Trois Couleurs #102 - Juin 2012

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cinéma culture techno juin 2012 n°102 by Denis Lavant pour Holy Motors Et aussi…

Raymond Depardon et Claudine Nougaret • Jules et Jim • Larry Clark • The Raid • Ken Loach • Adieu Berthe • Kendrick Lamar • The Dictator • Xavier Dolan et Melvil Poupaud • Le meilleur de Cannes

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SOMMAIRE Éditeur MK2 Agency 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. : 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice en chef adjointe Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Directrices artistiques Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) Secrétaire de rédaction Jérémy Davis (jeremy.davis@mk2.com) Iconographe Juliette Reitzer Stagiaires Isaure Pisani-Ferry, Frédéric de Vençay Ont collaboré à ce numéro Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Léa Chauvel-Lévy, Julien Dupuy, Sylvain Fesson, Yann François, Benoit Gautier, Quentin Grosset, Wilfried Paris, Michaël Patin, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Louis Séguin, Yal Sadat, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente Illustrateurs Dupuy et Berberian, Stéphane Manel, Charlie Poppins Illustration de couverture ©Stanley Chow Publicité Directrice commerciale Emmanuelle Fortunato Tél. 01 44 67 32 60 (emmanuelle.fortunato@mk2.com) Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque Tél. 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Directrice de clientèle hors captifs Laura Jaïs Tél. 01 44 67 30 04 (laura.jais@mk2.com)

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7 … ÉDITO 8 … PREVIEW > Mud de Jeff Nichols 10 … SCÈNE CULTE > Prends l’oseille et tire-toi de Woody Allen

13 LES NEWS 13 … CLOSE-UP > Pauline Étienne 14 … BE KIND, REWIND > The Amazing Spider-Man de Marc Webb 16 … EN TOURNAGE > The Smell of Us de Larry Clark 18 … C OURTS MÉTRAGES > Je sens le beat qui monte en moi de Yann Le Quellec 20 … MOTS CROISÉS > Xavier Dolan et Melvil Poupaud pour Laurence Anyways 22 … SÉRIES > Luck de Michael Mann et David Milch 24 … ŒIL POUR ŒIL > L’Été de Giacomo vs. Summertime 26 … P ÔLE EMPLOI > Peter de Sève, character designer pour L’Âge de glace 4 28 … TOUT-TERRAIN > Chromatics, The Raid de Gareth Evans 30 … AUDI TALENT AWARDS > Arnaud Astruc et Benjamin Fournier-Bidoz 32 … SEX TAPE > Sex Press de Vincent Bernière et Mariel Primois

34 DOSSIERS 34 … TO ROME WITH LOVE > Woody Allen l’Européen ; test : quelle névrose allenienne êtes-vous ? 40 … FESTIVAL DE CANNES 2012 > Compte-rendu ; répliques cultes et scènes de culte ; rencontres avec Ken Loach, Michel Gondry, Benh Zeitlin… 48 … JOURNAL DE FRANCE > Entretien avec Raymond Depardon et Claudine Nougaret 54 … DENIS LAVANT > Entretien avec un acteur protéiforme pour Holy Motors de Leos Carax

61 LE STORE 61 … OUVERTURE > Les pièces à assembler Plus-Plus 62 … EN VITRINE > Les premiers films de Roman Polanski 64 … RUSH HOUR > The Smashing Pumpkins, Liza Manili, Crocodiles 66 … KIDS > La Colline aux coquelicots de Goro Miyazaki 68 … VINTAGE > Croix de fer de Sam Peckinpah 70 … DVD-THÈQUE > Hara-kiri de Masaki Kobayashi 72 … CD-THÈQUE > WIXIW de Liars 74 … BIBLIOTHÈQUE > Birdy de William Wharton 76 … BD-THÈQUE > Anjin-san de George Akiyama 78 … LUDOTHÈQUE> Prototype 2, Trials Evolution

81 LE GUIDE 82 … SORTIES EN VILLE > Kendrick Lamar, Anri Sala, Kader Attia, Joël Pommerat, Savion Glover, Semilla 94 … SORTIES CINÉ > 80 jours de José Mari Goenaga et Jon Garaño, Marley de Kevin Macdonald, The Dictator de Larry Charles, Adieu Berthe – L’Enterrement de mémé de Bruno Podalydès, Faust d’Aleksandr Sokurov, Jules et Jim de François Truffaut, La Part des anges de Ken Loach, Holy Motors de Leos Carax 110 … LES ÉVÉNEMENTS MK2 > Carte blanche à Philippe Decouflé 112 … TOUT OU RIEN PAR DUPUY & BERBERIAN 114 … LE CARNET DE CHARLIE POPPINS

Stagiaires Estelle Savariaux, Isis Hobeniche © 2012 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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ÉDITO

Justes Noces

Éclatez vos paquets de riz, mais en silence. Avec le retour des beaux jours vient le temps des mariages et des chartes qui les accompagnent. Comme à Nice, où, depuis le 1er juin, un arrêté municipal interdit dans l’hôtel de ville « les cris, les instruments, les orchestres, le déploiement de banderoles ou de drapeaux notamment étrangers ». Le présent numéro restera donc à la grille, parce que ses pages pétaradent d’unions placées sous des bannières internationales. Les épousailles italo-américaines de To Rome with Love avancent en tête, accompagnées par un orchestre qui se joue des accidents amoureux sur un tempo allegro ma non troppo. Grand prêtre de cet opéra comique, Woody Allen nous a raconté le plaisir de sa lune de miel répétée avec le Vieux Continent. Le cortège se poursuit avec l’acteur français Melvil Poupaud et le cinéaste québécois Xavier Dolan, qui accomplissent dans Laurence Anyways une géniale variation des genres au sein d’un couple, au rythme fringant et eighties de The Chauffeur par Duran Duran (en fait, c’est vachement bien Duran Duran) et de Pour que tu m’aimes encore par Céline Dion (là, on est plus réservé). L’aimer encore, pour le meilleur et pour le pire et jusqu’au bout de la vie, c’est le combat de Jean-Louis Trintignant face à Emmanuelle Riva dans Amour de Michael Haneke, Palme d’or d’un festival de Cannes arpenté par la rédaction de Trois Couleurs, délavée et rouillée jusqu’à l’os par une pluie battant pavillon eau. On a repris des couleurs en tête-à-tête avec Ken Loach, Cristian Mungiu, Pete Doherty, Thomas Vinterberg, Michel Gondry, Sandrine Bonnaire, Jeff Nichols, Tadashi Okuno ou Benh Zeitlin. Autant de rencontres à retrouver en plein milieu du magazine et sur notre site internet, en vidéo. On a été remués par une autre union, celle toujours scellée entre Leos Carax (Les Amants du Pont-Neuf) et son acteur Denis Lavant, qui nous conduit sur les routes sinueuses de Holy Motors le temps d’une interview. On a aussi croisé, au volant de sa camionnette, Raymond Depardon allant deux par deux dans Journal de France, avec sa compagne et ingénieur du son Claudine Nougaret : « Beaucoup de gens travaillent et vivent en couple, comme nous, nous explique-t-elle. Ce film parle de comment vivre ensemble, homme et femme. » Une équation qui peut être triangulaire avec Jules et Jim, le classique de François Truffaut à retrouver dans une version restaurée. Mariage, liaison ou concubinage, qu’importe la nature de ces unions, pourvu qu’elles fassent du bruit. _Étienne Rouillon

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PREVIEW

Ellis island

Mud de Jef f Nichols Avec : Mat thew McConaughey, Tye Sheridan… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h10 Sor tie : prochainement

Deux garçonnets aux yeux clairs, une île mystérieuse, le mauvais œil cousu sur une chemise et surtout l’eau du fleuve, le Mississippi lascif et envoûtant. Voici Mud de Jeff Nichols, enfant prodige des bayous de l’Arkansas, en compétition officielle à Cannes avec ce troisième film, récit initiatique lumineux et sensuel. « Je voulais filmer mon premier chagrin d’amour, j’ai mis dix ans à écrire cette histoire », nous a-t-il confié. Ainsi le jeune Ellis (Tye Sheridan, découvert l’an passé dans The Tree of Life) et Mud (Matthew McConaughey, hobo magnétique) plongent-ils ensemble dans les eaux tourmentées de la passion amoureuse. « Vous, les filles, ne connaissez pas votre pouvoir. » ♦

© Ad Vitam

_ Laura Tuillier

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Prends l’oseille et tire-toi Le premier long métrage de Woody Allen, sorti en 1969, prend la forme d’un faux documentaire sur Virgil Starkwell, violoncelliste raté reconverti dans le braquage de banque, activité dont il ne retire rien d’autre que des séjours en prison. Allen y esquisse son personnage de grand névrosé maigrelet, gauche et binoclard. Sourcils froncés, Virgil entre dans une banque et griffonne quelque chose sur un bout de papier. Il attend sagement son tour dans la file, puis tend le papier à l’employé debout derrière le comptoir… _Par Isaure Pisani-Ferry

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© RDA

scène culte

L’employé, lisant le papier : Qu’est-ce qu’il y a d’écrit, là ? Virgil : Vous ne savez pas lire ? L’employé : Je ne comprends pas ce qu’il y a d’écrit là : « zester » naturel ? Virgil, à voix basse : Non, c’est écrit « Veuillez mettre 50 000 dollars dans ce sac et rester naturel ». L’employé : C’est écrit « zester naturel » ! Virgil, continuant de lire à voix basse : « J’ai un pistolet dirigé vers vous. » L’employé : C’est écrit « nistolet », pas « pistolet ». Virgil : Non, c’est « pistolet ». L’employé : Non, c’est « nistolet ». Ça, c’est un « n ». Virgil : Non. Regardez, c’est un « p ». P-i-s-t-o-l-e-t. « Pistolet ». L’employé, appelant un collègue : George, pourriez-vous venir

un ­instant  ? (Il lui montre le papier) Qu’est-ce qu’il y a d’écrit ?

George, à voix haute : « Veuillez mettre 50 000 dollars dans ce sac et zester naturel. » C’est quoi, « zester » ?

Virgil : « Rester » ! L’employé, à George : Selon vous, là, il y a écrit « nistolet » ou « pistolet » ? George : « Pistolet ». Mais qu’est-ce que ça veut dire, « zester » ? Prends l’oseille et tire-toi de Woody Allen, scénario de Woody Allen et Mickey Rose (1969)


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Close-up

© Julien Weber

NEWS

Pauline Étienne

Elle arrive tout juste de Bruxelles, elle a conduit de nuit, seule avec son gros Thermos de café. Pauline Étienne, 23 ans, remarquée toute jeune dans Élève libre et Qu’un seul tienne et les autres suivront, est à l’affiche du premier long d’Ève Deboise, Paradis perdu, avec Olivier Rabourdin. « Lucie est une enfant sauvage, qui vit en osmose avec son père », explique-t-elle. Ce noyau familial fusionnel, hors du monde et du désir, est bousculé par le retour de la mère. Solaire et pulpeuse dans le film, Pauline a aujourd’hui quinze kilos de moins et le même minois juvénile. « Je viens de tourner La Religieuse de Guillaume Nicloux, une expérience fantastique mais éprouvante. » Elle y tient le premier rôle aux côtés d’Isabelle Huppert et de Louise Bourgoin, et s’apprête à rejoindre le casting d’Eden de Mia Hansen-Løve. _ Laura Tuillier

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NEWS BE KIND, REWIND

LE PLEIN DE SUPER

Cinq ans seulement après Spider-Man 3, Sony et Marvel osent le reboot avec The Amazing Spider-Man : faire du passé table rase, grâce à un nouveau réalisateur à la barre et un nouvel interprète du surhomme en combi. Un pari culotté, décidé après l’annulation in extremis du Spider-Man 4 de Sam Raimi, mais une recette éprouvée qui a déjà fait de nombreux émules. _Par

© 2011 Columbia Pictures Industies Inc.

Julien Dupuy (avec Étienne Rouillon)

The Amazing Spider-Man de Marc Webb Avec : Andrew Gar field, Emma Stone… Distribution : Sony Pictures Durée : 2h16 Sor tie : 4 juillet

© Warner Bros - photo Clay Enos

rebootés

© 20th Century Fox

© 2011 MVLFFLLC. TM © 2011 Marvel

Trois personnages de comics

Magneto dans X-Men : Le Commencement

Hulk dans Avengers

de Joss Whedon (2012)

de Zack Snyder (2013)

Après une trilogie entamée par Bryan Singer, les X-Men font une cure de jouvence en redécouvrant leurs origines. Avant d’être l’inflexible Magneto, Erik Lehnsherr n’était qu’un jeune mutant tourmenté par la découverte de ses pouvoirs. Michael Fassbender donne une profondeur inattendue au personnage, et Matthew Vaughn se concentre sur ce qui plaît le plus dans les films du genre : des super­ héros profitant de leurs pouvoirs au quotidien, avec des télépathes rois de la drague en boîte et des télékinésistes manipulant fourchette et couteau sans les mains. ♦

Troisième apparition sur grand écran du géant vert, troisième interprète du doux docteur Banner et ­troisième design de son colérique alter ego, Hulk. Après le délire new age d’Ang Lee et le blockbuster rigolo de Louis Leterrier, le triomphe d’Avengers de Joss Whedon donne un second souffle à ce pendant comics de Docteur Jekyll-Mister Hyde. Si Marvel évoque un nouveau film entièrement dédié au personnage, le studio a surtout lancé le développement d’une série télé supervisée par l’auteur de comics Jeph Loeb et le réalisateur ­mexicain Guillermo del Toro. ♦

Difficile d’incarner l’une des plus grandes figures superhéroïques américaines après l’interprétation du regretté Christopher Reeve dans Superman, le classique du genre signé Richard Donner. Brandon Routh s’y était cassé de belles dents blanches dans Superman Returns, un précédent reboot réalisé par Bryan Singer et dont le coût faramineux a tué la franchise. Le triomphe des Batman de Christopher Nolan a pourtant ressuscité l’Homme de Fer : la Warner sortira l’année prochaine cette superproduction réalisée par Zack Snyder, déjà aux ­commandes de Watchmen. ♦

de Matthew Vaughn (2011)

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Superman dans Man of Steel


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© Camille Treutenaere

NEWS EN TOURNAGE

Larry Clark et son coscénariste français Mathieu Landais

TEEN SPIRIT W The Smell of Us de Larr y Clark Avec : non communiqué Production : Morgane Production et Polyester Sor tie prévue : 2013

LARRY CLARK (Kids, Ken Park) prépare The Smell of Us, long métrage annoncé pour septembre et coécrit avec un jeune poète français, sur une bande de skateurs parisiens. Premier tournage en dehors des États-Unis pour le cinéaste. _Par Juliette Reitzer

assup Rockers, le dernier long métrage de Larry Clark, est sorti en 2006. Depuis, il y a eu la rétrospective du Clark photographe au musée d’Art moderne et le scandale de son interdiction aux moins de 18 ans – alors même que l’adolescence en était le sujet principal, comme toujours chez l’artiste. « L’idée est de faire un film qui montre une jeunesse française et qui peut être vu par elle », résument Gérard Lacroix et Pierre-Paul Puljiz, les producteurs français de The Smell of Us, cons­ cients de leur rôle de garde-fou d’un réalisateur souvent confronté à la censure. Qu’on se rassure : à en croire son pitch, le film, coécrit avec Mathieu Landais, un jeune

Clap !

_Par C.G.

1 Roman Polanski Toujours hanté par la paranoïa, le réalisateur s’attaque pour son prochain projet à l’affaire Dreyfus, qui l’a toujours fasciné, « non pas comme un film en costumes, mais comme une histoire d’espionnage ». D entrera en production avant 2013, à Paris.

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poète français de 23 ans, portera bien la marque des obsessions de Clark, grand portraitiste des désillusions juvéniles. Dans le milieu du skate parisien, « un couple s’entredéchire pour se rendre compte qu’il existe », et deux amis se livrent par ennui à la prostitution masculine sur Internet. Clark a écumé les squats et clubs de la capitale pour réunir le casting et devrait travailler avec Stéphane Fontaine, chef opérateur remarqué chez Jacques Audiard : « L’une des plus grandes qualités de Larry est sa capacité à se mettre en immersion totale avec son sujet », assurent Lacroix et Puljiz. Gageons qu’à 69 ans, le cinéaste n’a rien perdu de son génie à dire les tumultes adolescents. ♦

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2 Zach Galifianakis Le vagabond Ignatius J. Reilly, héros du roman culte (et réputé inadaptable) de John Kennedy Toole, La Conjuration des imbéciles, devrait être incarné par l’hirsute Zach Galifianakis et mis en scène par le réalisateur des Muppets, James Bobin.

3 Nicholas Stoller Après The Five-Year Engagement (sortie le 1er août), Nicholas Stoller (Sans Sarah, rien ne va), issu de la team Apatow, va bientôt tourner Townies : un paisible citadin, Seth Rogen, se retrouve aux prises avec un étudiant membre d’une fraternité (Zac Efron).


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NEWS COURTS MÉTRAGES Courts, toujours _Par I.P.-F.

© White Light Films Kinoko Films La Parti

DR

Spécial Talents Cannes Adami

Quitte ou double d’Alexandre Coffre Deux jeunes couples se retrouvent pour disputer un match de tennis. L’un va se marier, l’autre va divorcer. De jeux en sets, les échanges se font de moins en moins fair-play. Une joyeuse comédie de ping-pong verbal, avec mention spéciale à Alice Pol.

_ Par Laura Tuillier

P

roducteur, auteur d’une bande dessinée (Love Is in the Air Guitare), fan de northern soul, Yann Le Quellec prépare un long métrage, tourne un court à la rentrée (« une histoire d’hommessandwichs roulant à vélo dans la montagne ») alors que sort en salles son premier film, inspiré par la danseuse Rosalba Torres Guerrero. « Je l’ai repérée dans un spectacle d’Alain Platel, je n’avais pas d’idée de film mais je savais que je voulais tourner avec elle. » Guerrero offre au projet un corps d’une grâce et d’une maîtrise formidables puisqu’au moindre son musical il s’anime, se contorsionne, envahit l’espace. « Son handicap est transcendé par une histoire d’amour », explique le réalisateur, ami de Serge

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Bozon, dont il aime l’élégance et la gaucherie et qu’il a choisi pour compléter ce duo burlesque. Inspiré par « Tati, Étaix et Minnelli », Yann Le Quellec met en scène deux collègues (ils sont guides touristiques et font visiter Poitiers à une poignée de touristes en bob) au départ mal assortis et qui trouvent peu à peu un rythme commun sur lequel accorder leurs corps. Drôle, entraînant, sensible, Je sens le beat qui monte en moi, hymne coloré aux amours maladroites, sera le tube de l’été. ♦ Je sens le beat qui monte en moi de Yann Le Quellec Avec : Rosalba Torres Guerrero, Serge Bozon… Distribution : Premium Films Durée : 32 minutes Sor tie : 13 juin En exclusivité parisienne au MK 2 Beaubourg Rencontre avec le réalisateur le 13 juin à 20h

Bonjour de Maurice Barthélémy En attendant Pas très normales activités, Barthélémy exerce son sens du décalage en imaginant vingt-quatre heures d’un jeune homme qui, pour que sa copine le regarde à nouveau, décide de ne plus quitter sa panoplie complète de footballeur américain.

DR

Dans le court métrage de YANN LE QUELLEC Je sens le beat qui monte en moi, la danseuse ROSALBA TORRES GUERRERO est victime d’un mystérieux handicap : à la moindre note de musique, la voici qui ne contrôle plus son corps, pris de convulsions rythmiques pour le moins embarrassantes.

DR

BEAT MACHINE

La Marque des champions de Stéphane Kazandjian À la recherche du nouvel attaquant pour l’équipe de foot sponsorisée par sa marque de yaourt, une commerciale un peu nunuche fait passer un casting absurde à des candidats encore plus absurdes. Facétieux, à défaut d’être d’une grande originalité.


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NEWS MOTS CROISÉS

Un beau jour, dans le Québec des années 1980, il lui annonce. Laurence (MELVIL POUPAUD), professeur de littérature, décide de devenir une femme et embarque bon gré mal gré sa compagne, Fred (Suzanne Clément), dans son périple. Dix ans d’un chemin de croix tracé par le réalisateur XAVIER DOLAN (J’ai tué ma mère, Les Amours imaginaires) qui dépasse l’exotisme et la performance transformiste pour leur préférer la chronique d’un changement de pronom et d’identité. Rencontre avec les créateurs de Laurence. _Propos recueillis par Clémentine Gallot et Étienne Rouillon / _Illustration : Stéphane Manel

Parle avec elle Laurence Anyways contourne les passages obligés d’un film sur la transformation : l’annonce à la famille, assumer sur son lieu de travail…

Xavier Dolan : Je ne me dis pas « Qu’est-ce que ça devrait être ? » pour choisir de faire l’inverse. Ce n’est pas une question d’originalité… Je n’ai pas pensé à donner dans l’iconoclaste. Par exemple, je savais que pour être touchante et intéressante, la mère de Laurence ne peut pas lui dire « Qu’est-ce que les gens vont penser ? ». Pour moi, ce personnage joué par Nathalie Baye est le seul du film qui suit une évolution psychologique, qui s’améliore. Elle reprend goût à la vie en regardant sa « fille » : si mon enfant est capable d’autant d’héroïsme, je peux bien me remettre à la peinture. Les personnages les plus intéressants sont les personnages qui changent.

Peut-on se perdre lorsque l’on embrasse un rôle en constante mutation ? Melvil Poupaud : La transformation physique progressive, les rapports avec la mère, la variété 20

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« Les personnages les plus intéressants sont les personnages qui changent. » des scènes – certaines très passionnelles, d’autres plus légères – permettent un panel d’interprétation très large. Je pouvais jouer sur la façon d’être de Laurence, sa façon de devenir plus féminin, de tenir sa clope. Je connaissais un peu le monde des transsexuels pour avoir été le monteur d’un documentaire sur le sujet (Crossdresser, réalisé par sa mère, Chantal Poupaud – ndlr).

Laurence dit qu’il ne vivra jamais dans le corps d’une jeune femme mais qu’il descendra la pente en tant que femme mûre…


La réplique

« Laurence a 35 ans au début, il se cherche, puis mûrit et devient celle qu’il veut être en l’espace de dix ans : une femme agée. »

« En tant qu’avocat, je dois te poser la question : est-ce que les gobelets en plastique étaient consentants ? »

M.P. : Laurence a 35 ans au début, il se cherche, puis mûrit et devient celle qu’il veut être en l’espace de dix ans : une femme âgée. C’est un personnage très courageux. À la fin du film, il a atteint une maturité, une liberté, un regard sur le monde plus apaisé.

« Je vais prendre ma retraite, m’isoler dans mon garage avec ma scie et mon marteau pour monter des films amateurs. J’ai toujours voulu faire des films de nature plus expérimentale, sans avoir à me soucier de leur diffusion au cinéma. »

Les Amours imaginaires, votre précédent film, mettait en scène des regards désirants. Ceux qui sont portés sur Laurence sont plus ambivalents, entre fascination et répulsion…

X.D. : C’est un film à propos du regard que la société porte sur les gens différents. Si Laurence allait vivre en réclusion sur une île, on l’emmerderait moins. Mais il veut marcher dans la rue, enseigner à des enfants même s’ils ont des parents qui pensent que la transsexualité est contagieuse. En réalité, Laurence est le plus normal de toute cette galerie de personnages. Tout le monde est caricatural : les vieilles putes burlesques comme les bourgeois de droite. Personne n’est plus en quête de tranquillité que Laurence. M.P. : Il n’est ni marginal, ni punk, ni asocial, il ne dit jamais « Je vous emmerde tous ». Le regard de Laurence est très tendre, sans aigreur, même envers ceux qui lui ont mis des bâtons dans les roues.

Deux heures quarante, c’est long. Le film avait-il besoin de tant de temps pour se déployer ?

X.D. : Oui, sinon on aurait fait un film sur un coupage de queue. Un documentaire sur un type qui met sa bite dans du formol. Je ne voulais pas de sketchs. Grâce à la durée, la seconde partie du film se mire dans la première. M.P. : C’est un film-fleuve, flamboyant comme les sagas des années 1970. Ça m’a fait penser à Reds de Warren Beatty. X.D. : Avec un film long, on peut répéter les choses huit fois avant qu’elles n’arrivent, et le spectateur fait : « Ah ! On en entend parler depuis deux heures, et voilà que tout d’un coup… » C’est peut-être naïf de ma part, mais je crois qu’en se donnant le temps d’installer les choses, de prendre racine, on crée une mémoire chez le spectateur. ♦ Laurence Anyways de Xavier Dolan Avec : Melvil Poupaud, Suzanne Clément… Distribution : MK 2 Dif fusion Durée : 2h39 Sor tie : 18 juillet

L’avocat du héros de Starbuck, comédie canadienne sur un serial donneur de sperme (en salles le 27 juin)

La phrase

George Lucas en mai dans une interview au magazine britannique Empire

Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux.

Sandrine : Célébrer le bon cinéma ? Que Nanni. Sandrine : Un palmarès qui Nanni queue, ni tête (ok j’arrête). Benjamin : Pour info, la vanne “Donna se meurt” est déjà périmée. Martin : « Le problème avec les citations sur Internet, c’est qu’il est difficile de confirmer leur véracité. » – Abraham Lincoln Raphaël : De couilles et d’orques. Thy : « Quand on Haneke l’AMOUR. » Joachim : 2046 Motors, un film de Wong Kar Ax Tony : Nul n’est ibuprofène en son pays. Benjamin : Tout le PIB de l’Azerbaidjan passe dans cette soirée Eurovision. On pense au peuple. Thomas : Joss Whedon Kornikar. Didier : En loupant le Carax à Cannes, j’ai l’impression d’être dans un placard et que, dans la pièce autour, des milliers de gens ont un orgasme. www.mk2.com

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NEWS SÉRIES le caméo

© RDA

Sarah Jessica Parker dans Glee Sex and the City, le come-back. Un prequel intitulé The Carrie Diaries, toujours d’après Candace Bushnell, racontera cet automne les années lycée de Carrie Bradshaw sur la chaîne CW. Et l’interprète historique du personnage pendant six saisons (et deux longs métrages) fera, elle, bientôt son retour sur les plateaux de télévision : Sarah Jessica Parker a signé pour apparaître dans six épisodes de Glee sur Fox. Elle sera, avec Kate Hudson, l’une des cautions new-yorkaises du show, qui prévoit d’envoyer plusieurs de ses jeunes héros étudier sur la côte est. _G.R.

