Trois Couleurs #59 – Février 2008

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CINÉMA I CULTURE I TECHNOLOGIE

NUMÉRO 59 I FÉVRIER 2008







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ÉDITO LA NUIT AMÉRICAINE

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Tendances, Ciné fils, Regards croisés, Scène culte DOSSIER LE MAL AMÉRICAIN : Portrait de Daniel Day-Lewis ; la polémique Redacted ; origines et figures du Mal américain ; interview des acteurs de Battle For Haditha… PLEIN ÉCRAN : Peur(s) du noir de Blutch, Charles Burns, Richard McGuire... Capitaine Achab de Philippe Ramos There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson LE GUIDE des sorties en salles

CULTURE 46_ 48_ 50_ 52_ 54_ 56_

DVD : Monte Hellman, l’Amérique au point mort LIVRES : Irvine Welsh et le nouveau roman écossais MUSIQUE : Nick Cave, fossoyeur rock LES BONS PLANS DE ART : Loris Gréaud au Palais de Tokyo PAR Richard Dumas et Philippe Garnier

TECHNOLOGIE 58_ 60_ 62_ 64_ 66_

TRIBUNE LIBRE : La vogue de la « clean tech » RÉSEAUX : La Silicon Valley à l’assaut d’Hollywood JEUX VIDÉO : Paul Davis, game-designer punk VOD : Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino SCIENCE-FICTION : L’Eee PC, ordi rikiki

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SOMMAIRE # 59 CINÉMA

À n’en pas douter, 2008 sera une année américaine. On y annonce une récession économique imminente ; on y décidera, ou pas, du sort des conflits qui ensanglantent le Moyen-Orient ; on y élira, surtout, un nouveau président. Sur le simple registre du cinéma, le jury du festival de Cannes sera coiffé d’un patriote dissident (Sean Penn), tandis que la grève des scénaristes continue de paralyser le système des studios. Ce faisceau de raisons nous a poussé à consacrer notre premier numéro de l’année à ce pays surpuissant, quoique fragilisé. L’actualité des sorties nous a facilité la tâche : de Redacted à There Will Be Blood ou No Country For Old Men, le cinéma américain nous offre les films les plus forts du moment, tous remués par la lancinante question du Mal. D’où l’idée de remonter aux sources de ce questionnement moral, et d’évoquer de manière transversale les figures qui ont pu incarner ce doute américain, de Nick Cave à Daniel Day-Lewis, de Jack Nicholson à Monte Hellman. Cependant, en enquêtant sur le fascinant vivier technologique de la Silicon Valley, nous avons voulu rappeler, à rebours d’un trop grand pessimisme, qu’à la nuit succède généralement l’aurore. _Auréliano TONET

ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA / 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS / 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION > Elisha KARMITZ I RÉDACTEUR EN CHEF > Elisha KARMITZ elisha.karmitz@mk2.com I DIRECTEUR DE LA RÉDACTION > Auréliano TONET aureliano.tonet@mk2.com / troiscouleurs@mk2.com RESPONSABLE CINÉMA > Sandrine MARQUES sandrine.marques@mk2.com I RESPONSABLE CULTURE > Auréliano TONET I RESPONSABLE TECHNOLOGIE > Étienne ROUILLON etienne.rouillon@mk2.com I ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO > Christophe ALIX, Sébastien ARNOULT, Antonin DELIMAL, Stéphane DELORME, Pascale DULON, Baptiste DUROSIER, Maïa GABILY, Clémentine GALLOT, Joseph GHOSN, Erwan HIGUINEN, Florian JARNAC, Roland JHEAN, Rémy KOLPA KOPOUL, Raphaëlle LEYRIS, Sophie QUETTEVILLE, Antoine THIRION, Jean-Baptiste THORET, Florence VALENCOURT, Anne-Lou VICENTE I ILLUSTRATIONS > Laurent BLACHIER, Thomas DAPON, DUPUY-BERBERIAN, Fabrice GUENIER, David LANASPA, Gianpaolo PAGNI. DIRECTRICE ARTISTIQUE ET MAQUETTE> Marion DOREL marion.dorel@mk2.com I IMPRESSION / PHOTOGRAVURE > FOT I PHOTOGRAPHIES > AGENCE VU’, DR I PHOTOGRAPHIE COUVERTURE > Fred KHIN DIRECTEUR DE LA PUBLICITÉ > Alexandre ALAUZET / 01 44 67 32 88 / alexandre.alauzet@mk2.com I RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA > Laure-Aphiba KANGHA / 01 44 67 30 13 laure-aphiba.kangha@mk2.com CHEF DE PUBLICITÉ > Solal MICENMACHER / 01 44 67 32 60 solal.micenmacher@mk2.com © 2007 TROIS COULEURS// issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. // Tirage : 200 000 exemplaires // Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique.


© L’Association

Hors des cases

À 29 ans, Riad Sattouf, dont l’humour darwiniste rénove la B.D. hexagonale, collectionne les bestsellers. 2008 sera l’année de son passage au cinéma. Sous ses airs timides et joufflus, Riad Sattouf est un obsédé. Lui-même l’admet : « Je suis moins obsédé par le sexe que par la question de l’adaptation : comment l’être humain s’adapte à un environnement changeant, au surgissement de la violence et de la pulsion animale en lui. » Un goût pour l’anomalie animalière qui puise en partie dans ses lectures : Darwin, et surtout Carl Gustav Jung, le disciple déviant de Freud, inventeur des concepts d’inconscient collectif ou d’archétype. Rénover les archétypes de la B.D., Sattouf s’y emploie depuis ses débuts il y a cinq ans, avec un succès probant. De l’autofiction (Ma Circoncision) au reportage (Retour au collège), du comic-strip (La Vie secrète des jeunes) aux fictions à héros récurrent (Pascal Brutal), il revisite chaque genre avec une jeunesse d’esprit matoise. Sa touche ? Un dessin volontairement « sommaire », faisant d’autant mieux ressortir certains détails risibles, telle la mythique gourmette de Pascal Brutal. En 2008, ce fan des Inconnus et de Truffaut, qui a passé sa jeunesse entre la Syrie et la Bretagne, s’attaquera à un continent nouveau : le cinéma, en contribuant vocalement au Petit Vampire de son ami Joann Sfar, et en tournant « un scénario original avec des comédiens en juin prochain, dans un collège ». Histoire de tester, une nouvelle fois, ses facultés d’adaptation.

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TENDANCES

CALÉ

DÉCALÉ

RECALÉ

Le Mal

Le Bien

Le moyen

Le Mal se porte plutôt bien, merci pour lui. De Redacted à There Will Be Blood, de Nick Cave au game-designer Paul Davis, l’actualité culturelle regorge de figures travaillées par des inclinations malsaines. Honni soit qui mal y pense ?

Ces temps-ci, l’axe du Bien développe des stratégies dont la malice nous plaît bien : Bigard reçoit la bénédiction papale, le rappeur marseillais Soprano triomphe « à la bien », et le label Les Disques Bien pervertit la chanson française. Bien ouaije !

Ça va bof bof pour l’empire du milieu : l’État central n’a plus de moyens, ses serviteurs les ministres devront avoir des notes au-dessus de la moyenne s’il veulent rester au gouvernement, et le MoDem centriste se débat en milieu hostile. Médiocre.

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Par le menu

En 2007, les cinéastes ont souvent planté leur caméra dans un décor de choix : le restaurant. Au menu, de nombreuses tranches de vie. Addition de solitudes, destins croisés, la salle de restaurant alimente les meilleurs récits. Mise en bouche… Cuisine et indépendance : une serveuse célibataire trouve l’amour (Ruby In Paradise) tandis qu’une autre, mariée, s’émancipe grâce à la pâtisserie (Waitress). Mais ce n’est pas de la tarte... aux myrtilles, douceur qui réunit deux solitudes dans un dinner chez Wong Kar-Wai (My Blueberry Nights). Décor souvent représenté par le peintre naturaliste Edward Hooper, le dinner fait partie intégrante de la scène américaine. Les plus grands réalisateurs se mettent souvent à table outre-Atlantique, comme Martin Scorsese qui réunit ses mafieux autour de roboratives spécialités italiennes (Les Affranchis). Le restaurant est le lieu central de luttes de pouvoir, de conflits et de règlements de compte (Mean Streets). Il se charge d’une inquiétante étrangeté chez David Lynch (Mulholland Drive), de nostalgie chez Arthur Penn (Alice’s Restaurant), de mélancolie chez Peter Bogdanovich (La Dernière Séance) et Wim Wenders, où un couple meurtri se reforme après des années (Paris, Texas). Autres retrouvailles, celles d’un duo lié par un secret chez Oliveira (Belle toujours). Solidarité chez Kechiche : la famille se sert les coudes autour de l’ouverture d’un restaurant flottant (La Graine et le mulet), alors qu’une autre se déchire chez Woody Allen (Le Rêve de Cassandre). Lieu du secret, le restaurant abrite les activités souterraines d’un mafieux russe chez David Cronenberg (Les Promesses de l’ombre), quand il ne révèle pas la nature duelle d’un gérant bon teint, intégré à la communauté (A History Of Violence). Dans L’Aile ou la cuisse et Ratatouille, critiques gastronomiques et chefs tentés par des méthodes industrielles se côtoient. Au risque de la crise de foie (La Grande Bouffe) ! Un glouton s’empiffre ad nauseam dans Le Sens de la vie des Monty Python, jusqu’à s’en faire exploser le ventre. Les fines bouches auront ce cinéma-là sur l’estomac.

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CINÉ FILS

La bande originale

ALAIN RESNAIS PORTRAIT MUSICAL (Emarcy / Universal) L’œuvre d’Alain Resnais est traversée par une curieuse dichotomie : d’un côté, un attachement très cérébral à toutes formes d’expérimentations formelles, de dispositifs conceptuels audacieux ; de l’autre, une attention aiguë aux sentiments de ses personnages. Un allerretour du cœur à la tête qu’a toujours accompagné, voire fluidifié la musique de ses films, aussi intelligente que sensible. D’Hiroshima, mon amour (1959) à Cœurs (2006), de Georges Delerue à Mark Snow, ce superbe portrait musical impose Resnais comme le plus tendre inventeur de formes du cinéma français.

Le ciné livre

BERNARD BENOLIEL

Clint Eastwood (Le Monde / Cahiers du cinéma)

Après un classieux livre d’entretiens du réalisateur d’Impitoyable publié avant les fêtes, les Cahiers du cinéma récidivent aujourd’hui avec ce court volume, l’un des meilleurs de la collection « Grands cinéastes ». Bernard Benoliel dit dans une langue accessible mais exigeante la spécificité d’Eastwood : acteur au jeu minimal, réalisateur de facture classique, à l’aise dans tous les genres ou presque, il a mieux que nul autre représenté la dialectique entre l’individu et la communauté, minés par une violence originelle d’autant plus fascinante qu’elle est insondable. Chapeau, cowboy !


Cinquième volet d'une série de six caricatures, TROISCOULEURS a demandé à l'illustrateur Laurent Blachier de croquer le réalisateur Emir Kusturica, dont le nouveau film Promets-moi sort le 30 janvier dans les salles. www.laurentblachier.com


REGARDS CROISÉS

Nicholson vs Hopper

A

ctuellement à l’affiche de The Bucket List de Rob Reiner, Jack Nicholson a fait ses débuts au sein de l’écurie Corman, tout comme Dennis Hopper. Avec ce réalisateur-producteur, Nicholson a tourné une vingtaine de films, dont La Petite Boutique des horreurs. On le retrouve plusieurs fois chez Monte Hellman, notamment dans le western The Shooting. Dennis Hopper s’est lui aussi illustré dans le genre, en partageant des scènes avec le grand John Wayne (Cent Dollars pour le shérif). Il donne également la réplique à James Dean – autre légende – dans La Fureur de vivre et Géant. Mais c’est en réalisant Easy Rider, road-movie emblématique de la génération hippie, que Dennis Hopper gagne sa notoriété. Peter Fonda et Jack Nicholson l’accompagnent dans cette odyssée désenchantée. Le mythe Nicholson est en marche. Son rictus grimaçant et son jeu borderline servent des compositions habitées de malade mental (Vol audessus d’un nid de coucou), de privé ambigu (Chinatown) ou d’écrivain psychotique (The Shining). Tout aussi déjanté, prunelle bleue dilatée, Hopper incarne un photographe dans Apocalypse Now, où il est employé quasiment dans son propre rôle. L’acteur, par ailleurs peintre et poète estimé, a en effet exposé ses clichés à plusieurs reprises. Alors que Nicholson emprunte la voie royale, épinglant à son blason trois Oscars, Hopper désintoxiqué zigzague entre séries Z et B, avant son retour en force chez David Lynch en 1986, où il est Franck Booth (Blue Velvet), un tueur désaxé et pervers. Sobre et brisé chez Sean Penn (Crossing Guard, The Pledge), Nicholson renoue avec la folie dans Les Infiltrés en 2006. D’une élégance hiératique, Hopper continue d’inquiéter de rôle en rôle. À 70 ans passés, des projets pleins leurs poches, les vieux loups sont encore prêts à dévorer les jeunes agneaux d’Hollywood.

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Illustration : © Fabrice GUENIER

Acteurs de la même génération, Jack Nicholson et Dennis Hopper ont traversé cinq décennies de cinéma américain. Revenues des années hippies, ces personnalités souvent extravagantes à l’écran continuent à régner sur Hollywood. Retour d’acide.



SCÈNE CULTE Le Péril jeune

Mauvais genre LA PETITE HISTOIRE : Tourné pour Arte dans le cadre de la collection Les Années lycée, Le Péril jeune réunit pléthore de jeunes talents qui comptent actuellement parmi les valeurs sûres du cinéma français. Devenu depuis l’acteur fétiche de Cédric Klapisch, Romain Duris a accepté ce rôle comme job d’été. Il avait en effet le choix entre jouer la comédie ou livrer des pizzas. Sa décision a été judicieuse ! Klapisch reviendra au « film sur la jeunesse » avec Peut-être et L’Auberge espagnole, son gros succès public. Dans Le Péril jeune, le cinéaste fait une courte apparition, en père de famille qui sort de la maternité.

LE PITCH : Vannes ciselées, plans drague avortés et études boudées composent ce tableau au quotidien d’une bande d’étudiants dans le Quartier Latin. Parmi ces tranches de vie dont se souviennent les protagonistes dix ans plus tard, il y a le baptême du feu manifestant. Après avoir quitté le cortège, le groupe goûte au calme d’un parc parisien. Les garçons se construisent une mythologie guerrière les opposant aux forces de l’ordre, les filles se rêvent Diane chasseresse VRP de la cause féministe.

MARIE : Tous les mecs, les jeunes, ils en veulent à leurs culs et les vieilles, à leur sac à main. Tous les mecs ! MOMO : Non mais…On n’est pas tous comme ça… MARIE : Tu sais combien il y a de viols par jour dans le monde ? Je peux te dire, ça me fait flipper, moi. LÉON : Arrête, t’as rien à craindre, toi. Qui c’est qui voudrait te violer ?

MARIE : Parce qu’y a un genre de nana qui se fait violer !?! Mais t’es vraiment un mec débile, toi ! LÉON : Mais non, je voulais pas dire ça. Mais je sais pas, j’imagine que les mecs qui violent des nanas, ils choisissent des nanas plus aguicheuses que toi, quoi… MARIE : N’importe quoi ! Mais c’est vraiment un discours de macho ça, t’es con ! Pourquoi je pourrais pas me faire violer, moi ? Je pourrais très bien me faire violer ! Non, mais je m’excuse, mais pourquoi tu me dis ça ? Y a plein de mecs qui viennent me faire chier dans la rue. LÉON : Ah bon ? MARIE : Mais oui, qu’est ce que tu crois, encore heureux. [Silence] Non mais toi, tu me connaîtrais pas, si tu me voyais dans la rue, t’aurais pas envie de me faire chier ? CHABERT : Faudrait peut-être que tu te rases la moustache !

MARIE : Bah… t’es dégueulasse, pourquoi tu me dis ça ? LÉON : Non, mais regarde toi, t’es pas le genre de nana qui se fait violer… Le Péril jeune de Cédric Klapisch (1995, DVD disponible chez Gaumont Vidéo).

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Pages 8 à 14 réalisées par S.M., E.R. et Au.To.




L’Amérique est née dans la violence. Une sauvagerie originelle que les derniers films de cinéastes comme les frères Coen, Paul Thomas Anderson, Brian De Palma ou Nick Broomfield, sur nos écrans ce mois-ci, réactivent largement, dans des styles aussi différents qu’inspirés. Hantés par la dialectique de la vérité et du Mal, ces films posent la question du nouveau visage de la barbarie. En 2008, où en est l’Amérique avec ses démons ? _Dossier réalisé par Sandrine MARQUES et Auréliano TONET


LE MAAILN AMÉRIC


DanielSa partDay-Lewis d’ombre Disparaître est un art. Un acteur l’a fait sien. Sa carrière, parsemée d’ellipses, appelle des retours toujours plus éclatants. Mais chaque rôle, dans lequel il se dissout complètement, creuse davantage l’énigme : qui est Daniel Day-Lewis ?

