophie Letourneur avec Lolita Chammah, Benjamin Biolay… Distribution : Shellac Durée : 1h28 Sortie le 17 décembre

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Course aux remakes à Bollywood Les studios de la plus grande industrie du cinéma mondial, Bollywood, lorgnent sur les films français, et les projets de remakes fleurissent. Alors que les producteurs indiens font des bénéfices gigantesques, pourquoi se mettre à acheter français ?

© d. r.

PAR NOÉ GAREL, À BOMBAY

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Nautanki Saala!, remake indien d’Après vous de Pierre Salvadori

n octobre dernier, le festival international du film de Bombay accueillait la première édition du Films remakes market. À l’initiative d’Unifrance et de Déborah Benattar, directrice de la société de production franco-­ indienne La Fabrique Films, l’opération a permis aux producteurs indiens de visionner six films français qui pourraient faire l’objet d’éventuelles adaptations : Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, Et maintenant, on va où ?, Né quelque part, Supercondriaque, Dans la cour et Pas son genre. Si rien n’est encore signé, Et maintenant, on va où ? de Nadine Labaki intéresse deux producteurs indiens. L’intrigue se déroule dans un village libanais dans lequel cohabitent musulmans et chrétiens. Un scénario qui trouve écho dans un pays où les relations entre hindous et musulmans sont

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tendues… Ce marché du remake a été créé pour endiguer un phénomène profondément ancré en Inde : l’adaptation illégale de films étrangers. Les réalisateurs indiens ont beau démentir formellement les accusations de plagiat portées contre eux, on retrouve chaque année une dizaine de films dont les scénarios sont étrangement similaires à ceux de grands succès hollywoodiens, comme récemment Bruce tout-puissant, Jackpot ou Le Mariage de mon meilleur ami. Et la production française n’est pas épargnée. En 2007, Sagar Ballary a adapté sauvagement Le Dîner de cons. Bheja Fry (qui peut se traduire par « le casse-pieds ») est une copie presque à l’identique du film de Francis Veber. Même intrigue, même tour de reins, mêmes quiproquos, si ce n’est que l’éditeur parisien méprisant devient un producteur de Bombay et que le match de football est remplacé par un match de

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cricket. Bheja Fry a engrangé 4,5 millions de dollars de recettes et a donné lieu à un second volet. Cette appétence pour la copie trouve notamment son origine dans la tradition indienne qui la perçoit comme une forme d’hommage. Mais si les remakes font fureur en Inde, c’est aussi parce que les productions estampillées Bollywood font beaucoup plus d’entrées que les autres. « Ici, les films indiens représentent 95 % du box-office, la promotion d’un film coûte une fortune, et quand ils ne marchent pas, les films sont très vite déprogrammés. En plus, les sous-titres peuvent déplaire », explique Déborah Benattar. comédies et romances

Mais la pratique de l’adaptation illégale n’a plus la cote. Les studios indiens ne veulent plus prendre le risque de longs et coûteux procès, comme celui que les producteurs de Hitch. Expert en séduction menaçaient d’intenter à ceux de Partner (l’affaire s’est conclue par un arrangement à l’amiable) ; des procédures qui repoussent la sortie des films et plombent gravement leur exploitation commerciale. Différents représentants du cinéma français jouent donc les intermédiaires pour faire adapter les films hexagonaux de manière légale. En 2011, à Bombay, la société de production Wild Bunch et l’ambassade de France ont organisé une projection de films produits dans l’Hexagone. La famille Sippy, dynastie de Bollywood qui réunit trois générations de producteurs-réalisateurs, y découvre Après vous de Pierre Salvadori, film qu’elle adapte légalement en 2013 sous le nom de Nautanki Saala! Cette médiation réussie encourage les adaptations de films français, dont les droits se négocient généralement entre 50 000 et 120 000 euros. « C’est souvent moins cher que les droits d’adaptation de films américains », précise Deborah Benattar, qui a facilité la vente des droits d’adaptation d’Après vous,

Bheja Fry est une adaptation sauvage du Dîner de cons. Même tour de reins, mêmes quiproquos… mais aussi ceux de De vrais mensonges (toujours de Pierre Salvadori). Après ces deux comédies romantiques, des adaptations légales d’Intouchables et de Hors de prix sont prévues dans les prochains mois. Dans un pays où le public est friand de gags loufoques, de décors kitsch et d’histoires d’amour, les producteurs s’intéressent en effet en premier lieu aux comédies et aux romances, comme l’explique Bhushan Kumar, qui a coproduit la version indienne d’Après vous : « Il faut seulement ajuster le script à la culture locale. » Son scénariste Nipun Dharmadhikari a donc adapté Après vous à la sauce Bollywood. « L’histoire, entre ce qu’elle raconte de la jeunesse des villes et de l’amour, est universelle, mais nous avons dû changer quelques détails : on a remplacé la brasserie par une troupe de théâtre, ça fonctionne mieux par rapport au contexte. » Dans Nautanki Saala!, l’acteur se tape la tête de rage contre le tambour de prière de sa grand-mère lorsqu’il apprend qu’elle a poussé sa petite amie à le quitter – un smiley triste perce alors l’instrument. Dans le film original, le personnage se vengeait de sa grand-mère en inscrivant au rouge à lèvres « salope » sur son imperméable. Avec plus de cinquante minutes de chanson, la version indienne s’avère plus longue – et plus édulcorée – que l’originale. Le tournage du remake légal d’Intouchables doit débuter en 2015. Reste à voir si le personnage initialement incarné par François Cluzet se lancera dans une chorégraphie en chaise roulante.

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Le cinéma d’action indonésien Les deux récents opus de The Raid de Gareth Evans sont les descendants d’une longue tradition du cinéma d’action en Indonésie. Une histoire mouvementée que retrace un documentaire drôle et érudit (Dans le feu de l’action) qui figure sur les bonus de l’édition DVD de The Raid 2. PAR JULIEN DUPUY

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i le cinéma d’action a dominé l’industrie indonésienne depuis le tournage en 1926 du premier film produit localement, Loetoeng Kasaroeng de L. Heuveldorp, c’est qu’il est aussi le reflet de l’histoire troublée du pays, traduisant le combat permanent d’un peuple pour acquérir sa propre identité. Le cinéma indonésien vient à peine d’éclore qu’il connaît un coup d’arrêt avec l’occupation japonaise de 1942 à 1945 (seulement trois films produits en 1942), pour renaître de ses cendres dès la fin des années 1940. Le film de guerre Darah Dan Doa d’Usmar Ismail (1950), par exemple, exhorte la bravoure des Indonésiens. L’industrie cinématographique nationale ne prend réellement son essor que dans les années 1960, avec une loi protectionniste qui initie un âge d’or qui durera deux décennies. Le cinéma d’action florissant peine encore à trouver son identité : en dehors des copies des succès internationaux, les artisans locaux sont écrasés par l’influence des studios hongkongais qui viennent tourner leurs films sur place. Mais certains cinéastes, tels Imam Tantowi avec la saga Saur Sepuh, exploitent les trésors nationaux comme le silat, un art martial originaire de Sumatra, ou le wayang, un spectacle traditionnel ponctué de combats. En outre, les adaptations de comics indonésiens ren­con­t rent

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un joli succès. Pour preuve, le triomphe de Jaka Sembung de Sisworo Gautama Putra (exploité en France sous le titre Le Guerrier), qui mélange allègrement le film historique (on y narre la rébellion d’un Indonésien contre l’occupant néerlandais) et le merveilleux (le héros y combat un cyclope), le tout mâtiné de gore, avec un goût prononcé pour les décapitations et les énucléations. Sorti en 1981, Jaka Sembung fait également de l’acteur Barry Prima, métis néerlando-indonésien, la figure de proue du genre. Malheureusement, la force de frappe de Prima comme de ses confrères (George Rudy, Advent Bangun) ne résiste pas à l’avènement de la télévision : aujourd’hui, ces stars ne sont plus employées que dans des séries télé tournées à la chaîne, tandis que l’on dénombre mille écrans de cinéma pour toute l’Indonésie, contre plus de trois mille cinq cents au début des années 1990. Si, depuis la chute du dictateur Soeharto en 1998, une nouvelle génération tente de ressusciter le cinéma d’action indonésien, c’est surtout le triomphe international de The Raid qui pourrait relancer cette industrie extrêmement savoureuse, à défaut d’être très raffinée. Dans le feu de l’action de Bastian Mereisonne (1 h 17), sur le DVD de The Raid 2 de Gareth Evans (Wild Side) Disponible

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Nan Goldin (1), vidéoconférence avec Julian Assange (2), Laura Poitras (3), Josh et Benny Safdie (4), Wes Anderson et Abel Ferrara (5), John Malkovitch (6)

LISBON & ESTORIL On a passé deux jours au Lisbon & Estoril Film Festival, qui se déroulait du 7 au 16 novembre dernier. Le temps d’un aperçu forcément parcellaire, mais riche en belles surprises. PAR JULIETTE REITZER

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e foisonnement des réjouissances, réparties entre Lisbonne et Estoril, distantes de vingtcinq kilomètres, est d’abord déroutant. Ou-­ tre la compétition de treize longs métrages (Amour fou de Jessica Hausner a remporté le Prix du meilleur film) étaient organisés des hommages à John Malkovich et à Maria de Medeiros (en leur présence), des rétrospectives de Philippe Garrel ou de Tariq Teguia, un focus « Cinéma et mode », une carte blanche à Wes Anderson, des avant-premières, des lectures… Nan Goldin, membre du jury, présentait trois slideshows de ses photographies, dont l’iconique série The Ballad of Sexual Dependency. À l’issue de la projection de son Scopophilia, qui tisse des liens poétiques entre ses clichés et des œuvres du Louvre, la photographe écourtait la séance de questions-­ réponses avec le public par un laconique : « Je traîne tard dans les bars la nuit, si vous voulez me parler », avant d’évoquer avec humour son rapport au cinéma : « J’ai toujours voulu réaliser des films. Maintenant je me sens prête… Si vous connaissez un bon scénariste, dites-lui de venir me trouver. Au bar, donc. » On l’a retrouvée plus virulente à l’issue de la projection du nouveau film de Josh et Benny Safdie, Heaven Knows What, présenté en compétition. Les deux frères new-yorkais, auteurs du remarqué The Pleasure of Being Robbed en 2008, y suivent le quotidien de SDF accros à l’héroïne. Tandis que l’aîné, Josh, raconte la genèse du projet, Nan, assise deux rangs derrière nous, s’empare du micro : « Je connais la drogue, et ce qui me gêne, c’est que vous avez l’air

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de trouver ça “cool”. Mais l’héroïne, ce n’est pas vivre dans l’instant, c’est mourir dans l’instant. » Des habitués du festival nous confient que ce genre de scènes est fréquent : deux jours plus tôt, le truculent Abel Ferrara, à la fin de la projection de son Pasolini, avait alpagué le timide Wes Anderson, assis dans la salle, pour recueillir ses impressions. Se tenaient aussi des projections et des rencontres sur le thème de la surveillance mondiale généralisée. Y fut notamment organisée une vidéoconférence avec le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, dont l’apparition quasi christique sur grand écran valait à elle seule le détour. Mais cette programmation nous a surtout permis de découvrir le nouveau documentaire, stupéfiant, de l’Américaine Laura Poitras, venu clore sa trilogie sur les dérives du gouvernement américain post-11-Septembre. C’est elle (et le journaliste du Guardian Glenn Greenwald) qu’Edward Snowden choisit de contacter en 2013, alors qu’il s’apprête à révéler le fonctionnement des systèmes de surveillance mis en place par la NSA. Entre les quatre murs d’une chambre d’hôtel à Hong Kong, elle filme les confessions de Snowden, et suit avec lui l’emballement médiatique qui s’ensuit… On ne l’avait pas vu venir, mais on ne fut pas étonnés d’entendre, entre deux questions du public, s’élever la voix de Nan Goldin : « Votre film est génial, je veux vous rejoindre, travailler avec vous. Le seul problème, c’est que je ne sais pas faire marcher un ordinateur. » C’est bien cette proximité, joyeusement bordélique, qui fait tout le charme du festival.

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« Je fais tout avec 550 000 euros. N’importe quel petit festival a beaucoup plus de budget. »

Paulo Branco Avant de fonder le Lisbon & Estoril Film Festival, Paulo Branco a produit quelque trois cents films. Rencontre. PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON

Comment est né le festival ? La mairie de Cascais m’a demandé de monter un festival il y a huit ans. Dès le départ, je voulais faire quelque chose d’un peu différent, un festival qui soit un lieu de débats et de rencontres, pour casser le cloisonnement entre les arts. Cette année, il y avait dans le jury le plasticien Philippe Pareno, les écrivains Dimítris Dimitriádis et Dorota Masłowska, le peintre Francisco Tropa et la photographe Nan Goldin… Il n’y avait pas de film portugais en compétition. Pour la compétition officielle, j’ai sélectionné treize films de différentes nationalités que je trouve formidables, mais qui n’ont pas été récompensés à leur juste valeur par les jurys des grands festivals et auxquels j’offre une sorte de seconde chance. Il se trouve qu’aucun film portugais n’avait sa place en compétition – pas assez intéressants, pas terminés, ou alors c’étaient des films que j’avais produits et que je ne pouvais donc pas sélectionner. Est-il difficile de monter un festival comme celui-ci ? Le budget est ridicule : je fais tout avec 550 000 euros. N’importe quel petit festival a beaucoup plus d’argent [le Festival de Cannes a un budget de 20 millions d’euros, le festival du Film indépendant de Bordeaux,

300 000 euros, ndlr]. Les gens viennent sans cachet, parce qu’ils ont envie de venir, qu’ils me connaissent, ou par le bouche-à-oreille, comme Wes Anderson, qui est venu après que des amis lui ont dit du bien du festival. En plus du festival, vous continuez à produire des films à un rythme effréné. La dernière fois que j’ai compté le nombre de films que j’ai produits, il y a trois ans, on en était à deux cent quatre-vingts. J’ai toujours envie de rencontrer des nouveaux réalisateurs, tout en continuant avec mes collaborateurs historiques, et ça fait un effet boule de neige. Quand, au début du tournage de Mystères de Lisbonne, Raoul Ruiz m’annonce qu’il a cancer et qu’il ne sait pas s’il va pouvoir finir le film, j’ai la liberté de continuer quand même. C’est moi qui décide, je n’ai pas de compte à rendre, c’est ma responsabilité. Cette liberté est d’autant plus précieuse qu’elle est en train de disparaître, car la production française s’enferme dans un système rigide. Déjà il y a la dictature du scénario. Si j’avais dû me fier au scénario, la plupart des films que j’ai produits ne se seraient pas faits : soit celui-ci tenait sur six pages, soit il était incompréhensible, comme la plupart des scénarios d’Oliveira et de Ruiz – il fallait au moins une maîtrise de philo pour espérer les comprendre… Ajoutez à ça la dictature des chiffres et tous les critères qu’impose la télévision, ça vous donne des films hyper formatés et ça vous tue le cinéma français… Sur un film comme Cosmopolis de David Cronenberg, qui a un budget de 15 millions d’euros, avez-vous réussi à conserver votre liberté ? Oui, justement ! J’ai réussi, avec un énorme budget, à produire un film de David Cronenberg qui soit très expérimental. D’ailleurs, je n’ai pas gagné un centime sur le film. J’avais justement présenté David Cronenberg à Don DeLillo ici, au festival d’Estoril, pour qu’il adapte son livre que j’avais adoré. Quel conseil donneriez-vous à un producteur débutant ? Il y a trente ans, j’ai croisé Serge Zilberman, que j’admirais beaucoup. Quand je me suis présenté comme producteur, il m’a répondu, avec un ton un peu condescendant : « Jeune homme, ça n’existe plus, le métier de producteur. Le système corporatif ne le permet plus. » Du coup, je lui dirais aussi qu’il n’y a plus de producteur, pour que, comme moi, il bataille toute sa vie pour prouver le contraire.

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LArry Clark

Depuis Tulsa, sa première monographie photographique publiée en 1971, Larry Clark s’intéresse à une jeunesse marginale et agitée. De Kids (1995) à Marfa Girl (2012), skate, punk, violence et drogues composent une vision toujours ambiguë et fascinante de l’adolescence. Dans son dernier film, le sombre et remuant The Smell of Us, tourné à Paris, en français, il s’intéresse au mode de vie de jeunes skateurs qui se prostituent tout en offrant, comme un autoportrait, un regard rétrospectif sur les motifs qui jalonnent son œuvre. PAR QUENTIN GROSSET

Larry Clark et l’un de ses jeunes acteurs sur le tournage de The Smell of Us

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arry Clark se fait tatouer une tête de mort dans une scène de The Smell of Us. La même qu’arbore Lukas Ionesco, l’un des jeunes acteurs principaux du film, sur l’une de ses phalanges. Dans cette séquence, le réalisateur se met en scène de façon peu flatteuse en incarnant un clodo nommé Rockstar, dégobillant de la vinasse et se pissant dessus. Math (Lukas Ionesco), skateur blond au visage impassible et aux airs de chérubin, tient l’avant-bras du vieux vagabond, comme s’il le retenait de son affaiblissement progressif, et pince sa peau lâche et défraîchie. L’artiste de 71 ans, méditant sur sa propre finitude, mesure le temps qui passe en s’essayant au genre de la vanité. The Smell of Us prend des allures testamentaires : jamais Larry Clark n’avait autant joué de son image, jamais il n’avait parlé aussi crûment de la vieillesse. Le contraste entre la représentation de corps juvéniles et celle de corps flétris, voire mourants, laisse deviner sa peur du déclin à lui, le photographe et le cinéaste qui s’est nourri de l’adolescence, de sa fougue, de ses dérives. C’est au fond un regard sur cinquante ans de carrière qui – c’est son côté rock’n’roll – reste ouvert sur la jeunesse d’aujourd’hui.

Larry Clark entouré d’une partie des acteurs de The Smell of Us

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© 2014 larry clark & morgane production

LARRY CLARK FAIT ENCORE PEUR

Il y a cinq ans environ, Tiffany Limos, actrice de Ken Park et ex-petite amie de Larry Clark, retrouve chez elle de vieilles bobines 16 mm que l’artiste avait tournées dans les années 1960, à l’époque où il prenait les photographies qui seront publiées en 1971 dans son livre Tulsa. Ce recueil fit sensation à sa sortie : avec un noir et blanc très graphique, Clark y exposait sans ménagement les jeunes de sa ville natale, située dans l’Oklahoma, s’adonnant au sexe et aux drogues. À l’époque, Clark hésitait encore entre la photo et le cinéma. L’un des producteurs français de The Smell of Us, Pierre-Paul Puljiz, explique comment Tiffany Limos lui a fait part de sa découverte : « En 2003, j’avais déjà produit un documentaire sur Larry Clark, qui n’est plus montrable à cause de problèmes de droits. Elle m’a appelé une nuit en me demandant s’il n’y avait pas de quoi faire un autre documentaire avec ces bandes. Larry a mis six mois à accepter, avant de se rétracter et de me parler de ce film de fiction qu’il rêvait de réaliser en France. » Depuis la présentation à Cannes de Kids en 1995, Clark pense à ce projet sur la jeunesse parisienne. Il confie le développement du scénario à un jeune poète nantais de vingt ans, Scribe (de son vrai nom Mathieu Landais, lire p. 54), qui imagine une histoire centrée sur un réseau de prostitution masculine dans le milieu des skateurs parisiens. Mais, malgré l’aura de Larry Clark, les financements sont difficiles à trouver. « La plupart des gens nous disaient être fans de Clark, mais ne voulaient pas

s’engager. Aucune chaîne de télévision n’a investi dans le film, et l’on a dû avoir recours à une campagne de financement participatif. On a fait avec la moitié du budget prévu », explique Puljiz. Larry Clark fait encore peur, et c’est une bonne nouvelle. On se souvient notamment qu’en 2010, la mairie de Paris avait interdit aux moins de 18 ans l’accès à son exposition rétrospective au musée d’Art moderne de la ville de Paris, « Kiss the Past Hello ». Une décision qui avait soulevé de vives discussions sur la censure et sur la représentation des thèmes tabous abordés dans l’œuvre de Clark – la sexualité des mineurs, la drogue, l’inceste…

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L’adolescence, chez Clark, ce n’est assurément pas l’âge des possibles, c’est le temps de la perte des repères.

AU PLUS PRÈS DES CORPS

Si Larry Clark a toujours posé un regard à la fois cru et juste sur la jeunesse américaine, le fait qu’il déplace ses obsessions dans un cadre français a pu poser question. N’allait-il pas tomber dans les représentations fantasmées d’un Paris qui n’existe pas ? Depuis le début de sa carrière, l’artiste a le souci d’un réalisme sans concessions, montrant la vraie vie de kids tourmentés, qu’ils soient en prise avec la drogue (les toxicos de Tulsa), la violence (le ghetto dans lequel les ados peuvent se faire tuer à chaque moment dans Wassup Rockers ; la tyrannie psychique que Bobby exerce sur son groupe d’amis dans Bully), le sida (Kids), le suicide (la première séquence de Ken Park) ou, dans The Smell of Us, la prostitution. L’adolescence, chez Clark, ce n’est assurément pas l’âge des possibles, c’est le temps de la perte des repères. Pour aboutir à cette vérité nue, Clark, à la fois complice et voyeuriste, n’hésite pas à dévoiler

Maxime Terin

l’intimité de ses sujets, à s’approcher au plus près des corps, de leurs fluides, dans une mise en scène qui n’a souvent rien d’érotique ni de sensuel. Pour The Smell of Us, cette proximité du réalisateur avec ceux qu’il filme se confronte à la barrière de la langue. Le fait qu’il tourne en français, langue qu’il ne maîtrise pas, occasionne parfois quelques problèmes de justesse dans le jeu des acteurs. Natalia Brilli, directrice artistique du film, l’a aidé à infiltrer le milieu du skate parisien : « Il a fallu lui faire découvrir des endroits que les étrangers ne connaissent pas forcément, notamment des spots à Montreuil, à Montrouge. On est allés dans des fêtes, des squats, des concours de skate, il y rencontrait plein de jeunes. Avec eux, il a un côté très chaleureux, il raconte des anecdotes d’une vie très riche, un peu comme un grand-père. Ça peut aussi être des histoires complètement salaces… » Clark filme toujours des meutes. Ce qui l’inspire, chez les skateurs, c’est l’esprit de groupe, l’énergie d’une communauté solidaire pas farouche et toujours en mouvement. Le réalisateur se passionne pour la culture skateboard en ce que celle-ci est dépositaire de valeurs contestataires :

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Diane Rouxel (à gauche)

© robin le goannec

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Lukas Ionesco

« C’est pas un animal de recherche, Larry Clark, c’est un animal de terrain. » Scribe

la recherche de sensations extrêmes, une façon autre d’occuper l’espace public fondée sur la déambulation, une mise en scène de soi basée sur le risque… Au fond, peu de différences dans l’esprit entre les skateurs latinos de Los Angeles dans Wassup Rockers et ceux, certes plus aisés, de The Smell of Us. Bien sûr, le skate prend une valeur beaucoup plus contre-culturelle dans le ghetto de South Central que dans le milieu bourgeois parisien, où ce sport devient soumis à des enjeux de sponsoring, de publicité. Natalia Brilli explique : « Parfois, quand un placement de produit était prévu, Larry gueulait pour que la marque dégage du plan. Il se fout de ce genre de détail, comme il se moque du fait que les gamins qui s’amenaient en trottinette sur le tournage soient mal vus par les autres skateurs. Ce qui l’intéresse, c’est une jeunesse qui se lance dans le vide, qui n’a pas peur de tomber sur la tête. » INNOCENCE GÂCHÉE

Ce qui caractérise la génération des ados de The Smell of Us, c’est un rapport ambigu à l’argent (ils n’ont pas vraiment besoin de se prostituer) et aux nouvelles technologies. À cet égard, le film est plutôt pessimiste, les rapports sont virtuels, la communication ne passe plus, notamment entre les parents, absents ou désengagés, et les enfants. Surtout, la prostitution par Internet, vécue d’abord comme un jeu, mènera ces ados vers un funeste dénouement. Scribe donne son interprétation sur

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cet aspect de la vision du réalisateur : « Pour moi, Larry Clark est un grand moraliste. Il a une idée de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. Pour les personnages de Kids, il y a une forme de châtiment divin : “Si tu te comportes ainsi, tu attrapes le sida.” » Dans The Smell of Us, sa vision de l’impact d’Internet sur la jeunesse prend parfois des airs accusateurs, c’est un espace dangereux, qui éloigne les êtres plus qu’il ne les rapproche. Quant au visage de Math, toujours fermé, impénétrable, il devient la surface aimable et séduisante qui cache la vacuité morale animant les personnages. Ses traits juvéniles font écho aux figures angéliques mais ravagées disséminées dans les décors du film, convoquant les motifs de l’innocence gâchée, de la pureté altérée. Selon Natalia Brilli, Larry Clark avait le désir de parsemer ces décors d’œuvres d’art « Avec lui, on parlait beaucoup d’artistes : David Wojnarowicz, Mike Kelley, Richard Prince… Il avait vraiment envie que le musée d’Art moderne apparaisse, que l’on en voit quelques œuvres. Et puis, les personnages adultes sont presque tous liés à ce milieu. » Deux clients qui font appel aux services sexuels des jeunes gens sont effectivement des collectionneurs. Larry Clark interprète l’un d’entre eux, un fétichiste qui suce les pieds de Math, comme s’il pompait la sève de sa jeunesse. Ainsi, les adultes ne sont pas seulement irresponsables, ils sont également dépeints comme des prédateurs lubriques. Hélène Louvart, la chef opératrice du film, assure