Étalon d’Achille Drivée par les cracks MICHAEL MANN et DAVID MILCH, la série Luck a été brutalement arrêtée à la mort d’une troisième monture sur le tournage de sa seconde saison. Une tragédie inscrite au sein de cette œuvre fragile sur les courses hippiques. _Par Guillaume Regourd

Luck (États-Unis) Diffusion : saison 1 à partir du 19 juin à 20h40 sur Orange Cinémax

© 2012 Home Box Office Inc

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ouche, profondément navrant, voire ridicule. On aura tout lu et tout imaginé à la parution du communiqué de HBO annonçant la suspension immédiate et définitive du tournage de la série Luck. Que l’inimitié entre ses deux bouillants cocréateurs, Michael Mann et David Milch, finisse par dégénérer, l’idée avait fait son chemin. Mais qu’un show dans l’univers des courses hippiques plie boutique pour n’avoir pu assurer la sécurité des chevaux… En même temps, la première et unique saison de Luck ne parle que de cela : l’incertitude tragique du tour de piste, généreusement avalée par des montures aveugles au risque de la fracture inopérable. Le souvenir d’une euthanasie pratiquée dans le pilote hante toute la série. Chaque course devient thriller. Caméra aux fesses des jockeys et riffs de guitare saignants, ces séquences ­m anniennes sont le climax d’une série autrement

totalement milchienne. L’hippodrome de Luck aimante ainsi les paumés prompts à soliloquer à la manière de Deadwood et de ses chercheurs d’or. Sauf que Milch, dingue de chevaux et propriétaire d’une écurie, partage cette fois la fièvre de ses personnages, qu’ils soient parieurs, entraîneurs ou agents. Il faut voir

Zapping

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Tim Roth Présent à Cannes pour Broken, le Britannique pourrait bien revenir à la télévision américaine après trois saisons du polar Lie to Me. La chaîne FX s’intéresse au projet de drame familial qu’il a présenté aux côtés du producteur Alexander Cary (Homeland).

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David Caruso Enfin la retraite pour le lieutenant Horatio Caine et son interprète. La chaîne CBS a en effet décidé d’annuler Les Experts : Miami, après tout de même dix saisons. Cela commence à sentir sérieusement la fin pour la franchise CSI, sur le déclin côté audiences.

© CBS

© NBC

_Par G.R.

Community Une bonne et une mauvaise nouvelle pour les fans de la comédie de NBC : la série est bien reconduite pour une quatrième saison, mais elle devra continuer sans son créateur et showrunner Dan Harmon. Ce dernier a expliqué avoir appris son limogeage dans la presse.

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l’homme d’affaires joué par Dustin Hoffman – retrouvé, dans un rôle tel que le cinéma ne lui en propose plus depuis quinze ans – veiller amoureusement son pur-sang toute une nuit. Se mesure alors la détresse qui a dû être celle de David Milch de voir Luck s’arrêter pour maltraitance. ♦


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© NiZ

NEWS ŒIL POUR ŒIL

L’Été de Giacomo d’Alessandro Comodin Avec : Giacomo Zulian, Stefania Comodin… Distribution : NiZ! Durée : 1h18 Sor tie : 4 juillet

Premières chaleurs

Dans la moiteur de l’été, deux merveilleux petits films mêlent fiction et documentaire pour mettre en scène la maturation adolescente : L’Été de Giacomo de l’Italien Alessandro Comodin, tourné au bord d’une rivière turquoise ; et, dans l’étuve du Mississippi, Summertime de l’Américain Matthew Gordon. _Par Isaure Pisani-Ferry

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Summer time de Mat thew Gordon Avec : William Ruf fin, John Alex Nunner y… Distribution : KMBO Durée : 1h13 Sor tie : 4 juillet

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e héros de Summertime, Robbie, est un petit voleur en échec scolaire confronté, à 14 ans et en un été, à la nécessité de devenir adulte. Sa mère partie on ne sait où, toute sa belle énergie batailleuse, qui explosait jusque-là dans les querelles de cour d’école (le film s’appelle en V. O. The Dynamiter), passe désormais dans l’effort quotidien pour reconstruire autour de son petit frère un semblant d’ordre domestique. Chez Giacomo, le jeune Italien beau et sourd du documentaire L’Été de Giacomo, même trop-plein de vitalité, même vide laissé par l’absence des parents. Mais c’est une autre

forme de maturation, celle de la ­sensualité, qu’il découvre auprès de son amie Stefania. Avec une incroyable liberté, tous deux se laissent filmer dans leurs marivaudages, encore enfants lorsqu’ils s’égaient dans une rivière, soudain sérieux quand leurs corps se rapprochent. Comme si, pour filmer l’éclosion des individus, il fallait rester au plus près de la réalité, les deux films font le choix d’une forme hybride, qui brouille la frontière entre documentaire et fiction. Il en résulte une étonnante poésie où se marient nature luxuriante, énergie de la jeunesse et mélancolie de l’enfance qui s’en va. ♦

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NEWS PÔLE EMPLOI

Un homme de characters Nom : Peter de Sève Profession : illustrateur, caricaturiste et character designer Dernier projet : L’Âge de glace 4 – La Dérive des continents Sor tie : 27 juin

Aucun de ses dessins n’est apparu à l’écran, et pourtant Peter de Sève est une star des films d’animation : créateur des personnages du Monde de Nemo et de L’Âge de glace, ce character designer (littéralement « concepteur de personnages ») nous brosse le portrait de ce métier indispensable mais confiné aux coulisses des studios d’animation. _Par Julien Dupuy

N

e vous y trompez pas : malgré son patronyme aux consonances françaises, Peter de Sève est bien un ­New-Yorkais pure souche. Né dans le Queens, biberonné aux personnages des cartoons de Chuck Jones (Bugs Bunny, Bip Bip, Elmer…), formé à la Parsons School of Design de Greenwich Village, de Sève se fait un nom en réalisant des affiches pour Broadway et en fournissant des illustrations pour des périodiques comme Forbes ou Newsweek. Mais c’est lorsque ses dessins sont publiés en couverture du New Yorker que le jeune illustrateur est repéré par l’industrie du cinéma d’animation. Le dynamisme de son trait, son art de la caricature et son sens des volumes lui valent d’être embauché par Disney, Pixar, DreamWorks et Sony Pictures Animation. C’est pourtant en Blue Sky, un autre studio, installé comme lui dans l’Est des ÉtatsUnis, que Peter de Sève trouve un partenaire idéal.

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« Pour le grand méchant du film, après des centaines de tentatives infructueuses, j’ai décidé de briser une des règles de la franchise : j’ai créé un primate. » Gare au gorille ! Si Peter de Sève est le character designer, autrement dit le créateur des personnages de la quasi totalité des productions de Blue Sky, son opus magnum reste indéniablement L’Âge de glace. En imaginant l’apparence de chacune des créatures antédiluviennes qui la peuplent, Peter de Sève a contribué par bien des aspects à insuffler l’âme de la franchise. Son implication dans ces films dépasse donc forcément l’espace confiné de la planche à dessins, comme il le prouve de nouveau sur le quatrième volet de la série, L’Âge de glace 4 – La Dérive des continents. « Dans le scénario, le grand méchant

CV

1958 Naissance de Peter de Sève à New York 1993 À la demande de Françoise Mouly, directrice artistique du magazine New Yorker, il signe sa première couverture pour l’hebdomadaire, représentant un énorme vendeur de ballons à Coney Island. 1995 Disney l’appelle pour contribuer au design des personnages du Bossu de Notre-Dame, mais aucun de ses dessins n’est retenu. 1998 Il travaille avec Pixar sur 1001 pattes. Il retrouvera le studio d’Emeryville pour Monstres et Cie (2002), Le Monde de Nemo (2003) et Ratatouille (2007). 2002 Il imagine son personnage le plus célèbre : l’acharné et malchanceux Scrat dans L’Âge de glace, croisement entre un écureuil et un rat qui contribuera au succès de la franchise.


du film, le capitaine pirate Gutt, était un ours, nous explique de Sève. J’ai donc essayé pendant des mois de dessiner un ours qui ferait un pirate convaincant et un méchant amusant. Mais je sentais que quelque chose clochait. Après des centaines de tentatives infructueuses, j’ai décidé non seulement de modifier le scénario, mais aussi de briser une des règles de la franchise : j’ai créé un personnage de primate. L’idée de faire de Gutt un gorille a tout débloqué : il pouvait monter au sommet des mâts de son bateau et représentait un plus grand danger pour ses adversaires avec ses quatre mains. De plus, il fallait que je parvienne à faire ressembler cet animal à un pirate sans qu’il ait de costume. Or, en trichant légèrement sur l’implantation des poils du crâne de mon gorille, je pouvais donner l’impression que Gutt portait un tricorne. » Papa poule Chaque personnage de L’Âge de glace est donc l’enfant de Peter de Sève.

Et comme tout père qui se respecte, l’artiste se montre très protecteur avec sa marmaille : « Après le premier Âge de glace, la Fox avait sorti des jouets avec des poses qui ne correspondaient en rien aux personnages que j’avais créés. Ça m’a rendu complètement fou ! J’ai appelé le service concerné et je les ai suppliés de me laisser travailler sur ces produits dérivés, même gratuitement. C’est ce qui s’est passé : c’est moi qui ai conçu les figurines des œufs Kinder Surprise, par exemple. » Loin d’être un mercenaire désabusé du crayon, Peter de Sève met donc tout son cœur dans ce qui reste pourtant un pur travail de commande : « J’adore travailler dans l’animation. C’est non seulement ludique, mais aussi très gratifiant : des centaines de gens vous offrent leur savoir-faire pour ­porter vos dessins à l’écran. Je suis extrêmement chanceux de faire ce métier. Mais ne le dites surtout pas à mon employeur, il risquerait de revoir mon salaire à la baisse ! » ♦

Cessez le feu ! Au début, ce bruit, c’était pas louche pour un sou. C’était dans le ton. La charge de la place Tahrir par des cavaliers hostiles aux manifestants, point de départ du film Après la bataille, en projection officielle dans le Palais des festivals de Cannes le jeudi 17 mai, vers 22h. Bagarre à l’écran et donc tintamarre dans les oreilles : comme des coups de canon répétés et rapprochés. On était assis à côté de l’équipe du film, qui, à force de se retourner, nous a mis la puce à l’oreille : ça ne faisait pas partie de la bande-son. « Boum-boumbadaboum », qui étaient les fous furieux qui, en pleine projection, semblaient zinguer le toit de la salle à grands coups de marteau ? Le bouquet final a levé le mystère. Un bête feu d’artifice, juste au dessus de nos têtes. _É.R. Après la bataille de Yousr y Nasrallah // Prochainement

La technique © 2012 Columbia Pictures Industries

©Twentieth Century Fox

© Siecle production

Brève de projo

Sur le fil Pour suivre Spidey dans ses circonvolutions au milieu des gratte-ciel new-yorkais, les équipes ont fait appel à un système capable de se mouvoir avec la même agilité que le tisseur de toiles : la bien nommée Spidercam consiste en une caméra stabilisée par gyroscope, pilotée à distance via des fibres optiques et suspendue à quatre câbles en Kevlar. Ces câbles sont reliés à quatre treuils contrôlables par ordinateur et placés en hauteur, à chaque coin de la surface de tournage couverte par la caméra (un stade, un pâté de maison…). Ainsi, en enroulant ou en déroulant les câbles, les opérateurs peuvent déplacer verticalement et horizontalement la caméra sans support apparent et avec une rapidité sans égale. _J.D. The Amazing Spider-Man de Marc Webb // Sor tie le 4 juillet

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NEWS TOUT-TERRAIN COVER boy +

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Chacun crame le building de la pop à sa façon. De la pyromanie hard de Def Leppard aux mutations incendiaires de Spoek Mathambo, tous s’emploient à embraser les fondations d’un édifice bien implanté. Le funambulisme vertigineux d’A Place To Bury Strangers précipitera-t-il sa chute le 26 juin ? _Q.G.

UNDERGROUND

La timeline de Chromatics DR

Hier

Gamme Chromatics Cinq ans après son dernier album et quelques mois après le buzz Drive, Chromatics revient avec son ensorcelante italo-disco. _Par Éric Vernay

Kill for Love de Chromatics Label : Italians Do It Bet ter Sor tie : disponible

Samplé par Kid Cudi, apprécié par Beyoncé, qui raffole de ses synthés, Johnny Jewel est plus hype que jamais. Mais le cofondateur du label Italians Do It Better et leader du quatuor Chromatics préfère rester dans l’ombre de ses créatures célestes : Desire, College et Glass Candy. En Pygmalion perfectionniste, Jewel s’est enfermé dans son studio huit à dix heures par jour pour donner dignement suite 28

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à l’acclamé Night Drive (2007), véritable fer de lance du « son » Italians Do It Better avec la compilation After Dark sortie la même année. Cinq ans plus tard, nouvelle déferlante italo-disco : Jewel s’est distingué avec le projet Symmetry, magnifique et sombre prolongement de la B. O. de Drive, tout en préparant avec sa muse Nat Walker un deuxième volume d­ ’After Dark ainsi que le ­successeur de l’excellent ­B/E/A/T/B/O/X de Glass Candy. Mais surtout, il y a ce Kill for Love de Chromatics. Enregistré près de dix fois par le maniaque Jewel, ce disque-fleuve tisse sa toile vaporeuse dans un entêtant écrin synthétique, pop et glamour. « Rock’n’roll will never die », susurre Nat Walker sur une reprise de Neil Young. On la croit les yeux fermés. ♦

Versant d’abord dans un garage-punk très noisy au début des années 2000, Chromatics change plusieurs fois de personnel avant de trouver sa géométrie idéale et sa note dark disco avec l’album Night Drive, sorti chez Italians Do It Better en 2007. Aujourd’hui

Révélé au grand public grâce à la présence du morceau Tick of the Clock sur la flamboyante B. O. du film Drive de Nicolas Winding Refn, le quatuor de Portland est très attendu au tournant pour la sortie de son quatrième album studio, Kill for Love.

Demain

Après l’album Themes for an Imaginary Film (sous le nom de Symmetry) et une version de Kill for Love sans batterie, le producteurcerveau de Chromatics, Johnny Jewel, s’apprête à dégainer la compilation After Dark II et un nouveau LP de Glass Candy.


CALÉ

Jonah Hill : bon point pour la crédibilité du joufflu, Martin Scorsese l’a convié à rejoindre Leonardo DiCaprio et Kyle Chandler dans la distribution de son prochain polar, The Wolf of Wall Street. Respect pour la belle ligne supplémentaire sur le CV.

DÉCALÉ

Jonah Hill : dans The Sitter de David Gordon Green (en salles le 13 juin), Jonah dépanne, en voisin poupin et accommodant, des parents débordés ; nounou embarquée dans une virée façon After Hours, il passe la nuit à insulter d’innocents bambins. Pas taper.

_Par C.G.

RECALÉ

Jonah Hill : jadis ado en rut dans SuperGrave, il s’est changé, entre deux régimes, en flic à la ramasse dans l’adaptation survoltée et régressive de 21 Jump Street (en salles depuis le 6 juin). Sa mission : infiltrer un lycée. Retour à la case départ.

OVERGROUND Montée en puissance En combinant arts martiaux, polar et esthétique de jeu vidéo, The Raid vient brutalement réveiller un cinéma d’action asiatique devenu moribond. État des lieux de ses influences. _Par Yann François

The Raid de Gareth Evans Avec : Iko Uwais, Ray Sahetapy… Distribution : SND Durée : 1h41 Sor tie : 20 juin

© SND

En plus d’être une claque magistrale, The Raid a la saveur d’une madeleine proustienne pour quiconque voue un culte au cinéma d’action depuis l’enfance. Son pitch : un raid policier lancé sur un repaire de gangsters surarmés tourne rapidement au massacre. Son décor : un immeuble aux étages innombrables, barre HLM boyautée de passages secrets, dont la structure pyramidale (jusqu’au boss de fin) rappelle celle d’un jeu vidéo. À l’image de son labyrinthe de béton, The Raid est un cadastre organisé, dont chaque étage serait une couche du cinéma de baston. Premier niveau : le cinéma de Hong Kong, en berne depuis une dizaine d’années mais auquel Gareth Evans emprunte une flamboyance de mise en scène – la même qui fit la gloire des Tsui Hark et autres John Woo – et un esprit artisanal sans concession ni effets numériques superflus. Une orfèvrerie du geste martial, qui trouva dans les années 2000 un nouveau souffle avec le Thaïlandais Tony Jaa (star d’Ong Bak), second palier dont on retrouve ici la brutalité physique ahurissante. Mais The Raid ne saurait se limiter aux références asiatiques et sait aussi se tourner vers l’Occident, Hollywood en tête. Chez John « boom-boom » McClane et sa tour de cristal de Die Hard ou chez John Carpenter (Assaut, Halloween), The Raid pioche un sens aigu de l’action claustrophobe, où le Mal s’incarne dans une tension diabolique. Une bible du spectaculaire dont Gareth Evans se fait l­’hallucinant apôtre. ♦

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© Olivier Borde

NEWS AUDI TALENTS AWARDS

Benjamin Fournier-Bidoz (à gauche) et Arnaud Astruc

PASSE-MONTAGNE Lauréats des Audi Talents Awards catégorie musique, ARNAUD ASTRUC et BENJAMIN FOURNIERBIDOZ créent des univers sonores sur mesure pour les marques et les médias. Les compositions de ces montagnards dans l’âme n’ont qu’un seul credo : un peu d’air frais. _Par Claude Garcia

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ls aiment les grands espaces. Originaires de la région d­ ’Annecy, Arnaud et Benjamin se sont installés il y a deux ans dans un studio de Boulogne, où on les rencontre : « On a commencé par un groupe orienté musiques du monde, puis on a tenté l’aventure d’un tour d­ ’Europe et d’Afrique afin de découvrir de nouvelles sonorités. Curieux de tout, on s’est dirigés vers une polyvalence

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musicale qui nous a permis d’illustrer les travaux d’un ami dessinateur. » À leur retour, ce dernier leur propose de composer la musique de spots qu’il réalise pour une marque de skis. L’expérience est concluante : ils s’associent alors à un autre ami ­d’Arnaud pour monter leur propre structure de musique à l’image : Chut on vous écoute. Les deux comparses continuent depuis dans le registre des mélodies alpines. « On travaille beaucoup sur des B. O. pour les vidéos de sports extrêmes, c’est agréable d’apposer nos musiques sur de grandes étendues. On a eu de la chance, parce qu’on a toujours cru aux projets qu’on nous confiait », précise Arnaud. Les orchestrations montueuses qu’ils ont signées pour le concours Audi Talent Awards, slalomant entre passages dénudés et crescendos électro, ont su séduire le jury. Il a donc distingué cette année deux autodidactes qui, doucement, prennent la pente ascendante. ♦

whATA's up ? Mention spéciale des ATA catégorie Musique, Nathan Blais multiplie les projets électro. Sous le pseudonyme d’Indiscreet, ce Lyonnais de 25 ans se dit influencé par la French touch et l’univers rétrofuturiste de Moebius. Étudiant en musicologie, il a participé tout naturellement au concours, proposant un patchwork de sonorités qui se marient judicieusement avec l’univers visuel contemporain de la marque. Des projets plein la tête, il s’apprête à composer la B. O. d’un documentaire sur les révolutions arabes. _C.Ga. Plus d’informations sur w w w.myaudi.fr


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NEWS SEX TAPE

DR

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Oz, avril juin1970 2012


Libération textuelle

Sex Press – La Révolution sexuelle vue par la presse underground 19 6 5-1975 de Vincent Bernière et Mariel Primois Édition : La Mar tinière Genre : anthologie Sor tie : disponible

« Jouir sans entraves » : entre 1965 et 1975, le précepte des situationnistes s’exhibait sans retenue dans la presse underground. De Paris à New York, en passant par Sydney, ce beau livre de deux cent quarante pages explore les images de la révolution sexuelle à l’aune de la free press et des mouvements minoritaires de l’époque. Sous les pantalons pattes d’ef, on se dresse fraternellement contre l’amour bourgeois, les contestations féministes et LGBT se radicalisent, des esthétiques se créent et s’entremêlent comme les corps avec les créations graphiques et psyché d’Actuel, de Tits & Clits ou encore de Sexpol. Mais la parenthèse enchantée des orgies joyeuses se referme dès lors que la sexualité pénètre le mainstream.

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_Quentin Grosset

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Š Mars Distribution

Woody Allen

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Commedia dell’ arte juin 2012


Woody Allen

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© Mars Distribution

Woody Allen

Longtemps homme d’une seule ville, la Grosse Pomme, magnifiée à l’envi, Woody Allen s’est fait itinérant et a posé sa caméra en Europe, profitant des décors, des interprètes locaux et de coûts de production moindres. Aux tableaux amoureux de New York qui dominaient sa filmographie succèdent depuis sept ans des instantanés européens. To Rome with Love n’échappe pas à la règle. Ses histoires d’amour et d’ego entre la fontaine de Trevi et les ruelles du Trastevere bouclent, pour le moment, son cycle sur le Vieux Continent. Analyse par le menu de la cuisine savoureuse du réalisateur, qui a répondu à nos questions.

n quelques films, Woody Allen semble avoir trouvé la recette d’une comédie à l’européenne dont le piquant reste newyorkais et caustique, faisant varier subtilement les ingrédients. Prenez d’abord la crème des acteurs américains, passé et présent confondus, ici Alec Baldwin et Jesse Eisenberg (révélé par The Social Network). Ajoutez une ville réputée pour sa beauté éternelle et romantique : après les ponts de Paris, les fontaines de Rome. Relevez de quelques locaux célèbres comme Penélope Cruz dans Vicky, Cristina, Barcelona ou Marion Cotillard dans Midnight in Paris. Ici, c’est l’Italien Roberto Benigni. Saupoudrez le tout de coups de foudre, de quiproquos, de rendez-vous manqués et de poésie fantastique – le voyage dans le temps pour Midnight in Paris, les apparitions en forme de conscience Jiminy Cricket d’Alec Baldwin pour To Rome with Love. Servez caldo. Le sel de cette comédie touristique vient de la présence face caméra du chef luimême, Woody Allen dans un rôle tout en autodérision et en saillies brillantes : « Le fils est communiste et le père, croque-mort… Est-ce que la mère dirige une léproserie ? » Pour ce retour à l’écran,

Woody nous avoue ne pas avoir boudé son plaisir : « C’était très amusant de tourner en Italie, tout le monde était gentil avec moi, coopératif, et la possibilité de vivre à Rome pendant six ou sept semaines en valait la peine. »

Antipasti Parmi les convives du banquet, on retrouve donc Woody, alias Jerry, le père anxieux de Hayley (Alison Pill), de passage en Italie pour rencontrer son futur beau-fils, Michelangelo. Jerry a peur des turbulences en avion, des communistes italiens et de la retraite, qu’il associe, peut-être à raison, à la mort. Il porte son éternel pantalon beige taille haute avec ceinture et ne sort jamais sans son psy, puisqu’il l’a épousée (belles retrouvailles avec l’actrice Judy Davis, qu’il a dirigée dans Maris et femmes). Ancien metteur en scène raté d’opéra, Jerry découvre par hasard la voix sublime de Giancarlo, le père de son futur gendre. Problème : celui-ci n’arrive à chanter juste que sous sa douche, la savonnette en guise de micro. Les différentes aventures de To Rome with Love, si elles ne se croisent jamais, sont parcourues par

Allen en quatre capitales européennes Paris

On craignait la lettre d’amour du cinéaste francophile à Paris, refuge pour artistes qu’il visitait après avoir valsé sur les quais dans Tout le monde dit I love you. Fantaisie conjugale, Midnight in Paris (2011) exporte finalement les névroses new-yorkaises ­d’Allen, qui fait d’Owen Wilson son double aussi torturé qu’ahuri, façon Nouvelle Vague. Sa ronde nous transporte dans le swinging Paris des années 1920, avec Marion Cotillard et Léa Seydoux en French guests. 36

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Barcelone

_Par C.G.

Au soleil, Woody rajeunit. La preuve en 2008 avec son film le plus sensuel depuis longtemps, Vicky Cristina Barcelona, comédie sentimentale enlevée. Couple ibérico-volcanique, Penélope Cruz et Javier Bardem y entraînent deux vacancières en goguette, ­l’Américaine Scarlett Johansson (aussi passée par les étapes londoniennes d’Allen) et l­’Anglaise Rebecca Hall, dans une farandole endiablée. Un hommage fougueux et piquant à la Catalogne.

© Mars Distribution

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_ Par Laura Tuillier (avec Clémentine Gallot et Étienne Rouillon)


© Mars Distribution

Au menu de cette dégustation italienne : Roberto Benigni propulsé star et courtisé par de belles plantes (ci-dessus), Woody Allen et Judy Davis en couple déphasé (en haut à droite), Jesse Eisenberg troublé par Ellen Page (en bas à droite) malgré les mises en garde d’Alec Baldwin (ci-dessous).

