Trois Couleurs #62 – Mai-juin 2008

Page 1

CINÉMA I CULTURE I TECHNOLOGIE

NUMÉRO 62 I MAI // JUIN 2008

CINÉMA

COLLECTION PRINTEMPS

ÉTÉ 2008







PAGE 62

PAGE 17

PAGE 58

PAGE 56

PAGE 26

PAGE 28

ÉDITO

CINÉMA

LES LUMIÈRES DE LA VILLE «La ville permet de voir sans être vu, et d’être vu sans voir », écrivait le critique Serge Daney. Il est une ville, cependant, en ce moment précis de l’année, où l’on voit autant que l’on s’y fait voir : Cannes, et son mirobolant festival, kaléidoscope d’images, de visions, de regards. Une ville parmi d’autres, néanmoins, tant l’actualité cinématographique de ce printemps ne se réduit pas au tremplin cannois, et attire quantité d’autres cités dans son orbite. New York, d’abord, personnage principal de Sex & the City, dont l’adaptation sur grand écran fait évènement : le film saura-t-il aussi bien saisir que la série la pulsation singulière de cette ville qui ne dort jamais ? Flint, ensuite, métropole ouvrière dont le sinistre industriel des années 1970 transparaît, en creux, dans la réjouissante comédie Semi-pro, éloge subtil du rebond. Hong-Kong, encore, que Johnnie To filme avec virtuosité dans le mélancolique Sparrow, tout entier traversé par la menace de la rétrocession de la mégalopole à la Chine en 2046. Roubaix, enfin, cadre du magnifique Conte de Noël d’Arnaud Desplechin : loin du folklore ch’ti, la ville y vibre d’un réalisme fantasmatique, ville réelle et pourtant rêvée. C’est bien là tout le pouvoir d’une caméra : donner à voir ce qui, sans elle, ne saurait être vu.

8_ 17_

32_ 34_ 36_ 39_

Tendances, Ciné fils, Regards croisés, Scène culte DOSSIER : CINÉMA COLLECTION PRINTEMPS-ÉTÉ 2008 Rencontre avec Sarah Jessica Parker ; Sex & the City vu de New York ; previews Cannes 2008 ; interview de Melvil Poupaud et Arnaud Desplechin… PLEIN ÉCRAN : Un Conte de Noël d’Arnaud Desplechin Sparrow de Johnnie To La Troisième Partie du monde d’Éric Forestier LE GUIDE des sorties en salles

CULTURE 54_ 56_ 58_ 60_ 62_ 64_

DVD : Aki Kaurismäki, plus grand cinéaste finlandais LIVRES : Gail Parent, pionnière de la « chick lit’ » MUSIQUE : Qu’est devenu le trip-hop ? LES BONS PLANS DE RADIO ART : Richard Serra au Grand Palais PAR : Martin Kollar

TECHNOLOGIE 66_ 68_ 70_ 72_ 74_

TRIBUNE LIBRE : Entretien avec Bartabas RÉSEAUX : L’industrie musicale en pleine recomposition JEUX VIDÉO : Les jeux vidéo misent sur le gratuit VIDÉO À LA DEMANDE : Land of the Dead de G.A. Romero SCIENCE-FICTION : La Mile-High Tower

+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + ++ + + + + + + + + + +

SOMMAIRE # 62

_Auréliano TONET ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA / 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS / 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION > Elisha KARMITZ I DIRECTEUR DE LA RÉDACTION > Elisha KARMITZ elisha.karmitz@mk2.com I RÉDACTEUR EN CHEF > Auréliano TONET aureliano.tonet@mk2.com / troiscouleurs@mk2.com RESPONSABLE CINÉMA > Sandrine MARQUES sandrine.marques@mk2.com I RESPONSABLE CULTURE > Auréliano TONET I RESPONSABLE TECHNOLOGIE > Étienne ROUILLON etienne.rouillon@mk2.com ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO > Christophe ALIX, Yassine BEN MILED, Isabelle DANEL, Marie DÉHÉ, Pascale DULON, Baptiste DUROSIER, Clémentine GALLOT, Sofia GUELLATY, Roland JHEAN, Rémy KOLPA KOPOUL, Audrey LEVY, Raphaëlle LEYRIS, Xavier PRIVAT, Sophie QUETTEVILLE, Léo SOESANTO, Camille TENNESON, Antoine THIRION, Anne-Lou VICENTE I ILLUSTRATIONS > Thomas DAPON, DUPUY-BERBERIAN, Fabrice GUENIER, LABOMATIC TM, Arnaud PAGÈS DIRECTRICE ARTISTIQUE > Marion DOREL marion.dorel@mk2.com I MAQUETTE > Louise KLANG I IMPRESSION / PHOTOGRAVURE > FOT I PHOTOGRAPHIES > AGENCE VU’, NICOLAS BUISSON, RICHARD DUMAS, DR RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA > Laure-Aphiba KANGHA / 01 44 67 30 13 laure-aphiba.kangha@mk2.com I CHEF DE PUBLICITÉ > Solal MICENMACHER / 01 44 67 32 60 solal.micenmacher@mk2.com © 2008 TROIS COULEURS // issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. // Tirage : 200 000 exemplaires // Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique.


Tir groupé

Semi-pro le 14 mai dans les salles, Les Rois du patin bientôt en DVD : Will Ferrell, comique US branché sport, marque des points dans sa conquête du public français. Son humour ne manque ni de selles, ni de sel, et pour cause : Will Ferrell est d’abord un corps. Un corps de 40 ans, transformé au gré des incarnations. Son terrain favori a longtemps été celui de l’imitation cathodique, qu’il exerça sept ans durant sur NBC, au sein du Saturday Night Live. Ses cibles d’alors : Bush Jr. ou Charlton Helston. Au cinéma, Ferrell a le bras long, multipliant les caméos d’anthologie, d’Austin Powers à Serial Noceurs, en passant par Woody Allen (Melinda et Melinda). Au mitan des années 2000, ses rôles gagnent en cohérence et dessinent la trajectoire d’un entertainer solitaire peu à peu converti au jeu en équipe. Dans Présentateur vedette, clin d’œil à son passé de commentateur sportif, comme dans Ricky Bobby : roi du circuit, où il campe un pilote un peu naze de Nascar, son comique tourne littéralement en rond, tout autour de son corps bedonnant et bidonnant. Film-miroir sur le milieu interlope du patinage artistique, Les Rois du patin signe sa découverte de l’altérité en la personne de Jon Heder, partenaire givré. Dans le récent Semi-pro, enfin, Ferrell incarne Jackie Moon, homme-orchestre des Flint Tropics, une équipe de basket à la dérive. Comme au sein du « frat pack », club des nouveaux comiques US dont il est, avec Jack Black et Owen Wilson, l’un des piliers, les joueurs s’y renvoient généreusement la blague, appliquant les consignes de leur coach à la lettre : faire corps.

++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++ ++++++++++

TENDANCES

CALÉ

DÉCALÉ

RECALÉ

Le double

La moitié

La copie

La culture voit double : Seuls Two d’Éric et Ramzi et La Personne aux deux personnes de Nicolas et Bruno filment de débiles binômes bipolaires, tandis que la pop française, de Wilfried* à Daven Keller, est en plein ego-trip schizo. 8 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

L’ultime adaptation ciné d’Harry Potter sera coupée en deux volets, le beau film La Soledad ressuscite le procédé du split-screen, Semi-Pro chante les louanges du basket « demi pression » : oyez, oh yeah, le couci-couça est 100 % hype.

L’ersatz hertzien Cindy Sander pastiche le fantôme de Céline Dion, tandis que le Parlement vote une nouvelle loi contre le piratage : qu’elle soit conforme ou illégale, la copie n’a vraiment pas de quoi faire son originale.



Pris de court

À la fin de Blow-up, des personnages miment un match imaginaire : et si le cinéma était l’art de renvoyer la balle ? Des réalisateurs, en tout cas, l’ont saisie au bond. Et, descendant sur le court de tennis, ont transformé celui-ci en théâtre des passions humaines. Avant le match, petit échauffement théorique avec Serge Daney, un « amateur de tennis » éclairé. Selon ce frappé du coup droit, «un match, comme un film, est un petit récit. Il peut très bien ne rien s'y passer. (…) Un tournoi, c'est déjà un grand récit. Une année de tennis, une vraie saga. (…) Ce qu'on imagine moins, c'est que les joueurs sont comme une troupe, qu'ils vivent en avion, loin de tout, comme le grand orchestre de Duke Ellington ou une bande de clowns blancs, plus ou moins tristes. » Ces mêmes clowns tristes qui peuplent le cinéma de Wes Anderson. Dans La Famille Tenenbaum, le sportif de la fratrie craque en plein tournoi et devant l’assistance médusée, entreprend de se débarrasser de ses chaussettes. Son cœur est dans les tribunes. Une mère envahissante n’hésite pas à en descendre pour apostropher son fils trentenaire dans Un Eléphant, ça trompe énormément. Mêmes volées de bois vert dans Nouvelle Vague de Godard : « L’autre jour au Palm Beach à Cannes, je jouais avec un officier de l’armée syrienne. Chaque fois que je devais servir, il me disait : Bombardez, Monsieur, bombardez ! » Jeu, set et match pour Woody Allen qui prend dans ses filets la haute bourgeoisie anglaise (Match Point). Certes, « on ne sait jamais de quel côté va tomber la balle ». Mais le hasard sert les plans meurtriers de son jeune ambitieux. Le joueur de tennis cupide, qui fomente l’assassinat de sa femme dans Le Crime était presque parfait d’Hitchcock, aura moins de chance et subira un douloureux revers. Service gagnant en revanche pour Nicholson dans Les Sorcières d’Eastwick, lequel charme, avec son toucher de balle aérien, ses trois partenaires de jeu. D’autres mordent la poussière, en observant sur le court l’objet de leur désir dans Les Mistons, Le Genou de Claire ou Raging Bull. Preuve qu’en amour comme au tennis, tout est question d’effets.

10 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

+++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++ ++++++++++++ +++++++++++++++++++++++++ ++++++++++++++++++++++++++ +++++++++++++

CINÉ FILS

La bande originale

SEMI-PRO (Decca / Universal)

Dans Semi-pro, hilarante comédie sportive « coachée » par l’acteur caméléon Will Ferrell, il y a des dunks, beaucoup, et du funk, partout. Ça commence par le tube Love Me Sexy : Ferrell y feule d’absurdes cochonneries, suintant le sexe et la sueur, sur un parquet sonore verni par l’immense Nile Rodgers (moitié du duo disco Chic). Le reste de la BO est à l’avenant, qui réunit le haut du panier funky (Sly & the Family Stone, War, Jean Knight…) en un merveilleux déhanchement synchronisé, où tout – passes, farces, basses – n’est que rebond.

Le ciné livre

DAVID VASSE « Le Nouvel Âge du cinéma d’auteur français » (Klincksieck) Ne pas s’arrêter à l’aspect sévère de cet ouvrage, dont l’ambition (faire le point sur le cinéma d’auteur français des années 1990-2000, rien de moins) et la forme parfois doctorale peuvent effrayer. Universitaire et critique clairvoyant, David Vasse livre un bel état des lieux de ce cinéma-là : après le règne creux et autarcique, dans les années 1980, du « visuel » (influence du vidéoclip, tournages en studio…), les auteurs se frottent de nouveau au monde tel qu’il est, dans sa densité langagière, corporelle, sociale, assumant l’héritage des aînés, mais armés de nouveaux outils (numériques, notamment) pour le magnifier.



REGARDS CROISÉS

Johansson vs Monroe

T

out a commencé par une méprise. De celle qui poursuit les pin-up passées des calendriers au cinéma. Monroe a longtemps été considérée comme une starlette, quand elle savait chanter, jouer et danser à la perfection. Il faut la voir dans La Rivière sans retour, la mélancolie au bord des lèvres, interpréter One Silver Dollar. Ses talents de chanteuse se révèlent avec Les Reines du music-hall, mais éclatent dans des comédies populaires comme Les Hommes préfèrent les blondes, avec l’inoubliable standard Diamonds are a Girl's Best Friend. Elle interprète ce titre en Corée en 1954 devant des GI’s conquis. Scarlett Johansson, qui a débuté enfant au cinéma dans L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, est elle aussi allée remonter le moral des troupes américaines en Irak. L’icône sexy, ado paumée dans Ghost World, déphasée à Tokyo dans Lost in Translation, surprend son monde au printemps 2008, avec un album de reprises de Tom Waits à tomber (Anywhere I Lay my Head). Certes, elle avait déjà poussé sa belle voix rauque sur scène aux côtés des Jesus and Mary Chain et joué les guests de luxe dans le clip de Justin Timberlake (What Goes Around Comes Around). Mais on ne lui connaissait pas un tel univers musical. Égérie d’un Woody Allen énamouré, qui lui consacre trois films (dont le dernier projet en date, Vicky Cristina Barcelona), la charnelle Scarlett chausse dans Scoop une improbable paire de lunettes. La même qui mangeait le visage de Monroe dans Comment épouser un millionnaire ? Une myopie qu’on espère à jamais fictive tant ses choix de carrière sont clairvoyants et le star system prompt à broyer ses belles poupées déglinguées, fussent-elles, avant tout, des artistes complètes.

12 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

Illustration : © Fabrice GUENIER

Alerte à la blonde ! Du disque à la chevelure platine, marque de fabrique des stars à Hollywood, Scarlett Johansson pourrait bientôt faire d’une pierre deux coups. Avec un premier album somptueux, l’actrice chanteuse marche sur les pas de son modèle glamour, Marilyn Monroe.



SCÈNE CULTE La Cité de la peur

Au doigt et à l’œil LA PETITE HISTOIRE : Alain Berbérian (frère de l'auteur de bande dessinée Charles Berbérian) a officié comme monteur à Canal+, notamment sur le programme Les Nuls, l’émission. Les humoristes lui ont confié la réalisation de leur premier film, La Cité de la peur, qui parodie les plus grands succès du cinéma, de Pretty Woman à Basic Instinct en passant par Blow-up. Privé de leur complice des débuts Bruno Carette, ils lui rendent hommage lors d’une séquence télévisée où on le voit dans son célèbre personnage de pétomane, Misou-Mizou. Truffé de dialogues cultes, le film compte aussi un fameux numéro chanté et dansé par Darmon et Chabat : la Carioca.

LE PITCH : Festival de Cannes mouvementé pour l’attachée de presse Odile Deray (Chantal Lauby). Un tueur en série trucide les projectionnistes de son film Red Is Dead. Gros buzz. Flanquée de la vedette décérébrée Simon Jérémi (Dominique Farrugia) et de Karamazov (Alain Chabat), un garde du corps libidineux, elle s’en remet au commissaire Bialès (Gérard Darmon) pour sa protection très très rapprochée.

LE COMMISSAIRE BIALÈS : Mais oublions le film pour ce soir. Parlez-moi de vous plutôt. ODILE DERAY : Odile, moi, c'est Odile. Pluto, c'est l'ami de Mickey. BIALÈS : Euh non, Pluto, c'est le chien de Mickey. L'ami de Mickey, c'est Dingo. ODILE : Oh, pardonnez-moi ! Je sais plus ce que je dis, c'est ce film, toute cette pression... BIALÈS : Mais oubliez tout ça et parlez-moi de vous ! Hum... D'où venez-vous ?

BIALÈS : Oh, formidable ! Ha ha ha ! ODILE : Ma première voiture, c'était une Peugeot ! BIALÈS : C'est extraordinaire ! (…) ODILE : Qu'est-ce que c'est, le gigondin à ma façon ? BIALÈS : Ah, c'est délicieux ! Ce sont... deux cuisses de chevreuils – c'est pour deux – ce sont deux cuisses de chevreuils fermes et délicatement écartées, fourrées de crème épaisse, mouillées de vin blanc chaud qui ruisselle sur les parties charnues de la bête et elles sont fermement ligotées sur un lit de cresson. ODILE: Oh. Il est comment, le cresson ? BIALÈS : Il est tendre et... coriace à la fois. ODILE : Oh. Et quand vous dites « ligoté », il est ligoté, ligoté, il peut pas s'échapper ? BIALÈS : Il est à ma botte, le cresson ! [Plus tard, chez le commissaire.] BIALÈS : Vous aimez Mozart ? ODILE : Oh oui. C'est lequel ? BIALÈS : Le dernier.

ODILE : De Dijon. C'est là que j'ai commencé mon métier d'attachée de presse. Je m'occupais du festival « Moutarde et Cinéma ».

BIALÈS : Venez, venez, Odile. Entrez. Vous voulez un whisky?

BIALÈS : Ah, c'est passionnant et ça parlait de quoi ?

ODILE : Oh, juste un doigt !

ODILE : De moutarde et de cinéma !

BIALÈS : Vous ne voulez pas un whisky d'abord ?

ODILE : Ah.

La Cité de la peur, une comédie familiale, scénario Les Nuls (Chantal Lauby, Alain Chabat, Dominique Farrugia), film d’Alain Berbérian (1994, DVD disponible chez Studio Canal).

14 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

Pages 8 à 14 réalisées par S.M. et Au.To.




CINÉMA COLLECTION PRINTEMPS - ÉTÉ 2008 Ce fut ce qu’on appelle une série prescriptrice : en matière de mode, d’écriture télévisuelle et même de libération des mœurs, Sex & the City a marqué les années 2000. À l’heure de sa tant attendue adaptation au cinéma, nous avons pu discuter avec Sarah Jessica Parker de ces multiples avancées. Autre évènement du printemps : le festival de Cannes, qui, chaque année, dresse une sorte d’état des lieux des formes et tendances du septième art. Parmi les films qui marqueront le festival, Un Conte de Noël d’Arnaud Desplechin frappe par son sujet ample et ambitieux, que décryptent dans ces pages Desplechin lui-même et l’un de ses acteurs, Melvil Poupaud. Sex & the City, Un Conte de Noël : deux idées généreuses, intelligentes et populaires du cinéma. _Dossier coordonné par Sandrine MARQUES et Auréliano TONET


ENTRETIEN

SARAH J. PARKER


Talent aiguille Après quatre ans d’expectative, Sex & the City débarque enfin dans les salles obscures. Le 28 mai prochain, les héroïnes les plus déjantées de la télé crèveront le grand écran à coups de talons aiguilles, de sexe piquant et de dialogues pénétrants. Sarah Jessica Parker, alias Carrie Bradshaw, nous raconte les dessous de ce film très attendu, qu’elle a co-produit : comment les crêpages de chignon au sein du quatuor ont failli faire capoter l’aventure, et comment le projet a finalement pu voir le jour. Rencontre avec une icône new-yorkaise, au franc-parler libérateur. n s’inquiétait de ne plus avoir de nouvelles de Carrie Bradshaw. Que s’est-il passé ces quatre dernières années ? Elle s’est assagie, elle a mûri aussi. Au début du film, c’est une jeune quadra épanouie qui ne croit plus aux aventures sans lendemain. Depuis quatre ans, elle vit une relation stable avec Mr Big. Ils projettent même de se marier. Tout va se compliquer avec le retour de Haiden, son autre grand amour.

