le monde à l’écran
william friedkin du 15 juil. au 8 sept. 2015
Rencontre avec un cinéaste casse-cou
gaspar noé
Entretien avec le réalisateur argentin de Love
et aussi
Apichatpong Weerasethakul, La Vanité, Metal Gear Solid V…
JACQUES
AUDIARD
Dheepan, parcours d’un combattant
no 133 – gratuit
le s fi lm s
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l’e ntreti e n du mois
William Friedkin
© stéphane manel
Le cinéaste casse-cou revient sur le tournage de Sorcerer
« on tournait à mexico, et une unité de la brigade des stupéfiants nous surveillait sans qu’on le sache. » 6
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De French Connection (1972) à Killer Joe (2012) en passant par L’Exorciste (1974), William Friedkin s’est toujours distingué en explorant la frontière ténue entre le bien et le mal. Dans Sorcerer – sorti en France en 1978 sous le titre Le Convoi de la peur – qui, tout comme French Connection, ressort en version restaurée cet été, le cinéaste emblématique du Nouvel Hollywood suit quatre malfrats chargés de transporter une cargaison de dynamite menaçant d’exploser à chaque instant. Durant le tournage de ce chef-d’œuvre, incompris par le public à sa sortie, Friedkin n’a pas hésité à faire courir certains risques à son équipe. De passage à Paris, il nous a raconté.
V
PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET
ous ne vous attendiez pas à remporter cinq oscars pour french connection. en revanche, vous escomptiez un grand succès pour sorcerer, qui a pourtant été un échec à la fois commercial et critique. avec le recul, comprenez-vous l’attrait des spectateurs pour le premier film, et leur désintérêt pour le second ? Non, je ne comprends toujours pas. Dans la plupart des cas, j’ai réalisé les films que je voulais faire, sans anticiper la manière dont ils allaient être accueillis. Mais je pensais sincèrement que Sorcerer serait vu avec grand respect. Or, il a mis une trentaine d’années à être réévalué. Ce qui s’est passé, c’est que Star Wars est sorti sur les écrans peu après mon film et a radicalement changé le goût du public, qui s’est dès lors surtout porté vers les mondes imaginaires. Ce n’était pas autant le cas lorsque j’étais jeune. Bien sûr, il y avait eu 2001. L’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, un grand film de science-fiction. Mais, intellectuellement, c’était infiniment au-delà de tout ce qui se produit aujourd’hui. Pour moi, Star Wars, c’était pour les enfants, les enfants de tous les âges. Mais c’est devenu le nouveau zeitgeist [« l’esprit du temps », en allemand, ndlr]… Aujourd’hui, il n'y en a que pour Batman, Superman, Iron Man… Moi, je ne crois pas aux super-héros. vous avez commencé votre carrière en réalisant des documentaires pour la télévision. cette expérience vous a-t-elle influencé par la suite pour vos fictions ? Quand j’ai commencé à réaliser des films, mon approche était très réaliste. Mais, au fil des années, je me suis rendu compte que ce n’était pas ce que les gens attendaient du cinéma. Ils veulent s’évader vers d’autres mondes. Pour Sorcerer, ma démarche en tant que cinéaste s’inspire du réalisme magique [courant artistique dans lequel des éléments surnaturels surviennent dans un cadre réaliste, ndlr] de Gabriel García Márquez. À la fin du film, particulièrement, la réalité est appréhendée par la subjectivité torturée de Jackie Scanlon. Celui-ci devient presque fou lorsqu’il parvient à livrer la dynamite à la destination prévue. Le paysage s’assombrit, il
devient plus abstrait, et le personnage accepte la possibilité de sa propre mort. dans une scène de sorcerer, les quatre protagonistes font face à un imposant tronc d’arbre qui leur barre la route. ils utilisent la dynamite qu’ils transportent pour pouvoir continuer leur périple. comment s’est déroulé le tournage de cette séquence ? Pour la première prise, la personne en charge des effets spéciaux n’avait pas assez d’explosifs, et seules quelques brindilles ont volé en éclats. J’ai alors appelé un ami de New York qu’on surnommait Marvin la Torche. Celui-ci se faisait parfois payer pour « nettoyer » des emplacements à la dynamite. Des entreprises, notamment, faisaient appel à ses services pour toucher l’argent de l’assurance en faisant exploser leurs locaux. Il est venu sur le plateau et a utilisé des produits pour cheveux féminins, très inflammables, ce qui a permis de faire exploser l’arbre en mille morceaux. vous avez déclaré que la séquence dans laquelle le camion est bloqué sur un pont qui menace de s’écrouler a été la plus difficile à tourner de toute votre carrière. si vous deviez la refaire de nos jours, utiliseriez-vous des effets numériques ? C’était très dangereux, oui, quelqu’un aurait pu mourir, à cause du camion qui pouvait tomber à la renverse. La scène a été réalisée sans aucun trucage. Par la grâce de Dieu, personne n’a été blessé. Je ne ferais pas un film comme cela aujourd’hui. Quant aux effets numériques, je n’en suis pas très fan. Je sais combien cette technique est importante désormais, mais ça ne m’intéresse pas vraiment. Comment avez-vous réagi lorsque la police a découvert que l’équipe technique consommait des drogues sur le plateau ? Je ne me suis rendu compte de rien, car je n’ai jamais pris de drogues. On tournait à Mexico, et une unité de la brigade des stupéfiants nous surveillait sans qu’on le sache. Consommer des drogues était considéré comme un crime très sérieux au Mexique. Un jour, un agent est venu me voir et m’a prévenu. Il avait les noms de membres clés de l’équipe : un cascadeur, un maquilleur… L’agent
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© bac films
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« au départ, je voulais appeler le film ballbreaker, mais le studio a refusé. » m’a dit qu’il m’aimait bien et qu’il n’allait pas faire ce qu’il était supposé faire – tous les arrêter –, mais qu’ils devaient quitter Mexico sur le champ. Il a fallu arrêter le tournage et les remplacer. pourquoi avoir choisi ce titre, sorcerer ? dans votre autobiographie 1 , vous écrivez qu’il a pu induire en erreur les spectateurs en ce qu’il rappelle l’imaginaire de l’exorciste, votre film précédent… En Équateur, où devait originellement se tourner une partie du film [finalement, ces séquences seront tournées en République dominicaine, ndlr], les camions portent tous un nom. En repérages, j’étais tombé sur l’un d’entre eux qui était nommé Sorcerer. C’est aussi le titre d’un disque de Miles Davis que j’écoutais à l’époque. Au départ, je voulais appeler le film Ballbreaker [« casse-burnes », en français, ndlr], mais le studio a refusé. sorcerer s’inspire du roman de georges arnaud le salaire de la peur, adapté pour la première fois au cinéma en 1953 par henri- georges clouzot. toujours dans votre autobiographie, vous dites que, à de rares reprises durant votre carrière, vous avez emprunté une technique de mise en scène bien particulière à clouzot, à savoir gifler quelqu’un juste avant de le filmer… Les seules fois où j'ai fait cela, ce n’était pas avec des acteurs. Dans mon premier documentaire, The People vs. Paul Crump [1962, ndlr], il s’agissait d’un détenu qui allait passer sur la chaise électrique. Avant que je filme, il m’avait raconté une histoire bouleversante et avait fondu en larmes. Quand on a tourné et qu’il a répété ce qu’il m’avait dit, il n’y avait plus la même émotion. Or, je voulais
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que le spectateur éprouve ce que j’avais ressenti. C’est pourquoi je l’ai giflé. Mais ce n’est pas une technique que j’utilise souvent – ni même que je recommande. quels films ont retenu votre attention au cinéma dernièrement ? Il n’y en a qu’un qui me vient à l’esprit. C’est Good Kill d’Andrew Niccol, l’histoire d’un pilote de drone basé à Las Vegas qui fait la guerre à distance en Afghanistan. quels sont vos prochains projets ? Je vais réaliser un film pour la chaîne HBO qui parlera de la vie de Mae West, une célèbre actrice hollywoodienne des années 1920-1930. C’était une femme très libérée pour l’époque, qui a ouvert un certain nombre de portes. Elle sera incarnée par Bette Midler, qui est l’actrice parfaite pour ce rôle. Cela me permettra notamment d’évoquer le thème de la censure. [Depuis cet entretien, il a été annoncé que William Friedkin allait prochainement réaliser et produire une série dérivée de son propre film Police Fédérale, Los Angeles (1985) pour la chaîne WGN America, ndlr.] Sorcerer de William Friedkin avec Bruno Cremer, Roy Scheider… Distribution : Bac Films Durée : 2h01 Ressortie le 15 juillet French Connection de William Friedkin avec Gene Hackman, Roy Scheider… Distribution : Capricci Films Durée : 1h44 Ressortie le 19 août 1. Friedkin connection. Les mémoires d’un cinéaste de légende (Éditions de La Martinière, 2014)
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Sommaire
Du 15 juillet au 8 septembre 2015
en ouverture
À la une… 6 entretien
William Friedkin Dans Sorcerer, qui ressort en version restaurée cet été, le cinéaste emblématique du Nouvel Hollywood suit quatre malfrats chargés de transporter une cargaison de dynamite menaçant d’exploser à chaque instant. De passage à Paris, il nous a raconté le tournage.
© stéphane manel ; philippe quaisse / pasco ; paramount pictures france ; happiness distribution ; jesper just ; konami
en couverture
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Apichatpong Weerasethakul Dans Cemetery of Splendour, le réalisateur thaïlandais tente d’apposer quelques mots sur sa science des rêves. Une expérience aussi douce que radicale.
entretien
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Gaspar Noé Loin du parfum de scandale qui a précédé sa projection à Cannes, Love, avec ses scènes de sexe non simulé, est un mélodrame désarmant, le film le plus doux du cinéaste argentin.
Jacques Audiard
Palme d’or à Cannes, Dheepan suit le parcours d’un soldat tamoul qui quitte le Sri Lanka en pleine guerre civile pour obtenir l’asile politique en France. Mais cette guerre qu’il fuit, le héros la retrouve dans la cité rongée par la violence où il est employé comme gardien. Après De battre mon cœur s’est arrêté, Un prophète ou De rouille et d’os, Jacques Audiard livre à nouveau la chronique d’une vie qui (re)commence, agitée par les mêmes obsessions revanchardes, mais portée par une mise en scène d’une sobriété inattendue et salutaire. Rencontre.
décrytage
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jeu vidéo
Mission: Impossible Initialement édifiée à la gloire de Tom Cruise, la franchise a été un laboratoire unique du cinéma d’action contemporain. Retour sur la saga alors que Rogue Nation, son cinquième épisode, débarque en salles.
entretien
44 La Vanité Lionel Baier s’attelle à un huis clos sur le suicide assisté. Il illumine ce sujet sombre avec des pointes d’humour absurde et une mise en scène explosive. Rarement un film sur l’euthanasie n’aura été aussi drôle, tendre et vivifiant.
portfolio
68 Jesper Just L’artiste danois tente de déconstruire certains stéréotypes véhiculés par le cinéma hollywoodien. Pour sa nouvelle installation, « Servitudes », il a imaginé un parcours dans les sous-sols du Palais de Tokyo. Visite guidée.
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Metal Gear Solid V. The Phantom Pain À l’occasion de la sortie de The Phantom Pain, le cinquième épisode de Metal Gear Solid, retour sur le dialogue fécond entre cinéma et jeu vidéo dans la saga.
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… et aussi Du 15 juillet au 8 septembre 2015
Édito 15 Le temps de l’amour Preview 16 Les Deux Amis de Louis Garrel Les actualités 18 Cinéma d’animation, Côté court, Dustin Hoffman… l’agenda 26 Les sorties de films de 15 juillet au 2 septembre 2015 histoires du cinéma 33 A Touch of Zen de King Hu p. 38, Pixels de Chris Columbus p. 42, Love Story. Quand le cinéma d’auteur flirte avec le porno p. 64
les films
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© carlotta films ; sony pictures ; rda ; mars distribution ; haut et court
While We’re Young de Noah Baumbach p. 81 // Bends de Flora Lau p. 84 // La Femme de compagnie d’Anja Marquardt p. 86 // Les Bêtises de Rose et Alice Philippon p. 88 // Lena (Lose Myself) de Jan Schomburg p. 88 // Les Mille et Une Nuits. Le désolé de Miguel Gomes p. 90 // Les Mille et Une Nuits. L’enchanté de Miguel Gomes p. 90 // La niña de fuego de Carlos Vermut p. 96 // La Belle Saison de Catherine Corsini p. 99 // Les Secrets des autres de Patrick Wang p. 100 // Amnesia de Barbet Schroeder p. 102 // Ventos de Agosto de Gabriel Mascaro p. 102 // Derrière le mur, la Californie de Marten Persiel p. 103 // Mediterranea de Jonas Carpignano p. 105 Les DVD 106 Rolling Thunder de John Flynn et la sélection du mois
cultures 108 L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris
trois couleurs présente 130 « L’Inca et le Conquistador », « My Buenos Aires »
l’actualité des salles mk2 Jazz à la Villette, Mobile Camera Club
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ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentin.grosset@ mk2.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) STAGIAIRES Julie Michard, Quentin Malapert ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Louis Blanchot, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Julien Dupuy, Yann François, Claude Garcia, Stéphane Méjanès, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer PHOTOGRAPHE Philippe Quaisse ILLUSTRATEUR Stéphane Manel PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) Assistant RÉGIE PUBLICITAIRE Jaufret Toublan CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) Assistante partenariats culture Caroline Desroches CHEF DE PROJET OPÉRATIONS SPÉCIALES Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com)
Illustration de couverture © Yann Legendre pour Trois Couleurs © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.
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Le temps de l’amour PAR JULIETTE REITZER
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our Dheepan, en salles au mois d’août, Jacques Audiard nous a confié avoi r vou lu ré al ise r un remake des Chiens de paille, film de Sam Peckinpah qui, à sa sortie en 1971, avait choqué en raison de sa représentation frontale de la violence. Un jeune Américain fraîchement installé dans la campagne anglaise y devenait la cible des persécutions des autochtones, jusqu’à s’abandonner à une vengeance sanguinaire. Audiard n’a pas renoncé à son programme, transposant cette histoire sur le parcours d’un réfugié tamoul plongé dans la brutalité d’une cité française (lire page 48). Mais au-delà de cette trame belliciste attendue, c’est quand le film se laisse attendrir par l’histoire d’amour naissante entre Dheepan et Yalini, la jeune femme qui a fui le Sri
Lanka avec lui en se faisant passer pour son épouse, qu’il est le plus surprenant, et le plus convaincant – même si, chez Audiard, la conquête de l’amour reste un combat éprouvant. Cet été, l’amour semble bien gagner sur tous les fronts. Derrière le scandale annoncé et savamment entretenu à coups d’affiches trash et de déclarations chocs, le bien nommé Love de Gaspar Noé, au cinéma en juillet, interpelle ainsi finalement surtout, lui aussi, par son ampleur mélodramatique. Au-delà de ses scènes de sexe non simulé, le film laisse affleurer un sentimentalisme exacerbé, traitant de la passion avec un sérieux déroutant (lire notre dossier page 58). Soit deux films estivaux dans lesquels l’amour surgit là où ne l’attendait pas, pour finalement s’imposer comme le cœur palpitant de l’intrigue. On souhaite que l’été vous réserve les mêmes surprises.
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previ ew
Les Deux Amis Pour son premier long métrage, Louis Garrel se penche sur l’amitié masculine avec profondeur et considération. Clément (Vincent Macaigne) tombe amoureux de Mona (Golshifteh Farahani), mais celle-ci cache un secret qui l’empêche de s’engager : la jeune femme est en semi-liberté et doit regagner chaque soir sa cellule. Abel (Louis Garrel), le meilleur ami de Clément, tente d’aider ce dernier à oublier Mona, mais il fait sa rencontre et tombe sous son charme à son tour… Si le film pose le canevas d’un triangle amoureux, c’est bien le sentiment amical qui est en son centre. Une jolie bromance dans laquelle Garrel fils filme deux amis comme Garrel père pourrait filmer deux amants : avec une grande dose de romantisme. QUENTIN GROSSET
de Louis Garrel avec Vincent Macaigne, Golshifteh Farahani… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h40 Sortie le 23 septembre
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e n bre f
Les actualités PAR JULIEN DUPUY, QUENTIN GROSSET, JULIE MICHARD ET TIMÉ ZOPPÉ
> l’info graphique
Le dynamisme de l’animation en France Le festival d’Annecy, qui s’est tenu du 15 au 20 juin, a notamment couronné le long métrage français Avril et le Monde truqué de Franck Ekinci et Christian Desmares, qui sortira le 11 novembre. Le rendez-vous du cinéma d’animation a donné l’occasion au CNC de publier son rapport annuel sur l’état de ce marché. On y constate la vigueur du secteur en France en 2014, notamment grâce au succès de Minuscule. La vallée des fourmis perdues (1,5 million d’entrées) et d’Astérix. Le domaine des dieux (2,68 millions d’entrées). T. Z.
41,5 %
3 - 14 ans En 2014, 34,5 % des films inédits d’animation ont réalisé plus d’un million d’entrées en France, contre 8,1 % de l’ensemble des films.
58,5 %
15 ans et plus
En 2014, le public des films d’animation était composé en majorité d’adolescents et d’adultes.
Les longs métrages d’animation français ont réalisé 24 % d’entrées supplémentaires à l’étranger par rapport à 2013.
Source : http://www.cnc.fr/web/fr/ressources/-/ressources/7192879
> COMPTE RENDU
© d. r.
Côté court Le 24 e festival de courts métrages de Pantin a connu cette année son record d ’af fluence, avec 11 000 spectateurs. C’est le film Les Rues de Pantin de Nicolas Leclere, plaisant bien que très calqué sur le cinéma de Hong Sang-soo en ce qu’il suit les états d’âme d’un monteur raté hésitant entre plusieurs femmes, qui décroche le Grand prix fiction et le Prix d’interprétation masculine pour son acteur, Hiroto Ogi. Outre les très réussis La terre penche de Christelle Lheureux et Notre-Dame des hormones de Bertrand Mandico, déjà remarqués à Brive, on retient deux Drakkar de Maud Alpi autres moyens métrages centrés sur des duos : Drakkar de Maud Alpi, qui documente la vie d’un couple en marge, isolé dans une forêt et dans ses idéaux, et l’hilarant Haramiste d’Antoine Desrosières, sur deux sœurs musulmanes qui se confrontent aux tabous sexuels induits par leur religion. Côté expérimental, on reste soufflé par La Légende dorée du Belge Olivier Smolders, soit l’entêtant monologue d’un patient d’hôpital psychiatrique qui nous présente son livre d’images dérangeantes. T. Z.
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> LE CHIFFRE C’est, en millions d’euros, le budget prévu pour le prochain film de Luc Besson, Valérian et la Cité des mille planètes, soit la plus grosse somme jamais déboursée pour un long métrage français. Inspiré par la bande dessinée franco-belge Valérian et Laureline de Pierre Christin et Jean-Claude Mézières, le film (qui sera tourné en langue anglaise) sortira en 2017. Q. G.
> DÉPÊCHES
DÉCÈS
LIVRE
FESTIVAL
Le journaliste Karim Madani publie aux Éditions don Quichotte un foisonnant livre intitulé Spike Lee – American Urban Story. Il y retrace l’histoire de l’Amérique noire à travers l’œuvre du cinéaste, de Do the Right Thing (1989) à Da Sweet Blood of Jesus (2014).
La plate-forme Internet Festivalscope proposera, pendant la 72e Mostra de Venise (du 2 au 12 septembre), de visionner en ligne un choix de films payants de la sélection Orizzonti et de la Biennale College. Réservation à partir de mi-août.
> LA TECHNIQUE
> LA PHRASE
© film frame / marvel 2015
Ant-Man À l’époque de Chérie, j’ai rétréci les gosses (Joe Johnston, 1990), c’est à l’aide d’accessoires disproportionnés que l’équipe avait réduit ses héros à la taille d’une fourmi. Un effet similaire a été obtenu pour Ant-Man, mais avec une méthode totalement différente : utilisant des objectifs destinés aux tournages de documentaires sur les insectes, une équipe de quinze techniciens a filmé pendant des mois les détails infinitésimaux de décors tels qu’un sac d’aspirateur. Et parce qu’un opérateur humain est incapable de manipuler une caméra avec une précision aussi fine, tous ces plans ont été tournés par une grue Milo, à savoir un bras robotisé et piloté par ordinateur. Les comédiens, et notamment Paul Rudd, l’interprète du justicier éponyme, ont été ensuite incrustés dans ces images. J. D. Ant-Man de Peyton Reed Sortie le 14 juillet
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Dustin Hoffman Dans un portrait que lui consacre le quotidien britannique The Independent, à l’occasion de la sortie, au Royaume-Uni, du film de François Girard Boychoir (dans lequel il tient le rôle principal), l’acteur américain livre son opinion sur le cinéma actuel :
« LA TÉLÉVISION N’A JAMAIS ÉTÉ AUSSI BONNE, ET LE CINÉMA, jamais AUSSI MAUVAIS. »
© michael tran / filmmagic
Christopher Lee, acteur britannique de 93 ans à la carrière prolifique (de Dracula au Seigneur des anneaux), est décédé le 7 juin à Londres. Le 9 juin, c’est le romancier et scénariste de la Nouvelle Vague, Jean Gruault, qui nous quittait, à l’âge de 90 ans.
© metropolitian filmexport
PAR J. M.
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> parodie
EN TOURNAGE
Le film de Colin Trevorrow, devenu le cinquième plus gros succès mondial de tous les temps, a aussi séduit les gardiens de zoo. Réunis sur les réseaux sociaux autour du hashtag #jurassiczoo, ils ont été nombreux à parodier la scène dans laquelle leur confrère Owen (Chris Pratt) tente de calmer trois raptors énervés dans leur enclos du parc animalier Jurassic World. J. M.
© universal pictures
© d. r.
Jurassic World
Mia-Hansen Løve a débuté le tournage de son cinquième long métrage, L’Avenir. Isabelle Huppert y joue une professeure de philosophie qui se retrouve seule après que son mari et ses enfants ont quitté le foyer • Après Portrait de femme (1996), Jane Campion retrouve Nicole Kidman pour son adaptation du roman Les Lance-flammes de Rachel Kushner, soit l’histoire d’une artiste dans le New York de la fin des années 1970 • Claire Denis a fait appel à l’auteure britannique Zadie Smith pour le scénario de son prochain film, le premier tourné en langue anglaise, dont l’intrigue se déroulera dans l’espace. J. M.
© la villette
© d. r.
COURT MÉTRAGE
> festivals
Les cinémas en plein air de l’été Quoi de mieux, en été, que de se faire une toile assis dans l’herbe ? Parmi les nombreux festivals de cinéma en plein air de la capitale, les spectateurs pourront suivre une programmation autour de la maison intitulée « Home Cinema » (La Garçonnière de Billy Wilder, L’Apollonide de Bertrand Bonello…) sur la prairie du triangle au parc de la Villette. Dans plusieurs lieux de Paris, le Forum des images organise quant à lui la quinzième édition du Cinéma au clair de lune qui diffusera des grands classiques comme Drôle de frimousse de Stanley Donen, ou des films plus récents comme Seuls Two d’Éric Judor et Ramzy Bedia. Enfin, on pourra apprécier les courts métrages et les concerts que propose l’excellent festival Silhouette. Q. G. Festival Cinéma en plein air du 22 juillet au 23 août au parc de la Villette Festival Cinéma au clair de lune du 24 juillet au 9 août dans différents lieux de Paris Festival Silhouette du 28 août au 5 septembre au parc de la Butte du Chapeau-Rouge
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En mai dernier, le concours de courts métrages Sundance Channel Shorts, organisé par la chaîne de télévision américaine en partenariat avec MK2 et Vimeo, a décerné le Grand prix du jury à Bad Girl d’Arnaud Khayadjanian. Sous la forme d’une lettre dite en voix off, une jeune fille de 17 ans s’adresse aux garçons qui ne la jugent que sur son physique. Contre l’adage « Sois belle et tais-toi », ce pamphlet pop et évasif tente de déconstruire le regard objectivant que les hommes peuvent avoir sur les femmes. C. Ga.
