NOV. 2017
NO 156 GRATUIT
EN ATTENDANT LES HIRONDELLES
LE CINÉMA ALGÉRIEN EN MOUVEMENT
ÉDITO Ça bouge
du côté du cinéma algérien. Et c’est un petit miracle, dans un pays qui a vu son système de production, de distribution et de diffusion des films s’effondrer progressivement au fil des années 1980 pour sombrer complètement pendant la « décennie noire », la guerre civile des années 1990. Déjà annoncée l’an dernier par le documentaire Dans ma tête un rond-point de Hassen Ferhani, et l’année précédente par le moyen métrage de Karim Moussaoui, Les Jours d’avant, cette vitalité nouvelle bouillonne cet hiver avec la sortie d’En attendant les hirondelles du même Moussaoui, dont l’une des héroïnes fait la couverture dansante de ce numéro, et des Bienheureux de Sofia Djama. Deux premiers longs métrages agités par le même désir de raconter la diversité, les espoirs et les contradictions d’un pays pris entre léthargie et envie d’avancer. Deux films qui font du mouvement une nécessité politique : « Ce sont les gens qui portent et transforment le système, pas l’inverse. Je crois à une révolution des individus », nous a confié Moussaoui. Le premier en sillonnant les routes du pays au gré des déambulations de personnages contraints de faire un choix, le second en arpentant les rues escarpées d’Alger au rythme impatient de ses deux héroïnes. Une agitation collective et vivifiante, qui commence parfois par un pas de danse. • JULIETTE REITZER
POPCORN
P. 12 RÈGLE DE TROIS : JEAN-BAPTISTE THORET • P. 14 SCÈNE CULTE : LES DIABOLIQUES • P. 22 LA NOUVELLE : ILIANA ZABETH
BOBINES
P. 26 ENTRETIEN DU MOIS : LYNNE RAMSAY • P. 30 EN COUVERTURE : PALPITANTE ALGÉRIE • P. 44 PORTRAIT : FÉLIX MOATI
ZOOM ZOOM P. 62 ARGENT AMER • P. 64 12 JOURS P. 65 LA VILLA
COUL’ KIDS
P. 80 LA CRITIQUE D’ÉLISE : COCO • P. 82 L’INTERVIEW D’ANNA : FRÉDÉRIC BONNAUD, DIRECTEUR DE LA CINÉMATHÈQUE
OFF
P. 94 SPECTACLES : THÉO MERCIER • P. 98 CONCERTS : KING KRULE • P. 104 SÉRIES : MINDHUNTER
ÉDITEUR MK2 AGENCY — 55, RUE TRAVERSIÈRE, PARIS XIIE — TÉL. 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : ELISHA.KARMITZ@MK2.COM | RÉDACTRICE EN CHEF : JULIETTE.REITZER@MK2.COM RÉDACTEURS : QUENTIN.GROSSET@MK2.COM, JOSEPHINE.LEROY@MK2.COM, TIME.ZOPPE@MK2.COM DIRECTION ARTISTIQUE : KELH (CONTACT@KELH.FR) | GRAPHISTE : JÉRÉMIE LEROY | SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : VINCENT TARRIÈRE STAGIAIRE : EDGAR MERMET | ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : CHRIS BENEY, HENDY BICAISE, LOUIS BLANCHOT, JULIEN BÉCOURT, LILY BLOOM, RENAN CROS, ADRIEN DÉNOUETTE, JULIEN DOKHAN, JULIEN DUPUY, MARIE FANTOZZI, YANN FRANÇOIS, CLAUDE GARCIA, AÏNHOA JEAN-CALMETTES, RAMSÈS KEFI, ASSIA LABBAS, VLADIMIR LECOINTRE, GRÉGORY LEDERGUE, STÉPHANE MÉJANÈS, JÉRÔME MOMCILOVIC, WILFRIED PARIS, MICHAËL PATIN, PERRINE QUENNESSON, BERNARD QUIRINY, MARION ROSET, CÉCILE ROSEVAIGUE, ÉRIC VERNAY, ANNE-LOU VICENTE, ETAÏNN ZWER & ÉLISE ET ANNA | PHOTOGRAPHES : VINCENT DESAILLY, ROMAIN GUITTET, PALOMA PINEDA, PHILIPPE QUAISSE | ILLUSTRATEURS : PABLO COTS, SAMUEL ECKERT, ÉMILIE GLEASON, PABLO GRAND MOURCEL, LINDA MERAD, DAVIDE SARACENO, PIERRE THYSS | PUBLICITÉ | DIRECTRICE COMMERCIALE : EMMANUELLE.FORTUNATO@MK2.COM RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE : STEPHANIE.LAROQUE@MK2.COM | CHEF DE PROJET CINÉMA ET MARQUES : CAROLINE.DESROCHES@MK2.COM | RESPONSABLE CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : ESTELLE.SAVARIAUX@MK2.COM CHEF DE PROJET CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : FLORENT.OTT@MK2.COM TROISCOULEURS EST DISTRIBUÉ DANS LE RÉSEAU LE CRIEUR CONTACT@LECRIEURPARIS.COM © 2017 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / DÉPÔT LÉGAL QUATRIÈME TRIMESTRE 2006 — TOUTE REPRODUCTION, MÊME PARTIELLE, DE TEXTES, PHOTOS ET ILLUSTRATIONS PUBLIÉS PAR MK2 AGENCY EST INTERDITE SANS L’ACCORD DE L’AUTEUR ET DE L’ÉDITEUR. — MAGAZINE GRATUIT. NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE.
INFOS GRAPHIQUES
À
RUÉE VERS L’OR
l’occasion de la ressortie d’Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia de Sam Peckinpah (1975), dans lequel un bandit commandite le meurtre de l’amant de sa fille, on dresse le palmarès des récompenses promises dans les plus fameux films de chasseurs de primes américains. Certaines têtes valent leur pesant d’or, mais rapportent-elles gros au box-office ? • JOSÉPHINE LEROY
MIDNIGHT RUN
APPORTEZ-MOI LA TÊTE D’ALFREDO GARCIA
(1988) DE MARTIN BREST
JONATHAN MARDUKAS
(1975) DE SAM PECKINPAH
ALFREDO GARCIA
100 000 $ RÉCOMPENSE :
RÉCOMPENSE :
1 MILLION DE PESOS
BOX-OFFICE :
38 413 606 $
LE CHASSEUR
(1981) DE BUZZ KULIK
BOX-OFFICE :
2 168 998 $ L’APPÂT
(1953) D’ANTHONY MANN
TONY BERNARDO
BEN VANDERGROAT
RÉCOMPENSE :
RÉCOMPENSE :
8 000 $
5 000 $
BOX-OFFICE :
BOX-OFFICE :
16 274 150 $
2 423 000 $
LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND (1968) DE SERGIO LEONE
TUCO
RÉCOMPENSE :
2 000 $ BOX-OFFIC
E :
6 100 000 $ Source : IMDB (box-office U.S.)
ÉMOPITCH MARVIN OU LA BELLE ÉDUCATION D’ANNE FONTAINE (SORTIE LE 22 NOVEMBRE, LIRE P. 76) 6
CLOTILDE HESME FABRIZIO RONGIONE
THOMAS
SUIRE
GREGORY
MONTEL
UN FILM DE
FABIEN GORGEART
CRÉDITS NON CONTRACTUELS
LE 15 NOVEMBRE
FAIS TA B.A.
À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketches). POUR VOTRE PÈRE, UN ARCHÉOLOGUE QUI VIT MAL SA RETRAITE Armé d’une pelle, d’une pioche et de pinceaux, votre papa a toujours aimé farfouiller le sol terreux à la recherche de traces de vies anciennes. Décidément, à 64 ans, il ne se fait pas à la retraite. Sortez-le de son quotidien « marché bio-dodo » et emmenez-le à l’expo qui célèbre le centenaire de Jean Rouch, un explorateur lui aussi infatigable.
: « Jean Rouch. L’homme-cinéma », jusqu’au 26 novembre à la BnF
POUR CE RADIN DE PATRICE QUI NE VEUT PAS DÉPENSER UN KOPECK POUR UN CINOCHE Patrice adore aller au cinéma, mais il trouve ça trop cher. Patrice vous irrite, mais c’est votre oncle. Autorisez-vous une petite provocation en proposant à ce cinéphile une CinéBox, un coffret contenant deux films, une revue et des surprises. Il en sort une par trimestre, et la première est sur les gangsters. Et ça coûte 35 €, Patrice.
: CinéBox (Blaq Out)
POUR VOTRE MEILLEURE POTE QUI, QUAND ELLE BOIT TROP, SOUFFRE D’AMNÉSIE © NETFLIX
Son truc, c’est de vous appeler le dimanche après-midi, quand son esprit commence à s’éclaircir après une sévère gueule de bois. D’abord barbouillée, elle prend vite peur quand elle se remémore ses aventures nocturnes. Regardez ensemble She’s Gotta Have It, la série de Spike Lee avec une héroïne aux trois amants : c’est compliqué mais elle gère.
: « She’s Gotta Have It », sur Netflix à partir du 23 novembre
© MUSÉE JEAN GABIN
POUR HENRI, CET ANCIEN RÉSISTANT QUI PASSE SES JOURNÉES SUR LE BANC DU QUARTIER Résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, Henri vous attendrit : plutôt que de ressasser ses vieilles histoires, il raconte plein d’anecdotes rigolotes. Proposez-lui l’expo consacrée aux années de guerre de Jean Gabin, son acteur préféré. Ça lui rappellera cette fois où, devant Pépé le Moko, il a pécho.
:
« Jean Gabin dans la guerre (1939-1945) »,
jusqu’au 18 février au musée du général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris – musée Jean Moulin Jean Gabin et l’équipage du Souffleur II
POUR NELLY, VOTRE GARDIENNE D’IMMEUBLE, UNE MYTHOMANE PLEINE DE RESSOURCES Avec ses tongs léopard, ses cheveux blond platine enroulés dans un chignon anarchique, Nelly vous a à la bonne. Dès qu’elle vous voit, elle vous montre des photos d’elle aux côtés de stars qu’elle a côtoyées dans sa jeunesse. Surtout, elle s’invente des ex : Pasolini, Delon, Brando… Faites-lui lire l’autobiographie de Massimo Gargia, ça va la calmer.
: « La Double Vie » de Massimo Gargia (Favre, 196 p.), à paraître
• JOSÉPHINE LEROY 8
Lewis Baltz I Gabriele Basilico I Elina Brotherus I Thibault Brunet I Stéphane Couturier I Thibaut Cuisset I Raymond Depardon I Robert Doisneau I Valérie Jouve I Michael Kenna I Dolorès Marat I Bernard Plossu I Cyrille Weiner...
une aventure photographique 1984-2017
exposition François-Mitterrand, Paris 13e 24 octobre 2017 4 février 2018 bnf.fr
Avec le soutien de Picto Foundation, le fonds de dotation des laboratoires Picto
Dans le cadre de Paris Photo 2017
Cyrille Weiner, série « La Fabrique du pré », 2004 - 2014. Le cheval de trait de Roger des Prés sur le Grand Axe, Nanterre, 2008 Collection particulière © Cyrille Weiner / BnF, délégation à la communication
paysages français
CHAUD BIZ
POPCORN
C’EST QUOI, LES TAXES NETFLIX ET YOUTUBE ?
Alors
que Bruxelles commence seulement à montrer les dents face aux géants du web (Google, Amazon, Facebook, Apple et consorts), la France, de son côté, gagne des points dans son combat donquichottesque pour l’exception culturelle. Depuis que les soirées Netflix and chill sont devenues l’équivalent officiel d’un resto-ciné pour pécho, ça hurle du côté de l’industrie audiovisuelle française, qui se sent un peu spoliée de tous les côtés. Cependant, il faut vivre avec son temps. Et ça, le gouvernement l’a bien compris. Surtout, il a remarqué avec quel talent certaines sociétés ont su éviter, en s’exilant à l’étranger, de payer leur part du gâteau (coucou l’évasion fiscale !) tout en paradant avec la fève. Un comportement qui ne passe pas vraiment – si tous les acteurs de la filière française payent, alors eux aussi doivent passer à la caisse. C’est pour ça qu’en 2013 et 2016 ont été votés (non sans peine, sinon ce ne serait pas vraiment made in France) deux amendements, un pour les plates-formes de streaming payantes type Netflix, et un autre pour celles permettant de regarder des vidéos gratuitement type YouTube – d’où leurs petits surnoms : taxe Netflix et taxe YouTube.
Qu’elles soient françaises ou étrangères, ces plates-formes sont désormais taxées à hauteur de 2 % sur leurs recettes dans l’Hexagone, afin de contribuer au financement de la création française. Le taux monte à 10 % dans le cadre de revenus issus de « contenus à caractère pornographique ou violent ». Et, en septembre, ces taxes sont devenues effectives, notamment grâce à la validation de Bruxelles, en pleine prise de conscience généralisée façon « oh, mais on se fait avoir par les grosses entreprises mondiales, non ? ». Cette approbation par la Commission européenne était nécessaire, car ces impôts vont affecter des sociétés dont le siège est situé dans d’autres pays européens. Mais où va l’argent ? Grande question ayant ici une réponse : au CNC. Qui, pas bégueule, va en échange mettre en œuvre des soutiens sélectifs aux créateurs du web. Gagnant-gagnant pour tout le monde ? Pas tout à fait, car le risque est grand de ne pas réussir à recouvrir ces taxes, pour ce qui concerne les sociétés hors Hexagone. L’autre risque étant de voir des plates-formes augmenter leurs tarifs – certaines n’ont d’ailleurs pas hésité longtemps (hein, Netflix ?). • PERRINE QUENNESSON ILLUSTRATION : ÉMILIE GLEASON
Mais où va l’argent ? Grande question ayant ici une réponse : au CNC.
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RÈGLE DE TROIS
JEAN-BAPTISTE THORET Trois personnages avec qui tu partirais en road trip à travers les États-Unis ? L’Indien de Vol au-dessus d’un nid de coucou de Miloš Forman, pour le plaisir de discuter avec lui – le road trip, c’est une enquête sur ce qui nous entoure autant que sur nous-mêmes. Je choisirais aussi le jardinier interprété par Peter Sellers dans Bienvenue Mister Chance de Hal Ashby, dont on ne sait pas vraiment s’il est idiot, fou, naïf ou candide. Et, pour l’amusement, je prendrais Jack Nicholson, celui de Cinq pièces faciles de Bob Rafelson. Trois films que tu aurais adoré vivre ? Plutôt des films qui présentent une époque, une ville ou une société dans laquelle j’aurais aimé vivre. Bullitt de Peter Yates ou L’Inspecteur Harry de Don Siegel, pour le San Francisco de la fin des années 1960. J’ai également une appétence pour les films de Noël, je citerais donc Gremlins de Joe Dante et La vie est belle
de Roberto Benigni. J’aurais aussi aimé connaître l’Italie des années 1960, la Rome d’Une vie difficile de Dino Risi, par exemple. Trois films que tu conseillerais pour comprendre l’Amérique de Donald Trump ? Pour comprendre l’Amérique, il faut saisir les valeurs fondamentales du peuple américain – son attachement à la liberté, sa méfiance vis-à-vis du gouvernement et des banques. C’est ce que font, par exemple, John Ford avec Les Raisins de la colère et Phil Karlson avec Justice sauvage. Ces films traitent de la revanche des Blancs, de la corruption, des puissants… tous les thèmes que Trump a utilisés. J’ajouterais Network. Main basse sur la T.V. de Sidney Lumet, puisque Trump est une créature de la télévision, un simulacre de contre-culture. Trois rencontres avec des cinéastes qui t’ont marqué ? Michael Cimino, que j’ai eu la chance de rencontrer il y
— : « We Blew It » de Jean-Baptiste Thoret (Lost Films, 2 h 17), sortie le 8 novembre
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© D. R.
Dans son remarquable documentaire We Blew It (lire p. 66), le critique de cinéma Jean-Baptiste Thoret (France Inter, Libération) tente de comprendre comment l’Amérique est passée de la vision utopique des sixties à celle de Donald Trump. Il a répondu à notre questionnaire cinéphile.
a trois ans, pour mon livre [Michael Cimino. Les voix perdues de l’Amérique, paru chez Flammarion en 2013, ndlr]. Après avoir longuement hésité à accepter l’entretien, il m’a dit : « OK, mais si tu veux comprendre mes films, il faut prendre la route avec moi. » Dino Risi, que j’ai eu la chance de voir avant qu’il ne meure – pour son élégance, sa pertinence, son acuité. Et puis le plus gentil de tous, George A. Romero, un cinéaste généreux et modeste, qui représente la quintessence de ce que j’aime dans le cinéma américain. Trois plumes qui ont été déterminantes pour la construction de ta cinéphilie ? Ce n’est pas très original, mais je dirais Serge Daney et Charles Tesson des Cahiers du cinéma, ainsi que la critique américaine Pauline Kael. • PROPOS RECUEILLIS PAR EDGAR MERMET
LE BRAS CASSÉ
PLAGIAT
Chaque mois, les aventures d’un bras cassé du ciné. Au lycée, ta gueule de tarte chinoise (deux couches d’acné plus un duvet sur la gorge) t’obligea à affiner tes tactiques de séduction. La lumière fut, sur un banc près d’un Lidl, un mois avant le bac. À Daphné, tu glissas une punchline de Chuck Norris – l’Américain qui défia Bruce Lee – sur les affres de l’âme humaine. Le soir même, tu recevais un SMS : « Quelle culture ! Je crois que je tombe amoureuse. » Tu fis un plongeon torse nu sur la moquette du salon. Ce soir-là était né un rituel : quand une fille te plaisait, tu ne pouvais t’empêcher de glisser, ici ou là, une ou deux répliques de film. C’était ta touche gourmande et, à la longue, ta petite pilule bleue. La plupart du temps, tu les empruntais à des œuvres diffusées à 3 h 14 du matin (Primeval, Only the Strong, Dans les griffes d’une blonde, Sous le signe du tigre…), pour ne pas te faire pincer,
en les introduisant, en salopard fini, par un « comme j’ai toujours dit ». Ton père, transfiguré par Le Parrain, avait le même vice. Lors d’une réunion parents-enseignants au collège, il avait totalement dérapé avec ta prof de musique. « Votre fils a un grave problème. Est-ce que ça va à la maison ? — C’est une insulte à mon intelligence… (Avec un costume Celio et une voix de grand truand.) - Quelle intelligence ? Votre gamin a été vu en train de se désaltérer dans une flaque d’eau. » L’ironie a fini par avoir raison de tes conneries. Il y a un mois, tu as croisé Daphné dans une boucherie veggie. Au fil des jours, ton cœur s’est mis à battre, comme autrefois. Superstitieux, tu as décidé de lui écrire, en invoquant de nouveau le grand Chuck. Réponse cinglante : « Tu crois vraiment que tu vas m’impressionner une seconde fois avec les répliques d’un karatéka velu ? » • RAMSÈS KEFI — ILLUSTRATION : PIERRE THYSS
Concerts Installations DJ set guimet.fr
Katsuya tomita samedi 2 décembre 18h30-23h30
Musée national des arts asiatiques – Guimet 6 place d’Iéna 75116 Paris
SCÈNE CULTE
© D. R.
LES DIABOLIQUES
POPCORN
« Avale ! » Le
les gamins de déjeuner. Face à la cruauté de la punition, la directrice craque. Un terrible plan d’ensemble montre la pièce presque déserte, le mari et sa maîtresse à la table des adultes, la femme seule en larmes à une table d’enfants. Le cynisme morbide des injures monte d’un cran et la maîtresse quitte les lieux, laissant le couple à sa dispute. Il avance, elle recule, tous deux disparaissent hors champ. Cris étouffés. Viol conjugal dans l’angle mort. Il ne reste plus que nous, spectateurs, dans le grand réfectoire, témoins impuissants de la banalité du mal. Tout est dit de la brutalité patriarcale qui divise et infantilise pour mieux régner. Vivement l’heure de la vengeance, se dit-on, pressés d’accepter l’inacceptable, pris au piège diabolique du maestro Clouzot. • MICHAËL PATIN
mari, la femme, la maîtresse… De ce triangle, le théâtre de boulevard a fait son miel racoleur ; Clouzot, lui, en tire le plus amer des poisons. Dans cette adaptation de 1955 d’un roman de Boileau-Narcejac, les héroïnes sont des femmes, et les hommes, de misérables cloportes. Avec, au sommet de l’infamie, monsieur Delassalle (Paul Meurisse), directeur d’une école pour garçons qui prend plaisir à maltraiter sa femme, cardiaque (Véra Clouzot), et à moquer sa maîtresse, l’institutrice (Simone Signoret), avant que les deux femmes ne s’unissent pour le supprimer… On a souvent évoqué les sous-entendus lesbiens du film, mais la grande audace de Clouzot tient dans sa critique de la domination masculine. Dans la scène du réfectoire, il installe patiemment les circonstances qui justifieront le meurtre. La caméra suit le plat de poisson (pas frais) jusqu’à la table des adultes, où le directeur ordonne à son épouse de manger, contre son gré, tandis qu’en fond monte un brouhaha de cantine. « Avale ! » ne cesse-t-il de répéter, avant de faire taire les élèves qui deviennent témoins de l’humiliation. Puis il fait vider la salle, privant
— : Ressortie de l’intégrale des films
d’Henri-Georges Clouzot au cinéma le 8 novembre (Les Acacias) • Exposition « Le Mystère Clouzot », jusqu’au 28 juillet à La Cinémathèque française
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PYRAMIDE PRÉSENTE
UN CULOT INCROYABLE Télérama
UNE SURNATURELLE FABLE PROVOCATRICE Les Inrockuptibles
UN FILM PASSIONNANT Trois Couleurs
après
WHITE GOD
L E 22 N OV E M B R E
C’EST ARRIVÉ DEMAIN
2030
POPCORN
L’ANNÉE OÙ LE FLASH-BACK DEVINT INDISPENSABLE
En
effervescence. Bousculades, cris, liasses de billets lancées en l’air : c’était le moment d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix, une entrée pour un coût modéré et un quart d’heure de film manqué tout au plus ; autant dire bien peu de chose maintenant que la durée moyenne des longs métrages dépassait les quatre heures. C’était malin. Ça le devint moins quand les producteurs se mirent au diapason en ne proposant que des œuvres construites en flash-back. La fin de l’histoire était au tout début du film, le reste racontait ce qui précédait. Pour savoir comment s’achevait un drame, il fallait donc être à l’heure et payer le prix fort, ce que tous les spectateurs firent, sans plus se poser de questions, trop excités à l’idée de se bousculer pour avoir ce privilège. • CHRIS BENEY — ILLUSTRATION : PIERRE THYSS
direct de l’avenir, retour sur une technique de narration enfin rentable. La grande crise de 2029 n’appartenait pas encore au passé. Une place de cinéma au prix d’un billet d’avion : cela n’avait duré qu’une année, mais c’était suffisant pour que le public se détourne des salles, dégoûté. Il appartenait aux économistes de déterminer les véritables causes de cette inflation brutale et rocambolesque. En attendant, les exploitants avaient élaboré une parade : les enchères dégressive. Les tickets étaient mis en vente au prix fort, mais plus les spectateurs potentiels attendaient pour les acheter, plus leur prix baissait. Et il continuait de descendre une fois la séance commencée. Dix minutes après l’extinction des lumières dans la salle, les alentours des cinémas étaient en
REWIND
NOVEMBRE 1997
Sortie d’On connaît la chanson d’Alain Resnais, dans lequel l’historienne Camille Lalande (Agnès Jaoui) se plaint que personne ne s’intéresse à sa thèse sur les chevaliers-paysans de l’an mil au lac de Paladru. Grave erreur ! Le musée archéologique de Paladru (Isère), qui a ouvert ses portes en 1988, s’apprête à déménager en 2019 dans un nouveau et vaste bâtiment, édifié sur ce site médiéval où les archéologues ont exhumé plus de onze mille objets laissé par les fameux chevaliers. • Q. G.