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n aura beau arpenter sa filmographie – une quinzaine de rôles en vingtcinq ans – ou réunir des éléments biographiques, délivrés avec la même parcimonie que Daniel DayLewis gère sa carrière, quelque chose résiste. L’acteur n’est en effet réductible ni à une méthode, ni aux nombreuses anecdotes qui émaillent sa vie personnelle et ses compositions au cordeau. Cette impossibilité à le définir, sans manquer l’essentiel, tient à ses nombreux paradoxes. À commencer par un de taille : Daniel Day-Lewis allie la technicité à la sensibilité. Son approche du jeu, autant cérébrale que physique, apporte à ses interprétations leur surcroît d’impénétrabilité. Il faut dire que les préparations physiques que s’inflige le comédien avant chaque film sont extrêmes et son parcours personnel, éminemment chaotique. Écorché vif, monstre de perfectionnisme, DayLewis a su tirer partie des abîmes où il s’évanouit régulièrement. Fruit de l’union du poète irlandais Cécil Day-Lewis et de l’actrice Jill Balcon, le comédien aujourd’hui âgé de 51 ans a vécu une jeunesse tumultueuse. Préférant les bagarres à ses études, l’adolescent est envoyé dans un sévère pensionnat, où il découvre le théâtre. Il commence sur les planches de Bristol et de Londres. Puis il joue en 1971 dans un longmétrage de John Schlesinger, Un Dimanche comme un autre (Sunday Bloody Sunday). Première disparition. Une décennie s’écoule

avant que l’acteur ne revienne au cinéma. Il apparaît dans Gandhi de Richard Attenborough et dans Le Bounty de Roger Donaldson, aux côtés de Mel Gibson. Mais ce n’est qu’à partir de 1985 qu’il se fait connaître du grand public grâce à son rôle d’homosexuel chez Stephen Frears (My Beautiful Laundrette). Élégant et racé, on le retrouve la même année dans Chambre avec vue de James Ivory. Sa capacité à absorber la substance de ses personnages et à se fondre dans des univers diamétralement opposés le distingue aux yeux des auteurs. Le cinéaste Jim Sheridan lui confie en 1989 le rôle de Christy

son dos, il se fait jeter des seaux d’eau glacée dans une cellule. Pour Le Dernier des Mohicans de Michael Mann, l’un de ses plus beaux rôles, il chasse et dépèce le gibier. Martin Scorsese, qui l’a déjà fait tourner en 1993 dans Le Temps de l’innocence, s’amuse du mimétisme langagier que l’acteur entretient, sur le tournage de Gangs Of New York, avec son personnage inquiétant de « Bill le Boucher ». Visage émacié, regard fiévreux, silhouette mince légèrement voûtée, Day-Lewis n’incarne rien moins dans ce film qu’une allégorie de l’Amérique, représentée à travers sa violence constitutive. Sa prestation exaltée entre en résonance avec le

« DAY-LEWIS A TOUT D’UN VAMPIRE QUI SE REPAÎT DU SANG NOIR ET BILEUX D’UNE NATION EN CONSTRUCTION : L’AMÉRIQUE. » Brown, un peintre paralysé dans My Left Foot. La performance – car c’en est une – est consacrée par un Oscar. Sur le tournage, Daniel Day-Lewis ne quitte plus son fauteuil roulant et exige de se faire nourrir à la petite cuillère par les assistants. La collaboration avec Sheridan, devenu dans l’intervalle un ami, se poursuit avec The Boxer et Au nom du père, où il bouleverse en activiste de l’IRA injustement soupçonné. Le comédien s’impose, à ces occasions, des préparations qui frôlent le masochisme. Quand il ne reçoit pas des coups sur le ring qui endommagent durablement

personnage de magnat du pétrole qu’il interprète dans There Will Be Blood de P.T. Anderson. Dans cette chronique, où la question du territoire et du Mal originel se pose encore avec acuité, Day-Lewis a tout d’un vampire qui se repaît du sang noir et bileux d’une nation en construction. Rien d’étonnant pour cet habitué de l’ombre, dont les absences suscitent autant de commentaires que ses retours en grâce fictionnelle. Et dans l’attente de sa nouvelle transformation à l’écran, le mystère reste intact : qui est Daniel Day-Lewis ? _Sandrine MARQUES

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LE MAAILN AMÉRIC

Le scandale du Mal De Redacted à There Will Be Blood, en passant par No Country For Old Men, le meilleur cinéma américain ressasse, en ce début d’année, une question qui le tarraude jusque dans ses fondements : comment appréhender le Mal ? Retour sur un questionnement tenace.

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i on aime tant le cinéma américain, c’est peut-être d’abord pour cette candeur toujours renouvelée devant la question du Mal. Chaque grand film américain semble affronter le scandale du Mal comme si c’était la première fois. Ici, en Europe, le Mal n’est plus un scandale depuis longtemps, on s’y fait, avec plus ou moins de cynisme. On ne parle même plus du « mal », mais des maux : crime, guerre, violence, oppression, pillage. Làbas, le Mal existe, et il a souvent un visage, celui du diable. Archaïsme peut-être, pensée binaire sûrement, mais pourquoi alors a-t-on autant besoin d’aller s’y ressourcer ? Il suffit de tirs croisés, aujourd’hui Redacted, No Country For Old Men, There Will Be Blood, pour que la question brûle encore. Hier (2003), les sorties concomitantes de Mystic River de Clint Eastwood et Elephant de Gus Van Sant, deux films immenses, ressemblaient à la chute de deux météorites. Deux pensées en action théorisant autour d’un trou noir, le Mal, que le cinéaste de Portland avait l’intelligence de comparer à un « éléphant » : une énigme, dont il est impossible de faire l’archéologie. On a beau énumérer toutes les causes possibles du Mal, on ne peut comprendre comment on en est arrivé là. C’est ce que Iannis Katshanias demandait à la sortie de Kids (1995) de Larry Clark dans les Cahiers du cinéma : « Mais que s’estil passé ? »

Face au Mal Il y aurait deux attitudes face au Mal. Certains cinéastes prennent l’habit, critiqué, du moraliste : Larry Clark, avec son démonstratif et cinglant Kids, ou bien Abel Ferrara

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avec Bad Lieutenant (1992), The Addiction (1995) et le sousestimé Nos Funérailles (1996), démontage en règle de la trilogie du Parrain refusant toute complicité dans la transmission du Mal. Ou bien encore David Lynch dont la croisade contre le Mal se précise de film en film. Tous affirment qu’on peut dire « non » au Mal, et que pour cela il faut le regarder droit dans les yeux. Le De Palma de Redacted sait ainsi que le Mal ne se répand que par manque de courage de ceux (les témoins) qui ne sont pas foncièrement mauvais. De l’autre côté, même si la frontière n’est jamais si nette, il y a les romantiques fascinés par le Mal, qui le regardent fixement comme on regarde l’abîme. Avec Apocalypse Now (1979), Coppola mène au cœur des ténèbres pour nous dire que tout homme sans exception, et même un homme d’exception, peut passer de l’autre côté. Les exactions de Kurtz font du scandale un quotidien. Eastwood avec le très malsain Mystic River montre que la résistance au Mal ne sert à rien. C’est l’apogée d’un parcours de cinéaste et d’acteur profondément troublé par les pulsions de mort. Entre Lynch et Eastwood, le plus pervers n’est pas celui que l’on croit. Les deux sont hantés par le double, mais pour le premier on peut lutter contre le Mal (il le faut) sous peine de voir son double maléfique se lever devant soi, alors que pour Eastwood, de Dirty Harry (1971) de Don Siegel à La Corde raide (1984) de Richard Tuggle, la copie est consubstantielle à l’original, l’acteur ne cessant de brouiller par son jeu ambigu le passage de l’un à l’autre. Le cinéma d’Eastwood appartient au grand brouillage de valeurs des années 1970, sous la menace du Viêt-nam, de Nixon et de Charles Manson.


Histoires d’Amérique Ce qui se joue alors dans ce repli paranoïaque des années 1970, c’est un lien dorénavant indissoluble : l’archéologie du Mal, au sens métaphysique, se double nécessairement d’un questionnement historique sur les fondements de l’Amérique. Polanski débarque à New York avec Rosemary’s Baby (1968) et à Los Angeles avec Chinatown (1974) pour dynamiter les fondations des deux villes, l’une transformée en repaire du diable, l’autre en envers déliquescent de la Cité des Lumières. « Chinatown » est moins un quartier que le cœur mort de L.A., symbole du trafic mortel d’eau potable grâce auquel la ville a surgi du désert. Avec le préhistorique

Auparavant, la chape de plomb aura été trop lourde. Le film noir urbain des années 1940 et 1950 s’impose trop aisément comme le genre ayant maille à partir avec le Mal ; mais le crime y renvoie le plus souvent à la cupidité ou la folie d’un individu, à un mal sans majuscule. Pour avoir un écho du Mal originel, il faut voir combien ce sont dans les petites villes, à la campagne, dans ces « americanas » que chérissent tant les frères Coen, que vient se nicher le Mal ordinaire, le Mal rampant d’une population entière : les foules déchaînées de Furie de Fritz Lang (1936), l’attaque des clones de Body Snatchers de Don Siegel (1956), les meutes racistes de The Intruder de Roger Corman (1962) montrent le visage blafard d’une

« CHAQUE GRAND FILM AMÉRICAIN SEMBLE AFFRONTER LE SCANDALE DU MAL COMME SI C’ÉTAIT LA PREMIÈRE FOIS. » Gangs Of New York (2002), Scorsese montre à son tour que New York n’a jamais eu son âge d’innocence. 1863 : dans un plan-séquence d’anthologie, les émigrés européens sont débarqués, naturalisés, envoyés au champ de bataille, avec retour immédiat à l’envoyeur sous forme de cercueils amassés sur les quais. Depuis Naissance d’une nation de Griffith (1915), la fondation du pays doit se coltiner, de manière plus ou moins avouée, le Mal gisant sous la bannière étoilée : le génocide indien, la guerre civile, l’industrie esclavagiste. Ou comment une nation naît de l’extermination d’une autre, d’une lutte fratricide et de l’oppression d’une minorité. Triple scandale qui trouve une figuration définitive dans les hordes mi-Indiennes mi-Noires des mort-vivants de George Romero.

société fondée sur la peur et l’exclusion. John Boorman avec Délivrance (1972) achève le trait en transformant le territoire de l’« americana » en un cloaque immonde peuplé de débiles. Tout cela se sait, l’innocence est bien incertaine. Et pourtant la candeur devant le Mal est éternellement renouvelée, parfois jusqu’à l’amnésie ; tout récemment, le vétéran de Dans la vallée d’Elah de Paul Haggis découvrait que la guerre n’était pas forcément un bien, alors même qu’il avait fait le Viêt-nam quarante ans plus tôt. L’Amérique n’aurait-elle alors rien appris ? Mystère d’un pays où tout semble toujours advenir pour la première fois. _Stéphane DELORME 21 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08


LE MAAILN AMÉRIC

Outrages L’enjeu de Redacted ne se mesure pas aux réactions positives ou négatives qu’il suscite : l’histoire du cinéma a connu bien d’autres brûlots contre la guerre. La fureur de De Palma s’exerce surtout dans la salle : c’est le cinéma qui en prend un coup.

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edacted est un film crucial. Pas tant parce qu’il suscite les réactions violentes qu’essuient toute représentation réaliste d’une guerre : important parce qu’il ne dit pas « ceci est du cinéma », mais change profondément l’idée qu’on peut s’en faire. Au départ, De Palma pensait à un documentaire sur la guerre en Irak uniquement constitué d’images tirées d’Internet : reportages, vidéo-surveillance, journaux de soldats, séquences et photos trouvées. Mais le projet posait des problèmes de copyright que le cinéaste italo-américain a résolu en en fabriquant de fausses, sans hésiter à user d’effets pour en retrouver la pauvreté. L’histoire vraie que raconte Redacted – un viol perpétré par deux soldats américains à Samarrah – n’est pas moins brutale que la fonction que se donne le cinéaste : disposer ces images disparates comme chacun pourrait le faire sur son écran d’ordinateur. Le scandale est là. Redacted est une proposition artistique à peu près aussi radicale et folle qu’au siècle dernier le ready-made de Duchamp. De Palma, un artiste qui a construit pendant une décennie son œuvre comme une variation complexe sur celle d’Alfred Hitchcock (dans Body Double ou Sisters), un réalisateur jadis capable d’orchestrer un plan-séquence de vingt minutes mobilisant des milliers de figurants (dans Snake Eyes), un auteur qui a passé des films entiers à traquer les mensonges d’une image, ne se donne aujourd’hui guère plus qu’une tâche accessible à tous. Ça ne veut pas dire que le film n’est pas signé, mais que par aveu d’impuissance, le cinéma se libère de son aura, descend de son socle et reconsidère l’image de manière positive, humble, irréfutable, nécessaire. _Antoine THIRION

« DE PALMA PENSAIT À UN DOCUMENTAIRE SUR LA GUERRE EN IRAK UNIQUEMENT CONSTITUÉ D’IMAGES TIRÉES D’INTERNET.»

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Un film de Brian DE PALMA + + + + + + + + + + + + + + + + + + + Avec Kel O’Neill, Ty Jones, Daniel Sherman… Distribution : Distribution : TFM Distribution // États-Unis, 2007, 1h30 + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + Sortie le 20 février+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + +


Sortie controversée aux États-Unis

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a réputation sulfureuse du film l’a précédé au New York Film Festival, où il était présenté en octobre. Brian De Palma y a ajouté la controverse, suscitant une altercation lors d’une conférence de presse et se plaignant d’avoir été censuré par son distributeur, Magnolia. Selon la version officielle, pour des raisons légales, on a en effet obscurci les visages d’Irakiens blessés ou morts dans les photos de la séquence finale. La sortie du film aux États-Unis s’est accompagnée d’une polémique attendue : « provocateur » et « choquant » sont les mots qui reviennent le plus souvent à son sujet. Les tabloïds de droite et la chaîne Fox News ont, sans surprise, dénoncé l’anti-américanisme du film, pas assez patriote à leur goût, alors que la presse dans son ensemble s’est révélée plus ambivalente. « Sensationnaliste, note le New York Times, Redacted est néanmoins nécessaire face à la paralysie morale et politique du public. » Pour le magazine en ligne Salon, c’est la colère de De Palma qui fait la force du film. L’exaspération du cinéaste, qui vit à Paris, reflète le regard qu’il porte, de loin, sur son propre pays. En effet, les images de la guerre en Irak sont abondamment filtrées

aux États-Unis, où l’on ne montre guère les corps mutilés. Le cinéaste se dit « sensible à la façon dont la propagande est présentée en Amérique ». « L’administration Bush a dénaturé cette guerre », a-t-il déclaré à New York. « Si l’on balance des bombes, il faut que l’on puisse voir les photos.» L’année 2007 aux États-Unis aura été marquée par les conséquences dramatiques du conflit irakien, qui monopolise les écrans et obsède les cinéastes américains. Héroïsation, dramatisation ou constat douloureux, Dans la vallée d’Elah, Détention secrète, Le Royaume ou encore Lions et agneaux visent à circonscrire l’échec et la responsabilité des politiques. Ces films ont cependant rapidement disparu des écrans américains à l’automne, non sans alimenter à leur tour un profond sentiment d’impuissance et de frustration. Redacted, qui intervient comme réponse au martèlement et au traitement formaté de l’information, est sans doute le plus personnel de tous. De Palma y propose sa propre version du conflit, en H.D., qu’un usager pourrait glaner sur Internet : désormais, « ce sont les nouveaux médias », dit-il, « qui nous aident à raconter l’histoire de façon fragmentée ». _Clémentine GALLOT (à New York)

23 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08


LE MAAILN AMÉRIC

Petits soldats Jusqu’ici connu pour ses documentaires, Nick Broomfield signe une première fiction coup-de-poing, Battle For Haditha. Son sujet : le massacre perpétré à Haditha en novembre 2005, tuant 24 civils, à ce jour la plus grosse bavure de l’armée américaine en Irak. Nous avons rencontré les deux acteurs.

À

24 et 22 ans, vous êtes déjà les vétérans d'une guerre dont l'épilogue reste encore à écrire. Pourquoi avoir décidé de revivre ce conflit en tant qu'acteurs ? Eric Mehalacopoulos_Après mon service, j'ai été figurant [pour le film Jarhead de Sam Mendes]. Quand on m'a proposé Battle For Haditha, j'y ai vu une chance : s'il y avait eu des caméras à l'époque où j'étais dans les Marines, outre la guerre, elles auraient dû filmer notre camaraderie. Les gens ignorent la vie qu'on mène ici. Ils n'en voient que le peu qu'en donnent les infos. Pourtant, dans le cas du massacre de Haditha, Time Magazine a révélé l'assassinat de 24 Irakiens par des Américains. Quelle relation entretient un Marine avec l'information ? Elliot Ruiz_Au début du conflit, il n'y avait ni Internet, ni téléphone. Je ne sais plus dans quelle mesure l'accès aux médias était verrouillé. Là-bas, on se moque de se tenir au courant, on ne pense qu'à survivre. E.M._Un journaliste du National Geographic a suivi mon unité pendant plusieurs jours. Mais le journaliste ne vise avec sa caméra que ce que vous visez avec votre arme. Une fiction comme Battle For Haditha permet de montrer ce qu'il y a d'humain dans chacune des parties : Marines, insurgés ou civils. Comment se reconstruit-on une vie de civil dans un pays toujours en conflit ? E.R._C'est difficile. Je me suis engagé à 17 ans, après le lycée. Je n'ai jamais fait d'autre travail. Nous ne recevons aucune aide. J'ai été gravement blessé comme beaucoup de mes amis, et tout le monde s'en fout. Sur le tournage, on se souvient vite de cette colère envers ceux qui nous envoient sur le terrain. La première fois, j'étais trop jeune pour voter, la deuxième fois, j'étais à l'hôpital. Je serai là en novembre prochain. _Propos recueillis par Clémentine GALLOT et Étienne ROUILLON

24 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08

Nick Broomfield Nick Broomfield est un documentariste britannique connu pour Kurt & Courtney (1998) ou Biggie & Tupac (2003). Influencé par Ken Loach et Michael Winterbottom, il livre ici sa première fiction, tournée en Jordanie avec des réfugiés irakiens. Une nécessité selon lui, car « les journalistes ne quittent jamais la « zone verte » ou restent avec les soldats américains. Il n’y a aucun point de vue irakien. Du coup, les Américains ne croient pas à ce conflit et sont sur la défensive ».

