TROISCOULEURS #180 - octobre 2020

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Journal cinéphile, défricheur et engagé, par

> no 180 / oct. 2020 / gratuit

NICOLAS MAURY L’hypersensible

FREDERICK WISEMAN

« Je ne demande qu’une chose : pouvoir tout filmer, absolument tout »

BRUCE LABRUCE

Les fanzines de jeunesse du cinéaste queercore

ÉDITO

SÉANCES SPÉCIALES LITTÉRATURE ET IDÉES SÉANCES SPÉCIALES LITTÉRATURE ET IDÉES

LE LE MONDE MONDE DE... DE... HÉLÈNE HÉLÈNE CIXOUS CIXOUS LUNDI 2 NOVEMBRE LUNDI MARDI23NOVEMBRE NOVEMBRE MARDI À 20H 3 NOVEMBRE À 20H

Deux soirées pour découvrir l’une des écrivaines les plus lues traduites dans le monde. Deuxetsoirées pour découvrir l’une des écrivaines les plus lues et traduites dans le monde.

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© Francesca Mantovani © Francesca Mantovani

« Si on tape du poing sur la table et qu’on dit “Voilà, c’est ça mon message”, on ne fait plus de cinéma. » Nicolas Maury aborde la mise en scène comme un art subtil, un art de la suggestion. Son premier long métrage, Garçon chiffon, porte ainsi toute la sensibilité que l’on connaît à l’acteur qui, en seulement une poignée de rôles (chez Riad Sattouf, Mikael Buch, Yann Gonzalez ou dans la série Dix pour cent), a imposé sa présence à la fois intense et hésitante. Le film raconte l’histoire de Jérémie (joué

CINÉMA DE GENRE

Du sang frais avec le film français « La Nuée »

par Maury), un jeune homme quitté par son amoureux, qui ne supporte plus sa jalousie, et qui part se réparer à la campagne auprès de sa mère (Nathalie Baye). À la fois tragique et fantaisiste, romantique et cruel, il cultive les ruptures de ton et érige la délicatesse en principe. Cette « délicatesse », telle que prônée par Roland Barthes – comme nous l’a rappelé Maury en entretien –, n’est pas une absence d’intention ou d’opinion, au contraire : elle fait l’éloge de la nuance et de la complexité – et chez Barthes, elle s’inscrit contre une « arrogance » qui résonne bien avec notre époque. « Même si je suis très conscient de ma voix, de mon physique, de mes gestes, je donne au spectateur

la possibilité de débattre de ce que je peux devenir », nous a dit Nicolas Maury. Ainsi en va-t-il de Jérémie, héros chancelant, plein de doutes mais finalement extra lucide. Le film est d’ailleurs parsemé d’éclats quasi télépathiques qui sont autant d’échappées merveilleuses : un éphèbe sortant d’une piscine et qui sent qu’on l’épie, une bonne sœur qui devine un chagrin d’amour, un garçon qui pressent les romances avant qu’elles n’adviennent… Dans ce monde bruissant de signes, heureux sont les sensibles qui savent les capter. JULIETTE REITZER


pyramide présente

the film anti-déprime Le Journal des Femmes

Un pur moment de bonheur RTL

Enthousiasmant Version Femina

Une comédie dont seuls les Britanniques ont le secret ! Le Figaro Magazine

THE

KRISTIN SCOTT THOMAS

SINGING CLUB

APRÈS

THE FULL MONTY LE NOUVEAU FILM DE PETER CATTANEO

AU CINÉMA LE 4 NOVEMBRE

SHARON HORGAN


Sommaire

EN BREF

P. 4 P. 8 P. 10

CULTURE

CINÉMA P. 16 P. 26 P. 44

EN COUVERTURE – NICOLAS MAURY, FIBRE SENSIBLE HISTOIRES DU CINÉMA – MICHAEL LONSDALE DANS INDIA SONG LES SORTIES DU 14 OCTOBRE AU 4 NOVEMBRE

REVIEW BOMBING : LE MONDE DES GAMERS RÉACS BD – LUCAS HARARI EXPO – « ESPRIT ES-TU LÀ ? »

MK2 INSTITUT JUSTICE : FRANÇOIS SUREAU, AVOCAT ET ÉCRIVAIN PLANÈTE : FRANÇOIS SARANO, OCÉANOLOGUE SCIENCES : CHRISTOPHE GALFARD, PHYSICIEN

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A PINEDA

Depuis 2017, elle tire d’intenses portraits de nos interviewés, souvent piqués de curiosité devant son vieil appareil photo argentique. Formée à Olivier de Serres, cette jeune photographe et cheffe op sur de nombreux courts (dont L’Heure bleue de Kahina Le Querrec, présenté au FIFIB l’an passé) aime composer des images léchées dans lesquelles se mêlent flous étudiés, maquillages pailletés et lumières bleutées.

octobre 2020 – no 180

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Anna dessine des filles stylées dans des natures luxuriantes, sur papier et sur peau (elle est aussi tatoueuse). Féministe aguerrie (elle coorganise le festival Comme nous brûlons et a cofondé le webzine Retard), elle illustre chaque mois notre rubrique Flash-back (lire p. 8) et vient entre autres projets de cosigner avec Camille Victorine un chouette livre pour enfants, Ma maman est bizarre.

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© 2018 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006 — Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 + est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. — Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

P. 46 P. 46 P. 48

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TROISCOULEURS est distribué dans le réseau contact@lecrieurparis.com

CONFÉRENCES, DÉBATS, CINÉMA CLUBS À RETROUVER DANS LES SALLES MK2

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directeur de la publication : elisha.karmitz@mk2. com | rédactrice en chef : juliette.reitzer@mk2.com | rédactrice en chef adjointe : time.zoppe@mk2.com | rédacteurs : quentin.grosset@mk2.com, josephine.leroy @mk2.com | directrice artistique : Anna Parraguette | graphiste : Jérémie Leroy | secrétaire de rédaction : Vincent Tarrière | stagiaires : Émile Chevalier, Sophie Véron, Louise Tempéreau | ont collaboré à ce numéro : Julien Bécourt, Louis Blanchot, Charles Bosson, Nora Bouazzouni, Renan Cros, Joséphine Dumoulin, Marilou Duponchel, Julien Dupuy, David Ezan, Marie Fantozzi, Yann François, Adrien Genoudet, Damien Leblanc, Belinda Mathieu, Aline Mayard, Stéphane Méjanès, Thomas Messias, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Perrine Quennesson, Bernard Quiriny, Cécile Rosevaigue, Étienne Rouillon, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer & Léonore et Liam | photographes : Julien Liénard, Paloma Pineda, Marie Rouge | illustrateurs : Émilie Gleason, Anna Wanda Gogusey | publicité | directrice commerciale : stephanie.laroque@mk2.com | cheffe de publicité junior cinéma et marques : manon.lefeuvre@mk2.com | responsable culture, médias et partenariats : alison. pouzergues@mk2.com | cheffe de projet culture et médias : claire.defrance@mk2.com Imprimé en France par SIB imprimerie — 47, bd de la Liane — 62200 Boulogne-sur-Mer

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TROISCOULEURS éditeur MK2 + — 55, rue Traversière, Paris XII e tél. 01 44 67 30 00 — gratuit

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L’ENTRETIEN DU MOIS – FREDERICK WISEMAN FLASH-BACK – TOTAL RECALL, TRENTE ANS APRÈS LE NOUVEAU – THÉO CHRISTINE

Tendez-lui un stylet et une tablette graphique, il dessinera des merveilles acidulées. Depuis 2014, Jérémie, alias Jerry Can, alias jrmi, est notre super-héros-graphiste-maquettiste. Passé par l’école de Condé, ce créatif biberonné à la pop culture (il aime Star Wars et collectionne des figurines) imagine des pictos originaux, mais prend aussi garde à ce que nos envolées lyriques ne débordent pas trop du cadre. Prof d’histoire du cinéma à l’ESEC, critique et réalisateur, il débusque chaque mois dans son Microscope (lire p. 10) les plus signifiants détails du septième art. Admirateur de la musculature (pour le coup très apparente) de Schwarzy, il lui a consacré l’essai Prodiges d’Arnold Schwarzenegger (2016) et le docu La Fabrique d’Arnold Schwarzenneger (2018). • J. L.

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Cinéma -----> « City Hall »

FREDE Limpide, monumentale, sans équivalent dans l’histoire du cinéma, son œuvre est un work in progress documentaire qui court sur plus de cinq décennies. Cinq décennies à radiographier la machine Amérique dans tous les sens, en auscultant au plus près du corps ses institutions – et donc ses mythes. Avec City Hall, le cinéaste nonagénaire braque ainsi son stéthoscope sur Boston, petite fille modèle des États-Unis, où il capte le pouls encore tenace des vieux idéaux progressistes. À quelques semaines des élections présidentielles américaines, Frederick Wiseman aurait-il un message à faire passer ?

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Boston est la ville où vous êtes né en 1930, où vous avez grandi, puis où vous avez enseigné le droit à la fin des années 1950. Vous vous considérez comme bostonien ? J’ai grandi à Boston, mais après mes études j’ai habité Cambridge, la ville d’à côté, séparée de Boston par la rivière Charles. À cette époque, je n’allais déjà plus beaucoup à Boston, et je n’ai par ailleurs jamais suivi l’histoire politique de la ville. De l’eau a coulé sous les ponts depuis ces années, et quand je retourne à Boston pour le tournage de City Hall, je n’appréhende donc pas la ville comme un Bostonien, mais comme un cinéaste. Mais pourquoi avoir choisi Boston, et pas une autre ville des États-Unis ? J’ai choisi Boston, non parce qu’il s’agit de ma ville natale, mais parce que c’est la seule ville où l’on m’a donné la permission de travailler comme je le voulais. J’ai écrit six lettres à six mairies différentes : trois n’ont pas répondu, deux m’ont répondu par la négative, et Boston m’a donné son accord. Ne serait-ce pas le destin ? Non, c’est le hasard. Les lettres étaient envoyées directement aux maires, mais elles étaient d’abord lues par leur secrétaire. Or, la secrétaire de la mairie de Boston avait vu récemment un de mes films, qu’elle avait

beaucoup aimé. Elle a donc contacté une adjointe du maire, qu’elle savait être fan de mon cinéma, et qui a fini par me contacter. Cette lettre aurait pu être écartée, comme les autres, mais grâce à cette secrétaire elle a trouvé son destinataire. C’est l’histoire de beaucoup de mes films. De quelles permissions avez-vous besoin pour accepter de filmer une institution ? Je n’en demande pas plusieurs, mais une seule : pouvoir tout filmer, absolument tout. Ce que je parviens souvent à obtenir. Alors bien évidemment il y a des réunions qui, ponctuellement, peuvent m’être interdites, pour une raison ou pour une autre, mais je ne peux initier un film si je sens que certaines portes vont se fermer à mon arrivée. Je dois pouvoir sonder mon objet de manière exhaustive, et non partielle – je ne veux pas que des dissimulations orientent mon regard sur certaines choses plutôt que d’autres. Combien de temps avez-vous filmé à Boston ? Dix semaines, en trois fois. J’ai commencé le tournage en 2018, mais au bout de quatre semaines j’ai dû subir une opération de la hanche gauche. J’ai repris en février 2019, mais après deux semaines je me suis cassé des ligaments dans la jambe droite. J’ai dû

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rester alité pendant quatre mois, après quoi je suis revenu à l’automne 2019 pour terminer. Votre planning de tournage devait être particulièrement chargé. Qui organise vos journées ? Moi – et mon meilleur allié, le hasard. Pour City Hall, le maire m’avait donné le contact d’une personne me permettant d’obtenir les informations et les autorisations que je souhaitais. Le vendredi, je demandais donc une liste des réunions et des événements importants de la semaine suivante, ainsi que le programme du maire. Je composais un planning à partir de cela, mais il était indicatif – je ne m’y tenais pas forcément. Surtout, je tenais à filmer entre chacun de ces rendez-vous. À 10 heures par exemple, je pouvais avoir une visite dans un commissariat de police, puis à 14 heures une réunion au sujet des HLM de la ville. Eh bien entre les deux je cherchais des choses à filmer, des petits tableaux du quotidien – des couloirs vides, d’autres couloirs avec des personnes qui passent, des gens qui entrent dans des bâtiments, passent des portiques, se font fouiller… Le tournage, c’est toujours un mélange de rendez-vous fixes et de déambulation. Au montage, vous avez souhaité conserver cette alternance, en intercalant entre les lon-


« City Hall » <----- Cinéma

L’ENTRETIEN DU MOIS

RICK WISEMAN de possibles sur la table de montage, mieux ce sera pour le film. Au moment de vous lancer dans le tournage, est-ce que vous saviez qu’en plus d’être un film sur une ville, Boston, City Hall serait un film sur une personne, Martin Walsh, son maire ? Comme pour tous mes films, je n’avais aucune idée de ce à quoi il allait ressembler à l’arrivée : qui allait être le personnage principal ? quel allait être le thème central ? le ton ? Ici, j’avais un postulat : montrer la vie quotidienne d’une mairie d’une grande ville américaine. Mais c’est un postulat très général. En vérité, c’est au montage que le film s’écrit – que des personnages émergent, que des articulations se trouvent, qu’un fil rouge commence à relier les scènes les unes aux autres. C’est une personnalité politique que vous connaissiez ? Non. Je l’ai rencontré pour la première fois lors d’une réunion pour le film. Je ne savais

« Trump est complètement fou et il me paraît en mesure de tout tenter pour conserver la face. » gues séquences de réunions plein de petits fragments de la ville – des plans silencieux, souvent fugitifs, comme des coups d’œil. Pour rendre compte du caractère fourmillant et besogneux de l’activité administrative de la ville, il faut bien évidemment montrer au spectateur les réunions de travail. Mais il faut aussi lui montrer de l’anecdotique, des choses fugaces, le ronronnement des rues et des bâtiments. Cette alternance est du reste utile pour le rythme général du film – c’est nécessaire de savoir écouter, mais c’est aussi agréable de pouvoir juste contempler les choses un moment. C’est la raison pour laquelle je filme beaucoup, beaucoup, beaucoup – pour City Hall, on a accumulé cent dix heures de rushs. Mon expérience me permet de savoir que plus j’aurai de choix et

pas grand-chose sur lui – ni sur son parcours ni sur sa politique. Encore une fois, je n’ai jamais trop suivi la politique de Boston. Martin Walsh, je le découvre donc pour le film, et pour anticiper sur votre prochaine question, tout ce qui m’intéresse sur lui se trouve dans le film. Mais après l’avoir observé pendant des mois, diriez-vous que c’est un bon maire ? (Il réfléchit longuement.) J’ai l’impression – et j’espère que le film donne cette impression – que Walsh veut aider les gens, qu’il est un homme politique dont l’objectif est d’améliorer le quotidien des Bostoniens dans le besoin – qu’il soit d’ordre économique, social, sanitaire, affectif… Chez lui, cette veine compassionnelle ne me paraît pas feinte : il

semble vraiment travailler avec son équipe à rendre Boston adaptée aux nécessités de tous. Cela se répercute d’ailleurs de manière concrète sur la coalition qu’il a mise en place, qui réunit des immigrés irlandais, italiens, hispaniques, asiatiques, des membres des communautés LGBT… Après, City Hall n’est pas non plus une hagiographie, il rend compte de ce que j’ai pu observer : un représentant politique essayant de mener une politique sociale humaine et concertée, avec un programme et des actions claires, sans effet d’annonce… Vous voulez dire… contrairement à Donald Trump ? Son nom n’est prononcé qu’une seule fois en quatre heures trente, mais il semble dans tous les esprits. Si on la compare à la méthode et aux discours de Trump, la politique de Walsh paraît d’autant plus idéaliste – certains diront qu’elle est trop exemplaire pour être vraie, mais le film montre qu’elle repose sur une réalité objective. En fait, on a l’impression que Walsh est bon parce que Trump est particulièrement mauvais, mais c’est peut-être prendre le problème dans le mauvais sens… Dans votre précédent film, Monrovia, Indiana, vous filmiez une petite ville qui avait voté massivement pour Trump. Selon vous, pourquoi l’Amérique a-t-elle décidé de livrer son destin à un personnage pareil ? Il y a toutes sortes d’explications, et la mienne n’aura rien d’original. Beaucoup de gens en Amérique pensent que la vie s’est dégradée ces dernières années, à cause de l’immigration, de la mondialisation, de la stagnation des salaires… Trump a profité de cette énorme vague de mécontentement pour se fabriquer un statut de sauveur de la nation, en plein accord avec son narcissisme. Justement, c’est bientôt l’élection présidentielle aux États-Unis. Qu’est-ce que vous espérez ou appréhendez ? J’espère qu’Abraham Lincoln sera élu. Donc vous êtes plutôt fataliste ? J’évite surtout de faire des prédictions. Il y a quelques années, j’ai dit qu’il me semblait impossible que Trump soit élu puisqu’il était un clown, un idiot. Mais je me suis trompé, comme beaucoup d’autres. Cette fois, je crois que Joe Biden va gagner, mais j’ai peur que Trump tente un mouvement de dernière chance pour parasiter ces élections, en pro-

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voquant quelque chose comme une guerre civile, ou un chaos national. Le thème de sa campagne est très simple : la loi et l’ordre. Sa stratégie pourrait donc être de laisser les tensions sociales s’envenimer afin de s’offrir en dernier rempart. Je ne dis pas que c’est une bonne stratégie, ou que c’est ce qu’il fera ; je dis simplement qu’il est complètement fou et qu’il me paraît en mesure de tout tenter pour conserver la face. Vous pourriez envisager de réaliser un documentaire sur lui ? J’ai dit une fois, mais par blague, que j’aimerais bien tourner un film sur la MaisonBlanche. Je pense en vérité la chose irréalisable, mais c’est vrai que le narcissisme de Trump est tel… Il s’est bien laissé longuement interviewer par Bob Woodward dans la perspective d’un livre [Rage, pas encore traduit en français, ndlr], en sachant pertinemment que ce journaliste n’était pas de son bord. Malgré sa bêtise et son incompétence, Trump est désireux de marquer l’histoire américaine, de s’imposer comme un grand président. Il est à la recherche de tout ce qui pourrait l’élever au rang d’icône. Il est dans une démonstration de puissance perpétuelle. Et un documentaire sur Paris, la ville dans laquelle vous habitez ? Je ne veux pas répéter en France ce que je fais aux États-Unis. J’ai certes tourné plusieurs films à Paris, mais uniquement sur des choses légères, qui m’amusent [comme pour Crazy Horse, ndlr] ou qui mettent en lumière des types d’institutions qui n’existent pas aux États-Unis [comme la Comédie-Française pour L’Amour joué, ou l’Opéra de Paris pour La Danse, ndlr]. La France est un vieux pays, donc on peut y filmer des vieilles choses, des institutions et des lieux qui ont de l’histoire. Mais mon véritable sujet, c’est bien l’Amérique – et le véritable sujet de City Hall, ce n’est pas Boston : c’est bien l’Amérique. City Hall de Frederick Wiseman, Météore Films (4 h 32), sortie le 21 octobre PROPOS RECUEILLIS PAR LOUIS BLANCHOT Photographie : Marie Rouge pour TROISCOULEURS

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ERICA APM hillips (2019)

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À l’heure des fake news, Spielberg souligne l’importance de la presse en tant que contre-pouvoir. Retraçant la révélation de dossiers compromettants sur la guerre du Viêt Nam par The Washington Post au tournant des années 1970, le film se double d’un pertinent discours antisexiste en plein #MeToo. DAVID EZAN

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Quoi mieux que le cinéma pour commenter la politique de Donald Trump, véritable troll médiatique qui n’a lui-même cessé d’essayer de marquer la pop culture à coups de caméos, du Prince de Bel-Air à Sex and the City ? À l’approche de la présidentielle américaine (le 3 novembre), retour sur l’ère Trump en cinq films qui ont su en prendre le pouls.

de Steven Spielberg (2018)

LES CINÉASTES NOIRS BOUSCULENT LE CINÉMA D’HORREUR

L’avis de…

Infos graphiques

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EN BREF

En bref

de Jim Jarmusch (2019) Jarmusch transpose le discours anticapitaliste de Zombie (George A. Romero, 1978) dans l’inanité de notre époque. Faisant se réveiller les morts sous les yeux indifférents des habitants d’une bourgade américaine, le film semble faire écho au fatalisme latent qui a accompagné l’élection de Trump.

De plus en plus de films et séries d’horreur portés par des Afro-Américains arrivent sur nos écrans. La preuve cet automne avec Antebellum de Gerard Bush et Christopher Renz (sorti le 9 septembre) ou les séries Lovecraft Country et Bad Hair. Le black horror, un nouveau genre ? On a demandé à Mark H. Harris, créateur du site américain Black Horror Movies. Depuis le succès de Get Out, il y a une explosion de films et de séries d’horreur afro-américains. C’est le début d’un nouveau sous-genre ? Il y a eu des films d’horreur avec des réalisateurs et des stars noirs dans le passé. Dans les années 1970, pendant la Blaxploitation, Le Vampire noir, Ganja and Hess et Dr. Black, Mr. Hyde ; dans les années 1990, début 2000, Tales From

de Jordan Peele (2017) Dans ce grand film paranoïaque qui emprunte autant au genre horrifique qu’à la satire sociale, un AfroAméricain, en week-end dans sa belle-famille blanche, se retrouve pris au piège… Consacrant un cinéaste noir, Get Out s’est affirmé comme une réponse cathartique à la recrudescence du racisme dans l’Amérique de Trump.

CITY HALL de Frederick Wiseman (2020) Après s’être intéressé aux habitants d’une petite ville pro-Trump dans Monrovia, Indiana (2018), le documentariste a infiltré l’hôtel de ville de Boston pour City Hall (en salles le 21 octobre, lire p. 4). Suivant un maire humaniste, à l’opposé politiquement de Trump, le film radiographie la démocratie à l’œuvre.

the Hood, Bones, Le Cavalier du diable et Succube. Cela représente une trentaine de films, mais la grande majorité de ces films avaient un petit budget et ne sont jamais sortis au cinéma. La différence maintenant, c’est que les studios sont plus disposés à donner des opportunités aux cinéastes noirs. Pour plusieurs raisons. D’abord, cette dernière décennie, il y a eu une combinaison inédite de succès critiques et financiers de films menés par des personnages noirs, avec en tête Black Panther et Get Out. Ensuite, le succès de Get Out a montré aux studios que le black horror était un genre viable. Et puis il y a le contexte. Depuis la controverse #OscarsSoWhite en 2015, l’industrie fait un effort pour être plus représentative. Et la succession sans fin d’affaires de racisme et de violence policière médiatisées a rendu les histoires noires plus pertinentes que jamais. Pensez-vous qu’il s’agit d’une mode ou d’une nouvelle réalité ? Hollywood s’empare vite des tendances et produira des films de black horror aussi longtemps que les spectateurs et spectatrices auront envie de les voir. Et même si, une fois la nouveauté passée, ces films ne reçoivent plus autant d’attention qu’au-

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jourd’hui, je suis assez optimiste : je ne crois pas que l’industrie hollywoodienne puisse retourner dans l’obscurité dans laquelle elle était ces cinquante dernières années. Les cinéastes noirs sont-ils plus enclins à faire du cinéma d’horreur de par leur expérience du racisme ? Je ne pense pas, mais je pense que l’horreur qu’ils écrivent est plus encline à être liée aux questions de race. Et le cinéma d’horreur tend naturellement à mettre en scène les parties les plus sombres de la société, ce qui inclut le racisme et les préjugés. Le black horror est à mettre en parallèle avec le woke horror [une personne est dite woke quand elle est éveillée aux injustices sociétales et à l’oppression qui pèse sur les minorités, ndlr], qui touche à des sujets comme le sexisme, l’homophobie, la xénophobie. Le woke horror et le black horror reflètent les préoccupations actuelles et aident le genre à se renouveler. PROPOS RECUEILLIS PAR ALINE MAYARD


La phrase

En bref

À offrir

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dans l’émission Boomerang sur France Inter, le 28 septembre 2020

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À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketchs).