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ag e n da
Sorties du 14 juillet au 2 septembre Bends de Flora Lau avec Carina Lau, Chen Kun… Distribution : A3 Durée : 1h32 Page 84
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La Femme au Tableau de Simon Curtis avec Helen Mirren, Ryan Reynolds… Distribution : SND Durée : 1h50 Page 84
Pixels de Chris Columbus avec Adam Sandler, Michelle Monaghan… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h40 Page 42
Rocco et ses frères de Luchino Visconti avec Alain Delon, Annie Girardot… Distribution : Les Acacias Durée : 2h57 Page 84
While We’re Young de Noah Baumbach avec Ben Stiller, Naomi Watts… Distribution : Mars Durée : 1h37 Page 81
Sorcerer de William Friedkin avec Bruno Cremer, Roy Scheider… Distribution : Bac Films Durée : 2h01 Page 6
La isla mínima d’Alberto Rodríguez avec Raúl Arévalo, Javier Gutiérrez… Distribution : Le Pacte Durée : 1h44 Page 85
Bizarre d’Étienne Faure avec Pierre Prieur, Adrian James… Distribution : Eivissa Productions Durée : 1h39 Page 85
Love de Gaspar Noé avec Karl Glusman, Aomi Muyock… Distribution : Wild Bunch Durée : 2h14 Page 58
Les Nuits blanches du facteur d’Andreï Kontchalovski avec Aleksey Tryapitsyn, Irina Ermolova… Distribution : ASC Durée : 1h41 Page 85
Nos futurs de Rémi Bezançon avec Pio Marmaï, Pierre Rochefort… Distribution : Gaumont Durée : 1h37 Page 85
Boys de Mischa Kamp avec Gijs Blom, Ko Zandvliet… Distribution : KMBO Durée : 1h18 Page 82
Chemins croisés de George Tillman Jr. avec Britt Robertson, Scott Eastwood… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h19 Page 85
La Femme de compagnie d’Anja Marquardt avec Brooke Bloom, Marc Menchaca… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h30 Page 86
Der Samurai de Till Kleinert avec Michel Diercks, Pit Bukowski… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h19 Page 82
Le Garçon invisible de Gabriele Salvatores avec Ludovico Girardello, Valeria Golino… Distribution : Bellissima Films Durée : 1h40
Les Bêtises de Rose et Alice Philippon avec Jérémie Elkaïm, Sara Giraudeau… Distribution : Rezo Films Durée : 1h19 Page 88
Le Combat ordinaire de Laurent Tuel avec Nicolas Duvauchelle, Maud Wyler… Distribution : Haut et Court Durée : 1h40 Page 82
Les Innocents de Jack Clayton avec Deborah Kerr, Michael Redgrave… Distribution : Action Cinémas Durée : 1h39
Lena (Lose Myself) de Jan Schomburg avec Maria Schrader, Johannes Krisch… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h33 Page 88
Les Révoltés de Simon Leclère avec Paul Bartel, Solène Rigot… Distribution : Jour2fête Durée : 1h20 Page 82
Rambo de Ted Kotcheff avec Sylvester Stallone, Richard Crenna… Distribution : Tamasa Durée : 1h37
Des apaches de Nassim Amaouche avec André Dussollier, Laetitia Casta… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h37 Page 89
Ant-Man de Peyton Reed avec Paul Rudd, Michael Douglas… Distribution : Walt Disney Durée : 1h57 Page 20
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Sorties du 14 juillet au 2 septembre Je suis mort mais j’ai des amis de Guillaume et Stéphane Malandrin avec Bouli Lanners, Wim Willaert… Distribution : Happiness Durée : 1h36 Page 89
Port-au-Prince. Dimanche 4 janvier de François Marthouret avec Emmanuel Vilsaint, James Star Pierre… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h50 Page 90
Sur la ligne d’Andrea Sedlá ková avec Judit Bárdos, Anna Geislerová… Distribution : Zylo Durée : 1h40 Page 92
Pitch Perfect 2 d’Elizabeth Banks avec Anna Kendrick, Rebel Wilson… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h54 Page 89
Renaissances de Tarsem Singh avec Ryan Reynolds, Ben Kingsley… Distribution : SND Durée : 1h57 Page 90
Ted 2 de Seth MacFarlane avec Mark Wahlberg, Seth MacFarlane… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h56 Page 92
La Rage au ventre d’Antoine Fuqua avec Jake Gyllenhaal, Rachel McAdams… Distribution : SND Durée : 2h03 Page 89
Summer d’Alanté Kavaïté avec Julija Steponaityte, Aist Dirži t … Distribution : UFO Durée : 1h30 Page 92
Aferim! de Radu Jude avec Teodor Corban, Toma Cuzin… Distribution : Eurozoom Durée : 1h48 Page 94
The Gallows de Travis Cluff et Chris Lofing avec Cassidy Gifford, Pfeifer Brown… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h15
Umrika de Prashant Nair avec Suraj Sharma, Tony Revolori… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h40 Page 92
La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil de Joann Sfar avec Freya Mavor, Stacy Martin… Distribution : Wild Bunch Durée : N.C. Page 94
The Rose de Mark Rydell avec Bette Midler, Alan Bates… Distribution : Lost Films Durée : 2h05 Page 94
Oriana Fallaci de Marco Turco avec Vittoria Puccini, Vinicio Marchioni… Distribution : Happiness Durée : 1h48 Page 94
29 juillet A Touch of Zen de King Hu avec Feng Hsu, Chun Shih… Distribution : Carlotta Films Durée : 2h59 Page 38
Le Petit Prince de Mark Osborne Animation Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h48 Page 114
Papa Lumière d’Ada Loueilh avec Niels Arestrup, Julia Coma… Distribution : Le Pacte Durée : 1h24 Page 89
Les Dossiers secrets du Vatican de Mark Neveldine avec Olivia Taylor Dudley, Michael Peña… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h31
Les Mille et Une Nuits. Le désolé de Miguel Gomes avec Crista Alfaiate, Chico Chapas… Distribution : Shellac Durée : 2h11 Page 90
5 août Les Quatre Fantastiques de Josh Trank avec Miles Teller, Kate Mara… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h46 Page 92
Les Chaises musicales de Marie Belhomme avec Isabelle Carré, Carmen Maura… Distribution : Bac Films Durée : 1h23 Page 90
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12 août Mission: Impossible. Rogue nation de Christopher McQuarrie avec Tom Cruise, Simon Pegg… Distribution : Paramount Pictures Durée : 2h10 Page 40
Floride de Philippe Le Guay avec Jean Rochefort, Sandrine Kiberlain… Distribution : Gaumont Durée : 1h50 Page 94 La niña de fuego de Carlos Vermut avec Bárbara Lennie, José Sacristán … Distribution : Version Originale / Condor Durée : 2h07 Page 96
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Sorties du 14 juillet au 2 septembre La Face cachée de Margo de Jake Schreier avec Nat Wolff, Cara Delevingne… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h45 Page 96
Amnesia de Barbet Schroeder avec Marthe Keller, Max Riemelt… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h36 Page 102
Ventos de Agosto de Gabriel Mascaro avec Dandara de Morais, Geová Manoel dos Santos… Distribution : Sokol Films Durée : 1h17 Page 102
La Peur de Damien Odoul avec Nino Rocher, Eliott Margueron… Distribution : Le Pacte Durée : 1h33 Page 96
American Ultra de Nima Nourizadeh avec Jesse Eisenberg, Kristen Stewart… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h39
Derrière le mur, la Californie de Marten Persiel Documentaire Distribution : Wide Durée : 1h30 Page 103
Absolutely Anything de Terry Jones avec Simon Pegg, Kate Beckinsale… Distribution : Océan Films Durée : 1h25 Page 98
Antigang de Benjamin Rocher avec Jean Reno, Caterina Murino… Distribution : SND Durée : 1h30
We Are Your Friends de Max Joseph avec Zac Efron, Emily Ratajkowski… Distribution : StudioCanal Durée : N.C. Page 103
Coup de chaud de Raphaël Jacoulot avec Jean-Pierre Darroussin, Karim Leklou… Distribution : Diaphana Durée : 1h42 Page 98
Femmes au bord de la crise de nerfs de Pedro Almodóvar avec Carmen Maura, Antonio Banderas… Distribution : Tamasa Durée : 1h35
Les Dollars des sables d’Israel Cárdenas et Laura Amelia Guzmán avec Géraldine Chaplin, Yanet Mojica… Distribution : Tucuman Films Durée : 1h20 Page 104
Tsili d’Amos Gitaï avec Sarah Adler, Meshi Olinki… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h28 Page 98
Vive les vacances de John Francis Daley et Jonathan M. Goldstein avec Ed Helms, Christina Applegate… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h39
Hitman. Agent 47 d’Aleksander Bach avec Rupert Friend, Zachary Quinto… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h29
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French Connection de William Friedkin avec Gene Hackman, Roy Scheider… Distribution : Capricci Films Durée : 1h44 Page 4
Dheepan de Jacques Audiard avec Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan… Distribution : UGC Durée : 1h49 Page 48
Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul avec Jenjira Pongpas, Banlop Lomnoi… Distribution : Pyramide Durée : 2h02 Page 33
Une famille à louer de Jean-Pierre Améris avec Benoît Poelvoorde, Virginie Efira… Distribution : StudioCanal Durée : 1h36 Page 98
Les Mille et Une Nuits. L’enchanté de Miguel Gomes avec Crista Alfaiate, Carloto Cotta… Distribution : Shellac Durée : 2h05 Page 90
La Vanité de Lionel Baier avec Patrick Lapp, Carmen Maura… Distribution : Happiness Durée : 1h15 Page 44
La Belle Saison de Catherine Corsini avec Izïa Higelin, Cécile de France… Distribution : Pyramide Durée : 1h45 Page 99
Les Secrets des autres de Patrick Wang avec Wendy Moniz, Trevor St. John… Distribution : Ed Durée : 1h43 Page 100
Esto es lo que hay. Chronique d’une poésie cubaine de Léa Rinaldi Documentaire Distribution : JHR Films Durée : 1h40 Page 103
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Insoumis de Mathieu Denis avec Anthony Therrien, Antoine L’Écuyer… Distribution : Océans Films Durée : 1h59 Page 103
Le Tout Nouveau Testament de Jaco Van Dormael avec Pili Groyne, Benoît Poelvoorde… Distribution : Le Pacte Durée : 1h53 Page 104
Amours, larcins et autres complications de Muayad Alayan avec Sami Metwasi, Riyad Sliman… Distribution : ASC Durée : 1h33
Miss Hokusai de Keiichi Hara Animation Distribution : Eurozoom Durée : 1h30 Page 104
La Volante de Christophe Ali et Nicolas Bonilauri avec Nathalie Baye, Malik Zidi… Distribution : Bac Films Durée : 1h30 Page 104
No Escape de John Erick Dowdle avec Owen Wilson, Pierce Brosnan… Distribution : SND Durée : 1h41
Ricki and the Flash de Jonathan Demme avec Meryl Streep, Sebastian Stan… Distribution : Sony Pictures Durée : N.C. Page 104
Mediterranea de Jonas Carpignano avec Koudous Seihon, Alassane Sy… Distribution : Haut et Court Durée : 1h47 Page 105
Welcome Back de Cameron Crowe avec Bradley Cooper, Emma Stone… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h45
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histoires du
CINéMA
LA VANITÉ
Rencontre avec le cinéaste suisse Lionel Baier p. 44
JACQUES AUDIARD
Le réalisateur nous parle de Dheepan, Palme d’or p. 48
GASPAR NOÉ
Entretien avec le réalisateur argentin de Love p. 58
« Quand on est dans une impasse, la seule chose que l’on peut faire pour s’évader c’est rêver. » Cemetery of Splendour fut l’un des chocs esthétiques du dernier Festival de Cannes, où il était présenté en sélection Un certain regard. Une expérience aussi douce que radicale en territoire onirique, à la frontière de l’hypnose tropicale et du trip cosmique, dans laquelle le cinéaste thaïlandais, qui a remporté la Palme d’Or en 2010 pour Oncle Boonmee. Celui qui se souvient de ses vies antérieures, tente d’apposer quelques mots sur sa science des rêves. Où il est question d’horloge corporelle, de méditation et de magie. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC VERNAY
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Apichatpong Weerasethakul
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ans Cemetery of Splendour, vous filmez des soldats endormis. D’où vient cette histoire à dormir debout ? J’ai commencé à travailler sur l’idée du sommeil avant Oncle Boonmee, dans le cadre d’un projet artistique. C’est en réalité une réflexion sur la situation politique en Thaïlande. Parfois, quand on est dans une impasse, comme mon pays l’est actuellement, la seule chose que l’on peut faire pour s’évader c’est rêver [la Thaïlande a vu sa première ministre écartée du pouvoir en 2014, destitution suivie du coup d’État de la junte militaire qui gouverne depuis le pays, ndlr]. Parallèlement, j’ai appris il y a quelques années que des soldats thaïlandais avaient été mis en quarantaine, dans le Nord, à cause d’une maladie inconnue. J’ai mélangé ces éléments et j’ai commencé, avec mon actrice Jenjira Pongpas, à réfléchir au réveil, dans un hôpital, de ces soldats mystérieusement endormis. Un peu comme pour les rêves, c’est difficile d’expliquer d’où l’histoire vient exactement. Vous inspirez-vous de vos rêves pour écrire ? Oui. Pas vraiment en matière de récit, mais au niveau de la logique. Leur temporalité m’intéresse beaucoup. Je prends des notes à mon réveil pour m’en souvenir et en retrouver l’émotion. Vous avez tourné dans la ville de Khon Kaen, le lieu de votre enfance. Je n’y étais pas retourné depuis vingt ans. Beau coup de choses sont nouvelles, il y a des bâtiments modernes par exemple, mais le lac de Khon Kaen n’a pas changé. Mes souvenirs d’enfance se confondaient avec ce que je voyais et alimentaient mon imagination, c’était une expérience étrange. Une grande partie du film se déroule dans un hôpital, autre lieu que vous connaissez bien puisque vos parents y travaillaient. N’était-ce pas trop pesant de grandir dans un tel environnement ? Non, au contraire, c’était un vrai terrain de jeu. Enfant, j’ai même pu regarder dans un microscope. Pour moi c’était magique. Mais je n’étais pas en contact avec des accidentés graves. Dans la clinique où travaillait mon père, j’observais surtout les réactions psychologiques des patients. Les symptômes étaient si variés qu’il y avait parfois une atmosphère de comédie. Je suis fasciné par les maladies, j’y suis habitué.
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Votre film fonctionne un peu à la manière d’une séance de méditation – on en voit d’ailleurs une dans le film – qui apaiserait nos regards avec des couleurs. Oui, c’est comme de l’hypnose. Parfois, on a besoin de ralentir. Or, le cinéma a le pouvoir de modifier votre horloge corporelle. Certains spectateurs de Cemetery of Splendour m’ont dit qu’ils avaient eu l’impression d’avoir ralenti leur rythme interne pendant la projection, comme durant une séance de méditation. Quand je filme une scène de méditation, c’est une manière de dire au spectateur : « Je veux changer votre horloge interne. » Qu’implique ce changement d’horloge interne pour le spectateur ? Mieux voir à l’intérieur comme à l’extérieur. Être lucide. Le film offre de ce point de vue un commentaire politique sous-jacent, critique mais jamais frontal. Il y a beaucoup de douceur et d’harmonie dans votre film, malgré l’omniprésence de la maladie. L’idée du titre vient-elle de là ? Le titre original est Love in Khon Kaen, car le film est une lettre d’amour adressée à ma région natale. Le « cimetière » a un côté énigmatique, il inspire un sentiment contrasté, puisqu’il dégage de la « splendeur ». La pesanteur et la lumière coexistent, comme dans mon film. À un moment, vos héros se rendent au cinéma pour voir un film thaï bourré de scènes d’action kitsch. Êtes-vous friand du genre ? Oui, même si j’en vois bien les défauts désormais, j’en raffolais quand j’étais enfant. Celui-là s’appelle The Iron Coffin Killer, je crois… Aujourd’hui, ce genre de films se fait plus rare. Ce film de fantômes au rythme endiablé contraste fortement avec votre style, lent et contemplatif, d’où un effet presque comique. Oui. Mais ce n’est pas méprisant de ma part. Si j’étais plus jeune, je ferais sans doute ce type de film. Mon style reflète juste mon rythme naturel. Quand le film de fantômes thaï se termine, Jenjira et le soldat se lèvent et restent debout dans la salle de cinéma, comme pétrifiés. Pourquoi ? Jenjira et le soldat deviennent vraiment intimes à cet instant. C’est là que la réalité et le rêve commencent à se télescoper. Je voulais que le
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spectateur entre en empathie avec ces personnages qui se lèvent et nous entraînent dans une atmosphère surréelle. Vos plans s’allongent et s’élargissent d’ailleurs à ce moment-là, distillant mystère et fascination. Oui, au début du film, j’ai utilisé des gros plans et des plans assez courts, ce que je ne fais jamais d’habitude, pour reprendre le langage cinématographique conventionnel. Ensuite, les plans se font plus larges, plus longs, plus oniriques. Le public peut alors respirer. Pour composer l’image, j’ai beaucoup discuté avec Diego García, mon nouveau chef opérateur. Il vient du Mexique et m’a été présenté par Carlos Reygadas. On s’est très vite synchronisés. J’ai l’impression que l’Amérique du Sud et la Thaïlande ont des similitudes au niveau du rythme et des vibrations. Et puis, avec Diego, nous avons les mêmes goûts cinématographiques. Je ne sais pas… c’était magique ! Magique, comme lorsque vous parvenez à rendre gracieuses les choses les plus triviales : une poche d’urine, un homme déféquant dans les bois… Pour cette scène dans les bois, je voulais montrer cet endroit étrange, une école abandonnée, et la nature qui se développe tout autour. Les gens font leurs besoins là, au même titre que les animaux. Les règles habituelles n’ont plus lieu d’être, c’est plus sauvage.
« Le film offre un commentaire politique sous-jacent, critique mais jamais frontal. » L’avantage d’Internet, selon votre héroïne, c’est qu’il nous donne plus de temps pour réfléchir à ce qu’on va dire qu’on en a dans la réalité. C’est drôle et paradoxal de mettre en avant cet aspect du web, lui qui est en général associé à la vitesse, non ? Plus que la vitesse, Internet, c’est une révolution. Ça permet de découvrir l’histoire de son pays, en particulier en Thaïlande. On peut ainsi avoir accès à des textes qui ne sont pas enseignés à l’école, à cause de la propagande. C’est une chance d’avoir un regard nouveau sur notre pays. On ressent, en creux, votre inquiétude quant à la situation politique. Pourquoi ne pas l’aborder de manière directe ? Il y a beaucoup de textes et de travaux de recherche sur le sujet. Mon attention se dirige plutôt vers le regard triste des gens. C’est le sens du plan final, et des yeux grands ouverts de Jenjira : on ne pourra jamais se réveiller complètement, car nous sommes enfermés dans ce monde de fous.
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CRITIQUE
Cemetery of Splendour Le nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul (Tropical Malady, Oncle Boonmee) n’entend rien moins que soigner notre regard. Pour l’apaiser et l’émerveiller, le magicien thaïlandais nous propose un mystérieux voyage sensoriel vers les souvenirs et le sommeil. Un véritable songe éveillé.
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PAR ÉRIC VERNAY
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ans un hôpital militaire improvisé, au milieu d’une école abandonnée, des soldats sont allongés. S’ils n’ont pas de blessures apparentes, ils se révèlent affligés d’une étrange maladie du sommeil. Jenjira, une femme infirme d’une cinquantaine d’années, se porte volontaire pour s’occuper de l’un de ces mystérieux endormis, prénommé Itt. À quoi peut-il bien penser, dans son insondable coma ? Le journal intime d’Itt, jalonné d’étranges croquis, n’offre pas de réponse. Mais une jeune médium va aider Jenjira à y voir plus clair au pays des souvenirs et des songes. Tel un professeur de méditation, Apichatpong Weerasethakul nous fait partager ce voyage intérieur avec son arme habituelle : une douceur bienveillante embaumée d’humour, d’échos inquiets sur l’impasse politique de la Thaïlande et d’élans sensuels. Les plans larges et fixes se dilatent dans le temps, laissant notre regard libre de se perdre au creux de l’image pour y trouver une curieuse pelleteuse rouge, un lac devant lequel se joue une incessante chorégraphie ou, plus loin, une forêt dont chaque particule semble habitée d’un mystère immémorial. Qui d’autre que le Thaïlandais sait rendre captivantes des choses aussi triviales qu’un homme déféquant au milieu de la jungle ?
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Son cinéma relève de la magie autant que de la médecine : il atteint et guérit notre âme par sa fenêtre – notre œil. Il lui suffit de faire apparaître une tache bizarre à côté d’un reflet de nuage pour susciter la sidération. Un vertige cosmique apaisant né d’un rien ; car la couche qui sépare les différents régimes de réalité est fine, poreuse comme un filtre coloré sur notre rétine. Le long métrage bascule ainsi de l’autre côté du miroir, lors d’une séquence cocasse au cours de laquelle Jenjira et Itt, qui s’est réveillé, se rendent au cinéma voir un film de fantômes kitsch et au rythme endiablé. Alors que l’on s’amuse du contraste avec le style contemplatif de Cemetery of Splendour, la caméra s’attarde sur les rotations d’un ventilateur et d’un réseau d’escalators. Sans crier gare, la lumière changeante des néons nous invite dans un ailleurs au pouvoir hypnotique. Un monde de transe où cohabitent les vivants et les morts, où se superposent le passé et le présent, où dialoguent le rêve et la réalité, dans un imperceptible clignotement de formes et de sons. Vers la pleine conscience, les yeux grands ouverts. d’Apichatpong Weerasethakul avec Jenjira Pongpas, Banlop Lomnoi… Distribution : Pyramide Durée : 2h02 Sortie le 2 septembre
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La réplique :
« On les prendra un par un. »
A Touch of Zen Des rebelles traqués par un cruel eunuque, un artiste naïf qui devient stratège, des moines bouddhistes aux pouvoirs colossaux… La grande œuvre chorégraphique de King Hu retrouve son éclat grâce à une copie 4K à ne pas manquer.
© carlotta films
PAR MICHAËL PATIN
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orti à Taïwan et Hong Kong dans des versions tronquées, puis sélectionné au Festival de Cannes en 1975, où il remporta le Grand prix de la commission supérieure technique, A Touch of Zen reste le meilleur outil pour convertir les cinéphiles réticents au génie du wu xia pian (film de sabre chinois). Dans cette longue fable morale sur la (non-)violence, la caméra de King Hu virevolte comme le pinceau d’un calligraphe à travers de sublimes décors ruraux, dévoilant peu à peu les mystères de ses personnages lors d’affrontements où la voltige prime sur la brutalité. Dans cette œuvre de pur cinéma, le sens et l’émotion sont indissociables de la forme, et des épisodes du récit supposés mineurs peuvent se changer en sommets (choré)graphiques à portée spirituelle. C’est le cas du célèbre combat dans une forêt de bambous logé en plein cœur du film. « On ne pourra pas les battre », estime l’un des rebelles alors qu’ils épient leurs poursuivants. « On
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les prendra un par un », répond son compagnon stratège (Chun Shih). S’ensuit un ballet d’apparitions et de disparitions, d’évitements et de heurts, qui oppose la verticalité des lignes végétales aux mouvements horizontaux des corps, des flèches et des épées. Après quelques passes basées sur la ruse, le temps se fige en un plan magistralement composé dans lequel se met en place un double duel parallèle. Puis, alors que les gardes commencent à débiter les bambous pour blesser nos héros, ceux-ci combinent leurs forces pour occuper à la fois la terre et le ciel grâce à une technique de projection irréaliste. King Hu imprime ainsi sur la pellicule une analogie unique entre kung-fu et cinéma, grâce à sa seule virtuosité d’illusionniste. A Touch of Zen de King Hu avec Feng Hsu, Chun Shih… Distribution : Carlotta Films Durée : 2h59 Sortie le 22 juillet
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MISSION: IMPOSSIBLE
DE BRIAN DE PALMA À J. J. ABRAMS, LA SAGA À TRAVERS LE PRISME DE CEUX QUI L’ONT FAITE Initialement édifiée à la gloire de sa tête d’affiche, Tom Cruise, la franchise Mission: Impossible a surtout été un laboratoire unique du cinéma d’action contemporain. Retour sur la saga alors que Rogue Nation, son cinquième épisode, débarque en salles. PAR LOUIS BLANCHOT
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ix ans que la filmographie de Tom Cruise s’apparente à une sorte de ballet narcissique dans lequel les projets s’enchaînent simplement pour le plaisir de remodeler à l’infini le corps du héros scientologue. La saga Mission: Impossible est à ce titre un cas d’école, puisqu’elle consiste à suspendre chaque fois la marionnette aux fils d’un réalisateur différent. Pilotée par Tom Cruise et Paula Wagner (son ancien agent), cette adaptation d’une série télévisée est à l’origine pensée comme une porte d’entrée pour la star dans la grande arène du film d’action. Quoi de mieux, en effet, pour s’assurer d’être mis en valeur, que de pouvoir choisir soi-même son portraitiste ? Une précaution légèrement mégalomane, qui permettra cependant à l’une des plus captivantes fabriques du cinéma hollywoodien de voir le jour, reprenant d’une certaine façon le flambeau de la saga Alien, laquelle, sur près de deux décennies, avait su rebattre épisode après épisode les cartes du cinéma fantastique en n’hésitant pas à s’adjoindre les services de prodiges encore novices. Celui qui ouvrira le bal des Mission: Impossible est en revanche loin d’être un débutant. En 1996, Brian De Palma a déjà réalisé une quinzaine de films, mais se retrouve un peu au creux de la vague après le bide du Bûcher des vanités et les résultats mitigés de L’Impasse. Profitant du départ de Sydney Pollack (avec qui Tom Cruise venait de terminer La Firme), il se rue sur le projet et signe l’un de ses plus brillants exercices de style. Au-delà du film d’espionnage et de son habituel brouillard de mensonges et manipulations, Mission: Impossible reste, avec Une journée en enfer, l’objet phare du
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Quoi de mieux, en effet, que de pouvoir choisir soi-même son portraitiste ? cinéma d’action des années 1990 : une proposition cérébrale et paranoïaque dans laquelle De Palma laisse libre cours à toute sa dextérité plastique et approfondit ses thèmes de prédilection, le simulacre et les faux-semblants. Cet art du double-fond déterminera en partie la ligne éditoriale de la saga, traçant une ligne à la fois jouissive et réflexive au fil de laquelle chaque épisode se devra d’être un grand film d’action en même temps qu’un grand commentaire sur le cinéma d’action. DIVERTISSEMENT EUPHORISANT
En 2000, en installant John Woo aux commandes de Mission: Impossible 2, Cruise et Wagner pensent peut-être avoir le nez creux, mais ils ne font que suivre le mouvement consistant pour Hollywood à importer les artisans du cinéma hongkongais. Là où le premier épisode n’était qu’élégance et abstraction, le deuxième ne sera que frime et surcharge. Accordant ses violons à une ambiance latino du plus mauvais effet, l’expert de la fusillade acrobatique (The Killer, À toute épreuve) dope les
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Mission: Impossible. Rogue Nation de Christopher McQuarie
péripéties d’Ethan Hunt avec une virtuosité pétaradante mais beaucoup trop balourde. Mais comme son personnage d’espion sans cesse renié par sa hiérarchie, c’est vaguement délaissée par l’industrie que la saga finira par se redresser. D’abord grâce à J. J. Abrams, showrunner de génie (Alias, Lost) dont le Mission: Impossible 3 (2006) est le premier long métrage et qui deviendra le réparateur officiel des franchises en panne d’inspiration (Star Trek, Star Wars). Ensuite, grâce à Brad Bird, résident chez Pixar et prestidigitateur gracieux (Le Géant de fer, Les Indestructibles) dont le Mission: Impossible. Protocole fantôme (2011) est le premier film en prise de vue réelle. Deux choix qui font idéalement profiter la saga de savoir-faire et d’outillages annexes – ceux de la série télé nouvelle génération, ceux du cinéma d’animation – pour mieux étoffer les acquis du film d’action. Malgré un habillage high-tech, la franchise a par ailleurs toujours tenu à la conservation d’un certain archaïsme (cascades à l’ancienne, décors naturels), dans un genre qui, depuis Matrix, a pu
se laisser submerger par le vernis numérique. De plus, alors que les rivaux se replient sur la gravité psychologique (James Bond) ou le simulacre de réel (Jason Bourne), Mission: Impossible continue de jouer à fond la carte du divertissement euphorisant. Bientôt vingt ans après sa naissance, elle semble ainsi avoir trouvé un parfait point d’équilibre, à cheval entre l’egotrip, le serial décomplexé et le blockbuster théorique. Reste à savoir si la recette concoctée par Christopher McQuarrie ne souffre pas d’un effet de répétition. Réalisateur prometteur mais aux atours encore mal définis, il a été l’éminence grise qui a participé activement à la revalorisation de la grosse huile Cruise, fragilisé après sa rupture de contrat avec la Paramount en 2006 : dans l’ombre, comme scénariste de Walkyrie et d’Edge of Tomorrow ; derrière la caméra, comme réalisateur de Jack Reacher, nouvelle franchise mettant l’acteur dans la peau d’une sorte d’alter ego obscur d’Ethan Hunt. Pour le moment, difficile donc de se prononcer quant à son cas : copilote discret ? artisan opportuniste ? serviteur zélé ? Précisons juste que cette ambiguïté fait tout le sel de la saga Mission: Impossible. Dans un feu toujours plus nourri d’acrobaties et d’arabesques, d’exploits physiques et de manifestations de maestria visuelle, il est devenu pour ainsi dire impossible de déterminer qui, du marionnettiste ou de la marionnette, a vraiment la main sur l’autre. Mission: Impossible. Rogue nation de Christopher McQuarrie avec Tom Cruise, Simon Pegg… Distribution : Paramount Pictures Durée : 2h10 Sortie le 12 août
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© paramount pictures france ; rda
Tom Cruise dans Mission: Impossible de Brian de Palma (à gauche) et dans Mission: Impossible 3 de J. J. Abrams (à droite)
© sony pictures
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Pixels Comment un court métrage français a-t-il donné naissance à un blockbuster hollywoodien à 110 millions de dollars ? Les concepteurs de Pixels nous détaillent les étapes de cette success-story. PAR MICHAËL PATIN
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aris, 2009. Le studio OneMoreProd, spécialisé dans les effets spéciaux pour la pub, lance une compétition entre ses graphistes pour encourager leurs velléités artistiques. C’est Patrick Jean qui emporte le morceau, avec un concept brillant : des éléments de jeux vidéo emblématiques (Donkey Kong, Space Invaders, Pac-Man, Tetris, Frogger) sortent d’un écran pour détruire une ville en la bombardant de pixels. Tourné à New York, ce court métrage est conçu comme une vitrine pour le studio. « Il était surtout dédié à nos clients et au milieu de la création 3D, pour leur montrer qu’on savait faire de belles images, raconte Benjamin Darras, cofondateur de OneMoreProd. Du coup, on n’a négocié aucune licence, même auprès de nos gros clients comme Nintendo ou Ubisoft. » Mise en ligne le 9 avril 2010, la vidéo devient virale en vingt-quatre heures, et le standard est pris d’assaut. Mais à la place du milieu parisien visé, ce sont les géants de Hollywood (du manager de Will Smith aux puissantes majors) qui se tirent la bourre pour séduire ces Frenchies aux idées longues. Dans un contexte où l’industrie du cinéma a besoin de s’associer à celle du jeu vidéo et où le retrogaming est en pleine explosion, Patrick Jean et ses associés ont trouvé une formule magique pour changer le pixel
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en or. Partis faire la tournée des studios, ils peaufinent le pitch d’un long métrage conçu comme « un mélange entre Ghost Busters et The King of Kong ». Convaincus par l’enthousiasme d’Adam Sandler et sa bande, dont les bureaux sont remplis de bornes d’arcade eighties, leur choix se porte sur Happy Madison Productions. Après quatre ans de négociations et de développement (Sony Columbia est aussi de la partie), le tournage débute à Toronto en 2014 sous la houlette du très bankable Chris Colombus (Harry Potter). Patrick Jean y participe activement en tant que consultant exécutif, comme il nous l’explique depuis Los Angeles où il vit désormais : « Mon rôle était de faire des propositions créatives pour que le film respecte au mieux la vision de départ. » Fort de cette expérience, il se consacre désormais à d’autres projets, dont une adaptation en animation d’une bande dessinée de Lewis Trondheim, et se trouve en tête de liste pour réaliser la suite de Pixels en cas de carton (attendu) au box-office. Preuve que Hollywood n’a pas perdu sa fonction de machine à rêves. Pixels de Chris Columbus avec Adam Sandler, Michelle Monaghan… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h40 Sortie le 22 juillet
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Lionel Baier
LA VANITÉ Lionel Baier ou l’art du contre-pied. Après Les Grandes Ondes (à l’ouest), en 2013, épopée burlesque sur les routes du Portugal, le réalisateur suisse – Garçon stupide, Comme des voleurs (à l’est) – s’attelle avec La Vanité à un film en huis clos sur le suicide assisté. Il illumine ce sujet sombre avec des pointes d’humour absurde et une mise en scène explosive – rarement un film sur l’euthanasie n’aura été aussi drôle, tendre et vivifiant. Rencontre avec un réalisateur solaire. PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON
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ondamné par une maladie incurable, David Miller, un vieil architecte bourru (Patrick Lapp), a décidé d’en finir avec la vie dans la chambre d’un motel en décrépitude de Lausanne, avec le concours d’une association d’aide au suicide. Mais son accompagnatrice (Carmen Maura) n’est pas très dégourdie, et le jeune prostitué russe de la chambre voisine, sollicité à défaut de mieux, refuse d’endosser le rôle de témoin de ce suicide assisté, sans qui la procédure n’est pas légale. Avec son sens aiguisé de l’absurde et de l’humour noir, et en maniant divinement l’art de la fausse piste, Lionel Baier parvient à ne jamais enfermer son film programmatique dans un dispositif étriqué. Tout, dans ce huis clos vaudevillesque, est affaire de déplacement, de mouvement,
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et rien ne reste en place : les portes claquent, les points de vue changent, les certitudes éclatent, les fantasmes balayent la réalité, et l’amour prend le pas sur la mort. Comment est née l’idée de faire un film sur le suicide assisté ? J’avais vu il y a quelques années un reportage sur le parcours d’un homme qui avait recours à une association d’assistance au suicide en Suisse. Il avait été filmé jusqu’au dernier moment. C’était très émouvant, mais en même temps je trouvais un peu absurde le fait qu’une accompagnatrice qui ne vous connaît pas partage vos derniers moments, c’est très intime. Puis, plus tard, un des étudiants de l’école de cinéma dans laquelle j’enseigne en Suisse m’a raconté une histoire étonnante. Pour payer ses études, ce garçon étranger se prostituait dans un
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La Vanité est d’ailleurs plus un film sur la vie et le désir que sur la mort. L’amour, les sentiments, ça ne marche que parce qu’il y a une fin. On va vers les sentiments absolus parce qu’ils nous permettent d’échapper à la fatalité de la mort. Il faut adorer la mort, elle permet tout le reste ! C’est d’ailleurs ce que dit le film. Dans la chambre d’hôtel, il y a un tableau avec un crâne en anamorphose que l’on ne peut voir que si on le regarde de biais. Le film ne racontet-il pas justement comment les personnages déplacent leur regard sur la vie ? C’est une reproduction des Ambassadeurs de Hans Holbein le Jeune, qui représente deux savants qui posent fièrement. La tête de mort, qu’ils ne voient pas, semble dire : ce savoir n’est pas à vous, vous allez devoir le laisser au monde, car vous allez disparaître, et lui il restera. J’aimais bien l’idée qu’il faille se pencher, descendre de son piédestal pour voir les choses. David Miller est un peu comme les hommes du tableau, il a beaucoup de savoir, mais il ne voit pas, et c’est le jeune prostitué qui a vu en premier, car il s’est mis par terre. Ce vieil homme, qui a décrété qu’il ne changerait pas d’idée, se rend compte en faisant un pas de côté qu’il lui restait plein de curiosités à assouvir.
