Trois Couleurs #57 – Novembre 2007

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CINÉMA I CULTURE I TECHNOLOGIE

NUMÉRO 57 I NOVEMBRE 07

CATE BLANCHETT EST

BOB DYLAN DANS I’M NOT THERE





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SOMMAIRE # 57 06_ 15_

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Tendances, Ciné fils, Regards croisés, Scène culte DOSSIER BOB DYLAN : Le jeu des 7 Dylan, Interview de Todd Haynes et de François Bon, I’m Not There… PLEIN ÉCRAN : Les Promesses de l’ombre de David Cronenberg 24 mesures de Jalil Lespert La Nuit nous appartient de James Gray LE GUIDE des sorties en salles

CULTURE 46_ 48_ 50_ 52_ 54_ 56_

DVD : Douglas Sirk, ou le mélo comme grand art LIVRES : Rencontre avec Patrick Modiano MUSIQUE : Le jazz-rock buissonnier de Robert Wyatt LES BONS PLANS DE ART : Ultralab™ au Jeu de Paume PAR Pierre-Olivier Deschamps

TECHNOLOGIE 58_ 60_ 62_ 64_ 66_

TRIBUNE LIBRE : La position de MK2 face au Méliès RÉSEAUX : Le marché trouble des noms de domaine JEUX VIDÉO : Noël : la stratégie des trois « grands » VOD : Serpico de Sidney Lumet SCIENCE-FICTION : ELSA, le drone anti-émeutes

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CINÉMA

ÉDITO Dans l’entretien qu’il nous accorde ce mois-ci, Patrick Modiano a cette formule étrange : « J’ai l’impression qu’il y a parfois comme des superpositions du passé, du présent et même du futur, et que cette surimpression des époques aboutit à une sorte de transparence intemporelle. » Il y a plus de trente ans, Bob Dylan, auquel nous rendons hommage à l’occasion du biopic I’m Not There, s’exprimait en des termes voisins : « Lorsque passé, présent et futur s’entrelacent, il y a très peu de choses qu’on ne soit capable d’anticiper. » Conjuguer les temps tout en soignant leur concordance, c’est ce qui nous anime depuis que nous avons changé de formule, en mars dernier. Puiser dans les figures de jadis celles qui continuent de faire sens aujourd’hui, en raconter la trajectoire et la spécificité, nous nous y attelons ce mois-ci plus jamais : Dylan et Modiano donc, mais aussi Robert Wyatt, Douglas Sirk, Robert Duvall... L’inverse est pour nous une nécessité tout aussi vitale. Repérer, dans le flot des sorties, celles qui préfigurent ce qui sera peut-être demain, nous nous y efforçons chaque mois, et ce numéro, d’Ultralab™ à Jalil Lespert ou Kate Nash, en est une nouvelle preuve. Trois couleurs, comme trois temporalités une à une accordées. _Auréliano TONET

ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA / 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS / 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION > Elisha KARMITZ I RÉDACTEUR EN CHEF > Elisha KARMITZ elisha.karmitz@mk2.com I DIRECTEUR DE LA RÉDACTION > Auréliano TONET aureliano.tonet@mk2.com / troiscouleurs@mk2.com LE GUIDE > Bertrand ROGER bertrand.roger@mk2.com I ÉVÈNEMENTS > Caroline LESEUR caroline.leseur@mk2.com I CINÉMA / DVD > Sandrine MARQUES sandrine.marques@mk2.com I LIVRES > Pascale DULON pascale.dulon@mk2.com I MUSIQUE > Auréliano TONET I INTERNET / HIGH-TECH > Étienne ROUILLON etienne.rouillon@mk2.com I ART > Florence VALENCOURT florence.valencourt@mk2.com I STAGIAIRE > Étienne ROUILLON I ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO : Thomas CROISY, Antonin DELIMAL, Baptiste DUROSIER, Maiä GABILY, Clémentine GALLOT, Erwan HIGUINEN, Florian JARNAC, Roland JHEAN, Rémy KOLPA KOPOUL, Raphaëlle LEYRIS, Joseph NABIH, Oscar PARENGO, Anne-Lou VICENTE, Christian VIVIANI I ILLUSTRATIONS > Laurent BLACHIER, Thomas DAPON, DUPUY-BERBERIAN, Fabrice GUENIER I COUVERTURE > © Jonathan WENK DIRECTRICE ARTISTIQUE ET MAQUETTE> Marion DOREL marion.dorel@mk2.com I IMPRESSION / PHOTOGRAVURE > ACTIS I PHOTOGRAPHIES > AGENCE VU’, DR DIRECTEUR DE LA PUBLICITÉ > Marc LUSTIGMAN / 01 44 67 68 00 marc.lustigman@mk2.com I RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA > Laure-Aphiba KANGHA / 01 44 67 30 13 laure-aphiba.kangha@mk2.com CHEF DE PUBLICITÉ > Solal MICENMACHER / 01 44 67 32 60 solal.micenmacher@mk2.com © 2007 TROIS COULEURS// issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Tirage : 200 000 exemplaires // Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique.


Nash de guerre

Kate Nash, 20 ans, se voulait comédienne. La voilà chanteuse pop, star controversée dès son premier album, qui sort ces jours-ci. Rencontre avec un fort caractère. Il est des chanteuses qui tombent dans la musique par accident. C’est le cas de Kate Nash. Il y a quatre ans, elle chute d’un escalier, se fracture la jambe, et compose ses «premières bonnes chansons» pendant les longues semaines de convalescence. Jusque-là, rien que de très banal. Ascendances irlandaises, enfance morne dans une banlieue « pourrie » de Londres, vocation de comédienne qui tourne court. Elle sèche les cours, puis les frites dans un fast-food lambda qui la «sous-paye». Alors survient l’heureux accident, et tout s’enchaîne : la découverte de son modèle, la diva pop Regina Spektor, les chansons au piano, à la guitare, le désir enfin réalisé de « raconter des histoires », de se « connecter avec les gens ». La connexion est bonne, le buzz MySpace prend, si bien que 2007 en Angleterre est l’année Kate Nash, numéros 1 et controverses à la clé. Prince l’adoube, sa sœur d’armes Lily Allen la défend face à des gangsta-rappeurs anonymes, qui moquent sur le Net son langage peu correct, son british accent assumé, son anti-machisme farouche. Des attaques qui ne la touchent guère : «J’ai appelé mon premier album Made Of Bricks, car les briques, c’est solide. » Solide, comme ses chansons joliment construites, et comme sa trajectoire, appelée à durer.

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TENDANCES

CALÉ

DÉCALÉ

RECALÉ

Le divorce

Le remariage

Le mariage

Radiohead largue l’industrie du disque, Ségo et Cécilia font le ménage, DSK se casse, tandis qu’un biopic disloqué célèbre le plus grand interrupteur de l’histoire du rock (Bob Dylan) : la rupture fracasse tout sur son passage.

Après les Stooges ou Police, Led Zeppelin vient d’annoncer sa reformation. Autre grand couple des seventies, Robert De Niro et Martin Scorsese envisagent de collaborer à nouveau. Ah les joies fécondes des secondes noces !

Sale temps sur les mariés : le pacs gagne du terrain (+ 28 % en 2006), les frères Farrelly racontent une union désastreuse dans Les Femmes de ses rêves, et George Clooney himself, célibataire idéal, songerait à épouser une ex-serveuse. What else ?!

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Sous influence

Dépendant, le cinéma se pique de héros junkies à la recherche de l’extase. Mais le défoulement narcotique réserve sa part d’enfer. Emblème de la contre-culture ou condition de la création artistique, la drogue est à l’origine de films stupéfiants. L’héroïne de Smiley Face hallucine. D’ailleurs, elle ne fait plus que cela, après l’ingestion de gâteaux trafiqués, confectionnés par son colocataire. Tout au long de son inénarrable trip, elle multiplie les catastrophes. Dans le même registre cataclysmique, les substances s’invitent par mégarde à un enterrement dans Joyeuses Funérailles. En matière de débordements non contrôlés, Las Vegas Parano n’est pas en reste. Saccage de chambres d’hôtel et détournement de mineur accompagnent le road trip d’un journaliste et de son avocat. Époque bénie pour les junkies, les années 1970 ouvrent grand les portes de la perception. Dans Performance, Mick Jagger initie un gangster en cavale au LSD et à l’amour à plusieurs. De même, un jeune critique musical fait un apprentissage très « sexe, drogue et rock and roll » dans Presque célèbre. L’aura de la beat generation plane sur des productions déphasées. Le Festin nu plonge dans les affres de la création. Le film est adapté d’un livre de Burroughs, apôtre de la défonce qui apparaît dans Drugstore Cowboy. Des paradis artificiels à l'abîme, il n’y a qu’un pas. Les personnages de Requiem For A Dream et de Trainspotting le savent, qui traversent une saison en enfer. L’amour est également sur les rails. La dope unit puis divise les couples de Panique à Needle Park, Scarface, Les Affranchis et L’Homme au bras d’or. Dès lors, il faut choisir : frôler la mort par overdose (Pulp Fiction) ou se désintoxiquer des substances (Clean) comme du mal (The Addiction). Accro, le cinéma ? Sur toute la ligne.

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CINÉ FILS

La bande originale

LA FRANCE (Third Side Records) Si La France de Serge Bozon est si beau, sa B.O. y est pour beaucoup. Jeu sur les lieux et les temps, suite de déplacements et d’anachronismes subtils, le score du film est constitué à parts égales de perles sixties, piochées par l’érudit cinéaste dans sa collection de rock garage anglais, et de chansons originales, dans tous les sens du terme. En partie composées par l’excellent Fugu, interprétées par les acteurs avec des instruments du début du XXème siècle, ces vignettes faussement naïves mêlent avec bonheur psychédélisme et chronique chantée de la Première Guerre Mondiale, décor de ce film tranchant.

Le ciné livre

JEANPHILIPPE TESSÉ « Le Burlesque » Cahiers du Cinéma

Sous-genre fécond de la comédie, le burlesque naît en même temps que le cinéma. Fondé sur un comique d’essence gestuelle, il trouve dans le muet un support propice à son expansion, de Lloyd à Chaplin ou Keaton. Avec le parlant, le burlesque se réinvente en une farandole de voix et de corps hasardeux, voire aberrants : à leur manière, Tati, Sellers ou De Funès sapent les fondements rationnels de nos sociétés. Un éloge du désastre à la fois concis et complet, joliment grimé, par l’un des critiques de cinéma les plus ravageurs apparus ces dernières années.


TRAIT LIBRE Troisième volet d'une série de six caricatures, TROISCOULEURS a demandé à l'illustrateur Laurent Blachier de croquer le réalisateur Francis Ford Coppola, dont le nouveau film L'Homme sans âge sort le 14 novembre dans les salles. www.laurentblachier.com


REGARDS CROISÉS

Duvall vs Eastwood

C

lint Eastwood ne se contente pas d’aborder les différents genres du cinéma : il explore les symptômes de la civilisation américaine. De road movies en drames, de thrillers en westerns, Robert Duvall a lui aussi incarné toutes les facettes de l’Amérique. Longtemps cantonné aux seconds rôles, ce fils d’amiral a été révélé par Coppola dans Les Gens de la pluie, avant d’intégrer la saga des Parrain. Profondément attaché à son pays comme Duvall, Eastwood en dessine pourtant un portrait sans concession (Les Pleins Pouvoirs, Minuit dans le jardin du bien et du mal). Méfiant à l’égard des institutions, la série des Inspecteur Harry, où il campe un policier violent, lui a valu à tort d’être taxé de fasciste. Duvall n’a pas hésité, lui non plus, à jouer des personnages équivoques : dans Apocalypse Now, il est le capitaine Kilgore, un fou de guerre, drogué au napalm. Mais en passant à la réalisation, ces acteurs aussi virils que subtils ont levé les dernières ambiguïtés. Modeste auteur de quatre films, contre une trentaine pour Eastwood, Duvall s’est intéressé à la minorité tzigane de New York dans Angelo My Love, avant de réaliser Le Prédicateur, une œuvre sur la rédemption, thème qui obsède Eastwood. Imprégnés par l’americana et les mythes fondateurs, les deux hommes ont pour horizon commun le western. Duvall incarne un cowboy old school dans Open Range tandis qu’Eastwood, « l’homme des hautes plaines », réalise avec Impitoyable un néo-western définitif. Visages burinés, corps chargés d’histoire, Eastwood et Duvall révèlent leur tempérament artistique à travers le jazz (Bird) ou le tango (Assassination Tango). Leur présence se fait alors aérienne et intemporelle, comme le mythe qu’ils ont construit, après quarante ans d’une carrière exceptionnelle.

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Illustration_© Fabrice GUENIER

Actuellement à l’affiche de La Nuit nous appartient de James Gray, Robert Duvall rivalise de charisme avec Clint Eastwood. Appartenant à la même génération, ces acteursréalisateurs arpentent une histoire de l’Amérique de film en film.



SCÈNE CULTE Blade Runner

Humain, après tout LA PETITE HISTOIRE : Blade Runner sort en 1982, en pleine « Star Wars mania ». Adapté du livre Les Androïdes ne rêvent pas de moutons électriques de Philip K. Dick, l’écrivain n’en vit, ébloui, qu’une pré-version de 40 minutes, peu de temps avant sa mort. Pas moins de six montages de cette œuvre crépusculaire existent, dont un director’s cut datant de 1992. Au gré des versions, les spéculations concernant le personnage interprété par Harrison Ford allèrent bon train. Deckard, le redoutable tueur d’humanoïdes, était-il lui-même un réplicant ? Ridley Scott finit par étayer cette hypothèse, ce qui déclencha les foudres de son acteur principal, avisé du contraire.

LE PITCH : Los Angeles, 2019. Des androïdes se mettent à ressentir des émotions. Mais leur durée de vie est limitée. Ainsi les a programmés leur créateur. Quatre d’entre eux décident de se venger de leur concepteur et de sa compagnie. Deckard, un « blade runner », est chargé par celle-ci de les éliminer. Dans un face-à-face qui l’oppose à Nexus 6, le leader des réplicants, Deckard prend conscience de la profonde humanité qui habite son adversaire.

NEXUS 6 : Excite-toi un peu. Je vais devoir te tuer. À moins d’être en vie, tu ne peux pas jouer. Et si tu ne joues pas… Tu vas au ciel ou tu vas en enfer ? [Deckard saisit une barre de métal et frappe Nexus 6.]

[Deckard escalade la rambarde et arrive sur le faîte de la bâtisse. Nexus l’y retrouve. Tentant d’échapper à son assaillant, Deckard saute du toit mais se manque. Il est suspendu dans le vide.] NEXUS 6 : Drôle d’expérience, vivre dans la peur. C’est ça, être un esclave. [Deckard lâche prise. Au moment où il tombe, Nexus 6 le rattrape par le bras et le sauve.] NEXUS 6 : J’ai vu des choses que vous autres ne croiriez pas. Des vaisseaux en flammes sur le Baudrier d’Orion. J’ai vu des rayons cosmiques scintiller près de la porte de Tannhäuser. Tous ces instants seront perdus…dans le temps…comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir…

NEXUS 6 : Tu vas en enfer ! À la bonne heure ! [Nexus 6 s’éteint.] [Deckard s’échappe par la façade de l’immeuble, où Nexus 6 le rejoint.]

NEXUS 6 : Ça fait mal. C’était absurde de ta part. Et en plus, peu sportif. Où vas-tu donc ? Blade Runner de Ridley Scott (1982, DVD diponible chez Warner Home Vidéo)

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Pages 06 à 12 réalisées par S.M. et Au.To.




DYLAN,

ES-TU LÀ ? Variation sur un des plus grands mythes de la musique américaine, I’m Not There, le biopic de Todd Haynes sur la vie et l’œuvre de Bob Dylan, est aussi une proposition cinématographique diablement osée. Éclatant les codes de la biographie à l’écran, jeu sur le vrai et le faux, le film raconte Dylan en sept personnages et autant de facettes, tantôt véridiques, tantôt fantasmées, mais toujours justes. Comme la poésie de son modèle, I’m Not There en déroutera certains, en enchantera d’autres. Tentative de décryptage d’une passionnante énigme.

