N 142
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JUIN 2016 GRATUIT
LE DÉCALOGUE
Krzysztof Kieślowski ÉLOGE DU DOUTE
ÉDiTO Trois.
1, 2, 3, couleurs. Couleurs 3. Pour mettre fin aux doutes sur le nom du magazine, on a profité de cette nouvelle formule – plus colorée, plus incarnée, mais portant toujours l’ambition de parler de cinéma de façon aussi exigeante qu’accessible – pour l’écrire en toutes lettres. TROISCOULEURS. Un nom énigmatique pour certains. « Tiens, voilà les trois couleurs », entend-on parfois quand on se déplace à trois (en vrai, à la rédaction, on est cinq permanents). Le magazine emprunte son nom à la trilogie du cinéaste polonais Krzysztof Kieślowski, produite par mk2 et sortie en 1993 et 1994 : Trois couleurs (Bleu, Blanc et Rouge). Trois films majeurs d’un auteur alors au fait de sa carrière et de sa renommée. Ses trois derniers films, aussi : le cinéaste est décédé en 1996. Son œuvre s’est employée à dessiner le portrait, tendre mais dénué d’illusions, de l’âme humaine, en plaçant ses personnages face à des tourments universels – la mort, la trahison, l’amour, l’enfantement, le désir… Autant de situations explorées dans son Décalogue, qui ressort en salles en juin. Soit dix films bouleversants qui interrogent d’un point de vue humaniste l’incidence des dix commandements sur nos sociétés modernes. Tournée en 1988, à la veille de la chute du régime communiste en Pologne, c’est l’œuvre qui a fait de Kieślowski un auteur mondialement reconnu. Elle est tout entière dirigée vers ce qui était peut-être la seule conviction du cinéaste, résumée par une réplique qui résonne aujourd’hui encore comme un formidable éloge du doute : « Je sais que je ne sais rien. » • Juliette Reitzer
POPCORN P. 9
P. 14 ALAIN DELOIN EN ROUMANIE • P. 16 PASCAL LÉGITIMUS P. 22 OLIVIER CHANTREAU
BOBINES P. 2 7
P. 28 ARTHUR HARARI • P. 32 LE DÉCALOGUE P. 52 CANNES 2016
ZOOM ZOOM P. 6 5 P. 6 8 THE NEON DEMON • P. 70 LA LOI DE LA JUNGLE P. 72 LA FORÊT DE QUINCONCES
OFF P. 9 3
P. 9 8 GUILLAUME VINCENT • P. 102 DAYS OFF P. 116 ISHIDA IRA
COUL’ KIDS P. 121
P. 122 LA CRITIQUE D’ÉLISE • P. 124 L’INTERVIEW DE MARTIN P. 128 FAIS TON CLAP
éditeur MK2 agency – 55, rue Traversière, Paris XIIe – tél. 01 44 67 30 00 directeur de la publication : elisha.karmitz@mk2.com | rédactrice en chef : juliette.reitzer@mk2.com rédactrice en chef adjointe : raphaelle.simon@mk2.com | rédacteurs : quentin.grosset@mk2.com – time.zoppe@mk2.com direction artistique : KELH & Julien Pham contact@kelh.fr / julien@phamilyfirst.com | graphiste : Jérémie Leroy secrétaire de rédaction : Vincent Tarrière | stagiaire : Olivier Marlas | ont collaboré à ce numéro : Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Chris Beney, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Lily Bloom, Anca Chifor, Adrien Dénouette, Julien Dupuy, Marie Fantozzi, Yann François, Halory Goerger, Kasia Karwan, kelh, Grégory Ledergue, Stéphane Méjanès, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michaël Patin, Julien Pham, Poulette Magique, Bernard Quiriny, Cécile Rosevaigue, Claire Tarrière, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, VALENTIN VIE-BINET, Etaïnn Zwer & Élise et Martin | photographes : Vincent Desailly, Antoine Doyen, Pierre Lucet-Penato, Philippe Quaisse | illustrateurs : Pablo Cots, Samuel Eckert, Pablo Grand Mourcel, Jean Jullien, Yue Wu publicité | directrice commerciale : emmanuelle.fortunato@mk2.com | responsable de la régie publicitaire : stephanie.laroque@mk2.com | chef de projet cinéma et marques : caroline.desroches@mk2.com | responsable culture, médias et marques : estelle.savariaux@mk2.com | chef de projet culture, médias et partenariats : florent.ott@mk2.coM TROISCOULEURS est distribué dans le réseau le Crieur contact@lecrieurparis.com
POP CORN L’ACTU CINÉ À GRIGNOTER
INFOS GRAPHIQUES
LES AMÉRICAINS
POPCORN
DÉBARQUENT
Alors
que Dunkerque accueille, depuis mai, le tournage du nouveau film de Christopher Nolan, Dunkirk (sur l’opération Dynamo, en 1940), retour sur quelques rares films américains sur la Seconde Guerre mondiale qui, comme lui, ont pris la peine d’installer leurs caméras dans les décors réels du littoral du nord de la France. • timé zoppé Illustration : KELH & VALENTIN VIE-BINET
ÉMOPITCH THE NEON DEMON de Nicolas Winding Refn 10
L’AVIS PUBLIC
#KenLoach #Cannes2016 @IMtheRookie
@EmmaCTeaser
Ce Ken Loach cousu de fil blanc m’a laissé complètement froid. A la limite dans le registre j’avais préféré La loi du marché.
Et ben moi, j'ai fini en pleurs pour #IDanielBlake. Ken Loach a consacré sa vie à faire un cinéma qui a du sens, il n'a jamais dévié. Bravo.
@lemonde_culture
Il y a deux ans, Ken Loach annoncait qu'il prenait sa retraite : il a bien fait d'en sortir #PalmedOr
POPCORN
@JLMelenchon
Cannes debout : Ken Loach palme d'or. La question sociale crève l'écran.
@aurelferenczi
Ken Loach et la Palme dans le Cannes-Paris de 11h37. En seconde...
@SixteenFilms
Back to Blighty ! #PalmedOr #security!
#workingclasshero
STRAPOTIN
Antonin, 27 ans « J’étais au ciné avec un pote à moi, et on discutait avant que la séance commence. Au bout d’un moment, je me suis mis à critiquer les films de Catherine Corsini en disant que c’était vraiment naze. Et là, une dame s’est retournée et a dit : “Je suis Catherine Corsini.”
»
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séance de rattrapage
SONOTONE
Chaque mois, notre chroniqueur Halory Goerger s’offre une séance de rattrapage. Impressions à vif en sortant de Ma Loute de Bruno Dumont, vu en compagnie d’un ami cinéphile. — Mais enfin, il aurait pu nous le dire que c’était une séance pour les sourds et malentendants. — Pendant une minute j’ai pensé que le surtitrage faisait partie du film. — Bon, ceci étant, on était contents de savoir qu’on avait affaire à de la « musique triste » puis à de la « musique intrigante ». — « Musique romantique » aussi. — Note bien qu’avec Dumont c’est supportable, parce que c’est pas Aaron Sorkin niveau dialogues ; on a le temps de lire et d’écouter. — À ce propos, c’est étrange comme il aborde
le genre. À croire qu’il n’a jamais rencontré la comédie américaine moderne, comme s’il avait fait l’impasse depuis Buster Keaton. — Il y a deux niveaux de jeu qui cohabitent : les acteurs non professionnels, qui sont bruts mais magnifiques à l’écran… — C’est un peu ce que porte le personnage de Luchini dans le parc à huîtres : le bourgeois émerveillé par les vraies gens. — Ouais, et puis les stars, il les massacre. — Avec stratégie et candeur à la fois, comme si Luc Moullet avait mangé Pialat. — Dur à regarder, mais une fois le malaise passé ça amène un dépassement, non ? — C’est cruel, mais ça en vaut la peine. • Halory Goerger Illustration : JEAN JULLIEN
ALAIN DELOIN
CANNES aime LE cinéma
ROUMAIN
POPCORN
Bucarest :
Corina Şuteu, la ministre de la Culture, citée par Adevărul. Cette dernière était d’ailleurs à Cannes pour signer un accord avec son homologue française, Audrey Azoulay, visant à encourager l’échange de savoir-faire entre les CNC des deux pays, notamment pour l’éducation à l’image, la conservation du patrimoine cinématographique, la coproduction internationale et l’exploitation de salles. Une bonne nouvelle que relativise le site Film New Europe, pour qui le déblocage d’un fonds de plus de 6,7 millions d’euros annoncé début 2016 par le CNC était certes « le double du budget habituel, mais parce que la session précédente, en 2015, avait été annulée ». Autre frein au développement sur son sol du cinéma roumain : les films, mal distribués, sont boudés par le public, plus friand de blockbusters américains. Comme le souligne Adevărul : « Pour les médias prestigieux et les cinéphiles européens, le cinéma roumain a sa propre identité. Mais le public roumain reste réticent. » • Éric Vernay (avec Anca Chifor) ILLUSTRATION : JEAN JULLIEN
revue de presse cinéma depuis la capitale roumaine. Cette année à Cannes, tous les chemins menaient en Roumanie. « C’est une édition historique pour notre cinéma, pour la première fois représenté par deux films en Compétition », souligne le magazine Observator Cultural. Soit Sieranevada de Cristi Puiu et Baccalauréat de Cristian Mungiu, auxquels s’ajoute Dogs de Bogdan Mirică, en sélection Un certain regard. Reparti avec le Prix de la mise en scène, Baccalauréat raconte les compromissions d’un père reniant ses principes moraux pour que sa fille parte étudier à l’étranger. « Un film sur nous, les Roumains, affirme le quotidien Adevărul. Il révèle ce qui reste de la Roumanie après le communisme, ce que nous avons développé pendant et après la dictature : la haine de soi. » Le média en ligne All about romanian cinema rappelle que « les succès cannois sont nécessaires à la survie du cinéma d’auteur roumain ». En effet, le système de financement est « obsolète », selon
« C’est une édition historique pour notre cinéma. »
JETLAG
En Roumanie, le prix d’une place de cinéma est de 5 € en moyenne, pour un salaire net minimum d’environ 200 €. Le pays compte à peine 75 salles pour 22 millions d’habitants. En moyenne, un demi-billet y est vendu par an et par habitant, soit sept fois moins qu’en France.
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RÈGLE DE TROIS
PASCAL
Ton rôle dans La Loi de la jungle en trois adjectifs ?
Branleur, faignant et susceptible. C’est un chef de chantier, il a un poste important, il profite un peu du système quoi. Tu es plus du genre Trois Souvenirs de ma jeunesse, Rencontre du troisième type ou Camping 3 ? Je suis plutôt Rencontre du type du troisième. J’adore les comédies, bien sûr, mais j’apprends beaucoup plus avec la science-fiction. Je suis très curieux de ce que pourrait être notre devenir, donc les films qui supputent sur le futur me passionnent. Dans Interstellar par exemple, le temps relatif, c’est fascinant : dans l’espace, tu mets un an pour aller d’un point A à un point B, et pendant ce temps sur Terre il se sera passé vingt ans.
© haut et court
LÉGITIMUS Tu aimerais faire Les Trois Frères 3 ? Jamais trois sans deux. Mais on a bouclé la boucle des Trois Frères, donc si on refait quelque chose tous les trois, on partira sur complètement autre chose. Les trois films qui ont marqué ton enfance ? La Chevauchée fantastique, Ben-Hur et Opération dragon. J’allais voir des films de genre toutes les semaines avec mon père dans les cinémas de quartier du XIIIe arrondissement. Pour 5 francs, il y avait des actualités, des dessins animés, un documentaire, plus un film – soit un western, soit un péplum, soit un film policier. Tes trois comiques de cinéma préférés ? Jerry Lewis, les Marx Brothers et Laurel et Hardy ; et puis Fernandel aussi. Ça fait quatre mais c’est un Français, donc ça compte pas pareil.
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Les trois cinéastes, morts ou vivants, avec lesquels tu rêverais de tourner ? Dans les morts, Frank Capra, évidemment, sinon Martin Scorsese, et à une époque j’aurais bien aimé tourner avec Nicole Garcia ; d’ailleurs j’avais demandé, mais il ne s’est rien passé. Ce qu’elle raconte aujourd’hui, ça me parle moins. Les trois répliques que tu as jouées et que tu n’oublieras jamais ? « Chéri, tu veux pas une pipe tropicale ? », « On a tué le mort ! », « C’est toi que je t’aime. »
• PROPOS RECUEILLIS
PAR RAPHAËLLE SIMON
— : « La Loi de la jungle » d’Antonin Peretjatko (1 h 39) avec Vincent Macaigne, Pascal Légitimus… Sortie le 15 juin (Haut et Court)
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SCÈNE CULTE
PANIQUE
© d. r.
« S i je quittais New York, tu viendrais avec moi ? » Sorti
d’autres échangeant sur la responsabilité de l’État dans la « panique » (la période de manque due à une pénurie de drogue) qui frappe le quartier. Helen et Bobby, assis sur le lit, sont isolés par le découpage, comme protégés par leur bulle d’amour. Les dialogues s’assourdissent, tandis que la caméra flotte d’un personnage à l’autre. Suit un implacable gros plan sur un bras aux veines nécrosées et l’aiguille qui s’y s’enfonce, alors que la voix de Helen redevient audible, hors champ. « Si je quittais New York, tu viendrais avec moi ? » Dernier plan rapproché sur l’orgasme opiacé du junkie, dont le visage disparaît dans l’ombre de son chapeau. « Tu n’iras nulle part sans moi », répond Bobby. Par son seul talent à simuler le réel, Jerry Schatzberg annonce la descente aux enfers à venir. • MICHAËL PATIN
en 1971, Panique à Needle Park reste l’un des plus beaux exemples de l’illusion de réel que peut produire le cinéma. Avant de réaliser son premier film (Portrait d’une enfant déchue, sorti aux États-Unis en 1970), Jerry Schatzberg était un photographe de mode renommé, soit tout l’opposé d’un documentariste. Dans ce deuxième film, la crédibilité de l’intense histoire d’amour entre deux paumés (Helen et Bobby, interprétés par Kitty Winn et Al Pacino), comme celle de la faune de junkies qu’ils côtoient à Needle Park (le « parc de l’aiguille », surnom alors donné au Sherman Square de Manhattan), doit moins à l’œil affûté de l’observateur qu’à la sophistication du metteur en scène. C’est ce qui protège le film du voyeurisme ou du misérabilisme, alors même qu’il nous plonge dans les affres de l’héroïnomanie. La première séance de shoot est, en ce sens, un exemple de maîtrise. Helen retrouve Bobby dans un appartement où ses amis sont réunis, l’un planant en silence, l’autre délirant après un fixe au vermifuge,
— : de Jerry Schatzberg avec Al Pacino, Kitty Winn… en DVD (Carlotta)
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© d. r.
POPCORN
À NEEDLE PARK
C’est arrivé demain
2115 POPCORN
L’ANNÉE OÙ LE FESTIVAL DE CANNES S’EST ARRÊTÉ En
direct de l’avenir, retour sur la fin de ce qui resta longtemps le rendez-vous culturel le plus important du monde. La seule pression qui finit par avoir raison du Festival de Cannes fut médiatique. Tant de célébrités sur les marches, et tant de reporters pour les montrer… Il avait fallu se résoudre à organiser des projections 24 heures sur 24. Chaque minute de chaque heure, une vedette apparaissait sur le tapis rouge. Pour prolonger la durée de ces moments de gloire, décision fut prise d’ajouter des marches au célèbre escalier. D’abord une, puis deux, trois, quatre… À la fin, l’entrée du palais culminait à 4 763 mètres, ce qui en faisait le point culminant de l’Hexagone depuis le rabotage du mont Blanc. Pour les invités les plus fringants, l’ascension de ce Machu Picchu du cinéma démarrait quinze
REWIND
jours avant la projection. Certains mettaient tellement de temps à atteindre le sommet que le public les oubliait en cours de route. Pire : avec l’allongement de la durée de vie, il n’était plus rare de voir des cinéastes âgés de 170 ou 180 ans au pied des marches. Trop fiers pour utiliser le monte-escalier mis à leur disposition, ils se lançaient tels des alpinistes en tenue de soirée. Victimes d’épuisement ou d’une glissade fatale, ils étaient nombreux à perdre la vie durant l’ascension. Les autorités décidèrent de mettre un terme à tout cela après la découverte d’un gigantesque système de paris (les joueurs misaient sur la survie des invités du Festival) qui, là était le scandale, échappait à toute taxation. • CHRIS BENEY IllustrATION : PABLO GRAND MOURCEL
MAI 1976 AU CINÉMA À Cannes, Martin Scorsese reçoit la Palme d’or pour Taxi Driver (que le président du jury, Tennessee Williams, trouvait pourtant trop violent). ● Éric Rohmer n’est pas là pour recevoir son prix pour La Marquise d’O. Il préfère présenter son film à la salle des fêtes d’Ansbach, en Bavière. ● Gilles Jacob rejoint l’organisation du Festival. On lui propose un contrat de six mois, à mi-temps, pour une rémunération de 1 000 francs par mois. Un espoir pour les stagiaires sous-payés de l’industrie du cinéma ? • Q. G.
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LE NOUVEAU
POPCORN
OLIVIER CHANTREAU
— : « Sur quel pied danser » de Paul Calori et Kostia Testut (1 h 25) avec Pauline Étienne, Olivier Chantreau… sortie le 6 juillet (Rezo Films)
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Dans
la comédie musicale Sur quel pied danser, son personnage séduit la nouvelle recrue d’une fabrique d’escarpins grâce à son charisme roublard – et en poussant hardiment la chansonnette. Mais, dans la vie, Olivier Chantreau se révèle nerveux, impressionné par l’interview (sa première). « Au début, c’était douloureux d’être sur un plateau, j’ai lutté pour sortir de la timidité », confie le Parisien de 30 ans élevé par des parents travaillant dans la pub. Après le cours Florent et des rôles dans les séries Plus belle la vie et Cœur Océan, il s’encanaille en incarnant un gangster dans Les Lyonnais d’Olivier Marchal (2011). Il retrouvera bientôt un registre tout aussi sombre dans la websérie politique Le diable est dans les détails. Mais il réalise aussi des films autoproduits et il écrit des scénarios « plutôt oniriques ». « Je me sens presque plus à l’aise derrière la caméra que devant », avoue-t-il, avec un sourire réservé. • TIMÉ ZOPPÉ – PHOTOGRAPHIE : ANTOINE DOYEN 22
l’ILLUMINÉ
POPCORN
DUNE VU PAR YUE WU
Peinture,
animation ou céramique, le Parisien Yue Wu place le dessin à la base de son processus créatif. Il rend ici hommage au projet de film inabouti d’Alejandro Jodorowsky. « Dune, c’est l’histoire d’un échec, du rêve jamais réalisé d’un homme en avance sur son temps qui avait réuni autour de lui une dream team d’icônes, dont Orson Welles, Salvador Dalí et, mon Dieu, Mœbius. » • (Instagram : @wuyue5) 24
TRONCHES ET TRANCHES DE CINÉMA
ARTHUR HARARI
PERLE
RARE
Jeune espoir du cinéma français, Arthur Harari passe enfin, après plusieurs courts métrages réussis et remarqués, au long métrage avec Diamant noir. À la fois polar stylisé, radiographie familiale et tragédie intime, ce récit de vengeance dans le milieu des diamantaires surprend par sa manière de faire tenir ensemble des ambitions multiples. Le réalisateur revient avec nous sur l’itinéraire de son film et celui de son protagoniste, Pier, un cambrioleur ombrageux en quête d’identité, incarné par Niels Schneider. 28
BOBINES
FACE À FACE
Personnage d’infiltré, braquage… Vous avez tout de suite pensé Diamant noir comme un film de genre ? Mes premières amours cinéphiles, ce sont des films de genre américains. J’ai toujours été fasciné par Humphrey Bogart, les films noirs de la Warner. Il y avait donc quelque chose de très naturel et de très excitant au moment d’écrire Diamant noir. Je voulais renouer avec le classicisme de ce cinéma-là, son horizon tragique, sa structure en ligne droite. Bogart, la Warner… vous vous référez à une mythologie américaine. Je ne voulais pas faire un film français. C’est pour ça que, tout de suite, l’idée a été de partir de France ; que l’histoire commence à Paris pour nous emmener ailleurs. Le personnage principal devait se rendre dans une famille qu’il ne connaît pas, dans une ville et un pays qui lui sont aussi inconnus.
D’où Anvers, en Belgique, où se situe la majeure partie du film. Ce déplacement à Anvers, c’était un choix de scénario cohérent avec la réalité du sujet, mais c’était surtout une manière d’ouvrir l’expérience du film à un imaginaire qui ne soit pas franchouillard. Plus ou moins formulée dans ma tête, il y avait l’idée de me servir de ce projet comme d’un tremplin pour faire un film contre ce que je voyais du cinéma français depuis plusieurs années – ce cinéma de la chronique qui ne me satisfait pas, voire me gonfle. Après, il fallait trouver sa propre voie, car je ne voulais faire ni un polar centré sur le social, comme chez Jacques Audiard, ni une série B minable, comme tous ces films avec Gilles Lellouche. Vos deux derniers courts métrages (La Main sur la gueule, Peine perdue) avaient pas mal de points communs : le cadre champêtre, l’ambiance estivale, l’ombre de certaines influences (Jean Renoir, Jean Eustache). Pourquoi avoir changé complètement de cadre pour Diamant noir ? Après La Main sur la gueule, j’ai écrit un long métrage qui ressemblait beaucoup à mes premiers courts : quelque chose de très
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ARTHUR HARARI
BOBINES
épuré, minimal, avec trois ou quatre personnages que je voulais faire jouer quasiment par le même casting que celui de La Main sur la gueule. Mais personne n’a voulu donner de l’argent pour ce film, donc j’ai lâché l’affaire après trois longues années d’écriture. J’étais très mal parce que, après le succès de La Main sur la gueule, je ne pouvais imaginer me prendre un tel mur de refus ou d’indifférence. D’une certaine manière, cet échec m’a transformé, je n’étais plus le même homme. Il fallait donc que je renouvelle aussi quelque chose dans mon cinéma. C’est alors que cette proposition de film de braquage est arrivée. Le film se déroule dans le milieu des diamantaires, qu’on imagine plutôt secret, opaque. Pourtant, on sent le récit très renseigné sur la question. Sur ce point, j’ai eu beaucoup de chance.
