Trois Couleurs #136 - novembre 2015

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le monde à l’écran

le fils de saul du 4 nov. au 8 déc. 2015

Rencontre avec le cinéaste hongrois László Nemes

nanni moretti

Entretien avec le réalisateur de Mia madre

et aussi

Nicolas Winding Refn, Karin Viard, Little Simz…

JIA ZHANG-KE LA CHINE, À L’OUEST ?

no 136 – gratuit


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Sommaire

Du 4 novembre au 8 décembre 2015

À la une… 29

entretien

en ouverture

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en couverture 46

Nanni Moretti

Le cinéaste italien se dévoile sans jamais s’exhiber dans Mia madre, magnifique autoportrait masqué dans lequel il parvient toujours à garder la juste distance avec le pathos. Il nous a reçu à Rome, dans le quartier de Monteverde Vecchio où il a grandi, dans l’intimité de son bureau.

© philippe quaisse / pasco ; stéphane manel ; ad vitam ; antoine doyen ; pyramide films ; marco castro ; d. r.

entretien

Michael Lonsdale L’acteur se remémore le tournage d’Out 1, film mythique de Jacques Rivette, invisible depuis près de quarante ans, et revient sur son travail avec Marguerite Duras, François Truffaut ou Orson Welles.

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Au-delà des montagnes Le cinéaste Jia Zhang-ke signe une fresque romanesque dont l’intrigue se situe dans une Chine prise entre culture traditionnelle et influences occidentales.

László Nemes

À Cannes, Le Fils de Saul, le premier long métrage du Hongrois László Nemes, avait bouleversé les festivaliers en les plongeant dans l’horreur du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau et avait remporté le prestigieux Grand prix. Cinq mois plus tard, c’est à Paris, et dans un français impeccable, que le cinéaste, aussi rigoureux qu’exalté, a répondu à nos questions.

portrait

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portfolio

Karin Viard L’actrice semble avoir sa place partout. Dans 21 nuits avec Pattie des frères Larrieu, elle campe un formidable personnage lubrique et hédoniste. Rencontre avec une comédienne libérée, délivrée.

entretien

54 Nicolas Saada Dans Taj Mahal, son deuxième long métrage, un thriller psychologique méticuleusement pensé, le réalisateur français d’Espion(s) multiplie les clins d’œil cinéphiliques, Hitchcock en tête.

musique

98 Little Simz Ne pas se fier à sa silhouette fluette : cette sensation hip-hop en provenance d’Albion sait ce qu’elle veut, où elle va et comment elle y va. Elle le prouve sur un premier album au caractère bien trempé.

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Nicolas Winding Refn Plus de trois cents affiches tirées de sa collection ont été réunies dans un livre, Nicolas Winding Refn. L’art du regard. Morceaux choisis, accompagnés de commentaires du cinéaste.


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… et aussi Du 4 novembre au 8 décembre 2015

Édito Un peu à l’ouest Les actualités Le ciné à la télé, David Cronenberg, Agnès Varda Festivals Bordeaux et La Roche-sur-Yon Exposition Martin Scorsese à la Cinémathèque française À suivre Shameik Moore dans Dope l’agenda Les sorties de films de 4 novembre au 2 décembre 2015 histoires du cinéma

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les films

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Les DVD Coffret Virgil Vernier et la sélection du mois

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cultures

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Bad Boy Bubby de Rolf de Heer p. 34, Sylvette Baudrot p. 44

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Made in France de Nicolas Boukhrief p. 67 // Avril et le Monde truqué de Franck Ekinci et Christian Desmares p. 68 // Norte. La fin de l’histoire de Lav Diaz p. 70 // Une histoire de fou de Robert Guédiguian p. 72 // L’Étage du dessous de Radu Muntean p. 74 // Crazy Amy de Judd Apatow p. 78 // Macbeth de Justin Kurzel p. 80 // Ixcanul de Jayro Bustamante p. 84 // The Other Side de Roberto Minervini p. 84 // Knight of Cups de Terrence Malick p. 86 // Le Pont des espions de Steven Spielberg p. 88 // Marguerite et Julien de Valérie Donzelli p. 92

L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

trois couleurs présente 118

© photo brigitte lacombe ; gilles toucas ; nour films

Nikon Film Festival, « Kuniyoshi. Le démon de l’estampe » et « L’Estampe visionnaire. De Goya à Redon »

l’actualité des salles mk2 Le festival Chéries-Chéris

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ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentin.grosset@mk2.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) STAGIAIRE Olivier Bayu Gandrille ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Giorgio Calabresi, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Julien Dupuy, Baptiste Etchegaray, Yann François, Claude Garcia, Stéphane Méjanès, Mehdi Omaïs, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Claire Tarrière, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Stéphane Manel PHOTOGRAPHES Marco Castro, Antoine Doyen, Philippe Quaisse PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) AssistantE RÉGIE PUBLICITAIRE Caroline Desroches (caroline.desroches@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) Assistant partenariats culture Florent Ott CHEF DE PROJET OPÉRATIONS SPÉCIALES Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com)

Illustration de couverture © Ruben Gérard pour Trois Couleurs © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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é dito

Un peu à l’ouest PAR JULIETTE REITZER

Go west, life is peaceful there / Go west, in the open air / Go west, where the skies are blue / Go west, this is what we’re gonna do… » Repris en 1993 par les Pet Shop Boys, le célèbre morceau des Village People résonnait, à sa sortie en 1979, comme un appel, pour les homosexuels américains, à rejoindre la côte ouest des États-Unis, et plus particulièrement San Francisco. Devenue l’hymne du nouveau film du cinéaste chinois Jia Zhang-Ke, Au-delà des montagnes (on l’y entend à trois moments clés), la chanson prend un tout autre sens : l’ouest, vu de la Chine, c’est bien sûr l’Occident. Elle réaffirme surtout qu’il y a toujours, au centre des préoccupations du réalisateur de Platform, de Plaisirs inconnus, de The World, de 24 City, l’idée d’un ailleurs qui obsède les personnages et les empêche d’être tout à fait ici et maintenant, comme absents à eux-mêmes. Il faut voir le regard perdu de Zao Thao, son actrice fétiche, dans Au-delà des montagnes. Pour elle,

l’ailleurs, c’est tout à la fois l’amour auquel elle a renoncé, son enfant qui vit loin d’elle, et les chimères matérialistes qui ont précipité son malheur. Qu’y a–t-il, au-delà des montagnes du titre, qui sont celles entourant la petite ville de Fenyang, où Jia Zhang-ke a passé son enfance et où il installe l’intrigue du film ? Qu’y-a-t-il, pour la Chine, après la Révolution culturelle ? Il y a, bien sûr, la globalisation, la course au profit, la croissance vertigineuse qui en couche certains sur le carreau et en laisse d’autres sonnés – un peu à l’ouest. La question centrale que pose le film, avec ses personnages incapables d’aimer vraiment, c’est : dans ce grand chambardement, comment les émotions peuventelles encore s’exprimer ? Sans y répondre vraiment, le cinéaste suggère : par la musique, pour commencer. Les moments où les sentiments affleurent le plus nettement, c’est quand les héros écoutent une ballade sentimentale de la chanteuse hongkongaise Sally Yen, ou quand ils dansent sur ce morceau pop, « Go West », venu de si loin et qui semble pourtant, ici, totalement à sa place.

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l’e ntreti e n du mois

Michael Lonsdale

© stéphane manel

Rencontre avec un pro de l’impro

« on m’a mis des machins dans les oreilles qui me donnaient le texte. c’était formidable ! » 8

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l’e ntreti e n du mois

Ce mois-ci ressortent les deux versions (l’une de 12h40, l’autre de 4h15) d’Out 1, un film mythique de Jacques Rivette, tourné en 1970 et invisible depuis près de quarante ans. Dans cette adaptation démente, très libre et totalement improvisée de L’Histoire des Treize d’Honoré de Balzac, Michael Lonsdale incarne le meneur d’une troupe de théâtre mêlée à une mystérieuse société secrète. L’occasion, pour l’acteur, de revenir sur cette aventure unique, mais aussi sur son travail avec Marguerite Duras, François Truffaut ou Orson Welles. PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

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ut 1. noli me tangere dure plus de douze heures ; s e lon vous , doit- ­ on regarder ce long métrage dans la continuité, ou bien plutôt par petits bouts ? La télévision de l’époque [l’ORTF, ndlr] n’en a pas voulu, parce qu’elle ne souhaitait pas diffuser le film dans sa continuité. Or, le temps, c’est le fond même du film. Donc, selon moi, il vaut mieux le voir en une ou deux fois. Mais Jacques Rivette prévenait que, pendant la projection, les spectateurs ont tout le loisir d’aller manger un bout, de sortir fumer une cigarette, un peu comme pour le théâtre nô japonais. C’est tout juste s’il ne nous autorisait pas à parler pendant le film… le film met en scène deux troupes de théâtre qui travaillent dans un esprit expérimental et très collaboratif. à quel point reflètet-il la liberté d’invention propre à l’époque, les années 1970 ? À ce moment précis, j’étais pétri des recherches du metteur en scène polonais Jerzy Grotowski et du Living Theatre, qui ont participé à faire connaître les possibilités physiques et sonores du corps humain. Dans le film, les membres de la troupe qui entourent mon personnage sont incarnés par des acteurs que j’avais moi-même choisis. Ils répètent Prométhée enchaîné d’Eschyle en s’inspirant de ces travaux, qui renouvelaient la pratique théâtrale. Nous nous livrions à cette série d’exercices, plus ou moins heureux, plus ou moins insupportables… On discutait beaucoup. Il fallait se débarrasser de toute timidité, ce qui dans ma jeunesse était mon drame. le film n’avait pas de scénario et était fondé sur l’improvisation. quelle a été votre plus grande surprise pendant le tournage ? Seules les rencontres entre les différents personnages étaient prévues, mais personne ne savait ce qui allait leur arriver, ni se dire. Imaginez les possibilités pour un acteur ! J’ai été stupéfait quand je me suis rendu compte que Bernadette Lafont n’arrivait pas à improviser. Quand elle jouait, on avait pourtant toujours l’impression qu’elle improvisait. Là, on l’a assise sur un tabouret et on lui a

dit : « Raconte une histoire. » Elle était complètement bloquée. C’est pour cela qu’elle n’apparaît pas beaucoup dans le film. quel genre de réalisateur était jacques rivette ? Ben là il ne faisait pas grand-chose, hein. Il choisissait le lieu de tournage, on faisait une sorte de répétition pour les éclairages, mais après, pour le jeu des comédiens, il ne disait rien. vous avez suivi les cours de tania balachova, qui a fait émerger nombre de grands acteurs et actrices (delphine seyrig, jean-louis trintignant, laurent terzieff…). qu’avez-vous retiré de cet enseignement ? Un jour, Tania Balachova m’a dit : « Vous faites des choses plaisantes, mais vous devriez vous énerver. Apprenez la première scène du Misanthrope. » Dans cette scène, Alceste reçoit la visite de Philinte, et il l’envoie balader. Je l’ai jouée une première fois, je suis entré en furie, mais elle voulait que j’aille encore plus loin. Elle m’a menacé : « Si vous n’arrivez pas à être violent, vous n’êtes pas comédien, et vous n’avez rien à faire dans ce cours. » Alors j’ai pris une chaise, je l’ai dressée au-dessus de ma tête et j’ai hurlé en la jetant ; elle s’est brisée. Quand Tania a ouvert une classe d’improvisation, j’ai commencé à voler. J’ai gardé ce goût de la spontanéité. Sur le tournage du dernier film de Manoel de Oliveira, Gebo et l’Ombre (2012), on m’avait donné une longue tirade à apprendre deux jours avant le tournage. J’ai dit que je ne pouvais pas, alors on m’a mis des machins dans les oreilles qui me donnaient le texte. C’était formidable ! J’y ai trouvé une liberté très agréable, car je plaçais ma phrase comme je le souhaitais. vous avez tourné avec orson welles dans le procès (1962), film adapté du roman de franz kafka, dans lequel vous tenez un petit rôle, celui du prêtre. quel souvenir gardez-vous de cette rencontre ? Pour moi, c’était un dieu. À l’époque, je jouais avec Laurent Terzieff au Théâtre de Lutèce, vers Jussieu. Anthony Perkins, qui tenait le premier rôle du film, est venu à l’une des représentations. J’étais étonné qu’une aussi grande star vienne nous voir jouer. Deux jours plus tard, je rentre chez moi et

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l’e ntreti e n du mois

Bernadette Lafont et Michael Lonsdale dans Out 1 de Jacques Rivette

« jacques rivette choisissait le lieu de tournage, mais pour les comédiens, il ne disait rien. » je trouve un mot de mon employée espagnole, qui parlait difficilement le français, sur lequel était écrit : « Urgente ! Mister Willis… » avec un numéro de téléphone. Intrigué, j’appelle… C’était Orson Welles ! J’ai cru à une blague, au début. Le tournage a eu lieu à la gare d’Orsay, qui était désaffectée. Je jouais le prêtre qui apostrophe monsieur K. dans une église. Je me souviens qu’entre deux scènes, une limousine venait chercher Orson Welles et l’emmenait en boîte de nuit. Il revenait sur le plateau deux heures après et me demandait : « Are you happy, mister Lonsdale? » votre père était britannique, vous avez grandi sur l’île de jersey puis à londres, avant de venir vivre en france. votre langue natale est donc l’anglais, que peu de comédiens français de votre génération parlaient aussi bien que vous. est-ce pour cela que de nombreux réalisateurs anglophones ont fait appel à vous ? Oui, c’est ce qui m’a notamment permis de travailler avec Fred Zinnemann pour Chacal (1973). Neuf ans avant, j’avais joué un petit rôle dans Et vint le jour de la vengeance (1964), et il m’avait assuré qu’un jour il ferait appel à moi pour un personnage de plus grande ampleur. Des années après, il m’a d’abord offert un rôle de second plan dans Chacal. Alors j’ai joué le tout pour le tout et je lui ai dit qu’il n’y en avait qu’un qui m’intéressait dans le scénario : celui du commissaire, lancé à la poursuite de l’assassin. Il m’a répondu que j’étais trop jeune pour l’incarner. J’ai répliqué que nous étions au cinéma et qu’il était facile de vieillir un acteur. Une semaine après, mon agent m’annonçait que j’avais le rôle.

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marguerite duras est un nom important dans votre carrière. elle vous a fait tourner dans détruire, dit-elle (1969), jaune le soleil (1971), india song (1975)… vous étiez très proches ? Je l’aimais beaucoup, oui. Bien que, parfois, elle m’agaçait un peu ! Elle pouvait se montrer très injuste dans son féminisme. Par exemple, elle disait : « Oh ! j’ai lu un très beau poème, quel dommage qu’il n’ait pas été écrit par une femme ! » j’ai lu que certaines séquences de baisers volés (1968) de françois truffaut ont été tournées dans votre appartement de l’époque, dans le vii e arrondissement de paris, tout près de là où nous réalisons aujourd’hui cet entretien… On a tourné une semaine dans mon appartement. J’avais rempli le frigidaire, alors on passait notre temps à grignoter. Avez-vous remarqué que, dans une des scènes tournées chez moi, il y a un faux raccord ? Monsieur Tabard, accompagné d’Antoine Doinel, entre dans un ascenseur avec une cravate. Et il en ressort avec un nœud papillon ! Ni moi, ni la scripte, ni François Truffaut n’avons fait attention à cela. Quand on s’en est rendu compte, on était consternés. Mais, au final, presque personne ne m’en a fait la remarque. Out 1. Noli me tangere de Jacques Rivette et Suzanne Schiffman avec Michael Lonsdale, Juliet Berto… Distribution : Carlotta Films Durée : 12h30 Sortie le 18 novembre Out 1. Spectre de Jacques Rivette et Suzanne Schiffman avec Michael Lonsdale, Juliet Berto… Distribution : Carlotta Films Durée : 4h15 Sortie le 18 novembre

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e n bre f

Les actualités PAR OLIVIER BAYU GANDRILLE, JULIEN DUPUY, QUENTIN GROSSET, Juliette Reitzer ET TIMÉ ZOPPÉ

> l’info graphique

Le ciné à la télé en 2014 En octobre dernier, le CNC a publié un rapport intitulé « la diffusion des films à la télévision en 2014 ». Les résultats présentés dans cette étude sont issus d’une base de données commune au CSA et au CNC « qui recense toutes les diffusions de films de long métrage sur les chaînes nationales publiques (France Télévisions, Arte et LCP-AN), sur les chaînes nationales privées gratuites (TF1, M6 et les chaînes privées de la TNT gratuite) et sur Canal+ » et qui est « enrichie de données d’audience fournies par Médiamétrie ». Florilège des chiffres les plus révélateurs. J. R. et T. Z.

Nombre de films diffusés en première partie de soirée :

tf1

arte

2 159

films diffusés sur l’ensemble des chaînes nationales gratuites

Meilleures audiences pour un film français : Intouchables avec

13,9 m

Film le plus diffusé sur les chaînes nationales gratuites

depuis 2005 Les Bidasses en folie (1971) de Claude Zidi

17 fois

de téléspectateurs

pour un film étranger : Die Hard 4 avec

7,4 m

depuis 1957 Ne nous fâchons pas (1965) de Georges Lautner

de téléspectateurs

tous les deux sur TF1

25 fois

> INDUSTRIE

© d. r.

Pub ou cinéma (ou les deux) ? Martin Scorsese, le réalisateur de Casino (1996), a dirigé un film court, The Audition, réunissant trois monstres hollywoodiens : Robert De Niro, Leonardo DiCaprio et Brad Pitt. Le pitch ? Dans un casino, les trois acteurs sont en rivalité pour jouer dans le prochain Scorsese. Mis en ligne en janvier dernier, le teaser de The Audition fut d’abord relayé dans la presse comme une publicité pour les casinos Studio City de Manille et Macao (le projet est financé par leur propriétaire, l’entreprise Melco Crown Entertainment, qui aurait déboursé à cette fin environ 70 millions de dollars). Robert De Niro, Leonardo DiCaprio, Brad Pitt et Martin Scorsese Mais le film, d’une durée de seize minutes, fut requalifié en court métrage à l’annonce de sa projection en avant-première à la Mostra de Venise en septembre dernier, projection empêchée par des problèmes techniques et finalement repoussée au festival de Busan, en Corée du Sud, début octobre. Pour le Hollywood Reporter, qui l’a vu, il s’agit bien d’une pub, mais d’une pub de qualité, que le journaliste compare au court film Powder Keg réalisé par Alejandro González Iñárritu pour BMW en 2001. T. Z.

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> LE CHIFFRE C’est, en euros, la somme qu’EuropaCorp, la société de production de Luc Besson, a été condamnée à verser à John Carpenter pour contrefaçon. Le tribunal de grande instance de Paris a en effet estimé que Lock Out (2012), coécrit par Besson, plagiait le cultissime film New York 1997 (1981) du cinéaste américain. O. B. G.

> DÉPÊCHES PAR O. B. G.

LIVRE Les éditions Michel Lafon publient Ainsi parlait Yoda du philosophe Ollivier Pourriol : Luke Skywalker découvre dans le manteau du maître Jedi des traités, des lettres et des conversations philosophiques qu’il décortique avec Han Solo et la princesse Leia.

> LA TECHNIQUE

> LA PHRASE

L’aéroglisseur vu dans les deux derniers épisodes de la saga Hunger Games n’existe que dans l’ordinateur des infographistes des effets spéciaux. Mais, pour donner l’impression que ce véhicule volant permettait de déposer les personnages en zone de combat, comme le ferait un transport de troupes aéroportées, l’équipe des trucages mécaniques a conçu un décor mouvant : reproduisant l’intérieur de l’appareil, cette cabine pouvait être soulevée à plus de dix-huit mètres du sol grâce à une grue en acier démontable. Le réalisateur Francis Lawrence filmait donc les comédiens en train de voler, d’atterrir et de sortir de la cabine, tandis qu’en postproduction l’équipe des effets visuels effaçait les câbles et la grue, et ajoutait autour de cette portion de décor la carlingue de l’hovercraft en image de synthèse. J. D. Hunger Games. La Révolte. Partie 2 de Francis Lawrence Sortie le 18 novembre

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David Cronenberg Invité au festival international de Reykjavik pour recevoir un prix couronnant sa carrière, le Canadien a fustigé les méthodes de la société américaine de production Weinstein Company, à laquelle il reproche de priver les réalisateurs du director’s cut.

« NE TRAVAILLEZ PAS AVEC DES ENFOIRÉS. JE NE CITERAI PAS DE NOMS… LES FRÈRES WEINSTEIN. »

© michael stewart / wireimage

© metropolitan filmexport

Le décor volant

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COURS

David Lynch lance en février un master de réalisation de films suivant les principes de la méditation transcendantale, à la Maharishi University of Management, dans l’Iowa. Les inscriptions sont ouvertes sur le site www.mum.edu/ david-lynch-ma-in-film.

© haut et court distribution ; d. r.

CYCLE Du 12 au 22 novembre, l’auditorium du musée d’Orsay accueillera le cycle « La rue sans joie. La prostitution au cinéma ». Soit douze films, de Belle de jour de Buñuel à L’Apollonide. Souvenirs de la maison close de Bonello en passant par Le Plaisir d’Ophüls.


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DOCUMENTAIRE

> EXPOSITION

© centre pompidou, mnam-cci/georges meguerditchian/ dist. rmn-gp/dist. rmn-gp © agnès varda

© d.r.

Cuba par Varda

Agnès Varda, Cuba, Santiago de Cuba, 1963

Le Centre Pompidou organise la première exposition des photographies réalisées par Agnès Varda lors de son voyage à Cuba en décembre 1962 et janvier 1963. En pleine guerre froide, la cinéaste, toujours à l’écoute des anonymes, s’est rendue à La Havane avec son Leica pour documenter le quotidien des Cubains après la révolution menée par Fidel Castro. Elle en a tiré un court métrage intitulé Salut les Cubains (1963) dont le commentaire est dit par Michel Piccoli. Dans ce film, la fixité des images et la sobriété du noir et blanc s’opposent aux rythmes vifs des danses cubaines. L’exposition met ainsi les images fixes et animées en dialogue pour mieux rendre compte de l’approche multimédium privilégiée par Varda dans toute son œuvre. Q. G. « Cuba /Varda » du 11 novembre au 1 er février galerie de photographies du Centre Pompidou

Loin de ses terres d’origine, le renouvellement du western passe par l’exploration de nouveaux territoires, des Alpes autrichiennes (The Dark Valley d’Andreas Prochaska) aux hauts plateaux du Kurdistan (My Sweet Pepper Land de Hiner Salem)… Coréalisé par notre collaborateur régulier Julien Dupuy, ce documentaire érudit examine cette migration en alliant adroitement de nombreux entretiens (John Carpenter, Álex de la Iglesia…), des images de tournage et des extraits de films pour dresser un constat revigorant : le western n’est pas mort. O. B. G. Western. Nouvelles frontières de Marius Doïcov et Julien Dupuy le 9 novembre à 22h45 sur Canal+ Cinéma

en tournage

> COURTS MÉTRAGES

Paris Now!

© d.r.

La Red Bull Music Academy, dont l’édition 2015 se tient à Paris jusqu’au 27 novembre, s’est lancée dans la production de fictions avec Paris Now!, soit cinq petits films qui se veulent l’écho de la vie culturelle de la capitale. Being Flat de Quentin Dupieux Quentin Dupieux (Réalité) détourne la commande avec l’absurde et drolatique Being Flat dans lequel sa célèbre peluche Flat Eric assiste à une audition pour trouver le comédien qui l’incarnera sur les planches. Dans un registre plus sérieux, l’émouvant Realness With a Twist de Romain Cieutat suit un jeune homme qui affirme à sa mère se rendre à un entraînement de foot, alors qu’il participe en cachette à une compétition de voguing. Outre des clins d’œil d’un film à l’autre, le recours à la musique electro fait le lien entre les courts métrages. Tous sont visibles sur YouTube et se savourent comme des petites friandises arty. T. Z. www.youtube.com/user/redbullmusicacademy

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Après Sils Maria en 2014, Olivier Assayas a retrouvé, fin octobre à Paris, Kristen Stewart pour le tournage de Personal Shopper. Le film suit le parcours d’une jeune Américaine qui a la capacité de communiquer avec les morts • La série britannique culte Absolutely Fabulous revient… sur grand écran ! Tournée à Londres et sur la Côte d’Azur, emmenée par Jennifer Saunders (Edina) et Joanna Lumley (Patsy), la comédie est réalisée par Mandie Fletcher, qui avait signé les derniers épisodes de la série. O. B. G.


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fe stival s

De retour de… En octobre se tenaient le festival international du film indépendant de Bordeaux et le festival international du film de La-Roche-sur-Yon. Comptes rendus, par nos envoyés spéciaux.

…Bordeaux PAR TIMÉ ZOPPÉ

d’Hubert Viel (auteur d’Artémis. Cœur d’artichaut en 2012) relevait un pari audacieux : six enfants rejouent des épisodes de l’histoire en plaçant pour une fois les femmes au centre. Paulina de Santiago Mitre, saisissant portrait d’une institutrice en Argentine dont la réaction post-traumatique échappe à la logique, a divisé les spectateurs à qui on en a parlé en deux camps : les femmes (qui ont aimé) et les hommes (plutôt scandalisés). Mais le futuriste Gaz de France de Benoît Forgeard, hors compétition, a réconcilié tout le monde. Au débat, le réalisateur arborait un look de dandy, au côté de son compositeur Bertrand Burgalat, plutôt en mode seventies. En résumé, on s’est perdu dans les couloirs du temps, mais on y a trouvé du bon cinéma. © jérémie buchholtz

Pour sa 4 e édition, le festival de Bordeaux a laissé la figure du héros parcourir sa programmation. Plusieurs oppositions fécondes ont marqué ces six jours d’octobre, à com­mencer par des confrontations entre différentes époques. Délicieux décalage temporel propre au festival bordelais : c’est dans une ancienne église bâtie au vi e siècle, où se trouvent les majestueuses salles du cinéma Utopia, que l’on découvre le renouveau du cinéma de fiction international (la compétition accueille des premiers, deuxièmes et troisièmes films). Autre paradoxe : si, pour la première fois, l’égérie du festival était un homme (l’acteur Paul Hamy), le thème de cette édition, « le héros », a fait la part belle aux femmes, surtout dans la compétition. Les filles au Moyen Âge

…La Roche-sur-Yon PAR ÉRIC VERNAY

© p.bertheau

Riche d’une programmation François Farellacci), déjeuner éclectique (fictions interavec Nicolas Pariser (auteur nationales, films d’animadu Grand Jeu, brillant thriller tion, documentaires), cette politique épris de paradoxes), 6 e édition nous a réservé bloquer son après-midi pour les 5h30 de Homeland. Irak son lot de bonnes surprises. Year Zero, retenir ses larmes, Avec ses vols d’étourneaux discuter de la Nouvelle Vague hitchcockiens et son dédale avec Abbas Fahdel, le réalide rues désertes agencées de sateur de cette puissante manière rectiligne, à l’amériAbbas Fahdel présente son film Homeland. Irak Year Zero saga intime sur l’avant et caine, La Roche-sur-Yon a l’après-invasion américaine quelque chose d’étrange ; une aura insolite, sans doute accrue en temps de fes- de 2003, se faire trancher la cervelle par Tag de tival. Une journée type ? Croiser Vincent Lindon Sono Sion, puis se retrouver à 3 heures du mat’ (invité d’honneur de l’édition 2015), partir en virée dans un club kitsch à parler foot avec Vincent nocturne avec les ados paumés d’une banlieue Macaigne, qui présentait son Dom Juan et prébastiaise (Lupino, documentaire incandescent de fère le tennis. Étrange, on vous dit.

