TROISCOULEURS #149 Mars 2017

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MARS 2017

NO 1 49 GRATUIT

SANG NEUF

GRAVE DE JULIA DUCOURNAU


CURIOSA FILMS PRÉSENTE

CATHERINE

CATHERINE

FROT

DENEUVE

SAGE FEMME UN FILM DE

© CURIOSA FILMS – VERSUS PRODUCTION – FRANCE 3 CINÉMA © PHOTOS MICHAEL CROTTO

MARTIN PROVOST

AVEC

OLIVIER GOURMET


ÉDITO Une

lycéenne se savonne lascivement dans les douches embuées d’un vestiaire, quand la mousse (blanche, virginale) qui coule sur ses cuisses se teinte de sang. L’ouverture de Carrie au bal du diable de Brian De Palma (1977) annonce la couleur : depuis les premières règles de la jeune Carrie jusqu’au sang de porc déversé sur elle par ses cruels camarades, le film, comme son héroïne, voit rouge. Grand poncif du cinéma d’horreur depuis les années 1970 (L’Exorciste de William Friedkin, La Nuit des masques de John Carpenter…), la puberté qui métamorphose les corps fait peur, surtout chez les filles. Et le trouble érotique qui l’accompagne est largement exploité par les réalisateurs – ce sont, par exemple, les griffes de Freddy Krueger qui surgissent entre les cuisses de Nancy, offerte, alanguie, dans son bain, dans Les Griffes de la nuit de Wes Craven (1985). Transfusée aux films d’horreur depuis l’enfance (lire son interview page 42), Julia Ducournau choisit elle aussi une adolescente en pleine mutation comme héroïne de son premier long métrage, Grave – en même temps que son désir sexuel, Justine se découvre un appétit très littéral pour la chair fraîche. Mais ici, l’éveil des corps est moins prétexte à l’érotisation qu’à la dissection et à la démystification : la tentation est plutôt d’aller voir à l’intérieur, et ainsi de « montrer des corps féminins à travers leur trivialité, avec l’horreur et la drôlerie qui en découlent ». Du sang neuf donc, et par hectolitres s’il vous plait. • JULIETTE REITZER


©Disney

VOUS I N V I T E À U N É V È N E M E N T É T I NC E L A N T !

En 2017, Disneyland® Paris scintille d’un nouvel éclat magique pour célébrer son 25e Anniversaire. Avec CANAL

PREMIER RANG, tentez votre chance pour vivre un événement d’exception : un week-end privilégié plein de surprises, pour des moments inoubliables dans cet univers magique et lors d’une soirée de fête étincelante qui restera gravée dans votre mémoire pour toujours. 25 ans qu’on en rêve ! Uniquement à Disneyland® Paris du 21 au 23 avril 2017.

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POPCORN

P. 10 RÈGLE DE TROIS : PÉNÉLOPE BAGIEU • P. 14 CHRONIQUE : C’EST ARRIVÉ DEMAIN • P. 18 LA NOUVELLE : GARANCE MARILLIER

BOBINES

P. 24 INTERVIEW : ALAIN GOMIS • P. 28 INTERVIEW : JAMES GRAY P. 40 EN COUVERTURE : GRAVE GORE

ZOOM ZOOM

P. 62 L’AUTRE CÔTÉ DE L’ESPOIR • P. 64 WRONG ELEMENTS P. 74 MEAN DREAMS

COUL’ KIDS

P. 86 LA CRITIQUE D’ÉLISE : LES FIANCÉES EN FOLIE • P. 88 L’INTERVIEW DE JULES : KAMEL LE MAGICIEN • P. 90 TOUT DOUX LISTE

OFF

P. 100 CONCERTS : SOFIANE • P. 102 RÉALITÉ VIRTUELLE : SUPERHOT • P. 112 LIVRES : FILS DE GONZO

ÉDITEUR MK2 AGENCY — 55, RUE TRAVERSIÈRE, PARIS XIIE — TÉL. 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : ELISHA.KARMITZ@MK2.COM | RÉDACTRICE EN CHEF : JULIETTE.REITZER@MK2.COM RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE : RAPHAELLE.SIMON@MK2.COM | RÉDACTEURS : QUENTIN.GROSSET@MK2.COM, TIME.ZOPPE@MK2.COM DIRECTION ARTISTIQUE : KELH & JULIEN PHAM contact@kelh.fr / julien@phamilyfirst.com | GRAPHISTE : JÉRÉMIE LEROY COORDINATION IMAGE : ALICE.LEMOIGNE@MK2.COM | SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : VINCENT TARRIÈRE | STAGIAIRE : OLIVIER MARLAS ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : CHRIS BENEY, HENDY BICAISE, LILY BLOOM, AÏNHOA JEAN-CALMETTES, COLINE CLAVAUD-MÉGEVAND, RENAN CROS, ADRIEN DÉNOUETTE, JULIEN DOKHAN, JULIEN DUPUY, MARIE FANTOZZI, YANN FRANÇOIS, HALORY GOERGER, PAULINE LABADIE, VLADIMIR LECOINTRE, GRÉGORY LEDERGUE, STÉPHANE MÉJANÈS, JÉRÔME MOMCILOVIC, WILFRIED PARIS, MICHAËL PATIN, LAURA PERTUY, JULIEN PHAM, POULETTE MAGIQUE, BERNARD QUIRINY, CÉCILE ROSEVAIGUE, ÉRIC VERNAY, ANNE-LOU VICENTE, HERMINE WURM, ETAÏNN ZWER & ÉLISE ET JULES | PHOTOGRAPHES : VINCENT DESAILLY, JULIEN + ADRIEN, FLAVIEN PRIOREAU | ILLUSTRATEURS : PABLO COTS, SAMUEL ECKERT, PABLO GRAND MOURCEL, JEAN JULLIEN, PIERRE THYSS | PUBLICITÉ | DIRECTRICE COMMERCIALE : EMMANUELLE.FORTUNATO@MK2.COM | RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE : STEPHANIE.LAROQUE@MK2.COM CHEF DE PROJET CINÉMA ET MARQUES : CAROLINE.DESROCHES@MK2.COM | RESPONSABLE CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : ESTELLE.SAVARIAUX@MK2.COM | CHEF DE PROJET CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : FLORENT.OTT@MK2.COM TROISCOULEURS EST DISTRIBUÉ DANS LE RÉSEAU LE CRIEUR contact@lecrieurparis.com


INFOS GRAPHIQUES

Dans

KING SIZE

Kong. Skull Island, nouvelle version des aventures de King Kong en salles le 8 mars, les militaires américains ouvrent le feu sur le gorille préféré de Hollywood. En plus de l’armée, qui tente régulièrement de maîtriser le colosse, divers monstres s’en sont pris au primate depuis le film originel de 1933. Devant cet éternel survivant du spectacle XXL, quels combattants sont réellement à la hauteur ? En quelques films emblématiques, bestiaire sélectif des plus spectaculaires ennemis du grand Kong. • OLIVIER MARLAS — ILLUSTRATION : JÉRÉMIE LEROY

Trois T. rex dans King Kong (2005) de Peter Jackson

Mechani-Kong et Gorosaurus dans La Revanche de King Kong (1967) d’Ishirō Honda

Godzilla et une pieuvre géante dans King Kong contre Godzilla (1962) d’Ishirō Honda

Un ours des cavernes et un Nothosaurus dans Le Fils de Kong (1933) d’Ernest B. Schoedsack

ÉMOPITCH

GRAVE DE JULIA DUCOURNAU (SORTIE LE 15 MARS) 6


“UN FILM PUISSANT ET INTRIGANT PORTÉ PAR DES ACTRICES

EXCEPTIONNELLES ”

HHHH

PREMIÈRE

LES FILMS HATARI et LES FILMS D’ICI présentent

ADÈLE HAENEL ADÈLE EXARCHOPOULOS JALIL LESPERT GEMMA ARTERTON NICOLAS DUVAUCHELLE SOLÈNE RIGOT SERGI LÓPEZ ET VEGA CUZYTEK

ORPHELINE ARNAUD DES PALLIÈRES

LE NOUVEAU FILM D’

Design : Laurent Pons / TROÏKA

AU CINÉMA LE 29 MARS


ALAIN DELOIN

UN SUCCÈS FU

POPCORN

INDE ET CHINE Les ingrédients du carton ciné de ce début d’année : du chant, de la danse et de la bonne humeur. Non, il ne s’agit pas de La La Land de Damien Chazelle, mais de Kung-Fu Yoga de Stanley Tong, première coproduction chino-indienne, avec Jackie Chan en tête d’affiche. Sorti début 2017 dans une dizaine de pays dont la Chine, les États-Unis et l’Inde, le film a rapporté plus de 50 millions de dollars en une semaine d’exploitation, se hissant au sommet du box-office international. Un succès phénoménal qui n’est pas qu’une affaire de gros sous – Kung-Fu Yoga est aussi un outil de propagande chinois à destination du public indien. Le pitch semblait pourtant inoffensif : un archéologue chinois part en quête d’un trésor venu de l’ancien royaume indien du Magadha avec l’aide d’une scientifique locale. L’occasion de parcourir la Chine et l’Inde en multipliant les bastons ; mais aussi de faire, en passant, de la promo pour la Belt and Road Initiative (BRI), un projet auto­ routier pharaonique proposé fin 2013 par le président chinois, Xi Jinping, afin de relier l’empire du Milieu au reste de l’Eurasie. Problème : l’Inde ne veut pas de cet axe géant, qui pourrait profiter aux intérêts de son rival pakistanais, et qui représente donc un enjeu géopolitique majeur. C’est là qu’inter ­vient Kung-Fu Yoga : entre deux choré Bollywood et une attaque de tigre en 3D, on a droit à un laïus de la scientifique indienne sur le fameux projet. Un effet de propagande non déguisé qui fait hurler la critique indienne, mais pas le public, qui continue de se ruer dans les salles – sans doute ébloui par le tigre qui cache la forêt. • COLINE CLAVAUD-MÉGEVAND — ILLUSTRATION : JEAN JULLIEN

L’ESSIEU DOUX POLOGNE Fin 2016, Tom Hanks était en tournage en Hongrie. Si aucune info n’a filtré sur le film, on a découvert sur Instagram l’enthousiasme de l’acteur pour un modèle de Fiat-Polski emblématique de l’époque communiste, devant lequel il s’est photographié plusieurs fois avec la légende « j’adore ma nouvelle caisse ». Une fan polonaise l’a pris au mot, et a récolté 2 000 € via une cagnotte web, afin de lui offrir un modèle bleu vintage qui lui sera prochainement envoyé à Los Angeles – l’occasion de frimer sur Mulholland Drive. • C. C.-M.

LA COUR D’ÉCRANS RÉPUBLIQUE DOMINICAINE Présenté mi-janvier à Sundance, Woodpeckers, romance en milieu carcéral signée José María Cabral, est le premier film dominicain sélectionné au prestigieux festival américain. Jolie récompense pour la République dominicaine, qui a fait passer en 2011 une loi de soutien à la création cinématographique, histoire que le pays ne soit plus cantonné à son rôle de décors pour blockbusters (Miami Vice, Jurassic Park…). Depuis, la production est passée de deux films par an (en 2011) à vingt-quatre films par an (en 2016), et a donc accédé à une reconnaissance internationale cette année. • C. C.-M.

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SÉANCE DE RATTRAPAGE

DERNIÈRE SÉANCE

Chaque mois, notre chroniqueur Halory Goerger s’offre une séance de rattrapage. Impressions après La femme qui est partie de Lav Diaz, vu avec une amie plasticienne, en différé. Les plans sont fixes, lourds, et moites. Noirs. Et blancs. Les corps sont calmes. On est bêtement heureux de découvrir la langue et la flore philippine. Elle est belle, cette femme déglinguée mais absolument digne. Avec ses tatouages de taularde, ses balafres, sa rage contenue et son chagrin immense qui nous noient dans l’empathie. Et doucement on est transformé en mère d’une trans épileptique, que l’on répare comme on peut après son viol. On fait ami-ami avec un vendeur d’œufs de cane couvés, dont on se demande si on les aurait mangés. On nettoie une jeune clocharde édentée qui

chante. On fait l’aumône avec un flingue en poche, en se demandant si la revanche peut apaiser la colère quand elle est celle de toute une classe. On se promène sur la plage en discutant avec des prostituées autour du feu. On réconforte des orphelins qui dorment dans des abribus. On se bastonne avec des chiffonnières. On se perd dans Manille en sombrant dans la folie. Je ne sais pas quand tu pleureras, et c’est sans doute ce qui fait la beauté de ce film. Les occasions ne manquent pas, rassure-toi. Mais ce sont des larmes non mécaniques ; personne n’a appuyé sur la glande à coups d’accords mineurs ou de courbes émotionnelles dessinées par la production. Tu dessineras toi-même ton mandala de spectatrice, et tu seras bien. • HALORY GOERGER — ILLUSTRATION : JEAN JULLIEN


RÈGLE DE TROIS

PÉNÉLOPE BAGIEU Trois réalisatrices culottées ? Rokhsareh Ghaem Maghami, la réalisatrice iranienne de Sonita, dont je parle dans ma BD. Elle a suivi une gamine afghane mariée de force qui voulait devenir rappeuse et a même payé de sa poche la caution à ses parents pour que la petite puisse partir et enregistrer son album. Julie Delpy, parce qu’elle a réussi à faire ses films coûte que coûte, quitte à changer de pays, en suivant toujours son instinct, avant qu’on ne crie au génie en France – et il y a de quoi crier au génie. Et puis Penelope Spheeris : en plus d’avoir réalisé l’extraordinaire Wayne’s World il y a pile vingt-cinq ans, elle est hyper rock ’n’ roll et engagée, elle a fait des films indépendants, des clips, des documentaires sur le déclin de la civilisation américaine au travers du heavy metal… Bref, elle est super badass. Vos trois teen movies préférés ? Clueless d’Amy Heckerling (loin devant absolument

tous les autres), Jay et Bob contre-attaquent de Kevin Smith (si ça compte), et Les Beaux Gosses de Riad Sattouf. Trois acteurs ou actrices sur qui vous avez fantasmé, ado ? Ah non, moi, je fantasmais sur des chanteurs, désolée. Mais quand j’étais petite, je voulais me marier avec John Travolta. C’était avant Terre champ de bataille [film de science-fiction sorti en 2000 dans lequel Travolta est méconnaissable en extraterrestre, ndlr] quand même, pour situer. Trois plans sur des petites culottes qui vous ont marquée ? Le bébé qui tombe dans la culotte de la mère de famille catholique quand elle accouche sans s’en rendre compte au début de Monty Python. Le sens de la vie. Le slip de bain avec poutre apparente de Benoît Poelvoorde dans Les Portes de la gloire. Et Michael Fassbender en espèce de

— : « Culottées. Tome 2 » de Pénélope Bagieu (Gallimard Bande Dessinée, 168 p.)

— 10

© MANUEL BRAUN

Le second tome de sa bande dessinée Culottées, florilège de biographies de femmes trop peu connues qui ont fait et font l’histoire, est sorti en janvier. Avec sa verve habituelle, la dessinatrice Pénélope Bagieu a répondu à notre questionnaire cinéphile. slip en cuir dans 300, pour des raisons évidentes. Pouvez-vous vous décrire en trois personnages de fiction ? Betty Rizzo [la lycéenne rebelle, ndlr] dans Grease. Mme Mim [la sorcière déjantée, ndlr] dans Merlin l’enchanteur. Et, même si j’aimerais dire Jessica Rabbit, plutôt Peg, la mère dans la série Mariés, deux enfants. Trois films que vous trouvez insupportables ? Drive, qui m’a donné envie de péter mon siège au cinéma tellement il m’a agacée. Les films avec des plans rapprochés sur Keira Knightley, à l’époque où elle minaudait non-stop. Et la série Penny Dreadful, parce qu’elle est vraiment trop mal écrite. Trois cinéastes avec qui vous rêvez de dîner ? Deux, ça m’ira : les frères Coen. • PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ


UNE VRAIE RÉUSSITE. PLEIN D'HUMOUR. TÉLÉRAMA

UNE SATIRE BRILLANTE, DRÔLE ET CRUELLE. L’OBS

UNE COMÉDIE GRINÇANTE ET IMPITOYABLE. DRÔLISSIME. POSITIF

REMARQUABLEMENT ÉCRIT ET JOUÉ. TRÈS DRÔLE. LES INROCKS

OSCAR MARTÍNEZ

CITOYEN D'HONNEUR

© Illustration : Pierre-Julien Fieux Milkwood © Design : E.DOROT

UN FILM DE MARIANO COHN & GASTÓN DUPRAT


SCÈNE CULTE

GHOST IN THE SHELL

POPCORN

« Quand je flotte, en apesanteur, je deviens une autre. »

En

rapproché, la voit se stabiliser en expulsant l’air de sa bouteille. Juste avant d’émerger, elle ferme les yeux puis les rouvre sur un ciel rougeoyant. Pendant un instant suspendu, le cadre est scindé en deux par la ligne d’eau, entre le bleu turquoise de la mer et l’orange des nuages, créant un effet de miroir par lequel l’héroïne se dédouble. À travers les gouttes qui floutent sa vision, le ciel semble vibrant comme dans un tableau de William Turner. La musique planante de Kenji Kawai laisse place au chant lancinant des mouettes, et la belle cyborg regagne le bateau où l’attend Batou. « Quand je flotte, en apesanteur, je deviens une autre », explique-t-elle, un peu plus tard. Dans un monde où l’âme est devenue une donnée comme les autres, l’humanité fait surface là où on ne l’attendait pas. • MICHAËL PATIN

2029, la cyberdétective Kusanagi et son partenaire, Batou, poursuivent un mystérieux pirate informatique, le Puppet Master, qui menace la sécurité militaire du Japon. Alors qu’un remake sort ce mois-ci, focus sur ce monument de l’animation dont la complexité et la splendeur graphique ont fait se pâmer d’admiration Stanley Kubrick et James Cameron. Ghost in the Shell de Mamoru Oshii est autant l’œuvre d’un philosophe (réflexion vertigineuse sur la conscience) que celle d’un poète, dans laquelle l’action laisse place à la contemplation, la vitesse dialogue avec la lenteur, et qui doit autant à Blade Runner qu’à Andreï Tarkovski. Ainsi, la première scène de poursuite du film laisse place à une séquence presque onirique dans laquelle Kusanagi fait de la plongée en solitaire. La « caméra » descend vers les fonds marins en suivant des bulles d’air, jusqu’à dévoiler, au loin, la plongeuse qui remonte, pieds en l’air et tête en bas. Un second plan fixe la regarde s’éloigner vers la surface. Un troisième,

— : « Ghost in the Shell »

de Mamoru Oshii (1997)

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LES FILMS PELLÉAS ET BANDE À PART FILMS PRÉSENTENT

UN

FILM

DE

JEAN-STÉPHANE

BRON

laflibuste.company

PRODUCTION : PHILIPPE MARTIN ET DAVID THION - COPRODUCTION : LIONEL BAIER, URSULA MEIER, FRÉDÉRIC MERMOUD - IMAGE : BLAISE HARRISON - MONTAGE : JULIE LENA - ASSISTANTE MISE EN SCÈNE : JOANNA CARLINI MONTAGE SON : ETIENNE CURCHOD, JÉRÔME CUENDET - MIXAGE : STÉPHANE THIÉBAUT - DIRECTION DE PRODUCTION : JULIETTE MALLON - PRODUCTION EXÉCUTIVE (SUISSE) : ADRIAN BLASER UNE COPRODUCTION FRANCE-SUISSE LES FILMS PELLÉAS, BANDE À PART FILMS, FRANCE 2 CINÉMA, ORANGE STUDIO, RTS RADIO TÉLÉVISION SUISSE, SRG SSR - AVEC LA PARTICIPATION DE FRANCE TÉLÉVISIONS EN ASSOCIATION AVEC CINÉMAGE 10, PALATINE ÉTOILE 13 - AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION ILE-DE-FRANCE, DE L’OFFICE FÉDÉRAL DE LA CULTURE (DFI SUISSE) - AVEC LA PARTICIPATION DE CINÉFOROM ET LE SOUTIEN DE LA LOTERIE ROMANDE DISTRIBUTION SUISSE : FRENETIC FILMS - DISTRIBUTION FRANCE ET VENTES INTERNATIONALES : LES FILMS DU LOSANGE

LE

5

AVRIL

AU

CINÉMA


C’EST ARRIVÉ DEMAIN

POPCORN

2023

L’ANNÉE OÙ JEAN GABIN RESSEMBLA À UN HÉROS DE MANGA

En

longs cils qui le rendaient kawaii ; elle, avec une corne sur le front, des cœurs rouges et des dauphins bleus qui lui sortaient des yeux. Ou l’inverse, en fonction des séances. Insensibles à tant d’inventivité, quelques hurluberlus s’indignèrent, mais finirent par s’incliner devant l’évidence, le chef-d’œuvre. Au prix d’un Face Swap de génie, L’Arrivée du train en gare de La Ciotat était devenu L’Arrivée de la gare de La Ciotat en train. Transformé en science-fiction ultra spectaculaire, le film des frères Lumière montrait tout un quai se soulever de terre avec sa foule, tracté par une locomotive. Le tout sur fond d’arc-en-ciel. Pour notre plus grand bonheur, cette nouvelle version fut commercialisée et resta en tête des ventes durant sept heures, un record jamais égalé depuis. • CHRIS BENEY — ILLUSTRATION : PIERRE THYSS

direct de l’avenir, retour sur les filtres qui permirent de dépoussiérer le cinéma. Les vieux films avaient fait leur temps. Était vieux tout ce qui restait désespérément muet, en noir et blanc, ou pire, qui ignorait tout de la 5D et de son slogan « quand ça éternue à l’écran, c’est toute la salle qui s’enrhume ! » Cela faisait beaucoup de films, dont on ne savait plus quoi faire… jusqu’à l’arrivée des filtres. Pas d’inventeur à proprement parler, simplement un déplacement de technologie : avec son mobile, le spectateur pouvait désormais ajouter des oreilles de lapin ou de grands yeux de biche aux acteurs à l’écran, exactement comme il le faisait avec les photos de ses amis. Sous les yeux éblouis du public, Jean Gabin et Michèle Morgan pouvaient enfin s’embrasser de la seule manière convenable : lui, avec du rose aux joues, des pupilles dilatées et de

REWIND

MARS 1967

Après être apparue notamment dans La Peau douce, Catherine Duport tient la tête d’affiche du Départ de Jerzy Skolimowski. Depuis, personne ne sait ce qu’est devenue l’actrice. Un lecteur nous a demandé d’enquêter ; on a questionné des boîtes de prod, et même Chantal Goya (qui lui donnait la réplique dans Masculin féminin mais ne s’en souvenait même pas). Sans succès. Alors notre lecteur a fait appel à une voyante qui a « ressenti » que Catherine serait toujours vivante. Si vous savez quoi que ce soit, écrivez-nous ! • Q. G.

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TENDANCE

© WARNER BROS. FRANCE

MONSTRES

Gremlins 2. La nouvelle génération de Joe Dante (1990)

POPCORN

BIEN VU

Jusqu’au 1er avril, la Cinémathèque héberge des monstres en tous genres, à l’occasion de la rétrospective qu’elle consacre à Joe Dante, auteur de séries B devenu maître du cinéma fantastique. Dans l’univers du réalisateur américain, la monstruosité des créatures reflète les tares d’un monde encore plus angoissant et grotesque : le réel. Phénomènes de l’année 1984, les petites bêtes farceuses de Gremlins sont nettement moins nuisibles que les fermetures d’usines, résultat d’un capitalisme débridé qu’incarne à merveille un certain Daniel Clamp dans Gremlins 2. La nouvelle génération (1990). Caricature assumée de Donald Trump, le milliardaire trône en haut d’un immense building tel un rapace. Pleine d’humour et de recul, l’œuvre de Joe Dante livre aussi une vision caustique des médias et du conditionnement des masses : les téléspectateurs de Hurlements (1981), méfiants à l’égard du sensationnalisme de la presse, refusent de croire à l’existence des loups-garous qu’une journaliste leur révèle. Dans Piranhas (1978), c’est avec une audace réjouissante qu’il s’attaque à l’inconscience des vacanciers qui barbotent malgré un danger évident : à la fin de sa relecture déjantée des Dents de la mer, les poissons tueurs charcutent même les enfants… • OLIVIER MARLAS

DÉJÀ VU

PAS VU

Changement d’acteur sous la fourrure d’un habitant d’une galaxie très lointaine. Déjà remplaçant de Peter Mayhew, qui incarnait Chewbacca dans Star Wars depuis 1977, lors des scènes d’action de l’épisode Le Réveil de la Force (2015), le basketteur finlandais Joonas Suotamo campera seul, du haut de ses 2 m 09, le gentil monstre dans le prochain spin-off de la saga, prévu pour mai 2018. Plus bavard que le Wookie, il a exulté sur son compte Twitter. • O. M.

