Trois Couleurs #128

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le monde à l’écran

roman polanski du 4 février au 3 mars 2015

raconte l’adaptation scénique de son Bal des vampires

Joaquin

Phoenix Décoiffant dans Inherent Vice

romain goupil

Entretien avec le réalisateur des Jours venus

et aussi

Marina Foïs, It Follows, John Carpenter, Les Merveilles…

no 128 – gratuit


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fĂŠvrier 2015


Sommaire

Du 4 février au 3 mars 2015

À la une… 8

en ouverture

entretien

Roman Polanski

En 1967, le cinéaste parodiait les productions horrifiques de la Hammer dans Le Bal des vampires, sommet de bouffonnerie grivoise sur fond de romantisme gothique. La comédie musicale tirée du film est à l’affiche à Paris. Rencontre avec Roman Polanski, qui en signe la mise en scène.

© stephane manel ; fabien breuil ; gerard giaume / h&k ; warner bros. entertainment inc. and ratpac dune entertainment llc ; les acacias ; rda ; d.r. ; eric rondepierre

en couverture

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Romain Goupil Dans Les Jours venus, Romain Goupil se met en scène dans son propre rôle, et dans son quotidien qui part à vau-l’eau. À 60 ans passés, le jour est venu pour lui de faire le point.

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portrait

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Marina Foïs L’actrice se livre à une performance cartoonesque, un jeu du chat et de la souris entre mari et femme dans Papa ou Maman de Martin Bourboulon.

Joaquin Phoenix

Deux ans après The Master, Joaquin Phoenix retrouve le cinéaste Paul Thomas Anderson pour Inherent Vice, plongée hallucinée dans la Californie de la toute fin des années 1960. Joaquin Phoenix campe Doc Sportello, un privé à rouflaquettes et chemise hawaïenne qui enquête, entre deux digressions, sur la disparition de son ex-petite amie et du nouvel amant de celle-ci. Rencontre avec l’acteur.

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festival

portfolio

3 Continents À Nantes, les cinémas africain, asiatique et sud-américain sont célébrés chaque automne depuis trente-six ans. Cette année, on pouvait y découvrir le nouveau film du Coréen Hong Sang-soo, Hill of Freedom.

décryptage

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Le cinéma vegan C’est mathématique : plus il y a de faune à l’écran… moins il y a de viande dans l’assiette des personnages. Les animaux deviennent les porte-parole d’une idée en images, un végétarisme qui se veut éthique, un « cinéma vegan ».

entretien

76 John Carpenter Le Carpenter cinéaste passe le relais au musicien avec des Lost Themes en forme de musiques de films imaginaires, lâchés dans un monde électronique qui l’adule. Mais Big John n’a rien du messie et nous l’a fait gentiment savoir.

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Éric Rondepierre Quand il achète un magnétoscope, dans les années 1980, il est d’emblée fasciné par la touche « arrêt sur image », une innovation qui marque le point de départ de son œuvre à venir. Éric Rondepierre a trouvé une nouvelle manière de regarder les films, en s’en approchant au plus près.


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… et aussi Du 4 février au 3 mars 2015

Édito 7 Le paradoxe du menteur Les actualités 12 Les Oscars, Jessica Chastain, le festival Premiers Plans d’Angers À suivre 16 Andy Gillet dans La Duchesse de Varsovie p. 16 l’agenda 20 Les sorties de films du 4 février au 25 février 2015 histoires du cinéma 23 Transparent p. 26, Femmes, femmes p. 28, Il est difficile d’être un dieu p. 38

les films

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cultures

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trois couleurs présente

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It Follows de David Robert Mitchell p. 53 // Papa ou Maman p. 54 // Frank de Lenny Abrahamson p. 56 // Amour fou de Jessica Hausner p. 57 // Two Years at Sea de Ben Rivers p. 58 // Jupiter. Le destin de l’univers de Lana et Andy Wachowski p. 59 // Une histoire américaine d’Armel Hostiou p. 61 // Mon fils d’Eran Riklis p. 62 // Les Merveilles d’Alice Rohrwacher p. 64 // Kingsman. Services secrets de Matthew Vaughn p. 66 // Réalité de Quentin Dupieux p. 66 // Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador p. 67 // Birdman d’Alejandro González Iñárritu p. 70 // La Duchesse de Varsovie de Joseph Morder p. 71 Les DVD 74 Mémoires pour Simone/La Solitude du chanteur de fond de Chris Marker et la sélection du mois

L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

© amazon ; shellac ; d.r.

« Sur la piste des grands singes », The Haunting Melody

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) STAGIAIRE Chloé Beaumont ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Camille Brunel, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Claude Garcia, Stéphane Méjanès, Wilfried Paris, Michaël Patin, Pamela Pianezza, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Louis Séguin, Laura Tuillier, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Stéphane Manel PHOTOGRAPHES Fabien Breuil, Flavien Prioreau PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) CHEF DE PROJET OPÉRATIONS SPÉCIALES Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com)

Illustration de couverture © Amit Shimoni pour Trois Couleurs © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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é dito

LE PARADOXE * DU MENTEUR PAR JULIETTE REITZER

Son dernier film ? » En novembre 2008, au moment de la sor tie de Two Lovers de James Gray, la question était sur toutes les lèvres et en couverture de ce magazine, sur laquelle figurait Joaquin Phoenix. Excellant dans des performances de héros écorchés (ado paumé dans Prête à tout ; musicien toxicomane dans Walk the Line ; gérant d’une boîte de nuit tiraillé par ses démons dans La nuit nous appartient...), l’acteur avait semblé pile dans son rôle lorsqu’il avait annoncé, hagard, au micro d’une émission people, qu’il arrêtait définitivement le cinéma pour se consacrer au rap. Victimes collatérales de cet improbable revirement, nous nous étions retrouvés privés d’interview. Deux ans plus tard, la sortie du faux documentaire I’m Still Here venait confirmer les rumeurs : tout était faux. Pendant près de deux ans, pour les besoins du film, Phoenix avait menti à tout le monde. Pendant près de deux ans, il avait feint de s’enfoncer dans la dépression, le stupre, la drogue et la crasse – jusqu’à ne faire plus que ça, jusqu’à ne plus rien faire d’autre

que jouer son rôle. À quel moment l’acteur devient-il son personnage ? À quel moment le mensonge devient-il vérité ? Son dernier film en date, Inherent Vice de Paul Thomas Anderson, sort début mars, et Joaquin Phoenix est à nouveau en couverture de ce magazine. Après I’m Still Here, l’acteur a naturellement retrouvé le chemin des plateaux de cinéma, tour à tour pour The Master de Paul Thomas Anderson, The Immigrant de James Gray et Her de Spike Jonze. Cette fois, l’interview prévue a eu lieu. Vingt minutes durant lesquelles il a fumé cigarette sur cigarette, se tortillant sur son siège, roulant des yeux désespérés vers la porte dans l’espoir de voir son attachée de presse y passer la tête pour signer la fin du calvaire. Paradoxe de l’acteur, il nous a pourtant semblé qu’il répondait sincèrement, en détail, à nos questions. L’entretien est à lire dans ce numéro. * On attribue à Épiménide l’antinomie connue sous le nom du « paradoxe du menteur », ainsi énoncée par l’encyclopédie Larousse : « Tu dis que tu mens. Si c’est vrai, alors tu mens aussi en disant que tu mens, et il est donc faux que tu mentes. Mais si c’est faux, alors tu ne mens pas non plus en disant que tu mens, et il est donc vrai que tu mens. »

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l’e ntreti e n du mois

Roman Polanski

© stéphane manel

Les héros mordants du Bal des vampires ressuscitent sur scène.

« je suis romantique mais pas gnangnan. » 8

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l’e ntreti e n du mois

En 1967, Roman Polanski parodiait les productions horrifiques de la Hammer dans Le Bal des vampires, sommet de bouffonnerie grivoise sur fond de romantisme gothique. Le cinéaste y jouait Alfred, l’assistant pleutre d’un chasseur de vampires, l’hirsute professeur Abronsius (Jack MacGowran). Après une tournée dans une dizaine de pays depuis près de vingt ans, la comédie musicale tirée du film, un divertissement grand public efficace, est à l’affiche à Paris. Rencontre avec Roman Polanski, qui en signe la mise en scène. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

l

a comédie musicale tirée du bal des vampires a été montée pour la première fois à vienne, en 1997. quels étaient les enjeux de cette adaptation ? Il faut que je vous avoue que ce n’était pas mon idée. L’initiateur de tout ça est un vieil ami avec qui j’ai fait plusieurs films, Andrew Braunsberg [producteur notamment de Macbeth, de Quoi ? et du Locataire, ndlr]. Il habitait Vienne où une société était intéressée et avait les moyens pour monter une comédie musicale dans le style de Broadway, une grosse production. J’ai hésité assez longtemps. Finalement, ils ont acquis les droits de l’adaptation théâtrale du film, et l’on a travaillé ensemble environ quatre ans à la création du spectacle. Une comédie musicale, il faut que ce soit drôle. Je voulais faire un spectacle grand public mais avec un peu d’intelligence, ne pas donner aux spectateurs de la nourriture prédigérée. Je voulais faire un spectacle familial, parce que je fais rarement ça. Il me semble que Le Bal des vampires était celui de mes films qui correspondait le mieux à ces exigences. pirates était aussi un film familial… Oui, mais c’est un film plutôt raté, les conditions de tournage et financières étaient difficiles… pourquoi le spectacle n’arrive-t-il en france qu’aujourd’hui, soit dix-sept ans après sa création ? Les producteurs avaient peur parce que les comédies musicales ne marchaient pas suffisamment bien en France, tous les spectacles faisaient des bides. Après le succès du Bal des vampires à Vienne, le spectacle a été joué à Stuttgart, puis à Hambourg, puis à Berlin… Chaque fois je demandais : « Et Paris ? » Mais ils ne voulaient pas, et ça ne dépendait pas de moi. Puis, il y a dix ans, la société hollandaise qui exploite le spectacle a acheté le théâtre Mogador. Ils y ont d’abord programmé Le Roi lion, La Belle et la Bête, Mama Mia!… Tout ça marchait très bien. J’ai alors redemandé si on pouvait y jouer Le Bal des vampires, et ils ont fini par accepter.

l’adaptation française présentait-elle des difficultés, notamment pour les dialogues et pour les chansons ? J’avais peur de la traduction. Je vous avoue que je ne suis pas fana du rock’n’roll français, à cause des sonorités de la langue – les u et les e sont difficiles à chanter. Mais dès la première traduction, j’ai vu que ça fonctionnait. Par ailleurs, on a refait certains décors pour des raisons techniques, car la scène de Mogador n’est pas énorme. Tout fonctionne comme une montre suisse, au centimètre près. Parfois, le film ressemble à un dessin animé. Il a fallu donner un peu plus de psychologie aux personnages, notamment en nourrissant les scènes de chant. comme le film, le spectacle est empreint d’un romantisme baroque qui est désamorcé par l’humour. peut-on y voir deux facettes de votre personnalité ? Absolument. Je suis romantique mais pas gnangnan. en 1966, au moment de la sortie du bal des vampires, vous déclariez aux cahiers du cinéma : « j’aime tous les films d’horreur, ça me fait marrer. » Oui, c’est ça ! L’idée du Bal des vampires est née à l’époque où je traînais avec Gérard Brach [coscénariste du film, ndlr], sans un rond, à Paris, à la recherche de producteurs. On allait beaucoup dans les cinémas autour de la Sorbonne, on y voyait souvent des films d’horreur, surtout ceux de la Hammer. Dans la salle, il y avait principalement des étudiants. Plus c’était effrayant, plus ils riaient. J’avais dit à Gérard qu’il faudrait faire un film d’horreur qui soit volontairement comique. On a fait d’abord Répulsion, ensuite Cul-de-sac, et puis j’ai été en position de proposer un film plus cher, Le Bal des vampires. le vrai héros du film, c’était le professeur abronsius, joué par le génial acteur irlandais jack macgowran. comment s’était passée votre collaboration ? Je l’avais vu dans En attendant Godot à Londres. Il était un peu la mascotte de Samuel Beckett, il jouait dans beaucoup de ses pièces. Je l’ai engagé

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l’e ntreti e n du mois

© brinkhoff / mogenburg

« tout fonctionne comme une montre suisse, au centimètre près. »

pour jouer dans Cul-de-sac et il m’a émerveillé. Pas seulement comme acteur, mais aussi comme pote. Il était Irlandais, buvait beaucoup et était assez dingue mais extrêmement émouvant, drôle, un pro comme je n’en avais jamais connu avant. Vous voyez cette scène de Cul-de-sac dans laquelle il est mort, allongé à côté de la fosse que creuse Françoise Dorléac ? On tournait de nuit, il devait être mort, il faisait le mort, et il était mort à tel point qu’on l’a oublié, on l’a laissé allongé là pendant plus d’une demie-heure… Quand il faisait quelque chose, il était complètement dedans, c’était incroyable. Après la journée de tournage, on se retrouvait au pub, où il était toujours bourré, mais, le lendemain matin, il était toujours prêt à travailler. Avec Gérard Brach, on a écrit Le Bal des vampires en pensant à lui. le producteur du bal des vampires vous a imposé des coupes drastiques et un prologue en animation qui divulguait toute l’intrigue pour la sortie américaine du film. comment l’aviez-vous vécu ? Il a ruiné le film entièrement. C’était très dur. Je me sentais comme si j’avais un « enfant du Thalidomide », ce médicament prescrit aux femmes enceintes dont on a découvert qu’il provoquait de graves malformations. Je l’ai très mal vécu parce que j’aimais beaucoup le film. Il y avait sur le plateau énormément d’humour. Ce gars ne comprenait rien au côté romantique du film. Il produisait toujours ses films en s’assurant qu’il avait le final cut, mais avec moi il ne l’avait que pour les États-Unis, donc le film est resté intact pour les autres pays. Et il a bien marché partout sauf aux États-Unis. Après ça, je n’ai plus jamais accepté de ne pas avoir le final cut, quitte à ne pas faire le film.

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vous avez commencé par la scène, en jouant, à 14 ans, en pologne, le rôle principal de la pièce à succès le fils du régiment. tout au long de votre carrière, vous avez alterné films et projets scéniques, au théâtre et à l’opéra. ces deux disciplines sont-elles complémentaires ? C’est très différent. Au théâtre, vous jouez avec des symboles, vous pouvez utiliser des sensations et des émotions sans employer d’éléments naturalistes. Sur l’écran, c’est tout le contraire, vous ne pouvez pas jouer avec des symboles car c’est lourd, on n’y croit pas, on s’ennuie. Le théâtre, c’est vivant. On dit ça tout le temps – et ça peut sembler banal –, mais c’est vrai : chaque soir est différent. Cela donne envie aux acteurs d’aller pêcher un rire, une réaction. Le danger, par contre, quand un acteur fait un petit truc qui trouve une réaction immédiate, c’est que le lendemain il va la rechercher, et que s’il ne la trouve pas, il va en rajouter ; ça peut devenir insupportable. vous avez la réputation de tout contrôler sur vos films, depuis l’écriture du scénario jusqu’à la postproduction. la perte de contrôle liée à l’aspect vivant et évolutif de la scène ne vous gêne -­t-elle pas ? C’est vrai que j’aime que ça ne bouge pas, que l’on ne puisse pas abîmer mon travail, et c’est pour ça que je fais des films. Mais le théâtre, quand c’est bon, ça peut être phénoménal, ça peut procurer des sensations que le cinéma ne peut pas susciter. Quand c’est mauvais, en revanche, c’est la plus grande torture. Le Bal des vampires, mis en scène par Roman Polanski jusqu’au 8 mars au théâtre Mogador

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Les actualités PAR CHLOÉ BEAUMONT, CLÉMENTINE GALLOT, JULIEN DUPUY et TIMÉ ZOPPÉ

> l’info graphique

Les mentions font-elles les classiques ? Des chercheurs de la Northwestern University, à Evanston, dans l’Illinois, ont publié une étude qui établit une liste de classiques du septième art en dénombrant le nombre de références (thèmes, images ou messages) qui en sont faites dans d’autres films. 15 425 longs métrages américains datant d’au moins vingt-cinq ans et 42 794 références ont été analysés à partir de données du site IMDb. T. Z.

Le Magicien d’Oz

Star Wars Psychose

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Casablanca

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Autant en emporte le vent

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King Kong

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Frankenstein

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Le Parrain

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Citizen Kane

2001. L’odyssée de l’espace

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Source : la revue Proceedings of the National Academy of Sciences

> OSCARS

© atsushi nishijima

Les hommes blancs d’abord

La réalisatrice Ava DuVernay sur le tournage de Selma, en 2014

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Le 15 janvier dernier, la liste des nominations aux Oscars 2015 était à peine dévoilée que d’aucuns s’insurgeaient contre une sélection trop blanche et trop masculine. Pour la deuxième fois depuis 1998, aucun acteur de couleur n’est retenu chez les hommes comme chez les femmes. Les réactions se cristallisent surtout autour de Selma, biopic de Martin Luther King réalisé par la cinéaste Ava DuVernay. Le film concourt dans les catégories du « meilleur film » (avec Boyhood ou encore Whiplash) et de la « meilleure chanson », mais pas dans celles du « meilleur réalisateur » (pour laquelle s’affrontent Bennett Miller, Wes Anderson…) ni du « meilleur acteur » (Steve Carell, Michael Keaton…). Cette prédominance de mâles blancs peut s’expliquer par le profil des votants. En 2012, une enquête du Los Angeles Times révélait qu’ils s’agissaient principalement d’hommes (77 %), blancs (94 %) et âgés (62 ans d’âge médian). Marion Cotillard, qui avait décroché la statuette en 2008, est quant à elle nommée dans la catégorie « meilleure actrice » pour sa performance dans le film des frères Dardenne Deux jours, une nuit. La 87e cérémonie des Oscars aura lieu le 22 février. T. Z.

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> LE CHIFFRE DU MOIS

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C’est, en pourcentage, la proportion de films français rentables en 2014, soit 22 longs métrages, selon une étude réalisée par BFM Business. Pour calculer la rentabilité de ces films, cette dernière a établi un ratio entre leur budget et leurs recettes estimées (nombre d’entrées en salles, exploitation en DVD, à la télévision, à l’étranger). Les comédies Babysitting et Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? occupent le haut du classement. T. Z.

> dépêches

© rda / bca ; rda / picture alliance ; d. r.

PAR C. B.

DÉCÈS

CANNES

Immortalisée par Federico Fellini dans une scène culte de La dolce vita, l’actrice suédoise Anita Ekberg est décédée le 11 janvier dernier à l’âge de 83 ans. L’Italien Francesco Rosi, réalisateur de Main basse sur la ville, s’est éteint le jour précédent. Il avait 92 ans.

Grands habitués du Festival de Cannes depuis leur Palme d’or pour Barton Fink en 1991, Joel et Ethan Coen (qui tournent actuellement leur nouvelle comédie Hail Caesar!) ont été choisis pour présider le jury de la 68e édition du festival qui aura lieu 13 au 24 mai 2015.

APPEL À FILMS

La 17e édition du Très Court International Film Festival se tiendra du 5 au 14 juin prochain dans plusieurs villes en France et à l’étranger. Pour y participer, il vous suffit d’envoyer vos courts métrages (d’une durée maximale de trois minutes) avant le 15 février.

> LA PHRASE

Jessica Chastain

© twentieth century fox

Dans une interview à Cosmopolitan, l’actrice moque les déclarations de Russell Crowe à l’Australian Women’s Weekly selon lesquelles « les actrices qui prétendent que les rôles se raréfient sont celles qui, passé 40 ans veulent toujours jouer les ingénues ».

> LA TECHNIQUE

Une convention tacite consiste à adopter un objectif macro pour tourner les scènes impliquant des personnages lilliputiens, avec pour conséquence une profondeur de champ minuscule. C’était d’ailleurs le principe adopté sur les deux précédents volets de La Nuit au musée. Pour ce troisième opus, le réalisateur Shawn Levy a choisi de briser cette habitude en partant du principe que ses personnages miniatures seraient filmés avec un équipement à leur mesure. Une décision qui a contraint son équipe à recréer en image de synthèse tout l’environnement de ces plans, notamment pour obtenir une profondeur de champ équivalente à celle d’un tournage à l’échelle humaine. J. D. La Nuit au musée. Le secret des pharaons de Shawn Levy Sortie le 4 février

© everett collection / rda

La Nuit au musée

« JE PENSE QUE RUSSELL A PERDU UNE BONNE OCCASION DE SE TAIRE. […] POUR DIRE ÇA, IL NE DOIT PAS ALLER SOUVENT AU CINÉMA. »

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> COURTS METRAGES

EN TOURNAGE

Le réalisateur de 2 automnes 3 hivers (2013) Inupiluk a embarqué les acteurs Thomas Blanchard et Thomas Scimeca dans une drôle d’aventure qui a donné lieu à deux courts métrages qui sortent en salles conjointement en février. Dans la fiction Inupiluk, le père de l’un d’eux, installé au Groenland, leur envoie deux habitants de son village. Entre les Thomas et eux, pas de langue commune, mais de joyeux efforts pour partager leurs cultures. Le documentaire Le film que nous tournerons au Groenland montre Blanchard et Scimeca en train d’imaginer, depuis Paris, le long métrage qui fera suite à Inupiluk – et racontera le séjour de leurs personnages au Groenland. Le tournage de ce Voyage à Kullorsuaq débutera le 25 mars et sera relayé sur Internet via des articles, des vidéos, des documentaires sonores et des photos. T. Z.

© d. r.

Sébastien Betbeder

Inupiluk (32 min) et Le film que nous tournerons au Groenland (36 min) de Sébastien Betbeder (UFO) avec Thomas Blanchard, Thomas Scimeca… Sortie le 25 février La web-série, journal de bord filmé du tournage, est à suivre sur : www.voyageakullorsuaq.com

Le tournage du nouveau long métrage de Martin Scorsese, Silence, a débuté le 30 janvier à Taïwan. Liam Neeson, Andrew Garfield et Adam Driver sont à l’affiche de ce film racontant le périple de deux missionnaires portugais au xvie siècle dans un Japon où les chrétiens sont persécutés • Danny Boyle, lui, a posé ses caméras chez les parents de Steve Jobs, pour le biopic qu’il lui consacre. Michael Fassbender interprètera le cofondateur d’Apple • Beetlejuice 2 est dans les tuyaux. Selon Tim Burton, il ne s’agirait pas de la suite du film qu’il avait réalisé en 1988, même si certains personnages feront leur retour. Michael Keaton et Winona Ryder incarneront de nouveau Beetlejuice et Lydia Deetz. T. Z.

© d. r.

FESTIVAL

Toto et ses sœurs d’Alexander Nanau, Prix du jury

> FESTIVAL

Angers rêve éveillé Atmosphère mi-studieuse mi-dissipée pour Premiers Plans, le rendez-vous hivernal angevin qui, sous la houlette de son directeur Claude-Éric Poiroux, fait la part belle aux groupes scolaires et aux premiers films étudiants. Une fois n’est pas coutume, l’édition 2015 rendait hommage à la comédie : italienne d’un côté, avec Dino Risi, française de l’autre, avec l’humour à froid de Bertrand Blier, présent aux côtés de son vieux complice Gérard Depardieu. Prix du public, The Look of Silence, le nouveau documentaire

de Joshua Oppenheimer, toujours influencé par Jean Rouch, continue comme son film précédent, The Act of Killing, de traiter du massacre de 1965 en Indonésie. Un Prix du jury amplement mérité a été attribué au documentaire immersif Toto et ses sœurs. Ce passionnant et désespérant travail d’enquête du réalisateur allemand Alexander Nanau, mené aux côtés d’une fratrie d’enfants roms livrés à eux-mêmes dans Bucarest, en fait un lointain cousin de Wang Bing et de ses fragiles Trois sœurs du Yunnan. C. G.

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Hors Pistes souffle cette année ses dix bougies. Cette 10e édition est logiquement placée sous le signe de la célébration. Jusqu’au 15 février, le festival du Centre Pompidou projette chaque soir une vidéo inédite autour du concept de l’anniversaire (l’inauguration, la mémoire, l’oubli…). Des performances et des expériences interactives complètent le tableau. Les artistes Thomas Lévy-Lasne, Gregory Buchert ou encore Louise Hervé et Chloé Maillet seront de la partie. T. Z.


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à su ivre

Andy Gillet Dans La Duchesse de Varsovie, son jeu donne vie et chaleur à un décor en 2D entièrement peint. Depuis quelques années, Andy Gillet balade ses traits fins et son charme lunaire dans des projets atypiques. Itinéraire d’un acteur déterminé à respecter ses désirs.

« Pour Céladon, Éric Rohmer avait d’abord flashé sur un type qui avait fait la Star Academy. »

PAR TIMÉ ZOPPÉ

© flavien prioreau

J’ai annoncé à ma famille très tôt que je voulais faire du cinéma. Ils m’ont dit que c’était hors de question. » Après une jeunesse passée en Haute-Savoie, Andy Gillet s’inscrit en école de commerce à Nancy, mais suit le conservatoire en parallèle. Le devoir familial accompli, il débarque à Paris où il devient mannequin. « Ça m’a permis de payer mon loyer et mes cours en ne travaillant que quelques jours par mois. Ça ne me plaisait pas suffisamment pour m’y consacrer pleinement. On se sent comme un cintre, c’est très déshumanisant. » En 2004, il intègre le cours d’art dramatique d’Eva Saint-Paul. Il tourne chez Josée Dayan et Anne Fontaine, puis décroche le premier rôle des Amours d’Astrée et de Céladon, le dernier film d’Éric Rohmer, en 2007. « C’est une parenthèse enchantée dans ma vie. Pour Céladon, Rohmer avait d’abord flashé sur un type qui avait fait la Star Academy. Il ne voulait pas me rencontrer, il n’aimait pas la photo qui figurait sur mon CV. » Pour le grand public, il est plutôt le Saint-Loup d’À la recherche du temps perdu, dans le téléfilm de 2011. « J’ai des envies de rôles, mais pas de stratégie. Je préfère faire des petits boulots à côté plutôt que d’accepter des projets qui ne me plaisent pas. » Jusque-là abonné aux drames, il est tordant en papa à minishort se languissant de son soldat de mari dans la farce parodique Fort Buchanan de Benjamin Crotty, qui devrait sortir cette année. À 33 ans, ne lui reste plus qu’à conserver le bon goût d’attendre les bons rôles.