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exposition

Martin Scorsese Parmi les innombrables documents (affiches, extraits de films, maquettes de décors…) que compte l’exposition de la Cinémathèque française consacrée à Martin Scorsese, on se plaît à découvrir ses story-boards ultra pointilleux. C’est que le cinéaste a toujours dessiné ses propres films avant de les tourner…

© photo brigitte lacombe

©martin scorsese collection, new york.

PAR QUENTIN GROSSET

Martin Scorsese

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Story-board de Martin Scorsese pour Raging Bull, 1980

vant d ’être une rétrospec tive sur l’œuvre imposante de Martin Scorsese répar tie en sec tions thématiques – les motifs emblématiques de son cinéma (la famille, la crucifixion, New York), les hommages qui parcourent ses films (Hitchcock en tête), ou encore Scorsese au travail (l’écriture des films, les tournages, le son et la musique) –, l’exposition avait d’abord été pensée comme une présentation de ses story-boards. Et au fil de la scénographie, à la fois ténébreuse et parsemée de pépites (une reconstitution de l’appartement de son enfance, des extraits de ses films plus ou moins célèbres...), il faut bien dire que les pièces les plus passionnantes de cette exposition restent sans doute les fameux story-boards du cinéaste, qui éclairent bien sa manière de travailler : depuis tout petit, Scorsese dessine du cinéma. Asthmatique, il ne peut pas faire de sport avec ses camarades ; il invente donc ses propres films, armé d’un simple crayon sépia. Ses dessins de jeunesse correspondent tous au format 1,33, qui est celui des films qu’il regarde sur le téléviseur familial. Il fantasme aussi un péplum intitulé The Eternal City, avec au casting Marlon Brando et

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Richard Burton… Ici exposée, l’affiche de ce film rêvé attendrit, parce qu’elle révèle déjà l’incroyable méticulosité du réalisateur. Sur le story-board de Taxi Driver (1976), dont l’original est en partie montré, des flèches, indiquant les zooms ou les panoramiques , donnent l’impression que les images sont vivantes. Sur celui de Raging Bull (1981), c’est un rouge criard figurant le sang qui capte l’attention, en tranchant nettement avec le noir et blanc des cases. L’exposition permet ainsi de voir évoluer le tracé du grand « Marty » qui confessait, lors de la conférence de presse de l’exposition, mi-octobre, devoir désormais travailler avec des artistes – comme Karl Shefelman pour Shutter Island – pour rendre ses dessins déchiffrables par le reste de l’équipe, son trait, trop rapide, étant devenu quasiment illisible. Toujours est-il que, même à l’heure des prévisualisations numériques qui tendent à remplacer les story-boards, Scorsese commence toujours ses grands films par un modeste coup de crayon. « Scorsese, l’exposition » jusqu’au 14 février à la Cinémathèque française

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à su ivre

Shameik Moore Avec son sourire d’enfant, l’Américain Shameik Moore, 20 ans, semble tout juste sorti de l’œuf. Il court pourtant après le succès depuis la préadolescence, bien avant son rôle dans le petit plaisir old school et survitaminé Dope. PAR TIMÉ ZOPPÉ

12 ans, Shameik Moore se prend une claque quand il voit Street Dancers de Chris Stokes. Rebelote lorsqu’il assiste à un concert de Chris Brown. « Ça m’a donné envie de chanter, de danser, de me produire sur scène… Tout ça à la fois ! » s’enthousiasme le jeune homme, au téléphone depuis New York. Lui qui a passé sa jeunesse à Lithonia, un patelin de l’État de Géorgie, se met alors à cravacher pour se faire un nom. En 2011, il lance sur YouTube sa websérie, MeaksWorld, qui le montre au travail (en studio, en cours de danse…). Sa notoriété naissante le propulse dans le show comique Incredible Crew (Cartoon Network). Il envoie ensuite des bouts d’essai au tout Hollywood et décroche enfin le premier

« Lui qui a passé sa jeunesse à Lithonia se met à cravacher pour se faire un nom. »

© gilles toucas

rôle de Dope. Dans ce film, qui questionne de manière hilarante l’identité noire à l’ère d’Obama, il incarne Malcolm, un lycéen geek, fan du hiphop des années 1990, qui joue dans un groupe punk et rêve d’intégrer Harvard alors qu’il vient d’un quartier chaud de Los Angeles. Un rôle complexe, inspiré du parcours du réalisateur, Rick Famuyiwa. « Rick peut être cool, mais il a aussi un côté décalé et bizarre. C’est ce que j’ai essayé de reproduire. » Moore en a encore sous le pied. Il tourne actuellement The Get Down, une série sur les débuts du hip-hop, et prépare la sortie de son premier album (toujours hip-hop), 30058. Espérons qu’il lui reste encore quelques rêves d’enfance à réaliser avant ses 21 ans. Dope de Rick Famuyiwa avec Shameik Moore, Kiersey Clemons… Distribution : Happiness Durée : 1h43 Sortie le 4 novembre

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ag e n da

Sorties du 4 nov. au 2 déc. Steve McQueen The Man & Le Mans de John McKenna et Gabriel Clarke Documentaire Distribution : Marco Polo Durée : 1h52 Page 70

L’Étage du dessous de Radu Muntean avec Teodor Corban, Iulian Postelnicu… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h33 Page 74

Dope de Rick Famuyiwa avec Shameik Moore, Kiersey Clemons… Distribution : Happiness Durée : 1h43 Page 22

Nous trois ou rien de Kheiron avec Kheiron, Leïla Bekhti… Distribution : Gaumont Durée : 1h42

Francofonia Le Louvre sous l’Occupation d’Alexandre Sokourov avec Louis-Do de Lencquesaing, Benjamin Utzerath… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h28 Page 74

Le Fils de Saul de László Nemes avec Géza Röhrig, Levente Molnár… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h47 Page 38

The Visit Une rencontre extraterrestre de Michael Madsen Documentaire Distribution : Pickup Films Durée : 1h23

Les Yeux brûlés de Laurent Roth Documentaire Distribution : Shellac Durée : 58min Page 74

4 nov.

Avril et le Monde truqué de Franck Ekinci et Christian Desmares Animation Distribution : StudioCanal Durée : 1h45 Page 68

11 nov.

Les Anarchistes d’Elie Wajeman avec Tahar Rahim, Adèle Exarchopoulos… Distribution : Mars Durée : 1h41 Page 76

À vif ! de John Wells avec Bradley Cooper, Sienna Miller… Distribution : SND Durée : 1h40 Page 68

Bad Boy Bubby de Rolf de Heer avec Nicholas Hope, Claire Benito... Distribution : Nour Films Durée : 1h48 Page 34

Ange et Gabrielle d’Anne Giafferi avec Patrick Bruel, Isabelle Carré… Distribution : UGC Durée : 1h31

La Dernière Leçon de Pascale Pouzadoux avec Sandrine Bonnaire, Marthe Villalonga… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h45 Page 68

Une histoire de fou de Robert Guédiguian avec Simon Abkarian, Ariane Ascaride… Distribution : Diaphana Durée : 2h14 Page 72

Au royaume des singes de Mark Linfield et Alastair Fothergill Documentaire Distribution : Walt Disney Durée : 1h21

En mai fais ce qu’il te plaît de Christian Carion avec August Diehl, Olivier Gourmet… Distribution : Pathé Durée : 1h54 Page 68

007 Spectre de Sam Mendes avec Daniel Craig, Christoph Waltz… Distribution : Sony Pictures Durée : 2h30 Page 72

Norte. La fin de l’histoire de Lav Diaz avec Sid Lucero, Archie Alemania… Distribution : Shellac Durée : 4h10 Page 70

Le Dernier Continent de Vincent Lapize Documentaire Distribution : À perte de vue Durée : 1h17 Page 72

Out 1. Noli me tangere Out 1. Spectre de Jacques Rivette avec Michael Lonsdale, Juliet Berto… Distribution : Carlotta Films Durée : 12h30 et 4h15 Page 8

Madame Bovary de Sophie Barthes avec Mia Wasikowska, Henry Lloyd-Hughes… Distribution : Jour2fête Durée : 1h58 Page 70

Le Feu sacré d’Arthur Joffé Documentaire Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h32 Page 72

Hunger Games. La Révolte. Part. 2 de Francis Lawrence avec Jennifer Lawrence, Josh Hutcherson… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h16 Page 14

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18 nov.


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ag e n da

Sorties du 4 nov. au 2 déc. Made in France de Nicolas Boukhrief avec Malik Zidi, Dimitri Storoge… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h34 Page 67

L’Idiot ! de Youri Bykov avec Artem Bystrov, Nataliya Surkova… Distribution : KinoVista Durée : 1h52 Page 80

The Other Side de Roberto Minervini Documentaire Distribution : Shellac Durée : 1h32 Page 84

El Club de Pablo Larraín avec Alfredo Castro, Roberto Farías… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h37 Page 76

Les Suffragettes de Sarah Gavron avec Carey Mulligan, Helena Bonham Carter… Distribution : Pathé Durée : 1h46 Page 80

Knight of Cups de Terrence Malick avec Christian Bale, Cate Blanchett… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h58 Page 86

This Is Not a Love Story d’Alfonso Gomez-Rejon avec Thomas Mann, Olivia Cooke… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h46 Page 76

Comme ils respirent de Claire Patronik Documentaire Distribution : Zelig Films Durée : 1h36 Page 82

Dis maîtresse ! de Jean Paul Julliand Documentaire Distribution : Chapeau Melon Durée : 1h15 Page 86

L’Hermine de Christian Vincent avec Fabrice Luchini, Sidse Babett Knudsen… Distribution : Gaumont Durée : 1h38 Page 76

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Strictly Criminal de Scott Cooper avec Johnny Depp, Joel Edgerton… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h03 Page 86

Crazy Amy de Judd Apatow avec Amy Schumer, Bill Hader… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h05 Page 78

21 nuits avec Pattie d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu avec Isabelle Carré, Karin Viard… Distribution : Pyramide Durée : 1h55 Page 36

Le Voyage d’Arlo de Peter Sohn Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h40 Page 86

Je suis un soldat de Laurent Larivière avec Louise Bourgoin, Jean-Hugues Anglade… Distribution : Le Pacte Durée : 1h37 Page 78

Les Cowboys de Thomas Bidegain avec François Damiens, Finnegan Oldfield… Distribution : Pathé Durée : 1h45 Page 82

Capitaine Thomas Sankara de Christophe Cupelin Documentaire Distribution : Vendredi Durée : 1h30 Page 90

Maestà. La Passion du Christ d’Andy Guérif avec Jérôme Auger, Mathieu Bineau… Distribution : Capricci Films Durée : 1h Page 78

Chant d’hiver d’Otar Iosseliani avec Rufus, Amiran Amiranashvili… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h57 Page 82

La Vie pure de Jeremy Banster avec Stany Coppet, Aurélien Recoing… Distribution : Panoceanic Films Durée : 1h33

La Peau de Bax d’Alex van Warmerdam avec Tom Dewispelaere, Alex van Warmerdam… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h36 Page 78

Jane Got a Gun de Gavin O’Connor avec Natalie Portman, Ewan McGregor… Distribution : Mars Durée : 1h37 Page 82

Macbeth de Justin Kurzel avec Michael Fassbender, Marion Cotillard… Distribution : StudioCanal Durée : 1h53 Page 80

Ixcanul de Jayro Bustamante avec María Mercedes Croy, María Telón… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h31 Page 84

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2 déc. Mia madre de Nanni Moretti avec Margherita Buy, John Turturro… Distribution : Le Pacte Durée : 1h47 Page 29


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Taj Mahal de Nicolas Saada avec Stacy Martin, Louis-Do de Lencquesaing… Distribution : Bac Films Durée : 1h31 Page 54

New Territories de Fabianny Deschamps avec Ève Bitoun, Yilin Yang… Distribution : ZED Durée : 1h24 Page 90

Marguerite et Julien de Valérie Donzelli avec Anaïs Demoustier, Jérémie Elkaïm… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h43 Page 92

Le Pont des espions de Steven Spielberg avec Tom Hanks, Mark Rylance… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h21 Page 88

Orlando Ferito de Vincent Dieutre avec Fleur Albert, Paola La Rosa… Distribution : La Huit Durée : 1h44 Page 90

Le Prophète de Roger Allers Animation Distribution : Pathé Durée : 1h24 Page 102

Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent Documentaire Distribution : Mars Durée : 1h58 Page 90

Les Voyages de Gulliver de Dave Fleischer Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 1h20 Page 90

Kill Your Friends d’Owen Harris avec Nicholas Hoult, Craig Roberts… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h43

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histoires du

CINéMA

LE FILS DE SAUL

Le Hongrois László Nemes nous parle de son premier long métrage éprouvant p. 38

AU-DELÀ DES MONTAGNES

Jia Zhang-ke signe une fresque romanesque ancrée dans le social p. 46

NICOLAS WINDING REFN

Le cinéaste commente des affiches de films tirées de sa collection p. 58

« Je n’avais pas envie de prendre les spectateurs en otage ou d’être dans l’exhibition. »

Tout, dans la vie de Margherita, va à vau-l’eau : sa mère est à l’agonie, le tournage de son film est chaotique, son couple se délite, sa fille s’éloigne, ses certitudes volent en éclats… À travers ce magnifique autoportrait masqué, Nanni Moretti se dévoile sans jamais s’exhiber dans Mia madre, confiant le rôle de son double à Margherita Buy et sachant toujours garder la juste distance avec le pathos. Il nous a reçus à Rome, dans le quartier de Monteverde Vecchio où il a grandi, dans l’intimité de son bureau rempli de livres, d’affiches de films, et de miniatures de vespas. PROPOS RECUEILLIS PAR GIORGIO CALABRESI (AVEC RAPHAËLLE SIMON)

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© philippe quaisse / pasco

Nanni Moretti


h istoi re s du ci n é ma

P

our la troisième fois après Le Caï­ man et Habemus Papam, vous avez choisi de ne pas interpréter le rôle principal. Pourtant, ce film semble très personnel, et tout laisse croire que le personnage de Margherita est votre double. Ce film est lié effectivement à ma propre histoire. D’habitude, je mets beaucoup de temps après un film avant d’attaquer le suivant, mais, cette fois, j’ai enchaîné spontanément. Ma mère est tombée malade pendant le tournage d’Habemus Papam et elle est morte pendant le montage. De cet événement est née l’idée du film. Je ne saurais pas expliquer pourquoi, mais j’ai tout de suite pensé que le protagoniste serait une femme – ça m’a beaucoup aidé à écrire d’ailleurs – et que je proposerais le rôle à Margherita Buy. Pourquoi vous êtes-vous donné le rôle de Giovanni, le frère quasi parfait, rassurant et mesuré de Margherita qui elle, entre son égoïsme et son insatisfaction chronique, a beaucoup de défauts ? Je tenais à ce qu’ils soient très différents dans leur rapport à leur mère, ou à leur travail, tout en étant très complices. Giovanni, c’est un peu une projection de Margherita, c’est la personne qu’elle voudrait être, et sans doute celle que je voudrais être moi aussi ! Margherita tourne un film très politique dans lequel un patron d’usine doit faire face au soulèvement de ses ouvriers. Comment avez-vous imaginé cette intrigue très éloignée de votre univers intimiste ? Margherita est certes proche de moi, mais je ne voulais pas qu’elle fasse un film à la Moretti. Sa vie est pleine de doutes, mais je ne voulais pas que son film soit la réverbération de ses problèmes personnels, comme dans un jeu de miroirs infini, je voulais au contraire qu’il soit fait de certitudes. Vous avez choisi l’Américain John Turturro pour interpréter Barry Huggins, l’acteur qui joue, tant bien que mal, le fameux patron de ce film dans le film. À l’exception de Michel Piccoli dans Habemus Papam, vous avez pourtant l’habitude des castings très nationaux… J’ai toujours admiré John Turturro pour son jeu très particulier. Il n’est pas dans le pur naturalisme, il y a toujours un grain de folie dans ses

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interprétations. Et puis j’étais rassuré parce qu’il connaît la culture italienne – ses parents sont d’origine italienne, il a déjà travaillé avec des réalisateurs italiens, il a même réalisé un documentaire sur la musique napolitaine… Il n’allait pas débarquer de Hollywood pour apprendre par cœur des répliques sans les comprendre. Il a tout de suite saisi son personnage et il a senti qu’il pouvait lui apporter des choses, notamment de l’improvisation. Et heureusement, Margherita Buy et Tony Laudadio, qui interprète le producteur, ont su donner le change lorsque ses répliques ne figuraient pas dans le scénario. Sur le tournage, Margherita se plaint que son équipe ne lui pose pas de limites. « Le réalisa­ teur est un con à qui vous permettez tout », ditelle. Aurait-il fallu vous interdire des choses en quarante ans de carrière ? Non, parce que j’ai rarement de grandes prétentions sur mes plateaux. Mais je me souviens que le tournage de Palombella rossa a été très fatigant, parce que je devais à la fois être réalisateur et acteur, jouer au water-polo, diriger les comédiens et les joueurs de water-polo, qui n’étaient pas des acteurs professionnels. J’avoue que, dans ce cas, les conditions de tournage étaient très compliquées, mais, heureusement, personne ne m’a interdit de faire le film. Après la perte d’un enfant dans La Chambre du fils, vous évoquez à nouveau le deuil, toujours avec beaucoup de pudeur. Je n’ai pas occulté les moments douloureux, mais je n’avais pas envie non plus de prendre les spectateurs en otage ou d’être dans l’exhibition, la démonstration de force. Je ne voulais pas que la mise en scène ou le jeu des acteurs prennent le pas sur l’émotion des personnages, je tenais à mettre leur intériorité, leurs doutes, au premier plan. Dans Mia madre comme dans La Chambre du Fils, on perçoit que les personnes confrontées au deuil ne sont pas croyantes. Sans être clairement énoncé, ce présupposé rend ces histoires plus fortes et plus tragiques, parce qu’il n’y a pas pour les personnages la consolation d’une vie après la mort. On ne sait pas toujours si on est dans la réalité, les rêves ou les angoisses de Margherita. Comment avez-vous travaillé cet aspect ? La narration suit les états d’âme de Margherita. C’est une femme qui se laisse facilement emporter

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© le pacte

e ntreti e n

Nanni Moretti et Margherita Buy

« Giovanni, c’est un peu une projection de Margherita, c’est la personne qu’elle voudrait être, et sans doute celle que je voudrais être moi aussi ! » ailleurs, qui est souvent à côté d’elle-même. Tout cohabite en elle avec la même urgence : son inquiétude pour sa mère, pour sa fille, ses préoccupations vis-à-vis du travail, mais aussi ses souvenirs, son imagination, ses rêves. J’aime l’idée que le spectateur ne comprenne pas tout de suite s’il assiste à une scène réelle, à une scène du film que tourne Margherita, ou à un rêve… Pendant l’écriture, on a beaucoup travaillé sur la manière d’emboîter ces différents registres, mais, finalement, pendant le tournage, j’ai décidé de maintenir une homogénéité stylistique entre toutes les scènes : je n’ai pas filmé les rêves dans une veine onirique, ou les souvenirs sous une lumière nostalgique. Au montage, j’ai aussi veillé à ce que les moments de réalité, de fiction et de fantasme s’enchaînent de manière très douce. Le film se conclut sur une très belle réplique : quand Margherita demande à sa mère mourante à quoi pense-t-elle, celle-ci lui répond « à demain ». Quand je suis allé voir ma mère à l’hôpital, je lui ai demandé à quoi elle pensait, et elle m’a répondu « à demain », parce que mon frère, qui vit aux ÉtatsUnis, arrivait le lendemain à Rome pour la voir. J’ai

pris cette réplique de la réalité, mais finalement je lui ai donné une tout autre signification : dans le scénario, cette scène était plutôt au milieu, mais, au montage, je me suis dit que ça pourrait être une manière assez juste pour la mère de quitter le film ; parce que c’est aussi un film sur la transmission, sur ce que lègue une génération à la suivante. Cet héritage prend différents aspects : le lien indéfectible que cette femme a noué avec sa petite-fille, ses livres qui lui survivront, les souvenirs que ses anciens élèves garderont d’elle. Est-ce pour ça que vous faites des films, pour laisser une trace ? Oui. Et aussi pour préfigurer une autre réalité, des rapports de force différents, une humanité différente. Même si j’ai parfois l’impression que la plupart des spectateurs vont au cinéma pour se laisser raconter des choses qu’ils savent déjà ou pour voir des choses qu’ils ont déjà vues, comme pour se rassurer. Au moment d’Habemus Papam, j’avais le sentiment que les gens s’étaient fait leur film dans leur tête, qu’ils voulaient que je leur raconte ce qu’ils savaient déjà sur les scandales du Vatican. Généralement, le public aime les films calqués sur la réalité ou l’actualité. Moi, ça ne m’intéresse pas.

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h istoi re s du ci n é ma

CRITIQUE

Mia madre À travers le parcours du combattant d’une réalisatrice au bord de la crise de nerfs, à la fois confrontée à un tournage calamiteux et à l’agonie de sa mère, le cinéaste romain brosse un bel autoportrait au féminin, en équilibre entre rires et larmes.

© le pacte

PAR ÉRIC VERNAY

D

Margherita Buy et John Turturro

ans Mia madre il y a trois films : le premier, politique, parle d’un conflit social dans une usine ; le deuxième, comique, évoque le tournage chaotique du premier par Margherita, réalisatrice en conflit permanent avec son acteur, l’Américain Barry Huggins (John Turturro) ; le troisième enfin, tragique, relate l’agonie de la mère de Margherita, soutenue par le frère de cette dernière (Nanni Moretti), observateur bienveillant, quoiqu’assez effacé. L’auteur de Journal intime parle évidemment encore de lui dans Mia madre, de sa condition de cinéaste, de ses doutes sur son engagement politique, de l’angoisse de la mort et de la volonté de continuer à vivre malgré tout. Mais sa matière autobiographique s’articule cette fois autour d’un personnage féminin. Margherita, donc, femme active d’une cinquantaine d’années, autoritaire mais complètement débordée, sur le front personnel comme professionnel. Désemparée par la fin prochaine de sa mère, elle n’arrive pas à prendre les choses avec philosophie, comme son frère, qui a toujours réponse à tout. Et ce ne sont pas ses journées de tournage, que l’on suit dans un récit parallèle souvent désopilant, qui vont lui remonter le moral.

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Ce cabot de Barry Huggins, qui ne perd jamais l’occasion de rappeler sa pseudo-­rencontre avec Stanley Kubrick, se révèle incapable d’aligner trois lignes de dialogue. Bref, Margherita ne sait plus trop où elle va. D’ailleurs, le conseil, joli mais légèrement abscons, qu’elle donne habituellement à ses acteurs (peu ou prou, « rester à côté de son rôle, pour qu’on voie à la fois le comédien et le personnage à l’écran ») s’avère en revanche idéal pour décrire son état du moment : à côté de la plaque. Dans un style classique à la ligne claire, Nanni Moretti échafaude son film sur un rythme binaire, alternant comédie et mélodrame en brillant équilibriste. On rit aux éclats devant les frasques de John Turturro, superbe personnage (plus tragique qu’il n’en a l’air), notamment lors d’une épique scène de tournage automobile. Mais on a également le cœur serré quand on comprend, au moment des adieux, l’étendue si précieuse de ce qu’il adviendra après soi – joies ou peines – mais qu’évidemment on ne sera plus là pour voir. Bouleversant. de Nanni Moretti avec Margherita Buy, John Turturro… Distribution : Le Pacte Durée : 1h47 Sortie le 2 décembre

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portr ait

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h istoi re s du ci n é ma – scè n e cu lte

La réplique :

« Laisse Bubby tranquille »

Bad Boy Bubby Séquestré pendant trente-cinq ans par sa mère dans une piaule insalubre, Bubby (Nicholas Hope) partage son temps entre son chat et le petit Jésus. Le retour de son père va le forcer à se confronter au monde extérieur… Bad Boy Bubby revient, dans une version restaurée, asperger les salles de son surréalisme trash.

© nour films

PAR MICHAËL PATIN

R

éalisé en 1995 par l’Australien d’origine néerlandaise Rolf de Heer – entouré de pas moins de trente-deux chefs opérateurs (!) –, Bad Boy Bubby se déploie à la manière d’un jeu surréaliste dans lequel chaque saynète est l’occasion d’une idée de mise en scène et d’une audace plastique. Vu à travers les yeux de son héros, homme-enfant naïf et dérangé qui ne s’exprime que par la répétition des mots et gestes de ceux qui l’entourent, le monde est un lieu étrange où l’horreur et la beauté se reconfigurent sans cesse. Fasciné par la musique, Bubby est recueilli par les membres d’un groupe de rock en mal de reconnaissance. Un soir, il les retrouve dans un bar, monte sur scène et déverse sur le public médusé toute la violence subie pendant sa

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captivité. La scène alterne plans du groupe, des spectateurs et de Bubby, dont le visage est cadré de plus en plus serré à mesure qu’il se libère, jusqu’à ce point limite où l’intensité de sa performance devient inquiétante. « Laisse Bubby tranquille », ânonne-t-il ; puis il se fige, habité par une flamme démente, qu’un ultime et subtil travelling avant enregistre, transformant ce Candide hardcore en figure messianique. Au-delà de son flirt permanent (et grisant) avec le glauque et le grotesque, Bad Boy Bubby révèle ici toute sa profondeur, entre fable amorale et satire émouvante. de Rolf de Heer avec Nicholas Hope, Claire Benito… Distribution : Nour Films Durée : 1h48 Ressortie le 11 novembre

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h istoi re s du ci n é ma

21 NUITS AVEC PATTIE

KARIN VIARD On l’a connue randonneuse boudeuse chez Philippe Harel, mère courage chez Sólveig Anspach, boulangère revêche chez Cédric Klapisch, secrétaire féministe chez François Ozon ou flic de choc chez Maïwenn. Alternant premiers et seconds rôles, Karin Viard semble avoir sa place partout, chez Dany Boon comme chez les frères Larrieu. Ce mois-ci, elle est Pattie, formidable personnage lubrique et hédoniste qui donne son titre à leur nouveau film. Rencontre avec une actrice libérée, délivrée.

©pyramide distribution

PAR RENAN CROS

uand on souhaite interviewer Karin Viard, c’est tout naturellement qu’elle nous donne rendez-vous chez elle. « On est quand même mieux là que dans un café, non ? C’est vachement plus agréable pour discuter. Allez, entrez ! » nous lance-t-elle, en ouvrant la porte de son incroyable maison, cachée dans une arrière-cour d’un quartier populaire parisien. Ce contraste étrange lui va bien. Comédienne populaire, elle aime les recoins secrets du cinéma d’auteur pointu, comme celui des frères Larrieu, qu’elle retrouve pour la troisième fois. « Les Larrieu, c’est la famille. C’est comme mes cousins. Ils m’appellent et ils jouent à la poupée avec moi. Bon, d’accord, vous allez me dire que c’est des jeux un peu porno. Mais dans l’histoire de France, on a beaucoup baisé entre cousins ! » Le ton est donné.