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pourtant : « Aussi bien dans la façon de filmer que d’éclairer ces personnes, notre volonté avec Larry était de ne jamais les juger. » L’actrice Dominique Frot, qui livre une performance démente, joue la mère incestueuse de Math : « Cette mère est comme certaines personnes qui n’ont pas été enfants, mais qui le deviennent lentement. » Cette séquence, dérangeante et outrancière, évoque une scène de Ken Park pendant laquelle un père ivre tente d’abuser de son fils. Même schéma ici avec cette mère qui semble, comme sa progéniture, mener une existence désorientée, chaotique. AUTOPORTRAIT EN ADOLESCENT

© robin le goannec

C’est justement au chaos que carbure Larry Clark. Tout le tournage du film s’est déroulé ainsi, de façon heurtée, quasi improvisée. Scribe évoque la façon dont le réalisateur s’est totalement approprié le scénario : « C’est au moment du tournage qu’il a tout chamboulé. C’est pas un animal de recherche, Larry Clark, c’est un animal de terrain. » La jeune actrice Diane Rouxel raconte : « Du jour au lendemain, Larry ne voulait plus voir JP, le personnage joué par Hugo Behar-Thinières. Par solidarité, le lendemain, Théo Cholbi et Lukas Ionesco ne se sont pas présentés sur le plateau. Larry ne l’a pas supporté et a imaginé la fin de leurs personnages. Ça a été un moment très difficile pour moi. » Le réalisateur décide aussi de s’impliquer en tant qu’acteur dans le film : il prend d’abord le rôle du clochard Rockstar, initialement dévolu à Pete Doherty (qui ne s’est jamais présenté sur le tournage), puis à Michael Pitt (qui écope finalement d’un plus petit rôle). Clark s’investit encore plus quand il fait le choix d’incarner le fétichiste des pieds. « Bouli Lanners devait le jouer, explique

Pierre-Paul Puljiz, mais, coïncidence, il est tombé d’un arbre, s’est entaillé le pied et a failli être amputé. On a aussi pensé au hardeur HPG, mais il nous a dit : “Je peux faire n’importe quoi, mais pas les pieds !” » À mesure que les jeunes acteurs se sentent dépossédés de leur rôle, le film devient ainsi de plus en plus personnel. Progressivement, on passe d’un film sur les errements de la jeunesse à une sorte d’autoportrait cruel et sans concessions de Larry Clark. D’ailleurs, une version director’s cut de The Smell of Us va encore plus loin dans cette direction : le réalisateur y apparaît en tant que tel, comme dans un making of. Dans le film, il se trouve même un alter ego dans le personnage de Toff, un ado qui filme tous les faits et gestes de ses camarades. Maxime Terin, le jeune acteur qui tient ce rôle, explique : « Il m’a dit qu’il se reconnaissait dans mon personnage, qui est un peu partout, qui est un peu comme Dieu. » Larry Clark, qui a toujours clamé qu’en filmant des ados il cherchait à retrouver cette période de sa vie, trouve là une incarnation juvénile, à un moment où il se sent diminué – quelques mois après le tournage, il a subi une lourde opération de la colonne vertébrale. C’est au fond cette translation identitaire qui, depuis le début, anime le réalisateur. Dès 1992, dans un entretien avec le plasticien Mike Kelley publié dans la revue Flash Art, Clark confiait : « Même à Tulsa, quand je photographiais mes amis, ce que je voulais, c’était être mes amis – être n’importe qui, sauf moi-même. »  The Smell of Us de Larry Clark avec Lukas Ionesco, Diane Rouxel… Distribution : Jour2fête Durée : 1h32 Sortie le 14 janvier

Hugo Behar-Thinières, Eva Menis Mercier et Lukas Ionesco

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ENTRETIEN

LARRY CLARK Depuis Tulsa, sa première monographie photographique publiée en 1971, Larry Clark s’intéresse à une jeunesse marginale et agitée. De Kids (1995) à Marfa Girl (2012), skate, punk, violence et drogues composent une vision toujours ambiguë et fascinante de l’adolescence. Apparemment éreinté par le tournage de The Smell of Us, le cinéaste, élusif mais enthousiaste, répond à nos questions.

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PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

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ans The Smell of Us, vous radicalisez tout ce que vos détracteurs reprochent à votre cinéma. Votre fascination pour les corps adolescents, ici fétichisés par la fragmentation des plans, n’a jamais été aussi marquée. Et c’est certainement l’un de vos films les plus insolents… À chacun de mes films, il se trouve quelqu’un pour me dire que c’est mon œuvre la plus provocatrice. Le phénomène va en s’amplifiant. Je crois pour ma part que celui-ci est mon meilleur film. Peut-on voir The Smell of Us comme un con­ densé de toute votre œuvre ? On y retrouve beau­coup de références à vos films précédents.

La séquence pendant laquelle Math se fait abuser par sa mère évoque par exemple une scène quasi similaire de Ken Park. Oui, je suis d’accord. La scène dont vous parlez est ma préférée. Dominique Frot, qui joue la mère, est allée aussi loin qu’elle a pu. Je lui avais seulement donné quelques indications en des termes très généraux, j’ai été un peu plus précis avec Lukas [Ionesco, qui joue Math, ndlr]. Tout a été improvisé et tourné en une prise, car nous manquions de temps. On retrouve aussi certains des acteurs de vos précédents longs métrages, comme Jonathan Velasquez (Wassup Rockers, 2004). Michael Pitt, qui jouait dans Bully (2001), apparaît lors de quelques séquences. Dans une boîte de

Larry Clark en six longs métrages PAR Q. G. ET J. R. KIDS (1995)

À New York, Jennie (la toute jeune Chloë Sevigny) apprend sa séropositivité et se lance à la recherche du seul garçon avec qui elle a couché… Posant les jalons de l’œuvre à venir, Kids, écrit par Harmony Korine, est interdit aux moins de 17 ans aux États-Unis, et aux moins de 12 ans en France.

ANOTHER DAY IN PARADISE (1997)

Dans le Midwest des années 1970, Bobbie et Rosie, ados paumés qui vivent de petites combines, rencontrent Mel et Sid, des truands toxicos plus expérimentés. Larry Clark revisite le genre du polar avec ce film, interdit aux moins de 16 ans en France.

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BULLY (2001)

Un groupe d’amis se venge des violences et humiliations perpétrées par l’un des leurs, Bobby. Interdit aux moins de 16 ans en France, ce film est inspiré du meurtre de Bobby Kent par son ami Marty Puccio, en Floride, en 1993. Il obtient le Grand prix au festival du film de Stockholm en 2001.


© sebastien bossi

e n couve rtu re

Le bras tatoué de Larry Clark

nuit, il échange un long regard avec le personnage de Math. Que représente ce personnage énigmatique ? Je me demandais à quoi ressemblerait Math plus tard. J’ai pensé qu’il allait devenir Michael Pitt, ils ont les mêmes yeux d’un bleu profond. Vous incarnez un clochard nommé Rockstar. Pourquoi vous êtes-vous ainsi mis en scène ? Dans le scénario, ce personnage avait été prévu pour réciter les poèmes de Scribe. Mais, le jour du tournage, le type qui devait tenir le rôle [Pete Doherty, ndlr] ne s’est pas pointé. Je ne devais pas du tout jouer dans le film, mais je n’ai pas eu le choix. Comme j’étais incapable de lire de la poésie, j’ai improvisé et j’ai essayé d’imaginer qui pouvait être ce personnage. Vous avez donc laissé beaucoup de place à l’improvisation ? Je dirais que la moitié du film est scénarisée, le reste étant totalement improvisé. C’était difficile mais amusant. Je n’ai pas arrêté de modifier le scénario. Au milieu du tournage, nous avons eu beaucoup de problèmes [une partie des acteurs a quitté le projet, ndlr] et il était impossible de se reposer sur ce qui était écrit. J’ai dû m’adapter. Peu de réalisateurs ont l’occasion de faire un film de cette façon, j’ai saisi cette opportunité, et ça fonctionne finalement très bien. C’est un bien meilleur film que si j’avais suivi le scénario à la lettre. Vous avez dû faire face à une mutinerie de la part de certains de vos jeunes acteurs. Que s’est-il passé exactement ? Ils étaient fatigués, ils n’avaient jamais joué avant. Ils ne réalisaient pas à quel point cela allait être difficile et n’étaient pas préparés psychologiquement à

KEN PARK (2002)

Coréalisé avec le chef opérateur Ed Lachman, scénarisé comme Kids par Harmony Korine, ce film a été interdit aux moins de 18 ans dans plusieurs pays dont la France. Il suit le désœuvrement de quatre ados californiens en conflit avec leurs familles après le suicide d’un de leurs camarades.

tenir ces rôles. Donc j’ai dû supprimer des personnages et en créer de nouveaux. On était au milieu du tournage et, soudain, il m’a fallu tout réimaginer, c’était un peu fou. Quel souvenir gardez-vous de votre premier séjour à Paris ? C’était il y a bien longtemps, dans les années 1980. J’ai trouvé que c’était une ville incroyable et très belle. Quand je suis revenu en France, pour la projection à Cannes de mon film Kids, j’ai eu l’idée d’un film sur l’adolescence qui se déroulerait à Paris. Il m’a fallu vingt ans pour le réaliser. Selon vous, de quelle façon la ville a-t-elle évolué durant cette période ? Elle ressemble à celle que j’ai connue autrefois ; c’est la société qui a évolué. Tous ces gamins ont aujourd’hui accès à l’Internet, aux technologies de l’information. On le lit tous les jours dans les journaux : tout ce que vous pensez est posté sur les réseaux ; si vous allez à une fête, tout est photographié. Le film parle de ça, de la façon dont Internet peut très facilement mettre ces ados en difficulté. En plus de la musique punk que l’on retrouve dans tous vos films, une grande place est ici accordée au blues. Quel rapport entretenez-­ vous avec ce genre musical ? C’est la musique que j’écoutais quand j’étais gamin. Tout le rock’n’roll vient de là. Dans une séquence du film, je chante une chanson de John Lee Hooker que j’adore. Son rythme serein correspond bien au film. Jonathan Velasquez, que j’avais filmé dans Wassup Rockers, a aussi beaucoup participé à la bande originale avec son groupe #thisisnotrevolt [lire p. 58, ndlr]. Quand il crie dans le micro, les gens se lèvent et dansent, c’est parfait.

WASSUP ROCKERS (2006)

Un groupe d’ados, punk et latino, sort du ghetto de South Central, à Los Angeles, pour aller faire du skate dans le quartier huppé de Beverly Hills. La rencontre avec la faune locale est explosive. Le film le plus optimiste et tendre de son auteur, qui dépeint ici l’adolescence comme une bulle d’innocence.

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MARFA GIRL (2012)

Organisée autour du jeune skateur Adam, cette chronique de la vie à Marfa, au fin fond du Texas, a reçu le Marc-Aurèle d’or du meilleur film au festival de Rome. « J’ai voulu dire “Fuck!” à Hollywood », y lâchait Clark, justifiant ainsi sa décision de diffuser le film exclusivement sur son site Internet.


© 2014 larry clark & morgane productions

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Larry Clark et Lukas Ionesco

Depuis votre livre de photographies Tulsa, publié en 1971, de quelle manière votre point de vue sur les adolescents a-t-il évolué ? À Tulsa, je me suis immiscé dans un monde se­cret, que personne ne voyait. C’est ce que j’ai ensuite fait pour la plupart de mes films. Celui-ci ne fait pas exception. Je pars d’une certaine vérité, et pour l’appréhender, il suffit d’être honnête et réaliste. Mais n’y a-t-il pas une part de fantasme dans la manière dont vous représentez la jeunesse ? Pour moi, il y a une vraie part documentaire… (Il réfléchit.) Mais c’est difficile de définir un tel film, qui est ouvert et peut être interprété de différentes manières. Le montage du film participe à créer une atmosphère très onirique, justement très antidocumentaire. Je voulais que le spectateur se raccroche à l’intrigue malgré l’enchevêtrement de différentes sources d’images, cela devait être excitant visuellement. Il existe d’ailleurs deux montages du film : celui qui sort dans les salles en janvier, et un director’s cut dans lequel j’apparais en tant que Larry Clark. Cette version sera visible dans quelques temps. The Smell of Us est-il destiné à des spectateurs adolescents, ou visez-vous un public plus large ? Ce film est pour tout le monde, des très jeunes ados jusqu’aux plus de 70 ans. C’est le cas pour tous mes films d’ailleurs, même si je n’avais jamais cherché à intéresser un public aussi large auparavant. C’est un film très dur, mais l’adolescence est un sujet qui touche des gens de tous âges.

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«  Le film parle de la façon dont Internet peut très facilement mettre ces ados en difficulté. » Vous avez commencé à peindre pendant le tournage de The Smell of Us. Que vous apporte ce nouveau médium ? Je peignais le soir, après des journées de tournage bien remplies. Cela m’aidait à m’extérioriser, c’était un peu comme de la méditation. Quand vous peignez, rien n’est plus important que ce qu’il y a sur votre toile. C’était un tournage très difficile, alors il était vraiment nécessaire pour moi d’oublier ce qui se passait. Je fais de la photographie depuis très longtemps, mais je suis aussi un conteur, j’ai besoin de faire des films. Là, je commence la peinture. Pour moi, il est difficile de ne pas avoir plusieurs options. Avez-vous suivi la carrière des jeunes acteurs que vous avez découverts une fois les tournages terminés ? Oui, je côtoie encore les acteurs de Kids. J’ai vu Chloë Sevigny l’autre jour, et je vois souvent Leo Fitzpatrick, qui vit à New York, ou Rosario Dawson. J’ai aussi gardé le contact avec Jonathan Velasquez, qui est actuellement à Paris avec son groupe. Vous devriez entendre parler de lui prochainement. L’ado que vous étiez a-t-il quelque chose en commun avec les jeunes parisiens de The Smell of Us ? Sans doute beaucoup de questions sur l’avenir.

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SCRIBE Pour écrire The Smell of Us, le scénariste Scribe a vécu en immersion totale avec une jeunesse parisienne à la dérive. Romantique, ténébreux et exalté, le poète nantais aime se perdre avec ses sujets. PAR RAPHAËLLE SIMON

c’est sûrement ce f lot de jeunesse qui séduit le réalisateur septuagénaire lors d’un rendez-vous provoqué en secret par un ami, il y a six ans. « C’est quand il m’a dit qu’il était en retard pour le dîner en son honneur au Plaza Athénée que j’ai compris que c’ était Larry Clark ! » Très vite, le réalisateur désigne Scribe comme scénariste de son projet sur la jeunesse parisienne et lui laisse carte blanche. Scribe s’immerge alors dans l’univers parisien des skateurs et des squats, auquel il ne connaît rien. Mais, au moment du tournage, Larry Clark remanie tout le scénario. « Je voulais montrer la jeunesse dans son quotidien, son ennui, ses dérives, ses plans galères. Mais Larry en a fait un film sur le désespoir de vieillir dans un monde où la jeunesse et la beauté priment. » Pas rancunier, Scribe reconnaît à cet « autre film » une vertu cathartique : « Les sentiments négatifs que l’on ressent face au film sont des sentiments qu’on devrait ressentir face au monde. Ce film est une expérience que tout le monde devrait vivre. » Le jeune homme travaille en ce moment sur un projet de long métrage qu’il réalisera avec son frère, un huis clos empreint d’humour noir sur le suicide. Et compte bien s’immerger dans les f lots tourmentés de sa jeunesse pour puiser de nouvelles inspirations. Peut-être sur son chemin croisera-­t-il l’épave d’un navire viking.  © sandrine landais

Je peux vous donner des indices. Je viens de la campagne profonde française. J’ai 26 ans ; quand j’ai rencontré Larry Clark, j’en avais 20. Mais je veux parler de ce que je fais, pas de ce que je suis. » Ainsi se présente le mystérieux auteur nantais, qui cache son vrai nom – Mathieu La nd ais – der r ière u n pseudo et préfère poser de dos sur les photos. Le long de sa colonne vertébrale est tatoué un poème islandais du xiii e siècle en runes, l’alphabet qu’utilisaient les Vikings à cette époque. « J’ai tendance à aimer les causes perdues : les Vikings sont perçus comme des brutes, alors que c’était une civilisation de poètes, ils avaient un rapport à la nature incroyable, et une langue très mystérieuse. » La poésie, Scribe la pratique d’ailleurs comme une expér ience d’ord re physique et sensoriel, à l’image des vidéos qu’il tourne, dans lesquelles il lit ses poèmes, et qu’il projette lors de performances : « Ma poésie, ce n’est pas du Mallarmé, je la rapproche plus du skate ou du tag, quelque chose de sauvage et vigoureux, un f lot de jeunesse. » Tout comme Harmony Korine, qui avait 19 ans quand Larry Clark lui a demandé d’écrire le scénario de Kids en 1992,

« Ma poésie, je la rapproche du skate ou du tag, quelque chose de sauvage et vigoureux, un flot de jeunesse. »

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portrait

jonathan velasquez On a pris des nouvelles de Jonathan Velasquez, figure centrale de l’œuvre de Larry Clark. Actuellement à Paris avec son groupe, ce musicien aux jeans serrés et à la moustache duveteuse nous raconte sa relation avec le cinéaste. Wassup rocker?

uand on demande à Jonathan Velasquez s’il pratique encore le skateboard, il montre ses grosses baskets Vans et s’écrie : « Ouaip ! Regarde comme elles sont abîmées ! » Un soir de novembre, on attend le jeune homme âgé d’une vingtaine d’années près de La Flèche d’Or quand quatre silhouettes vêtues de veste en cuir et de pantalon slim surgissent à l’horizon. Velasquez est venu avec sa bande, le groupe punk #thisisnotrevolt. « On est en France depuis environ trois mois et on pense rester jusqu’à l’été prochain. On enregistre un album et c’est notre première tournée en Europe. » Velasquez a rencontré Larry Clark en juillet 2003 dans son quartier de South Central, une zone défavorisée de Los Angeles. À l’époque, Clark doit réaliser la couverture du magazine Rebel avec Tiffany Limos, l’une des actrices de Ken Park. Les acteurs du film n’étant pas disponibles pour figurer avec elle sur la photo, le réalisateur se met en quête d’autres skateurs. Il rencontre alors Jonathan et sa clique. Clark est fasciné par ces ados aux cheveux longs et aux fringues taille 10 ans. Il décide de réaliser une fiction inspirée du quotidien de ces kids du ghetto : Wassup Rockers (2005). « Là où l’on vivait, personne n’était habillé comme nous. Tout le monde écoute du hip-hop là-bas, c’est le quartier d’Ice Cube. On se faisait souvent racketter, on nous volait notre skate ou notre portable. On se battait presque tous les jours. » Petit protégé de Clark, Velasquez devient la figure centrale de la série de photos Los Angeles 2003-2006, montrée notamment en 2010 dans le cadre l’exposition de Larry Clark au musée d’Art moderne de la ville de Paris. En 2013, Clark met en ligne sur son site un court métrage intitulé Jonathan dans lequel le jeune

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Jonathan Velasquez photographié par Larry Clark en 2012, à Los Angeles

homme est filmé en plein ébats sexuels, non simulés. Quand il nous raconte cette expérience, il fait rire ses potes autour de lui. « J’étais obligé d’accepter, c’était cool de baiser avec ces jolies filles ! » Aujourd’hui, Velasquez considère Clark comme un ami. Le réalisateur a d’ailleurs glissé quelques morceaux et images de concerts de #thisis­not­revolt dans The Smell of Us. « Ce sont des extraits d’un concert à L.A. Pendant un pogo, le gars du bar s’est mis en colère et nous a demandé d’arrêter de jouer. Ça a dégénéré en grosse bagarre. Larry était là, il filmait. »

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© larry clark

PAR QUENTIN GROSSET


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LES NOUVEAUX SAUVAGES

DAMIÁN SZIFRON Déjà créateur d’une série télé et réalisateur de deux longs métrages inédits en France, l’Argentin Damián Szifron perce enfin à l’international avec Les Nouveaux Sauvages, une hexalogie de contes cruels et hilarants raclant le vernis de la bienséance sociale pour révéler les instincts primaires de personnages tour à tour repoussants et émouvants.

© warner bros

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

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e ntreti e n

C

omment est né Les Nouveaux Sauvages ? En un sens, c’est un film non désiré, comme un enfant que je n’aurais pas souhaité mais dont je serais ensuite tombé éperdument amoureux. Je développais d’autres projets, et des images ont commencé à envahir mon esprit. Petit à petit, elles ont formé des histoires cohérentes, qui se sont mises à s’enchaîner. Au bout de la quatrième histoire, j’ai compris qu’elles étaient toutes connectées, comme les planètes d’un système solaire. Parvenu à la sixième histoire, je tenais un film. Vous n’avez donc jamais travaillé simultanément sur plusieurs histoires ? Non, jamais, et l’ordre dans lequel les sketches apparaissent à l’écran correspond à l’ordre dans lequel je les ai écrits. Ça n’avait rien de volontaire, j’ai même essayé de changer leur emplacement, mais ça ne fonctionnait jamais aussi bien. Quelque part, il s’agissait de leur classement naturel. Une fois que vous avez compris que ces histoires formaient un film, avez-vous retravaillé les sketches pour mieux les relier entre-eux ? J’ai commencé à m’inquiéter lorsque tous mes interlocuteurs me disaient : « Mais est-ce que l’un des personnages d’un sketch fait une apparition dans un autre ? Vont-ils tous se retrouver dans un grand final choral ? » J’ai donc essayé d’intégrer des échos entre chaque section. J’ai, par exemple, fait apparaître un aigle qui survolait toutes les histoires. Mais j’ai vite compris que ma démarche était motivée par la peur, et non par le désir. Il fallait que j’ose respecter le projet pour ce qu’il était. Tous les personnages du film sont présentés comme des prisonniers. Nous sommes des animaux guidés par nos instincts mais gouvernés par la société. Ainsi, aucun de nous n’est vraiment fidèle à ce qu’il doit être. En ce sens, personne n’est libre. Or il me semble qu’aucune des règles sociales qui nous gouvernent ne nous considère pour ce que nous sommes : des êtres humains qui ont un temps limité à passer sur terre. Tous mes personnages sont ainsi prisonniers de leur environnement. Forcément, leur libération, leur retour au primitif si vous préférez, n’est pas sans conséquences. Toutes les histoires utilisent également la lutte des classes comme moteur. C’est pour moi l’élément le plus violent de nos sociétés capitalistes. Ce système économique fonctionne sur un clivage maître et esclave, ou riche et pauvre. Vous avez besoin d’esclaves sous-payés

pour concevoir votre smartphone, pour lequel vous allez travailler, un travail qui va à son tour vous asservir. Pour moi, l’image la plus violente du film, c’est ce jeune citadin très riche qui dans sa belle automobile climatisée double un pauvre campagnard au volant d’une épave. La violence est déjà là, sous-jacente, dans ce choc de classe sociale. En tant que narrateur, je me contente de faire exploser cette violence, pour mieux la juguler ensuite. Le danger d’un film comme Les Nouveaux Sauvages est de sombrer dans la misanthropie, voire le cynisme. Y avez-vous pensé ? J’ai écrit ce film en totale liberté, sans même savoir s’il allait se concrétiser. Je n’ai donc jamais pensé aux réactions que pourrait susciter mon travail. Je me sentais juste proche de ces personnages, et je voulais partager une aventure en leur compagnie. Comme j’étais submergé par mes histoires, je n’avais jamais l’occasion de juger quoi que ce soit. Tout ce que je sais, c’est que j’adore mes personnages. Le reste m’importe peu.