étaient des clichés. En vérité, le monde du diamant ressemble beaucoup à celui du cinéma, ou à tous les artisanats mettant en jeu beaucoup d’argent : c’est le lieu d’une alliance paradoxale entre, d’un côté, un capitalisme poussé à son paroxysme, et, de l’autre, une mystique exacerbée qui relève quasiment du délire artistique. Vous faites d’ailleurs tenir au personnage du tailleur de diamants des propos proches de ceux d’un cinéaste. Ce sont des propos que j’ai presque récoltés tels quels lors de mon investigation. Quand le personnage dit : « On est là pour faire vivre la lumière », je reprends les mots d’un des plus grands tailleurs vivants, Gabi Tolkowsky. Ces décrochages réflexifs ont surtout permis à l’intrigue de se libérer de son strict horizon de polar. Au début, le héros croit qu’il est juste là pour piquer
« Je ne voulais faire ni un polar centré sur le social ni une série B minable.» Quand j’ai commencé à imaginer le film et à en parler autour de moi, un ami m’a appris qu’il connaissait très bien un diamantaire, et un autre, le petit-fils d’un grand tailleur. J’ai pris contact avec eux et, en plus de devenir des amis, ils ont été d’incroyables portes d’entrée dans un milieu qui, en effet, est très fermé. Mais ce qui était le plus dingue, c’est que tout ce que je récoltais en enquêtant sur le sujet nourrissait de façon très naturelle ce que j’avais envie de raconter, et venait même confirmer toutes les pistes de fiction que j’avais mises en place avec mes collaborateurs. Le diamant pose le cadre, le contexte (un milieu aisé, commerçant, raffiné), mais il prend peu à peu une dimension symbolique, avec les personnages de l’entrepreneur indien et du tailleur. Pour eux, le diamant n’est pas simplement une monnaie d’échange, c’est une véritable quête existentielle. Qu’est-ce qui vous a poussé à creuser cette piste ? C’est vrai que cette dimension n’était pas du tout présente à l’origine. Il faut dire que les images ou notions que j’avais de ce milieu
le fric de sa famille. Or, quand il découvre que le diamant commence à le toucher, il ne met pas simplement la main sur ce que sa famille a de plus précieux ; il est emmené vers quelque chose d’imprévu, d’intime et de passionnel, qui le dépasse complètement et le renvoie à sa relation trouble avec le monde. Vous vous permettez alors des séquences très stylisées, presque oniriques. Comme si le diamant avait une influence sur la matière même du film. Avec mon frère Tom, qui s’occupe de la lumière [lire l’encadré, ndlr], on s’est rendu compte que l’irruption du diamant dans le cadre était chaque fois l’occasion de faire dérailler visuellement le film, de faire basculer cette intrigue plutôt réaliste dans une dimension spécifiquement mentale. Mais si ces petites brèches nous ont ouvert un champ d’expérimentation ponctuel, elles nous ont surtout permis de trouver la forme esthétique qui allait convenir à l’ensemble du film, jusque dans ses moments de narration les plus simples.
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© ad vitam
FACE À FACE
Ça renvoie aussi à la dimension pulsionnelle et masochiste de votre personnage qui s’emploie, sans s’en rendre compte, à se piéger de toutes parts, pour n’avoir finalement d’autre choix que de fuir. Le personnage agit en suivant une pulsion ; il nourrit un rapport de pure frustration à la vie. Et ce n’est qu’à la fin du film qu’on prend conscience qu’il est en train de mettre en scène sa propre libération. Le film commence par une séquence traumatique sur son père, qui relève presque du fantasme, du rêve. Et à la fin, tout se rejoue et se dénoue, mais dans l’ordre du réel. • PROPOS RECUEILLIS PAR LOUIS BLANCHOT PHOTOGRAPHIE : VINCENT DESAILLY
Depuis La Main sur la gueule, vos personnages sont à la fois déterminés au moment d’agir et indécis dans leurs objectifs. Dans Diamant noir, votre héros fomente un braquage, mais jusqu’au bout il semble hésiter quant à ses motivations. Qu’est-ce qui vous pousse à conduire constamment vos récits sur un point de bascule ? J’ai un goût pour les récits qui se brouillent et les déportements d’enjeu. J’aime prendre des formes très accueillantes pour le spectateur, parce qu’il les connaît, puis lui faire comprendre qu’il s’agira davantage d’un voyage à l’intérieur de ces formes. Et je veux que ce voyage soit de plus en plus complexe, de plus en plus déstabilisant. Si les choses ne sont pas ambiguës, je n’arrive pas à trouver en moi l’envie de les raconter. Cela me permet de passer par des expériences de cinéma très diverses à l’intérieur d’un seul et même film. Pour moi, le cinéma n’est pas du côté de la pureté, mais de l’impureté.
— : « Diamant noir »
d’Arthur Harari (1 h 55) avec Niels Schneider, August Diehl... Sortie le 8 juin (Ad Vitam)
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UN AIR DE FAMILLE Souvent centré sur la famille, le cinéma d’Arthur Harari est aussi l’œuvre d’une fratrie, devant comme derrière la caméra. Son aîné Tom éclaire ses films depuis les débuts. « Il est mon premier lecteur et, sur le tournage, son investissement dans la mise en scène est dingue, au point que ça me fait chaque fois bizarre de dire que c’est mon film. » Né quelques années après, Lucas aura lui été la créature de ses deux grands frères. « On a commencé à le filmer tout petit, il adorait se déguiser. J’ai fait plusieurs portraits de lui pour un film universitaire. Puis il a joué dans mon premier court métrage, puis dans La Main sur la gueule, puis dans Peine perdue. De façon non préméditée, j’ai filmé son devenir adulte. » S’il ne joue pas dans Diamant noir, sa présence hante le personnage de Pier, incarné par Niels Schneider, qui lui emprunte ses cheveux plaqués en arrière et ses airs de bête farouche et timide. « Pour ce rôle, il fallait un acteur avec plus de nuances. Lucas, c’est quelqu’un qui joue surtout avec sa timidité, qui se dissimule. Mais je le refilmerai. » • L. B.
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BOBINES
Niels Schneider dans Diamant noir
BOBINES
EN COUVERTURE
LE DÉCA Le Décalogue 1. Un seul Dieu tu adoreras
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EN COUVERTURE
© mk2
ALOGUE 33
BOBINES
LE DÉCALOGUE
Le Décalogue 1. Un seul Dieu tu adoreras
L’OMBRE d’
À la fin des années 1980, le Polonais Krzysztof Kieślowski (La Double Vie de Véronique, la trilogie Trois couleurs) réalise une variation puissante sur les dix commandements à travers une série de dix téléfilms ancrés dans un même ensemble d’immeubles de Varsovie. Le cinéaste y suit une multitude de personnages traversés par des questionnements existentiels qui sont aussi les siens. Jalon essentiel du cinéma mondial, œuvre culte d’une criante modernité, Le Décalogue ressort sur grand écran en version restaurée.
« Nie
wiem. » « Je ne sais pas. » Assis devant deux journalistes aux aguets, Krzysztof Kieślowski, 48 ans, n’est pas très engageant avec son air las, son regard dans le vague et ses épaules voûtées, en ce jour d’octobre 1989. « Que signifie pour vous le fait de créer ? » a tenté l’un des intervieweurs. Si Kieślowski se montre laconique, un peu provocateur, c’est que le cinéaste aime mieux les questions que les réponses. Dans ses films, et particulièrement dans Le Décalogue, il en pose beaucoup, mais les laisse toujours en suspens. Le premier des dix épisodes met en scène les interrogations existentielles d’un petit garçon, Pawel, qui demande à son père et à sa tante : « Qu’est-ce que la mort ? Qui est
Dieu ? » ou encore : « À quoi rêvent les ordinateurs ? » Est-ce un hasard si ce gamin qui insuffle le doute aux adultes a les yeux du même bleu perçant que le réalisateur ? Il semble bien en tout cas que Kieślowski partage avec Pawel cette capacité à tout remettre en question.
L’intranquille
La jeunesse de Kieślowski a été marquée par la tuberculose de son père et des déménagements à répétition, le paternel devant sans cesse se déplacer de sanatoriums en sanatoriums. Sur la route, le garçonnet n’avait pas d’autres repères, pas d’autres attaches que Camus, Kafka ou Dostoïevski
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dont il dévorait les livres. Cette période erratique a peut-être forgé une personnalité hésitante, incertaine, puisque, devenu adulte, Kieślowski tâtonne professionnellement – il n’aime pas vraiment le cinéma, est amateur de voitures et pense à devenir chauffeur. C’est sa mère qui le pousse à tenter trois fois le concours de l’École nationale de cinéma de Łódź. Il en ressort diplômé à la fin des années 1960 et se décide à devenir réalisateur pour éclairer le contexte social morose de la Pologne communiste des années 1970-1980. Il s’attache ainsi à combler
le manque d’images du désœuvrement des Polonais dans des documentaires et quelques fictions. Seul obstacle : il doit tourner ses films avec l’argent de l’État. À l’époque, tout le secteur cinématographique du pays (production, distribution…) est gouverné par le Film Polski, un organisme géré par le ministère de la Culture. Tous les films sont soumis à la censure. Pour critiquer les institutions, Kieślowski choisit de dépeindre des situations allégoriques : l’organisation chaotique d’une caisse d’assurances dans Le Bureau (1966), un service de chirurgie
LA LOI DES SÉRIES Si Kieślowski n’employait pas le terme « série » pour parler du Décalogue (dans le documentaire A Short Film about Decalogue d’Eileen Anipare et Jason Wood, en 1996, il décrit ces dix téléfilms comme un « cycle télévisuel qui utilise les pratiques de la série »), l’aspect sériel travaille bel et bien son œuvre. Déjà dans Le Hasard, en 1981, il propose trois versions différentes du destin d’un même protagoniste. Scindé en deux parties, La Double Vie de Véronique (1991) suit une Polonaise puis une Française, dont les existences se ressemblent étrangement. En 1993 et 1994 vient la trilogie Trois couleurs (Bleu. Blanc et Rouge), qui aurait dû être suivie par une autre, Le Paradis, L’Enfer et Le Purgatoire. Kieślowski avait commencé à l’écrire, mais n’a pu l’achever avant sa mort en 1996. • T. Z .
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’UN DOUTE
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LE DÉCALOGUE qui manque de matériel dans L’Hôpital (1977)… Mais, peu à peu, le cinéaste s’interroge sur ce qu’implique sa pratique documentaire : s’immiscer dans la vie des gens ; parfois les mettre en danger. Ainsi, à propos de Premier amour (1974), il regrette son voyeurisme alors qu’il filme un jeune couple désargenté ; de même, il fait tout pour que son Je ne sais pas (1977) ne soit pas montré à la télévision afin de protéger un ingénieur qui y dénonce la corruption du parti. Progressivement, le cinéaste ne veut plus tourner que des fictions : La Cicatrice (1976), Sans fin (1985), Le Hasard (1987)… Mais un événement majeur incite de nouveau Kieślowski à tergiverser : lorsque le dictateur Jaruzelski applique la loi martiale de 1981 à 1983, la Pologne est coupée du reste du monde (lire l’encadré page 40). Cet isolement heurte particulièrement Kieślowski qui, dans ces conditions, ne trouve plus le moyen de filmer. En 1982, il tente tout de même de faire un film (finalement non tourné) sur les procès des prisonniers politiques. Pendant la préparation, il fait une rencontre déterminante : Krzysztof Piesiewicz, un avocat qui doit être consultant sur le film (lire l’entretien page 38). Leur collaboration aboutit à Sans fin, l’histoire du fantôme d’un avocat. Dépeignant rétrospectivement les effets de la loi martiale, le film est un échec public et s’attire les critiques du gouvernement et de l’opposition. Le cinéaste se sent déstabilisé, incompris. Pendant trois ans, il ne tourne pas.
Péché original
Un jour de 1984 où Kieślowski se promène aux côtés de Piesiewicz dans Varsovie, l’avocat lui fait part de son envie d’adapter Le Décalogue. Le cinéaste hésite pendant quinze mois avant de s’atteler à l’écriture. Il faut dire que, dans une Pologne ultra catholique, c’est un sujet à prendre avec des pincettes. En même temps, l’artiste voit bien le potentiel d’une transposition contemporaine des dix commandements. Pour lui qui a décidé de ne plus jamais
Le Décalogue 6. Tu ne seras pas luxurieux
s’occuper de politique, ce texte à la portée universelle permettrait surtout de parler de l’humain, de ses failles, de ses dilemmes moraux. Kieślowski situe son cycle télévisé dans un même ensemble d’immeubles du nord de Varsovie, emplacement qu’il choisit parce que l’horizon y est bouché par la disposition des bâtiments : même à l’extérieur, l’espace paraît étroit, confiné, ce qui l’amène à penser des cadrages serrés dans lesquels les habitants, confrontés à des choix cornéliens, paraissent captifs. C’est, dans l’épisode 2, le dilemme de Dorota : enceinte de son amant, elle hésite à garder l’enfant, ne sachant pas si son mari, gravement malade, va survivre. L’épisode 8, quant à lui, raconte la culpabilité d’une professeure
SOUS INFLUENCE Le Décalogue a laissé une empreinte de taille dans le cinéma mondial. Tandis que les frères Dardenne revendiquent, dans le numéro d’automne 1998 de la revue 24 images, l’influence de la série sur la construction de leur film La Promesse (1996), le producteur américain Harvey Weinstein affirme, dans un article de juin 1996 de la version américaine de Premiere, qu’il est ressorti de la projection des dix films avec un « sens du cinéma réarrangé ». Mais c’est peut-être Stanley Kubrick qui en a été le plus marqué. Dans la préface de la version imprimée du scénario du Décalogue, il écrit que Kieślowski et son coscénariste dramatisent si brillamment leurs idées qu’elles « restent invisibles, et que nous ne nous apercevons que beaucoup plus tard à quel point elles nous ont touchés ». C’est sans doute ce qui l’a conduit à réutiliser, consciemment ou non, des éléments du Décalogue 3 (certains plans et lieux ; la trajectoire du héros) dans son dernier film, Eyes Wide Shut (1999). • T. Z .
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d’éthique qui, dans sa jeunesse, pendant la guerre, a refusé de cacher une petite fille juive. Hésitation métaphysique, situations inextricables… Kieślowski montre ses personnages se débattre en insistant sur leur force de vie. Le cinéaste n’adopte en aucun cas un regard condescendant ou omnipotent, mais fait preuve d’empathie. C’est là toute la beauté du Décalogue, cycle à la fois inquiet et humaniste dans lequel Kieślowski encourage les spectateurs à se méfier de leurs certitudes. Ce qui intéresse l’auteur, c’est l’ambiguïté.
l’étranger
C’est peut-être cet esprit relativiste assumé qui a divisé au Festival de Cannes en 1988, où une version longue et retravaillée de l’épisode 5, nommée Tu ne tueras point, est présentée en Compétition. Durant la projection, quelques fauteuils claquent. Certains spectateurs sont choqués par la représentation crue d’un assassinat commis au hasard. Ceux qui restent sont en revanche saisis par le parcours d’un jeune avocat idéaliste qui tente d’éviter la peine de mort à son client. À la fin de la projection, le public est euphorique, enthousiaste. Tout le monde se demande qui est ce réalisateur mystérieux qui repartira auréolé du Prix du jury. La série, diffusée par la télévision
publique polonaise à partir de février 1990, est considérablement suivie, avec des pics d’audience à 15 millions de téléspectateurs. Invité à travailler en France par des producteurs séduits par l’acuité de son cinéma, Kieślowski y trouve les moyens de passer à une mise en scène plus stylisée, plus baroque. La Double Vie de Véronique (produit par Leonardo De La Fuente et sorti en 1991) puis la trilogie Trois couleurs (Bleu, Blanc et Rouge) (produite par mk2 et sortie en 1993 et 1994), achèvent d’asseoir la notoriété planétaire du réalisateur polonais. En travaillant en France, avec des acteurs français, le réalisateur confirme son ambition d’aboutir à une œuvre universelle qui explore la condition humaine dans ce qu’elle a de beau, de laid, d’absurde. Seulement, au plus haut de son succès, le tempérament de Kieślowski l’incite une nouvelle fois à changer de route. Tandis qu’il obtient le Lion d’or pour Bleu à la Mostra de Venise en 1993, et que cette même année Blanc est en Compétition à la Berlinale, il annonce qu’il arrête sa carrière – alors même qu’il s’attelle avec son scénariste à l’écriture d’une nouvelle trilogie, Le Paradis, L’Enfer et Le Purgatoire. Son rêve, dit-il comme par bravade, est d’aller vivre à la campagne, de s’asseoir sur une chaise, et de fumer des cigarettes. Il décédera en 1996 d’une crise cardiaque à Varsovie. Dans un documentaire de 1995 d’Andrea Voigt et Lothar Kompatzki, Kieślowski explique pourquoi il a voulu quitter le cinéma : « Ce n’est pas mon monde… j’y suis étranger, je le hais. Mais ça ne signifie pas que j’apprécie le monde réel pour autant. Le monde réel est-il vraiment réel, d’ailleurs ? » Jusqu’à la fin, le cinéaste fut animé par le doute. • Quentin Grosset
— Bibliographie : « Kryzsztof Kieślowski. L’autre regard » d’Alain Martin (c/o IrenKa) «Kryzsztok Kieślowski. Doubles vies, secondes chances » d’Annette Insdorf (Cahiers du cinéma)
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« Ce texte à la portée universelle permet surtout de parler de l’humain, de ses failles, de ses dilemmes moraux. »
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LE DÉCALOGUE
Krzysztof Kieślowski et Krzysztof Piesiewicz
ÉCRIRE L’
À partir de sa rencontre avec Kieślowski en 1982, l’avocat et homme politique Krzysztof Piesiewicz a coécrit tous les films du réalisateur jusqu’à sa mort en 1996, de Sans fin en 1985 à Trois couleurs. Rouge en 1994. Piesiewicz revient pour nous sur la genèse du Décalogue, offrant dans le même temps un témoignage privilégié sur les soubresauts politiques de la Pologne des années 1980 et un émouvant portrait intime du cinéaste.
