Trois Couleurs #132 - juin 2015

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le monde à l’écran

cannes 2015 du 10 juin au 14 juillet 2015

Portfolio et compte rendu du 68e Festival

victoria

Entretien avec le réalisateur Sebastian Schipper

et aussi

Bruno Podalydès, Hill of Freedom, Cinema Paradiso…

no 132 – gratuit

Les Mille et Une Nuits

Miguel Gomes réenchante son pays en crise


l’h istoi r e du moi s

Kenneth Anger

Kenneth Anger en 1954

« je ne fais pas de la magie noire, je fais de la magie. » 2

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© kenneth anger

© d.r.

Lucifer, bikers et marins, l’univers diabolique d’un cinéaste magicien


l’h istoi r e du moi s

Pape du cinéma underground américain, Kenneth Anger (Fireworks, Scorpio Rising) est l’auteur d’une œuvre mâtinée de magie, d’occultisme et d’homoérotisme qui a inspiré nombre de cinéastes (David Lynch, John Waters, Gaspar Noé…). Neuf de ses films abstraits et fantasmagoriques, regroupés sous la dénomination de « The Magick Lantern Cycle », ressortent en DVD chez Potemkine.

© kenneth anger

PAR QUENTIN GROSSET

Inauguration of the Pleasure Dome, 1954

A

u téléphone, Kenneth Anger parle d’une voix lointaine et caverneuse. On avance la première question : quel lien unit les neuf films qui composent le « Magick Lantern Cycle », de Fireworks (1947) à Lucifer Rising (1981) ? « Eh bien, ce sont mes films ! » répond le vieil homme, sec et sans appel. Deuxième question : son expérience d’enfant acteur dans un film hollywoodien, Le Songe d’une nuit d’été de William Dieterle et Max Reinhardt (1935), a-t-elle été déterminante dans sa carrière ? « Je ne vous entends plus… » Toute l’interview sera de cette teneur : l’homme de 88 ans est peu disert. En même temps, on ne demande pas à un magicien comment il met au point ses tours de passepasse. Car la trajectoire d’Anger peut se résumer ainsi : d’abord cinéaste underground sulfureux, il se tournera peu à peu vers la magie, jusqu’à réaliser des films en forme de rituels. Précoce, il commence à tourner à l’âge de 10 ans. À 20 ans, en 1947, il réalise son premier film notoire, Fireworks, dans lequel des marins pervers (joués par « des étudiants en cinéma à la Southern California University qui voulaient devenir cameramen dans la marine ») torturent un jeune homme interprété par Anger

lui-même. Trois ans avant Un chant d’amour de Jean Genet, le film n’a alors pas d’équivalent dans la frontalité homoérotique. En 1949, l’imaginaire onirique de Fireworks attire l’attention de Jean Cocteau, alors président du festival du film maudit de Biarritz, qui l’invite à y présenter cette œuvre. invocations

De plus en plus fasciné par la culture française, Anger emménage un an plus tard à Paris, où il rencontre Colette et fréquente Henri Langlois à la Cinémathèque. Il a étudié le français à l’université et envisage d’adapter des œuvres du répertoire local réputées pour leur onirisme et leur anticonformisme comme Les Chants de Maldoror du comte de Lautréamont et Histoire d’O de Pauline Réage. « Je n’ai jamais trouvé l’argent pour mener à bien ces deux projets, ce sont des rêves perdus. » Financé par des mécènes toute sa vie, Anger trouvera son seul succès commercial avec Hollywood Babylone (1959), un livre sur les dessous sordides (meurtres, drogues…) de l’industrie hollywoodienne, auquel il donnera une suite en 1984. « J’ai voulu écrire un troisième volet mais je n’ai pas pu, car ça aurait énervé des gens très puissants. Je voulais notamment y évoquer Tom Cruise et la scientologie. »

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© kenneth anger

© kenneth anger

l’h istoi r e du moi s

Scorpio Rising, 1964

Lucifer Rising, 1972

anger ira toujours plus loin dans sa quête de puissances invisibles au travers du cinéma. En 1967, le cinéaste fait paraître un encart dans l’hebdomadaire The Village Voice : « In Memoriam. Kenneth Anger. Filmaker. 1947-1967. » Le réalisateur est mort, le mage peut vivre. Dès lors, l’acte artistique importe moins que la cérémonie invocatoire. Depuis l’adolescence, Anger est fasciné par le surnaturel. Il se considère comme un disciple de l’occultiste anglais Aleister Crowley (1875-1947), créateur de la Thelema, un système religieux et philosophique qui sacralise la liberté individuelle. Il célèbre son mentor dans les surimpressions colorées d’Inauguration of the Pleasure Dome (1954), qui sera montré ce mois-ci simultanément sur trois écrans dans la salle du Max Linder Panorama à Paris. Sur son torse, le cinéaste s’est fait tatouer « Lucifer », figure qu’il n’associe pas au diable mais considère comme le dieu païen de la lumière. « Je ne fais pas de la magie noire, je fais de la magie », s’agace-t-il au bout du fil. puissanceS invisibles

Peu à peu, son œuvre s’ouvre à cette dimension cabalistique. En 1964, Scorpio Rising opère doucement la transition. C’est bien sûr d’abord un film très ancré dans le cinéma underground américain des années 1960 – avec des réalisateurs comme Jack Smith, Jonas Mekas, Andy Warhol, ou Paul Morrissey. Des motifs neufs (les chansons pop, les bikers, l’érotisme gay et sado­masochiste) sont embrassés avec l’ambition formelle propre à l’époque. Mais il émane du film une religiosité qui

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laisse deviner la direction vers laquelle ira Anger par la suite. Prenons la séquence dans laquelle le biker Scorpio, à l’allure à la fois virile et angélique, se prépare à sortir. C’est un véritable cérémonial qui convoque le fantôme de James Dean, alors décédé depuis neuf ans, dont le visage s’affiche sur les posters épinglés dans la chambre du héros. Sous l’œil de cette figure mythique, avec en fond sonore « (You’re the) Devil in Disguise » d’Elvis Presley, Scorpio met ses bottes de cuir, son perfecto, ses bagues à têtes de mort… Autant d’accessoires qui sont filmés avec un regard fétichiste, une sensualité qui leur donne presque le statut de reliques. Il s’agit bien de faire revenir James Dean sous les traits de Scorpio, mais surtout d’exalter la mystique du rebelle dont l’acteur disparu fut l’une des plus fortes incarnations. Anger ira toujours plus loin dans sa quête de puissances invisibles au travers du cinéma. Si bien qu’il ne considère pas les protagonistes de ses films comme des « acteurs », mais bien plutôt comme des « adeptes » des rituels filmiques auxquels il s’adonne. L’aboutissement de sa recherche sera de convoquer Lucifer lui-même. Développé entre 1970 et 1981, Lucifer Rising figure des dieux égyptiens qui demandent à Lucifer d’apparaître. Hypnotique, le court métrage s’inscrit parfaitement dans les valeurs de contre-culture américaine de l’époque (Anger a imaginé le film à San Francisco, pôle du mouvement hippie). Dans une interview au magazine underground britannique Friends en 1970, l’auteur détaillait sa vision : « Lucifer est l’ange rebelle qui est derrière tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. Son message dit que “la clé de la joie est la désobéissance”. » The Magick Lantern Cycle de Kenneth Anger Éditeur : Potemkine Durée : 2h35 Sortie le 23 juin le 23 juin à 18h30, rencontre-dédicace avec Kenneth Anger à la boutique Potemkine (30 rue Beaurepaire – Paris Xe)

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Sommaire

Du 10 juin au 14 juillet 2015

À la une… 48

compte rendu

portrait

Cannes

On est revenus de la 68e édition du Festival de Cannes les poches pleines de sable et d’interviews. Morceaux choisis, en images, et compte rendu de l’événement, du palmarès officiel aux pépites dénichées dans les sélections parallèles.

en couverture

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Kenneth Anger Pape du cinéma underground américain, Kenneth Anger est l’auteur d’une œuvre mâtinée de magie, d’occultisme et d’homoérotisme qui a inspiré nombre de cinéastes.

entretien

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Salma Hayek Dans Tale of Tales, le réalisateur italien Matteo Garrone la transforme en reine consumée par son envie d’enfanter. Rencontre, à Cannes, avec l’actrice libano-mexicaine.

Miguel Gomes

Après Tabou, son précédent film, acclamé par la critique et par le public en 2012, le réalisateur portugais (La Gueule que tu mérites, Ce cher mois d’août) revient avec une fresque ambitieuse de six heures. En trois épisodes, L’Inquiet, Le Désolé et L’Enchanté, ces Mille et Une Nuits se penchent sur les mesures d’austérité imposées au peuple portugais entre 2013 et 2014 par son gouvernement. Pour raconter son pays, Miguel Gomes choisit la poésie, les récits encastrés, l’humour, les mythes. Certainement l’un des films les plus fous et aventureux que l’on ait pu voir sur la crise.

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philippe quaisse/pasco ; kenneth anger ; fabien breuil ; jour2fête ; d.r.

entretien

erratum

Bruno Podalydès Dans Comme un avion, le cinéaste et acteur campe Michel, un féru d’aéropostale qui, au hasard d’une recherche sur Google, se passionne pour le kayak et part à l’aventure sur une rivière.

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entretien

Victoria Le quatrième long métrage de l’Allemand Sebastian Schipper, composé d’un plan-séquence unique de plus de deux heures, immerge le spectateur dans une troublante expérience de temps réel.

événement

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Cinema Paradiso Après une première édition en 2013, Cinema Paradiso réinvestit la Nef du Grand Palais du 16 au 26 juin. Au programme de ces onze jours de divertissement : projections, dégustations, loisirs et clubbing.

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Dans le numéro 130 de Trois Couleurs, un portfolio était consacré à Michelangelo Antonioni. Les images du portfolio étaient commentées par Céline Scemama, auteure d’un ouvrage dont le titre exact est Antonioni : le désert figuré (L’Harmattan, 1998). À la dernière ligne du commentaire relatif à l’image intitulée « Sur le tournage de Zabriskie Point », il fallait lire : « Il (Antonioni) n’est pas un moraliste, il ne condamne pas le monde moderne, mais saisit l’inadaptation des hommes face aux mutations. » Toutes nos excuses à Céline Scemama.


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… et aussi Du 10 juin au 14 juillet 2015

Édito 11 Histoires sans fin Les actualités 12 Le public français et les Palmes d’or, John Waters, Kung Fury l’agenda 18 Les sorties de films de 10 juin au 8 juillet 2015 histoires du cinéma 23 Le Troisième Homme de Carol Reed p. 26, Hill of Freedom de Hong Sang-soo p. 28, De sas en sas de Rachida Brakni p. 38

les films

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© studio canal ; les acacias ; anne abitbol ; valérie marder ; bac films ; metropolitan filmexport

Valley of Love de Guillaume Nicloux p. 56 // Contes italiens de Paolo et Vittorio Taviani p. 58 // Cendres d’Idrissa Guiro et Mélanie Pavy p. 60 // Une équipe de rêve de Mike Brett et Steve Jamison p. 60 // The Duke of Burgundy de Peter Strickland p. 64 // La Bataille de la montagne du Tigre de Tsui Hark p. 66 // Cavanna. Jusqu’à l’ultime seconde, j’écrirai de Denis Robert et Nina Robert p. 68 // Mustang de Deniz Gamze Ergüven p. 70 // Spy de Paul Feig p. 72 // Masaan de Neeraj Ghaywan p. 76 // Mezzanotte de Sebastiano Riso p. 76 // Une seconde mère d’Anna Muylaert p. 78 // Microbe et Gasoil de Michel Gondry p. 80 // Amy d’Asif Kapadia p. 82 // Self Made de Shira Geffen p. 84 Les DVD 86 Les Loups de Hideo Gosha et la sélection du mois

cultures 90 L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

trois couleurs présente 112 Chagall, Soulages, Benzaken… Le vitrail contemporain

l’actualité des salles mk2 Tribunal pour les générations futures, les poches de l’été

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ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentin.grosset@ mk2.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) STAGIAIRE Julie Michard ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Julien Dupuy, Yann François, Claude Garcia, Stéphane Méjanès, Mehdi Omaïs, Wilfried Paris, Michaël Patin, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Claire Tarrière, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer PHOTOGRAPHES Fabien Breuil, Philippe Quaisse PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) Assistant RÉGIE PUBLICITAIRE Jaufret Toublan CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) Assistante partenariats culture Caroline Desroches CHEF DE PROJET OPÉRATIONS SPÉCIALES Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com)

Illustration de couverture © Élodie Lascar pour Trois Couleurs © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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é dito

Histoires sans fin PAR JULIETTE REITZER ET RAPHAËLLE SIMON

A

u centre des Mille et Une Nuits, recueil évolutif et anonyme de contes d’origine indo-persane, il y a la fameuse Schéhérazade. Mariée à un sultan qui projette de la faire exécuter au matin de leur nuit de noce, la jeune femme raconte à son époux une histoire dont elle repousse la suite au lendemain. Ainsi tenu en haleine, le sultan reporte l’exécution et, au bout de mille et une nuits, décide finalement d’épargner Schéhérazade. Cette dimension salutaire de la mise en récit est au cœur des Mille et Une Nuits, le triptyque de Miguel Gomes auquel nous avons choisi de consacrer la couverture de ce numéro (lire l’entretien avec le cinéaste page 40). Dans un mélange étourdissant de la fiction la plus inventive (avec des animaux dotés de la parole et d’autres créatures fabuleuses) et de documentaire aux intonations militantes, le réalisateur portugais, en filmant ses concitoyens sinistrés par la crise, semble vouloir leur offrir un écrin protecteur, admirablement ciselé. « Je pense qu’il faut continuer à raconter, à raconter, à raconter… Tout le film se fonde sur cette idée de circulation », nous a-t-il confié. Raconter des histoires pour survivre ou pour conjurer le sort, réenchanter le réel pour mieux le regarder : c’est quand le cinéma joue au bon génie qu’il nous émeut le plus.

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e n bre f

Les actualités Par Julien Dupuy, Quentin Grosset, Julie Michard et Timé Zoppé

> l’info graphique

Le public français et les Palmes d’or En mai dernier, 70 % des Français déclaraient ne jamais aller voir la Palme d’or au cinéma (sondage CSA pour Direct Matin). Les films palmés seraient-ils boudés par le public ? De plus en plus, semble révéler un classement établi par Nice-Matin en 2014, qui indique que les trois Palmes d’or ayant fait le plus d’entrées sont sorties dans les années 19401950, alors que les trois pires flops s’inscrivent dans les trois dernières décennies. Q. G.

Le Troisième Homme (1949) de Carol Reed

000

5 70n2trées e

Le Goût de la cerise (1997) d’Abbas Kiarostami

161 50 entré 7 es

La Symphonie pastorale (1946) de Jean Delannoy

000 6 373trées en

Oncle Boonmee (2010) d’Apichatpong Weerasethakul

127 5 11

entré

es

Le Salaire de la peur (1953) d’Henri-Georges Clouzot

000 6 94en4trées

Les Meilleures Intentions (1992) de Bille August

91 50 3

entré

es

> POLÉMIQUE

Trop vieille pour toi

© c. nieszawer

Dans une interview au site Internet The Wrap, Maggie Gyllenhaal, 37 ans, a révélé qu’elle n’avait pas obtenu un rôle à cause de son âge. L’actrice aurait été jugée trop vieille par un producteur pour interpréter la petite amie d’un homme de 55 ans. Suite à ces déclarations, la rédaction du Huffington Post français s’est penchée sur l’âge des couples représentés dans le cinéma hexagonal à travers des graphiques mesurant les différences d’âge entre acteurs et actrices. Il s’avère que l’âge des femmes est, comme à Hollywood, la plupart du temps inférieur à celui des hommes. Dans La Belle et la Bête (2014) de Christophe Gans, Vincent Cassel (alors âgé de 47 ans) a par exemple dix-neuf ans d’écart avec Léa Seydoux (28 ans à l’époque). Quant à Thierry Lhermitte, 62 ans, il totalise une différence de vingt-huit ans avec Pauline Lefèvre, 34 ans, dans le récent Nos femmes de Richard Berry. Une tendance qui, aussi bien aux États-Unis qu’en France, confirme le jeunisme et le sexisme de l’industrie cinématographique à l’encontre des femmes. Q. G.

Thierry Lhermitte et Pauline Lefebvre dans Nos femmes de Richard Berry

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e n bre f

> LE CHIFFRE DU MOIS C’est le nombre de films français sortis l’an dernier, selon une récente étude du Centre national de la cinématographie intitulée Les Principaux Chiffres du cinéma en 2014. Le chiffre atteste de la vitalité du cinéma et des distributeurs hexagonaux, puisqu’il n’a pas été aussi élevé « depuis au moins 1975 », toujours selon le CNC, ainsi que le rapporte le site Internet de La Tribune. T. Z.

> DÉPÊCHES

FESTIVAL

V.O.D.

COURT METRAGE

Du 26 juin au 5 juillet, la 43e édition du festival international du film de La Rochelle rendra notamment hommage à Louis Feuillade, Luchino Visconti, Olivier Assayas, Hou Hsiao-hsien, Marco Bellocchio, ainsi qu’au cinéma géorgien d’aujourd’hui.

Le site de vidéo à la demande LaCinetek, consacré aux grands classiques du xxe siècle, sera lancé en septembre. Son catalogue sera sélectionné et présenté par un comité de cinéastes du monde entier, parmi lesquels James Gray, Bertrand Bonello et Bong Joon-ho.

Le festival Côté Court revient du 10 au 20 juin, en Seine-Saint-Denis. Outre une compétition regroupant cinquante et un courts métrages, il propose des rétrospectives consacrées à Marguerite Duras ou à Abel Gance, ainsi que des soirées dédiées à l’art vidéo.

> LA TECHNIQUE

> LA PHRASE

L’évolution du personnage principal d’Un Français, le skinhead Marco, s’accompagne d’une impressionnante transformation physique : musculeux et glabre au début du film, il prend de l’embonpoint et se laisse pousser la barbe et les cheveux à mesure que le temps passe. Pour accomplir cette métamorphose en respectant le calendrier du tournage et en évitant les postiches, le réalisateur Diastème a filmé dans l’ordre inverse de la chronologie de son histoire. Alban Lenoir, qui interprète Marco, a débuté le tournage avec quelques kilos en trop, une belle barbe et une épaisse tignasse. Et à mesure que le tournage progressait, il s’est fait couper les cheveux, raser la barbe et s’est, littéralement, affamé pour se bâtir à rebours le physique du personnage tel qu’on le découvre au début du film. J. D. Un Français de Diastème Sortie le 10 juin

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John Waters Invité à la Rhode Island School of Design pour se voir remettre un prix honorifique, le réalisateur de Pink Flamingos et de Female Trouble s’est ainsi adressé aux étudiants de l’école :

« À VOTRE TOUR DE FOUTRE LE BORDEL. »

© daniel zuchnik / wireimages

Un Français

© mars distribution

© stanislas bouvier

PAR J. M.


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e n bre f

© d.r.

EN TOURNAGE

> COURT MÉTRAGE

Kung Fury Mi-avril, le Net découvrait avec émerveillement le clip de True Survivor. David Hasselhof (K 2000, Alerte à Malibu) y interprète avec fougue un titre reprenant tous les codes des années 1980. Une vidéo qui faisait office d’annonce pour le court métrage Kung Fury de David Sandberg. Grâce à une campagne de financement participatif qui a levé 630 000 dollars, ce Suédois de 29 ans a pu réaliser trente minutes d’hommage aux films de genre des eighties. Il y incarne un superflic expert en kung-fu qui affronte pêle-mêle une borne d’arcade démoniaque, des dinosaures, et Hitler et ses sbires. Très réussi, le film a été projeté à la Quinzaine des réalisateurs et peut maintenant se visionner gratuitement sur Internet . T. Z.

LIVRE

© mars distribution

© universal pictures international france

www.kungfury.com

Eugène Green dirigera Mathieu Amalric et Natacha Régnier sur le tournage du Fils de Joseph, un polar construit autour des retrouvailles entre un père et son fils • Richard Linklater s’inspirera de l’univers de son film Génération Rebelle (1993) pour Everybody Wants Some, qui racontera le dernier week-end d’un groupe d’amis à la veille de leur entrée à l’université • Julie Delpy commencera cet automne à Londres le tournage de Zoé. La réalisatrice et actrice tiendra l’un des rôles principaux du film, qui mettra en scène une petite fille dont les parents sont en train de divorcer. J. M.

Spring Breakers de Harmony Korine, 2013

> CYCLE

La Jeune fille

Le Forum des images se penche sur la représentation de la jeune fille au cinéma. À travers une programmation éclectique, le spectateur pourra notamment s’interroger sur les différents stéréotypes genrés que véhicule cette figure. Quelle différence, à un demi-siècle d’intervalle, entre la Lolita de Kubrick (1962) et les ados flingueuses de Spring Breakers (2013) de Harmony Korine ? Quel discours sur la cellule familiale porte le personnage de Suzanne, joué par Sandrine Bonnaire, dans À nos amours (1983) de Maurice Pialat ? Que disent les égéries godardiennes – Anna Karina dans Vivre sa vie (1962), Chantal Goya dans Masculin féminin (1966) – sur l’émancipation féminine dans la société française des années 1960 ? L’enseignante et chercheuse Adrienne Boutang apportera sans doute quelques réponses à ses passionnantes questions lors d’un cours de cinéma intitulé « La Jeune Fille, une fiction fragile ». Q. G. du 10 juin au 26 juillet au Forum des images

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Dans Sick in the Head. Conversations About Life and Comedy, Judd Apatow a regroupé des entretiens avec des artistes qui ont fait de l’humour leur métier. On y retrouve notamment l’animateur Jon Stewart, les comédiens Louis C.K. et Chris Rock, ainsi que la réalisatrice et actrice Lena Dunham. Certaines interviews remontent à 1983, lorsque Apatow travaillait pour la radio de son lycée. À quand la traduction française ? J. M.

Sick in the Head. Conversations About Life and Comedy de Judd Apatow (Random House) Sortie le 16 juin


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ag e n da

Sorties du 10 juin au 8 juillet Être de Fara Sene avec Bruno Solo, Salim Kechiouche… Distribution : Cinétévé Durée : 1h24

10 juin Comme un avion de Bruno Podalydès avec Bruno Podalydès, Agnès Jaoui… Distribution : UGC Durée : 1h45 Page 23

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L’Éveil d’Edoardo de Duccio Chiarini avec Matteo Creatini, Francesca Agostini… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h26 Page 68 La Ligne de couleur de Laurence Petit-Jouvet Documentaire Distribution : Avril Durée : 1h19 Page 68

Contes italiens de Paolo et Vittorio Taviani avec Riccardo Scamarcio, Kim Rossi Stuart… Distribution : Bellissima Films Durée : 1h55 Page 58

Valley of Love de Guillaume Nicloux avec Isabelle Huppert, Gérard Depardieu… Distribution : Le Pacte Durée : 1h32 Page 56

Mustang de Deniz Gamze Ergüven avec Güne Nezihe ensoy, Do a Zeynep Do u lu… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h34 Page 70

Le Monde de Nathan de Morgan Matthews avec Asa Butterfield, Rafe Spall… Distribution : Synergy Cinema Durée : 1h51 Page 58

La Dame de Shangaï d’Orson Welles avec Rita Hayworth, Orson Welles… Distribution : Park Circus Durée : 1h32 Page 62

Spy de Paul Feig avec Melissa McCarthy, Rose Byrne… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h Page 72

Un Français de Diastème avec Alban Lenoir, Samuel Jouy… Distribution : Mars Durée : 1h38 Page 58

L’Échappée Belle d’Émilie Cherpitel avec Clotilde Hesme, Florian Lemaire… Distribution : Pyramide Durée : 1h16 Page 62

Vice-Versa de Pete Docter et Ronnie del Carmen Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h34 Page 96

Cendres d’Idrissa Guiro et Mélanie Pavy Documentaire Distribution : Docks 66 Durée : 1h14 Page 60

La Résistance de l’air de Fred Grivois avec Reda Kateb, Ludivine Sagnier… Distribution : Gaumont Durée : 1h38 Page 62

Des pierres en ce jardin de Pascal Bonnelle avec Aurélien Recoing, Karine Reynouard… Distribution : Les Films à Fleur de Peau Durée : 1h32

Une équipe de rêve de Mike Brett et Steve Jamison Documentaire Distribution : Bodega Films Durée : 1h37 Page 60

The Duke of Burgundy de Peter Strickland avec Sidse Babett Knudsen, Chiara D’Anna… Distribution : The Jokers / Bac Films Durée : 1h46 Page 64

Le Souffle d’Alexander Kott avec Elena An, Karim Pakachakov… Distribution : ZED Durée : 1h35 Page 62

La Bataille de la montagne du Tigre de Tsui Hark avec Zhang Hanyu, Lin Gengxin… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h20 Page 66

Les Mille et Une Nuits. L’inquiet de Miguel Gomes avec Crista Alfaiate, Miguel Gomes… Distribution : Shellac Durée : 2h05 Page 40

Jurassic World de Colin Trevorrow avec Chris Pratt, Bryce Dallas Howard… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h04 Page 62

Cavanna. Jusqu’à l’ultime seconde, j’écrirai de Denis et Nina Robert Documentaire Distribution : Rezo Films Durée : 1h30 Page 68

A Love You de Paul Lefèvre avec Antoine Gouy, Paul Lefèvre… Distribution : EuropaCorp Durée : 1h30 Page 72

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Sorties du 10 juin au 8 juillet Entourage de Doug Ellin avec Adrian Grenier, Kevin Connolly… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h44 Page 72

Une seconde mère d’Anna Muylaert avec Regina Casé, Michel Joelsas… Distribution : Memento Films Durée : 1h52 Page 78

Terminator. Genisys d’Alan Taylor avec Arnold Schwarzenegger, Emilia Clarke… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h59 Page 78

Une mère de Christine Carrière avec Mathilde Seigner, Kacey Mottet-Klein… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h40 Page 72

