Trois Couleurs #138 - Février 2015

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le monde à l’écran

ÉRIC & RAMZY du 3 fév. au 1er mars 2016

Interview carrière du duo comique

PABLO TRAPERO Rencontre avec le réalisateur d’El Clan

ET AUSSI

Le Trésor, Danielle Arbid, Grand Blanc…

no 138 – gratuit


l’e ntreti e n du mois

Éric et Ramzy

© stéphane manel

Retour sur la carrière des joyeux lurons de l’absurde

« si on nous avait dit que “le caca, c’est délicieux” deviendrait culte… » ramzy bédia

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l’e ntreti e n du mois

Le duo comique, qui s’est fait un nom à la fin des années 1990 en jouant les gentils crétins sur scène et à la télé (l’émission Les Mots d’Éric et Ramzy, la série H), revient avec le prequel du délirant Tour Montparnasse infernale (Charles Nemes, 2001). Dans La Tour 2 contrôle infernale, Éric Judor (qui signe aussi la réalisation) et Ramzy Bedia incarnent les pères des laveurs de carreaux qu’ils campaient dans le premier opus, soit deux brillants pilotes de l’armée française rendus débiles par une expérience extrême dans une centrifugeuse. Sur la banquette du bar d’un palace parisien, entre un nombre incalculable de vannes et de digressions, les deux acolytes sont revenus pour nous sur les grandes étapes de leur carrière. PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

uinze ans après, ça fait quoi de constater que la tour montparnasse infernale est devenu culte ? ramzy bédia : On a tellement entendu dire que c’était de la merde… éric judor : Je crois que le film a une étoile et demie sur Allociné. r. b. : En fait, on se méfie encore aujourd’hui quand les gens nous disent que le film est culte. Les insultes à sa sortie nous ont tellement blessés que maintenant… « Chat échaudé », quoi. é. j. : On prend conscience seulement maintenant, depuis le début de la promo, de la puissance du film dans la mémoire des gens. C’est incroyable : on est entre Kev Adams et Justin Bieber. r. b. : Oui, mais bon, quand même… « Chat échaudé. » vous pensez que certaines répliques de la tour 2 contrôle infernale pourraient devenir culte ? é. j. : Holà ! non. On ne sait jamais comment les gens vont s’approprier quelque chose. r. b. : Si on nous avait dit que « Le caca, c’est délicieux » [réplique de La Tour Montparnasse infernale, ndlr] deviendrait culte… é. j. : En fait, on ne réfléchit pas tellement en termes de gimmicks. À part la vanne sur les points communs dans La Tour 2 contrôle infernale, qu’on reprend plusieurs fois de suite pour le rythme du gag, on ne place pas une réplique toutes les trois scènes pour la faire rentrer dans la tête des gens. j’ai lu que votre première coréalisation, seuls two (2007), n’avait pas été une bonne expérience. c’est pour cette raison qu’éric signe seul la réalisation cette fois ? r. b. : Seuls Two est arrivé au moment où on en avait marre de ne pas tout maîtriser sur nos films. Écrire et jouer, c’est bien, mais c’est le réalisateur qui a le dernier mot. On s’y est mis ensemble parce qu’on faisait toujours tout à deux. Pour La Tour 2 contrôle infernale, c’était une question de bon sens qu’Éric prenne en charge la mise en scène tout seul : il avait déjà fait l’équivalent de six longs

métrages puisqu’il avait réalisé deux saisons de sa série Platane. Du coup, c’était lui le chef. Ça fout un coup à l’ego. avec jamel debbouze et la série h, vous avez lancé un humour singulier. pensez-vous avoir hérité d’un esprit et avoir transmis le vôtre à la nouvelle génération ? é. j. : On a des influences venues de notre enfance. On regardait tous les deux les films des Marx Brothers, on adorait Harold Lloyd, un peu moins Charlie Chaplin de mon côté. À la télé, je suivais les Nuls ; Ramzy, c’était les Inconnus. Mais quand on a commencé notre carrière, on voulait faire un humour qui ne ressemble à aucun autre. Aujourd’hui, à chaque fois qu’on me dit « Tu devrais regarder ces gars, comment ils vous imitent », je ne trouve jamais de ressemblance. r. b. : Je vois des imitateurs de Jamel à la pelle, mais de nous, non. On n’a aucun style, en fait. é. j. : Je pense qu’on en a un, mais c’est quand même très particulier ce qu’on génère ensemble, il se passe un truc qu’on ne gère pas du tout. Ça devient une sorte de Capitaine Caverne, une chose qu’on n’arrive pas nous-même à identifier ni à décrire. Je sais juste que quand on décolle ensemble, ça ne peut être que nous. après plusieurs succès populaires, pourquoi avoir joué dans le très arty steak (2006) de quentin dupieux ? é. j. : C’était une vraie envie artistique. À nos débuts, on ne faisait pas de concession, mais ensuite, on s’est un peu perdus dans des trucs plus grand public. Notre deuxième film ne devait pas être Double Zéro, mais Moyen Man, qui devait être réalisé par Michel Hazanavicius et qui correspondait à notre ligne artistique. Le producteur nous a plantés, et le film ne s’est pas fait. Du coup, on s’est précipités sur Double Zéro, que Thomas Langmann nous tendait, et ensuite, on a fait Les Dalton. Bref, on est rentrés dans un truc confortable : on faisait des films, on était bien payés, on voyageait, on était contents. Mais on avait complètement zappé nos aspirations de départ. Quand on a vu Nonfilm de Quentin Dupieux, on s’est dit… r. b. : « Putain ! c’est ça. »

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l’e ntreti e n du mois

« c’est quand même très particulier ce qu’on génère ensemble, il se passe un truc qu’on ne gère pas du tout. » éric judor

avec votre série moot-moot, qui n’a malheureusement connu qu’une seule saison, vous avez tenté de faire, pour la première fois en france, de l’animation pour adultes à la south park. é. j. : C’était l’idée. On a eu la chance qu’Arielle Saracco, la directrice des programmes de Canal+, nous fasse une confiance aveugle sur ce projet. Elle a validé tous les épisodes avant même l’écriture. Le problème, avec Moot-Moot, c’est qu’il y a dix vannes à la seconde ; c’est un taf d’écriture de dingue. On n’est pas aux États-Unis. Nous, il n’y a qu’un auteur qui nous convienne, c’est Nicolas Orzeckowski, avec qui on a écrit Platane et La Tour 2 contrôle infernale. Donc notre réservoir est un peu vide… qu’est-ce qui vous fait rire aujourd’hui ? r. b. : Il y a un type qu’on adore, Monsieur Fraize. C’est en dehors de tout le reste. Pour nous, c’est du génie. é. j. : Dernièrement, Bun Hay Mean m’a bien fait marrer aussi. En plus léger, j’aime bien le Woop, des jeunes qui font des vidéos marrantes sur Internet. Ça se voit qu’ils bossent, c’est agréable. Y’a de l’écriture, de la mise en scène, du jeu… Ce n’est pas juste une énergie.

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r. b. : En tout cas, on n’est pas du tout du genre à dire : « Les jeunes ne nous font pas marrer ! » Nous, à nos débuts, on envoyait des cassettes vidéo à Didier Gustin, et c’était lui qui décidait si on passerait ou pas dans une émission musicale sur France 3. Aujourd’hui, tout seul dans ta chambre, tu mets en ligne ta vidéo sur YouTube et t’as un accès direct au public. pour la suite, je crois que vous comptez remonter sur scène ensemble… é. j. : Les gens le demandent. r. b. : Back by popular demand. é. j. : Ce sera très prochainement, dans moins de deux ans, je pense. r. b. : On peut faire d’autres films d’ici-là, les gens nous diront toujours : « Super, le film. Mais le spectacle, c’est pour quand ? » C’est fou, parce qu’une place de spectacle, c’est quarante balles, et un ciné, dix euros. Ils s’en foutent. Ils pourraient voir quatre films de nous, mais ils préfèrent voir un spectacle. é. j. : Ils sont cons, les gens. La Tour 2 contrôle infernale d’Éric Judor avec Éric Judor, Ramzy Bédia … Distribution : Légende Durée : 1h28 Sortie le 10 février

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Sommaire

Du 3 février au 1er mars 2016

À la une… 2

en ouverture

portrait

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entretien

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Éric et Ramzy

Le duo comique, qui s’est fait un nom à la fin des années 1990 en jouant les gentils crétins sur scène et à la télé, revient avec La Tour 2 contrôle infernale, prequel de leur délirante Tour Montparnasse infernale. Retour, tout en vannes et digressions, sur les grandes étapes de leur carrière.

en couverture

Manal Issa Dans Peur de rien de Danielle Arbid, la jeune femme de 23 ans, ingénieure de formation, incarne une ado libanaise qui débarque en France au début des années 1990.

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Pablo Trapero Auteur d’un cinéma ultra noir (Leonera), le réalisateur argentin s’empare d’un fait divers ahurissant et signe avec El Clan une tragédie implacable et virtuose.

Aaron Sorkin

Qu’il soit président des États-Unis, avocat, manager sportif, à la tête d’un programme télévisé ou entrepreneur visionnaire comme dans Steve Jobs, en salles ce mois-ci, le héros sorkinien est toujours un génie de l’éloquence, un cerveau brillant, saisi en pleine ascension. Portrait d’un maître du scénario par le prisme de ses personnages de films et de séries.

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© stéphane manel ; antoine doyen ; vincent desailly ; andrea montano ; jérémie nassif ; d.r.

entretien

portfolio

Le Trésor Toujours attentif à exhumer l’histoire contemporaine de la Roumanie, Corneliu Porumboiu signe un étonnant film d’aventure qui progresse avec flegme de menues surprises en contretemps burlesques.

portrait

34 Anders Danielsen Lie Dans Ce sentiment de l’été de Mikhaël Hers, l’acteur norvégien révélé dans Oslo. 31 août campe un New-Yorkais en errance qui se lie avec la sœur de sa compagne brutalement décédée.

musique

68 Grand Blanc Entre idéal de pureté et pupilles dilatées, mort et renaissance, Joy Division et Alain Bashung, le groupe messin sort Mémoires vives, premier album de pop synthétique dans lequel le danger côtoie toujours le salut.

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Jérémie Nassif Depuis quelques années, l’œuvre du photographe tourne autour du corps mouvant, conférant aux silhouettes de danseurs ou de chevaux un rendu évanescent et spectral.


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… et aussi Du 3 février au 1er mars 2016

Édito Droit d’auteur Les actualités Les Oscars, Leonardo DiCaprio, Anna Faris À suivre

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Liv Henneguier dans Crache cœur p. 20

l’agenda 22 Les sorties de films du 3 au 24 février 2016 histoires du cinéma 25 Nathalie Granger de Marguerite Duras p. 32, Danielle Arbid p. 36, le chef opérateur Emmanuel Lubezki p. 40

les films

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Les DVD Un enfant attend et Love Streams de John Cassavetes, et la sélection du mois

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cultures

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trois couleurs présente

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l’actualité des salles mk2

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©collection christophel ; antoine doyen ; 20th century fox ; d.r.

Anomalisa de Charlie Kaufman et Duke Johnson p. 49 // La Terre et l’Ombre de César Acevedo p. 50 // Mad Love in New York de Josh et Benny Safdie p. 51 // Homeland : Irak année zéro d’Abbas Fahdel p. 53 // À une heure incertaine de Carlos Saboga p. 54 // Ave, César ! de Joel et Ethan Coen p. 57 // Un jour avec, un jour sans de Hong Sang-soo p. 58 // Sleeping Giant d’Andrew Cividino p. 60 // Dans ma tête un rond-point de Hassen Ferhani p. 61 // Nahid d’Ida Panahandeh p. 62 // Tempête de Samuel Collardey p. 62 // Kaili Blues de Gan Bi p. 65 // No Home Movie de Chantal Akerman p. 65

L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris Ai Weiwei, Carolyn Carlson, Katia et Marielle Labèque Les conférences d’histoire de l’art

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentin.grosset@mk2.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) STAGIAIRES Olivier Bayu Gandrille, Paola Dicelli ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Adrien Dénouette, Julien Dupuy, Yann François, Stéphane Méjanès, Wilfried Paris, Michaël Patin, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Claire Tarrière, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Stéphane Manel PHOTOGRAPHES Antoine Doyen, Vincent Desailly, Raphaël Kahn PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) AssistantE RÉGIE PUBLICITAIRE Caroline Desroches (caroline.desroches@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) Assistant partenariats culture Florent Ott CHEF DE PROJET OPÉRATIONS SPÉCIALES Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com)

Trois Couleurs est distribué dans le réseau le Crieur (contact@lecrieurparis.com)

Illustration de couverture © Michael Arnold pour Trois Couleurs

© 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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é dito

Droit d’auteur PAR JULIETTE REITZER

E

n février 1955, dans les Cahiers du cinéma, Fran­ çois Truffaut définit ce qu’il nomme la « politique des auteurs » dans un article consacré au film de Jacques Becker Ali Baba et les Quarante Voleurs. Pour le jeune critique et ses confrères, il s’agit d’approcher un film non pas comme une œuvre isolée mais comme faisant partie d’un tout, en le considérant à l’aune des précédents films de son réalisateur. Et de poursuivre : « En dépit de son scénario trituré par dix ou douze personnes, dix ou douze personnes de trop excepté Becker, Ali Baba est le film d’un auteur, un auteur parvenu à une maîtrise exceptionnelle, un auteur de films. » Si elle correspond aussi à une réalité factuelle et hiérarchique (dans les différentes étapes de la fabrication d’un film, le patron, c’est bien souvent le réalisateur, surtout en France), cette conception du cinéaste comme seul auteur (du latin auctor, le père, le créateur) met sur la

touche les autres métiers indispensables à la création d’un long métrage de cinéma – producteur, scénariste, directeur de la photographie, monteur, etc. Une fois n’est pas coutume, nous avons choisi ce mois-ci de consacrer notre couverture non pas à un réalisateur mais à un scénariste. On doit notamment à Aaron Sorkin les séries À la MaisonBlanche et The Newsroom, et les longs métrages Des hommes d’honneur de Rob Reiner, La Guerre selon Charlie Wilson de Mike Nichols ou The Social Network de David Fincher. Comme tous ces films, le brillant et retors Steve Jobs, qui sort ce mois-ci, porte au moins autant l’empreinte de Sorkin que celle de son réalisateur, Danny Boyle. Peu importe qui les a réalisés, les films et séries écrits par Sorkin forment un ensemble d’une grande cohérence : il s’agit toujours de raconter l’histoire d’individus idéalistes et brillants dont le génie s’exprime dans des dialogues flamboyants et acérés. Cohé­ rence qui fait indéniablement d’Aaron Sorkin un auteur.

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e n bre f

Les actualités Par Paola Dicelli, Julien Dupuy, Quentin Grosset, Raphaëlle Simon et Timé Zoppé

> l’info graphique

Improbable Bowie L’immense David Bowie nous a quittés le 10 janvier, à l’âge de 69 ans, des suites d’un cancer du foie. Outre son impressionnante discographie, il laisse derrière lui une filmographie à son image : étrange et surprenante. Retour sur quelques-unes des figures les plus saugrenues incarnées sur grand écran par « l’homme aux mille visages ». t. z.

Un extraterrestre L’Homme qui venait d’ailleurs

(Tony Scott, 1983)

© d. r.

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Pour son premier grand rôle au cinéma, il campe un extraterrestre dépêché sur Terre pour sauver sa planète. Sans ses lentilles et sa perruque d’humain, il est aussi avenant que Voldemort.

Ponce Pilate La Dernière Tentation du Christ

Le roi des Gobelins Labyrinthe (Jim Henson, 1986)

(Julian Schnabel, 1997)

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Affublé de sa plus belle toge, il apparaît brièvement dans la peau du gouverneur romain qui a fait crucifier le Christ dans ce drame biblique de Martin Scorsese.

Chez Tony Scott, il est un vampire pris dans un triangle amoureux avec Catherine Deneuve et Susan Sarandon. Atteint d’un vieillissement accéléré, il finit sec et ridé comme un pruneau.

Andy Warhol Basquiat

(Martin Scorsese, 1988)

Dans ce conte pour enfants, il devient Jareth, un être androgyne qui règne sur un monde peuplé de créatures fantastiques et atteint les sommets du bon goût capillaire et vestimentaire.

© d. r.

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Un vampire Les Prédateurs

(Nicolas Roeg, 1977)

Dans le biopic du peintre Jean-Michel Basquiat, il recoiffe une perruque seyante pour incarner à la perfection le pape du Pop art et son style unique, mélange de nonchalance et de rigidité.

> OSCARS

© karwai tang / wireimage

Au pied du mur Cette année, comme en 2015, tous les acteurs et actrices nommés aux Oscars sont blancs. Pire : toutes catégories confondues, un seul des cinquante-deux nommés ne l’est pas. Ce manque de diversité (qui concerne aussi les femmes, peu représentées) a poussé l’actrice Jada Pinkett-Smith et le réalisateur Spike Lee à menacer de boycotter la cérémonie, le 28 février. Comme l’an dernier, le hashtag « #OscarsSoWhite » a aussi repris du service sur Twitter. De nouveau, internautes et médias ont ressorti les chiffres d’une enquête du Los Angeles Times datant de 2014 indiquant que les membres du collège de votants de l’Académie étaient principalement des hommes (76 %) blancs (93 %) et plus très jeunes (63 ans de moyenne d’âge). Face à la polémique, l’Académie s’est enfin décidée à réagir en s’engageant à doubler, d’ici 2020, la part des femmes et des minorités au sein du collège des votants. C’est déjà ça. T. Z.

Jada Pinkett-Smith

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e n bre f

> LE CHIFFRE C’est le nombre de pays dans lesquels Netflix est aujourd’hui disponible. La plateforme de streaming a en effet annoncé début janvier avoir étendu son offre à 130 nouveaux États et règne désormais, à quelques exceptions près (la Syrie, la Chine, la Corée du Nord notamment) sur toute la planète. Q. G.

> DÉPÊCHES PAR R. S.

DÉCÈS Le grand maître du cinéma italien Ettore Scola (Affreux, sales et méchants) s’est éteint, le 19 janvier, à 84 ans • Le 14 janvier, c’est le mythique professeur Rogue de la saga Harry Potter, l’acteur britannique Alan Rickman, qui nous a quittés, à l’âge de 69 ans.

> LA PHRASE

Sans sourciller Dans le comics dont s’inspire Deadpool, le masque du super-(anti)héros tient du cartoon, puisque ses sourcils sont capables d’exprimer des expressions avec autant de souplesse qu’un visage humain. Pour obtenir ce résultat, le réalisateur Tim Miller a opté pour un mélange de costumes réels et numériques : sur le plateau, le masque de Deadpool était évidé autour des yeux, avec de petits points blancs qui permettaient de repérer puis de répliquer tous les mouvements du personnage par ordinateur. À charge ensuite, aux techniciens des effets spéciaux, de concevoir et d’animer un masque virtuel partiel qui devait se fondre et se caler parfaitement sur celui du comédien filmé sur le plateau. J. D. Deadpool de Tim Miller. Sortie le 10 février

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Leonardo DiCaprio Lors d’une interview à l’édition dominicale du quotidien allemand Die Welt, l’acteur américain a fait part de sa fascination pour l’histoire de la Russie, trop rarement portée à l’écran selon lui. Il a confié qu’il se verrait également incarner Lénine ou Raspoutine.

« J’AIMERAIS BIEN JOUER POUTINE. »

© 20th century fox

> LA TECHNIQUE

© 20th century fox

HOMMAGE

Le cinéaste lituanien Sharunas Bartas est à l’honneur à Paris : alors que sort son nouveau long métrage, Peace to Us in Our Dreams, le Centre Pompidou propose une rétrospective de ses films, et le Passage de Retz expose une cinquantaine de ses photographies, inédites.

© rda / ipa ; studio kinema

V.O.D. Après une série de déprogrammations, à la suite des attentats du 13 novembre, Made in France, le passionnant film de Nicolas Boukhrief sur une cellule djihadiste de la banlieue parisienne, est finalement sorti directement en V.O.D. le 29 janvier.


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e n bre f

© 2015 lucasfilm ltd. et tm. all right reserved

Où est Rey ? Contrairement à ses camarades, l’héroïne de Star Wars. Le réveil de la Force n’apparaissait pas dans les produits dérivés (pions de Monopoly, figurines autonomes ou avec le modèle réduit du Faucon Millenium, qu’elle pilote pourtant à l’écran), à la sortie du film. « #WhereIsRey », ont donc demandé les fans sur Twitter. Dans un communiqué, Disney a argué n’avoir pas Rey (Daisy Ridley) dans Star Wars. Le réveil de la Force mis ce personnage en avant pour ne pas dévoiler l’intrigue (Rey est pourtant au centre du film). Mais le site américain Sweatpants & Coffee cite une source anonyme qui aurait été témoin de la pression exercée sur les fabricants par la société de production Lucasfilm, celle-ci leur demandant « d’exclure le personnage de Rey » et argumentant ainsi : « On sait ce qui se vend. Aucun garçon ne veut qu’on lui offre un jouet représentant un personnage féminin. » À la suite de la demande des fans, Disney a pourtant fini par lancer la production de jouets à l’effigie de la Jedi. T. Z.

CULTURE GEEK

© d.r.

> MARKETING

Selon le site TorrentFreak, le plus vieux torrent (fichier de téléchargement partagé) encore actif (depuis douze ans !) sur Internet est une version pirate de Matrix en ASCII. Cette technologie, codant des caractères en numérique, a permis de reconstituer toutes les images du film avec des chiffres – un régal pour les yeux. Une longévité remarquable dans l’univers du torrent où tout fichier qui n’est pas partagé s’efface automatiquement – cet hommage geek à Matrix est toujours téléchargé plusieurs fois par semaine. Q. G.

en tournage > WEBRADIO

© d. r.

Anna Faris

Depuis novembre dernier, l’hilarante Anna Faris (Scary Movie, Smiley Face…) coanime avec Sim Sarna sa propre émission de radio sur Internet, intitulé Anna Faris Is Unqualified. La comédienne y invite ses nombreux amis de Hollywood (Jennifer Lawrence, Rosie O’Donnell, ou encore son mari Chris Pratt) pour les interviewer sur tous les sujets, mais surtout ceux qui sont en lien avec la vie amoureuse et sexuelle… Dans l’épisode 9, dans lequel elle reçoit Aubrey Plaza, on peut par exemple l’entendre faire une déclaration d’amour aux « sexy balls » de Chris Pratt, avant de disserter sur les testicules d’autres hommes qui sentent parfois « les Cheerios rassis ». Avec son bagout et son grand sens de l’absurde, Faris tente aussi de répondre au courrier du cœur de ses auditeurs. Q. G. www.annafarisisunqualified.com

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Isabelle Huppert et Gérard Depardieu se retrouvent pour la quatrième fois dans Madame Hyde, une adaptation moderne de L’Étrange Cas du Docteur Jekyll et de M. Hyde de R. L. Stevenson sous la direction de Serge Bozon • Vincent Lindon interprétera le rôle d’Auguste Rodin pour Jacques Doillon. Prévu pour 2017, le biopic sera l’occasion de célébrer le centenaire de la mort du sculpteur • Uma Thurman rejoint Laurent Lafitte et la star de Bollywood Dhanush à l’affiche du nouveau film de Marjane Satrapi, adapté du best-seller de Romain Puértolas, L’Extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea. P. D.