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Les vacances d’un jeune homme noir dans la famille de sa copine blanche virent au cauchemar : dans Get Out, film d’horreur satirique de Jordan Peele (moitié du génial duo comique Key & Peele), le monstre, c’est le racisme. Sorti fin février aux États-Unis, le film y est acclamé par le public et la critique. Ça donne envie ? Oui. Mais aucune sortie française n’est prévue pour le moment. À bon entendeur… • J. R.



LA NOUVELLE

POPCORN

GARANCE MARILLIER

— : « Grave » de Julia Ducournau Wild Bunch (1 h 38) Sortie le 15 mars

Pour

alimenter son jeu dans Grave de Julia Ducournau, où elle campe une étudiante végétarienne prise de pulsions cannibales, elle s’est inspirée d’une panthère. C’est que, derrière son air chétif et ses yeux de faon, la lycéenne parisienne cache un tempérament féroce. C’est d’ailleurs pour qu’elle « aille faire son insolente ailleurs » que sa mère l’inscrit en 2010 au casting de Junior, court métrage gore et kafkaïen de Ducournau sur la mue adolescente. « C’était une impro sur une embrouille de gamin : Julia disait un truc faux sur moi, et je devais la clasher. Sauf que je l’ai vraiment pris pour moi, et que j’ai pété un câble ! » La rencontre fait des étincelles, à tel point que la jeune réalisatrice ne s’encombrera pas de casting pour le rôle principal de Grave, son premier long. Si Garance confie avoir beaucoup en partage avec son personnage (« Je suis hyper entière. Et puis j’essaie de lutter mais j’adore la viande ! »), elle n’a pas son penchant pour l’horreur – « Je suis incapable de regarder L’Exorciste. » • RAPHAËLLE SIMON — PHOTOGRAPHIE : VINCENT DESAILLY 18


Avec ELISABETH VENTURA, PATRICIA PEKMEZIAN Un film de CYRIL MENNEGUN Scénario CYRIL MENNEGUN Produit par BRUNO NAHON Directeur de la photographie THOMAS LETELLIER Étalonnage ELIE AKOKA Chef monteur GUILLAUME GERMAINE 1er assistante réalisateur EVA DENIS Directrice de production JOHANNA COLBOC Directrice de Post Production ASTRID LECARDONNEL Scripte MANON ALIROL Ingénieur du son MARC-O BRULLÉ Mixeur ALEXANDRE WIDMER Une production UNITE DE PRODUCTION En Coproduction avec PICTANOVO Avec le soutien de la RÉGION HAUTS DE FRANCE Avec la participation de CINÉ + et du CENTRE NATIONAL DU CINEMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE En association avec CINÉMAGE 11 Distribution France HAUT ET COURT DISTRIBUTION Ventes internationales PYRAMIDE


L’ILLUMINÉ

POPCORN

TRAFIC VU PAR ALICE METEIGNIER

Couleurs

vives, grands aplats, trait brut : pour notre carte blanche, cette illustratrice de presse et de livres pour enfants a choisi de poser son empreinte sur le film de Jacques Tati. « Ses films sont de vrais ovnis ; dans Trafic [1971, ndlr], les voitures deviennent des personnages à part entière. Je pense souvent à lui quand je dessine, c’est une référence. Je rêve d’illustrer comme il filme, avec cette profusion précise et cet humour impeccable, souvent absurde, toujours dans les détails. » • R. S. (ALICEMETEIGNIER.FR, INSTAGRAM : @ALICEMETEIGNIER) 20


RITA ROGNONI ET RAI CINEMA PRÉSENTENT

DAPHNE SCOCCIA JOSCIUA ALGERI LAURA VASILIU ET VALERIO MASTANDREA GESSICA GIULIANELLI FRANCESCA RISO KLEA MARKU TATIANA LEPORE AVEC LA PARTICIPATION AMICALE D’ANIELLO ARENA

SUJET CLAUDIO GIOVANNESI FILIPPO GRAVINO SCÉNARIO CLAUDIO GIOVANNESI FILIPPO GRAVINO ANTONELLA LATTANZI IMAGE DANIELE CIPRÌ DÉCORS DANIELE FRABETTI COSTUMES OLIVIA BELLINI MUSIQUE ORIGINALE CLAUDIO GIOVANNESI ANDREA MOSCIANESE MONTAGE GIUSEPPE TREPICCIONE PRODUIT PAR RITA ROGNONI ET BEPPE CASCHETTO UNE PRODUCTION PUPKIN PRODUCTION ET IBC MOVIE AVEC RAI CINEMA EN ASSOCIATION AVEC FORTE SRL CINEFINANCE ITALIA SRL A.T.S. SRL CONFORMÉMENT AUX NORMES DU TAX CREDIT PRODUCTEURS ASSOCIÉS VALERIO MASTANDREA GIANNI ZANASI FILM RECONNU D'INTÉRÊT CULTUREL NATIONAL AVEC LE SOUTIEN ÉCONOMIQUE DU MINISTÈRE ITALIEN DES BIENS ET DES ACTIVITÉS CULTURELLES ET DU TOURISME (MIBACT) DIRECTION GÉNÉRALE DU CINÉMA

AU CINÉMA LE 22 MARS


UNITED STATES OF LOVE UN FILM DE

TOMASZ WASILEWSKI SOPHIE DULAC DISTRIBUTION & MAÑANA présentent en coproduction avec TVP S.A., COMMONGROUND PICTURES & FILM VÄST un film de TOMASZ WASILEWSKI , UNITED STATES OF LOVE Avec JULIA KIJOWSKA, MAGDALENA CIELECKA, DOROTA KOLAK, MARTA NIERADKIEWICZ, TOMEK TYNDYK, ANDRZEJ CHYRA & ŁUKASZ SIMLAT Directeur de production ROBERT FELUCH Costumes MONIKA KALETA Maquillage EWA KOWALEWSKA Directiion artistique KATARZYNA SOBASKA & MARCEL SŁAWISKI Son CHRISTIAN HOLM Montage BEATA WALENTOWSKA Image OLEG MUTU RSC Avec soutien de THE POLISH FILM INSTITUTE Coproducteurs ZBIGNIEW ADAMKIEWICZ, ARTUR MAJER, JONAS KELLAGHER, SIMON PERRY, KATARINA KRAVE Produit par PIOTR KOBUS & AGNIESZKA DREWNO Ecrit et réalisé par TOMASZ WASILEWSKI

/FilmUSlove

#FilmUSlove

5 AVRIL

www.sddistribution.fr

PIEFF / © 2016 - MAÑANA SP. Z O.O. - TELEWIZJA POLSKA S.A. - FILM VÄST - COMMONGROUND PICTURES

Pologne, 1990. Les destins croisés de femmes en quête d’amour et de liberté...


TRONCHES ET TRANCHES DE CINÉMA


BOBINES

ALAIN GOMIS

SENSATIONNEL Dans Félicité, Ours d’argent à Berlin, Alain Gomis colle au parcours d’une femme lancée dans l’agitation de Kinshasa, capitale de la RDC, en quête d’argent pour soigner son fils, victime d’un grave accident. Le cinéaste franco-sénégalais (L’Afrance, Andalucia, Aujourd’hui) déploie autour de sa puissante héroïne un univers dense et fiévreux qui fait la part belle à l’imaginaire et aux sensations. Rencontre avec un rêveur terre à terre. 24


Dans Andalucia, vous citiez un discours de Lumumba, figure de l’indépendance du Congo. Que représente pour vous ce pays ? C’est un endroit mythique, comme Cuba ou Haïti. C’est une histoire politique, bien sûr, c’est un pays qui révèle notre monde de plein de manières. C’est un lieu central en Afrique par sa situation géographique, mais c’est aussi un grand pays. C’est-à-dire que le jour où il se met en marche, se structure, ça va être un mastodonte. C’est un endroit d’une puissance potentielle énorme, et déjà d’une culture énorme : il y a une écriture musicale véritable, des plasticiens, des écrivains. La musique du Kasai Allstars [collectif congolais présent dans le film, ndlr] a été mon point d’entrée dans le pays, et en même temps je craignais un peu d’y aller, je me disais : est-ce que ça va être une déception, est-ce que je suis prêt à affronter cette réalité-là, est-ce que je vais y trouver ce que j’espère ? Et c’est exactement ce parcours que raconte le film. C’est difficile de financer un film tourné en République démocratique du Congo, en langue étrangère ? C’est difficile, ouais. Tourner un film en lingala, ça suppose par exemple que je n’ai pas l’avance sur recette du CNC, puisqu’il faut 51 % de langue française pour y avoir droit. Ça signifie donc trouver d’autres sources de financement. Ce film est une coproduction entre la France, le Sénégal, la Belgique, le Liban, le Gabon, l’Allemagne. Kinshasa a une réputation, c’est une ville et un pays qui font un peu peur, il fallait convaincre qu’on pouvait tourner un long métrage là-bas. L’autre difficulté est liée à l’écriture même du film. Et là on rejoint un autre truc, qui est la difficulté pour les films d’auteur d’avoir une narration qui ne soit pas classique. On nous soumet à une oppression dramatique incroyable. C’est pour ça que je me suis attaché au fur et à mesure des années à une vraie indépendance. Le parcours de Félicité dans les rues de Kinshasa est jalonné de violence. Vous l’avez pensé comme un parcours sacrificiel, de mise à nu ? Oui, je l’ai pensé comme un entonnoir, dans lequel on se rapproche de plus en

plus d’elle. Au départ, elle peut paraître un peu agressive, dure, pas forcément très séduisante. Puis on se rend compte à quel point elle est seule ; que sa rectitude, sa droiture se paient par la solitude. Sa difficulté à faire des compromis, qui est aussi ce que j’admire chez elle, est le point central de son problème. Elle a une espèce d’exigence sur la vie qui est irréconciliable avec la vie elle-même. Le film joue beaucoup sur les contrastes, notamment entre les séquences de jour et de nuit, la musique traditionnelle du Kasai Allstars et celle de l’orchestre philharmonique de Kinshasa… J’essaie qu’on soit présent aux choses. Quand on est dans une séquence de nuit, eh bien c’est la nuit ! Donc ça n’a pas de sens de l’éclairer avec des projecteurs partout, je préfère opter pour une caméra ultrasensible et avoir une sensation de nuit – quand t’es pas sûr d’où tu mets les pieds, que t’es obligé de t’abandonner. C’est vrai que c’est un film qui est des deux côtés, du visible et de l’invisible. C’est comme quand tu prends un coup de poing, il y a la phase concrète qui ne dure qu’un quart de seconde, et puis après il y a la digestion, comment tu vis avec. C’est presque là que le coup de poing existe le plus. Pour moi, ça fait partie de notre façon de vivre, on avance un peu en crabe, non ? À la fois dans le réel et dans l’irréel. Félicité est chanteuse au sein du Kasai Allstars, et il y a aussi les scènes de répétition de l’orchestre philharmonique de Kinshasa qui ponctuent le film. La musique est idéale pour retranscrire ce flottement entre le réel et l’irréel ? Absolument. On est où quand on écoute de la musique ? Je suis incapable de répondre à cette question. On est dans ces espaces flottants qui rejoignent le rêve, la pensée, qui sont pour moi les vrais espaces de vie. Un de mes grands plaisirs, c’est de travailler le son. Parfois, en supprimant le son, ou en ne gardant que quelques éléments, l’image prend une espèce de profondeur, ça fait qu’une image passe de quelque chose de très concret à quelque chose qui ne l’est plus du tout. Par exemple, c’est comme si je te filme d’ici mais que le son est tel qu’entendu par quelqu’un qui est là-bas. C’est vachement bien parce que ça permet de ne pas être forcément dans le point de vue de la caméra : le son change le point de vue. Vos films suivent toujours des parcours intimes compliqués, qui se traduisent par des personnages qui arpentent les rues,

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BOBINES

INTERVIEW


BOBINES

ALAIN GOMIS

« On avance un peu en crabe, non ? À la fois dans le réel et dans l’irréel. » bougent beaucoup. Le mouvement est intimement lié à votre manière de voir le cinéma ? Chaque film est différent, et pour celui-là il y a un truc de l’inconfort, de l’étrangeté, du fait que je ne parle pas la langue, que c’est un pays que je découvre en faisant le film. Il fallait dès le départ être souple, aux aguets. Donc caméra épaule, pouvoir tourner à 360 degrés et faire en sorte que tous les accidents soient bienvenus. Construire la matière en même temps qu’on la voit, c’est une sensation… plus j’avance et plus mon plaisir de tourner est immense. Après, le mouvement interne d’un film, qu’est-ce que c’est ? C’est vraiment une question qui m’intéresse. C’est comme trouver le bon angle sur un bateau pour prendre le maximum de vent. Là, on a essayé de suivre le mouvement, de l’accompagner, un peu comme du taï-chi. Mais que devient ce mouvement interne si on le filme de façon plus fixe ? Vos premiers longs métrages traitaient d’identité, de racisme, de ce que signifie être noir ou d’origine immigrée en France (L’Afrance, Andalucia). Vous n’avez plus envie

de porter ce discours politique, de tourner en France ? J’aimerais pouvoir échapper, justement, à cette dialectique-là. On ne peut pas parler pendant cinquante ans, au même endroit, du même problème ; à un moment, il faut avancer. Ce discours, je l’ai porté ; maintenant, pour moi, il y a un truc qui est acquis, et que je veux porter comme acquis. Il y a des retours en arrière qui sont affligeants, et, en même temps, je crois que ça bouge dans la tête des gens. Et ceux qui ont envie d’être à la traîne, laissons-les. C’est plus leur problème que le mien. Continuons d’avancer. Il se trouve que le monde bouge pour de vrai. Pour moi, ce qui est politique aujourd’hui, c’est de montrer l’Afrique telle qu’elle est, ni fantasmée ni idéalisée, mais riche. • PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER PHOTOGRAPHIE : JULIEN + ADRIEN —

: « Félicité » d’Alain Gomis Jour2fête (2 h 03) Sortie le 29 mars

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MARIE CLAIRE

KMBO PRÉSENTE

FLORENCE PUGH

COSMO JARVIS

PAUL H I LT O N

NAOMI ACKIE

ET

CHRISTOPHER FA I R B A N K

THE YOUNG LADY D’APRÈS LE ROMAN DE NIKOLAÏ LESKOV

« LA LADY MACBETH DU DISTRICT DE MTSENSK »

UN FILM DE W I L L I A M O L D R OY D A L I C E B I R C H F O D H L A C R O N I N O ’ R E I L LY

C R E AT I V E E N G L A N D , B B C F I L M S E T B F I P R É S E N T E N T E N A S S O C I AT I O N AV E C O L D G A R T H M E D I A U N E P R O D U C T I O N S I X T Y S I X P I C T U R E S E T I F E AT U R E S F L O R E N C E P U G H C O S M O J A R V I S P A U L H I LT O N N A O M I A C K I E E T C H R I S T O P H E R F A I R B A N K “ L A D Y M A C B E T H ” D I R E C T E U R D E P R O D U C T I O N P E T E S M Y T H S O N D A N J O N E S B E N B A I R D CO I F F U R E & M AQ U I L L AG E S I A N W I L S O N CO S T U M E S H O L LY W A D D I N G T O N D I R E C T E U R D E C A S T I N G S H A H E E N B A I G M O N T E U R N I C K E M E R S O N C H E F D É C O R AT R I C E J A C Q U E L I N E A B R A H A M S D I R E C T E U R D E L A P H OTO G R A P H I E A R I W E G N E R PRODUCTEURS EXÉCUTIFS C H R I S TO P H E R M O L L S T E V E J E N K I N S L I Z Z I E F R A N C K E J I M R E E V E C H R I S TO P H E R G R A N I E R- D E F E R R E ADAPTÉ DU ROMAN DE N I KO L A I L E S KOV P R O D U C T R I C E F O D H L A C R O N I N O ’ R E I L LY S C É N A R I S T E A L I C E B I R C H R É A L I S AT E U R W I L L I A M O L D R O Y D

© I F E AT U R E S L I M I T E D 2 0 1 6

AU C I N ÉM A L E 1 2 AV RI L


BOBINES

JAMES GRAY

ÉPRIS D’AVENTURE Avec The Lost City of Z, l’Américain James Gray quitte New York et l’atmosphère urbaine de ses précédents films (The Yards, Two Lovers…) pour s’enfoncer au cœur de la jungle amazonienne, dans les pas d’un explorateur (Charlie Hunnam) parti au début du xxe siècle à la recherche d’une mystérieuse civilisation perdue. Un récit d’époque âpre et romanesque, inspiré de l’histoire vraie du colonel Percy Fawcett, qui rappelle la puissance du cinéma classique hollywoodien et s’inscrit dans l’œuvre humaniste d’un cinéaste résolument engagé.

Comme Fawcett, vos personnages sont tous des explorateurs qui osent aller au-delà de la morale, des limites, voire des frontières. Absolument. Je fais des films sur la société, à travers le parcours d’un personnage qui l’explore, la questionne, et souvent la remet en cause. J’aime l’idée que mes personnages se détachent du poids de la famille, de la société, et finissent par comprendre quelque

chose d’eux-mêmes, par eux-mêmes ; même si savoir les choses ne rend pas plus heureux. La trajectoire de Percy Fawcett m’intéresse pour ce qu’elle a à dire d’une époque. C’est plus un film d’aventurier que d’aventure, au sens où c’est la trajectoire intime du personnage qui m’intéresse, son rapport au monde. L’histoire de Fawcett me touche parce que c’est avant tout celle d’un conflit de classe. S’il veut à tout prix trouver cette cité perdue, c’est pour revenir triomphant dans cette société anglaise qui le méprise. Au fil du temps, cette revanche sociale prend aussi la forme d’une révolution idéologique. En supposant l’existence de cette civilisation perdue au milieu de la jungle, Fawcett remet en cause la supériorité de l’homme blanc occidental. Je m’attaque à l’arrogance 28


INTERVIEW

C’est donc un film politique ? Mais tous les films sont politiques ! Peut-être que celui-ci l’est plus clairement que mes autres films, du fait notamment de sa dimension historique et authentique, mais il est impensable et impossible de faire du cinéma sans être politique. Même si je ne fais pas des films tracts, en racontant le destin d’une jeune immigrée polonaise qui arrive aux États-Unis dans les années 1920 (The Immigrant), ou en s’intéressant à la mafia (The Yards, La nuit nous appartient), mon cinéma est politique. Comme le cinéma d’Alfred Hitchcock ou de John Ford pouvait l’être. Sueurs froides, ça ne parle que de conflit de classe : James Stewart tombe amoureux d’une bourgeoise. Quand elle meurt et qu’il rencontre son sosie, malheureusement pour lui, c’est une prolétaire. Alors, il la rhabille, la déguise selon ses fantasmes, pour qu’elle corresponde à la classe qui l’excite. Si ça, ce n’est pas politique ! Le personnage de The Lost City of Z, qui remet en cause le conservatisme, défie la bourgeoisie et veut démontrer l’importance des civilisations indigènes, résonne fortement avec les tensions et les dérives de la société occidentale actuelle… Bien sûr, vous avez raison. Même si le film a été pensé et fait bien avant l’arrivée de ce gigantesque connard [« giant asshole », ndlr] à la tête des États-Unis, le fait qu’il sorte dans ce contexte lui donne sûrement une dimension politique encore plus forte. C’est fou de se dire que, aujourd’hui, faire un film humaniste devient un acte de résistance.

La dimension philosophique de votre cinéma prend ici une tournure quasi métaphysique avec cette cité perdue ancestrale dont Fawcett est persuadé avoir trouvé des vestiges au cœur de la jungle bolivienne. Cette cité est-elle symbolique ou réelle ? C’est la question du film, et je ne veux pas y répondre. Je n’ai pas de croyance, je suis quelqu’un de très terre à terre, mais j’aime l’idée qu’une histoire amène plusieurs lectures. Pour certains, peut-être que la trajectoire de Fawcett est mystique. De tous mes personnages, c’est peut-être celui qui questionne le plus le rapport au mystère du monde, parce que son récit est sans réponse. Fawcett a atteint une forme d’immortalité. Mais que reste-il de nous quand on disparaît ? C’était important d’avoir aussi le point de vue de Nina, sa femme [interprétée par Sienna Miller, ndlr], qui l’a attendu pendant des années. Un peu comme Pénélope avec Ulysse dans L’Odyssée. Ça donne une autre facette à cette histoire, plus concrète, et presque plus tragique. Après, concernant la dimension philosophique, c’est aussi parce que je ne m’intéresse pas aux héros. L’échec m’intéresse plus que le succès. Quand on rate, on a deux possibilités : s’arrêter, ou continuer. Et c’est à ce moment-là que l’être humain se retrouve à nu et que quelque chose de décisif et mystérieux se joue. Fawcett sacrifie sa vie, sa famille, pour prouver

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BOBINES

Ça montre aussi, je crois, que la société n’évolue pas. Il doit y avoir encore des tonnes de Fawcett qui se battent aujourd’hui pour essayer d’amener un peu de recul, une mise en perspective sur les choses. Trump, c’est une catastrophe. Mais une catastrophe qu’on aurait pu éviter si on avait écouté ces gens, comme Fawcett aurait dû être écouté en son temps.

occidentale, à cette fausse supériorité que des aventuriers comme Fawcett ont à la fois incarnée et remise en cause.


BOBINES

JAMES GRAY

« Je m’attaque à l’arrogance occidentale, que des aventuriers comme Fawcett ont à la fois incarnée et remise en cause. » au monde qu’il a raison. Je ne sais pas s’il faut le blâmer ou en faire un héros. C’est ce qui en fait un personnage de cinéma. Que ce soit Little Odessa ou The Yard avec le film de gangster, The Immigrant et Two Lovers avec le mélodrame, ou The Lost City of Z avec le film d’aventure, vos films réinventent avec déférence les grands genres du cinéma américain. Vous considérez-vous comme un cinéaste classique ? Si, parce que je crois que le cinéma est encore le meilleur moyen de prendre la parole, mon style est classique, alors oui je suis un réalisateur classique. Je crois au pouvoir des histoires et de la mise en scène. Après, j’ai l’impression d’être très moderne dans mon rapport au genre. The Lost City of Z a l’apparence d’un film d’aventure, mais c’est un leurre. Ce qui m’intéresse, c’est de creuser. Aujourd’hui, le cinéma n’intéresse plus personne, parce que les films manquent de

mystère, de profondeur. La plupart des films contemporains que je vois s’oublient tout de suite. Cherchez dans le cinéma récent un film inoubliable, un film que tout le monde reconnaît grâce à une seule réplique. C’est rare. Les films manquent de sous-texte. On n’a pas envie de les revoir, de se replonger dedans pour y découvrir d’autres choses. Moi, j’essaie de faire des films très denses, trop denses sûrement, mais, à la fin du film, je veux que le public se pose encore plein de questions. Que l’expérience d’être allé au cinéma retrouve du sens et de l’intérêt.