« La violence est déjà là, sous-jacente. Je me contente de la faire exploser, pour mieux la juguler ensuite. »

Vous avez écrit le film dans un état de lâcherprise, mais votre mise en scène est extrêmement contrôlée. En tant que scénariste, j’entretiens ma « sauvagerie » : je travaille de nuit, en écoutant de la musique à un très fort volume, je n’écris qu’à la main, jamais à l’ordinateur, bref, j’essaie de me mettre dans un état second. Par contre, en tant que metteur en scène, j’ai besoin d’être très précis pour protéger cette sauvagerie dans le travail final. C’est comme la musique classique : une fois la mélodie trouvée, il faut être maniaque, cartésien en un sens, pour parvenir à transférer ces émotions en symphonie. En France, le titre original, Relatos Salvajes (« contes sauvages »), est traduit par Les Nouveaux Sauvages. Qu’en pensez-vous ? Au début, j’ai été totalement déstabilisé. Mais les gens de Warner ont défendu leur choix, et j’ai fini par adorer cette traduction, parce que ce titre se recentre sur les personnages. Les Nouveaux Sauvages de Damián Szifron avec Ricardo Darín, Darío Grandinetti… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h02 Sortie le 14 janvier

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RUTH ORKIN & MORRIS ENGEL PAR TIMÉ ZOPPÉ

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n 1960, Morris Engel reçoit une let t re de Jean-Luc Godard. Le réal isateur franco-suisse y fait part de son intention d’envoyer à New York son chef opéra­teur, Raoul Coutard, afin d’étudier la caméra utilisée par Engel dès 1952 pour tourner son premier long métrage, Le Petit Fugitif. Engel avait en effet demandé à un ami, rencontré quand il était reporter-photographe dans la Navy, de bricoler une caméra assez légère et discrète pour filmer son jeune héros dans le parc d’attraction de Coney Island sans attirer l’attention des passants. Mais la demande de Godard, comme celle de Stanley Kubrick, qui s’intéresse aussi à l’appareil, n’aboutira pas. C’est qu’Engel rechigne à prêter son invention… Au cours de leurs carrières, son épouse Ruth Orkin et lui garderont toujours cette attitude libre et solitaire, caractéristique de leur activité première : la photographie. Ils se sont connus à la Photo League, un collectif de photographes marqués à gauche. Morris Engel en devient membre dès sa création en 1936, tandis que Ruth Orkin ne fait que le fréquenter. Elle y adhère en 1947, pour protester contre le placement du groupe sur la liste noire du département de la Justice, au début du maccarthysme.

Leurs clichés sont publiés dans différents magazines tels que Look, Fortune, Cosmopolitan ou PM… Mais le couple songe au cinéma. Morris Engel franchit le pas avec Le Petit Fugitif, qui mobilisera aussi sa compagne. Tourné avec peu de moyens mais une grande liberté artistique, le film suit l’errance d’un garçon de 7 ans à Coney Island alors qu’il pense avoir tué son frère. Lion d’Argent à Venise, le long métrage fait la couverture des Cahiers du cinéma en 1954 et ouvre la voie aux Quatre cents coups de François Truffaut et à la Nouvelle Vague. Peu à peu oublié, Le Petit Fugitif ressort en France en 2009 et donne au journaliste Stefan Cornic l’envie de documenter l’histoire du couple. Il a retracé leur travail dans un ouvrage magnifiquement illustré, Morris Engel. Ruth Orkin. Outside. Quand la photographie s’empare du cinéma, et nous donne ici quelques clés de lecture de l’œuvre de ces deux pionniers méconnus. Morris Engel. Ruth Orkin. Outside. Quand la photographie s’empare du cinéma de Stefan Cornic (Carlotta Films) Disponible

photogramme du petit fugitif, 1952

« Dans le film, plusieurs genres du cinéma traditionnel américain sont rejoués. Le western et le film noir sont détournés, ce qui est rare à l’époque, car on les aborde encore de manière sérieuse. Ça fait partie de la culture de Morris Engel. Il a perdu son père très jeune, c’était le seul garçon de sa famille, et il a été quasiment livré à lui-même. Enfant, il a traîné dans les rues de Brooklyn et a passé beaucoup de temps dans les cinémas. »

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ruth orkin, morris engel & richie andrusco sur le tournage du petit fugitif, coney island, 1952

© ruth orkin & morris engel, avec l’aimable autorisation de orkin/engel film and photo archive. tous droits réservés

© morris engel and ruth orkin, 2014 © carlotta films, 2014

« Morris Engel a demandé à son ami Ray Ashley [de son vrai nom Raymond Abrashkinn, ndlr] d’écrire un scénario et de l’aider à lever des fonds. Ils ont réuni 30 000 dollars. On ne sait pas si Ruth Orkin a contribué à l’élaboration du film, elle a surtout été déterminante dans le montage. Un professionnel devait s’en charger, mais il n’a pas su quoi faire des rushes. Ruth Orkin l’a remplacé, car elle comprenait l’esthétique de son compagnon. Sur le tournage, elle s’est aussi improvisée scripte. »

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© morris engel and ruth orkin, 2014 © carlotta films, 2014

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richie andrusco sur le tournage du petit fugitif, 1952

« Dans cette scène, on entend des notes d’harmonica, comme si Joey en jouait en mangeant sa pastèque. Comme dans le Néoréalisme italien, le son n’a pas été pris en direct, mais recréé en postproduction. À cause du peu d’argent, il a fallu choisir un instrument seul. La musique a été composée et jouée à l’harmonica par Eddy Manson, ce qui accentue le comique de certaines scènes. Morris Engel retrouvera Eddie Manson pour Weddings and Babies en 1958. »

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© morris engel and ruth orkin, 2014 © carlotta films, 2014

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ruth orkin, famous malted milk, vers 1950

« Ruth Orkin a utilisé la couleur dès 1950 – elle est souvent citée dans les livres sur les précurseurs de la photographie couleur. À l’époque, cette esthétique n’était pas considérée comme artistique, mais au contraire comme vulgaire, comme étant l’apanage de la publicité. En 1950, Ruth Orkin a publié l’une des toutes premières photos couleur en couverture du Ladies Home Journal, un portrait de femme sans maquillage devant l’étal d’un marchand de primeurs. »

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morris engel, street shower, 1938

© morris engel and ruth orkin, 2014 © carlotta films, 2014

© morris engel and ruth orkin, 2014 © carlotta films, 2014

«  Mor r is Engel a par ticipé au projet Harlem Document d’Aaron Siskind, qui était déjà un grand photographe, à la fin des années 1930. Au sein de la Photo League, Siskind avait fondé le Feature Group, qui opérait surtout dans des quartiers défavorisés comme Harlem ou Bowery et prenait la rue comme atelier. La composition de la photo, avec l’enfant grandi au premier plan et la contre-plongée, montre la volonté d’Engel d’humaniser ses personnages. »

ruth orkin, american girl in italy, 1951

« Cette photo, c’est un peu Le Baiser de l’Hôtel de Ville des Américains. Ruth Orkin faisait des reportages en Europe. À Florence, elle a rencontré Jinx Allen, une compatriote qui, comme elle, voyageait seule. Elle l’a photographiée dans la ville, en reproduisant des scènes inspirées de leur vécu. Ruth Orkin était une baroudeuse : à 17 ans, elle était partie de Los Angeles à vélo pour visiter l’exposition universelle de 1939 à New York. »

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les F I L M S du 10 déc. au 28 janv. PASOLINI

Abel Ferrara s’empare de la mort violente de Pasolini, en 1975 p. 84

LES RÈGLES DU JEU

Une immersion documentaire dans un centre de coaching professionnel p. 90

FOXCATCHER

Bennett Miller rappelle que le sport de combat est souvent une affaire de famille p. 100

Timbuktu Huit ans après avoir orchestré le procès fictif des institutions financières à l’heure de la mondialisation avec Bamako, le cinéaste Abderrahmane Sissako revient avec son nouveau long métrage sur la prise de Tombouctou par les islamistes en 2012. Sobre et puissant.

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Par Éric Vernay

a musique est interdite. Le football et les cigarettes aussi. On demande aux femmes d’enfiler des chaussettes et aux hommes de retrousser leur pantalon. Bref, le monde marche sur la tête depuis que les djihadistes ont pris Tombouctou. Pourquoi mettre des gants pour vendre du poisson, s’agace une marchande, déjà obligée d’arborer le voile ? Alors que les règles saugrenues n’en finissent plus de pourrir le quotidien des habitants, non loin de là, au milieu des dunes, un berger touareg et sa famille semblent échapper à l’oppression. Jusqu’au jour où un pêcheur abat l’une des bêtes du Touareg. Une atmosphère étrange enveloppe Timbuktu. La violence est ici réelle, certes – Abderrahmane Sissako ne la nie pas, il la dénonce avec ses armes. À l’hystérie du « film coup-de-poing », sa mise en scène rigoureuse préfère en effet la sobriété et la douceur. Danse et brutalité cohabitent ainsi, par la grâce d’un montage alterné. Au nombrilisme des médias occidentaux, en général plus préoccupés par le sort des otages que par celui des populations locales, le cinéaste mauritanien répond par une poésie rêche teintée d’humour satirique : des ânes se promènent devant les buts d’une partie de foot sans ballon, les islamistes sont nuls en conduite, et quand

ils se mettent à débattre des mérites de Zidane, ils se font insulter par la folle du village. Abderrahmane Sissako refuse tout manichéisme. Même si leur aveuglement débouche sur la pire des barbaries (mariages forcés, coups de fouets, lapidations…), au fond, ces djihadistes sont des hommes comme les autres. Certains sont parfois même presque touchants de maladresse, tel ce jeune moudjahid incapable d’exprimer avec conviction pourquoi il a abandonné le rap pour la guerre sainte. On discute beaucoup dans Timbuktu. Dans différentes langues. Mais même lorsqu’on parvient à se faire comprendre, tomber d’accord reste aussi facile que trouver du réseau dans le désert. Les dialogues virent le plus souvent à l’absurde, à l’instar des procès à répétition. Les interférences demeurent. Kafka s’invite en Afrique. Le réalisateur filme cette asphyxie progressive dans une forme à la fois ample et dépouillée, frayant sur les terres du western. Un cadre mythologique classique, au service de la mécanique implacable de ce beau conte désespéré. Timbuktu d’Abderrahmane Sissako avec Ibrahim Ahmed, Toulou Kiki… Distribution : Le Pacte Durée : 1h37 Sortie le 10 décembre

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le s fi lm s

Notre enfance à Tbilissi Au début des années 1990, la Géorgie, qui vient tout juste de proclamer son indépendance, est rattrapée par la guerre civile et la crise économique… Pour leur premier long métrage, Téona et Thierry Grenade réalisent un film pudique qui, à pas feutrés, suit le quotidien douloureux de deux jeunes frères pris dans le tourbillon de l’histoire. PAR QUENTIN GROSSET

Diplômée de la Fémis en 2008, Téona Grenade est née à Tbilissi, la capitale de la Géorgie. Avec ce film, coréalisé avec son mari Thierry Grenade, elle revient sur ses souvenirs d’adolescence en dépeignant le quotidien d’un quartier de sa ville natale en proie aux privations et aux conflits qui déchirent le pays après l’effondrement de l’U.R.S.S. et l’avènement du capitalisme. Les cinéastes s’attardent plus précisément sur le trouble progressif qui gagne, de façon très différente, deux frères, Giorgi, 17 ans, et Datuna, 10 ans. Tandis que le premier traîne dans les rues et sombre dans la délinquance, le second, pianiste prometteur, reste cloîtré chez lui à travailler ses partitions de Mozart ou de Schubert. Une dichotomie qui exprime deux façons de se frotter au monde. Mais l’enfant isolé, protégé par son grand

> MEN, WOMEN & CHILDREN

Jason Reitman (Last Days of Summer, Young Adult) dresse un état des lieux amer des effets de la culture Internet sur différents habitants d’une banlieue pavillonnaire américaine, des ados anorexiques, accros aux jeux vidéo ou suicidaires, aux parents dépressifs et infidèles. J. R. de Jason Reitman (2h) Distribution : Paramount Sortie le 10 décembre

frère et sa passion pour la musique, est soudain frappé par les événements extérieurs, qui le font sombrer dans le mutisme et la dépression… Ce personnage est joué par l’impressionnant Zuka Tsirekidze qui, malgré son jeune âge, parvient à faire évoluer son jeu d’un extrême à l’autre, du rayonnant au ténébreux, de l’éloquence au silence. La photographie du film, magnifique, d’abord chaude, puis hivernale, épouse cette lente transition vers le chaos, qui ne frappe pas brutalement mais avance lentement, en prenant les personnages par surprise. de Téona et Thierry Grenade avec Irakli Basti Ramishvili, Zuka Tsirekidze… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h39 Sortie le 10 décembre

> QU’ALLAH BÉNISSE LA FRANCE

Le rappeur Abd al Malik adapte son roman autobiographique. À Strasbourg, le jeune Régis, délinquant en manque de repères, s’accomplit grâce à la musique, à la foi et à l’amour… Malgré un propos un peu trop appuyé, le film fait preuve d’une sincérité touchante. J. R. d’Abd al Malik (1h32) Distribution : Ad Vitam Sortie le 10 décembre

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> LE HOBBIT. LA BATAILLE DES CINQ ARMÉES

Dernier volet de la trilogie adaptée du roman de J. R. R. Tolkien, le film poursuit l’aventure de Bilbon le Hobbit après qu’il a aidé les nains à retrouver leur trésor. Mais ils ont réveillé le dragon Smaug, et toutes les races convoitent maintenant le magot. T. Z. de Peter Jackson (2h24) Distribution : Warners Bros. Sortie le 10 décembre


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La Belle Jeunesse © 2014 cartoon saloon - the big farm - melusine productions - superprod - nørlum studios / tous droits réservés

PAR CLÉMENTINE GALLOT

Faute de fonds publics, le Catalan Jaime Rosales s’est tourné vers des financements privés pour filmer cet état des lieux de la société espagnole. « Portrait très réaliste de la manière dont la politique affecte les individus », selon son auteur, le scénario s’est nourri d’anecdotes et de rencontres avec de jeunes Ibères en temps de crise. de Jaime Rosales avec Ingrid García Jonsson, Carlos Rodríguez… Distribution : Bodega Films Durée : 1h43 Sortie le 10 décembre

Something Must Break

Le Chant de la mer

PAR Q. G.

PAR CHLOÉ BEAUMONT

Remarqué pour son premier long métrage, Brendan et le Secret de Kells, nommé aux Oscars en 2010, l’Irlandais Tomm Moore revient avec un film d’animation toujours inspiré par les légendes et le folklore de son pays. La petite Maïna vit en haut d’un phare sur une île avec son père Connor et son frère Ben. Après une dangereuse escapade nocturne dans l’océan, Ben et sa sœur sont envoyés en lieu sûr en ville chez leur grand-mère. Le jour de Halloween, ils découvrent des créatures mystérieuses qui leur annoncent que Maïna sera la sauveuse de leur peuple, transformé en pierre par la sorcière Macha. Car la petite fille est spéciale : comme sa maman décédée le jour de sa naissance, elle est

une selkie, une créature mythologique mi-femme mi-phoque, dotée d’une voix magique, qui se transforme au contact de l’eau… Cette aventure dans des paysages maritimes irlandais sublimement dessinés rappelle parfois la poésie de certains films du cinéaste japonais Hayao Miyazaki comme Ponyo sur la falaise (2008), dont le réalisateur reconnaît d’ailleurs l’inf luence. La fantaisie et la douceur qui émanent du film s’avèrent être une très belle manière de parler du deuil, thème qui affecte ici subtilement chaque personnage, les humains comme les êtres magiques.

À Stockholm, Sebastian, un jeune homme androgyne, s’habille parfois en femme et se fait appeler Ellie. Alors que Sebastian/Ellie est menacé(e) par un amant d’un soir, le bel Andreas vient à son secours. Les deux jeunes gens tombent amoureux, mais leur histoire s’annonce compliquée… Ester Martin Bergsmark signe une romance queer à l’atmosphère étrange et fascinante dans laquelle les problématiques de genre sont traitées avec une belle délicatesse.

de Tomm Moore Animation Distribution : Haut et Court Durée : 1h33 Sortie le 10 décembre

d’Ester Martin Bergsmark avec Saga Becker, Iggy Malmborg… Distribution : Outplay Durée : 1h21 Sortie le 10 décembre

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> LES PINGOUINS DE MADAGASCAR

Terre battue PAR É. V.

Pour raconter la trajectoire croisée d’un père brutalement licencié et de son fils de 11 ans en train de percer dans le monde du tennis, Stéphane Demoustier est allé puiser dans ses souvenirs de jeunesse sportive, mais aussi dans l’esthétique des frères Dardenne, qui produisent ce premier film. La mise en scène est âpre et réaliste, au service

de personnages pris en chasse par la caméra, portée à l’épaule. Le crescendo final confère à ce drame de l’incommunicabilité des airs de thriller social. de Stéphane Demoustier avec Olivier Gourmet, Valeria Bruni Tedeschi… Distribution : Diaphana Durée : 1h35 Sortie le 17 décembre

Les quatre pingouins Commandant, Kowalski, Rico et Soldat, sont les stars de ce spin-off de Madagascar, une comédie d’action trépidante dans laquelle ils devront s’allier à l’organisation secrète Vent du Nord pour affronter le terrible Dr Octavius. C. B. de Simon J. Smith et Eric Darnell (1h33) Distribution : 20th Century Fox Sortie le 17 décembre

> AMOURS CANNIBALES

Le film prend pour héros un tueur en série dénué d’émotions, qui tue des femmes, les découpe en morceaux qu’il conserve au frigo et cuisine le soir en rentrant du boulot… Un sujet forcément dur à avaler, mais servi par une mise en scène au cordeau. J. R. de Manuel Martín Cuenca (1h56) Distribution : Zootrope Films / Luminor Sortie le 17 décembre

Coming Home PAR LOUIS BLANCHOT

Incarcéré lors de la révolution culturelle, un prisonnier politique chinois s’en retourne chez lui et retrouve sa femme vingt ans après. Sauf que celle-ci, atteinte d’amnésie, ne le reconnaît plus… Habitué des grandes fresques offi­cielles, Zhang Yimou (La Cité interdite) surprend avec ce mélodrame intimiste, confiné aux quelques mètres

carrés d’un petit salon. Naviguant sur les eaux vaporeuses de la mémoire, la famille brisée peine à se reconstruire, mais offre une émouvante caisse de résonance à une tragédie nationale. de Zhang Yimou avec Chen Daoming, Gong Li… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h49 Sortie le 17 décembre

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> DUMB & DUMBER DE

Les frères Farrelly (Fous d’Irène, Mary à tout prix) retrouvent leurs deux crétins vingt ans après leur première aventure. Harry (Jeff Daniels) découvre qu’il a une fille et se lance avec Lloyd (Jim Carrey) dans un road trip déjanté pour la rencontrer. T. Z. de Peter et Bobby Farrelly (1h49) Distribution : Metropolitan Filmexport Sortie le 17 décembre


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Charlie’s Country PAR C. B.

Charlie vit dans une communauté aborigène du nord de l’Australie qui, depuis 2007, est sous le coup d’une loi prohibant l’alcool et se traduisant par une omniprésence policière. Fatigué de ce traitement humiliant, le vieil homme retourne vivre dans le bush, seul. Les films sur les aborigènes étant rares, celui-ci, inspiré de la vie de son acteur principal, David Gulpilil, n’en est que plus précieux. Cette immersion dans le quotidien d’un homme solitaire, abîmé par ses conditions de vie rudimentaires et qui se perd dans l’alcool, provoque une émotion certaine. Notamment lorsque les autorités rasent la chevelure hirsute de Charlie, effaçant ainsi sa singularité, son identité. Coincé entre deux cultures, ce n’est finalement qu’en assumant son statut d’aborigène que Charlie trouvera

son salut. Car ce que le réalisateur Rold de Heer sous-­entend, c’est que la solution, face à cet impérialisme culturel, se situe dans la transmission d’une culture qui ne doit plus survivre mais vivre. C’est le sens d’une séquence du film pendant laquelle le héros enseigne une danse traditionnelle

aux enfants aborigènes, leur laissant ainsi un héritage plus solide que leurs terres qui, depuis plus de deux siècles, font l’objet de toutes les convoitises.  de Rolf de Heer avec David Gulpilil, Peter Djigirr… Distribution : Nour Films Durée : 1h48 Sortie le 17 décembre

La Famille Bélier PAR R. S.

Derniers venus dans la famille des feel good movies communautaires français, les sourds de La Famille Bélier. Sourds, les membres de la famille Bélier le sont tous, sauf la fille, Paula (Louane Emera, ancienne candidate de l’émission The Voice), qui joue les intermédiaires entre ses parents agriculteurs et les

entendants, ce qui la mène à des situations embarrassantes, comme quand elle doit traduire à ses parents (Karin Viard et François Damiens), chez le gynéco, comment appliquer une crème contre les mycoses. Habitué du genre, Éric Lartigau (Prête-moi ta main) choisit l’humour pota­che pour dépeindre

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le quoti­d ien coloré des Bélier, avant de bifurquer vers le récit d’apprentissage, dans une veine mélo-­c omique. Car Paula a un don : son prof de chant (Éric Elmosnino, génial en fan de Michel Sardou qui se plaint que ses bouseux d’élèves croient que Gérard Lenorman est normand) lui découvre une voix sublime. La jeune soprane est alors tiraillée entre sa passion et son dévouement à ses parents qui n’entendent pas son don… Un parcours à l’issue prévisible, mais conduit avec une énergie surprenante par Paula qui est à tous les postes (interprète, chanteuse, élève le jour, palefrenière le soir) et de tous les plans.  d’Éric Lartigau avec Louane Emera, Karin Viard… Distribution : Mars Durée : 1h45 Sortie le 17 décembre


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Au revoir l’été PAR ÉRIC VERNAY

L’amicale mondiale des fans d’Éric Rohmer peut se réjouir : outre le Sud- Coréen Hong Sang-soo, l’Asie compte désormais, avec Koji Fukada, un autre héritier talentueux du réalisateur de Ma nuit chez Maud. Visuellement, Au revoir l’été a souvent l’air d’un Conte des quatre saisons, avec son format d’image carré et ses panneaux calligraphiés pour indiquer la date sur du papier d’écolier. L’économie du f ilm s’avère aussi légère que sa tonalité. Koji Fukada emprunte également au maître de la Nouvelle Vague son sens précis du dialogue et de la construction dramatique, mis au service d’un chassé-croisé amoureux traversé de questionnements moraux, politiques ou sociétaux. Les sujets lourds relatifs au

Japon contemporain (réfugiés de Fukushima, crise économique) sont souvent traités de manière oblique, volontiers humoristique. Lorsqu’un type vient distribuer des tracts pour une manifestation antinucléaire dans un café, une cliente s’exclame, admirative : « Ce doit être fatigant ! » Dans cette délicieuse atmosphère

douce-amère, propice à l’observation et aux élans sentimentaux, chacun cherche son Moi. Et pour cela, nous dit Koji Fukada, il n’existe pas de miroir plus fidèle que son prochain.  de Koji Fukada avec Fumi Nikaid , Mayu Tsuruta… Distribution : Survivance Durée : 2h05 Sortie le 17 décembre

20 000 jours sur Terre PAR CLÉMENTINE GALLOT

Film à la gloire de Nick Cave, ou œuvre conceptuelle brodant sur l’aura du musicien fantomatique à la mine de cocker ? Sans livrer ses clés, cette virée noire et fascinante est surtout un prétexte à passer cent minutes en sa précieuse compagnie. Le couple de vidéastes Iain Forsyth et Jane

Pollard a trouvé en ce vieux routier du blues-rock un sujet bigger than life. Cette reconstitution d’une journée de la vie de la star, établie à Brighton, a lieu au cours de l’enregistrement de son album Push the Sky Away (2013) avec son groupe Nick Cave and the Bad Seeds. Filmée au volant,

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chez son psy ou en studio, elle ne transige pas à certaines règles du docu musical tout en tordant le cou aux codes du biopic, quitte à être parasitée par son sujet en voix off. Faisant preuve d’un magnétisme tout en dérobades, Cave revisite avec plus ou moins d’entrain ses activités d’écrivain ou de scénariste, de Melbourne, où il a débuté avec The Birthday Party, « le groupe le plus violent au monde » (ainsi qu’il était présenté), jusqu’aux soubresauts de la scène punk berlinoise. Un catalogue de souvenirs potentiellement factices dont le propos est finalement moins de déconstruire le personnage que de contribuer à entretenir son mythe.  de Iain Forsyth et Jane Pollard Documentaire Distribution : Carlotta Films Durée : 1h37 Sortie le 24 décembre


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La Terre éphémère

Zouzou PAR C. B.

PAR TIMÉ ZOPPÉ

Dans L’Autre Rive (2010), le réalisateur George Ovashvili suivait le périple d’un enfant parti de Géorgie pour gagner la république sécessionniste d’Abkhazie afin d’y trouver son père. La Terre éphémère évoque encore cette frontière conf lictuelle, mais s’amarre cette fois sur un minuscule bout de terrain. Un vieil Abkhaze débarque sur un îlot de terre fertile au milieu du fleuve Inguri, frontière naturelle entre la Géorgie et l’Abkhazie, et y construit une cabane, aidé de sa petite-fille. Une étrange course contre le temps s’engage – il leur faut cultiver du blé avant que la terre ne soit de nouveau submergée, au retour de l’hiver –, dont le cinéaste scrute chaque étape avec

une précision méthodique. Les actions simples (tailler, pêcher, labourer…), qui font écho à l’origine de l’humanité, prennent une intensité inattendue lorsqu’elles sont confrontées à la complexité, plus actuelle, du conf lit larvé entre la Géorgie, l’Abkhazie et la Russie. Autour de l’îlot, des militaires des trois camps font des rondes. Les langages diffèrent, alors on s’en tient aux regards. En devenant physiques et humains, les enjeux esquivent la pente dangereuse de l’analyse politique pour donner lieu à une poésie déchirante. de George Ovashvili avec lyas Salman, Mariam Buturishvili… Distribution : Arizona Films Durée : 1h40 Sortie le 24 décembre

Trois générations sont réunies le temps d’une journée : Solange, ses filles Agathe, Marie et Lucie, et sa petite-fille Zouzou. La disparition de celle-ci déclenche des discussions et des questionnements sur la sexualité et la féminité… L’actrice Blandine Lenoir signe une comédie féministe réjouissante qui doit beaucoup à l’humour ravageur de Laure Calamy et de Philippe Rebbot. de Blandine Lenoir avec Laure Calamy, Florence Müller… Distribution : Happiness Durée : 1h22 Sortie le 24 décembre

Cours sans te retourner PAR Q. G.