Un film de Nick BROOMFIELD + + + + + + + + + + + + + + + + + Avec Elliot Ruiz, Eric Mehalacopoulos, Yasmine Hanani… + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + Distribution : Surreal Distribution // GrandeBretagne, 2007, 1h33 + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + Sortie le 30 janvier + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + +



PLEIN ÉCRAN Peur(s) du noir_BLUTCH, Charles BURNS, Marie CAILLOU...

EN 3 DATES

BLUTCH 1988 : entre chez Fluide Glacial. 1998 : Le Petit Christian (L'Association) : courts récits autobiographiques et décapants. 2008 : La Beauté (Futuropolis) : un livre de dessins, sans paroles, sans récits.

Noirs dessins Film d’animation composé de courtsmétrages d’auteurs de B.D., variation fluide et réussie sur le thème de l’angoisse, Peur(s) du noir est un pari confondant. Un pas expérimental de plus dans le mariage entre l’illustration et le cinéma.

D

epuis pratiquement quatre ans, le projet Peur(s) du noir suscite beaucoup de curiosité au sein des mondes de la B.D., de l’animation et du cinéma. Ce d’autant plus qu’il a été lancé au moment où Marjane Satrapi entreprenait d’adapter son roman graphique Persepolis pour le grand écran. Mais contrairement au film de l’Iranienne, Peur(s) du noir n’est pas un projet d’adaptation, pour le cinéma, de B.D. existante. La manière dont chaque auteur réussit à rendre vivant et palpable son univers propre, sans jamais faire de compromis, épate. Peur(s) du noir ne ressemble à rien de connu : ensemble de petits films d’auteur, il est aussi un grand moment d’expérimentations visuelles, mêlant harmonieusement les styles et les traditions graphiques, du manga à la B.D. indépendante américaine, de l’autofiction au fantastique, de l’abstraction à la 3D la plus réaliste, qu’enveloppe un noir et blanc constant. Parmi ces segments, Charles Burns décline une histoire d’amour qui se transforme en idylle macabre et cauchemardesque, tandis que le film de Blutch, découpé en quatre séquences, dévoile une violence inédite chez cet auteur. Comme si le passage au cinéma lui avait permis d’aller au bout de quelques idées plutôt dures, difficiles à représenter dans un album de B.D. Enfin, Richard McGuire met parfaitement à profit l’idée même du projet : faire peur, dans le noir. Son film est un bijou graphique, parsemé de trouvailles visuelles et d’inventions cinématographiques. Ce grand formaliste, dessinateur habitué des pages du New Yorker, n’est pas un maître de l’épouvante, mais il parvient à capter la plus instinctive des peurs : celle de se retrouver seul, sans lumière, sans repères. Pari réussi : l’angoisse passe bien, et pour longtemps. _Joseph GHOSN

Un film de Blutch, Burns, Caillou, McGuire, Di Sciullo, Mattotti Avec les voix de Guillaume Depardieu, Aure Atika, Nicole Garcia… Distribution : Diaphana // France, 2006, 1h25

26 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08


SORTIE LE 13 FÉVRIER

EN 3 PEURS

BLUTCH La peur des chiens : il en dessine d’immenses, qui paraissent infernaux et son film en est rempli. La peur des Indiens : amateur de westerns, on le soupçonne d’être du côté des cowboys… La peur des artifices : ses livres sont très précis, allant directement à l’essentiel, au cœur de la planche et du dessin.

3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM Pour découvrir l’univers graphique d’auteurs 01 influents, comme Blutch, Burns ou Mattotti, méconnus du grand public. Pour comprendre où en est l'animation en 2008, 02 dans toute la diversité de ses genres et de ses techniques. 03

Pour le film de Richard McGuire, qui conclut l'ensemble avec une vraie force graphique.

3 QUESTIONS À BLUTCH D’où t’est venue l’envie de participer à Peur(s) du noir ? Peur(s) du noir est un film d’auteurs, mais en même temps de producteurs : ce sont eux qui nous ont proposé d’élaborer une histoire autour du thème de la peur… J’avais, en premier lieu, envie de travailler avec des dessinateurs comme Richard McGuire, qui a été le premier à m’en parler. Mais encore de collaborer avec des artistes tels que Charles Burns, Lorenzo Mattotti et Marie Caillou. Par ailleurs, la solitude est le cadre habituel d’un auteur de bande dessinée. C’est un peu desséchant, quand même. Instinctivement, je me suis dit que ce serait bien de sortir de ma chambre, de mon bureau, de me mêler au monde. J’avais envie de m’aérer, d’ouvrir les fenêtres. Quels films t’ont influencé ? Parmi tous les films que j’ai vus – et j’en ai « mangé » beaucoup –, peu m’ont inspiré. Je voulais faire quelque chose de frontal, comme à l’époque du muet où l’on avait l’impression que la caméra saisissait des acteurs jouant sur une scène de théâtre. Dans mon dessin animé, il y a comme un halo obscur autour de l’action, à la manière des films muets… J’ai également pensé à Jean Marais, à son rôle dans Le Bossu de Hunebelle : quand j’étais enfant, il me faisait bien peur dans ce film. Ta partie est la plus violente de Peur(s) du noir… Oui, mais j’ai très peur de la peur ! En faisant mon film, je n’avais pas spécialement envie de choquer. Je fais ce genre de choses presque sans m’en rendre compte... Je suis aussi innocent qu’un enfant qui joue. Je ne calcule pas et je ne me suis pas embarqué dans le projet en cherchant à aller dans l’excès. _Propos recueillis par J.G. Retrouvez l’interview en vidéo sur www.mk2.com/troiscouleurs à partir du 13 février.

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PLEIN ÉCRAN Capitaine Achab_Philippe RAMOS

EN 3 SAISONS

PHILIPPE RAMOS Le printemps : « Les filles se déshabillent, c’est émouvant… » L’été : « Ma saison préférée, je suis un vrai lézard ! » L’hiver : « La saison de l’écriture. Je n’ai encore jamais tourné en hiver. »

Un homme amer Pour son deuxième long-métrage, Philippe Ramos s’attaque à rien moins qu’à Moby Dick, le monstre sacré d’Herman Melville. Téméraire certes, mais en faisant le choix de l’intime, il parvient à vaincre la bête et signe un film d’une poésie rare.

D

e l’ambition avouée de l’auteur, Capitaine Achab est en fait un livre d’images animé. Structuré en cinq chapitres, Achab y est dévoilé tour à tour par les personnes qui l’ont côtoyé. Son père (Jean-François Stévenin) d’abord, qui révèle qu’Achab n’est pas un enfant de la mer mais de la forêt ; sa tante Rose (Mona Heftre) qui tout à son nouvel époux (le dandy Philippe Katerine) le laisse s’enfuir ; le pasteur Mulligan (Carlo Brandt), qui lui fait découvrir la mer ; la douce Anna (Dominique Blanc) qui essaie en vain de faire du marin un mari ; et Starbuck (Jacques Bonnaffé) enfin, qui le conduit bien malgré lui à son dernier rendez-vous avec la « petite garce ». De l’un à l’autre, de l’enfant abandonné au redoutable capitaine Achab qu’on retrouve sous les traits de Denis Lavant (une évidence), se dessine par touches successives une vie hors du commun. Cette construction narrative est une vraie trouvaille car comme un drame en cinq actes, voire comme une oraison funèbre, elle propose un éclairage sur le destin singulier du héros sans enlever au mystère. On est à mille lieues des adaptations littéraires standard… Et si Moby Dick peut symboliser tout autant la quête de l’absolu féminin que celle du paradis perdu, l’auteur laisse toujours place à l’imaginaire de chacun. Cette liberté est renforcée par une composition très aboutie des plans, désuète et moderne à la fois, mais aussi par une grande liberté dans les choix musicaux, puisque sur la bande-son Tim Buckley rencontre le requiem de Fauré ! Cette touche anachronique donne au film le souffle de légèreté qu’il lui fallait pour devenir poésie. Philippe Ramos confiait : « Il y a beaucoup de films écrits en prose, j’aimerais écrire en vers ». Il y est parvenu. _Florence VALENCOURT

Un film de Philippe RAMOS Avec Denis Lavant, Dominique Blanc, Jean-François Stévenin… Distribution : Sophie Dulac Distribution // France, 2007, 1h40 Festival de Locarno – Prix de la mise en scène et Prix de la critique internationale

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SORTIE LE 13 FÉVRIER

EN 3 FILMS DE CHEVET

PHILIPPE RAMOS Lost Highway, de David Lynch Le Miroir, d’Andreï Tarkovski Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola

3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM 01

Pour redécouvrir le mythe de Moby Dick, à hauteur d’homme.

Pour les audaces du cinéma artiste 02 et artisan de Philippe Ramos. 03 Pour l’interprétation du chanteur Philippe Katerine en dandy costumé.

3 QUESTIONS A PHILIPPE RAMOS Comment vous est venue l’idée d’inventer une vie au héros de Melville ? J’avais envie de prendre l’air par rapport au cinéma français, au mien même, et d’aller vers l’épique. Le roman de Melville m’est revenu en mémoire... Mais plutôt que de m’y brûler les ailes, et parce que pour moi l’adaptation est une rêverie à partir d’un livre et non une transcription, j’ai cherché une autre entrée. Or, dans le roman, on ne sait pratiquement rien du capitaine Achab. J’ai donc pris un plaisir certain à lui inventer un destin, à le faire vivre, ce d’autant que son côté Nosferatu me fascine totalement. Le dispositif théâtral du film vous a-t-il poussé à faire appel à des comédiens issus des planches ? C’est sûrement parce que ma manière d’écrire est littéraire. Or, les acteurs de cinéma et les acteurs de théâtre n’ont pas la même façon de parler du scénario et de leur personnage. Les gens de cinéma ont plus un rapport à la lumière quand ceux de théâtre ont plus un rapport aux mots. Je ne dis pas que c’est mieux pour autant. Par ailleurs, en France, les acteurs de théâtre ont cette « gueule » qui m’intéresse. Pourquoi avoir choisi le décalage dans la bande-son, en mêlant pop et classique ? J’avais été marqué, à l’époque, par L’Évangile selon Saint Mathieu de Pasolini, dans lequel il pose un morceau d’Armstrong. Au-delà de l’effet de mode actuel (La France, Marie-Antoinette…), je pense que le film historique a besoin d’être dépoussiéré, surtout en France où la reconstitution est valorisée. Introduire des morceaux pop permet de regarder le film différemment, rend les personnages plus proches de nous, et ouvre une porte poétique. _Propos recueillis par F.V. Retrouvez l’interview en vidéo sur www.mk2.com/troiscouleurs à partir du 6 février.

29 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08


PLEIN ÉCRAN There Will Be Blood_Paul Thomas ANDERSON

EN 3 PRIX

PAUL THOMAS ANDERSON Boogie Nights (1998), sur le cinéma porno, lui vaut trois nominations aux Oscars. Magnolia (2000) : il décroche l’Ours d’or à Berlin avec ce film choral. Punch-Drunk Love (2003) : il obtient le prix de la mise en en scène à Cannes.

Trou noir Adapté du roman Oil ! d’Upton Sinclair, There Will Be Blood de P. T. Anderson est l’un des grands films de ce début d’année. Sur fond de prospection pétrolière au début du XXème siècle, cette œuvre pessimiste donne au rêve américain sa substance amère.

L

e « cas » Paul Thomas Anderson semblait réglé depuis l’échec commercial de PunchDrunk Love (2003). Pourtant, le réalisateur s’était octroyé les faveurs du public et de la critique avec Boogie Nights et Magnolia. Mais son formalisme exacerbé l’avait rattrapé. Contre toute attente, la machine qui tournait un peu à vide fonctionne aujourd’hui à plein régime. C’est en sondant les entrailles du territoire américain, et partant, les fondements du rêve américain, que P.T Anderson doit son retour en grâce artistique. Épurée, son adaptation du roman d’Upton Sinclair privilégie la part d’ombre d’un prospecteur misanthrope, cupide et peu scrupuleux, interprété par le monumental Daniel Day-Lewis. Modeste foreur à ses débuts, Daniel Plainview assoit progressivement son empire pétrolifère, en rachetant à des fermiers leurs terrains pour une bouchée de pain. Il est assisté dans son entreprise par son jeune fils, un orphelin qu’il recueille puis renie cruellement. Ni la construction du chemin de fer, ni la pression d’un prédicateur avide (Paul Dano) n’entravent sa conquête du pouvoir, qui est ici affaire de sol et de sang mêlés. Dimension physique des plans, ampleur souveraine des mouvements de caméra, économie de dialogues : la première partie du film sidère, soutenue par la musique de Jonny Greenwood du groupe Radiohead. L’épilogue, à la fois grotesque et cinglant, parachève la grande œuvre au noir de P.T. Anderson, qui livre un film politique acerbe. Impossible de ne pas voir dans les puits de pétrole en feu l’actualisation des images du Golfe irakien où s’est livrée, dans les années 1990, une guerre pour l’or noir. There Will Be Blood déterre les racines du Mal d’une Amérique écartelée entre la matière et l’esprit, plus que jamais minée par le doute. _S.M. Un film de Paul Thomas ANDERSON Avec Daniel Day-Lewis, Paul Dano, Kevin J. O’Connor… Distribution : Walt Disney Studios Motion Pictures France // États-Unis, 2007, 2h38 Sortie le 27 février

30 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08

3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM 01

Pour le caractère inattendu de cette œuvre dans la filmographie de P.T Anderson.

02

Pour une plongée vénéneuse dans l’envers du rêve américain.

03 Pour sa passionnante dialectique autour du Mal originel.




LE GUIDE

DES SALLES

DU MERCREDI 30 JANVIER AU MARDI 4 MARS

Paris - Un film de Cédric Klapisch

SOMMAIRE SORTIES DU 30 JANVIER 34_Promets-moi d’Emir Kusturica // Le Voyage du ballon rouge d’Hou Hsiao-Hsien // Astérix aux Jeux Olympiques de Thomas Langmann et Frédéric Forestier // Lady Jane de Robert Guédiguian SORTIES DU 6 FÉVRIER 36_Juno de Jason Reitman // Les Liens du sang de Jacques Maillot // Le Bannissement d’Andreï Zviaguintsev SORTIES DU 13 FÉVRIER 38_ Max & Co de Sam et Fred Guillaume // La Jeune Fille et les loups de Gilles Legrand // En avant, jeunesse ! de Pedro Costa // Les Cerfs-volants de Kaboul de Marc Forster SORTIES DU 20 FÉVRIER 40_Paris de Cédric Klapisch // La Famille Savage de Tamara Jenkins // John John de Brillante Mendoza SORTIES DU 27 FÉVRIER 42_Bienvenue chez les Ch’tis de Danny Boon // Coupable de Laetitia Masson // La Ronde de nuit de Peter Greenaway // Sans plus attendre de Rob Reiner LES ÉVÈNEMENTS MK2_44>45

33 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08


LE GUIDE_SORTIES DU 30 JANVIER

PROMETS-MOI

LE VOYAGE DU BALLON ROUGE

Un film d’Emir KUSTURICA Avec Uros Milovanovi, Marija Petronijevi, Aleksandar Berek… Distribution : Mars Distribution // Serbie – France, 2007, 2h06

Un film d’Hou HSIAO-HSIEN Avec Juliette Binoche, Simon Iteanu, Song Fang… Distribution : Bac Films // France, 2006, 1h56

Déjà lauréat d’une double Palme d’or, le réalisateur d’ Underground (1995) signe une farce onirique, aussi rocambolesque que référencée. L’idée de départ frappe par sa simplicité : un jeune garçon quitte son village natal sur les conseils de son grand-père pour découvrir la vi(ll)e. Dans sa quête, il croise des membres de la mafia locale, dont le chef nourrit une idée fixe : reconstruire les Twin Towers en Serbie… Porté par un univers visuel digne des cartoons de Tex Avery, ce film d’apprentissage provoque la collision entre une culture mondialiste résolument pop et le folklore ancestral des traditions de l’Est. Promesse tenue.

Co-produit par le Musée d’Orsay, le dernier film d’Hou Hsiao-Hsien met en scène la rencontre d’une mère de famille (magnifique Juliette Binoche) et d’une jeune étudiante chinoise, à qui elle confie la garde de son fils. Hommage à un film d’Albert Lamorisse, Le Voyage du ballon rouge est le premier long-métrage du maître taïwanais tourné en France. Malgré ce changement de décor, on retrouve avec bonheur les constantes du cinéma de H.H.H. : un jeu sur le contrôle et l’improvisation, une mise en scène vaporeuse, un goût pour l’art des marionnettes ici mis en rapport avec les technologies numériques, la disparition du récit pour affirmer la vie. _Bastien HADER

_Antonin DELIMAL

ASTÉRIX AUX JEUX OLYMPIQUES

LADY JANE

Un film de Thomas LANGMANN et Frédéric FORESTIER Avec Clovis Cornillac, Gérard Depardieu, Alain Delon, Benoît Poelvoorde… Distribution : Pathé Distribution // France, 2007, 1h57

Un film de Robert GUÉDIGUIAN Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan… Distribution : Diaphana // France, 2007, 1h42

Quarante ans exactement après la publication de l’album Astérix aux Jeux Olympiques du duo Uderzo / Goscinny, les irréductibles Gaulois reprennent du service pour un troisième volet de leurs aventures au cinéma. 1000 costumes, 300 perruques, 1300 plans à effets spéciaux ont été nécessaires à cette superproduction. Outre l’arrivée de Clovis Cornillac dans le rôle-titre, la paire Delon (César) / Poelvoorde (Brutus) devrait faire des étincelles. À leurs côtés, Amélie Mauresmo, Michael Schumacher, Zinedine Zidane ou Tony Parker livrent de facétieux caméos. Un marketing olympique qui devrait logiquement contaminer les résultats au box-office.