• PROPOS RECUEILLIS PAR RENAN CROS — : « The Lost City of Z » de James Gray StudioCanal (2 h 20) Sortie le 15 mars

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DORIA TILLIER

BOBINES

SATIRE ICÔNE

Dans Monsieur & Madame Adelman, le premier film de Nicolas Bedos, qu’elle a coécrit, Doria Tillier est tour à tour une vieille dame autoritaire, une étudiante coincée, une bombe provocante ou une mère de famille peroxydée. Un art de la caricature et de la satire que revendique l’ex-miss météo piquante du Grand Journal. Rencontre avec une charmante iconoclaste. 32


PORTRAIT départ, l’idée, c’était vraiment de se marrer. » Avec un mélange de spontanéité désarmante et de timidité d’adolescente, Doria Tillier feint la légèreté pour évoquer sa première expérience sur grand écran. À la fois scénariste et rôle principal féminin, la comédienne de 30 ans joue gros avec cette histoire d’amour tordue, provocante et cynique qui règle ses comptes au mythe du grand amour. Durant quarante-cinq ans, on suit Sarah aimer éperdument Victor (Nicolas Bedos), écrivain minable en route vers le succès, et ce malgré les vexations, les tromperies et le poids du temps qui passe. « J’aime les gens qui ne s’excusent pas. Sarah avance, ose, et, même si elle est bourrée de défauts et qu’elle a sûrement tort de rester avec cet écrivain, ce n’est pas une victime. Elle a décidé que, malgré tout, il serait son grand amour, alors elle s’y tient. On peut ne pas être d’accord avec elle, mais c’est ça qui nous intéressait : raconter l’histoire d’un couple insupportable qui s’aime à sa façon. » Recroquevillée dans l’impressionnant fauteuil en rotin façon Emmanuelle qui trône au milieu du salon de son petit appartement parisien, l’actrice défend avec conviction – mais aussi avec une pointe d’inquiétude quant au ressenti du public – les outrances de cette tragi-comédie au ton sardonique, parfois osé voire vulgaire, souvent amer, forgé par le duo au fil d’improvisations quotidiennes. « Quand on est ensemble, on imagine des situations, des dialogues, on joue des scènes pour s’amuser. C’est là que Sarah et Victor sont apparus. » Entre Doria et Nicolas, c’est une histoire qui dure – depuis plusieurs années. Un incessant ping-pong, une complicité matinée de séduction, une guerre des sexes ludique, parfois médiatique, à la source de ce long métrage. À l’écouter, on a l’impression étrange qu’elle et Nicolas ne font qu’un, alter ego réunis par un même humour ravageur, un « mauvais esprit » kamikaze, un goût du jeu permanent. « En ce moment, notre

Un plaisir enfantin du déguisement et du gros mot qui jure avec son allure de mannequin.

nouveau truc, c’est de faire comme si on était dans Faites entrer l’accusé. Je suis Frédérique Lantieri, et Nicolas joue les témoins d’une affaire sordide. On joue à se faire peur. »

ÂME SENSIBLE

Ce goût de la satire, la jeune comédienne l’a peaufiné tout le long de son expérience de miss météo sur Canal+ de 2012 à 2014, exercice périlleux dans lequel il faut savoir être pertinent dans l’impertinence. « Miss météo au Grand Journal, c’était tout ce dont je rêvais. À l’époque, si on m’avait demandé de choisir entre cet exercice de pur divertissement, rapide, précis, et un premier rôle féminin chez Scorsese, j’aurais choisi Canal+ sans hésiter ! » Chaque soir, elle joue des personnages improbables, de Monica Bellucci à Marie-Krystal, la cagole du Sud, et fait passer avec une décontraction désarmante les pires grossièretés et vacheries face à des invités tantôt amusés, tantôt médusés. Un plaisir enfantin du déguisement et du gros mot qui jure avec son allure de mannequin. « Comme je suis très grande, on me remarque tout de suite. C’est mon moyen d’occuper l’espace ! » explique-t-elle, en tortillant ses doigts, l’air gêné. Se revendiquant tout autant comédienne qu’auteure, Doria rêve aujourd’hui d’un seul en scène, elle fourmille de projets tout en sachant que « personne ne l’attend vraiment ». Tandis que résonnent, en fond sonore, sur un tourne-disque vintage, les airs déchirants des Parapluies de Cherbourg, qu’elle ne peut s’empêcher de fredonner, on comprend que l’humour provoc de Doria est peut-être, avant tout, une armure. « J’ai du mal à être naturelle. J’ai besoin d’un texte, d’un rôle. Sur le tournage, c’était plus facile pour moi d’être Sarah à 70 ans avec du maquillage et une perruque que la Sarah de 30 ans, plus proche de moi. » Face à un Nicolas Bedos fidèle à son image médiatique de séducteur hâbleur narcissique et névrosé, Doria révèle avec cette prestation protéiforme un jeu plus nuancé, plus émouvant aussi. Une insolence fragile qui pourrait bien lui ouvrir grand les portes du cinéma français.

• RENAN CROS

PHOTOGRAPHIE : VINCENT DESAILLY

— : « Monsieur & Madame Adelman » de Nicolas Bedos Le Pacte (2 h) Sortie le 8 mars

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BOBINES

« Au


MICROSCOPE

LES LÈVRES DE RUTH Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : de film en film, nous partons ici en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches dans lesquelles s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : une lèvre mordue dans La Piste des géants de Raoul Walsh (1930).

BOBINES

Ruth

est fille de général, et c’est avec une trop belle robe qu’elle a rejoint, dans la poussière et la peur des Indiens, le premier convoi de pionniers en route vers l’Oregon. L’aventure l’effraie et la fait rêver en proportion, tout comme elle redoute autant qu’elle désire Breck, l’éclaireur du convoi. Breck est trappeur, il a déjà vu l’Oregon, il connaît les Indiens. Il est immense, volubile, et ses traits juvéniles sont ceux d’un acteur que l’histoire du cinéma nous a appris à aimer plus vieux, plus lourd et plus sage : c’est John Wayne à 23 ans. Le film, La Piste des géants, est son premier grand rôle. Sitôt quitté les rives du Mississippi, le film suit deux aventures conjointes. L’une, immense et matricielle : celle des pionniers américains jetés dans l’espace sauvage au bout de quoi les attend la Terre promise. L’autre, minuscule

Dans sa robe aux dentelles délicates, Ruth est devenue une petite fille. et éternelle : une fille plaît à un garçon, qu’elle fait mariner aussi longtemps qu’elle parvient à masquer son propre émoi. Le masque se lézarde une première fois quand Breck annonce à Ruth qu’il va devoir prendre de l’avance sur le convoi, et la soulager donc de ses manières de brute, dont elle se plaint depuis le début en faisant valoir son rang. Ruth est accoudée à l’arrière de son chariot, ennobli d’une rangée de couvertures bigarrées : c’est une princesse à son balcon. Plus inquiète que soulagée, la princesse s’ouvre à l’aventurier, lui-même dressé sur son cheval à une hauteur égale : ne court-il

pas un trop grand danger, à frayer seul parmi l’open country ? Et les Indiens ? Mais Breck n’a pas peur, évidemment, et en guise de réponse il lui décrit comme un éden ces terres vierges dont il connaît la beauté au printemps : les arbres si hauts qu’ils semblent vouloir toucher le ciel, l’eau joyeuse des ruisseaux, la lune qui, la nuit, sourit aux aventuriers comme une mère bienveillante. Alors, tandis que la musique monte doucement, le cadre se resserre sur Ruth, qui a détaché son regard de Breck pour vagabonder plutôt dans les visions tirées de sa voix, et qui se tortille malgré elle comme si chaque mot de l’aventurier, chaque image de ce pays de rêve, venait desserrer un peu plus l’étau de sa bonne éducation. Dans sa robe aux dentelles délicates, Ruth est devenue une petite fille, bercée par un conte de fée. Et puis il y a ce geste, qui lui échappe un peu plus que les autres : Ruth, furtivement, se mord la lèvre. Les autres gestes (ses yeux qu’elle ferme comme pour voir mieux le contrechamp imaginaire, ses mains fébriles qu’elle noue sans s’en rendre compte) disent la force du rêve américain, dont cette scène sublime est peut-être la figuration la plus limpide : un corps chancelle sous l’effet d’une fable. Mais la lèvre mordue est d’un autre registre, qui donne à la scène une charge érotique inattendue et lui fait retrouver brusquement son vrai centre. Le contrechamp de rêve qui fait se pâmer Ruth, ce n’est pas tant l’image de la Terre promise que celle, si proche, de son aventurier qu’elle s’interdit de regarder en face. Un autre geste, dans la foulée, finit de la trahir – mais ce n’est pas tout à fait un geste. Breck dit : « Parfois, c’est si beau que je reste allongé là, à écouter le chant des oiseaux, le rire des ruisseaux, et le vent qui rugit comme un orgue dans la forêt. » Et avec les premiers mots, la gorge de Ruth se soulève sous l’effet d’une inspiration trop brusque, comme si la voix de son aventurier lui était entrée directement dans les poumons. • JÉRÔME MOMCILOVIC

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BOBINES

MICROSCOPE

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LE TOKUSATSU

BOBINES

COMBI PARTY

Avec ses emprunts grossiers au Spider-Man de Sam Raimi ou au Chronicle de Josh Trank, Power Rangers, en salles ce mois-ci, a tous les atours du blockbuster hollywoodien formaté. Pourtant, l’univers du film est issu de l’un des pans les plus fous et méconnus de la culture pop japonaise : le tokusatsu, un genre vieux de plus d’un demi-siècle, qui a vu naître des hordes de héros en combinaisons fluo et de monstres grimaçants.

Se

pencher sur l’histoire du tokusatsu depuis l’Occident, c’est parler d’un genre sacrifié, dont les États-Unis et la France des années 1970 n’ont exploité que sporadiquement les représentants les plus embarrassants (la génération gloubi-boulga se souvient probablement avec émotion du très série Z Spectreman), et qui sera, dès la fin des années 1980, carrément phagocyté par l’intervention du producteur israélien Haim Saban. Après s’être construit un petit empire en produisant des chansons pour enfants en France, l’homme d’affaires s’installe aux États-Unis où il vend à Fox Kids un concept qui fera sa fortune : racheter à bas prix des séries japonaises de super-héros masqués et re-tourner les séquences dans lesquelles les personnages sont à visage découvert en employant de jeunes Américains. Les Power Rangers, américanisation de la série japonaise Zyuranger, sont nés, et s’apprêtent à inonder le marché occidental. Saban ne cache pas son absence totale d’estime pour ses créations hybrides. « C’est à mourir de rire

tellement c’est ridicule », déclare-t-il, dans un reportage que lui consacre M6 en avril 2000. Difficile de lui donner tort. La série enfantée par les usines Saban est une bête informe, mais qui n’est pas dépourvue d’éclat – scènes d’action décomplexées, monstres bariolés, et surtout un foisonnement d’effets spéciaux sans équivalent dans la production occidentale. Pour les millions de fans occidentaux des Power Rangers, une question s’impose : quelle est donc la provenance de ce drôle d’objet ?

TRANSMUTATION

Le tokusatsu est un genre cinématographique et surtout télévisuel racontant avec quantité de trucages les exploits de super-héros qui crient « henshin ! » (« transmutation ! ») au moment où ils revêtent leur costume, et défient les plus folles créatures comme, par exemple, un homme-étoile de mer à tête d’Adolf Hitler (dans Kamen Rider X, 1974). Le genre n’est pas né sur un écran, mais dans les kamishibai, des théâtres ambulants de

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© D. R.

Les Power Rangers


DÉCRYPTAGE marionnettes en papier dans lesquels, au début des années 1930, se construit un art du spectacle populaire dont les codes de narration et les thématiques préfigurent le tokusatsu. C’est là qu’apparaît le justicier à tête de mort Ōgon Bat, que l’on retrouvera dans plusieurs films et séries. Sa première apparition sur grand écran date de 1950 avec le film Ōgon Bat. Matenrō no Kaijin. En 1957, Spacement, l’alien déguisé en Terrien Super Giant installe définitivement le genre au cinéma avec L’Invincible Spaceman de Teruo Ishii, tandis qu’un an plus tard naît le premier super-héros cathodique du tokusatsu, Gekkō Kamen, un justicier enturbanné et équipé d’étoiles de ninja en forme de croissant de lune. Le genre prend son envol en 1966 avec la première série de tokusatsu en couleurs, Ultraman, du nom d’un être céleste qui investit le corps d’un humain pour protéger notre Terre. Pour ainsi dire inconnu en Occident, Ultraman est une institution en Asie, qui depuis sa création apparaît chaque année dans un voire plusieurs films et séries. Par bien des aspects, il est le pendant japonais de Superman. Là où l’on a souvent vu dans l’homme d’acier une figure christique, Ultraman incarne la spiritualité japonaise. Le créateur du personnage, le génie des trucages Eiji Tsuburaya, s’inspira d’ailleurs du visage du Bouddha pour créer le masque impassible de son héros. Ultraman ayant prouvé le potentiel commercial du tokusatsu, le genre va connaître dès lors une croissance exponentielle. En 1971, un autre

super-héros superstar apparaît sur les écrans : le motard bionique Kamen Rider. Plus violent, il est l’œuvre de celui qui deviendra LE mangaka du genre, Shōtarō Ishinomori, homologue du Stan Lee de Marvel, qui créera à lui seul des dizaines de personnages tels Kikaider (un robot gentil qui, à ses heures perdues, pousse la chansonnette) ou encore Gorenger, le premier sentai, sous-genre du tokusatsu racontant les aventures d’un groupe de héros colorés dont descendent les Power Rangers. La boucle est bouclée.

PERCHÉ

Genre trivial et souvent fauché, le tokusatsu n’en reste pas moins le parent des arts nobles japonais. Les interprètes des personnages masqués s’inspirent des pantomimes du kabuki et des maîtres du bunraku (une forme de théâtre de marionnettes). L’apparence des créatures pioche souvent dans le foisonnant bestiaire des yōkai, ces monstres légendaires qui hantent les brumes de l’archipel. Et les peintures expressionnistes qui ornent le faciès grimaçant des malandrins rappellent les maquillages du théâtre nō. Mais le tokusatsu révèle aussi ses propres qualités artistiques. Les équipes de production doivent résoudre une équation a priori impossible : offrir le maximum (de monstres, d’explosions, de cascades) avec un budget misérable. Les cinéastes vont donc tout miser sur l’énergie : chaque film ou épisode noie le spectateur sous un flot de mouvements qui compensent la pauvreté des décors

Ultraman

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Gekkō Kamen

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Ces super-héros qui crient « henshin ! » (« transmutation ! ») au moment où ils revêtent leur costume.


et des costumes. Cette rapidité permet aussi d’alterner cascadeurs et maquettes, plans inversés et accélérés, pour donner l’illusion que les personnages accomplissent les prouesses les plus folles. Une tambouille frénétique qui vire parfois au grand n’importe quoi : toutes les lois terrestres semblent abolies, il n’y a plus de gravité, plus d’espace concret, pour tout dire plus de repères ; juste un feu d’artifice d’actions dans lequel s’entrechoquent robots et titans monstrueux. Comme tout univers culturel au long cours, le tokusatsu a connu divers courants. Ainsi, il y a deux décennies, le genre est entré dans ce qu’il convient d’appeler une phase introspective. Le film Kamen Rider the First (2005), par exemple, a tenté une adaptation très réaliste de l’univers déluré du héros motorisé, et la série Akibaranger (du nom d’Akibara, un quartier tokyoïte prisé des geeks), n’est qu’un long commentaire sur l’histoire du genre. Pendant ce temps, en Occident, tandis que Haïm Saban poursuit son travail de sape avec le film Power Rangers (qu’il a produit), quelques artistes comme

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Un des adversaires colorés de Kamen Rider

Guillermo del Toro ou certains designers du studio Marvel se revendiquent comme les admirateurs et légataires du tokusatsu, qui bénéficie aussi d’une visibilité sans précédent grâce à Internet. Il n’empêche que le décalage entre la riche histoire du genre et le temps qu’il lui a fallu pour s’exporter aboutit aujourd’hui à un curieux paradoxe : alors que le tokusatsu rallie de plus en plus de fans occidentaux, au Japon, il arrive en bout de course. Exploitant ad nauseam les mêmes franchises exsangues, le système semble rentrer dans une période d’hibernation créative. Nul doute qu’un créateur déluré saura bientôt nous redonner foi dans ces héros en élasthanne, ces maquettes en carton et ces monstres en caoutchouc. • JULIEN DUPUY

— : «Power Rangers» de Dean Israelite Metropolitan FilmExport (2 h 04) Sortie le 5 avril

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Kamen Rider

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LE TOKUSATSU

Le général Pain dans Akibaranger

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GRAVE GORE 40


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GRAVE

CHAIR AMIE

Bizutée à son entrée en école vétérinaire, une ado végétarienne et candide est forcée de manger de la viande pour la première fois, ce qui lui déclenche une fringale de chair humaine… Retentissante révélation de la dernière Semaine de la critique à Cannes, Julia Ducournau, 33 ans, bouscule le cinéma de genre français avec Grave. Avec un aplomb sans faille, elle a accepté de disséquer les entrailles de ce premier long métrage baroque et cru.

À quand remonte ton goût pour le cinéma de genre ? J’ai découvert l’univers du genre assez jeune. Petite, j’étais très fan de romans gothiques : Edgar Allan Poe, H. P. Lovecraft, Le Moine de Matthew Gregory Lewis… J’ai vu Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper à 6 ans ; à 8 ou 9 ans, la série télé Ça et les Freddy, qui m’ont beaucoup marquée ; et puis Shining de Stanley Kubrick, que j’ai eu le droit de

voir vers 10 ans, mais qui m’a complètement traumatisée ; et mon amour pour David Cronenberg a commencé quand j’ai vu Crash. J’avais 16 ans, je regardais ce film toute seule chez moi, et mon père est rentré : j’étais tellement gênée ! J’avais l’impression d’être prise en train de regarder un porno. 10 ans, c’est jeune pour voir Shining ! C’est plus vieux que le personnage principal ! Mes parents sont très cinéphiles. Pour eux, il y avait des films qu’il fallait voir, parce qu’ils étaient faits par de grands réalisateurs. Ils n’avaient pas de raisons de mettre plus de 42


côté Shining que Barry Lyndon. Ils m’ont fait une très belle éducation cinématographique, je leur en sais gré. Ça a été décisif, quand j’ai passé le concours de La Fémis. Dans l’exercice de scénario que j’ai présenté, il y avait une scène où une personne regardait quelqu’un se faire bouffer par un requin. Ensuite, au grand oral, j’ai beaucoup parlé de Salò ou les 120 Journées de Sodome de Pasolini, que je considère être un film de genre. Je pense que c’est pour ça qu’ils m’ont prise.

Parler de cannibalisme semble un choix assez osé pour un premier long métrage. D’où vient cette idée ? Au cours d’une conversation sur le cannibalisme au cinéma avec Jean des Forêts [devenu le producteur du film, ndlr], je lui ai dit que ça me semblerait intéressant de mettre pour une fois les spectateurs dans les pompes de quelqu’un qui devient cannibale, qui rejette d’abord ce penchant, pour faire comprendre, justement, que les cannibales sont humains. Ce qui nous fait peur, c’est cette potentialité qu’il y a en nous. C’était un beau challenge scénaristique que de conserver l’empathie du spectateur envers ce personnage. À la fin de mon film, l’héroïne a mangé de la chair fraîche, mais je ne pense pas qu’on puisse dire qu’elle est inhumaine. Dans quel genre s’inscrit le film, selon toi ? Je ne considère pas que ce soit un film d’horreur. C’est un crossover entre la comédie, le drame, le body horror. Je dis ça en connaissance de cause, parce que je ne regarde que des films d’horreur. Je ne voulais pas que les gens sautent de leur siège mais qu’ils rient, qu’ils ressentent une forme de malaise et qu’ils pleurent avec ces deux sœurs qui doivent s’arracher l’une à l’autre. Comment as-tu trouvé le bon rythme entre ces différents registres ? C’était beaucoup d’équilibres à trouver, à commencer par celui entre les trois genres du film. L’épine dorsale, c’est la tragédie. Et, évidemment, mes obsessions pour le corps ne pouvaient pas se départir de la grammaire de l’horreur. Je voulais aussi avoir des scènes comiques, parce que le rire permet de ménager l’effroi. Avoir un souffle, mettre les spectateurs à l’aise, et bim !

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GRAVE

les choquer. Mais j’essaye de ne pas être gratuite, c’est très important. Je voulais un film extrêmement tenu, qui fasse l’effet d’une claque. Le cannibalisme est traité de manière ambivalente, à la fois comme une malédiction et comme métaphore de la naissance de la sexualité. Comment as-tu travaillé ce motif ? Le cannibalisme est un mal qui court, mais, pour moi, le véritable mal, c’est le déterminisme familial ou social : l’idée qu’on ne peut pas être autre chose qu’un bizut, qu’on doit avoir une seule sexualité dans la vie… J’essaye de montrer l’inverse, la métamorphose de l’être. Les personnages principaux auraient pu être des mecs, j’aurais parlé du même sujet. Mais c’est un coming of age, ce qui implique une naissance de la sexualité. Sur nos écrans, c’est souvent psychologisé chez la jeune femme : il y a une appréhension, une honte. En tout cas, on n’est que dans la tête. Je voulais montrer une sexualité féminine dans le corps, qui corresponde à un besoin charnel que l’on a tous, pour en finir, une fois de plus, avec les clivages entre hommes et femmes. C’est un rôle exigeant et physique pour l’actrice principale, Garance Marillier (lire p. 18). Comment l’as-tu dirigée ? On avait déjà tourné un court métrage et un téléfilm ensemble, et on est très proches dans la vie. On se fait une confiance absolue, donc on peut aller toujours plus loin. On a une grande exigence l’une vis-à-vis de l’autre. Des scènes qui, pour elle comme pour moi, étaient extrêmement physiques, par exemple quand elle se débat sous les draps contre quelque chose qu’elle ne voit pas, n’ont pas posé problème, parce qu’on en avait parlé avant. Je suis toujours très claire avec mes acteurs. S’il y a des trucs qui les gênent, ils doivent me le dire avant de tourner. Sur le plateau, je n’ai pas fait de vieilles surprises pourries à Garance, genre : « Alors, pour cette scène, il faudrait que tu te mettes complètement à poil. » C’est impossible ! Une fois la transformation de l’héroïne entamée, certaines scènes frôlent la parodie, comme quand elle embrasse son reflet dans le miroir en écoutant à fond « Plus putes que toutes les putes » d’Orties. Certains trouvent Orties drôle ; moi, je trouve surtout ça juste. On pense souvent que, quand une femme est cash, c’est comique, mais quand un rappeur dit « j’vais baiser ma bitch », on le prend au sérieux. C’est pas normal !

Pour moi, cette scène n’est pas parodique. Le côté in your face me fait sourire aussi, mais par rapport à mon personnage, parce qu’elle est jeune et que c’est sa façon d’exprimer sa sexualité. Je trouve ça mignon. La relation entre l’héroïne et sa sœur, qui est au cœur du film, est très intime, parfois crue, et repose sur un dosage subtil entre une grande complicité et une certaine défiance. C’est un amour fusionnel, dévorant, mais jamais sexuel. Ce que je trouve beau, c’est qu’entre deux sœurs il n’y a pas de honte ; c’est comme si on partageait le même corps. On peut roter, pisser ou vomir devant sa sœur. Cette relation me permettait de montrer des corps féminins à travers leur trivialité, avec l’horreur et la drôlerie qui en découlent. Je trouve qu’on ne voit pas assez ça. Tout le monde peut se reconnaître dedans, justement parce que ce n’est pas glamour. Ça me permet aussi de ne pas avoir à expliquer les circonvolutions de leurs relations. Entre sœurs, entre frères, on s’aime, on se déteste, on s’aime à nouveau. Pas besoin de dialogues à la con du style « viens, on va mettre les choses au clair, tu m’as saoulé quand tu m’as parlé comme ça ! » On s’en branle de ce genre de scènes, c’est pas cinématographique, personne veut voir ça.

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BIZUT FUTÉ Plus cérébral qu’il en a l’air, Grave marque la rétine et l’esprit comme un coup de dent dans la peau. Pendant sa première nuit à l’internat de l’école vétérinaire, Justine est forcée par des étudiants d’avancer à quatre pattes au côté de ses congénères de première année pour rejoindre une fête délurée. Qu’est-ce qui différencie les humains des animaux ? Pas grand-chose, laisse entendre la cinéaste, qui trouve dans l’école vétérinaire l’écrin idéal pour interroger la sauvagerie de l’être humain. Propulsée à 16 ans dans cette cage à bestiaux pleine d’hormones, la virginale Justine se découvre un appétit irrésistible pour la chair humaine. Les pulsions de cette surdouée sautent alors la case « cerveau » pour exploser littéralement dans son corps. Julia Ducournau traduit ce vide mental par des plans tirés au cordeau sur des lieux dépeuplés (routes, parkings ou recoins de l’école) précédant de détonants moments d’oubli sanglants ou sexuels. On est déjà mordus du cinéma de cette jeune réalisatrice pleine de belles ambitions. • T. Z .