Comment avez-vous rencontré Krzysztof Kieślowski ? Par l’intermédiaire de l’écrivaine Hanna Krall, qui tenait beaucoup à ce qu’on fasse connaissance. C’était en 1982, une période particulière pour la Pologne, le régime communiste avait instauré la loi martiale [lire l’encadré page 40, ndlr]. Krzysztof voulait faire un documentaire sur les procès politiques. Il était déjà un réalisateur de documentaire reconnu, mais il avait aussi tourné quelques fictions vraiment poignantes. Quant à moi, j’étais
un avocat très jeune, proche de l’opposition anticommuniste. Je défendais les dirigeants de Solidarność, des personnalités exceptionnelles. Nous nous sommes retrouvés dans un de ces cafés tristes et grisâtres de Varsovie. Il était pessimiste, aussi bien sur le présent que sur l’avenir, il pensait que tout allait mal se passer. J’étais plus optimiste : je me rendais compte que la route était longue pour le pays, mais j’étais sûr que c’était la bonne. Le lendemain, il est venu à mon bureau pour m’emprunter La Chute d’Albert Camus. Ce livre et cet auteur ont joué un rôle très important dans notre collaboration. On trouve facilement des correspondances, par exemple, entre le « juge-pénitent » de Camus et le juge de Trois
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couleurs. Rouge. Dès lors, tout au long des quinze ans de notre amitié, nous parlions tous les jours, il y avait entre nous une grande complicité et beaucoup de respect. Comme lui, j’étais très intéressé par les questionnements moraux, éthiques, liés aux droits de l’homme. Qu’est devenu ce projet de documentaire sur les procès d’opposants au régime ? Krzysztof s’est vite rendu compte que sa présence avait pour conséquence d’alléger les peines. Rapidement, son stock de pellicule, à l’époque attribuée par les autorités, s’est épuisé. Mais il a continué à m’accompagner au tribunal, en faisant semblant de filmer pour obtenir des condamnations moins lourdes. Comment avez-vous commencé à écrire ensemble ? Quelques mois après notre rencontre, il m’a demandé en souriant si je ne voudrais pas devenir artiste. Nous avions tous les deux eu des accrochages avec le régime, et Krzysztof a pensé qu’on pourrait les transformer en quelque chose
d’artistique. Sa question m’avait semblé un peu bizarre, car on pouvait tout dire de lui, sauf qu’il avait l’air d’un artiste. Il était précis, ponctuel, scrupuleux, il ressemblait plus à un ingénieur bien organisé ! Nous discutions beaucoup de son envie d’arrêter le documentaire, dont les possibilités lui paraissaient limitées d’un point de vue éthique. Il demandait souvent : peut-on filmer la mort d’un homme, utiliser l’intimité de gens réels à des fins artistiques ? Il pensait que si on crée soi-même ses personnages, on en est entièrement responsable et on cesse d’être manipulateur. C’est un message qui résonne particulièrement à l’époque actuelle, marquée par le voyeurisme et l’exhibitionnisme… C’est à la suite de cela qu’on a écrit le scénario de Sans fin. Il s’agissait de raconter le présent sans décrire les chars, les arrestations, la police politique qui tabassait à coups de bâtons, mais en se concentrant sur un état d’âme. C’est le seul film qui rend vraiment compte de ce que la loi martiale a dévasté. Mais à l’époque on en a bavé. Les autorités le considéraient comme un guide d’instruction
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HISTOIRE
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LE DÉCALOGUE pour faire tomber le système. L’Église le regardait avec mépris. Et pour l’opposition, qui s’attendait à un éloge, il était trop pessimiste. Où en étiez-vous de votre carrière à l’époque ? C’était un tournant dans ma carrière d’avocat, car je défendais la famille du prêtre Jerzy Popiełuszko, brutalement assassiné en 1984 par la police secrète. C’était un procès que les autorités ne pouvaient plus repousser, par peur des conséquences sociales, mais elles essayaient quand même d’inculper à la fois le prêtre et ceux qui l’avaient tué. Cette affaire a aussi eu un énorme impact dans ma vie privée, car, trois ans plus tard, ma mère a été assassinée de la même manière que Popiełuszko, avec des cordes au cou, et ce nœud particulier. C’est troublant de constater que ce motif de la corde apparaît dans le film Tu ne tueras point, quelques mois avant la mort de ma mère. Comment l’idée du Décalogue est-elle née ? Pour moi qui suis passionné par la psychologie et la philosophie du droit, les dix commandements sont un phénomène dans l’histoire de la civilisation. Les sciences empiriques confirment leur justesse en tant que propositions et non en tant qu’impératifs. J’ai donc parlé à Krzysztof du Décalogue avec une thèse très claire : approchons les dix commandements comme dix indicateurs de l’expérience d’un groupe de gens dans un certain espace-temps, sans interprétations théologiques liées à un système religieux particulier, mais d’une manière anthropologique, éthique, sociologique. C’est simple à faire : trouvons dix anecdotes pour les raconter. Les épisodes sont numérotés, mais très vite nous nous sommes rendu compte que chaque épisode évoquait à lui seul tous les commandements. Ces dix propositions sont intrinsèquement liées les unes avec les autres, elles sont inséparables. D’où leur actualité inouïe.
Le Décalogue 5. Tu ne tueras point
Comment s’est déroulée l’écriture ? On travaillait dans la cuisine, chez lui ou chez moi. On habitait dans des bâtiments du réalisme socialiste. En douze mois, on a écrit douze scénarios. En 1985, on pressentait déjà les changements : Mikhaïl Gorbatchev élu à Moscou, le système polonais battait de l’aile. Le nouveau directeur de la télévision polonaise a donné le feu vert pour tourner la série. Une entreprise allemande a financé la pellicule, et, en 1987, Krzysztof a commencé un travail qui a été extrêmement fatigant pour lui. En treize mois, il a fait douze films : les dix épisodes du Décalogue et deux longs métrages, Tu ne tueras point et Brève histoire
POLOGNE 1980 La décennie 1980 sera la dernière de la République populaire de Pologne, nom officiel donné en 1952 au régime communiste instauré dès 1944. Créé en août 1980 et dirigé par l’électricien Lech Wałęsa, Solidarność, premier syndicat libre, rassemble vite tous les opposants et suscite l’espoir des Polonais, ballottés pendant plus de vingt ans par une économie très fluctuante et victimes de répressions sanglantes. Nommé à la tête du gouvernement en 1981, Wojciech Jaruzelski procède à une militarisation du régime et met en place la loi martiale jusqu’en 1983 : les lignes de téléphone vers l’étranger sont coupées, les Polonais ne peuvent plus voyager hors des frontières, l’État encourage la dénonciation de la dissidence… Jaruzelski restera au pouvoir jusqu’à la chute du régime en 1990. À la fin de cette même année, Lech Wałęsa est élu président de la République au suffrage universel. • J. R.
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« Je voyais combien il était épuisé, je le voyais même vieillir. »
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plaint d’une douleur sous le bras gauche. Il s’est retrouvé à l’hôpital. En mars, je partais pour la Suisse au moment où il allait se faire opérer. Il devait m’appeler, une fois recousu. Mais on m’a informé qu’il ne s’était pas réveillé après l’intervention. Deux jours plus tard, son corps s’est arrêté de fonctionner, et il est mort. En rentrant en Pologne, je suis passé par la France, l’Allemagne, la République tchèque, et on parlait de lui partout dans les journaux, à la radio… Krzysztof était pressé, il courait, comme s’il voulait rattraper le temps perdu. Peut-être qu’il pressentait quelque chose, peut-être que son corps lui disait qu’il fallait faire vite. Il a laissé derrière lui un héritage énorme. Quel souvenir gardez-vous de lui ? On parle beaucoup de la subtilité de Kieślowski, de son acuité et de son honnêteté, mais on évoque très peu son incroyable sens de l’humour, qui rejoint quelque part le Néoréalisme italien, mais qui, à mon avis, vient en ligne directe de Chaplin, de son humour jamais narquois ni moqueur. C’est très visible dans Le Décalogue 10 ou dans Trois couleurs. Blanc. Il avait aussi ce qui caractérise les grands réalisateurs : une vraie tendresse pour les gens. Dans ses films, documentaires ou de fiction, il ne juge jamais. Il préfère poser des questions que donner des réponses. Krzysztof n’a jamais dévié de cette route. Dans son œuvre, il n’y a pas de thèses, pas de politiquement correct ou incorrect ; il y a de l’amour, de l’honnêteté et la tentative de montrer, comme Camus l’a écrit, qu’à la fin l’être humain est toujours innocent. • PROPOS RECUEILLIS PAR KASIA KARWAN (AVEC JULIETTE REITZER)
d’amour [versions longues des épisodes 5 et 6 du Décalogue, ndlr]. Cela mobilisait un grand nombre d’acteurs, des chefs opérateurs différents pour chaque film… Je voyais combien il était épuisé, je le voyais même vieillir. En même temps, on était conscients qu’on touchait à quelque chose de grand. D’ailleurs, au début, Krzysztof voulait que Le Décalogue soit tourné par plusieurs réalisateurs différents, et finalement, il ne l’a pas lâché. Votre collaboration s’est ensuite poursuivie jusqu’à sa mort. Après Le Décalogue, Tu ne tueras point et Brève histoire d’amour, nous avons tenté une expérience avec La Double Vie de Véronique. L’idée était de montrer par le biais de l’image le maximum de ce qui est invisible ; il s’agissait donc de créer un certain paradoxe. De même pour Trois couleurs. Quand je suis allé voir Krzysztof avec la proposition de cette trilogie, je sentais que quelque chose en Europe s’écroulait et que ces trois devises, « Liberté », « Égalité », « Fraternité» , seraient importantes. Ensuite, en juillet 1995, j’ai parlé à Krzysztof de l’idée du triptyque Le Paradis, L’Enfer et Le Purgatoire. On avait déjà des premières ébauches du scénario quand, un soir, il s’est 41
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le décalogue
CECI N'EST PAS UNE TABLE DE LA LOI 1 Un seul Dieu tu adoreras
Pawel, un enfant de 11 ans sensible et intelligent, pose à son père et à sa tante une foule de questions, toutes déconcertantes… Kieślowski ouvre Le Décalogue en confrontant son jeune héros incroyablement attachant à la rudesse du hasard.
2 Tu ne commettras point de parjure
Enceinte de son amant, une femme dont le mari est gravement malade hésite à avorter. Pour se décider, elle implore le médecin de lui donner son pronostic… Porté par la grande Krystyna Janda, l’épisode captive par son insoluble dilemme.
3 Tu respecteras le jour du Seigneur
Le soir de Noël, un chauffeur de taxi marié retrouve son grand amour perdu qui lui demande de chercher avec elle son époux disparu… Dans une ambiance nocturne oppressante, l’intrigue explore finement le regret et la tentation.
4 Tu honoreras ton père et ta mère
Kieślowski s’attaque au tabou de l’amour incestueux à travers la relation trouble entre un père et sa fille de 20 ans. Celle-ci utilise la lettre posthume que lui a adressée sa mère, morte après sa naissance, pour désamorcer cette tension.
5 Tu ne tueras point
Jacek tue un homme au hasard. Dans une atmosphère sèche et mortifère accentuée par une photographie aux teintes vert et jaune, Kieślowski entrelace deux récits : le meurtre, et la plaidoirie de l’avocat qui espère éviter la peine de mort au tueur.
en couverture Si, dans l’Ancien Testament, les dix commandements sont des préceptes auxquels l’être humain n’a pas le droit de déroger, Kieślowski est plus coulant dans les dix épisodes de son Décalogue. Le réalisateur, qui a toujours gardé le mystère sur ses propres croyances, s’inspire de ces injonctions religieuses pour mesurer leur influence, leur héritage et leur permanence dans nos sociétés contemporaines, encourageant ses personnages (et les spectateurs) à s’interroger avec lui.
6 Tu ne seras pas luxurieux
Dans ce Fenêtre sur cour érotique, un jeune homme fragile et timide épie à la longue-vue sa voisine, une très belle femme à la sexualité libérée. Kieślowski joue à l’arroseur arrosé dans un magnifique jeu de miroir entre désirs et solitudes.
7 Tu ne voleras pas
Majka kidnappe sa sœur, qui est en fait sa fille : des années plus tôt, quand Majka, alors mineure, est tombée enceinte de son professeur, sa mère a pris sa place pour étouffer le scandale. Haletant parcours du combattant d’une maman dépossédée.
8 Tu ne mentiras pas
Dans cette variation sensible sur la culpabilité, Zofia, professeure d’éthique, est rattrapée par un douloureux souvenir. Pendant la guerre, elle a refusé de cacher la petite Elżbieta, une jeune Juive traquée par les nazis, qui quarante ans après, réapparaît…
9 Tu ne convoiteras pas la femme d’autrui
Atteint d’impuissance, Roman suggère à sa femme Hanka de prendre un amant. Mais lorsqu’il découvre qu’elle entretient déjà une liaison, il est rongé par le doute. Kieślowski se penche sur une jalousie qui vire à l’obsession.
10 Tu ne convoiteras pas les biens d’autrui
À la mort de leur père, deux frères découvrent son inestimable collection de timbres. Ils seront prêts à tout pour garder leur butin, même à vendre un rein. De loin le plus drôle, ce dernier épisode clôt Le Décalogue sur une touche farcesque.
• Q. G., R. S., T. Z.
AGATHE BONITZER
AGATHE BOBINES
THE POWER Abonnée jusqu’à présent aux rôles de filles ingénues et malicieuses, Agathe Bonitzer change de braquet pour incarner une trentenaire ambitieuse et sévère intégrant le monde de la finance dans Tout de suite maintenant réalisé par son père, Pascal Bonitzer. Rencontre avec une jeune femme éloquente et sûre d’elle, mais aussi un peu inquiète. 44
PORTRAIT fond d'un bar du IIIe arrondissement, près de chez elle, Agathe Bonitzer paraît à l’aise et volubile, mais son attitude corporelle trahit un caractère plus angoissé. Sa voix est confiante, mais ses gestes semblent heurtés, incertains, et elle parle en scrutant la table, nous adressant parfois un coup d’œil furtif. « Jusque-là, j’ai surtout joué des jeunes filles en fleur, un peu naïves », confie la rousse au teint clair. Révélée aux yeux du public avec La Belle Personne de Christophe Honoré (2008), l’actrice amène à ses rôles candides une pointe charmante d’ironie. Parmi ses plus marquants : une fan guillerette obsédée par une écrivaine dans Un chat un chat de sa mère Sophie Fillières (2009) ; une assistante discrète observant d’un œil espiègle et intéressé un trio amoureux dans Le Mariage à trois de Jacques Doillon (2010) ; une victime flegmatique redécouvrant la liberté après avoir été longtemps séquestrée dans À moi seule de Frédéric
contemporaine. « Le film parle de la façon dont tout va trop vite : on dégage les gens, on les remplace… Je reviens de deux mois au Cambodge pour tourner le nouveau film de Jeanne Labrune. J’ai quitté une France abattue, encore en deuil des attentats, et là je sens un vent de révolte avec Nuit debout. J’ai compris il n’y a pas très longtemps que ma génération est particulièrement touchée : on n’est plus dans les mêmes questionnements sur l’avenir que nos aînés, on est obligés de vivre comme ça, de trouver notre bonheur sans se projeter. Et encore, moi, j’ai la chance d’être très protégée par rapport à d’autres. » Lucide sur son statut privilégié de « fille de », Agathe Bonitzer a appris à composer avec les accusations de népotisme, même si ça lui a pris du temps. Avant de se consacrer pleinement à sa carrière d’actrice, elle a un peu hésité et a préféré multiplier les activités entre les tournages. Elle s’est ainsi formée au conservatoire du VIIe arrondissement, a
« Chez moi, il y a un côté poreux entre la réalité et la fiction. » Videau (2012) ; ou encore une fille ardente croyant aveuglément au prince charmant mais qui rencontre le grand méchant loup dans Au bout du conte d’Agnès Jaoui (2013).
LA ROUSSE TOURNE
Après lui avoir confié plusieurs rôles secondaires de post-ados espiègles, Pascal Bonitzer lui offre une partition aux antipodes. Dans Tout de suite maintenant, elle joue Nora, jeune femme froide et conquérante qui gravit les échelons de la haute finance. Agathe Bonitzer apporte au personnage élégance et autorité, sans oublier de faire sourdre ses fragilités – l’héroïne oscille entre intransigeance dans son univers professionnel et sensibilité à fleur de peau dans son environnement familial plus chaotique. Habituée à aborder ses rôles de manière spontanée, la comédienne a pour la première fois préparé son travail de façon plus réfléchie. « Je me suis infiltrée dans l’univers de la fusion-acquisition, j’ai été l’assistante d’un cadre qui m’emmenait en rendez-vous, mais pour moi c’était du chinois ! » Pour l’actrice, le trait acerbe, satirique, avec lequel ce monde impitoyable est dépeint par son père fait clairement écho à la situation sociale de la France
continué la danse classique, tout en étudiant les lettres modernes à la fac. Maintenant qu’elle assume de manière plus affirmée son métier d’actrice, la littérature reste l’une de ses passions. Récemment, elle a dévoré Annie Ernaux, Alexandre Dumas, Marguerite Duras. « Les livres, ça me brouille un peu : chez moi, il y a un côté poreux entre la réalité et la fiction. Avant, j’étais très insomniaque sur les tournages, alors je lisais beaucoup la nuit. » Avec malice, elle nous confie que, un peu soucieuse, elle a beaucoup lu lors de son dernier tournage au Cambodge. C’est que voyager, pour elle, n’est pas évident, il faut qu’elle se fasse violence. « Je suis casanière, pas du tout baroudeuse, et je n’aime pas l’avion. C’est ça qui est génial dans ce métier : moi qui suis de nature anxieuse, ce que le jeu m’oblige à faire me libère », dit-elle, relevant la tête avec un sourire en coin et un regard franc. C’en est fini des yeux baissés. • QUENTIN GROSSET PHOTOGRAPHIE : VINCENT DESAILLY
— : « Tout
de suite maintenant »
de Pascal Bonitzer (1 h 38) avec Agathe Bonitzer, Vincent Lacoste… Sortie le 22 juin (Ad Vitam)
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Au
PIXAR
ANDREW STANTON
À HAUTEUR D'HOMME BOBINES
Pour un réalisateur, concevoir un film au sein du studio Pixar est un combat de tous les instants : combat contre la lourdeur de la technologie, combat contre l’inertie d’un grand studio, combat contre les affres de la création… Récit de guerre d’Andrew Stanton, vétéran fourbu mais heureux, au terme de sa dernière bataille : Le Monde de Dory.
« Voici
le bébé de Steve Jobs ! » C’est ainsi que Jeannette Marqueur, l’une des responsables du studio, nous accueille au cœur de Pixar, un building conçu à grands frais il y a seize ans par le fondateur d’Apple et mécène du studio d’animation fondé par John Lasseter et Ed Catmull dans les années 1980. Érigé au sein d’un campus de six hectares, à quelques kilomètres du centre de San Francisco, ce studio a été conçu par Jobs comme un cerveau, avec ses deux hémisphères : la partie droite est réservée aux créatifs (peintres, designers, scénaristes…), la gauche, aux techniciens ; et les deux catégories de personnel sont amenés à se croiser dans le grand hall central, Jobs ayant eu à cœur de favoriser au maximum l’échange entre les deux mille employés de la compagnie. Il avait même très sérieusement envisagé de concevoir des toilettes mixtes, avant que les syndicats n’y mettent le holà. C’est dans cette machine, splendide et imposante à la fois, que le réalisateur Andrew Stanton appose les dernières touches à son nouveau film, Le Monde de Dory, suite du Monde de Nemo dans laquelle Dory, le poisson amnésique, brave les océans pour partir en quête de ses origines. « Quand j’ai revu Le Monde de Nemo pour sa conversion en relief, raconte le réalisateur, je me suis soudain inquiété pour Dory : j’ai ressenti un impérieux besoin de ne pas la laisser seule, déracinée. J’avais besoin de raconter son histoire. » Beaucoup ont pensé que le retour
du réalisateur de Wall-E dans le giron de Pixar était lié à l’échec de son film en prise de vue réelle, John Carter. Pour le cinéaste, ce retour aux sources était pourtant loin de n’avoir que des avantages. « J’ai adoré faire du cinéma live. Le rythme de travail, plus soutenu que dans l’animation, correspond à mon tempo créatif. À l’inverse, rien n’est acquis dans l’animation, et la moindre chose qui apparaît à l’écran réclame mûre réflexion. »
L’ARTISTE vs SES OUTILS
La machine Pixar a beau être superbe, elle n’en reste pas moins laborieuse : un seul plan peut demander jusqu’à treize mois de travail. Une telle inertie comporte fatalement des risques pour un cinéaste – « Il y a tant de paramètres qu’il est nécessaire d’être épaulé pour ne pas se perdre dans ce long processus. » L’enjeu est avant tout technologique. Car même après trente ans d’existence, Pixar, qui a conçu le premier long métrage en image de synthèse avec Toy Story, se bat constamment avec les machines pour « rendre la technologie aussi souple que le processus créatif », comme l’explique John Halstead, superviseur technique du Monde de Dory. Grâce à cette équipe, Stanton a ainsi employé sur Le Monde de Dory des outils qui lui permettaient de choisir lui-même et en temps réel ses cadres dans l’environnement virtuel du film, ou de manipuler à loisir les éléments liquides pour, selon ses propres termes, « rendre l’océan sexy ». Mais si Pixar vient
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LE PROFESSIONNEL
de faire techniquement un nouveau pas de géant avec Le Monde de Dory, c’est sur un autre champ de bataille que se joue véritablement le sort du film.
L’ARTISTE vs SON ŒUVRE
On peut s’en étonner, au regard du cadre idyllique conçu à leur attention, mais Pixar a plusieurs fois limogé ses cinéastes en poste : Brenda Chapman a été contrainte d’abandonner le tournage de Rebelle ; Jan Pinkava fut remplacé par Brad Bird sur celui de Ratatouille ; et, plus récemment, l’un des pères fondateurs du studio, Bob Peterson, a été démis de ses fonctions sur celui du Voyage
d’Arlo. Des licenciements ou des changements d’affectation qu’il serait tentant d’associer aux enjeux économiques de ces blockbusters aux budgets colossaux. Mais si l’on en croit Stanton, Pixar, dont le combat contre les argentiers de Disney a fait les choux gras de la presse professionnelle, se serait toujours refusé à plier face au dieu dollar. « On ne conçoit jamais nos films en fonction des études de marché. Je ne fais confiance qu’à mon instinct, et je ne réfléchis jamais au public. Encore moins aux enfants. D’ailleurs, j’ai un quasi-final cut sur Le Monde de Dory. Pourtant, le maître du film, ce n’est pas moi, c’est mon histoire. » C’est sur ce terrain que
« Le studio a été conçu par Steve Jobs comme un cerveau : la partie droite est réservée aux créatifs, la gauche, aux techniciens. » 47
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Dans les jardins des studios Pixar, en Californie
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© pixar
ANDREW STANTON
les cinéastes sus-cités ont déposé les armes. Stanton lui-même a longtemps cru qu’il ne sortirait pas victorieux du Monde de Dory. « J’ai eu peur de ne pas pouvoir finir le film quand j’ai compris que Dory, qui était parfaite en personnage secondaire dans Le Monde de Nemo, n’avait peut-être pas l’étoffe d’une héroïne, en particulier parce qu’elle souffre de pertes de mémoire à court terme… » Pour affronter la longue épreuve du scénario, Pixar a fourbi ses meilleures armes. Le studio est le premier à avoir mis en place le story reel, un brouillon du film en dessin animé constamment modifié et qui aura demandé trois ans et demi de travail à Stanton. Mais surtout, le succès de Pixar repose en large partie sur son brain trust, un groupe de réflexion réunissant les têtes pensantes de la compagnie auquel chaque réalisateur doit, tous les quatre mois, soumettre son film en cours de conception. « C’est un épisode impitoyable, durant lequel votre ego est mis à rude épreuve, raconte Stanton, qui avait changé tout le troisième acte de Wall-E suite à une séance catastrophique. C’est un exercice souvent pénible, mais très bénéfique. » C’est aussi une cellule régie exclusivement par des créatifs, qui s’assurent que l’intégrité de l’œuvre ne se perde pas au cours de son long
développement. Car le brain trust n’est pas un censeur ou un juge, seulement un guide. « Sur Le Monde de Dory, j’ai compris, au bout de plusieurs mois de bataille, que c’est en affrontant le souci narratif que me posait Dory que je pourrais m’en sortir. Il ne fallait pas escamoter cet obstacle, mais, à l’inverse, en faire l’enjeu scénaristique principal du film. » Finalement, tout le projet d’un film Pixar s’apparente au voyage de Dory : partir d’une envie intime, pour se risquer dans l’immensité de l’océan ; puis maîtriser son environnement grâce à des amis rencontrés en chemin, pour aboutir à une satisfaction toute personnelle. « Quelle que soit l’histoire que vous racontez, conclut Stanton, elle est amenée à devenir votre thérapie si vous vous y investissez pleinement. Je pense que l’un des objectifs d’une œuvre d’art, c’est de raconter quelque chose sur soi. » • JULIEN DUPUY
«Je ne fais confiance qu’à mon instinct, et je ne réfléchis jamais au public. Encore moins aux enfants.»
