cinéma culture techno hiver 2012-2013 n°107 by RENCONTRE AVEC TOMI UNGERER
Et aussi… Paul Thomas Anderson • Agnès Varda • Django Unchained • Tabou • Barbarella Reportage en Syrie • Valérie Lemercier • Abel Ferrara • Jean de la Lune • The xx
2
hiver 2012-2013
www.mk2.com
3
SOMMAIRE Éditeur MK2 Agency 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. : 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice en chef adjointe Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Directrices artistiques Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) Secrétaire de rédaction Jérémy Davis (jeremy.davis@mk2.com) Iconographe Juliette Reitzer Stagiaires Laurent de Lacerda, Tiffany Deleau, Adrien Genoudet Ont collaboré à ce numéro Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Léa Chauvel-Lévy, Sophia Collet, Pierre Collier, Renan Cros, Julien Dupuy, Yann François, Claude Garcia, Alex Gohari, Quentin Grosset, Adrien Maillard, Gladys Marivat, Leo Mattei, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michael Patin, Laura Pertuy, Pamela Pianezza, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Yal Sadat, Louis Séguin, Alain Smet, Bruno Verjus, Éric Vernay, Etaïnn Zwer Illustrateurs Dupuy et Berberian, Charlie Poppins, Stéphane Manel Illustration de couverture ©Tomi Ungerer Publicité Directrice commerciale Emmanuelle Fortunato Tél. 01 44 67 32 60 (emmanuelle.fortunato@mk2.com) Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque Tél. 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Directrice de clientèle hors captifs Laura Jais Tél. 01 44 67 30 04 (laura.jais@mk2.com) Chef de projet communication Estelle Savariaux Tél. 01 44 67 68 01 (estelle.savariaux@mk2.com) © 2012 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.
hiver 2012-2013
9 … ÉDITO 10 … REPORTAGE > L’aataba, chant de révolte des combattants rebelles en Syrie 16 … PREVIEW > Cloud Atlas 18 … SCÈNE CULTE > Le Seigneur des anneaux – Les Deux Tours 20 … HOLLYWOOD STORIES > Le Hobbit – Un voyage inattendu
23 LES NEWS 23 … CLOSE-UP > Katie Coseni pour Foxfire – Confessions d’un gang de filles 24 … BE KIND, REWIND > Blancanieves de Pablo Berger 26 … EN TOURNAGE > Le Passé d’Asghar Farhadi 28 … COURTS MÉTRAGES > True Skin de Stephan Zlotescu 30 … MOTS CROISÉS > Kendrick Lamar pour Good Kid m.A.A.d City 32 … SÉRIES > Nashville de Callie Khouri 34 … ŒIL POUR ŒIL > L’Homme aux poings de fer vs. Afro Samurai 36 … FAIRE-PART > Sugar Man de Malik Bendjelloul 40 … L’INFO GRAPHIQUE > Django Unchained de Quentin Tarantino 42 … LA QUESTION > Lincoln, film d’histoire ou film historique ? 44 … ÉTUDE DE CAS > Paradis : Amour d’Ulrich Seidl 46 … ENQUÊTE > La bande dessinée de reportage, art ou journalisme ? 50 … TOUT-TERRAIN > Toro Y Moi, Stupeflip 52 … AUDI TALENT AWARDS > Éric Baudelaire 54 … SEX TAPE > « Bêtes de sexe – La séduction dans le monde animal »
56 DOSSIERS 56 … TOMI UNGERER > Une journée avec l’artiste aux multiples facettes 64 … TABOU > Rencontre avec Miguel Gomes ; critique du film 70 … LA FIN DU MONDE… ET APRÈS ? > Bilan 2012 et attentes 2013 ; le cinéma de l’apocalypse : un discours du recommencement ; typologie des fins du monde au cinéma ; rencontre avec Abel Ferrara pour 4h44 – Dernier jour sur Terre ; critique des Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin ; histoires du nouveau monde ; sur les tournages d’Enfin la fin de Benoît Delépine et d’Aujourd’hui de Nicolas Saada 88 … MAIN DANS LA MAIN > Rencontre avec Valérie Lemercier
93 LE STORE 93 … OUVERTURE > L’appareil photo Diana Mini par Lomography 94 … EN VITRINE > Rencontre avec Agnès Varda pour le coffret « Tout(e) Varda » 98 … RUSH HOUR > Jean Renoir ; Woody Allen ; Penser la violence des femmes 100 … KIDS > L’Odyssée de Pi d’Ang Lee 102 … VINTAGE > Barbarella de Roger Vadim 104 … DVD-THÈQUE > Twixt de Francis Ford Coppola 108 … CD-THÈQUE > Calendar de Motorama 112 … BIBLIOTHÈQUE > Krazy Kat de Jay Cantor 116 … BD-THÈQUE > Rencontre avec Benoît Mouchart, directeur artistique du Festival d’Angoulême ; Building Stories de Chris Ware 120 … LUDOTHÈQUE> Rencontre avec Éric Viennot pour Alt-Minds
125 LE GUIDE 126 … SORTIES EN VILLE > The XX ; Born Bad Records ; « Aux sources de la peinture aborigène » ; Bertrand Lavier ; Nataša Rajković et Bobo Jelčić ; Pascal Rambert ; le lièvre à la royale 140 … SORTIES CINÉ > Les Hauts de Hurlevent d’Andrea Arnold ; Hors les murs de David Lambert ; Anna Karenine de Joe Wright ; Cogan – Killing Them Softly d’Andrew Dominik ; Marina Abramović – The Artist Is Present de Matthew Akers ; Jours de pêche en Patagonie de Carlos Sorín ; Gimme the Loot d’Adam Leon ; The Master de Paul Thomas Anderson ; Aujourd’hui d’Alain Gomis ; Mundane History d’Anocha Suwichakornpong ; El Estudiante ou Récit d’une jeunesse révoltée de Santiago Mitre ; Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch ; Dans la brume de Sergeï Loznitsa 174 … LES ÉVÉNEMENTS MK2 > Rétrospective Tom Cruise au MK2 Bibliothèque pour Jack Reacher de Christopher McQuarrie 176 … « TOUT OU RIEN » PAR DUPUY ET BERBERIAN 178 … LE CARNET DE CHARLIE POPPINS
6
hiver 2012-2013
www.mk2.com
7
8
hiver 2012-2013
ÉDITO Lignes de fuite Petit, deux trucs me faisaient vraiment peur. L’espace et Les Trois Brigands. Pour régler le premier problème, mon père m’a mis l’œil dans une lunette astronomique et le nez dans les bouquins de Hubert Reeves. J’ai vite compris que la terreur que m’inspiraient les mathématiques et la physique était bien supérieure à mon angoisse de l’infini. Mieux valait ne pas se poser les questions, passer à autre chose. Par contre, pour les trois bandits de grand chemin, les choses ont été plus difficiles. On ne peut pas dire que c’était mes années caïd, j’apprenais à lire. Au début des années 1990. À l’époque où on te dit encore comment tu vas t’habiller le matin, le genre d’intérieurs dans lesquels les copains et moi on pouvait se promener sans cornac, c’était : la bibliothèque municipale, la salle d’attente du pédiatre et les couloirs de l’école primaire. Sur la moindre parcelle libre de leurs murs, on trouvait les silhouettes des héros de ce livre pour enfants de Tomi Ungerer. Les Trois Brigands (1961). Bah j’avais beau plisser dur des yeux, rien à faire, moi je ne voyais pas les trois bonshommes. Les lignes dessinaient plutôt : une énorme hache rouge dans le ciel, d’un bleu ni trop nuit ni trop jour, surplombant trois montagnes au dessus des vagues d’une mer noire comme une colère de maîtresse. Et tous les adultes de te mettre le bouquin entre les mains, de te le lire « pour t’endormir », super idée tiens. Ces foutus brigands/montagnes me poursuivaient partout, jusque dans les chiottes du couloir des CE1. Ces deux peurs enfantines sont revenues toquer à la porte du magazine. J’avais les foies, comme un CE1 qui s’est pissé sur le pantalon. Tomi Ungerer revenait pour l’adaptation au cinéma de l’un des plus beaux livres pour enfants, Jean de la Lune, et pour la sortie d’un documentaire sur sa vie et son œuvre. On en a profité pour passer un week-end avec lui, compte rendu au milieu du magazine. L’espace, lui, a déboulé avec cette histoire d’apocalypse maya. Qu’est ce qu’on en fait ? C’est qu’au fond, la fin du monde, tout le monde s’en fout. Ce qui nous excite c’est la promesse d’un renouveau, d’un après vierge. Vous retrouverez un gros dossier « Fin du monde… et après ? » sur le cinéma d’apocalypse, avec les voix de Benh Zeitlin (Les Bêtes du Sud sauvage) et d’Abel Ferrara (4h44 – Dernier jour sur Terre). À cheval sur 2012 et 2013, ce numéro double est le plus gros de l’histoire de Trois Couleurs. Cent quatre-vingts pages traversées par la fin d’un monde et le début des nouveaux : l’Amérique sans esclaves de Lincoln et de Django Unchained, les chants des Syriens combattant pour une nouvelle liberté (reportage à lire en tournant cette page). Tomi Ungerer a résumé cet appétit pour l’après en une ligne, sans fuite, celle de l’horizon qui traverse les yeux du personnage dessiné spécialement pour la couverture de ce numéro. Un dessin pareil aux Trois Brigands, au tracé qui peut faire peur à l’enfant qui n’en saisit pas tout le mystère. Mais une peur qui pousse à grandir, à ne pas détourner le regard mais à le porter au loin sur ces nouveaux horizons. _Étienne Rouillon
www.mk2.com
9
© Alex Gohari / Leo Mattei © Alex Gohari / Leo Mattei
Les montagnes du jebel Akrad incendiées par les tirs d’obus, vues depuis le village de Selma
© Alex Gohari / Leo Mattei
Trois jeunes combattants à la fenêtre d’une maison de Selma
10
hiver 2012-2013 En fin de journée, les combattants du village se rassemblent pour chanter dans une petite pièce à l’abri des bombardements
reportage
Le chant des partisans Cet automne, le fracas des canons et le tumulte des chansons se disputaient les tympans rebelles du jebel Akrad, région montagneuse du nord-ouest de la Syrie et bastion stratégique de l’Armée syrienne libre. Deux journalistes ont suivi les combattants de Selma, village où la répression du régime de Bachar al-Assad est forte. Au milieu du claquement des kalach que l’on tape au cul du chargeur battait fort le métronome de l’aataba, le chant des rebelles, devenu véritable genre musical dans une région que le pouvoir veut faire taire. _Par Alex Gohari et Leo Mattei, en Syrie
Q
uelques tables encore dressées. Une enseigne flambant neuve. Et des enceintes renversées. C’est à peu près tout ce qu’il reste du café WeekEnd. L’été dernier encore, la jeunesse syrienne en villégiature s’y retrouvait chaque soir. Le village de Selma, dans les hauteurs de la ville côtière de Lattaquié, était un lieu de vacances prisé, épargné par les assauts de la chaleur saisonnière, où la bourgeoisie citadine avait l’habitude de prendre ses quartiers d’été. Mais au WeekEnd, la pop libanaise ne résonne plus. Elle a cédé la place aux salves des missiles. C’est en courant que l’on arpente désormais les rues bordées des façades clinquantes des résidences secondaires.
Couvrir la clameur des bombes
© Alex Gohari / Léo Mattei
« Un par un, et vite ! », nous crie Abu Amar. À 26 ans il a abandonné ses études d’ingénieur pour rejoindre la rébellion. « Au coin de la rue, on est à découvert », nous explique-t-il, s’interrompant
Abu Amar, dans les ruines d’un immeuble de Selma bombardé par l’armée régulière
parfois sous la violence des détonations. « Les chars du régime ont lancé une offensive. Ils veulent reprendre cette vallée, qui est tombée aux mains des rebelles. » Avec sa montre dorée, son bob militaire sur la tête, et ses lunettes de soleil teintées violet, Abu Amar a des airs de rappeur américain. Il fait partie des trois mille combattants retranchés dans les montagnes voisines du jebel Akrad. Il y a quelques mois, il a pris part aux combats qui ont permis à la rébellion de se rendre maîtresse de Selma. Depuis, l’armée de Bachar al-Assad assiège toujours le village et les montagnes environnantes. Il faut tenir. Face au feu des chars, les combattants rebelles restent le plus souvent impuissants. Alors dans la katiba (camp de combattants) d’Abu Amar, on couvre la clameur des bombes… en chantant. À l’heure du repas, on se rassemble dans la petite pièce d’un immeuble du centre-ville, orienté au nord, à l’abri des bombes. Le plus jeunes épluche les patates, le plus âgé entonne le refrain. Un refrain en forme d’exutoire. Repris à l’unisson et en frappant des mains, comme pour asséner chaque parole avec plus de force. Qu’il soit maudit, ce fils de traître Et on aura la liberté Et on aura la belle vie Dans son tombeau maudit Ses os seront brisés Demain, on piétinera son tombeau Et il sera maudit Demain, on piétinera son tombeau
www.mk2.com
11
© Alex Gohari / Leo Mattei
reportage
À l’heure du repas, dans la katiba (brigade) d’Abu Amar (au centre). Le plus jeune épluche les patates, le plus âgé entonne le refrain
« Auj our d ’ h ui , ce s c h ant s d onnent une d imen s ion p olitique à l’art et une d imen s ion p o é tique au com bat. » N a ï SS A M JA L A L
Abu Amar reparaît sur le pas de la porte avec trois galettes de pain et quelques figues, encore essoufflé par sa course à travers des rues à portée de tir. « C’est tout ce que j’ai trouvé », glisset-il, avant de se mettre à taper des mains avec les autres, le sourire jusqu’aux oreilles. « C’est le moment que je préfère dans la journée. Chanter ces paroles interdites, c’est la seule manière qu’on a de nous montrer à nous-mêmes que l’on est libres, désormais. Malgré les bombes qui continuent à tomber, la chanson nous rappelle que l’on a gagné notre liberté. »
L a mort p lutôt que l’ h umiliation
Si ces chants de contestation improvisés peuvent rappeler une sorte de rap ramené à son expression la plus pure, Naïssam Jalal, flûtiste française d’origine syrienne, relativise au téléphone : « Aujourd’hui, dans les grandes villes, il y a parfois des jeunes de certains quartiers qui se réunissent et se réclament du rap, mais cette forme d’expression artistique, l’aataba, prospère au Proche-Orient depuis plus d’un millénaire. » L’aataba (« plainte » en arabe) est fait d’intonations mélodiques, toujours improvisé mais basé sur des règles bien définies : les deux premiers vers riment entre eux, répètent la plupart du temps le même mot à la rime. Une tradition orale perpétuée 12
hiver 2012-2013
notamment dans les campagnes syriennes. Depuis le début du soulèvement, les thèmes récurrents, comme l’amour, ont cédé la place à des revendications sociales et politiques. « Aujourd’hui, ces chants donnent une dimension politique à l’art et une dimension poétique au combat », poursuit Naïssam Jalal. Elle a récemment composé La Mort plutôt que l’humiliation, en référence au slogan repris dans les manifestations de l’opposition. « Avant, en Syrie, quand tu voulais critiquer le régime, tu couchais les enfants, tu fermais les volets, et alors tu pouvais t’exprimer. » Si la parole s’est libérée dans la Syrie d’aujourd’hui, chacun sait ici que chanter, on le paye encore de sa vie. En juillet 2011, après son arrestation par le régime, Ibrahim Qachouch, un jeune chanteur de la ville de Hama, était retrouvé mort dans la campagne, les cordes vocales tranchées. Il avait osé défier le régime. En quelques mois, son Yalla Erhal Ya Bachar (« Allez dégage, Bachar ») avait inondé YouTube et s’était imposé comme l’hymne de la révolution syrienne. Le régime n’est pas parvenu à faire taire la voix d’Ibrahim Qachouch. À n’en pas douter, il a trouvé la postérité : pas un téléphone portable qui ne soit équipé de sa mélodie dans le jebel Akrad. Ses paroles virulentes, adressées contre Bachar et son frère Maher (à la tête des services de sécurité), sont clamées par tous les combattants rebelles :
www.mk2.com
13
© Alex Gohari / Leo Mattei
reportage
Le jebel Akrad est une région montagneuse du nord-ouest de la Syrie où certains combattants rebelles ont pris le maquis. Dans ce campement installé en forêt, la plupart sont des déserteurs de l’armée régulière
De s c h an son s enregi s tr é e s dan s d e s s tu d ios clan d e s tin s et é lev é e s au rang d ’ em b lè me s , d ’ é ten dar ds . Prends le parti Baas avec toi et prends la porte, il y a la liberté qui y frappe Et Maher, idiot, agent des Américains, le peuple syrien, tu ne le soumettras pas
Z enga Z enga
La longue tradition du chant révolutionnaire a trouvé une nouvelle jeunesse dans les mouvements qui ont secoué le monde arabe. Elle est portée par les moyens de communication et de production modernes. Mis en musique dans une variété de styles allant du chant traditionnel au hip-hop, en passant par le remix techno, ce sont toujours des cris poussés dans l’urgence contre le pouvoir et son injustice. Des chansons enregistrées au plus vite dans des studios clandestins ou dans un pays voisin, élevées au rang d’emblèmes, d’étendards. Ce raz-de-marée musical est parti de Tunisie en 2010 avec le rappeur El Général. Sa chanson Raïs Lebled (« président du pays »), en forme de lettre ouverte qui brave sans détour le pouvoir de Ben Ali, a galvanisé la jeunesse contestataire de tout le pays : Président du pays Aujourd’hui je m’adresse à toi En mon nom et en celui du peuple entier (…) Descends dans la rue et regarde autour de toi Les gens sont traités comme des bêtes (…) Président du pays Ton peuple est mort Les gens se nourrissent dans les poubelles Regarde ce qui se passe dans ton pays 14
hiver 2012-2013
En Libye, c’est un fameux discours de Kadhafi, détourné et remixé, qui sur le ton railleur de la parodie avait cristallisé la révolte. Sur un rythme techno, le titre Zenga Zenga (« rue par rue »), tiré d’une prise de parole télévisée du dirigeant libyen dans laquelle il menaçait de débusquer « les rats, rue par rue », était devenu le refrain entêtant des rassemblements sur la place des Martyrs de Tripoli. Des chants révolutionnaires qui ont accompagné le balayage des pouvoirs autoritaires en Afrique du Nord, alors qu’en Syrie la révolte dure depuis bientôt deux ans. Et la situation ne s’améliore pas. Au jebel Akrad, on craint le pire. Sur la nappe en plastique posée à même le sol, les maigres ressources de la nature, fruits des vergers et pommes de terre, accompagnent les quelques conserves de thon restantes, que l’on ouvre au compte-goutte. Qu’en sera-t-il, une fois l’hiver venu ? Mieux vaut peut-être ne pas trop y penser. À peine le repas terminé, le groupe reprend sa chanson. Chacun son tour, autour du refrain, les combattants improvisent un couplet. Ô la Russie, quoi que tu dises, et même si tu mets ton veto Ô la Russie, quoi que tu dises, et même si tu mets ton veto L’Otan va venir, même malgré toi, la Russie Celui d’Abu Amar ressemble à un appel à l’aide. ♦ Retrouvez ce reportage, enrichi d’extraits des chants cités, sur le site de Trois Couleurs www.mk2.com/troiscouleurs
www.mk2.com
15
16
hiver 2012-2013
PREVIEW
La forme des nuages
©2012 WARNER BROS. ENTERTAINMENT, INC. Photo : JAY MAIDMENT
Cloud Atlas de Tom Tykwer, Andy Wachowski et Lana Wachowski Avec : Tom Hanks, Halle Berr y… Distribution : Warner Bros. France Durée : 2h44 Sor tie : 13 mars 2013
Cloud Atlas ordonne son mouvement symphonique en six histoires étalées sur plusieurs siècles, chacune convoquant un style (polar seventies, fable d’anticipation…). Cette adaptation du roman SF Cartographie des nuages de David Mitchell pourrait laisser craindre un pensum spatiotemporel (The Fountain rencontre Terrence Malick) version boursouflée, avec un principe simpliste (tout est connecté) en lieu d’argument philosophique. Or, les Wachowski restituent l’enchevêtrement vertigineux du livre par un astucieux mélange des genres où chaque acteur endosse plusieurs rôles (Hugo Weaving, visage de la continuité du Mal). Ce beau transformisme est aussi celui de Larry devenu Lana Wachowski. Curieux objet pour une étonnante surprise de 2013. _Clémentine Gallot
www.mk2.com
17
©Collection Christophel
scène culte
LE SEIGNEUR DES ANNEAUX Le personnage de Gollum a marqué les amateurs du Seigneur des anneaux sur grand écran grâce à l’interprétation d’Andy Serkis, mise en valeur par la technique de la motion capture – une révolution au début des années 2000. On retrouve Gollum dans le premier volet de la nouvelle trilogie Le Hobbit (lire également p. 20), toujours dirigée par PETER JACKSON. Hobbit devenu monstre après avoir mis la main sur l’anneau (son « précieux »), il a pris l’habitude de parler avec son alter ego, Sméagol, comme dans cette scène des Deux Tours (2002), où il projette de se débarrasser des deux hobbits qu’il guide… _Par Adrien Genoudet
18
hiver 2012-2013
SMÉAGOL : Il est à nous ! À nous ! Il nous faut le précieux, nous devons le reprendre ! (Son reflet lui coupe la parole et poursuit, persuasif.)
GOLLUM : Patience… Patience, mon trésor. D’abord, nous devons les mener à elle. SMÉAGOL : Il faut les emmener dans les escaliers venteux. GOLLUM : Oui, les escaliers. Et ensuite ? (Il se redresse et mime les marches de l’escalier avec ses mains.)
SMÉAGOL : On monte, on monte, on monte les escaliers et on arrive, on arrive où ? Au tunnel…
GOLLUM : Et quand ils seront rentrés, ils ne pourront plus ressortir. Elle a tout le temps faim, elle a toujours besoin de se nourrir et de manger. Tout ce qu’elle a, ce sont des orques crasseux.
SMÉAGOL : Et ils ne sont pas très savoureux, n’est-ce pas, mon précieux ?
(Son reflet hoche la tête.)
GOLLUM : Non, ils ne sont pas savoureux du tout, mon trésor. Elle rêve de viande plus tendre, de viande de hobbit, oui, et lorsqu’elle aura recraché les os et les vêtements vides, alors nous le trouverons !
Le Seigneur des anneaux – Les Deux Tours de Peter Jackson, scénario de J. R. R. Tolkien, Fran Walsh, Philippa Boyens, Stephen Sinclair et Peter Jackson (20 02) // Disponible en DVD (Metropolitan Filmexpor t)
www.mk2.com
19
©2012 WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC. AND METRO-GOLDWYN-MAYER PICTURES INC
Hollywood Stories
La guerre de l’Anneau
Si le retour de PETER JACKSON en Terre du Milieu sonne comme une évidence, Le Hobbit – Un voyage inattendu est en réalité un film miraculé. Récit d’une guerre de discorde pleine d’aventures palpitantes. _Par Julien Dupuy
A
près le triomphe de la trilogie de l’Anneau (lire p. 18), il semble d’une logique imparable que Peter Jackson enchaîne avec une adaptation de Bilbo le Hobbit, autre volume de la saga de J. R. R. Tolkien, le cinéaste ayant déjà fait part de son intérêt pour ce projet. Pourtant, malgré un profit estimé à six milliards de dollars et un plébiscite critique quasi unanime couronné par dix-sept Oscars, Le Seigneur des anneaux est une source de discorde impitoyable entre Jackson et son producteur Bob Shaye, par ailleurs président de New Line, la compagnie détentrice des droits des films. Luttant férocement à coups de procès et de déclarations publiques assassines, les deux hommes se déchirent autour du partage des droits de leur triomphe commun. Tant et si bien qu’en 2006 Shaye démet Jackson de ses droits vis-à-vis de Bilbo le Hobbit et propose le film à plusieurs réalisateurs. Ses fanfaronnades ne font pas long feu : non seulement New Line est alors dans une mauvaise passe financière, mais de plus, fin 2007, le producteur perd son procès et se voit condamné à verser deux cent cinquante millions de dollars à Jackson. New Line n’étant à cette époque plus indépendant mais affilié à Warner Bros., et les droits de Bilbo le Hobbit étant également détenus par le studio MGM, le retour de Jackson est une fatalité que Shaye ne peut plus enrayer. Mais entre-temps, Jackson s’est engagé sur d’autres films et préfère laisser les rênes de Bilbo le Hobbit à un confrère, tout en restant à bord du projet en tant que
20
hiver 2012-2013
producteur et coscénariste. En 2010, le réalisateur mexicain Guillermo del Toro emménage donc avec femme et enfants en Nouvelle-Zélande afin de consacrer cinq ans à cette adaptation qui doit se scinder en deux films. Mais tandis que del Toro travaille d’arrache-pied à la pré-production, le statut légal de Bilbo le Hobbit est loin d’être démêlé et, surtout, MGM est criblé de dettes. La situation est d’autant plus complexe que trois studios sont impliqués, multipliant les interlocuteurs pour del Toro, qui ne parvient pas à obtenir le lancement officiel de la production. Après deux ans de travail, un scénario pour deux longs métrages, la totalité des story-boards et une partie des costumes et des effets spéciaux terminés, del Toro abandonne le p rojet, la mort dans l’âme. Le sort de Bilbo le Hobbit semble alors d’autant plus compromis que Jackson annonce qu’il ne compte par reprendre le poste vacant… En quelques mois, pourtant, il change d’avis. Son retour aux affaires était espéré par les fans comme par les argentiers, mais le projet (qui sera finalement décliné en trilogie) est encore compromis à deux reprises : lorsqu’une grève des syndicats néozélandais menace de stopper le tournage, puis quand Jackson est opéré d’une perforation ulcéreuse quelques jours seulement avant le début des prises de vues ! Très ironiquement, donc, ce projet, qui semblait être un pari gagné d’avance pour Jackson, aura été l’une des batailles les plus difficiles de sa carrière. ♦ Le Hobbit – Un voyage inattendu de Peter Jackson ( Warner Bros., sor tie le 12 décembre)
www.mk2.com
21
Close-up
©Pierre Milon
NEWS
Katie Coseni
Tourné au Canada, Foxfire – Confessions d’un gang de filles (en salles le 2 janvier 2013), premier film d’époque de Laurent Cantet, s’inspire du féroce récit d’émancipation féminine de Joyce Carol Oates, déjà adapté avec Angelina Jolie en 1996. Dans l’Amérique des années 1950, Foxfire, une bande de lycéennes menée par la frondeuse Legs, entre en résistance, leurs actions documentées par le regard plus réservé de Maddy (Katie Coseni). Après quelques pièces au lycée, ce premier rôle au cinéma pour cette étudiante en fac d’art dramatique lui a valu le prix d’Interprétation à San Sebastian. « Chacun peut s’identifier, ce sont des amitiés très fortes qui tiennent lieu de famille, détaille-t-elle. Le film m’a aussi ouvert les yeux sur la domination des femmes, qui continue encore aujourd’hui. » Le terme, intraduisible, est empowerment. _Clémentine Gallot
www.mk2.com
23
NEWS BE KIND, REWIND
NEIGE ÉTERNELLE
Relecture muette en noir et blanc du conte des frères Grimm, le poétique Blancanieves de PABLO BERGER plonge Blanche-Neige dans le monde de la tauromachie à l’époque de l’Espagne pré-franquiste. Troisième apparition de la princesse sur les écrans en moins d’un an, mais toujours le même débat : que faire de l’image d’Épinal de la pomme et des sept nains ?
© Arcadia Motion Pictures
_Par Tiffany Deleau
Blancanieves de Pablo Berger Avec : Maribel Verdú, Ángela Molina… Distribution : Rezo Films Durée : 1h44 Sor tie : 23 janvier 2013
©Universal Pictures
©RDA
©Metropolitan FilmExport
Trois Blanche-Neige de cinéma
BLANCHE-NEIGE ET LES SEPT NAINS de David Hand (1937)
BLANCHE NEIGE de Tarsem Singh (2012)
BLANCHE-NEIGE ET LE CHASSEUR de Rupert Sanders (2012)
Le premier long d’animation des studios Disney est parvenu à éclipser le conte des frères Grimm pour inscrire dans l’inconscient collectif son héroïne comme la BlancheNeige de référence. Révolutionnaire à l’époque tant par ses aspects techniques qu’artistiques, BlancheNeige et les sept nains était indubitablement tourné vers l’avenir du cinéma. Dans la lignée d’un The Artist, Blancanieves se tourne lui vers son passé : film dramatique muet en noir et blanc, il rend hommage au cinéma espagnol fantasque des années 1920, loin de l’univers enchanteur de Disney. ♦
Beaucoup plus discrète, voire quasi disparue des écrans depuis la sortie du classique de Disney, la princesse revient en avril 2012 sur le devant de la scène avec Blanche Neige, premier des trois films à avoir revisité le conte récemment. Tarsem Singh (The Cell, Les Immortels) réalise une comédie romantique flamboyante, débauche de sons et de couleurs où les personnages ont souvent l’air de gâteaux meringués. Tout à l’opposé de Blancanieves, qui, derrière son esthétique léchée et sa cadence effrénée (le flamenco rythme tout le film), adopte un style plus gothique que baroque. ♦
Comme Blancanieves, BlancheNeige et le chasseur prend ses distances avec le conte original pour mieux le réinventer : cette relecture chevaleresque fait de BlancheNeige une sorte de guerrière messianique qui, épée au poing, chevauche contre les vents pour libérer son peuple, asservi par une reine-sorcière en quête de jeunesse éternelle. Dans Blancanieves, ne se soulève que l’iconique capote de brega pour les passes face à un taureau massif prêt à en découdre et une bellemère assoiffée de célébrité, qui rêve d’être immortalisée dans les pages glacées des magazines. ♦
24
hiver 2012-2013
www.mk2.com
25
©Carole Bethuel
NEWS EN TOURNAGE
Bérénice Béjo sur le tournage parisien du nouveau film d’Asghar Farhadi, Le Passé
UN COIN DE FARHADI Q Le Passé d’Asghar Farhadi Avec : Tahar Rahim, Bérénice Béjo… Distribution : Memento Films Sor tie prévue : 2013
Après le succès mondial d’Une séparation, Ours d’or et Ours d’argent pour ses acteurs à Berlin, puis Oscar du Meilleur Film étranger, ASGHAR FARHADI est attendu avec son projet parisien comme l’un des grands auteurs de 2013, entre confirmation et espoir d’une année passionnante. _Par Sophia Collet
ue l’Iranien Asghar Farhadi tourne le successeur d’Une séparation en France est le fruit d’un suivi de son travail entamé dès 2009 avec À propos d’Elly, mais avant le coup d’éclat de 2010 : quelques jours avant d’être honoré au Festival de Berlin cette année-là, le réalisateur a en effet été invité par son distributeur français, Memento Films, a lancer ce projet parisien. Avant même qu’il ne soit révélé en France (où Une séparation a fait un million d’entrées), Farhadi était donc déjà installé dans la capitale pour écrire lui-même le scénario de son nouvel opus. Le Passé, c’est son titre, sera, là encore, une chronique
Clap !
_Par T.D.
1 Gus Van Sant Le réalisateur adapte les mémoires de Michael Gates Gill, How Starbucks Saved My Life. Avec Tom Hanks dans la peau d’un cadre au chômage, divorcé et gravement malade qui finit par travailler dans un café Starbucks sous la direction d’une jeune fille.
26
sociale traitée sous l’angle du thriller psychologique haletant. Le secret autour de l’intrigue est donc exigé. Débuté le 8 octobre, le tournage s’annonce de longue haleine jusqu’au 11 janvier, soit une quinzaine de semaines dans Paris et sa banlieue avec Tahar Rahim, Bérénice Béjo, Sabrina Ouazani et l’Iranien Ali Mosaffa. Dans l’équipe se mêlent proches collaborateurs (dont son chef opérateur Mahmoud Kalari) et techniciens du cru. Mais le vrai suspense est ailleurs : quel regard l’Iranien posera-t-il sur la ville ? Qu’y trouvera-t-il comme inspiration ? Réponse probable au prochain Festival de Cannes, pour lequel le film devrait être prêt. ♦
hiver 2012-2013
2 Quentin Dupieux Mr. Oizo a attendu Alain Chabat pendant un an pour tourner Réalité. L’ex-Nul y incarne un réalisateur de films d’horreur qui a deux jours pour trouver le « cri parfait » et sauver son film. À ses côtés, Élodie Bouchez, Jonathan Lambert et Roxane Mesquida.
3 Tim Burton Après Alice au pays des merveilles, Tim Burton adapte un autre conte pour enfants. Dans sa version de Pinocchio, Gepetto part à la recherche de sa petite marionnette de bois portée disparue. Robert Downey Jr. est pressenti pour interpréter le menuisier.
www.mk2.com
27
NEWS COURTS MÉTRAGES Courts, toujours _Par T.D. et É.R.
L’actualité des courts métrages
Le Jour le plus court Et si, au lieu d’attendre bêtement la fin du monde, on allait regarder des courts métrages ? Le vendredi 21 décembre, Le Jour le plus court propose la projection de petits films professionnels et amateurs pendant 24 heures à travers toute la France.
©N1ON
w w w.lejourlepluscour t.com
_Par Éric Vernay
D
ans un f ut u r proche, les humains s’achètent des visages électroniques, des organes de synthèse ou des jambes high-tech à peu près aussi facilement qu’on customise un smartphone aujourd’hui. Mais l’immortalité n’est pas à la portée de tous : ces implants nouvelle génération coûtent les yeux de la tête. « Cette tendance est là pour rester, prophétise Kay, le héros de True Skin, en scrutant avec pitié les non-modifiés qui errent dans les rues mal famées de Bangkok. Je veux dire, soyons francs : personne ne veut ressembler aux gens totalement organiques. Personne ne veut être malade, vieillir et mourir. Mon seul choix était de m’améliorer. » Tourné dans la jungle
28
hiver 2012-2013
de néons de la capitale thaïlandaise, ce court métrage de 5 minutes croise le Los Angeles androïde de Blade Runner et le Tokyo nocturne et hallucinogène d’Enter the Void, les clips clinquants de Hype Williams et les romans cyberpunk de William Gibson. Stephan Zlotescu (clippeur pour Kanye West et Lady Gaga) élabore un thriller SF aussi étincelant que morbide et aliénant, dans lequel la réalité augmentée interfère avec les perceptions organiques. True Skin devrait obtenir sans tarder sa propre version « augmentée » : ses droits ont été achetés par la Warner. ♦ True Skin de Stephan Zlotescu Avec : Stephan Zlotescu, Jen Oda… Durée : 6 minutes À voir sur w w w.vimeo.com
Mobile Film Festival Un mobile, une minute, un film. Le jury du Mobile Film Festival, présidé par Gad Elmaleh, récompensera le 8 février 2013 la meilleure vidéo parmi les cinquante sélectionnées. À la clé pour le gagnant, une dotation de 15 000 euros pour réaliser son premier court métrage. fr.mobilefilmfestival.com
©Maillard
Depuis sa diffusion sur le site Vimeo en octobre, la vidéo a fait le tour d’Internet et déclenché une guerre des studios hollywoodiens pour l’achat des droits : retour sur le phénomène True Skin, superbe polar cyberpunk de STEPHAN ZLOTESCU sous influence Blade Runner.
DR
L’être et le néon
LA’s Angel de Bettina Armandi-Maillard Ce premier volet d’une trilogie suit la poétique désillusion d’une actrice dans les rues de Los Angeles. Le deuxième court se tourne à New York avec la complicité d’Isabella Summers, clavier au sein du groupe Florence And The Machine. w w w.lasangel.com
www.mk2.com
29
NEWS MOTS CROISÉS
Sans tube formaté pour les radios ni attitude bling-bling, mais avec une plume obsédante et un sacré sens du storytelling, KENDRICK LAMAR remet les pendules du real hip-hop à l’heure de la West Coast avec Good Kid, M.A.A.D City, un premier album romanesque en forme de biopic retraçant le parcours d’un enfant de l’ère Reagan : un classique instantané. Adoubé par Dr. Dre en personne, le MC de 25 ans commente certaines de ses paroles et quelques punchlines de ses aînés. _Propos recueillis par Éric Vernay _Illustration : Stéphane Manel
Le retour du réel « J’espère que tu reviendras en ayant appris de tes erreurs. Reviens en homme, raconte ton histoire à ces gamins noirs et latinos de Compton. » (La mère de Kendrick Lamar dans Real)
Compton, en Californie, est l’endroit d’où je viens. En m’en sortant par la musique, je me fais le porteparole de ma communauté. Ce que me dit ma mère ne vient pas d’archives, je lui ai demandé de passer au studio et de parler, naturellement, pour enregistrer sa voix . Pareil pour mon père, qu’on entend aussi sur le morceau. Je lui ai dit : « Souviens-toi. Qu’est-ce que tu me disais tout le temps quand j’avais dix-sept ans ? Quels étaient tes mots quand tu m’engueulais à la maison ? »
« Je n’étais pas jaloux à cause de leur talent, j’étais terrifié qu’ils puissent être les derniers garçons noirs à s’envoler de Compton. » (Kendrick Lamar, Black Boy Fly)
À 17 ans, quand je voyais mon pote Arron Afflalo percer dans le basketball ou The Game dans le rap, j’étais jaloux parce que j’étais encore dans ma cité à ne rien faire ! Leur célébrité 30
hiver 2012-2013
« Mon moment, je l’ai saisi quand j’ai enregistré avec Dr. Dre. » les rendait irréels. Mais quand j’ai assisté, gamin, au tournage de California Love dans les rues de Compton, j’ai compris que Dr. Dre et 2Pac étaient fait de chair et de sang (rires).
« Écoute, si tu avais une chance, une opportunité d’obtenir ce que tu as toujours voulu, en un instant, la saisirais-tu ou la laisserais-tu simplement passer ? » (Eminem, Lose Yourself, 2002)
Mon moment, je l’ai saisi quand j’ai enregistré avec Dr. Dre. Tout le monde me demandait si j’étais nerveux. Je répondais que non. J’étais excité car je savais que c’était bon. Tout ce pour quoi je m’étais battu semblait conduire à ce moment précis.
La réplique
« Pour élire un Président noir, on a dû faire du chemin, devenir nous-mêmes. Le changement est possible, il commence avec le peuple. » « J’ai eu une visite de Lesane Parish Crooks. (…) Je me souviens que j’étais endormi. Son image me disait “Ne me laisse pas mourir”. » (Kendrick Lamar, panneau au début du clip de Hiiipower, 2011)
Une nuit, j’ai eu une vision de 2Pac (Lesane Parish Crooks de son vrai nom – ndlr). Il me disait : « Garde le contenu, préserve la musique authentique. » Et c’est ce que j’ai fait. En signant avec une major, j’aurais pu changer ma musique. J’ai tout fait pour éviter ça. J’ai souvent des visions comme celles-là, j’y crois très fort.
« Ben tu négocies pas le prix ? Mille balles, c’est beaucoup de fric. Je serais toi, je me ferais baisser… Ouais, 900… 900… allez, 850, j’te le fais à 850. » Éric Elmosnino, vendeur de caméras et chef d’une télévision associative dans Télé Gaucho (en salles le 12 décembre)
La phrase « J’avais envie de dire à Hollywood : va te faire foutre. » Le réalisateur Larry Clark pendant la conférence de presse de présentation de son film Marfa Girl au festival de Rome, le 14 novembre dernier. Prix Marc-Aurèle du Meilleur film, Marfa Girl est accessible depuis le 20 novembre sur larryclark.com pour 5,99 dollars.
« Personne ne connaît jamais personne. Tu ne me connaîtras jamais. » (Bret Easton Ellis, Les Lois de l’attraction, 1988)
Quand je me promène dans la rue et que je rencontre des fans, ils croient parfois me connaître personnellement grâce aux textes que j’écris. Il faut accepter le fait qu’on ne peut pas comprendre totalement les gens, qui ils sont et ce qu’ils vont devenir.
« Nous ne sommes pas prêts à voir un Président noir. » (2Pac, Changes, 1998)
On n’est qu’une partie du chaos. Ce n’est qu’avec le temps qu’on le comprend. Pour élire un Président noir, on a dû faire du chemin, devenir nous-mêmes. Ça a fini par arriver avec Obama, mais il reste toujours une part de méchanceté que les êtres humains doivent perpétuellement soigner. Le changement est possible, il commence avec le peuple.