En septembre dernier, au festival international du film de Toronto, des spectateurs se sont évanouis lors de la projection de Grave. Que penses-tu de l’emballement médiatique sur le film qui a suivi ? Deux spectateurs, sur mille deux cents personnes ! Je suis désolée pour eux, j’ai pris de leurs nouvelles. Ce qu’on en a fait après m’emmerde, parce qu’on a parlé d’un film qui n’est pas le mien. Quand on écrit que c’est un shocker ou que c’est « le plus éprouvant qui ait jamais été fait », tu as envie de répondre : « Allez voir A Serbian Film ou Cannibal Holocaust et après on en reparle. » On s’est un peu rués là-dessus, et ça n’a pas rendu justice au film.

De quoi parlera ton deuxième long métrage ? On sera encore dans le crossover, avec des éléments de genre. Mon personnage principal est une sérial killeuse, mais ce n’est pas l’histoire du film – ça, je ne peux pas encore en parler –, c’est juste ce qu’elle aime faire. • PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ PHOTOGRAPHIE : VINCENT DESAILLY

— : « Grave » de Julia Ducournau Wild Bunch (1 h 38) Sortie le 15 mars

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CANNIBALES

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MANGEZ, CECI ES

Est-il bien raisonnable de manger son prochain ? C’est la question que pose Grave à son héroïne, végétarienne convertie aux délices de la chair humaine. Est-il plus raisonnable de regarder quelqu’un manger son prochain ? C’est la question que le film pose à son spectateur, comme l’ont posée avant lui Cannibal Holocaust, Massacre à la tronçonneuse ou Trouble Every Day. Serions-nous tous, un peu, cannibales ?

En

1963, à Miami, un festin peu coûteux révolutionne l’histoire du cinéma d’horreur. C’est un festin de sang humain, comme l’annonce sans précaution le titre du film, Blood Feast, réalisé pour une bouchée de pain par un spécialiste de l’érotisme pour drive-in, Hershell Gordon Lewis. Les ingrédients viennent d’un film tourné trois ans plus tôt, mais la recette est beaucoup plus radicale. Dans Psychose (Alfred Hitchcock, 1960), une fille était lardée de coups de couteau sous sa douche, et c’est au montage qu’il revenait de trancher dans la chair. À l’entame de Blood Feast, une fille subit le même sort dans son bain mais le couteau se montre en pleine lumière : un bête couteau de cuisine avec, sur sa lame crénelée, un

morceau de viande qui pendouille, obscène. Le tueur lui-même semble ne pas en revenir. De fait, on n’avait jamais vu ça : le cinéma gore est né.

À L’INTÉRIEUR

Ce regard effaré, c’est aussi, cinquante ans plus tard, celui de l’héroïne de Grave face à un doigt amputé dont elle finira par faire une friandise. Dans ce regard où l’horreur le dispute à la gourmandise, il n’y a rien d’autre qu’un miroir tendu à celui du spectateur, qui se repaît du spectacle tout en s’en croyant dégoûté. C’est la formule du gore, qui n’a pas grand-chose à voir avec la peur. Il est significatif à ce titre que Blood Feast inaugure le genre en passant à la cuisine, et 46


que le monstre ici soit un traiteur, découpant ses victimes pour en faire un ragoût. Le cannibalisme est la métaphore idéale du genre lui-même, qui offre au spectateur cette jouissance limpide : consommer, par l’image, de la chair humaine. Et si le genre est si fascinant, c’est qu’en franchissant les limites du corps (comme le porno, qui est né dans les mêmes marges et fleurit sur le même désir de voir à l’intérieur), il interroge brutalement les limites de l’humain – ou de l’idée qu’on s’en fait. Ainsi l’homme, ce n’est que ça : du sang et des viscères, emballés dans un paquet de peau. De ce point de vue, le gore n’est pas marginal, il est parfaitement central au contraire, puisque fidèle au vœu inaugural du cinéma (celui des premiers travaux du physiologiste Étienne-Jules Marey) de comprendre en image le fonctionnement du corps de l’homme. Le spectateur du gore se dévore lui-même par appétit de connaissance : n’est-ce pas ce qu’il faut comprendre de la scène magistrale d’Hannibal (Ridley Scott, 2001) qui voit Ray Liotta déguster sans le savoir son propre cerveau ? Grave, en tout cas, ne l’ignore pas, qui fait de son héroïne une apprentie vétérinaire, après lui avoir

imaginé dans un premier scénario des études de médecine.

BARBARES CIVILISÉS

Mais l’homme n’est pas contenu que dans sa peau, il est habillé de sa culture, et donc de ses tabous. Et c’est cette deuxième peau que vient fendre, aussi, la représentation du cannibalisme. Le cannibale, c’est le sauvage, celui qui par ses mœurs primitives nous conforte a priori dans le sentiment de notre humanité. À moins, comme on le sait depuis Montaigne, qu’il ne nous renseigne au contraire sur notre propre barbarie. C’est le constat que reprend à son compte (mais sans se priver de jouir de l’obscénité du spectacle) l’horreur cannibale qui sévit dans le cinéma italien du début des années 1980. Dans Cannibal Holocaust (Ruggero Deodato, 1980), qui sont les vrais barbares, de la tribu anthropophage ou des reporters qui filment avidement ses rituels infâmes ? Ces films-là sont en vérité bien timides, et très en retard : il y a alors déjà dix ans que le cinéma américain a fait du cannibale l’emblème de la dégénérescence du monde occidental. C’est George A. Romero qui a ouvert la

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ST VOTRE CORPS

Détail de l’affiche de La Nuit des morts-vivants de George A. Romero (1968)

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voie en 1968, avec sa Nuit des morts-vivants : le cannibale désormais ne serait plus l’envers de l’homme civilisé ni un vestige de son histoire, il serait son futur, l’image de son inexorable déclin sous forme d’autodévoration. Zombie le dira explicitement une décennie plus loin : l’homme de l’ère industrielle est celui qui se condamne à se dévorer lui-même comme il consomme ses marchandises. Dans un texte important 1 où il évoque aussi Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) et La colline a des yeux (Wes Craven, 1977), le critique américain Robin Wood a parfaitement identifié la puissance métaphorique de ces cannibales modernes : « Le cannibalisme, écrit-il, représente le summum de la possessivité et, par conséquent, l’aboutissement logique des relations humaines dans le capitalisme. » Image du capitalisme ou simplement de la possessivité ordinaire, le cannibalisme n’est que le scénario extrême d’une emprise. Dans Grave, elle est partout : dans les rites cruels du bizutage, dans le joug qu’exerce une sœur aînée sur sa cadette, ou dans celui des parents. Accueillant sa sœur enfin libérée du cocon familial, l’aînée dit : « Elle t’a bouffée maman, hein ? »

BAISERS, MORSURES

« Nous avons parlé de l’amour. Il est dur de passer de gens qui se baisent à gens qui se mangent. » En inaugurant ainsi l’entrée « Anthropophages » de son Dictionnaire philosophique portatif, Voltaire passe

étrangement à côté d’une évidence. Parce qu’il va de soi que les gens qui se baisent, se mangent. C’est une évidence qu’ont mieux perçue les films de vampires, qui sont à leur manière des histoires de cannibales : derrière tout baiser chemine une morsure, et le sexe, comme forme consentie d’emprise, est un cannibalisme à la portée de tous. C’est l’évidence au cœur de Grave, qui est avant toute chose un récit d’initiation. Abandonnée aux portes de l’âge adulte, Justine, qui ne s’appelle pas pour rien comme l’héroïne ingénue de Sade, doit intégrer deux corps à la fois : celui de l’école vétérinaire et le sien, corps de femme dont elle ignorait jusque-là les appétits qui allaient l’embraser. C’est moins par végétarisme que par innocence que Justine n’imaginait pas avoir le goût de la chair, et le récit gore du film n’est guère plus que la découverte, par une jeune fille, de sa libido. En cela, le film de Julia Ducourneau marche dans un sillon qui est aussi un peu français : peu de films ont aussi bien décrit ce vertige cannibale guettant derrière tout baiser que le Trouble Every Day de Claire Denis (2001). Sous une forme plus légère, Grave a ce mérite d’explorer à son tour cette affliction étrange, mais pas si grave, qui fait s’aimer l’homme tellement fort qu’il se donne envie de se manger. • JÉRÔME MOMCILOVIC

1- « Le retour du refoulé » de Robin Wood, texte paru en 1978 dans le magazine Film Comment, et repris dans l'ouvrage Cauchemars américains. Fantastique et horreur dans le cinéma moderne, sous la direction de Frank Lafond (Éditions du CÉFAL, 2003).

Légende légende légende Béatrice Dalle dans Trouble Every Day de Claire Denis (2001)

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CANNIBALES


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Drew Barrymore dans Santa Clarita Diet (Netflix)

À

l’instar de l’héroïne vorace de Grave, le cannibalisme s’accorde aujourd’hui souvent au féminin, que ce soit au cinéma, à la télé ou dans la littérature. En passe de devenir un petit phénomène mondial du cinéma d’horreur et d’auteur, le film de Julia Ducournau arrive au bon moment : l’époque est à LA cannibale. Si la résurgence de la figure du zombie, depuis le début des années 2000, avec notamment la série The Walking Dead, a remis la barbaque au menu, on observe depuis quelque temps dans la pop culture un appétit certain des personnages féminins pour la chair fraîche. Dans iZombie, sur la chaîne américaine pour ados The CW, une jeune étudiante déguste des cerveaux pour résoudre des enquêtes. Sur Netflix, Drew Barrymore redécouvre dans Santa Clarita Diet le bonheur conjugal et familial en dévorant ses voisins.Pressenti pour le dernier Goncourt, Régis Jauffret imagine dans Cannibales la correspondance culinaire entre une jeune femme et sa belle-mère sur le futur cadavre à partager de l’ex-amant et fils. Aux États-Unis, l’essai Cannibalism. A Perfectly Natural History de Bill Schutt, sorti en février dernier, explore de façon documentée et décalée l’art de dévorer

son prochain chez les animaux et insiste notamment sur la dimension sexuelle et féminine de la pratique (le fameux mythe de la mante religieuse). Gadget horrifique à la mode ? Non, démonstration politique. Pensée du point de vue des personnages féminins, cette faim irrépressible n’est pas vue comme une menace, mais plutôt comme une transformation, une mutation grave et nécessaire pour s’adapter au monde. Sheila, la mère de famille oppressée de Santa Clarita Diet, meurt et renaît cannibale avec un appétit qui fait exploser le carcan de son foyer éteint. À l’image de Grave, la métaphore est certes peu subtile, mais elle est pertinente. Figure sociale commentée, étudiée, scrutée, le corps féminin trouve dans la métamorphose cannibale et le surgissement du gore une libération, une autonomie, une affirmation de soi que les créateurs racontent avec un mélange de jouissance et d’inquiétude. Avec pour arme le grotesque comme électrochoc, ces œuvres sont la réponse cinglante à une pensée réactionnaire qui idéalise le corps féminin. Des œuvres hors norme pour un droit à l’outrance. • RENAN CROS

Le corps féminin trouve dans la métamorphose cannibale une libération.

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© NETFLIX

AU BONHEUR DES OGRESSES


À SUIVRE

SANG NEUF

Le jeune cinéma français n’a plus peur de rien. Ces six cinéastes émergents explorent les recoins sombres et bigarrés du cinéma de genre, mêlant les influences et les audaces – monstres creepy, pénis déchaînés et giclées d’hémoglobine… Ça va saigner. • T. Z.

Please Love Me Forever de Holy Fatma

LÉA MYSIUS

VINCENT LE PORT

Monstre sacré : Charles Laughton Éclosion : Cadavre exquis, hypnotique premier court métrage, dans lequel une petite fille de 8 ans trouve un cadavre de femme qu’elle ramène dans sa cabane pour le laver et l’ausculter. À 27 ans, Léa Mysius s’imprègne de différents genres et mélange les codes pour composer un cinéma inquiet et singulier. En gestation : Le long métrage Ava, actuellement en postproduction, sur une fille de 13 ans qui apprend qu’elle va perdre la vue plus vite que prévu, et qui se situe à la frontière entre naturalisme, conte et film policier.

Monstre sacré : Jacques Tourneur Éclosion : Le Gouffre, sidérant moyen métrage en noir et blanc sur une jeune gardienne de camping en Bretagne qui s’aventure dans l’antre d’un monstre pour retrouver une petite fille sourde. L’éclectique Vincent Le Port, formé à La Fémis, tisse une subtile fable sur l’exclusion, baignée du folklore de sa terre natale. En gestation : Un long métrage, Bruno Reidal, basé sur un fait divers qui a remué le Cantal en 1905 : un séminariste de 17 ans a décapité un enfant de 12 ans avant de se livrer aux autorités et de rédiger ses mémoires.

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EN COUVERTURE HOLY FATMA

BRUCE

Monstre sacré : Tim Burton Éclosion : Please Love Me Forever ausculte la relation toxique entre une jeune albinos solitaire et sa mère, qui remplace des morceaux entiers de son corps pour rester jeune. Pop, démesuré, le court métrage de Holy Fatma ravit par sa mise en scène ambitieuse et son merveilleux teinté d’horreur. En gestation : Dolores, un court métrage tragicomique avec une pointe de fantastique, et Zahra et les morts, un long métrage sur une fillette qui perd brusquement son père puis part le rechercher dans le monde des morts.

© KAZAK PRODUCTIONS

Monstre sacré : David Cronenberg Éclosion : Sweeter than roses, un porno zombie réalisé à La Fémis. Depuis, bruce a dirigé d’ambitieux spots de prévention pour les trans et a continué de travailler sur le porno avec des films courts comme Pornation, montage surréaliste, cul et parfois kitsch d’images fantasmées par un homme qui se masturbe. En gestation : Entre un film d’anticipation zoophile, un péplum queer et une romance humain/machine, bruce travaille sur un court métrage évoquant la résistance d’un couple de femmes artistes contre les nazis sur l’île de Jersey.

© BLAST PRODUCTION

© INSTANT RAY FILMS

Aquabike de Jean-Baptiste Saurel

Un ciel bleu presque parfait de Quarxx

QUARXX

JEAN-BAPTISTE SAUREL

Monstre sacré : Gaspar Noé Éclosion : Un ciel bleu presque parfait, moyen métrage dérangeant sur un ouvrier qui tente de communiquer avec les aliens alors qu’il s’occupe seul de sa sœur handicapée à la campagne. Trash sans être gratuit, le film de Quarxx explore avec acuité la paranoïa à coup d’images qui bousculent. En gestation : L’adaptation en long métrage d’Un ciel bleu presque parfait dont le tournage est prévu cet été, avec toujours le Belge barré Jean-Luc Couchard dans le rôle principal, pour une sortie en salles escomptée en 2018.

Monstre sacré : Quentin Tarantino Éclosion : La Bifle, claque de la Semaine de la critique à Cannes en 2012, a permis à Jean-Baptiste Saurel de se faire un nom. Depuis, ce diplômé en réalisation de La Fémis a accouché d’autres courts métrages (Aquabike, Rétrosexe) qui dynamitent les tabous sexuels à grand renfort de codes de la série B. En gestation : Pop-Corn. La légende du guerrier sexuel, long métrage adapté de La Bifle, soit une « kung-fu comédie sur un traumatisé de la première fois qui va se réconcilier avec ses vieux démons pour réconcilier les sexes ».

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PORTFOLIO

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Boro in the Box de Bertrand Mandico (2011)

Bertrand

Mandico est encore un tout jeune étudiant quand il découvre, émerveillé, le cinéma de Walerian Borowczyk, sulfureux maître du surréalisme qui s’est illustré dans des films érotico-gore aussi inventifs que dérangeants. Comme lui, Mandico commence par l’animation avant de se lancer dans la fabrication de films de genre délirants qui explorent les tabous, mêlant pulsions morbides et érotiques. Un jour, intrigué par ce jeune fan qui a programmé un de ses films dans une carte blanche, « Boro » demande à faire sa connaissance. « Je me suis dégonflé, j’étais hyper impressionné », avoue le Français, qui remet à plus tard. Sauf qu’en 2006, Borowczyk meurt. Trop tôt. Cinq ans plus tard, Mandico réalise son biopic fantasmé, Boro in the Box, ce mois-ci à l’affiche de la première rétrospective française du Polonais, à Beaubourg. Pour nous, il a sondé les échos entre leurs films respectifs. • TIMÉ ZOPPÉ 53


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BORO & MANDICO

© MALAVIDA

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Ligia Branice dans Goto. L’île d’amour de Waleryan Borowczyk (1969)

Elina Löwensohn dans Living Still Life de Bertrand Mandico (2012) « Ligia Branice apparaît dans La Jetée de Chris Marker, mais elle n’a pas travaillé avec beaucoup d’autres cinéastes que Boro. Il avait ce rapport exclusif avec son actrice [qui était aussi son épouse, ndlr] qu’il mettait sur un piédestal. Moi, j’ai connu Elina Löwensohn en tant que spectateur avant de la diriger dans mes films. Dès qu’elle est entrée dans mon cinéma, ça a été très fusionnel. J’aime travailler sur la métamorphose et la confusion des genres, lui faire jouer des hommes. Dans Goto. L’île d’amour de Borowczyk, Ligia incarne une sorte de princesse captive d’un vieux seigneur despote. Pour ma part, je travaille sur des figures féminines dominantes, qui vont de l’avant. C’est plus le mythe de la sorcière qui m’intéresse que celui de la princesse dans la tour. »

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« Dans La Bête, un rapport humain/cheval est sous-entendu, rien n’est montré. La bête qui en résulte est assez flippante. Elle agresse sexuellement une fille, qui finit par la tuer en l’épuisant par le sexe. Dans mon film Notre Dame des hormones, c’est presque l’inverse : deux actrices trouvent une créature qui est sexuée mais pas très agressive et qui devient un objet de désir. La dépendance qu’elles développent envers cette chose révèle leurs angoisses et crée la zizanie entre elles. J’aime jouer avec les frontières et les interdits, mais je ne suis pas pour les prendre de front, comme faire un film sur la zoophilie pour choquer. J’effleure ces questions en essayant de créer des images oniriques, douces, qui interrogent mais qui peuvent aussi provoquer, évidemment. »

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La Bête de Waleryan Borowczyk (1975)

Notre Dame des hormones de Bertrand Mandico (2015) 55


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« Dans Docteur Jekyll et les femmes, l’héroïne épie Jekyll quand il prend un bain pour devenir Hyde. Je trouve cette idée géniale : le bain est un révélateur, ça évoque aussi le cinéma. C’est le film de Boro que je préfère. Il y a même une dimension gay qu’il avait rarement abordée jusque-là. Hyde se tape tout le monde, mais il a un sexe qui tue. C’est une œuvre sur les pulsions meurtrières, qui envoie valdinguer la famille et la bourgeoisie – et aussi sur le voyeurisme. Dans mon film Y a-t-il une vierge encore vivante ?, l’héroïne est une Jeanne d’Arc qu’on aurait punie en lui brûlant les yeux, recouverts ensuite d’un ex-voto. Quand elle l’enlève, ses yeux s’allongent et caressent le corps de vierges capturées sur les champs de bataille, à la recherche de sa virginité perdue. Ses yeux ne cherchent pas à voir mais à toucher. C’est le comble du voyeurisme ! »

Docteur Jekyll et les femmes de Waleryan Borowczyk (1981)

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© ECCE FILMS

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© ARGOS

Y a-t-il une vierge encore vivante ? de Bertrand Mandico (2015)

— : rétrospective Waleryan Borowczyk jusqu’au 19 mars au Centre Pompidou • coffret DVD « Mandico in the Box » (Malavida)

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« LE ROAD MOVIE GRINDR À TRAVERS LES ROUTES DE FRANCE » CHAZ PRODUCTIONS présente

FABIENNE BABE NATHALIE RICHARD LÆTITIA DOSCH LILIANE MONTEVECCHI MARIE FRANCE JEAN-CHRISTOPHE BOUVET BERTRAND NADLER DOROTHÉE BLANCK FLORENCE GIORGETTI MATHIEU CHEVÉ OLIVIER GALINOU EMILIEN TESSIER HAYDÉE CAILLOT FRÉDÉRIC NORBERT

UN FILM DE JÉRÔME REYBAUD

Avec également Raymonde Bel, Hervé Colas, Corinne Courèges, Ugo Bertelli, Pierre Gobert, Hervé Devolder scénario et réalisation Jérôme Reybaud image Sabine Lancelin montage Martial Salomon son Sébastien Eugène, Rosalie Revoyre, Xavier Thieulin chansons originales Léonard Lasry distribution et costumes Didier Dahon décors Isabelle Voisin assistant réalisateur Maxime L’Anthoën chargé de production Alexis Genauzeau directeur de production Christophe Grandière productrice déléguée Elisabeth Perez une production CHAZ Productions en coproduction avec Film Factory, TSF en association avec Cineventure avec la participation du Centre national du cinéma et de l’image animée avec le soutien de Ciclic-Région Centre-Val de Loire en partenariat avec le CNC ventes internationales m-appeal distribution KMBO

LE 15 MARS

CINÉ DATING JEUDI 16 MARS À 21H15 • MK2 BEAUBOURG RENCONTREZ VOTRE " DATE " AU CINÉMA

GAGNEZ UN DÎNER ET UNE NUIT POUR 2 AU C.O.Q HÔTEL

C.O.Q HOTEL PARIS 15 rue Edouard Manet 75013 PARIS


ZOOM ZOOM LES FILMS DU MOIS À LA LOUPE


8 MARS

L’Autre Côté de l’espoir d’Aki Kaurismäki Diaphana (1 h 38) Page 62

Jours de France de Jérôme Reybaud KMBO (2 h 21) Page 68

Monsieur & Madame Adelman de Nicolas Bedos Le Pacte (2 h) Page 32

The Lost City of Z de James Gray StudioCanal (2 h 20) Page 28

Mate-me por favor d’Anita Rocha da Silveira Wayna Pitch (1 h 44) Page 70

Paris pieds nus de Dominique Abel et Fiona Gordon Potemkine Films (1 h 23) Page 68

Grave de Julia Ducournau Wild Bunch (1 h 38) Page 18 et 40

Tombé du ciel de Wissam Charaf Épicentre Films (1 h 10) Page 70

Citoyen d’honneur de Mariano Cohn et Gastón Duprat Memento Films (1 h 57) Page 78

15 MARS

Zoologie d’Ivan I. Tverdovsky Arizona (1 h 27) Page 72

La Confession de Nicolas Boukhrief SND (1 h 56) Page 78

Les Figures de l’ombre de Theodore Melfi 20 th Century Fox (2 h 06)

1 : 54 de Yan England ARP Sélection (1 h 46) Page 80

Miss Sloane de John Madden EuropaCorp (2 h 12) Page 78

De plus belle d’Anne-Gaëlle Daval StudioCanal (1 h 38)

Le Secret de la chambre noire de Kiyoshi Kurosawa Version Originale / Condor (2 h 11) Page 78

Kong Skull Island de Jordan Vogt-Roberts Warner Bros. (1 h 58) Page 87

Wrong Elements de Jonathan Littell Le Pacte (2 h 13) Page 64

Terre de roses de Zaynê Akyol Eurozoom (1 h 26) Page 78

Les Fiancées en folie de Buster Keaton Splendor Films (1 h 17) Page 86

Fantastic Birthday de Rosemary Myers UFO (1 h 20) Page 72

22 MARS


Félicité d’Alain Gomis Jour2fête (2 h 03) Page 24

Pris de court d’Emmanuelle Cuau Ad Vitam (1 h 25) Page 66

Les Mauvaises Herbes de Louis Bélanger Happiness (1 h 45)

Paris la blanche de Lidia Terki ARP Sélection (1 h 26) Page 80

La Vengeresse de Bill Plympton et Jim Lujan Ed (1 h 15) Page 81

Camino a La Paz de Francisco Varone VisioSfeir (1 h 32)

Orpheline d’Arnaud des Pallières Le Pacte (1 h 51) Page 81

United States of Love de Tomasz Wasilewski Sophie Dulac (1 h 44) Page 81

Fixeur d’Adrian Sitaru Damned (1 h 39)

Baby Boss de Tom McGrath 20 th Century Fox (1 h 37) Page 87

Corporate de Nicolas Silhol Diaphana (1 h 35) Page 81

Une vie ailleurs d’Olivier Peyon Haut et Court (1 h 36) Page 80

A United Kingdom d’Amma Asante Pathé (2 h 11)

La Consolation de Cyril Mennegun Haut et Court (1 h 18) Page 81

29 MARS

Fiore de Claudio Giovannesi Paradis Films (1 h 49) Page 80

Jazmin et Toussaint de Claudia Sainte-Luce Pyramide (1 h 41)

