CINÉMA I CULTURE I TECHNOLOGIE
NUMÉRO 63 I ÉTÉ 2008
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ÉDITO
CINÉMA
POURQUOI LE BRÉSIL ? Certains bouclages s’achèvent en débâcle. D’autres, au contraire, vibrent d’une allégresse contagieuse. À l’heure où nous écrivons ces lignes, fignolant les dernières corrections, la rue où siège notre rédaction s’est vue bouclée – c’est le mot – pour laisser passer une gigantesque farandole sonore et bariolée, improbable carnaval qu’on jurerait sorti de Rio ou Salvador. Procession d’autant plus ironique que ce mois-ci notre journal s’est mis à l’heure brésilienne. Profitant d’une actualité foisonnante, mais aussi d’anniversaires divers (50 ans de la bossa nova et du cinéma novo, 40 ans du tropicalisme), nous avons voulu défricher la vitalité culturelle de ce jeune pays, et la mettre en perspective avec une histoire déjà bien garnie. « Quand il y a trop d’offrandes, le saint se méfie », dit un proverbe brésilien. Notre démarche ne se veut ni exhaustive, ni dithyrambique – les défis politiques et écologiques qui attendent le Brésil seront ici évoqués, d’autant qu’ils nourrissent, paradoxalement, certaines des créations les plus vives du pays. « Le Brésil est le pays du futur, et il le restera », écrivait Stefan Zweig en 1941, avec une ironie digne des plus grands sambistes de carnaval. La boucle est, comme on dit, bouclée.
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Tendances, Ciné fils, Regards croisés, Scène culte DOSSIER : BRÉSIL, TERRE DE CINÉMA Le legs du «cinéma novo» ; preview OSS 117 à Rio ; interview de Paulo Morelli ; La Cité des hommes, Troupe d’élite… PLEIN ÉCRAN : Be Happy de Mike Leigh Le Silence de Lorna de Jean-Pierre et Luc Dardenne Lake Tahoe de Fernando Eimbcke LE GUIDE des sorties en salles
CULTURE 50_ 52_ 54_ 56_ 58_ 60_
DVD : Californication, série (dé)culottée LIVRES : Panorama de la littérature brésilienne MUSIQUE : Un été brésilien (CSS, Seu Jorge, Tetine…) LES BONS PLANS DE RADIO ART : Exposition L’Argent au Plateau PAR : Bernard Faucon
TECHNOLOGIE 62_ 64_ 66_ 68_ 70_
TRIBUNE LIBRE : Entretien avec Lester Brown, pape écolo RÉSEAUX : La musique découvre l’interactivité JEUX VIDÉO : Les Legos, du placard à la console VOD : Gorge profonde de Gerard Damiano SCIENCE-FICTION : La combinaison vieillissante
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SOMMAIRE # 63
_Auréliano TONET ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA / 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS / 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION > Elisha KARMITZ I DIRECTEUR DE LA RÉDACTION > Elisha KARMITZ elisha.karmitz@mk2.com I RÉDACTEUR EN CHEF > Auréliano TONET aureliano.tonet@mk2.com / troiscouleurs@mk2.com RESPONSABLE CINÉMA > Sandrine MARQUES sandrine.marques@mk2.com I RESPONSABLE CULTURE > Auréliano TONET I RESPONSABLE TECHNOLOGIE > Étienne ROUILLON etienne.rouillon@mk2.com ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO : Isabelle DANEL, Dominique DREYFUS, Pascale DULON, Baptiste DUROSIER, Clémentine GALLOT, Jacky GOLDBERG, Julie GUÉRIN, Roland JHEAN, Rémy KOLPA KOPOUL, Sophie DE LA SERRE, Anna LHUNE, Mathieu MAROIS, Sophie QUETTEVILLE, Bernard QUIRINY, Anne-Lou VICENTE I ILLUSTRATIONS > Thomas DAPON, DUPUY-BERBERIAN, Fabrice GUENIER, LABOMATIC™, Fabrice MONTIGNIER, Pierre ROUILLON DIRECTRICE ARTISTIQUE > Marion DOREL marion.dorel@mk2.com I MAQUETTE > Louise KLANG I IMPRESSION / PHOTOGRAVURE > FOT I PHOTOGRAPHIES > AGENCE VU’, DR PUBLICITÉ > RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA > Laure-Aphiba KANGHA / 01 44 67 30 13 laure-aphiba.kangha@mk2.com I CHEF DE PUBLICITÉ > Solal MICENMACHER / 01 44 67 32 60 solal.micenmacher@mk2.com © 2008 TROIS COULEURS // issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. // Tirage : 200 000 exemplaires // Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique.