— : « Le Monde de Dory » d’Andrew Stanton et Angus MacLane (1 h 35) Animation Sortie le 22 juin (Walt Disney)
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LE FILM-nuit nouveau genre
Film noir, mélodrame, road movie… mais encore ? Derrière les dénominations officielles retenues par les encyclopédies, nous partons chaque mois à la recherche d’un genre inconnu de l’histoire du cinéma. Ce mois-ci : le film-nuit.
cinéma plus qu’ailleurs, la nuit est jeune : elle n’a même pas 10 ans. On le dit trop rarement, mais la révolution numérique est peut-être avant tout cette révolution-là : filmer la nuit telle qu’en elle-même, c’est-à-dire telle qu’on la voit, était jusqu’ici impossible. Face à la nuit ordinaire, la pellicule est impuissante ; ce qu’elle peut filmer, la nuit le boit avant elle. Longtemps, la nuit, il a fallu l’inventer. L’inventer en bleu, au pinceau, sur les bobines du cinéma muet. L’inventer, toujours bleue, depuis le jour transformé en « nuit américaine ». Ou la filmer depuis son envers, c’est-à-dire depuis la lumière : la filmer donc en ville, percée par les réverbères ou les néons, comme dans ce film magnifique qu’Edwin Porter consacra en 1905 à la pénombre scintillante de Coney Island
(Coney Island at Night). Ou encore, la filmer bel et bien, mais sitôt trahie par le grain mousseux des pellicules ultrasensibles. Cette nécessaire invention fut, dès l’origine, l’une des plus belles quêtes du cinéma, lequel, cherchant la nuit, ne cherchait au fond qu’à tendre un miroir aux spectateurs blottis dans la pénombre. « Filmer la nuit, écrivait Serge Daney (cité par Marie-Pierre Duhamel-Muller à l’occasion d’une belle rétrospective sur le sujet pour le festival Cinéma du réel en 2014), c’est faire soudain rimer la nuit filmée avec la nuit réelle de la salle de cinéma. » Et puisqu’il fallait l’imaginer, la nuit eut ses poètes, pour qui fut inventé le film noir (Jules Dassin, Anthony Mann, Jacques Tourneur). Si le noir est une couleur (selon la leçon d’Henri Matisse),
© collection christophel
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Au
Les Guerriers de la nuit de Walter Hill (1980)
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© collection christophel
NOUVEAU GENRE
traverser la nuit, qui n’a pas la clémence du jour. Chez Walter Hill, les premiers éclats du matin sont un baume sur les visages qui ont traversé New York tout entière et se rassemblent sur la plage de Coney Island qui ne scintille plus, bercée par le ressac et la justice enfin rendue aux guerriers de la nuit. Chez Michael Mann, ils sont déposés comme un linceul sur le tueur à gage qui, lui, n’a pas survécu et s’éteint comme un citoyen ordinaire, dans le métro. Dans Toute une nuit (Chantal Akerman, 1984), la nuit cesse quand on a cessé de danser, au fond des bars où des amours lasses ont fini de s’user. La nuit est un lieu, c’est aussi une ivresse. Un documentaire l’a compris aussi bien que le chef-d’œuvre d’Akerman. Dans Geschichte der Nacht, en 1979, Clemens Klopfenstein filme plusieurs nuits (celles de Suisse, de Turquie, de Pologne, d’Italie ou de France) comme une seule, ayant compris qu’une seule couture les fait tenir toutes, qui est la grande histoire de la nuit. Son film est, sans doute, l’un des plus beaux du monde. • JÉRÔME MOMCILOVIC
la nuit est une matière : c’est le génie de ces poètes que de l’avoir compris. Avoir compris que la nuit n’est pas une portion de temps, mais une portion d’espace.
TRAVERSER LA NUIT
© d. r.
Les vampires, ces vieux compagnons du cinéma, nous l’ont appris : la nuit est un lieu, puisqu’ils y habitent. Le numérique permet de s’y aventurer pour de bon : Michael Mann (Miami Vice. Deux flics à Miami, Public Enemies), Kathryn Bigelow (Zero Dark Thirty), Kelly Reichardt (Night Moves) ou Jonathan Glazer (Under the Skin) l’ont explorée enfin. Mais à ce territoire, un genre entier est dédié, auquel on n’a pas encore donné de nom : appelons-le film-nuit. Le film-nuit est bordé par ce qui borde la nuit : à l’entame, l’heure vespérale ; et l’aube à l’autre bout. Dans Les Guerriers de la nuit (Walter Hill, 1980), After Hours (Martin Scorsese, 1985) ou Collatéral (Michael Mann, 2004), la nuit est un décor, traversé comme une épreuve initiatique. Il faut du courage pour
Geschichte der Nacht de Clemens Klopfenstein (1979)
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Collatéral de Michael Mann (2004)
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COMPTE-RENDU
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© Philippe Quaisse
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COMPTE-RENDU
Cette 69e édition fut intense à vivre et jubilatoire à regarder : excellent cru pour la Compétition officielle, nombreuses pépites dans les sélections parallèles. TROISCOULEURS vous raconte son Festival depuis les coulisses, côté rédaction, et à travers l’œil du photographe Philippe Quaisse. 53
CANNES 2016
Philippe Quaisse
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a débuté comme photographe de mode entre New York et Miami dans les années 1990, avant de revenir vivre en France, son pays natal, pour immortaliser les stars de cinéma dans des portraits intimes, tout en menant des recherches formelles dans ses travaux personnels. S’emparant de la carte blanche que nous lui avons donnée cette année, il nous raconte son Festival de Cannes.
« Les plus grands sont souvent les plus simples. Steven Spielberg dirigé, pour une pose, par mon agent. »
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COMPTE-RENDU
« Il faut parfois escalader des murs de sable, érigés pour protéger les plages d’une éventuelle tempête, pour pouvoir déguster sereinement un cocktail. » 55
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CANNES 2016
« J’ai photographié Xavier Dolan lors de son premier Festival, alors qu’il n’avait que 19 ans. Il n’en a toujours que 27 ! » 56
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CANNES 2016
« La nuit, l’envers du décor – strass et glamour – rejaillit. » 58
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COMPTE-RENDU
« Un travail de fourmi quotidien : la moquette des vingt-quatre marches est changée pour chaque nouvelle montée d’équipe de film. »
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jours de fête JOUR 1
JOUR 2
Dans le train, tweet d’un confrère : « Le prochain qui me souhaite de bonnes vacances parce que je pars à Cannes, je le gifle à coups de films roumains de 2 h 50 à 8 heures du mat’. » Pour le glamour aussi, on repassera : le Palais des festivals est encore en travaux, et on voit le film d’ouverture, Café Society de Woody Allen, vraiment de biais, parce qu’on a galéré pour trouver une place dans la salle.
On a testé pour vous : regarder un accouchement en temps réel en plan frontal à 8 h 30 (dans Rester vertical d’Alain Guiraudie). Vent de panique sur la Croisette : le Hollywood Reporter annonce que le Petit Majestic, bar historique des recalés des soirées, risque cette année de tirer le rideau dès 0 h 30. On constate avec soulagement, depuis notre appartement situé juste au-dessus, qu’il ferme plutôt entre 2 et 3 heures.
« Tu es vraiment adorable. Tu me fais penser à un chevreuil pris dans les phares d’une voiture. » Café Society
JOUR 3 Paradoxe cannois : sortir du bouleversant drame social de Ken Loach et tomber sur deux stars descendant d’une limo sous les flashes pour s’engouffrer dans un palace. Coucou Susan Sarandon et Naomi Watts. À la soirée du délicieux Victoria de Justine Triet, on aborde Arthur Mazet en lui parlant de ses fesses, qu’on voit paraît-il très bien dans Elle de Paul Verhoeven.
JOUR 4 Matin coquin : devant Mademoiselle de Park Chan-wook, le plaisir monte graduellement jusqu’à l’euphorie. Apprenant que Hong Sang-soo tourne un film avec Isabelle Huppert sur la Croisette, on reste à l’affût, en vain. On croise en revanche la créature velue de l’hilarant Toni Erdmann de Maren Ade. Et d’autres bêtes à poils et à paillettes.
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COMPTE-RENDU
JOUR 5 Journée en demi-teinte : on se fait refouler de la première projection, pleine à craquer, d’American Honey d’Andrea Arnold (on le rattrape à la suivante) et confisquer notre appareil photo jetable par les vigiles à l’entrée de Mal de pierres de Nicole Garcia. Le soir, on attend pour dîner devant le meilleur italien de Cannes, mais Chloë Sevigny arrive et nous grille la place.
« Le dernier arrivé est un pédophile. »
Devant le beau Loving de Jeff Nichols, on se remet doucement de la soirée de la veille, où on a dansé avec les kids d’American Honey sur la B. O. démente du film, entre trap et country. En guise de récré, détour par le Marché du film, au sous-sol du Palais (amis du bon goût, on vous conseille le stand des productions hongkongaises).
American Honey JOUR 7 Sur un toit-terrasse battu par les vents, on interviewe Kleber Mendonça Filho pour son film Aquarius. Inquiète de nous voir grelotter, son actrice Sonia Braga nous propose une petite laine. Avant la projo de Voir du pays de Delphine et Muriel Coulin, le délégué général du Festival, Thierry Frémaux, fait fièrement remarquer que le film est réalisé non pas par une, mais par deux femmes. Merci Thierry.
« J’aime les pays avec une classe moyenne. C’est très reposant. » Toni Erdmann
B. O. à écouter les yeux fermés Choices (Yup) d’E-40 dans American Honey d’Andrea Arnold Home Is Where It Hurts de Camille dans Juste la fin du monde de Xavier Dolan Hoje de Taiguara dans Aquarius de Kleber Mendonça Filho Away de Wall of Death dans Rester vertical d’Alain Guiraudie
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JOUR 6
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« Quand je ferme ma gueule, c’est pour donner l’exemple. »
JOUR 8 Malgré notre ingénieux système de foulard à double-fond, on se fait confisquer notre bouteille d’eau à l’entrée de la projection de La Fille inconnue des frères Dardenne. On partage un instant de paix avec Jim Jarmusch en discutant poésie, avant de replonger dans l’hystérie devant la projo presse, prise d’assaut, de Juste la fin du monde de Xavier Dolan. On entre in extremis.
Juste la fin du monde
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JOUR 9 Aujourd’hui, police partout : dans les rues (paraît même que des snipers sont planqués sur les toits) et dans les films. Ceux de Ma’ Rosa du Philippin Brillante Mendoza sont véreux et violents, et ceux de Baccalauréat du Roumain Cristian Mungiu, corrompus. Entre les deux projos, on se prend un gadin magistral : la tension, sans doute.
« Poésie en traduction est comme douche en imper. » Paterson
JOUR 10
JOUR 11
Du coup, au réveil, bleu énorme sur le genou. On découvre donc avec une empathie particulière la jambe du roi noircie par la gangrène dans La Mort de Louis XIV d’Albert Serra. Au début de la projection du Client d’Asghar Farhadi, au lieu du traditionnel « Raoul ! » quelqu’un crie « Simone ! » Les gens rient. Preuve que tout le monde a besoin de sommeil.
Nicolas Winding Refn aussi est fatigué : le réalisateur de The Neon Demon bâille tout son saoul pendant qu’on l’interviewe. Pas grave, Paul Verhoeven, lui, est bien réveillé. Son Elle, qui referme la Compétition, est jouissif. Il est temps de rentrer : demain, on regardera la cérémonie de clôture à la télé. • J. R., R. S., T. Z.
PALMARÈS officiel Palme d’or : Moi, Daniel Blake de Ken Loach. Grand prix : Juste la fin du monde de Xavier Dolan. Prix de la mise en scène (ex æquo) : Cristian Mungiu pour Baccalauréat et Olivier Assayas pour Personal Shopper. Prix du scénario : Asghar Farhadi pour Le Client. Prix du jury : Andrea Arnold pour American Honey. Prix d’interprétation féminine : Jaclyn Jose dans Ma’ Rosa de Brillante Mendoza. Prix d’interprétation masculine : Shahab Hosseini dans Le Client d’Asghar Farhadi.
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© haut et court
COMPTE-RENDU
Le grand débordement
« T’as du clito ! » hurlait Houda Benyamina, Caméra d’or en main, sur la scène de la cérémonie de clôture au directeur de la Quinzaine des réalisateurs, qui avait sélectionné son film. Tirée de Divines, la réplique et l’outrageuse exubérance avec laquelle elle fut lancée résument bien ce 69e Festival de Cannes.
Déjà
parce que, une fois n’est pas coutume, les femmes ont été particulièrement à l’honneur sur la Croisette. Non pas derrière la caméra (trois femmes sur vingt et un cinéastes en Compétition), mais sur les écrans : on se réjouit de la richesse, de l’ambivalence et de la complexité des personnages féminins filmés, pour les plus fascinants, dans la fleur de l’âge (chez Pedro Almodóvar, Paul Verhoeven, ou Kleber Mendonça Filho). On a ensuite constaté que les films les plus enthousiasmants de la Compétition partageaient tous une démesure jouissive parce qu’assumée et exploitée à fond. Elle de Paul Verhoeven et sa façon presque farcesque de portraiturer son héroïne à la sexualité extrême ; Toni Erdmann de Maren Ade et son délirant jeu de rôle entre un père et sa fille, étiré jusqu’à l’absurde (et jusqu’au coussin péteur) ; Mademoiselle de Park Chan-wook, relecture volontiers parodique et follement romanesque des écrits de Sade et des estampes érotiques de
Hokusai ; Juste la fin du monde de Xavier Dolan et sa manière radicale de travailler au corps l’artifice et le théâtral ; Paterson de Jim Jarmusch, proposition entière et décomplexée sur la poésie ; sans oublier l’acharnement de Ken Loach à dénoncer, avec la même rage film après film, les inégalités sociales. Assez logiquement donc, les purs films de genre ont été à l’honneur, explorés goulûment par des cinéastes audacieux, tels Nicolas Winding Refn et son essai sur le cannibalisme, ou Olivier Assayas et sa relecture du film de fantômes. Il y eut des membres coupés, des scènes de cul échevelées (dont une sodomie gérontophile d’euthanasie dans Rester vertical d’Alain Guiraudie, et un cunnilingus en vue subjective du clitoris dans Mademoiselle), des familles qui s’écharpent, des flots de répliques assassines. Une débauche roborative, parfois éprouvante, mais toujours follement réjouissante. • Juliette Reitzer et Raphaëlle Simon
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Sandra Hüller dans Toni Erdmann de Maren Ade
ZOOM ZOOM Les films du mois à la loupe
8 juin La Quatrième Voie (Chauthi Koot) de Gurvinder Singh Épicentre Films (1 h 55)
Vicky de Denis Imbert Gaumont (1 h 28)
15 juiN
La Forêt des Quinconces de G. Leprince-Ringuet Alfama (1 h 49) P. 72
Diamant noir d’Arthur Harari Ad Vitam (1 h 55) P. 28
La Nouvelle Vie de Paul Sneijder de Thomas Vincent SND (1 h 54)
Le Monde de Dory d’A. Stanton et A. MacLane Walt Disney (1 h 35) P. 46
The Neon Demon de Nicolas Winding Refn The Jokers/Le Pacte (1 h 57) P. 68
Celui qu’on attendait de Serge Avédikian Les Acacias (1 h 30)
La Loi de la jungle d’Antonin Peretjatko Haut et Court (1 h 39) P. 70
Illégitime d’Adrian Sitaru Damned (1 h 29) P. 78
Bienvenue à Marly-Gomont de Julien Rambaldi Mars (1 h 36)
Belladonna d’Eiichi Yamamoto Eurozoom (1 h 33) P. 78
American Hero de Nick Love Chrysalis Films (1 h 26) P. 86
600 euros d’Adnane Tragha La Vingt-Cinquième Heure (1 h 26)
Un traître idéal de Susanna White StudioCanal (1 h 48) P. 88
The Witch de Robert Eggers Universal Pictures (1 h 35)
Ma ma de Julio Medem KMBO (1 h 51) P. 86
Peshmerga de Bernard-Henri Lévy Ad Vitam (1 h 32) P. 86
Dans les forêts de Sibérie de Safy Nebbou Paname (1 h 45) P. 88
Ma meilleure amie de Catherine Hardwicke Océan Films (1 h 52)
Ouragan de C. Barbançon, A. Byatt… Océan Films (1 h 23) P. 86
Folles de joie de Paolo Virzì Bac Films (1 h 56) P. 86
Tous les chats sont gris de Savina Dellicour Zootrope Films (1 h 27) P. 88
L’Idéal de Frédéric Beigbeder Légende (1 h 30)
Tout de suite maintenant de Pascal Bonitzer Ad Vitam (1 h 38) P. 44
22 juin
Love & Friendship de Whit Stillman Sophie Dulac (1 h 32) P .74
Voix off de Cristián Jiménez JHR Films (1 h 36) P. 90
La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit Wild Bunch (1 h 20) P. 122
Tarzan de David Yates Warner Bros. (1 h 50)
Ce qu’il reste de la folie de Joris Lachaise Ed (1 h 30) P. 76
Casablancas. L’homme qui aimait les femmes de Hubert Woroniecki UFO (1 h 29) – P. 90
Camping 3 de Fabien Onteniente Pathé (1 h 45)
Sur quel pied danser de Paul Calori et Kostia Testut Rezo Films (1 h 25)
L’Outsider de Christophe Barratier Le Pacte (1 h 57) P. 88
L’Effet aquatique de Sólveig Anspach Le Pacte (1 h 23) P. 80
Layla in the Sky de Micah Magee Bodega (1 h 32) P. 88
Le Décalogue de Krzysztof Kieślowski Diaphana (9 h 32) P. 32
6 juil.
Nos pires voisins 2 de Nicholas Stoller Universal Pictures (1 h 32)
Malgré la nuit de Philippe Grandrieux Shellac (2 h 30) P. 82
Hibou de Ramzy Bedia Gaumont (1 h 40)
Truman de Cesc Gay La Belle Company (1 h 46) P. 82
Irréprochable de Sébastien Marnier Memento Films (1 h 43) P. 90
29 juin Cosmodrama de Philippe Fernandez La Vingt-Cinquième Heure (1 h 52) – P. 80
Le Professeur de violon de Sérgio Machado Jour2fête (1 h 40) P. 123
Le Secret des banquises de Marie Madinier Mars (1 h 21)
Moi, Olga de P. Kazda et T. Weinreb Arizona Films (1 h 45) P. 84
Je me tue à le dire de Xavier Seron Happiness (1 h 30) P. 90
Avant toi de Thea Sharrock Warner Bros. (1 h 50)
Insiang de Lino Brocka Carlotta (1 h 37)
The Strangers de Na Hong-jin Metropolitan FilmExport (2 h 36) – P. 84
Viva de Paddy Breathnach ARP Sélection (1 h 40) P. 90
FILMS
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THE NEON DEMON
Après
Only God Forgives (2013), qui lorgnait déjà vers l’abstraction, Nicolas Winding Refn atteint un niveau de beauté plastique et sonore ahurissant avec un jubilatoire conte horrifique sur le milieu de la mode. L’intrigue de The Neon Demon est simplissime : à Los Angeles, l’innocente Jesse (Elle Fanning, au jeu d’une étonnante maturité) veut devenir mannequin, sans soupçonner que sa beauté et son magnétisme naturels susciteront la jalousie de ses consœurs et l’obsession d’une maquilleuse (Jena Malone), sa seule alliée dans la profession… Bain de sang (au sens littéral), nécrophilie et cannibalisme : le réalisateur danois pousse la provocation à l’extrême et laisse libre court à ses expérimentations formelles. « La beauté ne fait pas tout. Elle est tout. » Prononcée par un chasseur de têtes qui repère Jesse, cette maxime semble être le moteur du film. S’il jette un regard
ultra cynique sur ce monde de papier glacé, Winding Refn prend un plaisir évident à le filmer dans des plans fabuleusement composés, éclairés au néon et transcendés par la musique electro sombre et chaotique de Cliff Martinez, son complice depuis Drive (2011). Le réalisateur touche au sublime dans une séquence abstraite qui semble concrétiser les idées visuelles esquissées par Henri-Georges Clouzot pour son mythique film inachevé L’Enfer. On émerge de ce somptueux cauchemar les pupilles éclaboussées de lumières bleues, blanches, or et rouge sang. • TIMÉ ZOPPÉ
— : de Nicolas Winding Refn (1 h 57) avec Elle Fanning, Jena Malone… Sortie le 8 juin (The Jokers/Le Pacte)
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3 QUESTIONS À NICOLAS WINDING REFN Comment avez-vous façonné ce curieux objet ? Je pense qu’en chaque homme sommeille une jeune fille de 16 ans. Je voulais en donner ma version dans un film d’horreur pour ados qui traite de la beauté et de la folie. J’ai ensuite tout simplement écrit le scénario dans l’ordre chronologique, en me basant sur des sortes de tableaux, d’images qui me venaient à l’esprit.