« Tu sais que tu fais partie de la Section 80 quand tu sens que personne ne peut comprendre, parce que tu es un solitaire, que la marijuana, les endorphines te rendent plus forts. » (Kendrick Lamar, A.D.H.D, 2011)
Conçue par des parents déchirés au crack, cette génération née dans les années 1980 (la « Section 80 » – ndlr) est perturbée mentalement, solitaire. Ayant grandi au milieu des drogues, je voulais décrire cette réalité avec empathie, sans faire un sermon : la vie est une affaire de décisions, j’ai pris les miennes, à votre tour. ♦ Good Kid m. A . A .d City de Kendrick Lamar Label : Interscope Records/Universal Sor tie : disponible
Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux LeGorafi : Arte va adapter en minisérie la crise de l’UMP avec Kad Merad et François Cluzet. SophianF : Chaque fois qu’un article parle de « la nostalgie des auditeurs pour la chaleur du format vinyle » un chaton meurt, ne l’oubliez pas. Oliviertesquet : Je crois que l’affaire Petraeus, c’est la saison 3 de Homeland. RaphaelClair : J’ai vu le trailer de The Grandmasters. Bah c’est pas du tout la suite de The Master. Lafillelabas : bourgster/hipstgeois Intertitres : Faut pas prendre ce que je viens de dire pour un devis. agencefrancePRESQUE : Selon notre stagiaire politique, #Obama viendrait de contacter les Mayas pour négocier un report de la fin du monde à une date ultérieure. LeGorafi : Jamie Foxx ne jouera finalement pas le rôle de Guy Môquet au cinéma. Nico : Ce moment gênant où tu trouves que l’imprimante fait un drôle de bruit alors que c’est juste ton collègue qui écoute Crystal Castles.
www.mk2.com
31
NEWS SÉRIES le caméo ©Tom Williams/Roll Call /Getty Images
Joe Biden dans Parks and Recreation Le 15 novembre dernier, la formidable comédie de la chaîne NBC Parks and Recreation a réalisé un gros coup question casting : quelques semaines seulement après sa reconduction au poste de vice-président des États-Unis, Joe Biden est apparu dans la série. Sa rencontre avec Leslie Knope (Amy Poehler), la figure politique locale de Pawnee, ville fictive de l’Indiana, a en fait été tournée en juillet dernier à Washington. Un grand moment pour le personnage de Leslie, qui a toujours clamé vouer un vrai culte à Biden. _G.R.
Crosses country
Lancé cet automne sur la chaîne américaine ABC, Nashville témoigne avec lucidité de la transformation du berceau du songwriting américain en capitale du business de la country. C’est paradoxalement une belle énergie pop qui porte ce soap musical dans lequel deux reines du genre se cherchent des noises. _Par Guillaume Regourd Nashville de Callie Khouri (2012, une saison) Diffusion : ABC (États-Unis)
©ABC
A
u vu des premières images du feuilleton Nashville, il paraît loin, le temps où l’acteur Keith Carradine se voyait confier par Robert Altman l’écriture d’I’m Easy, le morceau qu’il interprétait dans le film Nashville, fresque kaléidoscopique. Trente-cinq ans plus tard, les numéros musicaux qui rythment la série d’ABC ne laissent aucune place à l’amateurisme. La préférence donnée aux tubes léchés, dopés à Auto-Tune, se défend : la capitale du Tennessee a changé. Elle n’est plus ce terreau encore préservé duquel émergeaient plus ou moins spontanément les joyaux bruts de la country. Autrefois surtout populaire dans le Sud des États-Unis, ce courant musical a depuis conquis les charts nationaux, et la ville a perdu en romantisme à mesure que son importance stratégique aux yeux de l’industrie du disque s’affirmait. C’est ce Nashville-là (et le souvenir de l’ancien) qu’exploite avec à-propos la scénariste Callie Khouri
Hayden Panettiere (à gauche) et Connie Britton dans Nashville, saison 1
(Thelma et Louise), qui oppose passé et présent en faisant s’affronter la diva vieillissante Rayna Jaymes et la vedette des bacs à sable Juliette Barnes. Le plaisir à observer ces deux reines du bal s’écharper doit beaucoup à l’interprétation généreuse (à l’écran et au micro) de Connie Britton, la merveille de Friday Night
Zapping
hiver 2012-2013
Mark Wahlberg L’acteur américain produira via sa société Leverage un remake de la série de Canal+ Maison Close pour la chaîne new-yorkaise HBO. Le tournage se fera en langue anglaise, mais l’action se déroulera toujours dans un bordel parisien au XIXe siècle.
©JB Lacroix/WireImage
Sam Mendes Le réalisateur du dernier James Bond continue dans le divertissement grand public : il s’apprête à produire et réaliser pour le marché américain une série écrite par l’un des scénaristes de Skyfall, John Logan, sur des chasseurs de vampires dans le Londres de 1800.
©Steve Granitz/WireImage
©Ferdaus Shamim/WireImage
_Par G.R.
Sir Ian McKellen Le Gandalf de Peter Jackson sera aux côtés de Derek Jacobi la tête d’affiche de Vicious, une sitcom de la chaîne britannique ITV. Les deux acteurs septuagénaires devraient s’amuser comme des petits fous à jouer un couple de Londoniens acariâtres.
32
Lights, mais aussi – et c’est plus surprenant – à celle de Hayden Panettiere. L’ex-pom-pom girl fadasse de Heroes éclot véritablement en simili-Taylor Swift carnassière, star jusqu’au bout des faux ongles. Pas la moindre des trouvailles de ce Dallas en mode folk de très bonne facture. ♦
www.mk2.com
33
©2006 TAKASHI OKAZAKI/GONZO SAMURAI PROJECT
NEWS ŒIL POUR ŒIL
Cof fret « Afro Samurai Anthology » de Fuminori Kizaki Avec les voix (en V.O.) de : Samuel L . Jackson, Lucy Liu… Disponible en DVD et Blu-ray (Dybex)
L’école du micro d’argent
Un forgeron noir dans la Chine féodale, des bastons au shuriken sur des morceaux hip-hop… Et pourtant, l’éclectisme du film de RZA L’Homme aux poings de fer n’est pas incongru. Il est le dernier avatar d’un remix artistique entamé avec le dessin animé Afro Samurai. _Par Étienne Rouillon
34
hiver 2012-2013
©Universal Pictures
L’Homme aux poings de fer de RZ A Avec : RZ A , Russell Crowe… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h36 Sor tie : 2 janvier 2013
Ç
a commence par de la castagne dans un restau-dojo avec des « Sblah ! » dans la gueule, des « Vloutch ! » dans les gencives et des « Kaï ! » à s’en faire saigner les tympans, et pour bande-son de ce générique de L’Homme aux poings de fer, le belliqueux Shame on a Nigga du cinglant groupe de hip-hop Wu-Tang Clan. Un titre massue sur l’album de 1993 Enter the Wu-Tang (36 Chambers), en référence au film de kung-fu hongkongais La 36e chambre de Shaolin. Quel rapport ? Aux manettes de cet assaut sonique, le rappeur RZA, qui va ensuite composer des sons pour
Ghost Dog (Jim Jarmusch), Kill Bill – Volume 1 (Quentin Tarantino), puis l’adaptation en 2007 du manga Afro Samurai (Takashi Okazaki) en série télévisée avec Samuel L. Jackson. Cette fois derrière la caméra (et devant, mais c’est moins convaincant), RZA partage avec O kazaki le goût pour la vengeance abattue contre des boss successifs. Mais aussi le choix d’un héros noir intégré sans exotisme dans l’Asie féodale et des personnages secondaires aux géniales bizarreries, en tête celui de Russell Crowe, gros dégueulasse rapide de la gâchette comme de la braguette. ♦
www.mk2.com
35
©ARP Selection
NEWS FAIRE-PART
Renaissance
CHERCHER LE MAÇON Des bars glauques de Détroit aux stades enflammés du Cap, en Afrique du Sud, Sugar Man, documentaire de MALIK BENDJELLOUL, raconte l’histoire du musicien folk Sixto Rodriguez, celle d’une carrière avortée puis d’une résurrection tranquille et délocalisée. _Par Quentin Grosset
L
a voix est fatiguée, l’homme paraît un peu mal à l’aise tout en restant courtois. L’exercice formaté de l’interview semble l’indisposer, alors heureusement que c’est chronométré. Quinze minutes avec Sixto Rodriguez, 70 ans, lunettes noires, dégaine de bluesman qui a en vu d’autres au cours de sa vie d’ouvrier sur les chantiers de construction, à Détroit. Il se tient assis à côté
de sa fille, qui lui répète toutes les questions, tendrement, en les lui chuchotant à l’oreille. Les réponses sont timides, marmonnées, à côté de la plaque. Pas g rand-chose d’exploitable sur le dictaphone. Ça se comprend, on ne lui en veut pas, son succès est relativement tardif, et il n’est pas forcément habitué. Mais c’est émouvant, parce que Sixto Rodriguez aurait pu être Bob Dylan. Il l’a été, en quelque
Le carnet
hiver 2012-2013
Prophétie On peut prédire le succès d’un film au box office des semaines avant sa sortie rien qu’en analysant la manière dont on en parle sur Wikipedia. C’est du moins la thèse de trois chercheurs de la University of Technology and Economics de Budapest. Confirmation à venir avec les blockbusters de Noël. DR
DR
Anniversaire Le Festival international du film fantastique de Gérardmer fête ses 20 ans du 30 janvier au 3 février 2013. Une bonne nouvelle après sa quasi-annulation en 2012 pour soucis financiers. Une raison de plus pour célébrer le fantastique sous toutes ses formes (films, dessins, livres…).
©Wikimedia Foundation
_Par T.D. et É.R.
Décès Ce n’est qu’un au revoir ? Fin 2012, il faudra faire ses adieux à la version papier de l’hebdomadaire généraliste américain Newsweek et au magazine musical bimestriel français VoxPop. L’hebdo Time Out London, qui recense spectacles et événements londoniens, a lui obtenu un sursis et devient gratuit.
36
sorte, mais sans le savoir. Après avoir vendu six galettes dans tout le territoire américain, ce fils d’immigrants mexicains continuait à jouer de la guitare, le soir, quand il rentrait du boulot, les mains enduites de ciment, sans se douter qu’à l’autre bout du monde il avait incité certains à se révolter, qu’on buvait ses paroles si subversives en Afrique du Sud, alors sous le joug de l’apartheid. Là-bas, c’était
www.mk2.com
37
©ARP Selection
NEWS FAIRE-PART
« Native only », des panneaux disséminés dans tout l’espace public du pays, séparant les gens, indiquant aux populations où elles avaient le droit de vivre selon des critères ethniques. Une touriste anglaise y a ramené une copie de Cold Fact, le premier des deux disques de Rodriguez, on ne sait pas trop comment ni pourquoi. Reste que les « faits froids » qu’il décrivait en 1969 ont eu un écho ici, de l’autre côté de l’océan. L’album s’y est vendu à un demimillion d’exemplaires : tout d’abord culte, pirate et underground, il a vite été récupéré par les maisons de disques. Folk, rock psychédélique, blues ou pop, Rodriguez piochait un peu partout, mais l’important, c’était sa parole, qui faisait résonner l’idée de contre-culture quand au même moment le régime considérait que la télévision était trop corruptrice pour être autorisée dans le pays. Il ne passait pas en radio, ça non, et les pistes vinyles étaient même soigneusement rayées. Du chanteur, ses fans n’avaient qu’une image lointaine, celle de la pochette de Cold Fact, où il est
38
hiver 2012-2013
assis en tailleur façon gourou, avec un débardeur violet, un chapeau et des lunettes de soleil. Duraille à identifier, le bonhomme. Tout le monde le croyait mort, immolé sur scène ou d’une balle dans la tête. Une légende, quoi. Ne restaient plus
Un disquaire du Cap a créé un site à la gloire du folk singer. La fille de Sixto tombe dessus, laisse un message : son père est vivant, il faut venir le chercher. que sa voix sensuelle, ses arrangements noirs, parfois expérimentaux, et puis ses lyrics, brassant tous les idéaux hippies, le sexe dans I Wonder ou la drogue dans Sugar Man. Des inspirations cueillies dans les bouges du Détroit interlope, évaporées au fil des années, laissant Sixto là où il était… Sauf que des fans ont un jour mené l’enquête. Où allait tout l’argent des ventes de Cold Fact ? Personne n’a trouvé. Mais un disquaire du Cap
a créé un site internet à la gloire du folk singer. La fille de Sixto est tombée dessus, puis leur a adressé un message sur le forum : son père est vivant, il faut venir le chercher. De là, Sixto a pris un vol retour vers son succès et a enchaîné les tournées titanesques en Afrique du Sud, remontant sur scène comme s’il l’avait toujours fait, devant des stades médusés de voir une idole revenir d’entre les morts. C’est l’histoire assez extraordinaire racontée dans Sugar Man, le documentaire du Suédois Malik Bendjelloul, qui esquisse le portrait du chanteur via des témoignages et des vidéos du tout premier de ces concerts. Ce qui frappe surtout dans le film, c’est la façon dont Rodriguez veut rester l’icône de papier sur la pochette du disque. Lorsque le générique de fin commence, on ne sait toujours pas vraiment qui il est, et c’est mieux comme ça. Il s’est dérobé de la caméra du réalisateur comme il a évité nos questions. ♦ Sugar Man de Malik Bendjelloul Documentaire Distribution : ARP Sélection Durée : 1h25 Sor tie : 26 décembre
www.mk2.com
39
NEWS L’INFO GRAPHIQUE
© 1966 TVOR / SURF FILMS
© RDA
Jackie Brown de Quentin Tarantino (1998) Sur l’utilisation du mot « nigger » dans Jackie Brown, un hommage à la Blaxploitation, Spike Lee a déclaré dans Variety : « Quentin est obsédé par ce mot. Que cherche-t-il ? À être considéré comme noir ? » C’est que Tarantino, en cinéphile fétichiste, est allé jusqu’à mimer les occurences racistes du genre. Samuel L. Jackson, qui a tourné avec les deux cinéates, a défendu Jackie Brown.
Los Angeles
CALIFORNIE
Django de Sergio Corbucci (1966) Ce western spaghetti a inspiré la fameuse séquence de l’oreille coupée dans Reservoir Dogs. Limite sadique, il donne suite à une série de films « Django », personnage emblématique du genre. Entre des bandits mexicains et un groupe de Sudistes ressemblant au Klu Klux Klan, on trouve l’image légendaire du cow-boy traînant derrière lui son cercueil (où se cache un bazooka ou une mitraillette improbable).
TEXAS
© 2012 Columbia Pictures Industries Inc
Grand remixeur du cinéma de genre, QUENTIN TARANTINO sait dépasser la compilation potache pour faire de cet exercice de style un prétexte à l’exacerbation des formes de domination, qu’elle soit sexuelle, mafieuse ou sociale. Django Unchained, l’autre film sur l’esclavage américain avec Lincoln (lire p. 42) n’échappe pas à la règle : cartographie des films qui l’ont inspiré et des motifs qui le traversent. _Par Quentin Grosset et Étienne Rouillon // Illustration : Sarah Kahn
40
hiver 2012-2013
© DR
Goodbye Uncle Tom de Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi (1971) Raciste ou anti-raciste ? À sa sortie, ce film d’exploitation italien sur l’esclavage divise la critique, les uns jugeant que sa violence est complaisante et objective les personnages noirs (entre autres atrocités racoleuses, des viols et des tortures sont filmés au ralenti) quand d’autres parlent de réalisme, raison pour laquelle le film s’autoproclame « documentaire ».
© 2012 Columbia Pictures Industries Inc
LOUISIANE
Django Unchained de Quentin Tarantino (2012)
« Qu’attendent [les Noirs] pour se révolter et tuer les Blancs ? », s’étonne un esclavagiste (DiCaprio, impeccablement odieux), chez qui débarquent un chasseur de primes (Christoph Waltz) et un esclave affranchi (Django, joué par Jamie Foxx) avec pour projet de libérer la femme du second. Django ne se résume pas à une compilation cinéphile du genre spaghetti, mais fait résonner les thèmes de l’injustice et de la vengeance avec la grande histoire, à l’instar d’Inglourious Basterds. Tarantino envisage d’ailleurs ces deux films comme le deux premiers volets d’une trilogie.
Django Unchained de Quentin Tarantino // Avec : Christoph Waltz, Jamie Foxx… // Distribution : Sony Pictures // Durée : 2h21 // Sortie : 16 janvier 2013
www.mk2.com
41
NEWS La question
©Dreamworks II Distribution Co., LLC. All rights reserved.
©Vincent Courtois/EntreVues
Brève de projo
LINCOLN MEMORIAL
Mocky Python Invité d’honneur du 27e festival EntreVues à Belfort, le truculent cinéaste Jean-Pierre Mocky a gratifié le public de blagues irrévérencieuses… et délectables. Appelé à la tribune pour présenter Noir comme le souvenir, son adaptation du roman de Carlene Thompson (1995), il se laisse aller à un commentaire pour le moins parlant : « Je vous préviens, c’est pas un film où on se branle, rien d’intello là-dedans. » On le retrouve un peu plus tard, demandant des huîtres en rab à une serveuse belfortaine qui, ignorant tout du personnage, lui rétorque : « Ah non, mon bon m’sieur, c’est deux huîtres pour deux jambes ! » Une retocade pas piquée des hannetons que Mocky a saluée, en grand « fou qui fait des films sur des fous, rendant le tout d’une beauté folle » (d’après Godard). _Laura Pertuy
La technique © Metroplitan FilmExport
Le nouveau film de STEVEN SPIELBERG, dans lequel Daniel Day-Lewis incarne le mythe Lincoln, artisan de l’abolition de l’esclavage, pose la question complexe des enjeux du film d’histoire lorsqu’il devient historique. _Par Adrien Genoudet
«
On se souviendra de moi comme celle qui t’a freiné. » Mary Todd Lincoln (Sally Field), personnage controversé de l’histoire américaine, prononce cette réplique discrète, hachée par les cahots de la calèche. Un dialogue peut soudain en dire long sur les soubresauts des temps. Lincoln est une plongée dans l’intimité du carré présidentiel au moment où, en pleine guerre de Sécession, les Républicains tentent de ratifier l’amendement qui abolira l’esclavage : l’histoire des États-Unis abordée à travers l’acte politique. Tractations, conspirations et corruptions deviennent la matière historique qui unit les différents portraits traversant ce récit haletant. Le côté pile d’une histoire qui change indéfiniment de face. La réplique de Mary agit comme un
42
hiver 2012-2013
court-circuit à la fin du film ; une manière de rendre les temps concordants, complémentaires. En un instant, Spielberg confronte ses personnages d’époque au quotidien des spectateurs, le passé du film devenant le présent en devenir. Le film d’histoire se fait alors historique, en ceci qu’il surgit dans le présent. Une autre séquence l’illustre lorsqu’un député démocrate s’insurge : « Dans quelques années, on donnera le droit de vote aux nègres, puis nous aurons des maires nègres ! » Réplique de concordance avec l’Amérique d’Obama. Ces plis entre les temps signent un pacte avec le contemporain : la marque indélébile des bons films d’histoire. ♦ Lincoln de Steven Spielberg Avec : Daniel Day-Lewis, Tommy Lee Jones… Distribution : 20 th Centur y Fox Durée : 2h30 Sor tie : 30 janvier 2013
Chasse aux papillons Pour l’invasion de papillons de nuit de Possédée, le dresseur animalier canadien Brad McDonald (Des serpents dans l’avion) a installé la veille du tournage des bêtes à l’état larvaire dans le décor d’une chambre. Les murs étaient recouverts d’une peinture qui permettait aux insectes de s’agripper plus facilement, et le directeur de la photographie, Dan Laustsen, avait conçu son éclairage de façon à éviter que les papillons ne soient attirés par les lumières trop vives des projecteurs. Malheureusement, alors que la production espérait en filmer deux mille, seule une douzaine avait éclos le matin du tournage… Au final, ce sont donc des insectes en images de synthèse qui assurent la majeure partie de ce spectacle peu ragoûtant. _Julien Dupuy Possédée d’Ole Bornedal Sor tie le 26 décembre
NEWS ÉTUDE DE CAS
4,05 67
milliards de dollars : le prix de rachat de Lucasfilm Ltd. par Disney (qui planche déjà sur un prochain Star Wars), mais également le montant que George Lucas reversera à une ou plusieurs œuvres caritatives centrées sur l’éducation.
pour cent : le score obtenu par Abraham Lincoln s’il s’était présenté aux dernières élections américaines. Selon un sondage réalisé par la chaîne History, le nouveau héros de Steven Spielberg devance Winston Churchill (15 %) et Alexandre le Grand (8 %).
184
calories : ce qu’on perdrait devant Shining de Stanley Kubrick, soit l’équivalent d’une demi-heure de marche. D’après des chercheurs britanniques, regarder des films d’horreur augmenterait notre taux d’adrénaline et nous ferait donc maigrir.
PARADIS : AMOUR, BIENVENUE EN ENFER ? OUI Devant un film qui s’ouvre sur les mirettes écarquillées de trisomiques apeurés au volant d’autos tamponneuses, on croit deviner chez Ulrich Seidl une méchanceté gratuite mais assumée, aussi savoureuse que chez Todd Solondz. Sauf qu’assez vite l’aventure all inclusive de ces grosses touristes germanophones en mal d’amour devient très sérieuse. Seidl, sorte de père Fouettard doublé d’un voyeur compulsif, se tapit au pied du lit et se régale des ébats monnayés de son héroïne, secousses de chair triste et flasque qui virent à l’exploitation des corps. Le procès ne fait que se répéter, et l’œil accusateur du cinéaste se repaît de l’abjection sans jamais voir la sienne : ce qui révulse, c’est cette leçon, assénée en jubilant, d’un petit sujet racoleur, quelque part entre Michel Houellebecq et Julien Courbet.
©Happiness distribution
_Yal Sadat
44
hiver 2012-2013
Dans le premier volet, qui a divisé la critique à Cannes, de sa trilogie Paradis, l’Autrichien ULRICH SEIDL se délecte des affres du tourisme sexuel éprouvées par deux Européennes au Kenya. Faut-il vouer Paradis : Amour aux flammes de l’enfer ?
Paradis : Amour d’Ulrich Seidl Avec : Margarete Tiesel, Peter Kazungu… Distribution : Happiness Durée : 2h0 0 Sor tie : 9 janvier 2013
NON Paradis : Amour n’est que la version politiquement incorrecte et désenchantée de l’un des plus gros hits du cinéma romantique : Pretty Woman, soit une histoire de guerre des sexes et de lutte des classes qui se monnaye entre les draps. Évidemment, c’est moins joli à voir, et l’on préférerait tout ignorer du désir de domination sexuelle de ces « sugars mamas » plus toutes jeunes, placées dans une posture de bêtise et d’agressivité habituellement réservée aux personnages masculins. À travers ces femmes symboles d’un Occident arrogant, Seidl met en scène les nouveaux visages de l’impérialisme sans pour autant céder au manichéisme, chacun exploitant voluptueusement les failles – affectives ou financières – du pigeon qu’il s’est choisi. Un film douloureux, donc, comme tout électrochoc. _Pamela Pianezza
www.mk2.com
45
NEWS enquête
Info bulles Née à l’aube des années 1990, la bande dessinée de reportage fait aujourd’hui l’objet d’un véritable engouement public et critique. Alors que son maître Joe Sacco publie un nouveau recueil de reportages et que 2012 a vu les sacres de Guy Delisle ou d’Étienne Davodeau, retour sur un courant graphique qui redessine les frontières entre témoignage et journalisme. Jours de destruction, jours de révolte de Joe Sacco et Chris Hedges Édition : Futuropolis Sor tie : disponible
©Editions Futuropolis, DR
_Par Adrien Maillard
Jours de destruction, jours de révolte de Joe Sacco et Chris Hedges
U
ne série de reportages sur les naufragés de l’Amérique en crise, réalisée par un journaliste et un dessinateur. L’idée paraît surprenante. Pourtant, Jours de destruction, jours de révolte, signé par le célèbre reporter Chris Hedges et l’auteur de bandes dessinées Joe Sacco, affirme une nouvelle étape dans un courant graphique déjà bien établi : la bande dessinée de reportage. Si le genre naît et s’affirme dans les années 1990, l’incursion du réel dans des cases de dessin existe depuis l’établissement de la bande dessinée franco-belge : Hergé n’hésite ainsi pas à imprégner Les Aventures de Tintin des tourments du monde contemporain. Journaliste spécialisé dans la BD à France Info, Jean-Christophe Ogier confirme : « Dans la première version de Tintin au pays de l’or noir, publiée en 1950, Tintin débarque à Haïfa,
46
hiver 2012-2013
en Palestine, alors sous mandat britannique. Le héros est enlevé par des membres de l’Irgoun, l’organisation armée juive qui se bat pour la création de l’État d’Israël. »
En 1971, le célèbre Robert Crumb dessine les crimes et les partouzes d’une secte hippie qui rappelle étrangement la communauté de Charles Manson. Les chocs de l’histoire n’auront de cesse d’agiter les cases et les bulles de l’auteur belge jusqu’au dernier tome, Tintin et les Picaros (1976), qui évoque les conflits entre guérilléros et dictatures sud-américaines. Si Les A ventures de Tintin restent
un divertissement pour lecteurs de 7 à 77 ans, Hergé sème des graines de réel dans le n euvième art.
Lis ma vie
Les racines de cette BD du réel prennent aussi dans le terreau fertile de la fin des années 1960. En Amérique comme en Europe, on revendique les libertés politiques, sexuelles et artistiques. La BD n’est pas en reste : bulles et dessins représentent davantage qu’un simple divertissement pour jeune public. Entrés dans l’âge adulte, les comics underground manient autant l’humour noir et le sexe qu’une réflexion sur l’époque. En 1971, le célèbre Robert Crumb dessine dans Jumpin’Jack Flash les crimes et les partouzes d’une secte hippie qui rappelle étrangement la communauté de Charles Manson (les assassins de l’actrice Sharon Tate).
Mot @ Mot _Par A.M.
Graphic novel (nom composé) [gʀafik nɔvel]
Récits dessinés nés dans les années 1970 et popularisés par Will Eisner (Un pacte avec Dieu, 1978). À l’origine, l’expression « roman graphique » désigne les BD plus longues que les formats classiques et non destinées aux enfants et adolescents. Les intrigues traitent souvent de sujets adultes, complexes et sombres (Black Hole de Charles Burns), ou jettent le lecteur dans l’histoire (Maus d’Art Spiegelman, Persepolis de Marjane Satrapi). L’expression est souvent critiquée par les auteurs et les spécialistes pour l’emploi jugé abusif qu’en font les grands éditeurs.
« À partir de 1968, des auteurs ont sorti la bande dessinée de ses histoires de cow-boys et d’Indiens », confirme Ogier. Les seventies marquent la naissance d’un nouveau genre graphique : la biographie dessinée, grande sœur du reportage en bulles. En 1980, la revue Raw publie les bonnes planches alternatives aux ÉtatsUnis. Son rédacteur en chef est un certain Art Spiegelman, qui va produire, sur dix ans, un monument de la bande dessinée : Maus retrace le destin de sa famille juive polonaise pendant l’Holocauste. Les Juifs y sont représentés en souris, les nazis en chats. Publiée entre 1981 et 1991, la fresque remporte le prestigieux prix Pulitzer de Littérature en 1992. Considéré comme la pierre angulaire de la BD autobiographique, Maus fait l’unanimité et affirme que l’on peut traduire
l’histoire et le récit de vies par le dessin. Ce genre autobiographique fait des disciples en France, à l’instar des célèbres David B. (L’Ascension du haut mal), Marjane Satrapi (Persepolis) et Emmanuel Guibert (La Guerre d’Alan).
Présence du subjectif
C’est avec l’arrivée de Joe Sacco que la bande dessinée de reportage se définit réellement. Cet Américano-Maltais diplômé d’art et de journalisme collabore à Raw, puis s’intéresse, à partir du début des années 1990, à la situation israélopalestinienne et passe quelques mois au Proche-Orient. Il en tire Palestine – Une nation occupée (1993), une œuvre sérieuse, au parti pris affiché, qui lui vaut l’admiration du public comme de ses collègues journalistes. Le travail hybride de Sacco se distingue totalement d’une
enquête ou d’un reportage traditionnel : si l’une des règles du journalisme consiste à s’effacer au profit de la situation et des interlocuteurs, Sacco revendique à l’inverse sa subjectivité et se dessine au sein de ses enquêtes palestiniennes (la série Palestine et Gaza 1956 – En marge de l’histoire) ou bosniaques (Goražde). Lors d’un entretien avec le webzine The Comics Grid, l’auteur expliquait sa démarche : « Certains reporters prétendent qu’il n’y a rien entre le lecteur et la situation d’actualité. C’est des conneries. Le rédacteur qui rédige un article a des préjugés. Un journaliste occidental aura par exemple une tendance moralisatrice vis-à-vis d’une femme voilée. Face aux lecteurs, je dois être honnête sur mes opinions, mon ignorance. » L’auteur se place ainsi au cœur de l’événement pour servir de fil rouge www.mk2.com
47
©Editions Futuropolis, DR
NEWS enquête
Les Ignorants d’Étienne Davodeau
à l’histoire et guider le lecteur. Guy Delisle, auteur à succès des Chroniques de Jérusalem explique qu’il « aurait été impossible de ne pas se représenter dans le récit. Par ma promenade, je sécurise le lecteur et le prends par la main pour lui faire visiter Jérusalem et les territoires occupés. » Publiées en 2011, les Chroniques détaillent la colonisation, les rapports entre Juifs et Arabes comme l’histoire de la Ville Sainte et la vie des expatriés. Elles remportent le prix du Meilleur Album à Angoulême et totalisent à ce jour 150 000 ventes.
Dessiner c’est gagner
Autre grand succès récent, Les Ignorants (2012) narre la rencontre d’Étienne Davodeau avec un vigneron. L’auteur reconnaît que le dessin apporte une discrétion, une pudeur et une légèreté dans le récit du réel que ne permettent pas toujours d’autres formes de reportage : « Lorsque je rencontre un curé ou
48
hiver 2012-2013
un syndicaliste pour un album, nous ne sommes pas parasités par une caméra et un preneur de son. Attablé avec la personne dans un bar, il n’y a qu’une bière et un calepin entre
Le dessin apporte une discrétion, une pudeur et une légèreté dans le récit du réel que ne permettent pas toujours d’autres formes de reportage. nous. » Cette souplesse du matériel soulage également Guy Delisle quand il témoigne de son aventure nord-coréenne (Pyongyang, 2003) : « Sous la dictature, prendre des photos dans la rue est strictement interdit. Mon carnet de croquis m’a permis de décrire certaines réalités de la vie sans problème. »
Mais ces auteurs sont ils vraiment des journalistes ? Joe Sacco, l’un des seuls à détenir une carte de presse, collabore avec The Guardian et Harper’s Magazine. « Raconter le réel, même en dessin, me semble être l’essence même du journalisme ! », estime pour sa part Patrick de SaintExupéry, directeur de la revue XXI, qui publie un reportage dessiné dans chaque numéro. Pour leur part, ni Delisle ni Davodeau ne se r éclament du journalisme : le premier s’amuse plutôt à se comparer à un « apprenti ethnologue ». Jean-Christophe Ogier renchérit : « Ces auteurs ne doivent pas se chercher un rôle de journaliste. Ils dévoilent des réalités mais restent avant tout des artistes. » Des artistes et un format qui connaissent un succès public et critique de plus en plus établi. Leur secret ? Un regard singulier sur le monde et des récits complets pour aborder des sujets très divers, mais tous aux prises avec la réalité. L’actualité poursuit sa mise en cases. ♦
www.mk2.com
49
NEWS TOUT-TERRAIN COVER boy +
=
Les cosmonautes de Canned Heat explorent le blues du futur alors que Kid Cudi plane en apesanteur dans son odyssée de l’espace hip-hop. Plus loin, vers l’infini et au-delà, les jeunes Anglais de Theme Park revisitent la galaxie eighties avec leur EP Two Hours. _Q.G.
UNDERGROUND
©Andrew Paynter
La timeline de TORO Y MOI
Un coup de Toro De la chillwave au funk, du home studio sur ordi aux vrais instrus, chaque nouvel album de Chaz Bundick remet les acquis sur le tapis. Le chercheur pop TORO Y MOI sort son troisième essai. Transformé. _Par Wilfried Paris
Anything in Return de Toro Y Moi Label : Carpark Records/La Baleine Sor tie : 21 janvier 2013
Né en 1986 à Columbia (Caroline du Sud), Chaz Bundick a sorti en 2010 son premier album sous le pseudo Toro Y Moi, Causers of This, labellisé chillwave en même temps que Washed Out ou Neon Indian par une blogosphère unanime. Ritournelles eighties, hip-hop condensé, synthés glo-fi : ses rêveries psyché (réverb’ 50
hiver 2012-2013
et bandes inversées partout) témoignaient d’une volonté de synthèse pop, où Animal Collective, Phoenix et Ariel Pink seraient mélodieusement associés, modélisés en blocs colorés (le garçon est également graphiste) dans la chambre à coucher. Depuis, Chaz a développé ses mille-feuilles sur Underneath the Pine (2011), où il abandonnait l’ordi pour jouer de vrais instruments : dérives funky ou post-disco évoquaient la French touch et révélaient un vrai songwriter. Après quelques remixes, il renoue avec la programmation sur Anything in Return, ambitieuse série de pop songs synthétiques et mid-tempo chantées haut et clair, ponctuées de samples vocaux West Coast : un charmant fouillis. Sorte de Beck des années 2010, Chaz a une belle marge de progression. ♦
Hier Après The Heist And The Accomplice, indie band à guitares, Toro Y Moi sort à l’été 2010 Causers of This, adoubé par Hipster Runoff, The Wire et Pitchfork, disque étendard d’une génération qui dort sur les pistes de danse ou qui danse sur les bords de plage.
Aujourd’hui Après avoir déménagé en Californie, Bundick profite de sa nouvelle solitude pour créer en home studio un vrai album de producteur, Anything in Return : « J’essaie juste de faire de la pop music sincère, qui ne soit pas complètement traitée et bubblegum », détaille-t-il.
Demain Toro Y Moi entamera dès le 28 décembre une tournée internationale de quarante dates. Il passera à Paris pour un concert le 23 janvier 2013 au Trabendo, où il défendra son dernier projet en compagnie d’un vrai groupe et de quelques machines.
▲
CALÉ
Robert Rodriguez : huit ans après Sin City, le réalisateur tourne Sin City 2 – A Dame to Kill For, dont la sortie est prévue le 4 octobre 2013 aux États-Unis. Il devrait ensuite s’attaquer au remake du film d’animation Tygra – La Glace et le Feu (1983).
►
DÉCALÉ
Robert Rodriguez : le cinéaste d’origine mexicaine lance une chaîne de divertissement destinée au public latino. El Rey devrait être disponible en 2014 aux États-Unis et ne diffusera que des programmes mettant en avant des personnalités hispano-américaines.
▼
_Par T.D.
RECALÉ
Robert Rodriguez : la sortie de Machete Kills, prévue courant 2013, pourrait être annulée. Les coproducteurs du film poursuivent Rodriguez (également producteur) en justice et lui réclament 2 millions de dollars pour des irrégularités sur le bugdet.
OVERGROUND Emporté par la foule Six ans après s’être délibérément sabordé, STUPEFLIP est réapparu, presque à son corps défendant, grâce à une armée de fans. La vengeance est un plat qui avance masqué. _Par Michael Patin
Stupeflip, le 9 décembre au Trianon, 19 h, 26,40 €
DR
Peu de groupes ont réussi à s’aliéner le milieu du showbiz comme Stupeflip, refusant dès le départ de servir la soupe aux médias (le sabotage Ardisson) et creusant ses obsessions les plus sombres et cryptiques jusqu’à se faire lourder par BMG avec procès perdu à la clé. Six ans plus tard, on voyait mal comment le « Crou » referait surface, sans label, avec le même univers punk-rap-pop entre rire et cauchemar. C’était sans compter sur les fans, qui se sont unis pour préfinancer The Hypnoflip Invasion (2011), donnant raison à la punchline de Stupeflip vite !!! : « Le truc est vivant dans les têtes même s’il est cramé dans les Fnac ». Tellement vivant qu’il a fallu repartir sur les routes en 2012, malgré les réticences du membre fondateur King Ju : « Stup, c’est la grotte, un truc flippant, autiste, replié sur soi-même. Ça ne colle pas du tout avec l’idée du live. Je ne comprendrai jamais ceux qui veulent montrer leur gueule sur une scène. » Résultat : une tournée qui se prolonge encore, un nouveau maxi (Terrora !!) et un DVD prêt à paraître. Le Stupeflip Crou ne mourra jamais. ♦
LA TIMELINE DE STUPEFLIP Hier Porté aux nues sur un malentendu (le single ironique Je fume pu d’shit en 2002), Stupeflip n’a cessé de péter dans la soie jusqu’à la grande œuvre incomprise Stup Religion en 2005 et un harakiri commercial l’année suivante.
Aujourd’hui The Hypnoflip Invasion, puis Terrora !! paraissent grâce à l’enthousiasme des fans en manque de radicalité et de mystère (au chocolat). Les concerts, plus visuels que jamais, se remplissent de petits agités – dont certains « très vieux », dixit King Ju.
Demain « Il va sûrement falloir casser un peu l’image de Stupeflip, explique King Ju. Je pourrais revenir déguisé en Mexicain, avec une imagerie rumba (rires). Mais d’abord, je vais rester un peu peinard chez moi. Je suis surtout un contemplatif. »
www.mk2.com
51
DR
NEWS AUDI TALENTS AWARDS
Extrait de L’Anabase d’Éric Beaudelaire
LA LIGNE ROUGE Lauréat des Audi Talents Awards catégorie art contemporain, le photographe ÉRIC BAUDELAIRE poursuit son interrogation sur la mise en scène de la réalité dans une fiction qui se tournera en février au Liban, à partir d’un scénario du cinéaste Masao Adachi. Rencontre. _Par Claude Garcia
C
haque matin, sur le tournage de son film provisoirement intitulé Enigma of Memory/Memory of Enigma, Éric Baudelaire recevra par fax quelques pages du scénario écrit par Masao Adachi, réalisateur de la nouvelle vague nippone devenu activiste puis emprisonné. Un tournage accidenté pour une intrigue autour de May Shigenobu,
52
hiver 2012-2013
fille de la fondatrice de l’Armée rouge japonaise et d’un membre du Front populaire de libération de la Palestine. Née à Beyrouth et élevée au sein de ces factions, elle est restée cachée jusqu’à ses 27 ans. « Elle a vécu sa jeunesse clandestinement jusqu’à l’arrestation de sa mère. Je l’avais contactée pour un premier documentaire avec Masao, L’Anabase. Ce prochain projet en sera le versant fictionnel », raconte le cinéaste, photographe et plasticien. Car Baudelaire multiplie les médias pour questionner le réel, le politique et sa représentation : « Les schémas documentaires traditionnels tentent d’approcher une vérité, mais c’est peine perdue car ces conflits sont irrésolus. Je cherche ailleurs : que peut évoquer une image ? » À l’heure d’Occupy Wall Street et des mouvements altermondialistes, ce regard critique sur les outils révolutionnaires s’exercera, assure l’artiste, sans cession à la nostalgie. ♦
whATA’s up ? Distingué par les Audi Talents Awards dans la catégorie design en 2011, Arnaud Lapierre présentera son projet « Field », une « lampe à rêver », au salon Maison&objet, du 18 au 22 janvier 2013 au parc des expositions Paris Nord Villepinte. Cet objet high-tech sera édité en série chez Petite Friture et exposé dans l’espace Now! Design, dédié à la jeune création. Combinant la technologie LED à un champ réflectif ondulé, « Field » permet, au-delà de sa fonction d’éclairage, la contemplation d’une lumière diffuse et onirique. _C.Ga. Plus d’informations sur w w w.myaudi.fr
www.mk2.com
53
ŠSexual nature/Londons Natural History Museum
NEWS SEX TAPE
54
hiver 2012-2013
Chauds lapins « Bêtes de sexe – La séduction dans le monde animal », jusqu’au 25 août 2013 au palais de la Découver te w w w.palais-decouver te.fr
Dans la faune, tous les coups sont permis. Si l’obsession des bonobos pour la chose est connue, saviez-vous que le lapin était un véritable play-boy ? Saviez-vous que, chez les lézards, les femelles font leurs affaires entre elles, puisque le mâle n’existe pas ? Avec « Bêtes de sexe », le palais de la Découverte nous ouvre les portes de la sexualité animale. Ici, point de lion assoupi ni de guépard guettant : l’expo évite les pièges du documentaire animalier, notamment grâce aux courts métrages ludiques et décalés des séries Green Porno (2008) et Seduce Me (2010), réalisés et joués par Isabella Rossellini. L’actrice s’y glisse dans la peau d’une cane au vagin labyrinthique ou d’un escargot sadomaso pour nous décrire avec humour et en pratique les mœurs animales. _Tiffany Deleau
www.mk2.com
55
Š Le Pacte
56
hiver 2012
DANS TOUS SES ÉCLATS Enfant, vous avez sûrement eu ses livres entre les mains : Jean de la lune, Les Trois Brigands… J’avais une préférence pour Le Géant de Zeralda, l’histoire d’une fillette qui rencontre un ogre plus commode qu’il n’en a l’air. Dans le train qui m’emportait vers Strasbourg, le livre sous le bras dans l’espoir de glaner une dédicace, je me sentais aussi petite que la blonde Zeralda. J’allais aussi rencontrer un géant, l’immense TOMI UNGERER, à l’occasion des sorties simultanées de l’adaptation de Jean de la Lune et d’un documentaire sur l’œuvre protéiforme de l’artiste, de l’illustration pour enfants au dessin érotique. Il était une fois une journée avec Tomi Ungerer. _Par Juliette Reitzer
57
Tomi Tomi Ungerer Ungerer
H
© 1994 Diogenes Verlag AG Zurich, Suisse
istoire de mettre à l’aise les trois journalistes qui l’entourent à la table d’un restaurant de la Petite France, quartier historique de Strasbourg, Tomi Ungerer lance gaiement : « Les bonnes questions se posent comme des avions. » Ayant atterri sans encombres à la place en face de lui, j’ai tout le loisir d’observer le personnage. Il est très grand, il a de drôles de dents et les cheveux blancs. Très chic dans son costume noir, chapeau sur la tête et montre rose au poignet, il est souriant, chaleureux et surtout très bavard. Avec un fort accent alsacien et un plaisir non dissimulé, il s’adonne pour notre plus grande joie à ce qu’il fait le mieux, c’est-à-dire raconter des histoires. Et sa vie aventureuse, détaillée dans le documentaire Tomi Ungerer – L’Esprit frappeur, n’en manque pas.