Gunman de Pierre Morel avec Sean Penn, Jasmine Trinca… Distribution : StudioCanal Durée : 1h57

Love & Mercy. La véritable histoire de Brian Wilson des Beach Boys de Bill Pohlad avec Paul Dano, John Cusack… Distribution : ARP Sélections Durée : 2h02 Page 80

L’Année prochaine de Vania Leturcq avec Constance Rousseau, Jenna Thiam… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h45 Page 74

Le Petit Dinosaure et la vallée des merveilles de Don Bluth Animation Distribution : Splendor Films Durée : 1h08

Lost for Words de Stanley J. Orzel avec Sean Faris, Grace Huang… Distribution : Chapeau Melon Durée : 1h47

Unfriended de Levan Gabriadze avec Shelley Hennig, Moses Jacob Storm… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h23 Page 74

Poltergeist de Gil Kenan avec Sam Rockwell, Rosemarie DeWitt… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h34

Le Prince de Hombourg de Marco Bellocchio avec Andrea Di Stefano, Barbora Bobulova… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h25

Le Retour de Fabiola de Jairo Boisier avec Paola Lattus, Catalina Saavedra… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h24 Page 74

1er juillet

8 juillet

Stand de Jonathan Taïeb avec Renat Shuteev, Andrey Kurganov… Distribution : Grizouille Films Durée : 1h27 Page 74

Tale of Tales de Matteo Garrone avec Salma Hayek, Vincent Cassel… Distribution : Le Pacte Durée : 2h Page 32

Le Troisième Homme de Carol Reed avec Joseph Cotten, Alida Valli… Distribution : Studio Canal Durée : 1h44 Page 26

Un moment d’égarement de Jean-Francois Richet avec François Cluzet, Vincent Cassel… Distribution : Mars Durée : 1h45 Page 74

Victoria de Sebastian Schipper avec Laia Costa, Frederick Lau… Distribution : Jour2fête / Version Originale / Condor Durée : 2h14 Page 34

Hill of Freedom de Hong Sang-soo avec Ry Kase, Moon So-ri… Distribution : Les Acacias Durée : 1h06 Page 28

Masaan de Neeraj Ghaywan avec Richa Chadda, Vicky Kaushal… Distribution : Pathé Durée : 1h43 Page 76

Fantasia de Wang Chao avec Hu Rui-jie, Su Su… Distribution : Nour Films Durée : 1h25 Page 78

Microbe et Gasoil de Michel Gondry avec Théophile Baquet, Ange Dargent… Distribution : StudioCanal Durée : 1h43 Page 80

Mezzanotte de Sebastiano Riso avec Davide Capone, Pippo Delbono… Distribution : Outplay Durée : 1h34 Page 76

Les Profs 2 de Pierre-François Martin-Laval avec Kev Adams, Isabelle Nanty… Distribution : UGC Durée : N.C. Page 78

Difret de Zeresenay Mehari avec Meron Getnet, Tizita Hagere… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h39 Page 80

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Amy d’Asif Kapadia Documentaire Distribution : Mars Durée : 2h07 Page 82

Les Minions de Pierre Coffin et Kyle Balda Animation Distribution : Universal Pictures Durée : 1h31 Page 82

Que viva Eisenstein! de Peter Greenaway avec Elmer Bäck, Luis Alberti… Distribution : Pyramide Durée : 1h45 Page 84

Daddy Cool de Maya Forbes avec Mark Ruffalo, Zoe Saldana… Distribution : Bac Films Durée : 1h30 Page 82

Self Made de Shira Geffen avec Sarah Adler, Samira Saraya… Distribution : Paname Durée : 1h29 Page 84

Insidious. Chapitre 3 de Leigh Whannell avec Dermot Mulroney, Stefanie Scott… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h37

Magic Mike XXL de Gregory Jacobs avec Channing Tatum, Matt Bomer… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h55 Page 82

Dior et moi de Frédéric Tcheng avec Jennifer Lawrence, Marion Cotillard… Distribution : Dissidenz Films Durée : 1h30 Page 84

Rosa la Rose. Fille publique de Paul Vecchiali avec Marianne Basler, Jean Sorel… Distribution : Shellac Durée : 1h32


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histoires du

CINéMA

VICTORIA

Rencontre avec le réalisateur allemand Sebastian Schipper p. 34

MIGUEL GOMES

Le cinéaste portugais nous raconte ses Mille et Une Nuits p. 40

CANNES

Portfolio et compte rendu du 68e Festival de Cannes p. 48

Bruno Podalydès Après Adieu Berthe. L’enterrement de mémé (2012), Bruno Podalydès continue de naviguer dans les eaux de la comédie française. Dans Comme un avion, il campe Michel, un féru d’aéropostale qui, au hasard d’une recherche sur Google, se passionne pour le kayak et part à l’aventure sur une rivière, avant de trouver refuge dans une chaleureuse guinguette. Le cinéaste se cale sur le rythme paisible du cours d’eau pour conter ce qui devient un récit d’éternel retour, à la fois tendre et burlesque. Rencontre. PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

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© fabien breuil

« J’aime vraiment les avions, le kayak et les guinguettes. »


h istoi re s du ci n é ma

C

omment vous est venue l’idée de départ de Comme un avion ? En général, mes films démarrent par la rencontre de deux images primitives. Pour celui-ci, je voyais un kayak caché dans une armoire, comme un amant dans un vaudeville. L’autre image, c’était les quatre mousquetaires que font les robinets d’une fontaine d’absinthe, fontaine qui se trouverait au sein d’une petite communauté, dans une guinguette. C’est drôle, parce que le kayak dans l’armoire n’est pas dans le film. Une image primitive peut ne servir que de moule. La fontaine à absinthe est restée, mais pas la symbolique du quatrième robinet qu’on ouvre. Ensuite, j’ai navigué à vue, je me suis souvenu de voyages en kayak que j’avais faits. Il y a donc une certaine part d’autobiographie ? Oui, j’aime vraiment les avions, le kayak et les guinguettes. Comme dans votre film Liberté-Oléron (2001), Comme un avion montre un homme qui tente de concrétiser un rêve d’aventure. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce type de personnages ? Ce qui me touche beaucoup, c’est le décalage entre les aspirations et ce qu’on réalise. Peut-être un peu comme moi quand je fais un film, d’ailleurs… Je crois que le mouvement intérieur est le même, qu’on aille à cinq ou à cinq mille kilomètres. Ce qui m’amuse, c’est le changement d’échelle. Dans Comme un avion, Michel pense qu’il va rejoindre la mer et s’arrête à la première guinguette. Mais je trouve que ça reste louable, l’aspiration au voyage. Le personnage vogue aussi d’une femme à l’autre. Pourquoi en avoir fait un séducteur ? Je ne crois pas que ce soit un séducteur, il ne drague pas. Comme il est dit qu’il a 50 ans, on pense tout de suite : crise de la cinquantaine, il s’emmerde dans son boulot et dans son couple. J’ai essayé de montrer que non. Même dans le travail, il pense à autre chose, mais il n’est pas dit qu’il s’ennuie. C’est pareil avec sa femme, on voit qu’il l’aime. Quand il part en voyage, ce n’est pas pour la fuir. Il dit d’ailleurs : « Voyager, ce n’est pas quitter. » Je ne voulais pas verser dans ces clichés-là.

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Il y a quelque chose de très Mai 68 dans ce retour à la nature et dans cette idée d’amour libre. C’est une époque qui vous a influencé ? Beaucoup. Je me sens proche de cette génération. J’ai grandi avec Georges Moustaki, Bob Dylan, Donovan… Un peu une génération de hippies ; pas au sens folklorique du terme, mais dans l’idée des grandes libertés gagnées. C’est une question de rapport au temps, comme dans la chanson Le Temps de vivre de Moustaki, qui est vraiment un manifeste important. Je crois qu’il y a une résistance de ce côté-là. L’idée de Jean Renoir, qu’il a très bien filmée, c’est qu’on est comme un bouchon dans le courant. On résiste, on essaye de s’inscrire dans la société, dans les normes, et puis forcément, à un moment, le bouchon saute. Le film est coupé en deux, entre le quotidien de Michel qui se prépare à partir et le temps de l’aventure. Comment avez-vous pensé cette construction ? C’était toute la difficulté. Dans pratiquement chacun de mes films, il y a plusieurs parties. C’est très difficile pour moi de faire un seul bloc, j’angoisse un peu s’il n’y a pas de rupture. J’ai, par exemple, toujours pensé que les préparatifs d’une fête ou ce qui se passait après comptaient autant que la soirée elle-même. J’adore les fins, les gens fatigués qui déambulent sur un trottoir. Tout comme les gens qui se pouponnent chez eux. Vous vous étiez déjà donné le premier rôle dans le court métrage Montmartre, votre segment du film collectif Paris, je t’aime, sorti en 2006. Cela modifie-t-il votre jeu ou votre manière de filmer ? Ça influence, forcément. Il y a une continuité entre la mise en scène et son accomplissement, c’est très agréable. Et puis le rapport au comédien est très simple, parce qu’on n’a pas à faire des commentaires après la prise, on a tout de suite senti si ça jouait entre nous ou pas. Pourquoi avoir choisi Sandrine Kiberlain pour jouer votre femme ? On a fait connaissance au festival de Deauville. Elle m’avait dit du bien de mon moyen métrage Versailles rive-gauche ; ça m’avait marqué. J’ai toujours aimé son jeu au cinéma, qui semble aller

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© anne-francoise brillot - why not productions

e ntreti e n

« On résiste, on essaye de s’inscrire dans la société, dans les normes, et puis forcément, à un moment, le bouchon saute. » de soi. Elle ne fait pas d’effets. J’adore ça. On a passé une journée bouleversante pour les obsèques d’Alain Resnais. C’est là que j’ai constaté qu’il y avait une familiarité entre nous, en partie générationnelle. Je me suis dit qu’elle serait formidable pour jouer ma femme. On sent une grande complicité entre vous deux à l’écran. Oui, c’était immédiat. Et Sandrine s’est parfaitement intégrée dans le rythme du tournage. J’observe beaucoup le rapport de mes acteurs avec l’équipe. Avec elle, c’était une espèce d’osmose immédiate. C’était fondamental pour moi. C’était aussi la première fois que je tournais avec Agnès Jaoui. Comme elle est réalisatrice, je sentais qu’elle était, au début, dans une observation de cinéaste. Sandrine, c’est vraiment une interprète. Le film dégage une grande tranquillité. Était-ce aussi simple au tournage ? Ça a été merveilleux, parce que l’équipe l’était. C’est ce qu’on dit à chaque fois, mais là, c’est particulièrement vrai, parce qu’il fallait être patient, zigzaguer entre les averses, puisque l’été dernier a été très pluvieux. Le kayak induit un rythme, forcément. Mais c’est dur à filmer, à cause du courant, il faut que tout le monde dérive en même temps. La rive change, il faut échapper aux branches, la prise

de son est difficile, on passe de l’ombre à la lumière tout le temps. C’est à la fois beau et compliqué. Au montage, quelques raccords secs tranchent avec ce rythme paisible. C’est certainement intentionnel, parce que les effets de rupture sont toujours stimulants. Mais selon moi, le montage vient au contraire surtout accentuer le rythme paisible du film ; notamment quand je suis tracté avec la voiture dans le kayak. Je crois que c’est dangereux que le montage aille à l’encontre du rythme d’un tournage. Il faut l’assumer, tant pis. C’est contre-nature d’essayer de pallier au montage. Le spectateur sent tout de suite le rythme d’un plan, la vitesse de débit des personnages. Quels seront vos prochains projets ? J’en ai toujours plusieurs sur le feu, mais je ne peux pas répondre, parce qu’aucun n’est engagé, économiquement parlant. J’ai déjà besoin d’éprouver l’accueil de celui-ci. Je comprends beaucoup de choses en participant aux débats, en répondant aux interviews. Je fais un point sur moi-même. Comme un avion de Bruno Podalydès avec Bruno Podalydès, Agnès Jaoui… Distribution : UGC Durée : 1h45 Sortie le 10 juin

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h istoi re s du ci n é ma – scè n e cu lte

La réplique :

« Si vous le voyez, tirez ! »

Le Troisième Homme Quand l’écrivaillon Holly Martins (Joseph Cotten) débarque à Vienne pour retrouver son ami Harry Lime (Orson Welles), ce dernier vient de mourir dans un accident. Mais Martins suspecte que cette disparition n’a rien de fortuit… Chef-d’œuvre du polar de l’après-guerre, Le Troisième Homme (1949) fascine par son ampleur métaphorique et son implacable mélancolie.

© studio canal

PAR MICHAËL PATIN

P

as facile de choisir un extrait de ce classique du polar américain dans lequel le dynamisme de la mise en scène rivalise avec la densité jubilatoire du scénario. Certains opteront pour la confrontation, dans une grande roue, entre le héros et le « troisième homme », au cours de laquelle la guerre se révèle comme une farce éternellement rejouée. Nous lui préférerons l’ultime séquence de poursuite durant laquelle Orson Welles, incarnation d’une civilisation putréfiée, est acculé dans les égouts de Vienne par la coalition des polices alliées. « Si vous le voyez, tirez ! », ordonne leur chef. La vélocité du montage, enchaînant les plans décadrés et minutieusement composés, et le travail sur les ombres, ouvertement inspiré de l’expressionnisme allemand, atteignent

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ici leur apogée. Dans cette longue séquence, le mal a toujours un temps d’avance, jusqu’à ce moment extraordinaire où Welles s’immobilise, encerclé par les voix de ses poursuivants qui s’échappent par toutes les ouvertures, comme celles des monstres de sa conscience. Mais dans ce monde aux codes dévoyés où l’enfer est en haut et le paradis en bas, la métaphore est toujours ambiguë. Après un échange de regards résignés, le coup de feu fatal est tiré hors champ par Cotten. De l’innocence, il ne reste qu’une silhouette hagarde au bout du tunnel. Le Troisième Homme de Carol Reed avec Joseph Cotten, Orson Welles… Distribution : StudioCanal Durée : 1h44 Ressortie le 8 juillet

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départ

avance de 3 cases

Faire l’amour

Se balader en solitaire

Soirée arrosée au soju

Piquer la copine d’un ami

Tomber sur son prof de cinéma

Tomber sur Isabelle Huppert

Dire du mal d’un rival dans son dos

avance de 3 cases

Une étreinte

PAR HENDY BICAISE – illustrations de jérémie leroy

recule de 3 cases

saoûl

complètement

Faire l’amour...

Héler un taxi, saoûl, à 2h30 du matin

Le cinéma du Sud-Coréen Hong Sang-soo décrit avec légèreté les mésaventures amoureuses de ses personnages, amenés à vivre les mêmes expériences, à passer par les mêmes cases pour tenter au tour suivant de faire de meilleurs choix et d’atteindre enfin une forme de résilience sentimentale. Cet été, Hill of Freedom (lire la critique page suivante) rebat les cartes pour prolonger l’étude patiente et émouvante de ces histoires d’amour à l’épreuve du temps. À votre tour de lancer les dés.

Héler un taxi, saoûl, à 4h30 du matin

Scène de jalousie

se faire poser un lapin

Poser un lapin


Lecture au café

Piquer la copine d’un ami

Drague insistante

Tomber sur son étudiante en cinéma

Dans Conte de cinéma (2005), c’est la stupeur quand un personnage sort d’une salle de cinéma, nous apprenant que la moitié du récit écoulée n’était qu’un film dans le film. Un artifice loin d’être gratuit tant il nourrit le reste de l’intrigue, comme les rêves de Night & Day (2008) ou de Haewon et les hommes (2013).

Objet du désir et figure d’autorité, l’enseignant en cinéma n’est presque jamais filmé dans sa salle de classe. Hors les murs, son magnétisme vacille et les rôles s’inversent : alors qu’il finit par se montrer lâche ou impatient, les étudiantes, un temps sous son charme, y paraissent soudainement moins sensibles.

recule de 10 cases

Ce n’était qu’un film

L’amour se conjugue souvent au passé chez Hong Sang-soo – avec le temps les souvenirs se bonifient. Les personnages partent en pèlerinage sur les lieux d’un passé heureux, tels les amants du Pouvoir de la province de Kangwon ou, plus récemment, ceux de Sunhi et de Haewon et les hommes.

Alcool de prédilection chez Hong Sang-soo, le soju agit comme un sérum de vérité. Ce sont d’abord les langues qui se délient, puis les corps qui lâchent. L’un des fêtards finit régulièrement traîné à bord d’un taxi, et ce depuis la première soirée arrosée de La Vierge mise à nue par ses prétendants (2000).

Être coincé dans un triangle amoureux

Dans In Another Country (2012), Isabelle Huppert interprète trois rôles différents, mais le prologue indique qu’il s’agit de personnages de fiction. Aucune chance, non plus, de croiser Jane Birkin en Corée du Sud. Dans Haewon et les hommes, la rencontre de l’héroïne avec l’actrice n’était qu’un rêve.

Après la soirée au bar, et le retour – en taxi ou à pied – bon an mal an, la maladresse redouble dans l’intimité. Le sexe est rarement gracieux chez Hong Sang-soo. Belle illustration dans Le Pouvoir de la province de Kangwon (1998), au cours duquel un jeune policier s’agite sur Jisook tel un poisson hors de l’eau.

avance de 3 cases

Un baiser

La lâcheté caractérise souvent les personnages masculins de Hong Sang-soo – la fuite en France du héros de Night & Day. Le reste du temps, les hommes sont menteurs voire immoraux. Dans la femme est l’avenir de l’homme (2004) ou dans Woman on the Beach (2006), ils n’éprouvent aucune gêne à piquer la fiancée d’un ami.

Figure majeure de son cinéma, le triangle amoureux est le plus souvent constitué de deux hommes et d’une femme (La femme est l’avenir de l’homme, Ha ha ha…). À trois garçons, ça ne marche plus : ils finissent par former tout seuls un triangle amer, comme c’est le cas lors de l’épilogue de Sunhi (2013).

Se balader sur la plage

arrivée

retour à la case départ

Ce n’était qu’un rêve

Soirée arrosée à la bière

Se rendre en pèlerinage sur les lieux d’un passé heureux

Tomber sur Jane Birkin


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CRITIQUE

Hill of Freedom Paré d’une grammaire minimaliste toujours aussi maîtrisée, Hong Sang-soo inscrit un nouveau chapitre à sa grande dissertation sur les aléas de l’amour et de l’existence. Un chapitre à la fois proverbial et méandreux, idéalement émietté par les caprices du temps. PAR LOUIS BLANCHOT

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ientôt deux décennies que le Rohmer coréen nous gratifie une fois l’an de ses irrésistibles mélos miniatures. Et pour le spectateur, la sensation d’aborder chaque nouveau film avec un mélange de quiétude et d’expectative : quiétude, face à un univers rebattu et familier, fait de dîners alcoolisés, d’amours hésitantes et d’existences boiteuses ; expectative, parce qu’au sein de cette horlogerie embryonnaire on sait combien la moindre variation peut venir chambouler les habitudes, comme un petit caillou ferait dérailler un train. C’est tout le prodige de Hong Sang-soo : réussir chaque fois à nous égarer dans un labyrinthe que l’on pensait connaître par cœur. Ici, un Japonais retourne à Séoul pour retrouver la femme qu’il aime et décide pour ce faire de se rendre au café qu’elle avait pris l’habitude de fréquenter – le Hill of Freedom du titre. Sauf que la propriétaire du lieu se révélera très entreprenante, au point de l’attirer irrésistiblement dans son lit. Lancé à la recherche d’un vieil amour, le voilà déjà encombré par un autre. L’originalité du film tient à sa construction temporelle discrètement chamboulée, comme si le réalisateur avait fait tomber ses séquences par terre et les avait montées au hasard. Cette chronologie aléatoire, qui participe évidemment de l’épanouissement contrarié des affects

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propres au cinéma de Hong, trouve son principe actif dans un essai philosophique que le protagoniste trimbalera comme une bible durant tout le métrage. Celui-ci prétend que le temps ne serait pas une réalité objective, mais un simple cadre mental organisant notre rapport aux choses — que l’on devrait dès lors avoir le droit de vivre notre vie dans le désordre, ou de pouvoir interrompre une relation puis de la reprendre des années plus tard. Multipliant les raccords secrets et les faux coulissements, le cinéaste s’appuie sur cette note d’intention pour coincer son croquis (soixante-six minutes) entre le prosaïsme du quotidien et l’évanescence des rêves. Dans la pension où la majorité du récit prend ses quartiers, la vie a par ailleurs des airs de Mikado : impossible de déplacer une baguette sans faire bouger les autres. Les histoires de chacun cohabitent et se bousculent, avant de rentrer bizarrement dans l’ordre au prix d’une déconcertante absence d’explication. Comme si, sur l’énigme de l’amour, l’homme pouvait avoir son avis (on parle beaucoup chez Hong Sang-soo) mais devait définitivement se résoudre a n’avoir aucune prise. de Hong Sang-soo avec Ry Kase, Moon So-ri… Distribution : Les Acacias Durée : 1h06 Sortie le 8 juillet

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TALE OF TALES

© philippe quaisse / pasco

SALMA HAYEK

« La reine que j’incarne est fragile, en souffrance, dévorée par son désir de maternité. » 32

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i nte rvi ew

Après Gomorra et Reality, Grands prix du jury à Cannes en 2008 et 2012, Matteo Garrone est cette fois reparti bredouille de la Croisette. Dans Tale of Tales, conte foisonnant où se côtoient rois, princesses, sorciers, monstres et autres lavandières, le réalisateur italien transforme Salma Hayek en reine consumée par son envie d’enfanter. Rencontre, à Cannes, avec l’actrice libano-mexicaine. PROPOS RECUEILLIS PAR MEHDI OMAÏS

V

ous avez été la toute première recrue du casting de Tale of Tales. Avez-vous été surprise que Matteo Garrone fasse appel à vous ? J’ai été flattée qu’il pense à moi dès l’écriture du projet. Mon personnage va à contre-courant de la figure de la méchante belle-mère qui déteste les enfants au point de vouloir les tuer ou qui jalouse la beauté des autres. La reine que j’incarne est au contraire fragile, en souffrance, dévorée par son désir de maternité. J’étais vraiment heureuse de pouvoir me glisser sous ses traits. Comme elle, pensez-vous qu’avoir un enfant est la clé de la plénitude pour une femme ? Non, pas du tout. D’un point de vue général, que vous soyez un homme ou une femme, je pense qu’il ne faut pas placer ses attentes de bonheur sur une seule personne. Le film est adapté des contes de Giambattista Basile – lesquels ont inspiré des auteurs comme Charles Perrault ou Jacob et Wilhelm Grimm. Les avez-vous lus ? Non. Je ne suis d’ailleurs pas certaine qu’il existe des traductions de son œuvre. De toute façon, je n’aime pas me plonger dans un livre avant de participer à sa transposition à l’écran. Je ne suis pas du genre à faire tout un tas de recherches façon Actors Studio – j’ai procédé ainsi uniquement pour Frida et pour Savages. Ma priorité est de satisfaire la vision du cinéaste. Sans avoir lu le texte de Basile, je remarque qu’il parlait déjà très bien, dès le xviie siècle, de ces femmes qui essaient de préserver ce qui leur est cher. Ses héroïnes ne veulent rien céder quand il est question de leur jeunesse, leurs enfants, leur liberté… Ces héroïnes essaient de se défendre dans un monde régi par les hommes. Vincent Cassel, par exemple, joue un roi obsédé par le sexe qui consomme les demoiselles à tour de bras. Tobey Jones, lui, sacrifie sa fille en mariage et l’offre à un ogre macho… Certaines thématiques explorées sont toujours d’actualité… Hier comme aujourd’hui, notre monde a besoin de nouvelles perspectives. On

a longtemps essayé la méthode masculine, et je pense que, dans l’intérêt de tous, il serait bon de donner un peu le pouvoir aux femmes. Pourriez-vous faire de la politique ? Jamais, même si j’ai étudié les sciences politiques et les relations internationales. En revanche, faire de l’humanitaire, oui. Raison pour laquelle j’ai rendu visite aux familles brisées par la crise syrienne [de passage au Liban, en avril dernier, pour présenter Le Prophète, le film adapté du best-seller de Khalil Gibran qu’elle a produit, l’actrice s’est rendue dans un camp de réfugiés de l’UNICEF situé dans la plaine de la Bekaa, ndlr]. C’est important pour moi. Quel type de réalisateur est Matteo Garrone ? C’est quelqu’un de courageux et d’entièrement dévoué à son travail. Son plateau pourrait être assimilé à un laboratoire. Pour chaque scène, il fait des essais, teste les couleurs, les textures… Si bien qu’au final chaque plan ressemble à un tableau méticuleusement composé. Et si parfois un élément du décor ne lui convient pas, il est capable de déplacer toute l’équipe. Je ne vous dis pas le bazar pour trimbaler le matériel et mes robes qui pesaient trois tonnes. Enfant, quels contes lisiez-vous ? Ma grand-mère, qui était une écrivaine frustrée, me racontait tous les soirs des historiettes incroyables. Elle les inventait. Son imagination n’avait aucune limite. J’étais chanceuse, car c’était bien mieux que tous les contes qui pouvaient me tomber sous la main. Et ce qui est génial, c’est que ma mère fait la même chose aujourd’hui avec ma fille. Je lui lis aussi des livres, pour lui donner le goût des mots. Je suis fan des œuvres de Theodor Seuss Geisel [l’auteur du Grincheux qui voulait gâcher Noël, adapté au cinéma en 2000 par Ron Howard sous le titre Le Grinch, ndlr], de sa folie, de sa musique intérieure… Elles tranchent un peu avec les contes classiques qui, n’empêche, regorgent de choses sombres et cruelles. Tale of Tales de Matteo Garrone avec Salma Hayek, Vincent Cassel… Distribution : Le Pacte Durée : 2h Sortie le 1 er juillet