La Duchesse de Varsovie de Joseph Morder (lire aussi p. 71) avec Alexandra Stewart, Andy Gillet Distribution : Épicentre Films Durée : 1h26 Sortie le 25 février

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fe stival

3 Continents À Nantes, les cinémas africain, sud-américain et asiatique sont célébrés chaque automne depuis trente-six ans. Cette année, on pouvait notamment y découvrir le nouveau film du Coréen Hong Sang-soo, Hill of Freedom, justement récompensé d’une Montgolfière d’or, un classique méconnu de l’Indien Guru Dutt datant de 1957, L’Assoiffé, ou une rétrospective consacrée à l’œuvre de la Sénégalaise Khady Sylla. PAR LAURA TUILLIER

sur la situation miséreuse des domestiques dakaroises. L’autre sélection de films de patrimoine qu’il ne fallait manquer à aucun prix, c’était celle qui associait des « éclats du mélodrame » aussi chatoyants qu’émouvants. La superbe projection en 35 mm de Sœurs de scène (1965) du Chinois Xie Jin – deux sœurs adoptives nouent une troublante relation fusionnelle qui se nourrit de leur parcours d’artistes – rivalisait avec celle de L’Assoiffé (1957) de Guru Dutt, chef-d’œuvre à vif dans lequel le cinéaste joue le rôle d’un poète bafoué. Pour ce qui est des films en compétition dans la sélection officielle, tous les regards se sont tournés avec raison vers Hill of Freedom. Hong Sang-soo y déploie une trame narrative fragmentée autour d’un rendez-­ vous presque raté entre un Japonais et son amoureuse coréenne. Racontée dans le désordre, cette romance retardée exsude la mélancolie vague et poignante du rêve ou du souvenir.

© d. r.

Au festival des 3 Continents, il faut se frayer un chemin dans une programmation extrêmement dense et composite. Ce qui peut amener à découvrir un mélo mexicain des années 1940 avant de se plonger dans le cinéma de la réalisatrice sénégalaise Khady Sylla, à poursuivre avec quelques verres de soju via le dernier film du Coréen Hong Sang-soo puis à terminer en Inde – et en larmes – grâce au maître Guru Dutt. Ce qui compte, ce sont les ponts qui se bâtissent entre les sélections et entre les pays, ainsi qu’entre les générations. Récompensé par le prix Jean Vigo en 1966 – et premier long métrage réalisé par un cinéaste originaire d’Afrique noire –, La Noire de… du Sénégalais Ousmane Sembène introduisait l’hommage rendu à sa compatriote Khady Sylla, disparue récemment. Avec son documentaire Le Monologue de la muette, cette dernière répondait quarante ans plus tard à Sembène pour livrer un nouveau témoignage

Hill of Freedom de Hong Sang-soo

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ag e n da

Sorties du 4 au 25 février Pitchipoï de Charles Najman avec Xavier Gallais, Laurent Lacotte… Distribution : Sedna Films Durée : 1h40 Page 56

4 février

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La Nuit au musée. Le secret des pharaons de Shawn Levy avec Ben Stiller, Robin Williams… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h37 Page 13

Amour fou de Jessica Hausner avec Birte Schnoeink, Christian Friedel… Distribution : Jour2fête Durée : 1h36 Page 57

Femmes, femmes de Paul Vecchiali avec Hélène Surgère, Sonia Saviange Distribution : Shellac Durée : 2h Page 28

Les Jours venus de Romain Goupil avec Romain Goupil, Valeria Bruni Tedeschi… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h30 Page 23

Two Years at Sea de Ben Rivers Documentaire Distribution : Norte Durée : 1h28 Page 58

Il est difficile d’être un dieu d’Alexeï Guerman avec Leonid Yarmolnik, Aleksandr Chutko… Distribution : Capricci Films Durée : 2h50 Page 38

Papa ou Maman de Martin Bourboulon avec Marina Foïs, Laurent Lafitte… Distribution : Pathé Durée : 1h25 Page 34 et 54

Les Jours d’avant de Karim Moussaoui avec Mehdi Ramdani, Souhila Mallem… Distribution : Damned Durée : 47min Page 58

Loin de mon père de Keren Yedaya avec Maayan Turjeman, Tzahi Grad… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h40 Page 60

It Follows de David Robert Mitchell avec Maika Monroe, Keir Gilchrist… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h34 Page 53

Les Moomins sur la Riviera de Xavier Picard Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 1h17 Page 58

Les Nouveaux Héros de Don Hall et Chris Williams Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h42 Page 60

Kaddish pour un ami de Léo Khashin avec Ryszard Ronczewski, Neil Belakhdar… Distribution : Septième Factory Durée : 1h35 Page 54

Jupiter. Le destin de l’univers de Lana et Andy Wachowski avec Mila Kunis, Channing Tatum… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h05 Page 59

Africaine de Stéphanie Girerd avec Nina Meurisse, Anna Mihalcea… Distribution : Hévadis Films Durée : 1h37 Page 60

Kertu d’Ilmar Raag avec Mait Malmsten, Ursula Ratasepp… Distribution : TS Productions Durée : 1h38 Page 54

Gus. Petit oiseau, grand voyage de Christian De Vita Animation Distribution : Haut et Court Durée : 1h30 Page 82

Cinquante nuances de Grey de Sam Taylor-Johnson avec Jamie Dornan, Dakota Johnson… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h05 Page 60

Frank de Lenny Abrahamson avec Domhnall Gleeson, Maggie Gyllenhaal… Distribution : KMBO Durée : 1h35 Page 56

Les Nouvelles Aventures de Gros-pois et Petit-point d’Uzi et Lotta Geffenblad Animation Distribution : Les Films du Préau Durée : 44min Page 83

L’Enquête de Vincent Garenq avec Gilles Lellouche, Charles Berling… Distribution : Mars Films Durée : 1h46 Page 60

Félix et Meira de Maxime Giroux avec Martin Dubreuil, Hadas Yaron… Distribution : Urban Durée : 1h45 Page 56

Territoire de la liberté d’Alexander Kuznetsov Documentaire Distribution : Aloest Durée : 1h07

Une histoire américaine d’Armel Hostiou avec Vincent Macaigne, Kate Moran… Distribution : UFO Durée : 1h25 Page 61

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ag e n da

Mon fils d’Eran Riklis avec Tawfeek Barhom, Yaël Abecassis… Distribution : Pyramide Durée : 1h44 Page 62

Bob l’éponge. Le film Un héros sort de l’eau de Paul Tibbitt Animation Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h25 Page 67

Tracers de Daniel Benmayor avec Taylor Lautner, Marie Avgeropoulos… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h33 Page 68

Casting sauvage de Galaad Hemsi Documentaire Distribution : Commune Image Média Durée : 1h15 Page 62

Things People Do de Saar Klein avec Wes Bentley, Jason Isaacs… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h50 Page 67

Birdman d’Alejandro González Iñárritu avec Michael Keaton, Edward Norton… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h59 Page 70

Spartacus & Cassandra d’Ioanis Nuguet Documentaire Distribution : Nour Films Durée : 1h20 Page 62

American Sniper de Clint Eastwood avec Bradley Cooper, Sienna Miller… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h14 Page 68

À 14 ans d’Hélène Zimmer avec Athalia Routier, Galatea Bellugi… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h26 Page 71

Les Merveilles d’Alice Rohrwacher avec Maria Alexandra Lungu, Sam Louwyck… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h50 Page 64

Max et Lenny de Fred Nicolas avec Camélia Pand’or, Jisca Kalvanda… Distribution : Shellac Durée : 1h25 Page 68

Hungry Hearts de Saverio Costanzo avec Adam Driver, Alba Rohrwacher… Distribution : Bac Films Durée : 1h49 Page 71

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Kommunisten de Jean-Marie Straub Expérimental Distribution : JHR Films Durée : 1h10 Page 72

Kingsman. Services secrets de Matthew Vaughn avec Colin Firth, Samuel L. Jackson… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h09 Page 66

Inupiluk / Le film que nous tournerons au Groenland de Sébastien Betbeder avec Thomas Blanchard, Thomas Scimeca… Distribution : UFO Durée : 32min / 36min Page 14

Red Army de Gabe Polsky Documentaire Distribution : ARP Sélection Durée : 1h25 Page 72

Réalité de Quentin Dupieux avec Alain Chabat, Jonathan Lambert… Distribution : Diaphana Durée : 1h27 Page 66

La Duchesse de Varsovie de Joseph Morder avec Alexandra Stewart, Andy Gillet… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h26 Page 16 et 71

Annie de Will Gluck avec Quvenzhané Wallis, Jamie Foxx… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h57 Page 72

Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador avec Thomas Salvador, Vimala Pons… Distribution : Le Pacte Durée : 1h18 Page 67

Les Chevaliers du Zodiaque. La légende du sanctuaire de Keiichi Sat Animation Distribution : Wild Bunch Durée : 1h33 Page 68

Bien de chez nous d’Henri de Latour Documentaire Distribution : Les Films des Deux Rives Durée : 1h23 Page 72

Projet Almanac de Dean Israelite avec Jonny Weston, Michelle DeFraites… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h46 Page 68

Le Dernier Loup de Jean-Jacques Annaud avec Feng Shaofeng, Shawn Dou… Distribution : Mars Films Durée : 1h55 Page 72

Bis de Dominique Farrugia avec Franck Dubosc, Kad Merad… Distribution : EuropaCorp Durée : 1h40 Page 67

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fĂŠvrier 2015


histoires du

CINéMA

MARINA FOÏS

L’actrice est à l’affiche de Papa ou Maman p. 34

JOAQUIN PHOENIX

Rencontre avec l’acteur d’Inherent Vice p. 40

PORTFOLIO

Les étonnants photogrammes d’Éric Rondepierre p. 46

Romain Goupil

© fabien breuil

« Il faut profiter au mieux du temps qui reste. »

Dans Les Jours venus, Romain Goupil se met en scène dans son propre rôle, avec sa propre famille et dans son propre quotidien qui part à vau-l’eau : son projet de film patine, son fils se moque de ses frasques politiques, sa banquière le convoque. À 60 ans passés, le jour est venu, pour le réalisateur de Mourir à trente ans, grande figure de Mai 68, de faire le point sur sa vie de cinéaste, de militant, de père, d’homme et de mortel. Tout le charme de cette comédie gentiment bagarreuse, c’est d’aborder les questions graves en faisant des pirouettes, avec un grand sens de la dérision. PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON

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h istoi re s du ci n é ma

uel est le point de départ des Jours venus ? J’ai reçu une lettre d’anniversaire de Pôle emploi un peu invraisemblable qui, vu mon âge, me disait de me rapprocher de la caisse de retraite et d’envoyer mes fiches de paye des quarante dernières années. En cherchant ces vieux papiers, j’ai réalisé que je suis arrivé à un âge où j’ai plus vécu qu’il ne me reste à vivre : c’est le point de départ d’une série d’interrogations avec lesquelles je m’amuse pendant tout le film. Vous vous amusez en attendant LE jour venu ? Oui, je fais un grand pied de nez à la mort, un peu comme dans tous mes films, je sifflote en l’attendant. C’est un grand héritage de 1968 : il faut profiter au mieux du temps qui reste et jouir d’être en vie, et libre. Vous filmez les membres de votre famille dans leurs propres rôles. Se sont-ils facilement prêtés à ce jeu intrusif ? Ils sont habitués à ce que je les filme avec ma petite caméra. Là, c’était plus costaud, parce qu’il y avait une vraie équipe de tournage et un scénario, mais bon, je les paye, donc ils n’ont qu’à se taire ! Dans le film, vous n’hésitez pas, avec un sens certain de l’autodérision, à vous montrer de mauvaise foi ou même un peu tyrannique… Quand je suis allé à Tokyo, pour la première mondiale du film, les journalistes japonais ont demandé à ma femme si j’étais dans la vie comme dans mes films. Pour eux qui sont extrêmement respectueux, qui ne haussent jamais le ton, c’est terrible de voir un type comme ça. Elle a répondu : « C’est pire. » Vous donnez la réplique aux vrais membres de votre famille, mais aussi à des personnages fictifs. Dans quelle mesure ce film est-il autobiographique ? C’est une fiction qui s’appuie sur des éléments autobiographiques pour déconner. Brouiller la frontière entre le réel et la fiction, c’est tout ce qui m’amuse depuis le début, depuis le premier plan de Mourir à trente ans [son premier long métrage, à dimension autobiographique, sorti en 1982, ndlr] dans lequel la voisine nous engueule, mes copains et moi, avant de tomber par la fenêtre : c’est ma

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grand-mère, dans mon immeuble. Un film, même autobiographique, c’est toujours de la fiction, car il y a transformation : c’est plus comique, c’est plus tragique, c’est raccourci – on fait un choix d’une heure et demie sur soixante ans de vie… Et la transformation continue après l’écriture, avec le montage, le mixage… Le cinéma, c’est de la transformation permanente pour trouver la grâce. Les archives des réunions de famille chez votre belle-mère, à Sarajevo, sont bien réelles, elles. Je suis parti à Sarajevo pendant la guerre. Il y avait des bombardements partout. Le premier plan que j’ai fait là-bas, c’est celui qu’on voit dans le film : je me suis mis à l’abri pour filmer en contre-­plongée une façade tout à fait classique de HLM. Je me suis aperçu plus tard que c’était l’immeuble dans lequel vivait Sanda, celle qui deviendrait la mère de mes enfants. Du coup, tous les ans, à chaque fois que je me rends dans ma belle-famille en Bosnie, je refais le même plan depuis la même fenêtre, sauf qu’après la guerre ça ne tire plus, les fissures de l’immeuble sont réparées, et qu’il y a des enfants qui apparais­ sent. On comprend, avec les plans successifs sur cette façade, que la vie reprend même sur les ruines des trucs les plus effroyables. Dans le film, votre fils vous dit : « Quand t’étais jeune, tu prônais de se révolter, et maintenant que tu es vieux, tu dis qu’il faut accepter. Si je comprends bien, t’as toujours raison ». Il a raison ? Il a raison de dire que je veux toujours avoir raison. Les vieux, c’est les garde-fous des jeunes qui veulent tout bousculer et qui croient tout savoir. Moi, si je n’ai pas de sang sur les mains, alors que j’étais le premier à vouloir déclencher la lutte armée en 1968, c’est grâce à nos amis plus âgés et à nos parents, qui étaient très politisés mais qui nous mettaient en garde, parce qu’ils avaient une expérience qu’on n’avait pas. Cet équilibre des forces entre les jeunes fous et les vieux sages est fondamental pour avancer droit. La figure du père est très importante dans votre filmographie – vous avez même réalisé un court métrage sur votre père, Le Père Goupil, en 1980. Être père, c’est transmettre ? Ce n’est que ça, mais pas comme un artisan qui montre les gestes à suivre. C’est donner des armes pour se révolter et ne surtout pas obéir, même si

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© emilie de la hosseraye

e ntreti e n

Romain Goupil en famille dans Les Jours venus

« Les vieux, c’est les garde-fous des jeunes qui veulent tout bousculer et qui croient tout savoir. » c’est difficile à accepter pour des parents ! Avec mon père, on n’est souvent pas d’accord. Il est beaucoup plus radical que moi, il est resté gauchiste. Mais dans Les Jours venus, je viens me renseigner auprès de lui sur le comportement droit à adopter face à la mort qui vient. Vos parents vous reprochent justement d’avoir perdu de vue vos idéaux de jeune militant soixante-huitard. Est-ce un film sur le renoncement ? Pas du tout, je ne crois pas du tout au temps des désillusions ! On n’a rien trahi, je ne connais pas de soixante-huitard qui soit devenu trader, on est tous dans la culture ou la politique. Je n’ai pas changé de combat depuis mes 14 ans : tout reste à faire pour ce qui concerne l’intolérable, la torture, le droit des femmes, la barbarie au nom de la religion. Je pense juste qu’on s’est trompé, pas sur le but, mais sur la méthode : on a voulu faire, en 1968, la révolution de 1917. Sur quel logiciel on était ? On réfléchit toujours selon les schémas, complètement obsolètes, des penseurs d’autres siècles. Ce que j’ai appris depuis, c’est que c’est extrêmement lent et compliqué, et que l’on ne peut imposer une vision en écartant ceux qui ne sont pas d’accord. Et contrairement à ce que l’on dit, les choses évoluent dans le bon sens, les gens se lèvent. Preuve par la Tunisie, l’Égypte, la Libye… Les mecs comme Houellebecq

ou Zemmour, qui parlent de déclinisme, c’est parce qu’ils ont peur que leur puissance à eux décline. Dans quelle mesure les récents rassemblements pour défendre la liberté d’expression font-ils écho aux manifestations de 1968 que vous montriez dans Mourir à trente ans, sorte de journal filmé de Mai 68 ? Aujourd’hui, on manifeste pour dire « touchez pas à ce qu’on a gagné en 1968 » : la possibilité de se foutre de la gueule d’un prophète, du pape, de Jésus, d’un rabbin. Le 11-Septembre, c’était tuer plein de gens pour attaquer un emblème. Cibler ceux qui dessinent, c’est plus du hasard. Là, c’est Voltaire qu’on a assassiné, c’est un 11-Septembre sur la pensée. C’est une régression énorme, par rapport à 1968. On pleure ces mecs et on pleure 1968. Il faut manifester par millions pour montrer que cela va de soi, que l’on peut se foutre de la gueule de qui ou de ce que l’on veut. Pour la campagne présidentielle de Coluche, que j’ai dirigée avec lui, le journal officiel, c’était Charlie Hebdo, avec Reiser, Cabu, Wolinski et les autres. Et notre emblème, c’était le drapeau bleu-blanc-merde. Les Jours venus de Romain Goupil avec Romain Goupil, Valeria Bruni Tedeschi… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h30 Sortie le 4 février

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h istoi re s du ci n é ma - g e n de r stu di e s

© amazon

Chaque mois, une étude des enjeux de représentation du genre au cinéma

SAISON 6 : les NOUVELLES FRONTIÈRES TRANSGENRES

1. Transparent D’Under the Skin aux Métamorphoses en passant par Une nouvelle amie, 2014 fut riche en cinéma transgenre. Retour sur Transparent, série hors norme sur une transsexuelle à la retraite, produite et distribuée par Amazon, et récompensée par deux Golden Globes. PAR CLÉMENTINE GALLOT

A

mazon a récemment lancé Mozart in the Jungle, cocréation de Jason Schwartzman et Roman Coppola, et devrait bientôt honorer une commande à Woody Allen. Mais sa plus belle réussite à ce jour reste encore sa série Transparent, diffusée depuis septembre dernier. Mort (Jeffrey Tambor), professeur à la retraite divorcé, y amorce sa transition pour devenir femme sous le patronyme de Maura : l’onde de choc se répercute sur le parcours sexuel respectif de ses trois enfants, Sarah, Josh et Ali (la toujours géniale Gaby Hoffman, aperçue dans Girls), une fratrie de jeunes juifs californiens. À travers ce récit de coming out, lointain cousin du Bambi de Sébastien Lifshitz, et l’exploration du microcosme trans de L.A., le propos est sans appel : les identités de genre sont mouvantes, quitte pour certains personnages à rebattre les cartes des orientations sexuelles. La cinéaste Jill Soloway, relativement méconnue en France, est associée depuis plusieurs années à la production de nombreuses séries américaines à succès (de Grey’s Anatomy à How to Make It in America) ainsi qu’à leur écriture (United States of Tara). Ses tics de mise en scène fleurent bon le ciné indé, sans le panache camp de John Waters. Comme son nom l’indique, Transparent suit le parcours d’une transsexuelle

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tout en opérant un renversement du point de vue, la question sous-jacente étant : « Qui peut légitimement exister dans l’espace public ? » Par phénomène d’identification, et donc d’empathie, la série œuvre pour la visibilité des personnes trans à la télévision, ce dont témoigne la récente popularité de Laverne Cox dans Orange Is the New Black. Si des voix ont critiqué la série comme pouvant paradoxalement renforcer la « transmisogynie » (avec l’idée qu’une transsexuelle n’est qu’un homme déguisé en femme), les producteurs, convaincus du contraire, ont défendu le choix d’un comédien masculin cis (c’est-à-dire dont genre et sexe sont alignés), l’impérial Jeffrey Tambor, rescapé de la série Arrested Development. Transparent, dont la mélancolie sourde rappelle Six Feet Under, déjà produite et coécrite par Soloway, cumule ainsi les attributs d’une grande série familiale introspective. En sus du succès des Golden Globes (meilleure série comique et meilleur acteur), la série est d’ores et déjà renouvelée pour une deuxième saison. Transparent sur Amazon Pour aller plus loin : Transgender History de Susan Styker (Seal Press)

le mois prochain : ÉPISODE 2

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h istoi re s du ci n é ma - scè n e cu lte

La réplique :

« Monsieur l’agent ! c’est pour un film, on coupera au montage ! »

Femmes, femmes En février ressortent en salles quatre films du prolifique Paul Vecchiali. Parmi ceux-ci, Femmes, femmes, chef-d’œuvre d’un cinéaste trop méconnu et morceau de bravoure de ses deux comédiennes.

© shellac

PAR LOUIS SÉGUIN

H

Sonia Saviange et Hélène Surgère

élène (Hélène Surgère) et Sonia (Sonia Saviange, de son vrai nom Christiane Vecchiali, grande sœur de Paul) sont deux actrices qui ne jouent plus. Pour se venger, elles jouent tout le temps, elles jouent à brouiller en permanence la frontière entre la comédie et la vraie vie (les comédiennes portent d’ailleurs leurs propres prénoms). Elles sont fofolles, elles sont folles, elles vivent ensemble, dans un appartement transformé en scène d’un théâtre dont elles seraient à la fois les têtes d’affiche et le public. Au mur sont épinglées les photos des vedettes en couverture de la revue Cinévie, alors que les deux femmes s’épuisent dans une « cinémort », celle des actrices dénuées de rôle. Leurs fenêtres donnent sur le cimetière Montparnasse, seul horizon de ce huis clos anxiogène. Les deux femmes s’ingénient

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à (se) faire croire que leur vie est une comédie, parfois même musicale, plaisantant de leur propre déchéance en buvant abondamment. Mais arrive cette scène dans les rues de Paris, la seule qui soit tournée en plein air. Hélène et Sonia se confrontent au monde, et l’on prend brusquement la mesure de leur désespoir. Elles tapinent pour s’acheter à boire et provoquent le scandale. Pourtant, lorsqu’un policier les interpelle, Hélène Surgère s’exclame : « Monsieur l’agent ! c’est pour un film, on coupera au montage ! » Elle pointe la caméra du doigt ; tout est vrai, tout est faux, c’est du cinéma. Femmes, femmes de Paul Vecchiali avec Hélène Surgère, Sonia Saviange Distribution : Shellac Durée : 2h Sortie le 11 février

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h istoi re s du ci n é ma

LE cinéma vegan Depuis les quatre Oscars de L’Odyssée de Pi, les projets à poils, à plumes ou à écailles se multiplient. Et c’est mathématique : plus il y a de faune à l’écran… moins il y a de viande dans l’assiette des personnages. Ni meubles ni aliments, les animaux deviennent alors les porte-parole d’une idée en images, un végétarisme qui se veut éthique, un « cinéma vegan » qui replace simplement la nourriture en son cœur plutôt qu’en son ventre.

© rda

PAR CAMILLE BRUNEL

Ratatouille de Brad Bird, 2007

A veg g ie b urge r, please. » Boyhood (2014) touche à sa fin, Mason passe discrètement commande. Étalé sur douze ans d’adolescence texane, ce récit initiatique voit soudain un choix de hamburger traduire l’émancipation d’un jeune homme vis-àvis de sa famille. Le réalisateur Richard Linklater ne s’y trompe pas : on pense souvent à définir les personnages de cinéma par le costume ou le maquillage qu’ils portent, mais ce qu’ils mangent ne devrait-il pas compter tout autant ? Si une mouvance « végétariste » existe déjà au cinéma, elle correspond aux films qui répondent par l’affirmative à cette question, plus qu’à d’hypothétiques œuvres qui éviteraient les rillettes – ou, dans le cas d’un cinéma « végétaliste », qui éviteraient aussi les œufs, le lait et le miel. La question du rapport à la viande implique à elle seule toute une philosophie.

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Cela peut être l’histoire d’un lion apprenant à vivre avec ses congénères sans les manger (Madagascar, 2005), d’un cuisinier se liant d’amitié avec des animaux et décidant de se lancer dans une spécialité végétarienne (Ratatouille, 2007), d’un hindouiste s’occupant d’un tigre naufragé (L’Odyssée de Pi, 2012)… De la même manière, avec une addiction un peu prononcée, on se retrouve en un rien de temps chez les cannibales du Silence des Agneaux (1991) ou de Sweeney Todd. Le Diabolique Barbier de Fleet Street (2008), films dans lesquels l’association de la viande et du meurtre confine au réquisitoire crypté. PLAiDOYER Végétarien

Réalisé par Tobe Hooper en 1974, Massacre à la tronçonneuse commence ainsi par la description du fonctionnement d’un abattoir (« On peut changer de sujet ? J’aime bien la viande, moi… », objecte quelqu’un), puis se poursuit dans la ferme du tueur, zone anti-vegan par excellence, remplie

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© rda

décryptag e

© d. r.