P Y R A M ID E p r é s e n t e après

les drôles de poissons-chats

CL A UD I A SA I N T E - LUCE JI MMY JE A N - LOUI S

U N F ILM DE

CL A UD I A SA I N T E - LUCE

11 JANV.

NEW STORY DISTRICT présente

TOMER

TERENCE

PASCAL

Le Serpent aux mille coupures d’Éric Valette New Story District (1 h 46) Page 76

STEPHANE

SISLEY YIN GREGGORY DEBAC

INTERNATIONAL FILM FESTIVAL ROTTERDAM

UN FILM DE

ERIC VALETTE

FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE TORONTO

JAQUECA FILMS présente un film réalisé avec le ESTÍMULO FISCAL A LA PRODUCCIÓN ARTÍCULO 189 DE LA LISR (EFICINE), L’INSTITUTO MEXICANO DE CINEMATOGRAFÍA avec le soutien du FONDO DE INVERSIÓN Y ESTÍMULOS AL CINE FIDECINE une co-production CINE CANÍBAL, SAMPEK PRODUCTIONS et EQUIPMENT & FILM DESIGN : “LA CAJA VACÍA” avec CLAUDIA SAINTE-LUCE, JIMMY JEAN-LOUIS et PABLO SIGAL costumes ANDREA MANUEL décors LÁSZLÓ RAJK, direction artistique CLAUDIO CASTELLI, prise de son AXEL MUÑOZ, son FRÉDÉRIC LE LOUET mixage VINCENT ARNARDI, montage EMMA TUSELL, image MARÍA SECCO producteurs délégués CHRISTIAN KREGEL, ALINA URIBE, ERIC LAGESSE et JIMMY JEAN-LOUIS producteur associé JIM STARK produit par CHRISTIAN KREGEL scénario et réalisation CLAUDIA SAINTE-LUCE

ERIKA SAINTE - CARLOS CABRA - CEDRIC IDO - GERALD LAROCHE - VICTOIRE DE BLOCK - GUILLAUME DESTREM - JEAN-JACQUES LELTE - STEPHANE HENON - LE SERPENT AUX MILLE COUPURES - SCENARIO ET DIALOGUES DOA - ADAPTATION ERIC VALETTE & DOA - D’APRES L’OUVRAGE DE DOA PUBLIE AUX EDITIONS GALLIMARD REALISE PAR ERIC VALETTE - PRODUIT PAR ALEXIS DANTEC & RAPHAEL ROCHER - COPRODUCTEURS SYLVAIN GOLDBERG & SERGE DE POUCQUES - PRODUCTEUR ASSOCIE PIERRE FOULON - PRODUCTRICE EXECUTIVE ELSA RODDE - IMAGE JEAN-FRANCOIS HENSGENS AFC SBC - MONTAGE SEBASTIEN PRANGERE MUSIQUE ORIGINALE MIKE THEIS & CHRISTOPHE BOULANGER - SON ANTOINE DEFLANDRE - CHARLES AUTRAND - ALEK GOOSSE - DECORS CATHERINE COSME - COSTUMES FREDERIQUE LEROY - 1ER ASSISTANT REALISATEUR JEAN-ANDRE SILVESTRO - DIRECTEUR DE PRODUCTION THIERRY CRETAGNE - DIRECTEUR DE POSTPRODUCTION ALEXANDRE ISIDORO UNE PRODUCTION THE FRENCH CONNECTION ET CAPTURE THE FLAG FILMS EN COPRODUCTION AVEC NEXUS FACTORY ET UMEDIA - EN ASSOCIATION AVEC UFUND - AVEC LA PARTICIPATION DE CANAL+ CINE+ 13EME RUE PROXIMUS - AVEC LE SOUTIEN DU TAX SHELTER DU GOUVERNEMENT FEDERAL DE BELGIQUE ET DES INVESTISSEURS TAX SHELTER - AVEC LE SOUTIEN DE LA PROCIREP EN ASSOCIATION AVEC B MEDIA 2014 - BACK UP MEDIA - UFUND - AVEC LE SOUTIEN DE LA REGION OCCITANIE PYRENEES-MEDITERRANEE EN PARTENARIAT AVEC LE CNC - DISTRIBUTION FRANCE NEW STORY - VENTES INTERNATIONALES SND - © THE FRENCH CONNECTION - © CAPTURE THE FLAG FILMS - © NEXUS FACTORY - © UMEDIA

serpent_aff_40x60.indd 1

Brimstone de Martin Koolhoven The Jokers (2 h 25) Page 80

Sage femme de Martin Provost Memento Films (1 h 57) Page 74

5 AVRIL Power Rangers de Dean Israelite Metropolitan FilmExport (2 h 04) Page 36

28/02/17 16:40

L’Opéra de Jean-Stéphane Bron Les Films du Losange (1 h 50) Page 76

Mean Dreams de Nathan Morlando La Belle Company (1 h 42) Page 74


FILMS

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L’AUTRE CÔTÉ DE L’ESPOIR

Six

ans après Le Havre, Aki Kaurismäki retrouve le sujet de l’immigration en Europe. Armé de son caractéristique humour à froid, il entrecroise ici les destins tumultueux d’un Finlandais et d’un réfugié syrien. Sur le quai d’un port, la nuit, une tête émerge d’un tas de charbon. La figure badigeonnée de noir de l’homme qui s’en extraie puis s’éloigne calmement est impossible à identifier. Quand il se nettoie aux bains publics d’Helsinki, des yeux en amande et une peau plutôt claire se dévoilent, sans que cela permette de définir son origine précise. Ce n’est que lorsqu’il se rend au bureau de l’immigration que l’on apprend que Khaled est un réfugié syrien, qui a perdu la trace de sa sœur dans cette Europe qu’ils ont traversée comme des fantômes que tout le monde refusait de voir… L’introduction du film résonne comme une parabole de notre difficulté à regarder les migrants autrement que comme des ombres, à leur donner une véritable identité. De manière plus directe, Aki Kaurismäki brosse le portrait de son second héros, Wikhström, un Finlandais quinquagénaire qui lâche son job de VRP et sa femme alcoolique sur un coup de tête pour racheter une brasserie.

Les trajectoires des deux hommes évoluent longtemps en parallèle, jusqu’à leur rencontre fortuite. Le Finlandais décide alors de cacher le Syrien, qui a vu sa demande d’asile refusée, et de l’employer au noir dans son restaurant, qui peine à faire recette. Si le cinéaste porte un regard empli de respect sur la tragédie de Khaled, il s’en donne à cœur joie pour railler la crise de la cinquantaine de Wikhström, qui tente, avec une équipe de bras cassés, d’attirer de nouveaux clients en s’improvisant tour à tour spécialiste des cuisines japonaise, allemande ou italienne. Sans réinventer le récit d’intégration sociale, Kaurismäki lui donne un nouvel éclat par son humour et sa mise en scène de polar. Ses lumières travaillées donnent plus qu’un visage humain à Khaled, elles l’érigent en statue. À son contact, Wikhström incarne d’abord l’hypocrisie et l’opportunisme – s’il ne rejette pas les migrants, il s’en sert –, avant de céder aux sirènes de l’altruisme. À bon entendeur, semble conclure le cinéaste. • TIMÉ ZOPPÉ

Wikhström incarne d’abord l’hypocrisie et l’opportunisme, avant de céder aux sirènes de l’altruisme.

— : d’Aki Kaurismäki Diaphana (1 h 38) Sortie le 15 mars

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PUISSANT ET DÉRANGEANT. CE FILM M’A FAIT FLIPPER. M. NIGHT SHYAMALAN

PETIT FILM ET ROUGE INTERNATIONAL PRésENTENT

SEXY

LES INROCKUPTIBLES

DÉLIRANT TRANSFUGE

UNE BOMBE TÉLÉRAMA

LE FILM DU MOIS STUDIO CINÉ LIVE

SÉLECTION OFFICIELLE

49e FESTIVAL INTERNATIONAL DU CINÉMA FANTASTIQUE DE CATALOGNE FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE TORONTO 2016

CRÉATION

FILM INTERDIT AUX MOINS DE 16 ANS - CRÉDITS NON CONTRACTUELS

GARANCE MARILLIER ELLA RUMPF RABAH NAÏT OUFELLA

UN FILM DE JULIA

DUCOURNAU

LE 15 MARS


FILMS

ZOOM

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WRONG ELEMENTS

Avec

ce premier documentaire, qui suit d’anciens enfants soldats, l’auteur des Bienveillantes (les mémoires fictives d’un ancien officier SS, prix Goncourt 2006) donne une nouvelle fois la parole aux bourreaux. Sauf que, cette fois, les bourreaux sont aussi des victimes. Geofrey, Mike, Nighty et Lapisa avaient à peine 13 ans quand ils ont été arrachés à leur famille pour rejoindre l’Armée de la résistance du Seigneur (LRA), mouvement de rébellion ougandais formé par Joseph Kony à la fin des années 1980. Quatre jeunes qui ont passé leur adolescence dans le bush à piller et à tuer, mais aussi à être violentés et torturés. Vingt-cinq ans plus tard, le journaliste franco-américain Jonathan Littell vient recueillir leur témoignage, délivrer leur parole, les ramenant en pleine jungle sur les lieux de leurs massacres pour rejouer

des scènes de leur quotidien de soldats, à la manière de Joshua Oppenheimer dans The Act of Killing. Format carré, plans contemplatifs et très composés : le parti pris esthétique est manifeste, mais révélateur – c’est la mise en scène des témoignages et des mémoires qui intéresse avant tout le cinéaste. Quand, avachis à l’arrière d’un pick-up, les anciens soldats se remémorent en riant les meurtres, les viols, les tortures, comme ils évoqueraient leurs souvenirs de vacances, ce qui trouble, c’est moins ce qu’ils racontent que la manière dont ils le racontent, surjouant le détachement comme pour tenir l’atrocité de leurs actes à distance humaine. • RAPHAËLLE SIMON

— : de Jonathan Littell

Le Pacte (2 h 13) Sortie le 22 mars

3 QUESTIONS A JONATHAN LITTELL La question de l’endoctrinement des enfants soldats est toujours très actuelle… Ça fait évidemment écho aux pratiques de Daech, mais le phénomène n’est pas nouveau : en France, la conscription, effective de la fin du xviiie siècle jusqu’aux années 1990, fonctionnait sur le même principe. On envoyait des jeunes hommes tuer et se faire tuer sans leur demander leur avis.

Pourquoi avoir choisi de filmer en 4/3, un format d’image proche du carré ? On a décidé de prendre le contrepied de la vision traditionnelle très kitsch de l’Afrique « National Geographics » – filmée en Scope, avec des couleurs pétantes, au son des tam-tams. On a choisi ce cadre carré, un étalonnage désaturé avec des ciels très gris, et de la musique baroque. 64

Pourquoi recourir à la reconstitution en emmenant les ex-soldats sur le lieu des massacres ? Claude Lanzmann a institué dans son documentaire Shoah ce principe de mise en situation, pour libérer la parole des victimes qui avaient des blocages. C’est toute la mémoire verbale – mais aussi la mémoire physique, des gestes, des corps, des lieux – qui resurgit.



FILMS

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PRIS DE COURT

Virginie

Efira brille dans le troisième long métrage de la trop rare Emmanuelle Cuau, une œuvre âpre et poignante entre portrait de famille et polar. Nathalie arrive à Paris avec ses deux fils, Paul et Bastien, qu’elle élève seule. Elle leur fait croire qu’elle travaille dans une bijouterie alors que le poste lui a échappé. Elle-même ignore que Paul, ado déboussolé, se livre à d’inquiétants trafics. Jusqu’où iront ces petits mensonges en famille ? Six mois après Victoria, Virginie Efira, parfaite, campe de nouveau une femme au bord de la rupture, fragilisée par les connexions dangereuses entre vie personnelle et vie professionnelle. Mais alors que Justine Triet investissait le terrain de la comédie, Emmanuelle Cuau lorgne du côté du polar – avec un impeccable Gilbert Melki à la tête d’un gang

de jeunes délinquants. La réalisatrice de Circuit Carole et de Très bien, merci filme à merveille les personnages en mouvement, les déplacements dans la ville (beaux plans de Paul aux aguets sur ses rollers). Avec un sens aigu de l’observation, et sans pathos, elle saisit le désarroi et le désordre générés par les violences de l’époque (précarité, argent roi). Un gamin de 7 ans attablé seul dans une brasserie, une mère qui triture nerveusement des jouets d’enfant : l’émotion, vraie, surgit à partir de détails, justes. Précision, élégance et sensibilité : ce n’est pas pour rien qu’Emmanuelle Cuau a fait de son héroïne une joaillière. Ses films sont en tout cas des plus précieux. • JULIEN DOKHAN

— : d’Emmanuelle Cuau

Ad Vitam (1 h 25) Sortie le 29 mars

3 QUESTIONS À EMMANUELLE CUAU Aviez-vous des modèles en tête pour ce personnage de mère inquiète mais debout ? J’ai parlé à Virginie de Gloria de Cassavetes, ce personnage qui affronte la mafia avec un gamin – la coiffure de Nathalie est un petit hommage. Je lui ai aussi parlé d’une musique qui me bouleverse, La Moldau de Smetana, d’après le fleuve tchèque du même nom. J’aime ce qui coule, ce qui roule.

Vous filmez des êtres en mouvement, mais, à l’image, c’est une forme de limpidité qui domine… Pour la photo, j’ai fait appel à Sabine Lancelin, dont j’apprécie le cadre et la lumière, car elle sait poser les choses, alors que d’autres auraient voulu accompagner le mouvement du film en allant trop vite. Je voulais prendre le temps, et que la technique ne l’emporte pas sur l’humain. 66

Comme Très bien, merci, ce film témoigne des effets de la violence sociale sur l’individu. Beaucoup de gens vont mal, et dans mes films j’essaie de comprendre pourquoi, en m’attachant à des détails souvent révélateurs de situations douloureuses. Je tenais aussi à aborder la question du pouvoir de l’argent. Je travaille d’ailleurs sur un nouveau scénario intitulé À découvert.



FILMS

PARIS PIEDS NUS

— : de Dominique Abel et Fiona Gordon Potemkine Films (1 h 23) Sortie le 8 mars

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Dans

un Paris magnifié par la poésie burlesque du duo de réalisateurs et interprètes Dominique Abel et Fiona Gordon, une touriste canadienne maladroite (aussi appelée Fiona) rend visite à sa vieille tante Martha. Vraie casse-cou, cette dernière a filé en vadrouille dans la capitale pour échapper au personnel soignant qui s’occupe d’elle. En partant à sa recherche, Fiona rencontre un clochard étourdi qui tombe amoureux d’elle… Depuis quelques longs métrages (L’Iceberg, Rumba, La Fée), Abel et Gordon – en général accompagnés par le cinéaste et acteur Bruno Romy, qui n’est pas de ce nouveau projet – creusent un sillon unique dans le cinéma français. Venant de la scène, inspirés autant par Jacques Tati et Pierre Étaix que par les Deschiens, ces deux clowns pratiquent un comique visuel fantasque, à la fois un peu désuet et ultra attachant. Ce nouveau film séduit par son sens du tempo, son charme bricolé et coloré, mais surtout par sa galerie de personnages naïfs et indisciplinés fondamentalement rétifs à l’ordre. Parmi ceux-ci, il est très émouvant de voir Emmanuelle Riva – qui visiblement s’amuse beaucoup – dans l’un de ses derniers rôles. • QUENTIN GROSSET

JOURS DE FRANCE

— : de Jérôme Reybaud KMBO (2 h 21) Sortie le 15 mars

Ce

qui meut Pierre (Pascal Cervo) sur les routes départementales au volant de sa fringante Alpha Romeo blanche, on ne le sait pas vraiment. Il vient de quitter Paul (Arthur Igual). Sans désir fixe, le Parisien erre de partenaire en partenaire, d’hôtel de province en végétation de rond-point, avec pour seule boussole une appli de drague gay par géolocalisation. Jérôme Reybaud raconte cette odyssée existentialo-sexuelle avec subtilité, humour et tendresse. Certes, les paysages de la France dite périphérique qu’il nous montre paraissent souvent ingrats. Pourtant, ces lieux qu’on se contente habituellement de traverser en vitesse, le cinéaste a le mérite de les regarder frontalement, de leur redonner vie et dignité, tout comme à ses habitants solitaires : ici une voleuse bavarde, là une chanteuse de maison de retraite, ailleurs un jeune provincial attiré par la capitale… À la prévisible galerie de personnages folkloriques nimbés d’une sociologie de surplomb, le cinéaste préfère le parfum indécis de la rencontre. Chacun a ici le temps d’exister, et même de revenir plus tard dans le film, librement. Tel un fantôme bienveillant. • ÉRIC VERNAY

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FILMS

TOMBÉ DU CIEL

— : de Wissam Charaf (Épicentre Films, 1 h 10) Sortie le 15 mars

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Difficile

de décrire Tombé du ciel sans évoquer Après, précédent moyen métrage de Wissam Charaf, également consacré au retour d’un milicien présumé mort pendant la guerre civile libanaise (1975-1990). Calfeutrant la brutalité ambiante par petites touches de dérision, le film jouait d’un équilibre tragi-comique pour souligner l’absurdité d’une violence devenue gagesque. Verdict : du moyen au long métrage peu de changement, si ce n’est que, en passant du cadre étriqué d’un hameau à une métropole indifférente à sa propre démence, l’instantané gagne en précision. La fixité des cadrages et le tranchant du montage annonçaient déjà l’acuité d’un vrai regard, mais l’intention de portraiturer le Liban à l’aune de ses contradictions déploie ici toute son insolence. À l’arrivée, si les gags frisent le comique de répétition, c’est parce que Tombé du ciel enfonce le clou de son constat dérisoire : à Beyrouth, où les attentats sont accueillis dans l’impassibilité générale, où l’on règle ses problèmes de voisinage au lance-roquettes et où les miraculés ne surprennent plus personne, la violence ne serait qu’une blague un peu plus lourde que les autres. • ADRIEN DÉNOUETTE

MATE-ME POR FAVOR

— : d’Anita Rocha da Silveira Wayna Pitch (1 h 44) Sortie le 15 mars

La

Brésilienne Anita Rocha da Silveira compose un teen movie horrifique et pop à l’image aussi léchée que les bouilles de ses héros qui se galochent sans arrêt. La nuit, un meurtrier sévit sur des terrains vagues d’une grande ville brésilienne. Le jour, sur une pelouse baignée de soleil, Bia et sa bande de copines se prélassent et échangent avec désinvolture fantasmes et légendes urbaines morbides. Loin d’être tourmentées par la menace qu’elles savent toute proche, les quatre ados jouent avec et se la renvoient comme un ballon de hand-ball – le sport qui leur sert de défouloir au lycée. Quant à l’amoureux de Bia, qui a du mal à résister à ses baisers voraces dans les recoins sombres, il décide de rejoindre un très kitsch club de prière chrétienne pour calmer ses montées d’hormones et sa mauvaise conscience… La cinéaste prend le parti de ne rien psychologiser, et c’est tant mieux ; elle construit plutôt un kaléidoscope, tout en vibrantes lumières fluo, des pulsions de ces jeunes gens en fleur. Fascinés par le sexe et la mort, ils sont montrés tour à tour comme des zombies se copiant les uns sur les autres et comme des boules d’énergie sanguines et autonomes. • TIMÉ ZOPPÉ

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AU CINÉMA LE 29 MARS

©CARACTÈRES

©PHOTO : DALIA BENAIS – DAY FOR NIGHT


FILMS

ZOOLOGIE — : d’Ivan I. Tverdovsky Arizona (1 h 27) Sortie le 15 mars

ZOOM

ZOOM

Natacha,

employée de zoo solitaire, découvre qu’une queue a poussé dans le bas de son dos. Armé de ce postulat de science-fiction, le jeune cinéaste russe Ivan I. Tverdovsky (Classe à part, 2015) s’est attaché à rendre la protubérance étrangement crédible et réaliste. Sans poils, d’apparence lourde et reptilienne, elle pourrait bien ressembler au reliquat humain d’une queue animale. Source de stigmatisation pour certains (la communauté orthodoxe de la ville, les collègues du zoo), et d’attirance pour d’autres (un jeune radiologiste, fasciné), l’excroissance devient paradoxalement un outil d’émancipation pour Natacha, le premier signe fort d’identité d’une personnalité jusqu’alors très banale. En s’appropriant peu à peu ce corps mutant, la quinquagénaire va conquérir une féminité et un désir sexuel jusqu’alors tus. Emmené par Natalya Pavlenkova, formidable actrice principale, Zoologie combine avec finesse le drame naturaliste et la parabole cruelle sur la différence dans une petite ville asphyxiée par le conservatisme et les superstitions. • PAULINE LABADIE

FANTASTIC BIRTHDAY

— : de Rosemary Myers UFO (1 h 20) Sortie le 22 mars

Jeune

fille introvertie, Greta débarque dans un nouveau collège. Pour faciliter son intégration, ses parents lui organisent une gigantesque fête d’anniversaire qui pourrait bien virer au cauchemar. Plutôt convenu sur le papier, Fantastic Birthday surprend par son humour et sa poésie décalés. Jouant sur la profondeur de champ, les décadrages, la saturation des couleurs et un étrange look rétro, le film nous fait immédiatement basculer dans un monde loufoque très attachant, quelque part entre la mécanique burlesque de Jacques Tati, la sophistication chic de Wes Anderson et le spleen bizarre du cinéma de Spike Jonze. Les influences sont lourdes, mais le film tient le choc en prenant avec une audace réjouissante un joli virage merveilleux. Les yeux écarquillés, on l’observe se transformer en une magnifique fable enfantine peuplée de terreurs, de mystères et de monstres. Les références ne sont pas moins écrasantes (d’Alice au pays des merveilles au cinéma de Hayao Miyazaki), mais tout est ici porté avec une telle grâce qu’on succombe forcément à cette douce et étrange parenthèse enchantée. • RENAN CROS

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FILMS

SAGE FEMME

— : de Martin Provost Memento Films (1 h 57) Sortie le 22 mars

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Comme

dans ses précédents films (Séraphine, Violette), Martin Provost réussit à donner vie à des personnages féminins denses et nuancés qu’il montre à la fois dans leur détresse et dans leur drôlerie. Claire (Catherine Frot), sage-femme à l’air rigide, voit son quotidien chamboulé lorsque Béatrice (Catherine Deneuve), l’ancienne maîtresse de son père, suicidé il y a des décennies, revient dans sa vie. Malade du cancer, Béatrice veut se rapprocher de la fille du seul homme qui a compté dans sa vie… Provost prend un plaisir communicatif à filmer Deneuve (qui, dans ce rôle, évoquerait presque Gena Rowlands) donner vie à une femme anar et agitée, menant une existence à la fois dissolue et aventureuse. De façon très simple, on se délecte en voyant cette grande actrice fumer et boire sans modération – et même choper du jeunot (Quentin Dolmaire, l’acteur principal de Trois souvenirs de ma jeunesse, s’en souviendra sans doute longtemps). Cela suffit amplement pour faire décoller le film, un peu plus plombant dans son versant sociologique et politique, lorsqu’il dépeint la précarité du métier de sage-femme dans des cliniques où seul prime l’intérêt financier. • QUENTIN GROSSET

MEAN DREAMS

— : de Nathan Morlando La Belle Company (1 h 42) Sortie le 5 avril

Mean

Dreams, c’est avant tout un décor : le no man’s land rural du centre des États-Unis, qui a déjà inspiré tout un pan du cinéma américain, des Moissons du ciel de Terrence Malick à Un plan simple de Sam Raimi. C’est là que le jeune paysan Jonas trouve l’amour en la personne de sa nouvelle voisine, Casey, venue s’installer avec son père, adjoint du shérif de la bourgade locale. Mais cet homme d’apparence affable cache un tempérament d’une extrême violence qui pourrait mettre la vie de Casey en danger. Un soir de crise, les tourtereaux décident de prendre la clé des champs, talonnés par le père Fouettard. L’épure graphique des plaines américaines et l’isolement de leurs habitants ont toujours été propices à l’écriture de contes moraux dans lesquels même les chroniques quotidiennes les plus réalistes peuvent muter en allégories. Détournant avec une savoureuse habileté le mythe d’Adam et Ève, Mean Dreams s’apparente ainsi à un conte picaresque tour à tour émouvant et effrayant où l’horreur des situations contraste avec la beauté de ce décor baigné dans des lumières automnales mordorées. • JULIEN DUPUY