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Woody Allen

Le sel de cette comédie touristique vient de la présence face caméra du chef luimême, woody allen dans un rôle tout en autodérision et en saillies brillantes. un même fil rouge : au fond, les passions et les rencontres ne sont que prétexte à l’exploration d’un seul motif, la représentation de soi. Ainsi, Leopoldo (Roberto Benigni, clown triste), un Romain quelconque, devient subitement célèbre, sans avoir rien accompli. En permanence sous les feux d’absurdes projecteurs, assommé par une horde de journalistes et de bimbos hystériques, le voilà contraint de faire des déclarations à tirelarigot : « Je porte des caleçons plutôt que des boxers. » De son côté, l’Italienne et très sage Milly

arrive dans la capitale pour s’installer avec son gentil mari, qui veut la présenter à sa famille. Suite à un quiproquo, elle se perd dans les rues de Rome, et est remplacée par une prostituée incendiaire (Penélope Cruz) qui prend son rôle de femme d’un jour un peu trop à cœur. Quant à Milly, la voilà perdue entre deux monuments séduisants : une célèbre actrice qui tourne son nouveau film (Ornella Muti, charmant caméo) et son pendant masculin, que la naïve adore. Poudre aux yeux : ce plateau de tournage ne sert que de piège à filles au fat, bien loin de ressusciter la magie du cinéma italien. Woody Allen, impertinent, précise d’ailleurs : « Ce film n’est un hommage à personne. Je n’ai jamais tourné d’hommage. Le film rassemble juste des idées que j’ai eues, qui me semblaient amusantes et romantiques et convenaient à un contexte italien. Parfois, je vole, mais je ne fais pas d’hommages. »

Al Dente Poudre aux yeux également, la jolie Monica (Ellen Page, parfaite en chipie), qui s’amuse à rendre chèvre le naïf Jack (Jesse Eisenberg) dans www.mk2.com

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Woody Allen

Le cinéma d’allen trouve en europe des tonalités plus nuancées. le segment le plus réussi du film. Étudiant en architecture, Jack coule des jours heureux avec sa fiancée, qui a la mauvaise idée de lui présenter sa meilleure amie Monica. Experte en séduction, la belle aligne les mots d’esprit, cite Rilke et Kierkegaard sans modération et prend soin d’avaler un Tic Tac avant d’embrasser. D’emblée, Monica est démasquée par une sorte de double bienveillant de Jack : John, campé par le formidable Alec Baldwin. Celui-ci apparaît régulièrement pour mettre en garde Jack contre la duplicité de la jeune fille, qui semble tout droit sortie d’un mauvais sitcom. « J’aime les clichés. Faire des comédies veut dire dépendre des clichés pour s’exprimer rapidement et de façon succincte, sans recourir à de longues explications qui requièrent des nuances plus subtiles », explique le réalisateur, qui invente ici un savoureux trio.

Les conseils de John n’empêcheront pas Jack de tomber dans le piège tendu par Monica, et c’est là toute la lucidité du cinéma d’Allen, qui trouve en Europe des tonalités plus nuancées : « Il y a toujours eu une patine plus sophistiquée aux films européens. Je les trouvais plus matures que le cinéma américain, quand j’étais jeune. » Les histoires de To Rome with Love sont racontées par un agent de circulation romain, qui nous introduit auprès des personnages de la fiction. Comme une liste d’ingrédients savoureux qu’il déclame et que le maestro Woody sait ensuite parfaitement accorder et doser, pour remuer dans les cœurs le couteau d’un humour doux-amer. ♦

Londres

Rome

Idiome commun oblige, Allen a tourné par quatre fois sur les bords de la Tamise. Le mélo Match Point inaugure en 2005 sa virée européenne. Seule Américaine au milieu d’un casting local, Scarlett Johansson, en femme fatale tentatrice, renvoie la balle à Jonathan Rhys Meyers et Emily Mortimer dans ce triangle amoureux venimeux. Mariant au polar brumeux la romance allénienne, Scoop associe encore l’année suivante « ScarJo » et un Woody magicien pour débusquer Hugh Jackman en serial killer de gardenparties. Maillons faibles du lot : Ewan McGregor et Colin Farrell dans le thriller Le Rêve de Cassandre (2007). Mention au vaudeville macabre Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (2010), avec Anthony Hopkins en sugar daddy buriné. 38

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To Rome with Love de Woody Allen Avec : Penélope Cruz, Alec Baldwin… Distribution : Mars Films Durée : 1h51 Sor tie : 4 juillet

Marivaudage dans la Ville Éternelle au son de ses tubes (« Volare, oh oh »), To Rome with Love a les défauts (tendance au vaudeville) et les qualités (charme volubile) des grandes comédies italiennes, avec ses tempéraments truculents. À la clé, moult caméos de stars transalpines : Roberto Benigni, Antonio Albanese, Alessandra Mastronardi, Riccardo Scarmacio. Le Colisée en toile de fond, les tourtereaux se croisent et se toisent autour de la fontaine de Trevi, en trios dont le plus doux reste celui formé par Jesse Eisenberg, Ellen Page et Greta Gerwig, parfaits disciples névrotiques d’Allen, couvés d’un œil goguenard par Alec Baldwin. Dans ce décor de ruines romaines, le plus décrépi reste le personnage de Woody, en retraité effarouché.


Quelle névrose allénienne êtes-vous ? _Par Laura Tuillier et Étienne Rouillon

Votre citation favorite de Woody allen, c’est :

Pour votre prochain film en Europe, vous ferez tourner…

« Hé ! Ne te moque pas de la masturbation ! C’est faire l’amour avec quelqu’un que j’aime. » – Annie Hall

Tonia Sotiropoulou, future James Bond girl, pour un huis clos dans un hospice grec dévasté par la crise.

« La dernière fois que j’ai pénétré une femme, c’était en visitant la statue de la Liberté. » – Crimes et délits

Tom Sturridge, pour incarner le vainqueur d’un concours de sosies de Woody Allen organisé par une université d’Oxford.

« Je pense que j’ai une tumeur au cerveau. » – Annie Hall

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Diane Kruger en Berlinoise directrice de cabinet du gouvernement Merkel, amourachée d’un député européen Front de gauche.

Annie Hall

Boris Yellnikoff, l’impayable vieux misanthrope new-yorkais de Whatever Works, marié malgré lui à une jeune fugueuse.

© RDA

Si vous étiez le personnage d’un de ses films, vous seriez :

Harry dans tous ses états

Votre film préféré de Woody Allen, c’est :

Virgil, premier alter ego de Woody dans Prends l’oseille et tire-toi.

Harry dans tous ses états

Alice

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe (sans jamais oser le demander) Woody et les robots

© RDA

© RDA

Alice qui, dans le film du même nom, décide de consulter le Dr Yang pour de mystérieuses douleurs et se trouve embarquée dans un voyage psychédélique.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe (sans jamais oser le demander)

Vous avez un max de stéthoscopes : vous êtes l’hypocondrie

Tel Jerry dans To Rome with Love, serrer des mains n’a rien d’amical pour vous, c’est simplement s’exposer à des miasmes. Comme pour tout New-Yorkais sensé, l’Italie n’est que la promesse d’un trajet stressant dans une boîte en fer qui survole des milliards de mètres cubes d’eau prêts à vous engloutir. Vous avez un max de cœurs fendus : vous êtes la maladresse sentimentale

Pareil à Sally, la petite amie naïve de To Rome with Love, dès qu’il s’agit d’amour, vous êtes autant paumé qu’un touriste sans carte dans le Centro Storico. Vous êtes ainsi capable de jouer, sans vous en rendre compte, l’entremetteuse entre votre mec et votre meilleure amie.

Vous avez un max de lunettes : vous êtes l’égocentrisme

Dans ce flot de Vespa, de Fiat 500 et de chianti, votre seul repère, c’est vous-même. Vous êtes Woody, l’acteur-réalisateurspectateur des aventures des autres, qui vous fascinent autant qu’elles vous effraient.


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s e n n Ca A

e g u l é d e l près

© Trois Couleurs

ra confi l e d e l , cel nt la x eaux vent éponge iau e d e sui ed entr stival es pages qui s cascades d tion e f n u ’ sd s, le n, l dac buvard e la révélatio de projection esquels la ­ré s r e i p d sl ts Pa n et celle s, les torren s cultes dan onné par la rédactio n o i t a e rd w o n m ie è r co s de sc ’interv . _Dossie pluie d les bouillon le est bonne el et logues ée. Plongez, n ig fut ba

1. Cosmina Stratan et Cristina Flutur, double prix d’interprétation féminine pour Au-delà des collines de Cristian Mungiu 2. Rin Takanashi, actrice de Like Someone in Kiarostami 2012 3. Paul Laverty, scénariste, et Ken Loach, réalisateur de La Part des anges, Prix du jury 4. Quvenzhané Wallis et Dwight Henry, actrice et 40Love d’Abbasjuin acteur des Bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin, Caméra d’or 5. Pete Doherty, acteur de Confession d’un enfant du siècle de Sylvie Verheyde


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déluge e l s è r : ap s 2012 Canne

RÉPLIQUES CULTES

Amour de Michael Haneke, Palme d’or de l’édition 2012

« AMERICA’S NOT A COUNTRY, IT’S A BUSINESS. » – Cogan – La Mort en douce

« T’ES OPÉ ? »   – De rouille et d’os

© Films du losange/Denis Manin

« J’AI LA PROSTATE ASYMÉTRIQUE. » – Cosmopolis

Marches à suivre

Si le jury, présidé par Nanni Moretti, a dessiné un palmarès sans grande surprise, le festival, malgré une tonalité lugubre, a réservé son lot de découvertes et de jeunes espoirs. _Par Clémentine Gallot et Juliette Reitzer

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ait exemplaire du palmarès 2012, la Palme d’or a distingué Amour de Michael Haneke, qui raflait déjà la mise en 2009 avec Le Ruban blanc. Le jury n’a récompensé que des cinéastes déjà p­ rimés et, hormis quelques rares exceptions, que des œuvres mélanco­ liques : deuxième Grand Prix pour Matteo Garrone (Reality, après Gomorra), troisième prix du Jury pour Ken Loach (La Part des anges, après Secret défense, Raining Stones et une Palme pour Le vent se lève), prix de la Mise en scène pour Carlos Reygadas et son Post Tenebras Lux (après le prix du Jury de Lumière silencieuse), prix du Scénario pour Au-delà des collines de Cristian Mungiu (palmé en 2007 pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours). Il flotte bel et bien sur cette soixante-cinquième édition un air de confortable routine, une sage léthargie. Amour lui-même est un hommage à la constance : le film dit la stabilité du sentiment qui unit un couple d’octogénaires, soudain

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confronté à la maladie et à la mort. Il se déploie comme le prolonge me nt log ique de l’œuvre de son auteur – regard clinique, loin de tout pathos, sur un sujet à fort potentiel lacrymal. Peu d’arguments ont fuité des délibérations du jury, si ce n’est qu’aucun prix n’aurait fait l’unanimité. Dans le palmarès de la rédaction, les oubliés Leos Carax (Holy Motors, lire page 54 et page 109) et Jeff Nichols (Mud, lire page 8) trônaient haut, et, outre les décou­ ver tes annoncées (en tête, Matthias Schoenaerts dans De rouille et d’os), les révélations qui nous ont frappés se trouvaient derrière la caméra. Ainsi, le Français Rachid Djaïdani et sa Rengaine à la Quinzaine des réalisateurs, ou l’Américain Benh Zeitlin et ses épiques Bêtes du Sud sauvage (Un certain regard), reparti avec la Caméra d’or. Prémices d’un coup de jeune pour l’édition 2013 ? En attendant, rendezvous fin août à Venise, dont la programmation s’annonce déjà passionnante. ♦

« JE CONTINUE COMME J’AI COMMENCÉ, POUR LA BEAUTÉ DU GESTE. » – Holy Motors

LES CHIFFRES DU FESTIVAL

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Le nombre de réalisateurs sertis de deux Palmes d’or. Michael Haneke rejoint le club très privé formé par ­l’Américain Francis Ford Coppola, le Japonais Shohei Imamura, le Serbe Emir Kusturica, le Danois Bille August et les Belges Jean-Pierre et Luc Dardenne.

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Grosso modo le nombre de films projetés au Marché du film cette année, en provenance de 109 pays différents. Tous les genres ont été représentés : films gores, blockbusters, comédies, dessins animés, films historiques…

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Le nombre de jours de douche ininterrompue sur la Croisette, du 19 au 23 mai. Pluie torrentielle, vent à décorner les bœufs, tonnerres éclatants… De mémoire de festivaliers (même les plus anciens), jamais Cannes n’avait connu météo aussi pourrie.



déluge e l s è r : ap s 2012 Canne

4 premiers films prometteurs

©ARP Selection

Augustine D’ALICE WINOCOUR

Fémisarde, Alice Winocour présentait à la Semaine de la critique Augustine, ou l’émancipation d’une jeune fille diagnostiquée hystérique par le professeur Charcot à la fin du XIXe siècle. Soko, déjà internée dans Bye Bye Blondie de Virginie Despentes, crève l’écran en névrosée sensuelle. Un premier long métrage très maîtrisé, entre classicisme du film en costumes et huis clos fantasmagorique. _L.T.

© Epicentre Films

Hors les murs de David Lambert

Venu du théâtre, le Belge David Lambert signe Hors les murs, qui se penche avec légèreté et délicatesse sur un amour de jeunesse entre deux hommes, Ilir et Paulo. À partir de situations toutes simples, le réalisateur parvient à surprendre, sa caméra attentive aux émois des corps et des cœurs. Entre mélo et comédie, ce premier film charmant confirme le talent de Guillaume Gouix (Jimmy Rivière). _L.T.

DR

Rengaine de Rachid Djaïdani

Révélation de la Quinzaine et prix Fipresci, Rachid Djaïdani, disciple de Peter Brook, propose un premier film do it yourself fiévreux, tourné sur neuf ans. L’union d’un jeune Noir et d’une Arabe suscite de vives réactions dans les familles respectives, soit 1h15 de saillies verbales qui font surgir le racisme entre communautés. Mention aux acteurs à la langue bien pendue Sabrina Hamida et Slimane Dazi. _C.G.

DR

Gimme the Loot d’Adam Leon

Dans les rues du Bronx, Malcom et Sofia (Tashiana Washington, prometteuse), 17 ans, multiplient les combines pour tenter de récolter 500 dollars, soudoyer le gardien d’un stade et taguer l’emblème de l’équipe de baseball des Mets. En sélection Un certain regard, le trentenaire new-yorkais Adam Leon réalise une comédie solaire et street connectée, entre le cinéma de Woody Allen et How to Make it in America. _J.R.

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© StudioCanal

NOS Caméras d’or

B.O.

LA PLAYLIST DU FESTIVAL

Dès l’ouverture, on s’est laissé bercer par la voix vintage de Françoise Hardy, sortie du lecteur portable de vinyles des kids de Moonrise Kingdom : plus jolie scène de premier baiser, sur Le Temps de l’amour. Rapidement a suivi la B. O. léchée de Laurence Anyways : après Bang Bang (Les Amours imaginaires) en 2010, on a le Visage qui Fade to Grey en 2012. Enfin, sur le retour triomphal de Carax, Revivre de Gérard Manset. En boucle. _L.T.

4 SCÈNES DE CULTE _Par C.G.

• L’examen rectal de Cosmopolis : tandis qu’un

médecin lui trifouille les entrailles, un Pattinson béat, le croupion à l’air (mais hors champ), entame un savoureux badinage avec l’une de ses employées.

• La douche dorée de Paperboy : la tension sexuelle

palpable entre Nicole Kidman, white trash, et le play-boy décoloré Zac Efron, langue pendante, se résout grâce à l’intervention électrique d’une brûlure de méduse.

• Le sauna échangiste de Post tenebras lux :

dans les méandres du film de Carlos Reygadas, la par touze géante reste forcément intello. La preuve, elle a lieu dans un local de sauna baptisé « salle Hegel ».

• L’étreinte gay de Sur la route : Steve Buscemi,

en voyageur propre sur lui mais aux intentions louches, se paye Garrett Hedlund dans la chambre d’un motel sordide.


œil pour œil

Cosmopolis

©Pierre Grise Productions

©Stone Angels

VS.

Holy Motors Où dorment les limousines la nuit ? C’est cette question que se pose le trader engourdi de Cosmopolis, Eric Packer. Et c’est Oscar, le transformiste mélancolique de Holy Motors, qui lui répond : dans des parkings déserts, où elles parlent de la folie des hommes. _L.T. Cosmopolis de David Cronenberg Avec : Rober t Pat tinson, Jay Baruchel… Distribution : Stone Angels Durée : 1h48 Sor tie : en salles Holy Motors de Leos Carax Avec : Denis Lavant, Edith Scob Distribution : Les Films Du Losange Durée : 1h55 Sor tie : 4 juillet

Mud VS.

©Ad Vitam

Les Bêtes du Sud sauvage Jeunes héritiers élégiaques de Terrence Malick, Jeff Nichols, avec Mud, et Benh Zeitlin, avec Les Bêtes du Sud sauvage, investissent tous deux un Sud des États-Unis magique. Leurs fictions enfantines sont irriguées en leur cœur par une rivière symbolique. _C.G.

©ARP Selection

Mud de Jef f Nichols Avec : Mat thew McConaughey, Tye Sheridan… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h10 Sor tie : prochainement Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin Avec : Quvenzhané Wallis, Dwight Henr y… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h32 Sor tie : 2 janvier 2013

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déluge e l s è r : ap s 2012 Canne ken loach Réalisateur de La Part des anges (prix du Jury, compétition officielle)

« Le cinéma utilise beaucoup la violence, mais c’est souvent uniquement pour les sensations fortes qu’elle procure. Pour moi, la violence doit avoir des conséquences, et dans le film elle en a pour les personnages. Je déteste les films où la violence n’est pas traitée comme un sujet sérieux. » _J.R.

CRISTIAN MUNGIU

Réalisateur d’Au-delà des collines (prix du Scénario et prix d’Interprétation féminine pour Cosmina Stratan et Cristina Flutur, compétition officielle)

« J’ai voulu parler du caractère relatif du bien et du mal. Des religieux tentent d’aider une orpheline, qu’ils croient possédée, en l’attachant car cela fait partie de leurs croyances. Dans toute communauté, quand les choses sont tenues pour admises, le résultat peut être dramatique. » _J.R.

rencontrÉs Thomas Vinterberg Réalisateur de La Chasse (compétition officielle)

PETE DOHERTY Acteur dans Confession d’un enfant du siècle (Un certain regard) « Chanter sur scène et composer, c’est mon monde, mais j’ai toujours voulu jouer. Faire un film est un vrai boulot, s’en remettre à autrui pour vous diriger, j’aime ça et j’ai besoin d’être dirigé. Mon père était dans l’armée, après tout. » _C.G.

« La Chasse est un conte de Noël très sombre. J’essaye à tout prix de fuir une “identité” de style, la répétition me fait penser à la mort, je veux me renouveler et explorer autre chose. Ce film est l’antithèse de Festen. La vie est quelque part entre les deux. » _C.G.

MICHEL GONDRY Réalisateur de The We and the I (Quinzaine des réalisateurs)

© Trois Couleurs

« Quand j’étais petit, je ne me retrouvais pas dans la surenchère des garçons, je traînais plutôt avec les filles. Je n’avais pas le physique, j’étais assez chétif. Pour ce film, j’étais assez intrigué par ces effets de groupe : comment un type, parce qu’il est avec cinquante potes, en vient à taper sur un autre type qui se trouve par terre, alors qu’il ne le ferait pas s’il était seul. » _ É.R.

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SANDRINE BONNAIRE Réalisatrice de J’enrage de son absence (Semaine de la critique)

« Je me suis inspirée d’un homme que ma mère a connu. Il n’a jamais fait le deuil de cet amour perdu, il est devenu clochard. Je me suis toujours dit que je voulais lui rendre hommage. Dans mon film, j’ai imaginé qu’il perdait un enfant parce que, personnellement, c’est la chose qui pourrait me faire perdre pied. » _L.T.


JEFF NICHOLS

Réalisateur de Mud (compétition officielle)

« Je voulais faire un film sur un cœur brisé et un amour inconditionnel. Cela m’est arrivé au même âge. Je pensais à Guet-apens de Sam Peckinpah, à Tuez Charley Varrick ! de Don Siegel et bien sûr à La Balade sauvage de Terrence Malick, qui affecte chacun de mes films. Le mouvement du film est inspiré par la rivière. » _C.G. et L.T.

Darezhan Omirbayev

Réalisateur de Student (Un certain regard)

« Crime et Châtiment me semble un roman très actuel ; au Kazakhstan, nous sommes dans la deuxième vague de capitalisme. J’ai travaillé avec des acteurs non-professionnels, le héros est joué par un de mes étudiants à la fac. Ce qui compte, c’est la maîtrise de la mise en scène. Si le réalisateur sait ce qu’il fait, les acteurs seront bons. » _L.T.

À CANNES XAVIER DOLAN

Réalisateur de Laurence Anyways (Un certain regard, prix d’Interprétation féminine pour Suzanne Clément)

« Sur le plateau, je suis interventionniste, je ne peux pas m’en empêcher. Même avec le directeur de la photographie, que je tiens par son tee-shirt, je le pousse ou je le tire, je le mets à gauche ou à droite. Je vois où la scène s’en va, lentement. » _C.G. et É.R.

TADASHI OKUNO

Acteur dans Like Someone in Love (compétition officielle)

« C’est difficile de vous dire qui est mon personnage car on a commencé le tournage sans avoir lu le scénario. Tout ce que je savais, c’est que je jouais un professeur d’université à la retraite. Pour le reste, Abbas Kiarostami m’avait demandé d’être moi-même, il ne voulait surtout pas qu’on compose un rôle. » _J.R.

Aida Begic

Réalisatrice de Djeca – Enfants de Sarajevo (mention spéciale du jury Un certain regard)

« Aujourd’hui, en Bosnie, les souvenirs ont remplacé les rêves. Comment la jeune génération, née pendant la guerre, perçoit-elle le monde ? Les jeunes sont le principal sujet de Djeca, et j’ai le sentiment qu’il est de mon devoir d’essayer de changer les choses, ne serait-ce qu’en travaillant avec eux. » _J.R.

Benh Zeitlin

Réalisateur des Bêtes du Sud sauvage (Caméra d’or, Un certain regard)

« Les histoires que je raconte sont très différentes de celles de Terrence Malick, mais je veux utiliser une voix off comme celle qu’il a inventée, qui est un outil narratif incroyable, et voir surgir davantage de lyrisme dans les films d’action, qu’ils trouvent leur espace poétique. » _É.R. www.mk2.com

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© Roch Armando - Studio Ciné Live / Starface.

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DEUX PAR DEUX Présidents, mercenaires, otages, nomades ou paysans : la carrière du photographe et réalisateur de documentaires Raymond Depardon est affaire de rencontres. Des face-à-face convoqués dans Journal de France, qui fait alterner archives inédites et reconstitution d’un voyage photographique entamé en 2004 pour le livre La France de Raymond Depardon. Mais le film dit aussi une autre rencontre, plus intime : celle du cinéaste et de Claudine Nougaret, sa compagne et ingénieur du son depuis vingt-cinq ans, qui coréalise le film. Entretien croisé. _Propos recueillis par Juliette Reitzer et Étienne Rouillon

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©Palmeraie et désert – France 2 cinéma

RAYMOND DEPARDON ET CLAUDINE NOUGARET

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ournal de France, qui s’articule autour d’une virée au ton introspectif, est-il un documentaire ou une fiction ? Claudine Nougaret : C’est un film de fiction. On a reconstitué le voyage de Raymond lorsqu’il est parti photographier la France et on raconte en parallèle une histoire avec des bouts inédits de ses films, qui étaient stockés dans une cave. Pour nous, le documentaire est une rencontre en son direct avec des gens, et ce n’est pas le cas ici. On s’est servi de notre ­matériel, de notre vie pour raconter une histoire. Pourquoi avoir choisi de reconstituer et de filmer ce voyage entrepris en 2004 et d’alterner ces séquences contemporaines avec des images d’archives ? C.N. : Au départ, on avait tout une série de séquences où Raymond racontait ses photos. Mais on parlait au passé, on tombait dans la nostalgie. On a préféré s’orienter vers un temps présent : le moment où il fait la photo se mêle, comme une pensée qu’il aurait en attendant la bonne lumière, avec ces bouts de films ­inédits qu’il garde. On a joué avec ces allers-retours dans le temps. Raymond Depardon : Journal de France n’est ni un best of ni un making of. Me pencher sur ce que j’ai fait auparavant, ça m’est très pénible mais c’est comme ça que je peux avancer, c’est comme ça que je digère, que j’essaie de moderniser la nostalgie, de lui donner du sens. Quand j’étais sur les routes tout seul dans mon camion, d’un coup, dans un virage, je me 50

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disais : « Mais oui, c’est ça qu’il faut que je fasse, c’est comme ça que je peux aller de l’avant. » Pourquoi avez-vous éprouvé le besoin de présenter votre binôme ? C.N. : On s’est rencontrés il y a vingt-cinq ans, depuis on fait des films ensemble. J’ai décidé d’apparaître à la réalisation et je pense que ça amène un peu de sang neuf dans cette légende du « Raymond Depardon, cinéaste solitaire ». C’est absolument faux. Pour Profils Paysans, par exemple, il dit toujours : « Je suis seul face aux paysans. » C’est pas vrai ! (rires) R.D. : Il était temps de rétablir la vérité. Ce film, c’est vraiment la rencontre de l’image et du son. Moi, j’avais fait des films tout seul en mettant un micro sur ma caméra, c’était nouveau à l’époque. Et puis je me suis aperçu que pour être bon il ne fallait pas bouger, faire le lampadaire, le portemanteau. Si tu bouges au moment où la personne se livre, ça ne va pas. Du coup, le son en pâtissait. C.N. : Beaucoup de gens travaillent et vivent en couple, comme nous. Ce film est un peu pour ces genslà, qu’ils soient boulangers, cordonniers, bouchers… Il parle de comment vivre ensemble, homme et femme. Ce Journal de France est aussi un carnet de correspondance entre vous deux… C.N. : Luc Moullet parle de « film Brigitte » quand le point de vue féminin est dominant. On peut dire que Journal de France est un « film Brigitte ». Le pari, c’était de raconter Raymond Depardon vu par une femme, la sienne en l’occurrence.


