N 170
O
JUIN — JUIL. 2019 GRATUIT
LA FEMME DE MON FRÈRE
DE MONIA CHOKRI CHANGEMENT DE PEAU
IL GAGNE L’EUROVISION
IL TRIOMPHE
A CANNES
William Lebghil Doria Tillier Philippe Katerine Alka Balbir
un film de
Benoit Forgeard
26 JUIN
ÉDITO 2010.
Dans Les Amours imaginaires, on découvrait le charisme de Monia Chokri en vamp aussi cynique que fébrile face à un « bellâtre particulièrement à l’aise » campé par Niels Schneider. Dandy au féminin, elle rivalisait avec son meilleur ami (Xavier Dolan, qui signait aussi le film) pour conquérir le cœur du beau gosse, dans une bataille de sourires crispés et de petits coups bas. Tout leur être, leurs espoirs et leurs angoisses étaient tournés vers la quête amoureuse, dans un mélange de gravité et d’insouciance propres à l’adolescence, alors que leurs personnages étaient pourtant déjà dans la vingtaine. 2019. Avec La Femme de mon frère, Monia Chokri passe derrière la caméra pour suivre une thésarde (excellente Anne-Élisabeth Bossé, star au Québec et qui devrait vite le devenir ici) aussi cynique que jalouse face à la nouvelle copine de son frère, chez lequel elle squatte et avec qui elle vit en fusion… Le film de Dolan a marqué sa génération en traitant avec justesse de ce sentiment très contemporain de décalage, de l’adolescence qui colle à la peau au-delà de l’âge socialement considéré comme normal. La Femme de mon frère prolonge cette idée : l’héroïne, dont tous les horizons semblent bouchés, vit difficilement un « passage à l’âge adulte » à la trentaine. Et alors ? Et alors tant mieux. Les parcours des trentenaires Monia Chokri et Anne-Elisabeth Bossé en attestent : en ayant osé chacune suivre son rythme – l’une pour réaliser un premier long métrage, l’autre pour assumer un rôle principal au cinéma –, elles ont réussi leur mue avec aplomb et accouché d’une œuvre qui leur ressemble : touchante, drôle, pleine de références tout en étant hyper singulière. Preuve qu’il est parfois bon de prendre son temps. • TIMÉ ZOPPÉ
PYRAMIDE présente
UNE ARISTOCRATE MONDAINE ET UNE FEMME DE LETTRES RÉVOLUTIONNAIRE FONT FI DES CONVENTIONS SOCIALES GEMMA ELIZABETH ISABELLA ARTERTON DEBICKI ROSSELLINI
UN FILM DE
CHANYA BUTTON
AU CINÉMA LE 10 JUILLET
POPCORN
P. 14 RÈGLE DE TROIS : TWO DOOR CINEMA CLUB • P. 16 SCÈNE CULTE : LES LUMIÈRES DE LA VILLE • P. 26 LA NOUVELLE : ANNA POLINA
BOBINES
P. 28 EN COUVERTURE : LA FEMME DE MON FRÈRE • P. 36 INTERVIEW : JEAN DUJARDIN • P. 42 INTERVIEW : BERTRAND BONELLO
ZOOM ZOOM
P. 62 YVES • P. 64 CHARLOTTE A 17 ANS • P. 66 LES ENFANTS DE LA MER • P. 69 GRETA • P. 71 VITA & VIRGINIA
COUL’ KIDS
P. 76 INTERVIEW : TANIA DE MONTAIGNE • P. 78 LA CRITIQUE DE LÉONORE : DRAGONS 3. LE MONDE CACHÉ • P. 79 TOUT DOUX LISTE
OFF
P. 80 ENQUÊTE : LE RENOUVEAU DU ROCK PSYCHÉ TURC P. 89 CONCERTS : BLOOD ORANGE • P. 94 SÉRIES : GOOD OMENS
ÉDITEUR MK2 AGENCY — 55, RUE TRAVERSIÈRE, PARIS XIIe — TÉL. 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : ELISHA.KARMITZ@MK2.COM | RÉDACTRICE EN CHEF : JULIETTE.REITZER@MK2.COM RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE : TIME.ZOPPE@MK2.COM | RÉDACTEURS : QUENTIN.GROSSET@MK2.COM, CORENTIN.LE@MK2.COM, JOSEPHINE.LEROY@MK2.COM | GRAPHISTE : JÉRÉMIE LEROY | SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : VINCENT TARRIÈRE STAGIAIRE : QUENTIN BILLET-GARIN | ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : LILY BLOOM, CHARLES BOSSON, RENAN CROS, JULIEN DUPUY, MARIE FANTOZZI, YANN FRANÇOIS, CLAUDE GARCIA, ADRIEN GENOUDET, AÏNHOA JEAN-CALMETTES, DAMIEN LEBLANC, GRÉGORY LEDERGUE, STÉPHANE MÉJANÈS, THOMAS MESSIAS, JÉRÔME MOMCILOVIC, WILFRIED PARIS, MICHAËL PATIN, PERRINE QUENNESSON, BERNARD QUIRINY, CÉCILE ROSEVAIGUE, ÉTIENNE ROUILLON, ÉRIC VERNAY, ANNE-LOU VICENTE, ETAÏNN ZWER & LÉONORE ET ADÈLE PHOTOGRAPHES : JULIEN LIÉNARD, PALOMA PINEDA, JAMES WESTON | ILLUSTRATEURS : PABLO COTS, SAMUEL ECKERT, ÉMILIE GLEASON, ANNA WANDA GOGUSEY, PABLO GRAND MOURCEL | PUBLICITÉ | DIRECTRICE COMMERCIALE : STEPHANIE.LAROQUE@MK2.COM RESPONSABLE MÉDIAS : CAROLINE.DESROCHES@MK2.COM | ASSISTANTE RÉGIE, CINÉMA ET MARQUES : EVA.LEVEQUE@MK2.COM RESPONSABLE CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : ALISON.POUZERGUES@MK2.COM ASSISTANTE CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : CLAIRE.DEFRANCE@MK2.COM TROISCOULEURS EST DISTRIBUÉ DANS LE RÉSEAU LE CRIEUR CONTACT@LECRIEURPARIS.COM © 2018 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / DÉPÔT LÉGAL QUATRIÈME TRIMESTRE 2006 — TOUTE REPRODUCTION, MÊME PARTIELLE, DE TEXTES, PHOTOS ET ILLUSTRATIONS PUBLIÉS PAR MK2 AGENCY EST INTERDITE SANS L’ACCORD DE L’AUTEUR ET DE L’ÉDITEUR. — MAGAZINE GRATUIT. NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE.
INFOS GRAPHIQUES
PLUS C’EST LONG, PLUS C’EST BON ? Alors
que la dernière saison de Game of Thrones s’est achevée en grande pompe mi-mai et que Too Old to Die Young, la série-fleuve de Nicolas Winding Refn, débute le 14 juin sur Amazon Prime, la durée des épisodes des séries les plus attendues rivalise désormais avec celle d’un long métrage. Comment le cinéma s’est-il infiltré dans le petit écran ? Éléments de réponse en six (longs) épisodes. • CORENTIN LÊ
GAME OF THRONES Saison 8, épisode 3 « La Longue Nuit » (2019)
Consacré à l’affrontement entre le Roi de la Nuit et l’humanité, cet épisode montre une bataille épique deux fois plus longue que celle du gouffre de Helm dans Le Seigneur des anneaux. Les deux tours (2002).
1 h 22 WESTWORLD Saison 1, épisode 10 « L’Esprit bicaméral » (2016)
Le concepteur d’un parc d’attractions dévoile un nouveau scénario dans ce final labyrinthique réalisé et coécrit par Jonathan Nolan (coscénariste, avec son frère Christopher, du Prestige et d’Interstellar).
1 h 30 TWIN PEAKS Saison 1, épisode 1 « Pilote » (1990)
Initialement envisagé comme un film à part entière, le pilote de cette série de David Lynch (Mulholland Drive) et Mark Frost marque le début d’une œuvre culte sans cesse comparée au cinéma.
1 h 34 TOO OLD TO DIE YOUNG Saison 1, épisode 2 « N. C. » (2019)
Considérée par son réalisateur Nicolas Winding Refn comme un « film de treize heures », cette descente aux enfers à L.A. s’étale sur dix épisodes d’une durée allant de 60 à 96 minutes.
1 h 36 VINYL Saison 1, épisode 1 « Pilote » (2016)
Réalisé par Martin Scorsese, cet épisode explosif digne du Loup de Wall Street lance une série faramineuse à 100 millions de dollars, arrêtée au bout d’une saison.
1 h 53 SENSE8 Saison 2, épisode 12 « Amor vincit omnia » (2018)
Les « sensitifs » font équipe une dernière fois dans ce final orgiaque de la série de Lana et Lilly Wachowski (Matrix, Cloud Atlas), qui condense toute une saison en un seul épisode.
2 h 32
ÉMOPITCH LE DAIM (SORTIE LE 19 JUIN) 6
TOM SCHILLING
SEBASTIAN KOCH
PAU LA B E E R
UN FILM DE
©2018 BUENA VISTA INTERNATIONAL - PERGAMON FILM - WIEDEMANN & BERG FILM
FLORIAN HENCKEL VON DONNERSMARCK
S O R T I E L E 17 J U I L L E T
FAIS TA B.A.
À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketchs). POUR IMPRESSIONNER VOTRE MAMAN, UNE PROF D’HISTOIRE ULTRACULTIVÉE Difficile de faire le poids quand on est face à ce puits de culture. Pour en imposer, offrez-lui ce coffret réunissant cinq grands films tchèques parmi lesquels Du courage pour chaque jour d’Evald Schorm et Vive la république de Karel Kachyna. Sortis dans les années 1960, ces drames explorent pour la plupart l’état de l’ex-Tchécoslovaquie pendant et après la Seconde Guerre mondiale.
: « Classiques du cinéma tchèque » (Malavida)
© ORLY FILMS
POUR CE JARDINIER QUI FOND DEVANT UN BOUQUET DE COQUELICOTS
Une femme sous influence, 1974
Au parc des Buttes-Chaumont, où il déambule tel un seigneur avec sa pelle et son râteau, il s’émeut face aux belles fleurs qu’il a plantées avec amour et délectation. Voilà une nouvelle qui va réjouir ce grand sentimental : la Cinémathèque française met à l’honneur le cinéma de l’Américain John Cassavetes (Une femme sous influence, 1974 ; Opening Night, 1977), qui regorge de magnifiques scènes d’effusion.
: « Rétrospective John Cassavetes », jusqu’au 22 juin à la Cinémathèque française
POUR CE BARMAN OLD SCHOOL, QUI SE CONFIE SUR SES SOUCIS ENTRE DEUX PINTES Vous n’allez pas vraiment dans le bar de ce fan d’Elvis pour la qualité de sa carte, mais plutôt pour faire un brin de causette qui, de blague en blague, débouche sur des discussions existentielles. Pour requinquer ce touchant barman, regardez ensemble Shampoo de Hal Ashby, une satire jouissive des États-Unis de la fin des années 1960, avec Warren Beatty en coiffeur sex-symbol.
: « Shampoo » de Hal Ashby (Carlotta)
POUR VOS AMIS, DEUX JOURNALISTES AMOUREUX QUI NE SE LÂCHENT PAS D’UNE SEMELLE Ils rient, parlent, pianotent sur leur clavier simultanément. Vos amis sont aussi flippants qu’attendrissants. Lectures idéales pour ces amoureux siamois, ces deux livres tendres et drôles qui compilent les savoureux articles de Lillian Ross, ex-rédactrice en chef du New Yorker qui rencontra plusieurs fois deux cinéastes de renom, l’aventurier John Huston et le fin gourmet François Truffaut.
: « John Huston par Lillian Ross » et « François Truffaut par Lillian Ross », traduits de l’anglais (États-Unis) par Alexandre Prouvèze (Carlotta, 84 p. et 44 p.)
POUR VOTRE MEILLEURE POTE QUI COLLECTIONNE LES MASQUES EN TOUT GENRE Alors qu’elle écoutait « Eyes Without a Face » de Billy Idol, elle a découvert que le titre rendait hommage aux Yeux sans visage (1960), fascinant film du Français Georges Franju sur un chirurgien qui veut réparer le visage de sa fille défigurée par un accident. Comme elle voue désormais un culte à Franju (et aux masques), glissez-lui ce livre truffé d’anecdotes et de documents inédits.
: « Georges Franju. Le dictionnaire d’une vie » de Frantz Vaillant (Marest Éditeur, 176 p.)
• JOSÉPHINE LEROY 8
LA
RÉVOLUTION ROCK AU FÉMININ PLURIEL !
INCOGNITA FILMS PRÉSENTE
JEANNE ADDED JEHNNY BETH LOU DOILLON BRIGITTE FONTAINE CHARLOTTE GAINSBOURG FRANÇOISE HARDY IMANY CAMÉLIA JORDANA ELLI MEDEIROS VANESSA PARADIS
UN FILM DE
PHOTO © SONIA SIEFF 2019 - INCOGNITA FILMS - ARTE FRANCE CINÉMA - INA POSTER BY:
FRANÇOIS ARMANET
AVEC LA VOIX D’ÉLISABETH QUIN
LE 3 JUILLET
www.filmsdulosange.fr
HOME CINÉMA
Chaque mois, une traversée des tendances du design, de l’art de vivre et de la culture portées par le grand écran et disponibles au mk2 store du mk2 Bibliothèque. Ce mois-ci : une sélection thématique pour l’été qui démarre. • CORENTIN LÊ
LE ROMAN DUNE DE FRANK HERBERT Après David Lynch, qui en avait signé une adaptation en demiteinte (1985), le Canadien Denis Villeneuve (Premier contact, Blade Runner 2049) s’apprête à son tour à porter à l’écran le roman de science-fiction écrit par Frank Herbert. L’occasion de se (re)plonger dans le premier tome de cette saga culte sur la plage dès cet été, histoire d’être fin prêt avant la sortie du film, attendue pour novembre 2020.
LE DVD DE CONTE D’ÉTÉ D’ÉRIC ROHMER UN PROJECTEUR POUR SMARTPHONE Pas de saison estivale sans ses traditionnelles séances en plein air. Néanmoins, tout le monde n’a pas forcément l’opportunité de s’y rendre ; ou même d’en improviser une dans son jardin. Pour y remédier, un projecteur vidéo qui n’a besoin que de votre smartphone pour fonctionner et qui vous permet de regarder un film au grand air. De quoi profiter du beau temps tout en voyageant léger.
Des allers-retours à la plage, le plaisir simple d’une glace rafraîchissante, un baiser échangé entre deux baignades, quelques notes de guitare… Dans ce film lumineux d’Éric Rohmer, troisième opus aussi léger que grave des Contes des quatre saisons, Melvil Poupaud incarne un étudiant en proie au doute amoureux, pris en étau entre trois jeunes femmes lors d’un été à Dinard.
— : mk2 store du mk2 Bibliothèque 128, avenue de France, Paris XIIIe
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UN TEE-SHIRT NOSFERATU Si vous avez passé l’année à regarder des films planqué(e) dans l’obscurité des salles de cinéma, vous êtes actuellement plus Nosferatu qu’éphèbe prêt à briller. Inutile de s’en cacher quand le soleil revient : autant l’assumer avec un tee-shirt portant la marque du plus célèbre des vampires, dont le réveil nocturne a été porté à l’écran par Friedrich Wilhelm Murnau en 1922, puis par Werner Herzog en 1979.
“UN FILM QUI FRAPPE FORT”
“UN GRAND FILM DE
TRANSMISSION”
LE FIGARO
“BRILLANT!”
LES INROCKS
UN FILM DE
LIBÉRATION
“FINESSE ET ROMANTISME” LE MONDE
BERTRAND BONELLO
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
CHAUD BIZ
POPCORN
COMMENT L’EUROPE VA AU CINÉMA ?
La
Media. Ce regain d’enthousiasme pour les films locaux, les créateurs l’ont bien compris. La machine de production s’est emballée en 2018, puisque pas moins de 1 847 longs métrages ont pu voir le jour. Ils seront donc bientôt visibles pour les quelque 984 millions de spectateurs européens (chiffres de 2017). Parmi eux, 209 millions sont français, suivis par 170 millions de Britanniques et 122 millions d’Allemands. À noter aussi que les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est s’intéressent de plus en plus au septième art et sont quasiment les seuls à voir leur nombre d’entrées progresser. 2018 a également marqué une légère baisse des recettes globales du cinéma qui, pour la première fois depuis quatre ans, sont passées sous la barre des 7 milliards d’euros. Une baisse notamment provoquée par un événement non négligeable sur le continent, la Coupe du monde de football, mais qui n’enlève pas au cinéma son rôle d’industrie qui rapporte. Dernière info pour ceux qui pensent payer leur billet trop cher : sachez que le prix moyen d’un ticket de cinéma en Europe est de 7,10 €, quand en France il est environ cinquante centime moins cher. • PERRINE QUENNESSON ILLUSTRATION : ÉMILIE GLEASON
France se targue souvent d’être le pays du Vieux Continent le plus cinéphile. Et c’est vrai, si l’on en croit les récents chiffres de l’Observatoire européen de l’audiovisuel. Mais qu’en est-il des autres ? Alors que le Parlement européen a adopté, en mars dernier, la directive sur le droit d’auteur à l’ère numérique censée renforcer les droits des créateurs européens et contribuer à lutter contre l’hégémonie culturelle des États-Unis, et qu’une grande réflexion est menée à l’échelle européenne sur les manières d’améliorer les financements du septième art, on peut se demander comment nos voisins européens consomment le cinéma. Le bien-fondé de cette directive se confirme très vite dans les chiffres : avec dix-huit des vingt films les plus populaires en 2018 dans l’Europe des vingt-huit, le cinéma américain, emmené par Avengers. Infinity War et Les Indestructibles 2, est largement dominant. Mais, en réalité, il est en recul. La part de marché de ces films venus d’outre-Atlantique s’est en partie effondrée entre 2017 et 2018, au profit du cinéma européen, qui gagne en force grâce notamment au soutien d’un fonds d’aide à la création européenne : Europe Créative –
Avec dix-huit des vingt films les plus populaires en 2018, le cinéma américain est dominant.
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RÈGLE DE TROIS
De retour avec un sémillant quatrième album, False Alarm, les Nord-Irlandais de Two Door Cinema Club continuent d’enquiller les tubes. Avec un nom pareil, le trio pop ne pouvait pas échapper à notre questionnaire cinéphile. Un film que vous avez vu plus de 3 fois ? Alex Trimble : Les Ailes du désir. C’est très émouvant, alors que le concept – les anges déchus, avec Columbo [Peter Falk, ndlr] et Nick Cave – pourrait paraître ridicule. Kevin Baird : Indiana Jones et le temple maudit. Je l’ai vu un milliard de fois gamin. Le genre de films qui te donne envie de devenir archéologue. Sam Halliday : Pulp Fiction. Chaque ligne de dialogue se savoure, ça change des films d’action actuels dont les scénarios faméliques sont noyés sous les effets spéciaux… Une B.O. qui est 3 fois meilleure que le film ? K. B. : Tron. L’héritage. Un vrai navet, mais la B.O. de Daft Punk est cool. A. T : Les Français sont tellement bons pour les B.O… Tu peux prendre n’importe quelle partition composée par Serge Gainsbourg et Jean-Claude Vannier pour le cinéma : c’est toujours mieux que les films, souvent surannés, alors que la
musique, qui mélange arrangements orchestraux et éléments modernes, elle, n’a pas pris une ride. S. H. : J’aime beaucoup la B.O. de Hanna par The Chemical Brothers. Sur quel acteur ou actrice fantasmiez-vous à 13 ans ? S. H. : Les héroïnes de fantasy, comme Sarah Michelle Gellar dans Buffy contre les vampires ou Kate Beckinsale dans Underworld. K. B. : On était tous obsédés par cette fille dans Newport Beach, Rachel Bilson. Et bien sûr Jennifer Aniston dans Friends. A. T : Je ne sais pas si j’avais 13 ans, mais j’ai été marqué par Kirsten Dunst dans les films de Sofia Coppola. 3 musiciens qui méritent un biopic ? K. B. : Paul McCartney ! A. T : … Mais il doit mourir avant malheureusement, donc c’est moyen. Sinon, David Bowie ? S. H. : Van Morrison, ça serait intéressant, son passage de l’Irlande du Nord aux États-Unis.
— : « False Alarm » ([PIAS]) — 14
S. Halliday, K. Baird et A. Trimble
K. B. : Avec Brendan Gleeson pour jouer le vieux Van Morrison. A. T : Paul Dano serait pas mal pour le jeune Van Morrison. Il était excellent en Brian Wilson dans Love and Mercy. 3 cinéastes britanniques incontournables ? S. H. : Guy Ritchie pour Snatch. A. T : Danny Boyle ! Ceux qui ont vu Trainspotting en sont sortis changés. K. B. : Steve McQueen. La grève de la faim en prison, en Irlande du Nord, dans Hunger. Voilà un sujet sérieux, important, traité de manière intelligente. 3 comédies synonymes de satisfaction garantie ? (Tous en chœur) : Spinal Tap ! S. H. : Le film est toujours dispo dans notre bus en tournée. Lorsqu’on a un coup de mou entre deux concerts, Spinal Tap est là pour nous requinquer. A. T : Christopher Guest est une valeur sûre. Waiting for Guffman est cool aussi. Quel acteur incroyable. • PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC VERNAY
© ALEKSANDRA KINGO
TWO DOOR CINEMA CLUB
TROIS NUITS POUR COMMETTRE L’IRRÉPARABLE.
GRAND PRIX T O R O N T O I N T E R N AT I O N A L F I L M F E S T I VA L
CITIES OF LAST THINGS
Design : Benjamin Seznec / TROÏKA
UN FILM DE WI
DING HO
AU CINÉMA LE 10 JUILLET
SCÈNE CULTE
LES LUMIÈRES DE LA VILLE (1931)
POPCORN
Une manière de brocarder ce nouveau cinéma qui parle pour ne rien dire.
En
les genoux de la statue centrale. Il bâille, s’étire et se réveille sans se soucier des spectateurs. En bas, les autorités le somment de descendre à grands cris (inaudibles). En haut, lui en profite pour livrer sa première leçon de comédie physique : il accroche son pantalon à l’épée d’une statue, s’installe sur une autre pour faire son lacet, tente en vain de garder l’équilibre pendant l’hymne national. Si ce monument ridicule symbolise l’avènement du cinéma parlant, Chaplin est le corps indiscipliné qui vient gâcher la fête. Une fois ce principe posé, il peut enchaîner les numéros burlesques d’anthologie (la boîte de nuit, le sifflet, le combat de boxe) et les scènes de mélo, avant de nous briser le cœur dans le plus beau final de l’histoire du cinéma. Sans prononcer un traître mot. • MICHAËL PATIN
1927, le cinéma bascule dans l’ère du parlant avec Le Chanteur de jazz d’Alan Crosland. Comme beaucoup de vedettes du muet, Chaplin n’est pas enthousiaste. Il a conscience que son personnage risque de perdre son identité – et son pouvoir de fascination mondiale – s’il se met à donner de la voix. Les Lumières de la ville sera donc une « comédie romantique en pantomime », agrémentée de musique synchronisée (la première signée Chaplin) et de quelques bruitages. Son intention est palpable dans la première scène du film : démontrer la pertinence intacte de son art face aux « bavardages » à la mode. Devant une foule compacte, des dignitaires inaugurent un monument. Ils se relaient à la tribune, mais leurs paroles sont remplacées par les sons nasillards d’un mirliton. Une manière simple (et hilarante) de railler la vacuité des puissants, mais aussi de brocarder ce nouveau cinéma qui – littéralement – parle pour ne rien dire. Lorsque le monument est dévoilé, on aperçoit Charlot, vagabond de son (éternel) état, endormi sur
— : Rétrospective Charlie Chaplin (dix longs métrages et un programme de trois courts), dès le 10 juillet
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MAGISTRAL ! LA SEPTIÈME OBSESSION
POIGNANT THE HOLLYWOOD REPORTER
UNE FRESQUE FAMILIALE
BOULEVERSANTE
Crédits non contractuels • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA.