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PYRAMIDE présente
LE MEILLEUR FILM BRITANNIQUE DE L’ANNÉE FESTIVAL DU FILM D’EDIMBOURG
★★★★
★★★★
SUPERBE
EXTRAORDINAIRE
DAILY TELEGRAPH
EVENING STANDARD
★★★★
MAGNIFIQUE EMPIRE
★★★★
IMPRESSIONNANT GUARDIAN
★★★★★
MAGIQUE IRISH TIMES
★★★★
BOULEVERSANT FINANCIAL TIMES
SEULE LA TERRE GOD’S OWN COUNTRY UN FILM DE
FRANCIS LEE
Festival du Film de St Jean de Luz
MEILLEUR RÉALISATEUR MEILLEUR ACTEUR
PRIX DE LA MISE EN SCÈNE
LE 6 DÉCEMBRE
L’ILLUMINÉ
POPCORN
ERASERHEAD VU PAR DAVIDE SARACENO
Après
avoir été directeur artistique à Milan, Davide Saraceno s’est mis à son compte en 2013. Il vient de lancer The Pure Bluff, un projet qui concilie design de marque et impression à la demande. Il s’inspire pour nous du premier long métrage de David Lynch, Eraserhead. « Je suis fasciné par sa mise en scène visionnaire et sa photographie sombre. Lynch est le maître pour créer une réalité intérieure tordue qu’on a envie d’explorer. » • T. Z . (WWW.DAVIDESARACENO.COM / INSTAGRAM : @DAVIDE_SARACENO)
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PAR LES RÉAL ISATEURS DE
L IT TLE M ISS SU NSHINE
OSCAR® DE L A M E I L L E U R E AC T R I C E
N O M M É À L’ O S C A R ® D U M E I L L E U R AC T E U R
EMMA
STEVE
S TO N E
CARELL
( L A B ATA I L L E D E S S E X E S )
CRÉATION
© 2017 TWENTIETH CENTURY FOX FILM CORPORATION. TOUS DROITS RÉSERVÉS. CRÉDITS NON CONTRACTUELS
I L A F A I T U N PA R I E L L E F E R A L’ H I S T O I R E
FOX SEARCHLIGHT PICTURES PRÉSENTE UNE PRODUCTION DECIBEL FILMS / CLOUD EIGHT FILMS UN FILM DE VALERIE FARIS & JONATHAN DAYTON AVEC EMMA STONE STEVE CARELL “BATTLE OF THE SEXES” ANDREA RISEBOROUGH SARAH SILVERMAN BILL PULLMAN ALAN CUMMING ELISABETH SHUE COSTUMES MARY ZOPHRES MUSIQUE NICHOLAS BRITELL MONTAGE PAMELA MARTIN, ACE DÉCORS JUDY BECKER DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE LINUS SANDGREN, F.S.F. PRODUIT PAR CHRISTIAN COLSON, p.g.a. DANNY BOYLE, p.g.a. ROBERT GRAF, p.g.a ÉCRIT PAR SIMON BEAUFOY RÉALISÉ PAR VALERIE FARIS & JONATHAN DAYTON #battleofthesexes
LE 22 NOVEMBRE AU CINÉMA
#foxsearchlight
LE TEST PSYNÉPHILE
ES-TU PROCHE DU BURN-OUT ?
Récemment, tu t’es surpris(e) à…
Devant un film d’horreur…
Dire des saloperies et les regretter tout de suite après.
Tu caches ta tête dans ton pull comme une petite taupe.
Avoir des hallucinations méga chelou.
Tu as des bouffées de chaleur.
POPCORN
Penser que Michael Fassbender était à tes trousses. Un passant te demande si tu passes une belle journée… You’re talking to me? Tu le regardes comme s’il était une effraction de la réalité. Et si c’était lui… ? Avant, tu étais :
Tu as l’impression de revivre le Viêt Nam. La dernière fois que t’as raconté ta vie à quelqu’un, il t’a dit : Tu es marteau ! Je suis juste médecin généraliste. J’ai l’impression que tu me parles en morse. Si je te dis qu’il va bientôt neiger… Ça te donne envie de tronçonner quelqu’un. Tu ne sais pas si c’est dans ta tête ou si c’est réel.
Un petit garçon qui disait toujours non. Un super-héros, un sex-symbol, un dieu vivant quoi.
Tu te mets à chialer en te rappelant qu’un jour tu as été jeune.
Tu n’as jamais vraiment été là en fait.
SI TU AS UNE MAJORITÉ DE : TU ES AU BORD D’UN BURN-OUT ÉPIQUE. Ton pouls accélère quand ton téléphone vibre ? Une envie de meurtre t’irradie quand quelqu’un reste planté devant la porte du métro qui s’ouvre ? Si oui, tu es parisien(ne) et tu comprends le tueur du Bonhomme de neige mieux que personne. Tu vas adorer le voir s’amuser avec Michael Fassbender dans le dernier film de Tomas Alfredson (sortie le 29 novembre).
TU ES DANS L’ŒIL DU CYCLONE, BURN-OUT FORCE 50. Avant, ta vie était légère, tu étais bien dans ta peau, et puis, d’un coup, tu as eu 50 ans et l’envie d’insulter tout le monde. Tu es en pleine tourmente, comme Karin Viard dans Jalouse, la comédie hilarante et délicate des frères Foenkinos (sortie le 8 novembre). Voir ce film bourré de charme, de répliques cinglantes et d’actrices fabuleuses sauvera ton mois de novembre.
TU AS UN TRAUMATISME POST-BURN-OUT. Tu es un(e) survivant(e). Tu as l’air de t’en être tiré(e), mais tu es en vrac. Il faut qu’on parle de A Beautiful Day, le dernier cauchemar éveillé et virtuose de Lynne Ramsay (sortie le 8 novembre). Tu ne seras pas certain(e) que c’est bien arrivé, mais après avoir vu le film, le visage paysage de Joaquin Phoenix te hantera longtemps, comme le chat de Cheshire.
• LILY BLOOM — ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL 20
LA NOUVELLE
POPCORN
ILIANA ZABETH
— : « Le Semeur » de Marine Francen ARP Sélection (1 h 40) Sortie le 15 novembre
—
La
Petite : c’est le surnom, assorti de sourires gentiment moqueurs, donné par les prostituées du beau bordel de L’Apollonide de Bertrand Bonello à Pauline, la dernière recrue, incarnée par Iliana Zabeth, âgée de 19 ans au moment du tournage. Sept ans et quelques rôles plus tard (Fort Buchanan de Benjamin Crotty, Mercenaire de Sacha Wolff), la timide actrice à la chevelure rousse est à l’affiche d’un autre film d’époque foncièrement moderne, Le Semeur (lire p. 74). Son costume, sévère, y contraste avec la liberté de son jeu. « Mon corps était vachement oppressé par le corset, mais je crois que ça a encouragé ma créativité. » Élève aux Arts déco de Strasbourg pendant trois ans, Iliana Zabeth est une rêveuse déterminée qui oscille entre de touchants balbutiements (« Je suis hyper nulle en interview ») et des envolées passionnées (« J’ai une sorte de feu en moi – voilà, c’est ça. Il grandit grâce une émulation collective qui fait qu’on s’oublie »). Tout sauf une petite nature, on vous dit. • JOSÉPHINE LEROY — PHOTOGRAPHIE : PALOMA PINEDA 22
présente LA MODE, UNE HISTOIRE DE STYLE Un cycle de cours avec Des Mots et Des Arts JUSQU’AU 8 MARS 2018 LE JEUDI SOIR À 20H
Conçu pour se vêtir, le costume incarne progressivement une forme d’identité, voire la représentation ostentatoire d’une fonction. L’historienne de l’art Marine Chaleroux évoquera les grandes évolutions de la Haute Couture à travers les couturiers les plus célèbres et leurs créations les plus emblématiques.
9 novembre
Influences orientales et coupes art déco : de Paul Poiret à Madeleine Vionnet
23 novembre
Quand la mode devient un art : Elsa Schiaparelli
7 décembre
La révolution Coco Chanel
21 décembre
Le New Look de Christian Dior
11 janvier
« Décontracté-chic » et glamour : Hubert de Givenchy
25 janvier
Masculin / féminin : Yves Saint Laurent
8 février
Des silhouettes graphiques : Thierry Mugler et Azzedine Alaïa
8 mars
L’invité cinéma : le regard de Laurent Delmas (journaliste et critique de cinéma)
Tarif à l’unité : 20€ Étudiant, demandeur d’emploi, - 26 ans : 15€
Réservation sur www.
.com
TRONCHES ET TRANCHES DE CINÉMA
LYNNE RAMSAY
BOBINES
LA SALE MÉMOIRE
L’Écossaise Lynne Ramsay réalise des portraits troubles et subtils de personnages tourmentés. Après s’être approchée au plus près de la psyché d’une mère de criminel dans We Need to Talk About Kevin (2011), elle revient avec A Beautiful Day, film de vengeance sombre et éthéré dans lequel elle s’intéresse aux traumas de Joe (Joaquin Phoenix), vétéran engagé pour retrouver la fille disparue d’un sénateur. Rencontre. 26
Le titre original du film est You Were Never Really Here. Vous vouliez mettre en scène un héros absent de lui-même ? Oui, j’ai d’ailleurs été surprise que le titre soit changé, ce n’est pas mon choix. You Were Never Really Here, je trouve que ça résonne bien avec ma vision du personnage de Joe, qui pour moi est comme un fantôme qui hante sa propre vie. C’est d’ailleurs drôle, ce titre : il fait un peu écho à I’m Still Here, le mockumentary de Casey Affleck sur le moment où Joaquin Phoenix avait prétendu laisser tomber le cinéma pour se mettre au rap. Dedans, déjà, il apparaissait un peu comme dans votre film : hirsute, flottant, presque spectral… Ha ha, oui, mais c’est juste une coïncidence ! En fait, la nouvelle de Jonathan Ames qui m’a inspirée pour le film s’intitulait déjà You Were Never Really Here. Je ne peux pas vraiment dire s’il y a des correspondances entre les deux films ; j’ai vu celui de Casey il y a trop longtemps. Après, c’est bien cette vulnérabilité de Joaquin qui a fait que j’ai pensé à lui pendant l’écriture du film. D’ailleurs, c’est la première fois que je pense à un acteur en écrivant. Un peu comme Joe, le spectateur traverse votre film dans un état second. Les atmosphères sont sourdes, évanescentes. Comment êtes-vous arrivée à ce résultat ? C’est difficile à dire… D’une part, j’ai pensé A Beautiful Day comme un film sur les bas-fonds new-yorkais à la Samuel Fuller. D’autre part, je voulais aussi qu’il soit une expérience cinématographique excitante et viscérale. Je conçois tous mes films comme des études de personnages, on est toujours un peu dans leur esprit… Il se trouve que j’ai écrit le scénario sur l’île de Santorin, en Grèce, un endroit très calme, très silencieux, qui contrastait vraiment avec New York, où se déroule le film, et où on a tourné dans une sorte d’urgence, en vingt-neuf jours, pendant l’été, alors que le climat était moite et étouffant. Je pense que cela a accentué le fait que je me sente submergée par l’ambiance urbaine, avec tous ces sons agressifs. Je voulais qu’on sente cette énergie oppressante de New York, alors j’ai fait écouter des feux
d’artifice et du verre qui se brise à Joaquin en lui disant : c’est ça qu’il y a dans ta tête. J’aime beaucoup la manière dont vous caractérisez ce personnage : le montage mêle des réminiscences de Joe à ses hallucinations, à ses fantasmes… Pour vous, c’est la meilleure façon de composer un portrait ? Oui, j’ai imaginé faire un collage sur l’état mental d’un homme. C’est comme une tête qui aurait explosé, ou un Picasso, en plus chaotique. Le film avance par fragments et le spectateur doit recoller les morceaux. Vous savez, je m’intéresse beaucoup à la psychologie. Tous les cinéastes que j’aime sont d’ailleurs un peu des psys amateurs : Ingmar Bergman, Andreï Tarkovski, ou même Stanley Kubrick ! Shining est un film d’horreur, mais c’est avant tout l’histoire d’un homme qui devient fou. On retrouvait déjà cette manière de monter par bribes dans We Need to Talk About Kevin, votre précédent film. Vous aimez désorienter le spectateur ? J’aime quand le cinéma va vers l’onirisme, quand il propose des trips à la David Lynch. Souvent, les réalisateurs utilisent le flash-back pour éclaircir un point de leur intrigue ; moi, je préfère l’utiliser de manière plus elliptique. Bon, pour We Need to Talk About Kevin, on a aussi tout simplement dû couper certaines séquences par manque de budget ! Du coup, il a fallu monter le film comme un puzzle. Sur A Beautiful Day, il s’agit surtout d’un jeu de balancement : tantôt on est dans le film noir ; tantôt on est dans l’espace mental torturé de Joe. Les sons et la musique composée par Jonny Greenwood de Radiohead se présentent également de manière discontinue… Comment avez-vous travaillé cet aspect ? Jonny était en tournée avec Radiohead et, au cours du tournage, je lui envoyais cinq minutes du film par-ci, quinze minutes par-là. Il composait la musique par à-coups, mais, entre les différentes séquences que je lui envoyais, le film partait dans des directions très différentes. C’est dû à ce que proposait Joaquin pour son personnage : c’était parfois complètement inattendu ! Du coup, la musique épouse les aspérités du personnage. Joe est un ancien soldat tourmenté par ses souvenirs du champ de bataille. Vous vous êtes documentée sur ce genre de traumatismes ? J’en ai une certaine expérience, parce que ma sœur a été flic en civil à Glasgow. Elle était très jeune et a souffert de ce genre de
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INTERVIEW
LYNNE RAMSAY
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Ekaterina Samsonov et Joaquin Phoenix
« J’ai imaginé un collage sur l’état mental d’un homme, comme une tête qui aurait explosé, ou un Picasso, en plus chaotique. » stress post-traumatique – elle vivait avec une paranoïa constante, une peur perpétuelle de se faire assassiner. J’ai aussi regardé des documentaires. Ce qui m’a marquée, c’est à quel point les personnes touchées sont sensibles à des sons qui les ramènent à ce qu’ils ont vécu. J’ai essayé de retranscrire ça dans le film. Votre cinéma se concentre beaucoup sur les corps meurtris ou blessés. Qu’est-ce qui vous fascine là-dedans ? Le corps, c’est si important au cinéma. Quand je filmais Joaquin, j’avais l’impression de faire un documentaire sur son travail d’acteur : de façon imperceptible, il est devenu une sorte de bête, façon Bossu de Notre-Dame, avec toutes ses cicatrices. C’était le même genre de transformation subtile avec Tilda Swinton dans We Need to Talk About Kevin. Avant le tournage, elle voulait travailler avec moi sur ce projet, mais je trouvais qu’elle avait un physique trop extraordinaire pour le rôle. Elle m’a bluffée car, sans que je me rende compte, elle est devenue cette femme discrète, presque effacée. Comme We Need to Talk About Kevin, ce film travaille le motif de l’innocence brisée. Beaucoup de nos blessures traumatiques sont liées à l’enfance. Il y a d’ailleurs une part
du personnage de Joe que je trouve assez enfantine. Ce gars dans la force de l’âge qui vit près de sa mère… Certes, ses fêlures viennent évidemment de ce qu’il a vécu à la guerre, mais on peut aussi imaginer que d’autres remontent encore plus loin. Je voulais laisser l’interprétation ouverte à ce sujet. Comment avez-vous pensé la représentation de la violence dans la séquence où Joe fait une descente dans un hôtel de passe et exécute les bourreaux de la jeune fille qu’il doit retrouver ? J’aime beaucoup ce que font Quentin Tarantino ou Park Chan-wook, leur manière d’esthétiser la violence comme un ballet. Mais là, j’ai plutôt été inspirée par de la vidéosurveillance que j’ai regardée sur YouTube. Cette manière de filmer impose une distance ; on ne voit pas très bien ce qui se passe, et, du coup, je trouve ça beaucoup plus insidieux et affectant. • PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET PHOTOGRAPHIE : PHILIPPE QUAISSE
— : « A Beautiful Day » de Lynne Ramsay SND (1 h 25)
Sortie le 8 novembre
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bathysphere présente
UNE CLAQUE ! LIBÉRATION
TRAGIQUE ET HALETANT.
SOCIETY
UNE SPLENDEUR.
LE MONDE
RÉALISATION ET IMAGE
EMMANUEL GRAS PRODUCTION BATHYSPHERE – NICOLAS ANTHOMÉ SON MANUEL VIDAL ASSISTANT RÉALISATEUR GASTON MUSHID MONTAGE KAREN BENAINOUS ASSISTÉE DE COLINE LEAUTÉ MIXAGE SIMON APOSTOLOU ÉTALONNAGE GADIEL BENDELAC BRUITAGE JUDITH GUITTIER MUSIQUE ORIGINALE GASPAR CLAUS SUPERVISION MUSICALE SOUND DIVISION – THIBAULT DEBOAISNE GILLES BAUDOUIN, ANTOINE STEHLÉ CHARGÉE DE PRODUCTION MAUD BERBILLE COORDINATEUR DE POST-PRODUCTION CLÉMENT LE PENVEN PRODUCTEUR EXÉCUTIF ANTOINE DELAHOUSSE AVEC LA PARTICIPATION DE CINÉ+ , CANAL + INTERNATIONAL ET DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES, LA RÉGION ÎLE-DE-FRANCE, LA PROCIREP, L’ANGOA, LA SCAM ET DE LA SACEM EN ASSOCIATION AVEC CINÉMAGE 10 LABORATOIRES LUMIÈRES NUMÉRIQUES, LA ROSE POURPRE-CINÉLAB, SONOSAPIENS DISTRIBUTION FRANCE ET VENTES INTERNATIONALES LES FILMS DU LOSANGE
ADMINISTRATEURS DE PRODUCTION
EN COUVERTURE
PALPITANTE BOBINES
En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui et Les Bienheureux de Sofia Djama ont en commun une façon de saisir, par touches fébriles et réalistes, le mélange de peur et de désir qui agite l’Algérie de l’après-guerre civile – la « décennie noire » des années 1990 qui a opposé l’armée à plusieurs groupes islamistes – par le seul prisme des individus qui la peuplent, de tous milieux, âges et convictions. Leurs sorties, presque simultanées, nous offrent l’occasion d’un état des lieux d’un cinéma algérien lucide et plein de vitalité.
En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui
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ALGÉRIE
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KARIM MOUSSAOUI
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LIGNE D’
Après son très remarqué moyen métrage Les Jours d’avant en 2015, récit d’une rencontre impossible entre deux adolescents à l’aube de la guerre civile algérienne, Karim Moussaoui sonde les plaies toujours ouvertes de ces événements encore récents dans le très beau En attendant les hirondelles. Une chronique de l’Algérie contemporaine en trois récits entrecroisés, portés par une mélancolie douce où palpite l’espoir d’un éveil collectif.
