TROISCOULEURS #15 Mai 2017

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MAI 2017

NO 151 GRATUIT

FOLLES PERSPECTIVES

LES FANTÔMES D’ISMAËL D’ARNAUD DESPLECHIN


CRÉATION

PHOTO : JEAN-CLAUDE MOIREAU. CRÉDITS NON CONTRACTUELS

VENDREDI 26 MAI AU CINÉMA


MANDARIN PRODUCTION ET FOZ PRÉSENTENT

MARINE VACTH

JÉRÉMIE RENIER

UN FILM DE FRANÇOIS

JACQUELINE BISSET MYRIAM BOYER

OZON

DOMINIQUE REYMOND



ÉDITO En

couverture, la photo du visage excédé et fatigué de Mathieu Amalric pris dans un maillage complexe et indémêlable (qui par ailleurs résume assez bien l’attente inquiète et agitée de l’entre-deux-tours de la présidentielle dans laquelle nous bouclons ce numéro) est tirée du nouveau film d’Arnaud Desplechin, Les Fantômes d’Ismaël. Amalric, habituel alter ego de Desplechin, y joue un cinéaste qui traverse une tempête intime et psychologique tandis qu’il prépare son ambitieux nouveau film – les fils qu’il a tendus dans son grenier, suivant les lignes de fuite de deux tableaux, sont censés l’aider à y voir clair. Évidemment, ce n’est pas gagné, et c’est tant mieux, puisque c’est précisément cette confusion qui sert au film de moteur et lui imprime sa forme : une forme éclatée, qui change sans cesse les perspectives et ouvre des percées vertigineuses fascinantes. Dans ce parcours labyrinthique et troublant, ce qui tient et lie spectateur et héros, c’est la perspective, même incertaine, qu’à la fin, ils réussiront à démêler les fils. Comme nous l’a dit Arnaud Desplechin, « nous courons vers la catastrophe, évidemment, il n’y a qu’à regarder la situation électorale, et pourtant le spectacle vient nous enseigner que la jeunesse va advenir sur la vieillesse, la réconciliation va advenir sur l’amertume, la vie va advenir sur la mort – et c’est pour ça qu’on va au spectacle. » • JULIETTE REITZER


Gloria Films présente

Ni Hollywood NI BOLLYWOOD

un film de sonia Kronlund

écrit et réalisé par

Sonia Kronlund

avec

Salim Shaheen

produit par

Laurent Lavolé

Alexander Nanau, Eric Guichard A.F.C montage Sophie Brunet, Georges Cragg son Matthieu Perrot, Hassan Shabankareh montage son Emil Klotzsch mixage Tobias Fleig direction de production Diane Thin coproductrice Melanie Andernach productrice associée Maud Huyn une production Gloria Films en coproduction avec Made in Germany avec la participation de Eurimages, Centre national du cinéma et de l’image animée, German Federal Film Board FFA, programme Europe créative – MEDIA de l’Union Européenne avec le soutien de Film and Media Fund NRW, la Région-Ile-de-France et en association avec Cineventure image

distribution france

Pyramide Distribution

ventes internationales

Pyramide international

SORTIE LE 14 JUIN


POPCORN

P. 8 PREVIEW : CANNES 2017 • P. 16 RÈGLE DE TROIS : PERFUME GENIUS • P. 22 LA NOUVELLE : LOUISE CHEVILLOTTE

BOBINES

P. 30 INTERVIEW : BARBET SCHROEDER • P. 38 EN COUVERTURE : ARNAUD DESPLECHIN • P. 54 PORTFOLIO : TRACEY MOFFATT

ZOOM ZOOM P. 66 I AM NOT YOUR NEGRO • P. 68 RODIN P. 70 L’AMANT DOUBLE

COUL’ KIDS

P. 84 : LA CRITIQUE D’ELEANA : ANASTASIA • P. 86 L’INTERVIEW DES CE1-CE2 : CLAUDE PONTI • P. 88 TOUT DOUX LISTE

OFF

P. 94 EXPOS : PICASSO PRIMITIF • P. 106 SÉRIES : ATLANTA P. 110 LIVRES : DIRTY SEXY VALLEY

ÉDITEUR MK2 AGENCY — 55, RUE TRAVERSIÈRE, PARIS XIIE — TÉL. 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : ELISHA.KARMITZ@MK2.COM | RÉDACTRICE EN CHEF : JULIETTE.REITZER@MK2.COM RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE : RAPHAELLE.SIMON@MK2.COM | RÉDACTEURS : QUENTIN.GROSSET@MK2.COM, TIME.ZOPPE@MK2.COM DIRECTION ARTISTIQUE : KELH & JULIEN PHAM (contact@kelh.fr / julien@phamilyfirst.com) | GRAPHISTE : JÉRÉMIE LEROY COORDINATION IMAGE : ALICE.LEMOIGNE@MK2.COM | SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : VINCENT TARRIÈRE | STAGIAIRES : ANNABELLE CHAUVET, OLIVIER MARLAS | ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : CHRIS BENEY, HENDY BICAISE, LOUIS BLANCHOT, LILY BLOOM, COLINE CLAVAUD-MÉGEVAND, RENAN CROS, JULIEN DOKHAN, MARIE FANTOZZI, YANN FRANÇOIS, AÏNHOA JEAN-CALMETTES, RAMSÈS KEFI, VLADIMIR LECOINTRE, GRÉGORY LEDERGUE, GAËLLE LE SCOUARNEC, STÉPHANE MÉJANÈS, JÉRÔME MOMCILOVIC, WILFRIED PARIS, MICHAËL PATIN, JULIEN PHAM, POULETTE MAGIQUE, BERNARD QUIRINY, CÉCILE ROSEVAIGUE, ÉRIC VERNAY, ANNE-LOU VICENTE, ETAÏNN ZWER & ELEANA ET LES ÉLÈVES DE CE1 ET DE CE2 DE L’ÉCOLE GODEFROY-CAVAIGNAC | PHOTOGRAPHES : VINCENT DESAILLY, ROMAIN GUITTET, PALOMA PINEDA ILLUSTRATEURS : PABLO COTS, SAMUEL ECKERT, PABLO GRAND MOURCEL, JEAN JULLIEN, CLÉMENCE MONNET, PIERRE THYSS PUBLICITÉ | DIRECTRICE COMMERCIALE : EMMANUELLE.FORTUNATO@MK2.COM | RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE : STEPHANIE.LAROQUE@MK2.COM | CHEF DE PROJET CINÉMA ET MARQUES : CAROLINE.DESROCHES@MK2.COM | RESPONSABLE CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : ESTELLE.SAVARIAUX@MK2.COM | CHEF DE PROJET CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : FLORENT.OTT@MK2.COM TROISCOULEURS EST DISTRIBUÉ DANS LE RÉSEAU LE CRIEUR contact@lecrieurparis.com © 2017 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / DÉPÔT LÉGAL QUATRIÈME TRIMESTRE 2006 — TOUTE REPRODUCTION, MÊME PARTIELLE, DE TEXTES, PHOTOS ET ILLUSTRATIONS PUBLIÉS PAR MK2 AGENCY EST INTERDITE SANS L’ACCORD DE L’AUTEUR ET DE L’ÉDITEUR. — MAGAZINE GRATUIT. NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE.


PREVIEW

CANNES 2017

POPCORN

JEUNES ET BONS

Jeune femme de Léonor Serraille

©D. R.

Avant le début des festivités, on vous dit tout ce qu’il faut savoir sur la 70e édition du Festival. Et du 17 au 28 mai, on vous le raconte en direct sur troiscouleurs.fr.

Inconnus ou presque, ces cinéastes nous mettent l’eau à la bouche. À la Semaine de la critique, on guette le premier long d’Hubert Charuel, fils d’éleveurs laitiers et diplômé de La Fémis. Campé par Swann Arlaud, Petit paysan s’annonce comme un réjouissant thriller agricole. Sortie elle aussi de La Fémis, Léa Mysius a coécrit Les Fantômes d’Ismaël, le nouveau Desplechin (lire p. 38), et signe Ava, soit l’été d’une ado sur le point de perdre la vue. À la Quinzaine des réalisateurs, on a hâte de découvrir I Am Not a Witch de Rungano Nyoni, née en Zambie et qui a grandi au Pays de Galles, sur une fillette accusée de sorcellerie. L’Italienne Annarita Zambrano, dont les courts ont fait le tour des festivals internationaux, signe Après la guerre (Un certain regard), film tourné entre l’Italie et la France sur un ex-militant d’extrême gauche accusé de terrorisme. Dans la même sélection, le prodige algérien Karim Moussaoui (voir son très beau moyen métrage Les Jours d’avant) nous fait saliver avec En attendant les hirondelles, portrait de l’Algérie contemporaine, tandis que Jeune femme de Léonor Serraille (encore une ancienne Fémisarde) promet une virée fantaisiste dans l’effervescence parisienne, sur les talons de la géniale Laetitia Dosch. Miam ! • J. R.

#REVUE DE TWEETS @YANNBREHERET

On va bien s'amuser à #Cannes2017 si Maren Ade dissimule des coussins péteurs sur les sièges du Gd Théâtre Lumière avant les projos de gala

@MOODFORCANNES

"On dit soubent que le festival est politique. Ce n'est pas nous qui sommes politiques mais les auteurs qui le sont". Frémaux #Cannes2017

@IMNOTGENEKELLY

"A Cannes, Will Smith dormira au Carlton ?". Tribute to Mounia W. who just killed the game ! 8


PREVIEW

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C’est, en minutes, la durée de Carne y arena, cour t métrage d’Alejandro González Iñárritu (Birdman, The Revenant) sur le thème des migrants, qui sera le premier film en réalité virtuelle présenté à Cannes.

C’est le nombre de bougies que souffle l’ACID cette année. Dans le cru 2017, on attend le nouveau Mariana Otero, L’Assem­b lée, et le premier long de fiction d’Ilan Klipper, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête.

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C’est le nombre de projets avec Nicole Kidman cette année. On la verra chez Sofia Coppola et Yórgos Lánthimos en compète, chez John Cameron Mitchell hors compète et dans la série de Jane Campion. On redoute le burn-out.

C’est le nombre de diamants qui orneront cette année, « tels des poussières d’étoiles sur le feuillage et la tige » (dixit le fournisseur officiel), la Palme d’or, à l’occasion des 70 ans du Festival.

C’est le nombre de films que présente Hong Sang-soo : The Day After, en Compétition, et La Caméra de Claire, avec Isabelle Huppert – tourné en scred sur la croisette pendant Cannes 2016 –, en Séance spéciale.

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C’est l’âge de Claude Lanzmann, auteur du mythique Shoah, qui vient présenter Napalm en Séance spéciale. Il est le plus vieux réalisateur sélectionné cette année, devant Agnès Varda, 88 ans. • T. Z .

C’est le nombre de Palme d’or remportée par Pedro Almodóvar au cours de sa carrière, malgré ses cinq nominations en compète. Bonne pâte, il a tout de même accepté de présider le jury cette année.

ARNAUD VALOIS

NOÉE ABITA

MATTHIEU LUCCI

Avec son air de mauvais garçon sensible, l’acteur de 33 ans a décroché son premier rôle principal, celui d’un militant d’Act Up durant les années 1990 dans 120 battements par minute de Robin Campillo (Compétition officielle).

Dans Ava de Léa Mysius (Semaine de la critique), la jeune Aixoise au minois de chat campe, pour son premier rôle au cinéma, une vacancière de 13 ans qui apprend qu’elle va perdre la vue plus vite que prévu.

Il paraît que ce garçon au visage lunaire est impressionnant dans la peau d’un jeune en insertion qui suit un atelier d’écriture dans L’Atelier de Laurent Cantet (Un certain regard) – sa première expérience au cinéma. • T. Z .

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© CÉLINENIESZAWER ; F COMME FILM - TROIS BRIGANDS PRODUCTIONS ; PIERRE MILON

NOUVELLES TÊTES


CANNES 2017

PROFIL TYPE

Le

Festival de Cannes fête ses 70 ans. L’occasion de jeter un regard rétrospectif sur la manière dont la Compétition officielle s’est ouverte (ou pas) aux jeunes, aux femmes et aux cinéastes étrangers, dans une sélection considérée comme la plus prestigieuse du cinéma mondial. Pourcentage de réalisateurs français

25 %

Pourcentage de films réalisés par des femmes

20 %

Pourcentage de premiers films

21 %

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2007

2017

24 FILMS EN COMPÉTITION

31 FILMS EN COMPÉTITION

24 FILMS EN COMPÉTITION

23 FILMS EN COMPÉTITION

20 FILMS EN COMPÉTITION

20 FILMS EN COMPÉTITION

22 FILMS EN COMPÉTITION

19 FILMS EN COMPÉTITION

Grand prix* : Cinq films sont récompensés, dans cinq catégories distinctes

Palme d’or : La Loi du Seigneur de William Wyler

Grand prix* : Blow Up de Michelangelo Antonioni

Palme d’or : Padre padrone de Paolo et Vittorio Taviani

Palme d’or : Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat

Palme d’or : L’Anguille de Shōhei Imamura et Le Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami

Palme d’or : 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu

Palme d’or : réponse le 28 mai !

* La Palme d’or a été décernée de 1955 à 1963, et réhabilitée en 1975. Avant cela, et dans l’intervalle, la plus haute récompense du Festival était le Grand prix

VU

DÉJÀ VU

BÉVUE

Bouh ! Jean-Luc Godard hante ce Festival. Dans Le Redoutable, en compète, Michel Hazanavicius raconte le Mai 68 du cinéaste. Dans Visages Villages, Agnès Varda lui rend visite en Suisse et tombe sur une porte close.

Vingt-cinq ans après les huées qui ont accueilli son film Twin Peaks, David Lynch revient avec la saison 3 de sa série phare. L’agent Cooper sera-t-il toujours possédé par le fantôme du grand méchant Bob ?

Les Fantômes d’Ismaël est projeté en ouverture du Festival. Mais, franchement, vu la beauté et l’ampleur du nouveau film d’Arnaud Desplechin (lire p. 38), on se dit qu’il aurait vraiment mérité la compète. • Q. G.

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CANNES 2017

LES FILMS À LA LOUPE (ET À L’AVEUGLE) Toutes sélections confondues, ces films nous font déjà rêver, en tout cas sur le papier.

UNE INTRIGUE QUI VEND DU RÊVE

HOW TO TALK TO GIRLS AT PARTIES DE JOHN CAMERON MITCHELL

WONDERSTRUCK DE TODD HAYNES

(COMPÉTITION OFFICIELLE)

(HORS COMPÉTITION)

(COMPÉTITION OFFICIELLE)

Pendant dix ans, en Corée du Sud, la jeune Mija a pris soin d’Okja, un animal géant. Quand une multinationale enlève son monstrueux ami, Mija part à New York pour le sauver… On flaire la bonne influence de Hayao Miyazaki dans cette promesse d’épopée poético-engagée.

À Londres, dans les années 1970, un ado ti­mide fan de punk emmène deux amies à une fête où elles rencontrent un groupe de femmes mystiques, qui sont en fait des aliens… On frétille à l’idée de retrouver l’esprit foutraque du réalisateur de Shortbus (2006).

Deux enfants sourds, l’un vivant en 1927, l’autre en 1977, s’échappent de New York. Ils sont tous deux connectés par un mystère en attente de résolution… Ça ressemble plus au synopsis d’un film de Spielberg que de Haynes, ce qui attise diablement notre curiosité. • T. Z .

DU LOURD

LES PROIES DE SOFIA COPPOLA

+

=

RÉALISATEUR GÉNIAL A CTEURS IMMENSES C HEF-D’ŒUVRE  ?

HAPPY END DE MICHAEL HANEKE

D’APRÈS UNE HISTOIRE VRAIE DE ROMAN POLANSKI

(COMPÉTITION OFFICIELLE)

(COMPÉTITION OFFICIELLE)

(HORS COMPÉTITION)

Sofia Coppola, pour la première fois en compète, rassemble, dans un pensionnat pour jeunes filles du xixe siècle, Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Elle Fanning et Colin Farrell. Après l’adaptation de Don Siegel en 1971, on a hâte de découvrir ce que la cinéaste tire du roman très psy et sexuel de Thomas Cullinan.

Isabelle Huppert, Jean-Louis Trintignant et Mathieu Kassovitz chez Michael Haneke, dans un film qui promet de tendre un miroir cruel à l’Europe moderne en confrontant les tracas d’une famille bourgeoise du Nord à la misère d’un camp de migrants tout proche. Une troisième Palme d’or pour l’Autrichien ?

Un jeu de manipulation entre Emmanuelle Seigner et Eva Green, doublé d’une réflexion sur la fiction et le réel, par le maître du huis clos : adapté d’un roman à succès de Delphine de Vigan, le nouveau film de Roman Polanski promet du frisson et des psychés déréglées. Tout ce qu’on aime. • J. R.

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© UNIVERSAL PICTURES ; FILMS DU LOSANGE ; CAROLE BETHUEL

OKJA DE BONG JOON-HO

©NETFLIX ; SEE SAW FILMS ; MARY CYBULSKI

PITCH PERFECT


PREVIEW

© ROGER ARPAJOU, TAOS FILMS ; AD VITAM ; PYRAMIDE

L’AMOUR DU RISQUE

JEANNETTE. L’ENFANCE DE JEANNE D’ARC DE BRUNO DUMONT

UN BEAU SOLEIL INTÉRIEUR DE CLAIRE DENIS

UNE VIE VIOLENTE DE THIERRY DE PERETTI

(QUINZAINE DES RÉALISATEURS)

(QUINZAINE DES RÉALISATEURS)

(SEMAINE DE LA CRITIQUE)

Après nous avoir étonnés l’année dernière avec sa comédie Ma Loute, le plus si austère Bruno Dumont va encore nous surprendre avec ce trip musical sur l’icône historique française. La B. O. electro-rock est signée Igorrr, et les chorés, Philippe Decouflé. Ça s’annonce fou.

Autre projet aventureux, celui de Claire Denis, avec la participation notamment (mais surtout) de Juliette Binoche : une variation sur les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. La cinéaste a apparemment tiré une comédie de cet essai a priori inadaptable !

Auteur d’un portrait subtil et violent de la jeunesse corse contemporaine dans Les Apaches (2013), Thierry de Peretti s’est lancé un défi périlleux : un film de gangsters ultra documenté sur l’histoire et les rouages de la mafia locale. On a hâte de voir ça. • Q. G.

TÊTES BRÛLÉES

THE SQUARE DE RUBEN ÖSTLUND

ON AIME LA RADICALITÉ DE CES AUTEURS

LES FILLES D’AVRIL DE MICHEL FRANCO

MISE À MORT DU CERF SACRÉ DE YÓRGOS LÁNTHIMOS

(COMPÉTITION OFFICIELLE)

(UN CERTAIN REGARD)

(COMPÉTITION OFFICIELLE)

Le Suédois Östlund (Snow Therapy), l’un des cinéastes les plus enthousiasmants d’aujour­ d’hui, ne manque ni de lucidité ni de génie pour nous mettre sous le nez les monstruosités ordinaires de l’être humain. Il récidive avec l’histoire d’un directeur de musée (trop ?) ambitieux.

Le cinéaste mexicain (Después de Lucía) n’a pas son pareil pour filmer, avec une même empathie, la grande bonté et la terrible cruauté de l’être humain, qui souvent cohabitent. Il observe ici la relation entre une femme et sa fille de 17 ans, sur le point de devenir mère.

Les univers clos et dérangeants du cinéaste grec (Canine) reflètent de terribles dérèglements intimes. Son nouveau film ne devrait pas déroger à la règle : un chirurgien prend sous son aile un ado qui s’immisce dangereusement dans sa famille. Claustros, s’abstenir. • J. R

COURTS DES GRANDS Dans le flot des projos à Cannes, les courts métrages passent souvent à la trappe. Cette année, à la Quinzaine des réalisateurs, on ne loupera pas Tijuana Tales du casse-cou Jean-Charles Hue (Mange tes morts). À la Semaine de la critique, on se précipitera pour visionner Les Îles du romantique Yann Gonzalez (Les Rencontres d’après minuit) et After School Knife Fight des très en vogue Caroline Poggi et Jonathan Vinel (Tant qu’il nous reste des fusils à pompe). Et en Sélection officielle, on jouera des coudes pour découvrir Come Swim de Kristen Stewart. • Q. G. Les Îles de Yann Gonzalez

© ECCE FILMS

© PLATTFORM PRODUKTION ; D. R. ; HAUT ET COURT

OU COMMENT SORTIR DE SA ZONE DE CONFORT

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ALAIN DELOIN

QUITTE OU DOUBLE

POPCORN

©LUCASFILM LFL 2016

MEXIQUE Étrange affaire que celle du doublage pour l’Amérique latine de Rogue One. A Star Wars Story, perturbé par les consignes de sécurité ultra strictes imposées par Disney. Pour lutter contre les fuites concernant ses films, on savait déjà que le studio protégeait ses locaux façon Pentagone et allait jusqu’à imprimer ses scripts sur du papier rouge, pour empêcher les scans et les photocopies. Nouvelle info, révélée par la radio améri­caine NPR : Katya Ojeda, la traductrice mexicaine chargée d’écrire les textes dudit doublage, n’a pas eu le droit de regarder le blockbuster de Gareth Edwards. Un « léger » problème, puisqu’il lui était indispensable de voir les mouvements des lèvres des Diego Luna comédiens pour fournir une traduction en espagnol cohérente… La solution ? Disney a fourni à Ojeda une version du film entièrement noircie, sauf dans les moments où les personnages parlent. Les comédiens de doublage ont également dû se contenter de bribes de l’œuvre, à l’exception de la voix de l’espion rebelle Cassian Andor. Et pour cause : c’est Diego Luna, l’acteur mexicain incarnant Andor dans le film, qui s’y est collé. Beau doublé.

UNE IDÉE À LA KONG VIÊT NAM Gros raté du ministère de la Culture vietnamien. Pour surfer sur la sortie de Kong. Skull Island, blockbuster de Jordan Vogt-Roberts tourné en partie dans le pays, il espérait faire installer une statue du singe géant à Hanoï, sur les rives du lac Hoàn Kiêm. Pas de quoi ravir la ville, soucieuse de préserver ce lieu emblématique et entouré de légendes centenaires. D’autant que le ministère évoquait une statue du primate grandeur nature, soit environ 30 mètres de haut… Hanoï a donc décliné l’offre poliment.

ÇA, C’EST PÂLOT… JAPON Polémique autour de Scarlett Johansson, qui incarne le major Motoko Kusanagi dans l’adaptation américaine des mangas et films d’animation japonais Ghost in the Shell. Un cas flagrant de white washing (l’art de faire jouer des personnages de couleur par des Blancs) selon les nombreux détracteurs du film. Mais pas pour les Japonais, semble-t-il blasés. Un internaute, cité par le magazine américain The Hollywood Reporter, note ainsi : « Au moins, ils n’ont pas pris une actrice chinoise, comme dans Mémoires d’une geisha », dans lequel Zhang Ziyi incarne le rôle-titre. En effet, il y a toujours pire.