© 1980, 2009 Diogenes Verlag AG Zurich, Suisse
© Tomi Ungerer / Diogenes Verlag AG Zurich, Suisse
Tomi Ungerer, Black Power / White Power Af fiche contre le ségrégationnisme racial, 19 67
Tomi Ungerer, sans titre Dessin pour Frisch frosch fröhlich frei, 1985
58
hiver 2012-2013
Tomi Ungerer, sans titre Dessin pour The Par ty, vers 19 66
- À PAS DE GÉANT Tout commence à Strasbourg, où Tomi Ungerer naît en 1931. Il vit l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne alors qu’il est écolier, et cette identité originelle chahutée, coincée entre deux haines, il l’a distillée dans toute son œuvre, traversée par la peur et la mort, mais aussi par l’humour et la curiosité. À table, il confie être « hanté par l’insécurité », et par des cauchemars qu’il oublie le matin « grâce aux mots croisés ». Il manie la langue française avec délectation, ses phrases sont truffées d’aphorismes et de bons mots, percutantes comme ses dessins. Il dit par exemple : « Nous sommes des morceaux de sucre dans un temps liquide », puis nous parle de son livre S.M. – Les Anges gardiens de l’enfer (1986), un document très dur sur un bordel pour masochistes à Hambourg : « Ces femmes sont étonnantes, elles font tout ce que les psychiatres ne peuvent pas faire. Je pense à Astrid, par exemple, qui avait un jeune client qui ne pouvait pas venir plus de quatre fois par an parce qu’il n’avait d’orgasme que si on lui arrachait un ongle. Il venait avec une paire de tenailles. » Car Tomi Ungerer
www.mk2.com
59
© Stephane Beaujean
Pour faire bisquer sa fille Aria, Tomi Ungerer met son écharpe noire sur sa tignasse blanche et fait la grimace, se transformant en affreuse sorcière de conte de fées.
Tomi Ungerer dans sa maison de Strasbourg, en novembre 2012
ne craint ni les sautes de ton, ni les provocations, et ne dessine pas que pour les enfants, loin de là. En 1956, à 25 ans et après plusieurs voyages, il débarque à New York, devient cartoonist pour Esquire, Life ou le New York Times. Dans la foulée, il publie son premier livre pour enfants (Les Mellops font de l’avion) et s’affirme dans le dessin satirique (The Party), érotique (Fornicon) et politique, avec une série d’affiches contre la guerre du Viêtnam et la ségrégation raciale, dont l’iconique Black Power/White Power en 1967. Au début des années 1970, Tomi Ungerer est une star. Mais en 1971, 60
hiver 2012-2013
il décide avec son épouse Yvonne de s’installer sur une presqu’île de la Nouvelle-Écosse, au fin fond du Canada. Un genre de no man’s land planté de bicoques délabrées qu’il a dessinées dans son livre Slow Agony. Il s’explique : « Tout ce qui est désuet, dilapidé, hanté, les vieilles usines abandonnées, par exemple, j’adore. » Alors qu’Yvonne est enceinte de l’aînée de leurs trois enfants, le couple déménage en Irlande, en haut d’une falaise surplombant l’océan : « Quand on est arrivés là-bas, les gens ont parié qu’on ne tiendrait pas une année. C’est le premier point touché par
le Gulf Stream, alors on vit dans les tempêtes. » Quarante après, ils y habitent toujours, et c’est d’ailleurs dans ces paysages austères et romantiques que se situe l’histoire du nouveau livre pour enfants de Tomi, Maître des brumes (à paraître en mars 2013 à L’École Des Loisirs). Il ajoute, au cas où on en douterait : « Je cherche les extrêmes, toujours. » Comme un gosse, regard espiègle et perçant, il s’est arrêté de parler pour taper avec sa fourchette sur nos verres plus ou moins pleins, chacun produisant un son différent. Profitant de l’accalmie, sa fille Aria, qui est aussi son agent, une grande et jolie blonde aux cheveux serrés en chignon, se marre : « Une fois, pendant un repas de famille, il a parlé huit heures sans s’arrêter ». Nous n’aurons pas cette chance : le déjeuner touche à sa fin, et le personnel du restaurant défile pour demander des autographes – Ungerer dessine un poisson au chef cuisinier qui lui en a préparé un. Aria poursuit en rappelant à Tomi la prochaine étape de la journée, la présentation de l’avant-première de Jean de la Lune devant une meute d’élèves de maternelle : « Ne leur dis pas de gros mots », lance-telle à tout hasard. Pour la faire bisquer, il met son écharpe noire sur sa tignasse blanche et fait la grimace, se transformant en affreuse sorcière de conte de fées.
- GRAND ENFANT -
« Les enfants, faites comme Jean de la Lune, apprenez les langues étrangères, après vous irez partout
www.mk2.com
61
« J’ai traumatisé cette enfant. Mais je ne me rappelle plus si j’ai joué l’ogre avant ou après avoir fait le livre. Quand il ne se passe rien, je provoque des histoires… »
© L'Ecole des Loisirs
- TOMI UNGERER -
Le Géant de Zeralda de Tomi Ungerer est sor ti en France en 1971
et vous pourrez retourner chez vous. » Sur l’estrade devant l’écran, face à son jeune auditoire, Tomi Ungerer parle autant de lui-même que de son héros lunaire. Trilingue, il est parti vivre au bout du monde avant de rentrer en Europe. C’est là seulement, nourri d’ailleurs, qu’il a su retrouver pleinement ses racines alsaciennes, notamment en s’investissant corps et âme dans la réconciliation entre la France et l’Allemagne. En 1987, il est chargé de mission par Jack Lang pour les échanges culturels entre les deux pays, et fait partie de la Commission interministérielle franco-allemande : « J’ai participé à un miracle, me confierat-il le lendemain, visiblement ému. Je suis né entre la haine française et la haine allemande, et j’ai toujours haï la haine, en fin de compte. Quand on est arrivés en Irlande, je recevais des menaces de mort : “Sale Bosch, si tu reviens en France on va te descendre.” Quand j’ai eu la légion d’honneur (en 1990 – ndlr), d’un coup j’étais un bon Français. » Pour l’heure, sur la scène du cinéma Star de Strasbourg, il remporte tous 62
hiver 2012-2013
les suffrages. Il faut dire que la sonnette de vélo installée sur le pommeau de sa canne et avec laquelle il ponctue ses phrases, fait son effet. La tendresse évidente de Tomi pour les mioches (son plaisir de raconter y trouve un public idéal) est d’autant plus bouleversante qu’il la camoufle derrière une ironie mordante. En sortant de la salle de projection, fatigué, il s’assiéra quelques minutes et lancera, fanfaron : « Une grange avec quatre cents brebis, ça fait à peu près le même bruit ! » Je quitte Ungerer pour me diriger vers le musée qui porte son nom, une maison de style néoclassique construite à la fin du XIXe siècle, au cœur du quartier impérial allemand. Le rez-de-chaussée est dévolu aux dessins pour enfants, comme ces extraits du très beau Pas de baiser pour maman (1973), le seul livre jeunesse en noir et blanc d’Ungerer ; la conservatrice du musée, Thérèse Willer, attire mon attention sur « la bouteille de schnaps posée sur la table du petit-déjeuner ». Plus loin sont affichés des originaux de Das Grosse
Liederbuch, livre de chansons populaires allemandes et plus gros succès de Tomi en librairie. Je suis frappée par la variété des styles explorés par l’artiste, de la caricature au romantisme, du grotesque au réalisme, de l’innocence des dessins pour enfants à la sexualité explicite des sublimes œuvres érotiques – dont les fameuses « Gre nouillades », amphibiens joyeusement lubriques. Le documentaire Tomi Ungerer – L’Esprit f rappeur raconte comment ce grand écart a choqué l’Amérique puritaine des années 1960 : lorsque la rumeur propage la double casquette de l’auteur français, ses livres pour la jeunesse sont retirés de certaines bibliothèques municipales… Dans les salles du musée, les nombreuses affiches, publicités, abécédaires et dessins personnels finissent de renseigner sur l’insatiable appétit d’Ungerer, véritable touche-à-tout. Plus tard, il s’expliquera : « J’ai toujours été un collectionneur, et comme je n’ai pas été à l’université, je n’ai jamais été obligé de rester focalisé sur un sujet. Je passe de la minéralogie aux cerfs-volants, j’accumule des connaissances. Je suis un obsédé ! Après, je passe à autre chose et je fais donation aux musées. » L’exposition temporaire « Tomi s’amuse – Jeux et jouets de la collection Tomi Ungerer », au premier étage du musée, en est une illustration parfaite : une partie de sa colossale collection de jouets mécaniques (six mille pièces en tout!) y est présentée, visible jusqu’au 31 mars 2013.
Tomi Ungerer, l’esprit frappeur de Brad Bernstein et Jean de la Lune de Stephan Schesch (Le Pacte), sor ties le 19 décembre
© Le Pacte © Le Pacte
© Le Pacte
- BON VIVANT -
« Cet ogre, c’est moi ! » Sitôt installée sur le canapé du salon de Tomi Ungerer, dans la maison strasbourgeoise où il est né, j’ai sorti mon exemplaire du fameux Géant de Zeralda. Accueillie à bras ouverts (littéralement), embrassée chaleureusement, je l’écoute avec émotion se lancer dans une nouvelle histoire : « Bon, puisque vous aimez ce livre, je vais vous raconter. C’était à Halloween, à New York. Un ami emmenait ses enfants à Central Park, et il m’a demandé si je pouvais les effrayer. Il y avait des rochers dans le parc, comme dans le livre, et je me suis caché derrière, comme l’ogre. J’avais un grand sac. Les enfants passent et je tombe sur eux, ils foutent le camp mais je mets la main sur une fillette, et je la mets dans mon sac. Et là, une main se pose sur mon épaule – un flic : “What’s going on?” » Puis, l’air repentant : « J’ai traumatisé cette enfant. Mais je ne me rappelle plus si j’ai joué l’ogre avant ou après avoir fait le livre. Quand il ne se passe rien, je provoque des histoires… » Son fameux goût pour la provocation réside donc d’abord là, dans cet irrépressible désir d’aventures, ce désir de s’aménager une vie proprement « vivante ». Impossible alors de ne pas penser à la peur de la mort, qu’il distille dans ses livres pour enfants, mais sur laquelle ses jeunes héros prennent toujours l’ascendant : une peur exorcisée, étouffée sous l’éclat du rire sardonique de l’humour noir. Rire pour ne pas pleurer, pour ne pas mourir : « Vous savez, j’ai été exposé à l’âge de trois ans à la mort de mon père, ensuite aux nazis et à la guerre. Mais j’ai été élevé par une mère qui n’avait tout simplement pas froid aux yeux. Des fois, pendant les bombardements, on éclatait de rire. » Enfin, c’est l’heure de la dédicace tant espérée. Tomi ouvre le livre et y dessine un ours en peluche, avec un couteau dans le ventre. Au-dessus, il écrit : « En souvenir du futur. » ♦
GENS DE LA LUNE Producteur des Trois Brigands en 2007, l’Allemand STEPHAN SCHESCH poursuit sa collaboration avec Tomi Ungerer en adaptant sur grand écran un autre de ses classiques pour enfants, Jean de la Lune, pour lequel il signe sa toute première réalisation. _Propos recueillis par Juliette Reitzer Comment faire un long métrage à partir d’un livre d’une trentaine de pages ? Tomi et moi avons creusé dans la profondeur du livre lui-même. On a par exemple développé les personnages du père et de sa fille dans leur voiture, qui n’étaient qu’un détail dans l’un des dessins du livre. On a aussi pioché dans toute l’œuvre de Tomi, dans sa philosophie et dans les thèmes qui parcourent ses livres. Est-ce Tomi Ungerer qui a dessiné ces nouveaux éléments ? Non, mais ils ont été puisés dans son univers graphique. Le personnage de Conquistadora, par exemple, qui fait partie de l’entourage du Président, a été développé à partir de son livre The Party. La campagne du film est plutôt américaine, inspirée par Slow Agony, son livre sur le Canada. Et le bâtiment où vit Ekla des Ombres est en haut d’une falaise, exactement comme la maison de Tomi en Irlande. Quels thèmes du livre sont les plus chers à vos yeux ? Le cœur de l’histoire, c’est l’amitié entre un extraterrestre qui ne connaît rien et un grand ingénieur qui connait tout sauf l’amitié. L’autre sujet, qu’on a rendu plus contemporain dans le film, c’est le pouvoir politique. Dans le livre, il est représenté par une assemblée de militaires au style prussien. Mais aujourd’hui, les méchants ne sont plus aussi identifiables : notre Président du monde est très respectable à première vue. Le film, entièrement dessiné à la main, installe un rythme plus lent que la plupart des programmes pour les toutpetits, au cinéma comme à la télévision… Les programmes pour enfants privilégient souvent des explosions de sons et de couleurs, mais les petits aiment toujours les livres, dans lesquels ils peuvent prendre le temps de regarder chaque détail et de faire marcher leur imagination. On est restés fidèles à Tomi dans son côté rebelle : le film a des moments silencieux, des moments calmes, pour souligner la poésie. Exposition « Jean de la Lune », du 10 au 31 décembre au MK 2 Quai de Seine
www.mk2.com
63
©Nicolas Guérin
64
hiver 2012-2013
Tabou
Il aura fallu attendre décembre pour qu’éclose l’un des plus beaux films de l’année : Tabou, présenté en février à Berlin, où il a reçu un curieux prix de l’Innovation. MIGUEL GOMES, critique portugais reconverti avec trois longs au compteur (dont Ce cher mois d’août), s’affirme en auteur d’envergure internationale avec cet ovni renversant qui réchauffe les cœurs engourdis par l’hiver. Rencontre. _Propos recueillis par Laura Tuillier
A
viez-vous le sentiment de plonger dans le passé en travaillant en noir et blanc et en 35 mm ? Au début du film, on peut trouver le noir et blanc naturel, puisqu’il s’agit d’images venues du passé. Pilar, la voisine d’Aurora (le personnage principal – ndlr), regarde un vieux film où il est question de fantômes, de l’impossibilité d’échapper à la mémoire puisque l’explorateur est mangé par un crocodile mais que celui-ci devient mélancolique. Lorsque l’on passe dans la salle de cinéma où est Pilar, le noir et blanc persiste parce que c’est la même histoire qui se poursuit. Pour moi, le noir et blanc est une atmosphère générale, un état d’esprit. La partie contemporaine de Tabou se situe après Noël, et dans la ville il y a des décorations, des guirlandes. Je me suis dit que filmer ces lumières en noir et blanc rendrait les choses tristes. On appelle Lisbonne « la Ville Blanche », moi je la vois comme une ville âgée, sombre et mélancolique. Le présent y est aussi vieux que le passé. Je voulais filmer une vieille femme en train de mourir, donc littéralement de disparaître, et faire dialoguer ça avec un cinéma disparu, le cinéma muet. C’est aussi pour ça que je filme en pellicule et en noir et blanc. La matière de mon film aussi est en train de disparaître. Quels étaient vos fantômes de cinéma ? Je suis hanté par des films, bien sûr, mais comme j’ai une mauvaise mémoire, je mélange tout. Donc il se dessine dans mon esprit une constellation de films vus, qui deviennent inséparables. J’avais bien sûr Tabou de F. W. Murnau en tête. J’ai programmé Silvestre de João César Monteiro au festival de La Roche-sur-Yon
car dans ce film, pour recréer du romantisme, le réalisateur use d’artifices, il tourne en studio, tout semble faux. C’est à la fois romanesque et pauvre. En commençant par le présent pour ensuite dévoiler le passé, la mélancolie de Tabou est renforcée : on sait les images révolues, on a vu mourir Aurora… Oui, je voulais arriver au « Paradis » après le « Paradis perdu » (noms de la seconde et de la première partie du film – ndlr)pour que le spectateur soit lucide. J’avais cette idée de structure dès le départ. Pour moi, le film s’ouvre sur une sensation de gueule de bois assez vague, et ce n’est qu’après qu’on accède à l’ivresse. Mais cette ivresse est amère. Le mélodrame premier degré de la seconde partie est avant tout une histoire de fantômes. Je filme un monde disparu. Un ami m’a dit un jour : « Le seul paradis possible, c’est la mémoire. » On ne sait même pas si cette histoire est la vérité, si c’est Gian Luca (l’ancien amant d’Aurora – ndlr) qui est fou ou Pilar qui a envie d’entendre une belle histoire d’amour et d’aventures. L’Afrique que je filme a été inventée par le cinéma américain, de Tarzan à Out of Africa. Dans une très belle scène de la seconde partie, il pleut sur la caméra, comme si celle-ci s’imprégnait de la tristesse des personnages… C’est une interprétation un peu délirante, mais j’adore ! Ce qui est vrai, c’est que j’avais envie qu’il pleuve, donc on a versé un peu d’eau devant la caméra. Mais il y a des scènes encore plus tristes. Par exemple, on entend deux fois la même chanson dans le film, Be My Baby des Ronettes, et Pilar et Aurora ont la même réaction : elles pleurent. Et Gian Luca aussi pleure.
www.mk2.com
65
©Shellac Distribution
Tabou
Avez-vous le sentiment de dépeindre deux âges de l’amour ? D’un côté, Pilar et son ami peintre, leur tendresse raisonnable ; de l’autre, Aurora et Gian Luca, une passion dévastatrice et meurtrière… Ce ne sont pas forcément deux histoires d’amour. Pilar a un amour universel pour l’humanité, elle veut faire le bien, donc elle fait la charité à ce peintre qui la courtise de façon un peu lourde. Dans la première partie du film, les gens sont seuls et fatigués. Ce qu’ils ont perdu, c’est la jeunesse. C’est elle qui est frappante dans la seconde partie du film : la jeunesse et ses histoires d’amour passionnées, ses crocodiles romantiques et ses chanteurs pop. C’est aussi une jeunesse de cinéma, avec une croyance dans les images. Comme lorsqu’Aurora et Gian Luca imaginent des animaux dans les nuages. Ce sont des spectateurs joueurs, disponibles.
« Le noir et blanc est une atmosphère générale, un état d’esprit. » Le groupe pop qui enregistre ses chansons sur des baobabs est assez décalé… Et pourtant c’est la partie réaliste du film ! À Lisbonne, j’ai rencontré une bande de vieux qui, à l’époque, ressemblaient aux Beatles et jouaient au Mozambique. Ils portaient les mêmes costumes blancs que dans le film. Ça a été une rencontre très importante, ils m’ont parlé
de ce temps-là avec beaucoup de nostalgie. Plus que l’empire colonial, le paradis perdu, pour eux, c’est être des pop stars, boire du gin tonic et avoir des fans qui demandent des autographes sur les fesses. L’Allemande Maren Ade, qui a réalisé Everyone Else en 2010, a coproduit le film. Entretenez-vous des liens avec les réalisateurs européens ? On se connaît tous un peu car on voyage beaucoup dans les festivals. J’ai connu Maren à Buenos Aires, où nous présentions nos films. Elle a aussi une boîte de production et m’a proposé de trouver de l’argent pour cette histoire bizarre de crocodile dandy. Comment avez-vous travaillé le son de la seconde partie du film, qui est muette ? J’ai proposé aux acteurs de seulement bouger les lèvres, sans prononcer les dialogues, pour la moitié des scènes. Parfois, lorsque je trouvais que les acteurs surjouaient, je leur faisais improviser des dialogues absurdes. Nous avons pris des sons directs et également travaillé en postsynchronisation. Je dirais que j’invente des règles à chaque nouvelle séquence. Votre travail sur le son fait écho à la fin de Ce cher mois d’août, lorsque le réalisateur, personnage que vous interprétez, s’énerve contre l’ingénieur du son qui enregistre des « sons qui n’existent pas »… Oui, le film se termine car le réalisateur est un idiot, il ne veut prendre en compte que la réalité. Alors que le cinéma se fait autant avec la matérialité des choses qu’avec nos désirs de fiction, qui peuvent provenir d’autres espaces et d’autres temps. Il faut laisser la porte ouverte, pour que les fantômes osent entrer. ♦
Autour de Tabou _Par C.G. Tabou de F. W. Murnau (1931) Source secrète ne veut pas dire remake. Le dernier film de Murnau, muet, se découpe comme celui de Gomes en deux parties et suit la fuite de deux amants à Bora-Bora. « C’est un symbole du cinéma pour moi, c’est l’un des plus beaux films », aurait déclaré Gomes.
66
hiver 2012-2013
Le Fleuve de Jean Renoir (1951) Longtemps invisible mais ressortant le 5 décembre, cette unique incursion indienne de Renoir, farandole enjouée et sensuelle en Technicolor criard (contrastant avec le noir et blanc de Tabou), est l’un des films de chevet de Gomes et le film préféré de son auteur.
www.mk2.com
67
©Shellac Distribution
Tabou
Fantaisie postcoloniale sixties en noir et blanc, Tabou déroule un somptueux mélo excentrique et hanté dans lequel le jaillissement de la vie vient nourrir la mélancolie. D’une rare inventivité et d’une poésie décoiffante, MIGUEL GOMES et son croco espiègle font tourner les têtes. _Par Clémentine Gallot
U
ne première partie crépusculaire, intitulée « Paradis perdu », s’ouvre à Lisbonne, où une retraitée en fin de vie, Aurora, divague auprès de sa voisine Pilar et de sa bonne noire. Avant de trépasser elle révèle son secret : un amour de jeunesse nommé Gian Luca Ventura, disparu depuis. Rien dans l’austérité de ces funestes prémices ne nous prépare au rythme trépidant et langoureux qui nous emportera ensuite. Dans la jungle en plastique d’un centre commercial, l’octogénaire Gian Luca, retrouvé, va prendre en charge, sur le registre du conte, toute la suite de la narration – passage de relais p articulièrement émouvant entre une disparue et son ancien amant.
Revivre
Rembobinage. La seconde partie du film, baptisée « Paradis », s’épanouit dans l’extase du souvenir : celui, solaire, de la jeunesse africaine d’Aurora au pied du mont Tabou. Chasseuse, jeune mariée indépendante, elle s’éprend de Gian Luca, musicien de passage qui roucoule sous ses fenêtres. Leurs ébats secrets se reflètent bientôt dans l’œil humide d’un crocodile de compagnie, seul gardien romantique de leur idylle. Dans ce second volet, largement improvisé au tournage, les acteurs se sont
tus : seule subsiste une voix off et des sons d’ambiance. Ce dispositif, au lieu de figer le récit dans une reconstitution poussiéreuse, prend à rebours la sensualité et l’élan contrarié des deux amants cachés, pour mieux en différer l’ivresse. En lieu de dialogues, une B.O. de film muet et une reprise des Ronettes en espagnol (« Tú serás mi baby »), écho lointain des chansons populaires de Ce cher mois d’août. Le groupe de pop de Gian Luca, tout de blanc vêtu, joue et se déhanche pour la bonne société locale autour d’une étrange piscine vide, diffusant son rythme qui swingue, berçant une nature réanimée par les escapades amoureuses. Gomes revisite ici conjointement la mémoire d’une love story et du passé colonial portugais : un retour du refoulé sans excès d’exotisme, avec pour référent une Afrique fantasmée empruntant son expressivité au pouvoir d’évocation de l’âge d’or du cinéma muet et aux récits d’aventure. Cette fiction à double face (vieillesse, puis jeunesse), au lyrisme frémissant, rappelle que nos aînés aussi ont été jeunes un jour. ♦ Tabou de Miguel Gomes Avec : Ana Moreira, Carloto Cot ta… Distribution : Shellac Durée : 1h58 Sor tie : 5 décembre
Autour de Tabou _Par C.G. Ce cher mois d’août de Miguel Gomes (2008) Le deuxième long de Gomes, après La Gueule que tu mérites, l’a révélé mais s’est fait dans la panade financière. Réorganisé en deux parties, il mélange docu (préparation du film avorté) et fiction (tournage). Un film de vacances estival porté par un air de saudade.
68
hiver 2012-2013
Au pied du mont Tabou – Le Cinéma de Miguel Gomes (Independencia, disponible) Un recueil d’entretiens éclairants menés chez le cinéaste à Lisbonne : on y aborde Chasseur blanc, cœur noir de Clint Eastwood, Godard, les faux « concepts » de cinéma et les films doubles « gomesiens ».
www.mk2.com
69
la fin du monde… 2012 : CLAP DE FIN Révélations actrices
Révélations acteurs
Soko
Garrett Hedlund
(Bye Bye Blondie, Augustine)
Alicia Vikander (Royal Affair, Anna Karenine)
Corinne Masiero
Benh Zeitlin
(Sur la route)
(Les Bêtes du Sud sauvage)
Channing Tatum
Rachid Djaïdani
(Magic Mike, 21 Jump Street, Je te promets – The Vow)
(Rengaine)
Guillaume Brac
(Louise Wimmer, De rouille et d’os)
Matthias Schoenaerts
grands retours
tendances lourdes
Leos Carax
réalisateurs à suivre
(Un monde sans femmes)
(Bullhead, De rouille et d’os)
Être une star
valeurs sûres
Twixt
(Holy Motors)
(Reality, Superstar, To Rome with Love)
de Francis Ford Coppola
Abel Ferrara
Found footage, l’overdose ?
d’Aleksandr Sokurov
(Go Go Tales, 4h44 – Dernier jour sur Terre)
(Chronicle, Paranormal Activity 4, [REC]³ Genesis, Chroniques de Tchernobyl…)
Whit Stillman (Damsels in Distress)
Le spleen de la limousine
Faust Moonrise Kingdom de Wes Anderson
(Holy Motors, Cosmopolis, Wrong)
mentions spéciales
plaisirs coupables
ovnis
Tabou
Magic Mike
Le Marin masqué
de Miguel Gomes
de Steven Soderbergh
de Sophie Letourneur
Take Shelter
Titanic 3D
Cosmopolis
de Jeff Nichols
de James Cameron
de David Cronenberg
Oslo, 31 août
Avengers
Laurence Anyways
de Joachim Trier
de Joss Whedon
de Xavier Dolan
…et après?
2012 moribond, 2013 lui survit. L’apocalypse, genre chéri du cinéma hollywoodien, résonne comme la promesse d’un après, de nouveaux mondes, riches de fictions inédites. Avant de faire le point sur les films apocalyptiques raccord avec le calendrier maya, voici le bilan et les promesses du septième art, d’une année l’autre. _Dossier coordonné par la rédaction / Illustrations par Marion Dorel
2013 : À SUIVRE Fantômes et compagnie
Jeux de pouvoir
Biopics
La Fille de nulle part
La Vénus à la fourrure
Inside Llewyn Davis
de Roman Polanski
d’Ethan et Joel Coen
Abus de faiblesse
The Grandmasters
de Jean-Claude Brisseau
Only Lovers Left Alive de Jim Jarmush
World War Z
de Catherine Breillat
de Wong Kar-Wai
Passion
The Wolf of Wall Street
de Marc Forster
de Brian De Palma
de Martin Scorsese
Films d’époque
Ovnis
Amours toujours
Nightingale
Adieu au langage
Grand central
Twelve Years a Slave
Jacky au royaume des filles
To the Wonder
de Steve McQueen
Un indien des plaines
Nymphomaniac
d’Arnaud Desplechin
de Lars von Trier
Teen spirit
Valeurs sûres
Drames contemporains
The Smell of Us
Only God Forgives
Les Amants passagers
Mud
Tom à la ferme
de James Gray
de Larry Clark
Spring Breakers
de Jean-Luc Godard
de Riad Sattouf
de Nicolas Winding Refn
de Rebecca Zlotowski
de Terrence Malick
Faire l’amour de Djinn Carrénard
de Pedro Almodóvar
de Harmony Korine
de Jeff Nichols
de Xavier Dolan
The Bling Ring
White Bird in a Blizzard
Promised Land
de Sofia Coppola
de Gregg Araki
de Gus Van Sant
©Les films du losange
la fin du monde
Melancholia de Lars von Trier
C’est pas bientôt fini?
Il y a au moins un point commun entre Roland Emmerich, Lars von Trier et Abel Ferrara : tous ont succombé aux délices de l’apocalypse. Au cinéma, la fin du monde est un peu plus qu’une hypothèse funeste : c’est, de longue date, un genre en soi. Comment s’y prend-on, quand on est cinéaste, pour en finir avec le monde ? _Par Jérôme Momcilovic
C’
est peut-être la plus belle scène de tout le cinéma porté sur l’apocalypse. Un vieux serveur en costume erre parmi les salles désertées d’un club pour gentlemen. Dehors, dans la rue pareillement vidée, un vent faible bat une banderole qui dit : « There is still time, brother. » Pourtant il n’y a plus de temps, ou si peu : les retombées de la guerre nucléaire ont condamné les derniers survivants, bientôt il n’y aura plus rien, plus personne à l’ombre du réconfort dérisoire de la banderole. Alors, puisque tout le monde est rentré chez soi, le serveur s’autorise un verre, qu’il sirote timidement, puis sans plus de conviction s’empare d’une queue de billard et donne le premier coup d’une partie qu’il ne jouera pas. La boule blanche résonne dans la grande salle vide puis, surprenant le serveur, les lustres s’éteignent et plongent la salle dans le noir. Le film, le monde n’en ont pas encore tout à fait terminé, mais cette image d’une tristesse infinie a tout dit : la lumière s’est éteinte, il n’y a plus rien à voir.
La fin du film La sortie du Dernier Rivage, en 1959, fit événement. Pourtant, l’hypothèse du film de Stanley Kramer n’était pas neuve, au terme d’une décennie qui avait vu Hollywood convertir en mille séries B fantastiques le climat anxieux de la Guerre froide et le spectre du péril atomique. Mais Le Dernier Rivage, en longeant les voies du mélodrame plutôt que de la science-fiction, a pris le parti d’aller jusqu’au bout et de ne sauver 72
hiver 2012-2013
personne – ce défaitisme, d’ailleurs, lui fut reproché dans une partie de la presse américaine d’alors. De menaces extraterrestres en guerres nucléaires, de déchaînements climatiques en comètes fatales, la promesse de la fin du monde au cinéma ne date pas d’hier (lire l’encadré p. 73). Mais que la fin du film coïncide pour de bon avec la fin de l’humanité est nettement moins fréquent. C’est le constat que fait Peter Szendy dans son essai L’Apocalypse cinéma (lire l’encadré p. 74) au sujet du Melancholia de Lars von Trier (2011). Avec Melancholia, explique-t-il, c’est le paradigme du genre apocalyptique qui trouve pour la première fois son aboutissement, puisque dans le noir du générique de fin, ils sont deux à s’éteindre, main dans la main : le film, et le monde. À ce noir-là vient désormais s’ajouter, comme son envers, le flash blanc où s’évanouit New York à la fin du 4h44 d’Abel Ferrara (lire p. 77). Entre le von Trier et le Ferrara, ce n’est pas tout à fait le même monde qui s’éteint, ni le même cinéma qui est à l’œuvre, mais tous deux partagent ce privilège de compter parmi les rares films rigoureusement apocalyptiques.
Dernier souffle Reste que ces films-là partagent avec leurs cousins moins radicaux (cette longue lignée de récits d’apocalypse où, in extremis, le marteau de la fin du monde oublie de frapper) des ingrédients intangibles et éternellement efficaces. À quoi tient la fortune de ce genre qui n’est jamais, après tout, qu’une version globalisée du film catastrophe ? Probablement à ce que
l’hypothèse de la fin agit comme un formidable accélérateur de récits et un moyen idéal d’hystériser les passions. l’hypothèse de la fin y agit toujours comme un formidable accélérateur de récit, en même temps qu’un moyen idéal d’hystériser toutes les passions. Il n’est pas étonnant que tous aient recours à l’outil du compte à rebours (depuis les décomptes scientifiques ultra-dramatisés d’Armageddon, Deep Impact ou 2012 aux news lancinantes de 4h44, en passant par le rudimentaire outil de mesure bricolé par l’enfant de Melancholia) : avec le décompte, l’intensité émotionnelle gagne un rendement exceptionnel, lestant d’un enjeu sans pareil le défilé des étreintes, confessions, premiers baisers appelés à être les derniers, gestes héroïques d’autant plus glorieux qu’ils sont dérisoires. Cette inflation (dont le Kaboom de Gregg Araki a livré en 2010 la version extatique et semi-parodique), rien ne la représente mieux que la dernière réplique, sublime, d’Ava Gardner dans Le Dernier Rivage. Au personnage de Gregory Peck qui l’a sauvée de justesse de son destin de vieille fille, mais qui doit – terrible ironie – la quitter juste avant la fin du monde, elle dit : « It’s been everything. » Tout a été vécu en une poignée d’heures, en aussi peu de temps qu’il en faudra pour que tout soit détruit. La vie entière dans le souffle d’un baiser, luimême soufflé par un vent de radiations atomiques.
©Ad Vitam
la fin du monde
Take Shelter de Jeff Nichols
Comète géante, civilisation condamnée et panique mondiale : dès 1931, Abel Gance avait, avec La Fin du monde, tissé le canevas des futurs blockbusters de Roland Emmerich ou Michael Bay. Gance lui-même n’était pas tendre avec le film, dont l’échec mit un sérieux frein à sa carrière, et il faut bien reconnaître que La Fin du monde n’est pas exactement un chef-d’oeuvre. Ce fut, quatre ans après Napoléon Bonaparte, son premier film parlant, et le film est lesté à la fois par sa théâtralité héritée du muet et par l’idéalisme un peu épais dans lequel baigne son récit – pressentie par un poète lunaire et souffreteux, une comète fonce droit vers la Terre et incite les nations en péril à se réconcilier sous la forme d’une « République universelle ». Reste que la mise en scène de la catastrophe, à la toute fin du film, impressionne toujours, autant par sa puissance plastique (un montage fiévreux et coupant de visages tordus par la peur et d’orgies désespérées) que par la manière dont il anticipe le grand spectacle hollywoodien des années à venir, du non moins séminal Le Choc des mondes (Rudolph Maté, 1951) aux futurs Armageddon ou Deep impact. _J.M.
Pourquoi ces images-là, pourquoi ce paradigme de la fin simultanée du film et du monde (écran noir de Melancholia, écran blanc de 4h44, rues désertées du Dernier Rivage) sont-ils si rares, si le genre est si prolixe ? Pourquoi, songeant à ce genre, voit-on plutôt revenir d’autres images, images d’enfants de tous les pays courant dans les couloirs d’un montage parallèle célébrant la victoire sur l’apocalypse, images de Présidents américains discourant devant une audience tremblante d’émotion, images, en somme, d’une planète sauvée ? Il y a à cela une autre explication que la seule autorité
©RDA/BCA
Dead in the USA
La Fin du monde d’Abel Gance
www.mk2.com
73
la fin du monde
3 questions à
Peter Szendy auteur de L’Apocalypse cin éma (Capricci, disponible)
©RDA/BCA
Quelle est la genèse de votre livre ? Melancholia a été un déclencheur. Le film de Lars von Trier est exemplaire : la fin du monde, c’est la fin du film. Il parle également de l’expérience du cinéma : un monde s’écroule toujours au générique. Le film affirme « Je suis le dernier, après moi plus rien n’est possible ». Heureusement, il y a toujours de l’ironie chez Lars von Trier.
Le Dernier rivage de Stanley Kramer
du happy end. C’est que, comme genre spécifiquement américain – à de rares exceptions près – , le cinéma de l’apocalypse ne s’intéresse, au fond, pas tant que ça à la fin. C’est même tout le contraire : de la SF des années 1950 aux orgies pyrotechniques de Roland Emmerich, la fin du monde, pour Hollywood, c’est le commencement de l’Amérique – ou plutôt : son recommencement. Avec le cinéma de l’apocalypse se joue et se rejoue un scénario mythologique qui jadis fut la chasse gardée du western et qui figure sans relâche le fond d’utopie sur lequel l’Amérique a posé ses fondations.
C’ était mieux demain Qu’est-ce que l’Amérique, de quoi est-elle née ? En matière d’apocalypse, c’est la seule question qui intéresse Hollywood. Dans Independence Day (1996), la charge victorieuse contre les aliens n’est évidemment pas donnée un 4 juillet par hasard : il s’agit moins de repousser le futur annoncé par les soucoupes volantes que de rejouer la geste des Patriots. À ce détail près qu’ici (dans un discours inénarrable prononcé par Bill Pullman en Président-pilote), la fête de l’Indépendance est promue fête mondiale, concrétisant la « destinée manifeste » d’une Amérique mythologiquement vouée à l’expansion de son modèle – cette way of life à laquelle se réfère un autre Président américain, joué cette fois par Morgan Freeman, dans Deep Impact (1998). De même que, dans Armageddon (1998), les deux navettes parties dévier la trajectoire de l’astéroïde fatal s’appellent respectivement Freedom et Independence. Ou que le personnage joué par Dennis Quaid dans Le Jour d’après (2004) se transforme en trappeur, traversant pour sauver son fils un espace redevenu sauvage qui fait de lui l’héritier des pionniers. Image retrouvée des origines de l’Amérique, tout comme celle de cette modeste colonie sur laquelle se referme la dernière adaptation de Je suis une légende (2007). 74
hiver 2012-2013
Y a-t-il toujours eu des films apocalyptiques ? On considère le film d’Abel Gance La Fin du monde (1931) comme le premier film apocalyptique. Ensuite, Fritz Lang invente le compte à rebours, cette notion du « attention, ça va finir ». Il y a quelque chose dans le temps du cinéma lié à l’obsession de la fin. Le cinéma ouvre et referme un monde, plus que les autres arts : à l’origine, l’horizon du film, c’est le déroulement de la pellicule jusqu’à la fin de la bobine. Après le film apocalyptique, Lars von Trier tourne un porno, Nymphomaniac… Est-ce significatif ? Ce qu’il y a de commun entre l’apocalypse et le porno, c’est la question de l’invisible. Dans le genre apocalyptique, le film s’appuie sur l’invisible tout en le différant. Dans le porno, on veut tout montrer, mais le genre bute sur ce qu’on ne montrera jamais. Dans Docteur Folamour de Kubrick, le moment de l’apocalypse est présenté comme un moment de jouissance ! _Propos recueillis par Laura Tuillier
Rêvant d’apocalypse, Hollywood ne filme pas la fin de l’histoire, mais l’histoire qui recommence, sous forme de purge : la fin du monde, ici, ne s’invite que pour sonner le rappel du mythe et lui ouvrir un chemin pour rejoindre le contemporain. Toujours, il s’agit de retrouver une Amérique perdue de vue, noyée dans les mirages du progrès, et de sceller à nouveau le pacte que les colons puritains ont cru, il y a près de quatre siècles, sceller avec Dieu. L’eschatologie dont Hollywood semble si friand ne fait sens que rapportée à cette histoire-là, celle de la « cité sur la colline », l’utopie sur laquelle repose tout le mythe américain. L’apocalypse n’y est que la promesse d’une table rase, d’un « nouveau monde », à bâtir parmi les débris de l’ancien. Ce circuit mythologique est au cœur d’un film comme 2012 (2009) où, avec une limpidité presque comique, les survivants de la prédiction maya finissent par embarquer sur un navire mi-arche de Noé, mi-Mayflower. Mais c’est Take Shelter, film plus modeste et plus beau, qui en a livré cette année la synthèse la plus fine, en retenant l’essentiel : en Amérique, la fin du monde est d’abord un fantasme – c’est-à-dire un désir. ♦
la fin du monde
apocalypse How? les différents types de fin du monde au cinéma _Par T.D. et É.R.
CA VA PÉTER! Cette fois, c’est la bonne : la planète et notre survie sont menacées. Mais les hommes sont-ils responsables du désastre qui s’annonce?
Contagion Un terrible mal ronge les cellules de tous les bipèdes. Mais sait-on d’où vient ce virus à première vue inarrêtable ?
oui
oui
non
Petits hommes verts, anciens astronautes, mégalithes vibrants ou mêmes robots intelligents : l’avenir se joue sans les humains. Faut-il leur faire confiance ?
Le virus en question est-il capable de faire muter l’humanité en affreux vampires ou en zombies (selon la mode du moment) gonflés à bloc ?
Vagues géantes, oiseaux qui s’effondrent, mère Nature a fondu un plomb. Mais ce dérèglement est-il dû à une invasion venue de loin ?
oui non
non
oui
non non
2012
Armageddon C’EST LA FIN? Non. L’humanité tout entière est vouée à la disparition face au pas de bol d’une trajectoire orbitale mal foutue, mais Bruce Willis est dans le film.
oui
Prometheus Lorsque ce sont visiteurs, virus et objets cosmiques qui veulent jouer au billard avec notre planète bleue, l’homme a-t-il un autre choix que la résignation ?
oui
je suis une légende Il en faut plus pour décourager un humain. Son instinct de survie (et le talent des scénaristes) semblent à même de garantir sa survie.
oui
non Wall-E
Il vous reste une infime chance de tenir debout, alors que tout s’effondre autour. La fin du monde devient la fin d’un monde.
Wall-E parvient à nous sauver de l’obésité. Mais si c’est un astéroïde qui menace, y a-t-il un chauve musclé pour nous tirer d’affaire ?
non C’EST LA FIN? C’est surtout un nouveau début. Le monde tel que nous l’avons connu n’est plus, mais la Terre est sauve. Vient le temps de l’adaptation.
la route
C’EST LA FIN? Oui. Extraterrestres furieux, collision avec une autre planète ou catastrophe nucléaire… peu importe. La partie est terminée.