« Le cinéma est politique au sens où […] il remet en question la spontanéité de notre grille de lecture habituelle. » Adèle Haenel

À court d’idées pour son prochain spectacle, il déprime. Lecture idéale : Les Débuts du cinéma en Corée du dramaturge, scénariste et réalisateur sud-coréen Kang Chang-il. Avec précision, l’auteur retrace l’histoire riche du cinéma coréen (son passage du muet au parlant au mitan des années 1930) et met en lumière – ça lui parlera – ses inventions audacieuses (le « kino-drama », genre hybride entre spectacle vivant et œuvre projetée).

« NOTRE PALME D’OR ! » OUEST-FRANCE

« UN HOMMAGE À LA VIE ET UN APPEL À LA RÉSISTANCE JOYEUSE. »

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Les Débuts du cinéma en Corée de Kang Chang-il (Éditions Ocrée, 260 p., 23€)

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Dans les publications de son blog consacré à l’histoire du cinéma russe, il ne jure que par les cinéastes masculins. Si vous ne niez pas le génie de Sergueï Eisenstein, vous ne goûtez pas le déni sexiste. Proposez-lui de découvrir la rétrospective « Pionnières du cinéma soviétique » organisée par la Cinémathèque française, qui souligne l’importance, dans l’URSS des années 1920 à 1940, des réalisatrices (Olga Preobrajenskaïa et son drame muet Le Village du péché, ou Margarita Barskaïa et son formidable Souliers percés).

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À l’issue d’un cours, elle vous a confié son ambition. Pour la mettre en piste, invitez-la au festival de la Roche-sur-Yon qui, en plus de sa séduisante programmation (Mandibules de Quentin Dupieux, First Cow de Kelly Reichardt), célèbre cette année le cinéma dansant et romanesque de la cinéaste, actrice, scénariste, compositrice et chorégraphe britannique Sally Potter (Orlando) à travers une riche rétrospective et la projection de son dernier film, The Roads Not Taken. Festival du film international de la Roche-sur-Yon, jusqu’au 18 octobre

JOSÉPHINE LEROY

ÉCRIT ET RÉALISÉ PAR

JONATHAN NOSSITER Design : Benjamin Seznec / TROÏKA.

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« Pionnières du cinéma soviétique », jusqu’au 29 octobre à la Cinémathèque française

AU CINÉMA LE 21 OCTOBRE

octobre 2020 – no 180

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Scène culte

THE WICKER MAN Sur la foi d’une lettre anonyme, le sergent Neil Howie (Edward Woodward) décolle pour Summerisle, une île au large de l’Écosse, afin d’enquêter sur la disparition d’une jeune fille. À son arrivée, ce fervent chrétien découvre que les habitants sont convertis au paganisme. Choqué par cette société où l’on copule en pleine nature et où les chansons paillardes servent de messes, Howie suspecte qu’un meurtre rituel a eu lieu… Hasard du calendrier, The Wicker Man est présenté, pour la première fois dans les salles françaises, quelques semaines après Ne vous retournez pas (voir même rubrique, no 179), sorti la même année au RoyaumeUni en double programme. Deux approches complémentaires d’un même cinéma, travaillant les codes du thriller et de l’horreur sur un mode hallucinatoire : l’une sombre (le film de Nicolas Roeg), l’autre lumineuse (ce Dieu d’osier – d’après le titre belge et québécois du film – tout aussi culte). Car si Ne vous retournez pas s’apparente à un labyrinthe, conçu pour nous perdre avec ses personnages, The Wicker Man nous propose plutôt d’observer, avec jubilation, la souris qui y est

TOTAL RECALL

À l’occasion des 30 ans de sa sortie au cinéma, retour sur le thriller de science-fiction de Paul Verhoeven, dans lequel le corps bodybuildé d’Arnold Schwarzenegger incarnait à merveille les fantasmes et les névroses de l’époque. Deuxième film de science-fiction hollywoodien de Paul Verhoeven après RoboCop, Total Recall est sorti en France le 17 octobre 1990. Cette adaptation d’une nouvelle de Philip K. Dick suit Douglas Quaid (Arnold Schwarzenegger), un Terrien qui, en 2048, décide de se faire implanter de faux souvenirs d’un voyage sur Mars. Mais l’expérience dérape quand surgissent des fragments d’un précédent séjour sur la planète rouge, alors que Quaid était agent secret. Rêve et réalité se mêlent alors dangereusement… « Total Recall se servait du corps de Schwarzenegger pour explorer l’inconscient des images hollywoodiennes », avance Jérôme Momcilovic, auteur de Prodiges d’Arnold Schwarzenegger (Capricci, 2016). « Le bodybuilding, qui permet de fabriquer soi-même son corps, fut le grand fantasme idéologique des années 1980, et Schwarzenegger était l’incarnation absolue de cette version moderne du rêve amé-

ricain consistant à s’accoucher soi-même. Verhoeven en fit justement le sujet du film. » Avec son personnage de Kuato, un mutant logeant dans le ventre d’un homme, ou sa célèbre séquence durant laquelle Schwarzenegger s’extirpe du corps factice d’une dame enrobée, l’imagerie de Total Recall traite en effet cette idée d’auto­ enfantement. Jusqu’au vertige. « Si, comme Schwarzenegger, on est arrivé à ce stade ultime où l’on peut devenir ce qu’on veut, reste-t-il encore quelqu’un à l’intérieur de l’image ? Le film offre une psychanalyse de l’acteur : plusieurs plans l’allongent sur le divan, comme pour regarder dans la tête d’un bodybuildeur qui a décidé que sa vie serait un rêve », poursuit Momcilovic. Le rôle de l’acteur embrassait ainsi les différents imaginaires de son époque. « La prise de pouvoir sur le corps avait un versant technoscientifique et un autre plus carnavalesque. En rejoignant à la fin la communauté de mutants, Schwarzenegger s’extrait du transhumanisme pour atteindre une dimension plus queer. » Nouvelle preuve, après Terminator et avant Last Action Hero, de la passionnante filmographie de celui qui devint en 2003 gouverneur du temple des images, la Californie.

DAMIEN LEBLANC ILLUSTRATION : ANNA WANDA GOGUSEY

Règle de trois

OLIVIER MARGUERIT

© Frankie & Nikki

Flash-back

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DE ROBIN HARDY (1973)

LA NUÉE DE JUST PHILIPPOT (SORTIE LE 4 NOVEMBRE) : ACCULÉE, UNE AGRICULTRICE MONTE UN ÉLEVAGE DE SAUTERELLES QUI PÉRICLITE, JUSQU’À CE QU’ELLE COMMENCE À LES NOURRIR AVEC DU SANG.

Émopitch

En bref

Héros discret d’une pop française racée (il est à la guitare chez Syd Matters, au clavier pour Halo Maud), Olivier Marguerit, alias O en solo, excelle aussi en B.O. : après Diamant noir, sa partition subtile et raffinée pour Garçon chiffon évoque Jacques Demy. Interview cinéphile.

no 180 – octobre 2020

enfermée. Cette étrange culture qui célèbre l’amour, la vie et la mort comme choses naturelles n’est terrifiante que du point de vue du chaste policier. Lui seul ne sait apprécier la beauté des scènes musicales, toutes en folk soyeux et en transes psychédéliques. Et lui seul lutte contre son désir pour la fille de l’aubergiste (Britt Ekland) lorsque celle-ci l’appelle à travers le mur de sa chambre.

« Hé ho, qui est là ? Ce n’est que moi, mon cher. Viens donc me retrouver. » Entièrement nue, elle chante, danse, frappe contre la cloison. « Hé ho, qui est là ? Ce n’est que moi, mon cher. Viens donc me retrouver. » Tel Ulysse face aux sirènes, Howie prie, se retourne sous la couette, hésite à ouvrir la porte… puis retombe dans son lit en sueur, tremblant de frustration. C’est dans cette scène charnière qu’éclate le sous-texte libertaire de The Wicker Man : dans ce monde utopique, ce pauvre idiot de flic n’a vraiment aucune chance.

S’il ne restait que 3 comédies musicales ? Les Parapluies de Cherbourg est le premier film qui m’a fait avoir un regard analytique sur le cinéma. J’ai été saisi par la manière dont la voix est utilisée dans les dialogues chantés, une invention géniale. Les décors, la mise en scène, la musique de Michel Legrand, tout s’agrège parfaitement. Ado, j’ai également été marqué par The Wall d’Alan Parker, vu avec des potes en fumant des oinjs. Le film a sans doute mal vieilli, mais ça me faisait triper, la personnification un peu fasciste du mec, le passage du live à l’animation, les marteaux… Un grand voyage psychédélique. Et puis La France de Serge Bozon : il fait chanter à des personnages de Poilus des chansons pop magnifiques, ce qui crée un décalage étrange, au milieu du champ de bataille.

Sur quel acteur ou actrice fantasmais-tu quand tu avais 13 ans ? Madonna. Le film sur sa tournée In Bed With Madonna m’avait particulièrement excité. Je tripais vraiment sur elle à cette époque-là. Son image de femme libérée était fascinante, sulfureuse, en décalage avec les top-modèles comme Claudia Schiffer ou Naomi Campbell.


The Wicker Man de Robin Hardy (Lost Films, 1 h 34), ressortie le 4 novembre

MICHAËL PATIN

En bref

Emmanuelle, un des premiers films érotiques que j’ai vus, avec le personnage de Sylvia Kristel qui assumait sa sexualité. Tous en scène, le film d’animation avec des animaux qui chantent, je le regarde régulièrement avec ma fille. Et puis Les Bronzés font du ski, même si tout le monde l’aime bien.

3 personnages de cinéma dans lesquels tu te retrouves ?

PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC VERNAY

3 plaisirs cinéphiles coupables ?

Le personnage de James Spader dans Sexe, mensonge et vidéo. J’aime bien l’idée d’être le confesseur d’histoires intimes et la façon dont il pénètre un environnement bien établi et le fait voler en éclat. Wayne dans Wayne’s World, car j’associe ce personnage à l’insouciance de la jeunesse. Ce moment de la vie où tout notre être est tourné vers la quête des plaisirs simples : être avec des amis, écouter de la musique. Boriska, le jeune homme qui fabrique la cloche à la fin d’Andreï Roublev. Le moment où elle sonne est l’une des plus belles scènes du cinéma.

Une comédie qui te console en 3 minutes ?

Sans titre-2 1

Walk Hard, un faux biopic d’une espèce de Johnny Cash incarné par John C. Reilly, avec un regard sur les coulisses que j’ai trouvé vraiment drôle en tant que musicien.

3 B.O. dont on ne parle pas assez ? octobre 2020 – no 180

28/09/2020 11:51

Celle du Grand bleu n’est pas assez reconnue alors qu’il y a une adéquation très réussie entre l’image et la composition d’Éric Serra. La B.O. de Tindersticks pour Trouble Every Day, magnifique dans sa manière de créer de l’air en contrepoint à l’hyperviolence visuelle de ce film de cannibalisme. Et puis ma madeleine de Proust, le thème de principal de Furyo, signé Ryūichi Sakamoto.

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Le strip

En bref

Chaque mois, zoom sur la relève du cinéma

Microscope

LA MORSURE Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Chaque mois, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : une morsure sonore dans La Bête humaine de Jean Renoir (1938). Lantier est heureux, ça ne lui arrive pas souvent. Tellement heureux dans les bras de Séverine qu’il oublie de se méfier : de lui, à qui le désir fait tuer les femmes ; d’elle, que l’infamie des hommes a transformée en panthère. La Bête humaine n’est pas seulement l’un des plus beaux films du monde, c’est aussi une répétition de La Féline de Jacques Tourneur, quatre ans avant, et paradoxalement plus complète. Car la pulsion n’y transforme pas que la femme, en panthère, mais aussi l’homme, en machine. Renoir filme la rencontre fatale d’un chat et d’une locomotive. Il avait compris avant Tourneur et Val Lewton qu’en fait d’actrice, Simone Simon était un chat : c’est même pour ça qu’il l’a choisie, les archives en attestent, ainsi que la première scène qu’il lui donne ici, avec dans les bras un chaton laineux qu’elle pétrit d’un geste de tendresse inquiétant. Et puis cette réplique, dite sur fond de pluie par Pecqueux, le merveilleux Julien Carette, à Lantier/Gabin : « Ces femmes-là, c’est comme les chattes, ça aime pas se mouiller les pieds. » Lantier, lui, est une locomotive, et c’est auprès d’une de ses semblables, Lison, compagne de vitesse, de fer et de fumée hurlante, qu’il se console d’être interdit d’aimer les femmes. Quand il parle de son mal, il dit : « C’est comme une grande fumée qui me monte dans la tête. » Et quand, tout au début, le film veut lui faire dire son premier mot malgré la bande-son remplie du hurlement de Lison, que dit-il ? Rien : il siffle. De son mal, il dit également : « Quand je suis comme ça, je suis comme un chien enragé qui a envie de mordre. » Animal aussi, donc. Renoir : tous hommes, donc animaux, donc machines. Si La Bête humaine a

C’est une bouche et à la fois le tonnerre d’une guillotine qui s’abat sur ce qu’il restait d’espoir à Lantier. L’acteur de 24 ans irradie en fantasme absolu dans Garçon chiffon de Nicolas Maury, avant d’incarner JoeyStarr dans un biopic de NTM. Derrière son phrasé lunaire, rencontre avec un jeune homme plus affirmé qu’il en a l’air. « Il m’a énormément troublé, car il y avait quelque chose en lui de très “en cours”, comme on dirait “travaux en cours” », raconte Nicolas Maury, qui a choisi Théo Christine parmi une cinquantaine de comédiens pour jouer Kevin, motard à l’apparition robuste et spleenétique. Né en 1996, il a grandi entre la Vendée et la Martinique où il se destinait à une carrière dans le surf. « Ça ne s’est pas très bien passé, dit-il pudiquement. Je

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ne savais pas très bien ce que je pouvais faire de ma vie, je voulais juste que ce ne soit pas banal. » Arrivé à Paris en 2015, il entame une formation d’acteur au cours Florent. Si son parler flegmatique dégage d’abord quelque chose d’un peu flottant, ce sentiment se dissipe dès qu’il s’exprime sur ses goûts et ses choix de carrière, de plus en plus tranchés. Ainsi, si cet admirateur de Shia LaBeouf et des frères Safdie a été révélé par la série pour ados Skam (France tv Slash), il se verrait plutôt évoluer dans la série plus dark Euphoria, où il est moins question d’amourettes que d’anorexie, de drogue et de prostitution. « J’aime les personnages qui vont à contre-

sens », dit celui qui devrait exploser dans Suprêmes d’Audrey Estrougo, où il jouera JoeyStarr aux débuts de NTM. Un rôle dans lequel on l’imagine déjà plus nerveux, mais pas moins poétique. Garçon chiffon de Nicolas Maury, Les Films du Losange (1 h 48), sortie le 28 octobre

QUENTIN GROSSET Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

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si spectaculairement l’intuition de ce que déploiera le film de Tourneur, c’est qu’on voit vraiment Séverine se métamorphoser à mi-chemin, passer soudain de la moue douloureuse qu’elle prend pour dire, en traînant lourdement sur les m de ses mots tristes : « Vous m’aimez ? Mais faut pas m’aimer ! », au visage qui se durcit et aux gestes qui s’aiguisent et n’ont plus rien d’avachi. Et donc il y a ce geste en particulier, et surtout ce son. Séverine est dans les bras de Lantier, pendue à son cou, et soudain elle fait semblant de mordre, par jeu mais avec une assurance inattendue, pétrifiante, et on entend très fort, vraiment très fort, le bruit que fait dans ce geste le claquement de ses dents. Dans le silence où résonne ce son, qui forme à l’oreille l’image la plus précise qu’on puisse donner d’une bouche, il est d’un érotisme inouï. C’est une bouche et à la fois le tonnerre d’une guillotine qui s’abat sur ce qu’il restait d’espoir à Lantier. Il n’est pas exclu que la restauration du film ait décuplé l’incroyable


ÉMILIE GLEASON

En bref

CONDOR DISTRIBUTION PRÉSENTE

“ ENTRE LE POÈME ET LA BERCEUSE INTIMISTE, UNE SORTE DE MERVEILLE ”

© D.R.

SLATE

TSEDEN

© D.R.

UN FILM DE PEMA

© D .R.

© D.R.

Sélection Officielle

JÉRÔME MOMCILOVIC

Création : Kévin Rau / TROÏKA

présence des corps pendant les scènes intimes : un peu plus tôt, quand Séverine disait qu’il ne fallait pas l’aimer, on entendait son nez siffler très légèrement entre les mots. Mais c’est bien à Renoir qu’il appartient de nous faire entendre si près. Il y a deux ans, dans une admirable conférence à la Cinémathèque française, Bernard Benoliel rappelait cet élan qui, accompagnant chez Renoir le désir, fait voir trop près, au risque du flou (pour l’image) et de la brûlure (pour ceux qui regardent : l’amoureux et le spectateur). Le frisson de ce rapprochement obscène passe aussi par le son, et La Bête humaine accomplit là ce qu’aucun film de vampire n’a osé rêver : mordre le spectateur lui-même.

AU CINÉMA LE 11 NOVEMBRE

Trois Couleurs 180x255 BALLOON 05-10.indd 1

octobre 2020 – no 180

05/10/2020 15:33

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En bref -----> La page des enfants

L’interview

https://quefaire.paris.fr/monpremierfestival, à partir de 2 ans

MA MAMAN EST BIZARRE [BD] Entre moments de tendresse à la maison et activités à l’extérieur (manifestation féministe, grande fête dans un parc), une petite fille découvre la fantaisie de sa mère. Et si la bizarrerie était une richesse ? La simplicité du message et la beauté graphique font de cette BD une intelligente approche du quotidien d’une famille monoparentale vu par une enfant. • É. C. Ma maman est bizarre de Camille Victorine et Anna Wanda Gogusey

Vouliez-vous déjà faire ce métier quand vous étiez enfant ? Au cours préparatoire, on nous avait demandé quelle profession on souhaiterait exercer plus tard, et j’avais écrit pompier, parce que j’adorais les camions, et dessinateur de BD, car je venais de comprendre que c’était de vraies personnes, et pas d’obscures machines, qui fabriquaient des BD. Quelles difficultés avez-vous rencontrées durant votre parcours ? Le plus difficile, c’est d’évaluer son propre travail. J’ai commencé à envoyer des dessins aux éditeurs vers 14 ans, et on me répondait toujours non. Et puis un jour, à 24 ans, trois éditeurs m’ont dit oui la même semaine, pour trois ouvrages différents. J’avais progressé sans m’en rendre compte. Aujourd’hui, c’est plus facile de juger la qualité de votre propre travail ? J’ai deux boussoles : me faire plaisir, et écouter mes copines et mes copains. C’est très précieux d’avoir des amis qui, même si tu es connu, te disent « Là, c’est vraiment moyen », ou « Tu devrais retravailler un peu ». Qu’est-ce qui vous a donné envie de transformer votre bande dessinée Petit vampire en film d’animation ? C’est la réussite commerciale et artistique de l’adaptation du Chat du rabbin. J’avais envie de renouveler cette expérience, mais cette fois en m’adressant vraiment aux enfants à la manière de Disney, de Hayao Miyazaki

EJ

OA N

12 A

I PAR L AM

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MON PREMIER FESTIVAL [CINÉMA] Cette 16e édition dévoile un programme riche autour de la thématique « Un autre monde » : Joann Sfar en invité d’honneur et son film inédit Petit vampire (sortie le 21 octobre, lire p. 12), un focus sur le cinéma coréen, des films culte (E. T. L’extra-terrestre, Le Château ambulant…) et des invités qui animeront des ciné-débats. Des vacances scolaires cinéphiles en perspective ! • É. C.

... D

Tout doux liste

Liam, 12 ans, a rencontré Joann Sfar, auteur et dessinateur de bandes dessinées à succès – Le Chat du rabbin, Donjon… – et réalisateur – Gainsbourg (vie héroïque). Il adapte pour le cinéma sa bande dessinée Petit vampire, qui sort en salles en octobre.

N S FAR

ou de Pixar ; c’est-à-dire en produisant un récit universel avec des sentiments forts, des gentils et des méchants. Comme c’est un long métrage, il a fallu étoffer le monde de Petit vampire. On a mis six ans à faire ce film. On le sort maintenant, pendant l’épidémie, parce que c’est important d’aller voir des films en salles. Si on ne sort pas les films maintenant et qu’on attend, eh bien il n’y a aura plus de salles de cinéma du tout, et après on sera bien embêtés. Est-ce vous qui avez dessiné toutes les images du film ? Non seulement je n’ai pas tout dessiné, mais avec une équipe d’animateurs et de designeurs on a essayé de trouver un style qui ne ralentirait pas l’action. Dans Petit vampire, il y a beaucoup de mouvements, des bateaux qui volent, des bagarres, alors si on avait gardé mon trait tout tremblant l’animation n’aurait pas été lisible. Comment faites-vous pour faire de l’humour sur d’horribles monstres ? Quand j’étais petit, il m’était interdit de regarder des films d’horreur, mais j’avais le droit de lire des magazines sur ces films. Je découpais et collais sur mon cahier les images de Frankenstein, de Dracula, j’inventais des histoires et ils devenaient des personnages de comédie. Adulte, je me suis rendu compte que les monstres étaient formidables pour parler des problèmes de la vraie vie, des complexes de chacun. En plus, c’est très marrant à dessiner, un monstre.