• COLINE CLAVAUD-MÉGEVAND — ILLUSTRATION : JEAN JULLIEN

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RÈGLE DE TROIS

PERFUME GENIUS Décris-toi en trois personnages de fiction. Je dirais le héros d’Edward aux mains d’argent de Tim Burton, parce que je me sens, comme lui, très marginal. Sinon, dans le film d’horreur de Neil Marshall The Descent, je me retrouve assez dans le personnage de Sarah, la survivante, pour son côté volontaire. Et puis, voyons voir… un animal mignon et doux en apparence… peut-être un tout petit chien qui serait très féroce. Trois acteurs ou actrices qui t’inspirent ? Isabelle Huppert, c’est sûr. Elle peut pleurer sans que rien ne bouge sur son visage. Et, malgré ce côté figé, l’émotion est palpable. Samantha Morton. Elle est tellement expressive ! Et elle est du genre à faire des choses totalement imprévues – si Minority Report de Steven Spielberg est un bon film, c’est grâce à elle. En dernier, je dirais Charlotte Rampling. Tes trois films préférés ? D’abord, Dark Blood de

George Sluizer, le dernier film de River Phoenix. C’est un thriller en même temps qu’une histoire d’amour bien ficelée – j’aime les films qui sont émouvants sans verser dans le cucul. Après, Thelma et Louise de Ridley Scott, une romance platonique entre deux femmes. Ce film montre qu’on peut tout à fait avoir des amitiés amoureuses, au point de mourir pour une amie. Et puis Breaking the Waves de Lars von Trier. C’est hyper déstabilisant. Lars von Trier est l’un des meilleurs cinéastes au monde et, quand on regarde ses films, c’est évident qu’il est fucked up ! Un film que tu pourrais voir à 3 heures du mat’, une nuit d’insomnie ? Clueless. J’adore les films qui te ramènent à tes sentiments d’ado. Quand je regarde ces films, je me persuade que je suis devenu quelqu’un de posé. Trois films que tu aurais adoré vivre ? Je dirais L’Armée des morts

— : « No Shape » de Perfume Genius (Matador) — 16

© D. R.

À 36 ans, Mike Hadreas (Perfume Genius) sort No Shape, un quatrième album plus lumineux que ses précédents – bien que ses vieux démons (drogue, relations destructrices…) soient toujours là. « C’est un opus, nous a-t-il dit, qui doit aider ceux qui l’écoutent à se sentir moins seul ». On lui a demandé quels sont les films qui l’accompagnent. de Zack Snyder, parce que je rêverais de traîner dans un centre commercial vide. Legend de Ridley Scott, particulièrement cette scène dans laquelle Jack et Lili voient des licornes. Ils sont si près qu’ils pourraient les toucher. Le problème, c’est qu’ils ne peuvent même pas les effleurer, sinon le monde entier tomberait dans une nuit éternelle. Pour le dernier, j’aimerais bien citer un truc un peu plus sensé, genre un film sur le sport ou un film de guerre. En fait, j’aime bien expérimenter des choses qui me paraissent un peu sans rapport avec ma personnalité, des choses si intenses qu’elles me font sortir de moi-même. Trois films à montrer à ton voisin homophobe ? En soi, je me fous de convaincre qui que ce soit. Avant, j’essayais toujours de leur faire changer d’avis, mais fuck them ! Je n’ai plus de temps à leur consacrer. • PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET


LE BRAS CASSÉ

SPOILE TOUJOURS, TU M’INTÉRESSES Chaque mois, les aventures d’un bras cassé du ciné. Ton collègue Sébaste t’a dévoilé la fin d’une série à succès, celle dont tout le monde parle au boulot, plus encore que du futur plan de restructuration. Quand tu lui expliques que tu ne l’as pas vue, son visage s’est décomposé. « Pardon, je ne savais pas que… » Cosmique. Il ne s’est pas excusé en mettant son nom surligné au Stabilo à la place du tien sur un rapport – celui à propos des bienfaits du poivre, que tu avais intégralement écrit –, mais miaule pour une affaire de fiction. En réalité, tu t’en contrefous : tu es vacciné contre les spoilers depuis l’âge de 7 ans. Flash-back. Un soir, devant Le Bon, la Brute et le Truand, ton grand-père t’a expliqué que, à la fin, Blondin se barrait avec le magot, laissant Tuco au bout d’une corde et Sentenza dans un trou. Le film avait commencé depuis un quart d’heure. Alors que tu filais dans ta chambre, dépité, il te barra

la route avec son tibia : — Où vas-tu malheureux ? — Dormir. Le film n’a plus d’intérêt maintenant. — L’important n’est pas de savoir si Blondin a gagné, mais comment il a réussi à le faire. Tu sais comment il a fait ? — Non... — Alors ta gueule. Tiens, passe-moi les mûres et la télécommande de la voiture téléguidée. Dans ta famille, plus personne ne fait attention aux spoils depuis des plombes. La règle est simplement de ne pas raconter comment le héros meurt à la fin – ses souffrances, le type d’arme lourde pour le pulvériser, le genre de MST… Souvent, ton grand-père citait la jurisprudence Columbo : « La poire du meurtrier clignotait déjà dans la bande-annonce ; ça n’empêchait pas les gens de regarder. » Il était si fan du lieutenant qu’il pionçait avec une couette en forme de gabardine. • RAMSÈS KEFI ILLLUSTRATION : PIERRE THYSS

La saison 17/ 18 Blanca Li • Anne Nguyen • Boris Charmatz • Mathilde Monnier • Alan Pauls • Tatiana Julien • Pedro Garcia-Velasquez • Angelin Preljocaj • Roser Montlló Guberna • Brigitte Seth • Lia Rodrigues • Compagnie DCA Philippe Decouflé • Yuval Pick • Christian Rizzo • José Montalvo • Annabelle Bonnéry • Héla Fattoumi • Éric Lamoureux • Marc Lainé • Alonzo King LINES Ballet • Élise Vigier • Marcial Di Fonzo Bo • Fabrizio Favale • Jann Gallois • Sydney Dance Company • Dancenorth • The New Zealand Dance Company • Liquid Loft • Paul-André Fortier • Merce Cunningham/CNDC d’Angers • Hervé Robbe • Les Ballets de Monte-Carlo • Ivo van Hove • 3e Biennale d’art flamenco • Festival nordique

www.theatre-chaillot.fr 01 53 65 30 00

Photo : Benjamin Mengelle

DANSE / THÉÂTRE / MUSIQUE / POUR LA JEUNESSE


SCÈNE CULTE

ROSETTA

POPCORN

« Pourquoi moi, alors que je fais bien mon travail ? »

Rosetta

échangés à l’aveugle par les personnages, soumis aux élans brutaux de ce corps qui refuse de se soumettre. « Pourquoi moi, alors que je fais bien mon travail ? » « Parce que vous êtes la seule à avoir fini votre période d’essai ! » C’est cette incommunicabilité que filment les réalisateurs belges – très loin du cinéma social à thèse volontiers donneur de leçons à la mode aujourd’hui –, pour perpétuer la tradition d’un réalisme amer et lucide. Rosetta ne sera jamais une héroïne sans reproche de la lutte des classes, ni même un symbole acceptable de sa triste condition. Elle restera cette jeune femme en colère, claquant et enfonçant des portes par réflexe de survie, ce corps butant sans cesse contre le monde et ses codes de maintien physique et moral. Palme d’or (à l’unanimité) à Cannes en 1999, Rosetta n’est pas un film engagé, mais un film enragé. • MICHAËL PATIN

est d’abord une rencontre avec un corps. Celui de l’actrice (alors inconnue) Émilie Dequenne qui, dès la première séquence du film, déboule dans les couloirs de son usine (elle vient d’être licenciée) vêtue de la blouse blanche et coiffée du filet à cheveux réglementaires. La caméra à l’épaule des frères Dardenne la suit dans les couloirs malgré les portes qu’elle claque derrière elle, comme aspirée par l’énergie de cette jeune femme en furie, en osmose avec la rage qui guide ses pas. Alors qu’elle rentre dans le lard de son supérieur, verbalement puis physiquement, la caméra épouse le flou et la violence de l’empoignade, halète un instant lorsque Rosetta reprend son souffle, puis repart comme une flèche sur ses talons alors qu’elle tente d’enfoncer les portes (fermées, cette fois) de la direction, pourchassée par les vigiles. Ceux-ci s’arrêtent – et la caméra avec eux – devant les toilettes où la furie s’est réfugiée, et finissent par la traîner à grand-peine vers la sortie. Durant toute la scène, les bribes de dialogue sont comme autant de coups

— : « Rosetta » de Jean-Pierre et Luc Dardenne, diffusion dans le cadre du cycle Born in Cannes, le mardi 23 mai à 20 h 45 sur

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DU 20 AU 26 MAI

TROIS COULEURS : ROUGE MERCREDI 24 MAI À 20H45

© 1994 MK2 PRODUCTIONS / FRANCE 3 CINÉMA / CAB

LES AMOURS IMAGINAIRES LUNDI 22 MAI À 20H45

© 2010 MIFILIFILMS

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C’EST ARRIVÉ DEMAIN

POPCORN

2018 En

L’ANNÉE OÙ ON LAISSA LA LUMIÈRE ALLUMÉE

direct de l’avenir, retour sur ce basculement d’interrupteur qui améliora la vie des spectateurs. Le temps était venu de faire quelque chose. On ne pouvait plus arriver en retard à sa séance sans s’entraver dans les jambes des spectateurs déjà assis. Pour les plus malheureux, qui avaient réservé un fauteuil précis et qui le trouvaient occupé, s’en suivaient d’ailleurs des discussions animées, parfois des violences, sans que jamais personne n’arrive à cogner correctement le visage de l’autre, faute d’y voir quelque chose. Et que dire de nos tablettes, appareils dont il fallait pousser au maximum la luminosité – adieu batterie ! – simplement pour twitter confortablement pendant la projection ? de ces friandises dont il fallait défaire l’emballage bruyamment sans savoir s’il s’agissait d’une barre chocolatée ou d’un sandwich ? Quel

REWIND

soulagement quand la décision fut prise de laisser les lumières allumées dans toutes les salles de cinéma, à chaque séance ! On pouvait enfin regarder le film avec classe, ses lunettes de soleil sur le nez, ou se lever, sortir, entrer, ressortir, entrer de nouveau, encore et encore, sans tâtonner, sans s’excuser de déranger. Plus besoin de s’éclairer avec son smartphone pour lire tranquillement son magazine devant le film ; plus d’erreur entre la mayonnaise et le ketchup quand on trempait ses frites : le bonheur était partout ! Davantage encore dans les salles équipées de fours micro-ondes qui permettaient aux spectateurs de réchauffer leur popcorn et leurs hamburgers à tout moment. Dans cette lumière divine, le tintement régulier de leur minuterie était devenu la plus douce des musiques. • CHRIS BENEY ILLUSTRATION : PIERRE THYSS

CANNES 1967 Le milliardaire allemand Gunter Sachs obtient que Batouk, documentaire qu’il a produit, soit projeté en cérémonie de clôture. Seule condition émise par les organisateurs : sa femme, Brigitte Bardot, doit être présente. Le goujat convainc l’actrice, peu enthousiaste, en la menaçant de divorcer si elle ne vient pas. Sur place, B. B. crée une émeute. Dans Initiales B. B. elle raconte son état – « écrasée, malmenée, étouffée, mais souriante, oui souriante ». C’est sa dernière apparition officielle au Festival. • Q. G.

20


L’attitude est une petite chose qui fait une grande différence

CHURCHILL un film de JONATHAN TEPLITZKY

Brian cox

Miranda richardSon

Jo hn S l at t e r y

En ASSocIAtIon un pRoductIon SALon AVEc SILVER REEL pRéSEntE tEMpo pRoductIonS Et EMBAnKMEnt FILMS Et LIpSYnc pRoductIonS cREAtIVE ScotLAnd HEAd GEAR FILMS Et MEtRoL tEcHnoLoGY BRIAn coX MIRAndA RIcHARdSon JoHn SLAttERY MAquILLAGE coIFFuRE dE LA pHotoGRApHIE dAVId HIGGS B.S.c. AVEc ELLA puRnELL Et JAMES puREFoY “cHuRcHILL” cAStInG dAn HuBBARd c.d.G. coStuMES BARt cARISS Et pRotHèSES cAtE HALL décoRS cHRIS RoopE MuSIquE LoRnE BALFE MontAGE cHRIS GILL A.c.E. dIREctEuR pRoductEuRS déLéGuéS Jo BAMFoRd IAn BERG pEtER HAMpdEn pHIL Hunt IAn HutcHInSon ZYGI KAMASA nIcK MAnZI noRMAn MERRY MIcHAEL MILILLo cHRIStopHER J REYnoLdS AndREA REYnoLdS coMpton RoSS RonnELL SHAW pRoductEuRS pRoduIt un FILM MIKE StARR déLéGuéS tIM HASLAM HuGo GRuMBAR pRoductEuRS cLAudIA BLuEMHuBER Et pIERS tEMpESt pAR nIcK tAuSSIG Et pAuL VAn cARtER ScénARIo ALEX Von tunZELMAnn RéALISé pAR JonAtHAn tEpLItZKY

au cinéMa

Le 31 Mai


LA NOUVELLE

POPCORN

LOUISE CHEVILLOTTE

— : « L’Amant d’un jour » de Philippe Garrel SBS (1 h 16) Sortie le 31 mai

On

ne l’avait vue qu’en noir et blanc, le film de Philippe Garrel étant sa première apparition au cinéma, et l’on constate combien son visage s’éclaire quand il passe en couleurs : ses yeux noirs se teintent d’un vert profond, et sa mine, inquiétante dans le film, s’illumine d’un sourire chaleureux. Dans L’Amant d’un jour, Louise Chevillotte est la maîtresse au désir trouble et jamais assouvi d’un prof de fac. « Au début, Philippe la voyait comme une nymphomane, mais j’ai cherché à lui ajouter de la douceur, à la rendre plus ambiguë. » Une première expérience particulière – Garrel tournant en 21 jours, dans l’ordre, et en une prise par plan – survenue « comme par magie » pour la comédienne et metteure en scène de théâtre de 22 ans, qui termine le Conservatoire, où Garrel l’a repérée. Elle travaille aujourd’hui à une pièce sur un monde en ruines, « mais une pièce profondément optimiste. Je suis une optimiste, je fais ce métier parce qu’il enchante la vie. » Un art de colorer le monde et les rôles qu’elle maîtrise déjà très bien. • RAPHAËLLE SIMON — PHOTOGRAPHIE : PALOMA PINEDA 22


LES FILMS DU LOSANGE et BANDE A PART FILMS présentent

UN FILM DE

BARBET SCHROEDER

LE 7 JUIN


L’ILLUMINÉE

POPCORN

DAVID LYNCH VU PAR CLÉMENCE MONNET

Alors

que les deux premiers épisodes de la troisième saison de Twin Peaks seront projetés en avant-première mondiale au Festival de Cannes, l’illustratrice rend hommage à son créateur pour notre carte blanche : « Il y a dans les films de Lynch un mélange entre inquiétante étrangeté et poésie pure. Il ne raconte pas, mais nous donne des clés, avec lesquelles il nous laisse nous débrouiller seuls. Dans mes dessins, j’aime partir sans savoir jusqu’où le trait m’emmènera, laissant les couleurs et les symboles s’entrechoquer. » • R. S. (CLEMENCEMONNET.BLOGSPOT.FR/) 24



LE TEST PSYNÉPHILE

QUEL RÔLE JOUERAIS-TU DANS UN FILM APOCALYPTIQUE ?

Ce matin, tu as ouvert les yeux…

Rien. Pendant que les autres prient, moi, je pète sur scène.

Et tu as aperçu ta mère en train de te faire un spectacle de marionnettes. En fait, tu n’en as ouvert qu’un, l’autre est au beurre noir. Tu as vu l’avenir.

Tant que la cloche n’a pas sonné, c’est pas fini… Tu es plus proche :

POPCORN

Que t’évoque le mois de mai 2017 ?

De la farine – comme dans « se faire rouler dans la farine ».

Un baiser mythique…

D’un rondin (avec la tête de Vincent Lindon).

Heu… un caca bouilli ?

D’un jambon du Sud-Ouest. (Là, tu viens de douter de la pertinence du test auquel tu es en train de répondre)

Un K. O. technique. Un jeune loup ambitieux te soumet un projet : « Commencez par signer que je sache dans quel sens je regarde ! »

Le tatouage sur la fesse gauche que tu t’es fait faire à 17 ans, bourré(e ), à Palavas–les–Flots : « Ce qui compte c’est pas la force des coups que tu donnes, c’est le nombre de coups que tu encaisses tout en continuant d’avancer. »

Tu lui rappelles que tu as 50 ans. Tous les champions ont un jour été un prétendant, refusant d’abandonner… Que t’inspire la campagne présidentielle française ?

« 100 % cachemire. » « Maman, où es-tu ? »

La Porte de l’Enfer.

SI TU AS UNE MAJORITÉ DE : TU SERAS LE GUERRIER INFATIGABLE Et tu seras au premier rang pour aller voir l’histoire vraie de Chuck Wepner dans Outsider de Philippe Falardeau (sortie prévue le 10 mai). Chuck Wepner, c’est quand même le mec qui a réussi à tenir quinze rounds contre la légende Mohamed Ali en 1975. Ce mec a inspiré le rôle de Rocky Balboa. Je dis ça, je dis rien, Adrian !!!

TU JOUERAS L’INCASABLE, TU ES UN VIEUX CROUTON. GAME OVER Mais tu te raseras peut-être les jambes en sortant de la projection du dernier film de Valérie Lemercier (sortie le 31 mai). Marie-Francine est une rom-com hilarante qui va te rappeler que l’amour peut encore te tomber dessus comme une crotte de pigeon quand tu dors sur le clic-clac de tes parents à 50 ans.

TU SERAS LE VISIONNAIRE QUI CHANGE LE COURS DE L’HISTOIRE Et le biopic Rodin (sortie le 24 mai), réalisé par le trop discret Jacques Doillon, va te faire voir par-delà les étoiles du Festival de Cannes. D’ailleurs, tu savais qu’il serait sélectionné à Cannes, et pas seulement parce qu’il y a Vincent Lindon dedans, mais parce que c’est un beau film.

• LILY BLOOM — ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL 26


Why Not Productions présente

MATHIEU

AMALRIC

MARION

COTILLARD

CHARLOTTE

GAINSBOURG

LES FANTOMES D’ISMAEL UN FILM DE ARNAUD

Crédits non contractuels • Design : JEFF & BEN pour TROÏKA.

LOUIS GARREL

ALBA ROHRWACHER

DESPLECHIN

LÁSZLÓ SZABÓ

HIPPOLYTE GIRARDOT

AU CINÉMA LE 17 MAI



TRONCHES ET TRANCHES DE CINÉMA


BOBINES

BARBET SCHROEDER

L’ŒIL DU MALIN

Célébré actuellement par le Centre Pompidou, Barbet Schroeder arpente depuis près d’un demi-siècle le cinéma sous toutes ses latitudes, d’Ibiza (More, Amnesia) à Hollywood (Le Mystère von Bülow). Mais la frontière que le cinéaste suisse explore avec le plus de constance, c’est celle qui sépare le bien du mal, comme le prouve son nouveau documentaire, Le Vénérable W., glaçant portrait d’un moine prêcheur de haine en Birmanie bouddhiste. Rencontre avec un malicieux explorateur, fasciné par les états limites et les êtres borderline. 30


Seulement si ça a une résonance avec de vraies questions et si ça nous apprend quelque chose. Avec Jacques Vergès [qu’il a filmé dans le documentaire L’Avocat de la terreur en 2007, ndlr], on découvre comment le terrorisme s’est développé, et avec Wirathu, comment le bouddhisme a été perverti. Avec Général Idi Amin Dada. Autoportrait (1974), j’ai fait le portrait d’un dictateur pour montrer la caricature du pouvoir. Filmer un type sinistre qui découpe des gens en petits morceaux dans une grotte, ça ne m’intéresse pas. Après Idi Amin Dada et Jacques Vergès, votre trilogie documentaire sur le mal se clôt en effet avec Ashin Wirathu, un moine bouddhiste qui incite à la violence. Une conclusion pessimiste sur la nature humaine… C’est vrai, avec Wirathu, on part de l’extrême bonté, pour aboutir à la forme la plus extrême du mal. Le bouddhisme, c’est la dernière illusion qui s’écroule, une religion qui est touchée elle aussi par la folie humaine. Wirathu est particulièrement onctueux, mais il est aussi diabolique. Il prétend que les Rohingyas, cette minorité musulmane opprimée, ont brûlé eux-mêmes leurs maisons, alors qu’on les a incendiées pour les faire fuir ; c’est du nettoyage ethnique. Il m’a impressionné, car il m’a dit au départ : « Vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez. » Un homme politique ne dit jamais une chose pareille ! Bien sûr, il y a un art de se faufiler entre les questions. Or, dans le bouddhisme, le mensonge est un péché absolu. Si on peut prouver qu’un moine ment, il perd sa sainteté tout de suite. Une belle idée de ce Vénérable W. est la voix off symbolisant le peuple bouddhiste. Cette voix est celle de Bulle Ogier, et sa douceur tranche avec la violence du film. J’avais très peur que le film soit exploité contre la religion bouddhiste. J’ai donc donné la parole à un personnage imaginaire, qui représente une dame bouddhiste comme il en existe beaucoup, en désaccord avec les extrémistes. Est-il vrai que vous devez votre découverte du bouddhisme à Fritz Lang ? Je m’y suis d’abord intéressé à travers mes lectures. Plus tard, j’ai rencontré Fritz Lang, qui devait tourner un film en Inde. Il m’a dit :

Koko. Le gorille qui parle (1978)

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© CRÉDIT XXXXX XXXXXXX XXXXX XXX XXXX

« Si vous allez là-bas, vous pourrez faire partie de l’équipe comme assistant. » Du jour au lendemain, il a été atteint de dégénérescence maculaire, une affection qui empêche d’y voir clair. Le tournage a donc été annulé. Mais je n’ai appris la nouvelle qu’une fois sur place ! J’ai donc décidé de rester là-bas et d’aller visiter les grands lieux du bouddhisme. Vos films partent souvent de questions philosophiques : l’utopie (La Vallée, 1972), les limites du langage (Koko. Le gorille qui parle, 1978)… La philosophie m’a toujours intéressé. Je m’étais même inscrit en philo à la Sorbonne, mais je n’ai pas eu le temps de poursuivre ces études. J’ai créé la société Les Films du Losange à 22 ans [avec Éric Rohmer, ndlr], je rêvais de faire des films depuis mes 14 ans… Dans Koko, je me demande ce qu’est une personne non humaine. C’est un film de plus en plus pertinent aujourd’hui, car la question du droit des animaux devient un vrai enjeu de civilisation. Quand vous partez explorer une autre culture, avez-vous à l’esprit les expériences de Jean Rouch, cinéaste-ethnologue que vous avez bien connu ? Bien sûr, c’est une influence majeure pour moi. Lorsqu’il fait venir des Africains pour connaître leur regard sur les Parisiens, c’est à mourir de rire. J’ai joué pour lui en 1965 dans « Gare du Nord », un sketch extrait de Paris vu par… C’est la première fois qu’on employait une caméra ultra légère à l’épaule, en son direct. On a fait un plan continu de 17 minutes, en réalité deux plans-séquences qu’on raccordait dans le noir de l’ascenseur. Cette découverte a eu beaucoup d’influence. Le cinéma, c’est un art technique. Donc essayer de trouver ce qu’on peut faire d’intéressant et de nouveau, ça me passionne. Le premier film narratif en haute définition a été tourné en 1999, c’est mon film, La Vierge des tueurs. La caméra qui a servi pour Le Vénérable W., c’était encore une innovation. Je me suis servi d’une caméra qui peut

© 1977 LES FILMS DU LOSANGE / INA

Êtes-vous prêt à filmer tout individu, si monstrueux soit-il ?