© collection christophel

L’Odyssée de Pi d’Ang Lee, 2012

Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, 1974

« J’ai pleuré pendant deux jours, j’ai caché tous les couteaux, j’avais envie de mourir. » Georges Franju, à propos du tournage du Sang des bêtes

d’ossements, de trophées et de peaux (le « véganisme » déborde le seul domaine de l’alimentation en refusant toute forme d’exploitation et de cruauté envers les animaux, ce qui se traduit notamment par un rejet de tout produit contenant du cuir, de la laine et de la fourrure). Le principe du film, dès lors, est simple : les personnages doivent traverser des épreuves normalement réservées aux bêtes, prêtant ainsi visage humain à l’innocence animale. Soit le crochet de boucher, le découpage, le frigo et surtout la traque, entre l’homme à la tronçonneuse et sa victime, interminable, pour mieux plonger le spectateur dans la temporalité de la proie chassée

Le Sang des bêtes de Georges Franju, 1949

par une machine. « On a l’impression d’assis­ter à un plaidoyer végétarien », se méfient parfois les spectateurs, à bon droit : conséquemment au tournage, Tobe Hooper mit bel et bien l’alimentation carnée de côté. Il n’était pas le premier à s’être retrouvé malgré lui influencé par ses images. Georges Franju, cofondateur de la Cinémathèque française, raconte, dans une interview publiée en 1992 dans le livre Georges Franju. Cinéaste (EPPV/Maison de la Villette), être ressorti éprouvé du tournage du Sang des bêtes, son documentaire sur les abattoirs, en 1949 : « Quand je suis allé la première fois là-dedans, je suis rentré chez moi, j’ai pleuré pendant deux jours, j’ai caché tous les couteaux, j’avais envie de mourir. ». La viande présentée comme une caractéristique de l’enfer, c’est précisément le postulat du Noé (2014) de Darren Aronofsky, vegan militant, qui raconte moins comment les animaux furent sauvés que la chute de l’homme liée à son besoin de les manger. La tendance végétariste du cinéma s’est en effet radicalisée ces dernières années,

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© 2014 paramount pictures corporation and regency entertainment inc

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Noé de Darren Aronofsky, 2014

La viande présentée comme une caractéristique de l’enfer, c’est précisément le postulat du film Noé de Darren Aronofsky. reprenant à son compte un concept apparu dans les années 1970, l’« antispécisme », selon lequel il est moralement injustifiable de discriminer les êtres vivants en fonction de leur espèce. Le livre fondateur du mouvement, La Libération animale, du philosophe Peter Singer, est sorti un an après Massacre à la tronçonneuse. Le propos anti­ spéciste est même à la base du plus gros succès de tous les temps, œuvre d’un autre vegan engagé, James Cameron. Il y a certes plusieurs scènes de chasse dans Avatar (2009), mais la mort des animaux, considérés comme des égaux, n’y est jamais anodine. Alors que le véganisme reste un mode de vie ultra minoritaire, on peut être surpris de constater qu’un tel blockbuster, qui plus est associé à la consommation décomplexée (McDonald a fait de la pub pour le film, comme tout le monde), ait pu placer en son cœur un rapport raisonné et empathique au monde animal. L’un des autres succès historiques du cinéma hollywoodien, Jurassic Park (1993), tourne lui aussi autour de carnivores ne faisant pas franchement de différence entre un humain et une chèvre. La question fascine de plus en plus de réalisateurs, et pas forcément des militants : Christopher Nolan situe Interstellar (2014) au cœur du débat sur la pénurie alimentaire, intimement lié à la production de viande. Dans la partie terrestre du film, c’est moins la pollution que la famine qui envoie les humains chercher le salut dans l’espace. Nolan aurait-il été sensibilisé à la cause sur le plateau d’Inception (2010), fréquenté par Leonardo DiCaprio, Ellen Page et Cillian Murphy, tous végétariens ? Quoi qu’il en soit, le casting d’Interstellar s’avère d’une étonnante cohérence : les enfants

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abandonnés sur Terre sont joués par Casey Affleck et Jessica Chastain, vegans à la ville comme à l’écran. Même effet d’écho sur Exodus. Gods and Kings (2014) de Ridley Scott : dans cette nouvelle adaptation de la Bible littéralement remplie d’animaux, le berger Moïse porte les traits de Christian Bale, fils d’un militant animaliste et soutien de la Sea Shepherd Conservation Society, un mouvement vegan de défense des océans également soutenu par Sam Simon (l’un des producteurs des Simpsons), Charlie Sheen ou Pamela Anderson. végétarisme manqué

Le phénomène reste encore très anglo-saxon – Peter Singer est australien, Christian Bale et Christopher Nolan, anglais, Darren Aronofsky, américain. En France, patrie du foie gras et de l’andouillette, c’est moins simple. D’étranges poussées végétaristes se manifestent cependant en des endroits assez inattendus, comme si une sorte de « végétarisme manqué » se mettait en place dans des films se refusant encore à aborder ce sujet frontalement. Dans Une heure de tranquillité, Christian Clavier voit ainsi dans le saucisson l’archétype de la crétinerie beauf qui s’acharne à lui pomper l’air, tandis que La Famille Bélier, dont l’histoire se situe dans un village nommé « Thubœuf », développe une étrange petite sous-intrigue qui voit l’héroïne se prendre d’amitié pour un veau promis à l’abattoir. Il reste cependant du chemin à faire. Rendez-vous est pris pour le nouveau film de Jamel Debbouze, adapté du roman de Roy Lewis, Pourquoi j’ai mangé mon père, dont la sortie est annoncée pour avril 2015. Petit détail : le film, lui, s’intitule Pourquoi j’ai pas mangé mon père…

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h istoi re s du ci n é ma

Portrait

© gerard giaume / h&k

MARINA FOÏS

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papa ou maman

Des Robins des Bois à Christophe Honoré, Marina Foïs, indolente et farfelue, a un parcours singulier dans le cinéma français. Dans Papa ou Maman (lire aussi page 54), comédie très réussie sur un divorce cataclysmique, l’actrice se livre à une performance « cartoonesque » dans un jeu du chat et de la souris entre mari et femme. Retour sur son parcours. PAR QUENTIN GROSSET

M

« Les gens qui disent : “Oups !”, je ne crois pas à leur morale. » de l’hôtel où l’on a rendez-vous, elle a l’air un peu crevé, c’était son anniversaire le soir précédent. Elle enlève ses lunettes noires, on lui tend la main, mais elle refuse poliment de la serrer. Elle est malade et ne veut pas nous refiler ses microbes. L’interview sera dès lors ponctuée de pauses mouchoir. Sa façon de s’exprimer est un peu différente de ce que l’on attendait, parce qu’elle est plus vive et qu’elle parle du nez. Marina Foïs nous est précieuse, même si son potentiel est encore loin d’avoir été justement exploité. Bien sûr, elle ne joue pas que dans des chefs-d’œuvre (pensons au Raid en 2002, à Boule et Bill en 2013), mais elle parvient toujours à rendre ses personnages un peu bizarres, donc intéressants. Son parcours au théâtre est moins connu. Pourtant, c’est là qu’elle a commencé. « Je crois que mon premier rôle, quand j’étais enfant, c’était

© thibo&anouchka

arina Foïs, c’est d’abord un phrasé. Une voix traînante, des intonations flegmatiques qui lui permettent de prononcer les pires grivoiseries sans être vulgaire. Au début de sa carrière cinématographique, elle avait tendance à surjouer cette manière nonchalante d’étirer les mots, comme une pose, un relent du fameux « Maaaaaais ! Arrêtez de regarder mes feeeeeessses ! » de Sophie Pétoncule, le personnage de gentille nunuche qu’elle a interprété à l’époque de la troupe des Robins des Bois et qui semblait encore la posséder. Aujourd’hui, son jeu a gagné en nuances, en densité. Quand on y réfléchit, il y a finalement peu d’actrices qui se distinguent ainsi par une élocution aussi reconnaissable, presque une signature : dans le cinéma français il y a bien eu Arletty, Delphine Seyrig, Fanny Ardant ou Jeanne Moreau, mais après ? Ce débit languide, doucement fantasque, la rapproche d’actrices comme Jeanne Balibar (sans le côté maniéré) ou Noémie Lvovsky (en moins lunaire). Quand elle arrive dans le bar

Avec Laurent Lafitte dans Papa ou Maman

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dans une pièce de théâtre amateur, un conte africain. Je jouais un bananier. J’avais invité mon baby-­ sitter, Jean-Marc Brisset, qui était au conservatoire de Paris, et qui m’a donné envie de devenir comédienne. » C’est ce même ex-baby-sitter qui lui donne sa chance, alors qu’elle n’a que 16 ans, dans une mise en scène de L’École des femmes de Molière, en lui confiant le rôle d’Agnès. Marina prend des cours de théâtre tout en préparant son bac par correspondance, avant de rejoindre le conservatoire de Versailles. La suite, on la connaît. Elle intègre la troupe The Royal Imperial Green Rabbit Company (les futurs Robins des Bois), qui fera les beaux jours de La Grosse Émission sur la chaîne Comédie !, puis de Nulle Part Ailleurs sur Canal+. ASSUMER

Dans Papa ou Maman de Martin Bourboulon, elle incarne Florence, une femme en plein divorce. Celle-ci veut partir à l’étranger pour saisir une belle opportunité professionnelle qui s’offre à elle. Le problème, c’est que son mari, Vincent (Laurent Lafitte), veut lui aussi quitter le pays pour les mêmes raisons. Florence et Vincent vont donc tout faire pour ne pas avoir la garde de leurs enfants, jusqu’à devenir des parents vraiment indignes, voire cruels. Dans une scène, Florence n’hésite pas à arriver totalement ivre à une fête à laquelle est invitée sa fille et à draguer ses amis, dans le seul but de lui faire honte. « Pour moi, c’est ça avoir de la morale : s’amuser avec ce que l’on n’a pas le droit de faire. Les personnes vraiment mauvaises sont celles qui n’assument pas leurs mauvaises

pensées. Une fois qu’on se dit : “J’ai envie de tuer mes gosses parce qu’ils m’empêchent d’aller chez l’esthéticienne”, on prend sur soi et on ne fait rien de mal. Les gens qui disent : “Oups !”, je ne crois pas à leur morale », affirme Marina Foïs.

Papa ou Maman de Martin Bourboulon, 2015

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transgresser

L’actrice a souvent joué des personnages qui avaient un rapport conflictuel à la maternité (dans Polisse de Maïwenn en 2011, dans Le Plaisir de chanter d’Ilan Duran Cohen en 2007). Cette fois, la mère qu’elle incarne a quelque chose de volontaire, de déterminé, elle ne compte pas laisser ses enfants écraser ses ambitions. Derrière la farce, le film tient un certain discours sur les couples d’aujourd’hui. « Ce couple explose parce qu’il a voulu être trop parfait, trop lisse, toujours au bon endroit. Ils n’ont pas accepté assez tôt qu’ils se faisaient chier, qu’aller au Monoprix ce n’est pas intéressant, qu’emmener les enfants aux activités périscolaires c’est chiant. Il faut être inventif et souple pour faire durer le plaisir : c’est pour cela que je suis pour la transgression régulière et pour la grossièreté de temps en temps. Ça permet de rester responsable, concret, humain. » Pour ses premiers rôles, les réalisateurs avaient tendance à imaginer Marina Foïs en trentenaire abattue, paumée sentimentalement : Filles perdues, cheveux gras (2002) de Claude Duty ou J’me sens pas belle (2004) de Bernard Jeanjean, des titres qui en disent long. Aujourd’hui, c’est plutôt Tiens-toi droite (2014) de Katia Lewkowicz, film qui explore les injonctions faites aux femmes et ne cache pas

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portr ait

En haut à gauche : Filles perdues, cheveux gras de Claude Duty, 2002 ; En haut à droite : Non ma fille, tu n’iras pas danser de Christophe Honoré, 2009 ; En bas : Tiens-toi droite de Katia Lewkowicz, 2014

ses ambitions féministes. « Contrairement à certains qui font des films sur des femmes pour les femmes par des femmes et qui font tout pour éclipser le mot “ féminisme”, je considère que ce n’est pas un gros mot. » Très cinéphile, la comédienne nous confie aller au cinéma presque tous les jours. Récemment, ses coups de cœur sont pour Timbuktu, Eastern Boys et le documentaire Of Men and War. Elle se dit aussi fan inconditionnelle de Noah Baumbach ou de Sacha Baron Cohen. Mais sa référence principale, c’est Gena Rowlands, l’égérie de John Cassavetes. « Au théâtre, j’ai travaillé avec le metteur en scène Luc Bondy, qui me disait toujours que ce qui est déplorable en France, c’est que les acteurs jouent seulement du cou jusqu’au sommet de la tête. Chez Gena Rowlands, le corps est engagé. Un plan, dans Opening Night de Cassavetes, m’a particulièrement marquée, et il se trouve que c’est un plan du mollet de Rowlands… » L’actrice a les yeux qui brillent quand elle évoque son idole. « Elle est difficilement descriptible, elle est belle mais pas dessinée, elle trimballe une émotion, ce sont tous les contraires qui se rejoignent, c’est la déglingue

« Je suis pour la transgression régulière et pour la grossièreté de temps en temps. » magnifique. » « Déglingue » et « magnifique », ce sont deux mots qui vont bien à Marina Foïs. Quand dans Filles perdues, cheveux gras elle chope un garçon contre une baraque à frites en chantant : « Le monde me donne la gueule de bois et l’alcool arrange ça », ou quand dans Non ma fille, tu n’iras pas danser (2009) de Christophe Honoré elle fume une cigarette dans le train alors qu’elle est enceinte, la comédienne garde malgré tout elle aussi un certain standing. À la fois trash et distinguée. Papa ou Maman de Martin Bourboulon avec Marina Foïs, Laurent Lafitte... Distribution : Pathé Durée : 1h25 Sortie le 4 février

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IL EST DIFFICILE D’ÊTRE UN DIEU Des scientifiques débarquent sur une planète moyenâgeuse régie par des tyrans qui persécutent les artistes et les intellectuels. Pour son dernier film, dont le tournage a duré sept ans, le réalisateur russe Alexeï Guerman, décédé en 2013, propose une œuvre monstre de presque trois heures, à la fois éreintante et somptueuse. Svetlana Karmalita, sa veuve et coscénariste, raconte son élaboration.

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PAR QUENTIN GROSSET

E

n 1964, les fameux frères écrivains russes Arcadi et Boris Strougatski (Stalker d’Andreï Tarkovski est une adaptation de l’un de leurs romans) publient Il est difficile d’être un dieu, un ouvrage de science-fiction qui dépeint une civilisation cruelle réprimant les manifestations artistiques. Celle-ci est installée sur la planète Arkanar, que visitent des scientifiques terriens venus en observation. L’un d’eux, Don Rumata, à qui la population d’Arkanar prête une puissance divine, provoque une guerre pour empêcher ces persécutions. En 1968, Guerman tente d’écrire un scénario à partir de cette histoire, mais il est victime de la censure après l’entrée des chars soviétiques à Prague. « L’intrigue résonne autant avec 1968 qu’avec l’époque contemporaine, et elle n’est pas seulement propre au contexte russe. C’est l’histoire de toutes les civilisations détruites par une force obscure », raconte sa femme, Svetlana Karmalita. C’est seulement en 1999 que Guerman entame le tournage à partir d’un nouveau scénario, écrit en collaboration avec Karmalita. « À la fin du roman, le héros rentrait sur terre et était promis à un avenir radieux. Là où les Strougatski, jouant

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avec la censure, ont été rusés, c’est que ce retour sur Terre ne ressemblait en rien au communisme. Mais, nous, nous avons décidé que Don Rumata ne pouvait pas abandonner Arkanar. » Le tournage va durer sept ans à cause de plusieurs paramètres. D’abord, pour les figurants (des non-professionnels, parfois handicapés mentaux), un casting à travers toute l’Europe est organisé, car Guerman tient à les choisir individuellement. « Le mot “ figurant” était interdit sur le plateau. Alexeï parlait de “personnages secondaires” », précise Karmalita. Ensuite, le chef opérateur Vladimir Ilyin (dont le noir et blanc sublime l’atmosphère chaotique des images) décède et doit être remplacé par Yuri Klimenko. Guerman, lui non plus, ne verra pas son œuvre achevée. Il succombera à la maladie avant le mixage du film, terminé par Svetlana Karmalita et leur fils, Alexeï Guerman Jr. d’Alexeï Guerman avec Leonid Yarmolnik, Aleksandr Chutko… Distribution : Capricci Films Durée : 2h50 Sortie le 11 février Rétrospective Alexeï Guerman à partir du 9 février à la Cinémathèque française

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Inherent Vice

PHOENIX

JOAQUIN

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e n couve rtu re

Deux ans après The Master, Joaquin Phoenix retrouve le cinéaste Paul Thomas Anderson (lire aussi page 44) pour Inherent Vice, plongée hallucinée dans la Californie de la toute fin des années 1960. Adapté d’un roman de Thomas Pyn­c hon, le film déploie son intrigue à facettes entre flower power, psycho­tropes et bouffées paranoïaques, avec en soustexte les assassinats perpétrés par la Famille, la communauté du guru Charles Manson, et l’arrivée au pouvoir de Richard Nixon. Avec sa noirceur coutumière, de laquelle émerge cette fois un talent comique qu’on ne lui soupçonnait pas, Joaquin Phoenix campe Doc Sportello, un privé à rouflaquettes et chemise hawaïenne qui enquête, entre deux digressions, sur la disparition de son ex-petite amie et du nouvel amant de celle-ci. Rencontre avec l’acteur, aussi désarmant dans ses incertitudes que dans sa facilité à les évoquer. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

A

près The Master, Inherent Vice est votre deuxième film avec Paul Thomas Anderson. Quel genre de réalisateur est-il ? Après avoir vu Magnolia et Boogie Nights, avec leur mise en scène très précise, j’étais persuadé que Paul était un réalisateur très directif, le genre à déclarer : « Tu dois te placer sur cette marque au sol et prononcer telle réplique à tel endroit. » Je me suis dit : « O.K., ce sera une expérience, tentons. » Mais j’ai découvert qu’il était à l’exact opposé de tout ça. Je me suis énormément amusé sur The Master. Il laisse aux acteurs la liberté de proposer des choses, voire d’improviser ? Je n’ai jamais travaillé pour un réalisateur qui a aussi peu d’ego mal placé et tellement de confiance en lui qu’il n’a absolument pas peur d’expérimenter. Sur un tournage habituel, quand vous entamez vos journées, généralement, c’est le moment où vous arrêtez de réfléchir – moi, en tout cas. Pas la peine de se fatiguer à essayer d’inventer, d’apporter vos idées. Mais sur The Master, chaque prise semblait différente. Un jour, je ne sais plus de quelle scène il s’agissait, mais je me souviens que j’étais enfermé dans une idée, que j’étais persuadé d’y être et que d’une prise à l’autre je ne faisais que me répéter,

« Aucun des personnages n’est parfait, aucun n’est dénué de vice. » Paul m’a dit : « Tout le monde sait ce que tu vas faire, le point est réglé sur tes déplacements, ta position est parfaitement dans le cadre. Change tout ça, surprends-les. » C’était tellement excitant et libérateur ! Mais c’est extrêmement rare, parce que les tournages coûtent très cher, qu’il faut limiter les risques. C’est pour ça que je n’aime pas tourner dans des trop grosses productions ; la liberté n’est pas la même. L’ambiance est-elle très différente sur les tournages de James Gray, avec lequel vous avez déjà travaillé à quatre reprises ? En fait, j’ai eu le même genre d’expérience avec James Gray. Mais disons qu’avec Paul Thomas Anderson, c’est arrivé au moment parfait pour moi, le moment de ma vie où il m’a semblé qu’il y avait quelque chose en moi que je devais écouter, qu’il me fallait me fier davantage à mon instinct pour aborder les scènes. Dans le choix des films que vous tournez, êtesvous plus attaché au scénario ou à la personnalité du réalisateur ? Je ne sais pas ce qui est le plus important. Il m’est arrivé de rencontrer des réalisateurs que j’aimais beaucoup, mais si le scénario ne me touche pas, si je n’ai aucun sentiment fort, il me semble que je vais uniquement « jouer la comédie », et ça ne fonctionne pas. J’ai besoin d’avoir une connexion émotionnelle, une réponse viscérale à ce que je lis dans le scénario. Et que vous a inspiré la lecture du scénario d’Inherent Vice ? J’ai d’abord lu le livre de Thomas Pynchon. Je crois que ce qui m’a plu, c’est sa complexité, et le fait que chaque personnage se dévoile au fur et à mesure. Par exemple, dès le début, vous pensez avoir compris la relation entre Doc Sportello [le personnage joué par Joaquin Phoenix, ndlr] et Bigfoot [un lieutenant de police incarné par Josh Brolin, ndlr], mais en fait elle change beaucoup pendant le film, vous en apprenez plus sur Bigfoot, et, soudain, vous ressentez de l’empathie pour lui. C’est rare de trouver ça dans un film. Généralement, les héros sont d’emblée bien définis, et ils suivent un arc de progression très prévisible. Les conflits intérieurs des personnages aussi étaient intéressants. Aucun n’est parfait, aucun n’est dénué de vice. Ça me semble assez réaliste.

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« Déjà, le mec est détective. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de tordu dans le fait de vouloir fouiner dans la vie des gens ? » C’est le cas notamment de votre personnage, ce détective hippie et fumeur de joints lancé à la recherche de son ex-petite amie. Oui. Déjà, le mec est détective. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de tordu dans le fait de vouloir fouiner dans la vie des gens ? Ce n’est pas un métier si noble que ça… Doc a quelque chose de très doux, de gentil, mais il a aussi un côté égoïste. Il cherche Shasta, il s’inquiète sincèrement pour elle, mais il veut aussi prendre le temps de se défoncer. Ma réplique préférée, c’est à la fin du film, quand il parle à Fenway, dont il a retrouvé la fille qui avait fugué. Ils dînent ensemble, et Doc dit : « Combien faudrait-il que je te prenne d’argent pour ne pas perdre ton respect ? » Il se la joue parfait hippie au grand cœur, loin des considérations matérielles, mais une part de lui veut juste prendre le fric. L’intrigue est parfois difficile à suivre pour le spectateur. Mais s’il y a bien une chose dont il peut être sûr et à laquelle il peut se raccrocher, c’est l’amour de Doc pour Shasta. Oui, c’est quelque chose dont on a beaucoup parlé, c’était très important. Mais encore une fois, ce n’est pas que ça. Comme dans la vie, les motivations sont toujours plus complexes : la colère, l’égoïsme, un besoin personnel… Ado, quand j’ai vu des films comme Raging Bull ou Taxi Driver, je me suis dit : « Oh my fucking god ! » Les personnages étaient si complexes, tellement de sentiments différents étaient exprimés… C’est ce que je recherche dans les films.

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Inherent Vice réunit de nombreux genres, et notamment la comédie, avec des scènes qui n’ont pas d’autres raisons que le pur plaisir du gag. Comment avez-vous abordé cette première incursion dans l’humour ? Dans le livre, il y a des gags géniaux, tout un univers très proche du cinéma burlesque, mais qui est soutenu par une vraie profondeur émotionnelle. Très tôt, dans les répétitions, on a parlé de ça. Pour la scène dans laquelle je découvre la photo de l’enfant de Coy et de Hope Harlingen, on s’est par exemple inspirés de l’imagerie des cartoons, avec ce personnage qui a les yeux qui lui sortent de la tête. Étiez-vous confiant en votre capacité à faire rire les spectateurs ? Je ne suis jamais confiant en rien. Je pense que cette peur me permet de rester vivant. Mais une part de moi aimerait vraiment réussir à être plus assuré, parfois. Pour reprendre l’exemple de cette scène inspirée de l’imagerie des cartoons, on en a tourné cinq versions différentes : parfois je faisais juste une petite moue, parfois je ne manifestais aucune réaction… Quand j’ai vu pour la première fois le montage final, que j’ai découvert que Paul avait gardé cette prise durant laquelle je crie, j’ai tout de suite dit : « Ça ne fonctionne pas. » Et Paul m’a répondu : « Bien sûr que si. » Je suis incapable d’avoir suffisamment de distance avec mon image. Vous semblez aimer vous mettre en danger. Pour le film de Casey Affleck I’m Still Here,

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Avec Benicio Del Toro

Avec Katherine Waterston

Avec Josh Brolin

vous avez fait croire à tout le monde, pendant plus d’un an, que vous arrêtiez le cinéma pour vous consacrer à la musique. C’est plutôt courageux… O.K., well, merci beaucoup. Mais soyons honnête. Pendant I’m Still Here, j’ai eu envie de tout arrêter des tonnes de fois. Si ce n’était pas pour Casey et parce que tout le projet était devenu public, j’aurais arrêté. J’aimerais pouvoir dire que je suis courageux et que je m’en fous, mais en réalité, il y a eu une période pendant ce film où j’ai vraiment cru que j’étais en train de foutre en l’air ma carrière, et ça a été très dur. Pour moi, le doute, l’insécurité, la peur, sont des composantes de la vie, et des moteurs. Le courage, c’est de réussir à persévérer malgré tout. Vous dites souvent que vous ne supportez pas de regarder les films dans lesquels vous jouez. I’m Still Here était le premier de mes films que je regardais depuis peut-être huit ou dix ans. Je regardais un peu les rushes quotidiens pour voir si ça fonctionnait, comment ça évoluait. C’était la première fois que j’arrivais à y voir un intérêt, c’était

bénéfique, ça faisait partie du travail. Puis Paul a insisté pour que je regarde The Master. Je l’ai fait, mais c’était très dur. Pour Inherent Vice, j’ai vu un premier montage, mais je n’ai pas vu la version finale. Pareil, ça a été très dur. Mais l’enthousiasme général concernant vos performances, l’engouement des réalisateurs à vous confier des premiers rôles, tout ça n’a aucune incidence sur vous ? Je ne lis jamais les interviews, ni les critiques. Tout ce que je sais, c’est que j’ai réussi à faire des films que je trouvais intéressants, donc d’une certaine manière, oui, je me dis qu’il doit y avoir quelque chose que les réalisateurs aiment en moi, puisqu’ils veulent travailler avec moi. Mais vraiment, je ne sais pas ce que les gens pensent de moi, et je n’ai pas envie de le savoir.  Inherent Vice de Paul Thomas Anderson avec Joaquin Phoenix, Katherine Waterston... Distribution : Warner Bros. Durée : 2h28 Sortie le 4 mars Retrouvez la critique du film dans le prochain numéro de Trois Couleurs

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Accro à la fumette, le détective Sportello est tout le temps défoncé, ce qui complique quelque peu le cheminement de l’enquête qu’il essaie de mener en suivant les notes ubuesques qu’il a griffonnées dans son calepin. Baba cool, Doc laisse divaguer son apparence autant que son esprit, à tel

point que son collègue Big Foot se plaint de son odeur de « pet au patchouli ». Comme par un effet de miroir, l’intrigue tarabiscotée et l’atmosphère psychédélique du film semblent renvoyer directement à l’esprit embrumé de ce doc sous médocs, incarné par un Joaquin Phoenix haut perché.