Osez Zooey
À l’affiche de Phénomènes de Shyamalan, l’actrice-chanteuse Zooey Deschanel sort cet été un somptueux premier album country-pop, sous l’appellation She & Him. Portrait. Elle s’appelle Zooey, avec deux o. Et navigue entre deux eaux, musique, cinéma. Primo, deuzio, l’ordre des préférences importe peu : «Je fais du cinéma et de la musique depuis toute petite, je ne me vois pas choisir entre les deux. Ce qui compte, c’est le désir », déclare la miss. Fille du sérail (son père est directeur de la photo, sa mère et sa sœur sont actrices), copine de classe de Jake Gyllenhaal, la Californienne se distingue de la cohorte d’actrices-chanteuses qui fleurit ces temps-ci. La faute à son zoli prénom, que ses parents, d’origine franco-irlandaise, ont pêché au détour d’une nouvelle de JD Salinger ? Pas que. À 28 ans, la brunette a distillé son charme espiègle dans une trentaine de longs métrages, dont Presque célèbre, Elfe, L’Assassinat de Jesse James ou le récent Phénomènes. Contrairement à Scarlett & co, elle a intégralement écrit les morceaux de son premier album, Volume One, produit par le précieux songwriter Matt Ward. Des chansons vibrionnantes de sentiments, chantées d’une voix vintage, comme les vêtements qu’elle porte, les films qu’elle regarde et la musique qu’elle écoute (Ella Fitzgerald, Judy Garland, Janis Joplin). À ses heures perdues, Zooey peaufine un scénario, avec pour héros un diamant géant. Plutôt que de traduire le nom de son groupe (She & Him) par un simple « Elle et lui », osons donc le plus idoine : « Elle luit ».
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TENDANCES
CALÉ
DÉCALÉ
RECALÉ
Le Brésil
La Colombie
Cuba
« Va chercher bonheur », disait Chico au détour d’une pub mythique. Trois Couleurs a cherché, et trouvé : ciné (La Cité des hommes, Troupe d’élite) ou musique (CSS, Tetine, Seu Jorge), le Brésil sustente notre félicité.
Boycottant la « came » douteuse du couple Bruni-Sarkozy, Bogota s’en est allée libérer Ingrid Bétancourt toute seule, comme une grande. On aime bien cette colombe colombienne, et ses « go FARC yourself » frondeurs.
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Cuba vit des heures incertaines. Tandis que le biopic du Che par Soderbergh a divisé la critique à Cannes, Raúl et Fidel se font de drôles d’infidélités au pouvoir, se volant tour à tour la vedette. Dans castriste, il y a triste.
Îlots de résistances
La reprise le 16 juillet sur les écrans de L’Île nue, chef-d’œuvre contemplatif de Shindo Kaneto, rappelle que tout un pan du cinéma se déploie dans un décor autarcique : l’île, où des Robinson en mal de continent s’échouent. « Il existe au milieu du temps / La possibilité d'une île. » Ce poème de Houellebecq donne un avant-goût de l’adaptation par l’écrivain de son roman futuriste, prévue dans les salles pour la rentrée. Popularisée par la série télévisée Lost, l’île prend des airs de purgatoire pour les rescapés d’un crash aérien, témoins de phénomènes paranormaux. Même atmosphère énigmatique dans L’Île aux trente cercueils où une infirmière se confronte aux superstitions des insulaires. Chez Pavel Lounguine, des étrangers affluent sur un archipel, convaincus des pouvoirs de guérison d’un moine pénitent (L’Île). Entité hostile chez Rossellini (Stromboli), le noir rocher finit par révéler toute sa beauté et son mystère à une réfugiée. Du surnaturel au fantastique, l’île est le théâtre d’expériences scientifiques dégénérées (L’Île du Docteur Moreau), une terre d’exil dans Pirates des Caraïbes 3, ou le décor d’un jeu ultra-violent (Battle Royale), destiné à éradiquer la criminalité adolescente dans un Japon futuriste. Fermée aux influences extérieures, l’île concentre les utopies. En marge de la civilisation, une communauté vit recluse dans un paradis terrestre qui se transforme en enfer (La Plage). Même désillusion pour les héros de The Island, lieu chimérique dont ne reviennent jamais ceux qui y sont envoyés. Quant aux Naufragés de l’île de la Tortue, ils sont embarqués dans un rocambolesque voyage organisé. Le retour utopique au primitif tourne à la débâcle générale pour ces Robinson improvisés, quand chez Buñuel (qui adapte très personnellement le roman de Daniel Defoe), il permet d’interroger la relation trouble maître-esclave (Les Aventures de Robinson Crusoé). Autre naufragé, Tom Hanks organise sa survie sur une île déserte, en compagnie d’un compagnon imaginaire : un ballon de basket (Seul au monde). Une régression à laquelle répond la résurgence d’une vie primitive dans Jurassic Park et King Kong. Preuve qu’une île n’est jamais tout à fait déserte.