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Que ce soit dans Les Derniers Jours du monde ou dans L’amour est un crime parfait, Karin Viard, chez les Larrieu, devient une femme dominante qui utilise la sexualité comme un pouvoir. Autant de rôles qui ont façonné l’image d’une actrice sans tabou. Et ce ne sont pas ses monologues érotiques très explicites dans 21 nuits avec Pattie qui vont changer la donne. Crus mais étonnamment jamais vulgaires, ces moments de bravoures sonnent, dans la bouche de Karin Viard, comme une ode à la sensualité, à la libération des corps. « Quand je reçois le scénario des Larrieu avec ces longs monologues, je me dis “OK, comment je vais faire ça ?”, c’est tout ; je ne mets pas non plus mon image en danger, faut pas déconner ! Une fois que j’accepte, j’assume, et il s’agit de bien faire les choses. La question c’était : “Comment s’amuser avec ce texte-là ?” Les Larrieu se sont demandés s’il fallait montrer ce qu’elle raconte. Moi, franchement,

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© pyramide distribution

portr ait

Avec Isabelle Carré et Denis Lavant dans 21 nuits avec Pattie

« On n’a pas brûlé nos soutiens-gorge pour que je me retrouve à jouer les mémères tranquilles. » j’espérais que non ! » explique-t-elle dans un soupir de soulagement. À l’aise avec les mots sur la chose, l’actrice ne veut pourtant pas être cantonnée aux rôles de « chaudasses ». Véritable récréation, ces personnages forts en gueule et en actes, comme récemment dans Lolo de Julie Delpy, participent avant tout, selon elle, à une piqûre de rappel nécessaire. « On n’a pas brûlé nos soutiens-gorge pour que je me retrouve à jouer les mémères tranquilles. Mon rôle d’actrice, c’est de vous montrer qu’une femme bande autant que vous ! » HÉROÏNE DU QUOTIDIEN

Avec cette franchise et ce sens de la formule, on comprend bien pourquoi Karin Viard a fait mouche dans la comédie française. Réduite, au début de sa carrière, aux seconds rôles caustiques ou grotesques, comme chez Étienne Chatiliez (Tatie Danielle, 1990) ou chez Jean-Pierre Jeunet (Delicatessen, 1991), l’actrice a très vite mis son débit gouailleur et son air excédé au service de comédies plus réalistes, comme chez Marion Vernoux (Reines d’un jour, 2001) ou Christian Vincent (Les Enfants, 2004). Celle qui affirme avec humour « avoir bien conscience qu’elle n’est pas Catherine Deneuve » a réussi à se créer une image de comédienne proche du public, grâce à des rôles marquants de « célibattantes » ou d’héroïnes du quotidien. Récompensé d’un César en 2000, son personnage de femme qui lutte contre le cancer dans Haut les cœurs ! de Sólveig Anspach

lui vaut une reconnaissance populaire immédiate. Karin Viard, c’est la femme moderne, prosaïque, avec ses hauts et ses bas. « Moi, je ne peux pas jouer les “princesses qui sentent bon”, ça ne me parle pas, je ne comprends pas. Une femme qui tue son gosse ou qui plaque tout, ça, par contre, ça existe, je peux m’en emparer. » Second ou premier rôle, elle justifie ses choix étonnants par l’affection qu’elle porte aux projets qu’on lui propose. Dans 21 nuits avec Pattie, elle incarne la bonne fée d’Isabelle Carré, personnage principal de ce conte féminin et féministe, venu veiller le corps de sa défunte mère dans un village perdu. Si Karin Viard, volcanique, crève l’écran, son duo avec Isabelle Carré, tout en retenue, participe au charme étrange du film. « Quand la partition est belle et que tu aimes les gens derrière la caméra, ton ego passe après. Tu as juste envie d’en être, même si un second rôle, c’est toujours un peu frustrant », nuance-t-elle avec malice. Elle qui rêve de tourner avec Arnaud Desplechin avoue s’être plutôt amusée sur le tournage des Visiteurs 3 et assume les comédies populaires – tant qu’au moins le scénario la fait rire. « Être une actrice populaire de comédie, c’est déjà pas mal, non ? Faut juste essayer de slalomer entre les mauvais films et de ne pas gonfler les gens. » À la fois sophistiquée et directe, Karin Viard tire son charme d’une ironie constante, comme une forme d’élégance. La preuve, quand on la complimente sur sa prestation fabuleuse dans le film des Larrieu, elle répond, l’œil rieur : « Vous me dites ça parce que vous êtes amoureux de moi, non ? » On aurait du mal, après cette rencontre, à lui dire le contraire. 21 nuits avec Pattie d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu avec Isabelle Carré, Karin Viard… Distribution : Pyramide Durée : 1h55 Sortie le 25 novembre

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LE FILS DE SAUL

LÁSZLÓ

© antoine doyen

NEMES

« Le cinéma a institué des codes pour raconter des histoires de fiction pendant la Shoah qui ont contribué à figer la perception de ce qui s’était passé. » 38

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« Ce film fera beaucoup parler », avait prédit le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, pendant la conférence de presse précédant l’édition 2015. De fait, Le Fils de Saul, le premier long métrage du Hongrois László Nemes, avait bouleversé les festivaliers en les plongeant dans l’horreur du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau (lire la critique page 42) et était reparti de Cannes avec le prestigieux Grand prix. Cinq mois plus tard, c’est à Paris, et dans un français impeccable, que le cinéaste, aussi rigoureux qu’exalté, a répondu à nos questions. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

traumatismes indicibles. Une étincelle se produit quand Saul voit le corps de cet enfant. Tout l’enjeu du film, c’est de raconter cette voix intérieure qui naît en lui. La quête de Saul pour récupérer le corps de l’enfant et lui offrir une sépulture l’amène à croiser un groupe de prisonniers qui préparent une évasion. L’un d’eux reproche à Saul, qui refuse de les aider, de préférer un enfant mort aux vivants. Était-ce important de ne pas faire de Saul un héros ? Oui, il y a des héros dans le film, mais ce ne sont pas eux qu’on suit. Saul est un homme faillible et ordinaire. Sa quête n’a de sens que pour lui, pas pour les autres personnages, mais j’espère qu’elle a un sens aussi pour le spectateur. Le film est très documenté. Il s’appuie notamment sur l’ouvrage Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d’Auschwitz-­ Birkenau (Calmann-Lévy, 2005). Pouvez-vous nous en parler ? Tout ce qui est dans le film repose sur des faits réels et historiques, comme la préparation de l’insurrection, l’organisation des Sonderkommandos, le fonctionnement du camp… J’ai découvert ce livre il y a plus de dix ans. Il rassemble des manuscrits rédigés par des membres de Sonderkommandos affectés

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n sent dans votre film la volonté de sortir l’extermination des Juifs des livres d’histoire. Oui, quelque part, on a l’impression de faire face à un mythe, et je pense que cela ne va pas dans le sens de la perception innée de ce qu’ont pu être les camps. Dès le début du projet, on avait la volonté, avec mon équipe, de faire le portrait d’un homme, c’est-à-dire de mettre l’humain au centre du cadre, dans tous les sens du terme, et de donner une dimension humaine à quelque chose qui, trop souvent, est perçu comme une expérience presque hors du temps, de l’espace et de l’humanité. À quel point cet épisode de l’histoire vous touche-t-il personnellement ? En Hongrie, en l’espace de sept ou huit semaines, à peu près 500 000 personnes ont été déportées, majoritairement envoyées à Auschwitz-Birkenau pour être gazées. C’est un record. On est à l’été 1944 ; le IIIe Reich est en train de perdre la guerre, mais il ne ménage pas ses efforts pour tuer le plus de Juifs possible. Parmi ces 500 000 personnes, il y avait pas mal de gens de ma famille. C’est donc quelque chose qui était présent dès mon enfance. Saul, le personnage principal, est membre d’un Sonderkommando, ces unités composées de prisonniers contraints de participer à la « solution finale ». Pourtant, vous choisissez de ne jamais montrer le moment précis de l’extermination. Pourquoi ? On fait le portrait de Saul, on le suit pendant une journée et on va uniquement là où il va. Ce principe du point de vue unique nous a guidés pendant tout le film. Or, les membres des Sonderkommandos n’entrent dans la chambre à gaz qu’après que le gazage a été effectué. Au début du film, Saul croit reconnaître, parmi les cadavres qu’il sort de la chambre à gaz, celui de son fils. Cet événement semble le ramener à la vie, le reconnecter avec ses émotions… Exactement. Les membres des Sonderkommandos sont comme des morts, ils ont vécu des

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« Saul est un homme faillible et ordinaire. Sa quête n’a de sens que pour lui, pas pour les autres personnages. » au crématoire du camp d’Auschwitz-Birkenau. Ces écrits ont été enterrés par leurs auteurs, qui savaient qu’ils allaient se révolter et qu’ils avaient peu de chances de survivre. Ils ont été retrouvés après la guerre. En les lisant, j’ai été transporté dans le présent de ces hommes. J’ai voulu donner au spectateur la possibilité de faire l’expérience viscérale de la limitation individuelle et de la souffrance humaine au milieu de l’univers concentrationnaire ; faire naître une perception intuitive de la frénésie chaotique du camp, de l’impossibilité pour l’individu d’anticiper le moment d’après. Cette volonté de proposer une expérience immersive au spectateur passe par un parti pris formel très original : à l’exception du personnage principal, tout est flou dans l’image. Le cinéma, pendant des décennies, a institué des codes pour raconter des histoires de fiction pendant la Shoah, des codes qui ont contribué à figer la perception de ce qui s’était passé. Avec ce film, j’avais la volonté d’utiliser le cinéma à rebours de ce qui est souvent fait sur le sujet, mais aussi un peu à contre-courant des tendances actuelles d’un cinéma de plus en plus mangé par l’esthétique télévisuelle. Le cadreur, qui est aussi le chef opérateur, a travaillé caméra à l’épaule. On a choisi un iris avec une très faible profondeur de champ, qui l’obligeait à se tenir en permanence à soixante centimètres de l’acteur. Il fallait savoir le suivre et être très réactif.

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Dans ce flou qui entoure le personnage, on distingue parfois des charniers, des exécutions… Le fait que ces images soient floues les rend presque plus insoutenables que si elles étaient exposées frontalement. L’hypothèse de départ est simple : montrer frontalement l’horreur du camp contribue à réduire l’horreur, à la rendre compréhensible et regardable. Au contraire, ne percevoir que d’une manière fragmentaire ce qui est autour du personnage – par le flou, le hors-champ, les sons – fait naître dans l’imagination du spectateur une perspective de l’infini de l’horreur. En suggérant, on n’essaie pas de faire comprendre, mais de faire ressentir. C’est notre stratégie filmique, du début à la fin. Le travail du son est admirable. Comment avezvous abordé cet aspect ? Quand je suis allé voir l’ingénieur du son et que je lui ai annoncé que le son représenterait 50 % du film, il a bien ri. Après cinq mois de post­production sonore, il ne rigolait plus tellement. Dans le film, alors que l’image est restreinte et restrictive, le son est là pour suggérer qu’il y a beaucoup plus, il offre un véritable contrepoint à l’image. Cet univers sonore est fait de chuchotements, d’ordres criés en plusieurs langues – parce qu’il y a plein de langues différentes dans le film –, et aussi du grondement continu du crématoire qui fonctionne sans cesse, qui est une bête vivante. À Cannes, certains critiques ont reproché au film de reprendre l’esthétique d’un jeu vidéo. Qu’en pensez-vous ? Et Béla Tarr, c’est du jeu vidéo aussi ? [László Nemes a été l’assistant du cinéaste hongrois pour L’Homme de Londres (2008), ndlr.] Ceux qui disent ça ne veulent pas réfléchir. D’ailleurs, contrairement à mon film, dans le jeu vidéo, en général, il y a une profondeur de champ énorme.

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« Percevoir d’une manière fragmentaire ce qui est autour du personnage fait naître dans l’imagination du spectateur une perspective de l’infini de l’horreur. » La comparaison fait davantage référence à l’aspect immersif du film. C’est la vie qui est comme ça, on est dans une réalité tridimensionnelle. Cela dit, je peux comprendre qu’on n’ait pas envie d’entrer dans l’ici et maintenant des personnages. Vous êtes un adepte du plan-séquence. Celui qui ouvre le film, notamment, est particulièrement marquant. Que permet ce format ? Il permet d’avoir une immersion dans l’espace et le temps, dans l’instant du personnage ; c’est pour ça qu’on a voulu garder cette continuité. C’est intéressant aussi parce qu’avec le plan-séquence, l’équipe et les acteurs perçoivent la situation d’une manière extrêmement présente. C’est comme si on y était, et on le ressent quand on tourne : tout le monde se sent moins dans un film que dans une espèce de réalité. Pourquoi avez-vous choisi de tourner en 35 mm, un format compliqué pour un film avec des plans séquences, de nombreux figurants ? Le cinéma, c’est compliqué. Oui, mais ça peut l’être un peu moins. Je crois que les obstacles font partie du chemin, et pour moi la pellicule est indissociable de ce qu’est

le cinéma. La pellicule est une matière vivante, et non immédiate ; il faut savoir la travailler, mériter l’image. Ça oblige tout le monde, y compris le réalisateur, à faire des choix avant et pendant le tournage, et pas après. D’ailleurs, sur un plateau où l’on tourne en pellicule, le degré de concentration est incomparable. Je trouve aussi extrêmement dommage qu’on soit en train de perdre la possibilité de présenter les films aux spectateurs en pellicule. La projection d’un film en pellicule, c’est l’image et l’obscurité alternées, c’est un processus hypnotique. Remplacer ça par de la télé sur grand écran, franchement, je ne comprends pas. Qu’est-ce qu’on tourne après un tel film ? Un thriller, l’histoire d’une jeune femme, en 1910, à Budapest. L’action se déroule à la fin d’une civilisation, en tout cas au début de la destruction de cette civilisation. On en est au stade du développement. En sous-texte de votre question, j’ai bien compris qu’il y avait l’idée de la pression qu’on peut avoir après un film comme ça… Oui, et après un Grand prix à Cannes. He bien, au pire, je raterai mon prochain film ! En tout cas, il sera très différent, et ambitieux d’une autre manière.

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CRITIQUE

Le Fils de Saul László Nemes met sa mise en scène ultra maîtrisée au service de l’immersion totale du spectateur dans le présent de Saul, prisonnier du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Un premier long métrage aussi éprouvant qu’ambitieux.

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PAR JULIETTE REITZER

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n homme progresse parmi la cohue et le vacarme, des ordres sont hurlés, des gens descendent d’un train, sont rassemblés dans un bâtiment. La porte se referme sur eux, plongeant dans l’obscurité le visage fermé, figé dans l’effroi, du héros… Dès son plan-­séquence d’ouverture, Le Fils de Saul impressionne par sa maîtrise formelle et par la puissance de sa charge émotive. Dans le camp d’Auschwitz-­ Birkenau, Saul (sidérant Géza Röhrig) fait partie d’un Sonderkommando, un groupe de prisonniers contraints de participer au processus d’extermination. L’homme travaille à proximité des chambres à gaz, et il accomplit son infernale besogne (ramasser les vêtements, évacuer les corps nus, nettoyer le sol, recommencer) dans une frénésie feutrée et terrifiée, le regard vide, comme étranger à lui-même. Mais ce jour-là, parmi les cadavres, Saul croit reconnaître son fils. Dès lors, il n’a plus qu’une idée en tête : récupérer le corps et trouver un rabbin pour enterrer l’enfant… À la question de la représentation de l’horreur, le cinéaste, ancien second assistant du réalisateur hongrois Béla Tarr, répond par une mise en scène tirée au cordeau, radicale mais jamais ostentatoire, qui

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parvient à trouver l’équilibre entre suggestion et ultra-­réalisme. Enserré dans un format carré, filmé avec une très faible profondeur de champ (autour de lui, toute l’image est floue), Saul est le seul point d’amarre pour le regard du spectateur, en totale immersion dans le présent du héros – l’histoire se déroule sur à peine plus d’une journée. Saul est en permanence au centre de l’écran, à l’exception de quelques rares plans subjectifs, par exemple quand, au cours d’un rapide transfert en camion, il aperçoit les cimes des arbres se découper sur le ciel – image déchirante. La quête désespérée de Saul, qui le mène successivement dans les différents espaces du camp, devient moins prétexte à installer un quelconque suspense malvenu qu’à procéder à un étalage patient et exhaustif de la mise en œuvre de la « solution finale » – cabinets d’autopsie, crématoriums, salles de tri, fosses communes, bureaux de l’administration… C’est dans cette volonté d’ancrer le cauchemar dans la réalité, tant factuelle qu’émotionnelle, que le film est le plus réussi. de László Nemes avec Géza Röhrig, Levente Molnár… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h47 Sortie le 4 novembre

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SYLVETTE BAUDROT, SCRIPTE

Détails de taille Reconnaissable sur un tournage aux notes qu’elle prend et au chronomètre qu’elle porte autour du cou, la scripte est la mémoire vive du film, chargée de la continuité et des raccords. En France, Sylvette Baudrot est la plus célèbre de ces femmes de l’ombre. Octogénaire énergique, elle nous parle de ce métier qu’elle a exercé aux côtés de Jacques Tati, d’Alain Resnais ou de Roman Polanski.

© collection cinémathèque française / d.r.

PAR JULIETTE REITZER

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Sylvette Baudrot sur le tournage du Pianiste de Roman Polanski en 2001

lle fonce dans les couloirs de la Cinémathèque française, cavale dans les escaliers. Sur ses talons, l’assistant de l’attachée de presse la suit avec peine ; visiblement, il connaît moins bien les lieux qu’elle. « C’est ma deuxième maison ici ! » nous lance-t-elle en envoyant valser une porte battante. On l’a retrouvée un peu plus tôt dans le hall du bâtiment, mais avant de faire l’interview, elle a tenu à monter au service des archives – où elle stocke, depuis 1995, ses archives professionnelles. Elle doit y déposer des Polaroid du tournage de Mélo (1986) d’Alain Resnais ; puisqu’on est là, on n’a qu’à l’accompagner. Le temps de claquer une

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bise aux employés qui l’accueillent en plaisantant (« Tiens, Sylvette ! Ça faisait longtemps, au moins deux jours ! »), et la voilà déjà repartie dans l’autre sens, au pas de course. Arrivée dans la galerie des Donateurs de la Cinémathèque française, où est organisée l’exposition « Dossier Scriptes » qui présente son travail et celui d’une poignée de ses consœurs (le métier de scripte est en grande majorité exercé par des femmes), Sylvette Baudrot fait le tour des lieux, le temps de nous éclairer sur l’impressionnant diagramme qu’elle avait mis au point pour préparer le tournage de Je t’aime, je t’aime (1968) de Resnais, un film compliqué parce qu’il entremêlait les époques et les sites. Puis elle extirpe de son sac la liste dactylographiée des films sur

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« Le métier de scripte requiert surtout deux qualités : ne pas être bavarde et ne pas être susceptible. » en contact avec tout le monde. » Et pour cause : auxiliaire du réalisateur, elle note pratiquement tout ce qui se passe pendant le tournage – détails et durée des plans tournés, différences entre les prises, changements dans les dialogues, données techniques (par exemple, l’objectif utilisé) et artistiques (costumes, coiffures, jeu des acteurs…). Autant d’informations précieuses pour assurer la cohérence de l’ensemble et le bon enchaînement des séquences entre elles, un film n’étant presque jamais tourné dans l’ordre chronologique. Parmi la tonne de détails qu’elle doit avoir à l’œil, Sylvette Baudrot nous en cite un : « Ma hantise, c’est les montres : quand, par exemple, le scénario dit : “Ils ont rendez-vous à la gare à 9 heures du matin” et qu’on tourne la scène à 15 heures, je demande au cadreur de ne pas filmer l’horloge. » Raccords et désaccords

Le métier exige donc le sens de l’observation, du détail et de l’organisation. Sylvette Baudrot précise : « Il requiert surtout deux qualités : ne pas être bavarde et ne pas être susceptible. » Une ligne de conduite qui lui a permis de faire deux films avec Jacques Tati (« La première fois que je l’ai rencontré, il m’a dit : “Je vous préviens, je n’ai pas besoin d’une scripte.” Ça commençait bien… »), six avec Costa-Gavras, dix-sept avec Alain Resnais, treize avec Roman Polanski… Sur chacun, elle regorge d’anecdotes. « Dans Le Locataire, il y avait une scène pendant laquelle le héros joué par

© liliane de kermadec

lesquels elle a travaillé (plus de deux cents) et nous fait signe qu’il est temps de commencer. Sylvette Baudrot est née en 1928 à Alexandrie, en Égypte, ville cosmopolite où elle apprend à parler anglais, un atout précieux pour sa future carrière – dans les années 1950 et 1960, de nombreuses coproductions internationales se tournent en partie en France, ce qui lui vaudra de travailler entre autres avec Laurel et Hardy, Stanley Donen ou Gene Kelly. Elle s’installe en France en 1946, rate le concours de l’IDHEC, mais demande à suivre l’enseignement de la promo 1947, celle notamment de Jacques Rozier, en auditrice libre. « J’avais droit aux cours théoriques, mais pas aux cours pratiques. À la fin de l’année, tous les élèves réalisaient un court métrage en 16 mm. Je me suis retrouvée à faire la scripte et j’ai aimé ce métier. C’est un poste central sur le plateau, la scripte est

Sylvette Baudrot au centre de l’équipe du tournage de Muriel ou le temps d’un retour d’Alain Resnais en 1962

Polanski descend la poubelle. Chaque partie du décor – le cinquième étage, le rez-de-chaussée, l’escalier – était tournée dans un endroit et à un moment différents. On tournait la partie dans l’escalier. Je crie : “Poubelle main gauche !” car je vois qu’il la tient de la mauvaise main. Il jette la poubelle : “Je m’en fous du raccord !” Le cadreur pivote vers moi et me fait signe qu’on ne voit pas les mains, car Polanski est coupé à la taille. Bon. Je regarde son imperméable et cette fois, je crie : “Col déboutonné !” L’équipe se tourne vers moi, effarée. Mais Polanski ne dit rien, il déboutonne son col. On fait deux prises, puis il lâche : “On va quand même en faire une troisième avec la poubelle dans la main gauche.” J’ai failli pleurer de joie ! » En soixantecinq ans de carrière, Sylvette Baudrot a vu son métier évoluer : passage au numérique, dispari­ tion de la carte professionnelle – pour être scripte sur un long métrage, cette carte, obtenue après quatre stages, était obligatoire jusqu’en 2009… Et, à l’entendre parler de cinéma avec un enthousiasme intact, on se dit que cette grande dame aux cheveux courts et à la voix grave n’est pas prête à prendre sa retraite. Alors qu’on se quitte, elle nous confie d’ailleurs que Polanski lui a demandé de travailler sur son prochain film, consacrée à l’affaire Dreyfus : « Inch’Allah, on verra bien ! » lance-t-elle avant de s’éloigner à pas vifs. « Dossier Scriptes », jusqu’au 23 juin 2016 à la Cinémathèque française (galerie des Donateurs)

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dossier

JIA ZHANG-KE Emblème du cinéma chinois dans le monde, longtemps censuré dans son propre pays, Jia Zhang-ke s’est toujours distingué par des films qui mettent au centre du cadre ses concitoyens ballottés par les mutations de la Chine contemporaine. Avec Au-delà des montagnes, son nouveau long métrage, il signe une fresque romanesque qui suit les secousses sentimentales traversées par une femme, Tao, au fil de son existence. Mais le cinéaste ne renie rien de l’ancrage social qui lui est cher en situant son intrigue dans une Chine prise en étau entre culture traditionnelle et influences occidentales. Décryptage. DOSSIER COORDONNÉ PAR QUENTIN GROSSET, JULIETTE REITZER ET RAPHAËLLE SIMON

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oute une partie d’Au-delà des des montagnes suit les destinées de ses personnages montagnes, le nouveau long sur une longue période de temps ; soit trois époques métrage de Jia Zhang-ke, se situe (1999, 2014 et 2025), filmées dans trois formats à Fenyang, dans la province du d’image différents. Cette hétérogénéité esthétique dit Shanxi, au nord-est de la Chine. tous les sursauts, la richesse et les contrastes d’une C’est la ville cerclée de montagnes vie prise dans les mutations d’une Chine qui s’adapte dans laquelle le cinéaste est né et où à l’économie de marché et s’ouvre à la culture monil a tourné ses deux premiers films, Xiao Wu. Artisan dialisée – les jeunes Chinois se déhanchent au son pickpocket (1997) et de « Go West » des Pet Platform (2000). Dès Shop Boys, un titre CRITIQUE ses premiers longs qui suggère d’abord métrages, le cinéaste l’appétit de cette jeus’est attaché à montrer nesse pour l’Occident, comment les habitants avant que la chanson de la Chine profonde ne revienne plus tard vivent les changedans le film avec une ments à la fois éconotonalité beaucoup plus par Quentin Grosset miques et culturels de nostalgique. Cette vie, leur pays dans l’après-­ c’est celle de Tao (interRévolution culturelle et au seuil du xxie siècle. prétée par Zhao Tao, lire l’encadré), sémillante jeune Dans Platform (lire la frise ci-dessous), il montre fille de Fenyang qui doit choisir à qui donner son par exemple comment des artistes s’adaptent à des cœur. Elle hésite entre Zhang Jinsheng (Zhang Yi), bouleversements tels que la privatisation de leur arrogant et cupide propriétaire d’une station-service, troupe ou l’arrivée de la culture de masse. Comme et Liangzi (Liang Jing-dong), humble ouvrier dans dans ce film, qui se déroule de 1979 à 1989, Au-delà une mine de charbon. Son choix se porte finalement

AU DELÀ DES MONTAGNES

ARPENTER LA CHINE

Pékin Fenyang SHANXI

Chengdu Fengjie SICHUAN

HUBEI

Shanghai

GUANGDONG

Jia Zhang-ke est le cinéaste qui a le mieux filmé les bouleversements d’une Chine en proie à la globalisation. Ses films, en se situant dans différentes régions du territoire, finissent par dessiner la carte sociale d’un pays qui a subi des mutations radicales. Filmographie partielle. Q. G.

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PLATFORM (2000)

THE WORLD (2004)

Jia Zhang-ke place l’histoire de son deuxième film dans sa ville natale, Fenyang, dans le Shanxi (nord-est de la Chine). De 1980 à 1990, il suit les jeunes comédiens d’une troupe de théâtre dans l’après-Révolution culturelle et affirme son ambition d’évoquer le changement du point de vue de la Chine profonde.

Le premier film du cinéaste réalisé dans un cadre officiel met en scène le World Park de Pékin dans lequel sont représentés les monuments emblématiques de différents pays (la tour Eiffel, Big Ben…). Dans ce lieu uniformisé, métaphore de la mondialisation, le couple de héros rêve d’ailleurs, mais fait du surplace.