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SUNDANCE

TORONTO

© CARACTÈRES

PHOTO : ASHER SVIDENSKY

FILM FESTIVAL

FILM FESTIVAL

TELLURIDE FILM FESTIVAL

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AVR IL un film de

OTTO BELL

CELLULOID DREAMS & ARP SÉLECTION PRÉSENTENT EN ASSOCIATION AVEC 19340 PRODUCTIONS ARTEMIS RISING FOUNDATION IMPACT PARTNERS SHINE GLOBAL ET WARRIOR POETS UN FILM DE OTTO BELL « LA JEUNE FILLE ET SON AIGLE » (« THE EAGLE HUNTRESS ») UNE PRODUCTION KISSIKI FILM ET STACEY REISS PRODUCTION MONTAGE PIERRE TAKAL IMAGE SIMON NIBLETT NARRATION VOIX OFF DAISY RIDLEY CHANSON ORIGINALE SIA PRODUCTEURS MORGAN SPURLOCK JEREMY CHILNICK DAISY RIDLEY MARC H. SIMON DAN COGAN REGINA K. SCULLY BARBARA DOBKIN SUSAN MACLAURY PRODUIT PAR STACEY REISS SHARON CHANG ET OTTO BELL RÉALISÉ PAR OTTO BELL


FILMS

L’OPÉRA

— : de Jean-Stéphane Bron Les Films du Losange (1 h 50) Sortie le 5 avril

ZOOM

ZOOM

Dans

ce documentaire en forme de mosaïque, l’Opéra de Paris est filmé comme un organisme vivant. Jean-Stéphane Bron, qui a suivi la saison 2015-2016, propose une entraînante odyssée à Garnier et Bastille, où règnent la démesure (on assiste à un casting de taureaux), l’exaltation (ce jeune baryton russe qui n’en revient pas d’être là), l’effervescence (quand il faut remplacer en urgence un chanteur souffrant). Habitué aux sujets brûlants (Cleveland contre Wall Street), le cinéaste suisse aurait-il cette fois choisi un terrain neutre ? Pas sûr. De la grève des intermittents au débat sur le prix des places, les désaccords sont parfois majeurs. Si le patron de l’institution, Stéphane Lissner, est sur tous les fronts, la belle idée de Bron est d’accorder à chacun la même place : les artistes comme les artisans, Benjamin Millepied (alors directeur de la danse) comme les mille petites mains. La minute de silence postattentats de novembre vient sortir l’Opéra de sa bulle, tandis que, comme un antidote au désespoir, des écoliers issus de quartiers sensibles s’initient au violon – une scène vibrante au cœur d’une œuvre réellement chorale. • JULIEN DOKHAN

LE SERPENT AUX MILLE COUPURES — : d’Éric Valette

(New Story District, 1 h 46) Sortie le 5 avril

Immersion

près d’une ferme du Sud-Ouest où des trafiquants de drogue affiliés à un cartel colombien croisent la route de paysans haineux et d’un mystérieux motard recherché par la police (Tomer Sisley, à l’apparition fracassante). Sculptée dans chaque recoin d’un terrain de jeu multiple (bar, morgue, village, sentiers isolés), l’atmosphère de ce thriller cultive en permanence ses parts d’ombre : celle qui recouvre, une fois la nuit tombée, les vignes de la petite ville de Moissac ; celle qui menace un témoin gênant enchaîné dans une cave ; ou celle, plus diffuse, qui voile le discernement d’autochtones hostiles à toute présence étrangère. Le récit, adapté d’un roman explosif écrit par DOA – lauréat du Grand prix de littérature policière pour Citoyens clandestins –, confronte tous les personnages à leur incapacité à faire les bons choix, entraînant amis et collègues dans un sillon meurtrier. Distillant habilement l’angoisse, orchestrant les scènes de combats de manière hyper nerveuse, Éric Valette (Une affaire d’État, La Proie) réussit à redynamiser un sous-genre asthmatique du cinéma français : le polar rural. • OLIVIER MARLAS

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" FANTASTIQUE. RÉALISTE. SURRÉALISTE. DIFFÉRENT. "

POSITIF

" FÉROCEMENT MÉLANCOLIQUE. "

LA SEPTIÈME OBSESSION

" UNE FABLE TROUBLANTE. " TRANSFUGE

" ENTRE TCHEKHOV ET CRONENBERG. " 20 MINUTES

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Arizona Distribution


FILMS CITOYEN D’HONNEUR

Récent prix Nobel de littérature, l’Argentin Daniel Mantovani a bâti sa réputation sur les personnages singuliers de ses romans, tous inspirés des habitants de Salas, petite ville dans laquelle il est né. Quand il y revient après trente ans d’exil en Europe, l’enthousiasme, disons, mesuré de certains habitants conduit à une explication de texte comique, entre fiction et réel. • O. M.

— : de Mariano Cohn et Gastón Duprat (Memento Films, 1 h 57) Sortie le 8 mars

LA CONFESSION

Après le très actuel Made in France, sur la formation d’une cellule djihadiste à Paris, Nicolas Boukhrief s’attaque au film d’époque en se penchant sur la rencontre entre un prêtre éclairé et une jeune communiste dans la France occupée. Construit sur leurs discussions pleines de tensions érotiques, le film questionne avec sensibilité la foi et l’amour. • T. Z .

— : de Nicolas Boukhrief (SND, 1 h 56) Sortie le 8 mars

MISS SLOANE

La très charismatique Jessica Chastain incarne une redoutable lobbyiste qui, alors qu’elle appuie une campagne pour la régulation des armes à feu aux États-Unis, doit se défendre dans un procès qui met en cause ses méthodes de travail… S’il est assez bavard, Miss Sloane intrigue par ses rebondissements et la complexité de son personnage principal. • T. Z .

— : de John Madden (EuropaCorp, 2 h 12) Sortie le 8 mars

LE SECRET DE LA CHAMBRE NOIRE

Depuis Door III en 1996, en passant par son chef-d’œuvre Kaïro en 2001, Kiyoshi Kurosawa a sans cesse perfectionné son épatante mécanique de l’apparition spectrale. En témoigne ce premier essai français, dans lequel un adepte de techniques ancestrales de photographie (Olivier Gourmet) va cette fois littéralement exhumer les fantômes du passé. • H. B.

— : de Kiyoshi Kurosawa (Version Originale / Condor, 2 h 11) Sortie le 8 mars

TERRE DE ROSES

Le quotidien d’un groupe de femmes, rebelles armées, dans les montagnes du Kurdistan. Loin du monde et de sa fureur (rien n’est dit du contexte ni de l’objectif : lutter contre Daech), cette première partie champêtre, très belle, s’abîme bientôt dans une seconde qui voit le documentaire plonger dans une obscurité sèche et inquiétante à mesure qu’il s’approche du front. • J. R.

— : de Zaynê Akyol (Eurozoom, 1 h 26) Sortie le 8 mars

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FILMS 1 : 54

Révélation de Mommy de Xavier Dolan, Antoine Olivier Pilon se glisse cette fois dans la peau d’un ado québécois qui s’interroge sur sa sexualité alors qu’il subit le harcèlement d’un groupe de lycéens. Pour se venger, il compte battre leur leader à la course… S’il n’évite pas quelques clichés, le film utilise à bon escient la belle énergie de ses jeunes comédiens. • T. Z .

— : de Yan England (ARP Sélection, 1 h 46) Sortie le 15 mars

BRIMSTONE

En nous contant l’histoire de Liz, jeune femme poursuivie par un prêcheur illuminé à la fin du xixe siècle, Martin Koolhoven revisite le mythe du Grand Ouest américain. D’une durée fleuve, son western mâtiné de thriller se divise en quatre chapitres aux décors distincts. Ses antihéros traversent un monde cruel et ultra violent à la beauté terrifiante. • O. M.

— : de Martin Koolhoven (The Jokers, 2 h 25)

Sortie le 22 mars

FIORE

Au-delà du récit initiatique abordé maintes fois au cinéma, cette chronique adolescente sort de l’ordinaire grâce à la particularité de son environnement : un centre pénitentiaire pour mineurs. Entre les murs, Daphné, 17 ans, arrêtée pour des vols de téléphones commis dans le métro de Rome, s’éveille en douceur au sentiment amoureux. • O. M.

— : de Claudio Giovannesi (Paradis Films, 1 h 49) Sortie le 22 mars

UNE VIE AILLEURS

Hantée par le souvenir de son fils enlevé par son ex-mari il y a plusieurs années, Sylvie (Isabelle Carré) retrouve sa trace en Uruguay. Sur place, elle demande à un assistant social dévoué (Ramzy Bedia) de l’aider, par tous les moyens, à ramener l’enfant en France… La tendresse de la relation qui se noue entre l’éducateur et l’enfant apaise la gravité des enjeux. • O. M.

— : d’Olivier Peyon (Haut et Court, 1 h 36) Sortie le 22 mars

PARIS LA BLANCHE

Rekia (Tassadit Mandi), 70 ans, quitte l’Algérie pour renouer avec Nour, son mari, parti en France il y a presque un demi-siècle sans jamais donner de nouvelles. Débarquant à Paris, elle tente de le convaincre de revenir auprès de sa famille… Tout se joue dans les non-dits dans ce premier long métrage à la mise en scène délicate et pudique. • Q. G.

— : de Lidia Terki (ARP Sélection, 1 h 26) Sortie le 29 mars

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FILMS ORPHELINE

En quatre tableaux, l’auteur de Michael Kohlhaas compose le portrait d’une femme confrontée à la violence des hommes. Face à tant de noirceur, l’imaginaire du spectateur parvient à se frayer un chemin grâce à une idée audacieuse : confier ce même rôle à quatre actrices, dont Solène Rigot, frondeuse, et Adèle Haenel, impressionnante de détermination. • J. Do.

— : d’Arnaud des Pallières (Le Pacte, 1 h 51) Sortie le 29 mars

LA CONSOLATION

Révélés en 2012 par Louise Wimmer, l’actrice Corinne Masiero et le réalisateur Cyril Mennegun se retrouvent dans un film à la modestie surprenante, tourné avec un minibudget, deux acteurs, et à peine plus de dialogues. Par touches impressionnistes et un beau travail sur le son, il dit les états d’âme d’un jeune homme qui retrouve, et perd, sa mère biologique. • J. R.

— : de Cyril Mennegun (Haut et Court, 1 h 18) Sortie le 5 avril

CORPORATE

Investie corps et âme dans son job de responsable des ressources humaines d’une grande entreprise française, Émilie (Céline Sallette) se retrouve seule contre tous quand un employé dont elle a la charge se suicide au bureau… Tendu de bout en bout, ce thriller à charge montre l’entreprise comme une prison déshumanisante avec son lot de manipulations. • T. Z .

— : de Nicolas Silhol (Diaphana, 1 h 35)

Sortie le 5 avril

UNITED STATES OF LOVE

En 1990, au lendemain de l’effondrement du bloc soviétique, quatre femmes polonaises à la vie sentimentale compliquée décident de lâcher prise, au mépris des conventions… Au cœur d’un scénario soigné, récompensé de l’Ours d’agent à Berlin en 2016, les personnages se heurtent au conservatisme ambiant, l’illusion amoureuse reflétant l’illusion politique. • O. M.

— : de Tomasz Wasilewski (Sophie Dulac, 1 h 44) Sortie le 5 avril

LA VENGERESSE

Course-poursuite tarantinesque dans le désert californien, l’animation pulp de Bill Plympton et de Jim Lujan moque une Amérique de motards violents, de malfrats en costume et d’illuminés religieux. Appâté par une rançon, ce vilain petit monde est à la poursuite d’une vengeresse armée jusqu’aux dents et aidée par un fils à maman chasseur de primes. • P. L .

— : de Bill Plympton et Jim Lujan (Ed, 1 h 15) Sortie le 5 avril

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LE TEST PSYNÉPHILE

ES-TU (POUR DE VRAI) INCORRUPTIBLE ?

Une rame de métro déserte, un homme endormi, 1 000 euros qui dépassent de sa poche… Tu le réveilles, évidemment !

ZOOM

ZOOM

Tu le renifles quelques secondes avant de lui niaquer férocement l’oreille.

Tu pries. Quelle est ta meilleure arme ? Toujours avoir un coup d’avance.

Tu lui piques les 1 000 balles sans interrompre ta partie de Candy Crush.

Une kalashnikov. Tes canines et ta candeur (apparentes). Ton heure a sonné, tu dois te confesser…

Quelle héroïne pourrait être ta BFF (si tu ne connais pas l’expression, tu es trop vieux pour faire ce test) ? Penthésilée (l’amazone star qui a mangé par erreur l’amour de sa vie sur le champ de bataille – oups !). Erin Brockovich (la vraie, pas Julia Roberts, hein, tout le monde veut être la BFF de Julia).

Tu exultes (c’est toi qui tires les ficelles…).

« OK, j’ai vu Shakespeare in Love plusieurs fois, et j’étais même plus ado. » « J’aime la chair très fraîche. » « Non, je ne regrette rien. » Qu’est-ce qui t’effraie le plus en ce moment ? Daech.

Jeanne d’Arc. Lorsque tu regardes les informations en ce moment…

Découvrir ta véritable nature. L’homme à la moumoute d’or dont on ne doit pas prononcer le nom.

Tu flippes à mort (comment en est-on arrivé là !!!?).

SI TU AS UNE MAJORITÉ DE : TU ES INCORRUPTIBLE Cours voir le documentaire sensible et maîtrisé de Zaynê Akyol, Terre des roses, (sortie le 8 mars). Le film dresse le portrait poignant de combattantes kurdes engagées contre le groupe État islamique dans les plaines du Kurdistan. Pendant 86 minutes, leur humanité va te faire oublier que le monde vénère des nanas comme Kim Kardashian.

C’EST TOI QUI CORROMPS LES AUTRES Mais il y a une femme plus badass que toi : miss Sloane, l’héroïne éponyme du film de John Madden (sortie le 8 mars) interprétée par Jessica Chastain (je sais, tout ça devient très énervant). Tu peux sortir ton carnet de notes, ses manigances feraient passer les héros de House of Cards pour des enfants de chœur.

TU ES TOTALEMENT CORROMPU(E) ET TU AIMES CA Tu vas adorer mordre ton siège devant le film Grave (sortie le 15 mars). Comme son héroïne, Justine, qui s’abandonne à ses penchants cannibales, tu es grisé(e) par ta récente métamorphose. Étrange, glaçant, inspiré, le premier film de Julia Ducournau revigore le cinéma de genre français.

• LILY BLOOM — ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL 82




LE TROISCOULEURS DES ENFANTS


LA CRITIQUE D’ÉLISE, 8 ANS

COUL' KIDS

© D. R.

LES FIANCÉES EN FOLIE

« C’est l’histoire d’un homme qui apprend qu’il recevra 7 millions de dollars s’il arrive à se marier. Du coup, il est poursuivi par des milliers de fiancées qui veulent l’épouser. Moi, je ne ferais pas comme elles. Je m’en fiche un peu de l’argent, du moment que j’ai des amis. En tout cas, le héros fait des trucs incroyables pour échapper aux épouses – à mon avis, il a travaillé dans un cirque avant de tourner dans ce film. Maintenant que je connais quelques dates, je dirais que Les Fiancées en folie se déroule durant l’année 1896. On le voit parce que : déjà, il y a des voitures à vapeur ; ensuite on dirait que toute la vie des femmes est une grande fête, car elles portent toujours des vêtements de bal ; et puis Les Fiancées en folie est en noir et blanc, et muet, parce que, dans les films de l’époque, on n’avait pas de caisse enregistreuse de sons, et ils remplaçaient les paroles par des écriteaux. Mais le son et la couleur ne m’ont pas manqué ; au contraire même, comme ça on imagine ce que l’on veut. Et puis, c’est très pratique pour les sourds et muets. »

LE PETIT AVIS DU GRAND Les Fiancées en folie s’articule autour des deux principaux talents de Buster Keaton : tandis que la première partie joue sur le côté clown triste de l’acteur, avec une pétillante parodie de comédie romantique, le second acte est une course-poursuite ébouriffante au cours de laquelle Keaton enchaîne certaines des cascades les plus inventives de sa carrière. Cette succession de tours de force préfigure à la fois les maîtres du cinéma d’action (on pense très fort à Jackie Chan) et les jeux vidéo de type Mario Bros., tous deux descendants directs de ce maître du cinéma. • JULIEN DUPUY

— : « Les Fiancées en folie » de Buster Keaton Splendor Films (1 h 17) Ressortie le 8 mars Dès 4 ans

COMPOSE LE MOT MYSTÈRE À PARTIR DES LETTRES DE COULEURS CACHÉES DANS LE TEXTE : ________ 86


CINÉMA

Titre du film : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nom du réalisateur : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Résume l’histoire : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ................................................................. ................................................................. ................................................................. ................................................................. Ce qui t’a le plus plu : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ................................................................. ................................................................. ................................................................. ................................................................. En bref : Prénom et âge : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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PRENDS TA CRITIQUE EN PHOTO ET ENVOIE-LA À L’ADRESSE BONJOUR@TROISCOULEURS.FR, ON LA PUBLIERA SUR NOTRE SITE !

IE N D

KONG. SKULL ISLAND

BABY BOSS

Curieux, des scientifiques et militaires américains s’aventurent sur une île inexplorée du Pacifique. Mauvaise idée. Joueur compulsif, le géant King Kong frappe dans les hélicoptères de combat comme dans une balle de ping-pong… Avec une bande-son rock et une légèreté de ton assumée, cette nouvelle déclinaison du mythe Kong est un plaisir sans temps mort. • O. M.

Dans cette comédie d’animation délirante, une multinationale dirigée par des nourrissons considère que les chiots accaparent une part inacceptable de l’amour parental. En mission secrète pour mettre fin à cette dynamique inquiétante, l’un des bébés de la firme s’invite dans une famille modèle… Cette incursion dans l’absurde se savoure sans bavoir. • O. M.

Sortie le 8 mars

Sortie le 29 mars

: de J. Vogt-Roberts (Warner Bros., 1 h 58)

: de Tom McGrath (20th Century Fox, 1 h 37)

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COUL' KIDS

Ce qui t’a le moins plu : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


L’INTERVIEW DE JULES, 10 ANS

KAMEL LE MAGICIEN

COUL' KIDS

Qui t’a fait aimer la magie ? J’ai découvert la magie à 11 ans en voyant un magicien à la télé. Il avait une boule dans la main gauche, qui disparaissait et qui réapparaissait dans sa main droite. Je me suis dit : c’est ça que je veux faire plus tard. Tes parents t’ont pris au sérieux quand tu leur as dit « je veux être magicien » ? Non, et d’ailleurs ils ne me prennent toujours pas au sérieux. Ils me disent encore : « Kamel, va chercher un travail, il faut que tu arrêtes tes bêtises ! » Ils s’inquiètent pour moi. Comment as-tu appris ton métier ? Est-ce qu’il existe une école de magiciens comme dans Harry Potter ? Moi, j’ai appris grâce à des livres de magie, mais aujourd’hui on peut apprendre des tours et suivre des conférences de magiciens sur Internet. Malheureusement il n’y a pas d’école, comme Poudlard, où l’on pourrait s’inscrire en début d’année et repartir avec un diplôme de magicien. Tu te sers de la magie dans la vie quotidienne ? Oui, quand j’étais plus jeune… Tu veux dire à l’école, pour tricher ? Oui, j’ai un peu honte, j’hésitais à te le raconter. Une fois, au collège, j’avais une antisèche. La prof d’histoire-géo l’a vue. Elle était persuadée que j’avais caché mon antisèche sous mes fesses, et elle avait raison ! Elle m’a demandé de me lever. Je lui ai dit : « Mais non madame, je ne vais pas me lever, je n’ai rien sur ma chaise. » J’ai fini par obéir, et elle a constaté qu’il n’y avait rien sous mes fesses. Comment tu as fait ? J’ai fait ce qu’on appelle en magie un détournement d’attention – pendant qu’elle me

parlait, j’avais récupéré mon antisèche et je l’avais cachée ailleurs. Ça plaisait à tes copains, la magie ? J’étais celui qui était un peu différent. Mon truc, c’était pas le foot ; j’étais le magicien, et on aimait bien traîner avec moi. Plus tard, après mon bac S, ça m’a aidé à trouver des stages. Mes talents de magicien intriguaient les gens. Comment as-tu choisi ce nom ? Je suis né à Clichy-sous-Bois, j’ai grandi en banlieue, et il y avait plein de Kamel autour de moi ; du coup, quand on parlait de moi, les gens disaient : « Tu sais, Kamel. » « Quel Kamel ? » « Mais si, Kamel, le magicien. » C’est resté, et j’ai gardé ce nom pour mes spectacles. • PROPOS RECUEILLIS PAR JULES (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE) PHOTOGRAPHIE : FLAVIEN PRIOREAU

— : Kamel le Magicien,

jusqu’au 23 avril à Bobino

COMME JULES, TU AS ENVIE DE RÉALISER UNE INTERVIEW ? DIS-NOUS QUI TU AIMERAIS RENCONTRER EN ÉCRIVANT À BONJOUR@TROISCOULEURS.FR

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LE DEBRIEF Jules a 10 ans. Il a rencontré Kamel le Magicien, qui se produit actuellement sur la scène de Bobino – son spectacle est à l’affiche jusqu’au 23 avril. « Quand je suis arrivé au théâtre, Kamel répétait sur scène. Je n’ai pas eu le droit de rentrer dans la salle, pour ne pas découvrir ses trucs de magicien. Je l’ai attendu dans les loges, c’est là que je l’ai interviewé. Il m’a offert un jeu de cartes de magicien professionnel. C’était vraiment bien parce que, même si je veux être rugbyman, j’adore faire des tours de cartes. » • JULES


TOUT DOUX LISTE

PARENTS FRIENDLY

POUR TOUS LES GOÛTS

CINÉ-CONCERT

Le Off de l’Orchestre de Paris interprète les œuvres de Mozart, nous plongeant dans un voyage musical sublimé par les images du plasticien et vidéaste Patrick Pleutin. Un régal pour les oreilles, les yeux, mais aussi les papilles, puisque le ciné-concert Mozart au chocolat s’accompagne d’une distribution de mozartkugeln, bonbons au chocolat viennois.

: le dimanche 12 mars au cinéma Le Balzac, dès 6 ans

ATTRAPE-MOI SI TU PEUX

SCIENCE

Traverser le tunnel des virus ou tester sa résistance face à des vidéos de bâillements : ludique et instructif, le parcours « Viral. Du microbe au fou rire, tout s’attrape » explique le phénomène de la propagation, que ce soit d’une rumeur, d’une maladie ou d’une crise économique.

: jusqu’au 27 août au Palais de la découverte, dès 8 ans

VRAIMENT SPACE !

EXPO

COUL' KIDS

Street artiste connu pour ses petits personnages en mosaïque collés sur les murs des villes du monde entier, Invader passe de la rue au musée. Bornes d’arcade, tableaux en Rubik’s cubes, murs de magnets : ses œuvres ludiques sont complètement intergénérationnelles.

• CÉCILE ROSEVAIGUE

ILLUSTRATIONS : PABLO COTS

: « Hello, my Game Is… », jusqu’au 3 septembre au Musée en herbe, dès 5 ans

KIDS FRIENDLY

RATISSEZ LARGE

ATELIERS

« Enjardinez-vous » : le XI se met au vert et propose de multiples activités dans les diverses poches de verdure de l’arrondissement : jeux de sociétés sur la biodiversité, visite de lieux végétalisés (écoles, toits, cours d’immeubles…), trocs de graines et de plantes, fabrications de bacs, rencontres avec des jardiniers… Il n’y a pas d’âge pour avoir la main verte. e

: du 22 au 26 mars, Paris XIe, dès 5 ans

CEINTURE NOIRE

SPORT

Karaté, judo, kung-fu, aïkido, ninjutsu, jiu-jitsu, self-défense… Lors du festival des arts martiaux, une trentaine de disciplines, des plus traditionnelles aux plus modernes, sont mises à l’honneur par de grands maîtres qui se livrent des combats aussi techniques que spectaculaires sur les tatamis.