Les hirondelles du titre font-elles référence aux « printemps arabes » ? Non, on était en 2008-2009 quand ce titre m’est venu à l’esprit, bien avant les « printemps arabes ». En attendant les hirondelles, ça évoque la joie, le retour du bonheur. En attendant de retrouver ça, on va raconter des histoires qui vont peut-être nous aider à comprendre où on en est. Le trauma de la « décennie noire » est palpable pendant tout le film, mais particulièrement dans la dernière partie, qui suit un homme
confronté à une femme violée par les islamistes pendant la guerre civile… J’ai plutôt voulu traiter l’après, comment les personnes n’essaient plus de réparer ce qui a été cassé mais juste d’apprendre à vivre avec. J’ai l’impression que c’est illusoire de vouloir réparer quoi que ce soit quand les morts se comptent en dizaines de milliers [de 60 000 à 150 000 selon les sources, ndlr]. Ces morts ne reviendront pas, et il n’est pas sûr que leurs familles puissent comprendre la notion de réparation. Mais accepter que ce drame fait partie de notre mémoire collective, ça peut permettre d’éviter que l’histoire ne se répète. Les nations, les projets de société se construisent sur des drames. Pour arriver à « égalité, liberté, fraternité », des peuples se
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HORIZON sont révoltés contre l’injustice, ont souffert. On peut donc transformer cette douleur, la porter, lui donner un sens et construire des idéaux pour créer le vivre-ensemble. Vos personnages hésitent, se dérobent face à leurs responsabilités (non-assistance à personne en danger, incapacité à suivre ses sentiments ou à affronter son passé). Pourquoi ? Les personnages des trois histoires arrivent au bout d’une logique qui veut que l’opinion collective est plus importante que les désirs individuels. Ils sont dépendants du regard des autres et ils n’arrivent plus à être heureux. Tous ont une porte qui s’ouvre devant eux, mais ils hésitent, parce qu’ils ont peur – de l’inconnu, de sortir de leur situation balisée, confortable. « Qu’est ce qui va m’arriver si je m’interpose pour défendre cet homme qui se fait tabasser, si je m’engage dans cette histoire d’amour ? » Bien sûr, toutes ces questions-là ont un lien avec une impression globale que j’ai de l’Algérie. Il y a une forme de spontanéité qui n’existe plus, on calcule sans cesse les conséquences, ce qu’on va gagner, ce qu’on va perdre. Cette rationalité tue la
Karim Moussaoui
part humaine, sensible, romantique des individus, et leurs idéaux. Pourtant, malgré cette inertie, vos héros marchent beaucoup. Vous les filmez qui sillonnent la ville ou la campagne, pour réfléchir ou pour parler. Ces déambulations sont des parenthèses, des respirations. Comme quand, dans la deuxième histoire du film, Aïcha et Djalil se retrouvent seuls, entourés par la nature. C’est un pas de côté qu’ils s’autorisent alors qu’ils sont pris dans une sorte de tragédie grecque – tout les pousse l’un vers l’autre et pourtant des forces les séparent. Dans la première partie, l’ex-épouse de Mourad lui glisse : « J’ai vu marcher un jeune homme dans la rue. Il avait l’air heureux. » Ça vient de ma propre expérience. Souvent, le seul moment où j’arrive à penser, c’est en marchant. L’idée de l’errance m’intéresse. Le terme a une connotation péjorative, comme si on devait tout le temps savoir où on va. Mais ça, c’est du dogme, de l’idéologie. Dans la vie, on ne sait jamais quel est le bon chemin. On essaie, on se trompe, et on fait des choix. Pour moi, le danger, c’est quand il n’y a qu’un chemin
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imposé. Il faut agir, essayer, se tromper. On n’est pas obligé de tout réussir. Le climat n’est pas vraiment au changement en Algérie, avec Abdelaziz Bouteflika au pouvoir depuis 1999… Quelle est l’ambition politique du film ? Je ne m’adresse pas aux hommes qui sont au pouvoir. Je pense qu’ils sont ailleurs, dans un monde que nous autres, citoyens, ne comprenons plus. Ce sont les gens qui portent et transforment le système, pas l’inverse. Je crois à une révolution des individus. Les transitions entre les différentes parties sont étonnantes : un nouveau personnage fait irruption dans le récit de façon presque anecdotique, et le film abandonne tout pour le suivre. Comment avez-vous imaginé ces passages de relais qui ouvrent le champ des possibles ? Je voulais qu’on se perde, qu’on ne soit jamais dans une situation confortable. L’idée, c’est vraiment de ne jamais s’installer. Faire croire au spectateur qu’on lui raconte une histoire et le surprendre en le guidant vers un autre chemin. Dans le film, les personnages essaient de se raccrocher à ce qu’ils connaissent, ils ont peur de se perdre face à l’inconnu. Moi, je prends parti pour l’inconnu, et il fallait que, formellement, le film ressemble à mon propos. Dans une scène, Aïcha ramasse un fruit tombé de l’arbre, quand arrivent les propriétaires du terrain, un père et son fils. Le premier voit d’un mauvais œil l’initiative du second, qui encourage la jeune femme à prendre d’autres fruits. Vouliez-vous illustrer le conflit entre les générations ? Oui, je tenais à cette discussion sur la propriété entre un père et son fils. Le père fait partie d’un vieux monde qui porte d’anciennes conceptions du vivre-ensemble. Lors de mes voyages en Algérie, j’ai traversé des endroits tellement perdus et éloignés des moyens de communication et d’information que je me demandais s’il était possible, pour les gens qui y habitent, de remettre en question les idées établies. Et justement, oui, il y a toujours des gens qui se posent
des questions. C’est ce que fait le fils ici. Il représente la jeunesse qui subit l’héritage de la pensée, de ce qui est communément désigné comme bon ou pas bon. Je défends la jeunesse, parce qu’elle seule est capable de refonder l’atmosphère du pays. Pour elle, l’horizon est vaste. Après Haendel dans Les Jours d’avant, la B.O. convoque ici Bach. Qu’est-ce qui vous plait dans la musique classique ? Elle arrive très bien à raconter la tragédie humaine, mieux que n’importe quelle autre musique. Il y a quelque chose de mélancolique, d’une tristesse imperceptible. Comme dans une histoire d’amour, quand on sent que l’autre nous échappe mais qu’on ne peut rien y faire. Avec des cinéastes comme Hassen Ferhani, Tariq Teguia, Sofia Djama (lire p. 36), le cinéma algérien contemporain semble très dynamique. Avez-vous le sentiment de faire partie d’un même mouvement ? Il y a un cinéma qui essaye de naître et d’aborder des questions contemporaines,
« Je défends la jeunesse, parce qu’elle seule est capable de refonder l’atmosphère du pays. » 34
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DESTINS CROISÉS Dans ce magnétique road movie politique, trois récits s’enchâssent pour raconter l’Algérie contemporaine. Les personnages sont filmés en mouvement via d’amples travellings, parfois à pied, en voiture souvent. Mais, malgré cette mobilité d’apparence fluide et limpide, le cours de leur existence s’avère plus accidenté. Il y a d’abord Mourad, un promoteur immobilier, divorcé, qui perd peu à peu prise sur sa vie bien rangée. De son côté, la jeune Aïcha hésite à céder aux avances de Djalil, alors que son mariage avec un autre homme a déjà été arrangé. Quant à Dahman, son sourire de riche neurologue propre sur lui vient se fissurer lorsque ressurgit son passé trouble, sous les traits d’une femme victime de viol. À travers ce film choral au centre de gravité mouvant, Moussaoui dépeint en creux les maux de son pays. Rien n’est jamais abordé frontalement – pas de grande scène spectaculaire, donc –, mais se dégage ici une violence latente, sourde, maintenue en tension par un art précis du contrepied et de la bifurcation. Une révélation. • ÉRIC VERNAY
mais je ne sais pas si on peut parler de mouvement. Ça n’a rien à voir avec la Nouvelle Vague, par exemple, dont les membres partageaient un certain nombre de positions politiques, claires, et les combats qui en découlaient. Après, tous les moyens et les mécanismes qui font que le cinéma peut exister ne sont pas réunis en Algérie – en matière de techniciens, de distribution, de formation… Quels cinéastes vous inspirent ? Plein ! Je commence par George Lucas ? (Rires.) Stanley Kubrick, Quentin Tarantino… Par contre, très peu m’ont inspiré autant qu’Abbas Kiarostami. C’est un bel exemple de comment filmer un pays dans lequel c’est compliqué de dire les choses. Je me rappelle très bien de toutes les informations qui venaient d’Iran [dans les années 1980 et 1990,
après que le pays est devenu une république islamiste à la suite de la chute du Shah en 1979, ndlr] : on était loin de se douter qu’il y avait une société bien vivante derrière ceux qui gouvernaient le pays. D’un coup, grâce à ses films, on s’est mis à s’intéresser à ce pays et à le voir différemment. Tous les pays ont cette part vivante qu’il faut raconter. • PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE LEROY (AVEC JULIETTE REITZER) — PHOTOGRAPHIE : VINCENT DESAILLY
— : « En attendant les hirondelles » de Karim Moussaoui Ad Vitam (1 h 53) Sortie le 8 novembre
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ALGER DE L’AVANT
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SOFIA DJAMA
Dans Les Bienheureux, Alger l’escarpée abrite les errances, les peurs et les espoirs d’une poignée d’individus gravitant autour de deux femmes : Feriel, une jeune effrontée à l’humour ravageur, et Amal, une quadra lucide et désabusée (géniales Lyna Khoudri, Prix de la meilleure actrice à Venise pour ce rôle, et Nadia Kaci). Sofia Djama, qui signe ici son premier long métrage, nous a parlé des difficultés et des désirs qui font bouger les cinéastes algériens contemporains, raccords avec ceux de tout un pays. 36
Tu étais ado pendant la « décennie noire ». Comment voyais-tu des films à l’époque ? En VHS piratée ! Tu vas rire, la première fois que je suis allée dans une salle de cinéma, j’avais 17 ans. J’ai vu Salut cousin ! de Merzak Allouache dans une cinémathèque à Béjaïa. C’était une lecture VHS, donc c’était même pas vraiment du cinéma… Le premier film que j’ai vu dans les vraies conditions d’une salle de cinéma, c’était à La Rochelle, et c’était Armageddon de Michael Bay, en 1998. Le film était tout pourri, mais c’était génial. Un type m’avait draguée dans la rue en me demandant : « Tu veux aller au cinéma ? » J’ai dit oui ! Aujourd’hui encore, le piratage joue un rôle important pour la diffusion des films auprès des Algériens ? Je suis gênée quand je vois à quel point la question du droit d’auteur, notamment en France, est un combat. J’y souscris aujourd’hui parce que, quand tu deviens membre de la SACD et que tu vois toutes les protections que tu as autour de toi parce que tu es un auteur, c’est formidable. Mais la réalité c’est que, quand on parle de nos pays où il n’y a plus de salles de cinéma [lire p. 40, ndlr], le piratage est un enjeu. Moi, tu sais quoi, j’espère que mon film sera piraté en Algérie. Comment marche le système de production ? En théorie il y a un système, mais c’est difficile d’y accéder. Il suffit d’aller sur le site de l’équivalent algérien du CNC pour comprendre à quel point c’est chaotique. Il n’y a pas les dates des commissions, par exemple. On ne connaît pas non plus le budget annuel alloué au cinéma. Avec des réalisateurs et des producteurs de ma génération, on réfléchit à des moyens de forcer le gouvernement à imposer aux chaînes de télé et aux opérateurs de téléphonie une taxe pour financer la culture et le cinéma. Mais il y a aussi une espèce
d’autocensure. Quand j’ai écrit mon court métrage Mollement, un samedi matin, c’est carrément ma productrice algérienne qui a refusé de déposer le dossier. Elle avait peur du sujet, elle ne voulait pas figurer au générique. Je suis montée à Paris au culot pour rencontrer un producteur qui a dit banco, et six mois après on avait la contribution financière du CNC, d’Arte, et de l’ambassade de France en Algérie. Mais l’ironie, c’est qu’au final, quand le film a été primé à Clermont-Ferrand, qui me décerne un prix ? Le ministère de la Culture à Alger ! Comme le film a eu une visibilité internationale, je suis devenue, pour le gouvernement algérien, un alibi de démocratie, de liberté de ton, de jeunesse qui s’exprime. Ce jeu de dupes arrange un peu tout le monde, et c’est triste. Malgré ces difficultés structurelles, il y a un vrai dynamisme dans le jeune cinéma algérien contemporain. C’est vrai qu’aujourd’hui il y a quelque chose qui se met en marche, avec sans doute cette obsession thématique – mais c’est normal, la guerre civile, notre génération l’a vécue, elle nous a traversés… On a besoin d’en parler. Personnellement je voulais parler de l’impact, de l’après-guerre civile, cet état de sidération dans lequel on était. Et en même temps, il y avait un désir absolu de vivre. Tu filmes le pays par petites touches, à travers une multitude de visages. D’où vient cette volonté de mettre l’individu au centre ? Il y a ce besoin qui nous obsède : le monde nous connaît si peu qu’on a envie de dire qu’on est multiple. Je voulais montrer les différentes couches sociales, de la vieille bourgeoisie algéroise nostalgique à une jeunesse plus en contact avec la réalité. Des barbus, des gens qui boivent mais qui ont des discours totalement conservateurs, des personnes qui prient et qui sont dans une dynamique de liberté absolue. J’avais besoin de montrer aussi des personnages vivants malgré la guerre civile. Par exemple, le personnage de Feriel : je ne voulais pas en faire une victime triste, même si on devine que c’est une ancienne victime du massacre de Benthala [dans la nuit
« La guerre civile, notre génération l’a vécue… On a besoin d’en parler. » 37
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Lyna Khoudri
du 22 au 23 septembre 1997, plusieurs centaines d’habitants de Benthala ont été massacrées sans que l’armée, postée à proximité, n’intervienne, ndlr]. Elle porte tous les traumas dont on n’a pas le droit de parler en Algérie. On parle de 100 000 ou 200 000 morts, on n’a même pas de chiffres précis, et on n’a pas le droit de porter plainte contre ceux qui ont tué et égorgé, car il y a une loi là-dessus, la « concorde civile » [loi de grâce amnistiante votée en 1999 et complétée en 2005 par une charte pour la paix et la réconciliation nationale, ndlr]. Comment veux-tu que la société se répare et se réconcilie si elle ne regarde pas son histoire dans les yeux ? L’histoire du film se situe en 2008. Pourquoi ? Parce que 2008, c’est vingt ans après les événements d’octobre 1988 [une série de manifestations, sévèrement réprimées par l’armée, qui aboutit à l’effondrement du système du parti unique, ndlr]. La génération d’Amal et de Samir, dans le film, c’est celle qui a manifesté en 1988 pour la démocratie, et qui a cru gagner. Sauf qu’en 1991 il y a les premières législatives, et là le gouvernement annule les élections après les résultats du premier tour, voyant que le parti des islamistes arrive en tête. C’est la fin du processus électoral, et le début de la guerre civile. Et puis 2008 est une année spéciale, puisque Abdelaziz Bouteflika décide de changer la constitution pour autoriser un troisième mandat présidentiel. Il est au pouvoir depuis 1999. Pour les Algériens, ces dates sont des clés. Mais pas besoin de connaître l’histoire de l’Algérie pour appréhender le film, car tous les constats qu’il tire sont encore d’actualité.
En face de cette génération prise dans la nostalgie d’un idéalisme politique, tu filmes leurs enfants, une jeunesse à la fois inquiète, désœuvrée, et pleine d’énergie et d’humour. L’enjeu des jeunes est central. Ils s’ennuient comme des rats morts, mais ils occupent cet ennui, ils sont vivants, ils veulent danser, chanter. Ils sont plus libres dans leurs corps que leurs parents. Et puis, malgré leurs désaccords, ils expriment leurs opinions, ils débattent, ce que les adultes ne font plus. Comment ta mise en scène reflète-t-elle ce conflit générationnel ? L’enjeu principal, c’était la ville, Alger. Pour moi l’architecture est primordiale, elle dessine la mentalité des gens. L’urbanisation est un enjeu à la fois politique et social et, à ce titre, Alger est passionnante. Tu passes du mauresque à l’haussmannien ou à l’art déco, de l’école italienne à du Le Corbusier… C’est une ville-personnage qui devait enfermer tout le monde, ouvrir ou fermer les perspectives. Les adultes ne sont filmés presque que sur les balcons, ils regardent Alger d’en haut, parce qu’ils se sentent agressés par l’extérieur. Pour eux, la caméra se fixe. Tandis que, chez les jeunes, je suis plus volontiers près d’eux, en mouvement. • PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER
— : « Les Bienheureux » de Sofia Djama Bac Films (1 h 42) Sortie le 13 décembre
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GAUMONT PRÉSENTE
APRÈS
“LES GARÇONS ET GUILLAUME, À TABLE ! ”
“UN CHEF-D’ŒUVRE” LE PARISIEN
UN FILM DE
GUILLAUME GALLIENNE
ADELINE D’HERMY DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE
VANESSA PARADIS
ALICE POL
ÉRIC RUF
XAVIER BEAUVOIS
CRÉATION
- PHOTO THIERRY VALLETOUX. CRÉDITS NON CONTRACTUELS
SCÉNARIO GUILLAUME GALLIENNE AVEC LARS EIDINGER AVEC LA PARTICIPATION DE PASCALE ARBILLOT IMAGE CHRISTOPHE BEAUCARNE A.F.C-S.B.C MONTAGE VALÉRIE DESEINE DÉCORS SYLVIE OLIVÉ A.D.C DIRECTEUR DE PRODUCTION YANN ARNAUD SON RÉMY DARU PREMIER ASSISTANT RÉALISATEUR RENAUD ALCALDE SCRIPTE ÉLODIE VAN BEUREN CASTING NATHALIE CHÉRON A.R.D.A COSTUMES CAROLINE DE VIVAISE MAQUILLAGE DOMINIQUE COLLADANT KAATJE VAN DAMME COIFFURE BONY ONDARRA PRODUIT PAR CYRIL COLBEAU-JUSTIN JEAN-BAPTISTE DUPONT SIDONIE DUMAS GUILLAUME GALLIENNE COPRODUIT PAR SYLVAIN GOLDBERG SERGE DE POUCQUES NADIA KHAMLICHI GILLES WATERKEYN UNE COPRODUCTION LGM GAUMONT FRANCE 2 CINÉMA DON’T BE SHY PRODUCTIONS EN COPRODUCTION AVEC NEXUS FACTORY UMEDIA EN ASSOCIATION AVEC UFUND AVEC LA PARTICIPATION DE CANAL+ CINÉ+ FRANCE TÉLÉVISIONS EN ASSOCIATION AVEC LA BANQUE POSTALE IMAGE 10 A PLUS IMAGE 7 SOFITVCINE 4 DÉVELOPPÉ EN ASSOCIATION AVEC DEVTVCINE 3 AVEC LA PARTICIPATION DE ENTOURAGE PICTURES AVEC LE SOUTIEN DU TAX SHELTER DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL DE BELGIQUE ET DES INVESTISSEURS TAX SHELTER
LE 15 NOVEMBRE AU CINÉMA
CINÉ-CLUBS
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CULTUR
Dans un pays sans cinémas ou presque, les ciné-clubs offrent aux citoyens un lieu pour faire vivre les films, la culture et le débat.
En
Algérie, voir un film sur grand écran relève plus de la fiction que de la réalité. La « décennie noire » et des années de politique en défaveur de la culture ont eu raison de la plupart des salles de cinéma. Le ministère de la Culture annonçait ainsi en 2015 que 95 % des quatre cents salles que compte le pays étaient fermées, laissées à l’abandon. Le journal Algérie 1, repris par Courrier international, constatait à l’époque : « Ces salles sont “victimes” d’un problème administratif que le gouvernement rechigne curieusement à régler. […] Elles dépendent légalement du conseil municipal, le ministère de la Culture peine à récupérer leur gestion. » Si bien qu’aujourd’hui une vingtaine d’entre elles seulement est en activité. C’est peu, pour un pays qui compte plus de 41 millions d’habitants… Mais les Algériens peuvent
aussi compter sur une poignée de ciné-clubs pour étancher leur soif de cinéma.
CINÉMAS DE PATRIMOINE
À Mascara, au nord-ouest du pays, le cofondateur du plus ancien d’entre eux encore en activité, Mohamed Elkeurti, évoque, un brin nostalgique, un âge d’or de la cinéphilie algérienne entre la fin des années 1960 et la fin des années 1970 : « Les cinémas ne désemplissaient pas. » Aux côtés des cinémas traditionnels, les ciné-clubs pullulaient, et avaient même leur propre fédération. Certains étaient ambulants, comme les ciné-pops de René Vautier qui, après l’indépendance, sillonnaient l’Algérie sous la devise « Vers le socialisme par le cinéma, en dehors de toute censure ». La production locale était florissante – à l’image de Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina, Palme d’or en 1975 –, et les films d’Alfred Hitchcock et d’Ingmar Bergman squattaient le petit écran, notamment grâce au Télé Ciné Club d’Ahmed Bedjaoui, émission phare diffusée dès 1969. Bref, le septième art avait une place de choix 40
LE CINÉMA ALGÉRIEN
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E CLUB
muets, de westerns, de classiques du cinéma russe, on compte Karim Moussaoui, Hassen Ferhani ou Sofia Djama, qui deviendront trois réalisateurs majeurs de la nouvelle génération du cinéma algérien. Chrysalide fait office d’école de cinéma, dans un pays où il n’y en a pas. Djalila Kadi-Hanifi, présidente de Chrysalide et écrivaine, se souvient : « Selon moi, leur passage au ciné-club a été décisif sur leur choix professionnel. » Si Chrysalide n’existe plus aujourd’hui, le ciné-club de Mascara continue d’offrir un espace de découvertes, tout comme ses équivalents qui ont poussé un peu partout dans le pays. Sonia Ahnou, une monteuse très impliquée dans l’éducation à l’image (elle s’est occupée de plusieurs ciné-clubs à Béjaïa, Tizi Ouzou et Alger) a recensé au moins dixhuit clubs, situés principalement dans les grandes villes. Projets citoyens et associatifs, financés par les cotisations de leurs membres ou par le prix du ticket d’entrée et animés par des bénévoles, ils tentent comme ils peuvent de combler le désintérêt du gouvernement pour le cinéma et l’absence de diversité sur les écrans – à l’exception des salles de
dans le quotidien de nombreux Algériens. Cette vivacité culturelle prend fin dans les années 1980, peu après l’arrivée du président Chadli Bendjedid. Affaiblies par des problèmes structurels, les salles de cinéma commencent à mettre la clé sous la porte, et les ciné-clubs souffrent de l’intervention de l’État, qui ordonne à la cinémathèque algérienne de ne plus les fournir en films. La guerre civile qui éclate en 1991 entérine la rupture entre les Algériens et le grand écran, et la disparition de tous les ciné-clubs. Tous, sauf celui de Mohamed Elkeurti : chaque semaine, dans une pièce en sous-sol, sur une télévision, on se retrouve pour voir un François Truffaut, un John Huston… « Il y avait des explosions dehors, se souvient le sexagénaire. Mais hors de question d’arrêter. On faisait notre projection avec débat, on avait un public fidèle. C’était une manière de continuer à exister. » Au sortir de la « décennie noire », un autre ciné-club s’apprête à relever une mission de taille. Dès janvier 2000, Chrysalide est, à Alger, l’un des tout premiers clubs à éclore. Parmi ses membres, réunis autour de films 41
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CINÉ-CLUBS
« Essence même d’un ciné-club, le débat tend rapidement, en Algérie, vers des thématiques très politiques » la cinémathèque, les rares cinémas en fonctionnement ne programment pour ainsi dire que des blockbusters hollywoodiens.
CLUBS DE RENCONTRES
Nabil Ait Said et Redouane Madani ont ainsi fondé Cinuvers pour partager des œuvres majeures et inciter les spectateurs à sortir de chez eux – car en Algérie, les films se regardent presque toujours dans l’intimité du foyer, en version pirate. « Au départ, on se retrouvait à la maison entre potes pour regarder un film et en parler », dit Nabil. « C’est juste le groupe de potes qui a grandi », ajoute Redouane. Dans la salle de cinéma Zinet, autrefois occupée par Chrysalide et située dans un centre commercial à quelques mètres du musée national des beaux-arts d’Alger, ils proposent chaque vendredi, à un public de tous âges et contre une entrée à 200 dinars (1,50 € environ), un film en lien avec un thème qui change tous les mois. En octobre, le remake était à l’honneur avec Blade Runner de Ridley Scott ou Les Infiltrés de Martin Scorsese. En plus de permettre la diffusion d’œuvres du cinéma classique ou d’auteur, les ciné-clubs remplissent selon Sonia Ahmou trois missions : « Réhabiliter les salles de cinéma abandonnées en s’y installant, rendre visible les films algériens auprès des Algériens, et créer un espace de liberté d’expression par le débat, idéalement
entre le public et les cinéastes. » Essence même d’un ciné-club, le débat tend rapidement, en Algérie, vers des thématiques très politiques – même si l’autocensure menace. « Les débats sont libres, mais on évite de passer des films qui peuvent heurter, comme ceux qui parlent de la religion ou de sexe », explique Mohamed Elkeurti. Acteur (chez Tariq Teguia, et en décembre dans Les Bienheureux de Sofia Djama, lire p. 36), militant communiste très investi dans l’action culturelle et sociale, Kader Farès Affak organise le ciné-club « Un regard, des idées, un débat » dans les locaux du Sous-Marin, son café littéraire-galerie d’art à Alger. Il insiste sur l’importance de la présence des cinéastes pendant les débats. « Qu’est-ce qu’on partage avec les gens, avec les pauvres ? Une aide alimentaire, des vêtements ? Est-ce qu’on n’a pas aussi la responsabilité de partager avec eux la culture ? » Remplacer les salles et les écoles de cinéma, réintroduire les films, les débats et la culture dans le quotidien de tous les Algériens : c’est beaucoup à porter. Pour Abdenour Hochiche, chargé de mission cinéma à l’Institut français d’Alger, quand le ciné-club redeviendra uniquement ciné-club, ce sera bon signe : « Ça signifiera que le pays aura à nouveau des salles et une vie normale de cinéma. » • ASSIA LABBAS ET JULIETTE REITZER ILLUSTRATION : LINDA MERAD
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FÉLIX MOATI
JEUNE SAGE
Félix Moati est en retard. Paniqué, le cheveu hirsute et le rouge aux joues, il se confond en excuses. Alors qu’il vient de commencer le tournage des Deux Fils, son premier long métrage en tant que réalisateur, il a trouvé quelques instants pour venir défendre le beau Simon et Théodore de Mikael Buch. Il y est Simon, un futur père de famille qui désespère d’être un homme à la hauteur. Un rôle à son image, à la fois grave et léger, jeune et déjà vieux. 44
PORTRAIT il y a bientôt dix ans. Au milieu d’une bande d’ados en plein chaos amoureux, Félix Moati jouait les jeunes premiers romantiques dans LOL (Laughing Out Loud) de Lisa Azuelos. L’œil rieur, looké comme un baby rocker, l’acteur alors âgé d’à peine 17 ans imprimait à l’écran un mélange d’insolence et de gravité adolescentes. Une énergie juvénile qui faisait chavirer les midinettes et offrait au cinéma français un comédien de taille à incarner à l’écran les fameux millenials, ces jeunes qui veulent tout, tout de suite. L’engagement politique (Télé Gaucho de Michel Leclerc, 2012), l’entrée violente dans la vie active (Hippocrate de Thomas Lilti, 2014), l’envie d’être toujours un ado (Libre et assoupi de Benjamin Guedj en 2014), les nouvelles formes de couple (À trois on y va de Jérôme Bonnell, 2015), la filmographie de Moati dresse, de rôle en rôle, un état des lieux des angoisses et des questionnements de la jeunesse française de ce début de xxie siècle. Pourtant Félix est clair, il n’a jamais aimé être jeune. « J’ai détesté
n’est aujourd’hui plus vraiment considéré comme un « fils de » – c’est plutôt Serge Moati qui est devenu le « père de ». L’idée l’amuse, mais la déférence prend le dessus. « C’est mon papa, l’homme que j’ai le plus regardé dans ma vie. Je serai toujours le “fils de”, et la fierté dans son regard me donne envie d’en faire toujours plus. » Avec Simon et Théodore, justement, Mikael Buch lui offre une partition inédite, plus intérieure. L’acteur met son énergie bouillante, quasi burlesque, au service des fractures et des angoisses de son personnage. Une nouvelle manière pour Félix d’apprivoiser l’écran, pleine de silences et de maturité. « J’essaie de prendre le temps. Je ne sais pas m’ennuyer. Ma mère a essayé de m’apprendre. Impossible. Si je m’ennuie, je pense trop. » Donc, dans la vie, Félix Moati va vite, parle vite, rêve d’être Mathieu Amalric et de faire du cinéma populaire, de terminer son premier film et de continuer à jouer. Une énergie insatiable qui n’a pourtant rien à voir avec les feux follets de la jeunesse. « Avec mon pote Vincent Lacoste, on se dit souvent qu’on
« Quand je regarde les jeunes de 18-20 ans aujourd’hui, l’angoisse qu’il y a dans leurs yeux, je les comprends tellement. » cette période. Les débuts de la vingtaine, tout le monde vous met la pression comme si vous viviez un truc incroyable et qu’il fallait surtout en profiter au maximum. Quand je regarde les jeunes de 18-20 ans aujourd’hui, l’angoisse qu’il y a dans leurs yeux, je les comprends tellement. Je me sens bien plus heureux, bien plus léger aujourd’hui en approchant de la trentaine. »
HOMME-ENFANT
On l’imaginait éternel ado, on le découvre, à 27 ans, plein de sagesse, citant avec aisance Friedrich Nietzsche, Pierre Bourdieu ou Paul Nizan au détour de la conversation. Pas de la frime, non, mais les traces d’une enfance lettrée, passée entre une mère haut fonctionnaire (« Ma mère, c’est quelqu’un, elle en impose », nous glisse-t-il avec un grand sourire) et un père journaliste et réalisateur, figure célèbre de la télévision française, qu’il admire tout autant. « J’ai toujours été avec des adultes. Je suis le petit dernier, donc mes parents m’emmenaient partout, j’écoutais leurs conversations. Ça a tout de suite créé un décalage avec les autres. » Mais l’acteur
est déjà des vieux. Mais, finalement, ça fait du bien. On assume, on sait ce qu’on veut et où on a envie d’aller. Une fois que t’as compris ça, tu peux foncer sans regarder en arrière. Je fais des films pour aller de l’avant, en essayant le moins possible de m’arrêter. Travailler me rend le monde habitable. Sans ça, sans le désir de séduire et d’être aimé, je n’y arriverais pas ». Le verbe grave et le visage rieur, l’allure fringante et la barbe fournie, Félix Moati n’a pas peur des grandes phrases et des sentences définitives. Une façon singulière de se regarder sans compromis, de jauger avec ironie et tendresse ses forces et faiblesses. C’est sûrement ça, l’âge de raison. • RENAN CROS PHOTOGRAPHIE : VINCENT DESAILLY
— : « Simon et Théodore » de Mikael Buch Rezo Films (1 h 24) Sortie le 15 novembre
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C’était
LESBIENNES ET CINÉMA DE GENRE
MAUDITES SONT-ELLES ?