Melancholia www.mk2.com
75
Š Nicolas Guerin
la fin du monde
76
hiver 2012-2013
4h44 la -fin la fin du monde du monde
Après avoir embrasé l’hiver précédent des ultimes feux du club de Go Go Tales, ABEL ERRARA revient à point nommé pour la fin du monde avec 4h44 – Dernier jour sur F Terre. Dans ce film apocalyptique de poche, un couple vit sa dernière journée dans un loft new-yorkais. La sortie du film, quelques jours avant la fin du monde inscrite dans le calendrier maya, donne l’occasion d’une rencontre avec le réalisateur qui, même converti au bouddhisme et au thé vert, n’en reste pas moins endiablé. _Propos recueillis par Laura Tuillier
A
bel Ferrara : non seulement une grosse poignée de films cultes (de King of New York à Bad Lieutenant, de New Rose Hotel à Go Go Tales), mais aussi une réputation sulfureuse d’héroïnomane allumé, de très sale gosse du cinéma indépendant made in New York. 4h44 – Dernier jour sur Terre met en scène Cisco (Willem Dafoe), ex-junkie toujours paumé, et Skye (Shanyn Leigh, la compagne et muse du cinéaste), peintre et bouddhiste résolue, dans un huis clos minimal. Le film enregistre d’un beau mouvement l’extinction du monde comme mort simultanée de différentes imageries : l’humanité, le couple, l’individu, omniprésents sur les écrans qui tapissent le loft – télévision, ordinateur, tablette et portable – mais toujours fuyants, incertains.
En guise d’intro, Shanyn Leigh me montre une vidéo trouvée sur YouTube, dans laquelle une vieille dame donne son avis sur l’apocalypse à venir le 21 décembre prochain. Abel Ferrara me propose quant à lui un verre de vin. « Moi, je ne bois plus… », précise-t-il, avant de me faire signe d’un clin d’œil que nous pouvons commencer l’entretien. Vous avez écrit le scénario de 4h44 tout seul. Comment les idées vous viennent-elles ?
C’est une bonne question. Et toi ? Ha ha, oui, moi aussi je vais au cinéma, je vois des mauvais films et j’ai
de bonnes idées. C’est ce que Kubrick disait, d’ailleurs. C’est pour ça que les gens me disent parfois « J’aime vos films, ils sont si mauvais ! ». Je ne sais jamais comment je trouve mes idées, mais lorsque j’en tiens une, je le sais. Peut-être faut-il simplement être ouvert, discuter avec les gens. Mais je ne pense pas qu’une idée puisse être complètement la tienne. Une fois, j’ai fait un film de vampires, et il y en avait cinq autres qui sortaient au même moment. Maintenant, c’est pareil pour les films de fin du monde ! La fin du monde, justement : vous y croyez ?
Au départ, j’ai réfléchi à la fin du monde parce que je soutenais Al Gore et son combat contre le réchauffement climatique. Super, très bien. Mais mon film n’est pas tellement sur la fin du monde, finalement. Je suis allé demander l’avis d’amis scientifiques, mais ça ne servait à rien, eux-mêmes me l’ont dit. Je ne fais pas de la physique, tout ça c’est une métaphore. Tout le monde va mourir et tout le monde le sait. Ça peut être tout à l’heure ou dans cent ans. Ce qu’il faut, c’est trouver du sens à tout ça. Moi, je suis bouddhiste, je ne crois pas à la mort. La destruction du corps, d’accord, mais ton âme ne disparaîtra jamais, fais-moi confiance. Cisco, le personnage interprété par Willem Dafoe, semble traverser une crise existentielle…
Il essaye de mettre les choses en ordre mais il surprend www.mk2.com
77
la fin du monde
un homme qui saute de son balcon, ça le bouleverse. Ce mec symbolisait beaucoup de choses pour lui, c’est pour ça qu’il empêche les voisins de le toucher. C’est son mort. Il commence alors à penser au temps, à la mort, il songe à se suicider. Mais n’oublions pas que c’est un ex-junkie. Lorsque tu prends de l’héroïne, tu te suicides à petit feu. Cisco hésite à replonger, ce qui l’isolerait de Skye. Mais il a l’air de tenir à leur histoire, il a l’air de tenir à sa fille, il a même l’air de tenir à son ex-femme. Il est paumé, on ne sait pas ce à quoi il tient vraiment. Et ne compte pas sur Willem pour rendre les choses claires ! C’est un mec compliqué… Comment travaillez-vous avec lui ?
Je lui ai envoyé quatre ou cinq pages avec mes idées pour 4h44. Il m’a répondu qu’il trouvait ça bien, alors que souvent je lui envoie des trucs et il me dit qu’il n’aime pas du tout. Aujourd’hui, je peux dire de lui : c’est mon acteur, c’est mon pote. On se connaît bien, on est proches. Alors une fois qu’il me dit oui, je fonce. Je lui montre mon travail au fur et à mesure, il me fait ses commentaires, « Ça, j’aime », « Ça, j’aime pas ». Je bosse comme ça avec beaucoup de gens : Shanyn, forcément, mais aussi le chef op’, le monteur. On a un fonctionnement organique, on avance tous ensemble vers le film à venir. Je n’aime pas les scénarios parfaits, si tu as un scénar’ parfait, tu n’as qu’à le publier, pas la peine d’en faire un film ! Le personnage de Skye, au contraire, semble bien plus calme. Au moins au début du film…
Skye est sûre d’elle, de ses croyances. Elle est boud dhiste, elle sait qu’elle va débuter une nouvelle vie. Cisco ne sait pas du tout où il en est. Il essaye de joindre sa fille, se dispute avec son ex, va voir ses potes, hésite à se droguer, il fait n’importe quoi. Et lorsque la fin du monde arrive, qu’est ce qu’il est en train de faire ? Il observe les fenêtres de ses voisins… Heureusement qu’il se reprend et finit dans les bras de Skye. Elle est beaucoup plus sage que lui. 78
hiver 2012-2013
« Je n’aime pas les scénarios parfaits, si tu as un scénar’ parfait, tu n’as qu’à le publier, pas la peine d’en faire un film ! » Pourquoi tant d’écrans dans l’appartement de Cisco et Skye ?
Comme dans nos vies ! Tout le monde filme, tout le monde enregistre, tout le monde garde des traces. Les images sont accessibles de façon instantanée, je peux voir qui je veux n’importe quand grâce à un écran. Mais il faut se méfier, l’accès à l’information ne veut pas dire l’accès à la vérité. En ce qui me concerne, j’ai dû mettre fin à mon addiction à Internet. Tout est une question d’usage. Il faut y faire attention. Je te raconte un truc : lorsque Sandy s’est abattu sur New York, l’électricité a été coupée, après douze heures, les gens sont devenus fous. Il y avait un magasin qui émettait encore du wifi. Une foule énorme était massée tout autour, à tenir leurs téléphones à bout de bras pour capter. C’est dingue. Étiez-vous à New York la nuit de l’ouragan ?
Non, je vis en Italie, je n’aime pas trop New York en ce moment. Comment avez-vous vécu le fait de tourner en huis clos ?
Je n’ai pas eu l’impression de tourner dans un endroit unique. D’abord, il y a l’espace de Skye, avec ses tableaux, et l’espace de Cisco, avec son ordi et puis son balcon. Et la cuisine. Et l’extérieur, avec le pont
la fin du monde
de Williamsburg. Ça nous fait déjà cinq endroits différents. Et quand on tourne de nuit, c’est comme si on changeait complètement de décor. Mais je ne te cache pas que lorsqu’on a tourné les scènes d’extérieur tout le monde était content. Comment vous entendez-vous avec Ken Kelsch, votre chef opérateur ?
« lorsque Sandy s’est abattu sur New York, l’électricité a été coupée ; après douze heures, les gens sont devenus fous. »
C’est bien simple, on ne s’entend sur rien ! Le tournage est une zone de combat. Tu as vu Apocalypse Now ? Bon, ben ce mec était comme Marlon Brando pendant la guerre du Viêtnam, c’était un tueur. Il s’en est sorti, mais c’est un guerrier. Et puis il est grand, il ne voit pas les mêmes choses que moi. Moi je place ma caméra pile ici, en face de ton visage. Lui, il filme de haut. Bref, on n’est d’accord sur rien. Mais je dois reconnaître que ce mec sait faire un film. Et j’ai besoin de ça…
le casting sait qu’il doit plus jamais essayer de jouer au plus malin avec moi… Enfin bon, résultat, Cisco et Skye commandent du fast-food vietnamien au lieu de chinois, on retombe sur nos pieds.
Voulez-vous dire que les tournages sont toujours des moments difficiles ?
Lorsque vous avez découvert les images en salle de montage, qu’en avez-vous pensé ?
Ah ça oui ! Tu as déjà été sur un tournage ? Petite ou grande équipe, c’est pareil. Y a toujours un mec qui ne se pointe pas, l’ascenseur qui tombe en panne, un projo qui prend feu… J’ai l’impression d’être au milieu d’une bataille. Les gars avec qui je bosse sont brillants, ce ne sont pas des « yes men ». Mais c’est de la folie. Sur 4h44, le wifi ne marchait pas. Tu t’imagines ? J’ai failli tuer tout le monde. Mec, c’est un film qui parle d’Internet, je veux entendre le bruit que fait Skype quand tu lances le programme. Je ne veux pas gérer ça en postproduction ! (Shanyn Leigh propose une soupe à Abel Ferrara, qui refuse, préférant une gorgée de Perrier, prise au goulot.) Je te donne un autre exemple. Pour le livreur de fast-food, je cherchais un Chinois. Problème : les acteurs chinois de New York sont tous immenses et super beaux. Donc ça ne va pas, je ne fais pas un casting pour une équipe de basketball. Finalement, on me trouve un mec parfait pour le rôle. Et je me rends compte ensuite qu’il n’est pas chinois mais vietnamien ! Le mec qui a fait
Je n’ai pas du tout aimé, je me demandais comment j’allais pouvoir en tirer un film. Quand même, maintenant, j’aime bien. Mais je n’ai pas encore réussi ce que je pense pouvoir être possible avec le numérique : filmer les rêves, filmer en état de rêve. Pourquoi avoir décider de situer la fin du monde à 4h44 précisément ?
À New York, si tu vis la nuit et si rien n’est encore arrivé à 4h44, tu sais que tu as perdu ta nuit. Peut importe ce que tu cherches, amour, drogue, expériences, si tu ne l’as pas trouvé à 4h44, rentre chez toi. Être dehors à cette heure-là, c’est terrible, c’est l’heure du loup, la plus effrayante, la plus froide, l’heure juste avant le jour. ♦ 4h4 4 – Dernier jour sur Terre d’Abel Ferrara Avec : Willem Dafoe, Shanyn Leigh… Distribution : Capricci Durée : 1h22 Sor tie : 19 décembre
www.mk2.com
79
la fin du monde
TERRE! Poser le pied dans ces marais, c’est s’enfoncer jusqu’au coup de grâce et de grande classe asséné par BENH ZEITLIN. Les Bêtes du Sud sauvage est son premier film, l’épique rond dans l’eau d’un père et de sa fille entre les terres détrempées du bayou. Une comptine hurlée avec la passion violente des gorges ivres des rades de Louisiane. Film sur l’amour paternel, survival sans horreur, rêve d’enfant à la Peter Pan… D’une rive à l’autre sans dérive, voici la fin d’un monde qui se voulait hors du monde. _Par Étienne Rouillon (Propos recueillis par Clémentine Gallot)
C’
est pendant le dernier festival de Cannes, un gros déluge. Trempés face au réalisateur Benh Zeitlin et ses deux acteurs : une petite fille détonnante (Quvenzhané Wallis, qui joue le rôle de Hushpuppy) et un grand gaillard avec un bagou dément (Dwight Henry, qui joue le rôle du père, Wink). Clémentine fait l’interview, moi je n’ai pas encore vu le film, je fais le caméraman. Dans l’écran de contrôle de la GoPro, je vois sourire Benh Zeitlin. La tête d’un type de tout juste trente ans qui agrippe son auditeur par ce mélange de simplicité timide et de verbe bien structuré. Pourtant, dans la prise micro, ça part dans tous les sens : un bidonville en proie à un ouragan destructeur, l’isolement d’une communauté de marginaux aux portes de la ville, l’amour d’un père malade pour sa fille, qui elle recherche sa mère, mais aussi des aurochs millénaires libérés des glaces du Pôle Nord, des voitures sur l’eau et une maison déguisée en porc-épic. Présenté comme ça, Les Bêtes du Sud sauvage, on dirait Brazil à La Nouvelle-Orléans. En plus c’est un premier film, ça doit être le boxon, son truc. Quelques jours plus tard, à deux cents mètres et toujours sous la flotte, Benh Zeitlin remporte la Caméra d’Or au festival de Cannes.
80
hiver 2012-2013
Quelques mois plus tard, c’est Barack Obama qui conseille le film aux potes. Mais Les Bêtes du Sud sauvage n’est pas un film post-Katrina (2005), tout submergé qu’il soit par la misère sociale et l’abandon des structures de l’État dans une zone libre de se mourir comme elle l’entend. Zeitlin précise : « Ce n’est pas un film à propos de cet ouragan. J’ai commencé à l’écrire après les ouragans Gustav et Ike (septembre 2008 – ndlr). L’ambiance à La Nouvelle-Orléans avait changé, on avait l’impression de vivre une perpétuelle tempête. Dorénavant, chaque année, il y aurait une évacuation, un nouvel orage. C’est ça le point de départ du film, cette nouvelle réalité. Le scénario est inspiré par des îles au sud de La Nouvelle-Orléans, au-delà des routes. Il y en a une qui a été coupée de tout par les voies rapides. Cette île est constamment submergée par les eaux. Il y avait beaucoup de familles autosuffisantes qui vivaient là-bas, et en quarante ans la population a chuté, le terrain est grignoté petit à petit. Les gens voient leurs maisons dépérir devant leurs yeux. Le film parle de ça. »
Paratonnerre
Le film parle de tout ça. On éprouve un vertige épatant parce qu’on n’a absolument aucune idée de la direction
la fin du monde
La seule bouée à laquelle on s’accroche, c’est la conviction que benh zeitlin sait mener sa barque. que peut prendre le récit, au détour d’une tôle ondulée percée au cœur par un tronc d’arbre, d’une colère du paternel trahi par une poitrine malade, d’un attentat ubuesque contre une digue meurtrière. Ballottés comme des cadavres de poulets noyés sereins dans la tempête, la seule bouée à laquelle on s’accroche, c’est la conviction que Benh Zeitlin sait mener sa barque. Les échanges entre les personnages se font toujours dans un fracas indicible pour la jeune Hushpuppy, six ans, qui doit toucher terre chez les adultes. Eux ne l’aideront pas à sortir du bain. L’acteur Dwight Henry, qui joue son père, explique : « Mon personnage est mourant et sa fille ne le sait pas. Pour lui, c’est important qu’elle apprenne à survivre, elle qui n’a pas de maman. Souvent, dans le film, je lui crie dessus. Mais je ne l’engueule pas, je veux lui faire comprendre les choses. Que ça rentre. “Tu n’as pas besoin d’apprendre ces trucs pour t’éduquer, tu as besoin de les apprendre pour survivre !” Dans la région du Sud de la Louisiane c’est quelque chose que nous vivons réellement. » L’épopée se met alors en branle, le village d’irréductibles doit faire face à une tempête qui peut les emporter, Hushpuppy doit quant à elle faire face à un père qui ne la ménage en rien dans cette épreuve parce qu’il anticipe la suivante : sa mort. Benh Zeitlin reprend : « La relation père-fille vient de l’histoire de Lucy Alibar (coscénariste du film, qui est une adaptation de sa pièce Juicy and Delicious – ndlr), c’est presque autobiographique. Elle a grandi avec ce genre de père un peu dingue, mais un père très aimant. Je ne voulais pas faire du père de Hushpuppy un personnage trop facile à aimer du point de vue du spectateur. Le défi de Hushpuppy c’est
de rester aux cotés de ce père qui est incontrôlable. J’y ai trouvé un parallèle avec La Nouvelle-Orléans. C’est un endroit violent. Souvent les gens vous demandent : “Mais pourquoi vis-tu ici ? Pourquoi tu t’infliges ça ? Tire-toi !” Il y a effectivement trop d’alcool, trop de violence. Mais ce sont des conseils de parents inquiets pour leurs enfants. Moi, je leur réponds qu’en même temps il y a beaucoup d’amour là-bas. » Un film d’apprentissage où les leçons tombent comme la foudre, sans le paratonnerre d’un adulte. La figure paternaliste qui viendra violer cet équilibre c’est l’aide gouvernementale, tardive et absurde, qui met à quai cette traversée d’un village en solitaire. Benh Zeitlin conclut : « Je voulais mettre tellement de choses dans ce film… Des histoires multiples, parallèles. Le moment où tout cela s’est éclairci, c’est lorsque l’on a réalisé que tout devait venir du seul point de vue de Hushpuppy. Cette subjectivité donne une structure émotionnelle qui était plus importante qu’une structure narrative. Je voulais que le film soit un conte folk, une chanson folk. » Ah oui, encore un truc. La musique. Incroyable. Pas loin de la bande originale de L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (composée par Nick Cave). Une musique hors de contrôle, violente et aimante. Un souffle de bête indomptable qui hérisse de frissons. Une sorte de valse cajun avec des cuivres qui s’époumonent de joie, hurlant comme la vigie du haut du mât de la Pinta : « Terre ! Terre ! » ♦ Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin Avec : Quvenzhané Wallis, Dwight Henr y… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h32 Sor tie : 12 décembre
www.mk2.com
81
la fin du monde
Demain, c’est (plus très) loin Ça ressemble à de la science-fiction, et pourtant ce n’est pas du cinéma. Médecine, politique ou alimentation : scénarios des nouveaux mondes qui tapent à notre porte.
ALIMENTATION
CINÉMA
L’emballage à croquer
Le cinéma hybride
Que les gourmands imaginent : si l’on pouvait dévorer non seulement la tablette de chocolat mais également l’emballage qui va avec ? C’est le pari de WikiCell Designs, startup franco-américaine qui se propose de résoudre le problème des emballages (souvent en plastique non recyclable) en empaquetant les aliments dans une membrane colorée et consommable.
« Avec Gravity d’Alfonso Cuarón, on va constater que le jeu des acteurs sera de plus en plus capté non par une caméra mais par des technologies numériques. Et les comédiens seront véritablement le centre de la mise en scène, qui sera pensée a posteriori. Mais attention, pour le moment on en est au stade Méliès ! » Dixit Julien Dupuy, le monsieur technique de Trois Couleurs.
_L.T.
_L.T.
POLITIQUE
MÉDECINE
La vie aquatique
L’imprimante à organes
2013 ou le retour des utopies ? C’est ce que semble indiquer le projet mené par le Seasteading Institute et qui consiste à créer des cités flottantes. Au large des côtes pourraient ainsi vivre des communautés autonomes qui inventeraient de nouvelles façons de vivre ensemble. Huis clos infernal ou paradis politique, seul l’avenir nous le dira.
La société californienne Organovo a mis au point une machine capable d’imprimer des tissus humains en 3D. Une invention qui pourrait dans un futur proche pallier le manque d’organes. Mais en attendant de créer un cœur de toutes pièces, l’imprimante ne reproduit pour l’instant que de minuscules surfaces de peau destinées à la recherche pharmaceutique.
_L.T.
_T.D.
DÉSARMEMENT Le démineur roulant
L’Afghan Massoud Hassani a inventé une technique à la fois poétique et efficace pour déminer les terres meurtries par les conflits. En bâtons de bambou et ventouses biodégradables, ses démineurs sphériques roulent sur les mines et les détruisent, simplement aidés dans leur tâche par le vent. L’appel de fonds est lancé pour c ommencer la production. _L.T.
82
hiver 2012-2013
BIONIQUE
Les lentilles magiques
Prendre des photos avec son œil, afficher ses mails sur sa rétine : Google et Microsoft planchent sur des lunettes et lentilles intelligentes, telles qu’on a pu les voir dans le dernier Mission : impossible. Les deux géants ont en effet lancé des programmes de recherche pour développer des capteurs d’informations oculaires. Avis aux agents secrets. _L.T.
www.mk2.com
83
©Maxime Bruno
la fin du monde
Bérénice Béjo dans Aujourd’hui de Nicolas Saada
LE JOUR OÙ LA TERRE S’ARRÊTA Les réalisateurs NICOLAS SAADA (Espion(s)) et BENOÎT DELÉPINE (Le Grand Soir) ont donné leur vision de l’apocalypse dans deux courts métrages diffusés cet hiver dans le cadre d’un cycle « Fin du monde » sur Ciné+. Nous étions sur les tournages de ces débuts de la fin. _Par Adrien Genoudet et Étienne Rouillon
JOUR 1 Ce matin, le parvis de la Bibliothèque Nationale de France a des airs de sanctuaire, dans la veine de celui de Bugarach et sa légende qui veut que ce village concentre les reliques du savoir de l’humanité, gage de la survie du lieu après le cataclysme annoncé du 21 décembre. La BNF a aussi des airs de frigo avec bac de congélation, alors c’est sous bonne protection du combo bonnet, cacheoreilles et doudoune bien fermée que Nicolas Saada explique, tout en battant le plancher où l’on répète un mouvement de travelling : « Cette fin du monde à la BNF, c’est aussi l’idée que la fin, ce peut être la disparition de notre savoir. J’étais stimulé par le fait qu’un travail de commande pousse à se donner un cadre. Il y a deux manières de traiter le sujet : par l’allégorie ou par une approche plus directe de l’apocalypse. Je voulais faire un film de fin du monde qui ressemble à ce 84
hiver 2012-2013
qui me plaît dans le genre. J’ai fait ma liste : Cloverfield, La Guerre des Mondes, Le Monde, la chair et le Diable… »
Tragique de répétition
L’Armageddon selon Saada part d’un élément du quotidien, loin du cataclysme et pourtant porteur du cauchemar de l’annihilation totale : la sirène d’alarme du premier mercredi du mois. Et si, cette fois, cela sonnait pour de vrai ? Dans Aujourd’hui, on suit cette hypothèse paranoïaque et claustrophobe portée par Bérénice Bejo. Le visage du prophète par qui vient la fin est celui du cinéaste Frederick Wiseman, inattendu acteur pour l’occasion. Nicolas Saada poursuit : « Je me suis inspiré d’un mélange de l’Ancien Testament, du Nouveau Testament et aussi des textes apocryphes. Ce qui m’a marqué dans ce qu’ils disent de l’apocalypse
et du Jugement dernier, c’est que l’idée de la fin du monde est indissociable de celle du châtiment. Un châtiment amené à se répéter dans l’histoire. Ce n’est donc pas une fin en soi, c’est le début d’autre chose. La découverte des camps de concentration, le 11-Septembre, ce sont des fins du monde. Autant de moments où l’homme se juge luimême. Hier, sur le tournage, l’un des acteurs jouait très bien une scène de panique, je lui ai dit : “On voit que tu as déjà vécu une ou plusieurs fins du monde !” »
JOUR 2
Nouvelle fin du monde une petite semaine plus tard. Au dernier étage des studios d’Aubervilliers, la terrasse est fouettée par le vent frais de novembre. Le ciel, qui inspire un tableau de fin des temps, est tacheté d’éclats rouges et oranges, de nuages noirs et blancs ; une bichromie qui va bien au court métrage
www.mk2.com
85
on est frappé par une atmosphère d’imminence ; celle du tournage d’un plan-séquence et d’une apocalypse, assurée, attendue. de Benoît Delépine. Sur le plateau, une atmosphère d’imminence frappe le visiteur ; celle du tournage d’un plan-séquence et d’une apocalypse, assurée, attendue. Le réalisateur scrute le ciel à travers ses lunettes fumées. Dans un sourire, il murmure : « Ça serait bien qu’une mouette rentre dans le cadre. » L’équipe se marre. Dans le champ, un mur, personnage principal. Delépine déploie le scenario : « L’idée, c’est une panique de guerre mondiale, et un groupe d’artistes qui intervient pour laisser une trace dans l’histoire. Un acte artistique ultime. » Une trace, l’essence du pitch de ce film d’environ trois minutes, tourné en 16 mm, où des personnages fuient l’approche de la fin du monde. Seul un groupe de seize danseurs, conduit par le chorégraphe Philippe Decouflé, vient figurer contre ce mur, blanc comme un écran de cinéma, les lettres « T.H.E. E.N.D. ».
Chambre noire de Hiroshima
« C’est l’idée d’une dernière trace, il y a quelque chose d’un peu désespéré », glisse Philippe Decouflé,
86
hiver 2012-2013
©Daniel Bardou
la fin du monde
Enfin la fin de Benoît Delépine
heureux de travailler avec l’auteur de Groland. « C’est une forme de dernier film », résume Delépine, qui s’est inspiré des corps imprimés contre les murs lors de la déflagration atomique de Hiroshima. La trace cinématographique comme contrepied à la fin d’un monde, celle déjà esquissée dans Le Grand Soir, réalisé avec Gustave Kervern en 2011. « S’il y avait une fin du monde, j’imagine plutôt un bug informatique avec les missiles russes ou américains. » Action. La fin du monde s’ébranle, les danseurs et les figurants entrent dans le cadre. La bruine qui tombe semble jouer son rôle de pluie acide. Soudain, comme si le cinéaste devenait le seul démiurge, une mouette apparaît au loin. On la regarde voleter le long des frontières invisibles du cadre. Poussée par le vent, elle entre dans le champ. Delépine sourit mystérieusement. « Il est fort, hein ? », nous glisse son assistant. L’apparition d’un missile russe fendant le ciel n’aurait fait s ourciller personne. ♦ Aujourd’hui de Nicolas Saada et Enfin la fin de Benoî t Delépine (MK 2) Cour ts métrages projetés en avant-séance dans le réseau MK 2
Le fin du fin sur Ciné+ La fin du monde ? Ce n’est que du cinéma, et souvent du bon. Pour se rassurer et s’en convaincre, une programmation apocalyptique fait trembler les chaînes de Ciné+, du 16 novembre 2012 au 16 janvier 2013. Outre les deux courts métrages de Benoit Delépine et de Nicolas Saada, on pourra frissonner devant deux documentaires, un docufiction et pas moins de dix films phares du genre apocalyptique, avec entre autres La Route, Deep Impact, Sunshine, Les Fils de l’homme, Mad Max 3 et World Invasion: Battle Los Angeles. Point d’orgue de ce cycle : une nuit spéciale le 21 décembre, au moment même où tout doit sauter. _A.S.
www.mk2.com
87
VALÉRIE LEMERCIER
Dans Main dans la main, une romance pop signée Valérie Donzelli (La Reine des pommes, La guerre est déclarée), VALÉRIE LEMERCIER ravale ses rires pour exploser en larmes dans le rôle d’une éminente professeure de danse de l’Opéra de Paris. Une expérience initiatique pour cette actrice solaire à l’énergie enfantine, prise dans un pas de deux en fusion avec Jérémie Elkaïm. Rencontre.
© Jean Claude Moireau
_Par Ève Beauvallet
88
Jérémie Elkaïm et Valérie Lemercier dans Main dans la main de Valérie Donzelli
hiver 2012-2013
© Jean Claude Moireau
« NON SEULEMENT JE NE SAIS PAS PLEURER AU CINÉMA, MAIS ÇA M’INSUPPORTE. LÀ, RIEN N’ÉTAIT ÉCRIT, ET JE PLEURAIS SANS PROBLÈME. »
L
es vannes aristo-trash, le pedigree MoutonRothschild twisté à un rire de fond de calbute… Pas pour cette fois. On était prévenus : dans Main dans la main, le nouveau Donzelli, on ne verra pas Valérie dans le rôle de Lemercier. Enfin, pas tout à fait. La voix cent pour cent caviar est toujours là, le blason BCBG aussi, mais le registre a bougé. Un rôle de Parisienne speed et chic, tout en sanglots refoulés, un parfait mix de froideur et de candeur enfantine qui finit par s’abandonner aux regards félins de Jérémie Elkaïm… Avec le personnage d’Hélène Marchal – un rôle taillé sur mesure pour elle par Valérie Donzelli –, l’humoriste se positionne loin, très loin de ce « rire gratuit et libérateur, ce rire très pipi-caca » dont elle est, depuis vingt-cinq ans, l’ambassadrice grand luxe. Main dans la main est pour elle un pas de côté inédit avant sa prochaine comédie, 100 % cachemire, dont elle termine le montage. Un peu son Tchao pantin, en somme, hésite-t-on à plaisanter alors qu’on la retrouve dans le bar d’un hôtel parisien.
Profonde et attentive, elle nous explique qu’aucun réalisateur ne lui avait jamais suggéré ce genre de figure acrobatique. Elle-même ne l’aurait pas tentée seule, puisque « habituellement, j’adore en faire des caisses. C’est la démesure comique qui me procure le plus de plaisir. » D’ailleurs, la dernière fois qu’elle s’est aventurée vers des contrées plus dramatiques, les spectateurs s’étaient bien marrés : « La première pièce dans laquelle j’ai jouée, c’était La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca (pas franchement une comédie – ndlr). Je jouais la sœur aînée, qui s’appelle Angustias – qui veut dire “angoisse”, vous voyez l’idée ? –, et les gens riaient… Alors que, vraiment, je ne voulais pas provoquer ces rires ! C’est parfois les gens qui tentent d’être sérieux qui sont les plus drôles. » Peut-être, mais pas cette fois. Car la trop rigide Hélène Marchal prête peut-être à sourire dans les premières séquences du film, lorsqu’elle rencontre son strict opposé – un jeune miroitier de province (Jérémie Elkaïm) à qui elle devient, par enchantement, physiquement et littéralement liée, chacun ne pouvant s’empêcher de bouger à l’unisson de l’autre. Mais les accents comiques disparaissent à mesure que la fantaisie flûtée du début se meut en drame autrement plus intérieur. On découvre alors une Lemercier fragile
comme une porcelaine fissurée. Le genre d’objet précieux, à la fois racé et mélancolique, qui peut facilement se briser en larmes sur le parquet. « Et pourtant, je ne sais pas pleurer au cinéma. Quand je lis “elle pleure” dans un scénario, je ne peux pas. Non seulement je ne sais pas, mais je ne veux pas, ça m’insupporte ! Là, rien n’était écrit, et je pleurais sans problème. » Une grande première pour Lemercier, qui confie avoir été vraiment troublée par ce « grand fond de tristesse » qu’elle dégage à l’écran. Une tristesse qu’elle n’a pas du tout dans la vie, insiste-t-elle, au cas où quelqu’un comptait sortir la carte « clown triste ». On préfère alors brandir la carte « danse », un milieu dans lequel elle virevolte avec passion depuis ses 28 ans et qui l’excite presque davantage qu’un sketch bien calibré : « J’ai commencé la danse au moment où les carrières de danseurs s’arrêtent souvent… Alors non, je n’ai jamais pensé m’y consacrer entièrement, répond-elle. En tout cas, pas en tant que professeur de danse. Regardez mon personnage ! C’est quelqu’un qui a été dans la discipline toute sa vie, qui n’a eu de la danse que les mauvais côtés, sans toucher au plaisir d’être sur scène. » Dans Main dans la main, Lemercier impressionne par son maintien altier, son corps élancé et ses mouvements d’une grâce folle, dignes d’une ballerine. « C’est à la danse que je dois mes plus grandes émotions esthétiques. À des chorégraphes comme William Forsythe, par exemple, ou Pina Bausch (dont on voit un extrait d’une des chorég raphies, interprétée par Jérémie Elkaïm – ndlr) » Passionnée, elle parle volontiers de sa déférence envers les danseurs, des professionnels « d’une grande humilité », sans « ce côté capricieux, enfant gâté que peuvent avoir les acteurs. Ils savent parfaitement se mettre “au service de”. » Le genre de docilité qu’elle estime d’ailleurs avoir adopté pour le tournage de Main dans la main, sur lequel elle dit s’être laissé manipuler « comme une marionnette. En même temps, c’est la première fois que j’arrive sur un tournage sans savoir, à ce point, ce que je dois faire. Je me suis complètement abandonnée, comme une enfant. » Valsez jeunesse. ♦ Main dans la main de Valérie Donzelli Avec : Valérie Lemercier, Jérémie Elkaïm… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h25 Sor tie : 19 décembre
www.mk2.com
89
90
hiver 2012-2013
www.mk2.com
91
LE STORE
LOMO SAPIENS
Bizarrement, la lomographie n’est ni un procédé ni un courant photographique venus d’une époque soigneusement vintage. C’est seulement au début des années 1990 que deux étudiants viennois mettent la main sur un vieux boîtier russe qui prend des photos chelous, avec vignettage outrancier et saturation des couleurs. Persuadés de tenir un genre esthétique en puissance, ils relancent la production en Russie. Un succès décliné depuis en plusieurs modèles, comme ce Diana au format mini et sa péloche 35 mm. _É.R. Diana Mini, Lomography, disponible au Store du MK 2 Bibliothèque
www.mk2.com
93
en vitrine
AGNÈS DE 11 À 13
Comme elle filmait en temps réel le trajet d’une jeune femme dans Cléo de 5 à 7, on a suivi pendant deux heures AGNÈS VARDA, entre sa salle de montage et sa maison de production rue Daguerre. Pour la sortie de « Tout(e) Varda », un coffret DVD de l’intégrale de son œuvre, elle nous a parlé de ses trois vies, comme un chat en a sept. _Par Quentin Grosset
DR
Chez Agnès Varda, les souvenirs courtcircuitent les films, aplanissant le temps dans un méli-mélo d’images vécues ou filmées. Ludiques, fragmentées, toujours en mouvement, ses œuvres recomposent sa triple vie de photographe, de cinéaste et de plasticienne dans un puzzle continuellement Documenteur en construction. Un matin de novembre, dans son XIVe arrondissement, rue Daguerre, où elle On est venu lui apporter habite depuis 1951, on est venu lui apporter un un gratin de côtes de blettes, gratin de côtes de blettes, selon la recette qu’elle selon la recette qu’elle avait avait délicieusement glissée dans une pochette glissée dans son coffret DVD. surprise cousue de fil rouge, accompagnant un coffret de vingt-deux DVD avec vingt longs, de l’autre. Aujourd’hui, sur les lieux du tournage seize courts ainsi que plein de « boni » menteurs de Daguerréotypes (1975), où elle interrogeait (menteurs car ce sont des petites œuvres en soi). ses voisins commerçants sur leurs rêves, Agnès s’est entourée de jeunes gens qui s’occupent de Agnès de 11h20 à 11h35 la vie de ses films et de ceux de Demy. Ils nous Dans la petite maisonnette rose où elle loge indiquent la salle de montage qui fait aussi bou– à côté de la maison de production et de dis- tique, de l’autre côté de la rue, où Agnès prépare tribution Ciné-Tamaris –, elle a vécu près de son prochain projet. son mari, Jacques Demy, le réalisateur enchanteur des Parapluies de Cherbourg, disparu Agnès de 11h36 à 11h57 en 1990. Deux grands cinéastes vivant côte à On lui offre le gratin, même s’il n’a pas l’air côte, collaborant peu mais respectant le travail réussi – c’était la première fois qu’on achetait
La Pointe Courte (1954)
Après avoir commencé une carrière de photographe, Agnès situe son premier long métrage dans un village près de Sète. Philippe Noiret et Silvia Monfort y incarnent un couple sur le point de se séparer, au milieu de pêcheurs filmés dans leurs gestes quotidiens.
94
hiver 2012-2013
Cléo de 5 à 7 (19 61)
Le Bonheur (1964)
Temps réel ou subjectif, c’est selon, mais quatre-vingt-dix minutes angoissées ou enjouées de la vie de Cléo, jeune chanteuse qui attend les résultats d’une analyse médicale. Une promenade parisienne, de la rue de Rivoli à la Pitié-Salpêtrière, emblématique de la Nouvelle Vague.
Un menuisier aime sa femme, puis aime une autre femme qui lui ressemble. Il ne se cache pas, il ne se prive pas, il ne ment pas. Comme dans un tableau impressionniste, la lumière et les couleurs de l’été renvoient le sentiment d’un bonheur toujours fragile.
« Chaque film est un moment de rencontre dans l’espace, et puis ça disparaît. Il y a le tempo du souvenir, le tempo du présent. Ça sautille, ça voltige. » « Cette patate difforme que j’avais trouvée deux jours après avoir commencé le tournage, c’était un monstre pour les coopératives, mais pour moi, une conduite à tenir puisque la patate modeste avait la forme d’un cœur. Je m’intéresse à tout ce qui est hors format : ces propos de glaneurs, ce n’étaient pas des paroles de pauvres parlant à une dame sympathique, mais c’étaient des paroles sur la société. »
Agnès de 11h58 à 12h12
des blettes et qu’on cuisinait une béchamel. « Quelle bonne idée, on le goûtera avec toute l’équipe vers midi et demi. C’est drôle, cette recette était une boutade. Pour la pochette surprise qui allège le poids du coffret, j’avais d’abord pensé à un inventaire à la Prévert, et je voulais y insérer un raton laveur, mais je ne suis pas taxidermiste… Merci pour votre cadeau. J’en reçois beaucoup, par exemple dans ma boîte aux lettres, notamment des patates en forme de cœur, qui furent l’âme de mon film Les Glaneurs et la Glaneuse. » Avec ce documentaire sorti en 2000, la cinéaste a remis au goût du jour le mot « glaneur », à l’époque disparu du vocabulaire, et l’a adopté comme une conduite à suivre. Agnès Varda, c’est celle qui ramasse ce que les autres ont jeté pour en faire matière artistique.
Lions Love (… and Lies) (1969)
Un film hippie hollywoodien sur trois acteurs chevelus, échappés de la Factory de Warhol ou de la comédie musicale Hair, qui vivent en triangle amoureux et sont en voie de devenir des stars. Un film herbu, comme une page d’histoire américaine.
Elle nous montre un bouquet de roses fanées qu’elle trouve joli et que, du coup, on trouve joli aussi. Elle nous présente Nini, la petite chatte grise, et se tourne vers la table de montage où, sur l’écran, des sourires se superposent en fondu sur une étendue d’eau. « Ce sont les Bouchesdu-Rhône ! C’est le seul département qui prend le nom d’une partie du corps humain. Pour ma prochaine installation à Aix-en-Provence, fin janvier, il y aura un éclat de rire dans le fleuve. Maintenant, je fais des expositions où je combine vidéo, photo, cinéma parce que j’ai la possibilité d’aborder l’espace. » Il fait un peu froid, alors elle prend le pull vert de son monteur, le met comme un châle, puis s’assoit pour boire du thé fumé. Agnès a beaucoup bourlingué, rencontrant des sans-paroles ou les artistes qu’elle aime, comme lorsqu’elle filme, pour la série de portraits Agnès de ci de là Varda pour Arte, le cinéaste centenaire Manoel de Oliveira, qui s’amuse à imiter Charlot. À Los Angeles, elle a même réalisé plusieurs films, Lions Love (… and Lies) (1969), Mur Murs (1980) et Documenteur (1980) : « Dans les années 1967-68, j’étais là-bas avec Demy, qui tournait un beau film triste, Model Shop. Moi j’ai fait Lions Love (… and Lies) et un court sur les Black Panthers.
Daguerréotypes (1975)
Documenteur (1980)
Varda interroge les marchands de la rue Daguerre, dans le quartier Montparnasse, sur leurs rencontres, leurs rêves, leur commerce. Un documentaire sociologique dont on retient le très beau portrait de madame Chardon Bleu, commerçante secrète toujours à sa fenêtre.
Retour à Los Angeles pour suivre une Française exilée qui cherche un logement pour elle et son fils, joué par le tout jeune Mathieu Demy. Face à l’océan, la douleur s’exprime en creux, quand la caméra laisse advenir des instants hasardeux, mélancoliques et sans soleil.
www.mk2.com
95
en vitrine Agnès Varda dans la cour de sa maison rue Daguerre
Ça nous a vraiment réveillés du ronron français, mais nous avons manqué Mai 68, plus politique que ce que je tournais là-bas, l’Amérique sex and politics radicalement culottée et déculottée. Dix ans plus tard, j’ai réalisé Mur Murs et Documenteur, qui sont sortis en France chez MK2. »
Agnès de 12h13 à 12h37
Dans Lions Love (…and Lies), il y a un personnage, une réalisatrice, Shirley Clarke, qui dit qu’elle ne sait jamais si elle filme ou si elle est dans le film. On demande à Agnès si tous ces sujets glanés au fil de ses rencontres et inspirations ne dessineraient pas, en creux, son portrait. « Oui, peut-être, mais je dessine surtout les autres. Dans Sans toit ni loi, une magnifique Sandrine Bonnaire, qui avait 17 ans, jouait Mona. Son portrait était défini par ce que les gens disaient d’elle quand elle passait. Leurs opinions révélaient leur xénophobie, leur refus de la différence. Mona, c’était un “miroir sur la route”, comme Stendhal dit d’un personnage de roman. » Agnès s’arrête et demande qu’on fasse chauffer le gratin à plein feu pour que le fromage soit bien grillé.