O

Samantha, Charlotte et Miranda sont aussi de l’aventure… Comment vont vos trois copines ? Samantha Jones (Kim Cattrall) est toujours aussi excessive. Elle aime toujours autant les jeunes hommes. Charlotte York (Kristin Davies) va enfin découvrir les joies de la maternité. Quant à Miranda Hobbes (Cynthia Nixon), c’est une maman épanouie, mais sa vie amoureuse est toujours aussi compliquée.

Les fans de la première heure craignent que le film soit moins audacieux, plus conservateur que la série. Avez-vous pu jouir de la même liberté de ton ? L’esprit d’origine devrait être conservé puisque c’est l’équipe de la série télévisée qui s’est occupée du film. Michael Patrick King a écrit une vraie histoire originale. Le film n’est donc pas qu’un simple prolongement de la série. Il va beaucoup plus loin, les fans vont être surpris. Disons que le ton est sensiblement plus sérieux. Mais je ne peux pas vous en dire plus.

Kim Cattrall affirme avoir fait le film pour des raisons financières. On parle d’un gros chèque de 14,4 millions de dollars. Cela vous choque ? Si elle a fait le film pour de l’argent, c’est son choix ! Chacun dit et fait ce qu’il veut, nous sommes en démocratie. La série, et le film aujourd’hui, contribuent à l’émancipation d’une société américaine pleine de tabous. En avez-vous conscience ? C’est très flatteur ! (rires) On n’a jamais trouvé mieux que le rire et la comédie pour faire passer des messages. Le succès de Californication, Nip/Tuck ou L World est la preuve que les mentalités changent. Mais il ne faut pas se leurrer. Toutes ces séries sont diffusées sur le câble ou sur des chaînes payantes. La société américaine est encore très puritaine.

« LE DERNIER JOUR DU TOURNAGE DE LA SÉRIE À PARIS, DES GENS VENAIENT VERS NOUS EN LARMES. »

Depuis l’arrêt de la série, il y a quatre ans, l’engouement des fans n’a jamais décru. Comment expliquez-vous une telle fascination pour ces quatre héroïnes ? Le dernier jour du tournage de la série à Paris, des gens venaient vers nous en larmes. Sex & the City a révolutionné la télévision. La façon d’écrire et de concevoir des séries a considérablement évolué. Ce programme a également décomplexé la parole des femmes sur leur intimité. L’attente autour du film est donc très importante. Nous n’avons pas le droit de les décevoir. Il semble que le film ait connu quelques faux départs. Que s’est-il passé réellement ? Cela m'a pris un an et demi pour réussir à convaincre tout le monde. Il y a deux ans, toute l’équipe avait donné son accord : actrices, producteurs, scénaristes, sauf Kim (Cattrall) qui s’est longtemps opposée au projet pour des raisons extraprofessionnelles. Après des hauts et des bas, on a enfin réussi. Je voulais vraiment que le film se fasse.

On célèbre en France les 40 ans de Mai 68. Croyez vous les Françaises plus libérées que les Américaines ? Sûrement. Votre président est marié à un top-model. C’est du jamais-vu. (rires) Le célibat dans les grandes villes est un véritable fléau. Pourquoi est-ce si difficile de rencontrer l’âme sœur ? New York est la ville de mon cœur. Il est bien plus facile de rencontrer un homme à New York ou à Paris. À Los Angeles, par exemple, les gens mangent, dorment, travaillent dans leur voiture! Pas moyen de flirter! (rires) À qui va votre préférence : Hillary Clinton ou Barack Obama ? J’ai une préférence pour Barack Obama. Hilary Clinton est incapable de rassembler le pays. Obama, lui, n'appartient ni à la famille royale Bush ni à la famille royale Clinton. C’est un électron libre. Vous avez voté pour Marion Cotillard aux Oscars ? Oui. Sa performance dans La Môme est extraordinaire. Marion a l’étoffe d’une star internationale. Seriez-vous partante pour une suite ? Honnêtement, j’aimerais bien. Je ne sais pas si on aura encore des choses à raconter. Carrie aurait cinquante balais. J’aurais peur du résultat ! _Propos recueillis par Xavier PRIVAT 19 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


DANS LA CHAMBRE DE CARRIE BRADSHAW Au péril de leur vie, nos rédactrices mode ont affronté assistantes, attachées de presse et gardes du corps pour découvrir la chambre de Sarah Jessica Parker, alias Carrie Bradshaw dans Sex & the City. Gros plan sur un univers pailleté, truffé de « it-shoes »…


TABLE DE NUIT : déshabillé Fifi Chachnil, pochette Paule Ka, bague Swarosvski, lunettes Linda Farrow Vintage disponibles chez Marc Le Bihan LIT : culotte Fifi Chachnil, MacBook Air, soutien-gorge Agent Provocateur PLACARD (de haut en bas) : sandales à plateaux Giambattista Valli, sandales Sergio Rossi, escarpins Christian Louboutin, sandales Christian Louboutin, escarpins Sergio Rossi, richelieus Giuseppe Zanotti, escarpins Giuseppe Zanotti TABLE : jumelles Swarovski, escarpins en croco Christian Louboutin SOL : jupon Fifi Chachnil (prix sur demande), sandales Sergio Rossi, sac Swarovski Remerciements à l’Hôtel Duo, 11, rue du Temple, 75004 Paris (http://duo-paris.com) Photographe : Nicolas Buisson Réalisation : Marie Déhé, Yassine Ben Miled


SEX AND THE CITY

VU DE NYC

Saturation in the City L’adaptation ciné de la plus new-yorkaise des séries suscite une intense frénésie outre-Atlantique, ainsi que quelques questionnements sur sa bonne fortune. Notre correspondante dans la Grosse Pomme a croqué pour nous cet engouement.

G

et carried away ». Le slogan prometteur sur les affiches de Sex & the City – The Movie est apparu peu à peu dans les rues de New York et les publicités ont envahi les écrans. Le film, qui sort le 30 mai aux États-Unis et dont la première a eu lieu à Londres, reprend les aventures de Carrie et de ses fabulous girlfriends là où la série les avait laissées. Comme de rigueur, la sortie du film s’accompagne de l’emballement fanatique qui préside à toute adaptation de séries cultes sur grand écran. Qu’il s’agisse d’en exploiter la mythologie (le rétro Starsky & Hutch, l’énergique Charlie’s Angels) ou de leur attribuer une ampleur jusque-là insoupçonnée (Miami Vice), les bénéfices de ce type d’adaptation sont manifestes. Face au destin parfois malheureux des séries anglo-saxonnes au cinéma (l’on pense avec regret à Ma Sorcière bien aimée, Chapeau melon et bottes de cuir et Absolutely Fabulous), les fans de Sex and the City attendent de cette transposition qu’elle restitue au moins son folklore glamour. Récemment, des photos du tournage, alimentant les spéculations, ont opportunément filtré dans la presse, dont une où l’on voit Carrie en robe de mariée (flash-back ? rêve ? happy end ?). La bande-annonce, en ligne depuis mars, promet naissances, déconvenues, coucheries en tout genre mais aussi, hélas, un décès redouté. Ce projet à 60 millions de dollars, habile manœuvre commerciale, a suscité quelques réserves outreAtlantique. Après d’innombrables rediffusions télévisées du feuilleton, certains craignent que le film réalisé par Michael Un film de Michael Patrick KING Avec Sarah Jessica Parker, Kim Cattrall, Cynthia Nixon… Distribution : Metropolitan FilmExport // États-Unis, 2008, 2h15 // Sortie le 28 mai

22 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

Patrick King, l’un des producteurs de la série, ait perdu un peu de sa fraîcheur dans un environnement culturel qui reste saturé de ses références. Née de l’optimisme des années Clinton, la série inspirée du roman de Candace Bushnell, depuis ses débuts il y a dix ans sur HBO, avait fait de New York son personnage principal, confortant le mythe d’une ville qui ne dort jamais. À travers, notamment, la romance avortée de Carrie avec l’insaisissable Mr Big, la série et son marivaudage trash établissaient la chronique minutieuse des modes de sociabilité des New-Yorkais. Si le tournage dans les rues de Manhattan a attiré des foules de curieux, les producteurs du film se sont un peu faits couper l’herbe sous le pied. En effet, la guerre que se livrent les séries pour occuper l’espace vacant laissé par Sex & the City en 2004 a donné lieu cette année à des productions concurrentes mettant en scène des successful working girls. Cashmere Mafia, avec Lucy Liu, sur la chaîne ABC est produite par l’ancien créateur de Sex & the City, Darren Star, alors que sur NBC Lipstick Jungle avec Brooke Shields est basée sur un autre roman de Candace Bushnell. Accusées par la presse de recycler les recettes établies par Sex & the City, ces deux nouvelles venues délaissent précisément ce qui faisait son intérêt, note le New York Times, c’est-à-dire la vision anthropologique et moderne de New York. Reste à voir si Sex & the City – The Movie saura regagner la place qui lui est due et faire revivre une dernière fois l’esprit caustique et la vivacité de la série, sous de meilleurs auspices. _Clémentine GALLOT (à New York)



PREVIEWS

CANNES

2008

Le cartel des auteurs Le 61ème festival de Cannes dévoile une affiche prestigieuse, riche en auteurs confirmés. Au programme : amour, sport et politique, avec une percée notable de l’Amérique du Sud. Décryptage avant-coureur.

H

abitués des éditions précédentes, des auteurs comme Clint Eastwood, les frères Dardenne, Wim Wenders, Steven Soderbergh, James Gray, Jia Zhangke, Atom Egoyan, entre autres, se disputeront la Palme d'or. Côté français, trois récits intimistes sont en compétition : Un Conte de Noël d'Arnaud Desplechin, À la frontière de l'aube de Philippe Garrel, une histoire d'amour entre Laura Smet et Louis Garrel, et Entre les murs de Laurent Cantet, adaptation d’un roman de François Bégaudeau sur son expérience de professeur de français dans un collège difficile. L’écrivain y tient d’ailleurs le rôle principal. Autre possible révélation, Synecdoche NY de Charlie Kaufman, scénariste attitré de Michel Gondry et de Spike Jonze, qui passe pour la première fois à la réalisation. Parmi les poids lourds de la délégation américaine, on signalera Two Lovers, comédie romantique de James Gray (The Yards, La Nuit nous appartient), avec un Joaquin Phoenix tiraillé entre Gwyneth Paltrow et Vinessa Shaw. Quant à Wim Wenders, il met en scène le rutilant Dennis Hopper dans une romance entre un homme d’âge mûr et une jeune fille, intitulée Rendez-vous à Palerme. À noter la présence au générique de la chanteuse Patti Smith, dans son propre rôle. Également situé en Italie, Gomorra du transalpin Matteo Garrone retrace l'histoire de la Mafia.

24 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

Dans un même registre historico-politique, Steven Soderbergh raconte sur quatre heures la vie du Che, incarné par Benicio Del Toro, sujet qu’avait également traité Walter Salles il y a quatre ans avec Carnets de voyage. Le cinéaste brésilien retrouve d’ailleurs la compétition cette année avec Linha da Passe. Son compatriote Fernando Meirelles, réalisateur de La Cité de Dieu, fera l’ouverture du festival avec Blindness, thriller futuriste réunissant Julianne Moore, Mark Ruffalo et Gael

« LES HAPPY FEW DÉCOUVRIRONT LE NOUVEAU FILM DE WOODY ALLEN, PRÉCÉDÉ D’UNE RUMEUR SULFUREUSE. » Garcia Bernal. Les Argentins Lucrecia Martel et Pablo Trapero complètent le riche contingent sud-américain. Hors compétition officielle, les happy few découvriront le nouveau film de Woody Allen, tourné en Espagne, Vicky Cristina Barcelona, déjà précédé d’une rumeur sulfureuse pour cause de scène saphique entre Pénélope Cruz et Scarlett


De gauche à droite : Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen, Tyson de James Toback, Changeling de Clint Eastwood et Che de Steven Soderbergh.

Johansson. Jackie Chan et Lucy Liu viendront défendre Kung-Fu Panda, le nouveau dessin animé des studios DreamWorks pour lequel ils prêtent leurs voix. Alors qu’on doit à son père David Lynch la troublante affiche du festival, Jennifer Lynch présentera Surveillance, son deuxième film. Les festivaliers feront un peu de sport avec les documentaires Maradona d'Emir Kusturica et Tyson de James Toback, sur la vie de l'ancien champion du monde des poids lourds, sélectionné dans la section Un Certain Regard. La Vie moderne de Raymond Depardon, Tokyo ! de Joon Ho Bong, Leos Carax et Michel Gondry, Hunger de Steeve McQueen et Wendy and Lucy de Kelly Reichardt figurent également parmi les temps forts de cette section parallèle. Pour son quarantième anniversaire, on espère beaucoup de la Quinzaine des Réalisateurs, créée dans le sillage de Mai 68. Vingt-deux longs métrages ont été retenus par les sélectionneurs, dont quinze réalisés par des cinéastes qui n’ont jamais présenté de long métrage à Cannes. C’est dire si cette section n’a rien perdu de son esprit défricheur. Parmi les films les plus attendus, Le Voyage aux Pyrénées des frères Larrieu, dans la lignée de leurs précédentes réalisations (Peindre ou faire l’amour, Un Homme, un vrai), Dernier Maquis de Rabah Ameur-Zaïmeche, récit tragique de la conversion à l’Islam d’un jeune mécanicien d’origine

portugaise, et De la guerre de Bertrand Bonello, itinéraire chaotique d’un cinéaste dont la vie change après avoir passé une nuit dans un cercueil. À la Quinzaine aussi, l’Amérique latine fait un retour remarqué. Situé pendant les années de dictature Pinochet, Tony Manero du Chilien Pablo Larrain raconte l’obsession d’un jeune homme pour son idole John Travolta. Après l’impressionnant Los Muertos, l’Argentin Lisandro Alonso signe Liverpool, l’histoire d’un marin de

« L’AMÉRIQUE LATINE FAIT UN RETOUR REMARQUÉ, TOUTES SECTIONS CONFONDUES.» retour dans son pays natal. Enfin, Acné de l’Uruguayen Federico Veiroj fait le portrait d'un adolescent de 13 ans dont les boutons compromettent le passage à l’âge adulte. Un problème que n’a pas la Quinzaine des Réalisateurs, qui affiche une réjouissante maturité éditoriale. _S.M. et Au.To.

25 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


ENTRETIEN

MELVIL

Photographie : © Richard DUMAS

POUPAUD

Melvil, le vent en poupe À l’affiche de trois films ces prochains mois (Un Conte de Noël d’Arnaud Desplechin, Broken English de Zoé Cassavetes et Speed Racer des frères Wachowski), Melvil Poupaud y change de registres avec la même décontraction qu’il répond à nos questions.

V

ous interprétez le benjamin d’une famille dysfonctionnelle dans Un Conte de Noël et un french lover dans Broken English. Jouer chez Cassavetes ou Desplechin, c’est un peu épouser une famille. Comment avez-vous été adopté par chacune d’entre elles ? J’ai fait la connaissance de Zoé Cassavetes il y a deux ans, par l’intermédiaire de son petit ami Sébastien, membre du groupe Scratch Massive, avec lequel j’avais fait de la musique. J’ai suivi les étapes compliquées du montage financier de son premier film. Curieusement, son nom de famille était un handicap. Ces différentes épreuves ont contribué à renforcer nos liens sur le tournage. Parker Posey, ma partenaire dans Broken English, m’a emmené voir plusieurs concerts à New York. Plus tard, à Deauville, j’ai rencontré Gena Rowlands. Donc, effectivement, j’ai eu l’impression de faire partie d’une tribu. En ce qui concerne Desplechin, j’avais fait des essais à l’époque de Comment je me suis disputé... Mais j’étais un peu jeune. On s’est croisé plusieurs fois par la suite. J’avais déjà joué avec Mathieu Amalric et Chiara Mastroianni. Donc je n’ai pas eu le sentiment d’être un petit nouveau débarqué dans un groupe constitué. Nous étions tous à même niveau car très anxieux de connaître notre texte à la perfection.

Quelle est la « méthode Desplechin », connu pour être un formidable directeur d’acteurs ? Il se sert de la personnalité de ses interprètes pour enrichir le rôle : l’humour de Chiara Mastroianni, le côté souple et chaplinesque d’Amalric, le port de tête de Deneuve. C’est pourquoi il aime tourner avec des gens qu’il connaît bien dans la vie. Sur le tournage, il communique son intensité, sa concentration. C’est un excellent directeur d’acteurs car un très bon acteur, sans doute le meilleur que j’ai jamais vu de ma vie. Entre les prises, il joue tous les rôles, ce qui permet aux comédiens de comprendre toutes les subtilités de ce qu’il a écrit. On ne peut pas se présenter devant Desplechin avec sa petite préparation d’acteur ou une stratégie de jeu. Comment êtes-vous arrivé sur le film Speed Racer des frères Wachowski ? Ils m’ont contacté via Internet. Je me suis filmé et leur ai envoyé des essais. J’ai eu l’impression, en les rencontrant à Berlin, d’être face aux metteurs en scène de l’an 2000. Ils parlent de petites bagnoles comme des mômes. Je joue moi-même encore aux petites voitures. Avec ce film, on entre dans la tête d’un enfant halluciné. Je joue Johnny Goodboy, un commentateur sportif, ce qui était d’ailleurs le métier de mon grand-père. Johnny est un ancien grand champion qui a gagné le rallye cinq fois. Je suis retombé en enfance et me suis beaucoup amusé sur le tournage. _Propos recueillis par S.M.