Srulik, 5 ans, a perdu la trace de sa famille. Traqué par les nazis, il s’échappe du ghetto de Varsovie. Commence alors une lutte pour la survie dans la campagne polonaise où, sous une fausse identité, il passe son temps à se cacher ou à chercher du travail dans des fermes… Cette adaptation du roman du même nom d’Uri Olev use parfois de quelques facilités mélodramatiques, mais donne lieu à un beau portrait d’enfant à l’innocence et à la témérité intactes malgré le chaos qui l’entoure. de Pepe Danquart avec Kamil Tkacz, Andy Tkacz … Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h52 Sortie le 24 décembre

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Exodus: Gods and Kings PAR CHLOÉ BEAUMONT

Près de soixante ans après Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille, le réalisateur de Gladiator livre sa version du combat de Moïse pour libérer les 600 000 esclaves du pharaon Ramsès, son frère adoptif. Le film étant dédié à son frère Tony Scott (mort en 2012), il n’est pas surprenant que Ridley Scott s’intéresse particulièrement à la relation entre Moïse et Ramsès. Même si la libération du peuple hébreu et la révélation divine de son héros y sont essentielles, la rivalité fraternelle est ainsi au cœur du film. En atteste la mise en scène du fameux épisode du passage de la mer Rouge. Lors de la traversée des esclaves, on assiste à une simple (quoique miraculeuse) baisse de la marée. L’image spectaculaire de la mer scindée en deux n’intervient que lorsque les deux frères ennemis

sont confrontés l’un à l’autre. Les codes du péplum biblique sont délaissés, au profit de ceux de genres plus actuels : le film d’action (l’assaut contre le campement hittite) et le film catastrophe (les dix plaies d’Égypte). Les prouesses techniques et la 3D

finissent d’offrir un regard neuf sur une histoire connue de tous, portée ici par un sens du spectaculaire certain.  de Ridley Scott avec Christian Bale, Joel Edgerton… Distribution : 20th Century Fox Durée : 2h31 Sortie le 24 décembre

Fidelio. L’odyssée d’Alice PAR RAPHAËLLE SIMON

La belle Alice (Ariane Labed, lire p. 18) embarque comme mécanicienne sur un vieux cargo de la marine marchande, le Fidelio. À terre, elle laisse son amoureux Félix (Anders Danielsen Lie, l’acteur d’Oslo. 31 août, toujours aussi charismatique). En mer, elle retrouve sans s’y attendre son amour de jeunesse, Gaël, nommé commandant

du navire (Melvil Poupaud)… Une grande traversée qui donne l’occasion à Lucie Borleteau, pour ce premier long métrage d’une étonnante maturité, de dépeindre le quotidien de l’équipage. Entre deux repas joyeusement graveleux (Alice est la seule femme à bord), les marins s’affairent autour du vieux moteur délabré, énorme machine aux

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siff lements diaboliques qu’ils réparent comme on panserait les entrailles d’un monstre malade. L’odyssée d’Alice, c’est aussi le passionnant récit d’apprentissage d’une femme qui doit lutter pour trouver sa place : entre la terre et la mer, dans un univers masculin, et dans les méandres de l’amour. Mais si elle divague entre ses deux amants, Alice n’est pas de ces héroïnes romantiques tourmentées : elle est simple, directe, et se donne aux hommes et à la vie sans fausse pudeur. Sur son navire qui file à toute allure, Alice n’est pas dans la fuite, mais dans le voyage.  de Lucie Borleteau avec Ariane Labed, Melvil Poupaud… Distribution : Pyramide Durée : 1h35 Sortie le 24 décembre


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> MON AMIE VICTORIA

Whiplash Petit phénomène récompensé à Sundance et à Deauville, Whiplash est un shoot viscéral sur l’art comme sacerdoce. Centré sur la relation néfaste entre un jeune batteur ambitieux et un prof de musique ultra perfectionniste, ce premier long métrage de l’Américain Damien Chazelle impressionne par sa puissance et son jusqu’au-boutisme. PAR RENAN CROS

Difficile, quand on rencontre Damien Chazelle, d’imaginer qu’il est bien l’auteur de ce film torturé et violent. Dans un français quasi parfait, ce jeune Américain bien dans sa peau a des airs de gendre idéal. « Je me suis battu pour faire ce film. J’avais besoin de raconter cette histoire, qui est en réalité la mienne. Ce prof m’a dégoûté de la batterie. J’en faisais des cauchemars. Je voulais raconter ça, comment quelqu’un peut, à un moment, prendre possession de votre esprit. Le film m’a servi d’exorcisme. » Intense, et très intime donc, Whiplash décrit de manière extrêmement sensorielle la dévotion d’un jeune homme (Miles Teller) pour son art. Mais, insidieusement, le film nous amène à nous interroger sur la valeur et le sens de ce sacrifice. La quête de réussite et d’accomplissement justifie-t-elle tout ? Dans la lignée des grands

films sur le dépassement de soi des années 1970-1980 comme Rocky ou Flashdance, Whiplash est un film ambigu qui oscille entre la virtuosité de la mise en scène et le voyeurisme torve du sadisme des situations. « Je n’ai pas envie de décider pour le public. C’est à lui de savoir si le prof a raison ou non de pousser le héros jusqu’au bout. Pour moi, c’est quelque chose de très américain. Tu veux quelque chose, mais es-tu capable de tout faire pour y arriver ? C’est le versant sombre du rêve américain auquel on est souvent confronté. » Ironiquement, c’est bien ce rêve américain que vit Chazelle, grâce au succès public et critique de ce premier long métrage retors. de Damien Chazelle avec Miles Teller, J. K. Simmons… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h45 Sortie le 31 décembre

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Victoria, jeune femme noire issue d’un milieu modeste, se retrouve confrontée à une famille bourgeoise et blanche tantôt bienveillante, tantôt malsaine… Ce mélodrame sur l’identité et l’acceptation de soi se distingue par son sens, assez rare, du romanesque. C. B. de Jean-Paul Civeyrac (1h35) Distribution : Les Films du Losange Sortie le 31 décembre

> Territoire de la liberté

En Russie, une petite zone de Sibérie compte parmi les derniers bastions de liberté du pays. Le photographe Alexander Kuznetsov documente la vie des rares habitants qui viennent y faire la fête, s’exprimer librement et arpenter les sublimes paysages de la région. T. Z. d’Alexander Kuznetsov (1h08) Distribution : Aloest Sortie le 31 décembre

> UNE HEURE DE TRANQUILLITÉ

Adapté de la pièce de théâtre à succès du même nom, le film met en scène Michel (Christian Clavier, qui remplace Fabrice Luchini), un passionné de jazz qui souhaite écouter un disque rare mais se voit sans cesse interrompu par sa femme, son fils, sa maîtresse… C. B. de Patrice Leconte (1h19) Distribution : Wild Bunch Sortie le 31 décembre


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Pasolini Après Welcome to New York, Abel Ferrara s’empare d’un matériau biographique sur lequel flotte un parfum de scandale différent : la mort violente de Pasolini, en 1975, alors que celui-ci était un artiste en plein accomplissement. PAR LAURA TUILLIER

© roberto rocco

Sur le papier, Pasolini pourrait sembler une synthèse entre 4 h 44. Dernier jour sur Terre – s’intéresser aux dernières heures de la vie d’un homme – et Welcome to New York – travailler la biographie d’une célébrité. Pourtant, le film n’a ni l’ambition spiritualiste du premier ni le trivial du second. Pasolini, long métrage limpide et tortueux, reste assez fidèle à la biographie du cinéaste italien pour pouvoir par moments décoller complètement et mettre en scène la création en action. Deux jours avant sa mort, Pier Paolo Pasolini, incarné avec sobriété par Willem Dafoe, est un homme occupé : interviews, réunion de famille, travail, dîner entre amis… La caméra de Ferrara, caressante, survole cet emploi du temps précis tout en construisant un feuilleté de fictions qui s’enchâssent à la façon de rêveries quotidiennes. Ici un glissement vers le livre Les Cendres de Gramsci,

là une séquence imaginée à partir de Porno–Teo– Kolossal (le scénario en cours de Pasolini), le film s’offre avec une liberté calme des envols surprenants, nimbés dans un cosmos cheap et ludique. Vers le début du récit, un très beau fondu enchaîné voit se superposer le visage de Pasolini au journal du jour, qui relate des crimes violents. Il semble alors que le destin du cinéaste s’imprime à même son visage et que la caméra enregistre ensuite avec stoïcisme une fuite cotonneuse vers la mort. Le film donne ainsi l’impression, dans ses plus beaux moments, de suivre un fantôme que tous aiment mais que personne – ni Ferrara ni son acteur – ne parvient à saisir. d’Abel Ferrara avec Willem Dafoe, Ninetto Davoli… Distribution : Capricci Films Durée : 1h24 Sortie le 31 décembre

3 QUESTIONS À abel ferrara PROPOS RECUEILLIS PAR L. t. Quelle était votre relation à Pasolini avant de penser à faire un film sur lui ? J’ai commencé à voir ses films alors que j’étais jeune cinéaste, et il m’a semblé que c’était tout ce que je voulais faire. Puis j’ai découvert son engagement politique, ses poèmes, ses peintures. Il est resté le maître, je ne suis qu’un élève. Modestement, j’ai essayé de filmer un voyage dans l’imaginaire d’un artiste.

Comment avez-vous travaillé sur le scénario, qui semble à la fois libre et documenté ? Nous avons mené beaucoup d’entretiens, nous avons fait autant de recherches que possible. Il fallait être précis. 1975, ce n’est pas loin. Le propriétaire du restaurant, qui lui a cuisiné des macaronis le soir de sa mort, il est encore là, à la même place. Willem Dafoe porte les habits de Pasolini, il conduit sa voiture.

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Dans vos derniers films, vous oscillez entre le documentaire et la fiction.

Oui, j’aime cette évolution. Depuis Welcome to New York, je gravite autour du thème de la biographie. On peut voir Pasolini comme un autoportrait, dans le sens où mon quotidien ressemble parfois au sien. Et mon prochain film sera une sorte de portrait de Willem Dafoe ; le personnage sera l’esclave de la personne, et non l’inverse.


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The Riot Club PAR T. Z.

À l’université d’Oxford, deux étudiants de première année intè­grent le Riot Club, un cercle secret qui réunit la future élite de la nation… La Danoise Lone Scherfig examine ce microcosme avec les outils du Dogme 95, ce mouvement initié par Lars von Trier et Thomas Vinterberg privilégiant les scènes « sur le vif », parfois improvisées, et dépouillées d’artifices. La lente descente aux enfers de la séquence du repas en est l’exemple le plus réussi. de Lone Scherfig avec Sam Claflin, Max Irons… Distribution : Paramount Durée : 1h40 Sortie le 31 décembre

The Gambler PAR C. B.

Cold in July PAR CLÉMENTINE GALLOT

Texas, 1983 : un brave pater familias (Michael C. Hall) refroidit un cambrioleur avant d’être traqué par le père (Sam Shepard) du défunt, fraîchement sorti de prison. Avec ce premier thriller, l’Américain Jim Mickle a été retenu cette année à la Quinzaine des réalisateurs, lui qui était abonné jusqu’alors dans l’Hexagone aux sorties directes en DVD – il s’était distingué notamment par trois exercices de style réjouissants, un premier film autoproduit, Mulberry Street, un survival réussi, Skateland, et un teen movie cannibale, We Are What We Are. Le casting gonflé de Cold in July donne toute sa saveur à ce néo-film noir poisseux : il adjoint à l’imperturbable Michael C. Hall, tout juste sorti du

long tunnel cathodique de Dexter, et parfait en quidam à mulet, le vieux roublard Sam Shepard et Don Johnson, ancienne gloire des années 1980 période Deux flics à Miami, en détective privé. Ce mélange des genres ultra référencé, au lieu de se gargariser de testostérone, produit in fine une étude plutôt critique de la masculinité. Hommage au réalisme banlieusard de John Carpenter, ce précipité de fiction pulp anti­ spectaculaire est mené avec doigté, si bien que l’on ne serait pas étonnés de voir confier un de ces jours au réalisateur une franchise hollywoodienne.

La passion dévorante de Vincen­ tas pour les jeux de hasard l’amène à mettre en place, avec ses collègues de l’hôpital dans lequel il exerce brillamment le métier de médecin urgentiste, un système de paris portant sur les chances de survie des malades... Le Litua­ nien Ignas Jonynas réalise une œuvre à la forme parfois excessive, mais porteuse d’un discours saisissant (quoique pessimiste) sur la société contemporaine, dans laquelle règnent l’égoïsme, la violence et le profit.

de Jim Mickle avec Michael C. Hall, Sam Shepard… Distribution : The Jokers / Le Pacte Durée : 1h49 Sortie le 31 décembre

d’Ignas Jonynas avec Vytautas Kaniušonis, Oona Mekas… Distribution : ASC Durée : 1h49 Sortie le 31 décembre

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A Most Violent Year PAR C. B.

New York, 1981 ; la ville connaît un pic de criminalité. Abel et Anna Morales y dirigent une entreprise de fioul prospère. Mais la légalité de leur business est remise en cause… J. C. Chandor s’éloigne du symbolisme pesant qui caractérisait Margin Call et All Is Lost pour s’attaquer à une histoire de rêve américain classique mais cruelle. Oscar Isaac et Jessica Chastain incarnent avec brio ces deux colosses aux pieds d’argile chancelant dans la neige, prêts à (presque) tout pour s’enrichir et conserver leur empire.

intrigue glaçante dans laquelle tous les personnages sont prisonniers de leurs sentiments. Les paysages cotonneux et enneigés du Canada offrent un cadre idéal à cette rude enquête. d’Atom Egoyan avec Ryan Reynolds, Rosario Dawson… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h53 Sortie le 7 janvier

d’Angelina Jolie avec Jack O’Connell, Garrett Hedlund… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h42 Sortie le 7 janvier

PAR T. Z.

Matthew (Ryan Reynolds) est rongé par la peur et la culpabilité depuis que sa fille a disparu quasiment sous ses yeux, il y a huit ans. Les agents Dunlop (Rosario Dawson) et Cornwall (Scott Speedman) ont creusé la piste du réseau pédophile, mais les indices manquent… Atom Egoyan (Exotica) met en place une

PAR R. C.

Angelina Jolie se lance dans une gigantesque fresque historique. Adapté de l’histoire vraie de Louis Zamperini, Invincible suit le calvaire de cet athlète olympique catapulté au cœur de l’enfer de la guerre sino-américaine en 1942. Crash d’avion spectaculaire, torture dans les camps, errance éprouvante à bord d’un canot de sauvetage… on reste stupéfiés par le parcours de cet homme qui cherche à survivre coûte que coûte. Outre la mise en scène très efficace, on retiendra du film la prestation physique de Jack O’Connell.

de J. C. Chandor avec Oscar Isaac, Jessica Chastain… Distribution : StudioCanal Durée : 1h50 Sortie le 31 décembre

Captives

Invincible

Le Scandale Paradjanov

ou la Vie tumultueuse d’un artiste soviétique PAR T. Z.

Sergueï Paradjanov est connu des cinéphiles occidentaux pour deux de ses films, visuellement époustouflants, Les Chevaux de feu (1964) et Sayat Nova (1969). Son goût pour la provocation lui a valu plusieurs années de prison en U.R.S.S. Serge Avédikian incarne l’artiste soviétique d’origine arménienne et coréalise le film, dont plusieurs séquences sont marquées par son expérience dans l’animation. Un biopic enrichissant, véritable ode à la création. de Serge Avédikian et Olena Fetisova avec Serge Avédikian, Yulia Peresild… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h35 Sortie le 7 janvier

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> QUEEN AND COUNTRY

Les Règles du jeu

Dans l’Angleterre des années 1950, Bill effectue son service militaire. Si l’alliance entre la comédie façon M*A*S*H et la romance ne fonctionne pas toujours, l’équilibre entre l’insouciance de la jeunesse et le fatalisme de la guerre est autrement plus habile. C. B. de John Boorman (1h55) Distribution : Le Pacte Sortie le 7 janvier

Présenté dans la sélection ACID à Cannes, Les Règles du jeu propose une immersion documentaire dans un centre de coaching professionnel chargé d’aider la jeunesse à trouver du travail. Drôle et nécessaire. > Valentin Valentin

PAR LAURA TUILLIER

Alors que le film est par ailleurs un documentaire rigoureux, ce qui permet d’entrer avec plaisir dans Les Règles du jeu, c’est son aspect fictionnel. Les premières séquences, des réunions de coaching orchestrées par des formateurs zélés, évoquent l’ouverture d’Un homme, un vrai des frères Larrieu : un verbiage totalement déconnecté de la réalité est jovialement lancé à la figure d’adolescents mal dégrossis par des cadres dynamiques persuadés que le monde de l’entreprise s’apprête à offrir le bonheur à ces jeunes gens. Après Les Arrivants, qui explorait le quotidien d’un centre de demandeurs d’asile, Claudine Bories et Patrice Chagnard, fidèles à leur mise en scène en huis clos, filment uniquement à l’intérieur de la société de coaching. Resserré sur le portrait de quelques jeunes, le film puise sa force dans leur refus têtu

et instinctif de la règle. La plupart du temps la parole ne circule absolument pas, d’autant que les défis et les objectifs lancés par les employés d’Ingeus sont absurdes : décrocher un emploi en appelant à l’aveugle les entreprises de la région, savoir dissimuler ses défauts ou sa pauvreté… Pourtant, Les Règles du jeu ne s’arrête pas à la dénonciation désespérante et désopilante d’un projet de société insensé. En persistant à filmer de longues rencontres entre les formateurs et les adolescents, les réalisateurs mettent au jour les relations qui se forment entre eux et qui, par-delà les questions d’emploi et de réussite, permettent à un dialogue de naître. Un dialogue rebelle et évanescent, fait de regards, d’amitié et de séduction. de Claudine Bories et Patrice Chagnard Documentaire Distribution : Happiness Durée : 1h46 Sortie le 7 janvier

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Dans un immeuble parisien, toutes les habitantes convoitent Valentin (Vincent Rottiers). Mais lui voit une femme mariée (Marie Gillain) et s’intéresse à une mystérieuse voisine chinoise (Karolina Conchet)… Pascal Thomas tisse une enquête au cœur d’un vaudeville coloré. T. Z. de Pascal Thomas (1h46) Distribution : SBS Sortie le 7 janvier

> MY TWO DADDIES

Dans les années 1980, en Californie, un couple d’hommes (Alan Cumming et Garret Dillahunt) recueille un enfant handicapé lorsque sa mère est écrouée. Ils doivent combattre les préjugés de la société pour continuer à l’élever… Un drame militant et émouvant. Q. G. de Travis Fine (1h38) Distribution : Septième Factory Sortie le 7 janvier


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La Rançon de la gloire PAR RAPHAËLLE SIMON

Au lendemain de Noël 1977, Charlie Chaplin est enterré à Vevey, en Suisse. Dans la dèche et à la masse, deux copains magouilleurs (Benoît Poelvoorde et Roschdy Zem), décident de dérober son cercueil pour réclamer une rançon à la famille. Adaptation d’une histoire folle mais vraie, La Rançon de la gloire signe le passage de Xavier Beauvois à la comédie, en s’écartant de la veine dramatique sombre qui irrigue son œuvre, dont son dernier film sublime et mystique Des hommes et des dieux. Cette comédie, il la conçoit comme un conte, bercé par la musique féerique de Michel Legrand, qui renvoie aux fantasmes abracadabrantesques des deux gugusses plus bêtes que méchants. Car, si le film est réaliste dans son

décor – Xavier Beauvois a tourné dans le manoir du réalisateur des Temps modernes, il a eu accès aux archives de la famille et a même donné un petit rôle clin d’œil à l’un des fils Chaplin, Eugène –, le réalisateur n’a pas hésité à enjoliver les intentions des deux lascars, pour qui il a une tendresse communicative, offrant ainsi à

Benoît Poelvoorde son plus beau rôle depuis longtemps. Il faut le voir se pincer le nez pour réclamer la rançon par téléphone dans un franglais à faire se retourner Charlot dans sa tombe.  de Xavier Beauvois avec Benoît Poelvoorde, Roschdy Zem… Distribution : Mars Films Durée : 1h54 Sortie le 7 janvier

Wild PAR JULIETTE REITZER

Courbée sous le poids d’un écrasant sac de randonnée, Cheryl entreprend sur un coup de tête, seule et sans entraînement, une marche de 1 700 kilomètres dans l’Ouest sauvage des États-Unis. Sur ses frêles épaules, la jeune femme, brisée par le décès de sa mère (la toujours parfaite Laura

Dern), porte aussi le poids d’années d’addiction au sexe et à la drogue qui ont eu raison de son mariage. Sans surprise, les motifs du survival initiatique jalonnent le parcours, à mesure que le passé de l’héroïne surgit par bribes, en flash-back. Les grands espaces, tour à tour menaçants et sublimes,

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reflètent les tourments intérieurs de Cheryl, entre profonde détresse et extases du dépassement de soi. La grâce de cet Into the Wild féminin, signé par le réalisateur canadien de l’oscarisé Dallas Buyers Club, doit beaucoup à son interprète principale, Reese Witherspoon. Également productrice du film (comme du récent Gone Girl de David Fincher) et bientôt à l’affiche du nouveau Paul Thomas Anderson, l’actrice de La Revanche d’une blonde ne cesse de se réinventer, insufflant une densité et une profondeur supplémentaires à l’irrésistible ascension de l’héroïne de Wild.  de Jean-Marc Vallée avec Reese Witherspoon, Gaby Hoffmann… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h55 Sortie le 14 janvier


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> Les Souvenirs

The Cut. La blessure PAR R. S.

En 1915, en Anatolie, l’armée turque s’attaque aux Arméniens. Nazaret (Tahar Rahim) parvient à échapper au génocide et se lance dans un long périple au fil des continents pour retrouver ses deux filles rescapées… Une traversée épique et magnifique qui donne au film des allures de conte, au ton assez manichéen. C’est que le sujet, très fort,

tient visiblement beaucoup à cœur au réalisateur allemand d’origine turque Fatih Akın, à tel point qu’il plaque l’histoire – et la barbarie humaine – sans la mettre vraiment en perspective.

Pour son troisième long métrage en tant que réalisateur, Jean-Paul Rouve réunit Michel Blanc, Chantal Lauby et le jeune Mathieu Spinosi autour d’une Annie Cordy incarnant une aïeule veuve qui refuse la maison de retraite. La transmission entre générations sous-tend cette comédie tendre. T. Z. de Jean-Paul Rouve (1h36) Distribution : UGC Sortie le 14 janvier

de Fatih Akın avec Tahar Rahim, Simon Abkarian… Distribution : Pyramide Durée : 2h18 Sortie le 14 janvier

> SOUS X

Ce premier film suit le retour d’un homme dans son quartier d’origine après neuf ans passés derrière les barreaux. Les temps ont changé ; la crise est passée par là, les jeunes ont pris le pouvoir. Le héros est placé face à une alternative : renouer avec son passé ou prendre un nouveau départ ? C. B. de Jean-Michel Correia (1h39) Distribution : Universal Pictures Sortie le 14 janvier

Souvenirs de Marnie PAR R. S.

Petite fille adoptée, farouche et solitaire, Anna passe son été chez de lointains parents qui habitent sur l’île d’Hokkaidō. Dans la maison des marais, supposée être inhabitée depuis très longtemps, elle va faire la rencontre de sa première amie, la mystérieuse Marnie. Estelle un rêve ? Un souvenir ?… Après ses films d’animation pour adultes

Le vent se lève et Le Conte de la princesse Kaguya, le studio Ghibli signe un joli conte sur l’enfance qui rappelle combien il est important de savoir d’où l’on vient pour pouvoir se construire. de Hiromasa Yonebayashi Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h43 Sortie le 14 janvier

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> HARD DAY

En une seule journée, le commissaire Ko Gun-su vit une véritable descente aux enfers. Alors qu’il est accusé de corruption, sa mère meurt et il renverse un homme sur le chemin de son enterrement… Suspense et humour noir sont au programme de ce polar efficace. Q. G. de Kim Seong-hun (1h41) Distribution : Bodega Films Sortie le 7 janvier


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A Girl Walks Home Alone at Night PAR T. Z.