Petit vampire ne ressemble pas du tout à Klezmer ou au Chat du rabbin. Les peintres ont des styles différents selon les périodes de leur carrière, est-ce que c’est pareil pour vous ? Elle est intéressante, ta question… Le dessin, c’est comme un sac à dos : tu as appris des trucs et, si tu veux en apprendre d’autres, il faut vider un peu ton sac, faire de la place. Si tu as envie de changer de style ou de méthode, tu vas désapprendre autre chose. Mes livres ne se ressemblent pas, mais je ne le fais pas exprès du tout. C’est une fois que c’est fini que je m’en rends compte. Vous préférez faire de la BD ou réaliser des films ? Je ne pourrais pas vivre sans BD, mais c’est beaucoup plus amusant de réaliser un film. Faire de la BD, c’est rester tout seul chez soi ; faire un film, c’est passer du temps sur un plateau avec des gens qui font des trucs pas possibles, qui sautent au plafond, qui se battent à l’épée… Un plateau de cinéma, c’est l’endroit le plus joyeux au monde ! Petit vampire de Joann Sfar, StudioCanal, sortie le 21 octobre, à partir de 8 ans PROPOS RECUEILLIS PAR LIAM (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE) Photographier : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

(La ville brûle, 44 p.), à partir de 3 ans

La critique de Léonore, 9 ans

CALAMITY SORTIE LE 14 OCTOBRE

FRITZI [CINÉMA] Été 1989. RDA. À la rentrée, Sophie, la meilleure amie de Fritzi, et sa famille, ont disparu : Fritzi entreprend alors de traverser la frontière avec la RFA pour les retrouver… Situé à la veille de la chute du mur de Berlin (manifestations, répression, arrestations), le film introduit des idéaux de liberté dans un récit qui s’adresse aux plus jeunes. • ÉMILE CHEVALIER Fritzi de Ralf Kukula et Matthias Bruhn (Septième Factory, 1 h 26), sortie le 14 octobre, à partir de 10 ans

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« Je connaissais déjà le personnage de Calamity Jane dans Lucky Luke. Là, c’est un peu pareil : c’est une fille qui vit en Amérique il y a longtemps et qui a du caractère. Mais dans Lucky Luke elle est grande, alors que dans ce film elle est jeune. C’est un dessin animé particulier, parce que la vie de l’héroïne est vraiment horrible : sa mère est morte, personne ne l’aime et on se rend compte que, quand on était une fille à l’époque, c’était vraiment difficile. En plus, elle n’était pas comme les autres. Du coup, le film parle des gens qui taquinent les autres à cause de leur différence, et ça, c’est

super, parce que ça se passe encore aujourd’hui. Et quand tu vois quelqu’un qui ressent ce que tu ressens, ça fait du bien ! Il y a aussi une insulte super drôle et sans aucun gros mot : “Tête de bouse.” Je pense que ça va être trop utile quand je serai au collège. » Calamity. Une enfance de Martha Jane Cannary de Rémi Chayé, Gebeka Films (1 h 22), sortie le 14 octobre, à partir de 6 ans PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY


LES FILMS PELLÉAS PRÉSENTE

INDES GALANTES

UN FILM DE PHILIPPE BÉZIAT

AU CINÉMA LE 11 NOVEMBRE © COURAMIAUD

LEONARDO GARCÍA ALARCÓN CLÉMENT COGITORE BINTOU DEMBÉLÉ

PRODUCTION PHILIPPE MARTIN ET DAVID THION IMAGE RAPHAËL O’BYRNE THOMAS RABILLON ARTHUR CEMIN BALTHAZAR LAB JULIEN RAVOUX MONTAGE HENRY-PIERRE ROSAMOND PRISE DE SON FRANÇOIS WALEDISCH THIBAUT HAAS ADRIEN STAUCH CORENTIN MEYRIEUX ASSISTANTE MISE EN SCÈNE JULIA MARAVALDIRECTRICE DE PRODUCTION JULIETTE MALLON MONTAGE SON FRANÇOIS MÉREU SÉBASTIEN SAVINE MIXAGE DES MUSIQUES THOMAS DAPPELO MIXAGE MÉLISSA PETITJEAN UNE PRODUCTION LES FILMS PELLÉAS EN COPRODUCTION AVEC ARTE FRANCE CINÉMA L’OPÉRA NATIONAL DE PARIS AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION ÎLE-DE-FRANCE EN PARTENARIAT AVEC LE CNC AVEC LA PARTICIPATION DE PYRAMIDE ARTE FRANCE EN ASSOCIATION AVEC PALATINE ÉTOILE 17 CINEAXE COFINOVA 16 DÉVELOPPÉ AVEC LE SOUTIEN DE CINÉMAGE 13 DÉVELOPPEMENT CINÉVENTURE DÉVELOPPEMENT 4 LES FILMS CHAOCORP


En bref

TIES DU M R O S OI S E

S

L

PLATEFORMES

POSSESSIONS Série (Canal+)

Natalie, une jeune Française expatriée en Israël, s’apprête à couper son gâteau de mariage. Une minute plus tard, son époux gît dans une mare de sang, la gorge tranchée. La jeune femme ne se souvient de rien… Un thriller franco-israélien haletant, aux accents surnaturels et porté par un casting impeccable : Reda Kateb, Noa Koler, Dominique Valadié… • N. B.

NO MAN’S LAND Série (Arte)

Juin 2014. Daech rétablit le califat. À Paris, Antoine (Félix Moati) croit apercevoir, dans une vidéo tournée en Syrie, sa sœur morte deux ans auparavant. Il décide de partir à sa recherche… Cette série chorale nous plonge au cœur du conflit syrien aux côtés des combattantes kurdes, de jeunes Anglais engagés dans le djihad et d’Antoine, fou d’espoir. • N. B.

SUR LES CHEMINS DE LA RÉDEMPTION

La série

LA FLAMME Puisque la téléréalité dépasse bien souvent la fiction, autant y aller franco. Avec La Flamme, parodie des émissions de dating type Bachelor ou Greg le Millionnaire, Jonathan Cohen et ses acolytes signent l’adaptation très réussie d’une série américaine qui n’a pas fait long feu. Elles sont treize, treize jeunes femmes prêtes à tout pour conquérir le cœur de Marc, un beau brun pilote d’avion interdit de vol et surtout célibataire – et surtout incarné par Jonathan Cohen, un des acteurs les plus drôles de sa génération. Abonné aux petits rôles pendant une dizaine d’années, le comédien est révélé en 2015 par la série Bloqués, dans laquelle il joue Serge le Mytho, baratineur de compète aux histoires abracadabrantes. Six ans après la série France Kbek, arrêtée au bout de deux saisons, Jonathan Cohen repasse au scénario et derrière la caméra avec son compli­ce d’alors, Jérémie Galan, et Florent

Bernard (alias FloBer, du collectif Golden Moustache) pour La Flamme, adaptation de la série américaine Burning Love, une parodie du Bachelor diffusée en 20122013 aux États-Unis. Il y reprend le rôle de Marc, tenu par Ken Marino (Party Down) dans la version originale, avec Vincent Dedienne en présentateur interloqué mais professionnel face à la bêtise insondable du célibataire. Casting cinq étoiles du côté des candidates : Adèle Exarchopoulos (et son gimmick absurde), Leïla Bekhti (obsédée par Marc), Céline Sallette (SDF en quête de chaleur, litté­ ralement), Laure Calamy (fervente catho), Camille Chamoux (pas là pour faire un

puzzle)… Et avalanche de guests : Vincent Macaigne, Ramzy Bedia, François Civil ou Pierre Niney. On jubile devant la performance de Jonathan Cohen, hilarant en beau gosse superficiel et capricieux, et, si un ou deux gags éculés font grincer des dents, on en redemande. Espérons que cette Flamme brûle le plus longtemps possible. à partir du 12 octobre sur Canal+

NORA BOUAZZOUNI

Film (Netflix)

En 2017, Paul Schrader tourne en toute liberté Sur les chemins de la rédemption (First Reformed) avec Ethan Hawke. À mi-chemin entre un remake du Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson et une suite de Taxi Driver de Martin Scorsese (dont il avait écrit le scénario), il donne corps à un cinéma brûlant et transcendantal sur fond de désastre écologique. • C. B.

QUINZEQUINZE Clip (YouTube)

Première signature du label parisien S76, le groupe QuinzeQuinze répand son R&B extraterrestre et explore ses origines tahitiennes dans le clip de « Le Jeune ». Sur fond d’essais atomiques, des surfeurs irradiés en 3D photoréaliste (réalisées par Marvin Maclean) explorent un jardin d’Éden transformé en cauchemar radioactif. • C. B.

THE THIRD DAY

Performance (Facebook) Depuis le 3 octobre, on peut découvrir sur la page Facebook de la chaîne britannique Sky l’épisode « Automne » de la série The Third Day (OCS) avec Jude Law. Pendant douze heures, sans interruption, les acteurs y prolongent le drame le temps d’une fête païenne sur l’île d’Osea, sous la direction du metteur en scène de théâtre immersif Felix Barrett. • C. B.

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Le film

ON THE ROCKS Sofia Coppola revisite la comédie classique hollywoodienne dans ce septième long métrage doux-amer. Laura est une jeune romancière newyorkaise mère de deux enfants. Elle a déjà touché une avance pour son prochain livre, mais se trouve confrontée au syndrome de la page blanche car elle soupçonne son mari d’infidélités. Son père lui propose d’espionner celui-ci pour en avoir le cœur net. Le duo formé par Rashida Jones (Parks and Recreation, The Office) et Bill Murray (qui retrouve Sofia Coppola après Lost in Translation et A Very Murray Christmas) a quelque chose de ceux formés par Rosalind Russell et Cary Grant dans La Dame du vendredi (1940), ou Katharine Hepburn et Spencer Tracy dans Madame porte la culot­te (1950). Il l’appelle « microbe » et lui rappelle

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que les hommes devraient « vénérer le sol qu’elle foule de ses pieds » ; elle se moque de ses penchants misogynes et de sa « génération Martini ». La nuit, ils se glissent dans leur Alfa Romeo rouge décapotable le temps d’une course poursuite mémorable avec un taxi et dégainent leurs jumelles et leur kit de dégustation de caviar. Mais on ne peut pas passer son existence à siroter des cocktails à la table de Bacall et Bogart,

car la vie vous attend, la mélancolie vous rattrape, et ce père fantasque qui multiplie les entrées et les sorties fracassantes est aussi celui qui vous a abandonnée enfant. Convoquant tout son art du cadrage et de l’ellipse, la réalisatrice de Somewhere (autre grande virée père-fille, sortie en 2010) observe les remous derrière les façades vernies, comme ceux que produit une larme qui tombe dans un Martini. à partir du 23 octobre sur Apple TV+

CHARLES BOSSON


UN PUR SHOT DE CINÉMA !

FRANCE INTER

THOMAS VINTERBERG

14 OCTOBRE

Crédits non contractuels • Photo : ©Henrik Ohsten • Création : Benjamin Seznec / TROÏKA

LE NOUVEAU FILM DE

CHRISTINE MASSON



« Garçon chiffon » <----- Cinéma

FIBRE

SENSIBLE Silhouette de chat, voix délicate et cristalline, l’acteur Nicolas Maury (Un couteau dans le cœur, Dix pour cent…) fascine par l’intrigant raffinement avec lequel il se promène dans le paysage cinématographique français. Avec spleen et drôlerie, il se raconte dans son premier long métrage en tant que réalisateur, l’hypersensible Garçon chiffon. Il y incarne un comédien au bord des larmes, abandonné par son copain parce que trop jaloux, et en mal de rôles parce que pas dans les cases. À quelques jours de son quarantième anniversaire, il se confie sur ses propres vulnérabilités et sur son parcours, marqué par le désir d’élargir enfin le spectre des masculinités à l’écran. PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET Photographie : Paloma Pineda pour TROISCOULEURS

L’expression « garçon chiffon » évoque l’enfance, la mélancolie, la fragilité. D’où vient-elle ? Ma mère m’avait surnommé comme ça parce que je traînais un doudou qui au départ était un gros coussin, plus gros que moi. Je suçais mon pouce, avec l’angle du coussin dans la main, et, au fur à mesure que je grandissais, celui-ci a réduit ; c’est devenu un morceau de tissu tout élimé. Ça, c’est pour l’origine autobiographique. Mais si j’ai choisi cette formule comme titre, c’est parce que j’ai pensé à un portrait type, un peu comme dans Les Caractères de La Bruyère. Je me suis demandé : qui serait le « garçon chiffon » ? J’aimais les glissements de sens possibles avec ce mot – en anglais, le chiffon désigne un organza de soie, le plus noble qui existe, tandis qu’en français c’est plutôt un tissu ignoble. En quel sens es-tu toi-même un « garçon chiffon » ? Je peux souvent me trouver dans cet état indéterminé, juste entre l’endormissement et le sommeil, entre le semi-rêve et la semi-­ réalité. En ce sens, je suis assez chiffon. Le chiffon, c’est aussi un tissu en devenir, réparable. Moi-même, je suis peut-être un peu moins déchiré que je ne l’ai été autrefois. J’ai aimé trop tragiquement, en étant un peu trop en demande du monde extérieur. Truffaut parle de l’amour comme d’une joie et d’une souffrance. Moi, ça m’était rarement une joie. J’étais plutôt friable. Comment ce type de masculinité à fleur de peau que tu incarnes te semble perçu aujourd’hui dans la société, dans nos représentations ? J’ai envie de dire qu’aujourd’hui il y a des acceptations d’apparat – c’est-à-dire qu’on a l’impression qu’on tolère beaucoup plus de choses. Mais je remarque aussi que ça fait bien de sortir un drapeau qui dit « Je ne suis pas homophobe », « Je suis féministe », etc. Je ne trouve pas que les choses changent tant que ça. Je le vois avec ma propre masculinité ; par rapport à comment je peux arriver dans un magasin, à comment je suis habillé à Paris… Les regards n’ont pas tant changé que ça depuis que je suis arrivé ici à 20 ans. La perception générale est encore frileuse parce qu’une masculinité comme la mienne remet en cause beaucoup de choses chez un homme. Ça contredit beaucoup d’éléments en place, alors que je pense que l’idée n’est pas de contredire, mais de coexister voire plus, c’est-à-dire de coembrasser des masculinités et des féminités et même des transidentités différentes.

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Cinéma -----> « Garçon chiffon » Ce personnage de garçon chiffon, l’as-tu donc pensé comme une contre-représentation par rapport à une masculinité hégémonique ? Une façon de déconstruire nos représentations des hommes ? J’ai envie de répondre oui à tes deux questions. J’ai écouté récemment une interview de Gérard Depardieu qui date des années 1970. Il disait : « On dit souvent que les artistes sont sensibles ; mais non, ce sont des sauvages. » Et moi j’ai ça en moi, c’està-dire que j’ai certes une délicatesse mais, parfois, dans mon acte de déconstruire des codes, je suis violent. Parce que ces codes-là, pour certains rôles, ils m’ont par exemple empêché de bouffer, pour le dire très trivialement. C’est-à-dire que les gens disaient : « Oui, Maury, c’est un super acteur, mais on va trop loin en le prenant lui. » Donc ça veut dire que c’est une décision de vie ou de mort qu’on a sur moi, par rapport à une idée convenue d’un rôle. Faire ce film aujourd’hui, ce n’est pas une vengeance,

« Dans mon acte de déconstruire des codes, je suis violent. » mais je l’ai quand même fait avec toute la violence que j’ai pu recevoir. Parce que le métier d’acteur, c’est l’art de la sélection. On est sélectionné, on est sélectionnable. Et ne pas l’être, très souvent, ça m’a forcément donné non pas une haine, mais un feu supplémentaire. Certains de tes rôles pourraient au départ être associés à des archétypes d’une virilité convenue : un acteur porno dans Un Couteau dans le cœur de Yann

Gonzalez,un père bourru dans Perdrix d’Erwan Le Duc… Toi et les cinéastes avec lesquels tu as travaillé, vous avez souvent cherché à complexifier, à ouvrir le champ des masculinités. Oui, je l’ai toujours voulu, à un point même qui peut parfois cliver… Je pense qu’au cinéma, si on tape du poing sur la table et qu’on dit « Voilà, c’est ça mon message », on ne fait plus de cinéma, car on s’écarte d’un « principe de délicatesse », évoqué par Sade puis par Barthes. Moi, même si je suis très conscient de ma voix, de mon physique, de mes gestes, je donne au spectateur la possibilité de débattre de ce que je peux devenir. Par exemple après Perdrix, j’ai reçu des témoignages hyper beaux ; beaucoup de gens me disaient : « Ah, c’est bien d’avoir eu cette facette de vous. » Parfois, les spectateurs ont l’impression que nous, acteurs, nous leur appartenons. J’aime bien avoir ce lien très personnel, comme un partenariat qui est une douce illusion. Dans Garçon chiffon, Jérémie, ton personnage, est dépassé par sa jalousie amoureuse. Toi, quel jaloux es-tu ? Le jaloux est quelqu’un qui a peur. Il a une peur soit qu’il masque, soit qu’il affronte, soit qu’il transforme. Je suis passé par tous les aspects de cette peur, de cette intranquillité qui peut être une incroyable fabrique de fiction. Et donc forcément ça crée des chimies très particulières. Au fil du temps, j’ai appris en méditant que l’anxieux c’est celui qui pense toujours au futur. Je pense que l’être dans toute sa splendeur est quelqu’un qui se rapproche de sa respiration présente, qu’elle soit métaphorique ou réelle. J’ai réussi à évacuer cette jalousie, mais très franchement elle revient vite frapper à la porte étant donné l’intensité de mes sentiments. Plus quelque chose est fort, plus ça m’isole dans l’histoire d’amour. La clé serait de ne pas se sentir isolé en aimant. C’est encore quelque chose qui m’est difficile, voire impossible.

Jérémie a toujours l’air assailli de mille pensées à la seconde, ce qu’on perçoit à travers son regard toujours aux aguets. Cette manière de jouer t’est venue spontanément ? C’était écrit à l’avance. J’ai énormément préparé le tournage, à la fois en tant que réalisateur et qu’acteur, car justement je devais composer avec ces deux pôles. C’est assez schizophrénique : je voulais tutoyer des zones très dépressives avec le rôle de Jérémie, ce qui n’allait pas du tout avec moi en tant que capitaine d’équipe. Ce ne sont pas du tout les mêmes énergies. Il a fallu que je prenne ces deux trajectoires de manière très studieuse… Jérémie est un clown blanc et triste, il fait rentrer en lui le désastre extérieur. Ce que tu dis sur le sentiment d’être aux aguets est très juste. Je voulais être à nu, à cru.

Tu t’es parfois laissé déborder par ce personnage ? L’entité personnage, elle est compliquée. Un personnage pour moi, c’est une personne avec de l’âge. Un rôle témoigne souvent de l’âge de l’interprète. Les rôles, ce sont comme des documentaires sur ceux ou celles qui les jouent. Cette autre strate, l’emprise qu’une fiction peut avoir sur un acteur, ça me bouleverse. C’est ça qui est beau en art, quand se mêlent la fiction et le documentaire de sa création en cours, comme dans cette œuvre immense, À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est le temps mis à confectionner cette œuvre, les quatorze dernières années de la vie de son auteur. Tu cites À la recherche du temps perdu, qui est aussi une grande œuvre sur la jalousie.

1 Nathalie Baye et Nicolas Maury 2 Nathalie Baye et Nicolas Maury 3 Arnaud Valois et Nicolas Maury 1

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« Garçon chiffon » <----- Cinéma

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Lorsque tu travaillais sur Garçon chiffon, tu as beaucoup pensé à Proust ? Bien sûr. Quand on est jaloux soi-même, on cherche ceux qui ont vécu la jalousie avec lumière ! La Recherche, je l’ai lue à 20 ans, lors de mon arrivée à Paris. Ça a été un choc. J’avais une passion fixe pour un garçon ; je le fantasmais en Robert de Saint-Loup, tandis que moi j’étais le narrateur. Puis mon grand-père est mort alors que je lisais le passage où justement le narrateur perd sa grand-mère… Pour moi, c’est une œuvre absolument fondamentale. Dans La Prisonnière, il y a des éclats coupants sur la jalousie, sur le fait qu’à un instant t, même si on est persuadés de se tromper [sur le fait que l’être aimé a une aventure, ndlr], il y a toujours des signes qui font penser qu’on ne se trompe peut-être pas. Ce qui ne traduit pas forcément une maladie, peutêtre juste une sur-intelligence inquiète des signes. Quand le narrateur calcule les trajets d’Albertine, c’est une chose, à une époque de ma vie, et encore maintenant si je suis honnête, avec laquelle je me sens familier. Je n’arrive pas à me dire que ce ne sont pas mes propres histoires d’amour qui ont créé cette chose. Je ne veux pas mettre la faute sur moi ou sur Jérémie. Mais la fiction m’aide à réparer. Dans une séquence de Garçon chiffon, on voit Jérémie enfant dansant sur du Vanessa Paradis devant un miroir. Toi, à partir de quels modèles tu t’es construit ? J’étais abonné à beaucoup de publications de cinéma, c’était ma seule fenêtre sur le monde : Studio, Première, OK !, donc je découpais beaucoup… Vanessa, c’était

déjà la number one, cette fille animale un peu conte de fée. J’aimais tout, ses vêtements, son profil, ce côté chat-oiseau, mais je ne l’imitais pas tellement. Elle me semblait diviser les gens, et j’avais l’impression que c’était la même chose pour moi dans la cour de l’école. Je me suis construit en regardant la force fragile de cette actrice. Plus tard, il y a eu Leonardo DiCaprio ainsi que Macaulay Culkin, parce qu’à l’époque ils incarnaient le territoire de l’enfance. Culkin avait pile mon âge, par exemple. Et puis en grandissant, vers 10 ans, j’ai été absolument fasciné par la mode, les filles, les top-modèles, etc., un univers glamourisé en diable, peuplé de grands photographes. Dans mon univers assez ouvrier, tout ça miroitait dans ma chambre. Je collais des posters puis je découpais une bouche par-ci, un visage par-là, que je recollais avec de la patafix. Je créais un mash-up de toutes ces photos, c’était comme l’inconscient de mes rêves. Et puis il y a eu aussi un truc très bizarre : vers 12-13 ans j’ai eu une obsession pour La Reine Margot de Patrice Chéreau. C’était un film qui avait été annoncé – à l’époque, c’était beau de voir comment les films en préparation, on les rendait tellement frissonnants, frémissants. J’étais devenu fou d’Isabelle Adjani, de la voir sur la moindre image. Comme le film a cette part très introspective, as-tu découvert des choses sur toi en le réalisant ? J’ai surtout découvert qu’être cinéaste n’était finalement pas qu’un fantasme. C’était comme un coup de foudre de se rencontrer soi en tant que réalisateur.

J’avais déjà fait des courts métrages : j’ai toujours mis en scène le réel pour mieux le regarder, pour mieux l’impressionner avec la caméra. Maintenant, je vais pouvoir architecturer mes visions et ne pas seulement les soumettre à un réalisateur. Après, de manière plus intime, j’ai découvert que les fictions nous dépassent. Des choses que j’ai écrites et qui ne m’étaient pas arrivées se sont déroulées par la suite. C’est comme un révélateur. Je crois que ça va être ça mon occupation désormais : l’amour de la fiction, l’amour des acteurs, l’amour d’une chose qu’on nomme le sentiment de la vérité. Garçon chiffon de Nicolas Maury, Les Films du Losange (1 h 48), sortie le 28 octobre

« Une plongée dans la poésie du réel » Le Monde

AU CINÉMA LE 11 NOVEMBRE

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Cinéma -----> « Garçon chiffon »

FULL SENTIMENTAL

© Collection Christophel

Un garçon sensible est-il par définition un garçon trop sensible ?

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Dans Garçon chiffon, Nicolas Maury raconte les affres et les douleurs d’un homme empêtré dans ses sentiments qui déplace les clichés du héros et de la virilité. Petite généalogie cinématographique de ces garçons sensibles.

© Collection Christophel

Un garçon, c’est bien connu, ça ne pleure pas. Un adage vieillot, fondé sur les stéréotypes d’un monde où le masculin l’emporte, que le cinéma a pendant longtemps usé jusqu’à la corde. Le héros de cinéma est forcément viril, conquérant et digère les élans et les ruptures de son cœur d’une volute de fumée de cigarette à la Bogart dans Casablanca. Dès les premières minutes de Garçon chiffon, Nicolas Maury affirme la possibilité d’un autre modèle. Perdu dans une rue de Paris, Jérémie trimballe son corps frêle de droite à gauche, hésite, change de sens, s’arrête, peste et geint. Le monde l’agace, l’étonne et tout se lit sur son visage.

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Une incarnation masculine inquiète qui bouscule la représentation du héros. Premier réflexe, on veut rire. En déplaçant les attentes du spectateur, cette nouvelle masculinité crée forcément une rupture comique. Révélé notamment par Riad Sattouf (Les Beaux Gosses), Mikael Buch (Let My People Go!) et la série Dix pour cent, Nicolas Maury tire de sa fragilité, de son hypersensibilité, une énergie burlesque. Comme une forme de résilience, les garçons sensibles se doivent d’être drôles. Et ce depuis les débuts du cinéma. En 1923 dans Les Trois Âges, Buster Keaton raconte ainsi l’éternel combat – de la préhistoire à l’âge moderne en passant par la Rome antique – de la douceur contre la force. Fragile, rêveur et amoureux, le personnage qu’il incarne se retrouve à chacune de ces époques humilié, ridiculisé par la puissance virile d’un adversaire sûr de lui (l’acteur Wallace Beery). On rit de cet homme sur qui le sort s’acharne, de ce corps malingre qui tranche avec les centurions, de son inadéquation poétique avec le monde. Le clown de Keaton – et ce dans toute son œuvre – provoque le rire par le renversement des valeurs traditionnelles et la possibilité que l’empathie, l’émotion l’emportent sur la force. Le burlesque fait de cette sensibilité une défaillance, un trouble qu’il faut – au moins au départ – corriger, comme pour le personnage de Steve Carell dans 40 ans, toujours puceau ou d’Adam Sandler dans Punch-Drunk Love. Ivre d’amour.