« L’amour, les sentiments, ça ne marche que parce qu’il y a une fin. Il faut adorer la mort, elle permet tout le reste ! » petit hôtel. Un soir, son voisin de chambre lui a demandé s’il accepterait d’être le témoin de son suicide assisté. Il a refusé, mais il a été étonné que ce soit légal, et que les Suisses soient assez riches pour se poser la question de comment ils souhaitent mourir, alors que dans son pays, le Bénin, les gens se battent pour rester en vie. Après Low Cost en 2010, sorte de journal intime d’un trentenaire qui sait qu’il va mourir dans quelques jours suite à un rêve prémonitoire, vous vous intéressez à nouveau aux derniers instants d’un « condamné à mort »… Les deux personnages s’appellent David Miller, ils sont comme des doubles. C’est une sorte d’hygiène mentale de penser à sa mort chaque jour, pour la faire sienne, ne pas en avoir peur, parce qu’elle fait partie de la vie.
Votre filmographie est très hétéroclite : des road movies rocambolesques (Comme des voleurs, Les Grandes Ondes), un journal intime tourné en un mois à l’iPhone (Low Cost), ce film en huis clos sur l’euthanasie… J’aime l’idée de faire un film contre l’autre. Truffaut faisait ça. Ça permet de ne pas se laisser mettre dans une case. Le rêve, ce serait de faire toujours son premier film, avec les maladresses et les coups de bluff incroyables que cela suppose. Après des réalisations très en mouvement, vous posez cette fois votre caméra dans une petite chambre d’hôtel, en huis clos. Pourquoi avoir choisi de tourner en studio ? C’était pour faire l’inverse des Grandes Ondes justement. Je n’ai pas fait d’école de cinéma, donc j’ai toujours le désir, peut-être un peu naïf, de vouloir
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Carmen Maura et Patrick Lapp
« Tourner en studio permet de faire un petit pas de côté d’emblée, de sortir de la question du réalisme. » apprendre quelque chose en faisant un film : Les Grandes Ondes, c’était pour comprendre la mécanique de la comédie ; La Vanité, ça tenait de l’envie de faire un film en studio. Déjà, pour travailler avec les codes du studio – Carmen Maura, qui a une grande habitude du studio, m’avait prévenu, et heureusement, que ça allait très vite : les changements techniques prennent beaucoup moins de temps. Et puis le studio permet de faire un petit pas de côté d’emblée, de sortir de la question du réalisme, et je ne voulais pas que l’idée du suicide assisté devienne l’élément central du film. Le studio donne l’impression qu’on est dans un conte, ou au théâtre ; d’ailleurs le film a un côté vaudevillesque, les gens n’arrêtent pas de passer les portes, comme dans le théâtre de boulevard. Pourquoi avez-vous choisi de situer l’action à Lausanne, dans un motel à l’américaine ? J’avais vu un reportage sur ce motel, et je suis parti à sa recherche. Il a été détruit l’été dernier, peu de temps après que je l’ai vu. Ce type d’architecture hollywoodienne était très en vogue dans les années 1960 à Lausanne, à une époque où il y avait un vrai enthousiasme populaire pour l’architecture. Contrairement à aujourd’hui, on croyait au progrès, en l’avenir, aux loisirs, au rêve américain… Ce motel, c’est une utopie, une sorte de fantasme pour la génération de David Miller, c’est la vie telle qu’on la rêvait à l’époque.
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Ce décor mêlé au suspense en jeu dans le film fait penser à Psychose d’Alfred Hitchcock. J’ai revu Psychose [1960, ndlr] pour la question des axes : quand on tourne en studio, le décor est vu d’un côté, et on le voit rarement de l’autre côté, car c’est très compliqué à mettre en place ; nous, on a dû bricoler, reconstituer un fond vert avec la ville derrière… Je me demandais comment Hitchcock avait fait, d’autant que je savais que le film n’avait pas coûté cher. En fait, on ne voit jamais le contrechamp ni même les côtés du décor, à tel point que les gens sortent des voitures en se glissant sur la banquette pour sortir par la porte passager, car il n’y a rien autour du décor, c’est juste un tas de terre ! J’ai aussi beaucoup pensé à Mais qui a tué Harry ? [1956, ndlr], toujours de Hitchcock, une sorte de comédie noire qui se passait dans le Vermont, avec beaucoup de scènes extérieures, mais comme souvent à l’époque, les scènes en plans rapprochés étaient tournées en studio. Je me souviens notamment d’une très belle forêt reconstituée en studio… C’est un cinéma assez artificiel, un cinéma de pure mise en scène, comme chez Douglas Sirk, avec tout un travail sur le déplacement des acteurs, sur la lumière. La Vanité de Lionel Baier avec Patrick Lapp, Carmen Maura… Distribution : Happiness Durée : 1h15 Sortie le 2 septembre
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DHEEPAN
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JACQUES AUDIARD Palme d’or à Cannes, Dheepan suit le parcours d’un soldat tamoul qui quitte le Sri Lanka en pleine guerre civile, accompagné d’une fausse famille – une femme et une fillette orpheline – afin d’obtenir l’asile politique en France. Mais cette guerre qu’il fuit, le héros va la retrouver sous ses fenêtres, dans la cité rongée par la violence où il est employé comme gardien. Après De battre mon cœur s’est arrêté en 2005, Un prophète en 2009 ou De rouille et d’os en 2012, Jacques Audiard livre à nouveau la chronique d’une vie qui (re)commence, agitée par les mêmes obsessions revanchardes, mais portée par une mise en scène d’une sobriété inattendue et salutaire. Rencontre.
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PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON
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Antonythasan Jesuthasan
e projet a mûri pendant longtemps, il a beaucoup évolué. Quel est le parcours de Dheepan ? Ça remonte à la fin d’Un prophète. J’avais eu l’intention de faire un remake des Chiens de paille de Samuel Peckinpah [sorti en 1971, ndlr], dans un univers de cité. Mais ça s’est très vite transformé… D’abord s’est ajoutée l’idée du regard de l’autre, de personnages qui auraient une vision complètement différente, un regard d’immigré sur la France. Noé Debré [coscénariste du film avec Jacques Audiard et Thomas Bidegain, ndlr] nous a parlé des Sri Lankais. À l’époque, il y a une dizaine d’années, je ne savais presque rien du conflit [la guerre civile, qui opposa le gouvernement sri
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lankais et l’organisation séparatiste des Tigres de libération de l’Îlam tamoul, officiellement de 1983 à 2009, ndlr], mais ça m’a tout de suite intéressé, car les Sri Lankais n’ont aucun rapport avec l’empire colonial français, il y avait une barrière linguistique absolue. Puis l’idée de la fausse famille est arrivée, et elle est devenue le sujet principal : comment et à quel prix une fausse famille va se métamorphoser en une vraie famille. Dans cette chronique d’intégration assez sombre, le décalage culturel devient un enjeu humoristique pour ces Sri Lankais qui débarquent en France… Avec le recul, je me rends compte que la structure de base du film, c’est une comédie de remariage :
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Le film est plus modeste que vos précédents au niveau formel, il y a moins d’effets, moins de jeux de lumière. Pourquoi cette économie ? Chaque film pose sa règle du jeu. Avant de commencer, j’avais probablement une image beaucoup plus théorique en tête, mais qui a été balayée par les décors, les acteurs, l’éclairage… Chaque fois que j’avais la tentation de faire plus de lumière, de mouvement, de cadre, le film rejetait ça sur le moment, sur le tournage, et, même au montage, s’il y avait des résidus, ça ne passait pas. Parce que le film devait rester à hauteur de ses personnages, dans une modestie complète. C’est très étonnant, quand un œuvre produit ses anticorps. Quoi que vous fassiez, le film vous rattrapera par les chevilles. Il ne vous dira pas où vous mettre, mais il vous dira où ne pas vous mettre. Le début du film – le départ du Sri Lanka, suivi de l’installation en France – est filmé de manière furtive et très elliptique. L’ellipse est tellement étirée qu’elle frôle presque l’abstraction. Pour le passage du Sri Lanka à Paris, je voulais juste une image, ces lumières qui deviennent des serre-têtes lumineux. J’avais cette image en tête depuis longtemps. Le cinéma est elliptique, par définition. Il faut savoir rompre avec le réalisme, le poids de la description, il faut savoir être cursif.
« Faire un film français, avec des acteurs inconnus qui parlent tamoul, c’est là que commence la politique. »
on fait semblant d’être un couple et, finalement, on le devient… Mais Dheepan est surtout un « film de genres », qui avance de genre en genre. À mesure que mes personnages progressent dans leur intégration, leurs sentiments, le film mute. On passe d’un récit guerrier à une chronique sociale, d’un film de cité à un film noir, pour finir sur une chromo, un bonheur simple, qui représente le désir de la femme. Avez-vous cherché, d’une manière ou d’une autre, à marquer ces ruptures de tons ? Oui, par des éléments de narration. Au bout d’un moment, Dheepan trace un trait au sol : il passe dans le genre, et le trait symbolise la frontière entre la chronique d’amour difficile et le film noir.
Vous dites toujours que vous ne faites pas de cinéma politique, mais après les prisons d’Un prophète, la petite délinquance de Regarde les hommes tomber, vous ancrez une nouvelle fois vos personnages dans un contexte social lourd, de la guerre civile sri lankaise à la guerre entre dealers dans une cité française. Montrer des réalités sociales difficiles, n’est-ce pas une forme de cinéma politique ? Faire du cinéma, c’est politique. Mais l’acte politique, ce n’est pas de filmer une prison dans Un prophète, c’est de montrer des visages d’Arabes dans le cinéma français. Dans Dheepan, la cité, c’est un décor de cinéma. Faire un film français, avec des acteurs inconnus qui parlent tamoul, coûtant un certain nombre de millions d’euros, c’est là que commence la politique. Moi, je prends les lieux comme des décors, dans lesquels je mets des visages que je ne vois pas beaucoup au cinéma.
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Mais je ne fais pas un constat social, sinon ce serait un documentaire ; je fais de la fiction. Vous n’aviez pas peur de renforcer les clichés en montrant une cité française rongée par la violence et la drogue ? Je ne vois pas pourquoi on ne mettrait pas la grande image du cinémascope au service de ça, pourquoi on devrait toujours filmer la cité dans une approche documentaire ou naturaliste. Moi, j’ai envie que ce soit grand, beau. Comment avez-vous choisi cette cité ? Je voulais que le décor soit le lieu de confrontation de deux univers, donc je recherchais une cité avec un espace central et deux barres d’immeubles. On ne trouve plus ce genre de cités, elles ont toutes été détruites ou presque. Il y en avait une à Colmar, mais c’était un peu loin, et puis il y avait celle-ci, La Coudraie, à Poissy, une cité en réhabilitation, qui va être cassée. Il y avait encore des familles qui s’accrochaient, du coup ils ont travaillé avec nous : à la décoration, ou comme charpentiers, figurants, gardiens… Ils ont tous été très coopératifs. Comment avez-vous construit les personnages et imaginé les dialogues dans une langue que vous ne connaissiez pas ? On avait décidé de travailler sur un scénario incomplet, sous-écrit, que le tournage viendrait compléter, notamment la partie sentimentale, l’évolution du couple. J’avais un peu peur de cette méthode, je n’ai pas vraiment l’habitude ; j’avais le sentiment de ne pas être l’auteur du scénario. Mais ça a été très simple, les comédiens m’ont proposé des choses facilement. Kalie [Kalieaswari Srinivasan, qui interprète Yalini, la fausse femme de Dheepan, ndlr] était très douée pour ça, elle avait compris de manière instinctive son personnage et ce qui lui manquait justement, son côté séducteur par exemple. Ce n’était pas vraiment de l’improvisation, mais les acteurs étaient très impliqués dans le jeu des dialogues.
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Pourquoi avez-vous choisi un comédien non professionnel pour interpréter Dheepan ? J’ai vu au tout début du casting, et il m’a tout de suite marqué. Je le trouvais charmant, beau, spirituel. Et puis il a une très grande douceur, donc je pensais que ce serait intéressant d’en faire un guerrier, que ce serait une vraie composition, même si sa vie a été aventureuse. Mais il n’était pas acteur, alors on a fait des essais avec Kalie et un autre acteur, mais ça n’allait pas complètement. Cet acteur remplissait la case « action », mais pas la case « séduction »… Du coup, j’ai fait revenir Shoba un mois à peine avant le début du tournage, donc je n’ai pas eu le temps de travailler vraiment avec lui en amont. Le fait que, comme Dheepan, Shoba soit un ancien Tigre tamoul réfugié en France – et qu’à ce titre il ait pris part à la guerre civile au Sri Lanka – vous a-t-il conforté dans votre choix ? Au début, je ne connaissais pas son parcours. Shoba est écrivain. Il a écrit des choses en s’inspirant de sa vie, mais je n’étais pas au courant. C’est en avançant avec lui que j’ai découvert cela petit à petit ; c’est un homme très discret. Il a fini par me dire : « Ce que tu me racontes, il faut que tu saches
© paul arnaud / why not productions
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Comment communiquiez-vous avec ces comédiens qui ne parlaient pas votre langue ? Votre acteur principal, Antonythasan Jesuthasan, m’a confié lors d’une interview à Cannes que vous lui parliez parfois avec des sifflements… Il a dit ça ? C’est possible ! Diriger un acteur c’est apprendre sa langue : si vous jouez avec Emmanuelle Devos, vous apprenez le Devos, et donc, là, j’ai appris le Shoba [surnom d’Antonythasan Jesuthasan, ndlr], le Kalie… Mais c’était très différent entre les deux. Avec Shoba, c’était surtout des indications de posture, de regard, alors qu’avec Kalie, c’était plus des intentions d’ordre psychologique.
Kalieaswari Srinivasan et Vincent Rottiers
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« Ce qui m’intéresse, c’est à quel moment un personnage lambda devient un héros. »
Antonythasan Jesuthasan
que c’est un peu ma vie. » Je me souviens d’une scène de douche. C’est toujours difficile de demander aux acteurs d’être nus devant une équipe, et là je prenais trois fois plus de précautions. Il a fini par me dire : « Quel est le problème ? Tu sais, j’ai passé deux ans de ma vie nu dans une cellule, donc ça ne me fait pas peur ! » Un héros très discret, Un prophète, Dheepan… tous les protagoniste de ces films se livrent à une forme de guerre. Qu’est ce qui vous fascine dans la figure du guerrier ? Ce n’est pas le guerrier, c’est le héros… Ce qui m’intéresse, c’est à quel moment, sous quelles conditions, un personnage lambda – ou même un peu en dessous –, devient un héros, en acquiert les attributs. Après, les modèles sont différents. Dans Un héros très discret, il a en tête un modèle épique. Il a loupé l’épopée de sa génération, il va donc essayer de s’en payer les symboles. Dans Un prophète, c’est un héros de l’éducation. On dit que la prison est l’école du crime, donc j’ai voulu prendre la chose au pied de la lettre et voir ce que quelqu’un qui n’a rien peut y acquérir comme vertus et comme vices. Dans Dheepan, il s’avère que c’est déjà un guerrier.
J’avais pensé à un titre en référence à L’Homme qui aimait la guerre [de Philip Leacock, 1962, ndlr], l’un des premiers films avec Steve McQueen ; ce titre, c’était L’Homme qui n’aimait plus la guerre. Mais la guerre va se rappeler à lui… Comme beaucoup de vos films, Dheepan est un « film de mecs », mais des mecs à la virilité ambiguë, ou défaillante. La construction du héros, c’est soit une virilité qui se construit, soit une virilité qui se déconstruit… Si j’ai choisi Shoba – qui est d’une douceur effarante –, pour jouer Dheepan, c’est précisément parce que je trouvais que son charme n’était absolument pas viril. C’est par la violence que s’opère la rédemption du héros, comme souvent dans vos films. Pour moi, c’est le contraire d’une rédemption, c’est son dernier cauchemar… Dheepan a tout essayé pour s’intégrer et enfouir son passé, et, à un moment donné, on appuie sur le mauvais bouton, et la mécanique se remet en route, malgré lui. C’est pour ça qu’à la fin je voulais que ce soit la scène de violence la plus lente qui soit.
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Vous filmez réellement la violence de façon plus abstraite, plus allusive, en intériorisant les effets. Je voulais aller à la vitesse du guerrier fatigué, comme un tracteur, tout doucement, de manière complètement subjective, pas du tout descriptive, en ne montrant qu’un quart des choses. Dheepan et Yalini ont des caractères très différents : elle est lumineuse, drôle, alors que lui apparaît beaucoup plus sombre, tourmenté. Ces « mari et femme » peinent d’ailleurs à s’entendre au début. Je crois que, dans toutes les guerres, celui qui s’est battu, comme lui, ressent toujours d’emblée une forme de mépris envers le civil, qui s’est laissé transporter comme du bétail, comme elle. À la base, ils n’ont pas le même appétit : Dheepan a été meurtri par la guerre, il tient à s’adapter, à s’intégrer, il est bon élève ; Yalini, elle, aspire à être libre, elle s’en fiche de la France, d’ailleurs, elle voulait aller en Angleterre.
la conférence de presse avait eu lieu, on ne pouvait plus en changer. Mais le personnage qui fait le plus grand chemin, c’est elle. Dheepan, c’est l’histoire d’un homme qui a imposé son désir pendant tout le film – son désir d’intégration, son désir tout court –, parfois même brutalement, et qui à la fin accède à son désir à elle. L’épilogue n’est pas un fantasme alors ? Non, c’est son désir à elle. C’est une réalité dans un point de vue : un bonheur simple. La dernière partie du film bascule dans le revenge movie sanglant. Pourquoi ce tournant radical, pourquoi une telle frontalité ? Ça me semblait inéluctable par rapport à mon idée initiale, le remake des Chiens de paille. Et puis c’était comme un retour au point de départ. Le film commence avec quelqu’un qui brûle son uniforme, donc ses attributs, et cette fin permet d’assister à l’avant, à ce qui l’a conduit à ça, comme un rattrapage. Cette fin, c’est montrer le hors-champ, c’est dire : « Voilà ce qu’a été la guerre. »
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Bien que le film s’appelle Dheepan, Yalini prend une place très importante. C’est un personnage très fort, qui suscite beaucoup d’empathie. N’est-elle pas, tout autant que Dheepan, le personnage principal du film ? Le titre ne rend pas compte de cela, c’est vrai. On a dû le trouver très vite pour Cannes, et une fois que
« Dheepan tient à s’intégrer ; Yalini, elle, aspire à être libre. »
Kalieaswari Srinivasan
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CRITIQUE
Dheepan Palme d’or contestée, Dheepan ne réconciliera pas Jacques Audiard avec ses détracteurs. Reste que, à travers ce sombre conte de fées de l’immigration, le réalisateur peaufine un art du mélo cabossé et urbain, genre dans lequel il demeure sans rival en France.
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PAR LOUIS BLANCHOT
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epuis son premier film au titre éloquent (Regarde les hommes tomber, 1993), Audiard fils n’aura donc jamais vraiment changé de credo, continuant d’accompagner au plus près des personnages dans leur chute – sociale, physique ou sentimentale – pour mieux leur permettre de se relever. De ce goût pour les odyssées en situation extrême, le réalisateur de Sur mes lèvres (2001) tire évidemment quelques ficelles usées : fascination pour le mâle viril au passé trouble, complaisance envers les vies qui se fracassent les unes contre les autres… Il en dégage surtout un canevas de mélo toujours aussi original, où la rencontre entre deux paumés de l’existence devient chaque fois le prétexte à une romance ténébreuse, âpre et sensuelle. Comme De rouille et d’os (2012), Dheepan raconte la chronique d’un emboîtement entre deux individus blessés : un Tigre tamoul et une jeune Sri Lankaise, fuyant la guerre civile de leur pays. Ils ne se connaissent pas, mais se trouvent réunis à la faveur de leur immigration en France, où ils obtiennent l’asile politique en se faisant passer pour une famille, un enfant venant se greffer à ce couple improvisé. Focalisée sur leur arrivée et leur adaptation à Paris, la première partie du film permet de mesurer combien
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Jacques Audiard demeure un grand chorégraphe de l’hésitation et de la maladresse, toujours aussi habile à mettre en scène deux corps qui se fuient et s’apprivoisent. Un ballet de gestes et de regards qui sera malheureusement de courte durée. Car les membres de ce mirage de famille vont très vite prendre conscience qu’ils ont échappé à une violence pour retomber dans une autre : celle de la banlieue française, dont la représentation façon « no-go zones » minées par la violence a fait couler beaucoup d’encre. Sauf que, sous le fantasme tendancieux, ce cadre permet surtout à Dheepan d’ériger un stupéfiant décor de cinéma dans lequel organiser – à l’instar de la prison d’Un prophète (2009) – un circuit de la violence et de l’érotisme en vase clos. Audiard finit d’ailleurs par complètement pulvériser de l’intérieur son décorum de chronique sociale, portant d’un seul geste tous les curseurs dramatiques à leur point d’incandescence, en une embardée frénétique dans le film de justicier qui, à la manière d’un Taxi Driver branlant, dépose le film aux portes du conte de fées. de Jacques Audiard avec Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan… Distribution : UGC Durée : 1h49 Sortie le 26 août
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« L’enjeu n’était pas de faire un film transgressif, mais plutôt un film qui montre la réalité d’une passion amoureuse. »
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GASPAR NOÉ Murphy se réveille avec la gueule de bois, aux côtés de sa femme, Omi, qu’il n’aime pas, et de leur bébé, qui pleure. Un coup de fil lui annonce la disparition d’Electra, son grand amour perdu, et entraîne dès lors le film dans une succession de flash-back d’un romantisme incandescent, ponctués de retours dans un présent de plus en plus asphyxiant. Loin du parfum de scandale qui a précédé sa projection à Cannes, Love, avec ses scènes de sexe non simulé, est un mélodrame désarmant, le film le plus doux du cinéaste argentin Gaspar Noé (Irréversible, Enter the Void). PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER
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omment est né le projet de Love ? L’idée de départ, c’était de représenter la vie amoureuse d’un jeune étudiant en cinéma de 25 ans, avec tous les dérapages liés à la fête, à l’alcool et autres excès. Dire aussi les serments et les promesses non tenus, parce que la vie fait qu’on ne peut pas les tenir. L’enjeu n’était pas de faire un film transgressif, mais plutôt un film qui montre la réalité d’une passion amoureuse. Peu de films montrent la passion sexuelle dans un contexte amoureux. Pourquoi, selon vous ? L’image du phallus fait toujours peur. Ça a un côté complètement anachronique et schizophrène, à l’ère d’Internet où le porno est accessible partout et par tout le monde. On vit dans une société où la représentation de la violence est bien plus tolérée que la représentation de rapports sexuels entre personnes consentantes. Pourtant, quand les gens font l’amour, ça libère des endorphines et de la sérotonine qui les rendent heureux : on devrait valoriser les rapports sexuels ! Vous parlez de votre désir de filmer la passion amoureuse telle qu’elle est dans la réalité. Votre cinéma, pourtant, est à l’opposé du naturalisme ; il est organique, impressionniste, très stylisé. Les sujets de mes films sont organiques, parce qu’ils sont affaire de pulsions viscérales : la survie, le désir de reproduction ou de vengeance… Par ailleurs, comme j’ai une éducation artistique
– mon père est peintre –, peut-être que je suis formaliste dans le sens où, pour moi, la question centrale c’est comment aborder un sujet déjà traité maintes fois sans que ça ressemble à du documentaire. Je me donne des partis pris formels qui me paraissent convenir au film parce qu’ils vont créer un certain type d’émotion. Par exemple, un film en plan-séquence, comme Irréversible, va transmettre un sentiment de véracité plus grand. J’aime tourner en plan-séquence aussi parce que ça permet aux comédiens de s’installer dans le décor et dans la situation. Pour Love, comme pour Enter the Void, j’ai aussi tourné en plan-séquence, mais en faisant plusieurs prises de l’action en entier, pour me laisser la possibilité de les couper au montage, et de récupérer le milieu de la première prise, le début de la troisième, etc. Quel était le parti pris formel pour Love ? Le principe, c’est que ce sont des plans en 3D relief, entrecoupés de douze images de noir. Tourner en 3D a été difficile, ce sont des grosses caméras sur lesquelles il y a beaucoup de réglages à faire, avec parfois des problèmes de désynchronisation… Quand on essayait de faire un plan au steadycam pour avoir un mouvement lisse, la caméra était tellement lourde que le cadreur était vite épuisé, il se mettait à trembler. La plupart du temps, on a donc posé la caméra sur un pied ou sur une grue. Malgré ces contraintes et ces empêchements, pourquoi avez-vous choisi de tourner en 3D ? Il y a longtemps que je fais des photos en 3D, avec un petit appareil qui prend une photo pour l’œil gauche et une pour le droit, qu’on met ensuite dans
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« Tous les personnages de mes films sont des losers, c’est aussi ce qui les rend touchants. » une petite boîte pour les regarder ensemble et obtenir une sensation de relief – on en voit une dans le film. Mais surtout, j’avais acheté une caméra 3D commercialisée pour le grand public à l’époque où ma mère était très malade. Elle est morte peu de temps après, et je l’ai beaucoup filmée avec cette caméra. En revoyant ces images, je me suis dit que, bizarrement, tout en étant très artificielles, elles créent un sentiment de réalité et une émotion supérieurs aux images en 2D. Puis Gravity d’Alfonso Cuarón est sorti. Le film m’a beaucoup impressionné pour son utilisation de la 3D. J’avais un peu abandonné l’idée, parce que Love disposait d’un très petit budget. Mais à deux mois de lancer le tournage, j’ai déposé une demande d’aide aux nouvelles technologies au CNC, que j’ai obtenue. Et on a donc pu tourner en 3D. L’approche frontale de rapports sexuels non simulés dans Love évoque le travail photographique de l’Américaine Nan Goldin, dont on aperçoit d’ailleurs des clichés au cours d’une séquence dans une galerie d’art. C’est un heureux concours de circonstances. J’ai demandé à agnès b. si je pouvais filmer dans sa galerie, et il s’avère qu’au moment du tournage, elle accueillait une expo collective avec un mur entier de photos de Nan Goldin, que je connais un peu parce que j’adore son travail et qu’elle avait aimé Irréversible. Mais c’est vrai que les photos de Nan Goldin sont parmi ce que j’ai vu de mieux comme représentation du sexe tel qu’il est dans la vie. Il y a un naturel dans ses images qui les rend super touchantes. Je me souviens aussi du film Tulsa de Larry Clark, projeté pendant sa rétrospective au musée d’Art moderne de la ville de Paris [fin 2010, ndlr]. On y voyait ses potes se shooter, baiser sous un drap, et je m’étais dit que c’est quelque chose qu’on ne voit jamais au cinéma. Les scènes de sexe apportent de la profondeur à l’histoire d’amour, et cette dernière teinte les séquences érotiques de mélancolie. Comment avez-vous travaillé les liens entre ces deux registres ? Au début, je voyais les séquences érotiques isolées au montage, et certaines me paraissaient
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excitantes. Mais le film commence par l’annonce que, peut-être, il est arrivé malheur à l’héroïne. Mises dans ce contexte, les scènes de sexe, qui, prises individuellement, pourraient sembler jouissives, deviennent mélodramatiques. Elles sont empreintes de toute la suite, du fait qu’on sait que ça va mal tourner. Ce qui devait être joyeux devient anxiogène. Je crois que le fait de savoir que toute la vie du héros va foirer empêche le spectateur d’être dans l’excitation. C’est beau, mais on sait que c’est déjà en train de disparaître. Comme souvent dans vos films, vous adoptez une narration par fragments, ici en multipliant les allers-retours entre le présent de Murphy, seul dans son appartement, et son passé, son histoire d’amour avec Electra. Le personnage se remémore son passé, et quand on pense à son passé, on ne progresse pas de manière chronologique et linéaire. D’ailleurs, si je voulais réaliser un film qui ressemble vraiment au travail de la mémoire, je ferais un truc encore plus chaotique, presque hasardeux. On a tourné d’abord tout ce qui se situe dans le passé, puis on a fait une
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Aomi Muyock, Karl Glusman et Klara Kristin (à l’arrière-plan)
pause de presque deux mois pour filmer le présent. Entre ces deux périodes de tournage, j’ai vu Enquête sur une passion [1980, ndlr] de Nicolas Roeg, dans lequel les passages du passé au présent sont magnifiques, et qui m’a inspiré. Murphy est un cinéphile acharné. Les murs de son appartement sont tapissés des affiches de Salò ou les 120 Journées de Sodome, de Taxi Driver, de Naissance d’une nation… Qu’a-t-il en commun avec vous ? Il y a plein d’autres affiches sur son mur, notamment celle de Flesh for Frankenstein, un film d’horreur en 3D produit en 1973 par Andy Warhol… Effectivement, c’est plus ou moins le genre de films que j’aime. Et, comme moi, le mec ne jure que par 2001. L’odyssée de l’espace. C’est un peu une autoparodie. Contrairement à Murphy, je ne mesure pas 1,95 m, je ne suis pas Américain, et il y a plein de conneries qu’il dit ou qu’il fait auxquelles j’ai peut-être pensé un jour mais que je n’ai pas faites. Disons que c’est un loser qui me ressemble, pour ne pas dire que c’est moi en version loser. Il dit tout le temps qu’il va réaliser des films,
mais en réalité il ne fait pas grand-chose. À aucun moment du film tu ne le vois faire autre chose que sortir sa petite caméra vidéo pour filmer sa copine dans leur chambre. En tout cas, je n’en ai pas fait un héros ou quelqu’un de glorieux. Mais tous les personnages de mes films sont des losers, c’est aussi ce qui les rend touchants. De la même manière, Electra est peintre, mais depuis qu’elle est en couple, elle ne peint plus beaucoup… L’amour est-il forcément aliénant, destructeur ? Non, je ne pense pas. Murphy et Electra rêvent d’art mais ils ne sont pas vraiment dans une vie concrète, et puis ce qui démolit leur couple, aussi, c’est la défonce. J’ai assez d’amis qui sont passés par là ou qui y sont toujours pour savoir que la cocaïne, ça détruit les couples. L’alcool aussi. Aomi Muyock est sublime dans le rôle d’Electra. Qui est-elle, comment l’avez-vous rencontrée ? Aomi est suisse italienne. Elle a été mannequin, mais elle a arrêté, maintenant elle écrit. Comme Klara Kristin [qui interprète Omi, ndlr], elle
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Aomi Muyock et Karl Glusman
n’avait jamais joué dans un film. Mais en général, je ne m’attache pas au fait que les gens soient comédiens ou pas ; je sens leur charisme. Sur Enter the Void, par exemple, le comédien qui incarne le meilleur ami n’avait jamais joué. Pour Love, à chaque fois que je voyais une fille qui, au niveau de l’énergie ou de la plastique, pouvait convenir, je prenais son numéro. J’avais croisé Aomi dans une fête, j’ai demandé son numéro à des amis et je lui ai dit qu’elle m’intéressait, mais elle ne voulait pas faire le film. Tout en partant du principe qu’elle n’allait pas le faire, on a appris à se connaître. Et huit mois plus tard, quand je suis rentré dans le vif de la préparation, elle est revenue. Elle bouffe le film, elle bouffe l’écran, elle est à la fois super touchante et sublime. Ça va avec le fait que l’obsession de Murphy, c’est Electra. Et sa voix de fumeuse, un peu tremblotante, ajoute à sa profondeur. On vous désigne souvent comme un cinéaste culte et provocateur. Avez-vous le sentiment d’avoir une place particulière dans le paysage cinématographique français ? Plein de gens veulent faire des films en dehors de la moyenne commerciale, mais c’est difficile. Il y a des gens qui ont fait un super premier film, mais qui n’arrivent pas à en faire un autre derrière… Moi, j’ai eu du pot, parce qu’Irréversible a marché commercialement ; du coup j’ai pu tourner Enter the Void, qui m’obsédait davantage, mais qui n’a pas marché, même s’il a été apprécié cinématographiquement par certains. Parfois, t’es obligé de
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forcer la porte. Seul contre tous [son premier long métrage, en 1999, ndlr], je l’ai fait avec trois francs six sous, en mentant à mes banquiers, au laboratoire… Cela dit, je ne me compare pas à mes amis, aux gens de ma génération, mais plutôt aux films que j’aime, à ce qui m’excite chez les autres réalisateurs. Quand j’ai vu Gravity, je me suis dit : « Tiens, je ferais bien un truc avec la 3D. » Quand j’ai vu Le Paradis d’Alain Cavalier, qui arrive à émouvoir en filmant des objets, ça m’a donné envie de filmer des objets. Ils étaient d’ailleurs très présents dans le scénario de Love, un peu moins dans le film, parce qu’on a eu peu de temps pour tourner. Après avoir tourné en France (Seul contre tous, Irréversible, Love), au Japon (Enter the Void) et à Cuba (pour le film collectif 7 jours à La Havane, en 2012), pensez-vous tourner un jour en Argentine, votre pays d’origine ? Je suis lié à l’Argentine à cause de mon enfance et de mon père, mais ce n’est pas un pays que je rêve de découvrir : je le connais déjà. Aujourd’hui, si on me donne le choix entre tourner à Kinshasa, à Buenos Aires ou à New York, je choisis Kinshasa. Un contexte dépaysant réveille des zones de ton cerveau que les lieux que tu connais déjà ne réveillent pas. Love de Gaspar Noé avec Karl Glusman, Aomi Muyock… Distribution : Wild Bunch Durée : 2h14 Sortie le 15 juillet
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Quand le cinéma d’auteur flirte avec le porno
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Les Valseuses de Bertrand Blier (1974)
Avec Love, son trip mélancolico-porno, Gaspar Noé ranime les tensions entre ce que le cinéma permet et ce que le X ose. Après les récents succès de La Vie d’Adèle ou de L’Inconnu du lac, la frontière entre le porno et le cinéma d’auteur semble de plus en plus floue. Retour sur les rapports houleux entre les deux industries. Par Renan Cros
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Je filme des gens qui font l’amour, et on dit que je fais du porno. Moi, j’ai fait un film d’amour. Sinon, dorénavant, je demande qu’on appelle tous les films violents des films de meurtres. » En interview, Gaspar Noé est catégorique : Love n’est pas un film pornographique. Pourtant, il contient de longues scènes de sexe non simulé qui, pour certains, n’ont rien à faire sur grand écran. Dans une moindre mesure, le cinéma a pourtant été créé pour exciter l’œil et offrir au spectateur une expérience de voyeur protégé. « Le cinéma a remplacé le peep-show, rappelle Pierre Berthomieu, maître de conférence en études cinématographiques à l’université Paris VII. On s’installe dans une salle comme on s’installait dans une cabine pour regarder une femme se déshabiller. Si au départ on a filmé des trains qui entraient en gare, on a très vite compris qu’on pouvait aussi montrer des gens qui se dénudent. Comme dit Godard : “Au cinéma, on voit une fille, et hop, elle est nue.” » Préliminaires
Dès les années 1920, si la pornographie est interdite (on projette ces films dans des maisons closes), le cinéma hollywoodien crée ainsi son propre imaginaire érotique en sexualisant à outrance ses acteurs, de Marlene Dietrich à Greta Garbo ou John Wayne. Pour Berthomieu, « tout tient dans la sublimation et le respect des interdits. Ce n’est pas innocent que le cinéma américain ait dû se doter d’un système de censure, le code Hays, dans les années 1930 pour tenter de juguler ça. Si le cinéma mainstream ne franchit pas encore le cap de montrer la sexualité, ailleurs, elle est partout : dans les poses des acteurs ou les sous-entendus des dialogues. » Mais il faut attendre l’après-Seconde Guerre mondiale et l’apparition des bien nommés sex-symbols pour que le cinéma traditionnel se dévergonde davantage et que le cinéma porno se popularise. « La popularité du porno dans les années 1970 doit beaucoup à la manière dont la société a accepté dans les années 1950 et 1960 des actrices dont on mettait en avant la performance physique, explique Élise Tomie, plasticienne et spécialiste des relations entre cinéma et porno. Marilyn Monroe pour la version élégante, Jayne Mansfield pour la version trash. Le succès et l’impact énorme du film Gorge Profonde [1972 aux États-Unis, ndlr] tient d’un paradoxe curieux. Sans Linda Lovelace l’actrice principale, le film n’existe pas. C’est son corps qui construit le sujet. On est typiquement dans
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Greta Garbo, portrait réalisé par la MGM vers 1926
« Comme dit Godard : “Au cinéma, on voit une fille, et hop, elle est nue.” » Pierre Berthomieu
le porno. Sauf que Gerard Damiano, le réalisateur, veut en faire une œuvre conviviale qui se rapprocherait presque de la romcom. Les scènes de sexe ne sont plus gratuites ; elles sont incluses dans le parcours du personnage féminin qui veut trouver son plaisir et l’amour. » Classé X
Les films pornographiques des années 1970 se don nent ainsi des allures de comédie libertaire qui sédui sent un large public. En France, les pornos Bananes mécaniques (1973), Je suis vicieuse mais je me soigne (1979) ou La Grande Partouze (1975) sortent en salles à côté des Bidasses en folie (1971), de L’Exorciste (1974) ou des Aristochats (1971). « On n’est pas bien ? Paisibles ? À la fraîche ? Décontractés du gland ? » : comme Jean-Claude (Gérard Depardieu) dans Les Valseuses (1974), le cinéma traditionnel post-68 jouit lui aussi d’une belle liberté et fait de la révolution sexuelle son sujet de prédilection. Qu’il soit mystique (Théorème de Pier Paolo Pasolini, 1969) ou même dramatique (Le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci, 1972), le sexe s’invite chez les cinéastes les plus reconnus. Cet érotisme intellectualisé devient la réponse du cinéma d’auteur aux comédies pornos qui envahissent les salles.