Robert Guédiguian réunit à nouveau le trio d’acteurs responsable du succès de Marie-Jo et ses deux amours dans un polar brut. À l’origine, Lady Jane est une ballade des Rolling Stones période sixties. Par association, le titre du film renvoie à la jeunesse d’un petit clan de cambrioleurs marseillais que le destin va rassembler vingt ans après la brouille qui les a séparés. Retrouvailles sans trompettes : le fils de l’une d’entre eux vient de se faire enlever… Fan des films noirs des années 1960, le réalisateur de Marius et Jeannette mêle à ses influences la mécanique cadrée de la tragédie grecque. Bilan : une mélodie subtile sur fond de vengeance et d’amitié maudite.

_A.D.

_A.D.

NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.

34 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08



LE GUIDE_SORTIES DU 6 FÉVRIER

JUNO Un film de Jason REITMAN Avec Ellen Page, Michael Cera, Jason Bateman, Jennifer Garner… Distribution : Twentieth Century Fox // États-Unis, 2007, 1h31

Loin d’être un énième teen-movie avec ses caricatures de lycéens nunuches, otages de leurs hormones, le nouveau film du réalisateur de Thank You For Smoking mêle à la thématique adolescente une profondeur caustique qui lui a valu de décrocher le grand prix au festival de Rome. Comment continuer à vivre sa vie de jeune fille quand on a seize ans et qu’on vient de tomber enceinte à la suite d’un «accident»? Telle est la question qui cesse de turlupiner Juno McGuff (Ellen Page) le jour où elle se met en quête d’une famille d’accueil pour éduquer l’enfant qu’elle porte. S’ensuivent de cocasses réunions intergénérationnelles (la donzelle n’a pas la langue dans sa poche), des confidences non édulcorées à sa meilleure amie, et surtout la rencontre homérique de la paire «adoptante». Dans le rôle d’une yuppie débordée, en mal de maternité, Jennifer Garner incarne l’ambivalence de nos sociétés matérialistes. Quant à la jeune Ellen Page, l’inoubliable manipulatrice de Hard Candy (David Slade, 2006), nominée aux Golden Globes pour le film, elle est attendue de pied ferme dans Smart People de Noam Murro, où elle se mesure à Dennis Quaid et Sarah Jessica Parker. _A.D.

LES LIENS DU SANG

LE BANNISSEMENT

Un film de Jacques MAILLOT Avec Guillaume Canet, François Cluzet, Clotilde Hesme, Marie Denarnaud… Distribution : StudioCanal // France, 2007, 1h46

Un film d’Andreï ZVIAGUINTSEV Avec Konstantin Lavronenko, Maria Bonnevie, Alexandre Balouiev… Distribution : Pyramide Distribution // Russie, 2007, 2h30

Depuis Nos Vies heureuses (1999), on savait Jacques Maillot fasciné par les thèmes du déterminisme, de la filiation et de la destinée. Ici, deux frères se côtoient dans un polar noir où l’on lave son honneur en famille. Canevas édifiant : l’un (Guillaume Canet) est flic, l’autre (François Cluzet) est en liberté conditionnelle... Inspiré d’un récit semi-autobiographique signé par les frères Papet, Les Liens du sang contourne habilement l’imagerie traditionnelle de l’opposition fratricide. De quoi dévoiler toute l’ambiguïté mythologique du rapport consanguin. Au final, un scénario dense aux liens sobres et ténus.

Très influencé par l’œuvre de Tarkovski, l’auteur du film Le Retour signe une nouvelle histoire de filiation, nimbée de grâce minérale et habitée par le surnaturel. Un homme quitte la ville avec sa femme et ses deux enfants. Ils s’installent dans une maison éloignée, à la campagne. Mais l’épouse apprend à son conjoint que l’enfant qu’elle porte n’est pas de lui. Ivre de jalousie, il décide de la faire avorter clandestinement. L’opération tourne mal. Konstantin Lavronenko, en patriarche consumé par le remords et la culpabilité, a obtenu le prix d’interprétation masculine au festival de Cannes 2007, pour ce film à la beauté plastique _S.M. étonnante.

_A.D.

36 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08



LE GUIDE_SORTIES DU 13 FÉVRIER

MAX AND CO

LA JEUNE FILLE ET LES LOUPS

Un film de Sam et Fred GUILLAUME Animation Distribution : Wild Bunch Distribution // France, 2007, 1h15

Un film de Gilles LEGRAND Avec Laetitia Casta, Jean-Paul Rouve, Stefano Accorsi, Michel Galabru… Distribution : Warner Bros. France // France, 2007, 1h50

Renouveler l’univers de l’animation 3D quand on dispose tout juste de la moitié du budget d’un Chicken Run semblait impossible sur le papier. C’est pourtant l’exploit réalisé par Sam et Fred Guillaume grâce à un nouveau software de gestion des images. L’intrigue (très farfelue) démarre chez Bzz & Co, une usine de tapettes à mouches en récession économique, suite à la baisse démographique enregistrée chez les insectes. Pour contenter les actionnaires, un savant fou se lance dans la conception de mouches mutantes destinées à attaquer la ville… Un casting vocal de choix (Lorant Deutsch, Patrick Bouchitey, Virginie Efira...) et un prix du public mérité au festival d’Annecy. _A.D.

C’est sur le tournage de Malabar Princess (2004) que Gilles Legrand a eu l’idée de réaliser un film sur la disparition des derniers loups sauvages de l’Hexagone, dans les années 1920. Il en a tiré une histoire d’amour romanesque. Au cœur des Alpes, la promise d’un industriel cynique est décidée à devenir la première femme vétérinaire et à sauver les loups. Elle s’éprend d’un cœur simple, reclus dans la montagne. Au-delà du dilemme affectif et de la rivalité amoureuse, le choix de l’accord sensuel avec la nature ou de sa maîtrise impérieuse par les hommes pointe en filigrane. Avec la lumineuse Laetitia Casta, en héroïne passionnée.

EN AVANT, JEUNESSE !

LES CERFS-VOLANTS DE KABOUL

Un film de Pedro COSTA Avec : Mario Ventura Medina, Vanda Duarte, Beatriz Duarte… Distribution : Ad Vitam // Portugal, France, Suisse, 2006, 2h35

Un film de Marc FORSTER Avec Khalid Abdalla, Homayon Hershadi, Saïd Taghmaoui… Distribution : Paramount Pictures France // États-Unis, 2007, 2h00

Tout au long de ce film mélancolique, Pedro Costa se fait l’écho d’un monde en train de disparaître, à travers l’errance fantomatique d’un Cap-Verdien dans la banlieue de Lisbonne. Chassé du domicile conjugal par son épouse acariâtre, Ventura déambule dans un quartier délabré où il croise des laissés-pour-compte, comme lui en pleine déshérence. Transcendés par leur durée, les plans accueillent la parole de ceux que l'on entend plus. Et vibrent de la présence déjà défunte d'un avenir qui se refuse à ces figures solitaires. Un chant du cygne magistral, soutenu par une réalisation minimaliste et inspirée.

Une histoire d’amitié indéfectible entre trahison et rédemption, avec en toile de fond trente années d’histoire afghane. De l’époque dorée de Kaboul dans les années 1970 à l’occupation russe, jusqu’à l’ère des Talibans, le réalisateur d’À l’ombre de la haine (2004) signe une fresque historique, au plus près du roman de Khaled Hosseini dont il est adapté. Dans son style naturaliste, Les Cerfs-volants de Kaboul a été tourné intégralement dans les langues originales de l’Afghanistan et du Pakistan (le Dari, le Pashto et l’Urdu). Quant aux deux enfants, acteurs non professionnels, ils ont été repérés à Kaboul, lors d’une partie de cerfs-volants…

_F.J.

_S.M.

_F.J. NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.

38 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08



LE GUIDE_SORTIES DU 20 FÉVRIER

PARIS Un film de Cédric KLAPISCH Avec Juliette Binoche, Romain Duris, Fabrice Luchini, Mélanie Laurent, François Cluzet… Distribution : Mars Distribution // France, 2007, 2h10

« Portrait éphémère d’une ville éternelle » – c’est le sous-titre que Cédric Klapisch a un temps envisagé de donner à son film-kaléidoscope. Autant dire qu’avec Paris, le réalisateur de Chacun cherche son chat entend redonner ses lettres de noblesse à la capitale. Rupture nette avec L’Auberge espagnole et Les Poupées russes (tournés pour l’essentiel entre Barcelone, Londres et Saint-Pétersbourg), ici Romain Duris est un danseur parisien qui apprend qu’il souffre d’une maladie grave et voit son rapport au monde largement chamboulé. Dans son sillage, le film croque plusieurs idéaux-types citadins sur le mode des destins parallèles : une assistante sociale (Juliette Binoche), un architecte sociable (François Cluzet), une boulangère politiquement incorrecte (Karin Viard), un universitaire « poetic lover » (Fabrice Luchini et son art inénarrable de pousser la chansonnette)… Un foisonnement narratif à l’image de la ville : multiple, complexe et insaisissable. À ce titre, Paris est l’anti-film choral : aucun systématisme dans le souci du lien entre ses protagonistes. Un ballet qui in fine ressemble surtout à son sujet : éclaté, lumineux et incurablement épicurien. Populaire ? C’est tout le mal qu’on lui souhaite. _A.D.

LA FAMILLE SAVAGE

JOHN JOHN

Un film de Tamara JENKINS Avec Laura Linney, Philip Seymour Hoffman, Philip Bosco… Distribution : Twentieth Century Fox // États-Unis, 2006, 1h53

Un film de Brillante MENDOZA Avec Kier Alonzo, Cherry Pie Picache, Eugene Domingo… Distribution : Ad Vitam Distribution // Philippines, 2007, 1h38

Dans la famille Savage, il y a le père : un vieil acariâtre autoritaire dont la santé part à vau-l’eau. Pour échapper à son emprise, ses deux rejetons, aujourd’hui quadragénaires, ont pris le large pour s’installer sur la côte Est. Mais nul n’échappe à son destin : aujourd’hui, le vieillard doit être pris en charge... Le deuxième film de Tamara Jenkins est le portrait classique d’une famille dysfonctionnelle. Drôle sans être une comédie, tragique sans être complètement un drame, La Famille Savage a le charme à la fois universel et intimiste des récentes productions indépendantes newyorkaises. Pas étonnant que le film ait été sélectionné en 2007 au festival de Sundance. _A.D.

Dans les bidonvilles de Manille qui jouxtent les gratte-ciels du quartier financier, un jeune orphelin est confié par un service social à une famille sans le sou, avant son adoption officielle par de riches Occidentaux. Concentré sur les dernières 24 heures qui précèdent le départ du garnement de son « foyer d’accueil », le film scrute le lien affectif tissé entre l’enfant et sa mère intérimaire. À mesure que l’échéance se rapproche, la séparation devient déchirante. Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2007, John John stigmatise l’indécent télescopage entre la misère et le luxe. À ces résonances politiques s’adjoint l’émotion.

40 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08

_F. J.



LE GUIDE_SORTIES DU 27 FÉVRIER

BIENVENUE CHEZ LES CH’TIS

COUPABLE

Un film de Dany BOON Avec Kad Merad, Dany Boon, Zoé Félix, Anne Marivin… Distribution : Pathé Distribution // France, 2007, 1h46

Un film de Laetitia MASSON Avec Helène Fillières, Jérémie Rénier, Denis Podalydès... Distribution : Rezo Films // France, 2007, 1h47

Pour pallier la dépression chronique de sa femme, le directeur de la poste de Salon-de-Provence fomente une mutation sur la Côte d’Azur. Problème : il se fait passer pour handicapé. Vite démasqué, le voilà catapulté à Bergues, petite ville du Nord-Pas-de-Calais… Après l’essai transformé de son premier film La Maison du bonheur, Dany Boon s’attelle à l’évocation d’un sujet qu’il connaît par cœur : la culture ch’timi. Rien de tel qu’un film d’auteur tendre et désopilant pour faire la nique aux préjugés tenaces qui sévissent sur le Nord. Attention : le froid glacial, l’alcoolisme forcené, et la crudité rustre en prendront pour leur grade – une objection ? _A.D

Sélectionné dans la section Panorama du 58ème festival de Berlin, Coupable revisite le film noir de manière originale en menant une double enquête, policière et métaphysique, sur les méandres de l'amour. Un homme est tué. Sa femme (Anne Consigny) comme sa cuisinière (Hélène Fillières) sont soupçonnées. L’inspecteur Louis Berger (Denis Podalydès) est chargé de l’enquête. Classique. Pourtant, l’enjeu du film n’est pas tant dans la résolution de l’affaire que dans un questionnement sur l’amour. Si la réalisation est parfois hésitante, une certaine grâce se dégage malgré tout du film, largement dûe au jeu de la troublante Hèlène Fillières.

LA RONDE DE NUIT

SANS PLUS ATTENDRE

Un film de Peter GREENAWAY Avec Martin Freeman, Eva Birthistle, Jodhi May, Emily Holmes, Natalie Press... Distribution : Bac Films // Royaume-Uni, 2007, 2h16

Un film de Rob REINER Avec Jack Nicholson, Morgan Freeman, Beverly Todd Distribution : Warner Bros. France // États-Unis, 2007, 1h36

Il fallait bien tout le talent de Peter Greenaway, cinéaste épris d’expérimentations plastiques, pour asseoir la légende du peintre hollandais Rembrandt. Alors qu’il réalise un tableau de commande (La Ronde de nuit, le fameux portrait de la milice civile d’Amsterdam), l’artiste alors au sommet de sa gloire décide de révéler sur sa toile le complot politique dont il est l’outil. La mise en abîme fait mouche. Greenaway revisite le thème de l’artiste solitaire confronté aux inimitiés de l’establishment. Et Martin Freeman, héros du culte H2G2, Le Guide du voyageur galactique, de façonner sa marque dans un rôle «clair-obscur».

Auteur du culte Quand Harry rencontre Sally, Rob Reiner sait concocter des comédies sentimentales qui sonnent juste, sans sombrer dans le mélo lacrymal. Deux camarades de chambrée, tous deux cancéreux en phase terminale, se rencontrent à l’hôpital. Plutôt que de s’apitoyer sur leur sort, les deux compères (l’un millionnaire, l’autre ouvrier mécanicien), décident de s’offrir un dernier périple avant de casser leur pipe. Une balade hédoniste qui est l’occasion de réaliser in extremis tous les fantasmes inaccomplis au cours de leur vie. D’avance, gageons que le duo Nicholson / Freeman ne sera pas avare en réparties bien senties.

_Florence VALENCOURT

_F.J.

_A.D. NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.

42 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08



ÉVÉNEMENTS DES SALLES MK2

TOUS LES SAVOIRS CINÉ BD GUS, BEAU BANDIT - CHRISTOPHE BLAIN Un samedi matin par mois, en partenariat avec Dargaud, un auteur de bande dessinée présente un film de son choix en salle, puis dédicace ses ouvrages à la librairie. Christophe Blain viendra présenter Gus, Beau bandit, le retour du cow-boy le plus décoiffant de l'histoire de l'Ouest. Gus révolutionne la conception du western en bande-dessinée et montre que le genre est loin d'avoir épuisé toutes ses ressources. • Projection du film Le Reptile de Joseph Mankiewicz en avant-première et sur copie restaurée, choisi et présenté par l'auteur.

FOCUS COURRIER INTERNATIONAL La prochaine séance des mardis de Courrier international présentera Toro Si Te de la cinéaste Daisy Lamothe. Le quotidien de Seydou, médecin dans un dispensaire au Mali, où il ausculte, soigne et… affronte la concurrence des guérisseurs. Débat en présence de la réalisatrice. MK2 QUAI DE LOIRE_Mardi 5 février à 20h30_6,90 € ou 5,60 € sur présentation du dernier numéro de Courrier international

Programmation du mardi 4 mars 2008 : • Nanking de Bill Guttentag et Dan Sturman (États-Unis), un film qui retrace le sac de la ville chinoise de Nanking par les armées japonaises.

Dédicace uniquement de la BD Gus, 25 tickets distribués au moment de l'achat de votre place de cinéma. Au cinéma puis à la librairie du MK2 QUAI DE LOIRE_Samedi 9 février à 11h30_Carte ILLIMITé acceptée.

CINÉ-PHILO : SAISON 3 Ciné-Philo consacre ses deux prochaines séances aux relations entre l’opinion publique et la démocratie. Un voyage ludique qui s’appuie sur des extraits de films (Thank You For Smoking, Les Hommes du Président, 1984) et des textes de grands penseurs (Comte, Alain, Weil). À noter les prochains rendez-vous : • La fabrication des consentements - Manipulation et démocratie (02/02/08) • Le virus de l’opinion (12/02/08) MK2 BIBLIOTHÈQUE _5,50 € tarif réduit et 6,50 € plein tarif.