ÉCORCHÉS VIFS

Ce modèle burlesque, Nicolas Maury le réinvestit dans Garçon chiffon en le dévi-

talisant. Là où la comédie pourrait naître, il creuse quelque chose de l’ordre de la névrose. Jérémie va mal, et son hyper­ sincérité, sa façon de ne pouvoir s’empêcher d’être lui-même, quitte à se saboter, devient le sujet d’un film-thérapie. Un garçon sensible est-il par définition un garçon trop sensible ? Une partie de la filmographie de Nanni Moretti se pose la question. De la douleur dévastatrice du deuil dans La Chambre du fils ou Mia madre aux vertiges de la foi dans Habemus papam, le héros morettien est troublé par tous les sentiments qui l’assaillent et s’interroge. Une incarnation minimaliste à l’opposé de l’hyperexpressionnisme du cinéma de Xavier Dolan. Chez lui, l’hypersensibilité est une façon de survivre. Les sentiments du héros débordent sur l’écran. Le plan qui s’ouvre et se referme au fil des colères du héros de Mommy, les cadres asphyxiants et les couleurs qui se désaturent face au désarroi de Louis dans Juste la fin du monde, la rage incontrôlable d’Hubert qui se transforme en clip dans J’ai tué ma mère, le cinéma de Xavier Dolan épouse toujours les soubresauts et les humeurs de ses héros. Ce déferlement d’émotions incontrôlables est presque inédit au cinéma : c’est du lyrisme au masculin. Non pas un lyrisme viril, mais bien la possibilité de déplacer les enjeux et les excès du mélodrame sur un corps masculin. C’est ce que propose également Luca Guadagnino dans Call Me by Your Name. Le trouble et l’émotion que le film produit viennent de sa capacité à réinvestir le langage mélodramatique d’ordinaire associée à des corps féminins, et la longue scène finale qui voit Elio (Timothée

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Chalamet) pleurer face caméra tout le long du générique renvoie aux figures cathartiques du mélodrame. Comme Anna Karina pleurant devant la Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer dans Vivre sa vie de JeanLuc Godard, les larmes du personnage se confondent avec celles du spectateur. On peut être triste de constater que c’est le plus souvent par la romance gay, comme chez Guadagnino, Dolan, Wong Kar-wai (Happy Together) et aujourd’hui Nicolas Maury, que ce renversement semble acceptable ou possible à l’écran. Pourtant les larmes de Jérémie, sa tristesse dans Garçon chiffon ne disent rien de son homosexualité, elles racontent juste un état au monde, une façon de ressentir plus fort et peut-être plus durement les choses.

BEL INDÉCIS

Pour ces garçons sensibles, vivre est « une joie et une souffrance ». La formule connue, lancée à Catherine Deneuve par Jean-Paul Belmondo dans La Sirène du Mississipi puis par Gérard Depardieu dans Le Dernier Métro, rappelle l’héritage majeur du cinéma de François Truffaut et plus largement de la Nouvelle Vague dans ces portraits d’hommes en crise. À l’opposé des figures viriles et goguenardes – imitation consciente et amusée des clichés du cinéma hollywoodien – de Jean-Luc Godard, François Truffaut introduit avec Antoine Doinel la possibilité d’un héros dont le film épouserait uniquement les atermoiements et indécisions. L’intime devient romanesque, le doute une façon d’être, et Jean-Pierre Léaud

1 Call Me by Your Name de Luca Guadagnino (2018) 2 Conte d’été d’Éric Rohmer (1996) 3 Domicile conjugal de François Truffaut (1970) 4 Buster Keaton


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« Garçon chiffon » <----- Cinéma

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© Collection Christophel

un film de DAVY ROTHBART scénario JENNIFER TIEXIERA musique NICK URATA producteurs ALEX TURTLETAUB MICHAEL CLARK MARC TURTLETAUB RACHEL DENGIZ producteur délégué JENNIFER TIEXIERA CHERYL SANFORD directeur de la photographie ZACHARY SHIELDS montage JENNIFER TIEXIERA distributeur france SOPHIE DULAC DISTRIBUTION

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l’incarnation clivante d’une autre masculinité – moins triomphale, plus inquiète –, symbole de l’évolution des mœurs dans la France des années 1970 (Baisers volés, Domicile conjugal, L’Amour en fuite). Les garçons sensibles qui jalonnent le cinéma français contemporain descendent directement de ce héros truffaldien, mais aussi de certains personnages rohmériens comme Gaspard (Melvil Poupaud) dans Conte d’été. Que ce soit chez Christophe Honoré (Dans Paris), chez Emmanuel Mouret (Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait) ou chez Nicolas Maury, les films qui regardent les hommes douter s’ouvrent grâce à eux à une forme plus libre, dans lequel le récit s’échappe des conventions. On y flotte au gré des rencontres, les histoires se lient et se délient et la compagnie rassurante de ces héros faillibles nous apprend à vivre avec le flou que mettent les sentiments dans nos vies. RENAN CROS

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Cinéma -----> Les fanzines de Bruce LaBruce

PORTFOLIO

RADICAL QUEER

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Avant de devenir l’icône du cinéma queercore, Bruce LaBruce a façonné son style trash et hyper sexué avec des ciseaux et une photocopieuse. En attendant la sortie de son nouveau long métrage, SaintNarcisse, présenté à la Mostra en septembre, le cinéaste toujours secouant de Hustler White ou de L.A. Zombie nous a confié les meilleures pages du fanzine qu’il bricolait dans sa jeunesse. De 1987 à 1992, Bruce, alors étudiant en ciné à Toronto, et sa pote G. B. Jones, future réalisatrice de The Troublemakers et leadeuse du girl band Fifth Column, participent à l’élaboration de huit numéros de J.D.s, un fanzine qui chronique la scène queer et punk locale – quasi inexistante, donc qu’ils créent en organisant eux-mêmes soirées et concerts. Influencés par l’agit-prop et le situationnisme, le porno gay et le punk hardcore, les membres de J.D.s – pour juvenile delinquents, James Dean, ou Just Desserts, le restau minable dans lequel ils bossent le soir –, critiquent toutes formes de LGBT-phobies et l’uniformisation culturelle chez les gays blancs et bourgeois. Avec son style toujours fleur bleue, LaBruce nous raconte la conception de ce zine plein de collages sexy rudoyants et de manifestes radicaux, préparé avec amour dans un squat sans chauffage. Bruce LaBruce, sur la couverture du numéro 8 de J.D.s J.D.s, numéro 5, page 24 « Cette image est un bon exemple de la manière dont travaillait G. B. Jones, dont elle nous embellissait. Cette photo est comme une version idéalisée d’elle et moi. Grâce à la photocopieuse, notre peau est toute lisse. Bien avant les réseaux sociaux, on se créait déjà des persona, des versions glamourisées, exagérées, romantiques de nous-mêmes. Cette page reflète aussi notre esthétique du collage, avec le petit punk qu’on avait pris dans un autre magazine et recollé en haut à gauche. Quant à la typo, on était très marqués par le style gras et découpé de l’agit-prop. » J.D.s, numéro 1, page 19 « C’est extrait d’une série de dessins par G. B. Jones, une version lesbienne des personnages masculins ultra virils de l’artiste Tom of Finland. On était très portés sur l’inclusivité, et on répartissait les pages équitablement entre gays et lesbiennes, ce qui

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est encore malheureusement très rare. Il faut dire qu’on était globalement assez critiques envers Tom of Finland, à cause de la masculinité exacerbée de ses dessins. Mais en même temps, on était désireux d’intégrer des codes gays un peu old school d’avant la libération sexuelle, qui nous semblaient romantiques parce qu’ils étaient en marge. » J.D.s, numéro 4, page 8 « C’est mon amie Stevie lors du concours qu’on avait organisé pour élire la princesse ou le prince des homosexuels. Stevie était dans un groupe qui reprenait “These Boots Are Made for Walking” de Nancy Sinatra ; moi, je montais sur scène pour lécher leurs bottes. Elle travaillait aussi au restau Just Desserts, où tout a commencé. On nous encourageait à être méchants avec la clientèle aisée qu’on servait. Pour décrire l’ambiance, on comptait parmi nous une activiste de la cause animale qui plus tard a été arrêtée pour terrorisme. Avec ses cigarettes, elle brûlait les manteaux en fourrure des clientes. » J.D.s, numéro 8, page 4 « Les skins et les punks écoutaient la même musique, ce qui faisait qu’on se croisait souvent dans les mêmes clubs, même si les skinheads étaient des néonazis et que nous les détestions en conséquence. J’ai quand même développé un vrai fétichisme autour des skinheads, de leur agressivité. À cette époque, je sortais avec un prostitué avec qui j’ai rompu. Plus tard, lorsque je l’ai recroisé, il était devenu d’extrême droite. J’ai recommencé à le fréquenter, histoire de lui faire entendre raison. Mais ça s’est fini quand il m’a cassé la gueule devant chez moi. Ça a marqué la fin de mon fétichisme pour les skinheads. » J.D.s, numéro 7, page 40 « Ça, c’est un numéro pour lequel j’ai interviewé Peter Berlin, l’acteur porno gay allemand culte des années 1970. C’était l’été 1988, à San Francisco, on était venus là avec G. B. Jones pour capter les derniers instants de la scène punk radicale. J’ai croisé Berlin à la pharmacie, il habitait dans le quartier de Lower Haight, et je lui ai demandé s’il serait OK pour un entretien. Il était très excentrique, son appart était tapissé de photos de lui. Il était très sympa, et en même temps très sec… Je me souviens lui avoir demandé quel était son type de musique préféré, et il m’avait répondu : “J’aime le silence.” »

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QUENTIN GROSSET

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Cycles

jusqu’au 13 novembre

Tant qu’il y aura du mélo 2 décembre → 3 janvier

Ciné ! Pop ! Wizz ! #2 6 janvier → 28 février

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Cinéma ----> « India Song »

MICHAEL L ON SD AL E

À 44 ans, l’acteur français est déjà une star du cinéma mondial, habitué aux expériences modernes et décalées qu’il a trouvées chez Jean-Pierre Mocky (Snobs, La Bourse et la Vie, Les Compagnons de la Marguerite), Orson Welles (Le Procès), François Truffaut (Baisers volés), Jacques Rivette (Out 1. Noli me tangere) ou Luis Buñuel (Le Fantôme de la liberté), quand il rejoint le tournage d’India Song au mitan des années 1970. Pour Duras, il incarne un homme mystérieux, vice-consul exilé en Inde dans les années 1930 après une crise de démence, et qui attend sa pro-

chaine affectation. Taciturne, l’homme traîne son smoking blanc le long des terrains de tennis d’une somptueuse ambassade déserte, dans l’atmosphère moite et languissante de la mousson, avant de tomber violemment amoureux. Chez Marguerite Duras, la profondeur des émotions est vertigineuse, elle chavire les plans et bouscule le langage cinématographique. Pour filmer ce fantastique coup de foudre, la cinéaste prend le parti pris radical de séparer le son et l’image : les interprètes entrent dans le cadre lentement, les lèvres closes, le visage impassible, et se regardent à travers des miroirs, tandis que leurs pensées passionnées s’expriment en off. « Je vous aime jusqu’à ne plus voir, ne plus entendre », dit le vice-consul à Anne-Marie Stretter, la femme d’un diplomate, jouée par Delphine Seyrig. Elle aime déjà un autre homme. Cela ne gêne pas le vice-consul qui lui promet de l’aimer « dans l’amour d’un autre »… Éconduit, le visage empli de larmes, il ne dort plus, il rôde le soir dans les jardins et deviendra fou, hurlant des mots sans suite dans les rues de Calcutta décimées par une épidémie de lèpre.

À CŒURS ET À CRIS

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La cinéaste bouleverse les méthodes de tournage traditionnelles et, pour donner le tempo à ses acteurs, va même jusqu’à leur passer à plein volume l’enregistrement des tangos passionnés du compositeur Carlos d’Alessio. Michael Lonsdale, qui a appris son métier dans les cours de Tania Balachova, puis au théâtre sous la direction de Claude Régy et Peter Brook, est chez lui dans ce cinéma de la présence où on laisse parler le corps, et charge chaque plan de son magnétisme animal. Mais pour l’acteur, ce n’est pas juste un rôle parmi d’autres. D’abord parce que ce personnage de vice-consul lui rappelle son père, un officier anglais qui, en 1942, rentra brisé et apathique de deux ans de détention par les autorités de Vichy. Lonsdale projette dans le film le souvenir poignant de cet homme tragique et désespéré. Ensuite parce que rarement il a tant donné pour un film, comme il le raconte à Time Out en 2014 : « Cet homme fou de cette femme… c’est du Duras total […] Pour moi c’est resté très important : c’est la seule fois de ma vie où j’ai pu approcher ce que c’était que la folie. Le délire de la douleur. » Enfin et surtout parce qu’il retrouve sur le plateau

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© Les Films du Camélia

La ressortie en salles d’India Song, grand film fiévreux réalisé par Marguerite Duras en 1975, est l’occasion de rendre hommage à son acteur Michael Lonsdale, décédé le 21 septembre dernier, légendaire dans ce rôle d’amoureux éconduit qui a capté comme nul autre son âme blessée.

l’actrice Delphine Seyrig, rencontrée six ans plus tôt sur le tournage de Baisers volés, et retrouvée pour Chacal (1973) et Aloïse (1975). En 2016, dans son livre Le Dictionnaire de ma vie, Lonsdale écrira : « J’ai vécu un grand chagrin d’amour et ma vie s’en est trouvée très affectée. La personne que j’ai aimée n’était pas libre… je n’ai jamais pu aimer quelqu’un d’autre. C’était elle ou rien et voilà pourquoi, à 85 ans, je suis toujours célibataire ! Elle s’appelait Delphine Seyrig. » Par la suite, l’acteur poursuivra sa prodigieuse carrière chez Jean Eustache (Une sale histoire), Xavier Beauvois (Des hommes et des dieux), Steven Spielberg (Munich), James Ivory (Les Vestiges du jour)… mais pour beaucoup de cinéphiles il restera toujours ce vice-consul ivre d’amour, miné par l’angoisse profonde qui hante une colonie britannique perdue. India Song de Marguerite Duras, Tamasa (2 h), ressortie le 14 octobre

CHARLES BOSSON

1 Michael Lonsdale 2 Delphine Seyrig



G C

N I C O L A S M A U R Y

N A T H A L I E B A Y E


C H R I S T I N E

M A U R Y LAËTITIA SPIGARELLI JEAN-MARC BARR

T H É O

N I C O L A S

V A L O I S

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AVEC LA PARTICIPATION DE LAURE CALAMY

A R N A U D

F I L M

ÉCRIT PAR NICOLAS MAURY SOPHIE FILLIÈRES MAUD AMELINE IMAGE RAPHAËL VANDENBUSSCHE MONTAGE LOUISE JAILLETTE SON CHARLIE CABOCEL VICTOR PRAUD DÉCORS DAMIEN RONDEAU COSTUMES ELISA INGRASSIA ASSISTANT RÉALISATEUR LUC CATANIA SCRIPTE MARIE PRUAL MAQUILLAGE EMMA FRANCO COIFFURE NOA YEHONATAN CASTING CONSTANCE DEMONTOY UN FILM PRODUIT PAR CHARLES GILLIBERT UNE COPRODUCTION CG CINÉMA MOTHER PRODUCTION AVEC LA PARTICIPATION DE LES FILMS DU LOSANGE CINÉMAGE 14 L’ATELIER AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION NOUVELLE-AQUITAINE EN PARTENARIAT AVEC LE CNC EMERGENCE DISTRIBUTION FRANCE & VENTES INTERNATIONALES LES FILMS DU LOSANGE

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© Capricci Production - The Jokers Films - ARTE France Cinéma - Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma – 2020

« La Nuée » <----- Cinéma

JUST PHILIPPOT Insectophobes, passez votre chemin. Né en 1982, le réalisateur tourangeau Just Philippot apporte du sang frais au cinéma français avec La Nuée, premier long métrage ambitieux dans lequel un nuage de sauterelles tueuses pèse sur une éleveuse en plein burn-out et sur sa famille. Quelque part entre l’horreur visqueuse de David Cronenberg et le regard patient de Raymond Depardon sur le monde paysan, le cinéaste crée l’effroi avec ce film en forme de métaphore crissante de la détresse vécue par les agriculteurs, entre cadences infernales et précarité. Rencontre.

SANG FRAIS Fait rare dans le cinéma français, où les cinéastes sont généralement aussi les scénaristes de leur premier long, tu n’as pas écrit le film. Comment ça s’est passé ? J’avais participé à la toute première résidence SoFilm de genre [créées par le magazine du même nom, ndlr], ce qui avait donné lieu à mon court métrage Acide en 2018. Quand le producteur d’Acide a lu le scénario de Jérôme Genevray et Franck Victor écrit aussi dans ce cadre, il m’a dit : « Ça peut t’intéresser, toi qui es spécialiste des nuages [son court métrage imaginait une famille fuyant un nuage aux pluies acides, ndlr]. » Tout est parti de là. Donc on t’a quasiment servi ton premier long métrage sur un plateau ? Quand tu connais un peu la réalité de ce métier, c’est clairement une proposition que tu ne peux pas refuser… J’ai pensé à la suite de ma carrière, j’allais peut-être me griller si ce scénario n’était pas mon propos. Je respecte le travail des auteurs, je ne voulais surtout pas prendre une place qui n’était pas la mienne. Et puis les financements sont tombés très vite, alors qu’on était justement dans une phase de réécriture à trois. À partir de là, je me suis enfermé et j’ai retouché en très peu de temps l’intégralité du scénario, parce que je ne voulais pas regretter quoi que ce soit. Le script de départ était assez marqué par le cinéma de genre des années 19801990, il se concentrait sur la mutation des sauterelles, et le personnage de Virginie développait des pouvoirs quasi surnaturels. J’avais envie de tirer le film davantage vers le portrait d’une femme qui gère un élevage d’insectes comestibles et lutte pour ses enfants. Je voulais vraiment faire un film sur le travail – et en plus on était limités à 5 000 insectes sur le tournage. Tu as fait des études de cinéma à Paris-VIII. Quels cinéastes, quelles problématiques t’y ont marqué ? J’ai connu une fac très bordélique, on était sans un sou, donc on se démerdait avec des caméras pourries. Mais j’avais des profs géniaux. Un cours m’a particulièrement marqué, sur le cinéma et la tératologie, la science des monstres. La prof, Pascale Risterucci, parlait des monstres d’une manière nouvelle, émerveillée, comme d’un mystère heureux… Dans ma vie, il y a une rencontre très importante, c’est celle de mon grand frère polyhandicapé sur lequel j’ai fait un documentaire

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en 2017, Gildas a quelque chose à nous dire [coréalisé avec son frère Tristan Philippot, dans lequel ils suivent leur frère Gildas la dernière année de sa vie, ndlr]. Pour la sécurité sociale, il était handicapé à 99 %, et je me suis toujours demandé ce qu’il restait dans les 1 %, aux yeux des autres… Tout à coup, cette femme me rendait une fierté dans mes interrogations et mes sensations autour des êtres hors normes. Elle m’a montré Freaks de Tod Browning, et ce film m’a apporté une sorte de puissance sur le fait d’aimer une part fantastique chez l’autre sans en avoir peur. Ton court métrage Acide partage avec La Nuée le fait d’approcher en sous-texte des problématiques environnementales liées au réchauffement climatique. Pourquoi est-ce intéressant de traiter ça par l’horreur ? À l’heure actuelle, je n’en sais rien. Pour Acide, je vivais plusieurs choses qui ont certainement influé sur mon traitement du scénario. Ma fille allait naître pas longtemps après, alors je m’interrogeais sur la famille.