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CINÉ FILS
La bande originale
ÉCOUTEZ LE CINÉMA LEGRAND, MELVILLE, DELERUE… (Universal Jazz)
Comme chaque été, la collection Écoutez le cinéma étoffe son précieux catalogue. Plongeons d’abord dans le swing aqueux et alangui de La Piscine, partition du génie tout-terrain Michel Legrand pour Jacques Deray. Legrand que l’on retrouve, parmi d’autres, dans l’ombrageux Cercle noir, compilation des BO des polars de JeanPierre Melville. Chef-d’œuvre parmi les chefs-d’œuvre, enfin, le diptyque truffaldien Jules et Jim / Les Deux Anglaises et le Continent, que Georges Delerue sublime de mélodies déchirantes, au lyrisme rentré.
Le ciné livre
ERIC LAX « Entretiens avec Woody Allen » (Plon) Biographe « officiel » de Woody Allen, journaliste au New York Times, Eric Lax rassemble dans cet ouvrage trente-six années de discussions avec l’auteur de Match Point, entamées dès 1974. Cinéaste du doute et de l’imposture, tout en bégaiements obliques, amateur des Marx Brothers comme d’Ingmar Bergman, Allen s’y livre comme jamais. De la comédie burlesque au drame moral, le cheminement du New-Yorkais s’éclaire lumineusement – on apprend ainsi combien la douche joue un rôle capital dans l’irrigation de son inspiration. Vivement le prochain jet.
REGARDS CROISÉS
Cruise vs Bale
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n n’aura pas à synthétiser les vingt-cinq ans de la carrière exceptionnelle de Tom Cruise. Le sex-symbol vient de le faire dans une vidéo édifiante et fragmentaire de neuf minutes sur son site officiel. Boudé par les studios pour son engagement dans l’église de scientologie, son comportement extravagant du moment ferait presque oublier que Tom Cruise a été l’un des plus grands acteurs de sa génération… en dépit de son petit gabarit. Enchaînant les succès au box-office (Top Gun, Rain Man), il s’impose dans le cinéma d’auteur, aussi bien chez Kubrick (Eyes Wide Shut) que Michael Mann (Collateral), prouvant que l’acteur très physique de la trilogie Mission Impossible est capable d’être cérébral à ses heures. À l’instar de Christian Bale, un adepte des préparations physiques les plus extrêmes : muscle saillant dans American Psycho et Le Règne du feu, il est squelettique dans The Machinist. Nouvelle coqueluche des auteurs, il a fait chez Malick (Le Nouveau Monde), Herzog (Rescue Dawn), Haynes (I’m Not There) et Mangold (3h10 pour Yuma) des prestations convaincantes. Un juste retour de manivelle pour celui qui a commencé à l’âge de 13 ans dans L’Empire du soleil de Steven Spielberg, réalisateur sous la direction duquel Cruise a tourné La Guerre des mondes. Du chauve bedonnant interprété par Cruise dans Tropic Thunder au costume de la chauve-souris sous lequel disparaît Bale (Batman Begins, The Dark Knight), les acteurs se jouent de leur image. Une autodérision bienvenue pour Cruise qu’on attend dans le controversé Valkyrie de Brian Synger, où son personnage est chargé d’abattre Hitler. Bale va aligner quant à lui les blockbusters (Batman 3, Terminator 4), profitant de l’égarement de son aîné lobotomisé. La Bale et le bête ?