96
Agnès de 12h38 à 13h02 On revient à la maison de production, en traversant la rue qu’elle a filmée en 1975. « Chaque film est un moment de rencontre dans l’espace, et puis ça disparaît. Pour un bonus de Daguerréotypes, j’ai refilmé la rue trente ans plus tard. De même, pour Cléo de 5 à 7, j’ai réuni dans ma cour les acteurs Corinne Marchand et Antoine Bourseiller, qui ne s’étaient jamais revus. Ce n’est pas un retour nostalgique, c’est simplement qu’il y a une continuité de la vie. Je crois que c’est exactement comme cela que je vois le temps passer. Il y a le tempo du souvenir, le tempo du présent. Ça sautille, ça voltige. » Place au gratin avec la joyeuse équipe de CinéTamaris. Ouf, ils ont l’air d’apprécier. Paille, la chatoune rousse du bureau, plante ses griffes dans le châle sur le dos d’Agnès pour s’accrocher, alors qu’elle boit une gorgée d’eau. On serait bien resté accroché plus de deux heures avec elle, nous aussi, parce qu’on l’aime de midi à minuit. ♦ Cof fret « Tout(e) Varda » Édition : Ciné-Tamaris Vidéo/Ar te Sor tie : disponible
Sans toit ni loi (1985)
Jacquot de Nantes (1991)
Les Plages d’Agnès (2008)
Mona (Sandrine Bonnaire), jeune révoltée insaisissable, a pris la route et a rencontré des habitants du Gard qui la rejetaient. « Elle est mignonne, elle pue et elle ne vous dira pas merci », était-il écrit sur l’affiche du film. « La prendriezvous dans votre voiture ? »
Varda reconstitue les souvenirs d’enfance de son mari Jacques Demy. À Nantes, l’évocation d’une vocation dans un garage où tout le monde chante. La cinéaste filme aussi son compagnon adulte, alors malade, avec une tendresse infinie.
Une autobiographie par le prisme du bord de mer qu’elle aime tant. Sète, Noirmoutier, Daguerre-plage… Des reflets de vagues où Agnès se dessine au travers des autres, revenant sur ses débuts de photographe, son engagement féministe, ses voyages ou sa vie de famille.
hiver 2012-2013
www.mk2.com
97
RUSH HOUR AVANT
Le film Renoir, plongezvous dans la biographie Jean Renoir Gilles Bourdos, en signant le film Renoir – présenté en clôture de la sélection Un certain regard à Cannes –, s’attelle à deux destins hors du commun : celui d’Auguste Renoir (Michel Bouquet, le bouc alerte) et celui de son fils, Jean, futur grand cinéaste et ici jeune soldat turbulent, incarné par l’incontournable Vincent Rottiers. Pour se plonger dans l’atmosphère de l’époque et s’offrir un bain cinéphile avant la projo, rien de tel que la biographie somme de Pascal Mérigeau, intitulée sobrement Jean Renoir. _A.S. Jean Renoir de Pascal Mérigeau (Flammarion) // Disponible Lire également p. 144
PENDANT
vos vacances de Noël, réchauffez-vous en regardant To Rome with Love de Woody Allen
APRÈS
le film Foxfire, révisez la théorie avec Penser la violence des femmes
Sorti cet été sur les écrans, la dernière comédie européenne du génie new yorkais a permis de retrouver, sous le soleil de la Ville Éternelle, les soucis eux aussi éternels d’un grand existentialiste. Et pour mieux profiter de ces chaleureuses scènes italiennes, parcourez la carrière du cinéaste, depuis ses années de télévision et de stand-up jusqu’aux meilleures scènes de ses films cultes, dans le documentaire réalisé par Robert B. Weide, Woody Allen – A Documentary. _A.G.
L’action violente des filles de Foxfire pour se soustraire aux rapports de domination en fait un rape and revenge movie. Coline Cardi et Geneviève Pruvost mettent quant à elles en lumière l’invisibilité d’une pensée de la violence féminine, conçue comme attribut masculin. Contre cette naturalisation, des chercheurs en questionnent les termes (« bad girls », « sorcières », « pétroleuses ») et interrogent émeutières, résistantes et terroristes du Pérou à l’Irlande. Bonus : un essai sur la féminité dans Terminator. _C.G.
To Rome with Love de Woody Allen ( TF1 Vidéo), en vente au Store du MK 2 Bibliothèque
Penser la violence des femmes de Coline Cardi et Geneviève Pruvost (La Découver te) // Disponible
Woody Allen – A Documentar y de Rober t B. Weide (Memento Films), en vente au Store du MK 2 Bibliothèque
Lire également p. 23
TROP APPS _Par A.G.
98
Languages Voici la nouvelle appli qui va faire rager les profs de langue. Plus besoin d’apprendre son vocabulaire : un mot rentré est instantanément traduit. Il suffit de télécharger les dictionnaires dont on a besoin. Simple d’accès et sur le bout de la langue.
La Tache Une tache de vin ? « Mets du sel ! » Cette appli permet de savoir comment laver toute tache en fonction du tissu. Plusieurs rubriques de lavage et types de taches pour entretenir au mieux ses vêtements. Quand l’iPhone remplace les conseils de maman.
Future Baby’s Face Au lieu d’envoyer « LOVE » par SMS, cette appli vous propose, à partir des deux photos des amoureux, de découvrir le visage de leur futur bébé (yeux, bouche…). On peut aussi s’amuser avec des célébrités. Drôle, intuitif, un bon moyen de contraception.
0,89 € // iPhone et iPod touch
Gratuit // iPhone, iPod touch et iPad
Gratuit // iPhone, iPod touch et iPad
hiver 2012-2013
©Twentieth Century Fox 2012
KIDS Heureux Pi comme Ulysse Dans L’Odyssée de Pi, fresque maritime et spirituelle d’ANG LEE en 3D, un ado et un tigre sont sur un bateau : qui tombe à l’eau ? _Par Clémentine Gallot
À Hollywood, la tradition veut que l’on évite de tourner avec des animaux ou sur l’eau. C’est pourtant à bord d’un cargo et avec toute une ménagerie que la famille de Pi (diminutif de son curieux prénom, Piscine Molitor, d’après le bassin parisien) déménage de l’Inde vers le Canada, mais fait naufrage. Seul survivant, le jeune homme s’accroche à un radeau de fortune déjà occupé par un tigre du Bengale
Le dvd
_É.R.
REBELLE
de Mark Andrews et Brenda Chapman (Disney) Rousses, blondes et même grisonnantes, toutes les tignasses peuvent battre à l’unisson de la cornemuse écossaise, qui siffle des envies de liberté aux oreilles d’une princesse préférant donner de l’arc à flèches plutôt que de la courbette à la cour. Une fugue et une malédiction plus tard, le génie de Pixar bat toujours haut la lande, sur un chemin plus convenu qu’à l’habitude mais traversé de ces inventions visuelles sans pareil.
100
hiver 2012-2013
lui aussi rescapé. Balloté par les flots, avec pour enjeu principal cette cohabitation avec l’océan et le règne animal, ce survival movie en huis clos tisse une dramaturgie très mince, reposant initialement sur son seul suspense aquatique (coulera, coulera pas ?). Pourtant, cette adaptation du roman de Yann Martel gagne en amplitude, émaillée de visions marines enchanteresses évoquant tour à tour Joseph Conrad, Le Fleuve de Renoir, Seul au monde et même Titanic. Le cinéma d’Ang Lee, Taïwanais installé aux États-Unis, est souvent de facture académique (Raison et sentiments, Brokeback Mountain) mais se déploie ici dans des prouesses techniques via les images de synthèse qui donnent vie au tigre numérique et à une île flottante chatoyante, grouillant de suricates, digne des plus belles plongées d ’Avatar. ♦ L’Odyssée de Pi d’Ang Lee Avec : Suraj Sharma, Irr fan Khan… Distribution : 20 th Centur y Fox France Durée : 2h07 Sor tie : 19 décembre
La réédition
_É.R
Le Cheval venu de la mer
de Mike Newell (MK2) Un film pour enfants, mais à voir avec les parents. À sa sortie, en 1994, j’avais huit ans, et c’était le truc le plus dur que j’avais vu depuis la mort de la maman de Bambi. Le plus beau aussi. C’est que cette histoire de deux fils d’un nomade irlandais qui fuient une vie rude à dos de cheval affronte de face la précarité, le deuil et l’amour filial. Tour à tour réaliste et fantastique, ce voyage initiatique fait grandir dans le bon sens.
©RDA/DILTZ
VINTAGE VENUS IN STARS
En 1968, ROGER VADIM (Et Dieu… créa la femme) alimente la révolution sexuelle en s’essayant au psychédélisme érotique avec Barbarella. La déesse Aphrodite de la contreculture, immortalisée par Jane Fonda, s’exporte pour la première fois en DVD. _Par Sophia Collet
D’une tenue de cosmonaute s urgit une sirène de l’espace, batifolant nue en apesanteur pour un striptease intersidéral. Jane Fonda se révèle dans le plus simple appareil pour recevoir sa nouvelle mission : empêcher le monde peace and love de l’an 40000 d’entrer en guerre. En effet, le savant Durand Durand (qui inspirera le groupe Duran Duran) a mystérieusement disparu après avoir inventé le redoutable rayon positronique. Barbarella n’est pas du même calibre que la Ripley d’Alien ni que Lara Croft, mais, dans ce générique-écrin, une nouvelle Wonder Woman est née : héroïne baroudeuse,
102
hiver 2012-2013
quelque part entre la pin-up et la vixen – figure prédatrice présente dans de nombreux comics et célébrée dans les films de Russ Meyer –,miBarbie, mi-barbare (pour l’époque). En adaptant la BD éponyme de Jean-Claude Forest, Roger Vadim se plaît donc une fois de plus à recréer la femme de la révolution sexuelle, ici sous l’ascendant de Jane Fonda. Telle Barbarella libérant par ses mouvements les lettres du générique en un ballet ondulatoire, Vadim remixe tout pour inventer à sa fantasque idole un monde où s’entrechoquent l’Antique et les sixties, Jules Verne, Sade et Star Trek. Au gré de ses rencontres comme autant de fantasmes, la belle ajuste ses tenues sexy (jusqu’à une burlesque robe en fourrure de putois) et provoque une mini-apocalypse. Dans ce récit aussi bouillonnant que la substance qui frémit sous la ville de Sogo, le périple sexuel de Barbarella cristallise l’admiration autant que l’effroi d’un regard masculin sur une héroïne, femme fatale et ingénue, qui ne se laisse jamais voler la vedette (même pas par son ami l’ange Pygar) et vient à bout de l’impitoyable Orgasmotron. Avec une adaptation sous forme de série par Nicolas Winding Refn prévue pour Canal+, Barbarella n’est pas au bout de ses voyages. ♦ Barbarella de Roger Vadim (19 68) Avec : Jane Fonda, John Phillip Law… Édition : Paramount Video Durée : 1h38 Sor tie : 5 décembre
BACK DANS LES BACS
The Voice Stentor était le crieur de l’armée grecque lors de la guerre de Troie. Des hits sixties sous influences Spector ou Bacharach jusqu’aux derniers albums inspirés par la musique baroque et contemporaine (Tilt, The Drift et ce Bish Bosch), la voix grave et puissante de Scott Walker en a fait le stentor de la pop music, écho de l’angoisse et de la déliquescence au milieu du champ de bataille. Guitares saturées intempestives, blocs orchestraux dissonants (évoquant Ligeti ou Xenakis), sons concrets repoussants (bruits de pets ou de lames cisaillant l’espace), longs silences pesants forment le paysage aride, inouï, sur lequel se pose l’organe retentissant de l’ancien crooner. Un original. _W.P. Bish Bosch de Scot t Walker (4AD/Beggars)
RAYON IMPORT
Sexe affable La théorie féministe, indigeste pour certains, intimidante pour d’autres, ne pouvait rêver meilleur ambassadeur que Ryan Gosling. Danielle Henderson, étudiante américaine en gender studies, a créé il y a un an le blog humoristique Feminist Ryan Gosling pour encourager ses camarades à étudier. Phénomène viral, il est depuis devenu un livre. L’idée : associer des photos aguicheuses de l’acteur, dont le sex-appeal depuis Drive n’est plus à démontrer, à des slogans féministes et progressistes. Par exemple : « Hey girl, l’emprisonnement de la princesse Leia par Jabba dans La Guerre des étoiles est carrément une métaphore de la peur patriarcale des leaders militaires féminins ! » Puisque c’est Ryan qui vous le dit. _C.G. Feminist Ryan Gosling – Feminist Theor y (As Imagined) from Your Favorite Sensitive Movie Dude de Danielle Henderson, Running Press (en anglais)
©Zoetrope Corp
DVDTHÈQUE RÊVE AMÉRICAIN
À l’heure des bilans de fin d’année, la sortie de Twixt en DVD l’impose comme l’un des films les plus saisissants de 2012. Avec le making of réalisé par sa petite-fille Gia en bonus, FRANCIS FORD COPPOLA apparaît plus romanesque et joueur que jamais. _Par Sophia Collet
Tout commence par un rêve : celui que Coppola raconte avoir fait d’une jeune fille, aux dents retenues par des bagues, qui l’interpellait dans une forêt en pleine nuit tandis que des enfants sortaient s’amuser comme en plein jour et qu’Edgar Poe lui apparaissait. De cette image-matrice aux ressorts cachés, Coppola a fait Twixt, comme une invitation à revisiter toute une mythologie américaine de l’innocence mêlée à l’horreur. L’ouverture de Twixt frappe par son étrange familiarité : un travelling y déroule la rue principale d’une petite bourgade, Tom Waits en voix off, et toute la culture fantastique américaine nous revient en mémoire, du conte surnaturel à la série B. Avec Hall Baltimore (Val Kilmer), écrivain de romans horrifiques et père endeuillé par la mort de sa fille, le cinéaste enroule l’élucidation du meurtre d’une jeune
104
hiver 2012-2013
fille autour du bureau du bizarre shérif Bobby LaGrange, d’un hôtel abandonné où séjourna Poe et d’un camp de jeunes gothiques de l’autre côté d’un lac. Le tout dominé par un beffroi à sept cadrans, soit sept heures différentes indiquées à la fois. Au-delà de l’ancrage contemporain (on y utilise Skype), tout renvoie au passé le plus archaïque. C’est dans les entrelacs rarement aussi poreux entre rêve et réalité, autour du démon V (l’irrésistible Elle Fanning), du vampire poète Flamingo, d’un pasteur criminel et d’Edgar Poe que Coppola fait poétiquement affleurer le cœur émotionnel du film : l’image de deuil d’un enfant mort. La puissance de Twixt est dans cette généalogie du deuil, où la confession autobiographique (la perte accidentelle de son fils GianCarlo) rejoint le mythe de la faute et de sa honte indicible qui court dans toute une mythologie américaine, de Fog de John Carpenter à Henry James et Nathaniel Hawthorne. Ce lyrisme vertigineux exalte l’inventivité de Coppola dans des scènes oniriques que le chef opérateur Mihai Malaimare Jr. électrise d’un inédit noir et blanc bleuté. Un baiser à moto s’avère ainsi l’une des scènes les plus fascinantes vues cette année. Cette frénésie se redouble à travers le rôle de Val Kilmer, dont le jeu facétieux achève de rendre avec succès les affres de la création. Dans son making of, Gia, fille de Gian-Carlo, capte ce goût du jeu : entre le « wabba » chanté en chœur par l’équipe et Elle Fanning injustement retenue par un studio, Twixt fait une grande boucle, du rêve au film, de la vie au cinéma. ♦ Twixt de Francis Ford Coppola Avec : Val Kilmer, Elle Fanning… Édition : Pathé Vidéo Durée : 1h29 Sor tie : 12 décembre
Comme chaque année, la rédaction ne vous laisse pas en rade au pied du sapin. Du roman pour votre moitié jusqu’au jeu vidéo pour les rejetons : voici des idées cadeaux pour quasi tout le monde.
Pour vos amies qui ne veulent plus prendre le métro Les Femmes du bus 678 de Mohamed Diab (Pyramide Vidéo)
Au Caire, trois femmes d’horizons variés se rassemblent pour lutter contre la misogynie ordinaire. L’une d’elles poignarde les pervers qui profitent de l’affluence dans les bus pour se frotter à elle. En pointant du doigt le sujet tabou du harcèlement sexuel, le film, fort et sensible, convoque les enjeux sociaux et politiques de l’Égypte d’aujourd’hui. _A.G.
Pour votre cousine romantique
À coeur ouvert de Marion Laine (MK2 Diffusion)
Chirurgiens cardiaques, Mila et Javier vivent depuis dix ans une histoire d’amour brûlante. Alors qu’elle tombe enceinte, il sombre dans l’alcoolisme : deux événements qui entraînent le couple dans ses derniers retranchements. Édgar Ramírez pousse à bout une Juliette Binoche émouvante en amoureuse transie, dans un drame passionné sur les addictions. _T.D.
AUTEL CALIFORNIA
Vincent Gallo entre en retraite spirituelle dans Johnny 316 d’ERICK IFERGAN, inédit mystique du cinéma indépendant américain, variation autour du Salomé d’Oscar Wilde, transféré sur Hollywood Boulevard. DR
_Par Quentin Grosset
Le publicitaire et réalisateur de clips Erick Ifergan a entamé la réalisation de Johnny 316 en 1998. Pour ce premier long métrage, il voulait adapter Salomé, tragédie wildienne de 1891 sur un épisode biblique, la passion impossible entre le prophète Iokanaan et la princesse Salomé. Faute de fonds nécessaires, la postproduction du film n’a été achevée qu’en 2007, laissant l’un des rôles pourtant marquants de Vincent Gallo croupir dans l’oubli pendant neuf années.
L’acteur, qui fascine autant par son extraversion fanatique que par son aura érotique, y incarne Johnny, un prêcheur de rue tout de blanc vêtu, passant ses journées à répandre la parole divine sur le Walk of Fame de Los Angeles, comme une allégorie de la star. Une jeune femme paumée boit ses psaumes et prières, se laissant aveuglément séduire alors qu’il la rejette. Cette trame d’abord réaliste sur les marginaux de Hollywood bascule petit à petit dans une transe en slow motion. Malgré des effets parfois poseurs
(la subordination systématisée de l’image à la bande-son), le glissement progressif du montage vers la cérémonie incantatoire, tout en ralentis planants mais inconfortables, fait adhérer à cette promenade méditative. Entre les « murals » colorés de Los Angeles et les sex clubs les plus sinistres de la ville, les étoiles du boulevard y sont filmées comme l’autel des idoles sacrifiées. ♦ Johnny 316 d’Erick Ifergan Avec : Vincent Gallo, Louise Fletcher… Édition : KMBO Durée : 1h25 Sor tie : disponible
www.mk2.com 105
DVDTHÈQUE
Pour votre papi en résistance
Journal de France de Claudine Nougaret et Raymond Depardon (Arte Éditions)
Saisir la France qui disparaît : le sacerdoce de Raymond Depardon. Sillonnant les routes, il s’arrête le temps d’une photo pour suspendre le temps qui passe. Oscillant entre le documentaire sur le photographe (et sa compagne ingénieur du son, Claudine Nougaret) et la somme d’un pays, Journal de France confirme le talent de son auteur et héros. _A.G.
Pour votre belle-mère effeuilleuse
Go Go Tales d’Abel Ferrara (Capricci)
Un air de Cassavetes sur un air de Francis Kuipers. Go Go Tales, portrait des nuits américaines finissantes produit en 2007, a mis du temps à nous parvenir. Ce film de maître, où les corps évoquent la nostalgie d’un monde, est une merveille. Willem Dafoe excelle en gérant paumé, Asia Argento est divine. Au cabaret Paradise, the show must go (go) on ! _A.G.
Pour votre véto schizo
Quatre mouches de velours gris de Dario Argento (Wild Side)
Dernier film de la trilogie animalière de Dario Argento, ce polar décalé de 1971 a connu de nombreux contretemps avant d’être visible. Roberto (Michael Brandon) assassine un homme qui le poursuit et se retrouve soumis à un maître chanteur. Sur les conseils de Dieu, vieux marginal joué par Bud Spencer, il recrute un détective privé raté incarné par JeanPierre Marielle. Le film, jusqu’alors inédit en DVD, oscille entre scènes fantastiques, comédie et film policier. On découvre avec plaisir, en germe, les tentatives visuelles surnaturelles et gores de Suspiria (1977) et l’utilisation de la musique rock qui fera la marque d’Argento (il commencera, peu après, sa collaboration avec le groupe Goblin). Une découverte indispensable pour tous les amateurs. _A.G.
106
hiver 2012-2013
Pour des trentenaires jeunes mariés
Cinq ans de réflexion de Nicholas Stoller (Universal Pictures)
Un titre wilderien pour une comédie de mariage revisitée par un membre de la team Apatow, Nicholas Stoller, et le poupon Jason Segel en vecteur de sa douce mélancolie. Des fiançailles à rallonge inversent les rapports de genre dans cette subtile étude sur le couple et le romantisme masculin. Bémol : le final conformiste. _C.G.
Pour vos amis qui hésitent entre Keaton et Chaplin « Le cinéma de Max Linder » (Éditions Montparnasse)
Ce coffret réunissant dix des films de Max Linder et deux documentaires réalisés par sa fille Maud est un cadeau fait au cinéma et à tous les cinéphiles. Avant Chaplin et Keaton, Linder, mort tragiquement en 1925, avait inventé tous les ressorts du comique américain. Cet homme de grand talent méritait donc qu’on puisse enfin profiter de ses multiples performances. Sur presque cinq cents films recensés, seule une centaine a pu être sauvée. Grâce à un travail de restauration inédit orchestré par Maud Linder, on peut découvrir les films de « l’homme au chapeau de soie », de ses débuts en France chez Pathé jusqu’à ses réalisations américaines. Un coffret en forme d’hommage profond, dans lequel on s’égare pour mieux retrouver les origines du cinéma. _A.G.
Pour votre oncle, prof à Sciences-Po Borgen – Saison 2 d’Adam Price (Arte Éditions)
Le modèle danois s’exporte bien : la remarquable série d’Adam Price, fine peinture de la démocratie, met en scène la première femme Premier Ministre du Danemark qui, après avoir accédé au pouvoir, doit dans cette saison 2 jongler entre ses fonctions et son divorce. Une leçon magistrale qui a suscité un regain d’intérêt pour la chose politique dans son pays. _C.G.
Pour votre jeune voisin japanophile Coffret « Trois films de Hitoshi Matsumoto » (Urban Distribution)
Un guerrier géant sur le déclin (Big Man Japan), un homme enfermé dans une pièce cons tellée de micro-pénis (Symbol) et un samouraï sans épée condamné à faire sourire un prince dépressif (Saya Zamuraï) : entre burlesque et mélancolie, derrière l’expérience régressive de son cinéma, Matsumoto porte un regard acerbe, sur la société japonaise. _T.D.
Pour votre fille intello
Ne change rien de Pedro Costa et Tout refleuri d’Aurélien Gerbault (Shellac)
La voix envoûtante de Jeanne Balibar est au prem ier plan de ce film documentaire, à la frontière entre le portrait d’artiste et le voyage initiatique. Le sublime noir et blanc de Pedro Costa entoure la chanteuse d’un halo expressionniste autour duquel gravitent claviers, guitare et fidèles musiciens, dont le formidable Rodolph Burger. Le cinéaste portugais a suivi Jeanne Balibar de la scène au grenier, des cours de chant lyrique aux répétitions de son album Slalom Dame. Au fil des longs plans-séquences attentifs, la magie opère : celle d’assister au dévoilement d’une musicienne dont le visage est celui d’une actrice, donc fascinant. Le coffret est complété par un documentaire qui montre cette fois Pedro Costa au travail, sur le tournage d’En avant jeunesse. _L.T.
Pour votre patron misogyne Coffret « Barbe-bleue » (Bach Films)
Deux adaptations du conte de Perrault à la frontière du cinéma bis et du nanar : outre celle d’Edgar George Ulmer (1944), tournée en six jours dans des décors peints, la version érotico sanglante d’Edward Dmytryck (1972), hélas en VF seulement, digère la révolution sexuelle et fantasme le tueur de femmes en nazi qui t rucide pour masquer son impuissance au lit. _J.R.
Pour votre neveu accro au punching-ball
Boxing Gym de Frederick Wiseman (Blaq Out)
Papi Wiseman remonte sur le ring, bien décidé à continuer d’en découdre avec les institutions américaines. Après les symboles étatiques dans les années 1970 (High School, Hospital…) et un passage par l’opéra de Paris pour La Danse, il poursuit son immersion dans le quotidien d’une Amérique contradictoire. Austin, Texas : bienvenue dans le club de boxe de Richard Lord, ancien boxeur reconverti en entrepreneur pédagogue pour gros balèzes et jeunes mamans, kids et jeunes loups prêts à en découdre. Uppercuts, crochets, directs : Frederick Wiseman se concentre sur les gestes qui donnent sa forme au sport, filmé comme une rencontre. Rencontre entre des individus que tout oppose et qui trouvent pourtant sur le ring un fertile terrain d’entente. _L.T.
www.mk2.com 107
DR
CDTHÈQUE VAGUE DE FROID
Le meilleur groupe de pop romantique moderne vient de l’Est et s’appelle MOTORAMA. Découverte et rattrapage avec Calendar, deuxième album plein de morgue et de littérature, où l’adolescence redevient éternelle. _Par Michael Patin
Y en a pas un sur cent, et pourtant ils existent, ces groupes déments qui filent sous le nez de la hype. Comment parler de révélation quand le premier chef-d’œuvre de Motorama, Alps, est en téléchargement gratuit sur leur site depuis 2010 ? On ne peut pas reprocher à ces farouches tenants du do it yourself d’avoir semé le mystère par réflexe marketing. Tout était là, dans l’angle mort du revival eighties, cette ligne sensible tendue entre jangle pop et new wave tendance cold, ces mélodies parfaites aux motifs lancinants, comme l’union miraculeuse de The Church et de Joy Division. La faute à cette Russie échappant aux radars, et à Rostov-sur-le-Don, trou de plus d’un million d’habitants où Motorama est né ? À l’autre bout du fil, débit rude et voix somnolente, le chanteur Vladislav n’a même pas l’intention de nous donner tort. « Il y avait du très bon rock en Russie dans les années 1980. Aujourd’hui, tout le monde écoute du rap,
108
hiver 2012-2013
surtout dans ma ville, que beaucoup considèrent comme la capitale du hip-hop. Et ce n’est vraiment pas mon truc. » Isolés à domicile, ces cinq jeunes gens (une fille, quatre garçons) ont donc embrassé les codes de la pop romantique sans aucun cynisme, comme par instinct de survie. D’où leur fixette britannique, tant sur le plan musical (les artistes des labels Postcard et Factory, le rock gothique ou, plus récemment, The Coral) que littéraire et cinématographique (Vladislav évoque l’influence de Michael Winterbottom). Cela expliquerait-il aussi leur goût de la contemplation et leur passion pour le… thé ? « Je connais le cliché sur les Russes qui se saoulent à la vodka, explique Vladislav. Mais en vérité, le thé est la boisson la plus populaire du pays. On aime bien en parler en interview parce que c’est un symbole romantique, lié à l’enfance… C’est vrai que ce n’est pas très rock’n’roll ! » Enregistré dans les mêmes conditions que son prédécesseur (à la maison, sans producteur dans le vent), filant son esthétique de l’évasion en dix chansons carillonnantes, Calendar bénéficie cette fois d’une sortie physique. Ce qui n’emballe qu’à moitié l’intéressé : « La décision de renoncer à la gratuité a été difficile, mais je suis sûr que ceux qui ne veulent pas payer sauront le trouver. Je suis surtout content d’avoir un vinyle, qui reste mon idéal en tant que mélomane. C’est un luxe qu’on ne peut se permettre en Russie, où le pressage coûte très cher. » Rien ne s’oppose désormais à l’invasion mélancolique de Motorama. ♦ Calendar de Motorama Label : Talitres Sor tie : disponible
La sélection de Noël
Pour votre grand-mère dans le coup
Pour votre cousine thésarde en théologie
Vétérans de l’indie rock, le trio du New Jersey offre un seizième album à la mélancolie tout hivernale, moins diversifié que ses précédents mais plus proche des sommets I Can Hear the Heart Beating As One (1997) ou And Then Nothing Turned Itself InsideOut (2000). Ballades grésillantes, ambiances vaporeuses, paroles murmurées : Fade, titre polysémique, pose des questions universelles – le vieillissement, la résistance à la résignation – sur des motifs doucement électriques, à la remarquable cohésion. _W.P.
Disquaires dans le civil, les A llah-Las deviennent garage band dans une cave de Los Angeles en 2008. Chaperonnés à la sauce vintage par le producteur Nick Waterhouse (celui qui porte des lunettes à la Buddy Holly), inspirés par les Troggs, Them, The Seeds et The West Coast Pop Art Experimental Band, ces frangins de White Fence ou de Hanni El K hatib (même label) revisitent la pop sixties avec nostalgie, en guitares claires ou fuzz, échos à bande, réverbération tant spatiale que temporelle. _W.P.
Fade de Yo La Tengo (Matador/Beggars)
Allah-Las de Allah-Las (Innovative Leisure/Differ-ant)
Pour votre coloc bougon
Silver & Gold de Sufjan Stevens (Asthmatic Kitty/Differ-ant)
Marronnier discographique, l’album de Noël est à Sufjan Stevens ce que La vie est belle de Frank Capra est à la télévision : le sapin qui cache la forêt de cadeaux, l’éternel retour d’une joie partagée en dépit du gavage d’oies. Le troubadour pop de Brooklyn fait son miel de Christmas carols, de gospels médiévaux, de clochettes étincelantes en nous livrant un coffret de cinq disques et cinquantehuit chansons, avec la prime naïveté d’une enfance qui ne désenchante pas. Grâce lui en soit rendue. _W.P.
Pour le sound system du frangin
Pour le stagiaire en troisième
Avec le drôle de projet de créer un son de club à écouter dans sa tête, loin des jambes, des zikos de Bristol tombent sur le trip-hop. Leur premier album, c’est Blue Lines. L’époque, c’est 1991. Leur musique, c’est vachement bien. RJD2 ou Goldfrapp ont retourné leurs tympans avec le titre Unfinished Sympathy, qui fait passer Moby pour un copiste du dimanche. Cet album fondamental dans la musique des années 1990, celle que l’on écoute au casque de son Discman, est remasterisé en très haute résolution. _É.R.
Alors bien sûr, aujourd’hui, avec les Wikipedia, les Grooveshark, les recommandations YouTube, facile de faire le malin en soirée avec des pépites sonores sorties d’on ne sait où. Mais il y a dix ans, on s’accrochait soit à son grand frère, soit à la playlist des classiques de Radio Nova. Mieux qu’un moteur de recherche dans le top du top, ce coffret compile dix ans de programmation aux petits oignons : le Billy Jean de Shinehead, et puis John Lucien, et puis Smoke City, et puis Day One, et puis… _É.R.
Blue Lines de Massive Attack (EMI)
Nova Classics – One to Ten (Nova Records/Wagram)
www.mk2.com 109
CDTHÈQUE
Pour vos voisins raveurs Guten Tag de Paul Kalkbrenner (Paul Kalkbrenner Music/ La Baleine)
Figure importante de la techno contemporaine, Paul Kalkbrenner s’est lancé dans le DJing il y a presque vingt ans, mais c’est Berlin Calling qui l’a véritablement révélé : sa superbe B.O. pour ce médiocre film sur la plongée dans la drogue d’un DJ berlinois (qu’il incarnait) le propulse au sommet des charts en 2008. Comme ses deux précédents disques, Guten Tag devrait être disque d’or en Allemagne, avec son hypnotique mélange de beats chirurgicaux, d’accalmies ambient et d’atmosphères boréales. _É.V.
Pour votre grande sœur pacifiste
The Deserters de Rachel Zeffira (PIAS France/Raf Records)
Révélée par Cat’s Eyes, le tandem pop qu’elle forme avec Faris Badwan, chanteur de The Horrors, Rachel Z effira se lance en solo avec un premier album orchestral et mélancolique, en partie enregistré dans les mythiques studios Abbey Road. Entièrement écrit et produit par la soprane originaire des Kootenays, région montagneuse du Canada, The Deserters a la majesté atemporelle et le pouvoir d’ensorcellement de fées folk telles que Sibylle Baier ou Marissa Nadler. Difficile de ne pas succomber à ses sorts. _É.V.
Pour votre prof de sémiotique
Advenir de Micha Vanony (Mental Groove Records)
Le Sens du sens, La Philosophie du presque, Le Paradoxe de la morale : conceptuels et poétiques, les titres de Micha Vanony collent bien avec sa science du patchwork surréaliste. Sur son deuxième LP, mis en son par Dave Cooley (Madlib, J Dilla), le Monégasque venu de la musique expérimentale – il a notamment joué aux côtés de Pierre Henry – pétrit ses samples hétéroclites avec des beats concassés pour confectionner un hip-hop rêveur et abstrait, à mi-chemin entre Flying Lotus et Jay Dee. _É.V.
Pour votre correspondant beat
Pour votre oncle informaticien
Conçu dans un bungalow abandonné de Silver Lake, le quartier hipster de Los Angeles, Hummingbird fait suite à un premier disque encensé par la blogosphère. Située quelque part entre Sufjan Stevens, Band Of Horses et Fleet Foxes, la pop aérienne et pastorale des Californiens est ambitieuse, toujours infusée à l’afrobeat, se nourrissant désormais du lyrisme tourmenté des deux groupes dont le quintet a assuré la première partie en concert, The National et Arcade Fire. Hauts les chœurs !
On voulait que Crystal Castles ne grandisse jamais, pour ne rien perdre de cette rage aveugle qui donnait à son electro-punk 8-bits des allures d’apocalypse hédoniste. Angoisse : (III) se présente comme l’album de la maturité, moins bruitiste et béatifiant, avec discours concerné à la clé. Joie : l’essentiel demeure, murs de synthés serrés et nuées d’éther vocal, tirant avec grâce vers la mélancolie gothique. Verdict : même les vieux raveurs pourront se sentir chez eux sur ce dancefloor en ruine.
_É.V.
_M.P.
Hummingbird de Local Natives (PIAS France/Infectious)
110
hiver 2012-2013
(III) de Crystal Castles (Mercury/Universal)
www.mk2.com
111
BIBLIOTHÈQUE DR
Hommage subversif et culotté, ce roman virtuose et absurde remixe les phénomènes-clés du siècle : la bombe A, la psychanalyse, le cinéma…
Chacrément barré
Une chatte, un souriceau, des briques : ce sont les ingrédients de Krazy Kat, la plus culte des BD américaines, enfin rééditée en français. L’écrivain JAY CANTOR lui rend aussi hommage dans un roman déjanté. _Par Bernard Quiriny
Krazy Kat, vous connaissez ? Paru de 1913 à 1944, elle est l’une des plus célèbres BD américaines. Elle n’a pourtant pas vraiment eu de succès à l’époque, et son créateur, George Herriman, n’a dû sa longévité qu’au soutien du magnat de la presse William Randolph Hearst… En trente ans, l’intrigue, sur une page, n’a jamais changé : la chatte Krazy Kat est amoureuse d’un souriceau, Ignatz Mouse, qui ne trouve rien de mieux que de lui lancer des briques à la tête. Quant au sergent Pupp, lui-même épris de Krazy, il tente de faire régner l’ordre. Rien de sérieux, donc, sauf que sous ces sketches en apparence anodins se cache une foule de bizarreries qui nourrissent depuis longtemps 112
hiver 2012-2013
les analyses les plus pointues : audaces techniques (mise en page, décors changeants, langage baroque mêlant l’anglais élisabéthain au créole ou à l’argot yiddish), ambivalence sexuelle, influence secrète sur le cinéma et la littérature, interprétations postcoloniales… Toute une postérité s’est ainsi développée dans le sillage de la BD, contribuant à en faire un monument de la culture américaine. Un exemple ? Le romancier Jay Cantor, qui reprend les grandes mythologies du XXe siècle à travers les personnages de Herriman ! Traduit en même temps que la réédition de la BD, son roman nous ramène en 1944, au moment où la série s’arrête. Inconsolable que son amie Krazy ait stoppé sa carrière, Ignatz tente de la remotiver en testant sur elle quelques grandes inventions modernes : la bombe A, la psychanalyse, le cinéma… Il l’entraîne même dans un groupe terroriste révolutionnaire, puis dans un salon de porno SM ! Hommage subversif et culotté, ce roman virtuose et absurde remixe les phénomènes-clés du siècle en multipliant les références, du Petit Livre rouge par « Miaou Sais-Tout » à Du spirituel dans l’art par « Chadinsky »… Réjouissant et répétitif, ce cartoon déjanté est aussi un plaidoyer vibrant pour la « sous-culture » et la reconnaissance de sa contribution à l’imaginaire américain, comme l’explique Ignatz Mouse dans une tirade enflammée : « Pourquoi nous enfermer dans le ghetto de la pop culture ? Pourquoi ne pas nous rendre d’un pas fier jusqu’à la maison de l’art noble, en affirmant que notre cadeau à l’Amérique vaut bien celui d’Eugene O’Neill ou de Henry James ? » ♦ Krazy Kat de Jay Cantor Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro Édition : Le Cherche-Midi Genre : roman Sor tie : disponible Krazy Kat – Volume 1 – 19 25-19 29 de George Herriman Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Voline Édition : Les Rêveurs Genre : bande dessinée Sor tie : disponible
La sélection de Noël
Pour votre cousin antilibéral
Pour votre grand-père historien amateur
Le premier, Lasch (1932-1994), fut une voix détonnante de la gauche américaine, auteur de sommes incomparables sur la culture moderne et le mythe du progrès. Le second, Castoriadis (1922-1997), aura été l’un des grands inclassables de la pensée française au XXe siècle. En 1986, la chaîne anglaise Channel 4 les fait dialoguer : ces échanges brefs mais denses dessinent une critique implacable de la société consumériste et du désengagement citoyen, plus parlante que tous les bavardages des intellos médiatiques d’aujourd’hui. _B.Q.
En 1944, quelques soldats américains investissent le château d’un comte impuissant et prêt à brader son épouse pour avoir un héritier. Leur résistance à l’assaut des Allemands est toute relative, leur foi en la guerre s’étant dissoute dans le bordel local. Son portage à l’écran par Sydney Pollack en 1969, avec Burt Lancaster en major décadent, ne rendait pas complètement justice à ce chef-d’œuvre de subversion et d’excentricité du grand écrivain oublié William Eastlake, qu’on peut aujourd’hui redécouvrir grâce à la formidable collection Short Cuts. _G.M.
La Culture de l’égoïsme de Christopher Lasch et Cornelius Castoriadis (Flammarion)
Un château en enfer de William Eastlake (Passage Du Nord-Ouest)
Pour votre collègue qui a tout le temps la dalle Les Attaques de la boulangerie de Haruki Murakami (Belfond)
Souvent chez Murakami, les questions essentielles – comment vivre ? Comment créer ? Comment aimer ? – jaillissent sous la forme d’apparitions « manga » et autres dérèglements. On le redécouvre dans cette version illustrée de deux nouvelles des années 1980. Une fringale terrasse des jeunes mariés. Prêts à prendre les armes pour s’empiffrer de croissants ou de Big Mac, ils vivront une ultime nuit magique avec ce repas-consolation. Avant la capitulation face à la lente mort infligée par le métro-boulot-dodo. _G.M.
Pour votre amie ténor du barreau
Pour votre garagiste qui rêve de vacances
Le Belge Jean-Pierre Bours est a priori un illustre anonyme, avocat fiscaliste au barreau de Liège. Mais ce brillant styliste a aussi commis à la fin des années 1970 quelques nouvelles fantastiques dans la plus pure tradition belge, aujourd’hui sorties de l’oubli : dix histoires qui s’imposent d’emblée comme des classiques du genre, aux confins du roman noir et du symbolisme old school, avec un petit côté « fin de siècle et brumes flamandes » qui ravira les connaisseurs. Baroque et somptueux. _B.Q.
Après sa balade le long des voies de chemin de fer avec Neal Cassady (Ballast), Bonvin piste le rêve américain à l’arrêt. Quand la vaste étendue ne défile plus mais se déverse dans une immense déchetterie. C’est là que le narrateur retrouve son ami Larsen, ancien taulard qui coule une vie tranquille dans le nord de la Californie à réparer des moteurs. Autour d’eux, il y a aussi Bragg et ses pétards ; Michael et son lotus. On est, comme avec le poète Gary Snyder, dans cette autre Amérique, oisive, hors du temps et de l’hystérie productive. _G.M.
Celui qui pourrissait de Jean-Pierre Bours (L’Arbre Vengeur)
Larsen de Jean-Jacques Bonvin (Allia)
www.mk2.com
113
BIBLIOTHÈQUE
Pour votre pote hipster de brooklyn
New York Drawings d’Adrian Tomine (Faber & Faber, import)
Édité en anglais, ce beau livre du dessinateur de comics Adrian Tomine (Shortcomings) rassemble ses croquis et illustrations publiés dans l’hebdomadaire The New Yorker, dont il a réalisé certaines des plus belles couvertures. Des instantanés new-yorkais empreints de solitude urbaine, qui rappellent la mélancolie pince-sans-rire de son maître Daniel Clowes. _C.G.
Pour votre amie gothique
Tim Burton – Entretiens avec Mark Salisbury (Points)
Cette réédition en poche des entretiens entre Tim Burton et le journaliste Mark Salisbury, publiés il y a trois ans, devrait faire la joie de tous les fans du réalisateur américain. On trouvera dans cet ouvrage une nouvelle préface de Johnny Depp et une plongée unique dans la vie et dans l’esprit de Burton. L’ensemble, agrémenté de cent dessins inédits, est très agréable à lire. _A.G.