« Si on filme un monument aux morts, on a le dernier modèle d’optique. il ne faut pas rajouter de la misère à celle qu’on filme. » Comment avez-vous fait la sélection des images inédites qui retracent les temps forts de votre carrière ? C.N. : Raymond a choisi les archives, et moi je suis ­intervenue sur le tournage et la voix off. R.D. : Je regroupais, un peu comme un premier regard quand vous faites des tirages de lecture, vous montrez une photo et vous vous apercevez que les gens n’accrochent pas trop, alors qu’ils en préfèrent d’autres qui vous semblaient banales. Je me suis replongé dans ce matériel que j’avais oublié, des chutes de montage. J’avais tout de même le souvenir de quelques séquences qu’on avait dû sacrifier. Par exemple, pour les chutes du film 1974, une partie de campagne, sur Valéry Giscard d’Estaing, je me suis dit : « Mais comment j’ai pu supprimer ça ? » Aujourd’hui, est-il toujours possible de poser sa caméra au plus près d’un homme politique ? R.D. : Les services de communication ont tout changé. Sur la dernière campagne présidentielle, les photographes se plaignaient de ne pas avoir accès à grandchose… Aujourd’hui, il faudrait suivre les candidats bien

avant la campagne, quand ils sont juste ministres ou présidents de région. Il y a quelques années, par exemple, j’ai photographié pour Le Monde 2 Hollande et Sarkozy avant qu’ils soient ­candidats à la présidentielle. Comment avez-vous pensé la bande son du film, tant la musique que la voix off dite par Claudine ? C.N. : La voix off permet d’être plus libre, de prendre position. Elle permet également d’éviter la nostalgie en donnant aux sujets traités une résonance contemporaine. En l’écrivant, je me suis appliquée à être toujours au présent. Pour la musique, Patti Smith s’est imposée comme une évidence : je l’écoute depuis que j’ai 18 ans, et elle a bien voulu nous soutenir. Alexandre Desplat a été une autre belle rencontre. On a pu utiliser des musiques qu’il avait composées pour The Tree of Life de Terrence Malick mais qui n’avaient pas été utilisées. Alain Bashung, c’est une musique de la route, comme Mes mains de Gilbert Bécaud. À travers ces archives exhumées, vous témoignez aussi de l’évolution des techniques de réalisation… C.N. : On est des dingues de technique. On adore ça. Raymond n’arrête pas de chercher de nouveaux appareils photo, d’acheter, de vendre sur Ebay. R.D. : Il ne faut pas être prisonnier de la technique non plus, mais si on filme un monument aux morts en Lozère, on a le dernier modèle d’optique. Il ne faut pas rajouter de la misère à celle qu’on filme. www.mk2.com

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RAYMOND DEPARDON ET CLAUDINE NOUGARET

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C.N. : Quand j’ai commencé à travailler avec Raymond, je suis partie du principe que j’allais être confrontée à des populations dans des situations difficiles, à de la précarité. On ne tourne pas de façon miséreuse, en DV (Digital Video, format numérique de base – ndlr) pourrie avec un micro sur la caméra, car il y a un accord avec les personnes filmées. Elles nous font confiance, elles nous donnent leur image, leur vie, à nous d’être à la hauteur, de ne pas les trahir et de faire en sorte qu’on les entende, qu’on les voie et qu’elles ne soient pas moches. R.D. : Pour les deux premiers volets de Profils paysans, L’Approche et Le Quotidien, on en a pris plein la gueule : « Vous nous gonflez avec vos paysans. » Avec La Vie moderne, le troisième volet, ça a changé parce qu’on a filmé les gens avec une technologie inventée par des Australiens, en scope, avec deux paysans dans le cadre, devant une toile cirée. Là, les gens se sont dit : « Mais finalement, ces paysans, ce sont des ­personnages de cinéma, ils sont attachants. » Le dénominateur commun de vos documentaires, ce sont les visages, les regards sur lesquels s’accroche votre caméra… C.N. : Quand je t’ai rencontré, Raymond, tu me disais : « Pour être photographe, il faut être capable de prendre son Leica et de photographier la personne qui est en face de toi dans le train. » R.D. : Pour sortir un appareil comme ça, il faut y aller ! La photo de rue, réussir à attraper les gens, c’est comme des gammes : il faut pratiquer. Le hasard vient ou pas, comme dans le cinéma. J’essaie de varier les techniques, parce que sinon j’ai tendance à revenir toujours à la même photo. En regardant ces chutes, je me suis 52

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aperçu que j’avais passé beaucoup de temps à apprendre, par exemple à apprendre à filmer en ­m archant dans la rue. Dans le film, vous prenez le temps de ­montrer le processus photographique. Pourquoi ? R.D. : Bien sûr, c’est ce qui est intéressant, le processus de l’appareil photo, ouvrir, cadrer, le chassis, la pellicule… C.N. : Mais c’est aussi la solitude du photographe qui est intéressante, à partir du moment où il s’est donné la mission de photographier selon son humeur. En cinéma, on est en équipe, on est dans le dialogue. Le photographe est seul. Pour ses reportages et ses séries photo, Raymond part toujours sans prévenir personne. Pour la série La France de Raymond Depardon, il est arrivé un jour en disant : « J’ai acheté un camping-car et je vais photographier la France. » R.D. : C’est vraiment la différence entre Claudine et moi. Aujourd’hui encore, tu es toujours surprise par le fait que je pars très vite ! Elle vient plutôt du cinéma traditionnel, c’est pas le même rythme ! De quels cinéastes vous sentez-vous proches ? On pense par exemple à Agnès Varda… C.N. : C’est-à-dire que des gens comme Agnès Varda, il n’y en a pas beaucoup ! Agnès est une amie, elle dresse des ponts entre l’art contemporain et le cinéma. Comme elle, on est des artisans. On fait des prototypes, comme en orfèvrerie : chaque œuvre est une pièce unique. ♦ Journal de France de et avec Claudine Nougaret et Raymond Depardon Distribution : Wild Bunch Durée : 1h40 Sor tie : 13 juin


©Arte Editions

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DEPARDON PHOTOGRAPHE

L’une des scènes les plus touchantes de Journal de France est exemplaire de la méthode de celui qui reste avant tout photographe, cofondateur de l’agence Gamma en 1966. Pour une photo de retrouvailles avec une bande d’octogénaires déjà immortalisés sur le même banc des années avant, Depardon procède comme un médecin pique un vaccin : sans cesser de parler à son sujet, l’obturateur se ferme mais l’échange reste ouvert, pour masquer la douleur de l’instant morbide où tout se fige. L’objectif est simple : saisir en continu. Que ce soit la violence d’un conflit dans le livre Tchad (1978), les hommes politiques dans Photographies de personnalités politiques (2006) ou les bistros, clochers et stations balnéaires dans La France de Raymond Depardon (2010). Dernier cliché en date, la photographie officielle du Président François Hollande, en mouvement dans un jardin de France parmi d’autres, celui de l’Élysée. _É.R.

©Arte Editions

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Depardon cinéaste, en 4 films et 4 décennies 1. Dans 1974, une partie de campagne, Depardon filme Giscard en pleine course électorale, et l’intime se frotte au grand barnum de la politique. 2. En 1982, Faits divers ausculte le quotidien d’un commissariat parisien, où les petits riens le disputent à la tragédie. En toile de fond, la misère. 3. Entre 1993 et 1996, Depardon sillonne l’Afrique et s’interroge sur son devoir moral de cinéaste dans Afriques, comment ça va avec la douleur ? 4. L’infinie tendresse de la trilogie Profils paysans, tournée entre 1998 et 2008, remet la France rurale au centre de la carte. Pour combien de temps ? _J.R.

Coffret 11 films « Depardon cinéaste » et coffret 3 films « Profils paysans » (Ar te Éditions). Films visibles sur w w w.ar tevod.com.

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Š Nicolas Guerin/Getty Contour


©Camille de Chenay

Au générique de Holy Motors, Denis Lavant est crédité pour onze rôles différents. À l’arrière d’une limo aménagée en loge de comédien, il est monsieur Oscar, l’homme qui se grime et se glisse tour à tour dans la peau d’un banquier, d’une mendiante, d’un mourant ou d’un tueur. Denis Lavant habite le cinéma de Leos Carax depuis son premier film, Boy Meets Girl. Il l’a retrouvé pour Mauvais sang et l’a suivi pendant trois ans dans la tourmente du tournage des Amants du Pont-Neuf. Et voilà que c’est encore lui que Carax projette dans la lumière pour parler de Holy Motors, tandis que le cinéaste reste dans l’ombre. Laissons l’acteur nous éclairer.

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_Propos recueillis par Clémentine Gallot et Laura Tuillier

u’avez-vous ressenti lors de la présentation à Cannes de Holy Motors ?

C’est une bouffée de délire. Pendant deux jours, on est traité comme un roi, avec voiture et chauffeur. On n’a rien à faire, on est représentant du film. Ce qui est cruel, c’est le rapport à la récompense. Je me suis rendu compte que ça rendait un peu bête. Parce que je m’en fous de ce truc qui brille mais j’ai quand même été un peu déçu. En revanche, et c’est le plus important, j’ai trouvé la présentation publique du film bouleversante. J’étais particulièrement ému pour Leos, de nouveau accueilli à Cannes. Je découvrais le film, j’ai eu de belles surprises, notamment au niveau de l’orchestration des séquences. Il y a également un travelling au Père-Lachaise, après la scène de la Samaritaine, que je trouve incroyable. Là, je me suis dit que Holy Motors, c’est une histoire de fantômes.

Le cinéma de Leos Carax a-t-il changé depuis Les Amants du Pont-Neuf, il y a vingt et un ans ?

Oui, dans Holy Motors, Leos se permet le rire. Un humour particulier, comme dans la dernière scène, le dialogue des limousines. Ce que j’aime par-dessus tout dans le film, ce sont les changements de tons. Il y a des moments bouleversants, des moments jubilatoires, d’autres franchement comiques. Comment vous êtes-vous préparé pour le film ?

C’était très particulier, il y avait plein de choses très différentes à travailler en amont du tournage. Ce qu’on Lire aussi notre critique du film page 109

a répété le plus tôt, c’est l’accordéon. Moi, je pianote un peu mais je n’ai jamais pris de cours. J’ai bossé avec deux accordéonistes, pour être très délié, trouver le bon rythme avec le reste du chœur. On a aussi expérimenté avec la contorsionniste Zlata pour élaborer la chorégraphie. Autre rencontre importante : celle avec les bonobos. Il fallait qu’on fasse connaissance au moins six mois avant le tournage. On a été chez eux, vers Orléans. On a pris contact, ce n’était pas du tout rassurant, ils ont un sourire terrible. Lors du tournage, c’était compliqué parce que Tibi, ma « fille » dans le film, s’est braquée, elle restait collée à son dresseur, elle roulait des yeux. C’était panique à bord. Est-ce un rêve pour un comédien de pouvoir incarner dans un seul et même film autant de ­personnages différents ?

C’est un cadeau magnifique de m’offrir cette palette de possibilités, et en même temps ce sont des épreuves. J’ai dû aborder les personnages d’une manière spécifique, je n’avais pas le temps de déployer de l’imaginaire, de creuser leur passé. La phase de maquillage était un moment privilégié pour leur trouver une identité : il fallait partir de l’apparence, du masque, et ­scruter ce qui apparaissait dans le miroir. Parmi les rôles que vous interprétez, y en a-t-il un qui vous a plus marqué ?

Le rôle du père de famille m’a beaucoup troublé, c’est un personnage qui se situe entre Leos et moi, à la fois physiquement et dans la manière qu’il a de se www.mk2.com

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©Camille de Chenay

Denis Lavant

« Ma relation avec leos est artistique : il a besoin de moi pour incarner, j’ai besoin de lui pour être vu. » comporter. J’étais vraiment spectateur de ce person­ nage. Ce mimétisme avec Leos, je n’en étais pas conscient jusqu’alors. Vous n’aviez plus tourné de long métrage sous la direction de Leos Carax depuis Les Amants du Pont-Neuf en 1991. Les retrouvailles ont dû être fortes…

Oui, il y a eu la période qui va de Boy Meets Girl aux Amants…, avec deux ou trois ans entre chaque film. Et puis Les Amants…, ça a été le calvaire, l’expérience limite. Mais je ne regrette pas du tout. Je suis retourné au théâtre pour me refaire une santé. Ça a été une étape de travail et de vie. J’ai rencontré ma femme, j’ai eu des enfants. Ensuite, il y a eu Pola X, sans rôle pour moi, ce qui ne m’a pas vexé du tout. C’était bien pour Leos de se confronter à un autre. Moi, je savais que s’il me proposait quelque chose, je dirais oui immédiatement malgré le traumatisme des Amants… Ce qui ne veut pas dire que j’étais tranquille avant Holy Motors. Leos a une exigence énorme. Est-ce compliqué d’être dans un tel rapport de proximité avec lui ?

Ce n’est pas évident. On est proches… oui et non. Notre relation est artistique, c’est là que nous sommes proches et complémentaires. Il a besoin de moi pour incarner, j’ai besoin de lui pour être vu. On est partis de là, c’est le cœur de notre relation. Mais nous ne sommes pas fusionnels dans la vie. Même si on habite le même quartier, il nous arrive de ne pas nous voir pendant longtemps. Leos m’introduit dans son univers, il me désigne comme le réceptacle de ses visions. Depuis Merde et encore plus dans Holy Motors, je me sens concerné. 56

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Cet histrion, cet homme de la rue, ça me parle. Ce type ahuri qui fout le bordel, cet anarchiste avec son langage secret trouve un écho en moi. Et puis la journée d­ ’Oscar, c’est ma vie : je vogue de rôle en rôle, tous azimuts. La caméra tourne pendant qu’Oscar se grime, comme si vous, le comédien, apparaissiez aussi à l’image…

Ce n’est pas tout à fait moi, c’est Oscar. Les hommes que je joue d’habitude chez Leos sont dans le réel, le frôlement est dangereux avec soi-même parce qu’on est dans le quotidien, l’actuel. On peut se perdre. D’ailleurs, dans Les Amants du Pont-Neuf, je me suis égaré. Dans Holy Motors, on est dans l’artifice, il fallait faire confiance à l’imaginaire, à la silhouette sculptée. Dans le film, Oscar dit continuer « pour la beauté du geste ». Est-ce la clé du film pour vous ?

Oui, cette phrase marche avec une autre : « La beauté est dans l’œil de celui qui regarde. » Le film parle non seulement de l’art, mais aussi et surtout de la vie. La scène avec Michel Piccoli donne du concret à cette succession de personnages, on peut comprendre qu’il s’agit d’un cinéma sans caméra ou alors avec des caméras cachées. Et il y a aussi de la cruauté parce que Piccoli me fait comprendre que je suis peut-être un comédien fatigué. Surtout que Leos devait jouer le rôle de Piccoli au départ. Forcément, ça me touche personnellement. « La beauté du geste », pour moi, elle est très concrète : j’ai commencé par la danse, ma première expression, c’est le mouvement, la recherche de la grâce, de l’harmonie. Je me reconnais dans cette nécessité de créer du beau et de le donner à voir. Oscar passe de partenaire en partenaire au fil des scènes, ce qui change des autres films de Carax, très axés sur des couples solides. Était-ce exaltant pour vous ?

Oscar se définit beaucoup dans la rencontre avec ces actrices, toutes très différentes. Le rapport physique, l’émotion, tout ça se module en fonction de la ­partenaire. Finalement, la seule scène non jouée,


©Camille de Chenay

Denis Lavant

« monsieur Merde, Ce type ahuri qui fout le bordel, cet anarchiste avec son langage secret, trouve un écho en moi. » non simulée, c’est celle avec Kylie Minogue. La séquence ne me faisait pas peur, je ne voyais pas de difficultés évidentes. Mais au tournage j’ai découvert une atmosphère très particulière, avec cette chanson qui parle d’un enfant disparu, ce rappel aux Amants… D’ailleurs, Leos avait proposé le rôle à Juliette Binoche. Elle a refusé, et c’est mieux. Ça inscrit ce souvenir dans l’imaginaire. J’ai senti une montée d’émotion énorme, la difficulté devenait de ne rien faire, d’être perméable à ce que donnait Kylie. La façon qu’a Leos Carax de travailler avec vous a-t-elle évolué au fil des films ?

©Camille de Chenay

Oui, notre relation a évolué entre le cycle des Alex (nom de ses personnages dans leurs trois premières collaborations – ndlr) et nos retrouvailles à Tokyo. À l’époque de Mauvais sang, Leos n’avait pas confiance, il se défiait un peu de l’élément comédien. Il pensait que le comédien avait besoin d’une souffrance vécue pour incarner, ce dont je ne suis pas du tout convaincu.

Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de confiance entre nous. Autre chose : pour Holy Motors, j’étais beaucoup plus conscient du cadre, de l’image que fabriquait Leos et de ma place dans celle-ci. C’est très important, ça permet d’aller à l’essentiel, d’être précis, de contrôler la densité de son jeu. Les films de Leos ne sont pas dans la psychologie, les personnages se définissent plastiquement, il me semble. Pour Boy Meets Girl, il m’avait donné très peu d’éléments pour me nourrir, il m’avait simplement dit deux choses : ne pas plisser le front, ne pas garder la bouche ouverte si je ne parlais pas. Sur le tournage des Amants…, à un moment, je ne comprenais plus rien, je n’avais plus de repères, je ne savais plus qui était Alex. J’avais l’air hagard. Leos m’a dit « C’est ça, ton personnage : l’oubli dans les yeux ». Et Eva Mendes, dans tout ça ?

La séquence avec Eva a été faite après les deux mois de tournage, comme un court métrage, parce qu’on attendait que la « star hollywoodienne » soit libre. Leos essayait de la surprendre, je crois. C’était monstrueux de découper sa robe avec les ongles de Monsieur Merde. Elle était plantée là, la pauvre. ♦ Holy Motors de Leos Carax Avec : Denis Lavant, Edith Scob... Distribution : Les Films Du Losange Durée : 1h55 Sor tie : 4 juillet

Rencontre avec Mathilde Profit, scripte sur Holy Motors

« Carax est très réservé, il n’explique pas ce qu’il fait. J’ai eu l’impression qu’il s’agissait ­d’archéologie : comme si Leos avait déjà vu le film dans sa tête et que mon rôle était de démêler les fils de sa mémoire pour faire en sorte que le tournage fonctionne. Avec lui, on est dans une logique sensuelle et poétique, on joue une partition. Il fallait oublier l’idée de trame narrative logique qui d’habitude guide mon travail. Nous avons également beaucoup parlé de dessin, notamment pour la scène avec la contorsionniste. La difficulté, c’était le tournage dans l’espace clos de la limousine : comment faire en sorte que l’on croie à ces intermèdes et que la voiture s’impose comme personnage ? Il ne voulait pas de fond vert, donc les plans de Paris que l’on voit à travers la vitre ont été tournés avant, pour s’intégrer directement aux séquences. Avec Caroline (Champetier, la directrice de la photographie – ndlr), il fallait que l’on soit à la fois précises et inventives. » _Propos recueillis par Laura Tuillier www.mk2.com

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LE STORE

NEC PLUS ULTRA

Cousines et compatriotes des mythiques briques danoises Lego, les Plus-Plus, pièces à la forme unique en double croix, tiennent aussi des petites planchettes Kapla, un autre jeu de construction dont elles héritent la capacité à défier les lois de la gravité et de l’imaginaire. Cette association fructueuse permet à vos lardons (mais aussi aux plus grands) de construire tout ce qui leur passe sous le crâne, en relief bien sûr, mais aussi à plat grâce à différents jeux de couleurs. Restera à les convaincre de ranger après avoir retourné le salon du mercredi après-midi. _É.R. En vente au Store du MK 2 Bibliothèque.

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DR

EN VITRINE Yvonne Furneaux et Catherine Deneuve dans Répulsion (1965)

Roman avant Polanski Les trois premiers films de ROMAN POLANSKI ressortent en DVD, agrémentés de nombreux suppléments. Trois huis clos en noir et blanc pour redécouvrir l’audace et l’étrangeté des jeunes années du grand cinéaste. _Par Isaure Pisani-Ferry

Le documentaire qui accompagne Le Couteau dans l’eau permet de mesurer combien ce premier film fut novateur. Tourné en 1962 en Pologne alors que la censure impose le réalisme social, Le Couteau… est un ovni. L’intrigue de Polanski est rudimentaire : un couple de bourgeois, en route pour faire du voilier sur les lacs, prend en stop puis à bord un étudiant. Débutent vingtquatre heures de huis clos où, fatalement, les rapports se tendent. L’originalité du film tient d’abord au dépouillement progressif des personnages, au début un peu ridicules dans leurs accoutrements d’époque et attachés à leurs possessions matérielles, puis que Polanski dénude littéralement au fur et à mesure. D’autre part, le jeu étonnant sur les profondeurs de champ et sur 62

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la bande sonore permet au réalisateur de donner à ce voilier des airs de bocal dans lequel se cognent des mouches. Trois ans plus tard, émigré en Angleterre, Polanski tourne Répulsion. Carol (toute jeune Catherine Deneuve, qui prête au personnage sa beauté virginale) vit avec sa sœur. Lorsque cette dernière part, la jeune femme, restée seule dans leur grand appartement, sombre dans la schizophrénie. À la mobilité de la caméra, qui colle aux yeux hallucinés de Deneuve, Polanski ajoute un travail sur la lumière pour distordre les perceptions de l’espace et, dans l’ombre, donner vie aux angoisses de Carol. Le résultat est d’une incroyable beauté formelle (à la photographie, Gilbert Taylor, à qui l’on doit notamment l’image de Docteur Folamour) et terriblement anxiogène. Enfin, Cul-de-sac (1966) – avec Françoise Dorléac en héroïne et Taylor toujours à la photographie – introduit un nouveau Polanski. Un couple mal assorti, propriétaire d’un château perché sur un pic rocheux de la côte irlandaise, devient l’otage d’un gangster qui, lorsque la marée monte et transforme le pic en île, se trouve à son tour prisonnier. Comme pour détruire sa réputation naissante de cinéaste spécialisé dans les thrillers psychologiques, Polanski fait cette fois du huis clos une comédie noire et mélange les genres, affirmant la liberté de ton qui se confirmera dans son œuvre à venir. ♦ Le Couteau dans l’eau, Répulsion et Cul-de-sac de Roman Polanski Édition : Opening Sor tie : disponible


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RUSH HOUR AVANT

PENDANT

APRÈS

Chantres d’un heavy mental pop et poétique, les Smashing de Billy Corgan ont plus que jamais la banane. Les membres d’origine ont définitivement valsé, les règles du biz’ ont changé, mais le grand chauve de Chicago s’y est plié : fin 2009, c’est gratos et online qu’il a commencé d’égrener les quarantequatre titres de son dernier album-concept : Teargarden by Kaleidyscope. « Album dans l’album », Oceania en regroupe onze en dur, doux et durable. Et l’épopée Pumpkins n’a pas fini de faire des vagues. _S.F.

Non, rien à voir avec l’interprète du cultissime New York, New York. C’est une nouvelle venue dans le monde de la pop française. Mannequin et actrice à ses heures, touche-à-tout (elle réalise ses clips elle-même), Liza Manili a été révélée en 2008 par un teen movie : Nos 18 ans. Avec ce premier album ensoleillé, rempli de ritournelles naïves et délicates, cette native de Strasbourg va pimenter vos flâneries estivales et vous redonner le goût (sucré) des amours de jeunesse. _F.d.V.

Le nouvel album de Charles Rowell et Brandon Welchez arrive à point nommé. Son mur du son est taillé pour l’été de jeunes gens happy quand il fait beau. On dirait les Strokes alliés à MGMT. La fougue rock d’un premier débarquement. C’est leur troisième. Ces Californiens se sont associés en 2008 au sortir d’autres formations (Some Girls, The Plot To Blow Up The Eiffel Tower). Sans excès de zèle vintage, leurs mélodies ravivent l’élan d’une jeunesse perpétuelle. Les fleurs pop sont éternelles. _S.F.

Oceania de The Smashing Pumpkins (EMI) // Sor tie le 19 juin

Liza Manili de Liza Manili (EMI) // Disponible

Endless Flowers de Crocodiles (Souterrain Transmissions) // Disponible

d’aller à la piscine, plongez dans Oceania, le nouvel album des Smashing Pumpkins

les bouchons caniculaires du périph, prenez le frais avec Liza Manili

une séance de jardinage, cultivez les Endless Flowers du duo rock Crocodiles

TROP APPS _Par Q.G.

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Faker$ Toujours les mêmes trognes sur les unes de journaux en kiosque. Cette application gratuite permet d’en détourner les couvertures en y insérant vos propres textes et visuels. Idéal pour se retrouver en personnalité de l’année dans Time Magazine.

Hatchi En pleine rétromania, voici le retour sur iPhone du gadget phare des nineties : le Tamagotchi. Un petit monstre sort de son œuf et vous réclame toutes sortes de soins improbables : il faut le laver, le nourrir ou lui faire chasser la pizza. Bon courage.

BurgerQuest Partez à la quête du saint gras avec cette appli communautaire qui permet de trouver les meilleurs hamburgers autour de vous. Les utilisateurs notent les fast-foods et vous guident selon vos goûts, à la manière d’un Qype spécialisé dans le sandwich chaud.

Gratuit // iPhone et iPad

0,79 € // iPhone et iPad

Disponible sur l’App Store en juin

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© Studios Ghibli

KIDS Père sévère

Avec la sortie en DVD de La Colline aux coquelicots, leçon d’optimisme en forme de beau conte naturaliste, Goro Miyazaki règle ses différends familiaux et redonne un coup de pinceau à l’industrie Ghibli. _Par Frédéric de Vençay

Pas facile de vivre dans l’ombre de son père, surtout lorsque celui-ci s’appelle Hayao Miyazaki (Le Château dans le ciel). Le patron des studios Ghibli, dont le génie n’est plus à prouver, avait publiquement désavoué la première réalisation de son fils Goro, Les Contes de Terremer (2007). Le schisme enfin consommé, Goro peut aller de l’avant et signe

LE livre

_Q.G

Mon street art book

de Dave The Chimp (Nathan) Vous voulez que votre enfant apprenne à colorier sans dépasser mais ne devienne pas pour autant un adulte borné ? Offrez-lui ce livre, conçu par le graffiteur anglais Dave The Chimp : en fait de princes et princesses dans la prairie, il pourra mettre en couleurs tags en wild style, flops en bubble et autres block letters, en attendant d’être suffisamment grand pour peindre ses propres fresques sur les murs de la ville, légalement ou non.