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Illustration : © Fabrice GUENIER
Au moment où relever sa carrière semble mission impossible pour Tom Cruise, Christian Bale, un acteur britannique de douze ans son cadet, joue les têtes d’affiche au box-office américain. Combat de coqs.
SCÈNE CULTE Orfeu Negro
Le testament d’Orphée LA PETITE HISTOIRE : Palme d’or en 1959 et Oscar du meilleur film étranger en 1960, Orfeu Negro déplace le mythe d’Orphée et Eurydice en plein carnaval de Rio. Le film doit son succès à la bande-son, alternant sambas frénétiques et bossas mélancoliques, composées par Vinicius de Moraes, Tom Jobim et Luiz Bonfa. Diplomate, père fondateur de la bossa nova et poète, Vinicius est l’auteur de la pièce de théâtre qu’adaptera le Français Marcel Camus à l’écran. Pour ce dernier, «le cinéma n’est pas un but mais le moyen de trouver le contact avec les autres ». Ce à quoi parvient admirablement Orfeu Negro, quintessence du film populaire.
LE PITCH : Orphée est un poète qui fait «lever le soleil» par le pouvoir de sa musique. Il est fiancé à Mira mais pendant le carnaval de Rio, il rencontre Eurydice et s’en éprend. Pourchassée par la Mort, Eurydice succombe. Orphée ramène son corps à la favela. Ivre de jalousie, Mira précipite Orphée d’une falaise. Dans cette sublime scène finale, les amants maudits sont réunis dans la mort, tandis que trois gamins les prennent pour modèle.
ZECA : Oh, je ne sais pas… BENEDITO : Si, tu sais, si ! ZECA : Non, je ne sais pas. BENEDITO : Si, tu sauras, tu n’as qu’à inventer. Vas-y, joue. ZECA : Oh, je ne sais pas… BENEDITO : Si, tu sais, tu sais, vas-y.
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ORPHEE : Tout est beau, Eurydice. Mon cœur est comme un oiseau comblé par une goutte de rosée. Merci Eurydice, merci pour ce beau jour. C’est toi qui m’emportes, Eurydice. Je suis… je suis entre tes bras comme un enfant endormi, le doux souffle de ta poitrine me rassure. Je sais que tu m’emporteras avec toi là où je dois aller. Merci Eurydice, le chemin que tu m’as choisi est tapissé de fleurs. Le soleil va se lever pour nous accueillir, mon amour. Tu chantes, Eurydice… [chantant] Mon bonheur s’en va au loin comme l’ivresse / La grande illusion du carnaval / Le pauvre travaille / Sans cesse, sans cesse… BENEDITO : Zeca, Zeca, Zeca, dépêche-toi. Dépêche toi ! Prends-la… Joue pour faire lever le soleil.
FILLETTE : Il joue bien, non ? Qu’est-ce que tu regardes comme ça ? BENEDITO : Oh, tu vas te taire, il est en train de faire lever le soleil. FILLETTE : Il l’a fait lever, il a fait lever le soleil ! BENEDITO : Tu vois, il est comme Orphée. FILLETTE : À présent, c’est toi Orphée. ZECA : Non. FILLETTE : Si, si, c’est toi. Prends cette fleur. Joue encore, joue pour moi… Tu veux ?
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Orfeu Negro, scénario de Jacques Viot et Marcel Camus d’après Vinicius de Moraes, film de Marcel Camus (1959, DVD disponible chez Potemkine).
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Pages 8 à 14 réalisées par S.M. et Au.To.
BRÉSIL TERRE DE CINÉMA
Cela faisait près de cinquante ans que le cinéma brésilien n’avait pas été à pareille fête. Depuis les trouvailles baroques et poétiques du « cinéma novo », le Brésil avait progressivement disparu de la planisphère cinématographique. Or, le revoilà primé lors des derniers festivals de Berlin (Ours d’or à Troupe d’élite) et de Cannes (prix d’interprétation féminine à Linha de Passe). Tandis que sort cet été La Cité des hommes, suite très attendue de La Cité de Dieu, et que le prochain volet d’OSS 117 vient d’être tourné à Rio, nous nous sommes plongés dans les eaux d’un cinéma qui ne saurait se réduire aux clichés, aussi exotiques soient-ils. _Dossier coordonné par Auréliano Tonet et Sandrine Marques Merci à Katia Adler, du festival du film brésilien Visuel ci-dessus extrait de l'affiche du film Le Dieu noir et le diable blond (1964) de Glauber Rocha.