TÉLÉRAMA
UN FILM DE
WANG XIAOSHUAI
LE 3 JUILLET
SCÈNE CULTE
PERMANENT VACATION (1980)
« Qu’est-ce que tu veux entendre ?
POPCORN
— Je m’en fous, tant que c’est un son vibrant et fou. »
Dans
urbain en forme de collage d’influences : modernes, vieux jeu, postmodernes, quelle importance ? Jarmusch a souvent clamé l’influence des proses spontanées et heurtées de Jack Kerouac ou de William Burroughs. On pense à leurs dérives quand Aloysius s’éloigne de Lurie, allant se perdre au loin dans les ténèbres tandis qu’un jazz à la fois dissonant et indolent l’accompagne. Et quand il se réveille le matin en haut d’un toit dégueu d’où l’on distingue l’Empire State Building percer le ciel en arrière-plan, on se dit justement que le rêve babylonien qu’il vient de faire a la même hauteur de vue que les clochards célestes de Kerouac qui gravissaient le pic Matterhorn dans la Sierra Nevada. Cette fuite en avant un peu ivre vers le vide, ignorant tous les vertiges, toutes les altitudes, ce sera aussi celle d’Aloysius lorsqu’il quittera la ville pour aller fantasmer d’autres contrées, en touriste permanent. • QUENTIN GROSSET
Permanent Vacation, son tout premier long métrage, Jim Jarmusch a fixé l’âme dépenaillée d’un New York en train de disparaître. Aujourd’hui, le Lower East Side dans lequel Aloysius Parker (Christopher Parker) déambule n’est plus du tout cette ruine où errent quelques hobos en mal de vivre. Filmer des jazzmen qui jouent du saxo dans des zones désaffectées, c’était même déjà carrément anachronique quand au Mudd Club ou au CBGB la no-wave électrisait la ville de son minimalisme bruitiste. Alors, que regarde Parker quand il se pose tête baissée, avec un calme d’une nonchalance dandy, devant le musicien John Lurie, qui lui demande : « Qu’est-ce que tu veux entendre ? » « Je m’en fous, tant que c’est un son vibrant et fou », répond le jeune dégingandé sous les lampadaires blafards. Si l’on regarde rétrospectivement la filmo du cinéaste à la crinière argentée, on sait qu’il aime contempler les créatures sans âge qui hantent posément la nuit : les vampires, les zombies, les taxis et, forcément, les jazzmen. Ces mythes nocturnes peuplent son New York imaginaire, ces limbes de débris et de cartons, un poème
— : Rétrospective Jim Jarmusch (six longs métrages), dès le 3 juillet
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TROIS IMAGES
LE MONDE ET SES DOUBLES
Avec Yesterday, le cinéaste britannique Danny Boyle (Trainspotting) explore sur le ton de la comédie un univers parallèle où l’on a oublié les Beatles. Lorsqu’affleurent les nationalismes et les crises écologiques, il n’est pas rare que le monde se fissure.
© D. R.
qui est ce jeune homme indien qui traverse le légendaire passage piétons d’Abbey Road ? Dans Yesterday de Danny Boyle, une gigantesque tempête électrique brise le continuum espace-temps de la Terre. Celle-ci et tous ses habitants se retrouvent projetés dans un univers parallèle dans lequel personne n’a jamais entendu parler des Beatles. Jack, un quidam de Lowestoft, chanteur sans grand talent, est le seul à se souvenir de leur répertoire. Il s’épanouit dans cette autre réalité qui fera de lui une star. Magnifiquement interprété par J. K. Simmons, le personnage de Howard Silk vivra de manière beaucoup plus anxieuse sa découverte d’un univers bis, rattaché au sien par une fenêtre spatio-temporelle. La série Counterpart (2017-2019) présente deux réalités qui ressemblent étrangement à celles du Berlin coupé en deux par le mur de la guerre froide. Le multivers permet aux scénaristes de revisiter les codes du cinéma d’espionnage à l’heure de Donald Trump, des montées des nationalismes et du Brexit, quand le monde semble se scinder en clans irréconciliables. To Be or Not to Be d’Ernst Lubitsch (1942) est peut-être le film qui exploite le plus brillamment le potentiel comique et décalé de l’univers parallèle lors d’une scène d’ouverture totalement inoubliable. En pleine terreur nazie, un Hitler parfaitement serein se promène dans une ville polonaise dévastée par les bombardements. Comment cette réalité est-elle envisageable ? Pas besoin d’évoquer la physique quantique ou les lois de la relativité générale ; la comédie, souveraine, est par essence l’art des dédoublements. • CHARLES BOSSON
— : « Yesterday » de Danny Boyle,Universal
© D. R.
POPCORN
Mais
Pictures (1 h 56), sortie le 3 juillet
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LE TEST PSYNÉPHILE
QUELLE TERREUR ES-TU ?
POPCORN
Ton programme télé idéal du dimanche soir ?
Ce matin, tu t’es réveillé(e) d’un cauchemar…
Misery de Rob Reiner, en mangeant du chocolat.
Tu es soulagé(e) d’être mort.
Questions pour un champion, avec un paquet de chips.
Mais elle est toujours là, elle te follow…
Un film de « Kubrick-mes-couilles ». Quel ex relou(e) es-tu ?
Ah non, c’était ta vraie vie.
Qu’est ce qui te paraît le plus absurde ? Draguer la gynécologue de ta sœur pendant son avortement.
L’ex stalker qui sature les messageries.
« Il faut qu’on parle, je crois qu’on est la même personne. »
L’ex en roue libre qui finit au poste. L’ex qui sacre pas son camp. On sonne à ta porte à minuit, c’est…
Débarquer à l’improviste chez quelqu’un. Un signe qui t’alerte tout de suite ?
Un vampire, pour un entretien.
Quelqu’un de gentil tout le temps, c’est forcément un tueur en série.
Un boucher bordelais qui a gagné l’EuroMillions.
Un film sans Isabelle Huppert au générique.
Niels Schneider – cool, ta vie !
Un non-signe. La réalité plate.
SI TU AS UN MAXIMUM DE : TU ES UNE TERREUR FÉMINISTE Tu es en pleine crise de la trentaine, tu viens de terminer un doctorat mais tu vivotes en squattant chez ton frangin, et enfin tu es… une femme. Pire, tu ne supportes pas la femme parfaite entrée dans sa vie. Bingo ! Tu es la menace majeure de notre siècle, comme l’héroïne de La Femme de mon frère (sortie le 29 juin). Tu l’auras compris, je ris ; et c’est aussi ce que tu feras devant ce premier film de la reine des terreurs féministes, Monia Chokri.
TU ES UNE TERREUR INTERNATIONALE Glenn Close dans Liaison fatale, à côté de toi, c’est du pipi de chat. Eh bien, attends de voir Isabelle Huppert dans Greta (sortie le 12 juin). Elle est terrifiante dans ce film que Neil Jordan a la courtoisie de nous envoyer depuis les années 1990. C’est jouissif, ça n’a ni queue ni tête, mais je le répète, Isabelle Huppert semble s’éclater, et, quand on pense à son CV de tueuse, on n’a pas envie de lui ramener son sac, donc vas-y !
TU ES UNE TERREUR ABSURDE Tu as 44 ans et t’as envie de plaquer ta banlieue pour tuer tout le monde. Je te conseille d’abord d’aller voir Le Daim (sortie le 19 juin). Pour la première fois, Quentin Dupieux, le réalisateur mi-homme mi-Oizo fait non pas un film fou mais un film sur un fou en nous entraînant dans la spirale meurtrière et cinéphile d’un Jean Dujardin possédé par… une veste en daim. Tu pourras te détendre et rentrer chez toi sans faire un amok… Pas mal !
• LILY BLOOM — ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL 22
CINÉMA PLEIN AIR : Diffusion des grands classiques, blockbusters et comédies des années 80. Retrouvez la programmation sur www.valderock.fr
ACTIVITÉS NOCTURNES
CAMPING SUR PLACE
SALLE D’ARCADES
FOODTRUCKS RESTAURATION
ESPACE ENFANTS
FLASH-BACK
SEXE INTENTIONS
Le drame romantique au casting glamour fête ses 20 ans. Si cette adaptation adolescente des Liaisons dangereuses a marqué toute une génération, c’est surtout, selon la critique Linda Belhadj, pour sa pertinence psychologique.
« Le
film s’inscrit dans le genre du drame romantique adolescent, auquel appartiennent La Fièvre dans le sang d’Elia Kazan, sorti en France en 1962, ou Un amour infini de Franco Zeffirelli, en 1981 », rappelle Linda Belhadj, autrice du livre Le Thriller érotique (Aedon, 2017). « Les films sur les ados sont par la suite devenus de plus en plus osés, comme Risky Business, en 1983, qui suivait un lycéen proxénète. » À la fin des années 1990, quand Roger Kumble transposa Les Liaisons dangereuses dans un New York contemporain où de riches lycéens se livrent à la manipulation amoureuse, le public ne fut pas dépaysé. « Dès la première séquence, située chez une psy, Sexe intentions parle de l’absence tragique des parents. C’est aussi une œuvre gothique : l’immeuble de Kathryn (Sarah Michelle Gellar) et Sebastian (Ryan Phillippe) ressemble à un château de vampires. » Au-delà de la bande-son pleine de tubes (Placebo, The Verve…), l’impact du film (sorti en France le 23 juin 1999, juste avant la Fête du cinéma) s’explique par sa violence psychologique. « Le langage y est très
cru. Derrière le vernis pop à la Beverly Hills, il y a un portrait sulfureux de la nature humaine. » Le titre original, Cruel Intentions, ne contient d’ailleurs pas le mot « sexe », « car le sexe compte en réalité moins que les motivations derrière. Chacun est capable de cruauté, même les enfants, et le sexe n’est qu’un moyen de contrôle – de soi et des autres. » Le personnage de Sarah Michelle Gellar fut à ce titre le plus durement jugé. « Le regard des spectateurs s’est focalisé sur Kathryn en tant qu’éminence grise, mais le comportement de Sebastian est encore pire. Il représente l’homme fatal dans toute sa splendeur. Il tombera certes amoureux d’Annette (Reese Whiterspoon), mais son premier souhait était de la faire souffrir. » Sexe intentions pose au final des questions universelles : « Homme ou femme, personne n’est un ange. C’est métaphysique : qu’est-ce qui nous pousse à faire le mal ? Est-on bon ou mauvais en fonction de notre éducation ? L’amour peut-il faire changer quelqu’un ? C’est un film tortueux jusqu’au bout. » • DAMIEN LEBLANC ILLUSTRATION : ANNA WANDA GOGUSEY
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LA NOUVELLE
POPCORN
ANNA POLINA
Avec
ou sans écailles, elle brille dans le sensible court métrage Plaisir fantôme de Morgan Simon (Compte tes blessures), montré cette année à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Anna Polina y joue une actrice porno chevronnée – ce qu’elle est dans la vraie vie –, maman d’une petite fille. Dans une belle scène onirique, elle se mue en sirène qui ondule son corps pulpeux dans une piscine. « Ce passage fait écho à La Petite Sirène, mon conte préféré. Cette image de fille qui veut avoir des jambes mais qui vit sous la menace de devenir une écume de mer
est d’une poésie… » nous a-t-elle confié de sa voix profonde. À l’âge de 10 ans, Anna Polina quitte Saint-Pétersbourg pour les rives de Paris avec sa famille. Vite attirée par le X, elle intègre vers 20 ans l’entreprise Marc Dorcel et défend une vision joyeuse et féministe du porno. Elle intervient sur ce thème sur Internet et à la radio, apparaît dans des clips, des films (Love de Gaspar Noé) et se laisse « porter par le courant ». Entre cinéma d’auteur et porno mainstream, cette romantique mène sa barque comme une pro. • JOSÉPHINE LEROY PHOTOGRAPHIE : PALOMA PINEDA
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©CARACTÈRES CRÉDITS NON CONTRACTUELS
Un film de
Écrit par
ICIAR BOLLAIN
PAUL LAVERTY
17 JUILLET
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© D. R.
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LA FEMME DE MON FRÈRE
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L’ÂGE DES POSSIBLES
Avec La Femme de mon frère, montré dans la section Un certain regard à Cannes en mai, l’actrice et cinéaste québécoise Monia Chokri – repérée dans Les Amours imaginaires de Xavier Dolan en 2010 – signe un premier long métrage enlevé. Elle y tire le portrait de Sophia (la révélation Anne-Élisabeth Bossé), trentenaire thésarde sans emploi et cynique qui déprime depuis que son frère adoré, Karim, est tombé dans les bras de sa propre gynéco. Mêlant échanges mordants et élans de spleen, son film dense saisit habilement les affres d’un âge charnière – qui l’est aussi pour elle. Rencontre. 30
En France, on connaît votre visage, mais on ne sait rien de vous. D’où venez-vous ?
qui nous appartenaient. Là, j’ai eu un sentiment d’abandon profond, que j’ai voulu retranscrire dans le film. Dans la première partie, Sophia et Karim sont inséparables. Comment avez-vous travaillé cette idée de fusion dans la mise en scène ? Pendant le tournage, avec la chef op Josée Deshaies [qui a notamment travaillé sur L’Apollonide de Bertrand Bonello et sur le court de Monia Chokri, ndlr], on s’est donné une règle : jusqu’au moment où il part pour son premier date avec Éloïse, Karim devait toujours être dans le même cadre que Sophia. Passé le rendez-vous, il ne devait plus jamais l’être. Pour la scène de la patinoire, où il y a un rapport de force qui s’opère entre les deux, j’ai voulu, au montage, faire quelque chose de très hachuré, pour qu’on sente que Karim prend le pouvoir : il est en pleine maîtrise et n’est jamais là où l’attend, ce qui fragilise Sophia. Le concept d’atome est très présent, aussi bien dans les dialogues que dans les contacts physiques entre les personnages, qui s’aimantent. Est-ce une manière de symboliser la complexité des rapports humains ? Totalement. Je suis fascinée par la physique quantique. Ce sont des théories qui me semblent très apaisantes, parce qu’elles attirent le regard sur ce qui est plus grand que nous. Finalement, ça montre qu’on est tous issus de la même souche. Et s’il y a un thème central dans mon film, c’est l’identité. Notre rapport en tant que société à cette question m’inquiète énormément. Il y a ce rejet de l’étranger qui m’effraie, d’autant que je suis moi-même une enfant d’immigré [son père, prof d’arts plastiques, est tunisien, ndlr].
Je suis sortie du conservatoire d’art dramatique de Montréal à 23 ans. J’ai joué dans des pièces de théâtre, des courts métrages, puis j’ai décroché un petit rôle dans L’Âge des ténèbres de Denys Arcand [sorti en 2007, ndlr]. Ma carrière d’actrice a vraiment débuté grâce à mon rôle dans Les Amours imaginaires. Trois ans après le film de Xavier Dolan, vous avez écrit et réalisé le court métrage Quelqu’un d’extraordinaire, sur une trentenaire qui veut se reconstruire après un black-out. Comment avez-vous vécu ce changement de casquette ? Bien, parce que j’ai suffisamment pris mon temps. Le temps de l’écriture, en fait. Le scénario de La Femme de mon frère a nécessité cinq ans de travail. Ça peut paraître long, mais, comme je suis assez monomaniaque, je n’arrivais à écrire qu’en hiver. Le reste du temps, je tournais dans des films et je laissais en quelque sorte dormir le mien. Votre frère apparaît dans la scène finale, où vous réunissez des frères et sœurs sur des barques au milieu d’un lac. Votre relation vous a-t-elle inspirée pour le film ? Disons que je me suis appuyée sur un ressenti. Avec mon frère, on a eu ce côté adulescent, on était toujours dans notre bulle. Mais quand il est tombé amoureux, il a transféré dans cette histoire des gestes
Évelyne Brochu et Patrick Hivon
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Patrick Hivon et Anne-Élisabeth Bossé
« Avec mon frère, on a eu ce côté adulescent, on était toujours dans notre bulle. » Le film révèle le talent d’Anne-Élisabeth Bossé, aperçue chez Xavier Dolan (Les Amours imaginaires, Laurence Anyways) et dans votre court, mais qui a pour la première fois un rôle principal. Pourquoi l’avoir choisie ? Elle a une émotivité à fleur de peau qui convient parfaitement à Sophia, qui régresse progressivement dans le film : elle passe du statut d’universitaire à chômeuse, retombe dans l’adolescence, puis la préadolescence, l’enfance, jusqu’à redevenir bébé dans les bras de son père. Et puis Anne-Élisabeth, qui est une grande comique chez nous au Québec, attire naturellement la sympathie, ce qui fait qu’on peut lui faire dire des choses odieuses. Vous maniez d’ailleurs subtilement l’art de la gêne. Sophia a un humour pince-sans-rire, un peu comme Daria, l’héroïne de la série d’animation de MTV. C’est vrai. Ce n’est pas une référence consciente, mais j’adore le personnage de Daria, parce qu’elle n’est pas du tout dans
la séduction. Après, contrairement à elle, Sophia a la maladresse d’un Pierre Richard. Concernant l’atmosphère gênante, j’ai pensé à Larry et son nombril [une sitcom américaine créée par Larry David, qui suit les péripéties d’un producteur égocentrique à l’humour ravageur, ndlr]. Sophia est cinglante et elle rejette d’abord le romantisme. Vous trouvez qu’il y a un certain cynisme dans la jeunesse contemporaine ? Je ne sais pas, mais je crois que les jeunes évoluent de manière plus rapide dans leur pensée. Si on écoute Angèle, qui a la même popularité de nos jours que France Gall dans les années 1960, on sent que les adolescents sont plus engagés, plus durs. Ils parlent plus vite, pensent plus vite et, quelque part, s’ennuient aussi plus vite. Dans un flash-back intense, vous revenez sur le flirt de Sophia avec une fille qu’elle rencontre lors d’une soirée. Qu’est-ce
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que vous vouliez raconter à travers cette parenthèse ? J’ai voulu créer pour Sophia un alter ego androgyne, que j’ai imaginé comme une évocation féminine de Kurt Cobain. Quand on voit cette fille de passage couchée par terre avec des lunettes blanches rondes, c’est en écho à l’affiche de Last Days de Gus Van Sant [sur les derniers jours du leadeur de Nirvana, ndlr]. Cobain, pour moi, c’est l’incarnation de mon adolescence. Je devais avoir 12-13 ans quand il est mort, et ça a été un choc. J’ai transposé ça au moment clé où Sophia, redevenue ado, fait face à la réalité.
Les couleurs, le découpage très vif, l’amour du bon mot… Votre film fait penser à ceux de la Nouvelle Vague. Y a-t-il des œuvres qui vous ont inspirée ? Outre le cinéma d’Agnès Varda, qui m’a marquée, je suis surtout influencée par les cinéastes du cinéma direct [un mouvement cinématographique québécois, états-uniens et français des années 1960, ndlr] comme Claude Jutra avec À tout prendre. On est en 1963 et le mec parle d’homosexualité, d’amour ouvert, de rapports amoureux entre ethnies différentes… [Mort en 1986, le cinéaste est accusé de pédophilie depuis 2016. Début juin, Monia Chokri a précisé au quotidien québécois La Presse : « Je sais que c’est délicat de choisir ce réalisateur, mais je veux défendre ce cinéma très libre et intelligent », ndlr.] Quel regard portez-vous sur le cinéma québécois actuel ? Je le trouve très vivant. Quand l’O.N.F. [l’Office national du film du Canada, qui a notamment contribué à développer le cinéma direct, ndlr] a périclité, il y a eu une perte de liberté liée à la préoccupation de l’argent. Ce qui est génial, c’est qu’on est revenus à un système où les financiers de l’État n’exigent rien. Ils n’en ont rien à faire du casting, mais jugent à partir du scénario. Ça favorise l’émergence d’auteurs comme Xavier Dolan, Jérémy Comte [réalisateur du court métrage Fauve, nommé aux Oscar en 2019, ndlr] et Robin Aubert [Les Affamés, 2017, dans lequel joue Monia Chokri, ndlr]. La relève est là.
• PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE LEROY PHOTOGRAPHIE : JAMES WESTON — : « La Femme de mon frère »
de Monia Chokri, Memento Films (1 h 57), sortie le 26 juin
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MÉCHANTE AMBIANCE Croisée dans Les Amours imaginaires et Laurence Anyways de Xavier Dolan, l’actrice québécoise Monia Chokri reprend le rythme soutenu et la cinglante ironie de ces deux films dans son premier long métrage. En suivant les pas de Sophia, une doctorante montréalaise au bout du rouleau interprétée avec fougue par Anne-Élisabeth Bossé (lire p. 34), Chokri exacerbe l’oralité du cinéma de Dolan par la mise en scène de joutes verbales en forme de matchs de ping-pong passionnels dans lesquels la balle fuse d’un camp à l’autre sans que jamais aucun des joueurs ne s’avoue vaincu. C’est que les errements de Sophia finissent par déteindre sur son cercle familial – et plus particulièrement sur son frère, Karim, qui vient de trouver l’amour idéal en la personne d’Éloïse, la gynécologue de Sophia. Les caractères tempétueux de Sophia, Karim et de leurs parents vont aboutir à un joyeux capharnaüm burlesque teinté de mélancolie. Si le désespoir et les angoisses sont bien là, l’ivresse vivifiante qui s’en dégage est aussi indéniable. • CORENTIN LÊ
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BAS LES MASQUES
En trentenaire décapante dans La Femme de mon frère, elle trouve son premier rôle principal au cinéma. Méconnue ici, Anne-Elisabeth Bossé est une grande humoriste au Québec. Sur une terrasse cannoise, elle nous est apparue souriante et un peu réservée – loin de ses persos disjonctés, mais tout aussi fascinante.
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Guy,
le moustachu qui affiche un étincelant collier gourmette autour de son cou ; Sylvie, la speakerine blonde aussi maniérée que malaisante avec les invités de son émission Rencontre ; une fille en couple qui, pour économiser, compte chaque spaghetti ingérée par son chum tout en explosant sa tirelire pour des « gants de moto-cross assortis de pierres précieuses »… Ces personnages de weirdos un peu déglingués, Anne-Élisabeth Bossé les a incarnés entre 2009 et 2017 dans des sketchs des Appendices, une bande d’humoristes très populaire au Québec avec laquelle elle a pu explorer son goût pour le travestissement et la parodie. Une forme d’humour qu’elle aime depuis toute jeune. « Je regardais souvent les sketchs des Inconnus. J’adorais aussi Les Simpson », raconte-t-elle, avec son accent québécois et un débit aussi rapide que celui de ses personnages. Pas étonnant, tant ses truculents rôles dans La Femme de mon frère de Monia Chokri et Les Amours imaginaires de Xavier Dolan (2010) – dans lequel elle raconte, lors d’une courte et hilarante scène, comment elle stalke son ex – évoquent des héroïnes cyniques et mordantes de la télé américaine, comme Daria dans la série du même nom ou Lindsay dans la série Freaks and Geeks de Paul Feig.