26 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08



ENTRETIEN

ARNAUDIN DESPLECH

Arnaud Deplechin - La formule idéale Un Conte de Noël sort sur les écrans le 21 mai prochain. À cette occasion, nous avons rencontré son auteur, Arnaud Desplechin, en plein mixage d’un film dont la richesse thématique et formelle impressionne. Le théâtre, le jeu, la maladie ou les mathématiques ont permis de poser les termes d’une équation simple : celle qui fait la force du cinéma de Desplechin. Démonstration.

ourquoi avoir sous-titré votre film Roubaix !, avec un point d’exclamation ? Que vous inspire cette ville qui est aussi votre lieu de naissance ? Dans Rois et Reines [son avant-dernier film, ndlr], une partie du scénario est intitulée «vers Roubaix!». Avec les techniciens et les acteurs, on se disait «voilà, là, c’est l’Italie». On partait vers l’utopie, l’Arcadie, vers le sud comme dans les pièces de Shakespeare. Roubaix fonctionne comme la ville fantasmée de Thèbes dans Songe d’une nuit d’été. Évidemment, ce n’est pas la géographie réelle mais peu importe. Il y a cet endroit utopique où tout est possible. Tout peut advenir le soir de Noël : on peut se transformer, tomber amoureuse d’un autre. Que mon intrigue soit située dans un lieu humble, tour à tour magique ou mélancolique, me plaisait. Il y a un enthousiasme propre au mouvement du film et une idée qui n’appartient qu’au cinéma. Au début de Comment je me suis disputé…, Paul Dédalus dit : « On était petits et on jouait qu’on était à Venise ». Bien sûr, les enfants ne connaissent pas l’Italie mais Bruges, la Venise du Nord. Ensuite, on voit des peintures de Canaletto, mélangées à des plans vides de Bruges, tandis que les enfants jouent à Roubaix et se souviennent de leurs vacances en Belgique. Ils jouent « qu’ils seraient des Italiens » mais le vrai lieu n’existe jamais, à part celui qu’ils reconstruisent de manière

P

28 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

ludique. Dans Esther Khan encore, Laszlo Szabo est devant la Tamise et dit que le fleuve lui rappelle Pékin. Bien qu’il n’ait aucune envie d’y aller, d’attraper cette couleur de gris lui suffit pour transposer son univers. Que le monde puisse se déplier dans l’imagination a très fort à voir avec le cinéma. Votre film, dans son rapport à la folie, à la violence des échanges familiaux ou dans ses moments de bouffonnerie, s’inspire-t-il du théâtre russe ? C’est une vraie influence, en effet. Tchekhov disait que ses pièces étaient drôles. Or, quand on les lit pour la première fois, elles sont extrêmement tristes. Il y a néanmoins un aspect burlesque, bouffon. Je pense aussi à un dramaturge russe que j’aime beaucoup et qui m’a inspiré sur deux ou trois scènes de mon dernier film : Alexandre Ostrovski. Il a ce côté très grinçant, drôle et éperdu. Je l’ai découvert grâce au metteur en scène de théâtre Bernard Sobel. Le personnage d’Abel [Jean-Paul Roussillon] a des élans très russes qui s’expriment à travers ses coups de sang. C’est cet aspect que je trouve beau dans le théâtre russe : ce ne sont pas les pièces qui sont débordées par les sentiments, mais les personnages qui sont débordés par un sentiment romantique extrême. Un Conte de Noël condense tous vos thèmes et reprend plusieurs patronymes présents dans vos précédents longs


métrages. D’où vient cette circulation d’un film à l’autre ? Je ne crois pas aux noms neutres. Un auteur ne peut pas prendre le parti de la banalité. Je procède par euphonies ou jeux de mots. Il y a quelque chose de ludique, d’enfantin dans ces patronymes, de sorte qu’on arrive facilement à les retenir. Sur ce film-là, des noms revenaient beaucoup plus que sur mes précédents projets. Parfois, j’en étais mécontent. Au lieu de me servir dans le répertoire général

Un Conte de Noël pourrait-il être envisagé comme l’origine rêvée de Comment je me suis disputé... ? Ce serait la jeunesse de Paul Dédalus, incarné ici par le jeune Émile Berling... C’est un film sur les origines et non pas sur l’origine d’un film. À cause de la maladie, chacun des personnages s’interroge sur sa généalogie. Du coup, j’imagine que le film se demande lui-même quelle est son origine. Au fur et à mesure que j’écrivais le rôle très sombre d’Émile Berling, il est devenu

« ROUBAIX FONCTIONNE COMME UN ENDROIT UTOPIQUE, OÙ TOUT DEVIENT POSSIBLE : SE TRANSFORMER, TOMBER AMOUREUSE D’UN AUTRE. » de la musique, de la littérature ou du cinéma, j’ai commencé à me servir dans mon propre répertoire, ce qui a un côté «vieux cabot ». En même temps – est-ce un trait de l’âge ? – je ne sais inventer que cela. Cette idée me vient de Bergman, chez qui les personnages s’appellent toujours un peu pareil. Il ne connaît que son petit théâtre. Il a une dizaine d’acteurs et un décor : l’île de Faro. Peut-être qu’avec que ce peu d’éléments, on peut tout raconter. Il s’agit de refaire, de recommencer, de réinventer avec les personnages.

progressivement Paul Dédalus. En l’appelant ainsi, je me disais que le pire qui pourrait arriver au personnage serait de se retrouver vingt ans plus tard, allongé sur le divan d’un psy. En somme, c’est une promesse d’avenir, un cadeau fait à Émile Berling. Dans Comment je me suis disputé…, Paul Dédalus disait de sa mère, décédée d’un cancer du sein, qu’elle avait péri par où elle avait péché. Dans Un Conte de Noël, on découvre que Junon est finalement à l’origine de la maladie.

29 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


ENTRETIEN

ARNAUDIN DESPLECH

Pourquoi ce traitement de la figure maternelle dans votre cinéma ? J’avais peur que personne n’entende jamais cette réplique très costaude de Comment je me suis disputé… ! Mais effectivement, je me rends compte que mes personnages ont des rapports difficiles avec leur mère. Les personnages de « bonnes mères » au cinéma m’ennuient. Je ne pense pas que cela rende une actrice meilleure. Le sentiment maternel est censé être une chose évidente, physique. Je n’arrive pas à y croire. Junon [Catherine Deneuve] est une mère très lumineuse mais ce n’est pas une mère du tout. La seule chose qu’elle transmet, c’est sa maladie. La filiation est par ailleurs inversée dans votre film. Ce sont les enfants qui donnent la vie aux parents… J’ai tiré cette idée des rapports du poète et philosophe Emerson avec son fils. Il le raconte dans Expériences. J’y trouve une vérité poétique très forte Je ne sais pas ce qu’entend Abel lorsqu’il dit de son enfant Joseph qu’il a fait de lui son fils. De même, Junon a ce moment très insolent lorsqu’elle dit de sa fille : « Je ne vois pas pourquoi Elizabeth ne me donnerait pas la vie.» On est dans la transgression. Abel et Junon forment un beau couple de cinéma car ils sont plus amoureux que parents. L’un par le deuil, l’autre par sa maladie, prennent de leurs enfants. Ils ne pensent qu’à eux. Ce sont des héros de cinéma.

30 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

Peut-on dire qu’Un Conte de Noël est tendu par le thème du pari ? C’est un film sur le pari et le jeu, en effet. La scène où les personnages calculent les chances de survie de Junon est le fait de deux jeunes mathématiciens brillants avec lesquels j’ai travaillé. Ils ont écrit la démonstration à deux. Il y a cette autre scène choquante dans le film où Henri [Mathieu Amalric] joue à pile ou face la vie de sa mère. La partie est en jeu, donc il faut jouer. Je n’ai pas relu Les Pensées mais

« LES PERSONNAGES DE “BONNES MÈRES” AU CINÉMA M’ENNUIENT. » deux ou trois ouvrages qui portaient sur le pari pascalien. La difficulté avec le texte de Pascal, c’est qu’il est fragmentaire. Je suis plus intéressé par la question théologique que pose le texte, quand Emmanuel Bourdieu [le scénariste] l’envisage sur le plan philosophique. En tout cas, on peut placer beaucoup d’enjeux sur la métaphore du jeu et du pari, à la fois sur ce qu’est la science, la vie, Dieu. Que la vie puisse se résumer en un chiffre, ce serait formidable ! _Propos recueillis par Sandrine MARQUES



PLEIN ÉCRAN Un Conte de Noël_Arnaud DESPLECHIN EN 3 FILMS DE CHEVET

ARNAUD DESPLECHIN New York - Miami de Frank Capra. La Règle du jeu de Jean Renoir. Persona d’Ingmar Bergman.

Les joueurs En compétition à Cannes, Un Conte de Noël – sous-titré Roubaix ! – pourrait bien être le film-somme d’Arnaud Desplechin. Liens et maladie du sang irriguent un récit organique, où le jeu tient le devant de la scène. Brillant.

«

Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien », écrivait Pascal dans Les Pensées. C’est sur la base de ce célèbre pari que s’articule Un Conte de Noël, un film de famille doublé d’un thriller scientifique. Les spéculations se cristallisent autour de Junon, interprétée par Catherine Deneuve, mère intransigeante au nom de déesse. Atteinte d’une maladie du sang très rare, mais encore au stade larvaire, sa survie dépend d’une greffe de moelle. Le donneur doit être un parent ou descendant direct. Enfants et petits-enfants font les tests de compatibilité. Après des années de division, tous se retrouvent pour les fêtes dans la grande demeure familiale de Roubaix. Henri (Mathieu Amalric) a été banni de la famille quelques années auparavant par sa sœur Elizabeth (Anne Consigny), excédée par ses frasques. Yvan (Melvil Poupaud), le benjamin, mène une vie rangée aux côtés de son épouse Sylvia (Chiara Mastroianni) et de ses deux enfants. Le soir de Noël, tous se transforment et se révèlent. À commencer par la ville de Roubaix, sublimée par la caméra du cinéaste. Au cours d’un réveillon aux allures de farce burlesque, les conflits se dénouent. C’est la force de Desplechin que de faire cohabiter dans une même scène les contraires : le drame et le rire, la vie et la mort, l’amour et la haine. Fluide et inspiré, Un Conte de Noël est une chambre d’échos qui résonne de tous les films de son auteur, en même temps qu’un théâtre de chambre où s’exacerbent les passions et les tourments. Mais en premier lieu, Un Conte de Noël est un pari généreux sur la vie, un miracle de cinéma, un potlatch bienheureux. _Sandrine MARQUES

Un film d’Arnaud DESPLECHIN Avec Catherine Deneuve, Anne Consigny, Mathieu Amalric… Distribution : Bac Films // France, 2007, 2h30 // Sortie le 21 mai

32 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM 1

Pour le toast vachard – une citation de SaintSimon – que porte Mathieu Amalric à sa famille le soir de Noël.

2

Pour l’intense Anne Consigny, en fille exemplaire rongée par son amour trouble pour sa mère.

3

Pour les embardées burlesques d’un film à la croisée joyeuse des genres.



PLEIN ÉCRAN Sparrow_Johnnie TO

EN 3 ACTEURS

JOHNNIE TO Simon Yam : Élégant, british, rien à envier à George Clooney. Lam Suet : Le pilier de la bande, visage poupin, regard de sanglier, croisé dans chaque film. Kelly Lin : Née à Taïwan, on l'a vue dans les trois derniers To, ainsi que dans Boarding Gate d’Assayas.

Haut vol Derrière le plumage stylisé plane la chronique du temps qui passe : Sparrow n’est pas qu’une comédie de pickpocket légère et virtuose. C’est aussi une tentative pour Johnnie To de tenir dans ses mains une ville, Hong-Kong, en sursis jusqu’à 2046.

L

e nouveau film de l’actuel roi de HongKong, quelques mois seulement après le sombre Mad Detective, est une comédie nostalgique assez inhabituelle. Quatre amis pickpockets – des « moineaux » («sparrows » dans l’argot local) – tombent l’un après l’autre sous le charme d’une jeune Taïwanaise qui les prend pour des pigeons : ils l’aideront à récupérer le passeport que son riche époux enferme dans un coffre afin de la garder en cage. Qu’est-ce qui, dans ce scénario maigrissime, peut expliquer que To y voie l’un de ses plus personnels ? On situe Sparrow quelque part entre 2046 de Wong Kar-waï (en référence à la date à laquelle la ville sera totalement rétrocédée à la Chine) et Goodbye Dragon Inn de Tsaï Ming-liang (en référence à un film de sabre de King Hu projeté en dernière séance d’une salle qui s’apprête à fermer définitivement ses portes). To n’est bien sûr pas aussi sensualiste que le premier, pas aussi aride que le second. Mais il part d’une intention comparable : filmer des lieux bientôt démolis, anticiper une disparition. À Hong-Kong, on ne doit plus savoir si le temps coule trop vite ou trop doucement : s’il faut prendre 2046 comme une menace ou une chance. En attendant : suspense. To est connu pour sa mise en scène atmosphérique. C’est pour elle que beaucoup excusent la minceur des récits. Lorsque To a une histoire à raconter, le style fond : belle sécheresse d’Election. Lorsqu’il n’en a pas vraiment, la virtuosité s’affirme franchement. Mais cela ne frappe pourtant pas Exilés, PTU ou Sparrow de futilité car c’est là qu’incertitude et suspense prennent forme. L’apothéose sur un passage piéton bondé et arrosé par la pluie, où deux bandes s’affrontent sans éveiller les soupçons des passants, résume la belle ironie du cinéaste : jouer à être vu se cachant. En ces temps de crispation chinoise, on peut prendre ça comme un pied de nez. _Antoine THIRION Un film de Johnnie TO Avec Simon Yam, Kelly Li, Ka Tung Lam… Distribution : ARP Sélection // Hong-Kong, 2008, 1h27

34 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


SORTIE LE 4 JUIN

EN 3 PROJETS

JOHNNIE TO Un remake du Cercle rouge de Melville, prévu pour 2009, avec Orlando Bloom et Alain Delon. To a entamé la production d'un film historique de Jia Zhangke, le plus grand auteur chinois. To réalise quatre films par an et en produit autant : il faudrait un envoyé spécial.

3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM 1

C'est une comédie musicale camouflée en film de pickpockets.

2

C’est un film de kung-fu sans coups.

3

C’est un film d'action sans armes.

3 QUESTIONS À JOHNNIE TO La reconnaissance des festivals et des institutions fait-elle évoluer votre travail ? Je suis honoré. Mon style, lui, évolue naturellement. Je testerai de nouvelles choses, notamment en tournant à l’étranger. À Hong-Kong, mes films marchent moins bien et je ne peux pas demander au public local d’accepter le chemin créatif dans lequel je me suis engagé. Mais leur passage à Cannes, Venise, Berlin, m’amène un nouveau public. Vous avez déclaré que l’avenir du cinéma de Hong-Kong était en Chine… C’est indéniable. Tout le monde rêve du marché chinois, mais on pourrait y perdre notre identité. Hong-Kong est actuellement en phase de transition. Depuis 1997, le nombre de films produits a fortement baissé. Beaucoup de producteurs rêvent de conquérir le grand marché chinois et font tout pour plaire aux autorités. Je ne les condamne pas mais il y a une autre façon de faire. La ville a encore 40 ans de liberté devant elle. Il faut en profiter pour donner le meilleur de nous-mêmes. À travers ma société de production, j’essaye d’encourager la relève ; encore faut-il qu’elle accepte de rester à Hong-Kong. Je fonde mes espoirs sur trois réalisateurs : Yau Hai-no, mon ancien scénariste ; Soi Cheang, le réalisateur de Dog Bite Dog ; et mon ancien assistant Law Wing-cheong. J’espère en découvrir d’autres à Hong-Kong, mais aussi en Chine et à Taïwan. J’ai un projet en commun avec le Chinois Jia Zhangke : nous sommes en train de peaufiner le scénario. On vous qualifie souvent de formaliste : trouvezvous le mot adéquat ? Quand je travaille seul, sans Wai Ka-fai, je me lance sans scénario, même si je participe à son élaboration. Je suis mauvais écrivain, alors la caméra relaie le stylo. _Propos recueillis par An.Th. Retrouvez l’interview filmée sur www.mk2.com/troiscouleurs

35 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


PLEIN ÉCRAN La Troisième Partie du monde_Éric FORESTIER EN 3 FILMS DE CHEVET

ÉRIC FORESTIER Tess de Roman Polanski. Will Hunting de Gus Van Sant. Confessions Tour de Madonna.

Attractions désas Pour son premier long métrage, Éric Forestier réalise un film de genre libre et flottant, où le drame sentimental s'égare dans la science-fiction, où les médiums côtoient l'astrophysique. Inégal mais intrigant, avec une Clémence Poésy lumineuse.

L

e cinéma de genre – fantastique ou sciencefiction – est envisagé avec peu d'ambition en France, si bien que l'on se réjouit face à cette Troisième Partie du monde, certes inaboutie, mais traversée par une voix très originale. Pour sa première réalisation, Éric Forestier décloisonne les genres : les marivaudages flottent dans l'espace ; le fantastique à la Kurosawa (Kyochi) squatte les appartements parisiens. Soit la rencontre d'Emma et de François. Ils se plaisent. François disparaît, corps et âme. Le film prend ensuite d'étranges chemins de traverse, accroche par sa volonté de mêler l'infiniment grand – à travers des digressions sur l'astrophysique et l'entropie – et l'infiniment petit (nos vies sentimentales). Forestier entremêle les tons, l'irrationnel et les certitudes, comme un Lewis Carroll plongeant son Alice dans un monde mathématique et poétique. Alice, c'est Clémence Poésy. Celle qui charmait Harry Potter dans La Coupe de feu fait vivre avec ses grands yeux un personnage loin de ce monde, au détachement à la fois irritant et attachant. Elle est l'astre de ce film mystérieux, aux questions plus nombreuses que les réponses, à la mise en scène très pensée et parfois frustrante, entre flashbacks et bande sonore intrigante. « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie », écrivait Pascal : tout le mérite d'Éric Forestier est de faire de ce frisson cosmique un sentiment intime et palpable pour son héroïne, qui en apprendra plus sur elle-même à partir d'un trou noir. _Léo SOESANTO

Un film d’Éric FORESTIER Avec Clémence Poésy, Gaspard Ulliel, Maya Sansa… Distribution : Shellac // France, 2007, 1h40

36 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


SORTIE LE 18 JUIN

EN 3 DATES

CLÉMENCE POÉSY 2002 : Bienvenue chez les Rozes de Francis Palluau. 2005 : Harry Potter et La Coupe de feu de Mike Newell. 2007 : Sans moi d’Olivier Planchot.

tres

3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM 1

Pour sa manière originale de mêler sciencefiction, fantastique, conte et film sentimental.

2

Pour les superbes plans cosmiques, images d’astres solaires ou gazeux, qui entrecoupent le film.

3

Pour Clémence Poésy, et sa présence de fée à la fois détachée et déterminée.