« Un cours m’a particulièrement marqué, sur le cinéma et la tératologie, la science des monstres. » J’animais un atelier d’éducation à l’image pour des lycéens dans lequel on « suédait » La Mouche de David Cronenberg, donc je pensais aux régurgitations acides, à la destruction des corps aussi, ce qui a peut-être un lien avec le handicap très lourd de mon frère… En ce moment, je prépare une version d’Acide en long métrage, et mon coscénariste m’a dit que mes histoires ont toutes trait à des familles impactées par l’environnement extérieur, attaquées de toutes parts. Je regarde ce qui reste des relations, comment les gens continuent de s’aimer quand même. Dans La Nuée, l’horreur est plutôt introspective. Plus que les sauterelles, c’est la dépres-

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Cinéma -----> « La Nuée »

sion de Virginie qui peu à peu nous entraîne dans une spirale cauchemardesque. Quand elle se mutile pour nourrir les sauterelles de son sang, c’est un geste qu’on assimile à une scarification. À la base, les scénaristes avaient imaginé la mort de son mari à la suite d’un cancer. Elle ne l’avait pas forcément aimé et à sa mort elle se lançait dans l’élevage de sauterelles. Je trouvais que c’était une manière de parler de l’amour un peu glauque… Il y avait aussi ce côté un peu à la Alien : Virginie procréait et donnait vie aux sauterelles. Moi, les sauterelles, elles ne m’intéressent pas des masses. Le monstre, c’est plus la société… J’ai préféré parler du mal-être paysan avec cette femme qui, peu à peu, s’éteint, meurt à petit feu. Pour que le spectateur croie à ce glissement vers des zones de plus en plus noires, il fallait un trauma, une fragilité : c’est l’abandon de son mari par le suicide, comme s’il l’avait laissée seule. Elle se retrouve avec ses enfants et elle ne peut plus baisser les bras. Il y a plein de façons de répondre au deuil : elle, c’est de partir bille en tête sur ce projet d’élevage qu’elle pensait bon mais qui est peut-être inconsciemment une porte vers la mort. De quelle manière as-tu dirigé Suliane Brahim, qui joue Virginie ? Déjà, c’est une comédienne de la ComédieFrançaise, donc tu sais à qui tu as affaire, c’est une bosseuse. Sur le tournage, je laisse beaucoup de liberté aux comédiens, mais je tiens à ce que le champ de leurs actions soit extrêmement balisé. Quand une scène doit être dure, tu imprimes une violence, sans

hurler sur les gens, mais tu tends le plateau. Tu hausses la voix, tu donnes des directions plus fortes. Et il y a le décor qui imprègne le jeu de l’acteur. Entourée de serres, de bâches qui se dégradaient au fil des jours, dans ce froid, on a vu les relations de plateau s’endurcir et Suliane se noircir. À quel point l’univers rural t’inspire graphiquement ? Tu rends les serres assez inquiétantes en les filmant de manière clinique… Je me suis référé à des images glanées sur Internet de serres où l’on fait pousser des fraises bio en Bretagne. La nuit, elles sont éclairées par des lampes rouges et vertes, et quand il y a de la brume tu te demandes un peu dans quel siècle tu es. Cette pollution lumineuse qui excite les sauterelles la nuit et empêche la famille de Virginie de dormir, c’est un moyen de faire sentir le poids de l’environnement extérieur sur la psyché des personnages. Comment t’es-tu documenté sur l’élevage de sauterelles ? Tu as rencontré des éleveurs ? Non, pour la simple raison que ce que tu vois dans le film est un peu fantaisiste. Dans la vie, c’est très industrialisé, il n’y a aucun accident possible. On s’est aussi affranchis de toutes les règles autour de la croissance des sauterelles. C’est un peu comme dans les films sur la mafia ou la finance, il faut réussir à être sérieux à deux ou trois endroits pour que le spectateur accepte ensuite de dévier avec toi. Avec les films de Raymond Depardon sur le monde paysan, le documentaire Anaïs s’en va-t-en guerre (2014) de

Marion Gervais a été une base de travail. C’est sur une femme de 24 ans qui lance un business d’herbes aromatiques et qui rencontre les mêmes problématiques que le personnage de Virginie. Avec quels effets as-tu créé l’impression de grouillement, de viscosité qui se dégage du film ? On a mis du gel gynécologique sur des portions de décor pour donner cette sensation de mue. Les peaux des sauterelles se décollent, elles ont de plus en plus chaud, il y a cette impression gluante qui crée de l’inconfort. On a fait un son un peu crunchy aussi. Normalement les sauterelles ne font pas ce bruit-là, c’est beaucoup plus léger. Je voulais comme une sorte de musique qui pourrait envoûter Virginie et qui en même temps puisse taper sur les nerfs du spectateur. On a fait des essais où ça devenait presque un bruit de perceuse, de scie, c’était un enfer ! Je voulais un son qui me tourne la tête, un peu comme dans les festivals où la musique est comme liée au vent. Un son qui bouleverse ton rapport à l’espace. Ça a été dur de trouver cette densité. Qu’est-ce qui t’intéresse dans le motif diffus, fluide, du nuage de sauterelles ? C’est le rapport à la taille. On a parfois l’impression d’être tout-puissants avec nos réseaux sociaux, le fait qu’on puisse voyager depuis notre fauteuil en allant sur Internet. Mais face à un énorme nuage, tu fais moins le malin, tu perds cette sensation de contrôle sur ton environnement. Ça me met au centre de l’action autant en tant que spectateur

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1 Suliane Brahim 2 Suliane Brahim et Sofian Khammes 3 Suliane Brahim

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qu’en tant que metteur en scène. J’ai bossé avec un mec génial, Antoine Moulineau, qui a travaillé sur les effets spéciaux d’Avatar et de The Dark Knight. Le chevalier noir… Il a très bien compris que je voulais des effets très discrets, presque effacés. On a réfléchi à comment faire pour que la nuée ait un air de déjà-vu pour le spectateur et qu’en même temps ce soit un vrai méchant… Il fallait créer un insecte dangereux, avec l’angoisse du nombre qui t’arrive sur la gueule. Tu prépares donc un long métrage qui reprendrait l’intrigue de ton court Acide. Penses-tu que tes prochains projets auront aussi trait au genre ? En plus de ce long, je travaille sur un documentaire radiophonique pour France Culture à propos d’un autre nuage, de pollution cette fois, celui qui s’est formé au-dessus de la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie… Avec La Nuée, j’ai pris un tel plaisir dans l’exécution que je me dis qu’en ce moment j’ai besoin d’installer des motifs de films fantastiques dans des cadres réalistes. C’est le plaisir d’emmener le spectateur dans des univers un peu hors normes. Mais j’espère ne jamais définir ce que je fais, mélanger les catégories, au carrefour des cinéphilies. La Nuée de Just Philippot, The Jokers / Capricci (1 h 41), sortie le 4 novembre

PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET


« La Nuée » <----- Cinéma

« BOSTON NE RÉSOUDRA PAS LES PROBLÈMES DES ÉTATS-UNIS. MAIS IL SUFFIT D’UNE VILLE. » MARTIN J. WALSH MAIRE DE BOSTON

A ZIPPORAH FILMS RELEASE

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« Une très haute idée du service public comme BIEN COMMUN » Libération 3

Critique

SPÉCIMEN RARE Thriller agricole, chronique familiale, portrait féministe… La Nuée est un film impressionnant de densité et de maîtrise. C’est dans les pas de Petit paysan d’Hubert Charuel et de Grave de Julia Ducournau que s’inscrit ce premier long métrage, réalisé par Just Philippot mais, chose rare pour un premier film français, écrit par deux scénaristes, Jérôme Genevray et Franck Victor. La Nuée partage avec ses aînés (tous deux sortis en 2017) plusieurs éléments stylistiques et thématiques : le monde agricole en pleine asphyxie, le surgissement de l’horreur dans le quotidien, la rencontre entre naturalisme et épouvante. Il confirme surtout les orientations de la Semaine de la critique cannoise (La Nuée fait partie du cru 2020) devenue, en quelques années, un réjouissant vivier de nouveaux noms appliqués à réinvestir un territoire : celui du film de genre. Avec une grande rigueur d’écriture et de mise en scène, La Nuée entremêle bouleversante chronique familiale et thriller écologique. C’est l’histoire d’une mère prête à se saigner (littéralement) pour ses enfants, orphelins de père depuis peu. Pionnière dans l’élevage de sauterelles comestibles, elle s’engage – par nécessité et non par appât du gain – dans une dangereuse course au profit. Tout en métaphores filées (le capitalisme comme venin de notre société, la métamorphose comme traduction d’une détresse écologique), le film est aussi le saisissant portrait d’une héroïne – à laquelle l’extraordinaire Suliane Brahim donne toutes ses nuances – dont les sacrifices en disent long sur la condition féminine.

UN FILM DE

Frederick Wiseman

« CITY HALL : La politique ANTI-TRUMP en pratique » Variety

★★★ « Un grand moment de CINÉMA »

« Wiseman trouve en Martin Walsh un HÉROS »

« CITY HALL nous donne DES RAISONS D’ESPÉRER » Positif

Première

New York Times

AU CINÉMA LE 21 OCTOBRE

MARILOU DUPONCHEL

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Toujours plus vite, toujours plus de tout, et dans tout ça c’est possible de consommer moins ?

Qui répond à toutes les questions que l’on garde pour soi ? Les Echos START : partager, informer, inspirer pour s’épanouir et transformer la société.

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Sorties du 14 octobre au 4 novembre <---- Cinéma

DRUNK SORTIE LE 14 OCTOBRE

DES FILMS DU MOIS

17 BLOCKS SORTIE LE 4 NOVEMBRE

Poignant, ce documentaire sur l’intimité esquintée d’une famille afro-américaine suivie pendant vingt ans résonne d’autant plus fort en plein mouvement #BlackLivesMatter. Sur le carton qui ouvre 17 Blocks, le réalisateur et journaliste Davy Rothbart raconte sa proximité avec son sujet. Ami des Sanford, qu’il a commencé à filmer un peu par hasard en 1999, il a très vite laissé, de temps à autre, les membres de la fratrie prendre le relais de ce journal intime vidéo, et ce pendant vingt ans. Au final, mille heures de rushs et les archives inédites d’une longue tranche de vie. Alors que les années défilent, que la qualité d’image évolue au gré des nouvelles caméras, on suit le parcours chaotique de Cheryl, de ses trois enfants, Smurf, Denise et Emmanuel, puis de ses petits-­enfants. Vivant à dix-sept rues du Capitole à Washington, D.C., dans un quartier éreinté par la pauvreté, la drogue et les armes, ils sont les témoins privilégiés et les premières victimes d’un système et d’un milieu où la violence et le déterminisme agissent comme seules

règles immuables. Il ne le savait sûrement pas quand il a appuyé pour la première fois sur le bouton « Rec », mais Davy Rothbart a mis en boîte, comme une preuve irréfutable, un discours que beaucoup refusent d’entendre, celui d’une injustice presque organisée à l’encontre de toute une partie de la population laissée en périphérie du rêve américain, notamment en raison de sa couleur de peau. Ce à quoi l’on assiste dans ce film percutant et émouvant, c’est à la survie malgré tout d’une famille aimante, imparfaite et résiliente. Résistante, avec l’humanité et le pardon comme forces, à la tragédie qu’on lui inflige. 17 Blocks de Davy Rothbart, Sophie Dulac (1 h 35), sortie le 4 novembre

PERRINE QUENNESSON

Portrait tragicomique de quatre amis danois qui augmentent délibérément leur consommation d’alcool pour tenter de pimenter leur existence, le nouveau Thomas Vinterberg conjugue satire sociale et expérience sensorielle. Se basant sur la théorie du psychologue norvégien Finn Skårderud selon laquelle l’homme naîtrait avec un déficit d’alcool dans le sang, quatre Danois décident d’augmenter méthodiquement leur consommation quotidienne afin d’en savourer les prétendus bénéfices psychologiques… Pour rendre ce projet aux contours a priori loufoques réaliste, Thomas Vinterberg l’ancre dans un environnement social qui pointe combien ces profs, censés être des figures d’autorité pour leurs élèves et leurs enfants, se trouvent envahis depuis longtemps par une mollesse et une monotonie s’apparentant à une grave « crise de milieu de vie ». À l’aide du scénariste Tobias Lindholm (réputé pour la série Borgen) avec qui il avait déjà signé Submarino, La Chasse et La Communauté, le cinéaste excelle à croquer l’allégresse qui gagne les personnages à mesure qu’ils

s’enfoncent dans leur spirale alcoolique. Si le réalisateur de Festen traite une nouvelle fois d’aveuglement et de déni, il atteint une empathie inédite en nous maintenant constamment en prise avec ses quatre antihéros assez pathétiques par le biais d’un riche travail sensoriel : les bruits entêtants de liqueurs qui coulent et de verres qui s’entrechoquent exaltent ainsi les désirs libérateurs des quatre hommes tout en dépeignant les tragiques engrenages de leur addiction. Mené par l’excellent Mads Mikkelsen, Drunk distille son ambivalence morale jusque dans une mémorable séquence finale aux airs de comédie musicale qui cristallise toutes les nuances de l’ivresse au son du grisant « What a Life » de Scarlet Pleasure. Drunk de Thomas Vinterberg, Haut et Court (1 h 55), sortie le 14 octobre

DAMIEN LEBLANC

Trois questions À THOMAS VINTERBERG Pourquoi faire un film centré sur l’alcool ? L’idée est née il y a quelques années pendant un séjour à Paris. Je me suis penché sur l’histoire de l’art et sur quelques œuvres géniales créées par des gens en état d’ébriété, comme Hemingway ou Tchaïkovski. J’ai voulu célébrer l’ivresse, mais aussi en explorer le côté obscur. La fin du film met en scène une danse mémorable. Cette séquence nous faisait assez peur avec Mads Mikkelsen, car la chorégraphie aurait pu être très kitsch. Alors on a imaginé cette montée en puissance pendant

octobre 2020 – no 180

laquelle il commence à danser, puis hésite, puis repart de plus belle. Chacun se fera son idée de la conclusion, mais la mienne est plutôt heureuse. Qu’est-ce que ces hommes en crise disentils de vous ? Ces quatre Danois d’aujourd’hui recherchent avant tout un moyen de vivre une existence plus inspirante. Il se trouve que j’ai été intimement touché par le deuil au début du tournage [sa fille cadette, Ida, est décédée à 19 ans dans un accident de la route, ndlr] : continuer ce film n’avait de sens qu’en y célébrant la vie.

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Cinéma -----> Sorties du 14 octobre au 4 novembre

LA PREMIÈRE MARCHE

LE FEU SACRÉ

SORTIE LE 14 OCTOBRE

SORTIE LE 21 OCTOBRE

Ce documentaire lumineux suit les organisateurs de la première Marche des fiertés en banlieue, mettant au jour un fascinant processus d’affirmation de la parole. Quatre étudiants de la faculté de Saint-Denis décident d’organiser une marche pour rendre publique la lutte LGBTQ+ et s’opposer à toute forme de discrimination. En coulisses ou sur le terrain, alors que les jeunes militants font face à des contraintes prévisibles – budget, recherche de soutiens locaux, réticences des habitants et craintes pour la sécurité de l’événement –, la délicate confrontation des opinions laisse place à la possibilité d’un véritable dialogue social, le film étant ponctué d’énormément d’échanges avec les riverains. Les quatre jeunes gens découvrent aussi, à mesure que leur exposition médiatique grossit, l’importance de la façon dont ils construisent leurs prises de parole. De présentations dans des amphis universitaires à des passages à la radio ou sur BFMTV, le groupe se retrouve vite confronté aux écueils inhérents au discours médiatique – questions formatées, amalgames – et à la nécessité de trouver les bons mots pour fédérer au lieu de diviser. Dans ce véritable laboratoire du langage se détache Youssef, leadeur naturel qui

devient le porte-parole de la bande et le personnage central du film. Attachant, conscient de sa drôlerie et débordant d’enthousiasme, le jeune homme apporte de la légèreté au projet par sa façon de manier le jargon universitaire pour embrouiller ses interlocuteurs. Excellent orateur, il détourne habilement les clichés sur une banlieue forcément réfractaire à la lutte LGBTQ+. Les deux réalisateurs, dont c’est le premier film, suivent la même voie, s’attachant à montrer des habitants de Saint-Denis ouverts et bienveillants, loin des stéréotypes. En filmant les différentes étapes du projet jusqu’à sa concrétisation réussie (la marche, qui a eu lieu le 9 juin 2019, a rassemblé environ un millier de personnes), ils prônent aussi, habilement, l’inclusivité et le débat nuancé plutôt que les discours catégoriques et bornés. La Première Marche de Hakim Atoui et Baptiste Etchegaray, Outplay (1 h 04), sortie le 14 octobre

ÉMILE CHEVALIER

Trois docus SUR LE MILITANTISME FREE ANGELA de Shola Lynch (2013) Août 1970, la tentative de libération d’un membre des Black Panthers se conclut par la mort d’un juge et de trois des preneurs d’otages. Soupçonnée de leur avoir fourni des armes, une enseignante communiste et noire risque la peine de mort… Le film revient sur ces moments qui ont forgé l’engagement d’Angela Davis, icône militante du xxe siècle. • É. R. THE TIMES of Harvey Milk de Rob Epstein (1984) Oscar du meilleur documentaire en 1984, le premier film de Rob Epstein (Lovelace) retrace le parcours exemplaire de Harvey Milk, conseiller municipal de San Francisco

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et militant pour les droits des homosexuels américains assassiné en 1978, en même temps qu’il témoigne de l’effervescence de la Californie des années 1970. • É. C. LA CRAVATE de Mathias Théry et Étienne Chaillou (2020) Qu’est-ce qui motive un jeune homme de 20 ans à adhérer à un parti politique d’extrême droite ? Pendant la campagne électorale de 2017, ce documentaire suit les pas d’un jeune militant amiénois du Front national dont les secrets deviennent progressivement le cœur d’une passionnante fresque politico-intimiste. • D. L.

Ce documentaire épique et palpitant suit le combat des salariés d’une aciérie du nord de la France pour sauver leur usine de la fermeture. Ils estiment tout lui devoir. Elle leur a permis d’acheter une maison, de fonder une famille. Quand les ouvriers de l’aciérie Ascoval apprennent que le groupe auquel elle appartient souhaite stopper son activité, tous sont absolument médusés. Sous les équipements de protection, les yeux sont mouillés et la révolte gronde. Mais le patron, Cédric Orban, lance un pari osé à ses salariés : une année de travail en autogestion, le temps de trouver un repreneur. Ce n’est que le début de ce documentaire haletant, véritable thriller social qui fait passer ses héros et ses héroïnes par autant de moments d’euphorie que de désillusions. En immersion dans l’usine de Saint-Saulve, le réalisateur Éric Guéret suit le combat d’aussi près que possible, pour mieux vanter l’endurance et la combativité des équipes d’Ascoval. Chef opérateur de formation, il donne superbement corps à l’usine, qu’il montre tantôt à l’agonie, tantôt pleine d’étincelles, toujours consciente de ce qui se trame. Le Feu sacré dépeint aussi

l’âpreté de la lutte syndicale, cruciale mais si éprouvante pour ceux qui la mènent en première ligne. Menant des négociations avec doigté, composant avec la détresse et l’impatience de leurs camarades, ils sont au cœur d’un film tentant résolument d’être positif malgré la dureté du réel. Car Ascoval a beau être un modèle en matière de respect d’écologie responsable et de respect des circuits courts, cela ne l’empêche pas d’être mise en péril sur l’autel de la délocalisation. Avec passion, Le Feu sacré vient idéalement rappeler que l’industrie française, malgré la bonne santé de certains de ses éléments, sera toujours à surveiller comme le lait sur le feu. Le Feu sacré d’Éric Guéret, New Story (1 h 33), sortie le 21 octobre

THOMAS MESSIAS

Trois questions À ÉRIC GUERET Comment votre approche très immersive se met-elle en place sur le tournage ? J’ai partagé le quotidien des ouvriers et vécu comme l’un des leurs. C’est pour cela que je travaille seul, de l’image au son en passant par le pilotage du drone. Même quand je ne filme pas, je ne pose jamais la caméra : elle fait partie de mon personnage. Vous filmez l’aciérie comme un personnage à part entière. Au début, c’était même le personnage principal. Je voulais la montrer comme un être vivant, car c’est comme ça que les aciéristes la considèrent. C’est un animal de conte fantastique, un dragon bruyant aux veines impressionnantes, qu’on nourrit de métal.

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Pourquoi Le Feu sacré ressemble-t-il autant à une fiction ? J’étais venu pour un plan social, je suis resté pour raconter une tentative de survie. Je travaille sur une intrigue principale et d’autres secondaires, comme en fiction. Même chose pour les personnages. On ne peut pas écrire un film comme celui-là avant de le tourner, mais le réel se débrouille bien…


LE PORTRAIT D’UNE GÉNÉRATION MARQUÉE PAR LA GUERRE D’ALGÉRIE « BOULEVERSANT ! »

« UN GRAND FILM »

Télérama

Le Parisien

★★★★

SYNECDOCHE PRÉSENTE

GÉRARD

Crédits non contractuels • Photo : David Koskas • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA • © 2020 SYNECDOCHE / ARTEMIS PRODUCTIONS / FRANCE 3 CINEMA / RTBF.

DEPARDIEU

CATHERINE

FROT

JEAN-PIERRE

DARROUSSIN

DES

HOMMES UN FILM DE

LUCAS BELVAUX

AVEC

YOANN

ZIMMER

FÉLIX

KYSYL

ÉDOUARD

SULPICE

D’après le roman éponyme de LAURENT MAUVIGNIER (ÉDITIONS DE MINUIT)

AU CINÉMA LE 11 NOVEMBRE


Cinéma -----> Sorties du 14 octobre au 4 novembre

SLALOM

Charlène Favier réfléchit la place du corps féminin dans un milieu encore très normé.

SORTIE LE 4 NOVEMBRE

PETITES DANSEUSES SORTIE LE 4 NOVEMBRE

La réalisatrice française Charlène Favier observe les blessures diffuses de l’adolescence avec, au cœur de ce premier long métrage, l’idée du corps féminin comme instrument de pouvoir, et la fulgurante Noée Abita. Quand Lyz, 15 ans, intègre la section skiétudes d’un lycée savoyard, son nouvel entraîneur voit en elle la perspective de victoires providentielles. Nourrie par ses encouragements, la jeune fille se plonge dans l’entraînement avec une détermination aveugle et se trouve bientôt dépassée par l’emprise émotionnelle qu’exerce cet homme sur elle… Dans ce premier film, en sélection officielle à Cannes cette année, Charlène Favier dessine la trajectoire d’une jeune fille délaissée par sa mère et magnétisée par la foi que place en elle une figure tutélaire. S’y donne à voir, avec une franche empathie de la réalisatrice pour son personnage principal, l’oscillation ténue entre l’enfance – où se mêlent innocence, incompréhension et peur brute – et un âge très précoce où les filles doivent déjà s’assumer, comprendre les codes d’une société inégalitaire. Slalom parvient à recueillir au même endroit et dans une temporalité de quelques mois seulement les transformations malignes qui se jouent dans la vie de Lyz. Le rapprochement insidieux qu’opère

à son égard son entraîneur, l’insouciance des garçons qui l’entourent et la cohésion familiale qu’elle entrevoit chez ses amis gagnent un corps promis à la compétition et convoité par d’autres. Une violence sourde semble tendre ses muscles jusqu’à l’épuisement. En installant son récit dans un univers de discipline sportive et de rigueur météorologique, Charlène Favier réfléchit la place du corps féminin dans un milieu encore très normé et la charge mentale sous laquelle plie l’héroïne. Jérémie Renier, en entraîneur sur le fil, traduit avec finesse les nuances vicieuses que peut emprunter la domination masculine. Son personnage dit une masculinité retranchée dans ses derniers bastions, possible parallèle avec les questionnements soulevés par #MeToo. Noée Abita – que Charlène Favier avait déjà dirigée dans Odol Gorri, nommé au César du meilleur court métrage cette année – incarne, elle, le trouble de façon remarquable et met son irrévérence brute au service du rôle. Dans le brouillard des pistes et des rapports de force, Liz n’a d’autre visée que d’enfin s’appartenir à elle-même. Slalom de Charlène Favier, Jour2fête (1 h 32) sortie le 4 novembre

LAURA PERTUY

Anne-Claire Dolivet filme au plus près ces jeunes filles prêtes à tous les sacrifices. 38

Élèves d’un cours de danse particulièrement exigeant, quatre fillettes se rêvent étoiles. Ce subtil docu tire admirablement parti de l’imaginaire ambigu de la danse classique, entre splendeur et dolorisme. Sous la coupe de Muriel, les élèves d’un petit cours parisien sont soumises à une pratique intensive que leur permettent des horaires aménagés, sans compter certains week-ends de concours. La cinéaste s’attarde sur quatre jeunes filles, âgées de 6 à 10 ans, qui sont déjà astreintes aux diktats physiques (poids, maintien) et psychologiques (obstination, stoïcisme) de la discipline. Petites danseuses tient beaucoup du rite initiatique : sans voix off ni entretiens, constamment tenu à juste distance, le film envisage l’espace du cours de danse comme le lieu de tous les apprentissages, de la dureté de l’effort, de la violence du jugement, comme de la sororité la plus tendre. Mues par leur passion, ces filles, dont les désirs convergent vers le sacre (le titre d’étoile), forment une troupe étonnamment soudée, loin du fantasme des danseuses prétendument concurrentes essaimé par la culture populaire. Devant le film, c’est davantage du réalisme sans concession des toiles d’Edgar Degas, dont les « petits rats de

no 180 – octobre 2020

l’Opéra » étaient représentées avec la même vulnérabilité à fleur de peau que ces petites danseuses, qui affleure. Suivant les traces du peintre, la cinéaste révèle sans détour l’envers du décor et les sacrifices intimes qu’exige une telle pratique, à un âge encore trop immature pour en mesurer pleinement l’impact. Pour autant, le regard d’Anne-Claire Dolivet n’est pas à charge puisque le film, sans se limiter au vague portrait de groupe, segmente ses personnages pour en cerner l’individualité et prend le temps de les voir éclore. En témoigne l’ambivalence, d’autant plus précieuse qu’elle prolonge la dualité des représentations quant à la danse classique, d’une professeure qui, malgré son intransigeance presque cruelle, emporte finalement l’empathie par sa dévotion. Bercé par les nappes lancinantes du musicien Malik Djoudi, le film propose une vision documentaire romanesque, quasi sensorielle, dont les ressorts flirtent avec ceux de la fiction. On pourrait d’ailleurs résumer ce portrait d’une enfance contrainte à la précocité en cinq ou six bouleversants plans volés qui, en quelques secondes muettes, se chargent de toute la détresse d’un regard comme de la fierté d’une victoire. Petites danseuses d’Anne-Claire Dolivet, KMBO (1 h 30), sortie le 4 novembre

DAVID EZAN


Sorties du 14 octobre au 4 novembre <---- Cinéma

ADN SORTIE LE 28 OCTOBRE

Cerné par la mort et l’amertume, ce drame familial signé Maïwenn est aussi un récit de renaissance intime dans lequel se télescopent les émotions les plus contradictoires. Son ambitieux projet sur Madame du Barry attendant toujours (le tournage devrait démarrer en janvier), la réalisatrice a entrepris ADN avec l’envie de tourner vite une fiction assise sur un traumatisme personnel encore récent – le décès de son grand-père. Un film endeuillé donc, qui voit une famille se réunir autour d’un aïeul vénéré, emporté après plusieurs années d’Alzheimer. L’interrogation de départ est limpide : que faire du souvenir de ceux qui ont disparu ? Cette mémoire effacée par

la maladie puis par la mort, chacun essaiera ainsi de l’invoquer de nouveau lors des funérailles du défunt, climax à la fois déchirant et hilarant qui mettra à nu le réseau souterrain de tensions reliant les membres de cette famille chaotique – campée par un casting première classe (Fanny Ardant en mère glacée, Marine Vacth en sœur distante, Dylan Robert en neveu à fleur de peau). Maïwenn y déploie comme de juste ce registre choral dans lequel elle excelle depuis ses débuts (revoir Police, où elle reconstituait le quotidien de la brigade de protection des mineurs de Paris). Sauf que, après avoir livré le récit au déballage et aux règlements de compte, cette agitation collective finira par s’étioler pour laisser le personnage principal (joué par la cinéaste ellemême) prendre la tangente et se lancer dans une quête de soi qui ouvrira au film un horizon plus apaisé. L’ADN du titre renvoie ainsi à ces tests qui font florès ces dernières années sur Internet

en offrant la possibilité à qui le souhaite de découvrir avec plus ou moins d’exactitude les origines ethniques de son patrimoine génétique. Mais il est toujours périlleux de fouiller dans le passé (et dans ses gènes). Pour l’accompagner dans cette investigation sur elle-même, Maïwenn s’adjoint donc les services d’un complice joué par Louis Garrel, toujours parfait en second rôle. À la fois trublion et ange gardien, il s’offre à chaque séquence comme un contrepoint délicieux à cette symphonie d’amertume et rappelle que la meilleure chose à avoir, quand on ne supporte plus sa famille, c’est un bon ami. ADN de Maïwenn, Le Pacte (1 h 30), sortie le 28 octobre

LOUIS BLANCHOT

© D. R.