BOBINES

INTERVIEW


BARBET SCHROEDER

filmer au clair de lune. Si je vous filme maintenant avec cette caméra, on verra le moindre poil de votre barbe. Ça n’est pas poétique, mais ça permet d’avoir tous les détails. On peut obtenir aujourd’hui une beauté naturelle de l’image, cette image sans lumière dont rêvait le grand chef opérateur Néstor Almendros. La Vierge des tueurs (2000), histoire d’amour homosexuelle sur fond de guerre des gangs à Medellín, a connu un tournage chaotique. Est-il vrai qu’un assistant de production, terrorisé, est rentré en France au bout de quelques jours ? Oui, et il n’est jamais revenu ! Le premier défi, qui a duré six mois, était de trouver les acteurs – des Alain Delon de 16 ans – parmi les quatre millions d’habitants de Medellín. On a aussi tourné à Sabaneta, à un kilomètre de l’église où se trouve la fameuse Vierge. J’ai eu l’inconscience de filmer là-bas des scènes d’action, des cadavres… Le maire a envoyé la police pour nous empêcher de tourner, car il nous disait : « La Vierge des tueurs est un livre qui nuit à la réputation de mon village [le film est adapté d’un roman de Fernando Vallejo paru en 1994, ndlr]. » Quand on lui a fait remarquer que, neuf jours plus tôt, des jeunes gens avaient été retrouvés, à l’extérieur de la ville, les mains attachées dans le dos et une balle dans la tête, il nous a répondu : « Oui, mais eux avaient été prévenus ! » Il nous a donc « prévenus » à notre tour, et on a compris qu’il fallait se faire oublier. Quand nous y

sommes retournés pour la scène qui nous manquait, nous étions entourés par deux cercles de policiers : ceux de Medellín, qui nous protégeaient, et ceux de Sabaneta, qui nous surveillaient. Vous avez souvent joué des petits rôles pour d’autres cinéastes, de Tim Burton (Mars Attacks!) à Wes Anderson (À bord du Darjeeling Limited). Avez-vous du plaisir à être acteur ? Non, mais j’ai du plaisir à découvrir ce qu’est la situation de l’acteur. Parfois, pour des raisons techniques, on lui demande de faire quelque chose qui n’est pas naturel du tout. Je m’en suis rendu compte sur le tournage de La Reine Margot de Patrice Chéreau, quand je devais donner la réplique à un mur ! J’ai surtout appris qu’il ne fallait pas passer des heures à donner des explications aux acteurs. Les bons directeurs d’acteurs parlent de manière télégraphique. Vos héros de documentaires sont-ils des acteurs à leur manière ? Wirathu a un charisme très étrange. Jacques Vergès est un acteur phénoménal. D’ailleurs, ça lui plaisait tellement qu’il est ensuite monté sur scène pour jouer une pièce de théâtre. Il y a toujours des personnages dans mes films. On m’a un jour proposé de faire un film sur l’énergie nucléaire, mais ça ne m’intéresse pas. Je fais des films sur des êtres humains qui peuvent se retrouver dans des situations dramatiques, on n’est jamais loin de la fiction.

© 1999 LES FILMS DU LOSANGE / LE STUDIO CANAL+

BOBINES

« Filmer un type sinistre qui découpe des gens en petits morceaux dans une grotte, ça ne m’intéresse pas. »

La Vierge des tueurs (2000)

32


L’HOMME QUI MURMURAIT À L’OREILLE DES MONSTRES Une constante traverse l’œuvre de Barbet Schroeder : son attraction pour les monstres – sacrés ou sanguinaires, mégalomanes ou ambigus. Non content de les mettre en scène dans ses fictions criminelles (Kiss of Death, La Vierge des tueurs), le réalisateur n’a jamais hésité à partir à la rencontre de monstres bien réels. En 1974, il filme le dictateur ougandais Idi Amin Dada et nous livre un « autoportrait » hallucinatoire du tortionnaire au rire d’enfant. En 2007, c’est avec l’insaisissable Jacques Vergès, avocat de Carlos et de Klaus Barbie, qu’il joue au jeu du chat et de la souris dans L’Avocat de la terreur. Entre les deux, il y a les quatre heures d’interview de Charles Bukowski, enfin disponibles en DVD, pendant lesquelles l’écrivain monologue sur son amour de la fange et sa haine des normes. Dans l’un des segments les plus éprouvants, on le voit frapper du pied Linda Lee Beighle, sa compagne de l’époque, sous le coup de la jalousie, avant que Schroeder ne décide d’arrêter la caméra. Son génie est de susciter le regard critique sans jamais condamner ses sujets, opérant un travail du négatif qui questionne notre rapport à la morale et les limites de notre humanité. • MICHAËL PATIN

— : « The Charles Bukowski Tapes » de Barbet Schroeder (Carlotta) /

Coffret « Barbet Schroeder. Un regard sur le monde » (Carlotta)

En dehors d’un épisode de Mad Men en 2009, vous n’avez pas tourné aux États-Unis depuis Calculs meurtriers en 2002… Le tournage pour Mad Men m’a beaucoup appris, par exemple qu’on pouvait faire un film en très peu de temps. C’est comme ça que j’ai réussi ensuite à tourner Amnesia (2015) en vingt jours ! Hollywood, ce sont des budgets gigantesques et une pression extrême, ce n’est pas très agréable. Sur tous mes films américains, j’étais producteur et j’avais le montage final. Mais sur L’Enjeu (1998), le studio est venu dans la salle de

montage, a pris les disques et a remonté le film. Après avoir vu le résultat, j’ai proposé qu’on projette ma version et la leur dans deux salles côte à côte pour voir laquelle plaisait le plus. Ils n’ont même pas voulu faire le test. Ces dernières années, j’ai proposé des projets qui me semblaient commercialement intéressants, mais on les refuse en me répondant que ce sont des films d’art. Tous les films que j’ai tournés aux États-Unis, y compris un thriller comme J. F. partagerait appartement (1992), sont aujourd’hui considérés comme des films d’art là-bas ! 33

BOBINES

Général Idi Amin Dada. Autoportrait (1974)

© 1974 LES FILMS DU LOSANGE

INTERVIEW


© LES FILMS DU LOSANGE

BARBET SCHROEDER

BOBINES

Le Vénérable W. (2017)

« Dans le bouddhisme, le mensonge est un péché absolu. Si on peut prouver qu’un moine ment, il perd sa sainteté tout de suite. » On imagine aussi que les studios goûtent peu l’ambiguïté, l’une des marques de votre cinéma. Je m’aventure sur un terrain qui est le contraire de ce qui plaît à l’Amérique. L’exemple le plus frappant, c’était Le Poids du déshonneur (1996), dans lequel des parents s’opposent concernant leur enfant qui a commis un crime. Le dilemme était : faut-il l’aider à échapper à la justice ou le dénoncer ? Le simple fait qu’on émette un doute était impensable pour le public américain : bien sûr qu’il fallait l’envoyer en prison ! Parlez-nous de vos Bukowski Tapes, un document rare sur cet écrivain culte, qui vient d’être édité en DVD. J’ai eu la chance de passer de nombreuses soirées avec Charles Bukowski, car on essayait de tourner Barfly [fiction sortie en 1987, d’après un scénario écrit par Bukowski, avec Mickey Rourke dans le rôle de l’alter ego de l’écrivain, ndlr], qui a mis sept ans à voir le jour. Et je trouvais injuste que le reste du monde ne puisse pas en profiter. Bukowski était un performer, très drôle. Il ne voulait pas être considéré comme un gourou, simplement

comme un être humain qui parle de ses douleurs. Ce n’est pas un documentaire sur lui, plutôt une succession d’aphorismes – on peut grappiller à l’intérieur de ces cinquante épisodes. Ils avaient été diffusés sur ce qu’on appelait alors FR3, juste avant la fin des programmes, comme une façon de dire bonne nuit. Claude Chabrol m’avait dit qu’il les regardait chaque soir. • PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DOKHAN PHOTOGRAPHIE : VINCENT DESAILLY

— : « Le Vénérable W. »

de Barbet Schroeder Les Films du Losange (1 h 40) sortie le 7 juin • « Barbet Schroeder. Rétrospective intégrale », jusqu’au 11 juin au Centre Pompidou

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BLANCHE GARDIN

BOBINES

DAME DE PIQUE

Figure féminine majeure du stand-up à la française, Blanche Gardin impose enfin son humour ravageur au cinéma avec Problemos, comédie sur fond de fin du monde qu’elle a coécrite et qu’elle interprète. Un art habile de la dérision qui tape là où ça fait mal avec un doigté et une précision déconcertants. Ça pique, mais c’est bon. 36


PORTRAIT

Quand

« Je déteste le malaise. C’est le contraire de l’humour. » ne milite pourtant pour personne. Un bon vieux jeu de massacre acide et rigolo vaut mieux qu’une leçon de morale. Alors qu’elle juge, avec une pointe de dépit, son humour « trop cérébral », on la rassure sur l’efficacité comique de son jeu très physique, de sa diction syncopée et ses capacités burlesques, qui faisaient déjà des ravages dans la série WorkinGirls (Canal+) et qui explosent ici dans son interprétation de l’insupportable Gaya, apôtre dictatoriale et condescendante de ce nouveau mode de vie. À la voir s’emmitoufler dans un grand manteau rouge et nous regarder avec des yeux rieurs, on voit Blanche telle qu’elle est : une clown moderne, qui réussit à nous faire rire d’un monde qui ne tourne plus rond.

confronter à la crudité du monde, sa laideur, sa monstruosité, sa bêtise en somme pour nous apprendre à nous en protéger par le rire. Pas étonnant, alors, qu’elle ait fait appel pour coécrire Problemos à Noé Debré, le scénariste des très noirs Dheepan de Jacques Audiard et Les Cowboys de Thomas Bidegain. Dans ce film, réalisé par Éric Judor, une histoire d’épidémie mortelle fait d’un groupe d’altermondialistes les derniers survivants de la Terre. Armés de leurs grands principes et d’un nouvel idéal aux antipodes de la société de consommation, ces nouveaux aventuriers écolos vont vite déraper vers le pire. Très noir, mais très drôle.

HUMOUR MONSTRE Quand Blanche évoque les origines de Problemos, on cause soudain anthropologie, politique, Nuit debout, ZAD, état d’urgence, autant de concepts et d’éléments en apparence très éloignés de la comédie à la française. On lui parle de Calmos de Bertrand Blier (1976) et de toute la vague de comédies anars des années 1970 auxquelles le ton léger et mordant du film fait penser, elle

• RENAN CROS — PHOTOGRAPHE : VINCENT DESAILLY — : « Problemos » d’Éric Judor StudioCanal (1 h 25) Sortie le 10 mai

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BOBINES

répond « Podemos », du nom du mouvement contestataire espagnol fondé en 2014. « Il y a, dans les groupes révolutionnaires, quelque chose qui me fascine. Irrémédiablement, les grands idéaux sont contaminés par l’ego, le goût des hiérarchies, et tout s’effondre. J’ai suffisamment milité et fréquenté le milieu associatif dans ma jeunesse pour être capable d’en rire aujourd’hui avec Problemos. Y a un truc qui ne tourne pas rond chez l’homme, même quand il a les meilleures intentions du monde. » Pessimiste, Blanche Gardin ? Engagée plutôt. Si elle avoue avec malice ne pas prétendre avoir « la solution », elle revendique un droit à l’humour monstrueux, un goût de la satire et de l’outrance, bien plus réalistes selon elle pour faire bouger les choses que « l’hypocrisie des comédies françaises qui réconcilient tout le monde à coups d’embrassade. » Tapant aussi bien sur la prétention et le confort bourgeois du Parisien sceptique bloqué dans cette communauté hippie (parfait Éric Judor) que sur les dérives sectaires et absurdes de ces nouveaux manitous du « mieux vivre », Problemos

on rencontre Blanche Gardin dans le hall de L’Européen, salle de spectacle intimiste où elle reprend son dernier « seule en scène », Je parle toute seule, pour une salve de dates à guichets fermés, on découvre une femme menue, souriante, presque discrète. Pourtant, son spectacle, interdit au moins de 17 ans à sa demande, affiche d’emblée la couleur : Blanche est trash. « Je ne cherche pas à provoquer les gens. Ça ne m’intéresse pas, nuance-t-elle avec fermeté. Je déteste le malaise. C’est le contraire de l’humour. » Quand on lui rétorque que le spectacle aborde quand même frontalement des sujets tabous et très intimes sur des détails sexuels scabreux, la maladie, ou même la mort d’un proche, elle penche la tête d’un air amusé. « Que je vous bouscule, ça d’accord. Mais c’est fait en toute connaissance de cause. L’humour est une histoire de complicité. À partir du moment où il y a de la violence, ça ne marche plus. » L’univers de Blanche, que les spectateurs ont découvert en 2007 sur la scène du Jamel Comedy Club, repose sur cette façon de nous


BOBINES

EN COUVERTURE

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ECHIN


DESPLECHIN

BOBINES

EN MILLE

Famille maudite, amours perdues, angoisses morbides : les héros d’Arnaud Desplechin sont toujours tourmentés par leurs démons. Dans Les Fantômes d’Ismaël, le héros se retrouve littéralement face à ses fantômes – celui de son frère exilé sur lequel il écrit un film, et celui de sa femme, Carlotta, qui réapparaît après vingt ans d’absence, alors qu’il est en couple avec la douce Sylvia. L’occasion, à travers une narration savamment éclatée, d’un film en forme d’exorcisme à la mise en scène vertigineuse – un film fracassant, brutal, et étincelant.

Pas trop la routine avec Mathieu Amalric, après sept films ensemble ? Il sait encore me surprendre : j’avais écrit cette scène où Charlotte quitte Mathieu en faisant le singe chinois, un plan-séquence dont j’étais très fier, très beau, un peu savant, avec Mathieu de dos la plupart du

temps, parce que c’est sa scène à elle, sa décision. Mais Mathieu a été bon comme un salaud pendant la prise. Du coup on a dû refaire la scène en déplaçant la caméra pour l’avoir aussi – tant pis pour mon beau plan séquence ! Je ne savais pas qu’il me donnerait autant. Je me souviens avec émotion du dernier jour du tournage : je lui baisais les pieds, j’étais pantois d’admiration. Mathieu a cet art de se moquer de soi-même, de dire du mal de soi, que très peu d’acteurs ont. Nous ne sommes jamais allés aussi loin qu’avec ce film, nous sommes arrivés au bout 40


EN COUVERTURE

BOBINES

ÉCLATS

avait créé un décalage horaire d’une heure et demie pour que la France soit gigantesque : dans les scènes avec Nora, à Grenoble, la nuit n’a pas fini de tomber et, dans le même temps, à Paris, avec Ismaël qui drague la jeune Arielle à l’hôpital psychiatrique, c’est la nuit noire. On ne peut pas raconter de bonnes histoires avec un seul fuseau horaire, il en faut au moins deux ! Comment avez-vous pensé la scène du train, avec ces paysages mentaux qui défilent par la fenêtre alors qu’Ismaël rentre à Roubaix ? C’est un hommage à Winnipeg mon amour de Guy Maddin, qui raconte la même chose : un homme revient dans sa ville natale qu’il déteste et adore à la fois. Il fallait aller vers le fantastique pour montrer combien Ismaël est perdu, donc on a fait ce travail de surimpression sur la fenêtre d’un vieux wagon à compartiments – comme un voyage à l’intérieur de lui-même. Je suis très content du résultat, même si, sur le tournage, les gens étaient très dubitatifs parce qu’on tournait devant un malheureux écran vert.

de quelque chose – il a proposé tout ce qu’il pouvait inventer de frénésie, de douceur, de paradoxes, il a tout fait ! Il faudra nous réinventer, faire autre chose. Ismaël bouge beaucoup entre Paris, Noirmoutier, Roubaix, il semble chercher sa place, sa « patrie » – d’ailleurs il fait cette magnifique déclaration d’amour à Sylvia : « Tu es ma patrie. » Dans vos films, vous filmez toujours des apatrides, des êtres solitaires et perdus. C’est très vrai. Dans Trois souvenirs de ma jeunesse, le thème c’était l’exil, avec ce personnage qui, où qu’il soit, est toujours en exil, de Paris, de Roubaix, du Tadjikistan… Cela dit, j’ai un rapport assez malheureux à la France, c’est un paysage que je trouve pas facile à filmer, un peu morne – en dehors de Roubaix [sa ville d’origine, où il a tourné, notamment, La Vie des morts, Un conte de Noël et Trois souvenirs de ma jeunesse, ndlr], évidemment. Les territoires de fiction m’intéressent plus que les territoires réels. Dans Rois et reine, on 41


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DESPLECHIN Vous aussi, vous avez des fantômes qui vous persécutent la nuit ? J’en ai eu, mais pas les mêmes. J’ai une crise de cauchemars qui a duré deux ans, après avoir perdu quelqu’un qui m’était proche. J’en suis sorti épuisé. Ismaël, j’imagine qu’il fait des cauchemars très fantasques, comme ces gens atteints d’une maladie dégénérative – je fais beaucoup de recherches pour mes films, donc je suis très calé en maladies – qui fait qu’ils sont attaqués toutes les nuits dans leurs rêves par des sauriens, des serpents, des araignées… C’est terrifiant, c’est une forme d’épilepsie, qui viendrait d’un dérèglement des glandes. D’où cette réplique d’Ismaël à son médecin : « Il faut absolument me couper l’hypothalamus [partie du cerveau qui assure la liaison entre le système nerveux et le système endocrinien, ndlr]. » Avec ce film très psychanalytique, on pénètre dans la psyché torturée d’Ismaël – assaillie par des angoisses d’abandon, de mort, de persécution. Quel est le lien entre le cinéma et la psychanalyse pour vous ? Au cinéma, le réel, ça signifie. En psychanalyse aussi – vous dites n’importe quoi, et ça signifie. Alors que dans la vie de tous les jours, vous dites des choses, et c’est pas passionnant, c’est évanescent, ça ne signifie pas. Dans les moments de déprime, de désarroi de la vie quotidienne, ce qui est difficile, c’est justement que rien ne signifie rien, on se retrouve devant un monde mat. La machine caméra a cette incroyable force : quand vous filmez deux types à la sortie des usines Lumière, ça vibre de significations possibles. La réalité, une fois projetée, se met à signifier. C’est ce mystère de la signification qui m’enchante dans la psychanalyse et dans le cinéma. Ismaël a bien changé depuis Rois et reine, où il soutenait à sa psy, jouée par Catherine Deneuve, qu’elle ne pouvait pas l’aider à soigner son âme car elle n’avait pas d’âme puisqu’elle était une femme. Ici, c’est bien une femme qui va le sauver de ses vieux démons. Oui, enfin, dans Rois et reine, il était déjà sauvé par une femme, et puis il disait ça à sa psychiatre, pas à sa psychanalyste, qu’il voyait dans ses rêves en reine montant sur

Charlotte Gainsbourg et Marion Cotillard

une échelle… Ces deux personnages ont le même nom parce que ce sont des artistes [violoniste dans Rois et reine, réalisateur ici, ndlr]. « Ismaël », c’est l’artiste dans mon théâtre de personnages, ça lui suppose une certaine fantaisie, une certaine outrance dans le jeu. « Sylvia » [nom du personnage joué par Charlotte Gainsbourg ici, par Marianne Denicourt dans Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle), ou par Chiara Mastroianni dans Un conte de Noël, ndlr], c’est un être assez réservé, raisonnable, une femme qui s’empêche de vivre. Dans le film, Carlotta s’autorise tout, et Sylvia ne s’autorise rien, avant de basculer. Les deux femmes de la vie d’Ismaël sont en effet aux antipodes : Sylvia incarne la raison, la construction, le présent, la vie ; Carlotta, la passion, la destruction, le passé, la mort. On retrouve cet antagonisme entre les visages

« Ce film, c’ est comme une pile d’assiettes de fiction que je fracasse contre l’écran. » 42


de Charlotte Gainsbourg, plein d’expressions, de cassures, de fragilités, et celui de Marion Cotillard, plus impassible, plus lisse, plus froid. Carlotta est un mystère : elle revient après vingt ans, tout le monde a vieilli, et elle est intacte, immaculée, comme si la vie ne pouvait pas l’abîmer. Marion est comme ça dans la vie, elle a cette grande force, cette puissance de vie ; elle est là, entièrement. Alors que Charlotte accueille toutes les meurtrissures de la vie. Chaque actrice a son

génie. Charlotte et moi étions tous les deux intimidés à l’idée de travailler ensemble, elle avait une grande peur du texte, et moi j’étais très impressionné, j’avais un trac de fou, je suis tellement admiratif de sa performance dans Antichrist (Lars von Trier, 2009)… Marion Cotillard ressemble beaucoup à Marianne Denicourt [comédienne et ancienne compagne d’Arnaud Desplechin, ndlr]. Il y a cette scène où Marion est prise de sanglots dans son bain, qui fait étrangement penser à la scène de La Vie des morts où Marianne est prise de spasmes dans sa baignoire. C’était voulu ? C’est l’un de vos fantômes ? C’est drôle que vous disiez ça, mais non je n’y ai pas pensé, car ces deux femmes sont à l’opposé pour moi. Il y a une ressemblance dans leurs visages, vous avez raison, dans les pommettes, le menton pointu, mais leur art est très différent. Ce qui m’émeut profondément depuis les premiers films que j’ai faits avec Marianne, c’est son embarras de soi, son bel embarras de soi. Moi, je suis tout le temps embarrassé avec moi-même dans la vie, je ne sais jamais quelle figure me donner, et, cet embarras, c’est pour moi l’une des choses les plus photogéniques et les plus humaines qui soient. Alors que ce qui me plaît chez Marion, c’est qu’au contraire elle n’est embarrassée de rien ! Quand Carlotta rejoint Sylvia sur la plage, elle semble venir des flots. Comment avez-vous travaillé sa présence fantomatique ? Oui, comme la Vénus de Boticcelli. Son apparition se fait dans un certain suspense, mais il faut voir le film plusieurs fois pour le voir : Charlotte est sur la plage, et tout au fond il y a une silhouette minuscule qui sort droite cadre – ça nous amusait d’imaginer le spectateur qui se dit que du coup ça ne peut

Marion Cotillard et László Szabó

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DESPLECHIN

pas être Marion Cotillard, que ça doit juste être un figurant – et rentre de nouveau dans le champ. Après, le visage et le jeu de Marion changent au cours du film : au début, cette femme qui revient d’entre les morts pour récupérer son mari, c’est un petit diable, et Marion est en diablotin, avec cette insolence, cette grossièreté ; et voilà que sa passion, son désir de recouvrer son passé se transporte de son ancien mari vers son père et qu’elle devient une sainte, avec son manteau blanc. Il est toujours question de fantômes dans vos films, et parfois les morts rendent visite aux vivants comme si de rien n’était – comme le mari décédé de Nora dans Rois et reine ou la tante de Paul dans Trois Souvenirs… Pourquoi ce choix du réalisme dans vos apparitions fantomatiques ? C’est lié à l’expérience de rêve. Les films ont beaucoup à voir avec les rêves à mon sens. Ça m’est arrivé très peu, peut-être trois fois dans ma vie, de rêver d’un proche mort ; ça m’a empli pendant quinze jours, je n’en revenais pas du bol que j’avais eu. Ces images m’ont beaucoup marqué. Je ne suis pas mauvais en programmation de rêve, mais rêver d’un mort, c’est improgrammable, et ça arrive très rarement. Quand un mort apparaît en rêve, il est normal, il n’est pas dégoulinant… D’ailleurs, pour moi, la plus belle apparition de fantôme au cinéma, c’est dans Vertigo, et c’est parce qu’elle est triviale : Kim Novak apparaît dans la rue, elle se met à discuter avec deux autres secrétaires sur le bord du trottoir, et James Stewart est là, en face. Il ne se passe rien de plus, mais la femme aimée est là, c’est un miracle absolu, ce retour de l’être aimé qu’on a tellement désiré.