: le 25 mars à l’AccorHotels Arena, dès 7 ans

ÇA SENT LE SCAPIN

THÉÂTRE

Voici une adaptation des Fourberies de Scapin pleine de vie et de gaieté, emmenée par une mise en scène fidèle à l’esprit commedia dell’arte, avec moult chutes, coups de bâtons et autres apartés qui créent une véritable complicité avec le public. Idéal pour découvrir en famille l’œuvre de Molière.

: jusqu’au 22 avril au Théâtre Saint-Georges, dès 8 ans

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DU AU

2017

EXPOSITION - PARCOURS INTÉRIEUR ET EXTÉRIEUR De 11h à 19h Tous les jours sauf mardi

citemodedesign.fr

Design Graphique : Hartland Villa

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34 quai d’Austerlitz, 75013 Paris

© The Estate of Erwin Blumenfeld

A shake-up in young fashion variante de la couverture de Vogue US du 1er Août 1953

STUDIO BLUMENFELD NEW YORK MARS 1941-1960 43 JUIN


L’ÉVÉNEMENT QUI MET L’INNOVATION AU SERVICE DU BIEN COMMUN

12/13/14 MAI 2017

EXP NENTIAL HAPPINESS? CHANTILLY

03 JOURS CONFÉRENCES

02 NUITS

1000 PARTICIPANTS

EXPÉRIENCES

50 DÉMOS

RÉSEAUX

50 SPEAKERS

WORKSHOPS

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OFF CECI N’EST PAS DU CINÉMA


EXPOS

PLATEFORME — : jusqu’à fin 2017 à l’Espace Khiasma (Les Lilas) © MATTHIEU GAUCHET

OFF

Comment

repenser les logiques de travail et de programmation d’un centre d’art, tant du point de vue de l’émission que de la réception ? C’est le défi auquel va s’atteler l’Espace Khiasma en 2017. Olivier Marbœuf, le directeur de cette structure associative, saute le pas en modifiant substantiellement son mode d’organisation et, à terme, de gouvernance. Une dynamique contre-culturelle qui entre en résonance avec d’autres initiatives parisiennes récentes comme La Colonie – conçu par l’artiste Kader Attia, cet « espace de pensée libre et indépendant » associe la convivialité d’un bar-restaurant à la portée sociale et politique de rencontres théoriques et critiques basées sur l’art. À l’heure d’un certain état d’urgence, tant sur le plan culturel qu’économique, et à rebours de la dictature du calendrier culturel, l’Espace Khiasma a souhaité rendre visible la partie immergée de l’iceberg que constituent les phases de recherche et de production artistiques. Ainsi, des groupes de travail vont progressivement occuper le lieu autour de thématiques comme la ville, la voix ou le cinéma documentaire. Au fil des publications et des échanges – notamment sur la web radio r22 Tout-monde – va se former une communauté élargie de spectateurs et d’auditeurs, invitée à son tour à prendre part à l’écriture et la transmission plurielles et polyphoniques d’un nouveau récit dessinant moins les contours d’une utopie que d’un véritable lieu commun. En avant, route ! • ANNE-LOU VICENTE

L’Espace Khiasma a souhaité rendre visible la partie immergée de l’iceberg de la production artistique.

ANNE LE TROTER

IMAGES À LA SAUVETTE

Dans ses installations sonores, Anne Le Troter joue habilement avec le langage, les mots, les rythmes de parole. Sa dernière pièce, très immersive, à la limite de l’opéra, s’intéresse aux instituts de sondage. Rythmée comme une partie de ping-pong, Liste à puce nous plonge dans un univers hyper codifié dans lequel les sondeurs, par leurs questions, en viennent à s’interroger sur le sens de leurs propos. Une installation qui fait glisser notre perception des sondages de la politique à la poétique. • HERMINE WURM

Le saviez-vous ? Le fameux « instant décisif » d’Henri Cartier-Bresson est en fait le titre de la version américaine (The Decisive Moment) d’un ouvrage phare du photographe français, intitulé… Images à la sauvette. La formule est moins belle, mais ce livre d’exquis tirages noir et blanc – dont Henri Matisse a signé la couverture, et que Robert Capa qualifiait de « bible pour les photographes » – méritait bien une exposition. En plus, les éditions Steidl le rééditent. • MARIE FANTOZZI

: jusqu’au 8 mai au Palais de Tokyo

: jusqu’au 23 avril

à la Fondation Henri Cartier-Bresson

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ART COMPRIMÉ

Festival 5 édition 14.03 > 09.04.2017 e

01 53 35 50 00 www.104.fr

Le Centre Pompidou fête ses 40 ans cette année ! Mais un autre événement a fait parler de l’institution parisienne courant janvier : des cartels ont été apposés à côté d’objets usuels (une prise, un extincteur…) dans les salles d’exposition. Un étudiant en arts serait l’auteur de ces innocentes facéties. • Cela faisait cinq ans que Christo bataillait pour son projet de recouvrement de la rivière Arkansas, dans le Colorado. Contrarié par l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, l’artiste conceptuel d’origine bulgare a tout bonnement préféré jeter l’éponge. • Le Museum of the Moving Image a mis fin à la performance collaborative anti-Trump initiée par Shia LaBeouf intitulée He Will Not Divide Us après qu’une altercation avec un suprématiste a valu une arrestation à l’acteur américain. La performance était censée se poursuivre pendant toute la durée du mandat du président. • Oyez, oyez, étudiants en arts : fermée depuis 1998, la superbe salle Labrouste de la Bibliothèque nationale de France – dans laquelle s’est installé l’Institut national d’histoire de l’art – est de nouveau accessible à la recherche. • Ravalement de façade prévu pour la tour Eiffel : la ville de Paris va débourser quelque 300 millions d’euros pour moderniser la Dame de fer d’ici quinze ans. Par ailleurs, le conseil de Paris a décidé fin janvier que tous les écoliers parisiens recevraient un ticket pour la visiter gratuitement. Les modalités sont encore à définir. • MARIE FANTOZZI ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL

Amala Dianor Radhouane El Meddeb Jacques Gamblin/ Bastien Lefèvre Alessandro Sciarroni Olivier Meyrou/ Matias Pilet Emanuel Gat Anne Teresa De Keersmaeker/ Salva Sanchis Bérénice Bejo/ Sylvain Groud Johanna Faye/ Saïdo Lehlouh Alban Richard/ ensemble Alla francesca Alban Richard/ Erwan Keravec/ Mariam Wallentin

Aliénor Dauchez/ Dmitri Kourliandski C’Le Chantier Alexandre Fandard Dirty LAB Juliette Navis La Fabrique de la Danse Smaïl Kanouté/ Philippe Baudelocque Envie de danser ! Performances, rencontre et installation Sylvain Groud/ Chorégraphic’bal Frédéric Nauczyciel Pop Conf’: Pourquoi la musique fait-elle danser ? WYNKL Training Party

visuel © Change is good

Tous les mois, notre chroniqueuse vous offre un concentré des dernières réjouissances du monde de l’art.


SPECTACLES

MAUD LE PLADEC — : « Je n’ai jamais eu envie de disparaître », le 8 mars à la Briqueterie (Vitry-sur-Seine), le 18 mars au Colombier (Bagnolet) et le 20 mars à la Maison de la poésie (30 min) • « Moto-Cross », les 30 et 31 mars à La Briqueterie (Vitry-sur-Seine) (50 min)

© ÉRIC SOYER

OFF

Longtemps

Moto-Cross

partie explorer les relations entre la danse et la musique (savante), la chorégraphe Maud Le Pladec s’aventure en mars sur des chemins plus intimes. Elle qui nous avait habitués à des plateaux sur lesquels se mêlaient, presque égaux en nombre, les danseurs et les musiciens, elle occupera cette fois seule la scène : Moto-Cross est une pièce pour une danseuse, un casque de moto et une compilation de tubes de la pop culture. Cette nouvelle création, présentée dans le cadre de la biennale de danse du Val-de-Marne, prend appui sur un récit autofictionnel écrit pour elle par Vincent Thomasset. Maud Le Pladec y renoue avec la petite fille qu’elle était et remonte aux origines de sa pratique singulière de la danse pour comprendre ce que celle-ci peut avoir de générationnelle. Autre festival, autre liaison littéraire : pour Concordan(s)e, la chorégraphe s’associe à l’écrivain Pierre Ducrozet. À l’autofiction écrite par un autre à partir de souvenirs personnels s’oppose l’écriture à quatre mains d’autobiographies croisées. Je n’ai jamais eu envie de disparaître ressemble à un corps-à-corps guerrier dans lequel s’enlacent et se confrontent deux corps, deux histoires et deux forces contradictoires. • AÏNHOA JEAN-CALMETTES

Maud Le Pladec remonte aux origines de sa pratique singulière de la danse.

DOREEN

LE PAS GRAND CHOSE

David Geselson adapte la Lettre à D. qu’André Gorz a dédiée à la femme de sa vie, Doreen Keir ; et, pour l’occasion, vous invite, verre de vin à la main, dans le salon de cet intellectuel, premier théoricien de l’écologie politique. Une histoire d’amour à rebours du cynisme ambiant, interprétée tout en douceur, qui retrace soixante ans d’existence commune, de désir et de complicité intellectuelle. • A. J.-C.

Précurseur du renouvellement des formes du cirque, Johann Le Guillerm construit ses propres agrès pour des créations qui sont autant d’expériences scientifiques. Toute connaissance dépendant de la manière dont on regarde les choses, il décortique la notion de point de vue depuis quinze ans. Avec Le Pas Grand Chose, il s’aventure pour la première fois du côté de la conférence-performée. • A. J.-C.

au Théâtre de la Bastille (1 h 20)

au Monfort théâtre (1 h 30)

: du 8 au 24 mars

: du 21 mars au 1er avril

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OD On Théâtre de l’Europe

direction Stéphane Braunschweig

10 MARS – 14 AVRIL / 6e

Soudain l’été dernier

Tennessee Williams

de mise en scène Stéphane Braunschweig avec Jean-Baptiste Anoumon, Océane Cairaty, Virginie Colemyn, Boutaïna El Fekkak, Glenn Marausse, Luce Mouchel, Marie Rémond CERCLE DE L’OD On

THEATRE-ODEON.EU / 01 44 85 40 40

© Benjamin Chelly

création

@TheatreOdeon


RESTOS

CAPITAINES NÉOS

OFF

© LUCAS MATICHARD

Depuis dix ans, une nouvelle race de restaurateurs quadrille Paris de néobistrots. Leur soif d’entreprendre n’est pas éteinte : Charles Compagnon, Julien Fouin et Julien Cohen restent dans le coup.

L’OFFICE En reprenant l’Office en 2011, Charles Compagnon a activement contribué à la révolution du néobistrot parisien. Décor brut mais soigné, carte courte, vins naturels et prix serrés, le beau gosse barbu formé à la sommellerie a depuis fait des petits. Il a ouvert le Richer, puis le 52 Faubourg Saint Denis, et vient de lancer un service de livraison à domicile, Chaud Chaud Chaud, qui tranche par la qualité des produits – plats, charcuterie, fromages et vins – sourcés comme au restaurant. Cela n’empêche pas l’Office de continuer à se réinventer avec un nouveau chef, Benjamin Schmitt, en poste depuis fin 2016. Formé entre autres par Yannick Alléno et Pierre Gagnaire, il bouillonne d’idées, comme avec ces coquillages du moment, lard de Colonnata, gelée d’agrumes, tuile à l’encre et jus de cuisson, ce formidable ris de veau au citron brûlé, généreusement accompagné de fregola sarde en risotto crémeux et cébettes, ou ce vacherin aux agrumes, crème de mascarpone, sorbet orange et basilic. C’est audacieux sans être perché, et on laisse le choix au mangeur en ne sacrifiant pas au menu unique. Avec ça, on peut aussi se désaltérer (avec modération) d’une bière maison, La Marise, brassée par le patron en Belgique, et finir sur un café torréfié par le même. À noter une série de quatre mains pour les 10 ans du lieu, du 18 au 20 avril, avec Nicolas Scheidt, créateur du restaurant, et Kevin O’Donnell, premier chef de l’ère Compagnon. Menus : 22 et 27 €. Carte : 40 €. • STÉPHANE MÉJANÈS

: 3, rue Richer, Paris IXe

GRANDCŒUR

MARZO

Association entre le serial restaurateur Julien Fouin (Glou, Jaja, Beaucoup, etc.) et le chef Mauro Colagreco (doublement étoilé à Menton), GrandCœur est planqué dans le Marais et héberge une table cachée, Le Jardin. Au menu, du végétal, de la saison, un peu de viande et de poisson. Menu en cinq plats : 69 €. • S. M.

Julien Cohen sème les trattorias depuis dix ans (Grazie, Altro, Quindici, etc.). Il persiste avec Marzo, au décor lumineux carrelé de blanc, dans lequel il décline antipasti (salade de poulpe, burrata…) et pizze (légumes grillés, speck…). Antipasti : de 9 à 19 €. Pizze : de 11 à 20 €. • S. M.

: 41, rue du Temple, Paris IVe

: 5, rue Paul-Louis-Courier, Paris VIIe

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C’EST DOUX   ! Un mois fou food à Paris avec notre chroniqueur. Où manger ? Quoi commander ? Suivez le régime alimentaire de @PhamilyFirst sans prendre un Instagram de gras. Ce mois-ci : notre remède au grand froid.

Quoi de neuf, docteur ? Un bouche-à-oreille sans germes ni bactéries, mais contagieux et à partager. En prévision du froid de canard, notre prescription vous fera passer par de nouveaux bouclards aux effets réjuvénateurs. La cure commence à Belleville, au Grand Bain. Édouard & Edward s’attellent à faire vivre ce nouveau lieu où l’on se bouscule mais sans éclaboussures. Au menu : huîtres fumées, frites de panais et autres petites assiettes accompagnées d’une gentille carte des vins. Dans le IXe, en face de la pizzeria Faggio de papa Lombardi, ouvre son frère d’une autre mère : Pacchio. Le chef japonais Masaaki Yamamoto y signe des classiques dont ce flan salé chawanmushi au foie gras poêlé et anguille fumée. Les portraits de vignerons au mur vous prouvent que vous êtes entre de bonnes grappes de quilles natures. Dans le XIe, chez l’incubateur de talents Fulgurances, on retrouve en résidence Sam Miller, ancien second de René Redpezi chez Noma. Le jeune chef anglais émoustille nos papilles jusqu’au 4 mars, avant que la cheffe Céline Pham (sœur de votre serviteur), et sa cuisine d’inspiration vietnamienne, ne prenne la relève à partir du 8 mars. Le prix du ravalement de façade revient à Blend et son superbe restaurant du boulevard Beaumarchais. Enfin, Iratze tabasse au bar en tapas ou en menu dégustation sur la table d’hôtes. Vins vivants et cocktails pour la soif, une raison valable d’avoir encore la goutte au nez. • JULIEN PHAM (@PHAMILYFIRST) — ILLUSTRATION : JEAN JULLIEN

LE PAS GRAND CHOSE JOHANN LE GUILLERM

TENTATIVE PATAPHYSIQUE LUDIQUE • CRÉATION

DU 21 MARS AU 1ER AVR.

106 RUE BRANCION, 75015 PARIS WWW.LEMONFORT.FR

Licences 1- 1056504/ 2 -1056528/ 3-1056529 / ©Joanne Azoubel. Conception graphique : Jeanne Roualet


CONCERTS

SOFIANE — : « #Jesuispasséchezso » (Suther Kane) • le 9 mars au Nouveau Casino et le 17 mars au Canal 93 (Bobigny)

© LIBITUM

OFF

Le

nom de Sofiane est enfin sur toutes les lèvres. Sa série de clips #Jesuispasséchezso a d’abord mis le feu aux poudres en affolant les compteurs YouTube en 2016 (entre 1 et 13 millions de vues par morceau), puis le buzz s’est nourri d’une petite polémique virale sur le tournage d’un clip (une altercation avec des policiers, aux Mureaux). Mais Fianso n’a rien d’un novice. Il charbonne dans l’underground du rap français depuis dix ans déjà. Sa spécialité ? Kicker – c’est son côté à l’ancienne. Roi du freestyle, le MC du Blanc-Mesnil (9-3) s’est fait un nom en abattant à la chaîne des instru avec son flow de kalachnikov. Le trentenaire d’origine algérienne est un héritier du rap de la fin des années 1990. Il ne cache d’ailleurs pas son respect des aînés, en truffant ses lyrics de dédicaces érudites à Arsenik, Tandem ou Ideal J, mais aussi à Brassens ou Ronsard. Nerveux, technique, Sofiane conçoit chaque morceau comme une rixe. D’où ses gimmicks empruntés à la boxe, et bien sûr son sens aigu de la punchline. Qu’il rappe la bicrave (« t’es un gros bonnet, j’suis une grosse cagoule »), l’absurdité du racisme dans les cités (« ta p’tite sœur la beurette ! merde ma p’tite sœur aussi… bourbier ! ») ou les rêves de réussite (« raconte-moi une histoire, un conte de Ferrari »), qu’il parte en ego-trip (« fais-moi la monnaie sur le prix d’une villa ») avant de redescendre brutalement sur terre (« frère, on a mangé du pain dans du pain, nous »), Fianso tabasse le mic. Et la concurrence. • ÉRIC VERNAY

Sofiane conçoit chaque morceau comme une rixe. D’où son sens aigu de la punchline.

TOMMY CASH

LES FEMMES S’EN MÊLENT

Cousin polaire de Die Antwoord et carton what the fuck de l’été avec « Winaloto », le rappeur estonien balaie les clichés gangsta à coups de hip-hop mutant et de clips barjos. Entre delays noisy, film white trash et geekerie arty, son premier opus Euroz Dollaz Yeniz fleure bon le (post-)bloc soviétique et autres (douces) obsessions – sexe, Big Mac, Kanye West, fashion et… équitation. Bizarre mais cool, une bombe mandatée pour dégeler le dancefloor. • ETAÏNN ZWER

Pour ses 20 ans, le festival qui célèbre la scène féminine indé s’offre un line-up toujours aussi bigarré et excitant : Austra, le dandysme slave de Chinawoman, une jolie frange britannique (de la grande du hip-hop Little Simz à l’envoûtante Nilüfer Yanya), un cool pool de Frenchies (Sônge et son R&B lunaire), et la soirée de clôture du crew Barbi(e)turix – chahutée par Rebeka Warrior (Sexy Sushi) et la disco-funk léonine de Corine. Hey ho! Let’s grrrls! • E. Z .

: le 14 mars au Divan du Monde

: du 27 au 31 mars au Trianon, au Trabendo, au Divan du Monde et à La Gaîté Lyrique

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RÉALITÉ VIRTUELLE

SUPERHOT JEU DE TIR

— : (Superhot Team) dès 8 ans

© D. R.

OFF

Autour

de vous, un décor désert, d’un blanc immaculé, où gisent plusieurs objets tels qu’une arme à feu ou un katana. Soudain, des êtres faits de polygones rouges apparaissent sans prévenir et foncent sur vous pour vous frapper ou vous tirer dessus. Pas le choix, il vous faut les envoyer ad patres avec les moyens du bord. Mais les choses sont bien faites : comme figé, le temps ne défilera que si vous bougez, charge à vous de ne faire que les mouvements adéquats pour survivre à des assauts toujours plus sadiques… Développé par un petit studio polonais, Superhot est né lors d'une game jam, ces concours dans lesquels un groupe d’amateurs doit accoucher d’un jeu en 24 heures. À partir d’une idée un peu folle, le concept a été décliné en une vingtaine de niveaux, puis commercialisé en 2016 – sur PC, sur Mac, puis sur la console Xbox – comme un jeu à part entière rapidement devenu culte. Cette version, spécialement pensée pour la VR, apporte à son génie une dimension inédite : non seulement le temps devient une arme, mais il fait de votre corps une manette ultime. Ici, on vit chaque fusillade de l’intérieur, et il faut parfois se contorsionner pour éviter in extremis les balles qui fondent sur vous au ralenti. Plus qu’un défouloir en vue subjective, Superhot est vrai jeu de stratégie dans lequel on se déplace comme sur un échiquier. Avec un peu de patience et d’huile de coude, vous deviendrez capable, comme Néo dans Matrix, de virevolter entre les balles tout en vidant votre chargeur sur vos adversaires – et tout en gardant la classe. • YANN FRANÇOIS

Non seulement le temps devient une arme, mais il fait de votre corps une manette ultime.

BIRDLY

SIMULATEUR DE VOL

Allongé sur un dispositif en forme d’avion, vous voilà propulsé(e) dans le corps d’un oiseau survolant New York. Une torsion des épaules suffit pour changer de cap, un mouvement de bassin pour descendre en piqué, un battement des bras pour reprendre de l’altitude. Pour renforcer l’immersion, un ventilateur vous souffle au visage dès que vous prenez un peu de vitesse. Aussi planant que vertigineux, Birdly est un rêve de gosse bluffant de réalisme. • Y. F.

: (Somniacs) dès 6 ans

EXPÉDITION ANTARCTICA

DOCU

Ce making of interactif vous téléporte au beau milieu du tournage du documentaire L’Empereur de Luc Jacquet. En tournant sur vous-même à 360 degrés, vous pouvez observer tout ce qui se passe autour de la caméra. Vous êtes plongé dans un univers hors du temps, sur une banquise ensoleillée, au milieu de centaines de manchots et de phoques qui se dandinent, glissent et plongent dans l’eau. C’est confirmé : un pingouin, c’est encore plus choupi en VR. • Y. F.

: (Arte) dès 8 ans

PROGRAMMES À DÉCOUVRIR À L’ESPACE VR DU mk2 BIBLIOTHÈQUE INFOS ET RÉSERVATIONS SUR MK2VR.COM


Exposition du 1er mars au 9 avril 2017

Projet : Espace rural de services et de proximité, Boris Bouchet Architectes. Photo : Benoît Alazard. Graphisme : Keva Epale/CAPA

Concours européen de la jeune création architecturale & paysagère

citedelarchitecture.fr #AJAP2016

Albums des Jeunes Architectes & Paysagistes


PLANS COUL’ À GAGNER

L’ESPRIT FRANÇAIS EXPO

— : « L’esprit français. Contre-cultures, 1969-1989 » © RÉGIS CANY

jusqu’au 21 mai à La Maison rouge

La

Régis Cany, Les Photographittis, 1977-1982

et plus de sept cents œuvres et documents – journaux, tracts, affiches, mais aussi émissions télévisuelles – qui donnent à voir un esprit français marqué par les sexualités, la militance et le dandysme. La violence graphique du collectif Bazooka rencontre les sculptures gigantesques de Raymonde Arcier, tandis que s’affichent des inédits de Kiki Picasso et de Claude Lévêque. L’occasion d’éclairer des mutations culturelles lancées par la « pensée 68 » et d’en explorer sans relâche les limites. • LAURA PERTUY

OFF

Maison rouge dévoile une proposition ambitieuse qui approche « l’esprit français » dans toutes ses déviances et ses chemins de traverses. Articulée autour de différents chapitres irrévérencieux, l’exposition imaginée par les commissaires Guillaume Désanges et François Piron s’applique à montrer comment les territoires de la culture pop actuelle (cinéma, rock, journalisme…) influent sur ceux de la culture plus conventionnelle (littérature, philosophie, théâtre…). C’est ainsi une soixantaine d’artistes

MECHANICAL ECSTASY

SPECTACLE

Lumières stroboscopiques, costumes colorés, chorégraphies délirantes, battements electro endiablés… Le temps d’un show exceptionnel donné par le groupe néerlandais Club Guy & Roni, le grand foyer du Théâtre national Chaillot change de décor, encourageant chaque noctambule à rejoindre la transe collective. • O. M.

: du 22 au 24 mars au Théâtre national de Chaillot

SÉQUENCE DANSE PARIS

DANSE

Au rythme de la salsa, du jazz ou de spectacles à la croisée des genres, ce festival de danse contemporaine sonde notre rapport au corps en une quinzaine de pièces. Ouvert à tous, le chorégraphic’bal donne même aux plus audacieux l’occasion de se déhancher en compagnie de danseurs professionnels. • O. M.

: du 14 mars au 9 avril au Centquatre DISQUE

Être français, chanter en anglais et, dès son premier album, trouver sa place au sein de la galaxie pop internationale, c’est possible ? Enrichi par plusieurs voyages et diverses influences (rock, jazz, hip-hop…), le son du duo Part Company harmonise ballades entêtantes et fantaisie indie/folk. Découverte mélodieuse. • O. M.