Qu’est-ce que le fait de vous focaliser sur des femmes a changé ? Rien. Je dirais simplement que c’était environ dix pour cent plus fun à faire que mes films précédents, qui étaient centrés sur des hommes, parce que les femmes sont plus agréables à filmer. Je ne fais rien de politique, je n’ai pas de programme. Mon approche des choses est purement visuelle. 68
Vous ne vous intéressez donc pas au sens de vos films ? Non, pas tant que ça. Je n’ai aucun intérêt pour l’information. Le plaisir de la créativité, c’est de réagir instinctivement, c’est-à-dire avant de comprendre. Je ne ferai décidément jamais des films aimables, comme la majorité de ceux que l’on voit. Je ne m’intéresse vraiment qu’à la réaction.
FILMS
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LA LOI DE LA JUNGLE
Chargé
de mettre aux normes un projet de station de ski sous les tropiques de Guyane, un stagiaire de 35 ans se perd dans la jungle et dans d’étranges aventures avec Tarzan, son accompagnatrice. Après La Fille du 14 juillet, Antonin Peretjatko retrouve Vincent Macaigne, d’une passivité touchante, et Vimala Pons, modèle d’intrépidité, pour essaimer, dans la boue amazonienne et dans l’attitude de ses héros, les traces de sa fantaisie où le dérèglement est norme. Prisonniers d’une société bureaucratique qui les astreint à des tâches aberrantes, les deux stagiaires sont les détonateurs d’un savant mélange de péripéties endiablées et de moments calmes, faux temps morts toujours chahutés par une faramineuse série de gags visuels. Le comique de répétition, compagnon de dialogues sérieusement
déjantés, partage le cadre avec de savoureux effets absurdes, tels que l’apparition d’une tong géante aux couleurs du Brésil en plein milieu de la forêt, ou les prédispositions au jazz d’une chenille. Équilibre constant entre surréalisme magnétique et souci de réalisme – le film est tourné en décor naturel et abrite d’authentiques mygales et autres animaux sauvages –, cette comédie inventive, autant influencée par le cinéma burlesque muet que par les facéties de Pierre Richard, est un de ces plaisirs qui se consomment sans la moindre retenue. • OLIVIER MARLAS
— : d’Antonin Peretjatko (1 h 39) avec Vincent Macaigne, Vimala Pons… Sortie le 15 juin (Haut et Court)
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3 QUESTIONS À ANTONIN PERETJATKO La cadence de l’image est légèrement accélérée. D’où vient cet effet ? On a tourné avec une fréquence de 21,5 à 24 images par seconde. Ça permet de conserver un rythme sautillant et de passer rapidement d’un gag à l’autre, sans temps mort. Le jeu doit aller à l’essentiel. Howard Hawks pensait d’ailleurs que le cinéma sonore ralentissait les films, et il demandait donc aux comédiens de jouer plus vite.
Comment éviter que la profusion des gags ne nuise au rythme du récit ? L’enjeu est d’atteindre un équilibre, sans écraser le spectateur sous une tonne d’effets visuels ni le laisser errer au milieu de cette jungle. À ce titre, trouver le rythme juste, le bon mot, est capital. La pensée des effets comiques se formule à l’écriture ; ensuite, ce sont les personnages qui s’insèrent dans le récit. 70
Vous pointez les dérives d’un système qui ne tourne plus rond. Est-ce un film politique ? Absolument. Je trouve que dans le cinéma français, et dans les comédies en particulier, il manque généralement un point de vue sur le monde d’aujourd’hui. J’expose donc le mien, par exemple à travers le projet absurde « Guyaneige », mais sans chercher à convaincre. À mon sens, il s’agit plus d’un film engagé que militant.
FILMS
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LA FORÊT DE QUINCONCES
Avec
ses dialogues écrits en vers et son intrigue amoureuse tirant vers le fantastique, le premier long métrage de l’acteur Grégoire Leprince-Ringuet est de nature aventureuse et exaltée. Paul (Leprince-Ringuet lui-même) aime Ondine (l’impétueuse Amandine Truffy) à se damner, mais la jeune fille étouffe et préfère le quitter. Dès lors, il fait le vœu de ne plus jamais aimer… Le film est écrit dans une très belle langue, avec des dialogues poétiques qui font des allers-retours entre vers et prose. On passe ainsi souvent d’un langage très sophistiqué à un registre beaucoup plus spontané – des changements de style qui font écho aux atermoiements sentimentaux des personnages. Si on est d’abord perturbé par l’artifice des dialogues, qui pourraient paraître un peu raides ou empesés, on est ensuite conquis par leur musicalité, le film
faisant preuve d’un lyrisme audacieux, passionné. À travers ce langage élaboré et des personnages souvent montrés en situation de fuite, comme s’ils voulaient sortir d’un cadre amoureux trop rigide, il est aussi question de contrainte et de liberté. Paul brise son serment et finit par tomber dans les bras de Camille (Pauline Caupenne, mystérieuse), qui use d’un sortilège pour faire de lui un captif amoureux. Cette échappée vers le fantastique correspond à une croyance qui est au cœur du film, celle du pouvoir d’envoûtement des mots. • QUENTIN GROSSET
— : de Grégoire Leprince-Ringuet (1 h 49) avec Grégoire Leprince-Ringuet, Pauline Caupenne… sortie le 22 juin (Alfama Films)
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3 QUESTIONS À GRÉGOIRE LEPRINCE-RINGUET Qu’est-ce qui vous intéresse plus particulièrement dans la poésie ? J’en lis depuis que je suis très jeune et j’ai une préférence pour la poésie versifiée. Ce qui me charme le plus, c’est la concordance entre le sens des mots et la construction, la musique de la phrase. Paul Valéry est mon poète préféré, parce que sa langue est à la fois très articulée et très sensuelle.
À quoi correspond le motif de la forêt plantée en quinconce dans laquelle Paul se perd ? C’est l’idée qu’il est beaucoup plus facile de se perdre dans un univers très normé, rectiligne, que dans le chaos, où l’on peut se créer nous-mêmes des points de repère. Je pense que le désordre de la vie peut aider à faire des choix. 72
Le film est littéraire, mais aussi très physique, notamment dans la scène de danse. Je voulais que Paul et Camille se rencontrent avec leur corps avant de s’adresser la parole. J’ai fait appel à la chorégraphe Georgia Ives. Dans ses chorégraphies, il y a toujours un moment où on a l’impression que les mouvements sont des gestes quotidiens.
FILMS
ZOOM
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LOVE & FRIENDSHIP
Le
trop rare Whit Stillman (Metropolitan, Damsels in Distress) s’empare du roman épistolaire Lady Susan écrit fin xviiie par Jane Austen en revitalisant son humour corrosif et son mordant portrait de femmes. Dès la séquence d’ouverture, dans laquelle défilent un peu trop vite les nombreux personnages présentés dans des poses guindées, on sent poindre l’intention du réalisateur américain : faire du cinéma, pas de la littérature. L’important n’est ainsi pas de saisir toutes les subtilités de cette étude de mœurs de la haute société anglaise du xviiie siècle, mais plutôt de s’y balader nonchalamment et de picorer les pépites humoristiques qui la parsèment. Jeune veuve, Lady Susan (Kate Beckinsale, qui joue le cynisme comme personne) cherche les meilleurs partis pour elle et sa fille adolescente afin de pouvoir continuer à vivre dans l’opulence sans travailler. Entre Reginald, jeune homme aussi attirant qu’intelligent, et Sir James Martin, richissime aristocrate d’une stupidité inouïe, sa raison – et non son cœur, puisqu’elle semble
en être dépourvue – balance. L’ironie du film sourd de son titre lui-même, puisque Love & Friendship parle finalement très peu d’amour. L’amitié y tient en revanche une place de choix, comme l’atteste la relation complice qu’elle entretient avec une Américaine (Chloë Sevigny, que l’on a plaisir à retrouver en duo avec Beckinsale, après Les Derniers Jours du disco du même cinéaste) qui guette impatiemment la mort de son riche époux. Alors que leurs personnalités machiavéliques se déchaînent dans leurs hilarantes confidences, on comprend que la manipulation est le seul moyen pour elles d’échapper au carcan du patriarcat. Un sarcasme bien éloquent au sein d’une désopilante mascarade. • TIMÉ ZOPPÉ
— : de Whit Stillman (1 h 32) avec Kate Beckinsale, Chloë Sevigny… Sortie le 22 juin (Sophie Dulac)
—
3 FILMS ADAPTÉS DE JANE AUSTEN Raison et Sentiments d’Ang Lee (1996) Emma Thompson fait main basse sur le premier roman de l’écrivaine : elle scénarise cette adaptation lyrique en plus d’en tenir le rôle principal.
Clueless d’Amy Heckerling (1996) Inspiré du roman Emma, le film, qui suit une bande de riches lycéens de Beverly Hills dans les années 1990, est devenu un classique du teen movie. 74
Orgueil et Préjugés de Joe Wright (2006) Cette fidèle adaptation du plus populaire des livres de Jane Austen a permis à l’actrice Keira Knightley de frôler l’Oscar de la meilleure actrice.
FILMS
CE QU’IL RESTE DE LA FOLIE
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À
Dakar, où guérisseurs et exorcistes concurrencent la « médecine des blancs », l’opacité de la psychiatrie fait débat. En l’absence de vraies passerelles avec les traditions, faut-il décoloniser la folie ? Depuis Titicut Folies de Frederick Wiseman (1967, sorti en France en 1993), si la prise en charge des malades mentaux continue d’intéresser les documentaristes du monde entier, c’est souvent parce qu’elle agit comme un effet loupe sur la société qui les entoure. C’est ainsi que, malgré des sujets pourtant ressemblants, À la folie de Wang Bing (2014), tourné dans un hôpital psychiatrique chinois, et Ce qu’il reste de la folie ne racontent pas du tout la même histoire. De fait, réalisé dans l’asile de Thiaroye, où psychiatrie et médecines ancestrales s’emploient non sans mal à trouver un terrain d’entente, le film de Joris Lachaise reflète, en filigrane, combien l’indépendance culturelle du Sénégal reste un chemin semé d’obstacles. Louvoyant parmi les acteurs d’un débat cacophonique, aussi bien du côté des malades que des psychiatres et des guérisseurs, le cinéaste dresse ainsi le tableau lucide d’une controverse (le traitement de la folie dans un territoire jadis colonisé) qui elle-même suscite l’hystérie. Suggestif et jamais tape-à-l’œil, le film, qui ne fait pas l’impasse sur une certaine violence, trouve brillamment son équilibre aux dépens de
toute grandiloquence. Du reste, jamais Lachaise ne cède au sensationnalisme, et ce malgré la brutalité de certaines scènes de rite, toujours nécessaires à la compréhension d’un contexte équivoque. Mais la beauté de Ce qu’il reste de la folie réside dans une histoire parallèle, discrètement insérée dans la première, à la fois plus modeste et plus tragique : celle de la cinéaste Khady Sylla, traitée pour épisodes dépressifs depuis 1996, et qui a mis fin à ses jours en 2014 – sa parole, d’abord optimiste, se teinte progressivement d’inquiétude avant de s’étrangler dans les sanglots. Filmé sur une période allant de 2011 à 2014, ce portrait restera le dernier, et sans doute le plus intime témoignage de la réalisatrice de Colobane Express. Rien d’accablant pour autant, car si Lachaise, qui fut son chef opérateur, consent à laisser se promener ce petit fantôme d’un bout à l’autre du récit, c’est bien pour offrir à son large sourire le plus amical et le plus précieux des écrins. • ADRIEN DÉNOUETTE
En l’absence de vraies passerelles avec les traditions, faut-il décoloniser la folie ?
— : de Joris Lachaise (1 h 30) Documentaire Sortie le 22 juin (Ed)
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FILMS
ILLÉGITIME
— : d’Adrian Sitaru (1 h 29) avec Adrian Titieni, Alina Grigore… Sortie le 8 juin (Damned)
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Le
film d’Adrian Sitaru s’intègre parfaitement dans ce que l’on aura nommé la « nouvelle vague du cinéma roumain » – qui a fait émerger avant lui ses compatriotes Cristi Puiu ou Cristian Mungiu, tous deux en Compétition officielle à Cannes cette année. Illégitime fait écho au premier par l’essorage tant sémantique que viscéral du linge sale familial, et au second par la présence de l’acteur Adrian Titieni. Sa performance, bluffante, participe ici de l’angoisse générale. Lors du dîner de famille qui ouvre le film, son personnage, pris à partie par ses enfants pour sa position anti-avortement, se révèle davantage proche d’un ogre que d’un père. Ce qui laisse augurer du pire quand Sasha et Romi, jumeaux fusionnels et derniers-nés de la famille, sont contraints de lui avouer l’impensable secret qui les unit… Non seulement Adrian Sitaru compose parfaitement cette inquiétude graduelle, mais il joue avec les attentes du spectateur au fil de sa tragi-comédie. Le chemin qu’il emprunte dans le dernier tiers du film se révèle finalement aussi déroutant que convaincant. • HENDY BICAISE
BELLADONNA
— : d’Eiichi Yamamoto (1 h 33) Animation Ressortie le 15 juin (Eurozoom)
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Longtemps,
Belladonna est resté cantonné dans les songes fiévreux des cinéphiles : film culte par excellence, réalisé en 1973, cette histoire de sorcière médiévale a été invisible pendant plus de quarante ans. Sa résurrection tient donc du miracle… ou plutôt du pacte démoniaque. Il semble que seules les années 1970 pouvaient accoucher d’un film aussi fou. Adaptation de La Sorcière de Jules Michelet, ce film d’animation produit par le père fondateur du manga et de la japanimation, Osamu Tezuka, bénéficia de moyens colossaux et d’une liberté d’action totale pour nous offrir un sabbat cinématographique hypnotisant. Au-delà de son érotisme sacrilège (le diable est un phallus qui grossit au contact de l’héroïne) et de son discours violemment féministe, Belladonna est une expérience visuelle et sonore sans équivalent. Rythmé par une incroyable partition de rock progressif signée du jazzman Masahiko Satō, le film alterne tableaux à l’aquarelle très influencés par Gustav Klimt et séquences extrêmement animées qui noient le spectateur dans une orgie de couleurs et de mouvements ensorcelants. • JULIEN DUPUY
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FILMS
COSMODRAMA
— : de Philippe Fernandez (1 h 52) avec Jackie Berroyer, Bernard Blancan… Sortie le 22 juin (La Vingt-Cinquième Heure)
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Une
bande d’apprentis métaphysiciens babas cool se réveille à bord d’un vaisseau spatial. Si Cosmodrama s’amuse de leur perplexité, celle du spectateur ne dure pas. Composée de quatorze tableaux imposants, cette aventure aussi lo-fi que loufoque tire sans cesse le meilleur de son postulat et de son décor seventies minimaliste, au point d’exercer une fascination proche de l’hypnose. Le plaisir procuré par le film vient aussi d’un réjouissant constat : le cinéma français n’a plus peur du film du genre, l’avènement du numérique permettant aujourd’hui aux cinéastes de s’aventurer dans la science-fiction sans disposer d’un budget démentiel. Après Gaz de France de Benoît Forgeard sorti en début d’année, Cosmodrama confirme ainsi qu’il est possible de faire rimer anticipation et ambition. Le film n’a certes rien d’un blockbuster, mais la mise en scène ne se repose jamais sur le seul pouvoir de la suggestion – il y a beaucoup à voir dans ce drôle d’univers. On en jalouserait presque le personnage de Jacky Berroyer – et son don d’ubiquité – qui, coincé pour toujours dans les dédales de ce Cosmodrama, ne perdra jamais rien de ses sous-intrigues farfelues. • HENDY BICAISE
L’EFFET AQUATIQUE
— : de Sólveig Anspach (1 h 23) avec Florence Loiret-Caille, Samir Guesmi… Sortie le 29 juin (Le Pacte)
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Samir,
grutier à Montreuil, est prêt à tout pour séduire Agathe, une jolie maître-nageuse ; y compris à se faire passer pour un nageur novice, avec tout le ridicule que cela implique – maillot de bain moulant, gestes enfantins répétés dans la pataugeoire… Mais, heureusement pour Samir, l’aspect un peu humiliant, voire régressif, de sa démarche (on n’est pas loin du bain amniotique) se solde par un rapprochement plus érotique, grâce à la promiscuité qu’implique la piscine. L’« effet aquatique » de l’ultime long métrage de Sólveig Anspach (la réalisatrice est décédée en 2015) se résume au fond à une simple expérience chimique : qu’advient-il de deux corps étrangers réunis dans un même bassin ? C’est un passage du solide au liquide, à la fois pour les personnages, qui tentent de renaître en se dédouanant des pesanteurs réelles (l’identité, le passé), et pour le film, qui plonge le burlesque dans la comédie romantique. Il accouche d’une histoire d’amour réconciliatrice, volontiers extravagante, au cours de laquelle le conflit israélo-palestinien s’apaise tranquillement en Islande (sic). Savoureux objet amphibie. • ÉRIC VERNAY
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FILMS
MALGRÉ LA NUIT
— : de Philippe Grandrieux (2 h 30) avec Ariane Labed, Roxane Mesquida… Sortie le 6 juillet (Shellac)
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Jeune
Anglais au visage doux, Lenz (Kristian Marr) revient à Paris, où il a vécu quelques années auparavant. Dans les profondeurs de la nuit, il cherche Madeleine, son amour mystérieusement disparu, tombe sur un vieil ami (Paul Hamy), puis dans les bras d’une infirmière (Ariane Labed) et d’une chanteuse (Roxane Mesquida). Avec Malgré la nuit, le Français Philippe Grandrieux, issu du cinéma expérimental, livre sans doute son long métrage le plus narratif – peut-être sous l’influence de Rebecca Zlotowski qui cosigne le scénario – avec ce récit de jalousie et d’enquête. Il n’en délaisse pas pour autant sa passionnante recherche sur l’image, les raccords et les textures sonores, travail qui lui permet, depuis Sombre en 1998, de façonner une poésie noire et entêtante qui puise dans les bas-fonds des désirs humains – ici, le bondage et les snuff movies. Si l’on regrette qu’il ressasse encore la même obsession – les femmes voulant se faire frapper par les hommes –, il trouve cette fois un souffle nouveau en prenant davantage le point de vue des personnages féminins et en filmant un Paris nocturne méconnaissable, chargé d’amour et de souvenirs lancinants. • TIMÉ ZOPPÉ
TRUMAN
— : de Cesc Gay (1 h 46) avec Ricardo Darín, Javier Cámara… Sortie le 6 juillet (La Belle Company)
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Atteint
d’une tumeur incurable, le Madrilène Julián vit ses derniers jours en songeant au futur de l’être qui compte le plus pour lui : Truman, son chien… Lorsque Tomás arrive du Canada pour lui rendre visite, c’est l’occasion pour les deux amis de se mettre à la recherche d’une famille adoptive pour Truman. Malheureusement, l’animal déjà âgé n’intéresse pas grand monde... Si la maladie, la mort et les souvenirs sont parmi les thèmes qui traversent le film, jamais ce dernier ne se complaît dans un récit funèbre ni dans le passéisme. Au contraire, le cinéaste espagnol Cesc Gay célèbre l’instant présent grâce à la formidable aura de son duo d’acteurs, Ricardo Darín, à la fois sobre et exalté, et Javier Cámara, d’une sérénité totale. En retrait, la mise en scène sert parfaitement les personnages, moteurs d’un récit dont le sujet délicat ne convoque aucuns bons sentiments. Les sourires sont communicatifs, faisant du spectateur le complice des changements d’humeur des deux héros, parfois dépassés par la situation, mais sans cesse guidés par une vitalité qui déborde de l’écran. • OLIVIER MARLAS
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FILMS
THE STRANGERS
— : de Na Hong-jin (2 h 36) avec Kwak Do-won, Hwang Jeong-min… sortie le 6 juillet (Metropolitan FilmExport)
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On
retrouve dans The Strangers les ingrédients habituels du polar coréen : flics à côté de la plaque, enquête qui s’enlise, village morbide sur lequel tombent des cordes. Mais le troisième long métrage de Na Hong-jin (après The Chaser et The Murderer) n’en reste pas là et se laisse progressivement contaminer par des bouffées hallucinatoires, spasmes délirants qui s’abattent sur le film telles les dix plaies d’Égypte. Car un mal étrange ronge les environs, au point de transformer certains des habitants en zombies assoiffés de sang. La grande force de The Strangers tient ainsi à sa manière d’accueillir plusieurs niveaux de réalité : pistes policières, fantastiques et familiales s’entremêlent et se superposent, dans les couloirs d’une intrigue opaque qui jamais ne tranchera entre effroi et humour, polar horrifique et farce grotesque. Si Na donne parfois le sentiment d’abusivement tirer sur la corde de son scénario (le film dure 2 h 36), le réalisateur trouve dans cet art de l’hypertrophie une inspiration parfois stupéfiante, en nourrissant le feu de chaque séquence jusqu’à l’incandescence. • LOUIS BLANCHOT
MOI, OLGA
— : de Petr Kazda et Tomáš Weinreb (1 h 45) avec Michalina Olszańska, Martin Pechlát… sortie le 6 juillet (Arizona Films)
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Les
réalisateurs tchèques Tomáš Weinreb et Petr Kazda consacrent leur premier long métrage à Olga Hepnarová, qui tua huit personnes en leur roulant volontairement dessus avec un camion dans la Tchécoslovaquie des années 1970. Subissant des brimades depuis son enfance, la jeune fille est peu à peu devenue imperméable au monde : l’actrice Michalina Olszańska, recroquevillée, le regard dans le vide, l’interprète avec une violence sourde. Quant aux cinéastes, ils choisissent une forme rigide avec des cadres fixes et un noir et blanc austère pour figurer une colère contenue qui ne demande qu’à éclater. Suivant ce personnage nihiliste et vengeur dans son quotidien avant la tuerie (dans ses aventures amoureuses avec des femmes qui finissent par la rejetter, pendant son internement en hôpital psychiatrique où elle se sent incomprise, puis dans son emploi de conductrice de camion…), Weinreb et Kazda gardent une distance juste. Ils ne jugent pas leur personnage, ni ne cherchent à le comprendre. Méthodiques et implacables, ils préfèrent le regarder évoluer avec retenue et sidération. • QUENTIN GROSSET
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FILMS AMERICAN HERO
Personnage doté de super-pouvoirs, Melvin, qui mène une vie aussi futile que monotone, décide de se responsabiliser. Fini, les fêtes chez sa mère, place à la lutte contre le crime ! Enrobées dans une comédie fantastique qui emprunte à l’esthétique du reportage télé, les aventures de ce loser trentenaire se dégustent avec plaisir. • O. M.