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e n couve rtu re ZHAO TAO, L’ÉGÉRIE L’actrice aux pommettes hautes, née en 1977, a joué presque exclusivement dans les films de Jia Zhang-ke, son époux – à noter tout de même son rôle dans La Petite Venise d’Andrea Segre, pour lequel elle a remporté le David di Donatello (l’équivalent italien de nos Césars) de la meilleure actrice en 2012. Son jeu, assez posé au début de sa carrière, tend aujourd’hui à plus d’expressivité. Dans Platform, son premier rôle, grâce auquel elle a rencontré le cinéaste, elle incarne sans afféteries une jeune fille coincée entre désir d’émancipation et famille traditionnelle. Après avoir été à l’affiche de Plaisirs inconnus, elle s’inspire de son expérience pour The World (elle a, comme son personnage, travaillé dans un parc d’attractions). Dans Still Life et 24 City, son jeu est encore introspectif ; elle ira vers plus de dramatisation dans A Touch of Sin et Au-delà des montagnes. Dans ce dernier, elle parvient à faire ressentir les soubresauts sentimentaux de son personnage sur plus de vingt-cinq ans. Q. G.

sur le premier – et donc sur plus de confort matériel –, qui accède à un statut social encore plus élevé lorsqu’il rachète la mine où travaille Liangzi. DÉRACINÉ

Si la première partie du film, qui se déroule en pleine fête du Printemps, à Fenyang, en 1999, figure une jeunesse pleine d’espoir et d’insouciance, les deux autres tiers sont bien plus désenchantés. En 2014, Tao est séparée de Zhang Jinsheng, qui vit désormais à Shanghai avec leur fils, dont il a la garde et qu’il a tenu à prénommer Dollar, un choix qui révèle sans détour ses seules préoccupations : l’argent et la réussite sociale. Habitant toujours à Fenyang, Tao ne voit presque plus l’enfant. Elle le fait tout de même revenir auprès d’elle pour les obsèques de son grand-père, mais déjà la communication ne passe plus entre eux, et le voyage en train pour le raccompagner à l’aéroport sera leur dernier moment passé ensemble. Sur un mode mélodramatique – Jia Zhang-ke n’avait jamais autant donné dans la sentimentalité –, le cinéaste fait le bilan des changements qu’a connus la Chine et imagine leurs effets à venir. Si la croissance économique profite à certains – Zhang Jinsheng, qui s’enrichit rapidement –, elle en laisse

d’autres de côté – Liangzi, qui a attrapé une maladie liée à ses conditions de travail et n’a pas les moyens de se soigner. Dans le dernier segment du film, qui suit le personnage de Dollar en Australie en 2025, le garçon, devenu un jeune adulte, a oublié sa langue maternelle au profit de l’anglais et ne se souvient même plus du nom de sa mère. C’est un personnage de déraciné, sans repère, en quête de sens et d’identité, comme en a souvent convoqués Jia Zhang-ke – par exemple, les protagonistes de The World (2004), perdus dans un parc d’attractions. À travers la figure de Dollar, c’est bien sûr la mondialisation, qui tend à l’uniformisation et à l’effacement des cultures locales, qui est visée. Pour autant, le cinéaste n’est pas fataliste : le jeune garçon, qui avait refoulé le souvenir de sa mère, se laisse finalement gagner par le besoin de savoir qui elle est. C’est à cela que tient notamment la grande beauté du film. Dans une géographie éclatée et au-delà des années qui s’écoulent, les deux personnages sont malgré tout unis par un lien indéfectible. Au-delà des montagnes de Jia Zhang-ke avec Zhao Tao, Zhang Yi… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h06 Sortie le 23 décembre

STILL LIFE (2006)

24 CITY (2008)

I WISH I KNEW (2010)

A TOUCH OF SIN (2013)

San Ming et Shen Hong arrivent à Fengjie, en amont du gigantesque chantier de construction du barrage des Trois Gorges, dans le Sichuan (centre-ouest de la Chine). Le premier cherche son ex-femme ; la seconde, son mari, dont elle veut divorcer. Jia Zhang-ke filme les derniers instants d’une ville aujourd’hui submergée.

À Chengdu, dans la province du Sichuan, le réalisateur recueille la mémoire des ouvriers d’une usine qui doit être détruite pour faire place à de luxueux logements. Dans un mélange de documentaire et de fiction, le film suit plusieurs personnages, issus de différentes générations et classes sociales, touchés par ce bouleversement.

Dans ce documentaire sous-titré Histoires de Shanghai, Jia se penche sur les transformations qu’a connues la métropole portuaire depuis 1930 à travers les témoignages de personnalités liées de près ou de loin à la ville (l’actrice Rebecca Pan, l’écrivaine Chang Hsin-I, le cinéaste Hou Hsiao-hsien…).

En une succession de quatre récits vengeurs, inspirés de faits divers et répartis dans autant de provinces (Shanxi, Sichuan, Hubei et Guangdong), Jia Zhang-ke dresse une cartographie de la violence en Chine à travers des personnages qui, broyés, en viennent à se retourner contre leur environnement social.

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Xiao Wu. Artisan pickpocket de Jia Zhang-ke (1997)

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JIA ZhANG-KE

UN CINÉASTE SOUS SURVEILLANCE Tout au long de sa carrière, Jia Zhang-ke a dû composer avec la censure d’État pour s’exprimer dans des films qui, en dépeignant le climat social de la Chine moderne, ont pu déranger le régime. Retour sur les rapports du cinéaste avec une organisation nébuleuse.

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The World de Jia Zhang-ke (2004)

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PAR QUENTIN GROSSET


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n 1999, Jia Zhang-ke, alors âgé de 28 ans, est convoqué au Bureau du cinéma, un secteur de l’administration nationale de la radiodiffusion, du cinéma et de la télévision. Dans l’entrée du bâtiment s’agglutinent huit individus d’âge mûr. Parmi eux, le jeune Zhang-ke reconnaît l’un des maîtres de la « cinquième génération » de cinéastes chinois (lire l’encadré page 50). Pas le temps de s’interroger sur la présence en ces lieux de son aîné : Jia pénètre dans le bureau du fonctionnaire qui l’attend. Alors que celui-ci s’absente, le jeune cinéaste remarque un dossier portant le nom de son premier long métrage, Xiao Wu. Artisan pickpocket (1997). Il l’ouvre et y découvre, stupéfait, une lettre à charge signée par le réalisateur aperçu dans le hall. « Messieurs les dirigeants du Bureau, y lit-il, […] ce film ne doit pas perturber le cours normal des échanges culturels entre notre pays et l’étranger. » Résultat : Xiao Wu. Artisan pickpocket ne sortira pas en Chine… Raconté par le réalisateur dans son recueil Dits et écrits d’un cinéaste chinois. 1996-2011 (publié par Capricci en 2012), ce démêlé avec la censure est le premier d’une longue série.

gars du Fenyang (2015), détaille : « Les caméras numériques légères, qui permettent de ne pas se faire remarquer, ont notamment facilité les tournages. Ensuite, les films interdits circulent beaucoup grâce aux VCD [vidéo sur disque compact, ndlr] pirates. Enfin, Internet a joué un rôle majeur dans l’organisation de projections clandestines. » Seconde option, composer avec la censure pour tenter de la faire évoluer de l’intérieur. C’est la voie qu’a choisie Jia Zhang-ke. Jean Michel Frodon explique : « Ses trois premiers films ont été réalisés sans l’aval du Bureau. Ils n’ont donc pas été distribués en Chine. Mais contrairement à d’autres réalisateurs comme Wang Bing, qui tournent toujours clandestinement, et dont les films ne sont donc vus qu’à l’étranger, Jia s’est battu très vite pour obtenir des autorisations de sortie. Son quatrième long métrage, The World (2004), a ainsi été

Vu d’ici, le fonctionnement de la censure de la production cinématographique chinoise semble bien complexe. Il s’organise en plusieurs étapes (lire l’infographie page 53). D’abord, le scénario passe en commission. Il doit être accepté avant que ne soit lancée la production. Ensuite, une fois le film tourné, il faut obtenir une autorisation de diffusion, étape compliquée par le fait qu’il n’existe pas, comme c’est par exemple le cas en France, un simple système d’interdiction par tranches d’âges. Les motifs pouvant conduire à l’interdiction d’une œuvre sont variés : sont généralement censurés les films à caractère sexuels, ainsi que ceux mettant en scène la drogue, la violence ou la super­ stition. La sinologue Luisa Prudentino, professeure notamment à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales) et spécialiste du cinéma chinois, précise : « Il y a des règles incontournables : ne pas montrer une image négative de la Chine ou du parti, ne pas aborder les manifestations de Tian’anmen… Mais la censure est aussi très aléatoire. » Dans de telles conditions, comment les cinéastes indépendants peuvent-ils continuer à créer ? Plusieurs pistes s’ouvrent à eux. La première est celle de la clandestinité. Le critique de cinéma et journaliste Jean-Michel Frodon, coauteur avec Walter Salles du documentaire Jia Zhang-ke. Un

vu dans les salles chinoises, mais dans de mauvaises conditions – très peu de salles, des horaires peu pratiques. » La sortie de The World coïncide par ailleurs avec une timide libéralisation. Luisa Prudentino détaille : « En 2003, quelques cinéastes indépendants se sont accordés avec le Bureau pour assouplir la censure, afin de mettre fin à une situation paradoxale : leurs films n’étaient pas vus dans leur propre pays. Mais les réformes promises n’ont finalement jamais été entérinées. Et aujourd’hui, c’est encore pire. Le président Xi Jinping veut faire du cinéma chinois une industrie capable de rivaliser avec Hollywood. Le système privilégie donc les comédies ou les blockbusters. » Dans ce contexte d’expansion (depuis 2003, le marché du cinéma chinois connaît une croissance annuelle de 30 %), les festivals de films indépendants, comme celui de Pékin par exemple, sont régulièrement interdits.

CLANDESTINITÉ OU NÉGOCIATION

« Nous avons affaire à une vision nationaliste d’un cinéma qui doit rester inoffensif.» Luisa Prudentino

mOins contestataiRe ?

Aujourd’hui, le statut de Jia Zhang-ke a indéniablement évolué, et le cinéaste n’est plus le jeune homme timide convoqué par le Bureau en 1999. Fort du soutien indéfectible des grands festivals internationaux, il est devenu, aux côtés notamment de Chen Kaige ou de Zhang Yimou, une sorte d’emblème du cinéma chinois à l’étranger. Jia a vu dans le même temps sa notoriété s’accroître en

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© ad vitam

h istoi re s du ci n é ma

A Touch of Sin de Jia Zhang-ke (2013)

Chine (on l’a même aperçu récemment dans une publicité pour une marque de lait), où il bénéficie désormais du soutien financier d’importants studios officiellement reconnus par le pouvoir chinois. Pour autant, ses déboires avec le contrôle de l’État ne sont pas finis. Pas plus tard qu’en 2013, la sortie en Chine de son film A Touch of Sin fut ainsi d’abord autorisée par le Bureau, puis reportée, pour finalement être annulée. Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes, le film pointait la violence sociale dans la Chine actuelle en s’inspirant de faits divers réels… Juliette Schrameck, qui s’occupe des ventes internationales du nouveau film du cinéaste pour la société MK2, revient sur cette affaire : « Ça a été une grande blessure pour Jia, un événement qui a joué dans son ambition de réaliser un film qui puisse être vu en Chine. Dans Au-delà des montagnes, il a ainsi voulu mettre l’évolution sociale de la Chine au second plan, derrière le ressenti de ses personnages. » Si Au-delà des montagnes,

Jia Zhang-ke

qui bénéficie d’ailleurs d’une large distribution en Chine (cinq mille trois cents copies) paraît, à première vue, moins contestataire que les précédents longs métrages de Jia, Nathanaël Karmitz, directeur général de MK2 et coproducteur du film, tempère : « Il a certes l’ambition de toucher une grosse audience en Chine, ainsi qu’un public mondial. Cependant, je n’ai pas l’impression que le film évite les sujets sensibles comme le rapport de la Chine à l’Occident, à l’argent aussi… » D’ailleurs, Au-delà des montagnes n’a pas été choisi par les autorités chinoises pour représenter le pays aux Oscars 2015. Il lui a été préféré Go Away Mr. Tumor, « une comédie qui exalte la force et l’optimisme du peuple chinois », selon Luisa Prudentino. Pour la sinologue, c’est donc bien toujours le pessimisme qui est de rigueur quant à la situation du cinéma indépendant chinois. « Si nous n’en sommes pas encore revenus à la propagande d’État, nous avons affaire à une vision nationaliste d’un cinéma qui doit forcément rester inoffensif. »

UN CINÉASTE DE LA « SIXIÈME GÉNÉRATION » ? Jia Zhang-ke est souvent affilié à la « sixième génération » de cinéastes chinois, avec Wang Xiaoshuai ou Andrew Chen, notamment. Cette délimitation chronologique commence dès le début du cinéma chinois. La première génération (1905-1930) est celle du cinéma muet. La deuxième couvre les années 1930-1940. La troisième (1950-1965) accompagne l’arrivée au pouvoir des communistes, et la quatrième (1966-1980) s’ancre dans la Révolution culturelle, une génération sacrifiée, l’activité des cinéastes étant stoppée par le régime. Au milieu des années 1980 émerge la cinquième génération (Zhang Yimou, Chen Kaige…), qui fera rayonner le cinéma chinois à l’étranger. La sixième génération, apparue après la répression de Tian’anmen en 1989, a accompagné les mutations parfois brutales de la Chine à l’aube du xxie siècle. Le critique Jean-­Michel Frodon précise cependant : « Jia ne se reconnaît pas dans cette classification, qui est une invention occidentale. » Q. G.

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e n couve rtu re

COMMENT FONCTIONNE LA CENSURE DU CINÉMA EN CHINE ? Parcours d’un film chinois, du scénario à la sortie PAR J. R., R. S. et S. K.

UNE FOIS SON SCÉNARIO ÉCRIT, LE RÉALISATEUR A DEUX OPTIONS.

LE RÉALISATEUR OPTE POUR LA VOIE OFFICIELLE.

Il présente son scénario au Bureau du cinéma, organisme dépendant de l’administration nationale de la radiodiffusion, du cinéma et de la télévision (SARFT en anglais), dont les critères de censure sont assez vagues (ne pas menacer l’unité du pays, promouvoir la violence, déformer l’histoire chinoise, montrer des scènes à caractère sexuel…)

LE RÉALISATEUR OPTE POUR LA VOIE DE LA CLANDESTINITÉ.

Il tourne sans autorisation officielle, en bénéficiant éventuellement de financements étrangers, et son film ne sortira pas dans les cinémas chinois. Par exemple, Les Trois Sœurs du Yunnan (2014) de Wang Bing, coproduction franco-hongkongaise, a été tourné clandestinement en Chine mais n’y a pas été distribué.

LE SCÉNARIO EST REFUSÉ. Le réalisateur doit renoncer à son projet, à moins que…

LE SCÉNARIO EST ACCEPTÉ.

LE FILM CIRCULE CLANDESTINEMENT.

Le réalisateur peut tourner son film, et prétendre à des aides de l’État. En 2014, 618 films ont été produits officiellement en Chine. Une fois fini, le film repasse en commission. S’il est accepté…

en VCD ou DVD pirates ou dans des circuits parallèles (festivals indépendants et non officiels, cercles privés, universités…)

LE FILM PEUT SORTIR EN CHINE.

LE FILM PEUT SORTIR À L’ÉTRANGER.

Le pays compte aujourd’hui 23 600 salles de cinéma (à titre de comparaison, en France, il y en a environ 5 600). Environ 300 nouveaux films sortent en salles chaque année en Chine, dont un quota de 34 films étrangers (parmi eux, une majorité de blockbusters américains).

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En France, par exemple, sortent à la fois des films chinois interdits (comme Une jeunesse chinoise de Lou Ye) et autorisés dans leur pays d’origine (comme Au-delà des montagnes de Jia Zhang-ke).

Sources : Libération, CNC, Les Échos, Le Monde


TAJ MAHAL

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NICOLAS SAADA

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e ntreti e n

En novembre 2008, une série d’attaques terroristes a mis Bombay à feu et à sang. Nicolas Saada revient sur l’une d’elle, qui a fait 31 morts dans l’hôtel Taj Mahal, et relate l’histoire vraie d’une jeune survivante, campée par la convaincante Stacy Martin. Comme dans Espion(s), son premier et précédent long métrage, le réalisateur français multiplie les clins d’œil cinéphiliques, Hitchcock en tête, dans ce thriller psychologique méticuleusement pensé. Rencontre. PAR MEHDI OMAÏS

J

ohn Carpenter, Otto Preminger, Alfred Hitchcock… Vos deux longs métrages, Espion(s) et Taj Mahal, sont peuplés de références au cinéma américain. D’où vous vient cet attrait ? Mon premier souvenir de cinéma, c’est le film de Robert Aldrich, En quatrième vitesse, que j’ai découvert avec mon père. Ça a été un choc inoubliable. Quand mes parents se sont séparés, je me faisais une toile tous les dimanches avec ma mère. Ce rituel était consacré aux films américains. À l’école, je me sentais exclu, car je ne regardais aucun film français, pas même Les Aventures de Rabbi Jacob – à la maison, on regardait plutôt les films d’action à la John Carpenter. À partir de 15 ans, après avoir vu Les Sept Samouraïs d’Akira Kurosawa, j’ai compris qu’il y avait d’autres continents à explorer, et je me suis ouvert à d’autres cinémas : Fritz Lang, Rainer Werner Fassbinder, Jean-Luc Godard…

« Je suis convaincu qu’il est possible de faire du spectacle de façon minimaliste. » Vous avez rejoint la School of Visual Arts de New York à 19 ans, où vous avez suivi des cours pratiques de photo, d’initiation au cinéma et de vidéo, avec notamment la vidéaste Dara Birnbaum. Mais à l’issue de cette formation, vous avez finalement opté pour une approche théorique du cinéma, en ralliant la rédaction des Cahiers du cinéma. Exactement. J’avais 21 ans quand j’ai publié mon premier papier aux Cahiers. J’avais envoyé plusieurs textes à Serge Toubiana [alors rédacteur en chef du magazine, ndlr], et un jour il m’a dit : « Celui-là est très bien. » C’était le début de notre collaboration. Ce lieu libre me séduisait. Quand un réalisateur était dans le coin, il passait systématiquement nous voir. Souleymane Cissé, Nanni Moretti ou Jacques Doillon pouvaient débarquer en pleine réunion de rédaction.

Vous avez aussi travaillé à Radio Nova, où vous présentiez l’émission Nova fait son cinéma, consacrée aux musiques de films. D’où vous est venue l’idée de mettre les B.O. à l’honneur ? Dans les années 1970, on ne revoyait les films que longtemps après leur sortie en salles. Résultat : la chose la plus immédiatement disponible pour s’y replonger, c’était la B.O. C’est d’ailleurs à Nova que j’ai rencontré Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel, les membres du groupe Air, en 1999. Ils étaient de très fidèles auditeurs de l’émission. Nicolas et moi sommes devenus amis. Il a écrit la musique d’un de mes courts métrages, centré sur la fin du monde, et nous avons de nouveau collaboré sur Taj Mahal. Le challenge était de trouver un style qui se fonde dans le reste de la couleur musicale du film. Le résultat est magnifique. Après des années en tant que critique, vous avez franchi le pas de la réalisation en sortant, à 43 ans, votre premier long métrage, Espion(s). Je crois savoir que les producteurs étaient sceptiques à la lecture du scénario. Que vous reprochaient-ils, au juste ? De présenter un film trop ambitieux pour un premier passage derrière la caméra. Ça se situait à Londres, et ça impliquait d’embaucher des stars. En gros, on me disait que c’était démesuré, que ça coûterait trop cher. Mais je suis têtu et je ne voulais pas me priver de cette envie de cinéma ni procéder par calcul. Guillaume Canet [qui tient le premier rôle d’Espion(s), ndlr] en a heureusement aimé les enjeux, le style, le ton… J’ai le souvenir d’un tournage où j’étais à la fois heureux et extrêmement tendu. Du fait qu’il y avait des comédiens britanniques et français, je devais composer avec deux approches de la direction d’acteurs très différentes : la tradition anglo-saxonne, où tout est très carré, et le système français, où les interprètes ont besoin de communiquer beaucoup. C’était un peu comme faire deux films à la fois. J’ai énormément appris. La genèse de Taj Mahal a-t-elle été plus facile ? Taj Mahal est un film sans star, avec un personnage principal féminin et jeune. A priori, c’était un projet plus difficile à financer qu’Espion(s). Ce n’est pas une comédie ni un film de genre pur, et cette singularité était parfois compliquée à affirmer.

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Stacy Martin

« Comment réinventer sa mise en scène dans un endroit fixe ? Ce lieu d’expérimentation a donné naissance à un film catastrophe intimiste. » Qu’est-ce qui vous a poussé à vous emparer d’un sujet aussi sombre que celui des attaques de novembre 2008 à Bombay ? Comme beaucoup, j’ai été traumatisé par les attentats du 11-Septembre. J’allais devenir père et j’avais l’impression que le monde à venir serait un cauchemar. Quelques années plus tard, à Bombay, le terrorisme a frappé un pays émergent, une ville où se mélangent castes, origines, touristes, expatriés, exilés… C’était remuant de voir que lors de ces attaques, qui se sont étalées sur trois jours et qui ont coûté la vie à 173 personnes, des gamins, des vendeurs à la sauvette, des touristes argentés, des infirmières ou des flics ont été touchés. Quelques semaines plus tard, alors que je dînais chez des amis, l’un d’eux m’a annoncé que sa nièce avait failli mourir à l’hôtel Taj Mahal. J’ai fini par croiser la route de la jeune fille en question. Je suis resté fidèle à son témoignage pour bâtir le personnage de Louise qui, pendant une longue nuit, se retrouve plongée dans une situation extrême qui la pousse à se déterminer. C’est une épreuve du feu qu’elle vit. Un peu comme vous, non ? Avec votre budget plutôt restreint, réaliser un film catastrophe devait s’apparenter à un véritable casse-tête technique… Absolument. Ce film était un énorme chantier qui ne se résume pas à une fille prisonnière d’une chambre d’hôtel. Comment représenter le dedans, le dehors ? Comment filmer l’héroïne au milieu du chaos et matérialiser son état de claustration ? Comment réinventer sa mise en scène dans un endroit fixe ? Ce lieu d’expérimentation a donné naissance à un film catastrophe intimiste. Le travail sur le son a été particulièrement soigné. J’ai favorisé le hors-champ en gardant toujours le point

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de vue de Louise. Dans ce rôle, Stacy Martin a été parfaite. On l’a choisie au moment où elle tournait Nymphomaniac. J’ai été séduit par sa maturité et par son visage expressif qui m’a beaucoup guidé. On sent, dans Taj Mahal comme dans Espion(s), une véritable obsession du cadre. Aujourd’hui, il y a une forme de réalisme que je trouve académique, avec l’invention de motifs qui deviennent des conventions – comme l’utilisation de la caméra à l’épaule. Le cadre m’a toujours fasciné. Les découpages de Hitchcock sont fous. Il parvient à modifier l’humeur d’une scène selon la valeur du plan. C’est ce que j’ai essayé de faire dans Taj Mahal. Jouer sur ces valeurs afin de créer de la rupture et de l’angoisse. Je suis convaincu qu’il est possible de faire du spectacle de façon minimaliste. J’admire autant Piège de cristal de John McTiernan que Pickpoket de Robert Bresson. Le montage du film a commencé au moment des attentats contre Charlie Hebdo. Quel effet cela fait-il de se faire rattraper par l’actualité ? Les faits ont eu lieu alors que je voyais le premier « bout à bout » du film. J’ai été profondément choqué et gagné d’un sentiment paradoxal, propre à la mégalomanie et aux angoisses des créateurs. J’ai culpabilisé. Je me disais : « C’est de ta faute… Ce que tu vas faire ne sera jamais à la mesure de ce qui s’est passé. » Mais cela s’est estompé. J’ai compris que je racontais juste l’histoire de ces personnes qui vivent l’horreur de l’intérieur. Taj Mahal de Nicolas Saada avec Stacy Martin, Louis-Do de Lencquesaing… Distribution : Bac Films Durée : 1h31 Sortie le 2 décembre

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portfolio

la collection d’affiches de

NICOLAS WINDING REFN PAR TIMÉ ZOPPÉ

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n 1978, Nicolas Winding Refn, futur réalisateur de la trilogie Pusher, du Guerrier Silencieux ou de Drive, quitte son Copenhague natal pour s’installer à New York avec ses parents. Du haut de ses 8 ans, le gamin ne peut pas aller voir les midnight movies, ces films de série B projetés en séance de minuit dans une poignée de cinémas. C’est donc à la télé – où ces films sont programmés en seconde partie de soirée – qu’il découvre, en cachette, ce cinéma marginal et subversif à tout petit budget. « Ces films étaient destinés à des sensibilités plutôt abstraites et perverties… Ado, j’aimais tout ce qui allait contre l’autorité, ce qui était considéré comme du mauvais goût. Pour moi, l’ennemi juré de la créativité, c’était le bon goût », nous a confié le réalisateur, placide et élégant – habits chics et lunettes fumées –, lors de son passage à Paris, mi-octobre. L’origine de sa passion pour les images chocs remonte à sa plus tendre enfance. « J’ai découvert

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le cinéma au Danemark grâce à la télévision, en voyant La Dernière Chance de John Huston [sur un ancien boxeur qui tente de remonter sur le ring, ndlr] quand j’avais 5 ans. Je pense que c’est à cause de ma dyslexie que je suis devenu complètement obsédé par les films, par leur aspect visuel. » Il y a cinq ans, les midnight movies de la grande époque se rappellent au bon souvenir de Nicolas Winding Refn lorsque l’un de ses amis, le journaliste et biographe américain Jimmy McDonough, propose de lui vendre sa collection d’affiches décollées des devantures des cinémas de Times Square dans les années 1970 et 1980. Huit semaines plus tard, un livreur sonne à la porte du réalisateur, avec plus de mille posters rangés dans des boîtes. « Ma première pensée a été : “Oh ! mon Dieu !” Ensuite, je me suis rendu compte que je n’avais jamais vu aucun de ces films… » Ses trois cent seize affiches préférées ont été réunies dans un livre, Nicolas Winding Refn. L’art du regard, qui vient de sortir en France. Morceaux choisis, accompagnés de commentaires du cinéaste.