AU GRAND JOUR
Avant de la rencontrer à Cannes pour la présentation du film de Monia Chokri – son amie de longue date, qu’elle a connue au conservatoire d’art dramatique
« Ses truculents rôles évoquent des héroïnes mordantes de la télé américaine. » de Montréal, après avoir quitté la petite ville de Sorel-Tracy où elle a grandi –, on l’imaginait délurée. On se trompait. Cette grande fille affable a le regard fuyant, signe d’une timidité qu’elle camoufle derrière, par exemple, l’ostensible robe rose pétant qu’elle porte ce jour-là. À 34 ans, elle tient, avec La Femme de mon frère, son premier grand rôle au cinéma. « Ce n’était pas évident de m’abandonner à la caméra plusieurs jours de suite. Il y avait quelque chose de vulnérabilisant », confie-t-elle. À l’inverse de Sophia, qui cache ses émotions sous son ironie, l’actrice, heureuse d’avoir construit patiemment sa carrière (elle a surtout joué dans des séries et téléfilms québécois), semble déguiser sa sensibilité derrière un doux optimisme. À mesure que son masque tombe, on se dit qu’on a hâte de découvrir ses futurs visages au cinéma. • JOSÉPHINE LEROY PHOTOGRAPHIE : JULIEN LIÉNARD
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coupable ou innocente ?
un FILM de Gonzalo Tobal LALI ESPÓSITO LEONARDO SBARAGLIA INÉS ESTÉVEZ DANIEL FANEGO GERARDO ROMANO GAEL GARCÍA BERNAL
AFFICHE SOAZIG PETIT
Produit par REI CINE et K&S FILMS en coproduction avec TELEFE et PIANO en association avec WARNER BROS. Un film de GONZALO TOBAL ‘ et DANIEL FANEGO avec GERARDO ROMANO avec la participation exceptionnelle de GAEL GARCIA‘ BERNAL Son GUIDO BERENBLUM (ASA) Musique originale ROGELIO SOSA Costumes LAURA DONARI Direction artistique SEBASTIAN ‘ ORGAMBIDE Montage ALEJANDRO CARRILLO PENOVI (SAE) Directeur de la photographie FERNANDO LOCKETT ‘ LEONARDO SBARAGLIA, INES‘ ESTEVEZ avec LALI ESPOSITO, ‘ GARACIJA Coiffure JORGE PALACIOS Post-production EZEQUIEL ROSSI, ANDREA BENDRICH Directrice de production CAROLINA AGUNIN Production déléguée MICKY BUYE,‘ JAVIER BRAIER Producteurs associés ELVIRA GONZALEZ ‘ FRAGA, ALEJANDRO MUSICH Productrice exécutive MARIANA PONISIO Assistant réalisateur MARCELLO POZZO Casting MARIANA MITRE, NATALIA SMIRNOFF, MARIA‘ LAURA BERCH Maquil age ANGELA ‘ ROVEDA, MATIAS ‘ MOSTEIRIN,‘ LETICIA CRISTI, AXEL KUSCHEVATZKU Ecrit par GONZALO TOBAL, ULISES PORRA GUARDIOLA Co-producteur JULIO CHAVEZMONTES Producteurs HUGO SIGMAN, BENJAMIN‘ DOMENECH, SANTIAGO GALLELLI, MATIAS
AU CINÉMA LE 10 JUILLET
INTERVIEW
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EN SOLITAIRE Dans Le Daim, la nouvelle comédie horrifique de Quentin Dupieux montrée à la Quinzaine des réalisateurs, Jean Dujardin incarne Georges, un sérieux allumé qui tombe amoureux de son blouson en daim. Une passion qui va lentement vriller vers l’obsession, avant de carrément virer à la folie. L’occasion de discuter avec l’acteur de son goût pour la comédie qui, comme son déroutant personnage, ne fait pas de quartier.
Quel était votre lien avec Quentin Dupieux avant de tourner avec lui ? Je pressentais qu’on avait des points communs : le silence qui précède une vanne me fait parfois plus rire que la vanne elle-même. Je pensais qu’on pouvait se retrouver là-dessus. Lui et moi, on a ce goût de l’arythmie. Dans ses films, il y a aussi ces passages sur des mecs seuls qui me plaisent bien. C’est rare, à l’heure où tous les vides sont forcément comblés. Et puis Quentin a aussi cet art d’aller à l’essentiel. Aucune complaisance : il tranche vif, une heure vingt, à l’os. Balèze. Qu’est-ce qui vous a plu dans cette histoire pas banale d’un type qui phase complètement sur un blouson en daim ? C’est presque un suicide, ce film. Georges ne vit pas une régression infantile, il en est
presque au stade animal. Sur le plateau, je demandais à Quentin : « Quand est-ce que ça va s’arrêter ? Quand j’irai laper dans le ruisseau ? » Et lui, il me répondait : « Ah, bonne idée. » Comme une plume au vent, le personnage se laisse porter par son obsession pour son blouson, qui est tout naze, qui a une allure pas possible, qui est au-delà du ridicule. J’en ai essayé cinq avant de choisir celui-là, qui était trop court, avec des sales franges. D’ailleurs, ce n’est pas du daim, mais du velours de chèvre. D’aucuns disent que le rôle, c’est avant tout le costume. Vous êtes d’accord ? Beaucoup pensent que ça peut être une béquille, mais ça peut tout aussi bien vous enfermer. On risque de trop le jouer, le costume. Je pense qu’en tant qu’acteur, dès qu’on est un peu perdu, il faut revenir à l’intention du personnage, aussi absurde soit-elle. Là, j’étais dans un truc de démence interne, sans non plus trop insister dessus, parce qu’il n’y a rien de plus chiant que ceux qui surjouent la folie. Je voulais juste m’éteindre. Je me suis beaucoup reposé sur 36
ce film : je n’ai jamais senti le moteur de la caméra, je n’ai jamais eu de contrainte, d’angoisse, aucun flip. Ce n’était pas évident : il y a des réalisateurs qui sont incapables de vous filmer lorsque vous êtes éteint. Le film tend vers le cinéma d’horreur. Vous êtes amateur du genre ? J’aime cette trouille-là, ouais ; celle qui révèle l’angoisse par le vide. Il y a une scène comme ça dans L’Exorciste de William Friedkin, qui ne tient à rien et qui est terrifiante. C’est celle où la petite fille se met à pisser sur un tapis en regardant tout le monde d’un œil éteint. J’ai vu le film à 14 ans, j’étais seul dans la baraque, je n’ai pas dormi de la nuit. Dans Le Daim, c’est la première fois que vous incarnez un personnage qui flirte à ce point avec la folie. Je voulais jouer ça depuis tellement longtemps. Parfois, dans la rue, je me planque, et je regarde les gens déphasés devenir fous. Je me souviens d’un type qui criait « Mais vous êtes des chèvres ! Des chèèèèvres !!! » Et ça va où, les chèvres ? Dans le ravin. Avec ce genre de gars, il n’y a plus de frein, plus de relation possible, ils sont lâchés de partout. Ils deviennent cloches. Jouer un tel type, ça a convoqué quelque chose de super égoïste chez moi, un point psychiatrique très fort, celui de la solitude. Je suis né seul, je fais des trucs seuls. Il m’est arrivé parfois d’être très seul et d’en rire, ou d’être très angoissé et d’en souffrir. Il ne faut pas rester comme ça. Georges marmonne, il parle avec un air fuyant. Comment avez-vous travaillé sa diction ? En écoutant Quentin. Je me suis aperçu que, sans m’en rendre compte, je le singeais parfois. J’ai aussi trouvé la voix du
personnage dans les silences, beaucoup plus que dans les dialogues. C’est ce qui me fait le plus rire au monde, les silences. Il y en a beaucoup de bien gênants dans les comédies de Blake Edwards, que j’adore ; Peter Sellers s’en amusait aussi. J’avais pas mal travaillé les silences pour OSS 117. Quand on fout la paix au public, je trouve ça bien. Ce que vous n’aimez pas, ce sont ces comédies qui recherchent absolument l’efficacité, le rire immédiat ? Oui, je sens trop la fabrication. Ça ne veut pas dire que je n’aime pas la vitesse, ça peut être merveilleux. On peut avoir des passages très speed, mais il faut qu’à un moment le flot s’arrête. Si c’est rapide en continu, ça me saoule, je suis fatigué. Sauf quand il y a un Vittorio Gassman [acteur phare de la comédie italienne, vu dans Le Pigeon de Mario Monicelli ou Le Fanfaron de Dino Risi, ndlr] qui envahit l’écran, vos oreilles. Lui, il va au-delà de la soûlerie, ça devient drôle parce qu’il ne s’arrête plus. Vous appréciez quand la comédie met mal à l’aise, quand elle pousse le spectateur dans ses retranchements ? Ça dépend de mon humeur, mais oui, j’aime bien. Les Anglais font beaucoup ça. J’aime quand la comédie se pointe alors qu’elle n’est pas à sa place. Quand un type glisse à un enterrement, ça peut être très drôle. Je ne suis pas très client de l’humour noir, mais j’aime la rupture. Elle se cache partout, la comédie. Or on a tendance à la calibrer, à la vulgariser de manière condescendante, de peur que les spectateurs ne comprennent pas. Trouvez-vous des liens entre le cinéma de Dupieux et certains de vos précédents films ? Je pense par exemple à Brice de Nice
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JEAN DUJARDIN
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INTERVIEW de James Huth, son attrait pour le grotesque, son goût pour la difformité, comme le doigt de pied géant… Brice, au départ, c’est un mec qui attend une vague là où il n’y en a pas. C’est un personnage très romantique, en attente, un type vraiment seul. Comme Georges dans Le Daim. Au-delà du phénomène « j’t’ai cassé », il y a cette poésie qui me plaît énormément. Je sais que ce n’est pas très chic d’apprécier Brice, contrairement à OSS 117, mais j’ai beaucoup d’affection pour ce personnage. Pour moi, c’est le point de fuite de tous les personnages que j’aime jouer désormais, qui ont d’ailleurs souvent un lien avec l’enfance. Venant d’Un gars, une fille, j’ai beaucoup trop joué des situations réalistes autour des trentenaires, des relations hommes-femmes… le film Instagram en fait : « Je veux me voir dedans, parle-moi de moi. » Je n’ai plus du tout envie de ça, c’est trop convenu, ça m’ennuie. J’attends une atmosphère, une proposition, une émotion inattendues. Quand je fais Un homme à la hauteur [de Laurent Tirard, 2016, ndlr] j’accepte parce que je vais jouer un mec d’un mètre vingt. Et comment joue-t-on un mec d’un mètre vingt quand on est beaucoup plus grand ? C’est ça qui m’intéresse. Au-delà de ce qui vous fait rire, vous avez un autre point commun avec Quentin Dupieux : celui d’avoir eu une période américaine. Vous en avez parlé ensemble ? Il m’a dit : « J’ai voulu frimer. » C’est ça qui est bien avec lui, c’est qu’il dit tout. On est pareils : on a eu envie de vivre la carte postale, on est rentrés dedans. Maintenant, lui, il se rend compte qu’il est un mec de 40 balais qui a vu
« Il n’y a rien de plus chiant que ceux qui surjouent la folie. » des films avec Belmondo. En revenant tourner en France, il renoue avec ses fondements. De mon côté, j’ai de très beaux souvenirs aux États-Unis, mais j’ai l’impression que c’est un peu un autre qui a vécu les Oscars, tout ça. Je m’en amuse, mais ça ne constitue absolument pas ma vie d’artiste. Jean-Pierre Marielle est décédé il y a quelques jours [l’entretien a été réalisé fin avril, ndlr]. Était-il une référence pour vous ? Évidemment. Marielle, c’était un instrument. Il imposait sa musique. Tout passait avec lui, il n’avait pas de frein. Lui aussi, il a pas mal joué les mecs seuls. Il y allait avec une générosité à crever de rire. C’était quelqu’un de courageux.
• PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET PHOTOGRAPHIE : JULIEN LIÉNARD — : « Le Daim » de Quentin Dupieux,
Diaphana (1 h 17), sortie le 19 juin
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STYLE DE MALADE On avait laissé le cinéma de Quentin Dupieux enfermé dans le commissariat zinzin d’Au Poste ! On le retrouve au cœur des Pyrénées où débarque Georges (Jean Dujardin), quadragénaire perturbé par une rupture sentimentale. Après avoir investi tout son argent dans un blouson kitsch, il perd lentement pied. Encouragé par une barmaid locale (Adèle Haenel, très drôle), il s’improvise cinéaste, fièrement armé de son caméscope, pour mieux masquer une ambition plus trouble… Dupieux argue avoir signé là son premier film réaliste, proche du faits divers tragique. Alors qu’il rappelle Réalité (dans lequel Alain Chabat jouait un caméraman qui rêvait de réaliser un film d’horreur), Le Daim flirte encore plus avec l’effet de réel en empilant les silences inquiétants et les malaises palpables. Avec son épaisse barbe grisonnante,
Adèle Haenel
l’excellent Dujardin ressemble d’ailleurs comme deux gouttes d’eau à Dupieux. Le réalisateur serait-il en train de nous avouer qu’il se reconnaît dans cette figure de cinéaste fou à lier et mystificateur ? • DAMIEN LEBLANC
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Après HISTORIAS MINIMAS, BOMBON EL PERRO et JOURS DE PECHE EN PATAGONIE Sélection Officielle Festival de Cannes Junior 2019
Sélection Officielle Festival de Rotterdam 2019
Ilustration : Pierre-Julien Fieux - Graphisme : la gachette
le nouveau film de
Carlos Sorín
AU CINÉMA LE 10 JUILLET
Prix du Scénario & Prix UNICEF La Havane 2018
NON
MICROSCOPE
Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, de film en film, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : un mot, dans Made in Britain d’Alan Clarke (1982).
Parfois
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les films sauvent les mots de leur destin, qui, d’avoir été trop malmenés, est de finir comme des galets – glissants, sans accroche, indistincts. Tout le monde sait bien qu’un mot trop utilisé, trop entendu, finit vidé de sa substance. Aussi la justesse d’un texte, d’un film, tient-elle parfois à sa capacité à ranimer un mot : le faire entendre comme la première fois, neuf de son sens, tranchant comme un couteau. Le mot est trempé dans l’œuvre, il en ressort purifié : on peut enfin l’entendre. Entendre ce que veut dire « nevermore », répété par le
C’est un « non » cristallin qui a valeur de programme. Une négation absolue, terminale. corbeau d’Edgar Poe. Ou comprendre le mot « silence » grâce à Jonas Mekas, penché sur ses souvenirs dans As I Was Moving Ahead, Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty, où il se demande soudain : « Que se passe-t-il pendant les silences ? » ; et bien sûr après ces mots, sur les images suivantes, il n’y a pas de son, mais un silence plus sensible qu’aucun autre avant lui. Il y a aussi le « demain » déchirant qui referme le dernier film de Nanni Moretti, Mia madre. Et peut-être le « fuck » au bout du Eyes Wide Shut de Kubrick. Dans Made in Britain, le deuxième de ses chefs-d’œuvre, il ne faut
pas plus d’une minute et trente secondes à Alan Clarke pour ressusciter l’un des (deux) mots les plus usés qui soient. Non. Trevor (Tim Roth à 21 ans, sidérant) est une petite ordure au regard de tueur, avec une croix gammée pile entre les yeux. Le premier plan le lance comme une torpille dans le couloir d’un tribunal, où il va être jugé. Ses épaules roulent, mécaniques, comme des bielles. La bande sonore est un morceau de The Exploited au galop, cisaillant l’oreille dès la première image. Trevor est finalement assis, la musique s’arrête, l’audience a commencé, et justement le juge, à qui le procureur vient de faire la litanie de ses forfaits haineux, le somme de se tenir debout. Il s’exécute, tout poisseux de morgue, la bouche tordue par un rictus d’enragé, le menton levé au maximum. Et quand le juge, donc, dit par ironie : « Vous n’invitez pas vraiment à la clémence ! », Trevor répond : « Non. » Si le mot résonne comme il le fait (une vraie décharge électrique), ce n’est pas seulement parce que The Exploited reprend son galop à la seconde d’après, où s’affiche le titre. C’est un « non » cristallin qui a valeur de programme. Une négation absolue, terminale : tous les mots suivants, dans la bouche de Trevor, seront d’inutiles reformulations de ce « non » en prélude. Un « non » d’enfant, évidemment (pour retrouver le sens d’un « non », demander à un enfant), mais étendu à la vie entière par une obstination effrayante et admirable. Ce qui rend fascinant Trevor la petite ordure (outre son intelligence, plusieurs fois mentionnée et rendant sa haine encore plus scandaleuse), c’est cette obstination à être la négativité même. Son « non » immuable n’a aucun sens (la patience invraisemblable des éducateurs finit ridiculisée à force d’être douchée par ces yeux venimeux qui crachent sur toutes les mains tendues, et Trevor finira évidemment enfermé et foutu), c’est l’image d’un refus entier, imbécile et surpuissant : le « non » absolu, trouvé dans les plus extrêmes profondeurs du mot. • JÉRÔME MOMCILOVIC
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INTERVIEW
LE RETOUR DU REFOULÉ Trois ans après le controversé Nocturama, sur des jeunes qui posaient des bombes à Paris, Bertrand Bonello revient avec Zombi Child, film de genre d’allure plus modeste mais aux résonances tout aussi abyssales. En suivant en parallèle un homme tiré d’entre les morts puis réduit en esclavage dans une plantation, en 1962 à Haïti, et une sororité de lycéennes (dont la petite-fille du zombie) dans le pensionnat de la Légion d’honneur, à Saint-Denis de nos jours, il livre un puissant objet hybride qui interroge l’histoire. Rencontre avec un cinéaste un peu chaman. 42
Zombi Child a vu le jour en seulement quelques mois. Pourquoi cette urgence ? J’étais sur un projet lourd, entre le très gros long métrage et la minisérie. J’ai terminé le scénario en février 2018, mais je ne sais pas encore si je vais arriver à le financer. Je me suis lancé sur Zombi Child avec l’idée de faire un film très vite. Pour la première fois, j’ai commencé par le plan de travail, avant même le script. Le film terminé est très proche du scénario : tout ce qui a été écrit a été tourné, tout ce qui a été tourné a été monté. Après, on a moins de liberté parce qu’on n’a pas de choix – ils doivent être faits très en amont. La structure simple, avec ce montage parallèle entre deux époques, diffère de vos précédents films, plus mentaux, avec des visions fantasmées qui perçaient sans cesse le récit… Par plein d’aspects, c’est mon film le plus simple. Il y a d’un côté un chagrin adolescent, de l’autre l’histoire d’un type qu’on enterre, qu’on déterre, qu’on fait travailler et qui marche. Pour moi, ça participait de cette possibilité de faire un film rapidement. La simplicité était quasiment une obligation. J’ai trouvé ça à la fois agréable et dur. Je suis content d’y être arrivé. La complexité vient après, des rapprochements que peut faire le spectateur : les choses résonnent, il y a des contrastes, des portes qui s’ouvrent à partir de ce montage parallèle. La partie tournée à Haïti est très belle, hantée et épurée. La référence à Vaudou de Jacques Tourneur (1943) est évidente. Comment le film résonne en vous ? L’origine de Zombi Child, ce sont vraiment les textes d’anthropologie, d’histoire, et les romans haïtiens que j’ai lus. Les influences sont plutôt littéraires. Vaudou est en effet le seul film auquel j’ai un peu pensé. Je ne l’ai même pas revu, car ce sont des images dont on se souvient. Il y a ce truc très fort chez Tourneur : qu’est-ce qu’on montre ? qu’estce qu’on ne montre pas ? Des zombies, en effet, on ne montre quasiment rien. Le chef opérateur de mon film, Yves Cape, a très vite opté pour la nuit américaine, sachant qu’à Haïti on n’aurait pas trop d’électricité ni d’argent. En fait, on a tourné entre le jour et la nuit, dans une sorte de pénombre qui donne un caractère onirique à ces scènes. Comme ce zombie est dans un endroit où il
n’est pas vraiment dans le réel, entre la vie et la mort, l’image est entre la nuit et le jour. À travers un cours donné par l’historien Patrick Boucheron aux lycéennes au début du film, on comprend que vous allez évoquer en creux le colonialisme, ce qui n’est pas banal dans le cinéma français. Ce n’était pas prémédité, ce n’était pas un désir de départ. Personnellement, je suis assez terrorisé par les grands sujets, parce que j’ai l’impression qu’on est écrasés par eux. Je pars toujours de petites choses – cet homme qui marche, cette fille qui pleure. Au montage, on s’est aperçu que quelque chose de plus puissant se mettait en place dans les rapports de la France avec Haïti et d’autres pays. Le cours de Patrick Boucheron, totalement improvisé et tourné le premier jour, m’a indiqué que ça allait infuser le film. Quand il se demande comment raconter une histoire du xixe siècle, il dit qu’on ne peut pas le faire, ou seulement de manière discontinue, ce qui est précisément l’une des interrogations du film. Comment avez-vous appréhendé la question de l’appropriation culturelle, un reproche que l’on formule de plus en plus à certains cinéastes depuis quelques années ? C’est compliqué, il y a ce réflexe de « t’es un homme, blanc, bourgeois ». Mais je ne veux rien m’interdire, j’essaie de regarder vers les choses qui m’intéressent. Le féminin, la jeunesse, Haïti m’intéressent. Après, il faut être vigilant, je pense que ça passe par le regard et l’écoute. Ça ne veut pas dire que je dis oui à tout, mais j’essaie d’être attentif à la parole de chacun. Il faut savoir rester à sa place tout en regardant un sujet. Ça demande peut-être plus de délicatesse, de douceur dans le regard. Le ton de la partie contemporaine, avec ces rendez-vous nocturnes entre lycéennes rebelles, peut faire penser à des films et séries des années 1990-2000 sur la sorcellerie méprisés à l’époque mais redécouverts
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Bijou Mackenson
BOBINES
BERTRAND BONELLO
INTERVIEW
« Les choses résonnent, des portes s’ouvrent à partir de ce montage parallèle. »
BOBINES
Louise Labèque et Wislanda Louimat
depuis peu à l’aune du féminisme, comme Dangereuse alliance d’Andrew Fleming… En tournant certains plans, ça me faisait plutôt penser à du Steven Spielberg avec des enfants et des bougies. Mais j’aimais bien ce côté hybride du film, entre teen movie, conte raconté, anthropologie documentaire avec Boucheron, anthropologie fictionnelle avec la possession… J’espérais que le spectateur ne sache jamais trop où se trouver, qu’il se laisse porter. D’où vient cette envie de parler aussi de la construction de la féminité à l’adolescence ? Probablement du fait que j’ai une fille du même âge que les personnages du pensionnat. J’ai ça devant les yeux toute la journée. Ça me parlait. Je trouve que c’est une génération très particulière, je l’envie beaucoup à certains endroits. Ils ont explosé un certain nombre de barrières en matière de fluidité ; notamment dans la sexualité – on ne peut même pas dire s’ils sont bisexuels –, mais pas seulement. Et même s’ils ont d’autres difficultés, par exemple la peur économique, ces jeunes m’impressionnent. Les lycéennes écoutent beaucoup Damso, un rappeur très populaire, notamment chez les jeunes filles. Un truc de dingue, les actrices connaissaient tous ses textes par cœur ! En préparant le film, j’ai regardé la liste Deezer de ma fille : le dernier truc qu’elle avait écouté, c’était Damso. J’ai imaginé une scène où l’on voit les filles du pensionnat chanter un morceau de lui hyper misogyne, alors qu’au début du film l’une d’elles dit qu’elle le trouve sexy. Plus tard, une autre se demande si elle a le droit de l’écouter. Sa tante lui répond que oui, que ça ne change pas qui elle est. Damso traverse le film comme un symbole. Je pense que ça a à voir avec cette histoire de fluidité.