LE RENDEZ-VOUS DES DOCS Le prochain rendez-vous des docs proposera le film Une Maison à Jérusalem d’Amos Gitaï. Le MK2 Quai de Loire accueillera à cette occasion Frédéric Sabouraud, critique, enseignant de cinéma et réalisateur pour un débat avec le public. En 1980, Amos Gitaï avait réalisé Baït (« la maison »), qui racontait le chantier d’une villa israélienne édifiée sur les ruines d’une maison palestinienne, à Jérusalem. En croisant les récits des ouvriers palestiniens, des anciens habitants arabes du quartier et des nouveaux arrivants juifs, il résumait les blocages israélo-arabes plus efficacement que les mille ouvrages sur le sujet. Vingt ans après, le réalisateur revient sur les lieux et reprend le fil d’une histoire qui n’a pas avancé d’un pouce. Construit comme une enquête archéologique et historique, le film nous promène dans la vie et les opinions de personnages les plus divers : Israéliens, Turcs, Anglais, Américains, Roumains, descendants du propriétaire palestinien interrogé dans le premier film. La maison transformée devient lieu de transport de la parole d’une génération à l’autre et symbole des stagnations et évolutions de la ville. MK2 QUAI DE LOIRE_Lundi 25 février à 20h30_6,90 € et 5,60 € pour les adhérents de l'association Documentaire sur Grand Écran_Cartes Le Pass et ILLIMITé acceptées.

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COURT-MÉTRAGE SOIRÉE BREF La prochaine séance des Soirées Bref du MK2 Quai de Seine proposera une sélection de la compétition internationale du Festival de courts-métrages de Clermont-Ferrand (programme en préparation). MK2 QUAI DE SEINE_Mardi 15 février à 20h30.

CINÉMA EN NUMÉRIQUE VIDÉOFORMES Plate-forme de présentation et de diffusion d’œuvres originales, Vidéoformes s’intéresse aux écritures et aux formes qui innovent. Cette sélection de films courts présente un panorama d’artistes internationaux qui seront présents lors de la 23ème édition, du 11 au15 mars. Au programme : Hideo, It’s Me, Mama de Mako Idemitsu, After The Vernissage de Reynold Reynolds, Paris, une réalité inachevée de Didier Feldmann, Extasy de Chrystel Egal, No Sunshine de Bjørn Melhus, Les Gens bizarres de Jérôme Lefdup, Vers l’Afrique de Nicolas Barrié, Cinq cents jours de Charlie Mars, Where Are You ? de Triny Prada. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Mardi 26 février à 20h30.

POUR LES ENFANTS MK2 JUNIOR Parce que nos enfants sont des petits filous, faites-les déguster des histoires de brigands ! À partir du 30 janvier et jusqu’au 1er avril, MK2 junior vous propose sa toute nouvelle édition. Deux mois pendant lesquels vous pourrez découvrir Les Trois Brigands, La Petite Taupe, T’choupi, La Montagne aux bijoux pour les petits et Le Cirque, Il était une fois et Brave Story (à partir du 6 février) pour les plus grands. À noter également une séance-rencontre avec le réalisateur de La Montagne aux bijoux, le dimanche 3 février au MK2 Quai de Seine à 11h (tarif : 3 €). Jusqu’au 1er avril dans sept salles MK2.


RETROUVEZ TOUS LES ÉVÉNEMENTS SUR

PARTENARIATS THÉÂTRE DE LA COLLINE Autour de La Petite Catherine de Heilbronn d’Heinrich Kleist, mis en scène par André Engel au Théâtre de l’Odéon du 10 janvier au 23 février, le MK2 Hautefeuille propose une programmation de cinq films, intitulée La Ronde des sentiments – les secrets. Les films seront diffusés en matinée à partir du 6 février : • Dolls de Takeshi Kitano • Parfait Amour de Catherine Breillat • Ne touchez pas à la hache de Jacques Rivette • Les Amours d’Astrée et de Céladon d’Éric Rohmer • La France de Serge Bozon MK2 HAUTEFEUILLE_5,60 €_Cartes ILLIMITé et Le Pass acceptées.

LES RENDEZ-VOUS CINÉMA DE VERTIGO RENCONTRES - LIBRAIRIES FRANÇOIS MARGOLIN La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions Arcadia vous invitent à une rencontre-signature avec François Margolin à l'occasion de la parution de son ouvrage Nous étions les seuls Juifs au monde. MK2 QUAI DE LOIRE_Jeudi 7 février à 19h30. Suivi de la projection à 20h30 de Va, vis et deviens de Radu Mihaileanu (billets en vente avant la séance). Les photographies de François Margolin seront exposées au Quai de Seine du 2 au 17 février.

ALAIN RESNAIS La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions Capricci vous invitent à une rencontre-signature autour du livre Les Aventures de Harry Dickson, un scénario pour un film (non réalisé) par Alain Resnais en présence de Frédéric de Towarnicki (sous réserve), Emmanuel Burdeau, JeanLouis Leutrat et Suzanne Liandrat-Guiges. MK2 QUAI DE LOIRE_Jeudi 14 février à 19h30. Suivi de la projection à 20h30 de Je t'aime, je t'aime d'Alain Resnais (billets en vente avant la séance).

MARIE-HÉLÈNE LAFON MK2 Livres et les éditions Buchet Chastel vous invitent à rencontrer Marie-Hélène Lafon à l’occasion de la parution de son nouveau livre Les Derniers Indiens. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Samedi 16 février à partir de 17h00.

Le MK2 Hautefeuille reconduit son partenariat avec Vertigo en 2008 ; les séances proposées sont dédiées à la part la plus fertile du cinéma contemporain qui, depuis une dizaine d’années, ne cesse de se fabriquer en marge de l’industrie. Première séance : Ghiro Ghiro Tondo de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi. MK2 HAUTEFEUILLE_Jeudi 28 février 2008 à 20h30.

LES YEUX DE L’OUÏE Le MK2 Beaubourg accueillera le premier rendez-vous des Yeux de l’Ouïe de 2008, en partenariat avec l’atelier En quête d’autres regards de la Prison de la Santé, avec la projection du film Requiem For A Dream de Darren Aronofsky. MK2 BEAUBOURG_Jeudi 7 février 2008 à 20h30.

SÉANCES SPÉCIALES LES SÉANCES INTERDITES Chaque vendredi et samedi soir, le MK2 Parnasse vous propose la projection d’un film qui a marqué le cinéma fantastique. Au programme en février : Deux Sœurs, Planète terreur et Land Of The Dead. MK2 PARNASSE_Chaque vendredi et samedi soir, à la dernière séance.

ROBERT BIRD MK2 Livres et les éditions de la Transparence vous invitent à l’occasion de la parution d’ Andrei Roublev de Robert Bird à une rencontre avec l’auteur et l’enseignante en cinéma Sylvie Rollet. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Mardi 5 février à partir de 19h00. Suivi à 20h30 de la projection de Roublev d’Andreï Tarkovski (billets en vente avant la séance).

RENCONTRE AVEC PEDRO COSTA Le MK2 Beaubourg accueillera le réalisateur portugais Pedro Costa pour une soirée débat autour de son nouveau film En avant, jeunesse ! MK2 BEAUBOURG_Jeudi 14 février à 20h00.

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DVD Monte Hellman, l’Amérique au point mort

Monte en l’air Monte Hellman est une icône paradoxale du cinéma américain des années 1970, admiré par les cinéphiles mais cantonné aux marges du Nouvel Hollywood, dont il fut la version radicale. Tandis qu’un coffret lui rend hommage, retour sur une œuvre métaphysique.

P

our comprendre de quoi parlent les films de Monte Hellman, pour saisir la singularité d’un cinéma où rien ne se passe mais où tout a lieu, on pourrait d’abord citer en vrac ses références : En attendant Godot (dans ses films, on attend beaucoup), Le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus, pour la dimension métaphysique et suicidaire de ses personnages, les films de Roger Corman (dont il fut l’élève), pour une économie de série B, et ceux de John Ford, pour l’attachement à la mythologie et à l’espace américain. Hellman est un cinéaste profondément américain et son œuvre témoigne de l’un des dialogues esthétiques les plus fructueux jamais tissé entre le cinéma hollywoodien – sous son acception la plus populaire : le cinéma de genre – et le cinéma européen. Ses deux premiers films – The Shooting et L’Ouragan de la vengeance en 1966 (co-écrit par Jack Nicholson) – sont des westerns, genre auquel il fait subir un traitement rigoureusement opposé à celui de son ami Sam Peckinpah. Chez celui-ci, le western s’enterre de façon somptuaire,

LES TUERIES SONT FILMÉES DE LOIN ; ON ARRIVE TOUJOURS AVANT OU TROP TARD, JAMAIS AU BON MOMENT.

dans la fureur, le carnage, le tragique et l’emballement des codes (la séquence finale de La Horde sauvage, élégie rouge sang d’un Ouest fondé sur une ultime dépense). Chez Hellman, le western souffre d’hypostasie, mis à son point mort. Les rituels d’antan – le duel, la poursuite, la bagarre, la course, la vengeance – se transforment en routines dévitalisées. Que peut le cinéma américain lorsqu’on le prive d’énergie ? Ses films ne progressent plus selon une succession calibrée de moments forts et faibles, mais épousent la ligne incertaine de moments quelconques, hasardeux, indifférents. Les tueries ont déjà eu lieu ou sont filmées de loin ; on arrive toujours avant ou trop tard, mais jamais au bon moment. De la même façon, les courses automobiles n’opposent plus personne car au milieu du parcours, les concurrents échangent leurs véhicules. Dans le documentaire On The Road Again, qui accompagne le DVD de Macadam à deux voies, Hellman s’explique : « À partir d’un embryon d’intrigue, ce film dépeint une tranche de vie au quotidien. Il n’y a pas de vrai changement, le film se termine comme il a commencé. On a juste arrêté le film dans le projecteur mais il n’y a pas

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Monte Hellman, Laurie Bird, James Taylor et Dennis Wilson dans Macadam à deux

de conclusion. » La Universal, qui produit le projet dans l’espoir de profiter du succès de Easy Rider et de reproduire sa formule, déteste le film au point de saborder sa distribution. Lew Wasserman, le patron du studio, avait raison : Macadam à deux voies est un faux road-movie. Que reste-t-il du genre lorsque sa part éclatante passe dans la collure? Seller un cheval, trouver un coin pour uriner, tuer un homme, résister à la chaleur caniculaire du désert, tout cela s’équivaut. Privé d’objectif, l’itinéraire s’intériorise et devient son propre objet. Hellman est un cinéaste moins politique que métaphysique. Bien qu’appartenant pleinement à la contre-culture des années 1960 dont il a, lui aussi, décliné les thèmes, le réalisateur de Cockfighter ne cède pas à l’héroïsation des marginaux et autres figures de la contestation. Chez lui, la forme ne soutient pas un discours ou une idéologie, mais ouvre à des questions immémoriales sur les individus, leurs rapports, le pourquoi de leur existence


LA SÉLECTION par S.M. COFFRET JEANNE MOREAU Arte Vidéo

À l’occasion des 60 ans de carrière de la plus internationale des actrices françaises, ce coffret réunit trois films de Louis Malle avec Jeanne Moreau. Une collaboration sous le signe de la passion, où l’égérie irradie.

I DON’T WANT TO SLEEP ALONE DE TSAI MING-LIANG Arte Vidéo Nouvelle variation amoureuse sur fond de solitude et de déshérence, le dernier film du Taiwanais Tsai Ming-Liang, tourné en Malaisie, marque un changement de territoire majeur dans l’œuvre du cinéaste. Troublant et sensuel.

MADE IN JAMAICA MK2 Éditions Du ghetto aux feux de la rampe, un documentaire réunit les pères du reggae et les stars de la génération montante. Leurs destins et performances électrisantes dessinent la situation politique d’une île qui a vu naître le chant des esclaves.

UN HOMME QUI DORT La Vie est belle Éditions

Prix Jean Vigo en 1974, le film culte de Georges Perec et Bernard Queysanne sort enfin en DVD. Journal bouleversant d’une jeune homme en rupture avec la société, ce récit existentiel documente, sur le mode contestataire, une époque.

RATATOUILLE Disney DVD Tambouille ordinaire, la ratatouille ? Voilà qui n’est pas du goût d’un rat gastronome qui transcende comme un chef la recette, au point d’émouvoir le plus redoutable critique culinaire de la place parisienne. Un dessin animé plein de saveur.

voies (2 DVD / Carlotta).

et/ou de leur fonction. La fin déçoit donc toujours (elle ne résout rien) puisque l’on bute sur soi (son double dans The Shooting) ou sur la mort. C’est l’embrasement arbitraire de la pellicule à la fin de Macadam à deux voies, parce que la meilleure façon de finir un film, c’est d’arrêter de tourner. Peu importe alors de savoir qui perd ou qui gagne, puisque les actions sont étrangères à ceux qui les conduisent. Dans Macadam à deux voies, Warren Oates, acteur fétiche du cinéaste, incarne GTO, un homme seul qui passe son temps à raconter des versions différentes et farfelues de sa vie aux autostoppeurs qu’il embarque. GTO, c’est l’excès de fictions et de mensonges au cœur d’un monde sans histoire. Dans ce film qu’aurait presque pu tourner Antonioni, le refoulé du cinéma classique délire à plein, mais tourne magnifiquement à vide.

ACTUALITÉ ZONE 1 Bienvenue dans le monde de Robert Singer, où tout n’est que silence. Hymne intimiste à la différence, entre La Propriété interdite de Tennessee Williams et Des Souris et des hommes de Steinbeck, The Heart Is A Lonely Hunter est une fidèle adaptation du roman de Carson McCullers, publié en 1940. Réalisé par Robert Ellis Miller en 1968, le film suit l’initiation d’un sourd et muet interprété par Alan Arkin (le papy sympa de Little Miss Sunshine) au sein d’une petite localité du sud des ÉtatsUnis, où racisme et mesquinerie sont monnaie courante. Dans ce rôle à contre-emploi, Arkin, alors débutant, prouvait qu’il était l’un des plus grands acteurs de sa génération. _Roland JHEAN, vendeur à la boutique MK2 DVD

_Jean-Baptiste THORET

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LIVRES Irvine Welsh et la nouvelle littérature écossaise

Kilts et cultes Le roman en kilt se porte bien, merci. À l’occasion de la sortie de leurs nouveaux livres, les deux titans Irvine Welsh et Ron Butlin nous racontent les spécificités de la littérature écossaise, baignée d’oralité, d’humour et d’expérimentations.

«

Si je veux des insultes et de la drogue, j’ai qu’à passer la porte pour mes les prendre en pleine face. Mais de là à lire des trucs dessus... » Le personnage qui balance ces phrases définitives pour justifier l’absence de romans écossais dans sa bibliothèque est issu de Recettes intimes des grands chefs, c’est-àdire... d’un livre d’Irvine Welsh. Oui, l’écrivain écossais rendu célèbre par, entre autres, les drogues et les insultes auxquelles recouraient abondamment les personnages de Trainspotting, son premier roman, aussi culte que le film qu’en tira Danny Boyle. « Il faut être capable de se foutre de soi, explique Irvine Welsh. Mais, en même temps, je suis tout à fait sérieux. Il y a quelque chose de très autodestructeur dans notre culture. » Serait-ce cela la marque de fabrique de la littérature made in Scotland ? Les deux romans de Welsh qui paraissent simultanément – Recettes intimes des grands chefs donc et Porno – semblent tous deux l’assurer, quoique de manières fort différentes. Le premier, adaptation dans l’Édimbourg du XXIème siècle du Portrait de Dorian Gray, fourmille de remarques sur le génie national du fiasco : « Personne ne cultive l’échec avec autant de brio et de constance que nous autres, Écossais. Ça, c’est un truc auquel on excelle. » Cette manière d’afficher son rapport au « désastre » rattache Welsh à la tradition du désespoir, celle qui a porté haut l’école de Glasgow, menée par le grand Aladair Gray. Recettes intimes... se veut un hommage aux auteurs de chevet de Welsh : Wilde, mais aussi James Hogg et Robert Louis Stevenson, deux indépassables Écossais. «J’en ai marre que les critiques littéraires se trompent sur mes influences », dit Welsh.