Depuis leurs débuts dans le cinéma de genre, les lesbiennes n’ont cessé de faire peur. De La Fille de Dracula de Lambert Hillyer en 1936 à The Neon Demon de Nicolas Winding Refn en 2016, elles y sont sous l’emprise d’une malédiction ou affublées de dangereux troubles mentaux – dans tous les cas, monstrueuses. Décomposition d’un mauvais sort hérité du code Hays, que Joachim Trier (Oslo. 31 août) conjure dans son nouveau film, Thelma.
La
nuit, dans un lugubre appartement londonien, une élégante comtesse demande à une jeune inconnue, censée poser pour elle, de se déshabiller. Elle contemple avec avidité ses épaules nues et cède à la tentation : elle hypnotise l’innocente avant de fondre sur elle comme un rapace. C’est avec cette scène de viol dans La Fille de Dracula de Lambert Hillyer qu’est représenté pour la première fois le désir d’une femme pour une autre dans un film de genre, en 1936. Dans ce film fondateur, l’héroïne cherche à se délivrer de sa malédiction, le vampirisme, qui la pousse surtout vers les femmes. Mais d’où vient cette manie, que l’on retrouve, tout au long de l’histoire du
cinéma de genre, de montrer l’homosexualité féminine comme une tare ? Dans un article paru dans la revue Circé, la chercheuse Émilie Marolleau avance une hypothèse, liée à la crise de la masculinité causée par la Grande Dépression, de 1929 à l’aube de la Seconde Guerre mondiale : « Les hommes étaient souvent confrontés à une perte d’emploi et voyaient alors leur statut de chef de famille remis en cause. Les lesbiennes […] étaient alors perçues comme une menace puisque, étant économiquement indépendantes et travaillant (souvent) autant que les hommes, elles étaient vues comme des usurpatrices des privilèges masculins. »1 Pour protéger le patriarcat, rien de tel que de les rendre terrifiantes. 46
Une stigmatisation que s’est chargé d’entériner le code de censure Hays, appliqué de 1934 à 1966 à Hollywood et imposant de représenter négativement des « perversions sexuelles » – soit, entre autres choses, l’homosexualité –, achevant la gestation de la figure de la lesbienne monstrueuse dans le cinéma de genre.
PUISSANCES OCCULTES
Dans le sillage de La Fille de Dracula, le cinéma fantastique a souvent lié penchant saphique et malédiction. Dans La Féline (Jacques Tourneur, 1942), l’héroïne refuse de batifoler avec son mari et se justifie en évoquant un mauvais sort jeté sur son village natal serbe – la moindre émotion
© D. R.
Thelma de Joachim Trier (2017)
forte risquerait de la changer en panthère tueuse. Au fil du film, divers signes connotent une allégorie du lesbianisme : la jeune femme refuse le sexe hétéro mais rend quotidiennement visite à une panthère au zoo, comme attirée par une dangereuse amie ; au restaurant, une inconnue au regard de chat l’appelle « ma sœur » en serbe, comme si elles appartenaient à la même communauté. Si l’héroïne ne s’accepte pas, elle finit tout de même par se muer en félin vorace quand elle devient jalouse. Au final, elle cède métaphoriquement à son désir pour les femmes en libérant la panthère, mais celle-ci se jette sur elle et la tue. Dans la plupart des films fantastiques, une femme en désirant une autre finit par être punie (dans Les Prédateurs de Tony Scott, en 1983, la vampire est enfermée dans un cercueil pour l’éternité ; l’héroïne, transformée en goule, devient une menace à abattre dans Jennifer’s Body de Karyn Kusama en 2009). À l’opposé, le modèle validé est souvent celui du couple hétéro, qui s’en sort indemne, à l’instar des amoureux ciblés par la comtesse dans La Fille de Dracula, ou du mari et sa maîtresse dans La Féline. Le droit chemin étant clairement défini, et l’interdit excitant le désir, les cinéastes s’en donnent alors à cœur joie pour érotiser les « déviantes ». Les lesbiennes et bisexuelles maudites sont ainsi systématiquement des femmes fatales sous le code Hays, avant d’être davantage fétichisées dans les années 1960 et 1970. De Et mourir de plaisir (Roger Vadim, 1960) à Vampyros Lesbos (Jesús Franco, 1971), en passant par les productions du studio anglais Hammer (The Vampire Lovers de Roy Ward Baker, 1970 ; Lust For a Vampire, Jimmy Sangster, 1971), une vague de séries B et de séries Z mettent ainsi en scène des femmes vampires sexy qui se dénudent à l’envi et se jettent goulûment sur des écervelées. Zooms insistants sur les
La Fille de Dracula de Lambert Hillyer (1936)
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DÉCRYPTAGE
© D. R.
LESBIENNES ET CINÉMA DE GENRE
poitrines, jeux de miroirs pour dévoiler les parties intimes (alors que la légende ne prête aucun reflet au vampire) et narrateurs masculins : tout est fait pour réduire la figure à un objet sexuel destiné au regard des hommes. On peut y voir une réaction aux revendications féministes et LGBT de l’époque (Mai 68, les émeutes de Stonewall en 1969 à New York). Si les femmes, notamment lesbiennes, réclament des droits dans la rue, il faut veiller à leur remettre une couche de patriarcat au cinéma. Et si elles tentent de rallier les autres femmes à leur cause – à la façon de vampires qui contaminent leurs proies –, il faut leur montrer – en concluant les films par leur mort – que l’on ne les laissera pas faire.
NÉES TORDUES
Si, dans le cinéma fantastique, les lesbiennes passent toujours à la moulinette de la médecine (les héroïnes de La Fille de Dracula et de La Féline consultent un psychiatre ;
un médecin diagnostique un dédoublement de personnalité chez celle de Et Mourir de plaisir), certains films de genre insistent plus lourdement sur l’existence d’un grave déséquilibre mental, formant l’archétype de la lesbienne obsessionnelle et psychopathe. Rebecca d’Alfred Hitchcock (1940) en donne la première image avec la gouvernante folle amoureuse de feu sa maîtresse de maison qui retourne sa frustration contre la nouvelle épouse de son maître. Manquant d’assassiner celle-ci dans un incendie, la servante aigrie meurt elle-même carbonisée. La psychiatrie a longtemps considéré l’homosexualité comme une maladie mentale. La classification internationale des maladies publiée par l’OMS ne l’a retirée de la liste qu’en 1992, ce qui a largement laissé le temps aux deux notions de fusionner dans l’inconscient collectif – et au cinéma. JF partagerait appartement de Barbet Schroeder (1992), Mulholland Drive de David Lynch (2001), Cracks de Jordan Scott (2009) ou The Neon
© EUROPACORP DISTRIBUTION
BOBINES
La Féline de Jacques Tourneur (1942)
Haute tension d’Alexandre Aja (2003)
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The Neon Demon de Nicolas Winding Refn (2016)
Demon de Nicolas Winding Refn (2016) sont autant de films qui muent le désir lesbien de leur personnage en véritable obsession morbide. Haute tension (Alexandre Aja, 2003) repose même entièrement sur ce cliché, le twist final révélant que le tueur est en fait l’une des deux héroïnes, rendue schizophrène par son désir frustré pour l’autre. Alors que la femme fatale maudite effraye autant qu’elle suscite l’empathie et le désir (après tout, son problème lui est tombé dessus malgré elle), la lesbienne psychopathe, dont le vice est congénital, n’est censée inspirer que répulsion. Elle est ainsi souvent masculinisée, comme le personnage joué par Cécile de France, cheveux courts et muscles saillants, dans Haute tension, ou celui de Jena Malone, « garçon manqué » chic, dans The Neon Demon. En l’écartant des normes de genre, ce que l’on voit encore trop rarement à l’écran, les cinéastes semblent insister sur son déséquilibre et tenter d’en dégoûter les spectateurs.
SORCIÈRE BIEN-AIMÉE
Dans ce tableau très noir brillent tout de même quelques lueurs d’espoir. Une dimension d’empowerment est parfois conférée aux pouvoirs troubles des lesbiennes : l’héroïne de La Féline se défend précisément grâce à ses dons du psy abusif qui veut coucher avec elle pour la « guérir » ; dans Jennifer’s Body, la goule transmet son pouvoir à sa meilleure amie lors d’une scène de sexe symbolique, ce qui permet à celle-ci de la venger des garçons qui l’ont agressée. Mais aucun film n’avait autant désamorcé les clichés que Thelma. Dans le gracieux film fantastique de Joachim Trier, qui sort ce mois-ci, une jeune femme quitte sa campagne norvégienne et découvre son attirance pour une fille qui étudie avec elle
à Oslo. Le film dissocie clairement désir lesbien et maladie mentale, puisque les crises d’épilepsie qui frappent Thelma quand elle sent monter son désir, et qui réveillent ses pouvoirs télékinésiques, sont en réalité liées à la pression de son éducation ultra chrétienne. En fouillant le Net, elle apprend que les mêmes symptômes touchaient probablement les « sorcières » brûlées au Moyen Âge, Jeanne d’Arc ou encore les patientes « hystériques » du professeur Charcot au xix e siècle : une seule séquence, qui balaye des siècles de pathologisation misogyne. Si, en revanche, on ne balaie pas en un seul film des décennies de représentation lesbienne négative dans le cinéma de genre, le temps de la dédiabolisation semble bien venu, comme le porte à croire la saison 7 d’American Horror Story, diffusée sur la chaîne américaine FX, qui suit une mère de famille lesbienne tombant dans la paranoïa après l’élection de Donald Trump. Aux oubliettes, le diable et la démence : petit et grand écran commencent enfin à montrer que le seul problème partagé par toutes les lesbiennes, ce sont bien les misogynes et les réactionnaires. • TIMÉ ZOPPÉ
— : « Thelma » de Joachim Trier Le Pacte (1 h 56) Sortie le 22 novembre
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1. Marolleau, Émilie, « Représentation des lesbiennes et autocensure au cinéma : quelle visibilité pour l’homosexualité féminine dans les films de l’ère du code Hays aux États-Unis (1930-1968) » in Circé. Histoires, cultures et sociétés, 16 mars 2015.
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© SPACE ROCKET/GAUMONT/WILD BUNCH
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MICROSCOPE
LE POULS BLEU
Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, de film en film, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : un reflet qui palpite dans Jeanne Dielman. 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman.
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Jeanne
ouvre la nappe de toile cirée, qui était pliée en huit et dont elle ne recouvre que la moitié de la table parce qu’ils ne seront que deux à manger, ce soir comme tous les autres, Jeanne et son fils, qui va rentrer bientôt et qui ne retirera pas la nappe quand il faudra, le repas fini, relire pour le lycée des vers de Baudelaire. Quand Jeanne est entrée dans la salle à manger, il faisait noir, elle a posé la nappe avant d’allumer. Mais pas tout à fait noir : sur le mur une lumière clignotait de haut en bas, bleue, faible et régulière, venue du dehors et d’un probable néon, qui persiste en reflet sur la vitrine où dorment un chien de porcelaine et un plateau en laiton, après que Jeanne a actionné l’interrupteur. Quand le fils arrive, un autre plan, un autre axe, montre la fenêtre où le néon gonfle de couleur le rideau blanc, comme la voile d’un bateau. Et d’ailleurs pendant le repas, le reflet continue de battre sur la vitrine comme l’écho d’un phare lointain, comme si la salle à manger était, moins qu’une salle à manger, la cabine d’un chaland perdu dans une mer noire. Ou alors : une île. Une île proche des côtes mais coupée du monde. L’appartement de Jeanne est une île. Jeanne est une île. Jeanne est l’appartement. Sur la vitrine, le reflet est celui du dehors tout entier, qui reste un mystère tant les rares sorties de Jeanne ne sont, d’un commerce à l’autre, que le prolongement de sa vie domestique, et même le café que chaque jour elle va boire seule et qui est son unique loisir. Le vrai dehors, celui où d’autres vies palpitent, où d’autres histoires se nouent, ne sera pas vu, pas même par la fenêtre d’où, chez Akerman, on aime regarder le monde. Dans les films d’Akerman, le dehors est toujours un océan ; le flux des voitures est une houle, les fenêtres sont des hublots. Jeanne Dielman, pourtant resté à quai (quai du Commerce, no 23, 1080 Bruxelles) est
Dans les films d’Akerman, le dehors est toujours un océan. un long voyage en mer. Mais est-ce bien l’extérieur, est-ce bien le monde, au fond, qui respire en bleu sur la vitrine et sur le mur ? En tout cas, c’est une respiration : c’est vivant. Et c’est vivant parce qu’on l’entend : à voir le clignotement muet, on entend comme un battement de cœur, rapide. Les films d’Akerman font de chaque décor un potentiel orchestre, tous sont des comédies musicales, sur une partition de musique concrète : il n’y a pas un mot prononcé ici, pendant toute la scène du dîner, seulement le bruit des pas quand il faut retourner à la cuisine, le cliquetis des cuillères dans les assiettes de soupe. Alors à force de le voir battre dans ce presque silence, le pouls bleu sur la vitrine finit par donner l’impression d’être entendu. Et si c’était Jeanne, le battement de son cœur, inaudible ailleurs tant la vie domestique a bu en elle toute trace de vie ? Et si, plutôt qu’un phare, plutôt qu’un battement de cœur, le bleu qui martèle était un cri, le cri intérieur de Jeanne, étouffé dans les murs étanches de son quotidien ? Quand, à l’autre bout du film, l’émotion sera sortie de Jeanne sous la forme d’un coup de ciseaux, il n’y aura plus que Jeanne dans la salle à manger, son reflet sur le bois vernis de la table, et derrière, dans la pénombre, le battement de cœur du néon substitué pour de bon à son corps éteint. • JÉRÔME MOMCILOVIC
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NANAR WARS
NAVETS SPÉCIAUX
Tout
le monde a vu Tarzan, les classiques avec Johnny Weissmuller ou les innombrables reprises avec Christophe Lambert ou Alexander Skarsgård. Mais connaissez-vous la version indienne de 1985, signée Babbar Subbash, ou la version turque de 1952, par Orhan Atadeniz ? Outre leurs affiches hallucinantes, ces navets ont en commun d’avoir utilisé sans autorisation le personnage d’Edgar Rice Burroughs, à l’instar d’innombrables films ayant détourné des licences anglo-saxonnes célèbres, de Superman à Rambo en passant par King Kong ou Harry Potter. Amoureux du cinéma de genre et des bizarreries, Emmanuel Vincenot et Emmanuel Prelle ont recensé des dizaines de remakes illégaux aux quatre coins du globe, notamment en Inde, au Brésil ou au Bangladesh, où le plagiat cinématographique est une industrie. Le résultat, Nanar Wars, est un petit livre instructif et bidonnant, véritable guide d’un sous-genre méconnu, avec ses codes, ses stars et ses chefs-d’œuvre. Ils commentent pour nous leurs plus belles trouvailles. • BERNARD QUIRINY
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PORTFOLIO
Adventures of Tarzan de Babbar Subhash (Inde, 1985, 2 h 20) « L’Inde est une superpuissance du cinéma de contrefaçon qui a produit à elle seule des dizaines de clones de Tarzan. Pourquoi ce personnage est-il aussi populaire à Bollywood ? Le mystère reste aussi épais qu’un dhal de lentilles. Toujours est-il que cette version de 1985 a fait date grâce à son casting de choc – admirez les pectoraux de l’homme-singe –, ses chansons entraînantes et ses chorégraphies olé olé. Cerise sur le gâteau : le film regorge d’éléphants. »
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NANAR WARS
Shikari de Mohammed Hussain (Inde, 1963, 2 h 19) « Cette imitation indienne du mythique King Kong de 1933 reprend très approximativement l’histoire originale, en y ajoutant une fin différente et des chorégraphies approximatives. Qu’on se rassure : dans Shikari, King Kong ne chante pas et ne danse pas. Par contre, on y trouve une tribu cannibale, un scientifique fou, ainsi que des dizaines et des dizaines de clowns faisant du patin à roulettes, ce que l’affiche se garde bien de préciser. Âmes sensibles, s’abstenir. »
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Dünyayi Kurtaran Adam. Turkish Star Wars de Çetin Inanç (Turquie, 1982, 1 h 25) « Tout l’esprit de ce pillage en règle de Star Wars est contenu dans cette photo foisonnante, qui met en scène le plus grand acteur de nanars que la Terre ait jamais porté (au premier plan, à droite, avec la mâchoire crispée, et aussi à l’arrière-plan, à gauche, avec des gants de jardinage plaqués or), insensible au ridicule comme certains le sont à la douleur. Turkish Star Wars est grand et Cüneyt Arkın est son prophète. »
La mujer murciélago de René Cardona (Mexique, 1968, 1 h 30) « Dans la baie d’Acapulco, sur fond de musique jazzy, une richissime catcheuse-justicière habillée comme Batwoman poursuit des hommes-poissons qui ressemblent à des langoustes géantes. Notre super-héroïne a en effet décidé de consacrer son existence à lutter contre le crime et à porter des tenues sexy. C’est sixties, c’est mexicain, c’est n’importe quoi. Trois bonnes raisons pour ne pas passer à côté de cette perle du cinéma de contrefaçon, à l’affiche particulièrement réussie. »
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NANAR WARS
Bacalhau d’Adriano Stuart (Brésil, 1975, 1 h 35) « Dans la version originale des Dents de la mer de Steven Spielberg, tout le monde est stressé, y compris le requin. Mais dans ce remake rigolard et brésilien, tourné à Copacabana à l’heure de l’apéro, tout le monde est détendu : le requin, car il croit qu’il va manger la jeune fille ; la jeune fille, car elle sait que le requin est en plastique ; et, surtout, le spectateur qui découvre l’affiche, car il sait qu’il va savourer un navet de haute volée. »
— : « Nanar Wars » d’Emmanuel Vincenot et Emmanuel Prelle (Wombat, 155 p., 19,90 €) • « Nanar Wars. L’expo » jusqu’au 25 novembre à la French Paper Gallery
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ZOOM ZOOM LES FILMS DU MOIS À LA LOUPE
8 NOV.
Jalouse de David et Stéphane Foenkinos StudioCanal (1 h 42) Page 74
Simon et Théodore de Mikael Buch Rezo Films (1 h 24) Pages 42 et 67
We Blew It de Jean-Baptiste Thoret Lost Films (2 h 17) Pages 12 et 66
Tout nous sépare de Thierry Klifa Mars Films (1 h 38) Page 74
M de Sara Forestier Ad Vitam (1 h 38) Page 68
Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot Les Acacias (1 h 54) Page 14
Wallace et Gromit Cœurs à modeler de Nick Park Folimage (59 min) Page 81
Le Musée des merveilles de Todd Haynes Metropolitan FilmExport (1 h 57) Page 68
A Beautiful Day de Lynne Ramsay SND (1 h 25) Page 26
Derrière les fronts Résistances et résiliences en Palestine d’Alexandra Dols Vendredi (1 h 53)
Diane a les épaules de Fabien Gorgeart Haut et Court (1 h 27) Page 70
En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui Ad Vitam (1 h 53) Page 30
Margaret de Rebecca Daly Outplay (1 h 36)
Maryline de Guillaume Gallienne Gaumont (1 h 47) Page 74
Prendre le large de Gaël Morel Les Films du Losange (1 h 43) Page 66
La Mélodie de Rachid Hami UGC (1 h 42)
Bangkok Nites de Katsuya Tomita Survivance (3 h 03) Page 75
À nous de jouer ! d’Antoine Fromental Jour2fête (1 h 31) Page 67
Borg/McEnroe de Janus Metz Pedersen Pretty Pictures (1 h 48) Page 74
15 NOV. Le Semeur de Marine Francen ARP Sélection (1 h 40) Pages 22 et 74
Chavela Vargas de Catherine Gund et Daresha Kyi Bodega Films (1 h 30) Page 75
Faire la parole d’Eugène Green Les Valseurs (1 h 56) Page 75
29 NOV.
Khibula de George Ovashvili Arizona (1 h 38) Page 75
Argent amer de Wang Bing Les Acacias (2 h 36) Page 60
Paradis d’Andreï Kontchalovski Sophie Dulac (2 h 10) Page 75
Battle of the Sexes de Jonathan Dayton et Valerie Faris 20 th Century Fox (2 h 01) Page 70
12 jours de Raymond Depardon Wild Bunch (1 h 27) Page 62
L’École de la vie de Maite Alberdi Docks 66 (1 h 32) Page 81
La Lune de Jupiter de Kornél Mundruczó Pyramide (2 h 03) Page 72
La Villa de Robert Guédiguian Diaphana (1 h 47) Page 64
Good Vibrations de Lydia Erbibou Esperanza Productions (1 h 09)
Western de Valeska Grisebach Shellac (2 h 01) Page 72
Éditeur de Paul OtchakovskyLaurens Norte (1 h 23) Page 76
Justice League de Zack Snyder Warner Bros. (2 h 01)
La educación del Rey de Santiago Esteves Urban (1 h 36) Page 76
Plonger de Mélanie Laurent Mars Films (1 h 42) Page 76
Par instinct de Nathalie Marchak Condor (1 h 27)
Ice Mother de Bohdan Sláma Why Not Productions (1 h 45) Page 76
Coco de Lee Unkrich et Adrian Molina Walt Disney (1 h 40) Page 80
Marvin ou la Belle Éducation d’Anne Fontaine Mars Films (1 h 53) Page 76
Le Bonhomme de neige de Tomas Alfredson Universal Pictures (1 h 59)
Le Brio d’Yvan Attal Pathé (1 h 35)
The Long Excuse de Miwa Nishikawa Mag (2 h 04)
22 NOV. Thelma de Joachim Trier Le Pacte (1 h 56) Page 44
FILMS
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ARGENT AMER
Contraints
de quitter leur province du Yunnan pour travailler, ils sont des milliers de jeunes adultes à traverser la Chine d’ouest en est dans des wagons pleins à craquer, pour joindre leurs petites mains à celles des ouvriers de Húzhōu, cité prospère des environs de Shanghai. Loin de la fresque misérabiliste à quoi l’exposait son sujet, Argent amer fait renouer Wang Bing avec l’histoire en marche de son pays, quinze ans après le sublime À l’Ouest des rails (2002, 2004 pour la sortie française). Outre les thèmes de la désindustrialisation déboussolée et du travail volatil, d’un film à l’autre, c’est surtout la pugnacité du projet qui sidère : ne rien montrer du décor, pour mieux saisir la Chine au miroir des hommes. C’est la force discrète d’une œuvre opiniâtrement humaniste, dans laquelle la simple présence
de protagonistes constitue déjà une prouesse, dans un monde prolétaire plus prompt à fondre les individualités dans la masse qu’à les distinguer. Il ne faut pas interpréter autrement les regards intrigués de ces travailleurs qui semblent se demander ce que la caméra peut bien leur trouver d’intéressant, à l’image de cet homme qu’un patron vient de renvoyer pour cause de lenteur, et que Wang Bing arrache de l’anonymat en le suivant sans relâche de l’instant où il rassemble ses affaires à son départ vers une autre usine, recueillant pour la première fois une parole condamnée à ne jamais être écoutée. • ADRIEN DÉNOUETTE
— : de Wang Bing Les Acacias (2 h 36) Sortie le 22 novembre
—
3 QUESTIONS À WANG BING (PAR J. R.) Comment avez-vous eu l’idée de filmer l’impressionnante cité ouvrière qu’est Húzhōu ? En août 2014, il y a eu un tremblement de terre dans la région du Yunnan. Je m’y suis rendu sans projet particulier et j’y ai rencontré des jeunes qui partaient dans la province voisine pour trouver du travail. Je les ai suivis, et je me suis finalement installé là-bas pendant deux ans.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris quand vous êtes arrivé sur place, après deux jours de train ? Ce qui m’a le plus surpris, c’est l’ampleur de cette ville ouvrière, qui compte 20 000 ateliers et 300 000 ouvriers. Ils travaillent sans relâche du matin au soir mais ne gagnent pas assez pour vivre correctement. Où va toute la richesse qu’ils produisent ? 62
Qu’est-ce qui a changé pour les ouvriers depuis votre premier documentaire, À l’ouest des rails ? Ce qui a changé en quinze ans, c’est bien sûr le modèle économique. On est passés de la planification économique à une économie de marché qui s’applique même aux ouvriers, payés au nombre de pièces produites. Pour avoir plus d’argent, il faut travailler plus, et ce travail épuise les gens.