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à su ivre

Manal Issa

© antoine doyen

Dans Peur de rien de Danielle Arbid, Manal Issa incarne une ado libanaise qui débarque en France au début des années 1990. Bientôt à l’affiche du prochain film de Bertrand Bonello, la jeune femme de 23 ans vit entre Paris et Beyrouth, menant de front son activité d’ingénieure et sa carrière d’actrice. PAR QUENTIN GROSSET

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evant la galerie Cinéma, dans laquelle ava it l i e u j u s q u ’à f i n j a nv i e r u n e ex p o s i t i o n d e p h o to g r a p h i e s d e Danielle Arbid intitulée « Exotic Girls », Manal Issa nous attend pour l’interview. Dans son dos, derrière la vitre, un portrait d’elle, les yeux frondeurs, accueille les visiteurs. Si la réalisatrice de Peur de rien l’a choisie pour le premier rôle du film (et comme figure centrale de son exposition), c’est parce qu’elle a connu, comme son personnage, l’épreuve de l’exil. « J’ai déménagé du Liban à Angers en 2006 suite au conflit israélo-libanais. En arrivant ici, j’avais l’impression que les Français n’avaient rien vécu », dit-elle, tout en nous faisant visiter la galerie. Si sa carrière d’actrice semble bien engagée (on la retrouvera en 2016 dans le prochain Bonello, Paris est une fête, avec notamment Vincent Rottiers), la jeune femme ne pensait pas du tout devenir comédienne – elle a été repérée sur Facebook par la directrice de casting de Peur de rien alors qu’elle sortait d’une prépa en ingénierie industrielle à Angers. Quand elle n’est pas en France pour ses auditions, elle exerce

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« En arrivant ici, j’avais l’impression que les Français n’avaient rien vécu. » d’ailleurs le métier d’ingénieure à Beyrouth, où elle vit dans un squat avec des musiciens syriens. « Là-bas, il n’y a pas de contrat, donc je suis libre de partir quand bon me semble », affirme-t-elle, précisant qu’elle aimerait intégrer un master en robotique cette année. En attendant, elle écrit un film de fiction sur les maladies mentales (un sujet qui l’intéresse beaucoup) qu’elle n’est pas sûre de mener à son terme. « Je le fais pour me faire du bien. » Pour Manal Issa, il s’agit de tout envisager, au jour le jour. Peur de rien de Danielle Arbid avec Manal Issa, Vincent Lacoste… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h Sortie le 10 février

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« Souvent, c’est l’homme qui séduit, et là c’est l’inverse, c’est elle la prédatrice. »

Liv Henneguier Dans Crache cœur, l’audacieux premier long métrage de Julia Kowalski, elle campe une adolescente consumée par ses pulsions et ses désirs troubles, qui décide d’aider un ouvrier polonais venu en France pour retrouver son fils. PAR RAPHAËLLE SIMON

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lope au bec, cheveux en bataille, veste trop large, Liv Henneguier nous rejoint dans un café de la place de Clichy un peu à l’arrache. « Pour le casting, je suis arrivée en short et en tongs. J’étais à Paris Plages avec des potes, j’avais un peu zappé. J’ai eu peur qu’ils pensent que j’étais pas sérieuse, mais ça s’est hyper bien passé », nous confiet-elle de sa voix rauque et rigolarde. Spontanée et pétillante, la jeune Franco-Suédoise (qui a vu toute la filmographie de Bergman en V.O.) est aux antipodes de son personnage dans Crache cœur, une ado ténébreuse et vénéneuse : « Rose est très spéciale, elle fait un peu psychopathe parfois ! C’est une grande manipulatrice, elle est prête à tout pour avoir ce qu’elle veut. Souvent dans les films, c’est l’homme qui séduit, et là c’est l’inverse, c’est elle la prédatrice. » Habituée dès

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l’enfance des plateaux de cinéma, où elle fait de la figuration grâce sa marraine productrice, et avec à son actif deux jolis premiers rôles à tout juste 18 ans (avant Crache cœur, elle a joué dans le court métrage de Joanna Grudzinska Loups solitaires en mode passif, dans lequel Julia Kowalski l’a repérée), la jeune Parisienne ne veut pas brûler les étapes : « Il faut que je passe mon bac à la fin de l’année. Après, j’ai envie d’aller en Irlande pour apprendre l’anglais. Et ensuite, je reviendrai à Paris, faire une école de cinéma », conclut-elle, avant de sortir, la clope au bec, et la tête sur les épaules. Crache cœur de Julia Kowalski avec Liv Henneguier, Yoann Zimmer… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h23 Sortie le 17 février

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© raphaël kahn

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ag e n da

Sorties du 3 au 24 février Les Tuche 2. Le rêve américain d’Olivier Baroux avec Jean-Paul Rouve, Isabelle Nanty… Distribution : Pathé Durée : 1h34 Page 51

Peur de rien de Danielle Arbid avec Manal Issa, Vincent Lacoste… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h Page 36

Steve Jobs de Danny Boyle avec Michael Fassbender, Kate Winslet… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h02 Page 42

Préjudice d’Antoine Cuypers avec Nathalie Baye, Thomas Blanchard… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h45 Page 52

Alaska de Claudio Cupellini avec Elio Germano, Àstrid Bergès-Frisbey… Distribution : Bellissima Films Durée : 2h05 Page 52

Anomalisa de Charlie Kaufman et Duke Johnson avec David Thewlis, Jennifer Jason Leigh… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h31 Page 49

Le Temps des rêves d’Andreas Dresen avec Merlin Rose, Julius Nitschkoff… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h57 Page 52

Deadpool de Tim Miller avec Ryan Reynolds, Morena Baccarin… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h46 Page 52

La Terre et l’Ombre de César Acevedo avec Haimer Leal, Hilda Ruiz… Distribution : Pyramide Durée : 1h37 Page 50

Dofus. Livre 1 : Julith d’Anthony Roux et Jean-Jacques Denis Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 1h47 Page 74

Joséphine s’arrondit de Marilou Berry avec Marilou Berry, Mehdi Nebbou… Distribution : UGC Durée : 1h30 Page 52

Chocolat de Roschdy Zem avec Omar Sy, James Thierrée… Distribution : Gaumont Durée : 1h50 Page 50

Alvin et les Chipmunks À fond la caisse de Walt Becker Animation Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h32 Page 75

Homeland : Irak année zéro d’Abbas Fahdel Documentaire Distribution : Nour Films Durée : 2h40 / 2h54 Page 53

3 fév.

La Marcheuse de Naël Marandin avec Qiu Lan, Yannick Choirat… Distribution : Rezo Films Durée : 1h20 Page 50

10 fév.

À une heure incertaine de Carlos Saboga avec Joana Ribeiro, Paulo Pires… Distribution : Alfama Films Durée : 1h15 Page 54

Mad Love in New York de Josh et Benny Safdie avec Arielle Holmes, Caleb Landry Jones… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h37 Page 51

La Tour 2 contrôle infernale d’Éric Judor avec Éric Judor, Ramzy Bédia… Distribution : Légende Durée : 1h28 Page 2

Free Love de Peter Sollett avec Ellen Page, Julianne Moore… Distribution : Bac Films Durée : 1h44 Page 54

Dirty Papy de Dan Mazer avec Robert De Niro, Zac Efron… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h42 Page 51

El Clan de Pablo Trapero avec Guillermo Francella, Peter Lanzani… Distribution : Diaphana Durée : 1h48 Page 25

Les Innocentes d’Anne Fontaine avec Lou de Laâge, Vincent Macaigne… Distribution : Mars Durée : 1h55 Page 54

Happily Ever After de Tatjana Boži ć Documentaire Distribution : Aloest Durée : 1h23 Page 51

Le Trésor de Corneliu Porumboiu avec Toma Cuzin, Adrian Purc rescu… Distribution : Le Pacte Durée : 1h29 Page 28

Peace to Us in Our Dreams de Sharunas Bartas avec Ina Marija Bartaite, Lora Kmieliauskaite… Distribution : Norte Durée : 1h47 Page 56

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ag e n da

Chair de poule. Le film de Rob Letterman avec Jack Black, Dylan Minnette… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h44 Page 56

Un jour avec, un jour sans de Hong Sang-soo avec Jeong Jae-yeong, Kim Min-hee… Distribution : Les Acacias Durée : 2h01 Page 58

Nahid d’Ida Panahandeh avec Sareh Bayat, Pejman Bazeghi… Distribution : Memento Films Durée : 1h44 Page 62

Heidi d’Alain Gsponer avec Anuk Steffen, Bruno Ganz… Distribution : StudioCanal Durée : 1h51 Page 75

Beira-Mar ou l’Âge des premières fois de Filipe Matzenbacher et Marcio Reolon avec M. Almada, M. Barcellos… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h23 Page 58

Tempête de Samuel Collardey avec Dominique Leborne, Maylis Leborne… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h29 Page 62

Un sol frío en verano de Mathieu Gari avec Paulina Veltina, Júlia Ferré… Distribution : Les Films de l’Envers Durée : 1h Page 58

The Finest Hours de Craig Gillespie avec Chris Pine, Casey Affleck… Distribution : Walt Disney Durée : 1h57 Page 64

Crache cœur de Julia Kowalski avec Liv Henneguier, Yoann Zimmer… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h23 Page 20

Sleeping Giant d’Andrew Cividino avec Jackson Martin, Reece Moffett… Distribution : KMBO Durée : 1h29 Page 60

Merci patron ! de François Ruffin Documentaire Distribution : Jour2fête Durée : 1h30 Page 64

Ce sentiment de l’été de Mikhaël Hers avec Anders Danielsen Lie, Judith Chemla… Distribution : Pyramide Durée : 1h46 Page 34

La Chambre d’en face de Michael Noer avec Ghita Nørby, Sven Wollter… Distribution : ASC Durée : 1h31 Page 60

L’Histoire du géant timide de Dagur Kári avec Gunnar Jónsson, Sigurður Skúlason… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h34 Page 64

17 fév.

L’Homme qui répare les femmes de Thierry Michel Documentaire Distribution : JHR Films Durée : 1h52 Page 56

24 fév.

Je ne suis pas un salaud d’Emmanuel Finkiel avec Nicolas Duvauchelle, Mélanie Thierry… Distribution : Bac Films Durée : 1h51 Page 64

La Vache de Mohamed Hamidi avec Fatsah Bouyahmed, Lambert Wilson… Distribution : Pathé Durée : 1h31 Page 56

The Revenant d’Alejandro González Iñárritu avec Leonardo DiCaprio, Tom Hardy… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h36 Page 40

Pattaya de Franck Gastambide avec Franck Gastambide, Malik Bentalha… Distribution : Gaumont Durée : 1h37 Page 64

Zootopie de Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h48 Page 56

Aurora de Rodrigo Sepúlveda avec Amparo Noguera, Luis Gnecco… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h23 Page 60

Kaili Blues de Gan Bi avec Yongzhong Chen, Zhao Daqing… Distribution : Capricci Films Durée : 1h53 Page 65

Ave, César ! de Joel et Ethan Coen avec George Clooney, Josh Brolin… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h46 Page 57

Dans ma tête un rond-point de Hassen Ferhani Documentaire Distribution : Les Films de l’Atalante Durée : 1h40 Page 61

No Home Movie de Chantal Akerman Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 1h55 Page 65

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fĂŠvrier 2016


histoires du

C I Né M A

ANDERS DANIELSEN LIE

L’acteur norvégien est à l’affiche de Ce sentiment de l’été de Mikhaël Hers p. 34

PEUR DE RIEN

Rencontre avec la réalisatrice franco-libanaise Danielle Arbid p. 36

AARON SORKIN

Portrait d’un maître du scénario par le prisme de ses personnages p. 42

« Cette histoire est tellement folle que j’ai eu peur que le public ne l’accepte pas. » En 1985, à Buenos Aires, Arquímedes Puccio et ses fils sont arrêtés pour une série de kidnappings et de meurtres crapuleux, au grand étonnement de l’entourage de cette famille respectée et sans histoires. S’emparant de ce fait divers ahurissant, Pablo Trapero plonge sa caméra dans l’intimité du clan Puccio, où le quotidien trivial côtoie le crime le plus sordide, et filme les mécanismes de transmission du mal. Auteur d’un cinéma ultra noir (Leonera, Carancho, Elefante blanco), le réalisateur argentin signe une tragédie implacable et virtuose. PROPOS RECUEILLIS PAR RENAN CROS

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© antoine doyen

Pablo Trapero


h istoi re s du ci n é ma

C

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e film est à la fois une histoire de famille, la transposition d’un fait divers, un portrait de l’Argentine corrompue... C’est autant un film de famille qu’un film sur la famille, je crois. On suit le quotidien des Puccio, on observe comment cette famille vit parallèlement aux activités criminelles du père, voire y participe. C’est aussi le regard d’un fils sur son père – et son besoin de s’en émanciper. C’est un mélodrame familial construit autour d’un fait divers criminel. Si j’osais, je dirais même que c’est une tragédie classique, autour du père, du fils, de la fatalité, le tout baignant dans le crime et la politique. Bien que le film soit inspiré d’une histoire vraie, il est peuplé d’archétypes d’un pur film noir (femmes fatales, truands, héros). Faites-vous du cinéma de genre ? Quand je filme des otages, une famille, un patriarche inquiétant, j’ai forcément des images de cinéma qui me viennent en tête. Ce sont des souvenirs de spectateur qui, inconsciemment, ou consciemment parfois, m’amènent à créer la forme de mon film. Pour El Clan, j’avais en tête des images de Buñuel, de Scorsese, de Peckinpah. Cette histoire a beau être tirée d’un fait divers, être réelle, je ne vois pas pourquoi ma mise en scène devrait être réaliste. L’histoire de la famille Puccio est incroyable, ça tient vraiment du scénario le plus rocambolesque, et pourtant tout est vrai. Mes films précédents sont des histoires très quotidiennes, avec des personnages pas du tout héroïques. C’est

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parce que tout d’un coup le cinéma les regarde que ce qu’ils vivent devient extraordinaire. Pour El Clan, j’avais presque envie de l’inverse ; de redonner à cette famille criminelle une intimité, un quotidien où elle serait comme les autres. Je trouvais fou que le père Puccio emmène sa fille à l’école comme si de rien n’était alors qu’il y avait une femme kidnappée dans sa cave. Ce contraste entre l’incroyable et l’ordinaire, pour moi, c’est ça le cinéma. Les ressorts dramatiques de ce fait divers sont en effet très romanesques, parfois à peine croyables. N’avez-vous pas eu peur d’être débordé par cet aspect de l’histoire ? Constamment. Cette histoire est tellement folle que j’ai eu peur que le public ne l’accepte pas. Tout mon travail sur le scénario a justement consisté à rendre crédible ce qui était vrai. J’ai essayé, le plus possible, de redonner du temps à ces personnages, de les sortir de la tragédie pour qu’ils existent au-delà ; ce qui explique le caractère fragmenté du film, d’ailleurs. Le quotidien coexiste avec l’aspect criminel. C’était risqué, parce que ce n’est peutêtre pas ce que les gens veulent voir quand on leur raconte une histoire aussi célèbre. Comment s’empare-t-on d’un fait divers ? C’est une histoire que je porte depuis longtemps, au moins depuis le tournage de Leonera (2008). Je me suis rendu compte qu’on a très peu d’informations sur la vie de cette famille et sur son fonctionnement avant que tout ceci ne soit découvert. Je me suis mis à faire des recherches sur leur quotidien, leur intimité, ce qui me semblait la clé de cette affaire. J’ai rencontré des connaissances, des amis, des voisins des Puccio, ce qui m’a permis de créer ma vision de la vie de cette famille à l’intérieur de leur maison. Après, tout ce qui tient des faits criminels, c’est une reconstitution précise de ce que l’on sait par le procès. On est revenu sur les lieux pour s’approcher au plus près de l’affaire. Vous racontez le fait divers du point de vue d’un des fils, victime collatérale et complice de l’affaire. Pourquoi ne pas avoir choisi celui du père, véritable instigateur de ces kidnappings ? Parce que je crois que le mal est plus intéressant à observer qu’à incarner. Alex, le fils, est un personnage plus intéressant, parce qu’il est à la fois victime et bourreau. Il est sous la coupe de son père, il ne sait pas comment s’en sortir ; en même temps il profite de son crime. C’est cette ambivalence-là qui me semblait être la meilleure façon de rentrer dans la famille, pour mieux la raconter.

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e ntreti e n

« J’avais envie de redonner à cette famille criminelle une intimité, un quotidien. » Le film laisse entendre qu’Arquímedes Puccio a été protégé par le gouvernement argentin. Pourquoi ne pas avoir davantage insisté sur la dimension politique du fait divers ? Ce n’était pas le sujet, même si le film me paraît politique dans sa manière de montrer comment un individu peut agir en toute impunité, comment le crime peut devenir un moyen de gagner sa vie. Arquímedes a l’habitude du crime ; on sait d’ailleurs qu’il a travaillé pour les renseignements, avant d’être mis sur la touche. Cette banalisation dit quelque chose du climat politique de l’Argentine dans les années 1980. Vos films mêlent toujours des séquences spectaculaires, comme ici avec les kidnappings, à des moments intimistes ; vous faites des films d’action avec des héros malheureux… J’aime les films d’action, j’aime quand le cinéma vous cloue au fauteuil. Mais je crois que je ne pourrais pas filmer des personnages qui ne m’intéressent pas, des personnages qui ne sont que des corps en mouvement. Même si on aime l’adrénaline au cinéma, je pense que, au final, on ne se souvient vraiment que des personnages. Peut-être

parce qu’ils produisent une empathie, des émotions qui nous ramènent à nous. De par leur énergie, leurs thématiques, leurs personnages très virils, leur manière de se frotter au cinéma de genre, leur utilisation de la musique, vos films évoquent ceux de Martin Scorsese. Seriez-vous le Scorsese argentin ? Oh ! si seulement ! C’est un cinéaste que j’admire énormément. Bien sûr que ses films sont un modèle pour moi. Ils m’ont aidé à comprendre comment raconter des histoires. Mais, plus que formellement, je voudrais me réclamer de Scorsese pour sa liberté, son esprit rebelle. Je voudrais comme lui pouvoir prendre constamment des nouveaux chemins, me remettre en cause, inventer de nouvelles manières de parler du monde qui m’entoure. Scorsese prouve à tous les gens qui font du cinéma qu’on ne peut faire ce métier qu’en étant pleinement engagé dedans. El Clan de Pablo Trapero avec Guillermo Francella, Peter Lanzani… Distribution : Diaphana Durée : 1h48 Sortie le 10 février

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h istoi re s du ci n é ma

LE TRÉSOR

©le pacte

CORNELIU PORUMBOIU

Deux citadins partent à la recherche d’un trésor enfoui dans le jardin d’une maison de campagne. Toujours attentif à exhumer l’histoire contemporaine de la Roumanie, Corneliu Porumboiu (12 h 08 à l’est de Bucarest, Policier, adjectif) signe un étonnant film d’aventure, qui progresse avec flegme de menues surprises en contretemps burlesques.

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PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

n soir, alors qu’il lit une histoire à son fils, Costi est interrompu par un voisin qui sonne à la porte. Celui-ci lui raconte à son tour une histoire : en 1947, en prévision de l’arrivée des communistes au pouvoir, son aïeul aurait enfoui un trésor dans le jardin de sa maison. Si Costi accepte de lui avancer la somme nécessaire pour louer un détecteur de métaux, ils partageront le butin – si butin il y a. Sensible sans être mièvre, caustique mais toujours bienveillant, le film de Corneliu Porumboiu suit dès lors les préparatifs de l’expédition (tracasseries bureaucratiques et domestiques), puis la recherche du trésor, rendue ubuesque par les cris stridents du détecteur de

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métaux. Déjouant toutes les attentes, traversé par un formidable humour pince-sans-rire, Le Trésor est un véritable petit bijou. Nous avions rencontré le cinéaste à Cannes où le film était présenté en sélection Un certain regard. Costi, le héros, lit Robin des Bois à son fils. Est-ce une manière pour vous d’annoncer la suite de l’histoire ? Costi vit, comme beaucoup d’entre nous, dans un équilibre assez instable. Il a de quoi payer le nécessaire, mais il fait beaucoup de compromis. Il ne s’entend pas très bien avec ses collègues de travail, il lit à son fils des histoires de héros, mais luimême n’est pas très fier de lui. Il n’est pas héroïque, mais à la fin il le devient, justement parce qu’il est

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d’une certaine manière influencé par la lecture de ce conte. J’ai choisi Robin des Bois aussi parce que c’est un récit lié au thème de la propriété, et que le film parle de ça [il parle des propriétés confisquées par l’État après l’arrivée au pouvoir du Parti communiste roumain en 1947, ndlr]. Enfin, Robin des Bois est un clin d’œil à la succession d’aventures que Costi va vivre : quand son voisin vient lui exposer son affaire et lui demander de l’aide, va-t-il se montrer solidaire ? Comment vous est venue l’idée de cette chasse au trésor ? Un ami m’a rapporté la même histoire que celle racontée par Adrian dans le film : d’après une légende familiale, ses grands-parents auraient enfoui un trésor dans leur jardin avant l’arrivée des communistes. J’ai eu envie d’en faire un documentaire. J’y suis donc allé avec une équipe de tournage et avec une compagnie spécialisée en détecteurs de métaux. On a cherché le trésor, et pour finir on n’a rien trouvé. Au début, on a tous bien rigolé de notre maladresse avec le détecteur, mais ensuite c’est devenu étrange, j’ai eu l’impression qu’on était tous perdus dans ce jardin, comme si on était tombés dans une espèce de trou noir temporel. J’ai donc décidé de travailler un scénario à partir de là. Au-delà de l’aspect merveilleux de la chasse au trésor, le film fait la part belle à l’enfance à travers le personnage d’Alin, le fils de Costi, âgé de 6 ans. Dès la scène d’ouverture, il est constamment au centre des préoccupations de ses parents… Oui, j’avais écrit et tourné encore plus de scènes avec Alin, mais au montage j’arrivais à près de quarante minutes juste pour la première partie du film, donc j’ai décidé d’en supprimer beaucoup. En Roumanie, on a l’impression que chaque génération doit se sacrifier pour la suivante. C’est un pays où on se projette beaucoup dans ses enfants, trop sans doute. Quand je faisais passer des auditions pour le film, je voyais des enfants qui arrivaient épuisés ; ils prennent toutes sortes de cours, en plus de l’école. La première partie du film suit Costi dans son quotidien, chez lui, au travail, alors qu’il prépare l’expédition... La mise en scène est très précise, presque clinique. Comment l’avezvous abordée ? Je l’ai construite avec l’idée de recréer une atmosphère carcérale. Je ne voulais pas de lumière naturelle, donc on l’a poussée au maximum, pour qu’on sente que c’est un éclairage artificiel qui écrase les visages. Les personnages sont filmés devant des fonds unis, très simples, sans aucune profondeur de champ.

Corneliu Porumboiu

« Je crois que mon pays n’a pas bien compris ni digéré son passé. » La deuxième partie du film est centrée sur la recherche du trésor, à la campagne. Après avoir passé tout le jardin au détecteur de métaux, Adrian et Costi commencent à creuser. Cette partie est plus solaire, plus aérienne. Le jardin de la maison familiale agit un peu comme un miroir pour Adrian, qui y cherche un trésor, mais aussi sa propre histoire familiale. Je voulais que le jardin devienne un personnage, qu’on prenne le temps de le regarder, d’où le choix de plans longs et larges. Au contraire de la première partie, je voulais une lumière naturelle, inspirée du western. J’avais aussi lu un article, dans les Cahiers du cinéma, à propos de L’Inconnu du lac et de comment Alain Guiraudie avait construit sa mise en scène en fonction de la lumière naturelle. Cette recherche du trésor est aussi, pour vous et pour vos personnages, un moyen d’exhumer l’histoire de la Roumanie de l’après-Seconde Guerre mondiale. Oui, je crois que mon pays n’a pas bien compris ni digéré son passé. C’est une société qui est en permanence dans le présent, dans une espèce de boulimie – c’est un thème que j’abordais déjà dans Métabolisme ou Quand le soir tombe sur Bucarest.

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h istoi re s du ci n é ma

« Tous mes personnages ont ce côté Buster Keaton : ils sont très sérieux, ça crée un décalage comique. » ou d’un système, d’une organisation. Comme dans 12 h 08 à l’est de Bucarest, dans lequel chacun se débattait avec son propre orgueil. Le film profite d’un comique qui repose beaucoup sur l’absurdité de situations quotidiennes et sur la dilatation du temps. Comment le définiriez-vous ? Tous mes personnages ont ce côté Buster Keaton que j’aime beaucoup : ils sont très sérieux, ça crée un décalage qui est comique. Je travaille toujours aussi sur l’incompréhension, mes personnages ne parviennent pas à communiquer : le langage est un de mes thèmes favoris. Chacun est dans sa solitude. C’est un peu une thérapie pour moi, car je suis comme ça… Je crois que je fais du cinéma parce que c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour réussir à m’exprimer. de Corneliu Porumboiu avec Toma Cuzin, Adrian Purc rescu… Distribution : Le Pacte Durée : 1h29 Sortie le 10 février

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Dans un western, les gens vont défricher des territoires inconnus. J’ai voulu faire un western local : mes personnages reconquièrent leur propre terre, leur propre histoire. Ces images d’hommes qui creusent la terre avec une pelle, en pleine nuit, évoquent aussi quelque chose de plus sordide : ils pourraient tout aussi bien être en train de creuser une tombe. Je voulais que le film soit aussi porteur d’un certain désespoir : Adrian se jette dans cette chasse au trésor parce qu’il est acculé, il a besoin d’argent, ce n’est pas un jeu pour lui. Il y a donc quelque chose de très solennel dans leur démarche : c’est presque une question de vie ou de mort. Vous citez souvent Les Nuits de la pleine lune d’Éric Rohmer comme une de vos influences majeures. Oui, la lumière et les décors assez théâtraux, le travail sur les costumes… C’est un film que j’aime beaucoup. C’est un peu devenu une blague avec mon équipe : je leur demande de le revoir à chaque fois que je prépare un nouveau film. Ce qui caractérise vos personnages, c’est qu’ils ne sont pas animés de mauvaises intentions, ils sont foncièrement bons, honnêtes. Oui, il n’y a pas vraiment de méchants dans mes films, les difficultés viennent plutôt de soi-même

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h istoi re s du ci n é ma – scè n e cu lte

La réplique :

« Vous n’êtes pas voyageur de commerce. »

Nathalie Granger En 1972, Marguerite Duras offre à Gérard Depardieu son premier rôle de taille dans Nathalie Granger, un huis clos sec et contemplatif dont on retient notamment cette scène absurde qui révèle le jeu dense, à la fois agité et maîtrisé, de l’acteur.