Inherent Vice (2014) Film : ..................................................... la fumette Vice : .............................................................................................. et bigoudis Signe distinctif : .rouflaquettes ........................................................................

Doc Sportello (Joaquin Phoenix)

PAR raphaëlle Simon

Dans Inherent Vice (traduit en français par « vice caché »), Doc Sportello a un gros vice, pas franchement caché : la fumette. De fait, les héros de Paul Thomas Anderson, incarnés chaque fois par des acteurs à la présence très forte, sont tous rongés par des pulsions plus ou moins destructrices que le réalisateur, toujours avec une certaine tendresse, observe opérer. Voici leurs fiches signalétiques, que l’on aurait pu retrouver, cornées, au fond de la poche de Doc.

Les héros tourmentés de Paul Thomas Anderson John (John C.Reilly)

mesure que John se remplume et assoit sa réputation dans le milieu, les motivations profondes de Sydney s’obscurcissent… Ce premier film à l’atmosphère poisseuse annonce une obsession récurrente dans le cinéma de Paul Thomas Anderson : la nature ambiguë de toute relation qui lie un mentor à son protégé.

la boule et se prend pour un prophète du sexe. Après l’euphorie des années 1970, les années 1980 seront celles de la désillusion… À travers la trajectoire d’Eddie (et celles des autres personnages de ce film choral), Anderson, moraliste, démontre que plus rapide est la montée, plus violente sera la descente.

Boogie Nights (1997) Film : ..................................................... la pornographie Vice : ............................................................................................ pénis Signe distinctif : .énorme ...................................................................

Eddie alias Dirk Diggler (Mark Wahlberg)

Alors qu’il n’a plus un sou en poche, John (John C. Reilly, que l’on retrouvera en star du porno dans Boogie Nights et en flic sentimental dans Magnolia) rencontre Sydney (Philip Baker Hall), un joueur professionnel, de trente ans son aîné, qui va le prendre sous son aile et lui apprendre les ficelles du métier. À

Double mise (1996) Film : ..................................................... le black jack Vice : .............................................................................................. compulsif Signe distinctif : .parieur .....................................................................

À 16 ans, Eddie (Mark Walhberg, déchaîné, dans l’un de ses premiers rôles) rêve d’être une star. Quand un producteur de films porno, épaté par la taille de son sexe, lui propose de devenir la nouvelle star du X, Eddie saute sur l’occasion. Mais, grisé par le succès et la coke, Dirk Diggler (son pseudo dans le porno) perd

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VICES CACHÉS

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©metropolitan filmexport dr

Inspiré de Ron Hubbard, le fondateur de la scientologie, le personnage du Maître tente de réconcilier ses sujets avec leurs vies antérieures. Sans crier gare, une relation de dépendance mutuelle va le lier à son protégé Freddy. Tout en maîtrise de soi, Philip Seymour Hoffman livre sa cinquième et dernière prestation, magistrale, pour Paul Thomas Anderson avant de disparaître.

The Master (2012) Film : ......................................... la manipulation Vice : ......................................... horde de fidèles Signe distinctif : sa ...........................................

L’interprétation grandiloquente qui a valu l’oscar du meilleur acteur à Daniel Day-Lewis est à la mesure de son personnage démoniaque. Daniel Plainview, jeune travailleur parti de rien, fait fortune dans le pétrole. Avide d’argent et de puissance, ce misanthrope sans foi ni loi est prêt à tout pour étendre son empire, même

à utiliser son fils adoptif muet pour apitoyer ses interlocuteurs. Mais il va se heurter aux convoitises d’un jeune prêtre fanatique et messiani­ que (Paul Dano), tout aussi assoiffé de pouvoir. Plainview finira seul et dément dans son immense manoir, comme une allégorie de la fièvre capitaliste qui ronge l’Amérique.

There Will Be Blood (2007) Film : ..................................................... l’ambition forcenée Vice : ............................................................................... sourire condescendant Signe distinctif : .......................................................

Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis)

Traumatisé par la Se­conde Guerre mondiale, Freddy revient du front Pacifique obsédé par le sexe et l’alcool et complètement asocial. Un soir de beuverie, il rencontre le leader d’un mouvement nommé « la Cause », qui va tenter de le prendre son sous aile. Émacié, tordu, prêt à bondir, Joaquin Phoenix propose une prestation animale pour ce premier rôle chez Anderson.

The Master (2012) Film : ......................................... Vice : l’alcool ......................................... voûtée Signe distinctif : démarche .......................................

gourou super macho qui anime fanatiquement un programme visant à réhabiliter la place de mâle dominant avec pour devise : « Respectez la bite et domptez la chatte ! » Mais, comme souvent, Anderson fait tomber les masques et dévoile la face sensible de son colosse aux pieds d’argile sur le lit de mort de son père.

toilettes, il achète des boîtes de puddings par milliers pour récupérer des bons d’échanges contre des miles qu’il n’utilisera sans doute jamais. Mais derrière son sourire à toute épreuve, Barry est un faux calme, un timide agressif qui saccage les toilettes du restaurant pour s’apaiser lors d’un rendez-vous galant.

Punch Drunk Love. Ivre d’amour (2001) Film : ..................................................... les pétages de plombs impromptus Vice : .............................................................................................. cravate en toutes circonstances Signe distinctif : .costard ........................................................................

Barry (Adam Sandler)

Film choral, Magnolia déploie une galerie de personnages dont les destins se croisent et se décomposent le temps d’une journée catastrophe. Le plus emblématique d’entre eux est sans doute Frank Mackey, incarné par un Tom Cruise magistral qui, abandonné par son égoïste de père, s’est fabriqué un personnage de

Magnolia (1999) Film : ..................................................... le machisme Vice : .............................................................................................. de cuir Signe distinctif : .tenue ........................................................................

Franck (Tom Cruise)

Adam Sandler (parfait en grand dadais bipolaire et lunaire) campe un personnage très singulier dans le cinéma d’Anderson : déjà parce qu’il est le seul à ce jour à figurer dans une comédie romantique, et ensuite parce qu’il est particulièrement barré. Barry a sept sœurs, il dirige une entreprise de déboucheurs pour

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Freddy Quell (Joaquin Phoenix) Le Maître (Philip Seymour Hoffman)

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ÉRIC

RONDEPIERRE PAR TIMÉ ZOPPÉ

découverte, le plasticien et écrivain, né en 1950, a fait feu de tout bois : une formation d’arts plastiques et d’esthétique à l’université, du dessin et de la gravure aux Beaux-Arts, ou encore une thèse sur Marguerite Duras. Il gagnait sa vie comme comédien au théâtre et peignait des toiles dans sa cave à ses heures perdues. « On peut trouver des relations avec ma première série, puisque je peignais dans le noir. Au théâtre, j’ai aussi beaucoup travaillé sur la décomposition du temps dans mon corps. » Depuis, il a arrêté tout le reste et s’est concentré sur la dissection de la pellicule, ce qui a abouti à de multiples séries sur des photogrammes étonnants qu’il a exhumés de divers fonds d’archives à travers le monde. Pour Trois Couleurs, il revient sur son œuvre obsessionnelle, entre poésie mystique et témoignage concret des évolutions des techniques cinématographiques, qu’il a su décliner à l’infini. « Images Secondes », jusqu’au 5 avril à la Maison européenne de la photographie et jusqu’au 1 er mars à la Maison d’art Bernard Anthonioz (Nogent-sur-Marne) À lire : Images Secondes d’Éric Rondepierre (Loco) Disponible

© éric rondepierre

uand, dans les années 1980, il achète un magnétoscope, Éric Rondepierre est d’emblée fasciné par la touche « arrêt sur image », une innovation technique qui marque le point de départ de son œuvre à venir. « Ça m’a permis de “ feuilleter” les longs métrages, explique-t-il. C’est quelque chose que l’on ne connaissait pas avant, les critiques et les historiens de cinéma devaient se fier à leur mémoire. » En expérimentant cet outil, il fait des trouvailles amusantes, comme dans Le Voyeur de Michael Powell (1960). Dans une scène, le héros projette l’un de ses films à une amie. Il lui demande « J’éteins ? », elle lui répond « Non », mais, avec le léger décalage du sous-titre, l’écran est déjà noir quand on fige l’image à cet instant précis. La première série de l’artiste, « Excédents », en 1993, ne se compose d’ailleurs que d’écrans noirs avec des sous-titres que ce procédé d’isolation rend comiques. Éric Rondepierre a ainsi trouvé une nouvelle manière de regarder les films, en s’en approchant au plus près. Avant cette

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w1930a série « précis de décomposition. scènes », 1993-1995

© éric rondepierre

« On peut y voir une exhalaison de l’âme qui s’en irait, ou une espèce de hiéroglyphe étrange. Ça fait beaucoup penser aux photographies spirites [représentations photographiques de phénomènes occultes, ndlr] de la fin du xixe siècle, que je ne connaissais pas quand j’ai trouvé ce photogramme. Ce qui m’intéressait, c’était l’effacement des visages. Ça introduit quelque chose d’imprévu. C’est comme si le temps jouait avec l’image pour la transformer. Le support intervient dans l’économie narrative et figurative de l’image. »

r413a série « précis de décomposition. scènes », 1993-1995 « J’ai trouvé cette image à la George Eastman House de Rochester, dans l’État de New York. J’avais une bourse pour effectuer des recherches dans des fonds d’archives américains. Je cherchais des bandes-annonces, mais il y en avait très peu, j’ai ramé pendant des mois. Un jour, un employé m’a dit : “J’ai trouvé ça, c’est vraiment des vieux films… En plus, ils sont abîmés.” Le nitrate, qu’on utilisait avant la Seconde Guerre mondiale, détériore la pellicule avec le temps. C’est pour ça que 85 % des films muets ont disparu. »

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convulsion série « moires », 1996-1998 « J’ai trouvé ce photogramme à Montréal. Un centre d’archive venait de recevoir un stock d’images pornographiques, on m’avait dit que ce serait pratique parce qu’il n’y avait pas de problèmes de droits, les noms crédités au générique étant des pseudonymes. On voit que la détérioration n’atteint pas encore le support, ce n’est que l’image. Après, ça devient vraiment du caramel, une matière collante et liquide. »

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livre n° 8 série « loupe/dormeurs », 1999-2002 « À partir de cette série, il y a une rupture : j’interviens dans les photos. Sur celle-ci, c’est moi, en train de travailler, en Grèce. Chaque photo de “Loupe/Dormeurs” est un livre, le texte vient en quelque sorte pixelliser l’image. C’est l’intégralité de la première version de mon roman, paru en 2005 au Seuil sous le titre La Nuit cinéma, et qui parle des photos elles-mêmes. Le texte est lisible quand on s’approche de l’image, mais quand je l’exposais dans des foires, personne ne le remarquait ! »

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champs-élysées série « seuils », 2009 « Normalement, dans cette série, j’amalgame un vieux photogramme avec une photo contemporaine. Ici, il y a une image que j’ai prise aux Champs-Élysées de nos jours, et deux autres du même endroit dans les années 1940, tirées du même film à deux instants différents. C’est comme si la femme “assistait à elle-même”. Je ne pensais pas faire ça du tout, certaines images vous surprennent. J’aime bien l’idée d’être un spectateur qui “assiste à lui-même”, comme si on “conduisait” un rêve. »

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dsl n° 4 série « dsl », 2011 « Maintenant, je vois les films à la DSL [la ligne d’accès numérique qui permet la connexion à Internet, ndlr], je ne vais plus au cinéma. Je crois que j’ai commencé à capturer des images en regardant Baisers Volés de François Truffaut, parce qu’il devait y avoir des problèmes de connexion ce soir-là. C’est une série d’aspect assez picturale. Dorénavant, je capture les images sur l’ordinateur en tapant «  3 » sur mon clavier, je ne fais plus de prises de vue. »

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les F I L M S du 4 au 25 février JUPITER. LE DESTIN DE L’UNIVERS

L’ambition narrative des Wachowski ne semble pas connaître de limites p. 59

UNE HISTOIRE AMÉRICAINE

À New York, le portrait drôle et désespéré d’un amoureux éconduit p. 61

LES MERVEILLES

Ce long métrage sensible se penche sur une famille d’apiculteurs p. 64

It Follows

D

Le deuxième long métrage de l’Américain David Robert Mitchell fait honneur à deux genres, le film d’horreur et le teen movie, et sonde ce difficile moment de la vie durant lequel l’innocence laisse place à un gouffre d’angoisses. PAR TIMÉ ZOPPÉ

ans une banlieue américaine paisible, une jeune fille en nuisette et talons hauts surgit en panique d’une maison. Elle scrute les alentours d’un regard fou. Rien à l’horizon, à part une voisine qui lui propose son aide sans comprendre. L’ado la rassure, mais se rue malgré tout vers sa voiture pour échapper à la mystérieuse menace qui pourtant la rattrapera. Sous ses faux airs de parodie de film d’horreur, la séquence d’introduction d’It Follows impressionne par son dépouillement. Elle ne repose en effet que sur la peur pourtant éculée du monstre invisible et sur la mise en scène d’une grande beauté graphique de David Robert Mitchell. La bonne idée du long métrage arrive plus tard, quand cette terreur enfantine se mêle à un danger qui préoccupe une autre tranche d’âge, la transmission des MST à l’adolescence. Jay, 19 ans, décide de franchir le pas avec son petit ami. Bien mal lui en a pris… Après l’amour, le traître l’attache et lui annonce qu’elle vient de changer de vie. À partir de là, une « chose » visible d’elle seule la pourchassera inlassablement pour la tuer. Un seul moyen pour s’en débarrasser : coucher avec quelqu’un et s’assurer que la victime reste en vie. Comme dans la bande dessinée

américaine Black Hole de Charles Burns, dont l’esthétique infuse le film, la jeunesse subit les funestes conséquences de l’assouvissement de ses désirs. Mais le film emprunte aussi au classique de Burns son refus de tout jugement moral : les expériences sexuelles des ados ne sont pas condamnées, mais seulement prises comme un acte charnière. En 2010, avec son premier film, The Myth of the American Sleepover, Mitchell explorait avec la même mélancolie inquiétante les sentiments confus qui guettent les jeunes gens au tournant de l’âge adulte. Dans It Follows, Jay a à peine entamé sa vie sexuelle qu’elle regrette déjà son enfance, puis redoute subitement la vieillesse : la « chose » lui apparaît pour la première fois comme une femme nue au corps défraîchi, alors qu’elle-même est prisonnière d’une chaise roulante. Ni le mouvement permanent de sa fuite, ni le soutien dévoué de la bande d’amis qui l’accompagne ne semblent suffire à la dépêtrer de la malédiction. Comme si être adulte, ce n’était pas tant se débarrasser de ses démons que parvenir à vivre en les traînant partout avec soi. de David Robert Mitchell avec Maika Monroe, Keir Gilchrist… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h40 Sortie le 4 février

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> KERTU

Kertu vit dans un village en Estonie. À 30 ans, elle est encore innocente et dépendante de son père, une situation qui devient problématique quand elle rencontre Villu, un homme alcoolique… Ilmar Raag (Une Estonienne à Paris) signe un joli conte romantique. de Ilmar Raag (1h38) Distribution : TS Productions Sortie le 4 février

Papa ou Maman Avec un humour vachard réjouissant, Papa ou Maman dynamite la sacro-sainte famille parfaite et réveille la comédie française. Génial ! mes parents rejouent La Guerre des Rose. PAR RENAN CROS

En compétition au dernier festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez, Papa ou Maman est reparti auréolé du Prix du public. Il faut dire que la comédie de Martin Bourboulon produit un effet euphorisant persistant. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu dans le paysage français une comédie aussi gonflée. Naviguant hors des sentiers rebattus de la comédie sociologique, cette histoire de divorce cauchemardesque tient plus de la farce qu’autre chose. Florence (Marina Foïs, lire aussi page 34) et Vincent (Laurent Lafitte) sont des quadragénaires parfaits . Belle situation, belle maison, beaux enfants, tout va bien. Ils ne s’aiment plus, mais ce n’est pas le problème. Le divorce devrait être simple. Mais qui va garder les enfants ? Ou, plutôt, qui va devoir incarner la fonction de « parent » pendant que l’autre retrouve sa liberté ? De ce

dilemme gentiment amoral, le film tire une comédie régressive outrancière et acerbe. La lutte acharnée que les deux ex-époux se livrent pour se faire désaimer de leurs enfants trop gâtés ne s’autorise aucune limite. Burlesque, méchante et avec un mauvais esprit assez salvateur, cette comédie s’octroie surtout le droit de n’avoir rien à dire. Une farce, une vraie, qui, à l’instar de Cinquante nuances de Grey, raconte l’histoire d’un couple qui ne s’aime jamais aussi bien que lorsqu’il se fait du mal. On ne pouvait pas trouver meilleurs interprètes pour jouer ces parents déglingués que les génialement borderline Laurent Lafitte et Marina Foïs. Leur prestation déchaînée vaut à elle seule le détour. de Martin Bourboulon avec Marina Foïs, Laurent Lafitte… Distribution : Pathé Durée : 1h25 Sortie le 4 février

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> LA NUIT AU MUSÉE. LE SECRET DES PHARAONS

Dans ce troisième volet, Larry (Ben Stiller) et ses amis se rendent au British Museum afin de sauver la tablette d’Ahkmenrah qui permet aux statues de prendre vie… Une aventure familiale divertissante qui offre à Robin Williams, parfait en Roosevelt, son dernier rôle. de Shawn Levy (1h37) Distribution : 20th Century Fox Sortie le 4 février

> KADDISH POUR UN AMI

Ali, un Palestinien de 14 ans, s’est réfugié à Berlin avec sa famille. Bizuté par les jeunes du quartier, il est forcé de saccager l’appartement de son vieux voisin juif. Il est alors menacé d’expulsion… Léo Khashin met en scène un premier film émouvant sur le pardon. de Léo Khashin (1h35) Distribution : Septième Factory Sortie le 4 février


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Félix et Meira PAR RAPHAËLLE SIMON

Félix mène une vie dissolue en dilapidant l’héritage familial. Femme au foyer issue de la communauté juive hassidique, Meira s’ennuie dans son quotidien austère régi par les contraintes. Leur rencontre va leur ouvrir des horizons inconnus et salvateurs… Si le propos est parfois appuyé, le Canadien Maxime Giroux fait retentir cette histoire d’amour impossible avec douceur et pudeur, enveloppant cette jolie romance dans une atmosphère très poétique. de Maxime Giroux avec Martin Dubreuil, Hadas Yaron… Distribution : Urban Durée : 1h45 Sortie le 4 février

Pitchipoï PAR JULIETTE REITZER

Frank PAR HENDY BICAISE

Frank n’est pas le héros de Frank. Le héros, c’est Jon, un apprenti musicien qui se retrouve par hasard claviériste pour un groupe complètement siphonné. En plus de porter un nom qu’eux-mêmes ne savent pas prononcer, les Soronprfbs se distinguent par un rock fait de bric et de broc, à tel point que même leur chanteur est en papier mâché. Sa tête du moins, car Frank a cette particularité de porter en permanence, autrement dit même sous la douche, une fausse tête géante par-dessus la sienne. Une maladie l’y contraint, dit-il, mais on y voit surtout un moyen de se cacher… ce qui n’est pourtant pas évident. Le réalisateur Lenny Abrahamson n’adopte pas le point

de vue de ce personnage, pourtant fascinant, mais celui de Jon. Ce grand nigaud a tendance à saper la créativité de ses camarades plutôt que de la transcender. En le plaçant du côté de Jon, Abrahamson invite le spectateur à garder les oreilles et l’esprit ouverts, à comparer les propositions musicales et à s’interroger sur les notions d’artiste et d’inspiration. Il sera récompensé par une séquence finale bouleversante dans laquelle Michael Fassbender – car Frank, c’est lui – rappelle à quel point il est un acteur précieux... et polymorphe.

Galvanisé par l’amertume et le chagrin consécutif au décès de son père, survivant des camps d’extermination, un comédien de stand-up fait en plein spectacle une déclaration ambivalente sur Israël dont les répercussions le précipitent jusqu’en Pologne dans une aventure pleine de troublantes rencontres… La mise en scène de Charles Najman travaille au corps son héros meurtri en même temps qu’elle questionne l’identité juive avec acharnement.

de Lenny Abrahamson avec Domhnall Gleeson, Maggie Gyllenhaal… Distribution : KMBO Durée : 1h35 Sortie le 4 février

de Charles Najman avec Xavier Gallais, Laurent Lacotte… Distribution : Sedna Films Durée : 1h40 Sortie le 4 février

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Amour Fou Jessica Hausner prend le double suicide de l’écrivain allemand Heinrich von Kleist et de son amie Henriette Vogel comme prétexte pour sonder les fondements de l’amour avec un film dans lequel l’ironie vient chahuter l’austérité ambiante. PAR RAPHAËLLE SIMON

© stefan olah

«Voulez-vous mourir avec moi ? Vous me feriez un très grand plaisir. » Avant de se donner la mort à Berlin en 1811, l’auteur de Michael Kohlhaas et de La Marquise d’O… a fait plusieurs demandes de suicide. C’est finalement Henriette Vogel, une mère de famille admirative de son travail, qui, après qu’on lui a diagnostiqué une maladie mortelle, acceptera de le suivre dans ses noces funèbres. Après Lourdes, dans lequel elle montrait comment une guérison miraculeuse pouvait susciter autant de ressentiment que de joie, la réalisatrice autrichienne traque de nouveau les faux-­semblants et les illusions dans cet Amour Fou duquel aucun cheveu ne dépasse. Fixe, tiré au cordeau, magnifiquement composé, chaque plan du film ressemble à une peinture : « Je voulais que les images évoquent des portraits de famille, pour suggérer que les personnages sont coincés dans le carcan

3 QUESTIONS À JESSICA HAUSNER Qu’est ce qui vous intéressait dans cette histoire de double suicide amoureux ?

J’aimais bien la bizarrerie de la démarche de Kleist, qui a proposé à plusieurs personnes de se suicider avec lui. Le romantisme de l’idée est contredit par le fait que le partenaire soit interchangeable. Le film souligne la dimension illusoire de l’amour, qui n’est que la projection de nos fantasmes.

imposé par la société. » Englués dans le conservatisme et la bienséance d’une Prusse qui guette avec effroi la contagion des idées révolutionnaires françaises, Henriette et Heinrich aspirent à autre chose : elle, dans sa routine bourgeoise de femme au foyer, rêve de passion romanesque ; lui, avec son physique cabossé et son élocution compliquée, se sent inadapté et veut trouver dans la mort l’amour qu’il ne trouve pas dans la vie. Mais leur rêve fiévreux d’amour éternel n’est-il pas le plus absurde des leurres ? C’est ce que semble suggérer l’épilogue, cruellement sarcastique, d’Amour fou, qui confère au titre (en français) sa dimension tout ironique. de Jessica Hausner avec Birte Schnoeink, Christian Friedel… Distribution : Jour2fête Durée : 1h36 Sortie le 4 février

PROPOS RECUEILLIS PAR R. S.

Dans l’austérité générale, le film contient des éléments comiques, absurdes, ironiques.

Je suis contente que vous l’ayez perçu ! Dans tous mes films, l’humour m’aide à parler de sujets existentiels. Je suis frappée par le ridicule et l’arbitraire de l’existence humaine, et j’aime montrer le non-sens qu’il y a à vouloir faire quelque chose de grandiose, car finalement tout est vain.

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Comment avez-vous composé vos plans, tous fixes, rigoureux et très picturaux ?

Je me suis inspirée des peintures de la renaissance flamande, des tableaux avec une perspective centrale, une composition structurée et géométrique, des couleurs très fortes. Cela renvoyait bien à l’idée que je voulais donner de personnages coincés dans les images.


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Les Jours d’avant PAR CHLOÉ BEAUMONT

Djaber et Yamina vivent dans une cité du sud d’Alger. Freinés par les barrières sociales, les deux lycéens ne se connaissent que de vue. Mais l’irruption de la violence va bouleverser leur existence… Ce portrait subtil d’une jeunesse désenchantée illustre une époque, la « décennie noire », durant laquelle l’espoir est effacé par un terrorisme devenu banal. de Karim Moussaoui avec Mehdi Ramdani, Souhila Mallem… Distribution : Damned Durée : 47min Sortie le 4 février

Two Years at Sea

Les Moomins sur la Riviera PAR C. B.