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un deuxième essai nettement plus réussi. Sur un scénario de Hayao, La Colline aux coquelicots reformule les problématiques familiales de manière touchante. Umi, jeune orpheline souffrant de l’absence paternelle, trouve en son camarade de lycée Shun un compagnon de souffrance ; ensemble, ils percent le secret entourant leurs parents respectifs, comme on crève un abcès. Loin des mondes merveilleux de Princesse Mononoké, Goro s’affranchit de la veine baroque paternelle en ancrant son film dans un contexte très réaliste : le Japon des années 1960, avide de lendemains meilleurs. En quelques séquences gracieuses (la balade en vélo), il évite toute dérive lacrymale et s’arme à la fois de nostalgie et d’utopie. En digne héritier de son père. ♦ La Colline aux coquelicots de Goro Miyazaki (animation) Avec les voix (en V.O.) de : Masami Nagasawa, Junichi Okada… Édition : Ghibli Durée : 1h31 Sor tie : 4 juillet

LE site

_É.R.

SMALLable

Un magasin en ligne qui voit grand pour les petits, dans la veine d’un site comme Asos. Vêtements, jouets, mobilier, livres ou déco, il y a de quoi faire rouler la molette de votre souris, le temps de parcourir ce qui se fait de plus seyant et amusant pour vos enfants, de leur naissance jusqu’au moment où ils voudront faire leurs emplettes eux-mêmes. Le plus, c’est l’habile magazine numérique interactif qui permet de ne pas faire de loupés dans la cour de récré.

w w w.smallable.com


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©Photo Film

VINTAGE MÉDAILLE D’HORREUR

Croix de fer ressort en Blu-ray dans un master nettoyé faisant éclater le vert des campagnes russes et le rouge du sang allemand. La guerre en couleurs selon SAM PECKINPAH : violent, politique et foncièrement antimilitariste. _Par Frédéric de Vençay

La Croix de fer, c’est le nom d’une déco­ ration militaire convoitée par le capitaine Stransky (Maximilian Schell), un aristocrate débarquant sur le front russe en 1943, en pleine débâcle de la Wehrmacht. Il se heurte au sergent Steiner (James Coburn), chef de troupe qui a perdu toutes ses illusions dans l’enfer des tranchées. On ne révélera rien en précisant que le regard de Sam Peckinpah, réputé pour son nihilisme et son aversion des gradés, épouse plutôt celui du vieux briscard désabusé. Abordant la Seconde Guerre mondiale côté allemand, le réalisateur de La Horde sauvage signait là l’un des brûlots antimilitaristes

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les plus enragés des années 1970. À tous les « idiots patriotiques » que comptent les étatsmajors, le film oppose une section unie, ne combattant pas par idéologie mais par nécessité de survie. Nostalgique, comme toujours chez Peckinpah, d’un monde où la camaraderie primerait sur les enjeux de pouvoir, Croix de fer n’est pourtant pas dupe des mécanismes politiques qui animent les armées. Une lucidité ­partagée par Steiner, résumée dans une maxime du stratège Carl von Clausewitz : « La guerre n’est qu’une continuation de la politique par d’autres moyens. » Symbole de ces déchirements intestins : cette fameuse Croix de fer, pièce de métal dérisoire qui ne dit rien de la réalité des combats. Peckinpah y répond par d’autres images, les siennes, percutantes et viscérales, pénétrant les chairs et les rétines. Dans Croix de fer, l’humain transpire la veulerie ou la trivialité, les bidasses puent, pètent, pleurent et se trahissent. Diffractée et baroque, la mise en scène s’attarde sur les corps déchiquetés, moins maniériste que purement mentale, peuplée de visions traumatiques. À l’autre bout du spectre hollywoodien, le petit soldat Spielberg (Il faut sauver le soldat Ryan) peut lui dire merci. ♦ Croix de fer de Sam Peckinpah Avec : Maximilian Schell, James Coburn… Édition : Studio Canal Durée : 2h12 Sor tie Blu-ray : disponible


RAYON IMPORT

Spinto bande encore

Pour beaucoup, The Spinto Band est le groupe d’un seul tube, Oh Mandy, bourrasque pop reprise en chœur par tous les jeunes gens sensibles en 2006. Pourtant, des tubes, ces six blancs-becs du Delaware ne savent faire que ça. Moins furieux qu’à leurs débuts internationaux, ils continuent leur quête de la mélodie parfaite sur Shy Pursuit, réglant leurs pas sur ceux de leurs ancêtres The Beach Boys : splendeur rieuse des harmonies vocales, audace des arrangements (clarinette, pedal steel, piano ou synthé), chansons parcourues de chausse-trappes et d’explosions chromatiques. Le soleil a refait son apparition et avec lui, comme une évidence, la musique érectile, éternellement adolescente, de The Spinto Band. _M.P. Shy Pursuit de The Spinto Band (Spintonic Recordings)

BACK DANS LES BACS

PIL côté face

Depuis qu’il n’a plus de groupe, John Lydon (alias Johnny Rotten, ex-chanteur des Sex Pistols) fait n’importe quoi, alternant projets vénaux – émission de téléréalité ou lancement du parfum « Sex Pistols » – et déclarations venimeuses à l’encontre du showbiz. On comprend qu’il tienne à qualifier This Is PIL, premier album de Public Image Ltd. depuis vingt ans, d’« indépendant » – il paraît sur son propre label. Mais cela ne trompera pas les fans de ces pionniers du post-punk ni les auditeurs de leurs nombreux descendants. Le mélange gouaille punk, nappes menaçantes et rythmes dub est réduit ici à une formule creuse, tandis que l’écriture et le son ont pris un terrifiant coup de vieux. Un Johnny un peu pourri. _M.P. This Is PIL de Public Image Ltd. (PIL Of ficial)


©SHOCHIKU Co, Ltd. Tous droits réservés.

DVDTHÈQUE COUP DE BAMBOU

Après le remake de Takashi Miike, le Hara-kiri de MASAKI KOBAYASHI connaît une seconde vie en DVD dans une somptueuse édition restaurée. L’occasion de redécouvrir, derrière le (faux) film de samouraïs, une violente charge contre la société féodale. _Par Frédéric de Vençay

En 2011, Takashi Miike réalisait Harakiri – Mort d’un samouraï, film de sabres atypique et étonnamment sobre au sein d’une filmographie grand-guignolesque. Le cinéaste ­japonais sortait de l’oubli un classique de 1962, dont il proposait un remake fidèle : le Hara-kiri de Masaki Kobayashi, auteur majeur dont la postérité a souffert de l’ombre écrasante d’Akira Kurosawa. Comme Miike aujourd’hui, Kobayashi était un franc-tireur, ruant dans des conventions cinématographiques canoniques pour mieux s’en émanciper. S’il investit le genre très codé du chanbara, Hara-kiri en formule aussi la critique, faisant entendre un discours social subversif sur sa propre époque. « Le code d’honneur n’est qu’une façade », accuse ainsi Tsugumo, rônin en deuil venu opérer son seppuku (suicide rituel consistant à s’ouvrir le ventre au sabre) dans ­l’opulente demeure de la dynastie Lyi. Et en effet, tout est 70

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affaire de trompe-l’œil et de dissimulation dans Hara-kiri, puisant à la source même du genre (le théâtre japonais) pour mettre à jour le double jeu de ses personnages. Le scénario, sorte de Rubik’s Cube temporel tissé de flash-back, fait ainsi mentir la ligne claire du récit. Tsugumo (le charismatique Tatsuya Nakadai), d’abord figure pathétique de victime sociale, prend progressivement les rênes de l’intrigue en révélant des intentions vengeresses retorses. Suintant de tension, faisant la part belle à des joutes verbales très statiques, cet anti-film de combat dénonce les failles d’un système confit dans son hypocrisie, son inhumanité et ses valeurs caduques. Comme en reflet, la maison des Lyi n’est que portes lisses et coulissantes, magnifiées par le clair-obscur et les cadres précis de Kobayashi. Un décor bientôt souillé par la sueur et le sang, théâtre d’un gigantesque affrontement final en forme de croisade sacrificielle, ­flamboyante et désespérée. Après Miike, c’est au tour de Christophe Gans de réhabiliter ce chef-d’œuvre dans les bonus. Le réalisateur de Crying Freeman et du Pacte des loups, largement influencé par le cinéma asiatique, revient sur le contexte de sa sortie (le Japon des années 1960, marqué par la guerre froide et les révoltes étudiantes) et sur sa portée très politique. Un docu sur « l’art de bien mourir » apporte un éclairage historique supplémentaire sur l’ancien État féodal, faisant écho à l’éprouvante séquence initiale du long métrage : le lent seppuku du blanc-bec Motome, contraint de s’éventrer avec un sabre en bambou. Perçant. ♦ Hara-kiri de Masaki Kobayashi Avec Tatsuya Nakadai, Rentarô Mikuni… Édition : Carlotta Films Durée : 2h13 Sortie : disponible


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FILMS La sélection de la rédaction

JC COMME JÉSUS-CHRIST

OKINAWA

LA YUMA

de Lewis Milestone (Opening)

de Jonathan Zaccaï (TF1 Vidéo)

de Florence Jaugey (Jour2Fête)

Jean-Christophe Kern, 15 ans, est un réalisateur prodigieux qui accumule les César et une Palme d’or avant même d’avoir pu coiffer les lauriers du baccalauréat. JC comme Jésus Christ relate sa double vie, entre l’aridité du cahier de textes lycéen et les lignes bourgeonnantes des scripts de films. JC est aussi un gros mytho. Tout est faux dans JC…, sauf ce qui est vrai. Le format documentaire choisi par Jonathan Zaccaï permet de télescoper avec malice un personnage complètement dingo et des acteurs dézinguant avec humour leur propre rôle. Mention spéciale à Elsa Zylberstein.

Cinq ans après la véritable bataille d’Okinawa (1945), Lewis Milestone (À l’Ouest rien de nouveau) suit le débarquement, sur l’île tenue par les Japonais, d’un corps de marines fortement soudé autour de son lieutenant (doux et fragile Richard Widmark). Par une mise en scène qui oppose sans cesse le petit (les individus) et le surdimensionné (les moyens de destruction employés), Okinawa est une puissante dénonciation de l’absurdité de la guerre et un très beau portrait de soldats qui, les nerfs usés par la peur et sans haine pour l’ennemi, continuent le combat par solidarité avec leurs frères d’armes.

Petite production énergique et attachante, La Yuma est un objet rare puisque c’est le premier film réalisé au Nicaragua depuis vingt ans. Le jeu nerveux d’Alma Blanco, qui interprète une jeune fille des quartiers pauvres de Managua rêvant de devenir boxeuse, sert la chronique d’une société coupée en deux, entre une majorité rendue violente par la misère et une minorité bourgeoise fermée sur elle-même. Fondé sur un scénario un peu simpliste (adjuvants et opposants), La Yuma accroche cependant par sa peinture sociale lucide et souvent burlesque, et par le panache de son héroïne.

_É.R.

_I.P.-F.

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MONTE WALSH

LES FEUX DE L’ÉTÉ

NIGHTFALL de Jacques Tourneur (Wild Side)

de William A. Fraker (Koba Films)

de Martin Ritt (FilmMedia)

Petit classique du western seventies, le film de William A. Fraker la joue profil bas. Sur un ton d’abord léger, puis de plus en plus dramatique, il décrit l’impossible reconversion d’un éleveur de chevaux pris en tenailles entre l’ère industrielle et la fin des idéaux. Tenté par la vie de famille auprès d’une prostituée (délicieuse Jeanne Moreau), le vieux cow-boy prouve qu’il est encore vert lors d’une monstrueuse séquenceclimax où il ravage la moitié d’un patelin en domptant un canasson récalcitrant. Un chant du cygne avare en fusillades mais riche en émotions, porté par un Lee Marvin souverain.

Méconnu en France, Nightfall fait partie de la période américaine de Tourneur, durant laquelle le cinéaste français enchaînait les polars. D’après un roman de David Goodis, ce film de 1957 suit la cavale d’un quidam et d’un mannequin de mode (Anne Bancroft, dix ans avant Le Lauréat), traqués par la police et par des gangsters en quête d’un butin juteux. Entre Los Angeles et le Wyoming, le scénario souffre de quelques approximations mais est heureusement relevé par la mise en scène de Tourneur, qui joue du contraste entre la pénombre des grandes villes et la lumière aveuglante des contrées enneigées.

Avec Paul Newman et Orson Welles dans les rôles principaux et William Faulkner en auteur de l’œuvre originale, Les Feux de l’été a de quoi attiser la curiosité. Le mauvais garçon Ben Quick (Newman) débarque dans une ville du Mississippi presque entièrement possédée par Varner (Welles, formidable), sorte de Jupiter despotique qui se cherche une succession. Le duo sans scrupules qu’ils ne tardent pas à former n’a qu’un seul adversaire : la blonde et tenace fille de Varner, Clara. Maisons patriciennes, accent du Sud, hommes en sueur et fraîches femmes : le bois idéal pour faire flamber la pellicule.

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© Zen Sekizawa

CDTHÈQUE Rois de laboratoire

Le trio de laborantins noise rock LIARS sort sans doute son meilleur album à ce jour, WIXIW, percée pop entêtante teasée depuis octobre sur un Tumblr vidéo plein d’humour et d’étrangeté. Viral. _Par Wilfried Paris

En six albums, de They Threw Us All in a Trench and Stuck a Monument on Top (2001) en plein revival post-punk (LCD Soundsystem, Radio 4) en passant par l’univers parallèle Sisterworld (2010), jusqu’au tout nouveau et palindromique WIXIW (signifiant « Wish you »), le trio new yorkais composé d’Angus Andrew (guitare rêche, chant somnambule), Aaron Hemphill (guitare acide, tambour chaman, arpèges analogiques) et Julian Gross (batterie rentrededans) a appris à ses fans à danser à clochepied, voire à contrepied. S’évertuant à remettre chaque fois les acquis sur l’établi, Liars a pourtant fait des répétitions (rythmiques tribales, cordes saturées, mélodies lancinantes, puissance é­ lectronique) et des différences (changements de ton, ruptures de rythme, progressionfrustration) plus que des mots d’ordre : leur style. Scie néo-rave (Brats), dérive synthétique (WIXIW), hypnose cold (Annual Moon Words),

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electronica orientalisante (Octagon), minimalisme tribal noise (Flood to Flood), transe psychédélique (A Ring on Every Finger) : le groupe enchaîne, dissout genres et clichés en d’incessantes volte-faces. On continuera de leur coller la filiation post-punk (Gang Of Four, Throbbing Gristle, DNA…), oubliant que le trio a fini d’y puiser pour s’imposer en expérimentateurs potaches, manipulateurs autodidactes des formes et des esprits, alchimistes des mélodies et des textures. Depuis octobre dernier, le site internet du trio ­(amateurgore.tumblr.com) met en scène l’étrange process, tout en work in progress, de cet hypnotique palindrome : y sont régulièrement postées des vidéos, teasers arty mettant en images une boucle de synthé ou un petit bout de rythmique, comme une déconstruction de l’œuvre à venir, tout en jouant avec les éléments : eau (un homme arrose son jardin au ralenti), feu (le « L » de Liars posé sur une plaque de gaz), terre (un enregistreur capte les ondes émises par une plante en pot), air (le « L » de Liars posé au sommet d’une colline)… On y voit aussi les laboratins faire leur tambouille d’alchimistes dans un studio immaculé : cuire des blocs sur un réchaud, plonger des pochettes d’album dans des casseroles, les en ressortir grisées, rendues uniques par la main de leurs créateurs, artisans underground. Cette petite entreprise ne connait pas la crise, tout semblant magiquement produit, sans effort apparent, au service d’une coagulation d’éléments aussi disparates que précieux. L’œuvre est au final la plus harmonieuse de leur discographie. ♦ WIXIW de Liars Label : Mute Records Sor tie : disponible


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ALBUMS La sélection de la rédaction _Par W.P.

The House That Jack Built de Jesca Hoop (PID)

An Awesome Wave d’Alt-J (Infectious/PIAS)

Ex-Films (longtemps confondus avec les punks californiens de The Film), ce trio de Cambridge revient avec un nom imprononçable et irréférencable sur le web, ∆, symbole du changement en mathématiques ici remplacé par son équivalent azerty (Alt + J sur le clavier de votre Mac). Sa singularité est aussi musicale : guitare acoustique sur beats hip-hop, piano d’église sous chant maniériste, mélodies entêtantes sur lavis de cordes… Cette folktronica inédite enlacera autant les fans d’Antony And The Johnsons côté émotions que ceux de Micachu côté percussions. Marge de progression en forme de pyramide inversée. _W.P.

Adolescente, Jesca Hoop s’arrache à la rigueur de son village mormon pour embrasser une vie de bohème. Un temps nourrice pour la famille de Tom Waits, elle bénéficie du coup de cœur musical du crooner blues californien pour tourner ensuite avec Andrew Bird, Peter Gabriel et Eels. Sur un troisième album addictif, la chanteuse, désormais mancunienne, mêle l’americana au folk british pour livrer des pop songs aussi bigarrées qu’immédiates, évoquant l’artiste de rue Banksy, la mort de son père ou Lysistrata, cette comédie d’Aristophane où les Athéniennes font la grève du sexe pour éviter la guerre. _É.V.

The Temper Trap

de The Temper Trap (Infectious/PIAS) Il est toujours délicat de débuter sa carrière sur un carton ; Conditions (2009) en était un. Mais les Australiens de The Temper Trap ont encore la niaque. À l’image de leur guerrier London’s Burning, leur nouveau disque témoigne de cette volonté d’en découdre, déployant son rock atmosphérique sur un éventail aussi large que surprenant. Libérées de l’influence d’Arcade Fire, les fulgurances pop y côtoient les distorsions électro dans un grand bain de sophistication, sous-tendue par une même complainte mélancolique. C’est la sixième piste qui nous en donne la clé : « Whatever it is, this isn’t happiness. » _F.d.V.

Language

Passion

Patiemment, ils auront attendu leur heure. Bien que leur premier album ne sorte qu’aujourd’hui, les membres de Zulu Winter enchaînent depuis dix ans, sous différents noms, les premières parties de concert – pour Keane, notamment, à qui ils empruntent quelques accords cristallins. Mais c’est surtout Coldplay qui surgit le plus facilement à l’écoute de Language : entre synthés éthérés et énergie plus rock, Will Daunt et ses acolytes travaillent la même matière lyrico-pop (les textes s’inspirent de T. S. Eliot) pour la porter à son point d’incandescence, en onze vagues franchement dansantes. Let’s swim. _F.d.V.

Imparable. Ce disque va faire des envieux. Kanye West dansera à coup sûr sous sa douche avec le titre Vibrations en se demandant comment on peut associer aussi pertinemment des ambiances si éclectiques. En jouant en boucle Wake Me Up, Prefuse 73 se dira que Para One sait tricoter des séquences percussives au rythme de la pluie frappant des toits en zinc. Et, de Just Jack jusqu’à Aphex Twin – et puis allez, Pharrell Williams aussi –, tous plongeront pour Every Little Thing. La passion de Para One se trouve dans la patience de sertir le moindre son d’une enveloppe, d’un grain précis sans être précieux. _É.R.

de Para One (Because Music)

de Zulu Winter (PIAS)

EP#1

de Chkrrr (Universal Music) Un premier EP plus qu’attendu par les oreilles qui ont déjà rencontré les plages cinéphiles de Chkrrr, grâce aux bandes-sons des films Contre toi ou Le Dernier Vol. Le nom du trio (violon, violoncelle et programmation électronique), étrange pour la rétine, raisonne parfaitement une fois en bouche et résume en six consonnes les cinq pistes du disque. « Ch », d’abord, pour les intentions de composition chuchotées et murmurées en de longues cordées frottées et nappes emmitouflées. « Krrr », ensuite pour les grondements, crissements et grincés des boîtes à rythme. Chuperbe. _É.R.

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BIBLIOTHÈQUE © Matthew Du Aime

Des scènes clés d’une rare intensité, comme la bataille contre les nazis dans le fracas des obus et la puanteur de la chair brûlée.

Fais comme l’oiseau

Célèbre grâce au film d’Alan Parker, Birdy de William Wharton n’avait jamais été réédité en français. Redécouverte d’un chef-d’œuvre oublié. _Par Bernard Quiriny

En entendant Birdy, vous pensez tout de suite au film d’Alan Parker, avec les performances de Nicolas Cage et de Matthew Modine et la musique eighties de Peter Gabriel. Mais qui se souvient du livre, paru en 1979 ? Malgré un succès mondial, un National Book Award et une traduction française au début des années 1980, ce roman culte était ensuite devenu introuvable. Né en 1925 à Philadelphie, Wharton s’appelait en réalité Albert du Aime. Après avoir servi sous les drapeaux pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’installe à Paris avec sa femme pour mener une vie de bohème et écrire des romans autobiographiques qui n’intéressent personne,

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jusqu’à ce que l’éditeur Knopf accepte Birdy. Wharton a alors 53 ans et, pour distinguer ses activités d’écrivain et de peintre, prend comme pseudo le nom de son grand-père gazé dans les tranchées en 1914. À l’époque, certains critiques se demandent s’il ne s’agit pas en ­réalité de J. D. Salinger… Jusqu’à sa mort en 2008, Wharton écrira une dizaine d’autres livres, dont certains seront à leur tour adaptés au cinéma (Dad en 1989 et A Midnight Clear en 1992), mais sans retrouver la puissance de Birdy, sorte de classique instantané de la littérature anglo-saxonne. L’histoire est simplissime : celle de deux gosses américains, Alfonso et Birdy, qui grandissent ensemble dans la banlieue de Philadelphie puis sont envoyés au front en 1942. Ils en reviennent cabossés, physiquement (Alfonso a le visage ravagé) ou mentalement (Birdy se croit devenu un oiseau et reste prostré dans sa chambre d’hôpital). Appelé à la rescousse par le psychiatre, Alfonso s’efforce de réveiller son ami en lui rappelant leur enfance… Construit avec maestria (flash-back et alternance entre Al et Birdy), Birdy n’a rien perdu de sa force. Au-delà de ses thèmes classiques, bien transposés à l’écran par Parker (l’amitié, la liberté et le trauma de la guerre), il époustoufle par son style direct à la John Fante et par des scènes clés d’une rare intensité, comme le ramassage des chiens errants ou la bataille contre les nazis dans le fracas des obus et la puanteur de la chair brûlée. Même les monologues intérieurs de Birdy, qui s’identifie à ses canaris adorés jusqu’à la confusion, n’ont pas pris une ride et ne tombent jamais dans le ridicule : Wharton, en toute simplicité, en tire une méditation sur la révolte et l’irréductible noyau d’aspirations libertaires qui couvent en chacun de nous. « Voler, c’est beaucoup plus que battre des ailes… » Un beau et grand roman, qui méritait bien cette seconde vie. Ne le manquez pas. ♦ Birdy de William Whar ton Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mat thew du Aime et Florent Engelmann Édition : Gallmeister Genre : roman Sor tie : disponible


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LIVRES La sélection de la rédaction

Le Devenir du nombre

Le Bon Hiver

de Mathieu Terence (Stock)

Emily

de João Tordo (Actes Sud)

de Stewart O’Nan (L’Olivier)

Dans un style construit autour de l’aphorisme, qui rappelle celui de La Société du spectacle, Mathieu Terence réfléchit sur la grande rationalisation du monde. Elle commence avec l’idéologie du progrès et se parachève dans la mondialisation libérale, qui inféode tout au modèle mathématique et au pouvoir abrasif du nombre. Sa critique politique résonne avec celles de Hermann Broch, d’Elias Canetti ou des non-conformistes des années 1930 et se poursuit dans une puissante généalogie philosophique. En résulte un petit texte dense et pénétrant, aussi riche en pistes de réflexion qu’un gros traité. Percutant.

Tout commence à Budapest : invité à prononcer une conférence, un écrivain dépressif est convié par un confrère à Sabaudia, une station balnéaire italienne construite selon les normes de l’architecture fasciste, dans la somptueuse maison du producteur Don Metzger. Lequel est trouvé mort, noyé dans son lac… Une sorte d’enquête commence chez les invités, faune bigarrée d’artistes et de jet-setters, dans une atmosphère pesante et mystérieuse. Un vrai-faux polar métaphysique sous le signe de Poe, par le jeune romancier portugais qui monte : beaucoup de longueurs, mais une ambiance prenante.

Vous avez lu Nos plus beaux souvenirs, la fresque d’O’Nan sur la famille Maxwell ? Revoici Emily, la grand-mère, installée à Pittsburgh, loin de ses enfants et incapable de se voir vieillir. « Elle n’avait jamais désiré avoir 80 ans. En fait, elle n’avait jamais désiré survivre à Henry. » Peut-on se passionner pour la vie quand celle-ci n’a plus rien de trépidant ? Sur un thème finalement rare en littérature (l’expérience ordinaire de la vieillesse), O’Nan compose un roman paisible et mystérieusement prenant, qui transforme l’existence banale d’une vieille dame en odyssée de tous les jours.

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Benoît Delépine et Gustave Kervern, de Groland au Grand Soir

Journal, 1837-1840

Salut Marie

de Hervé Aubron et Emmanuel Burdeau (Capricci)

d’Antoine Sénanque (Grasset)

de Henry David Thoreau (Finitude)

Avant de se rencontrer, Gustave Kervern travaillait (et déprimait) dans une papeterie des AlpesMaritimes et Benoît Delépine se faisait virer d’Actuel au bout d’un mois de stage. Deux losers rigolos qui deviennent ce qu’ils sont grâce à une histoire d’amitié : géniaux sur petit (Groland) comme sur grand écran (de Aaltra au Grand Soir, cinq films ovnis). Dans cet entretienfleuve mené par les critiques Aubron et Burdeau, on apprend comment Kervern et Delépine travaillent, déconnent et vivent ensemble depuis maintenant quinze ans, en attendant, avec dérision et non sans romantisme, le grand soir.

Vétérinaire parisien éploré depuis la mort de sa femme et athée de longue date, Pierre Mourange voit la Vierge. On imagine l’extase, les transports mystiques, mais non : sa vie ne change guère, ses entretiens avec des prêtres ne mènent à rien et, à part la résurrection vaguement miraculeuse d’un chien, rien de formidable ne se produit autour de lui. « Ce que je n’ai plus, ronchonne-t-il, c’est une femme que j’aimais et ce n’est pas elle que j’ai vue. » De ce scénario paradoxal, Antoine Sénanque tire une comédie sympathique, pleine de personnages idiosyncrasiques et de saynètes improbables.