©collection christophel

PAR TIMÉ ZOPPÉ

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i l’on en croit son bulletin scolaire, Nathalie Granger est une « enfant très difficile ». Faut-il l’envoyer en pension ? En attendant d’en décider, sa mère (Lucia Bosè) et une amie (Jeanne Moreau) déambulent dans la maison, réfléchissent, allument un feu dans le jardin. À plusieurs reprises, la radio raconte que deux jeunes tueurs ont été aperçus dans la région. Au tiers du film, alors que les deux femmes songent stoïquement dans le salon, un inconnu en costume noir débarque. Gérard Depardieu, dans la fraîcheur de ses 24 ans, incarne ce représentant timide dont Duras réduit la stature imposante en le plaçant dans un plan saturé d’objets grossis par la perspective. Une fois assis, il tente péniblement de vendre une machine à laver à ses hôtes, sous leur regard profondément sceptique. Jeanne Moreau assène

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soudain d’une voix blanche : « Vous n’êtes pas voyageur de commerce », puis ne cesse de répéter cette sentence. L’inconnu se décompose à vue d’œil mais s’évertue à dérouler son discours. Si le prosaïsme de sa présentation contraste avec l’atmosphère méditative du film, c’est surtout le corps de l’acteur, avec ses gestes nerveux, sa diction pressée et ses regards fous, qui apporte un vigoureux contrepoint à l’inertie des deux amies. L’hilarante joute verbale s’étale sur dix minutes ; l’homme se laisse plus ou moins convaincre puis s’éclipse. Est-il l’un des tueurs recherchés ? La question reste en suspens. Depardieu, lui, vient de brillamment amorcer sa carrière. Rétrospective Gérard Depardieu, jusqu’au 27 février à la Cinémathèque française

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CE SENTIMENT DE L’ÉTÉ

© vincent desailly

ANDERS DANIELSEN LIE

« Ce film m’a beaucoup appris sur ce que jouer veut dire. Comme je n’ai pas eu de formation, chaque rôle est une nouvelle leçon. » 34

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h istoi re s du ci n é ma – portr ait

Dans Ce sentiment de l’été de Mikhaël Hers (Memory Lane), il joue Lawrence, un New-Yorkais qui se lie avec la sœur de sa compagne brutalement décédée, au gré de rencontres, d’un été à l’autre, entre Paris, Berlin et New York. Si dans ses films l’acteur norvégien, révélé dans Oslo. 31 août, semble toujours en errance, trimballant des fêlures de rôle en rôle, ce médecin de formation sait très bien où il va dans la vie, et ne se met aucune limite. PAR RAPHAËLLE SIMON

uand il nous rejoint pour faire la photo avant l’interview, on s’étonne de découvrir un homme calme, serein et confiant – contrairement aux personnages tourmentés et à fleur de peau qu’il a incarnés jusqu’à présent. Sans tergiversation, le shooting est rondement mené. Dans la vie, Anders Danielsen Lie, visage en lame de couteau, se montre déterminé et peu intimidable, y compris devant un scénario dont il ne parle pas la langue. Dans Ce sentiment de l’été, il donne la réplique à Judith Chemla, qui joue la sœur française de sa défunte petite amie. « Je n’avais aucun dialogue dans ma langue, ça a été un vrai challenge, confie-t-il. C’est déjà difficile de jouer en anglais parfois, mais là il y avait tous ces dialogues en français, que je ne parlais quasiment pas. J’ai dû apprendre à jouer de manière non verbale ; comme je ne pouvais pas improviser de répliques, je devais être spontané autrement. Ce film m’a beaucoup appris sur ce que jouer veut dire. Comme je n’ai pas eu de formation, chaque rôle est une nouvelle leçon. » Si Anders Danielsen Lie n’a pas eu de formation d’acteur, c’est tout simplement parce qu’il est médecin de profession. COMÉDIEN MALGRÉ LUI

À tout juste 10 ans, le jeune Anders, soutenu par sa mère comédienne, passe une audition pour Herman, le nouveau projet d’Erik Gustavson, réalisateur norvégien alors très populaire dans son pays. Le garçon est choisi pour le rôle principal du film, qui rencontre un énorme succès en Norvège à sa sortie en 1990. « Ça a été une bonne expérience, mais c’était aussi énormément d’attention médiatique. Aujourd’hui encore, j’adore ce qui touche à la création du film, mais je suis moins à l’aise avec ce qui vient après, le côté figure publique… À l’époque, j’avais 11 ans, et c’était trop pour moi. » Le jeune homme choisit alors de se retirer du jeu, et se lance, quelques années plus tard, dans des études de médecine. Mais le cinéma le rattrape par le col de la blouse blanche. En 2005, l’étudiant reçoit un appel pour passer une audition pour l’un des deux rôles principaux de Nouvelle Donne, le premier long métrage du jeune cinéaste norvégien Joachim Trier, qui suit les parcours cabossés de deux aspirants romanciers. « J’ai dû prendre une année off pendant mes études, mais ça valait la peine : l’expérience a été incroyable. »

Après ce rôle d’écrivain névrosé, Trier offre à son acteur sa plus belle partition à ce jour avec Oslo. 31 août. Dans cette vertigineuse adaptation du Feu follet de Pierre Drieu la Rochelle, le comédien, absolument magnétique, incarne un toxicomane en permission livré à ses pulsions de mort dans les rues d’Oslo. Avec cette nouvelle expérience, qui lui vaut une reconnaissance mondiale, l’apprenti acteur rôde son jeu. « J’avais le sentiment que j’aurais pu être meilleur sur le tournage de Nouvelle Donne. Du coup, j’ai complètement changé mon approche pour Oslo. 31 août. J’ai travaillé de manière plus systématique et analytique, moins désordonnée. » Rattrapé par sa passion, le jeune médecin généraliste, qui vient d’ouvrir son cabinet à Oslo, devient comédien malgré lui. « Je ne voulais pas être comédien à temps plein, mais j’ai compris qu’être seulement médecin ne me suffirait pas, et que je devais exercer les deux métiers pour être comblé. Même si, en termes de planning, c’est compliqué. Cette année, j’ai très peu pratiqué, j’étais en tournage presque tout le temps. » SANS FRONTIÈRE

Après ses expériences norvégiennes (les films de Trier, la série Esprit norvégien), le comédien décide de voir du pays et enchaîne trois films français en l’espace de deux ans, à commencer par Fidelio. L’odyssée d’Alice, le premier film de Lucie Borleteau, dans lequel il joue le fiancé d’une femme marin (Ariane Labed), un second rôle auquel il confère beaucoup d’épaisseur. Suivront donc Ce sentiment de l’été, le deuxième long métrage de Mikhaël Hers, et Personal Shopper, le prochain film d’Olivier Assayas, dont la sortie est prévue fin 2016, et dans lequel il partage l’affiche avec Kristen Stewart. Aujourd’hui, le jeune papa fait une petite pause pour passer du temps en famille et travailler sur un nouvel album, après avoir sorti en 2011 This Is Autism, dans lequel il mixait des chansons qu’il avait enregistrées plus jeune. « La musique, c’est presque thérapeutique pour moi, je n’arrêterai jamais, même si je n’ai pas l’ambition de devenir un grand musicien. J’ai déjà la médecine et le cinéma, c’est pas mal… » Anders Danielsen Lie, médecin sans frontière. Ce sentiment de l’été de Mikhaël Hers avec Anders Danielsen Lie, Judith Chemla… Distribution : Pyramide Durée : 1h46 Sortie le 17 février

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e ntreti e n

D peur de rien

DANIELLE

ARBID La réalisatrice franco-libanaise Danielle Arbid (Dans les champs de bataille, Un homme perdu) s’inspire de son arrivée en France à 17 ans pour Peur de rien, son quatrième long métrage, portrait turbulent d’une adolescente expatriée qui se bat pour rester dans l’Hexagone et s’initie à l’amour. La cinéaste poursuit ici ses interrogations sur son pays d’origine, tout en posant un regard sur la France des années 1990, celle de la deuxième loi Pasqua, qui durcit les conditions d’entrée et de séjour des étrangers, mais aussi celle, plus engageante, de la musique de Noir Désir ou de Niagara.

© ad vitam

PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

Manal Issa

ans Un homme perdu (2007), Danielle A rbid met tait en scène un photographe occidental (campé par Melvil Poupaud) qui promenait son regard avide d’exotisme sur le Moyen-Orient. La cinéaste réalise en quelque sorte le négatif de ce film avec Peur de rien qui se penche sur l’errance parisienne d’une adolescente libanaise en exil, Lina – prénom que portait déjà la jeune héroïne de Dans les champs de bataille (2004), petite fille plongée dans le Liban en guerre des années 1980. En épousant le point de vue neuf et innocent d’une étrangère, la réalisatrice, à la fois tendre et incisive, analyse les différentes couches sociales que traverse Lina au hasard des garçons qu’elle rencontre. Un portrait sociologique donc – même si Danielle Arbid n’hésite pas à grossir le trait pour tendre vers la comédie –, mais surtout un récit d’apprentissage, traversé par un souffle ultra romantique. Peur de rien tranche avec les représentations habituelles de l’immigration au cinéma, sujet qui est souvent traité sur un mode dramatique, alors qu’ici, vous livrez de vrais instants de comédie. Auparavant, j’ai réalisé des œuvres assez « rentrées », psychologiques, alors j’avais envie d’aller vers un cinéma plus léger, drôle et optimiste. Je voulais faire un film qui ne s’appesantisse pas sur le passé. C’est surtout l’histoire d’une jeune fille qui rêve d’avenir. Il se trouve qu’elle est étrangère et qu’elle arrive en France, qu’elle vit des choses parfois dures mais qu’elle trouve toujours la possibilité d’espérer et de se battre. Avec ce parti pris, on a eu beaucoup de mal à financer le film : les gens voulaient qu’elle corresponde au stéréotype de l’immigrée. Ils ne comprenaient pas pourquoi elle n’était pas syrienne, pourquoi elle sortait avec trois garçons… L’éducation sentimentale de Lina est mise sur le même plan que la bataille qu’elle mène pour avoir un visa et continuer ses études ; comme si son initiation amoureuse était tout aussi formatrice que son arrivée dans un pays qu’elle ne connaît pas. Chacun de ses amants révèle au spectateur une nouvelle facette de son personnage… Oui, ces trois hommes sont des catalyseurs. Le premier, Jean-Marc (Paul Hamy), brise une sorte de carcan, il la décomplexe. Le deuxième, Julien (Damien Chapelle), est un poète qui se donne amoureusement. Le troisième, Rafaël (Vincent Lacoste), est plus concret, il a les pieds sur terre. Lina va vers des amours de moins en moins impossibles, c’est un cheminement vers la lumière. Mais je pense qu’ils l’aiment tous, à leur façon. Ce film est une sorte d’hommage aux gens qui tendent la

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main, qui donnent envie. Je suis partie du principe que la France est une idée abstraite. Ce qui existe, ce sont les Français. Ce qui te fait aimer un endroit, ce sont les gens que tu y rencontres. Ça fait vingtcinq ans que je suis en France, et c’était important pour moi de faire ce film à ce moment-là ; c’est comme s’il marquait pourquoi je suis ici. Cela veut dire que vous n’auriez pas pu faire ce film plus tôt ? Oui, il fallait du temps pour digérer le fait d’être ici, pour savoir si je voulais vraiment rester. J’ai eu besoin de ce recul pour me replonger dans cette période de ma vie et essayer de me mettre dans la peau d’une jeune fille qui vient tout juste d’arriver. Et puis, Peur de rien annonce un glissement dans ma filmographie. Je me suis demandé ce que je pouvais encore raconter sur le Moyen-Orient, sur le Liban, maintenant que j’en suis loin. Je pense qu’il faut être proche de la vie là-bas pour la raconter, sinon c’est de l’ordre du fantasme.

penser, une figure de la connaissance sans préjugé. Et puis, elle est assez rock ’n’ roll. Quel sens cela a-t-il, aujourd’hui, de reconstituer votre adolescence dans les années 1990 ? Cette décennie revient au cinéma, dans la mode, dans la musique… À travers ces années, il y a la nostalgie d’un temps plus innocent, une croyance en l’avenir. Je me rappelle que tout le monde pensait que le changement de millénaire allait tout bouleverser. Je souhaitais que le film ait un style propre à cette époque. Il fallait notamment que la bande originale la reflète. Adolescente, j’étais obsédée par Frank Black, le leader des Pixies, et par Noir Désir. Au départ, la liste des morceaux qu’on entend dans le film était encore plus longue. Je disais aux producteurs que je ne voulais faire aucune concession sur la musique, car je souhaitais que le film soit très entraînant. J’ai préféré limiter le budget des décors ou le nombre de jours de tournage plutôt que de sacrifier certaines chansons. Certains films sur l’adolescence vous ont-ils inspirée pour Peur de rien ? Au Moyen-Orient, l’adolescence est une période qui n’existe presque pas. On sort de l’enfance

© ad vitam

Lina est initiée à l’art par l’une de ses profs de fac, qui l’aide aussi à s’en sortir avec une administration peu accueillante. Ce personnage, interprété par Dominique Blanc, est inspiré de Murielle Gagnebin, professeure d’esthétique à l’université Paris 3. Qu’a-t-elle représenté dans votre propre parcours ? Elle a été importante. Inconsciemment, je pense qu’elle a joué un rôle dans mon envie de faire du cinéma. En cours, elle m’a fait découvrir des œuvres difficiles, il lui arrivait de dire le plus naturellement du monde des choses hyper sexuelles. Pour moi, elle représente une certaine liberté de

« En général, c’est la France qui regarde les étrangers. Je voulais retourner la caméra et regarder la France. »

Damien Chapelle et Manal Issa

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Vincent Lacoste et Manal Issa

pour devenir assez vite mûr, pour se marier. Cette période de perdition, les parents ne voudraient pas trop qu’elle s’attarde. Moi, justement parce que l’adolescence était suspecte, je l’ai vécue à fond la caisse. J’étais assez révoltée, donc les films sur une jeunesse un peu rock, comme ceux de Larry Clark ou Gus Van Sant, m’ont toujours intéressée, sans pour autant m’inspirer. En général, c’est surtout la photo qui influence mon travail. Avec ma chef opératrice Hélène Louvart, on a pensé la lumière du film en se référant aux travaux de la photographe américaine Olivia Bee. Elle a 21 ans, et les photographies qu’elle fait des jeunes de son âge me plaisent beaucoup par leur pudeur. Avec leur lumière hyper blanche, elles communiquent une certaine joie de vivre. Dans ce film, vous mettez en scène une nouvelle génération d’actrices et d’acteurs qui ont la vingtaine : Manal Issa (lire p. 18), Vincent Lacoste, Damien Chapelle… Partagez-vous des références culturelles avec eux ? Plus que ça ; il faut que je sois en osmose avec ces comédiens. Moi, je ne peux pas travailler dans la tension, j’ai besoin de boire des coups, de sortir avec eux pour leur voler des choses. Quand je tournais Dans les champs de bataille, je poussais cette proximité jusqu’à tenir la main de la petite fille qui jouait Lina pendant le tournage de certaines séquences. Je me nourris des autres, mais dans un état léger et festif, et je suis toujours attentive lorsqu’un acteur fait une suggestion. J’ai surtout besoin de voir comment chacun fonctionne. Damien [Chapelle], par exemple, il sautille partout

et il montre sa bite dès qu’il est saoul. Vincent [Lacoste], lui, est plus dans une forme d’élégance. J’oriente le film par rapport à la personnalité des acteurs. Manal [Issa] a eu cette intelligence de s’adapter avec moi à chacun de ses partenaires. En adoptant un point de vue d’immigrée sur les Français, vous donnez au spectateur un sentiment étrange : celui de redécouvrir sa propre culture, qui apparaît alors dans toutes ses contradictions et bizarreries. En général, c’est la France qui regarde les étrangers. Je voulais retourner la caméra et regarder la France. La séquence dans laquelle Lina est invitée par son amie Victoire (India Hair) à une soirée de skins d’extrême droite est assez représentative. Cette scène, je l’ai vécue. Je pense que si j’avais été élevée en France, jamais je n’aurais été conviée à cette fête, qui est la plus dingue à laquelle je n’ai jamais assisté. J’ai fini par comprendre pourquoi, à la fac, personne ne parlait à cette fille qui a inspiré le personnage de Victoire. Tout le monde savait qu’elle était royaliste. Du coup, comme moi aussi j’étais isolée, on a fini par se lier, par nécessité. Quand je suis arrivée à cette soirée, les filles étaient toutes en jupes bleu marine et les mecs chantaient des chansons fachos. Moi, j’étais en short et j’avais amené des gâteaux libanais. Ça, c’est un regard vierge. Peur de rien de Danielle Arbid avec Manal Issa, Vincent Lacoste… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h Sortie le 10 février

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Emmanuel Lubezki

Les années lumière du chef opérateur de The Revenant Derrière The Revenant, il y a le réalisateur Alejandro González Iñárritu. Et derrière Iñárritu, il y a Emmanuel Lubezki, directeur de la photographie virtuose de Terrence Malick ou d’Alfonso Cuarón, qui, avec ce western rude et sauvage, poursuit un projet esthétique commencé depuis plus d’une quinzaine d’années.

© 20th century fox

Par Julien Dupuy

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Emmanuel Lubezki et Forrest Goodluck sur le tournage de The Revenant

ême si Emmanuel Lubezki s’est fait remar­quer dans les années 1990 avec des films délicieusement artificiels et tournés majoritairement en studio comme The Birdcage (Mike Nichols, 1996), Ren­ contre avec Joe Black (Martin Brest, 1998) ou Slee­py Hollow (Tim Burton, 1999), l’image brute de décoffrage de The Revenant (le parcours d’un trappeur grièvement blessé, incarné par Leonardo DiCaprio, qui tente de survivre dans une nature hostile) ne constitue pas une rupture dans l’œuvre du directeur de la photographie mexicain. Au

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contraire, le film d’Alejandro González Iñárritu est le résultat d’une mutation que Lubezki a entreprise au début des années 2000, notamment en travaillant sous la houlette de trois cinéastes aux univers visuels très identifiables : Terrence Malick, Michael Mann et Alfonso Cuarón. PIONNIER DU TOURNAGE NUMERIQUE

Sa fructueuse collaboration avec Terrence Malick débute en 2003, sur le tournage du Nouveau Monde. Le coup de cœur professionnel est immédiat, et Lubezki devient dès lors le chef opérateur exclusif de Malick. Sous son égide, Lubezki découvre une toute nouvelle liberté : il tourne en caméra portée

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décryptag e

Leonardo DiCaprio dans The Revenant

pour adapter son cadre aux nécessités de l’instant et favorise la lumière naturelle. Ainsi, Lubezki soumet son image aux aléas de Dame Nature, tentant de capter les rayons du soleil et leurs réflexions sur son environnement. Le directeur de la photographie, qui, à ce jour, ne s’est pas remis de cette rencontre, a poussé ce principe à l’extrême dans The Revenant, pour lequel il est parvenu à se passer entièrement de lumière artificielle, à l’exception d’une brève scène de feu de camp. Un exploit accompli grâce à l’emploi de la caméra numérique, technique dont Lubezki fait figure de précurseur. Car juste avant sa rencontre avec Malick, Lubezki accompagne dès 2002 Michael Mann dans sa migration vers le cinéma numérique : désireux d’immiscer le spectateur au cœur des combats de boxe d’Ali, le chef opérateur abandonne, le temps de quinze plans, les volumineuses caméras à pellicule pour de petites caméras digitales qu’il peut presque coller au visage des comédiens. Cette méthode de tournage, balbutiante à l’époque, arrive à maturité avec The Revenant : une large partie du film a été tournée avec un appareil minuscule qui,

La caméra subit les pires outrages : éclaboussée, souillée de terre, enneigée. comme Lubezki l’a raconté au site Collider, « permettait de filmer le fils [du personnage interprété par DiCaprio, ndlr] à un millimètre de son visage, sans risquer de lui casser le nez. » Cette recherche de proximité doit également beaucoup à l’un des maîtres à penser de Lubezki, comme il nous le révélait en 2013, au moment de la sortie de Gravity, réalisé par son compatriote Alfonso Cuarón : « Je crois très fort en ce que disait […] Robert Capa : “Si votre photo est mauvaise, c’est que vous n’êtes pas assez près !” » Le goût de Lubezki pour les reportages de guerre se ressent d’ailleurs dès 2006 avec un autre film de Cuarón, Les Fils de l’homme, qui assume la présence de la

caméra dans l’intrigue, comme pour signaler aux spectateurs que l’équipe de tournage est présente sur le lieu de l’action. C’est au chef opérateur que l’on doit les taches de sang sur l’objectif lors de la scène de combat, un principe qu’il reprend dans le dernier plan de Gravity, avec des gouttes de boue cette fois. Là encore, The Revenant adopte une démarche jusqu’au-boutiste puisque la caméra y subit les pires outrages : éclaboussée, souillée de terre, enneigée, son objectif est même embué par le souffle des comédiens. « C’est comme si l’on pouvait sentir la vie du personnage », a expliqué Lubezki au site Internet Deadline Hollywood. SANS FILTRE

C’est également en compagnie de Cuarón que Lubezki développe une autre de ses marques de fabrique : le plan-séquence. Dès 2001, avec leur quatrième film en commun, Et… ta mère aussi !, le chef opérateur accroît la longueur et la complexité de ses plans, une démarche qui aboutira au Birdman d’Iñárritu (2015), qui semble dénué de toute coupe au montage. À l’instar du recours à la lumière naturelle, le temps réel du plan-­séquence permet à Lubezki de créer des séquences immersives, comme si son film était une fenêtre ouverte sur un monde présenté sans le filtre de la caméra. Mais le plan-séquence lui permet également de retranscrire au mieux la brutalité de la chute d’un monde ordonné dans le chaos – voir la scène d’attaque de voitures des Fils de l’homme, celle de la première collision de Gravity ou celle de l’assaut indien qui ouvre The Revenant… Certes, il serait malhonnête de retirer à Alejandro González Iñárritu la paternité de The Revenant. Néanmoins, au regard de la longue filiation qui a abouti à son langage visuel si remarquable, force est de reconnaître que The Revenant est tout autant l’œuvre d’Emmanuel Lubezki, ce directeur de la photographie au style et aux obsessions si puissants qu’il mérite, à notre sens, le qualificatif d’auteur. The Revenant d’Alejandro González Iñárritu avec Leonardo DiCaprio, Tom Hardy... Distribution : 20th Century Fox Durée : 2h36 Sortie le 24 février

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Naissance d’un héros

AARON SORKIN Qu’il soit président des États-Unis, avocat, manager sportif, à la tête d’un programme télévisé ou entrepreneur visionnaire comme dans Steve Jobs, en salles ce mois-ci, le héros sorkinien est toujours un génie de l’éloquence, un cerveau brillant, saisi en pleine ascension. Portrait d’un maître du scénario par le prisme de ses personnages de films et de séries. Par Juliette reitzer

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es cheveux blonds, la mâchoire carrée, le sourire bright, le cou puissant : Aaron Sorkin a quelque chose du pur héros hollywoodien, un physique à la Brad Pitt. Dans l’admirable Stratège (2011), écrit par Sorkin et réalisé par Bennett Miller, l’acteur joue d’ailleurs l’un des nombreux alter ego du scénariste, déclinés dans chacune de ses fictions, pour le cinéma et la télévision. C’est, à chaque fois, l’histoire d’un petit génie, une personnalité hors norme, obsessionnelle et perfectionniste, proche des milieux du pouvoir : le président des États-Unis (Martin Sheen) dans la série À la Maison-­Blanche (1999–2006), un avocat militaire (Tom Cruise) qui s’attaque au sommet de sa hiérarchie dans Des hommes d’honneur (1992), l’inventeur de Facebook (Jesse Eisenberg) dans The Social Network (2010), ou le créateur d’une société informatique multimilliardaire dans Steve Jobs. Dans Le Stratège, Brad Pitt campe un homme frénétiquement absorbé par son travail (il est manager d’une équipe de baseball) que l’angoisse de ne pas réussir et l’euphorie d’innover (il teste de nouvelles méthodes pour recruter les joueurs) submergent physiquement : il bondit, crache, casse des chaises, conduit comme un dératé. Dans un entretien pour le magazine Interview, mené par Jeff Daniels, l’acteur principal de sa série The Newsroom, Sorkin raconte comment il s’est cassé le nez (littéralement) en écrivant une scène de la saison 1 du show. « Je suis assez physique quand j’écris. […] Quand je sens que je tiens quelque chose, je me lève et me rassieds, je saute de ma chaise, je marche en jouant tous les rôles. Tout en jouant la scène, je suis entré dans la salle de bain au moment où ton personnage se jette sur John Gallagher Jr. [pour le frapper, ndlr]. J’ai foncé tête baissée dans le miroir. » Plus loin, il confie tromper sa peur de la page blanche en prenant jusqu’à six douches par jour, en faisant des longueurs dans la piscine de sa maison, à Los Angeles, ou en roulant sur l’autoroute, la musique à plein volume.