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L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie (2013)
Jane Mansfield à la fin des années 1950
En 1975, le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing siffle la fin de la gaudriole en créant une classification X qui taxe et affaiblit fortement le genre. Rejeté des salles, stigmatisé, le X se réfugie à nouveau dans les circuits parallèles. Aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, le porno devient la bête noire d’une société désormais en quête de conservatisme. Les cinéastes des années 1980 et 1990 vont alors s’amuser à jouer avec les règles, en essayant de repousser les limites établies. « Brian De Palma [Pulsions, 1981 ; Body Double, 1985, ndlr] ou Paul Verhoeven [Basic Instinct, 1992, ndlr] jouent avec l’univers du porno, son mauvais goût, pour créer
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l’excitation mais aussi le malaise. Souvent, le sexe est associé aux meurtres violents. La rhétorique du porno permet de jouer avec le voyeurisme du spectateur de cinéma », explique Pierre Berthomieu. En 2000, Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, interprété par des actrices issues du X, embrase la France entière dans un débat sur sa légitimité en salle. Catherine Tasca, alors ministre de la Culture, réussit à calmer tout le monde en créant l’interdiction aux moins de 18 ans, qui permet au film de sortir dans le circuit traditionnel. Cette mesure accompagne un mouvement plus général qui voit le cinéma, au cours des années 2000, se décomplexer progressivement dans ses rapports au sexe non simulé à l’écran : Romance (Catherine Breillat, 1999), The Brown Bunny (Vincent Gallo, 2004), Shortbus (John Cameron Mitchell, 2006)… le porno s’invite dans les films de cinéastes déjà reconnus ou de jeunes auteurs estampillés arty, s’offrant ainsi de pleines pages dans les magazines et les mentalités. Le scandale devient un enjeu majeur pour faire exister ces films. Véritable apothéose de cette montée en jouissance du cinéma d’auteur, la Palme d’or remise en 2013 par Spielberg à La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, film qui célèbre le naturalisme extrême du sexe à l’écran. La même année, Alain Guiraudie sublime et poétise les amours crues et diurnes de L’Inconnu du lac. Succès publics, ces deux films deviennent l’emblème international d’une France décomplexée. Jouir mieux
Grégoire Marchal, responsable de la distribution chez KMBO, qui peut se targuer d’avoir sorti sans encombre dans les salles françaises des films dans lesquels on trouve de nombreuses scènes de sexe non simulé comme Dirty Diaries (Collectif, 2010) ou I Want Your Love (Travis Mathews, 2013), détaille
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Au cours des années 2000, le cinéma se décomplexe dans ses rapports au sexe non simulé à l’écran.
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des doublures.” Si le porno et le cinéma forment un couple, l’un des deux est plus honnête que l’autre. » En faisant de son Love non pas un film bandant mais bien un mélodrame âpre et poignant, Gaspar Noé offre peut-être ici une première pièce à l’édifice d’un cinéma d’auteur où l’on ferait enfin l’amour à la hauteur de la taille de l’écran.
Basic Instinct de Paul Verhoeven (1992)
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les rapports du public à ces films osés : « Soyons clairs, je n’ai pas l’impression de sortir des pornos, prévient-il. Dans un porno, si tu enlèves les scènes de sexe, il n’y a plus rien. Dans les films que je sors, le sexe n’est qu’un moment qui s’insère dans un cheminement scénaristique. En tant que distributeur, mon travail, c’est de dédramatiser ces scènes. L’interdiction aux moins de 16 ans ou aux moins de 18 ans joue un rôle très fort dans la manière dont le public peut en percevoir l’impact. Reste qu’on s’adresse forcément à un public restreint. On va chercher un public plus porté sur le cinéma d’auteur, un public qui aime la nouveauté. » Distribués dans des salles d’art et d’essai, ces films apparaissent comme des objets quasi expérimentaux et sortent sans causer de scandale. Alors, banal, le porno, aujourd’hui ? « Y’en a partout sur Internet. C’est justement au cinéma de reprendre le sexe en main et d’en donner une meilleure vision », défend Gaspar Noé. Respecté, analysé, récompensé en festival, le sexe sur grand écran redonnerait-il goût à une pornographie ambitieuse et scénarisée ? Pour Élise Tomie, le doute persiste : « Dans Cinquante nuances de Grey [Sam TaylorJohnson, 2015, ndlr] ou même Nymphomaniac [Lars von Trier, 2014, ndlr], le cinéma se borne à utiliser le porno comme un gadget pour créer de la nouveauté. C’est soit un objet chic, soit un truc hyper intellectualisé, pas du tout sensuel. Et souvent, au moment d’assumer, on nous prévient : “Tout est faux, ce sont
Nymphomaniac de Lars von Trier (2014)
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JESPER JUST PAR TIMÉ ZOPPÉ
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n jeune homme en marcel blanc sillonne un champ de blé. Non loin de lui, un camionneur viril stoppe son véhicule, en descend, puis remonte à l’arrière, conviant tacitement le garçon à le suivre. Mais quand celui-ci entre à son tour dans la remorque, il se retrouve dans une salle d’opéra. Sur la scène, le conducteur, coiffé d’une perruque de longs cheveux blonds, se met à chanter Please Don’t Keep Me Waiting d’Olivia NewtonJohn, avec une voix très grave. Cette surprenante et émouvante vidéo de Jesper Just, intitulée Bliss and Heaven (2004), donne un bon aperçu des préoccupations du vidéaste. Depuis le début de sa carrière, l’artiste danois, né en 1974 et installé à New York, tente de déconstruire certains stéréotypes véhiculés par le cinéma hollywoodien. Il a consacré la première partie de son œuvre à questionner la masculinité, montrant des duos d’hommes qui chantent, dansent, pleurent et se séduisent, avec souvent un grand écart d’âge entre les deux. Depuis 2007, il intègre des figures féminines dans son travail, continuant de bousculer les représentations en s’intéressant à des corps rarement sexualisés au cinéma. Dans ses films récents, il met en scène le handicap physique (This Nameless Spectacle, 2011) ou encore des femmes de plus de 50 ans (A Vicious
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Undertow, 2007). Son autre marque de fabrique, c’est le soin qu’il apporte au son et à l’image, au point que ses vidéos d’art ressemblent à des courts métrages à gros budget. « Je ne dis pas que je ne ferai jamais de films pour le cinéma, nous explique-t-il, mais travailler dans le monde de l’art donne une grande liberté. Dans l’industrie cinématographique, peu de gens ont la chance de pouvoir remettre les codes de celle-ci en question, il faut faire beaucoup de compromis. » Pour sa nouvelle installation, « Servitudes », il a imaginé un parcours dans les sous-sols du Palais de Tokyo. Les visiteurs doivent emprunter une rampe pour handicapés afin de visiter tous les espaces. Ce trajet, qui impose certains angles de vue sur les vidéos projetées, a nécessité la construction d’une structure qui rappelle à la fois un échafaudage et l’imbroglio métallique d’un fauteuil roulant replié. Ces deux thèmes – l’architecture et le handicap – nourrissent les neuf films présentés. Ils mettent en scène, séparément, une petite fille et une jeune femme effectuant diverses actions qui questionnent la fonctionnalité des lieux et des corps. Jesper Just nous a parlé de son travail dans ce portfolio consacré à cette installation. « Servitudes » jusqu’au 13 septembre au Palais de Tokyo Crédit pour toutes les images : Jesper Just, « Servitudes », 2015, installation vidéo et interventions architecturales courtesy de l’artiste, galerie Perrotin et Anna Lena Films
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« Une partie de l’installation investit la salle 37 du Palais de Tokyo, qui a été obturée après une performance, parce qu’elle n’avait pas été bien construite. Ce principe d’une architecture non fonctionnelle m’a inspiré le thème de l’exposition. Comme je vis à New York, j’ai songé au One World Trade Center, qui était en train d’être reconstruit alors qu’il représentait un symbole de puissance qui n’existait plus. Ce nouveau bâtiment, que l’on voit dans plusieurs de mes films, est tellement sécurisé que les vingt premiers étages ne sont constitués que de béton. » www.troiscouleurs.fr 69
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« La petite fille que l’on voit sur deux des vidéos souffre de la maladie de Charcot-Marie-Tooth, qui entraîne une détérioration des tissus musculaires. Elle a donc des difficultés à contrôler ses mains. Au cinéma, quand on voit quelqu’un qui fait partie d’une minorité, son histoire est souvent tragique. Dans l’une de mes vidéos, la fille peut jouer un morceau au piano, même si ce n’est pas en entier. C’était très important pour moi de lui donner du pouvoir, qu’elle puisse accomplir quelque chose par sa propre volonté. »
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« La sexualité au cinéma est toujours associée à des femmes jeunes, dont on idéalise le corps. Dans certaines vidéos de “Servitudes”, un personnage féminin doit relever des défis. On voit, par exemple, qu’elle a des difficultés à enfiler un vêtement, parce qu’elle se trouve dans un espace minuscule. Ça remet en cause une action qui semble simple quand on a un corps valide. Une autre vidéo la montre en train d’essayer de manger un épi de maïs, aidée d’un appareil qui fait bouger ses mains. Ça ressemble beaucoup à une publicité, parce que la femme est dans une attitude de séduction. »
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« Dans la dernière vidéo de l’exposition, la femme se trouve à l’intérieur du One World Trade Center. Par le biais de son monologue, elle commente en quelque sorte sa propre image. Elle parle autant qu’elle écoute la musique du piano [qui n’émane pas de la vidéo, mais que l’on entend résonner partout dans l’exposition, ndlr], inspirée d’Opus 17, « Étude » (1970) d’Éliane Radigue. Dans l’installation, le son est utilisé comme médiateur entre les personnages. On peut imaginer que cette jeune femme est une projection d’un certain désir de la société qui engendre son isolement. »
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Metal Gear Solid Une saga sous influence
Considéré comme l’un des plus grands créateurs de jeux vidéo, Hideo Kojima a aussi la réputation d’être un cinéphile insatiable. À l’occasion de la sortie de The Phantom Pain, cinquième épisode de la saga vidéoludique Metal Gear Solid, retour sur le dialogue fécond entre le septième et le dixième art dans son œuvre.
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PAR YANN FRANÇOIS
Toutes les images sont tirées du jeu Metal Gear Solid V. The Phantom Pain
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Le corps humain est censé être composé à 70 % d’eau. Je considère pour ma part être composé à 70 % de films. » Ainsi s’exprimait Hideo Kojima dans une interview publiée en 1999 par le magazine Gamers Today. Deux phrases qui disent l’évidence : le créateur de Metal Gear Solid a le cinéma dans la peau, et cette histoire d’amour fusionnelle dure depuis presque trente ans. Entré en 1986 chez Konami comme assistant chef de projet pour Penguin Adventure, un jeu d’adresse avec des pingouins, Hideo Kojima ne tarde pas à marquer sa différence. Alors que la plupart des jeux de l’époque n’utilisent que des scénarios prétexte, pour Metal Gear (1987), sa première création, il passe des semaines à écrire l’histoire d’un espion chargé d’infiltrer une forteresse gardée par des hommes armés jusqu’aux dents. Biberonné au cinéma hollywoodien, Hideo Kojima s’inspire de ses films de chevet pour créer l’univers du jeu – La Grande Évasion (John Sturges, 1963) pour le décor militaire et la contrainte d’opérer furtivement, New York 1997 (John Carpenter, 1981) pour son héros, baptisé Solid Snake en hommage au Snake Plissken du film. Ce premier Metal Gear n’obtient qu’un succès d’estime, et il faudra attendre 1998 – et le troisième épisode dirigé par Kojima – pour que sa saga, rebaptisée Metal Gear Solid, devienne culte. Sur fond d’espionnage et de géopolitique, l’œuvre entremêle les inf luences cinématographiques,
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du thriller politique à la science-fiction, en passant par le manga et bien sûr le cinéma de genre, dans lequel Kojima continue de piocher allégrement pour donner vie à ses archétypes. Plus la saga avance, plus Solid Snake et son double, Big Boss, cultivent d’ailleurs la ressemblance avec le personnage joué par Kurt Russel dans New York 1997 : le cache-œil, la voix caverneuse, le ton cynique… Pour Ocelot, le mercenaire aux airs de desperado, ennemi juré de Snake, Kojima s’inspire du western de Sergio Corbucci Django (1966). Quant au personnage d’Otacon, informaticien geek qui contacte Snake en mission pour le briefer – et qui, à chaque sauvegarde, conseille au joueur un film comme La Nuit des morts-vivants (George Romero, 1970) ou La Planète des singes (Franklin Schaffner, 1968), deux autres œuvres de chevet de Kojima –,
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Metal Gear Solid entremêle les influences cinématographiques, du thriller politique à la science-fiction, en passant par le manga. son véritable nom se révèle être Hal, comme l’ordinateur de bord de 2001. L’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968). Autant d’emprunts qui jalonnent la saga, colonnes d’un véritable panthéon de la culture pop et du cinéma de genre. Miroir culte
Si Metal Gear Solid fourmille de clins d’œil, Kojima cherche moins à étaler sa cinéphilie qu’à y puiser de l’inspiration pour ses propres cinématiques. À l’instar d’un Brian De Palma ou d’un Dario Argento, le créateur nippon est un maniériste qui n’hésite pas à reprendre, parfois au plan près, certaines séquences de ses films cultes dans ses propres mises en scène. Un exemple emblématique reste son célèbre duel de tireurs isolés dans le premier Metal Gear Solid (1998), entre Snake
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et la tueuse russe Sniper Wolf. Alors que les deux ennemis se traquent à travers leur lunette de fusil, Kojima ponctue l’action de gros plans au ralenti qui évoquent la séquence du sniper dans Full Metal Jacket (Stanley Kubrick, 1987). On retrouve un même effet miroir dans l’épisode suivant, Sons of Liberty (2001), lors du duel final entre le ninja Raiden et le méchant Liquidus. Alors que la caméra se fige sur les deux adversaires en garde, Hideo Kojima glisse un lâcher de colombes au ralenti, hommage évident aux chorégraphies stylisées de John Woo. C’est encore le cas avec Metal Gear Solid 3. Snake Eater (2004) dont le générique d’introduction reprend toutes les excentricités visuelles des génériques de la série des James Bond – et notamment de celui de Goldfinger (1965), avec ses images en surimpression sur des corps de
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femmes. Alors, Hideo Kojima, copiste décomplexé ? La démarche se veut plus complexe : plutôt que de mimer le cinéma qu’il aime, le créateur nippon le greffe à son propre univers, comme partie intégrante de son ADN. © konami digital entertainment
Interaction
Dans l’interview qu’il nous avait accordée il y a trois ans (Trois Couleurs n° 103, été 2012), Kojima affirmait que ses jeux vidéo ont toujours cherché à franchir la frontière de l’écran. Si le Japonais a toujours préféré faire des jeux vidéo plutôt que des films, c’est bien pour le caractère unique de son médium : l’interactivité. Metteur en scène généreux, presque
La saga Metal Gear Solid est un laboratoire d’expérimentation visuelle en constante évolution. attentes du joueur et le faire passer par toutes les émotions. Comme lui, Kojima aime à penser son cadre comme un langage propre. Cet art de la scénographie se remarque dès Metal Gear Solid, premier épisode à recourir à la vue 3D. Soucieux de sensibiliser le joueur à cette nouvelle perspective, Hideo Kojima et son équipe imaginent un système de caméra dynamique encore jamais vu à l’époque. Si l’essentiel du gameplay se fait en vue de dessus, la caméra bascule dès que le personnage s’adosse à un mur, ce qui permet au joueur de voir l’action sous un autre angle et de « ressentir » autrement
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excessif – ses cinématiques dépassent parfois la demi-heure –, Kojima aime briser le mur de l’écran pour nous interpeller et nous interroger sur notre propre condition de joueur. « Je suis un grand fan de Hitchcock, nous avait-t-il confié. Lui seul était capable d’injecter, au milieu de scènes horribles de suspense, de légères pointes comiques. Je procède comme lui, par vagues. La tension peut fatiguer émotionnellement le joueur et le faire décrocher. Tout est une question de rythme. » Comme Hitchcock, Kojima aime à triturer et à détourner le vocabulaire cinématographique pour déjouer les
Image promotionnelle illustrant l’évolution du personnage de Solid Snake dans les différents épisodes de Metal Gear Solid
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Ground Zeroes s’ouvre sur un plan-séquence d’une dizaine de minutes, morceau de bravoure hallucinant de maîtrise qui confirme, une fois de plus, la suprématie visuelle du Japonais sur la concurrence. Si Kojima avoue avoir été inspiré par Les Fils de l’homme (2006) et Gravity (2013) d’Alfonso Cuarón – et par leurs plans-séquences chocs –, comment ne pas y voir aussi un nouvel hommage à Hitchcock et à son film La Corde (1950) ? La saga a beau évoluer, raconter de nouvelles histoires, accoucher de moult innovations techniques, elle reste hantée par l’héritage du maître du suspense. Chez Kojima, le jeu vidéo n’est pas seulement un art de la performance, c’est aussi – et surtout – un lieu d’échange et de mémoire.
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l’espace tactique. Selon Hideo Kojima, ce jeu du cadre serait inspiré de celui de Hitchcock, notamment dans La Mort aux trousses (1959), l’un de ses films préférés. Technophile, toujours soucieux d’exploiter les fonctionnalités et les potentiels des nouvelles générations de console, Kojima a fait de la saga Metal Gear Solid un laboratoire d’expérimentation visuelle en constante évolution. Une évolution qui a récemment trouvé son point culminant avec l’élaboration de son propre moteur graphique, le Fox Engine – Ground Zeroes, sorti l’an dernier, est le premier épisode de la saga à en bénéficier. Grâce à son photoréalisme bluffant, les prouesses visuelles les plus démesurées sont autorisées. La preuve :
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ACTION/INFILTRATION
Metal Gear Solid V The Phantom Pain
Avec The Phantom Pain, la saga Metal Gear Solid passe le cap du jeu en monde ouvert ; une révolution de l’espace qui risque de chambouler pas mal d’habitudes. Mais qu’on se rassure : l’excellence, elle, est toujours au rendez-vous. PAR YANN FRANÇOIS
Un grand bol d’air. C’est la première image qui vient à l’esprit pour décrire The Phantom Pain. À l’instar de Ground Zeroes, épisode prologue sorti l’an dernier, ce nouvel opus de la saga Metal Gear Solid opère une redéfinition complète de l’espace de jeu. Finis les couloirs exigus et autres plongées claustrophobes au cœur de places fortes militaires et industrielles, place aux grandes étendues et à l’horizon infini. Focalisé sur le destin (et la chute) de Big Boss, son héros espion au bandeau noir et à la voix caverneuse (Kieffer Sutherland, l’acteur qui joue Jack Bauer dans la série 24 heures chrono, assure le doublage), le scénario prend place en Afghanistan, peu de temps après l’invasion russe de 1979. Lâché dans une région désertique et aride, le héros a pour mission d’infiltrer une kyrielle de bases soviétiques à la recherche d’informations top secret sur une sombre machination mondiale mais aussi de ressources militaires pour développer sa propre armée de mercenaires. Pour cela, toutes les approches sont possibles, des plus finaudes aux plus expéditives. Non content de disposer d’un arsenal de gadgets à rendre jaloux un
007, le joueur doit utiliser la topographie de chaque lieu à son avantage pour improviser toutes sortes de subterfuges. Extrêmement variée, la jouabilité offre une liberté d’improvisation tactique qui relève du jamais-vu. À la recherche du jeu d’infiltration parfait, le créateur de Metal Gear, Hideo Kojima, semble avoir trouvé l’équilibre idéal entre gameplay et narration. Touffue, riche en rebondissements, son intrigue brasse autant les fantômes de la guerre froide que le cyber-thriller, dans une mise en scène qui tient du génie visionnaire. À l’image de son introduction, véritable morceau de bravoure courant sur près d’une heure, le jeu déploie une maestria visuelle qui nous terrasse à chaque cinématique. Si The Phantom Pain doit signer les adieux avec Big Boss (on ne sera fixé qu’à la sortie du jeu), cet épisode lui offre au moins une conclusion à la hauteur de son mythe. Hideo Kojima peut dormir tranquille. Le big boss, c’est bien lui. Metal Gear Solid V. The Phantom Pain (Konami/PC, PS3, PS4, X360, Xbox One) Sortie le 1 er septembre
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les F I L M S du 15 juillet au 2 septembre LA BELLE SAISON
Catherine Corsini filme l’amour de deux femmes dans la France de 1971 p. 86
LES SECRETS DES AUTRES
Patrick Wang signe un film inventif et déchirant sur le deuil et l’avortement p. 100
MEDITERRANEA
Ce premier long métrage dit la situation des migrants africains qui arrivent en Italie p. 105
While We’re Young Ivre de jeunesse et de cinéma, le quatuor de While We’re Young tente de détraquer le temps pour mieux s’aimer. Noah Baumbach en profite pour questionner le processus créatif, à travers un portrait toujours aussi fin de la petite bourgeoisie new-yorkaise. Par Laura Pertuy
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mmené dans les grandes lignes par Solness le constructeur, pièce dramatique de Henrik Ibsen, While We’re Young en déplace l’intrigue sur la côte est des États-Unis, terrain de jeu fétiche de Noah Baumbach. Josh (Ben Stiller) et Cornelia (Naomi Watts), couple de quadragénaires sans enfant, attendent que le premier termine un documentaire en préparation depuis huit ans, après une œuvre de jeunesse remarquée. Lorsque Josh rencontre Jamie (Adam Driver), réalisateur en herbe et fidèle admirateur d’une vingtaine d’années, il convainc Cornelia d’élire comme nouveaux meilleurs amis ce touche-à-tout érudit et sa femme (Amanda Seyfried). Débarrassés de la pression d’enfanter imposée par leur entourage, Josh et Cornelia s’entichent bientôt du couple brooklynois au point de voir en eux une irrésistible source de jouvence et d’ouverture sur le monde. On trouve un peu de Hong Sang-soo dans ce Baumbach nouveau, une même réflexion sur l’âge et la création au sein d’une œuvre circulaire qui suit un maître et son disciple. Dans Greenberg (2010) comme dans Frances Ha (2013), les deux précédents films du réalisateur, les protagonistes peinaient à délaisser une certaine image d’eux-mêmes avant d’y être contraints par un personnage plus jeune. Une mue nécessaire, qui s’opère ici à
des degrés parfois infimes sur ces deux couples. C’est d’ailleurs ce que dit le « while » (en français, « tandis que ») du titre : nul ne peut échapper au temps, malheureusement impossible à dilater ; un intervalle dont se croient prisonniers Josh et Cornelia, trop vieux pour vivre au rythme de leurs nouveaux comparses, trop jeunes pour délaisser leur liberté. While We’re Young parvient à saisir le temps dans l’extraordinaire énergie qu’il donne aux uns et l’affaissement qu’il cause aux autres. Tandis que Josh demeure prostré dans le souvenir de sa réussite passée, incapable d’aimer ce qu’il est devenu, Baumbach, qui a le même âge que son héros, s’interroge sur la difficulté à ne pas refaire le même film indéfiniment. Si, pour parer à la fugacité de l’existence, créer vite (un enfant, un film…) semble s’imposer comme la norme, While We’re Young évite un jeunisme barbant en saisissant le parcours de ces deux couples avec le même cadre et dans le même temps. Noah Baumbach se réinvente toujours en mieux, ce que Mistress America, le prochain film du prodige américain, qui sort en janvier, devrait bientôt confirmer. de Noah Baumbach avec Ben Stiller, Naomi Watts… Distribution : Mars Durée : 1h37 Sortie le 22 juillet
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> ANT-MAN
Boys
PAR JULIE MICHARD
Sieger, 15 ans, passe ses vacances d’été dans un club d’athlétisme pour s’entraîner en vue d’une compétition. Il découvre alors son attirance pour les garçons en tombant amoureux d’un des jeunes du club… Filmant avec grâce la passion qui consume ces deux adolescents qui batifolent entre deux courses, Mischa Kamp livre un mélodrame
solaire à la photographie ultra léchée. Boys raconte avec sensibilité la difficulté de ces garçons à assumer leur relation, en évitant les écueils du coming out movie.