Dans le pensionnat, la petite-fille du zombie haïtien se sent différente à cause de ses origines, mais elle est paradoxalement apaisée, car portée par les croyances de sa culture. L’autre héroïne est, elle, privilégiée – elle est blanche, aisée et née en France –, mais elle déchante quand elle perd la seule croyance qu’elle avait, celle en l’amour. C’est un prolongement du discours qui émanait de Nocturama sur la perte de repères de la jeunesse française actuelle ? L’histoire des Haïtiens est tellement forte que ça me semble permettre de structurer quelque chose. Je ne dis pas que l’histoire de la France n’est pas forte, mais elle est quand même plus compliquée. Sur Nocturama, ça ne s’est pas très bien passé à la sortie. On m’a beaucoup reproché d’avoir parlé d’un groupe hétérogène, mais est-ce qu’on ne retrouve pas cette hétérogénéité avec les « gilets jaunes », dont le mouvement a commencé deux ans après la sortie du film ? Dans Zombi Child, il y a une énorme angoisse sur la structure de la société : comment s’y insérer ? qu’y faire ? Mais j’ai confiance en la jeune génération. Car derrière la peur – qu’on leur donne, d’ailleurs –, il y a vachement d’intelligence.
• PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ PHOTOGRAPHIE : JULIEN LIÉNARD — : « Zombi Child »
de Bertrand Bonello, Ad Vitam (1 h 43), sortie le 12 juin
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DÉCRYPTAGE
POSSÉDÉS, DÉLIVRÉS
L’Exorciste de William Friedkin (1974)
Avant que Bertrand Bonello n’invoque la culture vaudou dans Zombi Child, en salles le 12 juin, plusieurs cinéastes ont mis en scène des êtres pris dans le tourment d’obscures possessions. De Jacques Tourneur à Andrzej Żuławski en passant par Na Hong-jin ou William Friedkin, chacun a envisagé à sa manière une libération des traumatismes par l’entremise d’un corps en mouvement.
« Vous
verrez que la superstition est une chose contagieuse. Bien des personnes se laissent souvent emporter ! » Tirée de Vaudou de Jacques Tourneur (1943), cette réplique, prononcée par le mari d’une femme zombifiée après avoir été victime de plusieurs crises de démence, évoque les légendes locales d’une île proche d’Haïti, terre d’élection de la mythologie zombie, où le film prend place. Des mots (et un film) qui résonnent avec le dernier long de Bertrand Bonello, Zombi Child, dans lequel Mélissa, une lycéenne haïtienne, confie à ses camarades que son héritage familial implique le risque d’une zombification. Cette révélation déclenchera la fascination de l’une de ses amies, Fanny, pour les croyances vaudou. Si le film de Bonello ne s’aventure que partiellement sur le terrain du cinéma fantastique, les corps des zombifiés, de leurs descendants et des maraboutés y sont le
centre de toutes les attentions : d’une part, ils viennent transposer les souffrances causées par l’esclavage et la colonisation à l’échelle figurative ; d’autre part, ces corps permettent d’incarner les esprits malfaisants eux-mêmes pour s’en affranchir, à l’image du rite vaudou final dans lequel Fanny cherche à se défaire d’un insurmontable chagrin d’amour. Soit livrer son corps pour mieux se délivrer de ses propres traumas.
À BRAS-LE-CORPS
Bien avant Bonello, cette trajectoire qui consiste à littéralement faire corps avec le maléfice et le traumatisme afin de s’en libérer donnait déjà toute sa force à L’Exorciste de William Friedkin (1974), le plus terrifiant des films de possession. L’imagerie chrétienne n’a certes pas grand-chose à voir avec les fétiches vaudou et haïtiens, mais l’une des dernières séquences du film montre, comme
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Zombi Child de Bertrand Bonello (2019)
Parce qu’il est partout, s’emparer du mal dans l’espoir de s’en libérer s’avère inutile. et fatal affrontement, leur enfant aux mains de doppelgänger à l’allure impassible. Face à la délivrance par le rituel dans Zombi Child ou par la mort dans L’Exorciste et à l’impossibilité de se délivrer d’un mal déjà omniprésent dans The Strangers, Żuławski propose une substitution des corps possédés par leurs doubles, eux-mêmes privés de ce qui faisait l’humanité de leurs modèles. Au regard de cette déroutante issue, c’est à se demander si, plutôt que de chercher à conjurer le sort coûte que coûte, il ne suffirait pas d’accepter le mal comme une part de nous-mêmes. • CORENTIN LÊ
The Strangers de Na Hong-jin (2016)
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BOBINES
dans Zombi Child, le transfert du malheur d’une figure à une autre. Lorsque le père Karras, hanté par la culpabilité liée au décès de sa mère, finit par étrangler la jeune Regan en hurlant « Prends-moi ! Prends-moi ! Viens en moi ! », l’entité démoniaque qui torturait jusqu’alors la jeune fille investit le corps du prêtre. Possédé à son tour, le père Karras se défenestre, emportant le mal avec lui dans sa tragique mise à mort. En cela, si elle s’avère bien plus morbide que dans Zombi Child, la transmission corporelle du maléfice de L’Exorciste s’ouvre également à une forme de libération. En digne héritier du cinéma de William Friedkin, le Sud-Coréen Na Hong-jin a lui aussi construit son thriller fantastique The Strangers (2016) selon l’idée d’une transmission corporelle du mal. Dans ce film obsédant, une petite fille (encore une) est possédée par le diable (encore lui), tordant et maltraitant son corps juvénile de déchirantes convulsions. Contrairement à L’Exorciste ou à Zombi Child, plusieurs rites chamaniques ne parviennent cependant pas à venir à bout du mal en question. C’est que ce dernier a déjà réussi à se nicher dans un autre corps – celui d’un chaman peu scrupuleux –, bien décidé à hanter le sol damné des vivants : parce qu’il est partout, s’emparer du mal dans l’espoir de s’en libérer s’avère dès lors inutile. Réputé pour ses scènes de contorsions hallucinantes, le Possession d’Andrzej Żuławski (1981) propose, lui, une issue encore plus sinistre que celle de The Strangers. Avec Isabelle Adjani et Sam Neill dans les rôles d’une femme et d’un homme gangrenés par la paranoïa, les deux figures principales du film voient leurs doubles maléfiques prendre petit à petit leur place, jusqu’à ce qu’elles laissent, après un ultime
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© RUE DES ARCHIVES – THE EVERETT COLLECTION
LES FILMS DE POSSESSION
PORTRAIT
BOBINES
BIEN DÉCALÉ
Dans Yves de Benoît Forgeard, il donne la réplique à un frigo plus intelligent et plus doué que lui. Visage récurrent des seconds rôles rigolos du cinéma français des années 2010, William Lebghil passe actuellement la vitesse supérieure avec des premiers rôles et des films singuliers qui lui vont bien. 48
WILLIAM LEBGHIL
« En
Ce ne sont pas des héros ; juste des mecs qui se posent beaucoup de questions et qui n’ont pas tellement de réponses. Comme moi dans la vie… »
ce moment, je suis en train de mater Game of Thrones. Tu connais ? Je découvre… J’en suis à la saison 3. C’est vachement bien foutu ce truc, non ? » Lunettes de soleil de circonstance, survet’ vintage et sourire radieux, William Lebghil est à Cannes pour défendre Yves, le nouveau film de Benoît Forgeard, en clôture de la Quinzaine des réalisateurs. Alors que la planète entière discute de la fin de cette série culte, William Lebghil mène à son rythme son visionnage, pas du tout inquiet des éventuels spoilers, s’étonnant même en différé des surprises de la série. Une force tranquille, débonnaire, qui résume parfaitement ce que l’acteur de 29 ans a apporté au cinéma français. Une forme de légèreté juvénile, d’insouciance bordélique, un décalage dans le rythme, qui s’oppose aux injonctions permanentes à l’hyperproductivité de la vie d’adulte aujourd’hui. Mais c’est un paradoxe qui lui va bien. À bientôt 30 ans, William Lebghil paraît toujours en avoir vingt. Découvert en
MISE À DISTANCE
Une forme de légèreté juvénile qui s’oppose aux injonctions à l’hyperproductivité de la vie d’adulte aujourd’hui. ado rigolo, sidekick de Kev Adams dans la série Soda (2011-2015), le comédien joue à merveille depuis presque dix ans le « jeune ». Puceau sauvage chez Riad Sattouf (Jacky au royaume des filles, 2014), premier de la classe émouvant pour Thomas Lilti (Première année, 2018), amoureux indécis dans Ami-Ami de Victor Saint Macary (2018) et aujourd’hui, donc, rappeur chez mémé face à un frigo intelligent dans Yves de Benoît Forgeard. Une galaxie de personnages décalés, pas complètement finis, qui passent des films entiers à se chercher – et parfois même à se trouver – au contact des autres. Des héros qui hésitent, se plantent parfois et font bugger l’époque et son système par leur façon de ne jamais respecter les lignes droites. « Ce ne sont pas des loseurs, en fait, précise-t-il. Il y a toujours une prise de conscience chez eux, une forme de révolte, je trouve. Ça les rend attachants. Au départ, Jérem croit qu’il va pouvoir profiter du système avec ce frigo. Et puis il se rend compte qu’il y a un truc pas net, il tient tête à la machine. C’est la même chose avec Antoine dans Première année et le concours de médecine.
fumer le cigare, boire de très bons whisky et regarder leurs films à la télé. « D’ici là, si les gens veulent encore de nous, on aura fait des mauvais films et, j’espère, quelques bons. » Il dit ça avec dans la voix des intonations volontaires de Jean-Pierre Marielle, l’une de ses idoles, récemment disparu, emblème d’une génération d’acteurs à l’ancienne, libres, qui selon ses dires « aimaient comme moi ou Vincent, être peinards ». S’il avoue que le cinéma, c’est parfait pour être tranquille, l’acteur ne cache pas que cette vie sur courant alternatif « où l’on peut bosser en groupe pendant des mois et se retrouver soudain seul chez soi à manger des raviolis en boîte » réveille quelques inquiétudes. « On verra bien. J’ai l’intention d’être là aussi longtemps qu’on voudra de moi. En ce moment, je rêve de faire une série avec des trolls, des elfes et des guerriers. Je crois que je regarde trop Game of Thrones. » • RENAN CROS PHOTOGRAPHIE : JAMES WESTON
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BOBINES
William Lebghil ponctue souvent ses phrases d’un rire tonitruant, très communicatif, qui vous donne l’impression que rien n’est vraiment très sérieux ou grave. Une façon de prendre les choses, la vie, avec une distance bienveillante. Pour fuir l’angoisse ? Car, même s’il chante « Carrément rien à branler » dans Yves, l’acteur avoue être aujourd’hui beaucoup moins léger qu’avant. « Tu vois, les petits cheveux blancs, là sur le côté… Je ne vais pas pouvoir continuer à jouer les mecs de 20 ans longtemps. Ou alors va falloir prévoir un gros budget teinture. » Avec son copain Vincent Lacoste, rencontré sur le tournage du film de Riad Sattouf, ils rêvent déjà d’être de vieux acteurs et de finir leur carrière ensemble dans une maison de retraite, à
CANNES 2019
Le cru cannois de cette 72e édition (qui s’est déroulée du 14 au 25 mai) a tranché par sa teneur exceptionnelle, avec des vétérans tout sauf anémiés, de jeunes entrants qui nous ont clairement fait palpiter, et le cinéma de genre qui irriguait toutes les sélections.
C’était
le grand thème, toutes sections confondues. D’un pas à la fois lent et décidé, les revenants se sont invités sur le tapis rouge du Festival de Cannes, d’abord comme métaphores politiques – la consommation jusqu’à l’abrutissement dans le cinglant The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch ; les relents du colonialisme dans Zombi Child de Bertrand Bonello (lire p. 42) ; ou encore
FIGURES PUISSANTES Certains cinéastes confirmés – et qu’on adore – s’en sont donné à cœur joie pour disséquer et dépoussiérer à leur manière de grandes figures symboliques.
le sort douloureux des migrants sénégalais dans le poétique et habité Atlantique, premier long de Mati Diop, qui a remporté un Grand Prix aussi inespéré que mérité –, mais aussi comme signe d’un regain d’intérêt des auteurs pour l’horreur, explorant leurs thématiques propres – la lutte des classes impitoyable en Corée du Sud dans Parasite de Bong Joon-ho, Palme d’or ; la solitude
LA SORCIÈRE Hormis les zombies, une autre figure maléfique hantait le festival : celle de la sorcière. Incarnation féministe de puissance, de rébellion face à Jeanne l’ordre établi, la plus brûlante de toute était incarnée par Béatrice Dalle dans Lux Æterna, moyen métrage (qui ne sortira peut-être pas en salles) de Gaspar Noé qui invoque autour d’elle les mauvais esprits du cinéma pour la venger. L’ensorcellement continuait avec Lise Leplat Prudhomme dans Jeanne de Bruno Dumont, haute comme trois pommes mais capable de tenir tête à ceux qui l’accusent d’hérésie, ou dans Mektoub My Love. Intermezzo, dans lequel la barre de pole dance d’une boîte de nuit évoque un bûcher ardent où les danses envoûtent les regards. • Q. G. © 3B PRODUCTIONS
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SANG NEUF
Atlantique de Mati Diop
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COMPTE RENDU
3 TUBES On vous partage nos sons préférés du festival, ceux qui nous ont fait vibrer bien après le générique de fin.
© VICTOR JUCÁ
JOHN CARPENTER – « NIGHT » Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles
dans Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles (en Compétition)
ABBA – « VOULEZ-VOUS » dans Mektoub My Love. Intermezzo d’Abdellatif Kechiche
dans Le Daim de Quentin Dupieux (lire p. 36) ; les rapports conflictuels Brésil/États-Unis dans le western tribal et mystique Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, Prix du jury ex æquo avec Les Misérables de Ladj Ly – à partir de codes établis baignés d’hémoglobine. Certes, le cinéma et la mort entretiennent des liens secrets, que les cinéastes se sont une fois de plus risqués à sonder (dans le très méta Once Upon a Time in Hollywood, Quentin Tarantino met en perspective la figure mortifère de Charles Manson avec le Hollywood en déclin de 1969 ; dans Douleur et Gloire, Pedro Almodóvar entrelace appréhension d’un cinéaste – son alter ego, campé par un Antonio Banderas si émouvant qu’il a décroché le prix
MATT HOUSTON feat. LORD KOSSITY – « CENDRILLON DU GHETTO » dans Tu mérites un amour de Hafsia Herzi (Semaine de la critique)
d’interprétation masculine – face à la page blanche et la peur panique pour sa santé). Mais cette édition aura aussi été l’occasion de vérifier si le cinéma a bien été revitalisé par tout le sang neuf que nous promettait Thierry Frémaux. Sur ce plan, l’énergie fiévreuse avec laquelle est filmée la communauté ballroom dans Port Authority, premier film de Danielle Lessovitz, les regards embrasés de la révélation Noémie Merlant peignant son modèle joué par Adèle Haenel saisis dans Portrait d’une jeune fille en feu de Céline Sciamma (Prix du scénario), ou encore la verve des dialogues fusant avec émotion dans La Femme de mon frère de Monia Chokri (lire p. 28), auraient tout simplement pu réveiller un mort. • QUENTIN GROSSET & TIMÉ ZOPPÉ
© JULIAN TORRES/LES FILMS VELVET
L’ANGE GARDIEN Hors Compétition, le cinéaste danois Nicolas Winding Refn a montré deux épisodes (sur les dix qui seront diffusés le 14 juin sur Amazon Prime) de sa série Roubaix. Une lumière hypnotique Too Old to Die Young, variation – plus sombre encore – sur son culte Drive (2011). L’acteur américain Miles Teller (révélé par Whiplash de Damien Chazelle) reprend le flambeau de Ryan Gosling en ange de la mort, colosse taiseux pétri de paradoxes (flic le jour, tueur à gage la nuit) et déterminé à nettoyer L.A. des pédophiles et autres violeurs. Dans l’étonnant Roubaix. Une lumière, Arnaud Desplechin suit deux figures de flics angéliques (Roschdy Zem et Antoine Reinartz), mais fait peu à peu affleurer leur grande solitude et leur difficulté à sauver les criminels. • T. Z .
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© PYRAMIDE DISTRIBUTION
Portrait d’une jeune fille en feu
LA FILLE FACILE
En 1975, Laura Mulvey théorisait le concept de male gaze (« regard masculin ») qui désigne le fait que notre culture visuelle est dominée par le point de Une fille facile vue des hommes hétéros qui, souvent, « objectifie » les femmes. Plusieurs films de cette édition ont renversé cette perspective en lui substituant des regards de femmes sur des hommes. C’est la collectionneuse Chiara Mastroianni qui lorgne de désir sur les passants dans le drôle et sensuel Chambre 212 de Christophe Honoré. Ou encore Rebecca Zlotowski qui s’attaque au slut shaming (« stigmatisation des salopes ») dans Une fille facile en faisant le portrait émouvant et solaire de Zahia Dehar, qui incarne un personnage s’épanouissant dans sa sexualité et jouant de sa féminité exacerbée. • Q. G.
© SHANNA BESSON
© LES FILMS DU BAL
(en Compétition)
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CANNES 2019
Les acteurs de Port Authority de Danielle Lessovitz (Un certain regard), dont Taliek Jeqon, Miggy Mulan et Christopher Quarles
EN MOUVEMENT 52
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PORTFOLIO
Taliek Jeqon, acteur dans Port Authority de Danielle Lessovitz (Un certain regard)
On
a enfin senti les lignes bouger lors de ce 72e Festival de Cannes – une plus grande diversité des regards, plein de cinéastes et d’acteurs prometteurs, à l’énergie et à l’intensité communicatives. Notre jeune photographe Julien Liénard, à qui l’on avait donné carte blanche, a circulé parmi ceux qui nous ont agités durant cette quinzaine, des vogueurs survoltés de Port Authority de Danielle Lessovitz à Adèle Haenel portant un tatouage éphémère en référence à Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, en passant par les acteurs fiévreux de l’incandescent et controversé Mektoub My Love. Intermezzo d’Abdellatif Kechiche et ceux d’Atlantique, premier long de la jeune Franco-Sénégalaise Mati Diop – devenue la première réalisatrice noire à accéder à la Compétition. Il livre ici un témoignage en images de ces belles dynamiques.
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CANNES 2019
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PORTFOLIO
Ci-dessus : Miles Teller et Nicolas Winding Refn, l’acteur et le réalisateur de la série Too Old to Die Young (Hors Compétition)
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Ci-contre : Ibrahima Traoré et Amadou Mbow, acteurs dans Atlantique de Mati Diop (en Compétition) Ci-dessous : Emily Beecham, Prix d’interprétation féminine pour Little Joe de Jessica Hausner (en Compétition)
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CANNES 2019
Ci-dessus : Roméo De Lacour, Marie Bernard, Salim Kechiouche, Lou Luttiau et Shaïn Boumedine, acteurs dans Mektoub My Love. Intermezzo d’Abdellatif Kechiche (en Compétition) Ci-contre : Des inconnues sur la Croisette
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PORTFOLIO
Aïssa Maïga, venue participer à un dîner entre les collectifs Noire n’est pas mon métier et Même pas peur (qui dénoncent le racisme et le sexisme dans le cinéma) à l’hôtel Barrière Le Majestic de Cannes
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Ci-dessus : Adèle Haenel, actrice dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (en Compétition) Ci-contre : Ophélie Bau, actrice dans Mektoub My Love. Intermezzo d’Abdellatif Kechiche (en Compétition)
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jim jarmusch rétrospective en 6 films
Photo Christine Parry © 1995 12 Gauge Inc.
permanent vacation stranGer tHan paraDise DoWn BY laW mYsterY train niGHt on eartH DeaD man
versions restaurées
au cinéma le 3 juillet
12 JUIN Zombi Child de Bertrand Bonello, Ad Vitam (1 h 43), page 42
Charlotte a 17 ans de Sophie Lorain, Les Valseurs (1 h 29), page 64
Roxane de Mélanie Auffret, Mars Films (1 h 28)
Noureev de Ralph Fiennes, Rezo Films (2 h 02), page 72
Sillages de Léa Rinaldi, Aléa Films (1 h 30)
Tolkien de Dome Karukoski, 20 th Century Fox (1 h 51), page 72
19 JUIN
Le Choc du futur de Marc Collin, Premium Films (1 h 24)
11 fois Fátima de João Canijo, JHR (2 h 33), page 68
Le Daim de Quentin Dupieux, Diaphana (1 h 17), page 36
Porte sans clef de Pascale Bodet, La Traverse (1 h 17)
Un havre de paix d’Yona Rozenkier, Pyramide (1 h 31), page 68
Nevada de Laure de ClermontTonnerre, Ad Vitam (1 h 36), page 69
Silence de Masahiro Shinoda, Carlotta Films (2 h 09)
Greta de Neil Jordan, Metropolitan FilmExport (1 h 38), page 69
Dirty God de Sacha Polak, Les Bookmakers / The Jokers (1 h 44), page 70
Lune de miel d’Élise Otzenberger, Le Pacte (1 h 28), page 72
Buñuel après L’Âge d’or de Salvador Simó, Eurozoom (1 h 26), page 72
La Femme de mon frère de Monia Chokri, Memento Films (1 h 57), page 28
Men in Black International de F. Gary Gray, Sony Pictures (1 h 55)
Contre ton cœur de Teresa Villaverde, Ed (2 h 16), page 72
Yves de Benoît Forgeard, Le Pacte (1 h 47), pages 48 et 62
26 JUIN
Ville Neuve de Félix Dufour-Laperrière, Urban (1 h 16), page 70
3 JUIL.
10 JUIL.
Beau joueur de Delphine Gleize, Balthazar / Wild Bunch (1 h 39), page 74
Rétrospective Jim Jarmusch Les Accacias page 18
Rétrospective Charlie Chaplin Théâtre du Temple page 16
Bixa Travesty de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Arizona (1 h 15), page 74
Yesterday de Danny Boyle, Universal Pictures (1 h 56), page 20
Les Enfants de la mer d’Ayumu Watanabe, Eurozoom (1 h 50) page 68
The Mountain Une odyssée américaine de Rick Alverson, Stray Dogs (1 h 48), page 74
So Long, My Son de Wang Xiaoshuai, Ad Vitam (3 h 05), page 71
Vita & Virginia de Chanya Button, Pyramide (1 h 50), page 71
Teen Spirit de Max Minghella, Metropolitan FilmExport (1 h 32), page 74
Haut les filles de François Armanet, Les Films du Losange (1 h 19), page 74
Acusada de Gonzalo Tobal, Haut et Court (1 h 48), page 75
Toy Story 4 de Josh Cooley, Walt Disney (1 h 40), page 79
Rojo de Benjamín Naishtat, Condor (1 h 49), page 75
Face à la nuit de Ho Wi-ding, Les Bookmakers / The Jokers (1 h 47), page 75
Conséquences de Darko Štante, Épicentre Films (1 h 33)
Manou à l’école des goélands d’Andrea Block et Christian Haas, ARP Sélection (1 h 28), page 79
Inna de Yard de Peter Webber, Le Pacte (1 h 39), page 75
Golden Glove de Fatih Akın, Pathé (1 h 50)
La Grand-Messe de Méryl Fortunat-Rossi et Valéry Rosier, Docks 66 / Ligne 7 (1 h 10)
Joel Une enfance en Patagonie de Carlos Sorín, Paname (1 h 39), page 75
ZOOM ZOOM
LES FILMS DU MOIS À LA LOUPE
YVES
Après avoir investi les sous-sols de l’Élysée et le monde des communicants dans le savoureux Gaz de France (2015), le Français Benoît Forgeard donne vie à un frigo ultra intelligent exauçant les vœux d’un jeune rappeur à travers cette comédie déjantée, présentée cette année à la Quinzaine des réalisateurs. Toujours absurde mais prenant un virage plus réflexif sur l’intelligence artificielle et la société digitalisée, Yves est aussi jouissif que perturbant.