C’est, à chaque fois, l’histoire d’un petit génie, une personnalité hors norme, obsessionnelle et perfectionniste. Pour le critique des Inrocks Olivier Joyard, spécialiste des séries, « il a aussi quelque chose d’un peu sulfureux, parce qu’il a été arrêté pour consommation de crack à l’aéroport de Burbank au début des années 2000. En gros, il a été en burn-out assez vite, parce qu’il écrivait tout, tout seul. Vingt-deux épisodes par an, c’est quasiment inhumain. » S’il a depuis arrêté la drogue, sa méthode de travail est restée inchangée : il a écrit seul les trois saisons de The Newsroom, sa dernière série en date (diffusée sur HBO entre 2012 et 2014), qui suit le quotidien trépidant d’une rédaction de journal télévisé. Joyard précise : « Normalement, le show runner d’une série dispose d’une writer’s room composée de gens qui écrivent au moins une première version des scénarios. Mais l’équipe de Sorkin est là tout au plus pour donner son avis sur ce qu’il a écrit, ou pour fournir un travail de documentation. » alter HÉROS

La passion d’Aaron Sorkin pour l’écriture vient de son enfance, et plus précisément du théâtre, où ses parents l’emmènent souvent. Né en 1961 à New York, il garde un souvenir ému d’une représentation de Qui a peur de Virginia Woolf ? Il a 9 ans, il ne comprend rien à l’intrigue, mais il est fasciné par le verbe cinglant, le rythme des dialogues, la

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CONTROL FREAK

Jeff Daniels et Emily Mortimer dans The Newsroom

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Diplômé en arts (spécialité « théâtre musical ») en 1983, Sorkin a 25 ans quand sa pièce A Few Good Men est donnée à Broadway. Avant même la première, un producteur en achète les droits pour l’adapter en film, et propose à Sorkin de signer le scénario – son premier. Ce sera l’exalté et retors Des hommes d’honneur, réalisé par Rob Reiner en 1992. Sorkin écrira désormais principalement pour le cinéma et, à partir de 1998 et Sports Night, sitcom sur les coulisses d’un journal sportif parodique, pour la télévision. Réputé control freak et brillant, il devient une star – chose rare pour un scénariste – grâce à l’énorme succès aux États-Unis de sa série À la Maison-Blanche. Mais pas seulement.

Tom Cruise dans Des hommes d’honneur

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La signature de Sorkin, c’est avant tout cette recherche de la musicalité de la langue.

© universal pictures

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diction des comédiens. Il aiguise ensuite son amour des bons mots auprès de son père, avocat, et de sa mère, enseignante. « À table, il ne s’agissait pas de savoir qui avait tort ou raison, mais plutôt “es-tu capable de tenir une argumentation ?” » raconte-­ t-il dans une interview sur la chaîne câblée américaine AXS. La signature de Sorkin, c’est avant tout cette recherche de la musicalité de la langue, dans la lignée des comédies hollywoodiennes des années 1930 écrites par le scénariste légendaire Ben Hecht et réalisées par Howard Hawks, Ernst Lubitsch ou William Wellman. Dans les fictions de Sorkin, toute la dramaturgie ou presque est contenue dans les dialogues précisément ciselés, déclamés à toute vitesse (et souvent en marchant), dans une alternance savamment dosée d’ironie et de solennité : vannes assassines, réunions survoltées, discours exaltés – un fan s’est d’ailleurs amusé à compiler ces « sorkinisms » dans une vidéo qui a dépassé le million de vues sur YouTube. Le génie de Sorkin, c’est de rendre ces discussions de couloir captivantes, en dépit de leur artificialité (personne, dans la vraie vie, ne parle comme les héros sorkiniens, spirituels et détachés) et de leur sujet, qui devient presque secondaire (tracasseries administratives et relationnelles). Pour Olivier Joyard, « il a l’art de montrer les trucs qui sont habituellement coupés, car considérés comme chiants, comme l’écriture d’un discours pour le président. C’est l’idée qu’on peut rendre éloquent à peu près n’importe quel moment de la vie. C’est son vrai sujet : l’éloquence et l’intelligence. Sorkin parle de ses personnages comme il pourrait parler d’un écrivain du xixe siècle, il fait des portraits intellectuels. Sa vision est celle d’un idéaliste, qui fait du bien, mais qui n’est pas réaliste. » Un idéalisme qui recèle aussi, par effet de contraste et sous l’emballage charmant, une vision assez noire de la réalité, parce qu’il nous renvoie à notre propre médiocrité – certains critiques voient

© sony pictures

Aaron Sorkin

Brad Pitt dans Le Stratège

d’ailleurs en Sorkin un donneur de leçons condescendant et prétentieux. Mais s’intéresser davantage aux coulisses qu’à la scène, c’est aussi une manière, pour le scénariste, de saisir ses personnages avant qu’ils n’entrent dans la lumière, avant qu’ils ne deviennent des héros. C’est l’anxiété contenue dans les secondes qui précèdent le direct télévisé dans la série Studio 60 on the Sunset Strip, l’inquiétude fiévreuse dans le regard des jeunes avocats qui s’apprêtent à plaider dans Des hommes d’honneur, ou le visage soucieux de Steve Jobs, tendu vers la salle de conférence encore vide qui accueillera bientôt la présentation de son premier Macintosh. Instants ténus et bouleversants qui disent bien la capacité de Sorkin à aimer aussi ses personnages pour leur vulnérabilité. Dans Le Stratège, c’est dans les rares moments qu’il passe avec sa fille, âgée d’une dizaine d’années, que le personnage campé par Brad Pitt émeut le plus – le film s’achève joliment sur une chanson qu’elle a enregistrée pour lui. C’est, de même, la relation compliquée du héros avec sa fille qui est le cœur battant de Steve Jobs. En janvier dernier, en smoking sur la scène des Golden Globe où il recevait la statuette du meilleur scénario pour le film, Sorkin terminait d’ailleurs ainsi son discours : « À ma fille Roxy : je t’aime, et tout ce que je fais, je le fais pour t’impressionner. »

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CRITIQUE

Steve Jobs Après Facebook dans The Social Network et l’équipe des Oakland Athletics dans Le Stratège, le scénariste Aaron Sorkin se penche sur les contradictions d’une nouvelle success story américaine, Apple, et de sa controversée tête pensante, Steve Jobs.

© universal pictures

PAR LOUIS BLANCHOT

J

amais avare en trouvailles scénaristiques (se rappeler du récit mosaïque de The Social Network, qui reliait un archipel de péripéties à deux procès), Sorkin façonne ici un faux biopic de Steve Jobs par l’intermédiaire de trois énormes blocs narratifs, répartis dans les coulisses d’un palais des congrès où se prépare, imminente, la présentation d’une nouvelle création du maître (le Macintosh en 1984, le NeXT Computer en 1988, le iMac en 1998). Tandis que le fondateur d’Apple répète son texte et supervise les préparatifs du show, chacun s’affaire à régler les détails selon les desiderata du despote. Un parti pris qui est l’occasion de synthétiser et de chauffer à l’unisson les problématiques du créateur de The Newsroom : chez Sorkin, les grandes ambitions ne peuvent jamais totalement s’affranchir des petits impondérables du quotidien. Ainsi, dans les coulisses de la révolution informatico-industrielle, affaires professionnelles, rancœurs amicales et problèmes familiaux se mélangent et cohabitent, tout le monde se retrouvant à chaque lancement pour laver son linge sale. Sans parvenir à la virtuosité syncrétique de David Fincher (initialement prévu à la réalisation), Danny Boyle modère ses afféteries habituelles pour se mettre au service de l’interprétation marmoréenne de Michael Fassbender et au diapason de l’écoulement prolixe du verbe sorkien. On

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retrouve tout le talent du scénariste pour superposer les contours de la création et du créateur, dégageant de ce chevauchement une multitude de paradoxes révélateurs : la réussite de Steve Jobs tient ainsi tout entière dans le portrait en trompe-l’œil de ce génie qui ne savait en vérité pas grand-chose (il n’est ni informaticien ni ingénieur) et dont le caractère visionnaire a surtout consisté à imposer aux autres sa vision – celle d’un ordinateur parfait et achevé, accessible à tous et imperméable à la concurrence, loin des utopies de système ouvert défendues par Steve Wozniak (Seth Rogen), cofondateur d’Apple et ancien complice de Jobs. Si l’on pense notamment au Rebelle de King Vidor, autre peinture d’un téméraire se mettant à dos tout son entourage par fidélité pour ses idées fixes, Boyle et Sorkin estompent cette quête idéaliste sous un voile plus caustique – malgré une fin édifiante, qui rabat artificiellement la réussite de Jobs sur sa réconciliation familiale. Comme Mark Zuckerberg dans The Social Network, l’icône d’Apple y devient ce Prométhée misanthrope qui, inflexible, plus téméraire que les autres, parviendra à emprisonner le monde entier dans son propre rêve. de Danny Boyle avec Michael Fassbender, Kate Winslet… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h02 Sortie le 3 février

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les F I L M S du 3 au 24 février HOMELAND : IRAK ANNÉE ZÉRO

Abbas Fahdel enregistre l’impact de la guerre sur sa patrie, l’Irak p. 53

AVE, CÉSAR !

Les frères Coen orchestrent un film choral en forme de méditation goguenarde p. 57

DANS MA TÊTE UN ROND-POINT

Ce documentaire sonde le cœur des ouvriers des abattoirs d’Alger p. 61

Anomalisa Scénariste coutumier des univers atypiques (Dans la peau de John Malkovich, Eternal Sunshine of the Spotless Mind), Charlie Kaufman livre avec Anomalisa, son second film en tant que réalisateur, son projet le plus étrange à ce jour : une chronique intimiste, racontée par le biais de l’animation en volume. Un parti pris étonnant, mais qui se révèle d’une logique imparable. PAR JULIEN DUPUY

Il y a quelque chose de désespérément ordinaire dans la mise en place d’Anomalisa. Alors qu’il est en déplacement professionnel, Michael Stone, auteur d’un best-seller intitulé Comment puis-je vous aider à les aider ?, se débat dans son morne quotidien. Lorsqu’il croise la route d’une de ses plus grandes admiratrices, sa vie connaît un bref mais violent bouleversement émotionnel. Avec ses décors d’une banalité à pleurer et le minimalisme de son récit, rien ne prédestinait Anomalisa à devenir un long métrage d’animation en volume. Pourtant, a posteriori, l’animation semble le seul médium capable de rendre justice au scénario. À tel point, d’ailleurs, qu’on a du mal à croire que l’intrigue est adaptée d’une pièce de théâtre créée en 2005 et interprétée par les comédiens qui donnent leurs voix aux figurines du film (Jennifer Jason Leigh et David Thewlis pour le couple principal, Tom Noonan pour tous les autres protagonistes). Si l’animation en volume semble indissociable du projet, c’est qu’Anomalisa est, comme les précédents films écrits par Charlie Kaufman, un récit subjectif à la sensibilité telle qu’une simple retranscription réaliste ne suffit pas à restituer la justesse et la violence des sentiments dépeints. Comme dans ses scénarios pour Dans la peau de John Malkovich ou Eternal Sunshine of the Spotless Mind,

ce n’est qu’en se détachant du réalisme que Kaufman atteint la vérité de ses personnages. Ainsi, la sensation de claustrophobie qu’invoquent les modèles réduits et le caractère éthéré inhérent à l’animation en volume retranscrivent à la perfection l’état intérieur de Michael Stone, protagoniste au bord de la dépression nerveuse souffrant d’un complexe de supériorité relevé d’une pointe de paranoïa. Mais surtout, en transposant une situation très quotidienne dans un univers aussi décalé, Kaufman et son coréalisateur, Duck Johnson, parviennent à faire vriller la dernière partie d’Anomalisa dans un surréalisme déluré qui semble pourtant couler de source puisqu’il émane du procédé adopté. La condition de simulacre des poupées et le caractère artificiel de leurs mouvements prennent alors tout leur sens, en nourrissant la crise existentielle de ces personnages qui se heurtent à la vacuité de leur vie. Un effet miroir qui questionne l’authenticité de notre identité et de nos sentiments et laisse abasourdi, au terme de cet intense voyage intérieur dans le corps et le cœur de ce héros à la fois si loin et si proche de nous. de Charlie Kaufman et Duke Johnson avec David Thewlis, Jennifer Jason Leigh… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h31 Sortie le 3 février

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Chocolat PAR Q. G.

Chocolat a été le premier clown noir à triompher dans la France de la Belle Époque. Le film de Ros­chdy Zem, avec un Omar Sy convaincant, relate sa trajectoire : son duo avec Footit, sa carrière théâtrale… Si le scénario emprunte les ficelles usées du biopic (un Paris de carton-pâte, les flash-­back sur l’enfance difficile de Chocolat, son esprit de revanche…), il exhume une histoire qui interpelle sur la visibilité des Noirs dans l’art aujourd’hui.  de Roschdy Zem avec Omar Sy, Clothilde Hesme… Distribution : Gaumont Durée : 1h50 Sortie le 3 février

La Marcheuse

La Terre et l’Ombre

PAR Q. G.

PAR QUENTIN GROSSET

Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, ce drame très contemplatif révèle le jeune réalisateur colombien César Acevedo à travers l’histoire d’une famille de paysans éparpillée qui, dans un contexte de misère sociale, tente de renouer les liens. Alfonso a abandonné sa femme et son fils pour mener une nouvelle vie. Quinze ans plus tard, il revient au bercail pour assister ce dernier qui, atteint d’une grave maladie, ne peut plus travailler dans les plantations de canne à sucre avoisinantes. Alfonso fait la connaissance de son petit-fils et de sa belle-fille, mais doit faire face à la méfiance de son ex-épouse qui, amère, voit

son retour d’un mauvais œil… Filmant, avec des cadres très composés, ses personnages dans des paysages nus et secs couverts d’un nuage de cendres asphyxiant causé par le processus d’exploitation de la canne à sucre, César Acevedo réalise un premier long métrage au sens graphique très affirmé. Tout en longs plans-­ séquences traînants, le rythme délicat et feutré du film permet au cinéaste, en grande empathie avec ses personnages, de capter avec finesse le malaise et la douleur de ces retrouvailles.

Lin Ayu, clandestine chinoise, vit avec sa fille chez un septuagénaire alité auquel elle délivre des soins, et complète ses revenus en se prostituant dans les rues de Belleville. Un soir, Daniel, un voisin recherché par des truands, pénètre dans l’appartement et force Lin Ayu à le cacher… Avec justesse et sobriété, Naël Marandin met en scène un Paris peu vu à l’écran à travers le jeu de séduction trouble qui s’installe entre les protagonistes.

de César Acevedo avec Haimer Leal, Hilda Ruiz… Distribution : Pyramide Durée : 1h37 Sortie le 3 février

de Naël Marandin avec Qiu Lan, Yannick Choirat… Distribution : Rezo Films Durée : 1h20 Sortie le 3 février

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Mad Love in New York Après deux beaux premiers longs métrages fauchés qui ont fait d’eux des figures du cinéma indé new-yorkais, les frères Safdie reviennent avec un conte noir empreint d’une certaine tendresse. PAR TIMÉ ZOPPÉ

À des degrés différents, The Pleasure of Being Robbed (2009) de Josh Safdie et Lenny and the Kids (2010), coréalisé avec son frère Benny, étaient nourris d’éléments de l’histoire personnelle des deux frangins. C’est une autre affaire que ce Mad Love in New York, cette fois éloigné de leur propre expérience, puisque le film illustre le parcours chaotique et romancé d’Arielle Holmes, l’actrice qui interprète l’héroïne, Harley. Cela ne les empêche pas de traiter les déboires de la jeune fille, SDF toxicomane vivant une passion destructrice avec le vénéneux Ilya (le spectral Caleb Landry Jones), avec la même intention d’adoucir les angles que dans leurs premiers portraits de marginaux. Cette volonté passe ici par des procédés de mise à distance, comme la suppression des sons in dans le générique d’ouverture, pour ne pas faire entendre l’esclandre que provoque Harley

> HAPPILY EVER AFTER

Dans ce documentaire introspectif, la réalisatrice croate Tatjana Božić part à la rencontre de ses ex pour comprendre ce qui ne fonctionne pas dans sa relation actuelle… Un dispositif qui rappelle celui, similaire, de Toute l’histoire de mes échecs sexuels (2009) de Chris Waitt. de Tatjana Boži (1h23) Distribution : Aloest Sortie le 3 février

quand elle se frite avec tout le monde aux urgences où elle a été admise après s’être ouvert les veines, ou encore le recours à une caméra non pas à l’épaule mais sur pied qui procède par longues focales et doux panoramiques pour approcher la communauté de sans-abri dans laquelle évolue l’héroïne. Quand certaines scènes apparaissent dans leur violence crue, difficile de les qualifier de réalistes tant elles semblent gonflées d’un romantisme adolescent, sombre et affecté. C’est d’ailleurs le meilleur moyen d’apprécier ce portrait plein de crasse et de larmes : en épousant la vision emphatique et cotonneuse de cette junkie malade d’amour. de Josh et Benny Safdie avec Arielle Holmes, Caleb Landry Jones… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h37 Sortie le 3 février

> LES TUCHE 2 LE RÊVE AMÉRICAIN

Après Monaco dans le premier opus (sorti en 2011), les aventures de la famille Tuche, devenue millionnaire grâce au loto, se poursuivent en Amérique : Jeff (Jean-Paul Rouve) et Cathy (Isabelle Nanty) rendent visite à leur benjamin, qui s’y est installé. d’Olivier Baroux (1h34) Distribution : Pathé Sortie le 3 février

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> DIRTY PAPY

À la mort de sa femme, un grand-père conduit son petit-fils, sur le point de se marier, à la découverte des plaisirs de la vie… Robert De Niro, en papy lubrique, offre son lot de scènes comiques à ce road movie potache, malgré un happy end un peu cliché. de Dan Mazer (1h42) Distribution : Metropolitan Filmexport Sortie le 3 février


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> DEADPOOL

Le Temps des rêves PAR LOUIS BLANCHOT

Comment être jeune dans un pays à l’agonie ? Récit d’initiation sur la fin des illusions, Le Temps des rêves vaut d’abord pour son tableau d’une Allemagne de l’Est post­ soviétique ravagée par la désolation économique. Un champ de ruines et d’amertume sur lequel va pousser une génération sacrifiée à l’affût de nouveaux codes (techno, drogue), tous recensés dans ce film

d’Andreas Dresen, qui ne fait l’économie d’aucun passage obligé et attendu (premiers émois, premières bastons, premières overdoses) mais finit par surprendre dans sa manière d’écraser ses poncifs sous une cruauté sèche et implacable.

« Pour bien comprendre, il faut remonter avant l’époque où je me moulais le cul au lycra », lance le sarcastique anti-super-héros issu de l’univers Marvel rendu indestructible par une expérience scientifique. Il s’embarque ici dans une mission vengeresse. Sous le justaucorps, l’excellent Ryan Reynolds. de Tim Miller (1h46) Distribution: 20 th Century Fox Sortie le 10 février

d’Andreas Dresen avec Merlin Rose, Julius Nitschkoff… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h57 Sortie le 3 février

> JOSÉPHINE S’ARRONDIT

Après avoir incarné Joséphine dans le film du même nom (Agnès Obadia, 2013), Marilou Berry prend la caméra et donne une suite à son personnage en le confrontant avec humour aux aléas de la grossesse… Sa mère, Josiane Balasko, ainsi que Victoria Abril complètent le casting. de Marilou Berry (1h30) Distribution : UGC Sortie le 10 février

Préjudice PAR RAPHAËLLE SIMON

Quand sa sœur annonce à table qu’elle attend un bébé, Cédric ne supporte pas la nouvelle. Psycho­ logiquement instable, le trentenaire ne contient plus sa rancœur et se met à régler ses comptes avec chaque convive, faisant tourner le dîner de famille au cauchemar… Si le dispositif est un peu alourdi par sa dimension théâtrale, ce huis

clos paranoïaque sur les rapports de force familiaux, premier long métrage d’Antoine Cuypers, est porté par de belles performances (Thomas Blanchard, Nathalie Baye, Arno) et une étonnante tendresse. d’Antoine Cuypers avec Nathalie Baye, Thomas Blanchard… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h45 Sortie le 3 février

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> ALASKA

Depuis leur rencontre sur le toit d’un hôtel parisien, Nadine et Fausto s’attendent, s’aiment, et se quittent sans cesse… Entre la France et l’Italie, Claudio Cupellini signe une histoire passionnelle, classique mais captivante. de Claudio Cupellini (2h05) Distribution : Bellissima Films Sortie le 10 février


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Homeland : Irak année zéro En 2003, George W. Bush provoque la chute de Saddam Hussein. Abbas Fahdel enregistre l’impact de la guerre sur son pays d’origine, l’Irak, en nous plongeant dans l’avant et l’après-invasion américaine. Un docu-fleuve en deux parties (au total, plus de cinq heures et demie) d’une rare puissance. PAR ÉRIC VERNAY

Exilé en France depuis des années, le cinéaste irakien Abbas Fahdel a un déclic en février 2002. Celui qui a appris le cinéma à l’université dans les années 1980, avec des professeurs comme Éric Rohmer ou Serge Daney, sent brusquement le besoin de retourner dans son pays natal. La guerre « préventive » menée par les États-Unis contre la dictature de Saddam Hussein, censée détenir des armes de destruction massive, est alors imminente ; et menace de tout anéantir. Pour conserver une trace de sa patrie, il filme donc, malgré l’interdiction du régime, l’attente du déluge parmi les siens : une sorte de Désert des tartares intimiste qui constitue la première partie de Homeland : Irak année zéro, exclusivement domestique. Avec des scènes de repas, des rires, des inquiétudes, des préparatifs (la construction d’un puits en prévision des privations à venir), tandis qu’à la télévision le robinet de propagande de Saddam Hussein coule, imperturbable. L’absurdité de la guerre s’y exprime en des considérations d’une étonnante trivialité. À quoi bon réviser en vue de ses examens si les États-Unis frappent le pays demain, se demande par exemple la nièce du cinéaste ? Quant à son jeune neveu Haidar, il voit tout ce chambardement comme

un grand jeu excitant. Le sémillant garçonnet, dont la future mort brutale nous est annoncée dès le début du film, s’impose comme le personnage principal du documentaire, comme l’était l’enfant au milieu des ruines berlinoises d’Allemagne Année Zéro de Roberto Rossellini. Sa vivacité, sa curiosité et sa drôlerie (lorsqu’il prétend, par exemple, que les soldats américains ont des lunettes spéciales avec lesquelles ils peuvent voir les Irakiens tout nus) forment le moteur intrépide du film – mais aussi son cœur tragique, son espoir déchu. Car si Abbas Fahdel ne montre pas la guerre, la deuxième partie du documentaire, consacrée à l’après-intervention américaine, n’en est pas moins saisissante. Sa caméra sort du foyer familial pour constater, dehors, l’étendue des dégâts. On y voit le rêve d’une renaissance démocratique s’engluer dans le chaos. Malgré la violence ambiante, le cinéaste persiste à montrer un peuple combatif, instruit, raisonné. Le visage inédit et bouleversant de son pays meurtri. d’Abbas Fahdel Documentaire Distribution : Nour Films Durée : 2h40 / 2h54 Sortie le 10 février

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Free Love PAR JULIETTE REITZER

En 2005, atteinte d’un cancer en phase terminale, Laurel Hester, une policière du New Jersey, a lutté contre l’administration pour que sa compagne, de vingt ans sa cadette, ait le droit de toucher sa pension après son décès. Peter Sollett (Long Way Home) exploite à plein le potentiel mélodramatique de cette histoire vraie, joliment interprétée par Julianne Moore et Ellen Page. Mention spéciale à Steve Carell, hilarant en activiste gay, grande gueule et fin stratège.  de Peter Sollett avec Ellen Page, Julianne Moore… Distribution : Bac Films Durée : 1h44 Sortie le 10 février

À une heure incertaine

Les Innocentes PAR R. S.