Porno, lui, est la suite très attendue de Trainspotting. Sick Boy, Spud, Begbie et Renton sont de retour. Ils ont pris dix ans, et fort peu de sagesse. Quand il rencontre une étudiante belle et fascinée par la célébrité, Sick Boy décide de se lancer dans le tournage d’un film porno. « Je ne pensais pas écrire un sequel à Trainspotting, précise l’auteur. Et puis je me suis aperçu que mon personnage principal était évidemment Sick Boy ». Qu’est ce qui a changé en dix ans dans le quartier de Leith ? On y picole et prend toujours autant de drogue – peut-être plus de coke que d’héroïne – mais la déshérence a cédé le pas à la gentrification. Les petits restos et bars cosy pullulent et remplacent les antiques pubs à poivrots. La classe moyenne aisée chasse la classe ouvrière, et Spud, le gentil loser de la bande, écrit l’histoire de Leith pour fixer ce qu’elle a été, mais son usage

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d’une langue fort peu académique, celle que l’on parle dans le quartier justement, lui barre l’accès à l’édition. Irvine Welsh reconnaît volontiers qu’on peut y voir une projection de son propre parcours : « Il y a quelque chose de très intimidant, d’inaccessible, pour les gens issus de la working class, dans l’idée de devenir écrivain. » Cette langue, celle de Welsh lui-même (rappelons que le film Trainspotting est sorti sous-titré aux États-Unis) est ce qui fait la force de Porno, ce qui lui donne sa remarquable énergie. C’est aussi ce qui, d’après Ron Butlin, compatriote et idole de l’écrivain, inscrit Welsh dans la tradition littéraire écossaise. « Le rapport à l’oralité est quelque chose de très particulier à notre culture, et c’est quelque chose que nous partageons, Irvine et moi », explique l’auteur de l’excellent Appartenance. Journal intime d’un homme qui se laisse porter par le cours des évènements, le troisième

PERSONNE NE CULTIVE L’ÉCHEC AVEC AUTANT DE BRIO QUE NOUS AUTRES, ÉCOSSAIS.

roman de Ron Butlin, comme les deux précédents, Le Son de ma voix et Visites de nuit, est infusé par une écriture à la vivacité et à la sécheresse sidérantes. « Les autres littératures sont beaucoup plus « écrites », dit Butlin. Je me souviens de la première fois que j’ai participé à un festival à Londres : j’ai été très surpris. Tout était tellement formel. J’ai été le seul écrivain qui se soit levé pour lire, sans micro, simplement. Cela a choqué. Pour Irvine comme pour moi, ou pour James Kelman, l’Ecosse possède une telle tradition poétique que nous ne pouvons pas envisager la littérature autrement que dans l’oralité. » Ce qui peut aussi s’expliquer par le fait que, bien plus qu’ailleurs, les auteurs écossais appartiennent rarement à la bourgeoisie. Irvine Welsh comme Ron Butlin, ou leur compatriote Mark McNay (qui publie son très bon premier roman Un Jour sans aux éditions du Panama) sont nés dans la classe ouvrière, et ont accumulé les petits boulots avant d’écrire. La spécificité de la littérature écossaise est peut-être là : elle est l’une des rares où les écrivains ressemblent à leurs lecteurs. _Raphaëlle LEYRIS Irvine WELSH - Porno et Recettes intimes des grands chefs Au Diable Vauvert Ron BUTLIN - Appartenance, Stock


LA SÉLECTION par P.D., M.G. et S.Q. PETITE NUIT, MARIANNE ALPHANT récit, P.O.L.

Sur un mode intimiste, Marianne Alphant revisite son histoire de lectrice, convoquant livres, histoires, personnages pour nous offrir un regard subtil sur l’amour de la lecture.

LES DERNIERS INDIENS MARIE-HÉLÈNE LAFON, roman, Buchet Chastel Jean et Marie, ultimes vestiges de la famille Santoire, sont les sentinelles muettes de ceux d’en face, la tribu des voisins. Juxtaposition de l’ancien et du nouveau dans un roman sec, dépouillé, tels ces « derniers indiens ».

LE GARÇON DANS LA LUNE KATE O’RIORDAN, roman traduit de l’anglais (Irlande), Joëlle Losfeld

Entre Irlande sauvage et banlieue londonienne cossue, un couple déchiré tente de surmonter la mort de son fils. Un roman sensible qui pose finement la question du pardon, et plus difficile encore, celle de la rédemption.

LES YEUX D’OR, MARIE DESPLECHIN roman jeunesse, École des loisirs, coll. « Medium »

Pierre a 10 ans. Après sa rencontre avec la mystérieuse Edmée, il disparaît. Le lecteur part alors à la découverte de ces deux êtres, qui ont de la poudre d’or dans les yeux, la tête dans les étoiles, l’amour des jardins disparus.

LES GENS - A. ROSEN & C. BERBÉRIAN roman graphique, Alain Beaulet Éditeur

Illustrés par les dessins de Charles Berbérian et leurs cohortes de visages anonymes, les textes d’Anna Rosen captent, sous forme de saynètes, l’envers insidieux de la normalité, ces « gens » toujours plus déroutants qu’il n’y paraît.

LE SITE huffingtonpost.com // theonion.com Pour suivre au mieux l’harassante campagne électorale américaine, les sites des grands médias américains ne sont pas suffisants. Blog politique le plus influent au monde, The Huffington Post est un passage obligé pour ses nombreux éditos et sa sélection de liens sur l’info politique. Plus léger, à la limite de l’absurde, The Onion est un site satirique qui parodie avec beaucoup d’humour l’écriture journalistique et ses poncifs. Avec tellement de talent que certaines de ses fausses informations ont déjà été prises pour argent comptant par quelques médias étrangers, comme le journal chinois Beijing Evening News ou la chaîne danoise TV2... _B.D.

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MUSIQUE Nick Cave, fossoyeur rock

Fondu de trous Avec Dig, Lazarus, Dig !!!, nouvel album tout sauf creux, Nick Cave continue de forer les entrailles d’une Amérique mythifiée, sombre et gothique. L’occasion de mieux percer la singularité de l’Australien, troglodyte rock dont la voix descend tout droit des Enfers.

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etour au caveau. On dit Nick Cave littéraire, il sait aussi être littéral. La preuve avec Dig, Lazarus, Dig !!!, nouvel album dont le titre (« Creuse, Lazare, creuse !!! ») puise aux sources mêmes de ce qui distingue le chanteur australien : cette manière bien à lui de creuser toujours le même sillon, un sillon profond, presque malade, qu’engrainent depuis près de trente ans les Bad Seeds, backing-band à géométrie variable. Un sillon qui ne donne que deux types de fleurs : ballades romantiques au piano d’un côté, rocks hantés, voire hallucinés de l’autre. Fleurs vénéneuses, fleurs de cimetière, sur les pétales desquelles souffle une voix caverneuse, comme d’outre-tombe, Lazare à peine ressorti du caveau. « Au fil des ans, j’ai développé un certain talent pour composer un type spécifique de chanson, que je situerais à exact opposé de la joie. J’ai du mal à me défaire de cette habitude. J’ai eu une vie formidable, mais je ne suis tout simplement pas doué pour chanter le bonheur. » Voilà ce que nous dit la bouche de Nick Cave, ceinte ces temps-ci d’une moustache d’ébène. Le sait-il ? Nul autre gosier n’aura si bien vocalisé la passion des orifices, le goût des plaies, l’attraction des abîmes que celui-là, perçant en nos oreilles une allée réservée ad vitam aeternam à ses vibrantes excavations. Trous de balles. Cave a longtemps prétendu qu’on lui avait coupé une « queue arrière », de type diablotin. Il ne se taillade guère plus les veines sur scène, a réglé ses problèmes d’addictions, mais garde une fine cicatrice au visage, résultat d’une dispute au couteau avec une de ses épouses. Il décrit assez naturellement son nouvel album comme « une hémorragie de sons et d’idées », lui dont le taux d’hémoglobine a toujours été compétitif. Sa plus grande chanson, l’apocalyptique The Mercy Seat (1988, magnifiquement reprise par Johnny Cash), conte l’histoire d’un condamné à mort envoyé au trou par erreur ; l’un de ses meilleurs albums, Murder Ballads (1996), évoque les trajectoires de meurtriers plus ou moins célèbres. Avis aux âmes sensibles, donc : ses hymnes blessés souffrent tous d’un mal aussi physique que moral, et ce n’est pas le Lazare de son nouvel opus qui nous rassurera, lui qui finit sa course « en prison, puis à l’asile, et enfin dans la tombe ». Trous perdus. Il y a beaucoup de voyageurs dans les chansons de Nick Cave, des marins, des bourlingueurs, tel ce Lazare ressuscité qui traverse l’Amérique de New

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York à San Francisco. « Lors de l’écriture de l’album, le principal instrument que j’ai utilisé était une carte des ÉtatsUnis. Voyager à travers ce pays procure selon moi un désespoir troublant. Lorsque j’ai imaginé ressusciter Lazare à notre époque, je ne pouvais le faire vivre ailleurs qu’à New York, le plus grand centre symbolique moderne. » Curieusement, à 50 ans révolus, Cave n’a jamais vécu aux États-Unis, tel un gouffre dont il aurait peur d’approcher autrement que par la pensée. Il a grandi dans la campagne australienne, et en retire « une relation d’amour / haine pour les petites villes de province : malgré la beauté de la nature environnante, l’ennui et le contrôle social y deviennent vite étouffants ». Fils d’un professeur de lettres et d’une bibliothécaire, il s’évade d’abord par les livres (Dostoïevski, Nabokov), par la peinture, qu’il étudie un temps, puis par le rock, ce qui le mène à s’installer à Londres avec son premier groupe, les bruitistes The Birthday Party. Plus tard, il vivra à Berlin, à São Paulo, avant de retourner s’installer à Brighton, face à la Manche. Lorsqu’on lui demande où se situe le « nulle part » de sa récente chanson More News From Nowhere, il glisse : « Nulle part, c’est tout ce qui n’est plus avec moi. » Ça doit faire du monde. Trous de mémoire. Ses nombreux fans vous le diront : Nick Cave aime les ellipses, les phrases à trous. Son écriture est criblée de figures mythologiques, issues de la Bible (son livre de chevet), mais aussi de l’Antiquité (Orphée), voire du rock (ses idoles Elvis Presley et Johnny Cash). « Se servir de tels mythes, c’est multiplier le pouvoir d’évocation, les étages symboliques de mes chansons. » Des crevasses qui aèrent pareillement sa carrière, faite d’excursions récréatives du côté de la littérature (son roman Et l’âne vit l’ange en 1989), et plus encore du côté du cinéma : caméos chez ses amis Wim Wenders ou Tom DiCillo, somptueuse B.O. de L’Assassinat de Jesse James l’an dernier, écriture de scripts pour le réalisateur australien John Hillcoat… Son groupe parallèle, les furibards Grinderman, entre dans la même logique : « S’oublier ailleurs, loin de la pression qui entoure les Bad Seeds. » Trou noir. De sa voix théâtrale, l’homme indique alors qu’il se fait tard. Le temps de lui poser une dernière question : pourquoi fait-il si sombre dans les chansons de Nick Cave ? « La nuit me procure un grand confort. On y voit moins les horreurs du jour. » Vivement la prochaine résurrection. _Au.To.


LA SÉLECTION par Au.To. VAMPIRE WEEKEND

« Vampire Weekend » XL / Beggars Brooklyn, U.S.A. Quatre vampires débutants ont mordu, puis sucé ce qui leur chantait. Les tests sanguins révéleraient, sous des dehors pop, de hautes doses d’africanité (arpèges, rythmes, chœurs). Spécimens rares, à conserver précieusement.

CALVIN HARRIS

« I Created Disco » Cinq7 / Sony BMG Cet Écossais hâbleur prétend avoir inventé le disco. Disons qu’il le déborde à sa manière, tout en boucles entêtantes, gazouillis suraigus et serpentins synthétiques vicelards. Bel exemple d’épure dans l’exubérance.

THE MAGNETIC FIELDS

« Distortion » Nonesuch Trésor le plus retors de la pop U.S., Stephin Merritt revient avec un nouvel album thématique, consacré à la notion de distorsion. Au milieu des larsens scintille l’écriture faussement classique de ce renversant tordu.

CHROMATICS « Night Drive » Italians Do It Better / Differ-ant

Nappée de synthés blafards, de voix sépulcrales et de tic-tacs flippants, la new wave haut de gamme des Chromatics s’évanouit en douceur, avec Kate Bush et John Carpenter au volant d’un bolide guetté par le point mort.

SÉBASTIEN TELLIER « Sexuality » Record Makers Après avoir caressé Erik Satie dans le sens inverse du poil, l’inclassable Français invente ici un R’n’B lunaire, latin et libertin, sous l’œil complice d’un Daft Punk reconverti producteur grivois.

LE SITE http://whoismgmt.com/ C’est entendu : depuis l’avènement du MP3, l’écoute musicale s’est morcelée, privilégiant l’aléatoire au détriment du temps plus long de l’album. Jusqu’alors, cette évolution a été peu exploitée par les réalisateurs de clip, même si un frémissement commence à se faire sentir. Après Arcade Fire, le très jeune groupe Mgmt propose sur son site un jubilatoire exemple de « clip interactif », imaginé par Ray Tintori, espoir du cinéma américain primé à Sundance. Au diapason d’une pop euphorique qui télescope punk et psychédélisme, ces Flaming Lips du XXIème siècle offrent à la « génération shuffle » une vidéo à son image, colorée, rieuse et participative.

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LES BONS PLANS Kompilés par Rémy Kolpa Kopoul

Bons plans Paris & banli Un bouquet de DJs (japonais, brésilien, californien) plus le pape new-yorkais de la house, du ska cubain, de la pop nippo-suédoise, de la soul ibérique, deux chocs jazz / hip-hop, le retour du raï / rock, une mythique jazz machine, un Argentin percutant estampillé Brasil et bien plus : de quoi perdre le Nord !!! LOUIE VEGA DJ SET > DJOON > 01/02 Avec Kenny « Dope » Gonzalez, il crée Masters at Work, pseudo commun qui a enflammé les dancefloors de la planète. La house new-yorkaise, c'est eux, le piment latino, c’est lui. Les platines restent pour ici un terrain d’aventures. Mix up !

SUN RÂ ARKESTRA > CITÉ DE LA MUSIQUE > 13/02 Le maître Sun Râ n’est plus, mais sa musique tellurique irradie encore la planète musique. Big band de jazz unique depuis les 60’s, l’Arkestra, dirigé par Marshall Allen (un fidèle de toujours), est le fer de lance post-apocalypse du cycle « Jazz mystique ». Free at last !

RAMIRO MUSOTTO > NOUVEAU CASINO > 14/02 Il est argentin mais s’est posé à Salvador il y a 25 ans et le Brésil l’a adopté. Frappeur invétéré pour Caetano Veloso, Carlinhos Brown ou Lenine, Musotto roule surtout solo avec son orchestre de berimbau, vient de sortir un disque grandiose au son puissant, entre electro, afro et tous les Brésils, Civilização & Barbarye, meilleur album de ce début d’année. Et concert du mois. Viva Ochossi !

ORCHESTRE NATIONAL DE BARBÈS > ÉLYSÉE MONTMARTRE > 14 & 15/02 On les connaît sous l’abréviation O.N.B. Ils ont chauffé à blanc la fin du siècle dernier avec leur déferlante urbaine électrique, entre rock et raï. Ils sont insubmersibles et reprennent la scène avec la même énergie contagieuse. Salam aleikum !

MARIANA RAMOS > CAFÉ DE LA DANSE > 04/02 + NEW MORNING > 16/02 Chanteuse cap-verdienne, Mariana Ramos est une fille du... NeufUn. Oui ! de l'Essonne. Urbanité nu-soul et insularité avec reflets Caraïbes plus les racines de son archipel. Tempérament tonique et délicatesse contagieuse. Beleza ! ARCHIE SHEPP / CHUCK D. PROJECT > THÉÂTRE JEAN VILAR (VITRY S/ SEINE - 94) - SONS D’HIVER > 06/02 L'oncle Archie est une icône du jazz engagé et du free jazz, remember son Attica Blues il y a plus de trente ans. Rencontre hardie et inédite avec Chuck D., tête tchatcheuse des rappeurs de Public Enemy. Un face-à-face historique. Right on ! SKA CUBANO > ÉLYSÉE MONTMARTRE > 7/02 Un jeune Cubain de La Havane et un kid jamaïcain de Londres mixent leurs urbanités respectives autour d’un projet pétillant, où ska et reggae anglophones croisent timba et cumbia hispaniques. Régénérant et hyper dansant. Caliente ! NOCHES FLAMENCAS : JUAN CARMONA + DIEGO AMADOR > LE TRITON (LES LILAS - 93) > 07/02 Carmona s’est imposé comme un caïd de la guitare flamenca. Né en France mais apparenté aux gitans de Grenade, il invite Diego Amador, le digne fils de Raimundo, mythique figure de la scène flamenca. La nueva generacion !

LE NOUVEAU MONDE CARAÏBES > CITÉ DE LA MUSIQUE > 15,16 & 17/02 Un salutaire week-end insulaire autour des cultes et traditions afro-caraïbes avec Yoruba Andabo (les orixas cubains), Les Maîtres du Bêlé & Dédé St-Prix (Martinique), Kan’nida (gwoka de Guadeloupe) et Ti-Coca (accordéon vaudou d’Haïti). Ça ka maché ! RACHEL CLAUDIO > OPUS > 16/02 Elle n’a pas encore enregistré mais a fait les beaux soirs soul & funk d’automne à l’Opus. Rachel, chanteuse australienne à l’organe puissamment gospel, est de retour en France et pourrait bien être la sensation du printemps. Alleluyah ! SHANTEL & BUCOVINA CLUB ORCHESTRA > LA MAROQUINERIE > 18/02 Stefan Hantel, Allemand né à Bucovina (Serbie), a grandi dans un bain fanfaron cuivré. Devenu DJ Shantel, il a mixé électro et tzigane. Du délire ! Ses soirées « Bucovina Club », avec groupe live et platines, donnent chaud à l’Europe. Kalachnikov ! LENINE > MAISON DES ARTS (CRÉTEIL - 94) - SONS D’HIVER > 21/02 Le troubadour électrique du Nordeste a donné à lui seul un groove puissant à la musique brésilienne, alternant lyrisme et coup de rein musculeux. Un rien tribal et ostensiblement visionnaire, cet autre Lenine est aux antipodes des clichés. Bacana ! ZAP MAMA > NEW MORNING > 22/02 Marie Daulne, la sémillante et charismatique mama fondatrice, incarne au singulier la Zap attitude. L’imposante Belgo-Congolaise fait chalouper les mots à la manière de son corps, tout est en courbes groovy. Soulful ! SWEET VANDALS + LITTLE DRAGON + MISSIL DJ SET + JACK PEÑATE > POINT ÉPHÉMÈRE (NUIT ZÉBRÉE DE NOVA) > 22/02

STEVE COLEMAN & 5 ELEMENTS + OPUS AKOBEN > SALLE J. BREL (FONTENAY SS BOIS - 94) - SONS D’HIVER > 09/02 Saxophoniste issu du collectif new-yorkais M'Base, Steve Coleman, éternel homme pressé, trace son chemin avec ses 5 Elements et invite les caïds du rap Opus Akoben, ses anciens partenaires sous le nom de Metrics. Hip bop ! BERNARD FOWLER > NEW MORNING > 11/02 « La » voix soul new-yorkaise de Material, Tackhead et Little Axe, entre hip-hop, funk, techno et blues, avec la rythmique killer de Grandmaster Flash des 80’s : Fowler, également choriste des Stones, est une pépite de la black music U.S. Just unique!