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Psychedelic Sex Kicks (réalisateur inconnu, 1967)

La plupart de ces films ont été perdus, il ne reste plus que des reliques de leur existence à travers ces affiches. Elles deviennent ainsi une machine à remonter le temps. Beaucoup étaient des films de sexploitation. Pour moi, ces affiches sont très pures, parce qu’elles n’étaient pas vouées à vendre une star ou un produit, mais des fantasmes et du vice, ce que je trouve plus intéressant. En fait, la majorité des longs métrages montrait de la pornographie prude, ils faisaient de grandes promesses mais ne les tenaient pas… »

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Sock It to Me Baby de Lou Campa (1968)

Le stockage de ces affiches est un problème… Je ne sais pas quoi en faire. Il faudrait que je les donne à un fonds d’archive. Elles ne se détériorent pas si elles sont à la bonne température, mais elles étaient toutes en mauvaise condition quand je les ai achetées. Pour faire le livre, il a fallu les nettoyer, leur redonner leur aspect d’origine. »

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The Sex Shuffle de Ron Scott (1968)

The Angry Red Planet d’Ib Melchior (1968)

Night Tide de Curtis Harrington (1961)

Black Starlet de Chris Munger (1974)

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Smoke and Flesh de Joseph Mangine (1968)

Organiser les affiches entre elles, c’était presque comme monter un film. Chaque poster, et même chaque paire, puisqu’ils sont disposés sur des doubles pages, devait mener au suivant par le biais de son thème, de sa couleur, de son design… J’ai bougé les éléments jusqu’à ce que tout me semble juste, mais pas non plus prévisible. J’ai mis quatre ans et j’ai payé 100 000 dollars de ma poche pour créer l’ouvrage d’affiches ultime. Ça n’a aucun sens sur le plan financier, mais c’était très amusant à faire. »

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The Master Piece de Lee Van Horn (1970)

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The Time Travelers d’Ib Melchior (1964)

Inside Ursula (réalisateur inconnu, 1976)

Ce travail a eu une grande influence sur The Neon Demon, le film que j’ai tourné à Los Angeles cet été. À chaque fois que je me sentais bloqué dans ma créativité, j’allais consulter le livre, et ça m’aidait à libérer une certaine énergie créatrice. Pour mes films, je n’écris pas de storyboard. Je fonctionne à l’instinct et je tourne les scènes dans l’ordre chronologique. 50 % du film change radicalement par rapport au scénario. C’est en constante évolution, même en postproduction. Je ne peux donc pas parler d’un film avant qu’il soit tout à fait fini. Sinon, je ne fais que supposer. »

Nicolas Winding Refn. L’art du regard d’Alan Jones, sous la direction de Nicolas Winding Refn, traduit de l’anglais par Philippe Garnier (La Rabbia) Disponible

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les F I L M S du 4 nov. au 2 déc. CRAZY AMY

Judd Apatow filme les frasques sentimentales d’une trentenaire délurée p. 78

LE PONT DES ESPIONS

Le thriller sur fond de guerre froide et de paranoïa galopante de Steven Spielberg p. 88

MARGUERITE ET JULIEN

Valérie Donzelli adapte l’histoire vraie d’une passion incestueuse p. 92

Made in France Sixième film de Nicolas Boukhrief, Made in France ausculte à hauteur d’homme le fonctionnement d’une cellule djihadiste de la banlieue parisienne. Intense et passionnant, ce thriller évite habilement les nombreux pièges inhérents à un sujet aussi délicat à traiter. PAR JULIEN DUPUY

Nicolas Boukhrief a toujours aimé s’aventurer dans les secteurs désertés par le cinéma tricolore. Après les cacous de Va mourire (1995), les transporteurs de fonds du Convoyeur (2004) ou les pensionnaires du mouroir de Cortex (2008), il pointe ses caméras vers une cellule d’intégristes islamistes dans Made in France, un film qui frappe d’abord par sa pertinence et son authenticité. Pertinence, car, même si ce projet mûrit dans l’esprit du réalisateur depuis 1995, il semble plus que jamais nécessaire de comprendre les rouages du processus d’endoctrinement des extrémistes en évitant tous les écueils racistes sur lesquels un sujet aussi brûlant pourrait s’échouer. Authenticité également, car ce film très documenté semble retranscrire avec objectivité ce que peut être le quotidien d’un groupuscule djihadiste pour mieux en comprendre, si ce n’est l’aspect social, du moins les enjeux humains, avec un quintette de personnages tragiques et toujours touchants. Il faut d’ailleurs saluer la performance de Dimitri Storoge, glaçant en leader de ce groupuscule, au sein duquel s’est infiltré un journaliste qui se retrouve piégé dans une terrible spirale de violence. Mais c’est surtout la nature fédératrice de Made in France qui est admirable. Comme il le fit du

temps où il écrivait dans le magazine Starfix, Nicolas Boukhrief défend ici les vertus d’un cinéma de genre noble qui, parce qu’il frappe viscéralement le spectateur en utilisant des codes reconnaissables par le plus grand nombre, ambitionne de s’adresser aussi aux gens dont parle le film, un public qui serait probablement peu sensible à une pure chronique réaliste. Car Made in France est aussi, voire même avant tout, un thriller très efficace où l’on retrouve le goût du cinéaste pour les héros infiltrés, une figure qu’il avait déjà exploitée dans Le Convoyeur ou dans Gardiens de l’ordre (2010). Jamais écrasé par son sujet ou emporté par l’énergie du genre, Boukhrief accomplit un délicat travail d’équilibriste dans lequel la dramaturgie ne contredit jamais le propos. Made in France se permet même quelques pointes d’humour bienvenues qui ne font qu’accentuer l’humanité prégnante des personnages. Éducatif mais pas dogmatique, choquant sans être plombant, Made in France se risque sur un terrain miné – et parvient pourtant à toujours viser juste. de Nicolas Boukhrief avec Malik Zidi, Dimitri Storoge… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h34 Sortie le 18 novembre

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le s fi lm s

> À VIF !

Avril et le Monde truqué Sous le trait de Jacques Tardi, Avril et le Monde truqué nous plonge dans une France bloquée à l’âge du charbon et de la vapeur. Un film d’animation élégant, riche en humour et en rebondissements. PAR ÉRIC VERNAY

Nous sommes à Paris, en 1941. Mais à scruter le paysage grisâ­ tre, saturé de métal boulonné, de suie et de nuages de fumée, on se croirait plutôt au xix e siècle. Pas d’électricité, pas de moteur à combustion, ni donc de radio, de télévision ou d’avions à l’horizon, et pour cause : depuis soixante-dix ans, les savants ont tous disparus, mystérieusement kidnappés, en France comme partout ailleurs. C’est notamment le cas des parents de la jeune Avril qui part à leur recherche en compagnie de son chat Darwin – doué de parole – et d’un petit voyou – doté d’un grand cœur. Pour raconter cette uchronie aux accents rétrofuturistes, les réalisateurs Franck Ekinci et Christian Desmares (directeur de l’animation sur Persepolis) s’appuient sur une conception graphique signée Tardi. On retrouve avec plaisir le style du papa d’Adèle Blanc-Sec, à savoir

un subtil dosage de fantastique et d’humour au sein d’aventures truffées de détails inventifs. Ici un téléphérique Paris-Berlin façon bateau aérien, là un restaurant zeppelin, une maison sous-marine ou une « vapomobile »… les engins rétrofuturistes pullulant dans ce Paris dominé par deux tours Eiffel n’ont rien à envier à ceux d’un Hayao Miyazaki. L’atmosphère br umeuse, le sens du cadre et le soin apporté aux dialogues convoquent le souvenir du réalisme poétique d’un Marcel Carné, tandis que le récit nous brinquebale du polar à la Sherlock Holmes à l’épopée ligne claire façon Hergé, avant d’entamer une embardée finale digne du Voyage au centre de la Terre de Jules Verne. Trépidant. de Franck Ekinci et Christian Desmares Animation Distribution : StudioCanal Durée : 1h45 Sortie le 4 novembre

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Après un passage à vide (drogue, alcool), un cuisinier star (Bradley Cooper) ouvre un nouveau resto à Londres pour tenter de décrocher sa troisième étoile au Michelin… Une épopée culinaire signée John Wells (Un été à Osage County) avec, cerise sur le gâteau, notre Omar Sy national. de John Wells (1h40) Distribution : SND Sortie le 4 novembre

> EN MAI FAIS CE QU’IL TE PLAÎT

Libéré de la prison d’Arras, un opposant allemand au nazisme se lance à la recherche de son fils, dans le tumulte de l’exode de mai 1940 qui a jeté des millions de Français sur les routes… Christian Carion (Une hirondelle a fait le printemps) signe un drame historique très documenté. de Christian Carion (1h54) Distribution : Pathé Sortie le 4 novembre

> LA DERNIÈRE LEÇON

À 92 ans, Madeleine (Marthe Villalonga) souhaite en finir avec la vie et l’annonce à sa famille. Seule sa fille (Sandrine Bonnaire) respecte son choix… La réalisatrice Pascale Pouzadoux puise dans l’humour et la lumière les clés pour appréhender la mort. de Pascale Pouzadoux (1h45) Distribution : Wild Bunch Sortie le 4 novembre


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le s fi lm s

Steve McQueen The Man & Le Mans PAR QUENTIN GROSSET

Fondu de course automobile, l’acteur Steve McQueen rêvait de figurer dans un film sur les 24 heures du Mans. Mais, après un tournage désastreux (conflit avec le réalisateur, menaces de mort du clan Manson…), Le Mans (1971) de Lee H. Katzin n’est au final pas à la hauteur des attentes de la star… Ce documentaire mêle images d’archives et témoignages de proches ou de collaborateurs. Assez académique dans sa forme, il fourmille néanmoins d’anecdotes très éclairantes qui dessinent le portrait d’un Steve McQueen obsessionnel. de John McKenna et Gabriel Clarke Documentaire Distribution : Marco Polo Production Durée : 1h52 Sortie le 4 novembre

Madame Bovary

Norte

PAR LAURA PERTUY

La fin de l’histoire PAR HENDY BICAISE

Norte. La fin de l’histoire dure 4h10, mais cette durée exceptionnelle ne fait pas événement dans la carrière de Lav Diaz, dont trois des précédents films duraient neuf heures. Capté par la caméra du cinéaste philippin, le temps ne s’étire pas gratuitement, il s’écoule naturellement. Quand il n’est pas modulé par de délicates ellipses, il épouse le réel, comme dans cette scène étrangement fascinante au cours de laquelle un personnage de Norte. La fin de l’histoire prépare son étal tandis qu’en arrière-plan le soleil se lève. L’attention du spectateur, captivé, ne faiblit d’ailleurs jamais face aux trois destins qu’unit le film : un homme qui a commis un double meurtre, un autre qui purge sa peine à sa place par erreur, et l’épouse du prisonnier,

qui n’arrive plus à l’attendre, mais pas non plus à l’oublier. Le récit, imprévisible et bouleversant, s’enrichit en permanence. Les interprétations se bousculent, Norte pouvant aussi bien nourrir une réflexion politique sur la naissance du fascisme que se recevoir comme une parabole religieuse dans laquelle la figure christique se déplacerait progressivement d’un personnage à l’autre. Cette dernière lecture est d’ailleurs soutenue par un remarquable travail de mise en scène qui joue sur la clarté et l’obscurité, les sources lumineuses et les zones d’ombre, ultime témoignage de la précieuse dimension spirituelle du film.

Obnubilée par les mirages de l’argent et des amours passionnelles, Emma Bovary s’enlise dans les tromperies vénéneuses et l’endettement excessif, jusqu’à la chute… Suivant plutôt scolairement le chef-d’œuvre de Gustave Flaubert, cette adaptation semble chercher dans son casting l’exotisme auquel aspire son héroïne. Mia Wasikowska, dont la mine pâle et délicate rappelle les figures de la littérature victorienne, joue le caprice et la démesure comme personne.

de Lav Diaz avec Sid Lucero, Archie Alemania… Distribution : Shellac Durée : 4h10 Sortie le 4 novembre

de Sophie Barthes avec Mia Wasikowska, Henry Lloyd-Hughes… Distribution : Jour2fête Durée : 1h58 Sortie le 4 novembre

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Une histoire de fou Dans le grand livre de l’histoire, comment écrire la page du génocide arménien ? Comment la tourner ? Robert Guédiguian aborde pour la première fois dans sa filmographie cette lourde interrogation, à la fois historique et intime. PAR LOUIS BLANCHOT

À l’orée des années 1980, un jeune Français d’origine arménienne, Aram, décide de quitter père et mère pour intégrer une cellule révolutionnaire au sein de laquelle il tentera de ressusciter le flambeau de la vengeance et de la reconnaissance. Mais son idéalisme va rapidement buter sur les réalités du terrorisme ; soit tuer des innocents, briser d’autres vies, agrandir le cercle sans fin des peines et des ressentiments. Une problématique qui s’incarne dans le personnage de Gilles, victime collatérale d’un attentat mené par Aram. Inspiré du livre de José Antonio Gurriaran (La Bombe), un journaliste ayant perdu l’usage d’une jambe dans un attentat perpétré par l’Asala (Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie), le film accompagne le destin de ces deux hommes brisés. On retrouve dans ce parallèle l’heureuse formule

> LE FEU SACRÉ

Cela fait plus de dix ans que le réalisateur Arthur Joffé n’a pas tourné, ses différents projets n’ayant pas abouti. Alors il décide de filmer ses proches et de laisser libre cours à leur parole. Ce journal intime, modeste et touchant, évoque parfois le travail très personnel d’Alain Cavalier. d’Arthur Joffé (1h32) Distribution : Les Films du Losange Sortie le 11 novembre

du cinéma de Guédiguian consistant à étendre l’empathie du récit à tous ses personnages. Ici, les victimes habitent l’esprit des bourreaux, et inversement. Comme de coutume chez le Marseillais, tout est posé nettement et sans ambages, à l’instar de cette parole cristalline qui jamais n’écorche le moindre mot. D’où un cinéma plat, comme on dirait d’une mise à plat – c’est-à-dire méticuleux et lisible –, parfois trop didactique peut-être, mais toujours très juste dans sa manière de décortiquer une réalité complexe tout en sachant rester solidaire des drames individuels laissés dans son sillage par la grande histoire. de Robert Guédiguian avec Simon Abkarian, Ariane Ascaride… Distribution : Diaphana Durée : 2h14 Sortie le 11 novembre

> 007 SPECTRE

L’agent 007 reçoit une lettre anonyme qui l’amène à enquêter sur une mystérieuse organisation portant le nom de Spectre… Sam Mendes et Daniel Craig remettent le couvert après le succès de Skyfall (2012), dans un nouvel hommage appuyé à la saga James Bond. de Sam Mendes (2h30) Distribution : Sony Pictures Sortie le 11 novembre

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> LE DERNIER CONTINENT

De 2012 à 2014, Vincent Lapize a documenté l’occupation, pour protester contre le projet de construction de l’aéroport du Grand Ouest, de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, espace d’affrontement devenu lieu de vie utopique. Il signe là une ode puissante à l’insubordination. de Vincent Lapize (1h17) Distribution : À perte de vue Sortie le 11 novembre


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Francofonia PAR H. B.

Après le musée de l’Ermitage dans L’Arche russe (2002), Alexandre Sokourov visite le Louvre. S’il revient sur l’histoire du musée, il tient à rappeler que son film se déroule aujourd’hui, que ce soit par les déambulations anachroniques de soldats de la Seconde Guerre mondiale ou par le filmage de Paris à l’aide de drones. Le maître russe réalise ainsi un docu-fiction sans âge qui rend hommage à tous ceux qui parcourent, aiment et font vivre le Louvre. d’Alexandre Sokourov avec L.-D. de Lencquesaing, B. Utzerath… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h28 Sortie le 11 novembre

Les Yeux brûlés

L’Étage du dessous

PAR Q. G.

PAR RAPHAËLLE SIMON

En repassant chez lui après sa promenade matinale, Pătrașcu surprend une violente dispute entre le voisin du deuxième et la voisine du premier. De retour le soir, il apprend que cette dernière a été retrouvée morte dans son appartement. Derrière ce pitch hitchcockien se cache un anti-Fenêtre sur cour ; le suspense ne se joue pas ici autour des rebondissements fracassants de l’intrigue, mais autour des non-dits. Pourquoi Pătrașcu ne dit-il rien à la police ? Pourquoi le voisin a-t-il tué cette femme – si c’est bien lui qui l’a tuée ? Pourquoi poursuit-il Pătrașcu, sollicitant son aide au moindre prétexte ? Toutes ces questions, ou presque, resteront sans réponse, car le problème est ailleurs. Avec sa mise en scène

hyperréaliste, qui suit son personnage en plans séquences dans les moments les plus concrets du quotidien, le cinéaste roumain Radu Muntean (Mardi, après Noël) s’attache avant tout à sonder la conscience et le questionnement intérieur de cet homme accablé par le doute et la culpabilité – celle de l’assassin bien sûr, mais aussi la sienne, lui qui a choisi de se taire. Dans un bel épilogue, Pătrașcu essaie de calmer son fils en proie à une crise de somnambulisme. En vain. Les démons les plus difficiles à combattre sont ceux qui demeurent hors champ, en silence.

Une femme récupère une cantine militaire dans laquelle s’accumulent les photographies de Jean Péraud, disparu en 1954 à Diên Biên Phu. En interrogeant les camarades de celui-ci (Raoul Coutard, Raymond Depardon…), elle revient sur le statut problématique du reportage de guerre. Dans ce film de 1986 mêlant fiction et documentaire, ce perpétuel questionnement est ponctué de précieuses images délivrées par le centre d’archives de la Défense.

de Radu Muntean avec Teodor Corban, Iulian Postelnicu… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h33 Sortie le 11 novembre

de Laurent Roth Documentaire Durée : 58 min Distribution : Shellac Sortie le 11 novembre

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> LES ANARCHISTES

El Club PAR H. B.

Pour No (2012), Pablo Larraín avait reconstitué le Chili des années 1980 en utilisant une caméra d’époque. Avec El Club, il prolonge l’expérimentation avec des lentilles soviétiques datant du début des années 1960 et des filtres utilisés par Andreï Tarkovski sur ses premiers films. L’imagerie très seventies renvoie au passé de ses quatre

personnages, des prêtres assignés à résidence par l’Église à cause de leurs agissements, mais vivant dans le déni de leurs crimes. Quand une ancienne victime leur rend visite, la rencontre est détonante.

À Paris, à l’orée du xxe siècle, un brigadier (Tahar Rahim) infiltre un groupe d’anarchistes. Il tombe sous le charme de l’une de ses membres (Adèle Exarchopoulos)… Hésitant entre les genres (espionnage, romance, fresque historique), ce film hybride brille surtout par ses acteurs. d’Elie Wajeman (1h41) Distribution : Mars Sortie le 11 novembre

de Pablo Larraín avec Alfredo Castro, Roberto Farías… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h37 Sortie le 18 novembre

> HUNGER GAMES. LA RÉVOLTE. PARTIE 2

L’affrontement entre Katniss et le président Snow touche à sa fin dans ce dernier opus de la tétralogie qui a consacré Jennifer Lawrence dès 2012. Après un précédent épisode assez mou, ce dénouement épique vient clore la saga de manière bien plus explosive. de Francis Lawrence (2h16) Distribution : Metropolitan FilmExport Sortie le 18 novembre

This Is Not a Love Story PAR JULIETTE REITZER

Deux ados, qui tuent le temps en tournant des parodies fauchées de films d’auteur, se prennent d’amitié pour une jeune fille de leur lycée atteinte de leucémie… Le film s’épuise un peu à force d’ironie et d’un cabotinage visuel (images inclinées à 180 degrés, filtres, accélérés…) conçu sur mesure pour plaire au festival de Sundance – où

il a d’ailleurs remporté le Grand prix du jury et le Prix du public en 2015. Reste un trio extrêmement séduisant de jeunes acteurs et quelques dialogues franchement hilarants. d’Alfonso Gomez-Rejon avec Olivia Cooke, RJ Cyler… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h46 Sortie le 18 novembre

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> L’HERMINE

Un redoutable président de cour d’assises retrouve dans un jury la seule femme qu’il a aimée. Écrit et réalisé par Christian Vincent, ce film sensible a reçu à Venise les Prix du meilleur scénario et du meilleur interprète masculin, pour un Fabrice Luchini tout en retenue. de Christian Vincent (1h38) Distribution : Gaumont Sortie le 18 novembre


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Crazy Amy Après une série de films très personnels, Judd Apatow quitte ses pénates californiens et part tourner son premier long métrage new-yorkais dans lequel on suit les frasques sentimentales d’une trentenaire délurée. PAR JULIEN DUPUY

Si Crazy Amy marque une rupture dans la carrière cinématographique de l’un des maîtres de la comédie moderne, ce film s’inscrit dans la continuité de l’une des productions télévisées les plus marquantes de Judd Apatow. En effet, comme la formidable série Girls de Lena Dunham, Crazy Amy est l’auto­ biographie à peine exagérée de l’auteur du scénario original, qui interprète également le rôle-titre : la fabuleuse Amy Schumer, star du stand-up outre-­ Atlantique, encore méconnue chez nous. Moins trash et anxiogène que Girls, Crazy Amy raconte comment une jeune femme à la sexualité dissolue tombe amoureuse, à son grand désarroi, d’un chirurgien bien sous tous rapports. Apatow s’écarte donc du versant autobiographique de la plupart de ses derniers films (de Funny People à 40 ans mode d’emploi) pour se mettre au service d’une expérience drastiquement différente

> LA PEAU DE BAX

Schneider, tueur professionnel, doit éliminer Ramon Bax, un écrivain qui vit près des marécages, avant d’aller fêter son anniversaire avec sa femme… Le Néerlandais Alex van Warmerdam (Borgman) réalise un thriller en forme de duel au soleil délicieusement absurde. d’Alex van Warmerdam (1h36) Distribution : Potemkine Films Sortie le 18 novembre

de la sienne. Si cette démarche permet au réalisateur de revitaliser son cinéma, elle prouve surtout que son talent n’est pas forcément tributaire de son intimité avec le sujet de ses films. Qu’il s’agisse de son indéfectible humanité, de sa gestion virtuose de l’improvisation, de son penchant pour les contes moraux ou de son don pour découvrir les talents (le catcheur John Cena et le basketteur LeBron James font ici des débuts flamboyants dans la comédie), Crazy Amy porte la marque indélébile de son réalisateur. Paradoxalement, en filmant pour la première fois un scénario qu’il n’a pas écrit, Judd Apatow assoit magistralement son statut d’auteur à part entière. de Judd Apatow avec Amy Schumer, Bill Hader… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h05 Sortie le 18 novembre

> JE SUIS UN SOLDAT

La renfrognée Sandrine (Louise Bourgoin, convaincante) accepte de travailler à la dure dans le chenil de son oncle véreux (Jean-Hugues Anglade). Ancrage social, échappées vers le thriller, toile de fond narrative originale sont les ingrédients clés de ce premier long métrage malin. de Laurent Larivière (1h37) Distribution : Le Pacte Sortie le 18 novembre

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> MAESTÀ. LA PASSION DU CHRIST

L’artiste français Andy Guérif a œuvré sept ans pour tenter d’incarner La Maestà, célèbre peinture religieuse du début du xive siècle de l’Italien Duccio. Il nous donne à voir vingt-six vignettes « vivantes », soit autant de fragments du tableau joués par des acteurs. d’Andy Guérif (1h) Distribution : Capricci Films Sortie le 18 novembre


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L’Idiot ! PAR RAPHAËLLE SIMON

Tout comme celui de Dostoïevski, l’idiot de Bykov est un grand humaniste (ou naïf, c’est selon). Quand il découvre, lors d’un contrôle de routine, qu’une HLM menace de s’effondrer sur ses occupants, ce jeune plombier se met en tête de convaincre les autorités, corrompues jusqu’à l’os, d’intervenir… Si son tableau de la société russe est un peu trop noirci, la mise en scène tirée au cordeau du cinéaste russe donne des ailes à ce sombre thriller moral. de Youri Bykov avec Artem Bystrov, Nataliya Surkova… Distribution : KinoVista Durée : 1h56 Sortie le 18 novembre

Les Suffragettes PAR TIMÉ ZOPPÉ

Macbeth PAR RENAN CROS

Inépuisable source d’inspiration du septième art, Shakespeare revient avec Macbeth par la grande porte du cinéma américain. Adaptation du récit grandiose et pathétique d’un chef militaire qui tue son roi pour grimper sur le trône, ce Macbeth 2015 ose la raideur et la splendeur du texte original. Entendre Michael Fassbender hurler à plein poumons les vers anglais qui sonnent la rage et la fureur d’un homme devenu fou par un trop plein d’ambition, frémir à la poésie morbide de Lady Macbeth, parfaitement incarnée par une Marion Cotillard tout en retenue, permet d’entendre la portée mystique et fondatrice de la pièce. Tour à tour guerrier, homme politique, mari aimant, roi pathétique ou monstre

sanguinaire, Macbeth incarne l’inextinguible folie qui guette les hommes. Justin Kurzel, déjà auteur d’un film ravageur (Les Crimes de Snowtown, 2011), fonce caméra au poing dans les ténèbres ocre de l’Écosse médiévale et en fait ressortir toute la puissance cauchemardesque. Face à ce gigantesque tableau en mouvement, le spectateur oscille entre horreur et fascination. Filmant avec autant de rage les scènes d’affrontements que les tractations intimes des personnages, Kurzel signe un film puissant et exigeant qui donne à voir Shakespeare dans toute son incroyable modernité.

La réalisatrice Sarah Gavron revient sur le combat des suffragettes, ces femmes qui ont milité pour le droit de vote en Angleterre au début du xx e siècle. Carey Mulligan incarne une blanchisseuse qui se laisse convaincre par les revendications du mouvement et finit par rejoindre la lutte. Une implication qui lui coûtera sa vie de famille… La cinéaste rend un bel hommage à un épisode clé de l’histoire grâce à une solide galerie de personnages.

de Justin Kurzel avec Michael Fassbender, Marion Cotillard… Distribution : StudioCanal Durée : 1h53 Sortie le 18 novembre

de Sarah Gavron avec C. Mulligan, H. Bonham Carter… Distribution : Pathé Durée : 1h46 Sortie le 18 novembre

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Comme ils respirent PAR Juliette reitzer

Dix ans après avoir rangé ses chaussons de danse au vestiaire, la réalisatrice de ce documentaire délicat retrouve quatre de ses anciens camarades, rencontrés sur les bancs du Conservatoire, pour créer avec eux une chorégraphie qu’ils interpréteront ensemble, dans un finale tout en gracieuses envolées. Bientôt trentenaires, tous les quatre sont devenus danseurs professionnels et évoluent dans différents champs d’application de leur discipline – corps de ballet classique, jeunes compagnies… Filmées sur un registre joyeux, les retrouvailles du groupe permettent à Claire Patronik de dessiner, au fil d’interviews individuelles et d’images de leurs travaux respectifs (répétitions, coulisses, spectacles), le

portrait intime de chacun, entre souvenirs, déceptions et espoirs pour l’avenir. En montrant ainsi les danseurs tour à tour en représentation et dans les tracas de la vie quotidienne (affres sentimentales, fatigue des corps, problèmes financiers…), le film, qui a vu le jour grâce à une campagne de

financement participatif, raconte autant de façons de pratiquer la danse aujourd’hui et de la vivre, parfois dans la douleur, toujours dans la passion. de Claire Patronik Documentaire Distribution : Zelig Films Durée : 1h36 Sortie le 18 novembre

> JANE GOT A GUN

© antoine doyen

Natalie Portman vire la robe et prend les flingues dans ce western féministe. Elle campe la femme d’un truand, obligée de défendre sa famille lorsque celui-ci se retourne contre son clan. Ewan McGregor est méconnaissable en vilain méchant à la tignasse noir de jais. de Gavin O’Connor (1h37) Distribution : Mars Sortie le 25 novembre

Les Cowboys PAR BAPTISTE ETCHEGARAY

Pour son premier long métrage, Thomas Bidegain a imaginé grand : une épopée familiale doublée d’une tragédie moderne sur fond d’enrôlement djihadiste. Il a aussi imaginé « l’avant » – dans les années 1990, Daech et ses camps d’entraînement pour jeunes occidentaux désœuvrés ne faisaient pas encore la une des journaux. C’est dire si le scénariste de

Jacques Audiard (Un prophète, De rouille et d’os, Dheepan) sait s’approprier les bons territoires de fiction. La mise en scène n’est pas toujours à la hauteur des ambitions, mais l’ensemble séduit par son audace romanesque. de Thomas Bidegain avec François Damiens, Finnegan Oldfield… Distribution : Pathé Durée : 1h45 Sortie le 25 novembre

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> CHANT D’HIVER

L’acteur Rufus incarne plusieurs personnages dans ce récit en trois épisodes (une exécution pendant la Révolution française, un conflit militaire récent, et la vie d’un immeuble parisien de nos jours), au sein duquel le cinéaste géorgien traque des traces d’humanité. d’Otar Iosseliani (1h57) Distribution : Les films du Losange Sortie le 25 novembre


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The Other Side PAR JULIETTE REITZER

Après une trilogie consacrée aux habitants du Texas (The Passage, Low Tide, Le Cœur battant), Roberto Minervini pose sa caméra au nord d’une Louisiane sinistrée. Travaillant à la manière d’un photoreporter (sa formation), le réalisateur filme le quotidien d’une communauté

de white trash et livre un portrait sidérant de l’Amérique en négatif. Le film ne masque rien de la détresse psychique et matérielle de ses antihéros, montrant frontalement scènes de violence et de défonce sans toujours éviter un certain voyeurisme, comme lorsque la caméra s’attarde sur le

ventre gonflé d’une stripteaseuse enceinte qui se shoote avant d’entamer un numéro de lap dance. Parfois déconcertant dans son refus de choisir entre le dispositif documentaire (chacun est ici dans son propre rôle) et la fiction (certains passages sont mis en scène), The Other Side parvient à toucher dans des scènes plus en retenue, comme lorsque Mark, toxicomane au visage ravagé, offre à sa nièce une vieille poupée dépenaillée. Face à cette gamine qui raconte son rêve de devenir styliste et de s’inscrire à Harvard, la caméra de Minervini ne peut que constater l’absence de perspectives offertes à ces laissés-pour-compte. C’est déjà beaucoup.  de Roberto Minervini Documentaire Distribution : Shellac Durée : 1h32 Sortie le 25 novembre

Ixcanul PAR TIMÉ ZOPPÉ

Pour son premier long métrage, Jayro Bustamante, qui a étudié le cinéma en France, revient sur sa terre natale, le Guatemala, et nous conte le parcours d’une adolescente maya prête à tout pour modifier le cours de son destin. Promise au propriétaire de la plantation de café où travaille sa famille, Maria, 17 ans, n’a d’autre choix que de suivre le plan de ses parents, sans quoi ceux-ci perdront leur travail. Mutique et secrètement déterminée, sa personnalité trouve un écho dans le fabuleux volcan – filmé dans toute sa force titanesque au repos – sur le flanc duquel ils vivent : sous sa beauté sauvage, elle bouillonne d’une foule de désirs. Mais comme personne ne la laisse décider, elle doit forcer les choses. Elle séduit donc un jeune du village qui veut tenter de gagner les

États-Unis mais qui attend qu’elle se donne à lui pour daigner l’emmener… Sans céder à la tentation de s’attarder sur les traditions de cette communauté au détriment du récit, le réalisateur observe les liens entre ses personnages, qui se tissent bien plus par les gestes que

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par la parole. Au final, la critique est acerbe : les sacrifices humains, désormais au sens figuré, ont toujours cours dans cette culture. de Jayro Bustamante avec María Mercedes Croy, María Telón… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h31 Sortie le 25 novembre


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Knight of cups Avec Knight of Cups, Terrence Malick abandonne encore un peu plus les rivages de la narration traditionnelle pour envisager le cinéma comme une pure tentative de saisissement. PAR LOUIS BLANCHOT

Si le film ne risque pas de calmer les malicko-­ sceptiques, difficile de ne pas succomber dès les premières minutes à cette symphonie élégiaque pulvérisée dans le temps, l’espace et les sensations. Comme dans À la merveille (2013), il s’agit moins de raconter une histoire que de déployer une perception ; ici, celle d’un scénariste revenu de tout (Christian Bale), prisonnier du sentiment qu’il est passé à côté de sa vie. Des errements intérieurs éclairés par un conte mythologique : le récit d’un prince, parti vers l’Orient en quête d’une perle, qui finira par oublier sa raison d’être après s’être abreuvé à une coupe provoquant l’amnésie. L’occasion, pour Terrence Malick, d’égarer pour la première fois sa caméra sur le sable de la côte ouest des États-Unis, territoire à la fois sauvage et domestiqué où cohabitent la beauté immuable de la nature et les stigmates d’une société arrivée au

> LE VOYAGE D’ARLO

Et si l’extinction des dinosaures n’avait jamais eu lieu ? Marqué par une production chaotique – le réalisateur initial a été débarqué en cours de route –, le nouveau Pixar suit le parcours d’un apatosaure maladroit qui prend sous son aile un petit garçon dégourdi. de Peter Sohn (1h40) Distribution : Walt Disney Sortie le 25 novembre

stade terminal de la superficialité. La réalité s’y rapporte à un capharnaüm de plaisirs, de courbes et de textures, à la surface duquel la mise en scène vient cramponner les surgissements de grâce et les signes enfouis du divin. Libéré de toute entrave causale, le récit se métamorphose au gré des expérimentations figuratives, jusqu’à réduire le montage à un relais de pulsions tactiles et de frémissements audiovisuels. De quoi égarer quelques spectateurs en route, mais imprimer durablement dans l’esprit des autres un état de perception trouble et diffractée, au diapason de personnages progressivement dissous dans le grand bain de l’existence. de Terrence Malick avec Christian Bale, Cate Blanchett… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h58 Sortie le 25 novembre

> DIS MAÎTRESSE !