Trois questions À MAÏWENN Malgré la pléthore de personnages et d’événements, le film ne dure que 90 minutes. C’était prévu ? Non, on a beaucoup coupé. Quand j’écris un scénario, j’ai tendance à répéter les choses plusieurs fois, de peur de ne pas être comprise. En montage, je suis davantage attentive au rythme. Ici, la recherche du bon rythme impliquait de couper, de retrancher, de rapprocher les séquences les unes des autres. Vous tenez à nouveau le rôle principal. Ce n’est pas trop compliqué de jouer tout en assumant la mise en scène ? Pour moi, ça se complète. Jouer dans mes films est un mouvement de mise

en scène qui donne de l’énergie aux autres comédiens. J’amène un ton – souvent excessif d’ailleurs – qui va les désinhiber. Ils n’ont plus peur d’y aller franchement, et c’est ça qui finira par créer des étincelles dans la séquence. Diriez-vous qu’ADN est un film autobiographique ? Non, je déteste ce mot, je le trouve réducteur. Je puise dans ma vie des situations et des émotions, mais c’est le désir de fiction qui m’anime.

octobre 2020 – no 180

« Une plongée dans la poésie du réel » Le Monde

AU CINÉMA LE 11 NOVEMBRE

39


Cinéma -----> Sorties du 14 octobre au 4 novembre

ADIEU LES CONS

FALLING

SORTIE LE 21 OCTOBRE

SORTIE LE 4 NOVEMBRE

Albert Dupontel accueille la géniale Virginie Efira pour dessiner une France quasi déshumanisée qu’il habille d’humour noir et de sentimentalité exacerbée. Coiffeuse touchée par une maladie incurable, Suze (Virginie Efira) veut consacrer le peu de temps qu’il lui reste à rechercher l’enfant dont elle a accouché sous X lorsqu’elle avait 15 ans. Sa quête administrative lui fait croiser la route d’un fonctionnaire spécialisé en sécurité informatique, JB (Albert Dupontel), qui a tenté de se suicider sur son lieu de travail. Traqué par la police à la suite d’un sanglant quiproquo, le quinquagénaire déprimé se voit contraint d’aider Suze à retrouver son fils, désormais âgé d’une vingtaine d’années. Dans sa course contre la montre effrénée, le duo entraîne avec lui un archiviste (Nicolas Marié) rendu aveugle par une bavure policière… Comédie burlesque et révoltée, Adieu les cons suit la cavale d’individus désespérés dans une France hyper technologique au bord de la déshumanisation et rend ouvertement hommage à Brazil de Terry Gilliam (qui fait une apparition dans le film). Albert Dupontel met ainsi en images un monde formaté par

des méandres administratifs kafkaïens et des lotissements bien ordonnés qui brisent les rêves dans l’œuf. Après son adaptation d’Au revoir là-haut, le cinéaste reconduit avec ce scénario original son goût pour les accidentés de la vie qui s’épaulent afin de mener à bien une entreprise subversive. Portée par son héroïne au corps intoxiqué mue par l’amour, cette fable survoltée donne libre cours à une mélancolie sans fard et à une sentimentalité palpable… jusqu’à une brutale conclusion qui exprime le profond désenchantement d’un Albert Dupontel ne se cachant plus derrière l’absurdité pour inoculer sa noirceur. Adieu les cons d’Albert Dupontel, Gaumont (1 h 27) sortie le 21 octobre

DAMIEN LEBLANC

Trois décennies D’ALBERT DUPONTEL BERNIE (1996) Révélé dans les années 1990 par des sketchs télé et des one-man-shows, Albert Dupontel saute le pas du grand écran avec cette comédie décapante dont il est scénariste, acteur et réalisateur. Histoire d’un garçon névrosé qui quitte l’orphelinat à 30 ans et sème le désordre à coups de pelles, Bernie est nommé pour le César du meilleur premier film. ENFERMÉS DEHORS (2006) Après deux films centrés sur un seul individu incarné par lui (Bernie, Le Créateur), Albert Dupontel s’ouvre davantage au collectif avec ce troisième film. Dans la peau d’un SDF qui s’habille en policier pour manger à

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la cantine du commissariat, l’acteur-­cinéaste signe un pamphlet social et cartoonesque en forme d’ode à la communauté des opprimés. AU REVOIR LÀ-HAUT (2017) Adaptation du roman de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013, cette fresque raconte une arnaque aux monuments aux morts montée par des rescapés des tranchées après la Première Guerre mondiale. Récompensé du César du meilleur réalisateur, Dupontel confirme, avec cet immense succès public, qu’il est une valeur sûre du cinéma français.

Pour sa première réalisation, Viggo Mortensen plonge dans l’un des gouffres idéologiques et générationnels qui scindent actuellement les États-Unis. À travers la relation houleuse entre un Californien progressiste (campé par Mortensen) et son père (Lance Henriksen), vieux cow-boy conservateur en train de sombrer dans la démence, il ausculte méthodiquement les possibilités de réconciliation. Ayant fui la campagne de son enfance, John coule désormais des jours heureux avec son époux et leur fille adoptive en Californie. Quand son père, isolé dans le ranch familial, commence à manifester des signes d’affaiblissement physique et mental, il se voit dans l’obligation d’accueillir ce vieil homme aux idées conservatrices et aux propos homophobes et racistes, le temps de lui trouver un nouveau foyer sur la côte ouest. Le patriarche se montre particulièrement amer et cruel envers son fils, qui s’est résigné, cette fois-ci, à encaisser les coups sans tenter de les rendre… Pour son premier film, Viggo Mortensen fait le choix aussi audacieux que réussi du récit en puzzle : cette trame dans laquelle père

et fils adultes s’affrontent froidement sur le plan idéologique est percée de flash-back retraçant l’enfance de John dans la ferme familiale et la rencontre de ses parents. S’ils sont retranscrits dans une ambiance ouatée et onirique, ces fragments de souvenirs, qui semblent surgir de la mémoire en déréliction du père alors au crépuscule de sa vie, permettent pourtant de saisir la violence sourde qui régnait dans ce foyer baigné de virilisme. La belle idée de Viggo Mortensen est de nous maintenir suspendus à la possibilité de communication tardive entre le père et le fils, délivrant de furtifs mais chaleureux instants de réconciliation tout en évitant l’ornière de la conclusion manichéenne. Falling de Viggo Mortensen, Metropolitan FilmExport (1 h 52) sortie le 4 novembre

DAMIEN LEBLANC

Trois questions À VIGGO MORTENSEN À quel point le film est-il autobiographique ? Je voulais au départ écrire à propos de choses que j’ai apprises sur ma famille lors des funérailles de ma mère. En rentrant chez moi en avion cette nuit-là, j’ai ainsi noté dans un carnet tout ce dont je pouvais me souvenir, comme des conversations de mon enfance, auxquelles se sont ajoutés des souvenirs d’autres personnes ayant connu ma mère. Puis ces notes se sont transformées en une histoire sur une famille fictive. Par cette opposition entre un père haineux et un fils progressiste, vouliez-vous traiter des actuelles divisions de l’Amérique ? Les conflits familiaux et les discours de haine

no 180 – octobre 2020

sont présents dans de nombreuses sociétés, pas seulement aux États-Unis. Notre récit se déroule en outre en 2009, quand la polarisation de l’Amérique était moins toxique. Et j’espère que le public se souviendra de nos personnages longtemps après la fin de l’aberration antidémocratique de Trump. David Cronenberg, qui vous a dirigé trois fois, joue ici le rôle d’un proctologue. J’ai pensé qu’il serait idéal dans le rôle du Dr Klausner. Pas parce que c’est mon ami, mais réellement dans l’intérêt du film. Et, pour les cinéphiles qui le reconnaitront, il y aura probablement un plaisir supplémentaire à le voir jouer ce proctologue en raison des associations qu’ils feront avec sa filmographie.



Cinéma -----> Sorties du 14 octobre au 4 novembre

L’ORIGINE DU MONDE SORTIE LE 4 NOVEMBRE

Trois questions

© Laurent Champoussin

À LAURENT LAFITTE

42

Pour son premier film en tant que réalisateur, le truculent Laurent Lafitte fait le pari de marier la comédie bourgeoise à la Francis Veber avec l’humour malpoli et cru d’un Reiser. Le résultat ? Un film fou et furieux qui ose tout avec une pointe réjouissante d’élégance et de mauvais goût. De la comédie sans tabou qui ne plaira pas à tout le monde. Et tant mieux !

François Hollande, et que la psychanalyse au premier degré ça peut faire des dégâts. Obnubilé par le corps, parcouru de malicieux sous-entendus sexuels, le film fait d’un tabou, un totem. Soudain, plus rien n’a de sens, et les valeurs bourgeoises volent en éclat. Méchant à souhait, parsemé de répliques monstrueusement drôles et bientôt culte, le film pousse ainsi la farce très loin avec l’art réjouissant de dire des horreurs avec le sourire. Comme à son habitude, le dramaturge Sébastien Thiéry instille dans le ronron du théâtre bourgeois un élément perturbateur, un bug de scénario qui oblige personnages et spectateurs à regarder le monde de travers. L’adaptation que tire Laurent Lafitte pousse encore plus loin les curseurs et joue avec malice sur le regard effaré du spectateur.

Cela faisait longtemps qu’une comédie ne nous avait pas autant pris de court. Qu’un film ne s’était pas autant amusé, avec un air de sale gosse, à nous tirer la langue, à nous provoquer et à nous emmener là où personne ne va. Et ce, dès son étrange et long générique vintage et galactique sur fond de Marie Laforêt. Adapté de la pièce éponyme déjà bien corsée de Sébastien Thiéry, L’Origine du monde embarque Karin Viard, Vincent Macaigne, Hélène Vincent et Laurent Lafitte himself dans une odyssée freudienne dont on taira ici volontairement la teneur. Car ce qui se joue dans cette comédie névrosée d’un nouveau genre est tellement fou, tellement improbable que le plaisir vient d’abord du fait d’écarquiller les yeux de rire et de stupeur devant la tournure surréaliste des événements. On dira juste que Lafitte et Viard y jouent un affreux couple de quinquas en crise, que Vincent Macaigne a des faux airs de

DRÔLE ET MÉCHANT Cap ou pas cap ? Quelque chose déraille dans L’Origine du monde, et cette folie, tout sauf douce, nous entraîne avec elle dans un dérapage comique incontrôlé dont on craint les sorties de route. Extraordinairement justes dans tous leurs excès, Laurent Lafitte, Karin Viard et Vincent Macaigne semblent comme prisonnier d’un cauchemar débile, d’une blague idiote qu’ils prendraient soudain bizarrement au sérieux. On rit d’abord de l’énormité de la situation – en rapport avec un complexe d’Œdipe carrément pris au pied de la lettre –, mais la frayeur des personnages, leur urgence carnassière prend soudain le dessus. Le film s’emballe, nous aussi, et la fureur comique

et grotesque de ce qui se passe à l’écran, l’appétit du film à aller de plus en plus loin dans le rationnel le plus dingo nous emporte dans un éclat de rire énorme, quelque part entre la surprise, le malaise et l’euphorie transgressive. Pour peu que l’on aime cet humour à l’anglaise où la provocation est avant tout un joyeux bordel, L’Origine du monde devient un idéal de comédie, offrant à ses acteurs (grand numéro de Vincent Macaigne en François Pignon flippé, Laurent Lafitte tout en ambiguïté) et actrices (Karin Viard au sommet de ses compositions monstrueusement souriantes, Hélène Vincent parfaite, et en guest Nicole Garcia en gourou mal aimable) des scènes aussi ahurissantes qu’hilarantes. Les amateurs de premier degré et d’humour plus sage – ou plus sensé – risquent, eux, de détester ça. C’est le revers d’une comédie comme aucune autre qui, à l’instar des films de Bertrand Blier (Tenue de soirée, Buffet froid), conçoit le rire comme un geste frondeur, libérateur qui fait fi de tout : le réalisme, la bienséance et la morale. Forcément tordant, forcément clivant. L’Origine du monde de Laurent Lafitte, StudioCanal (1 h 38), sortie le 4 novembre

RENAN CROS

no 180 – octobre 2020

Comment propose-t-on un scénario pareil à Karin Viard et Vincent Macaigne ? En espérant qu’ils ne pourraient pas laisser passer des rôles aussi dingues, qu’ils comprendraient la démarche et l’humour, et que tout ce qu’il y a à jouer, même les scènes les plus folles (et oui, il y en a), est un détail quand le scénario vous emballe. C’est ce que je recherche moi en tant que comédien. Judd Apatow a mis les gens tout nus dans ses films et tout le monde s’est marré. Il n’y a pas de raison qu’on ne rigole pas nous aussi un peu à poil ! Qu’est-ce que vous répondez aux gens que le film choque ? Que c’est normal. Il ne faut pas qu’ils s’inquiètent, ce n’est pas grave, tout va bien se passer. Le film affronte un tabou ancestral et ça peut déranger. Je comprends. Mais l’idée, c’est de rire de tout ça, de désacraliser les choses. C’est vraiment une comédie défouloir. Alors évidemment, dès que ça touche à l’intime, ça crispe. Plus une chose est interdite, plus elle est sacrée, plus moi j’ai envie d’en rire. Vous assumez la filiation avec le cinéma de Bertrand Blier ? Complètement. Je prends la référence sans aucune modestie ! Tenue de soirée est l’un de mes films préférés. J’aime l’humour anglais et les films de Bertrand Blier, là où la grossièreté n’est jamais vulgaire. Chez Blier, c’est l’audace qui emporte. On rit parce que ça ose, parce que ça gratte là où personne ne va. Je crois qu’on a plus que jamais besoin de ça.



Cinéma -----> Sorties du 14 octobre au 4 novembre

de Marguerite Duras

Universal Pictures (1 h 34)

drz

OCTOBRE

14

Una promessa

d’Adilkhan Yerzhanov

de Gianluca et Massimiliano De Serio

Arizona (1 h 50)

Shellac (1 h 44)

Collectif

Haut et Court (1 h 55)

Cinéma Public Films (52 min)`

3q

d‘Ulrike Ottinger

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La Première Marche de Hakim Atoui et Baptiste Etchegaray

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lire p. 36

En 2019, l’écrivain français Bernard-Henri Lévy parcourt l’Europe pour jouer sa propre pièce de théâtre. Un périple immortalisé dans ce documentaire nuancé.

catastrophe

Princesse Europe de Camille Lotteau

super-héros

de Joann Sfar

5k

musical

Israël. Le voyage interdit – Partie 2 : Hanouka de Jean-Pierre Lledo, Nour Films (2 h 37)

ressortie

no 180 – octobre 2020

o4y

lire p. 12

Un portrait fascinant du grand peintre italien, qui évoque ses moments d’angoisse et de génie alors que deux familles nobles se disputent ses faveurs.

Dans ce deuxième volet d’une fresque en quatre parties sur l’identité, le cinéaste questionne le sort des réfugiés en Algérie, pays de son enfance.

technologie

CRÉDITS NON-CONTRACTUELS

Petit vampire

ov

buddy movie

44

21

StudioCanal (N. C.)

Sophie Dulac (1 h 49)

voyage/road trip

oy Dean Medias (2 h 09)

historique

féminisme

Les Alchimistes (1 h 39)

Juste Doc (1 h 21)

horreur

biopic

de Perrine Michel

Paris Calligrammes

de Ton van Zantvoort

fantastique

ACTUELLEMENT AU CINÉMA

Les Équilibristes

No Way

Outplay (1 h 04)

Un film de JEAN-PIERRE LLEDO

k5

lire p. 35

Le portrait saisissant de l’un des derniers bergers traditionnels aux Pays-Bas, prêt à tout pour garder son troupeau et lutter contre les grandes entreprises.

drame

thriller

La Chouette en toque

de Thomas Vinterberg

lire p. 12

sci-fi

dl

wp

Drunk

de Rémi Chayé, Gebeka Films (1 h 22)

comédie

À travers le deuil difficile d’un veuf et de son fils, ce drame intense qui se situe dans les champs agricoles du sud de l’Italie dénonce l’exploitation moderne.

A Dark, Dark Man

Calamity. Une enfance de Martha Jane Cannary

kv1

km 5

lire p. 26

Un jeune policier que la corruption ne surprend plus se retrouve piégé dans un dilemme moral dans les steppes kazakhes – entre western et film noir.

Cochez les films que vous ne voulez pas manquer C’est le film d’animation à ne pas rater cet automne : un pur bijou inspiré de l’enfance rocambolesque de la pionnière de l’Ouest Calamity Jane, par le réalisateur français de Tout en haut du monde (2016).

de Walt Dohrn

Tamasa (2 h)

OCTOBRE

CALENDRIER DES SORTIES DU MOIS

Les Trolls 2. Tournée mondiale

India Song

Michel-Ange

d’Andreï Konchalovsky UFO (2 h 16)

bi


Le Feu sacré d’Éric Guéret

New Story (1 h 33)

ol

lire p. 36

Adieu les cons d’Albert Dupontel Gaumont (1 h 27)

c1

OCTOBRE

Sorties du 14 octobre au 4 novembre <---- Cinéma

lire p. 40

Dans ce film d’anticipation dystopique à la tonalité comique, deux hommes tentent de rejoindre les derniers survivants sur Terre (Charlotte Rampling, Stellan Skarsgård) à Athènes.

28

Garçon chiffon

comédie dramatique

guerre

animation

de Nicolas Maury

Les Films du Losange (1 h 48)

34

documentaire

lire p. 10 et 16 famille

policier/enquête

de Maïwenn

de Jonathan Nossiter

romance

aventure

ADN

Last Words

action

Le Pacte (1 h 30)

Jour2fête (2 h 06)

34y

s1

espionnage

lire p. 39

Primé au festival du film de Saint-Sébastien pour son scénario, ce drame espagnol raconte le destin d’un fervent républicain menacé par l’arrivée des troupes franquistes en 1936.

Le Sud-Coréen Yeon Sang-ho signe la suite de Dernier train pour Busan, doté d’un budget décuplé – et ça se voit. En résulte un nouveau film de zombies inspiré et terrifiant.

Peninsula

Une vie secrète

ARP Sélection (1 h 56)

Épicentre Films (2 h 27)

psychologie

enfant

2020

LE TOUQUET - PARIS - PLAGE

GRAND PRIX DU FIGRA COMPÉTITION INTERNATIONALE, PLUS DE 40 MINUTES

luttes sociales

coming-of-age

de Jon Garaño, Aitor Arregi et José Mari Goenaga western

dgi

xh

Israël. Le voyage interdit – Partie III : Pourim

Dans ce feel-good movie, un jeune homme passionné depuis son enfance par Miss France décide de se faire passer pour une femme afin d’intégrer le concours et réaliser son rêve.

de Jean-Pierre Lledo Nour Films (3 h)

o4y

Une petite fille se lie d’amitié avec le poney maltraité d’un cirque et décide d’organiser son évasion… Un récit d’initiation tendre et altruiste.

Miss

de Ruben Alves Warner Bros. (N. C.)

cl

Une femme sans-abri (Catherine Frot) prend sous son aile un enfant migrant de 8 ans… Un conte humaniste par le réalisateur du documentaire Au bord du monde.