: « Seasons » de Part Company (Label Gum)

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© KNELIS ; MAZACCIO ET DROWILAL

SEASONS


100  % AFRIQUES FESTIVAL

— : du 23 mars au 21 mai à la Villette

© JOCELYN MICHEL

Pour

Mercurial Georges, Dana Michel

capitales » fait dialoguer les clichés du photographe promeneur Akinbode Akinbiyi, témoin affûté des grandes mutations urbaines, avec l’installation immersive du vidéaste sud-africain William Kentridge, traversée par la violence de l’apartheid. En danse enfin, l’énergie du hip-hop venu des townships de Johannesburg (Indigenous Dance Academy) percute l’étrange et envoûtant solo de la performeuse Dana Michel, qui part, avec son corps comme seul repère, à la recherche de ses multiples origines. • AÏNHOA JEAN-CALMETTES OFF

sa deuxième édition, le festival pluridisciplinaire de la Villette se tourne vers le continent africain pour mettre en lumière l’effervescence de ses grandes villes. Versant musical, Bamako et Kinshasa sont à l’honneur. La formation Mbongwana Star, menée par deux ex-membres éminents du Staff Benda Bilili, chante son amour pour la capitale de la RDC ; quand Oumou Sangare, grande militante de la cause féministe au Mali, présente son nouvel album. Côté art contemporain, l’exposition collective « Afriques

UN AMOUR IMPOSSIBLE

THÉÂTRE

En adaptant son propre roman pour le théâtre, dans une mise en scène de Célie Pauthe, Christine Angot continue d’explorer la complexité du lien entre une mère et sa fille, ici dégradé par la violence du père. Le « je » de l’auteure conserve sa puissance littéraire au cœur d’un décor intimiste. • O. M.

: jusqu’au 26 mars à l’Odéon-Théâtre de l’Europe

ORCHESTRE DE PARIS

CONCERT

Durant deux soirées, le chef d’orchestre Jérémie Rohrer et le pianiste Francesco Piemontesi se réapproprient le Polyeucte de Paul Dukas et les échos enchanteurs du Concerto pour piano de Schumann et de la Symphonie nO 4 de Mendelssohn. Avec la même grâce, impressionnisme et romantisme revivent. • O. M. Jérémie Rohrer

: les 5 avril et 6 avril à la Philharmonie de Paris

© ÉLISABETH CARECCHIO  ; ÉLODIE CREBASSA

TINTIN AU PAYS DES SOVIETS EN COULEURS

BD

Écrites en 1929, alors que le style d’Hergé est encore balbutiant, les aventures de Tintin au pays des Soviets marquent la naissance du célèbre reporter à la houppette. La couleur renforce l’éclat du burlesque et offre une vie nouvelle à la BD, la seule de la saga qui n’avait pas encore été colorisée. • O. M.

: « Tintin au pays des Soviets » d’Hergé (éditions Moulinsart, Casterman)

SUR TROISCOULEURS.FR/PLANSCOUL


SONS

FRÀNÇOIS AND THE ATLAS MOUNTAINS — : « Solide mirage » de Frànçois and the Atlas Mountains (Domino)

OFF

© TOM JOYE

S’il

ne déroge pas au style unique qui a fait le succès du groupe (textes ciselés en métaphores consonantes, sonorités chaudes et naturelles, arrangements pop et doux, rythmes chaloupés venus d’Afrique), ce nouvel album de Frànçois and the Atlas Mountains épure et clarifie de manière inédite son propos, tant musical que lexical. Après la terrible année 2015, ce « Grand dérèglement » (attentats, guerres, crise migratoire, populismes) dont fait mention le morceau introductif à ce Solide mirage, François Marry évoque la nécessité de parler de manière moins suggestive, plus frontale : « Je pense qu’on s’est fourvoyé à penser que le modèle de croissance capitaliste et libéral nous mènerait au bien-être. Aller vers plus de fun, de luxe, de confort, c’est une course dans le désert, vers un mirage, et même lorsqu’on est très proche de ce mirage, il est toujours aussi flou et désordonné que lorsqu’on en était éloignés. J’avais envie d’invoquer l’imaginaire de l’auditeur de manière plus simple, plus

SI TON ALBUM ÉTAIT UN FILM ? « Ce serait la fin du long métrage d’Alejandro Jodorowsky La Montagne sacrée, sorti en 1973, ce moment très étrange où, après cette quête psychédélique et spirituelle, colorée et métaphysique, ils se retrouvent tous au sommet d’une montagne autour d’une table, et

claire. Les textes sont beaucoup plus solides, réalistes, concrets. » Cet engagement s’affirme dans les évocations de la main invisible de l’économie régnante (« Grand dérèglement »), le péché de médisance sondagier (« Apocalypse à Ipsos »), ou une « Bête morcelée » aussi apocalyptique que violemment orchestrée (façon grunge). François privilégie l’histoire intime à la grande histoire (« 100 000 000 »), l’union sensuelle du carême et du ramadan (« Jamais deux pareils »), l’ouverture à l’autre (« Tendre est l’âme »), en enlacements de mots amis (« jamais » et « jammer », « tendre est l’âme » et « attendre islam ») : « Ce n’est pas non plus de la chanson à texte réaliste. Ça reste du plaisir, et qui dit plaisir dit rêverie, charme, subtilité. » Y répondent des entrelacs de cordes divins (par Owen Pallett) et de chœurs angéliques (notamment ceux du jeune et génial David Nzeyimana, du projet pop belge Le Colisée), en autant de chansons de réorientation (se tourner vers l’Orient). • WILFRIED PARIS

là Jodorowsky fait sauter la table en disant que tout ça n’était qu’une espèce de projection mentale, que tout était faux, que ce n’était qu’un film ; et le plan dézoome sur les caméras, les éclairages, les techniciens… J’adore ce switch entre la rêverie colorée et cet hyperréalisme. » FRANÇOIS MARRY

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JUKEBOX

THE MAGNETIC FIELDS

: « 50 Song Memoir » (Nonesuch)

Jusqu’à présent, The Magnetic Fields était surtout connu pour un album, le pharaonique 69 Love Songs (1999). C’était avant 50 Song Memoir, dans lequel Stephin Merritt compose son autobiographie en cinquante chansons. D’une imposante diversité stylistique, ces 2 h 30 de musique font sens grâce à son écriture ironique-amère et à sa voix de basse inimitable. Une plongée fascinante dans la psyché d’un des grands génies pop en activité. • MICHAËL PATIN

WHY?

: « Moh Lhean » (Joyful Noise Recordings)

Le retour de Why?, après le mitigé Mumps, Etc., pose la question de la pertinence du groupe des frères Wolf qui fut il y a dix ans un pilier du label Anticon. Passée une légère irritation en retrouvant la voix nasale et les autofictions alambiquées de Yoni, on est rattrapé par l’audace et la fantaisie de ces mélodies en perpétuel mouvement, à la fois lyriques et pleines de chausse-trapes. • M. P.

CLAUDE VIOLANTE : « Road Race »

(Panenka Music)

Claude Violante rend heureux, dit-on, et son troisième EP confirme l’adage. Du racé « Control » au très suga « Do That Thing », ces quatre vraies pop songs, entrelaçant R&B et house à l’anglaise, déclarations (sur l’homophobie ou l’amour) et tubes euphorisants, vibrent de beats déments, d’exaltations nineties et d’un chant soul libéré. Parfaite bande-son pour une virée nocturne, à vitesse grand V… • ETAÏNN ZWER ILLUSTRATION : SAMUEL ECKERT


SÉRIES

BEAU SÉJOUR

© DE MENSEN

— : Saison 1 en mars sur Arte —

OFF

Atypique

mélange de surnaturel et de réalisme social à l’anglaise, la série flamande Beau séjour confirme que le polar belge se pose en challenger crédible du thriller scandinave. Première scène : une jeune fille se réveille dans une chambre d’hôtel. Son corps sans vie flotte dans la baignoire. Kato a été droguée puis assassinée. Devenue un fantôme, elle décide d’élucider son propre meurtre en tentant d’aiguiller les flics chargés de l’enquête dans la bonne direction. Mais, dans Beau séjour comme dans le film Ghost, il y a des règles à l’après-vie : seuls le père de Kato et une poignée d’individus peuvent la voir et l’entendre. La disparue hantera donc en observatrice impuissante l’identification de son propre cadavre par sa mère, son autopsie ou encore ses funérailles.

REVOIS

Grotesques et poignantes à la fois, ces séquences vues à travers les yeux de la victime apportent un éclairage assez inédit sur le genre criminel, un cran plus loin dans l’empathie qu’une série comme Broadchurch. Le noir belge, porté au cinéma par Michaël R. Roskam (Bullhead), Robin Pront (Les Ardennes) ou Bouli Lanners (Les Premiers, les derniers), a un petit quelque chose en plus : pas moins âpre mais plus caustique que son homologue britannique, moins sophistiqué (la campagne flamande, ses courses de motocross…) mais aussi bien filmé et écrit que le thriller scandinave, il possède cette étrangeté bancale qui lui permet, comme ici, de jongler souplement avec le naturalisme et la fantaisie. Beau séjour a décroché en 2016 le Prix du public au festival Séries mania. Mérité. • GRÉGORY LEDERGUE

VOIS

PRÉVOIS

HISTOIRES FANTASTIQUES

RIVERDALE

THE LOOMING TOWER

Beau packaging qui surfe sur la nostalgie des eighties réveillée par Stranger Things pour cette réédition d’Histoires fantastiques, enfin présentée en intégrale des deux saisons produites par Steven Spielberg entre 1985 et 1987. Il y a à boire et à manger dans cette anthologie, mais on y trouve de sacrées pépites signées Brad Bird, Robert Zemeckis, ou Spielberg himself. • G. L .

Un soap ado sur la chaine The CW, encore ? Oui, mais celui-ci, à suivre chez nous sur Netflix, a la particularité de revenir aux sources du genre. Bien avant John Hughes, il y eut Archie Comics, increvable BD née en 1941 qui participa à en définir les archétypes fondateurs. Greg Berlanti (Arrow) s’amuse à plonger les personnages bien connus des fans dans un mystère à la Twin Peaks. Et ça marche. Dans le genre, c’est une agréable surprise. • G. L .

Tahar Rahim sera l’une des stars de cette série basée sur un essai de Lawrence Wright, The Looming Tower. Al Qaeda and the Road to 9/11, et attendue d’ici la fin de l’année. Wright, récompensé par le prix Pulitzer pour cet ouvrage, y impute à des rivalités entre le FBI et la C.I.A. la montée en puissance d’al-Qaida qui mena au 11 Septembre. L’acteur français jouera un agent du FBI infiltré dans l’organisation islamiste. • G. L .

: Intégrale en DVD (Elephant Films)

: Saison 1 sur Netflix

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: Saison 1 prochainement sur Hulu


— EGARD R E R T U A UN SUR LE MO

NDE

Halles Forum des ages.f r for umdesim


JEUX VIDÉO

OFF

YAKUZA 0

Ce

— : PS3, PS4 (Sega) —

nouveau volet de la saga Yakuza vient rappeler la place singulière qu’occupe celle-ci dans le landernau japonais. Si Yakuza 0 obéit aux règles classiques du jeu de rôle, sa modernité s’incarne ailleurs. Dans son espace de jeu tout d’abord, que l’on parcourt de long en large : Kamurocho, un quartier fictif de Tokyo, célèbre pour ses ruelles envahies par les machines à sous, karaokés et autres bars à hôtesses, et devenu aussi le paradis des yakuzas, qui s’y livrent une guerre sans merci. Épisode prequel, ce Yakuza 0 s’attache à une période charnière de l'histoire du quartier des plaisirs : la fin des années 1980, qui voit l’arrivée dans ses rues des loups de la finance et des gangsters en col blanc. Il met aux prises un yakuza repenti en quête

de justice et un patron de cabaret borgne au passé sulfureux, et nous plonge dans un quotidien fait d’extorsions, de bastons de rue et de règlements de compte fratricides. Un récit tragique, écrit comme du Shakespeare, qui multiplie les rencontres atypiques avec une faune interlope peuplée de destins brisés par l’appât du gain et la compétitivité aveugle. S’il révèle une part sombre et amère de la modernité japonaise que l’on connaît mal, le jeu reste aussi un portrait humain d’une rare délicatesse. Avec ses nombreux personnages attachants, ses milliers de dialogues, ses cinématiques au réalisme hallucinant (campées par de vrais acteurs), Yakuza 0 fait de son voyou le conteur visionnaire d’une société au bord du gouffre. • YANN FRANÇOIS

RESIDENT EVIL 7

TALES OF BERSERIA

GRAVITY RUSH 2

Changement de cap radical pour la saga zombie, qui s’essaie à un nouveau concept : la déambulation en vue subjective dans un manoir perdu en pleine Louisiane et habité par une famille de psychopathes cannibales. La trouille, elle, n’en est que plus vive. • Y. F.

Alors qu’il laisse croire à un énième RPG typé fantasy, Tales of Berseria réussit une belle volte-face. Tout le mérite en revient à son héroïne qui, traumatisée par la perte de ses proches, devient un monstre qui doit dévorer ses victimes pour survivre. Troublant. • Y. F.

Le retour de Kat, héroïne capable d’inverser la gravité pour voler où bon lui semble, fait plaisir. Toujours aussi enivrant, son pouvoir trouve un nouveau terrain de jeu – une cité perdue dans les nuages – à la hauteur de ses arabesques poétiques. • Y. F.

: PC, PS4, One (Capcom)

: PC, PS4, One (Bandai Namco)

: PS4 (Sony)

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17 - 28 MAI

INDÉ À JOUER

70 e F e s t i v a l International du Film CANNES 2017

Manette dans une main, carnet de notes dans l’autre, notre chroniqueur teste chaque mois une sélection de jeux indés.

www.festival-cannes.com

17 - 28 MAI

70 e F e s t i v a l I n t e r n a t i*o n a l du Film CANNES 2017

5

k

Bastille

Odéon

Quai de Seine Gambetta

Bibliothèque

Nation

Quai de Loire Beaubourg

6,90€

Parnasse

Untitled-1 1

Chez k , tous les jours à toutes les séances, votre place de cinéma à 22/02/2

Grand Palais

A Normal Lost Phone (Accidental Queens, PC, iOS, Android) reproduit l’écran d’un smartphone égaré par un inconnu. Sans possibilité de l’appeler, je dois fouiller à travers ses messages afin de débloquer les applications qui me mèneront à lui. Entre enquête et voyeurisme, le jeu questionne notre rapport à l’intime avec une économie de moyens exemplaire. En passant sur Diluvion (Arachnid Games, PC), je troque le 2.0 pour le silence des abysses. À bord d’un vieux sous-marin rouillé, je sillonne les fonds marins d’un monde postapocalyptique, en quête de gloire et de fortunes englouties. Équipé d’un sonar et de torpilles de fortune, je tente de survivre aux myriades de pirates et de monstres aquatiques qui me foncent dessus, mais aussi à la solitude des grands fonds. Linelight (My Dog Zorro, PC, PS4, One) me ramène en douceur vers la surface : je deviens une étincelle de lumière qui doit trouver son chemin sur les lignes emberlificotées d’un circuit imprimé. Sans autre pouvoir que celui d’avancer, je dois activer les bons interrupteurs et éviter les faux contacts mortels pour que le courant passe. Enfin, je me fais happer par le monde délicieusement barré de Memoranda (Bit Byterz, PC). Adapté des nouvelles de Haruki Murakami, ce point ’n’ click me confronte à un drôle de problème : mon héroïne a perdu son prénom et doit le chercher à travers des tableaux surréalistes. De quoi finir cette sélection sur une bonne note d’absurde. • YANN FRANÇOIS ILLUSTRATION : SAMUEL ECKERT

la carte

Quai de Seine Quai de Loire Gambetta Grand Palais

Beaubourg Bastille Odéon Parnasse

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Bibliothèque

* Pour l’achat d’une carte 5 à 34,50€, pour 1 à 3 places par séance Valable 1 an ou 2 mois après la 1ère date d’utilisation - Hors films en 3D relief

www.festival-cannes.com


LIVRES

FILS DE GONZO On

s’imagine volontiers qu’avoir pour père un olibrius comme Hunter S. Thompson est une chance formidable. Pourtant, grandir à ses côtés n’a pas été une partie de plaisir pour Juan, son fils né en 1964. Car aussi bien les bouffonneries publiques de l’auteur de Rhum express en font un personnage éminemment sympathique pour ses lecteurs et pour les amoureux de littérature, aussi bien son comportement s’avère infernal au quotidien pour ses proches, spécialement pour son fiston en quête de repères. Ivre la plupart du temps, parfois camé, Hunter s’affiche comme un père désinvolte et absent, imprévisible et colérique. Surtout, il fait régner un climat de terreur dans la maison. « Je l’ai vu provoquer ma mère, raconte Juan, l’insulter, la martyriser. » Le bambin assiste à des disputes homériques qui finissent souvent par l’intervention de la police. Il en viendra bientôt à détester son père, et aura besoin de nombreuses années pour lui pardonner ses faux pas. C’est cette reconstruction douloureuse qu’il raconte dans Fils de gonzo, un livre de souvenirs qui décrit toute l’ambivalence de son rapport à son père jusqu’au suicide de ce dernier, en 2005. Son portrait intime de Hunter, à la fois drôle et passionnant, complète à merveille la biographie de William McKeene (Hunter S. Thompson, journaliste et hors-la-loi), plutôt tournée vers l’œuvre et les coups d’éclats médiatiques. Plus largement, Fils de gonzo est aussi un témoignage fascinant sur l’esprit

de la contre-culture des années 1970, avec les méthodes pédagogiques expérimentales et l’omniprésence des drogues (Juan raconte comment il expérimente le LSD à 14 ans, sous la tutelle de sa mère). C’est aussi une réflexion captivante, et parfois poignante, sur les rapports père-fils quand ceux-ci ne se

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Ivre la plupart du temps, parfois camé, Hunter s’affiche comme un père désinvolte et absent. ressemblent pas, comme chez les Thompson : Hunter un voyou viril et débauché, Juan un geek paisible et sans histoires. Comment se comprendre ? « Je ne sais pas ce qu’il voulait, confesse Juan. Et pourtant, il est terriblement important pour moi de croire que je ne l’ai pas déçu. » • BERNARD QUIRINY

— : « Fils de gonzo » de Juan F. Thompson, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard (Globe, 320 p.)

LA MONTAGNE MORTE DE LA VIE

UN COLLECTIONNEUR ALLEMAND

Deux marins naufragés explorent un monde étrange et minéral, peuplé d’hommes statufiés… Entre fantastique et science-fiction, un étonnant roman posthume de Michel Bernanos (1923-1964), fils de l’auteur de Monsieur Ouine. • B. Q.

Dans le Paris occupé, un officier allemand passionné d’art pilote le service chargé de piller le pays pour le compte du Reich… Un premier roman documenté et élégant, mi-portrait psychologique, mi-tableau d’une époque. • B. Q.

Depuis cinquante ans, le dessinateur Jean Laplace publie dans les journaux du monde entier des gags sans paroles, agrémentés d’un jeu des huit erreurs. En voici une anthologie, pour goûter pleinement son humour poétique et absurde. • B. Q.

(L’Arbre vengeur, 218 p.)

(Mercure de France, 155 p.)

Cahiers dessinés, 205 p.)

: de Michel Bernanos

: de Manuel Bengugui

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SAUF ERREUR

: de Jean Laplace (Les


BD

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LA STRUCTURE EST POURRIE, CAMARADE

— : de Viken Berberian et Yann Kebbi, traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro (Actes Sud, 336 p.)

Les

poètes ont su chanter la nostalgie des lieux charmants dévorés par le béton, mais peu ont su montrer la bataille sans détourner le regard. L’écrivain Viken Berberian parle ici d’une ville qu’il connaît bien – Erevan, capitale de l’Arménie –, mais le constat est universel. Partout dans le monde, des quartiers sont livrés aux appétits des promoteurs, sans considération pour les populations déplacées. Ici, la densité graphique des êtres se fait fluctuante en fonction de l’importance qu’ils parviennent à revendiquer. L’illustrateur Yann Kebbi s’appuie en effet sur une grammaire de transparences et de dédoublements. Ses crayons de couleurs interrogent les formes plus qu’ils ne les définissent, exprimant l’impermanence et le doute, contrairement au personnage principal, un architecte catégorique, amoureux du béton, qui se voyait démiurge et redescendra parmi la plèbe. L’humour sauve cependant du désespoir, car, comme le confie l’écrivain, « la structure est pourrie, mais la vie reste étrange et belle ». • VLADIMIR LECOINTRE 113


mk2 SUR SON 31 JUSQU’AU 11 MARS

JEUDI 16 MARS

CYCLE JEFF NICHOLS À l’occasion de la sortie de Loving, retour sur les débuts du cinéaste américain.

NOS ATELIERS PHOTO ET VIDÉO « La couleur. » Découvrez les meilleures applications pour faire de la photo couleur avec votre smartphone. Comprenez l’influence de la couleur dans la composition photographique. Apprenez les réglages pour un meilleur rendu.

: mk2 Quai de Loire en matinée

JEUDI 9 MARS UNE HISTOIRE DE L’ART « Après l’Impressionnisme : Cézanne, Gauguin, Van Gogh. »

: mk2 Beaubourg à 20 h

: mk2 Bibliothèque

MARDI 21 MARS UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Un bon scénario. L’art de la narration. »

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

JEUDI 23 MARS

à 19 h 30

UNE HISTOIRE DE L’ART « Paris 1900. »

UNE HISTOIRE DE L’ART « Les Nabis et l’Art nouveau. »

à 20 h

:

: mk2 Beaubourg

LUNDI 27 MARS

à 20 h

SAMEDI 11 MARS VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « Connaît-on le futur de notre univers ? »

: mk2 Quai de Loire à 11 h

LUNDI 13 MARS LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « A-t-on le droit de se désintéresser de la politique ? »

: mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30

SCIENCES SOCIALES ET CINÉMA « Les figures du pouvoir. » Projection de Léviathan d’Andreï Zviaguintsev, en présence de Juliette Cadiot, maître de conférences à l’EHESS.

SÉANCE SPÉCIALE « DATING » Venez voir Jours de France de Jérôme Reybaud et tentez de gagner un dîner et une nuit au C.O.Q. Hôtel.

: mk2 Beaubourg à 21 h 15

LUNDI 20 MARS LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Désirons-nous simplement ce que les autres désirent ? »

: mk2 Odéon (côté St Germain)

PARIS NE S’EST PAS FAIT EN UN JOUR « Des Années folles aux années noires. »

: mk2 Grand Palais à 20 h

MARDI 14 MARS UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « La bonne durée d’un film. Coupez ! »

PARIS NE S’EST PAS FAIT EN UN JOUR « Le Paris présidentiel, de Pompidou à Mitterrand. »

: mk2 Grand Palais à 20 h

LÀ OÙ VA LE CINÉMA À LA DÉCOUVERTE DES ARTISTES DU FRESNOY « Proche / lointain. » Ivan Castineiras Gallego, Mathilde Lavenne, Kai Chun Chiang, Laura Erber, Jean-Michel Albert. Cinq films pour remettre le spectateur à sa place. Une place non assignée et à jamais mouvante.

à 20 h

SOIRÉE BREF Programmation thématique autour d’un court métrage de Jean-Marc Moutout.

: mk2 Quai de Seine

: mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30

PARIS NE S’EST PAS FAIT EN UN JOUR « Défis et grands travaux, le Paris du XXIe siècle. »

:

mk2 Grand Palais

à 20 h

MARDI 28 MARS

: mk2 Beaubourg

: mk2 Nation à 14 h

UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Faire la une du box-office : la fabrique des blockbusters. »

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

JEUDI 30 MARS UNE HISTOIRE DE L’ART « Matisse et Picasso, deux grandes figures de l’art moderne. »

: mk2 Beaubourg à 20 h

à 20 h

: mk2 Odéon (côté St Michel)

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Y a-t-il un mal propre à notre époque ? » Avec Olivier Dhilly.

CONNAISSANCE DU MONDE « Le tour de France à pied. »

à 18 h 30

: mk2 Bibliothèque à 19 h 45

mk2 Beaubourg

LE RENDEZ-VOUS DES DOCS « Les lucioles en colère. » Projection d’On ira à Neuilly inch’Allah, suivie d’un débat avec les réalisateurs, Anna Salzberg et Mehdi Ahoudig.

: mk2 Quai de Loire à 20 h

à 20 h

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