Jean Paul Julliand a posé sa caméra discrète au cœur d’une classe de maternelle. Avec simplicité, le documentariste observe comment les tout-petits apprennent à regarder l’autre et à lui parler, en s’appuyant sur la voix off de l’institutrice, éclairante. de Jean Paul Julliand (1h15) Distribution : Chapeau Melon Sortie le 25 novembre

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> STRICTLY CRIMINAL

L’histoire vraie de la collaboration, des années 1970 à 1990, entre un agent du F.B.I. et un célèbre criminel de Boston, James J. Bulger. La façon dont Johnny Depp est grimé pour ressembler au caïd déroute un peu, sans vraiment nuire à l’efficacité de ce thriller nerveux. de Scott Cooper (2h03) Distribution : Warner Bros. Sortie le 25 novembre


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Le Pont des espions Trois années après Lincoln, Steven Spielberg continue de radiographier l’Amérique avec ce thriller à la croisée du drama et de la comédie. Une histoire vraie, sur fond de guerre froide et de paranoïa galopante, dans laquelle se dessine en creux un nouvel éloge de l’exemplarité. PAR LOUIS BLANCHOT

Bonhomme dans la vie mais roublard au travail, James B. Donovan est avocat pour une grosse compagnie d’assurances. Il va mettre sa réputation et son foyer en danger le jour où, en pleine guerre froide, il accepte d’assurer la défense d’un colonel accusé d’espionnage pour l’U.R.S.S. Coïncidence : de l’autre côté du rideau de fer, un soldat de l’Oncle Sam vient de tomber entre les mains des communistes. Dans une quasi-clandestinité, Donovan se trouve dès lors chargé de négocier la libération de ce captif en échange de son client. Mais cette négociation sera bientôt contrariée par l’emprisonnement d’un jeune étudiant américain, dont la C.I.A. se fiche mais que l’avocat entêté insiste pour inclure dans l’échange. Comme Lincoln, Le Pont des espions est le récit d’une intelligence faite d’obstination et de prescience. Donovan est de ces personnages qui semblent munis d’une boussole secrète, capables de se faufiler à travers tous les obstacles politiques et administratifs pour atteindre leur objectif. Ce que filme en premier lieu Spielberg, c’est la transformation édifiante mais subtile d’un citoyen lambda en héros serpentin : comment un rond-de-cuir du grand

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capital va opérer sa mue pour devenir le plus grand négociateur de l’Amérique. Une mutation en forme de prise de conscience à laquelle Tom Hanks prête son visage débonnaire et sa carrure replète, cette rondeur bienveillante déjà mise au service du cinéaste dans Arrête-moi si tu peux. Mais Le Pont des espions réaffirme surtout la capacité de Spielberg à méditer, sous la chantilly de l’hagiographie humaniste, une superbe dissertation sur les apories de son pays. La démocratie américaine y est cette grande bête malade et inachevée, hypocrite et contradictoire, à laquelle quelques génies de l’arbitrage redonnent ponctuellement un regain de vie et d’espérance. Comme un médecin qui refuse de voir son patient mourir, le roi de l’entertainment vient en aide à une croyance classique, naïve et doucement anachronique : celle de la démocratie comme perpétuel spectacle de la justice et du bon sens dans lequel finissent toujours par triompher les idées nobles et les esprits vertueux. de Steven Spielberg avec Tom Hanks, Mark Rylance… Distribution : 20th Century Fox Durée : 2h21 Sortie le 2 décembre

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Capitaine Thomas Sankara PAR T. Z.

Construit uniquement à partir d’images d’archives, ce captivant documentaire redonne vie à une curieuse étoile filante de la politique burkinabé. Si le capitaine Thomas Sankara a été porté au pouvoir par un coup d’état en 1983 au Burkina Faso, qui s’appelle alors encore Haute-Volta, sa présidence l’a consacré comme un véritable

héros de la cause anti­colonialiste. Révolutionnaire, nourri d’idéaux féministes et écologistes, il a œuvré pendant quatre ans à remettre le pays sur pied, jusqu’à son assassinat en 1987.

> LES VOYAGES DE GULLIVER

Géant parmi les Lilliputiens, Gulliver débarque dans un royaume en guerre… Réalisé en 1939, le film d’animation de Dave Fleischer ressort dans une version restaurée : l’occasion de revoir l’une des premières adaptations du roman satirique de Jonathan Swift. de Dave Fleischer (1h20) Distribution : Gebeka Films Sortie le 2 décembre

de Christophe Cupelin Documentaire Distribution : Vendredi Durée : 1h30 Sortie le 25 novembre

> NEW TERRITORIES

Dans un no man’s land situé entre la Chine continentale et Hong Kong, les destins d’Ève, femme d’affaires française, et de Li Yu, ouvrière chinoise, se croisent… Avec audace, ce premier film aborde le social et le politique par le prisme du rêve et du fantastique. de Fabianny Deschamps (1h24) Distribution : ZED Sortie le 2 décembre

Demain PAR J. R.

Passé de brefs instants d’embarras (Mélanie Laurent, coréalisatrice, fait un câlin d’au revoir aux deux universitaires américains qu’elle vient d’interroger), on se laisse gagner par les intentions louables de ce documentaire qui, partant de la publication d’une étude sur la possible disparition d’une partie de l’humanité d’ici 2100, fait l’éloge de solutions

inspirantes – fermes urbaines, monnaies locales... Il parvient aussi à aborder les enjeux éthiques et philosophiques de sujets aussi vertigineux et passionnants que la démocratie ou la globalisation. de Cyril Dion et Mélanie Laurent Documentaire Distribution : Mars Durée : 1h58 Sortie le 2 décembre

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> ORLANDO FERITO

Vincent Dieutre est l’auteur d’une œuvre documentaire très émouvante, parce qu’à la fois profondément intime (ses rapports amoureux y tiennent une place importante) et résolument altruiste. Ce nouveau film, qui sonde la Sicile d’aujourd’hui, ne déroge pas à la règle. de Vincent Dieutre (1h44) Distribution : La Huit Sortie le 2 décembre


« Un des spectacles les plus courus cette année » Le Monde « Étourdissant » Le Canard Enchainé

« Comédie délirante » JDD

« Le malicieux catalan emballe son monde » L’Express

« C’est inouï » France Inter

« Les spectateurs jubilent » Les Échos


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Marguerite & Julien Marguerite (Anaïs Demoustier) et Julien (Jérémie Elkaïm) de Ravalet sont les enfants du seigneur de Tourlaville. En grandissant, leur affection fraternelle se transforme en une attirance irrépressible, qui les condamnera à l’exil… Valérie Donzelli dépoussière le film en costumes avec une mise en scène pop et chevaleresque. PAR RAPHAËLLE SIMON

Valérie Donzelli aime inventer des dispositifs et broder des canevas narratifs bien à elle pour raconter ses histoires d’amour, que ce soit dans La Reine des pommes (le même acteur, Jérémie Elkaïm, campait les différents prétendants d’une jeune femme), dans La guerre est déclarée (la lutte effrénée menée par un couple contre le cancer de leur petit garçon prenait l’allure d’une acrobatie de haute voltige), ou dans Main dans la main (un sortilège condamnait un homme et une femme à rester côte à côte). Marguerite et Julien, son dernier film, présenté au Festival de Cannes, ne déroge pas à la règle, il la consacre même. Pour adapter ce scénario inspiré d’un fait divers du xvii e siècle, que Jean Gruault avait écrit pour François Truffaut en 1973, la réalisatrice a carrément fabriqué une époque de toutes pièces : « Truffaut avait refusé le scénario à cause de la contrainte de la reconstitution, ça l’avait un peu fatigué d’avance. Moi, je me suis tout de suite dit qu’il fallait inventer une époque. Je ne me sentais pas du tout de réaliser un film historique, je ne suis pas dans l’hyperréalisme. Le cinéma permet de faire croire à l’impossible, pourquoi s’en priver ? » nous

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avait-elle confié à Cannes. Effectivement, Valérie Donzelli ne se prive de rien et tente le tout pour le tout : anachronismes en rafale comme autant de clins d’œil au Peau d’âne de Jacques Demy (postes de télévision, toilettes Renaissance et uniformes de la guerre de 1914, calèches et hélicoptère cohabitent dans ce passé de science-fiction), scènes qui s’immobilisent en une image ou même à la manière d’un roman-photo : « J’ai testé ces effets pour marquer une tension dans la dramaturgie, figurer le cœur qui se serre tout à coup, l’impression que tout se fige. » Un foisonnement d’artifices qui peut tenir un peu à distance et empêcher de rentrer pleinement dans cette histoire d’amour, mais qui fourmille d’inventivité. Toute cette audace, cette irrépressible envie de casser les codes établis, amène de belles fulgurances (fiévreuse scène de fuite au milieu des éléments déchaînés) et est la clé d’un film hypercréatif et vivifiant, et la promesse d’un cinéma qui va de l’avant. de Valérie Donzelli avec Anaïs Demoustier, Jérémie Elkaïm… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h43 Sortie le 2 décembre

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le s fi lm s

Virgil Vernier Peu visibles jusqu’à présent, les films de Virgil Vernier réunis dans ce coffret DVD composent une œuvre fascinante et tortueuse. Le cinéaste français ensorcelle le réel en faisant appel à des mythes enfouis. PAR QUENTIN GROSSET

Dans Bonus (2015), un court métrage dans lequel Virgil Vernier parle de ses intentions, le cinéaste résume bien son ambition : réaliser des documentaires qui, en captant la réalité, auraient quand même l’air d’être de la science-fiction. Dans ses films – huit sont présentés dans ce coffret, d’autres, tels Chroniques de 2005 (2007) ou Pandore (2010), n’y sont pas pour des raisons de droits –, le réalisateur s’attache à révéler la dimension mystique d’événements ancrés dans la réalité. Dans le moyen métrage Orleans (2012) et dans le long métrage Mercuriales (2014), Vernier suit à chaque fois deux jeunes filles qui déambulent rêveusement dans un lieu dont il cherche à faire ressortir à la fois la modernité et l’ampleur mythique. Le premier, qui se déroule pendant les fêtes de Jeanne d’Arc à Orléans, met en parallèle le sermon d’un curé avec une messe electro, une barre de strip-tease avec le bûcher de Jeanne d’Arc. Le second, quant à lui, met en scène les tours Mercuriales, qui incarnent le capitalisme d’aujourd’hui tout en renvoyant à un imaginaire lié à la mythologie (Mercure, dieu du commerce). Même principe dans Andorre (2014), qui se situe dans une zone de duty free,

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lieu uniformisé par excellence, et tient de la cérémonie incantatoire sous influence Kenneth Anger. Ainsi, Vernier a le goût de frotter le contemporain aux légendes archaïques – dans Karine (2001), Thermidor (2009) ou Orleans, les chevaliers, les châteaux, les talismans sont légion. Mais il convoque aussi les violences d’un passé plus récent en mettant notamment en scène des filles de l’Est – Orleans, Mercuriales, Iron Maiden (2015). « Lisa a connu les guerres des années 1990, l’écroulement du bloc soviétique. En France, elle retrouve des violences semblables », nous confiait l’année dernière le réalisateur, à propos d’un personnage de Mercuriales. Face aux vertiges causés par le monde actuel, le cinéaste répond alors en réalisant de magnifiques portraits d’individus qui ne s’intègrent pas dans la société et la contestent malgré eux, comme, dans Thermidor, ce personnage de rockeur nommé Vicky, qui célèbre la mémoire de Louis XVI, ou, dans Vega (2014), cette vieille femme dont on ne sait si elle délire ou si elle rêve à voix haute. Coffret Virgil Vernier (Shellac) Disponible

novembre 2015


dvd

LES SORTIES DVD

> BODY DOUBLE

> LOST RIVER

de Brian De Palma (Carlotta)

de Ryan Gosling (Wild Side)

> COFFRET RUBEN ÖSTLUND

> DES JEUNES GENS MÖDERNES

Avec intelligence et un humour distancié, Ruben Östlund pose un regard acerbe sur les rapports humains dans la société suédoise actuelle. La preuve avec ce coffret qui réunit les quatre longs métrages du cinéaste : The Guitar Mongoloid et le brillant Play (présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2011), tous deux inédits en France, ainsi que Happy Sweden et le récent Snow Therapy. Mais aussi des making of, des interviews… J. R.

Entre 1978 et 1983, des musiciens français tentent de renaître des cendres du punk : post-punk, cold-wave, et d’autres courants émergent de manière disparate… Commissaire de l’exposition « Des jeunes gens mödernes » en 2008, l’auteur propose ici un autre hommage qui prend la forme d’un documentaire tout aussi électrisant que le mouvement qu’il décrit : entretiens et images d’archives s’enchaînent avec frénésie. O. B. G.

Relecture combinée de Fenêtre sur cour et de Sueurs froides, Body Double a été, comme la plupart des films de Brian De Palma, violemment condamné par la critique lors de sa sortie en salles en 1984, avant d’accéder par la suite au rang de classique culte. Nouvelle consécration pour ce film fascinant : une édition spéciale classieuse, compilant des archives jamais diffusées jusqu’à présent. J. D.

(Condor)

L’acteur Ryan Gosling (Drive) prouve qu’il a d’autres cordes à son arc en réalisant ce conte noir ancré dans l’Amérique en crise. Dans la ville imaginaire de Lost River, une mère et son fils tentent de sauver leur maison de la démolition… Le film ne se laisse pas écraser par ses références (David Lynch, Nicolas Winding Refn…) et trouve son équilibre entre méchants cruels, femmes fatales et gore sophistiqué. T. Z.

de Jean-François Sanz (UFO)


cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

SPECTACLES ARTS

Philippe Halsman EXPOSITION

Étonnez-moi ! C’est en parcourant, durant près de trois ans, l’incroyable fonds d’archives Philippe Halsman à New York que les conservateurs Anne Lacoste et Sam Stourdzé ont imaginé lui consacrer une rétrospective et partager l’effervescence de sa création. Le photographe s’expose ainsi au Jeu de Paume au fil de ses fantaisies surréalistes et spontanées, sans jamais s’essouffler. PAR LAURA PERTUY

© 2015 philippe halsman archive / magnum photos

Étonnez-moi ! » au rait répondu Serge de Diaghi­ lev, grand promoteur de l’art russe au début du xx e siècle, à Jean Cocteau, qui lui demandait comment travailler pour lui. Une devise que Philippe Halsman, qui collabora également avec Cocteau, avait faite sienne, en veillant toujours à repousser les limites de son art, fil tendu entre la photographie et le cinéma. Avec près de trois cents images et documents de travail (photomontages, épreuves…), la rétrospective du Jeu de Paume choisit,

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Philippe Halsman, Marilyn Monroe, 1952

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CONCERT The Patriotic Sunday le 25 novembre à l’Espace B p. 100

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DANSE Gala du 30 novembre au 2 décembre au Théâtre de la Ville p. 110


KIDS

MUSIQUE

Le Prophète : la chronique d’Élise, 7 ans p. 102

Little Simz, sensation hip-hop en provenance d’Albion p. 98

SPECTACLES ARTS

JEUX VIDÉO

FOOD

LIVRES

J.-B. Baronian signe un Dictionnaire amoureux de la Belgique p. 104

MODE

présente

© 2015 philippe halsman archive / magnum photos

aux côtés d’œuvres emblématiques, de s’intéresser à des clichés méconnus et « d’effectuer une relecture de l’œuvre d’un photographe dont on connaît tous le travail, mais pas le nom », comme le souligne la conservatrice Anne Lacoste. Stakhanoviste aux mille casquettes, Philippe Halsman (1906-1979) mène pendant quarante ans une carrière fulgurante, de ses débuts à Paris jusqu’à l’impressionnant succès de son studio new-yorkais entre 1940 et 1970. Quatre espaces s’intéressent aux grands mouvements qui ont dessiné sa carrière – Paris,

Halsman privilégie des séances de pose de courte durée pour mieux cerner la personnalité de son sujet. années 1930 ; Portraits ; Mises en scène ; et Halsman/ Dalí – et proposent à chaque fois un focus pour mieux comprendre la genèse des idées du photographe. « Les archives nous ont permis de découvrir que tout était déjà là dans ses premiers travaux institutionnels. Le côté expérimental, l’idée de narration au fil des photographies… Pour l’exposition, nous avons voulu suivre son processus créatif, l’évolution de sa pratique. » COMPLÈTEMENT DÉJANTÉ

Si le Français s’intéresse aux effets de la lumière et du cadrage à Paris, c’est à New York qu’il s’essaye à une approche photographique délestée d’effets. Il devient le photographe attitré des couvertures du magazine Life et capture les humeurs des icônes de son temps : Marilyn Monroe, Alfred Hitchcock, Albert Einstein… Halsman se plaît à dire que ses portraits sont « psychologiques » et privilégie des séances de pose de courte

Philippe Halsman, Portrait d’Alfred Hitchcock pour la promotion du film Les Oiseaux, 1962

durée dans un cadre intimiste pour mieux cerner la personnalité de son sujet et le mettre en valeur. Au fil des fameuses séries de jumpology – qui font ressentir la spontanéité et le naturel du modèle – et des mises en scènes très élaborées qu’il préparait avec Salvador Dalí, on distingue une maîtrise inouïe de la technique et un sens de l’humour complètement déjanté. Imprégné par ses rencontres avec les personnalités du spectacle, il invente de courts scénarios composés d’une suite d’images narratives sur le modèle d’un film. Comme pour nous rappeler la capacité de la photographie à parcourir tous les arts et à les réinventer. jusqu’au 24 janvier au Jeu de Paume

le PARCOURS PARISIEN du mois

EXPOSITION « Dominique Gonzalez-Foerster. 1887-2058 » jusqu’au 1 er février au Centre Pompidou p. 112

EXPOSITIONs « Fantastique ! » jusqu’au 17 janvier au Petit Palais p. 120

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FESTIVAL Chéries-Chéris du 24 novembre au 1 er décembre aux MK2 Beaubourg et Quai de Loire p. 122


© d. r.

cultures MUSIQUE

Little Simz RAP

Ne pas se fier à sa silhouette fluette : Little Simz, sensation hip-hop en provenance d’Albion, sait ce qu’elle veut, où elle va et comment elle y va. Elle le prouve sur un premier album au caractère bien trempé. PAR ÉRIC VERNAY

Maturité. C’est le premier mot qui nous vient à l’écoute du premier album de Little Simz. Cela peut paraître étonnant s’agissant d’une artiste âgée de seulement 21 ans, mais jetez-donc un œil à son CV. Depuis 2010, en plus d’une carrière d’actrice dans deux séries pour ados, elle a déjà aiguisé son flow sur une dizaine de mixtapes. Malgré le buzz dont elle fait l’objet – Kendrick Lamar, Yasiin Bey (aka Mos Def), Snoop Dogg et Andre 3000 l’ont couverte de louanges –, la Londonienne n’est toujours pas signée sur une major. Son disque A Curious Tale of Trials + Persons sort sur son propre label, en indé. Une situation paradoxale que l’intéressée prend avec philosophie. « Avant, je pensais que c’était important d’être signée. Maintenant, je sais que ce n’est pas nécessaire pour faire la musique que j’ai en tête ; même si ça demande beaucoup de boulot. » Allergique au compromis, cette fan de Lauryn Hill sait ce qu’elle veut, et surtout, ce qu’elle ne veut pas : « Avoir des regrets, pour avoir obéi à des exigences contractuelles. » « Ma carrière, je la construis depuis que j’ai 9 ans,

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poursuit-elle sans sourciller, donc je ne vais pas abandonner maintenant. Ce n’est pas comme ça que j’ai été éduquée. Il y aura des obstacles, mais sur la longueur les choses vont tourner en ma faveur. » On ressent cette détermination d’acier dans sa manière de rapper, pleine de rage et d’aplomb, et dans son discours conscient (sans être plombant) sur la célébrité, notamment, et sur la place des femmes dans la société – « Women can be kings ! » rappe-­t-elle. Ailleurs, elle brocarde le rap de 2015 : « Ils ne parlent que de fric et de filles à peloter. Qu’est-il arrivé au contenu ? » tout en nous confiant apprécier l’hédonisme d’un Young Thug. « Il faut aussi savoir s’amuser, c’est une question d’équilibre. Comme au cinéma, dans la musique, il peut y avoir des comédies, des drames, des romances. Moi, je suis quelque part entre le documentaire, le drame et le film d’action. » Un cocktail de feu. A Curious Tale of Trials + Persons de Little Simz (Age 101 Music/[PIAS]) Sortie le 30 octobre

novembre 2015


sélection PAR Wilfried Paris

FRANÇOIS DE ROUBAIX

de Fred Pallem & le Sacre du Tympan (Train Fantôme)

Entre pop ludique et jazz virtuose, Fred Pallem et ses musiciens revisitent (avec le concours, notamment, de Barbara Carlotti, d’Alice Lewis et de Philippe Katerine) des classiques du répertoire pour le cinéma (L’Homme orchestre, La Scoumoune) ou pour la télé (Chapi Chapo, Astralement vôtre) du talentueux mélodiste François de Roubaix, également pionnier des mariages audacieux entre instruments, sons et images.

GARDEN OF DELETE

THE SILVER GLOBE / THE AMBER LIGHT

de Jane Weaver

(Bird/Finder Keepers)

Album mésestimé sorti en 2014, puis redécouvert et plébiscité outre-Manche, The Silver Globe de Jane Weaver ressort augmenté d’inédits. Voix éthérée, mélopées d’aliens, mélancoliques ou lumineuses, entre space-rock (Hawkwind), krautrock (Neu!) et psychédélisme (Silver Apples), Jane Weaver s’inscrit avec grâce dans la lignée de Stereolab ou de Broadcast.

PAIN-NOIR

d’Oenohtrix Point Never

de Pain-Noir

Après une B.O. pour Sofia Coppola et une tournée avec Nine Inch Nails, le pionnier de la vaporwave et de l’esthétique 2.0 développée par le label PC Music sort un album à l’audacieux acronyme développant des empilements baroques de sonorités synthétiques, entre electronica et saturation, jouant avec les sons autant qu’avec leur histoire, comme un catalogue de données sonores, confondant et fascinant.

François-Régis Croisi, déjà remarqué avec feu St. Augustine, sort douze ballades ou cavalcades élégiaques, bucoliques et délicates, chantées avec douceur et en (très) beau français. Entre Neil Young et Bertrand Belin, cette americana, rêvée depuis l’Auvergne, d’arpèges caressés, de chorales bienveillantes, d’arrangements frissonnants, se déploie en mélodies spiralées, descentes aquatiques, remontées vers le soleil d’hiver.