Poly

de Nicolas Vanier SND (1 h 42)

kj

La Baleine et l’Escargote de Max Lang et Daniel Snaddon

Sous les étoiles de Paris de Claus Drexel Diaphana (1 h 30)

Les Films du Préau (40 min)

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Israël. Le voyage interdit – Partie IV : Pessah

City Hall

de Frederick Wiseman

de Jean-Pierre Lledo

Météore Films (4 h 32)

Nour Films (3 h 12) lire p. 4

Slalom

de Charlène Favier Jour2fête (1 h 32)

dy de Viggo Mortensen Metropolitan FilmExport (1 h 52)

34v Petites danseuses

The Jokers / Capricci (1 h 41)

KMBO (1 h 30)

de Just Philippot

df

o

lire p. 38

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lire p. 35

lire p. 28

17 Blocks

(Lost Films, 1 h 34)

Sophie Dulac (1 h 35)

de Davy Rothbart

de Robin Hardy

lire p. 8

L’Origine du monde

Fritzi

StudioCanal (1 h 38)

Septième Factory (1 h 26)

de Ralf Kukula et Matthias Bruhn

de Laurent Lafitte

cy

o4y octobre 2020 – no 180

lire p. 40

d’Anne-Claire Dolivet

The Wicker Man

zh

lire p. 38

Falling

La Nuée

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LE 21 OCTOBRE AU CINÉMA écologie/nature

NOVEMBRE

de Yeon Sang-ho

lire p. 40

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© C. Hélie / Gallimard

FRANÇOIS SUREAU

« La liberté suppose d’être parfois blessé par les opinions contraires. »

Découvrez nos conférences, débats, cinéma clubs à retrouver dans les salles mk2

Justice Il est l’une des grandes voix de la lutte pour les libertés individuelles. Invité de mk2 Institut, l’avocat aux conseils et écrivain nous propose de repenser la liberté, non pas comme un fondement archaïque du vivre-ensemble ou un principe optionnel, mais bien comme une valeur cardinale dont il faut sans cesse réaffirmer l’absolue nécessité démocratique. Pourquoi la liberté, comme exercice d’un droit citoyen, est-elle selon vous menacée ? Nous nous sommes habitués, ce qui est un héritage des xixe et xxe siècles, à penser

la liberté comme une résistance à l’État : le citoyen innocent face à l’État intrusif. Et cette habitude fait bon marché de notre propre demande d’absence de liberté. Il n’est pas impossible qu’un État devienne d’autant plus intrusif qu’il est faible et espère regagner la confiance des citoyens en leur assurant la sécurité par la répression et la censure. Il me semble que nous devons aussi nous libérer d’une image idéalisée de notre propre histoire nationale. Celle-ci comporte au fond assez peu d’épisodes satisfaisants quant à la liberté : quelques mois de 1848, la fin de la IIIe République, les années récentes, avec la montée en puissance des normes inspirées du droit naturel. Mais tout montre que cette dernière parenthèse est en train de se refermer. Quel regard portez-vous sur les mesures gouvernementales prises actuellement pour assurer la sécurité des citoyens ? Elles témoignent bien sûr d’un souci de l’intérêt général en période de pandémie et ne sont en ce sens guère contestables dans leur principe. Mais elles manifestent aussi cette tendance d’un État faible à répondre de manière peut-être excessive à un besoin de

sécurité qui l’emporte sur toute autre considération, constitutionnelle, politique, économique ou sociale. Par ailleurs, ces mesures posent la question de notre tendance à substituer, face à chaque difficulté, terrorisme ou pandémie, un état d’urgence à l’état normal des choses. Et ayant perdu foi dans les vertus de cette normalité, nous n’avons plus d’argument à opposer aux tenants de l’efficacité à tout prix. Défendre la liberté, contester des mesures gouvernementales, c’est aussi nourrir des contradictions, susciter le débat, créer des oppositions. Cette démarche nous est-elle devenue insupportable ? Comme le rappelait la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt ancien, la liberté suppose d’être atteint, parfois blessé, révolté, par les opinions contraires. Il y va de l’essence même de ce que nous nommons le pluralisme. Une société divisée, et au fond sceptique sur l’idée même de progrès, l’admet plus difficilement qu’une société confiante, sûre de son inventivité. Ce faisant, nous risquons de perdre notre esprit collectif, celui qui a toujours cru que le progrès durable ne

pouvait naître que du libre jeu des contradictions dans la société politique. Sur quels fondements reposent, selon vous, la liberté d’une société ? Cela suppose à mon avis trois choses : le souci collectif, qui doit trouver une expression dans les attitudes des représentants des pouvoirs publics ; l’amour de la liberté, c’est-à-dire la foi dans ce que son libre jeu recèle de possibilités éminemment positives ; et enfin des institutions publiques adaptées à notre époque, mais fidèles à la démocratie représentative. Malheureusement, nous en sommes encore assez loin. « François Sureau : la liberté avant tout » du 1er octobre au 10 décembre au mk2 Bibliothèque / tarif : 15 € | étudiant, demandeur d’emploi, – 26 ans : 9 € | carte UGC / mk2 illimité acceptée • PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE DUMOULIN

© Pascal Kobeh

Expéditions scientifiques FRANÇOIS SARANO

Océanologue spécialiste des cachalots, il est l’ancien conseiller scientifique du commandant Cousteau et du réalisateur Jacques Perrin. Invité du mk2 Institut dans le cadre du cycle « L’heure sauvage », il fait le récit de ses expériences au milieu des cétacés.

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Qu’est ce qui fait du cachalot un animal si singulier ? Ce sont des animaux solidaires qui évoluent dans une société matriarcale. L’attention portée aux autres est fonda­mentale au sein du groupe. Lors des chasses notamment, les parents prennent le soin de laisser leurs petits à des nounous qui les protègent. Ce sont aussi des êtres qui cultivent l’inutile et le temps libre. Contrairement aux requins, dont les actions sont uniquement guidées par la survie, les cachalots passent leur temps à explorer, à jouer, à caresser les autres. Quelle leçon ont-ils à nous donner ? Le désir de comprendre l’autre. Quand un cachalot vient me voir, il n’a pas d’a priori

sur l’altérité, mais ça l’intéresse et il m’interroge. Si nous faisions chacun la même chose, interroger l’autre dans la bienveillance, nous nous enrichirions des autres cultures, découvririons ce qui nous rassemble et serions capables de vivre des moments de joie partagée. Pourquoi ces animaux sauvages sont-ils tant redoutés ? En réalité, nous, les citadins, n’avons aucune idée de ce qu’est la nature. On ne sait même plus ce que c’est que le ciel. Cette coupure du monde naturel fait que nous envisageons ces animaux sauvages comme des êtres mécaniques et cruels. Nous sommes aussi façonnés par la pensée judéo-chrétienne.

L’homme doit être au-dessus d’un monde à sa merci. Aucune individualité n’est permise. Certains philosophes, Descartes notamment, ont renforcé cette standardisation de l’animal. Or, ce que l’on voit sur le terrain, c’est que chaque espèce est dotée, comme nous, d’une personnalité, d’une histoire singulière. Il est définitivement temps de repenser notre rapport à la nature. « L’heure sauvage », cycle mensuel, le dimanche à 11 h, toute la programmation dans l’agenda p. 48 • PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE DUMOULIN


EXPOSITION

KINSHASA CHRONIQUES

Palais de Chaillot Trocadéro – Paris 16e citedelarchitecture.fr #ExpoKinshasa

14.10.2020 11.01.2021

Une exposition en co-production avec

© KONGO ASTRONAUTS. Sans titre – série « After Schengen », 2019. Courtesy de l’artiste & d’Axis Gallery, New York


FRANÇOIS SUREAU : LA LIBERTÉ AVANT TOUT « Quel est le sens profond de la construction républicaine de la liberté ? »

> mk2 Beaubourg, à 20 h

> mk2 Bibliothèque, à 20 h

----> SAMEDI 17 OCT.

1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Zeus et les Titans : la guerre pour le trône » > mk2 Gambetta, à 11 h

----> DIMANCHE 18 OCT. ANIMATION EN COURTS Séance organisée dans le cadre de la 19e Fête du cinéma d’animation > mk2 Beaubourg, à 11 h

----> MARDI 20 OCT.

AVANT-PREMIÈRE D’ADIEU LES CONS Projections du nouveau film d’Albert Dupontel (suivie, au mk2 Bibliothèque, d’un débat avec le réalisateur), avant sa sortie le 21 octobre. > mk2 Bibliothèque (débat à l’issue de la séance, en présence d’Albert Dupontel), mk2 Bastille (côté Beaumarchais), mk2 Beaubourg, mk2 Odéon (côté St Germain), mk2 Gambetta, mk2 Nation, à 20 h

----> LUNDI 2 NOV.

UN TABLEAU PAR LE DÉTAIL « Le fantôme de La Ronde de nuit de Rembrandt. » > mk2 Nation, à 10 h 30

1 HEURE, 1 CITÉ MILLÉNAIRE « Marib, la capitale du royaume de Saba. » > mk2 Bastille (côté Beaumarchais), à 11 h

LUNDI PHILO AVEC CHARLES PÉPIN « L’habitude, enfer ou paradis ? »

> mk2 Odéon (côté Saint-Germain), à 18 h 30

DÉJÀ DEMAIN Projection de This Means More de Nicolas Gourault, Boriya de Min Sung-ah, Rivages de Sophie Racine et La Maison (pas très loin du Donegal) de Claude Le Pape. > mk2 Odéon (côté Saint-Michel), à 20 h

LE MONDE DE… HÉLÈNE CIXOUS Hélène Cixous présente et discute de son dernier livre, Ruines bien rangées (Gallimard). > mk2 Bibliothèque, à 20 h

----> MARDI 3 NOV.

1 HEURE, 1 QUARTIER DE PARIS « Du Louvre au Palais-Royal : au cœur du pouvoir. » > mk2 Beaubourg, à 12 h 30

UN TABLEAU PAR LE DÉTAIL « Le fantôme de La Ronde de nuit de Rembrandt. » > mk2 Bastille (côté Beaumarchais), à 18 h 30

1 HEURE, 1 CINÉASTE « Elia Kazan. »

> mk2 Odéon (côté Saint-Michel), à 20 h

LE MONDE DE… HÉLÈNE CIXOUS Hélène Cixous évoque ses séminaires avec Marta Segarra, professeure d’études de genre et éditrice de Lettres de fuite (Gallimard). > mk2 Bibliothèque, à 20 h

----> JEUDI 5 NOV. 48

1 HEURE, 1 ARCHITECTE « Le Corbusier. »

> mk2 Bibliothèque, à 12 h 30

HISTOIRE DE L’ART « Le temps des génies. »

Astrophysique

> mk2 Beaubourg, à 20 h

----> MERCREDI 6 NOV.

IDIOT PRAYER. NICK CAVE ALONE AT ALEXANDRA PALACE Projection du concert piano solo de Nick Cave filmé par Robbie Ryan au mythique Alexandra Palace de Londres en juin dernier. > mk2 Bibliothèque, à 19 h

----> SAMEDI 7 NOV.

1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Isis & Osiris : les premiers souverains. » > mk2 Nation, à 11 h

FASCINANTE RENAISSANCE « Botticelli. » > mk2 Odéon (côté Saint-Germain), à 11 h

1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Zeus et les Titans : la guerre pour le trône. »

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 14 h

----> DIMANCHE 8 NOV.

1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Isis & Osiris : les premiers souverains. »

CHRISTOPHE GALFARD Cambridge et chroniqueur à France Inter œuvre pour une science compréhensible par tous : « Je raconte des histoires sans terme technique et en interaction avec le public. » Cet automne, Christophe Galfard propose de réviser nos classiques de physique théorique. Relativité du temps, monde quantique et trous noirs n’auront plus aucun secret pour vous. • JOSÉPHINE DUMOULIN

© Astrid di Crollalanza

Virus, exoplanète, gravitation… Le physicien Christophe Galfard perce les mystères de l’univers dans des conférences ludiques et accessibles. Auteur d’ouvrages de vulgarisation (L’Univers à portée de main et E = mc2. L’équation de tous les possibles, publiés chez Flammarion), cet ancien élève de Stephen Hawking à l’université de

sexualité… chaque chercheur explique une notion essentielle d’une civilisation passée et questionne son actualité. Au programme cet automne : une réflexion sur le vivre-ensemble dans la Grèce antique et aujourd’hui en compagnie de Paulin Ismard, maître de conférences à la Sorbonne et auteur en 2019 de l’essai très remarqué La Cité et ses esclaves (Seuil). • JOSÉPHINE DUMOULIN

> mk2 Quai de Loire, à 11 h

L’ART DANS LE PRÉTOIRE « Peut-on créer à quatre mains ? » > mk2 Bastille (côté FaubourgSaint-Antoine), à 11 h

L’HEURE SAUVAGE « Plonger avec les cachalots : au royaume de la caresse et du jeu avec l’océanologue François Sarano. » > mk2 Quai de Loire, à 11 h

VOTRE CERVEAU VOUS JOUE DES TOURS AVEC ALBERT MOUKHEIBER « L’enfer, c’est les autres ? Les bases de la cognition sociale. » > mk2 Bibliothèque, à 11 h

CULTISSIME ! L’Ours de Jean-Jacques Annaud. > mk2 Gambetta, dans l’après-midi

« Que nous reste-il du serment d’Hippocrate ? » « L’homosexualité a-t-elle existé dans l’Antiquité ? » « Le mythe de Dieu est-il encore une réalité ? » Tous les mois, le journaliste Emmanuel Laurentin et un historien nous invitent à un voyage temporel pour comprendre les sociétés dont nous sommes les héritiers. Politique, santé,

> mk2 Odéon (côté Saint-Germain), à 18 h 30

----> MARDI 10 NOV. 1 HEURE, 1 CINÉASTE « Robert Mulligan. »

> mk2 Odéon (côté Saint-Michel), à 20 h

LA BIBLIOTHÈQUE IDÉALE (mk2 Institut) « Aurait-on honte de prendre de l’âge dans notre société ? » Rencontre avec l’écrivaine et journaliste Laure Adler autour de son dernier livre, La Voyageuse de nuit (Grasset).

« Mondes anciens, mondes de demain », cycle mensuel, le jeudi à 20 h au mk2 Nation toute la programmation dans l’agenda ci-contre

DANS Histoire de l’art L’ART LE PRÉTOIRE

----> LUNDI 9 NOV.

LUNDI PHILO AVEC CHARLES PÉPIN « Comment bien vivre l’incertitude ? »

« Venez parcourir l’univers avec Christophe Galfard », conférences mensuelles, le samedi à 11 h au mk2 Quai de Loire, le dimanche à 11 h au mk2 Odéon (côté St Germain) toute la programmation dans l’agenda ci-contre

ANCIENS, Histoire MONDES MONDES DE DEMAIN © @mntainwalkr

HISTOIRE DE L’ART « Le Quattrocento à Florence. »

par l’avocate et doctorante en droit de l’art Clémentine Hébrard. Elle a été formée à la lutte contre le trafic de biens culturels à l’Unesco, avant d’exercer pendant quatre ans comme avocate dans un cabinet parisien. Elle explore au fil des séances les plus grands procès d’art. « L’artiste a-t-il tous les droits ? » « Peut-on créer à quatre mains ? » « Le copier-coller peut-il devenir œuvre d’art ? »

© @talentless.fool

AU PROGRAMME

----> JEUDI 15 OCT.

Nul champ de l’activité humaine n’échappe au droit, pas même les lointains rivages de la création artistique. Et quand artistes, collectionneurs ou marchands d’art connaissent des démêlés avec la justice, les plaidoiries se transforment en cours d’esthétique, et les juges, en critiques d’art. Ce cycle proposé par Des Mots et Des Arts est présenté

• LOUISE TEMPÉREAU « L’art dans le prétoire », cycle mensuel, le dimanche à 11 h au mk2 Bastille (côté Faubourg Saint-Antoine) toute la programmation dans l’agenda ci-contre

> mk2 Quai de Loire, à 20 h

----> JUSQU’AU 17 NOV.

CYCLE JUNIOR Pour les enfants à partir de 5 ans : Shrek 2 ; Shrek 3 ; Shrek 4. Il était une fin. > mk2 Quai de Loire, mk2 Gambetta, mk2 Bibliothèque, les samedis et dimanches matin

avec la participation de


les

OlmÈques

et les cultures du golfe du Mexique

Escultura El Príncipe © Catálogo Digital Museo de Antropología de Xalapa, Universidad Veracruzana / Reproduction autorisée par l’Instituto Nacional de Antropología e Historia. México. DA © g6 design.

Exposition 9 octobre 2020 — 25 juillet 2021


Culture

Jeux vidéo

REVIEW BOMBING : DANS LE MONDE DES GAMERS RÉACS The Last of Us. Part II (2020)

L’évaluation notée est une pratique très répandue dans le domaine du jeu vidéo. Mais parfois cette notation est instrumentalisée par une communauté de joueurs pour plomber les ventes d’un jeu ou pour faire passer un message idéologique, souvent pas des plus glorieux. Parce que le jeu vidéo reste un loisir coûteux, et parce que les éventuels acheteurs ont besoin de conseils avant de sauter le pas, certains sites, comme le célèbre Metacritic, sont devenus des références en la matière. Leur méthode : établir une note (sur 100) en compilant les critiques (reviews) de la presse, et une autre (sur 10) en compilant les retours des joueurs. Depuis quelques années, la pertinence de ces agrégateurs de notes est discutée, en raison d’un épiphénomène qu’ils provoquent : le review bombing. Le vocabulaire sonne martial, et pour cause : il désigne l’action synchronisée d’une armée d’internautes pour plomber la sortie d’un jeu, en multipliant les avis négatifs pour faire baisser drastiquement sa note et ainsi décourager ses potentiels acheteurs. Parfois, la sanction cible une pratique commerciale abusive d’un éditeur (l’ajout de microtransactions dans un jeu déjà payé au prix fort), d’autres fois un choix purement créatif, comme peut en témoigner le RPG Mass Effect 3, couvert d’opprobre en 2012 à cause de sa seule conclusion narrative. Mais on constate de plus en plus que le review bombing peut aussi se faire le porte-­voix de discours politisés et d’idéologies réactionnaires. « Ce type de prise de parole est symptomatique d’une volonté de monopoliser l’expertise, qui est un trait de la culture vidéoludique, constate Jessica Benonie-Soler, maîtresse de conférence en sociologie à l’université de Toulouse. Ces avis sont d’ailleurs souvent pris en compte par les équipes d’édition. Mais les ambivalences de cet héritage collabo-

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ratif peuvent aussi donner voix à des positionnements sexistes, racistes, homophobes et transphobes. »

HAINE EN BANDE ORGANISÉE La récente sortie de The Last of Us. Part II a mis en évidence, une fois encore, la nature délétère du review bombing. Blockbuster spectaculaire et sans concession, cette suite développée par le studio Naughty Dog a été saluée par la majorité des médias comme un chef-d’œuvre d’émotion et d’écriture, ce qui lui a valu une note exceptionnelle de 93/100 sur Metacritic. Problème : le jour de sa sortie, la note des joueurs, elle, est de 3,5/10. En quelques heures, plus de 30 000 avis, virulents pour la plupart, ont été postés sur le site. Si certaines critiques se veulent constructives (le jeu a des problèmes de rythme, il est très violent, etc.), la grande majorité s’en prend au « message » délivré par le jeu. Certains parlent d’un jeu pro-SJW (social justice warriors, terme péjoratif pour désigner celles et ceux qui se battent pour des causes progressistes), d’autres fustigent un discours woke (éveillé aux injustices sociétales et à l’oppression qui pèse sur les minorités) et antichrétien. Pire : une vague de harcèlement et de menaces de mort est lancée les jours suivant contre les développeurs et les actrices du jeu, à base de trolls sexistes, homophobes, transphobes ou antisémites. Producteur de jeu vidéo et activiste en hacker­space (il organise notamment des ateliers sur les queer games), Sam Thiounn inscrit l’affaire dans la continuité du Gamergate, une campagne coordonnée de harcèlements en ligne qui avait visé de nombreux professionnels du jeu vidéo en 2014. « La réception réservée à The Last of Us. Part II prouve non seulement que la mentalité de joueurs toxiques, qui pensent avoir tous les droits sur le contenu des jeux, n’a pas évolué, mais aussi que l’industrie a fait bien peu d’efforts pour diversifier son contenu, et par conséquent leur donne raison. » Ce qui a mis le feu aux poudres : le fait que le jeu traite ouvertement d’homo-

sexualité (Ellie, l’héroïne du jeu, est en couple avec une femme, Dina), comporte un personnage trans (Lev, joué par Ian Alexander, vu dans la série The OA) ou encore qu’il véhicule une imagerie féminine (son autre héroïne, Abby, est très musclée) à contre-courant des clichés de genre. « Ces personnages, poursuit Thiounn, ne devraient pas être rares, et pourtant il y a toujours aussi peu de grosses productions qui en incluent, et encore moins qui le font de manière respectueuse. Tout cela ne fait que souligner le considérable retard et le manque de maturité du jeu vidéo par rapport à la société dans laquelle nous sommes et les attentes des joueurs et des joueuses. »

GOD SAVE THE QUEER Le review bombing est donc un fâcheux rappel : celui d’une prédominance du masculinisme dans le jeu mainstream, dans ses représentations mais aussi dans sa réception par le public. « Dans l’imaginaire collectif, commente Jessica Benonie-Soler, le public légitime reste l’homme hétérosexuel, cisgenre et blanc, et la visibilité d’autres publics passe mal. Les autres publics – les femmes, les LGBT et les minorités de genre – des jeux vidéo ont toujours été divers, mais ils

optent souvent pour le silence, de peur de se confronter à des stigmatisations. » Devant une telle polémique, Metacritic a décidé de revoir sa politique de notation, imposant un délai de trente-six heures entre la sortie d’un jeu et les premiers retours des joueurs. Mais le mal est fait, et il ne pourra être endigué tant que l’on ne cherchera pas activement à refondre le système de l’intérieur. « Il y a une réelle méconnaissance du public par l’industrie, déplore Jessica Benonie-Soler. Les modèles marketing, le public cible, les positions de pouvoir sont à repenser en profondeur. » Pour Sam Thiounn, cette lutte pour l’inclusivité a déjà commencé dans certaines sphères du jeu indé : les queer games. « Le terme s’emploie pour parler d’un ensemble très vaste de jeux créés par et pour des personnes queers, souvent épuisées d’être invisibles ou mal représentées, et qui veulent reprendre possession du jeu vidéo. Pour moi, les blockbusters ne sont absolument pas représentatifs de toute la beauté et toute la complexité que le jeu vidéo a à nous apporter en tant que joueurs et joueuses. La créativité se trouve ailleurs : elle est portée par des personnes qui ont décidé de ne plus être mises de côté. »

Pour aller plus loin REVIEW BOMBING ET GÉOPOLITIQUE En février 2019 sort Devotion, deuxième création de Red Candle Games, un studio taïwanais spécialisé dans le jeu vidéo d’horreur. Quelques jours après, des milliers de commentaires furieux de joueurs,

no 180 – octobre 2020

YANN FRANÇOIS

majoritairement chinois, s’accumulent sur la boutique en ligne Steam. En cause : la présence, dans un décor, d’un poster qui reprend un mème Internet moquant le président chinois Xi Jinping. De par les tensions géopolitiques qui subsistent entre Taïwan et la Chine, ce détail pourrait presque causer un incident diplomatique. Devant la polémique, Steam préfère retirer le jeu de la vente. Malgré un grand nombre de messages d’excuses, Red Candle Games devient paria et perd la plupart de ses contrats commerciaux avec ses partenaires asiatiques. Aujourd’hui, le jeu reste toujours inaccessible, sauf à la bibliothèque de l’université Harvard qui a décidé d’acquérir ses droits pour le proposer à ses étudiants. • Y. F.


Culture

Insula orchestra à La Seine Musicale

1 BD LA DERNIÈRE ROSE DE L’ÉTÉ

On croirait entendre le bruit d’une caméra en lisant la dernière bande dessinée de Lucas Harari, tant elle est à la fois une des meilleures propositions graphiques et narratives de cette rentrée et une des plus cinématographiques. Frère du cinéaste Arthur Harari (Diamant noir, 2016) et du directeur de la photographie Tom Harari, le jeune dessinateur revient après L’Aimant

– paru en en 2017 et déjà marqué du sceau du septième art – avec un thriller littéral, doux-amer, aux planches aussi travaillées qu’un long travelling. On suit Léo, un jeune homme en quête d’écriture qui se retrouve à garder la maison de son cousin sur une île sans nom. En faisant la connaissance de Rose, une adolescente mystérieuse, le personnage principal d’Harari est embarqué dans une histoire aux angles sombres où se mêlent meurtres et enquête policière. La réussite de La Dernière Rose de l’été ne se résume pas seulement à la tenue de sa narration, mais bien à l’équilibre rare entre rythme, dessin, composition et références. L’univers d’Harari est gonflé de ligne claire, de BD franco-belge, de Tintin (on y pense de bout en bout),

L’orchestre en résidence à La Seine Musicale, la salle de spectacle de l’ouest parisien, vous invite à découvrir sa saison ! Ses concerts et ses créations scéniques, mais aussi les artistes qu’il invite dans le cadre de sa programmation.

de Chris Ware, de François Schuiten, de Blake et Mortimer, de Charles Burns, mais donc aussi de cinéma. Hitchcock veille quand le David Lynch de Twin Peaks se retrouve au coin d’une case ou d’une situation. Le talent d’Arthur Harari est bien de déployer son trait, son récit, son style en ayant digéré tout ça, en choisissant sa voie qui, avec ce nouvel album, confirme sa place unique dans le paysage français.