_Dossier réalisé par Joseph NABIH et Auréliano TONET

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LE JEU DES 7 DYLAN HOBO DYLAN

Arrosant volontiers son mythe d’épaisses louches de mythomanie, Dylan a beaucoup menti sur ses origines, ou disons les a beaucoup fantasmées. Son projet, très tôt, était de faire remonter toute la mythologie américaine à la surface, des héros de Steinbeck aux résistants des folksongs de Woody Guthrie, des «grands hommes » de James Agee aux têtes brûlées de la beat generation. À force d’en épouser les attitudes, Dylan s’est mis non pas à chanter les minorités mais à devenir toutes les minorités à la fois – au regret de ne pas être un Noir, un mineur en grève du Kentucky, une femme. Hobo traversant l’Amérique sur des wagons de marchandise, il apprend les rudiments du blues en accompagnant des musiciens noirs, puis devient au cours de ses années de formation new-yorkaises, dans le Greenwich Village, l’héritier incontesté, mais viscéralement contestataire, de Woody Guthrie. Disques : Bob Dylan (1962), The Freewheelin’ Bob Dylan (1963) Personnage dans I’m Not There : l’adolescent WOODY, interprété par MARCUS CARL FRANKLIN

BORN AGAIN DYLAN Il y a une mystique Dylan : tour à tour prophète protestataire, poète visionnaire, icône pop ou évangéliste prosélyte, Bobby est un multi-ressuscité. Né Robert Zimmerman, juif longtemps athée, il devient à l’orée des sixties l’idole des activistes de gauche, avec sa compagne d’alors Joan Baez. Mais quand il déboule en 1965 escorté d’un groupe de rock, électrifiant une musique jusqu’alors purement acoustique, le Zarathoustra folk prend tout le monde à contre-pied : Dylan, c’est Judas, comme le crie une partie de son public. Ce n’est qu’en 1978 que Dylan se lavera de ses péchés. Essoré par une rupture avec sa compagne de dix ans, il erre dans New York jusqu’au jour où il dit avoir vu entrer Jésus dans sa chambre. Il fait sa conversion au christianisme, s’intéresse de près au gospel, se dit « sauvé ». Si cette phase « born again » ne dure que trois ans, on peut encore entendre des accents mystiques et crépusculaires dans des disques ultérieurs, hantés par la mort (Time Out Of Mind). Disque : The Times They Are A-Changin’ (1964), Slow Train Coming (1979) Personnages dans I’m Not There : le chanteur folk JACK et le pasteur JOHN, tous deux interprétés par CHRISTIAN BALE

RIMBAUD DYLAN Son sens de la formule, tout en ellipses et en assonances, a transformé en profondeur l’écriture de John Lennon ou de Mick Jagger, pour ne citer que ses contemporains. Amalgame de Dylan Thomas, de William Blake, de Jack Kerouac, d’Allen Ginsberg et de Rimbaud le traîne-savate, Bob Dylan est le premier chanteur folk à revendiquer, dès son patronyme, le statut de poète, quelque peu usé en 1962. Il s’agit pour lui de vivre la folk music puis la pop music comme la dernière aventure poétique possible, l’absolue rébellion. Pratiquement, il s’agit aussi de remplacer les paroles directes, descriptives, du folk et de la country par des allégories, des symboles. Depuis quarante-cinq ans, les dylanophiles se penchent sur les textes cryptés de leur héros. Souvent ils tombent. Disques : Bringing It All Back Home (1965), Highway 61 Revisited (1965) Personnage dans I’m Not There : le poète ARTHUR, interprété par BEN WHISHAW 16 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07


I’M NOT

THERE POP DYLAN Troquant la casquette militante et les vêtements de gros velours des années folk, Dylan surgit en 1965 en Beatles boots, veste de cuir et pantalon noir serrés. Des lunettes sombres couvrent en toute circonstance des yeux qui ne veulent plus voir la réalité. Il est une rock-star au sens Warhol du terme, fréquente Edie Sedgwick, l’égérie de la Factory, prend beaucoup de drogues (Like A Rolling Stone, très stone), fait découvrir la marijuana aux Beatles et, cerise sur le champignon, crée une musique hallucinante. Le Dylan prolétaire fait place à un Dylan arrogant, électrique et flamboyant, plus sec que maigre. Jamais très loin du pétage de plomb, le virage est pris, à toute vitesse. Une période sous speed, qui s’achève sur un accident de moto (une Triumph 500), le 30 juillet 1966. Disque : Bonde On Blonde (1966) Personnage dans I’m Not There : la pop-star JUDE, interprété par CATE BLANCHETT

DYLAN IS DYLAN Dylan, acteur? Oui, mais de lui-même. Nul mieux que Dylan n’a joué d’autant d’ironie avec sa propre statue. Jusqu’à jouer avec les mots : on le dit interprète d’une génération, il prend le compliment au mot et grime à souhait son personnage. Avec ce que la fonction charrie de paranoïa, caprices de diva, narcissisme (son vieux rêve d’être James Dean) et coups de génie – son film de 4 heures Renaldo & Clara où il apparaît maquillé comme un clown triste. En jouant l’époque avec cynisme, par incapacité à pouvoir désormais la vivre, Dylan va irriter (beaucoup), fatiguer (un peu) et s’adonner à des jeux dangereux, avec les drogues, avec son propre miroir, avec les femmes surtout, n’ayant jamais pu choisir entre la fidélité et la collection. Ce qui ne l’a pas empêché d’ouvrir le champ à une forme de pop travaillant la distanciation. Bowie ou Costello s’en souviendront longtemps. Disque : Self Portrait (1970), Blood On The Tracks (1975) Personnage dans I’m Not There : le comédien ROBBIE, interprété par HEATH LEDGE

BOBBY LE KID Remis tant bien que mal de l’accident de moto, balayant les rumeurs insistantes sur sa mort, Dylan a néanmoins laissé une part de lui-même sur le carreau. Il revient après une disparition d’un mois, détaché de l’agitation new-yorkaise, et vit dans une maison à la campagne sur les hauts de Woodstock, où il rêve de l’Amérique des origines, celle d’Hank Williams et de Faulkner. Même dans son exil, il s’avère précurseur : le retour à la terre comme refuge hippie, il est le premier à le mettre en scène en enregistrant à Nashville. Il tourne en 1972 dans un western de Sam Peckinpah, Pat Garrett & Billy The Kid. Pressenti un moment pour être Billy, ce rôle de justicier qu’il a déjà incarné tellement de fois sur disque, il héritera finalement du rôle secondaire du conteur, effacé derrière la légende. Il l’a tellement mauvaise qu’il ne fera plus de cinéma avant une éternité. Disques : The Basement Tapes (1967), Nashville Skyline (1968), Pat Garrett & Billy The Kid (1972) Personnage dans I’m Not There : le hors-la-loi BILLY, interprété par RICHARD GERE

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LE FILM I’M NOT

THERE D

ans la vie, Bob Dylan ne s’appelle pas Bob Dylan mais Robert Zimmerman. Bob est le diminutif de son prénom, Robert, et Dylan vient d’un autre prénom, celui du poète Dylan Thomas. Bob Dylan ne s’appelle pas Bob Dylan non plus dans I’m Not There, le biopic que lui consacre Todd Haynes. Il s’appelle tour à tour Arthur comme Rimbaud quand il est poète, Woody comme Guthrie quand il est un vagabond noir, Jack quand il joue au troubadour folk, Robbie quand il devient acteur (de lui-même), John quand il se fait pasteur, Billy le Kid quand il revient en Robin des Bois country & western. Et puis Jude, quand il est une créature androgyne des années Warhol. Haynes a demandé à six acteurs différents d’être tous un peu comme Bob Dylan, pour ne pas être juste comme Bob Dylan. Parmi ces six, un acteur noir (Marcus Carl Franklin) et une actrice (Cate Blanchett, époustouflante). Les biopics ont un défaut majeur : ils trahissent toujours un peu. Ici, c’est le genre biographique lui-même qui est trahi. À la supposée vérité révélée, Haynes a préféré le fantasme. Avec lui, on ne trahit que le quotidien le plus banal et Bob Dylan, qui est juste la plus grande voix de l’Amérique contestataire depuis quarante-cinq ans, mérite une statue autrement plus grande qu’une banale biographie. Voilà qui est fait. Ici, le nom de Bob Dylan n’est donc jamais prononcé, mais sa vie est rejouée – même si Haynes a volontiers mélangé les cartes et inventé des personnages, dont celui de l’épouse jouée par Charlotte Gainsbourg. Plus troublant, le réalisateur a choisi de filmer à l’identique des scènes connues du parcours dylanien (nombre de ces archives originales sont visibles sur No Direction Home, le dvd fabuleux monté par Martin Scorsese). Au son, le principe est lui aussi décliné : les morceaux interprétés par Dylan côtoient sans distinction des reprises contemporaines de ses titres. Parmi elles, des choses très réussies comme ces versions de Stephen Malkmus, Calexico ou Sonic Youth. Cela fait vingt ans que Todd Haynes reprend en se les appropriant les formes de la culture pop (Superstar, son film sur les Carpenters joués par des marionnettes), du glam rock (Velvet Goldmine) ou les archétypes du mélodrame façon Douglas Sirk (Loin du paradis). Dans I’m Not There, il zigzague où il veut dans la bio du chanteur, et se ballade aussi dans l’imaginaire cinéphile – merveilleuse séquence où il opère la collision entre le 8 1/2 de Fellini et la Factory d’Andy Warhol. Entremêlant hypothèses rêvées et citations véridiques, en équilibre constant sur la ligne qui sépare le vrai du faux, Haynes filme Dylan comme un musicien enregistre un disque de reprises. Lesquelles, on le sait, ne sont belles que quand elles sont irrespectueuses.

« LES BIOPICS TRAHISSENT TOUJOURS UN PEU. ICI, C’EST LE GENRE BIOGRAPHIQUE LUI-MÊME QUI EST TRAHI. »

_Joseph NABIH

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Un film de Todd HAYNES + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

Avec Cate Blanchett, Christian Bale, Richard Gere, Charlotte Gainsbourg…+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

Diaphana Films // États-Unis, 2007, 2h15 + + + + + + + + + +++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

Mostra de Venise 2007 - Sélection officielle + + + + ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

SORTIE LE 05 DÉCEMBRE 2007+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

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VOYAGES AU BOUT DE LA DYLANIE Todd Haynes, 46 ans, cinéaste. François Bon, 54 ans, écrivain. Le premier, avec I’m Not There, raconte Dylan en un long poème filmique, plus ou moins rêvé. Le second, avec Bob Dylan, une biographie (Albin Michel), trace, à partir de faits véridiques, un récit captivant, porté par une écriture enlevée. Dialogue à distance entre deux dylanophiles. Beaucoup de livres et de films ont été consacrés à la vie de Bob Dylan. Pourquoi faire une biographie de Dylan en 2007 ? T.H._Je suis réalisateur, et il n’y avait jamais eu de film de fiction sur lui jusqu’ici. J’ai encore du mal à croire que nous ayons eu la permission de Dylan d’utiliser tout son catalogue pour la B.O., mais aussi de réaliser ce film de la manière la plus libre qu’il soit, de pouvoir parler de lui en des termes parfois négatifs. C’est peut-être parce que notre film refusait l’hagiographie idolâtre qu’il a dit oui. F.B._La spécificité même de Bob Dylan : une explosion d’échelle mondiale qui catalyse sur un gamin de 23 ans, cassure et reconstruction, musiques populaires et culture contemporaine la plus pointue. Enfin, après la publication de ses Chroniques, qui sont un nouveau masque d’autofiction qu’il fallait bien décortiquer, c’est lui-même qui oblige à recommencer le travail des biographes ! Le genre biographique, en littérature comme en cinéma, est assez mésestimé. Il est souvent regardé comme un témoignage à valeur historique ou didactique, plus que comme une œuvre d’art à proprement parler. Comment dépasser les limites du genre ? T.H._De manière ironique, le biopic le plus radical à avoir été réalisé est l’un des premiers : Citizen Kane. Depuis, des conventions sont apparues. Ces régularités ont fini par me lasser : sur pellicule, les vies de personnes aussi uniques que Johnny Cash ou Ray Charles se trouvent racontées exactement de la même manière ! Ce que nous offrent la plupart des biopics, ce sont des performances d’acteurs extraordinaires, qui nous font oublier leur forme conventionnelle. J’aime la lourdeur opératique de Nixon ; pour une fois, la forme épouse le fond. I’m Not There essaie d’en faire de même. Chaque segment, chaque Dylan du film possède un langage 20 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07

visuel qui lui est propre. Par exemple, pour le personnage de Cate Blanchett, j’ai choisi un noir et blanc inspiré de 81/2 de Fellini, un film baroque sur un réalisateur aliéné par sa propre célébrité, qui trouve refuge dans une poésie étrange et distordue, à mille lieues de ses premiers films réalistes. Exactement ce que Dylan vivait en 1966 ! F.B._Ce qui me mettait en rage, dans les biographies existantes, c’est comment on zappe sur les instants qui nous concernent le plus. On ne sait presque rien de l’année 1962, et alors ? Un gamin de 19 ans, au bout de sa première année de fac, se retrouve à chanter des chansons de cow-boy dans un bistrot faux western : estce qu’on ne peut pas savoir mieux ce qui se passe dans sa tête ? Pour moi, c’est la fibre la plus vivante : sculpter un portrait d’homme, pas en rapportant et synthétisant la documentation, mais en venant au plus près de ce qui nous concerne tous, comment on invente, comment on se dépasse, ce qui reste d’inconnu pour soi-même à cet instant-là. Dylan est un être de mots et de poésie. Mais c’est aussi une icône, un acteur, dont la vie a été largement photographiée et filmée. Du texte ou de l’image, quel medium est le plus stimulant pour rendre compte de sa trajectoire ? T.H._Que ce soit en musique ou en cinéma, c’est une erreur de trop se concentrer sur les mots. Ces formes artistiques doivent s’apprécier de manière intuitive et sensible ; l’émotion doit supplanter l’intellect. Comme l’a dit John Lennon, même avec quelqu’un d’aussi verbal que Dylan, il n’est pas nécessaire de comprendre ce qu’il dit pour savoir ce qu’il dit. Dylan incarne physiquement ses paroles ; il est au-delà de l’intelligible. Dans I’m Not There, toutes les petites références que les


fans de Dylan reconnaîtront ne sont pas importantes. Ce film est d’abord un voyage onirique. Le spectateur doit se laisser aller sans avoir peur de ne pas tout comprendre. F.B._Paradoxalement, si on compare aux Stones par exemple, il y a peu d’images de Dylan. Il apprend dès 1965 à séparer résolument vie privée et vie publique. Or ce sont ces moments qui nous importent, les temps de latence, les heures à voyager, les moments où on cherche. Rien de plus important que les Basement Tapes, et qu’est-ce qu’on a comme photo, pour ces quatre mois ? Celle de la pochette du disque. Hérodote appelait ses

toute identité est une construction. L’idée que l’Amérique s’est inventée par elle-même, Dylan a réussi à l’incarner. Mais cela ne signifie pas qu’au cours de ses différentes périodes, il n’y ait pas de constantes. Dylan est toujours cet être audacieux, cet étrange télégraphe humain qui s’épanouit dans le renouvellement et l’extension des traditions musicales de son pays. F.B._Dylan, c’est un peu l’équivalent de Louis-Ferdinand Céline en musique. On ne peut pas être artiste à ce niveaulà sans un considérable travail sur le monstre à l’intérieur de soi. Le réveiller, le faire sortir, et ne pas s’en faire

« DYLAN EST PLUS ÉNIGMATIQUE À LUI TOUT SEUL QUE LES SEPT ROLLING STONES RÉUNIS.» écrits « enquête ». Ici, l’enquête nous donne le nom du chien (Hamlet), nous apprend que Dylan remplace son break Ford par un camion Gruman d’occasion, et que c’est lui qui fait le café quand il arrive aux répets. Alors oui, faire exister tout ça avec le texte, ça reste la vieille magie de l’écriture. I’m Not There découpe Dylan en sept personnages différents. Dans sa vie, l’hétérogénéité prend-elle le pas sur la continuité ? Dylan est-il plus «un» que «plusieurs»? T.H._Dylan a développé une résistance à toute forme d’enfermement. Dès qu’il semble être quelque part, il est déjà ailleurs. Il y a quelque chose d’enfantin à cela : « Ne me dis pas où je suis, car je n’y suis pas. » D’où son attrait pour le Rimbaud de « je est un autre », cette idée que

manger. Dylan y arrive en séparant plusieurs facettes. Cela dit, je suis plutôt interloqué par les permanences : la façon dont par exemple l’idée du « chanteur » (de Frank Sinatra à Johnny Cash) reste pour lui une identité par dessus toutes les autres. D’autre part, la poésie : avoir appris très tôt que la force d’un texte n’est pas d’énoncer directement un sens, mais rester ouvert. Lui, il découvre ça chez Bertolt Brecht : c’est l’époque qui se lit à travers nos chansons, dit-il, et pas l’inverse. Dylan est sans doute plus énigmatique à lui tout seul que les sept Rolling Stones réunis : parce que corps unique pour la même masse de contradiction et d’excès. C’est une nuit, Dylan. _Propos recueillis par Au.To. Retrouvez l’interview complète en texte et en vidéo sur mk2.com

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PLEIN ÉCRAN Les Promesses de l’ombre_David CRONENBERG

EN 3 MUTATIONS

DAVID CRONENBERG Jeff Goldblum devient une créature hybride, mi-homme, mi-insecte, dans La Mouche. James Woods se métamorphose en homme-magnétoscope dans Videodrome. Jude Law se transforme en console de jeu, via un cordon fiché dans le bas de son dos, dans eXistenZ.

La mémoire tatou Dans l’atmosphère pluvieuse de Londres, David Cronenberg installe une histoire de famille violente et organique. Situé au cœur de la mafia russe, le dernier film du réalisateur canadien tient les promesses de son titre. e tatouage semble superficiel mais il est indélébile, comme la mémoire. Dans le milieu codé des mafieux russes, ces marques servent de passeport. La biographie s’écrit à même la peau, révèle les origines, signe une mutation équivoque. Dans Les Promesses de l’ombre, David Cronenberg poursuit ses obsessions identitaires, à travers une double énigme scripturale. Qui est Nikolaï, «chauffeur» au service d’une dangereuse organisation et dont le corps tatoué porte les stigmates d’une existence criminelle ? Quel terrible secret recèle le journal intime d’une adolescente russe morte en couches? Anna (Naomi Watts), la sage-femme, va tenter de le décrypter. Menant l’enquête, elle pénètre dans les arcanes d’un monde délétère qui finit par menacer ses proches. Récit d’une famille en danger, cherchant à se préserver, Les Promesses de l’ombre s’inscrit dans la lignée de A History Of Violence, où l’on retrouvait déjà l’excellent Viggo Mortensen. Face à lui, Vincent Cassel campe avec talent un héritier déchu, à l’identité sexuelle trouble. Le plus souvent auto-engendrés (Videodrome, Chromosome 3), les héros de Cronenberg se trouvent ici une double appartenance, réelle et symbolique : il y a la famille que l’on se choisit et celle qu’il faut abjurer pour passer à un état autre. Nucléaire ou existant le temps d’un plan posé comme une hypothèse magnifique, la fratrie est une entité mutante. Magistralement réalisé, le film atteint son acmé dans une scène de bains turcs ultraviolente. Expérience dermique, Les Promesses de l’ombre se propage dans une zone enfouie, à la manière d’un virus inoculé sous-cutané.

L

_Sandrine MARQUES

Un film de David CRONENBERG Avec Naomi Watts, Viggo Mortensen, Vincent Cassel… Distribution : Metropolitan FilmExport // États-Unis - Grande-Bretagne, 2007,1h40

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SORTIE LE 07 NOVEMBRE

EN 3 RÉPLIQUES

ée

DAVID CRONENBERG « Long live the new flesh ! » (« Longue vie à la nouvelle chair ! ») (Videodrome) « Exterminez toute pensée rationnelle. » (Le Festin nu) « Il devrait y avoir des concours de beauté des organes internes. » (Faux-Semblants)

3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM Pour l’impressionnante scène d’initiation 01 où Nikolaï entre dans la « famille », en renonçant à la sienne. 02 Pour les tatouages qui représentent un langage à part entière dans le « milieu ». 03 Pour ses personnages charismatiques, caractérisés par une forte dualité.