(Warp)

(Tom Boy Lab / Un Plan Simple)


cultures MUSIQUE

© nicolas david

agenda PAR ETAÏNN ZWER

POP

5 NOV.

The Patriotic Sunday PAR MICHAËL PATIN

Alors que la production hexagonale n’a jamais été aussi vivace, les radios se plaignent de ne pouvoir remplir leurs quotas francophones. Inaudibles, tous ces jeunes groupes français réconciliés avec la langue de Molière ? Imaginez le sort réservé à ceux qui privilégient celle de Shakespeare… Comme ces « patriotes du dimanche » qui, à force de passer sous les radars, finiront peut-être par choisir l’exil. Pourtant, la musique de The Patriotic Sunday n’a pas de quoi effrayer le bourgeois. Rien à voir, ou presque, avec le post-hardcore de Papier Tigre, autre groupe dans lequel officie le chanteur et guitariste Éric Pasquereau. L’écoute d’All I Can’t Forget, quatrième album en dix ans, ne peut en effet que donner le sourire aux amateurs de pop raffinée. D’abord parce que peu de disques assument aussi bien la tutelle des Beatles. Ensuite par la grâce de ses compositions matures étagées de mélodies enivrantes et par le fourmillement de ses arrangements subtils, moins concernés par l’actualité que par l’intemporalité. On y trouve des merveilles telles que « Garbage Truck », avec sa pulsation de chœurs et ses chapelets de piano, la ballade « The Evening Waltz » et sa fièvre ternaire piquée de guitare rougeoyante, ou encore l’idéale « Full Moon », qu’auraient pu jalouser John Lennon ou Brian Wilson s’ils étaient encore dans la course. Un grand disque que The Patriotic Sunday est parti défendre sur les scènes de France, avec passage à l’Espace B. À vous, chers compatriotes, d’honorer comme il se doit ce fleuron de la pop hexagonale. All I Can’t Forget de The Patriotic Sunday (Murailles Music/L’Autre Distribution) Disponible En concert le 25 novembre à l’Espace B

MYKKI BLANCO Icône de la scène hip-hop queer, entre drag, big beat et esprit punk, le rappeur lance son label Dogfood via !K7 Records avec la compilation C-ORE – manifeste rap-noise cosigné par Psychoegyptian, Violence et Yves Tumor – et s’invite à la Jeudi O.K. pour un free show, freaky et flamboyant. au Gibus

à L’Institut du monde arabe

13 NOV.

25 NOV.

MANSFIELD.TYA Depuis June (2005), la moitié de Sexy Sushi et sa complice taclent avec brio la chanson française. Leur poésie acide fait encore des miracles sur Corpo Inferno (Vicious Circle), quatrième opus puissant et beau, dévoilé lors de cette très attendue soirée de lancement. Des larmes, du bordel, des frissons.

ARCAN Leur single « Lost » berçait déjà la B.O. du film Une histoire américaine d’Armel Hostiou. Sous la houlette de « Peter » Combard, le trio parisien révèle enfin Unfinished Songs Like Our Story (Modulor) premier mini-album aérien, requiem d’électronique lo-fi à la puissance mélancolique. De toute beauté.

au Café de la Danse

13 ET 14 NOV.

FESTIVAL MARATHON ! Pièces iconiques (Steve Reich), créations (Juan Atkins & Moritz von Oswald, Pierre Henry, James Holden, Arnaud Rebotini & Christian Zanési), lives (la légende Dopplereffekt, Cabaret Contemporain) : entre musique électroacoustique et techno, le line-up de cette seconde édition est sacrément grisant ! à La Gaîté Lyrique

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23 NOV.

SUUNS & JERUSALEM IN MY HEART Les Montréalais Suuns et l’ovni Radwan Ghazi Moumneh aka Jerusalem in My Heart signent un album expérimental mêlant krautrock, psychédélisme et chants arabes dans un dédale « electroriental » obsédant. Un trip mental et cosmique qui ravira les fans de Godspeed You! Black Emperor.

novembre 2015

au Réservoir

5 DÉC.

COURTNEY BARNETT Voix laconique, phrasé élégant, slacker rock qui dit gentiment « fuck » et écriture à l’humour coupant… l’Australienne la plus cool du moment fait tourner Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit (mars 2015), premier album à l’esprit nineties, décontracté et brillant. Irrésistible. à La Gaîté Lyrique



cultures KIDS

CINÉMA

Le Prophète

Pour une fillette de l’âge d’Élise, Le Prophète s’apparente à une initiation ludique à la philosophie. Ce film omnibus l’a en effet poussée à réfléchir à des concepts aussi complexes que l’amour, la mort ou l’autorité. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier « Le titre, c’est un mot que je ne con­ naissais pas ; mais je sais maintenant qu’un prophète, c’est quelqu’un qui nous raconte la vie. Dans le film, le prophète s’appelle Mustafa. Et comme il dit la vérité, il est enfermé par des sortes de chefs qui ne pensent qu’à eux. L’histoire se passe en Inde, parce qu’ils marchent tout le temps sur du sable et que le teint de l’air est jaune. Quand Mustafa nous donne ses sagesses, il y a une voix qui chante, et il nous montre ses dessins qui sont en rapport avec ce qu’il dit. Mais même si les dessins nous expliquent les choses, je ne comprenais pas tout. Par exemple, il dit “La mort c’est quand même bien”, alors que, pour moi, la mort, c’est pas bien. Ça m’embête de

d’ Élise, 7 ans ne pas avoir tout compris. Le prophète dit aussi qu’il faut aimer, mais qu’il ne faut pas être trop amoureux. C’est expliqué avec les plus beaux dessins du film, parce qu’ils ont plus de couleurs et de motifs. Il dit aussi qu’il faut respecter la nourriture, c’est-à-dire que quand tu tues ta nourriture, tu dois lui dire certaines choses. Par exemple, il faut dire à une pomme que ses graines vont germer dans ton cœur. Je ne savais pas du tout qu’il fallait dire ça ! En même temps, ce sont des choses que personne ne sait, je crois. » de Roger Allers Distribution : Pathé Durée : 1h24 Sortie le 2 décembre Dès 7 ans

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novembre 2015

l’avis du grand Conçu sous l’aile bienveillante de la productrice Salma Hayek, Le Prophète est une ode luxueuse à l’œuvre du poète libanais Khalil Gibran. En dehors de son impressionnante distribution vocale, menée par Liam Neeson dans le rôle-titre, Le Prophète réunit, autour d’un récit cadre, une série de sketches adaptant les poèmes de Gibran et réalisés par la crème de l’animation indépendante : Bill Plympton (Les Amants électriques) se charge d’une ode hédoniste à la nourriture ; Tomm Moore (Le Chant de la mer) se réapproprie l’art islamique pour une section hypnotique dédiée à l’amour ; et les trop rares frères Brizzi, qui s’étaient déjà fait remarquer grâce à un sketch remarquable de Fantasia 2000, nous offrent un petit bijou d’animation avec le dernier court métrage, consacré à la mort. J. D.



© d. r.

cultures LIVRES / BD

histoire belge

Dictionnaire amoureux de la Belgique La Belgique, vous connaissez ? Derrière René Magritte et Eddy Merckx vous attend un monde d’artistes, de paysages et de mœurs, savamment présenté par Jean-Baptiste Baronian. PAR BERNARD QUIRINY

Il existe deux moyens de s’offrir une tranche d’exotisme. La première consiste à partir loin, en Chine, ou chez les Lapons. La deuxième ? Prendre un billet de train pour Bruxelles et visiter la Belgique. Niché au cœur de l’Europe, siège des institutions de l’Union, ce pays à peine plus grand qu’une région française possède la particularité d’être à la fois complètement familier et tout à fait dépaysant, y compris d’ailleurs pour les Belges eux-mêmes, qui sont les premiers à s’étonner de ce qu’ils découvrent sous leurs yeux. Aussi liront-ils sans doute avec autant de plaisir que les non-Belges le Dictionnaire amoureux de la Belgique que publie aujourd’hui Jean-Baptiste Baronian, Belge d’Anvers devenu Bruxellois, bien connu des amateurs de littérature en général (on lui doit des dizaines de romans et de nombreux essais sur Paul Verlaine, Charles Baudelaire ou Arthur Rimbaud), et des fans de Georges Simenon en particulier (il est l’un des spécialistes du maître liégeois). Selon l’excellent principe du dictionnaire – le meilleur, sous son apparence contraignante, pour évoquer un sujet le plus librement du monde –, il propose un voyage subjectif à travers l’histoire, les paysages et les arts d’un pays qu’il connaît comme sa poche, en fouillant spécialement du côté des marges, des

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chefs-d’œuvre inconnus et des trésors cachés. Rien d’incontournable ne manque au sommaire, bien sûr, qu’il s’agisse des hauts lieux (Bruges, Gand, les Ardennes, etc.), des héros (de Pieter Bruegel à Hergé, de Jacques Brel à Magritte), des momentsclés (la question royale, l’Expo 58), des belgicismes ou des classiques de la gastronomie ; mais, à côté de ces étapes obligées, le livre recèle une foule de personnages moins connus, des dizaines d’écrivains géniaux et discrets, des poètes surréalistes, des peintres, sans compter les anecdotes curieuses, les lieux retirés, les spécialités locales, bref, tout un fourmillement discret, souterrain et continu, qui fait le cœur et l’âme du pays. Passionnément érudit, curieux de tout, ronchonneur à l’occasion (derrière le portrait de la Belgique se cache, par la force des choses, un autoportrait), Baronian remet tous les clichés à leur place et dévoile les richesses inépuisables d’un petit pays confit de paradoxes, « souverainement sans pareil », où tout côtoie son contraire sur 30 000 kilomètres carrés. Comme un canular géant, si l’on veut, mais qui serait entièrement réel. Dictionnaire amoureux de la Belgique de Jean-Baptiste Baronian (Plon)

novembre 2015


sélection Par b. q.

LE RÈGNE HYSTÉRIQUE DE SIFFONEY IER, ROI D’IRLANDE

UNE GÉNÉRATION PERDUE

(Wombat)

René Crevel, Klaus Mann, W. H. Auden… Entrés sur scène après la Grande Guerre, déçus de ne pouvoir égaler les héros tels Ernst Jünger, Maurice Barrès ou Gabriele D’Annunzio, tous ces écrivains ont, dixit Maurizio Serra, l’impression d’avoir « manqué la grande occasion existentielle ». Une génération littéraire dont il retrace le parcours au long des années 1920 et 1930 dans un travail d’histoire des idées érudit et dense, à lire comme une suite aux Frères séparés, son précédent essai.

de Spike Milligan

Mort en 2002, Spike Milligan est aussi connu en Angleterre que Coluche chez nous ; John Cleese, des Monty Python, affirme qu’il est « notre Dieu à tous ». On doit à cet humoriste des centaines de shows radio et de nombreux livres, comme ce roman loufoque qui raconte comment un plouc anglais nommé Siffoney tente de faire valoir ses droits historiques sur le trône d’Irlande. Pas toujours fin, mais nulle part ailleurs vous ne trouverez une telle concentration de blagues par paragraphe.

PENSÉES BLEUES

de Maurizio Serra (Seuil)

PARTAGES

de Dominique Noguez

d’André Markowicz

Pour certains, l’aphorisme est une forme mineure de la littérature. Pour d’autres, c’est sa pointe la plus dense, la plus subtile, la plus délicate. Dominique Noguez s’essaye au genre dans ces Pensées bleues, collection de traits, piques et pensées de haut vol, agrémentée de dessins de Pierre Le Tan et suivie, comme il se doit, d’un Bref traité de l’aphorisme. On en redemande. « Un aphorisme n’est jamais assez court. Un recueil d’aphorismes, jamais assez long. »

Le nom d’André Markowicz est connu des amateurs de littérature russe puisqu’on lui doit, entre autres choses, une traduction de l’œuvre de fiction complète de Fédor Dostoïevski, monument actuellement réédité chez Actes Sud. Il tient aussi une sorte de blog sur sa page Facebook, dont le présent volume reprend les notes 2013-2014 : éclats poétiques, confessions, réflexions, souvenirs… autant d’ouvertures sur un univers et une vie voués à la littérature.

(Équateurs)

(Inculte)


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Le Sentier des reines

sélection

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

PAR S. B.

LA MAISON CIRCULAIRE

de Rachel Deville (Actes Sud BD)

Les portraits de femmes, Anthony Pastor connaît. Aucun auteur français ne leur donne d’aussi beaux rôles dans la bande dessinée d’aujourd’hui. L’auteur récidive avec Le Sentier des reines, une odyssée qui commence dans les montagnes enneigées de Savoie, la Première Guerre mondiale à peine achevée. Le récit s’ouvre le jour des funérailles de quatre colporteurs emportés par une avalanche. Leurs proches, deux femmes et un orphelin, se réunissent pour quitter leur petit village de montagne qui ne sera plus jamais un havre de paix pour eux. Pour financer son voyage, l’équipée dispose de balles de mercerie sauvées du désastre et d’une mystérieuse montre à gousset cachée précieusement dans le double fond de son paquetage. L’objet précieux suscite malheureusement la convoitise d’un ancien camarade de tranchée d’un des défunts, qui les pourchasse sans répit. Portrait de femmes en quête de liberté, la beauté de ce road-movie, dur comme la pierre des montagnes que traverse cette misérable caravane, repose sur une peinture quasi naturaliste des villages de province dévastés par la Grande Guerre. Alors qu’Anthony Pastor s’amusait jusqu’à présent à détourner les codes du récit de genre pour réinventer une forme distanciée de polar, le voici qui signe un récit pleinement incarné, porté par un dessin minéral qui sculpte la lumière et les peaux maltraitées par le froid. Le dessinateur opère une synthèse des recherches esthétiques de ses précédents ouvrages sur la mise en scène, la couleur, les rehauts, et signe un livre dont la puissance visuelle est totalement maîtrisée. Condition de la femme et montagnes menaçantes se répondent à l’image comme le cow-boy et la plaine dans les plus beaux westerns. Seule la conclusion, un peu abrupte, déçoit ; un livre avec autant de souffle méritait au moins une vingtaine de pages supplémentaires. Le Sentier des reines d’Anthony Pastor (Casterman)

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Ce très joli recueil de rêves marque une nouvelle étape pour Rachel Deville. Elle signe ici une suite de tableaux en hachures et croisillons qui ciselle des pénombres envoûtantes. Autour de sa figure de femme en quête d’identité, d’assurance et d’elle-même s’enchaînent les scènes subtilement inquiétantes, dans un style surréaliste très personnel fait de dédales et de sexualité compliquée.

BYE-BYE MAGGIE

PLANÈTES. INTÉGRALE

de Makoto Yukimura (Panini Comics)

Ce manga, quoique méconnu, constitue aujourd’hui encore l’un des sommets de la SF japonaise. Dans ce récit d’anticipation parfaitement cohérent, qui mêle des considérations politiques et d’autres beaucoup plus triviales, résonnent les affres et les questionnements existentiels, souvent poétiques, d’un éboueur de l’espace. Jusqu’au jour où s’offre à lui la possibilité d’intégrer la première mission pour Jupiter.

FIN

de Jaime Hernandez

d’Anders Nilsen

Maggie est de retour, et c’est toujours une joie. Depuis trente-cinq ans, cette Chicano et la troupe des Love and Rockets enchantent la bande dessinée indépendante nord-américaine. Elle a désormais 50 ans, les frasques de sa jeunesse punk sont loin, mais les souvenirs les plus noirs la hantent encore… Regarder vieillir les gens qu’on aime, même sur papier, ne laisse jamais indifférent.

Un auteur ne devrait probablement jamais écrire sur le deuil au moment même où celui-ci le traverse, où il est submergé par l’émotion, incapable de maîtriser ses effets et sa parole. Pourtant, le livre d’Anders Nilsen dépasse ces défauts, évidemment présents. La fragilité de son dessin, son existentialisme un peu mystique expriment l’absence de l’aimée avec une réalité percutante.

(Delcourt)

novembre 2015

(Atrabile)


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cultures SÉRIES

DRAME MÉDICAL

The Knick

Noyée dans la masse des nouvelles séries, The Knick a été la grande oubliée des remises de prix. À la réalisation de ce drame médical, Steven Soderbergh se révèle pourtant en grande forme. Saison 2 à ne surtout pas manquer.

L’expert DICK COSTOLO pour SILICON VALLEY

© 2015 hbo

© michael tran / filmmagic

PAR GUILLAUME REGOURD

Steven Soderbergh ne travaille plus qu’à la télévision. Mais il suffit de regarder The Knick pour avoir la confirmation que ce break n’a rien d’une préretraite. C’est même un Soderbergh plus vert et plus radical que jamais que l’on découvre ici, face à un défi cinématographique à sa mesure : sortir de son formol la fiction historique en éclairant – littéralement – sous un jour nouveau une période mille fois portée à l’écran. Davantage que la direction d’acteur sans affect ou l’electro de Cliff Martinez, c’est la photo qui permet à Soderbergh de tirer The Knick vers les sommets.

Sous l’impulsion du Dr Thackery, la médecine rentre dans une nouvelle ère en disant adieu à des techniques opératoires barbares héritées du Moyen Âge. Cette révolution et celles d’après, on pourrait même dans The Knick les appréhender en coupant le son, en observant simplement comment, à l’image, la démocratisation de l’éclairage électrique annonce la fin des avortements clandestins à la bougie et des consultations à la sauvette de patients noirs dans les soussols de l’hôpital. Brillant. The Knick, saison 2 sur OCS City

© tibo et anouchka / capa drama / zodiak fiction / incendo / canal + ; aksel jermstad ; myles aronowitz / netflix

sélection

VERSAILLES Canal+ aime l’histoire quand elle est simple à résumer. Après les Borgia dans Borgia, voici donc le Roi-Soleil à Versailles dans Versailles. La dernière superproduction de la chaîne, tournée en anglais, ne tire de son sujet en or qu’un Tudors de plus, sanglant et débraillé. Dommage, car George Blagden a de l’allure en jeune Louis XIV mettant la noblesse en coupe réglée. Saison 1 sur Canal+

PAR G. R.

OCCUPIED Que se passerait-il si la Norvège suspendait sa production de pétrole ? Occupied imagine le pire : l’invasion du pays par les troupes russes, avec la bénédiction de l’U.E… Ce n’est pas tous les jours qu’une série européenne, coproduite par Arte, se frotte à la politique-fiction avec autant d’allant. Et tant pis si, niveau vraisemblance, ça achoppe parfois un peu. Saison 1 sur Arte à partir du 19 novembre

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novembre 2015

La comédie HBO sur les coulisses de l’économie numérique met un point d’honneur à coller à l’actualité. Elle ne pouvait donc pas passer à côté de la similitude des situations de son personnage principal, Richard, viré de sa propre compagnie à la fin de la saison 2, et de Dick Costelo, ex-PDG de Twitter, remercié cet été. Costelo, ça tombe bien, est un rigolo : dans ses jeunes années, il pratiquait l’improvisation théâtrale. Mais, plutôt que de banalement lui proposer un petit rôle dans la saison 3, Mike Judge, le créateur de la série, l’a carrément embauché comme consultant. G. R.

JESSICA JONES La grande force de la série Daredevil, en avril dernier, résidait dans la fusion réussie entre genre super-héroïque et univers de film noir. Même constat avec Jessica Jones, deuxième justicier Marvel à débarquer sur Netflix et maline relecture de la figure du détective privé, avec dans le rôle-titre une Krysten Ritter taciturne et buveuse dotée d’une force surhumaine. Saison 1 sur Netflix le 20 novembre


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cultures SPECTACLES

agenda PAR È. B.

© vincent pontet

VINCENT THOMASSET Le projet était séduisant : l’adaptation sur scène des Lettres de non-motivation de Julien Prévieux par un autre jeune artiste des plus doués, Vincent Thomasset. Mais sans doute victime de sa bonne idée, Thomasset peine à faire de ce texte autre chose qu’un matériau de jeu potache – quelques décalages absurdes sont vraiment hilarants. On en attendait plus, mais, quelque part, c’est déjà beaucoup.

DANSE

Gala PAR ÈVE BEAUVALLET

du 30 novembre au 2 décembre au Théâtre de la Ville le 5 décembre au Théâtre Louis Aragon (Tremblay-en-France)

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au Théâtre de la Bastille (Festival d’automne à Paris)

DU 19 AU 29 NOV.

THOMAS OSTERMEIER ET YASMINA REZA Bella Figura, c’est l’histoire d’un couple adultérin sur le parking d’un restaurant. C’est aussi, explique Yasmina Reza, l’auteure, une vision de la vie comme « matière stagnante ». Le genre d’atmosphère que l’on a hâte de voir esquissée sous le pinceau d’un des plus grands artistes vivants, le metteur en scène Thomas Ostermeier. aux Gémeaux (Sceaux)

DU 1 ER AU 3 DÉC.

© pepita wald

Dans la vie ordinaire, c’est souvent avec un mélange de dérision, d’effroi et de gêne que l’on observe danser notre tante Jacquotte, challengeuse autoproclamée de Shakira à chaque fête de quartier. Sur la scène de Gala, création en forme de ready-made à l’humour pop et à la poésie décalée, il en va un peu différemment. Tante Jacquotte est bien là, avec les mêmes mouvements maladroits, mais elle côtoie d’anciens danseurs de l’opéra de Paris, un enfant, des personnes âgées et d’autres danseurs de tous les jours venus dire sur scène le plaisir mystérieux de danser. Le parti pris est des plus élémentaires – mais aussi des plus éloquents : proposer à tous les membres de cette communauté bigarrée d’effectuer chacun à leur tour un même mouvement (un pas de ballet, un moonwalk, une valse, etc.), sans rectifier les maladresses ; puis demander à chaque « danseur » de transmettre aux autres une composition toute personnelle. Alors, bien sûr, entre un solo déchirant sur « Freed from Desire » de Gala, un autre sur la musique du Roi lion, on rit beaucoup dans Gala, mais en toute complicité avec ces danseurs amateurs qui ont l’intelligence de l’autodérision. La question du ridicule, d’ailleurs, est complètement désamorcée par le regard anthropologique que Jérôme Bel parvient à proposer sur le sujet. Ainsi, chaque mouvement, aussi peu parfait soit-il, est éligible au même statut. Celui de « danse », entendue non plus comme un « art savant », mais comme une « culture », partagée par tous. Un projet qui aurait pu sombrer dans la bien-pensance s’il n’émanait d’un chorégraphe dit « conceptuel » comme Bel, qui a pour lui de n’intervenir que sur le cadre et sur le montage – et non sur la qualité des mouvements. Un geste minimal garant ici d’une belle émotion.

GAËLLE BOURGES Bastion du théâtre underground, la Ménagerie de verre accueille notamment, dans son festival automnal, Lascaux, la nouvelle création de

novembre 2015

Gaëlle Bourges, une artiste qui focalise l’attention depuis la belle réussite, dans le In d’Avignon, d’À mon seul désir, illustration parfaite de la poésie avec laquelle elle digère l’histoire de l’art en général, et du corps des femmes en particulier. à la Ménagerie de verre (festival Les Inaccoutumés)

JUSQU’AU 28 DÉC. © leslie artamonow

DU 10 AU 21 NOV.

ALEX VIZOREK Faire de l’art et de sa sociologie une matière à délires comiques n’est pas un parti pris nouveau. Ainsi Alex Vizorek, humoriste belge – et chroniqueur sur France Inter cette année –, doit-il sentir peser l’ombre de Yasmina Reza (encore elle) et de son blockbuster Art. Pour ceux qui ne seraient pas lassés de ces ressorts (un carré blanc sur fond blanc, c’est quand même con, non ?), son one-man-show a des côtés charmants.

au Studio des Champs-Élysées

DU 1 ER AU 31 DÉC.

WAYNE MCGREGOR L’artiste britannique, connu du grand public pour avoir signé les chorégraphies de quelques clips où figure Thom Yorke (Ingenue, Lotus Flower), est invité par l’opéra de Paris à créer sa troisième pièce pour le ballet. À découvrir dans un programme qui propose également Le Sacre du printemps de Pina Bausch et Polyphonia de Christopher Wheeldon (entrée au répertoire). au Palais Garnier



© grégoire vieille © adagp, paris 2015

cultures ARTS

Dominique Gonzalez-Foerster, euqinimod & costumes, environnement, 2014

Dominique Gonzalez-Foerster EXPOSITION

1887-2058

Dépassant les limites du genre de la rétrospective, Dominique Gonzalez-Foerster (re)joue sa vie et son œuvre et propose une exploration spatio-temporelle au-delà du réel. Entre introspection et extraversion. PAR ANNE-LOU VICENTE

« Dominique Gonzalez-Foerster. 1887-2058 » : un titre d’exposition plutôt minimal, qui en dit pourtant long sur l’art et la manière qu’a cette artiste française, née en 1965, de sans cesse élargir les frontières d’une œuvre aux contours flottants, toujours en mouvement, et que viennent infiniment nourrir la littérature, le cinéma, l’architecture ou encore la musique, en tant que sources d’inspiration, mais aussi, et peut-être avant tout, d’expérience(s). De la construction du palais de cristal à Madrid (1887) à celle d’un abri géant pour les réfugiés climatiques à Londres (2058), en passant par l’exposition Marcel Duchamp au Centre Pompidou (1977) ou la réalisation du Secret de Veronika Voss de Rainer Werner Fassbinder (1982), la liste de repères temporels placardée à l’entrée de la galerie sud, quasi programmatique, balaie trois siècles, combinant rétroprojection et anticipation. Atypique, l’exposition nous invite à passer, en dépit de tout ordre chronologique, d’année en année, et ainsi à déambuler dans un espace-temps labyrinthique oscillant entre réalité

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et (science-)fiction et abritant une œuvre à entrées multiples jalonnée d’environnements, de passages et autres chambres. En même temps qu’elle nous invite à entrer dans son œuvre – mais plus encore, dans sa vie, en dévoilant, par exemple, un ensemble de morceaux choisis de sa garde-robe, telle une autobiographie vestimentaire assortie de dessins et de photographies (euqinimod & costumes, 2014) –, l’artiste brouille les pistes du je(u) en multipliant les rôles – et les apparitions –, endossant les costumes de personnages réels ou fictionnels : Lola Montez, Emily Brontë, Edgar Allan Poe, Bob Dylan, Fitzcarraldo… Habitée – pour ne pas dire hantée – par toutes ces personnes référentes, elle les réincorpore dans son œuvre jusqu’à les (ré)incarner de temps à autre sur un mode fantomatique. Gonzalez-Foerster nous propose de suivre les méandres de ce(ux) qui constitue(nt) sa pensée, sa mémoire vive, et de pénétrer ainsi dans son palazzo mentale. Une expérience en soi. jusqu’au 1er février au Centre Pompidou

novembre 2015


agenda PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

JUSQU’AU 15 NOV.

HONORÉ Honoré fait se rencontrer cette année les travaux de deux photographes : Chris Shaw, et ses images nocturnes du désert de Joshua Tree, en Californie, et Nicolas Silberfaden, dont les photos dépeuplées de Dowtown L.A. sont prises à la chambre claire. Face à eux, le collectif AM Projects, dont les membres altèrent les procédés photographiques pour parvenir à l’abstraction, exposera son travail en regard.

extorquer les empreintes digitales de Nicolas Sarkozy – alors ministre de l’Intérieur – présente ses films, sculptures et dessins sur le thème de la surveillance dans l’Espace 315 du Centre Pompidou. Engagé, quasi antisystème au sein d’une grande institution, chapeau ! au Centre Pompidou

JUSQU’AU 7 FÉV.

à la galerie RueVisconti

Malick Sidibé, À la baignade au fleuve Niger, 1973 APRÈS EDEN. LA COLLECTION WALTHER C’est le rendez-vous automnal attendu : un grand collectionneur exposé à La Maison rouge. Cette année, place à l’exceptionnelle collection de photographies d’Arthur Walther, soit cinquante artistes, neuf cents œuvres, de la photographie historique à la photographie contemporaine, représentée notamment par Malick Sidibé, Daidō Moriyama ou encore Richard Avedon. à La Maison rouge

JUSQU’AU 1 er FÉV.