PAR PAMELA PIANEZZA

Ben Rivers est un artiste qui utilise le cinéma comme médium. À moins qu’il ne soit un cinéaste au cerveau artistique surdéveloppé. Quoi qu’il en soit, le Britannique navigue avec malice entre cinémas et galeries d’art, développant une œuvre protéiforme à laquelle le festival international du film de Karlovy Vary, en République tchèque, a rendu hommage lors d’une rétrospective l’été dernier. Soit une vingtaine de courts métrages dévoilant le fantasme contagieux d’une solitude rêveuse et d’une liberté totale, loin de toute civilisation (Ah, Liberty!, This Is my Land…). Obsessions que l’on retrouve dans son premier long métrage, Two Years at Sea, portrait impressionniste d’un Henry Thoreau moderne exilé

dans une forêt de l’Aberdeenshire, en Écosse. Tourné en 16 mm dans un noir et blanc granuleux envoûtant, le film dévoile de manière étonnamment hypnotique le quotidien de cet homme des bois devenu un as du recyclage. Rivers capture avec la même intensité petits détails et grands espaces. Le processus est minimaliste – une seule caméra, un seul visage, aucun commentaire – et partiellement documentaire, puisque le réalisateur pratique la reconstitution, considérant son protagoniste comme un acteur à diriger, même dans son propre rôle. Un sublime poème filmé.

Les Moomins décident de prendre quelques jours de vacances sur la Côte d’Azur. Ils sont alors confrontés à un monde inconnu et bien trop luxueux pour eux… Cette nouvelle adaptation des comic strips mondialement connus de la Finlandaise Tove Jansson se moque gentiment de la superficialité et de l’hypocrisie des gens riches pour transmettre un message de tolérance bien vu.

de Ben Rivers Documentaire Distribution : Norte Durée : 1h28 Sortie le 4 février

de Xavier Picard Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 1h17 Sortie le 4 février

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Jupiter

Le destin de l’univers L’ambition narrative et visuelle d’Andy et Lana Wachowski ne semble pas connaître de limites : à la croisée du conte de fées métaphysique et du manifeste politique, leur nouveau film explore le destin de l’univers – tout simplement. PAR JULIETTE REITZER

Les scènes de baston ralenties de Matrix, les accélérations psychédéliques de Speed Racer, les acteurs grimés de Cloud Atlas, incarnant chacun jusqu’à six rôles différents : la mise en scène des Wachowski n’a jamais craint l’emphase, quitte à frôler, parfois, la parodie. Ce goût pour la démesure a quelque chose d’enfantin, une candeur mêlée d’excitation qui infuse tous leurs films, et Jupiter. Le destin de l’univers, avec son intrigue bigger than life, n’y fait pas exception. Fille de parents immigrés aux ÉtatsUnis, Jupiter (Mila Kunis) gagne sa vie en récurant des toilettes. Son destin change brusquement lorsque Caine (Channing Tatum), un ancien chasseur militaire de l’espace génétiquement modifié, débarque sur Terre pour la retrouver, et la protéger. Car l’empreinte génétique de Jupiter la désigne comme l’héritière d’un véritable pactole que ses actuels propriétaires, issus de la dynastie la plus puissante de l’univers, comptent bien conserver : la planète Terre. Comme Jupiter, le spectateur embarque dès lors pour une spectaculaire tournée des grands-ducs intergalactique. Affrontement du bien et du mal, gigantisme des décors et opulence pailletée des costumes, lyrisme très fleur bleue des scènes de romance entre Jupiter et Caine : les Wachowski creusent ici sans

vergogne la veine du conte de fées, à tel point que l’on se croirait parfois devant une production Disney. Cela signe aussi la limite du film : les personnages principaux, par exemple, sont enfermés dans des archétypes. Elle, Cendrillon moderne, jeune fille pauvre promue reine, s’accomplit finalement vraiment en trouvant l’amour. Lui, bloc de virilité tout en muscle et en sueur, est une âme solitaire qui n’a peur de rien. Mais comme dans Matrix (les humains tenus dans l’ignorance de la Matrice) ou dans Cloud Atlas (le clone Sonmi-451 et ses semblables, esclaves du consumérisme), l’enjeu idéologique de Jupiter… est ailleurs. Dans son périple, la jeune héroïne découvre en effet un vaste système d’exploitation de l’homme par l’homme, à l’échelle du cosmos tout entier, contre lequel elle va s’insurger. C’est cette naissance d’une conscience profondément anticapitaliste qui continue d’intéresser les Wachowski. À l’image du jeune pilote de Speed Racer qui, en comprenant les malversations du patron d’écurie qui souhaitait l’acheter, s’écriait : « Vous êtes le diable ! » de Lana et Andy Wachowski avec Mila Kunis, Channing Tatum… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h05 Sortie le 4 février

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> CINQUANTE NUANCES DE GREY

Les Nouveaux Héros PAR QUENTIN GROSSET

Hiro, un ado surdoué, préfère s’adonner à des combats entre robots plutôt que de mettre ses capacités au profit de la science. Mais lorsqu’il perd son frère, sa vie prend une nouvelle direction. À l’aide d’un clan de scientifiques super-héros et de Baymax, un robot infirmier très attachant, il va débarrasser la ville de la menace

que représente Yokai, un « roboticien » ivre de vengeance. Avec une galerie de personnages hauts en couleurs, ce Avengers à la sauce Disney rend un vibrant hommage à la culture geek.

Adaptation du best-seller d’E. L. James (2012) racontant la romance sadomasochiste entre l’étudiante en littérature Anastasia Steele et l’homme d’affaires Christian Grey, ce film explosait les records de préventes de tickets un mois avant sa sortie aux États-Unis. de Sam Taylor-Jonhson (2h05) Distribution : Universal Pictures Sortie le 11 février

de Don Hall et Chris Williams Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h42 Sortie le 11 février

> AFRICAINE

Jadis persécutée par sa sœur aînée, Géraldine la retrouve chez ses parents installés au Sénégal. Elle utilise alors la magie locale pour se venger… Cette querelle familiale à l’atmosphère angoissante donne lieu à un drame réussi sur le passage à l’âge adulte. de Stéphanie Girerd (1h37) Distribution : Hévadis Films Sortie le 11 février

Loin de mon père PAR CLÉMENTINE GALLOT

La cinéaste israélienne Keren Yedaya a le goût du risque : après Mon trésor et Jaffa, elle signe avec Loin de mon père une chronique troublante de l’inceste ordinaire vue par les yeux d’une jeune femme, Tami (Maayan Turjeman), qui vivote cloîtrée chez son père (la star Tzahi Grad). À Cannes, où le film était présenté dans la

sélection Un certain regard, la réalisatrice insistait : « Quand on traite de l’inceste, on ne se met jamais à la place des victimes. Il faut les comprendre, que leur voix soit entendue. » de Keren Yedaya avec Maayan Turjeman, Tzahi Grad… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h40 Sortie le 25 février

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> L’ENQUÊTE

Retour sur l’affaire Clearstream à travers le point de vue de celui qui l’a révélée : le journaliste Denis Robert. Emmenée par un Gilles Lellouche étonnant, cette quête de vérité impossible a le mérite de jeter la lumière sur une affaire opaque. de Vincent Garenq (1h46) Distribution : Mars Films Sortie le 11 février


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Une histoire américaine Dans Une histoire américaine, Armel Hostiou livre le portrait drôle et désespéré d’un amoureux éconduit (incarné par Vincent Macaigne) dans un beau film d’errance en plein New York. PAR QUENTIN GROSSET

© olivier kervern

Vincent s’entête. Son ex a beau avoir quitté la France, trouvé un autre homme et refait sa vie aux ÉtatsUnis, il n’en démord pas : il pense pouvoir la récupérer. Le voilà donc, lunettes noires et gueule en sang, ivre dans les bars de nuit du New York interlope… Comme dans Tonnerre de Guillaume Brac, Vincent Macaigne inscrit son personnage dans un romantisme noir et une maladresse attachante. Avec une grande aisance, l’acteur compose souvent en improvisant dans un environnement qu’il ne connaît guère, en témoigne cette séquence au cours de laquelle Vincent montre la photo de son ex à un passager du métro, tournée le jour même de l’arrivée de l’équipe de tournage à New York avec des comédiens non professionnels dégotés sur place. Ce récit mélancolique d’une descente aux enfers est tempéré par la

grande disposition burlesque de l’acteur, mais aussi par quelques échappées rafraîchissantes. Au milieu du film, une brune fantasque aux cheveux courts fait irruption dans la vie de Vincent et tente de l’apaiser. Mais ce héros aux plaies ouvertes ne choisira jamais la voie de la cicatrisation, et la jeune fille sera dès lors évincée de l’intrigue. La tonalité dépressive l’emportera donc sur les aspects les plus légers du scénario. Déambulant dans un pays qui n’est pas le sien, la désorientation dans laquelle se plonge le protagoniste évoque aussi parfois le spleen propre aux personnages des meilleurs films de Jim Jarmusch. d’Armel Hostiou avec Vincent Macaigne, Kate Moran… Distribution : UFO Durée : 1h25 Sortie le 11 février

3 QUESTIONS À ARMEL HOSTIOU PROPOS RECUEILLIS PAR Q. G. Quel était votre rapport à la ville de New York avant de réaliser ce film ?

J’ai découvert New York avant même de découvrir Paris. J’étais pétri d’images de cinéma, également. Cette ville prend et donne de l’énergie. Le rapport de l’étranger à la grande ville m’intéresse, et c’était le décor parfait pour développer cette idée, car c’est un lieu de passage, avec une forte immigration.

Quelle était la part laissée à l’improvisation sur le tournage ?

Toute l’équipe de tournage vivait au même endroit, donc quasiment tout ce que l’on partageait pouvait potentiellement devenir le film. Notre situation, celles de Français un peu perdus à New York, n’était finalement pas si éloignée de celle du personnage joué par Vincent dans le film.

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Comment vous est venue l’idée de le faire échouer dans une poissonnerie ? Vincent débarque en dilettante. J’avais envie qu’il finisse par faire partie de la ville grâce à ce travail physique qui l’empêche de réfléchir. Ça ne me paraissait pas saugrenu qu’un Français perdu sentimentalement travaille dans un tel lieu. D’ailleurs, cette poissonnerie était tenue par des Bretons.


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Spartacus & Cassandra PAR Hendy Bicaise

Spartacus et Cassandra, préadolescents roms vivant en France, doivent faire un choix crucial : continuer à vivre avec leurs parents dans une grande instabilité ou bien les quitter pour une famille d’accueil… Ioanis Nuguet les filme en suspens, accrochés à des branches et à des lianes ou en équilibre sur un toit ou sur un trapèze. Ils ne touchent plus terre. De quoi s’interroger : le sol français est-il si accueillant ? d’Ioanis Nuguet Documentaire Distribution : Nour Films Durée : 1h20 Sortie le 11 février

Casting sauvage PAR T. Z.

Mon Fils PAR TIMÉ ZOPPÉ

Le réalisateur israélien Eran Riklis (La Fiancée syrienne, Les Citronniers) se penche sur l’épineuse question de la cohabitation entre Arabes et Juifs au sein du territoire israélien. Iyad est né dans une ville arabe en Israël. Grâce à ses prédispositions en maths, il devient, à 16 ans, le premier Arabe à intégrer le meilleur lycée juif de Jérusalem. Victime d’un racisme ambiant mais diffus, il refuse, pour sa part, de céder aux préjugés. Il entame une relation secrète avec l’une de ses camarades de classe et se lie d’amitié avec un garçon juif de son âge isolé en raison d’une maladie le paralysant progressivement… Mon Fils tire sa force des discrètes ellipses qui

structurent son récit. Comme dans la vie, le temps coule sur les êtres et les relations en les modifiant subtilement, sans provoquer de coups de théâtre fracassants. Pourtant, malgré les années et les efforts, Iyad ne cesse d’être rattrapé par ses origines… Comme lui, l’écrivain Sayed Kashua, qui a cosigné le scénario en adaptant deux de ses romans, est un Arabe israélien. Il s’est exilé aux ÉtatsUnis en 2014, déclarant à la presse avoir compris que ses écrits ne changeraient pas le regard des citoyens israéliens juifs sur leurs compatriotes arabes.

Le processus de casting d’un film sert ici de matériau pour créer une forme hybride, entre documentaire et fiction. On suit, de manière chronologique, l’histoire d’un jeune homme qui se lance sur les traces de son père qu’il croyait mort, chaque personnage étant incarné par plusieurs comédiens, le tout dans un décor unique avec des interruptions des hommes dirigeant le casting… Une farce cruelle sur la condition d’acteur.

d’Eran Riklis avec Tawfeek Barhom, Yaël Abecassis… Distribution : Pyramide Durée : 1h44 Sortie le 11 février

de Galaad Hemsi Documentaire Distribution : Commune Image Média Durée : 1h15 Sortie le 11 février

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Les Merveilles Alice Rohrwacher effectue une belle entrée dans la cour des grands avec ce long métrage sensible – lauréat du Grand prix au dernier Festival de Cannes – qui se penche sur une famille d’apiculteurs, en lutte avec elle-même et avec les ramifications infinies de la mondialisation. PAR LOUIS BLANCHOT

C’est par une introduction mystérieuse et nocturne, rendue seulement perceptible par quelques phares de voitures, que l’on entre dans Les Merveilles. Une nuée d’hommes envahit un champ et fanfaronne, réveillant une fratrie de petites filles qui, non loin de là, dormait paisiblement, entre les murs d’une ferme délabrée reconvertie en petite entreprise de miel artisanal. Mais à peine ont-elles le temps de se rendre compte qu’à l’extérieur la menace n’était qu’apparente (une bande de chasseurs ivres et bruyants), et les voilà qui sont obligées de négocier avec la colère d’un autre monstre (leur père) éructant sa mauvaise humeur en slip kangourou. Toute la tension à l’œuvre dans Les Merveilles est idéalement contenue dans cette introduction, laquelle nous précipite au chevet d’une famille sur le fil du rasoir, menacée de l’intérieur comme de l’extérieur. Tout le film ne connaîtra pas cette limpidité flottante, en s’employant parfois abusivement à multiplier les illustrations de sa problématique. Entre la menace d’éviction par l’inspection de l’hygiène, le désir de fuite de la plus grande des filles et l’accueil d’un jeune délinquant, le scénario ne ménage pas ses efforts pour varier les angles et les tons. Et pourtant, jamais la mise en scène ne paraît aux abois, grâce à une gestion parfaite de sa

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galerie de personnages. Noué autour de la relation tumultueuse entre une adolescente prête à larguer les amarres et un patriarche aimant mais bourru (Sam Louwyck, sidérant en chef de meute protégeant sa progéniture au point de la tenir captive), le récit élargit son programme avec l’irruption d’une émission télévisée suspecte – Le Village des merveilles, un concours consacré aux délices vernaculaires de la région de l’Ombrie – présentée par une Monica Bellucci idéale en diva brumeuse, moitié fée, moitié gorgone. Une émission à laquelle participe notre famille courage, et qui achève d’inscrire sa trajectoire comme métonymie d’un village à l’agonie où la perpétuation du folklore local apparaît comme un moyen de survie dérisoire face à l’entreprise de mort diffuse de la mondialisation. Au-delà de l’émouvant portait de famille, la réalisatrice dresse donc un constat à la fois subtil et sans appel sur la région de son enfance — une région qui meurt d’isolement et qui, pour survivre, ne semble avoir d’autre choix que de s’isoler toujours plus. d’Alice Rohrwacher avec Maria Alexandra Lungu, Sam Louwyck… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h50 Sortie le 11 février

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Réalité PAR LOUIS BLANCHOT

Pétaradant et roboratif, le précédent film de Quentin Dupieux, Wrong Cops, s’amusait d’un canevas de pulp que le réalisateur diffractait au rythme des beats déchiquetés de Mr. Oizo, son alter ego musicien. Plus sobre mais toujours aussi haut perché, Réalité s’abandonne lui à la ritournelle, aérienne et lancinante, du Music with Changing Parts de Philip Glass, déversée en continu sous l’eau dormante d’un récit se présentant à nouveau comme une ronde d’anecdotes bizarroïdes qui se frôlent sans manquer de s’adresser un regard circonspect. Soit une petite fille dégotant une VHS dans les entrailles d’un sanglier, un présentateur télé somatisant une crise d’urticaire, un apprenti cinéaste à la recherche du gémissement

de douleur parfait pour sa série Z. D’abord rivé à l’étrangeté devenue coutumière du cinéaste, le film émerge de sa coquille à mesure qu’il s’enfonce dans sa propre folie. Le carrousel d’hurluberlus cesse alors de tourner en vain pour amalgamer ses arabesques tourmentées en un même cauchemar diurne. Imperceptiblement,

le maelström ubuesque déploie sa ligne claire, recomposant le puzzle d’une psyché aux abois dans un alliage impeccable d’angoisse et de sérénité.  de Quentin Dupieux avec Alain Chabat, Jonathan Lambert… Distribution : Diaphana Durée : 1h27 Sortie le 18 février

Kingsman. Services Secrets PAR Raphaëlle Simon

Habitué des f ilms de super-­ héros (Kick Ass, X-Men. Le commencement), Matthew Vaughn revisite cette fois le film d’espionnage, assurant la relève de James Bond dans une comédie explosive et déjantée. Espion pour la très élitiste agence de services secrets Kingsman, Harry

Hart (Colin Firth) doit recruter un nouveau membre. Son chemin le conduit à Eggsy (le novice Taron Egerton), un jeune Londonien paumé mais téméraire à qui il fait subir un entraînement de choc. Ensemble, ils vont devoir déjouer le programme de dépeuplement massif mis en place par

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le geek machiavélique Richmond Valentine (Samuel L. Jackson, hilarant avec son cheveu sur la langue). Plus que de fond (l’int rig ue est assez simple, tout comme la dimension psychologique des personnages), tout est affaire de forme avec Kingsman : sous la panoplie d’accessoires d’espionnage et au rythme des bagar res chorégraphiées à la Tarantino, la mise en scène très bien empaquetée détonne – il faut voir Gazelle, l’assistante acrobate dotée de jambes artificielles de Valentine, manier ses prothèses comme des couteaux pour découper ses victimes en makis. Tantôt parodie, tantôt comédie pincesans-­r ire, Kingsman vient dynamiter le film d’espionnage avec son humour so british.  de Matthew Vaughn avec Colin Firth, Samuel L. Jackson… Distribution : 20th Century Fox Durée : 2h09 Sortie le 18 février


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Vincent n’a pas d’écailles Le premier long métrage de Thomas Salvador est un film de super-héros à la française dans lequel Vincent devient fort lorsqu’il entre en contact avec l’eau : une ode minimaliste à la souplesse, un art de la fuite. PAR LAURA TUILLIER

Déjà acteur de ses courts métrages (Petits Pas, De Sortie…), Thomas Salvador poursuit avec Vincent n’a pas d’écailles son inscription au centre du cadre. Acrobate et alpiniste dans la vraie vie, il choisit ici de se confronter à l’élément aquatique : Vincent, raide et gauche à l’air libre, trouve dans l’eau une souplesse insoupçonnée, le moyen de s’affirmer et de progresser. Son superpouvoir est d’abord un secret, qu’il tente de préserver en se cachant dans les gorges du Verdon où rivières et lacs lui permettent de s’épanouir sans être vu et sans endosser la responsabilité qui incombe au super-héros traditionnel. Sa transformation, travaillée sans effets spéciaux numériques (ou presque), s’incarne à l’écran en jouant sur les propriétés plastiques de l’eau et le corps de l’acteur. Ce corps, Thomas Salvador va le contraindre d’abord au désir (le héros tombe

> THINGS PEOPLE DO

Un expert en assurances (Wes Bentley) perd son travail, le cache à sa famille et commet une série de vols à main armée. Saar Klein, d’ordinaire monteur, notamment pour Terrence Malick (La Ligne rouge, Le Nouveau Monde), signe un film de crise dépressif et éthéré. de Saar Klein (1h50) Distribution : Chrysalis Films Sortie le 18 février

amoureux), puis à la fuite (il se fait poursuivre par des gendarmes). Suivant une ligne narrative très ténue, le film défriche un terrain d’expérimentations à ciel ouvert pour le héros, qui doit retrouver l’eau pour se sauver. C’est dans ce mouvement de confrontation, riche en actions et pauvre en explications, que la mise en scène de Thomas Salvador se déploie. Tout entière bâtie sur une science du cadrage et du montage, elle fait de Vincent une apparition burlesque inscrite dans le paysage. Le vent de liberté qui souffle alors est synonyme de la naissance d’un cinéma qui crée un singulier espace d’existence, au présent, pour son héros. de Thomas Salvador avec Thomas Salvador, Vimala Pons… Distribution : Le Pacte Durée : 1h18 Sortie le 18 février

> BIS

Patrice (Kad Merad) et Éric (Franck Dubosc) sont amis depuis l’adolescence. Un soir de beuverie, les deux compagnons se retrouvent propulsés en 1986… Une situation décalée qui va leur faire revivre leur adolescence, et dont ils vont essayer de tirer profit. de Dominique Farrugia (1h40) Distribution : EuropaCorp Sortie le 18 février

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> BOB L’ÉPONGE. LE FILM. UN HÉROS SORT DE L’EAU

Dix ans après leurs débuts sur grand écran dans Bob l’éponge. Le film, le héros spongieux et ses amis quittent les tréfonds de Bikini Bottom pour débarquer sur la terre ferme et se transforment, pour l’occasion, en super-héros. de Paul Tibbit (1h25) Distribution : Paramount Pictures Sortie le 18 février


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> TRACERS

American Sniper PAR J. R.

Clint Eastwood adapte l’auto­ biographie de Christopher Kyle. Ce sous-officier de la marine américaine, déployé en Irak au lende­ main du 11-Septembre, est le tireur d’élite ayant abattu le plus de personnes dans l’histoire militaire des États-Unis. Glorifiant ce fait d’arme au nom du patriotisme et de la défense d’idéaux, le film

em­brasse le point de vue du héros (Bradley Cooper) au fil de ses allers-­retours entre l’Irak et les États-Unis où l’attendent, dans l’angoisse, sa femme délaissée (Sienna Miller) et ses enfants.

Un coursier endetté (Taylor Lautner) tombe sous le charme d’une jeune fille (Marie Avgeropoulos). Elle l’introduit bientôt dans son gang de délinquants adeptes du parkour, cette discipline qui consiste à arpenter le relief urbain de façon acrobatique. de Daniel Benmayor (1h33) Distribution : Metropolitan Filmexport Sortie le 25 février

de Clint Eastwood avec Bradley Cooper, Sienna Miller… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h14 Sortie le 18 février

> LES CHEVALIERS DU ZODIAque. LA LÉGENDE DU SANCTUAIRE Pour sauver la déesse Athéna et l’avenir de la Terre, les chevaliers du Zodiaque vont devoir affronter les forces du mal… Avis aux nostalgiques : cette adaptation hyper moderne n’a pas gardé grand-chose de l’esthétique kitsch du dessin animé de votre enfance. de Keiichi Sat (1h33) Distribution : Wild Bunch Sortie le 25 février

Max et Lenny PAR T. Z.

La jeune Lenny (Camélia Pand’or) fait son trou comme elle peut dans sa cité marseillaise. Solitaire et enragée, elle brouille les pistes quant à son genre et se fait traiter à l’égal des hommes. Alors qu’elle s’exerce au rap en secret, elle se fait remarquer par Max (Jisca Kalvanda), une sans-papiers congolaise, qui va devenir son seul point d’ancrage…

Si le premier film de Fred Nicolas n’évite pas tous les clichés, il dresse en revanche deux puissants portraits de jeunes femmes, alliant la justesse du ton à la belle énergie de ses actrices. de Fred Nicolas avec Camélia Pand’or, Jisca Kalvanda… Distribution : Shellac Durée : 1h25 Sortie le 18 février

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> PROJET ALMANAC

Produit par Michael Bay, ce film en found footage relate le voyage dans le temps de quatre adolescents et la façon dont cette expérience, a priori amusante et sans conséquence, va rapidement dégénérer et bouleverser le cours des choses à tout jamais. de Dean Israelite (1h46) Distribution : Paramount Pictures Sortie le 25 février


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Birdman Constitué d’un unique plan-séquence qui passe des coulisses désolées d’un théâtre aux avenues surpeuplées de New York, Birdman est un jeu méta virtuose sur les rapports entre culture et pop culture, intimité et vie publique. PAR JULIEN DUPUY

La pop culture nourrit et se nourrit de la culture, une grande sœur plus décente – et souvent absoute de la vénalité de son double populaire et vivifiant mais aussi volontiers putassier. C’est sur ce dialogue houleux entre deux formes d’expressions intrinsèquement liées et intimement opposées que se base Birdman – le projet artistiquement noble du héros (une adaptation d’une pièce de Raymond Carver) et son attachement à la trivialité de la pop culture (son projet théâtral est financé par les reliques de son vieux succès dans un film de super-héros). Pour alimenter ce duel, Birdman confronte ses personnages à l’image publique de leurs interprètes, pour la plupart de vieilles vedettes de films adaptés de comics : Michael Keaton, qui fut le Batman de Tim Burton, s’extirpe de sa longue traversée du désert en s’amusant des accidents de sa tumultueuse carrière ; Edward Norton, qui s’était fait honnir de Marvel 3 FILMS EN UN PLAN-SÉQUENCE

La Corde d’Alfred Hitchcock (1948) Avant Birdman, La Corde était le film en un seul plan-séquence le plus connu de l’histoire du cinéma. Un exercice de style passionnant signé Alfred Hitchcock, qui reprit une partie de ces principes de tournage pour Les Amants du Capricorne. Ironiquement, Alejandro González Iñárritu ne cache pas son mépris pour La Corde.

Studios pour avoir joué les divas sur L’Incroyable Hulk, ironise sur son statut de jeune premier fané de Hollywood ; et Emma Stone, demoiselle en détresse des Amazing Spider-Man, est l’héritière brisée idéale de ses aînés. Comme dans ses précédents films, le très latin Iñárritu ausculte avec indécence les ravages de ses personnages en effectuant néanmoins une volte-face stylistique impressionnante : jadis maître du film choral morcelé dans le temps et dans l’espace (Amours Chiennes, Babel), il opte ici pour un récit en quasi-temps réel et dans un lieu unique, à savoir le quartier de Broadway, labyrinthe tout en verticalité et lieu idéal pour exprimer les errances de ces personnages éminemment émouvants. d’Alejandro González Iñárritu avec Michael Keaton, Edward Norton… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h59 Sortie le 25 février

PAR J. D.