PAR PAOLA DICELLI

En 1942, le Portugal, dirigé par Salazar, est un régime autoritaire qui se tient à l’écart du conflit mondial. Pour faire écho à la situation instable du pays, À une heure incertaine prend le parti d’un drame intime en s’attachant au quotidien d’une famille, bouleversé par l’arrivée de deux Français qui ont fui l’Occupation. Recherchés par la police, Boris (Grégoire LeprinceRinguet) et sa sœur Laura (Judith Davis) trouvent refuge chez l’inspecteur Vargas (Paulo Pires), un homme autoritaire et énigmatique à la tête de la PIDE, la police politique de la dictature portugaise. Sous le charme de la jeune femme, ce dernier les cache dans une pièce de l’hôtel désert

où il vit avec sa femme malade et sa fille, Ilda (Joana Ribeiro). L’adolescente curieuse et espiègle se révèle bientôt être le personnage clé de ce huis clos crépusculaire, le film adoptant son point de vue. Au fil de ses pérégrinations dans les couloirs labyrinthiques de l’édifice, Ilda découvre la planque de Boris et Laura, avant de réaliser que son père cache bien d’autres secrets inavouables… Dans ce deuxième film, Carlos Saboga, scénariste des Mystères de Lisbonne de Raoul Ruiz, sonde le poids du silence et des non-dits dans un décor oppressant.

En décembre 1945 en Pologne, une religieuse demande à une interne de la Croix-Rouge (Lou de Laâge) de la suivre au couvent où une sœur est sur le point d’accoucher. La jeune médecin découvre que plusieurs bénédictines ont été violées et engrossées par des soldats… Après le fantaisiste Gemma Bovery, Anne Fontaine s’engage dans une veine réaliste maîtrisée, soignant ses décors et ses personnages, tous convaincants.

de Carlos Saboga avec Joana Ribeiro, Paulo Pires… Distribution : Alfama Films Durée : 1h15 Sortie le 10 février

d’Anne Fontaine avec Lou de Laâge, Vincent Macaigne… Distribution : Mars Durée : 1h55 Sortie le 10 février

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Peace to Us in Our Dreams PAR É. V.

Venue chercher le calme à la campagne, une famille recomposée va finalement devoir faire face à ses blessures et à ses non-dits. Sur un tempo étrange, Sharunas Bartas (Freedom, Seven Invisible Men) construit un drame contemplatif dans lequel les visages ressemblent à des paysages – et inversement – et les larmes se mêlent aux rires sur

fond de deuil. Un thème autobiographique pour le réalisateur lituanien, dont l’épouse est récemment décédée (elle renaît ici grâce à ses archives personnelles), mais abordé sans pesanteur.

> CHAIR DE POULE LE FILM

Dans cette variation horrifique de la série de livres pour la jeunesse de R. L. Stine, l’écrivain apparaît en tant que personnage sous les traits de Jack Black. Le quotidien d’une bande d’ados est bouleversé lorsque des monstres s’échappent de ses manuscrits. de Rob Letterman (1h44) Distribution : Sony Pictures Sortie le 10 février

de Sharunas Bartas avec Ina Marija Bartaite, Lora Kmieliauskaite… Distribution : Norte Durée : 1h47 Sortie le 10 février

> LA VACHE

Fatah, paysan algérien, traverse les routes de France à pied pour accomplir son rêve : présenter sa vache, Jacqueline, au salon de l’Agriculture… Emmené par des personnages attachants, ce road movie décalé vise à réconcilier tout le monde dans la différence. de Mohamed Hamidi (1h31) Disribution : Pathé sortie le 17 février

L’Homme qui répare les femmes PAR T. Z.

Le docteur Mukwege soigne les innombrables femmes victimes de viol en République démocratique du Congo – notamment dans la région du Kivu, traversée par d’incessants conflits depuis les années 1990. Le documentariste belge Thierry Michel a suivi cet extraordinaire médecin qui parvient à remettre en état des corps aux mutilations

impensables. Si le film est parfois insistant sur les détails de celles-ci, il donne un indispensable coup de projecteur sur une situation effarante et sur l’action d’un homme au courage exemplaire. de Thierry Michel Documentaire Distribution : JHR Films Durée : 1h52 Sortie le 17 février

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> ZOOTOPIE

Le nouveau film d’animation estampillé Disney nous plonge dans la ville imaginaire de Zootopia où tous les animaux, prédateurs comme proies, vivent en paix. Dans le cadre d’une enquête, la lapine Judy fait équipe à contrecœur avec un renard roi de l’arnaque. de Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush (1h48) Distribution : Walt Disney Sortie le 17 février


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Ave, César ! Les frères Coen prennent le contre-pied de leur précédent film, la ballade mélancolique Inside Llewyn Davis (2013) et son héros solitaire et paumé, en orchestrant un film choral enlevé en forme de méditation goguenarde sur les mythologies. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Dans les années 1950, Baird Whitlock (George Clooney) se fait kidnapper par des figurants sur le tournage de l’ambitieux péplum Ave, César ! dans lequel il tient le premier rôle… Sur le papier, on pourrait déceler dans ce pitch le point de départ d’un thriller bien ficelé. Mais ce serait oublier, d’une part, que la présence de Clooney au générique des films des Coen a toujours été synonyme de comédie (O’Brother, Intolérable cruauté), et, d’autre part, que leur dernière collaboration, sur Burn After Reading en 2008, était une véritable ode au MacGuffin. L’enlèvement de Whitlock n’est donc ici qu’un prétexte pour enchevêtrer les parcours des différents acteurs dont s’occupe le fixer Eddie Mannix (Josh Brolin), engagé par les studios hollywoodiens pour veiller à préserver leur image en réglant leurs problèmes. Les stars en question sont inspirées de célébrités de l’époque, aujourd’hui un peu oubliées, et sont surtout incarnées par des acteurs qui pèsent lourd dans l’imaginaire collectif actuel. Un petit jeu sur leur image s’instaure : le personnage campé par l’ultra glamour Scarlett Johansson interprète un rôle de sirène sexy, mais braille comme une poissonnière dès que la caméra est coupée ; celui joué par l’icône gay Channing Tatum danse et chante

comme Gene Kelly et fréquente secrètement un réalisateur… Cette mythologie des acteurs, très autoréférencée, intrique passé et présent, réalité et fantasmes, et se déploie sous un angle ironique qui peut aussi bien réjouir qu’agacer. Tout cela est fort amusant mais ni très grave ni très sérieux, semblent indiquer les Coen, de même qu’ils raillent gentiment, au détour d’une scène, l’ampleur des différends entre les principales religions. Au final, c’est le hasard qui conclut la plupart des intrigues (une mallette bourrée de billets tombe à l’eau, un coup de foudre surprise règle l’une des affaires de Mannix), mais la posture des cinéastes n’en est pas pour autant nihiliste. Ce qui vaut vraiment la peine, comme ils le soufflaient déjà dans Fargo (1996), c’est se soucier des autres : malgré son apparent détachement, Eddie Mannix est un homme profondément préoccupé par le bien-être de sa femme et de ses enfants. Avec l’hommage distancié au deuxième âge d’or hollywoodien, c’est ce que l’on retirera de plus sensé de cet imbroglio de péripéties absurdes mais diablement jouissives. de Joel et Ethan Coen avec George Clooney, Josh Brolin… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h46 Sortie le 17 février

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Beira-Mar PAR Q. G.

Un jour avec, un jour sans PAR LOUIS BLANCHOT

Récompensé par un Léopard d’or à Locarno, le nouveau film du réalisateur sud-coréen Hong Sang-soo continue de décliner les motifs de l’amour et du hasard, explorant leurs plus infimes f luctuations jusqu’à raconter deux fois la même histoire : celle de la rencontre entre Ham Cheon-soo, un cinéaste désabusé en déplacement pour un colloque, et Yoon Hee-jeong, une jeune étudiante en peinture. D’où le titre – Un jour avec, un jour sans (Right Now, Wrong Then en anglais) – de cette œuvre coupée en deux qui s’emploie, en cours de film, à marcher sur ses propres traces, en opérant des microvariations qui viendront subtilement réorienter la trajectoire d’ensemble. C’est que chez Hong Sang-soo l’amour atteint rarement le stade de l’incarnation et du grandiose, pour s’en tenir davantage à une superposition

Martin et Tomaz, deux adolescents brésiliens, passent leurs vacances à la mer. Alors que Martin appréhende de rencontrer pour la première fois la famille de son père, le désir de Tomaz pour son ami se fait de plus en plus pressant… En dépeignant, dans une atmosphère vaporeuse, les premiers émois amoureux de deux garçons, les cinéastes Filipe Matzembacher et Marcio Reolon signent un film pudique et gracieux.  de Filipe Matzenbacher et Marcio Reolon avec M. Almada, M. J. Barcellos… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h23 Sortie le 17 février

Un sol frío en verano

d’hypothèses, un éventail d’affects confus et maladroits. Ce goût pour les croquis sentimentaux nous raccorde idéalement à une mise en scène chaque fois rendue à son plus simple appareil, capable de sonder le mystère de l’attirance entre les êtres en restant toujours à l’extrême surface des interactions entre les personnages (se balader dans un parc, fumer une cigarette sur un trottoir, boire du soju au restaurant). Moins concis que d’habitude, mais aussi plus cinglant et plus caustique dans l’autoportrait, Un jour avec, un jour sans redit combien, sous l’éternelle fraîcheur et simplicité de ce cinéma, s’affirme de film en film une des plus implacables et rigoureuses entreprises d’éducation sentimentale.

Ana vit ses derniers jours dans une villa. Elle y habite avec deux amies avec lesquelles elle entretient des relations à la fois sensuelles et conf lictuelles. Ces deux personnages, insaisissables et sans cesse fuyants, sont-ils des projections de la psyché tourmentée de la protagoniste ? À l’aide d’un montage sinueux, Mathieu Gari balade le spectateur sans pour autant le perdre.

de Hong Sang-soo avec Jeong Jae-yeong, Kim Min-hee… Distribution : Les Acacias Durée : 2h01 Sortie le 17 février

de Mathieu Gari avec Paulina Veltina, Júlia Ferré… Distribution : Les Films de l’Envers Durée : 1h Sortie le 17 février

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La Chambre d’en face PAR P. D.

Lily s’occupe de Max, son époux depuis cinquante ans, après qu’un AVC l’a rendu tétraplégique. Par devoir plus que par amour, elle le suit dans une maison de retraite, mais s’y ennuie. Quand un retraité emménage dans la chambre d’en face, Lily tombe sous son charme et reprend goût à la vie… Avec justesse, le Danois Michael Noer (R, Northwest) met en scène la passion amoureuse quand elle surgit au crépuscule de la vie.  de Michael Noer avec Ghita Nørby, Sven Wollter… Distribution : ASC Durée : 1h31 Sortie le 17 février

Sleeping Giant

Aurora PAR P. D.

PAR ÉRIC VERNAY

Un été entre ados, sur les rives du lac Supérieur, au Canada. Trois garçons, une fille, beaucoup de possibilités. Chacun cherche à se jeter à l’eau, au propre comme au figuré, puisqu’il s’agit autant pour ces jeunes garçons d’affirmer leurs sentiments naissants que leur virilité, en s’élançant du haut d’une impressionnante falaise. Lorgnant vers Stand by Me et Sa Majesté des Mouches, le premier long métrage du Canadien Andrew Cividino a pour lui la fraîcheur – et la maladresse – des premières fois. Si l’on regrette que la deuxième partie du film charge un peu trop la barque dramatique avec son prévisible basculement tragique, et que le symbolisme animal ne fasse pas

toujours dans la dentelle (bataille de coléoptères figurant la rivalité amoureuse, etc.), cette histoire de passage à l’âge adulte séduit par la vivacité de sa narration : une succession d’instantanés piquants, montés rapidement et associés à une musique tonitruante. D’où l’aspect clip vidéo de la poussée d’adrénaline, pas superficiel car incarné par de jeunes acteurs pleins d’allant et au naturel désarmant. Ce mille-feuille de sensations contradictoires traduit ainsi l’état adolescent avec une belle énergie revêche, souvent contagieuse.

Au Chili, Sofía, une enseignante qui n’arrive pas à avoir d’enfant, entame avec son mari une procédure d’adoption. Émue par l’histoire sordide d’un bébé retrouvé mort dans une décharge, elle décide de l’adopter pour lui offrir une sépulture décente et se lance alors dans une éprouvante bataille juridique… Basé sur des faits réels, Aurora est un drame intense mais jamais larmoyant.

d’Andrew Cividino avec Jackson Martin, Reece Moffett… Distribution : KMBO Durée : 1h29 Sortie le 17 février

de Rodrigo Sepúlveda avec Amparo Noguera, Luis Gnecco… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h23 Sortie le 24 février

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Dans ma tête un rond-point Le très pictural premier long métrage documentaire de l’Algérien Hassen Ferhani sonde le cœur des ouvriers des abattoirs d’Alger et capte la poésie qui se dégage d’un lieu à la circularité mortifère. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Dans l’abattoir, un cadavre de bovin est à moitié pendu par une patte arrière, le haut du corps gisant sur le sol. Magnifiquement éclairé – la lumière sculpte les muscles saillant dans le dos de la bête, que l’on dirait presque humaine –, le plan ressemble à un contrechamp pudique de la célèbre toile de Rembrandt Le Bœuf écorché, qui exhibe frontalement les viscères de l’animal. C’est tout le projet du film que de faire jaillir une étonnante beauté des aspects les plus sordides de l’abattoir. Partout où la caméra se pose, les cadres, parfaitement composés, captivent. La couleur rouge, omniprésente à l’écran (dans les lumières, la peinture des murs de certaines pièces…), agit comme un liant entre le destin tragique des animaux et les aspirations des hommes qui les abattent. Elle évoque le sang, que l’on voit peu, mais aussi l’amour, l’un des grands sujets de conversation des personnages. Piégés dans leur routine

jour et nuit, puisqu’ils dorment sur le site même de l’abattoir, et alors que la plupart d’entre eux s’avouent moralement épuisés, ces hommes n’ont que la parole, la musique et la télévision pour ne pas sombrer. Les vieux méditent avec résignation sur la vie après la mort, tandis que le jeune Youcef, concentré de muscle et de tchatche, s’interroge sur ses perspectives d’avenir : « Dans ma tête, y’a un rond-point avec mille chemins, et je ne sais pas lequel prendre. » Si le film suggère plutôt l’inverse – d’après l’expérience des plus âgés, on ne change plus de voie une fois entré dans l’abattoir –, il montre aussi la beauté des liens humains qui s’y tissent. Dans ma tête un rond-point de Hassen Ferhani Documentaire Distribution : Les Films de l’Atalante Durée : 1h40 Sortie le 24 février

3 QUESTIONS À HASSEN FERHANI PROPOS RECUEILLIS PAR T. Z. Pourquoi avoir pris pour sujet les abattoirs d’Alger ?

Je voulais faire un film avec des ouvriers algériens, très peu représentés dans notre cinéma. Dans ce lieu, j’ai été frappé par l’environnement sonore et par les taches de lumière très impressionnistes. La destruction des abattoirs a été annoncée en 2007, ça a été le déclic pour les filmer. En fait, ils sont toujours en fonction aujourd’hui.

Comment avez-vous choisi d’aborder ce lieu ?

La démarche, c’était de faire un film qui se déroule dans un abattoir, mais qui parle de tout sauf de viande. Je savais que je venais chercher l’inverse de la mort, même s’il y a un rapport entre le carnage des bêtes et la souffrance de ces hommes. J’essaye toujours de faire un film avec des protagonistes, pas sur eux.

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Qu’est-ce qui a guidé le montage ?

On navigue d’un personnage à l’autre, à l’image de notre errance dans l’abattoir au long du tournage. Certains donnent une tonalité jazz à leur film ; moi, ce serait plutôt le raï. La musique de Cheb Hasni, un chanteur de raï assassiné dans les années 1990, est d’ailleurs très présente dans le film. On passe du rire aux larmes dans la même chanson.


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Nahid PAR JULIETTE REITZER

En Iran, en cas de divorce, la garde des enfants revient légalement et systématiquement au père. Mais, parce qu’il n’avait pas les moyens d’élever leur fils, l’ex-mari de Nahid lui en a concédé la garde exclusive. Avec toutefois une condition : qu’elle ne se remarie pas. Pour dessiner le portrait de cette mère courage,

que la rencontre avec un nouvel homme pousse bientôt vers une difficile émancipation, la cinéaste iranienne Ida Panahandeh choisit la voie du réalisme social, installant ce premier long métrage dans un univers urbain maussade, parfois brutal, baigné d’une lumière froide. Tenant tête, avec un aplomb sidérant, aux hommes

qui l’entourent (un ex-mari toxicomane, un nouvel amour insistant, un propriétaire excédé par ses retards de paiement du loyer), Nahid navigue au jour le jour, composant comme elle peut avec le manque d’argent et l’insolence croissante de son fils, en perte de repères, qui préfère traîner au café plutôt qu’aller à l’école. Admirablement campée par l’actrice Sareh Bayat (vue dans Une séparation), cette héroïne tenace, tout en agitation et en ambivalence, qui n’hésite pas à mentir, voire à manipuler son entourage, pour conserver coûte que coûte la garde de son fils, insuffle au film une énergie salutaire.  d’Ida Panahandeh avec Sareh Bayat, Pejman Bazeghi… Distribution : Memento Films Durée : 1h44 Sortie le 24 février

Tempête PAR QUENTIN GROSSET

Marin pêcheur vivant aux Sables-d’Olonne, Dom (Domi­ nique Leborne) fait de longs séjours en mer et voit peu ses enfants. Alors que la justice menace de lui en retirer la garde, l’homme décide de tout tenter pour obtenir son propre bateau et ainsi changer de mode de vie. Pour son troisième long métrage, le réalisateur Samuel Collardey poursuit son exploration des frontières poreuses entre documentaire et fiction, amorcée dans L’Apprenti (2008) puis dans Comme des lions (2013). Tempête se base ainsi sur une histoire vraie : Collardey, pour écrire son scénario, a passé du temps avec Dominique Leborne et ses deux ados au moment où ils vivaient un épisode semblable à celui évoqué dans le film. Il en résulte une collection d’instants fragiles

et troublants où l’on ne sait plus si c’est le personnage ou le père qui s’adresse à sa progéniture. Ces zones d’incertitude auraient pu installer un malaise, donner le sentiment d’envahir l’intimité de ces non-acteurs, notamment quand éclate le conflit entre Dom et sa fille, qui lui annonce qu’elle est enceinte. Mais ce qui s’impose

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plutôt à la vision du film, c’est la force d’incarnation du dispositif, car Collardey trouve la juste distance et reste en fin de compte assez pudique.  de Samuel Collardey avec Dominique Leborne, Maylis Leborne… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h29 Sortie le 24 février


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> JE NE SUIS PAS UN SALAUD

The Finest Hours PAR T. Z.

En février 1952, un pétrolier pris dans une tempête hors du commun se brise en deux au large de la Nouvelle-Angleterre. L’équipage, mené par un mécano malin (Casey Affleck), tente de maintenir son morceau de bateau à flot. Pour le sauver, le garde-côte Bernie Weber (Chris Pine) saute dans une petite embarcation aux côtés de trois

collègues téméraires et part braver des vagues monstrueuses… Malgré un glacis d’héroïsation très holly­ woodien, The Finest Hours vaut le détour pour ses scènes de tempête en mer, que la 3D rend sidérantes.

Un chômeur à la dérive (Nicolas Duvauchelle, cabossé), victime d’une agression, accuse à tort un jeune homme rencontré quelques jours plus tôt (Driss Ramdi)… Un brin empesé par la charge symbolique de son intrigue, le film dresse le portrait croisé des deux hommes et de leur compagne respective. d’Emmanuel Finkiel (1h51) Distribution : Bac films Sortie le 24 février

de Craig Gillespie avec Chris Pine, Casey Affleck… Distribution : Walt Disney Durée : 1h57 Sortie le 24 février

> PATTAYA

Pour son deuxième long métrage, Franck Gastambide retrouve son acolyte des Kaïra Jib Pocthier. On suit les aventures déjantées de deux amis qui, pour se rendre gratuitement à Pattaya en Thaïlande, inscrivent à son insu un nain vivant dans leur cité à un championnat de boxe thaï. de Franck Gastambide (1h37) Distribution : Gaumont Sortie le 24 février

Merci patron ! PAR P. D.

Jocelyne et Serge Klur, un couple d’ouvriers de l’usine Kenzo, ont perdu leur emploi. Ils ne disposent plus que de quatre euros par jour pour vivre. Le journaliste François Ruffin, fondateur de la revue indépendante et engagée Fakir, décide de les aider. Se faisant passer pour leur fils, il réclame des dommages à LVMH. Caméras cachées, teinture

et prothèses pour rester incognito, Ruffin met en place une arnaque digne d’un film hollywoodien, dans cette pantalonnade réjouissante destinée à piéger leur ancien patron, Bernard Arnault. de François Ruffin Documentaire Distribution : Jour2fête Durée : 1h30 Sortie le 24 Février

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> L’HISTOIRE DU GÉANT TIMIDE

À 43 ans, le colosse Fusi vit toujours chez sa mère dans une banlieue islandaise. Mal dans sa peau, il n’ose pas se lancer dans la quête de l’amour… Sans mièvrerie, Dagur Kári (Nói l’albinos) brosse le rafraîchissant portrait d’un homme doux et innocent. de Dagur Kári (1h34) Distribution : ARP Sélection Sortie le 24 février


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Kaili Blues PAR HENDY BICAISE

Médecin à Kaili, dans la prov i nce du Gui zhou, Chen apprend que son neveu a été vendu par son père. Pour le retrouver, il voyage en train puis à moto sur les routes escarpées de cette région subtropicale, jusqu’à Dangmai. Le village lui semble d’emblée familier, mais, plus que les lieux, ce sont

ses rencontres avec un motard ou la coiffeuse locale qui vont trouver un écho dans son passé. Devant aussi rendre visite au premier amour d’une collègue, Chen mélange bientôt ses quêtes : vies et visages semblent se confondre… Paradoxalement, Bi Gan choisit de filmer l’errance de son héros à Dangmai en un long

plan-séquence, soit quarante et une minutes d’une balade prodigieuse qui atteste à elle seule de l’expérience fascinante et vertigineuse qu’est Kaili Blues. À 26 ans à peine, le cinéaste, nouvel espoir du cinéma chinois, nous offre un voyage à la lisière du fantastique comparable aux œuvres les plus aventureuses du Hongkongais Wong Kar-wai. Comme ce dernier, Bi Gan s’amuse avec les lignes du temps, ses personnages s’y déplaçant tels des funambules mus par leurs sentiments. Le spectateur ne perd jamais le fil, mais il tombe quand même des nues lors de la séquence finale, témoignage de la parfaite cohérence de ce conte magique et obsédant.  de Bi Gan avec Yongzhong Chen, Zhao Daqing… Distribution : Capricci Films Durée : 1h53 Sortie le 24 février

No Home Movie PAR ADRIEN DÉNOUETTE

Filmant sa mère au seuil du trépas, au gré de ses visites à Bruxelles et des conversations par Skype depuis New York où elle réside alors, Chantal Akerman remonte avec son dernier film, No Home Movie, le fil d’une œuvre hantée par la fatalité. Il faut dire que la cinéaste, disparue un an après sa mère, scelle depuis toujours ses intrigues au destin de cette dernière. D’un bout à l’autre, de l’élan prépunk de Saute ma ville (qui s’achevait sur l’explosion de la gazinière parentale) à l’observation patiente des repas douloureux de sa mère ici, le cinéma d’Akerman n’aura cessé de maculer la blancheur des cuisines de tout le refoulé d’une vie de femme au foyer. C’est en cuisine que Je, tu, il, elle entamait par un quatre-heures sa belle scène saphique, là surtout que l’héroïne

de Jeanne Dielman. 23, quai du commerce 1080 Bruxelles consumera le plus clair de son quotidien minuté. En faisant graviter le monde autour de la salle à manger de sa mère, No Home Movie réconcilie le mouvement centrifuge du cinéma d’Akerman et les digues de la cuisine maternelle. « Je veux montrer qu’il n’y a plus de distance », dit pudiquement la

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cinéaste à sa mère par Skype. De l’autre bout du monde à l’appartement bruxellois, No Home Movie boucle par un aveu de tendresse l’œuvre d’une petite fille qui avait commencé par saccager la cuisine de sa maman. de Chantal Akerman Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 1h55 Sortie le 24 février


le s fi lm s

Love Streams

John Cassavetes Réunis dans un coffret, Un enfant attend (réalisé en 1963 sous le patronage des studios hollywoodiens) et Love Streams (sorti en 1984 et produit dans un cadre indépendant) révèlent le rapport tourmenté qu’entretient l’œuvre de John Cassavetes au thème de la parentalité. PAR QUENTIN GROSSET

Dans Un enfant attend, le docteur Matthew Clark (Burt Lancaster), directeur d’une clinique pour enfants présentant des déficiences mentales, engage Jean Hansen (Judy Garland) comme musicothérapeute. Clark et Hansen se trouvent désemparés face à certains parents qui voudraient voir leurs bambins redevenir « normaux ». Dans ce troisième film – après Shadows, conçu en totale indépendance en 1959, et Too Late Blues, qui lui ouvre brièvement les portes de Hollywood en 1961 –, Cassavetes considère l’idée même de normalité comme relative. Les parents ont aussi leurs travers, et la volonté du cinéaste de pointer leur irresponsabilité est patente – Gena Rowlands, muse et épouse de Cassavetes, joue une mère qui abandonne quasiment son fils à l’institution. Mais ce parti pris se trouve écorné par le final cut, qui revient au producteur Stanley Kramer et au scénariste Abby Mann. Cassavetes voulait que les enfants-acteurs réellement handicapés soient au premier plan. Ils ont finalement une place moindre que les stars du film. Cette mauvaise expérience conduit le cinéaste à refuser désormais la tutelle des studios hollywodiens. C’est donc dans une forme plus personnelle que, dans Love Streams, adapté d’une de ses

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pièces, il met en scène d’autres parents à la dérive. Juste avant le tournage, le cinéaste apprend le décès de sa mère ; pendant le tournage, qu’il est atteint d’un cancer du pancréas. Malgré un plateau joyeux (comme en témoigne le making of présent dans le coffret), la tristesse de ces nouvelles infuse le film. Robert (Cassavetes lui-même), écrivain jouisseur, héberge sa sœur Sarah (Rowlands, dans sa dernière apparition dans un film de son mari), en froid avec sa fille et son époux, qui la trouvent trop déséquilibrée. Robert doit aussi composer avec un jeune fils qu’il ne connaît pas et dont il a la garde pour quelques jours. Le frère et la sœur, qui mènent chacun à leur façon une vie dissolue, font face à une société qui les juge nocifs à l’éducation de leurs enfants. Dans ce brillant récit erratique et douloureux autour de liens du sang qui se dénouent, Robert et Sarah récréent une cellule familiale sur laquelle la seule autorité qui s’exerce est celle d’un amour fraternel déglingué mais débordant. Coffret John Cassavetes Un enfant attend et Love Streams (Wild Side) Disponible le 24 février

février 2016


dvd

LES SORTIES DVD

> LA NIÑA DE FUEGO

> CITIZENFOUR

> MEDITERRANEA

« Citizenfour », c’est le nom de code qu’a utilisé Edward Snowden pour entrer en contact avec la documentariste américaine Laura Poitras et organiser un rendez-vous ultra secret à Hong Kong, afin de révéler la surveillance de masse pratiquée illégalement par la NSA, l’organisme gouvernemental qui l’employait jusque-là. Caméra au poing, la cinéaste a documenté les étapes de ces révélations et en a tiré un documentaire intelligent qui tente, en creux, de déplier la personnalité complexe du lanceur d’alerte, tantôt super-héros, tantôt légèrement mégalomane. Le résultat est haletant comme un excellent thriller. T. Z.