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© jour2fête

victoria

C

Sebastian Schipper

En sortant de boîte de nuit, Victoria sympathise avec une bande de jeunes hommes désœuvrés, tombe sous le charme de l’un d’eux et se trouve embarquée dans un braquage… Composé d’un plan-séquence unique de plus de deux heures, le quatrième long métrage de l’Allemand Sebastian Schipper s’appuie sur un dispositif absolument remarquable. Mais la prouesse (pour l’équipe technique comme pour les acteurs) vaut aussi d’être saluée pour la charge émotionnelle que cette immersion en temps réel délivre au spectateur. Rencontre avec le réalisateur. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

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omment est née l’idée de ce long métrage en un plan-­ séquence unique ? Je travaillais sur un scénario depuis très longtemps. Quand on y pense, l’étape du scénario, c’est une folie en soi. C’est comme de planifier un voyage dans les moindres détails, sans laisser de place aux imprévus, aux rencontres, aux ratés : ce n’est pas excitant. Bref, je m’asseyais chaque jour sagement devant mon bureau pour écrire, et je me suis surpris à rêver de dévaliser une banque. Pas pour l’argent, mais pour que quelque chose se passe dans ma vie. Comme je ne suis pas un braqueur, je me suis dit que je pouvais faire un film sur un braquage. Puis j’ai pensé : « Merde, maintenant je dois de nouveau écrire un scénario, tout prévoir, tout savoir à l’avance. » J’étais revenu à mon point de départ. C’est là qu’est venue l’idée de la prise unique, pour retrouver l’énergie, la folie d’un braquage. On imagine pourtant qu’il faut une prépa­ration minutieuse pour tourner un film de plus de deux heures en une seule prise… Pas vraiment. On a fait trois prises uniques complètes, et elles ont toutes fonctionné. J’avoue qu’on n’en revenait pas nous-mêmes. C’est là que j’ai

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vraiment compris que c’était faisable et que le challenge était ailleurs. Le challenge, c’était que les acteurs soient bons tout le long. Ils pensaient que jouer en temps réel pendant deux heures, ce serait comme du théâtre, sauf que la caméra est une arme très puissante, qui déteste quand vous mentez. Dans la première prise, ils étaient galvanisés par le concept du plan-séquence, ils étaient trop dans la performance. On a corrigé le tir pour la deuxième prise, mais, du coup, ils étaient un peu trop fous, moins concentrés, c’était bordélique. Pour la troisième et dernière prise, je leur ai demandé de s’en tenir à ce qu’on avait appris jusque-là, d’être dans l’émotion, dans l’instant présent, de ne pas anticiper la suite. Et ça a été la bonne. Concrètement, puisque vous ne pouviez pas intervenir pendant les deux heures que dure la prise, comment avez-vous travaillé avec les acteurs ? Les dialogues étaient-ils très écrits, précisément minutés ? Non, ils n’étaient pas écrits du tout. Je leur parlais parfois, de derrière la caméra. Mais j’avais défini un cadre très strict, avec beaucoup de règles, un rythme qu’on a longuement répété, et, à l’intérieur de ce cadre, ils improvisaient. À un moment, Victoria éteint une lampe et l’écran devient noir pendant quelques secondes. Là, vous auriez pu couper et raccorder avec un autre plan… Il y a toujours des gens persuadés d’avoir repéré une coupe. C’est naturel, parce que c’est très dur à admettre, surtout pour les gens du métier. Ils savent que c’est impossible, et ils ont raison. Sauf qu’ils ont tort ! Je vous assure qu’il n’y a aucune coupe. Pour être honnête, j’aurais coupé si j’avais pensé

« Le temps réel est la grande expérience du film » que c’était mieux pour le film, et je n’aurais aucun problème à le dire, parce qu’une seule coupe dans un long métrage, ça reste dingue. Dans quelle direction avez-vous travaillé avec votre cadreur ? Avant de tourner Victoria, nous avons filmé un court métrage de dix minutes en un seul plan-­ séquence pour prouver aux potentiels financeurs que c’était possible. Ça nous a permis de comprendre notamment qu’il ne faut pas que la caméra ait l’air de savoir à l’avance ce qui va se passer. Pour que ça fonctionne, il faut que ce soit un peu chaotique, que le cadreur travaille sur l’instant, à la manière d’un photographe de guerre. Le cinéma, c’est l’art du montage, de l’ellipse. Comment avez-vous travaillé avec la notion de temps réel, inhérente au principe du plan-séquence ? Pour moi, le temps réel est la grande expérience du film. Le temps, c’est sans doute le concept le plus mystique, le plus incompréhensible de l’univers. Le film dure deux heures et quatorze minutes, mais on a le sentiment qu’en réalité il s’écoule quatre heures, que toute cette histoire, très dense, ne peut pas être contenue en l’espace de deux heures. Pourtant si, puisqu’il n’y a aucune coupe, que tout se déroule là, en temps réel, sous vos yeux. Cela crée un sentiment très étrange, une artificialité très paradoxale et assez fascinante.

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« Victoria a été sérieuse toute sa vie, studieuse, elle a besoin de tout faire sauter.  » À deux reprises, vous coupez le son direct au profit d’une musique extérieure à l’intrigue, procédé qui apporte une dimension presque onirique et qui participe à cette dilatation du temps. Oui, cela fait l’effet d’une ellipse, on a le sentiment que le temps s’écoule différemment. Ça offre aussi un peu de répit au spectateur, un sas de décompression qui lui permet de sortir de l’immersion complète. Victoria est espagnole, les garçons sont allemands. En quoi Berlin était-il le lieu idéal pour filmer la rencontre entre ces jeunes de pays différents ? D’abord, c’est assez réaliste : beaucoup de jeunes Européens viennent s’installer à Berlin, parce que la vie n’y est encore pas trop chère. Ensuite, l’Allemagne est un des pays les plus riches du monde, et pourtant nous avons des jeunes qui, comme ceux du film, sont sans boulot et n’ont quasiment aucune perspective d’avenir – peu importe qu’ils aient été de bons gamins. C’est comme si le monde leur disait : « On n’a pas besoin de vous. » C’est une très grande tragédie. Victoria a d’ailleurs passé toute sa vie à travailler dur pour devenir pianiste, pour finalement s’entendre dire qu’elle n’était pas assez bonne. Victoria est un peu comme moi face à mon scénario. Elle a été sérieuse toute sa vie, studieuse, elle a besoin de tout faire sauter. À l’origine, c’était un peu l’histoire de la fille sage qui tourne mal. Mais,

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après la première prise, ça m’a semblé trop cliché. Avec Laia Costa [qui joue Victoria, ndlr], on a donc décidé de faire d’elle une idéaliste. Si elle croit en quelque chose, elle se donne à 100 %. Elle n’a pas peur, elle fonce – contrairement aux garçons, qui sont terrorisés par le braquage. La bande des garçons forme un groupe attachant. Ils sont drôles, il y a beaucoup de bienveillance entre eux. Je suis content que vous disiez ça, parce qu’il y a une tradition, dans le cinéma français, que j’aime beaucoup, et qui convoque ce genre de personnages positifs. Des films comme La Haine de Mathieu Kassovitz [1995, ndlr] bien sûr, mais surtout Le Thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef [1985, ndlr]. C’est un film magnifique, l’un des premiers sur la banlieue, et l’un des plus émouvants sur l’amitié. Les garçons de mon film sont des gamins défavorisés à qui la société ne laisse aucune chance. Ils volent une bière s’ils peuvent, mais ils ne braqueraient pas une banque – c’est la vie qui les y pousse. Pour moi, c’est avant tout un film sur la solidarité. J’aime la solidarité qui existe chez les jeunes. On se rencontre, on s’invite les uns les autres : « Raconte-moi ton histoire, je te raconterai la mienne. » Cette gentillesse naturelle, inconditionnelle, a tendance à disparaître avec l’âge. Victoria de Sebastian Schipper avec Laia Costa, Frederick Lau… Distribution : Jour2fête / Version Originale / Condor Durée : 2h14 Sortie le 1 er juillet

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EN TOURNAGE

DE SAS EN SAS Début mai, aux abords de Neuilly-sur-Marne, la comédienne Rachida Brakni s’inspirait d’un épisode de sa vie pour tourner son premier long métrage, un film carcéral raconté du point de vue des femmes qui viennent voir un proche au parloir.

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© anne abitbol

PAR QUENTIN GROSSET

Rachida Brakni entourée de ses actrices

lles transpirent à grosses gouttes, paraissent abattues. Dans une lumière blafarde, dix femmes, de générations et d’origines variées, suivies par deux surveillants, montent difficilement l’escalier qui les mènera au parloir, écrasées par le poids de la chaleur. Rachida Brakni, les yeux braqués sur le moniteur de contrôle, surveille rigoureusement les positions et les déplacements de ses actrices, toutes des piles électriques. Mélange de comédiennes professionnelles (Fabienne Babe, Judith Caen…) et de novices (Samira Brahmia, Souad Flissi…), le petit groupe, une fois la prise terminée, se disperse dans le décor, un hôpital psychiatrique partiellement abandonné dans lequel est recréée la prison de Fleury-Merogis. Cet aprèsmidi, elles tourneront la dernière séquence du film : l’arrivée de ces femmes au parloir après une attente interminable dans les sas de sécurité. À 38 ans, pour son premier film, Rachida Brakni s’inspire d’un épisode de sa vie – elle a, il y a une dizaine d’années, été voir un proche en prison. Filmé en temps réel, tourné dans l’ordre

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chronologique, ce long métrage sera un huis clos carcéral non pas centré sur les détenus, qui resteront hors champ, mais sur leurs proches. L’ancienne pensionnaire de la Comédie-Française détaille son projet : « La mixité sociale et ethnique de ce lieu m’avait frappée. C’est cette confrontation entre des femmes qui autrement ne se parleraient pas qui m’intéresse. En même temps, il n’y a pas cette atmosphère pesante qu’on pourrait imaginer lorsqu’on pense à la prison. » Raphaël Clairefond, coscénariste du film, précise : « Sans entrer dans des discours sociologiques sur le voile ou autre, on essaye de montrer à travers des sous-entendus des personnages qui ont chacun un rapport différent à leur émancipation. » CANICULE

À la pause déjeuner, la troupe se remémore une baston tournée il y a quelques jours. Dans cette séquence, un gardien agrippe l’une des protagonistes et la situation dégénère. Chacune montre ses bleus. Puis Rachida Brakni lance un concours de titres pour le film. Elle ne sait pas encore si celui-ci s’intitulera De sas en sas ou Canicule. Dans le

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Fabienne Babe

film, la chaleur, le manque d’eau participent effectivement de la montée en tension entre les personnages. « Qu’est-ce qu’on gagne ? » demande Samira Brahmia, une ancienne candidate de The Voice dont l’humilité lors de sa participation à l’émission a frappé Brakni, qui lui a confié l’un des rôles clés du film, celui de Fatma, une sorte de mère courage. « Un panier garni avec du pâté et des rillettes », répond la réalisatrice, malicieuse. Les actrices n’ont pas l’air très convaincues par la récompense. Arrive alors Éric Cantona, le compagnon de Rachida Brakni, qui ne joue pas dans le film mais vient faire de la figuration. Un infirmier, qui travaille dans l’un des rares services encore ouverts dans l’hôpital, vient se faire prendre en photo avec l’acteur, pendant que Souad Flissi, qui interprète Houria, s’énerve gentiment parce qu’un figurant lui dit qu’elle ressemble à Marthe Villalonga. Cette propriétaire d’un troquet familial sur le canal SaintMartin parle d’une voix gouailleuse et éraillée de sa première expérience au cinéma : « Mon frère accessoiriste m’a dit : “Calcule pas la caméra.” Dès le premier jour c’est ce que j’ai fait, et je n’ai pas du tout été impressionnée par elle. » Concernant le décor, plusieurs pièces nues à la peinture défraîchie, Brakni indique : « Pour les sas de sécurité, j’ai demandé à mon chef déco des choses bétonnées mais graphiques. Il y avait l’idée

« C’est cette confrontation entre des femmes qui autrement ne se parleraient pas qui m’intéresse. » Rachida Brakni

d’un entonnoir qui peu à peu se referme sur les personnages. » Le plan que l’on tourne cet aprèsmidi-­là, un travelling latéral, figure tous les personnages féminins de dos, au parloir. En arrièreplan apparaissent les pieds des prisonniers dont le corps est caché par une grille. Ce sont Cantona et des amis de la réalisatrice, dont le producteur du film, Thierry Lounas, qui s’y collent. La réalisatrice leur demande de traîner leurs chaussures, en cadence. Derrière la grille, les baskets sans lacets râpent le sol dans un silence de mort. Saisissant contraste que ces hommes à la démarche affligée devant ces femmes qui les regardent, dignes et déterminées. De sas en sas de Rachida Brakni avec Samira Brahmia, Fabienne Babe… Distribution : Capricci Films Sortie : prochainement

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MIGUEL

GOMES Après Tabou, son précédent film, acclamé par la critique et par le public en 2012, le réalisateur portugais Miguel Gomes (La Gueule que tu mérites, Ce cher mois d’août) revient avec une fresque ambitieuse de six heures présentée cette année à la Quinzaine des réalisateurs. En trois épisodes, L’Inquiet, Le Désolé et L’Enchanté (qui sortent respectivement en juin, juillet et août), ces Mille et Une Nuits se penchent sur les mesures d’austérité imposées au peuple portugais entre 2013 et 2014. Pour raconter son pays, Miguel Gomes choisit la poésie, les récits encastrés, l’humour, les mythes. Certainement l’un des films les plus fous et aventureux que l’on ait pu voir sur la crise. Rencontre, à Cannes.

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PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

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Schéhérazade (Crista Alfaiate) dans Les Mille et Une Nuits. L’Inquiet

omment vous est venue l’idée de raconter la crise économique portugaise de ces dernières années au travers des Mille et Une Nuits ? J’avais prévu de réaliser un film hors de mon pays, mais, à ce moment-là, je ne pouvais pas tourner le dos à la société portugaise. Il y avait quelque chose d’urgent à filmer, et j’ai pensé qu’il y avait des points de contact entre la fiction la plus délirante et cette réalité dramatique. J’avais besoin de Schéhérazade pour conter ces histoires, justement parce que c’est la reine de la fiction. Les contes des Mille et Une Nuits sont parfois surréalistes, excessifs ou mêmes absurdes, mais ils ne sont pas forcément plus incroyables que ce qui se passe au Portugal en ces temps de crise. Au début de chacun des trois films, un carton prévient le spectateur que l’œuvre à laquelle il va assister n’est pas une adaptation des Mille et Une Nuits, mais qu’elle s’inspire de sa structure. Qu’apporte cette construction en récits enchâssés ? Une diversité qui permet de changer de registres, de points de vue, de personnages… Comme dans le livre, cela donne un aspect très baroque aux contes de Schéhérazade. Une histoire peut décrocher sur une autre, un nouveau narrateur prendre le relais du précédent. Le premier volume est celui dans lequel cet aspect est le plus frappant. On va d’un coq – qui parle – à des chômeurs, en passant par un syndicaliste. Avec cette multiplicité inhérente au projet, on prend le temps d’écouter chacun, de ne trahir personne. C’est pour cela que j’ai eu besoin de réaliser trois volets, pour ouvrir le spectre de ce qui était raconté sur la crise.

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Pour préparer le film, vous avez fait appel à des journalistes, qui vous rapportaient des faits en lien avec le quotidien précaire des Portugais. Comment s’est déroulé le processus d’écriture ? Durant l’année passée avec ces trois journalistes, on était toujours en recherche, prêts à écrire, à tourner ou à monter. Chacun d’eux me remontait des échos de l’actualité du pays, ce qui me servait de matière pour les différents contes. La grande majorité de ce qu’ils me rapportaient n’a pas donné lieu à des histoires en soi. Je ne les ai pas utilisés comme des sujets à traiter, mais ces faits peuvent apparaître comme des petits détails disséminés dans chaque segment. Par exemple, dans le conte « Les Larmes de la juge », qui figure dans le deuxième volet, Le Désolé, une juge se voit débordée par le nombre de crimes sur lesquels elle doit se prononcer. Ces délits absurdes sont en fait une compilation de ce que les journalistes ont pu repérer. Parmi la multitude d’histoires que vous ont rapportée ces trois journalistes, comment avezvous fait le tri ? Je crois que cela appartient au monde peu rationnel des désirs. Pourquoi ai-je envie de filmer un coq auquel on fait un procès parce qu’il chante la nuit ? Pourquoi ça m’intéresse d’accompagner un criminel qui parle tout seul et s’imagine taper les fesses de prostituées ? Je ne sais pas, c’est mystérieux, un désir de cinéma, mais le travail doit partir de là. Il y a une dimension instinctive aussi par rapport au choix des différents genres cinématographiques du film : le documentaire militant avec le prologue de L’Inquiet, le mélodrame avec le chien Dixie, le film de tribunal avec la juge… Je ne planifie rien quand je m’engage dans un tournage. Par exemple, je n’ai pas de discussions rationnelles

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Les Mille et Une Nuits. L’Inquiet

« Les contes des Mille et Une Nuits ne sont pas plus incroyables que ce qui se passe au Portugal en ces temps de crise. » avec mon chef opérateur. On ressent juste quelque chose devant les décors ou les personnages. Ensuite naît une forme qui n’est jamais un genre pur. C’est très intuitif. Les trois films sont caractérisés par une grande hétérogénéité. Mais, en même temps, chacun a une tonalité propre. L’Inquiet, Le Désolé, l’Enchanté… il y a là un parcours qui se dessine… C’est au montage qu’on a décidé de construire le film ainsi. Je pensais que ce serait intéressant que chaque long métrage ait sa personnalité. Pour L’Inquiet, il fallait qu’on sente d’entrée de jeu les pôles opposés : d’un côté le Portugal en crise, de l’autre la fiction sauvage. On a travaillé sur l’écart entre les deux, donc c’est le volume dans lequel on change le plus de vitesse et de logique. Le Désolé se pose presque en réaction au film qui l’a précédé : il est beaucoup plus serein, mais c’est une sérénité portée par quelque chose de sombre et de très angoissant. Il n’y a aucun espoir dans ce volet. Tous les personnages ont craqué ou, comme la juge, sont sur le point de le faire. Le seul qui s’en sort, c’est Dixie, un bichon maltais très joyeux. Mais c’est parce que c’est un chien, il n’a pas conscience qu’autour de lui tout le monde se suicide, que tout est en ruine. Il est comme un personnage de Walt Disney qui aurait la malchance d’être au Portugal à ce moment-là. Dans L’Enchanté, Schéhérazade

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Les Mille et Une Nuits. L’Enchanté


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Miguel Gomes dans Les Mille et Une Nuits. L’Enchanté

« Plutôt que de parler de documentaire et de fiction, je préfère parler du réel et de l’imaginaire. » s’émeut de toute cette souffrance : elle ne peut pas continuer à raconter des histoires, c’est trop triste. Sa voix disparaît et elle va être remplacée par des cartons, un peu à la façon d’un roman graphique. Ses mots parlent d’hommes aux conditions de vie précaires, dans un bidonville de Lisbonne, qui s’occupent d’enseigner le chant à des pinsons, en vue d’une compétition. C’est une partie très aérienne dans laquelle Schéhérazade comprend que la beauté émane des classes les moins favorisées d’une façon simple et solaire. Le prologue de L’Inquiet, avant de dévier sur la fiction, choisit la voie du documentaire pour rapprocher deux situations : les licenciements sur les chantiers navals de Viana do Castelo et la menace d’une invasion de guêpes tueuses qui plane sur l’apiculture locale. Pourquoi les avoir mises en relation ? Ça se passait en même temps, au même endroit, dans le nord du Portugal, et ça permettait de montrer plusieurs facettes du monde du travail avant

de laisser la parole à Schéhérazade. D’un côté, il y a moi, ou plutôt mon personnage de réalisateur, qui ne sait pas très bien comment faire ce film, comment le commencer. Il y a trop de sujets différents, donc j’angoisse et je m’échappe du tournage. Je peux travailler mais je ne veux pas. Sur les chantiers navals, ils veulent travailler mais ils ne peuvent pas, puisqu’ils sont au chômage. Quant à celui qui tue les guêpes, lui, il ne se pose pas de questions, il fait ce qu’il a à faire et les extermine comme s’il était dans le film Vampires de John Carpenter. Au regard de cette multiplicité de styles, de lieux, de personnages, de situations, comment s’est déroulé le tournage ? Et comment financet-on un tel film ? Dès lors que j’avais expliqué ma méthode, les producteurs du film m’ont laissé carte blanche. Je les remercie de leur confiance, j’espère qu’ils ne sont pas trop déçus du résultat. Mais on ne pouvait pas leur donner de scénario, car les histoires de Schéhérazade étaient basées sur ce qui était en train de se passer au Portugal. Le tournage a été exténuant. Personne ne réalise de film comme ça, et, maintenant, je comprends pourquoi. Ça a duré quatorze mois, parfois sept jours sur sept. Il y avait tellement à faire. Je pouvais être en train de tourner un segment tout en en montant un autre et enchaîner le lendemain sur des répétitions avec les acteurs. C’était vraiment le chaos, toutes ces étapes à gérer en même temps. Et aujourd’hui, ça recommence à Cannes. Tu présentes un film, avec deux séances par jour, et après tu vas à une fête, tu as la gueule de bois, et le jour suivant tu présentes encore la suite du film… Il faut faire ça trois fois. Donc je suis très fatigué.

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Les Mille et Une Nuits. L’Enchanté

Au-delà d’évoquer la crise économique portugaise, ces contes ont-ils une vocation plus universelle ? Je l’espère. La crise au Portugal résonne avec des problématiques propres à toute l’Europe. Je pense que pour toucher à l’universel, il faut d’abord être régional. Je ne me vois pas réaliser un film qui ne serait pas ancré sur un territoire. Les Mille et Une Nuits, c’est un film portugais pour le monde. C’est pour cela qu’on termine le film sur la chanson Calling Occupants from Interplanetary Craft des Carpenters. Est-ce important, pour vous, de ne jamais choisir entre documentaire et fiction ? Plutôt que de parler de documentaire et de fiction, je préfère parler du réel et de l’imaginaire. Ces deux notions, plutôt que d’être en conflit, peuvent

s’emboîter. C’est un peu inutile d’avoir l’un sans l’autre. Dans L’Enchanté, Schéhérazade dit à son père que les histoires naissent des désirs et des peurs des hommes. Selon moi, aujourd’hui, pour faire un film sur une réalité donnée, on a besoin de l’imaginaire. Schéhérazade dit aussi à son père que les histoires servent à survivre. Adhérez-vous à cette vision ? Je pense qu’il faut continuer à raconter, à raconter, à raconter… Tout le film se fonde sur cette idée de circulation. D’abord c’est moi qui raconte, ensuite c’est Schéhérazade qui prend le relais, puis c’est un coq… C’est pour cela que je dédie le film à ma fille, même si je lui interdis de le voir maintenant, car ce n’est pas de son âge. Même dans les époques dramatiques et sombres, il faut transmettre.

MIGUEL GOMES, CINÉASTE POP Dans ses films patchworks, Miguel Gomes, digne héritier du Pop Art, entremêle avec aisance des éléments de style et de narration disparates. Q. G. La Gueule que tu mérites

(2006) Le film raconte la dépression de Francisco, qui vient d’avoir 30 ans. Dans une seconde partie, le héros est relégué hors champ, laissant la place à sept hommes qui, comme les nains de Blanche Neige, s’occupent de lui. L’imaginaire contamine un cadre réaliste pour mieux raconter l’intériorité du protagoniste.

Ce cher mois d’août

(2009) Miguel Gomes suit des Portugais en plein mois d’août, dans un alliage composite de documentaire et de fiction étonnant. Bals de villages, feux d’artifice, amourettes adolescentes ou incendies… le cinéaste saisit le rythme languide de l’été et, en mettant en scène son propre tournage, expose ses doutes de créateur.

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Tabou

(2012) Dans le Lisbonne d’aujourd’hui, la solitaire Pilar s’occupe de sa voisine Aurora. À sa mort, cette dernière prononce le nom de Ventura, un amour passé… Tabou se mue alors en un magnifique film muet sur la passion entre Aurora et Ventura, affirmant le talent de Miguel Gomes pour malaxer une matière narrative hybride.