3 QUESTIONS À ÉRIC FORESTIER Comment vous est venue l'idée du film ? Mon désir était d'établir un rapport intime entre les mouvements du coeur qui unissent deux personnes, leurs tremblements les plus ténus, et les grands mouvements cosmiques. J'avais envie qu'on puisse se dire en sortant du film : « Quand je tremble en prenant la main de quelqu'un, c'est l'univers entier qui frémit avec moi. Le Big Bang qui se produit dans mon coeur, c'est le même que celui du premier instant de l'univers. » Jouer sur ce rapport d'échelle stimule beaucoup mon imagination, je le trouve poétique, et donc juste et vrai. Cette idée vient sans doute d'une conscience aiguë (et parfois effrayante) de l'immensité qui nous entoure. Comment avez-vous choisi Clémence Poésy et Gaspard Ulliel ? Je les ai tous deux rencontrés sur le casting d'un précédent projet. Ils ont des qualités très complémentaires : Gaspard est solaire, vibrant et plutôt « physique », Clémence est une actrice opaque, gracieuse et « mentale ». Je constate avec étonnement que ni l'un ni l'autre n'ont été jusqu'à présent filmés avec l'attention qu'ils méritent : Gaspard est un immense acteur, notre Matt Damon français ; Clémence a une grâce enfantine très rare, alliée à une réelle puissance de jeu et un flair remarquable. Que signifie le titre du film ? Il indique qu'il existe une dimension au-delà de ce que l'on voit : une chose cachée, invisible à l'oeil nu, une dimension où des choses impossibles deviennent possibles. Dans cette partie du monde, un homme peut disparaître sans laisser de trace, ou bien s'effacer progressivement, et une fille qui croit que sa vie ne va nulle part peut soudain découvrir qu'elle n'est pas seule au monde, et retrouver espoir. _Propos recueillis par L.S.

37 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08



LE GUIDE

DES SALLES

DU MERCREDI 14 MAI AU MARDI 15 JUILLET

SOMMAIRE

Sous les bombes - Un film de Philippe Aractingi

SORTIE DU 14 MAI 40_Sous les bombes de Philippe Aractingi SORTIES DU 21 MAI 40_Nés en 68 d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau // Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal de Steven Spielberg SORTIES DU 28 MAI 40_Haïti chérie de Claudio Del Punta 44_Française de Souad El-Bouhati SORTIE DU 4 JUIN 44_A Swedish Love Story de Roy Andersson SORTIES DU 11 JUIN 44_Hannah Montana et Miley Cyrus : le concert événement en 3D de Bruce Hendricks 46_La Soledad de Jaime Rosales // Sagan de Diane Kurys // Tabarly de Pierre Marcel SORTIE DU 18 JUIN 48_La Personne aux deux personnes de Nicolas et Bruno SORTIES DU 25 JUIN 48_Un Jour peut-être d’Adam Brooks // Diary of the Dead : Chronique des morts-vivants de George A. Romero // Oussama, où es-tu ? de Morgan Spurlock SORTIE DU 2 JUILLET 50_Les Sept Jours de Ronit et Schlomi Elkabetz SORTIES DU 9 JUILLET 50_Le Voyage aux Pyrénées d’Arnaud et Jean-Pierre Larrieu // Kung-Fu Panda de Mark Osborne et John Stevenson LES ÉVÉNEMENTS MK2_52 > 53 39 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

SOUS LES BOMBES

NÉS EN 68

Un film de Philippe ARACTINGI Avec Nada Abou Farhat, Georges Khabbaz, Bsarah Attalay, Rawia Elchab… Distribution : Art’mell // Liban, 2007, 1h30 // Sortie le 14 mai

Un film d’Olivier DUCASTEL et Jacques MARTINEAU Avec Laetitia Casta, Yannick Renier, Yann Tregouët… Distribution : Pyramide // France, 2007, 2h50 // Sortie le 21 mai

État des lieux ultra réaliste d’un pays meurtri, Sous les bombes a été tourné au sortir du conflit de juillet 2006 qui a ravagé le Liban. Zeina arrive à Beyrouth, peu après les pilonnages aériens de l’armée israélienne. Sans nouvelles de son jeune fils et de sa sœur, elle convainc un chauffeur de taxi de l’acheminer dans le Sud, théâtre désolé et encore instable des conflits récents. Caméra à l’épaule, Philippe Aractingi filme ses personnages au plus près. Ses acteurs remarquables côtoient de vrais réfugiés, journalistes et militaires. Intensité dramatique, vérité des situations, sentiment d’urgence et profonde dignité font de ce film poignant une réussite.

Nés en 68 n’est pas un film sur les évènements qui ébranlèrent la France il y a 40 ans. Prenant 68 comme un point de départ, comme une « naissance », il en raconte l’héritage éclaté, de la fondation de communautés hippies dans le Massif Central aux luttes contre le sida ou le Front National. Cette fresque ambitieuse, évoquant le téléfilm italien Nos Meilleures Années, porte la marque candide et (des)enchantée de Ducastel et Martineau (réalisateurs de Jeanne et le garçon formidable ou Drôle de Félix). Malgré des prestations d’acteurs inégales et un format tirant vers le feuilleton télévisuel, on sort ému de ces trois heures généreuses, au militantisme subtil, tout en échos finement déployés. _Au.To.

_S.M.

INDIANA JONES ET LE ROYAUME DU CRÂNE DE CRISTAL

HAÏTI CHÉRIE

Un film de Steven SPIELBERG Avec Harrison Ford, Karen Allen, Cate Blanchett... Distribution : Paramount // États-Unis, 2007, 2h03 // Sortie le 21 mai

Un film de Claudio DEL PUNTA Avec Yeraini Cuevas, Valentin Valdez, Jean-Marie Guerin, Juan Carlos... Distribution : Pierre Grise // Italie, 2007, 1h39 // Sortie le 28 mai

Près de vingt ans après sa dernière croisade, le célèbre professeur archéologue créé par Lucas et Spielberg se lance dans une nouvelle aventure cinématographique orientée science-fiction, qui l’entraînera du Mexique au Pérou, en passant par le Connecticut… Pendant la Guerre Froide, l’armée russe, menée par la séduisante Irina Spalko (Cate Blanchett), est sur les traces d’un crâne de cristal enfoui dans la jungle sud-américaine. Ayant lui-même recherché pendant des années la mystérieuse relique, Indy en est le meilleur spécialiste. Ses ennemis contraignent alors l’aventurier à la retrouver pour eux, en menaçant son amour d’enfance Marion Rawenwood.

En fait de nouvelle vie, Jean-Baptiste et Magdaleine n’ont trouvé que pauvreté et tristesse en République Dominicaine. Venus d’Haïti, ils sont devenus des esclaves parmi d’autres dans une « batey », une plantation de canne à sucre où leur premier enfant vient de mourir de malnutrition. Leur seul espoir réside désormais dans un retour chez eux... Documentariste militant, Claudio Del Punta s’inspire d’une réalité terrible, dont la presse se fait peu l’écho. Mais le sujet, indéniablement fort, semble l’empêcher de « fictionner » : le réalisme brutal, l’approximation des non-comédiens, risquent de mettre le spectateur à distance.

_Camille TENNESON

NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.

40 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

_Isabelle DANEL





LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

FRANÇAISE Un film de Souad EL-BOUHATI Avec Hafsia Herzi, Maher Kamoun, Farida Khelfa… Distribution : ARP Sélection // France, 2008, 1h25 // Sortie le 28 mai

Auteur d’un moyen métrage remarqué sur le déracinement (Salam), la réalisatrice Souad El-Bouhati traite de nouveau de la crise identitaire dans Française. Fille de parents maghrébins, Sofia grandit en France. Bonne élève, elle mène une enfance sans histoire. Jusqu’au jour où son père, face aux difficultés d’intégration, décide de repartir au Maroc. L’exil est déchirant pour la jeune Sofia. Dix ans plus tard, elle travaille dans la ferme familiale, tout en continuant ses études. La jeune fille caresse l’espoir secret de retourner en France à sa majorité. Mais elle est rattrapée par le poids des traditions contre lequel elle entre en rébellion. Porté par la magnifique Hafsia Herzi, la révélation de La Graine et le mulet, Française trouve la bonne distance entre son sujet et ses personnages. Les plongées dont use la réalisatrice traduisent chez le personnage principal la volonté de maîtrise de sa destinée. L’enjeu de Française est là. Plus que d’opter pour un pays, il s’agit avant tout d’être libre de choisir. _S.M.

A SWEDISH LOVE STORY

HANNAH MONTANA ET MILEY CYRUS LE CONCERT ÉVÉNEMENT EN 3D

Un film de Roy ANDERSSON Avec Ann-Sofie Kylin, Rolf Sohlman, Bjorn Andresen, Lenart Tollen… Distribution : Solaris // Suède, 1970, 1h57 // Sortie le 4 juin

Un film de Bruce HENDRICKS Avec Miley Cyrus, Paul Becker, Billy Ray Cyrus… Distribution : Walt Disney // États-Unis, 2008, 1h14 // Sortie le 11 juin

Naissance de l’amour chez deux adolescents, Per et Anica. Pour son premier long métrage, réalisé en 1970 et inédit chez nous, le réalisateur de Chansons du deuxième étage a choisi le sujet le plus simple du monde. Et le plus difficile ! Cette «œuvre de jeunesse » frappe par sa maîtrise et son intelligence. Brossant le portrait en creux de deux familles, dont les adultes ont déjà abandonné tous leurs rêves, Andersson donne à voir les forces en présence, le poids des apparences, la mécanique des groupes – parentaux ou amicaux. La pureté des sentiments débutants éclabousse de fraîcheur un monde qui les regarde avec la nostalgie des paradis enfuis.

Pour l’adaptation de la série américaine, les studios Disney ont élaboré un divertissement en 3D mêlant réel et fiction. Dans la série télévisée, Miley Stewart est une lycéenne qui se métamorphose en secret en Hannah Montana, chanteuse glamour et charismatique. Devenue un phénomène de la culture pop américaine, Miley / Hannah s’est lancée dans une tournée à guichets fermés, autour d’un spectacle chorégraphié par Kenny Ortega (Madonna, Cher). Chansons enjouées, effets pyrotechniques et moments en coulisses sont filmés par sept caméras numériques 3D, avec Mitchell Amundsen (Shine a Light) à la photographie.

_I.D.

_C.T. NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.

44 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08



LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

LA SOLEDAD Un film de Jaime ROSALES Avec Petra Martinez, Paloma Mozo, Nuria Mencia, Jorge Bosch… Distribution : Bodega Films // Espagne, 2007, 2h13 // Sortie le 11 juin

Gratifié de trois Goya, dont celui du meilleur réalisateur, et présenté au Certain Regard à Cannes en 2007, La Soledad frappe par son parti pris radical. Jaime Rosales aime les dispositifs. Pour raconter les destins croisés de deux mères, à des âges différents de la vie, il recourt à la polyvision. Ce traitement esthétique singulier consiste à séparer l'écran en son centre. Chaque moitié de l’écran apporte un point de vue différent sur la scène en cours. Ainsi, Rosales signifie, de manière appuyée, la profonde solitude qui préside aux relations humaines. Que l’on soit une jeune mère de famille récemment séparée avec un enfant en bas âge, ou une sexagénaire dont les filles sont divisées, l’impossibilité d’être ensemble prévaut chez les personnages. Le film gagne son intensité à la faveur d’un événement traumatique (un attentat à la bombe dans un bus qui n’est pas sans rappeler les attaques terroristes de Madrid en 2005). Rosales récuse tout sentimentalisme. C’est la force et la limite de son cinéma digne, mais un peu rigide. Retrouvez l’interview filmée de Jaime Rosales sur www.mk2.com/troiscouleurs

_S.M.

SAGAN

TABARLY

Un film de Diane KURYS Avec Sylvie Testud, Pierre Palmade, Lionel Abelanski, Jeanne Balibar... Distribution : EuropaCorp // France, 2008, 1h57 // Sortie le 11 juin

Un film de Pierre MARCEL Avec Éric Tabarly, Titouan Lamazou, Alain Colas… Distribution : Pathé // France, 2008, 1h30 // Sortie le 11 juin

Chacun possède sa vision de Françoise Sagan, écrivain propulsée au sommet à 17 ans, fêtarde entourée d’amis, folle de vitesse et de voitures de course… Diane Kurys dresse le portrait d’une femme libre, à la fois drôle et tragique, terrorisée par la solitude. Ce film choral, où les rôles des proches sont campés par une pléiade de comédiens inspirés, Palmade et Balibar en tête, n’aurait pu exister sans l’actrice capable d’endosser cinquante ans d’une vie agitée et d’habiter une voix et une silhouette archi-connues. Sylvie Testud est fidèle sans application, inventive sans trahison : son interprétation à elle seule donne tout son sens au projet.

Dix ans après la disparition du navigateur, ce documentaire retrace sa vie et ses victoires, en solitaire ou non. «Homme libre, toujours tu chériras la mer » : ces vers de Charles Baudelaire vont comme un gant à l’homme Tabarly, tombé amoureux de la grande bleue et des bateaux dès l’âge de trois ans. Réunissant tous les documents filmés à disposition, mais très peu d’interviews consistantes de celui que l’on appelait « le sphinx de Bénodet », le réalisateur ne parvient pas à dépasser la surface du mythe. Pas d’entretiens récents des proches, peu d’informations sur ses innovations en matière de construction de bateaux : cet hommage n’est qu’un joli récapitulatif. _I.D.

_I.D.

46 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08



LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES LA PERSONNE AUX DEUX PERSONNES

UN JOUR PEUT-ÊTRE

Un film de Nicolas et Bruno Avec Daniel Auteuil, Alain Chabat, Marina Foïs… Distribution : StudioCanal // France, 2007, 1h27 // Sortie le 18 juin

Un film d'Adam BROOKS Avec Ryan Reynolds, Abigail Breslin, Rachel Weisz… Distribution : Mars Distribution // États-Unis, 2008, 1h52 // Sortie le 25 juin

Étrange programme que celui de cette comédie : faire cohabiter, dans le même corps, deux figures opposées de la ringardise. Jean-Christian Ranu (Daniel Auteuil) est un comptable effacé, prisonnier des utopies désuètes des années Giscard. Icône oubliée de la variété FM eighties, Gilles Gabriel (Alain Chabat) percute Ranu lors d’un accident de voiture : à la faveur de ce choc, il «pénètre» dans l’esprit du comptable... Réalisée par deux transfuges de Canal +, cette fable tendre et nostalgique sur la schizophrénie, de facture très cathodique, brille l’espace de quelques sketches admirables, l’ensemble souffrant d’un scénario trop bancal pour convaincre totalement. _Au.To.

Un jeune papa, consultant politique, raconte à sa fille comment il a rencontré et épousé sa mère. Comme dans la série télé How I Met Your Mother, Un Jour peut-être joue à travers ses flashbacks sur un suspense : des trois amours de sa vie, entre sa collègue docile, sa meilleure amie et confidente, et la journaliste têtue, qui sera l'élue ? Petite originalité de cette comédie romantique : son portrait minutieux des années 1990, celles de Clinton, Nirvana et des téléphones portables épais comme des briques. Grande originalité : sa facture doucement désenchantée, où les désillusions politiques et amoureuses creusent le héros pour mieux le faire grandir. _Léo SOESANTO

DIARY OF THE DEAD CHRONIQUE DES MORTS-VIVANTS

OUSSAMA, OÙ ES-TU ?

Un film de George A. ROMERO Avec Joshua Close, Michelle Morgan, Scott Wentworth… Distribution : Bac Film // États-Unis, 2007, 1h35 // Sortie le 25 juin

Un film de Morgan SPURLOCK Avec lui-même Distribution : Diaphana // États-Unis, 2008, 1h33 // Sortie le 25 juin

Quarante ans après sa Nuit des mort-vivants, George Romero renoue avec les zombies. Pareillement à Cloverfield ou [REC], le film est traité comme un documentaire sur le vif, où, derrière la caméra, des étudiants de cinéma enregistrent l'effondrement d'une société. Comme toujours, les morts-vivants sont prétexte à un commentaire sur l'état de l’Amérique. Plus que le scénario (plutôt convenu), c'est la mise en scène qui prime ici, avec sa caméra subjective ludique et l'habileté du cinéaste à convoquer – façon YouTube – l'imagerie d'un pays déboussolé par le 11 septembre et l'ouragan Katrina. Romero toujours soucieux et vivant.

Après son documentaire rentre-dedans Super Size Me (où il était le cobaye d'un régime mal-bouffe pour dénoncer cette dernière), Morgan Spurlock voyage cette fois au Moyen-Orient à la «recherche» de Ben Laden. Un argument cocasse dont le cinéaste se sert surtout pour jouer les candides en monde musulman et faire découvrir au spectateur (américain) qu'il y a là-bas, entre deux extrémistes, des gens comme les autres, qui détestent moins les États-Unis que leur politique étrangère. Rien de nouveau donc, mais Spurlock est une personnalité attachante (voir les sketches entrecoupant le film), mélange soft de Borat et Michael Moore.

_L.S.

_L.S.

48 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08



LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

KUNG-FU PANDA Un film de Mark OSBORNE et John STEVENSON Avec les voix de Jack Black, Jackie Chan, Dustin Hoffman, Lucy Liu… Distribution : Paramount Pictures France // États-Unis, 2006, 1h35 // Sortie le 9 juillet

Le dernier projet des studios Dreamworks est aussi le premier film d’animation et de kung-fu entièrement réalisé en images de synthèse. Après Madagascar, Nos Voisins, les hommes et Bee movie - drôle d’abeille, ils offrent la vedette à d’autres animaux et de nouveaux paysages pour des aventures tout aussi rocambolesques. La Vallée de la Paix, paisible jungle chinoise, se voit soudainement envahie par une horde de léopards des neiges menée par le dangereux Tai Lung. Selon une prophétie ancienne, les animaux de la forêt doivent élire un chef afin de les défendre. Po le Panda, apprenti serveur dans le restaurant de nouilles de son père, est choisi par tous pour devenir un maitre incontesté du kung-fu et défendre la vallée des dangereux fauves. Il rejoint ses idoles, l’équipe légendaire des Cinq Cyclones (Tigresse, Grue, Mante, Vipère et Singe) ainsi que leur professeur et entraineur Maitre Shifu. Mais s’il est fan d’arts martiaux, le futur guerrier est également maladroit et paresseux… _C.T.

NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.