Dans la ville déserte de Bad City, perdue dans un Iran fictif, une silhouette voilée sème la terreur parmi les rares habitants. Dans les rétroviseurs des hommes violents se reflètent les canines pointues de cette créature de la nuit… L’Anglaise Ana Lily Amirpour signe un premier long métrage audacieux, au noir et blanc stylisé. Elle y mêle les références aux films de vampires, aux teen movies et au cinéma de Jim Jarmusch. Si le pari est difficile à tenir sur la longueur, reste une volonté grisante de transgression.  d’Ana Lily Amirpour avec Sheila Vand, Arash Marandi… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h40 Sortie le 14 janvier

Bébé Tigre PAR T. Z.

Loin des hommes PAR CHLOÉ BEAUMONT

Aux prémices de la guerre d’Algérie, Daru (Viggo Mortensen), un instituteur français d’origine espagnole, est chargé d’accompagner jusqu’à la ville voisine Mohamed (Reda Kateb), un paysan algérien qui doit être jugé pour le meurtre de son cousin… Le premier choix pertinent du réalisateur français David Oelhoffen est d’avoir fait de ce drame identitaire librement inspiré d’une nouvelle d’Albert Camus un film très proche d’un western dans lequel les montagnes de l’Atlas remplaceraient les déserts de l’Ouest américain. Le deuxième est d’avoir pris Viggo Mortensen, un acteur à l’identité multiple (polyglotte américano-danois ayant grandi en Argentine), pour incarner un homme justement tiraillé

entre le combat du peuple du pays dans lequel il vit depuis toujours (l’Algérie) et celui auquel il appartient officiellement (la France). Ce road movie en terrain miné est une allégorie du conflit intérieur de Daru, qui préfère d’abord ne pas choisir entre ses deux patries, pour se protéger lui-même et protéger ses élèves, avant de comprendre, grâce à ses rencontres (avec Mohamed, avec des combattants du FLN), que l’éducation dispensée à quelques enfants algériens de son école ne remplacera jamais leur liberté, donc l’indépendance de leur pays.

Adolescent, Many est dépêché en France par ses parents indiens pour qu’il leur envoie de l’argent. Sur place, l’élève brillant peine à faire un choix entre son avenir prometteur et l’illégalité des jobs au noir qu’il doit effectuer pour nourrir sa famille… Pour son premier long métrage, Cyprien Vial, formé à la Fémis, pose un regard juste et mesuré sur cette situation inextricable. L’intrigue, sans surprises, est opportunément dynamisée par l’electro puissante et mélancolique de Léonie Pernet.

de David Oelhoffen avec Viggo Mortensen, Reda Kateb… Distribution : Pathé Durée : 1h41 Sortie le 14 janvier

de Cyprien Vial avec Harmandeep Palminder, Élisabeth Lando… Distribution : Haut et Court Durée : 1h27 Sortie le 14 janvier

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Heinrich Himmler.

The Decent One PAR T. Z.

Qualifier de « décent » l’homme qui a mis en œuvre la solution finale semble pour le moins provocateur. C’est pourtant ce que laisse penser la correspondance, ici lue sur fond d’images d’archives, que Heinrich Himmler a entretenue avec son épouse. De son mariage avec elle en 1928 à son suicide en 1945, la personnalité du dirigeant nazi se révèle plus ambivalente qu’attendu. Un documentaire qui prolonge la notion de « banalité du mal » qu’a appliquée la philosophe Hannah Arendt au cas d’un autre criminel de guerre nazi, Adolf Eichmann.

PAR J. R.

par l’existence, dont Thomas est un exemple idéal. D’autant plus que la voix et le charisme de Mikael Persbrandt rendent ce personnage de faux misanthrope très attachant.

En 1980, deux jeunes sœurs, adolescentes livrées à elles-mêmes, débarquent à Lisbonne pour fuir la guerre civile qui agite leur pays, l’Angola, cinq ans après son accession à l’indépendance. De petits boulots en histoires d’amour foireuses, chacune fait l’expérience douloureuse mais salutaire du passage à l’âge adulte. Cette chronique douce-amère de l’exil, progressant par touches pudiques, est inspirée de l’histoire vraie de la réalisatrice Pocas Pascoal, qui signe ici un premier long métrage délicat et sensible.

de Pernille Fischer Christensen avec Mikael Persbrandt, Trine Dyrholm… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h35 Sortie le 21 janvier

de Pocas Pascoal avec Cheila Lima, Ciomara Morais… Distribution : JHR Films Durée : 1h36 Sortie le 14 janvier

de Vanessa Lapa Documentaire Distribution : ASC Durée : 1h34 Sortie le 14 janvier

Someone You Love Thomas Jacobs, un rockeur danois qui vit à Los Angeles, retourne dans son pays pour enregistrer son nouvel album. Là, sa fille junkie lui confie son fils, qu’il connaît à peine… Cette histoire d’amour entre un grand-père et son petitfils est un beau prétexte pour exprimer avec subtilité la difficulté d’être des personnes déçues

Alda et Maria

PAR C. B.

Une belle fin PAR C. B.

John May exerce avec passion une profession un peu particulière : il est chargé de retrouver les proches des personnes seules décédées et d’écrire leur éloge funèbre. Un jour, la mort d’un homme va bouleverser son quotidien solitaire… À travers ce personnage qui con­ sacre sa vie aux défunts, notre rapport à la mort, et donc à la vie, est interrogé. Mais le film vaut surtout pour son univers visuel, froid et géométrique, qui évoque parfois celui de Roy Andersson ou de Jacques Tati. d’Uberto Pasolini avec Eddie Marsan, Joanne Froggatt… Distribution : Version Originales / Condor Durée : 1h27 Sortie le 21 janvier

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Foxcatcher Avec ses frangins lutteurs, Foxcatcher vient rappeler que le sport de combat est souvent une affaire de famille, compliquée ici par l’intervention d’un milliardaire aux troubles prétentions de mentor. Après Warrior et Fighter, un nouveau et très beau chapitre à ce genre en vogue. PAR LOUIS BLANCHOT

Moins intéressé par les exploits sportifs que par les ambiguïtés nourrissant toute collaboration, Bennett Miller réutilise avec talent les ingrédients – interprétation luxueuse, dialogues à double tranchant, découpage feutré, partition minimaliste – qui constituaient le classicisme tout en parcimonie du Stratège (2011), son précédent film. Inspiré d’une histoire vraie, Foxcatcher n’hésite jamais à travailler le décalage, l’incertitude, le flottement, en desserrant très subtilement le corset de la reconstitution. D’une limpidité élémentaire, son récit n’en demeure pas moins constamment fuyant, insaisissable, à peine modelé par une mise en scène très justement récompensée à Cannes qui se contente d’effleurer son sujet, de l’esquisser par petites touches. Ce sujet, Miller n’en fait malgré tout pas longtemps mystère quand, devant un parterre de collégiens circonspects, il fait dire à son personnage principal : « Je veux vous parler de l’Amérique. » De Rocky à La Dernière Chance, le sport a toujours su tendre un miroir aux affres et aux aspirations du pays de l’Oncle Sam. La singularité de Foxcatcher tient à ce que ce miroir accueille ici deux reflets antagonistes : à celui du héros prolétaire se superpose ainsi celui d’un aristocrate à l’agonie. Médaillé d’or aux derniers Jeux olympiques, Mark

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Schultz (Channing Tatum) est un jeune lutteur vivant un lendemain de gloire difficile. Immature, maussade, désireux de s’affranchir de l’influence pourtant bienveillante de son grand frère (Mark Ruffalo), il est bientôt attiré par un héritier aussi riche que dérangé (Steve Carell), lequel a décidé de s’acheter une équipe de lutte comme on commanderait un train électrique. Avec son survêtement trop serré et ses baskets trop grandes, il faut savoir gré à ce personnage de patriote mégalomane d’embarquer le film vers une inquiétante bizarrerie. À la fois allusif et tendu comme un arc, Foxcatcher se laisse dès lors tranquillement glisser vers les rives contemporaines des grands films de mentor, de domination et de vampirisme (The Master de Paul Thomas Anderson, Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh). Autant de correspondances prestigieuses qui ne perturbent à aucun moment la ligne claire et le fond trouble de cette impeccable épopée dépressive au cours de laquelle plus rien ne semble pouvoir empêcher le vieux rêve américain de se dissoudre de l’intérieur. de Bennett Miller avec Steve Carell, Channing Tatum… Distribution : Mars Durée : 2h14 Sortie le 21 janvier

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> Disparue en hiver

Pioneer PAR JULIEN DUPUY

Pour son cinquième long métrage, le réalisateur d’Insomnia, Erik Skjoldbjærg, revient sur une aventure humaine paradoxalement déshonorante : celle des premiers plongeurs chargés d’extraire du pétrole dans les fonds marins norvégiens. Cet exploit technologique fut en effet entaché par des intérêts économiques crapuleux

et des intrigues politiques révoltantes. Entre dénonciation du système ayant initié cette aventure et glorification de ces héros ignorés, Pioneer est un thriller politique littéralement sous pression. d’Erik Skjoldbjærg avec Aksel Hennie, Wes Bentley… Distribution : KMBO Durée : 1h46 Sortie le 21 janvier

Kad Merad trouve son rôle le plus sombre en interprétant Daniel, un ex-policier devenu « recouvreur de dettes ». Lorsque la jeune Laura (Lola Créton) croise sa route puis disparaît, il entame une enquête clandestine. L’atmosphère est poisseuse et le ton désabusé. T. Z. de Christophe Lamotte (1h40) Distribution : Rezo Films Sortie le 21 janvier

> ATLIT

En 1995, trois sœurs (Géraldine Nakache, Yaël Abecassis et Judith Chemla) se retrouvent à Atlit, en Israël, pour vendre la maison familiale. Elles tentent de rester légères malgré un contexte politique instable… Shirel Amitay signe un premier film plein d’espoir. Q. G. de Shirel Amitay (1h30) Distribution : Ad Vitam Sortie le 21 janvier

Discount PAR T. Z.

Plusieurs employés d’un magasin hard-discount sont menacés de licenciement en raison de l’installation de caisses automatiques. Tous en situation de précarité, ils profitent de leur sursis pour récupérer illégalement des produits qu’ils sont censés jeter et montent un commerce « solidaire »… LouisJulien Petit insuffle une bonne dose

d’humour et d’énergie à son premier long métrage et évite ainsi l’écueil du misérabilisme. Les perles comiques de Corinne Masiero alternent avec des moments touchants, jamais excessifs. de Louis-Julien Petit avec Olivier Barthélémy, Corinne Masiero… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h45 Sortie le 21 janvier

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> UNE MERVEILLEUSE HISTOIRE DU TEMPS

L’histoire vraie du brillant cosmologue Stephen Hawking, paralysé dans les années 1960 par une maladie neuromusculaire censée le condamner à très court terme. Il se lance alors dans une course contre le temps pour percer le mystère de la création de l’univers. Q. G. de James Marsh (2h03) Distribution : Universal Pictures Sortie le 21 janvier


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Les Nuits d’été En Lorraine, en 1959, un bourgeois marié se travestit en secret pendant que de jeunes hommes sont appelés pour aller se battre en Algérie… Le Français Mario Fanfani axe son premier long métrage pour le cinéma sur la désobéissance feutrée. PAR TIMÉ ZOPPÉ

À l’origine des Nuits d’Été, il y a Casa Susanna, un livre de photographies retraçant les week-ends d’hommes travestis en femmes dans une villa américaine durant les années 1950. Ces clichés privés tombés dans l’oubli sont retrouvés puis publiés en 2005. « Cette capacité de transgression, à cette époque, provoque une certaine sidération, mais leurs modèles féminins sont ceux de la femme au foyer, très rétrogrades », note Mario Fanfani, auteur en 2006 du téléfilm Une saison Sibelius pour Arte. Cela lui inspire un scénario qu’il ancre en France, à Metz. Il imagine la vie de Michel (Guillaume de Tonquédec), un notaire amoureux de sa femme, Hélène (Jeanne Balibar), à qui il cache ses rendez-vous platoniques avec un ancien camarade de la « drôle de guerre », Jean-Marie (Nicolas Bouchaud), dans sa villa de campagne. À l’abri du jugement d’autrui, ils deviennent respectivement Mylène et

> IMITATION GAME

Dans ce biopic, Benedict Cumberbatch incarne Alan Turing, mathématicien et cryptologue britannique qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, aida son pays à déchiffrer les messages codés allemands, favorisant ainsi la chute du nazime. C. B. de Morten Tyldum (1h55) Distribution : StudioCanal Sortie le 28 janvier

Flavia. « On voulait que la maison ait un côté Disney, proche d’une forêt qui rappelle le conte, le monde de la transformation. » Les autres nuits, Flavia chante dans un cabaret devant des soldats qui vont partir en Algérie. « C’est une époque passionnante concernant les identités. Dans les années 1920-1930, il y avait des bals travestis. La question d’être un homme ou une femme était beaucoup plus libre. La guerre puis le gaullisme ont tout relissé. » Par la désertion, la fronde politique ou la libération intime, les personnages tentent de se soustraire aux rôles que la société leur assigne. Avec une infinie tendresse et une distance respectueuse, le cinéaste observe ces coups d’essai, prémices d’une révolution à venir. de Mario Fanfani avec Guillaume de Tonquédec, Jeanne Balibar… Distribution : Le Pacte Durée : 1h40 Sortie le 28 janvier

> NUITS BLANCHES SUR LA JETÉE

Un noctambule converse chaque soir avec une femme qui attend l’homme de sa vie, et dont il tombe amoureux… Paul Vecchiali adapte la nouvelle de Fiodor Dostoïevski pour livrer une réflexion sur le masochisme. R. S. de Paul Vecchiali (1h34) Distribution : Shellac Sortie le 28 janvier

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> deux TEMPS, trois MOUVEMENTS

Victor et sa mère quittent la France pour le Québec, où l’adolescent a du mal à s’intégrer. Un jour, il assiste au suicide d’un garçon de son âge. Il va tenter de comprendre les raisons de cet acte en s’immisçant dans le passé du défunt. Q. G. de Christophe Cousin (1h25) Distribution : A3 Sortie le 28 janvier


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Things People Do PAR J. R.

Un expert en assurances intègre et consciencieux perd son travail, le cache à sa famille et s’enfonce dans une léthargie cotonneuse, avant de vivre une brève mais intense euphorie en commettant, cagoule sur la tête, une série de vols à main armée… En dépit d’un scénario un peu poussif, Saar Klein, d’ordinaire monteur pour Terrence Malick ou Doug Liman, signe un intrigant film de crise, dépressif et éthéré.  de Saar Klein avec Wes Bentley, Jason Isaacs… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h50 Sortie le 28 janvier

Sud Eau Nord Déplacer

Le Prix à payer PAR T. Z.

PAR ADRIEN DÉNOUETTE

La Chine et ses projets pharaoniques n’en finissent plus d’alimenter les fantasmes. On se souvient du barrage colossal des Trois-Gorges, désastre environnemental en toile de fond du Still Life de Jia Zhang-ke (2007). Entreprise jumelle, le « Nan Shui Bei Diao » – littéralement « Sud Eau Nord Déplacer » – est le plus gros transfert d’eau au monde, du sud au nord du pays, donc. Friand de mythologie, Antoine Boutet (Le Plein Pays) pose sa caméra au chevet de ce Léviathan en chantier. Le documentariste fait preuve d’un sens rare de la picturalité et montre une Chine à géographie variable qui redessine son paysage, déplace les forêts, dévie les fleuves et réécrit les destins. Sous

la plume de l’État, le territoire ressemble ainsi à un vaste palimpseste, et les ouvriers à une encre inusable. Pour autant, le film ne s’en tient pas à une simple dénonciation politique. L’œil de Boutet métamorphose les paysages en visions lunaires et change les silhouettes en créatures chimériques. Les crocs des pelleteuses mordent le sol comme du gâteau, les camions chargés de branches ressemblent à d’étranges bêtes en cavale, et les ouvriers s’engouffrent dans d’énormes tuyaux, pareils à des trous de souris aux proportions gulliveriennes.

Rompu à l’exercice du documentaire économique, le québécois Harold Crooks décortique ici le système des comptes offshore. La démonstration de l’absurdité du procédé, qui appauvrit certains états en provoquant la fuite de leurs capitaux, est éclairée par des animations claires. Fait rare, le film ne se contente pas d’une analyse fine et détaillée, mais donne aussi des clés pour endiguer le phénomène.

d’Antoine Boutet Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 1h50 Sortie le 28 janvier

de Harold Crooks Documentaire Distribution : ARP Sélection Durée : 1h33 Sortie le 28 janvier

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Snow Therapy PAR HENDY BICAISE

Redoutant une avalanche, un homme abandonne sa famille. À son retour, son couple hésite entre s’enliser dans l’hypocrisie ou déblayer le chemin vers un monde nouveau, celui de l’honnêteté. Après les préjugés ethniques dans Play en 2011, le Suédois Ruben Östlund s’attaque à la relation homme-femme. Formellement éblouissant, Snow Therapy séduit aussi par son ton à la fois glaçant et hilarant, merveille d’équilibre quand il s’agit de placer son couple au bord du gouffre.

interprètes de son précédent film, l’excellent Barbara (2012), dans ce drame intimiste sur l’identité. Il rend un hommage criant à Sueurs Froides d’Hitchcock pour poursuivre sa réf lexion sur le dilemme moral. de Christian Petzold avec Nina Hoss, Nina Kunzendorf… Distribution : Diaphana Durée : 1h38 Sortie le 28 janvier

de Boris Lojkine avec Justin Wang, Endurance Newton… Distribution : Pyramide Durée : 1h31 Sortie le 28 janvier

PAR T. Z.

En 1945, à Berlin, Nelly revient défigurée d’un camp de concentration. Son amie Lene lui paie une opération de reconstruction faciale. Quand Nelly retrouve Johnny, son mari, dont les agissements pendant la guerre restent troubles, ce dernier ne la reconnaît pas… Christian Petzold fait de nouveau appel à Nina Hoss et Ronald Zehrfeld, les deux

PAR C. B.

Hope vient du Nigeria, Léonard du Cameroun. Ils se rencontrent sur la route de l’Europe. Elle est faible et démotivée, brisée par un viol. Il la sauve. De là naît une relation ambiguë entre les deux migrants, faite simultanément d’empathie et de mépris. La séquence finale expose d’ailleurs toutes les contradictions de leur démarche et de leur histoire d’amour : un espoir teinté de tristesse. Malgré un rythme incertain, le film offre un regard juste et inédit, proche du documentaire, sur cet acte désespéré qu’est l’émigration.

de Ruben Östlund avec Johannes Bah Kuhnke, Lisa Loven Kongsli… Distribution : Bac Films / DistriB Films Durée : 1h58 Sortie le 28 janvier

Phoenix

Hope

Into the Woods. Promenons-nous dans les bois PAR R. C.

Après Tim Burton (Sweeney Todd. Le diabolique barbier de Fleet Street), Rob Marshall s’empare à son tour de l’œuvre de Stephen Sondheim. Avec Into the Woods, il nous invite au cœur d’une étrange forêt où différents personnages de conte vont se croiser le temps d’une nuit. Mais chez Sondheim, la féerie tourne souvent au cauchemar. Relecture psy des histoires de notre enfance, le film s’annonce comme un s­ pectacle détonnant à la distribution luxueuse (Meryl Streep, Johnny Depp). de Rob Marshall avec Emily Blunt, Johnny Depp… Distribution : Walt Disney Durée : 2h04 Sortie le 28 janvier

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le s fi lm s - dvd

Règlement de comptes Réalisé en 1953, à la fin de la carrière hollywoodienne de Fritz Lang, Règlement de comptes est un polar sombre, bâti autour de la figure d’un flic honnête contraint de tremper dans le monde poisseux de la corruption. Par Laura Tuillier

Ce qui intrigue d’emblée, dans Règlement de comptes, c’est la dégaine anodine de l’inspecteur Bannion (Glenn Ford) lorsqu’il arrive sur le lieu du suicide d’un de ses collègues, retrouvé une balle dans le crâne à son domicile. Dave Bannion, que nous découvrirons plus tard dans l’intimité détendue de son foyer, est un homme sans histoires, qui aimerait faire son boulot tranquillement puis retourner à sa vie de père de famille heureux. Voilà où se situe la cruauté du cinéaste : faire en sorte que l’innocent, pris dans les rets de la corruption et du crime gratuit, se trouve transformé en figure vengeresse, violente. Ici, ce sont deux plans secs qui signent la métamorphose du bon policier en mercenaire : d’abord, un raccord tranchant entre l’explosion d’une voiture dans laquelle se trouvait sa femme et l’annonce, au commissariat, de sa mort ; ensuite, un contrechamp rapide sur un salon désert dans lequel ne traîne plus qu’un landau qui servait de jouet à sa petite fille. C’est la soif de vengeance qui pousse le policier à reprendre l’enquête qui le mènera des assassins de sa femme à la véritable raison du suicide de

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son collègue. L’efficacité de la deuxième partie du film, toute entière portée par la rage de Bannion, va de pair avec un surgissement sidérant du mal à même les corps. C’est d’abord une vieille boiteuse, dont l’inspecteur s’adjoint les services pour piéger un homme de main, et, surtout, la petite amie du mafieux local, qui se trouve défigurée par une brûlure de café que celui-ci lui inflige. Debby, potiche malicieuse au début du film, se trouve alors dépositaire de toute la violence qui plane sur la ville et qui surgit sur son visage comme pour en rendre impossible l’ignorance. Pour prolonger l’exploration du film, un livre de Jean Douchet, richement illustré, est joint au DVD : le critique y propose notamment une analyse séquence par séquence de toute la première partie du film. L’occasion d’entrer dans le détail de la mise en scène de Fritz Lang, entre limpidité et ironie. de Fritz Lang Éditeur : Wild Side Durée : 1h30 Sortie le 26 novembre

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LES SORTIES DVD

> LES BRUITS DE RECIFE

de Kleber Mendonça Filho (Survivance)

Un couple passe devant une école. Son nom ? « João Carpinteiro ». Oui, c’est bien un hommage discret à John Carpenter. Comme lui, Kleber Mendonça Filho dirige ses personnages vers des espaces clos, faussement hermétiques et générateurs d’inégalités. En résulte un thriller à haute teneur sociale, mais pas seulement. Ce film choral épatant sur un quartier de Recife prend successivement des accents horrifiques, érotiques ou oniriques. H. B.

> L’ENLÈVEMENT DE MICHEL HOUELLEBECQ

de Guillaume Nicloux (Blaq Out)

Cette comédie relate le kidnapping de Michel Houellebecq par une bande de bras cassés. Le film pourrait facilement passer à côté de son sujet, mais il mise sur le trouble que procure le jeu du jeune acteur Houellebecq, qui s’amuse avec son personnage médiatique. Le réalisateur ne crée pas un personnage pour l’écrivain, il fait de lui un personnage de fiction en le filmant tel qu’il est. C’est précisément cette frontière floue entre la réalité et la fiction qui crée le comique. C. B.

> INTÉGRALE FRANÇOIS TRUFFAUT (TF1/MK2) À l’occasion des trente ans de sa disparition, l’intégralité des films de Truffaut se trouve réunie dans ce coffret qui réserve une surprise : Une belle fille comme moi (1972), une comédie bouffonne sur fond d’étude sociologique, jamais éditée en DVD. Bernadette Lafont y incarne une détenue gouailleuse qui raconte sa vie mouvementée de séductrice à André Dussollier, dont c’est le premier rôle au cinéma. L’occasion de découvrir une veine loufoque assez rare dans le reste de l’œuvre de Truffaut. L. T.

> WINTER SLEEP

de Nuri Bilge Ceylan (Memento)

Palme d’or à Cannes, Winter Sleep est une longue plongée de 3 h 16 dans la petite routine d’Aydin, comédien à la retraite et gérant d’un hôtel troglodyte, aux côtés de sa jeune épouse malheureuse et de sa sœur fraîchement divorcée. Ce vrai-faux huis clos met en scène un personnage déçu par ce qu’il est devenu. Les grandes scènes de confrontation brillamment dialoguées qui amorcent la remise en question de ce héros arrogant et autocentré confèrent à ce drame une ambition toute bergmanienne. C. B.