Jérem
(surprenant William Lebghil, lire p. 48) enregistre son morceau de rap « Carrément rien à branler » dans le sous-sol de la maison vide de sa grand-mère. Un jour, So (truculente Doria Tillier), statisticienne pour la start-up Digital Cool, le contacte pour lui proposer d’essayer Yves, un nouveau frigo intelligent capable d’interagir avec le client pour lui offrir tout ce qu’il désire. Jérem n’est pas déçu du résultat : grâce à ses algorithmes, Yves fait de lui une star de YouTube… Avec cette rafraîchissante comédie portée par un héros cartoonesque, Benoît Forgeard s’amuse de notre culture digitalisée. Dans une mise en scène volontairement froide, le cinéaste insuffle sa fantaisie à travers d’hilarants textes de rap virilistes et une géniale parodie de l’esprit start-up incarné par le patron de Digital Cool, un gourou monomaniaque, symbole d’une société qui se prétend à l’écoute de ses salariés mais qui pousse sournoisement à la concurrence. Mais la vraie réussite du film, c’est qu’il déjoue nos attentes. On croit d’abord assister à une variation contemporaine du pacte de Faust : en acceptant le deal,
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© PHILIPPE LEBRUMAN
3 QUESTIONS À BENOÎT FORGEARD
Jérem est fou de rap. Pourquoi avoir choisi ce milieu ? Ça m’a permis de mettre l’accent sur le verbe et d’apporter de la grossièreté dans le film. Je voulais qu’il y ait un côté très vivant, pour contrebalancer la rigidité du frigo. Et puis, chez les rappeurs, il y a un rapport particulier à la virilité. Confronter Jérem, un mec en apparence assez immature qui reprend dans son rap des codes masculinistes, à une machine qui le concurrence sur le terrain de la séduction, ça avait pour moi un bon potentiel comique. Est-ce qu’il y a des films sur l’intelligence artificielle qui vous ont inspiré ? J’avais des références en tête : Her de Spike Jonze, L’Homme bicentenaire de Chris Columbus… Mais avec Yves, j’ai humblement essayé de faire quelque chose de nouveau. Souvent, dans les fictions, on dénonce les déviances de l’intelligence artificielle. Personnellement, je ne considère pas du tout les machines comme nos ennemies. J’imagine juste que, si demain on cohabite, ça ne sera pas forcément simple. La technologie a cette tendance à mettre le nez dans nos affaires pour nous aider à être meilleurs. Ça devient très difficile pour les humains de résister aux prescriptions des machines. Vous parvenez à donner corps à un frigo, et même à le sexualiser. Quelles astuces ou techniques de mise en scène avez-vous utilisées ? Le frigo, c’est un objet qui est en soi assez anthropomorphe : il a une taille humaine, et deux portières qui sont comme des bras. On a bien sûr pensé au côté visuel. On a pas mal bossé avec l’équipe sur la pyrotechnie et la lumière pour dégager autour d’Yves une fumée envoûtante. Mais c’est surtout sur l’aspect sonore qu’on a travaillé. Antoine Gouy, le comédien qui prêtait sa voix à Yves, était toujours à côté de la pièce où l’on tournait. Ce qui fait que chaque prise était différente, qu’Yves interagissait avec Jérem, ce qu’on n’aurait pas pu obtenir avec des enregistrements. C’est ce qui lui donne, à mon sens, une présence.
Jérem a vendu son âme à la diabolique intelligence artificielle, allant jusqu’à utiliser l’Auto-Tune, l’instrument, selon lui, des traîtres du vrai rap. Quand, frustré d’un succès trop facilement obtenu, il se sépare d’Yves, Forgeard esquisse l’idée d’une toute-puissance de la machine – partout où il va, Yves séduit (So, des juges, le jury de l’Eurovision). On sent alors poindre la dystopie robotique, l’amenuisement de l’humain face à l’intelligence artificielle. Or, Forgeard complexifie les choses, souligne l’automatisme des hommes emplis de tics, d’habitudes, tout en humanisant la machine. Au point que l’on se figure le corps d’Yves, que l’on imagine ses émotions (on pense à une scène de plan à trois avec Yves, étrangement sensuelle). Comme son héros faussement je-m’en-foutiste, Forgeard déguise sous un minimalisme apparent une impressionnante audace créative. • JOSÉPHINE LEROY
— : de Benoît Forgeard, Le Pacte (1 h 47), sortie le 26 juin
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CHARLOTTE A 17 ANS
À
la fois geste militant et acte d’autocensure, l’abstinence sexuelle est au cœur de cette chronique québécoise fraîche et profonde qui interroge la façon dont la société juge les jeunes femmes. Charlotte pense ne pas se remettre de sa première déception sentimentale. Un job saisonnier dans un grand magasin de jouets lui donne l’occasion de rencontrer plein de garçons, de faire quelques folies avec eux… avant d’être montrée du doigt en raison de sa sexualité libérée. En réaction, Charlotte s’impose une longue phase d’abstinence, sponsorisée par la clientèle, le tout au profit d’une association caritative… Ouvertement influencé par Ghost World (le roman graphique de Daniel Clowes et le film de Terry Zwigoff), le deuxième long métrage de la Québécoise Sophie Lorain résonne aussi comme une réponse féminine et féministe à Clerks (1994). Tout comme les personnages du film de Kevin Smith, Charlotte et ses amies sont filmées en noir et blanc. Mais,
contrairement à eux, elles n’ont pas le temps de jouer au hockey ou de s’écharper sur Star Wars, trop occupées qu’elles sont à lutter contre le sexisme d’une société qui juge tout autant celles qui n’ont pas encore démarré leur vie sexuelle et celles qui ont décidé de la vivre à fond. L’ensemble forme un teen movie engagé et érudit, capable de citer Aristophane et Maria Callas sans jamais se départir d’une certaine légèreté. Car c’est avant tout de liberté qu’il s’agit : celle d’explorer ou d’attendre, de papillonner ou de se fixer. La réalisatrice invite les jeunes femmes à rivaliser d’imagination pour faire entendre leur voix. Et les jeunes hommes à entrer dans la danse, au sens propre comme au figuré, afin de montrer qu’ils ont compris la leçon. • THOMAS MESSIAS
— : de Sophie Lorain,
Les Valseurs (1 h 29), sortie le 12 juin
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L’ABSTINENCE EN 3 FILMS 40 JOURS ET 40 NUITS de Michael Lehmann (2002) Pour satisfaire celle pour qui il vient de craquer sans rompre son contrat moral, le tombeur abstinent joué par Josh Hartnett finit par la caresser avec des fleurs.
LE PRIX À PAYER d’Alexandra Leclère (2007) Cette comédie au vitriol démonte la misogynie d’un nanti décidant de couper les vivres à son épouse tant qu’elle se refusera à lui. Bienvenue en phallocratie. 64
LA SOURCE DES FEMMES de Radu Mihaileanu (2011) Pas d’eau courante, pas de sexe : la grève collective des femmes d’un village est au cœur d’une fable se voulant plus truculente que réellement politique.
Furieusement drôle. On a adoré. PARIS MATCH
GRAZIA
Une emballante comédie satirique. LES INROCKS
Pop et espiègle. Drôlissime. GALA
© DESIGN. E.DOROT
PREMIÈRE
LA FEMME DE MON FRÈRE UN FILM DE
MONIA CHOKRI
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LES ENFANTS DE LA MER
Ruka,
une lycéenne solitaire, rencontre un garçon amphibie aux pouvoirs surnaturels. De cette bluette émerge une fable cosmogonique, théâtre de mutations graphiques à couper le souffle. Entre les bancs du lycée et les bancs de poissons, il aura suffi d’un plongeon pour convaincre Ruka de changer de bord : celui d’Umi, un jeune garçon qui a grandi dans l’océan et qui vit désormais entre la mer et l’aquarium où travaille le père de Ruka. Après avoir vu Umi plonger sans crainte dans un bassin rempli de créatures marines, Ruka est prise de fascination pour cet être partageant sa solitude – elle est isolée de ses camarades, lui ne peut vivre loin de l’eau. L’adolescent lui présente son frère, Sora, éphèbe mystérieux un brin arrogant, et Anglade, une océanographe qui veille sur le duo. Au cours d’une nuit étoilée, et tandis qu’Umi tombe gravement malade, Sora confie à Ruka un artefact issu d’une pluie de météorites avant de s’éclipser vers l’horizon marin. C’est à cet instant que le récit quitte définitivement la terre ferme pour atteindre l’orgie graphique, là où les protoplasmes liquides du Ponyo sur la falaise de Hayao Miyazaki fusionnent avec le cosmos malickien de Voyage of Time. Si le
film avait jusqu’à présent produit quelques visions déjà extatiques, elles ne constituaient qu’un cachet mystique et fantasmagorique au récit attendu de la jeune fille recluse trouvant dans l’irréel une issue de secours à son isolement. Délesté de la pesanteur, quittant le sol pour explorer les tréfonds abyssaux et donner à voir l’origine du monde, Les Enfants de la mer réussit ce que Big Fish & Begonia de Liang Xuan et Zhang Chun, autre film d’animation aquatique sous influence Ghibli diffusé l’année dernière sur Netflix, n’était parvenu à accomplir : s’extraire de ses carcans mythologiques et narratifs pour accepter son essence purement plastique. Dans ce tourbillon d’éléments composites pris dans une ronde musicale et psychédélique, tous les jeux d’échelles sont permis : une goutte d’eau se transforme en galaxie, une vague se métamorphose une baleine géante et l’œil d’un poisson minuscule devient celui d’un cyclone titanesque. Autant de raccords magnifiques, pour un film qui finit par donner le tournis. • CORENTIN LÊ
Le récit quitte définitivement la terre ferme pour atteindre l’orgie graphique.
— : d’Ayumu Watanabe,
Eurozoom (1 h 50), sortie le 10 juillet
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11 FOIS FÁTIMA
— : de João Canijo, JHR (2 h 33), sortie le 12 juin
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Gilets
jaunes et imperméables sur les épaules, onze femmes perpétuent la tradition de leur village du nord du Portugal en partant pour un pèlerinage à Fátima, au centre du pays. On se souvient des travellings emblématiques de Sans toit ni loi (1985), dans lesquels Agnès Varda accompagnait les errances de Mona dans le sud de la France. João Canijo en étire le dispositif avec ce film à mi-chemin entre fiction et documentaire, composé en grande partie de longs plans-séquences qui suivent la marche de femmes au caractère bien trempé mais à la détermination vacillante. Certaines craquent quand d’autres mènent la troupe, et les plus expérimentées sont souvent celles qui s’en sortent le mieux. Si leur épuisement est à l’origine de nombreuses crises de nerfs, un trouble captivant s’installe au regard des paysages défilant derrière ces corps exténués : qui, de la caméra ou de ces femmes, permet à l’autre de continuer à avancer ? On serait tenté de répondre les deux tant les travellings motivent la marche de ces figures de la même manière que celles-ci insufflent leur rythme à ce film étonnamment hypnotique. • CORENTIN LÊ
UN HAVRE DE PAIX
— : d’Yona Rozenkier, Pyramide (1 h 31), sortie le 12 juin
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Comment
retrouver la paix ? Le cinéaste israélien Yona Rozenkier suspend son premier film à cette question et crée une tension à travers sa mise en scène d’un lieu unique. En revenant sur la terre de leur enfance pour enterrer leur père, Yoav, Avishaï et Itaï, trois frères sur le point d’être séparés par le conflit israélo-libanais de 2006 qui vient d’éclater, ont l’occasion de retisser leurs liens. Leur foyer, c’est un kibboutz en plein soleil, hors du temps, loin du conflit en cours – et laissé hors champ. À partir de cette représentation très confinée du lieu comme théâtre du dilemme fraternel, Un havre de paix dresse le portrait d’un Israël rongé par la culpabilité et divisé de l’intérieur – le plus jeune de la fratrie, Avishaï, veut partir au front, mais remet son engagement en question au contact de ses frères et des souvenirs qui les unissent. Émouvant, ce drame familial se déploie pourtant dans une tonalité burlesque faite de ruptures de ton qui le rendent étonnamment léger. Le cinéma israélien confirme sa bonne santé, quelques mois après le furieux Synonymes de Nadav Lapid. • QUENTIN BILLET-GARIN
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GRETA
— : de Neil Jordan, Metropolitan FilmExport (1 h 38), sortie le 12 juin
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échappées artistiques d’Isabelle Huppert hors des sentiers français sont toujours fascinantes. Alors qu’on l’attend dans un registre intimiste dans Frankie de l’Américain Ira Sachs (sortie le 28 août), la voilà dans un thriller psychologique volontiers grinçant de l’Irlandais Neil Jordan (À vif) qui semble avoir goûté la prestation tout à la fois drolatique et inquiétante de l’actrice dans Elle (2016) de Paul Verhoeven, film qui l’avait beaucoup exposée au public américain, nomination aux Oscars oblige. Face à Chloë Grace Moretz, Huppert y incarne une Française solitaire exilée à New York qui se lie d’amitié avec des jeunes filles avant de les piéger – d’abord un peu envahissante, elle devient ensuite très flippante… Le scénario réservant peu de surprises et de frissons (on est dans un jeu plus ou moins trouble de chat et de la souris), le film vaut surtout pour la performance d’Huppert, qui s’en donne à cœur joie dans l’outrance, dans la parodie de ses propres rôles les plus dangereux, comme une version quasi cartoonesque de ses personnages de La Cérémonie de Claude Chabrol ou de La Pianiste de Michael Haneke. • QUENTIN GROSSET
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Les
NEVADA
— : de Laure de Clermont-Tonnerre, Ad Vitam (1 h 36), sortie le 19 juin
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La
première séquence de Nevada, spectaculaire en bien des points, s’ouvre sur un troupeau de mustangs, pris en chasse par un hélicoptère dont la trajectoire épouse les lignes d’un paysage typique de l’Ouest américain. Ces bêtes sauvages, une fois rassemblées et emprisonnées, sont destinées à servir un programme de réinsertion pour détenus dans lequel Morgan, un prisonnier mutique campé par Matthias Schoenaerts, trouve une forme d’exutoire en apprenant à dresser un cheval pourtant réputé indomptable… Dans ce premier long métrage prometteur de la Française Laure de Clermont-Tonnerre, le film carcéral rencontre un pan du cinéma indépendant américain attaché à réinvestir la figure du cow-boy solitaire au prisme du contemporain. Comme The Rider de Chloé Zhao l’an dernier, Nevada associe le dressage d’un canasson à la lente reconstruction psychologique d’un homme fracassé, contraint de faire corps avec l’animal pour s’évader. S’il reproduit les étapes inhérentes à tout récit thérapeutique, la force de Nevada est d’envisager le corps de Schoenaerts comme une masse rigide apprenant à accepter ses propres fêlures pour mieux assouplir son rapport à l’autre. • CORENTIN LÊ
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DIRTY GOD
— : de Sacha Polak, Les Bookmakers / The Jokers (1 h 44), sortie le 19 juin
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Défigurée
à la suite d’une attaque à l’acide commise par son ex, Jade (prometteuse Vicky Knight) doit accepter sa nouvelle apparence, alors qu’un souvenir des plus douloureux est maintenant gravé dans sa chair. Cette jeune Londonienne qui aimait être regardée doit maintenant affronter le regard des autres, comme celui de sa fille de 2 ans ou de ses nouveaux collègues standardistes… La Néerlandaise Sacha Polak aborde le thème de la reconstruction de la féminité en collant à la peau de son héroïne. Cette voie vers la guérison peut rappeler deux beaux films récents sur des héroïnes traumatisées : Sibyl de Justine Triet, dans lequel le personnage de Virginie Efira perd pied en tentant de se remettre d’une rupture, et Comme si de rien n’était d’Eva Trobisch, sur une jeune femme qui en vient à nier son viol pour pouvoir continuer à vivre. Dirty God se distingue par sa poétique du corps, filmé sous tous ses aspects, notamment à travers des expérimentations formelles (surimpressions, ralentis et gros plans sur les cicatrices) et des scènes relativement explicites. C’est cette attention minutieuse portée à ce corps meurtri qui rend à celui-ci toute sa beauté. • QUENTIN BILLET-GARIN
VILLE NEUVE
— : de Félix Dufour-Laperrière, Urban (1 h 16), sortie le 26 juin
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À
l’origine : La Maison de Chef, une nouvelle de Raymond Carver – dont l’œuvre a notamment inspiré le Short Cuts de Robert Altman. À l’arrivée : un film d’animation mettant en parallèle deux destins, celui d’un couple séparé qui envisage de se donner une seconde chance, et celui du Québec de 1995 qui s’apprête à voter pour ou contre son indépendance. Le réalisateur Félix Dufour-Laperrière, coutumier de l’approche documentaire, signe avec Ville Neuve un premier long métrage de fiction qui impressionne. 80 000 dessins à l’encre de Chine ont été nécessaires pour composer cet enchevêtrement de tableaux parfois abstraits, souvent concrets, mais toujours d’une grande grâce. L’écriture et l’animation procèdent par esquisses, avec une apparente sérénité qui rend les moments de tumulte d’autant plus saisissants. Les monologues d’Emma et de Joseph, les deux protagonistes du film, laissent le cœur au bord des lèvres. En ressort la terrible sensation que, quels que soient nos choix de vie, « on naît seul, on vit seul, on meurt seul », pour reprendre les mots d’Orson Welles. • THOMAS MESSIAS
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SO LONG, MY SON
— : de Wang Xiaoshuai, Ad Vitam (3 h 05), sortie le 3 juillet
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les années 1980, un couple d’ouvriers chinois perd son fils unique au cours d’un tragique accident. Inconsolable, le duo déménage dans une petite ville de la province de Fujian et y adopte un orphelin, qui finit par quitter brutalement le foyer durant son adolescence… Dans cette fresque sur la déliquescence, Wang Xiaoshuai superpose différentes temporalités au sein d’un drame familial marqué par les métamorphoses successives de la Chine. Sur fond d’une désillusion ouvrière aux conséquences tragiques, So Long, My Son construit des ponts entre les migrations économiques et la fuite d’un événement traumatique individuel dont les séquelles s’avèrent tout aussi importantes – si ce n’est plus. Visiblement inspiré du Jia Zhang-ke de Still Life et d’Au-delà des montagnes, le film s’en démarque par une mise en scène plus discrète. Celle-ci, dissimulée dans les plis d’un montage qui n’hésite pas à sauter d’une décennie à l’autre en une coupe, reste guidée par la recherche d’un chaînon manquant qui permettrait de dénouer le nœud qui enferme le couple dans le passé. Chaînon qui pourrait être, par exemple, le deuil à accomplir. • CORENTIN LÊ
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Dans
VITA & VIRGINIA
— : de Chanya Button, Pyramide (1 h 50), sortie le 10 juillet
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En
1922, dans l’effervescence d’une fête mondaine, Virginia Woolf (Elizabeth Debicki), une autrice introvertie qui bouscule discrètement les codes de la littérature anglaise, croise Vita Sackville-West (Gemma Arterton), une aristocrate fêtarde qui écrit également et l’admire fiévreusement. Une passion amoureuse naît entre ces frondeuses, toutes deux mariées… Inspirée par la correspondance de ces femmes de lettres, la Britannique Chanya Button (Burn Burn Burn) signe un envoûtant biopic qui dépoussière le genre, épousant la modernité de ses héroïnes. Délaissant parfois le réalisme, Button amplifie les sentiments dans des séquences oniriques bleutées durant lesquelles la caméra nous plonge dans les profondeurs des plantes – qui nourrissent le film de métaphores symbolisant la passion. À l’aide d’une bande-son electro inquiétante, elle met en scène la fascinante désagrégation de cette histoire vouée à l’échec mais loin d’être vaine – elle donnera notamment lieu à l’écriture d’Orlando, l’un des plus célèbres romans de Virginia Woolf, paru en 1928. Une magnifique manière de réaffirmer l’aura intacte de ces femmes éternellement avant-gardistes. • JOSÉPHINE LEROY
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FILMS LUNE DE MIEL
Deux jeunes Parisiens d’origine juive polonaise se rendent pour la première fois dans la patrie de leurs aïeux et se confrontent au passé tragique de ceux-ci… Entre comédie de couple et drame sur la difficulté d’entretenir la mémoire, la réalisatrice Élise Otzenberger trouve un ton original et rend un hommage iconoclaste à sa propre histoire familiale. • D. L .
— : d’Élise Otzenberger (Le Pacte, 1 h 28), sortie le 12 juin
CONTRE TON CŒUR
Au Portugal, une petite famille confrontée aux difficultés économiques se délite… Proche du Faute d’amour d’Andreï Zviaguintsev (2017), ce drame social âpre et ambitieux, où la lente décomposition des liens familiaux reflète la déperdition d’un pays faisandé par la crise, dessine en creux le portrait d’une jeune génération sacrifiée par l’apathie de ses aînés. • C. L .
— : de Teresa Villaverde (Ed, 2 h 16), sortie le 19 juin
NOUREEV
Au moment où Rudolf Noureev, jeune prodige du Kirov, s’apprête à se produire sur la scène de l’Opéra de Paris, il se lie d’amitié avec Clara Saint, une jeune femme de la haute société… Pour son premier long en tant que réalisateur, l’acteur américain Ralph Fiennes nourrit ce biopic romanesque d’une pincée de film d’espionnage, sur fond de guerre froide. • C. L .
— : de Ralph Fiennes (Rezo Films, 2 h 02), sortie le 19 juin
TOLKIEN
Ce biopic consacré aux années d’apprentissage de l’auteur du Seigneur des anneaux invite à décoder chaque événement comme une source d’inspiration de ses futurs romans. Le jeune Britannique découvre la camaraderie, l’amour, la linguistique, l’horreur de la Première Guerre mondiale… Sobre, la mise en scène fait du film un antiblockbuster apaisant. • D. L .
— : de Dome Karukoski (20th Century Fox, 1 h 51), sortie le 19 juin
BUÑUEL APRÈS L’ÂGE D’OR
Après le scandale de L’Âge d’or (1930), coréalisé avec Salvador Dalí, Luis Buñuel se retrouve pauvre et amer. Avec Terre sans pain (1933), son documentaire sans fard sur l’Estrémadure, il se réinvente tout en restant radical… Ce film animé est d’abord éclairant sur la démarche du cinéaste. Mais c’est son onirisme qui permet de saisir ce qui le travaillait alors. • Q. G.
— : de Salvador Simo (Eurozoom, 1h26), sortie le 19 juin
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ARIZONA DISTRIBUTION présente
UN FILM DE
CLAUDIA PRISCILLA & KIKO GOIFMAN AVEC
LINN DA QUEBRADA RÉALISATION
CLAUDIA PRISCILLA & KIKO GOIFMAN SCÉNARIO CLAUDIA PRISCILLA, LINN DA QUEBRADA & KIKO GOIFMAN IMAGE KARLA DA COSTA SON TOMÁS FRANCO MONTAGE OLÍVIA BRENGA PRODUCTION EVELYN MAB
AU CINÉMA LE 26 JUIN
FILMS BEAU JOUEUR
Non, le rugby n’est pas qu’une succession de mêlées agressives entre joueurs casqués et de troisièmes mi-temps bien arrosées. Avec ce documentaire, Delphine Gleize offre une vision intime de ce sport en suivant des joueurs et des techniciens de l’Aviron bayonnais pendant la saison 2016-2017, qui marquait le retour de ce célèbre club dans l’élite. • Q. B.-G.
— : de Delphine Gleize (Balthazar / Wild Bunch, 1 h 39), sortie le 26 juin
TEEN SPIRIT
S’ennuyant dans sa petite bourgade anglaise où elle travaille dur en tant que serveuse, Violet (Elle Fanning), passionnée de chant, s’inscrit en secret à un célèbre télé-crochet… Dans une ambiance évanescente qui rappelle le cinéma de Sofia Coppola, Max Minghella (acteur vu dans The Handmaid’s Tale) se lance dans un récit d’émancipation musical à la Fame. • Q. G.