LES SEPT JOURS

LE VOYAGE AUX PYRÉNÉES

Un film de Ronit et Schlomi ELKABETZ Avec Ronit Elkabetz, Yaelle Abecassis, Albert Illouz, Sulika Kadosh… Distribution : Les Films du Losange // France-Israël, 2008, 1h47 // Sortie le 2 juillet

Un film d’Arnaud et Jean-Pierre LARRIEU Avec Sabine Azéma, Jean-Pierre Darroussin, Bernard Blancan… Distribution : Diaphana // France, 2008, 1h40 // Sortie le 9 juillet

Kiryat Yam, 1991. Après l’enterrement de Maurice, l’aîné de six frères et deux sœurs, les sept jours de deuil commencent dans la maison du mort. Dehors, les scuds de Saddam Hussein menacent (nous sommes en pleine Guerre du Golfe). Dedans, une mosaïque de personnages aux visages pâles et aux corps vêtus de noir se serrent les uns contre les autres avant de s’empoigner, sous l’effet des rancœurs anciennes, des querelles d’argent et des intrigues amoureuses. Après l’époustouflant Prendre femme, Schlomi et Ronit Elkabetz, frère et sœur dans la vie, observent le drame d’une famille au bord de l’implosion et livrent un film touffu et bouleversant.

Dans le prolongement du succès de Peindre ou faire l'amour, les frères Larrieu retrouvent Sabine Azéma et leurs Pyrénées natales, où ils avaient déjà tourné Un Homme, un vrai. Encore une histoire de désir ici, sous forme de comédie, un retour aux sources pour les cinéastes et un récit d'éloignement pour les personnages : un couple d'acteurs célèbres (JeanPierre Darroussin et Sabine Azéma) quitte Paris pour s'installer dans les Pyrénées. Pour monsieur, il s'agit surtout de mettre à l'écart des hommes madame, plutôt nymphomane...

_I.D.

50 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

_L.S. NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.


« L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération ».

remercie ses partenaires du festival de Cannes 2008


ÉVÉNEMENTS DES SALLES MK2

TOUS LES SAVOIRS CINÉ BD Un samedi matin par mois, en partenariat avec Dargaud, un auteur de bande dessinée présente un film de son choix en salle, puis dédicace ses ouvrages à la librairie. Marcel Gotlib viendra présenter Rubrique Abracadabra. La « Rubrique-à-brac » est de retour pour fêter ses 40 ans, à travers la plume d'une trentaine de créateurs de la BD contemporaine. Projection du film Brazil de Terry Gilliam, choisi et présenté par Gotlib. Uniquement vingt dédicaces, sur tirage au sort. Le tirage au sort aura lieu dans la salle de cinéma, juste avant la projection. Le bulletin pour le tirage au sort vous sera remis au moment de l'achat de votre place de cinéma. Au cinéma puis à la librairie du MK2 QUAI DE LOIRE_Samedi 17 mai à 11h30 (dédicace à la librairie vers 14h)_Cartes UI 1 et UI 2 acceptées.

LE RENDEZ-VOUS DES DOCS Le prochain Rendez-vous des docs proposera le film Madame l’eau de Jean Rouch et sera introduit par Dominique Villain, maîtresse de conférence en cinéma à Paris VIII. À la recherche de solutions pour lutter contre la sécheresse au Niger, Lam, Damouré et Tallou partent en Hollande, le pays de l’eau et des moulins. Ils ramènent dans leurs bagages un ingénieur néerlandais et le moulin démontable dont il est l’inventeur. Les péripéties de l’installation de cet engin moderne fournissent à Jean Rouch une narration libre où sa poésie et son humour font merveille, sans pour autant trahir le regard ethnographique. MK2 QUAI DE LOIRE_Lundi 26 mai à 20h30_6,90 € et 5,60 € pour les adhérents de l'association Documentaire sur Grand Écran_Cartes UI 1 et UI2 acceptées.

COURRIER INTERNATIONAL La prochaine séance des Mardis de Courrier international présentera le documentaire Le Déshonneur des Casques bleus de la cinéaste québécoise Raymonde Provencher. La projection sera suivie d’un débat en présence de la réalisatrice, animé par un journaliste de Courrier international. MK2 QUAI DE SEINE_Mardi 3 juin à 20h30_6,90 € ou 5,60 € sur présentation du dernier numéro de Courrier international.

FOCUS PARIS CINÉMA Pour sa sixième édition, Paris Cinéma prend de nouveau ses quartiers d’été au MK2 Bibliothèque. Du 1er au 12 juillet, le site accueillera la compétition internationale (une quinzaine de longs métrages et autant de courts) ainsi que les avant-premières, en présence des réalisateurs. Le cinéma philippin sera cette année à l’honneur. Un programme d’une trentaine de films et la présence de nombreux invités permettront aux spectateurs de se plonger au cœur de la cinématographie émergente de ce pays d’Asie. Toujours dans le cadre de Paris Cinéma, signalons enfin que les « Nuits en or du court métrage » se tiendront cette année au MK2 Bibliothèque, en partenariat avec l’Académie des arts et techniques du cinéma. Le programme complet de Paris Cinéma sera bientôt disponible sur www.mk2.com et www.pariscinema.org. MK2 BILIOTHÈQUE_Du 1er au 12 juillet.

CYCLES FESTIVAL PARFUMS DE LISBONNE Dans le cadre du festival Parfums de Lisbonne 2008, organisé par la compagnie Cá e Lá en collaboration avec Lapeyronie Torréfacteur et les lecteurs de portugais des universités de Paris, le MK2 Beaubourg accueille une programmation qui mêle cinéma et conférences, réalisée par les lecteurs de l’Institut Camões des universités de Paris (Paris III, Paris IV, Paris VIII) et la Chaire Lindley Cintra (Paris X - Nanterre), avec le soutien de l’Institut Camões et de la Fondation Calouste Gulbenkian. Au programme : 7 juin à 11h : Alice de Marco Martins suivi d’un débat avec Régis Salado. 14 juin à 11h : Le Dauphin de Fernando Lopes, suivi d’un débat avec le réalisateur et José Manuel Esteves. 21 juin à 11h : En avant jeunesse de Pedro Costa, suivi d’un débat avec le réalisateur et Jacques Lemière. MK2 BEAUBOURG_Du 7 au 21 juin.

CYCLE PEN-EK RATANARUANG Au programme en matinée : Last Life in the Universe, Monrak Transistor, Ploy. Au MK2 BEAUBOURG.

COURT MÉTRAGE SAISONS NUMÉRIQUES

CYCLE VICTOR ERICE Au programme en matinée : L’Esprit de la ruche, Le Songe de la lumière.

Surprenant et inédit foisonnement de formes, la plupart des films de Jean-Gabriel Périot mettent au point, avant même de produire du sens, une sorte de piège pour le spectateur mêlant enchantement pour les yeux et sourde inquiétude. La projection des courts métrages de JeanGabriel Périot sera suivie d’une rencontre avec le réalisateur. Au programme : Entre chiens et loups, 21.04.02, Gay ?, Journal intime, We Are Winning Don’t Forget, Dies Irae, Avant j’étais triste, Eût-elle été criminelle..., 200 000 fantômes, Hiroshima 1914-2006.

En partenariat avec l’Odéon Théâtre de l’Europe, une rencontre aura lieu lundi 2 juin avec le metteur en scène Olivier Py, suivie de la projection du film Ordet de Carl Theodor Dreyer.

MK2 BIBLIOTHÈQUE_Mardi 27 mai à 20h30.

MK2 HAUTEFEUILLE_Lundi 2 juin à 20h30.

52 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

Au MK2 BEAUBOURG.

REGARDS SUR LE CINÉMA FRANÇAIS CONTEMPORAIN Au programme en matinée : Novo de Jean-Pierre Limosin, Le Premier Venu de Jacques Doillon, L’Heure d’été d’Olivier Assayas. Au MK2 HAUTEFEUILLE.

CARTE BLANCHE À OLIVIER PY


RETROUVEZ TOUS LES ÉVÉNEMENTS SUR

RENCONTRES - LIBRAIRIES ÉCRIRE, MAI 68 MK2 Livres et les éditions Argol vous invitent jeudi 22 mai à rencontrer le collectif d’auteurs Écrire, Mai 68. Leurs lectures seront suivies, à 20h30, de la projection du film de Marin Karmitz Coup pour coup (billets en vente avant la séance). À la librairie du MK2 BIBLIOTHÈQUE_Jeudi 22 mai à partir de 19h.

VIVIANE HAMY MK2 Livres et les éditions Viviane Hamy vous invitent à rencontrer Viviane Hamy pour Parcours d’une éditrice. À la librairie du MK2 BIBLIOTHÈQUE_Samedi 24 mai à partir de 17h.

JEAN-BAPTISTE THORET

ODÉON THÉÂTRE DE L’EUROPE UN ÉTAT DE MARCHE ET DE PENSÉE À l’occasion du 40ème anniversaire des événements de mai 68, chaque semaine, de mai à juin, le MK2 Hautefeuille propose une programmation de films en partenariat avec l’Odéon Théâtre de l’Europe. Au programme : À partir du 14 mai (le week-end en matinée) : On appelle ça le printemps d'Hervé Le Roux Ce Vieux Rêve qui bouge d'Alain Guiraudie Jeudi 22 mai (séance unique à 19h30) : Route One USA de Robert Kramer (deux parties) À partir du 28 mai (le week-end en matinée) : Les Baisers de secours de Philippe Garrel J’entends plus la guitare de Philippe Garrel MK2 HAUTEFEUILLE_Mai-juin.

PARTENARIATS CINÉMUSICALES En partenariat avec l’association Cinéma et Musique de l’Université Paris VII Diderot, le MK2 Bibliothèque accueillera le chanteur Elliott Murphy et la photographe Sue Rynski le samedi 17 mai à partir de 11h. Autour de la projection du film Pink Floyd – The Wall, Elliott Murphy interprètera quelques-uns de ses titres. Le concert sera suivi d’une séance de dédicaces du chanteur et de la photographe à la boutique MK2 Images. En parallèle, une exposition de Sue Rynki sera visible au MK2 Bibliothèque. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Samedi 17 mai à partir de 11h30.

La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions des Cahiers du cinéma vous invitent à une rencontre-dédicace avec Jean-Baptiste Thoret à l'occasion de la nouvelle édition de son livre Dario Argento, le magicien de la peur. Projection à 20h30 du film de Dario Argento, Le Sang des innocents, présenté par Jean-Baptiste Thoret (billets en vente avant la séance). À la librairie du MK2 QUAI DE LOIRE_Jeudi 22 mai à partir de 19h30.

TONINO BENACQUISTA La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions Gallimard vous invitent à une rencontre-dédicace avec Tonino Benacquista à l'occasion de la parution de son livre Malavita encore. À la librairie du MK2 QUAI DE LOIRE_Samedi 24 mai à partir de 15h.

MICHAËL MENTION La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions du Rocher vous invitent à une lecture-dédicace avec Michaël Mention à l'occasion de la parution de son premier roman, Le Rhume du pingouin. À la librairie du MK2 QUAI DE LOIRE_Vendredi 30 mai à partir de 19h30.

JEAN ROCHARD La librairie du MK2 Quai de Loire et les disques nato vous invitent à une rencontre autour du disque Left for Dead (Prisoners of the American Dream) de Tony Hymas et Barney Bush, d'ouvrages et de films sur les Indiens d'Amérique en présence du producteur Jean Rochard. La rencontre sera suivie de la projection à 20h30 du film Incident à Oglala de Michael Apted (billets en vente avant la séance). À la librairie du MK2 QUAI DE LOIRE_Jeudi 5 juin à 19h30.

FESTIVAL BD AVEC LES ÉDITIONS EMMANUEL PROUST Pendant deux jours, le MK2 Quai de Loire accueillera une dizaine d’auteurs de bande dessinée. À la librairie du MK2 QUAI DE LOIRE_Sam. 5 et dim. 6 juillet à partir de 14h.

FILMER LA MUSIQUE Cinq jours de projection au Point Ephémère et au MK2 Quai de Seine. Après les festivals de Berlin, Toronto et New York, le festival Filmer la musique présentera en avant-première le jeudi 5 juin à 20h30 le film d’Eddy Moretti et Suroosh Alvi, Heavy Metal in Bagdad, qui suit le groupe de métal irakien Acrassicauda, de la chute de Saddam Hussein en 2003 à nos jours. Seront également programmés en matinée Radio On de Christopher Petit et 24 Hour Party People de Michael Winterbottom, un plongeon dans l’Angleterre rock des années 1970 et 1980.

LA FÊTE DU CINEMA Comme tous les ans, les cinémas MK2 participent à la Fête du cinéma qui cette année se déroulera du dimanche 29 juin au mardi 1er juillet. Dans toutes les salles MK2 du 29 juin au 1er juillet.

MK2 QUAI DE SEINE_Jeudi 5 juin à 20h30 et le week-end en matinée.

53 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


DVD Intégrale Aki Kaurismäki, plus grand réalisateur finlandais

L’homme qui dan L’intégrale de ses films est éditée en DVD, tandis que le festival Paris Cinéma lui consacre une ample rétrospective début juillet : l’occasion de se replonger dans l’œuvre rock et fauve du Finlandais Aki Kaurismäki, peintre taciturne du blues des pauvres gens.

Q

ui est cet homme étrange, à l’humour Rat de cinémathèque depuis qu’à 16 ans, il a découvert pince-sans-rire, qui, recevant le Grand au programme d’un ciné-club Nanouk l’esquimau Prix du Jury au festival de Cannes 2002 de Flaherty et L’Âge d’or de Buñuel, amoureux pour L’Homme sans passé, déclarait : « Je d’Ozu, Bresson, Chaplin, Godard, Capra et quelques voudrais tout d’abord me remercier moi-même » ? autres, Aki a d’abord co-écrit des films avec son Auteur, réalisateur, producteur et monteur de ses films, frère aîné Mika, avant de se lancer seul, en 1983, Kaurismäki aime la musique, les laissés-pour-compte dans une adaptation moderne de Crime et châtiment. et les chiens errants, les voitures américaines, l’alcool Entre ce premier film, où un ouvrier travaillant dans fort et les couleurs vives. un abattoir assassine froidement un patron, et le Qu’elle vienne du rock n’roll américain ou du tango quinzième à ce jour, Les Lumières du faubourg (2006), finlandais, toute la musique qu’il aime fait partie où un gardien de nuit solitaire traverse les sept intégrante de sa vie et de son œuvre. Lorsqu’il monte cercles de l’enfer avant de croiser enfin un regard les marches du Palais, à Cannes, il termine toujours par d’amour, presque rien n’a changé. Entouré du même une petite danse sur le tapis rouge. Quand il rencontre chef-opérateur et d’une troupe d’acteurs fidèles, un groupe de musicos déjantés, les Leningrad Cowboys, Kaurismäki creuse le même sillon, révèle la grandeur il leur consacre deux longs, cinq SES FILMS RACONTENT LE MONDE DES OUBLIÉS courts et un moyen métrage. Et si les personnages de ses films DE LA CROISSANCE, CHÔMEURS, CLOCHARDS, ont la parole rare – il a même réalisé « le dernier film muet ALCOOLIQUES. du XXème siècle », Juha (1999) –, les chansons qui des «petites gens», leur souffrance et leur courage. les accompagnent, sur une vieille radio ou dans le Même si, comme il le dit dans un documentaire de juke-box d’un bar, disent bien les mots qui se Guy Girard, il a toujours eu « du pain à manger et baladent dans leur tête de solitaire ; ce sont des des livres à lire », le Finlandais a exercé quantité météorologies intérieures, avec arc-en-ciel et nuages, de « petits » métiers dans sa jeunesse – facteur, vent et pluie, neige et soleil. Grande carcasse au plongeur, magasinier… – et côtoyé de près ces visage impassible fendu d’un regard d’eau claire, hommes et ces femmes qui, depuis vingt-cinq ans, Aki Kaurismäki ressemble à un ours triste. Il se dit sont les (anti)héros de ses histoires. Les lieux d’Helsinki pessimiste ; on le sent concerné par l’humanité, qu’il filme, du port majestueux aux bars bondés de inflexible et sans concession. Ses films racontent trognes avinées, des usines déshumanisées aux rues presque tous le même monde : celui des « petits, vidées d’êtres humains, sont autant de témoignages des obscurs, des sans-grade », les oubliés de la d’une époque qui semble s’être arrêtée dans les croissance, les chômeurs, les clochards et les années 1950-1960, quand la classe ouvrière croyait alcooliques. Tous ces gens qu’il montre sans effet encore à des lendemains chantants. Le dénuement ni affect : tel qu’il les voit et tels qu’ils sont. Fautifs, des décors et des lignes est resté, le noir et blanc parfois. Jamais plaintifs. Dignes et droits. Car hiératique qui sertit les visages cède parfois la même s’ils chancellent sous le poids de la vie, des place à des explosions de couleurs : les murs vont coups, ou de l’alcool, leur force reste immense. Et du vert d’eau au bleu canard tandis que, de-ci deleur beauté renversante. L’éboueur de Shadows in là, des rouges éclatent sur les lèvres ou le manteau Paradise (1986), le docker d’Ariel (1988), l’ouvrière d’une femme. La noirceur absolue des débuts s’est de La Fille aux allumettes (1989), l’employé de bureau un peu adoucie, l’ironie, souvent, lui fait paravent. de J’ai engagé un tueur (1990), les chômeurs d’Au Face à la cruauté du monde, le cinéma d’Aki Kaurismäki loin s’en vont les nuages (1996), l’amnésique de nous est nécessaire. _Isabelle DANEL L’Homme sans passé (2002) se cognent à la réalité cruelle, s’y abîment inexorablement ou parviennent Programme détaillé du festival Paris Cinéma sur www.pariscinema.org à la fuir in extremis.

«

»

54 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

Ex


se

LA SÉLECTION par S.M. LES ROIS DU PATIN DE JOSH GORDON Paramount Will Ferrell chausse ses patins à glace dans une comédie très glissante produite par Ben Stiller. Dialogues cultes et situations absurdes font de ce film barré un redoutable brise-glace contre la morosité.

COFFRET DANIELLE ARBID MK2 Éditions

Plongée dans l’univers trouble et sensuel de la réalisatrice, scénariste et actrice libanaise Danielle Arbid. Son cinéma charnel, ancré dans le monde arabe, raconte les parcours accidentés et la passion des corps. Incandescent comme le désir.

COFFRET JOSEPH MORDER La vie est belle Éditions

Joseph Morder, «le juif tropical», en quatre films intimistes et singuliers enfin réunis dans un coffret. Sur le mode du journal filmé, cet auteur nomade entremêle les genres et les destinations réelles ou rêvées. Une quête des origines lumineuse.