COULISSES Les Promesses de l’ombre prolonge la collaboration de David Cronenberg avec l’acteur new-yorkais Viggo Mortensen, débarrassé de son rôle de chevalier hirsute du Seigneur des anneaux. Exploitant son aspect lisse, il en avait fait l’agent d’une révélation cathartique dans A History Of Violence en 2005. Cette fois, tatoué des pieds à la tête et finalement supplicié, le personnage de Nikolaï est littéralement un corps intermédiaire entre plusieurs espaces du film. Les Promesses de l’ombre est aussi le premier film du cinéaste tourné entièrement hors du Canada. Natif de Toronto, Cronenberg a en effet travaillé uniquement chez lui depuis les années 1970, où il a débuté à la télévision avant de tourner des séries B gores, devenues cultes (Scanners, Videodrome, Faux-Semblants). Contrairement à Woody Allen, qui a décidé de ne plus filmer qu’en Europe (Angleterre, Espagne), Cronenberg n’est pas un exilé fiscal du cinéma. Le tournage à Londres (décor de Spider en 2002) s’est fait pour les besoins du scénario, le film étant une co-production de Focus Features et de la BBC. Le scénariste, l’Anglais Steven Knight, est aussi l’auteur du scénario de Dirty Pretty Things (2002), un autre thriller de classes au sein des communautés londoniennes. «Il comprend bien les sous-cultures, ce qui m’attire également», déclarait récemment Cronenberg. La diversité culturelle du script est rendue encore plus compliquée par un casting décalé et les problèmes d’accent que l’on imagine. C’est une actrice australienne (Naomi Watts) qui interprète une jeune Anglaise, les criminels russes sont joués quant à eux par un Américain (Viggo Mortensen), un Allemand (l’inquiétant Armin Mueller-Stahl en chef de la mafia) et un Français, Vincent Cassel dans un rôle d’héritier, bouffon capricieux et lascif. _Clémentine GALLOT

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PLEIN ÉCRAN 24 mesures_Jalil LESPERT

EN 3 DATES

JALIL LESPERT 1997_Accident au genou : il est exempté de service militaire. « Sans ça, je n’aurais jamais fait ce métier ! » 2002_« Mon mariage. » 2004_« La naissance de ma fille. »

Blues en mode m Jalil Lespert livre un premier film noir, brut et jazzy, dans lequel, magie de la gamme, les acteurs sont tous lumineux. Si personne ne sort indemne de cet étrange voyage au bout de la nuit, Lespert se révèle sous un jour nouveau : après l’acteur, le réalisateur.

C

onstruit, du propre aveu du réalisateur, comme un morceau de free-jazz et habité par la présence et la musique du grand Archie Shepp, 24 mesures, dans sa narration, alterne solos d’acteurs et chorus à un tempo soutenu, ménageant des ruptures de rythme surprenantes, avant un final des plus virtuoses… À la veille de Noël, l’espace d’une nuit, quatre solitudes se croisent. Il y a d’abord Helly (magistrale Lubna Azabal), une mère paumée qui essaie désespérément de voir son fils. Et puis Didier (Benoît Magimel), le chauffeur d’un taxi dans lequel elle monte presque par hasard – clin d’œil à Taxi Driver. Mais aussi Marie (Bérangère Allaux, une révélation), jeune fille à fleur de peau qu’elle rencontre de manière percutante. Ou encore Chris (subtil Sami Bouajila), le séduisant musicien de jazz dans les bras duquel elle finit par tomber. On l’aura compris, le personnage d’Helly sert de fil rouge ou plutôt de motif à cette partition de blues très maîtrisée. Ainsi, malgré sa structure éclatée, le film évite l’écueil du film choral, sorte de tarte à la crème du cinéma actuel. Et si l’on pense immédiatement à Alejandro Gonzáles Iñárritu (Amours chiennes, Babel), on devine que Jalil Lespert s’inscrit plutôt dans la filiation d’un John Cassavetes, époque Faces : même univers jazzy, même structure spatio-temporelle, même urgence dans cette manière de filmer les personnages au plus près, de les saisir dans la vérité de leurs traits. Jalil n’est pas encore John, mais il signe un premier film qui reste longtemps dans la tête, comme un morceau de musique original et obsédant. _Florence VALENCOURT

Un film de Jalil LESPERT Avec Lubna Azabal, Benoît Magimel, Sami Bouajila… Distribution : MK2 Diffusion // France, 2007, 1h30 Ouverture de la Semaine de la Critique, Mostra Internationale de Venise, 2007

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SORTIE LE 05 DÉCEMBRE

EN 3 FILMS

JALIL LESPERT Citizen Kane d’Orson Welles (1941) : « Pour moi, l’invention du cinéma. » Docteur Folamour de Stanley Kubrick (1964) : « La meilleure comédie, le meilleur metteur en scène. » Il était une fois en Amérique de Sergio Leone (1984) : « Parce que je pleure toujours à la fin. »

ajeur

3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM 01

Pour la composition bouleversante de la trop rare Lubna Azabal.

02

Pour la force brute qui émane de ce premier film.

03

Pour la présence d’un grand monsieur du jazz, Archie Shepp.

3 QUESTIONS À JALIL LESPERT Comment avez-vous abordé cette histoire, son écriture ? J’avais déjà les acteurs en tête, et je savais que je voulais faire un film sur l’intime. À partir de là, mon coscénariste Yann Apperry et moi, on a un peu fonctionné en écriture automatique. Tout pouvait arriver. Travailler avec un romancier donne d’emblée une plus grande liberté d’écriture, car il n’est pas bloqué par la faisabilité des plans. En fin de compte, on a progressé, improvisé, comme dans le free-jazz. En cela, on a plus écrit une partition qu’un scénario. Pourquoi avoir choisi 24 mesures comme titre ? Au début, je pensais que le blues se jouait en 24 mesures, c’était donc une forme de référence à cet univers. Archie Shepp m’a appris qu’en fait le blues se joue en 12… Mais comme 24 faisait aussi allusion aux «24 images par seconde» du cinéma et au 24 décembre – la nuit de l’intrigue –, j’ai décidé de garder ce titre ! Quels étaient vos défis pour votre premier film en tant que réalisateur ? Qu’en avez-vous retiré ? Comme c’est un film assez noir, le premier défi était de réussir à le faire produire. Heureusement, mes deux premiers courts-métrages avaient déjà retenu l’attention. Mais le vrai défi était le tournage. On avait quatre semaines et demie pour quatre personnages, trois régions et beaucoup de décors. Je me suis fait traiter de fou ! Cela dit, cette urgence collait bien à l’urgence même du film, on devait tout de suite trouver l’émotion juste, rester dans l’énergie. Quant à moi, ce film répondait avant tout à une envie débordante de cinéma, un besoin de faire. Ce n’est pas la démarche d’un acteur gâté. D’ailleurs, j’ai déjà commencé à écrire le prochain… _Propos recueillis par F.V.

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PLEIN ÉCRAN La Nuit nous appartient_James GRAY JAMES GRAY EN 3 Maximilian Schell incarne un père russe hiératique et autoritaire dans Little Odessa. FIGURES PATERNELLES James Caan campe un beau-père corrompu et dangereux dans The Yards. Robert Duvall interprète un patriarche intègre dans La Nuit nous appartient.

Pères obscurs Après Little Odessa et The Yards, James Gray revient aux affaires (de famille), au terme de sept années d’absence. La Nuit nous appartient – titre qui renvoie à la devise de la police new-yorkaise – est un polar éblouissant, mâtiné de tragédie grecque.

E

n trois longs-métrages magistraux, James Gray a déployé un style classique et brillant, au service de sa principale obsession : la filiation. Dévorés par les ombres, ses films s’articulent autour de personnages partagés entre code de la rue et devoir familial. La Nuit nous appartient renoue, de manière souveraine, avec ces deux pôles opposés. Sous leur influence, la quête identitaire se consume en marge du rêve américain. New York, au début des années 1980. Bobby (Joaquin Phoenix, déjà à l’affiche de The Yards) gère une boîte de nuit pour le compte de la mafia russe. Menant la grande vie au bras de sa somptueuse petite amie Amada (Eva Mendès), il s’étourdit dans les paradis artificiels et l’argent facile. Son mode de vie tranche radicalement avec ses origines. Fils et frère de deux membres de la brigade criminelle (Robert Duvall et Mark Wahlberg), il est aussi lié à son employeur, un patriarche russe qui l’a accueilli comme son propre enfant au sein de l’organisation. Le club devient la plaque tournante d’un trafic de drogue qui voit s’affronter deux forces concurrentes : les familles biologiques et adoptives de Bobby. Il va devoir faire un choix. Sur un sujet proche, Cronenberg a développé dans le récent Les Promesses de l’ombre une approche très organique ; amateur de tragédies grecques, Gray privilégie, lui, la question de la morale. Son film noir, servi par un casting haut de gamme, met en scène un dilemme où choisir son camp revient à choisir sa famille. Presque un paradoxe pour ce cinéaste aux allures de fils prodige, dont l’œuvre singulière est pour l’heure quasi orpheline dans le système hollywoodien. _S.M. Un film de James GRAY Avec Joaquin Phoenix, Mark Wahlberg, Robert Duvall… Distribution : Wild Bunch // États-Unis, 2006, 1h54 Sortie le 28 novembre

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3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM 01

Pour la magnifique scène de poursuite en voiture sous la pluie.

02 Pour le charismatique Robert Duvall, en père spirituel de l’acteur Joaquin Phoenix. 03 Pour la belle séquence d’ouverture dans la boîte, tellement eighties.




LE GUIDE

DES SALLES

DU MERCREDI 07 NOVEMBRE AU MARDI 10 DÉCEMBRE

My Blueberry Nights - Un film de Wong Kar-wai

SOMMAIRE SORTIES DU 07 NOVEMBRE 30_Dans la vallée d’Elah de Paul Haggis // Darling de Christine Carrière // Mon Meilleur Ennemi de Kevin Macdonald SORTIES DU 14 NOVEMBRE 32_Faut que ça danse ! de Noémie Lvovsky // La Vie intérieure de Martin Frost de Paul Auster // La Chambre des morts d’Alfred Lot 34_De l’autre côté de Fatih Akin // L’Homme sans âge de Francis Ford Coppola // American Gangster de Ridley Scott SORTIES DU 21 NOVEMBRE 35_Les Toits de Paris de Hiner Saleem // La France de Serge Bozon // Nous, les vivants de Roy Andersson 36_Ce soir je dors chez toi d’Olivier Baroux // Les Deux Mondes de Daniel Cohen // Souffle de Kim Ki-Duk // Lions et agneaux de Robert Redford SORTIES DU 28 NOVEMBRE 40_My Blueberry Nights de Wong Kar-wai //Ce que mes yeux ont vu – Le Mystère Watteau de Laurent de Bartillat // Paysages manufacturés de Jennifer Baichwal SORTIES DU 05 DÉCEMBRE 42_Lumière silencieuse de Carlos Reygadas 43_Cow-boy de Benoît Mariage // Rue Santa Fé de Carmen Castillo // Comme des voleurs (à l’est) de Lionel Baier LES ÉVÈNEMENTS MK2_44>45

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LE GUIDE_SORTIES DU 07 NOVEMBRE

DANS LA VALLÉE D’ELAH Un film de Paul HAGGIS Avec Tommy Lee Jones, Charlize Theron, Susan Sarandon… Distribution : Warner Bros. Pictures France // États-Unis, 2007, 2h00

Lauréat en 2005 de l’Oscar du meilleur scénario et du meilleur film pour Collision, le scénariste et réalisateur Paul Haggis présente Dans la vallée d’Elah, enquête sur les circonstances de l’assassinat d’un G.I. à Fort Benning en Géorgie. De retour d’Irak pour sa première permission, Mike Deerfield est signalé comme déserteur après avoir disparu mystérieusement. Ancien membre de la police militaire, son père Hank (Tommy Lee Jones) se lance à sa recherche. Avec l’aide d’Emily Sanders (Charlize Theron), officier de police de la juridiction du Nouveau-Mexique, État où le jeune homme est apparu pour la dernière fois, il se heurte bientôt au silence et à l’hostilité suspectes des autorités militaires. Rapidement, la vérité sur le séjour en Irak de Mike finit par éclater… En référence, par son titre, au lieu d’Israël où se tint il y a près de 3000 ans l’affrontement qui opposa David à Goliath selon le livre de Samuel, Dans la vallée d’Elah stigmatise les dérives post-traumatiques dont sont victimes les jeunes recrues de l’armée américaine lors de leur retour à la vie civile. Le film de Paul Haggis était en sélection officielle à la 64ème Mostra de Venise. _Antonin DELIMAL

DARLING

MON MEILLEUR ENNEMI

Un film de Christine CARRIÈRE Avec Marina Foïs, Guillaume Canet, Océane Decaudain… Distribution : Gaumont // France, 2007, 1h33

Un film de Kevin MACDONALD Documentaire Distribution : Wild Bunch Distribution // France, 2007, 1h30

Troisième long-métrage de la réalisatrice Christine Carrière après Rosine et Qui plume la lune ?, Darling est l’adaptation du roman éponyme de l’écrivain Jean Teulé paru en 1999. Suite à sa rencontre avec un routier alcoolique, une jeune femme issue d’une famille de paysans s’engage dans une relation de dépendance destructrice… Récit d’un destin tragique, Darling offre à l’actrice Marina Foïs – qui sera bientôt à l’affiche du film Un Vrai Conte de fée de Sandrine Ray – l’occasion de donner une nouvelle fois la réplique au comédien Guillaume Canet, deux ans après leur travail commun sur le tournage d’Un Ticket pour l’espace réalisé par Éric Lartigau.

Consacré au criminel nazi Klaus Barbie, Mon Meilleur Ennemi était en sélection officielle au dernier Festival de Toronto. De ses exactions en qualité de chef de la Gestapo à Lyon au début des années 1940 à sa condamnation à vie en 1987 pour crimes contre l’humanité, le tortionnaire Klaus Barbie a marqué de son empreinte sanguinaire l’histoire du XXème siècle. En évoquant les liens que Barbie entretint après la guerre avec la C.I.A., notamment dans son soutien à la dictature bolivienne, le réalisateur écossais Kevin Macdonald, auteur du Dernier Roi d’Écosse, montre les contradictions qui peuvent exister entre morale et raison d’État.

_Oscar PARENGO

_A.D.

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LE GUIDE_SORTIES DU 14 NOVEMBRE

FAUT QUE ÇA DANSE ! Un film de Noémie LVOVSKY Avec Jean-Pierre Marielle, Valéria Bruni-Tedeschi, Sabine Azema, Bulle Ogier… Distribution : UGC Distribution // France – Suisse, 2006, 1h40

Nouveau long-métrage de l’actrice et cinéaste Noémie Lvovsky après La Vie ne me fait pas peur et Les Sentiments, Faut que ça danse ! est l’occasion pour la réalisatrice d’Oublie-moi de retrouver la comédienne Valéria Bruni-Tedeschi, pour leur cinquième film en commun. À bientôt 80 ans, Salomon Bellinsky (Jean-Pierre Marielle) est bien décidé à profiter des dernières années de son existence. Depuis longtemps séparé de sa femme Geneviève (Bulle Ogier), il continue de suivre des cours dans un atelier de claquettes et envisage de rencontrer une nouvelle compagne. Par le biais des petites annonces, il fait la connaissance de Violette (Sabine Azema), une quinquagénaire séduisante avec laquelle s’amorce une relation. Mais peu disert sur sa situation personnelle, Salomon omet de mentionner auprès d’elle l’existence de sa fille Sarah (Valéria Bruni-Tedeschi). Très vite, le hasard va se charger de rassembler nos protagonistes… Écrit en collaboration avec la scénariste Florence Seyvos, Faut que ça danse ! s’inspire des comédies de Billy Wilder et d’Ernst Lubitsch pour évoquer les turpitudes de l’âge mûr, et la difficulté d’évoluer dans une société des apparences. _A.D.

LA VIE INTÉRIEURE DE MARTIN FROST

LA CHAMBRE DES MORTS

Un film de Paul AUSTER Avec Irène Jacob, Sophie Auster, David Thewlis… Distribution : Alma Films // États-Unis, 2006, 1h33

Un film d’Alfred LOT Avec Mélanie Laurent, Éric Caravaca, Gilles Lellouche… Distribution : Bac Films // France, 2007, 1h58

La Vie intérieure de Martin Frost est le troisième long-métrage du romancier new-yorkais Paul Auster, auteur de plusieurs classiques de la littérature américaine contemporaine, dont Moon Palace ou Léviathan. Peu après la parution de son dernier ouvrage, Martin Frost, écrivain à succès, décide de se retirer quelque temps dans une maison de campagne que lui ont prêtée des amis. Alors qu’il se réveille le premier matin, Martin découvre qu’une femme inconnue est allongée à ses côtés… Réflexion sur les traumatismes affectifs préalables à l’inspiration littéraire, La Vie intérieure de Martin Frost était présenté en ouverture du dernier Festival du film de New York.

César du meilleur espoir féminin pour sa prestation dans Je vais bien, ne t’en fais pas de Philippe Lioret, Mélanie Laurent s’illustre cette fois dans un thriller. Alors qu’ils viennent de renverser un homme en pleine nuit, Vigo et Sylvain découvrent aux côtés de la victime un sac rempli de billets de banque dont ils décident de s’emparer. Le lendemain, dans un entrepôt mitoyen au lieu de l’accident, la police retrouve le corps de Mélodie, une fillette aveugle. Et si l’argent était destiné à payer sa rançon ? À l’hôtel de police de Dunkerque, Lucie, une jeune brigadière de 26 ans, mène sa première enquête...

_O.P.

32 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07

_O.P.