7 NOV Orlando Furioso, Vivaldi Max Emanuel Cenčić 15 NOV Magic Mozart... Concert spectaculaire ! Philippe Decouflé et Laurence Equilbey 22 NOV Sol Gabetta / Camille Saint-Saëns Louis Langrée et la Camerata Salzburg

de Lucas Harari (Sarbacane, 192 p.), 29 €

26 NOV Beethoven, Sonates pour piano François-Frédéric Guy 3-4 DÉC La Neuvième de Beethoven Insula orchestra et Laurence Equilbey

ADRIEN GENOUDET

6 DÉC À l’origine des hymnes européens Programme familial avec le Concerto Köln

CONDENSÉE DU 2 Art comprimé L’ACTU MONDE DE L’ART

© Pablo Grand Mourcel

Tollé au musée d’Orsay mardi 8 septembre : une visiteuse s’est vue refuser l’entrée. Motif : un décolleté jugé trop plongeant. Témoignage, photo de la tenue à l’appui, et les réseaux sociaux s’enflamment, obligeant la direction à un mea culpa public. Si la jeune femme a pu finalement entrer, en portant sa veste, d’aucuns soulignent la contradiction d’une institution qui expose moult tableaux de femmes à l’intimité largement dévoilée. En réaction, une vingtaine de Femen ont débarqué le dimanche suivant, le torse nu couvert du slogan « Ceci n’est pas obscène ». • Plus besoin d’aller à Cancún pour plonger voir les sculptures sous-marines de Jason deCaires Taylor… Six silhouettes aux visages d’autochtones, façonnées

© LaM, Villeneuve d’Ascq / Augustin Lesage, Néfertiti, 1952 Adagp, Paris, 2019

À partir de la seconde moitié du en pleine déferlante spiritualiste, une ribambelle de personnes complètement hors du champ de l’art furent soudainement appelées à créer, guidées par une force invisible. « N’aie crainte, nous sommes près de toi, un jour tu seras peintre. » C’est peu ou prou ce qu’un beau jour de 1911 Augustin Lesage entend alors qu’il travaille au fond de la mine. Jusqu’à sa

xixe siècle,

21 JANV Bach, Concertos Brandebourgeois Café Zimmermann

par le sculpteur britannique, seront installées à la fin de l’année au sud de l’île Sainte-Marguerite, en face de Cannes. D’autres municipalités françaises se sont mises aux « musées subaquatiques » : à Marseille, une dizaine d’œuvres de diffé­ rents artistes ont été plongées au large de la plage des Catalans mi-septembre ; idem dans le golfe d’Ajaccio pour trois sculptures de Marc Petit. • Enfin, une nouvelle 100 % 2020 : le joaillier israélien Isaac Levy a annoncé début août être en train de confectionner un masque en or et diamant à 1,5 million de dollars, pour un client chinois vivant aux États-Unis.

10 FÉV accentus - Poulenc - Britten Un bijou de la polyphonie vocale 12 FÉV Mozart - Berlioz, Symphonie fantastique - Stephen Kovacevich 4 MARS Farrenc, Symphonie 3 Insula orchestra et Laurence Equilbey 4-5 MARS Beethoven - Farrenc Insula orchestra et Laurence Equilbey 9-10 MARS Dracula, Orchestre National de Jazz - Conte musical dès 6 ans 19 MARS Franco Fagioli, Il Pomo d’Oro Airs d’opéra inspirés des héros mythologiques

22 MARS Bach, Passion selon saint Matthieu Leonardo García Alarcón

MARIE FANTOZZI

3 Exposition ESPRIT ES-TU LÀ ? mort en 1954, il réalisera plus de huit cents toiles peuplées de formes géométriques, de motifs floraux et autres figures religieuses, largement inspirés de l’art égyptien antique. Si l’exposition, qui repose en grande partie sur le fonds d’art brut du LaM à Villeneuved’Ascq, est essentiellement consacrée aux trois figures du Nord-Pas-de-Calais que sont Augustin Lesage, Victor Simon – lui aussi mineur (et guérisseur) – et Fleury-Joseph Crépin – successivement serrurier, plombier zingueur puis quincaillier (et sourcier) –, elle met plus largement en lumière l’impact phénoménal des croyances et de l’occulte dans des gestes (souvent « automatiques ») et des formes artistiques qui assurent une communication entre les vivants et les morts, faisant de ces artistes aux acti-

10 JANV Mozart enchanté Les plus beaux airs de Mozart en famille

vités multiples de véritables médiums, tels des passeurs entre deux mondes. Très présente dans les cercles spirites de l’époque, la gente féminine est ici évoquée au travers de figures comme Yvonne Cazier, Madame Bouttier, Madge Gill, ou encore Élise Müller (alias Hélène Smith) qui représente des personnages, plantes et paysages tout droit sortis de ses visions de voyage sur Mars ou Ultramars. À vous de voir – et d’y croire, ou pas.

bien dans son époque.

29 MARS Vivaldi - Pergolèse Akademie für Alte Musik Berlin 31 MARS-1 AVR Schubert, Messe solennelle accentus, Insula orchestra, Laurence Equilbey 18-19-20 MAI Schumann, La Nuit des Rois Antonin Baudry et Laurence Equilbey 22>28 JUIN Festival Mozart Maximum Au programme cette saison : Insula orchestra et Laurence Equilbey | le Concentus Musicus Wien | Mozart et Beethoven, piano à quatre mains | Richard Galliano et le Wiener Concert-Verein | les Musiciens du Louvre et Marc Minkowski.

insulaorchestra.fr laseinemusicale.com

jusqu’au 1er novembre au musée Maillol

ANNE-LOU VICENTE

octobre 2020 – no 180

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Culture

Les récits de voyages sont souvent horripilants, ne serait-ce qu’en raison de la jalousie qu’ils inspirent – leurs auteurs sont allés dans des endroits fabuleux ; nous, non. Il y faut donc du tact, du recul, de l’humilité, de l’autodérision. Toutes choses que Geoff Dyer possède en abondance, et qui rendent ses textes non seulement supportables mais très drôles – et même addictifs. Plus que des récits de voyage, ce sont des microaventures dans lesquelles il met en scène ses déboires dans des endroits incongrus. À Tahiti, sur les traces de Paul Gauguin, il cherche désespérément de la crème pour la peau. Au pôle Nord, embarqué dans une expédition à traîneau dans la neige, il échoue lamentablement à diriger ses chiens. Sur la route 54, en direction d’El Paso, il prend un sympathique autostoppeur à bord, peu avant de découvrir un panneau invitant les conducteurs à se méfier en raison des nombreuses prisons du coin… Dyer décrit ses turpitudes dans un style typiquement british, plein de flegme et de légèreté, mais il hérite aussi du crazy humor à l’américaine, à base d’exagérations désopilantes.

© xxxxxx

4 Livres ICI POUR ALLER AILLEURS

Par exemple, évoquant sa promenade héroïque dans les rues glaciales d’une ville scandinave, avec cinq couches de vêtements superposées, il soupire : « Le terme norvégien correspondant à la notion de “balade” pourrait au mieux se traduire par “âpre combat pour la survie”. » Paisibles ou mouvementés, ses voyages se transforment en odyssées poétiques et comiques qui ouvrent sur des considérations philosophiques et existentielles. Les amateurs de land art seront servis grâce aux textes sur deux sites célèbres, le Lightning Field de Walter De Maria au

Nouveau-Mexique et la Jetée en spirale de Robert Smithson dans l’Utah. Quant aux amateurs de jazz, nul doute qu’ils apprécieront la bande-son concoctée par l’auteur, à base de Charles Mingus et d’Art Pepper. On the road again! de Geoff Dyer, traduit de l’anglais par Pierre Demarty (Éditions du sous-sol, 214 p., 21 €)

BERNARD QUIRINY

On se souvient de la musique du film de Jonathan Glazer, Under the Skin (2014), composée par Mica Levi : ses longs glissandos de cordes, parcourus de pulsations industrielles et de grésils électroniques, ont largement contribué à l’aura singulière de ce film alien. L’altiste et compositrice (récemment pour les films Jackie, Marjorie Prime ou Monos) est également cheffe du groupe Micachu & the Shapes, quartet d’humeurs mêlées récemment rebaptisé Good Sad Happy Bad. Sur des rythmiques post-punk enlevées, leur passionnant quatrième album studio, Shades, superpose des mélodies pop mémorables, chantées par la voix douce et claire de Raisa Khan, à des arrangements tournoyants de guitares, synthétiseurs et saxophones, dissonants ou pétris d’effets, qui résonnent en arrière-plan comme illustration des sentiments ambigus exprimés dans les paroles. Selon Mica, « nous avons d’abord défini le son, qui était plutôt heavy, avant que les poèmes et la voix de Raisa ne viennent trancher à travers la saleté ». Cette savante mixture explore autant les affres des relations intersubjectives (amoureuses, amicales, sociales) que des thèmes plus universaux : l’insouciance face au réchauffement climatique (« Shades »), la violence domestique (« This Skin ») ou la médica-

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© Tony Harewood

5 Musique GOOD SAD HAPPY BAD

mentation frénétique (« Taking »). « Sur “Taking”, le premier passage instrumental correspond à l’idée de planer, commente Raisa. La limitation structurelle du traditionnel couplet-refrain peut être vraiment utile pour organiser les idées. » Expérimental-pop, art-pop ou avant-pop, la musique claire obscure des Anglais est en tout cas la plus fructueuse rencontre de l’époque entre chansons et science du son. Shades (Textile)

WILFRIED PARIS

Si votre album était un film Raisa Khan : « Ce pourrait être Viceversa de Pete Docter, qui aborde un sujet grave et profond mais sous forme de dessin animé, ce qui le rend plus facile à appréhender. De la même manière, nos chansons peuvent sembler graves, mais notre façon de faire les rend légères et faciles à digérer. » Marc Pell : « Il y a des personnages pour chaque humeur (joie, peur, colère, dégoût, tristesse) dans ce film, et nous pouvons nous identifier à tous d’une certaine manière, et à aucun d’entre eux de manière complète. »

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# DessinSansReserve MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS 107 RUE DE RIVOLI, 75001 PARIS

RÉSERVATIONS : MADPARIS.FR - FNAC.COM


Un jeune cinéaste expérimental, abonné aux échecs commerciaux, tombe par hasard sur Bill Murray dans une rue de Villejuif. Incroyable coup du destin, ou simple sosie ? Alexandre Steiger, lui-même cinéaste, signe une comédie douce-amère dans laquelle le génial Droopy de Hollywood fait figure de guest-star inattendue et de thérapeute personnel. • B. Q.

S p é c i a l is te d es co l l a b o rat i o n s fécondes, la harpiste américaine Mary Lattimore est allée enregistrer ce beau disque instrumental dans les Cornouailles anglaises, chez un maître des vagues à l’âme : Neil Halstead, guitariste du groupe de shoegaze Slowdive. On croirait entendre les flots déferler sur une plage d’un roman gothique de Daphné du Maurier. • É. V.

> (Éditions Léo Scheer, 126 p., 16 €)

> (Ghostly International)

BD

CD

vinyle

jeux vidéo

SELF WORTH DE MOURN

ON FAIT PARFOIS DES VAGUES D’A. DUDEK

SEPT GINGEMBRES DE C. PERRUCHAS

Le droit, pour les enfants nés d’un don de gamètes, de connaître leurs origines, sujet d’une actualité brûlante, a inspiré Arnaud Dudek pour son nouveau roman : une comédie familiale brève, légère et douceamère, sur les thèmes du secret et de la paternité. Le ton primesautier et décalé de l’auteur n’a pas changé, il lui réussit toujours bien. • B. Q. > (Anne Carrière, 186 p., 17 €)

On avait laissé le groupe catalan sur les frustrations liées au management de leur label, exprimées dans l’album Sorpresa Familia. Délestées de leur ancien batteur, les trois musiciennes du trio post-punk reprennent du poil de la bête, de manière plus apaisée mais pas moins piquante, brocardant notamment la masculinité toxique sur l’imparable « Men ». • É. V. > (Captured Tracks)

CITÉVILLE DE JÉRÔME DUBOIS

GOOD NEWS D’ASHA IMUNO

© Anthony Freeman

CRUSADER KINGS 3

Réécrire l’histoire : quoi de plus banal pour un jeu ? Crusader Kings 3 reste pourtant unique en son genre. Ici, tout n’est qu’alliances, complots et mariages arrangés avec les dynasties voisines pour faire prospérer sa lignée. En dépit d’un aspect rugueux (on jongle avec les cartographies et les statistiques), le jeu se vit comme la plus flamboyante des épopées médiévales. • Y. F.

Le monde de la pub a inspiré plusieurs romans, dont 99 francs de Frédéric Beigbeder. Issu de cet univers, Christophe Perruchas se met dans la peau d’un directeur de création quadra, archétype du mâle alpha en chemise blanche, carbonisé par une accusation de harcèlement sexuel… Mi-satire, mi-récit de l’ère #MeToo, un roman réussi, sans manichéisme. • B. Q.

Si l’étrange et très réussi Jimjilbang déployait déjà la dimension anguleuse voire brutale des villes dessinées par Jérôme Dubois, Citéville va encore plus loin et nous ouvre les portes d’un monde citadin rongé par l’absurde et la démence. Publié en parallèle de Citéruine (Éditions Matière), Citéville est une vision d’avenir portée par un style brisé, juste et hypnotique. • A. G.

Le falsetto de Frank Ocean, le flow élastique de Kendrick Lamar, la versatilité de Childish Gambino : voilà le type de balises qui ont fléché l’enfance californienne d’Asha Imuno. Elles éclairent d’une aura cool l’album de ce membre du collectif Raised by the Internet. Formé au trombone et au piano, le rappeur de 19 ans prouve aussi ses talents de producteur. • É. V.

> (Paradox Interactive | PC | 49,99 €)

> (Éditions du Rouergue, 214 p., 19 €)

> (Éditions Cornélius, 180 p., 22,50 €)

> (b4)

SPELUNKY 2

livre

SILVER LADDERS DE MARY LATTIMORE

© Christian Colomer Cavallari

SANS BILL NI MURRAY D’ALEXANDRE STEIGER

© Rachael Pony Cassells

SHOPPING CULTURE

Culture

STUDIO GHIBLI 7” BOX

CYNISM DE S8JFOU

L’ALCAZAR DE SIMON LAMOURET

Avec Spelunky 2, il faut s’imaginer une aventure spéléologique digne d’Indiana Jones, mais sans happy end. Au cœur de ce dédale infesté de pièges vicieux, tout faux pas ou inattention peut nous coûter la vie et nous renvoyer au début du jeu. La leçon, aussi cruelle qu’elle soit, est d’une telle cohérence qu’on n’hésite pas une seconde à replonger. • Y. F.

Pour les fans du studio Ghibli et de son compositeur emblématique Joe Hisaishi, ce coffret de cinq 45 T colorés contient les thèmes principaux des films de Hayao Miyazaki (Mon voisin Totoro, Le Château dans le ciel et Nausicaä de la vallée du vent) remasterisés à partir des bandes originales. L’occasion parfaite pour ressortir votre vieux mange-disque. • W. P.

Diogène de Sinope s’était affranchi des conventions sociales dans la nature : S8JFOU retrouve l’esprit du philosophe appelé le cynique. Tro­ quant la jarre antique pour des synthés faits maison, le bidouilleur français s’est retranché dans les montagnes pour libérer un flux d’introspection ambient, d’embardées UK garage et de rêveries jazzy. • É. V.

Avec L’Alcazar, Simon Lamouret nous offre autant la densité de la couleur ocre-orangé de l’Inde que les fragments épars de la société indienne d’aujourd’hui. En choisissant de situer l’histoire sur un chantier, ses planches se transforment en échafaudages pour mieux déployer, au fil de son récit, les bouleversements d’un pays en pleine mutation. • A. G.

> (Mossmouth | PC, PS4 | 19,99 €)

> (Studio Ghibli)

> (Parapente Music, 17 €)

> (Sarbacane, 208 p., 25 €)

octobre 2020 – no 180

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----> DAVID DOUARD Les sculptures hybrides de David Douard reflètent bien les mutations de l’époque contemporaine et la confusion dans laquelle elles nous plongent. Éléments d’architecture, bribes de poèmes et scories de techno­logie entrent en collision dans un environnement déstabilisant où matériaux organiques et objets anthropomorphes s’acharnent à distordre la perception de l’espace. • J. B. > « O’ Ti’ Lulaby », jusqu’au 13 décembre au Frac Île-de-France – Le Plateau

----> SARAH MOON Mannequin dans les années 1960 avant de se tourner vers la photographie en auto­ didacte, Sarah Moon acquiert la notoriété avec une campagne publicitaire pour Cacharel. Ses photos expressionnistes en noir et blanc, auxquelles s’ajoute un corpus de livres et de films, capturent un récit à la fois introspectif et fictionnel s’accrochant au temps qui s’enfuit. • J. B. > « PasséPrésent », jusqu’au 10 janvier au musée d’Art moderne de la Ville de Paris

> Never Twenty One de Smaïl Kanouté, le 5 novembre au Théâtre municipal Berthelot – Jean Guerrin (Montreuil), les 17 et 18 novembre à la MPAA (1 h)

Parlement de Joris Lacoste

> jusqu’au 2 novembre au Grand Palais

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----> LEBANON HANOVER Vrai romantique des temps modernes, le duo britanno-suisse revient conter ses sombres espérances sur Sci-Fi Sky, nouvel opus (toujours) très noir, très élégant et très beau. Un shot de cold-wave pour faire la fête triste et bercer les esprits (rebelles) mélancoliques. • E. Z.

----> JÉRÔME BEL [DANSE] Connu pour sa radicalité et son goût du questionnement de la représentation, Jérôme Bel propose à la grande comédienne Valérie Dréville d’interpréter des solos modernes du xxe siècle, à sa manière. Un hommage à la danse, dans lequel la forme s’efface derrière l’imaginaire et l’émotion. • B. M. > Danse pour une actrice de Jérôme Bel, jusqu’au 16 octobre à la MC93 (Bobigny) et du 19 au 26 novembre au théâtre de La Commune (Aubervilliers, 1 h 30)

RESTOS

----> QASTI Arrivé à Paris en provenance de Beyrouth sans le sou, Alan Geaam est devenu cuisinier sur le tas, par la cuisine française. Le succès arrivé, et mérité, son passé l’a rattrapé. Son bistrot, Qasti (« mon histoire » en arabe), est une ode à la cuisine libanaise. Tout est bon, houmous, taboulé, baba ganoush, kebbeh, avec des twists bien vus : feuilles de vigne et langoustine, poulpe laqué à la mélasse de grenade. Cadre lumineux et service enjoué. Menus : 22 €, 37 € et 45 €. • S. M.

----> CLÉDAT ET PETITPIERRE [THÉÂTRE]

Dans la pénombre, des êtres bizarres se meuvent avec lenteur. Ils ont des noms improbables – Blemmyes, Sciapodes, Panotii – et jalonnent les enluminures médiévales. Inspiré par les textes d’Ovide et Pline l’Ancien, le duo d’artistes met en

----> DORIAN ELECTRA L’icône queer américaine inaugure ses premières dates françaises avec une folle club night : entourée de ses allié(e)s Chav, BabyAngel69 et Count Baldor, elle lâchera sa pop genderfuck extravagante et ultra léchée sur le dancefloor, lors d’un show FLAM-BOY-ANT. • E. Z. > les 2 et 3 novembre au 1999 pour le club les Femmes s’en mêlent

> 205, rue Saint-Martin, Paris IIIe

© Stéphane Méjanès

© Véronique Ellena

© Sarah Moon

----> POMPÉI Le Grand Palais propose une approche inédite et réaliste de Pompéi, qui rend le visiteur acteur de son expérience de la cité ravagée par le Vésuve en 79 après Jésus-Christ – en plus de trésors archéologiques s’ajoutent des projections à 360 degrés, des reconstitutions de la vie quotidienne et des créations sonores. Immersion antique garantie. • É. C.

> le 21 octobre à La Gaîté Lyrique

Sarah Moon, La Mouette, 1998

CONCERTS

----> PAPI Un patron, Étienne Ryckeboer (Bulot Bulot), un chef japonais, Akira Sugiura, des pizzas au levain de Thierry Delabre, des udon italianisées (cacio e pepe) : c’est l’équation gagnante de ce joli resto de poche. Menus : 20 € et 26 €. • S. M. > 46, rue Richer, Paris IXe

no 180 – octobre 2020

© Charlotte Rutherford

James Welling, Draperies, 1982

> Suites no 2 de Joris Lacoste, du 5 au 8 novembre au Centre Pompidou (1 h 25) Suites no 3 de Joris Lacoste, du 15 au 18 décembre au Nouveau Théâtre de Montreuil (1 h 30) Jukebox de Joris Lacoste et Élise Simonet, du 30 novembre au 5 décembre à la MC93 (Bobigny, 45 min) blablabla d’Emmanuelle Lafont, du 15 au 17 octobre à Points communs – Théâtre 95 (Cergy, 55 min)

----> SMAÏL KANOUTÉ [DANSE] Vingt et un : ce nombre renvoie à la protection et à la chance, mais évoque aussi l’âge que n’atteignent généralement pas les victimes des armes à feu à Johannesburg, New York ou Rio de Janeiro. Le chorégraphe à la gestuelle magnétique explore dans un trio l’impact de cette violence sur le corps, intimement liée au racisme. • B. M.

----> BIG JOANIE Une tournée avec Bikini Kill et un premier album audacieux paru sur le label de Thurston Moore : les trois riot sisters impressionnent, et leur punk afro-féministe made in London, délivré avec une sobriété obsédante (« Crooked Room »), donne envie de tout secouer. • E. Z. > le 7 novembre au FGO-Barbara

© Ellie Smith

> 10-12, rue de l’Église (Vincennes)

© Henri Coutant

> jusqu’au 13 décembre au Centre photographique d’Île-de-France (Pontault-Combault)

----> ENCYCLOPÉDIE DE LA PAROLE [THÉÂTRE] Depuis 2007, avec le projet Encyclopédie de la parole, Joris Lacoste et ses collègues collectionnent des fragments de paroles enregistrées dans le monde entier qui donnent à entendre toutes les nuances de l’oralité. Grâce à cette bibliothèque sonore, alimentée par plusieurs artistes d’horizons divers et organisée en différentes catégories – timbre, adresse, choralité ou encore emphase –, ils constituent un corpus qui nourrit une série de pièces lancée en 2013. Leur objectif ? Disséquer, morceler, fusionner la langue pour en extraire la prosodie, qui fait sens en elle-même, au-delà des textes. Le Festival d’automne à Paris propose cette année une rétrospective de cette recherche atypique à travers huit pièces. L’occasion de découvrir ce projet aussi encyclopédique que poétique. • B. M.

© Huma Rosentalski

----> LA PHOTOGRAPHIE À L’ÉPREUVE DE L’ABSTRACTION Si le sujet figuratif a longtemps prédominé dans l’histoire de la photographie, on voit advenir un regain d’intérêt pour l’altération chimique du médium et les jeux de textures qu’elle produit. Des expériences chromatiques de Laure Tiberghien aux photogrammes de James Welling, en passant par les installations post-Internet d’Anouk Kruithof, les impressions épousent la matière pour mieux répercuter le spectre lumineux. • J. B.

> Les Merveilles de Clédat et Petitpierre, du 5 au 7 novembre au Théâtre de la Cité internationale (1 h)

----> L’OURS Déjà étoilé, mais à découvrir absolument. Jacky Ribault joue une partition brute, une caresse, un coup de griffe. Plats punchy qui jouent à cache-cache, telle cette anguille fumée planquée sous une feuille cendrée. Menus : 60 €, 90 € et 120 €. • S. M.

© Stéphane Méjanès

SPECTACLES

scène ces créatures curieuses qui titillent notre imagination. • B. M.

© Yvan Clédat

EXPOS

© James Welling. Collection Frac Grand Large

CE MOIS-CI À PARIS

Culture


AU CINÉMA LE 4 NOVEMBRE


QUI SAURA L’ALLUMER ?


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