AMERICAN GANGSTER DE RIDLEY SCOTT Universal Pictures Duel de stars dans un polar hollywoodien sec et nerveux signé Ridley Scott. Russell Crowe et Denzel Washington s’affrontent dans les rues de New York autour d’un empire de la drogue. Un scénario remarquable pour un film rythmé et spectaculaire.

I’M NOT THERE DE TODD HAYNES TF1 Vidéo Dylan, y es-tu ? L’iconoclaste Todd Haynes dresse un portait rêvé du poète rock, interprété par six acteurs différents. Un voyage en « dylanie », à l’essence du mythe et du mystère de l’incarnation. Un kaléidoscope fascinant.

ACTUALITÉ ZONE 1 Warner rend hommage à Frank Sinatra à travers trois coffrets contenant, entres autres, les classiques The Man with the Golden Arm (L’Homme au bras d’or, 1955) d’Otto Preminger et Some Came Running (Comme un torrent, 1958) de Vincente Minnelli. «The Voice» y apparaissait enfin débarrassé de son aura hollywoodienne de chanteur de charme pour incarner des personnages d’écorchés : un junkie qui veut décrocher et un romancier en mal d’écriture. Est-ce parce que ces films résonnaient avec sa propre histoire? Sinatra n’a en tout cas jamais paru aussi vrai, rongé de doutes et de remords, se fondant avec pareille aisance dans l’univers urbain de Preminger et dans le technicolor flamboyant de Minnelli.

_R.J.

xtraits du coffret Tout Kaurismäki – 25 ans de cinéma (11 DVD, Pyramide Vidéo).

55 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


LIVRES Gail Parent, pionnière de la « chick lit’ »

Maman poule Précurseur de Bridget Jones, Sex & the City et consorts, Sheila Levine est morte et vit à New York de Gail Parent ressort en poche ces jours-ci. Retour sur la marraine de la « chick lit’ » (« littérature de poulettes »), genre fécond s’il en est.

A

vis aux étourdis : ce livre de poche tout suicide, choisit sa tombe dans un cimetière qui ne frais n’est pas complètement né de la vend que des concessions pour couples et trouve un dernière collection printemps-été. On se rabbin qui dira la vérité sur la souffrance des femmes permet de le préciser parce que l’année comme elle, coincées entre les valeurs familiales et dernière, lors de la re-parution de Sheila Levine les nouvelles normes de la révolution sexuelle. est morte et vit à New York, il s’est trouvé quelques À pleurer de rire, corrosif et bourré d’humour (très) critiques littéraires assez distraits pour le qualifier de noir, Sheila Levine est morte et vit à New York, rejeton de Bridget Jones et Woody Allen. Le roman unique roman de Gail Parent, âgée de 32 ans lors de merveilleusement aigre-doux de Gail Parent a été sa parution, est le précurseur de toute la «chick lit’» publié en 1972 – traduit en France l’année suivante, qui, depuis dix ans, envahit les librairies et remplit en même temps qu’il était adapté au cinéma par les poches des éditeurs. On y trouve, portés à leur Sydney Furie. Vingt-cinq ans avant le best-seller meilleur, tous les ingrédients du genre à venir. Il y d’Helen Fielding, à l’époque presque préhistorique a l’âge de l’héroïne, le décor new-yorkais, le conflit où Bridget n’avait de problèmes ni avec son poids, avec sa mère, le parcours d’obstacles à la recherche ni avec les mecs. Dans la famille « chick lit’ » d’un homme qui soit le bon, le meilleur copain gay... (« littérature de poulettes»), Sheila Levine est un peu Sans oublier, of course, une manière de parler sexe la maman fantasmée, inaccessible – SES HÉRITIÈRES SE TROUVENT AUTANT le livre a disparu pendant trente ans des rayonnages des librairies –, DU CÔTÉ DE LA « CHICK LIT’ » BRITANNIQUE mais à qui l’on rêve de ressembler. QU’AMÉRICAINE. Malgré ses rondeurs. Car Sheila Levine, la pauvre, est très embêtée par avec crudité (cruauté ?) et dérision. ses kilos en trop et son « 42, quand ça taille grand». Ses héritières directes, cependant, sont à chercher Elle en est sûre, si elle faisait un 38, tous ses problèmes autant, sinon plus, du côté des Britanniques que des seraient résolus. Comprendre : elle aurait trouvé Américaines. Certes, Carrie Bradshaw et tous ses un mari, le but de sa vie, la tâche que lui ont assignée clones (les personnages de Plum Sykes, ceux de ses parents depuis le berceau. Il n’y a qu’à voir, Lauren Weisberger), réussis ou ratés, inventés avec d’ailleurs, sa sœur cadette est mince et elle se marie. intelligence ou pondus à la chaîne, doivent beaucoup Alors, c’est décidé, Sheila, définitivement larguée à l’humour de Gail Parent, plus en tout cas qu’à la dans la course au prince charmant, va se suicider. guimauve de Daniele Steel et autres Harlequinades. Mais, d’abord, elle rédige une longue lettre d’explications, Il n’empêche, Sheila Levine ressemble davantage le texte hilarant que l’on a sous les yeux, qui déroule aux héroïnes de la « chick lit’ » façon Helen Fielding : ses trente années d’existence, et plus particulièrement loseuse dans son travail, gaffeuse, et membre des les dix dernières, passées à tout tenter pour dénicher classes moyennes. Sheila pratique frénétiquement Mr Right. S’inscrire à l’université (« trouve un mari le shopping, mais plus dans les bacs de soldes que à la fac, après, ça sera plus dur », lui répète son chez Manolo Blahnik ou Bloomingdale’s, et ne envahissante mère juive), changer de campus pour s’autorise à prendre de taxis, contrairement à Carrie multiplier ses chances, faire des fêtes dans son qui vit dedans, que lorsqu’elle a décidé de dilapider appartement new-yorkais délabré en demandant son argent avant sa mort. Ses régimes perpétuels aux copains d’amener des copains, se farcir toutes la rapprochent évidemment de Bridget. D’ailleurs, les marches pacifiques dans le froid... Et puis ce léger embonpoint est peut-être le secret de multiplier les régimes, acheter des tonnes de fringues, Sheila pour ne pas avoir pris une ride depuis les coucher pendant des années avec Norman qu’elle seventies. Après tout, c’est l’un des privilèges déteste en attendant mieux et en espérant que lui, au des femmes rondes. _Raphaëlle LEYRIS moins, finira par lui demander sa main. Echec sur toute la ligne. Du coup, Sheila organise soigneusement son

«

»

Gail Parent – Sheila Levine est morte et vit à New York, traduit de l’anglais (États-Unis) par Renée Rosenthal, traduction révisée par Claire Buchbinder, Ed. Rivages. 56 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


LA SÉLECTION par P.D., S.Q. et Au.To. LE PREMIER VENU JACQUES DOILLON Scénario, Coll. « Médium Cinéma », École des loisirs

À travers des scénarios augmentés d’entretiens et d’analyses de séquence, la collection « Médium Cinéma » offre des clés aux plus jeunes pour entrer dans l’univers des grands cinéastes de l’enfance ou de l’adolescence, comme Doillon.

HAÏKUS DE PRISON LUTZ BASSMANN Roman, Verdier Trois séquences en boucle, Prison Transfert Enfer, sous forme de haïkus pour dire le chaos du monde, et son humanité sauvage. Voyage dans l’univers si personnel et incarné de Lutz Bassmann, alias Antoine Volodine.

TOUTE MA VIE J’AI ÉTÉ UNE FEMME, LESLIE KAPLAN Roman, P.O.L.

Un kaléidoscope de textes, des voix de femmes, le monde ici et maintenant, la société de consommation perçue, dite, pensée par une parole sexuée. Concret, politique, drôle, jubilatoire.

LA MAIN NÉGATIVE TIPHAINE SAMOYAULT Essai, Argol S’inspirant de créations de l’artiste Louise Bourgeois, Tiphaine Samoyault revisite son histoire familiale, reliant les lieux et l’activité des manufactures, pour nous livrer un très beau récit : la genèse d’un écrivain.

ALEPH ALIF MINA VERRY Bande dessinée, Emmanuel Proust Éditions

Moyen-Orient, dans les années 1960. La guerre menace. Une jeune Juive née en Europe, cheveux courts, idées longues, mœurs affranchies, enquête sur la vie de son père, déporté. Une ode vibrante à la paix, portée par un dessin stylisé et audacieux.

LE SITE www.electronlibre.info C’est un fait : les départs des grandes rédactions «papier» sont de plus en plus suivis de créations de sites d’information. Après la « charrette » de Libération qui a créé Rue89, après Edwy Plenel qui a lancé Médiapart, voici un nouveau et ambitieux projet d’information alternative sur le web. Électron Libre a été lancé par Emmanuel Torregano, en rupture de ban du Figaro. Sans modèle économique connu à ce jour, ce site fait déjà beaucoup parler de lui avec une série de scoops dans le domaine des « old fashion media » et des nouvelles technologies, ses deux thématiques principales. _B.D.

57 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


MUSIQUE Qu’est devenu le trip-hop ?

Hop, revoilà le tri Sombre, urbain, hybride : ce fut l’un des genres marquants des 1990’s. Après des années de mutisme, les grands noms du trip-hop sont de retour, de Portishead à Tricky. Source d’inspiration ou repoussoir, qu’est devenue l’ex« scène de Bristol » ?

S

’il se réveillait d’un somme d’une quinzaine Trip anti-pop. Premier constat : malgré ce retour d’années, Hibernatus n’y verrait que du groupé, le trip-hop en tant que tel n’existe plus. Avec feu : l’actualité musicale de ce printemps le temps, les démarches se sont singularisées, a de furieux airs de 1995. Jugez plutôt : chacun creusant patiemment son propre sillon. nouveaux albums de Tricky, Portishead, Leila, Martina L’ambition fureteuse et hybride des débuts n’a pas Topley-Bird, tournée de Massive Attack en juillet disparu ; au contraire, elle s’est radicalisée, jusqu’à suivie d’un probable nouvel opus à la rentrée… Tels estomper ce qui pouvait auparavant lier ces musiciens. les zombies de Romero, les figures de proue du trip- Knowle West Boy de Tricky, Third de Portishead et hop semblent s’être concertées pour synchroniser Blood, Looms and Blooms de Leila partagent bien leur résurrection. Flashback : début des années peu de choses, sinon, peut-être, un attrait commun 1990 à Bristol, cité portuaire et métissée du sud- pour les sonorités anguleuses, bien moins rondes et ouest de l’Angleterre. Autour des trios Massive Attack pop que jadis. Tricky signe un disque très percussif, et Portishead ou de l’électron libre Tricky, émerge une à défaut d’être totalement percutant, bouillie boogie, scène aventureuse et composite : le triphop (contraction de «trip», « voyage », et MALGRÉ CE RETOUR GROUPÉ, LE TRIPde hip hop), drôle de courant qui s’applique HOP EN TANT QUE TEL N’EXISTE PLUS. à brouiller la notion même de genre musical. Dub, ragga, soul, new wave, rap et BO vintage ragoût ragga, épicé de saillies jazz ou métal. Plus s’entremêlent en un même joint hallucinogène, où dépouillé et cohérent, strié de superbes synthés soufflent le chaud (basses généreuses, samples rétro-futuristes, Third est l’album le plus rêche de cuivrés, refrains langoureux) et le froid (beats secs, Portishead : sa beauté givrée, poisseuse, fantomatique rap rugueux, guitares hostiles). se mérite et n’émerge qu’après plusieurs écoutes, Triple flop piqué. Transposant les mixtions des loin de l’évidence des débuts. Tout aussi avantClash ou des Specials vers des climats plus sombres, gardiste, proche de Björk ou d’Aphex Twin, le suffocants et oniriques, le trip-hop offre à la décennie troisième album de Leila prolonge la veine électro 1990 son lot de chefs-d’œuvre urbains : Blue Lines déjà perceptible sur ses premières réalisations. C’est (1991), Dummy (1994) ou Maxinquaye (1995) n’ont une symphonie heurtée de voix, de beats, de claviersrien perdu, aujourd’hui encore, de leur modernité. jouets, comme exécutée en laboratoire par une enfant À bien des égards, Mezzanine (1998), troisième album surdouée et légèrement perturbée. sépulcral de Massive Attack, sonne comme le chant Topley, aux tripes. Parmi les invités du disque de du cygne du courant. Dès lors, aux forces d’attraction Leila figure Martina Topley-Bird. L’ex-muse de Tricky centripètes succède une dispersion centrifuge des est peut-être, au sein de la galaxie trip-hop, l’astre énergies : Tricky se sépare de son égérie Martina qui en empêche l’étiolement définitif. Son troisième Topley-Bird, Portishead se tait (hormis un bel album album solo, le récent The Blue God, charme par sa solo de Beth Gibbons en 2002, aux tonalités boisées), diversité d’humeurs, comme sur Baby Blue, dont Massive Attack perd l’un de ses membres en même l’immédiateté mélodique prend aux tripes. Le timbre temps que l’inspiration... Quant aux héritiers putatifs, suave et clair de Topley-Bird y bénéficie de la d’Archive à Day One, d’Alpha à Morcheeba, de Kid Loco production de l’hyperactif Danger Mouse, tout en à Craig Armstrong, en passant par Jay-Jay Johanson, gimmicks entêtants. Moitié du duo nu-soul Gnarls ils empruntent, après des débuts prometteurs, des Barkley, producteur du second album de Gorillaz, chemins fort éloignés de l’esprit originel, quand ils mais aussi de projets plus rock (Sparklehorse, The n’en composent pas la caricature lounge. C’est ainsi Rapture), le New-Yorkais apparaît, avec ses voisins de que le trip-hop assiste, impuissant et ringardisé, au TV on the Radio, comme le plus vif héritier des têtes triomphe des genres-rois des années 2000 : baby chercheuses de Bristol. Promoteur de métissages rockers, freak-folk, électro fluo... Avant, donc, de biscornus, amateur de beats comme de pop, en deux réapparaître ce printemps. mots : tip top. _Auréliano TONET

«

«

Retrouvez l’interview filmée de Martina Topley-Bird sur www.mk2.com/troiscouleurs

58 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


p-hop

LA SÉLECTION par Au.To. SCARLETT JOHANSSON « Anywhere I Lay my Head » WEA Scarlett délaisse ses robes de starlette pour se frotter au riche et rêche répertoire de Tom Waits. Servie par une production vaporeuse, secondée par Bowie aux choeurs, sa voix dessine de splendides sfumatos voilés.

WILFRIED*« D’ailleurs » Honey, It’s Me Rarement la pop en français n’avait à ce point réfléchi : ce conceptalbum bipolaire promène l’auditeur dans une somptueuse galerie des glaces, reflétant, au travers de chansons savantes et accrocheuses, les éclats d’une psyché scindée.

SEUN KUTI « Many Things » Tôt ou Tard Accompagné par l’ultime groupe de son père Fela, Seun Kuti reprend avec superbe le flambeau afro-beat. Il en dirige les flammes vers les plus brûlants problèmes africains. Danse, indécence, incandescence.

DENNIS WILSON « Pacific Ocean Blue » Epic Unique album solo du plus sensuel des Beach Boys, mort noyé en 1983, ce disque maudit est enfin réédité. C’est une cascade de chœurs abrasifs et de mélodies crépusculaires, requiem fiévreux pour seventies finissantes.

EL PERRO DEL MAR « From the Valley to the Stars » Cooperative Music

Ce doit être cela, l’état de grâce : beauté sacrée du chant, opale nacrée des orgues, pureté des adieux devant l’Éternel. Suédoise céleste, El Perro Del Mar a une poussière d’étoiles dans l’œil. Ses larmes nous guident.

LE SITE www.myspace.com/claremuldaur On aime Clare & the Reasons plus que de raison, et pour plus d’une raison. L’exotisme, d’abord : aujourd’hui basée à Brooklyn, la jeune Clare a grandi sur une île entourée de tomates et de chevaux, en écoutant Bessie Smith. Les références, ensuite : les immenses Van Dyke Parks et Sufjan Stevens l’on aidée à réaliser The Movie, premier album panoramique, qui sort cet été chez Fargo. Le charme, enfin : surplombée de chœurs tendres et de cordes sensibles, l’enchanteresse reconnaît qu’elle aime « faire la cuisine en sous-vêtements ». Avec de tels arguments, nulle chance de faire un four. _Au.To. En haut, Beth Gibbons de Portishead ; en bas, Leila ; au milieu, de gauche à droite, Gnarls Barkley, Tricky et Martina Topley-Bird. 59 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


LES BONS PLANS Kompilés par Rémy Kolpa Kopoul

Bons plans Paris Bye bye le printemps, coucou l’été : sur l’herbe, au bord de l’eau ou en intérieur, c’est tous les jours la Fête de la musique. Contre le sida, musiciens et platineurs rivalisent. Paris est très pical et trop pidant... euh... pardon ! tropical et trépidant !!! TROIS JOURS AUX COURSES

LA VILLETTE SONIQUE > PARC DE LA VILLETTE > DU 3 AU 8/06

SOLIDAYS > HIPPODROME DE LONGCHAMP > 4 AU 6/07

Attention, méga-événement de la galaxie rock, électro & hip hop, entre Grande Halle et plein air, avec trois têtes d’affiche : Devo, les pionniers US de l’électro-pop, Martin Rev (la moitié du duo Suicide) et Throbbing Gristle (inventeur de l’indus). Côté actuel, Dizzee Rascal (hip hop britiche), Clipse (rap de NYC), Sage Francis (rap californien), la minimale et précieuse Coleen. www.villettesonique.com

Le combat contre la maladie demeure crucial et Solidays permet de financer de nombreux programmes contre le sida, avec 120 associations du monde entier. Côté musique, le grand raout outdoor de Solidarité Sida prend un coup de jeune. Voici une sélection nécessairement réductrice mais tellement alléchante parmi les 200 artistes : Alpha Blondy, Têtes Raides, Rose, Nneka, Moriarty, Jim Murple Memorial, Patrice, Micky Green, Vampire Weekend, Laurent Garnier, Ed Banger, DJ Mehdi (le 4), Hocus Pocus, Thomas Dutronc, Yaël Naïm, Beat Assailant, Grand Corps Malade, Asian Dub Foundation, Kery James, Bumcello, Cali, Asa, Étienne de Crecy, Agoria, Missill, Caravan Palace, Don Rimini, DJ Souiist (le 5), Cesaria Evora, IAM, Tiken Jah Fakoly, Toots & the Maytals, Richie Havens, Orchestre National de Barbès, The Gossip, Richie Havens, Yelle (le 6). www.solidays.org