DE L’AUTRE CÔTÉ Un film de Fatih AKIN Avec Tuncel Kurtiz, Baki Davrak, Patrycia Ziolkowska… Distribution : Pyramide Distribution // Allemagne – Turquie, 2007, 2h02

Envisagé par son réalisateur Fatih Akin comme le second volet d’une trilogie initiée avec Head-On en 2004, De l’autre côté met en scène l’actrice polonaise Hanna Schygulla – l’héroïne du Mariage de Maria Braun réalisé en 1979 par le cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder. À la mort de Yeter, une prostituée d’origine turque dont il partageait la vie, Ali s’éloigne de son fils Nejat. Parti pour Istanbul afin de retrouver la trace d’Ayten, la fille de la défunte, Nejat apprend que celle-ci est une jeune activiste ayant fui le pays pour échapper à la police turque. Plus tard, le jeune homme fait la connaissance de Lotte, une étudiante allemande dont le destin est lié à celui d’Ayten… Tourné entre Brême, Hambourg, Istanbul et la côte de la mer Noire, De l’autre côté expose avec subtilité les promesses et les difficultés du dialogue entre deux pays liés par l’immigration, l’Allemagne et la Turquie. Réalisé cinq ans après Solino, De l’autre côté est la deuxième collaboration du cinéaste Fatih Akin avec l’actrice Patrycia Ziolkowska. En compétition officielle au dernier Festival de Cannes, le film y a reçu le prix du scénario ainsi que le prix du jury œcuménique. _A.D.

L’HOMME SANS ÂGE

AMERICAN GANGSTER

Un film de Francis Ford COPPOLA Avec Tim Roth, Alexandra Maria Lara, Bruno Ganz… Distribution : Pathé Distribution // États-Unis, 2005, 2h05

Un film de Ridley SCOTT Avec Russell Crowe, Denzel Washington… Distribution : Paramount Pictures France // États-Unis, 2007, 2h37

Adaptation de la nouvelle éponyme de l’historien roumain Mircea Eliade disparu en 1986, L’Homme sans âge marque le retour derrière la caméra du cinéaste Francis Ford Coppola, neuf ans après L’Idéaliste. Vieux professeur de linguistique à Bucarest en 1938, Dominic Matei (Tim Roth) est frappé par la foudre. Survivant miraculé, l’universitaire découvre bientôt que son corps rajeunit et que ses facultés mentales sont décuplées. L’occasion pour lui de s’atteler enfin à l’œuvre de sa vie : une recherche sur les origines du langage. Mais son cas attire les espions de tous bords et en premier lieu les nazis, en quête d’expériences scientifiques inédites…

À New York dans les années 1970, l’ascension fulgurante de Franck Lucas, trafiquant d’héroïne à grande échelle et figure charismatique de la communauté noire. Alors que la corruption policière atteint des sommets à Manhattan et que la mafia règne sur le marché de la drogue, Frank Lucas (Denzel Washington), un modeste entrepreneur de Harlem, organise avec la complicité d’officiers basés au Vietnam l’importation massive d’héroïne pure, qu’il revend à bas prix dans les rues de la Grosse Pomme… Par son sujet et son ambition, American Gangster s’inscrit dans la lignée de films comme Les Affranchis (1990) de Martin Scorsese ou la trilogie des Parrain de Francis Ford Coppola.

_A.D.

_A.D.

33 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07




LE GUIDE_SORTIES DU 21 NOVEMBRE

CE SOIR JE DORS CHEZ TOI

LES DEUX MONDES

Un film d’Olivier BAROUX Avec Jean-Paul Rouve, Mélanie Doutey, Kad Merad… Distribution : StudioCanal // France, 2007, 1h24

Un film de Daniel COHEN Avec Benoît Poelvoorde, Natacha Lindinger, Michel Duchaussoy… Distribution : Gaumont // France, 2007, 1h45

Après sa prestation dans On va s’aimer d’Ivan Calbérac, l’actrice Mélanie Doutey renoue avec le genre de la comédie romantique. Depuis leur rencontre aux abords d’une église lors d’un mariage, Alex et Lætita s’aiment d’un amour parfait. Seule ombre au tableau : jaloux de sa propre liberté, Alex refuse de partager le même appartement que sa dulcinée. Lorsque Lætitia menace de le quitter s’il ne consent pas à s’engager véritablement, Alex décide de tout mettre en œuvre pour bénéficier d’un nouveau sursis… Pour son premier long-métrage en qualité de réalisateur, Olivier Baroux a fait appel à Kad Merad, son partenaire au sein du duo comique Kad et Olivier. _O.P.

Coscénariste en 2004 du film Le Grand Rôle de Steve Suissa, Daniel Cohen réalise aujourd’hui son deuxième long-métrage. À Paris, Rémy Bassano (Benoît Poelvoorde) est un restaurateur timoré d’œuvres d’art. Quitté par sa femme qui lui a préféré un compagnon plus viril, Rémy se trouve propulsé dans un monde parallèle : le voilà plongé au cœur d’un village troglodyte dont les habitants l’accueillent comme le Sauveur qui les libérera du joug de l’infâme Zoltan... Comédie d’aventure pour le moins originale, Les Deux Mondes révèle l’actrice Natacha Lindinger, découverte en 2003 dans Ni pour ni contre (bien au contraire) de Cédric Klapisch. _F.J.

SOUFFLE

LIONS ET AGNEAUX

Un film de KIM Ki-duk Avec Chang Chen, Zia, Ha Jung-woo... Distribution : ARP Sélection // Corée du Sud, 2007, 1h24

Un film de Robert REDFORD Avec Meryl Streep, Robert Redford, Tom Cruise… Distribution: Twentieth Century Fox // États-Unis, 2007, 1h30

Drame sentimental singulier, Souffle faisait partie de la sélection officielle du dernier Festival de Cannes. Condamné à la peine capitale, Jin retarde l’heure de son exécution en se livrant à des tentatives de suicide. Meurtrie par les infidélités de son mari, en qui elle a perdu toute confiance, Yeon rend régulièrement visite au prisonnier. Petit à petit, un lien se noue entre Jin et Yeon, qui finit par les dépasser… Quelques mois après le romantique Time, le réalisateur Kim Ki-duk aborde à nouveau certains de ses thèmes de prédilection : le mystère des sentiments et les déchirements infligés par la jalousie.

Associés en 1986 dans Out Of Africa de Sydney Pollack, les acteurs Meryl Streep et Robert Redford partagent aujourd’hui l’affiche d’un drame politique. À Washington, un sénateur ambitieux annonce à une journaliste d’investigation l’imminence d’une nouvelle intervention des troupes américaines en Afghanistan. Parallèlement, dans une université de la côte ouest, un professeur idéaliste tente de convaincre un jeune étudiant de changer de vie. En questionnant les récentes stratégies militaires décidées par la Maison Blanche, Lions et agneaux est une nouvelle preuve de l’engouement croissant des réalisateurs hollywoodiens pour les sujets politiques d’actualité.

_F.J.

_A.D.

36 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07



LE GUIDE_SORTIES DU 21 NOVEMBRE

LES TOITS DE PARIS Un film de Hiner SALEEM Avec Michel Piccoli, Mylène Demongeot, Maurice Bénichou… Distribution : Diaphana // France, 2006, 1h38

Sept ans après son long-métrage autobiographique Passeurs de rêves, l’écrivain et réalisateur Hiner Saleem signe Les Toits de Paris, portrait d’un vieil homme confronté à la solitude et à la précarité dans un appartement vétuste de la capitale. Alors que la canicule sévit à Paris, Marcel passe ses journées auprès de son ami Amar, entre la piscine municipale et la brasserie du quartier où les deux hommes ont leurs habitudes. Dépourvus l’un et l’autre d’attaches familiales véritables, les deux camarades mènent une vie solitaire, à l’écart du monde moderne. Bientôt, Amar décide de quitter la ville, condamnant Marcel à l’isolement forcé. Sombre et peu dialogué, Les Toits de Paris décrit les vicissitudes d’un être fragile, en proie à la misère et à la déchéance physique. Quelques mois après avoir partagé avec lui l’affiche du film Boxes réalisé par Jane Birkin, le comédien Maurice Bénichou retrouve l’acteur Michel Piccoli dans un drame intimiste. Pour sa partition émouvante dans Les Toits de Paris, ce dernier a été récompensé par le prix d’interprétation masculine au dernier Festival de Locarno. _Thomas CROISY

LA FRANCE

NOUS, LES VIVANTS

Un film de Serge BOZON Avec Sylvie Testud, Pascal Greggory, Guillaume Depardieu… Distribution : Shellac // France, 2007, 1h42

Un film de Roy ANDERSSON Avec Jessica Lundberg, Elisabet Helander, Björn Englund... Distribution : Les Films du Losange // Suède, 2006, 1h34

Prix Jean Vigo 2007, La France était en sélection à la Quinzaine des Réalisateurs au dernier Festival de Cannes. À l’automne 1917, alors que la guerre bat son plein, Camille attend chaque jour des nouvelles de son mari parti au front. Le jour où son époux lui fait parvenir une brève lettre de rupture, la jeune femme décide de rejoindre l’homme qu’elle aime au combat. Mais pour parvenir à ses fins, il lui faudra se travestir… Troisième long-métrage du réalisateur et professeur de logique Serge Bozon après L’Amitié (1998) et le remarquable Mods (2003), La France déploie un style résolument singulier, à l’anachronisme trompeur, que scandent des chansons pop psychédéliques d’une infinie saveur.

Présenté cette année au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, Nous, les vivants marque le retour derrière la caméra du cinéaste suédois Roy Andersson, sept ans après Chansons du deuxième étage. Succession de tableaux tragicomiques, Nous, les vivants alterne scènes oniriques et situations burlesques. Inspiré par l’univers des films de Luis Buñuel – notamment Le Charme discret de la bourgeoisie –, Roy Andersson évoque les nombreux malentendus de la vie en société, et les déboires relatifs à l’incommunicabilité entre les êtres.

_F.J.

38 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07

_F.J.



LE GUIDE_SORTIES DU 28 NOVEMBRE

MY BLUEBERRY NIGHTS Un film de WONG Kar-wai Avec Norah Jones, Jude Law, David Strathairn, Rachel Weisz, Natalie Portman… Distribution : StudioCanal // Hongkong – Chine, 2007, 1h35

Premier film tourné en langue anglaise du cinéaste chinois Wong Kar-wai, My Blueberry Nights était présenté en ouverture du dernier Festival de Cannes. Peu après une rupture sentimentale douloureuse, Elisabeth (Norah Jones), une jeune femme romantique, fait la rencontre de Jeremy (Jude Law), un séduisant patron de bar avec lequel elle se lie d’amitié. Décidée à fuir son quotidien, Elisabeth part à l’aventure, seule sur les routes des États-Unis. Au cours de son périple, elle croise le chemin de Leslie (Natalie Portman), une joueuse de poker en déveine, au cœur des paysages désertiques de l’ouest américain… Trois ans après 2046, le réalisateur Wong Kar-wai réunit à nouveau les acteurs Natalie Portman et Jude Law, déjà partenaires dans Entre adultes consentants réalisé par Mike Nichols en 2004. Road movie initiatique, My Blueberry Nights donne à la chanteuse Norah Jones l’occasion de faire sa première apparition au cinéma. Pour la photographie de son film, le créateur d’In The Mood For Love a fait appel au chef opérateur Darius Khondji, remarqué pour son travail derrière la caméra de cinéastes tels que Jean-Pierre Jeunet, David Fincher ou Bernardo Bertolucci. _A.D.

CE QUE MES YEUX ONT VU – LE MYSTÈRE WATTEAU

PAYSAGES MANUFACTURÉS

Un film de Laurent DE BARTILLAT Avec Sylvie Testud, James Thiérrée, Jean-Pierre Marielle… Distribution : ID Distribution // France, 2007, 1h28

Un film de Jennifer BAICHWAL Documentaire Distribution : Ed Distribution // Canada, 2006, 1h26

Un an après sa performance dans Da Vinci Code de Ron Howard, le comédien Jean-Pierre Marielle est de nouveau à l’affiche d’un thriller ésotérique. Lucie est une jeune étudiante en histoire de l'art qui enquête sur les œuvres du peintre Antoine Watteau. Persuadée que certaines toiles du maître recèlent une signification cachée, elle se met en tête d’en découvrir le secret. Sa rencontre avec l’énigmatique Vincent, muet de naissance, va la plonger au cœur d’une intrigue vieille de trois siècles… Pour le casting de son film, Laurent de Bartillat a fait appel au petit-fils de Charles Chaplin, l’acteur James Thiérrée.

Sacré meilleur long-métrage canadien au Festival de Toronto en 2006, Paysages manufacturés fustige les effets néfastes de la pollution et de l’industrialisation sur les paysages de la planète. Lors d’un voyage en Chine, le photographe canadien Edward Burtynsky capture les conséquences sur l’environnement de la récente révolution industrielle du pays. Dans la veine d’Une Vérité qui dérange de Davis Guggenheim, qui relatait le combat écologique du récent Prix Nobel Al Gore, Paysages manufacturés invite à une réflexion sur les dommages collatéraux de nos modes de vie actuels.

_O.P.

_T.C.

40 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07



LE GUIDE_SORTIES DU 05 DÉCEMBRE

LUMIÈRE SILENCIEUSE Un film de Carlos REYGADAS Avec Cornelio Wall Fehr, Miriam Toews, Maria Pankratz… Distribution : Bac Films // Mexique – France – Pays-bas, 2007, 2h16

En sélection officielle au Festival de Cannes cette année, Lumière silencieuse a décroché le prix du jury. Au nord du Mexique, Johan et les siens appartiennent à la communauté des Mennonites, une dissidence conservatrice du protestantisme qui prône un pacifisme radical. Jouissant d’un régime propre de libertés civiles ainsi que d’un système d’éducation autonome, les adeptes de la doctrine mennonite – édictée au XVIème siècle par le Hollandais Menno Simons – refusent le confort matérialiste institutionnalisé par la société de consommation. Hostiles à l’idéologie épicurienne aujourd’hui en vogue dans les pays occidentaux, les membres de la tribu mennonite mènent une existence atypique remplie d’interdits. Mais un jour, Johan, marié et père de famille, tombe amoureux d’une autre femme… Après Japon et Bataille dans le ciel, Lumière silencieuse est le troisième long-métrage du réalisateur mexicain Carlos Reygadas. À partir de l’histoire universelle d’un adultère déstructurant, Lumière silencieuse suit le parcours d’un homme tiraillé entre ses sentiments passionnels et les impératifs répressifs de sa communauté. Servi par l’image soignée du directeur de la photographie Alexis Zabe – qui assurait la lumière sur le tournage du long-métrage de Fernando Eimbcke Temporada de patos (2005) –, Lumière silencieuse a été intégralement tourné en décors naturels, au milieu des paysages sauvages et arides du Mexique. Pour la distribution du film, le réalisateur a fait appel à des comédiens non professionnels, recrutés au sein même de la confrérie mennonite, afin de privilégier l’authenticité de son récit. NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.

42 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07

_T.C.


COW-BOY Un film de Benoît MARIAGE Avec Benoît Poelvoorde, Gilbert Melki, Julie Depardieu… Distribution : UGC Distribution // France – Belgique, 2005, 1h46

Déjà réunis en 1999 sur le tournage du film Les Convoyeurs attendent, le cinéaste Benoît Mariage et l’acteur Benoît Poelvoorde signent avec Cow-boy une nouvelle collaboration. Ancien militant de gauche, Daniel Piron est désormais journaliste dans le cadre d’une émission de télévision de seconde zone. Convaincu que son épanouissement personnel passera par la reconnaissance publique de ses compétences, il décide un jour de réaliser son propre documentaire : la reconstitution d’une prise d’otages survenue dans un bus deux décennies auparavant. Hélas, les principaux protagonistes du fait divers de l’époque ne sont pas avares d’excentricités, et le tournage ne se passe pas exactement comme prévu… Cow-boy dresse le portrait d’un homme courant après la réussite malgré l’incompréhension de tous. Le film de Benoît Mariage donne à Benoît Poelvoorde l’occasion de renouer avec le registre de la comédie douce-amère dans lequel il excelle depuis le culte C’est arrivé près de chez vous réalisé en 1992. _A.D.

RUE SANTA FÉ

COMME DES VOLEURS (À L’EST)

Un film de Carmen CASTILLO Documentaire Distribution : Ad Vitam // France, 2007, 2h40

Un film de Lionel BAIER Avec Lionel Baier, Natacha Koutchoumov, Alicja Bachleda-Curu s… Distribution : Epicentre Films // Suisse, 2006, 1h52

Veuve de Miguel Enriquez – chef de la résistance contre la dictature de Pinochet après le coup d’État militaire de 1973 –, la réalisatrice Carmen Castillo revient à Santiago du Chili, sur les lieux où son compagnon fut tué au combat le 5 octobre 1974. Après des années d’exil en France, Carmen Castillo foule de nouveau le sol de la rue Santa Fé, où elle séjourna jadis avec Miguel Enriquez et leurs petites filles. Autrefois militante du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire, la cinéaste évoque au fil de ses retrouvailles avec les habitants du quartier les jours lumineux de la présidence d’Allende, puis les années sombres de la dictature.

Prix spécial du jury au Festival du film de Bucarest, Comme des voleurs (à l’est) est le deuxième long-métrage de fiction du cinéaste Lionel Baier, après son premier film Garçon stupide réalisé en 2004. Parce qu’il vient d’apprendre par hasard qu’un de ses ancêtres était polonais, Lionel, un jeune Suisse de trente ans, décide sur un coup de tête de prendre la route avec sa sœur, afin de rejoindre le pays de leur aïeul. Tourné entre l’Espagne, la France, la Suisse, l’Allemagne, la République tchèque, la Slovaquie et la Pologne, Comme des voleurs (à l’est) était en sélection au dernier Festival du film de New York, ainsi qu’au 60ème Festival de Locarno.

_F.J.

_T.C.

43 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07


ÉVÉNEMENTS DES SALLES MK2

TOUS LES SAVOIRS LES MARDIS DE COURRIER INTERNATIONAL La prochaine séance des mardis de Courrier international présentera En El Hoyo du cinéaste mexicain Juan Carlos Rulfo. Une légende mexicaine dit que, pour chaque pont, le diable exige une âme. En El Hoyo montre des hommes qui participent à la construction d’une autoroute aérienne en plein cœur de Mexico. La projection sera suivie d’un débat avec le réalisateur et précédée d’un court-métrage israélien, Hakanion, sur des travailleurs palestiniens clandestins. MK2 QUAI DE SEINE_Mardi 4 décembre à 20h30_6,90 € ou 5,60 € sur présentation du dernier numéro de Courrier international.