Empire d’Andy Warhol et Jonas Mekas (1964)

Probablement le plan le plus long de l’histoire du cinéma : tourné en un peu plus de six heures, mais ralenti durant la projection pour durer huit heures et cinq minutes, ce film signé Andy Warhol et Jonas Mekas consiste en un plan fixe de l’Empire State Building, passant du crépuscule à la nuit noire.

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Time Code de Mike Figgis (2000)

Avec la flexibilité qu’offre le cinéma numérique, les films tournés en un plan-séquence se multiplient. Time Code de Mike Figgis est l’une des expériences les plus étonnantes de cette nouvelle génération. Le film est composé de quatre plans accolés qui permettent au spectateur de suivre la vie en temps réel d’un quatuor de personnages amenés à se croiser.


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À 14 ans PAR J. R.

Dans une banlieue morne, les émois amoureux, sexuels et amicaux de trois collégiennes forment la trame de ce premier long métrage. Familles conflictuelles, langage cru, versatilité des senti­ ments : si les ingrédients sont con­ venus, Hélène Zimmer (protégée de Benoît Jacquot, dont elle coscénarise le prochain film, Le Journal d’une femme de chambre) évite les écueils romanesques au profit d’une chronique plutôt réussie de la léthargie adolescente. d’Hélène Zimmer avec Athalia Routier, Galatea Bellugi… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h26 Sortie le 25 février

La Duchesse de Varsovie

Hungry Hearts PAR C. B.

PAR ÉRIC VERNAY

Pionnier des journaux filmés en super 8, Joseph Morder est un amoureux des comédies musicales américaines, et notamment de celles de Vicente Minnelli comme Un Américain à Paris. Cette nostalgie hollywoodienne imprègne directement La Duchesse de Varsovie, film entièrement tourné dans des décors peints. Au milieu des silhouettes en carton-pâte, seuls deux personnages s’avèrent « réels », c’està-dire joués par des acteurs. Valentin, jeune peintre parisien en plein spleen, retrouve sa grandmère Nina, une femme fantaisiste qui cache un lourd passé. Mais malgré leur évidente complicité, leurs regards peinent à s’harmoniser. Une pièce manque à l’ensemble. Chacun cherche son Paris,

à sa manière. Quand l’une s’enivre d’images d’Épinal soyeuses au Jardin du Luxembourg ou au musée du Louvre pour éloigner les spectres de la Shoah, l’autre tente au contraire de gratter ce vernis touristique dans de sordides boîtes de nuit, en quête de sa propre vision d’artiste. La vérité ne peut advenir que dans la rencontre de ces couches picturales illusoires mais complémentaires. L’intelligence de Joseph Morder est d’utiliser l’artificialité du dispositif de manière organique, livrant une jolie fable, à la fois ludique et grave, sur la mémoire.

Mina et Jude tombent amoureux et se marient. L’arrivée d’un enfant vient parachever leur bonheur. Mais la jeune mère protège le nouveau-né de la vie extérieure jusqu’à mettre sa vie en danger… Récompensés à la Mostra de Venise, Adam Driver et Alba Rohrwacher portent cette histoire d’amour compliquée traversée par trois genres. D’abord comédie romantique réjouissante, le film se mue lentement en un mélodrame poignant, pour s’achever comme un thriller, moins convaincant.

de Joseph Morder avec Alexandra Stewart, Andy Gillet… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h26 Sortie le 25 février

de Saverio Costanzo avec Adam Driver, Alba Rohrwacher… Distribution : Bac Films Durée : 1h49 Sortie le 25 février

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> ANNIE

Red Army PAR É. V.

Raconter l’éclatement de l’U.R.S.S. par le biais du hockey : c’est le projet original de Red Army, passionnant documentaire sur le sport comme outil de propagande au service des pouvoirs politiques. Jalonnée d’images d’archives spectaculaires (jeu collectif communiste contre individualisme capitaliste), cette relecture oblique de la

guerre froide est narrée par Slava Fetissov, figure contradictoire de cette « armée rouge » sur patins, qui a un jour eu le courage de s’opposer (seul) au régime soviétique pour s’expatrier aux U.S.A.

Un politicien en campagne (Jamie Foxx) se prend d’affection pour une petite orpheline gouailleuse (Quvenzhané Wallis, la jeune héroïne remarquée des Bêtes du Sud sauvage en 2012). Cette comédie familiale et musicale est produite entre autres par Jay Z et Will Smith. de Will Gluck (1h57) Distribution : Sony Pictures Sortie le 25 février

de Gabe Polsky Documentaire Distribution : ARP Sélection Durée : 1h25 Sortie le 25 février

> LE DERNIER LOUP

En 1969, un étudiant est envoyé en Mongolie-intérieure pour éduquer des bergers. Séduit par le lien qui unit ces nomades aux loups, il capture un louveteau pour l’apprivoiser. Après L’Ours et Deux frères, Jean-Jacques Annaud célèbre à nouveau la beauté du règne animal. de Jean-Jacques Annaud (1h55) Distribution : Mars Films Sortie le 25 février

Kommunisten PAR Q. G.

Formé de six films tournés à des époques différentes, de blocs de textes politiques en plusieurs langues, de longs plans-séquences sur des paysages de contrées lointaines, ce long métrage composite témoigne d’une riche démarche artistique, celle entreprise il y a environ un demi-siècle par Jean-Marie Straub et sa défunte

compagne, Danièle Huillet. Les cinéastes documentent l’histoire heurtée du xx e siècle, ses déchirures, ses utopies, en nous disant que celles-ci ne peuvent s’écrire que par fragments. de Jean-Marie Straub Expérimental Distribution : JHR Films Durée : 1h10 Sortie le 25 février

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> BIEN DE CHEZ NOUS

Interprété par des habitants de Lasalle et réalisé par le maire de ce village cévenol où tout le monde se connaît, ce film participatif propose de suivre plusieurs personnages durant quatre jours, cruciaux pour chacun d’entre eux. d’Henri de Latour (1h23) Distribution : Les Films des Deux Rives Sortie le 25 février


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© arte

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Mémoires pour Simone (en haut) et La Solitude du chanteur de fond (en bas)

Chris Marker Réalisés à douze ans d’intervalle, deux documentaires de Chris Marker, enfin réunis, grattent doucement le vernis d’Yves Montand et de Simone Signoret, aboutissant à un chassé-croisé inattendu entre les deux époux. PAR TIMÉ ZOPPÉ

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saisir l’intimité, diablement émouvante, de l’actrice. Curieusement, Arte a choisi de ne pas présenter les deux documentaires dans l’ordre chronologique. C’est sans doute que La Solitude du chanteur de fond (1974) apparaît, en regard de Mémoires pour Simone, plus attendu. À la densité furieuse du plus récent de ces films répondent le rythme lent et la linéarité du plus ancien. Yves Montand y est surtout montré en répétitions, sur le point de remonter sur scène après une longue absence, pour manifester contre la prise de pouvoir du général Pinochet, au Chili. S’il est politiquement engagé, il est aussi bourreau de travail, perfectionniste, fier, têtu. Un caractère dont Marker s’amuse par un montage malin, qui démasque les accès de mauvaise foi de l’acteur-­chanteur. Ainsi juxta­posés, les deux portraits montrent moins l’unité du couple que la solitude des deux amants, chacun accaparé par ses obsessions. ARTE_Marker_Mémoires_Solitude 15/12/14 09:40 Page1

CHRIS MARKER

Durée totale du DVD 2h00 PAL - Zone 2

MÉMOIRES POUR

SIMONE

LA SOLITUDE DU CHANTEUR DE FOND Durée du film 60’ Version originale française Sous-titres français Format 4/3 - 1.33 Couleur Son mono

Mémoires pour Simone / La Solitude du chanteur de fond de Chris Marker LA SOLITUDE Éditeur : Arte Éditions Durée : 1h01 / 1h Disponible

février 2015

« Mémoire des lieux. Une salle de projection dans la grande maison d'Autheuil, département de l'Eure : des bobines, des cassettes, des photos, des placards. Ce que l'on vous propose ici, ce n'est pas la vie de Simone, elle l'a racontée mieux que personne dans « La nostalgie... », ce n'est pas sa carrière, d'excellentes émissions de télévision y ont pourvu, c'est le contenu d'un placard, des petits bouts de mémoire en vrac, un voyage à travers les images qu'elle gardait. » nous dit Chris Marker par la voix de François Périer. Ami et témoin privilégié de la vie de Simone Signoret, Chris Marker fera, à la demande du 39e Festival de Cannes en 1986, le plus beau film-hommage à celle qui disait avoir « la nostalgie de la mémoire non partagée ».

Mémoires pour Simone (1986) Un film de Chris Marker, produit en 1986 par Gilles Jacob pour Le Festival de Cannes Image Pierre Lhomme, Yves Angelo En 2013 production déléguée Les Films du Jeudi - en association avec ARTE France © 1986 Festival de Cannes 2013 Les Films du Jeudi La solitude du chanteur de fond Réalisé par Chris Marker ℗ 1974 YM sous licence exclusive Universal Music France - Division Mercury Photographie recto Simone Signoret © 1959 Archives du 7e Art/Romulus Films Yves Montand : image extraite du film Photographie verso Yves Montand et Simone Signoret 1958 © Luc Fournol/Photo 12 DVD © 2015 ARTE France Développement Graphisme Christophe Portier

DU CHANTEUR DE FOND

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RÉSERVÉ À LA VENTE

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Février 1974, Yves Montand décide de chanter à l’Olympia pour les réfugiés chiliens. Il n’est pas remonté sur scène depuis 1968 et n’a que douze jours pour se préparer. Chris Marker, ami de longue date du couple MontandSignoret, suit les répétitions au plus près de l’artiste en quête de perfection. Montand parle, chante, tempête, philosophe et travaille sans relâche accompagné par son ami et pianiste, Bob Castella.

MÉMOIRES POUR SIMONE DEUX FILMS DE LA SOLITUDE DU CHANTEUR DE FOND CHRIS MARKER

MÉMOIRES POUR SIMONE Durée du film 62’ Version originale française Sous-titres français Format 16/9 - 1.66 Couleur et noir & blanc Son mono

Tous droits des œuvres enregistrées sont réservés. Ce programme est destiné uniquement à un usage privé au sens de l’article L 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle. Sauf accord contractuel, toute autre utilisation est formellement interdite. Sont également interdits le prêt, la duplication et la copie partielle ou totale du programme.

Le 30 septembre 1985, Simone Signoret s’éteint des suites d’un cancer du pancréas. Gilles Jacob, à l’époque délégué général du Festival de Cannes, demande alors à Chris Marker de réaliser un portrait de l’actrice qui sera diffusé au Festival en 1986. Avec Mémoires pour Simone, le cinéaste rend hommage à celle qui était son amie d’enfance, en même temps qu’il élabore un passionnant essai sur la nostalgie. Il fait émerger les correspondances entre les différentes périodes de sa vie, correspondances qu’elle a elle aussi sans cesse analysées. À l’aube de la vieillesse, elle déclare par exemple en interview qu’elle n’avait pas conscience de sa beauté dans sa jeunesse, mais qu’elle accepte sans regrets les rides qui ont depuis strié son visage. C’est en revanche avec fragilité qu’elle parle du poids qu’elle est parvenue à perdre dans ses dernières années. En 1975, elle intitule ses mémoires La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Un texte poignant, dont Marker utilise des extraits, lus par l’acteur François Périer en voix off. Ce matériau, superposé à des archives chères à Signoret (documents de vacances, appari­ tions au cinéma et à la télévision…), permet de

MÉMOIRES POUR

SIMONE

LA SOLITUDE

DU CHANTEUR DE FOND


dvd

LES SORTIES DVD

> PARTY GIRL

> L’INSTITUTRICE

> SAINT LAURENT

Angélique a 60 ans et travaille comme entraîneuse dans un bar en Lorraine, près de la frontière allemande. Elle décide de se ranger en épousant un ancien client… Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, ce premier long métrage, réalisé par d’anciens étudiants de La Fémis, dresse le portrait sans fard de la mère de l’un d’entre eux, femme à la vie quelque peu chaotique, mais qui toujours se relève. Inspirée par John Cassavetes et le Néoréalisme italien, la mise en scène suit au plus près ce personnage rare et précieux et suscite inévitablement une émotion intense, sans pour autant s’enfoncer dans un misérabilisme malvenu. C. B.

Alors que ses camarades s’amusent dans la cour de récréation, Yoav, 5 ans, scande spontanément de sublimes poèmes tout droit sortis de son esprit. Nira, son institutrice, souhaite mettre ce don à profit et protéger à tout prix ce petit prodige… Cette relation ambiguë, entre fascination et emprise, nourrit alors un étrange suspense, qui conduit parfois le film vers le thriller. Inspiré de la propre enfance du réalisateur, le film questionne avec finesse l’avenir incertain de la place de la poésie et de l’art dans notre société actuelle, en prise avec le matérialisme et la superficialité. C. B.

Focalisé sur la décennie qui va de 1967 à 1976, ce nouveau film consacré au grand couturier français transcende les codes du biopic classique pour mieux saisir l’essence même d’une personnalité passionnante et énigmatique. Sous les traits de Gaspard Ulliel (grandiose), Yves Saint Laurent devient un génie mélancolique pour qui la vie est une souffrance, et la haute couture, la drogue et les hommes, une échappatoire. Atteignant souvent le sublime, la caméra de Bonello prend le temps de capter les couleurs, les matières et les acteurs d’une autre époque qui inspirèrent et s’inspirèrent d’un artiste aux idées neuves. C. B.

de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis (Pyramide)

> BOYHOOD

de Richard Linklater (Digibook)

Richard Linklater aime confronter son cinéma à l’épreuve du temps: après ses Before…, dans lesquels il montrait différentes étapes de la vie d’un même couple sur trois films, il tente avec Boyhood une nouvelle expérience : filmer les mêmes acteurs pendant douze ans, pour raconter, dans une fiction, la métamorphose d’un garçon en homme (le jeune cobaye Ellar Coltrane). Le spectacle de l’épreuve, qui permet de voir à l’œil nu le vieillissement du héros et de ses proches, offre un suspense fascinant. Mais il est aussi la limite du film, qui, avec son intrigue ordinaire, n’ose pas la fiction jusqu’au bout, comme par peur de gâcher la beauté du dispositif. R. S.

de Nadav Lapid (Blaq Out)

de Bertrand Bonello (EuropaCorp)

> LA DIAGONALE DU FOU

> LES COMBATTANTS

Prix Louis-Delluc à sa sortie en 1984, le premier long métrage du Français Richard Dembo (ce réalisateur rare, décédé en 2004, n’a réalisé que trois films en l’espace de vingt ans), met en scène le championnat du monde d’échecs à Genève, en 1983. Les deux adversaires qui s’y affrontent cristallisent les enjeux géopolitiques de l’époque. Soit un vieux Moscovite, austère et sûr de lui (Michel Piccoli), et un jeune talent inventif et arrogant (Alexandre Arbatt), d’origine soviétique, mais vivant à l’Ouest depuis cinq ans. En bonus, les commentaires du cinéaste Jean Becker, que l’on découvre grand amateur du jeu d’échecs. J. R.

Rêvant d’intégrer une caserne dans les Pyrénées-Atlantiques, Madeleine (Adèle Haenel) veut rejoindre le régiment le plus hardcore qui soit, celui qui pourra la préparer à affronter la fin du monde. Arnaud (Kévin Azaïs), grand dadais distrait, est fasciné par la jeune fille. Contre toute attente, il va la suivre dans son stage de guerrière… Pour son premier long métrage, Thomas Cailley imagine un beau duo dépareillé et signe une comédie romantique à la fois rude et sensuelle. Peu à peu, le contexte évoquant Les Bidasses en folie laisse place à un film rêveur au cours duquel les amants délaissent le champ de bataille pour jouer à la guerre et faire l’amour. Q. G.

de Richard Dembo (Luminor)

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de Thomas Cailley (France Télévisions)


cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

SPECTACLES

John Carpenter BANDES ORIGINALES

Le cinéaste John Carpenter n’étant pas au meilleur de sa forme (voir The Ward. L’hôpital de la terreur en 2011), c’est le musicien qui prend le relais avec des Lost Themes en forme de musiques de films imaginaires, lâchés dans un monde électronique qui l’adule. Mais Big John n’a rien du messie et nous l’a fait gentiment savoir par terminal interposé. PAR MICHAËL PATIN

J êt us es

ici

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ohn Carpenter appartient à une race d’Américains en extinction. Celle des Howard Hawks et des John Ford, ses modèles avoués. Celle des maîtres artisans qui agissent au lieu de commenter l’action. Celle des vrais hommes qui ignorent le mot « auteur ». Une attitude qui va de pair avec une forme de modestie et de générosité presque inconnue dans nos contrées. Au bout de la ligne, Big John parle bref, avec une courtoisie et une bonhomie réconfortantes. Il semble ne prendre que du plaisir à la parution de son premier album solo, Lost Themes. Un titre idoine mais à double-fond : il ne s’agit pas des thèmes perdus de films existants, mais de thèmes existants de films jamais tournés – ce sont les images qui manquent. « Je n’ai pas choisi ce titre, précise-t-il. C’est le label qui l’a trouvé, et il m’a tout de suite plu. En un sens, ce sont des bandes originales

XVIIIe XIXe

XVIIe IX

VIIIe

Xe

e

IIe Ier

XVIe VII

IIIe IVe

e

VIe XVe

XIVe

Ve

XXe

XIe

XIIe

CONCERT Ibeyi le 24 février au Carreau du Temple p. 78

XIIIe

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février 2015

THéÂTRE André du 3 au 20 mars au Carreau du Temple p. 88


LIVRES

KIDS

Gus. Petit oiseau, grand voyage : la chronique d’Élise, 6 ans p. 82 ARTS

Parapluie de Will Self, performance géniale ou transe illisible ? p. 84

JEUX VIDÉO

FOOD

faites pour les images des autres. Nous avons tous des scènes qui se jouent dans nos têtes. En écoutant l’album, tu peux imaginer ton propre scénario. » Ce qui ne l’empêche pas de s’inscrire dans la lignée esthétique de ses propres musiques de films – de Dark Star (1974) à Ghost of Mars (2001), il a réalisé et mis en musique quinze longs métrages dont l’influence sur les musiques actuelles égale voire surpasse l’aura cinématographique. privé de synthé

Alors que la moitié de l’electro se réclame de son œuvre, il refuse de compter ses petits. « J’entends des gens en parler, mais je ne sais pas ce que ça signifie. Le groupe français Zombie Zombie, par exemple, auquel on me compare souvent, et dont j’apprécie la musique, me paraît complètement différent. Ce sont les synthétiseurs qui exercent une attraction. Il y a un engouement pour récréer les sons cheap des années 1980 que je trouve très étrange. » Lui qui s’est mis à la composition par nécessité, et a dû se plier pendant si longtemps aux contraintes du cinéma, hésite à assumer son rôle de musicien. À Hollywood, n’était-il pas privé de synthé depuis des années ? « Quand j’ai fini de tourner Ghost of Mars, j’étais épuisé par le boulot de réalisateur. Depuis lors, je n’ai composé aucune des musiques de mes films, mais mon fils a repris les rênes sur la série Masters of Horror. Pour The Ward. L’hôpital de la terreur, les producteurs n’ont pas voulu que je signe la bande-son, sans que je sache pourquoi. » D’où le surgissement inespéré de ces Lost Themes, improvisés à la maison avec son fils Cody et son beau-fils Daniel Davies, sans la moindre date limite en vue. De la musique pour soi, entre soi, qui s’inscrit aussi dans

JEUX VIDÉO

Dragon Age. Inquisition repousse les frontières de la fiction p. 92 MODE

présente

« Il y a un engouement pour récréer les sons cheap des années 1980 que je trouve très étrange. » une tradition familiale. « J’ai grandi dans une maison remplie de musique. Un jour, mon père m’a dit qu’il était temps d’apprendre à jouer. Il a voulu que je fasse du violon, seulement, je n’avais aucun talent. J’ai quand même été obligé de prendre des leçons. Quelle souffrance ! Bon Dieu ! J’ai découvert la musique électronique dans les années 1950, à l’âge de 8 ans. J’étais allé voir le film Planète interdite (Fred Wilcox, 1957), une histoire de monstres invisibles, ce qui suffisait amplement à mon bonheur de fan de science-­fiction. Mais combinée avec ces sonorités uniques qu’il ne m’avait jamais été donné d’entendre… C’est ce film qui m’a donné envie de devenir réalisateur. Et je n’ai jamais oublié sa musique. » John Carpenter appartient à une race d’Américains en extinction. Celle des pionniers qui se moquent de savoir qu’ils le sont. Celle des travailleurs droits dans leurs bottes ; loin, dans l’attitude et dans l’intention, de ces cinémas ou musiques postmodernes qui lui doivent tant. Il ignore d’ailleurs quand va sortir l’album qu’il a enregistré avec JeanMichel Jarre. Ne comptez pas sur Big John pour endosser le rôle de père de la musique électronique. Lost Themes de John Carpenter (Sacred Bones) Disponible

le PARCOURS PARISIEN du mois

EXPOSITION « Balthus » jusqu’au 28 février à la galerie Gagosian p. 90

FOOD Death by Burrito 4, rue de la Fontaine-au-Roi Paris XIe p. 94

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EXPOSITION « Sur la piste des grands singes » du 11 février au 21 mars au Jardin des Plantes p. 96


© maya dagnino

cultures MUSIQUE

agenda

AFRO-SOUL

Ibeyi

PAR E. Z.

PAR ETAÏNN ZWER

La presse les a déjà sacrées pépite 2015. À leur actif, une poignée de titres étonnants et de con­ certs enchanteurs. Les jumelles franco-­cubaines Lisa-Kaïndé et Naomi Díaz, 20 ans, réinventent l’afro-soul avec Ibeyi, un premier album délicatement tribal et puissamment habité au long duquel leurs voix féeriques sculptent d’ensorcelantes harmonies. Ayant grandi à Paris, les filles du regretté Angá Díaz, célèbre percussionniste cubain vu notamment derrière plusieurs stars du Buena Vista Social Club, et d’une mère vénézuélienne ont fait de ce maelström identitaire et de leur relation éruptive une force. Ibeyi, c’est le nom des demi-dieux jumeaux du panthéon yoruba (culture polythéiste originaire du Nigéria, mais aussi langue de la santeria, le vaudou cubain). Révélées avec l’incantatoire « Oya » et le grisant « River » (ode à la déesse des rivières Ochún), c’est dans ce bois ancestral qu’elles taillent leur prière, mêlant yoruba et anglais, chants rituels et influences libres – Nina Simone, Kendrick Lamar –, jazz vocal, electronica et hip-hop feutré. Séduit, Richard Russell les signe en 2013 sur son label XL Recordings (Gil Scott-Heron, Adele) et cisèle l’univers du duo, qui se produit aux côtés de Chet Faker ou de Damon Albarn. Avant d’offrir ces treize « negro spirituals contemporains », épurés et désarmants, hantés par l’amour : ce « Think of You » électrique dédié à leur père, le poignant « Mama Says » et le radieux « Yanira », « Weatherman » et ses boucles obsédantes, le caressant « Faithful » ou le swing espiègle de « Singles ». Une soul voyageuse et intimiste, qui s’épanouit sur scène où Lisa-Kaïndé, au chant et au piano, et Naomi, aux chœurs, au cajón ou aux tambours batas, opèrent avec une générosité complice leur fabuleuse magie. Ibeyi d’Ibeyi (XL Recordings) sortie le 16 février En concert le 24 février au Carreau du Temple

LE 5 FÉVRIER

LE 17 FÉVRIER

RONE Après son magique Tohu Bohu, le petit génie du label InFiné lâche Creatures : tracks maousses et ciselées (« Ouijà », « Freaks »), featurings léchés (Étienne Daho, la fée Sea Oleena) – une pépite d’ambient techno enivrante et enlevée, à siroter lors de cette électrique release party.

CLUB LFSM Tour de chauffe pour le festival Les femmes s’en mêlent avec Ex Hex, power trio féminin de Washington, D.C. armé d’une pop garage vintage et colorée et d’un nouvel opus redoutable, Rips. Joyeusement abrasive, cette première date française devrait ravir les fans de riot grrrl – coucou Sleater-Kinney.

à La Cigale

DU 14 AU 25 FÉV.

LE 6 MARS

FESTIVAL À NOUS PARIS FIREWORKS À nous Paris + l’agence Super ! = feu d’artifice : le chaman Ry X (The Acid), le quartet le plus cool de L.A., Allah-Las, la dream pop d’Isaac Delusion et la pop tordue de Baxter Dury, DJ Shadow & Cut Chemist, l’electro baroque de TR/ST, Jessie Ware et sa nu soul, la jeune garde du label Entreprise...

CHRISTINE AND THE QUEENS Révélé avec Chaleur humaine, audacieux premier album à la grâce infernale, l’ovni Christine enchante : disque d’or, critiques élogieuses, public énamouré. Entre poésie queer, electro, R’n’B tordu et chorégraphies élégantes, elle effeuillera sa freak pop lors d’un show intimiste et flamboyant.

dans divers lieux parisiens

à l’Olympia

LE 16 FÉVRIER

LE 6 MARS

ALL WE ARE Épaulé par Dan Carey (Hot Chip), le trio métissé de Liverpool s’offre un premier album aussi tourbillonnant qu’exquis. Mélodies rêveuses et grooves disco sexy (le parfait « Utmost Good »), leur boogie psychédélique joue collé-serré avec nos sens, et c’est sacrément bon.