Commencé en 1837, le Journal de Henry David Thoreau est un monument de la littérature américaine, poursuivi jusqu’à sa mort et comptant plus de sept mille pages manuscrites, dûment rangées dans une caisse en pin construite à cet effet. Thoreau n’y parle guère de lui, préférant évoquer le monde qui l’entoure : expéditions à travers le Massachusetts et le Maine, contemplation mystique de la nature, poèmes, aphorismes, réflexions sur les Grecs, conseils cryptiques de sagesse… Une œuvre en chantier saisissante, publiée dans son intégralité en français, avec quatorze autres tomes prévus jusqu’en 2026 !

_L.T.

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BDTHÈQUE Little Bouddha

Qui est Anjin-san, extravagant philosophe qui sillonne les campagnes japonaises ? Haut comme trois pommes, chauve, sa silhouette de divinité bouddhiste écoute avec attention le bruit des mouches et rejette le moindre compliment par un modeste « Je suis banal ». Comme une incarnation moderne de la sagesse. _Par Stéphane Beaujean

Passé les premières pages, il ne flotte plus vraiment de mystère quant à l’identité secrète de cet ambulant Anjin qui soulage les peines des petites gens qu’il croise et cite les préceptes de son grand-père. L’énigme, d’autant plus surjouée dans les premiers chapitres qu’elle ne porte jamais d’enjeu dramatique, se dissipe assez vite – Anjin-san est le lointain descendant de Bouddha – pour laisser place au véritable projet du mangaka, George Akiyama : dépeindre avec minutie la vie rurale japonaise, ses affres quotidiennes, ses seigneurs désabusés et ses croyances populaires. Même s’il se présente comme tel, Anjin-san ne tient finalement pas le rôle attendu du passeur philosophique ni même celui du redresseur de torts.

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À mesure que les fables se succèdent, habitées par la tendresse de la parole et du regard, le petit bouddha s’ancre surtout dans le rôle du modeste témoin de régions désertées depuis l’après-guerre, graduellement condamnées à la misère économique et aux moindres ambitions. La morale humaniste que professe ce sage s’avère d’ailleurs moins intéressante que les problèmes qu’il rencontre. George Akiyama, chose rare dans l’œuvre controversée de cet auteur habitué aux héros amoraux, brosse ici un portrait nourri exclusivement de compassion. Son travail graphique se dévoue à l’exaltation d’un cadre idyllique où, triste paradoxe, l’humanité est en proie à la solitude. Chacun de ses cadrages romantiques, chacune de ses lignes de pinceau plus ou moins déliées et graciles et chacun de ses rehauts à la trame célèbrent ces panoramas bucoliques où règnent un sentiment étrange de sérénité et de mélancolie mêlées. Heureusement, l’ingénuité, la dignité et l’allégresse dominent quelle que soit la précarité de la situation (une prostituée surendettée, une enfant malade et alitée, une mère souffrant du mépris de sa bellefille, un célibataire trop pauvre pour fonder une famille…). La tristesse larvée se trahit seulement au détour d’un regard perdu dans le vague, furtivement, sans jamais ôter une once d’honorabilité. Avec Anjin-san, les éditions du Lézard Noir consolident leur catalogue de mangas underground sur la condition humaine au Japon, pétri de résonances culturelles et sociales, où misère et joie de vivre apprennent à faire bon ménage : contre mauvaise ­fortune bon cœur. ♦ Anjin-san de George Akiyama Édition : Le Lézard Noir Sor tie : disponible


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bandes dessinées La sélection de la rédaction _Par Stéphane Beaujean

Titanic

d’Attilio Micheluzzi (Mosquito) Le centenaire du naufrage du Titanic est l’occasion parfaite pour exhumer ou restaurer les œuvres qui se sont penchées par le passé sur ce sujet riche de symboles. Concomitamment à la ressortie en 3D du film de James Cameron, les éditions Mosquito ont publié une version complétement retraduite du Titanic en noir et blanc d’Attilio Micheluzzi, auteur contemporain d’Hugo Pratt, héritier de l’esthétique américaine d’après-guerre et amateur de cinéma classique hollywoodien. Son récit plein d’élégance est l’occasion parfaite pour pénétrer l’atmosphère aristocratique et héroïque défendue par ce grand oublié de la bande dessinée italienne.

Batman – Amère Victoire

de Jeph Loeb et Tim Sale (Urban Comics) Pour se préparer au final tant attendu de la trilogie cinématographique de Batman selon Christopher Nolan, on peut découvrir cette magnifique édition d’Amère Victoire. Second volet d’un diptyque composé par Jeph Loeb (scénariste sur les séries Heroes et Smallville) et Tim Sale à la fin des années 1990, l’aventure perpétuait un glissement fascinant vers le registre du récit noir. Bientôt, cette manière de plonger les justiciers au cœur d’enjeux mafieux allait contaminer d’autres séries jusqu’à influencer le Batman de Nolan. À ranger parmi les dix meilleurs aventures de l’homme chauve-souris.

La Grande Guerre de Charlie, volume 2 de Pat Mills et Joe Colquhoun (Çà Et Là)

Le périple bouleversant de cet adolescent britannique précipité dans les tranchées se poursuit avec le même mélange flegmatique d’horreur et de franchise. Au rythme de chapitres très courts en trois planches, la Grande Guerre se raconte avec une écrasante précision technique et psychologique : hygiène des tranchées, périple étouffant en tank, mécanismes de la pensée sur le champ de bataille, injustice des châtiments (un officier abattu pour avoir sonné la retraite) comme de la violence… Autant de thèmes servis par un graphisme en parfait équilibre entre réalisme et grammaire de bande dessinée d’aventure.

Bravo les Brothers

de Franquin (Dupuis) Difficile d’établir des classifications dans l’excellence. Et pourtant, Bravo les Brothers se pose sans équivoque au sommet des plus improbables aventures contées par Franquin. Cela tient un peu au mélange des icônes Gaston, Spirou et Fantasio, et surtout à l’éminente expressivité des trois singes au centre de cette farce : regarder fixement l’un de ces trois rescapés d’un cirque en faillite provoque invariablement le fou rire, tant la nonchalance de leur corps et la vitalité de leurs expressions faciales est communicative. Cette édition d’une histoire longtemps introuvable est enrichie de suppléments et bénéficie d’une refonte des couleurs. Indispensable.

Thermæ Romæ

Tomes 1 et 2 de Mari Yamazaki (Sakka) Dans leur volonté répétée et manifeste – héritée d’un fort patriotisme – de se placer au centre des grands enjeux mondiaux, quitte à produire des relectures romanesques de l’histoire, les Japonais frôlent parfois le grotesque. Mais lorsqu’ils le font avec autant d’humour que dans Thermæ Romæ, il faut applaudir des deux mains. Dans cette fable cocasse, un Romain de l’Antiquité modernise les équipements sanitaires de son époque grâce aux techniques qu’il ramène de ses multiples voyages inexpliqués dans le temps, vers le Japon du XXIe siècle. Entre La Quatrième Dimension et les Monty Python.

Science foot

de Pierre La Police (Cornélius) Personne n’aurait pu prédire le mariage du « non-sensique » Pierre La Police et du magazine So Foot. Pourtant, leur rejeton Science foot est un modèle d’humour, un beau bébé absurde qui détourne la culture populaire du sport et permet à l’auteur d’explorer sous un jour nouveau les nombreuses angoisses qui habitent ses ouvrages. Le corps et ses mutations, la corruption et le règne de l’argent, la société du spectacle et du mensonge, la marchandisation se déploient dans un flot de tableaux fantasmagoriques, superbes et loufoques. Pierre La Police est un grand artiste : tout ce qu’il touche se transforme immédiatement à son image.

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©Radical Entertainment

ludoTHÈQUE MUE TENTACULAIRE Le bruit et la fureur mutante de Prototype nous avaient manqué. À la fois plus sauvage et plus subtile, cette suite ravive le mythe d’un superhéros moderne et sanguinaire.

_Par Yann François

« Si quelqu’un possédait autant de pouvoirs aujourd’hui, qui pourrait l’arrêter ? » Cette accroche pourrait être celle d’un nouvel Avengers. Elle vient en réalité de l’acteur Jimmy Jean-Louis, mémorable médium haïtien dans Heroes, qui venait défendre sa passion pour la série Prototype lors de sa présentation à la presse. « Dans le jeu, chaque acte stimule notre libre arbitre. Prototype est clairement dans la lignée de Heroes pour moi. On évolue avec un personnage qui n’a rien demandé, qui devient superhéros contre son gré et qui doit faire un choix. Mais ça ne fait pas de lui un mec exemplaire, loin de là… » Qui a déjà été tenté par le côté obscur ou la pulsion de ravager une réplique parfaite de New York devrait jouer à Prototype. Sourd aux questionnements identitaires d’un Spider-Man ou à la sombre éthique d’un Batman, Prototype a toujours opté pour une approche plus décomplexée du superhéros :

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place à sa toute-puissance, sauvage et viscérale. En d’autres termes, conjuguer la jouissance destructrice d’un Godzilla et la liberté d’un monde ouvert à la GTA. Prototype 2 ose la redite, avec un sens subtil de la variation. Même principe, même terrain de jeu, même boucherie, seul le héros change : voici James Heller, ancien flic anéanti par la perte de sa famille, tuée par Alex Mercer (le héros du premier Prototype). Alors qu’il s’apprête à se venger, Heller se fait contaminer par Mercer et devient un mutant aux pouvoirs dantesques. À chacun, dès lors, de suivre la ligne morale qui lui siéra : libérer la ville de ses aberrations monstrueuses, faire taire le Blackwatch – milice fascisante opprimant la population – ou venger les siens. Doté d’un pouvoir d’assimilation, le joueur peut absorber n’importe qui, prendre son apparence, fouiller ses souvenirs ou même voler ses pouvoirs. Plus beau, plus spectaculaire, Prototype 2 s’étoffe surtout d’une originalité plus sensible dans son gameplay, où l’infiltration l’emporte souvent sur l’expédition punitive. Se fondre dans la masse, s’insérer dans le réseau urbain à la façon d’un virus dans un organisme pour en contrôler la moindre de ses cellules, tel est le pouvoir enivrant conféré par Prototype 2. Menace virale faite homme, le héros est partout et nulle part à la fois. Aussi omniscient et redoutable qu’une opération Anonymous, le prototype d’Activision a décidément tout compris à la génération 2.0 du superhéros. ♦ Prototype 2 (Activision) Genre : action Développeur : Radical Enter tainment Plateformes : PS3, X360, PC Sor tie : disponible


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JEUX La sélection de la rédaction

_Par Y.F.

Risen 2: Dark Waters (Deep Silver/ Piranha Bytes, sur PS3, X360 et PC)

Le jeu de rôle sait parfois dépasser les frontières de la fantasy pour des sentiers moins battus. Risen 2 en est la preuve, alliage idéal entre mécanismes RPG et jeu de pirate qui fait de la chasse au trésor et de la flibusterie une nouvelle raison de vivre.

Botanicula

(Amanita Design, sur PC) Après le mécanique Machinarium, Amanita Design passe au toutvégétal avec Botanicula, jeu point and click aux animations débridées et à la B. O. entêtante, où de petites bêtes doivent récupérer la dernière graine de leur arbre avant son extinction.

Mortal Kombat

(NetherRealm Studios/Warner Bros, sur PS Vita) Alors qu’on croyait les expressions « fatality » et « finish him! » ringardes, ce nouveau Mortal Kombat (paru l’année dernière sur next-gen) est une cure de jouvence inespérée. Ne cédant rien de sa brutalité gore, cette version Vita s’avère un excellent cru, si ce n’est le meilleur.

Trial poursuite

©RedLynx

Il y a trois ans, une petite bombe indé du nom de Trials HD renversait le Xbox Live Arcade. Une broutille à côté de ce qu’accomplit aujourd’hui sa suite, Evolution. _Par Yann François

Comme MicroMachines en son temps, Trials est de ces chefs-d’œuvre poids plume cachant derrière leur façade arcade une simulation redoutable pour compétiteurs compulsifs. Tout part d’un gameplay diabolique : disputer des courses de trial (parcours d’obstacles à motocross) en ne contrôlant que vitesse et inclinaison de son engin, la direction restant automatique. Mais quand un degré peut coûter un retard critique, tout joueur remballe fissa ses crâneries de cascadeur pour

muter en physicien psychotique de la trajectoire parfaite. Ce deuxième épisode porte bien son nom : tout y évolue de manière exponentielle. Dégagé de toute retenue, chaque niveau s’autorise des architectures olympiennes de sadisme et ne recule devant aucune loufoquerie, qu’il s’agisse de rouler sur les plages du débarquement de Normandie ou de traverser des décors inspirés de jeux cultes. Mais l’évolution la plus sensible de ce Trials reste son mode multijoueur. En plus d’une jouissance immédiate à se tirer

la bourre entre convives, le coup de génie se traduit par le retour du ghost, soit l’exploit d’un concurrent rediffusé sur notre propre parcours, réduit à un seul point que l’on pourchasse comme un pauvre lièvre dans une course de lévriers. Sublimé par cette astuce vieille comme Hérode, Trials Evolution n’a pas fini de hanter nos nuits blanches. ♦ Trials Evolution (Microsof t) Genre : course/arcade Développeur : RedLynx Plateforme : X360 ( XBL A) Sor tie : disponible

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LE GUIDE

SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS

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© Kader Attia

© Umusic

© Lois Greenfield

© Anri Sala

H i p - h o p / ART C ONTEMPORAIN - M o n o g r a p h i e / THE ÂTRE-danse / L E C H E F

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SORTIES EN SALLES CINÉMA du mercredi 13 juin au mardi 10 juillet

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© Umusic

SORTIES EN VILLE CONCERTS

À l’Ouest, du niveau Hip -Hop Kendrick Lamar, le 28 juin au Bataclan, 19h30, 26,30 € Section.8 0 (digital, disponible)

Avant d’entamer une tournée avec Wiz Khalifa et Mac Miller cet été, la nouvelle coqueluche du rap californien KENDRICK LAMAR passe à Paris : West Coast is back, baby. _Par Éric Vernay

Pour ceux qui ne se sont toujours pas remis de la performance post mortem de Tupac Shakur au dernier festival de Coachella, il existe un remède bien vivant à cette nostalgie un brin morbide : Kendrick Lamar, M. C. de 24 ans qui prouve à coups de mixtapes géniales que la scène hip-hop de la côte ouest des États-Unis mérite mieux qu’un vulgaire hologramme. Membre avec Ab-Soul, Jay Rock et ScHoolboy Q du crew Black Hippy, brillant quatuor de Los Angeles rattaché depuis mars dernier aux labels Interscope et Aftermath, le natif de Compton (Californie) dispose désormais de la force de frappe commerciale ­d’Eminem ou de Madonna pour laisser éclater hors de la sphère u­ nderground son immense talent. 82

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À première vue, pourtant, rien de très spectaculaire sur Section.80 (sorti en juillet 2011), album concept dans lequel le rappeur conte l’histoire de Tammy et Keisha, deux gamins nés sous l’ère Reagan. Envoûtant, riche d’échappées soulful ponctuées d’imprévisibles accélérations, le flow hypnotique de Lamar sert une description sans fard du spleen de la génération Y, rendue amorphe par une consommation effrénée de psychotropes. Abordant des thématiques sociales (Black Power, pauvreté) et gorgé de fulgurances poétiques, son univers s’inscrit moins dans l’héritage salace et frimeur du G-funk que dans celui, plus sobre et spirituel, de grands lyricists de la côte est tels que Nas et The Notorious B.I.G. Ce qui ne l’empêche pas d’admirer Dr. Dre et 2Pac : marqué par le tournage du clip de California Love dans les rues de son quartier alors qu’il n’avait que 8 ans, le rappeur travaille aujourd’hui avec Dre sur Detox, l’album le plus attendu de l’histoire du rap. Sacré « nouveau roi de la West Coast » par Snoop Dogg et Game, ce jeune phénomène fait un crochet inespéré par le Bataclan. Entrée interdite aux hologrammes. ♦


© GreggBrehin

Pony Hoax le 29 juin au Point éphémère

L’AGENDA

_Par É.V., W.P., M.P. et É.R.

Gonzaï n° VI

Le webzine gonzo orchestre le retour de The Married Monk, héritier défroqué, génial et sous-estimé de Roxy Music et de Robert Wyatt. Accompagné des Marquises, c’est la fête à la pop française hors quotas. Le 22 juin à la Maroquinerie, 19h30, à partir de 10 €

The Electric Ducks

Ils avaient commencé comme tribute band remarqué d’AC/DC, ils feront à coup sûr transpirer sous les Perfecto du mois de juin. Probablement ce qui se fait de plus tonitruant dans la scène française rock’n’roll actuelle. Le 26 juin à la Flèche d’or, 19h30, à par tir de 19 €

Poni Hoax + Judah Warsky + Kill For Total Peace

Rock cabaret et voix hantée (Poni Hoax), trip cosmique en home studio (Judah Warsky), totale psychédélie (Kill For Total Peace) : la triplette magique du label Pan European, pour une soirée bien high. Le 29 juin au Point éphémère, 20h, à par tir de 16 €

Dr. John

Inventeur du boogie vaudou, ancêtre vénéré de Tom Waits et de Jon Spencer, le « Night Tripper » fera souffler un vent de Louisiane sur la Cigale. Voix rocailleuse et piano endiablé pour groove de légende. Le 4 juillet à la Cigale, 20h, à par tir de 39 €

Frankie Rose

Ex-membre des excellents groupes de noisy pop Vivian Girls, Dum Dum Girls et Crystal Stilts, la charismatique Frankie Rose trace son chemin solo : son deuxième LP est une merveille de synth-pop ouatée. Le 4 juillet au Point éphémère, 20h, 14,80 €

Regina Spektor

L’ancienne égérie de l’anti-folk new-yorkais Regina Spektor, devenue machine à tubes pour séries américaines, reste l’une des plus belles voix d’Amérique, une pianiste hors pair, une songwriter magistrale. Le 5 juillet au Trianon, 19h, 39,50 €

Wooden Shjips

Auréolés du très électrique West, les San-Franciscains viennent fêter le collectif Mu avec leurs épopées psychédéliques et hypnotiques, pleines de fuzz et d’échos, entre The Sonics et Spacemen 3. Le 8 juillet au Point éphémère, 19 h, à par tir de 16 €

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No Window No Cry (Juan O’Gorman, Biblioteca Central de la UNAM, Mexico City), 2011 Courtesy Kurimanzutto, Mexico

BOÎTE À MUSIQUE ART CONTEMPORAIN « Anri Sala », jusqu’au 6 août au centre Pompidou, w w w.centrepompidou.fr

Sur le mode de la (ré)partition, l’artiste ANRI SALA orchestre une exposition symphonique où sons et images, fiction et réalité s’embrassent et composent les éléments d’un film dans le film. _Par Anne-Lou Vicente

Depuis une dizaine d’années, Anri Sala, né en 1974 en Albanie, vit une véritable success story. Récemment exposé au musée d’Art contemporain de Montréal ainsi qu’à la prestigieuse Serpentine Gallery de Londres, il représentera la France lors de la prochaine Biennale de Venise, en 2013. Jusqu’au 6 août, c’est dans la galerie sud du centre Pompidou qu’il déploie un ensemble de pièces – films, photographies, objets – dont la musique constitue le fil rouge. Sala a découpé quatre de ses films, réalisés entre 2008 et 2011, et les a en quelque sorte « remixés » afin d’en extraire douze séquences projetées alternativement sur cinq écrans, un film pouvant en chasser un autre. Sectionnées et dispersées, les projections donnent ainsi le tempo – et la 84

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lumière –, guidant les déambulations du visiteur selon un cycle d’une heure mis en boucle, au cours duquel il suit notamment la traversée haletante, dans les rues d’une Sarajevo assiégée, d’une femme dont le corps se fait instrument de musique, insufflant la poésie d’une symphonie de Tchaïkovski à un contexte h­ ostile (1395 Days without Red, 2011). Telle une ritournelle, la mélodie du célèbre morceau de The Clash Should I Stay or Should I Go se fait entendre dans les films Tlatelolco Clash (2011) et Le Clash (2010), où une série de personnages jouent un extrait de la partition de ladite chanson sur un orgue de Barbarie. En écho, le visiteur est invité à actionner la manivelle d’une boîte à musique prise dans l’une des vitres de l’espace d’exposition. Le long de ces vitres donnant de plain-pied sur l’extérieur, huit caisses claires (Doldrums) transmettent les vibrations générées par les basses fréquences des bandes-son de chacun des films, les donnant subtilement à entendre. Ou comment transformer un espace d’exposition en une monumentale boîte à sons mêlée de fiction(s) et de réalité(s).♦

© Anri Sala

SORTIES EN VILLE EXPOS


© Sebastien Van Malleghem

Les Nuits photographiques au parc des Buttes Chaumont

L’AGENDA

_Par A.L.-V. et F.d.V.

« Les Nuits photographiques »

Deuxième édition pour ce jeune festival, le seul consacré au « film-photographique » en France. Entre témoignage au présent et narration vidéo, cette pratique méconnue est ici mise en avant par une série de projections gratuites en plein air. Réchauffé par une programmation musicale éclectique, le public pourra décerner un prix à son film favori. Tous les vendredis de juin au parc des But tes Chaumont, w w w.lesnuitsphotographiques.com

« Resisting the present – Mexico 2000/2012 »

Nés pour la plupart après 1975 et actifs depuis les années 2000, les vingt-quatre artistes réunis dans cette exposition consacrée au Mexique dressent un portrait sombre et sensible d’un pays marqué par la globalisation économique et technologique, les désillusions politiques et une violence accrue. Jusqu’au 8 juillet au musée d’Ar t moderne de la ville de Paris, w w w.mam.paris.fr

« Géographies nomades »

Les étudiants des Beaux-Arts de Paris félicités en 2011 exposent leurs œuvres inédites dans les galeries de l’école. Un classique revu (et arrangé) par la commissaire d’expositions et critique d’art Chantal Pontbriand, qui fait bouger les lignes, notamment en publiant à cette occasion deux catalogues pourvus de textes critiques sur tous les diplômés. Jusqu’au 13 juillet à l’École nationale supérieure des beaux-arts, w w w.ensba.fr

« Le mont Fuji n’existe pas »

Suite à leur résidence à la villa Kujoyama à Kyôto, les deux jeunes commissaires Élodie Royer et Yoann Gourmel font état de leur expérience : censé être visible de toutes parts au Japon, le mont Fuji est invisible, si ce n’est à travers ses innombrables représentations. En se trouvant ainsi partout et nulle part à la fois, il n’existe pas… Jusqu’au 29 juillet au Plateau Frac Île-de-France, w w w.fracidf-leplateau.com

« Joue le jeu »

Cet été, la Gaîté lyrique se transforme en salle d’arcade géante. Un seul credo pour le visiteur : bouger son corps dans une démarche aussi ludique qu’interactive. Jeux vidéo, de société, de construction… Une célébration exhaustive de l’art du gaming, complétée par des concerts et des conférences. Du 21 juin au 12 août à la Gaî té lyrique, w w w.gaite-lyrique.net

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© Kader Attia

SORTIES EN VILLE EXPOS

Pascale, Fernand Pouillon, 2012, courtesy Galleria Continua

Body building A rchi t e ac phie Monogr t ur e « Construire, déconstruire, reconstruire : le corps utopique », jusqu’au 19 août au musée d’Ar t moderne w w w.mam.paris.fr

Invité par le musée d’Art moderne, KADER ATTIA expose ses collages et diaporamas où germe son idée du corps. Cet artiste tout jeune mais déjà vieux comme le monde propose un art savant dont l’accès reste aisé, pour un résultat simplement brillant. _Par Léa Chauvel-Lévy

« L’esprit habite son corps, comme un lieu qu’il peut investir. » Ce sont ses premiers mots lors de notre rencontre. Et pour ne pas passer pour un maître zen qui se gargariserait de truismes, Kader Attia poursuit calmement, presque amusé : « J’insiste, car les gens continuent de penser que le corps et l’esprit sont complètement liés ! Je pense au contraire qu’il y a un espace-temps entre les deux. » Ligne conductrice de cette exposition, cette vision dualiste du corps convoque deux sources. La première est celle du philosophe Michel Foucault, dont la célèbre conférence « Le corps utopique » inspira très nettement l’œuvre d’Attia La Piste d’atterrissage, diaporama 86

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intime et délicat acquis par le musée d’Art moderne il y a six ans et ici pivot de cette monographie. Sur les murs de la Salle noire, espace dédié aux projections au sous-sol du musée, défile dans une pleine pénombre l’histoire de transsexuels algériens exilés à Paris. Tous ont voulu rectifier la nature, modifier l’enveloppe charnelle selon leur désir. Tous ont construit et reconstruit leur premier lieu de vie. Le corps comme architecture, c’est ainsi que l’artiste au terme de ses recherches le voit, l’interprète. Un peu à la façon du Modulor, notion architecturale imaginée par Le Corbusier au milieu des années 1940 et seconde influence revendiquée par Kader Attia : « Pour Le Corbusier, l’habitat idéal devait s’inspirer de la morphologie humaine. Mes collages montrent comment cette théorie utopique du logement social a été malheureusement un peu pervertie par les promoteurs immobiliers, puisqu’on sait qu’elle a débouché sur des prisons à ciel ouvert. » L’amertume de cette fin de phrase affleure aussi sur ses dix collages, dont la teneur renvoie, de loin en loin, plus encore qu’au corps, au politique. Mais après tout, ne dit-on pas « corps politique » ? ♦


©Daniel Buren, ADAGP, Paris. Photo Didier Plowy

LE CABINET DE CURIOSITÉS

Daniel Buren, Excentrique(s), travail in situ, 2012, 380 000 m3. Détail.