CINÉ BD LES AIGLES DE ROME - Enrico Marini Enrico Marini viendra présenter Les Aigles de Rome, premier volume d'une série prévue en quatre tomes, sous forme de récit initiatique au coeur de l'Empire romain. Les aventures de Marcus le Romain et d'Ermanamer le Germain nous parlent de combats, de rivalités mais aussi d'amitié et de femmes... • Projection du film La Chute de l'Empire romain d'Anthony Mann (sous réserve), choisi et présenté par l'auteur. Au cinéma puis à la librairie du MK2 QUAI DE LOIRE_Samedi 10 novembre à 11h30_5,90 €_Cartes ILLIMITé et Le Pass acceptées.

CINÉ PHILO : SAISON 3 Les séances «ciné philo» reprennent à compter du 17 novembre au MK2 Bibliothèque. Cette année, nous étudierons « l’esprit de la révolte ». Premier cycle : tous esclaves ?

COURT-MÉTRAGE SOIRÉE BREF La prochaine séance intitulée Le Vent de l’histoire est proposée dans le cadre du Mois du film documentaire. Au programme : Irinka et Sandrinka de Sandine Stoïanov L’Autre Matin... en attendant Mario Rigoni Stern d’Élisa Zurlo et Jean-François Neplaz 200 000 fantômes de Jean-Gabriel Périot Hic rosa, partition botanique d’Anne-Marie Faux MK2 QUAI DE SEINE_Mardi 13 novembre 2007 à 20h30.

COURT-MÉTRAGE CINEMA EN NUMÉRIQUE Dans le cadre de la 36ème édition du Festival d’automne, le MK2 Bibliothèque accueillera du 21 au 27 novembre la programmation « Cinéma en numérique » établie par la rédaction des Cahiers du Cinéma. Au programme notamment : Inland Empire, Miami Vice, Chronique d’une femme chinoise, Redacted … ainsi qu’une sélection de courts-métrages. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Du 21 au 27 novembre.

44 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07

FOCUS LE MEILLEUR DU CINÉMA ANGLAIS DÉBARQUE À PARIS ! Pour sa 4ème édition, Eurostar London Coming, dénicheur de talents britanniques, met le cinéma à l’honneur du 7 au 8 décembre 2007 au MK2 Bibliothèque. Au programme : 24 Hour Party People, A Very British Gangster, Joe Strummer, La Vie de Brian, Twin Town, Velvet Goldmine, 24 heures sur 24, The Wicker Man, Casino Royale et en avant-première : Garage. En partenariat avec MK2, Eurostar London Coming invite le public à découvrir une série de courts-métrages réalisés par de jeunes espoirs de la bobine anglaise. À vous d’élire vos coups de cœur et de leur donner une chance en vous connectant sur www.myspace.com/eurostarlondoncoming du 20 novembre au 2 décembre 2007. Pour en savoir plus et gagner des places, rendez-vous sur : www.myspace.com/eurostarlondoncoming ou sur www.mk2.com MK2 BIBLIOTHÈQUE_Vendredi 7 et samedi 8 décembre, de 13h à minuit, 5 séances par jour.

POUR LES ENFANTS MK2 JUNIOR La programmation « Vole mon ange » est toujours en cours. Retrouvez La Petite Taupe, Le Corbeau et un drôle de moineau, Plume le petit ours polaire pour nos tout-petits, Papa, Cria Cuervos pour les plus grands, sans oublier Les Simpson et Kiki la petite sorcière. Notez enfin que la prochaine programmation MK2 junior débutera le 28 novembre. À vos écrans ! Jusqu’au 27 novembre dans sept salles MK2.

RÉTROSPECTIVES CHAPLIN : DU RIRE AUX LARMES Une rétrospective consacrée à Charles Chaplin sort sur les écrans le 21 novembre. Au programme, les trois premiers longsmétrages de sa période muette restaurés en HD : Le Kid, La Ruée vers l’or et Le Cirque. À partir du 21 novembre en sortie nationale.

DAVID CRONENBERG Fasciné par le corps, David Cronenberg filme la chair en mutation pour atteindre l'esprit de ses protagonistes. Au fil des œuvres, la vision viscérale de l'horreur se fait plus discrète pour laisser place à une violence plus intérieure. À l'occasion de la sortie de son nouveau film Les Promesses de l'ombre, le MK2 Parnasse propose du 21 au 27 novembre une reprise de sept longs-métrages du cinéaste, parmi lesquels A History Of Violence, eXistenZ, ou encore Dead Zone. MK2 PARNASSE_Du 21 au 27 novembre.


RETROUVEZ TOUS LES ÉVÉNEMENTS SUR

PARTENARIATS THÉÂTRE DE LA COLLINE Projection du film Bloody Sunday de Paul Greengrass, en présence de l’équipe artistique de la pièce Gênes 01, accompagnée d’Anne-Cécile Robert, rédactrice en chef adjointe du Monde diplomatique, co-auteure de Le Peuple inattendu, et Cédric Gouverneur, journaliste, collaborateur du Monde diplomatique, pour lequel il a effectué plusieurs reportages en Irlande du Nord. MK2 QUAI DE SEINE_Lundi 19 novembre à 20h30.

Projection du film La Commissaire d’Alexandre Askoldov, en présence de l’équipe artistique de la pièce Le Mendiant ou la mort de Zand, accompagnée de Dominique Vidal, journaliste au Monde diplomatique, responsable de ses éditions internationales et Jean Radvanyi, professeur à l’INALCO, auteur de La Nouvelle Russie. MK2 QUAI DE SEINE_Lundi 26 Novembre à 20h30. Tarif : 6,90 €_Cartes ILLIMITé et Le Pass acceptées_5 € pour les abonnés du Théâtre National de la Colline. De leur côté, les détenteurs d’une carte MK2 auront droit à une place à 19 € au lieu de 27 € pour les deux pièces, dans la limite des places disponibles.

RENCONTRES - LIBRAIRIES HASSAN DAOUD ET ALAWIYA SOBH Dans le cadre des Belles Etrangères, en partenariat avec le CNL, MK2 Livres, les éditions Actes Sud et les éditions Gallimard vous invitent à rencontrer deux auteurs libanais arabophones : Hassan Daoud pour son roman Le Chant du Pingouin et Alawiya Sobh pour son roman Maryam ou le passé décomposé. Samedi 24 novembre de 16h30 à 18h30 à la librairie du MK2 BIBLIOTHÈQUE.

OLIVIA ROSENTHAL La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions Verticales vous invitent à une lecture-signature avec Olivia Rosenthal à l'occasion de la parution de son livre On n'est pas là pour disparaître. MK2 QUAI DE LOIRE_Jeudi 8 novembre à partir de 19h30. Suivi à 20h30 de la projection de Capturing The Friedmans d'Andrew Jarecki (billets en vente avant la séance).

JEAN-CHARLES SCHWARTZMANN La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions Arcadia vous invitent à une lecture-signature avec Jean-Charles Schwartzmann à l'occasion de la parution de son livre Barbaque. MK2 QUAI DE LOIRE_Vendredi 16 novembre à partir de 19h30.

F. KESSLER ET O. CHARPENTIER

THÉÂTRE OUVERT Autour d’Alta Villa de Lancelot Hamelin, mis en scène par Mathieu Bauer (du 09 novembre au 01er décembre 2007), soirée spéciale avec la projection de Good Bye South, Good Bye de Hou Hsiao-Hsien en présence de Lancelot Hamelin et Mathieu Bauer. MK2 HAUTEFEUILLE_Jeudi 19 novembre à 20h30. Tarif unique : 6,80 €_Cartes ILLIMITé et Le Pass acceptées.

Une carte blanche a également été proposée à Mathieu Bauer. Projections en matinées des films : Badlands de Terence Malick Le Passe-Montagne de Jean-François Stévenin Dead Man de Jim Jarmusch À partir du 14 novembre en matinée au MK2 HAUTEFEUILLE. Tarif : 5,60 €_Cartes ILLIMITé et Le Pass acceptées.

LES YEUX DE L’OUIE Dans le cadre de ce partenariat, le MK2 Beaubourg présentera le film de Gérard Caillat Dominium Mundi qui sera suivi d’un débat. MK2 BEAUBOURG_Jeudi 29 novembre à 20h.

AVANT-PREMIÈRES LES TOITS DE PARIS Le MK2 Quai de Loire accueillera l’équipe du film Les Toits de Paris de Hiner Saleem pour une projection en avant-première.

La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions Autrement vous invitent à une rencontre-signature avec Frédéric Kessler et Olivier Charpentier à l'occasion de la parution de leur album pour la jeunesse Le Grand Bestiaire des animaux.

MK2 QUAI DE LOIRE_Lundi 19 Novembre à 20h30. Tarif normal_Cartes ILLIMITé et Le Pass acceptées. (billets en vente avant la séance).

MK2 QUAI DE LOIRE_Samedi 17 novembre de 16h à 18h.

IT’S A FREE WORLD

LUDOVIC DEBEURME

Le MK2 Bibliothèque recevra le réalisateur Ken Loach pour une avant-première exceptionnelle de son nouveau film It’s A Free World.

La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions Cornélius vous invitent à une rencontre-signature avec Ludovic Debeurme à l'occasion de la parution de sa bande-dessinée Le Grand Autre.

MK2 BIBLIOTHÈQUE_Mardi 11 décembre à 19h30.

MK2 QUAI DE LOIRE_Samedi 8 décembre à partir de 16h.

45 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07


DVD Douglas Sirk, ou le mélo comme grand art

Quelques tours de Quatre chefs-d’œuvre de Douglas Sirk sont réédités ce mois-ci chez Carlotta. L’occasion de mieux connaître ce grand d’Hollywood, qui a donné au mélodrame ses lettres de noblesse et dont les héritiers, d’Almodovar à Ozon, ne cessent de célébrer la délicatesse.

D

ans Pulp Fiction de Quentin Tarantino, Travolta, attablé dans un hamburger joint géant, commande un « steak Douglas Sirk ». Le credo artistique de Rainer Werner Fassbinder se trouve dans un des très rares textes critiques qu’il ait écrit : Sur six films de Douglas Sirk. François Ozon recrée l’imagerie neigeuse et le générique de Mirage de la vie dans 8 femmes. Loin du paradis de Todd Haynes est à la fois un «clonage» étonnant du style de Sirk et une radicalisation de ses thèmes. Qui est ce cinéaste si souvent mentionné et, en fin de compte, si peu connu aujourd’hui ? Né en 1897 en Allemagne, Detlef Sierk fut d’abord un metteur en scène de théâtre à l’aise aussi bien dans le classique que dans l’avant-garde. Passé au cinéma, il met son sens de l’espace et du raccourci, son inventivité visuelle et son immense culture au service des formes populaires : la comédie et surtout le mélodrame. Parallèlement, sa vie personnelle est douloureuse. Sa première épouse, devenue nazie, l’éloigne à jamais de leur fils, qu’elle transforme en vedette enfant du régime. Remarié à une comédienne

C’EST EN FRANCE QUE SON ART DU CADRAGE ET SON CHROMATISME VIOLENT SONT D’ABORD REMARQUÉS.

d’origine juive, Hilde Jahry, Sierk est victime de pressions de tous côtés. Pour compenser la perte de Greta Garbo et surtout de Marlene Dietrich, qui ont refusé de faire carrière en Allemagne, le régime enjoint Sierk de faire une star de cinéma de Zarah Leander : suédoise, comme la première, et chanteuse à la voix basse, comme la seconde. Il accomplit sa tâche en deux films splendides (Paramatta, bagne de femme ; La Habanera), sans pourtant se compromettre dans l’idéologie nationale-socialiste. Mais Sierk doit bientôt s’exiler vers les États-Unis. Il ne reverra plus jamais son fils qui mourra sur le front russe. Le Temps d’aimer, le temps de mourir porte la trace de cette douleur : le cadavre d’un jeune soldat aux yeux ouverts pris dans la glace, le héros fauché par une rafale aux dernières images. L’intégration à Hollywood n’est pas facile. Avec sa femme, il va jusqu’à se lancer dans l’élevage de volailles! Cependant, en 1942, un producteur indépendant, Seymour Nebenenzal, le contacte pour réaliser un film sur l’assassinat du bourreau nazi Heydrich : Hitler’s Madman, succès inattendu, assure à Sierk, qui se fait désormais appeler Douglas Sirk, une carrière hollywoodienne. Il alterne d’abord les œuvres personnelles, visuellement proches de ses racines germaniques

46 I TROIS COULEURS_NOVEMBRE 07

Extraits du coffret Douglas Sirk (8 DVD, Carlotta) contenant Le Secret magnifique (1954), T

(A Scandal In Paris, Des Filles disparaissent), et des œuvres de commande qu’il réalise avec savoir-faire et sans aucune condescendance (des comédies comme No Room For The Groom ou Has Anybody Seen My Gal ? où débute James Dean). C’est à l’Universal, entre 1953 et 1959, que Sirk atteint sa plénitude créative, en se consacrant presque exclusivement au mélodrame féminin, en recyclant de vieux sujets et en utilisant des acteurs sous contrat, tels Rock Hudson, Jane Wyman ou Dorothy Malone. Il vole de succès commercial en succès commercial, dans l’indifférence de la critique patentée. C’est en France que son art du cadrage, son chromatisme violent, presque convulsif, alliés à l’immense douceur de son approche des personnages et des situations, sont remarqués : Jean-Luc Godard vante la beauté du Temps d’aimer, le temps de mourir. Après le triomphe de Mirage de la vie, qui reste à ce jour le plus grand succès d’Universal, Sirk quitte volontairement


Sirk

LA SÉLECTION STILL LIFE DE JIA ZHANG KE MK2 éditions

Dans la région des Trois Gorges, en Chine, deux êtres partent à la recherche de leurs proches, disparus depuis la construction d’un barrage qui a enseveli des villages entiers. Un film délicat sur la perte et le temps.

COFFRET HEROES SAISON 1 Universal

Des individus ordinaires se retrouvent du jour au lendemain dotés de super-pouvoirs. Leur mission? Sauver la « cheerleader ». La série culte enfin en DVD avec plus de onze heures de bonus. Ça donnerait presque envie de voler.

COFFRET CHAPLIN ÉDITION COLLECTOR KIDS MK2 éditions Retrouvez la magie de l’univers de Charlot dans ce coffret de 3 DVD (Le Kid, La Ruée vers l’or, Le Cirque), qu’accompagnent en bonus deux livres merveilleusement illustrés. Les enfants comme les parents vont adorer.

BOULEVARD DE LA MORT DE QUENTIN TARANTINO TF1 vidéo Un détraqué dégomme des bandes de copines délurées, au volant de son bolide. Jusqu’au jour où sa route croise la trajectoire d’amazones bien décidées à lui faire payer ses méfaits. Un hommage pop et déjanté aux films de série Z, par l’auteur de Kill Bill.

JUDEX ET LES NUITS ROUGES

Tout ce que le ciel permet (1956), Le Temps d’aimer... (1958) et Mirage de la vie (1959).

Hollywood et se retire en Suisse, retournant au théâtre, dispensant son savoir (notamment à Fassbinder et à ses élèves), rattrapé par une réputation et une admiration qui ne cessent de grandir. Ses films deviennent, pour les générations de cinéastes à venir, une référence absolue : la parfaite synthèse qu’il réalise entre expression personnelle et cinéma populaire inspire des cinéastes phares de la modernité, comme Fassbinder, Almodovar ou Ozon. Douglas Sirk a accordé à l’historien britannique Jon Halliday une longue interview, publiée sous le titre Sirk on Sirk1, qui reste, avec celle d’Alfred Hitchcock par François Truffaut, comme un des plus magnifiques et des plus complets arts poétiques jamais formulé par un cinéaste. _Christian VIVIANI 1.

DE GEORGES FRANJU Les Cahiers du Cinéma Inédits en DVD, deux films majeurs de Franju, enfin réunis dans un coffret. Justicier masqué (Judex) ou homme sans visage aux multiples identités (Les Nuits rouges) : le mystère plane sur une œuvre qui s’inscrit dans la tradition de Feuillade.

ACTUALITÉ ZONE 1 Jusqu'à aujourd'hui, Days Of Heaven de Terrence Malick (1978, Les Moissons du ciel en VF) n'avait eu droit qu'à une simple édition DVD, sans bonus et à la copie un peu négligée. L'éditeur Criterion vient réparer cette injustice. Situé dans le Texas agricole du début du XXème siècle, Days Of Heaven conte l’histoire bouleversante d’une paradis perdu, sur fond d’amours à trois et d’attaques de sauterelles. C'est l'occasion d'y découvrir un Richard Gere débutant, à son meilleur. Grand cinéaste naturaliste, auteur de quatre films en quarante ans et autant de chefs-d’œuvre, Malick peint comme nul autre la perte de l’innocence, celle des humains comme celle des civilisations. _Roland JHEAN, vendeur à la boutique MK2 DVD

Traduit en France : Conversations avec Douglas Sirk, Cahiers du Cinéma, 1997.

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LIVRES Rencontre avec Patrick Modiano

Modiano,fixeur d Son œuvre est peuplée de femmes mystérieuses, de lieux obsédants, de disparitions éparses. À l’heure où sort l’un des meilleurs romans de Patrick Modiano, Dans le café de la jeunesse perdue, nous avons mis la main sur un écrivain moins fuyant qu’il n’en a l’air.

E

lle s’appelait Louki, et elle fréquentait le « Condé », dans le quartier de l’Odéon. Et puis, brutalement, elle a disparu. Quatre personnages, dont Louki elle-même, racontent tour à tour cette jeune femme énigmatique, dans le portrait-enquête fragmentaire, mélancolique et magnifique que lui consacre Patrick Modiano avec Dans le café de la jeunesse perdue. Interview d’un écrivain au sommet de son art.