À pays neuf, cinéma novo Il y a cinquante ans naissait le « cinéma novo », rassemblement de réalisateurs d’avant-garde, privilégiant un naturalisme baroque et contestataire, tirant vers l’allégorie. Retour sur un courant « affamé », qui marqua en profondeur l’histoire du septième art brésilien – témoignages à l’appui.
n 1962, la Palme d’or du festival de Cannes est attribuée à La Parole donnée d’Anselmo Duarte. Deux ans plus tard, trois films brésiliens – Vidas Secas, Le Dieu noir et le diable blond et Ganga Zumba – figurent dans la sélection et en 1969, le prix de la mise en scène va à Glauber Rocha pour Antonio das Mortes. Preuve par l’abondance de l’essor que prend alors le cinéma brésilien. Responsable de cette ébullition, le « cinéma novo », né à la fin des années 1950. Seul mouvement clairement structuré dans l’histoire du septième art brésilien, le cinéma novo s’appuyait sur l’idée que pauvreté et sousdéveloppement ne devaient pas être un frein à la créativité, mais au contraire son moteur. Développant le concept de « l’esthétique de la faim », Glauber Rocha, théoricien du mouvement, affirmait : « Pour faire du cinéma, il suffit d’une idée et d’une caméra à l’épaule ». Le cinéma novo, selon l’un de ses animateurs, Ruy Guerra, « se proposait de porter un regard sur le pays, d’un point de vue social et politique. Mais nous voulions aussi créer une expression et un langage nouveaux. C’était un cinéma démystificateur et très expérimental. »
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« POUR FAIRE DU CINÉMA, IL SUFFIT D’UNE IDÉE ET D’UNE CAMÉRA À L’ÉPAULE. » GLAUBER ROCHA
FILMER AUTREMENT. Le mouvement prenait à rebrousse-poil le cours de l’histoire du cinéma brésilien qui, depuis plusieurs décennies, vivait en parent pauvre, à la traîne du modèle nord-américain. Les débuts avaient pourtant été prometteurs. Arrivé au Brésil un an après son invention par les frères Lumière, le cinéma s’était épanoui en électron libre, marqué par une succession de cycles régionaux et une vaste production de documentaires qui racontaient le Brésil aux Brésiliens. La Première Guerre Mondiale, en privant le pays des caméras et pellicules venues d’Europe ou des États-Unis, sapa à la base cette épopée aux allures d’âge d’or. Lorsque, la guerre finie, le cinéma brésilien reprit son activité, son cousin nordaméricain avait pris le pouvoir sur le marché mondial. « Dans mon adolescence, on ne voyait que des films américains au Brésil, raconte le réalisateur Carlos Diegues. Mais, à partir des années 1950, des cinéclubs ont osé monter des
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Extraits de O Cangaceiro (1953) de Lima Barreto (en haut) et de La Cité de Dieu (2000) de Fernando Meirelles (en bas).
Extrait de Porto das Caixas (1962) de Paulo Cesar Saraceni.