UN FILM MERVEILLEUX
EX LIBRIS FAIT UN BIEN FOU
LE MONDE
UNE PURE MERVEILLE DE CINÉMA POLITIQUE SLATE
TÉLÉRAMA
PRIX FIPRESCI de la critique internationale
LE FILM QUI A ILLUMINÉ LA 74 ÈME MOSTRA DE VENISE LIBERATION
CHEZ WISEMAN, UNE PETITE GOUTTE D’AMÉRIQUE REFLÈTE LE PAYS TOUT ENTIER TROIS COULEURS
THE NEW YORK PUBLIC LIBRARY UN FILM DE
FREDERICK WISEMAN
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
FILMS
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12 JOURS
Après
San Clemente, Délits flagrants et 10e chambre. Instants d’audience, Raymond Depardon installe à nouveau sa caméra entre les murs d’une institution, pour une galerie de portraits à la fois sobres et bouleversants de patients en situation de péril psychiatrique. 12 jours, soit le temps que doit attendre un individu interné contre son gré en hôpital psychiatrique pour qu’un juge décide s’il peut ou non être remis en liberté. Fidèle à sa méthode (plan fixe, aucune intervention), le cousin français du maître Frederick Wiseman explore ici les rouages du centre hospitalier Le Vinatier à Lyon, un lieu à la croisée de la clinique, de la prison et du tribunal. Le film se déroule majoritairement dans une petite salle d’audience où défile une succession de malades en attente de leur passeport de sortie. Une salle que l’on quitte parfois pour suivre le quotidien répétitif de ces êtres, dont le destin a soudainement basculé, errant dans les couloirs de l’hôpital comme des boussoles sans aimant. 12 jours vaut ainsi surtout pour les instantanés de ces âmes en peine (certaines au bout du rouleau, d’autres au bord de l’implosion), obligées de revenir en quelques minutes sur leurs trajectoires de vie cabossées, en espérant
convaincre le juge qu’elles méritent une nouvelle chance. Des audiences cloîtrées et feutrées, à l’intérieur desquelles vient pourtant chaque fois résonner, par échos déchirants, l’extraordinaire violence du monde – du travail, du milieu familial ou bien des rapports amoureux. Avec une neutralité sans pareille, Depardon filme le désespoir de la conscience qui se sent dégringoler pour de bon, mais aussi la résilience et la ténacité de ceux qui, envers et contre tout, cherchent à maintenir la tête hors de l’eau. Subtilement, le réalisateur n’oublie pas non plus d’enregistrer les défaillances de cette machinerie médicale et judiciaire, entre avocats démissionnaires et magistrats incapables d’offrir à certains malades des solutions adaptées. « De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou. » En plaçant cette citation de Michel Foucault en préambule, 12 jours rappelle ainsi combien, de tout temps, la folie porte en elle une vérité implacable sur notre monde, et combien il y a autant à apprendre qu’à craindre de ces êtres que la société refoule en faisant mine de s’occuper d’eux. • LOUIS BLANCHOT
Depardon filme le désespoir de la conscience qui se sent dégringoler pour de bon.
— : de Raymond Depardon Wild Bunch (1 h 27)
Sortie le 29 novembre
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FILMS
ans après Marius et Jeannette, Robert Guédiguian signe son vingtième long métrage, une œuvre ample et généreuse peuplée par deux générations d’acteurs « maison », tous éblouissants.
L e cinéma de Guédiguian, ce ne sont pas uniquement des personnages au verbe haut et à l’accent chantant. Ce dernier film s’ouvre d’ailleurs sur le visage d’un vieil homme que la maladie a rendu muet. Installé sur la terrasse de sa villa, il semble tout à la fois contempler l’horizon et considérer le chemin parcouru. Cette première scène donne le ton d’une œuvre dont la profonde mélancolie est adoucie par le sentiment d’harmonie que procure la nature (ici, une calanque aux allures de refuge paradisiaque) et par une inébranlable foi en l’humanité. Le patriarche est entouré de ses trois enfants, Angèle, Joseph et Armand, interprétés par Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan. Chacun se débrouille comme il peut avec le temps qui file et les trahisons qui se faufilent. Armand continue de gérer le restaurant ouvrier familial pendant que Joseph, cadre au chômage, fustige une époque où l’on a « la tête à droite et le cœur à gauche ». Angèle, elle, exprime ses émotions au théâtre, « cet endroit où on peut refaire le monde »
– Guédiguian dit justement s’être inspiré de La Cerisaie de Tchekhov pour ce film, qui cite aussi Bertolt Brecht ou Paul Claudel. Loin de transformer sa Villa en maison de retraite pour anciens combattants, Guédiguian y accueille volontiers la jeune génération, dont la hardiesse vient bousculer les certitudes et les habitudes. Le cinéaste marseillais scrute ainsi avec la même tendresse Yvan (Yann Tregouët), qui embarrasse ses parents en leur proposant une aide financière, Bérangère (Anaïs Demoustier), dont l’énergie tranche avec l’apathie de Joseph, son compagnon, ou Benjamin (Robinson Stévenin), qui bouleverse Angèle en lui faisant un aveu inattendu. La Villa confronte avec un mélange d’audace et de pudeur le passé et le présent, les fantômes d’hier et les invisibles d’aujourd’hui. Lorsque les migrants s’invitent à la table, cette irruption ne représente pas la menace d’une désintégration, mais bien l’espoir d’une réconciliation. Au bout du compte, plutôt que « c’était mieux avant », Guédiguian préfère nous dire : « Tout est encore possible. » • JULIEN DOKHAN
Chacun se débrouille comme il peut avec le temps qui file et les trahisons qui se faufilent.
— : de Robert Guédiguian Diaphana (1 h 47) Sortie le 29 novembre
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Vingt
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LA VILLA
FILMS
PRENDRE LE LARGE
— : de Gaël Morel Les Films du Losange (1 h 43) Sortie le 8 novembre
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Le
sixième long métrage de Gaël Morel (Après lui, Les Chemins de l’oued) offre à Sandrine Bonnaire son plus beau rôle depuis longtemps. Celui d’Édith, une ouvrière qui, à la suite d’un plan social, accepte un reclassement à Tanger. Loin d’un fils avec qui elle a rompu le contact, elle se lie d’amitié avec Mina, qui l’héberge dans sa pension… À la bonne distance, Morel filme le désarroi du monde ouvrier d’ici et d’ailleurs, et celui de son héroïne, perdue dans une ville dont elle ignore les codes. Prendre le large réunit les thèmes de ses précédents films (la séduction du Maghreb, une relation mère-fils tendue, l’homosexualité), mais au sein d’un récit à la forme plus apaisée, qui tend vers le classicisme, au meilleur sens du terme. Sandrine Bonnaire rend compte avec justesse et conviction de l’évolution d’un personnage en quête de sens. Et l’on peut voir, dans l’image de cette femme debout qui trouve le chemin d’une renaissance en mettant les voiles, un émouvant écho aux premiers plans de la même Bonnaire dans À nos amours de Maurice Pialat, sur la proue d’un bateau, le regard tourné vers l’horizon. • JULIEN DOKHAN
WE BLEW IT
— : de Jean-Baptiste Thoret Lost Films (2 h 17) Sortie le 8 novembre
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« You
know, Billy. We blew it. » (« Tu sais, Billy. On a tout foiré. ») Triste aveu que celui de Peter Fonda à la fin d’Easy Rider. Comme si le film de Dennis Hopper qui, en 1969, marqua la naissance du Nouvel Hollywood, prédisait dans le même temps la fin du mouvement. L’agent orange du Viêt Nam noircit le ciel de Woodstock, Manson dénie le flower power. Bientôt, les hippies se réveilleront yuppies, et, un jour, Donald Trump sera président. Pourtant, l’aura libertaire des seventies rayonne toujours outre-Atlantique. Pour le comprendre, le critique Jean-Baptiste Thoret prend la route de New York à Los Angeles, dans la grande tradition du road movie. Devant sa caméra, des individus anonymes ou illustres (Tobe Hooper, Michael Mann…) racontent ces années-là. La contre-culture qu’ils évoquent semble aujourd’hui loin, Needle Park a été récuré, et l’autoroute a éclipsé la route 66 ; même Trump est perçu comme une figure contestataire, en ce qu’il s’opposerait au système. Et si les années 1970 restent ce moment où tout semblait encore possible, le dernier plan du film répond à sa façon aux nostalgiques : le passé est histoire, il faut avancer. • MARION ROSET
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FILMS
À NOUS DE JOUER ! — : d’Antoine Fromental Jour2fête (1 h 31) Sortie le 8 novembre
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SIMON ET THÉODORE
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sa caméra, Antoine Fromental s’est infiltré pendant un an au collège Jean Macé, à Clichy. Dans l’enceinte de l’établissement, les élèves de troisième peuvent intégrer, au choix, une classe de théâtre ou de rugby. Les uns planchent sur la conception puis la mise en scène d’une adaptation contemporaine de Roméo et Juliette de Shakespeare, tandis que les autres préparent les championnats de France. Entre des scènes chorales drôles, enlevées, et des séquences plus intimistes (« J’ai le cul entre deux couleurs de peau », formule joliment une élève, pour parler de ses origines métissées), le documentaire, en partie tourné au moment des attentats contre Charlie Hebdo, se situe à une période charnière de leur vie personnelle (le choix entre une filière pro ou générale à la sortie du collège) et collective (le climat politique tendu qui a entouré ces dramatiques événements). En dépassant largement l’expérimentation pédagogique, ce récit d’initiation – et avec lui le documentaire À voix haute. La force de la parole de Ladj Ly et Stéphane de Freitas, sorti en 2016 – nous montre toutes les ressources d’une jeunesse en mal de repères. • JOSÉPHINE LEROY
— : de Mikael Buch Rezo Films (1 h 24) Sortie le 15 novembre
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Simon
(Félix Moati) va devenir père et veut prouver à Rivka (Mélanie Bernier) que, malgré ses problèmes psychiatriques, il pourra s’occuper de leur futur enfant. Il va lui montrer qu’il sait être responsable en tentant de raisonner Théodore, un ado dont Rivka est le rabbin et qui a pris la fuite en plein Paris, furieux que son père ne soit pas venu à sa bar-mitzvah… Après Let My People Go, un premier long métrage qui combinait excentricité façon Pedro Almodóvar et humour juif à la Woody Allen, Mikael Buch revient avec une comédie malicieuse et sophistiquée qui évoque plutôt les derniers films d’Axelle Ropert (Tirez la langue, mademoiselle). À sa manière, il sait instiller de purs instants de mélancolie lunaire dans une intrigue qui fait souvent sourire. Avec empathie, il prend soin de saisir tout à la fois la fantaisie et les blessures de chacun de ses personnages (y compris les secondaires : le cinéaste révèle, par exemple, toute la densité de jeu d’Audrey Lamy – la mère de Théodore – que l’on n’avait jamais vu aussi émouvante.) C’est surtout cette grande attention portée à ses héros allumés et lumineux qui rend le film si généreux et attachant. • QUENTIN GROSSET
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Avec
FILMS
LE MUSÉE DES MERVEILLES
— : de Todd Haynes
Metropolitan FilmExport (1 h 57) Sortie le 15 novembre
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Après
sa Carol, sous influence Douglas Sirk, Todd Haynes lorgne cette fois du côté de Steven Spielberg avec ce conte sur deux enfants malentendants hypnotisés par l’effervescence de New York. Dans les années 1970, Ben, un préado du Minnesota, est recueilli par sa tante après la mort de sa mère (Michelle Williams). En parallèle se joue l’histoire de Rose, une petite fille sourde du New Jersey qui, en 1927, se passionne pour une actrice du muet (Julianne Moore). Todd Haynes fait d’abord allégrement résonner les époques, jusqu’à mélanger différents temps de la seule vie de Ben. Après que le garçon perd lui aussi l’ouïe, il fugue à New York pour chercher son père inconnu ; Rose, elle, s’y rend pour rencontrer l’actrice qui l’obsède. Chacun découvre en parallèle la ville avec un émerveillement d’autant plus intense qu’il n’a que la vue pour l’appréhender. Au son des géniales compositions de Carter Burwell, Haynes montre les rues de New York qui grouillent de vie. Loin du sensationnel, l’émotion affleure des doux échos entre les êtres, et entre des motifs, telles les étoiles que l’on perçoit dans les lumières de la ville et les yeux de ces touchants enfants. • TIMÉ ZOPPÉ
M
— : de Sara Forestier Ad Vitam (1 h 38) Sortie le 15 novembre
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Ce
n’est pas la première fois que Sara Forestier passe derrière la caméra (elle a trois courts métrage à son actif, dont Un, deux, toi en 2008), mais l’actrice signe ici son premier long métrage. Elle y met en scène la rencontre entre deux jeunes de banlieue souffrant de difficultés communicationnelles : Lila, une bègue qu’elle incarne, et Mo (Redouanne Harjane), un illettré dissimulant ses lacunes par une verve saccadée. Avec pareil synopsis, le risque était grand de s’embourber dans un mélodrame social tire-larmes. Mais la réalisatrice, qui a été à bonne école avec son ancien mentor, Abdellatif Kechiche (L’Esquive), instille ici une surprenante poésie réaliste, grâce à ses décors (la caravane de Mo, filmée sous tous les angles dans un parking désert qui contraste avec l’hyperactivité du personnage), ses dialogues et son casting – la malice et l’effronterie de la petite sœur de Lila, jouée par Liv Andren, détonnent, autant que le jeu de Jean-Pierre Léaud, génial en père démissionnaire et antipathique. Avec délicatesse, Sara Forestier questionne notre rapport à la norme en racontant, de façon dépouillée, la marginalité de ses personnages. • JOSÉPHINE LEROY
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“UNE GRANDE ÉMOTION” TÉLÉRAMA
“UNE OEUVRE CITOYENNE” LE PARISIEN
FILMS
DIANE A LES ÉPAULES
— : de Fabien Gorgeart Haut et Court (1 h 27) Sortie le 15 novembre
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C’est
la chronique d’une grossesse bien particulière que propose Fabien Gorgeart dans ce premier long métrage pétillant et intelligemment construit autour du corps. Diane (Clotilde Hesme), une célibataire extravertie, accepte de porter l’enfant de Thomas (Thomas Suire) et Jacques (Grégory Montel), ses meilleurs amis. Persuadée que sa vie n’en sera pas affectée, elle commence une histoire avec Fabrizio (Fabrizio Rongione)… La mise en scène solaire et raffinée du film joue – et c’est très beau – avec l’évolution corporelle de l’héroïne, notamment concernant le décor d’une maison de vacances, théâtre de sa grossesse : à mesure que son ventre s’arrondit, les pièces qu’elle retape prennent des formes courbes, alors que Fabrizio installe une piscine ronde dans son jardin. Mais la qualité du film tient aussi à autre chose : grâce à ses dialogues justes, parfois mordants, il interroge subtilement, sans donner de réponses toutes faites, nos conceptions modernes de la maternité, à l’heure où la PMA suscite la controverse. Plutôt qu’un film-tract, Diane a les épaules est un film-tact. • JOSÉPHINE LEROY
BATTLE OF THE SEXES
— : de Jonathan Dayton et Valerie Faris 20th Century Fox (2 h 01) Sortie le 22 novembre
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Retraçant
la genèse d’un match de tennis légendaire, les réalisateurs de Little Miss Sunshine (2006) et Elle s’appelle Ruby (2012) frappent un nouveau coup maîtrisé. Le 20 septembre 1973, Billie Jean King, numéro 1 mondial du tennis féminin, affronte Bobby Riggs, alors âgé de 55 ans et ancien numéro 1 masculin. Battle of the Sexes raconte la genèse de cet événement médiatique planétaire initié par Riggs, qui voulait bêtement prouver que le tennis féminin était inférieur à son équivalent masculin. La réussite du film tient certes à son casting impeccable (Emma Stone, inattendue dans le rôle de la joueuse, est parfaite ; Steve Carell est une évidence en vieux champion hyperactif à rouflaquettes), mais aussi à son savant dosage entre le parcours de chacun. Alors que Riggs cède aux démons du jeu et cabotine en gagnant des matchs grotesques (il joue, par exemple, en tenant des lévriers en laisse), King découvre son homosexualité et organise son propre tournoi féminin. Jaugeant aussi le poids de l’image médiatique sur l’issue des matchs, les cinéastes montrent bien que le tennis, comme le féminisme, se joue d’abord au mental. • TIMÉ ZOPPÉ
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FILMS
LA LUNE DE JUPITER
— : de Kornél Mundruczó Pyramide (2 h 03) Sortie le 22 novembre
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Après
le terrassant White God, le Hongrois Kornél Mundruczó met à nouveau le cinéma de genre au service d’une allégorie politique. Ici, l’Europe est vue comme un cauchemar décrépi à travers les yeux d’un migrant doté de super-pouvoirs. Thriller fantastique tendu, conte moral sur fond de crise de foi et brûlot politique sur la montée du fascisme en Europe, La Lune de Jupiter suit le parcours, dans une Hongrie crépusculaire, d’Aryan, immigré clandestin serbe soudainement doté du pouvoir de léviter. Dans de magnifiques séquences en apesanteur, le personnage plane tel un ange désolé et regarde littéralement le monde à l’envers. Ce miracle attire la convoitise d’un médecin déchu, bien décidé à en faire commerce. Déroutant, parfois casse-gueule, le film oscille périlleusement entre constat social (police mafieuse, repli identitaire, conflit de classe), discussion philosophique sur la religion et la morale, et de longues scènes d’action fébriles. On reste pourtant fasciné par la recherche formelle, l’envie d’en découdre autant avec le réel qu’avec le cinéma de ce film malade d’un monde qui ne tourne pas rond. • RENAN CROS
WESTERN
— : de Valeska Grisebach Shellac (2 h 01) Sortie le 22 novembre
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Pour
son deuxième long métrage, Valeska Grisebach joue aux cow-boys et aux Indiens à la frontière entre la Bulgarie et la Grèce. Les prémices de Western nous mettent sur la piste d’une équipe d’ouvriers allemands convoyant des engins dans les collines bulgares où ils doivent établir un chantier. Au Far West américain se substitue le sud-est de l’Europe, tout aussi sauvage aux yeux de ces conquérants modernes. Arrivés au campement, ils plantent le drapeau de leur pays sous le nez des autochtones. Mais les matériaux n’arrivent pas, l’inaction s’installe, et l’orage de la violence gronde… Parmi eux, un seul décide de nouer amitié avec les habitants de la région : Meinhard (Meinhard Neumann), archétype du cow-boy solitaire loin de son foyer, aussi intense que taiseux. Sa rencontre avec une autre culture se fera autant par le dépassement des barrières du langage que par l’évocation d’une histoire commune, de la chute du communisme aux inégalités du marché commun. Devant la caméra subtile et lancinante de Valeska Grisebach, le western change ainsi de direction sans renier ses mythologies, pour tendre un fascinant miroir à nos identités européennes. • MICHAËL PATIN
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FILMS BORG/MCENROE
Il était temps que le cinéma se penche sur le duel historique entre Björn Borg et John McEnroe, qui fit le délice des spectateurs à l’orée des eighties. C’est chose faite avec ce biopic qui entrecroise les trajectoires des deux tennismen que tout a opposé sur les courts, et que tout a fini par réunir dans la vie (Borg fut le témoin de mariage de McEnroe). • L. B.
— : de Janus Metz Pedersen (Pretty Pictures, 1 h 48) Sortie le 8 novembre
JALOUSE
Nathalie (Karin Viard), une prof de lettres divorcée qui vit seule avec sa fille de 18 ans, est soudainement prise d’une jalousie maladive qui devient vite invivable pour son entourage. Après La Délicatesse (2011), David Foenkinos et son frère Stéphane brossent finement le portrait d’une femme malheureuse, avec un ton cynique aussi décomplexé que savoureux. • E. M.
— : de David et Stéphane Foenkinos (StudioCanal, 1 h 42) Sortie le 8 novembre
TOUT NOUS SÉPARE
Issu d’une cité de Sète, Ben fait chanter Louise, une bourgeoise qui couvre le meurtre commis par sa fille (Diane Kruger). Mais, malgré ce qui les oppose, le jeune homme et la retraitée vont devoir composer ensemble pour échapper à des caïds… Pour son premier rôle tout en tension, le rappeur Nekfeu se mesure avec affront et talent à Catherine Deneuve. • Q. G.
— : de Thierry Klifa (Mars Films, 1 h 38) Sortie le 8 novembre
MARYLINE
À 20 ans, Maryline (Adeline d’Hermy) quitte son petit village pour devenir actrice à Paris. Au départ timide et vulnérable, brusquée par des cinéastes mal intentionnés, elle va muscler son jeu pour devenir une grande… Guillaume Gallienne semble mettre beaucoup de son vécu dans ce portrait un peu trop emphatique mais sincère. • Q. G.
— : de Guillaume Gallienne (Gaumont, 1 h 47) Sortie le 15 novembre
LE SEMEUR
En 1852, un village est privé de ses hommes, raflés par l’armée de Bonaparte. Un jour, les femmes concluent un étrange pacte : si un homme arrive, elles se le partageront… Qu’elle soit authentique ou non, cette histoire permet à la cinéaste de confronter avec pudeur les aspirations de femmes de toutes générations, incarnées par des actrices lumineuses. • J. Do.
— : de Marine Francen (ARP Sélection, 1 h 40) Sortie le 15 novembre
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FILMS BANGKOK NITES
Prostituée, Luck exerce dans une rue de la fiévreuse capitale thaïlandaise fréquentée par une clientèle japonaise. Elle recroise un ancien amant et décide de l’accompagner au Laos… Entre plongée réaliste et rêverie poétique, le film du Japonais Katsuya Tomita bouleverse par sa beauté plastique et son attention aux profondes souffrances de ses personnages. • E. M.
— : de Katsuya Tomita (Survivance, 3 h 03) Sortie le 15 novembre
CHAVELA VARGAS
Ce documentaire composé d’images d’archive revient avec douceur sur le parcours en dents de scie de Chavela Vargas, grande figure du ranchera (genre musical proche du mariachi), de ses blessures d’enfance à son homosexualité dans une société catholique et patriarcale, en passant par la gloire et par son alcoolisme chronique. • E. M.