En lisant Dans le café de la jeunesse perdue, on pense à certains de vos précédents romans, Dora Bruder ou Accident nocturne, où, comme ici, une jeune femme était à la fois un objet de fascination et une énigme impossible à saisir… C’est sans doute vrai, mais c’était inconscient. J’ai toujours l’impression que même les gens qui vous sont les plus proches gardent une part de mystère. Qu’ils vous échappent. Je voulais traduire cette impression. Louki est d’ailleurs opaque à elle-même. C’est pour traduire cette impression que vous avez écrit un roman à quatre voix ? C’était, pour moi, la seule manière de faire : je ne voulais pas prendre ce personnage d’une manière frontale, je voulais qu’elle apparaisse à travers des regards différents, comme si on était sur ses traces. Et puis je me suis aperçu que cela permettait de faire des décrochages dans le temps, d’avoir des personnages qui parlent à des époques différentes. Grâce à ça, Louki garde une forme de mystère. Dans son carnet, un des personnages note les passages qui s’effectuent au Condé : il « fixe des ombres », écrivezvous. C’est une manière de parler de votre démarche ? En pensant à ce personnage, je pensais un peu à moi. Jeune, je songeais à tous ces gens qu’on croise dans des lieux de passage, des gares ou des cafés, et je me disais trouvais dommage de ne pas pouvoir les répertorier, pour garder une trace de leur passage. C’est pour ça aussi que j’ai toujours été fasciné par les annuaires, par exemple : les gens y figurent et puis, l’année d’après, ils disparaissent. La seule trace qui reste d’eux, finalement, c’est cet annuaire. Ces questionnements ont-il un rapport avec votre « obsession » de la topographie ? J’ai aimé beaucoup d’écrivains classiques, chez qui il n’y avait pas de décors, mais où l’on trouvait une analyse psychologique. Cela dit, moi, dès que je pense à quelqu’un, j’ai besoin de le situer, dans une rue, dans un immeuble : les lieux ont un grand pouvoir d’évocation. Et puis cette précision n’est pas mise au service d’un roman très réaliste : elle

déclenche le rêve. Comme quand vous fixez de manière hypnotique un objet banal : à force, il prend une forme de surréalité. Dans votre roman, on croise des personnes qui ont réellement existé (Arthur Adamov, Olivier Larronde, Maurice Raphaël), qui viennent se mêler à vos personnages de fiction. Pourquoi ? Sans forcément le faire exprès, j’ai toujours incorporé des silhouettes de personnes réelles, anonymes ou célèbres, qui étaient comme une greffe sur la fiction. Je trouve que cela renforce la fiction, que cela lui donne une profondeur de champ plus intéressante. J’ai besoin de m’appuyer là-dessus. C’est peut-être dû à l’influence du cinéma, quand une scène se passe en extérieur, et que les personnages du film se mélangent aux gens qui passent pour de vrai dans la rue.

J’AI TOUJOURS ÉTÉ OBSÉDÉ PAR LE TEMPS – PAS PAR LE PASSÉ, MAIS PAR LE TEMPS.

L’un de vos personnages parle de « l’Éternel Retour », et le décrit comme une forme d’éternité idéale. Est-ce que ça ne serait pas, au fond, la temporalité de vos romans ? Je n’ai aucune culture philosophique, mais cette notion d’« Éternel Retour » m’a frappé parce qu’elle donne une impression d’intemporalité. J’ai toujours été obsédé par le temps – pas par le passé, mais par le temps. J’ai l’impression qu’il y a parfois comme des superpositions du passé, du présent et même du futur, et que cette surimpression des époques aboutit à une sorte de transparence intemporelle. C’est cette sensation que j’essaye de traduire dans mes romans. Vous avez écrit Dans le café de la jeunesse perdue après Un Pedigree. Comment s’est passé ce retour à la fiction après le détour autobiographique ? Un Pedigree était une sorte d’autobiographie, mais j’y parlais de choses dans lesquelles je ne me reconnaissais pas vraiment. C’était une autobiographie de rejet, mais j’ai eu besoin de l’écrire. Je me suis senti soulagé de revenir à la fiction, où, si j’utilise des éléments autobiographiques, c’est en les vaporisant. Mais, ce qui est bizarre, c’est qu’après avoir écrit Un Pedigree, j’ai eu l’impression que ce livre rejoignait mes textes fictionnels, qu’ils déteignaient sur lui. _Propos recueillis par Raphaëlle LEYRIS

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’ombres

LA SÉLECTION LE CHANT DU PINGOUIN HASSAN DAOUD roman traduit de l’arabe (Liban), Actes Sud

Un jeune handicapé espionne ses voisines, mère et fille, seul dérivatif à sa vie ennuyeuse. Une langue du non-événement qui poétise avec talent la reconstruction d’une ville en ruine, Beyrouth.

LES BELLES ETRANGÈRES DOUZE ÉCRIVAINS LIBANAIS anthologie, Verticales

Le festival Les Belles Étrangères recueille des textes inédits (nouvelles, extraits de romans, poèmes, B.D.) de douze écrivains libanais, de langue française ou arabe. Une approche diverse et passionnante du Liban contemporain.

MARYAM OU LE PASSÉ DÉCOMPOSÉ ALAWYIA SOBH roman traduit de l’arabe (Liban), Gallimard

Voix de femmes subtilement orchestrées pour conter l’épopée du Sud Liban depuis 1948 jusqu’à la fin de la guerre civile. Un roman puissant, qui s’attaque aux tabous de la religion et de la sexualité.

LE GRAND BESTIAIRE DES ANIMAUX F. KESSLER - O. CHARPENTIER album (à partir de 4 ans), Autrement Jeunesse

La girafe et ses torticolis, le lion et ses crampes d’estomac, le chat et ses maux de ventre… Un texte loufoque et déjanté, superbement illustré.

LA VIE SECRÈTE DES JEUNES RIAD SATTOUF bande-dessinée, L’Association Compilation de comic-strips publiés dans Charlie Hebdo par l’auteur du mythique Pascal Brutal. Délaissant la fiction pour l’observation éberluée du réel, Sattouf porte un regard mordant, tour à tour hilarant ou inquiétant, sur les nouvelles générations.

LE SITE www.nonfiction.fr Les intellectuels débarquent sur le web. Armé d'une équipe pléthorique, nonfiction.fr s'attaque à l'actualité des essais et des idées, laissée en jachère par la presse traditionnelle. Les 300 contributeurs, tous ultra-spécialistes dans leur domaine (politique, économie, histoire, littérature, nouvelles technologies...), participent bénévolement au projet. Si le site est très réussi graphiquement, c'est le casting qui impressionne le plus : Daniel Cohen, Marc Lazar ou Jean-Pierre Mignard pour ne citer que les plus connus. Tout y est, ne manque plus que le modèle économique… © Photographie de Gérard Rondeau / Agence Vu.

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MUSIQUE Robert Wyatt : portrait d’un mythe vivant

Autel Wyatt Avec Comicopera, l’Anglais Robert Wyatt, 62 ans, signe un disque d’une beauté sans âge ni passeport. L’occasion de revenir sur le parcours onduleux, aux confins du jazz et du rock, de ce dieu lunaire, rêveur et révéré.

S

ous l’Antiquité, les humains dressaient des autels en l’honneur des « dieux des éléments », vocable rappelant le caractère cosmique des divinités d’alors. Hypothèse : Robert Wyatt, dont l’œuvre puise dans chacun des quatre éléments répertoriés par les Anciens, serait-il la réincarnation d’une de ces déités antiques ?

L’AIR. Parler à Robert Wyatt, c’est d’abord se faire surprendre par l’air bonhomme et bienveillant de cet habitant de Louth, paisible bourgade anglaise. C’est, dans la foulée, constater l’écart entre sa voix de tous les jours, plutôt grave, et celle qui jalonne ses disques, enfantine, fragile, aérienne, capable de survoler six octaves sans le moindre nuage. Une voix flûtée, jouée comme d’un instrument à vent, soufflant d’étranges mélodies flottantes, presque improvisées. Il faut dire que cet excellent trompettiste trempe dans le jazz depuis l’adolescence, qu’il passa plongé dans les airs de Mingus, Monk et Blakey : «Très tôt, mon écrivain de père m’a transmis son amour pour les harmonies impressionnistes de Debussy et de Ravel. Mais dans les années 1950, rien ne pouvait plus m’attirer que le jazz, et la liberté qui en émane. » Cet

JE M’IMAGINE COMME UN MONSTRE SOUS-MARIN, PLONGEANT DE RIVIÈRES EN RIVIÈRES.

amour oxygène chacun de ses disques depuis ses débuts dadaïstes dans les années 1960, en tant que batteur du groupe Soft Machine, quitté en 1970 pour entamer une carrière solo. Une inspiration jazzy qui lui permet de planer haut, très haut, bien au-dessus des bourrasques changeantes de l’air du temps, et qui évente plus que jamais le récent Comicopera, véritable opération cosmique du Swing-Esprit.

LE FEU. Wyatt a beau voltiger dans les cieux, il n’en porte pas moins un regard enflammé sur l’évolution de ce bas monde, lui qui fut porte-parole du parti communiste anglais. Plusieurs de ses chansons, tel Shipbuilding contre la guerre des Malouines, témoignent d’un idéalisme pacifiste et altruiste, nourri au feu marxiste : « Je persiste à croire que la grille de lecture élaborée par Marx reste pertinente si elle n’est pas exclusive. » Ses hommages répétés à Che Guevara ne doivent cependant pas masquer un engagement plus ardent encore, celui qui le lie à sa compagne, la peintre et poète Alfreda Benge. Depuis plus de trente ans, Wyatt se consume d’amour pour celle qui dessine les pochettes et co-écrit les paroles de nombre de ses albums. En 1974,

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au cours d’une soirée trop arrosée, le bouillant barbu tombe du quatrième étage : il sera paralysé à vie. Il vient alors de rencontrer Alfreda, qui lui sera d’un inestimable soutien. « Mon accident n’a eu sur moi que des conséquences pratiques : j’ai par exemple dû abandonner la batterie et me focaliser sur le piano ou le chant. En revanche, la rencontre d’Alfie m’a fait reconsidérer le processus même de création. Grâce à elle, j’ai appris à rendre ma musique moins dense, plus espacée. »

LA TERRE. Cette approche spatiale s’exprime à travers une série de collaborations éloquentes. Classé «par coïncidence» dans le genre du rock, Wyatt se lie avec des artistes situés à la marge de ce courant, de Brian Eno à Kevin Ayers, de Syd Barrett à Elvis Costello : « Je n’aime guère le terme « rock » [pierre en anglais], trop statique. Je veux bien être une pierre, mais une pierre qui roule, alors. » D’album en album, lui qui se considère comme un « musicien du monde » arpente la


LA SÉLECTION WEEN « La Cucaracha » Chocodog / PIAS

Depuis près de 20 ans, les frères Ween (se) jouent de tout, des mots, des continents musicaux et du reste. Ici, leur génie ludique atteint des sommets aberrants, entre pets de ballons et éloge de la viande humaine. Paradis parodique.

PERIO « The Great Divide » Minimum Music / Differ-Ant

Idéal en cette période de chaud-froid, Perio divise le temps et l’espace : voix fine et glacée, rythmique crépitante, arpèges larges et périlleux, un pied en France, un autre en Amérique… Une pop qui patine sur les flammes.

V.A. « Jamaica Funk » Soul Jazz Records / Discograph

Dans la Jamaïque 1970’s, le funk débridé du grand frère noir-américain se pulse en basses généreuses, harmonies célestes et tempo alanguis. Mieux que des reprises reggae de classiques US : une optimisation par le voyage.

RADIOHEAD « In Rainbows » www.inrainbows.com

Le septième album du quintet lyrico-rock tourne entier autour du préfixe «auto»: auto-produit, auto-diffusé (sur le site web du groupe), pas d’autographes, automnal, auto-référencé, voire autosynthétique. Au top, aussi.

B.O.F.

« I’m Not There »

Sony BMG / Columbia

Todd Haynes applique le même principe à sa B.O. qu’à son casting : une vision éclatée et contemporaine du mythe Dylan, mêlant à l’original (l’inédit éponyme) une nuée d’interprètes passionnants, de Cat Power à Sonic Youth ou Sufjan Stevens. planète dans tous les sens imaginables. Au Nord, il chante avec la Norvégienne Anja Garbarek ou l’Islandaise Björk. À l’Est, il joue avec les Japonais Chikako Sato ou Ryûichi Sakamoto. À l’Ouest, il explore des mélodies cubaines, brésiliennes ou chiliennes. Au Sud, lui qui a vécu à Majorque met en musique un poème de Garcia Lorca, reprend un obscur groupe italien, collabore avec les Français Pascal Comelade, Daniel Darc ou Bertrand Burgalat : « Je m’imagine comme un monstre sousmarin plongeant de rivières en rivières, en un flot interrompu. »

L’EAU. Il y a en effet quelque chose d’aquatique chez l’auteur de Sea Song, un de ses plus beaux titres. Plus qu’un goût pour les sonorités fluides, coulantes, presque ivres : « Avant mon accident, je nageais comme un chiot ; aujourd’hui, je nage comme une grenouille. » C’est cela : un art du bond, oblique et insaisissable.

LE SITE www.myspace.com/lightspeedchampion Quoique inventé par eux, le rock est vite devenu un repoussoir pour nombre de Noirs anglo-saxons, qui ont trouvé ailleurs des terrains plus favorables pour affirmer et réinventer leur identité. Ce qui n’a pas empêché certains esprits larges de défier ce triste compartimentage générique, d’Arthur Lee à Sly Stone, de Prince à aujourd’hui l’étonnant Lightspeed Champion, jeune Anglais de couleurs, noir donc, mais aussi rose, rouge, bleu, etc. Membre du collectif bariolé Test Icicles, notre champion sortira son premier album solo début 2008, mais ses popsongs arc-en-ciel et tarabiscotées, proches de Blur ou Pavement, se goûtent déjà sans modération.

_Au.To.

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LES BONS PLANS Kompilés par Rémy Kolpa Kopoul

Invitations au vo Le Mali saisi par le jazz, la drum n’ bass rhabillant le Brésil, les Touaregs s’appropriant les guitares rock, les Nippons relookant la soul, les Palestiniens revendiquant le hip hop : de la musique pour perdre le nord ! DEE DEE BRIDGEWATER > 12/11 > LA CIGALE La chanteuse de jazz US, un temps installée en France, a décidé de remonter ses racines africaines et, pilotée par le clavier et producteur Cheikh Tidiane Seck, elle a suivi la piste du Mali. Un puissant album avec déclinaison magique sur scène, entourée par des musiciens d’Afrique profonde plus la crème des jazzmen. MARION > 15/11 > MAIN D’ŒUVRES - SAINT OUEN (92) Dans le (pré)nom de maRIOn, il y a la ville d’adoption de cette Normande d’origine. Elle pénètre l’univers de la samba et de la bossa avec une belle fraîcheur et des ingrédients finement électro qui agrémentent l’univers d’Ipanema. Un album riche en trouvailles sonores et une scène parisienne pour séduire l’Hexagone. YAEL NAïM > 16/11 > EMB - SANNOIS (95) On connaissait la voix pimpante du collectif électro Readymade FC. Yael Naïm fait route en nom propre dans un registre pop folk. Son disque est un délicieux chapelet de perles chantées en français, anglais ou hébreu, une brassée de ritournelles aussi sophistiquées que tubesques. CULTURE MUSICAL CLUB DE ZANZIBAR > 17/11 > LE CAP - AULNAY SS BOIS (93) (Festival Villes des Musiques du Monde) Après Ethiopiques, voici une nouvelle série de disques consacrés à un coin lui aussi méconnu de l’Afrique, Zanzibara (Buda Musique). Et dans la foulée débarque une formation du cru aux racines d’Afrique noire et de Moyen-Orient inextricablement mêlées. À explorer. ELECTRO DELUXE > 17/11 > NEW MORNING Un grand raout hors-les-murs-mais-pas-loin pour le club-phare de la rue du jazz (rue des Lombards) animé par Dee Dee Bridgewater, avec quelques noms influents de l’Hexagone qui y ont marqué le tempo : Didier Lockwood, Sixun, les frères Belmondo, Giovanni Mirabassi, JJ Milteau, Julien Lourau, Bojan Z.

DAM > 23/11 > INSTITUT DU MONDE ARABE Le trio de rap venu des territoires occupés est un véritable porte-voix de la jeunesse palestinienne, avec textes tranchants et urbains. Dam présente son deuxième album Dedication (dévouement) en partie conçu avec des rappers d’ici. Méga-tonique ! OSAKA MONAURAIL + MARVA WHITNEY > 24/11 > BATOFAR La rencontre improbable de grands frappés de la scène funk japonaise (inédits en France) avec une diva US, naguère choriste et partenaire de James Brown, bien connue dans le paysage du bon vieux R n’ B. Ça donne une sushi-soul piquante qui promet de faire chalouper le Batofar. DJ FOOD > 24/11 > MAROQUINERIE « Cooker » nippon du label britiche Ninja Tune, le maître platineur DJ Food est une fine gueule qui touille hip hop, down tempo et électro, avec piments souvent orientaux. Un pionnier du mix qu'on ne voit pas souvent dans nos cuisines. TIGRAN HAMASYAN TRIO > 24 & 25/11 > SUNSET On dit de lui qu'il renouvelle l'art d'un Bill Evans, d'un Keith Jarrett voire d'un Brad Meldhau, rien moins que ça. Il a reçu le prix Thelonious Monk (le Nobel des nouveaux pianistes). Le jeune Arménien est un surdoué du piano, un conquérant culotté qui se moque des étiquettes et chevauche avec lyrisme les voies royales. OMAR SOSA TRIO > 24/11 > ESPACE RIVE GAUCHE MÉRIEL (60) (Festival Jazz au fil de l’Oise) Il s’est taillé une réputation musicale à la hauteur de son grand gabarit. Ce Cubain géant aux allures de prophète passe sa vie à créer. Après avoir exploré la musique afro-américaine, il met le cap sur le continent noir avec son dernier album, Afreecanos. Une gourmandise lumineuse, où subtilité et énergie font bon ménage.

SMADJ > 22/11 > SATELLIT’ CAFÉ (Festival Route des Sons) Smadj joue de l'oud, le luth arabe. Il est aussi un trafiquant avéré de sons synthétiques (voir son travail dans le cadre de DuOud). Le musicien d'origine tunisienne se lance avec son instrument et ses programmations dans l’exploration de la culture musicale turque, avec groupe ottoman. Passionnant.