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cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

SPECTACLES

Panda Bear

POP PSYCHÉDÉLIQUE

Noah Lennox, membre fondateur du groupe psyché-pop new-yorkais Animal Collective, et enfant de chœur électronique en solo sous le nom de Panda Bear, a rencontré la Grande Faucheuse (the Grim Reaper). Il en a tiré un bel album, et une nouvelle vie. PAR WILFRIED PARIS

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© fernanda pereira

horales psychédéliques, réverbérations de cathédrales, boucles délayées à l’infini, longues plages répétitives et oniriques : le troisième album solo de Panda Bear, Person Pitch, avait créé la surprise en 2007, devenant un classique instantané, entre Terry Riley sous champignons et Phil Spector sous ecstasy, dont l’influence s’exerce depuis lors par vagues de plus en plus éloignées (chillwave, hypnagogic pop, dream pop, etc.), laissant sur la grève quelques beaux coquillages (Ariel Pink, Washed Out) au milieu des sacs plastiques (Best Coast, Wavves). Le cinquième album solo de Noah Lennox est gonflé aux stéroïdes (beats hip-hop sous influence Jay Dee et 9th Wonder) et fourmille de ritournelles derviches et

XVIIIe XIXe

XVIIe VIIIe

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IIe Ier

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IIIe IVe

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CONCERT Run the Jewels le 13 décembre à La Bellevilloise p. 116

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hiver 2014-2015

THÉÂTRE La Petite Espagne à Aubervilliers du 2 au 14 décembre au théâtre de La Commune (Aubervilliers) p. 126


LIVRES

KIDS

Les Aventures d’Émile à la ferme : la chronique d’Élise, 6 ans p. 118 ARTS

Palindromes, chronopoèmes et antirimes : bienvenue à l’Oulipo p. 120

JEUX VIDÉO

FOOD

de samples électroniques ondulants. Il s’intitule Panda Bear Meets the Grim Reaper. « Le titre est censé donner à l’album un côté enjoué, un peu comic book. La Grande Faucheuse est invoquée comme un agent de changement plus que comme un agent de mort. » Derrière ce titre de fiction, entre Scott Pilgrim vs. the World et King Tubby Meets Rockers Uptown, se cache pourtant une récurrence thématique dans sa discographie, celle de la mort, réelle ou symbolique, et du passage de l’enfance à l’âge adulte : son deuxième album solo, Young Prayer (2004), était ainsi dédié à son père, malade, décédé avant la sortie du disque, tandis que nombre de ses chansons, ainsi que son nom de scène, renvoient à l’âge tendre, aux monstres cachés sous le lit autant qu’à l’émerveillement naturel de l’enfant devant le monde, la nature, autrui. MATURITÉ

En solo ou avec Animal Collective, Noah a imposé sa voix haute et fragile d’enfant de chœur (ici, « Lonely Wanderer » ou « Boys Latin » ressemblent encore à des liturgies pop postmodernes) ou de garçon de la plage (les harmonies vocales des Beach Boys, et leurs symphonies adolescentes à Dieu, références revendiquées), jusqu’à la poser en beauté sur une récente chanson des Daft Punk (« Doin’ it Right » sur Random Access Memories) qui, comme lui, ont toujours su marier jeux enfantins et divertissement populaire « J’étais ravi de cette collaboration, qui s’est déroulée comme un rêve, même si elle n’a pas changé grand-chose pour moi. » Ce jeune (36 ans) père de deux enfants semble donc nous offrir, avec le conceptuel Panda Bear Meets the Grim Reaper, le fameux album « de la maturité ». « Le milieu de l’album est définitivement censé être le nœud et le point de transition. En l’écoutant maintenant, je

JEUX VIDÉO

Cruel et angoissant, The Evil Within transpire l’horreur à l’ancienne p. 130 DESIGN

présente

« Le titre, Panda Bear Meets the Grim Reaper, est censé donner à l’album un côté enjoué, un peu comic book. » ressens que la première partie représente une identité désassemblée jusqu’à un certain point de psychose, la troisième partie correspondant au rassemblement. » Et, en effet, le début du disque, intense et urbain, tout en déconstruction, avec ses beats lourds, ses samples synthétiques et ses parasitages bruitistes, se distingue clairement d’une deuxième face d’abord plus contemplative au cours de laquelle les chansons, distillées à coup d’arpèges de harpe (« Tropic of Cancer ») ou de pianos réverbérés (l’édénique « Lonely Wanderer »), comme venues de temps antédiluviens, semblent émerger d’une eau sombre avant de s’élever en véritables hymnes electro (« Selfish Gene », « Acid Wash »). Après tout, Noah (Noé) fut bien le constructeur de l’arche qui sauva tous les animaux du déluge. « Il y a beaucoup de réflexions à propos des gens comme des animaux dans cet album. J’aime les animaux et j’ai appris beaucoup sur moi-même à travers eux. » Qu’ils soient réels ou masques sur les visages des humains, rien d’étonnant donc à voir Panda Bear sans cesse entouré par ceux-ci, et à entendre ses albums comme autant d’arches qui en portent le souvenir merveilleux. Panda Bear Meets the Grim Reaper de Panda Bear (Domino) Sortie le 13 janvier

le PARCOURS PARISIEN du mois

MUSÉE Fondation Louis Vuitton 8, avenue du Mahatma-Gandhi Paris XVIe p. 128

EXPOSITION « L’éclat des ombres. L’art en noir et blanc des îles Salomon » jusqu’au 1 er février au musée du quai Branly p. 140

www.troiscouleurs.fr 113

ouverture Philharmonie de Paris 221, avenue Jean-Jaurès Paris XIXe p. 142


cultures MUSIQUE

sélection PAR M. P.

© jack mannix

HYPERACTIVE JERK

HIP-HOP

Mykki Blanco PAR MICHAËL PATIN

En 2012, le surgissement d’artistes queer dans le hip-hop new-yorkais a fait l’effet d’une bombe. Non seulement ceux-ci s’attaquaient à l’ultime passage clouté du genre (même les moins conformistes des MCs pratiquent un machisme codifié), mais ils le faisaient avec tant d’inventivité et de virulence que le rap game dans son entier semblait vaciller. L’histoire fera le tri parmi ces voix discordantes – LE1F, Zebra Katz, Azealia Banks, House of LaDosha, Angel Haze, Cakes da Killa –, mais une chose est sûre : point de salut sans Michael Quattlebaum Jr. alias Mykki Blanco. Performer et poète, rappeur et acteur, il s’obstine depuis la sortie de son titre « Wavvy » (qui a fait grand bruit) à tordre le concept de genre jusqu’au point de rupture, luttant pour une libération identitaire totale (sexuelle, religieuse) à coups d’ego trips fracassants. Connecté à la scène footwork de Chicago (une post-house sombre et syncopée incarnée par feu DJ Rashad), il déverse sa voix rocailleuse sur des beats au pouls ralenti, striés de pointes noisy et de motifs hallucinés. On est loin du fantasme hétéro sur les spectacles drag et trans, mais aussi des us propres à ces mouvements. Artiste indispensable, Mykki Blanco l’est dans sa faculté à générer une vision unifiée à partir des nombreuses facettes de sa personnalité, et le restera grâce à son acharnement punk, celui d’un riot grrrl nouvelle génération. Après un EP génial en 2013 (Betty Rubble: The Initiation, sur lequel il rappe même en latin), il revient avec une mixtape pleine de bruit et de fureur (Gay Dog Food, sur laquelle figure son idole Kathleen Hanna du groupe Le Tigre) et dévoilera bientôt Michael, son premier album officiel. La révolution Blanco est désormais inévitable. Gay Dog Food de Mykki Blanco (UNO NYC) Disponible

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JAM

de dDash

de Buttering Trio

Quand il ne sème pas la terreur dans les musiques électroniques avec dDamage, ou qu’il ne pratique pas un obscur humour absurde qui lui a valu la réputation d’« homme le plus drôle de Facebook », Jean-Baptiste Hanak compose des chansons rock d’une sensibilité stupéfiante. Avec cet album signé dDash, il sublime sa nostalgie des nineties (Sonic Youth, Dinosaur Jr.) en soignant l’écriture autant que les saturations, conciliant agressivité lo-fi et sophistication pop. Rien n’arrêtera l’abruti hyperactif.

Après la tartine (Toast), place à la confiture (Jam). Si les Israéliens de Buttering Trio semblent obsédés par le petit déjeuner, leur musique, elle, se nourrit la nuit, dans la moiteur des studios, lors de longues séances d’improvisation pendant lesquelles les sentiments impriment leur volatilité à la matière. Aucun effet de manche dans cette beat music aux textures scintillantes et capiteuses, mais la légèreté souveraine de ceux qui inventent collectivement leur espace de liberté. À Tel-Aviv ou ailleurs.

(Tsunami Addiction/ Fin De Siècle/Modulor)

LA VISITE

(Raw Tapes)

ADIEU L’ENFANCE

d’Étienne Jaumet

de La Féline

Il n’y a pas que Daft Punk que le monde entier nous envie. Si l’electro tricolore force le respect, c’est aussi grâce à des personnages moins exposés, comme Étienne Jaumet. Cinq ans après son premier effort solo, produit par Carl Craig, il précise son approche charnelle et intuitive des musiques synthétiques. Son saxophone y occupe une place de choix, aux côtés des machines analogiques millésimées, ouvrant des fenêtres entre jazz cosmique et house progressive. Une Visite en forme de rêve dont on aimerait ne pas se réveiller.

Dans un monde idéal, ce qu’on appelle la « variété française » ressemblerait au premier album de La Féline. Agnès Gayraud et Xavier Thiry n’auraient pas bataillé pendant six ans dans les marges indé, leurs chansons seraient en haute rotation sur les radios, le grand public se passionnerait pour les théories d’Adorno, les films de Cocteau, la cold pop de Nico, et Brigitte Fontaine aurait plus de fans que Johnny. Un tel monde n’existe pas, alors on se console en écoutant Adieu l’enfance encore une fois.

(Versatile/Modulor)

hiver 2014-2015

(Kwaidan Records/ La Baleine)


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© vic michael

cultures MUSIQUE

Run the Jewels HIP-HOP

Un an après un premier album impressionnant, le tandem Run the Jewels, composé du rappeur d’Atlanta Killer Mike et du MC et producteur de Brooklyn El-P remet le couvert à sa façon : le couteau entre les dents. PAR ÉRIC VERNAY

Les membres de Run the Jewels sont sacrément généreux : en deux ans, les deux compères ont déjà sorti deux albums riches en punchlines et en adrénaline qui ont le bon goût d’être excellents… et gratuits. « Ce n’est pas qu’on n’a pas besoin de fric, rigole Jaime Meline, alias El-P. Mais on croit fermement que nos fans nous soutiendront d’une manière ou d’une autre. Et puis on sait bien que tous les albums fuitent sur Internet quelques mois avant leur sortie. Après, on doit faire genre : “Coucou, c’est super excitant ! Notre disque va sortir !” » El-P ne veut plus jouer à ce petit jeu. L’hypocrisie l’agace, c’est même souvent, lorsqu’il écrit, son « ennemi imaginaire ». « On est entourés par l’hypocrisie, en permanence. Ça me dégoûte que les gens qui prônent le plus la moralité soient en réalité les plus immoraux. » Offrir son album sur le web, c’est un geste qui a du sens. « On invite les gens dans notre monde. On leur dit : on vous fait confiance, les gars. On recherche ce genre de relation. Et les fans nous le rendent bien, ils n’ont jamais été aussi nombreux depuis le début

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de notre carrière. » L’ADN de Run The Jewels, cette rencontre, pas forcément évidente sur le papier, entre l’ancien boss du label indépendant Definitive Jux et le MC sudiste proche d’Outkast, repose sur le même principe : le rapport humain. Bien qu’El-P vive à New York et Killer Mike à Atlanta, ils n’ont encore jamais enregistré une note à distance. « On n’entend plus beaucoup d’albums produits de cette façon, les gens s’envoient les couplets par emails. Quand on est dans le même studio, c’est juste Mike et moi, vivant notre amitié. On peut finir les phrases de l’autre. » C’est d’ailleurs ce qu’ils font sur ce disque explosif, concassant leurs rafales de rimes entre les beats métalliques avec une maestria étourdissante, riche de leur complémentarité de styles. « Killer Mike arrive en pétant le mur et il te cogne la figure. Moi, je t’empoisonne, et tu meurs un mois plus tard », résume El-P. Délicieuse agonie. Run the Jewels 2 de Run the Jewels (Mass Appeal) en concert le 13 décembre à La Bellevilloise

hiver 2014-2015


agenda Par Etaïnn Zwer

LE 11 DÉCEMBRE

LE 15 JANVIER

THYLACINE Une poignée de titres entêtants (« No Mic Stand »), un second EP, exquis, lâché cet été – Blend, entre mélodies vaporeuses et beats savants –, et une formule live enlevée. Sur la piste du magicien Rone, le louveteau tisse une electronica atmosphérique et percutante, promesse d’une nuit enchantée.

CHASSOL Pianiste et compositeur surdoué, l’ovni du label Tricatel poursuit son tour du monde ethnomusical : à chaque escale son album, mêlant captations sonores et visuelles. Après l’Inde (Indiamore) et La Nouvelle-Orléans (Nola Chérie), il livre Big Sun, un disque rayonnant, inspiré des Antilles, pour un voyage sensoriel captivant.

au Nouveau Casino

à La Gaîté Lyrique

LE 13 DÉCEMBRE

29 JANVIER

GERADEHOUSE Berlinoise d’adoption, la DJ La Fraicheur (Leonizer) convie ses copains Fleischer (RER) – Allemande exilée à Paris – et Guido Minisky – moitié retorse d’Acid Arab – pour cette nouvelle soirée excitante dédiée à la house sous toutes ses formes : deep, techno, witch, nu-disco… En avant !

SAGE As de la « pop de chambre », l’ex-tête pensante de Revolver a troqué ses guitares pour un piano serti de machines et livre un premier EP subtil. Convoquant Neil Young et Erik Satie, il égrènera ses élégantes ballades et sa mélancolie lors d’une session feutrée diablement séduisante.

LE 26 DÉCEMBRE

4 FÉVRIER

ME.CLUB.004 Adepte de l’hypnose collective, la team Mercredi Production s’offre, pour ce quatrième rendez-vous de la saison, le taulier du Berghain Marcel Fengler (Ostgut Ton) et sa techno âpre, l’ambient viciée de Vril et les salves glacées et racées du French prodige Antigone (Concrete). Tiercé gagnant.

ALT-J De leur génial premier album An Awesome Wave (2012) – et sa myriade de tubes – au tout aussi grandiose et déroutant This Is All Yours dévoilé à la rentrée, la pop arty et sinueuse du trio de Leeds a tout raflé – les corps, les cœurs et les esprits. La messe s’annonce grisante. Pour communier, tapez « ∆ ».

à L’Alimentation Générale

à La Machine du Moulin Rouge

au Café de la Danse

au Zénith de Paris


cultures KIDS

CINÉMA

Les Aventures d’Émile à la ferme

l’avis du grand

En tant que citadine, notre jeune critique a été ravie de se mettre au vert avec la rafraîchissante adaptation des romans suédois d’Astrid Lindgren. Elle en est revenue des couleurs éclatantes plein les yeux. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier

d’ Élise, 6 ans

« C’est un film de ferme qui m’a fait penser à Babe, avec un petit garçon, Émile, et sa sœur, qui font des bêtises. L’histoire se déroule il y a au moins cent ans, car tout est en bois. Tous les personnages sont habillés avec des pyjamas, et ils portent une casquette tout le temps. Ma vie ne ressemble pas du tout à celle d’Émile. Déjà, moi, je vis en ville, et lui, à la ferme. Vivre à la ferme, c’est merveilleux, mais les gens ont beaucoup de travail, à cause des animaux : il faut les nettoyer, leur donner à manger, changer leur litière. Mais, aussi, je ne suis pas comme Émile, parce que je ne pourrais pas faire d’aussi grosses bêtises, comme jeter des œufs

sur un arbre. C’est beaucoup trop grave. Je pourrais quand même faire certaines petites bêtises, comme enlever le chapeau du bonhomme de neige avec une boule de neige, mais c’est tout. Ce film, je l’adore, car il est très bien dessiné, et il y a énormément de couleurs. Il y a aussi des musiques qui sont moins fortes que les musiques que l’on entend dans les autres films. » Les Aventures d’Émile à la ferme de Per Åhlin, Alicja Björk Jaworski et Lasse Persson Animation Distribution : KMBO Durée : 1h03 Sortie le 14 janvier Dès 3 ans

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hiver 2014-2015

En France, on connaît peut-être mieux les autres héros créés par la romancière Astrid Lindgren, comme Fifi Brindacier ou Ronya. Le petit fermier gaffeur des Farces d’Emil n’en reste pas moins une institution dans son pays d’origine, puisque ses aventures humoristiques, tendres et édifiantes à la fois, se sont vendues à plus de 150 millions d’exemplaires. C’est dire si son adaptation au cinéma, chapeautée par Per Åhlin, un grand nom de l’animation nordique, se devait de respecter l’œuvre originale. Les Aventures d’Émile à la ferme reprend donc à la lettre les histoires les plus fameuses de son héros, avec le trait et les couleurs aquarelles si caractéristiques de l’illustrateur attitré des ouvrages, Björn Berg. Comme les romans, le film est une jolie fable, mais aussi un témoignage sans fard (l’histoire est parfois un peu cruelle) de la vie rurale suédoise au début du xxe siècle. J. D.



cultures LIVRES / BD

Oulipo BEAU-LIVRE

Palindromes, chronopoèmes et antirimes : bienvenue dans le monde sous contrainte de l’Oulipo, le célèbre groupe de Georges Perec et Raymond Queneau. Un laboratoire créatif à redécouvrir dans une expo à la BnF, assortie d’un beau-livre. PAR BERNARD QUIRINY

La contrariété pour les écrouelles poétiques est pleine de potiches. Je veux dire, la contrainte pour l’écriture poétique est pleine de potentiel. La première phrase de cet article est une tentative maladroite d’employer la méthode S + 7 (soit le remplacement de chaque substantif d’un texte préexistant par le septième substantif trouvé après lui dans le dictionnaire), l’une des plus célèbres contraintes de l’Oulipo, inventée par Jean Lescure lors des premières réunions du groupe. L’Oulipo ? Mais oui : l’Ouvroir de littérature potentielle, créé au début des années 1960 par quelques écrivains et mathématiciens réunis autour de François Le Lionnais et Raymond Queneau, rejoints plus tard par Georges Perec, Jacques Roubaud ou, à l’étranger, Italo Calvino et Harry Mathews. Toujours actif, le groupe compte aujourd’hui une vingtaine de membres et se manifeste notamment par ses écrits – individuels ou collectifs –, ses performances publiques, ses séances du jeudi à la BnF et la participation de certains de ses membres à l’émission de radio Les Papous dans la tête sur France Culture, sans parler de son riche site Internet. En cinq décennies, l’Oulipo a produit des chefs-d’œuvre devenus classiques, tels les Cent mille milliards de poèmes de Queneau et La Vie mode d’emploi de Perec, mais aussi une masse de textes moins connus, basés sur les contraintes les plus folles (proposer une contrainte nouvelle est la condition pour être coopté dans le groupe). Chacun connaît les lipogrammes (textes dépourvus d’une lettre), les palindro­mes (lisibles dans les deux sens), ou les « exercices

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de style » de Queneau, dans le roman du même nom (une histoire banale racontée de quatre-vingt-dixneuf façons différentes). Mais connaissez-vous le tautogramme progressif, les hypertropes et le carré lescurien, les graphes et les poèmes pour bègue ? Pour tout savoir sur ces expériences, la BnF consacre à l’Oulipo une exposition, assortie d’un catalogue, à la fois livre d’histoire, galerie de portraits, recueil d’essais et, bien sûr, cahier d’exercices oulipiens. Outre ses textes érudits, ce beau-livre vaut pour ses documents et fac-similés, depuis les notes de travail de Jacques Bens jusqu’aux comptes rendus de réunions des années 1960 en passant par diverses photos et curiosités, comme la collection de cartes d’adhérent de François Le Lionnais, membre de dizaines de clubs et sociétés – dont les Amitiés franco-chinoises et l’Ordre des illusionnistes ! Ce splendide volume fait aussi le point sur les variantes de l’Oulipo surgies au fil des ans, qu’il s’agisse de littérature policière (Oulipopo), de bande dessinée (Oubapo) ou de peinture (Oupeinpo). Inutile de dire que bien des journalistes seraient prêts, si l’occasion se présentait, à fonder un Oujourpo, pour perpétuer la formidable machine à créer qu’est depuis maintenant cinquante-quatre ans l’Oulipo. Oulipo, dirigé par Camille Bloomfield et Claire Lesage (Gallimard/BnF) « Oulipo. La littérature en jeu(x) » jusqu’au 15 février à la Bibliothèque de l’Arsenal Vient également de paraître : Oulipo. L’abécédaire provisoirement définitif sous la direction de Michel Audin et Paul Fournel (Larousse)

hiver 2014-2015


sélection PAR B. Q.

50 ANS D’ILLUSTRATION

de Lawrence Zeegen et Caroline Roberts

VOYAGEUR MALGRÉ LUI

de Minh Tran Huy (Flammarion)

(Gallimard)

Ce beau-livre traverse un demi-siècle par l’image en reliant les tendances graphiques du moment avec la sociologie et la culture. De l’affiche d’Orange mécanique (Philip Castle) au sticker Hope pour Obama (Shepard Fairey) ou aux pochettes des disques de Weather Report (Lou Beach), on y retrouve des dizaines d’images entrées dans la mémoire collective et l’on découvre les noms qui se cachent derrière celles-ci.

Albert Dadas est l’un des premiers cas connus de dromomanie : entendez, la manie du déplacement. Il suffisait de prononcer le nom d’un lieu lointain devant lui pour qu’il y coure malgré lui, au péril de sa vie parfois… Minh Tran Huy mélange l’étrange destin de ce voyageur pathologique à celui d’autres personnages hantés comme lui par un rapport contrarié aux lieux. Un beau roman, délicat, discrètement teinté d’enjeux autobiographiques.

L’INVITÉ DOUTEUX et L’AILE OUEST

BIENVENUE À MARIPOSA

d’Edward Gorey (Le Tripode)

Décorateur, dessinateur, écrivain, l’énigmatique Edward Gorey (1925-2000) est l’inventeur d’un monde macabre et farfelu qui n’appartient qu’à lui. On continue grâce au Tripode de découvrir ses recueils en français avec L’Invité douteux, petit conte illustré dans lequel une sorte de belette en baskets s’invite chez une famille d’aristos, et L’Aile ouest, série de vues bien flippantes sur l’intérieur d’un manoir gothique. Génial.

de Stephen Leacock et Seth (Wombat)

D’innombrables petits Canadiens ont appris à lire avec Bienvenue à Mariposa, roman de Stephen Leacock qui, en 1912, racontait le quotidien d’une petite ville et de ses habitants. Au début des années 1960, le futur dessinateur Seth est tombé sous le charme ; il paye aujourd’hui sa dette avec cette version splendidement illustrée, traduite par la vaillante petite maison Wombat qui, pour Noël, met les petits plats dans les grands.


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Panthère PAR STÉPHANE BEAUJEAN

sélection par s. b.

TARZAN CONTRE LA VIE CHÈRE

de Stéphane Trapier (Éditions Matière)

Brecht Evens est un maître de la couleur. Mais son nouveau livre est aussi une recherche de forme, une œuvre de transition. Avec Panthère, il tente un contre-pied esthétique. Jusqu’à présent il ne cernait pas ou peu les formes : les silhouettes éthérées se superposaient les unes aux autres pour créer des paysages kaléidoscopiques scintillant de mille couleurs, nébuleux mais foisonnants d’activité humaine. L’émotion, chez le lecteur, ne naissait pas d’une focalisation sur un visage ou sur un élément du décor, mais surgissait d’une étreinte totale de l’image. L’observateur attentif, celui qui avait le courage de se frayer un chemin dans l’entrelacs des formes, accédait toutefois à de nombreux détails symboliques, disséminés ça et là, qui enrichissaient le propos, souvent de manière subtile, comme par écho. Mais cette dimension-là, perdue dans la densité, échappait à la plupart des lecteurs. Avec ce troisième livre, Brecht Evens prend donc le pari de faire disparaître le fourmillement chromatique sur lequel reposait la splendeur de son dessin, pour laisser dialoguer seuls, sur la blanche feuille, un prince Panthère sorti de nulle part et une petite fille qui vient de perdre son chat. Commence entre eux un drôle de jeu : le prince Panthère vante la splendeur de son royaume lointain, qu’il recrée sous le regard médusé de la jeune fille par de multiples travestissements. Quelle jolie manière de symboliser la « séduction », sa théâtralité et l’ambiguïté de son double jeu. Et quel pari, pour un dessinateur que tout le monde porte aux nues, que de remettre à plat l’essence de son esthétique, pour s’engager dans un registre graphique où il n’est clairement pas aussi à l’aise. Panthère est tout de même l’un des meilleurs livres de l’année ; comme quoi la chance sourit aux audacieux. Panthère de Brecht Evens (Actes Sud BD)

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Le télescopage des registres, lorsqu’il est maîtrisé, est un dispositif comique prompt à susciter une certaine poésie. L’humour de Stéphane Trapier évoquera à certains l’absurdité de Pierre La Police, avec son dessin imprégné d’un esprit de sérieux – et pourtant décalé – et son goût pour le mélange des époques. Les problèmes restent, les verbalisations changent et se superposent. Et le monde tourne en rond, assurément.

MAGIC PEN

de Dylan Horrocks (Casterman)

Dylan Horrocks se fait rare. Dix ans après le génial Hicksville, il revient avec une fable qui évoque une nouvelle fois les travers commerciaux de la bande dessinée et les ambitions artistiques d’un créateur. Plus mélancolique, Magic Pen se lit avec un franc plaisir, notamment grâce à son grand sens du dialogue, même si, au fond, la candeur feinte de l’auteur est par moments frustrante.

hiver 2014-2015

EERIE ET CREEPY PRÉSENTENT BERNIE WRIGHTSON

de Bernie Wrightson (Delirium)

Les éditions Delirium continuent d’exhumer les trésors de la bande dessinée d’horreur américaine des années 1970 et de mettre en valeur ses grands maîtres. Cette fois-ci, c’est Bernie Wrightson qui est à l’honneur, avec son dessin à la plume ciselée, ses hachures angoissantes, ses références gothiques, ses silhouettes anguleuses et sèches qui évoquent la gravure. Une esthétique de la puissance et de la déchéance.