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CRITIQUE

Les Mille et Une Nuits. L’inquiet Dans Les Mille et Une Nuits. L’inquiet, premier volet de sa fresque de six heures, le Portugais Miguel Gomes détaille son projet périlleux : révéler les fractures du Portugal rongé par la précarité au travers de contes merveilleux et bigarrés. Comment saisir le tumulte causé par la crise ? Le cinéaste répond par une œuvre aussi mouvante que réjouissante. PAR QUENTIN GROSSET

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u tout début du film, Miguel Gomes (prononcer « gomch ») fuit son équipe et le plateau de tournage en courant. Son ambition – dépeindre les effets du plan d’austérité infligé au Portugal entre 2013 et 2014 en invoquant l’imaginaire des Mille et Une Nuits – est bien trop délirante. Aussi, un carton nous préviendra plus tard que ceci n’est pas une adaptation des célèbres contes narrés par Schéhérazade. Ce premier épisode du (très) long métrage de Gomes s’inspire de faits réels. En 2013, le réalisateur a demandé à des journalistes de parcourir le pays pendant un an en quête d’histoires liées à la crise économique. De ce point de vue ancré dans un contexte très dur, le cinéaste et ses scénaristes ont tiré une œuvre inventive qui multiplie les fulgurances poétiques, préférant l’allégorie au réalisme. Ainsi, le prologue, dans une veine documentaire, apparaît comme une fausse piste. Le cinéaste, qui se met lui-même en scène avec beaucoup de dérision, y dévoile néanmoins ses intentions : tisser un réseau d’échos entre des situations dissemblables (des licenciements sur un chantier naval et une invasion de guêpes qui menace l’apiculture locale) mais liées par une souffrance commune. La suite,

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dans laquelle merveilleux et réalisme s’entrelacent, épouse la structure de récits enchâssés des Mille et Une Nuits avec une forme fragmentaire qui sied parfaitement au chaos causé par la crise. Gomes ne s’écarte pas du réel en passant par l’imaginaire ; au contraire, il lui donne une ampleur mythologique qui élève ceux qui n’ont plus rien. C’est ainsi que les sans-emploi ne seront pas appelés « chômeurs » mais « Magnifiques ». Dans ses différents contes, Gomes ose tout et surprend toujours le spectateur avec quelques saillies surréalistes, passant des problèmes sexuels qui affecteraient les membres de la Troïka européenne à une amourette adolescente, d’un coq qui parle à une baleine qui explose. De ces histoires hétéroclites, on peut cependant dégager un trait commun : par-delà l’humour ravageur qui les traverse, on trouve dans chacune un personnage qui tente de réveiller les consciences, comme un souffle d’espoir qui ventilerait discrètement un monde à la dérive. de Miguel Gomes avec Crista Alfaiate, Miguel Gomes… Distribution : Shellac Durée : 2h05 Sortie le 24 juin

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On est revenus de ce 68e Festival de Cannes les poches pleines de sable et d’interviews. Morceaux choisis, en images, avant notre compte rendu de l’événement, à lire page 54. PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET, JULIETTE REITZER ET RAPHAËLLE SIMON PHOTOGRAPHIES DE PHILIPPE QUAISSE

ANTONYTHASAN JESUTHASAN ET KALIEASWARI SRINIVASAN, ACTEURS Comme leurs personnages de réfugiés tamouls qui quittent le Sri Lanka en guerre pour la France des cités, les acteurs de Dheepan de Jacques Audiard (Palme d’or) ont subi le choc des cultures. Lui : « Après avoir quitté l’organisation des Tigres tamouls à 19 ans, j’ai trouvé refuge en France il y a vingt-deux ans. J’étais convaincu que l’Europe accueillait à bras ouverts les immigrés, ça a été un vrai choc de découvrir que ce n’était pas le cas. » Elle : « Pour autant, sur le tournage, ces problèmes de communication, que ce soit au niveau de la langue ou de la culture, nous ont aidés à construire les personnages. » R. S.

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LOUIS GARREL, RÉALISATEUR Son premier long métrage, Les Deux Amis (présenté à la Semaine de la critique), est un buddy movie ultraromantique. « Une amitié très forte, ce n’est pas de la camaraderie, c’est une connexion sensuelle et spirituelle. Quand on voit Abel et Clément marcher côte à côte, on sent qu’ils ont le même horizon, le même imaginaire. Le spectateur se dit qu’ils n’ont que leur affection pour s’accrocher à la vie. Je pense à un proverbe africain qui dit : “Un ami, on sait où il dort.” Mes amis, je sais toujours où ils dorment, pas mes copains. » Q. G.

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HIROKAZU KORE-EDA, RÉALISATEUR Dans Notre petite sœur, sensible chronique sur la famille et le deuil présentée en Compétition officielle, il met en scène trois sœurs qui recueillent leur jeune demi-sœur devenue orpheline à la mort de leur père. « J’ai beaucoup d’affection pour les personnages comme celui de la sœur aînée, qui sont obligés d’endosser un rôle de parent de substitution pour combler les lacunes laissées par les pères ou par les mères. Aujourd’hui, au Japon, le modèle patriarcal est en train de s’effondrer. » R. S.

VALÉRIE DONZELLI, RÉALISATRICE Dans Marguerite et Julien (en Compétition officielle), récit d’une passion interdite entre un frère et une sœur adapté d’un fait divers du xviie siècle, elle se joue des anachro­nismes. « Je ne me sentais pas de faire une reconstitution historique, je ne suis pas dans l’hyperréalisme. François Truffaut a refusé d’adapter ce scénario de Jean Gruault en partie à cause de la contrainte de la reconstitution. Moi, je me suis tout de suite dit qu’il fallait inventer une époque. Le cinéma permet de faire croire à l’impossible, pourquoi s’en priver ? » R. S.

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YÓRGOS LÁNTHIMOS, RÉALISATEUR Les personnages de The Lobster (Prix du jury) sont transformés en animaux s’ils ne trouvent pas un partenaire qui partage leurs défauts. « Pour mes scénarios, je pars toujours d’une attitude étrange que j’ai pu observer, et je l’exagère pour voir où ça mène et tenter de mieux comprendre les relations humaines. On a tendance à se rapprocher des gens pour des raisons narcissiques : on a besoin de trouver chez l’autre des choses familières avec lesquelles on peut s’identifier, pour aller vers quelque chose de plus profond. » R. S.

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JÉRÉMIE RENIER, ACTEUR Dans Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore (projeté à la Semaine de la critique), il joue un capitaine de régiment déboussolé face aux disparitions inexpliquées de ses hommes, en Afghanistan. « Il se retrouve face à une situation qu’il ne comprend pas, ça lui pose des questions sur sa propre identité en tant qu’homme. Mais ce n’est pas un film d’individus, c’est un film de groupe. Le plus important, c’était la cohésion, l’entente entre nous. Pendant tout le film, y compris quand on ne tournait pas, les autres acteurs m’appelaient capitaine. » J. R.

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NAOMI KAWASE, RÉALISATRICE An (projeté en ouverture de la sélection Un certain regard) dresse le délicat portrait d’une septuagénaire qui communie avec les éléments. « Dans mes films précédents, j’ai montré les relations entre l’humain et la nature. Cette fois-ci, j’ai choisi de placer mon histoire dans un environnement urbain. Mais, dans la rue, sur les autoroutes, il y a quand même des cerisiers en fleurs. L’important, c’est de savoir si nous sommes capables de les regarder. C’est une philosophie très simple : le monde est lié à notre existence. » Q. G.

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Chants de bataille Que retenir des quelque cinquante films vus par la rédaction, toutes sélections confondues, pendant cette 68e édition du Festival de Cannes ? Raccord avec la Palme d’or attribuée à Dheepan, les conflits, qu’ils soient sociaux, intimes ou politiques, ont agité la quinzaine, heureusement apaisée par quelques fabuleuses envolées oniriques. PAR JULIETTE REITZER ET RAPHAËLLE SIMON

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Dheepan de Jacques Audiard

’il fallait trouver une thématique commune aux films retenus au palmarès par le jury présidé par les frères Coen, ce serait sans doute celle de la guerre. À l’image du Dheepan de Jacques Audiard, auréolé de la Palme d’or. Le film, porté par une mise en scène de haute volée, retrace le parcours d’un ancien combattant des Tigres tamouls, de la guerre civile sri-lankaise à la violence d’une cité de la banlieue parisienne, jusqu’à une dernière partie plus discutable en forme de revenge movie sanglant – comme souvent chez Audiard, c’est dans la violence que s’opère la rédemption. Le Grand prix et le Prix de la mise en scène ont récompensé des films qui nous semblent à la fois plus audacieux et plus bouleversants. Le Fils de Saul d’abord, éprouvant et néanmoins admirable premier long métrage du Hongrois László Nemes, qui suit le combat désespéré d’un homme pour offrir une

Journal de bord Aperçu parcellaire et subjectif de la frénésie qui s’est jouée en coulisses du 68e Festival de Cannes. par q. g., j. r. et r. s.

sépulture à un enfant dans un camp d’extermination nazi. Le plastiquement superbe The Assassin de Hou Hsiao-hsien ensuite, qui conte par touches impressionnistes l’histoire d’une tueuse dans la Chine du ixe siècle. La guerre, aussi absurde soitelle, devient un moteur narratif dans le film de Yórgos Lánthimos, The Lobster (Prix de jury), en opposant les représentants d’un régime totalitaire obsédé par le couple à une bande de résistants célibataires vivant reclus en forêt. Le motif de l’affrontement résonnait encore dans La Loi du marché de Stéphane Brizé, portrait d’un chômeur en lutte contre un système économique vicié, pour lequel Vincent Lindon, magistral, a décroché le Prix d’interprétation masculine. Faites l’amour, pas la guerre, serait-on tentés d’implorer. Mais même les films mettant en scène des couples étaient traversés d’un souffle belliqueux : Mon Roi de Maïwenn (la passion toxique entre une femme et un pervers narcissique),

Jour 1. Chair de poule rituelle au moment où résonne dans le Grand Théâtre Lumière l’extrait du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, la musique qui ouvre chaque projection de la sélection officielle. Jour 2. On décroche une interview avec Salma Hayek ! De 7 minutes. Jour 3. Naomi Kawase, la réalisatrice d’An, se fait masser pendant qu’on l’interviewe.

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Arnaud Desplechin se déchaîne sur un titre de Kendrick Lamar à la soirée de Trois souvenirs de ma jeunesse. Jour 4. Après 1h40 de queue, on se fait refouler de la projection du film de Todd Haynes. Yórgos Lánthimos nous confie que s’il y était contraint il se réincarnerait en oiseau plutôt qu’en homard. Jour 5. Texto d’un confrère : « Tu peux me raconter la fin du film,

© paul arnaud / why not productions

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La B.O. du festival Notre top 3 des chansons entendues dans les films vus à Cannes

Marguerite et Julien de Valérie Donzelli (les amours incestueuses entre un frère et une sœur contraints à l’exil), Carol de Todd Haynes (la passion interdite entre deux femmes dans l’Amérique des années 1950) ou Mountains May Depart de Jia Zhang-ke, grand oublié du palmarès (l’amour comme fatalité, pour une femme qui, en choisissant entre deux hommes, scelle sa destinée)… Bien inspirés, certains cinéastes, parmi nos préférés, ont fait appel au rêve, à l’humour et au merveilleux pour réenchanter le monde, qu’il soit en guerre ou en crise, le meilleur exemple étant la manière dont Miguel Gomes transcende son Portugal sinistré dans le fabuleux Les Mille et Une Nuits (Quinzaine des réalisateurs, lire p. 40). Dans le sensible Mia Madre de Nanni Moretti, les conflits intérieurs de l’héroïne, double féminin du cinéaste, s’incarnent à l’écran par une alternance subtile de drame et de comédie, de rêve et de réalité. Avec sa narration lumineuse traversée de purs éclats burlesques, Le Trésor de Corneliu Porumboiu (Un certain regard) dit tout à la fois l’histoire mouvementée de la Roumanie postcommuniste et la relation bouleversante qui unit un père et son fils. Dans Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore (Semaine de la critique), un régiment français en Afghanistan est lentement décimé par une force mystérieuse qui fait disparaître les militaires dans leur sommeil. D’autres soldats endormis, touchés par une étrange maladie du sommeil, peuplent l’hypnotique et sensuel Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul (Un certain regard), dans lequel les vivants et les morts cohabitent paisiblement. Quelques jours après la bataille, ces films enchanteurs continuent de nous hanter.

j’ai raté les cinq dernières minutes ? » Jour 6. À peine sortis du trip poétique d’Apichatpong Weerasethakul, on aperçoit un feu d’artifice tiré depuis la soirée des Mille et Une Nuits. On y arrive juste à temps pour voir le réalisateur demander sa copine en mariage. Jour 7. Le temps étant minuté à Cannes, on interviewe Valérie Donzelli pendant son déjeuner, entre la

« Go West » des Pet Shop Boys, entendu à trois reprises dans Mountains May Depart de Jia Zhang-ke, notamment pour l’ouverture et la scène finale du film.

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Le standard mexicain « Perfidia » chanté par Schéhérazade, perchée sur une falaise surplombant la mer, dans Les Mille et Une Nuits. L’enchanté de Miguel Gomes.

Le Fils de Saul de László Nemes

© spotfilms

Le tube d’Opus, « Live Is Life », repris en version metal-indus par le groupe slovène Laibach dans le générique de fin du Trésor de Corneliu Porumboiu.

The Assassin de Hou Hsiao-hsien

© d. r.

© adi marineci for 42 km ; shellac ; xstream pictures beijing

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Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul

poire et le dessert. Jour 8. Texto d’un confrère fatigué : « J’en peux plus de cet élitisme crétin qui cherche à trouver l’extase même quand on filme un rouleau de PQ. » On vous épargne la compile des jeux de mots entendus dans la queue de Love, le porno de Gaspar Noé. Jour 9. On est en retard mais chics pour la montée des marches du film d’Audiard. À la soirée

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Love, on aperçoit un de nos pigistes reproduire avec application la photo de l’affiche. Jour 10. Malgré la gueule de bois, on cause crise économique au Portugal avec Miguel Gomes, en retour de cuite lui aussi. Jour 11. Texto d’un pigiste qui doit nous rendre un papier : « J’me suis endormi dans le train alors que j’voulais bosser. J’peux vous l’envoyer demain ? »


les F I L M S du 10 juin au 8 juillet Valley of Love Entre le film d’amour et la chronique d’un deuil, le fantastique et le drame, Valley of Love, présenté en Compétition cette année à Cannes, s’engouffre dans des limbes mystérieux et déroutants et offre à deux acteurs immenses, en état de grâce, une partition bouleversante.

© malerie marder

PAR RENAN CROS

G

uillaume Nicloux n’a peur de rien. Après avoir adapté, en 2013, La Religieuse, ouvrage polémique de Diderot, le voici qui s’aventure dans les recoins sombres de la vallée de la Mort avec deux monstres du cinéma français. Monstres tout autant par leur carrière que par la manière dont ils phagocytent les films dans lesquels ils se coulent. Isabelle Huppert et Gérard Depardieu sont d’ailleurs le sujet même de Valley of Love. « Ils font partie de ma cinéphilie. Forcément, en les réunissant tous les deux, il y

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a une part de fantasme. Mais ce qui m’intéresse avant tout, c’est l’individu. Qui sont Gérard Depardieu et Isabelle Huppert ? Quand le tournage commence, les choses deviennent plus concrètes. Les êtres priment sur les personnages », nuance Nicloux. Sorti du polar torve, il imagine ici les retrouvailles étranges entre Gérard et Isabelle, deux acteurs venus chercher le fantôme de leur fils, suicidé, dans la vallée de la Mort. Cette déterritorialisation du cinéma français, cette manière d’aller piocher dans l’imaginaire désertique du cinéma américain, témoigne de l’ambition esthétique et narrative du réalisateur. Il imagine un autre monde,

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THE DUKE OF BURGUNDY

MUSTANG

Un premier long métrage fiévreux, au diapason de ses héroïnes indomptables p. 70

AMY

Ce documentaire poignant narre le destin tragique d’Amy Winehouse p. 82

© les films du worso - lgm cinema

Peter Strickland dissèque une relation masochiste retorse p. 64

« Je ne sais pas si mon film est un drame. Moi, je le vois comme un grand film d’amour. » guillaume Nicloux

une autre manière de penser et de faire résonner le drame intimiste à la française en floutant les contours du récit. « J’aime l’ambiguïté. Je ne sais pas si mon film est un drame. Moi, je le vois comme un grand film d’amour. Bien que le sujet soit grave, je voulais faire un film lumineux, un film qui va vers le meilleur », souligne le réalisateur. Toujours à la frontière du fantasme et du réel, de la France et de l’Amérique, de la tendresse et de la souffrance, son regard sur ces deux individus perdus, rongés par leur égoïsme et leurs regrets, n’est pas dans l’empathie. Il cherche simplement le mystère de ces deux êtres côte à côte uniquement réunis par la douleur de la perte. cocasserie et mysticisme

L’amour supposé par le titre n’est pas tant celui qui pourrait naître, mais bien celui qui a disparu. Gérard et Isabelle se sont aimés, ils ont aimé leur fils ; mais l’amour, comme le fils, s’en est allé. Le trajet qu’ils vont faire ensemble n’est pas tant une façon d’aller à sa reconquête qu’une manière d’accepter leurs erreurs, d’affronter le réel. « C’est l’histoire d’une réconciliation. Mes personnages ne sont pas mauvais. Ce sont juste des parents, et, comme tous les parents, ils ont fait

des erreurs. Ce voyage leur demande de croire à nouveau, de faire confiance à leur fils. C’est un acte très fort. » Ainsi, Nicloux oscille tout du long entre cocasserie – de voir Isabelle Huppert et Gérard Depardieu en touristes largués – et mysticisme – la hantise de voir s’ouvrir un autre monde, un endroit qui les observerait en secret. Cette ambivalence du récit peut laisser perplexe : Valley of Love donne l’impression de ne pas savoir vraiment où il va. C’est en effet un film-­ mystère qui se suffit à lui-même. Pour Nicloux, pas besoin de réponse ; le trajet suffit : « J’aime l’idée que chacun complète le film à sa façon. S’il y a un aspect fantastique dans le film, ce n’est pas ce qui m’intéressait le plus. Pour moi, le mystère tient dans les sentiments qui nous habitent. » Sous l’influence revendiquée du Gerry de Gus Van Sant, le réalisateur s’offre donc avec Valley of Love une échappée d’auteur dont la dernière image, mystérieuse et apaisée, va nous hanter longtemps. Comme si l’intime devenait la chose la plus étrange au monde. de Guillaume Nicloux avec Isabelle Huppert, Gérard Depardieu… Distribution : Le Pacte Durée : 1h32 Sortie le 17 juin

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Un Français © mars distribution

PAR MEHDI OMAÏS

Ce drame suit le parcours tumultueux de Marco, un jeune homme qui emprunte la voie de la rédemption après avoir fréquenté des skinheads. Une trame qui n’est pas sans rappeler celle d’American History X de Tony Kaye– ici aussi, il est question de comprendre comment la haine s’infiltre chez certains. Avec ce deuxième long métrage, Diastème tire à boulet rouge sur l’extrême droite.

Le Monde de Nathan PAR ÉRIC VERNAY

Contes italiens PAR TIMÉ ZOPPÉ

Increvables, les frères italiens Paolo et Vittorio Taviani, 83 et 85 ans, signent leur dix-neuvième long métrage après César doit mourir en 2012. Ils adaptent cinq des cent nouvelles du recueil de Boccace, Le Décaméron (1349-1353). S’inspirer de l’un des plus grands classiques de la littérature médiévale italienne, après Pier Paolo Pasolini et son Décaméron (1971) et le film à sketches Boccace 70 (1972) de Federico Fellini, Luchino Visconti, Vittorio De Sica et Mario Monicelli, est un exercice assurément périlleux. Mais, à l’exubérance et à la trivialité de leurs prédécesseurs, les Taviani répondent par la beauté sobre de leur mise en scène et la gravité de leur ton. Au xiv e siècle, dix

© synergy cinema

© umberto montiroli

de Diastème avec Alban Lenoir, Samuel Jouy… Distribution : Mars Durée : 1h38 Sortie le 10 juin

jeunes gens fuient Florence pour échapper à l’épidémie de peste noire. Dans une villa de campagne idyllique, ils se changent les idées en se racontant des histoires, essentiellement sur des amours contrariées. Pour narrer ce récit aux passés simple et antérieur, les cinéastes misent sur les compositions de cadre très picturales et sur une certaine candeur, qui rappellent le cinéma d’Éric Rohmer (Les Amours d’Astrée et de Céladon). Ils livrent un objet filmique d’où rien ne dépasse sauf l’amour, présenté comme l’arme la plus efficace pour surmonter les épreuves de la vie.

Jeune Anglais affligé de troubles autistiques – mais aussi de la bosse des maths –, Nathan est poussé par un professeur anticonformiste à participer aux Oly mpiades i nter nat ionales de ladite matière… Morgan Matthews double la success story attendue d’un émouvant voyage initiatique sur la difficulté d’un ado à exprimer ses émotions : et si l’amour pour la mère et le deuil du père étaient convertibles en langage arithmétique ?

de Paolo et Vittorio Taviani avec Riccardo Scamarcio, Kim Rossi Stuart… Distribution : Bellissima Films Durée : 1h55 Sortie le 10 juin

de Morgan Matthews avec Asa Butterfield, Rafe Spall… Distribution : Synergy Cinema Durée : 1h51 Sortie le 10 juin

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Une équipe de rêve Après sa défaite 31-0 contre l’Australie lors des éliminatoires de la Coupe du monde de football de 2002, les Samoa américaines sont officiellement considérées comme la pire équipe nationale au monde. Comment laver cet affront ? L’arrivée d’un sélectionneur hollandais aux méthodes musclées va faire office de déclic et être le point de départ d’une véritable épopée de la dignité retrouvée. Si le Batave de 54 ans rappelle d’abord un peu le brutal sergent Hartman de Full Metal Jacket, il se révèle au fil des entraînements un homme attentif aux autres, secrètement blessé. Comme ses poulains, il tente de refaire surface, malgré un destin parsemé de coups durs. Le documentaire parvient à capter ce regain de confiance collectif à travers une belle galerie de

© bodega films

PAR ÉRIC VERNAY

portraits. Parmi ces athlètes amateurs qui tous ont trois ou quatre boulots, on retient Jaiyah, dont la particularité est de n’être « ni un homme, ni une femme, mais un joueur de foot », et Nicky, gardien de buts qui tente d’exorciser le fiasco australien en rejouant tous les soirs le match traumatisme sur

sa console. Les modestes victoires de ces perdants magnifiques font du film de Brett et Jamison un authentique feel good movie, touchant et roboratif. de Mike Brett et Steve Jamison Documentaire Distribution : Bodega Films Durée : 1h37 Sortie le 10 juin

Cendres PAR RAPHAËLLE SIMON

Akiko revient au Japon dans la maison familiale avec les cendres de sa mère, Kyoko, décédée à Paris, la ville où elle avait élu domicile. Alternant la lecture du journal intime que Kyoko a laissé à sa fille et les scènes de réunions familiales à Hiroshima, les réalisateurs instaurent un dialogue

vibrant entre la mère et la fille, le passé et le présent, la France de la Nouvelle Vague et le Japon d’Ozu. C’est que Kyoko a quitté le Japon conformiste dans les années 1970 pour suivre le documentariste français P.-D. Gaisseau et devenir actrice, chez Godard notamment. À mesure qu’elle découvre cette

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mère qu’elle connaissait mal à la lueur de ses notes et des souvenirs de ses proches, Akiko va tenter de faire son deuil et de trouver son propre chemin – pas si simple pour cette femme ballottée toute sa vie entre la France et le Japon, où elle vit aujourd’hui, sans en maîtriser toutes les coutumes. Il faut la voir, désemparée, devant sa famille qui cherche désespérément les os de la dépouille dans le tas de cendres pour la cérémonie funéraire… Autant de moments magiques (et souvent drôles) de désinhibition pure que les réalisateurs (qui ne comprenaient pas le japonais et donc les dialogues qu’ils filmaient) ont pu capter en se tenant à parfaite distance. d’Idrissa Guiro et Mélanie Pavy Documentaire Distribution : Docks 66 Durée : 1h14 Sortie le 10 juin


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© zed

le s fi lm s

> JURASSIC WORLD

Le Souffle PAR T. Z.

Un homme (Karim Pakachakov) et sa fille (Elena An) mènent une existence simple, isolés dans les steppes kazakhes. L’adolescente est courtisée par deux jeunes hommes, l’un du cru, qui fait montre de virilité, l’autre moscovite, sensible et fantaisiste. Au fil d’un récit sans paroles, qui laisse s’exprimer les paysages et les visages, affleurent le contexte

et la menace qui l’accompagne. Une terrible révélation de dernière minute lève le voile sur un épisode sombre de l’histoire de l’U.R.S.S., conférant tardivement au Souffle une charge politique.

Vingt-deux ans après Jurassic Park de Steven Spielberg, le parc d’attraction rouvre ses portes pour être cette fois livré à la furie d’un dinosaure génétiquement modifié. Dans le rôle du sauveur, le déjanté Chris Pratt volerait presque la vedette aux féroces créatures préhistoriques. de Colin Trevorrow (2h04) Distribution : Universal Pictures Sortie le 10 juin

d’Alexander Kott avec Elena An, Karim Pakachakov… Distribution : ZED Durée : 1h35 Sortie le 10 juin

> LA RÉSISTANCE DE L’AIR

© cine classic

Pour faire face à des problèmes d’argent, un champion de tir au fusil accepte un contrat aux conséquences dramatiques… Dans son premier film, coécrit par le scénariste Thomas Bidegain (Saint Laurent, Un prophète), Fred Grivois réunit Reda Kateb et Ludivine Sagnier. de Fred Grivois (1h38) Distribution : Gaumont Sortie le 17 juin

La Dame de Shanghaï PAR T. Z.

Michael (Orson Welles), un marin désargenté, sauve Elsa (Rita Hayworth) d’une agression. Elle le fait embaucher sur le yacht de son riche mari et entame une liaison avec lui… Au-delà d’un film noir à la trame alambiquée, La Dame de Shanghaï (1947) est surtout le testament de la relation entre le réalisateur et l’actrice, alors en procédure

de divorce. Le cinéaste, amer, s’emploie à ébrecher l’image glamour de son ex-compagne, multipliant les coups de feu sur le reflet de son personnage dans la mythique scène finale des miroirs. d’Orson Welles avec Rita Hayworth, Orson Welles… Distribution : Park Circus Durée : 1h32 Ressortie le 17 juin

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> L’ÉCHAPPÉE BELLE

Un orphelin âgé de 11 ans (Florian Lemaire) s’incruste dans la vie dissolue d’une trentenaire fantasque (Clotilde Hesme) et bouleverse son quotidien de rentière… La Française Émilie Cherpitel signe un premier long métrage sans prétention, léger et lumineux. d’Émilie Cherpitel (1h16) Distribution : Pyramide Sortie le 17 juin


fantasia

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The Duke of Burgundy Après son exhumation du giallo avec Berberian Sound Studio, Peter Strickland dissèque la relation masochiste liant deux femmes diamétralement opposées dans The Duke of Burgundy. Trip atmosphérique garanti.