ME'SHELL NDEGEOCELLO > 25/11 > ÉLYSÉE MONTMARTRE JILL SCOTT > 25/11 > BATACLAN Là, il faut choisir, big dilemme pour les gourmands de groove et les amateurs de sacrés caractères : soit la chanteuse bassiste qui forge un tempo fonky incandescent et y pose ses mots réfrigérants, réaction chimique immédiate ; soit la lionne soul qui gémit pour mieux rugir, étalant ses états d'âme du moment avec une éclatante impudeur.

TOUMAST > 22/11 > NEW MORNING Et si la véritable énergie du rock se trouvait dans le désert ? Les textes affirment l’identité touareg, les guitares sonnent dru à l’attaque. Moussa le leader a troqué les armes pour la musique, Toumast diffuse la culture des Ishumars, ces premiers combattants touaregs…

MARIO CANONGE & SAKESHO > 28/11 > SUNSET Soit trois Antillais, le pianiste 4 x 4 (tout-terrain) Mario Canonge, le bassiste Michel Alibo et le batteur Jean-Philippe Fanfant plus un citoyen nord-américain, Andy Narell, caïd du steel drum (ou pan) trinidadien. Jazz, groove, calypso, biguine et piment caraïbe, avec une énergie contagieuse et facétieuse.

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yage LA MAISON TELLIER > 29 + 30/11 > ZÈBRE DE BELLEVILLE Leurs chansons dépeignent un univers sombre avec musiques dépouillées et images erratiques. Le charme de cette curieuse Maison Tellier réside dans ses climats aux confins du neurasthénique. Une touche singulière qui s’est nichée sur Nova. MORIARTY + SOUL JAZZ ORCHESTRA + J STAR > 30/11 > LA BELLEVILLOISE (Nuit Zébrée de Radio Nova) La recette du Zèbre selon Nova : un goupe pop folk avec mise en orbite fulgurante (Moriarty), un combo newyorkais qui mixe afrobeat, latino et funk (Soul Jazz Orchestra), et un soundsystem reggae et ragga du meilleur effet (J Star). Le Nova rendez-vous mensuel à Paris (retirez les invitations à la radio : 33 faubourg Saint Antoine, 75012 Paris, à partir du 26/11). BIA > 30/11 > SATELLIT’ CAFÉ (Festival Route des Sons) Brésilienne à présent basée au Québec, Bia est à elle seule le pont entre France et Brésil. Son dernier album en témoigne : reprises en français de standards brésiliens et adaptations brésiliennes de tubes français. Un petit bijou de disque par une sacrée chanteuse... SONNY ROLLINS > 01/12 > OLYMPIA Il est avec Ornette Coleman et Pharoah Sanders un «survivor» de la galerie des monuments du sax. Ce n’est pas pour rien qu’il a gagné le surnom de «Colossus» : Rollins garde la fraîcheur et le tonus de ses jeunes années. Le be bop et la Caraïbe de ses origines ont toujours fait bon ménage.


ART Ultralab™ au Jeu de Paume

Paradis artificiel Avec L’Île de Paradis ™ (version 1.15), le collectif Ultralab™ investit le Jeu de Paume jusqu’au 30 décembre. Un dispositif multimédia interactif, ludique et trompeur qui met le doigt sur la fragilité des utopies à l’heure numérique.

D

es câbles électriques qui longent les murs et pendent du plafond, des îlots bleus flottant çà et là... Rassurez-vous : il ne s’agit pas d’un accrochage en cours mais de l’intervention quelque peu intrusive du collectif d’artistes et de graphistes Ultralab™, qui inaugure la « Programmation Satellite » du Jeu de Paume. Succédant à « L’Atelier », celle-ci entend « désacraliser l’institution et réaffirmer son engagement auprès de la jeune création contemporaine », indique Marta Gili, à sa tête depuis un an. Intitulé « Terrains de jeux », le premier volet de cette programmation, confié à la commissaire Fabienne Fulchéri et décliné en quatre expositions, s’intéresse à des artistes travaillant en groupe ou faisant appel à la participation de créateurs de tous horizons.

Avec le projet L’Île de Paradis™ (version 1.15), Ultralab™, invité à investir les espaces interstitiels du lieu, donne le ton. Les créations sont disséminées dans les moindres recoins du musée, jusque dans l’espace d’exposition principal, consacré à la très sérieuse rétrospective du photographe Edward Steichen. Ici, le visiteur, lové dans un canapé en cuir, peut se laisser aller à la rêverie, tandis que musique relaxante et brochures touristiques sont mises à sa disposition. Là, dans une salle plongée dans l’obscurité, il est convié à évoluer virtuellement dans l’espace du Jeu de Paume, entièrement modélisé sous forme de jeu vidéo. Devenu explorateur, le LE VISITEUR ACCÈDE À DES ZONES visiteur découvre alors un univers parallèle INCONNUES DU MUSÉE, MODÉLISÉ SOUS parsemé d’îles. Soumis à des énigmes, il peut FORME DE JEU VIDÉO. même accéder, via des passages secrets, à des zones inconnues et inaccessibles du bâtiment. Proposant une véritable mise en abyme du lieu d’exposition, le dispositif fait ainsi double jeu, pour mieux brouiller les pistes, transgresser les règles, questionner, aussi : y a-t-il autre place que le virtuel pour abriter l’utopie, qui étymologiquement signifie « en aucun lieu » ?

À travers une multitude de médiums – peinture, dessin, musique, vidéo, 3D, installations – , Ultralab™ propose une tentative d’épuisement de l’île paradisiaque, paradigme utopique s’il en est. « On travaille souvent à partir de clichés autour desquels existe un corpus gigantesque, explique Frédéric Bortolotti, l’un des membres fondateurs d’Ultralab™. En tant que groupe à géométrie variable, nous fonctionnons nous-mêmes sur des bases utopiques… » Invitée par le collectif, l’artiste Anne-Valérie Gasc a choisi de transformer le terrain de jeux en terrain miné : elle expose les plans de démolition dite «par foudroyage intégral» de la bâtisse du Jeu de Paume. Ou comment saper l’utopie – et en l’occurrence l’institution – en livrant in situ le secret de sa destruction… Anne-Lou VICENTE Ultralab™ - L’Île de Paradis™ (version 1.15). Un Voyage au milieu du temps. Avec la participation de At Dead Horse Point, Christophe Demarthe, Anne-Valérie Gasc, Herman Gomthir, Soyung Lee et Anne-Laure Sacriste. Jeu de Paume – Site concorde. 1, place de la Concorde 75008 Paris. Entrée libre. Jusqu’au 30 décembre 2007.

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Île Disco™ par Ultalab™.


EXPOSITIONS SOTS ART 21 OCTOBRE - 21 JANVIER Né dans les années 1970, contraction de socialisme et art, le sots art détourne les images et slogans de la propagande soviétique à des fins ludiques. Malgré les tentatives de Moscou pour empêcher l’exposition parisienne, la Maison Rouge réussit à montrer 160 œuvres du mouvement. Sots Art - Art politique en Russie de 1972 à aujourd'hui - La Maison Rouge Fondation Antoine de Galbert - 10, boulevard de la Bastille, 75012.

DE SUPERMAN AU CHAT DU RABBIN 17 OCTOBRE - 27 JANVIER Organisée en 5 chapitres de 1890 à aujourd’hui, cette exposition, rassemblant plus de 230 œuvres, montre le rôle prépondérant des auteurs juifs dans la B.D. moderne. Ne pas manquer la conférence de Joann Sfar (Le Chat du Rabbin, etc.) le 29 novembre et la journée cinéma le 9 décembre. Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme - Hôtel de Saint-Aignan - 71, rue du Temple, 75003 Paris.

PLAYBACK 20 OCTOBRE - 6 JANVIER Qu’il s’agisse de vrais clips ou d’œuvres d’artistes empruntant ce format, l’exposition propose une relecture («play-back») passionnante du clip comme objet d’art, des années 1980 à aujourd’hui, de MTV au karaoké. Belle audace du nouveau directeur du MAM, Fabrice Hergott. Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris - 11, avenue du Président Wilson, 75016.

PARIS-PHOTO 15 - 18 NOVEMBRE Pour sa onzième édition, Paris-Photo offre un panorama de la photographie contemporaine, rassemblant plus de cent artistes et éditeurs du monde entier, avec cette année un focus particulier sur l’Italie. Quant au prix BMWParis Photo, il récompensera un artiste sur le thème « l’Eau, à l’origine de la vie ». Carrousel du Louvre - 75001.

LE SITE

© Ultalab™

ludovic.debeurme.free.fr Sur son site perso, Ludovic Debeurme croque à tout va : « freaks », bêtes de foires et autres créatures hybrides peuplent un monde étrange, aux confins de la folie. Face au grotesque, le jeune dessinateur adopte une attitude ambiguë, où la tendresse se mêle à l’effroi, comme chez Crumb, Bosch, Magritte ou Lynch, modèles possibles. Familier des tons rougeoyants, son trait libre et précis illustre son nouvel album de B.D., Le Grand Autre (publié ce mois par Cornélius), autobiographie cauchemardée, où l’auteur fait l’expérience de mutations monstrueuses, réflexion infiniment touchante sur l’enfance et l’altérité.

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PIERRE-OLIVIER DESCHAMPS

ARCHITECTURES PIERRE-OLIVIER DESCHAMPS Le CAUE 92 présente, en plein air et en accès libre, les photographies d’une collection impossible à réunir, regroupant cinq bâtiments remarquables de l’histoire de l’architecture européenne du XXème siècle. Les photographies ont été réalisées par Pierre-Olivier Deschamps à l’automne 2006. Faisant écho, à sa manière, aux voyages de formation à l’étranger qu’il est d’usage d’entreprendre lorsque l’on est jeune architecte, Pierre-Olivier Deschamps a arpenté le continent et rapporté de ses pérégrinations des images remarquables de justesse. Le bâtiment intime est tapi dans l’image comme, simultanément, est mémorisée sa puissance architectonique. PIERRE-OLIVIER DESCHAMPS Architectures Du 26 octobre au 29 février 2008 CAUE92 - 9 rue du Docteur Berger - 92330 Sceaux Tél. 01 41 87 04 40 AGENCE VU 17, Bd Henri IV - 75004 Paris - www.agencevu.com



TRIBUNE LIBRE

Pourquoi MK2 s’opp à l’extension du Mé Depuis quelques mois, la tension entre grands et petits du cinéma parisien est montée d’un cran. Le 13 juillet dernier, MK2 dépose un recours contre le projet d’extension du Méliès, cinéma municipal de Montreuil. TROISCOULEURS publie un texte de MK2 expliquant les raisons de son recours, ainsi qu’un communiqué du réseau de salles ISF (Indépendants, Solidaires et Fédérés) rejoignant sa position.

L

Le 13 juillet dernier, nous avons déposé un recours contre l’autorisation accordée à la ville de Montreuil de créer six salles en remplacement des trois salles du cinéma Georges Méliès. Un tel recours peut être déposé par tout organisme directement concerné par l’implantation d’un projet dans sa zone de chalandise, devant le tribunal administratif. Il ne met pas fin, en soi, au projet mais pose la question de sa légalité et permet d’ouvrir le débat pour soulever un certain nombre de problématiques.

Nous déplorons la transformation d’un cinéma de quartier de trois salles en un complexe de six salles, dont la construction et la gestion sont intégralement financées par des fonds publics. Le Méliès, propriété exclusive de la municipalité de Montreuil, n’est soumis ni aux contraintes d’exploitation ni aux contraintes de rentabilité des autres cinémas. Ce statut lui permet de déroger aux règles de concurrence normale en proposant des tarifs impraticables par les autres cinémas. S’ils s’alignaient sur les tarifs proposés par le Méliès, ces cinémas, dont nous faisons partie, ne pourraient couvrir leurs frais de fonctionnement et maintenir un niveau de rémunération suffisant pour les auteurs. Cette liberté commerciale, associée au projet d’extension, menace directement nos cinémas MK2 Nation et MK2 Gambetta, situés à moins de sept minutes en transports en commun du Méliès. Sans chercher à nous poser en victimes, nous souhaitons simplement CE PROBLÈME, QUI OPPOSE LES SALLES informer les spectateurs qu’une baisse de seulement 10 % des entrées du MK2 SUBVENTIONNÉES AUX SALLES INDÉPENDANTES Nation et du MK2 Gambetta mettra en NON SUBVENTIONNÉES, EST D’ORDRE NATIONAL. question la survie économique de ces salles de quartier, à travers lesquelles nous réalisons un véritable travail de proximité depuis presque dix ans.

«

»

Ce problème, qui oppose les salles subventionnées aux salles indépendantes non subventionnées, n’est pas uniquement d’ordre local, mais d’ordre national. Le réseau de cinémas indépendants d’art et d’essai Utopia, dont le travail est unanimement reconnu par la profession, fait face aux mêmes problématiques dans différentes villes de France. Ils nous ont apporté leur soutien par le biais d’un communiqué diffusé par l’association ISF (Indépendants, Solidaires et Fédérés, publié ci-contre). Nous avons été très choqués, ainsi que l’ensemble de nos collaborateurs, par la virulence et l’inexactitude des attaques qui nous ont été portées dans la profession et dans les médias suite au dépôt de ce recours. En matière d’exploitation, depuis trente ans, nous avons été précurseurs dans de nombreux domaines : pour l’implantation de salles dans les arrondissements délaissés par le cinéma, pour le travail de proximité dans les quartiers, pour la version originale, les séances découvertes, les cycles pour les enfants... En tant que spectateur, vous êtes notre seul juge, c’est pourquoi nous avons souhaité vous soumettre les raisons de notre démarche. Nous vous remercions de continuer à être exigeant vis-à-vis de ce que nous accomplissons. C’est vous qui nous poussez chaque jour à améliorer la qualité de notre travail, à défendre une autre idée du cinéma. _MK2

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ose liès ? S

uite aux articles parus dans Le Monde, Libération et L’Humanité, concernant le projet d’extension de trois à six salles du cinéma de Montreuil, nous tenons, salles indépendantes, classées Art et Essai Recherche, ne dépendant ni des grands groupes, ni des politiques municipales, à faire valoir notre modeste point de vue, sur une approche un peu trop simpliste du problème. En effet, s’il se trouve que ce projet est contesté par deux puissants opérateurs qui semblent y voir une forme de concurrence déloyale, il nous semble opportun de souligner que nous nous sentons nous-mêmes, petits opérateurs privés, interpellés par une réalisation qui transforme, de fait, un cinéma public de bonne tenue en compétiteur dans la « cour des grands » et fait d’un élu le véritable bénéficiaire d’une opération qui ne sert qu’à alimenter les tensions sur un marché qui n’en a guère besoin.

Cette politique nous inquiète, car elle s’inscrit dans une dérive de plus en plus délirante des collectivités locales, qui vont jusqu’à intervenir dans le développement de petits multiplexes généralistes ou de salles municipales qui n’ont, pour beaucoup, ni ligne éditoriale claire, ni soucis de gestion, leur financement se faisant sur un argent public pourtant de plus en plus compté. Cette politique nous inquiète, car les recours engagés contre le projet de Montreuil risquent de menacer le principe même des aides sélectives du CNC, celles-là même qui permirent parfois à des salles indépendantes de qualité d’exister, sans qu’il soit fait allégeance aux élus locaux et sans qu’il soit fait appel au contribuable. Regroupées dans l’association ISF (Indépendants, Solidaires et Fédérés), nos salles tiennent à rappeler que les graves tensions perceptibles aujourd’hui dans l’exploitation trouvent sans doute leur origine dans les retours sur investissement nécessaires à l’amortissement de multiplexes qu’elles furent bien souvent seules à combattre. Tout comme elles furent aussi parmi les seules à combattre la mise en place de la carte UGC Illimitée. Nos salles tiennent en outre à affirmer qu’il n’y a pas d’un côté des salles municipales et des salles indépendantes parées de toutes les vertus et de l’autre des grands circuits de diffusion nourris de tous les vices. La situation qui prévaut aujourd’hui dans notre pré carré d’exploitants de cinéma est à l’image du monde dans lequel nous vivons : confus, compliqué et chaotique. Il est des salles municipales qui effectuent dans des endroits géographiquement ou sociologiquement difficiles un travail remarquable avec un soutien trop chichement compté. Il est des salles municipales qui bénéficient de véritables rentes de situation. Il est des cinémas comme les nôtres, indépendants des circuits et des pouvoirs publics, qui, non contents d’en découdre avec les uns et les autres, se voient très souvent mis en danger par des créations dans leur proche zone d’influence de salles municipales subventionnées. Il est des groupes, que nous avons souvent violemment combattus, qui contribuent parfois, pour notre malheur d’artisans, à jouer un rôle positif dans la diffusion d’un cinéma diversifié : se plaindra-t-on que Promesses, film israélo-palestinien, Il a suffi que maman s’en aille, œuvre d’un auteur français trop discret, et bien d’autres aient trouvé parmi les multiplexes un soutien qu’ils ne trouvaient pas auprès des salles indépendantes ? La situation est complexe, contradictoire, souvent douloureuse pour les uns comme pour les autres. ISF appelle donc les pouvoirs publics à un Grenelle de l’exploitation qui fixerait enfin les droits et devoirs respectifs, chacun jouant cartes sur tables et chiffres au clair. _COMMUNIQUÉ DIFFUSÉ PAR ISF (Indépendants, Solidaires et Fédérés)

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RÉSEAUX Le marché trouble des noms de domaine

Nom d’un lien! Marianne, Facebook ou Bertrand Delanoë figurent parmi leurs victimes récentes : de nombreux internautes spéculent sur le marché de plus en plus lucratif des noms de domaine. Voyage dans le maquis du « cybersquatting », aux frontières de la légalité.