— : de Max Minghella (Metropolitan FilmExport, 1 h 32), sortie le 26 juin
BIXA TRAVESTY
Manifeste queer consacré aux vertus politiques de la performance figurative, ce documentaire retranscrit le quotidien survolté de l’artiste brésilienne trans Linn da Quebrada. Sur scène ou sur les ondes d’une radio locale, elle y affirme les propriétés militantes et libératrices de l’exhibition des corps. Dans son viseur : le puritanisme qui progresse au Brésil. • C. L .
— : de Kiko Goifman et Claudia Priscilla (Arizona, 1 h 15), sortie le 26 juin
THE MOUNTAIN. UNE ODYSSÉE AMÉRICAINE
Andy (Tye Sheridan, mutique), jeune homme introverti en plein deuil, forme un duo improbable avec le Dr Wallace Fiennes (Jeff Goldblum), qui l’engage comme photographe pour documenter ses expériences de lobotomisation de plus en plus contestées… Dans une mise en scène glaçante, Rick Alverson dépeint une Amérique traumatisée, au bord de la folie. • Q. B.-G.
— : de Rick Alverson (Stray Dogs, 1h 48),
sortie le 26 juin
HAUT LES FILLES
Entre deux captations de concerts, des musiciennes de la scène pop-rock française (Charlotte Gainsbourg, Elli Medeiros, Vanessa Paradis, Jeanne Added…) se confient sur leurs expériences et leurs carrières au regard de leur engagement féministe… Avant que Brigitte Fontaine ne surgisse et ne livre une série de punchlines aussi extrêmes que réjouissantes. • C. L .
— : de François Armanet (Les Films du Losange, 1 h 19) sortie le 3 juillet
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FILMS ROJO
Argentine, 1975. Claudio, un avocat réputé, est pris à partie dans un restaurant. L’altercation tourne mal, et Claudio fait tout pour enterrer l’affaire… Porté par un héros antipathique mais captivant, ce drame, qui instille avec finesse une atmosphère de suspicion et de paranoïa, dénonce en creux la facilité avec laquelle certains hommes se laissent corrompre. • J. L .
— : de Benjamín Naishtat (Condor, 1 h 49), sortie le 3 juillet
FACE À LA NUIT
En relatant trois nuits de la vie de Zhang Dong Ling, à différentes époques (il est tour à tour voyou, flic ou garde de sécurité), le cinéaste taïwanais Ho Wi-ding raconte surtout comment trois femmes ont changé le cours de son existence. Chaque segment revisite un genre précis (dystopie futuriste, film policier, film social) avec âpreté. • Q. G.
— : de Ho Wi-ding (Les Bookmakers / The Jokers, 1 h 47), sortie le 10 juillet
INNA DE YARD
Quatre décennies après leur âge d’or, les chanteurs (Kiddus I, Ken Boothe, Cedric Myton, Winston McAnuff) du collectif jamaïcain Inna de Yard enregistrent un dernier disque… En plus de l’hommage rendu à une musique aussi populaire que politique, ce documentaire vient figurer un beau passage de flambeau à une nouvelle génération d’artistes. • C. L .
— : de Peter Webber (Le Pacte, 1 h 39), sortie le 10 juillet
JOEL. UNE ENFANCE EN PATAGONIE
Cecilia et Diego n’arrivent pas à avoir d’enfant. Alors qu’ils viennent d’emménager près de la Terre de Feu, leur procédure d’adoption finit par aboutir : ils ont désormais la charge d’élever Joel, 9 ans, taciturne et qui manifeste peu d’affection… Avec nuance, l’Argentin Carlos Sorín esquisse une relation parents-enfant toute en tension latente. • Q. G.
— : de Carlos Sorín (Paname, 1 h 39), sortie le 10 juillet
ACUSADA
Une étudiante argentine est accusée du meurtre de sa meilleure amie. Sa famille fait appel à un ténor du barreau pour assurer sa défense, mais les éléments de l’enquête sèment le doute sur sa présumée innocence… Présenté à la dernière Mostra de Venise, ce film de procès respecte le cahier des charges du genre et entretient un suspense efficace jusqu’à l’épilogue. • Q. B.-G.
— : de Gonzalo Tobal (Haut et Court, 1 h 48), sortie le 10 juillet
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COUL’ KIDS
Elle est scénariste, journaliste, chroniqueuse pour le journal Libération et écrivaine. Son livre Noire. La vie méconnue de Claudette Colvin, d’abord adapté en bande dessinée, est transposé au théâtre par le metteur en scène Stéphane Foenkinos. C’est Tania de Montaigne elle-même qui interprète son texte, seule sur scène.
Qui était Claudette Colvin ? Elle est toujours vivante, elle vit à New York et fêtera ses 80 ans en septembre. Quand elle avait 15 ans, en 1955, cette adolescente noire américaine a bravé les lois ségrégationnistes d’Alabama qui visaient à créer une séparation entre les Blancs et les Noirs. De retour du lycée, elle a refusé de céder sa place dans un bus à un homme blanc. Elle a fait de la prison pour ça. Comment as-tu entendu parler d’elle ? C’est en faisant une recherche sur Rosa Parks, une militante des droits civiques très connue pour avoir fait la même chose – refuser de laisser son siège à un Blanc dans un bus – que j’ai découvert son existence. J’ai pris quelques notes, mais ce n’est que des années plus tard, quand on m’a proposé d’écrire pour la collection littéraire « Nos héroïnes », que j’ai repensé à elle. Pourquoi elle plus qu’une autre ? Elle correspondait parfaitement au propos de cette collection, qui propose de découvrir une
L’INTERVIEW D’ADÈLE, 13 ANS LE DÉBRIEF
femme que l’on ne connaît pas alors qu’on aurait toutes les raisons de la connaître. Cela arrive beaucoup aux femmes : on oublie le rôle qu’elles ont joué, puisque l’histoire a souvent été écrite par des hommes. Qu’est-ce que ça t’a fait de découvrir sa vie ? Sa vie m’intéressait, mais je voulais aussi réfléchir à la manière dont on fabrique une héroïne : pourquoi a-t-on retenu le nom de Rosa Parks et pas celui de Claudette Colvin ? Comment tu as adapté le livre en pièce de théâtre, et quel rôle joues-tu ? C’est le metteur en scène Stéphane Foenkinos qui s’en est chargé. Il l’a surtout coupé – on est passés d’environ 160 pages à 30 pages. Mais rassure-toi, je n’interprète pas Claudette Colvin avec une perruque et des lunettes. Je joue mon propre rôle, en racontant son histoire aux
spectateurs, qui grâce à la mise en scène sont plongés dans l’Alabama des années 1950. Quels sont pour toi les avantages et les inconvénients d’être seule sur scène ? Les avantages, il doit y en avoir, mais je ne les connais pas : j’ai perdu l’habitude d’apprendre un texte par cœur. Toi, tu es en cinquième, c’est ton quotidien, mais quand on est adulte, à moins d’être comédien ou comédienne, on oublie cette discipline. Tu aimes être sur scène ? La première fois, lors d’une sorte de répétition générale, avant de monter sur scène, Stéphane Foenkinos me dit : « Fais simple, mais pense bien à ne pas fixer quelqu’un dans la salle et à balayer le public du regard. » Et là, à peine sur scène, j’ai été prise d’une paralysie : impossible de tourner la tête du côté gauche. Je ne l’ai pas très bien vécu. Ça va mieux, maintenant ? La deuxième fois, il y avait une association de jeunes migrants dans la salle. C’était très touchant, car pour la plupart ils n’étaient jamais allés au théâtre de leur vie. À l’issue de la représentation, l’un d’eux a dit : « Je crois que je veux écrire des pièces de théâtre. » Eh bien, ça m’a donné envie de continuer. Le théâtre permet ce genre de choses. Pour moi, c’est essentiel qu’il y ait des rencontres, des ateliers avant ou après le spectacle. • PROPOS RECUEILLIS PAR ADÈLE (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE) — PHOTOGRAPHIE : PALOMA PINEDA
— : « Noire », jusqu’au 30 juin au Théâtre du
Rond-Point, dès 12 ans
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TOI AUSSI TU AS ENVIE DE RÉALISER UNE INTERVIEW ? DIS-NOUS QUI TU AIMERAIS RENCONTRER EN ÉCRIVANT À BONJOUR@TROISCOULEURS.FR
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COUL' KIDS
« Tania était intéressante et drôle, j’ai passé un très bon moment avec elle. Pour la séance photo, j’ai tellement souri qu’à la fin j’avais des courbatures aux joues ! »
LA CRITIQUE DE LÉONORE, 8 ANS
« Dans ce film, les personnages deviennent plus vieux, Krokmou rencontre une petite amie, et on découvre le monde caché des dragons, qui ressemble un peu à Avatar, avec plein de lumières et de dragons multicolores. Cette fois, l’histoire des dragons semble terminée, même si ce serait chouette d’avoir un nouveau film qui se passerait en ce moment, avec des dragons qui viendraient en ville. Je pense que c’est une histoire vraie et que ce monde caché existe, sauf qu’on n’en a pas entendu parler parce que c’est au centre de la Terre, là où l’homme n’est jamais allé. Je crois aussi que les dragons restent là-bas parce qu’ils ont peur que les hommes leur fassent mal. Dans ce film, il y a de la joie, un peu de tristesse, de la peur et de l’amour, ce qui me gêne toujours un peu parce que ça me donne des guilis dans le ventre ! Et l’histoire nous dit que, si on est gentils avec les monstres, on peut les rendre gentils. Je crois que c’est un peu ça, la morale de ce film. » tristesse
COUL’ KIDS
DRAGONS 3. LE MONDE CACHÉ
LE PETIT AVIS DU GRAND Parmi les rares auteurs que DreamWorks Animation, le studio de Jeffrey Katzenberg, aura révélés, il faut indéniablement compter sur Dean DeBlois. Durant une grosse décennie, ce réalisateur au physique de viking a fignolé une trilogie à l’indéniable cohérence, articulée autour des thèmes de l’éducation, de la filiation et du legs. Plus accessoirement, Dragons 3. Le monde caché est un film techniquement ahurissant, notamment dans sa capacité à créer des textures à la fois photoréalistes et cartoon. • J. D.
LIS L’ARTICLE ET RETROUVE LE MOT ÉCRIT À L’ENVERS !
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— : de Dean DeBlois Sortie le 12 juin en DVD (DreamWorks), dès 7 ans
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TOUT DOUX LISTE LA GUERRE DES BOUTONS BD La rentrée des classes sonne la reprise de la lutte sans pitié entre les enfants de Longeverne et ceux de Velrans. Cette compilation de deux albums publiés en 2011 et 2012 et dessinés par Olivier Berlion offre une relecture rafraîchissante du célèbre récit imaginé par Louis Pergaud en 1912. • Q. B.-G.
: « La Guerre des boutons.
L’Intégrale » d’Olivier Berlion d’après Louis Pergaud (Dargaud), sortie le 14 juin, dès 5 ans
TOY STORY 4 CINÉMA Après le déluge de larmes provoqué par la conclusion du troisième volet, Toy Story revient avec Buzz, Woody, la Bergère, son amoureuse – disparue depuis le deuxième film –, et un nouvel invité, Forky, une fourchette devenue jouet. Dans cet épisode, les figurines s’interrogent sur leur propre nature. • Q. B.-G.
: de Josh Cooley (Walt Disney, 1 h 40), sortie le 26 juin, dès 4 ans
MANOU À L’ÉCOLE DES GOÉLANDS CINÉMA Manou est un martinet orphelin élevé par des goélands. Il tente de vivre et de voler comme eux, avant de redécouvrir ses origines… Porté par une animation fluide, ce récit d’initiation convainc aussi par son casting vocal (Vincent Dedienne et Camélia Jordana en tête). • Q. B.-G.
: d’Andrea Block et Christian Haas (ARP Selection, 1 h 28), sortie
DRÔLES DE PETITES BÊTES © STUDIO ONYX FILMS
EXPO Ce bestiaire pictural nous invite à redécouvrir l’œuvre du dessinateur français Antoon Krings. À travers ses bandes dessinées et ses peintures, l’exposition se traverse comme un jardin géant, dans lequel on peut aussi découvrir les coulisses du film du même nom sorti en 2017. • Q. B.-G.
: jusqu’au 8 septembre au musée des Arts décoratifs, dès 4 ans
©CARACTÈRES CRÉDITS NON CONTRACTUELS
le 3 juillet, dès 4 ans
LE 3 JUILLET AU CINÉMA
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CECI N’EST PAS DU CINÉMA
Gaye Su Akyol
SONS
AU NOUVEAU BAIN TURC On
dit de la Turquie qu’elle est la porte de l’Orient. Sa position géographique, entre l’Asie et l’Europe, explique sans doute le caractère hybride de sa musique. Depuis la chute de l’empire Ottoman en 1923, après la révolution kémaliste, la Turquie voit alterner les régimes et, plus généralement, les va-et-vient entre occidentalisation (libération des mœurs, ouverture culturelle) et conservatisme (identitaire, religieux). Istanbul elle-même est la ville de tous les contrastes, à la fois sombre et lumineuse, riche et pauvre, joyeuse et mélancolique. La musique turque a cette même ambivalence, nourrie de ce sentiment d’attraction-répulsion envers l’Occident, particulièrement dans les années 1960-1970, quand le rock turc vécut un véritable âge d’or, mariant les styles occidentaux (garage, pop, jazz, disco) aux rythmes et aux mélodies traditionnelles des différentes régions du pays comme de certains de ses voisins – Grèce, Azerbaïdjan, Roumanie, Liban…
glorieuses années : Erkin Koray, le Jimi Hendrix turc, Barış Manço, pionnier du rock progressif stambouliote, Moğollar et leur rock à tendance ethnique, ou Selda Bağcan, qui a marqué le folk turc de ses chansons engagées en faveur de la classe ouvrière. « J’ai découvert le rock psyché turc, raconte le fondateur du groupe, Jasper Verhulst, avec le premier album de Selda, que j’ai écouté dans un magasin de disques à Amsterdam parce que j’étais intrigué par sa pochette. J’ai été vraiment surpris et fasciné par le mélange parfait des gammes de la musique folklorique turque avec les sons psychédéliques des années 1970. » Quoiqu’établi au Pays-Bas, et officiant habituellement avec Jacco Gardner, le groupe s’inscrit dans la tradition folk turque, mais hybridée de grooves funk, de synthétiseurs ondoyants et de textures psychédéliques : le saz (luth à trois cordes) électrique, les rythmiques orientales compliquées, et les chants languissants d’Erdinç Ecevit ou de Merve Daşdemir ravivent les trésors cachés du Bosphore et séduisent par-delà les frontières. « Beaucoup de gens apprécient que notre musique soit à la fois exotique et accessible, explique Jasper Verhulst. Les goûts musicaux sont devenus
GOLDEN DAYS
« L’âge d’or », c’est le nom que s’est donné le groupe néerlandais Altın Gün, qui reprend des titres des meilleurs musiciens de ces
© AYTEKIN YALÇIN
GRANDES FOUILLES
Avec le retour en grâce du disque vinyle, une nouvelle génération de diggers (« excavateurs de pépites discographiques ») révèle des pans entiers de la géographie musicale mondiale. Si le rock psychédélique turc connaît aujourd’hui un revival, c’est notamment grâce au travail de labels archivistes passionnés. On peut ainsi découvrir les tubes d’Erkin Koray, de Barış Manço, de Moğollar ou d’Arif Sağ sur les deux volumes des compilations Anatolia Rocks et Turkish Freakout ou sur le neuvième volet de Love Peace, & Poetry, et écouter les albums réédités de Selda Bağcan (la Joan Baez turque) ou du funky-master anatolien Mustafa Özkent chez Finders Keepers. Glitterbeat, le label d’Altın Gün, défend particulièrement le rock anatolien en produisant les albums de Baba Zula ou de Gaye Su Akyol. Enfin, pour mieux comprendre les mystères du rock stambouliote, on recommande le documentaire Crossing the Bridge. The Sound of Istanbul de Fatih Akın. • W. P.
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On assiste ces jours-ci à un revival du rock psychédélique turc sous l’égide de formations comme Altın Gün, Derya Yıldırım & Grup Şimşek ou Dirtmusic qui adaptent avec succès les traditions anatoliennes à la pop multiculturelle d’aujourd’hui. On a cherché à savoir pourquoi ce nouveau rock du Bosphore fascine autant les Occidentaux.
SONS
« C’est surprenant pour eux d’entendre un groupe néerlandais jouer ces standards folkloriques turcs. »
© SANJA MARUŠIĆ
JASPER VERHULST (ALTIN GÜN)
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Altın Gün
plus éclectiques grâce à Internet. » Altın Gün joue aussi à guichets fermés devant le public turc, qui valide ainsi sa réappropriation du genre. « Les foules deviennent folles et chantent presque toutes les chansons. Ce sont des standards folkloriques, et la plupart des Turcs ont grandi avec elles. C’est probablement surprenant pour eux d’entendre un groupe néerlandais jouer ces morceaux. »
FOUDRE ANATOLIENNE
Prônant également le mélange culturel, Derya Yıldırım & Grup Şimşek (prononcer chim-chek, « la foudre ») aiment à se définir comme une formation « outernationale ». Associant des musiciens franco-londoniens et la chanteuse et multi-instrumentiste turque Derya Yıldırım, le groupe sort son premier album, Kar Yağar, épopée psychédélique à travers les vallées d’Anatolie dans laquelle le folklore se confond avec l’improvisation et se transforme en chansons au groove infectieux. Révélé en 2017 par leur délicate reprise pop traditionnelle de la complainte « Nem Kaldı », classique du répertoire turc signé Aşık Mahzuni Şerif, le collectif aime la musique « contaminée », selon son cofondateur Graham Mushnik, « celle des groupes turcs des années 1960 qui ont flashé sur le rock’n’roll et qui ont mélangé les sons électriques avec les mélodies folkloriques et des paroles en turc. Aujourd’hui, nous sommes amenés à rencontrer des gens d’origines géographiques différentes ; ces choses résonnent lorsqu’on commence à échanger, à faire la fête ou à jouer ensemble. Plutôt qu’un concept de fusion, il s’agit vraiment d’un processus naturel, d’un feeling. » Mené par le son puissant du bağlama (luth turc) et les performances vocales pleines d’émotion de Derya Yıldırım, Kar Yağar mêle chansons traditionnelles et compositions originales,
dans le respect de leurs racines anatoliennes, mais enrichies de guitares wha-wha, de synthétiseurs planants, de rythmes dansants et d’ambiances jazz ou progressives. En célébrant la culture alévie (une communauté minoritaire pour qui la musique, et surtout le bağlama, a une valeur sacrée) ou en adaptant le poète Nâzım Hikmet Ran sur « Çocuklar » (« donnez le monde à nos enfants »), le collectif semble répondre à sa manière aux problématiques géopolitiques européennes et turques, même s’il s’en défend. « On ne parle pas dans nos chansons des problèmes politiques actuels. Mais, d’une certaine manière, notre musique est en elle-même déjà chargée politiquement. Ce qu’on recherche, c’est transmettre des émotions, des histoires, des sons qui font danser ou vibrer les gens. La musique donne de la puissance au peuple, la poésie rend les gens libres… Ça aussi, c’est politique. » D’autres musiciens turcs, comme les vétérans Baba Zula (au sein du collectif Dirtmusic) ou l’égérie rock féministe Gaye Su Akyol, participent à ce revival avec des albums plus ouvertement politiques. Défendant la liberté d’expression dans la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan ou le sort des réfugiés en Europe, ils opposent les rythmes et la poésie des rives du Bosphore à un monde qu’ils voient se refermer de plus en plus sur lui-même. C’est cependant par le mélange des genres, des langues et des cultures que tous ces artistes « outernationaux », reconstruisent chaque jour le pont entre Orient et Occident. • WILFRIED PARIS
— : « Kar Yağar » de Derya Yildirim & Grup Simsek (Catapult / Bongo Joe) • « Gece » d’Altın Gün (Glitterbeat) • « Kızıl Gözlüm » de BaBa ZuLa (Glitterbeat) • « İstikrarlı Hayal Hakikattir » de Gaye Su Akyol (Glitterbeat)
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LE MODÈLE NOIR — : « Le Modèle noir. De Géricault à Matisse », jusqu’au 21 juillet au musée d’Orsay
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Alors
Frédéric Bazille, Jeune Femme aux pivoines, 1870
que les Noirs ont longtemps été relégués aux marges de notre histoire de l’art, le musée d’Orsay veut remettre les pendules à l’heure avec une exposition essentielle, qui court de la Révolution française au début du xxe siècle. C’est comme un voile qui se lèverait devant le regard occidental. Dans le fier portrait de buste qui saisit le visiteur dès son entrée, la femme noire peinte par Marie-Guillemine Benoist en 1800 devient Madeleine. Plus loin, on découvre que cet homme noir que Théodore Géricault aimait à faire poser – dans Le Radeau de La Méduse (1818-1819) notamment, dont une étude est exposée – se prénommait Joseph et était un modèle apprécié des artistes de l’époque. Ou encore que la servante qui tend un large bouquet à l’Olympia de Manet s’appelait Laure. Ces personnages, trop souvent exotisés, retrouvent, pour certains, une partie de leur identité et de leur dignité. Le contexte, avec force repères historiques et culturels, est judicieusement explicité, nous rappelant l’idéologie dominatrice et raciste qui prévalait, mais aussi que des artistes ont su mettre leur art au service d’un militantisme abolitionniste. En témoigne une saisissante fresque de Marcel Antoine Verdier, Le Châtiment des quatre piquets dans les colonies (1843), qui dépeint, grandeur nature, une scène de torture d’un esclave. Cette riche exposition permet de découvrir aussi des choses moins connues, comme l’influence qu’un voyage d’Henri Matisse à Harlem, en 1930, va exercer sur son œuvre. Et pour achever de décoloniser votre regard, des ouvrages d’Aimé Césaire ou de James Baldwin sont disponibles à la vente à la sortie. • MARIE FANTOZZI
© COURTESY NATIONAL GALLERY OF ART, WASHINGTON, NGA IMAGES
EXPOS
Ces personnages trop souvent exotisés retrouvent une partie de leur dignité.
JEAN-CHARLES DE QUILLACQ
XAVIER ANTIN
Dans sa performance Le Remplaçant, l’artiste enchaîne avec des volontaires les rencontres dont la (courte) durée correspond au temps nécessaire au moulage de leur appendice nasal. Dans son exposition « Ma système reproductive », le nôtre est saisi par une forte odeur de gel douche parfum cuir et cookie. Disséminées au sol, des sculptures-membres évoquent un corps, source ou réceptacle de désirs et de sentiments autant que machine à (se) reproduire. • ANNE-LOU VICENTE
Xavier Antin poursuit sa réflexion et ses formes autour des processus de (re)production. Conçues à partir de vidéos numériques de la flore des parcs de Singapour, de grandes toiles imprimées à l’aide d’une imprimante à jet d’encre Epson trafiquée, telles des tapisseries, composent des paysages abstraits, opérant un transfert entre images en mouvement et images fixes, techniques de représentation modernes et archaïques. • A.-L. V.
: « Vanishing Workflows (des fleurs de
: jusqu’au 13 juillet au Bétonsalon –
Singapour) », jusqu’au 20 juillet
Centre d’art et de recherche
à la galerie Crèvecœur
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ART COMPRIMÉ Tous les mois, notre chroniqueuse vous offre un concentré des dernières réjouissances du monde de l’art.