Ce film social de l’Italo-Américain Jonas Carpignano suit la trajectoire d’Aviya, un père de famille qui quitte le Burkina Faso puis traverse la Méditerranée pour rejoindre l’Italie et trouver un emploi. Mais certains Italiens accueillent avec malveillance les travailleurs migrants… Carpignano choisit de consacrer la plus grande partie du film aux rapports entre la communauté migrante et les locaux italiens, entre entraide, défiance et exploitation. Sans jamais céder au misérabilisme, le cinéaste préfère montrer des personnages combatifs et ponctuer son film de notes d’espérance. Q. G.

de Carlos Vermut (Condor)

de Laura Poitras (Blaq Out)

> CEMETERY OF SPLENDOUR

> NI LE CIEL NI LA TERRE

> LE BOUTON DE NACRE

Sélectionné dans la section Un certain regard au dernier Festival de Cannes, on s’étonne encore que le dernier long métrage d’Apichatpong Weerasethakul n’y ait raflé aucun prix. Pourtant, Cemetery of Splendour est certainement ce l’on a vu de plus novateur et abouti en 2015. Situé dans un village thaïlandais, le film suit Jenjira, une bénévole qui prend soin de l’un des soldats ayant été transférés dans l’hôpital local après être mystérieusement tombés dans un sommeil profond. Les rêves, les vies antérieures, le vieillissement et l’histoire thaïlandaise sont abordés selon un rythme apaisé et envoûtant qui tend vers la méditation. T. Z.

Isolée dans des montagnes à l’est de l’Afghanistan, la section française commandée par le capitaine Bonnassieu (Jérémie Renier), en butte à l’hostilité des talibans et des villageois alentours, fatigue. La disparition de plusieurs soldats pendant leur sommeil déclenche une vague de panique diffuse dans la troupe, alors que l’officier peine à trouver des explications… Clément Cogitore, plasticien de formation, frappe fort pour son premier long métrage : l’inquiétude sourd dans tous les plans, les images fantomatiques en caméra thermique sont d’une beauté fulgurante, et la réflexion métaphysique sur la surveillance et la croyance à l’ère contemporaine subjugue. T. Z.

Après Nostalgie de la lumière, en 2010, sur les femmes qui fouillent le sol du désert d’Atacama en quête des restes des victimes de la dictature d’Augusto Pinochet, le cinéaste chilien Patricio Guzmán explore à nouveau la question de la disparition des corps, côté mer cette fois. À partir de deux boutons de nacre retrouvés au fond de l’océan Pacifique, au large des côtes chiliennes, il relie l’extermination par les colons des peuples nomades de Patagonie, à partir du xvie siècle, et l’assassinat d’opposants au régime de Pinochet, dans les années 1970. Jamais lassé de triturer les terres et l’histoire de son pays, Guzmán nous offre un nouveau documentaire aux strates riches de mémoire. T. Z.

Autour de Bárbara, jeune femme aussi belle qu’instable psychologiquement, trois hommes gravitent : son mari, qui tente de la canaliser ; Damián, un ancien professeur, qui a peur de sortir de prison et de la recroiser ; et Luis, un escroc, qui essaye de la manipuler. Des musiques traditionnelles espagnoles aux rapports pervers de ce quatuor infernal, le film de Carlos Vermut s’inscrit dans la pure veine des premiers longs métrages de Pedro Almodóvar. Ce dernier a d’ailleurs couvert d’éloges ce thriller tendu dont l’édition DVD est agrémentée d’un making of et d’interviews de membres de l’équipe. P. D.

d’Apichatpong Weerasethakul (Pyramide)

de Clément Cogitore (Diaphana)

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de Jonas Carpignano (Blaq Out)

de Patricio Guzmán (Pyramide)


cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

ARTS

Grand Blanc POP SYNTHÉTIQUE

© andrea montano

Entre idéal de pureté et pupilles dilatées, mort et renaissance, Joy Division et Alain Bashung, le groupe messin Grand Blanc sort Mémoires vives, premier album de pop synthétique, générationnel et ambivalent, dans lequel le danger côtoie toujours le salut. Cette « Surprise Party » est une fête noire.

C

PAR WILFRIED PARIS

Marietta de l’autre ; elle a développé un sens de la dualité qui tient autant des cadavres exquis que de l’harmonieux contraste du yin et du yang. Sur leur premier EP (Samedi la nuit) comme sur ces dix « Mémoires Vives » (dont le single « Surprise Party »), le chant viril, heurté et plein d’accents de Benoît rencontre celui éthéré, évanescent, plein d’effets et de débordements de Camille, comme une danse entre angoisse et apaisement, tension et sensualité. Cette entité vocale quasi androgyne est portée par des mélodies urgentes, une évidence pop, et par les arrangements électroniques,

êt us es

ici

vo

’est à Metz, « à l’ombre des cathédrales et des hauts-fourneaux », qu’ont grandi les quatre membres (la vingtaine en moyenne) de Grand Blanc. De cette ville, la musique de Benoît, Camille, Luc et Vincent a conservé plus que l’opposition entre verticalité gothique et horizon de friche industrielle – qu’on retrouve dans l’influence de la cold-wave des années 1980 d’un côté, et dans celle des grands frères messins tels que Scorpion Violente, Noir Boy George et

XVIIIe XIXe

XVIIe VIIIe

IX

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e

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IIe I

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VIIe VIe XVe

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CONCERT Jamie xx le 24 février au Zénith p. 72

XIIIe

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février 2016

EXPOSITION Steve McQueen jusqu’au 27 février à la galerie Marian Goodman p. 80


KIDS

MUSIQUE

Dofus. Livre I : Julith : la chronique d’Élise, 7 ans p. 74

Quand la musique de Tindersticks engendre des films p. 70

SPECTACLES

JEUX VIDÉO

FOOD

garage ou industriels, de Luc et de Vincent, entre Indochine et PC Music, Mr. Oizo et Nini Raviolette, ouvrant sur le dancefloor des espaces, des creux, des abîmes, pour laisser les mots surgir. PEINE PERDUE

Selon Benoît, parolier, « le terme “Grand Blanc” est évasif, il a une plasticité qui nous convient. Il est proche du blanc typographique, cette abstraction entre le noir des lettres sur le papier, ce moment où l’écrit devient image, comme le surgissement de l’image poétique. » Et en effet, les paroles du jeune étudiant en lettres sont une invitation à lire non pas entre les lignes, mais bien entre les mots eux-mêmes. « Évidence » se déploie ainsi autour de deux syllabes de son titre, « Tu danses / Tant qu’on est en vie », tandis que « Summer Summer » diffuse l’ennui exponentiel des vacances en « Inspire expire import-export c’est le même air ». « Les Abonnés absents » fait rimer le lexique des stupéfiants (« Quand mes talons aiguilles / Longent d’autres artères »), et tout ici joue sur les mots, les sons, leurs sens, en réseaux et résonances. « J’écris à partir d’assonances, d’allitérations, poursuit Benoît. L’écriture par jeux de mots me permet d’éluder la question de la responsabilité, puisqu’en écrivant à partir des sons je ne sais pas avant de commencer de quoi je vais parler réellement. » JOIE RETROUVÉE

On opposera à cette distance prise par l’auteur la vision très noire de la société que ses formules, inspirées, inspirent : « Casse-moi ou casse-toi / Les temps sont durs », « Tu te dégonfles, ou tu t’éclates », « Bats-toi si t’es un homme, pousse des portes battantes / N’attends pas qu’on te donne, coupe dans les files d’attente »…

lIVRES

Bayon, l’ex-rock critic de Libé, sort son journal de jeunesse p. 76

MODE

présente

« À nous quatre on est un vrai inconscient collectif. » Ces hymnes adolescents mais jamais naïfs opposent l’apocalypse du quotidien, les échappatoires pratiques et les paradis artificiels à un idéal de détachement, une attention nouvelle au monde, une conscience retrouvée. « Ce n’est pas une musique ludique à base de jeux de mots gratuits. Et on n’est pas non plus lacaniens, mais plus proches de la psychanalyse active des surréalistes, qui permet une liberté créatrice : il y a toujours une volonté qui, avec un peu de concentration, reconstitue ces fragments et donne du sens à ces hasards. À nous quatre on est un vrai inconscient collectif. » Entre pulsion de vie et pulsion de mort, Grand Blanc se confronte surtout au principe de réalité : « Aujourd’hui, l’irréalité est patente partout : dans les médias, le réseau, les publicités. Je pense que c’est un besoin assez actuel que de vouloir savoir quand on est dans le vrai ou, au moins, d’avoir un sentiment de réalité. » À ce niveau de lucidité, on parlera en effet de surréalité ; et l’album se conclut d’ailleurs par une chanson intitulée « L’Amour fou », comme le livre d’André Breton. Grand Blanc a bien cette « beauté convulsive » théorisée par le surréaliste : la beauté d’un geste qui est aussi un dernier sursaut, la beauté d’une victoire autant que d’un désastre. Mémoires vives de Grand Blanc (Entreprise/Sony Music) Sortie le 19 février

le PARCOURS PARISIEN du mois

SPECTACLE Tenir le temps du 15 au 17 février au Théâtre de la Ville p. 82

FOOD Elmer 30, rue Notre-Dame-de-Nazareth Paris IIIe p. 86

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MODE Montagut 15, place du Marché-Saint-Honoré Paris Ier p. 87


cultures MUSIQUE

Tindersticks

© richard dumas

musique de films

On connaît le tropisme de Tindersticks pour le cinéma, à travers leurs B.O. pour les longs métrages de Claire Denis. Mais qu’advient-il quand leur musique engendre des films ? Réponse avec les onze courts métrages illustrant leur nouvel album, The Waiting Room. PAR ÉRIC VERNAY

« D’habitude, pour les B.O., je m’inspire des images de Claire Denis, nous explique Stuart Staples, le crooner de Tindersticks. Là, c’est exactement l’inverse. Neuf réalisateurs sont partis de nos onze morceaux pour créer un espace visuel. Je n’ai pas essayé de leur décrire ce que racontaient les chansons. Ils devaient les réinventer. » L’idée de cet album visuel lui a été soufflée lors d’un passage au festival du court métrage de Clermont-Ferrand. Le résultat, aussi envoûtant que les mélodies des Anglais, est une collection cohérente de petits films nés de l’imaginaire de cinéastes pourtant fort divers, tels le Français Pierre Vinour, l’Allemand Christoph Girardet ou le Brésilien Gregorio Graziosi. À l’écran, la lente progression des rayons du soleil sur une porte close, qui illustre le morceau introductif « Follow Me », laisse place au film suivant dans lequel un automobiliste spectral semble en proie à d’étranges visions. Alors que le rythme de la musique s’accélère, le bolide glisse sur le périphérique parisien avant de s’abîmer dans la mer. On rouvre les yeux dans une gare où erre

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un homme. Son visage est familier des fans de Claire Denis (la réalisatrice est d’ailleurs derrière la caméra de ce court) : c’est celui de son acteur fétiche, Alex Descas. S’apprête-t-il à prendre un nouveau départ, à l’instar de Tindersticks depuis la dissolution de la première mouture du groupe, en 2006 ? Ou attend-il simplement quelqu’un, comme le suggère le titre du onzième album des Anglais ? Le morceau à l’origine de ces images, « Help Yourself », désarçonne. Experts ès rêveries mélancoliques, les Britanniques ne nous avaient pas habitués à ce genre de beat endiablé, à ces frémissants cuivres africains. « Tout le monde me parle de Fela Kuti, mais je n’ai pas pensé une seconde en termes d’afrobeat pour écrire cette chanson ! s’amuse Staples. Elle m’est venue naturellement, en tapant sur une guitare. C’est le point de départ du disque. » L’épicentre funky d’une classieuse déflagration soulful. The Waiting Room de Tindersticks (Lucky Dog/City Slang) Disponible

février 2016


sélection PAR MICHAËL PATIN

UN TORRENT, LA BOUE

d’O

(Vietnam/Because)

Auteur de l’une des plus belles chansons pop de la dernière décennie (« A Kiss »), Olivier Marguerit sort un premier album à son image, hypersensible et raffiné. Proche, dans sa démarche, d’un Sébastien Tellier ou d’un Athanase Granson, le multi-instrumentiste déploie des structures complexes et des harmonies pointilleuses sans se départir d’une douce ironie postmoderne. O change ainsi sa boue en or.

NACER BLANCO

de Borja Flames

(Le Saule/Marxophone)

Espagnol exilé en France, membre du duo June et Jim, Borja Flames ressemble à un sorcier et fait de la musique de sourcier. Pas étonnant si le fantôme de Moondog veille sur ce grand disque qui cherche dans l’archaïsme des folklores une clé de libération pour le présent, personnelle – donc collective. Nacer Blanco, ou douze chansons que nous connaissons depuis toujours, mais que nous n’avions jamais entendues.

SLRA2. MÉMOIRE DE MES PUTAINS TRISTES

de Hyacinthe (Naïve Urban)

PNL ou Vald ne sont pas des cas isolés. Derrière eux, c’est toute une génération décomplexée qui vient tirer le rap français de son ornière. Encore confidentiel, Hyacinthe se distingue par son flow hâbleur et désabusé qu’il met au service d’ego-trips de sexopathe transpirant la haine de soi. Avec une esthétique sonore personnelle, dans le sillon de la vague cloud rap, entre élégance ambient et efficacité trap.

SEMTEX

de The Third Eye Foundation

(Ici d’Ailleurs/Differ-Ant)

Le trip-hop a mal vieilli, et ses idoles aussi. Quelques œuvres ont toutefois été épargnées par le temps, dont ce Semtex, commis il y a vingt ans par le jeune Matt Elliott. Avant de devenir le toréador écorché du dark folk moderne, ce natif de Bristol transcrivait la grisaille de son quotidien dans de longues plages grondantes et hypnotiques où machines et guitares s’entrechoquaient sous un épais voile de fumée.


cultures MUSIQUE

© flavien prioreau

agenda PAR E. Z.

ELECTRO

Jamie xx Par Etaïnn Zwer

Génial mais discret architecte du son de The xx, échappé en solo sur un premier album encensé (In Colour), le jeune producteur et DJ anglais a superbement imposé sa science des boîtes à rythmes et des atmosphères planantes dans le paysage electro. Londres, 2005 : entre le club Plastic People et l’Elliott School, Jamie Smith rencontre Romy Croft et Oliver Sim et intègre leur formation, The xx, pour sculpter la soul électronique diaphane qui va faire leur succès. Devenu Jamie xx, il multiplie remixes (Florence & the Machine, Adele) et sets brillants, affûtant, en marge du groupe, son amour de la UK dance music et du beatmaking. En 2011, sa relecture sidérante du dernier opus de l’immense Gil ScottHeron (We’re New Here) et son maxi lumineux (Far Nearer) lancent définitivement sa carrière solo. S’ensuivent moult apparitions (Boiler Room, BBC), participations à de grands festivals et collaborations avec des stars (Alicia Keys, Drake). Mais lui qui rêve de produire Lana Del Rey n’aime rien tant que bûcher seul, piano ; trois ans, avant d’oser un LP. Sorti cet été sur le label Young Turks, nommé au Mercury Prize, In Colour est un bijou. Un contrepied au style moody de The xx, gorgé de pulsations dubstep, garage et jungle, d’ornements caribéens, de guitares baléariques, de nappes solaires, de samples léchés, de chants grisants : la fusée drum ’n’ bass « Gosh », « Sleep Sound » et sa house feutrée, l’ovni « I Know There’s Gonna Be (Good Times) », avec Young Thug et Popcaan, ou ce « Loud Places » frissonnant, incarné par Romy… Un hymne dont la mélancolie dansante fera vibrer le Zénith où le timide jeune prodige s’invite, flanqué de Four Tet et Bambounou. WE KNOW there’s gonna be good times. In Colour de Jamie xx (Young Turks) en concert le 24 février au Zénith

6 fév.

Les 26 & 27 fév.

SAGES COMME DES SAUVAGES Un joli premier opus en poche (Largue la peau), Ava Carrère et Ismaël Colombani tissent folk, maloya ou rebetiko en un folklore poétique enchanteur qui épousera parfaitement cette neuvième saison du festival Au fil des voix. Une invitation au voyage, et à danser.

MASSIVE ATTACK Retour surprise. Alchimistes géniaux d’une bande-son culte (« Karmacoma », « Teardrop », « Psyche »), discrets depuis 2010 et le sublime Heligoland, les pionniers du trip-hop s’offrent une excitante tournée européenne pour dévoiler leur sixième album à venir – sur lequel on croisera même Tricky. Joie.

à L’Alhambra

8 fév.

JULIA HOLTER Singulière conteuse, la Californienne fait pencher sa poésie cryptée et sa voix caressante vers une pop majestueuse, brodant folk capiteux et liturgies obsédantes dans un beau décor acoustique. Son Have You in My Wilderness illumine cet hiver et cette session intimiste, en apesanteur. au New Morning

29 fév.

HINDS Quatre filles, des guitares rêches, un groove galopant et des concerts à guichets fermés : armées d’un premier album picante (Leave Me Alone), les Madrilènes délivrent leur rock garage sixties lo-fi et ensoleillée avec une énergie espiègle follement réjouissante. Coup de foudre assuré. au Badaboum

11 fév.

2 mars

ANGEL HAZE Disparue des radars après avoir éclaboussé la scène du queer rap à coups de morceaux sauvageons et avoir lâché un premier LP chaotique (Dirty Gold, 2013), la frondeuse Angel Haze s’impose sur Back to the Woods : liberté rageuse, romantisme goth, flow hanté et puissant. Une bombe, à dégoupiller en live.

SON LUX Brillant artisan d’une pop electro orchestrale complexe et élégante, encensé depuis Lanterns (2013), beau maelström cosmique, Ryan Lott se réinvente en trio et impressionne encore avec Bones, opus abyssal et entêtant dédié aux métamorphoses – et formule magique pour une soirée sous hypnose.

à La Bellevilloise

72

au Zénith

février 2016

à La Gaîté Lyrique


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cultures KIDS

CINÉMA

Dofus. Livre I : Julith

l’avis du grand

C’en est fini du manichéisme pour Élise. Notre jeune critique a vu son système de valeurs totalement chamboulé par les amours contrariées de la grande méchante de cette épopée de fantasy potache. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier « L’histoire est très dure à expliquer ; du coup, pendant la récréation, je m’isole souvent pour y repenser. Je peux quand même dire que le héros, c’est Joris, car il est carrément dans chaque scène du film. Il y a aussi Khan, qui fait trop de sport et qui, du coup, est bêta. En plus, il est amoureux ! Grâce à lui, on voit bien que le film a le sens de l’humour. Mais celle que j’ai adorée, c’est Julith, la méchante. C’est la première fois que j’aime une méchante. Par exemple, Maléfique, dans La Belle au bois dormant, elle est pas sympa le moins du monde. Mais on a bien le droit de changer, et c’est pas parce que j’aime une

d’ Élise, 7 ans méchante que je suis devenue une méchante. Mais là, Julith, déjà, elle est jolie. Ensuite, elle raconte bien les histoires. Enfin, elle veut faire revenir son mari qui est mort ; du coup, c’est normal qu’elle soit méchante. En fait, elle fait des choses méchantes pour faire une chose gentille. Bref, c’est un film avec des méchants qu’on aime bien, et des gentils qui sont des fois méchants. » Dofus. Livre I : Julith d’Anthony Roux et Jean-Jacques Denis Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 1h47 Sortie le 3 février Dès 6 ans

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février 2016

Grâce au succès retentissant rencontré depuis sa création au début des années 2000, le jeu de rôle en ligne Dofus a été décliné sur une foultitude de supports et de produits dérivés – du manga à la série télé, en passant par les figurines – par sa maison mère roubaisienne, Ankama. Ultime accomplissement de ce triomphe de la narration transmédia, ce premier opus cinématographique a la lourde tâche d’initier les néophytes à un univers extrêmement complexe tout en satisfaisant les fans de la première heure. Le résultat est parfois confus, voire même bourratif. Mais Dofus finit par remporter la partie, grâce à un humour malpoli réjouissant, et surtout à une mise en scène énergique, héritière directe des maîtres de la japanimation. Généreux et dynamique, ce Dofus a ainsi quelque chose de vivifiant. J. D.