Avec sa narration en flash-back, ses intrigues télescopées, son film dans le film, ses ruptures de tons et de genres, le film est particulièrement éclaté. L’écriture du scénario n’a pas été trop casse-tête ? Comment vous y prenez-vous pour écrire ? Comme Ismaël quand il écrit son film devant la mer, sauf que je ne suis pas à la méthadone et au whisky, même si là j’ai pris un verre de vin parce que les entretiens me donnent le trac. Je travaille avec des colonnes, des bouts de Post-it. Je suis très maniaque, tout est en ordre, en colonnes, numéroté, minuté… Mais surtout je ne travaille pas seul – cette fois c’était avec Julie Peyr, avec qui j’avais écrit Trois Souvenirs…, et Léa Mysius, qui sortait de La Fémis et qui sera à Cannes cette année [son film Ava est présenté à la Semaine de la critique, ndlr]. Le travail de structure, je peux le faire seul, mais, pour imaginer, j’ai besoin d’être avec quelqu’un. Quand je bloque, je me mets à improviser pendant que mon scénariste prend en notes. Dans le film que tourne Ismaël, son héros, joué par Louis Garrel, se retrouve au musée devant Lavender Mist de Jackson Pollock, et élabore une drôle de théorie : ce ne serait pas un tableau abstrait. Je pense en effet que Pollock est un peintre figuratif sur certaines peintures, ces tâches sont en fait des formes concassées. Il a été influencé très jeune par Picasso, on a retrouvé des dessins sublimes du Minotaure par Pollock, on voit qu’il recycle des images, il les compresse jusqu’à ce qu’elles deviennent des signes. Selon moi, Lavender Mist, qui est mon Pollock préféré, est une reprise des Demoiselles d’Avignon de Picasso.

Louis Garrel

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DIVINE APPARITION Il y avait quelque chose d’inquiétant à voir Charlotte Gainsbourg intégrer le bestiaire du cinéma d’Arnaud Desplechin. Avec ses airs de petit mulot blessé, comment l’actrice allait-elle survivre au milieu de ce chaos de figures outrées et de verbe frénétique ? Dans Les Fantômes d’Ismaël, elle campe une compagne à la fois éblouissante et réservée sommée d’accepter le retour inopiné de l’amour de jeunesse d’Ismaël. Sans cesse mise à l’écart par les sinuosités romanesques de l’intrigue, cette astrophysicienne discrète réplique à cette agression environnante par une résistance passive, bienveillante, presque dépassionnée, qui donne à Gainsbourg l’opportunité d’affiner encore un peu plus son registre. C’est une manière de reconvertir chaque convulsion émotionnelle en simple frémissement corporel, de se contenter d’un regard ou d’un sourire pour diffuser toute la puissance d’adoucissement de son personnage. Un contrepoint idéalement modérateur pour le film, ravi d’achever sa symphonie de spectres agités sur le déchirant accomplissement de cette femme raisonnable. • LOUIS BLANCHOT

À l’image de ces Demoiselles d’Avignon qu’on croirait en mille morceaux, le motif de l’éclat, de l’explosion, est central dans le film, avec ces vitres qui se brisent, ces balles qui font exploser la chair en morceaux. Quand Ismaël tire sur son producteur, le sang éclabousse le tableau comme un dripping de Pollock. Ce film, c’est comme une pile d’assiettes de fiction que je fracasse contre l’écran. Des fictions de genres différents – un bout de film d’espionnage, un bout de film fantastique, un bout de Bergman – que je fracasse les uns contre les autres comme Pollock fracasse contre ses toiles des images qui deviennent des taches. Justement, vous faites tirer Ismaël sur son producteur venu le chercher pour qu’il termine

son film : si c’est un fantasme inavoué, ça semble un peu ingrat, quand on sait que votre producteur Pascal Caucheteux vous a permis de sortir deux versions du film ! Mais c’est son producteur exécutif, pas son producteur délégué, et c’est un coup de feu accidentel – « c’était l’enthousiasme », comme il dit ! Plus sérieusement, ma gratitude envers Pascal pour m’avoir permis de faire deux versions est infinie, seul lui seul pouvait m’offrir ça. C’est un peu comme Fanny et Alexandre (Ingmar Bergman, 1983) version télé et version cinéma – c’est très novateur, très libre. Il y a la version originale, plus cinéphile [version de 2 h 12 qui sortira à l’étranger, en DVD, et dans quelques salles en France, ndlr], et la version française, plus grand public [la version de 1 h 50,

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DESPLECHIN

Mathieu Amalric

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« J’imagine qu’ Ismaël fait des cauchemars très fantasques, comme ces gens atteints d’une maladie dégénérative qui rêvent de sauriens. » présentée en ouverture du Festival de Cannes et au cinéma en France, ndlr]. La version plus courte permet de programmer une séance de plus par jour en salles, mais c’est aussi une version qui s’adresse à un plus large public, elle est resserrée sur le triangle amoureux, elle enflamme les sentiments, on est dans l’émotion brute, alors que la version longue [où est développée la relation d’Ismaël avec son frère, ndlr] est plus mentale, plus sinueuse, plus vertigineuse. Ce film, c’est l’histoire d’un exorcisme, d’une libération. Comme votre précédent, Trois souvenirs de ma jeunesse, il n’a pas la cruauté, la noirceur de Rois et reine ou d’Un conte de noël. Votre cinéma s’est apaisé ? Vous me donnez envie de me venger, de faire un film hyper cruel la prochaine fois ! Cela dit, je fais en sorte que la vie advienne toujours à la fin de mes films. Dans Un conte de Noël, qui était un film très cruel, j’ai tourné un épilogue en retake pour délivrer le personnage d’Élisabeth [joué par Anne Consigny, ndlr], car je ne pouvais pas la laisser comme ça, pleine de ressentiments. Il y a longtemps, j’ai parlé à François Regnault – un dramaturge et homme de science formidable, que je consulte très souvent pour mes films – de la question du happy end qui me gênait chez Molière. Quand j’étais au collège, on avait des professeurs marxistes qui nous disaient que Molière voulait que

ses pièces se terminent mal, mais que le roi l’obligeait à écrire des happy ends, ce qui expliquait que ces fins étaient super mal fabriquées – pour faire comprendre qu’il avait été forcé. Regnault m’a répondu qu’il ne fallait pas regarder le problème comme ça et que, pour comprendre et mettre en scène les happy ends de Molière, il fallait regarder la fin de Certains l’aiment chaud de Billy Wilder, avec Jack Lemmon qui dit au milliardaire : « J’ai du poil aux pattes. — Tu les raseras. — Je ne peux pas avoir d’enfants. — Nous en adopterons. — Je suis un homme. — Personne n’est parfait. » C’est-à-dire que nous courons vers la catastrophe, évidemment, il n’y a qu’à regarder la situation électorale, et pourtant le spectacle vient nous enseigner que la jeunesse va advenir sur la vieillesse, la réconciliation va advenir sur l’amertume, la vie va advenir sur la mort – et c’est pour ça qu’on va au spectacle. J’ai trouvé son explication admirable, et cette conversation a beaucoup compté dans ma vie. • PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON PHOTOGRAPHIE : VINCENT DESAILLY

— : « Les Fantômes d’Ismaël » d’Arnaud Desplechin Le Pacte (1 h 50) Sortie le 17 mai

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LE PSYCHODRAME

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MAUX D

Difficile de ranger le cinéma de Desplechin dans une case. Furieux et romanesque, lyrique et cérébral, réaliste et fantasque, son œuvre se nourrit des contraires pour épouser au plus près les méandres du moi. Véritable opus magnum, Les Fantômes d’Ismaël rappelle ainsi combien l’art du psychodrame est un genre majeur qui expérimente les possibilités du cinéma par le mélange permanent du concret et de l’abstrait. De l’art de faire de ses névroses une œuvre d’art.

En

1996, la projection événement au Festival de Cannes de Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) marque l’avènement d’un renouveau du cinéma d’auteur français. Dans ce film, le jeune Arnaud Desplechin ose la fresque grandiose de près de trois heures sur les atermoiements et la crise existentielle d’une bande d’universitaires parisiens. Une forme épique pour un sujet en apparence anodin. Si le film est à ce point majeur en France, c’est qu’il libère la parole et fait de la psychanalyse et de sa ribambelle de

concepts le cœur vibrant du récit. Lapsus lacanien, cauchemar freudien, sublimation du désir, objet transitionnel amoureux, némésis paralysante, Arnaud Desplechin filme littéralement le destin de Paul Dédalus comme une thérapie sur pellicule. Vingt et un ans plus tard, Les Fantômes d’Ismaël dessine encore cette ligne singulière du psychodrame cinématographique. Mais qu’est-ce qui distingue le psychodrame du mélodrame ? Tout est une question de point de vue. En bon héritier de la tragédie grecque, le mélodrame provoque par le surplus d’émotion une 48


catharsis qui exorcise nos désirs, angoisses ou craintes. Le mélodrame est universel et fonctionne via l’usage de récits archétypaux (amour déçu, mort, trahison…). Le psychodrame, lui, s’adresse directement à l’intime et cherche à représenter par la fiction une notion abstraite : les états d’âme du moi. Si les personnages du mélodrame vivent une crise, le héros du psychodrame est une crise à lui tout seul. Ainsi, le triangle amoureux des Fantômes d’Ismaël pourrait donner lieu à un somptueux mélodrame. Mais

Arnaud Desplechin déjoue immédiatement les fils du récit et envisage cette situation, non par le biais des larmes et du déchirement, mais bien par une remise en cause intérieure, une psychanalyse des personnages. L’autoanalyse prévaut sur l’action, les souvenirs et les actes manqués comptent plus que le présent. Ainsi, Sylvia (Charlotte Gainsbourg) reconsidère sa relation avec Ismaël (Mathieu Amalric) à partir du retour de l’ancien amour de celui-ci, Carlotta (Marion Cotillard), et expose ses propres

Si les personnages du mélodrame vivent une crise, le héros du psychodrame est une crise à lui tout seul. 49

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E TÊTE

Les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin

©JEAN-CLAUDE LOTHER / WHY NOT PRODUCTIONS

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LE PSYCHODRAME

Du cinéma du texte dans lequel les mots sonnent et claquent pour guérir les maux. craintes, son sentiment d’insécurité et ses névroses. « Bats-toi ! » lui ordonne Ismaël. Mais dans le psychodrame, l’ennemi est toujours soi.

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MÉANDRES INTIMES

Cette forme d’expression très intime, Arnaud Desplechin l’a perfectionnée en s’inspirant avec beaucoup de révérence de l’un ses maîtres, Ingmar Bergman. L’œuvre du cinéaste suédois, souvent caricaturée, a démocratisé et affiné cet art symbolique du récit psychanalytique. Desplechin lui emprunte la complexité conceptuelle de ses récits. Plus encore qu’Un conte de Noël (2008), Les Fantômes d’Ismaël est un maelstrom de récits enchâssés, de souvenirs fugaces et de plongées abruptes dans l’imaginaire de son héros. Le film est un dédale intime, un examen de conscience dans lequel ricochent les regrets, les doutes et les angoisses du personnage. Comme dans Les Fraises sauvages (1959) de Bergman où un vieux professeur perd pied au fil d’un voyage entre le réel, ses souvenirs et ses cauchemars, Desplechin floute avec dextérité les frontières entre les méandres de l’esprit et la réalité. Assis dans un train, Ismaël

voit soudain le paysage prendre la forme de ses délires. Pour contrebalancer cette forme qui perd volontairement le spectateur, Desplechin, comme Bergman, nous guide par le biais du langage, de l’affrontement verbal : les disputes furieuses entre Ismaël, Sylvia ou Carlotta rappellent celles de Scènes de la vie conjugale (1975) ou de Saraband (2004). La violence de ces échanges dépasse leur contexte et devient l’expression d’un mal-être, d’une colère sourde qui parcourt tout le récit. Du cinéma du texte dans lequel les mots sonnent et claquent pour guérir les maux. Du cinéma maïeutique, symbolique et lyrique qui donne forme à l’abstraction des sentiments par l’art du dialogue. Cette verve très littéraire des personnages, qui semble irréaliste et affectée, ouvre un accès direct aux sensations et aux sentiments bruts qui les habitent.

JE EST LUI

Mais cette voix intime qui s’exprime est toujours double : derrière le personnage, il y a l’auteur du film, qui met en scène des morceaux de lui-même par la figure de l’alter ego. Ce tiers idéal, version fantasmée de soi, crée la distance nécessaire à

Rois et reine d’Arnaud Desplechin (2004)

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© COLLECTION CHRISTOPHEL

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Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman (1975)

© JEAN-CLAUDE LOTHER / COLLECTION CHRISTOPHEL

Comment je mexxxxxxx suis disputé… (ma vie sexuelle) d’Arnaud Desplechin (1996) xxxxxx xxxxxxx xxxxxxxxxx

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© JEAN-CLAUDE LOTHER / COLLECTION CHRISTOPHEL

entier, le psychodrame s’amuse à rester volontairement flou. Les films fonctionnent de la manière dont Sigmund Freud a décrit les rêves. Un substitut symbolique de la réalité dans lequel l’inspiration mélange tout. À l’image du Mulholland Drive de David Lynch (2001) ou du Persona d’Ingmar Bergman (1966), la matrice du genre, les identités doivent valser, le symbole a remplacé l’humain. Dans Les Fantômes d’Ismaël, Sylvia et Carlotta sont les faces opposées d’une même féminité, des idées de cinéma. Histoire d’ego autant qu’histoire de cinéma, ces psychodrames associent alors les soubresauts du montage aux fluctuations de l’esprit. Profondément moderne, le film s’autoanalyse et se met en abyme comme son auteur. Film et créateur unis dans la même quête de soi. • RENAN CROS

l’autoanalyse. Comme le faisait Federico Fellini avec Marcello Mastroianni dans 8 ½ (1963), c’est bien le fantôme d’Arnaud Desplechin lui-même qui hante Les Fantômes d’Ismaël, sous les traits de son acteur fétiche, Mathieu Amalric. Du look volontairement clin d’œil du personnage à son métier (réalisateur), jusqu’à sa maison à Roubaix (d’où est originaire Desplechin), tout associe Arnaud à Ismaël. Le portrait n’est pas forcément flatteur, et c’est là tout l’intérêt. Pour le spectateur, le psychodrame devient alors un récit à clé, un jeu trouble entre la réalité et la fiction : on traque les clins d’œil, tout ce qui justifierait la thèse de l’autobiographie. Faut-il chercher des noms connus derrière Sylvia ou Carlotta ? Voir le film dans le film comme une version avortée d’un vrai scénario ? Le mystère doit rester


MICROSCOPE

L’ORACLE DE HONG KONG Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : un geste et un regard énigmatiques dans le pilote de Twin Peaks de David Lynch (1990).

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Dans

la ville aux monts jumeaux, la première image est forcément un reflet. Le miroir est comme un tableau de maître, et le modèle est aussi le peintre : d’un pinceau long tenu du bout des doigts, la femme dépose des lèvres rouge sang sur son visage poudré. Ses cheveux courts et lissés sont parfaitement noirs, comme son chemisier et comme ses yeux. Entre les gestes indolents du maquillage et la trajectoire ensommeillée de la caméra, c’est comme une danse, sur une musique double : à la fois nappes engourdies de synthétiseur, et chanson très vague au fond de la gorge de la femme, qui paraît répéter devant le miroir un numéro de ventriloque. Qui est-elle ? Que regarde-t-elle dans le miroir, puisque son regard semble se perdre beaucoup plus loin que le reflet ? Qui chante dans sa

Quand Josie se retourne avec son air étrange de compassion lasse, on jurerait qu’elle a déjà vu tout ça. gorge ? Surtout : où sommes-nous ? La série a tout juste commencé et nous sommes déjà perdus. Twin Peaks annonçait un décor d’arrière-pays américain, montagnes et pins, bûcherons et pêcheurs, du côté de l’État de Washington, et nous voilà égarés d’emblée avec Josie, c’est son nom, poupée exotique aux traits sublimement fins dans ce qui semble être la loge d’un cabaret de Shanghai. En vérité Josie vient de Hong Kong, on l’apprendra plus tard, mais c’est bien à Twin Peaks qu’elle se maquille, à

l’étage d’une maison d’où elle règne sur une scierie léguée par son mari défunt. Avec un peu d’observation, on pourrait le comprendre d’emblée, au lambris ocre sur le mur, derrière le miroir. C’est le même lambris en bas, au rez-de-chaussée où Pete Martell, au plan suivant, sort pêcher après avoir mendié sans espoir l’affection de sa femme, restée derrière son comptoir et son journal, un vrai glaçon. Pete sort et claque fort la porte, et nous revoilà avec Josie, qui se retourne et regarde au loin, regard languide, impénétrable, et qui continue sans plus ouvrir la bouche sa petite chanson inquiétante. Si l’on a déjà compris que Josie est à l’étage, alors l’affaire est entendue : son geste est une simple réaction à la porte claquée et Josie regarde, par la fenêtre, Pete rejoindre la rivière et la partie de pêche qui le consoleront de son sort. Autrement dit : c’est un simple détail. Mais c’est un détail qui dure, Lynch y insiste, comme il insistait pour déconnecter le monde de Josie, cette étrange antichambre au miroir, de celui rustique de Pete. Alors dans la collure, pour le spectateur tout juste débarqué à Twin Peaks, il y a plutôt un effet de pure télépathie : Josie a senti plus qu’elle n’a entendu, plus qu’elle ne voit – elle a vu comme une voyante. C’est l’effet que fait ce raccord : une onde qui circule d’un personnage, d’un plan à l’autre, un fleuve d’affect pareil à la rivière qui glisse le long de la maison. Bientôt, le fleuve deviendra torrent : à l’annonce de la mort de Laura Palmer, les habitants de Twin Peaks seront secoués de convulsions de tristesse, hurlant un chagrin venu de plus loin que le fait divers. Quand Josie se retourne avec son air étrange de compassion lasse, on jurerait qu’elle a déjà vu tout ça : la mort de Laura, le torrent de larmes, la fureur qui va s’abattre sur la ville comme un orage. Elle est lasse, peut-être, de voir le spectateur ignorer que le secret de Twin Peaks était là d’emblée, qui lui tendait les bras, au fond du miroir. • JÉRÔME MOMCILOVIC 52


© D. R.

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MICROSCOPE

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TRACEY MOFFATT

LA GUERRIÈRE SILENCIEUSE 54


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PORTFOLIO

Hell (photographie tirée de la série Passage), 2017 Courtesy de l’artiste, de Roslyn Oxley9 Gallery, Sydney et de Tyler Rollins Fine Art, New York

« Quand

vous entrez dans l’atelier, c’est comme quand vous pénétrez dans un temple : vous devez respecter mon silence. » C’est ainsi que la photographe et cinéaste australienne Tracey Moffatt, 56 ans, a récemment expliqué au quotidien britannique The Guardian l’ambiance de travail qu’elle impose à ses assistants. Cette phrase aurait dû nous mettre en garde : Moffatt, alors en plein montage de son expo pour la biennale de Venise, n’a pas pu commenter ses images pour notre portfolio. Si l’artiste travaille sans bruit, c’est pour mieux parler des opprimés. Aborigène métissée adoptée par des Blancs, Moffatt questionne, dès ses premières œuvres (la série photo Something More ou le puissant court métrage Night Cries. A Rural Tragedy en 1989), le racisme, la misogynie et la complexité de la transmission culturelle, piochant ses inspirations formelles dans l’histoire du cinéma (Hitchcock, Pasolini, les films noirs des années 1940 ou les séries B des fifties). Coup d’œil sur des fragments de son œuvre, aussi vaste que passionnante. • TIMÉ ZOPPÉ 55


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TRACEY MOFFATT

Up in the Sky # 1 (photographie), 1997 Courtesy de l’artiste et de Roslyn Oxley9 Gallery, Sydney

Up in the Sky # 18 (photographie), 1997 Courtesy de l’artiste et de Roslyn Oxley9 Gallery, Sydney

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PORTFOLIO

Invocations # 5 (sériegraphie), 2000 Courtesy de l’artiste et de Roslyn Oxley9 Gallery, Sydney

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TRACEY MOFFATT

Photogramme tiré de Night Cries. A Rural Tragedy, 1989 Courtesy de l’artiste et de Roslyn Oxley9 Gallery, Sydney

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PORTFOLIO

— : « My Horizon » de Tracey Moffatt du 13 mai au 26 novembre à la biennale de Venise

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capricci présente

« un chefsofilm d’œuvre »

un film de

HONG SANGSOO

en salle le 7 juin


ZOOM ZOOM LES FILMS DU MOIS À LA LOUPE


10 MAI

Le Christ aveugle de Christopher Murray Jour2fête (1 h 25) Page 78

17 MAI

Problemos d’Éric Judor StudioCanal (1 h 25) Page 36 et 72

Message from the King de Fabrice Du Welz The Jokers / Les Bookmakers (1 h 42) Page 78

Les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin Le Pacte (1 h 50) Page 38

Sayōnara de Kōji Fukada Survivance (1 h 52) Page 64

Souffler plus fort que la mer de Marine Place Zelig Films (1 h 25) Page 78

Cinéma, mon amour d’Alexandru Belc Outplay (1 h 10) Page 78

I Am Not Your Negro de Raoul Peck Sophie Dulac (1 h 34) Page 66

Le Chanteur de Gaza de Hany Abu-Assad La Belle Company (1 h 35) Page 85

Saint-Georges de Marco Martins Damned (1 h 52) Page 80

Outsider de Philippe Falardeau Metropolitan FilmExport (1 h 38) Page 72

Little Boy d’Alejandro Monteverde Saje (1 h 46) Page 85

Sword Art Online Ordinal Scale The Movie de Tomohiko Itō Eurozoom (2 h)

Un avant-poste du progrès de Hugo Vieira da Silva Alfama Films (2 h 01) Page 74

Alien Covenant de Ridley Scott 20 th Century Fox (2 h 02)

Une famille heureuse de Nana Ekvtimishvili et Simon Groß Memento Films (1 h 59) Page 74

Tapis rouge de Frédéric Baillif et Kantarama Gahigiri Wayna Pitch (1 h 45)

Rodin de Jacques Doillon Wild Bunch (1 h 59) Page 68

14 ans Premier amour d’Andreï Zaïtsev Fratel Films (1 h 46) Page 78

Vive la crise ! de Jean-François Davy Kanibal Films (1 h 32)

Psiconautas de Pedro Rivero et Alberto Vázquez Eurozoom (1 h 15) Page 76

24 MAI


Anastasia de Don Bluth et Gary Goldman Splendor Films (1 h 25) Page 84

Lou AndreasSalomé de Cordula Kablitz-Post Bodega Films (1 h 53) Page 80

Rio Corgo de Sérgio da Costa et Maya Kosa Norte (1 h 35) Page 77

Pirates des Caraïbes La vengeance de Salazar de Joachim Rønning et Espen Sandberg Walt Disney (2 h 09)

Marie-Francine de Valérie Lemercier Gaumont (1 h 35) Page 80

Ali, la chèvre et Ibrahim de Sherif El Bendary Arizona (1 h 38) Page 81

Suntan d’Argyris Papadimitropoulos ASC (1 h 44) Page 80

A Serious Game de Pernilla August Paradis Films (1 h 55) Page 81

Churchill de Jonathan Teplitzky Orange Studio / UGC (1 h 38) Page 81

HHhH de Cédric Jimenez Mars Films (2 h) Page 81

Conspiracy de Michael Apted Paramount Pictures (1 h 38)

Les Lauriers Roses rouges de Rubaiyat Hossain Contre-Courants (1 h 28) Page 81

The Jane Doe Identity d’André Øvredal Wild Bunch (1 h 39)

Comment j’ai rencontré mon père de Maxime Motte SND (1 h 25)

26 MAI L’Amant double de François Ozon Mars Films (1 h 50) Page 70

31 MAI L’Amant d’un jour de Philippe Garrel SBS (1 h 16) Page 22 et 76

Drôles d’oiseaux d’Élise Girard Shellac (1 h 10) Page 77

Departure d’Andrew Steggall Destiny Films (1 h 49) Page 80

7 JUIN Le Vénérable W. de Barbet Schroeder Les Films du Losange (1 h 40) Page 30

Today de Reza Mirkarimi Zootrope Films (1 h 28)

The Wall de Doug Liman Metropolitan FilmExport (1 h 30)


FILMS

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SAYŌNARA

Humains

et androïde se partagent l’affiche de cette fable d’anticipation obsédante et déchirante, signée par l’un des grands espoirs du cinéma japonais. Kōji Fukada (Harmonium) décrit un Japon post-apocalyptique dans lequel les derniers survivants d’une catastrophe nucléaire attendent que leur pays d’accueil soit tiré au sort. On suit l’une d’elle, Tania, qui n’est pas prioritaire : expatriée venue d’Afrique du Sud et atteinte d’une maladie incurable, elle regarde le territoire se vider de ses âmes. Mais les androïdes – comme son aide personnelle, Leona – en ont-ils une, justement ? Dotée d’une intelligence artificielle inouïe, la gynoïde (robot d’apparence féminine) sonde les affres de ce nouveau déracinement éprouvé par sa maîtresse. Fukada filme avec la même sensibilité les trajectoires intimes de ses

héroïnes – découverte de l’empathie pour l’une, engouffrement dans la solitude pour l’autre. Durant plusieurs scènes, il reconduit à l’identique le filmage en anamorphose des films d’Alexandre Sokourov, comme pour traduire l’impression que le temps et les souvenirs de l’héroïne s’étirent, se distordent, s’effacent peu à peu – on pense en particulier à Mère et fils (1997), dans lequel un jeune homme soutenait sa génitrice jusqu’à son dernier souffle, tel un miroir de la relation Leona-Tania. On saura interpréter ce clin d’œil à un chef-d’œuvre du cinéma russe contemporain comme l’assurance du caractère universel de la bienveillance, qu’elle soit humaine ou artificielle. • HENDY BICAISE

— : de Kōji Fukada Survivance (1 h 52) Sortie le 10 mai

3 QUESTIONS À KŌJI FUKADA Comment vous est venue l’idée de mettre en scène un robot androïde ? En assistant à une pièce de théâtre d’Oriza Hirata mettant aux prises deux actrices, l’androïde Geminoid F et Bryerly Long. J’ai eu envie de filmer cette rencontre entre deux « femmes », l’une étant mourante, alors que l’autre ignore ce qu’est la mort.