Pour votre oncle pas drôle Comique extrémiste – Andy Kaufman et le rêve américain de Florian Keller (Capricci)
L’artiste Andy Kaufman reste aujourd’hui encore un ovni du comique. Pro téiforme et indéfinissable, popularisé par ses apparitions dans l’émission Saturday Night Live, il disparaît en 1984, à 35 ans. Après l’hommage de Miloš Forman et Jim Carrey dans Man on the Moon en 1999, cet ouvrage, unique en son genre, tente d’analyser la carrière du « song and dance man » sous l’angle original de la culture américaine. L’Américain Florian Keller, journaliste et chercheur en cultural studies, étudie les multiples performances de l’artiste, qui permettent, selon lui, de mettre en perspective le « rêve américain ». En passant par Sigmund Freud, Jacques Lacan et Slavoj Žižek, l’auteur questionne la place de l’acteur comique dans la société et livre un essai saisissant. _A.G.
114
hiver 2012-2013
Pour votre monstre de petit frère
Créatures fantastiques et monstres au cinéma de John Landis (Flammarion)
Réalisateur du clip de Thriller de Michael Jackson ou du Loup-garou de Londres, Landis, féru de monstres, nous fait découvrir, avec de nombreuses images et en plus de trois cents pages, les créatures louches qui peuplent l’histoire du cinéma : zombies, vampires, cyclopes, momies… En bonus, des interviews de David Cronenberg, John Carpenter ou Guillermo del Toro. _A.G.
Pour votre table basse
Les Archives James Bond, coordonné par Paul Duncan (Taschen)
Pour peu que vous vous soyez un jour fantasmé(e) au service secret de Sa Majesté, ça va être coton d’offrir ce luxueux pavé, blindé comme une Aston Martin, à un autre que vous-même. On l’ouvre en caressant un vrai bout de pellicule 35 mm de James Bond 007 contre Dr. No (pour nous, la scène de douche antiradiations), puis on s’étourdit à loisir tout au long des six cents pages qui espionnent tous les films de la série par le menu. Les pépées et les caisses, bien entendu, mais aussi des photos de tournage qui donnent un tour singulier, souvent drôle ou cocasse, à des scènes vues des centaines de fois. Bardé de citations précieuses, ce monstre de papier constitue ce que l’on a pu faire de plus complet sur 007, moins les thèses pontifiantes ou le blabla freudien. Mission accomplie. _É.R.
www.mk2.com
115
© Jeorge Fidel Alvarez/9e Art+
BDTHÈQUE Benoît Mouchart, directeur artistique du Festival d’Angoulême
40 ans, toujours plus haut
Le Festival d’Angoulême célèbre sa 40e édition. L’occasion de revenir, avec son directeur artistique BENOÎT MOUCHART, sur cet événement majeur pour un monde de la bande dessinée qui s’esquisse de nouveaux horizons. _Propos recueillis par Stéphane Beaujean
Quel est le bilan de vos dix années en tant que directeur artistique du festival d’Angoulême ? Le défi, c’était de parvenir à construire une programmation qui ne soit pas un simple alibi mais une véritable proposition culturelle. Car le principal attrait du festival – qui est aussi un salon du livre – reposait alors sur les séances de dédicaces. Il nous a fallu réfléchir à des moyens de diversifier les centres d’intérêt, de faire bouger le curseur vers une dimension artistique. Ainsi, rien que pour ces cinq dernières années, nous avons multiplié le nombre d’événements organisés durant le festival par dix, pour passer de trente à trois cents, qu’il s’agisse de débats publics avec les auteurs, de spectacles, de concerts de dessins, d’expositions ou d’installations éphémères. 116
hiver 2012-2013
Que préparez vous pour la 40e édition ? D’abord un hommage à trois œuvres fondamentales issues des traditions françaises, américaines et japonaises. Nous produisons à cet effet deux expositions, l’une consacrée au talent graphique d’Albert Uderzo, l’autre aux artistes qui ont su bâtir des œuvres personnelles autour de Mickey et Donald ; nous invitons aussi l’auteur de Capitaine Albator, Leiji Matsumoto, grand symbole d’une génération et détonateur incontesté de l’émergence de la culture manga en France. Nous allons également célébrer le parcours de créateurs qui ont tracé leur sillon sans se préoccuper du marché, par nécessité d’expression personnelle. Je pense à notre président du jury, Jean-C. Denis, mais aussi à Andreas et à Didier Comès. Enfin, nous présenterons les grands auteurs de demain, avec une attention toujours portée à l’international : le collectif français The Hoochie Coochie mais aussi le jeune Flamand Brecht Evens, dont on n’a pas fini de parler, se voient consacrés par des expositions. Il y aura bien sûr des performances dessinées live, et beaucoup d’auteurs seront présents à nos Rencontres internationales, que ce soit Chester Brown, Renée French ou bien d’autres encore. Allez-vous célébrer cet anniversaire avec des événements particuliers ? Oui et non. Oui, car nous proposons des réformes importantes. Un exemple : nous réduisons le nombre de livres en compétition d’un tiers, passant de cinquante à trente, afin d’y voir plus clair dans une production pléthorique. La sélection officielle devient ainsi encore plus prescriptrice en librairie. Et non, car le festival ne veut pas surligner le caractère exceptionnel de la 40e edition pour ne pas succomber à l’auto-célébration. Nous préférons
« Le fond et la forme des bandes dessinées ne doivent pas craindre de se distinguer avec audace de leurs rivaux numériques et audiovisuels. »
Pour quelles raisons ? La bande dessinée est traversée de grands bouleversements, comme la plupart des autres productions culturelles. La crise économique impacte le marché, qui se délite en raison du nombre excessif de parutions. Pour ne rien arranger, trop de livres semblent avoir été publiés sans avoir jamais été lus, y compris par leurs propres éditeurs. Cette situation ne peut pas durer éternellement : les lecteurs ne sont pas dupes. Par ailleurs, avec l’avènement du numérique, c’est la prospection qui importe. Nous sommes dans l’antichambre de nouvelles formes à venir, et personne ne sait encore très bien comment s’y adapter. C’est en partie au festival et à l’observateur que je suis de se préoccuper de cette problématique. La décennie qui arrive va être mouvementée et cruciale. Mais surtout excitante. Des solutions efficaces ne sont-elles pas déjà en train de mûrir ? Ce sont les auteurs, sans le soutien des éditeurs, qui semblent se lancer dans les créations numériques les plus intéressantes… Mais au fond, je crois que l’essentiel du changement n’est pas encore accepté. Pour moi, la bande dessinée va surtout devoir apprendre à se définir par ce qu’elle n’est plus. Bien que ce fait soit nié par de nombreux professionnels, elle n’est plus aujourd’hui un divertissement populaire plébiscité en masse par les nouvelles générations. La bande dessinée se trouve dans une position comparable à celle qu’a connue avant elle le théâtre lors de l’émergence du cinéma : les auteurs doivent redéfinir les spécificités propres à leur forme d’expression. Beaucoup trop de bandes dessinées se contentent de plagier des sujets mainstream et des formes issues du jeu vidéo, du cinéma ou des séries télé. Ces albums ne séduisent en fait que les seuls fans de bande dessinée, or ce lectorat vieillissant ne sera malheureusement pas éternel. Le fond et la forme des bandes dessinées imprimées ne doivent pas
©Disney - Glenat
clôturer un cycle avant d’en inaugurer un nouveau. En fait, si cet anniversaire est à l’évidence une charnière, la 41e édition me paraît d’ores et déjà beaucoup plus cruciale.
craindre de se distinguer avec audace de leurs rivaux numériques et audiovisuels. Les succès mondiaux récents tels que Maus, Persepolis ou Chroniques de Jérusalem montrent bien que les sujets originaux et les formes novatrices peuvent séduire un très large lectorat non spécialisé. Avec de tels propos, vous allez encore prêter le flanc à ceux qui qualifient, depuis votre arrivée, votre politique d’élitiste… Probablement, et pourtant la sélection officielle témoigne plus que jamais d’une exigence de qualité, sans esprit de chapelle. Quand je la parcours, je la considère suffisamment ouverte pour que n’importe quel lecteur curieux puisse y trouver son compte. Je conçois néanmoins que les personnes qui ne vont jamais au cinéma ni au théâtre et qui ne lisent jamais de romans puissent éprouver une certaine défiance face à des bandes dessinées qui aspirent à de vraies ambitions artistiques. Chaque année, j’attends le grand livre, celui qui saura me surprendre parce qu’il explore une voie nouvelle. Et il arrive parfois. Est-il arrivé cette année ? Je laisse aux jurés du festival le soin de le choisir et de vous l’annoncer. ♦ 40 e Festival d’Angoulême, du 31 janvier au 3 février 2013, Pass 1 jour à par tir de 11 €, Pass 4 jours à par tir de 24 €, w w w.bdangouleme.com
www.mk2.com
117
© Chris Ware
BDTHÈQUE
une vie en boîte
C’est un joli coffret qui renferme quatorze livres et livrets de formats variés. Autant de fragments du quotidien d’une fleuriste unijambiste, submergée par la solitude. La somme d’une vie capturée par CHRIS WARE dans une boîte. _Par Stéphane Beaujean
Tout commence par une légère déception : à l’ouverture du coffret, les quatorze livres qui composent Building Stories sont grossièrement ficelés dans une pochette plastique, loin de l’ordre et de la méticulosité avec lesquels Chris Ware s’est forgé une si belle réputation. À l’évidence, l’auteur a accepté quelques concessions afin de proposer à prix raisonnable cet objet aux ambitions monumentales. Or, très vite, la contrariété s’évanouit, et l’attention se tourne vers un nouveau problème : le dilemme cornélien du livre par lequel entrer dans ce récit morcelé. Seul et sans indication, on se saisit d’un ouvrage au hasard, attiré par le format ou par un détail de fabrication. Et peu à peu affleure le sujet, soit un émouvant portrait d’une fleuriste unijambiste, que ses fleurs renvoient chaque jour à l’éphémère de l’existence. Chaque livre propose une forme, une narration et une temporalité différentes. 118
hiver 2012-2013
L’un s’attarde sur les réminiscences d’un amour de jeunesse disparu subitement ; un autre donne un aperçu de sa vie de famille ; le suivant plonge dans les pensées d’une abeille qui butine non loin de l’appartement ; un dernier cède la parole au building du titre, vieil édifice qui en a vu, du monde, en un siècle, et qui n’aime rien tant que gloser sur le quotidien de ses locataires. Par la nature même de l’objet, chaque lecteur expérimente un cheminement unique dans la vie de cette femme : là réside la puissance du projet. Quoi de plus pertinent que de provoquer une forme de hasard dans la lecture d’un récit qui repose justement sur la « serendipité » américaine, cette philosophie de l’intervention du destin dans la réussite ou dans l’échec d’une vie ? Building Stories revendique clairement le statut de jalon dans la carrière déjà bien remplie de chefs-d’œuvre de Chris Ware. S’il n’y a aucune chance ou presque que cet objet complexe soit un jour traduit (l’auteur n’ayant plus envie de passer plusieurs mois à lettrer à la main en français), des milliers d’exemplaires en anglais sont néanmoins distribués en France. Un fait éditorial unique qui témoigne de l’engouement pour cet artiste à travers le monde. Une passion qui, curieusement, ne se nourrit peut-être plus tant des prouesses formelles dont Ware est coutumier que de cette manière avec laquelle, le temps aidant, il apprend à libérer ses émotions. Elle semble loin, la froideur de la jeunesse et de Jimmy Corrigan, face à la bienveillance et au désespoir désarmants avec lesquels il dépeint aujourd’hui la condition humaine. ♦ Building Stories de Chris Ware (en anglais) Édition : Jonathan Cape Sor tie : disponible (impor t)
La sélection de Noël
Pour votre nièce qui refuse de grandir
Pour votre coloc insomniaque
Ce « roman graphique » est une performance signée des deux auteurs d’Une élection américaine (2006). Dans un monde dévasté, des enfants fuient la folie des adultes. Au fil d’un profond récit initiatique, les images se mêlent aux pleines pages de texte, l’interaction entre les deux formes agissant comme un relais entre l’enfance et l’âge adulte. L’ensemble, hybride, jongle entre le neuvième art et le livre jeunesse. Un véritable coup de force qui donne à ces gamins pâles toute la couleur du chef-d’œuvre. _A.G.
Les éditions Urban Comics, en une année d’existence, ont réussi à restaurer un catalogue de chefs-d’œuvre auparavant édités dans des conditions désastreuses. Avec Sandman, ils s’attaquent au versant le plus poétique de la BD anglo-saxonne. Morpheus, demi-dieu de retour après des décennies d’emprisonnement, doit beaucoup à l’esthétique gothique et aux grands mythes littéraires. Mais Neil Gaiman se réapproprie ces inspirations pour accoucher d’un univers complexe et au lyrisme singulier. Un classique. _S.B.
Les Enfants pâles de Loo Hui Phang et Philippe Dupuy (Futoropolis)
Sandman – Volume 1 de Neil Gaiman et collectif (Urban Comics)
Pour un camarade à langues o’ Au bord de l’eau, collectif (Fei)
Pari éditorial audacieux, ce luxueux coffret de toile bleue renferme trente petits livrets dessinés dans le respect des traditions chinoises. Souvent censuré par la révolution culturelle, Au bord de l’eau compte parmi les grands classiques de la littérature populaire. Si ce récit-fleuve décourage parfois à cause de la myriade de ses digressions, son morcellement facilite ici grandement la lecture. Et la somptuosité du graphisme académique ravit. Un bon moyen de s’initier à cette ode à l’insoumission qui glorifie les brigands et les renégats. _S.B.
Pour votre tante myope comme une taupe
Pour votre coiffeur en manque d’inspiration
Le Jeune Albert est la plus réussie des rééditions grand luxe lancées cette année par Les Humanoïdes Associés. L’élégance parfaite de la ligne de Chaland se trouve sublimée par ce format démesuré, un résultat d’autant plus étonnant que l’artiste avait l’habitude de dessiner sur des petites feuilles. Mais c’est surtout l’occasion de replonger dans une excellente suite de gags, mi-figue mi-raisin, qui trahit le regard ambigu que ce virtuose jetait sur l’esprit conservateur belge des grandes heures de la BD. _S.B.
De Zeina Abirached, il s’est souvent dit qu’elle copiait Marjane Satrapi. Mais si les points communs abondent – origines moyen-orientales, sources esthétiques semblables, récits autobiographiques –, elles n’ont jamais partagé le même langage. Avec Mouton, réjouissant récit de la chevelure bouclée et indomptable d’une petite fille, l’artiste libanaise fait une incursion plus que réussie dans le livre de jeunesse, où ses habituels motifs noir et blanc s’accommodent à la perfection de l’arrivée de la couleur. _S.B.
Le Jeune Albert de Chaland (Les Humanoïdes Associés)
Mouton de Zeina Abirached (Cambourakis)
www.mk2.com
119
© Orange Games - Lexis numerique
LUDOTHÈQUE AUX FRONTIÈRES DU RÉEL
Alt-Minds n’est pas seulement le projet le plus ambitieux de cette fin d’année. Il signe aussi le retour d’ÉRIC VIENNOT, neuf ans après le mythique In Memoriam. À l’occasion de sa nouvelle expérimentation « transmedia », rencontre avec l’un des rares savants fous du jeu vidéo. _Par Yann François
Partout, le mot d’ordre semble lâché : l’avenir de la fiction sera « transmedia ». Né pendant la révolution Internet, cette appellation barbare définit de nouvelles expériences narratives qui s’appuient sur plusieurs médias, simultanément et sans hiérarchie, pour se raconter. Si le transmedia s’est souvent décliné dans les alternative reality games, ces jeux brouillant la frontière entre réel et virtuel, peu ont vraiment réussi à marquer leur époque. À l’exception d’In Memoriam. Créé en 2003 par Éric Viennot et son studio Lexis Numérique, ce thriller interactif projette le joueur dans l’univers mental d’un tueur en série qui le somme de résoudre ses énigmes au moyen des outils 120
hiver 2012-2013
(balbutiants) du net. Faux articles publiés sur de vrais sites, mails et SMS envoyés par le tueur himself, In Memoriam atteint un niveau d’immersion rarement vu jusque-là. Immersion qui brise une sacro-sainte tradition du jeu vidéo : le joueur ne prend plus possession d’un univers, c’est un jeu vidéo qui vampirise sa réalité. In Memoriam devient alors objet de culte avant de connaître une suite en 2006, tout aussi célébrée par une horde de fans qui se réunissent par milliers sur des forums pour lui offrir une seconde vie. Alt-Minds, était donc attendu comme le nouveau messie 2.0.
Contrat en alternance
Alt-Minds reprend le principe d’une enquête interactive, à deux détails majeurs près : l’expérience se vit en temps réel (sur huit semaines) et à l’échelle globale. Alertée par la disparition inexpliquée d’un groupe d’étudiants-chercheurs, la fondation Alvinson mandate des enquêteurs à travers l’Europe et s’en remet à la communauté internaute pour les seconder dans leurs recherches. Chaque jour, le joueur est interpellé par les protagonistes de l’histoire, se voit confier des missions quotidiennes limitées dans le temps (décryptage vidéo, collecte de données, géolocalisation…). Chaque bonne réponse augmente son score, référencé sur un tableau compétitif. Unique en son genre, Alt-Minds est un jeu participatif qui défie notre habilité à user intelligemment des outils modernes de communication. Pour celui qui accepte de se fondre dans son rythme sériel, la réalité prend alors une consistance étonnante, faite de jeux de piste et d’omertas scientifiques insoupçonnées. Pour les autres, ceux qui ont loupé le coche ou n’ont pas le temps d’y participer en direct, pas de panique : Alt-Minds reste jouable en différé et modulable au rythme de chacun.
Grâce à Alt-Minds, la Toile devient un immense terrain de jeu, un réservoir de fiction fantasmatique dont il est difficile de s’extirper. Alors qu’on retrouve Éric Viennot pour un entretien, le premier chapitre d’ Alt-Minds vient de s’achever. Si l’on peine à définir une œuvre, autant demander directement à son auteur de quoi il en retourne : « Si je parle en tant que game designer, je dirais qu’Alt-Minds est le Myst de notre époque. J’ai toujours cherché à créer des jeux originaux et hybrides, à les inscrire dans la réalité de notre temps. Faire un jeu à la Monkey Island aujourd’hui, ça n’a pas de sens. » Après le succès d’In Memoriam, pourquoi se résoudre à une telle discrétion médiatique ? « Je voulais prolonger le potentiel d’In Memoriam, sans me répéter. Au début, Alt-Minds devait aussi exister sous forme de série télé participative. Avant Orange, qui est co-éditeur du jeu, j’ai présenté le projet aux chaînes françaises. Tout le monde m’a dit que j’avais dix ans d’avance, mais personne n’a osé s’y risquer. La culture transmedia s’adresse encore à des franges minoritaires, elle n’est pas “ bankable”. » Comme à son habitude, Viennot défriche un terrain vierge, où le défi de conquérir un public large avec une fiction expérimentale est énorme : « Alt-Minds inaugure une nouvelle forme d’écriture, qui emprunte au roman, à la série télé, au jeu vidéo et au réseau social. C’est une aventure risquée, c’est sûr. Mais si le public suit, elle ouvre la voie à de nouveaux modèles de fiction. » Malgré la pression, l’heure est pour l’instant à l’optimisme : en une semaine, le jeu a déjà rassemblé plus de 15 000 personnes. « Le jeu a été conçu pour qu’on y passe une heure par jour en moyenne. Certains y ont déjà passé plus de cinquante heures à chercher des indices cachés partout. J’ai beau avoir été habitué avec In Memoriam, je trouve ça incroyable ! »
Pris dans la Toile
Six ans n’auront pas été de trop pour créer l’univers tentaculaire d’Alt-Minds, l’alimenter de sites plus ou moins fictifs, de profils Facebook ou de blogs intimes afin de donner corps à ses personnages et à son intrigue. Surfant habilement sur la SF et sur la théorie du complot, son scénario titille la zone la plus paranoïaque de notre imagination. Il faut voir l’engouement avec lequel certains « alt-minders » fondent déjà les théories les plus folles avec les quelques révélations lâchées par le jeu.
©Orange Games - Lexis Numerique
Da Viennot Code
« Internet est un outil incroyable pour faire résonner une idée au-delà de ses limites. Il suffit de lâcher un mot, et l’imaginaire des gens fait le reste. Quand on a grandi avec X-Files ou avec Les Experts, on trouve immédiatement ses marques. » Justement, dans X-Files, on se souvient de ce trio d’informaticiens complotistes qui aidaient Scully et Mulder dans leurs enquêtes. Grâce à Viennot, ces limiers geeks sont aujourd’hui des milliers. Certains jouent le roleplay jusqu’au bout en allant poster des messages sur les murs Facebook des personnages pour prendre de leurs nouvelles ou simplement les encourager. « Alt-Minds parle autant au gamer qu’au fan de polars. Les outils et les interfaces 2.0, comme le tableau de bord du jeu, ont cette austérité qu’il faut humaniser si on veut se plonger dans une aventure romanesque. Je voulais que mes personnages deviennent aussi crédibles qu’un de vos proches sur Facebook. Le réseau social, c’est une façon de se mettre en scène au quotidien, les gens ont appris à se dédoubler intelligemment. » À l’heure où le web est sujet aux doutes les plus existentiels, Alt-Minds se pose en miroir et catalyseur de nos pratiques numériques. Grâce à lui, la Toile devient un immense terrain de jeu, un réservoir de fiction fantasmatique dont il est difficile de s’extirper et d’attendre patiemment la suite. « Je ne dévoile rien en affirmant qu’AltMinds va se clore sur de nombreux mystères en suspens. Si le jeu marche, il se peut très bien qu’il y ait une deuxième saison, voire plusieurs. » À nous de jouer. ♦ Alt-Minds (Orange Games) Genre : aventure Développeur : Lexis Numérique Plateformes : navigateurs Internet Sor tie : disponible
www.mk2.com
121
LUDOTHÈQUE La sélection de Noël _Par Y.F.
Pour votre pote à la crête iroquoise
Pour votre détective privé
L’éternelle lutte entre Assassins et Templiers avait besoin de prendre le large. Quelle meilleure solution que de jeter l’ancre en pleine Révolution américaine ? S’il s’avère un peu lent au démarrage, ce chapitre se déguste sur le long terme, grâce à la générosité de son immense terrain de jeu. La saga trouve en Connor, jeune héros amérindien au parcours tragique, une icône bouleversante. À noter : un épisode tout aussi réussi sur PS Vita, Liberation, avec la mythique Nouvelle-Orléans pour cadre.
Ce cinquième épisode est d’abord l’occasion de se pâmer devant l’extraordinaire transition graphique opérée de la DS vers son aînée en relief. Le jeu s’éprouve comme un challenge en flux tendu, débordant de casse-têtes en tout genre. Cet épisode est aussi le plus émotionnel : au fur et à mesure qu’il progresse dans son enquête, le détective se voit rattrapé par les fantômes de son propre passé. Une madeleine proustienne et initiatique, qui assoit Layton comme la meilleure aventure romanesque sur portable.
Assassin’s Creed III (Ubisoft/Ubisoft Montreal, sur PS3, X360, PC et Wii U)
Professeur Layton et le masque des miracles (Nintendo/Level-5, sur 3DS)
Pour les points restants sur votre permis Need for Speed – Most Wanted (Electronic Arts/Criterion, sur PS3, X360, PC et PS Vita)
Il est des retours de bâton qui peuvent sauver une saga. Au même titre que l’excellent Forza Horizon, Need for Speed se convertit au monde ouvert. Lâché dans une métropole immense, le pilote n’a que l’embarras du choix devant pléthore de véhicules et de courses, toutes génialement pensées. Issu des cerveaux cramés de Criterion (Burnout), ce nouvel épisode fait aussi amende honorable en se calmant sur le tuning kéké et en se concentrant sur le plaisir pur de vitesse et de compétition entre potes. C’est déjà énorme.
Pour votre cousin du Puy-du-Fou
Pour un fan inconsolable de Lost
Le jeu d’action en vue subjective a ses fantasmes. Par exemple : remplacer le shoot par le slash, troquer le flingue contre l’épée pour s’élancer à tête (souvent) perdue dans d’intenses batailles médiévales. Avec Chivalry – Medieval Warfare, le studio Torn Banner rend hommage à ces foudres de guerre en cotte de mailles trop longtemps délaissés. Secoué de stimuli barbares, cet excellent défouloir multijoueur vibre comme une immense orgie d’acier, où tout n’est plus que bruit, fureur et râles d’agonie.
Lourd programme : vivre la descente aux enfers d’un frêle vacancier pourchassé sur une île tropicale, organiser sa survie dans la jungle, puis sa progressive métamorphose en machine à tuer. Et pourtant… on marche. Le cadre idyllique (extase graphique) et la frénésie constante se greffent parfaitement à la robinsonnade imposée (chasse, fabrication de son équipement). Mais surtout, Far Cry possède un atout rare dans un jeu vidéo : son bad guy, Vaas Montenegro, monstre psychotique et fascinant de cruauté.
Chivalry – Medieval Warfare (Torn Banner Studios, sur PC)
122
hiver 2012-2013
Far Cry 3 (Ubisoft/Ubisoft Montreal, sur PS3, X360 et PC)
_Par Y.F.
Pour votre zombie d’ado
Resident Evil 6 (Capcom, sur PS3, X360 et PC)
Soyons honnêtes, la traversée du désert pour Resident Evil ne prendra pas fin cette année. Halte à la sinistrose : s’il ne casse pas trois pattes à un zombie, ce sixième épisode peut cependant largement s’apprécier pour ce qu’il est. À savoir : une série B habilement rythmée, un plaisir coupable idéal en période de fêtes, à s’offrir une fois bradé pour dézinguer du mort-vivant.
Pour votre officier instructeur Call of Duty – Black Ops II (Sony Interactive/Media Molecule, sur PS3, X360, PC et Wii U)
Le blockbuster prévisible de Noël en cache plus qu’il ne le laissait croire. Sa campagne solo, forçant le joueur à des choix critiques à plusieurs moments-clés du scénario, marque une rupture salvatrice avec le manichéisme habituel du genre. Plus ambivalent que ses congénères, Black Ops II réveille une formule que l’on croyait éculée par l’appât du gain.
Pour votre garde du corps Hitman Absolution (Square Enix/ IO Interactive, sur PS3, X360 et PC)
Dix ans après avoir rhabillé le genre de l’inf ilt ration, l’assassin chauve avait-il encore son mot à dire ? Au soulagement général, oui : l’agent 47 reste décidément le patron. Augmenté d’un lifting flamboyant, Hitman s’offre une nouvelle jeunesse sans rien renier de ses essentiels. Ses missions, bâties comme d’incroyables tableaux vivants, font la part belle aux méthodes assassines les plus alambiquées, où la discrétion est souvent de rigueur. Ondulant entre les ombres, 47 trace sa voie dans un univers sordide et hypnotique où chaque situation, même la plus triviale, bénéficie d’une scénarisation exemplaire. Coup de chapeau final : le mode multijoueur Contrats, pour se défier entre assassins du monde entier, qui assure une rejouabilité sans fin.
Pour votre nièce en école d’archi
Fallblox (Nintendo/Intelligent Systems, sur 3DS – eShop)
La Gameboy avait son Tetris. La Nintendo DS, son Picross. La 3DS, elle, aura son Fallblox. Suite du (déjà) génial Pullblox, cette pépite de l’eShop confronte l’avatar à un casse-tête architectural, dont il doit déplacer les fondations pour atteindre son sommet. Au sein de ces puzzles en relief, la solution découle d’un chamboulement des perspectives. Chef-d’œuvre poids plume.
Pour votre grand frère nostalgique de GTA Hotline Miami (Devolver Digital/ Dennaton Games, sur PC et Mac)
Avec ses sprites et ses musiques lo-fi, Hotline Miami pourrait passer pour un simple revival opportuniste de nos années 8-bits. Grossière erreur. Rarement a-t-on vu alliance aussi fine entre pixel art et action viscérale. Jouer à Hotline Miami, c’est revenir aux bases d’une jouabilité arcade où seules l’hypertension et la ténacité pourront répondre à d’incessants game over. D’une brutalité hallucinante (à ne pas mettre entre toutes les mains), le jeu désamorce tout soupçon de gratuité par son ambiance décalée, oscillant entre nanar eighties et polar dopé aux psychotropes. Œuvre d’un seul homme (Jonatan « Cactus » Söderström), Hotline Miami est un joyau teigneux, l’incarnation même de l’adrénaline, inscrite en lettres de sang.
www.mk2.com 123
124
hiver 2012-2013
LE GUIDE
SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS
128
©Simon Vogel Courtesy Kewenig Galerie Cologne
©Marc Domage
R O C K I N D É- C L U BB I N G / P E I N T U R E- A R T C O N T E M P O R A I N / T H E ÂT R E / L E P L AT
136
132
SORTIES EN SALLES CINÉMA DU MERCREDI 5 DÉCEMBRE AU MARDI 5 FÉVRIER
148
162
166 www.mk2.com 125
©Clement Schneider
SORTIES EN VILLE CONCERTS
Génération XX Rock indé The xx, les 18 et 19 décembre au 104, 19h30, à partir de 24 €, www.104.fr Coexist (Beggars Banquet, disponible)
Pop culture et mélancolie, minimalisme et sensualité, modestie et érudition YouTube : THE XX a tout du groupe intergénérationnel, coincé entre babyboomers et digital natives. C’est ainsi qu’ils coexistent. _Par Wilfried Paris
Moins génération Y (celui que trace le fil du baladeur sur le torse) qu’enfants de la crise, le trio londonien formé en 2005 par Romy Madley Croft et Oliver Sim, complété un an plus tard par Jamie Smith, est un peu la queue de comète de la génération X (d’où la doublette de la lettre), celle de la précarité économique et de l’absence de repères, thuriféraires d’un esprit gothique désenchanté (sapes noires, The Cure en tête de gondole), apôtres corbeaux d’une pop soustractive, jouant le vide et le silence comme une métaphore, murmurant leur désir dans une chambre tapissée d’idoles. En 2009, l’autoproduit et multi-platiné premier album xx distillait sa torpeur et sa moiteur 126
hiver 2012-2013
adolescentes en love songs minimalistes et mélancoliques dans lesquelles se reconnut toute une jeunesse indécise, gloutonne de musiques (du rock indé au R’n’B mainstream) mais rendue forcément modeste par les forces sociales écrasantes. The xx, un peu malgré eux, ont fait de ces déterminismes leur force, et de leurs défauts (timidité, neurasthénie) des qualités propices à l’identification. Avec Coexist, nouvel album sombre aux guitares qui se perdent, lancinant comme des battements de cœur, épuré comme un réceptacle, ils passent de l’adolescence à l’âge adulte, assumant leurs plaisirs : Jamie xx, devenu producteur surbooké depuis sa collaboration avec Gil Scott-Heron, lance les beats house à l’assaut des murmures, posant le trio en pionniers d’une nouvelle R’n’B ralentie et introspective (pas de The Weeknd ni de Frank Ocean sans eux). Enfin, il paraît que Romy et Oliver osent désormais regarder l’autre sur scène, voire le public dans le blanc des yeux. On pourra vérifier sur pièces, deux soirs durant au 104. C’est déjà complet, débrouillez-vous. ♦
DR
Action Bronson, le 12 décembre à la Bellevilloise
L’AGENDA
_Par W.P., M.P. et É.V.
Casey
Proche de La Rumeur, Casey pratique un « rap de fils d’immigrés » contestataire, sans compromis avec les sirènes du bling-bling. C’est en concert que le flow technique et enragé de la femcee se libère. Le 7 décembre au Tamanoir (Gennevilliers), 21h, à par tir de 5 €
Arrache-Toi Un Œil fête ses 10 ans Pour ses 10 ans, le duo de sérigraphes Arrache-Toi Un Œil invite une armée de groupes aux noms fleuris : Catholic Spray, Aluk Todolo, Les Louise Mitchels ou Radikal Satan. Au royaume des borgnes, les acouphènes seront rois. Les 8 et 9 décembre à Mains d’œuvres (Saint-Ouen), à partir de 13 €
Action Bronson Tout juste signé sur une major, souvent comparé à Ghostface Killah du Wu-Tang Clan pour son flow aussi coupant qu’un tesson, le rappeur blanc d’origine albanaise est la nouvelle sensation hip-hop du Queens. Le 12 décembre à la Bellevilloise, 20h, à par tir de 23,60 €
Winter Camp Festival Owen Pallett, Pinkunoizu, Chris Garneau, Botibol, The Amplifetes, Zun Zun Egui, Caandides sont quelques-uns des artistes qui composent l’alléchante affiche de ce nouveau festival indie rock et hivernal. Du 11 au 15 décembre à la Maroquinerie, la Flèche d’or, le Point éphémère, le Divan du monde et la Gaî té lyrique, de 12 à 25 €
Roll The Dice + Monolake Alors que leur EP de remixes vient de sortir, les Suédois de Roll The Dice dégainent leurs déguisements et leurs synthétiseurs analogiques vintage. Ils seront suivis par Monolake et son show electro-vidéo. Le 16 décembre à la Gaî té lyrique, 17h, entrée libre
Kid Francescoli + MmMmM + Shit Brown + Golden Age Of Yachting Joli quadruplé hexagonal avec l’electro-pop enlevée du Kid marseillais, les petits rockeurs de Saint-Lô MmMmM, l’indie dance des Parisiens Shit Brown et l’afro-rock de G.A.Y. : une pépinière de talents. Le 17 décembre au Point éphémère, 20h, à par tir de 12 €
Jef Barbara + Femminielli Montréal est à l’honneur avec l’androgyne Jef Barbara qui vient pousser sa chansonnette synth glam le même soir que Bernardino Femminielli, mystérieux moustachu (Giorgio Moroder n’est pas loin) italo disco. Le 19 décembre à l’Espace B, 20h30, à par tir de 9,80 €
www.mk2.com 127
SORTIES EN VILLE CLUBBING
BOUM GIVRÉE On t he rocks Soirées « On Ice », les 7 décembre, 4 janvier, 1 er février et 1 er mars à l’espace spor tif Pailleron, 20h30, 10 € (location patins incluse)
Le pas si méchant label Born Bad Records renouvelle sa résidence d’hiver à la patinoire Pailleron. Tous les premiers vendredis de novembre à mars, la crème des French labels indépendants vient faire glisser la faune parisienne. Échauffements. _ Par Etaïnn Zwer
Jean-Baptiste Guillot, dit JB Wizz, fait ses armes dans les majors. Écœuré du cynisme « washi-washa », il fonde en 2006 Born Bad Records, label-disquaire sur le modèle Rough Trade. Il roule en Triumph et défend « pour la gloire » un rock pur et dur : le post-punk scotchant de Frustration, Magnetix, Yussuf Jerusalem, les garage girls Habibi ou ses compilations d’oubliés magnifiques. « Le seul truc un peu pute » qu’il fait pour s’amuser, ce sont les soirées « On Ice », nées par hasard. À la piscine, maillot oublié oblige, le garçon se rabat sur la patinoire : c’est fun, excepté la nuée d’ados et la musique cassebonbons. L’espace sportif Pailleron accepte donc que JB donne carte blanche à des labels amis (Kill The DJ, 128
hiver 2012-2013
Tigersushi, Tricatel) ainsi qu’à du beau monde : Justice, Koudlam ou Tristesse Contemporaine se plantent ainsi au milieu de la piste. Succès, la formule séduit Vice et Nova, attire un public large, des familles aux hipsters. Quatre cents apprentis Candeloro se bousculent dans un esprit bon enfant : pas d’alcool, une boule à facettes, un écran vidéo pour admirer les stars du patinage artistique, des gadins en rafale. Les fans de feu la boîte de nuit La Main Jaune trouveront leur compte dans ce remake givré de La Boum. Et comme Vic avec l’amour, cette saison 4 donne le tournis : au générique, l’avant-garde hédoniste Get The Curse ; Clekclek Boom, le « nouveau Ed Banger » ; I’m A Cliché, label du découvreur hors pair Cosmo Vitelli ; et Blackstrobe Records, bébé electro-technoïde d’Arnaud Rebotini. Si le line up est encore secret, on prédit une fonte des glaces accélérée. L’occasion de ressortir sa tenue ski alpin, de parfaire son triple axel, de s’offrir une before décalée ou de briser adroitement la glace avec les filles. Et pour se mettre en jambes, le tube lo-fi symphonique de Cheveu, groupe chouchou de Born Bad : Ice Ice Baby. ♦
Full Moon, le 22 décembre au Social Club
L’AGENDA _Par E.Z.