© bac films

PAR MEHDI OMAÏS

© bac films

L’explosion d’une bulle de savon, le râle d’une fermeture zippée, le murmure d’une corde tendue… Dans The Duke of Burgundy, le son est un vecteur, un mode de narration, un dénominateur commun. Après l’avoir célébré dans son deuxième film, Berberian Sound Studio, Peter Strickland utilise cette fois le son pour coiffer son intrigue d’une aura (ultra) sensorielle. Ici, le bruit supplante les mots, réduits à leur minimum syndical, et accompagne chacune des étapes d’un processus amoureux retors ; lequel implique deux femmes d’horizons différents. D’un côté Cynthia, une lépidoptériste quinquagénaire vivant recluse dans une luxueuse demeure ; de l’autre Evelyn, sa jeune femme de ménage soumise. Puisant son inspiration dans le cinéma érotique des années 1970, ce drame intemporel ausculte la puissance dévastatrice du désir. Celui-là même qui

3 QUESTIONS À PETER STRICKLAND La non-sélection à Cannes de votre précédent film, Berberian Sound Studio, a-t-elle été un moteur ? Ça m’a tout simplement permis d’être plus libre et d’aller vers quelque chose d’underground… J’aime les œuvres à la mauvaise réputation. Je pense à ces vieux films érotiques européens, notamment ceux de Jess Franco. Ils ont été mon point de départ pour raconter cette histoire d’amour.

va graduellement cadenasser les héroïnes, impeccablement campées, dans une infernale relation dominante-­dominée. Sans tomber dans l’écueil de la nudité complaisante ou du voyeurisme de bas étage, Strickland rivalise de fulgurances formelles, quitte à porter le fétichisme aux nues, pour rendre l’addiction palpable. À ses yeux, l’effleurement d’un tissu sur une peau a bien plus d’envergure qu’un simple cunnilingus. Si la recherche d’une forme de perfection esthétique s’y révèle parfois ostentatoire, on ne peut que saluer cette proposition forte, entêtante et précieuse comme un papillon en voie d’extinction. The Duke of Burgundy de Peter Strickland avec Sidse Babett Knudsen, Chiara D’Anna… Distribution : The Jokers / Bac Films Durée : 1h46 Sortie le 17 juin

PROPOS RECUEILLIS PAR M. O.

Quel regard portez-vous sur la relation entre vos deux personnages ?

Je ne suis pas dans le jugement. Je pars du principe que chacun est libre dans l’expression de ses désirs. Tout va bien à partir du moment où deux adultes sont consentants, quelle que soit leur orientation sexuelle. The Duke of Burgundy ne parle ni d’homosexualité ni d’hétérosexualité.

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À ce propos, pouvez-vous expliquer le titre de votre film ? Je voulais une résonance masculine pour accompagner une histoire de femmes. Disons que ce titre illustre ma présence, mes perspectives artistiques, ma vision. Il peut être perçu comme une confession ou, dans une autre mesure, comme une blague. Une sorte de farce… pour induire le spectateur en erreur.


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© metropolitan filmexport

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La Bataille de la montagne du Tigre Après les deux aventures du détective Dee, l’hyper actif Tsui Hark continue de s’amuser à contourner les codes draconiens du cinéma étatique chinois avec un film d’aventure qui semble scander : « L’imagination au pouvoir ! » PAR JULIEN DUPUY

Comme tous les grands réalisateurs de films de genre, Tsui Hark est en son cœur un révolutionnaire. Depuis la fin des années 1970, ce cinéaste jusqu’au-boutiste a constamment bousculé les codes éculés, suscitant tour à tour un rejet violent ou un engouement délirant. C’est bien cette force de caractère qui a fait de lui l’incarnation du cinéma hongkongais dans les années 1980, Hark parvenant à revigorer les archétypes narratifs les plus populaires de l’ancienne colonie britannique – le wu xia pian, ou film de chevalier errant, le polar… – tout en redonnant leurs lettres de noblesses aux héros locaux – Wong Fei-hung, le sabreur manchot… On pouvait cependant craindre qu’avec la rétrocession de Hong Kong à la Chine, ce cinéaste soit englouti par l’appareil d’État chinois. C’était oublier la faculté du réalisateur à se fondre dans n’importe quel moule pour mieux le réduire en pièces. En apparence, La Bataille de la montagne du Tigre a tout du film de propagande. Adaptation d’une œuvre phare de la révolution culturelle, cette aventure relate l’expédition d’une escouade de soldats chinois combattant une horde de bandits. Puisque Hark ne peut se révolter littéralement dans ce film conçu sous le regard scrutateur des censeurs, c’est en poussant jusqu’à

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l’absurde toutes les figures imposées qu’il explose de l’intérieur cette œuvre de commande. Soutenu par un relief ébouriffant, La Bataille… noie son projet initial dans un maelström de scènes spectaculaires qui tiennent autant du roman pulp que du film de commando sixties. Son film passe ainsi de l’histoire édifiante au conte universel, tandis que ses personnages ne sont plus d’authentiques héros exemplaires mais des mythes détachés du réel. Et comme pour mieux prendre ses distances avec les vrais soldats dont il chante les louanges, Hark ajoute un récitcadre : cette aventure est en effet contée par un jeune Chinois expatrié de nos jours à New York. Ainsi, dans un ultime rebondissement, le narrateur rêve, après un final grandiose, une seconde fin encore plus délirante, comme une ultime invitation à transcender par l’imagination les soldats du Grand Timonier, pour mieux se réapproprier leur histoire. Il y a fort à parier que c’est bien parce que le spectacle est irrésistiblement euphorisant que cette œuvre a pu passer à travers les griffes de la censure chinoise. de Tsui Hark avec Zhang Hanyu, Lin Gengxin… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h20 Sortie le 17 juin

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L’Éveil d’Edoardo

© epicentre films

PAR T. Z.

© arnaud baumann

Edoardo, grand maigrichon de 17 ans, traverse l’été en rêvant de sa voisine… Parmi le flot de chroniques de l’adolescence, L’Éveil d’Edoardo se distingue par son réalisme. Même dans un curieux épisode de masturbation avec un poulpe, les effets de manche sont laissés de côté, au profit d’une approche crédible et dépourvue de cynisme de cette délicate période des premières fois. de Duccio Chiarini avec Matteo Creatini, Francesca Agostini… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h26 Sortie le 17 juin

La Ligne de couleur

Cavanna

par Julie Michard

Jusqu’à l’ultime seconde, j’écrirai PAR QUENTIN GROSSET

Denis Robert et Nina, sa fille, réalisent un film hommage à Fran­ç ois Cavanna, fondateur d’Hara-Kiri et de Charlie Heb­do. Dans le contexte suivant les événements qui ont secoué la France en janvier, les documentaristes interrogent ce qu’a pu être l’esprit de ces publications à travers la figure de cet éminent provocateur. Au départ, la démarche de Denis Robert est assez personnelle : marqué dans sa jeunesse par les écrits de Cavanna, il montre qu’une génération de journalistes doit beaucoup à l’écriture irrévérencieuse, parfois ordurière, souvent lyrique, de ce dernier. Mais Robert part du constat que l’héritage de Cavanna tend aujourd’hui à être oublié. Aussi, il

vient capter les derniers mots de l’écrivain, journaliste et dessinateur, avant sa mort en janvier 2014. Le vieil homme, affaibli, revient avec passion sur son parcours : sa vision de la presse, les censures, son amitié conflictuelle avec le professeur Choron, ou sa relation tendue avec Philippe Val, qui a repris la direction de Charlie Hebdo en 1992. Émaillé d’archives instructives mais surtout très drôles, le film émeut avec les images de l’enterrement de Cavanna. On y voit Charb prononcer un discours vibrant en hommage à son mentor et ami.

Une dizaine de Français d’origine étrangère racontent leur quotidien – délit de faciès, discrimination professionnelle – en lisant devant la caméra de Laurence Petit-Jouvet une lettre qu’ils ont écrite… La réalisatrice évite l’écueil d’un mur des lamentations grâce à sa mise en scène minimaliste qui laisse toute la place à ces monologues intimes pour trouver en nous un écho vibrant.

de Denis et Nina Robert Documentaire Distribution : Rezo Films Durée : 1h30 Sortie le 17 juin

de Laurence Petit-Jouvet Documentaire Distribution : Avril Durée : 1h19 Sortie le 17 juin

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Mustang En Turquie, c’est la fin de l’été et de l’insouciance pour cinq jeunes sœurs rattrapées par le poids des traditions. La cinéaste Deniz Gamze Ergüven signe un premier long métrage fiévreux et solaire, au diapason de ses héroïnes indomptables.

© ad vitam

PAR JULIETTE REITZER

© ad vitam

Cascade de cheveux longs, jean et baskets, on les croirait tout droit sorties du Virgin Suicides de Sofia Coppola. Élevées par leur grand-mère depuis le décès de leurs parents, Lale et ses quatre grandes sœurs vivent dans un petit village turc, profitant innocemment de la liberté qui leur est accordée. Jusqu’au jour où un jeu anodin avec des garçons déclenche un scandale. Sous l’impulsion de leur oncle, soucieux de préserver l’honneur familial, le quotidien des jeunes filles change drastiquement. La maison se mue en prison, l’école est abandonnée au profit de cours de cuisine et de couture destinés à faire d’elles de parfaites femmes au foyer, les corps tout juste pubères sont cachés sous « des robes informes couleur de merde ». Un peu démonstratif dans sa volonté de rendre compte de l’horreur de cette soudaine privation de liberté (les scènes avec l’oncle barbare et

bientôt incestueux), le film trouve son souffle lorsqu’il prend le temps d’observer, à leur hauteur, cette bande de filles qui résiste avec vigueur. Sans cesse attentive à déceler la force, la sensualité et la modernité de ses intrépides héroïnes, la cinéaste de 36 ans, née à Ankara et formée en réalisation à La Fémis (après une maîtrise d’histoire africaine), tire cette histoire d’oppression vers un puissant éloge de la féminité. Tandis que le groupe des sœurs se disloque à mesure que l’on arrange leur mariage respectif, Deniz Gamze Ergüven ménage à chacune d’entre elles un espace pour exister, déployant un lumineux récit d’émancipation à cinq voix. de Deniz Gamze Ergüven avec Güne Nezihe ensoy, Do a Zeynep Do u lu… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h34 Sortie le 17 juin

3 QUESTIONS À DENIZ GAMZE ERGÜVEN

Quel a été le point de départ de Mustang ?

Le désir de raconter ce que c’est d’être une femme en Turquie. Je vis à cheval entre la Turquie et d’autres pays et, à chaque fois que j’y retourne, j’éprouve un sentiment de corsetage très palpable, tangible. C’est quelque chose qui se joue aussi dans la sexualisation des filles très tôt, dès l’enfance.

PROPOS RECUEILLIS PAR J. R.

Quelle est la part autobiographique de l’histoire ? Les situations à la base de chaque scène sont réelles, que ce soit des choses que j’ai vécues ou qu’on m’a racontées – par exemple quand Selma est emmenée à l’hôpital comme au service après-vente après sa nuit de noces, parce qu’elle n’a pas saigné. À partir de ça, on a tiré des fils de pure fiction.

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D’où vient la force de caractère de vos héroïnes ?

J’avais envie de figures très affranchies et affranchissantes. La scène des filles qui jouent à se renverser en montant sur les épaules des garçons, je l’ai vécue. Les conséquences avaient été moins dramatiques, mais les réactions tout aussi violentes. J’avais été mortifiée, alors qu’elles se révoltent. Entretien complet sur www.troiscouleurs.fr


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Spy Après Mes meilleures amies et Les Flingueuses, Paul Feig revient avec Spy, un pastiche de film d’espionnage dans lequel Melissa McCarty incarne une espionne explosive. Le réalisateur américain déploie son humour tonitruant dans ce scénario estampillé girl power. PAR JULIE MICHARD

Dès son générique d’ouverture, qui parodie ceux de la saga James Bond, Paul Feig pose le ton de Spy, pastiche hilarant de film d’espionnage. Susan Cooper, une analyste de la C.I.A. (Melissa McCarthy), habituellement calfeutrée dans son bureau, est envoyée sur le terrain pour enquêter sur la disparition de son partenaire (Jude Law). Une suite de situations rocambolesques la mène sur la piste d’une méchante millionnaire, interprétée par la splendide Rose Byrne… Après avoir créé la série décalée Freaks and Geeks (commencée en 1999), suivie du film pour ados Enfants non accompagnés (2006), Paul Feig s’est construit une solide réputation de maître de la comédie US féminine avec le romantico-trash Mes meilleures amies (2011) puis le buddy movie Les Flingueuses (2013), qui piétinaient allègrement

> UNE MÈRE

Après Rosine (1995), Mathilde Seigner retrouve Christine Carrière (Qui plume la lune ?, 1999) pour un nouveau drame familial. Elle y incarne avec justesse le destin tragique d’une mère amenée à haïr son propre fils à mesure que celui-ci tombe dans la délinquance. de Christine Carrière (1h40) Distribution : Les Films du Losange Sortie le 24 juin

le légendaire sexisme hollywoodien en s’appuyant sur des personnages féminins forts, drôles et irrévérencieux. Pour Spy, il garde la même recette, l’augmentant d’un humour mieux dosé et moins potache que dans ses deux dernières productions. Parfaite en quadragénaire mal dans sa peau qui se transforme et s’épanouit en espionne badass, Melissa McCarthy, comique versatile capable de faire rire aussi bien en touriste ringarde qu’en agent glamour, porte véritablement le film. En 2016, le réalisateur et l’actrice se retrouveront pour le reboot féminin de S.O.S. Fantômes. Tant mieux, on en redemande. de Paul Feig avec Melissa McCarthy, Rose Byrne… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h Sortie le 17 juin

> ENTOURAGE

Terminée en 2011 après huit saisons, la série télévisée Entourage se poursuit sur grand écran avec un casting inchangé. Après avoir enfin percé à Hollywood, les cinq héros reviennent pour de nouveaux délires hilarants, le bling-bling en plus. de Doug Ellin (1h44) Distribution : Warner Bros Sortie le 24 juin

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> A LOVE YOU

Paul Lefèvre se met en scène aux côtés d’Antoine Gouy, lequel campe un homme persuadé d’avoir rencontré la femme de sa vie lors d’une soirée arrosée. Embarqué pour Avignon, le duo comique va tenter de la retrouver dans une virée rocambolesque. de Paul Lefèvre (1h30) Distribution : EuropaCorp Sortie le 24 juin


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> UN MOMENT D’ÉGAREMENT

L’Année prochaine PAR R. S.

Bac en poche, Clotilde (la douce Constance Rousseau, révélée en 2007 par Mia Hansen-Løve dans Tout est pardonné) décide de quitter sa campagne pour faire ses études à Paris. Elle entraîne avec elle sa meilleure amie (Jenna Thiam, plus extravertie), qui serait bien restée au village. De déceptions en jalousies, leur amitié adolescente résiste

mal au passage à la vie d’adulte… Ce récit d’émancipation, assez convenu, se révèle plus efficace dans sa deuxième partie, quand il se transforme en une histoire de dévoration aux allures de thriller.

Après le diptyque Mesrine (2008), Jean-François Richet retrouve Vincent Cassel dans un remake de la comédie de Claude Berri (1977). Il y campe un père de famille qui succombe aux charmes de la fille d’un vieil ami (François Cluzet) avec qui il est parti en vacances. de Jean-François Richet (1h45) Distribution : Mars Sortie le 24 juin

de Vania Leturcq avec Constance Rousseau, Jenna Thiam… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h45 Sortie le 24 juin

> STAND

© universal pictures

Témoins d’une agression homophobe, Anton et Vlad se lancent dans une enquête désespérée, guidés par un besoin viscéral de comprendre. Ancré en Russie, le second long métrage du Français Jonathan Taïeb est traversé par un puissant souffle militant. de Jonathan Taïeb (1h27) Distribution : Grizouille Films Sortie le 24 juin

Unfriended PAR J. M.

Après s’être donné la mort, une adolescente revient hanter la bande de lycéens qui l’a humiliée en publiant sur Internet une vidéo compromettante la montrant ivre… Dans ce troisième film, qui reprend les codes du slasher, le réalisateur géorgien Levan Gabriadze dépoussière l’histoire classique du fantôme vengeur en la confrontant aux

réseaux sociaux et à leur capacité à envahir notre intimité. Il articule ainsi sa mise en scène autour des échanges entre le groupe d’amis par webcams interposées, faisant progressivement monter la tension. de Levan Gabriadze avec Shelley Hennig, Moses Jacob Storm… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h23 Sortie le 24 juin

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> LE RETOUR DE FABIOLA À 30 ans, Fabiola revient s’installer chez son père et sa sœur dans leur village du Chili après avoir mené une carrière d’actrice porno… Le premier film de Jairo Boisier figure avec sobriété la gêne induite dans son entourage par le passé hors norme de Fabiola. de Jairo Boisier (1h24) Distribution : Zootrope Films Sortie le 24 juin


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Masaan D a n s s on pr e m i er l on g métrage, l’Indien Nheeraj Ghaywan s’écarte des canons de Bollywood pour ausculter son pays au prisme des problématiques de classe et de genre. Dans une veine sociale qui rappelle le récent Titli. Une chronique indienne de Kanu Behl, Masaan n’a rien des films colorés et chantés auxquels on a l’habitude de réduire le cinéma indien. Dans la ville sainte de Bénarès, là où les corps se consument au bord du Gange (ce rituel de crémation est filmé ici dans toute son ampleur graphique), Ghaywan suit plusieurs intrigues qui disent tout le poids de la tradition face à la modernité. Devi, étudiante, doit faire face à la réprobation des siens après une aventure hors mariage. Un policier fait pression sur le père de la jeune fille pour

© pathé distribution

PAR QUENTIN GROSSET

qu’il réunisse une somme démesurée, faute de quoi Devi devra être condamnée. Quant à Deepak, il tombe amoureux d’une femme issue d’une caste supérieure à la sienne… Mêlant dans un récit choral plusieurs sujets pesants, le film reste pourtant sur le fil d’un certain optimisme en suivant la quête

d’indépendance de jeunes Indiens face à certains des archaïsmes (machisme, système des castes, cor r uption policière…) dont souffre leur société. de Neeraj Ghaywan avec Richa Chadda, Vicky Kaushal… Distribution : Pathé Durée : 1h43 Sortie le 24 juin

Mezzanotte

© outplay

PAR TIMÉ ZOPPÉ

Présenté en 2014 à la Semaine de la critique à Cannes, le premier film de l’Italien Sebastiano Riso dresse le portrait fragmenté d’un ado androgyne rejeté et sort de l’ombre les créatures peuplant les bas-fonds de Catane, en Sicile. Davide, rouquin de 14 ans à l’allure féminine,

fugue du domicile familial après une énième dispute avec son père tyrannique. Il croise la route de marginaux qui se prostituent et s’installe avec eux dans un parc de Catane… Difficile de ne pas songer à Pasolini en découvrant ce récit d’errance nocturne et le regard bienveillant que porte

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Sebastiano Riso sur les laisséspour-compte de l’Italie. Parfois un peu trop maniéré en ce sens, Mezzanotte trouve son originalité dans son art de l’ellipse. Il suffit, par exemple, à Davide d’abandonner rageusement son téléphone sur un trottoir quand il reçoit un appel de son père pour signifier sa décision de quitter le foyer familial. Le procédé d’allusion devient déchirant quand l’ado croise sa mère dans un bus et lui murmure des paroles d’adieux inaudibles pour le spectateur. Dans la même idée, Sebastiano Riso ne détaille pas les personnalités des prostitués, préférant insister sur l’incroyable solidarité de cette communauté au bord du gouffre. de Sebastiano Riso avec Davide Capone, Pippo Delbono… Distribution : Outplay Durée : 1h34 Sortie le 24 juin


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le s fi lm s

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> TERMINATOR. GENISYS

Une seconde mère Le quatrième film de la Brésilienne Anna Muylaert est le premier à sortir en France. Alliant légèreté et lucidité, la réalisatrice y examine le rapport dérangeant entre la moyenne bourgeoisie de São Paulo et ses domestiques. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Vingt ans ont été nécessaires à la cinéaste pour achever son scénario. Il a fallu trouver la juste manière d’évoquer un aspect peu discuté de la société brésilienne. La réalisatrice nous explique : « Presque toutes les familles aisées ont une domestique. Elles payent des femmes pauvres pour s’occuper de leurs enfants, ce qui ne laisse pas le temps à ces employées d’élever les leurs. » Val, l’héroïne d’Une seconde mère, habite depuis des années chez ses patrons. Elle s’occupe des tâches ménagères et de leur fils, Fabinho, depuis qu’il est enfant. L’emménagement de sa fille, Jessica, qu’elle n’a pas pu élever, bouscule les rapports de pouvoirs. Les aspirations de la jeune femme, venue s’installer dans la demeure bourgeoise pour potasser l’examen d’entrée d’une école d’architecture, dépassent le champ des possibles délimité pour sa classe. Surtout,

elle ne voit pas ce qui l’oblige à se plier aux mêmes injonctions discriminantes que sa mère, comme celle de manger dans un pot de glace différent de celui de Fabinho. Sa rafraîchissante audace ne laisse pas les hommes de la famille indifférents. « En élaborant le scénario, j’ai longtemps pensé qu’elle aurait une relation avec le père. Mais, au Brésil, chaque fois qu’on voit une personne faible ou pauvre, un mec riche la baise. Ça m’a pris vingt ans pour décider qu’elle ne ferait pas l’amour avec lui. » Tout comme la réalisatrice, le personnage de Val peine aussi à se libérer des clichés du déterminisme social. Mais le récit de cette lutte intérieure s’imprègne jusqu’à la dernière scène de sa douceur et de sa bonhomie. d’Anna Muylaert avec Regina Casé, Michel Joelsas… Distribution : Memento Films Durée : 1h52 Sortie le 24 juin

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Arnold Schwarzenegger renfile son costume de Terminator dans ce nouveau volet de la franchise, réalisé par Alan Taylor (Thor). Kyle Reese (Jay Courtney) est envoyé dans le passé pour protéger Sarah Connor (Emilia Clarke), mais une fracture temporelle va rebattre les cartes du destin. d’Alan Taylor (1h59) Distribution : Paramount Pictures Sortie le 1er juillet

> FANTASIA

Ce drame intimiste et délicat dresse le portrait croisé de quatre membres d’une famille chinoise modeste bouleversée par la maladie du père. Tandis que chacun tente de rassembler l’argent pour payer les soins, le benjamin s’évade dans un univers fantasmé. de Wang Chao (1h25) Distribution : Nour Films Sortie le 1 er juillet

> LES PROFS 2

Kev Adams redevient le cancre Boulard dans cette suite de la comédie de 2013. Cette fois-ci, lui et ses profs (les pires de France) se retrouvent catapultés dans le meilleur lycée d’Angleterre. Le flegme british résistera-t-il aux blagues potaches ? de Pierre-François Martin-Laval Distribution : UGC Sortie le 1 er juillet


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le s fi lm s

Love & Mercy

© studiocanal

PAR T. Z.

Bill Pohlad signe un biopic instructif et entraînant de Brian Wilson. Paul Dano campe le leader des Beach Boys au moment le plus brillant de sa carrière, lorsqu’il enregistre l’album Pet Sounds, alors que John Cusack l’incarne lui dans sa période sombre, durant laquelle il est manipulé par son psychiatre… Le film permet de saisir toute la difficulté d’innover. de Bill Pohlad avec Paul Dano, John Cusack… Distribution : ARP Sélections Durée : 2h02 Sortie le 1 er juillet

© studiocanal

Difret PAR J. M.

© alamode films

Microbe et Gasoil PAR TIMÉ ZOPPÉ

Après Conversation animée avec Noam Chomsky (2014), Michel Gondry revient à un sujet moins pointu tout en conservant son goût légendaire pour le bricolage cinématographique. Daniel, souvent pris pour une fille et surnommé Microbe à cause de son allure chétive, et Théo, rebaptisé Gasoil parce qu’il répare toutes sortes de machines, sont deux garçons de 14 ans en marge et incompris. Avides d’émancipation, ils fabriquent un engin à moteur pour parcourir la France. Avec Microbe et Gasoil, le prolifique et éclectique réalisateur français ressuscite l’esprit des comédies d’aventures avec des enfants dans la veine des Goonies (Richard Donner, 1985) ou des Gremlins (Joe Dante, 1984). La

mise en scène, qui peut parfois sembler maladroite et naïve (fondus au noir à répétition, rythme bancal, jeu appuyé des acteurs), surprend d’abord. Mais un effet de montage, dans la dernière partie, permet de comprendre que cette naïveté vient de ce que le film épouse le point de vue de ses deux jeunes héros. Le duo fonctionne à plein régime, l’un doutant sans cesse, l’autre étant plus prompt à agir. Lancés (à faible allure) sur des départementales à bord d’une hilarante « cabane à moteur », Microbe et Gasoil réveillent avec vigueur les rêves d’expédition de notre enfance.