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n croyait qu’Internet était le royaume d’une france2.com et france3.com. Par manque de vigilance, gratuité sans fin ? On redécouvre ces temps-ci l’audiovisuel public a laissé ces deux URL stratégiques filer qu’il est aussi un espace soumis à la rareté, et en 2001 vers la Corée du Sud, où un certain Segwon Kim donc à la valorisation. Cette rareté, c’est celle des les exploite de la manière la plus lucrative qu’il soit : avec noms de domaine efficaces et accrocheurs. Le magazine du contenu porno. Évidemment, France Télévisions a engagé Marianne en a fait les frais début septembre. Ayant oublié des poursuites mais n’a jamais réussi à faire appliquer en de renouveler l’adresse marianne-en-ligne.fr, le journal l’a Corée la décision des tribunaux français. En attendant un vu s’envoler vers les pays de l’Est, où un petit malin a racheté éventuel dénouement, Segwon Kim s’amuse et laisse à l’URL devenue libre. Résultat : pendant quelques jours, l’occasion des petites joyeusetés aux nombreux internautes marianne-en-ligne.fr a pointé vers une série de liens publicitaires, français qui tombent sur ces sites : « French is dirty frogs... !» dont l’un d’entre eux promettait... « vite des seins plus gros ». Le magazine a dû sortir le LE RECORD APPARTIENT À SEX.COM QUI EST porte-monnaie pour racheter l’adresse, sans PARTI POUR 14 MILLIONS DE DOLLARS. que le montant de la transaction soit révélé. Un mois plus tard, c’était au tour de Facebook de se faire Un chiffre doit faire frémir France Télévisions : d’après les taquiner. Alerté par le succès du site communautaire, un spécialistes, environ 10 % des recherches sur Internet se Français a réservé l’URL facebook.fr et y a créé un mini- font en tapant le mot désiré dans la barre d’adresse et en réseau baptisé Facebook Paris. Mais dépassé par les y ajoutant une extension (le plus souvent .com). Partant de événements, il a vite supprimé ce Facebook en toc pour le cette constatation, un véritable marché du nom de domaine remplacer par une vidéo démontrant les qualités de ce nom s’est constitué autour des «domainers». Pour ces professionnels de domaine, histoire de le revendre au plus vite... qui spéculent sur les URL, détenir une adresse fortement monétisable (du type news.com ou food.com) laisse le choix Si Facebook est resté très serein face à ce pirate maladroit, entre deux stratégies : revendre le nom de domaine (le record le «cybersquatting» (achat délibéré d’une adresse liée à un appartient à sex.com qui est parti pour 14 millions de dollars) nom ou une marque connue) peut parfois se révéler terrible. ou l’exploiter en mettant des liens publicitaires en rapport Cela fait six ans que France Télévisions pleure la perte de avec le sujet. À ce petit jeu, le plus malin s’appelle Kevin Ham.

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Vu de loin, tout cela ressemble furieusement à un marché noir. Mais que dit précisément la loi ? « Rien n’interdit l’achat d’un nom de domaine libre. Chacun peut le faire pour environ 10 euros. C’est après qu’on peut se faire rattraper par le droit des marques, par les règles de protection des noms de personnalités ou des appellations d’origine », explique Cédric Manara, professeur de droit à l’EDHEC. En pratique, les procès sont peu fréquents, les noms de domaine se revendant en général en sous-main pour une somme raisonnable qui permet aux deux parties d’éviter un coûteux procès. C’est ce qui risque d’arriver à bayrou2012.com, royal2012.com et à la foultitude d’autres noms de domaine achetés par des particuliers en prévision de la présidentielle 2012. Pincesans-rire, le détenteur de royal2012.com, un Français expatrié au Sénégal, nous précise qu’il en fera «peut-être un site sur Ségolène Royal, sur l’Hôtel Royal de Bormes-les-Mimosas ou encore sur le clown Royal ». Mais que risque-t-il, monsieur le professeur, en cas de procès ? « Des dommages et intérêts certainement à hauteur de 5000 euros et l’obligation de restituer le nom de domaine. Sauf s’il décidait de faire de cette adresse un site anti-Royal, ce qui est tout à fait légal car en démocratie, la contradiction a le droit de s’exprimer. » Mais comme souvent en droit de l’Internet, les décisions sont fluctuantes. Récemment, un proche de Françoise de Panafieu, qui avait créé un site anti-Delanoë à l’adresse delanoe2008.fr, a dû la rendre, sur décision de justice, au maire de Paris. _Baptiste DUROSIER

MOT @ MOT

POKER

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Ce Canadien a eu une idée géniale, à la limite de la légalité : passer un contrat avec le gouvernement du Cameroun pour rediriger toutes les adresses possibles en .cm vers son site. Ainsi, l’internaute qui veut aller sur le site de MK2 et oublie négligemment le « o » de mk2.com se retrouve sur le portail publicitaire de Kevin Ham. L’astuce est plus que rentable : sa petite entreprise est estimée à 300 millions de dollars.

JEU D’ARCADE Enfant du web, le groupe Arcade Fire sait toujours faire monter le buzz : sur leur dernier clip, Neon Bible, l'internaute peut interagir avec le chanteur dans une étonnante chorégraphie 2.0. www.beonlineb.com/click_around.html

L'ÉCO POUR LES NULS Trois économistes-blogueurs combattent l'image « lugubre » de leur discipline. Mission accomplie : leurs divagations économiques éclairent novices et avertis, sans tomber dans le piège de la simplification. // econoclaste.org.free.fr/dotclear

LA BOTTE DE STALINE À L’AFFICHE Ce blog dépoussière nombre d’affiches soviétiques, réalisées entre 1917 et 1991. Toujours bien contextualisés, ces posters de propagande naviguent entre le sublime, le kitsch et le poétique. sovietposter.blogspot.com

FACEBOOK DE PROXIMITÉ Marre de l'immensité de Facebook ? Ning permet de créer très facilement son propre réseau social, en le centrant sur le thème de son choix : la boulangerie, le rock des années 1970 ou la drague dans le XIème arrondissement. // www.ning.com

AU-DELÀ DE LA MUSIQUE L'imposture est le blog d'un fameux rock critique parisien. Avec style et érudition, il truffe ses analyses musicales de digressions philosophiques du meilleur aloi. Qualité certifiée. archicheap.blogspot.com

[poké] v. tr.

(de l’anglais to poke, pousser ou montrer du doigt, donner un coup de coude) 1°. A. Sur les sites dits de « réseau social », envoi d’une sollicitation virtuelle ne portant aucun message, afin d’établir un contact. Sur Facebook, Nicolas a poké Brice, un membre de son club de boules. B. Pour les anglo-saxons, il s’agit d’une sollicitation non moins virtuelle mais à forte connotation sexuelle. Après deux heures de chat, Dick a finalement réussi à poker Kitty sur Facebook. 2°. Interjection désignant le fait de toucher de la main ses camarades de jeux, provoquant une crispation linguistique de la part des équipes pédagogiques des établissements bilingues (cf. 1°. A. et B.). Poké ! C’est toi le chat !

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JEUX VIDÉO Les stratégies des trois « grands » en vue de Noël

Manège à trois Noël approche, et scellera définitivement le sort des dernières consoles des trois géants du jeu vidéo, Sony, Microsoft et Nintendo. Si pour l’heure la Wii mène le jeu, la Xbox et la PS3 n’ont pas dit leur dernier mot. Décryptage des stratégies en cours.

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vec l’automne, les grandes manœuvres ont commencé. Baisses de prix, nouveaux jeux, grandes annonces : les trois fabricants de consoles ont abattu leurs cartes après plusieurs mois où chacun semblait d’abord observer le voisin. Stratégiquement, le moment est crucial, deux ans après la sortie de la Xbox 360, un an après celles de la Wii et de la PlayStation 3 (seulement disponible en Europe depuis mars). En cette fin d’année se jouera une partie du destin de cette génération de consoles. Pour la première fois depuis longtemps, Nintendo aborde Noël en position de force, la Wii dominant les bilans SURPRISE : AVEC 12 MILLIONS DE WII mondiaux avec plus de 12 millions d’exemplaires vendus. Frôlant ce total, la Xbox 360 fait bonne figure VENDUES, NINTENDO ABORDE NOËL EN mais sa situation est plus contrastée : gros succès POSITION DE FORCE. aux États-Unis, bons résultats en Europe (avec un léger bémol pour la France), bide au Japon. Contre toute attente après les triomphales PlayStation 1 et 2, c’est l’ex-ogre Sony qui ferme la marche avec moins de 5 millions de PS3 écoulées. Sur le site Gamasutra, Billy Pidgeon, du bureau d’étude américain IDC, note un bouleversement du marché derrière Nintendo, qui a choisi de « s’adresser au grand public dès le lancement [de sa console] plutôt qu’en milieu ou en fin de cycle » comme c’est d’habitude le cas. Pendant que Microsoft et Sony lançaient leurs consoles coûteuses assorties de jeux pour hardcore gamers (course, FPS…), Nintendo gagnait le pari inverse : proposer une machine doublement abordable, par ses jeux et par son prix – qui ne l’empêche pas d’être rentable quand ses rivales sont vendues à perte. Conséquence de cette stratégie : c’est en titres plus traditionnels, éclipsés par Wii Sports, que Nintendo doit à

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_Erwan HIGUINEN

LE SITE

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présent alimenter sa console. Après Metroid Prime 3 en octobre, la firme de Kyoto mise sur le retour de son plombier fétiche : à Super Mario Galaxy de convaincre les gamers que Nintendo ne les a pas oubliés. Mais le Japon sera vite le cadre d’une nouvelle grande offensive mainstream avec Wii Fitness, pourvu d’une simili balance sur laquelle le joueur s’agitera. Alors que les éditeurs réorientent leurs efforts vers la Wii (les Britanniques de Screen Digest ont dénombré 86 sorties Wii au dernier trimestre contre respectivement 47 et 38 pour la Xbox 360 et la PS3), le seul souci pour Nintendo devrait être de produire suffisamment de consoles pour répondre à la demande. Ce qui, selon Reggie Fils-Aimé, président de la branche américaine, ne sera encore peutêtre pas le cas ce Noël. Pendant ce temps, Sony s’est résolu à baisser le prix de sa console : il n’en coûte désormais plus «que» 500 € pour s’offrir une PS3 (avec deux jeux) alors qu’un nouveau modèle, équipé d’un plus petit disque dur et n’acceptant pas les jeux PS2, est vendu 400 €. Malgré une nouvelle version du karaoké Singstar et, au Japon, Gran Turismo 5, Sony semble surtout vouloir limiter les dégâts en attendant 2008, le jeu de plateformes collaboratif Little Big Planet, l’interface web-monde persistant Home ou les blockbusters Metal Gear Solid 4, Devil May Cry 4 et GTA IV. Petit ennui pour la maison PlayStation : Microsoft lui laisse peu de latitude et les deux derniers sortiront également sur Xbox 360. Comme la PS3, celle-ci a vu son prix fondre, de 350 à 280 € pour la version de base et de 400 à 350 pour celle à disque dur. Renforcé par le succès de Halo 3, espérant beaucoup du RPG Mass Effect, Microsoft a d’autre part annoncé que le premier de ces deux modèles serait proposé dans un pack contenant cinq jeux grand public, dont un nouveau Pac-Man et l’indémodable UNO. UNO en attendant GTA ? Voilà bien une preuve que, pour le marché du jeu vidéo, les temps changent.

ASSASSIN’S CREED Sur fond de croisades, Assassin’s Creed nous change en tueur hantant les toits de Damas ou Jérusalem. Star des salons du jeu, il s’annonce vertigineux. Disponible : 9 novembre Éditeur : Ubi Soft // Plateformes : PS3, Xbox 360

SILENT HILL ORIGINS Confiée à une nouvelle équipe (britannique), la terrorisante série Silent Hill se réinvente sur console portable, en levant le voile sur sa genèse. Disponible : 15 novembre Éditeur : Konami // Plateforme : PSP

SUPER MARIO GALAXY Le divin moustachu revient dans un jeu de plateformes qui le voit bondir de planète en planète. Et c’est le joueur qui est en apesanteur. Disponible : 16 novembre Éditeur : Nintendo // Plateforme : Wii

MASS EFFECT Les auteurs de Knights Of The Old Republic renouent avec la science-fiction pour un jeu de rôle monumental, qui occupera encore ses fans bien au-delà des fêtes. Disponible : 23 novembre Éditeur : Microsoft // Plateforme : Xbox 360

ZACK & WIKI : LE TRÉSOR DE BARBAROS Un style cartoon adorable, des énigmes joliment alambiquées et une utilisation novatrice de la Wiimote : Zack & Wiki est l’un des trésors de cette fin d’année. Disponible : 7 décembre Éditeur : Capcom // Plateforme : Wii

earth.google.fr Toujours sur notre dos, Google ressemble à un grand frère garde-chiourme. Mais, aînesse oblige, il a toujours les plus beaux jouets. Étudiant consciencieux du Cap, le Sud-Africain Marco Gallotta a découvert qu’en pressant ctrl+alt+A une fois Google Earth lancé, l’on accédait à un simulateur de vol. Du bout de la souris ou du joystick, l’employé de bureau lambda se transforme alors en un condor saint-exupérien surplombant les Andes. On peut aussi faire du mauvais esprit en survolant Big Apple en rase-mottes… Si pour l’instant seuls les reliefs montagneux sont en 3D, le résultat n’en est pas moins de haut vol.

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VIDÉO À LA DEMANDE www.mk2vod.com

SERPICO Sidney LUMET L’histoire vraie du seul flic honnête de New York, joué par un acteur alors débutant : Al Pacino. erpico (1973) raconte la descente aux enfers d’un jeune inspecteur de police, Frank Serpico (Al Pacino), modèle de probité, prisonnier d’un milieu rongé par la corruption. À travers cette odyssée solitaire et angoissée dans la jungle urbaine américaine, Sidney Lumet guide le spectateur parmi les méandres de la police new-yorkaise, ses petits arrangements avec la mafia locale, ses menus trafics et chantages variés. Le New York décadent des années 1970, gangrené par le crime et la drogue, sert une fois de plus de toile de fond au cinéaste, qui n’a presque jamais tourné ailleurs. Le cynisme grinçant de Lumet expose la corruption morale des corps et des institutions, qui deviendra par la suite l’un de ses thèmes récurrents (voir Network en 1976). Des images d’un réalisme cru dessinent la lente métamorphose de Serpico, peu à peu miné par le pourrissement généralisé. Lancé par Le Parrain l’année précédente, Pacino, en policier hippie hirsute et excentrique, joue ici l’un de ses premiers rôles. La noirceur et le pessimisme assumé de ce film à charge lui vaudront deux nominations aux Oscars (meilleur acteur et meilleur scénario).

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_Clémentine GALLOT ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

L'IMAGINAIRE À LA CARTE Cycle fantastique, dans tous les sens du terme, ce mois-ci sur MK2vod. Le dernier bijou de Guillermo Del Toro, Le Labyrinthe de Pan, s’inscrit dans la lignée d'un cinéma étrange et décomplexé, qui n'est pas sans rappeler Tim Burton. Le retour d'un maître du genre est marqué par Land Of The Dead de George A. Romero, parabole politique sous couvert d'horreur. Même procédé pour Carpenter dans Invasion Los Angeles, critique subtile de la société de consommation.

FAMILLE, JE VOUS AIME Un air de (grande) famille flotte ces temps-ci sur notre plateforme. Les Petits Fils, comédie intimiste tournée en DV, confirme que dans l'épreuve (le deuil d'un être cher), les proches sont un appui solide. Un peu comme les copines de Comme t'y es belle, liées autant par leurs origines que par une belle amitié. Les responsabilités familiales peuvent toutefois s'avérer lourdes à porter pour la mère du drame de Dominique Cabrera, Le Lait de la tendresse humaine.

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SCIENCE-FICTION La chronique des objets de demain... Le drone ELSA

Le peuple migrateur Que fait la police ? Elle plane. Le STSI (service des technologies de la sécurité intérieure) vient de mettre au point ELSA, un aimable drone de surveillance qui devrait bourdonner au-dessus des têtes banlieusardes d’ici Noël. Voyage dans un futur plus proche qu’il n’y paraît.

«

Il est frais mon ADN de souche auvergnate ! Frais! », braille un vendeur à la sauvette de shoots homologués « label cocardier pour regroupés familiaux». Sur une place anonyme et bétonnée de ce que l’on nomme pudiquement dans le lexique élyséen version 2007 un « quartier », j’avise le négociant patibulaire : « T’en as ? »

« INFRACTION : IMPUNITÉ ZÉRO ! » Dans un ronflement wagnérien, un essaim de drones s’abat sur moi, victime hitchcockienne d’une patrouille de piafs à la citoyenneté tatillonne. Jeune Icare d’une cité tout sauf crétoise, je suis emporté par la nuée sécuritaire jusqu’au nid de poulets le plus proche.

« Rapporte kiki rapporte ! » Ma monture part en torche, sanctionnée en plein vol par un flash-ball. Mes chasseurs : les membres du FBI (Fédération de Ball-trap en Île de France), qui tente de réguler la prolifération de drones sauvages. Tout en achevant la bête d’un auguste coup de taser, l’auteur du tir m’invite à partager le repas au pavillon de chasse du CRS (Chasse Républicaine et Safari). Servie ligotée dans un panier sur lit de salade, la viande coriace du volatile est adoucie par une sauce grenade au poivre antiémeute. Mauvais vin et bon esprit quinquennal concluent la cène d’une maxime du siècle dernier : - Aujourd'hui, c'est la chasse à l'ours. Où cours-tu le lapin ? Tu ne risques rien ! - Eh, t'es con ! J'ai pas mes papiers ! (Michel Colucci, dit Coluche). _Etienne ROUILLON

ÇÀ FOUT LE BOURDON... Bzz… Dans le lexique militaire français un drone se traduit par « bourdon ». Pour faire passer la dragée, le STSI l’a baptisé ELSA, pour « Engin Léger de Surveillance Aérienne ». 1,20 m. C’est l’envergure d’ELSA, soit une fois et demie celle d’un Necrosyrtes Monachus ou vautour charognard. 1,5 kg. Le poids maximum d’ELSA une fois bardée de caméras, c’est à dire le poids moyen d’un vautour charognard la panse pleine d’os de cailles et de rats. 1224 C’est le nombre d’Elsa nées en 2005. Toute la rédaction s’associe à la peine de leurs parents poètes amateurs d’Aragon. 10 000 € pour un drone disponible dès décembre ou 2 222 sandwichs grec-frites. Dans les deux cas, c’est dur à avaler.

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illustration : © Thomas Dapon

Une centaine de mètres plus haut, nous évitons de peu la collision avec une cigogne de la patrouille Hortefeux, qui achemine un nouveau citoyen certifié NF babillant son sentiment d’insécurité à ses géniteurs extatiques. Au loin, les minarets identitaires nationaux retransmettent l’appel du petit Pernaut des peuples.




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