Cercles de réflexion

Le public a longtemps réduit Daniel Buren aux colonnes qui portent son nom. Leurs rainures, devenues marque de fabrique, évoquent à certains les cabines de plage des congés payés, à d’autres – attaque facile –, l’impunité d’un artiste de cour moderne qui croule sous les commandes publiques et décline un principe simple à l’infini. Pour cette cinquième édition de « Monumenta », qui invite chaque année un artiste à transfigurer la nef du Grand Palais, Buren a préféré la rondeur à la raideur, la couleur au noir et blanc, développant un autre versant de son travail, voisin du vitrail. Un vitrail désacralisé et dépouillé de lumière théologique, mais dont l’éclat bleuté et orangé continue de donner foi en l’art. _L.C.-L. Excentrique(s) – Travail in situ de Daniel Buren, jusqu’au 21 juin au Grand Palais, w w w.grandpalais.fr

©Yutaka Takanashi – Courtesy Galerie Priska Pasquer, Cologne

L’ŒIL DE…

Boulevard périphérique n°7, quartier de Suginami, 1965

Agnès Sire, directrice de la fondation Henri-Cartier-Bresson

« Yutaka Takanashi est l’un des fondateurs du mouvement Provoke, qui a bouleversé les codes de la photographie au Japon à la fin des années 1960. À travers deux aspects très différents de son travail, on mesure l’amplitude de son œuvre : la ville, Tokyo, reste une constante, mais il est passé d’une photographie en noir et blanc en mouvement (Toshi-e) à une approche très méditative en couleur et en grand format (Machi). Photographier l’invisible, les traces de l’occidentalisation de la ville japonaise, puis le visible, en enregistrant de manière frontale les détails infimes des espaces traditionnels en voie de disparition, tel est le paradoxe d’un artiste sans cesse tiraillé entre ces deux tendances. » _Propos recueillis par L.C.-L. « Yutaka Takanashi », jusqu’au 29 juillet à la fondation Henri-Car tier-Bresson, w w w.henricar tierbresson.org

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© Elisabeth Carecchio

SORTIES EN VILLE SPECTACLES

La peur au centre Thé ât r e Ma chambre froide de Joël Pommerat jusqu’au 24 juin au théâtre de l’Odéon (ateliers Ber thier) w w w.theatre-odeon.fr

Maître du conte interdit aux moins de 16 ans, l’auteur et metteur en scène JOËL POMMERAT livre avec Ma chambre froide son chef-d’œuvre le plus captivant. Une pièce aux confins de la civilisation, dont on sort à reculons. _Par Ève Beauvallet

Un jet foudroyant de lumière, un noir soudain, profond. Une arène, avec les spectateurs autour. Et une voix off qui nous raconte qu’il était une fois une femme, une employée d’une petite entreprise tellement dévouée que le monde a commencé à se méfier d’elle, a décidé qu’elle ne pouvait qu’avoir un secret pour être comme ça, si gentille, pour savoir « prendre de la hauteur » et qu’il fallait que ce soit elle, le bouc émissaire. « Cela fait partie de ces choses dans notre vie que nous ne voyons pas se dérouler », écrit Joël Pommerat. Chez lui, on avance comme dans la maison hantée d’un parc d’attractions, sur un parcours hypnotique fait de frayeurs collectives mais aussi de secrets comme écrits 88

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pour chacun. Monde des rêves enfouis et des réminiscences brutales, l’univers Pommerat a souvent été comparé à celui de David Lynch. Certainement parce que cet auteur et metteur en scène est le seul avec Romeo Castellucci qui réussisse à faire peur au théâtre. Mais la comparaison avec Lynch s’arrête là où commence le conte, un genre que Pommerat maîtrise comme aucun autre et qui lui permet de donner à des problématiques sociales contemporaines (ici, le monde de l’entreprise et la démocratie) des allures de mythe ancestral. De cette chronique fantasmagorique sur la violence au travail, sur l’abjection des liens entre individu et collectif, on ne sort pas une seconde. D’abord, grâce à l’intrigue et aux codes du suspens déployés ici (Estelle, la dévouée, cache-t-elle un abject secret ?). Ensuite, grâce à un humour plutôt inattendu au milieu de cette violence psychologique que Pommerat renvoie en plein ventre. Enfin, grâce à cette scénographie un peu sadique, ce cocon tout rond dans lequel il place le spectateur avant de lui dire, droit dans les yeux, à quel point chacun est méchant quand il ressemble aux autres. ♦


© Paul Kolnik

Arden Court d’Alvin Ailey, dans le cadre des « Étés de la danse »

L’AGENDA _Par È.B.

Joséphine ose !

On parle beaucoup, parfois à raison, de cette jeune musicienne et humoriste, d’abord connue à travers le morceau qu’elle a inspiré enfant à Alain Bashung (Osez Joséphine), mais qui joue maintenant de sa trogne rembourrée au Kinder Pingui et de sa patte girly trempée dans l’humour camionneur. Le 15 juin au café de la Danse, w w w.josephineose.com

Festival « June Events »

Deux atouts maîtres pour le festival annuel de la chorégraphe Carolyn Carlson : d’une part, il s’enracine sur le terrain bucolique de la Cartoucherie de Vincennes ; d’autre part, il accueille cette année une jeune chorégraphe particulièrement inspirante : Maud Le Pladec, collaboratrice de Boris Charmatz et jeune prodige des rapports danse/musique. Du 7 au 17 juin aux théâtres de la Car toucherie ( Vincennes), w w w.junevents.fr

Les Visites déguidées

Le 104 n’a pas chômé pour se réinventer depuis l’arrivée du directeur José Manuel Gonçalvès. Et les délires artistiques s’insèrent jusque dans la façon de parcourir les lieux : ne loupez pas les visites collectives « déguidées » proposées par l’humoriste et artiste associé au lieu Bertrand Bossard. Jusqu’au 17 juin au 104, w w w.104.fr

Steam

Après son « road movie sous chapiteau » Great Motor Show III sur des textes de Sam Shepard, fidèle à son désir de fusion entre traditions circassiennes et univers urbains, le Cirque Électrique revisite la culture steampunk dans Steam : aux fantasmes postindustriels de La Cité des enfants perdus de Jean-Pierre Jeunet, ajoutez un soupçon de néopunk… Jusqu’au 24 juin à la Dalle aux chapiteaux, w w w.ladalleauxchapiteaux.fr

« Les étés de la danse »

Un brin kitsch, peut-être, mais indispensable pour saisir l’histoire de la danse et les clés du mythe américain : les ballets de l’Alvin Ailey American Dance Theater, fondé par le grand maître de la danse moderne afrojazz, débarquent en surnombre au théâtre du Châtelet, avec les chorés activistes des débuts et les flashs hip-hop d’aujourd’hui. Du 25 juin au 21 juillet au théâtre du Châtelet, w w w.chatelet-theatre.com

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© Lois Greenfield

SORTIES EN VILLE SPECTACLES

Happy feet D a nse Solo in Time, chorégraphie de Savion Glover du 26 juin au 6 juillet au théâtre de la Ville w w w.theatredelaville-paris.com

Si les claquettes n’évoquent chez vous que les séquences les plus perturbantes de Mary Poppins, rendez-vous sur le plateau du théâtre de la Ville, que le danseur de claquettes américain virtuose SAVION GLOVER transforme en immense instrument de percussion.

_Par Ève Beauvallet

« Chemise ouverte, chaîne en or qui brille. » Le style énoncé en 1994 par IAM dans son légendaire Je danse le mia a beaucoup fait pour la notoriété de Savion Glover puisqu’il est plutôt inattendu de voir, par chez nous, un claquettiste cool et stylé qui sait désencrasser la réputation de ce genre chorégraphique. On l’avoue : on sait que la tap dance a ses idoles (Master Juba, Fred Astaire évidemment), qu’elle est née au tournant du XXe siècle entre la gigue irlandaise, le pattin’ afroaméricain et le zapateo (les claquements de pied du flamenco), qu’en cela elle témoigne à sa façon du cosmopolitisme américain, que c’est quand même fort d’aller 90

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si vite avec ses pieds, tout ça, d’accord… Il n’empêche que les claquettes restent souvent pour nous une sorte de tapotement obsolète qui n’a pas survécu à la déferlante des cultures urbaines, un genre de majorette au masculin souvent choisi dans les films pour donner un vernis rétro ou évoquer la ringardise. Aux États-Unis, on serait sans doute exécuté pour de tels mots, puisque la terre natale des tap dancers revendique aujourd’hui une nouvelle génération d’artistes, modernes dans leur façon, non pas d’adapter la discipline au goût du jour, mais de l’épurer et de retourner aux sources du rythme. Savion Glover est de ceuxlà : applaudi à Broadway dès ses neuf ans, il salue aujourd’hui les Nicholas Brothers, Gregory Hines et Jimmy Slyde, mais sait prendre ses libertés avec les codes du musical américain. C’est avec les racines flamencos de la tap dance qu’il renoue dans Solo in Time, et c’est une chance certaine de le voir adresser cet hommage à moins d’un mois de la venue au festival « Paris quartier d’été d’Israel Galván », e­ stomaquant héritier des foudres flamencas. ♦


© Luc Petton

le Spectacle Vivant Non Identifié

Un amour de Swan

Depuis le ballet de Marius Petipa, chorégraphe du Lac des cygnes en 1895, la figure du cygne persiste comme alter ego du danseur classique jusqu’à inspirer au cinéma les métamorphoses les plus gores (coucou Black Swan). Luc Petton, lui, délaisse les métaphores depuis 2004 pour inventer de vrais spectacles ornithologiques. Son Swan affiche donc au casting, en plus des six danseurs, de jeunes cygnes nés en 2010 et élevés dans la complicité la plus étroite avec l’équipe artistique. On doute que ces animaux, qui, « entre grâce et pesanteur, apparai(ssent) comme le(s) plu(s) ambivalent(s) des oiseaux » au chorégraphe, bouleversent radicalement le caractère académique de sa danse. Mais l’expérience est trop inédite pour être snobée. _È.B. Swan de Luc Pet ton, jusqu’au 14 juin au théâtre national de Chaillot, w w w.theatre-chaillot.fr

© MYRA 2012

L’INVITÉ SURPRISE

Christian Lacroix chez Molière

Le Bourgeois gentilhomme de Molière, sorte d’ancêtre du Goût des autres d’Agnès Jaoui, doit susciter la convoitise des couturiers. Et quand on repense aux improbables scènes de ballet ou à la notion de fashion selon ce personnage de surbeauf qu’est Monsieur Jourdain, on se dit que Christian Lacroix a dû se sentir en cour de récré. Le couturier star, qui signe le vestiaire rocambolesque de la mise en scène de Denis Podalydès, ne sera pas là pour résoudre la belle énigme de la pièce (pourquoi se moquer de Monsieur Jourdain ?), mais, au vu de son expérience des costumes de scène – voir ses créations pour l’opéra de Paris –, il contribuera sûrement à ce qu’elle soit mieux posée. _È.B. Le Bourgeois gentilhomme, mise en scène de Denis Podalydès, du 19 juin au 21 juillet au théâtre des Bouf fes du Nord, w w w.bouf fesdunord.com

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© Bruno Verjus

SORTIES EN VILLE RESTOS

Casser La Graine L E CHEF Semilla 54, rue de Seine, 750 06 Paris Tél. : 01 43 54 34 50, w w w.facebook.com/semillaparis

Le restaurant Semilla (« graine » en espagnol), planté entre la rue Bourbon-le-Château et la rue de Seine dans le VIe arrondissement, offre une cuisine vigoureuse, savoureuse et joyeuse. Éric Trochon y anime une brigade de tout jeunes chefs et veille au grain ! _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)

Après l’élégant restaurant Fish la Boissonnerie, la sandwicherie chic Cosi et le bar à vins La Dernière Goutte, l’Américain Juan Sanchez et le Néozélandais Andrew Harré viennent de planter une nouvelle graine dans le quartier latin : Semilla, un bistrot contemporain où se mêlent pierre, brique, béton et tuyaux, en écrin d’une cuisine ouverte sur la vaste salle. Spectacle garanti avec les jeunes cuisiniers Matthieu Roche et Louis Richard, frais émoulus de l’école Ferrandi, à la manœuvre sous les ordres de leur ex-prof, le Meilleur Ouvrier de France 2011 Éric Trochon. Pour Andrew Harré, Éric Trochon possède le goût : « En plus de son 92

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incroyable talent, il a le goût, sa cuisine me donne faim. Voilà sans doute la bonne définition d’un restaurant, on veut avoir faim, on veut regarder un plat dans l’impatience de le dévorer. » Au déjeuner, le menu du jour s’affiche à 19 € et comprend une entrée et un plat parmi les trois proposés. Les desserts, tarifés à 8 €, viennent un peu alourdir ce budget poids plume pour une cuisine légère et allègre. Le soir, les entrées et plats se commandent aussi en demi-portions, et la carte des vins, disponibles au verre, laisse le boire à prix raisonnable. Ces nourritures plaisantes et ingénues se meuvent dans l’air du temps : à la fois bio, paisibles et déférentes, à l’instar du tartare de Pierre (Gagnaire) associant bœuf, tête de veau et hareng. Le ceviche de lieu rafraîchi de gingembre et de pomme verte aiguise les appétits. Il en faudra pour conquérir l’énorme côte de bœuf servie pour deux ou la blanquette de veau Primavera. L’esprit du bistrot retrouvé frappe la conscience. Ici, l’on nourrit le goût du bon avec la joie et la vigueur de ces chefs jeunes pousses. ♦


DR

Où manger après…

… le film To Rome with Love

En italien, « tappo », signifie « bouchon ». Voilà donc un bouchon romain né de l’union de deux ex-publicitaires, Roberto Gambillo et Thibault Roumain. Le pain grillé se fait assiette et s’offre en mode crostini fardé de crème de lardo di Colonnata, de tartare de bar, de lichettes d’espadon fumé aux herbes ou de poivrons farcis à la poutargue… À l’assiette, on retrouve une salade de poulpe, des fagioli – petits haricots blancs – au thon fumé, de la mozzarella di bufala, des assiettes de charcuterie de Toscane et de fromages. Le tout à consommer au comptoir sur un tabouret ou dans la pièce du fond, avec un Spritz à l’Aperol et à l’eau de Seltz, un verre de prosecco ou un rosé pétillant nature. _B.V. Tappo, 19, rue Commines, 750 03 Paris. Tél. : 01 42 76 06 35 To Rome with Love de Woody Allen, avec Penélope Cruz, Jesse Eisenberg… // Sor tie le 4 juillet Lire également page 34

©Le Pacte

la Recette

Comment boire correctement son whisky façon La Part des anges

Au centre du dernier Ken Loach, un projet de vol de whisky aux qualités sans pareil. Chef de bande doué d’un nez exceptionnel, le jeune Robbie, s’il parvient à mener son larcin à bien, se fera fort de déguster l’eau-de-vie de la façon la plus adéquate. On boudera pour cela le verre cylindrique et ses inopportuns glaçons au profit d’un verre à pied et à large base. Sur la table, une eau minérale, la plus neutre possible, permettra de remettre à zéro les compteurs d’un palais excité par un degré d’alcool avoisinant les 40 degrés. L’étude du breuvage se divise alors en trois parties : évaluation de la couleur, distinction des arômes du bout du nez, puis mise en bouche en faisant respirer son palais. _É.R. La Par t des anges de Ken Loach // Sor tie le 27 juin Lire également page 108

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

L’AGENDA

©Liam Daniel

_Par F.d.V., C.G., I.P.-F., J.R., É.R. et L.T.

The Deep Blue Sea de Terence Davies

13/06 La Petite Venise

Días de Gracia

Une jeune Chinoise récemment immigrée en Italie se lie d’amitié avec un pêcheur de la lagune de Venise. L’un et l’autre se découvrent une proximité inattendue, mais les communautés italiennes et chinoises de la ville ne voient pas les choses d’un bon œil.

Trois époques s’entremêlent dans un México où il ne fait pas bon vivre : trafic de drogue, flics corrompus, torture… Le scénario et la mise en scène cherchent systématiquement la virtuosité (parfois trop) pour un ensemble indéniablement efficace.

d’Andrea Segre Avec Zhao Tao, Marco Paolini… Haut et cour t, Italie/France, 1h38

d’Everardo Gout Avec Tenoch Huer ta, Kristian Ferrer… ARP Sélection, Mexique/France, 2h13

Quand je serai petit

Blanche Neige et le chasseur

Faille temporelle, trouble mental ? Mathias, 40 ans, rencontre Mathias, un enfant qui a exactement la même vie que lui à 10 ans. Deuxième passage à la réalisation pour l’ex-Robin des Bois Jean-Paul Rouve, moins tourné vers le rire que l’émotion.

Deuxième relecture du conte des frères Grimm cette année, cette fois dans une version gothique et émancipatrice avec Charlize Theron en marâtre courroucée et Kristen Stewart en Blanche Neige guerrière qui enfile son armure et mène une rébellion.

de Jean-Paul Rouve Avec Jean-Paul Rouve, Benoî t Poelvoorde… Mars Distribution, France, 1h35

de Ruper t Sanders Avec Kristen Stewar t, Chris Hemswor th… Universal Pictures France, États-Unis, 2h06

20/06 L’Assassin

The Deep Blue Sea

Dans cette variation italienne du Procès de Kafka, Elio Petri réveille les fantômes du fascisme avec Mastroianni en accusé charmeur, présumé coupable d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Le film, paru en 1961, est présenté dans une copie restaurée.

Le film s’ouvre sur une tentative de suicide qu’un long flash-back vient éclairer. Hester a quitté son mari pour un amant fauché dont elle est folle amoureuse : raison contre passion, avec au milieu le blues et la solitude, morne horizon des femmes des années 1950.

d’Elio Petri Avec Marcello Mastroianni, Micheline Presle… Carlot ta Films, Italie/France, 1h45

Jitters

Ce qui vous attend si vous attendez un enfant

Lointain cousin du suédois Fucking Åmål, paru à la fin des années 1990, ce premier film de Baldvin Zophoníasson, qui mêle romance gay et teen movie initiatique, fut l’un des succès de 2010 en Islande, où il a remporté pléthore de récompenses.

Guide pour futurs parents et best-seller aux États-Unis depuis sa parution en 1984, What to Expect When You’re Expecting s’assure un casting chargé pour une comédie chorale sur cinq couples tourneboulés par les affres de la gestation.

de Baldvin Zophoníasson Avec Atli Oskar Fjalarsson… Outplay, Islande, 1h33

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de Terence Davies Avec Rachel Weisz, Tom Hiddleston… Diaphana, États-Unis/Grande-Bretagne, 1h38

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de Kirk Jones Avec Cameron Diaz, Jennifer Lopez… Metropolitan Filmexpor t, États-Unis, 1h50


et surtout… 13/06 Je sens le beat qui monte en moi (lire p.18) Journal de France (lire p. 48) 80 jours (lire p. 96) Marley (lire p. 98) 20/06 The Raid (lire p. 29) The Dictator (lire p. 10 0) Adieu Berthe (lire p. 102) Faust (lire p. 104)

©Universal Pictures

27/06 L’Âge de glace 4 – La Dérive des continents (lire p. 26) Jules et Jim (lire p. 106) La Part des anges (lire p.108) 04/07 Paradis perdu (lire p.13) The Amazing Spider-Man (lire p. 14) L’Été de Giacomo (lire p. 24) Summertime (lire p. 24) To Rome With Love (lire p. 34) Holy Motors (lire p. 54 et p. 109) Blanche Neige et le chasseur de Rupert Sanders

27/06 Bel ami

Starbuck

L’ascension sociale de l’ambitieux héros de Maupassant est ici narrée dans une adaptation au casting grand luxe avec Robert « Twilight » Pattinson, qui papillonne de veuves éplorées (Uma Thurman) en femmes légères (Kristin Scott Thomas, Christina Ricci).

David, adulescent de 42 ans et ancien donneur de sperme en série, apprend qu’il est le père biologique de cinq cent trente-trois enfants, dont beaucoup le recherchent. Point de départ cocasse d’une comédie astucieuse et bon enfant, dernier carton en date au Québec.

de Declan Donnellan et Nick Ormerod Avec Rober t Pat tinson, Uma Thurman… StudioCanal, Royaume-Uni/France/Italie, 1h43

de Ken Scot t Avec Patrick Huard, Julie Le Breton… Diaphana, Canada, 1h49

Sibérie

Un bonheur n’arrive jamais seul

L’actrice et le réalisateur tentent de sauver leur couple lors d’un voyage en Transsibérien : elle filme, il se montre. Puis le contraire : elle boit trop, il s’empare de la caméra, et le film de Preiss devient soudain celui de Dumont.

Sacha, artiste sans attaches, rencontre la femme parfaite en Charlotte. Seul problème : son mari et ses enfants… Elmaleh joue du piano et de ses yeux bleus pour charmer Marceau. James Huth enroule leur romance dans un écrin prévisible mais enlevé.

de Joana Preiss Avec Joana Preiss, Bruno Dumont… Capricci Films, France, 1h22

de James Huth Avec Gad Elmaleh, Sophie Marceau… Pathé, France, 1h50

04/07 Paradis Perdu

Inside

Dans le Sud de la France, Lucie et son père Hugo, cultivateurs, vivent reculés du monde. Leur équilibre affectif est bouleversé par le retour de la mère de Lucie et la découverte du désir par la jeune fille. Un premier long lumineux et plein de grâce.

Pour mettre à l’épreuve la fidélité de son petit ami, une jeune femme se cache dans une pièce secrète de leur appartement, dissimulée derrière une glace sans tain. Mais elle oublie la clé et, enfermée, doit le regarder refaire sa vie avec une autre.

d’Ève Deboise Avec Pauline Étienne, Olivier Rabourdin… Epicentre Films, France, 1h33

d’Andrés Baiz Avec Quim Gutiérrez, Mar tina García… Haut Et Cour t, Espagne/Colombie, 1h33

The Amazing Spider-Man

Playoff

C’est l’histoire d’un étudiant qui se fait mordre par une araignée et qui devient… bon, vous connaissez déjà la trame, mais ce sont les coulisses de cet accident qui se tissent ici. Spectaculaire et sombre, à l’instar des derniers Batman : une bonne toile.

Quarante ans après avoir fui l’Allemagne nazie, un entraîneur de basket israélien décide de revenir dans son pays d’origine pour entraîner l’équipe nationale de RFA. Très maîtrisé et émouvant au départ, le scénario s’égare faute de choisir un axe.

de Marc Webb Avec Andrew Gar field, Emma Stone… Sony Pictures, États-Unis, 2h16

d’Eran Riklis Avec Danny Huston, Amira Casar… Wild Bunch, Israël/Allemagne/France, 1h47

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04/07

27/06

20/06

13/06

SORTIES EN SALLES CINÉMA

80 jours UNE VIEILLE MAÎTRESSE Deux vieilles dames paisibles tombent amoureuses au point de risquer de détruire l’équilibre de toute une vie pour être ensemble. Un film inattendu sur l’infidélité, porté par un scénario qui ne l’est pas moins. _Par Isaure Pisani-Ferry

Le cinéma, d’ordinaire, voit dans les amours entre seniors un rattrapage des plaisirs manqués autrefois et réduit les personnages octogénaires à des fantômes, prétextes à l’évocation d’une jeunesse idéalisée. Rien de tel dans ce premier film, tourné entièrement en basque, de José Mari Goenaga et Jon Garaño : au lieu de jouer à la capsule temporelle, ils filment leurs personnages ici et maintenant. Axun est une retraitée proprette qui occupe

ses jours à faire du point de croix, des petits plats pour son mari bougon et à harceler sa fille de bonnes intentions. Poussée par une empathie que sa famille juge absurde, elle rend visite à l’ex-mari de sa fille, qu’un accident a plongé dans le coma. Dans la chambre d’hôpital, une autre vieille dame s’occupe du malade du lit voisin. Les rides ont tant noyé les traits des deux femmes qu’elles ne se rappellent d’abord rien ; mais dans l’énergie espiègle de sa voisine, Axun finit par reconnaître Maïté, sa meilleure amie d’adolescence. Et Maïté, en Axun, retrouve son premier amour. Leur amitié reprend, fusionnelle comme à leurs 16 ans ; mais Maïté, soixante ans après, assume son attirance, dit ses sentiments… et Axun ose les écouter. Refusant toute nostalgie, c’est la vie, la vraie, que les deux réalisateurs font débouler non sans malice, avec ses désordres et ses passions, dans le quotidien réglé de retraités

de l’existence. Cela donne lieu a des scènes d’un délicieux comique, comme celle où le mari d’Axun abandonne la maison miniature qu’il passe ses journées à peindre pour partir, en charentaises, à la poursuite de sa femme infidèle. En adoptant un angle inédit, 80 jours filme avec force et finesse l’amour qui se fiche pas mal de l’âge qu’on a, du sexe auquel on appartient ou de notre statut marital. ♦ De José Mari Goenaga et Jon Garaño Avec : Itziar Aizpuru, Mariasun Pagoaga… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h45 Sor tie : 13 juin

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour les deux actrices principales, dont la justesse de ton a été récompensée par le prix d’interprétation féminine au festival Cinespaña.

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2… Parce que le film est entièrement en langue basque, ce qui ne l’a pas empêché de participer à une centaine de festivals internationaux.

3… Pour la répartition originale des tâches derrière la caméra : Goenaga dirigeait les acteurs tandis que Garaño peaufinait la technique.