Énième adaptation cinématographique des aventures des héros Marvel, Ant-Man raconte les tribulations d’un escroc (Paul Rudd) engagé par un scientifique (Michael Douglas) pour l’aider à garder la main sur un costume qui permet de rétrécir celui qui le porte tout en démultipliant sa force . de Peyton Reed (1h57) Distribution : Walt Disney Sortie le 14 juillet
de Mischa Kamp avec Gijs Blom, Ko Zandvliet… Distribution : KMBO Durée : 1h18 Sortie le 15 juillet
> LE COMBAT ORDINAIRE
Laurent Tuel (La Grande Boucle) adapte la bande dessinée du même titre de Manu Larcenet, récompensée à Angoulême (Prix du meilleur album) en 2004. Nicolas Duvauchelle y campe un photographe de guerre qui, à seulement 30 ans, met fin à sa carrière pour se reconstruire. de Laurent Tuel (1h40) Distribution : Haut et Court Sortie le 15 juillet
Der Samurai PAR quentin grosset
Un travesti, habillé d’une robe blanche et armé d’un katana, sème la terreur dans une petite ville allemande en décapitant les passants. Lancé à sa poursuite, Jakob, jeune policier solitaire, tente de l’arrêter. Mais il est bientôt troublé par son attirance pour ce mystérieux et charismatique samouraï… Dans ce film de genre empli de dérision,
les meurtres, tous plus sanglants les uns que les autres, prennent une dimension cartoonesque jouissive qui cache en creux une réflexion sur le refoulement des sentiments. de Till Kleinert avec Michel Diercks, Pit Bukowski… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h19 Sortie le 15 juillet
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> Les Révoltés
Un plan de restructuration est annoncé dans l’usine où travaille Pavel (Paul Bartel). Porté par ses sentiments pour Anja (Solène Rigot), le jeune homme se découvre une conscience politique… Ancrage social et traitement romanesque cohabitent dans ce premier long métrage délicat. de Simon Leclère (1h20) Distribution : Jour2fête Sortie le 15 juillet
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La Femme au tableau PAR J. M.
Une septuagénaire excentrique engage un jeune avocat afin de l’aider à récupérer un tableau de Gustav Klimt exposé dans un musée autrichien mais dont elle affirme avoir hérité… Simon Curtis retrace la jeunesse de cette femme, tourmentée par les réminiscences des mauvais traitements que lui ont infligés les nazis. Le duo Helen Mirren/Ryan Reynolds fonctionne à merveille. de Simon Curtis avec Helen Mirren, Ryan Reynolds… Distribution : SND Durée : 1h50 Sortie le 15 juillet
Rocco et ses frères
Bends
PAR Q. G.
PAR TIMÉ ZOPPÉ
Sélectionné en 2013 dans la section Un certain regard à Cannes, le premier long métrage de la Hongkongaise Flora Lau sort enfin sur nos écrans. Dans un écrin très élégant, il traite de certaines conséquences de la politique de l’enfant unique en Chine. À Hong Kong, Anna (Carina Lau, actrice star en Chine) vit dans une opulence ostentatoire grâce à son riche mari, jusqu’à ce que celui-ci la quitte. Son désarroi s’entrecroise avec celui de son chauffeur, Fai (Chen Kun), qui réside à Shenzhen et dont l’épouse attend un deuxième enfant. En Chine, hors de la région de Hong Kong, la naissance d’un second bébé est, dans certaines conditions, sanctionnée d’une lourde amende, dont le couple n’a pas
les moyens de s’acquitter. Dans Bends, tout est question d’apparence. Anna tente de sauver son image, alors que Fai cherche à dissimuler la grossesse de sa femme pour que cette dernière puisse franchir la frontière hongkongaise. S’accordant à cette thématique, l’esthétique raffinée du film (la photographie est signée Christopher Doyle, chef opérateur connu notamment pour son travail sur les films de Wong Kar-wai) s’harmonise avec la plastique parfaite des acteurs. Ce vernis n’entrave pas l’affleurement des émotions, même si elles se déploient, à l’image du film, tout en sobriété.
Une mère et ses fils, originaires du sud de l’Italie, émigrent à Milan en vue de trouver du travail. Deux des frères, qui aspirent à devenir champions de boxe, s’aperçoivent qu’ils sont épris de la même femme. Sorti en 1960, ce mélodrame, qui emprunte au style néoréaliste qui a marqué le début de carrière de Visconti, impressionne toujours aujourd’hui par l’ampleur mythologique qu’il déploie.
de Flora Lau avec Carina Lau, Chen Kun… Distribution : A3 Durée : 1h32 Sortie le 15 juillet
de Luchino Visconti avec Alain Delon, Annie Girardot… Distribution : Les Acacias Durée : 2h57 Sortie le 15 juillet
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La isla mínima
> CHEMINS CROISÉS
PAR RAPHAËLLE SIMON
Au début des années 1980, dans une Espagne en pleine transition, deux policiers aux idées politiques très différentes sont envoyés dans un village d’Andalousie pour enquêter sur la disparition de deux sœurs pendant les fêtes locales. Si l’enquête, comme ramollie par le soleil de plomb, manque quelque peu de vivacité, le film trouve
son souffle dans le portrait qu’il dresse, en creux, de l’Espagne postfranquiste, toute jeune démocratie schizophrène où se déchirent les nostalgiques et les détracteurs du Caudillo. d’Alberto Rodríguez avec Raúl Arévalo, Javier Gutiérrez… Distribution : Le Pacte Durée : 1h44 Sortie le 15 juillet
Alors que leur couple bat de l’aile, Luke (Scott Eastwood) et Sophia (Britt Robertson) rencontrent Ira, veuf et vétéran de la Seconde Guerre mondiale (Alan Alda), qui leur raconte son propre parcours amoureux, semé d’embûches lui aussi. de George Tillman Jr. (2h19) Distribution : 20th Century Fox Sortie le 15 juillet
> BIZARRE
Maurice, un ado français, erre seul dans les rues de Brooklyn. Il rencontre deux filles qui gèrent le Bizarre, un bar où se tiennent des shows freaks et burlesques, et s’installe chez elles… Étienne Faure (Désordres) prend le pouls d’une jeunesse marginale. d’Étienne Faure (1h39) Distribution : Eivissa Productions Sortie le 22 juillet
Les Nuits blanches du facteur PAR T. Z.
C’est un petit village coupé du monde, au bord du lac Kenozero, au nord-ouest de la Russie. Le bateau du facteur Aleksey et le courrier qu’il distribue aux habitants constituent ses seuls liens avec le monde extérieur… Le réalisateur Andreï Kontchalovski, qui connaît une carrière éclectique puisqu’il a commencé par coécrire des films
d’Andreï Tarkovski et qu’il a notamment coréalisé Tango & Cash en 1989 après son exil aux États-Unis, observe ici, avec tendresse et humanité, les mutations de la communication dans le monde moderne. d’Andreï Kontchalovski avec Aleksey Tryapitsyn, Irina Ermolova… Distribution : ASC Durée : 1h41 Sortie le 15 juillet
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> NOS FUTURS
Après Le Premier Jour du reste de ta vie (2008), Rémi Bezançon signe un buddy movie à la française dans lequel Pierre Rochefort et Pio Marmaï incarnent deux amis de lycée qui, après s’être perdus de vue, décident d’organiser une soirée comme au bon vieux temps. de Rémi Bezançon (1h37) Distribution : Gaumont Sortie le 22 juillet
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La Femme de compagnie Installé dans un New York anxiogène, le premier long métrage de l’Allemande Anja Marquardt trouve la juste distance pour filmer les relations entre une assistante sexuelle et ses clients. PAR TIMÉ ZOPPÉ
© d. r.
Ronah (Brooke Bloom), la trentaine, poursuit des études en psychologie. Mais ce qui accapare véritablement son corps et son esprit, c’est le travail d’assistante sexuelle qu’elle mène dans le cadre de son mémoire universitaire. Par la parole et par divers exercices physiques, qui n’incluent pas forcément un rapport sexuel, elle aide des hommes bloqués par la notion d’intimité à se préparer pour de futures relations amoureuses… Jamais choquante, la mise en scène s’attache aux visages, aux regards, aux gestes qui permettent à ces relations de naître et de se déployer. Hors du cocon de ces rencontres atypiques, c’est Ronah elle-même qui apparaît esseulée. Entre sa vie de célibataire dans un appartement vétuste et ses trajets dans les rues de New York – jamais montrées comme vastes et grouillantes mais au contraire en plans rapprochés qui isolent
3 QUESTIONS À ANJA MARQUARDT Comment vous êtes-vous documentée sur ce sujet rarement traité ?
J’ai mis un an et demi, à partir de 2011, pour réussir à contacter de vrais professionnels. Depuis peu, les gens en parlent sur le Net. Facebook a contribué à ce changement. Mais ce n’est toujours pas une activité dont on fait ouvertement la pub. Ça se passe entre le thérapeute, l’assistant et le patient.
l’héroïne –, son désert affectif semble sans fin. Et aucun palliatif n’est à chercher du côté des nouvelles technologies. Quand la jeune femme tente d’appeler via Skype son frère, qui vit avec leur mère dans une autre ville, la connexion fonctionne mal. Quant à son téléphone portable, il semble n’avoir pour seule utilité que de recevoir les appels d’un mystérieux interlocuteur qui la harcèle. Malgré son aplomb, Ronah révèle progressivement sa vulnérabilité, sans pour autant se montrer faible. Si elle n’esquive pas tous les coups, elle a pour elle une arme puissante : la maîtrise des rouages psychologiques, qui lui permet d’éclairer puis de modifier sa trajectoire. d’Anja Marquardt avec Brooke Bloom, Marc Menchaca… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h30 Sortie le 22 juillet
PROPOS RECUEILLIS PAR T. Z.
Vous avez eu recours au financement participatif pour produire votre film.
Il y a d’abord eu une campagne Kickstarter, puis d’autres personnes nous ont aidés à financer le film. On a tourné en dix-huit jours sans faire aucune répétition, parce que je voulais que les acteurs se découvrent les uns les autres sur le plateau. Cette manière de faire était très libératrice.
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Pourquoi ce clin d’œil à Joy Division dans le titre original (She’s Lost Control) ?
C’est une référence indirecte. On est constamment connectés et, sans s’en rendre compte, on peut perdre dans ces rapports virtuels quelque chose qui est propre aux interactions physiques. La chanson de Joy Division, même si elle parle d’une fille épileptique, est comme un prologue à cette question.
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Les Bêtises Par Laura Pertuy
Pour leur premier film, les sœurs Alice et Rose Philippon offrent à Jérémie Elkaïm une tribune tragi- c omique qui exploite toute sa science du rythme. François, la trentaine guillerette et la maladresse en écharpe, cherche à retrouver sa mère biologique par tous les
moyens. Usurpant l’identité d’un serveur, il parvient à s’introduire dans la grande fête que celle-ci donne en l’honneur de son mari. S’ensuit un jeu de l’oie cocasse qui le voit avancer dans la bonne direction avant de reculer face aux obstacles (une piscine, un frère surprise…). Cette chorégraphie
hésitante où chaque pas met en péril son projet permet l’introduction du drame dans la comédie grand-guignol. L’orphelin démesurément gauche convoque sans le vouloir les dysfonctionnements des invités alentour, ce qui lui permet d’assumer sa propre différence. Pendant ce temps, un dialogue musical, discordant mais souvent émouvant, s’élabore entre le fils et sa mère, qui donne de la profondeur aux affects perdus. C’est dans cette course follement rythmée, bien plus que dans sa résolution, que les réalisatrices exploitent le mieux le versant clown triste de Jérémie Elkaïm et touchent aux moments les plus sensibles de leur comédie. de Rose et Alice Philippon avec Jérémie Elkaïm, Sara Giraudeau… Distribution : Rezo Films Durée : 1h19 Sortie le 22 juillet
Lena (Lose Myself) PAR TIMÉ ZOPPÉ
L’Allemand Jan Schomburg explore un puissant thème de cinéma : l’amnésie. Il se l’appro prie en interrogeant le principe de construction identitaire et en employant les ressorts du fantastique, sans toutefois faire basculer son film dans ce genre. Victime d’un malaise lors d’une soirée, une femme est emmenée aux urgences par un inconnu. Elle apprend que celui-ci se trouve être son mari, et qu’elle-même se prénomme Lena. Une amnésie vient d’effacer toute la vie qu’elle s’était construite en quarante ans d’existence… De ce point de départ classique, le réalisateur tire un fil philosophique passionnant en se demandant quel pouvoir nous avons sur l’établissement de notre propre personnalité. Passé le choc, Lena explore avec candeur différentes voies pour se reconstruire
une identité. Dans des scènes plus tendues, presque effrayantes, son corps semble manipulé par une force extérieure. Mais la virée pressentie vers le fantastique est une fausse piste. C’est que, pour réapprendre les attitudes socialement convenables, Lena absorbe puis reproduit mécaniquement
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des réactions observées chez les autres. En quelques actions spontanées et libératrices, elle souligne avec malice l’arbitraire des conventions sociales. de Jan Schomburg avec Maria Schrader, Johannes Krisch… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h33 Sortie le 22 juillet
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> JE SUIS MORT MAIS J’AI DES AMIS
Pitch Perfect 2 PAR J. M.
Les Bellas sont de retour dans la suite de The Hit Girls (Pitch Perfect en V.O., 2013), réalisée par l’actrice Elizabeth Banks. Après avoir décroché le titre national de chant a c appella, le groupe fait face à un scandale qui compromet sa participation au championnat du monde. Le film délivre de jolis moments musicaux, dont un caméo
de Snoop Dogg reprenant « Winter Wonderland ». Anna Kendrick charme toujours autant, et le personnage de Rebel Wilson prend plus d’ampleur, régalant le spectateur de ses répliques hilarantes.
Après Où est la main de l’homme sans tête (2009), les frères Malandrin signent une comédie dans laquelle un groupe de rock belge, emmené par Yvan (Bouli Lanners), est décidé à honorer sa tournée aux États-Unis malgré la mort de son chanteur. de Guillaume et Stéphane Malandrin (1h36) Distribution : Happiness Sortie le 22 juillet
d’Elizabeth Banks avec Anna Kendrick, Rebel Wilson… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h54 Sortie le 22 juillet
> LA RAGE AU VENTRE
Champion du monde de boxe, Billy (Jake Gyllenhaal) voit sa vie s’écrouler à la mort de sa femme (Rachel McAdams)… Antoine Fuqua (Training Day, Equalizer) filme la rédemption de son héros, qui trouve du soutien auprès d’un ancien boxeur campé par Forest Whitaker. d’Antoine Fuqua (2h03) Distribution : SND Sortie le 22 juillet
Des apaches PAR QUENTIN MALAPERT
À l’enterrement de sa mère, Samir rencontre pour la première fois son père. Ces retrouvailles tardives et maladroites permettent au jeune homme de découvrir ses racines – et par la même occasion la communauté kabyle de Belleville… Le réalisateur Nassim Amaouche, qui campe Samir à l’écran, fait se succéder la réalité (un prologue
documentaire explique le fonctionnement de l’économie kabyle) et la fiction. Il entretient ensuite une habile confusion identitaire entre les différents personnages qui évoluent en parallèle. de Nassim Amaouche avec André Dussollier, Laetitia Casta… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h37 Sortie le 22 juillet
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> PAPA LUMIÈRE
En 2011, en pleine crise politique ivoirienne, Jacques (Niels Arestrup) et sa fille arrivent en France, rapatriés d’Abidjan. Longtemps séparés, ils doivent s’apprivoiser et faire face à leur situation précaire de réfugiés… Ada Loueilh réalise un premier long métrage touchant sur la paternité. d’Ada Loueilh (1h24) Distribution : Le Pacte Sortie le 29 juillet
le s fi lm s
Les Mille et Une Nuits Entamée en juin avec L’Inquiet, la trilogie Les Mille et Une Nuits continue cet été avec Le Désolé et L’Enchanté. Le Portugais Miguel Gomes y poursuit son exploration de la crise économique dans son pays en mêlant documentaire et fiction, réel et imaginaire. PAR QUENTIN GROSSET
Ce qui étonne, dans la trilogie Les Mille et Une Nuits, c’est le côté bigarré de cette œuvre monumentale : chaque volet a sa propre tonalité. Le premier, L’Inquiet, n’hésitait pas à aborder la crise avec des notes d’humour (lire l’entretien avec le réalisateur dans le numéro de juin de Trois Couleurs). Le deuxième, Le Désolé, est le plus noir des trois. Il s’ouvre sur la fuite de Simão, meurtrier en cavale, avec le même rythme languissant que Tabou (2012), le précédent film de Gomes. Le cinéaste n’interroge jamais les raisons de l’assassinat, insistant sur l’absurdité qui le caractérise. Absurdes encore, les situations précaires des habitants d’une cité qu’un petit chien blanc, Dixie, va tenter de réenchanter. Tantôt réaliste, tantôt fantastique, parfois drôle, souvent déchirante, l’histoire atteint des sommets dans la rupture de
> RENAISSANCES
Sur le point de mourir, un richissime homme d’affaires new-yorkais est approché par une mystérieuse officine qui lui propose de transférer sa conscience dans un autre corps… Après The Cell (2000), Tarsem Singh amorce une nouvelle virée au cœur de l’esprit humain. de Tarsem Singh (1h57) Distribution : SND Sortie le 29 juillet
tons. Dans L’Enchanté, qui clôt la trilogie dans une voie plus aérienne, le personnage de Schéhérazade, conteuse dans les trois films, prend plus d’importance. Elle partage la souffrance des plus démunis et, devant tant de désespoir, abandonne sa narration. Sa voix est alors remplacée par des cartons, tandis que dans une partie contemplative, des pinsonniers enseignent le chant à leurs oiseaux. Se laissant bercer par l’atmosphère éthérée, le spectateur retient leur détermination plus que leur accablement. C’est tout le projet de Gomes : redonner une certaine grandeur aux victimes des politiques d’austérité. Les Mille et Une Nuits. Le désolé (2h11) Les Mille et Une Nuits. L’enchanté (2h05) de Miguel Gomes Distribution : Shellac Sorties le 29 juillet et le 26 août
> LES CHAISES MUSICALES
À presque 40 ans, Perrine (Isabelle Carré) anime des goûters pour enfants. Après avoir causé un accident à la suite duquel un inconnu (Philippe Rebbot) est plongé dans le coma, elle s’immisce dans la vie de celui-ci… Marie Belhomme signe un premier film léger sur l’affirmation de soi. de Marie Belhomme (1h23) Distribution : Bac Films Sortie le 29 juillet
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> Port-au-Prince. Dimanche 4 janvier
Le 4 janvier 2004, Haïti célèbre le bicentenaire de sa déclaration d’indépendance dans un climat de protestation contre le président Aristide. À l’écran, ces tensions s’incarnent dans la relation entre un étudiant en philosophie et son frère délinquant. de François Marthouret (1h50) Distribution : Sophie Dulac Sortie le 29 juillet
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> LES QUATRE FANTASTIQUES
Umrika PAR J. M.
Alors que son frère émigre en Amérique (l’« Umrika » du titre), ne donne plus de nouvelles, Ramakant décide de partir à sa recherche… Pour son deuxième film, l’Indien Prashant Nair a fait appel à deux stars montantes, Suraj Sharma, découvert dans L’Odyssée de Pi (2012), et Tony Revolori, vu dans The Grand Budapest Hotel (2014).
Avec ce film, Prix du public à Sundance, le réalisateur livre un constat amer sur l’immigration, renverse les clichés sur l’Inde et donne la part belle aux magnifiques paysages de son pays.
Après deux adaptations cinématographiques en 2005 et 2007, les Quatre Fantastiques sont de retour dans ce reboot de Josh Trank (Chronicle). Miles Teller, Kate Mara, Jamie Bell et Michael B. Jordan y jouent quatre geeks dotés de superpouvoirs après un voyage spatio-temporel. de Josh Trank (1h46) Distribution : 20th Century Fox Sortie le 5 août
de Prashant Nair avec Suraj Sharma, Tony Revolori… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h40 Sortie le 29 juillet
> SUR LA LIGNE
Dans la Tchécoslovaquie des années 1980, Anna, une jeune sprinteuse, est remarquée du fait de ses admirables performances. Choisie pour intégrer un nouveau programme d’entraînement, elle est piégée par son entraîneur qui tente de lui administrer un produit dopant. d’Andrea Sedlá ková (1h40) Distribution : Zylo Sortie le 5 août
Summer PAR R. S.
Pendant les vacances, Sangaïlé, une adolescente très mal dans sa peau, fait la rencontre de la lumineuse Austé. Le temps d’un été, dans la campagne lituanienne, les deux jeunes filles vont vivre une histoire d’amour passionnelle. Paysages magnifiques, lumière caressante, poses lascives, détails fétichistes : l’approche est un peu
esthétisante. Pour autant, le ton est loin d’être mièvre, et la cinéaste Alanté Kavaïté n’édulcore en rien les tourments, parfois macabres, de ses héroïnes, dans cette chronique amoureuse douce et amère. d’Alanté Kavaïté avec Julija Steponaityte, Aist Dirži t … Distribution : UFO Durée : 1h30 Sortie le 29 juillet
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> TED 2
Ted revient pour un deuxième volet à l’humour déjanté, toujours réalisé par Seth MacFarlane, et toujours avec le brillant Mark Wahlberg. Après avoir rencontré l’amour, l’ours en peluche souhaite avoir des enfants, mais doit pour cela prouver qu’il est « humain ». de Seth MacFarlane (1h56) Distribution : Universal Pictures Sortie le 5 août
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> LA DAME DANS L’AUTO AVEC DES LUNETTES ET UN FUSIL
The Rose PAR Q. G.
En 1969, The Rose, une chanteuse de rock fatiguée par les tournées frénétiques, l’alcool et les drogues, souhaite arrêter de se produire sur scène pendant un an. Mais son manager ne l’entend pas ainsi. Le jour du concert le plus important de sa carrière, elle fuit avec un inconnu… Vendu à sa sortie, en 1979, comme un film inspiré de la
vie de Janis Joplin, The Rose, qui ressort en version restaurée, est avant tout une variation sur l’idée de « star ». Bette Midler, nerveuse, excessive, y livre une prestation impressionnante.
Les mésaventures d’une femme ordinaire, injustement accusée d’un meurtre et traquée par la police… Pour sa troisième incursion au cinéma, Joann Sfar s’inspire du roman du même nom de Sébastien Japrisot, publié en 1966, et réputé difficilement adaptable. de Joann Sfar Distribution : Wild Bunch Sortie le 5 août
de Mark Rydell avec Bette Midler, Alan Bates… Distribution : Lost Films Durée : 2h05 Sortie le 29 juillet
> ORIANA FALLACI
Marco Turco offre à Oriana Fallaci, figure du journalisme italien, son premier biopic. Le réalisateur retrace le parcours de cette femme d’exception, de ses premières interviews de célébrités dans les années 1950 à ses reportages dans les pays du tiers-monde. de Marco Turco (1h48) Distribution : Happiness Sortie le 5 août
Aferim! PAR R. S.
En Valachie, en 1835, un policier et son second se lancent sur les traces d’un esclave gitan qui a échappé à son maître… Radu Jude dépeint un tableau au vitriol de la Roumanie du xixe siècle. Son approche distanciée, assez âpre de prime abord (noir et blanc, certes sublime ; longues discussions teintées d’aphorismes dans la langue de l’époque, sans
empathie), propose une immersion quasi documentaire en ces terres reculées, à une époque où les Roms étaient réduits en esclavage et où la corruption, l’antisémitisme, les supplices publics étaient de rigueur. de Radu Jude avec Teodor Corban, Toma Cuzin… Distribution : Eurozoom Durée : 1h48 Sortie le 5 août
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> FLORIDE
Les souvenirs de Claude (Jean Rochefort), 80 ans, se détériorent. Il songe à sa fille, émigrée en Floride, et méprise celle qui s’occupe de lui (Sandrine Kiberlain)… Philippe Le Guay (Alceste à bicyclette) adapte la pièce Le Père de Florian Zeller. de Philippe Le Guay (1h50) Distribution : Gaumont Sorite le 12 août
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La Face cachée de Margo PAR J. M.
Après avoir entraîné son voisin dans une expédition vengeresse lors d’une virée nocturne, Margo disparaît. Quentin décide alors de partir à sa recherche… Ce teen movie célèbre le passage à l’âge adulte dans une approche assez fine qui évite habilement le pathos ou le suspense lourdingue. Dans la peau de Margo, la top model britannique Cara Delevingne s’impose dans un rôle hypnotisant. de Jake Schreier avec Nat Wolff, Cara Delevingne… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h45 Sortie le 12 août
La Peur PAR Q. G.
La niña de fuego PAR TIMÉ ZOPPÉ
Le deuxième film de Carlos Vermut (après Diamond Flash en 2012, inédit en France) se pare d’humour noir et enchâsse plusieurs récits, reliés par une figure de femme toxique. De la stylisation de l’affiche française à la composition des cadres, La niña de fuego évoque les bandes dessinées d’Enki Bilal (La Tétralogie du Monstre notamment). On retrouve aussi la même intensité chez l’héroïne, Bárbara, que chez les personnages féminins imaginés par le dessinateur. Dans le film, ce magnétisme ravageur fait perdre la tête aux hommes. Le lent déroulé de la narration, qui démarre autour de la relation drôle et forte entre un père et sa fille leucémique, saute parfois
sans crier gare vers de nouveaux personnages que l’on met du temps à rattacher aux précédents. Un peu trop méthodique dans la mise en place de ses effets, le long métrage trouve son souffle dans son ton et ses sous-intrigues décalés, comme la passion démesurée de l’enfant malade pour les mangas, ou les mystérieuses activités sexuelles qui ont lieu dans une villa où doit se rendre Bárbara. L’humour corrosif qui traverse le film le fait osciller entre drame sombre et comédie déjantée, achevant d’en faire un objet filmique singulier et intrigant.
En 1914, Gabriel, à peine sorti de l’adolescence, est mobilisé pour aller combattre dans les tranchées. Il pense alors que la guerre ne va pas durer. Mais à mesure que ses camarades tombent, il perd l’espoir de revoir un jour sa fiancée… Avec cette adaptation d’un roman de Gabriel Chevallier publié en 1930, Damien Odoul signe un sombre récit d’initiation. Il révèle au passage le jeune acteur Nino Rocher, dont la voix off donne au film une émouvante solennité.
de Carlos Vermut avec Bárbara Lennie, José Sacristán … Distribution : Version Originale / Condor Durée : 2h07 Sortie le 12 août
de Damien Odoul avec Nino Rocher, Eliott Margueron… Distribution : Le Pacte Durée : 1h33 Sortie le 12 août
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Coup de chaud PAR Q. M.