PREACHER. T. 1

de Garth Ennis et Steve Dillon (Urban Comics)

À la fin des années 1990, Preacher venait bouleverser la conception du divertissement – et d’une certaine manière préfigurait l’écriture des séries télé modernes. Le goût de la provocation, la violence et l’humour noir de ses auteurs nourrissaient un débat sur la relation de l’Amérique à la foi religieuse. Rarement l’usage de l’irrévérence n’aura trouvé plus juste fonction.



cultures SÉRIES

DRAME

The Affair

Radiographie minutieuse d’une romance adultère sur fond d’enquête policière, The Affair entretient le trouble en alternant les points de vue de ses deux protagonistes. PAR GUILLAUME REGOURD

LE CAMÉO

© showtime ; photo mark schafer

© paul zimmerman / wireimage

Courtney Love dans Empire

Le point de départ de The Affair est plutôt banal : un homme et une femme, tous deux mariés, entament une liaison. Mais cette « affaire » en cache une autre, de nature criminelle celle-là. Soumis à un interrogatoire policier croisé, les deux amants reviennent sur les événements, selon un strict découpage paritaire du temps d’antenne : il y a son récit à lui, écrivain de Brooklyn en villégiature dans sa riche bellefamille, et sa version à elle, serveuse endeuillée par la mort de son enfant. Systématisée sur une saison, cette astuce de scénariste vieille comme le cinéma ou presque se révèle aussi troublante que ludique. Chaque épisode donne à voir les deux faces d’une même

pièce, ramenant les comédiens Dominic West et Ruth Wilson à l’essence même de leur art, tout en délicates variations et subtils effets de miroir. Qui dit vrai ? Y a-t-il seulement une vérité ? Dans la précédente série pour laquelle ils collaboraient, In Treatment, Hagai Levi et Sarah Treem préféraient déjà laisser le spectateur arbitrer de lui-même entre deux paroles, celle du patient et celle du psy. Ici, le plus intéressant n’est pas tant d’élucider un meurtre que d’écouter ce que Noah et Alison ont à dire sur eux-mêmes au gré de ce qui finit par ressembler à une implacable thérapie de et du couple. Fascinant. The Affair, saison 1 sur Canal+ Séries

© d. r. ; phil bray / netflix ; hbo

sélection MANHATTAN Récit à la fois très documenté et romancé de la course à l’arme nucléaire à laquelle se livrèrent à partir de 1942 les scientifiques dans le cadre du projet Manhattan, cette série excelle à restituer le climat parano d’alors. Avec sa base militaire secrète perdue en plein désert, elle se pose même en discrète héritière du Prisonnier. Saison 1 à partir du 30 décembre à 20h40 sur OCS Max

Par G. R.

MARCO POLO Comme le laisse imaginer son titre, la première superproduction internationale signée Netflix retrace le périple asiatique du plus célèbre des marchands vénitiens. Son casting italo-américano-sino-coréen laisse un peu craindre un « mondopudding », mais la dimension historique est suffisamment riche pour aiguiser la curiosité. Saison 1 sur Netflix en décembre

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Dans Empire, qui débutera sur Fox en janvier, il sera essentiellement question de hip-hop. Le héros de cette saga familiale (Terrence Howard) est un directeur de maison de disques forcé de se choisir un successeur après qu’on lui a diagnostiqué une maladie incurable. Le producteur Lee Daniels (The Butler) entend brasser large et s’est offert Courtney Love pour donner un vernis rock à l’affaire. Jouer les cautions sauvages, un bon résumé de la carrière d’actrice de l’ex-leader du groupe Hole depuis ses débuts dans Larry Flint, elle qu’on a aussi vue cette saison au générique de Sons of Anarchy. G. R.

hiver 2014-2015

LOOKING Passée inaperçue lors sa diffusion sur HBO, cette chronique du quotidien d’un trio d’amis de San Francisco mérite d’être (re)découverte. Ne serait-ce que pour son génial épisode « Looking for the Future » soldant tous les grands sujets de la « série gay » pour mieux poursuivre tranquillement son chemin de jolie série intimiste avec des gays. Saison 1 en DVD (HBO) en janvier, Saison 2 dès le 12 janvier sur HBO et OCS



cultures SPECTACLES

Ces pièces sont d’actualité IN SITU

Commander à des artistes internationalement reconnus comme Maguy Marin des spectacles in situ, réalisés avec des habitants du territoire… C’est le pari original du théâtre de La Commune. Mise au point.

© willy vainqueur

PAR ÈVE BEAUVALLET

Répétitions de La Petite Espagne à Aubervilliers

S’ancrer dans le territoire, tisser des liens avec les spectateurs, développer des actions de transmission… Englué dans son jargon institutionnel, ce cahier des charges a dû générer un certain nombre d’insomnies chez quelques artistes et directeurs de théâtres subventionnés. Sans doute accueilleront-ils avec gratitude les quelques projets qui, ici et là, parviennent à réinventer les traditionnelles missions de démocratisation en court-circuitant les figures imposées. Hier, c’était le Nouveau Théâtre de Montreuil qui proposait une « série théâtrale » (sur le modèle des séries télé) inspirée du quotidien des habitants et qui impliquait ceux-ci dans une création s’étalant sur plusieurs saisons. Aujourd’hui, c’est le théâtre de La Commune qui enthousiasme avec ses « pièces d’actualité ». L’idée : commander à de grands artistes des créations sur et avec les habitants d’Aubervilliers. Une première pour la célèbre chorégraphe Maguy Marin, qui a choisi d’axer la deuxième « pièce d’actualité » (celle dont elle a la charge) sur le quar­tier

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ouvrier de la Petite Espagne, en s’entourant de sept émigrés ou enfants d’émigrés espagnols âgés de 17 à 60 ans. « En tant qu’enfant d’émigrés, le sujet me touche particulièrement, et l’urgence, la rapidité du travail que ce projet implique m’intéressait, expliquait-­elle, à quelques jours du début des répétitions. Après, c’est un terrain glissant. » Et en effet, comment convaincre qu’un spectacle réalisé avec des amateurs n’est pas forcément moins bon qu’avec des acteurs professionnels ? Le produit fini serat-il aussi passionnant que le processus de création ? « Cette question me travaille. Après, dès lors qu’il y a un rendu public, amateurs ou non, c’est la même chose pour moi. Je n’ai pas plus de compassion, pas moins d’exigences. » Avant elle, certains (comme Pina Bausch ou Stefan Kaegi) avaient prouvé la force artistique de tels projets – des initiatives que l’on aimerait voir se multiplier. La Petite Espagne à Aubervilliers de Maguy Marin, du 2 au 14 décembre au théâtre de La Commune (Aubervilliers)

hiver 2014-2015


agenda PAR È. B.

au Théâtre national de Chaillot

JUSQU’AU 3 JANV.

VINCENT DEDIENNE Remarquable dans ses rôles de méchants persifleurs et original dans sa façon de jouer sur l’absurde, le jeune Vincent Dedienne, remplaçant de Stéphane De Groodt au poste de chroniqueur du Supplément de Canal+, s’impose comme une plume humoristique notable avec son spectacle S’il se passe quelque chose.

en 2008 entre une vieille AX en panne et un tube de Scorpion joué à la flûte à bec.

au Théâtre des Amandiers (Nanterre)

© carmine maringola

DU 14 AU 25 JANV.

EMMA DANTE Gros succès du dernier Festival d’Avignon, Le Sorelle Macaluso de l’auteure et metteure en scène sicilienne Emma Dante a moins conquis les cœurs par l’originalité de son dispositif que par son réalisme social et par son vitalisme féminin. Un voyage haletant au cœur du deuil qui n’est pas sans évoquer Volver de Pedro Almodóvar. au Théâtre du Rond-Point

DU 8 JANV. AU 11 FÉV. © jean-louis fernandez

DU 5 AU 20 DÉC.

ANDREA SITTER Jadis jeune ballerine au Ballet-Academy de Munich, Andrea Sitter est aujourd’hui une artiste interlope, adepte de l’autofiction, qui évoque avec humour dans La Cinquième Position (du nom d’une position standard en danse classique) les illustres chorégraphes qui ont marqué sa mémoire corporelle.

au Théâtre du Petit Hébertot

© victor tonelli

DU 7 AU 18 JANV.

PHILIPPE QUESNE Oui, d’accord, on a déjà parlé de Philippe Quesne dans ces pages, et même beaucoup. Mais on ne voit aucune raison valable de ne pas déclarer à nouveau notre flamme pour La Mélancolie des dragons, sa pièce « culte », créée

RODOLPHE DANA Remarqué entre autres avec son excellent Merlin ou la Terre dévastée, le metteur en scène Rodolphe Dana, à la tête du collectif Les Possédés, revient à Tchekhov (après Oncle Vania) via sa pièce « de jeunesse », Platonov. Une création collective riche en promesses à laquelle se joint pour l’occasion l’actrice Emmanuelle Devos.

au théâtre national de La Colline


cultures ARTS

Fondation Louis Vuitton ART CONTEMPORAIN

Inaugurée en grande pompe pendant la FIAC (Foire internationale d’art contemporain), la Fondation Louis Vuitton, abritée par une gigantesque bâtisse de métal et de verre conçue par Frank Gehry, a ouvert ses portes à Paris.

© iwan baan 2014

PAR ANNE-LOU VICENTE

Vous n’avez pas pu passer à côté de l’événement – pour ne pas dire de l’affaire. Inaugurée par le président François Hollande, la Fondation Louis Vuitton a officiellement ouvert ses portes au public le 27 octobre dernier, à l’issue de trois journées de découverte gratuites. Après son « rival » François Pinault, propriétaire des somptueux Palazzo Grassi et Punta della Dogana à Venise, c’est donc au tour de Bernard Arnault, PDG du groupe de luxe LVMH, d’avoir un écrin à la (dé)mesure de sa collection d’art contemporain : un bâtiment flambant neuf commandé à l’architecte star Frank Gehry (à qui l’on doit notamment le célèbre musée Guggenheim de Bilbao), implanté en lieu et place d’un ancien bowling à l’orée du bois de Boulogne. Fruit de prouesses technologiques, la bâtisse, recouverte de panneaux en béton blanc fibré, se distingue par ses douze voiles de verre aux courbes irréelles. Force est de constater que la bête en impose… C’est d’ailleurs le bâtiment lui-même qui, dans un premier temps, est au centre de la programmation du lieu, à travers une exposition retraçant les étapes de sa conception et de sa réalisation

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d’une part, et des commandes artistiques in situ d’autre part, à l’instar des vibrations monochromatiques d’Ellsworth Kelly visibles dans l’auditorium, de la promenade vidéo proposée par Janet Cardiff et George Bures Miller ou du lustre de Cerith Wyn Evans dont les vingt flûtes de verre jouent la transcription sonore du bâtiment. Seule une petite partie de la collection est à ce jour dévoilée, avec des artistes relativement attendus – et des œuvres néanmoins appréciables – comme Christian Boltanski, Pierre Huyghe, Bertrand Lavier ou Gerhard Richter, la bonne surprise venant davantage, pour l’heure, du côté de la programmation d’événements, plutôt prometteuse. Outre la rétrospective musicale à laquelle s’est livré en huit soirées et autant d’albums le groupe mythique Kraftwerk, on se réjouit de la présence des compositeurs Tarek Atoui et Florian Hecker, du jeune danseur et chorégraphe Noé Soulier ou encore du musicien et plasticien Oliver Beer, qui viennent insuffler un vent de légèreté et de liberté à ce massif vaisseau. 8, avenue du Mahatma-Gandhi – Paris XVIe (bois de Boulogne)

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agenda PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

© rmn-grand palais / rené-gabriel ojéda - succession picasso 2014 ; musée d’art moderne de la ville de paris / roger-viollet ; jeff koons

JUSQU’AU 25 JANVIER

Pablo Picasso, Figures au bord de la mer, 1931 SADE. ATTAQUER LE SOLEIL Cette sulfureuse et limpide exposition confronte les écrits du Divin Marquis à des réalisations picturales de renom à la charge érotique sous-jacente. Relire Donatien Alphonse François de Sade (1740-1814) à l’aune de la peinture qu’il influença en profondeur, c’est le parti pris réussi de ce parcours jalonné notamment d’œuvres de Goya, Géricault, Ingres ou Picasso. au musée d’Orsay

JUSQU’AU 1 ER FÉVRIER

ALIX CLÉO ROUBAUD La BnF sort de l’oubli cette figure mystérieuse, muse et épouse du grand poète Jacques Roubaud, en proposant la première grande rétrospective de son œuvre, « Quinze minutes la nuit au rythme de la respiration ». Soit deux cents clichés noir et blanc qui l’assoient clairement parmi les plus grands. à la BnF

JUSQU’AU 22 FÉVRIER

Sonia Delaunay, Rythme Couleur, 1964 SONIA DELAUNAY. LES COULEURS DE L’ABSTRACTION En quatre cents œuvres, cette rétrospective (la première depuis 1967

à Paris) embarque le visiteur dans une expérience qui frise le rêve. Comme Robert Delaunay, Sonia verse dans l’abstraction, mais applique celle-ci au quotidien – tableaux, mais aussi reliures, projets d’affiches, objets domestiques et même vêtements. Les couleurs fusent, le talent aussi.

au musée d’Art moderne de la ville de Paris

JUSQU’AU 23 FÉVRIER

VOYAGER AU MOYEN ÂGE Pourquoi et comment voyage-t-on au Moyen Âge ? C’est la question qu’aborde le musée de Cluny dans ce parcours aéré et érudit. Marchands, pèlerins, princes, artistes, tous sont amenés à pérégriner pour sauver leur âme, pour trouver époux ou pour conquérir un autre continent… De quoi faire de nous des médiévistes convaincus. au musée de Cluny

JUSQU’AU 27 AVRIL

Jeff Koons, Dutch Couple, 2007 JEFF KOONS C’est l’artiste vivant le plus cher au monde… et aussi l’un des plus décriés. Son porno trash irrite, ses mises en scène obscènes agacent. Cette rétrospective fait le point sur ce créateur aux cent assistants, taxé tout à la fois de mauvais goût et de pur génie. Chacun se fera son avis, à l’aune de ses Balloon Dogs et autres bondieuseries kitsch. au Centre Pompidou


cultures JEUX VIDÉO

SURVIVAL HORROR

The Evil Within

Le retour aux affaires de Shinji Mikami, le créateur de Resident Evil, est forcément un événement. Cruel, angoissant, dérangeant, parfois grand-guignolesque, The Evil Within transpire l’horreur à l’ancienne. PAR YANN FRANÇOIS

L’EXPÉRIENCE DU MOIS DISNEY FANTASIA. LE POUVOIR DU SON (Disney Interactive/ Xbox One Kinect)

Même s’il est né en France avec Alone in the Dark de Frédérick Raynal, le survival horror doit tout à Resident Evil, matrice du genre, pillée par tous. Après une décennie de détours et de déboires (sa dernière participation à la saga remonte à Resident Evil 4 en 2005), Shinji Mikami, son créateur, revient sur le devant de la scène, et son Evil Within a des allures de triomphe vengeur : qu’on se le dise, le patron du survival horror, c’est bien lui, et il est plus remonté que jamais. Dans la peau d’un flic qui, alors qu’il enquête sur une étrange secte, devient le jouet d’un monde peuplé de zombies et d’hallucinations morbides, le joueur traverse The Evil Within comme un immense musée de l’épouvante où se croisent autant de références aux jeux

de Mikami lui-même qu’aux classiques du cinéma (les films de la Hammer, les films de fantômes japonais, La Nuit des morts-vivants, L’Échelle de Jacob…). Anar et sans pitié, The Evil Within ressemble à une énorme lessiveuse dont on ressort complètement essoré. Sourd aux standards modernes, le jeu semble hors du temps. Pas très beau – sauf son travail sur la lumière, remarquable –, parfois bancal et rugueux, il ne cherche qu’une chose : malmener son joueur, le maintenir en position d’assiégé, dans un univers mortifère qui se joue de ses peurs, même les plus inconscientes. Et le pire, c’est que l’on adore ça.  The Evil Within (Bethesda Sotfworks/PC, PS3, PS4, Xbox One, X360)

3 perles indés DEADCORE À travers les yeux d’un androïde hyper véloce, Deadcore nous lâche au sein d’un réseau complexe de plates-formes et d’obstacles qu’il faut franchir le plus vite possible pour atteindre la sortie. Malgré la simplicité de son pitch, ce jeu indé français fait de son marathon futuriste un exercice obsessionnel au cours duquel la quête du Graal est celle d’une trajectoire parfaite. (5 Bits Games/PC, Mac)

Par Y. F.

A GOLDEN WAKE A Golden Wake dessine le destin rocambolesque d’un Rastignac de l’immobilier qui fait fortune en Floride à l’aube de la Grande Dépression. Derrière le dépouillement graphique du jeu se cache un superbe hommage au souffle romanesque du Great American Novel et une vision acerbe d’une crise financière qui résonne subtilement avec notre époque. (Wadjet Eyes Games/PC, Mac)

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hiver 2014-2015

Librement inspiré du célèbre film d’animation de Walt Disney, Disney Fantasia. Le pouvoir du son transforme ses joueurs en chefs d’orchestre. Par toutes sortes de gestes, ceux-ci peuvent diriger l’exécution d’un vaste choix de morceaux allant du classique (Mozart, Moussorgski) à des sonorités plus actuelles (Queen, Nicki Minaj). Plus ils avancent dans le jeu, plus ils ont la possibilité d’en improviser les arrangements. Modèle de jouabilité rythmique et conviviale, Disney Fantasia transforme n’importe quel corps, même le plus pataud, en baguette de maestro. Y. F.

THE BINDING OF ISAAC. REBIRTH Pourchassé par sa mère, Isaac se réfugie dans sa cave, immense dédale peuplé de monstres nés dans son subconscient… Pour qui ne connaît pas l’univers torturé de Binding Isaac, ce remake est une occasion immanquable. Agrémenté d’une tonne de nouveautés, ce disciple de Zelda mêle comme personne combats, donjons aléatoires et fantasmagories freudiennes. (Nicalis/PC, PS3, PS4, PS Vita)


sélection par Y. F.

SUNSET OVERDRIVE

(Microsoft/Xbox One)

Dans une ville ravagée par une invasion de mutants, un jeune loser joue les super-héros de fortune. Son pouvoir ? Grinder sur n’importe quelle surface en flinguant tout ce qui bouge. Avare en (bonnes) exclusivités, la Xbox One nous gâte tout de même en nous offrant le trip le plus cool de l’hiver. Concentré d’action sidérante, Sunset Overdrive fait de son monde ouvert un immense skatepark dont chaque partie réveille ce plaisir gratuit mais inestimable de l’acrobatie permanente.

ASSASSIN’S CREED UNITY

(Ubisoft/PC, XOne, PS4)

Ubisoft réalise un fantasme de fan : jouer les Assassins dans le Paris de la Révolution française. Pour l’occasion, la licence en profite pour refondre son système de parkour (plus fluide et permissif) et ouvrir son exploration aux environnements intérieurs et souterrains. D’une densité hallucinante, le Paris révolutionnaire vu par Ubisoft fascine par sa splendeur architecturale autant que par l’atmosphère délétère, presque apocalyptique, qui règne dans ses rues.

CIVILIZATION BEYOND EARTH

LEGO BATMAN 3. AU-DELÀ DE GOTHAM

La saga cultissime de Sid Meier change – littéralement – d’atmosphère et nous propulse à la tête de la colonisation futuriste d’une planète choisie pour devenir le nouveau refuge de l’humanité. Davantage axé sur l’exploration et la survie en terrain alien hostile, Beyond Earth nous confronte in fine à un étonnant choix moral : la terraformation sans âme ou l’assimilation et le métissage des cultures extraterrestres ? Un dilemme civilisateur génialement posé.

Peu de licences savent aussi bien réunir deux générations de joueurs. Les plus jeunes y verront l’occasion rêvée de zoner dans Gotham avec leurs aînés et de défier ces derniers. Les plus grands s’amuseront à repérer, derrière sa choupitude de façade, les nombreux clins d’œil aux cultures pop et geek qui parsèment le jeu. Un plaisir d’autant plus coupable qu’il convie toute la galerie des héros DC Comics aux côtés du célèbre vengeur masqué.

(2K Games/PC, Mac)

(Warner Bros. Games/ PC, Xbox One, X360, PS3, PS4, PS Vita et Wii U)


cultures FOOD

FESTINS ANIMÉS

Ratatouille

Cette page s’adresse à tous ceux qui ont gardé leur âme d’enfant. Pour passer les fêtes avec la banane, petit tour chez Mickey, où la gastronomie est bien présente, ludique et gourmande à la fois. PAR STÉPHANE MÉJANÈS

© disney

© planet hollywood

ÇA BOUGE

Le meilleur food movie, c’est peutêtre bien un dessin animé. Lorsqu’il est sorti, en 2007, Ratatouille a ravi les amateurs (près de 8 millions d’entrées en France) et les experts qui y ont vu une assez fidèle représentation du quotidien d’un restaurant. Avec des personnages inspirés de feu Bernard Loiseau (le chef Auguste Gusteau), de François Simon (le redoutable critique Anton Ego) et d’Hélène Darroze (Colette, la petite amie du héros, Alfredo Linguini), le chauvinisme était de mise. Pourtant, le cuisinier prodige est un rat, prénommé Rémy. Toute ressemblance, etc. La création, le goût, la discipline dans la brigade, le coup de feu, tout y est, et c’est cela que l’on retrouve dans

l’attraction inaugurée à l’été 2014, au cœur d’un quartier recréant un Paris fantasmé à l’américaine. Dans une ratmobile, chaussé de lunettes à vision 3D, on déambule au cœur d’images de synthèse au réalisme renforcé par quelques astuces, telle cette brumisation au moment où pète un bouchon de champagne. En sortant, on s’attable Chez Rémy, le bistrot dédié, avec son mobilier cartoon, ses salades, son bœuf français, son brie de Meaux et sa… ratatouille. Les légumes viennent du potager spécialement créé pour l’occasion. Ne boudons pas notre plaisir d’enfant. Parc Walt Disney Studios (Marne-la-Vallée) Tél. : 0 825 30 05 00 www.disneylandparis.fr

À lire et à dévorer… RATATOUILLE, LE LIVRE Paul Bocuse, Hélène Darroze, Marc Veyrat, Guy Martin, Cyril Lignac ou Jean-François Piège, ils sont en tout quatorze à s’être prêtés au jeu de la ratatouille, chaude ou froide, pour un livre événement. Une partie des recettes tirées de la vente de cet ouvrage sera reversée à l’Association nationale de développement des épiceries solidaires. La Ratatouille. 14 recettes originales… www.disneystore.fr

EARL OF SANDWICH En 1999, Robert Earl s’associe à John Montagu, onzième comte (« Earl », en anglais) de Sandwich, descendant du quatrième, inventeur du… sandwich. Earl of Sandwich est né, avec ses treize variations de sandwiches chauds préparés minute, dont The Original 1762 (rosbeef, cheddar, sauce crémeuse au raifort). En prime, la plus belle vue du Village, face au Lac Disney. Disney Village (Marne-la-Vallée) Tél. : 01 64 63 48 68 – www.earlofsandwich.fr

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CHIC PLANET Au Disney Village, l’offre de restauration est pléthorique. Pour se distinguer, mieux vaut jouer la différence. En engageant Jean Manu Krieger, un nouveau chef, français mais bourlingueur, Planet Hollywood se démarque de la concurrence. Livré tous les matins en produits frais, celui-ci a introduit dans la carte un bœuf bourguignon, créé une cassolette de crevettes sautées à la créole et repensé les buns, à la fois croquants et moelleux. Mention spéciale au Surf & Turf, un burger servi avec des crevettes, et au hot dog géant. Une adresse à (re)découvrir. S. M. Planet Hollywood Disney Village (Marne-la-Vallée) Tél. : 01 60 43 78 27 www.planethollywood.fr

PAR S. M.

BLUE LAGOON Au cœur d’Adventureland, jouxtant la populaire attraction Pirates des Caraïbes, cette taverne se niche sous les rochers, au bord de l’eau, avec palmiers et plage de sable blanc. On y sert une cuisine de la mer d’un bon niveau, telle cette dorade rôtie, farcie aux petits légumes, beurre de gingembre et banane plantain. Réservation indispensable. Parc Disneyland (Marne-la-Vallée) Tél. : 01 60 30 40 50


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cultures DESIGN

© henri bursztyn

LIVRE

L’ÊTRE ET LE NÉON

Henri Bursztyn Les luminaires que dessine Henri Bursztyn ont beau être extrêmement fins, ils abritent néanmoins une complexité technique qui est devenue la marque de fabrique de leur créateur. Retour sur le parcours de ce lumineux designer.