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Une passionnaria énervée à la tête d’un combo madrilène adepte de la soul vintage (Sweet Vandals), un groupe post-pop suédois emmené par une Japonaise évanescente (Little Dragon) : une piquante Nuit Zébrée, exceptionnellement au Point Éphémère, invits à retirer à Nova dès le 17/02. Novaaaaaaaa !


eue pour dribbler l’hiver BLACK ROCK COALITION ORCHESTRA : TRIBUTE TO JAMES BROWN > MAISON DES ARTS (CRÉTEIL - 94) - SONS D’HIVER > 22/02 Ce big-band funky new-yorkais ravageur, créé il y a quelques années par Vernon Reid (Living Colour), réunit jeunes loups du free jazz, allumés du punk et underground du hip-hop pour un hommage déjanté et dru à Mr. Brown, le Godfather. I got you ! DJ DOLORES > NEW MORNING > 26/02 Bidouilleur nordestin, tête de pont du mix Brésil rural électro. de yé yé en drum n' bass, de maracatu en dub, DJ Dolores (qui n'est pas une fille !) revisite ses climats arides en les irrigant de futurisme avec un groupe sans cesse en chantier, et un nouveau disque. Bàrbaro ! ROY HARGROVE 5TET > NEW MORNING > 4 & 5/03 Entre jazz classique (un post-bop impeccable) et moderne (un électrofunk gorgé de soul), le trompettiste Roy Hargrove manage les deux aventures avec élégance. Cette fois, sur scène, c'est l'option jazz, avec piment groovy. Blow it, man !

ET AUSSI... Samarabalouf à l’Européen > 30/01 au 02/02... KD Lang à l’Espace Cardin > 01/02... Houria Aichi au Musée Quai Branly > 02/09... Christian Scott au Sunset > 02/09... Omar Perry + Manjul à l’E.M.B. (Sannois-95) > 02/02... DJ Krush à La Maroquinerie > 04/02... Ana Moura au Café de la Danse > 05/02... Louise Vertigo au Divan du Monde > 06/02... Fanga + Electro Deluxe à Canal 93 (Bobigny-93) > 9/02... Dub Station au Trabendo > 09/02... Taraf de Haïdouks à l’Élysée Montmartre > 09/02... Carnaval do Brasil : Anna Torres au Cabaret Sauvage > 09/02... Soirée Domino avec Emilomar DJ set au Djoon > 09/02... Eric Bibb au Sunset > 11/02... Rumbabierta au Satellit’ Café > 12/02... Harold Lopez Nussa trio au New Morning > 13/02... Dub Pistols au Rackam (Brétigny-91) > 15/02 & à l’E.M.B. (Sannois-95) > 16/02... DJ Soulist + Sporto Kantes Sound System à l’O.P.A. > 15/02... Max Romeo au Plan (Ris Orangis-91) > 17/02... Sakesho au Sunside > 19 + 20/02... Amadou & Mariam à l’E.M.B. (Sannois-95) > 21/02... Soirée Movida Latina avec Son Trinidad + Dj Natalia La Tropikal’ + Dj Papi à la Java > 23/02... Jerez Texas au Satellit’ Café > 28/02


ART Loris Gréaud au Palais de Tokyo

L'expérience iné Première : le jeune surdoué Loris Gréaud investit la totalité de l’espace du Palais de Tokyo pendant trois mois. Un projet tentaculaire à la mesure des rêves les plus fous de cet artiste de 28 ans, qui a encore de beaux jours devant lui…

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l doit en faire pâlir plus d’un, Loris Gréaud. Avec ses airs de dandy minimal qui ne se la raconte même pas alors qu’il aurait toutes les raisons ou presque de le faire. À seulement 28 ans, cet artiste phare de la scène française émergente semble avoir bien conscience que, si son parcours est certes rutilant, la route reste encore longue… Soutenu à ses débuts par la galerie GB Agency, rue Louise Weiss à Paris, le jeune homme est venu gonfler les rangs prestigieux de la galerie parisienne et new-yorkaise Yvon Lambert en 2006. Aux côtés, entre autres superstars de l’art contemporain, d’On Kawara, Bertrand Lavier, Nan Goldin, Carl André ou encore Anselm Kiefer, rien de moins.

Son parcours atypique, qui l’a mené du Conservatoire de musique au cinéma expérimental, de la musique électronique aux Beaux-Arts de Cergy, explique peut-être l’avidité insatiable de ce génie touche-àtout, dont l’œuvre n’a de cesse de dérouter les esprits et les sens, et d’activer l’imaginaire à travers le prisme de l’immatérialité. Induire une architecture invisible grâce à des courants d’air, créer ce que pourrait Loris Gréaud et DGZ Research // Nothing Is True Everything Is Perm être l’odeur de la planète Mars, régler les modes d’apparition d’une montagne noire rappelant la Devil’s Tower du film de science-fiction Rencontre du troisième type, commercialiser un bonbon sans goût… Voilà quelques-uns des SON PARCOURS ATYPIQUE EXPLIQUE tours orchestrés par Gréaud, qui se plaît à PEUT-ÊTRE L’AVIDITÉ INSATIABLE DE CE faire courir les rumeurs, désagréger les formes, GÉNIE TOUCHE-À-TOUT. rejouer ses œuvres dans de nouveaux cadres spatio-temporels. Bref, à court-circuiter les sentiers battus de l’expérience de l’œuvre et de son interprétation.

Une chose est certaine : l’artiste a le goût du risque. Mégalo ? Non, juste assez fou pour, par exemple, accepter de se lancer corps et âme dans un chantier de deux ans au terme desquels il investira l’intégralité des 4000 m2 du Palais de Tokyo. Un défi qu’il ne relève pas tout à fait seul car Gréaud sait toujours bien s’entourer – d’auteurs, de compositeurs, d’ingénieurs, etc. L’exposition Cellar Door, tel un organisme vivant, mutant, s’annonce comme une expérience inédite, autant pour l’artiste que pour le visiteur. Pour le Palais de Tokyo aussi, qui n’avait jusqu’alors jamais mis tout son espace à la disposition d’un seul artiste. « Produire une belle exposition, en faire de belles images publiées dans de beaux catalogues, ça ne m’excite plus vraiment, confie Loris Gréaud. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce qu’un artiste met réellement au monde, ce qu’il produit au-delà d’images. » L’art de Gréaud est un art de l’au-delà. Si ses œuvres meurent, c’est pour se réincarner de plus belle, à l’infini… _Anne-Lou VICENTE

Cellar Door, 14 février - 4 mai 2008 Palais de Tokyo, 13 avenue du Président Wilson, 75008 Paris. www.a-taste-of-illusion.com

Loris Gréaud et DGZ Research // distorsion03 // Cellar Door, 2007-2 Lambert Paris, New York. 54 I TROIS COULEURS_FÉVRIER 08


dite

mitted, 2007 - Courtesy Loris Gréaud, Yvon Lambert Paris, New York.

EXPOSITIONS par F.V. SAÜL LEITER 17 JANVIER - 13 AVRIL Les photographies de rue de Saül Leiter, prises de 1947 à la fin des années 1960, font pour la première fois l’objet d’une grande rétrospective en France. Justice est rendue, de son vivant, à l’immense talent du photographe, remarqué dès les années 1950 par Edward Steichen. À voir absolument. Fondation Henri Cartier-Bresson // 2, impasse Lebouis, 75014 Paris.

VINCENT LABAUME 18 JANVIER - 8 MARS Artiste prolifique et polymorphe, Vincent Labaume est tour à tour bibliographe, poète publicitaire, diffuseur d’ambiance culturelle, critique d’art, enquêteur, biographe, producteur et animateur de radio, performer, plasticien... Anteclips et autres suppôts est sa première exposition personnelle depuis bien longtemps. Un évènement pour les amateurs. Vincent Labaume - Anteclips et autres suppôts // Galerie Loevenbruck // 40 rue de Seine, 2 rue de l’Echaudé, 75006 Paris..

LE CINÉMA FRANÇAIS DES ANNÉES 1920 : CORPS ET DÉCORS 8 - 24 FÉVRIER En prolongement de l’excellente exposition sur les Années folles du Musée Galliera, le Musée d’Orsay propose un mini-festival mêlant actualités et films d’époque (L’Inhumaine, La Chute de la maison Usher, etc.), donnant à voir, sous l’influence de Robert Mallet-Stevens ou de Paul Poiret, rien de moins que la renaissance plastique du cinéma français. Le cinéma français des années 1920 : corps et décors // Auditorium du Musée d’Orsay // 1, rue de la Légion d’Honneur, 75007 Paris.

LAURINA PAPERINA 16 FÉVRIER - 29 MARS À moins de 30 ans, si l’Italienne Laurina Paperina prétend uniquement se rire de l’art, elle est déjà prise très au sérieux. Au-delà de son aspect enfantin, son travail, reprenant le thème des super-héros, trahit l’observation précise et cynique de la nouvelle génération, dont elle est sans nul doute l’un des espoirs. Galerie Magda Danysz // 78, rue Amelot, 75011 Paris.

LE SITE www.jacksonpollock.org Vous auriez, comme le chantait Starmania, « voulu être un artiste » ? Si cela ne s’improvise pas, vous pouvez toujours vous y essayer. Fasciné par les nouvelles technologies, l’artiste grec Miltos Manetas a créé ce site qui fait explicitement référence au célèbre peintre américain du même nom. Sur le principe de l’ardoise magique, vous concevez votre propre tableau à la manière de Pollock en bougeant la souris de votre ordinateur. Un raté? Cliquez sur la barre espace et retentez votre chance! Un hommage ludique qui ne devrait pas déplaire aux enfants… _A.-L. V.

2008 // Maquette pour modelisation, neon ball - Courtesy Loris Gréaud, Yvon

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PAR RICHARD DUMAS & PHILIPPE GARNIER

SOFT MACHINES DE RICHARD DUMAS & PHILIPPE GARNIER Éditeur : Filigranes Éditions // 17 x 23 cm, 32 pages AGENCE VU 17, Bd Henri IV - 75004 Paris - www.agencevu.com


Dans son ouvrage Soft Machines, le photographe français Richard Dumas aborde la fabrication de poupées du sexe. L’écrivain et journaliste Philippe Garnier signe le texte du livre. Extraits : « Matt McMullen, l’ancien hard-rocker de 33 ans, créateur des molles et souples Real Dolls (Rolls Royce de la poupée sexe), prétend sculpter ses poupées « de tête » d’après ses vieilles lectures de Playboy, notion assez effrayante quand on le voit au milieu de son ossuaire classé X et des quartiers de femmes suspendus à leurs chaînes. Son œil fixe de boucher-surfer est encore plus froid que le leur. »


TRIBUNE LIBRE La Californie s’enthousiasme pour la « clean tech »

À pas de géant ve Ce n’est pas qu’une lubie d’acteur hollywoodien scandalisé par le dérèglement climatique : depuis quelques temps, la Californie s’enflamme pour les technologies dites « vertes », également appelées « clean tech » ou « green tech ». De l’ogre Google au gouverneur Schwarzenegger, les adeptes du nouvel or vert pèsent de plus en plus lourd. Vogue éphémère, ou tournant décisif ? Christophe Alix, journaliste économique à Libération, nous livre son analyse.

«

Clean tech ». Voici sans doute l'expression la plus importante de l'année qui vient de s'écouler aux États-Unis. Plus précisément en Californie, dans cette Silicon Valley qui a vu naître la révolution de l'informatique à la fin des années 1970 puis celle de l'Internet au tournant du siècle. Il ne s’y passe pas un jour sans qu'il ne soit question de cette « green tech », comme on la surnomme également. Au point que certains redoutent déjà le gonflement d'une « bulle verte » alimentée par les prévisions de croissance vertigineuses du secteur des énergies propres. Selon le Clean Technology Trends, un indicateur de tendance de cette « green economy », ce marché encore émergent pourrait quadrupler d'ici 2016 et représenter alors 220 milliards de dollars. Si l'argent des investisseurs coule à flots pour ne rien rater des futures pépites du panneau solaire à rendement démultiplié ou du carburant bon marché à base d'algues, cet enthousiasme n'a pourtant rien d'une mode passagère. Dans cette région où innovation est synonyme de ruptures technologiques et de prise de risques, on en est intimement persuadé : les efforts de recherche qui ont permis la généralisation d'un réseau mondial aujourd'hui utilisé quotidiennement par plus d'un milliard d'humains seront demain à l'origine d'une production d'énergies renouvelables à très bas coût d'une ampleur encore inimaginable. « Green is good », dit-on désormais outre-Atlantique pour qualifier cette poussée de fièvre. Allusion au « Greed is good » (« l'avidité a du bon») de Gordon Gekko, l'horrible golden boy du film Wall Street, incarné en 1987 à l'écran par Michael Douglas. « La clean tech est la clé qui nous donnera IL SE POURRAIT QUE GOOGLE PRÉPARE LE TERRAIN les moyens de changer les conditions qui sont à l'origine de la crise climatique POUR DEVENIR UN JOUR DISTRIBUTEUR D'ÉNERGIES actuelle », prédit le prix Nobel Al Gore, qui a récemment rejoint la firme de capital- PROPRES. risque Kleiner Perkins pour les conseiller dans leurs investissements dans cette nouvelle économie verte. « Ce marché de l'énergie propre s'apparente plus au secteur des nouvelles technologies et de l'Internet qu'à celui de la production d'énergie traditionnelle comme le charbon, le gaz naturel, le pétrole et le nucléaire », explique pour sa part l'analyste Ron Pernick, auteur de l'essai The Clean Tech Revolution (Collins). Un nouvel or vert libéré des contraintes de l'industrie lourde et basé, comme dans l'Internet, sur un renouvellement inépuisable de ses « matières premières » : le vent des éoliennes, l’énergie solaire des panneaux photovoltaïques, l'énergie marémotrice, l'hydrogène... Au pays de l'éternelle « nouvelle frontière », si la quasi-intégralité des fabricants de high-tech ne manque jamais une occasion de surenchérir dans l'affichage du produit le plus propre, c'est encore une fois l'insatiable Google qui souffle le plus fort sur la bulle verte, au point même de susciter la méfiance des milieux financiers. Le moteur de recherche californien dont le siège de Mountain View est entièrement recouvert de panneaux solaires a annoncé fin 2007 son intention d'investir dès cette année des « centaines de millions de dollars » dans l’énergie solaire, géothermique et éolienne. Dans quel but ? Officiellement, il s'agit de subvenir proprement à des besoins énergétiques de plus en plus démentiels sans plus contribuer au réchauffement de la planète – la croissance des requêtes du milliard et quelques d'internautes utilisant quotidiennement ses services oblige Google à multiplier les installations de centres serveurs. Mais il se pourrait bien que Google, qui promet de fournir « rapidement » l'équivalent d'un gigawatt à partir d'énergies renouvelables (de quoi alimenter en électricité San Francisco !), prépare le terrain pour devenir lui aussi un jour distributeur d'énergies propres. En attendant, il reste beaucoup de chemin à faire dans un pays où la consommation d'essence (541 milliards de litres annuels), de charbon et d'électricité continuera à augmenter de 1 à 2 % en 2008. Un pays qui reste la seule puissance industrielle à ne pas avoir ratifié le protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre et qui a encore refusé, à la mi-décembre dernier, lors de la conférence des Nations Unies sur le climat de Bali, de s'engager sur des objectifs chiffrés de réduction d'émissions. Si la Californie, Google & Cie ne suffisent pas, très loin de là, à « compenser » les refus de Washington, ils n'en montrent pas moins une autre voie à l'État fédéral.

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_Christophe ALIX

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Illustration : © Gianpaolo PAGNI

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RÉSEAUX La Silicon Valley à l'assaut d'Hollywood

Retournement de

Illustration : © http://dacoffeetime.canalblog.com

À Hollywood, Jack Bauer a rangé son flingue et Bree Van de Kamp se la coule douce, loin des plateaux. Avec leur grève, les scénaristes font bugger les grands studios. Placée en embuscade, c'est la fringante Silicon Valley qui pourrait bien en profiter…

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es plumes d’Hollywood sont en train d’écrire une drôle d’histoire. Un scénario où des petites start-up de la Silicon Valley viendraient secourir des grévistes en lutte contre les grands studios d’Hollywood. Fiction ? Pas pour certains. Aaron Mendelsohn est scénariste depuis quinze ans, petits et grands écrans. Comme 10 000 de ses confrères syndiqués à la puissante Writers Guild of America, il est en grève depuis le 5 novembre. Au cœur des négociations : obtenir un pourcentage des ventes de leurs œuvres sur les nouveaux supports numériques, Internet et iPod principalement. « Toute l’ironie de cette histoire, EN VOULANT NOUS EN ÉLOIGNER, LES c’est qu’en voulant nous éloigner d’Internet, les studios nous poussent à aller sur le web ! », s’amuse l’auteur. STUDIOS NOUS POUSSENT À ALLER SUR Alors que le conflit se durcit, les scénaristes sont, LE WEB. UN SCÉNARISTE comme lui, de plus en plus nombreux à tenter l’aventure sur le Net. En discutant avec des confrères autour du piquet de grève, Aaron Mendelsohn a eu l’idée de fonder son propre « web-studio » : 20 personnes en tout, trois investisseurs, «d’excellents auteurs et des tech-gourous », dont un ami spécialiste de la Silicon Valley pour les sites d’échanges. Avec sa petite équipe, il réalise un vieux rêve. Un rêve qui date au moins de 1919 quand Charlie Chaplin crée United Artists pour contourner le monopole des studios. Aujourd’hui encore, beaucoup de scénaristes aimeraient souhaiter « Good night and good luck » à Warner Bros, Walt Disney et Universal, petit cartel qui phagocyte toujours le système. Leur domination remonte à la préhistoire. À une époque où les coûts de fabrication et de promotion étaient gigantesques.