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SORTIES EN SALLES CINÉMA

marley GANG JAH

Loin de l’hagiographie attendue, Marley se concentre autant sur le prophète du reggae roots que sur l’histoire politique et spirituelle de la Jamaïque. En donnant la parole à l’entourage du chanteur, KEVIN MACDONALD signe un document de référence sur une culture qui émane avant tout d’un peuple. _Par Quentin Grosset

« Le ska est rapide, le rock steady est doux. Et le reggae est dur. Bien plus dur. » Ces propos de Bob Marley évoquent trois courants musicaux battant le rythme d’une carrière qui ne cessera de pointer vers le mysticisme et la rébellion. À Trench Town, quartier chaud de Kingston, le jeune Marley est harcelé parce

qu’il est né d’une mère noire et d’un père blanc. Kevin Macdonald, déjà portraitiste du dictateur ougandais Idi Amin Dada dans Le Dernier Roi d’Écosse, voit dans ce métissage le germe du croisement incarné par l’idole : celui des croyances ancestrales d’Afrique et de la culture de masse occidentale. Chris Blackwell, interrogé dans le documentaire, est le producteur qui modela Marley et The Wailers au goût des Blancs et les fit accéder au firmament pop international avec une imagerie plus rock, en ajoutant des guitares et surtout en resserrant l’attention des fans sur le charisme du chanteur plutôt que sur le groupe. La démarche de Macdonald est inverse : si Marley est le point de départ des témoignages recueillis, ceux-ci rejoignent rapidement le récit torturé de l’histoire jamaïcaine. Des origines du mouvement rastafari – l’Église orthodoxe éthiopienne qui réinterprète la Bible sous l’angle afro – aux violences politiques qui

plongent l’île dans un état de semiguerre civile dans les années 1970, le contexte sociologique et culturel est mis en perspective pour mieux saisir la dimension contestataire de Marley. Dressé contre la société corrompue symbolisée par Babylone, cette voix du tiers-monde a toujours suivi le précepte rasta : unifier l’humanité par la musique. Jah lives! ♦ De Kevin Macdonald Documentaire Distribution : Wild Side Films/Le Pacte Durée : 2h24 Sor tie : 13 juin

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour entendre la voix encore adolescente et un peu nasillarde de Bob Marley sur Judge Not, ska de jeunesse sur ses origines métisses.

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2… Pour les témoignages inattendus des intimes du chanteur, qui n’avaient jamais été sollicités dans d’autres biographies.

3… Pour la séquence où Marley apaise les tensions politiques en réunissant sur scène les représentants des deux partis qui s’affrontent.


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The Dictator Rire dans sa barbe

SACHA BARON COHEN délaisse le mockumentary dans The Dictator : l’occasion pour le trublion anglais d’épurer ses talents de satiriste, sans tricher avec le réel. _Par Yal Sadat

Les années 2010 auront donc leur Dictator : de là à tenir Sacha Baron Cohen pour le nouveau Chaplin, il y a un pas difficilement franchissable. La comparaison est tout de même tentante, tant la machine satirique de l’échalas british reste dévastatrice. Elle a cette fois la force de frappe d’une tête nucléaire, non pas seulement pointée sur l’Occident, mais sur toute la surface du globe : partout, tout le temps, tout le monde en prend pour son grade dans The Dictator. Émancipé du « documenteur » farcesque, Baron Cohen

continue d’aller puiser ses procédés d’ironie chez Montesquieu : détrôné par un traître et abandonné aux pavés new-yorkais, son despote barbu officie comme une version bourrine et intégriste des Persans Usbek et Rica, brocardant ­l’Amérique en digne successeur de Borat et de Brüno. Le passage à la fiction revendiquée conserve l’effronterie brute des précédents films, révélant au passage combien ceux-ci, malgré leurs détours documentaires, étaient pure affaire de mise en scène, de falsification roublarde. Le danger de voir l’ensemble avancer comme une chenille de sketchs télé sans âme est écarté par le génie transformiste de Baron Cohen, mais aussi par son écriture tonique et féroce : comme les personnages de South Park de son cousin d’esprit Trey Parker, le général Aladeen (condensé de Hussein, ­al-Assad, Ahmadinejad et les autres) est parachuté au milieu d’une société

américaine éclatée – le yankee rétrograde le dispute au droit-de-l’hommiste buté – où sa bêtise décomplexée lui permet de railler tous les partis indifféremment. En définitive, c’est toujours le ricanement gaillard qui triomphe sur la phobie d’autrui : c’est ce qui fait de Baron Cohen un clown intouchable, capable de faire passer les pires égarements scatologiques pour le comble du raffinement. ♦ De Larr y Charles Avec : Sacha Baron Cohen, Anna Faris… Distribution : Paramount Pictures France Durée : 1h23 Sor tie : 20 juin

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la B. O. impayable, qui revisite avec culot des standards pop ou hip-hop (de R.E.M. à Dr. Dre) en langue arabe.

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2… Pour le passage de Larry Charles et Sacha Baron Cohen à la fiction à part entière, après les « documenteurs » Borat et Brüno.

3… Pour l’improbable accent d’Afrique du Nord mis dans la bouche de Sir Ben Kingsley pour interpréter l’oncle d’Aladeen.


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Adieu Berthe Le temps retrouvé Une aïeule délaissée rend l’âme : l’occasion pour Bruno Podalydès d’un état des lieux dans une fantaisie mortuaire et enlevée. _Par Clémentine Gallot

Bruno Podalydès, chantre de la « French comedy » feutrée (Dieu seul me voit, Liberté-Oléron), signe avec ce sixième long métrage une tragicomédie endeuillée. Son frère et substitut à l’écran Denis interprète Armand, touchante incarnation d’une masculinité chancelante, qui s’enlise ici entre deux occupations (pharmacie et magie) et deux amours (Valérie Lemercier et Isabelle Candelier), tout en réglant les affaires de sa défunte mémé. Le cinéaste le seconde, dans un caméo burlesque en croquemort de l’entreprise Obsécool, à la manière des personnages de Bancs Publics virevoltant

à la supérette Brico-Dream. « Je trouve touchant tout ce lexique du marketing, ça invite à la rêverie », explique-t-il. Faisant fi des considérations macabres de circonstance, le film résume ces questions de transmission familiale à un principe d’organisation et de rangement existentiel (Que nous reste t-il des disparus ? Que faire de leurs affaires ? À quelle heure est l’enterrement ?). Par un émouvant tour de passe-passe, la malle à double fond, pleine de souvenirs de la grand-mère, et le cercueil semblent s’emboîter, jolie pirouette finale puisque la mort n’est finalement qu’un ultime escamotage. « La démarche de l’illusionniste me plaît beaucoup », précise Podalydès. « Il est beaucoup question de boîtes dans ce film : les boîtes gigognes… J’aime ça, le secret, la mémoire. Au cinéma, on est un peu mis en boîte. » ♦ Adieu Ber the – L’Enterrement de mémé de Bruno Podalydès Avec : Denis Podalydès, Valérie Lemercier… Durée : 1h40 Sor tie : 20 juin

3 questions à

Bruno Podalydès Pourquoi cette affection pour le décor de banlieue ? On voit peu cette banlieue pavillonnaire tranquille au cinéma. Cela m’intéresse que le personnage soit un peu déclassé. Versailles est très connoté, après ma trilogie je voulais filmer une autre ville, à la Tardi. J’aime cette disparité du paysage. Comment advient l’écriture en binôme ? Le processus d’écriture est différent pour chaque film : ici, j’ai écrit seul et je suis allé rejoindre Denis là où il jouait. On joue beaucoup les scènes ensemble, puis j’essaye d’articuler une narration autour. L’autre parti pris, toujours un peu angoissant, était de ne pas savoir où le film allait, sans synopsis ni point d’arrivée. Comment votre style a-t-il évolué au fil des années ? À l’époque de sa sortie, les gens n’ont pas bien compris que Bancs Publics n’était pas un récit mais un tableau. Il parle de la porosité entre voisinages. J’essaye pour chaque film d’adopter un parti pris formel assez différent. Le style, c’est malgré soi.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour un retour en douceur de l’excellente Valérie Lemercier, « grande comédienne burlesque et forte personnalité » d’après Podalydès.

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2… Parce que Podalydès, avec Michel Gondry et Noémie Lvovsky, intégrait cette année une sélection cannoise d’ordinaire hostile à la comédie.

3… Pour Michel Vuillermoz, échappé de la Comédie française, le costume sombre et la mine grave, en cadre des pompes funèbres entreprenant.


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faust Beau diable Aleksandr Sokurov convoque le Mephisto de Goethe dans Faust, Lion d’or du dernier festival de Venise. Régulièrement ressuscité par le cinéma, le mythe trouve ici une voie singulière, fantastique et envoûtante. _Par Benoit Gautier

Du Faust et Marguerite de Georges Méliès à Phantom of the Paradise de Brian De Palma, le cinéma s’approprie depuis toujours le mythe de Faust et s’ingénie à représenter le Mal : Gérard Philippe, sar­donique, dans La Beauté du diable de René Clair ; Klaus Maria Brandauer, bergmanien, dans Mephisto ­d’István Szabó ; Robert de Niro sanguinaire dans Angel Heart d’Alan Parker… Sokurov a choisi Anton Adasinsky pour incarner Satan, un usurier qui

s’empare de l’âme du docteur Faust et la ronge tel un rat. Mi-Nosferatu, mi-Le Bossu, le diable est ici un freak à la Tod Browning avec sa chair fondue, boursouflée, son pénis et ses testicules minuscules situés… à la naissance des fesses. L’enfer chez les autres, ce peut encore être le Faust – Une légende allemande filmé en 1926 par F. W. Murnau. Le cinéaste allemand y propose une vision céleste avec une figure maléfique qui étend ses ailes de corbeau noir sur l’humanité. La bête chez Sokurov est plus terre à terre. Elle avance dans la crasse des villes, les ténèbres des forêts, l’aridité des rochers. Goethe, dans son Traité des couleurs, revendique la pureté absolue du jaune ouvert à la lumière et du bleu refermé sur l’obscurité. La lutte entre le bien et le mal du Faust de Sokurov épouse à l’extrême la radicalité de cette théorie. Expérimentateur et perfectionniste (en 2002, il réalise L’Arche russe

en un seul plan-séquence long de quatre-vingt-seize minutes), le maître délave, déforme ses images. Des distorsions, méandres de la vanité, qui trouvent un apaisement dans un champ et contrechamp de gros plans somptueux où Faust le ténébreux et Marguerite la solaire semblent s’unir et se séparer à la fois. Entre le bleu et le jaune, chez Sokurov comme chez Goethe, le vert vire au noir. ♦ D’Aleksandr Sokurov Avec : Johannes Zeiler, Anton Adasinsk y… Distribution : Sophie Dulac Durée : 2h14 Sor tie : 20 juin

3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que Sokurov est le fils spirituel d’Andrei Tarkovski (Solaris), dont il fut l’élève à l’Institut national du cinéma soviétique.

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2… Pour les images de Bruno Delbonnel, chef opérateur de Jean-Pierre Jeunet (Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain).

3… Pour clore en beauté la tétralogie de Sokurov sur le totalitarisme et la corruption : Moloch (1999), Taurus (2000), Le Soleil (2005).


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jules et jim JEANNE ET SES JULES

Pour le cinquantenaire de leur première sortie en salles, les potos de Jules et Jim profitent d’une restauration numérique, suite logique pour ce classique de FRANÇOIS TRUFFAUT dont la modernité est régulièrement saluée. Pas une ride sur le sourire de Jeanne Moreau, autour duquel on s’est enfin retrouvés.

l’adaptera un jour. Un succès (Les Quatre Cents Coups) et un plus modeste polar (Tirez sur le pianiste) plus tard, l’heure est venue d’écrire avec Jean Gruault un scénario tiré du roman. On est en 1962, la Nouvelle Vague est plus vigoureuse que jamais, et elle ­produit

_Par Louis Séguin

François Truffaut propose à Jeanne Moreau le rôle sur mesure d’une femme libre et passionnée, qui mène la danse des hommes.

Au beau milieu de nos années 2010 et de nos films de crise revient sur les écrans la Belle Époque des inséparables potes Jim et Jules. Jules et Jim. En découvrant le roman éponyme d’Henri-Pierre Roché en 1953, alors qu’il est critique de cinéma, François Truffaut sait qu’il

à tour de bobine des histoires de triangles amoureux. Truffaut luimême en filmera un autre célèbre, Les Deux Anglaises et le continent (1971). Dans Jules et Jim, pas d’Anglais, mais un Allemand (Jules) et un Français (Jim). Et Jeanne Moreau (Catherine) en guise de continent. Le film est l’occasion

pour le cinéaste de proposer à cette muse déjà célèbre un rôle sur mesure, celui d’une femme libre et passionnée, qui mène la danse des hommes et affirme une indépendance féministe avant l’heure. Truffaut et elle étaient extrêmement proches (dans l’ordre : ­liaison puis amitié), et le film, d’une tendresse rare envers son personnage féminin, porte la trace de cette relation privilégiée. Il y a d’ailleurs une allusion, reconnue par Truffaut, à la filmographie de Jeanne Moreau au sein même du film : Catherine, s’adressant à Jules et à Jim, mime les expressions sévères et ternes de son visage avant leur rencontre (comme les rôles qu’on donnait à Moreau jusqu’alors), puis celles, joyeuses et rayonnantes, que les deux J. (et Truffaut en lui donnant ce rôle) ont fait naître chez elle. Le succès quasi immédiat et la ­longévité de Jules et Jim s’appuient sur une histoire d’une modernité frappante, où la préciosité s’allie

3 raisons d’aller (re)voir ce film 1… Pour retomber amoureux de Jeanne Moreau, lorsque celle-ci entonne Le Tourbillon, accompagnée à la guitare sèche par son nouveau lover.

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2… Pour la mise en scène façon Nouvelle Vague : la caméra de Truffaut, facétieuse, devient le quatrième personnage du triangle amoureux.

3… Pour la scène finale, en voiture à fond la caisse avec Jeanne Moreau, toujours aussi incroyable et bouleversante.


Le cinéaste impose un style enlevé et toujours jeune : ralentis, pauses, coupes surprenantes et raccords hardis. à un style des plus épurés et où les situations scabreuses sont déjouées par une grande légèreté de ton. Jules aime Catherine, qui l’aime en retour et lui donne un enfant. Mais Jim aussi aime Catherine, qui l’aime de même. L’auteur Henri-Pierre Roché s’est largement inspiré de sa propre expérience pour ce roman : il fut Jim, Franz Hessel et Helen Grund complétant le trio. Pour l’anecdote, rappelons que de l’union de Franz et Helen est né Stéphane Hessel, le héraut des Indignés. L’ambition de Truffaut était de retrouver la liberté du roman dans un film au genre indéterminé ; mission accomplie, magistralement. Oskar Werner (Jules) est parfaitement doux et mélancolique, Henri Serre (Jim), tout à fait volontaire et donjuanesque. Quant à Jeanne Moreau, elle incarne l’un des plus beaux rôles de sa carrière et anime peu à peu sa beauté baudelairienne de statue. Quand les comédiens vont un peu trop vers un genre, Truffaut

les tire vers le genre opposé, alternant drame intimiste et comédie de mœurs. Le début de l’oeuvre, qui s’attache à la rencontre des deux hommes, prend des allures de film burlesque, où le comique de geste muet lance le drame sur les rails de la comédie. Mais c’est surtout dans les moyens cinématographiques déployés que le cinéaste impose un style enlevé et toujours jeune : ralentis, pauses, coupes surprenantes et raccords hardis… Pour ne citer qu’un exemple, le travelling légèrement tremblant de la course de Catherine en garçonne et de ses deux amants reste gravé dans l’histoire du cinéma. Truffaut expérimente beaucoup et souscrit à la maxime fondamentale de la Nouvelle Vague : donner au tournage le pas sur le scénario. Dans Jules et Jim, cela aboutit au Tourbillon (« On s’est connus / On s’est reconnus… »). Cette chanson de Serge Rezvani (signée sous le pseudonyme de Cyrus Bassiak),

le guitariste de la fameuse scène, est chantonnée par Jeanne Moreau lors du tournage ; Truffaut, par une intuition géniale, décide de l’intégrer au film. Une seule prise fut nécessaire pour que l’actrice offre à Jules et Jim une bande originale inoubliable. Si Truffaut a profité de l’inscription du récit dans les années 1910 – on tombe sous le charme des images du Paris de la Belle Époque et de la Grande Guerre –, il assurait que cette histoire aurait pu se situer à n’importe quelle période. Supervisée par Raoul Coutard, le chef opérateur mythique de la Nouvelle Vague, collaborateur régulier de Truffaut comme de Jean-Luc Godard, cette restauration numérique souligne l’évidente modernité de Jules, Jim et Catherine. ♦ De François Truf faut Avec : Jeanne Moreau, Oskar Werner… Distribution : MK 2 Dif fusion Durée : 1h45 Sor tie : 27 juin

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La Part des Anges MAUX DOUX

Un jeune délinquant trouve dans sa passion naissante pour le whisky l’espoir d’un avenir meilleur. Prix du Jury à Cannes, la nouvelle comédie douceamère de KEN LOACH fait s’entrechoquer questions morales et politiques avec un humour enivrant. _Par Juliette Reitzer

Expression consacrée, la « part des anges » désigne la portion d’alcool qui s’évapore pendant le vieillissement d’une eau-de-vie en fût. Choisie comme titre du nouveau film de Ken Loach, elle évoque la part de richesses qu’espèrent s’octroyer quatre chérubins désenchantés, jeunes délinquants écossais réunis le temps d’une peine de travaux d’intérêt général. Robbie, Rhino, Albert et Mo se rencontrent

sous la houlette bienveillante d’un éducateur qui, contre toute attente, les initie à l’art de déguster le whisky. La visite d’une distillerie fait naître chez Robbie une fascination pour le sujet et, alors qu’une vente historique s’annonce dans le milieu (un fût estimé en millions), le jeune père de famille au passé violent élabore un plan pour faucher un peu du précieux nectar. Avec ses airs de franche comédie et ses délectables joutes verbales (« Si on met des costards, on aura l’air d’aller au tribunal »), La Part des anges témoigne d’un irrésistible optimisme qui lui permet de distiller une lourde charge morale et politique – inégalités sociales, jeunesse sacrifiée, violence comme seule issue. Ou comment faire passer l’eau-de-vie en l’enrobant dans une douceur sucrée. À la vôtre. ♦

3 questions à

Ken Loach Le film est interdit aux moins de 15 ans en Grande-Bretagne. Pourquoi ? À cause du langage, alors que c’est celui qu’on entend dans n’importe quelle cour d’école. Cela reflète bien l’étrange moralité de la classe moyenne britannique, qui accepte la violence d’État, la violence policière, mais qui s’offusque pour un gros mot. Le film pose plusieurs questions morales… La principale est : comment tolérer un système qui produit une telle quantité de chômeurs et anéantit les chances de la jeunesse ? Il y a aussi l’écart disproportionné entre ceux qui n’ont rien et ceux qui peuvent dépenser un million de livres pour un fût de whisky. Le fait de voler un peu de whisky à un acheteur qui ne sait même pas ce qu’il achète n’est pas une faute morale : c’est une petite compensation envers les pauvres.

De Ken Loach Avec : Paul Brannigan, John Henshaw… Distribution : Le Pacte Durée : 1h41 Sor tie : 27 juin

Vos personnages sont presque toujours filmés comme faisant partie d’un groupe. Pourquoi ? Les films tendent à isoler les personnages, mais nous vivons en société, nous passons notre temps à interagir avec les autres. Le cinéma doit refléter cette complexité sociale.

2… Parce que Ken Loach, qui croit ferme que « les gens sont généreux par nature », prend le contrepied des films de crise dépressifs.

3… Pour la rencontre entre Robbie et l’une de ses anciennes victimes, prétexte à un discours sur la violence et ses lourdes conséquences.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’hilarante scène d’ouverture, où un ado beurré sur un quai se fait vertement engueuler par le chef de gare, par haut-parleur interposé.

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holy motors Les fantômes de Carax

La vie et le cinéma communient dans Holy Motors, porté par la performance transformiste de Denis Lavant. Une œuvre hybride et singulière qui signe le retour fracassant de LEOS CARAX. _Par Clémentine Gallot

Après le naufrage financier des Amants du Pont-Neuf, Leos Carax s’est heurté à l’impossibilité de ­produire quoi que ce soit ; de ces échecs, il a finalement fait un film. Celui-ci décline en onze saynètes la journée de Monsieur Oscar (Denis Lavant, chaque fois transfiguré), confiné dans l’habitacle d’une limousine conduite par Céline (Édith Scob, rajeunie) et endossant successivement les habits de différents personnages. L’un des plaisirs du film dérive de cette performance

multifacette de l’acteur, double du cinéaste, qui retrouve ici le personnage grotesque de Monsieur Merde, gnome nihiliste. La mission de Monsieur Oscar nous est résumée dans un bouleversant face-à-face entre Lavant et Michel Piccoli : « Je continue pour la beauté du geste », dit le premier au second, qui rétorque « La beauté est dans l’œil de celui qui regarde ». C’est évidemment Carax qui s’exprime ici, lui qui a si bien filmé les marges depuis les années 1980. Apparition fantomatique en pyjama, Carax se met en scène dans l’ouverture de ce film qu’il semble avoir rêvé. Holy Motors est l’occasion pour le cinéaste de Boy Meets Girl d’un tour d’horizon de sa filmographie ; et à travers la myriade de genres qui convoquent à chaque arrêt Abel Gance, Georges Franju ou Ridley Scott, l’œuvre se déploie aussi dans une exploration de la nature même du cinéma. C’est surtout un souffle vital qui traverse ce drame protéiforme :

l’air déchirant de Gérard Manset Revivre accompagne son lent crescendo émotif et résonne avant l’épilogue, son cœur battant. Émouvante rédemption pour Carax, surtout lorsqu’on découvre, dernier fantôme au générique, le beau visage pâle de sa compagne, l’actrice Katerina Golubeva, disparue il y a un an. ♦ De Leos Carax Avec : Denis Lavant, Edith Scob… Distribution : Les Films Du Losange Durée : 1h55 Sor tie : 4 juillet

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour Who Were We?, complainte écrite par Neil Hannon et chantée par Kylie Minogue, renversante, dans une Samaritaine désertée.

2… Pour le kidnapping par Merde, claudiquant, de la sculpturale Eva Mendes, entraînée dans une cave de force et en burqa.

3… Pour la sidérante inventivité visuelle du film : l’abstraction d’un corps à corps en motion capture, Paris filmé en vision nocturne…

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©Christian Berthelot

LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

CARTE BLANCHE Philippe Decouflé, Panorama

24 danses/seconde

It boy de la danse contemporaine depuis vingt-cinq ans, ancien chorégraphe du Crazy Horse, Philippe Decouflé occupe l’actualité parisienne pendant un mois. Un parcours en kaléidoscope placé sous les auspices du cinéma. Moteur. _Propos recueillis par Ève Beauvallet

Vous présentez de multiples facettes de votre travail ce mois-ci… Ma compagnie, DCA, s’occupe de danse, de cirque, mais travaille aussi beaucoup l’image. Je suis passionné de musique et de cinéma, c’est d’ailleurs cette passion qui m’a mené à la scène. La Villette m’a donné l’occasion de développer plusieurs ramifications de mon travail. Je présente donc Panorama, un spectacle rétrospectif constitué de pièces de jeunesse – histoire d’observer comment le vocabulaire a bougé en vingt-cinq ans –, mais aussi une exposition de ce qu’on appelle des « opticons », des sortes d’installations optiques proches des procédés cinématographiques, qui permettent de créer des effets magiques avec lesquels le spectateur est invité à jouer. Quant à la programmation proposée aux cinémas MK2, l’idée est de présenter des films qui m’inspirent comme Freaks ou Le Voyage dans la lune. Votre passion pour le cinéma trouve-t-elle ses racines chez Georges Méliès ? Indirectement, oui. Méliès était un enchanteur, un magicien qui utilisait tous les trucs du cinéma, mais 110

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mes deux grandes références sont plutôt Eadweard Muybridge et Étienne-Jules Marey. Je me suis beaucoup intéressé aux débuts du cinéma, à la magie liée à la découverte des images animées, à la chronophotographie, au thaumatrope, au praxinoscope et à toutes les techniques de décomposition du mouvement. Cette idée très simple d’animation d’une série d’images est liée au spectacle vivant. Avez-vous d’autres projets en matière de film de danse ? J’aimerais beaucoup réaliser une comédie musicale dans les deux ans. Il y a toujours cette idée qu’il y aurait d’une part des danses télévisuelles, vulgaires et populaires, et de l’autre des danses contemporaines intellos qu’on ne montre pas. Il faut créer les exceptions. Tous les week-ends jusqu’au 15 juillet

Carte blanche à Philippe Decouflé > MK2 Quai de Seine et MK2 Quai de Loire Retrouvez la programmation sur www.mk2.com « Decouflé à la Villet te ! – Panorama / “Opticon” / Solo », de Philippe Decouflé, du 6 juin au 15 juillet au parc de la Villette, www.villette.com


agenda _Par J.R.

Les jeudis, vendredis et samedis à partir de 19h

Le Camion Qui Fume > MK2 BIBLIOTHÈQUE

Chef Kristin installe son camion itinérant devant le parvis du cinéma et sert ses délicieux burgers et frites maison aux cinéphiles affamés. Jusqu’au 16 juin à 11h

Studio Philo spécial bac > MK2 BIBLIOTHÈQUE

© Capricci

Tous les outils des grands philosophes pour passer le bac, en six séances : Rousseau, Descartes, Freud, Spinoza, Kant et Hegel. www.studiophilo.fr

Le 18 juin à 20h30

Avant-première > MK2 BEAUBOURG

Sibérie de Joana Preiss. Avant-première en présence de la réalisatrice. Jusqu’au 23 juin

Travelling urbain – Carte blanche à l’École spéciale d’architecture MK2 QUAI DE SEINE ET QUAI DE LOIRE

Au programme, installations vidéo, exposition et programmation les samedis et dimanches en matinée de films choisis et présentés par les étudiants : Deep End, L’Atalante, Pina, Take Shelter. Le 25 juin à 20h

Avant-première > MK2 BIBLIOTHÈQUE

To Rome With Love de Woody Allen. Avant-première en présence de l’équipe du film, dont Woody Allen et Penélope Cruz.

Du 29 juin au 10 juillet

Festival Paris Cinéma > MK2 BIBLIOTHÈQUE

Pour son dixième anniversaire, entre la compétition internationale et les avantpremières (Carax, Dolan, entre autres), le festival met Hong Kong à l’honneur et rend hommage à Raoul Ruiz. www.pariscinema.org Les 7 et 8 juillet

Brocante du cinéma > MK2 BIBLIOTHÈQUE

Organisée sur le parvis dans le cadre du festival Paris Cinéma, on y chine affiches, photos, films ou caméras super-huit. www.mk2.com

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la chronique de dupuy & berberian

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Le carnet de Charlie Poppins

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