HOKUSAI Alors que les estampes de Katsushika Hokusai sont actuellement exposées au Grand Palais, deux volumes de ses carnets de croquis dévoilent l’attention toute particulière du peintre japonais pour l’architecture. Véritables manuels, ces gravures sur bois, qui figurent tous les éléments des maisons traditionnelles japonaises sous le trait virtuose de Hokusai, sont publiées pour la première fois grâce à un travail de recherche extrêmement soigné. O. D. Hokusai. Le vieux fou d’architecture sous la direction de J.-S. Cluzel (Seuil/BnF) BOUTIQUE

Au mois de septembre dernier, les visiteurs du salon Maison&Objet ont pu découvrir le travail d’un nouveau venu : Henri Bursztyn. Nouveau, oui et non, car s’il vient officiellement de se lancer, son goût pour les rouages et la mécanique ne date pas d’hier. « Depuis tout petit, en fait. Je démontais tout à la maison : les récepteurs de télévision, les horloges… J’ai même réussi à faire sauter les plombs à 8 ans. » Avec une pareille lubie, le génie civil lui ouvrait grand les portes, mais il choisira finalement des études d’architecture. Il s’intéresse tout particulièrement aux cours dispensés par l’architecte Pierre Louis Faloci, qui accepte de le prendre sous son aile en agence. « Il reste comme un mentor, un exemple pour le travail autour de la lumière et tout ce que l’on peut faire avec : créer de la matière,

des volumes… En cours, il nous apprenait à faire ce qu’il appelle “des parcours de découverte”, dans lesquels la lumière surprend, crée un spectacle. » Une inspiration qui accompagne Henri Bursztyn aujourd’hui encore dans la confection de ses lampes. Son sens de l’épure éclipse habilement une technique très sophistiquée liée à l’utilisation de la LED. Ces petites diodes électroluminescentes, que l’on peut aligner à l’infini, lui ont permis de s’affranchir du casse-tête de la source lumineuse unique imposée par l’ampoule classique, moins modulable. Sans oublier, autre avantage, que les LED chauffent et consomment très peu. « La technique, dit-il, est là pour servir les gens, pas pour être visible ou pour leur compliquer la vie. » www.bursztyn.fr

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© d. r.

PAR OSCAR DUBOŸ

PORTOBELLO Rébecca Felcey vient d’ouvrir une boutique qui vaut le coup d’œil. La maîtresse des lieux, spécialisée dans le textile d’ameublement, dessine ses propres meubles et déniche de nouveaux designers dont elle vend les créations, comme Stéphane Mouflette ou Violaine d’Harcourt. Au fil du temps, et de ses coups de cœur, certaines marques, telles Moustache ou Mattiazzi, se sont ajoutées à la sienne, sobrement baptisée Portobello éditions. O. D.

32, rue du Roi-de-Sicile – Paris IVe www.portobello-decoration.fr


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LES BONS PLANS DE TIME OUT PARIS

le top 10 des spectacles de l’hiver Il fait froid. De maigres flocons de neige viennent se coller sur votre bonnet. Vous avez envie d’un thé brûlant, d’un gros pull en laine, d’une pièce bien chauffée. Allons, pourquoi ne pas aller voir une pièce tout court ? Parce que, c’est chose connue, vous n’allez pas assez au théâtre ; ou parce que vous ne savez jamais trop quoi aller voir, au théâtre. Pour ne plus vous noyer dans l’incertitude, voici une sélection de dix spectacles pour tous les goûts, tous les âges et même pour ceux qui s’amusent à dire qu’ils n’aiment pas le théâtre. D’ailleurs, c’est évident, cette sélection les fera changer d’avis. PAR ELSA PEREIRA

LE SORELLE MACALUSO

ARCHIVE

POLITICAL MOTHER

HÄNSEL ET GRETEL

Le conte des frères Grimm s’invite cet hiver sur la sublime scène du Palais Garnier. Un opéra, jadis dirigé par Richard Strauss, dont les décors feront à coup sûr grimper votre dose de glucose. Entrez dans la maison en pain d’épices… jusqu’au 18 décembre à l’Opéra Garnier

THE CHOREOGRAPHER’S CUT

Un uppercut chorégraphique qui ne voue de culte ni au silence ni à l’immobilisme. Tout y est bruit et fracas, lumière, mouvement et puissance. Une danse électrique pleine de rage de vivre et d’énergie, hommage vibrant au rock et à la transe. du 18 au 20 décembre à la Grande Halle de la Villette

SLAVA’S SNOWSHOW

STÉRÉOPTIK

Alignées côté à côte face au public, les sœurs Macaluso font remonter à la surface leurs souvenirs. Balayées par un violent ressac, elles se rappellent ce qu’elles ont pourtant essayé d’oublier… Une saga familiale funeste et cruelle racontée avec douceur et humilité par Emma Dante.

C’est à partir de vidéos tournées en Cisjordanie par des Palestiniens que le chorégraphe israélien Arkadi Zaides a construit son spectacle. Illustrant celles-ci par le geste, les commentant, il donne une autre perspective à la chose filmée. C’est dur, mais c’est beau.

Sur scène, quinze clowns à nez rouge déploient sur le public une gigantesque toile d’araignée, organisent une tempête de neige et se promènent, hilares, avec des chapeaux-oreilles… Une épopée poétique et surréaliste, à voir en famille. Attention, bonne humeur contagieuse.

Un grand écran se hisse en fond de salle, gigantesque page blanche sur laquelle Jean-Baptiste Maillet et Romain Bermond vont, en musique et en dessins, raconter, sous forme de courts tableaux, des histoires poétiques et ludiques qui sortent résolument de l’ordinaire.

SITUATIONS ROOMS

PLEXUS

SPEAK !

SOUS MA PEAU / SFU.MA.TO/

Un réseau de cinq mille fils en nylon : véritable obstacle à la danse, cette toile d’araignée emprisonne Kaori Ito dans une cage, influence ses mouvements, réduit leur amplitude. Portrait en creux de l’artiste japonaise, « Plexus » s’offre comme un spectacle mystérieux et délicat, plastiquement impeccable.

Quel est le sujet préféré des Français ? Le sexe ? Non, la politique ! Sur scène, un homme et une femme s’affrontent verbalement en huit rounds avec un discours inspiré de notre propre histoire politique. Une manière ludique de mettre en lumière les mécanismes perfides de la manipulation à grande échelle.

C’est vrai, le flou complexifie notre rapport au monde. Mais n’avez-vous pas noté comme il arrive, parfois, que l’on voit mieux les choses dans le brouillard, alors que les contours ne se dessinent qu’à peine ? Une expérience visuelle unique : le théâtre pictural avec flou artistique. Vous comprendrez quand vous y serez.

du 14 au 25 janvier au Théâtre du Rond-Point

Avec Rimini Protokoll, il n’est plus question de « voir » un spectacle, mais de le vivre. Un iPad entre les mains, les spectateurs incarnent tour à tour un agent de sécurité, un enfant-soldat, un tireur sportif, un journaliste africain… Du théâtre dont vous êtes le héros.

du 24 janvier au 15 février au Théâtre des Amandiers (Nanterre)

du 22 au 30 janvier au Théâtre national de Chaillot

du 26 décembre au 4 janvier au Théâtre des Abbesses

du 3 décembre au 4 janvier au Trianon

du 2 au 5 février au Théâtre de la Bastille

du 17 au 30 décembre au Théâtre Paris-Villette

du 3 au 22 février au Théâtre Mouffetard

retrouvez toutes ces adresses sur www.timeout.fr 136

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pré se nte

FESTIVAL

© thierry depagne

WINTER CAMP FESTIVAL À l’occasion de cette troisième édition du Winter Camp Festival, évènement tourné vers l’ensemble des pratiques associées aux musiques actuelles (vidéo, photo, design…), plus d’une trentaine de groupes de la scène indé (parmi lesquels PS I Love You, The Amazing Snakeheads et Les Morts Vont Bien) se produiront à Paris et dans différentes villes de province. C. Ga.

PORTRAIT

Micha Lescot Cette année, on a vu sa longue silhouette filiforme au cinéma dans Maestro de Léa Fazer et dans Saint Laurent de Bertrand Bonello. Au théâtre, il a été le Tartuffe de Molière, dans une mise en scène de Luc Bondy, qui le dirigera à nouveau en janvier dans Ivanov. Micha Lescot brille partout, et surtout là où on ne l’attend pas. PAR TIMÉ ZOPPÉ

S’il a pour père le comédien Jean Lescot, Micha Lescot ne se prédestinait pourtant pas à la carrière d’acteur. « J’ai atterri dans un conservatoire d’arrondissement à 16 ans. Jusque-là, je n’envisageais aucun métier en particulier. » Une attitude à l’opposée de celle de son frère aîné, David, dramaturge et metteur en scène : « Ado, il avait beaucoup de passions. Il était tellement à fond dans ce qu’il faisait que je me suis un peu reposé sur lui. » Mais une fois au conservatoire national, plus le temps de tergiverser. « Roger Planchon est venu me chercher pendant ma deuxième année. C’était un grand pédagogue, il m’a tout appris. » Immédiatement sollicité pour des rôles décalés – il a incarné un enfant de 9 ans quand il en avait 24 dans Victor ou les Enfants au pouvoir –, il guette toujours, la

quarantaine venue, les propositions inattendues. « En 2010, j’ai joué dans Les Chaises de Ionesco, mis en scène par Luc Bondy. Alors qu’on me prend souvent pour un jeune homme, j’ai dû soudain devenir un vieillard de 96 ans le jour de sa mort. » Depuis, le directeur du théâtre de l’Odéon collabore souvent avec Micha Lescot à qui il vient de donner le rôletitre de sa mise en scène d’Ivanov de Tchekhov. « Luc Bondy fait en sorte qu’il n’y ait jamais de routine. Mais il faut quand même être vigilant à ne pas suivre des rails. » De ce côté-là, aucun risque pour l’instant : le comédien sort du tournage du film noir Arès de JeanPatrick Benes, dans lequel il interprète un travesti en l’an 2050. Ivanov de Luc Bondy du 16 janvier au 28 février et du 8 au 29 avril à l’Odéon-Théâtre de l’Europe

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du 9 au 13 décembre au Divan du Monde, au Trabendo, à La Flèche d’or, à La Maroquinerie et au Point Éphémère

THÉÂTRE RÉPÉTITION Entre réalité et fiction, dans un esprit très métatextuel, Audrey Bonnet, Denis Podalydès, Emmanuelle Béart et Stanislas Nordey, qui portent ici leur propre prénom, répètent une pièce de théâtre. Le dramaturge et metteur en scène Pascal Rambert propose une mise en abyme vertigineuse et une réflexion profonde sur les convergences entre l’art et la vie. C. Ga.

du 12 au 21 décembre et du 6 au 17 janvier au théâtre de Gennevilliers (Festival d’Automne à Paris)

EXPOSITION

HAÏTI Le Grand Palais organise la première exposition parisienne consacrée à l’art d’Haïti. Les œuvres du xixe siècle présentées laissent vite place, au cœur du parcours, aux artistes contemporains (Jean-Michel Basquiat, Hervé Télémaque…). Du portrait académique au surréalisme en passant par l’abstraction, deux siècles de création artistique haïtienne se dévoilent enfin. C. Ga. jusqu’au 19 février au Grand Palais


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pré se nte

EXPOSITION

L’Éclat des ombres

L’art en noir et blanc des Îles Salomon Plus de deux cents objets du quotidien ou chefs-d’œuvre toujours riches de sens trouvent leur place dans une première exposition monographique – en Europe – consacrée aux arts des Îles Salomon. À ces trésors s’ajoutent de prestigieux prêts de musées internationaux, le tout formant un ensemble stupéfiant plongé dans une belle lumière de fin du jour. L’initiation peut commencer.

© musée du quai branly - photo gautier deblonde

PAR LÉA CHAUVEL-LEVY

Beauté et perfection technique des armes des îles Salomon

Que connaît-on des Îles Salomon, cet archipel océanien situé dans le sud-ouest de l’océan Paci­­fi­ que ? Quelques souvenirs lointains de cours d’histoire nous remémorent la bataille de Guadalcanal en 1942-1943, ou encore, pour les plus khâgneux d’entre nous, la disparition de l’explorateur français La Pérouse. On a également quelque part en tête que ce fut une ancienne colonie britannique… Mais cela s’arrête souvent là. À cette perception occidentale, qui regarde d’un œil très flou les cultures du Pacifique, le musée du quai Branly répond avec érudition et appose une image plus nette sur ces îlots méconnus : figures de proue, monnaies, ornements de nez, pirogues de guerre, boucliers de parade comblent ainsi notre inculture. Avec pour fil conducteur le noir et blanc somptueux de la majeure partie des pièces, fruit d’un travail du bois noirci sur lequel sont incrustées des coquilles de nacre ou de coquillage. Brillance, fort contraste visuel, le parcours flatte ainsi l’œil, mais on apprendra que le noir de ces objets n’est que la matérialisation des morts, appelés aussi « ombres ». Cette présence

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sys­té­matique de la mort, qui investit chaque objet, saute aux yeux et interpelle. Alors qu’en Occident on cache nos disparus, ils sont ici omniprésents, dessinant une relation dense et complexe pour maintenir un équilibre avec l’au-delà – les guerriers qui partaient en expédition disposaient par exemple à l’avant de leur pirogue une figure de proue incarnant un esprit protecteur. Ce soutien de l’esprit des morts, cette mort protectrice, est l’une des découvertes fabuleuses de l’exposition. Elle permet de comprendre comment les objets servent à convoquer des êtres invisibles pour la réussite de tous les actes de la vie quotidienne. Elle permet aussi de repenser notre propre rapport à l’au-delà et la façon dont les hommes se sentent protégés de nos jours. Outre la rareté des pièces et leur préciosité, telles certaines figures de proue du xixe siècle qui se collectionnent et se vendent aujourd’hui à prix d’or, le parcours permet de s’ouvrir à une culture très méconnue qui mêle raffinement et savoir, loin du plastique insipide, industriel et sans histoire.  jusqu’au 1 er février au musée du quai Branly

hiver 2014-2015


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pré se nte

OUVERTURE

PHILHARMONIE DE PARIS La Philharmonie de Paris, imaginée par Jean Nouvel, sera enfin dévoilée au public le 14 janvier prochain. Son objectif : offrir aux mélomanes comme aux novices une qualité d’écoute inédite dans la capitale. PAR CHLOÉ BEAUMONT

L’immense vaisseau est encore en chantier. Toutes les fourmis de la butte s’activent : le bâtiment aura la forme d’un monticule sur lequel on pourra se promener. La construction de ce « Centre Pompidou de la musique » a connu des retards, mais à deux mois de l’ouverture, l’impatience d’inaugurer un lieu aussi ambitieux est palpable. Au rez-de-jardin, un espace de 800 m² s’apprête à accueillir une exposition consacrée à Bowie. À l’étage supérieur, une dizaine de salles de répétition vient combler un manque indéniable dans les salles de l’Ouest parisien. C’est d’ailleurs pour rompre avec cette concentration géographique et son corollaire (un public plutôt âgé et aisé) que ce nouvel équipement a choisi de s’implanter à la périphérie est de la capitale, dans un quartier en pleine mutation. Il espère toucher une nouvelle population, plus diversifiée, grâce à une politique

tarifaire plus avenante. Mais le lieu souhaite aussi attirer les connaisseurs avec sa grande salle, ruche vertigineuse à l’acoustique optimale, qui provoque néanmoins une sensation de proximité étonnante grâce aux balcons disposés tout autour de la scène. Tout en haut des gradins, l’intimité reste intacte, le spectateur le plus éloigné étant à seulement 32 mètres du chef d’orchestre (contre 48 mètres à Pleyel), malgré sa grande capacité (2 400 places assises contre 1 900 pour Pleyel). Et si la musique classique est la reine des lieux (de Brahms à Tchaïkovski), la salle peut se moduler selon le spectacle ; elle accueillera ainsi du rock (Tindersticks, en février), du jazz (Ibrahim Maalouf, également en février), de la danse (Béjart, en mars) ou des ciné-concerts (2001. L’odyssée de l’espace, en mai). 221, avenue Jean-Jaurès – Paris XIXe à partir du 14 janvier

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hiver 2014-2015

Revoir Paris François Schuiten et Benoît Peeters ont mis l’architecture au centre de leurs mythiques bandes dessinées Les Cités obscures. En marge de la saga, ils publient l’album Revoir Paris et signent la scénographie de l’exposition associée. Un dialogue s’installe entre le Paris rétrofuturiste des auteurs et les projets d’urbanisme qui ont réellement façonné la ville depuis le xixe siècle. C. Ga. jusqu’au 9 mars à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine de Chaillot

CONCERT LES FRANGLAISES Le concept de ce show est simple : les Franglaises reprennent des tubes anglophones en les adaptant en français dans une version décalée, en y mêlant l’humour bien sûr, mais aussi la danse et le théâtre. Après un immense succès à Paris et en province, le groupe revient avec de nouvelles adaptations et pots-pourris pour un spectacle énergique et jouissif. C. Ga. à partir du 10 février à Bobino

SPECTACLES

生长 Genesis

DANSE À LA VILLETTE En décembre, la Villette célèbre trois chorégraphes : le Belge Sidi Larbi Cherkaoui met en scène quatre danseurs chinois du Yabin Dance Studio dans une chorégraphie qui traite de la destinée humaine (生长 Genesis), l’Italien Romeo Castellucci propose une adaptation radicale du Sacre du printemps et l’Israélien Hofesh Shechter présente une version monumentale de son œuvre rock Political Mother. C. Ga. à la Grande Halle de la Villette

© koen broos

© jean nouvel - arte factory

EXPOSITION


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L’actualité DES salles

le jour le plus court À l’occasion de la 4e édition du festival du court métrage, des projections de films courts se tiendront dans une multitude de lieux culturels, en France et à l’étranger, avec des focus sur le travail de Benoît Forgeard et Jean-Charles Hue et une carte blanche à Axelle Ropert. Bref, la revue du court métrage, a quant à elle sélectionné cinq films reliés par le thème de la musique qui seront diffusés en entrée libre dans deux salles du réseau MK2. C. Ga. Le 21 décembre à 11h au MK2 Quai de Seine et au MK2 Hautefeuille

Le magazine Fricote s’associe à MK2 pour créer un rendez-vous alliant gastronomie et cinéma. Thème de la première édition : l’Afrique.

C

PAR CLAUDE GARCIA

réé en 2010, Fricote se définit comme « l’épicurien urbain ». Sur un ton décalé, chaque numéro permet de découvrir recettes, design culinaire, bons plans, street food et interviews de people gourmands. Jeudi 11 décembre, pour la première fois, la rubrique « la séance Fricote », qui analyse les films par le biais de la nourriture que l’on y trouve, sera prolongée par une nouvelle expérience gustative et visuelle au MK2 Bibliothèque. Au menu, la projection du film Kinshasa Kids et une dégustation de plats et boissons congolais préparés par Le Tricycle. L’événement sera suivi d’une soirée au bar du MK2 Bibliothèque, le Limelight, au son des sélections du DJ Yannick Do. Un événement destiné à la récurrence… le 11 décembre à 19h30 au MK2 Bibliothèque 25 € par personne billetterie sur mk2.com

RETROUVEZ le magazine DANS L’UN DE NOS 300 POINTS de distribution PARISiens

© éric garault pour mk2

La séance Fricote x MK2 Jean Imbert Cinéma Club Le 8 décembre dernier, le chef Jean Imbert a inauguré un nouveau rendez-vous alliant gastronomie et cinéma. Le principe : la projection d’un grand classique du septième art accompagnée d’un dîner conçu pour l’occasion. Après Le Parrain de Francis Ford Coppola, qui a ouvert le cycle, c’est Lawrence d’Arabie de David Lean qui régalera les convives en janvier. C. Ga. Lawrence d’Arabie de David Lean le 19 janvier à 20h au Mademoiselle Cinéma (Palais de Tokyo) 49,90 € par personne (hors alcool) réservations sur mk2.com

ANDY WAHLOO 69, rue des Gravilliers – Paris IIIe

LE CALBAR 82, rue de Charenton – Paris XIIe

LES ÉTAGES 5, rue de Buci – Paris VIe

LE NÜBA 36, quai d’Austerlitz – Paris XIIIe

CAFÉ A 148, rue du Faubourg-Saint-Martin Paris Xe

LA FOURMI 74, rue des Martyrs – Paris XVIIIe

CAFÉ CHARBON 109, rue Oberkampf – Paris XIe LE PERCHOIR 14, rue Crespin-du-Gast – Paris XIe

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hiver 2014-2015

CAFÉ CHÉRI(E) 44, boulevard de la Villette Paris XIXe


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L’actualité DES salles CYCLES

AVANT-PREMIÈRES

CONFÉRENCES

15/12

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Faire semblant, jusqu’où ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

15/12

RENCONTRES

JEUNESSE

15/12

12/01

18/12

CARTE BLANCHE À WAX TAILOR À l’occasion de la sortie de Phonovisions Symphonic Or­ches­tra (double album CD plus un DVD), rencontre avec le musicien, projection d’un extrait du DVD live et d’un film de son choix. >MK2 Bibliothèque à 20h

05/01

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Vivre pleinement, vraiment ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

08/01

LES RENDEZ-VOUS GOODPLANET Chaque premier jeudi du mois, un film sélectionné par Yann

à 0 % de matières grasses, à déguster nature ou agrémentées d’une garniture.

SEÑOR BOCA Mexicain : tacos, burritos et autres

plats mexicains cuisinés selon des recettes authentiques. THE SUNKEN CHIP Fish&chips : poisson frais servi

dans une panure croustillante, accompagné de frites maison et de purée de petit pois.

22/01

LA NUIT DU GÉNÉRIQUE DE FILM Deux séances coorganisées par la Fête du graphisme et We Love Your Names. Rencontre avec des concepteurs de génériques, des réalisateurs et avec Alexandre Tylski autour de son livre Les Plus Beaux Génériques de films (La Martinière). >MK2 Bibliothèque à 19h

© elene usdin

CARTE BLANCHE À PHILIPPE DÉCOUFLÉ À l’occasion de sa pièce Contact (du 9 janvier au 6 fé-­ vrier) et de la jour­ née « l’artiste et son monde » au Théâtre national de Chaillot, rencontre avec le chorégraphe et projection d’un film de son choix. >MK2 Bibliothèque à 20h

26/01

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Le bonheur s’apprend-il ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

13/01

CONNAISSANCES DU MONDE Venise. La sérénissime d’Éric Courtade, en présence du réali­sateur. >MK2 Nation à 14h

15/01

CARTE BLANCHE À PHILIPPE BESSON À l’occasion de la sortie de son roman choral autour de l’existence tumultueuse de James Dean, Vivre vite, rencontre avec l’auteur, séance de dédicace et projection de La Fureur de vivre de Nicholas Ray. >MK2 Bibliothèque à partir de 18h30

LA BRIGADE Carnivore : viande tranchée

UN IGLOO DANS LA VILLE Frozen Yogurt : glaces au yaourt

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Comment vivre heureux dans un monde injuste ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

12/01

EAU ARGENTÉE Avant-première en présence du réalisateur. >MK2 Beaubourg à 19h30

CARTE BLANCHE À OHAD NAHARIN À l’occasion du spectacle Naharin’s Virus au Théâtre national de Chaillot (du 17 au 21 décembre), rencontre avec le chorégraphe et projection de Holy Motors de Leos Carax. >MK2 Odéon à 20h

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Pourquoi les mots font-ils tant de mal ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

19/01

A r th u s - B e r t r a n d. En j a nvi e r, Powerless de Deepti Kakkar et Fahad Mustafa. >MK2 Quai de Seine à 20h

finement sous vos yeux, accompagnée de frites fraîches ou de courgettes et de salade. KORRIGANS Crêpes : galettes et crêpes réali-

sées à la demande avec une pâte 100 % bio et selon des recettes 100 % bretonnes.

THAÏ LA ROUTE Thaï : padthaï, curry vert, soupes

parfumées et autres plats inspirés de la cuisine de rue thaïlandaise, le tout cuisiné sur place.

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hiver 2014-2015

jeunesse

16/12 (jusqu’au)

MK2 BOUT’CHOU Au programme : Drôles de créatu­ res, En sortant de l’école et Le Car­naval de la petite taupe. >MK2 Bibliothèque / MK2 Quai de Loire / MK2 Nation tous les mercredis, samedis et dimanches en matinée

16/12 (jusqu’au)

MK2 JUNIOR Au programme : À la poursuite du roi Plumes, Le Piano magique et Les Fantastiques Livres volants de M. Morris Lessmore. >MK2 Grand Palais / MK2 Quai de Seine / MK2 Gambetta tous les mercredis, samedis et dimanches en matinée

LE CAMION QUI FUME Burgers : burgers réalisés avec

du pain de boulanger, de l’authentique cheddar, de la viande hachée menu, accompagnés de frites maison.

LE CAMION QUI FUME

RETROUVEZ LES JOURS ET HORAIRES DE SERVICE DE TOUS LES FOOD TRUCKS SUR WWW.MK2.COM


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hiver 2014-2015


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