JULIEN PRÉVIEUX Plasticien malicieux, Julien Prévieux est le lauréat du prix Marcel Duchamp qu’il a gagné haut la main en 2014. Celui qui avait réussi à

Anselm Kiefer, Liliths Töchter, 1998 ANSELM KIEFER. L’ALCHIMIE DU LIVRE Avant la grande rétrospective que lui consacrera le Centre Pompidou, on est invité à se plonger dans les livres de l’artiste érudit Anselm Kiefer. Au programme, une centaine de ses ouvrages, jamais montrés dans leur ensemble, qui retracent son travail depuis les années 1970. C’est Kiefer lui-même qui signe la scénographie du parcours. Un gage certain de qualité. à la BnF

JUSQU’AU 13 MARS

HEY! MODERN ART ET POP CULTURE. ACT III C’est le rendez-vous de la contre-culture à Paris. Le troisième volet de la trilogie consacrée à la revue HEY! réunit cette année soixante-trois artistes de tous horizons. De quoi découvrir le meilleur de l’art brut, du Lowbrow et de l’art populaire, avec des très grands noms comme Filip Leu, Ed Hardy ou encore Mark Ryden, réunis dans la Halle Saint-Pierre, temple de l’art brut à Paris. à la Halle Saint-Pierre

© courtesy the walther collection and magnin-a, paris ; © anselm kiefer photo © atelier anselm kiefer

JUSQU’AU 17 JANV.


cultures JEUX VIDÉO

AVENTURE

Uncharted

Un grand classique de la PS3 fait son retour dans une version remastérisée. Soit trois jeux pour le prix d’un, trois aventures exceptionnelles qui ont su imposer le style unique du studio Naughty Dog et de son charismatique héros Nathan Drake. PAR YANN FRANÇOIS

L’EXPÉRIENCE DU MOIS LEGO DIMENSIONS

(Warner Interactive/ PS3, PS4, X360, X One, Wii U)

À première vue, rien de bien innovant : un aventurier, archéologue beau gosse et tête brûlée, des décors exotiques, des tombeaux historiques pleins de trésors et de pièges, des méchants lancés à notre poursuite, du danger, du suspense et de la castagne, beaucoup de castagne. Avec Uncharted, le studio Naughty Dog a pourtant réussi à imposer un nouveau modèle du genre, à mi-chemin entre Indiana Jones et Tomb Raider. En quatre ans (2007-2011), cette trilogie a redéfini toute une grammaire du jeu d’aventure. Au-delà de la prouesse esthétique, chaque jeu s’impose par son rythme unique qui ne laisse jamais le moindre répit à son héros trompe-la-mort – et

donc au joueur. En artisan maniaque et esthète, Naughty Dog y déploie une mise en scène aux petits oignons dans laquelle action et humour sont savamment dosés avec un savoir-faire hérité des géants hollywoodiens. Comme si le cinéma lui donnait une énergie inépuisable, Uncharted ressemble à un plan-­ séquence continu qui cherche autant à nous défier qu’à nous éblouir. Au-delà du spectaculaire, le jeu ne perd jamais de vue son objectif premier : revenir au plaisir fondamental, grisant et libérateur, d’une quête perpétuelle d’aventure.  Uncharted. The Nathan Drake Collection (Sony/PS4)

sélection DESTINY. LE ROI DES CORROMPUS

(Bungie/PS3, PS4, X 360, X One)

Pensé comme une œuvre au long cours, Destiny entame son an II avec une extension à la hauteur de ses ambitions. Si son concept demeure inchangé, le jeu s’enrichit heureusement d’un scénario mieux troussé et d’un rythme plus soutenu qui se traduit par une multiplication d’escarmouches sur fond de paysages spatiaux à tomber par terre. On replonge illico.

PAR Y. F.

WORLD OF WARSHIPS

(Wargaming.net/PC)

Après les chars d’assaut et les avions, Wargaming.net s’attaque aux navires de guerre sans dévier de sa ligne directrice : proposer une expérience multijoueur et gratuite au gameplay grand public, sans sacrifier pour autant le potentiel stratégique et compétitif de cette bataille navale. Piloter un cuirassé n’a jamais été aussi facile et aussi intense à la fois.

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Nouveau venu dans l’arène des jouets vidéo, Lego Dimensions s’impose d’emblée comme une référence en la matière. D’une part, le jeu propose une hybridation idéale entre réalité et virtuel – il faut d’abord construire ses avatars avant de les voir se matérialiser à l’écran. D’autre part, il réunit les personnages de différents univers – Batman, Le Seigneur des anneaux, Les Simpsons ou encore Jurassic Park – en une seule aventure, pour un savoureux florilège de culture pop qui saura parler à toutes les générations. Y. F.

novembre 2015

DISGAEA 5. ALLIANCE OF VENGEANCE

(Nippon Ichi Software/PS4)

Saga méconnue en Occident, Disgaea réussit un grand écart inédit : conjuguer guerre stratégique sur échiquier et narration de soap opera aux rebondissements improbables et loufoques. S’il ne révolutionne pas sa formule, ce cinquième opus n’en reste pas moins une excellente opportunité pour s’essayer à un univers aussi foisonnant que chronophage.


4 perles indés par Y. F.

LOVERS IN A DANGEROUS SPACETIME (Asteroid Base/ PC, Mac, X One)

Un couple d’astronautes cherche à mener à bon port son vaisseau dans des environnements hostiles. Il leur faut se répartir intelligemment les tâches et souvent courir rapidement d’un poste à l’autre pour espérer survivre. L’amour est-il affaire de synchronisme ? Derrière un concept accrocheur, Lovers in a Dangerous Spacetime cache une belle parabole sur la vie de couple, devenue guerre de territoire.

BIG PHARMA

(Positech Games/PC)

À la tête d’un groupe pharmaceutique, vous cherchez à développer le meilleur laboratoire qui soit. Pour cela, il vous faut multiplier les chaînes de montage, tester de nouveaux composants chimiques, les combiner pour obtenir un médicament révolutionnaire avant d’inonder le marché avec. Derrière son gameplay fordien, Big Pharma peut être vu soit comme une belle leçon de cynisme, soit comme une plongée documentaire dans la dérive néolibérale de l’industrie pharmaceutique.

PRISON ARCHITECT

(Steam/PC, Mac, iOS, Android)

Ce jeu propose de gérer au jour le jour une prison – son économie, son personnel, les doléances quotidiennes de sa population criminelle. Le joueur est donc confronté à des questions épineuses qui le contraignent à prendre des décisions de plus en plus éprouvantes – mater une révolte, construire un couloir de la mort. Ou comment faire d’un innocent jeu de gestion un véritable sacerdoce moral.

SOMA

(Frictionnal Games/PC, PS4)

Cobaye d’une expérience révolutionnaire sur le cortex, un homme se réveille prisonnier d’une ville sous-marine abandonnée. Autour de lui rôdent des robots monstrueux, qui le tuent instantanément s’il a le malheur de les regarder droit dans les yeux… Mélange d’horreur et d’exploration en vue subjective, SOMA débouche sur une quête existentielle autour des questions du transhumanisme et de l’utopie cybernétique. Un conte macabre et désenchanté d’une somptueuse noirceur.


cultures FOOD

ÉVÉNEMENT

Abats ? Mamma mia! Gras-double, mou de veau, pied de porc, rognons de mouton, tétine de vache… J’en vois qui se pincent le nez et détournent le regard. Les abats n’ont pas bonne presse. La 15e édition du « mois des produits tripiers » tente de redorer leur blason.

DUCASSE ACADEMY

© pierre monetta

PAR STÉPHANE MÉJANÈS

« Les produits tripiers, c’est “beurk” mais “c’est bon” ! » C’est l’interprofession bétail & viande (Interbev) qui le dit, non sans malice. Depuis quinze ans, le commando tripier qui s’est formé en son sein se décarcasse pour mettre en lumière ce qui devrait pour certains rester dans le noir, bien caché à l’intérieur. Ces missionnaires engagés ont réussi à faire du mois de novembre le « mois des produits tripiers », partout en France. En 2014, le chef Yoni Saada (Miniatures) a animé un show culinaire avec le magicien Fred Ericksen baptisé « Magic tripes ». Cette année, place au « Nouveau parti tripier » et à sa campagne d’affichage réalisée par l’illustrateur Jean Jullien, basé à New York. So chic !

Derrière des slogans potaches, « I had a tripes » ou « Yes oui tripes ! », l’opération vise à rendre sexy ce qui dégoûte. Une gageure. Par l’humour et la dérision, on incite les plus courageux à dépasser leur a priori pour aller explorer le monde merveilleux de la tripaille. Pour cela, des sympathisants ont été recrutés, les artisans tripiers et bouchers, les restaurateurs, et même la grande distribution, premier boucher de France. À Paris, une belle liste de restaurants, du gastro au bistrot, promet au mangeur téméraire un délicieux « road tripes ». Osez ! Infos pratiques : www.produitstripiers.com

tripes en stock LA POINTE DU GROUIN Pionnier de la bistronomie au mitan des années 1990, Thierry Breton possède aujourd’hui trois lieux dans un rayon de 50 mètres, Chez Michel, Chez Casimir et La Pointe du Grouin. Dans ce dernier, on doit absolument goûter l’andouille de Guéméné et le groin pané avec sa tapenade. On paye en grouins (1 grouin = 1 euro) et on revient. Tapas : entre 2 et 14 groins. 8, rue de Belzunce – Paris Xe Pas de réservation

L’AUBERGE FLORA Après avoir fait de la dentelle aux Olivades puis aux Saveurs de Flora, au tournant des XXe et XXIe siècles, Flora Mikula est devenue aubergiste en 2012. Un retour aux sources d’une cuisine généreuse faites de tapas diaboliques et de plats réconfortants. Les tripes n’ont pas de secret pour elle ; les essayer, c’est les adopter. Menus : de 19 à 34 €. 44, boulevard Richard-Lenoir – Paris XIe Tél. : 01 47 00 52 77

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novembre 2015

LES ROGNONS DE LAËTITIA En dehors du Plaza Athénée, où la viande a quasiment disparu, Alain Ducasse aime les bistrots parisiens et leur cuisine roborative. La preuve, il en a racheté quelques-uns. Trois d’entre eux participent au « mois des produits tripiers » : Aux Lyonnais, Benoît Paris, mais aussi Allard, fondé par Marthe Allard en 1932. Ducasse en a confié la cuisine à Laëtitia Rouabah, qu’il suit depuis douze ans. Cette pétillante jeune femme, pleine de talent, vous dépote les rognons de veau sauce madère comme personne. Le menu déjeuner à 34 € (entrée, plat, dessert) est une aubaine. S. M. Allard 41, rue Saint-André-des-Arts Paris VIe Tél. : 01 58 00 23 46 www.restaurant-allard.fr

PAR S. M.

LES COCOTTES À la tête d’un petit empire, Christian Constant vient d’ouvrir une deuxième adresse pour son bistrot Les Cocottes, rive droite, à l’intérieur du Sofitel Arc de Triomphe. Parmi ses spécialités, la tranche de foie de veau épaisse cuite au sautoir, petits oignons frits et bacon, mais aussi la tête de veau, langue et cervelle pochées, sauce ravigote aux câpres. 2, avenue Bertie-Albrecht – Paris VIIIe Pas de réservation


cultures MODE

© fauvel

© h&m

capsule

CHAUSSURES

Atelier Fauvel

BALMAIN POUR H&M Après le rock bohême avec Isabel Marant en 2013, le sporty underground avec Alexander Wang en 2014, H&M met à l’honneur le sexy bling en signant sa collection capsule 2015 avec la maison Balmain – disponible dès le 5 novembre. Vestes en velours brocart brodées de perles, minirobes ceinturées aux épaules carrées… Avec sa patte nineties et maximaliste, le tout jeune créateur Olivier Rousteing, nommé D. A. de Balmain en 2011 à seulement 25 ans, va endiabler les garde-robes. R. S. exposition

Espadrille, sandale, bottine, derby : Morgane Fauvel détourne les grands classiques de la chaussure avec malice et avec ses petites mains, dans son atelier parisien.

Formée chez le chausseur de luxe français Robert Clergerie, Morgane Fauvel a ouvert son propre atelier de chaussures il y a deux ans, à tout juste 25 ans : « J’avais envie de me détacher de la fabrication traditionnelle, de détourner les modèles et les techniques. » Pour son premier modèle maison, la jeune chausseure imagine des derbys en un seul tenant, sans ajouter de contrefort, en procédant par pliage. Si elle s’amuse en travaillant comme elle l’entend (« Je n’ai pas besoin d’envoyer de dessins à l’usine, je peux tester des choses, travailler dans l’ordre que je veux, c’est génial ! »), Morgane Fauvel fabrique ses chaussures dans les règles de l’art, 100 % à la main, à partir de cuirs rigoureusement choisis : pour l’extérieur, un cuir de veau qui vient d’Alsace ; pour la semelle, un cuir de vachette traité, suivant la technique du tannage végétal, avec des

matières non toxiques pour la peau. Chaque modèle est fait sur demande et nécessite vingt-cinq heures de travail, ce qui justifie son tarif (entre 300 et 700 € la paire), « le prix des chaussures chez les marques de luxe qui ne respectent pas toujours les règles de confort les plus basiques ! » Après avoir conçu, pour sa dernière collection, un motif avec l’illustratrice pour enfants Noémi Schipfer, Morgane Fauvel travaille à élaborer une bottine avec des éléments qui s’emboîtent sans couture. « Je me mets toujours des contraintes débiles. De toute façon, il faut être un peu fou pour faire des chaussures, c’est hypertechnique et il n’y a pas deux pieds pareils ! » conclue-­t-elle, dans un pied de nez. Atelier Fauvel 82, avenue Denfert-Rochereau – Paris XIVe www.atelierfauvel.com Modèles également disponibles sur www.lexception.com

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© d. r.

PAR RAPHAËLLE SIMON

SNEAKERS. OBJETS DE DÉSIRS La basket fait sa starlette ! Après la sortie en octobre du livre Culture sneakers. 100 baskets mythiques (Hugo image), qui revient sur le succès de modèles emblématiques (Air Jordan, Stan Smith…), une exposition est consacrée aux sneakers. Parmi les deux cents paires exposées, nombre de baskets cultes provenant de collections privées, mais aussi des pièces créées pour l’occasion, comme le modèle Air Force Life 2 de J-M De Pelsemaeker (photo) ou la Nikeosaurus Airmaximus, en forme de crâne de dinosaure. R. S. jusqu’au 13 janvier à la galerie du crédit municipal de Paris


pré se nte

exposition PICASSO.MANIA Après « Picasso et les maîtres » en 2008, qui mettait en lumière l’influence des grands peintres sur l’artiste espagnol, le Grand Palais retourne le miroir et consacre cette fois son exposition à la fascination exercée par Pablo Picasso sur les artistes contemporains, d’Andy Warhol à Jeff Koons, à travers un dialogue continu, décliné sur seize salles, entre les œuvres du maître et celles de ses admirateurs. O. B. G. jusqu’au 29 février au Grand Palais © david merlin-dufey

exposition

© etienne frossard

Je suis l’ombre de mes envies de David Merlin-Dufey

Appel À films

Pour sa 6e édition, le festival dénicheur de jeunes talents a ouvert son appel à courts métrages avec, comme toujours, une thématique vaste – « Je suis un geste » – qui permet une grande variété de propositions. PAR CLAUDE GARCIA

La notoriété du festival auprès des réalisateurs en herbe ne cesse de grandir. L’an dernier, c’est plus de mille films qui avaient concouru, et le Grand prix du jury avait récompensé David Merlin-Dufey pour Je suis l’ombre de mes envies, une comédie pince-sans-rire sur la frustration d’un homme dont les désirs semblent refrénés par les regards accusateurs de sa femme et d’un vieux hibou. Cette année, le jury est présidé par l’acteur et dramaturge Jacques Gamblin qui départagera, avec neuf autres jurés, les (très) courts métrages (de 30 à 140 secondes) déposés sur le site du festival. Les candidats ont jusqu’au 7 janvier 2016 pour s’inscrire et envoyer leur film, dont le genre est libre. Quant aux internautes, ils peuvent voter chaque

jour pour la ou les vidéos de leur choix, et ce jusqu’au 15 février 2016, afin d’élire le Prix du public (doté de 1 000 €). L’heureux gagnant du Grand prix remportera 3 000 €. Le vainqueur du prix Canal+ bénéficiera d’un préachat de la chaîne pour un court métrage d’une durée de 280 secondes. Deux autres prix permettront de gagner 1 000 € et de voir son film diffusé sur Canal+ et, pour le Grand prix, dans les salles MK2. Tous les gagnants se verront aussi offrir un kit cinéma Nikon D750 et une formation vidéo à la Nikon School. Autant de raisons de se creuser les méninges et de proposer des idées aussi originales que concises. À vos caméras ! Soumettez votre candidature et vos films sur le site du festival : www.festivalnikon.fr

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John Giorno, Life is a killer, 2015 UGO RONDINONE : I ♥ JOHN GIORNO Le Palais de Tokyo fait le pari d’exposer de la poésie, celle de John Giorno, figure de l’underground new-yorkais des années 1960 proche de la Beat Generation… Et le pari est réussi : fidèle à l’esprit du poète, le parcours propose, à travers des mises en image des textes (peintures, vidéos, graffitis…), une immersion au cœur de cette poésie subversive qui se veut accessible à tous. O. B. G. jusqu’au 10 janvier au Palais de Tokyo

CIRQUE © christophe raynaud de lage

NIKON FILM FESTIVAL

IL N’EST PAS ENCORE MINUIT… Après Laissez-porter (2005) et Le Grand C (2009), la Compagnie XY présente, à La Villette, sa troisième création, inspirée par le lindy hop, cette danse acrobatique née à Harlem à la fin des années 1920, et perpétue son efficace principe fondateur d’écriture collective à mesure que la troupe s’élargit. O. B. G. du 18 novembre au 27 décembre à La Villette


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pré se nte

© courstesy of gallery beniya

THÉÂTRE

30/40 LIVINGSTONE Un explorateur en mal d’aventure (Sergi López, volubile et déchaîné) fait la rencontre d’une créature légendaire à tête de cerf (Jorge Picó, silencieux mais exalté dans son expression corporelle)… Après un passage remarqué en 2014 au Off d’Avignon, cette comédie loufoque et absurde, écrite et mise en scène par le génial duo espagnol, pose ses valises à Paris. O. B. G. jusqu’au 19 décembre à La Pépinière théâtre

Kuniyoshi (1797-1861), Sakata Kaid -maru, 1836. THÉÂTRE

EXPOSITIONs

Le Petit Palais réunit autour du thème du « fantastique » deux expositions d’estampes du xixe siècle. L’occasion d’admirer l’œuvre foisonnante du Japonais Kuniyoshi et celles de grands graveurs européens, de Goya à Redon. PAR OLIVIER BAYU GANDRILLE

Un gigantesque dessin de tête de mort nous accueille au seuil de l’exposition consacrée à l’exubérant Utagawa Kuniyoshi, surnommé pour l’occasion « le démon de l’estampe ». Le ton est donné : il s’agit d’entrer dans l’univers monstrueux et fantasque du maître japonais, contemporain de Hokusai, mais qui n’a pas exercé en France le même rayonnement. Pour combler ces lacunes, le parcours thématique proposé, qui regroupe quelque deux cent cinquante estampes et peintures en petit format, se veut à la fois didactique et spectaculaire. Il s’ouvre sur des estampes extravagantes comme Sakata Kaido-maru, qui montre un petit garçon à la peau rouge vif se débattre avec une

carpe géante suivant des lignes de force extrêmement appuyées, pour se clore sur la présentation des différentes techniques d’impression employées par le maître. Si la seconde exposition, qui regroupe plus de cent soixantedix œuvres d’artistes européens, a un visage plus familier – et moins coloré –, on prend plaisir à redécouvrir les visions funèbres d’un xix e siècle peuplé de monstres. Les chauves-souris de Francisco de Goya, les chimères de Gustave Doré et les araignées d’Odilon Redon, présentées chronologiquement, marquent à l’encre noire les tréfonds de nos imaginaires. « Kuniyoshi. Le démon de l’estampe » et « L’Estampe visionnaire. De Goya à Redon » jusqu’au 17 janvier au Petit Palais

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© thierry depagne

Fantastique ! VU DU PONT Eddie refuse de voir sa nièce tomber dans les bras de Rodolfo, un immigré italien qu’il accueille chez lui… Ivo van Hove met en scène la pièce écrite par Arthur Miller en 1956 dans l’épuration la plus totale et la plus efficace : installés dans un grand cube noir, les spectateurs perçoivent les résonances de cette tragédie cruelle de plein fouet. O. B. G. jusqu’au 21 novembre aux Ateliers Berthier

OUVERTURE CENTRE DE MUSIQUE DE CHAMBRE Le Centre de musique de chambre de Paris ouvre ses portes le 21 novembre. Dans ce nouvel espace, les musiciens ont la liberté de choisir leur propre programmation, et les spectateurs, de dialoguer avec eux… Dimanche 22 novembre, c’est « Bach n’ Breakfast », soit un petit déjeuner, partition à la main, pour chanter accompagné des musiciens. O. B. G. à partir du 21 novembre à la Salle Cortot



L’actualité DES salles FESTIVAL

Chéries-Chéris La 21e édition du grand rendez-vous parisien du cinéma LGBTQ (lesbien, gay, bisexuel, transgenre, queer) pose ses valises au MK2 Beaubourg et au MK2 Quai de Loire, forte d’une programmation éclectique et foisonnante.

© d. r.

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PAR TIMÉ ZOPPÉ

La Chanson de l’éléphant de Charles Binamé, The Last Summer of the Rich de Peter Kern et Joe Dallesandro. L’Ange nu de Karim Zeriahen

Le premier objectif, à la création du festival, en 1994, était de permettre aux gens d’accéder aux films LGBT, qui n’étaient pas visibles parce qu’ils n’entraient pas dans le circuit commercial », explique Cyril Legann, le nouveau président de Chéries-Chéris. À partir des années 2000, le succès du support DVD a changé la donne, puisqu’il a permis aux amateurs de voir plus facilement ces films. « Aujourd’hui, la raison d’être du festival, c’est plutôt de proposer une sélection forte et cohérente. D’organiser aussi des débats, de traiter des sujets de société importants, comme les droits des trans ou la prévention, via des documentaires. Les jeunes générations nous semblent moins bien informées, alors qu’en 2015 on meurt encore du sida. » La compétition des longs métrages se compose d’œuvres représentant toutes les identités contenues dans le sigle LGBTQ. Comme le montre l’édition 2014, qui avait couronné du Grand prix The Smell of Us de Larry Clark, la thématique peut être prise au sens large. « Cette année, il y a par exemple La Chanson de l’éléphant de Charles Binamé, inédit en France. Ce n’est pas à proprement parler un film LGBTQ, mais il y a une tension, un homoérotisme, et aussi la présence de Xavier

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Dolan, qui est une figure importante de cette culture. » Le jury 2015 se compose de personnalités d’horizons divers : Catherine Corsini, réalisatrice de La Belle Saison, Julie Maroh, auteure du roman graphique Le bleu est une couleur chaude – adapté par Abdellatif Kechiche dans le film La Vie d’Adèle –, l’architecte Olivia Chaumont et Ali Mahdavi, qui signe par ailleurs le clip de la chanson d’Arielle Dombasle « Johnny Are You Gay? »,

« Les jeunes générations nous semblent moins bien informées. » Cyril legann

bande-annonce de cette édition. Comme en 2014, l’actrice et chanteuse participera aux cérémonies d’ouverture et de clôture du festival. Elle y présentera en outre, en version restaurée, son deuxième film, l’introuvable Les Pyramides bleues (1988). Souvent, l’équipe de Chéries-Chéris déniche des œuvres dans les grandes manifestations comme Cannes, Venise et Berlin. C’est ainsi qu’elle a découvert à la Berlinale 2015 The Last Summer of the Rich de Peter Kern, avec Amira Casar en reine du SM qui s’amourache d’une nonne. Le film américain Free Love de Peter Sollett, passé par le festival de Toronto, et dans lequel Julianne Moore et

novembre 2015


L’actualité DES salles Ellen Page jouent un couple confronté au cancer de l’une d’elles, est projeté pour la première fois en France lors de la clôture du festival. La programmation décline par ailleurs de multiples catégories de courts métrages (gays et lesbiens, français et internationaux, lesbiens porno et « trans, queer et ++++ »). Parmi les nombreuses séances spéciales, un hommage est rendu à Andy Warhol avec trois documentaires, réalisés par Karim Zeriahen, qui reviennent sur la mythique trilogie Trash, Flesh, Heat produite par l’artiste américain entre 1968 et 1972. Côté pratique, deux salles accueillent les festivités : le MK2 Beaubourg à partir de 14 heures, et le MK2 Quai de Loire pour les séances du soir, les avant-premières, l’ouverture et

CYCLES

AVANT-PREMIÈRES

7/11

ANDRÉ BOUCHARD Séance de dédicaces à l’occasion de la sortie de L’Après-midi d’une fée (Seuil jeunesse). >MK2 Quai de Loire à 16h

9/11

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Que cache le fantasme de transparence ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

10/11

007 SPECTRE >MK2 Bastille, Bibliothèque, Nation, Gambetta et Quai de Loire à partir de 18h

13/11

ROCK’N PHILO « Aimer nous rend-il nostalgiques ? My girl, my girl… » >MK2 Grand Palais à 20h

14/11

NOS ATELIERS PHOTO Apprenez à choisir le cadrage et les réglages adaptés pour saisir l’atmosphère si particulière d’un cimetière. Réservation indispensable : 06 95 28 78 10 / contact@mobilecameraclub.fr >MK2 Bibliothèque toute la journée

16/11

RENDEZ-VOUS DES DOCS Un endroit pour tout le monde d’Angelos Rallis et Hans Ulrich Gössl. >MK2 Quai de Loire à 20h

CONFÉRENCES

la clôture. Afin de boucler la programmation, une campagne de financement participatif a été lancée sur la plateforme Ulule pour pallier la baisse de subventions. « Il reste quelques films dont la validation va en dépendre, puisqu’il faut notamment s’acquitter des frais élevés de sous-titrage. » Il ne reste donc plus qu’un pas à franchir pour fignoler la programmation de cette nouvelle édition de Chéries-Chéris qui, avec 7 000 à 10 000 spectateurs par an, s’impose comme le plus important festival LGBTQ de France. du 24 novembre au 1 er décembre aux MK2 Beaubourg et Quai de Loire www.cheries-cheris.com Page Ulule : fr.ulule.com/cheries-cheris

RENCONTRES

musique

16/11

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Faut-il marcher pour penser correctement ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

24/11

CONNAISSANCES DU MONDE « Îles de Bretagne. » >MK2 Nation à 14h

30/11

17/11

ORLANDO FERITO Séance suivie d’un débat avec le réalisateur Vincent Dieutre. >MK2 Beaubourg à 19h45

17/11

TAJ MAHAL En présence du réalisateur Nicolas Saada. >MK2 Quai de Seine à 20h

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Des convictions, pour quoi faire ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

30/11

ALL’OPERA La Traviata de Verdi, depuis la Scala de Milan. >MK2 Odéon à 19h30

01/12

23/11

CINÉMADZ En partenariat avec le site madmoiZelle.com, projection de Toy Story de John Lasseter. >MK2 Bibliothèque à 20h

4/12

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Avons-nous le droit d’être joyeux dans un monde injuste ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

23/11

ALL’OPERA Gala des étoiles, depuis la Scala de Milan. >MK2 Odéon à 19h30

23/11

THE OTHER SIDE Séance suivie d’un débat avec le réalisateur Roberto Minervini. >MK2 Beaubourg à 19h45

www.troiscouleurs.fr 123

ROCK’N PHILO « Suis-je moi-même quand je me divertis ? L’homme schizophrène du xxie siècle. » >MK2 Grand Palais à 20h

7/12

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Et si nous cessions d’avoir peur du vide ? » avec Philippe Nassif. >MK2 Hautefeuille à 18h15


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