ÉLECTRO PLATINÉE CELEBRATING 20 YEARS > REX CLUB > DU 14 AU 29/05 Le club-roi de la nuit électro parisienne remonte le temps. 14 soirées dodues pour couvrir 20 années de feu. Parmi les nomsphare : Manu le Malin, Birdy Nam Nam, Agoria, Damian Lazarus, Miss Kittin & the Hacker, DJ Deep, Ellen Allien, Marky, Elisa do Brasil, Roni Size, Tikiman, Luciano, Jeff Mills et en clôture le marathon-mix de Laurent Garnier. Grandiose concentration de platineurs artistiques. www.rexclub.com

CABARET REMIXÉ > CABARET SAUVAGE > DU 2 AU 13/07 L’été sera chaud au chapiteau. Une suite de nuits électro où l’on verra quelques-uns de ceux qui d’habitude animent les clubs en sous-sol, entre autres Kill the DJ, Miss Kittin, The Hacker, Poni Hoax, DJ Pone, Amon Tobin, Chloé et Gilles «worldwide» Peterson. www.myspace.com/cabaretremix

BRASIL RIO NOUVELLE VAGUE : LUIZ MELODIA - MART’NALIA PEDRO LUIS > LA CIGALE > 14/05 En exergue du festival de Cinéma brésilien à Paris, qui fête des 10 ans cette année, un plateau original, focus à géométrie variable de la scène musicale carioca, avec le cultissime Luiz Melodia, sambiste et crooner qu’on voit tous les 10 ans, la pétillante Mart’nalia, fille du maître Martinho da Vila, et l’hyper-tonique Pedro Luis, entre pop, reggae, samba et hip hop. www.jangada.org

BRASIL DO NORDESTE > SPOK FREVO ORQUESTRA SILVERIO PESSOA - ORQUESTRA DO FUBÀ - DJ DOLORES > MC 93 - BOBIGNY > 13 & 14/06

PATCHWORK > TAVERNY - BESSANCOURT (95) > 30 & 31/05 Un festival qui fait son trou dans le panorama électro pointu, entre expérimental et festif, sous chapiteau et en plein air, avec notamment Étienne de Crecy, Arnaud Rebotini, DJ Click, Missill, Elisa do Brasil, Krafty Kuts, les petits nouveaux de Zombie Zombie et le retour incroyable des archéos du punk hexagonal, Métal Urbain (produits par Jello Biafra des Dead Kennedys). www.patchwork-festival.com

MOONSTARR FEAT. VOICE + LORD FINESSE + PETE ROCK ARTHUR BAKER > BATOFAR > 28/05 – 21 & 28/06 Quelque temps forts d’une prog’ d’été alléchante et riche en contrastes, à fond de cale ou en surface : Moonstarr, le DJ électro hip hop canadien avec sa partner, l’hypnotique poétesse et jongleuse des mots Voice (28/05), Lord Finesse, le producteur de hip hop new-yorkais, auteur de centaines de remixes (21/06), et Arthur Baker, mythique producteur d’Afrika Bambaataa et de New Order (28/06). www.batofar.org

60 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

Deux jours de folie dans le neuf-trois avec un grand panoramique de la musique à Recife, la capitale du Nordeste brésilien. Le bal forrò de l’Orquestra do Fubà, la guinche du cru ; Silverio Pessoa, le saltimbanque électrique recycleur ; DJ Dolores, voltigeur du grand mix électro nordestin ; et surtout, pour la première fois à Paris, le Spok Frevo Orchestra, 17 musiciens (dont 12 cuivres), comme si Duke Ellington était tombé dans le bouillant carnaval de Recife, et son rythme effervescent, le frevo ! www.mc93.com


- banlieue JAZZ A LA DÉFENSE > ESPLANADE DE LA DÉFENSE - PUTEAUX (92) > DU 23 AU 29/06

JAZZ FESTIVAL DE JAZZ DE PARIS > PARC FLORAL DU BOIS DE VINCENNES > LE WEEK-END - DU 7/06 AU 27/07 Le week-end, le temps d’un après-midi, les fleurs poussent sur tous les tempos musicaux. Cette édition 2008 échappe un peu plus aux canons du jazz, mais la prog’ demeure... canon ! De l’électro de toutes les couleurs avec Ji Mob, Erik Truffaz, Zuco 103, Caravan Palace, Jimi Tenor. Une brassée d’open jazz : Tomasz Staƒko, Henri Texier Strada Sextet, Romane, Wallace Roney, Al Foster, James Taylor Quartet, David Murray. Un bouquet de voix singulières : Niño Josele, Martha High, Mayra Andrade, Son of Dave, Zap Mama. Plus le hip hop sud-af’ de Tumi and the Volume.

Du jazz gratos à la pause déjeuner sur la grande dalle, de quoi larguer la cravate. Avec Aronas (pianiste fou australien), Neerman / Kouyaté (duo afro-mandingue), Breakestra (soul-funk), Yaron Herman (le pianiste qui monte) et Caravan Palace (électro-jazz manouche). Plus le week-end en soirée, du lourd : Solomon Burke et Herbie Hancock. www.chorus20ans.fr

RADIO NOVA

FESTIVAL DJANGO REINHARDT > SAMOIS (91) > 26 AU 29/06

NUIT ZEBRÉE > LA BELLEVILLOISE > 16/05 - 6 & 27/06

Quatre jours d’agapes au bord de la Seine pour la plus belle fête manouche mais-pas-que, le seul festival où il pleut des cordes (de guitares) sous le soleil, celles de Bireli Lagrene, Stochelo Rosenberg, David Reinhardt, Pat Martino, plus Pee Wee Ellis guest Manu Dibango, Didier Lockwood, Stefano Di Battista, l’électro gypsy de Shantel, la divine afro gitane Buika... http://django.samois.free.fr

Un bouquet final parisien en trois rendez-vous, avec ceux qui ont squatté l’antenne de Nova cette saison, dans le désordre, Victor Demé, Spleen, Tahiti Boy, Bumcello, Detroit Grand Pubahs, Black Seeds, Soul Stereo et d’autres noms à venir. Pour en savoir plus, écoutez Nova sur 101.5 à Paris. Invitations à retirer à la radio le lundi précédent chaque date. www.novaplanet.com


ART Richard Serra au Grand Palais

Muraille d’acier L’artiste américain Richard Serra investit la majestueuse nef du Grand Palais, du 7 mai au 15 juin. Monumentale, sa sculpture d’acier, conçue comme une invitation à la promenade, traverse le lieu de part en part et le transforme en espace public.

L‘

on se souvient encore de la Chute d’étoiles qu’Anselm Kiefer avait précipitée l’an dernier sur le Grand Palais, dans le cadre du premier volet du cycle d’expositions Monumenta, initié par le ministère de la Culture et de la Communication. Cette année, c’est au tour du sculpteur américain Richard Serra de relever le défi : parvenir à faire exister une œuvre au sein d’un espace aussi vaste, prestigieux et difficile.

Depuis plus de trente ans, l’artiste, né en 1939 aux États-Unis, bâtit des paysages d’acier, à travers une approche résolument avant-gardiste de la matière. Débarrassée de son socle et de son caractère figuratif, la sculpture acquiert une dimension architecturale, bien souvent monumentale, qui étend les possibles en matière d’expérience de l’œuvre : fendant l’espace dans lequel elle s’inscrit, celle-ci définit des zones de circulation. C’est précisément à la Promenade, titre de l’œuvre-exposition présentée au Grand Palais, que Richard Serra invite aujourd’hui le visiteur. Coutumier des grands espaces, notamment publics ou naturels, il dresse une série de cinq plaques d’acier, son matériau fétiche, qui culminent à une hauteur inédite de 17 mètres, dépassant ainsi le balcon du Grand Palais. À la verticalité, l’artiste associe la transversalité LA SCULPTURE ACQUIERT ICI UNE puisque l’ensemble, variablement incliné, traverse le lieu de part DIMENSION ARCHITECTURALE, VOIRE en part. Livré à une expérience MONUMENTALE. tant perceptive que physique, le visiteur-promeneur déambule, introduisant ainsi le mouvement dans l’espace même de l’œuvre, laquelle, en dépit de sa fixité et de son poids démesuré, se révèle mouvante, changeante, offrant autant de visages qu’il y a de points de vue.

«

»

«L’espace de la nef a le potentiel pour être un espace public et rassembler beaucoup de monde. L’ambition de ce travail est de gérer l’axe principal avec une seule sculpture, tout en faisant référence à l’espace contextuel pour le rendre public », explique Richard Serra. L’artiste va ainsi au bout des contradictions du lieu qui lui est confié : un espace clos mais ouvert, intérieur mais inondé de lumière naturelle. Un espace historiquement lié à l’art mais non muséal. Un espace indomptable dont il faut apprendre à maîtriser les éléments mais qui offre une grande liberté d’action. Richard Serra s’est saisi de cette liberté, pleinement, dans une logique d’affrontement mais aussi de respect vis-à-vis de ce lieu hors normes. Et il lui a offert une belle façon de s’y égarer, de s’y croiser, de s’y retrouver... Dans la continuité de l’idée d’espace public, l’œuvre Clara-Clara est installée jusqu’au 3 novembre dans le Jardin des Tuileries, pour lequel elle avait été conçue à l’occasion d’une rétrospective de l’artiste au Centre Pompidou, en 1983. Manière de faire durer la promenade, et le plaisir. _Anne-Lou VICENTE Promenade de Richard Serra – 7 mai-15 juin / Grand Palais, avenue Winston Churchill, 75008 Paris. Tous les jours sauf mardi. Lundi et mercredi : 10h-19h. Jeudi à dimanche : 10h-23h. Tarifs : 4 € / 2 €. www.monumenta.com/2008

62 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


EXPOSITIONS par A.-L.V. TRACES DU SACRÉ 7 MAI - 11 AOÛT En 350 œuvres – peintures, sculptures, installations, vidéos – et près de 200 artistes, cette exposition balaye l’histoire de l’art du XXème siècle et montre comment il a su transcrire la notion de sacré, en dépit de son éloignement de la religion. Centre Pompidou // Place Georges Pompidou, 75004 Paris.

LAURENT MONTARON 26 AVRIL - 31 MAI L’exposition réunit une photographie, une installation et un film (Will There Be a Sea Battle Tomorrow ?). Inspiré de recherches sur nos facultés extrasensorielles, ce dernier prolonge la réflexion de l’artiste sur les phénomènes de prédiction du futur et leur représentation. Galerie Schleicher + Lange // 12, rue de Picardie, 75003 Paris.

Photographie : © Peppe AVALLONE

JAN FABRE 11 AVRIL - 7 JUILLET Dans la lignée de ses Contrepoints, le Louvre donne carte blanche au Belge Jan Fabre. L’Ange de la métamorphose propose un parcours dans les salles consacrées aux peintures des écoles du Nord, qui font résonner les thèmes de prédilection de l’artiste : la mort et la résurrection, les vanités, le sacrifice, l’argent, la folie… Musée du Louvre // Pyramide du Louvre, 75001 Paris.

Photographie : © Lorenz KIENZLE - Tous droits réservés Monumenta 2008, ministère de la Culture et de la Communication

GILLES BALMET 6 MAI - 7 JUIN Pour sa première exposition personnelle à la galerie, Gilles Balmet présente un ensemble d’œuvres qui questionnent abstraction et figuration, avec une grande diversité de techniques et de médiums. Souvent naturels, les motifs sont livrés à notre interprétation, comme dans la série Untitled (Rorschach). Galerie Dominique Fiat // 16, rue des Coutures Saint Gervais, 75003 Paris.

LE SITE www.sylvia-tournerie.com Depuis douze ans, la graphiste indépendante Sylvia Tournerie, formée à l’école Penninghen, dissémine ses compositions dans le milieu de l’art contemporain et de l’industrie musicale. Ses multiples collaborations – notamment pour la revue 02, la galerie Loevenbruck, le Point Éphémère, les groupes Bosco et Prototypes ou le collectif Andrea Crews – témoignent d’un goût prononcé pour les collages foutraques, les assemblages de formes géométriques, les couleurs primaires et les typographies empâtées. _A.-L.V.

63 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


PAR MARTIN KOLLAR WWW.AGENCEVU.COM

NOTHING SPECIAL Martin Kollar / Agence VU’ Texte de Peter Kerekes - Éditions Actes Sud 22 x 28 cm, 104 p., 35 photographies couleur Prix prévisionnel : 32 €

AGENCE VU 17, bd Henri IV - 75004 Paris www.agencevu.com GALERIE VU’ 2, rue Jules Cousin - 75004 Paris


Révélé en France par sa longue enquête sur les dix pays concernés par l'élargissement de l'Union européenne, Martin Kollar a suivi des études de cinéma à la faculté de Bratislava avant d'opter pour la photographie. Privilégiant la couleur, il traque dans la vie courante les situations cocasses, absurdes ou ironiques que les hasards du quotidien disposent en jeux de piste. À la manière de Queneau ou de Prévert, il cultive une denrée rare dans le champ de la photographie : le sens de l'humour. En contrepoint, certaines images se chargent d'une gravité poétique qui témoigne d'une forme d'inquiétude. Portraits isolés, espaces ambivalents, apparences trompeuses, l'étrangeté se fait soudain présence et esquisse, comme suspendues, des séquences de rêve ou de mélancolie.


TRIBUNE LIBRE Entretien avec Bartabas, quatre mois après son coup de co

Cheval debataille

Respecté dans le monde entier pour son théâtre équestre Zingaro, le célèbre cavalier Bartabas a défrayé la chronique en décembre dernier. À l’annonce d’une baisse des subventions pour l’école équestre qu’il dirige, il a dévasté, dans un coup de colère, les locaux de la DRAC (Direction Régionale des Actions Culturelles). Un plan de soutien avait été mis en place par l’État auquel la région Île-de-France refusait de participer. Quatre mois après les faits, rencontre avec un créateur indocile, dont les difficultés illustrent la crise pendante du financement public de la culture.

R

egrettez-vous votre geste ? L’Académie, qui progresse pourtant chaque année avec Non, pas spécialement. Mais il faut rétablir la un taux de remplissage de 85% pour ses spectacles, 60% vérité : ce n’est pas parce que j’ai fait valser de recettes propres et 10% de mécénat, est-elle dans une deux ou trois chaises que j’ai obtenu gain de situation délicate ? cause. En réalité, il y a eu une erreur au niveau du ministère La situation est toujours difficile : l’Académie équestre est de la Culture : ce soir-là, la DRAC a ignoré les promesses une compagnie-école qui compte 25 salariés permanents faites quatre mois auparavant, son annonce correspondait et rémunère ses élèves. Il s’agit d’un laboratoire où se à une baisse de 40% des subventions, c’était la mort de l’Académie... Mais, « DANS NOTRE PAYS, AIDE-T-ON LES ARTISTES QUI finalement, l’engagement a été confirmé. ONT FAIT LEURS PREUVES OU LES FUMISTES ? » Quant à Zingaro, les subventions ont baissé de 4% comme pour les autres compagnies. Si nous transmettent les règles de l’art du spectacle équestre que étions dans une année de création, l’existence de cette j’ai mises au point et exportées dans le monde entier. Depuis entreprise de 50 salariés et 40 chevaux serait remise en deux ans, j’essaie d’attirer l’attention des pouvoirs publics question. pour qu’ils prennent en compte le travail de cette école unique au monde, dont la réussite est exemplaire sur le Christine Albanel soulignait la mobilisation de l’État pour plan artistique et éducatif. Pour des entreprises culturelles « un lieu qui peine à trouver son équilibre financier ».

66 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


Photographies : © Antoine POUPEL, Marc PROGIN, C. WEINER

lère

comme les centres chorégraphiques nationaux, l’aide de l’État est d’environ 50%. Nous, jusqu’à l’année dernière, nous en étions à 8% du budget ! Une injustice, selon vous ? J’ai choisi de réaliser ce projet sur fonds propres, j’y consacre bénévolement depuis cinq ans toute mon énergie. Enseigner le travail équestre comme une discipline artistique, c’est révolutionnaire. Il m’aurait été plus facile d’enseigner mon art dans le monde entier contre une forte rémunération. J’ai prouvé la qualité de ce projet et sa viabilité, mais maintenant l’Académie a besoin d’un peu plus d’aides publiques pour faire face à ses charges fixes et assurer sa pérennité. Dans notre pays, aide-t-on les artistes qui ont fait leurs preuves ou les fumistes ? Combien d’artistes de mon envergure assument une école en France ? J’aimerais au moins qu’on respecte et reconnaisse ma démarche et mon bilan. Le financement public de la culture est accaparé par les grandes institutions qui raflent une grande partie du budget, défavorisant les petites entreprises. Peut-on parler d’un dysfonctionnement ? D’après le ministère, il faut que la culture retrouve un équilibre de rentabilité. Or avec la baisse des subventions, qui sont des sommes modestes, ce sont précisément les artistes de terrain les plus nécessiteux que l’on pénalise. Il y a peut-être eu des excès ici ou là, mais ce n’est pas une raison pour massacrer un système de création qui fait la richesse du patrimoine culturel français. Dans l’audiovisuel

public, il existe des émissions de télévision minables, indignes des gros budgets consacrés à ce secteur. C’est honteux. Le budget alloué pour les spectacles vivants est déjà tellement infime qu’enlever encore 4%, c’est réaliser des économies de bout de chandelles. Comme Zingaro qui s’en sort presque seul avec 85% de ressources propres, l’Académie ne pourrait-elle pas choisir l’auto-financement, à travers ses 60 000 visiteurs et les diffusions de spectacles ? Le principe de gestion entre Zingaro et l’Académie ne sont pas le même. Je pourrais augmenter les recettes propres, les tournées par exemple, mais je refuse car cela reviendrait à faire un Zingaro bis. On perdrait là tout l’intérêt de l’Académie qui est un laboratoire de formation et de création. Le mécénat développé aux États-Unis pourrait-il être, selon vous, une solution en matière de financement culturel ? Le mécénat représente déjà 10% de notre budget. L’Académie n’existerait pas si elle n’était pas soutenue par la fondation Rothschild et la banque Mirabaud. Le mécénat fonctionne aux États-Unis parce qu’un système de défiscalisation a été mis en place. C’est loin d’être le cas en France pour le spectacle vivant. Aujourd’hui, l’Académie a besoin de financements publics puisque son positionnement dans le paysage culturel l’impose comme une institution. L’État doit jouer son rôle en donnant la priorité à cet enseignement artistique unique au monde. _Propos recueillis par Audrey LEVY

67 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


RÉSEAUX L’industrie musicale en pleine recomposition numérique

Nouvelles pistes

Illustration : © Arnaud PAGÈS

Le Parlement vote une nouvelle loi sur le téléchargement, MySpace s’allie aux majors, Madonna offre la primeur de son album aux acheteurs de mobiles : l’économie musicale n’en finit pas de revoir sa playlist, de plus en plus panachée, partageuse et abondante.