PANDA BEAR Noah Lennox dévoile son cinquième album solo, le curieux et obsédant Panda Bear Meets the Grim Reaper. L’as de la pop psyché y converse avec la Grande Faucheuse à coups de beats fous, d’harmonies liftées et de ritournelles astrales. Sur scène, le match promet d’être excitant.

au Badaboum

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au Divan du Monde

février 2015

à La Gaîté Lyrique


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© dan-curwin

cultures MUSIQUE

Charli XCX POWER POP

L’Anglaise Charli XCX pourrait bien conquérir les hit-parades avec son deuxième album, Sucker, véritable char d’assaut power pop pourvu d’une armada de chansons irrésistibles, dont le hit « Boom Clap ». PAR ÉRIC VERNAY

Charli XCX revient, et elle n’est pas contente. Tant mieux : son aigreur agrémente ce deuxième album d’une belle énergie revancharde. « Pendant l’écriture de Sucker, je me sentais en colère contre l’indus­ trie musicale. J’avais l’impression d’avoir été traitée comme une machine, en particulier pour “I Love It”, un tube [interprété par Icona Pop, ndlr] que j’ai écrit, mais pour lequel on ne m’a pas accordé suffisamment de crédit. J’avais l’impression que tout le monde se foutait de mon premier disque [True Romance, sorti en 2013, ndlr]. » L’ambitieuse Charlotte Aitchison n’a pas tardé à convertir ce fiel en fioul musical. Dès le premier morceau, l’Anglaise de 22 ans balance un « Fuck you, sucker! » en forme de bras d’honneur « à tous ceux qui ont douté d’[elle] en tant qu’artiste ». Son style se fait plus nerveux, l’imaginaire rose bonbon des teen movies à la Clueless se hérisse de riffs rock, de mèches new wave et de gimmicks punk. Parmi les groupes qui l’ont inspirée, cette fan de Lou Reed cite les Ramones, les Hives, Bow Wow Wow et Weezer (Rivers Cuomo s’invite d’ailleurs

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sur la bombinette « Hanging Around »), mais aussi France Gall, Sylvie Vartan et Brigitte Bardot. Entre acidité punk et sucre yé-yé, griffures underground et pommade de stade (elle assure la première partie de Katy Perry), la jeune diva ne choisit pas : elle vise « le meilleur des deux mondes », un Graal qu’elle a notamment débusqué en Suède – « mon endroit favori pour composer. Les Suédois ont une incroyable sensibilité pop. Ils savent comment faire une chanson hyper accrocheuse tout en restant élégants. » En plus de quelques fleurons de la production scandinave ayant travaillé avec les mastodontes Britney Spears et Beyoncé, Charli s’est entourée de musiciens américains plus indé tels qu’Ariel Pink ou Rostam Batmanglij, de Vampire Weekend. Un casting hétéroclite qui aurait pu virer à la bouillie impersonnelle. Mais en subtile alchimiste, Charli XCX a su trouver la formule. Cohérente et magique. Sucker de Charli XCX (Atlantic) Sortie le 9 février

février 2015


sélection PAR WILFRIED PARIS

CHUBBED UP +

de Sleaford Mods (Ipecac/Differ-Ant)

Entre post punk minimal (boucles basse-batterie) et hip-hop (flow infini), entre l’agence pour l’emploi de Nottingham et les toilettes du pub, ces deux lads en colère ont secoué la scène indé anglaise en 2014 avec le très violent et très drôle Divide & Exit – et ses instantanés rageurs et poétiquement orduriers de la perfide Albion. Le duo existe cependant depuis 2009, comme vient le rappeler cette compilation, d’abord auto-éditée, puis rééditée par Ipecac et agrémentée d’inédits. L’occasion de perfectionner votre slang.

GLISS RIFFER

GREAT BIG FLAMINGO BURNING ROOM

de The Wave Pictures (Moshi Moshi)

Le trio anglais, copain antifolk de Jeffrey Lewis, Herman Düne et des Mountain Goats, alterne depuis 2004 concerts « juke-box » – ils peuvent jouer l’intégrale de Jonathan Richman sans problème – et albums de haute qualité artistique avec refrains accrocheurs et solos de guitares virtuoses. Ce nouveau disque, limpide malgré la tonalité douce-amère des paroles, est coécrit par l’un de leur héros, Billy Childish, prolifique défenseur du rock garage et de l’amateurisme. L’amateur, c’est celui qui aime.

TSS TSS

ANTHOLOGIE SOUTERRAINE

Collectif

(La Souterraine/Objet Disque)

Depuis un an, le label parisien La Souterraine publie sur le Net des « compilations gratuites d’artistes underground francophones » sur lesquelles on retrouve des talents aussi divers que La Féline, Arlt, Aquaserge, Julien Gasc, Marc Desse, Mocke, Gontard!, Chevalrex, Baptiste W. Hamon, Lætitia Sadier, Ricky Hollywood, Orso Jesenska ou Barbagallo… Les quatre premiers volumes font maintenant l’objet d’un coffret d’autant de CDs en édition limitée. Soit un indispensable panorama de la vivace et vivifiante nouvelle chanson française.

LA MUSICA DEL DIAVOLO

de Dan Deacon

de Chocolat

de The Rodeo

Auteur de plusieurs albums electropop (ou « future shock », selon le terme inventé pour la scène de Baltimore) dans lesquels son chant filtré et indistinct (a-t-on affaire à un garçon ? à une fille ?) surfe sur des boucles vocales, des synthés en pagaille et des beats hystériques (130 bpm en moyenne), Dan Deacon est aussi connu pour ses concerts « participatifs », entre gospel et Intervilles. Son nouvel album, effréné et exubérant, revient à ses premiers amours (claviers MIDI et autoproduction MAO), aussi extatiques que – parfois – épuisants.

Jimmy Hunt, homme-orchestre montréalais notoire, a créé en 2006 le groupe Chocolat, qui a sorti un EP plutôt garage et un album, Piano Elégant, avec cordes pop et paroles en français. Le groupe est retourné en studio en 2013, et ce nouvel album, progressif sans être démonstratif – pas plus de deux ou trois prises par morceaux – revient au garage de leurs débuts, avec force guitares fuzz et voix hautes perchées noyées dans l’écho. « Burn Out » est stoner rock, « Mèche », trippant, et tout l’album fait « tss tss » dans vos oreilles.

La plus charmante des chanteuses parisiennes s’appelle Dorothée – ou The Rodeo, son anagramme. Après un premier album en western cinémascope (sous influences Johnny Cash, Dolly Parton, Lee Hazlewood), elle élargit encore son panorama en intégrant ici les « choop-choop » des girl groups, le mur de son de Phil Spector et les structures pleine de surprises du versant le plus aventureux du rock indé, mettant la pureté de son chant, ému ou remuant, au service d’une pop hyper mélodieuse. Charmante, on vous dit.

(Domino)

(Born Bad/L’Autre Distribution)

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(Claro Oscuro/Believe)


cultures KIDS

CINÉMA

Gus. Petit oiseau, grand voyage

Épopée aérienne suivant une troupe d’oiseaux migrateurs en route vers l’Afrique, Gus. Petit oiseau, grand voyage est le premier film en relief qu’a vu notre jeune critique, qui s’est bruyamment enthousiasmée pour le format durant la projection. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier

d’ Élise, 6 ans

« Pour voir le film, il faut mettre des lunettes de soleil. Du coup, on est comme dans le film ! C’était vraiment super, même si, au bout d’un moment, on s’habitue, et c’est comme un film normal. Les personnages sont des oiseaux qui voyagent. Par exemple, on voit qu’ils vont à Paris, parce qu’il y a la tour Eiffel, et on voit qu’ils vont en Afrique, parce qu’il y a le Kilimandjaro. Pendant le voyage, ils ont peur des oiseaux de fer, qui en fait sont des avions. Mais les oiseaux ne connaissent pas les avions, car ils n’appartiennent pas au genre humain. Les avions vont à la vitesse de la réaction et peuvent emmener les oiseaux sur leurs ailes et les écraser comme une crêpe !

Heureusement, je ne crois pas que ça puisse exister en vrai. Mais le film a d’autres choses qui ne sont pas vraies. Par exemple, je ne crois pas qu’il y a des oiseaux qui ressemblent vraiment à ça. Mais c’est normal, parce que c’est un film, et ce n’est pas la réalité. Parfois, le film fait un tout petit peu peur, mais pas trop, parce qu’avec tous les films qu’on m’a emmenée voir pour Trois Couleurs, je sais maintenant que ça se termine toujours bien. » Gus. Petit oiseau, grand voyage de Christian De Vita Animation Distribution : Haut et Court Durée : 1h30 Sortie le 4 février Dès 4 ans

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février 2015

l’avis du grand Film d’animation entièrement conçu en France et en Belgique, Gus. Petit oiseau, grand voyage doit énormément à son directeur artistique Benjamin Renner, élève de la fameuse école d’animation La Poudrière et coréalisateur du formidable Ernest et Célestine. C’est lui en effet qui a eu l’idée de donner au film un aspect « papier découpé ». Ce parti pris graphique fort, avec ses personnages et ses décors tout en angles, confère un caractère tactile très chaleureux aux images de synthèse. Avec des textures qui reprennent le grain du papier dessin, Gus. Petit oiseau, grand voyage a ainsi des allures de livre animé, illusion accentuée par un superbe relief, particulièrement appréciable durant les nombreuses scènes de vol. J. D.


Festival Tout-Petits Cinéma PAR CHLOÉ BEAUMONT

La Petite Casserole d’Anatole Le Forum des images propose ce festival afin d’initier les enfants de 18 mois à 4 ans aux délices du grand écran dans des conditions de projection spécifiques à leur jeune âge. Cinq programmes de courts métrages d’animation, rendus plus vivants par l’accompagnement musical d’artistes invités (Florent Marchet, Babet du groupe Dionysos, Les Gordon...), seront présentés en exclusivité. Seront également projetés une trentaine de films d’animation de toutes époques et en provenance du monde entier. Et parce que la découverte du septième art se fait aussi à l’extérieur de la salle de cinéma, des ateliers d’initiation au son ou de confection de jeux optiques seront proposés, et des espaces lecture, jeux et coloriages, aménagés.  du 14 au 22 février au Forum des images De 18 mois à 4 ans

et aussi PAR C. B.

CINÉMA

CINÉMA

Adaptés des livres pour enfants de Leo Lionni, ces cinq courts métrages réalisés en 1979 composent un hymne habile à la tolérance et au droit à la différence qui tient sa poésie du caractère enfantin de ses dessins. On suit donc avec plaisir le parcours d’animaux très singuliers (un mulot, des grenouilles, un crocodile) qui vont faire de leur différence une force et un moyen d’intégration. LE PETIT MONDE DE LEO. 5 CONTES DE LIONNI de Giulio Gianini Animation Distribution : Cinéma Public Films Durée : 30min Sortie le 11 février Dès 2 ans

« Voici Petit-point et Gros-pois. L’un a des points, l’autre a des pois. Et ils sont très heureux comme ça. » Ainsi s’ouvrent et se concluent les six épisodes de ce programme amusant et original pour les très jeunes enfants. Ces deux colocataires à l’allure de lapin apportent leur espièglerie et leur humour tout en proposant un regard loufoque sur le monde. LES NOUVELLES AVENTURES DE GROSPOIS ET PETIT-POINT d’Uzi et Lotta Geffenblad Animation Distribution : Les Films du Préau Durée : 44min Sortie le 4 février Dès 2 ans


cultures LIVRES / BD

Parapluie ROMAN

© patrice normand

Le nouveau roman de Will Self est un flux de conscience joycien aux allures d’Everest littéraire. Performance géniale ou transe illisible ? PAR BERNARD QUIRINY

Le dernier roman de Will Self est bien parti pour accomplir un exploit statistique : huit lecteurs sur dix n’iront pas au bout, et la moitié des autres seront incapables de dire ce qu’ils ont lu. Déjà, avec Le Livre de Dave, en 2010, dans lequel les confessions d’un chauffeur de taxi londonien devenaient la bible d’une humanité future, Self frôlait l’illisibilité, à force de mots-valises et de lexique personnel ; cette fois, il passe de l’autre côté de la communicabilité, et les lecteurs ont le choix : laisser tomber, ou partir en voyage avec lui. Pour présenter les choses, disons que le roman s’inspire d’une histoire réelle, décrite par le neurologue Oliver Sacks dans un essai célèbre, L’Éveil. En 1916-1917, une épidémie d’encéphalite léthargique, ou maladie du sommeil, a plongé des centaines de personnes dans une prison intérieure. Certaines ont hiberné pendant plusieurs décennies, jusqu’à ce que des médecins leur prescrivent des drogues qui les ont tirées de leur sommeil, en les exposant toutefois à des risques graves d’hallucination… Parmi ces toubibs se trouve le Dr Zack Busner, héros récurrent de Will Self, en charge d’une certaine Audrey Deeth, internée en 1922 (l’année de la première parution d’Ulysse de James Joyce, soit dit en passant), et qui la prend en charge en 1971. Le roman consiste alors en un gigantesque flux de conscience à trois ou quatre voix où les points de vue alternent sans

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prévenir, tout comme les époques, et où fourmillent les néologismes, les passages parlés et les onomatopées. On ne sait jamais vraiment où l’on est, ni qui parle. En fait, la meilleure façon de lire Parapluie est d’accepter le marché proposé par Self et de changer radicalement ses attentes quant à l’objet roman, exactement comme on change de regard quand on passe d’un tableau de William Hogarth à une toile de Jackson Pollock, sans repères ni figure. Au milieu de ce torrent façon free jazz, les plus attentifs attraperont quelques morceaux digérables, telle une évocation de Londres en 1915 ou des allusions à l’antipsychiatrie (Self a toujours eu un faible pour Ronald Laing, prédécesseur anglais de Gilles Deleuze et de Félix Guattari). Le vrai sujet du livre, si l’on peut dire, c’est cependant l’écriture elle-même, et la question de savoir si la voie ouverte il y a cent ans par James Joyce doit être continuée. Chacun réagira à sa manière devant ce livre non euclidien, dont la traduction est en soi un exploit. En guise d’avant-goût, sur YouTube, Will Self lit quelques extraits en V.O. Si vous faites partie de la minorité prête à embarquer, réjouissez-vous : Parapluie est le premier tome d’une trilogie, et le deuxième, Requin, vient de sortir en Grande-Bretagne. Parapluie de Will Self, traduit de l’anglais par Bernard Hœpffner (Éditions de L’Olivier)

février 2015


sélection PAR B. Q.

LA FOURMI ASSASSINE

de Patrice Pluyette (Seuil)

Odile Chassevent a disparu. L’inspecteur Rivière arrache des aveux à son compagnon. Mais les choses ne sont-elles pas plus compliquées ? Patrice Pluyette emballe une intrigue policière miniature dans une langue acrobatique, pleine de zigzags, d’imparfaits du subjonctif et de constructions étonnantes. De là un petit roman inclassable, ludique, comique et parodique, construit comme un puzzle.

LA TRAVERSÉE AMOUREUSE

de Vita Sackville-West (Autrement)

Célèbre éditorialiste londonien, Edmund Carr plaque tout et embarque à bord d’un bateau de croisière sur lequel voyage aussi Laura, veuve, de dix ans sa cadette. Dans l’ambiance confinée et désuète du paquebot, il cherche comment lui avouer sa flamme, tout en méditant sur la maladie qui le ronge… Nadine Korobetsky a entièrement revu sa traduction du dernier roman, mélancolique et sombre, de la grande Vita Sackville-West.

UN NAGEUR DANS LA VILLE

de Joaquín Pérez Azaústre (Seuil)

Jonás Ager apprend régulièrement que des gens de son entourage sont injoignables. Sa mère, puis un confrère, d’autres encore… Lui continue cependant sa vie ordinaire et se rend chaque jour à la piscine, pour nager seul dans son couloir… Une ambiance étrange flotte sur ce quatrième roman de l’Espagnol Joaquín Pérez Azaústre, sorte de parabole froide sur la solitude de l’homme dans les métropoles modernes.

PAR LA FENÊTRE

de Julian Barnes (Mercure de France)

Pour parler de littérature française, rien ne vaut un guide anglais. Julian Barnes, par exemple, qui évoque dans ces dix-huit chroniques quelques-uns de ses écrivains français favoris (Fénéon, Flaubert, Chamfort ou Mérimée), mais aussi de grands auteurs anglo-saxons (Orwell, Kipling ou Hemingway). Érudits et captivants, ces textes sont de véritables essais littéraires et philosophiques, avec une pincée de poil à gratter quand il convient.


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Ici

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

sélection par s. b.

C’est l’histoire de l’humanité observée depuis le coin d’un salon, des prémices du monde jusqu’à son extinction, en passant par la vie d’une maison familiale. Court récit de six pages, la première version de Here (Ici en français) fut publiée en 1989 dans le magazine d’avant-garde Raw, créé par Françoise Mouli, la future directrice artistique du New Yorker, et par Art Spiegelman, l’auteur de Maus, publié dans la même revue à l’époque. Étonnantes, ces pages marquèrent durablement les esprits par leur construction narrative. Installé face à un coin de salon, toujours à la même place, le lecteur y découvrait un écheveau de cases qui se superposaient, comme des fenêtres ouvertes les unes à côté des autres sur un même espace, mais à différentes époques. Dans une de ces cases pouvaient ainsi cohabiter une souris avançant vers un piège en 1999, un quadragénaire déguisé en Indien et riant à gorge déployée en 1986, et un dinosaure broutant de l’herbe en 100650010 avant Jésus Christ. L’humanité en un flash de six pages. Cette nouvelle version, réalisée vingt ans plus tard, reprend le même dispositif (le même salon, les mêmes scènes) ; et, pourtant, tout y est différent. Car entre temps, une grande partie des personnes (la famille de l’auteur) figurant sur les photos qui servent de base au dessin a disparu. Et ce qui apparaissait en 1989 comme le court et brillantissime exercice d’un étudiant en arts a mué en une ode à la fugacité de l’existence de plus de 300 pages. Le dessin neutre de la première version, surtout pensé pour être lisible, s’est notablement complexifié. Textures informatiques, aquarelles, photos retouchées, peintures et traits se conjuguent désormais dans un tourbillon de gestes artistiques pour décliner les nuances de l’émotion. Impossible d’exprimer distinctement la pesanteur qui s’exhale naturellement du défilement de ces images, toutes splendides. Si ce n’est que rien ne résiste au temps. Ce qui rend tout si précieux. Ici de Richard McGuire, traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Troin (Gallimard)

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MEGG, MOGG & OWL. MAGICAL ECSTASY TRIP

LA JEUNE FILLE DE LA PLAGE

(Misma)

(Éditions IMHO)

de Simon Hanselmann

Initialement publiée dans le magazine Vice, Megg Mogg & Owl. Magical Ecstasy Trip raconte, masquée derrière un peu de vulgarité, la vie de trois créatures en proie au mal de vivre, perdues entre drogue et sexualité désabusée. L’esthétique décalée allège la dureté de ce portrait qui, tout en fausse simplicité, diffuse une étrange mélancolie et fait rire aux éclats en même temps. Soit le miracle de la poésie.

COURIR DEUX LIÈVRES

de Simon Grennan

(Les Impressions Nouvelles)

John Caldigate, roman méconnu d’Anthony Trollope, jouait avec la vérité et la multiplicité des points de vue sans révéler la pensée des personnages. Alors que le livre original était ambigu, Simon Grennan convoque la grammaire de la bande dessinée pour changer le regard du lecteur sur le héros ; avec, en toile de fond, un mystère : John Caldigate, notable anglais parti chercher fortune en Australie et revenu se marier dans son pays natal, est-il coupable de bigamie ?

février 2015

d’Inio Asano

Inio Asano, malheureusement méconnu en France, est adulé au Japon, notamment pour le compromis formel qu’il trouve entre les codes liés à l’industrie du manga et la mise en scène de son univers personnel. Ici, le trouble adolescent est filtré par une approche frontale de la sexualité très touchante, d’autant qu’elle ne tombe jamais dans la pornographie.

BLACK SCIENCE. VOL. 1,

de Rick Remender et Matteo Scalera (Urban Comics)

Les séries scénarisées par l’Américain Rick Remender vont se multiplier cette année. Et comme la plupart des productions des éditions Image, elles comptent parmi les meilleurs divertissements du moment. Black Science est probablement la plus pop et la plus légère de ces productions, mais aucun amoureux de science-fiction ne pourra résister au charme désuet de cette odyssée interdimensionnelle.


cultures SÉRIES

ANIMATION

Knights of Sidonia

Ce space opera est l’un des trésors cachés du catalogue Netflix. Technique virtuose et récit sans temps mort : l’animation japonaise à son meilleur.

LE CAMÉO CHARLIE SHEEN DANS THE GOLDBERGS

© netflix

© abc

PAR GUILLAUME REGOURD

« La culture japonaise n’est plus “cool” et Knights of Sidonia est le chevalier blanc qui la sauvera. » Quand c’est Hideo Kojima, le créateur des jeux vidéo Metal Gear qui s’exprime, on prête l’oreille. Le divertissement de masse nippon, autrefois si conquérant, a en effet perdu de sa superbe, et Knights of Sidonia, sous couvert de science-­f iction, dresse le même constat : soit une humanité décimée, réfugiée sur un vaisseau isolé (le Japon), et qui, pour se défendre contre des aliens protéiformes (la concurrence étrangère, la crise économique), expédie au casse-pipe, à la demande d’une élite d’immortels (le vieillissement démographique, problème numéro un de

l’archipel nippon), des pilotes à peine pubères (le tropisme ado étouffant de ses productions) aux commandes de robots géants. En dépit de sa solennité, la série se garde heureusement d’enterrer la culture japonaise. En prônant le métissage et l’ouverture jusque dans ses choix graphiques (sublime réalisation hybridant le style du mangaka Tsutomu Nihei et le jeu vidéo) et narratifs , elle lui indique au contraire une voie à suivre. Une voie payante, à en juger par l’accord de distribution conclu avec le gaijin (l’étranger) Netflix à l’export et l’arrivée d’une saison 2 au printemps. Knights of Sidonia, saison 1 sur Netflix

Par G. R.

© d. r.

sélection

Et si l’on prenait des nouvelles de Charlie Sheen ? Depuis 2012, l’acteur pantoufle dans Anger Management, un show à sa gloire dégoté après s’être fait bruyamment virer de Mon Oncle Charlie. Pas gêné, il se verrait bien faire une apparition dans le final de la sitcom de son ex-ami Chuck Lorre, prévu pour ce mois-ci. Qui sait ? En attendant, il a tourné une scène hommage à Ferris Bueller pour The Goldbergs, sitcom d’ABC dont l’action se déroule dans les années 1980. Il y reprend le rôle du délinquant en perfecto qu’il tenait chez John Hughes. En nettement plus ravagé. G. R.

SOUTHCLIFFE Un marginal ouvre le feu dans une petite ville anglaise jusqu’ici sans histoires. Comment en est-on arrivé là ? Pas un habitant de Southcliffe qui ne se le demande… Le scénariste Tony Grisoni, lui, ne cherche aucune réponse définitive. Remarquable. Intégrale en DVD (Éditions Montparnasse)

THE STRAIN Adaptant sa trilogie de romans, La Lignée, Guillermo del Toro développe, sur une trame proche de son Blade II, une histoire de virus transformant New York en repaire de suceurs de sang. Le résultat est très gore, mal fichu et étonnamment accrocheur. Saison 1 sur Canal+ Séries

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3 X MANON Oscarisé pour Un coupable idéal, le documentariste Jean-Xavier de Lestrade opte cette fois pour la fiction pour filmer une ado en centre éducatif fermé. Bon choix, ne serait-ce que pour la révélation Alba Gaïa Bellugi, parfaite de justesse dans le rôle-titre. Saison 1 en DVD (Editions Montparnasse)


cultures SPECTACLES

André THÉÂTRE

En déjouant les règles attendues du biopic, la jeune actrice et metteuse en scène Marie Rémond présente la trajectoire intime d’un des plus grands sportifs de notre époque, André Agassi, comme une énigme existentielle.

© giovanni cittadini

PAR ÈVE BEAUVALLET

Découvrir sa passion, tout donner pour accomplir son rêve, faire partie des « grands ». Il y a un prix à payer pour toucher cet absolu et épouser le rêve américain, nous avertissait encore récemment le film Whiplash de Damien Chazelle : l’ascèse professionnelle, le sacerdoce, sans condition… Mais que se passe-t-il dès lors que le sacrifice de soi est là, mais que la passion, elle, n’y est pas ? Peut-on supporter le quasi-­fascisme de l’entraînement du virtuose ou de l’athlète sans que brûle en soi, à l’origine, un feu dévorant ? La question paraît absurde, mais elle résume bien pourtant la carrière d’André Agassi, icône hyper populaire du tennis, qui avait confié détester le sport dont il était devenu l’une des plus grandes vedettes. C’est en se passionnant pour cette énigme (à quel point est-on bien l’auteur de ses choix ?) que la jeune metteuse en scène Marie Rémond a imaginé une biographie jouée, accueillie à sa création en 2011 comme une pépite d’humour et d’inventivité dramaturgique. André a été écrit par Marie Rémond et ses anciens collègues du Théâtre

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national de Strasbourg, les excellents Clément Bresson et Sébastien Pouderoux, à partir des fragments d’Open, cette biographie d’Agassi qui laisse planer l’ombre d’un sportif plus ambigu et plus fragile que ce que son image médiatique voulait bien véhiculer. L’enfermement, le rapport au frère, la pression des entraîneurs et de ce père qui entendait modeler son fils en parangon du rêve américain… La trajectoire intime d’Agassi déborde, via la vitalité du jeu des acteurs, le seul champ du sport, pour épouser des réflexions poétiques et des enjeux ludiques enthousiasmants. Farce pop riche en looks sportifs « total eighties », acteurs survitaminés, mise en scène soucieuse d’éclats de vérité plutôt que de vraisemblance (la frêle Marie Rémond, qui incarne Agassi, n’a pas exactement une carrure de grand sportif)… On retrouve dans André cet amour du jeu, physique et formel, que brandit aujourd’hui une nouvelle génération d’acteurs attentive à chahuter les règles. du 3 au 20 mars au Carreau du Temple

février 2015


agenda PAR È. B.