Y a-t-il, au cinéma, une figure d’androïde que vous aimez plus particulièrement ? Maria, dans Metropolis de Fritz Lang, même si je n’ai pas revu le film depuis longtemps. J’ai toujours été impressionné du fait que Lang ne donne pas l’impression de décrire un univers futuriste, mais au contraire contemporain de ses spectateurs. 64

Après Au revoir l’été (et Fukushima), vous évoquez la catastrophe nucléaire plus frontalement. Fukushima est un désastre qui a été vécu en temps réel sur les écrans par tous les Japonais. Malgré cela, j’ai plus été touché comme citoyen qu’en tant que cinéaste, et je refuse de considérer mes films comme des outils visant à transmettre un message politique.


L E S F I L MS D U L E N D E MA I N A RT É MI S P ROD U C T I ON S

ET

PRESENTENT

VINCENT LINDON IZïA

HIGELIN

PHOTO © SHANNA BESSON / LES FILMS DU LENDEMAIN.

SÉVERINE CANEELE

RODIN UN FILM DE

J AC Q U E S D O I L L O N

24 MAI


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I AM NOT YOUR NEGRO

Avec

pour seule voix off la prose de l’écrivain James Baldwin, et grâce à un impressionnant travail de montage et d’archives, ce documentaire de Raoul Peck ouvre une brillante réflexion sur l’histoire et les rouages du racisme aux États-Unis. À l’origine du film, diffusé sur Arte fin avril en avant-première de sa sortie au cinéma le 10 mai, une trentaine de pages de notes, écrites par l’auteur afro-américain James Baldwin en 1979 pour raconter son histoire de l’Amérique à travers le parcours de trois de ses amis, trois militants des droits civiques assassinés dans les années 1960 : Medgar Evers, Martin Luther King et Malcom X. Il faut d’abord s’arrêter sur ce texte sublime, lu en voix off par Samuel L. Jackson (JoeyStarr pour la VF), et qui, ponctué de souvenirs personnels, dessine le portrait de son auteur – le départ pour Paris à la fin des années 1940 pour fuir le racisme et écrire, le retour au pays en 1957 et l’engagement militant. La pensée philosophique qui s’y déploie, complétée par des extraits de conférences et d’interviews télévisées et illustrée de quantité d’archives, retrace l’histoire des Noirs en Amérique, pointe les ravages causés par la peur permanente de la mort et questionne la façon dont le pays a fabriqué, notamment par le biais

du cinéma (les performances grimaçantes de Lincoln Perry dans les années 1930 sont terrifiantes), la figure d’un « Nègre » à détester, privant dans le même temps les Noirs de représentations qui leur ressemblent. Pour finalement sonder avec une implacable lucidité une psyché américaine tellement obsédée par l’innocence et l’insouciance qu’elle se condamne à sa perte. Car quel avenir et quelle paix peut espérer une civilisation qui choisit de haïr une partie de ses enfants et refuse d’endosser ses responsabilités ? C’est la question centrale du film qui, bien sûr, résonne toujours aujourd’hui – résonance que le documentaire amplifie grâce à des images très contemporaines, par exemple des émeutes de Ferguson en réaction à l’assassinat du jeune Michael Brown en 2014. En mêlant dans un montage organique et poétique les époques, les formats, le cinéma hollywoodien et la télé populaire, le blues de Lightnin’ Hopkins et le rap de Kendrick Lamar, Raoul Peck offre à la pensée de l’auteur un écrin précieux, en même temps qu’une visibilité nouvelle et indispensable. • JULIETTE REITZER

La pensée de Baldwin questionne la façon dont le pays a fabriqué la figure d’un « Nègre » à détester.

— : « I Am Not Your Negro » de Raoul Peck

Sophie Dulac (1 h 34) Sortie le 10 mai

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Le vibrant portrait d’une femme géorgienne. Rayonnant de chaleur et d’intelligence. Un film bouleversant. Subtil et puissant.

TÉLÉRAMA

CAUSETTE

L’OBS

LES INROCKS

© Design : E.DOROT

un film de Nana & Simon

ACTUELLEMENT


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RODIN

Jacques

Doillon s’attelle au biopic de l’archi-célèbre sculpteur en tentant de cerner sa relation avec Camille Claudel et sa quête acharnée pour moderniser son art. À 40 ans, Auguste Rodin (Vincent Lindon) reçoit sa première commande de l’État : la monumentale Porte de l’Enfer, dont des parties comme Le Penseur ou Le Baiser deviendront ses pièces les plus renommées. Dans son atelier au Dépôt des marbres, à Paris, il réfléchit, discute et tâtonne pour façonner cette œuvre d’une ambition folle. Dès le plan-séquence qui ouvre le film, Doillon oppose la petite pièce sombre et surchargée de l’atelier de l’artiste dans laquelle est remisée Camille Claudel (Izïa Higelin), son élève et amante, à la partie très haute sous plafond, ample et baignée de lumière naturelle, dont dispose le maître. Le cinéaste fait de cet espace clos et renfermé le symbole des déséquilibres qui fragilisent le couple et qui feront souffrir chacun à égalité – c’est en tout cas la thèse du film.

Contrairement à Bruno Nuytten (Camille Claudel, en 1988, avec Isabelle Adjani) et à Bruno Dumont (Camille Claudel 1915, en 2013, avec Juliette Binoche), Doillon ne se met pas du côté de la sculptrice, dont la carrière a été écrasée par celle de Rodin, mais tente de saisir les strates de leur intense relation, qui mêle travail et amour, connivence intellectuelle et jalousie. Ce qui fascine aussi le réalisateur, c’est le besoin du sculpteur de revenir sans cesse à la matière vivante pour créer : il caresse amoureusement le tronc des arbres, couche avec ses modèles comme pour mieux comprendre la chair… Certaines de ses œuvres, trop vibrantes et avant-gardistes, feront scandale. Cent ans après sa mort, voilà l’ensemble de son œuvre porté aux nues. • TIMÉ ZOPPÉ

— : de

Jacques Doillon

Wild Bunch (1 h 59) Sortie le 24 mai

3 COUPLES D’ARTISTES AU CINÉMA Diego Rivera et Frida Kahlo Alfred Molina et une Salma Hayek affublée d’un monosourcil campent le volcanique couple de peintres mexicains dans le lyrique Frida de Julie Taymor (2003).

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine Leonardo DiCaprio a marqué les esprits dans Rimbaud Verlaine d’Agnieszka Holland (1997) en Rimbaud impétueux, face à David Thewlis en Verlaine complètement envoûté. 68

Johnny Cash et June Carter Walk the Line de James Mangold (2006) retrace la passion entre ces deux légendes de la musique avec un cast parfait : le torturé Joaquin Phoenix et la sémillante Reese Witherspoon.


EN 53 FILMS

GLAMOUR —

3 - 31 MAI 2017

— Forum des Halles forumdesimages.fr


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L’AMANT DOUBLE

Après

le sobre et recueilli Frantz, François Ozon s’autorise plus d’extravagance (et c’est dans ce registre qu’on l’aime le plus) dans un drame schizo et vertigineux sur la gémellité, en Compétition à Cannes. Adaptation très libre de L’Amour en double de Joyce Carol Oates, L’Amant double s’inscrit dans la continuité de certains films de François Ozon (Dans la maison, Jeune et jolie…) en ce qu’il est question de fantasmes qui prennent le pas sur la réalité. Chloé (Marine Vacth, trouble et magnétique) souffre de maux de ventre depuis l’enfance. Les médecins s’accordant à dire qu’elle somatise, elle fait appel à un psy, Paul (Jérémie Renier). Des sentiments naissent entre eux, et ils décident d’abandonner la thérapie et de s’installer ensemble. Mais Paul se livre peu, et Chloé commence à se poser des questions et à projeter beaucoup de choses sur son amant mystérieux. A-t-il une maîtresse ? Pourquoi ne porte-t-il pas le nom inscrit sur son ancien passeport ? Alors qu’elle lui découvre soudainement un jumeau qu’il lui avait caché (également psy, et également joué par Renier), elle amorce une relation avec ce dernier pour essayer de percer le mystère… À partir de

là, François Ozon s’en donne à cœur joie dans les retournements et les surprises pour exciter notre imagination. Qui est qui ? Mais dans quel genre de film est-on ? Le cinéaste se plaît à nous balader du drame psychologique au film d’horreur, lorgnant volontiers du côté du David Cronenberg de Faux-semblants (le thème du doppelgänger maléfique, la fascination pour l’organique) ou du Roman Polanski de Rosemary’s Baby (le motif du mal en soi, du voisinage intrusif). Dès lors, le film devient plus mental – et donc plus fou. Le cinéaste rompt avec la retenue de Frantz pour renouer avec l’excentricité de Ricky, son film le plus excessif. Si cette démesure est à double tranchant (quand Ozon tente d’explorer le désir féminin à coups de symboles psychanalytiques surannés – le trou, le miroir cassé, les cheveux coupés –, il ne fait pas dans la finesse…), on apprécie ce retour à une veine plus retorse, plus zinzin – qu’il sillonne avec audace et efficacité. • QUENTIN GROSSET

Ozon s’en donne à cœur joie dans les retournements pour exciter notre imagination.

— : de François Ozon Mars Films, (1 h 50) Sortie le 26 mai

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OUTSIDER

— : de Philippe Falardeau Metropolitan FilmExport (1 h 38) Sortie le 10 mai

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Vous

ne connaissez sans doute pas Chuck Wepner. C’est pourtant le boxeur qui a inspiré à Sylvester Stallone son célèbre Rocky. Avant d’être digéré par Hollywood, le Bayonne Bleeder n’avait vécu qu’un seul moment de gloire : sa défaite contre Mohammed Ali le 24 mars 1975. Il tint alors quinze longs rounds, en s’offrant même le luxe d’envoyer le champion du monde au tapis. C’est donc l’histoire d’un type dont le génie principal est de savoir encaisser – aussi bien les uppercuts que les punchlines (méritées) de ses conquêtes féminines. S’il tente pathétiquement de faire coïncider son image avec celle de son double de fiction stallonien, Wepner reste plus proche de son propre héros d’enfance, Anthony Quinn – en boxeur has been dans Requiem pour un champion. Sans révolutionner les codes de la reconstitution seventies (B. O. funky, teintes sépia et écrans splittés), le film sait jouer de ses qualités : un solide casting, un rythme enlevé et des dialogues piquants signés Jerry Stahl (auteur de Mémoires des ténèbres et scénariste de Bad Boys II et Twin Peaks). D’où un portrait modeste et attachant, fidèle à l’esprit de son antihéros. • ÉRIC VERNAY

PROBLEMOS

— : d’Éric Judor StudioCanal (1 h 25) Sortie le 10 mai

Éric

Judor signe une comédie acide sur la rencontre explosive de deux mondes : les bobos parisiens et les néohippies zadistes. Jeanne, Victor (incarné par Judor) et leur fille, Parisiens hyper connectés, passent quelques jours dans une communauté écolo qui a investi une prairie pour empêcher la construction d’un parc aquatique. Victor, avec l’assurance de celui qui se croit tolérant, laisse filtrer son scepticisme face au règlement (smartphones confisqués) et aux activités (il doit assister à un « cercle des femmes » sur les menstruations) de ses hôtes à tongs et à dreads, qui eux sont tellement dans leur trip qu’ils n’ont pas conscience d’être insupportables. Les cartes sont rebattues quand ils apprennent qu’une pandémie a décimé le monde et qu’ils sont les seuls survivants… S’il n’exploite pas jusqu’au bout ce retournement génialement absurde, Problemos, coécrit par Blanche Gardin (tordante dans le rôle d’une hippie grande gueule, lire p. 36) et Noé Debré, et pimenté des vannes de Judor, parvient à ressusciter l’esprit mythique des comédies satiriques et parfois trash de la troupe du Splendid, première époque. • TIMÉ ZOPPÉ

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DES FEMMES

.COM

LE JOURNAL

DARKS KSTAR K TAR TA R


FILMS

UNE FAMILLE HEUREUSE

— : de Nana Ekvtimishvili et Simon Groß Memento Films (1 h 59) Sortie le 10 mai

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Les

réalisateurs d’Eka et Natia. Chronique d’une jeunesse géorgienne se font une nouvelle fois les témoins de la domination masculine dans la Géorgie postcommuniste, avec un portrait de femme doux-amer et bienveillant. Lorsque Manana, professeure de 52 ans, décide de quitter l’appartement familial où cohabitent trois générations – ses parents, son mari et ses enfants –, personne ne comprend son choix. « Mais que vont dire les voisins ? » éructe la grand-mère. Construit en plans-séquences élaborés, le film avance en apnée. Nana Ekvtimishvili et Simon Groß font ainsi ressentir l’asphyxie générée par la promiscuité, l’intolérance hypocrite et la curiosité déplacée des autres, à travers une habile gestion de l’espace confiné. Une famille heureuse, vraiment ? Derrière ce titre teinté d’ironie transparaît un plaidoyer pour l’émancipation de son héroïne au sein d’une société étriquée, patriarcale jusqu’à l’absurde. La mise en scène antispectaculaire fait la force discrète et sereine de ce drame familial qui bascule régulièrement vers la comédie satirique, jusqu’à un très beau final mélancolique, comme en suspens. • ÉRIC VERNAY

UN AVANT-POSTE DU PROGRÈS

— : de Hugo Vieira da Silva

Alfama Films (2 h 01) Sortie le 10 mai

À

la fin du xix e siècle, deux colons portugais débarquent au cœur d’une forêt luxuriante de la région du fleuve Congo, en Afrique centrale, pour y établir un commerce d’ivoire. Le film annonce très vite les couleurs du mauvais trip à venir : les costumes trop blancs dans la boue, les visages rougis par la chaleur écrasante, l’incongruité des corps gras et suants au milieu de la verdure, c’est, dès leurs premiers pas hors du bateau qui vient de les abandonner sur un ponton, un univers hostile et mystique qui engloutit les deux hommes. Inspiré de la nouvelle du même nom de Joseph Conrad publiée en 1897, le film installe progressivement au cœur de la jungle son petit théâtre de l’absurde, chaque scène illustrant la profonde incommunicabilité entre colons et populations locales (sans prendre parti : chacun semble aveuglément aliéné au rôle qu’il est contraint de jouer). À mesure que la folie approche, aidée par l’alcool, la chaleur et les fièvres délirantes, s’installe une transe généralisée mais profondément morne et désenchantée, hantée par les ombres et la fureur de quatre cents ans de colonisation. • JULIETTE REITZER

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a Serious Game Sverrir GUDNASON Karin FRANZ KÖRLOF Liv MJÖNES Michael NYQVIST Göran RAGNERSTAM Mikkel BOE FØLSGAARD B-REEL PRÉSENTE A SERIOUS GAME RÉALISATION PERNILLA AUGUST SCÉNARIO LONE SCHERFIG PRODUCTEURS PATRICK ANDERSSON FRIDA BARGO ET FREDRIK HEINIG IMAGE ERIK MOLBERG-HANSEN CASTING JEANNETTE KLINTBERG MONTAGE ÅSA MOSSBERG D’APRÈS LE ROMAN DE HJALMAR SÖDERBERG DIRECTION ARTISTIQUE ANNA ASP DÉCORS LINDA JANSON COSTUMES KICKI ILANDER MUSIQUE MATTI BYE SON ANDREAS FRANCK BENT HOLM MAQUILLAGE COIFFURE EROS CODINAS PRODUCTEUR EXÉCUTIF SANNE GLÆSEL POST PRODUCTION SHORTCUT GIMPVILLE PRODUIT PAR B-REEL FILMS EN COPRODUCTION AVEC SVERIGES TELEVISION HANNE PALMQVIST NORDISK FILM LONE KORSLUND FILM VÄST YABA HOLST NORDSVENSK FILMUNDERHÅLLNING PER BOUVENG REEL VENTURES BJÖRN ODLANDER NIMBUS FILM MIKKEL JERSIN & BO ERHARDT MOTLYS YNGVE SÆTHER BONNIER BOOKS JACOB DAHLBORG EN COLLABORATION AVEC FILM CAPITAL STOCKHOLM LISA WIDÉN & YLE AVEC LE SOUTIEN DE SVENSKA FILMINSTITUTET KONSULENT MAGDALENA JANGARD NORDISK FILM & TV FOND PETRI KINNUNEN NORSK FILMINSTITUTT ANNE FRILSETH DANSK FILMINSTITUT THE MINOR SCHEME FILMREGIONEN STOCKHOLM-MÄLARDALEN ET CREATIVE EUROPE

AU C I NÉM A LE 7 J UI N

PHOTO : © ERIK MOLBERG HANSEN

un film de

Pernilla AUGUST


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PSICONAUTAS

— : de Pedro Rivero et Alberto Vázquez (Eurozoom, 1 h 15) Sortie le 24 mai

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Goya

du meilleur film d’animation 2017, ce conte pour adultes éblouit par sa richesse visuelle et son audace narrative. Sur une île fictive dévastée par une catastrophe industrielle, des animaux anthropomorphes essaient péniblement de survivre – comme ce jeune cochon continuant de pêcher malgré la pollution des eaux et la raréfaction des poissons. Désenchanté, le récit projette l’ombre d’un monde qui n’a, semble-t-il, plus grand-chose à offrir, à l’exception de morceaux de cuivre pour lesquels s’entretuent des rats au milieu d’une décharge, alors que deux chiens policiers tueurs pourchassent sans raison explicite Birdboy, un étrange orphelin aux yeux noirs sans pupilles qui a le pouvoir de se transformer en oiseau meurtrier. Dans une atmosphère cauchemardesque qui empreinte à l’univers gothique de Tim Burton, ces deux chiens ne promènent finalement que leur propre folie. Jamais démonstratif ni moralisateur, ce trésor d’animation à l’éclat sauvage, parfois dérangeant, est bien plus qu’une fable écolo : sa symbolique, plus vaste, fait appel, en éveillant nos sens, à notre propre perception de l’environnement. • OLIVIER MARLAS

L’AMANT D’UN JOUR

— : de Philippe Garrel SBS (1 h 16) Sortie le 31 mai

Depuis

La Jalousie, peu ou pas de changements dans le cinéma de plus en plus abrégé de Philippe Garrel. Forme courte, noir et blanc effilé, dialogues transparents, dramatisation pondérée : sans donner le sentiment du moindre effort, le réalisateur semble avoir trouvé l’économie idéale pour décliner la souffrance affective dans toutes ses nuances de gris. Dans L’Amant d’un jour, on retrouve ainsi l’habituel quotidien sentimental d’âmes à peine esquissées (un prof, sa fille, sa maîtresse) progressivement mises à nu par les aléas du calvaire conjugal. Si Garrel n’a pas son pareil pour enregistrer la cruauté maladroite de chaque décision amoureuse, savourant d’un œil toujours ébloui le flux et reflux du mal d’aimer, la réussite de son dernier ouvrage tient surtout dans sa façon d’orchestrer, à la surface de ce chaos des cœurs, une élégante diplomatie des sentiments. En découle une guerre des sexes et des affects étrangement pacifiée, modératrice, presque résignée, dans laquelle personne ne s’aime vraiment, mais où chacun semble inévitablement vampirisé par le désir qu’il porte aux autres. • LOUIS BLANCHOT

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FILMS

DRÔLES D’OISEAUX

— : d’Élise Girard Shellac (1 h 10) Sortie le 31 mai

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son deuxième long métrage, après Belleville Tokyo, Élise Girard conte une histoire d’amour impossible dans un Paris rêvé, entre nostalgie et fantaisie. Mavie (Lolita Chammah), 27 ans, provinciale fraîchement débarquée dans la capitale, trouve un emploi dans une librairie du Quartier latin tenue par Georges, vieil éditeur misanthrope (auquel Jean Sorel, qui jadis campa l’époux de Catherine Deneuve dans Belle de jour, prête sa prestance et sa voix grave). La cinéaste filme sans pathos ni cliché la tendre relation qui va unir ces deux êtres solitaires mais si dissemblables : elle, moineau tombé du nid en quête d’harmonie ; lui, oiseau de passage qui défend bec et ongles sa liberté et sa part d’ombre. La même délicatesse se retrouve dans la contribution de l’immense chef op Renato Berta (beaux plans de visages en clair-obscur) et dans la discrète partition musicale de Bertrand Burgalat. En dépit de quelques coquetteries, on se perd avec délice dans ce Paris rétro et lettré, un rien fantomatique, où les librairies et les salles de cinéma désertes apparaissent comme des refuges pour échapper aux catastrophes du temps présent. • JULIEN DOKHAN

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Pour

RIO CORGO

— : de Sérgio da Costa et Maya Kosa Norte (1 h 35) Sortie le 7 juin

De

village en village, affublé d’un sombrero et d’élégantes santiags customisées, le vieux Silva sillonne le Portugal depuis l’enfance pour gagner sa croûte. Tour à tour barbier, maçon, mineur ou clown, ce fils de réparateur de parapluies a su rester un homme libre. Mais, alors qu’il se lie d’amitié avec une adolescente, l’énergie commence à lui manquer. Ses tours de magie se cognent au réel. Dans la lignée du cinéma lusitanien de Pedro Costa, Miguel Gomes ou João César Monteiro, le film de Sérgio da Costa et Maya Kosa capte cette rencontre avec la mort dans un geste brouillant les frontières entre documentaire et fiction. Les authentiques souvenirs du clochard céleste et la description patiente de son quotidien solitaire se doublent ainsi de bouffées oniriques à la poésie minimaliste : une marmite qui déborde se mue en brouillard de forêt ; un bourg nocturne, en pieuvre ; un coquillage, en trip métaphysique… Est-on encore sur le plancher des vaches, ou déjà passés dans l’outre-monde ? Peu importe, finalement, tant le ton espiègle et mélancolique de ce portrait funambule parvient à enchanter. • ÉRIC VERNAY

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FILMS 14 ANS. PREMIER AMOUR

Quand Alex, 14 ans, voit Vika pour la première fois, c’est le coup de foudre. Pourtant, entre la pression du lycée, les rivalités entre leurs bandes de copains et des parents oppressants, leur relation est compliquée… Une jolie histoire de premier amour qui parle surtout de la difficulté de passer de l’enfance à l’âge adulte et de la nécessité de s’émanciper. • A. C.