programmations plus audacieuses. Nous avons alors vu tous ces chefs-d’œuvre du néoréalisme italien, de la Nouvelle Vague française, du cinéma russe. Nous avons découvert qu’il existait d’autres formes de cinéma. » Une autre façon de filmer : c’était bien la clé du problème. Car, en imposant ses productions sur les écrans brésiliens, l’Amérique du Nord diffusait ses valeurs et son esthétique à un cinéma encore en quête d’identité, comme le déplorait le critique Paulo Emilio Salles Gomes dans les années 1970 : « Nous ne sommes ni Européens ni Américains du Nord, mais, privés de culture originale, rien ne nous est étranger car tout l’est. Nous nous construisons péniblement dans le ’’non-être’’ et ’’l’être-autre’’. » TRANSGRESSIONS, TRAVESTISSEMENTS. Une identité par défaut qui poussa, dans les années 1940, Cinédia et Atlantida, les deux plus grandes compagnies cinématographiques, à cloner le cinéma américain en produisant des comédies musicales kitsch et burlesques, les dénommées «chanchadas », qui avaient pour fonction de promouvoir la musique de carnaval. Évoquant ce genre devenu culte, Paulo César Saraceni, membre actif du cinéma novo, disait, la moue dédaigneuse : « Oui, mais enfin, ce n’étaient que des chanchadas...» Elles avaient néanmoins le mérite de traduire l’atmosphère d’une époque où, tournant le dos aux secousses de la Seconde Guerre Mondiale, le Brésil se mettait métaphoriquement en scène via la plus fondamentale de ses caractéristiques : le carnaval. Soit, en d’autres mots, la transgression, le déguisement, le travestissement, l’inversion des valeurs et la démesure. Toutes choses que
l’on retrouva dans le cinéma novo. À y regarder de plus près, la chanchada était sous-tendue par une formidable autodérision. Car cette parodie des comédies musicales nord-américaines moquait autant son modèle qu’elle se riait de la servitude avec laquelle elle le suivait. LE CINÉMA DESCEND DANS LA RUE. Malgré – ou à cause de – l’immense succès qu’elle remportait auprès du public populaire, la chanchada était considérée comme un genre décadent par le public plus cultivé. Créée à la fin des années 1940, une nouvelle compagnie cinématographique, la Vera Cruz, se proposa de remonter le niveau du cinéma national avec des films « sérieux ». Un objectif récompensé dés 1953, quand O Cangaceiro de Lima Barreto fut primé au festival de Cannes. Mais au réalisme du sujet (les aventures des bandits qui ravagèrent le Nordeste du pays jusqu’aux années 1930) le traitement formel opposait une vision conventionnelle des faits et des personnages – façon western nord-américain. Le cinéma brésilien avait du mal à regarder le pays en face : « La Vera Cruz défendait des positions rétrogrades telles que : la langue portugaise n’est pas cinématographique, le Brésilien n’est pas cinématographique, il n’est pas blond, il n’est pas dolichocéphale... D’ailleurs les Noirs, eux, n’avaient que des rôles d’esclave, de domestique, de subalterne », précise Nelson Pereira dos Santos qui, en découvrant le néoréalisme italien, y vit un langage plus approprié à son propos. Son premier long métrage, Rio 40°, se déroule dans les favelas : «Je tournais dans la rue, avec des comédiens amateurs. Ma caméra s’immiscait dans différentes couches sociales. C’était quelque chose de
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très proche du cinéma italien. » À sa sortie en 1955, le film provoqua un électrochoc. « Rio 40° nous a ouvert une porte. On s’est dit en voyant ce film : ’’ Ah ! on va pouvoir faire un cinéma noble au Brésil, comme on en rêve’’ », se rappelle Carlos Diegues. Le rêve n’était cependant pas d’échanger le modèle américain par le français ou l’italien, souligne encore Carlos Diegues : « Nous admirions beaucoup la Nouvelle Vague. Mais la Nouvelle Vague était l’addition de plusieurs valeurs et vertus individuelles. Alors que le cinéma novo était porté par un projet collectif. » UN CINÉMA DE SYNTHÈSE. De fait, le mouvement a indubitablement coulé son propre moule, ainsi défini par Glauber Rocha : «Nous voulions faire un cinéma qui intègre les leçons du cinéma révolutionnaire soviétique, du cinéma spectaculaire nord-américain et du cinéma intellectuel et capitaliste européen. C'était la synthèse des trois. » Une synthèse accommodée à l’aune du modernisme, qui avait secoué la culture brésilienne dans les années 1920 : « Notre propos était de prendre en compte le Brésil tel qu’il est, se souvient Nelson Pereira dos Santos. Ce qui dans le fond avait déjà été