Dans un petit village sans histoires, en été, Joseph (Karim Leklou), un jeune garçon déficient mental, perturbe la tranquillité des habitants. Un jour, il est assassiné. Dès lors, entre voisins, la défiance règne, et chacun devient un potentiel suspect… Le cinéaste Raphaël Jacoulot, (qui avait réalisé Barrage en 2006 et Avant l’aube en 2011),
s’inspire ici d’un fait divers réel. Entre la fable sociale et le film policier, Coup de chaud fascine par le trouble et le malaise qu’il instille dans un cadre idyllique. de Raphaël Jacoulot avec Jean-Pierre Darroussin, Karim Leklou… Distribution : Diaphana Durée : 1h42 Sortie le 12 août
PAR Juliette Reitzer
Mais utilisera-t-il ses nouveaux dons pour séduire sa belle voisine ? Sur le ton de l’humour potache, le film se révèle assez jouissif dans son obstination à explorer toute l’étendue des possibles. de Terry Jones avec Simon Pegg, Kate Beckinsale… Distribution : Océan Films Durée : 1h25 Sortie le 12 août
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En Ukraine, pendant la Seconde Guerre mondiale, une jeune juive nommée Tsili se cache dans une forêt, alors que toute sa famille a été déportée. Elle rencontre Marek, qui lui aussi fuit les nazis… Le réalisateur israëlien Amos Gitaï adapte le roman d’Aharon Appelfeld. d’Amos Gitaï (1h28) Distribution : Épicentre Films Sortie le 12 août
> UNE FAMILLE À LOUER
Absolutely Anything Choisi au hasard par les plus hautes instances extraterrestres, Neil Clarke (exquis Simon Pegg), prof cynique et désabusé, se retrouve doté de superpouvoirs illimités – de ce qu’il en fera dépend le sort de la Terre. Dès lors, le héros teste tout ce qui lui passe par la tête : faire parler son chien, avoir un sexe énorme, être président des États-Unis…
> TSILI
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Après Les Émotifs anonymes (2010), Jean-Pierre Améris retrouve Benoît Poelvoorde, cette fois dans le rôle d’un riche célibataire qui cherche à louer une famille pour combler son ennui. À court d’argent, Violette (la pétillante Virginie Efira) accepte de jouer le jeu. de Jean-Pierre Améris (1h36) Distribution : StudioCanal Sortie le 19 août
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La Belle Saison Ancré dans la France de 1971, année charnière pour les revendications féministes et homosexuelles (manifeste des 343, fondation du FHAR…), le neuvième long métrage de Catherine Corsini raconte le coup de foudre de deux femmes issues de mondes opposés. PAR TIMÉ ZOPPÉ
© d. r.
Perchée sur son tracteur sous un soleil écrasant, Delphine (Izïa Higelin) n’envisage pas qu’une autre vie, loin de la ferme familiale, soit possible. Quand la fille du village qu’elle fréquente en secret la quitte pour se marier avec un homme, elle prend conscience que les mentalités de son milieu paysan ne l’autoriseront pas à vivre sa vie comme elle l’entend. Elle s’exile alors à Paris et se laisse happer par un tourbillon de revendications dont elle ne soupçonnait pas l’existence… Dans une première partie enlevée, propulsée par des seconds rôles savoureux (la toujours détonante Lætitia Dosch en tête), le film ravive l’esprit libertaire et les actions coup de poing du MLF (Mouvement de libération des femmes) et du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire). Pour cette reconstitution, la cinéaste s’est appuyée sur les rares archives de l’époque, comme les photos de Catherine Deudon
3 QUESTIONS À CATHERINE CORSINI Comment est né le désir d’évoquer cette époque ?
Au départ, l’histoire était contemporaine, mais Marie Amachoukeli, avec qui j’ai failli écrire le scénario, trouvait négative l’idée de montrer une homosexuelle qui se cache aujourd’hui. Elle m’a conseillé de l’ancrer dans les années 1970. J’ai essayé de retranscrire l’énergie et la spontanéité de ce moment.
ou les films de Carole Roussopoulos, l’une des premières femmes vidéastes. Obligée de revenir aider sa mère (Noémie Lvovsky) dans leur exploitation agricole suite à l’AVC de son père, Delphine ramène dans ses bagages Carole (Cécile de France), militante parisienne avec qui elle vit une passion. Ce retour de l’enfant prodigue donne lieu à une seconde partie plus grave qui se cale sur le rythme indolent de la campagne limousine. Le film, toujours sensuel et solaire, retrace alors la joute silencieuse entre les trois femmes. Véritable piqûre de rappel historique, La Belle Saison offre une nécessaire caisse de résonance à notre époque, toujours agitée par la question des droits homosexuels. de Catherine Corsini avec Izïa Higelin, Cécile de France… Distribution : Pyramide Durée : 1h45 Sortie le 19 août
PROPOS RECUEILLIS PAR T. Z.
Cécile de France a connu des rôles similaires, mais le choix d’Izïa Higelin est plus surprenant.
J’ai écrit pour Cécile, j’aime son côté vaillant. Face à elle, je pensais d’abord à Adèle Haenel, mais leur physique est trop proche. Delphine a un côté terrien, taiseux. Izïa ne se sent pas très légitime comme actrice, et elle est parfois mal à l’aise dans son corps. Ça traduit bien l’empêchement de son personnage.
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Comment avez-vous pensé la représentation des corps et des ébats féminins ?
J’ai vu La Vie d’Adèle, qui m’a bluffée, quand j’écrivais le scénario. Du coup, je ne voulais presque plus filmer de scènes d’amour. Mais sur le tournage, j’ai quand même eu envie de montrer les corps. Je l’ai fait d’une manière frontale, posée, proche de celle de l’époque, qui n’était pas dans l’érotisation.
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Les Secrets des autres En deux films sublimes, Patrick Wang s’est discrètement imposé comme une figure majeure du cinéma indépendant américain. Après In the Family, bouleversant drame familial sur la garde homoparentale, le cinéaste prolonge son subtil théâtre de l’intime dans Les Secrets des autres, un film délicat, inventif et déchirant sur le deuil et l’avortement. PAR ÉRIC VERNAY
Les chanceux qui ont découvert In the Family l’an dernier se souviennent d’une bombe lacrymale déposée avec un calme olympien. Ce mélo-fleuve de 2 h 49 déployait son cours harmonieux avec l’assurance d’un vieux sage. C’était pourtant le tout premier film de Patrick Wang. Né au Texas il y a trente-neuf ans, de parents taïwanais, Patrick Wang ne se destinait pas au septième art. Diplômé en économie du prestigieux Massachusetts Institute of Technology, peu cinéphile, l’étudiant flirte avec le théâtre, tout d’abord en tant que spectateur, avant de monter une troupe avec son compagnon. Il apprend alors la comédie et la mise en scène, sur le tard et sur le tas. Arrivé à New York, l’autodidacte complète sa formation et son maigre salaire en passant par la case télévision – il joue notamment dans le très kitsch soap opera On ne vit qu’une fois. Ne lui reste
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plus qu’à se lancer dans le grand bain du cinéma. La maladie de son père, fulgurante, le pousse à franchir le pas avec In the Family, à la fois écrit, joué, réalisé et financé par lui. Pour Les Secrets des autres, Patrick Wang se frotte cette fois à un matériau moins personnel – il adapte le roman The Grief of Others de Leah Hager Cohen – et n’apparaît pas à l’écran. Ce deuxième long métrage raconte encore l’histoire d’une famille des banlieues sur le point de se dissoudre dans des intérieurs sobres et boisés, atemporels – peu d’écrans d’ordinateur ou de télévision –, d’où surgiront peutêtre la lumière. Il n’est plus question de garde homoparentale mais d’avortement : une mère de famille refuse d’opter pour cette solution, malgré la malformation de son fœtus, condamné d’avance. Pour prendre cette décision, elle omet volontairement
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« J’aime laisser le spectateur franchir lui-même la dernière marche vers le sentiment. » patrick wang
de consulter son mari, de peur qu’il s’y oppose. Ce manque de discussion va rendre le deuil de l’enfant d’autant plus difficile. Là encore, Patrick Wang aborde un sujet potentiellement lourd. Mais il sait insuffler de la légèreté à son mélodrame intimiste, une douceur souveraine qui fait advenir les choses naturellement, sans violence ni hystérie. Un peu comme chez le Japonais Yasujirō Ozu. « J’aime mettre en place un contexte et laisser le spectateur franchir lui-même la dernière marche vers le sentiment. Ozu est maître en ce domaine, il vous laisse décider de l’émotion, avance le souriant New-Yorkais, dont l’accent légèrement traînant rappelle son Sud natal. Quand un film n’est pas agressif, il offre de la place au spectateur. Les récits extrêmes nous mettent à distance. Mais s’il y a plus de douceur, et donc plus d’espace, alors on peut entrer dans l’histoire, en la remplissant avec notre propre expérience. » Cet espace est également ménagé par les ellipses, le grain changeant de la pellicule et la composition inventive de cadres souvent fixes, tandis que les jeux de surimpressions façonnent une curieuse chronologie émotionnelle. En résulte un puzzle narratif complexe, aussi stimulant que désarmant. « C’est comme au théâtre, quand deux actions se déroulent simultanément, à plusieurs endroits de la scène ; mais, de fait, on l’expérimente au quotidien. Au cinéma, c’est souvent traduit de façon surréaliste : on entre dans
le cerveau d’un personnage qui, par exemple, voit la personne d’en face comme un animal. J’ai essayé de faire quelque chose de plus doux, en superposant les régimes de réalité psychologiques. Car je peux être là en face de vous mais penser à quelque chose d’autre en même temps, quelque chose à quoi notre conversation m’aura fait songer. Donc je serai un peu distant de vous une minute, puis je reviendrai. La mémoire active le présent. C’est comme ça qu’on apprend à connaître les gens. » Peu à peu, on entre ainsi en empathie avec tous les protagonistes. Pas de méchants ici. Chacun essaie de faire du mieux qu’il peut. Mais cette bienveillance généralisée, jamais mièvre, n’empêche pas la douleur, causée par de banales maladresses. « Chacun est responsable d’un tas de petites choses qui ont conduit à une situation terrible. Chacun est aussi responsable d’un tas de petites choses qui permettent de se sortir de là. Il n’y a pas un élément qui vient tout résoudre. Les personnages essaient de s’améliorer, ensemble. » Pour soigner la souffrance, il s’agit d’être plus attentif à l’autre. Le cinéma de Patrick Wang nous aide à ajuster notre regard, à nous remettre en cause. C’est toute son humilité, toute sa grandeur. de Patrick Wang avec Wendy Moniz, Trevor St. John… Distribution : Ed Durée : 1h43 Sortie le 26 août
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Amnesia PAR QUENTIN GROSSET
Dans Amnesia, dernier film du grand Barbet Schroeder, il est moins question d’amnésie que de refoulement. L’effacement total des souvenirs, c’est pourtant ce qu’est venue chercher Martha sur l’île d’Ibiza, que Schroeder avait déjà filmée en 1969 dans son premier long métrage sous acides,
More, mais qui s’est depuis métamorphosée en paradis de la fête. Depuis quarante ans, Martha s’est isolée ici pour tenter d’oublier qu’elle a été allemande, fuyant les horreurs commises par les nazis. Mais, peu après la chute du mur de Berlin, Jo, jeune DJ attiré par l’effervescence nocturne de l’île,
va faire ressurgir son douloureux passé. Leur relation, initialement complice et amicale, devient peu à peu ambiguë. Martha ne révèle rien de ce qu’elle a vécu, ce qui intrigue Jo qui, de plus en plus épris, veut en savoir plus… Peut-on seulement gommer ce qui, dans notre mémoire, nous a fait souffrir ? N’a-t-on pas le devoir de se rappeler ce que les nazis ont fait subir au peuple juif ? Peut-on pardonner ? C’est à ces questions que Schroeder tente de répondre dans un cadre qui, de façon paradoxale, confine à l’apaisement. Sous un soleil rasant, dans cette maison d’un blanc éclatant, le retour du refoulé est d’autant plus tonitruant. de Barbet Schroeder avec Marthe Keller, Max Riemelt… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h36 Sortie le 19 août
Ventos de agosto Par Quentin Grosset
Le projet du Brésilien Gabriel Mascaro avec Ventos de agosto, sa première fiction après plusieurs documentaires, est assez singulier. En suivant, le temps d’un été, Shirley, une adolescente qui s’occupe de sa grandmère, et Jeison, son petit ami, le cinéaste souhaitait simplement capter la force du vent. Dans cette région du Nordeste, les « vents d’août » (les « alizés ») ont un son très particulier. Le scénario, assez minimaliste, se laisse porter par cette brise et sert de prétexte à une communion avec les éléments. La caméra de Mascaro parvient à rendre palpable la chaleur qui alourdit les corps et qui, dans une douce torpeur, diffuse peu à peu une grande sensualité dans l’image. À ce titre, certains plans marquent particulièrement l’esprit : celui qui montre Shirley,
allongée sur un radeau en pleine mer, s’asperger de Coca-Cola pour se rafraîchir alors que passe de la musique punk ; ou bien celui pendant lequel, assoupie, nue et pensive, Shirley gratte le dos de Jeison, couché sur elle. Les personnages, des acteurs non professionnels trouvés dans le village
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dans lequel a tourné Mascaro, sont ainsi tous dans une sorte de relâchement, relatif au rythme languide de l’été, très cinégénique. de Gabriel Mascaro avec Dandara de Morais, Geová Manoel dos Santos… Distribution : Sokol Films Durée : 1h17 Sortie le 26 août
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Derrière le mur, la Californie Entre documentaire et fiction, le réalisateur allemand Marten Persiel se penche sur le mouvement skateboard dans la RDA des années 1980 avec ce film composite et agité, porteur d’une douce nostalgie. PAR QUENTIN GROSSET
Dans ce documentaire très punk (sur le fond comme sur la forme), le réalisateur Marten Persiel revient sur un mouvement underground dont on ne soupçonnait même pas l’existence. Comment imaginer que, dans le Berlin-Est communiste, une bande de jeunes gens, dans un esprit do it yourself, s’employait à fabriquer ses propres planches de skate à l’aide des roues de vieux patins à roulettes ? Le film ne tombe en rien dans l’ostalgie (la nostalgie de la vie quotidienne en RDA), mais célèbre le temps où le skateboard était une culture alternative pas encore gagnée par la compétition et le marketing… Dans le Berlin réunifié d’aujourd’hui, on assiste aux retrouvailles des anciens skateurs de l’Alexanderplatz, endroit alors privilégié par ceux-ci, son architecture leur
> WE ARE YOUR FRIENDS
À Hollywood, en Californie, Cole (Zac Efron) évolue dans le milieu de la nuit. Le jeune homme rêve de devenir un DJ à succès. Il trouve un mentor en la personne de James (Wes Bentley), un DJ plus âgé que lui, et tombe sous le charme de sa petite amie (Emily Ratajkowski)... de Max Joseph Distribution : StudioCanal Sortie le 26 août
permettant les figures les plus acrobatiques. Ils se réunissent après le décès du charismatique Panik, un vrai rebelle, qui était leur leader, et qui, par la suite, est devenu soldat. Figure mystérieuse, certainement fantasmée (Persiel s’autorise à prendre des distances avec la réalité), Panik incarne le renoncement à un certain idéal libertaire. Ses anciens proches s’interrogent sur son passé, tandis que le film, mêlant dans un montage furieux animations minimalistes et images d’archives en super 8, atteint des sommets de mélancolie. de Martin Piersel Documentaire Distribution : Wide Durée : 1h30 Sortie le 26 août
> ESTO ES LO QUE HAY
La journaliste française Léa Rinaldi a suivi le célèbre groupe de rap contestataire cubain Los Aldeanos de 2009 à 2015. Entre diffusion clandestine de leur musique et premières autorisations de sortie du territoire, l’ensemble forme un documentaire édifiant. de Léa Rinaldi (1h40) Distribution : JHR Films Sortie le 2 septembre
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> Insoumis
Dans les années 1960, à Montréal, le jeune Jean est tiraillé entre les cultures très différentes de ses parents : sa mère est québécoise, son père, italien. Cherchant sa propre voie, il rejoint le mouvement indépendantiste du Front de libération du Québec. de Mathieu Denis (1h59) Distribution : Océans Films Sortie le 2 septembre
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> LA VOLANTE
Les Dollars des sables PAR Q. G.
Adapté d’un roman de Jean-Noël Pancrazi, Les Dollars des sables se penche sur la relation ambiguë, filmée avec une grande densité, entre Anne, une Française d’âge mûr expatriée en République dominicaine, et Noeli, une jeune adulte autochtone qui se prostitue. D’abord simplement attirée par l’argent d’Anne, Noeli se
laisse gagner par des sentiments plus profonds… Dans ce film à l’atmosphère vaporeuse, les réalisateurs parviennent à rendre attachante cette histoire d’amour pourtant vouée à l’échec dès le départ.
Thomas (Malik Zidi) percute un piéton alors qu’il conduit sa femme à la maternité. Les années passent, mais la mère de la victime (Nathalie Baye) reste obsédée par cet homicide involontaire… Ce revenge movie baigne dans une ambiance chabrolienne. de Christophe Ali et Nicolas Bonilauri (1h30) Distribution : Bac Films Sortie le 2 septembre
d’Israel Cárdenas et Laura Amelia Guzmán avec Géraldine Chaplin, Yanet Mojica… Distribution : Tucuman Films Durée : 1h20 Sortie le 26 août
> LE TOUT NOUVEAU TESTAMENT
Pour se venger de son horrible père, Dieu (Benoît Poelvoorde), une fillette envoie des SMS indiquant leur date de décès à tous les hommes, avant de partir à la rencontre des apôtres afin de contrer la parole divine en rédigeant un nouveau Nouveau Testament. de Jaco Van Dormael (1h53) Distribution : Le Pacte Sortie le 2 septembre
Miss Hokusai Par Julien Dupuy
Après Un été avec Coo et Colorful, Keiichi Hara confirme qu’il est l’un des réalisateurs nippons les plus sensibles et atypiques de sa génération. Adaptée d’un manga à sketches, sa biographie de la fille du célèbre Hokusai surprend par sa justesse mais aussi par ses ruptures de ton. Sans jamais rien perdre de sa cohérence, Miss Hokusai passe
en effet de la chronique réaliste au conte fantastique, de la tragédie familiale à la comédie potache, pour mieux brosser le portrait de cette artiste méconnue à l’œuvre aussi riche que protéiforme. de Keiichi Hara Animation Distribution : Eurozoom Durée : 1h30 Sortie le 2 septembre
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> RICKI AND THE FLASH
Après avoir quitté sa famille pour devenir une rock star, Ricki (Meryl Streep) rentre au bercail pour épauler sa fille en plein divorce. Jonathan Demme (Philadelphia) s’est associé à la scénariste Diablo Cody (Juno) pour cette comédie familiale gentiment déjantée. de Jonathan Demme Distribution : Sony Pictures Sortie le 2 septembre
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Mediterranea L’Italo-Américain Jonas Carpignano signe un premier long métrage sur la situation des migrants africains qui arrivent en Italie. Un film social dur mais parcouru de notes d’espérance, dont la force est de ne jamais tomber dans le pathétique ou l’accablement. PAR QUENTIN GROSSET
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Né d’un père italien et d’une mère afro-américaine, Jonas Carpignano avait déjà réalisé un court métrage (A Chjàna, 2011) sur l’immigration en Italie en s’inspirant des événements qui avaient secoué Rosarno, une ville de Calabre, en 2010. Après qu’un groupe de saisonniers d’origine africaine eut essuyé des tirs de carabine à air comprimé, des émeutes avaient éclaté, qui avaient dégénéré en « chasse à l’immigré » et causé de nombreux blessés. Mediterranea prolonge ce film en s’inspirant des mêmes incidents à travers la trajectoire d’Aviya, un jeune père de famille. Le film le suit, depuis son départ du Burkina Faso jusqu’à son arrivée en Italie, en passant par l’Algérie, puis par la traversée de la Méditerranée (séquence très forte, à la mise en scène nerveuse et anxiogène, qui, forcément, rappelle les naufrages de migrants qui secouent fréquemment l’actualité). Mais Jonas Carpignano
3 QUESTIONS À JONAS CARPIGNANO Comment vous êtes-vous documenté sur ce sujet ?
J’ai eu vent des émeutes à Rosarno en 2010 en lisant les journaux. Je me suis alors rendu sur place pour collecter des informations. Finalement, puisque j’avais l’idée d’un film, j’ai passé l’été avec les migrants. C’est là que j’ai rencontré Koudous Seihon, qui interprète Aviya, et dont l’histoire a inspiré le film.
choisit de consacrer la plus grande partie du film aux rapports entre la communauté migrante et les locaux italiens, entre entraide, défiance, exploitation ou même malveillance. Cependant, le long métrage ne cède jamais au misérabilisme, préférant montrer des personnages combatifs. Quelques séquences amusantes, particulièrement celles mettant en scène des enfants (une petite Italienne qui taquine Aviya, un ado qui fume clope sur clope et négocie le prix des bibelots qu’il lui vend) viennent alléger l’ensemble en montrant, aussi, des Italiens sans préjugés ni regard accusateur sur ceux qui arrivent sur leur territoire et qui tentent juste de s’en sortir. de Jonas Carpignano avec Koudous Seihon, Alassane Sy… Distribution : Haut et Court Durée : 1h47 Sortie le 2 septembre
PROPOS RECUEILLIS PAR Q. G.
Pourquoi avoir choisi le Burkina Faso comme pays d’origine du personnage principal ?
D’abord parce que Koudous Seihon est burkinabé. Ensuite, parce que je ne voulais pas que le personnage vienne d’un pays en guerre, sinon les raisons de son départ vers l’Italie auraient été trop évidentes ; alors que là, il peut subsister un doute dans l’esprit du spectateur.
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Vous dépeignez une culture globale et mondialisée dans laquelle les migrants comme les Italiens écoutent Rihanna et communiquent via Skype ou Facebook…
Je trouve encourageant le fait que des personnes qui ne peuvent pas se parler se trouvent liées par une chanson pop que le monde entier écoute. C’est un dénominateur commun qui permet de faire tomber les frontières.
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Rolling Thunder Du début des années 1970 à la fin des années 1980, John Flynn s’est imposé, discrètement mais brillamment, comme un maître du polar et du thriller, notamment avec son incroyable Rolling Thunder, qui sort enfin dans une édition spéciale digne de cet étonnant film. PAR JULIEN DUPUY
Même si une maigre poignée de cinéphiles, Quentin Tarantino en tête, lui voue un véritable culte, le réalisateur John Flynn n’a jamais été estimé à sa juste valeur par la critique ou le grand public. Une injustice que compense une triple actualité estivale : une rétrospective à la Cinémathèque française (du 15 juillet au 2 août) ; la sortie en DVD et Blu-ray de son inventif polar Pacte avec un tueur (1988) ; mais aussi et surtout la sortie, dans une belle édition, de son meilleur film, Rolling Thunder. Exploité en France en 1977 dans un montage amputé de dix minutes et sous le titre racoleur de Légitime Violence, Rolling Thunder ressemble de prime abord à une variante de Taxi Driver (sorti en France en 1976), les deux films partageant le même scénariste, Paul Schrader. Comme dans le chef-d’œuvre de Martin Scorsese, Rolling Thunder prend pour antihéros un vétéran de la guerre du Viêt Nam (William Devane) qui importe dans le civil la sauvagerie qui l’a traumatisé au front. La comparaison avec Taxi Driver s’arrête là. Plus pulp dans son traitement (le vétéran se sert de sa main prothétique en forme de crochet pour punir les criminels), Rolling Thunder est surtout porté par l’une des
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figures narratives récurrentes de Flynn – rongé par sa soif de justice, un citoyen lambda exemplaire cède à l’exutoire vénéneux de la vengeance. Une figure héroïque ambiguë, directement héritée du western, et que Flynn retrouve dans Pacte avec un tueur, mais aussi dans ses deux films les plus connus, Haute sécurité (1989) avec Sylvester Stallone et Justice sauvage (1991) avec Steven Seagal. Bien plus extrême que les personnages de ces grosses productions, le héros de Rolling Thunder cache derrière son masque de chef de famille idéal un sociopathe aux tendances sado-maso qui ne se réalisera qu’en sombrant dans une vendetta barbare. Proposée à la fois dans son montage intégral et dans sa version française, cette édition spéciale est accompagnée d’un livre écrit par Philippe Garnier et illustré de photos et de documents d’archives rares, qui revient notamment sur la réception houleuse de ce film à sa sortie. Trente-huit ans après, force est de constater que celui-ci n’a rien perdu de son pouvoir de fascination. Rolling Thunder de John Flynn (Wild Side) Disponible
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LES SORTIES DVD
> C’EST LA VIE
> AUTOUR DU MONDE AVEC ORSON WELLES
> EAU ARGENTÉE
En 1955, Orson Welles réalise une série de reportages dans lesquels il parcourt l’Europe. Dans ces six épisodes, le réalisateur de Citizen Kane voyage notamment en France : au Pays basque, où il est initié par les habitants d’un petit village au jeu de la pelote, ou à Saint-Germain-des-Prés, où il croise Jean Cocteau et la jeune Juliette Gréco. On le voit aussi parler tauromachie avec les adeptes de corrida à Madrid. Dans ces curieux documentaires, Orson Welles se met en scène avec une certaine dérision et interroge finement les autochtones, parfois impressionnés par son imposante carrure, sur leurs coutumes. Q. G.
Depuis le petit appartement parisien où il vit en réfugié, Ossama Mohammed a réalisé un film d’une ampleur narrative et émotionnelle rare sur le conflit qui déchire son pays, la Syrie. À partir d’images tournées sur place par des milliers d’anonymes et postées sur YouTube, il conduit en voix off une émouvante réflexion, hantée par la détresse de l’exil. Le film prend une nouvelle direction lorsque Mohammed reçoit un courriel d’une jeune femme nommée Simav (« eau argentée » en kurde) qui vit dans Homs assiégée. Bijou de montage et d’écriture, Eau argentée relate aussi cette rencontre, bouleversante. J. R.
d’Orson Welles (Carlotta)
d’Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan (Potemkine)
> HUNGRY HEARTS
> CITIZENFOUR
> PASOLINI
Après La Solitude des nombres premiers (2010), le réalisateur italien Saverio Costanzo adapte un roman de son compatriote Marco Franzoso, Il Bambino indaco. Dans ce thriller psychologique, un père de famille doit faire face à l’attitude surprotectrice de sa femme, persuadée que son nouveau-né sera contaminé par le monde extérieur… Adam Driver montre ici toute l’étendue de son talent aux côtés de l’actrice Alba Rohrwacher, parfaite en mère obsessionnelle. La mise en scène de Costanzo accompagne avec brio l’étouffement de ce couple jusqu’à un final douloureux. J. M.
Fin 2012, la réalisatrice américaine Laura Poitras, connue pour son acharnement à documenter les dérives sécuritaires de l’après-11-Septembre, reçoit un courriel crypté d’un certain Citizenfour. Derrière ce pseudo se cache Edward Snowden : le lanceur d’alerte s’apprête à révéler les abus du système de surveillance orchestré par la National Security Agency (NSA), il cherche des alliés pour relayer ses informations. Caméra au poing, Poitras, accompagnée du journaliste Glenn Greenwald, rejoint Snowden à Hong Kong… Elle en a tiré Citizenfour, un film fascinant, récompensé par l’Oscar du meilleur documentaire. J. R.