: de Nick Love (1 h 26)
avec Stephen Dorff, Eddie Griffin… Sortie le 8 juin (Chrysalis Films)
MA MA
Après que son mari l’a quittée et qu’on lui a diagnostiqué un cancer du sein, Magda (Penélope Cruz, pétillante), mère d’un préado, rencontre un homme (Luis Tosar) qui vient de perdre sa fille, et peut-être sa femme, dans un accident… Julio Medem donne de l’allant à cette histoire sombre en se concentrant sur l’amour qui soude ce nouveau couple et leurs proches. • T. Z .
: de Julio Medem (1 h 51)
avec Penélope Cruz, Luis Tosar… Sortie le 8 juin (KMBO)
OURAGAN
Ce documentaire suit le parcours de l’ouragan Lucy en s’intéressant au sort des populations après son passage. Avec lyrisme (le vent est personnifié par une voix off qui lit des extraits des Travailleurs de la mer de Victor Hugo), les réalisateurs saisissent le caractère spectaculaire du phénomène, grâce notamment à une 3D qui souligne son ampleur. • Q. G.
: de C. Barbançon, A. Byatt et J. Farmer (1 h 23) Documentaire Sortie le 8 juin (Océan Films)
FOLLES DE JOIE
Dans un hôpital psychiatrique toscan, deux patientes, la fantasque Béatrice et la ténébreuse Donatella, poursuivent une même quête : réunir Donatella et son fils, dont celle-ci a perdu la garde. L’agitation des personnages et du filmage déconcerte un temps, puis le charme du tandem opère, et l’on se laisse finalement submerger par l’émotion, à fleur de peau. • H. B.
: de Paolo Virzi (1 h 56)
avec Valeria Bruni Tedeschi, Micaela Ramazzotti… Sortie le 8 juin (Bac Films)
PESHMERGA
De juillet à décembre 2015, Bernard-Henri Lévy a suivi le combat des peshmergas kurdes le long de la frontière entre le Kurdistan irakien et les territoires tenus par l’organisation État islamique. Si le ton affecté du philosophe en voix off peut agacer, son documentaire réussit à nous immerger littéralement dans le quotidien âpre de ces soldats. • T. Z .
: de Bernard-Henri Lévy (1 h 32) Documentaire Sortie le 8 juin (Ad Vitam)
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FILMS UN TRAÎTRE IDÉAL
Si les codes du film d’espionnage sont ici respectés (nombreux voyages, double jeu permanent, organisations criminelles et étatiques), le film de la Britannique Susanna White se distingue en ne mettant à disposition de son héros – un civil, partenaire de fortune du blanchisseur des fonds de la mafia russe – d’autre arme que ses propres convictions. • O. M.
: de Susanna White (1 h 48)
avec Ewan McGregor, Stellan Skarsgård… Sortie le 15 juin (StudioCanal)
DANS LES FORÊTS DE SIBÉRIE
Animé par une furieuse envie de respirer un autre air, de se sentir enfin vivant, Teddy quitte son confort français pour s’installer dans une cabane isolée au bord du lac Baïkal. La superbe photographie des paysages enneigés dépeint alors les différents rythmes du silence. Loin de s’assoupir, Teddy croise un vieil ermite et part à la rencontre de lui-même. • O. M.
: de Safy Nebbou (1 h 45)
avec Raphaël Personnaz, Evgueni Sidikhine… Sortie le 15 juin (Paname)
TOUS LES CHATS SONT GRIS
Qui est son père biologique ? Dorothy, adolescente lasse des silences de sa mère, confie l’enquête à un détective privé (Bouli Lanners). Celui-ci accepte la mission tout en lui cachant la vérité – le père, c’est lui… Galerie de personnages aux drôles d’aspérités, le long métrage oscille habilement entre légèreté de ton et sérieux d’une quête identitaire. • O. M.
: de Savina Dellicour (1 h 28)
avec Bouli Lanners, Manon Capelle… Sortie le 15 juin (Zootrope Films)
L’OUTSIDER
Chronique fidèle de l’ascension et de la chute de Jérôme Kerviel, cette fiction décrit la frénésie (et les excès inévitables) de ce monde de joueurs invétérés. Classique dans sa facture, le film peut compter sur la fantaisie du personnage campé par François-Xavier Demaison, sorte de trader-gourou qui jure autant par la Bible que par la finance. • O. M.
: de Christophe Barratier (1 h 57)
avec Arthur Dupont, François-Xavier Demaison… Sortie le 22 juin (Le Pacte)
LAYLA IN THE SKY
Des parents absents, un petit ami sans ambition… Layla, lycéenne studieuse, voit ses rêves d’études supérieures se briser lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte. De petits boulots en rencontres inattendues, elle se construit un nouvel environnement. Si le scénario manque de relief, le charme de la jeune comédienne Devon Keller opère indiscutablement. • O. M.
: de Micah Magee (1 h 32)
avec Devon Keller, Deztiny Gonzales… Sortie le 22 juin (Bodega Films)
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FILMS CASABLANCAS
Avec second degré, le documentariste Hubert Woroniecki retrace le parcours passionnant de John Casablancas, le fondateur de l’agence de mannequins Elite. Il s’intéresse notamment au moment où celui-ci décide de mettre en scène la biographie de ses protégées, inventant toutes sortes d’histoires pour faire d’elles de véritables célébrités. • Q. G.
: de Hubert Woroniecki (1 h 29) Documentaire Sortie le 29 juin (UFO)
VOIX OFF
Cette comédie douce-amère suit quatre générations de femmes d’une même famille. Si l’amour qui les lie est évident, la communication est moins facile. Quand l’une d’elles coupe sa liaison Internet et son téléphone, la crise familiale devient inévitable… Heureusement, Cristián Jimenez prend autant de plaisir à les faire s’écharper qu’à les réconcilier. • H. B.
: de Cristián Jimenez (1 h 36)
avec Ingrid Isensee, Paulina García… Sortie le 29 juin (JHR Films)
VIVA
Viva, un jeune coiffeur qui se produit dans un cabaret de travestis à Cuba, voit son existence bouleversée par la sortie de prison de son père, un ancien boxeur condamné pour meurtre… Le film s’emploie, de manière un peu appuyée, à faire cohabiter deux êtres que tout oppose au rythme de scènes musicales souvent kitsch, parfois touchantes. • O. M.
: de Paddy Breathnach (1 h 40)
avec Jorge Perugorría, Luis Alberto Garcia… Sortie le 6 juillet (ARP Sélection)
JE ME TUE À LE DIRE
Monique Peneud souffre d’un cancer du sein ; son fils, Michel, craint d’en avoir un… Dans cette comédie cinglante débordant de trouvailles visuelles, le cinéaste belge Xavier Seron, à la folie rieuse, enveloppe la mort d’une élégante esthétique en noir et blanc. Désarmant nos appréhensions naturelles sur le sujet, l’humour y est féroce – et jamais sinistre. • O. M.
: de Xavier Seron (1 h 30)
avec Jean-Jacques Rausin, Myriam Boyer… Sortie le 6 juillet (Happiness)
IRRÉPROCHABLE
De retour dans son village natal, Constance frappe à la porte d’une agence immobilière dans laquelle elle a travaillé autrefois. Mais le patron recrute une femme plus jeune, qu’elle tente d’évincer… Sébastien Marnier offre à Marina Foïs une partition sombre (parfois poussive) sur la mythomanie à laquelle l’actrice parvient à instiller un certain mystère. • Q. G.
: de Sébastien Marnier (1 h 43)
avec Marina Foïs, Jérémie Elkaïm… sortie le 6 juillet (Memento Films)
90
OFF CECI N’EST PAS DU CINÉMA
EXPOS
LABORATOIRES
DE L’ART © conrad shawcross
— : jusqu’au 4 septembre au musée des Arts et Métiers
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Conrad Shawcross, Slow Arc Inside a Cube IV, 2009
OFF
Avec
cette exposition hybride, le musée des Arts et Métiers instaure un dialogue entre recherches scientifiques et artistiques cristallisé autour de la notion d’expérience. Excavés des réserves, certains spécimens des collections techniques côtoient ainsi les œuvres d’artistes contemporains inspirées de phénomènes physiques, formes scientifiques et autres instruments. Le parcours de l’exposition commence par une « Invitation à l’expérience » où l’on retrouve notamment l’inénarrable Cours des choses du duo suisse Peter Fischli et David Weiss, vidéo culte dans laquelle une série d’objets en tous genres s’anime selon un principe de réaction en chaîne. Inspirée notamment des recherches de Galilée sur la chute des corps, la sculpture Tautochrone vérifiée de Raphaël Zarka, dont la forme évoque les courbes d’une rampe de skate, entre en résonance avec sa série de photographies Riding Modern Art représentant des skateurs en train de s’exercer sur des sculptures dans l’espace public. Si l’exposition nous éclaire brillamment sur les correspondances, parfois souterraines, existant entre art et science, certains objets constituent des œuvres en soi, comme les modèles mathématiques en papier, les polyèdres semi-réguliers en plâtre ou encore les huiles sur toile aux accents op art représentant des phénomènes de diffraction, d’interférence ou d’irradiation. Ou comment voir l’art – et la science – d’un autre œil. • ANNE-LOU VICENTE
Une série d’objets en tous genres s’anime selon un principe de réaction en chaîne.
MONUMENTA 2016
LE DOUANIER ROUSSEAU
Sous la nef du Grand Palais, un squelette de serpent en métal de plus de 254 mètres de long trône fièrement, au milieu d’une centaine de conteneurs colorés et d’une reproduction du bicorne de Napoléon – d’où le titre, Empires. La tête du monstre est dotée d’une impressionnante mâchoire de prédateur… L’artiste chinois Huang Yong Ping a choisi le reptile comme symbole, spectaculaire et écrasant, des mouvements sinueux du monde économique contemporain. • OLIVIER MARLAS
Inspiration chez les primitifs italiens, héritage dans l’avant-garde du début du xxe siècle : la rétrospective que consacre le musée d’Orsay à Henri Rousseau (1844-1910) replace dans l’histoire de l’art ce peintre autodidacte. Son style naïf, qu’il cultive et qui attira autant de moqueries que d’admiration, prend ainsi sens, mais ne se déploie jamais aussi bien que dans ses fameux paysages exotiques tout droit sortis de son imagination – il n’a quasiment jamais quitté Paris. • MARIE FANTOZZI
jusqu’au 18 juin au Grand Palais
jusqu’au 17 juillet au musée d’Orsay
: « Huang Yong Ping. Empires »,
: « Le Douanier Rousseau »,
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ART COMPRIMÉ Tous les mois, notre chroniqueuse vous offre un concentré des dernières réjouissances du monde de l’art.
Mettez Hitler à genoux, faites-en une statue et, comme l’Italien Maurizio Cattelan, vous pourrez peut-être en tirer dix-sept petits millions d’euros. L’œuvre en question s’intitule Him, et on aimerait bien savoir qui a chopé cette horreur le 8 mai dernier chez Christie’s à New York. • Pas de bol pour Damien Hirst : une étude a révélé que certaines des œuvres les plus célèbres de l’artiste britannique – des animaux plongés dans du formol – dégageraient des gaz toxiques. • Parler de sexe féminin – pire, le montrer ! – est malheureusement encore tabou. Le Japon, plutôt puritain sur la question, a moyennement apprécié qu’une de ses ressortissantes, Megumi Igarashi, prenne son vagin comme médium artistique. Le 9 mai, un tribunal de Tokyo l’a jugée coupable d’obscénité pour avoir envoyé, en 2014, des scans 3D de son appareil génital aux mécènes de son projet de kayak-vagin. • Prêt à tout pour un bon selfie, un touriste a escaladé le piédestal de la statue à l’effigie du roi Sébastien Ier qui trône à l’entrée de la gare du Rossio à Lisbonne. La corniche a cédé sous son poids et la statue s’est brisée. Oups ! • Un fessier géant fait partie des œuvres en lice pour le prix Turner de la Tate Britain. Project for Door (After Gaetano Pesce) d’Anthea Hamilton sera exposé à Londres à l’automne prochain, au milieu d’autres travaux des quatre artistes en compétition. • Marie Fantozzi illustration : pablo grand mourcel
EXPOs
© RMN Grand Palais, musée d’Orsay, photo Hervé Lewandowski
MATAHOATA
© musée du Quai Branly, photo Claude Germain
Paul Gauguin, Et l’or de leur corps, 1901
OFF
— : « Matahoata. Arts et société aux îles Marquises », jusqu’au 24 juillet au musée du quai Branly
—
Le
Sculpture anthropomorphe
musée du quai Branly met à l’honneur les îles Marquises (et leur art mêlant singularités locales et apports européens) à travers une impressionnante collection d’œuvres du xviiie siècle à nos jours. Cartographié lors de l’arrivée du navigateur anglais James Cook en 1774, ce territoire polynésien fit l’objet d’un véritable culte de la part des explorateurs occidentaux en raison de la beauté fantasmée de ses paysages et de ses habitants. Très hiérarchisée, ne négligeant pas le rôle des femmes, la société des îles Marquises est principalement fondée sur la dévotion et le respect envers les plus éminents dignitaires civils (chefs religieux ou guerriers reconnus) et les divinités et ancêtres dont les cérémonies religieuses célèbrent la grandeur. Cette dimension spirituelle s’imprègne jusque dans l’ornement des objets du quotidien, à l’esthétique soignée, et toujours
révélatrice des positions sociales. Dans l’exposition, habits de cérémonie en étoffe d’écorce, bijoux ou armes jalonnent un parcours riche de plus de trois cents œuvres, illustrant aussi bien le caractère sacré de celles-ci que leur extrême diversité. C’est au contact de l’ensemble des matériaux exposés, face à la variété des points de vue et des supports (objets, photographies, vidéos explicatives) que s’affine notre perception de cette terra incognita au magnétisme puissant et intact. Les portraits de Max Radiguet et les peintures de Paul Gauguin jouxtent les vitrines d’hameçons et les maquettes de pirogues ; les traditions et les transformations coloniales se chevauchent harmonieusement ; et le « regard éclairé » – mata hoata en langue marquisienne – dépasse l’explication de salles pour dessiner, sous nos yeux, les traits d’un monde nouveau. • OLIVIER MARLAS
Cette dimension spirituelle s’imprègne dans les objets du quotidien.
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SPECTACLES
RENDEZ-VOUS
GARE DE L’EST — : de Guillaume Vincent, jusqu’au 26 juin au Théâtre du Rond-Point (1 h) © E. Carecchio
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OFF
On
a rarement été en prise aussi directe avec la réalité du trouble maniaco-dépressif que dans Rendez-vous gare de l’Est. « J’ai aussi de l’Abilify […] en fait c’est un médicament qui t’empêche de faire des interprétations et… parce que t’as tendance, quand t’es pas bien, à te dire, putain ! ton pull, là, y’a du rouge, du bleu, ça forme un as de pique, ou alors un oiseau à l’envers, et ça veut dire que… et ça t’empêche de faire ça. » On a rarement saisi d’aussi près ce que pouvait vouloir dire une recherche de logement ou une maternité pour une jeune dépressive de 30 ans ; rarement été incité, de façon aussi subliminale, à se demander ce qu’était un fou, aujourd’hui. C’est bien là le talent de Guillaume Vincent, auteur et metteur en scène parti interviewer, six mois durant, une amie proche souffrant de troubles bipolaires. Clairement influencé par l’esthétique de Raymond Depardon (Guillaume Vincent a notamment été marqué par Paroles prisonnières, paru en 2004), il a transcrit, compilé, coupé, monté ces confidences, en conservant les moindres traces d’oralité (bégaiements, redondances, hésitations), a confié le texte à la comédienne Émilie Incerti Formentini sans jamais lui faire écouter les rushes, et a choisi le plus ascétique des dispositifs : une chaise, un plein feu, et basta. Il en ressort un monologue documentaire d’une élégance brute, dans lequel brille la lucidité désarmante d’une jeune femme et s’impose le magnétisme, la grâce rauque, d’une actrice qu’on aimerait voir plus souvent en tête d’affiche. • ÈVE BEAUVALLET
On a rarement été incité, de façon aussi subliminale, à se demander ce qu’était un fou, aujourd’hui.
WONDER.LAND
VERTICAL INFLUENCES
Une musique originale signée par la superstar Damon Albarn, une problématique bien consensuelle sur les dangers d’une adolescence exposée aux jeux en réseau, des décors rock pétaradants, un casting irréprochable qui n’oublie pas les minorités ethniques et sexuelles… Tout semble parfaitement marketé pour faire de cette adaptation en comédie musicale d’Alice au pays des merveilles un futur blockbuster. Trop parfaitement peut-être ? • È. B.
Le patinage artistique sans le kitsch de TF1, le lyrisme arrachant de Philippe Candeloro, les back-flips à paillettes et les notes du jury, ça vous semble peut-être dommage, mais ça existe. Venue du Canada, le Patin Libre est la seule compagnie de patinage indé qui tente d’extirper la discipline de son folklore entertainement pour proposer de vraies créations chorégraphiques. Vaste chantier. • È. B.
: du 7 au 16 juin au Théâtre du Châtelet (2h20)
: du
14 au 17 juin à la patinoire
de l’AccorHotels Arena (1 h 10)
98
RESTOS
SAKÉ SOIRÉE
© maison du saké
OFF
Depuis quelques années, le saké a cessé en France d’être un mauvais digestif révélateur de nudité au fond de la tasse. On découvre l’alcool de riz japonais dans toute sa diversité, froid ou chaud, en accord ou pas. Depuis peu, il a même sa maison à Paris.
La Maison du Saké
Youlin Ly est un fou de Japon. Depuis qu’il a posé un pied sur l’archipel, à l’âge de 17 ans, le trentenaire aux origines mêlées (Chine, Cambodge et Tunisie) n’a jamais cessé d’en promouvoir la culture gastronomique. La Maison du Saké, ouverte en avril 2016, est le résumé des épisodes précédents. Après avoir participé à l’ouverture de Guilo Guilo à Paris, au milieu des années 2000, il a lancé lui-même le Sakébar, en 2007, puis le restaurant Sola, en 2010, rapidement étoilé. Il a aussi organisé le Salon du saké en 2013, et a été honoré en 2014, à Kyoto, du titre de « saké samouraï ». Cette fois, dans le quartier des Halles, il a imaginé un lieu contemporain où souffle l’esprit de la tradition japonaise. On peut s’y installer à toute heure pour boire un verre et grignoter un morceau, à l’instar des izakayas nippons, à la fois bistrots et bars à saké. Assis sous la verrière, dans un cadre élégant et moderne, ou en tailleur et déchaussé dans l’un des salons cachés au fond du restaurant, on déguste shabu shabu (fondue) de légumes, tempura de maïs, konnyaku (légume racine) au miso ou le très rare bœuf wagyu. Formule petits plats ou menu dégustation, tout est pensé pour permettre de découvrir le saké, alcool de riz fermenté, non distillé, servi au verre ou à la bouteille (aussi à emporter). Différentes préfectures seront mises à l’honneur chaque mois, Kyōto ou Kagawa par exemple. Bento du midi : 15 €. Dîner : à partir de 50 € (saké inclus). • STÉPHANE MÉJANÈS
: 11, rue Tiquetonne Paris IIe
WORKSHOP ISSÉ
SOUS LES CERISIERS
Avant Youlin Ly, il y eut Toshiro Kuroda. Ancien journaliste, il a fondé le groupe Issé, dont le Workshop est le fleuron. C’est l’antre du saké dans tous ses états, et des bons produits nippons, avec des ateliers et des dégustations organisés régulièrement. • S. M.