En Éthiopie, sur le chemin de l’école, une adolescente est enlevée et violée, conformément à la tradition du « kidnapping nuptial » qui veut que les hommes capturent les femmes qu’ils désirent épouser. En tentant de s’échapper, elle tue son agresseur et se retrouve en prison… La réalisatrice parvient à illuminer cette histoire tragique en l’axant autour de la relation touchante qui se tisse entre l’accusée et son avocate et, ce faisant, cloue au pilori le sexisme du système judiciaire éthiopien.

de Michel Gondry avec Théophile Baquet, Ange Dargent… Distribution : StudioCanal Durée : 1h43 Sortie le 8 juillet

de Zeresenay Mehari avec Meron Getnet, Tizita Hagere… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h39 Sortie le 8 juillet

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© prokino filmverleih gmbh

le s fi lm s

Amy Le réalisateur de Senna narre le destin tragique d’Amy Winehouse dans un poignant documentaire sur cette talentueuse chanteuse de jazz parachutée dans une éreintante vie de rock star. Back to black. PAR ÉRIC VERNAY

Amy Winehouse. Cette artiste géniale mais autodestructrice, incapable de résister à la pression de son foudroyant succès, morte en 2011 des suites de ses excès… On croyait connaître l’affaire par cœur, d’autant qu’elle fait figure de classique dans l’histoire de la musique, et du rock en particulier, de Janis Joplin à Kurt Cobain en passant par Jim Morrison, tous morts, comme Amy Winehouse, à l’âge de 27 ans. Et pourtant. Asif Kapadia parvient brillamment à nous intéresser au parcours de la jeune Anglaise. Visiblement fasciné par les trajectoires éclairs (voir son excellent documentaire sur le pilote de Formule 1 Ayrton Senna), le réalisateur évite le sempiternel cocktail « voix off/entretiens face caméra » pour reconstituer un portrait impressionniste de la diva sacrifiée en piochant directement dans les images d’archives. Il y trouve de l’or :

> DADDY COOL

Diagnostiqué bipolaire, Cameron (Mark Ruffalo) doit s’occuper de ses filles alors que sa femme (Zoe Saldana) reprend ses études… Oscillant, comme son héros, entre bouffées délirantes et moments plus graves, ce premier film dresse le portrait touchant d’un père en devenir. de Maya Forbes (1h30) Distribution : Bac Films Sortie le 8 juillet

la Londonienne a passé sa courte existence sous l’œil des objectifs, ceux des paparazzis, des caméras de télévision, et ceux, plus intimes, de son ami manager à ses débuts (sublime scène involontairement allégorique où il la laisse soudain seule, traversée par un rayon de soleil) ou de Blake, son amant junkie. À l’abri des flashes aveuglants, le couple se shoote à la came et à la caméra, documentant de l’intérieur son inexorable chute. L’entourage d’Amy, vampirique, ne sort pas grandi du film. La rage de Kapadia affleure, contagieuse, tout comme sa tendresse pour cette authentique artiste qui n’essayait « pas d’être une star, seulement une musicienne ». d’Asif Kapadia Documentaire Distribution : Mars Durée : 2h07 Sortie le 8 juillet

> LES MINIONS

Les célèbres Minions de Moi, moche et méchant reviennent sur grand écran avec leur propre spin-off. Les petites créatures jaunes et loufoques, au service cette fois-ci de la méchante Scarlett Overkill, nous charment toujours autant par leur originalité et leur humour. de Pierre Coffin et Kyle Balda (1h31) Distribution : Universal Pictures Sortie le 8 juillet

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> MAGIC MIKE XXL

Mike (Channing Tatum, tous abdos dehors) retrouve ses compères stripteaseurs des Kings of Tampa pour un dernier tour de piste… Pour cette suite du jouissif Magic Mike, Steven Soderbergh a cédé son fauteuil à Gregory Jacobs, son assistant réalisateur de longue date. de Gregory Jacobs (1h55) Distribution : Warner Bros Sortie le 8 juillet


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le s fi lm s

Par J. R.

© pyramide distribution

Que viva Eisenstein!

En 1931, le cinéaste russe Sergueï Eisenstein passe quelques mois au Mexique pour y réaliser un film qu’il n’achèvera jamais. À partir de cette escapade, le Britannique Peter Greenaway fantasme un étrange voyage initiatique, foutraque et teinté de mysticisme, qui voit Eisenstein délaisser son tournage au profit d’une aventure homosexuelle torride avec son guide mexicain.

© paname distribution

de Peter Greenaway avec Elmer Bäck, Luis Alberti… Distribution : Pyramide Durée : 1h45 Sortie le 8 juillet

Dior et moi

Par R. S.

© cim productions

Self Made PAR RAPHAËLLE SIMON

Après Les Méduses, fable chorale et poétique qui avait obtenu la Caméra d’or à Cannes en 2007, la réalisatrice israélienne signe un deuxième long métrage kafkaïen. Il était déjà question de métamorphose dans Les Méduses, sorte de bal de bras cassés au cours duquel les héros touchaient le fond pour mieux refaire surface. Dans Self Made, l’opération va plus loin et se transforme en un véritable puzzle existentiel à la trame allègrement absurde. Comme le héros de La Métamorphose, Michal semble se réveiller dans le corps – et dans la vie – d’une autre. Après être tombée de son lit, cette artiste israélienne est prise d’amnésie totale : pourquoi ces journalistes viennent-ils l’interviewer ?

Que vient faire cet homme qui installe une colonie de crabes dans sa baignoire ? De quelle opération médicale lui parle-t-on au téléphone ? C’est assaillie par toutes ces questions que Michal se lance dans l’assemblage du nouveau lit qu’elle vient de commander. Sauf qu’il manque une vis, vis à cause de laquelle Nadine, une ouvrière palestinienne, va se faire renvoyer. Plus que se croiser, les destins de ces deux femmes de Jérusalem vont finir par littéralement se confondre, délivrant une étonnante réflexion, par l’absurde, sur l’identité.

En avril 2012, le discret Raf Simons reprend la direction artistique de Dior après le départ fracassant de John Galliano. Attendu comme le messie pour relancer la machine, le créateur belge doit constituer sa première collection en un temps record… Frédéric Tcheng parvient à immiscer sa caméra dans les coulisses les plus impénétrables de la création, filmant les petites mains sous toutes les coutures et s’approchant au plus près du créateur le plus secret du monde de la mode.

de Shira Geffen avec Sarah Adler, Samira Saraya… Distribution : Paname Durée : 1h29 Sortie le 8 juillet

de Frédéric Tcheng Documentaire Distribution : Dissidenz Films Durée : 1h30 Sortie le 8 juillet

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© toho

le s fi lm s – dvd

Les Loups Première édition française pour Les Loups du cinéaste japonais mal-aimé Hideo Gosha. Un film de transition, pour son auteur comme pour ses personnages, yakusas et promises coincés entre deux mondes, conjuguant fulgurances formelles et réflexion amère sur la modernité. PAR MICHAËL PATIN

En France, le cas Hideo Gosha est l’un de ces paradoxes qui alimentent la cinéphilie des uns contre celle des autres. Alors que la plupart de ses longs métrages sont édités en DVD dans l’Hexagone, ce Japonais, décédé en 1992, est encore largement méconnu chez nous, quand il n’est pas considéré comme un mini-Kurosawa ou un sous-Mizoguchi. Insensible au sort, HK Video édite Les Loups (1971) qui rejoint d’emblée la liste des chefs-d’œuvre du cinéaste, aux côtés de Hitokiri. Le châtiment (1969), de Goyōkin. L’or du shogun (1969) ou de Femmes de yakusas (1986). Un film charnière dans la carrière de Hideo Gosha qui après s’être centré sur des personnages masculins (samouraïs et ronins) s’intéressera ensuite de plus en plus aux femmes – ce qui n’est pas la moindre de ses particularités. Les loups du titre sont des prisonniers liés à deux clans de yakusas que le gouvernement a décidé d’amnistier. Relâchés dans un monde où le code d’honneur d’antan ne fait plus le poids face aux promesses d’expansion économique, ils incarnent la mauvaise conscience de l’époque. Débutant sur un générique très pop qui laisse

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attendre une série B nerveuse et sanglante, ce ninkyo eiga (film de yakusa chevaleresque) joue au contraire sur la dilatation du temps, y compris dans les combats où la précision chorégraphique est mise au service d’une rage muette et laborieuse. C’est le cas des deux immenses scènes du film, l’une d’amour, entre deux rescapés de clans rivaux abrutis par le saké, l’autre de meurtre, celui d’un sous-fifre par les deux « tueuses à l’ombrelle », où l’érotisme et la mort se confondent magistralement. Au-delà d’une intrigue parfois distendue, le film s’impose comme un régal esthétique doublé d’une réflexion amère sur la fin du romantisme. Tourné en partie dans de sublimes décors de bord de mer où les navires échoués symbolisent le drame des héros et héroïnes (ici placés sur un pied d’égalité), Les Loups possède la fascinante beauté des zones transitoires où l’ancien monde vient se fracasser contre le nouveau. Les Loups de Hideo Gosha (HK Video / Metropolitan FilmExport) Disponible

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le s fi lm s – dvd

LES SORTIES DVD

> LOVE IS STRANGE d’Ira Sachs (M6 Vidéo)

Après Keep the Lights On, Ira Sachs revient avec un film moins autobiographique mais pas moins personnel. Cette fois, le cinéaste américain filme une séparation avec sérénité et un certain optimisme. Soit l’éloignement entre deux hommes fraîchement mariés qui, après trente-neuf ans de vie commune, doivent revendre leur appartement suite au licenciement de l’un d’entre eux et composer avec leur famille et les amis qui les accueillent. Dans une structure proche des comédies du remariage des années 1930-1940, le film oscille entre les tons et propose une variation douce et lumineuse sur le couple et la transmission entre les générations. Q. G.

> RÉALITÉ

de Quentin Dupieux (Diaphana)

Après Wrong Cops (2014), Quentin Dupieux met en scène Alain Chabat dans une nouvelle comédie décalée. L’acteur excelle dans le rôle d’un cameraman qui tente de réaliser le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma pour qu’un riche producteur (le talentueux Jonathan Lambert) accepte de financer son film d’horreur… Avec sa narration en poupées gigognes, Réalité offre une mise en abyme vertigineuse des névroses d’un naïf apprenti cinéaste. Dupieux dévoile une écriture plus complexe et affinée que celle de ses précédentes productions et élabore un bijou d’onirisme et d’absurdité. J. M.

> COFFRET FERNANDO SOLANAS

> LES NOUVELLES AVENTURES DE GROS-POIS ET PETIT-POINT

Ce coffret réunit huit films en version restaurée du cinéaste argentin Fernando Solanas, de L’Heure des brasiers (1968) à La Dignité du peuple (2005). Dans ces documentaires, il filme les différentes crises qui traversent son pays natal, notamment la dictature militaire et l’effondrement économique de 2001 avec Mémoires d’un saccage (2004). Profondément engagé, le réalisateur utilise le septième art comme arme politique – et non comme témoin passif – en donnant la parole aux opprimés, comme dans Les Fils de Fierro (1972), qui retranscrit le quotidien de gauchos, des gardiens de troupeaux, dans la province de La Pampa. J. M.

Après un premier volet sorti en DVD en 2012, les héros Gros-pois et Petit-point sont de retour dans six nouvelles histoires toujours aussi poétiques. Au cirque, dans la cuisine, en forêt, chez le marchand de souliers ou lors du réveillon, les deux créatures aux airs de lapins et aux drôles d’yeux globuleux font leurs premières expériences de la vie et parviennent toujours à faire émerger la cocasserie de leur quotidien. Dans un univers en pâte à modeler, fantaisiste et coloré, ce programme éducatif tourné en stop motion aborde les thèmes liés à l’éveil de façon ludique. Idéal pour les tout-petits. J. M.

(Blaq Out)

d’Uzi et Lotta Geffenblad (Arte Éditions)

> BAS LES MASQUES

> FIDÉLIO. L’ODYsSÉE D’ALICE

Ed Hutcheson (Humphrey Bogart) est rédacteur en chef du quotidien The Day. Il tente, d’une part, d’empêcher la revente du journal, de l’autre de mener une dernière enquête sur un meurtre lié à la pègre et, dans le même temps, de renouer avec son ex-femme… Sorti en 1952, Bas les masques est un grand plaidoyer hollywoodien pour la liberté de la presse. Bogart joue de son charisme bougon pour interpréter un homme intègre capable de mener toutes les batailles tambour battant. Une simple horloge sur son mur, visible dans la majorité des plans, suffit à figurer la plus grande menace qui le guette : le temps qui passe. T. Z.

Le premier long métrage de Lucie Borleteau navigue dans des eaux peu fréquentées du cinéma français. À travers le parcours homérique d’Alice (Ariane Labed, révélation du film), une femme marin qui laisse son amoureux (Anders Danielsen Lie) à terre pour partir travailler sur un vieux cargo, la réalisatrice invente une épopée contemporaine. L’aventure est maritime mais surtout charnelle, puisqu’Alice retrouve son ancien amant (Melvil Poupaud) sur le bateau. Privilégiant le plus souvent l’action par rapport aux explications psychologiques, le film donne à voir une héroïne forte et libre, qui n’écoute que ses désirs. T. Z.

de Richard Brooks (Rimini Éditions)

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de Lucie Borleteau (Why Not Productions)


dvd

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cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

SPECTACLES ARTS

Mobile Camera Club PHOTO

Inaugurée en 2014, cette galerie du IXe arrondissement s’est donné comme principe d’exposer uniquement des clichés pris avec des smartphones. Jusqu’au 30 septembre, le Mobile Camera Club présente l’exposition « Avatars #Autoportaits » dans la galerie et dans les halls de plusieurs cinémas MK2.

Lorenka Campos, Isabel

L PAR TIMÉ ZOPPÉ

’idée de créer un espace ne présentant que les travaux d’« artistes mobiles », ainsi que les nomment les créateurs du Mobile Camera Club, ne vient pas de nulle part. Trois d’entre eux, Nadine Bénichou, Stéphanie Dupont et Lénaïc Entremont-Pinguet, sont tombés dans la photo mobile il y a plusieurs années et ont dès lors activement participé aux réseaux de mordus. Bénichou explique : « Avant qu’Instagram n’ait 300 millions d’utilisateurs, une communauté de gens communiquait déjà via Facebook ou EyeEm. Il y avait une effervescence autour des applis photos, des potentialités qu’offrait cet appareil. » Avec les nouveaux téléphones portables, la

êt us es

ici

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Cédric Blanchon, Breathe

XVIIIe XVIIe

XIXe VIIIe

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Xe IIe IIIe

Ier

XVIe

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FESTIVAL Loud & Proud du 2 au 5 juillet à La Gaîté Lyrique p. 94

XIIIe

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EXPOSITION Marcel Broodthaers jusqu’au 5 juillet à la Monnaie de Paris p. 104


KIDS

MUSIQUE

SPECTACLES ARTS

LIVRES

Vice-Versa : le petit papier d’Élise, 6 ans et demi p. 96

DJ Cam compose une B.O. non officielle de la série culte Miami Vice p. 92 JEUX VIDÉO

Le Cercle des plumes assassines est un polar idéal pour aborder l’été p. 98

FOOD

MODE

présente

un espace dédié, parce qu’on s’est rendu compte que les galeries étaient réticentes à montrer ce type de travaux. » La troupe passe à l’action en mars 2014 en fondant le Mobile Camera Club. « C’est la première galerie dédiée à cette discipline sous cette forme, affirme Dupont, avec une sélection du contenu, des contrats, des tirages limités. Instagram peut servir de vitrine pour montrer son travail, mais notre but est de sortir les photos de ce flux constant. » CECI N’EST PAS UN SELFIE

Sarah Jarrett, Rouge

« Tout le monde est au même niveau. C’est l’œil qui prévaut. » nadine bénichou

maîtrise technique n’est plus un frein, chacun peut s’improviser photographe. « Maintenant, tout le monde est au même niveau. C’est l’œil qui prévaut. » Mais la visibilité de ceux qui développent une véritable démarche artistique reste limitée. « L’idée nous est venue d’avoir

Depuis le début, les thèmes des expositions sont pensés en réaction aux a priori du public sur la photo mobile. « On a fait des grands formats d’un mètre sur un mètre, reprend Bénichou, parce que tout le monde nous disait que la photo mobile s’imprimait sur des timbres-poste. » L’exposition « Avatars #Autoportaits » défriche un autre terrain sensible. « Quand on parle de photos au smartphone, les gens s’exclament : “Ah oui ! un selfie ”, déplore Dupont. On veut casser cette image et montrer que certains font de vrais travaux de mise en scène d’eux-mêmes. » Quarante autoportraits de sept photographes d’horizons divers sont exposés à la galerie. Un cliché supplémentaire de chacun est visible dans l’un des quatre cinémas MK2 partenaires, au côté de dix-huit autres autoportraits sélectionnés via la smART gallery, un groupe Facebook sur lequel le MCC lance régulièrement des thèmes pour défier les artistes mobiles. Un coup d’œil suffit pour s’en convaincre : chez ses adeptes, la photo mobile stimule une imagination inversement proportionnelle à la taille d’un smartphone. jusqu’au 30 septembre à la galerie Mobile Camera Club (56, rue la Bruyère – Paris IXe) et dans les MK2 Bibliothèque, Bibliothèque (entrée BnF), Quai de Seine et Quai de Loire Rencontre-débat « Mises en exposition du selfie (genres, publics, espaces) » à la galerie Mobile Camera Club le 19 juin à 18h

le PARCOURS PARISIEN du mois

FOOD Hexagone. Le bar 85, avenue Kléber Paris XVIe p. 108

EXPOSITION « Chagall, Soulages, Benzaken… » jusqu’au 21 septembre à la Cité de l’architecture et du patrimoine p. 112

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FESTIVAL Cinema Paradiso du 16 au 26 juin au Grand Palais p. 116


© eric peltier

cultures MUSIQUE

DJ Cam Hip-hop

Si Miami Vice ne vient pas à DJ Cam, DJ Cam ira à Miami Vice. Exilé à Magic City (le surnom de la ville), le beatmaker français se fait plaisir en composant une B.O. hip-hop et non officielle de la série culte de Michael Mann. PAR ÉRIC VERNAY

Ses albums d’abstract hip-hop, ses relectures de Miles Davis et ses productions pour Jean-Louis Murat ne le désignaient pas pour ce genre de projet. Pourtant, DJ Cam devait tôt ou tard la faire, cette fausse mais splendide B.O. de Deux Flics à Miami (le nom français de la série). « Ado, je regardais la série, j’habite Miami depuis deux ans et j’ai un pote qui sort avec la fille de Michael Mann. Ça fait beaucoup de coïncidences ! » se justifie en riant le volubile quadra. « Dans les années 1980, les séries comme Agences tous risques, Magnum ou Starsky et Hutch, c’était super speed…Alors que Miami Vice, c’est très lent, en fait. J’ai d’abord trouvé le style hyper bizarre. Mais récemment je me suis refait toute la série, et cette fois j’ai adoré. Et puis la musique était mortelle. Pour la première fois on entendait des tubes préexistants, au lieu des habituelles musiques spécialement composées pour l’occasion. » Des hits tels qu’« In the Air Tonight » de Phil Collins. « Quand tu découvres les deux héros dans leur Ferrari noire, ça dure trois minutes. Il ne se passe rien, ils roulent juste dans la

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ville, en chargeant leurs fusils à pompe, avec ce morceau en arrière-fond. C’est super beau. C’est devenu le titre emblématique de la ville. Aujourd’hui encore, tu vois passer des bagnoles avec cette chanson à fond. » On retrouve le tube sur le disque, mais façon chopped and screwed, ce style hip-hop, popularisé par DJ Screw à Houston dans les années 1990, dont les sons ralentis imitent l’effet de la codéine. Entre une plage contemplative de piano mélancolique et deux virées gangsta rap avec la légende californienne MC Eiht, on entend frémir les basses de la trap music. Assez loin de l’ambiance new-wave de la série, donc. « Je m’en suis quand même inspiré, puisque j’ai utilisé deux synthés d’époque, mais j’ai une culture hip-hop et je ne suis pas spécialiste de la pop eighties. J’ai préféré me réapproprier le truc avec le son du Miami de 2015. S’ils refaisaient la série aujourd’hui, la B.O. ressemblerait sans doute à la mienne ! » Miami Vice de DJ Cam (Inflamable/La Baleine) Disponible

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sélection PAR MICHAËL PATIN

BEST

de Fiodor Dream Dog (La Gosse Productions)

Ignorant tout de Fiodor Dream Dog, on est d’abord scotché par la vague de Best, ses mélodies audacieuses à étages, son groove fin et trépidant, ses arrangements pointillistes, et cette voix androgyne qui ne plie pas sous l’émotion, comme si Victoria Legrand de Beach House était sortie de son éther. Puis on y revient, obsessionnellement, admirant dans le détail ses mille reflets et étincelles, transi d’amour pour les musiciens coupables de ces dix pépites pop dont on ne veut ni ne peut plus se passer.

I AUBADE

d’Elvis Perkins

(Mir Image/Believe)

On était sans nouvelle du génial auteur folk-pop Elvis Perkins depuis 2009. Autant dire une éternité. Débarqué sans préavis, I Aubade se présente comme une œuvre complexe et exigeante, faite d’éléments épars collectés au fil de ses pérégrinations, loin de l’écriture classique et des fanfares collectives de son prédécesseur, Elvis Perkins in Dearland. Mais la voix et le génie mélodique, intacts, transpercent les remous, jusqu’à rappeler à nos sens l’intouchable Astral Weeks de Van Morrison.

NEVER WERE THE WAY SHE WAS

de Colin Stetson and Sarah Neufeld (Constellation)

Quand un monstre du saxophone (Colin Stetson) rencontre une virtuose du violon (Sarah Neufeld, membre d’Arcade Fire), qu’est-ce qu’ils se racontent ? Des histoires d’amour et de dévoration où la bête n’est pas forcément celle que l’on croit, et où la beauté s’érige en horizon. Il est rare, et précieux, de pouvoir ainsi témoigner du lien primordial entre implication physique et élévation spirituelle. Attachées dans la transe, ces deux voix content l’aventure humaine, sans prononcer un mot.

MUTILATOR DEFEATED AT LAST

de Thee Oh Sees (Castle Face)

Souvent considéré comme le meilleur groupe de rock garage du troisième millénaire, Thee Oh Sees est sans doute aussi le plus prolifique. Un an à peine après Drop, le « dieu vivant » (dixit Ty Segall) John Dwyer et ses camarades remettent le couvert sur Mutilator Defeated at Last, qui s’impose comme une de leurs plus belles réussites. Où les techniques actuelles convolent avec l’esprit du psychédélisme pour offrir à nos tripes des rêves électriques neufs.


cultures MUSIQUE

agenda © keyartphoto

PAR WILFRIED PARIS

LE 13 JUIN

Big Freedia

FESTIVAL

Loud & Proud PAR ETAÏNN ZWER

Pour sa toute première fois, le festival qui célèbre les musiques et les cultures queer investit La Gaîté Lyrique. À l’affiche : esprit militant, programmation excitante et amour XXL. « Questionner la représentation des minorités sexuelles sur les scènes françaises et […] redonner la priorité aux corps et aux identités négligées et invisibilisées par l’industrie musicale », le pari des commissaires Benoît Rousseau, Anne Pauly, Fany Corral et Alexandre Gaulmin s’enorgueillit de sacrés arguments avec ces quatre jours dédiés à la crème des artistes queer. Perfume Genius, Austra, la pop camp de Ssion et Seth Bogart (Hunx & his Punx) en une prestation solo inédite côtoient les Français Fiodor Dream Dog et Clara 3000 ; Noise Manifesto, le collectif de la pionnière techno Paula Temple, dévoilera Decon Recon – un set signé Planningtorock, The Knife et rRoxymore, accompagné d’une projection vidéo à 360° –, et les gayngstas du hip-hop Le1f, Cakes da Killa, Zebra Katz et la diva bounce Big Freedia lâcheront leurs beats extatiques dans la mêlée. Les furies du dancefloor seront gâtées, les curieux qui voudraient s’initier à la culture queer aussi. Pédagogique, cette première édition propose des conférences (« Queer et musique pop »), des projections – dont le documentaire de Florence et Sylvie Tissot Je ne suis pas féministe mais…consacré à Christine Delphy, figure du MLF –, des courts métrages LGBTQ expérimentaux sélectionnés par le Collectif Jeune Cinéma (« What’s Your Flavor? ») et des ateliers drag-king et twerk. Cerise sur le sound system, le festival se décline au Lieu Unique à Nantes et au Sucre à Lyon. « Haut et fier ! » L’aventure devrait séduire RuPaul comme le plus grand nombre. Queer party pour tous. du 2 au 5 juillet à La Gaîté Lyrique

LABO POP DAY Sur sa terrasse au soleil (concerts gratuits, animations) ou dans sa salle, le Petit Bain partage pendant toute une journée ses coups de cœur pop français (Hold Your Horses, Ménage à trois, Filago, Gontard!, Cabuco, Monolithe Noir), offrant la tête d’affiche à la pop symphonique des Rennais de Mermonte. au Petit Bain

juin 2015

à la Philharmonie de Paris

DU 1 ER AU 5 JUILLET

LES 5 ET 12 JUILLET

PARIS INTERNATIONAL FESTIVAL OF PSYCHEDELIC MUSIC Le festival qui ouvre les portes de la perception se tiendra en divers lieux parisiens, mariant Frenchies sous champis (Dorian Pimpernel, The Feeling of Love, La Femme, Jessica 93), Anglais en bad trip (The Horrors) et Australiens planant sur la fuzz (King Gizzard & The Lizard Wizard).

LES SIESTES ÉLECTRONIQUES Allongés dans un théâtre de verdure, les spectateurs découvriront les richesses du fonds ethnomusicologique du quai Branly que se réapproprieront des musiciens aussi divers qu’Aïsha Devi (techno tribale), Éric Chenaux (troubadour canadien), Stephen O’Malley (maître doom) ou Jéricho (traditions Occitanes).