Heidi

PAR PAOLA DICELLI

Jeune orpheline, Heidi est confiée à son grand-père, un vieil homme bourru qui vit dans les montagnes suisses. La fillette se fait rapidement à sa nouvelle vie et rencontre Peter, un berger de son âge avec qui elle passe ses journées. Mais, par souci de lui offrir une éducation convenable, sa tante l’arrache à ce milieu pour la confier à une riche famille de Francfort. Heidi est confrontée à un dilemme : retourner auprès de son grand-père ou rester à la ville et s’élever socialement. Alain Gsponer propose une version fidèle mais approfondie du roman de Johanna Spyri, qui n’a pas subi d’adaptation cinématographique majeure depuis celle de Luigi Comencini en 1952. Le réalisateur creuse le caractère anticonformiste de Heidi, qui tient tête aux adultes, modernisant ce mythe de la littérature jeunesse. d’Alain Gsponer avec Anuk Steffen, Bruno Ganz… Distribution : StudioCanal Durée : 1h51 Sortie le 10 février Dès 8 ans

et aussi

FESTIVAL

CINÉMA

Pendant les vacances d’hiver, le Forum des images propose sa neuvième édition du festival Tout-petits cinéma. Des films burlesques de Charlie Chaplin ou de Laurel et Hardy, des ateliers, des ciné-concerts et des dessins animés, tous d’une durée de trente à cinquante minutes, visent à initier les très jeunes enfants au septième art. Pour finir sur une note gourmande, un goûter est proposé à l’issue de chaque séance de l’après-midi. P. D. Tout-petits cinéma

Les Chipmunks sont de retour. Dans ce road trip entre Los Angeles et Miami, Alvin et ses deux frères veulent empêcher leur père adoptif de demander sa petite amie en mariage, par peur d’être abandonnés… Si ce quatrième volet suit sagement le sillage des précédents, certaines scènes valent le détour, comme celle où les Chipmunks se lancent dans une reprise du Uptown Funk de Bruno Mars. P. D. ALVIN ET LES CHIPMUNKS

au Forum des Images du 20 au 28 février Dès 18 mois

de Walt Becker Animation Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h32 Sortie le 3 février Dès 4 ans


© richard dumas

cultures LIVRES / BD

Roulette russe JOURNAL

Bayon, l’ex-rock critic de Libé, sort son journal de jeunesse. Un livre inclassable, aux frontières de l’autoanalyse et du poème en prose. PAR BERNARD QUIRINY

On reconnaît tout de suite les livres de Bayon. À cause de leur langue, déjà : ce style sinueux, arythmique, inimitable, truffé d’assonances et d’adjectifs improbables. À cause de leur statut bizarre, aussi : ils ne ressemblent à rien, ils ne relèvent d’aucun genre. Bayon travaille toujours aux confins de l’auto­ biographie, du roman, de la confession ; ses livres sont des objets non identifiés, non identifiables. À preuve, ce nouvel opus, exhumé d’un tiroir obscur : Roulette russe, sous-titré Journal d’un jeune homme perdu. Il s’agit de notes prises au début des années 1980, pendant les quelques semaines où Libération, employeur de Bayon à l’époque, avait cessé de paraître, pour renaître après l’élection de François Mitterrand. Bayon, 30 ans, habite alors sous les toits de la rue Germain-Pilon, dans un immeuble où vécut André Héléna, auteur de polars oublié, « mort de cirrhose et né de travers ». Son humeur de l’époque ? « Neurasthénie. Atonie. Stupeur. Torpeur. Insensibilité. Hypersensibilité. Fatigue. Fourbu. Nuque lourde. Sanglots de rêve. Larmes en dormant. Je me réveille en pleurant et cela me fait pleurer. » Bashung, Joy Division, Willy DeVille, Elvis Presley tournent sur la platine ; Proust, Céline et Kafka s’entassent près du lit. Dans ses carnets, Bayon consigne des saynètes, des angoisses, des coucheries, des

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sorties, sans dates ni continuité ; ce n’est pas un tableau d’époque, encore moins un exercice de name-dropping (la plupart des noms sont réduits à des initiales) : plutôt une peinture intérieure, une introspection sur fond de new-wave, de romantisme noir et de revues littéraires. On dira de ce magma de fragments qu’il est étrange, hermétique, parfois cryptique. Mais c’est précisément son obscurité qui fait son charme, et qui l’élève au rang d’une mythologie : il faut le prendre comme il se donne, un document brut livré tel quel, dans son jus. Même, il faut le regarder comme un poème en prose, une collection d’éclats (certains fragments contiennent un seul mot, comme une stèle) remplis d’aphorismes, proches de paroles de chanson. « J’ai horreur de ma nature qui a horreur du plaisir dont je suis avide par peur d’un vide pire » : ça sonne, non ? Bancal, opaque, ce texte improbable et lumineux est l’autoportrait d’un obsessif déprimé, tiraillé entre l’envie d’en finir et l’envie d’avancer. « 30 ans, dit-il, dans une de ces phrases ambiguës dont il a le secret, ce devrait être l’âge des nouveaux départs. Des départs tout courts. » Roulette russe. Journal d’un jeune homme perdu de Bayon (Pauvert)

février 2016


sélection Par b. q.

INFINI. L’HISTOIRE D’UN MOMENT

LE GÉANT

de Gabriel Josipovici

de Stefan aus dem Siepen

Le narrateur interroge Massimo, l’ancien majordome du compositeur Tancredo Pavone. Il l’a fréquenté dans l’intimité, a connu ses lubies, ses visions, l’a entendu disserter sur la musique. « Chaque son est une sphère, disait-il. C’est une sphère, et chaque sphère a un centre. Il faut toujours s’efforcer d’atteindre le cœur du son. » Un Docteur Faustus moderne, si l’on veut, à la fois philosophique et comique, qui s’inspire de la vie du compositeur italien Giacinto Scelsi.

Dans une ville imaginaire d’Allemagne, Tilman n’arrête plus de grandir. À 17 ans, il dépasse les deux mètres. Ses voisins le regardent avec méfiance, sa petite amie l’abandonne. Mais bientôt son handicap se transforme en gloire : la télévision s’intéresse à lui, il devient célèbre… Une fable sobre et bien troussée sur la différence, aux allures de conte philosophique, par l’auteur de La Corde, traduit voici deux ans et publié par le même éditeur.

(Quidam Éditeur)

LE REMPLACEMENT

(Écriture)

L’ÉTÉ ARCTIQUE

de François Garcia

de Damon Galgut

Jeune interne bordelais dans les années 1970, le Dr Lorca remplace un confrère dans les marais vendéens. Immergé dans ce bout de France rurale et archaïque, il note dans ses carnets les scènes burlesques auxquelles il assiste… François Garcia signe un beau « roman de médecin » au style célinien en diable, enrichi d’une peinture évocatrice de l’atmosphère politique des années 1970, des utopies contestataires au giscardisme triomphant.

Après plusieurs succès, E. M. Forster, la trentaine, s’embarque pour les Indes. Il passera une dizaine d’années à voyager, multipliant les expériences et affirmant peu à peu son identité, lui qui a toujours eu peur de s’affirmer clairement homosexuel… Le romancier sud-africain Damon Galgut suit son héros à la trace au fil de ces années décisives, dans un beau roman biographique où manque, parfois, un angle de vue un peu personnel.

(Verdier)

(Éditions de L’Olivier)


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Pelote dans la fumée

sélection PAR S. B.

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

LES GRANDS PEINTRES. VAN GOGH

LES CAHIERS D’ESTHER

(Glénat)

(Allary Éditions)

de Michel Durand

Avec ce second tome, Miroslav Sekulic conclut sa fresque dickensienne sur une jeunesse passée en Croatie. Il en profite pour enrichir son esthétique unique et s’affirmer comme l’un des auteurs les plus intéressants de ces dernières années. Rien n’est commun dans cette bouleversante épopée d’un garçon ballotté entre ses deux parents et un orphelinat, dans un pays en pleine reconstruction. Ce qui étonne notamment, à la lecture de ce second volume, c’est la manière dont l’auteur resserre le cadre autour des personnages. Après avoir enchanté les lecteurs avec ses paysages urbains fourmillants de détails, Sekulic multiplie désormais les gros plans sur les visages. Il faut dire que le récit se prête à un tel changement : Pelote, le héros, quitte l’institution pour retourner vivre avec sa mère. Aux rues magnifiées dans lesquelles se promenait l’orphelin vagabond du premier volume répond désormais l’intérieur d’une maison familiale idéalisée. Évidemment, le rêve se délite, la réalité reprend le dessus, et les enfants retournent dans la rue. Le drame est pourtant toujours contenu, pondéré même par le dessin carnavalesque et la mise en scène ténue des relations humaines. Nul coupable, tous victimes, tel est le sentiment qui traverse ce très long chapitre d’hiver et cristallise plus violemment encore l’échec de la famille dans les quelques pages finales du printemps. Les cadrages serrés, les visages hors champs, le bord des cases exagérément ondulé et la verdure baignée de lumière soulignent alors cruellement l’impossibilité de cette vision enchanteresse, et pourtant si simple, de quatre personnes vivant heureuses sous le même toit. Pelote dans la fumée. T 2. L’hiver / le printemps de Miroslav Sekulic, traduit du serbo-croate par Aleksandar Gruji i (Actes Sud BD)

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Rares sont les bandes dessinées pédagogiques ambitieuses sur le plan esthétique. Il fallait bien l’intelligence d’un Michel Durand pour transcender l’exercice. La beauté plastique de cette biographie de Vincent Van Gogh saute aux yeux : paysages torturés et couleurs contrastées, stylisation de la ligne et gestes pleins d’énergie. Une ode à la peinture intelligemment mise à distance grâce aux outils de la bande dessinée.

LOW. T 1. L’IVRESSE DE L’ESPOIR

de Rick Remender et Greg Tocchini (Urban Comics)

Dans le futur, l’humanité a envoyé une multitude de sondes dans l’espace pour découvrir d’autres planètes habitables, la Terre étant menacée par l’expansion du soleil. L’attente se fait longue et l’espoir d’un possible retour s’est éteint, sauf chez une mère de famille qui s’obstine à faire le guet chaque jour… Le mélange de SF et de drame familial qui caractérise l’œuvre de Rick Remender fonctionne ici à plein.

février 2016

de Riad Sattouf Riad Sattouf maîtrise pleinement son style et son univers. Avec Les Cahiers d’Esther, il ajoute une nouvelle touche à sa peinture de la société française dont il dénonce, avec humour et intelligence, la culture populaire et, plus encore, les faux-semblants qui lui permettent de fonctionner. C’est la naïveté du regard d’une fillette à la lisière de la préadolescence qui lui sert cette fois-ci de prisme.

UNDERWATER. T 1. LE VILLAGE IMMERGÉ

de Yuki Urushibara (Ki-oon)

Ce conte moderne est baigné par l’atmosphère d’un Japon bucolique restitué à la plume et au lavis. Le vent qui glisse entre les feuilles et les clapotis de l’eau rythment la promenade onirique d’une jeune femme qui se réveille dans un étrange village après s’être évanouie de déshydratation. Les amateurs de l’œuvre de Jirō Taniguchi, comme ceux des dessins animés de Hayao Miyazaki, devraient trouver ici une lecture idoine.


cultures SÉRIES

COMÉDIE ROMANTIQUE

En partie créée et produite par Judd Apatow, cette chronique fine et touchante d’une relation amoureuse chaotique bouscule avec beaucoup d’humilité les codes de la comédie romantique.

LE CAMÉO

PAR GUILLAUME REGOURD

© netflix

Hillary Clinton dans Broad City

personnages, pétris de travers et de névroses, peuvent heureusement compter sur une indéfectible bienveillance de la part des créateurs du show, Paul Rust, Judd Apatow et Lesley Arfin (une des scénaristes de Girls). À la manière de ce que réussit depuis deux saisons You’re the Worst sur la chaîne FXX, Love et son histoire d’amour non conventionnelle, abordée avec le parfait dosage d’insolence et de sincérité, réinjectent une once de spontanéité – et même de réalisme – bienvenue dans le genre surcodifié de la comédie romantique. La charmante surprise de ce début d’année. Saison 1 disponible en intégralité sur Netflix le 19 février

sélection

TREPALIUM La crise de l’emploi au cœur d’une série d’anticipation ? Avec Trepalium et son futur dans lequel 80 % de la population est au chômage et vit confiné derrière un mur, Arte s’engouffre dans la voie ouverte sur son antenne par la série suédoise Real Humans. Une encourageante tentative française de science-fiction sociale. Saison 1 sur Arte

PAR G. R.

KINGDOM Trousser un beau drame familial sur fond de pratique professionnelle du mixed martial arts n’était pas gagné d’avance. Rudement bien écrite et jouée (les révélations Jonathan Tucker et Nick Jonas, rescapé des Jonas Brothers), sobre et intense, Kingdom ferait presque penser par moments au monument Friday Night Lights. Saison 2 sur OCS

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Quitte à l’imaginer en guest-star à la télé, on l’aurait plutôt vue dans la série politique Madam Secretary, dans laquelle l’ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright a récemment fait une apparition. Plus punk, Hillary Clinton fait passer sa campagne par la très potache et délurée Broad City. La candidate déclarée aux primaires démocrates apparaîtra dans la saison 3 qui débute le 17 février aux États-Unis. On est curieux de découvrir par quel imbroglio elle sera amenée à croiser à l’écran la route d’Abbi et Ilana, les héroïnes joyeusement loseuses de la série. G. R.

SHOW ME A HERO Cette minisérie signée David Simon (The Wire, Treme) retrace le vrai combat du maire Nick Wasicsko (Oscar Isaac, éblouissant) pour faire bâtir des HLM dans les quartiers blancs de sa ville de Yonkers (New Jersey) entre 1987 et 1994. De la grande télé, politique, implacable et rageuse, sublimée par la musique de Bruce Springsteen. En DVD chez HBO

© arte ; d.r. ; hbo

« Tu es un drôle de petit bonhomme », constate, hilare, Mickey (Gillian Jacobs, vue dans Community), dans l’un des premiers épisodes de Love, en partageant un joint avec celui qu’elle vient tout juste de rencontrer. Derrière l’amusement se lit déjà chez la jeune femme un embryon d’attirance pour la bouille de gamin intello de Gus (adorable Paul Rust). Mais entre eux, c’est écrit, rien n’ira de soi. L’histoire classique… Oui, et pourtant, la manière dont leur marivaudage ne cesse de dérailler finit, à la longue, par nous serrer le cœur. Âmes sœurs, Mickey et Gus sont d’abord deux âmes en peine, terrifiées à l’idée de se retrouver seules. Ces deux très beaux

© patrick t. fallon / bloomberg via getty images

Love


Steve McQueen, Remember Me, 2016 (detail)

© courtesy de l’artiste et de marian goodman gallery / crédit photo: rebecca fanuele

cultures ARTS

Steve McQueen EXPOSITION

Réalisateur de Hunger, Shame et 12 Years a Slave, Steve McQueen est aussi (et d’abord) un artiste de renommée internationale. Remarquée cet été à la biennale de Venise, sa dernière installation vidéo est présentée à Paris. PAR ANNE-LOU VICENTE

« Remember me », peut-on lire sur chacun des soixante-dix-sept néons qui recouvrent un mur entier de la galerie Marian Goodman, reprenant l’écriture manuscrite d’autant de personnes. Un appel au souvenir, pluriel et anonyme, qui résonne a posteriori avec l’installation filmique Ashes présentée au sous-sol. Scindant l’espace en deux, un écran suspendu montre d’un côté les images du jeune Ashes qui, jouant avec l’objectif de la caméra, se tient, éclatant de fougue et de beauté, à la proue d’un bateau au large de la mer des Caraïbes. Tournées en Super 8 par le chef opérateur Robby Müller et restées dans les rushes inutilisés d’une autre œuvre de Steve McQueen datant de 2002 (Carib’s Leap), ces images furent ressorties de l’ombre lorsque l’artiste, revenu sur l’île de la Grenade huit ans plus tard, apprit la disparition brutale de leur protagoniste, tué par balles pour avoir trouvé de la drogue sur la plage. L’autre côté de l’écran montre l’envers de ces images qui, dans un violent contraste, vient en éclairer toute la portée dramatique : à l’impression de liberté et de bonheur à perte d’horizon s’opposent l’austérité et la petitesse

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de l’ultime demeure d’Ashes, dont McQueen filme les étapes de construction. En off, on entend les voix de deux de ses amis qui font le récit de sa mort tragique, retranscrit et imprimé sur un poster reprenant une image tirée de la vidéo, que chacun est invité à emporter avec soi. Une manière simple de faire circuler cette histoire qui trouve un écho malheureux avec tant d’autres destins individuels prématurément brisés, d’en perpétuer le souvenir. Apparaissant comme une métaphore, Broken Column consiste en un ensemble de deux sculptures figurant une colonne cassée érigée sur un piédestal, l’une en granit noir du Zimbabwe, l’autre, tel un modèle réduit enfermé dans une cage de plexiglas, en Perspex. À même le sol du petit espace jouxtant l’entrée de la galerie reposent deux imposantes pierres recouvertes de feuilles d’argent : une parure captant la lumière que McQueen pose, en même temps que son regard – et a fortiori le nôtre –, sur ces morts perdus dans les limbes de la mémoire collective. Souvenez-vous. jusqu’au 27 février à la galerie Marian Goodman

février 2016


agenda PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

JUSQU’AU 2 AVR.

Richard Serra, Ramble 4-22, 2015 RICHARD SERRA On les attendait… Montrés à New York l’année dernière, les dessins de Richard Serra arrivent pour la première fois en France. Point de volume ni de minimalisme monumental métallique, mais une série fabuleuse au crayon lithographique et à la poudre de pastel. Délicate et légère, mais non volatile. à la galerie Gagosian

© richard serra. photography by robert mckeever. courtesy gagosian gallery.

DU 4 FÉV. AU 20 MARS

CLAUDINE DOURY En 2012, la photographe Claudine Doury avait présenté en ce même lieu une série (Sasha) dédiée au passage de l’adolescence à l’âge adulte. Elle file à nouveau ce thème à travers une galerie de portraits (L’Homme nouveau) réalisés à Saint-Pétersbourg. Même force des regards. Même présence des corps. Une vraie belle réussite. à la galerie Particulière

DU 5 AU 27 FÉV.

Dorothée Smith, série Spectrographies, 2015 DOROTHÉE SMITH Spectrographies & TRAUM est la deuxième

exposition de Dorothée Smith. Teints diaphanes, lumières denses et pâles, visages pris dans des halos : autant de signatures visuelles fortes qui ont fait des photographies de cette ancienne élève du Fresnoy-Studio national des arts contemporains de véritables icônes de notre époque.

à la galerie des Filles du Calvaire

DU 9 FÉVR. AU 22 MAI

HELENA ALMEIDA La grande artiste contemporaine portugaise s’expose au Jeu de Paume avec cette première rétrospective sur le sol français. On découvre une œuvre qui, des années 1960 (qui ont vu naître sa carrière conceptuelle) à aujourd’hui, unit le corps de l’artiste à ses créations. Sa peinture (bien souvent mêlée à la photographie), ses vidéos et ses dessins émergent toujours d’un geste fort qui les imprègne en profondeur. au Jeu de Paume

DU 13 FÉV. AU 30 AVR.

MATÉRIALITÉ DE L’INVISIBLE NEARCH, ça ne vous dit rien ? C’est pourtant un beau projet, initié en partie par la Commission européenne pour sensibiliser le public à l’archéologie par le biais de l’art contemporain. Le Centquatre présente une exposition délicate qui regroupe des œuvres de dix artistes plus ou moins établis, d’Anish Kapoor à Hicham Berrada. Tréfonds et soubassements au rendez-vous. au Centquatre


cultures SPECTACLES

agenda © sebastien gosset

DANSE

Rachid Ouramdane PAR ÈVE BEAUVALLET

Chorégraphie de l’urgence et de la précipitation, Tenir le temps de Rachid Ouramdane embarque seize danseurs dans une course infernale. Qui est responsable ? Qui est coupable ? Quel est l’événement initial à partir duquel s’est constituée la chaîne de catastrophes ? Est-il si infime qu’on ne peut le saisir à l’œil nu ? Et quand bien même désignerait-on les causes, serait-il encore temps d’enrayer le mouvement effréné de la machine infernale ? Ceci n’est pas la quatrième de couv d’un essai politique sur le capitalisme mondialisé. Ce sont les questions qui transparaissent, comme en décalque, du plateau de Tenir le temps, chorégraphie pour seize danseurs dans laquelle Rachid Ouramdane décline sur le mode allégorique le rythme propre aux sociétés globalisées. Il prend pour modèle un film réalisé en 1988 par le tandem Peter Fischli et David Weiss, Le Cours des choses, dans lequel une explosion vient faire rouler un pneu, qui percute une planche, qui, à son tour, vient renverser une bouteille d’acide. A contrario de la veine documentaire à laquelle s’est précédemment attaché le chorégraphe, Tenir le temps joue ainsi sur des principes de réaction en chaîne et d’effet domino, selon une composition mathématique minimaliste en étroit dialogue avec Anne Teresa De Keersmaeker et son compositeur fétiche Steve Reich, à ceci près que les corps, ici, réagissent plus qu’ils n’agissent. Les habitués du travail d’Ouramdane s’étonneront donc de le voir engagé dans pareil exercice de style. Mais ils reconnaîtront que cette embardée dans les confins de l’abstraction lui sert aussi à prolonger autrement sa grande question : comment vivre ensemble sans bouger à l’unisson ? du 15 au 17 février au Théâtre de la Ville

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JUSQU’AU 5 MARS

FILLS MONKEY Un look 100 % Guerre des boutons, un héritage à chercher du côté des Marx Brothers, une maîtrise virtuose des percussions, des remixes de Rage Against the Machine… Voici pour les atouts séduction des deux clowns batteurs de Fills Monkey qui vivent depuis quelques années une success story mondiale avec leur « humorythmique » Incredible Drum Show. à L’Européen

DU 4 AU 20 FÉV.

BRIGITTE JAQUES-WAJEMAN La destruction des bouddhas en Afghanistan, celle de la cité antique de Palmyre, le culte de la mort observé chez les jeunes kamikazes de l’E.I.… La passionnante metteure en scène Brigitte Jaques-Wajeman nous interroge : et si c’était Corneille qui offrait, dans Polyeucte, tragédie de la passion religieuse, le contrechamp le plus troublant à l’actualité ? au Théâtre des Abbesses

DU 15 AU 19 FÉV.

PHILIPPE QUESNE Les créations de Philippe Quesne, metteur en scène poético-écolo et directeur du Théâtre des Amandiers, se déroulent généralement à partir du titre. Celui de sa nouvelle création, Caspar Western Friedrich, agit donc

février 2016

comme le meilleur des teasers : une épopée intime et paysagère entre la mythologie du western et les énigmes existentielles de la peinture romantique allemande.

au Théâtre des Amandiers (Nanterre)

DU 5 AU 20 FÉV.

JÉRÔME BEL En 2004, pour l’Opéra de Paris, le chorégraphe français créait une pièce devenue iconique de la danse documentaire, Véronique Doisneau. Il revient aujourd’hui dans l’institution pour créer Tombe, avec les danseurs Sébastien Bertaud, Grégory Gaillard et l’étoile Benjamin Pech, qui fera ses adieux officiels à la scène le 20 février. à l’Opéra Garnier

DU 16 AU 20 FÉV.

© pierre grosbois

© patrick imbert

PAR È. B.

PAULINE BUREAU Pas encore tout à fait personnel, mais charmant, inventif… et c’est une raison suffisante pour se réjouir du théâtre fabriqué par la jeune metteure en scène Pauline Bureau (soutenue par le Théâtre du Rond-Point), qui signe avec Sirènes une fantasmagorie psychanalytique, une enquête généalogique à partir du conte d’Andersen La Petite Sirène.

au Théâtre Romain-Rolland (Villejuif)


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cultures JEUX VIDÉO

JEU DE TIR TACTIQUE

Tom Clancy’s Rainbow Six. Siege Ancienne gloire des années 1990, Rainbow Six renaît de ses cendres avec un nouvel épisode dédié au mode multijoueur. Le résultat : une démonstration d’ingéniosité et de tension collective.

L’EXPÉRIENCE DU MOIS

PAR YANN FRANÇOIS

THE PARK

(Funcom/PC)

Rainbow Six fait peau neuve. Finies les intrigues géopolitiques et complotistes, la saga antiterroriste créée et scénarisée par Tom Clancy se tourne désormais vers la compétition en mode multi­joueur. Deux camps, partageant un même objectif (une zone à sécuriser, un otage à exfiltrer, une bombe à désamorcer…), s’affrontent dans des environnements fermés (maison, hôtel, ambassade…). Le concept est limpide ; les règles, strictes (une balle, un mort) ; et la coopération, obligatoire. Pour gagner, les joueurs doivent diversifier leur approche (par les toits, la cave…) et coordonner leurs actions pour assiéger – ou repousser – l’équipe adverse. La

bonne idée du jeu est de lier cette liberté tactique à l’exploitation du décor, entièrement destructible. Il est ainsi possible – et même recommandé – de perforer certaines cloisons pour s’en servir comme d’un judas ou d’une meurtrière, voire de placer une charge explosive sur un mur pour déloger un adversaire retranché derrière celui-ci. Cette trouvaille géniale (le décor peut autant servir de bouclier que permettre d’exercer une pression psychologique sur l’ennemi) donne un nouveau souffle épique au jeu multijoueur. Elle devrait faire date. Tom Clancy’s Rainbow Six Siege (Ubisoft/PS4, One, PC)

sélection JUST CAUSE 3

(Square Enix/PS4, One, PC)

Le mercenaire Rico Rodriguez reprend les armes. Son objectif, cette fois, est d’abattre la dictature qui règne sur son archipel natal, quitte à semer le chaos et la destruction sur son passage… Pour sa troisième mouture, Just Cause ne bouleverse pas sa formule initiale, mais la rend encore plus spectaculaire et régressive. C’est largement suffisant.