— : d’Andrei Zaïtsev (Fratel Films, 1 h 46) Sortie le 10 mai

MESSAGE FROM THE KING

Originaire d’un des plus dangereux townships du Cap, Jacob King arrive à Los Angeles pour retrouver sa sœur toxicomane. Hélas, c’est son cadavre affreusement mutilé qu’il découvre. Préférant les exécutions sommaires aux longues phrases, le vengeur solitaire déploie sa rage au fil d’une enquête si simple et si prévisible qu’elle en devient amusante. • O. M.

— : de Fabrice Du Welz (The Jokers / Les Bookmakers, 1 h 42) Sortie le 10 mai

SOUFFLER PLUS FORT QUE LA MER

Lorsque la famille de Julie perd son bateau de pêche, leur vie s’effondre. Chacun cherche péniblement un moyen de se reconstruire. La jeune fille développe une peur de la mer et trouve refuge auprès de son saxophone. Sa musique devient peu à peu obsédante et, en miroir de l’océan menaçant, se fait l’incarnation des angoisses des personnages. • A. C.

— : de Marine Place (Zelig Films, 1 h 25) Sortie le 10 mai

LE CHRIST AVEUGLE

« Tu es mécanicien ou évangéliste ? » demande-t-on à Michael. Le doute est permis après que ce jeune Chilien a connu une forme de révélation divine. Traversant de magnifiques paysages, il se rend chez un ami d’enfance pour tenter de le soigner. À travers ce pèlerinage sensoriel, le film, un brin ésotérique, interroge habilement nos propres croyances. • O. M.

— : de Christopher Murray (Jour2fête, 1 h 25) Sortie le 10 mai

CINÉMA, MON AMOUR

Victor dirige depuis quarante ans l’un des rares cinémas que compte encore la Roumanie. Chute de la fréquentation, délabrement, menace de fermeture… Si le constat est sombre, ce documentaire brosse avec empathie le portrait d’un passionné, soucieux de transmettre aux plus jeunes son amour des salles obscures, précieux espaces de sociabilité. • J. Do.

— : d’Alexandru Belc (Outplay, 1 h 10) Sortie le 17 mai

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EN DVD LE 31 MAI

VERSION LONGUE DIRECTOR’S CUT Version restaurée et livret d’accompagnement «Le meilleur film de Schlöndorff, inclassable et réussi.» L’OBS

EN VENTE PARTOUT ET SUR WWW.ARTEBOUTIQUE.COM


FILMS SAINT-GEORGES

Pour nourrir sa famille, Jorge, un boxeur semi-professionnel, est contraint d’accepter un emploi dans une société de recouvrement qui le pousse à intimider les clients endettés. S’engage alors en lui un véritable affrontement moral… Avec justesse, la caméra suit le parcours de ce père courage en dressant en creux le portrait d’un Portugal en crise. • A. C.

— : de Marco Martins (Damned, 1 h 52) Sortie le 17 mai

MARIE-FRANCINE

Valérie Lemercier se met en scène dans le rôle d’une chercheuse qui, à 50 ans, perd son boulot et son mari – il la remplace par une femme plus jeune – et est contrainte de déménager chez ses parents… Après Palais royal ! et 100 % cachemire, le regard de la cinéaste est toujours mi-goguenard, mi-sérieux, mais se teinte cette fois de romantisme. • T. Z .

— : de Valérie Lemercier (Gaumont, 1 h 35) Sortie le 31 mai

LOU ANDREAS-SALOMÉ

Lou Andreas-Salomé, romancière et psychanalyste allemande, a décidé très tôt de ne jamais se marier. De ses amitiés créatives avec Nietzsche et Rilke naissent alors des amours contrariées. Le biopic les restitue avec soin, grâce au jeu inspiré d’un duo d’actrices (Katharina Lorenz et Nicole Heesters) incarnant l’auteure adulte et à la fin de sa vie. • O. M.

— : de Cordula Kablitz-Post (Bodega Films, 1 h 53) Sortie le 31 mai

SUNTAN

Kostis est un quadra bedonnant à la libido en berne. Quand il est sollicité pour devenir le médecin de l’île d’Antiparos, haut lieu du tourisme estival en mer Égée, la découverte des plages naturistes réveille son désir assoupi. D’abord bonhomme et jovial, le héros surprend par ses choix radicaux, transformant le récit en troublant thriller érotique. • O. M.

— : d’Argyris Papadimitropoulos (ASC, 1 h 44) Sortie le 31 mai

DEPARTURE

Elliot, 15 ans, accompagne sa mère dans un village du sud de la France pour vider la maison familiale et la vendre. Sa rencontre avec Clément, un voisin à peine plus âgé, le trouble profondément… Porté par les révélations Alex Lawther et Phénix Brossard, le premier long métrage du Britannique Andrew Steggall est un récit d’initiation âpre et délicat. • O. M.

— : d’Andrew Steggall (Destiny Films, 1 h 49) Sortie le 31 mai

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FILMS CHURCHILL

À deux jours du débarquement des Alliés en Normandie, Winston Churchill hésite à risquer la vie des troupes britanniques dans une opération gigantesque à l’issue incertaine… Très psychologique, cette fiction intimiste bâtit sa richesse sur les dialogues acérés entre Churchill (Brian Cox, habité), le roi George VI et les principaux généraux. • O. M.

— : de Jonathan Teplitzky (Orange Studio / UGC, 1 h 38) Sortie le 31 mai

HHhH

Après avoir mis en scène la vie de Gaëtan Zampa, figure du grand banditisme (La French), Cédric Jimenez signe un nouveau thriller qui se concentre cette fois sur l’ascension et la chute de Reinhard Heydrich, un haut dignitaire du régime nazi… Casting hollywoodien (Jason Clarke, Rosamund Pike…), ampleur du récit et sens du rythme indéniables. • O. M.

— : de Cédric Jimenez (Mars Films, 2 h) Sortie le 7 juin

A SERIOUS GAME

En Suède, au début du xxe siècle, un journaliste et la fille d’un peintre s’éprennent l’un de l’autre, mais leur condition les oblige à épouser de meilleurs partis… Nimbé de la douce et pâle lumière du Nord, cet élégant drame romantique se laisse progressivement embraser par les flammes d’une passion qui résiste aux obstacles et au temps qui passe. • T. Z .

— : de Pernilla August (Paradis Films, 1 h 55) Sortie le 7 juin

ALI, LA CHÈVRE ET IBRAHIM

Au Caire, Ali est envoyé chez un guérisseur par sa mère, qui souhaite le détourner de son amour absolu pour Nada, une petite chèvre blanche. Là, il sympathise avec un autre homme souffrant d’un mal étrange : des acouphènes subjectifs… Malgré un récit pas toujours très subtil, on suit volontiers les aventures loufoques de ce tandem attachant. • O. M.

— : de Sherif El Bendary (Arizona, 1 h 38) Sortie le 7 juin

LES LAURIERS ROSES ROUGES

Roya campe depuis des années le même rôle dans un théâtre de Dacca. Son éviction au profit d’une actrice plus jeune et libérée la pousse à mettre en scène sa propre version de la pièce, et à se remettre en question… La cinéaste propose une riche réflexion sur la féminité et la maternité au Bangladesh, dans une mise en scène alliant simplicité et onirisme. • A. C.

— : de Rubaiyat Hossain (Contre-Courants, 1 h 28) Sortie le 7 juin

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The one-stop venue for documentaries MEETS & TALKS SCREENINGS EXHIBITORS IN THE RIVIERA, STAND H8

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LET’S TALK DOCS!

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Tuesday 23 May PLAGE DU GRAY D’ALBION OLYMPIA 1

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LE TROISCOULEURS DES ENFANTS


LA CRITIQUE D’ELEANA, 8 ANS

COUL' KIDS

© D. R.

© D. R.

ANASTASIA

« Tout va très vite dans ce dessin animé. C’est dans le passé, en Russie. Quand la princesse Anastasia est encore petite, le méchant sorcier Raspoutine veut la tuer. Anastasia doit s’enfuir vers Paris. Sauf que le train a déjà démarré, avec sa grand-mère dedans. Elles essaient de se donner la main, mais Anastasia tombe et se fracasse la tête par terre. Elle perd la mémoire, mais heureusement elle a gardé un collier de sa grand-mère, avec écrit dessus “ensemble à Paris”. Donc elle part en France avec un garçon, un petit chien et un gros monsieur. Mais entre-temps sa grand-mère est devenue méchante, à force de ne pas voir Anastasia : quand elles se retrouvent enfin, elle ne reconnaît pas sa petite-fille ! Les dessins de Paris m’ont plu. On dirait des tableaux qui bougent. J’ai aussi aimé le petit chien et le monsieur qui ressemble à un gros patapouf, très drôles. Par contre, Raspoutine m’a fait peur : il est vivant et mort en même temps, comme un zombie ! Il se décroche les mains, la bouche, sa tête roule à l’intérieur de son corps… Mais quand il perd son doigt, une petite chauve-souris le lui revisse. Là, j’ai bien ri. »

LE PETIT AVIS DU GRAND Quand les créateurs du Petit Dinosaure et la Vallée des merveilles s’emparent du destin de la fille de Nicolas II de Russie, la véracité historique passe au second plan. Et alors ? La puissance du conte fournit le combustible idéal de ce tourbillon de couleurs baroque sur fond de quête d’identité. On passe ainsi de la révolution bolchevique à l’émulation artistique du Paris des Années folles sur un rythme haletant, la rétine agréablement stimulée par d’inventifs clins d’œil à l’Impressionnisme. • ÉRIC VERNAY

— : de Don Bluth et Gary Goldman (1998) Splendor Films (1 h 25) ressortie le 24 mai dès 6 ans

COUL’ KIDO EST CACHÉ 3 FOIS DANS CETTE DOUBLE PAGE… SAURAS-TU LE RETROUVER ?

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CINÉMA

Titre du film : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nom du réalisateur : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Résume l’histoire : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ................................................................. ................................................................. ................................................................. ................................................................. Ce qui t’a le plus plu : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ................................................................. ................................................................. ................................................................. ................................................................. En bref : Prénom et âge : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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LE CHANTEUR DE GAZA

LITTLE BOY

Mohammed, un jeune Palestinien vivant dans la ville de Gaza, veut participer au télé-crochet Arab Idol (l’équivalent de Nouvelle Star au Moyen-Orient) qui est tourné en Égypte. Sans passeport, il prend tous les risques pour franchir la frontière… Sur fond de politique, un film punchy et optimiste sur les espoirs de la jeunesse palestinienne. • Q. G.

Sous l’influence d’un prêtre malicieux, un garçon californien est persuadé que l’accomplissement de plusieurs bonnes actions protégera son père, combattant de la Seconde Guerre mondiale… À l’image du caractère de son héros, amateur de spectacles magiques, cette fable séduit par son innocence entêtée et propose une réflexion touchante sur le pouvoir de la foi. • O. M.

Sortie le 10 mai, dès 10 ans

Sortie le 10 mai, dès 8 ans

: de Hany Abu-Assad (La Belle Company, 1 h 35)

: d’Alejandro Monteverde (Saje, 1 h 46)

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COUL' KIDS

Ce qui t’a le moins plu : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


L’INTERVIEW DES CE1-CE2

CLAUDE PONTI AUTEUR DE LIVRES JEUNESSE

COUL' KIDS

Pourquoi tu inventes des mots dans tes histoires ?

J’ai remarqué que vous, les enfants, vous êtes très malins, et que vous êtes capables d’inventer les mots dont vous avez besoin. Alors je fais comme vous : quand je ne trouve pas le bon mot, je le fabrique ! Est-ce que tu pensais écrire des livres quand tu étais petit ? Le matin, je voulais être pompier ; l’après-midi, marchand de fromage ; et le soir, manger du fromage près du feu. Mais, à 7 ans, j’ai décidé que je voulais être peintre, comme les gens qui font des tableaux. Je suis resté sur cette idée très longtemps. Mais tu aimais déjà les histoires ? Je dessinais beaucoup, mais les histoires je les racontais dans ma tête, pas aux autres. Et puis un jour j’ai eu une fille, Adèle. Je voulais lui offrir un cadeau pour sa naissance. Comme la seule chose que je savais faire c’était dessiner, j’ai inventé une histoire rien que pour elle. Le livre a été publié, et j’ai compris que j’aimais écrire des livres pour les enfants. Et maintenant que c’est ton métier, tu préfères dessiner, ou écrire ? J’aime les deux, mais il y a des choses que je sais mieux faire en dessinant, et d’autres, en écrivant. Il y a des gens qui font des livres à deux, l’un qui écrit et l’autre qui dessine. Parfois ils ne sont pas d’accord, mais ils sont obligés de s’entendre. Moi, comme je fais les textes et les dessins, je discute, mais avec moi-même, donc j’ai toujours raison – même quand j’ai tort. Comment as-tu l’idée d’une histoire ? Je réfléchis, je me pose dans un coin et je

laisse ma tête se promener. Je regarde le ciel et les nuages, j’écoute les bruits comme si c’était de la musique, et, à ce moment-là, je peux avoir des idées qui viennent. Tes parents étaient d’accord pour que tu sois un artiste ? Non, je me suis battu contre mes parents pour faire ce que je voulais. C’est compliqué, les parents, ils font attention à toi, ils veulent que tu sois bien, et, des fois, pour que tu sois bien, ils te mettent mal. Pourquoi à la fin de Pétronille et ses 120 petits tu as écrit : « À chaque fou sa casquette et à moi mon chapeau » ? Parce je savais qu’un jour tu me poserais la question et je voulais pouvoir te répondre pour que tu réfléchisses. Ça veut dire que quand tu crois que quelqu’un est fou, peut-être que lui il pense que toi tu es folle. • PROPOS RECUEILLIS PAR LES ÉLÈVES DE CE1 ET DE CE2 DE L’ÉCOLE GODEFROY-CAVAIGNAC À PARIS (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE) — PHOTOGRAPHIE : ROMAIN GUITTET

SI COMME LES ÉLÈVES DE L’ÉCOLE GODEFROY-CAVAIGNAC TU AS ENVIE DE RÉALISER UNE INTERVIEW DIS-NOUS QUI TU AIMERAIS RENCONTRER EN ÉCRIVANT À BONJOUR@TROISCOULEURS.FR

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LE DEBRIEF Les élèves de CE1 et de CE2 de l’école Godefroy-Cavaignac à Paris ont interviewé Claude Ponti. Son dernier album, Le Mystère des Nigmes, suit l’enquête menée par des souris archivistes pour retrouver les mots qui ont disparu de leurs livres. « Il a les cheveux blancs, il a une fille d’au moins 30 ans, mais il a discuté avec nous comme s’il avait notre âge. — Je crois qu’il a passé une super-journée, il n’a pas arrêté de rire et de nous faire rigoler. — Moi, j’ai lu L’Arbre sans fin sept fois ! »


TOUT DOUX LISTE

PARENTS FRIENDLY

À VOS SOUHAITS

CINÉ-CONCERT

Quand l’homme-orchestre Gregaldur impose son style musical inventif et festif sur les courts métrages du légendaire animateur russe Garri Bardine (La Nounou, Le Vilain Petit Canard) dans Shtsrzyhzyhzyhzyhzyhzyhtj, c’est un moment incontournable… mais au nom imprononçable !

: le 14 mai au Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette, dès 6 ans

ÇA CARTOON

EXPO

Dans l’exposition « Mômes & Cie », petits et grands cinéphiles peuvent déambuler dans la forêt de Kirikou, se mesurer au géant King Kong ou encore s’émerveiller devant une authentique lanterne magique… avant de passer à l’action en dessinant leurs propres héros sur un immense mur dédié.

: jusqu’au 30 juil. à la Cinémathèque française, dès 3 ans

JEM MA BARBIE

ATELIER

COUL' KIDS

Dans le cadre de l’expo « Poupées des années 80 », conçue pour appâter toutes les générations avec les indémodables Jem et Polly Pockets, l’atelier « J’habille ma Barbie » invite les stylistes en herbe à apporter leur propre poupée en tenue d’Ève et à customiser sur place un vêtement unique.

• HENDY BICAISE ILLUSTRATIONS : PABLO COTS

: tous les mercredis, jusqu’au 15 septembre, au musée de la Poupée, dès 5 ans

KIDS FRIENDLY

20/20

ARTS FORAINS

Pendant deux jours, la 20e édition du Printemps des rues propose aux petits et aux grands d’assister gratuitement aux représentations de dizaines de compagnies d’art forain : spectacles de danse et de cirque, bals, pièces de théâtre et concerts investissent le canal Saint-Martin et ses alentours.

: les 20 et 21 mai, dans les Xe et XVIIIe arr., pour tous âges

TU VEUX MA PHOTO ?

EXPO

« Les enfants à l’affiche » présente une cinquantaine de posters du début du siècle dernier. De Baby Marie Osbourne, la première enfant-star de Hollywood, aux comédiens en herbe restés anonymes, tous méritent d’être observés avec la même attention, ne serait-ce que pour répondre au quiz final.

: jusqu’au 11 juillet à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, dès 5 ans

TOLÉRANCE HÉROS

SCIENCE

Gratuite pour les enfants, l’exposition « Nous et les autres. Des préjugés au racisme » se veut éducative et interactive, avec immersion dans des décors fictifs de lieux cosmopolites et visite d’un laboratoire visant à démystifier scientifiquement le fléau (données statistiques, analyses ADN…). : jusqu’au 8 janvier 2018 au musée de l’Homme, dès 8 ans

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OFF CECI N’EST PAS DU CINÉMA


EXPOS

RODIN

© RMN-GRAND PALAIS, PHOTO DIDIER PLOWY, 2017

L’EXPOSITION DU CENTENAIRE — : jusqu’au 31 juillet au Grand Palais

Vue de l’exposition

OFF

« Rodin

reste l’arbre monumental qui fait une ombre très longue : il est difficile de trouver un morceau du monde qui ne soit pas connecté à l’arbre ou à l’ombre qu’il porte », a dit le sculpteur anglais Antony Gormley. Une formule qui résume bien la portée du génie français auquel le Grand Palais a voulu rendre hommage à travers une exposition qui a le mérite de se distinguer d’une visite au musée qui porte son nom. Dans une scénographie un brin austère, on prend d’abord plaisir à revoir ses chefs-d’œuvre – Le Penseur, Monument à Balzac, Le Baiser – et leurs nombreuses déclinaisons en marbre, bronze ou plâtre, et à découvrir ses merveilleux dessins de nus féminins ; avant de prendre la mesure de l’empreinte qu’Auguste Rodin a laissée sur Antoine Bourdelle, Constantin Brâncuși, Pablo Picasso ou Willem de Kooning. Des reprises de son Homme qui marche (par Alberto Giacometti en 1960 ou Thomas Houseago en 1995) aux multiples motifs de sa mythique Porte de l’Enfer, elle-même inspirée de La Divine Comédie de Dante, son influence semble infinie. C’est ce que laisse entendre la dernière partie de l’exposition, un peu fourre-tout mais très éclairante, sur la redécouverte de l’œuvre de Rodin après la Seconde Guerre mondiale, associée à un retour au figuratif. Et si vous n’en avez pas eu assez, vous pourrez prolonger cette suave déambulation par la projection de Rodin, le biopic réalisé par Jacques Doillon, en salles le 24 mai, ou par l’un des nombreux rendez-vous organisés à l’occasion du centenaire de sa mort (listés sur www.rodin100.org). • MARIE FANTOZZI

On mesure l’empreinte que Rodin a laissée sur Bourdelle, Brâncuși, Picasso ou Kooning.

MULTIPLE ART DAYS

SITUER LA DIFFÉRENCE

Voici venue la troisième édition des Multiple Art Days (alias MAD), le salon des pratiques éditoriales, devenu l’incontournable rendez-vous annuel offrant un panorama éclectique et pointu de l’édition telle qu’elle se fait aujourd’hui. Disques, livres, fanzines, mais aussi films, affiches ou objets d’art en série limitée : difficile de repartir les mains vides. Avec les conférences et performances du programme MAD TALKS, vous en aurez pour vos yeux et vos oreilles. • ANNE-LOU VINCENTE

Malgré la singularité de leur travail respectif, Silvia Bächli (dessin) et Éric Hattan (installation) exposent ensemble et séparément depuis les années 1980 et font aujourd’hui dialoguer leurs œuvres dans tous les espaces du CCS. Ici, il empile des centaines d’objets trouvés en ville ; là, elle crée un langage visuel traduisant les images poétiques de Florian Seidel. Un subtil jeu de correspondances et d’équilibre reposant sur une écriture fragmentaire déployée dans l’espace. • A-L. V.

à La Maison rouge

au Centre culturel suisse

: les 26, 27 et 28 mai

: jusqu’au 16 juillet

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ART COMPRIMÉ Tous les mois, notre chroniqueuse vous offre un concentré des dernières réjouissances du monde de l’art.

20 avril

18 juin

La palme de la pire collaboration entre un artiste contemporain et une griffe de mode revient haut la main à la collection « Masters » signée Jeff Koons que Louis Vuitton a dévoilée en avril. L’Américain a eu l’idée – très originale – de faire figurer cinq des plus célèbres chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art sur des sacs en cuir et des foulards. Outre que le résultat ressemble à de vilains produits dérivés de musée, on rit – jaune – quand Koons affirme que ses créations, vendues entre 495 € et 3 000 €, sont l’occasion de « mettre (son) art dans la rue ». • Belle bourde d’un visiteur du musée d’art moderne et contemporain de Nice : le carré de poudre bleue dans lequel il a malencontreusement marché lors d’une conférence de presse le 11 avril n’était pas un vulgaire bac à sable – malgré son titre –, mais un « lit de pigments » de l’artiste Yves Klein. Imperturbable, le malheureux vandale a été trahi par ses mocassins. • Choc chez les archéologues (et dans les rangs de la Manif pour tous) : les « amants de Pompéi » – ces deux victimes de l’éruption du Vésuve en 79 figées dans la cendre pour l’éternité – seraient des hommes, selon de récentes analyses génétiques. Donc, possiblement, un couple homosexuel. • Quel plus bel hommage que d’avoir une sculpture à son effigie ? D’avoir une sculpture de fromage à son effigie ! Demandez à Beyoncé : un sculpteur anglais a donné forme à son fameux portrait de grossesse dans 20 kg de cheddar à Londres début avril. Verdict : plutôt ressemblant, mais pas très appétissant. • MARIE FANTOZZI ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL

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5/7 rue de Fourcy 75004 Paris Téléphone: 01 44 78 75 00 Web: www.mep-fr.org M Pont-Marie ou Saint-Paul

Ouvert du mercredi au dimanche inclus, fermé lundi, mardi et jours fériés.