DU 3 JUIL. AU 22 AOÛT

LE 8 JUILLET

dans divers lieux à Paris

BADABOUM AIRLINES Le Badaboum accueille cet été les meilleurs DJ résidents de la scène internationale. Au programme du voyage : Berlin, avec le Club der Visionaere (Vadim Svoboda, Kennedy Smith) et le Chalet (Elbee Bab, Daniela La Luz), New York, avec DFA (Juan Maclean, Celine), puis Cologne, Helsinki, Barcelone… au Badaboum

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LE 4 JUILLET

TODD TERJE ET MOODOÏD Le festival Days Off prend désormais ses quartiers à la Philharmonie de Paris et invite le producteur et DJ norvégien Todd Terje à interpréter ses tubes electro-disco accompagné par un véritable groupe, The Olsens. La psyché-pop du Parisien Moodoïd ouvrira le bal.

au musée du quai Branly

SWANS Mystiques, apocalyptiques, les soufis électriques de Michael Gira reviennent pour une nouvelle cérémonie psychédélique : « chamaneries » vaudou orientales, trip sonique haut en volume et en couleur… Entre Birthday Party et Secret Chiefs 3, pour voyager à travers l’éclair d’un orage. au Trabendo


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cultures KIDS

CINÉMA

© disney pixar

Vice-Versa

l’avis du grand

La plongée dans la psyché d’une petite fille a poussé Élise à se creuser les méninges. Une expérience à la fois euphorisante et éprouvante pour notre jeune critique, qui a énormément ri pendant la projection, et copieusement pleuré en se remémorant les temps forts du film. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier d’ Élise, 6 ans et demi « C’est un chef-d’œuvre, mais c’est un chef-d’œuvre un peu triste. C’est très original, parce que ça parle de ce qui se passe dans la tête des gens – où il y a des émotions et plusieurs îles, comme l’île de la Bêtise, l’île de la Famille, l’île de l’Honnêteté. On est dans la tête d’une petite fille qui déménage. Elle ne peut plus contrôler ses sentiments et, du coup, elle perd sa joie. Mais Joie est la reine des îles, donc quand elle disparaît les îles se cassent. Je crois pas en ça : en vrai, le cerveau, c’est plein de tuyaux qui sont reliés à des parties du corps. De toute façon, on n’a pas assez de place dans notre tête pour avoir toutes ces îles. Même dans le film, ils n’ont pas eu assez

de place pour toutes les émotions : il n’y a pas la jalousie ni le courage. Bref, tout ça c’est des mensonges, mais, après tout, on est libres dans ce pays de France. Dans le film, c’est Joie qui compte par-­ dessus tout, mais Tristesse elle sert quand même, comme Dégoût, Colère ou Peur. Sinon, comment s’exprimer ? On n’aurait jamais ce qu’on voudrait si on n’avait pas toutes ces émotions. Je veux revoir ce film et puis l’acheter. C’est très triste, mais je vais m’habituer. » Vice-Versa de Pete Docter et Ronnie del Carmen Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h34 Sortie le 17 juin Dès 5 ans

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juin 2015

Si les dernières sorties de Pixar (Cars 2, Rebelle, Monstres Academy) n’ont pas fait date, le nouveau film du réalisateur de Là-haut nous rappelle que le studio d’Emeryville reste l’une des meilleures choses qui soient arrivées au cinéma ces trente dernières années. Extrêmement fluide et accessible, malgré une ambition et un fond d’une rare complexité, Vice-Versa est une étude de caractère d’une fillette subissant une petite dépression nerveuse. Raconté par le biais des émotions personnifiées amenées à explorer les moindres recoins de la psyché de la petite fille, ce film culotté visualise et scénarise des notions aussi insaisissables que l’inconscient, les rêves et le caractère sans jamais tricher avec son concept, et avec une sensibilité implacable. Émouvant à en pleurer et d’une drôlerie ébouriffante, Vice-Versa tient de l’œuvre virtuose. J. D.



cultures LIVRES / BD

Le Cercle des plumes assassines POLICIER

© baker street editions

Scandale à New York : un critique de théâtre a été assassiné ! Dorothy Parker est là pour mener l’enquête, accompagnée des membres de son cercle… Un petit polar cosy, idéal pour aborder l’été. PAR BERNARD QUIRINY

New York, années 1920. Au numéro 59 de la 44e rue se trouve l’hôtel Algonquin, prestigieux établissement fréquenté par l’intelligentsia, et notamment par une bande d’écrivains et de journalistes réunis autour de la poète Dorothy Parker et surnommée la Table ronde de l’Algonquin, à cause de la table autour de laquelle ils déjeunent. Mais on l’appelle aussi le Cercle vicieux, en raison des piques cinglantes et des vannes cruelles que l’on y lance contre tout le monde, y compris entre soi… Parmi ses membres figurent des piliers du journal Vanity Fair comme Robert Benchley et Robert Sherwood, le dramaturge Marc Connelly, l’humoriste Harpo Marx ou le journaliste Alexander Woollcott, du New York Times. Toute une faune de pigistes, d’écrivains et de rivaux potentiels fraye à l’Algonquin, au risque d’écoper d’une saillie assassine lancée par le groupe ; voire d’être assassiné pour de bon, tel le malheureux Leland Mayflower, critique théâtral au Knickerbocker News, retrouvé mort sous la fameuse table, un stylo dans le thorax. « Curieuse manière de s’en aller sans payer », plaisante Benchley… Or, le jour du meurtre, un jeune écrivain mal dégrossi débarquait de son Sud natal, désireux de rencontrer la grande Parker : William Faulkner. Il croit avoir vu un type louche à la réception de l’hôtel… Premier volet d’une série qui en compte aujourd’hui trois, Le Cercle des plumes assassines est une comédie policière pétillante

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qui recrée le New York des années folles, avec les théâtres de Broadway, la musique de Tin Pan Alley et les bars clandestins où le gratin picole en douce malgré la prohibition. J. J. Murphy (J. J. pour John Joseph, dont on ne sait rien sinon qu’il est né en 1969, qu’il a travaillé dans l’édition et qu’il est membre de la Dorothy Parker Society) transforme son héroïne en enquêtrice de choc, intrépide, sans-gêne et astucieuse, flanquée de Benchley en guise de Watson. L’intrigue, menée tambour battant, n’est pas d’une complexité folle, mais le plaisir est dans l’atmosphère de BD chic et survoltée, dans la galerie de personnages (on croise le boxeur Jack Dempsey, l’acteur Douglas Fairbanks, le journaliste Harold Ross, qui fondera The New Yorker) et dans le festival de bons mots et de traits d’esprit, joliment rendu par la traductrice Hélène Collon. Ainsi, en visite à la morgue, Dorothy se fait courtiser par le légiste. Lui : – « À bientôt ? » Elle : – « On ne peut pas dire que j’en meure d’envie. » Benchley intervient : – « Après tout ces cadavres, je boirais bien quelque chose. » Dorothy : – « Du moment qu’on ne finit pas ivres morts… » Tout le roman pétille ainsi, comme du champagne. Difficile de ne pas vouloir se resservir. Le Cercle des plumes assassines de J. J. Murphy, traduit de l’anglais (États-Unis) par Hélène Collon (Baker Street)

juin 2015


sélection PAR B. Q.

CULTURAMA

d’Erez Aiden & Jean-Baptiste Michel (Robert Laffont)

Aiden et Michel ont mis au point un outil de mesure des mots dans les livres numérisés par Google Books. Leur but ? Obtenir des vues inédites sur l’atmosphère culturelle des époques passées aussi instructives que des traités d’histoire ou de sociologie. Ils racontent leur travail dans cet essai, réflexion sur la révolution du big data et anticipation des menaces sur la vie privée dans notre monde connecté. Instructif.

L’AUTRE VILLE

de Michal Ajvaz (Mirobole Éditions)

« Je déambulais parmi les rangées de livres d’un bouquiniste de la rue Karlova… » Ayant découvert un curieux volume imprimé dans un alphabet inconnu, le narrateur se trouve plongé dans un univers parallèle fascinant, sorte de Prague inversée où tout devient possible. Baroque, onirique, ce récit du romancier tchèque Michal Ajvaz est une célébration du mystère et de l’imagination à la façon de Kafka ou de Calvino, dans un style joliment ornementé.

UN ÉTÉ 42

de Herman Raucher (La Belle Colère)

Pendant que la guerre fait rage, trois ados passent l’été à Packett Island, au large de la Nouvelle-Angleterre. Au menu : plage, rigolades, rêves, vannes, fantasmes. Hermie, 15 ans, s’amourache d’une femme plus âgée… Robert Mulligan tirera en 1971 un film célèbre de ce récit autobiographique de Herman Raucher. Introuvable en librairie depuis des années, ce roman d’apprentissage est à lire ou relire en écoutant la B.O. de Michel Legrand.

MÉSAVENTURES À HONOLULU

de Jack Handey (Seuil)

Humoriste bien connu pour ses anecdotes dans le National Lampoon, ses sketches dans le Saturday Night Live et ses chroniques au New Yorker, Jack Handey se lance avec Mésaventures à Honolulu dans le pastiche de roman de chasse au trésor. À Hawaii, deux héros munis d’une carte suivent la piste du Singe d’or, fabuleux magot planqué dans la jungle. D’où un festival de gags absurdes mené à cent à l’heure.


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Mister Natural

sélection

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

PAR S. B.

SAM & MAX

de Steve Purcell

© cornelius

(Onapratut)

À la toute fin des années 1960, Robert Crumb, dessinateur emblématique de la contre-culture américaine, crée le personnage de Mister Natural. L’époque est à la libération sexuelle, à la recherche spirituelle, à la vérité intérieure. Et pour moquer ce courant, dont il pressent la vacuité, Crumb dépêche un pseudo-­gourou doté – chose rare chez lui, et donc loin d’être anodine – d’une histoire personnelle éloquente. Soit un ancien musicien de jazz à succès dans les années 1920 qui fait don de sa fortune à une œuvre de charité avant de s’engager dans une quête spirituelle à travers l’Asie. Après avoir travaillé comme chauffeur de taxi en Afghanistan, il retourne à « la civilisation » dans les années 1950 et finit par s’installer quelques années plus tard au cœur d’une baie de San Francisco traversée par la Beat Generation. C’est dans ce contexte qu’il dispense ses conseils spirituels aux hordes de jeunes vestales avides de quêtes intérieures et encore plus à son disciple favori, Flakey Foont. La série rencontre un succès sans commune mesure dès sa première édition. Écrite sur une période relativement courte, le dessin y est d’une constance qui contraste avec les habitudes d’un artiste plutôt prompt à la rupture. Réédité en juin chez Cornélius, Mister Natural compte parmi les œuvres les plus accessibles de l’auteur, quand bien même elle caractérise sa vision du monde complètement libérée des tabous et de toute forme d’autocensure, et où l’absurdité crasse contamine tout. Mister Natural de Robert Crumb (Éditions Cornélius)

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juin 2015

Les primo-amoureux des jeux vidéos se souviennent probablement de Sam & Max, le lapin et le chien détectives qui firent les belles heures des point’n’click des studios Lucasfilm. La bande dessinée d’origine est enfin publiée en français, soit une anthologie d’intrigues à l’humour délirant et au dessin foisonnant et ultra dynamique. Un beau classique.

UN AN

de Mazen Kerbaj (Tamyras)

Un dessin par jour, ou presque. Mazen Kerbaj, artiste libanais parmi les plus intéressants aujourd’hui, a tenu un journal de dessin libre dans lequel l’abstraction, la recherche de motifs, l’alcool, la vie culturelle et les cours de dessin se conjuguent. D’une beauté brute ahurissante, chaque page libère discrètement les fragments d’une personnalité hantée par le passé et éreintée par le contexte instable du pays.

LES FILLES DE MONTPARNASSE. T. 4

de Nadja (Olivius)

Voici enfin l’ambiguë conclusion de cette fresque historique qui brosse l’émergence d’une pensée féministe à travers le parcours croisé de quatre femmes dans le milieu artistique du Paris de la fin du XIXe siècle. Nadja cultive sa palette de couleurs si particulières qui éclatent en un bain de lumière éblouissant lors d’un épilogue traversé de mélancolie.

OUTCAST. T. 1

de Robert Kirkman et Paul Azaceta (Delcourt)

Nouveau divertissement de Robert Kirkman (Walking Dead), déjà préempté pour être adapté en série télévisée, Outcast promet de rencontrer une nouvelle fois un succès hors norme. Le parcours de son héros névrotique, accablé par un passé chargé d’épisodes traumatiques qui révéleront bientôt leur mystère, est de surcroît sublimé par un dessin charbonneux très habile pour installer des atmosphères pesantes.


cultures SÉRIES

ESPIONNAGE

The Honourable Woman

Ce thriller d’espionnage, intense, sur fond de conflit israélo-palestinien, confirme le talent d’un des nouveaux maîtres britanniques du noir. et aussi

PAR GUILLAUME REGOURD

© bbc

© netflix

Sense8

Nessa Stein (Maggie Gyllenhaal), riche héritière d’un empire commercial édifié par son Israélien de père, pensait avoir déjà chèrement payé sa neutralité au Proche-Orient. Mais quand son associé palestinien est retrouvé mort, c’est signe qu’en coulisses M.I.6., C.I.A. et Mossad s’agitent, et que le passé est prêt à refaire surface. Sur de telles bases, Hugo Blick aurait pu bâtir la réponse britannique à Homeland. Soit un spectacle explosif porté par une héroïne tête brûlée imperméable à toute forme de pression. Au contraire, The Honourable Woman se déploie à la manière d’une partie d’échecs feutrée et létale au cours de laquelle Nessa avance

ses pions avec d’infinies précautions. Cette dernière peut compter sur le soutien plein et entier de Blick qui crucifie les businessmen, diplomates, espions et contre-espions qui se bousculent pour la manipuler, mettant en scène leurs ronds de jambes à la manière d’une danse macabre. Une danse admirablement chorégraphiée par ce maniaque du détail qui a écrit et réalisé seul les huit épisodes. Exactement comme il l’avait fait pour le sublime polar The Shadow Line. Les vrais auteurs de télé sont rares. Hugo Blick est assurément l’un des plus grands en activité. Sur Canal+

© arte ; abc studios ; hbo

sélection

1864 Après Borgen ou The Killing, la télé publique danoise se lance dans la fresque en costumes en racontant un épisode tragique et fondateur de l’histoire du pays. Batailles épiques, romance, trahisons… rien ne manque. Pourtant, jamais 1864 ne transcende la leçon d’histoire joliment illustrée. Sur Arte

Andy et Lana Wachowski (Matrix, Cloud Atlas, Jupiter. Le destin de l’univers...) n’ont pas renoncé aux défis impossibles. Ils ont convaincu Netflix de multiplier les tournages à Nairobi, Séoul, Berlin ou encore Bombay, pour les besoins d’un pitch lostien : huit jeunes gens se retrouvent connectés par une vision. Les premiers épisodes, sexy et intrigants, sont assez prometteurs, mais pour que la série décolle vraiment il faudra vite dépasser les simples archétypes et le prêchi-prêcha new age, talon d’Achille du duo de réalisateurs. G R. Saison 1 sur Netflix

PAR G. R.

AMERICAN CRIME Le scénariste de 12 Years a Slave n’a pas fini de confronter la société américaine à ses démons. Racisme, violence et injustice sont au cœur de ce drame qui donne la parole aux proches des victimes d’une affaire de meurtre et aux principaux suspects. On n’avait pas vu ça depuis au moins… The Wire. Saison 1 sur Canal+ Séries

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THE WIRE Aucun discours ou analyse ne pourra mieux faire la lumière sur les récentes violences qui ont secoué Baltimore que les cinq saisons de The Wire. Une intégrale sort justement en Blu-ray, avec une image plus large qu’à l’origine (16/9, contre 4/3) validée par le créateur de la série, David Simon. Intégrale chez HBO


cultures SPECTACLES

DANSE

Camping PAR ÈVE BEAUVALLET

agenda PAR È. B.

Au fait, c’est quoi, un bon danseur ? Une machine de guerre technique ? Un créateur à part entière ? Selon quels critères le définir ? Quels talents une formation d’excellence est-elle censée cultiver ? C’est, en résumé, le débat qu’ont relancé, en avril dernier, Akram Khan, Lloyd Newson et Hofesh Shechter (soit trois des plus grands chorégraphes basés en Grande-Bretagne) en accusant les institutions outre-Manche de ne pas former leurs danseurs en adéquation avec les standards internationaux. Si eux ont choisi d’alimenter le débat sur le mode du clash, le Centre national de la danse à Pantin, lui, pourrait le prolonger par voie détournée à l’occasion de la première édition de Camping. Annoncée comme une plate-forme chorégraphique internationale, cette manifestation réunit pendant deux semaines quelques-unes des meilleures institutions mondiales (dont P.A.R.T.S., école pilotée par Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles en Belgique, ou l’Institut für Angwandte Theaterwissenschaft à Giessen en Allemagne d’où sort Stefan Kaegi), écoles de danse mais aussi d’art plastique ou de théâtre. « Les artistes ont besoin de se rencontrer, cela semble une évidence, mais, face à une mobilité géographique croissante et à la complexité des modes de travail, quel espace pouvons-­nous inventer ? » s’interroge Mathilde Monnier, actuelle directrice du CND, connue pour avoir formé, à travers sa formation Exerce à Montpellier, quelques interprètes de belle envergure (Vincent Thomasset, Aude Lachaise…). Plate-forme effervescente pour les artistes donc, mais aussi laboratoire de curiosité pour le public, convié gratuitement à des ateliers, des conférences et des spectacles, Camping invite à une immersion en pleine pépinière internationale. du 22 juin au 3 juillet dans divers lieux en Île-de-France

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juin 2015

DELAVALLET Bidiefono Le chorégraphe et musicien DeLaVallet Bidiefono, qui développe au Congo-Brazzaville le premier lieu indépendant dédié à la création artistique, exorcise la mort dans Au-delà, une création sur un texte de Dieudonné Niangouna, invité du Festival d’Avignon en 2013.

au Théâtre des Bouffes du Nord

DU 9 AU 28 JUIN

au musée du quai Branly

JUSQU’AU 20 JUIN

JUNE EVENTS Essentiellement déployé sur le site de la Cartoucherie de Vincennes (ce qui suffirait presque à nous motiver), le festival chorégraphique de l’Atelier de Paris séduit de plus en plus par sa programmation ambitieuse mêlant figures déjà applaudies (Alban Richard, Daniel Linehan) et jeunes créateurs en ascension (Kevin Jean).

dans divers lieux en Île-de-France

JUSQU’AU 20 JUIN

© marc domage

Du 24 au 26 juin, la London Contemporary Dance School présentera trois performances au Théâtre National du Chaillot

sont trop rares. On salue donc la rétrospective offerte à Pascal Rambert par le Théâtre des Bouffes du Nord qui reprend cinq de ses pièces – dont sa chorégraphie d’accouplement Libido Sciendi et le très applaudi Clôture de l’amour.

© josep aznar

© nicolas guyot

© alicia clarke

JUSQU’AU 14 JUIN

PASCAL RAMBERT Les occasions d’apprécier le répertoire d’un metteur en scène ou d’un chorégraphe

LA FURA DELs BAUS Un spectacle déambulatoire avec application smartphone, séquences en réalité augmentée, projections vidéo à gogo sur le thème des « smart cities »… Curiosité et appréhension accompagnent donc la venue à Paris de ce smartshow créé par la très pétaradante compagnie catalane La Fura dels Baus. à la Villette

DU 30 JUIN AU 2 JUIL.

GUY CASSIERS Mastodonte du théâtre européen, Guy Cassiers est connu pour explorer les méandres du pouvoir dans des pièces technophiles, à l’instar de sa prochaine adaptation des Bienveillantes de Jonathan Littell. Le festival de l’Ircam (où sont développés les outils sonores) propose d’assister à une ébauche de celle-ci. au Centquatre


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© monnaie de paris

cultures ARTS

Marcel Broodthaers EXPOSITION

Une nouvelle fois, la Monnaie de Paris frappe fort en présentant un pan majeur de l’œuvre de Marcel Broodthaers, Musée d’art moderne. Département des aigles, un musée fictif qui dit ses quatre vérités à l’art et ses faux-semblants. PAR ANNE-LOU VICENTE

Initié en 1968 et déployé jusqu’en 1972, Musée d’art moderne. Département des aigles constitue l’un des épisodes majeurs de l’œuvre de l’artiste belge Marcel Broodthaers. Poète, critique d’art et réalisateur de films, il incarna un personnage à l’humour décapant qui, en dépit d’une carrière artistique plutôt brève – dix ans – et d’une disparition prématurée (1924-1976), a marqué durablement l’histoire de l’art. Marcel Broodthaers s’autoproclame « directeur » et « conservateur » de cette vraie-fausse institution qui fait musée et œuvre à la fois. L’exposition que présente actuellement la Monnaie de Paris vient subtilement prolonger le jeu de mise en abyme alors opéré par l’artiste, voire, loin de s’adonner au genre de la réplique, réécrire une partie de l’histoire : ainsi, le Balancier d’Austerlitz, que Broodthaers n’avait pu emprunter à la Monnaie pour sa Section des figures en 1972 en raison de son poids trop élevé, est aujourd’hui visible – pour de vrai, et non, comme à l’époque, par reproduction photographique interposée. Ce procédé fait par ailleurs l’objet de la Section publicité, que Broodthaers crée la même année à

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la Documenta 5 de Kassel, et qui consiste alors, à défaut de montrer les objets de la Section des figures, à en exposer des photographies, questionnant ainsi la reproductibilité de l’œuvre d’art et sa représentation. « Ceci n’est pas un objet d’art », peut-on d’ailleurs lire en trois langues différentes aux côtés de chaque objet figurant dans cette section, en grande partie recomposée aujourd’hui à la Monnaie de Paris, laquelle réunit des centaines d’objets empruntés à des collections et se rapportant tous d’une manière ou d’une autre au motif de l’aigle. Particulièrement complète, l’exposition présente également la Salle blanche de Marcel Broodthaers, une immense caisse en bois à l’intérieur de laquelle on peut non pas voir des œuvres mais lire une constellation de mots évoquant les multiples facettes du monde de l’art, et qui se révèle être une reconstitution, sept années après, d’une pièce de sa maison bruxelloise où fut inauguré le Musée d’art moderne. Département des aigles. Oh ! cet écho… jusqu’au 5 juillet à la Monnaie de Paris

juin 2015


agenda © chateau de versailles

PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

depuis le 12 MAI

JEAN-MICHEL OTHONIEL Jean-Michel Othoniel orne de ses perles de Murano, si caractéristiques de son œuvre, le bosquet du Théâtre d’eau, dans les jardins du château de Versailles ; l’occasion de faire revivre ces sculptures-fontaines et salons de jardin conçus par Le Nôtre entre 1671 et 1674. Un pont bienvenu entre les époques, pour ce contrepoint contemporain dont le château de Versailles est désormais adepte, après Jeff Koons, Anish Kapoor ou Joana Vasconcelos notamment. au château de Versailles

© adagp, paris 2015 – photo andre morin

JUSQU’AU 13 SEPT.

Felice Varini, La Villette En Suites FELICE VARINI Déformer une image et ne la rendre visible que d’un point de vue. C’est le principe de l’anamorphose, utilisée jusqu’au vertige par Felice Varini. Reculer, avancer, saisir enfin la forme imaginée par le peintre, telle est l’expérience de ce parcours en trois étapes : le parc de la Villette, la Grande Halle de la Villette et le pavillon Paul-Delouvrier. Un jeu plaisant animé par de vives couleurs en accord avec les beaux jours. au parc de la Villette

JUSQU’AU 13 JUIL.

VELÁZQUEZ Le Grand Palais présente une magnifique rétrospective du maître de l’âge d’or espagnol, immanquable, car grande première en France. D’autant que l’on ne compte qu’une centaine d’œuvres de Velázquez au monde. Passé du portrait au paysage, souvent au service des cours royales, l’Andalou inspira aussi bien les impressionnistes que Francis Bacon. au Grand Palais

JUSQU’AU 19 JUIl.

BONNARD Le musée qui détient le plus grand nombre d’œuvres de Bonnard (1867-1947) au monde propose une exposition d’envergure de ce peintre contemporain de Matisse et de Toulouse-Lautrec, avec des toiles mythiques de baignoires où flotte, verte et malade, Marthe, mais aussi, plus surprenant, des photographies, car le peintre a utilisé très tôt le Kodak portatif. L’ensemble le dépeint en grand coloriste empreint d’une immense nostalgie. au musée d’Orsay

DU 24 JUIN AU 13 SEPT.

CÉLESTE BOURSIER-MOUGENOT Il représente le pavillon français à la biennale de Venise cette année et expose cet été au Palais de Tokyo son œuvre Aquaalta, inspirée par le phénomène d’inondation de la lagune vénitienne. Dans les espaces du musée, l’eau sera surtout flux d’images et inspirera aussi bien les oreilles, la vue que le toucher. Sans bouée, donc. au Palais de Tokyo


cultures JEUX VIDÉO

ACTION-RPG

The Witcher 3

Marre des jeux de rôles ? Marre de l’heroic fantasy ? The Witcher 3. Wild Hunt a beau combiner les deux, son résultat tient du jamais-vu. Un grand jeu, épique et subversif, qui n’a pas fini de faire parler de lui. PAR YANN FRANÇOIS

L’EXPÉRIENCE DU MOIS FIVE NIGHT AT FREDDY’S

(Scott Games/PC, iOS, Android)

À l’origine, The Witcher (Le Sorceleur, en français) est une saga de fantasy polonaise écrite par Andrzej Sapkowski, qui est très vite devenue culte pour sa vision âpre et subversive du genre. The Witcher, c’est un univers, Temeria, peuplé de créatures fantastiques et déchiré par d’innombrables conf lits socio­ politiques. Mais c’est aussi et surtout un héros, Geralt de Riv, mutant aux cheveux cendrés et aux yeux de félin, chasseur de monstres et paria, à cause de sa différence génétique. Adapté par le studio polonais CD Projekt, The Witcher s’est vite imposé comme le RPG modèle, notamment pour avoir su rester fidèle à l’univers (et à la plume acide)

de Sapkowski. Attendu par beaucoup comme le jeu de l’année, ce troisième épisode marque un tournant majeur pour sa saga. Non seulement The Witcher 3. Wild Hunt est une grande leçon de mise en scène épique, mais c’est aussi une immersion stupéfiante dans le quotidien d’un chasseur de prime tour à tour bon samaritain et spectateur désabusé d’un monde au bord du chaos. Mature, provocateur (pour ne pas dire licencieux), The Witcher 3 peut se permettre d’égratigner la dorure et la bienséance du conte merveilleux. Il est aussi ce qui lui est arrivé de mieux depuis bien longtemps.  The Witcher 3. Wild Hunt (CD Projekt RED/PS4, PC, Xbox One)

3 perles indés TITAN SOULS

(Acid Nerve/PC, PS4, PS Vita)

La mission : affronter dix-huit boss à la suite. Seul détail, le héros n’a qu’une flèche, qu’il doit ramasser après chaque tir ; pire, il ne dispose que d’un point de vie, tout comme son ennemi. S’engage alors un duel sans merci dans lequel le premier qui flanche et commet un faux pas meurt. Conseillé à un public chevronné, Titan Souls mettra vos nerfs à mal.