Abel Ferrara suit la dernière journée de Pier Paolo Pasolini, incarné par Willem Dafoe (la ressemblance de l’acteur avec son modèle est troublante), avant qu’il ne soit assassiné à Rome une nuit de novembre 1975. Une interview avec un journaliste, quelques instants passés avec sa mère, une entrevue avec des amis qui le mettent en garde sur ses écrits provocateurs qui pourraient lui attirer des problèmes, un rendez-vous avec un jeune prostitué… Ferrara réalise le plus beau des hommages à l’un de ses cinéastes fétiches en tentant, par des échappées fantasmatiques, de saisir l’intériorité de ce grand poète du xxe siècle. Q. M.
de Paul Vecchiali (La Traverse)
La jeune Ginette (Chantal Delsaux) doit faire face au fait que son mari (Jean-Christophe Bouvet) la quitte. Dépitée mais résignée, elle appelle l’émission de radio de Rachah des Rangers, qui conseille les personnes esseulées sur les ondes de France Expert. Au téléphone, elle déroule ses problèmes sentimentaux… Réalisé dans un décor d’appartement factice au milieu d’un terrain vague de Villejuif, ce film solaire et très émouvant du grand Paul Vecchiali, tourné en très peu de plans-séquences, tire parti de son artificialité pour parler de la condition des femmes dans une ambiance rêveuse et poétique à la Jacques Demy. Q. G.
de Saverio Costanzo (Bac Films)
de Laura Poitras (Blaq Out)
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d’Abel Ferrara (Capricci)
cultures MUSIQUE
KIDS
LIVRES / BD
SÉRIES
SPECTACLES ARTS
Mac DeMarco ROCK INDÉ
Entre la poésie lunaire de Jonathan Richman et la nonchalance lo-fi du jeune Beck, le Canadien Mac DeMarco n’est pas seulement l’incarnation moderne de la coolitude indé. Il est aussi un songwriter prolifique et sensible, qui affine son écriture sur Another One, album amoureux de l’été. PAR WILFRIED PARIS
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seulement 25 ans, le très productif chanteur canadien Mac DeMarco sort le 7 août Another One, son quatrième album officiel, qu’il a enregistré seul, en trois semaines et entre deux tournées, dans sa maison isolée de Far Rockaway, dans le Queens (NYC). Ce bourreau de travail continue pourtant d’être régulièrement affublé de l’étiquette de slacker (« branleur, fainéant »), peutêtre à cause de ses cheveux sempiternellement gras, de ses sweats à capuche informes et des clopes qu’il fume perpétuellement (sa marque préférée de cigarettes, Viceroy, a été le sujet d’une de ses meilleures chansons, se concluant avec humour par une quinte de toux). Avec ses dents du bonheur, son goût certain pour les beuveries, les blagues de pets et l’exhibi-
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CONCERT Young Thug le 29 août au domaine national de Saint-Cloud p. 110
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EXPOSITION Céleste Boursier-Mougenot jusqu’au 13 septembre au Palais de Tokyo p. 122
kIDS
MUSIQUE
Le Petit Prince : le petit papier d’Élise, 6 ans et demi p. 114
L’album Poison Season est le nouveau coup de maître de Destroyer p. 112 SPECTACLES ARTS
JEUX VIDÉO
FOOD
tionnisme, il s’est construit un costume de négligence trash, un peu punk, un peu hippie, qui en fait une sorte de personnage burlesque, déconneur et juvénile – mais aussi sensible et subtil –, séduisant autant par ses chansons que par ses frasques. Il s’est ainsi fait coffrer au cours d’un concert sur un campus à Santa Barbara pendant qu’il escaladait la scène, les policiers l’ayant pris pour un étudiant. Celui qui a réussi à vendre 21 100 dollars sur eBay une vieille paire de Vans abîmées – mais agrémentées de son autographe – a vu en quatre ans et autant d’albums son audience grimper. Il joue désormais devant des milliers de spectateurs à Manhattan, et tire la langue à des millions de téléspectateurs pour le Conan Show. GARÇON DÉLICAT
S’il aime le crowd surfing et reprendre Metallica ou Weezer sur scène (en les agrémentant de « Suck my dick! »), Vernor Winfield Macbriare Smith IV (son vrai nom) est pourtant un garçon délicat, comme en témoigne son nouvel album, exclusivement composé de chansons d’amour. « Sur scène, il y a aussi des moments plus lents, avec des choses plus romantiques. Ça fait une juxtaposition intéressante : les kids qui crient, boivent des bières et sautent partout sont parfois surpris par ces chansons douces. Elles me semblent utiles, parce que les gens ne restent pas attentifs très longtemps. En créant de la confusion, on les oblige à être de nouveau plus à l’écoute. » Le bref (huit titres seulement) mais très cohérent (batteries sommaires, basses rondelettes, pompes d’orgue électrique et guitares virtuoses) Another One ressemble à une lettre d’amour, explorant en balades classic-rock rêveuses et solaires les différentes étapes du sentiment amoureux, entre teen movie musical et troubadourisme rock indé : « Ce sont des chansons qui ont une signification précise pour moi, mais j’ai essayé de ne pas être
BANDE DESSINÉE
Avec L’Arabe du futur 2, Riad Sattouf déroule son programme autobiographique p. 118 MODE
présente
« En créant de la confusion, on oblige le public à être plus à l’écoute. » trop spécifique, car les chansons d’amour sont universelles : chacun peut en faire ce qu’il veut, les ressentir intimement et différemment. J’ai tenté d’explorer tout le spectre du sentiment amoureux, de la rencontre et l’amour accidentel jusqu’à l’impossibilité de la relation, sa fin. » Ces chansons d’apprentissage évoquent autant la jalousie (« Another One ») que la maturité amoureuse dans la dépossession (« That’s fine as long as she’s happy whitout me », chante-t-il sur « Without Me »), ou simplement la sublimation des émotions en musique (sur « I’ve Been Waiting for Her »), quand un battement de cœur devient le rythme de la chanson ellemême. « Très souvent, la musique est en accord avec les paroles : si je parle de l’excitation d’une rencontre, je vais traduire ce sentiment en utilisant un rythme plus rapide. Je me suis inscrit dans cette tradition de la chanson d’amour – Elvis, les Beatles, les Kinks – qui utilise des formes – couplets, refrains – et des mots simples, compréhensibles par tous. Il me semble que personne ne comprend vraiment ce sentiment, c’est sans doute la raison pour laquelle les musiciens continuent d’écrire des chansons d’amour… » L’air de rien, Mac DeMarco ajoute son petit cœur battant au grand chœur de la chanson d’amour. Another One de Mac DeMarco (Captured Tracks/Differ-Ant) Sortie le 7 août En concert le 15 septembre à La Cigale
le PARCOURS PARISIEN du mois
FOOD IceRoll au Nüba 36, quai d’Austerlitz Paris XIIIe p. 126
EXPOSITION « L’Inca et le Conquistador » jusqu’au 20 septembre au musée du quai Branly p. 130
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EXPOSITION « My Buenos Aires » jusqu’au 20 septembre à La Maison Rouge p. 132
© rock en seine
cultures MUSIQUE
Young Thug HIP-HOP
En quelques morceaux addictifs, Young Thug a imposé son style cartoonesque pour devenir la voix la plus étrangement excitante du rap américain. Par chance, le phénomène passe à Rock en Seine. PAR ÉRIC VERNAY
À la première écoute, on se demande de quel asile d’aliénés peut bien sortir ce type – et son délire sous hélium. Puis on s’habitue au timbre timbré du rappeur d’Atlanta, jusqu’à en devenir accro. À côté de ses singles sortis en 2013 et 2014, « Stoner », « Danny Glover » et « Lifestyle», aussi bizarroïdes qu’imparables, la concurrence a d’un coup paru bien fade. Presque ringarde. Connus pour avoir le nez creux, les stars Drake et Kanye West n’ont d’ailleurs pas tardé à adouber le jeune voyou, vite désigné par la presse comme un « nouveau Lil Wayne ». À raison. Non seulement Young Thug revendique l’influence du Louisianais, mais il cultive un flow semi-chanté et défoncé à l’Auto-Tune, dans la droite lignée du tube « Lollipop » de Weezy (l’un des surnoms de Lil Wayne). Et puis lui aussi arbore un look que l’on pourrait qualifier de glam-rap : tresses peroxydées, jeans slims, tatouages faciaux, piercing nasal, et surtout sapes plutôt inhabituelles dans le milieu hip-hop, comme un poncho ou… une robe. « J’te jure, rappe le gangsta-dandy sur « Halftime », chaque fois que je
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m’habille, ça devient putain de viral. » Alors, imaginez l’événement quand il se dessape complètement, comme sur la pochette de Barter 6, son fantastique dernier opus. Un projet d’autant plus provocant qu’il devait au départ s’intituler Tha Carter 6, en référence à la célèbre série d’albums de Lil Wayne, qui n’a toujours pas sorti le volume 5 : façon ambiguë de rendre hommage à son idole – pour tuer symboliquement le père, on ne s’y serait pas pris autrement. Menacé de poursuites judiciaires par Lil Wayne, Young Thug a donc dû travestir son titre. Mais le mojo est désormais de son côté, comme l’est aussi Birdman, l’ex-mentor de Weezy, qui rappe ici sur deux morceaux. Sans tube évident, Barter 6 s’avère complexe, long en bouche. Les beats minimalistes permettent au MC et crooner de 22 ans de sculpter l’espace et de laisser libre cours à ses vocalises en grand huit, dignes d’un scat d’Ella Fitzgerald. De la haute voltige. Barter 6 de Young Thug (300 Entertainment/WEA) En concert le 29 août à Rock en Seine
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sélection
R.I.P.R.O Vol. 1
L’ORGASMIXTAPE 2
de Lacrim
d’Alkpote
Actuellement en cavale, le rappeur qui a explosé les compteurs, l’an dernier, en vendant cent mille unités de son album Corleone enchaîne avec un nouveau projet. Plus tenu et cohérent que son opus précédent, dopé aux sons menaçants de la trap U.S., celui-ci est entièrement produit par DJ Kore. Un écrin idéal pour le flow rauque, gangsta et mélancolique de Lacrim, qui a su s’entourer (Nessbeal, Gradur…). Une bonne surprise. É. V.
« Mon poussin, j’en roule un / J’me prends pour Jean Moulin. » C’est déjà le grand retour d’Alkpote, en dix-sept morceaux de rap hardcore. Toujours allergique au bon goût et accroc au name dropping improbable, le rappeur du 91 fait rimer « lourd pilon » et Lou Doillon avec son humour habituel, à prendre au dixième degré. Jouissif et indispensable, au milieu des ersatz de rap U.S. qui pullulent dans l’Hexagone. É. V.
(Def Jam/Universal)
MAGNIFIQUE
(Neochrome/Musicast)
DEPRESSION CHERRY
de Ratatat
de Beach House
Avec son nom qui sonne comme une rafale de mitraillette, ce duo est l’une de ces rares attractions qui met tout le monde d’accord, rocker ou raver, branché ou plouc, joyeux ou mélancolique. Ou comment une idée toute simple – faire sonner les guitares comme des synthés – a donné naissance à une esthétique fédératrice, déclinée sur des disques qui s’ils se ressemblent tous n’en provoquent pas moins l’addiction. Comme ce Magnifique, qui gagne en densité tout en procurant sa dose de riffs juteux et de rythmes musclés. M. P.
Retour attendu d’un duo américain qui, en choisissant de ne ressembler qu’à lui-même, quitte à se répéter, a conquis l’oreille des jeunes gens sensibles aux quatre coins du globe. Après avoir poli les angles de leur dream-pop avec succès, Victoria Legrand et Alex Scally font maintenant machine arrière en ravivant le souvenir de leurs débuts lo-fi sur des ritournelles éthérées qui cherchent peu à nous réconforter. Leur Depression Cherry a le goût des larmes : moins sucré que salé. M. P.
(Because Music)
(Bella Union/[PIAS])
cultures MUSIQUE
© fabiola carranza
agenda PAR ETAÏNN ZWER
pOP
Destroyer PAR MICHAËL PATIN
Quand il s’agit de discuter la place du saxophone dans la pop, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ne veulent pas en entendre parler, assimilant l’instrument aux branlettes intello du rock progressif ou aux solos vulgaires de la variété ; et ceux qui, tombés dans la potion magique de Morphine ou de Gallon Drunk, voudraient voir le jouet de Coltrane célébré partout comme agent de beauté, de chaos et d’innovation. Le Canadien Daniel Bejar est l’un des piliers de ce second groupe, lui qui, après quinze ans de recherches azimutées au cours desquelles le bon grain côtoyait l’ivraie, a signé son chef-d’œuvre (Kaputt, 2011) en plantant le saxo au cœur de sa pop lyrique et libérée. Il remet ça avec ce Poison Season et en profite même pour inviter un quintet à cordes, comme pour mieux semer le trouble dans le genre. Si l’écriture oscille toujours entre le classicisme américain de Bruce Springsteen et l’élégance britannique d’Aztec Camera, les moyens engagés mènent vers une zone intermédiaire où le jazz et la musique de chambre seraient naturellement fertiles à l’éclosion du frisson pop. On ne peut que saluer la force tranquille qui habite Bejar sur ces treize titres, installant sereinement sa voix de charmeur décalé sur des arrangements sophistiqués et développant des chansons dont la limpidité finale est source de joie et de stupéfaction. À la fois intello et bourré de solos, Poison Season ne fait donc pas dans l’onanisme pour initiés ni dans le racolage pour tous. Ce nouveau coup de maître de Destroyer est la preuve que dans la musique pop, tout est encore à (re)construire. Poison Season de Destroyer (Dead Oceans/[PIAS]) Sortie le 28 août
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LE 16 JUILLET
DU 3 AU 13 SEPT.
COCOROSIE Psyché-folk, electro lo-fi, pop ovni : depuis La Maison de mon rêve (2004), l’étrange et désarmant bricolage sonore des sœurs Casady enchante. Elles dévoileront leur sixième album (à sortir cet automne) lors de ce curieux Clownwidows, un show circassien onirique et clownesque, au secret bien gardé. au Cabaret Sauvage
JAZZ À LA VILLETTE Mos Def, Robert Glasper et Tony Allen pour une jam électrique, les très old school Jurassic 5, deux hommages à Nina Simone et au génial William Onyeabor, Ballaké Sissoko & Vincent Segal, Archie Shepp et l’as de la blaxploitation Melvin Van Peebles… « Jazz is not dead », cette sublime 11e édition le prouve. à la Villette
LES 24 ET 25 AOÛT
JUSQU’AU 18 SEPT.
GONE WITH THE WEED Le label le plus cool de France fait son décrassage de rentrée en furieuse compagnie : fête garage-pop-punk avec le duo du Wisconsin The Hussy et les Frenchies Walburga en premier round, talonnés par les Canadiens Dead Ghosts et Police Control (made in Marseille). Frisbees et doigts d’honneur de rigueur. à l’Espace B
TRE1ZE Miss Kittin, Acid Arab, Fakear & Superpoze, DJ Pone, Surkin et La Femme, Yuksek et son label Party Fine, Isaac Delusion, Erol Alkan, Ivan Smagghe, Para One, Étienne de Crécy, l’as de l’acid-jazz Gilles Peterson : cet été, La Rafinerie et Free Your Funk bichonnent vos vendredis. Get lucky. au Concorde Atlantique
du 28 au 30 AOÛT
JUSQU’AU 20 SEPT.
ROCK EN SEINE Pour sa 13e édition, attrayante, le festival acoquine Jamie XX, Alt-J, Hot Chip, Jungle, Son Lux, FFS, Tame Impala, Interpol, Boys Noize & Mr Oizo et s’offre une jolie touche française avec Étienne Daho, Miossec, Jeanne Added, La Mverte (synthwave léchée) et Iñigo Montoya… Joie. au domaine national de Saint-Cloud
GARDEN PARIS – OPEN AIR Une oasis de 2 000 m2 ? Un excitant line-up techno, funk ou disco ? Tous les dimanches ? C’est LE spot de l’été. Au turbin : la team Beat X Changer, le label Craki et leurs invités d’Antinote (Zaltan, Panoptique, Nico Motte), Matias Aguayo et sa house tribale, Pépé del Noche… Love is in the open air. au Garden Paris
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cultures KIDS
CINÉMA
© paramount pictures
Le Petit Prince
Élise, qui vient tout juste d’apprendre à lire, était en pleine lecture du Petit Prince lorsqu’on l’a emmenée voir le film de Mark Osborne. Le timing était donc idéal pour que notre jeune critique cogite sur cette adaptation très libre du roman d’Antoine de Saint-Exupéry. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY
Le petit papier d’ Élise, 6 ans et demi « Ce que j’aime dans ce film, c’est qu’il raconte deux histoires en même temps. Il y a d’abord l’histoire d’une petite fille : sa maman veut qu’elle travaille tout le temps, pour devenir une super-adulte. C’est mal, parce que la vie des enfants, ça consiste surtout à s’amuser. Mais comme la petite fille devient amie avec un vieux pépé, elle ne fait pas son travail, et sa maman se fâche. Et puis il y a l’histoire du Petit Prince, qui vivait sur la planète B 612 et enlevait les baobabs pour laisser vivre la rose dont il était amoureux. Mais, et d’une, il était trop jeune pour la rose ; et, de deux, il était humain, donc il ne pouvait pas aimer une fleur. Alors, il est parti avec des oiseaux sur la Terre… La mieux, c’est l’histoire du Petit Prince,
qui est faite avec des sortes d’origamis. Le Petit Prince rencontre des animaux, par exemple un renard qui lui dit : “L’essentiel est invisible pour les yeux.” Ça veut dire que l’on ne sait pas ce que l’on va vivre. Il y a aussi un méchant, qui détruit les étoiles. Mais on a besoin des étoiles : déjà, ça aide les animaux nocturnes à voir. Ensuite, ça dit à la lune quand se lever. Et enfin, ça décore le ciel. Je crois que le film nous dit en fait que les enfants sont remplis de magie, sans s’en rendre compte. » Le Petit Prince de Mark Osborne Animation Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h48 Sortie le 29 juillet Dès 6 ans
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l’avis du grand Moins adaptation que variation autour du chef-d’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry, cette version du Petit Prince morcelle le récit originel pour l’éparpiller au sein d’une intrigue contemporaine. Un mécanisme narratif qui met en exergue les ponts entre le conte de l’aviateur et les problématiques des enfants d’aujourd’hui, entre l’absence des parents accaparés par leur travail et la pression sociale sur la réussite scolaire. Une rationalisation du Petit Prince qui vaut en grande partie pour son parti pris graphique fort : le film de Mark Osborne (Kung Fu Panda) mêle images de synthèse, dessin animé traditionnel, et surtout animation en volume, pour les sections directement tirées du livre, avec des personnages qui semblent taillés dans du papier de soie. J. D.
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cultures LIVRES / BD
L’été sera Coe
© catherine helie / gallimard
ROMAN
En quête de livres de poche à glisser dans la valise ? Faites le plein de Jonathan Coe ! Bel été, bonnes lectures. PAR BERNARD QUIRINY
Jonathan Coe a le chic pour emporter son lecteur en quelques pages et lui donner le sentiment de pénétrer dans un monde familier. L’effet de son style, peutêtre, mélange de décontraction et de haute précision ? Il y a quelques années, il nous entraînait dans l’Angleterre des seventies sur les traces de ses années lycée (Bienvenue au club) ; roman devenu saga avec le second tome, sur le thatchérisme des années 1980 (Le Cercle fermé). Si vous n’avez jamais lu ce diptyque, qui reste son œuvre la plus ambitieuse, profitez de sa réédition sous le titre Les Enfants de Longbridge. Vous préférez les formats plus courts, et réviser l’anglais à la plage ne vous fait pas peur ? Emportez aussi 9e et 13e/9th and 13th, version bilingue de Désaccords imparfaits, recueil de quatre nouvelles mélancoliques, genre inusité chez lui. Mais surtout, ne ratez pas son dernier roman, Expo 58, ne serait-ce que pour son parfum des années 1950 – la guerre froide, l’optimisme du progrès technique. L’intrigue se déroule à Bruxelles, pendant l’Exposition universelle de 1958 (celle de l’Atomium). Thomas Foley, fringant
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fonctionnaire du gouvernement du Royaume-Uni, est chargé de veiller au bon fonctionnement du pavillon britannique. Évidemment, rien ne se passe comme prévu, ni côté professionnel ni côté intime… Avec sa maestria habituelle, Coe multiplie les parallèles subtils entre le général et le particulier, la vie mondaine de Thomas en Belgique et sa vie conjugale à Londres, la nostalgie du passé et la fascination pour l’avenir. Son ton doux-amer et son flegme humoristique font mouche dans les meilleures scènes, notamment quand Thomas part dans la campagne belge sur les traces de sa famille maternelle, émigrée outre-Manche en 1914… Même la chute, qui dans La Vie très privée de Mr Sim ou dans Le Cercle fermé paraissait un ton en dessous, est ici magnifique, avec une vertigineuse fuite dans le temps. Un été avec Coe, le plus attachant des écrivains britanniques aujourd’hui ? On signe, sans hésiter. Les Enfants de Longbridge (traduit de l’anglais par Jamila & Serge Chauvin), Expo 58 et 9e et 13e/9th and 13th (traduits de l’anglais par Josée Kamoun), trois livres de Jonathan Coe (Folio)
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sélection PAR B. Q.
MILLE EXCUSES
DÉLIVRANCE
de Jonathan Dee
de James Dickey
Séparée de son mari infidèle, Helen s’installe à New York comme consultante en communication. Très vite, elle fait des étincelles. Son créneau ? La communication de crise. Sa méthode ? La contrition. Le nouveau roman de Jonathan Dee (Les Privilèges, La Fabrique des illusions) mêle satire sociale (le règne des communicants) et odyssée intime, avec une ironie subtile et beaucoup de savoir-faire.
« Tu seras plus en danger sur la quatre voies pour rentrer chez toi ce soir que tu le seras jamais sur la rivière », dit Lewis, l’un des quatre amateurs partis à l’assaut de la Cahulawassee, avec deux canoës et des packs de bière… Tout le monde connaît le film de John Boorman, mais il faut lire le roman qui l’a inspiré, d’autant que la traduction de Jacques Mailhos rend justice à la richesse du style de Dickey. Lequel apparaît dans le film, dans le rôle du shérif.
(10/18)
(Gallmeister)
ÉLÉMENTS INCONTRÔLÉS
L’ASSASSINAT DE LA RUE SAINT-ROCH
(Le Livre de Poche)
(Mille et une nuits)
de Stéphane Osmont Après une trilogie pataude sur la finance mondialisée, Stéphane Osmont plonge dans l’ambiance électrique du gauchisme des années 1970 en suivant la trajectoire d’un lycéen engagé. Tableau des chapelles de l’ultragauche et des mœurs des jeunes trotskistes, critique de l’aveuglement du révolutionnarisme, satire de la reconversion des jeunes enragés au PS… une réussite, qui remet toute une époque en scène.
d’Alexandre Dumas Un inédit de Dumas ? Eh oui ! Retrouvé en 2013 dans les archives de L’Indipendente, quotidien fondé par Dumas à Naples, ce récit s’inspire de Double assassinat dans la rue Morgue, la nouvelle d’Edgar A. Poe. À moins que ce ne soit Poe qui ait chipé l’idée à Dumas, après leur rencontre à Paris en 1832 ? Jocelyn Fiorina explore la piste, dans une passionnante postface. Indispensable aux dumaphiles et aux amateurs d’histoire littéraire.
cultures LIVRES / BD
BANDE DESSINÉE
L’Arabe du futur 2
sélection PAR S. B.
© allary editions
PAR STÉPHANE BEAUJEAN
LA FILLE DE LA PLAGE 2
INTÉGRALE MODESTE ET POMPON
(Éditions IMHO)
(Le Lombard)
d’Inio Asano
Après un premier volume paru l’an dernier, Riad Sattouf déroule le programme autobiographique annoncé : jeunesse en Syrie, désillusion familiale et pression religieuse. Pas de surprises, mais beaucoup de malaise et de tendresse, à travers le regard lucide d’un enfant. Au-delà de leur succès public hors norme, L’Arabe du futur et Persepolis (de Marjane Satrapi, 2000-2003) ont beaucoup en commun – le portrait d’une jeunesse moyen-orientale écartelée entre deux cultures, une relation complexe à la religion musulmane et une scolarité violente, notamment. Mais la similitude la plus frappante, c’est la manière dont la confession d’un enfant éclaire les orientations esthétiques de l’artiste devenu grand. Chez Satrapi, le dessin fusionne deux cultures de l’image, les miniatures persanes et le langage de la bande dessinée franco-belge, pour inventer une esthétique personnelle. Chez Sattouf, le récit de l’enfance permet de comprendre comment s’est développée chez lui cette manière si particulière d’observer les êtres et le monde. Il suffit de compter les lézardes qui émaillent les murs des somptueuses villas pour mesurer combien cet artiste focalise sur les faux- semblants. Son dessin superpose le monde tel qu’il voudrait paraître et le monde tel qu’il le voit, avec ses failles et ses travers. Cette manière très personnelle et très drôle de dénoncer la tartufferie de l’humanité trouve ses origines dans les désillusions d’un enfant incapable de dire à son père combien il se ment à luimême, à propos de sa situation comme de la supposée grandeur de la Syrie. De l’intimité du sujet découle une mise en scène bien moins transgressive que de coutume. Et la gêne, qui se fait toujours sentir derrière le rire chez Sattouf, est, à cause de la nature de la relation père/enfant, éprouvée beaucoup plus franchement. Une écriture toujours aussi maîtrisée, mais plus touchante que drôle, cette fois. L’Arabe du futur 2 de Riad Sattouf (Allary Éditions)
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Avec ce deuxième tome, Inio Asano signe sa plus grande œuvre à ce jour. Tel un Larry Clark japonais, il dépeint la complexité et la violence sous-jacentes des rapports qu’entretiennent deux adolescents suffoquants de solitude dans une petite ville de bord de mer. La mise en scène d’une sexualité déséquilibrée, passionnelle pour le garçon, mortifère pour la fille, distille un désenchantement très pesant.
SILVIA REGINA
de Franquin
Si ce n’est pas le grand œuvre de Franquin (Spirou et Fantasio, Gaston), Modeste et Pompon déploie en tout cas avec beaucoup d’élégance le goût de l’auteur pour le design. Les promesses de progrès technologique et social sont au cœur de ce portrait souvent drôle d’une Belgique écartelée entre la modernité encore balbutiante et le conservatisme colonial d’avant-guerre. À noter, l’édition élégante et riche en suppléments.
FRANKY (ET NICOLE)
de Matti Hagelberg
Collectif
Dernier volume d’une trilogie commencée il y a bientôt treize ans, Sylvia Regina est l’occasion inespérée de découvrir l’impressionnant travail de gravure sur bois de Matti Hagelberg. Sorte de lointain Gotlib avant-gardiste, il mélange les références mythologiques et historiques propres à la culture finlandaise avec des éléments autobiographiques pour créer des nouvelles aussi absurdes que poétiques. Génial.
Chaque été, la revue Franky revient avec trois cents pages de bande dessinée à dévorer sur la plage pour le prix dérisoire de 14,5 €. Résolument expérimental, international, le plus souvent drôle, voire clairement vulgaire, ce laboratoire se veut à l’image de sa maison d’édition, les Requins Marteaux. Une mention spéciale aux nouvelles du Finlandais Marko Turunen et de l’australien HTML Flowers.
(L’Association)
(Les Requins Marteaux)
cultures SÉRIES
TOUR D’HORIZON
Un été de blockbusters Les studios de cinéma ne sont plus les seuls à saturer leur planning estival de superproductions portées par des stars bankables. En jouant sur le même terrain, les chaînes cablées américaines cherchent elles aussi à créer l’événement. PAR GUILLAUME REGOURD
LE CAMÉO
© hbo
© samir hussein / wireimage
JON BERNTHAL DANS DAREDEVIL
Colin Farrell dans la saison 2 de True Detective
Chez Warner ou Universal, cela ne les fait plus tellement rire quand on leur dit que HBO ou AMC leur feront bientôt de l’ombre. Ce qui pouvait passer pour une boutade à l’époque où, l’été venu, les chaînes du câble se contentaient de développer des projets impossibles à monter au cinéma relève aujourd’hui de l’évidence : celles-ci n’ont plus de complexes à employer les mêmes méthodes que les studios hollywoodiens. Désormais, HBO et consorts misent sur le grand spectacle et les sensations fortes. True Blood est passé par là, et vampires et zombies sont mis à contribution pour faire de l’audience, de The Strain sur FX au spin-off
de The Walking Dead sur AMC. Et si les séries d’auteur sont toujours bien présentes, elles misent aujourd’hui sur des castings prestigieux, n’hésitant plus à voler ses vedettes au cinéma. Dans la foulée de Colin Farrell et Rachel McAdams débauchés après Matthew McConaughey par True Detective (HBO), plusieurs stars du grand écran se délocalisent à la télé cet été : Dwayne Johnson porte la comédie sportive Ballers (HBO), Bradley Cooper emmène la distribution de Wet Hot American Summer (Netflix) et Oscar Isaac joue chez David Simon dans Show Me a Hero (HBO). Du lourd au box-office.
© channel 4 television corporation ; bbc ; fox
sélection
JOURNAL D’UNE ADO HORS NORME Sous ce titre lourdingue se cache une très jolie série, adaptée du best-seller autobiographique de Rae Earl, ado obèse perturbée. Foin de pathos ici : l’héroïne raconte comment, à sa sortie d’hôpital psychiatrique en 1996, ses amis l’aidèrent à relever la tête. Une série teen drôle et hyper positive. Sur France 4
La première incursion de Netflix dans l’univers des comics avec Daredevil, le justicier aveugle de Marvel, fut une bonne surprise. Sombre et brutale, la série a prouvé que les super-héros ne se résumaient pas aux proprets Avengers. Tout est en place pour convoquer en saison 2 des figures attendues par les fans : avant de connaître les interprètes d’Elektra ou du méchant Bullseye (Jason Statham a décliné), on sait que Jon Bernthal, le Shane de The Walking Dead, apparaîtra en Punisher. Vous avez demandé du sombre et du brutal ? G. R.
PAR G. R.
HAPPY VALLEY Dans une petite ville du Yorkshire, l’inspecteur Catherine Cawood piste le violeur de sa fille, fraîchement sorti de prison… Moins stylisée que Broadchurch, plus sèche et nerveuse, Happy Valley est une bonne occasion de découvrir la comédienne Sarah Lancashire. Sur Canal+, fin août
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WAYWARD PINES Première série pour M. Night Shyamalan, qui tente d’emblée de se mesurer au monument Twin Peaks. Le casting est impressionnant (Matt Dillon, Carla Gugino, Toby Jones), mais Wayward Pines ne propose rien que n’ait déjà exploré Lost. Les disparus ou Shyamalan lui-même dans Le Village. Sur Canal+, fin août
© expander film
cultures SPECTACLES
Remote Berlin (2013)
Remote Paris THÉÂTRE
Créé par le Berlinois Stefan Kaegi, Remote Paris prend la forme d’un parcours audioguidé dans la ville pour interroger notre soumission volontaire aux machines. PAR ÈVE BEAUVALLET
Dans une récente pub pour une voiture, la voix masculine d’un GPS détraqué entraînait le conducteur au milieu d’un lac. Ça, c’est pour la version surréaliste et mignonnette. Pour l’option plus politique, inquiétante et collective, on optera pour l’étrange expérience déambulatoire de Stefan Kaegi programmée cette année au festival Paris quartier d’été. Remote Paris, comme avant lui Remote Berlin, Remote Avignon ou Remote Le Havre, propose à une cinquantaine de personnes de parcourir la ville munies d’un audioguide intelligent. La voix qui dirige leurs pas s’appelle Margot, puis Bruno. En quelques dizaines de minutes, elle passe du féminin au masculin, mais aussi du vouvoiement au tutoiement, de la bienveillance au cynisme. Il s’agit d’une voix créée à partir de 2 500 syllabes. « J’ai l’air un peu artificielle, s’excusait-elle dans la version avignonnaise. Je suis désolée. Je ne fais que fonctionner. » Elle fonctionne même trop bien, rejouant en deux heures et dans un format original les grands motifs de l’asservissement de l’homme aux machines. Suivant les injonctions
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de Margot, on manifeste dans la rue, on fait des bras d’honneur aux passants, on danse sur les places publiques. On s’interroge sur l’amour devant une boutique de mariage, sur la mort et la survivance des souvenirs dans un cimetière municipal, sur la maladie en observant le visage des autres participants, sur le mimétisme et le poids du collectif en choisissant de suivre ou non le groupe (appelé la horde) et de collaborer pour trouver les portes de sorties d’un parking souterrain. Certains spectateurs y ont vu des poncifs sur le devenir technologique de l’humanité. Laissons-les pinailler sur les quelques facilités du discours. Reste que le format de cette œuvre (une balade existentielle et ludique, donc), son scénario d’anticipation, plonge le participant dans un horslieu troublant qui lui est rarement donné d’arpenter : celui d’un Paris parallèle qui ne s’appréhende plus uniquement sur un mode fonctionnel. Remote Paris de Stefan Kaegi (collectif Rimini Protokoll) du 16 juillet au 8 août (festival Paris quartier d’été)
été 2015
agenda PAR È. B.