Installée en France depuis près de vingt ans, la chef Sakura Franck propose deux formules en accord avec du saké. La mer est omniprésente, mais le foie gras a aussi sa place. Menus : quatre plats 48 € (+ 25 € avec quatre sakés) ; sept plats 68 € (+ 35 € avec six sakés). • S. M.
: 11, rue Saint-Augustin Paris IIe
: 12, rue de Stanislas Paris VIe
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C’EST DOUX ! Un mois fou food à Paris avec notre chroniqueur. Où manger ? Quoi commander ? Suivez le régime alimentaire de @PhamilyFirst sans prendre un Instagram de gras.
Trente jours d’amour et de notes fraîches qui débutent délicieusement chez Mokonuts Bakery (XIIe), où opèrent en couple Omar & Moko. Un triple Lutz de saveurs au déjeuner et les meilleurs cookies de Paris. Non loin d’ici, on est reçu sept sur sept : Jones (XIe) allonge ses horaires comme Anne Sinclair, et le boudin-brioche mérite un gros pouce en l’air. Du boudin au bon vin, on passe des coques à l’ail chez Botanique (XIe), où le chef Sugio Yamaguchi distribue des petites claques en petites assiettes, avec l’accord du sommelier Alexandre Philippe Rimbaud. Menu gourmand et léché pour une flèche en plein cœur assurée. Sur l’autre berge, pommes soufflées et canard au sang à la Tour d’Argent (Ve) ; une dernière scène face à la Seine en compagnie du rappeur Mac Tyer. Après tant de faste food, le compte courant finit sa course en sprint. Pour le meilleur et pour le prix, osez Özlem (Xe) où Edip, formé à l’école Ferrandi, dore une viande qui rend ses graisses de noblesse au kebab. C’est bien, c’est bon, cette broche. De retour dans le XIIe, à deux pas de chez Moko, abusez des raviolis tibétains du Bar à Momos. Végé ou cochon ? À 8 € les huit, faites moite-moite avec un ami. Et pendant que vous êtes dans le coin, passez donc humer les murs neufs de Passerini. Si vous avez les crocs, Gio, l’ancien de Rino, y officie de manière féroce. Que c’est doux. Le dernier bouton est détaché, pour une addition plus que jamais sucrée-salée. • JULIEN PHAM Illustration : JEAN JULLIEN
DAYS
CONCERTS
OFF — : du 30 juin au 10 juillet
à la Philharmonie de Paris © d. r.
—
Sarah Neufeld et Colin Stetson
OFF
Hors
piste, le festival investit la Philharmonie pour une septième édition aussi soignée qu’exaltante, entre pop-rock, musique contemporaine et créations inédites. Parenthèse dans l’agenda de la pimpante Philharmonie, Days Off se singularise dans le paysage des festivals européens en offrant « un temps différent aux artistes, hors des tournées, pour créer des projets originaux dans des salles où le public n’a pas coutume de les voir jouer ». Pari réussi pour Vincent Anglade, son programmateur, avec cette nouvelle saison, riche en surprises : duo solaire entre le saxophoniste Colin Stetson et la violoniste Sarah Neufeld (Arcade Fire), nocturne autour de l’exposition consacrée au Velvet Underground, ciné-concert du pianiste Philippe Glass et du Kronos Quartet autour du Dracula de Tod Browning ou encore carte blanche cinéma à Woodkid au mk2 Quai de Seine. Days Off chérit le mélange des genres, et c’est tant mieux, donnant aussi l’occasion de découvrir une certaine musique écrite contemporaine, du compositeur Max Richter au projet spatialisé de Drumming – l’œuvre de Steve Reich, parrain de la musique minimaliste – ou à celui, orchestré, du prodige blues Benjamin Clementine. Car si le festival s’offre de jolies têtes d’affiche, dont l’envoûtante Anohni (ex-Antony & The Johnsons), il aime d’amour les jeunes pousses et fête cette année la nouvelle scène française avec l’excitante soirée Hexagone, à l’affiche de laquelle on retrouve notamment Bagarre et Fishbach. Take off. • Etaïnn Zwer
Days Off chérit le mélange des genres, et c’est tant mieux.
FESTIVAL PSYCHéDéLIque
TRESOR 25 YEARS
Pour les nostalgiques des sixties, du LSD et d’Allen Ginsberg, la troisième édition du Paris International Festival of Psychedelic Music s’installe cette année à La Ferme du Buisson, avec des espaces chill, un village festival, deux scènes pour douze concerts plein de fuzz et d’échos (Temples, Jacco Gardner, Psychic Ills, Woods, Ulrika Spacek, Heimat…) et des DJ sets (Zaltan du label Antinote, Cosmic Neman de Zombie Zombie…). Bon trip. • Wilfried Paris
Ouvert le 13 mars 1991 dans la salle des coffres d’un grand magasin, le club (et label) berlinois Tresor est devenu en vingt-cinq ans une institution de la musique techno (comme tête de pont européenne de la scène de Detroit) et du clubbing teuton (malgré plusieurs fermetures et un déménagement). En tournée européenne, Tresor soufflera ses 25 bougies à La Gaîté Lyrique avec Claudia Anderson, Jonas Kopp (live), Vainqueur (live) et Moritz von Oswald. • Wilfried Paris
: les 18 et 19 juin
à La Ferme du Buisson (Noisiel)
: le 17 juin à La Gaîté Lyrique
102
MK2 SUR SON 31 JUIN
10
ROCK’N PHILO Dissertation rock (spécial bac).
: à 20 h au mk2 Grand Palais
JUIN
11
UNE HISTOIRE DE L’ART Le Romantisme en Europe : l’homme face à son destin.
: à 11 h au mk2 Odéon (côté St Michel)
JUIN
17
JUIN
27
LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE L’œuvre d’une impératrice : L’Ermitage de Saint-Pétersbourg.
LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN Et s’il n’y avait ni début ni fin ?
: à 12 h 30 au mk2 Bibliothèque
(côté St Germain)
: à 18 h 15 au mk2 Odéon
(entrée BnF)
JUIN
18
UNE HISTOIRE DE L’ART Réalisme et Naturalisme : une représentation de la vie quotidienne.
JUIN
27
ALL’OPERA La Favorite de Gaetano Donizetti.
: à 20 h au mk2 Odéon (côté St Germain)
: à 11 h au mk2 Odéon
JUIN
13
LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN Peut-on apprendre à penser ?
: à 18 h 15 au mk2 Odéon (côté St Germain)
JUIN
13
ALL’OPERA La Fille du Far-West de Giacomo Puccini.
: à 19 h 45 au mk2 Odéon (côté St Germain)
JUIN
14
(côté St Michel)
JUIN
20
LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE L’œuvre d’une impératrice : L’Ermitage de Saint-Pétersbourg.
: à 12 h 30 au mk2 Nation
JUIN
20
LE RENDEZ-VOUS DES DOCS A Family Affair de Tom Fassaert.
JUIN
21
LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE L’œuvre d’une impératrice : L’Ermitage de Saint-Pétersbourg.
: à 20 h au mk2 Quai de Seine
(côté St Michel)
16
30
LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE L’œuvre d’une impératrice : L’Ermitage de Saint-Pétersbourg.
: à 12 h 30 au mk2 Quai de Loire
JUILLET
2
UNE HISTOIRE DE L’ART Le scandale impressionniste.
: à 11 h au mk2 Odéon (côté St Michel)
: à 20 h au mk2 Quai de Loire
SOIRÉE BREF Programmation de courts métrages autour de La Part maudite de Christian Vincent (1989).
JUIN
JUIN
: à 12 h 30 au mk2 Odéon
JUIN
25
LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La splendeur d’un palais florentin : la galerie des Offices.
UNE HISTOIRE DE L’ART La photographie, un nouveau médium.
: à 12 h 30 au mk2 Quai de Loire
(côté St Michel)
: à 11 h au mk2 Odéon
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JUILLET
9
UNE HISTOIRE DE L’ART Après l’Impressionnisme : Cézanne, Gauguin, Van Gogh.
: à 11 h au mk2 Odéon (côté St Michel)
Retrouvez tous les événements des salles MK2 sur mk2.com/evenements
BONS PLANS
DANIEL
BUREN — : « L’Observatoire de la
lumière » à la Fondation Louis Vuitton
—
Le
récurrent dans toute son œuvre. 4 886 lés de films de treize couleurs différentes et 6,5 kilomètres de bandes perpendiculaires au sol parsèment ainsi à intervalles réguliers les douze voiles de l’édifice. Un facteur aléatoire et temporel en fait toute la poésie : la météo. La nuit ou sous les nuages, les films ne sont que des aplats bigarrés ; mais dès que les rayons de soleil commencent à lécher les vitres, reflets et projections chatoient et remodèlent avec grâce la pâle structure. • MARIE FANTOZZI
à gagner SUR TROISCOULEURS.FR/BONSPLANS LA TERRE, LE FEU, L’ESPRIT La céramique coréenne, des temps anciens de la période des Trois Royaumes à l’ère contemporaine, est mise à l’honneur dans cette exposition qui invite les spectateurs à admirer la finesse du détail de vases anthropomorphes, ou encore la porcelaine nacrée des « jarres de lune ». • O. M.
: « La Terre, le feu, l’esprit. Chefs-d’œuvre de la céramique Dynastie Joseon, v. 1485, porcelaine blanche, pierre
coréenne », jusqu’au 20 juin au Grand Palais
HABITER LE CAMPEMENT Dans cette exposition, qui résonne fortement avec l’actualité, photographies et analyses graphiques aident à mieux saisir l’histoire des populations (nomades, exilés, contestataires…) qui s’établissent dans des camps, et les enjeux politiques qui découlent de cette situation. • O. M.
: jusqu’au 29 août Camp de réfugiés à Khazar en Irak
à la Cité de l’architecture et du patrimoine
LA MOUETTE Le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier s’empare, avec l’aide du dramaturge français Olivier Cadiot (à qui l’on doit cette nouvelle traduction), du tourbillon amoureux de La Mouette d’Anton Tchekhov, dans une mise en scène épurée qui fait écho à la vie politique française. • O. M.
: du 20 mai au 25 juin
à l’Odéon-Théâtre de l’Europe (2 h 30)
106
© National Museum of Korea ; yann renoult ; Arno Declair
OFF
bâtiment dessiné par Frank Gehry en impose : la Fondation Louis Vuitton se déploie comme un navire dans le bois de Boulogne. Vue de l’intérieur, cette architecture a une telle force visuelle qu’il paraît compliqué d’y ajouter son grain de sel. Et pourtant, l’installation in situ de Daniel Buren répond à l’objectif fixé : mettre en valeur la singularité de l’édifice. Invité à jouer avec les verrières de la construction de son ami, Buren y appose couleurs et bandes blanches, vocabulaire
© DP-ADAGP Paris / Fondation Louis Vuitton / Photo : Iwan Baan
Photo-souvenir : Daniel Buren, L’Observatoire de la lumiere, travail in situ, Fondation Louis Vuitton, Paris, 2016
OFF 107
BONS PLANS
DES POCHES POUR L’ÉTÉ — : « L’ours est un écrivain comme les autres » de William Kotzwinkle et « La Chute des princes » de Robert Goolrick (10/18)
—
Notre
Le très loufoque William Kotzwinkle signe là une formidable satire du milieu intello-littéraire dans laquelle tout le monde en prend pour son grade. Au rayon satirique, demandez aussi La Chute des princes de Robert Goolrick, livre définitif sur les golden boys des années 1980, leur train de vie délirant, leur ivresse narcissique et leur culte éhonté de l’argent. Un récit à sketches, spectaculaire et scintillant, avec un soupçon de mélancolie et une pointe de morale en filigrane. • BERNARD QUIRINY
à gagner SUR TROISCOULEURS.FR/BONSPLANS NOCTURNES au zoo Pour fêter l’arrivée des beaux jours, le Parc zoologique de Paris vous invite à rester un peu après l’habituelle heure de fermeture. Tous les jeudis de juin et juillet, vous pourrez contempler les animaux au coucher du soleil à l’ombre du grand rocher. • O. M.
: tous les jeudis jusqu’au 28 juillet au Parc zoologique de Paris
SHIGANÈ NAÏ Le spectacle dont le titre, Shiganè naï, peut être traduit par « l’âge du temps », célèbre la rencontre au sommet entre la Compagnie nationale de danse de Corée et le chorégraphe français José Montalvo. Soit un alliage serein de tradition et de modernité. • O. M.
: du 16 au 24 juin
au Théâtre national de Chaillot (1 h 10)
AMADEO DE SOUZA-CARDOSO À l’occasion du Printemps culturel portugais, le Grand Palais consacre une vaste rétrospective au peintre Amadeo de Souza-Cardoso (1887-1914), artiste précurseur dont l’œuvre se situe aux confins de l’Impressionnisme, du Fauvisme, du Futurisme ou du Cubisme. • O. M.
: jusqu’au 18 juillet Amadeo de Souza-Cardoso, Le Saut du lapin, 1911
au Grand Palais
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© Théo Stefanini ; TNK ; The Art Institute of Chicago
OFF
sélection de poches à lire sur la plage cet été, et à gagner sur notre site web. Vous êtes-vous jamais demandé, en lisant un livre, si son auteur n’était pas, par hasard… un animal ? Une question apparemment absurde, que vous vous poserez sans doute après avoir lu L’ours est un écrivain comme les autres, hilarante fable qui voit un plantigrade trouver un manuscrit au pied d’un arbre, se l’approprier, embaucher un agent et devenir la coqueluche de New York…
SONS
MINOR VICTORIES — : « Minor Victories » ([PIAS])
OFF
© sally lockey
—
Les
super-groupes n’ont souvent de super que le nom. Réunis sous la bannière de Minor Victories, des membres de Slowdive, Mogwai et Editors font mentir l’adage rock avec leurs chevauchées fantastiques. Les amateurs de sports collectifs le savent bien, une addition de talents individuels n’est pas un gage de réussite. Pour que la sauce prenne, il faut bien souvent développer des automatismes sur le terrain – et une vie de groupe en dehors. En rock, c’est un peu la même chose. À moins que… Minor Victories vient froidement battre en brèche cet idéal romantique avec un premier album qui, sur le papier, cumule toutes les tares. Non seulement il est le fait d’un super-groupe – composé de Rachel Goswell (chanteuse de Slowdive, formation shoegaze culte des nineties), de Stuart Braithwaite (guitariste post-rock de Mogwai), de Justin Lockey (guitariste d’Editors) et de son frère James Lockey (bassiste) –, donc forcément suspect, avec son empilement de figures de la scène indé – le logo de l’album
SI VOTRE ALBUM ÉTAIT UN FILM ? « Ce serait un western épique, avec des paysages incroyables et des explosions de violence à la Peckinpah, mais version wu xia pian [film de sabre chinois, ndlr], comme dans Le Secret des poignards volants de Zhang Yimou. Akira Kurosawa serait derrière la caméra. Ou bien Alejandro
évoque d’ailleurs un + –, mais, en outre, ses membres n’ont même pas fait l’effort de se rencontrer. « On n’a jamais été tous les quatre présents dans la même pièce durant la confection de ce disque, confie Justin Lockey derrière sa barbe. Pas jusqu’au premier jour de répétitions en tout cas. On était constamment en contact par Skype, textos, emails et téléphone. C’était la seule manière de procéder, vu que chacun avait aussi son groupe à gérer. » En 2016, le rock indé se met donc au télétravail. Comme tout le monde. Pas très glamour, mais pourquoi pas ? À l’heure de la tertiarisation à tous crins, Minor Victories s’est logiquement dématérialisé. Il s’est même « fordisé », découpant chaque phase musicale. « James arrivait avec un groove de basse, je rajoutais quelques arrangements de cordes, j’envoyais ça à Stewart qui jouait de la guitare, et on donnait le tout à Rachel qui faisait alors la partie vocale. » Pour l’imagerie rock ’n’ roll, on repassera. Mais le résultat est là : épique, ombrageux et, contre toute attente, incarné. • ÉRIC VERNAY
González Iñárritu, le réalisateur de The Revenant – ce film m’a fait tellement peur ! Dans le rôle principal, il y aurait Clint Eastwood. Pas besoin de dialogues, ou presque : son jeu est super minimaliste. Le film serait mélancolique, l’image, en noir et blanc, atemporelle. Comme nos rêves. » • Justin Lockey
110
JUKEBOX
AS IF APART Dans un monde idéal, Chris Cohen serait reconnu comme l’un des plus grands songwriters en activité. Quatre ans après son premier album solo, Overgrown Path, l’Américain promène son timbre de somnambule sur des mélodies nonchalantes et doucement psychédéliques. Habitées par une mélancolie contagieuse, ces dix nouvelles chansons parviennent à décrire les innombrables nuances du clair-obscur. • MICHAËL PATIN
: de Chris Cohen (Captured Tracks)
JO ESTAVA QUE M’ABRASAVA
D’un voyage à Minorque et Majorque, Marion Cousin (June et Jim) a ramené une série de chants de travail des siècles passés (cueillette, labour, fauchage) et de chansons de geste du Moyen Âge. Solide comme un roc et pure comme la source, sa voix se frotte aux mouvements autrement orageux du violoncelliste Gaspar Claus, qui met ses pédales d’effets à profit pour décupler l’effet d’hypnose de ces mantras paysans. • MICHAËL PATIN
: de Marion Cousin & Gaspar Claus
(Les Disques du Festival Permanent)
B. O . : Les Onix Émission mettant en scène des marionnettes (entre le Muppet Show et 1, rue Sésame) qui ne communiquent que par des sons, Les Onix furent mis en musique avec une collection d’instruments du monde entier par Bernard Maître et François de Roubaix, ce dernier s’exprimant en toute liberté dans le registre malicieux, ludique et inventif déjà à l’œuvre pour Chapi Chapo ou Pépin la bulle. Un trésor caché de l’enfance. • WILFRIED PARIS
: de François de Roubaix
et Bernard Maître (Biceps/WéMè)
illustration : Samuel Eckert
SÉRIES
IRRESPONSABLE — : à partir du 20 juin sur OCS City
© d. r.
—
OFF
Les
séries françaises enfin à l’heure de la maturité : vieille rengaine… Et si c’était justement de fraîcheur et d’insolence dont elles avaient besoin ? Avec son héros adulescent qui, à 30 ans, n’a jamais lâché son pétard et sa console de jeux, Irresponsable bouscule un peu les schémas en vigueur. Forcé de revenir vivre chez sa mère, Julien (Sébastien Chassagne) recroise une ex qui lui révèle qu’il est le père de Jacques, 15 ans. Le canevas est classique, typique de la comédie de situation. D’ailleurs, des shows comme Irresponsable, la télé américaine en met dix par an à l’antenne. Mais, en France, une série simplement drôle, bien jouée, rythmée, au format de trente minutes, cette terra incognita que l’on fait mine de redécouvrir de façon cyclique ici, est une
REVOIS
denrée rare – il n’y a qu’à voir l’engouement suscité par le projet, somme toute modeste, au dernier festival Séries Mania. Par sa facture artisanale, raccord avec la personnalité de son héros, Irresponsable donne de l’air à une fiction française obsédée à l’idée d’être prise au sérieux hors de nos frontières. Et la spontanéité de Julien n’a rien de fabriqué : Frédéric Rosset, créateur du show, sort à peine de la toute nouvelle filière séries de La Fémis. Beau pari de la part du producteur Tetra Media (Un village français) que de lui avoir fait confiance, et qui trouve assez naturellement sa place sur OCS, rare chaîne à s’entêter dans ce format comédie (Q. I., Lazy Company). Il y a peut-être une vie dans ce pays pour autre chose que des polars… • GRÉGORY LEDERGUE
VOIS
PRÉVOIS
THE LEFTOVERS
HAP AND LEONARD
DEAR WHITE PEOPLE
Après un premier exercice miraculeux, The Leftovers hausse encore le niveau en saison 2. Délocalisée dans une ville texane épargnée par le Soudain Départ (2 % de la population mondiale volatilisée), sa mystique du deuil prend un tour vertigineux. Et atteint des sommets lors d’une folle embardée dans la tête de l’acteur principal, Justin Theroux. Chef-d’œuvre. • G. L .
Quelque part entre Shérif, fais-moi peur et 48 heures, ce buddy movie en six épisodes envoie un pacifiste (James Purefoy) et un vétéran de la guerre du Viêt Nam (Michael K. Williams) à la chasse au trésor dans un Texas moite et rustaud. Après Cold in July, Jim Mickle et Nick Damici font à nouveau honneur à la veine virile et cool du romancier Joe R. Lansdale. • G. L .
Monté grâce au financement participatif, Dear White People de Justin Simien fit sensation à Sundance en 2014. Netflix développe aujourd’hui sa déclinaison télévisée, trajectoire exemplaire pour cette satire des relations raciales à la fac qui ne devrait pas trop perdre de son mordant puisque Simien sera aux commandes de la série et réalisera le premier épisode. • G. L .