— : de Catherine Gund et Daresha Kyi (Bodega Films, 1 h 30) Sortie le 15 novembre
KHIBULA
En 1993, un président déchu tente de revenir exercer son pouvoir en Géorgie. Protégé par une poignée d’hommes, il parcourt discrètement les montagnes pour rallier des militaires à sa cause… Après le sidérant La Terre éphémère (2014), George Ovashvili célèbre à nouveau avec poésie la puissance de la nature, meilleure alliée de l’être humain. • T. Z .
— : de George Ovashvili (Arizona, 1 h 38)
Sortie le 15 novembre
PARADIS
Durant la Seconde Guerre mondiale, les destins de Jules, un policier et collaborateur français, de Helmut, un SS et noble allemand, et d’Olga, une aristocrate et résistante russe, se croisent. Au fil de scènes intimistes, ce long métrage russe sonde les âmes de ses héros avec une puissance visuelle, émotionnelle et spirituelle bouleversante. • E. M.
— : d’Andreï Kontchalovski (Sophie Dulac, 2 h 10) Sortie le 15 novembre
FAIRE LA PAROLE
Réalisateur hors mode animé par un souci de transmission, Eugène Green (Le Fils de Joseph) consacre son premier documentaire à la langue et à la culture basque. Capturées avec ferveur et patience, superbement éclairées, les conversations de jeunes gens autour de l’attachement à leurs origines en constituent les plus beaux moments. • J. Do.
— : d’Eugène Green (Les Valseurs, 1 h 56)
Sortie le 15 novembre
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FILMS LA EDUCACIÓN DEL REY
À Mendoza, Reynaldo participe à un cambriolage qui tourne mal et tombe dans le jardin d’un vieil homme en tentant de fuir. Au lieu d’appeler la police, celui-ci préfère donner une leçon plus constructive au délinquant… Ce premier long métrage à la réalisation très classique se distingue par son regard incisif sur la société argentine actuelle. • E. M.
— : de Santiago Esteves (Urban, 1 h 36) Sortie le 22 novembre
MARVIN OU LA BELLE ÉDUCATION
Rejeté et molesté par son entourage durant son enfance dans les Vosges, Marvin tente de comprendre pourquoi il se sent différent et comment il pourrait changer son destin… Anne Fontaine s’inspire librement d’En finir avec Eddy Bellegueule, l’autobiographie d’Édouard Louis, pour s’approprier cette poignante histoire de transfuge de classe. • T. Z .
— : d’Anne Fontaine (Mars Films, 1 h 53) Sortie le 22 novembre
ICE MOTHER
Hana est une veuve dévouée à ses deux fils, mais ceux-ci abusent de sa gentillesse, et les repas de famille sont toujours pesants. La rencontre de cette dame solitaire avec Broňa, nageur dans les rivières glacées, va bouleverser son morne quotidien… Un long métrage tchèque tout sauf glacial qui fait le récit d’une émancipation sur un ton drôle et acerbe. • E. M.
— : de Bohdan Sláma (Why Not Productions, 1 h 45) sortie le 22 novembre
PLONGER
En couple avec un ex-reporter de guerre (Gilles Lellouche), une photographe avide d’aventures (María Valverde) vit mal sa grossesse. Après la naissance, elle disparaît... Au fil d’une intrigue qui s’assombrit sans cesse, les images de ce drame intimiste signé Mélanie Laurent se laissent gagner par la lumière, créant un fascinant paradoxe. • J. L .
— : de Mélanie Laurent (Mars Films, 1 h 42) Sortie le 29 novembre
ÉDITEUR
Paul Otchakovsky-Laurens (les éditions P.O.L, c’est lui) se raconte. Par modestie – il est un passeur, pas un écrivain –, il ne choisit pas la littérature mais le cinéma. Ce drôle de documentaire lui permet de se confronter au garçonnet blondinet qu’il a été (figuré par une poupée) et ainsi d’interroger la part d’enfance selon lui requise par son métier. • Q. G.
— : de Paul Otchakovsky-Laurens (Norte, 1 h 23) Sortie le 29 novembre
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éditions limitées plaisir illimité
7 livres en édition collector pour noël
LE TROISCOULEURS DES ENFANTS
LA CRITIQUE D’ÉLISE, 9 ANS
COUL' KIDS
COCO
« Comme le film s’appelle Coco, je pensais qu’il parlait d’un perroquet. En fait, pas du tout : c’est un film sur la fête des morts au Mexique ! L’arrière-arrièrearrière-grand-père d’un petit garçon, Miguel, a quitté sa famille pour être musicien. Du coup, depuis, la musique est interdite dans sa famille. Alors Miguel va dans le monde des morts pour retrouver son arrière-arrière-arrière-grand-père et avoir le droit d’être musicien… La fête des morts consiste à mettre des photos sur un autel, pour que ces morts reviennent à la vie. Je pense que c’est une vraie fête, sauf que les morts ne reviennent pas, c’est juste pour se souvenir des gens. C’est très important, parce qu’il ne faut pas oublier les gens qui sont morts, sinon c’est comme s’ils n’avaient jamais existé. Alors que si on se souvient d’eux, les gens sont morts mais ils existent encore. En France, on n’a rien comme ça, on est toujours tristes avec les morts parce qu’on pense que les morts ne peuvent pas être heureux, ou même qu’ils n’ont plus d’émotions. Mais en fait on n’en sait rien, et moi, des fois, je me dis que les morts sont peut-être joyeux. »
LE PETIT AVIS DU GRAND Après La Légende de Manolo de Jorge R. Gutiérrez, Coco est le deuxième long métrage d’animation récent à plonger dans le folklore chamarré de la fête des morts mexicaine. Le film confirme que le studio Pixar a révélé un nouvel auteur en la personne de Lee Unkrich. Comme son merveilleux Toy Story 3 (le premier film qu’il a réalisé tout seul), Coco est une fable sur la mémoire et la transmission, mais aussi un savoureux détournement d’archétypes habituellement liés au film d’horreur, Unkrich étant un immense fan du Shining de Kubrick. • JULIEN DUPUY
— : de Lee Unkrich et Adrian Molina Walt Disney (1 h 40) Sortie le 29 novembre dès 7 ans
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COUL’ KIDO EST CACHÉ 3 FOIS DANS CETTE DOUBLE PAGE… SAURAS-TU LE RETROUVER ?
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CINÉMA
Titre du film : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nom du réalisateur : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Résume l’histoire : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ................................................................. ................................................................. ................................................................. ................................................................. Ce qui t’a le plus plu : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ................................................................. ................................................................. ................................................................. ................................................................. En bref : Prénom et âge : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
KIDS
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PRENDS TA CRITIQUE EN PHOTO ET ENVOIE-LA À L’ADRESSE BONJOUR@TROISCOULEURS.FR, ON LA PUBLIERA SUR NOTRE SITE !
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WALLACE & GROMIT. CŒURS À MODELER L’ÉCOLE DE LA VIE Deux aventures du duo culte sont ici rassemblées : dans Rasé de près (1995), Wallace et son chien, Gromit, sont accusés de voler des moutons ; dans Un sacré pétrin (2008), les héros de pâte à modeler deviennent boulangers. Un régal pour enfants curieux et parents nostalgiques. • E. M.
Au Chili, quatre amis atteints de trisomie 21 fréquentent la même école spécialisée. À 50 ans passés, leur désir d’autonomie s’accroît. Avec bienveillance et sensibilité, ce documentaire montre comment leurs aspirations se heurtent à la rigidité de la société. • E. M.
Sortie le 8 novembre
Sortie le 15 novembre
dès 5 ans
dès 9 ans
: de Nick Park (Folimage, 59 min)
: de Maite Alberdi (Docks 66, 1 h 32)
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COUL' KIDS
Ce qui t’a le moins plu : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’INTERVIEW D’ANNA, 13 ANS
FRÉDÉRIC BONNAUD DIRECTEUR DE LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE
COUL' KIDS
Qu’est-ce que la Cinémathèque ? On est en 2017, et la première projection d’un film dans une salle date de 1895, donc ça fait cent vingt-deux ans que le cinéma existe. Durant toutes ces années, des milliers de films ont été réalisés. Notre travail, c’est de continuer à montrer ces films anciens, mais pas seulement. La Cinémathèque est aussi un musée, on conserve des affiches, des costumes, des caméras, des décors… À quoi ça sert de garder toutes ces choses ? C’est une grande question : les films sont des produits des hommes – ils sont de la pensée et du rêve. Pour comprendre ce qu’il y a eu avant nous, c’est intéressant de voir les films du passé. Si on n’avait pas gardé les tableaux ou les livres des siècles précédents, on saurait moins de choses ; les films, c’est pareil, ils font partie de l’histoire de l’humanité. Le cinéma est un spectacle, mais même si se distraire c’est très important, le cinéma sert aussi à comprendre ce qui nous arrive. Si tu as des ennuis, des bonheurs, des chagrins, tu vas peut-être retrouver ce que tu ressens dans un film, ça peut te permettre de mieux comprendre tes émotions – et donc de mieux vivre. Pourquoi as-tu eu envie d’organiser une exposition sur René Goscinny ? Goscinny a un lien très fort avec le cinéma. Dans les années 1930, quand il était petit, il n’y avait pas de télé, pas d’ordinateur, mais il y avait des cinémas à tous les coins de rue. Alors, le soir, on dînait, on faisait la vaisselle et on allait voir un film. Dans son enfance, Goscinny a vu beaucoup de westerns, de films de Charlot et de Buster Keaton, et il s’est nourri de tout ça pour écrire ses BD, et notamment Lucky Luke.
Le cinéma était tellement important pour Goscinny qu’il a créé un studio d’animation et qu’il a produit des films. Qu’est-ce qui t’a le plus amusé en préparant l’exposition ? La scénographie, c’est-à-dire les décors. Par exemple, pour le Petit Nicolas, on a reconstitué une salle de classe et une cour de récré ; une salle égyptienne pour Astérix ; un saloon pour Lucky Luke… On a voulu que l’expo soit comme un album de Goscinny, qu’elle plaise aux adultes et aux enfants. • PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE) PHOTOGRAPHIE : ROMAIN GUITTET
— : « Goscinny et le Cinéma. Astérix, Lucky Luke et Cie », jusqu’au 4 mars à La Cinémathèque française
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COMME ANNA, TU AS ENVIE DE RÉALISER UNE INTERVIEW ? DIS-NOUS QUI TU AIMERAIS RENCONTRER EN ÉCRIVANT À BONJOUR@TROISCOULEURS.FR
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LE DEBRIEF Anna, 13 ans, a interviewé Frédéric Bonnaud, le directeur de la Cinémathèque, dans les décors de l’exposition « Goscinny et le Cinéma ». « L’exposition m’a donné envie de relire tous les Astérix. Ma salle préférée est celle où l’on voit les costumes du film Astérix et Obélix. Mission Cléopâtre. On peut se prendre en photo avec Astérix et aussi le dessiner. J’ai adoré les décors de l’expo, comme la salle de classe du Petit Nicolas. Frédéric Bonnaud est directeur, mais il est très sympa et il explique vraiment tout très bien. »
TOUT DOUX LISTE
PARENTS FRIENDLY
TOUT AU BOUT DU CIEL
COMÉDIE MUSICALE
Émilie Jolie est de retour ! Pour interpréter la petite héroïne du merveilleux conte musical créé par Philippe Chatel en 1979, qui, telle la Dorothy du Magicien d’Oz, pénètre un monde féerique peuplé de créatures hautes en couleur, la production a enrôlé l’épatante Gloria des Kids United.
: jusqu’au 7 janvier au Comedia, dès 4 ans
CACHE-CACHE
EXPOSITION-ATELIER
Liu Bolin investit la galerie des enfants du Centre Pompidou pour l’événement « Galerie Party – Acte II ». Surnommé l’homme invisible, l’artiste chinois, qui s’intéresse toujours à la notion de disparition, invite ici les enfants (avec leurs parents) à fabriquer un costume pour se fondre dans le décor.
: jusqu’au 8 janvier à la galerie des enfants du Centre Pompidou, dès 4 ans
À L’EAU ?
EXPOSITION
COUL' KIDS
À la fois pédagogique et scientifique, l’exposition « Cyclops. Explorateur de l’océan » familiarise les plus jeunes au monde marin… en profondeur. Au programme : sept explorations thématiques interactives qui stimulent les sens et lorgnent parfois vers le jeu vidéo, pour intensifier l’expérience.
• HENDY BICAISE ILLUSTRATIONS : PABLO COTS
: jusqu’au 2 septembre à l’aquarium tropical du palais de la porte Dorée, dès 6 ans
KIDS FRIENDLY
EFFET BOULE DE NEIGE
SPORTS D’HIVER
Pour ceux qui ne partent pas à la montagne cet hiver, ou pour les plus impatients, la place Saint-Sulpice et les rues Princesse, Guisarde et des Canettes se transforment pour quatre jours en « Saint-Germain-des-Neiges » : piste de luge et simulateur de ski, espace biathlon et jardin des neiges… Sortez les doudounes.
: du 23 au 26 novembre, dès 3 ans
VIEUX DADA
ANIMAUX
Le Salon du cheval, c’est 450 exposants, 2 300 équidés et pas moins de 150 000 visiteurs attendus cette année. Au programme : compétitions, dressage, rencontres avec les éleveurs et un espace dédié à la santé animale. : du 25 novembre au 3 décembre au parc des expositions de Paris-Nord Villepinte, dès 6 ans
SAVOIR AYMÉ
SPECTACLE
Dans cette nouvelle adaptation de quatre des Contes du chat perché de Marcel Aymé, l’irrésistible tandem des fillettes Delphine et Marinette impose sa bonne humeur, et le metteur en scène, son inventivité. Les décors se succèdent en nombre, accueillant même projections et théâtre d’ombres.
: jusqu’au 31 décembre au Grand Point-Virgule, dès 8 ans
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HUMOUR
THRILLER Le héros de Sente et Boucq est de retour dans un cinquième tome ! Replongez dans ce thriller captivant qui vous entraîne dans les recoins les plus sombres du Vatican pour y découvrir ses mystères. Au service secret du Vatican.
SAVOIRS
Nos vieux préférés sont de retour ! Après avoir conquis plus de 750 000 lecteurs, les aventures des Vieux Fourneaux continuent dans un quatrième tome toujours aussi hilarant ! Ils reviennent plus jeunes que jamais.
Le 2 Juin dernier, Thomas Pesquet revient sur Terre et Marion Montaigne nous livre avec beaucoup d’humour les 5 dernières années du parcours de ce héros, de l’entraînement jusqu’au voyage. Le 9è art en orbite !
TROUVEZ LA BD QUI VOUS RESSEMBLE !
MYTHOLOGIE Pour leur grand retour après La Planète des Sages, Jul et Charles Pépin s’attaquent à la mythologie grecque. Les Dieux et Héros de l’Antiquité revisitent l’actualité !
© Dargaud / Dargaud Benelux 2017
HISTOIRE Complots, orgies, meurtres et persécutions… Dans ce dixième tome, Theo nous dépeint une Rome antique violente et décadente dans laquelle l’empereur Néron continue de sombrer dans la folie. L’Histoire s’écrit dans le sang !
WESTERN Le meilleur western depuis Blueberry, signé Dorison et Meyer, est de retour après avoir conquis plus de 300 000 lecteurs. La mort ne vient jamais seule.
HEROIC FANTASY Avant la légendaire saga La Quête de l’Oiseau du Temps, Bragon parcourait déjà les étendues du monde d’Akbar pour devenir le guerrier légendaire que l’on connaît ! Découvrez le préquel de la série mythique de l’Héroïc Fantasy.
HUMOUR Des musulmans invités à prier dans une synagogue, des chatons et le bébé de Zlabya qui envahissent son territoire… Le quotidien du Chat du Rabbin est plus perturbé que jamais. Le chat star de Joann Sfar est de retour !
présente HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE Un cycle de cours avec Des Mots et Des Arts JUSQU’AU 27 MARS 2018 LE MARDI SOIR À 20H
Depuis la Renaissance, l’écriture emprunte la même trajectoire que celle de l’art : le Baroque, le Romantisme, le Symbolisme…Et aujourd’hui, quels enjeux pour la langue ? Un cycle de conférences présenté par l’historien de littérature et civilisation française Antoine Jobard. PARTIE 1 : DE L’HUMANITÉ AU PARNASSE 7 novembre Le Classicisme : un retour à l’ordre 14 novembre Le Roman libertin ou la liberté de pensée 21 novembre Les Lumières : règne de la raison 28 novembre Le Romantisme, l’exaltation des sentiments 5 décembre Le Réalisme et le Naturalisme, recherche du vrai 12 décembre Le Parnasse ou l’universelle beauté 19 décembre Le Symbolisme, un ailleurs imaginé PARTIE 2 : DU SYMBOLISME AU NOUVEAU ROMAN 9 janvier Le Décadentisme ou la littérature « fin de siècle » 16 janvier Le Surréalisme, l’écriture du rêve 23 janvier L’Existentialisme : être dans le monde 30 janvier La Négritude : prise de conscience et de parole 6 février L’Absurde : théâtre de la condition humaine 13 février « Sur la route » de la Beat Generation 6 mars Le Nouveau Roman, l’aventure d’une écriture 13 mars Le Réalisme magique : une étrange réalité... 20 mars Nos contemporains, enjeux de la langue 27 mars L’invité cinéma : le regard de Laurent Delmas (journaliste et critique de cinéma) Tarif à l’unité : 20€ / étudiant, demandeur d’emploi, - 26 ans : 15€ Tarif au trimestre (10 séances) : 150€ / réduit : 110€
Réservation sur www.
.com
OFF CECI N’EST PAS DU CINÉMA
EXPOS
BERTRAND LAMARCHE — : « Le Baphomet », jusqu’au 17 décembre à La Maréchalerie (Versailles)
© NICOLAS BRASSEUR
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OFF
Rien
Vue de l’exposition
ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme : telle pourrait être la devise de Bertrand Lamarche, dont les figures hybrides et métamorphiques, souvent reprises et (ré)animées, nous propulsent dans une mécanique du vivant. À La Maréchalerie, l’artiste français convoque à nouveau le Baphomet, « le prince des modifications de l’être » qui régit le roman éponyme (1965) de Pierre Klossowski et donne son titre à l’exposition ainsi qu’à une nouvelle œuvre : suspendue dans les hauteurs vertigineuses du centre d’art, Le Baphomet (Protoplasme) consiste en une créature non identifiée, comme en voie de mutation, faite de ballons emplis d’air et recouverts d’un léger voilage blanc dont les retombées viennent nous effleurer. Filtrée à travers l’immense paroi de verre arrondie en son sommet qui caractérise l’architecture du lieu, la lumière rouge dans laquelle elle se trouve baignée, et nous avec, fait écho aux deux œuvres présentées dans une plus petite salle attenante. La vidéo Poursuites, qui nous aspire dans une course effrénée et énigmatique au sein d’un tunnel écarlate peuplé de mécanismes, tel quelque conduit organique, y dialogue avec Zouzou, installation où réapparaît, à l’échelle réduite d’une maquette, la berce du Caucase, une plante urticante et toxique dont la taille peut, selon l’espèce, varier du petit au très grand. Tournant sur elle-même grâce à un dispositif motorisé, on peut en contempler, en boucle, l’ombre projetée et ainsi agrandie au mur. En toute plasticité. • ANNE-LOU VICENTE
Une créature non identifiée, comme en voie de mutation.
IRVING PENN
LE MOMA À PARIS
Pablo Picasso, couvre-chef et pardessus remonté jusqu’au cou ; Truman Capote, paupières closes et lunettes à la main ; Audrey Hepburn, air mutin et main sous le menton : les plus grandes célébrités et les plus beaux mannequins ont posé devant l’objectif du célèbre photographe de mode américain. Cette rétrospective réunit de rares tirages de ses élégants portraits en noir et blanc, toujours réalisés en studio. • MARIE FANTOZZI
Paris a son Beaubourg, New York a son MoMA. La vénérable institution, forte de ses 88 ans, a choisi la Fondation Louis Vuitton pour raconter son histoire et la constitution de ses collections dans l’exposition « Être moderne. Le MoMa à Paris ». Deux cents œuvres y sont réunies, de Picasso, Magritte ou Cézanne aux plus récents émojis de Shigetaka Kurita, en passant par Hopper ou Pollock. • M. F.
: jusqu’au 29 janvier au Grand Palais
: jusqu’au 5 mars
à la Fondation Louis Vuitton
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ART COMPRIMÉ
MUSÉE DU LUXEMBOURG 4 OCTOBRE 2017 14 JANVIER 2018
Tous les mois, notre chroniqueuse vous offre un concentré des dernières réjouissances du monde de l’art.
Tandis que la FIAC se targue de présenter ce qui se fait de plus pointu en art contemporain, le Louvre incarne un certain conservatisme culturel. C’est du moins ce que l’on retiendra après que sa direction a refusé de voir s’installer dans le jardin des Tuileries qui le jouxte l’œuvre – un brin lubrique, certes – de l’Atelier Van Lieshout représentant un couple cubique de douze mètres de haut, en levrette. L’argument avancé : la crainte que Domestikator soit « mal reçu par le public traditionnel » du musée. Ladite œuvre a finalement trouvé refuge sur le parvis du Centre Pompidou. • La Première ministre britannique et cheffe du Parti conservateur, Theresa May, a été vivement épinglée pour avoir arboré, lors d’un discours début octobre, un bracelet à l’effigie de Frida Kahlo – « un membre du Parti communiste qui était carrément sorti avec Trotski », comme l’a souligné une journaliste du Guardian sur Twitter. • Même si Marina Abramović aime voir les choses en grand, le coût estimé de son projet d’Institut de la performance dans l’État de New York l’a découragée : 31 millions de dollars. Une somme que l’artiste d’origine serbe a reconnu être incapable de rassembler, « à moins qu’un chic type des Émirats ne se pointe », comme elle l’a suggéré dans une conférence début octobre. En attendant, elle vend des macarons goût « Marina Abramović » chez Ladurée – les premiers d’une collection intitulée Pastry Portrait lancée par la marque Kreëmart à l’occasion de la FIAC. • MARIE FANTOZZI ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL Pierre Paul Rubens, Portrait d’Anne d’Autriche, reine de France, États-Unis, Californie, Pasadena, © The Norton Simon Foundation
EXPOS
ÉTRANGER RÉSIDENT
© RMN - GRAND PALAIS. COURTESY COLLECTION MARIN KARMITZ, PARIS
— : « Étranger résident. La collection Marin Karmitz », jusqu’au 21 janvier à La Maison rouge
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À
André Kertész, East River, New York, 1938
l’invitation de La Maison rouge, Marin Karmitz divulgue sa collection d’œuvres d’art, patiemment rassemblées pendant une trentaine d’années. Avant de devenir producteur et de fonder la société d’exploitation mk2, éditrice de ce magazine, Marin Karmitz a commencé sa carrière en tant que cinéaste. Ce n’est donc pas un hasard si la scénographie de cette foisonnante collection s’agence comme un scénario aux récits enchevêtrés. Mettant à l’honneur des photographes majeurs – d’André Kertész à Antoine d’Agata, en passant par Gotthard Schuh ou Eugene Smith –, la première partie se consacre à la figure humaine, vue à travers le prisme des grandes tragédies du xxe siècle. Le long d’un couloir sombre ouvrant sur une succession d’alcôves, les époques se télescopent et se répondent, avec en toile de fond l’exode et la ségrégation raciale. Ce fil rouge qui traverse l’exposition, c’est celui de la propre destinée de Karmitz, issu d’une famille de Juifs roumains spoliée de ses biens et contrainte de s’exiler en France en 1947. Une salle centrale, ornée de somptueuses parures primitives, abrite la projection de Comédie (1966), étonnant court métrage réalisé en collaboration avec Samuel Beckett. La pénombre du sous-sol accueille deux géants du cinéma : Chris Marker, avec ses clichés de femmes volés dans le métro, et Abbas Kiarostami, dont l’installation vidéo Les Dormeurs nous plonge dans l’intimité d’un couple endormi. Annette Messager et Christian Boltanski, amis de longue date du producteur, occupent également une part importante de l’exposition : la première avec un mobile d’ustensiles de couturières transformées en sculptures rembourrées, le second avec la vidéo en plan fixe d’un autel aux clochettes tintinnabulantes dédié aux victimes du général Pinochet. Au réalisme social succède une poésie méditative, où le temps semble d’un seul coup s’éclipser. • JULIEN BÉCOURT
La scénographie s’agence comme un scénario aux récits enchevêtrés.