Par Y. F.

CRYPT OF THE NECRODANCER

(Brace Yourself Games/PC)

Dans un donjon truffé d’ennemis, le joueur ne peut déplacer son avatar qu’au rythme de la bande-son, en battant chaque mesure sur les boutons de sa manette. Doté d’une playlist electro débridée et s’appuyant sur un concept en or, Crypt of the NecroDancer permet même d’importer ses propres musiques pour les convertir en partition jouable. La grande classe.

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juin 2015

Embauché comme gardien de nuit dans un entrepôt rempli d’automates tueurs, le héros n’a d’autre choix que de se terrer dans son bureau et d’observer ceux-ci grâce aux caméras de surveillance en attendant que le jour pointe et en espérant qu’aucun de ces monstres ne vienne envahir son refuge. Uniquement fait de plans fixes (les créatures se déplacent hors champs), Five Night at Freddy’s est une expérience horrifique aussi inédite qu’éprouvante qui se nourrit essentiellement de notre imagination pour nous malmener. Y. F.

CHROMA SQUAD

(Behold Studios/PC, Mac)

Avec Chroma Squad, nous voici à la tête d’un studio spécialisé dans les sentai, ces séries japonaises de super-héros en pyjamas colorés. Dans des décors de carton-pâte, chaque tournage se transforme en combat héroïque, mêlant jeu de rôle et règles au tour par tour. Ou comment faire d’un concept surréaliste l’un des meilleurs jeux tactiques du mois.


sélection par Y. F.

MORTAL KOMBAT X

GTA V

(Warner Bros. Interactive/ PS3, PS4, PC, X360, X One, iOS, Android)

(Rockstar/PC)

Superstar des années 1990, ringard la décennie suivante, Mortal Kombat sort enfin la tête de l’eau. Débordant de contenus et de modes de jeu, cet épisode mettra tout le monde d’accord. Il se fend même d’un excellent mode histoire, mis en scène comme un nanar de luxe, qui montre à quel point la saga n’a rien perdu de son côté sale gosse. Un esprit gore et outrancier qui réussit à nous faire rire comme au premier jour.

GTA V sort enfin sur PC. La performance technique est tellement renversante que l’on croirait découvrir un nouveau jeu – une vue subjective permet notamment de parcourir la ville avec un regard neuf. Tous sublimes, les décors révèlent un monde encore plus fascinant et immersif que sur console. Deux ans après le lancement de GTA V, le studio Rockstar confirme avec cette version pour PC qu’il est bien le plus grand créateur d’espaces urbains virtuels.

KIRBY ET LE PINCEAU ARC-EN-CIEL

AFFORDABLE SPACE ADVENTURES

Dans cet épisode conçu exclusivement pour la Wii U, Kirby devient simple bille de flipper au cœur d’immenses tableaux. Pour l’aiguiller, il suffit de dessiner des plates-formes de fortune sur l’écran tactile. Peu d’ennemis, un risque de mortalité proche de zéro, des tons pastel et des musiques kawaii, le tout enrobé par un graphisme en pâte à modeler : s’il reste un grand ambassadeur de la « choupitude », Kirby recèle de défis pour joueurs expérimentés.

Alors que l’on croyait passer des vacances de rêve sur une planète extraterrestre, notre vaisseau se crashe dans un monde peuplé de drones tueurs. Seule solution : guider notre navette à travers les boyaux de ladite planète et modifier ses performances techniques (vitesse, gravité…) au moyen du tableau de bord tactile. Simulation garagiste bourrée de puzzles et d’originalité, ce « petit » jeu se révèle une des meilleures exploitations digitales de la Wii U.

(Nintendo/Wii U)

(KnapNok Games/Wii U)


cultures FOOD

TENDANCE

À boire et à manger Les plus pointus et les plus anglo-saxons lui ont donné un nom : foodtail. Quand le monde de la cuisine rencontre l’univers du bar, ça donne des échanges de techniques et des accords mets-cocktails. Cinq ouvertures récentes témoignent de ce phénomène.

PAIRING

© jerome galland

© sarah galvan

PAR STÉPHANE MÉJANÈS

Dans la famille Pacaud, je demande le fils. Après une jeunesse remuante, Mathieu est devenu le partenaire de fourneau de son père, Bernard, triplement étoilé à L’Ambroisie. Fin 2014, il a ouvert son propre restaurant, Hexagone, puis a repris l’institution poissonnière des Invalides, Le Divellec, avant de dévoiler bientôt une table secrète, Histoires. En attendant, le bar Hexagone a été lancé en toute discrétion. La nourriture étant une préoccupation de tous les instants pour Mathieu Pacaud, les verres ne sont pas très loin des couteaux. Confiée à Thomas Girard, la carte des cocktails

est élaborée en étroite collaboration avec le roi du sucré au restaurant, Jacques Moreaux. « Le travail de pâtissier est proche de celui de bartender, explique le chef barman. Le dosage doit être précis, les accords aussi. » Ainsi dans l’un des cocktails phares, le Beau Brummell, la technique de caramélisation à la Suze de l’ananas poché emprunte directement à l’art du dessert. La carte du snacking, qui va encore s’étoffer, vient compléter cette fusion entre le bar et l’office. Hexagone. Le bar 85, avenue Kléber – Paris XVIe Tél. : 01 42 25 98 85 www.hexagone-paris.fr

le verre et l’assiette DERSOU Dersou a ouvert en 2014 avec un parti pris : faire rimer cocktail et nourriture. Pari tenu pour Taku Sekine (chef formé à la fois chez Alain Ducasse et chez Sven Chartier) et Amaury Gauthier (ex-barman du Sherry Butt). Le cochon fumé, riz à la mexicaine, harissa est soutenu par un breuvage au whisky, porto, jus d’orange et vermouth. Entre autres choses. 21, rue Saint-Nicolas – Paris XIIe www.dersouparis.com

L’ENTRÉE DES ARTISTES PIGALLE En quittant le XIe arrondissement pour s’encanailler à Pigalle, Fabien Lombardi et Édouard Vermynck n’ont pas perdu la main. Rejoints par un entrepreneur avisé, Olivier Demarle, ils ont conservé le goût du solide et du liquide. Avec des cocktails épicés, on grignote façon tapas de la seiche, aubergine brûlée, sauce thaï, ou de la ricotta, poire pochée, caramel. 30-32, rue Victor-Massé – Paris IXe www.lentreedesartistespigalle.com

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L’ANTRE DU LOUP Derrière le bar, l’Américaine Amanda Boucher concocte des cocktails vifs et de saison que l’on accorde avec les assiettes bien balancées des frères Landais, Denis et Vincent. La Reine Rouge (Dolin rouge, rhum blanc, sherry amontillado, miel aux fleurs, jus de citron jaune et barbeque bitters) règne sur le jambon de Parme, le Kentucky Dreams (menthe fraîche, Four Roses small batch, Cocchi Americano blanco, scotch tourbé, vermouth rouge) réveille le tartare de veau. Et le sublime sandwich de cochon de lait noir de Bigorre se suffit à lui-même. S. M. Pas de Loup 108, rue Amelot Paris XIe Tél. : 09 54 74 16 36 www.pasdeloupparis.com

PAR S. M.

ANCIENNE MAISON GRADELLE Dans leur nouveau lieu, Stéphane Gilard et Antoni Pascual (ex-The Club) soignent autant les plats, avec le chef Jonathan Hamel (ex-Guy Martin), que les boissons. Ici, le gin permet de mieux apprécier la viande de chez Metzger – noix d’entrecôte d’Argentine, onglet de bœuf Black Angus… À noter : les cocktails infusés deux mois en fût de chêne. 8, rue du Faubourg-Poissonnière – Paris Xe www.anciennemaisongradelle.com


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© d. r.

cultures MODE

© d. r.

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Charlotte Lebon

Naomi Watts

Marie Gillain

Elie Saab TAPIS ROUGE

Le Festival de Cannes représente un enjeu commercial majeur pour les marques de luxe qui se bousculent sur la Croisette pour habiller les stars, traquées sur le tapis rouge par quelque quatre cents photographes. On s’est faufilé dans les coulisses du showroom Elie Saab, à l’hôtel Martinez. PAR RAPHAËLLE SIMON

Marques de haute joaillerie, de cosmétique, de haute couture, chausseurs… les plus grandes maisons de luxe investissent les suites des palaces cannois pour y installer leur showroom le temps du Festival. Depuis dix ans, le couturier libanais Elie Saab est de la partie. Émilie Legendre, directrice de la communication de la marque, nous explique : « Dès que la sélection tombe, on reçoit des demandes d’essayage dans tous les sens. Entre les montées des marches, les dîners d’affaire, les soirées, il y a tant d’occasions… Mais on donne toujours la priorité aux comédiennes sur les invitées. » Avant Charlotte Le Bon, Marie Gillain ou Léa Seydoux (« Elle a essayé sa robe à 16 heures pour une soirée à 19 heures. Il faut savoir être flexible ! »), c’est Naomi Watts qui a ouvert le bal Elie Saab dans une robe couverte de plumes d’autruche. « C’était prévu qu’elle porte une de nos

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robes, elle avait fait les essayages à New York. Mais on ne savait pas quand elle allait la porter, et puis, parfois, les stars changent d’avis… Finalement, elle l’a mise pour la cérémonie d’ouverture », se réjouitelle. Bon point pour l’image de marque en effet, mais aussi pour les finances. Car si les actrices ne portent jamais une robe vue sur une autre, les clientes haute couture, elles, ne s’en privent pas. « On a, par exemple, eu beaucoup de commandes pour la robe qu’Emma Stone portait cette année aux Oscars. » Et quand on lui demande si de tels enjeux ne créent pas de tension entre les maisons, Émilie Legendre dédramatise : « On parle de la guerre des marques sur les marches, mais il y a tellement de gens à habiller qu’il y a de la place pour tout le monde. Toutes les maisons réussissent à faire au moins une belle montée sur les douze jours. »

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pré se nte

© cité de l’architecture et du patrimoine

Disque OTHER LIVES Après Tamer Animals – et son sommet épique « For 12 » –, les Américains d’Other Lives reviennent avec un troisième album intitulé Rituals. Un titre qui sied parfaitement aux compositions orchestrales et aux arrangements chamaniques de ce groupe entre rock et folk. Fermez les yeux, vous chevauchez vers le soleil couchant. T. Z. Rituals d’Other Lives ([PIAS]) Disponible

EXPOSITION

Jean-Michel Alberola, La Création du monde (détail)

EXPOSITION

D’abord sacré, le vitrail a attendu l’après-guerre pour se teinter de reflets profanes. La Cité de l’architecture et du patrimoine retrace chronologiquement ce chemin vers la modernité à travers cent trente-cinq œuvres. Lumineux, par essence. PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

Soufflées par la guerre, les églises (re)construites à partir de 1945 voient leurs vitraux s’habiller de motifs non figuratifs. Pas de Christ ni de représentations bibli­ ques, mais des monochromes, des figures abstraites, créés par des artistes contemporains. Une révolution en soi, d’autant que les artistes mandatés n’ont pas l’obligation d’être chrétiens. Alfred Manessier a ouvert la voie pour l’église des Bréseux. Marc Chagall a suivi avec grâce le mouvement en ornant la cathédrale de Metz. Pierre Soulages, Martial Raysse, Jean-Michel Alberola ont également renouvelé en profondeur les codes du vitrail. Le plus marquant, dans le parcours, reste celui que Sarkis a réalisé pour l’abbaye

de Silvacane. Sur le verre défilent ses empreintes de doigts mêlées à celles d’anonymes. Le résultat est émouvant, il impose de nouveaux stigmates, de nouvelles représentations dans la maison de Dieu. Carole Benzaken, quant à elle, a usé de son motif de la tulipe dans l’église Saint-Sulpice de Varennes-Jarcy. La nature, comme sujet, chasse les thèmes religieux. Les lignes bougent, et à travers le vitrail point le recul de la religion dans nos sociétés. Aujourd’hui, les vitraux ont leur place dans l’architecture civile : parking, gymnase… Déplacement du religieux dans l’espace public, ou banalisation du religieux ?  jusqu’au 21 septembre à la Cité de l’architecture et du patrimoine

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Adolphe Yvon, Napoléon III, 1865 NAPOLÉON ET PARIS Le musée de l’histoire de Paris lève le voile sur les rapports qu’entretenait Napoléon avec la capitale. Le parcours retrace les grandes étapes de sa vie parisienne, s’intéresse à l’administration de la ville en ce début de xixe siècle, et met la lumière sur les monuments qu’il a laissés en héritage (la colonne Vendôme, l’église de la Madeleine…). C. Ga.

jusqu’au 30 août au musée Carnavalet

CIRQUE

© jordi bovier

Le vitrail contemporain

© musée carnavalet

CHAGALL, SOULAGES, BENZAKEN…

BARO D’EVEL CIRK CIE La compagnie franco-catalane présente Bestias, son nouveau spectacle, dans le cadre du programme estival Circus Platform. Sous un chapiteau spécialement conçu pour l’occasion, deux pistes s’imbriquent et accueillent des acrobates, des danseurs, un comédien, des oiseaux, des chevaux, pour mettre en scène une rêverie poétique sur l’humanité. C. Ga. du 29 juin au 25 juillet à la Villette


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pré se nte

© patrick berger

DANSE

Y OLÉ ! Entre Le Sacre du printemps de Stravinsky, le flamenco de son enfance, et les tubes anglo-saxons qui ont bercé son adolescence, le chorégraphe José Montalvo réunit cultures savantes et populaires dans un spectacle festif et enchanteur, porté sur la scène du Théâtre national de Chaillot par une troupe de seize danseurs. J. M. du 17 juin au 3 juillet au Théâtre national de Chaillot

THÉÂTRE

Trois Couleurs vous soumet ses coups de cœur pour vous aider à choisir vos romans de plage parmi le catalogue des éditions 10/18, qui lancent une grande opération estivale : pour deux livres achetés, le troisième est offert. PAR CLAUDE GARCIA

Commençons par l’entre-deux. Dans Annabel, la Britannique Kathleen Winter s’intéresse au destin d’une personne intersexuée (à la fois fille et garçon) née en 1968 au Canada. Élevé comme un garçon, Wayne prend peu à peu conscience de sa part féminine. Sans pathos ni voyeurisme, l’auteure signe un roman fort sur un sujet mal connu. L’Américain Paul Beatty s’en prend lui aux stéréotypes racistes dans son percutant American Prophet. Paru aux États-Unis en 1996, le livre fait le point sur les rapports des Afro-Américains aux autres communautés en suivant un garçon noir qui les traverse au fil de sa vie. Toujours outre-­Atlantique, le roman La Position de Meg Wolitzer prend racine en 1975, lorsqu’un couple de hippies publie

un guide du plaisir amoureux en posant pour les illustrations. Leurs quatre enfants découvrent le livre avec horreur et en resteront marqués pendant des années. Pour changer de décor, on peut se plonger dans Passé imparfait de Julian Fellowes, le créateur de la série Downton Abbey, qui situe l’action de son roman dans la haute société anglaise qui l’a vu grandir. Ajoutons encore Dieu me déteste de Hollis Seamon, l’histoire d’un ado malade condamné mais résolu à profiter du temps qu’il lui reste, et Le Sceau du diable de Peter Tremayne, un polar religieux dans l’Irlande du viie siècle, et vous voilà parés pour l’été !  Annabel de Kathleen Winter, American Prophet de Paul Beatty, La Position de Meg Wolitzer, Passé imparfait de Julian Fellowes, Dieu me déteste de Hollis Seamon et Le Sceau du diable de Peter Tremayne (10/18)

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LES FAUSSES CONFIDENCES Après deux mois à guichets fermés, Les Fausses Confidences reviennent sur les planches de l’Odéon. La mise en scène tout en tension de Luc Bondy et l’interprétation époustouflante d’Isabelle Huppert (la veuve Araminte) et de Louis Garrel (le jeune sans-le-sou Dorante) font briller d’un éclat nouveau la célèbre comédie de Marivaux, véritable hymne à l’amour. J. M. jusqu’au 27 juin à l’Odéon-Théâtre de l’Europe

DANSE © anne van aerschot

Les poches de l’été

© pascal victor

ROMANS

GOLDEN HOURS (AS YOU LIKE IT) La Belge Anne Teresa De Keersmaeker poursuit son travail chorégraphique visant à tisser des liens étroits entre danse et musique pop. Inspiré de l’univers de la comédie Comme il vous plaira de Shakespeare, ce Golden Hours (As You Like it) s’appuie sur les morceaux de l’album Another Green World (1975) du Britannique Brian Eno, pionnier de la musique ambient. J. M. du 13 au 21 juin au Théâtre de la Ville


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L’actualité DES salles

P

Après une première édition en 2013, Cinema Paradiso réinvestit la Nef du Grand Palais du 16 au 26 juin. Au programme de ces onze jours de divertissement : projections, dégustations, loisirs et clubbing. PAR CLAUDE GARCIA

our décrire Cinema Paradiso, on peut certes accumuler les superlatifs : « plus grand événement de cinéma et de loisirs grand public jamais organisé en France », « plus grand club éphémère d’Europe »… Mais le plus simple, pour mieux cerner l’ampleur des festivités, est encore de vous proposer une visite guidée, pas à pas. PALAIS ROYAL

Bienvenue sous la Nef : dès 19 heures, les visiteurs sont accueillis en musique par un « welcome band » qui joue des airs jazzy pour donner le ton festif de la soirée. Avant le film, programmé à 22 heures, on se détend et on flâne sous la coupole dans un décor design qui décline la figure du triangle isocèle (pour rompre avec la symétrie du Grand Palais) aux couleurs de l’événement (rouge, bleu, jaune et blanc). Trois pistes de bowling, quatorze baby-foot, ou encore un bar à coiffure sont accessibles gratuitement pour tout visiteur muni d’un billet pour l’un des films du jour. Pour les sportifs, des soirées dansantes avec initiation (rock ’n’ roll, salsa, tango…) sont organisées chaque soir. L’exercice

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vous a ouvert l’appétit ? Pas d’angoisse : entre les stands de street food parisiens, les triporteurs et les food trucks, personne ne restera sur sa faim. Le panel est large, des bagels aux offres végétariennes et locavores (préparées avec des produits locaux), en passant par les planches apéritives et un vaste choix de sucreries (gaufres, yaourts glacés, donuts à la française, pralines, glaces et confiseries). À présent, faites une pause le temps d’observer le coucher de soleil à travers la verrière de la Nef, dont le dôme culmine à 45 mètres. C’est un spectacle en soi : les rayons se reflètent à l’infini dans l’œuvre de Martin Méry, le scénographe de l’événement, qui a imaginé 1 500 m2 de « psychés kaléidoscopiques » – soit trois grands murs composés de miroirs triangulaires au dos des deux écrans de cinéma et devant la piste de danse. HAUTS PARADIS

Une fois la nuit tombée, il est temps de s’installer dans l’une des deux salles de projection situées dans les ailes du Grand Palais, casque sur les oreilles, en duo sur un lit ou sur un love seat, ou bien alors assis dans un fauteuil classique ou sur les gradins – sans cohue, puisque les places sont

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numérotées. En tout, vingt-deux longs métrages sont projetés, sur des écrans de 25 mètres de large. C’est Xavier Dolan qui ouvre le bal avec Mommy, projeté en même temps que l’avant-­première d’Entourage de Doug Ellin, le film adapté de la célèbre série américaine. Le reste de la programmation se compose de films cultes des années 1970 à nos jours, parmi lesquels The Big Lebowski (Joel et Ethan Coen, 1998), Orange Mécanique (Stanley Kubrick, 1972), Les Affranchis (Martin Scorsese, 1990) ou encore Phantom of the Paradise (Brian De Palma, 1975). Pendant la projection, les gourmets peuvent déguster un menu concocté spécialement pour l’événement par le chef Jean Imbert dans un restaurant éphémère perché à 10 mètres

TRIBUNAL POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES Débattre sur l’écologie tout en s’amusant, c’est ce que propose en juin au MK2 Bibliothèque le trimestriel Usbek & Rica avec son Tribunal pour les générations futures. Initié à La Gaîté Lyrique en juin 2010 et installé au MK2 Bibliothèque depuis le mois de mars dernier, ce cycle de conférences-spectacles a pour vocation, comme son nom

du sol, face à l’écran. Après la séance, les visiteurs sont invités à investir la piste de danse, devenue un Superclub et délimitée par un « ring » (un vaste triangle formé par des lasers, élaboré par l’agence Superbien). Labels et organisateurs de soirées proposent des lives de musiciens electro et disco de haute volée, comme Kavinsky, Cerrone, Kindness, Cassius, Yuksek ou Club Cheval. Et pour clôturer l’événement en beauté, la YARD Party du 26 juin est d’ores et déjà annoncée comme « la plus grosse soirée hip-hop de l’année ». Les superlatifs semblent finalement incontournables. Cinema Paradiso du 16 au 26 juin au Grand Palais Réservations et programme complet : www.mk2cinemaparadiso.com

l’indique, de réfléchir à des problématiques qui se poseront aux générations futures – la dernière séance s’intitulait ainsi « Amour, politique, culture… l’humain doit-il tout confier à ses machines ? » Loin des conférences classiques, parfois soporifiques, l’idée est ici de proposer une expérience ludique et participative en reprenant les codes et le scénario d’un procès (costumes compris) au cours duquel un jury populaire, composé de cinq membres du public désignés par tirage au sort, ainsi qu’un accusé, deux témoins et un procureur, intervenants choisis par Usbek & Rica, se positionnent sur le sujet du jour. « On dépoussière la forme en reprenant les codes du débat, mais en y ajoutant l’humour », précise Jérôme Ruskin, directeur de publication du magazine. Alors que la 21e Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques aura lieu en septembre à Paris, la prochaine session du Tribunal pour les générations futures s’ouvrira sur cette question : « Climat, faut-il une bonne dictature verte ? » « Cette conférence permettra de préparer le terrain des discussions qu’amèneront les futurs accords écologiques », précise Jérôme Ruskin. Un spectacle vivant et instructif que la dessinatrice Coco de Charlie Hebdo s’amusera à croquer en direct. J. M. le 25 juin à 20h au MK2 Bibliothèque

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L’actualité DES salles

CYCLES

AVANT-PREMIÈRES

CONFÉRENCES

jusqu’au 30/09

AVATARS #AUTOPORTRAITS En partenariat avec la galerie Mobile Camera Club, exposition de photographies prises avec des smartphones (lire p. 90). >MK2 Bibliothèque, Bibliothèque (entrée BnF), Quai de Seine, Quai de Loire,

12/06

ROCK’N PHILO Francis Métivier explique le questionnement philosophique de titres rock qu’il interprète en live. En juin : « La nuit je mens… la vérité de Bashung à Sartre. » >MK2 Quai de Seine à 20h

du 13/06 au 07/07

LES GRANDS SINGES SUR GRAND ECRAN En partenariat avec le Muséum d’Histoire naturelle à l’occasion de l’exposition « Sur la piste des grands singes », projections en matinée de La Planète des singes. L’affrontement de Matt Reeves, La Planète des singes. Les origines de Rupert Wyatt, Bonobos d’Alain Tixier, Le Projet Nim de James Marsh, Les Chimpanzés de l’espace 2 de John H. Williams et Chimpanzés d’Alastair Fothergill et Mark Linfield. >MK2 Bibliothèque à 10h

RENCONTRES

EXPOSITIONS

18/06

MASTERCLASS AVEC LE GROUPE AIR Rencontre avec le groupe Air et projection de Virgin Suicides de Sofia Coppola.

22/06

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Qu’est-ce que le courage ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

22/06

SEANCE SPÉCIALE Dans le cadre de la 11e édition du festival des Cultures juives, projection de Dada à Paris de Philippe Collin. >MK2 Bibliothèque à 20h

25/06

TRIBUNAL POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES « Climat : faut-il une bonne dictature verte ? » Conférence-spectacle organisée par le magazine Usbek & Rica (lire p. 117). >MK2 Bibliothèque à 20h

29/06

JEUNESSE

du 04 au 19/07

CINÉMA ARGENTIN En partenariat avec La Maison rouge à l’occasion de l’exposition « My Buenos Aires », projections en matinée de Jauja de Lisandro Alonso, Les Acacias de Pablo Giorgelli et Les Nouveaux Sauvages de Damián Szifrón. >MK2 Bastille à 10h50

06/07

RENDEZ-VOUS DES DOCS Soirée spéciale en partenariat avec la SCAM et la SACEM. Projection de La Capture de Geoffrey Lachassagne en présence du cinéaste et de Nicolas Becker, compositeur de la musique du film (sous réserve). >MK2 Quai de Loire à partir de 20h

07/07

CINÉMADZ En partenariat avec le site mademoiZelle.com, projection de La Grande Aventure Lego de Chris Miller et Phil Lord. >MK2 Bibliothèque à 20h

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Qu’est-ce qui fait la valeur d’un instant ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

UN IGLOO DANS LA VILLE Frozen Yogur t : glaces au yaourt

THE SUNKEN CHIP Fi s h&c h i p s : poisson frais servi

KORRIGANS Crêpes : dégustation sur le pouce

SEÑOR BOCA Mexicain : tacos, burritos et autres

LA BRIGADE Carnivore : viande tranchée fine-

LE CAMION QUI FUME Burgers : burgers réalisés avec du

à 0 % de matière grasse et à base de lait écrémé, à déguster nature ou agrémentées d’une garniture.

plats mexicains cuisinés selon des recettes authentiques avec des produits importés du Mexique.

dans une panure croustillante, accompagné de frites maison et de purée de petit pois.

ment sous vos yeux, accompagnée de frites fraîches ou de courgettes et de salade.

des produits les plus qualitatifs de Bretagne : galettes, crêpes, caramel au beurre salé, saucisses...

pain de boulanger, du cheddar, de la viande hachée menu, accompagnés de frites maison.

RETROUVEZ LES JOURS ET HORAIRES DE SERVICE DE TOUS LES FOOD TRUCKS SUR WWW.MK2.COM

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