Diynamic Hambourg fait la nique à Berlin. L’immense Solomun invite les protégés de son label pour un set multipiste entêtant : le duo zurichois Adriatique et sa deep house créative, flanqués du jeune mousse tabasseur Thyladomid. Ces trois-là aiment jouer en bande (ah, leur remix du Honey Honey de Feist…). Be there or be square. Le 15 décembre au Showcase, 23h30, à par tir de 15 €
Les Inouïs du Printemps de Bourges La chanson française a le vent en poupe, mais quid de la jeunesse electro ? L’ex-label Découvertes du Printemps de Bourges se colle avec amour au défrichage : Le Vasco, Dream Koala, Monsieur Morphée… Énergie brute, sleeptronica, intrigues expérimentales – ça rue dans les brancards et c’est bon. Le 19 décembre au Nouveau Casino, 19h30, entrée libre
Full Moon Sortir un soir de pleine lune ? Oui, au risque de croiser quelques créatures hypnotiques : l’Américain et génie précoce Molecule (le DJ, pas le superhéros Marvel), le French duo Monoblok&PSLKTR à la techno minimale hybride et la bombe russe Nina Kraviz vêtue de son electro house rêveuse. De quoi hurler à la lune. Le 22 décembre au Social Club, 23h, à par tir de 13 €
Michael Mayer Mantasy Tour L’explorateur techno et patron du label allemand Kompakt nous revient (enfin) avec un second album solo, Mantasy, bande-son ambient éclectique d’un film d’évasion en contrée imaginaire. Pour se faire pardonner huit ans de silence, Mayer paie sa tournée générale, égrenée de sets all night long dans ses clubs préférés. « Good Time » en perspective. Le 29 décembre au Rex Club, 0 0h, à par tir de 12 €
Formule Records Party Si la fin du monde est reportée sine die, on profitera des gâteries du label electronica fun, qui fait venir express de Lituanie le duo The Sneekers, adoubé par Étienne de Crécy. Ils seront épaulés par l’autodidacte moitié de Donovans, Dabeull, ainsi que par Adam Polo, BlondineTheMix et Miss Kelium. La bonne formule pour une dirty soirée. Le 12 janvier au Batofar, 23h45, à par tir de 10 €
www.mk2.com 129
© Artists and their estates 2011, licensed by Aboriginal Artists Agency Limited and Papunya Tula Artists. Art Gallery of South Australia, Adelaide. Concession du South Australian Government, 1984 (844P11)
SORTIES EN VILLE EXPOS
Uta Uta Tjangala, Old Man’s Dreaming (Rêve du vieil homme), 1983 (détail)
L’AUTRE AUSTRALIE Pein t ure « Aux sources de la peinture aborigène – Australie, Tjukurr tjanu », jusqu’au 20 janvier 2013 au musée du quai Branly, w w w.quaibranly.fr
Il faut voir se déployer les étranges connexions synaptiques sur les plafonds du musée du quai Branly, côté rue de l’Université, pour comprendre la place primordiale que l’endroit dédie à l’art aborigène. L’exposition « Aux sources de la peinture aborigène » se penche sur le courant Papunya Tula, aux antipodes de nos conceptions p icturales occidentales. Itinéraire illustré. _Par Laura Pertuy
Comment aborder un style dont on ignore quasiment tout et qui trouve peu d’écho dans notre sensibilisation artistique ? C’est cette once de fébrilité qui nous effleure à l’entrée de la grotte chaleureuse où s’exposent quelque deux cents œuvres et soixante-dix objets de l’art aborigène. Puis, très vite, une berceuse de couleurs et de symboles nous fait goûter les œuvres sans discours préalable. Il serait pourtant fâcheux de s’en 130
hiver 2012-2013
tenir à cette simple appréciation esthétique, car ces peintures se décryptent, d’abord par touches, puis par étendues plus vastes. On suit le parcours comme on découvre un territoire, dessinant en chemin une cartographie de l’espace autour de nous. EN ROUTE POUR LE BUSH C’est à Alice Springs, en Australie, que naît Papunya Tula, mouvement pictural du début des années 1970. Deux courants forts l’irriguent : le besoin de s’appuyer sur les traditions ancestrales, fondatrices de la nation, et le désir de représenter les changements socio-économiques d’une société en mutation. On assiste à l’épanouissement d’un nouveau mode d’expression, où il s’agit de représenter la coutume et les mythes via des peintures sur panneaux d’aggloméré, à l’aide de signifiants inédits. Nulle autre culture ne possède ce système de symboles codés, qui sert encore aux aborigènes pour communiquer (les femmes racontent des histoires grâce à des dessins dans le sable, par exemple). En plus de leur caractère esthétique, les pointillés qui
© Artists and their estates 2011, licensed by Aboriginal Artists Agency Limited and Papunya Tula Artists. National Gallery of Victoria, Melbourne. Photo Christian Markel
Anatjari Tjakamarra, Big Pintupi Dreaming Ceremony (Grande cérémonie du rêve pintupi), 1972 (détail)
cimentent ces toiles, lointains cousins du néo-impressionnisme, reprennent les motifs de peintures corporelles, de splendides boucliers ornés ou de cérémonies. Un langage complexe que l’on a plaisir à déchiffrer. On poursuit cette exploration le long d’un parcours silencieux, tout entier dédié à la musique des œuvres. Car il semblerait presque, parfois, que les lignes sinueuses que l’on suit des yeux provoquent des ondes de choc à la surface du tableau, comme des spirales qui nous entraîneraient dans des paysages au symbolisme inouï. LE CHEMIN DU RÊVE Derrière les tracés sibyllins que l’on tente de relier entre eux se cache la conception nourricière de l’art aborigène : le « Temps du rêve ». Il s’agit d’une période ancestrale où des êtres mythiques sortirent de la Terre, laquelle n’avait alors aucun relief. Leurs périples laissèrent sur le sol austral des empreintes qui dessinèrent le paysage et les cieux. Des millénaires plus tard, certaines personnes furent témoins d’apparitions leur narrant itinéraires et actions extraordinaires. C’est ce que les aborigènes se sont attaché à peindre depuis, avec le souhait de réactiver les rêves qu’on leur avait contés et de transmettre aux générations à venir un patrimoine aux mille et une histoires. De fil en aiguille, les peintres de Papunya se sont un peu éloignés des représentations traditionnelles pour laisser s’exprimer une créativité
autrement variée. On découvre alors des toiles aux frontières de l’abstraction, presque psychédéliques. À VOL D’OISEAU Quelques années après l’émergence du mouvement, plusieurs artistes, à l’image de Clifford Possum, s’attellent à de grandes toiles épiques où les rêves se mêlent aux symboles linéaires. Cercles concentriques (les lieux), lignes parallèles aux points reliés entre eux (les chemins) et mosaïques géométriques en pointillés (les dessins de sol) narrent le périple des ancêtres. Le monde s’y dessine depuis une hauteur sage et poétique, les paysages sont dénués de relief, comme contemplés par un oiseau. Si l’absence de ligne d’horizon exprime le lien essentiel entre l’artiste et sa terre, elle témoigne aussi d’une volonté de distance avec les « whitefellas » (les descendants des Européens) : le peintre aborigène s’affranchit des méthodes qu’il a pu croiser en ville et préserve ainsi la longévité de son peuple en se réappropriant son histoire et son art. Ses maîtres l’encouragent donc à rendre ses peintures flashy comme à fixer la matière sur la toile grâce à des techniques précises. Travail commun, célébration par le chant : la création devient festive et élève le quotidien. C’est certainement, comme le théorisait Gilles Deleuze, parce qu’une « fuite dans l’imaginaire ou dans l’art, c’est produire du réel, créer de la vie ». ♦ www.mk2.com
131
©Simon Vogel Courtesy Kewenig Galerie Cologne
SORTIES EN VILLE EXPOS
La Bocca/Basch, 2005, canapé sur congélateur
HAUTE BOUTURE AA rrchi t con t ect emporain t ure « Ber trand Lavier, depuis 1969 », jusqu’au 7 janvier 2013 au centre Pompidou, w w w.centre-pompidou.fr
BERTRAND LAVIER commença horticulteur. Il finit au centre Pompidou, où l’institution lui réserve un très beau sort à travers une lumineuse rétrospective qui ne regarde jamais dans le rétro. _Par Léa Chauvel-Lévy
De l’horticulture, Lavier a conservé la technique de la greffe. On pourrait même dire qu’il a fait de son œuvre un immense champ de boutures, à la fois par la technique, ses marques de fabrique étant le socle et l’empilement, mais également dans la façon qu’il a de tisser sans cesse des liens avec l’histoire de l’art. Avec Duchamp, par exemple, dont il est presque toujours question dans sa création. « Avec Lavier, explique Michel Gauthier, commissaire de l’exposition, les ready-made échappent définitivement à Duchamp. » On pourrait trouver la démarche prétentieuse, mais, face aux œuvres, elle se comprend aisément. Là où Duchamp s’est « contenté » de faire entrer dans 132
hiver 2012-2013
les musées de simples objets pour leur accorder le statut d’objets d’art, Lavier, lui, les assemble et les transforme en accordant une importance fondamentale à la matière, la couleur, la forme. Ainsi de son congélateur Bosch, sur lequel il posa le fameux canapé La Bocca, conçu par Dalí et représentant de grandes lèvres rouges : un monticule chargé d’histoire qui surpasse le simple clin d’œil. Idem pour Giulietta, Alfa Romeo rouge accidentée face à laquelle on serait d’abord tenté de tourner les talons… Or, plus on gravite autour de cette carcasse cabossée, plus on vit intimement la matière abîmée. Plus loin, c’est un skate-board sur socle qui fait sourire, rappelant combien Lavier agite l’histoire de l’art pour se l’approprier. Amorcée dans les années 1990, cette série d’objets ordinaires mis sur pieds pose une question stimulante : en quoi la culture occidentale ordinaire, représentée par un ours en peluche ou un bidon de lait, serait-elle différente des peignes exposés dans le département étrusque du musée du Louvre ? Lavier fait un pari : dans quelques millénaires, le skate-board aura une place sacrée dans les musées. Avec lui, c’est déjà scellé. ♦
© Succession Picasso 2012
© Musée d’Orsay (dist. RMN)
LE CABINET DE CURIOSITÉS
Pablo Picasso, Nature morte à la tête de mort, poireaux, pot devant la fenêtre, 1945
Paysage de mine, les puits Chatelus à Saint-Etienne, 1907-1912
Art industriel
L’AGENDA
Thiollier, ou le génie photographique qui s’ignore. Présenté aujourd’hui comme un photographe d’art, il se considéra jusqu’à la fin de sa vie comme un simple amateur, tenant à rester loin des cercles pictorialistes, en vogue à la fin du XIXe siècle. Passionné d’archéologie, il n’avait qu’une idée en tête : consigner les fouilles de sa région. Il immortalise également, précieux documents, le monde mécanisé de sa ville, Saint-Étienne, berceau de la révolution industrielle française. C’est en somme l’histoire émouvante d’un homme qui s’ennuie de sa vie de petit-bourgeois, se saisit d’un média nouveau, quitte son emploi de rubanier et se consacre à ce qu’il aime profondément. L’histoire lui en sait gré. _L.C.-L.
_Par L.C.-L.
Les Aveugles À travers deux grands formats peints, polyptyques colorés, dans l’ancienne sacristie du collège des Bernardins, l’artiste contemporain Bruno Perramant épouse un point de vue radical : et si nous étions tous aveugles ? Superficiels, passant à côté de tout, aveuglés par des certitudes qu’il ébranle à coups de pinceaux. Du 9 novembre 2012 au 20 janvier 2013 au collège des Bernardins, w w w.collegedesbernardins.fr
« Canaletto à Venise »
Jusqu’au 10 février 2013 au musée Maillol, w w w.museemaillol.com
« Saison 2 – Imaginez l’imaginaire » Deuxième volet de cette exposition portée par un fantasme de transparence (quasi neuronale) des artistes. Rencontre avec leur imaginaire et l’origine de leur création à travers leurs œuvres, miroirs de leurs systèmes. Ou l’art de penser la forme et l’idée dans un même ensemble. Jusqu’au 11 février 2013 au palais de Tok yo, w w w.palaisdetok yo.com
« L’art en guerre – France 1938-1947 – De Picasso à Dubuffet » Malgré les années noires, les toiles produites ne le furent pas toutes. Dubuffet, Léger, Derain, Picasso continuèrent en effet à créer pendant la guerre. Plus encore, c’est pendant cette période d’oppression que s’élaborèrent des formes picturales inédites. Un parcours lumineux entre privation et libération. Jusqu’au 17 février 2013 au musée d’Ar t moderne, w w w.mam.paris.fr
« Les couleurs du ciel – Peintures des églises de Paris au XVIIe siècle » Avant les musées, il y avait les églises pour admirer les grands maîtres. C’est en effet là qu’« exposaient » les peintres tels que Nicolas Poussin ou Philippe de Champaigne. Lever les yeux n’est pas prier dans ce parcours passionnant, rivé sur l’art religieux et son intégration dans les lieux sacrés. Jusqu’au 24 février 2013 au musée Carnavalet, w w w.carnavalet.paris.fr
« Félix Thiollier (1842 - 1914) – Photographies », du 13 novembre 2012 au 10 mars 2013 au musée d’Orsay, w w w.musee-orsay.fr
L’ŒIL DE… ©ADAGP 2012 ©RMN musee de lorangerie/Herve Lewandowski
Veiller à emporter ses jumelles pour plonger dans les détails fourmillants des splendides vues de Venise immortalisées par l’immense védutiste Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto. L’occasion de se familiariser avec la veduta, « vue » en italien, genre florissant au XVIIIe siècle, à l’origine des plus belles perspectives de paysages urbains.
Chaim Soutine, Le Village, 1923
Marie-Paule Vial, commissaire de l’exposition « Chaïm Soutine (1893-1943) » « Pourquoi Soutine a-t-il tordu les paysages, les visages ? On a interprété cette torsion qui le caractérise à la lumière de sa biographie, à l’aune de ses grandes angoisses. Mais peut-être qu’elle indiquait tout autre chose. Un peintre au XXe siècle ne peint pas ce qu’il voit, mais ce qu’il ressent. De là à tout rapporter à sa psychologie… Aussi nous semblait-il important de poser cette question : cette approche n’est-elle pas réductrice ? Cette exposition tend à regarder enfin l’œuvre du peintre et non plus seulement sa vie. Certes, il y a une violence chez Soutine, mais il ne faudrait pas la sur-interpréter pour trouver des clés d’analyse de sa peinture. Lui-même ne se posait pas la question en ces termes. » _Propos recueillis par L.C.-L. « Chaïm Soutine (189 3-19 43) – L’ordre du chaos », jusqu’au 21 janvier 2013 au musée de l’Orangerie, w w w.musee-orangerie.fr
www.mk2.com
133
DR
SORTIES EN VILLE SPECTACLES
Deux de tension Théât re S Druge Strane (De l’autre côté) de Nataša Rajković et Bobo Jelčić, du 13 au 20 décembre au théâtre national de la Colline Festival d’automne à Paris, w w w.colline.fr
Réussir une comédie à partir de thèmes aussi peu cocasses que la dépression et l’apathie généralisée ? Le défi est relevé par le tandem croate NATAŠA RAJKOVIĆ et BOBO JELČIĆ dans De l’autre côté, une farce couleur naphtaline et Formica dont on ressort requinqué. _Par Ève Beauvallet
Même le vieux canapé planté en bord de scène ressemble à Bill Murray. Trop mou, poussif, il semble prêt à basculer dans le sommeil… Pour un peu, on verrait le papier peint se décoller et le décor entier fondre sur luimême dans le drôlissime S Druge Strane (De l’autre côté), sorte de portrait délavé de la société croate signé par deux figures du renouveau théâtral local, Nataša Rajković et Bobo Jelčić. Ils nous plantent dans un huis clos familial, avec une mère quadragénaire pas franchement reluisante, engluée dans son divan, sous Prozac et sous séries télé. Autour d’elle, fondus dans un décor postsoviétique, trois personnages tentent, 134
hiver 2012-2013
une dernière fois, de réunir un peu de tension pour lutter contre la neurasthénie ambiante… Mais rien ne semble y faire : « On dirait de la gélatine, un ballon dégonflé, elle n’est capable de rien », se moque-t-on sur scène, désabusé. À partir de ce morne constat, toute l’inventivité des deux auteurs-metteurs en scène est de pousser l’apathie jusqu’aux frontières du paranormal en imaginant des séquences burlesques où les objets environnants, presque personnifiés, semblent eux aussi entraînés dans la dépression maternelle. Allégorie de la société ou simple appréhension que l’ensemble des structures sociales ne s’en trouve contaminé ? Quoiqu’il en soit, on pense beaucoup aux ressorts théâtraux développés par Harold Pinter ou par Samuel Beckett dans cette farce créée à partir d’improvisations sur l’égocentrisme et la solitude : un travail sur la densité du vide, sur le caractère comique du néant, sur le désert communicationnel. De grands principes du théâtre moderne, loin d’être enterrés avec leurs créateurs, et que Rajković et Jelčić actualisent avec virtuosité. ♦
©Alain Leroy
Gaspard Proust, jusqu’au 12 janvier au théâtre du Rond-Point
L’AGENDA _Par È.B.
Festival H2O et Suresnes cités danse
Fan de krump, adepte du popping ou profane curieux des street cultures, on vous suggère la direction d’Aulnay-Sous-Bois, puis celle de Suresnes. Deux gros festivals hivernaux y balancent successivement le meilleur de la danse hip-hop : Ibrahim Sissoko, Sébastien Lefrançois ou Antony Égéa. Festival H2O, du 12 au 16 décembre à Aulnay-Sous-Bois, w w w.festival-h2o.com Suresnes cités danse, du 12 janvier au 3 février 2013 au théâtre de Suresnes Jean-Vilar, www.suresnes-cites-danse.com
Richard III – Simulation magistrale d’un mégalomane La talentueuse compagnie des Dramaticules s’est souvent fait remarquer pour son sens percutant du rythme et un jeu d’acteur stylisé aux frontières du burlesque. On se demande donc, alléchés, comment le metteur en scène Jérémy Le Louët compte conjuguer son sens du speed Tex Avery aux envolées shakespeariennes de Richard III. Jusqu’au 23 décembre au Théâtre 13, w w w.theatre13.com
Gaspard Proust
« Sans le nazisme, on n’aurait pas les codes pour La Grande Vadrouille. » Comment voulezvous qu’on se lasse de Gaspard Proust ? Seul candidat crédible au titre d’humoriste insolent et désabusé, « féministe incompris » qui fait hurler les tenanciers du premier degré, il nous gratifie d’un nouveau round de son one man show au théâtre du Rond-Point. Jusqu’au 12 janvier 2013 au théâtre du Rond-Point, w w w.theatredurondpoint.fr
La nuit tombe… Il faut chercher les héritiers de David Lynch parmi les réalisateurs de cinéma mais aussi parmi les metteurs en scène de théâtre. Côté planches, Joël Pommerat est toujours le fils le plus légitime, mais un petit cousin très lynchien commence lui aussi à se faire remarquer. Il s’appelle Guillaume Vincent, et sa Nuit tombe… pourrait vous faire frissonner. Du 8 janvier au 2 février 2013 au théâtre national de la Colline, w w w.colline.fr
Œdipus / Bêt noir Chorégraphies rock, ultra-physiques et viscérales, mix de musiques electro, country et expérimentales jouées en live… C’est ce qu’on nous annonce pour la venue à Paris de l’incontournable Wim Vandekeybus, figure tonitruante de cette dansethéâtre belge inventive et internationalement saluée. Son Œdipe sera sûrement décomplexé. Du 28 janvier au 3 février 2013 au théâtre de la Ville, w w w.theatredelaville-paris.com
www.mk2.com 135
©Marc Domage
SORTIES EN VILLE SPECTACLES
à mort L’amour Théât re Clôture de l’amour de Pascal Ramber t, du 12 au 15 décembre au centre Pompidou, w w w.centrepompidou.fr
Opération à cœur ouvert sur le plateau de PASCAL RAMBERT. Son entêtant Clôture de l’amour magnifie et étire une rupture entre deux amants, et s’impose comme la plus la lacrymale des tragédies contemporaines. _Par Ève Beauvallet
« Je voulais te voir pour te dire que ça s’arrête/ça va pas continuer/on va pas continuer ». Sur un plateau froid et blanc aux allures de chambre de torture, Stan est venu dire à Audrey qu’il s’en va. Pas de morale Walt Disney, pas de bisbilles façon Chouchou et Loulou, aucune possibilité de « repartir à zéro »… L’explication sera simplement longue, frontale, sans pitié. Et pour que la rupture soit à la hauteur de leur amour passé, Audrey devra tout écouter, jusqu’au constat d’indifférence : « En d’autres temps (…) le monde était simple et ta douleur dans ta poitrine un coup de hache dans la mienne mais aujourd’hui ce spectacle mon corps le refuse/rien ne bouge ». Une fois conclue cette mise à mort de presqu’une heure, inversion des rôles : au tour 136
hiver 2012-2013
de cette Audrey à la stature de reine, immobile à l’autre bout de l’échiquier, de répliquer. Deux monologues, deux conceptions de l’amour, deux amants qui s’entredévorent sous nos yeux. Là est la proposition de l’auteur et metteur en scène Pascal Rambert, dont le premier talent est d’avoir su grossir, comme à la loupe, un moment ténu de l’expérience amoureuse : non pas la déchéance du sentiment ni le processus de deuil, mais l’instant de formulation du verdict « Je te quitte », quand chaque mot heurte comme un missile. Le second coup de force, c’est d’avoir confronté ce texte hyperréaliste à un dispositif dramaturgique codifié comme dans les grands duels antiques. D’un côté, un cadre archaïque (place fixe sur le plateau, stricte répartition du temps de parole, lyrisme violent, patience et minutie extrême de la pensée), de l’autre, un ancrage contemporain (package lexical « dernier cri », minimalisme, dégaine branchée et une thématique « fin de mythe » bien d’aujourd’hui). Une manière sublime de donner à ce couple moderne et désenchanté le standing des plus beaux tandems de la mythologie. ♦
©Pierre Grobois
Le spectacle vivant non identifié
Série chérie Initiative originale et audacieuse : le metteur en scène Mathieu Bauer, à la direction du Nouveau Théâtre de Montreuil, a voulu mesurer le théâtre au format des séries télé. Une faille, feuilleton théâtral sur le logement, mobilise donc depuis plusieurs mois des dizaines de bénévoles locaux mais aussi une équipe de showrunners professionnels (sociologues et scénaristes) chargée d’inventer tous les ressorts de cette fiction live fabriquée, entre autres, pour tous les rétifs au théâtre conventionnel. Les épisodes 5 et 6 se jouent en décembre – un résumé des épisodes précédents est disponible sur le site. Et la plusvalue apportée mérite ensuite que l’on déscotche de son PC… au moins le temps d’une soirée. _È.B. Une faille de Mathieu Bauer – Saison 1, épisodes 5 et 6, jusqu’au 20 décembre au Nouveau Théâtre de Montreuil, w w w.nouveau-theatre-montreuil.com
©Patrick Carpentier
L’INVITÉ SURPRISE
Alex Lutz en one man show Longtemps resté dans l’ombre du tandem Palmade-Laroque et des comiques Sylvie Joly ou Audrey Lamy, pour qui il signait des mises en scène, casté pour des rôles de nazis à l’écran (Heinrich dans OSS 117 – Rio ne répond plus) – effet collatéral inévitable pour ce Strasbourgeois aux yeux clairs –, Alex Lutz attire aujourd’hui tous les projos. Ceux de Canal+, d’abord : l’humoriste est un des atouts du Petit Journal avec son rôle de commère surmaquillée dans « La revue de presse de Catherine et Liliane ». Ceux de la scène, ensuite, qu’il bichonne avec un one man show grand luxe accompagné d’une affiche parodiant la pub Kinder Maxi. Une barre de rire savoureuse avec deux fois plus de talent à l’intérieur. _È.B. Jusqu’au 22 décembre au Grand Point virgule, w w w.lepoint virgule.com
www.mk2.com
137
©Bruno Verjus
SORTIES EN VILLE RESTOS
LEVER UN LIÈVRE le plat
Un petit rayon de soleil aux couleurs de girolles, un hiver aux tonalités d’un jour d’automne ; il n’en fallait pas plus pour se mettre en appétit de l’un des plus beaux plats de la gastronomie française : un lièvre à la royale. Alors ce lièvre, façon Couteaux ou façon Carême ? _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.fr)
Le Repaire de Cartouche offre un voyage dans l’imaginaire et dans le temps. La salle se peint de boiseries sombres, de belle humeur, d’assiettes généreuses et fumantes et de visages rougeoyants ; l’on habite – presque – le Repas de noces de Bruegel. L’on vient s’y régaler, seul ou à plusieurs. Le chef Rodolphe Paquin veille à tenir cette promesse. Croquant pâté en croûte aux saveurs confites et joyeuses, et surtout ultime lièvre à la royale selon la recette d’Antonin Carême codifiée en 1907 par Henri Babinski, alias Ali-Bab. À ne pas confondre avec le lièvre à la royale façon sénateur
138
hiver 2012-2013
Couteaux – Joël Robuchon, Poitevin comme le sénateur, le réhabilita avec ferveur via le Larousse gastronomique et ses nombreux restaurants –, où l’animal est confit en entier, fourré ou non. Ici, le lièvre façon Carême est désossé et farci avec foie gras et truffes avant cuisson. Ensuite, on retire les chairs pour délivrer, en effiloché, des sortes de rillettes chaudes. Tout cela s’avale tout seul, la qualité des produits offrant ensuite une digestion de bébé. Bref, un repas d’avant à l’égal d’une gourmandise d’enfant. ♦ Où le déguster… Au bascou, 38, rue Réaumur, 750 03 Paris – Tél. : 01 42 72 69 25 Relais Louis XIII, 8, rue des Grands-Augustins, 750 06 Paris – Tél. : 01 43 26 75 9 6 Le comptoir du Relais, 9, carrefour de l’Odéon , 750 06 Paris – Tél. : 01 44 27 07 97 Atelier de Joël Robuchon, 5, rue Montalember t, 750 07 Paris – Tél. : 01 42 22 56 56 L’Ami Jean, 27, rue Malar, 750 07 Paris – Tél. : 01 47 05 86 89 Senderens, 9, place de la Madeleine, 750 08 Paris – Tél. : 01 42 65 22 9 0 Chez Michel, 10, rue de Belzunce, 75010 Paris – Tél. : 01 44 53 06 20 Bistrot Paul Ber t, 18, rue Paul-Ber t, 75011 Paris – Tél. : 01 43 72 24 01 Le Repaire de Car touche, 8, boulevard des Filles-du-Calvaire, 75011 Paris – Tél. : 01 47 0 0 25 86
DR
où flâner après…
… le film L’Odyssée de Pi De l’Inde au Brésil, en passant par le Japon, leurs bonnes feuilles sont imprimées ou infusées. Le Thé des écrivains tisse depuis 1999 un lien de saveurs entre la plume et la cuillère. Dernier avatar de ce pont, un salon, dans la pure tradition littéraire : espace de rencontre, de lecture et de dégustation. Salon de thé et librairie indépendante sont associés dans un écrin de la rue des Minimes avec le but non seulement de vous faire ouvrir des pages, mais aussi de vous les faire écrire grâce à une collection de carnets naturels, imprimés sur du papier de coton. De quoi prolonger l’aventure ulyssienne du jeune pondichérien Pi. _A.S. Le Salon by Thé des Écrivains, 16 rue des Minimes, 750 03 Paris Tél. : 01 40 29 46 25 L’Odyssée de Pi d’Ang Lee (20 th Centur y Fox, sor tie le 19 décembre) Lire également p. 10 0
©1987 A-S PANORAMA FILM INTERNATIONAL. Tous droits reserves
LA RECETTE
Les blinis façon Le Festin de Babette Chef dans un grand restaurant parisien, Babette fuit la Commune de Paris et s’exile chez deux vieilles filles au Danemark. Un jour, elle gagne à la loterie et décide de préparer un dîner français. Parmi les plats au menu, des blinis Demidoff. Mixez de la levure à 250 ml de lait tiède et de farine jusqu’à ce que le tout soit lisse. Laissez reposer deux heures, puis versez deux jaunes d’œufs, 65 ml de crème et 125 ml de farine. Ajoutez une pincée de sel et deux blancs en neige. Après trente minutes de repos, formez des blinis à partir de la pâte, puis faites les dorer à feu moyen. Enfin, recouvrez-les de caviar et de crème fraîche. À servir avec du champagne Veuve Clicquot 1860, si vous avez… _T.D. Le Festin de Babette de Gabriel A xel (19 87) Avec Stéphane Audran, Birgit te Federspiel… Carlot ta Films // Sor tie le 19 décembre (reprise)
www.mk2.com 139
SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA _Par T.D., C.G., A.G., J.R., É.R. et L.T.
Ai WeiWei – Never Sorry d’Alison Klayman
05/12 AI WEIWEI – NEVER SORRY
LES ÉCLATS
Un portrait de l’artiste activiste Ai Weiwei en dissident qui ne s’excuse jamais. Arrêté en avril 2011 parce qu’il provoquait le régime chinois en pointant du doigt ses débordements, il a depuis été libéré mais est interdit de sortie de territoire.
À Calais, des hommes et des femmes attendent de passer la frontière. Lieu d’attente, de frustration, d’espoirs, la « jungle » où s’amassent les migrants apparaît dans ce documentaire sensible de Sylvain George comme le symbole d’une mondialisation ratée.
LES MONDES DE RALPH
TROIS MONDES
Pour sa livraison de Noël, la firme de Burbank investit pour les petits l’univers des jeux vidéo (déjà abordé par Pixar dans Toy Story et Cars), avec Ralph, un personnage de méchant destructeur en crise de désamour, qui veut s’élever hors de sa condition.
Après avoir renversé un inconnu, Raphaël Personnaz tente de se racheter auprès de l’épouse de sa victime. Catherine Corsini signe, trois ans après Partir, un nouveau film sur la fracture sociale, sélectionné dans la catégorie Un certain regard à Cannes.
Héritage
Télé Gaucho
Premier passage derrière la caméra pour l’actrice israélienne Hiam Abbass. Elle met en scène une famille palestinienne rassemblée pour célébrer un mariage, mais qui voit la fête troublée par le désir de liberté de la jeune Hajar, amoureuse d’un Anglais.
Une jouissive plongée à la première personne dans le monde touffu des télévisions associatives, inspirée par l’histoire de Télé Bocal. Entre docufiction et sketchs braques, ces tranches de vies militantes et artistiques sont unies par un beau casting.
Un jour de chance
ERNEST ET CÉLESTINE
Le film marque le retour au huis clos du baroque cinéaste ibère Álex de la Iglesia : dans ce fait divers, un chômeur se retrouve avec une barre de fer coincée dans la tête. Un suspense sur fond d’obsession de la célébrité et de crise économique espagnole.
L’une des plus chouettes séries de livres pour enfants jamais écrite est transposée sur grand écran avec majesté et magie, sur un scénario de Daniel Pennac. L’histoire d’une amitié entre un ours et une petite souris vivant dans deux mondes ennemis.
d’Alison Klayman Documentaire Haut Et Cour t, États-Unis, 1h31
de Rich Moore Avec les voix de John C. Reilly, Sarah Silverman… Disney, États-Unis, 1h41
de Sylvain George Documentaire Noir Production, France, 1h24
de Catherine Corsini Avec Raphaël Personnaz, Clotilde Hesme… Pyramide, France, 1h41
12/12 de Hiam Abbass Avec Hafsia Herzi, Hiam Abbass… Diaphana, France, 1h28
d’Álex de la Iglesia Avec Jose Mota, Salma Hayek… Distrib Films, Fr./É.-U./Esp., 1h35
140
hiver 2012-2013
de Michel Leclerc Avec Félix Moati, Éric Elmosnino… UGC, France, 1h52
de B. Renner, V. Patar et S. Aubier Avec Lamber t Wilson, Anne-Marie Loop… StudioCanal, Fr./Bel./Lux., 1h19
www.mk2.com
141
SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA
et surtout… 05/12 Tabou (lire p. 64) Les Hauts de Hurlevent (lire p. 148) Hors les murs (lire p. 150) Anna Karenine (lire p. 152) Cogan (lire p. 154) 12/12 Le Hobbit – Un voyage inattendu (lire p. 18 et p. 20) Les Bêtes du Sud sauvage (lire p. 80) Marina AbramoviC (lire p. 156) 19/12 Jean de la Lune (lire p. 56) Tomi Ungerer – L’Esprit frappeur (lire p. 56) 4h44 – Dernier jour sur Terre (lire p. 76) Main dans la main (lire p. 88) L’Odyssée de Pi (lire p. 10 0 et p. 139 ) Le Festin de Babette (lire p. 139 ) 26/12 Sugar man (lire p. 36) Possédée (lire p. 42) Le Cheval venu de la mer (lire p. 10 0) Jours de pêche en Patagonie (lire p. 158) Jack Reacher (lire p. 174)
Une Estonienne à Paris d’Ilmar Raag
19/12 LOVE IS ALL YOU NEED
ALEX CROSS
Après Revenge (2011), Susanne Bier embarque Pierce Brosnan (parfait gentleman usé) en Italie pour une comédie romantique bien menée. Il s’y rend pour le mariage de son fils et tombe sous le charme de la mère de la mariée, tout juste remise d’une chimio.
Un détective profileur est aux prises avec un tueur en série répondant au surnom de Picasso, particulièrement retors et prompt à la torture dans ce thriller de l’Américain Rob Cohen, à qui l’on doit notamment l’énergique premier volet de Fast and Furious.
JE M’APPELLE KI
DE L’AUTRE CÔTÉ DU PÉRIPH
Ki est une jeune artiste pétillante. Elle quitte le père de son enfant et emménage avec son fils chez Miko, trentenaire taciturne. Dominé par le talent de son actrice principale et par son personnage, ce premier long métrage est une belle surprise.
Deux flics que tout oppose mettent de côté leurs différences pour mener l’enquête sur la mort suspecte de l’épouse d’un grand patron français. Après Cyprien, David Charhon réunit Omar Sy et Laurent Laffite dans une comédie aux accents de buddy movie.
Une Estonienne à Paris
Touristes
Jeanne Moreau est Frida, une Estonienne installée à Paris. Son quotidien est bouleversé lorsqu’arrive Anne, chargée de prendre soin d’elle. Toutes deux vont faire revivre le passé romantique de la vieille dame, toujours amoureuse de son ancien amant.
Un jeune couple part faire un tour en Angleterre à bord d’une caravane. Les vacances tranquilles tournent vite à la virée meurtrière. Son ton très particulier, entre cauchemar ubuesque et comédie romantique, fait de Touristes une pépite à l’étrange éclat.
Un enfant de toi
L’homme qui rit
Le cœur d’Aya (Lou Doillon), jeune mère divorcée et remaquée, balance entre l’ex et l’actuel dans ce triangle amoureux bourgeois bohème et bavard. Face à elle, le taciturne Samuel Benchetrit excelle en Parisien tourmenté par la vacuité de ses amours.
Le réalisateur des Émotifs anonymes adapte le roman hors normes de Victor Hugo en faisant le choix d’une vision personnelle de ce conte, qui trouve ici des résonances burtoniennes, et d’un Gérard Depardieu habité par la plume de l’écrivain.
de Susanne Bier Avec Trine Dyrholm, Pierce Brosnan… Les Films Du Losange, Danemark, 1h55
de Leszek Dawid Avec Roma Gasiorowska, Adam Woronowicz… Aramis Films, Pologne, 1h33
de Rob Cohen Avec Tyler Perr y, Edward Burns… Metropolitan Filmexpor t, États-Unis, 1h41
de David Charhon Avec Omar Sy, Laurent Laf fite… Mars, France, 1h36
26/12 d’Ilmar Raag Avec Jeanne Moreau, Laine Mägi… Pyramide, Fr./Bel./Est., 1h34
de Jacques Doillon Avec Lou Doillon, Samuel Benchetrit… Sophie Dulac, France, 2h16
142
hiver 2012-2013
de Ben Wheatley Avec Alice Lowe, Steve Oram… Wild Side/Le Pacte, Grande-Bretagne, 1h29
de Jean-Pierre Améris Avec Gérard Depardieu, Marc-André Grondin… EuropaCorp, France, 1h33
www.mk2.com
143
SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA
Selkirk – Le Véritable Robinson Crusoé de Walter Tournier
02/01 RENOIR
MON PÈRE VA ME TUER
Retiré dans le Sud de la France à la fin de sa vie, le peintre Auguste Renoir doit affronter la mort de sa femme et le départ de son fils à la guerre. Il rencontre alors la jeune Andrée, qui devient son modèle et la compagne de ses vieux jours.
Dans les années 1970, une fillette meurt dans un règlement de comptes mafieux, et l’argent de l’indemnisation précipite sa famille dans la tragédie. Cipri installe son récit dans une Italie du Sud criarde et populaire, qu’il filme sur le ton de la farce.
LE ROI DU CURLING
YOSSI
Récompensé au dernier Festival du film grolandais par une Amphore du peuple (prix du public), Le Roi du curling suit une compétition de la dernière chance pour une équipe toute aussi givrée que la glace sur laquelle glissent les pierres de granit poli.
À Tel Aviv, Yossi, trentenaire mal dans sa peau, vit seul. Cardiologue, il se noie dans son travail pour pallier sa solitude. Pourtant, il va faire un voyage qui lui permettra de rencontrer l’amour. La nouvelle romance gay du réalisateur de The Bubble.
SELKIRK – LE VÉRITABLE ROBINSON CRUSOÉ
COMME UN LION
Abandonné par son équipage sur une île déserte des mers du Sud, le jeune pirate Selkirk apprend à survivre seul comme un Robinson Crusoé. Walter Tournier, spécialiste de l’animation image par image en pâte à modeler, signe ici son premier long métrage.
À 15 ans, Mitri quitte le Sénégal pour devenir footballeur pro en France. Il se retrouve vite seul, sans argent, et finit dans un foyer à Montbéliard. Samuel Collardey signe une jolie fable idéaliste tout en posant un regard acerbe sur le monde du foot.
Une histoire d’amour
UN PRINCE (PRESQUE) CHARMANT
L’actrice Hélène Fillières (Mafiosa) revisite avec sérieux, pour sa première réalisation, la passion tragique et sadomasochiste du banquier Édouard Stern et de sa maîtresse, telle que déjà abordée par Régis Jauffret dans son roman Sévère (2010).
Homme d’affaires carriériste, Jean-Marc tombe fou amoureux de Marie, qui ne rêve que du prince charmant. Après le nostalgique Nos plus belles vacances, Philippe Lellouche s’attaque à une romance avec Vincent Perez dans le rôle de l’égoïste romantique.
de Gilles Bourdos Avec Michel Bouquet, Vincent Rot tiers… Mars, France, 1h51
de Ole Endresen Avec Atle Antonsen, Linn Skåber… KMBO, Nor vège, 1h20
de Daniele Cipri Avec Toni Ser villo, Giselda Volodi… Bellissima Films, France/Italie, 1h33
de Ey tan Fox Avec Ohad Knoller, Oz Zehavi… Bodega Films, Israël, 1h23
09/01 de Walter Tournier Animation KMBO, Uruguay, 1h15
d’Hélène Fillières Avec Benoî t Poelvoorde, Laetitia Casta… Wild Bunch, Fr./Bel./Lux., 1h20
144
hiver 2012-2013
de Samuel Collardey Avec My tri At tal, Marc Barbé… Pyramide, France, 1h42
de Philippe Lellouche Avec Vincent Perez, Vahina Giocante… EuropaCorp, France, durée N. C.
et surtout… 02/01 Foxfire – Confessions d’un gang de filles (lire p. 23) L’Homme aux poings de fer (lire p. 34) Gimme the Loot (lire p. 160) 09/01 Paradis : amour (lire p. 44) The Master (lire p. 162) Aujourd’hui (lire p. 164) 16/01 Django Unchained (lire p. 40) Mundane History (lire p. 166) 23/01 Blancanieves (lire p. 24) El Estudiante (lire p. 168) 30/01 Lincoln (lire p. 42) Les Chevaux de Dieu (lire p. 170) Dans la brume (lire p. 172)
16/01 LA PARADE
de Srdjan Dragojević Avec Nikola Kojo, Miloš Samolov… Sophie Dulac, Hon./Ser./Cr./Sl./All., 1h55
Organiser une marche des fiertés à Belgrade, c’est dur. L’histoire improbable et sympathique d’une alliance entre les militants gays de la ville et d’anciens gangsters (peu portés sur la question de l’identité sexuelle) contre un groupe d’extrême droite.
Tu honoreras ta mère et ta mère
de Brigit te Roüan Avec Nicole Garcia, Éric Caravaca… Ad Vitam, France, 1h36
Jo (Nicole Garcia, une fidèle du cinéma de Brigitte Roüan) arrive en Grèce avec ses fils pour organiser un festival. Mais la crise économique est passée par là, et le festival est annulé. Jo décide, le temps d’un été, de se battre en famille contre le destin.
Alceste à bicyclette
de Philippe Le Guay Avec Fabrice Luchini, Lamber t Wilson… Pathé, France, 1h44
Serge (Luchini) est un ancien acteur de théâtre aujourd’hui retiré sur l’île de Ré. Gauthier (Wilson) vient lui proposer d’incarner Alceste, le héros du Misanthrope. Le rôle semble fait pour lui, mais il faut compter avec le caractère du vieil ermite…
LULLABY TO MY FATHER
d’Amos Gitaï Documentaire Épicentre Films, France, 1h22
Munio, architecte, père de Gitaï, a fait partie du Bauhaus, courant artistique allemand fondé par Walter Gropius en 1919. À partir des souvenirs intimes du cinéaste et des mutations de l’architecture, ce documentaire mêle histoire et contemporain.
www.mk2.com
145
SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA
Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow
23/01 MARIAGE À MENDOZA
LE GRAND RETOURNEMENT
Deux frères, dont l’un vient de se faire plaquer par sa copine, partent en Argentine pour assister au mariage de leur cousin. Un road trip allumé auquel on doit la découverte du comédien Philippe Rebbot, jeune homme dégingandé au jeu élastique.
Adaptation d’une pièce de théâtre, Le Grand Retournement raconte la crise financière généralisée, que banquiers, traders et politiques tentent de mettre en mots : au programme, des alexandrins savoureux qui disent bien le tragicomique de la situation.
ZERO DARK THIRTY
SOMEBODY UP THERE LIKES ME
Retour très attendu de l’oscarisée Kathryn Bigelow après Démineurs en 2008 : ce nouveau film de guerre retrace la traque et la capture au Pakistan d’Oussama Ben Laden. Une opération menée tambour battant par Jessica Chastain en spécialiste du renseignement.
Max, trentenaire, traverse les âges de la vie comme on glisse sur une peau de banane : en un instant, et c’est drôle. Un film (d)étonnant, au scénario simple qui place son personnage principal au cœur de plusieurs saynètes dramatiquement marrantes.
7 PSYCHOPATHES
Un week-end en famille
Casting royal pour le réalisateur de Bons baisers de Bruges, qui réveille son appétit de folie furieuse sous la forme de portraits hauts en couleur. Ici, un scénariste en panne d’inspiration se retrouve mêlé à un improbable kidnapping de chien.
En Allemagne, une réunion de famille occasionne une mise au point explosive, mi-Festen, mi-Desplechin. Par le chef de file Hans-Christian Schmid (Requiem, La Révélation), mené par le jeune Lars Eidinger, découvert chez Maren Ade (Everyone Else).
AFTER
RENDEZ-VOUS À KIRUNA
Pour son premier long, Géraldine Maillet retrouve son actrice fétiche Julie Gayet après l’avoir dirigée dans deux courts métrages. Dans After, la comédienne tombe dans les bras de Raphaël Personnaz, coup de foudre réciproque mis à l’épreuve du temps.
Après Les Grandes Personnes (2008), Anna Novion retrouve Darroussin pour un voyage en Laponie. À Kiruna, Ernest a rendez-vous avec son fils, qu’il n’a jamais connu et dont il doit identifier le corps. Mais sur la route, une rencontre ébranle ses certitudes.
d’Édouard Deluc Avec Nicolas Duvauchelle, Philippe Rebbot… Diaphana, Argentine/Belgique, 1h30
de Kathr yn Bigelow Avec Jessica Chastain, Joel Edger ton… Universal Pictures France, États-Unis, 2h29
de Gérard Mordillat Avec Patrick Mille, Édouard Baer… Solaris, France, 1h17
de Bob Byington Avec Keith Poulson, Nick Of ferman… Why Not Productions, États-Unis, 1h16
30/01 de Mar tin McDonagh Avec Colin Farrell, Christopher Walken… Wild Side/Le Pacte, Grande-Bretagne, 1h50
de Géraldine Maillet Avec Julie Gayet, Raphaël Personnaz… Océans Films, France, 1h23
146
hiver 2012-2013
de Hans-Christian Schmid Avec Lars Eidinger, Ernst Stötzner… Jour2Fête, Allemagne, 1h25
d’Anna Novion Avec Jean-Pierre Darroussin, Anastasios Soulis… Pyramide, France/Suède, 1h37
www.mk2.com
147
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
les hauts de hurlevent Hauts les cœurs
La passion destructrice des Hauts de Hurlevent a déjà donné lieu à moult adaptations échevelées, de Laurence Olivier à Juliette Binoche. La Britannique ANDREA ARNOLD livre ici une vision sauvage du roman victorien tourmenté d’Emily Brontë.
_Par Clémentine Gallot
Le petit précis de cruauté que constitue Les Hauts de Hurlevent trouve un nouvel écho dans le cinéma pulsionnel d’Andrea Arnold (Red Road, Fish Tank) : fiévreuse, la première partie du film accompagne l’apprivoisement mutuel de deux adolescents taiseux qui grandissent ensemble, Catherine Earnshaw et Heathcliff, vagabond recueilli puis exploité par la famille
Earnshaw. Leur terrain de jeu est une lande boueuse battue par les vents, au bleu-vert qui se confond avec la gamme chromatique tellurique du récent Faust de Sokurov. Deuxième période, tout aussi brûlante quoiqu’un peu plus convenue : chassé, Heathcliff réapparaît plus tard, endurci, et retrouve Catherine mariée. Reflux des tourments amou reux : « T’oublier serait m’oublier moi-même », souffle t-il avant d’en épouser une autre. Arnold fait du roman une belle lecture sensorielle (en format carré) dans les ténèbres de l’Angleterre rurale victorienne, parcourue de chants traditionnels et de chuchotements. Un acteur noir incarne pour la première fois Heathcliff à l’écran, et si tous sont amateurs – à l’exception de Kaya Scodelario (Skins) –, leur jeu marie à une sécheresse bressonienne la modernité des Chants de Mandrin et le dépouillement lyrique de Kelly Reichardt (La Dernière Piste). Réfractaire
aux adaptations, la cinéaste a finalement cédé à la nécessité d’en exprimer une vision « viscérale », reconceptualisant le récit en omettant sa fin et en atténuant la fureur vengeresse et le sadomasochisme de Heathcliff. C’est pourtant bien ce dernier qui reste à la source du regard. Jouet d’une brutalité essentielle, l’âme rendue folle par son irréparable gâchis. ♦ D’Andrea Arnold Avec : Kaya Scodelario, James Howson… Distribution : Diaphana Durée : 2h08 Sor tie : 5 décembre
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour rectifier l’injuste carrière de ce troisième film d’Andrea Arnold, minimaliste et jamais poseur, mais curieusement mal-aimé en festivals et par l’industrie.