© ORLAN / ADAGP

ORLAN EN CAPITALES Exposition présentée dans le cadre du Mois de la Photo du Grand Paris

En partenariat média avec


EXPOS

PICASSO PRIMITIF — : jusqu’au 23 juillet au musée du quai Branly – Jacques Chirac

Masque anthropomorphe

© MUSÉE DU QUAI BRANLY – JACQUES CHIRAC, PHOTO PATRICK GRIES

OFF

Grâce

à un riche éventail de documents d’époque, l’exposition sonde l’attraction viscérale et durable qu’ont exercée les arts d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie sur Pablo Picasso. Dès son arrivée à Paris en 1900, le peintre espagnol découvre et acquiert de nombreuses œuvres d’art non occidentales. Au fil d’un parcours chronologique, de 1900 à 1974 (aux lendemains de sa mort), nous sommes d’abord happés par une série de photos (figurant le peintre dans son studio parisien avec des statuettes et des masques d’Océanie ou d’Afrique) et d’extraits de correspondance avec ses amis collectionneurs ou artistes (Jean Cocteau, Guillaume Apollinaire…). À l’aune du contexte historique de l’époque (d’où l’emploi récurrent du mot « nègre »), cette plongée dans l’intimité du génie prépare idéalement à la seconde partie de l’exposition. S’instaure alors un dialogue entre une centaine d’œuvres de Picasso et environ deux cents créations (dont de troublantes sculptures anthropomorphes) d’artistes non occidentaux, souvent anonymes, révélant l’influence picturale et thématique de ces arts « primitifs » qui métamorphosent les corps en curiosités magnifiques. Qu’il soit dessiné, peint ou sculpté, le corps, attirant ou abject, reste le médium privilégié de Picasso pour représenter ses désirs et ses peurs. Des parties distinctes (bouche, regard, sexe) sont ainsi auscultées puis recomposées à loisir : ici, seul l’imaginaire décide du volume et des angles. C’est notamment le cas de l’impressionnant tableau du maître espagnol Trois figures sous un arbre – autant de femmes aux courbes mêlées, au regard sans pupille, à la fois inquiétantes et sensuelles. Sans doute une manière de libérer l’enveloppe humaine de ses limites étouffantes. • OLIVIER MARLAS

Le corps, attirant ou abject, reste le médium privilégié de Picasso pour représenter ses désirs et ses peurs.

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D’après le portrait de Jacques Lemercier par Philippe de Champaigne, huile sur toile, 1644 © RMN-Grand Palais (Châteaux de Versailles et de Trianon) / Gérard Blot © Graphisme : Keva Epale


SPECTACLES

LE PAYS DE NOD — : de FC Bergman

© KURT VAN DER ELST

du 16 au 20 mai à la Grande Halle de la Villette (1 h 35)

OFF

Pour

sa nouvelle création, le collectif FC Bergman vous invite au musée royal des beaux-arts d’Anvers. Du haut des gradins, la vue est plongeante sur la reconstitution grandeur nature de la salle Rubens. Des œuvres qui y coexistaient, ne reste que Le Coup de lance, un calvaire christique trop grand pour être évacué pendant les travaux de rénovation. Ce chef-d’œuvre, reproduit en grandeur nature, deviendra le point de départ comique d’une série de saynètes absurdes, nostalgiques, ou belles à pleurer. Plasticiens de formation, les membres de ce collectif flamand excellent dans l’art du tableau vivant et savent parfaitement se passer du langage articulé pour raconter des histoires qui parlent à tous comme à chacun. Comme leur précédente pièce (300 el x 50 el x 30 el), Le Pays de Nod se nourrit de deux sources d’inspiration : l’actualité et les mythes bibliques. Dans la première œuvre, la référence aux dimensions de l’arche de Noé cachait une réflexion sur le repli sur soi communautaire. Le titre de la deuxième renvoie au territoire dans lequel Abel fut exilé après l’assassinat de Caïn, et ouvre un espace pour penser le rôle et la place de l’art. Sans jamais imposer de grille de lecture simpliste et à travers les solitudes des personnages qui naviguent, perdus dans le musée, FC Bergman s’interroge : l’art peut-il être un refuge contre la violence ? À force de se cacher derrière les hauts murs des institutions muséales et des théâtres, la création ne risque-t-elle pas de perdre son sens ? • AÏNHOA JEAN-CALMETTES

Le collectif flamand excelle dans l’art du tableau vivant.

LE 15e CONGRÈS EXTRAORDINAIRE DÉPLACEMENT Si Vlatka Horvat ressuscite un congrès extraordinaire, ce n’est pas pour singer les apparatchiks communistes de l’ex-Yougoslavie, mais pour donner la parole aux oubliées de l’histoire. Sur scène, l’artiste invite six femmes, nées là-bas mais exilées à Paris, et les encourage à raconter leurs souvenirs en piochant des thèmes au hasard (« Tito » ou « le meilleur des temps », par exemple). Loin des récits officiels, une délicate fresque sur la mémoire se dessine. • A. J.-C.

Au premier abord, venant d’un chorégraphe syrien exilé en France, le titre Déplacement paraît limpide. Il est pourtant loin d’être univoque. Il sera question d’exil, de ce que la guerre fait au corps, mais ce que Mithkal Alzghair entend déplacer, dans ce solo devenu trio, c’est le regard du spectateur. Ensanglantée depuis six ans, la Syrie sera toujours plus et autre que ce que les images chocs nous en disent. La preuve par la danse. • A. J.-C.

: de Mithkal Alzghair, le 10 juin,

: de Vlatka Horvat, le 12 mai, à la Fondation

au CDC Atelier de Paris-Carolyn Carlson

Cartier pour l’art contemporain (4 h)

(Festival June Events), (1 h)

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RESTOS

PANIER REPAS

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© ANNABELLE SCHACHMES

Comme on fait ses courses, on se restaure. C’est un peu la devise de ces nouvelles épiceries à manger qui fleurissent dans Paris. Le Bel Ordinaire de Sébastien Demorand à peine ouvert, Papa Sapiens se lance dans la restauration. Quand l’épicerie va, tout va.

LE BEL ORDINAIRE L’ancien nom de la boutique, « Paris Lumière », est toujours au fronton. Des luminaires dépareillés au-dessus de la table d’hôte jouent le clin d’œil. Mais c’est la porte du Bel Ordinaire que l’on pousse, nouvelle maison de Sébastien Demorand, journaliste gastronomique depuis vingt ans, à l’antenne de RTL le week-end, inventeur du mot « bistronomie », ancien juré de l’émission MasterChef (TF1). Cet érudit du produit, gentleman à la plume aiguisée, a répondu à l’appel de Cyril Rossetto, e-businessman, de créer une épicerie/cave à manger. Le projet a été monté en partie grâce au financement participatif et fera des petits, à Paris et en Province. En attendant, dans la bien nommée rue de Paradis, on découvre une sélection de deux cent cinquante références, pâtes, huiles d’olive (dont les splendides huiles de Kalamata de Profil Grec), fromage, charcuterie, vin. Tout est sourcé avec un soin et une exigence « demorandesques », gages de vertu et de qualité. Avec ces merveilles, le jeune Nicolas Fabre (ex-Semilla) cuisine un œuf mayo d’anthologie (la recette de la mayo varie, en avril : kari gosse, mélange d’épices indiennes, piment d’Espelette), un déjà culte couscous à la saucisse de Morteau, butternut, radis daïkon, bouillon veau-harissa, ou d’addictifs churros à la chantilly et au caramel demi-sel. On peut acheter une bouteille et boire sur place (7 € de droit de bouchon) ou piocher dans un large choix de vin au verre, un chenin de Loire « Premier Rendez-Vous » (7,50 €) de Lise et Bertrand Jousset, par exemple. Manger : de 2 à 17 €. Boire : de 5 à 12,50 €. • STÉPHANE MÉJANÈS

: 54, rue de Paradis, Paris Xe

PAPA SAPIENS

LA MAISON PLISSON

Après avoir créé deux épiceries de produits d’exception, Papa Sapiens a ouvert un lieu mixte de quarante couverts à la déco indus. On y mange ce que l’on peut acheter, et plus, un cuisinier prépare des soupes (butternut, cresson/7 €), plats (dorade, écrasé de patates douces à l’orange/15 €), mais aussi salades et sandwiches à emporter. • S. M.

Elle fête ses deux ans, et la rumeur d’une deuxième adresse, rive droite, court tout Paris. Outre l’épicerie caverne d’Ali Baba de produits pointus dénichés par la patronne, on y trouve un restaurant qui ne désemplit pas, grâce à sa terrasse et ses plats enjoués : soupe du jour (9 €), saucisse de porc noir, purée (18 €) ou mythique riz au lait (7 €). • S. M.

: 24, rue Feydeau, Paris IIe

: 93, boulevard Beaumarchais, Paris IIIe

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C’EST DOUX   ! Notre chroniqueur @phamilyfirst décloche pour vous l’actualité food au centre de la table. Nouveaux restos, mercato et tuyaux à gogo dans ce rendez-vous flash info.

| BEST | Le classement des World’s 50 Best Restaurants a été dévoilé. On y trouve cinq établissements parisiens : Arpège (VIIe), Alain Ducasse au Plaza Athénée (VIIIe), Alléno Paris au Pavillon Ledoyen (VIIIe), Astrance (XVIe), et Septime (XIe) qui, non content d’avoir grimpé de quinze places, est également lauréat du prix du restaurant durable. | PIZZANISME | Bricktop (Xe), nouvel arrivant sur la scène pizza à Paris, applique dorénavant ses commandements sur le canal Saint-Martin. Le premier d’entre eux : « Ta pizza sera authentique, elle s’inspirera du savoir-faire napolitain. » | SUGAR RUSH | « Warm fresh cookies », indique le panneau devant l’entrée de la toute nouvelle pâtisserie américaine Stoney Clove Bakery (IIe). On y déguste certains classiques sucrés d’outre-Atlantique comme les s’mores ou les peanut butter & jam cookies. | NID SECONDAIRE | Après sa première petite échoppe, Nest pose son nouveau nid rue du Nil (IIe), en face de Frenchie to Go. La cantine vietnamienne y sert ses classiques bánh mì et de nouvelles recettes, telles sa version du poke bowl. | FAST GOOD | Fini, les costauds sandwiches de Freddie’s ; place aux super-aliments bons, beaux et bio de GreenHouse (XIe), le nouveau restaurant/cave à vin de Kristin Frederick (Le Camion qui fume). Avec son potager juste en face de la terrasse, GreenHouse fait la part belle aux légumes de saison et arrose ses repas de vins naturels. • JULIEN PHAM (@PHAMILYFIRST) ILLUSTRATION : JEAN JULLIEN

DES HOMMES EN DEVENIR

23 MAI — 10 JUIN 2017

Emmanuel Meirieu d’après le roman de Bruce Machart

« La vie est une histoire vraie. »

THÉÂTRE PARIS-VILLETTE 211 avenue Jean Jaurès 75019 PARIS M° Porte de Pantin RÉSERVATIONS 01 40 03 72 23 www.theatre-paris-villette.fr


REJJIE SNOW

CONCERTS

— : « Dear Annie » de Rejjie Snow (300 Entertainment) • le 20 mai au Trabendo © D. R.

OFF

À

23 ans, et à la coule, le rejeton de Dublin impose son hip-hop louvoyant mâtiné de grâce jazz. Alex Anyaegbunam (son vrai nom) grandit dans la pâle Irlande, fait un détour par la Floride – où il se rêve footballeur –, avant d’élire domicile à Londres où il finit par trancher : il fera du rap, irish et bien roulé. Bingo, été 2013, son EP Rejovich affole le web et coiffe Kanye West à la roulette iTunes. Sur la pochette : une Noire et un cagoulé du KKK enlacés, et aveugles – sa vision de l’égalité. Sous le capot : flow somnambulique, style jazzy soigné (merci Chet Baker et Roy Ayers), univers en clair-obscur, décalé. Hybride de MF Doom, d’Earl Sweatshirt et de Tyler, The Creator, Rejjie Snow joue l’outsider. Cette façon de se réinventer peut-être, changeant d’atmosphère avec l’élégance du génie et un sens visuel léché (albinos et golden shower arty inclus) pour raconter sans fard the usual stuff : l’amour (entêtant « Blakkst Skn »), les « D.R.U.G.S », la couleur de peau – lâchant l’ode antibrutalités policières « Crooked Cops » pour l’investiture de Donald Trump. Son premier album, Dear Annie, produit par Rahki, est une bombe, le garçon flirte avec un casting XXL (de Flying Lotus à Kaytranada), et partout ses concerts sont sold out. Mais s’il frime (« Flexin »), il tient plus du faon que du gangsta, épinglant les standards américains du hip-hop – obsession pour les dollars, misogynie… Chic. Fidèle à ses racines et fier de sa chance, adoubé mais pas pressé, Rejjie fait désormais la météo sur le rap game : en mai, il va neiger. • ETAÏNN ZWER

Sur la pochette : une Noire et un cagoulé du KKK enlacés, et aveugles – sa vision de l’égalité.

JAPANESE NEW MUSIC FESTIVAL

ANGEL OLSEN ET CHRIS COHEN

Réunion au sommet pour quatre figures du rock psychédélique japonais : Makoto Kawabata retrouve ici Atsushi Tsuyama, son complice au sein d’Acid Mothers Temple, ainsi que Tatsuya Yoshida (Ruins) et la percussionniste Emiko Ota, pour une soirée consacrée à la musique cosmique de l’archipel. Des titres d’Acid Mothers Temple, de Ruins, d’Akaten, de Zoffy, de Zubi Zuva X et de Psyche Bugyo seront au programme de ce jeu de chaises musicales nippones sous champis. • WILFRIED PARIS

Membre du Cairo Gang et ancienne choriste de Bonnie ‘Prince’ Billy, l’Américaine Angel Olsen joue sur scène son troisième album, My Woman, exploration des genres musicaux (folk, grunge, synth-pop) en même temps que réflexion sur la féminité. Le Californien Chris Cohen présente quant à lui ses délicates chansons bedroom-pop, genre assez brumeux qui irait de Mac DeMarco à Beach House, en passant par Brian et Dennis Wilson, ici chanté doux, ou amer, ou doux-amer. • W. P.

: le 29 mai à La Gaîté Lyrique

: le 6 juin au Trianon

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RÉALITÉ VIRTUELLE

ROBO RECALL JEU D’ACTION

© D. R.

— : (Epic Games), dès 7 ans —

Une

rue déserte, dans une ville futuriste. Au milieu des carcasses de voitures, des robots foncent sur nous, avec la furieuse envie d’en découdre. Pas le choix : il va falloir tous les descendre. Jusque-là, Robo Recall ne raconte rien de bien nouveau. Fort heureusement, il cache un vrai tigre sous son moteur. Pour se déplacer et esquiver les attaques, il suffit de pointer un point au sol, et l’on s’y téléporte immédiatement. Les niveaux sont énormes et fourmillent d’endroits où se cacher et se mettre à couvert. Pour se défendre, on dispose d’un arsenal des plus complets, allant du simple colt au fusil à pompe (que l’on dégaine en passant une main dans le dos, la classe). Mais rien n’interdit de ramasser une carcasse de robot ennemi pour s’en servir comme bouclier, ou encore d’arrêter le temps pour stopper un projectile, avant de le renvoyer dans la tête de l’adversaire. Si Robo Recall a tout de l’exutoire sauvage, il ne sacrifie jamais sa dimension stratégique sur l’autel du spectacle. Concentré de savoir-faire et de maniabilité, le jeu se fait ode à l’improvisation et aux réflexes félins, nous obligeant à rester constamment en mouvement pour survivre. De cette tension naît un univers saisissant, d’une beauté à tomber, où le stimulus est roi. Si l’exercice reste sportif (il faut constamment garder le bras levé et l’œil en alerte pour ne pas se faire descendre), on tient là non seulement la Rolls-Royce du jeu VR actuel, mais aussi sa plus belle promesse d’avenir. • YANN FRANÇOIS

Ode aux réflexes félins, Robo Recall nous oblige à rester constamment en mouvement pour survivre.

PEARL

COURT MÉTRAGE

À bord d’une vieille voiture, un jeune musicien emmène sa fille vers une destination inconnue. Si l’on ne sort jamais de l’habitacle du véhicule, le temps, lui, s’accélère. Assis à la place du mort, nous observons les protagonistes grandir et évoluer – en quelques minutes, nous avons voyagé à travers une vie entière. Pearl est le premier film d’animation en réalité virtuelle à avoir été sélectionné aux Oscars. Face à un tel électrochoc émotionnel, on comprend pourquoi. • Y. F.

: de Patrick Osborne, dès 6 ans

PLAYTHINGS

JEU MUSICAL

Le principe du jeu est des plus simples : vous avez une baguette dans chaque main, et vous devez frapper en rythme sur des formes colorées (fruits, bonbons gélatineux, burgers) qui foncent sur vous, au son d’une musique pop de plus en plus psychédélique. Son graphisme est kawaii à souhait, son ton, gentiment débile, et il convient d’oublier toute forme de dignité quand on y joue. Mais sa convivialité est telle qu’on se prête volontiers à l’exercice. • Y. F.

: (Always & Forever Computer), dès 6 ans

PROGRAMMES À DÉCOUVRIR À L’ESPACE VR DU mk2 BIBLIOTHÈQUE INFOS ET RÉSERVATIONS SUR MK2VR.COM


PLANS COUL’ À GAGNER

CAMILLE PISSARRO © OHARA MUSEUM OF ART, KURASHIKI

EXPO

— : « Camille Pissarro. Le premier des impressionnistes » jusqu’au 2 juillet au musée Marmottan Monet

Première

Camille Pissarro, La Cueillette des pommes, 1886

puis de l’Oise), l’exposition témoigne d’une recherche formelle constante, contemplative puis bouillonnante. Se renouvelant sans cesse, le peintre devient, à 50 ans passés, un fervent porte-parole du pointillisme néo-impressionniste, technique dont sa Cueillette des pommes (1886), figurant trois femmes à l’ombre d’un pommier, est l’un des chefs-d’œuvre. Lumière est enfin faite sur un pionnier mal connu, qui fut d’ailleurs le premier à bannir de sa palette le noir et l’ocre au profit du clair, du pur, du vif. • GAËLLE LE SCOUARNEC

OFF

à Paris depuis près de quarante ans, l’exposition du maître Camille Pissarro rassemble soixante-quinze de ses plus belles toiles. Le parcours dresse le portrait d’un artiste audacieux, qui peint ses vues d’ensemble « sur le motif » (en plein air, sans croquis préparatoire) et fédère les impressionnistes (il contribue à la découverte de ses cadets Monet, Cézanne et Gauguin). En suivant la chronologie de ses lieux de résidence (les paysages variés de Pontoise, la sérénité des campagnes de Louveciennes

VILLETTE SONIQUE

FESTIVAL

Pour sa douzième édition, le festival investit une nouvelle fois le parc parisien, entre têtes d’affiche (Annette Peacock, Einstürzende Neubauten, The Make Up, Royal Trux), rencontres explosives (Keiji Haino et Merzbow, Group Doueh et Cheveu, La Colonie de Vacances), clubbing et guitares, pour une puissante expérience collective. • W. P. Group Doueh et Cheveu

: du 25 au 31 mai à la Villette

LE TESTAMENT DE MARIE

THÉÂTRE

Combien d’images de la Vierge Marie, pour si peu de mots ? Dans son livre, porté à la scène par Deborah Warmer, l’écrivain irlandais Colm Tóibín donne la parole à cette figure centrale et quasi mutique de la Bible. Seule en scène, Dominique Blanc porte la souffrance de celle qui fut, avant tout, une mère déchirée par la perte de son unique fils. • A. J.-C.

L’ART DE DC. L’AUBE DES SUPER-HÉROS

Superman, Batman, WonderWoman, Jaime Jones, 2016

EXPO

Noir et massif, le Batpod de Batman dans The Dark Knight stationne à quelques mètres du costume de Joker porté par Jack Nicholson dans Batman. À travers des planches et des accessoires en tous genres, plein feu sur la mythologie des supers-héros de DC, qui se déploie depuis quatre-vingts ans dans les comics et le cinéma. • O. M.

: jusqu’au 10 septembre à Art ludique – le Musée

102

© ARNAUD CONTRERAS ; CAROLE BELLAICHE ; DC / WBEI

: jusqu’au 3 juin à l’Odéon-Théâtre de l’Europe


GLAMOUR CYCLE

— : jusqu’au 31 mai au Forum des images

© MARS FILM

Café Society de Woody Allen

Des

l’émancipation de l’héroïne jouée par Audrey Hepburn est symbolisée par son audace vestimentaire. À son retour de Paris, celle-ci danse avec Linus (Humphrey Bogart) vêtue d’une élégante robe noire décolletée dans le dos – miroir fantasmé du pouvoir et de la grâce féminine – confectionnée par Hubert de Givenchy à la demande de l’actrice. Pour mieux saisir les liens entre éternité et étoffe, ne manquez pas la rencontre avec Véronique Le Bris, auteure de l’inspiré Fashion & Cinéma (Cahiers du cinéma). • OLIVIER MARLAS OFF

premières stars des années 1930 (Claudette Colbert, Marlene Dietrich) au dernier-né de Woody Allen – le flamboyant Café Society –, le Forum des images dissèque la fabrication du glamour à Hollywood en plus de cinquante films. Sur grand écran, cet idéal de sensualité et de charme s’incarne le plus souvent dans les visages, les gestes et les corps d’actrices devenues des mythes. Indissociable du glamour hollywoodien, la mode est ici largement explorée : dans Sabrina de Billy Wilder (1955), par exemple,

LA BIBLIOTHÈQUE, LA NUIT

EXPO

La bibliothèque Alexandrina, en Égypte, celle du Congrès américain, celle du Nautilus de Jules Vernes : en réponse aux curieux qui se demandent comment dorment les livres, la BnF propose une visite en animation 3D. Casque de réalité virtuelle sur la tête, le spectateur s’aventure dans dix bibliothèques mythiques, réelles et fictives, plongées dans la nuit. • A. C.

: du 16 mai au 13 août à la BnF

DES HOMMES EN DEVENIR

THÉÂTRE

Ils sont cinq sur le plateau à cacher leur peine, parce qu’on leur a appris qu’« un homme, ça ne pleure pas ». L’un a perdu un enfant, l’autre n’a jamais réussi à oublier son amour d’enfance ; tous prendront la parole, pour évoquer ces absences qui les obsèdent, et comment ils réussissent à les surmonter. Et si devenir un homme, c’était apprendre à « faire avec » ? • A. J.-C. © STÉPHANE BOURGEOIS ; EMMANUEL MEIRIEU ; D. R.