NATALIE DESSAY Pour la première fois, la plus célèbre des coloratures françaises ne montera pas sur scène pour chanter. Sous la direction de Jacques Vincey, elle interprétera Und, le monologue que le dramaturge britannique Howard Barker a écrit sur le thème de l’attente.
à l’Athénée – Théâtre Louis-Jouvet (festival Paris quartier d’été)
DU 22 AU 27 JUILLET
YOANN BOURGEOIS Un cirque épuré, élémentaire, à rebours de la surenchère d’effets spectaculaires, c’est ce que le danseur et acrobate Yoann Bourgeois cherche à développer dans des pièces élégantes et très applaudies, à lire comme de petits traités de physique.
Leaving room, du 22 au 25 juillet au Carreau du Temple / Cavale, les 26 et 27 juillet sur le parvis du Sacré-Cœur (festival Paris quartier d’été)
© reinout hiel
DU 23 AU 26 JUILLET
PIETER AMPE Avec ses délires burlesques et sa barbe de bûcheron/hipster, le jeune Belge Pieter Ampe invente des
chorégraphies gaguesques que les grandes scènes internationales ne manquent pas de remarquer. Son nouveau quatuor, A Coming Community, est placé sous le patronage de Brassens. « Dès qu’on est plus de quatre, on est une bande de cons. »
au Carreau du Temple (festival Paris quartier d’été)
JUSQU’AU 1 ER AOÛT
LES ÉTÉS DE LA DANSE Vingt-sept représentations, des best-of, des nouvelles créations… Le Théâtre du Châtelet voue un véritable culte à Alvin Ailey, sorte de Béjart afro-américain, célèbre pour ses ballets à la virtuosité kitschouille. À l’occasion de ce festival, les danseurs de sa compagnie croiseront ceux des chorégraphes Ohad Naharin et Bill T. Jones. au Théâtre du Châtelet
JUSQU’AU 2 AOÛT
© alejandro guerrero
© simon fowler
DU 21 AU 24 JUILLET
ALEXIS MICHALIK Créé en 2011 par Alexis Michalik, le petit protégé de Dominique Besnehard, Le Porteur d’histoire est devenu depuis un miniphénomène, en partie parce que la pièce bénéficie d’une durée de vie anormalement longue pour une création à la structure aussi originale. Succès vraiment mérité.
au Studio des Champs-Élysées
cultures ARTS
agenda PAR ANNE-LOU VICENTE
© laurent lecat
EXPOSITION
Aquaalta PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY
jusqu’au 13 septembre au Palais de Tokyo
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été 2015
au Bal
JUSQU’AU 31 AOÛT
MARK LEWIS « Invention au Louvre » rassemble quatre films de Mark Lewis – dont trois nouveaux, conçus à partir des collections du musée. L’artiste canadien réactive une tradition ancienne de la littérature artistique visant à imaginer le mouvement de certaines peintures et sculptures par divers subterfuges et poursuit son exploration de la perception optique, avant-garde de la technique cinématographique. au musée du Louvre
courtesy patrick neu © adagp – photo andré morin
Le Palais de Tokyo sous les eaux ? Ceci n’est pas un rêve. Avec Aquaalta, qui emprunte son nom au phénomène annuel d’inondation partielle de la Cité des Doges, le plasticien français Céleste Boursier-Mougenot, représentant de la France à la dernière biennale de Venise, signe l’une de ses plus fortes et plus monumentales installations. Pour parcourir l’exposition, deux options s’offrent aux visiteurs. Certains emprunteront les sentiers battus du musée, d’autres sauteront dans une barque à fond plat pour naviguer sur les 1 500 m3 d’eau déversés dans le Palais de Tokyo. Dans cette rivière souterraine, univers parallèle plongé dans l’obscurité, un bruit de basse résonne en continu, « un son physique qui prend aux tripes », commente la commissaire, Daria de Beauvais. Impressionnant théâtre d’ombres et de projections, le décor emprunte ses références à la mythologie grecque, aux films de zombies, aux gravures du Styx de Gustave Doré, ou bien encore à La Nuit du chasseur de Charles Laughton. « Il y a dans le film une scène angoissante d’abord, puis onirique. Les enfants s’enfuient en barque et voient sur la berge des animaux de toutes sortes déambuler dans une nature fantastique et poétique », détaille Beauvais. Idée magique, pour couronner le tout : sur les murs défilent nos ombres. Filmé en permanence, le visiteur devient alors un acteur, en temps réel. À la fin de cette exposition labyrinthique, fantomatique et en grande partie initiatique, le corps aura besoin de repos. Il s’échouera alors sur une île métaphorique dont les roches sont elles bien réelles. Une sorte d’odyssée revisitée et transposée dans notre temps contemporain, un mirage aux effets puissants qui nous hantera longtemps.
JUSQU’AU 13 SEPT.
Vue de l’exposition PATRICK NEU Adepte des matériaux non conventionnels – cristal, cire, ailes d’insectes, mues de serpents, noir de fumée, cendre, etc. –, l’artiste français Patrick Neu
détourne des techniques traditionnelles afin de créer des œuvres qui allient fragilité et force et interrogent le temps, l’éphémère et l’instabilité des choses comme des êtres. au Palais de Tokyo
JUSQU’AU 20 SEPT.
Alice Anderson, Lighting tracks, 2015 ALICE ANDERSON L’artiste britannique enregistre le présent en réalisant des performances de « tissage » d’objets avec du fil de cuivre. Pour son exposition « Data Space », elle est partie de certains éléments intrinsèques à l’architecture du lieu, qu’elle donne ainsi à (re)voir sous un nouveau jour scintillant, tout en révélant les étapes de ce processus de captation et de transformation.
à l’Espace culturel Louis Vuitton
JUSQU’AU 13 DÉC.
APARTÉS Pour sa troisième édition, « Apartés » invite les artistes Isabelle Cornaro, Alain Della Negra & Kaori Kinoshita et Gyan Panchal à faire dialoguer une de leurs œuvres récemment acquise par le musée avec d’autres œuvres sélectionnées par eux dans le fonds de l’institution parisienne. Trois approches qui offrent des points de vue inédits sur l’art et son histoire.
au musée d’Art moderne de la Ville de Paris
© pauline guyon / louis vuitton
JUSQU’AU 30 AOÛT
IMAGES À CHARGE Exposition sans œuvre ni artiste, « Images à charge » se penche sur onze études de cas dans lesquelles l’image est utilisée comme preuve de crime ou de violences (prise de vue métrique de scènes de crimes, reconstitution d’une attaque de drone…). Si « voir, c’est croire », le pouvoir de conviction de l’image a pourtant souvent été contesté, y compris dans le champ légal.
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cultures JEUX VIDÉO
TIR EN VUE OBJECTIVE
Splatoon
Et si l’on troquait pour une fois les balles réelles contre des billes de peinture, ça donnerait quoi ? Splatoon est une expérience multijoueur d’un nouveau genre qui s’impose comme le jeu le plus fun de l’été. PAR YANN FRANÇOIS
L’EXPÉRIENCE DU MOIS SUNSET
© nintendo
(Tale of Tales/PC, Mac)
Lâchées dans une arène recelant de multiples pièges, deux équipes de quatre joueurs s’affrontent au paintball. Pour l’emporter, il ne suffit pas d’éliminer l’adversaire, il faut marquer son territoire. Au bout de trois minutes, c’est l’équipe qui aura peinturluré la plus grande surface qui gagnera. Pour y parvenir, tout est possible : en plus d’un large panel d’armes (arroseurs de tous calibres, rouleaux géants, etc.), les avatars peuvent se changer instantanément en calamar pour se mouvoir plus vite sur les surfaces recouvertes de peinture ou se fondre dans le décor, tel un caméléon, et prendre ainsi l’ennemi à revers. Avec ses fulgurances de couleurs, Splatoon
est d’abord un spectacle visuel délirant qui transforme chaque champ de bataille en tableau pop aux éclaboussures dignes d’un dripping de Pollock. Mais à mesure que l’on se prend au jeu, Splatoon révèle un beau potentiel compétitif – cohésion et stratégie collective y sont indispensables pour espérer décrocher la victoire. Cerise sur le gâteau, le jeu a promis de se renouveler chaque semaine en offrant de nouvelles armes et de nouveaux niveaux à ses joueurs fidèles. Une garantie de longévité qui s’avère déjà payante : à peine lancé, Splatoon fait un carton mérité sur Wii U. Splatoon (Nintendo/Wii U)
3 perles pour l’été YOSHI WOOLY’S WORLD
(Nintendo/Wii U)
À défaut de changer de concept, la licence Yoshi fait, littéralement, peau neuve. Devenu poupée de laine, le dinosaure évolue cette fois dans un monde de fils et de tissus. Si le jeu s’en tient à ce qu’il fait de mieux – de la plate-forme, simple et efficace –, ce nouvel opus se démarque surtout par la splendeur de ses graphismes artisanaux.
PUZZLE & DRAGONS Z + PUZZLE & DRAGONS: SUPER MARIO BROS. EDITION (Nintendo/3DS)
S’il fallait n’emporter qu’un seul jeu vidéo en vacances, ce serait celui-là. D’abord parce que Puzzle & Dragon… combine brillamment match-three et jeu de rôle. Mais aussi parce qu’il se décline en deux univers, dont une incursion chez Super Mario qui se révèle aussi fun que chronophage.
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Chaque semaine, une femme de ménage se rend dans l’appartement d’un haut fonctionnaire. Chaque semaine, elle y effectue une série de tâches différentes. Dehors, la clameur révolutionnaire gronde, prête à renverser le régime répressif et corrompu en place. À force de fouiller les lieux, l’héroïne rentre peu à peu dans l’intimité de son employeur, qu’elle ne voit jamais, et découvre les sombres secrets politiques auxquels celui-ci est mêlé. Abstrait et sensuel, Sunset réussit un défi étonnant : lier expérience du quotidien et histoire avec un grand H. Y. F.
Par Y. F.
HEROES OF THE STORM
(Blizzard Entertainement/PC, Mac)
Heroes of the Storm réussit un pari complètement fou : réunir tous les héros des licences cultes de Blizzard (World of Warcraft, Diablo, Starcraft…) dans un seul et même jeu de guerre. Huit joueurs s’affrontent dans des batailles rangées pour conquérir des territoires. Sportif et épique, Heroes of the Storm est un modèle d’efficacité multijoueur.
4 jeux indés par Y. F.
INVISIBLE, INC.
(Klei Entertainment/ PC, PS4, Mac)
Spécialisée dans le piratage informatique de haute volée, la société Invisible, Inc. missionne ses agents sur tout le globe pour espionner la concurrence. Dans des bâtiments adverses quadrillés par une armada de gardes et de drones de surveillance, le joueur doit déplacer ses troupes au tour par tour, pirater les systèmes informatiques et ramasser tous les butins sans se faire repérer. Invisible Inc. est un classique instantané pour tout amateur de tactique exigeante.
NOT A HERO
(Roll7/PC)
Dans une Angleterre uchronique, un lapin violet débarqué du futur se présente aux élections municipales. Mais il n’a que vingt jours devant lui. Solution : multiplier les coups de com, comme envoyer un tueur à gage pour éradiquer le crime dans les quartiers chauds de la ville… Partant de ce pitch surréaliste, Not a Hero imagine un jeu d’action gore et ultra nerveux, débordant d’humour potache et de défis hardcore, qui nous électrise à chaque nouvelle partie.
TECHNOBABYLON
(Wadget Eye Games/PC)
Technobabylon est porteur d’un beau paradoxe. Le jeu allie un conte futuriste, plein de sombres présages sur la cybernétique et ses aléas, au graphisme pixelisé d’un jeu des années 1980. Peu importe la désuétude de l’habillage : ce point ’n’ click bénéficie d’une qualité d’écriture telle que l’on plonge sans peine dans son intrigue qui soulève moult questionnements philosophiques passionnants. Moralité, nul besoin d’être tape-à-l’œil pour être visionnaire.
THE NEXT PENELOPE
(Aurélien Regard/ PC, Wii U, Mac)
The Next Penelope est une relecture futuriste de l’Odyssée, mais du point de vue de Pénélope. Partie à la recherche d’Ulysse, son mari, celle-ci doit défier de multiples créatures mythologiques dans une série de courses de vitesse truffées de pièges et d’obstacles. Inspiré du style graphique d’Ulysse 31 et des jeux de course d’antan tels que F-Zero ou Micro Machines, The Next Penelope est une belle démonstration de savoir-faire et d’élégance.
cultures FOOD
TENDANCE
Rentrée des glaces On peut, tel Michel Jonasz, aller au bord de la mer et sucer des glaces à l’eau. On peut aussi rester à Paris tout l’été, sans pour autant se priver du plaisir d’un rafraîchissement qui brûle la langue. La glace, c’est où je veux, quand je veux.
GLACES BRETONNES
© d. r.
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PAR STÉPHANE MÉJANÈS
Après les Freeze Rolls en 2013, qui avaient notamment été adoptés par Florent Ladeyn (L’Auberge du Vert Mont à Boeschepe) et Pierre Augé (La Maison de Petit Pierre à Béziers), voici un autre concept de glaces instantanées en rouleau fraichement importé des marchés d’Asie du Sud-Est : iceRoll. Le procédé est simple : une plaque réfrigérée à -30 °C sur laquelle on verse une préparation liquide que l’on agrémente ensuite selon son goût. C’est prêt en quelques instants. L’astuce des créateurs d’iceRoll, c’est de proposer un mix à glace tout prêt composé de différentes saveurs (purées de fruits, caramel à la fleur de
sel, chocolat, cocktails, etc.), ainsi qu’un meuble monté sur roulettes dessiné par la société HandBend. Outre l’esthétique de la présentation en lamelles roulées, les glaces ainsi préparées permettent à ceux qui aiment croquer de s’adonner à leur plaisir. De plus, la technique offre aux glaciers un champ d’exploration quasi illimité à partir de produits frais. En attendant que des professionnels s’équipent, les Parisiens coincés dans la capitale cet été peuvent tenter l’expérience dans divers lieux, tel le Nüba (36, quai d’Austerlitz – Paris xiiie). www.iceroll.com
LE ROUX DE LA FORTUNE C’est une maison discrète, qui fêtera pourtant ses 40 ans en 2017. Henri Le Roux, chocolatier originaire de Quiberon, a bâti sa réputation sur le caramel au beurre salé, qu’il inventa et déposa sous le sigle CBS®. Le Japonais Makoto Ishii, qui dirige l’institution depuis 2006, en perpétue l’excellence avec le chef de production, Julien Gouzien. Depuis 2013, ils ont même réintroduit les glaces maison, abandonnées dans les années 1980. Au choix, trois parfums : CBS®, sorbet cacao, sorbet diable rose (fruit de la passion-bananeframboise). Diaboliques ! S. M. Henri Le Roux trois boutiques à Paris et deux en Bretagne. www.chocolatleroux.com
rêvée, japonaise ou sans sucre… LA PÂTISSERIE DES RÊVES Philippe Conticini est un génie des goûts à la fois simples, immémoriaux et audacieux. Ses gâteaux défient les lois de la gravité et du plaisir. Leurs versions glacées aussi, dont on attend chaque été l’arrivée dans la boutique historique. Paris-Brest, saint-honoré, tarte citron meringuée ou grand cru chocolat, on perd facilement la boule. 93, rue du Bac – Paris VIIe Tél. : 01 42 84 00 82 www.lapatisseriedesreves.com
LA MAISON NORDIQUE À l’origine, il y a le mochi, une préparation à base de riz gluant concassé très commune au Japon, mais connue chez nous dans sa version perle de coco chinoise. À la Maison Nordique, on le trouve en version fourrée de crème glacée, sous forme de petite balle légèrement aplatie et en quatre parfums : mangue, fraise, chocolat ou coco. deux adresses à Paris www.lamaisonnordique.com
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PAR S. M.
DELICESWEET Combiner plaisir et santé, c’est le pari réussi de Delicesweet, une boutique qui fait à la fois confiserie, pâtisserie, chocolatier, bar à milkshakes et glacier. Ni sucre, ni aspartame, ni gluten dans les sorbets, crèmes glacées et yaourts glacés 100 % artisanaux et naturels du maître glacier Aurélien Tarantino. Côté fruits, ce n’est pas de la pulpe fiction. 54, avenue de La Bourdonnais – Paris VIIe Tél. : 01 81 29 76 28 www.delicesweet.fr
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cultures MODE
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CONCOURS
En bas à gauche : la créatrice Ulyana Sergeenko Autres photos : défilé haute couture automne-hiver 2015-2016
HAUTE COUTURE
Ulyana Sergeenko Début juillet, un air de Russie a soufflé sur les podiums parisiens, à l’occasion du premier défilé d’Ulyana Sergeenko dans le cadre du calendrier officiel de la haute couture.
PIGALLE PARIS Après les créations futuristes de la Néerlandaise Iris van Herpen en 2014, c’est la marque Pigalle Paris du Parisien Stéphane Ashpool qui a remporté le 3 juillet le Grand prix de l’Andam, destiné à soutenir de jeunes créateurs français ou travaillant en France. Fondée en 2008, Pigalle Paris est à l’origine une boutique multimarque pointue, mettant en avant des créateurs inconnus, avant de lancer ses propres collections masculines, mélange de streetwear et d’esprit couture, très appréciées des rappeurs. R. S. CAPSULE
Déshabillés de satin recouverts négligemment de manteaux de fourrure, dentelles fines et broderies foisonnantes, maquillage dégoulinant : l’ambiance est à l’opulence et à la décadence chez Ulyana Sergeenko, qui a imaginé une collection pour aristocrates russes vivant dans un logement collectif : « Je me suis inspirée de la vie dans les appartements communautaires soviétiques, que les bolcheviques avaient récupérés après la révolution de 1917 auprès des plus riches. Un aristocrate et sa fille étudiante pouvaient cohabiter avec un marin débauché, un dandy fêtard, une famille de paysans, ou un communiste très engagé… » Depuis qu’elle a lancé sa griffe de haute couture éponyme en 2011 à Moscou, la créatrice russe puise son inspiration dans
l’histoire et le folklore de son pays, que ce soit pour les thèmes de ses collections, ses propres looks de matriochka couture traqués par les style hunters, et même pour la confection de ses modèles, selon des savoir-faire traditionnels parfois très anciens : « Une des pièces en dentelle a été tricotée au fuseau dans la région de Vologda selon des techniques datant du xvie siècle. La dentelle dessine un écureuil, un motif que l’on retrouvait souvent sur des objets en porcelaine ou en cristal en U.R.S.S. » Si la mode d’Ulyana Sergeenko a parfois un parfum passéiste, la designer affine de plus en plus son style – on est loin des robes de princesse des premières collections – et s’affirme comme une des figures incontournables de la nouvelle création russe.
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PAR RAPHAËLLE SIMON
MINIONS BELLO YELLOW Moi, beau et mignon : à l’occasion de la sortie des Minions le 8 juillet, le concept store Colette lance une collection capsule à l’effigie des petites créatures jaunes, en collaboration avec une dizaine de designers. T-shirt Giles Deacon, casquette Piers Atkinson, talons aiguilles Rupert Sanderson, pendentif Tatty Devine, sweat-shirt SJYP – un nouveau label sud-coréen –, le choix, en plus d’être jaune, est vaste. R. S. www.colette.fr
pré se nte
EXPOSITION
L’INCA ET LE CONQUISTADOR Le musée du quai Branly dresse le portrait croisé de deux figures emblématiques de la conquête du Pérou, le conquistador Francisco Pizarro et l’Inca Atahualpa. Rencontre au sommet, à travers une exposition fine et éminemment historique.
© musée du quai branly, photo thierry ollivier, michel urtado
© musée national des châteaux de versailles et de trianon, versailles, france/scala, florence
PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY
De gauche à droite : Amable-Paul Coutan, Portrait de Francisco Pizarro (Trujillo, ca 1475 - Lima, 1541) ; Figurine masculine
Fourmillante, documentée, l’exposition « L’Inca et le Conquistador » n’est en rien une « exposition d’art », prévient d’emblée Paz Nùnez-Regueiro, sa commissaire. Les objets, tableaux (beaux, parfois anonymes) ou cartes présentés ne sont pas de traditionnels objets artistiques, mais sont là pour illustrer le contexte culturel et politique de l’Espagne et de l’Empire inca au xvie siècle, à travers le parcours de deux de leurs figures majeures, le conquistador Francisco Pizarro et l’Inca Atahualpa. D’un côté, on plonge dans l’Espagne expansionniste de Charles Quint au moment – passionnant – de la découverte des Amériques, succession d’expéditions sanglantes qui donnent à l’Espagne une flopée de colonies. De l’autre, on découvre l’Empire inca à son apogée, au moment de l’arrivée des Espagnols. Le tour de force de l’exposition est de dérouler simplement l’histoire de la conquête du Pérou par le biais de ces deux destins, en sortant de la vision simpliste d’une invasion des Incas victimes des « cruels » Espagnol. « L’ambition est la même, d’un côté comme de l’autre », commente la commissaire.
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Les Incas sont réputés pour avoir construit pacifiquement leur empire (12 millions d’habitants à son apogée, au xve siècle), mais ils ont en réalité soumis les terres qu’ils voulaient coloniser aussi violemment que l’ont fait les Espagnols. Choc des titans, donc. Même cruauté des deux côtés ; aucune guerre n’a jamais été menée dans la douceur. Avec ce parcours au quai Branly, on efface ainsi le point de vue manichéen sur la colonisation en exposant les deux échos, les deux versions de l’histoire. Le travail de documentation, à cet égard, a été copieux et permet de livrer des sources inédites. « Si l’on connaît la conquête par les Espagnols à travers des chroniques de l’époque, c’est plus difficile de trouver des sources incas, car ils n’ont pas l’écriture. » Tout l’intérêt réside donc dans la mise en lumière de la version andine, bien moins connue. Pari gagné, puisque l’on repart avec l’impression de connaître les Incas un peu mieux qu’après avoir refermé Le Temple du Soleil d’Hergé. jusqu’au 20 septembre au musée du quai Branly
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pré se nte
© photo courtesy of the artist & galerie max hetzler, berlin / paris photo © jörg von bruchhausen
EXPOSITION
Hot Spot, 2013
© la maison rouge
MONA HATOUM Près d’une centaine d’œuvres de l’artiste libanaise Mona Hatoum, figure majeure de la scène internationale contemporaine, sont exposées au Centre Pompidou. Obligée de fuir son pays en 1975, au début de la guerre civile, elle s’est depuis servie de vidéos, d’installations ou encore de performances pour exprimer la violence de l’exil et de la séparation familiale. Q. M. jusqu’au 28 septembre au Centre Pompidou
ÉVÉNEMENT
Nicanor Araoz, Sans titre, installation, 2010-2015
MY BUENOS AIRES PAR ANNE-LOU VICENTE
Si vous ne partez pas en vacances cet été, direction la maison rouge : après Winnipeg (Canada) et Johannesburg (Afrique du Sud), c’est au tour de la capitale argentine, Buenos Aires, troisième ville la plus peuplée d’Amérique latine, de se dévoiler à travers sa scène artistique. Par ticulièrement dynamique aujourd’hui, la ville a su se réinventer et se développer grâce à un ensemble d’initiatives solidaires palliant les dégâts causés par la grave crise financière de 2001. Plutôt que d’offrir une approche didactique de la mégalopole, les deux commissaires de l’exposition, Paula Aisem berg et Albertine de Galbert, ont souhaité proposer une véritable expérience sensible de la ville. Le visiteur est ainsi invité à déambuler entre les œuvres d’une
soixantaine d’artistes représentant quatre générations, tous médiums confondus. Un parcours organisé selon des notions qui résonnent avec l’histoire et les multiples facettes de Buenos Aires comme le masque, l’instabilité, la tension voire l’explosion, et jalonné de messages codés, de sonorités plus ou moins étrang(èr)es et autres sensations à double-fond. À l’image de l’œuvre de l’artiste Jorge Macchi intitulée Fan, qui consiste en un ventilateur dont les pales percutent et entaillent progressivement les murs de la pièce dans laquelle il se trouve suspendu, la scène artistique argentine a ainsi su – malgré la crise – creuser un sillon et redoubler d’énergie pour diffuser un « bon air » vigoureux et rafraîchissant. jusqu’au 20 septembre à la maison rouge
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© martin argyroglo
EXPOSITION
Douves du château des ducs de Bretagne LE VOYAGE À NANTES Ce rendez-vous annuel se donne pour objectif d’insuffler de l’art et de la poésie dans la cité des Ducs. Expositions d’art contemporain, concerts, sorties en mer sont au programme de cette quatrième édition… sans compter quelques surprises. Dans les rues de la ville, une ligne verte est matérialisée au sol afin de guider le public vers les quarante-deux œuvres exposées. Q. M. jusqu’au 30 août à Nantes
SORTIE ZOO DE VINCENNES Un peu plus d’un an après sa réouverture, le zoo de Vincennes a concocté de nombreuses nouveautés pour attirer les amis des animaux cet été. Parmi elles, l’arrivée d’Herbert, le nouveau lamantin, ou encore les premières sorties publiques des trois lionceaux Atlas, Kibo et Shani. À noter que jusqu’au 27 août, le zoo est ouvert les jeudis jusqu’à 22h. C. Ga.
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L’actualité DES salles
CYCLES
AVANT-PREMIÈRES
16/07
LES MILLE ET UNE NUITS. LE DÉSOLÉ Projection sans l’équipe du film. >MK2 Odéon, Beaubourg et Quai de Loire à 19h45
les 21/07, 11/08 et 18/08
LES MILLE ET UNE NUITS. L’ENCHANTÉ Projection sans l’équipe du film. >MK2 Odéon, Beaubourg et Quai de Loire à 19h45
les 27/07 et 28/07
LES MILLE ET UNE NUITS. LE DÉSOLÉ Projection suivie d’un débat avec le réalisateur Miguel Gomes. >MK2 Quai de Loire (le 27/07) et MK2 Beaubourg (le 28/07) à 20h30
04/08
CINÉMADZ En partenariat avec le site madmoiZelle.com, projection de Moi, moche et méchant de Pierre Coffin et Chris Renaud. >MK2 Bibliothèque à 20h
CONFÉRENCES
RENCONTRES
EXPOSITIONS
25/08
LES MILLE ET UNE NUITS. L’ENCHANTÉ Projection suivie d’un débat avec le réalisateur Miguel Gomes. >MK2 Odéon et Quai de Loire à 19h30
01/09
CINÉMADZ En partenariat avec le site madmoiZelle.com, projection d’Orgueil et Préjugés de Joe Wright. >MK2 Bibliothèque à 20h
jusqu’au 13/09
SOIRÉES DANSE En partenariat avec le PUC (Paris Université Club), venez danser sur le parvis du MK2 Bibliothèque. Au programme : swing (les lundis), rock ’n’ roll (les mardis et vendredis), salsa (les samedis de juillet) et west coast swing (les samedis d’août). >MK2 Bibliothèque à partir de 19h30
JEUNESSE
jusqu’au 30/09
AVATARS #AUTOPORTRAITS En partenariat avec la galerie Mobile Camera Club, exposition de photographies prises avec des smartphones (lire p. 130). >MK2 Bibliothèque, Bibliothèque (entrée BnF), Quai de Seine et Quai de Loire
jeunesse
du 29/07 au 08/09
MK2 BOUT’CHOU Au programme : Les Petits Canards de papier, La Petite Fabrique du monde et Le Criquet. >MK2 Nation, Quai de Loire et Bibliothèque tous les mercredis, samedis et dimanches en matinée
du 29/07 au 08/09
MK2 JUNIOR Au programme : Les Pingouins de Madagascar, Bob l’éponge. Le Film et Shaun le mouton. >MK2 Grand Palais, Quai de Seine et Gambetta tous les mercredis, samedis et dimanches en matinée
© cine tamaris
À l’occasion du festival Jazz à la Villette, qui, comme chaque année, propose une programmation autour du jazz et de ses croisements avec d’autres musiques (funk, hip-hop, soul), le MK2 Quai de Seine organise un cycle cinéma sur le thème « Black Riot ». Sur un air de révolte, les films diffusés montreront plusieurs facettes des luttes des Afro-Américains pour leurs droits. On pourra notamment y voir Black Panthers (1968) d’Agnès Varda, dans lequel la cinéaste rencontre les responsables du Black Panther Party alors que les manifestations autour du procès de Huey Newton, cofondateur de l’organisation avec Bobby Seale, battent leur plein à Oakland. D’autres œuvres, telles que Do the Right Thing (1989) de Spike Lee ou Free Angela and all Political Prisonners (2013) de Shola Lynch, viendront compléter le programme, tandis qu’une rencontre avec le réalisateur et écrivain Melvin Van Peebles, dont le film Sweet Sweetback’s Baadasssss Song (1971) a initié le mouvement de la blaxploitation, aura lieu le 10 septembre à 20h. C. Ga. Festival Jazz à la Villette, du 3 au 13 septembre à la Villette « Black Riot », du 5 au 20 septembre au MK2 Quai de Seine Black Panthers d’Agnès Varda (1968)
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L’actualité DES salles L’ŒIL Du
MOBILE CAMERA CLUB La galerie parisienne, spécialisée dans les photos prises au smartphone, a sélectionné pour Trois Couleurs trois clichés d’artistes mobiles autour du thème «Médi(t)ations». Des images à l’esthétique très travaillée qui donnent un aperçu des multiples possibilités qu’offre ce médium. Le Mobile Camera Club expose tout l’été les œuvres de photographes mobiles dans sa galerie, ainsi que dans les halls de quatre cinémas MK2.
Ci-dessus à gauche : Nettie Edwards, Paulo’s World #1, 2013 Ci-dessus à droite : Nadine Benichou, Neophelia, 2014 Ci-contre : Roger Guetta, Old School Charmer, 2011
« Avatars #Autoportraits », jusqu’au 30 septembre à la galerie Mobile Camera Club (56, rue la Bruyère – Paris IXe) et dans les MK2 Bibliothèque, Bibliothèque (entrée BnF), Quai de Seine et Quai de Loire
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