JUSQU’AU 14 FÉVRIER

trapéziste nous donne, avec Aléas, à ressentir autrement la gravité, l’horizontalité et l’état vertical. au Centquatre

au Théâtre de la Cité internationale

JUSQU’AU 15 FÉV.

CHRISTOPHE HONORÉ & ROBERT CANTARELLA Comme souvent dans les scénarios de Christophe Honoré, il est question d’un fait divers – en l’occurrence, la tuerie de l’école Polytechnique de Montréal, en 1989. Un carnage « antiféministe » qui sert de point de départ à Violentes femmes, une pièce pour laquelle il a collaboré avec le passionnant metteur en scène Robert Cantarella.

au Théâtre des Amandiers (Nanterre)

DU 10 AU 15 FÉVRIER

CHLOÉ MOGLIA Chez Chloé Moglia, la voltige n’est plus affaire de numéros scintillants, mais de suspensions épurées et d’exploration du vivant. En lévitation dans un réseau de cordes, la jeune

© viola berlanda

DU 11 AU 14 FÉV.

AMBRA SENATORE Dérapages de perception, micro-actions théâtrales, revendication du jeu, de l’espièglerie, de la fantaisie printanière… C’est avec ces atouts maîtres, à découvrir dans sa dernière création Aringa Rossa, que l’Italienne Ambra Senatore s’est hissée au rang des chorégraphes les plus courus dans le monde entier. au Théâtre de la Ville

DU 3 AU 21 MARS

© lebruman 2014

D’orfèvre et de cochon FESTIVAL FAITS D’HIVER Une conférence traitant par l’absurde du travail intitulée D’orfèvre et de cochon du côté du tandem Grand Magasin ; un dialogue de sourd pétri de débats linguistiques et de jeux de langues entre Fanny de Chaillé et Pierre Alferi baptisé Répète… Décidément, le festival Faits d’hiver, qui programme ces deux ovnis, a du goût.

LES CHIENS DE NAVARRE Quand je pense qu’on va vieillir ensemble, leur farce cruelle sur les mécanismes d’humiliation, avait fait l’unanimité auprès d’un public diversifié. On n’en attend pas moins des Armoires normandes, la nouvelle création de ce collectif à l’humour dissident, qui s’attaque ici aux émois amoureux.

au Théâtre des Bouffes du Nord


cultures ARTS

PHOTOGRAPHIE

Balthus PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

© harumi klossowskacourtesy gagosian galleryphotography by benoit peverelli

agenda

Peintures et dessins de Balthus forment la toile de fond de l’exposition qui lui rend hommage à la galerie Gagosian. Mais le temps fort du parcours dédié à l’artiste français d’origine polonaise disparu en 2001 réside sans conteste dans la présentation d’une série de vingt Polaroids peu connus dont la majesté rappelle le rêve. Il y a peu, ces derniers furent censurés en Allemagne alors qu’ils devaient faire l’objet d’une exposition au musée Folkwang, à Essen. Censurés ? Oui, car le sujet de ces images est juvénile. Trop jeune, diront certains, pour afficher sa nudité fragile, montrée pourtant de manière pudique. Son modèle, Anna, a en effet 8 ans lorsqu’elle commence à poser pour Balthus. C’est la fille du médecin qui soigne le peintre à Rossinière, en Suisse. L’artiste dit qu’il a eu un flash en entendant cette fillette chanter l’Air de la reine de la nuit de Mozart sur le chemin de l’école. Avec l’accord de ses parents, la mineure, aujourd’hui trentenaire, posera jusqu’à ses 16 ans, tous les mercredis, devant Balthus, qui n’avait plus la force de dessiner et s’était tourné vers le Polaroid pour préparer ses toiles. Ces études tenaient lieu pour lui d’esquisses préparatoires – trois tableaux majeurs furent ainsi achevés. Dans l’atelier de l’artiste, près de deux mille Polaroids furent retrouvés par sa fille, Harumi Klossowska de Rola, et le compagnon de celle-ci, le photographe Benoît Peverelli. Les images exposées chez Gagosian feront date et prouvent que le peintre, grand coloriste s’il en est, fut également un photographe de premier plan. Le bougé y est gracieux, le modèle comme en apesanteur. Tout comme nous, devant ce pan de l’histoire de la photographie qui s’écrit sous nos yeux. jusqu’au 28 février à la galerie Gagosian Balthus. The Last Studies par Nicolas Pages et Benoît Peverelli (Steidl)

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JUSQU’AU 21 FÉVRIER

Claude Closky, Une femme que je n’ai pas vue à La Baule, 1995 CHÂTEAUX DE CARTES Star des années 1920, la carte postale s’est vue détrônée par les téléphones, les mails et autres modes de communication et d’interconnection désormais indispensables. Réunissant les œuvres de neuf artistes contemporains, l’exposition sonne comme une variation autour de cet objet déjà désuet bien que toujours d’actualité.

chez Florence Loewy… by Artists

JUSQU’AU 7 MARS

MARCELLINE DELBECQ Depuis une dizaine d’années, Marcelline Delbecq développe une pratique dans laquelle textes et images se complètent et tissent des histoires à rêver debout, les oreilles grandes ouvertes. Avec « Silence trompeur », l’artiste met le son entre parenthèses : silences et absences se conjuguent et dialoguent avec une multitude d’images « physiques » autant que mentales.

à la Fondation d’entreprise Ricard

JUSQU’AU 28 MARS

SCROLL INFINI Empruntant son titre à ce type de navigation sur Internet qui donne l’impression d’une page

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qui n’en finit pas, l’exposition « Scroll Infini » tente un arrêt sur images, lesquelles, ici « déracinées », se réincarnent à travers de nouvelles formes tout sauf virtuelles.

à la Galerie – Centre d’art contemporain (Noisy-le-Sec)

DU 5 FÉVR. AU 3 MAI

© mark lewis

Balthus, Jeune Fille à la mandoline, 2000-2001

© claude closky courtesy galerie laurent godin

PAR ANNE-LOU VICENTE

Mark Lewis, Forte, 2010 MARK LEWIS Les commissaires Diane Dufour et Chantal Pontbriand nous font plonger dans l’œuvre vertigineuse de Mark Lewis. Filmant le théâtre du quotidien, l’artiste canadien utilise l’image en mouvement et ses artifices pour créer une expérience optique et perceptive qui donne à voir (et réfléchir) le monde autrement. au Bal

DU 6 FÉV. AU 26 AVR.

CANNIBALIA Réunissant principalement des artistes sud-américains, nord-américains, portugais et espagnols, « Cannibalia » propose une exploration visuelle de l’anthropophagie. « Découverte » par Christophe Colomb en 1492, la figure du cannibale relèvera par la suite d’une véritable construction culturelle empreinte de colonialisme, de modernité et de capitalisme. à la Kadist Art Foundation


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cultures JEUX VIDÉO

JEU DE RÔLE

Dragon Age Inquisition Le RPG occidental connaît un second souffle. D’une maturité folle, le dernier-né des créateurs de Mass Effect repousse les frontières de la fiction romanesque. PAR YANN FRANÇOIS

L’EXPÉRIENCE DU MOIS ELITE. DANGEROUS

(Frontier Developments/PC)

Malgré un deuxième épisode médiocre et vite oublié, les créateurs de Dragon Age remettent le couvert avec ce troisième opus, sans rien changer de la recette initiale : un univers heroic fantasy aux enjeux géopolitiques complexes, des quêtes et des choix moraux à ne plus savoir qu’en faire, un groupe d’aventuriers dont il faut gérer, en bon chef de meute, le moindre travers relationnel. Sauf qu’ici, le résultat tient du miracle. Miracle esthétique d’abord : rarement a-t-on vu mise en scène aussi spectaculaire, sublimant la moindre cinématique ou la moindre phase de combat. Miracle narratif surtout : parce qu’il place le

haut fait héroïque et l’historiette sentimentale sur un pied d’égalité, le jeu se pose en combo parfait entre la chanson de geste mythologique et le soap opera. Dans Dragon Age. Inquisition, passades et liaisons ont autant d’importance – et de charme – qu’un combat contre un dragon, et chaque joueur est libre et seul responsable de ses choix en la matière. Ouvert à toutes les unions, hétéros comme gays, Dragon Age. Inquisition est de ces œuvres salutaires qui brisent cette théorie des genres qui empoisonne le jeu vidéo depuis trop longtemps.  Dragon Age. Inquisition (Electronic Arts/PC, PS3, PS4, Xbox One, X360)

3 perles indés ELEGY FOR A DEAD WORLD

(Dejobaan Games/PC, Mac)

Un astronaute fouille les ruines de civilisations disparues. Il y trouve des témoignages écrits incomplets, certains mots étant manquants. Libre à vous, ensuite, de combler ces vides en créant l’histoire de votre choix, puis de la partager avec d’autres… D’un minimalisme déroutant, Elegy for a Dead World est une belle ode interactive à la créativité et à l’improvisation.

Par Y. F.

THE TALOS PRINCIPLE

(Croteam/PC, Mac)

Un droïde traverse un labyrinthe rempli de puzzles créés par un dieu pervers qui l’a mis au défi d’en venir à bout. Il croise la route d’ordinateurs dotés de la parole avec qui il débat de sujets philosophiques comme la conscience de soi ou le sens de la vie… C’est sans doute le pitch le plus improbable de cette année. C’est surtout un petit bijou de réflexion existentialiste.

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Assis dans l’habitacle d’un vaisseau spatial, vous voici réduit à errer au milieu de la Voie lactée. Autour de vous gravitent 400 milliards de systèmes solaires, avec leurs bases de lancement, leurs systèmes politique et économique, leurs problèmes à résoudre. Le but du jeu ? Trouver votre voie, que vous soyez marchand, exploitant de minerais météoritiques, flibustier galactique ou encore chasseur de primes. Dans Elite. Dangerous, pas plus d’explication que de ligne directrice : chacun se lance dans le grand cosmos et se débrouille comme il peut pour survivre. Y. F.

THIS WAR OF MINE

(11 bit studios/PC, Mac)

La guerre en jeu vidéo, ce n’est pas que des bidasses qui se canardent à tout-va. Ça peut être aussi le quotidien de civils assiégés qui tentent de survivre au jour le jour… Inspiré du siège de Sarajevo, This War of Mine imagine un jeu de gestion aux règles impitoyables dans lequel chaque choix doit se penser comme s’il était le dernier. Engagé, dérangeant, essentiel.


sélection par Y. F.

FAR CRY 4

(Ubisoft/PS3, PS4, 360, One, PC)

Changement de cadre radical pour Far Cry, qui nous lâche au milieu d’une région de l’Himalaya en pleine guerre civile. Pris entre les feux des deux armées qui s’affrontent, traqué par les animaux sauvages, il vous faut survivre, aiguiser votre instinct de chasseur et essayer de mettre fin au conflit. En plus d’être un grand jeu d’action, Far Cry 4 est aussi, de par ses personnages dignes d’un film de Tarantino, un sommet inattendu d’irrévérence et de cynisme.

CAPTAIN TOAD. TREASURE TRACKER (Nintendo/Wii U)

Éternel second couteau de Mario, Toad connaît enfin son premier grand rôle. Au cœur de labyrinthes filmés en vue de coupe, le champignon doit zigzaguer entre les ennemis et les pièges. En même temps, le joueur doit panoter la caméra pour le garder dans son champ de vision, tout en actionnant certaines plates-formes. Un nouveau concentré de la philosophie Nintendo : accessibilité, inventivité et désinvolture trompeuse.

VALKYRIA CHRONICLES

CORTO MALTESE. SECRETS DE VENISE

Sorti sur PS3 en 2008, Valkyria Chronicles connaît une nouvelle vie sur PC. Une occasion immanquable, pour tout passionné de stratégie, de se frotter à l’un des représentants les plus atypiques du genre. Situé dans un futur uchronique, le jeu imagine une guerre de position entre deux armées. Non content d’être un modèle de tactique, Valkyria Chronicles brille par sa direction artistique unique, crayonnée comme un manga à l’ancienne.

Lancé aux quatre coins d’une Venise interlope, vous suivez les traces de Corto Maltese, à la recherche de la Clavicule de Salomon, une émeraude rarissime. Aidé d’une étrange boîte métallique qui lui sert tout autant de boussole que de distributeur d’énigmes, il devra glaner des indices disséminés sur le Net et créés pour les besoins du jeu. On reconnaît la patte du créateur d’In Memoriam qui livre ici une expérience « transmédia » de haute volée.

(Sega/PC, PS3)

(Bulkypix/PC, iOS, Android)


cultures FOOD

TENDANCE

Festins latinos

Depuis quelques mois, un glissement de terrain a déplacé l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud à Paris. Festive et colorée, la cuisine mexicaine fait l’actualité tandis que le Pérou, nation montante de la gastronomie mondiale, tente une percée.

BÉBÉS CHICANOS

© ivy chang

© mickael a. bandassak

PAR STÉPHANE MÉJANÈS

Avec sa voix à la Barry White et sa carrure de décathlonien, Shay Ola en impose. Mais le gaillard ne ferait pas de mal à un mosquito. Son truc, c’est le plaisir sans prise de tête. De son enfance, au Nigeria puis à Londres, il garde le goût des grandes tablées et de la cuisine qui rassérène. À l’aise partout, sentant les bons coups, il débute comme réalisateur de clips, pour Liberty X (un girls band issu du Popstars anglais) ou Mobb Deep. Puis il crée une agence de design, torpillée par la crise de 2008. Il se relance en fondant la Rebel Dining Society, monte des soirées où l’on mange bon pour pas cher, au son d’une programmation musicale bien sentie. Puis vient la cuisine mexicaine, pour faire la

nique à la génération burger, avec Death by Burrito, un concept éphémère qui dure. Fasciné par la scène culinaire parisienne, inspiré par Gregory Marchand (Frenchie), Pierre Sang Boyer (Pierre Sang in Oberkampf) ou Simone Tondo (Roseval), il s’est installé en France en novembre 2014. Le lieu, minuscule, est dédié aux tacos façon Shay Ola : tartare au couteau, homard ou porc au kimchi, et pas de riz. On déguste en sirotant d’explosifs cocktails à la tequila et en écoutant ses potes DJ qui viennent régulièrement mixer. Et une ola pour Shay ! Death by Burrito 4, rue de la Fontaine-au-Roi – Paris XIe Tél. : 01 43 55 14 40 www.deathbyburrito.com

de l’Argentine au Pérou ANAHI Après Le Sergent Recruteur, avant Ibaji et Pan, ce fut le deuxième restaurant estampillé « Jeune Rue ». Chef argentin (Osvaldo Lupis), viande française, et ambiance intemporelle, on y savoure le choclo asado (épi de maïs grillé) et le bife de lomo, avec une glace vanille/dulce de leche et des vins du monde selon Éric Mancio (ancien sommelier de Guy Savoy). 49, rue Volta – Paris IIIe –Tél. : 01 48 87 88 24 www.anahirestaurant.fr

1K Fin 2014, Gastón Acurio était l’invité d’Alain Ducasse au Plaza Athénée. En marge de la venue de la star des chefs péruviens, l’1K, récemment lancé, poursuit son exploration de la cuisine des Andes. Julien Burbaud, ancien candidat de Top Chef, y décline le ceviche, la parihuela (risotto de quinoa) ou la ternera (veau et chimichurri, un condiment pimenté). 13, boulevard du Temple – Paris IIIe Tél. : 01 42 71 20 00 – www.1k-paris.com

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¡AY, CARAMBA! Alexis Delassaux et Quentin Zuddas sont des enfants de Gregory Marchand. En cuisine au Frenchie, pour le premier, qui est aussi passé par le Royal Monceau, et en salle au Frenchie Wine Bar, pour le second, ils ont appris à mêler rigueur entrepreneuriale et créativité débridée. Au Luz Verde, la fiesta est joyeuse grâce à des assiettes d’une belle vivacité, tacos (agneau, poulet, porc), ceviche, frijoles (haricots), quesadillas, encornets fumés et guacamole maison. Vins sains, cocktails détonants, frozen margaritas ou sangria, et prix doux. S. M. Luz Verde 24, rue Henry-Monnier Paris IXe Tél. : 01 74 64 29 04 www.luzverde.fr

PAR S. M.

CLASICO ARGENTINO Près de quatre ans d’existence et déjà cinq adresses plus un triporteur. La raison du succès ? Des empanadas (chaussons bien garnis) franchement bonnes : maïs et coriandre, thon, poulet ou saucisse de porc. Le tout avec une salade mixte (roquette, tomates séchées, oignons), une helado (glace) maracuyá ou dulce de leche et une cerveza (bière) Quilmes. Cinq adresses dans Paris (IIIe, VIe, XIe) www.clasico-argentino.com


© cedric pinchon

exposition

Serkan Cura, en plein essayage de sa collection en préparation

L’OISEAU RARE DE LA HAUTE COUTURE

Serkan Cura

Serkan Cura est un créateur ptérophile : il conçoit ses tenues de haute couture en plumes naturelles. Rencontre dans son atelier, à quelques jours de son prochain défilé à Paris, qu’il rêverait de présenter sur la patinoire de l’Hôtel de Ville.

FASHION MIX. MODE D’ICI. CRÉATEURS D’AILLEURS Sur les cent soixante-quatre créateurs qui ont défilé à la dernière Fashion Week parisienne, les trois quarts sont d’origine étrangère. Cette mixité ne date pas d’hier : sobre et chronologique, l’exposition rappelle que, depuis son invention à Paris au xixe siècle, la haute couture française est conçue par des étrangers. Les Russes et leurs broderies, l’Italienne Elsa Schiaparelli et ses créations exubérantes, le Japonais Yohji Yamamoto et ses « guenilles » post-atomiques : chacun a apposé sa pièce au magnifique patchwork de la mode française. R. S. jusqu’au 31 mai au Palais de la Porte Dorée

© courtesy musee de lhistoire de limmigration palais galliera musee de la mode de la ville de paris

cultures MODE

égérie

« Il y aura des plumes d’autruche, de poule, de marabout, des plumes de paon brûlées, et une robe inspirée de Mistinguett, avec des plumes blanches qui tombent sans fin. En tout, j’aurai quatorze silhouettes, mais bon il n’y a pas encore une plume sur les corsets à deux semaines du défilé ! » Il faudra sûrement quelques nuits blanches à Serkan Cura et à ses petites mains pour terminer à temps sa septième collection, présentée lors des défilés de haute couture fin janvier. Formé à la plumasserie chez Jean Paul Gaultier, ce créateur parisien de 33 ans, de nationalité belge et d’origine turque, a décidé de créer une maison de couture spécialisée dans la plume. Un savoir-faire méticuleux devenu rare et précieux depuis la disparition des maisons de plumasserie – il en reste deux à Paris aujourd’hui, contre trois cents en 1900. Il aura fallu

deux mois de préparation pour la pièce maîtresse du défilé, couverte de ses plus belles plumes noires : « Les plumes d’aigrette étaient sur un vieux chapeau dans un vide grenier. On n’a plus droit d’en commercialiser de nouvelles. Les oiseaux de paradis viennent d’une plumasserie qui a fermé. J’ai racheté leur stock. Les plumes d’autruche, je les ai trouvées dans un élevage en Afrique du Sud, et les plumes de paon brûlées, chez un plumassier à New York. » Aujourd’hui, l’oiseau rare se diversifie pour faire son nid : après avoir paré de plumes les plus célèbres mannequins du monde pour le défilé Victoria’s Secret en décembre dernier à Londres et créé une ligne de doudounes agrémentées de plumes pour le Comptoir des Cotonniers, Serkan Cura songe à créer des bijoux… en plumes.  www.serkancouture.com

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© celine

PAR RAPHAËLLE SIMON

JOAN DIDION POUR CÉLINE Au placard les égéries mineures. Depuis quelques mois, les mannequins seniors sont à l’honneur. Après l’actrice Charlotte Rampling pour une marque de cosmétiques, la chanteuse folk Joni Mitchell pour Saint Laurent, c’est au tour de la romancière américaine Joan Didion, 80 ans, de devenir une égérie de Céline. La maison de luxe fait donc un double pied de nez en choisissant un visage âgé et peu connu du public, mais qui incarne parfaitement son style minimaliste radical et cérébral. R. S.


pré se nte

Chimpanzés – séance de jeux

Exposition

Sur la piste des grands singes Le Muséum national d’histoire naturelle organise une exposition très complète sur cette famille de primates fort similaire à l’être humain, tout en tirant la sonnette d’alarme : tous sont menacés d’extinction. PAR CLAUDE GARCIA

S’il nous arrive de dire qu’ils sont nos ancêtres, les grands singes sont en fait nos cousins, avec qui nous partageons 98 % de notre patrimoine génétique : nous faisons tous partie de l’ordre des primates, qui compte près de trois cents espèces. L’exposition qui leur est consacrée, au Jardin des Plantes, contribue à balayer ce type d’idées reçues. À travers la grande galerie de l’Évolution, un parcours interactif et immersif en cinq étapes dévoile les origines, l’histoire puis les modes de vie de ces impressionnants mammifères. Mais de qui parlons-nous exactement ? Le terme « grands singes » regroupe six espèces de primates (deux de gorilles, deux d’orangs-outangs et deux de chimpanzés). Elles se distinguent par une absence de queue et de grandes capacités de mémoire, d’apprentissage et de

communication. Longtemps victimes de légendes (au xv e siècle, les explorateurs les présentaient comme des créatures mi-­animales, mi-humaines) ou de terrifiants clichés (en 1933, le premier King Kong au cinéma donne au gorille l’image d’un prédateur sanguinaire attiré par les femmes), ces animaux se révèlent aujourd’hui menacés par les humains. Ces cinquante dernières années, chacune des six espèces a perdu au moins 70 % de son effectif, conséquence directe de la déforestation, du braconnage et des maladies dues au contact avec les hommes. Tout en restant ludique, l’exposition se clôt sur ces processus dévastateurs et donne des pistes pour agir à différentes échelles. Il serait tragique de perdre des membres de la famille… du 11 février au 21 mars au Jardin des Plantes

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The Haunting Melody Dans un vieux studio d’enregistrement, six personnages planchent sur la bande-son d’un film d’horreur. Le metteur en scène Mathieu Bauer s’inspire des écrits du musicologue et philosophe Peter Szendy et crée une expérience de théâtre sonore. Il propose au spectateur d’ausculter les sons qui composent un long métrage sans jamais en voir les images. C. Ga. jusqu’au 14 février au Nouveau Théâtre de Montreuil EXPOSITION

© rgakfd

© jean-michel krief

© victor tonelli

THÉÂTRE

L’opérateur Avenir Sofin au front Filmer la guerre. Les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946) À l’occasion des 70 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la libération des camps, cette exposition revient sur les centaines d’heures de films tournés par les opérateurs soviétiques dès le début de l’invasion allemande dans le but de dénoncer la barbarie nazie, d’attester aux yeux de l’opinion publique internationale de l’ampleur des massacres et des destructions, et de mobiliser leurs soldats et leur peuple. C. Ga. jusqu’au 27 septembre au mémorial de la Shoah CONCERT The Broken Circle Breakdown La formation de bluegrass découverte dans le film Alabama Monroe (2013) donne son premier concert dans l’Hexagone. Le groupe est composé des deux acteurs principaux du film, les Belges Johan Heldenbergh et Veerle Baetens, et de cinq autres musiciens. Ils interpréteront les morceaux enlevés qui ont contribué au succès du film. C. Ga. Le 20 février au Café de la Danse


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L’actualité DES salles

CYCLES

AVANT-PREMIÈRES

CONFÉRENCES

05/02

LES RENDEZ-VOUS GOODPLANET Chaque premier jeudi du mois, un film sélectionné par Yann Arthus-Bertrand. En févr ie r, B ig M e n de Rachel Boynton. Séance gratuite. >MK2 Quai de Seine à 20h

09/02

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Être joyeux, est-ce être toujours “fou de joie” ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

RENCONTRES

JEUNESSE

10/02

SOIRÉE BREF Séance spéciale consacrée au festival international du cour t métrage de Clermont-Ferrand >MK2 Quai de Seine à 20h

02/03

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « En quoi la possibilité de l’apocalypse change-t-elle la donne de la conscience humaine ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

UN IGLOO DANS LA VILLE Fr oz e n Yo g u r t : glaces au yaourt à 0 % de matière grasse et à base de lait écrémé, à déguster nature ou agrémentées d’une garniture.

SEÑOR BOCA

Mexicain : tacos, burritos et

autres plats mexicains cuisinés selon des recettes authentiques avec des produits importés du Mexique.

THE SUNKEN CHIP

Fi s h&c h i p s : poisson frais

Le MK2 Quai de Loire a rouvert ses portes Après les deux mois de remise en état nécessaire à la suite de l’incendie dont il avait été victime, le MK2 Quai de Loire a l’immense plaisir de pouvoir de nouveau accueillir ses spectateurs.

servi dans une panure croustillante, accompagné de frites maison et de purée de petit pois.

LA BRIGADE

Carnivore : viande tranchée

finement sous vos yeux, accompagnée de frites fraîches ou de courgettes et de salade, et d’une sauce maison.

KORRIGANS

Crêpes : galettes et crêpes

réalisées à la demande avec une pâte 100 % bio et selon des recettes 100 % bretonnes.

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THAÏ LA ROUTE

T h a ï : padthaï, curry vert,

soupes parfumées et autres plats inspirés de la cuisine de rue thaïlandaise, le tout cuisiné sur place.

LE CAMION QUI FUME

B u r g e r s : burgers réalisés

avec du pain de boulanger, de l’authentique cheddar, de la viande hachée menue, accompagnés de frites maison.

LE CAMION QUI FUME

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100

fĂŠvrier 2015


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