22 MAI 15 SEPTEMBRE UNE EXPOSITION – 2 LIEUX
PETIT PALAIS Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris Métro : Champs-Élysées Clemenceau
MUSÉE DE LA VIE ROMANTIQUE Hôtel Scheffer-Renan Métro : Pigalle
#Parisromantique www.petitpalais.paris.fr www.museevieromantique.paris.fr
Eugène Lami, Scène de carnaval, place de la Concorde, 1834. © Musée Carnavalet / Ville de Paris | Graphisme : Romain Hisquin
Rififi féministe au Parlement européen le 19 mai dernier ! En plein milieu de l’hémicycle strasbourgeois, la performeuse luxembourgeoise Deborah de Robertis a déversé entre ses jambes du sang de porc pour « confronter les politiques à leur inertie patriarcale ». Ses cinq acolytes et elle, vêtues d’une culotte et le corps peint en jaune ou bleu, ont – sans surprise – été rapidement traînées dehors par le personnel de la sécurité, avant d’être placées en garde à vue. Serait-ce là une branche de la « terreur féministe » que dénonçait le très droitier magazine Valeurs actuelles quelques jours plus tôt ?! • Outre-Rhin, c’est une campagne de la formation d’extrême droite AfD qui a provoqué un tollé. Le principal parti d’opposition à la chambre des députés a eu la charmante idée d’emprunter, en avril, une œuvre du peintre français Jean-Léon Gérôme pour véhiculer ses messages racistes dans les rues berlinoises. Sur Le Marché aux esclaves, on pouvait ainsi lire, en gros caractères blancs : « Pour que l’Europe ne devienne pas “Eurabe” ! » Le Clark Art Institute – le musée américain qui possède ce tableau représentant une esclave nue entourée d’hommes – n’a pu que s’en indigner, l’œuvre, datant de 1866, étant tombée dans le domaine public. • Une autre image vue sur les réseaux sociaux a cristallisé la polémique autour de Barca nostra, une « installation » de l’artiste suisso-islandais Christoph Büchel présentée à la biennale de Venise. On y voit un touriste tout sourire faisant un selfie devant ladite œuvre – l’épave d’un bateau de pêche qui avait sombré avec près de mille migrants dans la Méditerranée en 2015. Triste monde tragique. • MARIE FANTOZZI ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL
SPECTACLES
SINCE SHE — : « Since She » de Dimitris Papaioannou, du 8 au 11 juillet à la Grande Halle de la Villette, © JULIAN MOMMERT
avec le Théâtre de la Ville (1 h 50)
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C’est
la première fois, depuis le décès de Pina Bausch, il y a dix ans, que sa compagnie invite un artiste à créer une pièce inédite. Since She. Le titre semblerait presque passer sous silence le mot qui compléterait la phrase, « died ». L’euphémisme fait symbole : disparaîton jamais vraiment lorsque l’on a été une des plus grandes, si ce n’est la plus grande, chorégraphes du xxe siècle ? Pour enfiler ce costume, il fallait un metteur en scène n’ayant pas froid aux yeux et capable d’accueillir dans son univers le vocabulaire chorégraphique du Tanztheater Wuppertal. Le Grec Dimitris Papaioannou était tout trouvé : féru de formes grandioses (il a conçu les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques d’Athènes en 2004) et de grandes épopées, il réussit le pari d’hybrider son esthétique et celle de Pina Bausch sans les trahir ni les amoindrir. Dans Since She, on retrouve la grâce et la liberté des mouvements bauschiens, la solitude et la nostalgie latente des danseurs. Mais aussi la plasticité monumentale des tableaux vivants composés par Papaioannou, qui semblent tout droit sortis de livres d’images inspirés de la mythologie grecque, de l’Ancien comme du Nouveau Testament, ou encore des maîtres flamands. Parfois monstrueux mais toujours d’une beauté désarmante, les corps s’élancent, se frôlent, s’emmêlent ou se ratent dans un univers qui renvoie autant au fond des âges qu’au décor de Café Müller, avec ses tables et ses chaises. Un clin d’œil, comme une manière de reprendre l’histoire là où elle avait commencé. • AÏNHOA JEAN-CALMETTES
Parfois monstrueux mais toujours d’une beauté désarmante, les corps s’élancent, se frôlent, s’emmêlent.
LES BONIMENTEURS
FESTEN
Renouant avec l’époque du cinéma muet, Arthur B. Gillette (du groupe Moriarty), Jennifer Hutt et le performeur Jonathan Capdevielle redonnent vie à ces personnages trop oubliés que sont les bonimenteurs. Improvisateurs chevronnés, sorte d’ancêtres des doubleurs, ces derniers avaient aussi pour mission d’interpréter et d’analyser les images qui défilaient. Après s’être attaqués au Spetters de Paul Verhoeven, ils se tournent vers l’horreur de Suspiria. • A. J.-C.
À l’occasion de l’anniversaire du patriarche, les secrets enfouis ressurgissent et l’hypocrisie de la bourgeoisie vole en éclat. Adapter Festen, film manifeste du Dogme 95 de Thomas Vinterberg, est presque un retour aux sources pour Cyril Teste, qui rêve de « performances filmiques » liant de façon organique théâtre et cinéma. Un objet artistique hybride qui trouble la perception et donne vie aux fantômes en mêlant action live, tournage en direct et vidéos préenregistrées. • A. J.-C.
: « Les Bonimenteurs – Suspiria » de
J. Capdevielle, A. B. Gillette et J. Hutt,
: de Cyril Teste, du 16 au 19 juillet
les 20 et 21 juin au CND (1 h 35)
au Centquatre (1 h 50)
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Photo: Ben Zank
Compagnie DCA / Philippe Decouflé • Ohad Naharin / Cie Grenade – Josette Baïz • CENTENAIRE MERCE CUNNINGHAM CCN – Ballet de Lorraine • Opera Ballet Vlaanderen • Ballet de l’Opéra national de Paris • The Royal Ballet of London • Jann Gallois • Krzysztof Warlikowski • Tatiana Julien • Kader Attou / CCN de La Rochelle / Cie Accrorap • Système Castafiore • Malandain Ballet Biarritz • Cie Gilles Jobin & Artanim • Emanuel Gat • Brigitte Seth & Roser Montlló Guberna • 4e BIENNALE D’ART FLAMENCO David Coria / David Lagos • Ana Morales • Olga Pericet • Rocío Molina • Eva Yerbabuena • Marie-Agnès Gillot / Andrés Marín / Christian Rizzo • Tomatito • Cheng Tsung-lung / Cloud Gate Dance Theatre of Taiwan • Arthur Perole • Christian Rizzo / ICI – CCN Montpellier • Thomas Lebrun / CCN Tours • Damien Jalet / Kohei Nawa • Compagnie AOE / Esteban Fourmi et Aoi Nakamura • Lia Rodrigues / Béatrice Massin / Dominique Hervieu • Lia Rodrigues / Carte Blanche • Trisha Brown Dance Company • Adrien M & Claire B • José Montalvo • Arno Schuitemaker • Christophe Béranger /Jonathan Pranlas-Descours • Naïf production / Sylvain Bouillet • Dancenorth Australia • SAISON AFRICA 2020 Salia Sanou • Danielle Gabou • Marrugeku
1 place du Trocadéro, Paris / www.theatre-chaillot.fr
RESTOS
SORTIR DE TABLE © D. R.
Les terrasses de l’été, c’est le marronnier ultime du journalisme culinaire. Mais pourquoi s’en priver ? Voici trois spots parmi tant d’autres pour s’attabler dehors, manger bon et respirer fort. Substance, Maison Plisson ou River Café, faites votre choix.
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SUBSTANCE Certes, nous sommes dans le xvie arrondissement, et le patron, Stéphane Manigold, est le responsable des grands comptes pour un grand constructeur automobile allemand. Mais c’est aussi un authentique dingo de bonne bouffe et de belles quilles. Avec l’architecte Michel Amar, il a totalement repensé une ancienne trattoria sarde en lieu chic et minéral, couleur bleu en majeur, dans un entrelacs de matières et de formes sur les murs. Les fourneaux ont été confiés à un tout jeune homme, Matthias Marc, 25 ans, et la salle, à son compère Anthony Pedrosa, avec qui il a travaillé chez Racines des prés aux côtés du chef Alexandre Navarro. Le nom Substance a été choisi en référence à l’une des cuvées du grand vigneron champenois Anselme Selosse. Les plats se mettent au service du vin, tarifé à peine plus cher que chez un caviste. À l’intérieur ou sur la minuscule terrasse de dix couverts, dans de superbes assiettes signées Émilie Brichard (Malo), on déguste une cuisine de saison, vive, aux produits joliment choisis : encornets sautés accompagnés d’asperges blanches au jus de volaille et fraises, ris de veau aux anchois et artichauts rôtis, avec un condiment roquette et olives, rhubarbe confite, crémeux géranium et glace fraises des bois. Pour étancher sa soif, outre les bulles du divin Selosse, on se laisse tenter par le bourgueil Nuits d’ivresse de Catherine et Pierre Breton (46 €) ou par le mâcon de Julien Guillot (46 €). Menus : 35 € (entrée/plat ou plat/ dessert), 39 € (déjeuner), 79 € (carte blanche + 45 € pour l’accord mets et vins). • STÉPHANE MÉJANÈS
: 18, rue de Chaillot, Paris XVIe
MAISON PLISSON SAINT-HONORÉ
RIVER CAFÉ
Une terrasse de cinquante places, un sourcing minutieux et des chefs en résidence – Hervé Bourdon (Le Petit Hôtel du Grand Large, à Portivy) jusqu’à la mi-juillet. Cocktail Schmürtz (Spritz à la française), cabillaud, grenade et coriandre en entrée, poulet fermier, morilles et épinards pour continuer, on est bien. Menu midi : 24 €. Carte : environ 35 €. • S. M.
En descendant quelques marches du quai vers la jolie barge amarrée à Issy-les-Moulineaux, on est déjà en vacances. On vise les tables des coursives, au bord de l’eau, et on goûte les plats de David Cournil : calamars croustillants, pluma ibérique à la plancha, tonkatsu de saumon, cheese cake & framboises. Formule midi : 29 €. Soir et week-end : 35 €, 40 €. • S. M.
: 35, place du Marché-Saint-Honoré,
: 146, quai de la Bataille-de-Stalingrad
Paris Ier
(Issy-les-Moulineaux)
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CONCERTS
BLOOD ORANGE — : le 15 juillet
© NICK HARWOOD
à l’Élysée Montmartre
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Hynes est un touche-à-tout compulsif. Un boulimique de musique, capable de composer et d’enregistrer en un temps record (ne titrait-il pas, en 2007, l’un de ses bootlegs I Wrote and Recorded This in Less Than Five Hours), mais aussi, en bon caméléon, de se mettre au service de personnalités aussi diverses que Solange Knowles, The Chemical Brothers, Kylie Minogue ou A$AP Rocky. Définir d’un mot le style si versatile du nerd anglais exilé à L.A., souvent comparé à Prince, paraît d’ailleurs vain : ses multiples identités se sont déployées lors de la dernière décennie en autant d’alias que de genres, des décharges punkoïdes de Test Icicles au baroquisme pop de Lightspeed Champion, en passant par Blood Orange, plus tourné vers la black music. C’est sous cette dernière bannière que le multi-instrumentiste a sorti l’an dernier Negro Swan, chef-d’œuvre au groove eighties engourdi, dominé par le parfum amer de la dépression. Dev Hynes y fait le récit poignant d’une jeunesse anglaise douloureuse, marquée par le harcèlement (« Mon premier baiser fut avec le sol », résume-t-il sur le poignant « Orlando ») et relate plus globalement la violence subie par les personnes queer et racisées, en associant à son falsetto soulful la parole militante de l’écrivaine Janet Mock, activiste pour les droits des transgenres. Toute cette noirceur ne vire pas au spleen monochrome : adepte du collage protéiforme, Hynes superpose R&B ouaté, chillwave, rap et synth-pop dans un captivant fondu enchaîné, en Technicolor. • ÉRIC VERNAY
Définir d’un mot le style si versatile du nerd anglais souvent comparé à Prince paraît vain.
LOUD & PROUD
TÔLE FROIDE
Le hip-hop futuriste de la transqueen Angel-Ho, l’ultramutante Fatima Al Qadiri, la soul soyeuse d’Arlo Parks, la house du légendaire Robert Owens, le gqom (afro-house des townships) féroce de FAKA, Lala &ce et son cloud rap, Virginie Despentes, Béatrice Dalle & Zëro, un épique ball voguing… Le festival des cultures queer signe une 3e édition transféministe, métissée, weirdo et flamboyante, qui invite à faire de la politique sur le dancefloor. • ETAÏNN ZWER
Entre no-wave et variété française, citant Mylène Farmer (la reprise effrontée de « Maman a tort ») comme The Slits, les trois Lyonnaises bricolent – sans guitare ! – une pop punk, espiègle et désarmante. Avec leur grâce volcanique, elles feront de la 4 e kermesse estivale du Garage MU à La Station – Gare des Mines (le rendez-vous des têtes brûlées de l’underground) un terrain de jeu pour leurs comptines cool qui parlent d’amours, de violences policières et d’aller voir la mer. • E. Z .
: du 4 au 7 juillet à La Gaîté Lyrique
: le 12 juillet à La Station – Gare des Mines
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Devonté
PLANS COUL’ À GAGNER
ELECTRO EXPO
— : « Electro. De Kraftwerk à Daft Punk », © DJ FALCON/DAFT TRAX
jusqu’au 11 août à la Philharmonie de Paris
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xxxxxxxxx Daft Punk lors de la tournée Alive 2007
rarissimes (un synthé ARP 2500 appartenant à Jean-Michel Jarre et autres fétiches vintage), des installations futuristes (une performance audiovisuelle en 3D par le groupe allemand pionnier Kraftwerk) et des pièces thématiques dans l’esprit de la culture techno. Au son d’une playlist concoctée par Laurent Garnier, on y retrouve l’ambiance survoltée des lieux et des périodes mythiques de l’electro, de l’apogée des boîtes gay et afro de Detroit aux clubs berlinois en passant par la tournée Alive 2007 des Daft Punk. • CORENTIN LÊ
OFF
Synthétisant l’histoire de la musique électronique dans une ambiance festive et industrielle, la Philharmonie de Paris rend hommage à la fulgurante ascension de l’electro dans toute sa pluralité. Apparue au sortir de la Seconde Guerre mondiale dans l’isolement des laboratoires, celle-ci s’est développée dès lors que ses emblématiques synthétiseurs sont devenus accessibles à toutes les bourses. Cette expo hétéroclite, que l’on traverse un casque sur les oreilles, réunit des artefacts
LES NABIS ET LE DÉCOR
EXPO
À l’aube du xxe siècle, les Nabis (Sérusier, Ranson…) inventent une esthétique du décor et des paysages à rebours du naturalisme. Cette exposition, la première en France sur ce sujet, regroupe une production variée (tableaux, mais aussi papiers peints, paravents, abat-jours…) de ces artistes fortement influencés par la culture japonaise et l’art ésotérique. • Q. B.-G.
: « Les Nabis et le Décor. Bonnard, Vuillard, Maurice Maurice Denis, Avril, 1892
Denis… », jusqu’au 30 juin au musée du Luxembourg
L’ORIENT DES PEINTRES
EXPO
À partir du début du xix siècle, des peintres européens (Kandinsky, Matisse, Gérôme.…) ont voyagé à travers l’Orient, du Maghreb jusqu’en Turquie, pour vérifier leurs fantasmes sur les femmes et la richesse des décors du Levant. Cette exposition explore les visions qui ont germé de ces voyages. • Q. B.-G. e
: « L’Orient des peintres. Du rêve à la lumière », jusqu’au 21 juillet au musée Marmottan Monet
FOOT & MONDE ARABE
EXPO
Pour réviser avant la Coupe du monde féminine en France et la Coupe d’Afrique des nations cet été, cette expo revient sur onze épopées humaines de joueurs et de supporteurs dans le monde arabe, de Zidane sur le toit du monde en 1998 jusqu’à l’implication du Qatar au PSG, en passant par l’équipe du FNL. • Q. B.-G.
: « Foot et monde arabe. La révolution du ballon rond », L’équipe du FLN en Chine en 1959
jusqu’au 21 juillet à l’Institut du monde arabe
© OTTERLO KRÖLLER-MÜLLER MUSEUM ; RMN – GRAND PALAIS ; FIFA
Théodore Chassériau, Danseuses marocaines. La danse aux mouchoirs, 1849
SUR TROISCOULEURS.FR/PLANSCOUL
SONS
CLAUDE VIOLANTE — : « Armani » (Panenka Music), sortie le 21 juin
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© HÉLÈNE TCHEN CARDENAS
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Dans
un monde idéal, Claude Violante serait aussi désirée que Grimes, Charli XCX ou Carly Rae Jepsen. Pour ceux qui s’étaient arrêtés à ses attaches underground (remixes pour La Chatte ou Fiodor Dream Dog, maxis sur le défunt label Tsunami-Addiction), Armani, son premier album, ne laisse aucun doute sur ses ambitions queen size : treize hymnes pop fuselés comme des avions furtifs, dans lesquels la nostalgie des années 1980 et 1990 (les clubs, les raves, les boums) s’accorde aux innovations récentes du R&B et des musiques électroniques. « Pour moi, la position idéale, c’est de faire le pont entre tout ça. J’ai envie de parler aussi bien au grand public qu’à ceux qui écoutent des choses pointues. D’ailleurs, je pense que cette distinction n’a plus trop lieu d’être : aujourd’hui, tous les styles communiquent les uns avec les autres. Tu peux entendre de la techno pure dans un tube de Nicki Minaj. » C’est le credo de Claude Violante : concilier l’exigence musicale et l’efficacité, détacher la culpabilité du plaisir, accélérer
SI TON ALBUM ÉTAIT UN FILM ? « J’ai envie de répondre Apocalypse Now [de Francis Ford Coppola, ndlr], parce que ça a été la plaie pour le finir ! Mais ce n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est de véhiculer une pensée positive. Je veux qu’en écoutant
la fusion mondialisée des mélomanies. La réussite tient à peu de chose, à l’humanité qu’elle met dans ses machines, à la mélancolie qui inonde ses refrains, à sa voix bien trop sensible et intense pour être uniquement radiogénique. « Ce qui m’importe le plus, c’est de transmettre des émotions aux gens. Qu’ils se sentent forts, qu’ils pleurent, qu’ils rient, qu’ils dansent… Tout est possible. » Et tout arrive, à la suite et simultanément, à mesure que ces hymnes à l’amour et à la résilience prennent en otages nos mémoires vives. « When We Sync », « Newcomers », « Never Come Back », « WCMYF », « Static », « All in »… on ne peut qu’imaginer les nuits blanches chez Panenka Music quand il a fallu choisir le premier clip (c’est finalement « Armani ») : celles qui attendent les majors, quand elles prendront conscience de ce qui vient de leur échapper, et celles qu’on souhaite aux divas anglo-saxonnes que la Parisienne vient provoquer. Dans notre monde idéal, Claude Violante est déjà une superstar. • MICHAËL PATIN
mon album les gens se disent : “C’est dur, mais il y a quand même beaucoup d’espoir.” Dans Apocalypse Now, on voit la jungle infinie prendre le dessus sur la guerre. Et moi, j’ai envie que l’amour triomphe de toutes les difficultés. » CLAUDE VIOLANTE
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JUKEBOX
ESPACES VACANTS RIRE DE RÉSISTANCE / SAISON 13
BILL CALLAHAN : « Shepherd in
a Sheepskin Vest » (Drag City)
Six ans après Dream River, Bill Callahan, désormais « rangé » à 53 ans (marié et père d’un garçon), libère ses pensées buissonnières dans un murmure folk à la sobriété généreuse : vingt morceaux, ce n’est pas rien. Un véritable festin acoustique dans lequel l’ex-Smog fait vibrer sa belle et profonde voix de baryton comme jamais. Chacune de ses microvariations peut, sans crier gare, vous bouleverser. • É. V.
THE DIVINE COMEDY
NINO ROTA FEDERICO FELLINI MATHIEU BAUER YVES RAVEY JOËL JOUANNEAU SANDRINE LANNO ALAN PAULS MATHILDE MONNIER COLINE SERREAU CHRISTOPHE ALÉVÊQUE CATHERINE SCHAUB JEAN-BENOÎT PATRICOT JEAN-CLAUDE GALLOTTA SERGE GAINSBOURG ALAIN BASHUNG JACQUES HADJAJE JEAN BELLORINI PIPPO DELBONO PATRICK ROBINE JEAN-MICHEL RIBES PHILIPPE MINYANA PIERRE NOTTE PHILIPPE CAUBÈRE MATHIEU MADENIAN KADER AOUN MARIE PAYEN RONAN CHÉNEAU DAVID BOBÉE LARS NORÉN FRÉDÉRIC BÉLIER-GARCIA CARYL CHURCHILL MICHEL DIDYM MARC PAQUIEN DOMINIQUE SIMONNOT CHARIF GHATTAS LISA PETERSON DENIS O’HARE JEAN-MICHEL RABEUX JEAN-DANIEL MAGNIN RÉMI DE VOS ANNE BEREST JEAN-BAPTISTE THIERRÉE VICTORIA CHAPLIN GILLES COHEN HERVÉ LE TELLIER DENNIS KELLY CHLOÉ DABERT BELKHEÏR DJENANE ANNE ARTIGAU ÉTIENNE SAGLIO CLÉMENCE THIOLY MIREN PRADIER NICOLAS BRIANÇON GWEN ADUH PIERRE CLEITMAN
: « Office Politics » (Divine Comedy)
« Il y a des synthés. Et des chansons à propos des synthés. Mais ne paniquez pas. Il y a aussi des guitares, des orchestres, des accordéons et des chansons sur l’amour et la cupidité. » Voilà, bien résumé par Neil Hannon, le fringant nouvel album de The Divine Comedy. Soit une savoureuse galerie de portraits – humains et robots – croqués avec mordant en seize élégantes pop songs par le dandy nord-irlandais. • É. V.
LALA &CE
: « Le Son d’après » (Allpoints)
Il faut souvent tendre l’oreille pour discerner les mots de Lala &ce. Car la Franco-Ivoirienne du collectif 667 s’est fait une spécialité de les noyer dans les eaux violacées de son rap codéiné. L’écoute de son excellente première mixtape, Le Son d’après, invite à entrer dans un état second, semi-somnolent mais à fleur de peau, bercé par le ressac wavy, souvent anglophone, de son flow ensorcelant. • É. V. ILLUSTRATION : SAMUEL ECKERT
RÉSERVATIONS 01 44 95 98 21 — THEATREDURONDPOINT.FR
GOOD OMENS
SÉRIES
— : Saison 1 sur Amazon Prime Video
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OFF
Après
American Gods, voilà une nouvelle adaptation d’une œuvre de Neil Gaiman. Et, cette fois, le dandy ombrageux des lettres anglaises ne s’est pas contenté d’un rôle de consultant scénariste à temps partiel pendant le développement de Good Omens. Il a écrit seul les six épisodes de cette comédie fantastique sur l’Antéchrist, histoire que personne ne s’avise de trahir l’impertinence gentiment blasphématoire de l’ouvrage source, De bons présages, qu’il cosigna en 1990 avec le regretté Terry Pratchett. La caméra de Douglas Mackinnon peut bien s’agiter frénétiquement pour donner le tour le plus cinématographique possible à cette guerre entre forces du bien et du mal, à grand renfort d’effets spéciaux et de stars en mode « show off » (Michael Sheen et Jon Hamm, en anges proprets, et surtout
REVOIS WHAT WE DO IN THE SHADOWS Plombé par son titre français, le film néo-zélandais Vampires en toute intimité, documenteur sur une colocation de suceurs de sang, était pourtant une sacrée bonne comédie horrifique. Relocalisée aux États-Unis avec de nouveaux personnages, sa déclinaison série sous la forme d’un The Office aussi sanglant qu’hilarant n’a rien perdu de son mordant. • G. L .