S

coop : il y aurait de la lumière au fond du tunnel dans lequel s'enfonce la musique depuis 2002. Selon l'institut d'études JupiterResearch, l'industrie musicale pourrait renouer avec la croissance dès 2010. C’est-à-dire trouver dans les nouveaux modèles en train de se déployer la martingale numérique qui permettra de compenser l'inexorable dégringolade du disque physique. Malgré une progression bien réelle, de plus de 40% en 2007, la musique numérique ne représente toujours « que » 10% du secteur en 2007, contre 6% en 2006. Comme le souligne l'étude, « le marché de la musique numérique n'arrive ni à concurrencer le téléchargement illégal, ni à remplacer les revenus perdus par l'industrie du CD. » Le constat est connu et, pour y remédier, l'industrie musicale doit revoir de fond en comble sa copie – c'est le cas de le dire ! Faire sa révolution pour faire mentir ce nouvel adage L'INDUSTRIE MUSICALE POURRAIT RENOUER selon lequel «jamais on a autant écouté de AVEC LA CROISSANCE DÈS 2010. musique, jamais on ne l'a si peu payée ». Mais si cette recomposition a commencé, elle s’opère encore en ordre trop dispersé pour faire sens. Premier constat : la musique se conjugue désormais sur une multitude de supports (PC, mobile, baladeur, console, etc.) et de modèles économiques. Il n'y a plus une activité qui domine toutes les autres, comme les ventes de disques hier, mais un nombre croissant de fenêtres qui sont autant de rivières dont l'industrie espère qu'elles finiront par refaire un fleuve puissant. Gratuite ou payante, à l'unité ou en accès illimité, téléchargeable ou accessible en direct (streaming), protégée par des verrous limitant la copie (les DRM) ou libre d'usage une fois acquise, quantité de formules sont actuellement testées. Deuxième règle : le nombre d'acteurs ne cesse d'augmenter, compliquant la donne à la fois pour

«

68 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

»


_Christophe ALIX

++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

les majors et les indépendants. Fabricants de logiciels, opérateurs de réseaux mobiles et Internet, voire vendeurs de café (Starbucks), tout le monde veut son service musical, même s'il sert souvent de produit d'appel pour vendre autre chose. Dernier point : alors que le Parlement français s'apprête à voter une loi qui vise à «desinciter» au piratage en brandissant la menace d'une privation de l'abonnement, les opérateurs télécoms cherchent à s’imposer comme diffuseurs de contenus, si possible attractifs et exclusifs, et non plus comme simples fournisseurs d’accès. Trois événements récents illustrent bien cette tectonique des plaques musicales en pleine recomposition. Le premier est la floraison d’offres d'abondance moyennant abonnement, proposées par les opérateurs en accord avec certaines majors. Si les 14 millions d'abonnés français au haut-débit souscrivaient demain à un service de musique illimitée pour 6 euros par mois, cela représenterait plus d’un milliard d'euros de recettes par an. Plus très loin du pic de 1,3 milliard d'euros de ventes atteint en 2002 ! Le deuxième concerne les services musicaux que les fabricants comme Apple ou Nokia s'apprêtent à pré-vendre dans leurs téléphones ou baladeurs. Sorti fin avril, Hard Candy, le nouveau Madonna, a d'abord été réservé aux acheteurs d'un téléphone portable à près de 400 euros, avant d'être disponible sur le marché. Troisième symptôme : la signature d'un accord entre le site communautaire MySpace et trois majors afin de diffuser leurs contenus contre le paiement d'une redevance publicitaire. Bref, il y a du panachage dans l'air mais qui pour fonctionner nécessite une petite révolution mentale pour l'industrie : comprendre une fois pour toutes que son activité n'est plus fondée sur l'unicité et la rareté mais sur le partage et l'abondance, pour lesquels quantité de vrais services restent à inventer.

RADIO GAGA Une web-radio payante ? C’est le pari de D-Fuzz, qui séduit avec ses nombreuses fonctionnalités et sa philosophie radicale : « Nous effectuons le travail de recherche et de programmation que les grands médias ont délaissé». www.d-fuzz.com

68, ANNÉE NUMÉRIQUE Mai 68 revisité par d’audacieux bloggeurs : véracité historique et anachronisme technologique sont au menu de 68bis, le site lancé par Arte pour les 40 ans du mouvement. http://68bis.arte.tv

CIMETIÈRE DU COPYRIGHT Le retrait de vidéos violant les règles du copyright est devenu l’une des activités principales des employés de YouTube. Un projet d’étudiants américains recense ces vidéos supprimées. www.youtomb.org

SUPER GRAPH’ L’affiche politique élevée au rang d’art : entre propagande et marketing politicien, l’exposition en ligne The Graphic Imperative recense de petites merveilles dessinées entre 1965 et 2005. www.thegraphicimperative.org

À LA PAGE Google Books, c’est bien, mais impossible de scanner ses propres livres. Avec Calameo, l’internaute peut ressortir du tiroir tous ses vieux bouquins, revues ou fascicules, et les passer à la postérité. http://fr.calameo.com par B.D.

DRM

[de r m] sigle 3 3

MOT @ MOT

(De l’anglais Digital Rights Management, traduisible par « gestion des droits numériques ») 1. Procédé d’entrave à l’utilisation d’un produit numérique : impossibilité de lire un morceau de musique sur des logiciels concurrents, d’accélérer les messages au début d’un DVD, etc. Le DRM est un obstacle à la copie privée, qui est un droit du consommateur numérique, clament les partisans du logiciel libre. 2. Par analogie à la locution « MDR » (ou « Mor2Rir »), plébiscitée par les adolescents webophiles, DRM signifie, dans certains cercles élitistes, « Déception et Rire Morbide ». Jérém’ est trop DRM, il a téléchargé le dernier Madonna mais il peut pas le lire sur son ghetto-blaster. _E.R.

69 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


JEUX VIDÉO Trackmania, Battlefield : les jeux misent sur le gratuit

Titres gracieux Avec un chiffre d’affaire annuel de 20 milliards d’euros, l’industrie du jeu vidéo est en pleine santé, laissant le porte-monnaie des joueurs exsangue. (In)conséquence ? La brèche du gratuit de qualité s’ouvre chez certains éditeurs, là où l’on ne l’attendait plus.

J

anvier dernier : Electronic Arts, l’une des majors du jeu vidéo, annonce la sortie pour cet été d’un titre entièrement gratuit, Battlefield Heroes. Mouais. Au début, on se frotte les paupières tout en gardant un œil sur les valeurs sûres, donc payantes : GTA IV ou Mario Kart Wii. Mais ces dernières sont bientôt éclipsées par l’heureuse nouvelle : Battlefield Heroes est un beau bébé qui ne pèse pas le moindre euro. Pardon? Un jeu beau et gratuit? Pour le commun des gamers, il s’agit d’une hérésie, d’une chimère, d’un oxymoron. Si l’on vous parle de jeu gratuit, dans le meilleur des cas, vous pensez : «Petit jeu en flash, injouable, mais c’est toujours mieux que de relier le contrat de M. De Mesmaeker. » À CE JOUR, LA VERSION GRATUITE DE TRACKMANIA Au pire, vous grincez : «Gratuit ? Elle est où l’arnaque? Des filles en petite tenue vont A ÉTÉ TÉLÉCHARGÉE PLUS DE 30 MILLIONS DE FOIS. envahir mon écran ad vitam nauseam ? » Pour les juniors comme pour les vétérans, le jeu est irréductiblement payant, de la borne d’arcade à l’inscription en ligne pour des parties en réseaux : jusqu’à aujourd’hui, tout accès à la nouveauté se négociait contre monnaie sonnante et trébuchante. Ce faisant, l’industrie du jeu vidéo a assis un système archaïque dans le monde du numérique. Si l’achat d’une licence de logiciel Mac ou PC permet de le mettre à jour gratuitement, les add-ons de jeu vidéo (extension de contenu) saignent le budget de la frange adulescente des consommateurs. Les gamers sont un agglomérat protéiforme et très mal connu, aux habitudes aléatoires (moyenne d’âge : 25 ans, 40% des joueurs sont des femmes), ce qui explique le peu d’implication des organes de défense des consommateurs.

«

70 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

»


_Étienne ROUILLON Retrouvez Battlefield Heroes sur www.battlefield-heroes.com Téléchargez TrackMania Nations Forever sur www.trackmania.com

++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

Le salut ne viendra donc ni des joueurs, ni des instances censées représenter leurs intérêts, mais bien des éditeurs et des distributeurs. C’est du moins le pari fait par Electronic Arts avec Battlefield Heroes. Le titre est un dérivé de la série à succès Battlefield, payante celle-ci. Cette licence de jeux de tirs subit un détournement multiple. Tout d’abord graphique : Battlefield Heroes est un jeu exclusivement en ligne, supposé se situer dans un riant bocage normand, où forces de l’Axe et forces de l’Alliance se canardent en pouffant d’aise. La guerre dans un design cartoon devient plus accessible, distrayante (il est possible de monter à califourchon sur les ailes d’un Spitfire pour caillasser les piétons). Le public visé est immense, du hardcore gamer au prof d’histoire amusé. Le détournement est également économique : Electronic Arts lance avec Battlefield Heroes un nouveau modèle « Play 4 Free » (« jouer, c’est gratuit »). Gratuit pour de vrai ? Pour de faux, bien sûr. La pub sera présente en début et en fin de partie sur l’interface de menu. Une contrepartie minime aux yeux du joueur et une énorme publicité pour le catalogue payant d’Electronic Arts. Le risque d’échec d’une telle initiative est minime. Electronic Arts n’est pas le premier à envoyer brouter une série à succès dans les verts pâturages du gratuit. En 2003, les Français de Nadeo développent un jeu de voiture payant, Trackmania. En 2006, sortent deux éditions au contenu très différent : Trackmania United et Trackmania Nations. Le premier est payant, le second est totalement gratuit. C’est une révolution. La jouabilité et le moteur 3D du jeu concurrencent ceux des titres vendus en boutique. À ce jour, le programme a été téléchargé plus de 30 millions de fois. Le 15 avril dernier, une nouvelle version gratuite, TrackMania Nations Forever, a été prise d’assaut par les internautes. Surprise de taille à la clé : le jeu est compatible avec des lunettes 3D. Une preuve de plus que, sans pactole, les parties sont plus folles.

JACKASS : THE GAME Aïe ! Si la DS est connue pour ses jeux de stimulation cérébrale, il est parfois bon de laisser son neurone baver de bêtise en reproduisant les cascades pipi-caca de la bande culte de MTV. Disponible : 16 mai 2008 Éditeur : Red Mile Entertainment // Plateforme : DS

KUNG-FU PANDA Kai ! Adapté du film d’animation du même nom, ce jeu d’aventure, léger comme un ouistiti, vous propose de dispenser à votre tour un karaté tout en rondeurs. Disponible : 3 juin 2008 Éditeur : Activision // Plateforme : PC, PS3, XBOX 360, Wii…

LEGO INDIANA JONES Shlac ! Après les Jedis et leur sabre laser, c’est au tour de la trilogie du docteur Jones d’être revisitée par les petites briques. Le fouet claquera sur toutes les plateformes vidéo-ludiques récentes. Disponible : 6 juin 2008 Éditeur : LucasArts // Plateforme : PC, PS3, XBOX 360, Wii…

METAL GEAR SOLID 4 Chut ! Le plus cinéphile des jeux d’infiltration revient dans un nouvel épisode où notre héros, Snake, a pris des rides mais gagné en expérience. L’heure de la retraite n’a pas sonné. Disponible : 12 juin 2008 Éditeur : Konami // Plateforme : PS3

LA MÉMOIRE DANS LA PEAU Argh ! Tiré lui aussi d’une trilogie grand écran, ce jeu d’action vous met dans la peau du tueur qui fait de n’importe quel objet du quotidien une arme létale : crayon, bidet, torchon... Disponible : 27 juin 2008 Éditeur : Vivendi Universal Games // Plateforme : PS3, XBOX 360

LE SITE www.secretmaryo.org On ne clone pas que les brebis : les plombiers italiens et moustachus y ont aussi droit . Secret Maryo Chronicles est le fils avoué de Super Mario Bros., sorti sur Famicom en 1985. Les anciens replongeront dans un monde où l’on sautait sur des champignons pour sauver une princesse (et non pas l’inverse comme le déploreront certains esprits mal tournés). Ce jeu complètement gratuit est distribué dans une version libre, vous permettant d’éditer vos propres niveaux, avec vos musiques et vos graphismes. _E.R. Un jeu gratuitement vôtre.

71 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08


LAND OF THE DEAD George A. Romero Retour de la saga des morts-vivants par laquelle George A. Romero s’est fait connaître : la série d’un monde en mutation, bientôt augmentée d’un nouveau volet.

V

ingt : c’est le nombre d’années qui séparent Le Jour des morts-vivants (1986) de Land of the Dead (2006). Soit le temps qu’aura attendu George A. Romero pour poursuivre sa célèbre série. Il en va en effet des films de zombies comme des films de super-héros : pour qu’ils ne tournent pas à vide dans l’enjoliveur du cinéma d’exploitation, il faut que le monde change. Viêt-nam, ère Reagan, Guerre Froide peignaient la toile de fond des trois précédents épisodes. On s’attendrait à ce que le 11 septembre prenne ici le relais ; c’est plus compliqué que ça. L’humanité est clivée. Les riches se cloîtrent dans une tour, résidence chic intégrée à un mall géant. Les pauvres grouillent dans un centre-ville uniformément gris, renvoyé au dix-neuvième siècle, ceinturé par l’armée. Symptomes de cette cassure, Riley et Cholo, les personnages du film, désunis par l’ambition dévorante et le marché noir. En face, les zombies font bloc, regardent dans la même direction (un feu d’artifice suffit à les immobiliser), marchent d’un même pas. On ne sait plus ici qui fuit, qui chasse, qui domine, qui se soumet : ce sont deux solitudes qui se regardent, deux souffrances qui se font face des deux côtés d’une barrière électrifiée. Deux : c’est le nombre d’années qui séparent Land of the Dead de Diary of the Dead, le prochain volet de la série, qu’on annonce formellement proche de Redacted, Cloverfield et [REC] : est-ce le monde, ou le cinéma, qui s’accélère ? _Antoine THIRION ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

FESTIVAL DE PALMES Le mois de mai est chargé, comme à son habitude. Deux évènements majeurs. Le premier, c’est l’immuable festival de Cannes qui célèbre sa 61ème édition. Impossible de faire l’impasse sur un cycle dédié aux grands primés de la Croisette. Au programme? Loach, Moretti, Kiarostami, Losey, Kusturica, Leigh, Van Sant, Polanski, et autres enfants chéris de la sélection cannoise.

REVOIR UN PRINTEMPS L’autre évènement de ce printemps, c’est le très médiatique anniversaire de Mai 68, stigmatisé par les sorties en salles de Nés en 68 et en DVD du Fond de l’air est rouge. MK2VOD vous propose de revivre l’évènement à travers trois films de Marin Karmitz (Coup pour Coup, Sept jours ailleurs et Camarades). En complément, des œuvres exigeantes, militantes, preuve que l’esprit de révolte perdure encore aujourd’hui, quel que soit le genre ou le pays. Retrouvez actuellement plus de 900 films sur www.mk2vod.com

72 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08



SCIENCE-FICTION

La chronique des objets de demain... La Mile-High Tower

Haute technologie Les projets du prince saoudien Al-Walid ben Talal ben Abdul Aziz Al Saoud sont aussi démesurés que son patronyme. Dernier en date : la Mile-High Tower, qui culminera à 1,6 km de haut. Un passage obligé pour la flamme olympique de Londres 2012, portée à bout de bras par notre rédacteur infiltré. ez-de-chaussée. 35°C à l’ombre, 50°C sous le kilt de Sean Connery, venu manifester en marge du cortège de la flamme des Jeux anglais, pour sensibiliser le vaste monde à la cause écossaise. Une centaine de concurrents, munis d’une torche, sont sur la ligne de départ d’un marathon vertical. Le premier qui arrive à bouter le feu au gigantesque bûcher, juché au terme de cette voie haut perchée, remporte une place pour le concert de NTM. Fort d’un entraînement drastique sur le Wii Fit, je suis d’emblée favori. Mon nom est Bon, très bon.

R

8ème étage. Erratum : une coquille s’est glissée dans la phrase précédente. Le chroniqueur, en sueur chronique, peine à suivre le train imposé par Tina Arena, mugissant son «Aller plus haut». La prenant au mot, Cindy Sander s’avise de la piétiner sans autre forme de procès. Chauffés à blanc par ce papillon lumineux, les coureurs emplissent l’édifice babélien de babils orduriers.

320ème étage. Grimpant vers l’infini et l’au-delà, en un éclair aussi fugace qu’un buzz sur Daily Motion, nous parvenons à la cime cimentée. Expectorant comme des tubards, nous nous jetons sur la ligne et réclamons la photo-finish pour nous départager. Un Saint-Pierre embarrassé nous confesse qu’Aimé Césaire vient de nous souffler la place. _Étienne ROUILLON

HAUT ET COURT 317. C’est le nombre de pièces qui composent le modeste palais du prince Al-Walid. Le même homme a déjà vendu un Boeing 727 par SMS, et vient de s’acheter un Airbus A380 pour simple usage personnel. Une première. 815,7 m. Telles seront, fin 2008, et attendant l’achèvement de la Mile-High Tower, les mensurations de la plus haute tour du globe : la Burj Dubaï sera le fleuron architectural des Émirats Arabes Unis, faisant la nique aux 508 mètres de la tour de Taipei. 1,609344 km. C’est la conversion exacte d’un mile en système métrique, soit près de 50 fois la portée d’un flash-ball standard.

74 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MAI // JUIN 08

Illustration : © Thomas DAPON

150ème étage. À la mi-parcours, Azouz Begag est sanctionné pour avoir pris l’ascenseur républicain. Dans cet HLM, les concurrents blêmes font face à un squat illégal de cage d’escalier. Flash-ball à la main et maillot aux couleurs de la police new-yorkaise, un joggeur modèle jockey se rue sur le groupe délictueux, qui préfère battre poliment en retraite. Je lui emboîte le pas. Nous voici face à face dans le sprint final. «Vous avez chaud ?», s’enquiert mon président. Un peu, mon neveu.




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.