148
hiver 2012-2013
2… Parce que ces Hauts, malgré des variations personnelles, respectent la beauté de la langue d’Emily Brontë, magnifiant en V.O. les répliques du roman.
3… Parce que la cinéaste fait la part belle à la rage et au naturel de jeunes acteurs non professionnels : excellents James Howson, Solomon Glave et Shannon Beer.
www.mk2.com
149
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
HORS LES MURS Amour libre
Présenté à Cannes à la Semaine de la critique, Hors les murs, premier long du Belge DAVID LAMBERT, raconte avec légèreté et délicatesse un amour de jeunesse entre deux hommes, Ilir et Paulo. _Par Laura Tuillier
C’est l’histoire presque banale d’un samedi soir trop arrosé, d’un mec qui finit par dormir chez un mec qu’il ne connaît pas. Un possible one night stand qui rappelle le pitch de Week-end d’Andrew Haigh, autre romance gay sortie en début d’année. Hors les murs partage avec le film britannique la même grâce simple dans la description de la rencontre amoureuse, le même art du dialogue des premières fois. David Lambert, venu du théâtre, définit parfaitement ses deux personnages : Ilir
(Guillaume Gouix, découvert dans Jimmy Rivière de Teddy LussiModeste) est un bassiste albanais sûr de lui et de sa sexualité ; Paulo, pianiste, affiche une sensibilité à fleur de peau, des hésitations. Leur romance débute pourtant, inévitable, à l’image de leur premier baiser, filmé comme un dévastateur appel d’air. La première partie du récit, l’histoire d’amour dans son immédiateté, est la plus réussie. Lambert jongle entre le mélo et la comédie avec un plaisir évident et prend le temps de dérouler un quotidien (sieste, supermarché) sublimé par la passion. Si l’intrigue s’essouffle ensuite à suivre un scénario qui force la péripétie (Ilir coincé artificiellement à la case prison), Lambert n’en réussit pas moins son coup d’essai : filmer l’amour comme parenthèse enchantée. ♦ De David Lamber t Avec : Guillaume Gouix, Matila Malliarakis… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h35 Sor tie : 5 décembre
3 questions à
David Lambert Est-ce difficile de s’atteler à une histoire d’amour, trame très exploitée au cinéma ? C’est vrai que j’ai eu du mal à assumer de faire une histoire d’amour, très classique, en trois actes. Il faut accumuler beaucoup de matière pour tirer le fil de l’évidence. Et faire le film au bon moment, entre maturité et fraîcheur. Comment avez-vous pensé la mise en scène de l’intime ? Notamment la scène du premier baiser… Pour moi, c’est un film qui se passe dans une chambre de bonne, un parloir et une chambre d’hôtel. Je suis content que vous me parliez du baiser. C’est quelque chose que j’ai pensé dès le scénario, cet appel d’air entre les deux, cette attraction du souffle. Et le baiser de fin est dans un mouvement inverse, la caméra s’éloigne des amoureux. Comment avez-vous choisi les acteurs ? J’ai d’abord casté Guillaume Gouix pour le personnage de Paulo, parce que je pensais qu’Ilir serait un Africain. Mais lorsque j’ai vu Matila, j’ai su qu’ils iraient ensemble. J’ai adapté le scénario pour ces deux comédiens.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour prendre des nouvelles du prometteur Guillaume Gouix, découvert en boxeur dans Jimmy Rivière et qui confirme ici son talent, en parfait duo avec Matila Malliarakis.
150
hiver 2012-2013
2… Pour savourer, en ces temps de débats et de tensions autour du mariage gay, la simplicité du récit d’une histoire d’amour qui s’impose comme universelle.
3… Pour la mise en scène délicate de David Lambert, qui sait insuffler à ses acteurs, scène après scène, l’énergie parfaite pour servir son propos sensible.
www.mk2.com
151
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
ANNA KARENINE Le K. d’Anna
Après avoir adapté Jane Austen et Ian McEwan, JOE WRIGHT dépoussière le classique de la littérature russe Anna Karenine en transposant à l’écran le faste et la cruauté du roman de Tolstoï dans une grande valse funèbre, pour un résultat époustouflant. _Par Renan Cros
On savait depuis Reviens-moi (2008) que la grandeur et le lyrisme ne faisaient pas peur à Joe Wright, mais son Anna Karenine sidère par son ambition et sa complexité. Anna croise un jour le regard de Vronski, jeune officier impétueux. Le désir est immédiat, dévorant. Mais Anna appartient à Karenine. Et se défaire de ce nom de femme mariée va entr aîner sa chute. Si l’on réduit
souvent le roman à cette simple triangulaire amoureuse, l’adaptation qu’en fait ici Tom Stoppard est plus fidèle à la structure chorale du livre. La passion d’Anna n’est qu’un rouage dans une ronde plus vaste, où les destins et les personnages valsent entre eux. Une ronde dont elle sera inexorablement éjectée. Par des déplacements mécaniques ou au contraire extrêmement chorégraphiques, Joe Wright filme Anna Karenine comme une comédie musicale sans chansons, un ballet sans tutus où les costumes corsètent des personnages qui ne demandent qu’à se libérer. Refusant le naturalisme, il enferme ce petit univers dans un théâtre délabré, symbole du paraître qui règne sur une Russie en ruine. Cette distance soudaine entre ce petit monde et le reste du pays permet d’aborder l’histoire non comme un grand spectacle à crinolines mais plutôt comme une mécanique implacable. À la fois avec et contre Anna, le spectateur, toujours
légèrement à distance de l’émotion, est tour à tour emporté et intrigué. Alors, petit à petit, le film efface les traits remarquables de sa virtuosité pour se resserrer autour des personnages jusqu’à la conclusion, froide et amère. Drame romantique glacé, l’histoire d’Anna Karénine, filmée comme un fait divers bouillonnant, n’avait jamais parue aussi proche et vivante. ♦ De Joe Wright Avec : Keira Knightley, Jude Law… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h11 Sor tie : 5 décembre
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la mise en scène stupéfiante de Joe Wright, sommet d’artifice et de précision, quelque part entre le cinéma de Powell et Pressburger et celui d’Alain Resnais.
152
hiver 2012-2013
2… Pour le couple damné formé par Keira Knightley, évidente Anna, bouleversante et dérangeante, et Jude Law, impérial Alexei, rongé par la jalousie.
3… Pour la scène de bal entre Anna et Vronski (Aaron Taylor-Johnson, vu il y a quelques mois dans Savages), superbe moment de lyrisme et de cruauté à faire pâlir Cendrillon.
www.mk2.com
153
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
cogan Mafia blues
Lorsque la pègre déprimée de Boston fait appel à Cogan pour remettre de l’ordre après un braquage, elle doit compter avec une crise économique qui mine le moral de ses troupes. Où comment le réalisateur ANDREW DOMINIK, en compet’ à Cannes, règle son compte au film de mafieux. _Par Laura Tuillier
La fin du règne de George W. Bush : à Boston, la mafia, miteuse entreprise en faillite, doit réagir au braquage d’une de ses salles de jeux par deux compères maladroits. Le premier, jeune voyou aux abois (très bon Scoot McNairy, version malingre de Casey Affleck) s’acoquine avec le second, un camé crasseux qui peine à tenir debout.
Pour les punir, la pègre, sous les traits d’un énigmatique Driver, engage Jackie Cogan, impassible et i mpeccable Brad Pitt. Après le flamboyant et mélancolique western L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, Andrew Dominik poursuit son exploration des genres cinématographiques fondateurs de l’Amérique moderne. Son film de mafieux prend acte de la fatigue des méchants. Comment ne pas perdre la face lorsqu’on est condamné à voyager en classe éco et que le boss ne veut pas qu’on fume dans sa voiture ? Cogan a beau ne pas se départir de son calme menaçant, il a du mal à y croire. Le réalisateur fait appel à trois acteurs de la série Les Soprano, dont James Gandolfini, à qui il donne le rôle d’un tueur alcoolo et sujet aux crises d’angoisse. Il embauche également Ray Liotta, en fantôme boursouf lé sans cesse tabassé. Si la mise en scène frôle parfois le maniérisme emprunté
(ralentis redondants, déformations sonores inutiles), elle excelle dans le récit d’un règlement de comptes dévitalisé, violent mais sans éclat, au bout du compte efficace mais sans charme. Le film se conclut sur les images d’Obama discourant à la veille de son élection. Cogan ne l’écoute pas, préférant, non sans amertume, ne compter que sur les quelques dollars qu’il lui reste. ♦ Cogan – Killing Them Softly d’Andrew Dominik Avec : Brad Pit t, James Gandolfini… Distribution : Metropolitan Filmexpor t Durée : 1h37 Sor tie : 5 décembre
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour réécouter la voix burinée de Johnny Cash chantant The Man Comes Around tandis que Cogan tente de faire le job, aussi fatigué que le crooner mythique.
154
hiver 2012-2013
2… Pour assister à la débâcle sombre et drôle de petits mafieux qui ont du mal à boucler les fins de mois et se retrouvent à devoir chiper la petite monnaie des serveuses de diners.
3… Pour la direction d’acteurs d’Andrew Dominik, qui, après L’Assassinat de Jesse James…, continue de tirer le meilleur d’un Brad Pitt dans son âge d’or.
www.mk2.com 155
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
Marina Abramovic Je dangereux
Dans ce documentaire sur l’artiste-étendard de l’art corporel Marina Abramović, MATTHEW AKERS questionne la mise à l’épreuve d’un corps à travers un portrait didactique, sous l’emprise d’un seul regard. _Par Quentin Grosset
Pénétrant dans la pièce, on passe la fausse porte matérialisée par un homme et une femme face à face, nus et imperturbables. On arrive dans l’atrium du Moma, le musée d’Art moderne de New York. Au centre se tient la Monténégrine Marina Abramović, assise, impassible, proie de tous les regards. The Artist Is Present, promettait le titre de cette rétrospective de 2010 où de jeunes performeurs réactualisaient les prouesses de l’artiste, couvrant ainsi quarante années
de sa carrière. Éprouvantes, ses œuvres la font traverser des flammes ou laisser son corps allongé à disposition des visiteurs, qui peuvent emprunter les quelques scalpels posés sur une table à côté. Une endurance qui vise à toujours repousser les limites mentales ou physiques, à interroger les conventions morales liées au corporel. Matthew Akers filme le déroulement de cette exposition-somme en s’intéressant autant aux difficultés administratives qu’au dispositif esthétique. Sur un ton parfois excessivement laudatif, le réalisateur dresse le portrait d’une artiste qui doute de son statut, considérant que son œuvre, longtemps restée alternative, ne peut plus être reléguée aux seules marges de la création contemporaine. Son séjour de trois mois dans le musée newyorkais étant l’occasion d’un rapport plus intime avec le grand public, elle permet aux spectateurs de venir à sa rencontre dans
une performance où chacun vient partager un « dialogue d’énergies », selon ses propres mots. En captant les réactions des personnes s’asseyant en face d’elle, Akers redynamise le procédé du champ et contrechamp, lui conférant une intensité émotive nouvelle et canalisant toute la portée magnétique de la « grandmère de l’art performance ». ♦ Marina Abramović – The Ar tist Is Present de Mat thew Akers Documentaire Distribution : Pret t y Pictures Durée : 1h46 Sor tie : 12 décembre
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour découvrir l’œuvre immense d’une artiste n’hésitant pas à se mettre en danger pour subvertir les codes moraux qui siègent autour de l’imaginaire du corps.
156
hiver 2012-2013
2… Parce que le film s’impose comme un document fouillé sur la mise en place d’une exposition, notamment sur les impasses administratives qui ralentissent la préparation.
3… Pour la séquence où l’ex-partenaire d’Abramović, l’artiste Ulay, vient échanger un regard avec elle. La performeuse, émue, passe outre le dispositif pour lui tenir la main.
www.mk2.com
157
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
JOURS DE PÊCHE EN PATAGONIE Bon port
Un homme en rémission passe quelques jours en Patagonie pour s’initier à la pêche au requin et tenter de renouer des liens avec sa fille. L’Argentin CARLOS SORÍN (Historias Minimas) perche ses personnages sur un fil tendu entre la tragédie et l’optimisme. _Par Juliette Reitzer
Pêcher le requin, c’est une affaire sérieuse, explique un spécialiste, mi-vexé mi-goguenard, au débutant Marco, quinquagénaire venu de Buenos Aires et visiblement peu préparé aux événements qu’il s’apprête à affronter. Plein de bonne volonté mais un peu paumé, Marco
a débarqué seul, quelques heures plus tôt, dans ce village portuaire de Patagonie – ciel bleu, steppe à perte de vue et océan Atlantique remué par les vents. Au détour d’une conversation anodine, on l’a compris ancien alcoolique, tout juste guéri. On apprendra bientôt que son séjour sur la côte vise un tout autre poisson : sa fille Ana, qu’il a perdue de vue. À l’opposé du sensationnel, la mise en scène naturaliste de Sorín (plans fixes, peu de dialogues, personnages secondaires incarnés par des autochtones jouant leurs propres rôles) prend le parti du calme pour suggérer la tempête. Les plans s’étirent et placent le spectateur dans l’expectative, les situations potentiellement explosives se succèdent mais n’éclatent pas, à l’image des retrouvailles sans perte ni fracas
entre le père et la fille. Pourtant, le sourire trop appuyé de Marco et l’élégance soignée de ses tenues masquent une douleur larvée, seulement dévoilée lors d’une première virée en bateau qui tourne mal : violenté par les vagues et le vacarme du moteur, Marco s’affaisse, perd connaissance, renonce momentanément. Mais en insistant sur le caractère vierge de la Patagonie, lieu de passage où tout est à réinventer, Sorín privilégie l’espoir au drame, le désir à son accomplissement : la retraite de Marco, si elle en laissera certains sur leur faim, n’est en vérité rien d’autre que la promesse d’un nouveau départ. ♦ De Carlos Sorín Avec : Alejandro Awada, Victoria Almeida… Distribution : Memento Films Durée : 1h18 Sor tie : 26 décembre
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le champ des possibles que le film ne cesse d’exploiter, par exemple quand Marco croise un groupe de jeunes campeurs de passage ou un entraîneur de boxe et sa protégée.
158
hiver 2012-2013
2… Pour les paysages lumineux, sauvages et froids du petit village de Puerto Deseado (« port désiré »), où le film a été tourné, au bord de l’océan Atlantique.
3… Pour le comique de la scène où Marco, grand échalas un peu empoté, se rend dans un magasin de jouets pour acheter une peluche qui chante et qui danse à son petit-fils.
www.mk2.com 159
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
GIMME THE LOOT Les rois de la débrouille
Dans Gimme the Loot, premier long tendre et drôle de l’Américain ADAM LEON, deux graffeurs en herbe, losers magnifiques, arpentent les rues du Bronx en quête de blé. _Par Juliette Reitzer
Quelque part entre la verve allenienne et l’esprit do it yourself des productions fauchées (les frères Safdie en tête), il y a les deux kids de Gimme the Loot, Malcolm et Sofia, ados en galère qui espèrent devenir « les graffeurs les plus célèbres de New York ». Lorsqu’une bande rivale recouvre un de leurs tags, ils échafaudent un plan pour se venger : taguer l’emblème de l’équipe des Mets, à l’intérieur du Shea Stadium. Mais pour les laisser entrer, le gardien réclame cinq cents dollars… Les deux compères, jamais à court
d’idées scabreuses, se lancent dès lors dans une série de coups foireux, de deals ratés en cambriolages avortés – « gimme the loot » signifiant littéralement « file la thune ». Portrait plein de tendresse de ces bras cassés de la petite délinquance, Gimme the Loot fait la nique aux clichés : les flingues cèdent la place à des punchlines affûtées, les gros bras tatoués (géniaux seconds rôles) s’avèrent serviables et maladroits, et les ados pareils dans le ghetto qu’ailleurs : ils se lancent des vannes et tombent amoureux. En filmant à l’arrache, caméra à l’épaule et dans la rue (en longue focale), Adam Leon s’impose en digne représentant d’un art de la débrouille, à l’unisson d’une jeunesse qui compose avec ce qu’elle a, c’est-à-dire pas grand-chose. ♦ D’Adam Leon Avec : Ty Hickson, Tashiana Washington… Distribution : Diaphana Durée : 1h21 Sor tie : 2 janvier 2013
3 questions à
Adam Leon Pourquoi avoir installé le récit dans le milieu du graffiti ? Ces gamins prennent des risques énormes, ils sautent, escaladent, affrontent la violence des autres bandes. Ce sont des pures stars d’action, et un très bon point de départ pour un film. Comment avez-vous choisi le titre du film, qui est aussi celui d’un morceau de The Notorious B.I.G. ? J’aime son côté urbain et dynamique, on sait que le film va se passer dans la rue, qu’il y aura de l’argot. Gimme the Loot n’est pas tout à fait un « heist movie » (littéralement « film de hold-up » – ndlr), mais c’est un genre que j’aime et qui me fait rire. Et je suis un grand fan de Biggie. Comment avez-vous construit le personnage de Sofia, seule fille dans un univers masculin ? Des filles comme elle, fortes, qui ne se posent pas en victimes, on en croise plein dans la rue, il faut les mettre dans des films ! Sofia est indépendante, fière, un peu garçon manqué, mais elle a une vision assez traditionnelle : elle attend d’un garçon qu’il soit romantique, par exemple.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que le graffeur new yorkais SP One, consultant sur le film, a veillé au réalisme de l’univers du street art. Exemple : avec des bombes de peinture volées tu tagueras.
160
hiver 2012-2013
2… Pour l’acteur principal Ty Hickson, décrit par Adam Leon comme une « sorte d’alter ego adolescent et afroaméricain de Woody Allen, avec ses marmonnements et ses bégaiements. »
3… Pour la bande originale du film au charme joyeusement suranné, mélange de hip-hop jazzy, de soul et de funk, au diapason des tribulations maladroites des deux héros.
www.mk2.com
161
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
the master Master mind
Inspiré par la genèse de la Scientologie dans les années 1950, PAUL THOMAS ANDERSON signe un beau film malade et ambigu qui condense la veine cérébrale du précédent, There Will Be Blood. _Par Clémentine Gallot
Freddie Quell, vétéran alcoolique et belliqueux traumatisé par la guerre (Joaquin Phoenix, en roue libre) échoue par hasard dans une secte, La Cause, menée tambour battant par le leader charismatique Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman, hoffmannien), prêchant à des convertis des thèses fumeuses sur les vies antérieures. Miroir inversé de la démesure de There Will Be Blood, The Master opte pour une mise en scène resserrée sur le petit groupe autarcique
que forment les disciples, bientôt dominé par la relation fusionnelle qui se noue entre le duo. De toute beauté, la mise en place du film montre le délabrement moral de Freddie, en poste sur une île japonaise onirique, puis désoeuvré, de retour du front, jusqu’à un inouï plan-séquence de bagarre dans un grand magasin cossu. La plongée vertigineuse dans ce mental désaxé tend à s’enrayer ensuite, le scénario s’affaiblissant dans le déroulement du dressage de Quell par le gourou Dodd (mécanique balisée du lavage de cerveau). Le substrat biographique sur la Scientologie, une fois évacué, laisse place à l’ambition d’un film-cerveau qui accompagne le processus cognitif de Freddie (trauma, thérapie, rémission) et ses pulsions homo érotiques refoulées. L’ambiguïté des rapports de domination et des procédures de contrôle des individus, qui fascinent Anderson, font ressurgir la figure de coach hypersexualisé
de Tom Cruise dans Magnolia et l’affrontement entre prêcheur fanatique et pionnier dans There Will Be Blood. The Master concilie ainsi deux penchants andersoniens, la virtuosité libérée de Boogie Nights et Punch Drunk Love, mais aussi une tendance à la roublardise démonstrative (Magnolia) et autosatisfaite : qui est vraiment The Master sinon son auteur ? ♦ De Paul Thomas Anderson Avec : Philip Seymour Hof fman, Joaquin Phoenix… Distribution : Metropolitan Filmexpor t Durée : 2h17 Sor tie : 9 janvier 2013
3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que l’image du directeur de la photographie de Francis Ford Coppola, Mihai Malaimare Jr., est portée par un somptueux format 70 mm, très rarement projeté.
162
hiver 2012-2013
2… Pour la relecture par Anderson des écrits ésotériques de Ron Hubbard, alors inconnu, dont la notoriété mènera plus tard à la formation de l’église de Scientologie.
3… Pour les riffs du génial guitariste anglais Johnny Greenwood, qui signe l’inquiétante B.O. du film, comme celle, déjà oppressante, de There Will Be Blood en 2007.
www.mk2.com
163
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
aujourd’hui Mort à venir
Prix du Public au festival de La Roche-sur-Yon, Aujourd’hui suit les dernières heures d’un Sénégalais dans la force de l’âge. Voyage initiatique teinté d’élégie, le troisième long métrage d’ALAIN GOMIS souligne que la fin du monde est d’abord la fin des perceptions.
_Par Louis Séguin
Satché se réveille pour la dernière fois. Tout ce qu’il fera aujourd’hui, il le fera pour la dernière fois. Il sait qu’il va mourir à la fin de la journée, tout le monde le sait, il ne faut pas en faire un drame. Alain Gomis en fait un road movie, un voyage à travers les sensations. L’instant est riche des souvenirs, se mêle à eux. Satché doit conclure sa vie, ramasser tout ce qui l’a composée ; on le voit en enfant
de la famille, d’abord, puis avec des amis, puis seul, et enfin en père de famille. Le trajet, entre Dakar et sa périphérie, est celui des cinq sens, qui crèvent l’écran. Pour incarner ce personnage, Alain Gomis a eu l’idée fructueuse de choisir le musicien new yorkais Saul Williams, confirmant un sens incontestable du casting, comme en témoignait déjà le solo impeccable de Samir Guesmi dans Andalucia, autre film très libre et très attentif aux sensations de son héros. Tout comme Saul Williams, qui découvre le Sénégal, le personnage semble étonné d’être lui, d’être son corps. Et la caméra fait corps avec celui qu’elle filme ; esse est percipi aut percipere (être, c’est être perçu ou percevoir), ou comment affirmer, à travers l’histoire d’une mort, la puissance vitale du cinéma. ♦ D’Alain Gomis Avec : Saul Williams, Aïssa Maïga… Distribution : Jour2Fête Durée : 1h28 Sor tie : 9 janvier 2013
3 questions à
Alain Gomis Dans Aujourd’hui, les décors ont un rôle central puisqu’ils servent de vivier à sensations… Dakar est extraordinaire à filmer parce que c’est un espace sousreprésenté. Beaucoup d’endroits n’ont jamais été filmés. À Paris, il n’y a pas un centimètre carré qui n’ait pas été mille fois montré. Mais là-bas, il y a quelque chose de grisant, on est dans le maintenant en permanence. Le film est-il conçu comme une tragédie classique, ancré dans ses unités de lieu et de temps ? J’ai plutôt essayé de me libérer d’une certaine dramaturgie. J’ai pensé le film comme de la musique, des rapports de rythmes et de tensions. Le tout avance très empiriquement ; j’ai traité le film comme de la pâte à modeler. La mise en scène elle-même est très souple… Je ne voulais pas illustrer le ressenti du personnage par des faits mais par des sensations. Le film n’est pas sur l’écran, il est entre l’écran et le spectateur. J’aime l’idée qu’on peut flotter dans un film comme on peut flotter dans la musique.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la bande-son accompagnant l’improvisation visuelle, travaillée avec soin par Alain Gomis, grand fan de jazz : certaines scènes flirtent presque avec la danse.
164
hiver 2012-2013
2… Pour le portrait en filigrane d’un Sénégal en plein dynamisme, malgré ses crises sociales. Le contexte politique est parfois évoqué, mais ne recouvre jamais l’histoire de Satché.
3… Pour le charisme tout en retenue et toujours impressionnant de Saul Williams, dans la peau d’un homme voyant la mort en face sans jamais céder au pathos.
www.mk2.com
165
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
MUNDANE HISTORY À flot
Voilà bientôt cinq ans qu’on peut voir naître à huis clos, au sein de chefs-d’œuvre timides, une nouvelle vague thaïlandaise : audacieuse, indépendante, mouvante. Mundane History d’ANOCHA SUWICHAKORNPONG affirme à nouveau ce tsunami visuel. _Par Adrien Genoudet
Comme un clin d’œil au cinéma thaïl andais, le premier plan de Mundane History agit comme une paupière qui bat. « J’éteins la lumière ? », prononce en voix off le jeune Pun. Cut. Lumière, puis noir, changement de plan, changement d’axe. Les premières secondes du film sont ainsi un renversement : de la vie à la paralysie, d’un point de vue à un autre, d’un cinéma clos
à un éveil. Une nouvelle vague qui, comme incarnée par l’histoire, est apparue suite au tsunami de 2004. Des auteurs qui en émergent, on retiendra le triumvirat Apichatpong Weerasethakul, Aditya Assarat (Wonderful Town, 2007) et Anocha Suwichakornpong. Mundane History est le premier long métrage de la cinéaste. Ake, issu d’une famille très aisée, se voit paralysé après un accident. En pleine jeunesse, le mutisme de ses jambes le pousse dans un retranchement intime que son père, taciturne, ne comprend plus. Pun, un infirmier qui voulait devenir écrivain, aide Ake à retrouver le goût de l’existence. L’existence, énigme centrale de ce film empreint de distance et de délicatesse poétique : on l’y voit plurielle, terrestre et spirituelle. Espaces micro et macro se confondent dans un élan de réalisation pulsé par un sang neuf, où la fiction se mêle à des images exogènes : on retiendra cette superbe
séquence de la « supernova », au centre du récit, comme l’assurance que le cinéma est le meilleur remède contre l’immobilité des sens. Face à une autre vague, celle des scénarios « intouchables », Mundane – « anodin » en anglais – History est l’affirmation que chaque histoire détient en elle, dès lors qu’elle est bien menée, une dose cumulée d’universalité singulière. ♦ D’Anocha Suwichakornpong Avec : Phakpoom Surapongsanuruk, Arkaney Cherkam… Distribution : Sur vivance Durée : 1h22 Sor tie : 16 janvier 2013
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour découvrir Anocha Suwichakornpong, qui fut en 2006 la première Thaïlandaise à présenter un court métrage au Festival de Cannes en sélection officielle (Graceland).
166
hiver 2012-2013
2… Pour la pop psychédélique locale (avec les groupes The Photo Sticker Machine ou Furniture), qui forme une bande originale détonante et envoûtante.
3… Pour encourager cette jeune génération qui subit les pressions de la censure d’État en Thaïlande, où Mundane History est interdit aux moins de 20 ans et a failli ne pas sortir du tout.
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
EL ESTUDIANTE Illusions perdues
Un style brut et libre évoquant la Nouvelle Vague, des dialogues éclair dignes d’Aaron Sorkin, un sens du romanesque à la Balzac : le premier film en solo de SANTIAGO MITRE est une captivante plongée dans le milieu activiste étudiant de Buenos Aires. Une révélation. _Par Éric Vernay
Plus attiré par les jolies filles que par les cours en amphi, Roque (Esteban Lamothe) cultive le dilettantisme universitaire. Sa rencontre avec Paula (Romina Paula), une jeune prof aussi séduisante qu’engagée, électrise son destin endormi : le coup de foudre amoureux se double d’une soudaine vocation militante, aspirant le jeune homme
dans les rouages roués du milieu activiste estudiantin. Dès lors, le campus movie annoncé, rose bonbon et léger, vire au thriller p olitique sous tension. Santiago Mitre, scénariste pour Pablo Trapero (Leonera, Carancho), fait des élections du doyen de l’université de Buenos Aires le théâtre d’une violente bataille d’influence entre divers mouvements étudiants. Maniant voix-off, débats politiques et caméra à l’épaule avec une vitalité héritée de la Nouvelle Vague, le cinéaste brosse un portrait au vitriol de la tambouille politicienne qui gangrène la société argentine à sa source. Ballotté au milieu d’un étouffant triangle politico-sentimental, son personnage navigue à vue entre trahisons, manipulations et autres tentatives d’intimidation. Roque progresse comme les héros des romans d’apprentissage du XIXe siècle de Balzac ou Maupassant : à mesure que s’affûtent ses convictions et que s’aiguise son ambition
dans le panier de crabes du campus, il voit s’effriter son innocence. Sobre et anti-spectaculaire, El Estudiante trouve son étonnante puissance romanesque dans l’intelligence et la volubilité de ses abondants dialogues, qui rappellent ceux d’Aaron Sorkin (À la Maison Blanche, The Social Network) : écrits par Mitre lui-même, ils impriment au film son rythme haletant. ♦ El Estudiante ou Récit d’une jeunesse révoltée de Santiago Mitre Avec : Esteban Lamothe, Romina Paula… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h51 Sor tie : 23 janvier 2013
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour saluer le talent de Santiago Mitre, cinéaste argentin de 33 ans qui, après un premier long en collaboration, signe là son vrai premier film. Coup de maître.
168
hiver 2012-2013
2… Pour découvrir les rouages complexes et cyniques du milieu activiste étudiant de Buenos Aires à travers un scénario brillant et des dialogues à la mitraillette.
3… Pour faire connaissance avec les méconnus mais excellents acteurs principaux du film : Esteban Lamothe, Romina Paula et Valeria Correa.
www.mk2.com
169
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
LES CHEVAUX DE DIEU Les routes du paradis
Cinq ans après Whatever Lola Wants, NABIL AYOUCH est de retour avec Les Chevaux de Dieu, le récit passionnant de deux frères endoctrinés par les salafistes et choisis pour devenir des martyrs. _Par Tiffany Deleau
Le 16 mai 2003, quarante-cinq personnes trouvent la mort au cours de cinq attentats à Casablanca. Après enquête, on découvre que quatorze des kamikazes sont issus de Sidi Moumen, bidonville aux portes de la ville. Adapté du roman Les Étoiles de Sidi Moumen de l’écrivain et peintre Mahi Binebine, le film de Nabil Ayouch explore la genèse de ces événements. Les « chevaux de Dieu » font référence, dans l’histoire de l’islam, aux premiers musulmans. Reprise
par al-Qaida, l’expression désigne aujourd’hui les terroristes prêts à se sacrifier pour la cause islamiste, glissement dont s’empare Ayouch. Il nous immerge dans l’histoire de Yachine et son grand frère Hamid, qui basculent dans l’obscurantisme. Après une enfance difficile, l’aîné revient de prison et convainc Yachine et ses amis de rejoindre le djihad. Dès lors, la cadence effrénée et les couleurs chaudes des débuts laissent place à une atmosphère plus froide et à une caméra plus distanciée. Mais un sentiment de familiarité s’est déjà installé : c’est là toute la force du film. En traitant un sujet aussi vaste et délicat par le prisme de l’intime, Nabil Ayouch tente de comprendre sans juger la descente aux enfers de quatre amis à qui l’on a promis le paradis. ♦ De Nabil Ayouch Avec : Abdelhakim Rachid, Abdelilah Rachid… Distribution : Stone Angels Durée : 1h55 Sor tie : 30 janvier 2013
3 questions à
Nabil Ayouch Quelle est la genèse de votre film ? Au lendemain du 16 mai 2003, j’ai entamé un documentaire sur les familles des victimes mais je me suis rendu compte que celles-ci étaient en fait des deux côtés. J’ai eu envie de parler par la fiction de ces gamins embrigadés. Du kamikaze endurci à celui qui doute, vous filmez tous les visages du terrorisme… C’est un film sur la condition humaine. Au-delà du bourrage de crâne subi, ces kamikazes sont des êtres humains. Il n’y a pas une, mais plusieurs raisons qui amènent ces gamins à commettre un attentat. Le but n’est pas de les juger ni de les excuser mais de tenter de les comprendre. Pourquoi avoir choisi des acteurs non professionnels? J’ai auditionné des comédiens issus d’écoles de théâtre, mais ils ne pouvaient m’offrir ce que je cherchais : un acteur doué de naturalisme et de dramaturgie. J’ai alors rencontré des gamins des bidonvilles qui ont côtoyé les kamikazes du 16 mai, joué avec eux au foot et fréquenté les mêmes mosquées. C’est de cette réalité dont j’avais besoin.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce qu’il a attiré l’attention de la presse et des professionnels en figurant dans la sélection Un certain regard du dernier Festival de Cannes.
170
hiver 2012-2013
2… Pour l’intensité et le naturel qui se dégagent des personnages, à l’instar des deux acteurs principaux, frères dans la vraie vie et originaires du quartier de Sidi Moumen.
3… Pour le traitement original opéré par Nabil Ayouch, qui refuse de céder à tout manichéisme en filmant ces quatre jeunes hommes emportés dans la spirale du fondamentalisme.
www.mk2.com
171
30/01 23/01 16/01 09/01 02/01 26/12 19/12 12/12 05/12
SORTIES EN SALLES CINÉMA
DANS LA BRUME Conte d’hiver
Après My Joy, SERGEÏ LOZNITSA rencontre à nouveau les démons de l’histoire russe : Dans la brume propose un voyage glacial aux côtés d’un homme happé par la machine de l’histoire. _Par Yal Sadat
Au cinéma, on a déjà vu l’histoire disséquée par des chirurgiens aussi virtuoses que pessimistes, à la recherche des racines du mal. Avec son Ruban blanc, Michael Haneke sondait les origines du nazisme : les coupables étaient cueillis au berceau. En contant les déboires d’un résistant soviétique accusé d’avoir pactisé avec l’ennemi allemand en 1942, l’Ukrainien Sergeï Loznitsa se lance dans une entreprise a priori similaire, mais en réalité tout autre. Il ne prétend pas expliquer
la collaboration ni trouver les coupables d’un tel choix. C’est tout l’inverse : Dans la brume dépeint une suite de non-choix, un enchaînement logique d’événements sinistres aux conséquences sans appel. L’histoire y est un rouleau compresseur aveugle, prêt à passer sur un héros écartelé : proie pour l’Allemand, traître pour la résistance, Sushenya est dans une impasse où la morale n’a plus droit de cité. Ancien mathématicien passé par le documentaire, Loznitsa adopte la démarche d’un déterministe : sa mise en scène glaçante, tout en natures mortes rigides et en raccords couperets, épouse parfaitement cette vision d’une humanité condamnée, dépossédée de son libre arbitre. Pourtant, Dans la brume n’est pas le pensum en chapka qu’on pourrait imaginer. Curieusement, une vitalité romanesque traverse cette géographie à la splendeur mortifère, filmée parfois comme chez Tarkovski.
Le voyage spatiotemporel est décidément la grande force de Loznitsa, qui signait déjà un road movie russe, halluciné et ultraviolent avec My Joy en 2010. En aventurier un peu maso, il propose un dangereux périple dont le public reviendra (ou non) aussi hébété que ses antihéros : le monde, dantesque, surréel, laissera pourtant la désagréable impression d’avoir été regardé comme il est. ♦ De Sergeï Loznitsa Avec : Vladimir Svirskiy, Vladislav Abashin… Distribution : ARP Sélection Durée : 2h08 Sor tie : 30 janvier 2013
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’aura à la fois inquiétante, fascinante et ensorcelée de la nature telle que filmée par Loznitsa, qui approfondit ses talents de peintre depuis l’excellent My Joy.
172
hiver 2012-2013
2… Pour l’invention d’un rythme bien particulier : le montage travaille une cadence lancinante et graduelle, et pourtant l’on est régulièrement mis K.O. par les coups de force du récit.
3… Pour l’atmosphère hivernale et soviétique du film, son apparente austérité : il est bon de remplir tous les mois son quota de films russes afin d’épater ses amis les plus cinéphiles.
www.mk2.com
173
©2012 Paramount Pictures Photo Karen Ballard
LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES
cycle Jack Reacher de Christopher McQuarrie
TIP TOM
Avec Jack Reacher, polar noir et élégant, TOM CRUISE prouve à tous ceux qui le croient dépassé que le beau gosse des années 1990 reste l’un des acteurs les plus passionnants de Hollywood. Un artiste aux visages multiples, à redécouvrir dans un cycle éclectique. _Par Renan Cros
T
om Cruise semble avoir tout joué. On l’a connu jeune premier poupon (Risky Business, 1984), jeune homme concerné (Rain Man, 1989), gendre idéal (Des hommes d’honneur, 1992), action man délicat (Mission : Impossible, 1996) et dernièrement bouffon mégalo (Rock Forever, 2012). Du blockbuster au film d’auteur exigeant, l’acteur hollywoodien possède une filmographie royale portée par d’incroyables performances. Mais, depuis des années, au cœur de nombreuses rumeurs et polémiques, l’artiste remet sa place de roi de Hollywood en jeu à chaque film. Pour rester dans la course, Tom doit évoluer. Ainsi, Jack Reacher marque une nouvelle mue pour l’acteur. Après s’être encanaillé dans la comédie pop (Tonnerre sous les Tropiques, 2008), il redevient un héros insubmersible, mais avec quelques années de plus. Comme si le scénario de La Firme (1993) avait été réécrit pour un Tom Cruise vieilli et désabusé, Jack Reacher mélange enquête minutieuse et action sans fard. Croisement étrange entre Sherlock Holmes, pour l’élégance et l’acuité, et Chuck Norris, pour le style viril 174
hiver 2012-2013
frontal, le personnage de Jack Reacher marque le retour joyeux de l’homme d’action des années 1990. Tom Cruise lui offre toute sa nonchalance grave, son élégance athlétique et, chose de plus en plus fréquente à l’écran, son potentiel inquiétant. Fasciné par la performance décomplexée de l’acteur, on plonge dans ce polar parano, proche du serial, avec un vrai plaisir rétro. Pas étonnant, dès lors, qu’on y croise un grand méchant russe joué par un Werner Herzog en roue libre et une ancienne James Bond girl (Rosamund Pike), ici avocate. Et si, avec Jack Reacher, Tom Cruise prouvait à tout le monde qu’il est le meilleur des James Bond ? Jack Reacher de Christopher McQuarrie Avec : Tom Cruise, Rober t Duvall… Distribution : Paramount Pictures France Durée : 2h11 Sor tie : 26 décembre
Cycle Tom Cruise Du 12 au 25 décembre au MK2 Bibliothèque, une sélection de films cultes avec Tom Cruise : Rain Man, Né un 4 juillet, Jerry Maguire, Top Gun, Collateral, La Firme, Mission : impossible – Protocole fantôme Retrouvez la programmation sur www.mk2.com
agenda Jusqu’au 16 décembre
Carte blanche à Luc Bondy MK2 QUAI DE SEINE
Les samedis et dimanches en matinée, avec Saraband d’Ingmar Bergman, La Valse des Pantins de Martin Scorsese, Lolita de Stanley Kubrick et Fighter de David O. Russel. Jusqu’au 18 décembre
Cycle Reiner Werner Fassbinder MK2 QUAI DE LOIRE
En matinée, projections de Le Soldat américain, Tous les autres s’appellent Ali, Le Droit du plus fort et Despair. Le 21 décembre à 22h
Soirée Premiers pas MK2 HAUTEFEUILLE
Séance gratuite dans le cadre du festival Le Jour le plus court, avec les courts métrages Le Poteau rose de Michel Leclerc, Les Corps ouverts de Sébastien Lifshitz, Kitchen d’Alice Winocour et Madame Dron de Régis Roinsard. À partir du 22 décembre
Cycle « Fin du monde » MK2 QUAI DE LOIRE
En matinée, voir sur place le détail des films programmés. Le 28 janvier à 20h30
Rendez-vous des docs MK2 QUAI DE LOIRE
La Chine est encore loin de Malek Bensmaïl (2008), projeté en présence de Charles Tesson, critique et historien du cinéma. Les lundis à 18h, du 10 décembre au 4 février
Séminaire philosophique de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE
Sujets : « Est-on jamais seul face à sa conscience ? » ; « La vie est-elle un rendez-vous manqué ? » ; « Quand la musique est bonne : et s’il n’y avait de vérité que dans la musique ? » ; « La philosophie… ou la recherche de la “vie bonne” » ; « Petite philosophie de la cuisine » ; « Apollon ou Dionysos ? La beauté de la mesure ou l’ivresse de la démesure ? » ; « Le relativisme est-il une maladie ? »
ÉCOUTE EN SALLES
Adventures in Your Own Backyard de Patrick Watson Après cinq ans de tournée, le groupe canadien de Patrick Watson est retourné sur ses terres natales pour enregistrer un quatrième album dans le loft de leur leader à Montréal. Plus terrien que leurs précédents albums, Adventures in Your Own Backyard parvient paradoxalement à nous plonger dans une atmosphère tout aussi mélancolique que lumineuse. Aux sons du piano, des flûtes et du marimba, le quatuor exauce son vœu : nous filer la chair de poule. _T.D. Adventures in Your Own Background de Patrick Watson (Domino, disponible) En écoute dans toutes les salles MK 2
www.mk2.com
175
la chronique de dupuy & berberian
176
hiver 2012-2013
www.mk2.com
177
Le carnet de Charlie Poppins
178
hiver 2012-2013
www.mk2.com
179
180
hiver 2012-2013