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À une époque où un bon buzz sur la Toile n’était pas encore la plus rentable des politiques de distribution. Le monde d’avant. Pour Francis Pisani, journaliste et ausculteur méticuleux de la Silicon Valley : « Le changement est inéluctable, un nouvel écosystème comprenant le vieux et le nouveau doit se mettre en place. » Les productions à petits budgets pourraient déménager fissa sur le web. « La grève pourrait accélérer les choses », pronostique le spécialiste. Il y a encore quelques mois, les «Business Angels » venaient rarement s’aventurer sur les hauteurs de Los Angeles, persuadés que c’est dans la vallée qu’on trouvait les meilleures pépites, en exploitant encore et toujours le filon de la haute technologie. Mais quelques deals retentissants ont peut-être changé la donne, notamment Google rachetant YouTube pour 1,65 milliard de dollars en octobre dernier. Depuis, la vidéo en ligne a le vent en poupe. Les initiatives se multiplient, les modèles économiques aussi. À côté de MyDamnChannel.com ou FunnyorDie.com, en plein développement, un ancien de MTV a par exemple lancé wwbiggies.com, qui fait travailler des scénaristes en grève. Contrairement aux grands studios, il leur fait signer des accords de partage de revenu pour le contenu. Et aux fâcheux Français qui douteraient de la rentabilité de ces nouveaux studios en ligne, les Californiens répondent avec l’optimiste des pionniers. Pour Aaron, « ce sera soit par abonnement, soit par la publicité, soit au téléchargement, soit par... on ne sait pas encore quoi. » Mais visiblement, on trouvera. Pour lui comme pour d’autres, un vent nouveau souffle sur Hollywood, venu de la «vallée». Une toute autre culture que celle d’Hollywood, centralisée et hiérarchisée. « Un modèle fondé sur la liberté et non plus sur le contrôle, un modèle plus égalitaire, dans lequel nous croyons », s’enthousiasme le scénariste. Un modèle d’entreprise où les auteurs n’auraient pas seulement une partie du capital, mais seraient aussi propriétaires de leurs créations. « Une authentique nouveauté : Hollywood 2.0, comme on l’appelle entre nous, ici. » _Sébastien ARNOULT

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scénario CHÂTEAU DE CARTES Le blog Strange Maps collecte les cartes géographiques les plus fascinantes, éclairantes ou bizarres : de la carte de la blondeur en Europe à celle des OVNI aux États-Unis. http://strangemaps.wordpress.com

LE BON CANAL Rien de plus ennuyeux qu’une conférence universitaire filmée en plan fixe ? Canal U fait le pari inverse et propose plus de 3000 vidéos de cet acabit. Avec succès : 100 000 visiteurs par mois. www.canal-u.fr

RETOUR EN IMAGES Magie du web : Arrêt sur images, le défunt programme de France 5, est ressuscité. Pour 30 euros par an, l’équipe de Schneidermann scanne, en texte et en vidéo, l’actualité médiatique et ses travers. // http://arretsurimages.net

L’OBSERVATOIRE DE LA DRAGUE Meetic, Parship, Match, Easyflirt & co : les sites de rencontres sont les grands oubliés de l’actualité du web 2.0. L’ambitieux blog français Dating Watch répare cet oubli avec talent. www.datingwatch.org

VISAGES DÉCOUVERTS Dans la catégorie « blog inutile mais fascinant », Faces In Places mérite d’être distingué. Ce site recense des centaines de photos d’objets au faciès humain, du radiateur au plot de signalisation. // http://facesinplaces.blogspot.com par B.D.

MOT @ MOT

BÊTA

[beta] n.f. (403 av. n.è, de ß, seconde lettre de l’alphabet grec ancien après le signe alpha) 1. Version de test d’un logiciel ou d’un site Internet, accessible à un large public (à l’inverse de la version alpha, réservée aux concepteurs). Phase durant laquelle les erreurs de conception sont gommées pour parvenir à une version 1.0. Sur http://beta-france.fr/ l’on peut postuler au test d’une foultitude de versions bêta. 2. n.m. Stade ingrat de l’évolution biologique et comportementale du corps humain. L’individu sorti du test enfance-alpha entre en conflit avec le logiciel adulte 1.0. Notre fils de 16 ans est un gros bêta réclamant une mise à jour scooter 2.0.

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JEUX VIDÉO Paul Davis, game-designer punk

Game (L)over Il s’appelle Paul Davis, c’est l’un des papas de GTA, et il dézingue l’industrie du jeu vidéo. Gratuit, pauvre graphiquement, son dernier bébé, Last Of The Patriots, est une mise à mort du jeu d’aujourd’hui, autant qu’un cri d’amour pour le jeu d’hier.

Extraits du jeu Last Of The Patriots.

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emandez à qui voudra bien vous répondre : le jeu référence du moment, c’est Assassin’s Creed. Le studio canadien d’Ubisoft a fait frissonner d’extase nos consoles, en pariant sur un photoréalisme et une palette d’animations à rendre jaloux DreamWorks et autres Disney. La perplexité est donc de mise chez les joueurs lorsque Paul Davis, le créateur des cultes GTA San Andreas et Man Hunt, met en ligne un jeu qui prend l’exact contrepied graphique et scénaristique de ce qui se fait de mieux aujourd’hui. Ce jeune développeur britannique s’est fait un nom ON ASSISTERAIT SELON PAUL DAVIS À dans le jeu vidéo en prônant l’ultra-violence ludique, comme exutoire du Mal produit par la vie en société. UNE « BULLE GRAPHIQUE », QUI PHAGOCYTE Cette pédagogie nihiliste aucunement potache est au LE PLAISIR DU JEU. centre de Last Of The Patriots (L.O.T.P.). L’expérience du jeu ici est similaire à celle d’une séance de cinéma : progression narrative fluide et linéaire, abondance de dialogues, liberté d’évolution réduite. Davis se targue d’avoir créé un jeu comme un réalisateur tourne un film : en partant d’un script. Cette base scénaristique doit devenir le critère majeur dans l’élaboration d’un jeu, même si elle est lapidaire – un vétéran alcoolique reprend du service dans un futur de science-fiction. « Vous vous rappelez quand on jouait aux petits soldats ? Il y avait les gentils contre les méchants. Les jeux vidéo n’ont pas vraiment dépassé ce stade. Je me fais trop vieux pour ça. » Si l’industrie du jeu vidéo veut gagner ses galons de média à part entière, il faut qu’elle porte une idée, un sens. Le projet du poète, en somme : donner à voir, plutôt qu’imposer une vision léchée des choses. Le venin punk du do it yourself coule dans les veines de Davis quand il fustige la vaine surenchère graphique des

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_Étienne ROUILLON Téléchargez gratuitement Last Of The Patriots en français sur www.lastof-the-patriots.com

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développeurs, gommant les aspérités et la profondeur des jeux. Ce constat, il le fait à sa sortie du controversé studio Rockstar Games, lorsqu’on lui propose de travailler pour l’industrie du jeu vidéo pornographique. Même dans cette nouvelle niche, « les jeux sont évalués selon cinq critères : le graphisme, la jouabilité, les sons, la musique et la durée de vie. L.O.T.P. n’a aucune de ces qualités ». Pour n’en conserver qu’une : une exigence morale. En évoquant en filigrane le bourbier irakien, L.O.T.P. plonge l’industrie du jeu vidéo dans son enfer pour qu’elle y trouve sa rédemption. Johnson (le héros du jeu) est un cliché du G.I. débarquant sur une planète pour jouer la partition de la paix au son du canon. Au fil du jeu, il se retourne contre le corps militaire, tout comme Davis s’est retourné contre son industrie ludico-mercantile. « L.O.T.P. est une réflexion sur la façon dont nous prostituons nos âmes pour de l’argent. Johnson a perdu le sens de sa vie, il cherche la mort, et c’est dans l’enfer du front qu’il trouve le salut. » Chaque génération de joueurs a connu un jeu au graphisme rudimentaire mais hautement addictif, de Pac-Man dans les années 1970 à Tetris ou Snake il y a dix ans, popularisé par les téléphones portables de Nokia. No fun. C’est le cri poussé, à l’instar de Davis, par une phalange de développeurs et de joueurs amers mais très actifs sur le web, dépités par la débauche technologique des jeux d’aujourd’hui, qui imposent au joueur un investissement matériel onéreux. À l’instar de la bulle Internet de mars 2000, on assisterait selon eux à une « bulle graphique » qui phagocyte le plaisir du jeu. Le salut passe ici par un retour aux fondamentaux : l’expérience ludique, qui allie plaisir et réflexion. Davis nous a d’ailleurs prévenu : il n’est plus un enfant à qui l’on dit « touche avec les yeux ». Lui veut d’abord toucher avec son cœur.

SINGSTAR Plusieurs fois repoussé, le karaoké Singstar arrive enfin sur PS3. Dans une version qui se distingue d’abord par son catalogue en constante expansion de chansons à télécharger. Disponible : 6 février Éditeur : Sony // Plateforme : PS3

THE CLUB Conçu par les Anglais de Bizarre Creations, The Club détourne les conventions du jeu de tir au profit d’une course au meilleur score très compulsive, très arcade, très Sega. Disponible : 8 février Éditeur : Sega // Plateformes : PS3 et Xbox 360

DEVIL MAY CRY 4 Doté d’un nouveau héros du nom de Nero, Devil May Cry 4 s’annonce comme un sommet du beat’em all nippon : technique au possible, savamment rythmé, toujours flamboyant. Disponible : 8 février Éditeur : Capcom // Plateformes : PS3 et Xbox 360

FINAL FANTASY XII : REVENANT WINGS Suite directe de Final Fantasy XII, Revenant Wings abandonne le RPG spectaculaire au profit du jeu de stratégie. Une curiosité, et l’occasion de retrouver quelques personnages aimés. Disponible : 15 février Éditeur : Square Enix // Plateforme : DS

NO MORE HEROES Après Killer 7, le Japonais Suda 51 revisite les principes de la saga GTA à sa manière unique : ultra-violente, ancrée dans la culture pop mondialisée et furieusement stylée. Disponible : 29 février Éditeur : Rising Star Games // Plateforme : Wii par E.H.

LE SITE

www.gamerdad.com L’affaire est entendue : les amateurs de jeux vidéo ne sont plus tous des enfants. Au point que, face à la masse de titres disponibles, les parents ne savent souvent plus lesquels conviendront à leurs rejetons, pas aidés par un système officiel de classification par âges un rien aberrant. Tenu par des joueurs qui sont aussi des papas ou des mamans, le site (anglophone) GamerDad propose un suivi de l’actualité vidéoludique sous cet angle en distinguant judicieusement les aspects pratiques, graphiques et thématiques. Une bonne adresse pour les adultes désarçonnés.

E.H.

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VIDÉO À LA DEMANDE www.mk2vod.com

VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER Michael CIMINO

Retour sur l’un des chefs-d’œuvre de l’ère Viêt-nam, l’histoire d’un héroïsme retourné en pure fortune.

B

ien plus précis est le titre original du chef-d’œuvre de Michael Cimino en 1978 : The Deer Hunter, « le chasseur de daims ». Il provient de la conclusion de la première partie du film, mémorable séquence de mariage comme les cinéastes italo-américains du Nouvel Hollywood en avaient le secret, où Michael (Robert de Niro), lors d’une virée champêtre avec ses amis Nick (Christopher Walken) et Steven (John Savage), prend l’animal pour cible d’un coup unique. Coup de feu après quoi les trois jeunes hommes sont brutalement plongés dans l’enfer du Viêtnam – le mariage était aussi leur fête d’adieux – dans une suite de situations inextricables et éprouvantes, résumées par de récurrentes parties de roulette russe. Voyage au bout de l’enfer est l’histoire d’un héroïsme condamné. Il ne se résume plus à la bravoure, au pari d’un geste bien exécuté. Lors d’une partie de roulette russe organisée par leurs tortionnaires, Michael persuade Steven, terrifié de presser la gâchette du revolver braqué contre sa tempe. Il est bien forcé de s’exécuter, mais en déviant légèrement le tir, qui lui écorche le crâne : le barillet était chargé. Aux héros ne reste désormais plus que la chance : couards et braves _Antoine THIRION logés à la même enseigne, celui du pur hasard. ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

SACRÉ CINÉ Ce mois-ci, MK2 VOD fait du prosélytisme. Loin de blasphémer, le polémique Abel Ferrara livre une vision très personnelle de la vie de Mary, réflexion sur le rapport entre le sacré et l’image, comme une réponse à La Passion de Mel Gibson. Sur un registre plus comique, on signalera Jésus de Montréal de Denys Arcand, adaptation de la vie du Christ à la mode québécoise. Enfin, la fable noire Sans nouvelles de Dieu confronte Victoria Abril et Pénélope Cruz, duo aussi divin qu’infernal. Notre foi en un cinéma audacieux reste intacte.

RESTONS ÉVASIFS On s'envole vers des contrées exotiques dans Quatre plumes blanches dirigé par Zoltan Korda et Terence Young, deux spécialistes du film d'aventure. Sur le même terrain voyageur, l'iconoclaste Takaski Miike compose avec Bird People Of China un film poétique à l'esthétique bucolique, tandis que Arizona Dream de Kusturica actualise l'un des plus vieux rêves de l'Homme : pouvoir voler. Des films légers et nomades, soulignant le pouvoir libérateur du cinéma.

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SCIENCE-FICTION La chronique des objets de demain... L’EeePC d’Asus

Trois E dans le même panier Si vous lisez ces lignes sur un télésiège, eh bien… restez assis. L’iPhone, détrôné, fait poussiéreuse figure face à l’EeePC d’Asus, un micro-ordinateur plus nomade qu’un bédouin de Galilée. Hype attitude oblige, la rédaction a confié l’EeePC à Ashley, 15 ans.

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iste (eau de) rose. « Je déteste cette classe de neige. Je déteste Gégé, le mono de ski, presque autant que mon père. Je déteste ma combinaison provoquant boutades boudinantes de la part des brachiosaures et pintades qui petit-peuplent la seconde B. Mais surtout je déteste trop ma correspondante italienne, Carla, qui partage un tire fesse avec mon Nicolas à moi. » Et voilà, c’est posté sur mon blog en live du resto d’altitude, grâce à mon EeePC, un ordi portable plutôt potable. Piste (colère) noire. « Range ton Game Boy, on part en ascension peau de phoque », tonne Gégé. Objecteur de conscience, j’oppose mon droit à ne pas fouler le derme de ces nobles phocidés. J’étaye mon propos d’une vidéo sur DailyMotion, dénonçant le massacre des bébés lamantins. « Fais pas ta Bardot, si t’as froid, c’est dans la tête ».

Piste rouge (sang). Non, mais y se croit à la parade de Disneyland celui-là ! Mon index vengeur triple-clique frénétiquement sur l’EeePC. Un coup de fil wifi au cousin Guy le geek, et je pirate le système de mise à feu des canons d’avalanche de la station. Un tsunami de flore enneigée s’abat sur la Florentine, un sapin taquin embroche Carla comme mortadelle sur un gressin. « Click, click » : une nouvelle vidéo-diarrhée est déféquée sur YouTube. _Ashley FROM THE BLOCK

TROIS PISTES POUR CONVAINCRE SES VIEUX Son système d’exploitation. C’est la formidable équipe de Linux, dont le logo est un pingouin, qui s’y colle. N’oubliez jamais que la femelle pingouin pond un œuf de forme conique, pour éviter que sa progéniture ne roule et ne s’écrase en bas de la falaise. Son prix. Aussi ridicule que sa taille (une demi-feuille A4) : 299 € TTC. Sachant qu’en moyenne un enfant de 15 ans reçoit 30,33 € d’argent de poche par mois, il faudra être sage pendant tout de même 10 mois. www.blogeee.net Le blog de référence sur l’EeePC. Indépendant et pertinent, Pierre nous abreuve d’informations dont la nécessité est bien sur toute relative. Essayez donc de caser, à l’occasion d’une marelle mondaine, que la température d’un clavier EeePC est de 41°C...

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Illustration : © Thomas DAPON

Piste bleue (au cœur). Je maudis les plaques tecktonik qui font les montagnes. Les sommets, on les voit aussi bien sur Google Earth. Avec ma webcam intégrée pour lolita cocufiée, je diffuse en streaming HD un Nicolas porté sur la grivoiserie transalpine. Pourtant, quelqu’un m’a dit... « Ashley ! Remue ton derche ! La nuit tombe, on va être marrons glacés », me gazouille Nicolas. L’amour, c’est trop un suicide, comme dit KYO, tout juste téléchargé sur iThunes.




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