: Saison 1 sur Canal+ Séries
David Tennant, survolté en démon rock’n’roll sosie d’un certain… Neil Gaiman), jamais le caractère ultralittéraire de cette entreprise ne se dément. La série, spirituelle en diable et très bavarde, reprend tels quels des passages entiers du livre, dans la bouche de son narrateur de luxe, Dieu en personne, doublé par Frances McDormand. Péché d’orgueil de la part de l’auteur que de s’autociter ainsi ? Manière plutôt de rendre hommage au génie inatteignable de Terry Pratchett, saint patron de la fantasy humoristique britannique (la saga du Disque-Monde, c’est lui), par ailleurs un des amis les plus chers de Neil Gaiman et son mentor en littérature, disparu en 2015 des suites de la maladie d’Alzheimer. Rien que pour donner à entendre son style reconnaissable entre mille, que grâce soit rendue à ce Good Omens. Amen. • GRÉGORY LEDERGUE
VOIS
PRÉVOIS
JEUX D’INFLUENCE
RATCHED
Jean-Xavier de Lestrade s’essaye au genre rare de la fiction à thèse, avec cette charge contre les manœuvres d’un groupe industriel pour couvrir un scandale sanitaire. Venu du docu (Un coupable idéal), le réalisateur scénariste ne verse pas dans la dénonciation facile et soigne autant ses personnages de lobbyistes (Alix Poisson) que ses figures intègres (Laurent Stocker). Convaincant. • G. L.
En préparation depuis 2017, le prequel de Vol au-dessus d’un nid de coucou, centré sur la sinistre infirmière Ratched, se rapproche de l’antenne sur Netflix. Deux saisons ont été commandées à Ryan Murphy qui, à la tête d’un casting trois étoiles (Sharon Stone, Don Cheadle, Rosanna Arquette…), retrouvera dans le rôle-titre son actrice fétiche, Sarah Paulson. • G. L .
: Saison 1 sur Arte
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: Prochainement sur Netflix
Cr é & mation n ond umé e s v riq u ir t u els e 23 19 2019 juin
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Design graphique : ABM Studio – Visuel : Anamorphine © Artifact 5, Ahmet Misirligul © Shutterstock, Ready Player One © Collection Christophel
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JEUX VIDÉO
A PLAGUE TALE
— : « A Plague Tale. Innocence » Focus Home Interactive
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(PS4, One, PC)
Conte
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médiéval et fantastique, A Plague Tale. Innocence nous bouleverse par sa noirceur et par son âpreté visuelle. Royaume de France, en l’an de grâce 1348 : alors que la guerre de Cent Ans et la Peste noire ravagent le pays, deux orphelins doivent soudain fuir leur foyer envahi par l’armée anglaise. Dans la peau d’Amicia, la sœur aînée, il va falloir survivre à ce chaos, dans lequel la violence guerrière côtoie les milliers de rats qui infestent les environs et dévorent le moindre inconscient qui croise leur route… Première œuvre personnelle du studio bordelais Asobo, A Plague Tale se veut une relecture sans concession de l’histoire, comme peu de jeux osent le faire ; relecture qui jongle admirablement entre odyssée intimiste (la relation sœur-frère face au monde adulte)
et tableau épique traversé de fantasmagories aussi somptueuses que dérangeantes. Si les performances techniques de A Plague Tale sont remarquables, le point d’orgue du jeu reste la vision saisissante de ses armées de rats qui grouillent par centaines à l’écran et nous foncent parfois dessus, comme un tsunami prêt à nous engloutir. Pour les repousser, les enfants n’auront d’autre choix que de se servir du feu ou d’une source de lumière, donnant ainsi lieu à des épreuves de réflexion, souvent retorses. Ce gameplay, autant basé sur notre fragilité que notre finesse (l’héroïne est équipée d’une fronde, tel David contre Goliath), résume à merveille la nature du jeu : un passage à l’âge adulte aussi brutal que lucide, conté sur le mode d’un cauchemar éveillé, qui nous hantera pour longtemps. • YANN FRANÇOIS
ANNO 1800
DESCENDERS
KATANA ZERO
À l’aube de la révolution industrielle, nous voilà à la tête d’une petite colonie qu’il faut développer jusqu’à en faire un empire commercial et géopolitique… En équilibre parfait entre classicisme et modernité, ce jeu de gestion signe une renaissance inespérée du genre. • Y. F.
Cramponné à son BMX, il faut dévaler à toute vitesse une pente agrémentée d’obstacles en tout genre en tentant de rester indemne… À mi-chemin entre simulation et arcade, ce jeu de course indé procure, sous de faux airs simplistes, des sensations aussi jouissives qu’hypnotiques. • Y. F.
Un samouraï des temps modernes assassine des malfrats le jour et se fait psychanalyser la nuit. Jusqu’à ce que réalité et onirisme finissent par se confondre… Sanglant et cérébral, ce jeu est un petit diamant noir, habillé de symbolisme freudien. • Y. F.
: (Ubisoft | PC)
: (No More Robots | PC, One)
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: (Devolver Digital | PC, Switch)
Chaque mois, notre chroniqueur explore les mondes du jeu vidéo indépendant en donnant la parole à l’un de ses créateurs.
Quelque part dans la galaxie Nebula, sur une planète inhabitée, une archéologue tente de décrypter un hiéroglyphe laissé par une civilisation disparue dont elle cherche à retracer l’origine. C’est le concept de Heaven’s Vault, somptueuse aventure ondulant entre odyssée spatiale et enquête historique dans les méandres d’un passé extraterrestre plein de secrets. On doit cette petite merveille à Inkle, studio anglais fondé en 2011 par deux anciens employés de PlayStation, remarqué il y a cinq ans avec l’étonnant 80 Days et sa relecture d’un classique de Jules Verne. « Nos jeux naissent de l’envie de raconter des histoires autrement, avec les propriétés uniques de l’interaction », explique Jon Ingold, l’un des deux fondateurs d’Inkle. Tout part d’un concept aussi simple qu’inédit : faire un jeu d’archéologie spatiale. « Le défi était de convaincre le joueur qu’il écrit son récit, à la manière d’un détective qui consigne ses indices dans son calepin. Ici, les indices se cachent dans chaque environnement que vous visitez. L’archéologie permet de jouer avec les échelles : il n’y a rien de plus fort que l’impression de réveiller cinq mille ans d’histoire à partir d’un simple hiéroglyphe. » L’autre grande réussite de Heaven’s Vault, c’est ce sentiment d’improvisation constante – l’expérience découle en permanence de nos pérégrinations. « Le problème de nombreux jeux, c’est qu’ils vous imposent un schéma d’actions à accomplir pour les besoins d’une enquête. Pour nous, c’est tout le contraire : la narration doit se moduler sur nos intuitions et nos choix. Pour mieux nous ressembler. » • YANN FRANÇOIS
— : « Heaven’s Vault »
(Inkle | PC, PS4, Mac)
LIVRES
IL Y AVAIT UN HOMME QUI DEMEURAIT PRÈS DU CIMETIÈRE Si
vous aviez été fils de bonne famille anglaise, inscrit au prestigieux collège d’Eton dans les années 1920, vous auriez eu l’occasion de croiser le principal, le sévère Montague Rhodes James. Médiéviste éminent, spécialiste d’archéologie, d’histoire anglaise, d’histoire biblique et de bibliophilie, ce puits de science était une sommité et une encyclopédie sur pattes, l’archétype du savant à l’ancienne, un homme de cabinet comme on n’en fait plus. Or, il se trouve que, à côté de ses recherches pointues sur l’apocalypse dans l’art ou l’architecture des abbayes anglaises, le bon Montague avait un péché mignon, apparemment moins sérieux : il adorait les histoires de fantômes et, dans le secret de son bureau, il écrivait lui-même des contes horrifiques à sa façon, un peu à l’écart de la tradition gothique anglaise, anticipant plus ou moins les fictions de H. P. Lovecraft. Ce dernier n’a pas caché son admiration, qui lui consacre un chapitre élogieux dans son essai Épouvante et surnaturel en littérature. Joignant sa passion pour les vieux manuscrits à son inclination pour l’étrange et l’horreur, James avait mis au point un canevas narratif type, qu’il déclinait dans presque toutes ses nouvelles : le personnage principal est en général un célibataire érudit, homme de livres et de culture, amateur d’inscriptions latines et de grimoires ; un hasard de la vie le confronte à un mystère historique, au cœur d’un vieux bâtiment isolé – un château, une cathédrale – que l’auteur décrit avec force détails ; bientôt, un spectre
apparaît… Récits-cadres, narrateurs qui en citent d’autres, recours à de vrais-faux documents : toutes les techniques classiques du genre fantastique sont mises à profit dans ces petits bijoux à l’ancienne, tous écrits entre 1904 et 1925, que le temps a recouverts d’une savoureuse patine. En dépit de leur célébrité dans le monde anglo-saxon, les textes de
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Le bon Montague avait un péché mignon : il adorait les histoires de fantômes. Montague Rhodes James n’avaient jamais été traduits en français. C’est désormais chose faite grâce à ce Il y avait un homme qui demeurait près du cimetière, dont le titre, en soi, est déjà un programme. Un second tome est prévu, pour le plus grand plaisir des amateurs. Faites attention en ouvrant ce livre, cet été : les fantômes cachés à l’intérieur ne demandent qu’à s’échapper. • BERNARD QUIRINY
— : de Montague Rhodes James, traduit de l’anglais (L’Éveilleur, coll. Étrange, 238 p.)
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BAUDELAIRE ET APOLLONIE
JE VEUX RENTRER CHEZ MOI
BAINS DE MER, BAINS DE RÊVE
Demi-mondaine, peintre, Apollonie Sabatier fut surtout l’inspiratrice de dix poèmes des Fleurs du mal. Céline Debayle évoque l’amour que lui voua Charles Baudelaire, dans ce premier roman tout en taffetas et soieries, joliment tourné quoiqu’un peu surécrit. • B. Q.
Évoquant la figure d’un ami disparu, Richard, ancien instituteur accroc à la dope, Dominique Fabre compose une sorte de tombeau pour les années 1980 et médite sur le passage du temps. Sa petite musique joue à plein, en mode mineur. Poignant. • B. Q.
Globe-trotter impénitent, Paul Morand a couru le monde dans tous les sens, stylo à la main. Ce gros volume rassemble des récits célèbres, comme Rien que la terre, et toutes sortes de textes introuvables. Tout un monde, toute une époque, et un style inégalable. • B. Q.
(Arléa, 156 p.)
(Stock, 152 p.)
(Robert Laffont, 1 080 p.)
: de Céline Debayle
: de Dominique Fabre
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: de Paul Morand
BD
MALÉFIQUES
Un
— : de Nine Antico (L’Association, 64 p.) —
canapé, un rocking-chair, une table sur laquelle sont posés des sex-toys et deux femmes. Assis, allongé, le nez dans un grog, le duo de trentenaires parle des émois du quotidien et, surtout, de sexe. L’une, cigarette électronique au bec, fine et seins nus, s’ennuie, tergiverse, se masturbe et cherche à tromper l’ennui. L’autre, le ventre rond, attend d’accoucher dans l’inquiétude des premières fois. Des personnages, amies et livreurs, traversent la case qui leur sert de salon et discutent avec elle. Ça parle de porno, des enfants, des règles, des poils, de la féminité, de la masculinité – ça parle de deux femmes qui sont là, de nos jours, dans une société post-« mitou » (selon le terme de l’autrice)… Habituée à saisir le vif de la parole contemporaine, Nine Antico, qui n’est pas à son premier coup d’essai sur le sujet, propose un album sans fard, brut, à la parole libérée, vive, comme son trait, ses couleurs. Un album où l’ampleur joyeuse des bulles rythme, comme rarement, la lecture des planches. • ADRIEN GENOUDET 99
LES ACTUS MK2
FRANCE CULTURE ET MK2 LANCENT
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LE CINÉSONORE
Fermez
les yeux, ouvrez grand les oreilles et faites-vous votre propre film. C’est l’expérience inédite que France Culture et mk2 proposent cet été : l’écoute d’une œuvre en son spatialisé (le son enveloppe l’auditeur grâce à un mixage spécifique) dans une salle de cinéma du mk2 Bibliothèque. Pour une fois, l’écran reste éteint, et c’est dans la pénombre et l’intimité de notre crâne que l’on découvre Le Brasier Shelley, un film sonore de Ludovic Chavarot et Céline Ters, auquel Gaspard Ulliel, Marianne Faithfull, Warren Ellis et Lola Peploe ont notamment prêté leur voix. Un récit tout en échos politiques, poétiques et incendiaires autour de la mort et des mots du poète Percy Bysshe Shelley, retrouvé sans vie en 1822, à l’âge de 29 ans, sur le rivage de Viareggio, en Italie, rongé par le sel et l’eau. Un nouveau format très immersif aux effets surprenants sur l’auditeur,
comme l’explique Frédéric Changenet, ingénieur du son qui a travaillé sur Le Brasier Shelley (voir photographie) : « Quand démarre le film sonore, on ne plonge pas dans l’image, on plonge dans le son ; et, paradoxalement, il y a des images. Des images créées par notre imaginaire, stimulé par les sons qui nous entourent et qui nous sollicitent de toutes parts. Des images d’autant plus fortes qu’elles nous sont propres. » À quoi ressemblera votre film ? Réponse le 4 juillet. • ÉTIENNE ROUILLON
— : « Le Brasier Shelley » de Ludovic Chavarot et Céline Ters, projection unique le 4 juillet à 20 h au mk2 Bibliothèque. • Toutes les informations sur www.mk2.com et www.franceculture.fr
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LE MOT DE LA RÉALISATRICE, CÉLINE TERS « Si l’écriture sonore est, selon Orson Welles, comme le cinéma avec un écran plus grand, le cinéma sonore, ou Cinésonore, est une tentative pour aller physiquement et psychiquement au-devant de ce paradoxe. Grâce aux nouvelles technologies de son immersif, l’écriture sonore apprend à emplir l’espace, pour se déployer autour du spectateur, dans le temps et l’espace, le transformant en spectateur aveugle mais “voyant”. L’écriture cinématographique consiste alors à créer des correspondances entre les sons et l’imaginaire, pour qu’un visage se dessine dans le noir, que des personnages vivent et vibrent, qu’un mouvement surgisse et emporte le spectateur avec lui, que des paysages émergent physiquement dans l’invisible, et que l’intrigue prenne ainsi corps autour du spectateur comme à l’intérieur de lui-même. »
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WWW.VRARLESFESTIVAL.COM
#VRARLESFESTIVAL
DU 1ER JUILLET AU 25 AOÛT 2019
TOUS LES JOURS DE 10H À 19H30
AU COUVENT SAINT-CÉSAIRE
IMPASSE DE MOURGUES, ARLES
LES ACTUS MK2
LE FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE PINGYAO DÉBARQUE À PARIS
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Le Franchissement de Xue Bai (2019)
Venu
de Chine, le festival international du film de Pingyao (PYIFF) fait escale pour quelques jours sur les bords de la Seine et pose ses valises au mk2 Bibliothèque. Six œuvres qui ont marqué les deux premières éditions du PYIFF sont ainsi présentées du 19 au 25 juin, en présence des réalisateurs de la plupart de ces films. Notamment Franchir la frontière, pour lequel Huo Meng s’est vu remettre le prix Fei Mu 2018 du meilleur réalisateur. Le festival a été fondé en 2017 par le cinéaste chinois Jia Zhang-ke (A Touch of Sin, Les Éternels), originaire de la région, avec pour but d’encourager le dialogue entre les communautés cinématographiques de différentes zones du monde, et de promouvoir les jeunes talents du cinéma chinois, le tout dans un écrin impressionnant : la ville ancienne de Pingyao, inscrite au patrimoine mondial de
l’Unesco. Porté par son directeur artistique, Marco Müller, le PYIFF propose chaque année une sélection de films sensibles aux nouveaux courants et aux nouvelles formes de production cinématographique, tout en inscrivant ce cinéma dans une tradition populaire qui fait écho au spectacle de rue. C’est l’idée, chère à Jia Zhang-ke, d’un « festival boutique » dans lequel la projection du film se fait au cœur de la place du village, entre les échoppes du marché. Depuis les rues de la province du Shanxi jusqu’au parvis de la BnF, un pont cinématographique à ne pas manquer. • ÉTIENNE ROUILLON
— : du 19 au 25 juin au mk2 Bibliothèque. Toutes les informations sur www.mk2.com
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DES FILMS RARES
UNE MASTER CLASS
UNE EXPO PHOTO
Tout au long du festival, le public parisien peut découvrir des longs métrages phares des deux premières éditions du PYIFF introduits par leurs auteurs. Une rétrospective des films de Jia Zhang-ke accompagne cette sélection inédite.
Le cinéaste Jia Zhang-ke donne une master class exceptionnelle le 22 juin à 19 h 30, qui sera suivie d’un débat réunissant la plupart des réalisateurs dont les films sont montrés par le PYIFF à Paris : Huo Meng, Tang Yongkang et Zhu Yuanqing.
Le mk2 Bibliothèque présente une exposition de photographies qui racontent l’histoire du festival international du film de Pingyao et du site exceptionnel qui l’accueille. L’installation est accessible pour tout spectateur muni d’un ticket de cinéma.
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AVRIL JUILLET
La plate-forme de financement collaboratif KissKissBankBank fête ses 10 ans. « Dix ans de coolfunding », résume l’entreprise française, autour de son leitmotiv « l’idée, c’est de se lancer ». En dix ans, plus de 35 000 projets ont été financés, dont un hors-série de TROISCOULEURS consacré au groupe The Doors en 2010, à l’occasion de la sortie du film When You’re Strange de Tom DiCillo. Le cinéma a été au cœur de beaux chapitres de cette première décennie de KissKissBankBank (dont le nom fait écho au Kiss Kiss Bang Bang de Shane Black). On peut ainsi citer Demain, le documentaire de Cyril Dion et Mélanie Laurent, ou encore Visages villages de l’artiste JR et de la regrettée Agnès Varda. À qui le tour ? • C. G.
François-Mitterrand Paris 13e I bnf.fr #MondeEnSphères
— : Plus d’infos sur
www.kisskissbankbank.com LE FIGARO MAGAZINE
mk2 SUR SON 31 JUSQU’AU 30 JUIN
MARDI 25 JUIN
VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « Les univers parallèles. »
: mk2 Quai de Loire
CYCLE BOUT’CHOU Pour les enfants de 2 à 4 ans : Le Petit Monde de Leo. 5 contes de Lionni et La Fontaine fait son cinéma ; Le Petit Roi et autres contes et Le Château de sable.
: mk2 Bibliothèque, mk2 Quai de Seine, mk2 Bastille (côté Beaumarchais) et mk2 Gambetta Les samedis et dimanches matins
JUSQU’AU 2 JUILLET
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UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Satyajit Ray : l’anti Bollywood. » Conférence suivie de la projection du Lâche (à réserver en complément de la conférence).
: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h
CYCLE JUNIOR Pour les enfants à partir de 5 ans : La Belle et le Clochard ; Peter Pan.
© D. R.
JEUDI 20 JUIN
La Belle et le Clochard xxxxxxx
© XXXXXXX © MARS FILMS
MARDI 18 JUIN
© LES ACACIAS
La Fontaine fait son cinéma xxxxxxx
© CINÉMA PUBLIC FILMS
à 11 h
UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Woody Allen : entre rires et pleurs. » Conférence suivie de la projection de L’Homme irrationnel (à réserver en complément de la conférence).
: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h
JEUDI 27 JUIN ARCHITECTURE ET DESIGN « L’architecture et la figure de l’architecte au cinéma. »
: mk2 Bibliothèque (entrée BnF) à 20 h
SCIENCES SOCIALES, REGARDS SUR LE MONDE « Tatouages d’Océanie. » Avec Sébastien Galliot du CREDO.
UNE HISTOIRE DE L’ART « La révolution surréaliste. »
: mk2 Odéon (côté St Michel)
à 20 h
: mk2 Beaubourg
à 12 h 30
SAMEDI 29 JUIN
: mk2 Gambetta,
ARCHITECTURE ET DESIGN « Les enjeux écologiques. »
mk2 Bibliothèque
: mk2 Bibliothèque
et mk2 Quai de Loire
(entrée BnF)
L’ART CONTEMPORAIN « Dubaï, une plateforme au Moyen-Orient. »
Les samedis et dimanches
à 20 h
: mk2 Bastille
matins
JEUDI 13 JUIN ARCHITECTURE ET DESIGN « Les nouvelles cathédrales : l’architecture des musées. »
: mk2 Bibliothèque (entrée BnF) à 20 h
UNE HISTOIRE DE L’ART « Entre provocation et humour : Dada. »
: mk2 Beaubourg à 20 h
SAMEDI 15 JUIN L’ART CONTEMPORAIN « Delhi, rêve et réalité. »
(côté Beaumarchais)
UNE HISTOIRE DE L’ART « L’école du Bauhaus. »
à 11 h
: mk2 Beaubourg à 20 h
SAMEDI 22 JUIN L’ART CONTEMPORAIN « Johannesburg, métropole aux mille visages. »
: mk2 Bastille (côté Beaumarchais)
RETROUVEZ TOUS LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES mk2 SUR
à 11 h
LUNDI 24 JUIN
: mk2 Bastille
LUNDI PHILO DE CHARLES PÉPIN « Pourquoi avons-nous plus que jamais besoin de poètes ? » Avec Paul Éluard.
(côté Beaumarchais)
: mk2 Odéon (côté St Germain)
à 11 h
à 11 h
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mk2.com/evenements
LES ACTUS mk2
LES JARDINS D’ÉDEN — : aux alentours de 11 h et 22 h au mk2 Bibliothèque
LE 12 JUIN Porco rosso
LE 14 JUIN Le Voyage de Chihiro LE 15 JUIN Le Château ambulant LE 16 JUIN Ponyo sur la falaise LE 17 JUIN Le vent se lève LE 18 JUIN Le Château de Cagliostro
Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki (2000)
LE JARDIN DES SIMPLES OU LE JARDIN D’AUTEUR —
: aux alentours
LE JARDIN DE L’ENFANCE — : les dimanches après-midi
de 11 h et 22 h au mk2 Beaubourg
au mk2 Parnasse
LES 12, 15 ET 16 JUIN Sibel de Guillaume Giovanetti et Çağla Zencirci
LE 16 JUIN Le Jardinier qui voulait être roi de Kristina Dufková, Vlasta Pospíšilová et David Súkup
LES 13, 14, 17 ET 18 JUIN L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie LES 19, 22 ET 23 JUIN Le Voyage au Groenland de Sébastien Betbeder LES 20, 21, 24 ET 25 JUIN Les Nuits avec Théodore de Sébastien Betbeder
LE 23 JUIN Azur et Asmar de Michel Ocelot
LES SAISONS DE LARS VON TRIER — : aux alentours
de 11 h et 22 h au mk2 Bibliothèque
LES 19, 22 ET 23 JUIN Melancholia LE 20 JUIN Nymphomaniac. Volume 1 LE 21 JUIN Nymphomaniac. Volume 2 LES 24 ET 25 JUIN The House That Jack Built
© LES FILMS DU LOSANGE
OFF
LE 13 JUIN Princesse Mononoké
© STUDIO GHIBLI
LES SAISONS DE HAYAO MIYAZAKI
Melancholia de Lars von Trier (2011)
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EXPOSITION
RANGEMENTS COMPONIBILI, 1967. Design Anna Castelli Ferrieri, Kartell © Simona Pesarini, courtesy Kartell Museo Archive
1960 2020
1967
RANGEMENTS COMPONIBILI ANNA CASTELLI FERRIERI / KARTELL
29.05 – 30.09.2019 Palais de Chaillot – Trocadéro – Paris 16e citedelarchitecture.fr – #ExpoMobilier
L A V I E E S T COM P LI Q U É E , L A S I E N N E E N CO R E P LUS .
C R É AT I O N O R I G I N A L E ¢
TOUS LES ÉPISODES LE 3 JUIN SEULEMENT SUR