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EXPOS
LES FORÊTS NATALES — : « Les Forêts natales. Arts d’Afrique
© MUSÉE DU QUAI BRANLY - JACQUES CHIRAC, PHOTO HUGUES DUBOIS
équatoriale atlantique », jusqu’au 21 janvier au musée du quai Branly – Jacques Chirac
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Les
Statuette de gardien de reliquaire
forêts d’Afrique équatoriale atlantique abritent depuis le xviie siècle une tradition sculpturale d’une créativité inouïe. Au musée du quai Branly, une exposition dévoile plus de trois cents de ces chefs-d’œuvre. En visite au British Museum en 1906, le peintre fauviste André Derain découvre une prodigieuse collection d’objets sculptés, rassemblés sous la bannière coloniale d’« art nègre ». Sa stupéfaction est à la hauteur de l’émotion, intacte, que l’on ressent aujourd’hui face aux sculptures réunies dans cette exposition, dont le titre renvoie à un poème de Guillaume Apollinaire. Masques funéraires, gardiens de reliquaires ou statuettes liées au culte des ancêtres y retracent une histoire de l’art africain, qui s’échelonne du xviie siècle jusqu’au début du xxe siècle. Si les modes de représentation et les styles varient selon chaque peuple (Fang, Kota, Tsogo, Punu), les pratiques rituelles et les cosmogonies qui y sont associées présentent nombre de similitudes et témoignent de la place centrale qu’occupaient les fétiches au sein de ces populations. Face à ces épures d’une beauté envoûtante, c’est toute la puissance magique et le sens du sacré qui nous saisissent, comme ils ont pu saisir jadis Pablo Picasso, Henri Matisse ou les surréalistes. En identifiant cette pratique traditionnelle à un courant artistique majeur, et non plus à un particularisme exotique, l’exposition s’inscrit dans une histoire de l’art délivrée de l’ethnocentrisme occidental. Incidemment, elle nous rappelle aussi la fonction spirituelle de l’objet d’art, intercesseur auprès des forces invisibles reliant l’ordre social à l’ordre cosmique. • JULIEN BÉCOURT
Face à ces épures, la puissance magique et le sens du sacré nous saisissent.
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SPECTACLES
THÉO MERCIER — : « La Fille du collectionneur », du 14 au 19 novembre au Théâtre des Amandiers (Nanterre) (1 h 30) • « Radio Vinci Park », du 30 novembre au 2 décembre à la Ménagerie de verre (40 min) © MYRA 2017
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La Fille du collectionneur
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Mauvais
garçon de l’art contemporain, le plasticien Théo Mercier bascule vers la scène pour deux spectacles, en excellente compagnie. Repris cette année, Radio Vinci Park renoue avec la fonction passée – de parking – de la salle de spectacle de la Ménagerie de verre. Après une déambulation guidée par la musique lancinante d’un clavecin, le spectateur est emmené vers une arène d’un genre nouveau. Protégé par des barrières de sécurité, il assiste alors à un fascinant duel – à mi-chemin entre la corrida et la parade amoureuse – entre un motard et une créature chamane venue d’un autre âge, interprétée par le chorégraphe et performeur François Chaignaud. Pour La Fille du collectionneur, c’est la géniale Marlène Saldana qui tient le haut de l’affiche. Nue au cœur d’une scénographie aux allures d’atelier dadaïste, elle campe un personnage énigmatique. Autant modèle vivant que commissaire-priseuse, elle fait l’inventaire des pièces d’art de son père, soustraites à la vue, et leur donne vie, en corps comme en mot : c’est qu’un collectionneur sommeille en chacun de nous – si elles sont panthéonisées dans les musées et autres centres d’art, les œuvres existeront toujours virtuellement, sous la forme de souvenirs, de déformations personnelles et de reconstructions partielles. • AÏNHOA JEAN-CALMETTES
Marlène Saldana tient le haut de l’affiche, nue au cœur d’une scénographie aux allures d’atelier dadaïste.
CIRCUS REMIX
CONJURER LA PEUR
Ancienne acolyte de Vimala Pons et de Tsirihaka Harrivel, Maroussia Diaz Verbèke signe à son tour son spectacle en solo, une performance divisée en nombreux chapitres qui emmêlent numéros acrobatiques et montage sonore d’archives. Elle ne parle pas, mais beaucoup se dit sur ce que pourrait être le cirque aujourd’hui, sans animaux ni Monsieur Loyal ou folklore éculé. • A. J.-C.
Gaëlle Bourges poursuit son exploration chorégraphique de l’histoire de l’art. Elle se tourne cette fois vers Sienne et la fresque dite « du bon et du mauvais gouvernement » d’Ambrogio Lorenzetti. Du xive siècle italien à aujourd’hui, certaines questions restent inchangées. Où se cache le sens d’une image politique et comment vivre ensemble, notamment. • A. J.-C.
du 14 au 25 novembre au Centquatre (2 h)
au Théâtre de la ville (1 h 15)
: de Maroussia Diaz Verbèke,
: de Gaëlle Bourges, du 22 au 25 novembre
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RESTOS
BELLA EPOCA
© RINA NURRA
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La cuisine italienne continue d’envahir Paris ! Les ouvertures se suivent sans se ressembler. Ainsi, Denny Imbroisi renouvelle le bistrot avec Epoca, Philippe Baranes revient aux sources avec Il Cuoco Galante, et Big Mamma se fait carnassier avec Pink Mamma.
EPOCA On a découvert Denny Imbroisi dans Top Chef en 2012. On l’a suivi à l’ouverture de son premier restaurant rien qu’à lui, Ida (xve), en 2015. On l’aime toujours plus dans sa nouvelle aventure, Epoca, en association avec le restaurateur Micaël Memmi, créateur du Zo. « C’est la rencontre du bistrot parisien et de l’osteria italienne », explique Émilie Bonaventure, décoratrice-scénographe qui a dessiné le lieu dans les moindres détails, du sol en mosaïque au plafond jaune, des plats à l’assiette, et jusqu’à la circulation des gens dans la salle. Ambiance élégante et géométrique, quasi art déco, noir et blanc dominant, l’endroit peut aussi bien accueillir de joyeuses bandes pour une soirée tapas que des mangeurs cherchant davantage d’intimité. L’audace, on la trouve dans les arts de la table avec des gamelles en inox ultra légères, des assiettes en faïence blanche au liseré noir, et des plats en argent qui invitent au partage. Côté carte, le chef reste fidèle à ses origines italiennes, lombardes en particulier, avec des plats joyeux et réconfortants. Mention spéciale aux spuntini (« en-cas ») avec notamment des carciofi alla giudia (« artichauts frits aux cœurs fondants ») dont on déguste les feuilles comme des chips. On aime aussi beaucoup la pasta (16 €), avec de sublimes spaghettoni cacio e pepe (« fromage de brebis et poivre noir »). Côté desserts (9 €), on recommande l’affogato al caffé, un café que l’on verse sur une glace… au café. • STÉPHANE MÉJANÈS
: 17, rue Oudinot, Paris VIIe
IL CUOCO GALANTE
PINK MAMMA
Déjà patron du Braisenville et de Dessance, Philippe Baranes rend hommage à la cuisine italienne historique. Le chef pisan Michele Dalla Valle a des idées et du talent pour le risotto pigeon et estragon, les raviolis potiron, œuf de caille, beurre de sauge et brocoli, ou la panna cotta légère et ses brisolini croquants. Formules : 20, 24 et 36 €. Carte : environ 45 €. • S. M.
Sous la verrière, au quatrième étage d’un immeuble étroit, direction Florence. Dernier avatar du Big Mamma Group, ce lieu, qui compte aussi un bar à cocktails, est dédié à la viande (bêtes françaises) comme on la mange en Toscane, en T-Bone de 800 g (48 €) ou en côte de bœuf de 1,3 kg (78 €). Pizzas, ceviches et poulpe sont aussi de la fête. Carte : environ 30 €. • S. M.
: 36, rue Condorcet, Paris IXe
: 20 bis, rue de Douai, Paris IXe
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Mariano Fortuny . Robe Delphos. Vers 1919-1920. Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet. Conception graphique : H5
FORTUNY UN ESPAGNOL À VENISE 04.10.2017 — 07.01.2018
PALAIS GALLIERA 10, AV. PIERRE-1ER-DE-SERBIE 75116 PARIS PALAISGALLIERA.PARIS.FR
CONCERTS
KING KRULE — : le 26 novembre au Casino de Paris • « The OOZ » (XL Recordings)
© FRANK LEBON
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OFF
Juillet
2010 : « Out Getting Ribs » met en émoi tous les passionnés d’indie pop. Le garçon derrière cette chanson stupéfiante est un grand roux nommé Archy Marshall. Il a 16 ans, vit encore chez sa mère, dans le sud de Londres, mais possède déjà un style bien à lui, qu’il appelle blue-wave. Son chant cabossé et goudronneux fait le pont entre Gene Vincent, Joe Strummer et Screamin’ Jay Hawkins, tandis que sa musique puise autant dans le hip-hop que dans le jazz, le dub et le post-punk. Rebaptisé King Krule, il s’impose en quelques années comme le génie précoce de sa génération. Pas de tube sur son premier album, 6 Feet Beneath the Moon, mais un foisonnant précipité d’idées noires et de désarroi (post-)adolescent. Quatre ans plus tard, Archy n’est pas devenu une superstar, préférant chercher sans relâche, dans les vapeurs d’herbe et au fond de son âme, des moyens de pirater la bande-son de la jeunesse urbaine. Après avoir multiplié les alias et les projets – Sub Luna City, Edgar The Beatmaker, DJ JD Sports, Hypnodisc – pour mieux brouiller les pistes, il revient aux affaires sérieuses sur The OOZ. Et rien ne pouvait nous préparer à ces dix-neuf morceaux sans l’ombre d’un tube, ces mélodies qui glissent dans une oreille pour cingler l’autre en ressortant, ces expérimentations sonores hérissées et fascinantes, cette poésie de fin du monde au coin de la rue. Il sera en concert avec son groupe au Casino de Paris pour donner chair à cette œuvre inouïe : ne ratez pas le passage de la comète londonienne. • MICHAËL PATIN
Rien ne pouvait nous préparer à ces expérimentations sonores hérissées et fascinantes.
JOK’AIR
AMINÉ
La MZ, c’est fini, mais, pour Jok’air, l’aventure solo ne fait que commencer. On connaissait son penchant pour le refrain accrocheur au sein du groupe du XIIIe arrondissement. Le rappeur parisien poursuit sur cette voie plus pop, flirtant ouvertement avec la chanson, sans renier son background street, avec des lyrics explicites ou des featurings avec Alkpote. Ses deux derniers projets (une mixtape et un EP) ouvrent des pistes hyper excitantes. • É. V.
Repéré par XXL Magazine comme l’un des meilleurs nouveaux venus de 2017, Aminé a confirmé la hype avec un savoureux premier LP. Les rimes du MC de 24 ans sont ensoleillées, colorées et volontiers potaches, en harmonie avec la pochette jaune canari du disque sur lequel il trône aux WC. Fan d’Outkast et de Quentin Tarantino, proche du style soulful d’un Chance the Rapper, le natif de Portland respire la décontraction. Comment résister à son tube « Caroline » ? • É. V.
: le 23 novembre
à La Machine du Moulin Rouge
: le 30 novembre à La Bellevilloise
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MULE
RÉALITÉ VIRTUELLE
HORREUR
— : Dark Corner Studios, dès 18 ans
—
mort comme vous ne l’avez jamais vécue. Grâce au réalisateur Guy Shelmerdine, pionnier de la VR horrifique au sein des Dark Corner Studios, vous voilà enfin dans la peau d’un macchabée ! Un peu de patience quand même : au début de ce court métrage de 6 minutes, vous êtes encore un peu vivant. Mais très mal en point. Étendu sur le lit miteux d’un motel, vous subissez une overdose d’héroïne sous les yeux hagards d’une prostituée aussi dénudée que vous. La demoiselle n’étant pas d’humeur hyper philanthrope, elle vous laisse salement en plan jusqu’à ce que vous vous retrouviez sur un lit d’hôpital, en soins intensifs, et, malgré quelques solides électrochocs, vous ne tardez pas à rendre l’âme, sous les jurons fournis de votre épouse. C’est ici que commence votre nouvelle vie de cadavre. Hélas, le sommeil éternel n’a rien de très reposant… Non seulement la descente aux enfers continue, mais votre cerveau enregistre froidement ce qui arrive à votre corps sans que vous ne puissiez réagir. Peut-il y avoir pire que le trépas ? Oui. Sans trop en dévoiler, disons juste que le titre du film trouve son sens dans une spectaculaire séquence gore. Assorti de trucages efficaces, Mule joue moins la carte du frisson facile que celle de l’humour noir à 360 degrés. Shelmerdine a bien compris que l’immersion VR induit pour le spectateur une position de vulnérabilité aiguë. Il s’en amuse, en poussant le curseur WTF au maximum, avec un esprit joyeusement destroy. Mortel. • ÉRIC VERNAY
C’est ici que commence votre nouvelle vie de cadavre. Hélas, le sommeil éternel n’a rien de très reposant…
CATATONIC
COURT MÉTRAGE
On reste dans l’esprit de Halloween avec un autre court métrage horrifique de Guy Shelmerdine. Cette fois, on atterrit dans un hôpital psychiatrique des années 1950 en tant que patient. À bord d’un fauteuil roulant, on sillonne l’établissement comme dans un train fantôme, à la rencontre d’aliénés pris de crises de spasmes – mais aussi d’étranges phénomènes de lévitation. Oh, mais que nous veut donc ce docteur, avec sa seringue ? Lugubre et perché. • É. V.
: Dark Corner Studios, dès 12 ans
ZOMBILLÉNIUM
DESSIN ANIMÉ
Oups, vous voilà encore décédé… Coup de chance, vous atterrissez cette fois-ci dans le parc d’attractions Zombillénium, spécialisé dans la réinsertion professionnelle post-mortem. Ça pullule donc de vampires, de loups-garous et autres zombies. Accueilli par une sorcière juchée sur son balais-skate volant, vous avez droit à une visite immersive assortie d’un hommage pop au clip de « Thriller ». L’occasion de (re-)découvrir l’univers de la fameuse BD d’Arthur de Pins. • É. V.
: Gebeka / Maybe Movies, dès 6 ans
PROGRAMMES À DÉCOUVRIR À L’ESPACE VR DU mk2 BIBLIOTHÈQUE INFOS ET RÉSERVATIONS SUR MK2VR.COM
OFF
La
PLANS COUL’ À GAGNER
LES INCASSABLES CYCLE
— : jusqu’au 31 décembre au Forum des images © FORUM DES IMAGES
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D’un
bras cassé à un bodybuilder, il n’y a qu’un pas… C’est ce que le Forum des images nous rappelle depuis septembre avec son cycle « Les incassables », un programme qui ose relier les héros du cinéma burlesque et gaguesque des années 1920 à ceux des films d’action des années 1980 et 1990. En novembre, le cycle entre dans sa dernière phase avec la projection de cartoons EN Juan Díaz Canales Rubén Pellejero et de comédies policières qui se moquent explicitement des zéros comme des héros
(Les Looney Tunes passent à l’action de Joe Dante). Neuf cours de cinéma accompagnent les différents volets du programme et nous aident à mettre des mots sur cette étrange gémellité (« De zéros à héros : l’art comique des costauds » par notre journaliste Renan Cros, ou « Gros bras et mascara : féminités et identités au prisme de l’action » par Michel Bondurand). des Halles Buster Keaton 20 et Chuck Norris ont auForum moins 150 FILMS SEPTEMBRE forumdesimages.fr ceci en commun : ils sont indéboulonnables et, 31 DÉCEMBRE 2017 à la longue, irrésistibles. • JOSÉPHINE LEROY
OFF
u Prêtre Jean, x destins rice en quête
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Photos © Collection Christophel / Design : HartlandVilla
Díaz Canales Pellejero
LES INCASSABLES — — —
Équatoria
CORTO MALTESE. ÉQUATORIA
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se perdue à défendre.
Équatoria
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26/07/2017 17:46
: de Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero (Casterman)
Canales
SINGIN IN THE RAIN
SPECTACLE
Pour cette adaptation du film de Stanley Donen et Gene Kelly, le Théâtre du Châtelet installe sous la nef du Grand Palais un immense décor de studio de cinéma où vous attendent, deux heures avant le début du spectacle, des espaces de restauration, une initiation aux claquettes, un atelier maquillage et un karaoké. • E. M.
16 €
ISBN 978-2-203-12208-6
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: du 28 novembre au 11 janvier au Grand Palais
MONET COLLECTIONNEUR
EXPO
Claude Monet n’était pas que peintre. C’était aussi un discret collectionneur. Au-delà de son incroyable casting (Renoir, Manet, Caillebote, Pissarro, Rodin, Delacroix, Corot, Cézanne…), l’exposition livre le récit de l’origine de chaque œuvre, (portrait de Monet, cadeau, acquisition), dévoilant les amitiés et engouements de l’artiste. • E. M. Pierre Auguste Renoir, Madame Monet et son fils, 1874
: jusqu’au 14 janvier au musée Marmottan Monet
© SYLVAIN GRIPOIX
N001
BD
De Venise à l’Afrique équatoriale, à la recherche d’une relique des croisades, Corto Maltese rencontre une journaliste, une exploratrice et une ancienne esclave. Après Sous le soleil de minuit, en 2015, Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero poursuivent leur résurrection du marin aventurier créé par Hugo Pratt en 1967. • E. M.
trésor caché,
SUR TROISCOULEURS.FR/PLANSCOUL
SONS
CHLOÉ — : « Endless Revisions » (Lumière Noire)
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© ALEXANDRE GUIRKINGER
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Figure
discrète de la scène électronique, la DJ et productrice parisienne déborde les horizons de la techno sur Endless Revisions, un troisième album noir, vibrant et mystérieux. Chloé a la patience des artisans et la radicalité des explorateurs. Depuis One in Other, paru il y a sept ans, elle a multiplié les expériences : investir l’IRCAM, revisiter Steve Reich, composer pour le cinéma et créer son label, Lumière Noire – elle chérit les oxymores. Des rencontres qui l’ont amenée ailleurs et ont nourri ce nouvel album en forme de puzzle. Puzzle d’invités, de Nova Materia au pivot du minimalisme Rhys Chatham (« Solarhys ») ; et de voix, chuchotées, mutantes : Alain Chamfort ; Ben Shemie (des Suuns) ; sa mère, mémoire nébuleuse sur l’envoûtant « The Dawn ». Puzzle encore, son art de concilier sophistication électroacoustique et lucidité techno, transe électrique et tempo contemplatif, dans un fascinant jeu d’équilibriste. « Je construis
SI TON ALBUM ÉTAIT UN FILM ? « Ce serait un film de science-fiction. Un paysage intemporel, non identifiable. Peut-être un plan-séquence dont la lumière serait très étudiée. C’est gênant de proposer une image-résumé qui va limiter l’imagination. Dans l’œuvre vidéo Diver de Noémie Goudal, on voit
un album comme un set de DJ, en pensant l’architecture globale, les plans, les silences, confie-t-elle. Chaque masse sonore s’ajuste dans l’espace et dans une narration. Comme des images intérieures. » Images puzzles qui rêvent « un paysage imaginaire » minéral et organique, scintillant d’obscurités, à la temporalité ambiguë. Des souvenirs du futur, illustrés avec justesse par les panoramas ovnis de l’artiste Noémie Goudal, qui signe l’artwork de l’album. « Ses installations monumentales donnent une impression de légèreté et métamorphosent ces no man’s lands presque lunaires. J’aime l’idée de lévitation et d’absence de repères. C’est l’écho parfait à mon landscape sonore. » Et le parfait scénario sci-fi ? « Ce n’était pas conscient, mais j’adore le cinéma d’anticipation. Under the Skin, quelle claque ! Et Premier contact de Denis Villeneuve – son travail de sound design est prodigieux ! Avec Endless Revisions, c’est comme si j’avais fait la bande-son de mon propre film. » • ETAÏNN ZWER
une tour de métal au milieu d’un océan, et des silhouettes noires qui grimpent et plongent, remontent et plongent, à l’infini. Hyper énigmatique ! Ses montages imposent une vision et laissent aussi une totale liberté à la fiction, c’est fort. C’est cette profondeur de champ-là qui m’intéresse. » CHLOÉ
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JUKEBOX
ESCAPE-ISM
: « Introduction to… » (Merge/Differ-ant)
Premier album solo de Ian Svenonius, frontman post-punk (The Make-Up, Chain & The Gang) et écrivain pop-marxiste (The Psychic Soviet, Stratégies occultes pour monter un groupe de rock), cette « introduction à l’évasion-isme » est psalmodiée façon Prince sur une boîte à rythmes Suicide et une guitare garage. Ce minimalisme analogique est surtout une invitation à l’insurrection contre la gravité, donc un manuel de l’envol. • WILFRIED PARIS
LENPARROT : « And Then He »
(Atelier Ciseaux)
conception graphique Change is good
Après deux EPs, ce jeune homme chic sort treize saynètes de pop-R&B minimaliste et sensuelle aussi rêveuse que réflexive. Alternant voix de tête frêle et féminine, et voix de poitrine grave et profonde, le Nantais questionne les genres (masculin, féminin), les sentiments (amour conjugal, amour filial) et invite un producteur voluptueux (Julien Gasc) et un mixeur incisif (Yuksek) pour un premier essai aérien mais cohésif. • W. P.
MIDGET!
: « Ferme tes jolis cieux » (Objet Disque)
Ritournelles convoquant les éléments, rituels sorciers et sauvages que les enfants savent et que les parents oublient, Mocke (œuvrant chez Arlt ou en solo) et Claire Vailler délivrent ici un incomparable album de magie symphonique, comme une quête alchimique d’âge d’or. Ils entremêlent baroque, rock, jazz, bossa, cordes, cuivres, bois et chorales de voix poétisant le quotidien, entre souffle divin et golem enfantin. • W. P. ILLUSTRATION : SAMUEL ECKERT Partenaire média
SÉRIES
MINDHUNTER — : saison 1 disponible sur Netflix
© NETFLIX
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Dix
ans exactement après Zodiac, David Fincher revient à la figure du serial killer. Et, à contre-courant du manichéisme ambiant, renvoie la société américaine à sa responsabilité dans la fabrique de ses démons. Dans la première scène de Mindhunter, l’agent spécial Holden Ford (Jonathan Groff, vu dans Looking), expert en négociation lors des prises d’otages, échoue à empêcher le suicide d’un forcené. S’il avait connu le passif psy de cet homme, le pire aurait-il pu être évité ? Holden s’interroge et se prend dès lors de passion pour la psychologie criminelle, à une époque – la fin des années 1970 – où celle-ci était encore regardée de haut par les forces de l’ordre. Dans cette série, adaptée des mémoires d’un agent du F.B.I. qui popularisa le profilage au sein du Bureau, on s’interroge beaucoup à voix haute.