: en DVD (Warner)
: Saison 1 sur Sundance Channel
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: Saison 1 en 2017 sur Netflix
JEUX VIDÉO
TOTAL WAR
OFF
WARHAMMER Quand
— : sur PC (Sega) —
deux géants de la stratégie font alliance, on n’est rarement déçu du résultat. D’un côté, la franchise Warhammer, qui règne en maître sur le jeu de figurines depuis plus de trente ans. De l’autre, Creative Assembly, studio devenu célèbre pour ses jeux de guerre capables de reproduire les plus grandes batailles de l’histoire avec des centaines d’unités à l’écran. Cette fois, au diable le réalisme historique et l’authenticité militaire ; place à la fantasy wagnérienne, celle qui peut aussi bien opposer des hordes de morts-vivants à des orques sanguinaires que des griffons royaux à des nains belliqueux, à grand renfort de magie et de créatures géantes. Sur une grande carte de campagne, un général doit placer ses troupes telles
des pions sur un échiquier, équilibrer ses finances, former des alliances fructueuses, afin d’avoir toujours un coup d’avance sur ses adversaires. Rythmé par d’innombrables rebondissements, trahisons et retours de bâton (une erreur peut se payer des heures plus tard), chaque campagne se fait épopée mémorable digne des grands récits homériques. Sur le champ de bataille, les sensations sont décuplées. Chaque combat a l’étoffe d’un blockbuster épique et ne ressemble jamais au précédent. D’une fidélité scrupuleuse à l’univers de Warhammer, ce Total War rend un superbe hommage à sa philosophie première : la joie, toute enfantine, de voir ses figurines prendre vie, avant de les envoyer au cœur de la mêlée. • Yann François
FIRE EMBLEM. FATES
RATCHET AND CLANK
BATTLEFLEET GOTHIC ARMADA
Retour d’une grande saga stratégique avec un jeu commercialisé en trois épisodes, tous excellents. Outre la grande variété tactique de ses combats, Fire Emblem demeure une prodigieuse fresque humaniste dans laquelle chaque personnage possède un caractère unique. • Y. F.
Ce reboot de Ratchet and Clank synthétise tous les ingrédients qui ont fait le succès de la saga fétiche de la Playstation. Grâce à un graphisme sidérant, ce jeu de plate-forme drôle, inventif et exigeant donne l’illusion au joueur d’évoluer dans un vrai film d’animation. • Y. F.
Cousin futuriste de la bataille navale, ce jeu français nous place à la tête d’une flotte de cuirassés spatiaux gros comme des cathédrales. Malgré l’énormité de ces engins, le gameplay reste une ode à la pondération et à la finesse tactique. • Y. F.
: 3DS (Nintendo)
: PS4 (Sony)
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: PC (Focus Home Interactive)
Indé à jouer Manette dans une main, carnet de notes dans l’autre, notre chroniqueur teste chaque mois trois jeux indés.
Avec 1979 Revolution. Black Friday (iNK Stories/ PC, Mac), le jeu indé apporte la preuve qu’il peut s’attaquer à un chapitre méconnu de l’histoire. Dans la peau d’un jeune photographe, me voici téléporté à Téhéran en pleine révolution islamique. Fébrile, je me mêle aux manifestants, je mitraille tout ce qui bouge et tente de faire les bons choix : dois-je prendre les armes ? ou rester à distance et capter l’air du temps ? • Lessivé, j’opte pour un virage radical vers la choupitude avec Epistory. Typing Chronicle (Plug In Digital/PC, Mac), un conte de fées qui nous vient de Belgique. Une princesse qui chevauche à dos de renard un décor fantasy en papier mâché, voilà qui change des cocktails Molotov et des coups de matraques. Pour me défendre des monstres qui avancent vers moi, je dois taper sur mon clavier des mots qui apparaissent à l’écran. Si la condition de journaliste est une épreuve quotidienne, je ne me doutais pas que celle-ci me permettrait un jour de terrasser un dragon avec un mot de vingt-six lettres. • Hanté par l’esprit de Maître Capello, je rameute des amis autour de Push Me Pull You (House House/PS4). Aux commandes d’un lombric humanoïde, deux joueurs doivent coordonner leurs mouvements pour dérober un ballon au ver du duo adverse et le garder dans leur camp. Une expérience improbable ? Certes, mais l’assemblée est partagée entre fous rires et vivats rageurs. De Téhéran aux compètes d’invertébrés, il n’y a qu’un pas. • Yann françois Illustration : SAMUEL ECKERT
LIVRES
CALL-BOY OFF
« Vingt
ans. Existe-t-il un âge plus désastreux que celui-là ? » Ce n’est pas le célèbre incipit d’Aden Arabie de Paul Nizan, mais l’opinion de Ryō, étudiant désabusé, barman à mi-temps, héros du nouveau roman d’Ishida Ira, l’auteur de la trilogie Ikebukuro West Gate Park. Blasé, comme beaucoup de jeunes Japonais, Ryō ne s’intéresse à rien, même pas au sexe. Jusqu’au jour où il rencontre Mme Midoh, la gérante d’un club d’escort, qui lui propose de travailler pour elle. C’est une révélation. Non seulement il gagne beaucoup d’argent, mais il découvre l’incroyable diversité du plaisir féminin. L’amour physique, loin d’être la mécanique banale qu’il imaginait, lui dévoile des facettes insoupçonnées. « J’étais fasciné par le désir féminin, confesse-t-il, au point que la volonté d’en percer tous les secrets m’obsédait. J’ignorais ce qui m’attendrait au bout de mes recherches, mais je n’avais aucune envie d’arrêter de me prostituer. » Le thème de la prostitution masculine, souvent abordé au cinéma (citons Mauvaise passe de Michel Blanc ou J’embrasse pas d’André Téchiné), reste rare en littérature. À travers lui, Ishida évoque le vide existentiel de la jeunesse japonaise, hostile au modèle social traditionnel, et brode une variation réussie sur le canevas du récit d’initiation. Loin de se résumer à une
succession monotone de rendez-vous tarifés, le scénario suit un crescendo au fur et à mesure que les désirs des clientes deviennent plus sophistiqués, du plus basique au plus tabou. L’histoire de Ryō se transforme en voyage à travers les fantasmes, son rôle de call-boy confinant à celui d’un véritable gestionnaire du plaisir, cérébral et raffiné. Proche des romans de Murakami Ryū, avec leur mélange
Non seulement Ryō gagne beaucoup d’argent, mais il découvre l’incroyable diversité du plaisir féminin. d’érotisme et de critique sociale, Call-boy est un livre trash mais étrangement tendre, Ishida conservant toujours un regard bienveillant sur ses personnages : des gens ordinaires, dont la quête de jouissance ne trahit pas tant la dérive hédoniste que le besoin tout simple d’être aimé, à leur manière parfois spéciale. • BERNARD QUIRINY
— : d’Ishida Ira,
traduit du japonais par Rémi Buquet (Éditions Philippe Picquier)
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LE COMBAT
LES FOUS DU SON
LES CONTES DU WHISKY
En 1821, William Hazlitt assiste à un combat entre William Neate et Tom Hickman, deux boxeurs légendaires. Il en tire un long essai que l’érudit Lucien d’Azay traduit ici avec deux autres textes, témoins du style so british du fameux essayiste anglais. • B. Q.
Des ondes Martenot aux derniers synthés japonais, en passant par les claviers Moog et Kurzweil, le pianiste de jazz Laurent de Wilde retrace toute l’histoire de la lutherie électronique dans ce livre passionnant, fourmillant de références et d’anecdotes. • B. Q.
Magnifique initiative d’Alma qui réédite toute l’œuvre de Jean Ray, le maître de la littérature fantastique et policière belge. Première salve ces jours-ci avec deux livres dont ces Contes du whisky (1925), brefs récits hallucinés à siroter doucement. • B. Q.
(Quai Voltaire)
(Grasset)
(Alma Éditeur)
: de William Hazlitt
: de Laurent de Wilde
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: de Jean Ray
BD
OFF
RG. Renseignements généraux
— : de Jochen Gerner et Emmanuel Rabu (L’Association)
Dans
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la masse des ouvrages critiques consacrés à l’œuvre d’Hergé, RG. Renseignements généraux se distingue par sa forme étonnante. Cette analyse chromatique et symbolique des aventures de Tintin se découpe en quatre parties, essentiellement visuelles, suivies d’un long texte critique. Ludique par son rapport aux associations de mots et de symboles, souvent magnifique grâce à l’abstraction mystérieuse et hypnotique de ses compositions, RG dissèque par l’image ce qui relève du secret, de l’inconscient ou du refoulé chez Hergé. Entre le livre de création et l’essai, la bande dessinée, la poésie situationniste et le livre d’art, l’ouvrage convoque sans cesse le regard comme s’il cherchait à réveiller des souvenirs enfouis des lectures d’enfants et à les réinvestir d’un sens neuf. Un sens que souligne parfaitement cette réponse du professeur Philémon Siclone dans Les Cigares du pharaon, alors que Tintin lui demande pourquoi il voulait le tuer. « Ce n’est pas moi, ce sont les yeux. » • STÉPHANE BEAUJEAN 118
Le TROISCOULEURS dES ENFANTS
LA CRITIQUE D’ÉLISE, 7 ANS
COUL' KIDS
LA TORTUE ROUGE
« Le film se déroule sur une île qui n’est pas habitée, sauf par des petits crabes. Il y a un monsieur qui arrive, il rencontre une tortue qui se transforme en femme et ils vivent ensemble sur l’île avec leur fils, comme des Cro-Magnon. J’aimerais bien vivre comme ça, sauf que j’aimerais avoir en plus un lit et des amis. J’ai envie de l’appeler “un film mystère”, car c’est un film dans lequel il y a plein de questions auxquelles on ne peut pas répondre. Dans la vie aussi j’ai des questions sans réponse, mais elles sont moins compliquées. Dans La Tortue rouge, je ne sais pas d’où vient le monsieur, pourquoi la tortue se transforme en femme, et je ne connais même pas le nom des personnages ! Mais c’est aussi une petite qualité, car on peut imaginer le reste du film, un peu comme si on était son fabricant. D’habitude, je n’aime pas les films tristes, mais là ça ne m’a pas gênée. C’est même mieux en fait qu’un film seulement gai : au moins il se passe plus de choses ! »
Le petit avis du grand Premier long métrage du Néerlandais Michaël Dudok de Wit, réalisateur déjà confirmé de moult courts métrages d’animation, La Tortue rouge est une robinsonnade fantastique – un naufragé se reconstruit un microcosme familial grâce à une tortue magique. Évident et néanmoins complexe, intimiste tout en restant universel, épuré et pourtant d’un raffinement exquis, le film exploite pleinement la fabuleuse puissance du médium animation. • JULIEN DUPUY — illustration s: pablo cots
— : « La Tortue rouge » de Michaël Dudok de Wit (1 h 20) Sortie le 29 juin (Wild Bunch) Dès 6 ans
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Coul’Kido est caché 3 fois dans cette double page… Sauras-tu le retrouver ?
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CINÉMA
Titre du film : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nom du réalisateur : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Résume l’histoire : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ................................................................. ................................................................. ................................................................. ................................................................. Ce qui t’a le plus plu : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ................................................................. ................................................................. ................................................................. ................................................................. En bref : Signature : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prends ta critique en photo et envoie-la à l’adresse bonjour@troiscouleurs.fr, on la publiera sur notre site !
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LE PROFESSEUR DE VIOLON
LE MONDE DE DORY
Axé sur la relation entre Laerte, brillant violoniste, et de jeunes adolescents des favelas, ce film initiatique met en scène l’apprentissage de la musique comme un encouragement pour ces élèves, englués dans un environnement morose, à s’approprier leur vie. • OLIVIER MARLAS
Vous n’avez sûrement pas oublié Dory dans Le Monde de Nemo… mais elle, oui ! Le poisson le plus tête en l’air du Pacifique est de retour avec sa propre aventure. Adoptée par Nemo et son père, Dory décide néanmoins de partir en quête de sa « vraie » famille. • HENDY BICAISE
Sortie le 22 juin (Jour2fête)
Sortie le 22 juin (Walt Disney)
Dès 8 ans
Dès 5 ans
: de Sérgio Machado (1 h 40)
: d’Andrew Stanton (1 h 35)
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COUL' KIDS
Ce qui t’a le moins plu : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’INTERVIEW De martin, 11 ans
Fabien vehlmann scénariste de la BD Seuls
Quand j’étais petit, je rêvais que je me réveillais seul comme les cinq enfants de l’histoire : tout le monde avait disparu et je pouvais faire tout ce que je voulais – faire plein de bêtises, ne pas aller à l’école. Et, en même temps, ça me faisait très peur d’être sans mes parents. C’est ce que je voulais raconter dans cette histoire, une situation à la fois amusante et effrayante. Tu aimes bien faire peur et avoir peur ? Enfant, je pensais beaucoup à la mort, et c’est en lisant des bouquins qui en parlaient que je me suis dit : « En fait ça va, je ne suis pas le seul à me poser toutes ces questions. » Beaucoup d’enfants s’interrogent au sujet de la mort et de la violence. J’espère que l’histoire de Seuls aide à apprivoiser les peurs que l’on a à ton âge. Quel personnage te ressemble le plus ? À 11 ans, je ressemblais à Yvan, qui est imaginatif, drôle, mais aussi super lâche. En fait, je pense que même si les héros de Seuls sont très différents, ils ont tous quelque chose de moi. Dodji, par exemple, c’est ma partie en colère ; Camille, mon côté bon élève ; Terry, mon côté idiot qui aime faire des bêtises ; et enfin Leïla, c’est mon côté généreux. Est-ce que tu as pu choisir les comédiens qui vont jouer les personnages dans le film adapté de la BD qui est en train d’être tourné ? Non, mais j’ai demandé au réalisateur qu’on respecte les couleurs de peau des héros. Avec Bruno Gazzotti, le dessinateur, on trouvait très important que les enfants ne soient pas tous blancs, qu’on retrouve la diversité de la France dans le film, comme dans notre BD. Hormis ces exigences, on a laissé le réalisateur choisir les comédiens.
Quand tu étais enfant, tu imaginais un jour créer des BD ? Jusqu’à mes 17 ans je n’avais aucun doute : c’était le boulot que je voulais faire. Mais après le bac, pour rassurer mes , j’ai fait une école de commerce. En sortant de cette école, je me suis dit : « Y’a un problème, je ne suis pas heureux, il faut que j’essaie de faire de la BD ! » Pendant trois ans, toutes mes histoires ont été refusées, et puis, un jour, le magazine Spirou a accepté de travailler avec moi. Et tes parents, ils en pensaient quoi ? Au début, ils étaient inquiets, mais ils ont vu que ça marchait, ça les a rassurés ! • PROPOS RECUEILLIS PAR MARTIN (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE) PHOTOGRAPHIE : Pierre Lucet-Penato illustration s: pablo cots parents
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Comment t’es venue l’histoire de Seuls ?
— : « Seuls »
de Bruno Gazzotti
et Fabien Vehlmann (Dupuis)
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Lis l’article et retrouve le mot intrus, écrit à l’envers !
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LE DEBRIEF La rencontre entre Martin et Fabien Vehlmann a eu lieu fin avril, sur le tournage du film adapté de la saga de la BD Seuls. « Avant d’arriver, j’étais un peu impressionné, mais Fabien a été très gentil, et il ressemble beaucoup à Samy, un des héros du dessin animé Scooby-Doo. Du coup, je n’ai pas du tout eu peur de lui poser mes questions. Sinon, le tournage, c’était vraiment intéressant. On a fait l’interview à la cantine. Les plats ont l’air bien, même pas surgelés. » • martin
TOUT DOUX LISTE
PARENTS FRIENDLY CONCERT PARTICIPATIF EN FAMILLE Ça commence par un atelier, pour s’entraîner à chanter un extrait du spectacle Molada. La naissance. Puis vient le concert, aux côtés de l’Orchestre de chambre de Paris ; soit une expérience interactive qui permet de s’immerger dans les compositions mi-jazz mi-musique du monde du violoniste Jasser Haj Youssef.
: le 12 juin à la Philharmonie de Paris, dès 8 ans
CHANTIER de construction Tandis que les enfants armés de Lego font office d’architectes, les adultes peuvent jouer les chefs de chantier, l’important étant de laisser libre court à son imaginaire et à sa créativité pour inventer un monde nouveau et éphémère. Attention ! le port du casque n’est pas obligatoire.
: jusqu’au 13 juillet à la Maison des petits (au Centquatre), tous les mercredis, dès 1 an
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ATELIERS CUISINE Allez hop ! aux fourneaux. Encadrés par de grands chefs, les enfants sont initiés aux classiques de la cuisine : macarons, fraisier, Paris-Brest, pizza, burger… Deux solutions s’offrent aux adultes : s’inscrire en parallèle à un atelier ou se contenter de déguster les réalisations des petits.
: jusqu’au 31 juillet dans différents lieux, www.lenotre.com, dès 8 ans
• CÉCILE ROSEVAIGUE
illustration s: pablo cots
KIDS FRIENDLY eXPO JELLYFISH Pour fêter l’inauguration d’un médusarium, l’artiste israélien Micha Laury investit la nef de l’Aquarium de Paris avec ses sculptures monumentales de méduses. Pour les enfants, outre le ballet fascinant de ces créatures diaphanes, restent le très impressionnant bassin aux requins et l’incontournable bassin aux poissons que l’on peut caresser.
: jusqu’au 30 juin à l’Aquarium de Paris – Cinéaqua dès 2 ans
sIESTES ÉLECTRONIQUES Quand DJs et musiciens electro (Vacarme, Gaika, Voiski…) piochent des sons et des musiques dans les archives du musée du quai Branly, ça donne des sets éclectiques, à écouter allongé dans les jardins ou sur la terrasse du musée ; soit l’occasion de redorer l’image de la sieste auprès des enfants.
: 26 juin au 17 juillet au musée du quai Branly, dès 2 ans
eXPO PICASSO. SCULPTURES Il a travaillé le carton, le bois, le plâtre, la tôle, il a transformé une selle et un guidon de vélo en taureau, et deux petites voitures en guenon. Les sculptures, l’humour et la poésie du maître espagnol sont à découvrir avec les enfants, grâce à des audioguides pour les petits, ou à des visites spécialement conçues pour toute la famille.
: jusqu’au 28 août au musée Picasso, dès 6 ans
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FAIS TON CINÉMA
CLAPCLAP
« Moteur !
Action ! Coupez ! » Construis ton clap de cinéma pour tourner ton propre film. Il ne te reste plus qu’à rédiger ton scénario et à trouver le casting parfait.
Matériel : carton plume, carton épais noir, crayon gris, règle, cutter ou paire de ciseaux, bombe de peinture noire tout support, marqueur blanc, pinceau, peinture blanche, craie blanche, attaches parisiennes, pistolet à colle. Temps de réalisation : une heure (sans compter le séchage de la peinture). À partir de 4 ans, avec l’aide d’un adulte. • PAR POULETTE MAGIQUE
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toutes les étapes sur www.poulettemagique.com/clap
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LE TEST PSYNÉPHILE
ÊTES-VOUS PRÊT(E)
À CHANGER DE VIE ? Alexander Skarsgård, torse nu, sonne à votre porte tard le soir. Vous saviez que ce moment finirait par arriver, votre valise est prête depuis 2008.
Votre soirée idéale… Une élection de miss en Sibérie. Un tête-à-tête avec Bill Clinton. Une soirée plateau télé avec votre amoureux(se) devant Harry Potter.
Vous vous mettez nu(e) vous aussi, on vous a dit que vous deviez socialiser. Quand avez-vous bien pu commander un stripteaseur ? Au restaurant, une serveuse vous amène un steak tartare par erreur. Ah non ! pour moi c’est salade, comme les chèvres. Vous n’y prêtez pas attention, Alexander Skarsgård est assis un peu plus loin.
Choisissez une phrase sans réfléchir. Don’t die too much, just a little bit. Your husband’s wildness disturbs me. Love bombing is all we need. Adolescent(e)… Vous vous êtes déjà retrouvé(e) en haut d’un arbre sans savoir comment descendre.
Vous étiez en train de photoshoper mentalement les seins de la serveuse, vous ne vous en apercevez pas.
Vous étiez une grosse feignasse fêtarde et arrogante. Vous racontiez des bobards à tout le monde.
Vous avez une majorité de : Oui, follement ! Vous êtes prêt(e) à prendre le bus pour une nouvelle vie pleine d’aventures. Comme Valeria Bruni Tedeschi et Micaela Ramazzotti, qui campent les deux héroïnes lumineuses et foutraques de Folles de joie de Paolo Virzì (sortie le 8 juin), vous avez une envie éperdue de liberté et de joie. Tour à tour hilarant et dévastateur, le film est à l’image de votre humeur du moment. Non, mais cela va vous arriver malgré vous ! Vous aviez fait retirer le tatouage « Eric4ever » sur votre fesse droite, vous pensiez être définitivement passé(e) à autre chose, mais lorsque l’on vous a dit que dans le Tarzan de David Yates (sortie le 6 juillet) Alexander Skarsgård allait passer deux heures à moitié nu à se balancer de branche en branche, cela a été plus fort que vous, vous avez replongé. N’hésitez plus, Jane : courez le rejoindre ! Pourquoi pas, tant que vous pouvez continuer vos orgies avec des mannequins russes… Vous pensiez être revenu de tout ? Il y a un être pire que vous, il s’appelle Octave Parango. On le croyait mort dans 99 francs, mais en fait non, il est bien vivant dans L’Idéal de Frédéric Beigbeder (sortie le 15 juin), et il va vous filer la banane plus sûrement que Tarzan. Ici, Beigbeder lâche les chiens, s’abandonne avec déraison à tous ses fantasmes, et c’est jubilatoire.
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• LILY BLOOM