PAR Y. F.

YAKUZA 5

PERSONA 4. DANCING ALL NIGHT

(Sega/PS3)

Plus qu’un simple jeu de gangsters, Yakuza fait le portrait, sans concession ni pathos, du Japon moderne et de ses habitants. Ce nouvel épisode, qui propose cinq lieux (dont le fiévreux quartier de Shinjuku) et autant de personnages, est une épopée criminelle digne des plus grandes fresques romanesques.

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Une mère cherche désespérément son enfant dans un parc d’attractions abandonné. Pour le retrouver, elle doit passer par des manèges, qui, une fois qu’ils se sont enclenchés, réveillent un douloureux souvenir de son passé familial… Avec son ambiance poisseuse et freudienne, The Park commence comme un jeu d’horreur, pour se clore sur un portrait trouble de la maternité et de ses psychoses. L’expérience ne fait pas dans la subtilité, mais elle ressemble à son décor : une vraie montagne russe émotionnelle. Y. F.

février 2016

(Atlus/PS Vita)

Pour tous les fans de Persona 4, ce spin-off fait l’effet d’un cadeau indispensable. Si les combats sont remplacés par des chorégraphies, Dancing All Night conserve heureusement l’ADN de son œuvre mère : une narration passionnante, des personnages bouleversants, au service d’un incroyable portrait de jeunesse.


4 perles indés par Y. F.

DARKEST DUNGEON

(Red Hook Studios/PC)

Un groupe d’aventuriers s’en va écumer une série de donjons mal famés et remplis de trésors. Jusqu’ici, que du classique, à un détail près : Darkest Dungeon n’est pas là pour nous divertir, mais pour nous faire souffrir. Engagés dans des combats d’une difficulté hallucinante, nos héros sont à deux doigts de sombrer dans la folie suicidaire. L’exercice est rude, d’une noirceur dérangeante, mais il devient vite hypnotique pour qui parvient à en venir à bout.

HARD WEST

(CreativeForge/PC)

S’il recycle tous les codes du western, Hard West sait les renouveler par son gameplay finement huilé. D’un côté, le scénario permet de faire des choix pouvant, comme un « Livre dont vous êtes le héros », modifier la narration. De l’autre, chaque fusillade se joue comme une guerre de tranchées dans laquelle il faut savoir profiter du moindre élément du décor pour terrasser l’ennemi. Bercé par une bande-son digne d’Ennio Morricone, Hard West a de quoi ravir les stratèges en quête d’exotisme.

STEAMWORLD HEIST

(Image & Form/3DS)

Dans une galaxie lointaine, des gangs de robots pirates se font la guerre. À la tête d’une de ces bandes, nous partons à l’abordage de plusieurs vaisseaux et affrontons leur équipage dans des duels au tour par tour. La résistance de nos mercenaires étant limitée, il nous faut calculer au millimètre chaque trajectoire de tir pour le rendre fatal. S’il n’invente pas la poudre, SteamWorld Heist réserve suffisamment de challenges et de bonnes surprises pour nous tenir en haleine.

NUCLEAR THRONE

(Vlambeer/PC, One, PS4)

Dans un monde apocalyptique, un mutant doit survivre dans des labyrinthes remplis de bandits irradiés. Chaque niveau lui permet de muter à un stade supérieur, de gagner de nouveaux pouvoirs ou de débloquer un nouveau compagnon. Si Nuclear Throne affiche un minimalisme trompeur, la sensation que procurent ses combats est tellement frénétique qu’on se trouve tout de suite happé par son univers punk. Quant à son mode coopératif à deux joueurs, il est plus que recommandé.


cultures FOOD

TENDANCE

Tables de multiplication La table est plus que jamais le lieu du vivre-ensemble. À Paris, on trouve de plus en plus d’endroits où les assiettes se partagent. PAR STÉPHANE MÉJANÈS

© alexandre ubeda

© fred jagueneau

ARGENTIN

Il a ouvert mi-décembre 2015, sans faire de bruit. Simon Horwitz a mûri sa première adresse avec l’intelligence du bon élève jamais vraiment sûr de lui mais que le doute ne paralyse pas. Dans le quartier qui aurait dû accueillir la Jeune Rue, il propose une cuisine tout sauf tapageuse. Formé par les meilleurs, Jacques Chibois, Sylvestre Wahid, Pierre Gagnaire et Bertrand Grébaut, le jeune chef de 32 ans a aussi bourlingué en Australie et en Amérique du Sud, côtoyant les stars de la gastronomie mondiale, Ben Shewry ou Virgilio Martinez. Il en est revenu avec la conviction que la cuisine est un langage universel et qu’une assiette, ça se partage. Dans ses rôtissoires, il bichonne

de belles pièces de viande (formidable cochon du Ventoux) ou de volailles (cane mi-sauvage ou canette de Challans), à dévorer à deux, trois ou quatre. On peut aussi partager les entrées (divine huître, concombre et laitue de mer) et les desserts (superbe pomme réglisse, oseille et calvados). La salle est vaste, lumineuse, le bois y domine, réconfortant. Et dans les verres, le malicieux Sébastien Perrot verse des breuvages de vignerons respectueux de leur terre. Elmer est un éléphant, mais ici il a le pas léger. Plat du jour, le midi : 18 €. Carte : environ 45 €. Elmer 30, rue Notre-Dame-de-Nazareth – Paris IIIe Tél. : 01 43 56 22 95

plus on est de fous… UPTOWN Façade bleue, déco de briques et de bois, on doit ce nouveau bistrot du XVIIIe à trois potes trentenaires et au chef Fabrizio Guerrini, ex-Agapé. Dans les assiettes à faire tourner (de 8 à 15 €), on a repéré le homard poché au jus de pommes ou le minestrone de perdreau fumé au thym. Mais ça change tout le temps, alors allez voir. 18, rue Francoeur – Paris XVIIIe Tél. : 01 84 05 62 79

LA MANGERIE Cette adresse planquée du Marais (elle existe aussi en riquiqui rue de Bretagne) s’est agrandie façon speakeasy derrière une fausse armoire. Poulet cacahuète, saumon à l’avocat et basilic, ou mi-cuit d’espadon se déclinent pour plusieurs. Et le dimanche, c’est brunch avec les enfants (29 €, et 10 € pour les petits). Plats : entre 8 et 15 €. 7, rue de Jarente – Paris IVe Tél. : 01 42 77 49 35

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YOUR FRIEND, FERNANDO Fernando di Tomaso aurait pu en rester à la Pulperia, formidable cantine argentine ouverte en 2011. Après avoir fait ses armes dans de grandes maisons, le Crillon et le Royal Monceau, il n’avait pas raté son virage identitaire. Il vient de récidiver près du Cirque d’hiver avec Biondi. Au menu, les classiques empenadas et ceviche, mais aussi le cochon de lait et le poulpe à la braise. Le soir, on se partage des plats pour deux à cinq personnes. Vin nature et pisco sour en prime. Formule midi : 18 et 23 €. Menu dégustation : 45 €. S. M. Biondi 112, rue Amelot – Paris XIe Tél. : 01 47 00 90 18

PAR S. M.

MA COCOTTE Née de la rencontre entre le couple Amzalak et Philippe Starck, cette vaste néo-brasserie contribue depuis 2012 à la gentrification les Puces de Saint-Ouen. On y vient seul, entre potes ou en famille, pour mordre dans un poulet fermier de Challans passé à la broche (85 € pour quatre) ou dans une côte de bœuf (92 € pour deux ou trois). 106, rue des Rosiers (Saint-Ouen) Tél. : 01 49 51 70 00


cultures MODE

capsule

JUST A KISS À l’occasion de la Saint-Valentin, l’enseigne de lingerie française Princesse tam.tam s’est associée avec la créatrice de bijoux et d’accessoires pop et décalés Yazbukey pour une collection capsule plutôt alléchante. Intitulée « Just a Kiss », la minicollection comprend un sweat-shirt, deux petites culottes et un soutien-gorge triangle, tous imprimés de la fameuse bouche iconique de la griffe Yazbukey. R. S.

MAILLE

Montagut Ouverture de deux boutiques et lancement d’une collection capsule en collaboration avec l’artiste Benjamin Isidore Juveneton : la maison française fondée en 1880 et spécialisée dans la maille fine fait peau neuve.

exposition

Pour la petite collection qu’il a créée pour Montagut, Benjamin Isidore Juveneton, le plasticien et créateur du Tumblr « Adieu et à demain », a imaginé un motif rétro inspiré du moucha­ rabieh, sorte de grillage géométrique issu de l’architecture islamique, sur des silhouettes très modernes. « Il voulait une coupe moderne dans une matière rigide proche du sweat. On est parti sur du coton cachemire. Nous, à la base, on est plus dans la maille fine et fluide, mais l’idée c’était de changer, de dépoussiérer un peu la marque », confie la directrice artistique Marine LozetGros. La jeune femme a repris récemment les rênes de la maison familiale avec son frère pour tenter de la remettre en selle, dans le sillon des vieilles maisons françaises comme Carven ou Rodier. C’est qu’après son succès, dû notamment à l’invention du Fil Lumière

dans les années 1960 – un fil artificiel imitant la soie, dont le secret de fabrication est aussi bien gardé que celui du Nutella –, la maison ardéchoise s’était un peu endormie sur ses tricots. Surfant sur le grand retour de la maille, qui a la cote été comme hiver depuis plusieurs saisons, la maison tire son épingle du jeu en misant sur les belles matières (cachemire, laine mérinos, soie) et en diversifiant sa gamme de couleurs (vingt pour l’hiver 2015-2016) et de modèles. Avec le déménagement de sa boutique parisienne dans un plus grand espace, place du Marché-Saint-Honoré, et l’ouverture d’une deuxième boutique à SaintGermain-en-Laye à la rentrée 2015, il semblerait que Montagut file à nouveau un bon coton. Montagut 15, place du Marché-Saint-Honoré – Paris Ier www.montagut.com

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© 2015 karl lagerfeld

PAR RAPHAËLLE SIMON

KARL LAGERFELD Portraits de mannequins étudiés, autoportraits inspirés, séries de mode aux mises en scène aussi spectaculaires que les défilés que le Kaiser de la mode élabore pour Chanel (dont les dionysiaques Daphnis et Chloé et Le Voyage d’Ulysse), ou, plus inattendu, sérigraphies de paysages assez poétiques : les photographies de Karl Lagerfeld exposées à la Pinacothèque valent un petit détour par la place de la Madeleine ! R. S. « Karl Lagerfeld. A visual journey », jusqu’au 20 mars à la Pinacothèque


cultures PORTFOLIO

JÉRÉMIE NASSIF PAR QUENTIN GROSSET

D

epuis quelques années, l’œuvre du photographe Jérémie Nassif tourne autour du corps mouvant. On reconnaît ses portraits de danseurs par leur rendu évanescent, spectral. Les silhouettes, sculptées et fugitives, sont capturées selon un mode bien particulier : plusieurs couches de mouvements qui se superposent, un jeu sur le net et le flou, un noir et blanc granuleux qui donne une impression de fusain. Organisée à l’occasion de la sortie de son livre L’Instant expressif, sa nouvelle exposition, intitulée « Voltige », intègre toujours des danseurs. Dans des tons plus sombres qu’à son habitude, Nassif fait ressortir le caractère énigmatique de la création artistique. « Mes précédentes séries, inspirées par Richard Avedon, donnaient une impression de trait blanc sur fond blanc. Là, ce serait plutôt un trait noir sur fond noir », détaille l’artiste. Cette exposition met également en scène les chevaux de l’académie équestre de Versailles, dirigée par le grand écuyer et metteur en scène Bartabas. Nassif avait rencontré ce dernier sur le tournage de son film Mazeppa (1992), à l’époque où il était un jeune photographe de plateau. « Je me suis d’abord intéressé aux chevaux parce que Bartabas me l’a proposé. Ma technique induit d’utiliser le flash, et je pensais que cela leur ferait peur. Cela n’a pas été le cas. » Danseurs et chevaux se mêlent ainsi dans les mêmes gestes indistincts, la même animalité aussi. Pour le photographe, ce rapprochement s’impose finalement comme un prolongement naturel de son travail : « Les danseurs et les écuyers de l’académie équestre ont une vie quotidienne assez proche. Ce sont des gens qui recherchent le mouvement parfait. Heureusement, ils n’y arrivent jamais… » C’est toute la force des photos de Jérémie Nassif : de gestes fragiles, accidentés, il parvient toujours à tirer une certaine grâce.

L’Instant expressif de Jérémie Nassif (Éditions du Regard), disponible « Voltige » du 12 février au 26 mars à la galerie Sit Down et, dans un format monumental, du 10 février au 16 mars sur les façades du MK2 Bibliothèque

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pré se nte

OUVERTURE PLATEFORME DE LA CRÉATION ARCHITECTURALE La Cité de l’architecture et du patrimoine a ouvert un nouvel espace, la Plateforme de la création architecturale. Parallèlement aux expositions, celui-ci a pour mission d’éclairer le public sur les enjeux des différentes pratiques contemporaines de l’architecture, notamment en organisant des rencontres sur les thèmes de la métropole et du logement. O. B. G. saison 1 jusqu’au 20 mars à la Cité de l’architecture et du patrimoine

© d. r.

© gabriel de la chapelle

DANSE

EXPOSITION

AI WEIWEI Sous le titre « Er Xi. Air de jeux », l’artiste chinois Ai Weiwei expose au Bon Marché une série de cerfs-volants monumentaux en bambou et papier de soie blanc créés pour l’occasion.

jusqu’au 20 février au Théâtre national de Chaillot

de toute forme de pouvoir établi, comme la photographie d’un doigt d’honneur à la place Tian’anmen issue de la série Étude de perspective (1995-2003), celle où on le voit laisser tomber une authentique urne de la dynastie des Han (1995), ou plus récemment l’installation Straight (des tonnes de barres d’acier déformées par le séisme du Sichuan en 2008) visant à dénoncer le silence des autorités lors du tremblement de terre… Plus apaisé, « Er Xi. Air de jeux » résonne malgré tout comme un appel au voyage et une ode à la liberté : dressant un pont entre l’Orient et l’Occident, Ai Weiwei nous invite à entrer dans son fabuleux bestiaire chimérique. jusqu’au 20 février au Bon Marché Rive Gauche

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CONCERT

© umberto nicoletti

PAR PAOLA DICELLI

Dès le hall d’entrée du grand magasin parisien, on fait face à un impressionnant dragon, symbole en Chine de force et de réussite. Mais le plus imposant reste à venir… Suspendues à la verrière, vingt-deux créatures sorties tout droit de la mythologie chinoise surplombent le rayon parfumerie. Il faut monter au premier étage pour mesurer l’ampleur du dispositif. Poissons à dix corps, oiseaux à pieds humains, serpents chanteurs ou truies à huit pattes font basculer l’ambiance frénétique du magasin dans une atmosphère aérienne et voluptueuse. Indéniablement, on est loin de l’esprit contestataire et provocateur des œuvres qui ont fait la renommée de l’artiste dissident, grand défenseur de la liberté d’expression et grand détracteur

CAROLYN CARLSON La grande chorégraphe pose ses valises à Chaillot où cinq de ses plus fameuses créations sont interprétées par sa compagnie : Seeds (retour à la terre), Density 21.5, Dialogue with Rothko, Double Vision et Pneuma. S’adressant aux plus jeunes comme aux adultes, son œuvre s’impose comme une série de tableaux vivants dans lesquels se mêlent la danse, les arts plastiques et la poésie. O. B. G.

KATIA ET MARIELLE LABÈQUE En 2013, les sœurs Katia et Marielle Labèque ont enregistré Four Movements for Two Pianos de Philip Glass. Fidèles au compositeur américain, les deux pianistes proposent cette fois-ci la création française de son Concerto pour deux pianos. Accompagnées par l’orchestre de Paris sous la direction de Jaap van Zweden, elles poursuivent leur programmation en interprétant l’intense et glorieuse Symphonie no 5 de Dmitri Chostakovitch. P. D. les 9 et 10 mars à la Philharmonie de Paris


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L’actualité DES salles CONFÉRENCES

L’ART ET LA MANIÈRE Morgane Pfligersdorffer et Laure Benacin, les fondatrices de l’agence Des Mots et des Arts, n’ont qu’une idée en tête : rendre l’art accessible à tous. Elles nous ont reçu dans leurs locaux du Xe arrondissement pour nous parler des deux cycles de conférences (« Du Moyen Âge au xxe siècle » et « Les plus beaux musées du monde ») qu’elles organisent en association avec les salles MK2. PROPOS RECUEILLIS PAR PAOLA DICELLI

uels ont été vos parcours respectifs ? Morgane Pfligersdorffer : J’ai étudié pendant cinq ans l’histoire de l’art à l’université, puis j’ai travaillé à la galerie Daniel Templon, avant de créer, il y a trois ans, Des Mots et des Arts. Laure Benacin : J’ai d’abord fait l’ESSEC, avant de travailler quelque temps dans la finance. Mais j’ai eu envie de développer une entreprise partenariale un peu plus personnelle. Je connaissais Morgane depuis vingt ans, et son projet m’a plu. Comment est né Des Mots et des Arts ? m. p. : Du constat que les gens étaient un peu démunis devant les œuvres, surtout d’art contemporain. Il n’existait pas de propositions d’activités individuelles autour de l’art. L’idée était donc de mettre en relation des historiens et un public aussi bien amateur que néophyte.

©mélanie desriaux

Les cours d’histoire de l’art dispensés au MK2 Grand Palais ont rencontré un succès tel qu’ils se poursuivent en 2016, également au MK2 Hautefeuille. Vous attendiez-vous à un si grand intérêt du public ? m. p. : Les salles MK2 ont une capacité de cent quatre places. On ne pensait pas que ce serait complet. L. B. : Mais on était quand même conscientes de répondre à une attente du public, avec un programme qui, tout en étant pointu, vulgarise l’art.

Morgane Pfligersdorffer et Laure Benacin

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Le second cycle, qui se déroule dans différentes salles MK2, est consacré aux plus beaux musées du monde. L. B. : L’idée était de proposer au public, le temps de la pause déjeuner, de découvrir un grand musée.

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©mélanie desriaux

L’actualité DES salles

« C’est un programme qui, tout en étant pointu, vulgarise l’art. » Laure Benacin

Il y a d’abord une introduction sur le lieu et sur la façon dont il s’inscrit dans la ville. La seconde partie se concentre sur les collections. C’est intéressant de savoir dans quel musée du monde on va pouvoir observer telle ou telle œuvre. m. p. : Quand ils partiront en voyage, les gens pourront prévoir la visite d’un musée en ayant quelques connaissances sur les œuvres qui y sont exposées. L’art souffre souvent d’un préjugé élitiste. Quelles sont vos méthodes pour le rendre accessible ? m. p. : Le discours des intervenants est primordial, parce qu’il doit parler au plus grand nombre. L. B. : On remet aussi une fiche de synthèse à chaque participant, qui résume les points essentiels de l’intervention. On insiste également sur l’inter­ activité. Au début, on interroge le public sur ses connaissances du thème, et à partir de ça l’inter­ venant adapte un peu son enseignement. Comment travaillez-vous avec les historiens de l’art qui mènent les cours ? m. p. : C’est une équipe jeune, d’une quinzaine de personnes, pratiquement toutes docteurs en histoire de l’art, et qui ont envie de partager leur passion. Le contenu de leur intervention est assez libre. Chaque intervenant a une façon bien à lui d’aborder un thème.

L. B. : On définit un ton général, une ligne directrice, et ensuite on leur laisse carte blanche. C’est la troisième année que ces cours sont proposés. On a eu le temps de roder leur discours, de le rendre plus pédagogique. Pouvez-vous en dire davantage sur le déroulé d’une séance ? L. B. : On commence par une introduction participative. Ensuite, on passe au discours de l’intervenant, illustré d’un diaporama d’une quarantaine d’œuvres. À la fin de la séance, il y a un temps de questions-réponses avec le public, qui varie de cinq à quinze minutes selon les cycles. Parmi les séances prévues en 2016, l’une portera sur Marcel Duchamp et une autre sur Léonard de Vinci, Raphaël et Michel-Ange. Le public est-il différent selon les périodes abordées ? L. B. : Les gens s’inscrivent souvent au trimestre, voire à l’année. Ça les engage donc à une certaine régularité. En revanche, on peut constater des variations avec ceux qui prennent des billets à l’unité. Les thèmes plus contemporains vont attirer un public plus jeune, par exemple. m. p. : Mais en commençant par le classique, les gens viennent vers des choses plus actuelles. C’est ce qui nous plaît. Le fait de pouvoir amener le public à développer une curiosité pour des artistes pour lesquels, au départ, il n’avait pas d’attirance. Cycle « Du Moyen Âge au xxe siècle », jusqu’au 17 décembre aux MK2 Grand Palais et Hautefeuille Cycle « Les plus beaux musées du monde », du 1 er février au 17 juin aux MK2 Nation, Odéon, Quai de Loire et Bibliothèque (entrée BnF) Plus d’informations sur www.mk2.com

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L’actualité DES salles

CYCLES

04/02

AVANT-PREMIÈRES

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE Le Metropolitan Museum of Art de New York. >MK2 Quai de Loire de 12h30 à 13h30

05/02

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE Le Metropolitan Museum of Art de New York. >MK2 Bibliothèque (entrée BNF) de 12h30 à 13h30

CONFÉRENCES

08/02

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « L’obsession du bonheur nous prive-t-elle de la joie ? » >MK2 Odéon à 18h15

08/02

ALL’OPERA Cendrillon de Rossini, depuis l’Opéra de Rome. >MK2 Odéon à 20h

NOS ATELIERS PHOTO « Créations digitales », animé par Adrien Brunel (smartphone uniquement). Détails et réservation : 06 95 28 78 10 / contact@mobilecameraclub.fr >MK2 Bibliothèque

13/02

11/02

12/02

ROCK’N PHILO « Faut-il vivre à genoux ou mourir debout ? Fais ce que tu voudras. » >MK2 Grand Palais à 20h

ROCK’N PHILO « Où vivre ? Ville et paysages. » >MK2 Grand Palais à 20h

UNE HISTOIRE DE L’ART L’art roman. >MK2 Hautefeuille de 11h à 12h30

15/02

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La Frick Collection de New York. >MK2 Nation de 12h30 à 13h30

15/02

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Qu’est-ce qui est vraiment réel ? » >MK2 Odéon à 18h15

15/02

09/02

CONNAISSANCES DU MONDE Le Portugal. De terre et d’océan, projection en présence Marie-Dominique Massol, réalisatrice. >MK2 Nation à 14h

musique

13/02

06/02

UNE HISTOIRE DE L’ART Les prémices de l’art médiéval. >MK2 Hautefeuille de 11h à 12h30

RENCONTRES

à 20h

ALL’OPERA Casse-noisette 3D de Tchaïkovski, depuis le théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg. >MK2 Odéon

15/02

LE RENDEZ-VOUS DES DOCS Soirée en partenariat avec le festival Cinéma du réel. Projection de La Bataille de Culloden de Peter Watkins (1964), suivie d’un débat avec Federico Rossin, critique et historien du cinéma. >MK2 Quai de Loire à 20h

16/02

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La Frick Collection de New York. >MK2 Odéon de 12h30 à 13h30

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JEUNESSE

16/02

SOIRÉE BREF Ces séances mensuelles s’articulent désormais autour d’un film plus ou moins ancien, précédé de découvertes contemporaines. Une façon de faire dialoguer passé et présent, et d’émouvoir le cinéphile qui sommeille en chaque spectateur. En février, Charlot émigrant de Charlie Chaplin (1917). >MK2 Quai de Seine à 20h

18/02

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La Frick Collection de New York. >MK2 Quai de Loire de 12h30 à 13h30

19/02

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La Frick Collection de New York. > MK2 Bibliothèque (entrée BnF) de 12h30 à 13h30

21/02

ALL’OPERA Le Barbier de Séville depuis le Teatro Regio de Turin. >MK2 Odéon à 20h

Jusqu’au 23/02

MK2 BOUT’CHOU Au programme : Le Petit Monde de Leo, Poupi, Le Criquet. >MK2 Nation, Quai de Loire et Bibliothèque les mercredis, samedis et dimanches en matinée

Jusqu’au 23/02

MK2 JUNIOR Au programme : La Belle au bois dormant, Merlin l’Enchanteur, Les Aventures de Bernard et Bianca. >MK2 Grand Palais, Gambetta et Quai de Seine les mercredis, samedis et dimanches en matinée


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