REVOIS
Une manie un peu artificielle, mais, au moins, les questions soulevées sont les bonnes. Naît-on tueur en série ou le devient-on ? Pourquoi les Charles Manson et autre Fils de Sam sont-ils précisément apparus dans la foulée de la guerre du Viêt Nam et du Watergate ? Pour tenter d’y répondre, Holden et son coéquipier, Bill (Holt McCallany), entreprennent la tournée des pénitenciers pour y interviewer des tueurs en série. Il fallait tout le génie de Fincher, producteur mais aussi réalisateur de plusieurs épisodes, pour que ces éprouvants tête-à-tête avec des figures aussi génératrices de fantasmes et de fascination malsaine échappent à la caricature. À l’image de ses héros, Mindhunter se défie des raccourcis hâtifs et préfère s’en tenir aux faits. Une posture presque radicale dans l’Amérique de 2017. • GRÉGORY LEDERGUE
VOIS
PRÉVOIS
THE GOOD PLACE
BOB’S BURGERS
VERNON SUBUTEX
Cette comédie feel good sur une jeune femme expédiée par erreur au paradis réserve pas mal de surprises et suffisamment de mauvais esprit pour permettre à sa star, Kristen Bell (éternelle Veronica Mars), de briller. Et Ted Danson, en saint Pierre veillant comme il peut sur cet éden aseptisé aux couleurs d’un Apple Store, n’est pas mal non plus. • G. L .
Cela fait déjà huit saisons que cette très drôle série d’animation fait le bonheur de la Fox aux États-Unis, mais jusqu’ici elle n’avait pas eu l’honneur d’une diffusion française. Affront enfin réparé, avec la programmation en prime time sur MCM de la première saison. L’occasion de faire la connaissance des Belcher, attachante tribu gérant un boui-boui à burgers. • G. L .
Avec son caractère sériel affirmé, la trilogie de romans signée Virginie Despentes avait un destin télévisuel tout tracé. Le tournage de son adaptation sur Canal+ a commencé, avec Romain Duris dans le rôle-titre du disquaire marginal imaginé par Despentes. L’écrivaine participe même à l’écriture du premier épisode. • G. L .
: Saison 1 à revoir sur Netflix
: Saison 1 à voir sur MCM
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: Saison 1 à prévoir en 2018 sur Canal+
FESTIVAL
photo : Get Out © collection Christophel
UN ÉTAT DU MONDE 9e ÉDITION
17 - 26 NOVEMBRE 2017 Forum des Halles forumdesimages.fr
JEUX VIDÉO
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CUPHEAD
Aussi
— : PC, One (MDHR) —
enchanteur qu’éprouvant, Cuphead a le génie de mélanger dessin animé à l’ancienne et difficulté hardcore. Dans la peau de petits bonshommes à tête en forme de tasse à thé, nous voilà catapultés au cœur d’un monde coloré et fantasque dont le style imite celui des cartoons des années 1930 – le crayonné, le grain et les rayures de bobine sur l’écran, tout y est. Si le gameplay mélange plate-forme et tir, les objectifs changent sans cesse. Parfois, c’est un décor à traverser le plus vite possible, en esquivant (ou en flinguant) tous les obstacles qui nous foncent dessus. Parfois, c’est un boss qui occupe tout l’écran et peut changer de forme sans prévenir, et qu’il nous faut terrasser dans un duel de longue haleine. Cuphead est une expérience terriblement charmeuse,
DANGANRONPA V3 KILLING HARMONY Devenu culte pour son mélange détonnant de visual novel et de Cluedo, Danganronpa connaît enfin une traduction française. L’occasion de découvrir une licence qui a toujours su briller par sa narration et son humour machiavélique. • Y. F.
: PS Vita, PS4 (NIS America)
mais ambivalente aussi. Il y a d’abord l’émerveillement devant cette esthétique somptueuse, suintant l’amour de l’artisanat rétro et du détail maniaque. Mais il y a surtout cette difficulté, impitoyable et constante, qui vient parfois contredire la choupitude de l’emballage. Car non seulement notre jauge d’énergie est très réduite (il vaut d’ailleurs mieux faire le jeu à deux), mais l’intensité inouïe des affrontements pourra également en décourager certains. Et pourtant, si l’on s’accroche, Cuphead s’avère un superbe jeu de plate-forme, notamment par sa relecture moderne des classiques du genre (Mario, Sonic). Chaque niveau réussi est autant une libération qu’un sésame vers de nouvelles trouvailles visuelles, comme si le dépassement de soi se matérialisait à l’écran en performance esthétique. • YANN FRANÇOIS
NBA 2K18
TOTAL WAR. WARHAMMER 2
Le meilleur jeu de basket de tous les temps continue de s’améliorer. Outre une mise en scène qui imite à merveille les tics des retransmissions TV, cet épisode 2018 se fend d’un contenu gargantuesque et d’un excellent mode scénarisé. • Y. F.
Nouvelle adaptation du célèbre jeu de plateau crée par Games Workshop, Total War. Warhammer 2 se distingue par une parfaite osmose entre stratégie pointue et heroic fantasy, à coups de batailles fantastiques d’anthologie. L’épopée guerrière à son summum. • Y. F.
: One, PC, PS4, Switch (2K Sports)
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: PC (Sega)
INDÉ À JOUER Manette dans une main, carnet de notes dans l’autre, notre chroniqueur teste chaque mois une sélection de jeux indés.
T UEU U EU R R E NCON N CO N T R E L E DE S SI S I N AT EUR E U R DE CROI C RO IS SA ADE Q UA N D L E S CÉ N A R I ST E DU QUAN
UNE SÉRIE
BD
DE
M AT Z
ET
X AV I E R
Ce mois-ci, je passe mes amitiés au filtre du jeu indé. Je m’enferme avec trois potes et lance Divinity Original Sin II (Larian Studios | PC), un RPG multijoueur dans lequel chacun peut accomplir une quête ou mener un combat comme il l’entend, quitte à trahir le collectif. Forcément, quelques heures suffisent pour que tout le monde s’embrouille autour d’une sombre histoire de mage à kidnapper et que chacun parte refaire sa vie de son côté. Pour changer des dragons, je zappe sur Windjammers (DotEmu | PS4, PS Vita), une compétition de frisbee dans une arène où chaque joueur doit envoyer le disque dans le but adverse. La tension est palpable, les coups bas fusent de tous bords, et la finale du championnat s’achève sur un drame, chacun accusant l’autre d’avoir dopé son champion. Fatigué, je mets tout le monde à la porte et m’enferme dans mon trou. Steamworld Dig 2 (Image & Form | PC, PS4, Switch, Mac) fait de moi un robot qui passe sa vie à creuser des tunnels de plusieurs dizaines de kilomètres, avec une lampe torche pour seule compagnie. À force de taper dans la roche, je suis victime d’un coup de grisou et me réveille dans la peau d’une cosmonaute qui, elle aussi, sort d’une stase d’un siècle. Je suis bien dans Echo (Ultra Ultra, PC, PS4), un jeu d’exploration futuriste où j’arpente un monde extraterrestre aux architectures psychédéliques. Captif de ce cauchemar vénéneux (mais sublime), je me jure une chose : ne plus jamais jouer seul. • YANN FRANÇOIS ILLUSTRATION : SAMUEL ECKERT
TOME 1 DISP DISPONIBLE P ONIBLE
AU RAYO RAYON O N BD ON
© XAVIER ER - MATZ / LE LOMBARD 2017
Personne n’échappe à son passé
LIVRES
MISE À JOUR
Tout,
de nos jours, s’évalue en ligne. Les plats des restaurants. La politesse des taxis. La pédagogie des profs. L’habileté des chirurgiens. La moindre activité sociale est scrutée, notée, estimée de mille et une façons par les utilisateurs, depuis les « like » de Facebook jusqu’aux étoiles sur TripAdvisor. Un jour viendra où toutes ces notes seront réunies sur la même application, une sorte d’évaluateur universel où tout le monde notera tout le monde, en direct, au moyen d’un code couleurs : vert, les gens vous aiment ; orange, ça se gâte ; rouge, ils vous détestent. On appellera ça une « nOte ». Un vrai tatouage social, consultable par la planète entière sur une appli, « eVal »… Telle est l’idée de départ de Mise à jour, un thriller d’anticipation qui rappelle un peu la série Black Mirror. L’auteur, Julien Capron, imagine une actrice de la Comédie-Française, Olivia Muller, qui se voit refuser l’adoption d’un enfant au motif que sa nOte est trop basse. Mais comment une artiste aussi talentueuse peut-elle traîner une réputation pareille sur eVal ? Léandre, un jeune journaliste, mène l’enquête. D’après lui, il y a forcément un biais dans eVal, une faille, quoi qu’en dise son génial concepteur, Robin. Lequel, par coïncidence, n’est autre que son propre frère, en froid avec lui depuis quelques années… Capron est scénariste et ça se voit : il s’y entend pour entrelacer plusieurs fils d’intrigue et raccrocher son sujet principal, les dérives de la vie en ligne et de l’évaluation anonyme, à de vieux thèmes éternels comme la rivalité fraternelle et la transmission. Surtout, il installe
un rythme haletant en remplaçant la narration traditionnelle à la troisième personne par un entrecroisement rapide de monologues, générant des effets de points de vue très réussis. Polar dystopique addictif d’excellente tenue, Mise à jour mérite bien sa pastille verte.
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Un jour viendra où toutes ces notes seront réunies sur la même application.
CHEZ LES BERBÈRES ET CHEZ LES WALSER
Vous ne risquez pas de le rater sur les étals des libraires, avec sa couverture en image lenticulaire : un œil tantôt ouvert, tantôt fermé, selon l’angle de vision. Vous voilà prévenus : eVal is watching you. • BERNARD QUIRINY
— : « Mise à jour » de Julien Capron (Seuil, 218 p., 18 €)
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SAUVER LES MEUBLES
ESSAIS ET PAMPHLETS
Dans cette série d’essais littéraires à l’ancienne, on croise Stendhal, Walser, Thackeray, Dino Risi et cent autres. Une promenade à travers les livres et le monde, en toute liberté d’esprit. • B. Q.
Un photographe déchu se retrouve à shooter des intérieurs pour une enseigne de meubles… Une comédie satirique au ton acide, premier roman d’une ancienne lauréate du Prix du jeune écrivain. • B. Q.
Tonitruant, mystique, révolté, un peu fou, Léon Bloy occupe une place à part dans la littérature fin-de-siècle. Préparé par Maxence Caron, ce pavé réunit tous ses pamphlets, genre où il a excellé comme personne. • B. Q.
(La Baconnière, 190 p.)
(Gallimard, 228 p.)
(Bouquins, 1 520 p.)
: de Samuel Brussell
: de Céline Zufferey
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: de Léon Bloy
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ISTRATI !
— 70 : « Istrati ! Tome I. Le vagabond » de Golo (Actes Sud BD, 272 p.)
Panaït
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Istrati (1884-1935), le « Gorki des Balkans », cet irréductible vagabond cosmopolite qui vouait un culte à l’amitié, ce prolétaire roumain qui apprit en autodidacte le français pour en faire sa langue de plume… Que sa vie et sa création, aussi passionnées qu’indissociables, aient interpellé Golo semble naturel. Le dessinateur, lui-même partagé entre la France et l’Égypte, a déjà témoigné de ses affinités avec les exilés et les révoltés. La biographie qu’il nous livre est, à l’image de l’œuvre de l’écrivain, picaresque et virevoltante. Retraçant par des récits enchâssés la première partie de son existence, jusqu’à son premier séjour à Paris en 1913, les pages s’enchaînent presque sans respiration, animées par une sorte de dessin-écriture à la fois libre et maîtrisé, fuyant la joliesse mais expressif et harmonieux. Loin des récits de commande formatés pour les centres de documentation, voici l’hommage vibrant d’un auteur insensible aux modes qui fait revivre un temps où tous les espoirs étaient possibles. • VLADIMIR LECOINTRE 109
LES ACTUS mk2
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CHÉRIES-CHÉRIS
Revigoré par le succès en salles de l’intense 120 battements par minute de Robin Campillo, Chéries-Chéris, le festival du film gay, lesbien, bi, trans et ++++ de Paris est cette année plus combatif que jamais.
L’été
dernier, le film de Campillo nous propulsait au début des années 1990, aux côtés de militants de l’association Act Up-Paris montés au front pour dénoncer la lâcheté des pouvoirs publics face à l’épidémie du sida. Pour Cyril Legann, président du festival Chéries-Chéris, rebondir sur cette réussite était une évidence. « Personne ne pouvait imaginer qu’aborder un sujet aussi effrayant que le sida ne rebuterait pas les spectateurs. Grâce à la très bonne réception du film, on a senti que quelque chose bougeait, que le procès en communautarisme qu’on nous intente parfois se déconstruisait : c’est la preuve qu’un film LGBTQI peut s’adresser au grand public, sans distinction. » Pour préserver la forte dynamique enclenchée par 120 battements par minute, Didier Lestrade, journaliste, écrivain et cofondateur d’Act Up, est invité cette année comme membre du jury. Côté projections, le documentaire Zap de Vincent Martorana, qui filme les militants d’Act Up en pleine action éclair au cours de l’été 1995, sera montré en
Séance spéciale. En Compétition, un large panel de films s’offre aux spectateurs et au jury, entre grosses productions américaines (Battle of the Sexes de Jonathan Dayton et Valerie Faris, avec Emma Stone et Steve Carell, lire p. 70) et pépites plus intimistes (Mr Gay Syria d’Ayse Toprak). Des œuvres de réalisateurs connus (The Misandrists de Bruce LaBruce) côtoieront celles de nouveaux venus. « On est loin d’être dans une course au star-system, on veut que le festival profite à des artistes différents. Cette année, on présentera Seule la terre de Francis Lee, qui fût pour nous un vrai choc esthétique, émotionnel. Il y aura aussi Call Me by Your Name, le film de Luca Guadagnino, qui raconte l’histoire d’un garçon de 17 ans tombant amoureux d’un homme plus âgé. On reproche souvent aux films LGBTQI de valoriser des personnages tourmentés. Eh bien, ce film, par exemple, n’est absolument pas traversé par le tragique. » Les amateurs de documentaires ne seront pas en reste : Queercore: How to Punk
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© ÉDITION SALZGEBER
The Misandrists de Bruce LaBruce (2017)
© SONY PICTURES RELEASING
LES ACTUS mk2
Call Me by Your Name de Luca Guadagnino (2017)
a Revolution de Yony Leyser s’appuie sur l’éclairage de personnalités telles que John Waters ou Bruce LaBruce qui ont bien connu ce mouvement cyberpunk ; Le Jardin des étoiles de Pasquale Plastino et Stéphane Riethauser suit un croque-mort drag-queen berlinois tenant un salon de thé dans un cimetière. « La diversité, qu’elle se rapporte au genre, à l’économie des films, aux formats, est vraiment le maître-mot. On a des films très solidement produits comme des œuvres tissées avec trois bouts de ficelle à la maison », résume Cyril
Legann. Pour pimenter le tout, des soirées à thèmes sont organisées (avec notamment des jeux), par exemple autour du film Lolita malgré moi de Mark Waters (2004). Un programme conçu dans un esprit aussi engagé que festif et donc logiquement inauguré par la piquante Béatrice Dalle, présente lors de la soirée d’ouverture. • JOSÉPHINE LEROY
— : du 14 au 21 novembre au mk2 Beaubourg et au mk2 Quai de Loire
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mk2 SUR SON 31 JEUDI 9 NOV. CYCLE PARIS PHOTO Vers la lumière de N. Kawase ; Comédie de M. Karmitz et S. Beckett ; 24 Frames d’A. Kiarostami.
: mk2 Grand Palais
CONNAISSANCES DU MONDE « Tibet. Ombres et lumières » par Gilbert Leroy.
: mk2 Grand Palais
: mk2 Gambetta à 14 h
à 13 h, 15 h et 18 h
à 13 h, 15 h et 18 h
ARCHITECTURE ET DESIGN « La modernité. »
: mk2 Bibliothèque (entrée BnF) à 20 h
LA MODE, UNE HISTOIRE DE STYLE « Influences orientales et coupes art déco. »
: mk2 Odéon (côté St Germain) à 20 h
LA PHOTOGRAPHIE « Les pictorialistes. »
: mk2 Quai de Loire à 20 h
MARDI 14 NOV.
CYCLE PARIS PHOTO White Bird de G. Araki ; L’Extase doit être oubliée d’E. Kranioti, Traum de Smith et Borges in the Alhambra de S. Vega ; Les Rencontres d’après minuit de Y. Gonzalez.
DIMANCHE 12 NOV. CYCLE PARIS PHOTO Mon oncle d’Amérique d’A. Resnais ; Koropa de L. Henno et Landcape at Noon de R. Samaha ; Kaili Blues de B. Gan.
: mk2 Grand Palais à 13 h, 16 h et 18 h
LUNDI 13 NOV. LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE « Le Rijksmuseum d’Amsterdam. »
ENTRONS DANS LA DANSE « La danse classique. »
: mk2 Quai de Seine à 20 h HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE « Le roman libertin. »
: mk2 Parnasse à 20 h UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « À la loupe ! Alfred Hitchcock, Don Siegel, Brian De Palma. »
: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h
: mk2 Bastille
JEUDI 16 NOV.
(côté Beaumarchais)à 12 h 30
UNE HISTOIRE DE L’ART « Les primitifs italiens. »
: mk2 Beaubourg à 20 h
VENDREDI 10 NOV. CYCLE PARIS PHOTO Au-delà des montagnes de J. Zhang-ke ; Tanker de N. Goudal, On the Beach de G. Škofić, VB62 de V. Beecroft et Off Takes de H. Jingban. ; Le Clair de terre de G. Gilles.
: mk2 Grand Palais à 13 h, 16 h et 18 h
SAMEDI 11 NOV. L’ART CONTEMPORAIN « L’abstraction, de Paris à New York. »
: mk2 Bastille (côté Beaumarchais) à 11 h
La
LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Faut-il regarder la vie dans les yeux ? »
: mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30
NOS ATELIERS PHOTO ET VIDÉO « Prise de vue et retouche. »
: mk2 Bibliothèque à 19 h 30 SCIENCES SOCIALES ET CINÉMA « Résistance. » Citizenfour de L. Poitras, suivie de son commentaire par un enseignant-chercheur de l’EHESS.
ARCHITECTURE ET DESIGN « L’école du Bauhaus. »
: mk2 Bibliothèque (entrée BnF) à 20 h
LA PHOTOGRAPHIE « La photographie officielle. »
: mk2 Quai de Loire à 20 h UNE HISTOIRE DE L’ART « Le Quattrocento à Florence. »
: mk2 Beaubourg à 20 h
SAMEDI 18 NOV.
: mk2 Bibliothèque à 19 h 45 PARIS NE S’EST PAS FAIT EN UN JOUR « Le renouveau d’Henri IV. »
: mk2 Grand Palais à 20 h
VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « Les trous noirs. »
: mk2 Quai de Loire à 11 h
PARIS PHOTO
première foire mondiale dédiée à la photographie fête sa 21e édition. Cette année, 189 exposants issus de trente pays montrent le travail de 1 500 artistes, au fil d’un accrochage tentaculaire dans la nef et le salon d’honneur du Grand Palais. La foire inaugure aussi, en partenariat avec mk2, un secteur films-vidéos « explorant les nouvelles perspectives qu’offre l’image », soit quatre jours de programmation imaginée par deux commissaires invités. Le 9 novembre, Marin Karmitz a choisi de
projeter Vers la lumière de Naomi Kawase (2017), Comédie, qu’il a coréalisé avec Samuel Beckett (1966) et une avant-première : 24 Frames, le film posthume d’Abbas Kiarostami. Les trois jours suivants, Matthieu Orléan, consultant artistique pour La Cinémathèque française, propose une sélection de vidéos d’artistes et de longs métrages. Une édition augmentée, entre image fixe et en mouvement, qui s’annonce vertigineuse. • C. G.
: du 9 au 12 novembre
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Crédit photo : © Jean-Philippe Mesguen, Villa Savoye © F.L.C. / ADAGP, Paris, 2017 Le Corbusier, Pierre Jeanneret © ADAGP, Paris, 2017.
LA CITÉ DE L’ARCHITECTURE FÊTE SES 10 ANS
Portes Ouvertes samedi 18 et dimanche 19 novembre 2017
accès gratuit
#10anscite
citedelarchitecture.fr
Villa Savoye, Le Corbusier, 1928, Poissy
mk2 SUR SON 31 L’ART CONTEMPORAIN « Le Pop Art et les Nouveaux Réalistes. »
: mk2 Bastille
UNE HISTOIRE DE L’ART « Le temps des génies : Vinci, Raphaël, Michel-Ange. »
(côté Beaumarchais) à 11 h
: mk2 Beaubourg à 20 h
FASCINANTE RENAISSANCE « Les Primitifs flamands. »
: mk2 Beaubourg à 11 h
LUNDI 20 NOV.
SAMEDI 25 NOV.
: mk2 Quai de Loire à 20 h
FASCINANTE RENAISSANCE « Les peintres florentins du Quattrocento. »
: mk2 Beaubourg à 11 h
à 18 h 30
PARIS NE S’EST PAS FAIT EN UN JOUR « Le temps des grands cardinaux. »
LUNDI 27 NOV. LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE « Le Kunsthistorisches Museum de Vienne. »
: mk2 Quai de Loire à 20 h
MARDI 21 NOV. HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE « Les Lumières : règne de la raison. »
: mk2 Parnasse à 20 h UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Le western est-il le cinéma américain par excellence ? »
: mk2 Odéon (côté St Michel)
ARCHITECTURE ET DESIGN « Les arts décoratifs. »
LA MODE, UNE HISTOIRE DE STYLE « Elsa Schiaparelli. »
: mk2 Odéon (côté St Germain)
SAMEDI 2 DÉC. L’ART CONTEMPORAIN « Fluxus. »
: mk2 Bastille (côté Beaumarchais) à 11 h
FASCINANTE RENAISSANCE « Donatello et Ghiberti. »
LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Savons-nous vraiment ce que peut le corps ? »
: mk2 Beaubourg à 11 h
LUNDI 4 DÉC.
: mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30
LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE « Le musée du Prado de Madrid. »
PARIS NE S’EST PAS FAIT EN UN JOUR « Les plus beaux hôtels particuliers parisiens. »
: mk2 Bastille (côté
: mk2 Grand Palais à 20 h
LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Les œuvres d’art disent-elles la vérité ? »
MARDI 28 NOV. AVANT-PREMIÈRE Le Monde entier de Julián Quintanilla.
: mk2 Beaubourg à 20 h
Beaumarchais) à 12 h 30
: mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30
DÉJA DEMAIN Séance avec L’Agence du court métrage.
: mk2 Odéon (côté St Michel) MARIN KARMITZ / CAROLINE BROUÉ Conversation à l’occasion de l’exposition « Étranger résident ».
à 20 h
: au mk2 Bastille
PARIS NE S’EST PAS FAIT EN UN JOUR « Le Paris du Roi-Soleil. »
(côté Fg St Antoine) à 20 h
: mk2 Grand Palais à 20 h
: mk2 Bibliothèque (entrée BnF) à 20 h
: mk2 Beaubourg à 20 h
(côté Beaumarchais) à 12 h 30
à 20 h
JEUDI 23 NOV.
UNE HISTOIRE DE L’ART « L’école de Fontainebleau. »
: mk2 Bastille
: mk2 Grand Palais à 20 h RENDEZ-VOUS DES DOCS Cipka de R. Gąsiorowska et Belle de nuit de M.-È. de Grave.
(entrée BnF) à 20 h
: mk2 Bastille (côté
: mk2 Bastille
: mk2 Odéon (côté St Germain)
: mk2 Bibliothèque
LA PHOTOGRAPHIE « La preuve par l’image : l’usage de la photographie dans la sphère policière. »
LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE « La National Gallery de Londres. »
LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Comment prendre son temps à l’ère de l’accélération ? » Avec Alexandre Lacroix.
ARCHITECTURE ET DESIGN « Penser l’habitat moderne. »
L’ART CONTEMPORAIN « Illusions d’optique : l’Op art, l’art cinétique et le G.R.A.V. » Beaumarchais) à 11 h
(côté Beaumarchais) à 12 h 30
JEUDI 30 NOV.
UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « À la loupe ! John Ford, Anthony Mann, Sergio Leone. »
MARDI 5 DÉC.
: mk2 Odéon (côté St Michel)
HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE « Le réalisme et le naturalisme. »
à 20 h
: mk2 Parnasse à 20 h
HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE « Le romantisme. »
UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Du fantastique à la science-fiction. »
à 20 h
LA PHOTOGRAPHIE « Les femmes photographes. »
: mk2 Quai de Loire à 20 h
: mk2 Parnasse à 20 h
: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h
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