: du 23 mai au 10 juin au Théâtre Paris-Villette

POPCORN

EXPO

Dans un parcours pop et inspiré parsemé de pièces design, d’affiches de films, d’installations ludiques ou de projections de films et documentaires éclairants, l’exposition explore les liens entre design et cinéma, comme l’influence du format CinemaScope du western sur le design. • R. S. Vue de l’exposition « Popcorn. Art, design et cinéma »

: jusqu’au 17 septembre au musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne

SUR TROISCOULEURS.FR/PLANSCOUL


SONS

BRUXELLES CALLING — : « Ipséité » de Damso (Capitol) • « Morale 2 » de Roméo Elvis et Le Motel (Daring Music) • « Jolie Garce » de Shay (Capitol) • « Zombie Life » de Hamza (Unilab)

© ROMAIN GARCIN

OFF

Damso

Damso,

Shay, Hamza, Roméo Elvis… Le rap belge a le vent en poupe. À tel point que l’on parle désormais moins de rap français que de « rap francophone ». Certes, le plat pays de Jacques Brel n’a évidemment pas attendu 2016 pour se mettre au hip-hop – on se rappelle Benny B, au début des années 1990. Mais Internet décloisonne la musique, et, l’an dernier, il fallait être sourd pour ne pas remarquer la belle déferlante belge. « Ça ne me surprend pas, commente Damso, en haussant ses larges épaules, il y a du talent. Mais c’est un peu dommage de nous mettre tous dans le même panier, car on a chacun notre style. » Effectivement, il y a un monde entre les gimmicks à la sauce Atlanta de Hamza et les envolées afro-pop de Shay. Idem entre le gendre idéal Roméo Elvis (lauréat de trois Red Bull Elektropedia Awards, les Victoires de la musique belges, en 2016) et le bad boy Damso (Disque d’or en France avec Batterie faible), comme en témoignent leurs hymnes respectifs à Bruxelles : là où Roméo Elvis cultive le

SI TON ALBUM ÉTAIT UN FILM ? « Ce serait une tentative d’autoportrait composée de monologues où je projetterais mes pensées sur la société – comme si cette dernière n’avait qu’une seule voix et s’interrogeait sur ce qu’elle est. Le héros aurait les lunettes de soleil du Léon de Luc Besson. Mais ce

politiquement correct décontracté (« Bruxelles arrive, on est serrés dans une caisse »), Damso multiplie les punchlines hardcore sur « Bruxelles Vie ». « L’idée était de planter notre étendard pour mieux aller de l’avant, avec de la bonne musique, précise Damso, mais pas de dire qu’on fait du “rap belge”. Carcan inutile. Est-ce qu’on passe son temps à rappeler à Drake qu’il est canadien ? Trop revendiquer son lieu d’appartenance, c’est se sous-estimer. » Biberonné à 50 Cent et adoubé par Booba, Damso respecte ceux qui tracent leur voie en solo. « Avec le succès de Batterie faible, j’ai perdu beaucoup de gens. La question de rester soi-même malgré les tentations s’est posée. D’où le titre de l’album, Ipséité, qui renvoie à l’essence de la personnalité. » Ce lecteur de manuels de développement personnel est loin d’être rassasié. « Le jour où je ferai un morceau avec Rihanna et qu’on trouvera ça normal, là, O. K. ! Je veux faire une musique qu’un Américain pourra apprécier, comme moi j’apprécie la musique non francophone. » Riri, si tu nous lis. • ÉRIC VERNAY

ne serait pas un film d’action. Plutôt un thriller mental à la Shutter Island de Martin Scorsese – le fantasme et la réalité resteraient en balance jusqu’au bout. Derrière la caméra, Christopher Nolan, pour le côté Memento. Avec Jon Hamm de Mad Men dans un vrai rôle à contre-emploi – bien déjanté, mal à l’aise. » DAMSO

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PHILHARMONIE DE PARIS

JUKEBOX IN 30 JU au ILLET 10 JU 7 201

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KINTSUGI

: « Yoshitsune » Festival Permanent)

L’épopée de Yoshitsune, seigneur de guerre de l’époque des samouraïs, mise en musique par Serge Teyssot-Gay (Noir Désir), le violoncelliste Gaspar Claus et la virtuose du biwa Kakushin Nishihara. Celle-ci chante et joue la partition classique de ce conte japonais écrit au viiie siècle, sur les arrangements électriques, dissonants et tempétueux de ses deux complices. Entre tradition et modernité, rencontre et collision. • W. P.

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MAC DEMARCO Le Peter Pan de l’indie pop peut-il d’un coup se changer en vieux schnock, comme le suggère le titre de son nouvel album ? Certes, son songwriting aigre-doux y gagne une précision qui peut passer pour de la maturité et le rapproche des classiques qu’il convoite. Certes, il a (presque) cessé ses bouffonneries sur le Net. Mais sa musique reste – heureusement – celle d’une adolescence qui se veut éternelle. • MICHAËL PATIN

ULRIKA SPACEK : « Modern English Decoration » (Tough Love)

Avec ce deuxième album, Ulrika Spacek enfonce le clou d’un rock mélodique, tendu et complexe qui n’aurait pas dépareillé dans le catalogue du label Dischord (Fugazi, Antelope). Sauf que ces Anglais savent aussi quitter des yeux l’Amérique pour se souvenir qu’ils ont les Beatles et Spacemen 3 à domicile. D’une classe unique, Modern English Decoration accorde aux guitares saturées une nouvelle nationalité. • M. P. ILLUSTRATION : SAMUEL ECKERT

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Design & Photo Akatre assisté de Thomas Portevin

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Porte de Pantin


SÉRIES

ATLANTA

© 2016, FX NETWORKS

— : Saison 1 sur OCS City —

OFF

Jamais

là où on l’attend, la comédie Atlanta se joue finement des représentations, pour tendre le micro à une classe moyenne noire rarement écoutée. Et fait entendre la petite musique singulière de son créateur et acteur principal, Donald Glover. À l’opposé de tous ces humoristes tentés à la télé par l’egotrip semi-autobiographique, l’acteur de Community s’efface avec humilité derrière son sujet. Tout ne tourne pas autour d’Earn, le précaire surdiplômé qu’il incarne. Les autres personnages ont du champ pour s’affranchir des étiquettes que l’on serait tenté de leur accoler : Alfred, le cousin rappeur ; Darius, le pote glandeur ; ou Van, l’ex-compagne, toute désignée pour être la sacrifiée de cette série de potes. Atlanta ne revendique rien, sinon ce droit de résister au catalogage. Ici,

REVOIS

chaque dollar compte, mais le misérabilisme n’est pas au programme. Tendre, drôle, parfois absurde (Glover a été auteur sur 30 Rock), la série sait être mordante. Elle prendrait presque, par moments, des accents marxistes, comme dans cette scène où une mondaine noire exprime son mépris de classe pour le rap business. Ne ratez pas l’épisode parodie d’un talk-show ciblant les Afro-Américains. Épique ! De tous les stéréotypes détricotés ici, celui que Glover déjoue avec le plus de brio est d’ailleurs celui de la star noire forcément condamnée à piloter une série ghetto. Atlanta a remporté dès sa première saison le Golden Globe de la meilleure série télé dans la catégorie comédie. La maturité créative de Glover, 33 ans et une riche carrière musicale menée en parallèle sous le pseudo Childish Gambino, force le respect. • GRÉGORY LEDERGUE

VOIS

PRÉVOIS

LES GRANDS

LEGION

Diffusée fin 2016 sur OCS, cette teen série française pose un regard très juste sur l’adolescence, en déroulant sur toute sa première saison l’année de troisième d’un groupe de collégiens – entre émois, blagues potaches et tragédies. La réalisation, signée Vianney Lebasque, est particulièrement soignée, et les jeunes comédiens, tous bien dirigés. • G. L .

L’overdose de super-héros guettant, la chaîne FX a pris un risque à adapter un énième personnage Marvel, en l’occurrence un mutant télépathe issu de l’univers X-Men. Sauf qu’elle a confié le développement de Legion à Noah Hawley, le génie derrière la série Fargo, qui en tire un trip aux confins de la folie, inquiétant et stylé (ambiance sixties en B. O.). L’anti-Iron Fist. • G. L .

chez AB Vidéo

sur OCS Max

: Saison 1 à revoir en DVD

: Saison 1 à découvrir

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THE UNDERGROUND RAILROAD Fraîchement récompensé d’un Oscar pour Moonlight, Barry Jenkins se tourne vers la télé. Il écrira et réalisera pour Amazon l’adaptation en minisérie d’un roman encore inédit en France de Colson Whitehead. L’ouvrage, mêlant réalité historique et fantaisie (l’odyssée d’une esclave en fuite, via un réseau de galeries), a reçu le National Book Award en 2016. • G. L .

: Saison 1 à venir sur Amazon


L es IN

S E L B A S PEN

L’arrache-cœur, version quartier rouge Petite chronique impertinente Alan Matthews est un père sans histoire qui habite une petite maison sur Banister Park. C’est un homme d’affaires, qui collecte des fonds pour une association caritative et s’investit beaucoup dans les activités de l’Église baptiste du coin. Bon. Très bien. Mais que faitil là, éventré dans une maison abandonnée du quartier rouge de Southampton ? Pourquoi envoie-t-on son cœur à sa famille éplorée ? Helen Grace, déjà bien amochée dans la précédente aventure de M.J. Arlidge, prend les rênes de l’enquête. Mais cette fois, elle devra aussi composer avec sa supérieure directe qui entretient des rapports troubles avec la presse. Vite, vite Helen, il faut rattraper ce furet avant qu’il ne fasse d’autres victimes !

Votre voisin est-il un psychopathe ? Selon les statistiques, le serial killer serait plutôt un homme, seul, de type caucasien. Il a généralement moins de 30 ans lorsqu’il commet son premier crime. Mais peut-on vraiment se fier aux statistiques ?

Previously M.J. Arlidge n’en est pas à sa première comptine… Avant Il court, il court, le furet, il nous avait déjà donné Am stram gram. Un jeu de massacre où une victime doit mourir pour qu’une autre vive. Helen Grace avait déjà fort à faire pour retrouver le psychopathe caché derrière ces meurtres sordides. Avec ces thrillers palpitantss une chose est sûre... Arlidge n’écrira jamais Dodo, l’enfant do.

La page au pif Les histoires sorties de l’esprit d’Arlidge nous glacent jusqu’aux os. Daily Mail

www.10-18.fr

Ils lui tinrent tête, voulan t absolument savoir ce qui se passait, elle les attrapa alors par le collet et les fit sor tir de la pièce, tout en appelant au secours, quelqu’un, n’importe qui … Le paquet incriminé res ta seul dans la pièce. À l’intér ieur de son couvercle, ouvert, figur ait une inscription en lettres pou rpres : « Le mâle ». C’était la meilleure façon de présenter ce que renfermait cet horrible carton. Posé sur des journaux sal es en guise d’écrin gisait le cœ ur d’un être humain.


JEUX VIDÉO

OFF

PERSONA 5

Faisant

— : PS3, PS4 (Atlus) —

figure d’exception dans le monde du RPG, la saga Persona dessine le portrait, aussi juste que romanesque, d’une jeunesse japonaise contemporaine. Dans ce cinquième épisode, notre héros, un jeune lycéen taiseux et sans histoire, est injustement accusé d’avoir blessé quelqu’un – en réalité, il l’empêchait d’agresser une femme dans la rue. Placé sous tutelle et envoyé à Tokyo pour continuer ses études, il va devoir se racheter une réputation auprès de ses nouveaux camarades et enseignants qui le traitent en paria. La nuit, il se rêve en super-héros justicier qui affronte les doubles monstrueux des adultes qu’il côtoie le jour. Mais il réalise très vite que ses actions oniriques ont un impact sur son existence. Entre fable

NIER. AUTOMATA Dans un futur apocalyptique, des androïdes sont envoyés sur la Terre pour la débarrasser d’une armée de robots. Mais, peu à peu, leur I. A. se voit rongée par la culpabilité. Derrière ses bastons frénétiques, Nier. Automata cache une incroyable fable humaniste. • Y. F.

: PS4, PC, One (Square Enix)

documentaire et psychanalyse d’un nouveau genre, Persona 5 nous plonge dans la tête d’un lycéen durant une année, nous confiant le soin de décider du moindre de ses choix de vie : aller en cours, tisser des relations avec tel ou tel camarade, pratiquer un hobby, ou explorer son propre inconscient pour se venger d’une réalité trop répressive. Traité comme une anomalie irrécupérable, notre ado se heurte sans cesse à un monde adulte qui tente de le conformer aux impératifs de réussite professionnelle et de soumission aux normes sociales. Un formatage que chacun devra combattre comme il peut, avec l’imaginaire et l’indépendance d’esprit comme seules défenses. Sur le papier, l’idée peut paraître naïve. À l’écran, elle fait l’effet d’une libération inouïe. • YANN FRANÇOIS

WARHAMMER 40 000. DAWN OF WAR III Adaptation fidèle de l’univers Warhammer 40 000, ce troisième Dawn of War entend concilier stratégie et blockbuster. Résultat : un festival d’explosions en tous genres qui se double d’un gameplay plein de finesses tactiques. • Y. F.

: PC (Sega)

MASS EFFECT. ANDROMEDA La saga Mass Effect fait peau neuve, direction la galaxie Andromède, que notre héro(ïne)s va devoir sillonner en quête d’un refuge pour l’humanité. En nous propulsant berger(e) de cet exode, le jeu retrouve sa place de grand space opera. • Y. F.

: PC, PS4, One

(Electronic Arts)

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INDÉ À JOUER Manette dans une main, carnet de notes dans l’autre, notre chroniqueur teste chaque mois une sélection de jeux indés.

Événement : Ron Gilbert et Gary Winnick, le duo mythique derrière Maniac Mansion et Monkey Island, reviennent enfin au point ’n’ click. Thriller surnaturel, Thimbleweed Park (Terrible Toybox, PC, Mac, One) mêle X-Files et Twin Peaks dans un somptueux écrin de pixel art et de vannes au quarantième degré. Pour rester sur une note optimiste, je file sur Snake Pass (Sumo Digital, PC, PS4, One, Switch), jeu incarné par un serpent équilibriste. Contrôlant indépendamment la tête et le corps de mon reptile, je dois serpenter autour d’obstacles toujours plus piégeux pour atteindre la fin du niveau. Toujours en quête d’expériences atypiques, je lance Crawl (Powerhoof, PC, Mac) avec une bande de potes. Prisonnier d’un donjon labyrinthique, un joueur incarne un chevalier en quête de fortune, tandis que les autres doivent prendre le contrôle des monstres présents dans chaque salle pour l’en empêcher. S’il meurt, il échange de rôle avec l’un de ses adversaires. Crawl teinte la quête chevaleresque d’une dimension bouddhiste – tout n’est que réincarnation – et d’une bonne dose d’absurde. Fous rires garantis. Tout le contraire de Hollow Knight (Team Cherry, PC), jeu d’action au principe similaire (un chevalier parcourt des grottes truffées de monstres) mais à l’ambiance bien plus morbide. Habillé comme un film de Tim Burton, le jeu est un enchantement absolu, qui m’hypnotise à mesure qu’il m’enserre dans ses abîmes dépressifs. • YANN FRANÇOIS ILLUSTRATION : SAMUEL ECKERT


LIVRES

DIRTY SEXY VALLEY Pour

fêter la fin de leurs études et sceller leur amitié, trois garçons et trois filles louent un van et partent séjourner dans une cabane en forêt, avec l’intention plus ou moins avouée de s’adonner là-haut à divers débordements. Ce qu’ils ignorent, c’est qu’un couple qui randonnait dans le coin quelques jours plus tôt a disparu dans des circonstances mystérieuses… Vous avez l’impression de reconnaître le pitch d’un film gore des années 1970 ? C’est exprès. Scénariste de métier, grand amateur de cinéma d’épouvante et de séries Z, Olivier Bruneau a écrit Dirty Sexy Valley en s’inspirant du canevas type des classiques du genre. Certes, il n’est pas le premier à s’adonner au pastiche romanesque de films d’horreur – on se souvient, ces dernières années, de 10 000 litres d’horreur pure. Modeste contribution à une sous-culture de Thomas Gunzig, hommage dégoulinant au slasher movie, ou de La nuit a dévoré le monde de Pit Agarmen (alias Martin Page), variation sur le film de zombies. Mais Bruneau pousse le bouchon plus loin, mélangeant gaiement les codes du sous-genre redneck (de braves citadins, aventurés dans un milieu sauvage, tombent sur une famille de ploucs dégénérés et violents) avec ceux du film de sexploitation, tout lui étant prétexte pour écrire des scènes de sexe. Le résultat, grotesque, régressif à souhait et franchement drôle, fait penser à un mélange de Jess Franco, de Massacre à la tronçonneuse et d’American Pie, avec une sorte d’intellectualisation sous-jacente qui rappelle un peu Quentin Tarantino. Les cinéphiles seront sensibles aux innombrables

clins d’œil (« C’était une plainte étouffée, qui semblait provenir de derrière la porte verte ») ; les érotomanes, aux scènes porno (une page sur deux) ; et tout le monde, à l’humour noir et sarcastique de l’auteur, capable d’images fort curieuses (levrette et missionnaire, « les deux faces d’un steak haché »). « J’héberge en

OFF

Vous avez l’impression de reconnaître le pitch d’un film gore des années 1970 ? C’est exprès.

RÉVEILLON Le 24 décembre, les habitants d’un immeuble parisien vont, viennent, boivent, s’aiment et se séparent… Une Vie mode d’emploi « new-look », caustique, avec quelques pages aériennes. • B. Q.

: de Pierre Mérot

(Rivages, 263 p.)

moi un genre d’idiot, explique Bruneau dans sa postface, dans le sens noble du terme, un lâcher-prise, une régression salvatrice, et je lui ai laissé la main assez souvent dans l’écriture du roman ». Beaucoup de lecteurs n’auront pas peur d’avouer qu’eux aussi hébergent en eux un idiot, et les idiots sont faits pour s’entendre. • BERNARD QUIRINY

POURQUOI JE PRÉFÈRE RESTER CHEZ MOI

— : « Dirty Sexy Valley » d’Olivier Bruneau (Le Tripode, 270 p.)

CADENCE SECRÈTE

Les hôtels aseptisés, le son rabougri des mp3, les embouteillages à Paris, l’Union européenne… Duteurtre saute du coq à l’âne dans des chroniques pleines de verve. • B. Q.

Un récit sur la vie d’Alfred Schnittke, grand musicien soviétique en butte aux vexations du régime, dans la veine du Fracas du temps de Julian Barnes, sur Dmitri Chostakovitch. • B. Q.

(Fayard, 220 p.)

(Gallimard, 165 p.)

: de Benoît Duteurtre

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: de Paul Greveillac


BD

CRACHE TROIS FOIS Qu’estce-que tu fais là ?

Va-t’en ! Va-t’en !

Compris ?

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Ouste !

— 54 : de Davide Reviati, traduit de l’italien par Silvina Pratt (Ici Même, 568 p.)

Comme

ses amis, que sa mère qualifie de délinquants, Guido est peu motivé par ses études au lycée technique. Dans une Italie rurale où les jeunes s’ennuient, les amitiés d’enfance sont durables, et les secrets de village, bien enfouis dans les consciences et dans les champs. En périphérie stationne une famille de Tsiganes. Suspects idéaux et souffre-douleur, ils agissent en révélateur des bassesses de la communauté. Sur plus de cinq cents pages, dans un dessin noir et griffé qui s’interrompt parfois pour mieux laisser circuler les vides, le fil des souvenirs serpente entre l’enfance et l’adolescence pour retracer la constitution d’une personnalité. En toile de fond, Davide Reviati (déjà auteur de l’excellent État de veille chez Casterman) met en perspective le traitement réservé aux Tsiganes pendant la guerre et leur condition contemporaine. La honte et le remords ne s’effacent pas, et si au début de cette histoire Guido vomit, ce n’est sans doute pas uniquement parce qu’il a abusé du mélange haschich et alcool. • VLADIMIR LECOINTRE 111


mk2 SUR SON 31

TOUT NOUVEAU TOUT BEAU

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mk2 Bastille (côté Fg St Antoine)

mk2 Bastille (côté Fg St Antoine)

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s’agrandit ! Situé au 5, rue du Faubourg-Saint-Antoine, le tout nouveau mk2 Bastille (côté Fg St Antoine) a ouvert ses portes le 21 avril dernier. Premier cinéma parisien 100 % projection laser, ses trois salles neuves viennent compléter la programmation du mk2 Bastille (côté Beaumarchais), situé à moins de 300 mètres.

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mk2 SUR SON 31 JEUDI 11 MAI UNE HISTOIRE DE L’ART « Le Futurisme : l’exaltation du monde moderne. »

: mk2 Beaubourg à 20 h

SAMEDI 13 MAI VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « Comment la vie est-elle apparue ? »

: mk2 Quai de Loire à 11 h

JEUDI 18 MAI CINÉ-BD À l’occasion de la sortie chez Dargaud de la BD Isadora de Julie Birmant et Clément Oubrerie, séance de dédicace, rencontre avec les auteurs et projection de Relève. Histoire d’une création de Thierry Demaizière et Alban Teurlai.

: mk2 Quai de Loire à partir de 18 h

NOS ATELIERS PHOTO ET VIDÉO « Le stockage, la résolution et l’impression. »

: mk2 Bibliothèque CYCLE « L’ESPRIT FRANÇAIS » En parallèle de l’exposition « L’esprit français. Contre-cultures, 1969-1989 » (à La Maison rouge), projections d’Ils ont tué Kader, de Zone immigrée et du Garage par le Collectif Mohamed.

à 19 h 30

: mk2 Bastille

à 20 h

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Comment viennent les idées ? » Avec Alexandre Lacroix.

CINÉ-JAM D’EDGAR SEKLOKA Charlot mitron de Charlie Chaplin, featuring Blick Bassy.

: mk2 Gambetta

UNE HISTOIRE DE L’ART « La naissance des abstractions. »

LES RENDEZ-VOUS DES DOCS « L’économie vue par Charlie. » Projection d’Oncle Bernard. L’anti-leçon d’économie de Richard Brouillette, en présence du cinéaste.

: mk2 Quai de Loire à 20 h

MARDI 16 MAI UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Le geste voyeuriste. Derrière le rideau. »

LUNDI 22 MAI LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Est-ce manquer d’ambition que d’être un ambitieux ? »

: mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30

LÀ OÙ VA LE CINÉMA À LA DÉCOUVERTE DES ARTISTES DU FRESNOY « Petites dramaturgies. » Maya Da-rin, Bertrand Dezoteux, Armand Morin, Pierre Mazingarbe, Florent Trochel.

: mk2 Beaubourg à 20 h

: mk2 Grand Palais à 19 h

UNE HISTOIRE DE L’ART « Marcel Duchamp l’inclassable. »

: mk2 Beaubourg à 20 h CINÉ-JAM D’EDGAR SEKLOKA Charlot et le Comte de Charlie Chaplin, featuring Abdominal.

MARDI 6 JUIN UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Le geste fantastique. Aux frontières du réel ! »

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

JEUDI 8 JUIN UNE HISTOIRE DE L’ART « Entre provocation et humour : Dada. »

: mk2 Beaubourg à 20 h

SAMEDI 10 JUIN VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « Les extra-terrestres existent-ils ? »

: mk2 Quai de Loire à 11 h

LUNDI 12 JUIN LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Faut-il chercher à viser l’excellence ? »

: mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30

: mk2 Odéon (côté St Michel)

RENCONTRE AVEC LAUREN GREENFIELD Rencontre exceptionnelle avec la photographe et réalisatrice américaine, auteure du documentaire The Queen of Versailles, à l’occasion de la parution de son livre Generation Wealth.

JEUDI 1ER JUIN

: mk2 Beaubourg

MARDI 23 MAI

à 20 h

MERCREDI 17 MAI

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

à 20 h

: mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30

UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Le geste violent. Pas de quartier ! »

: mk2 Gambetta à 20 h

(côté Beaumarchais) à 11 h

LUNDI 15 MAI

MARDI 30 MAI

UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Le geste érotique : corps à corps. »

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

LUNDI 29 MAI LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « De quoi devrions-nous vraiment avoir honte ? »

: mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30

MARDI 13 JUIN UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Le geste horrifique. La nuit de l’angoisse ». Projection de Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper.

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

SOIRÉE BREF Programmation thématique autour d’un court métrage de Jean Renoir.

: mk2 Quai de Seine à 20 h

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