revendiqué par le mouvement moderniste, dont nous connaissions bien la littérature, avec Oswald de Andrade, Mario de Andrade...» Macunaima, l’œuvre majeure de ce dernier, fut d’ailleurs portée à l’écran en 1969 par Joaquim Pedro de Andrade, telle une magistrale apothéose du cinema novo. Mouvement littéraire et pictural, proche du surréalisme, le modernisme décrypta pour la première fois les contours de l’identité culturelle brésilienne, née de l’assimilation d’influences diverses, venues de partout. Ingurgitées, digérées, elles étaient régurgitées avec l’accent du pays du carnaval. Si l’ombre de Rossellini, de Renoir, d’Eisenstein, de Godard, de Buñuel plane sur le « savoirfaire » du cinéma novo, c’est dans l’essence moderniste
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que se trouve son « savoir-être ». Mais quelles que fussent les influences et les voies empruntées, tous les acteurs du mouvement avaient pour objectif de faire un cinéma d’auteur, engagé et militant. À l’intimisme parfois nombriliste de la Nouvelle Vague, le cinéma novo opposait un regard global sur la réalité brésilienne. D’où l’usage du particulier pour dénoncer le général et le recours récurrent à l’allégorie, à la métaphore – ces «similitudes abrégées, ces comparaisons en un mot» disait La Bruyère. Et parce que, déshérité et archaïque, le Nordeste est en soi une métaphore des maux du Brésil, il fut, avec des films tels que Vidas Secas, Os Fuzis ou Antonio das Mortes, un des décors privilégiés du cinéma novo. FOSSÉ DE GÉNERATIONS. Aujourd’hui, certains, comme Walter Salles, réalisateur de Linha de Passe, récompensé lors du dernier festival de Cannes, assument pleinement l’héritage du mouvement : « Le cinéma novo nous a fait comprendre qu’il est toujours possible de réinventer le cinéma, de faire du cinéma avec peu de moyens, de mélanger acteurs professionnels et amateurs. Et qu’il est important de faire un cinéma de contenu, qui s’interroge sur le monde. » D’autres, à l’instar de Fernando Meirelles, auteur de La Cité de Dieu, sont plus critiques : « Dans les films du cinéma novo, chaque personnage représente quelque chose, il est la métaphore d’un système. Et je finis par ne pas me sentir concerné par eux. Ils sont des représentations. Il est probable que le cinéma que je fais est plus conventionnel, il joue sur l’identification avec le personnage, mais c’est ce qui m’intéresse. » Par ces mots, Meirelles met en évidence le fossé qui s’est creusé entre la génération du cinéma novo et la sienne. Quarante années les séparent au cours desquelles tout a changé. À l’esprit progressiste qui a porté le cinéma novo, sous la présidence de Juscelino Kubitscheck (19561961), a succédé une dictature militaire, forçant le cinéma
Extraits de Barravento (1962) de G. Rocha (à l’extrême gauche), de Macunaima (1969) de J.P. de Andrade (au centre), de La Cité de Dieu (2000) de F. Meirelles (en haut à droite), de Bye Bye Brasil (1979) et de Cinco Vezes Favela (1962) de C. Diegues (en bas à droite).
brésilien à développer l’art de filmer entre les lignes, de critiquer par le petit bout de la lorgnette. Délaissant les grands espaces ruraux tant prisés par le cinema novo, les scénarios allèrent fouiller, sur le mode satirique, à la source du problème, dans les appartements de la moyenne bourgeoisie, à qui profitait la dictature. Une nouvelle génération de réalisateurs – Julio Bressane, Arnaldo Jabor, Hugo Carvana...– apprit à contourner la censure (féroce) en maniant l’humour grinçant. Paradoxalement, c’est bien après la dictature, à la fin des années 1980, que le cinéma brésilien a été menacé de mort. Dans le cadre de la restructuration de l’économie du pays, qui était en faillite, le président Collor décréta l’extinction d’Embrafilm, organisme d’État qui produisait, finançait et distribuait la plupart des films. Privés du jour au lendemain de subventions, scénaristes, réalisateurs et comédiens se
des citoyens. Pour cette génération du zapping, de l’urgence, de l’immédiateté, les temps ne sont plus aux utopies, aux métaphores. « La réalité au Brésil aujourd’hui est à tel point absurde et excessive que toute fiction semble pauvre en comparaison, dit Fernando Meirelles. Mon film La Cité de Dieu est inspiré d’un livre qui m’a fait découvrir comment fonctionnait une partie du Brésil. J’ignorais tout ça et j’ai été très impressionné. Du coup, j’ai tourné ce film comme on tourne un documentaire. Les garçons improvisaient devant nous et la caméra enregistrait ce qu’il se passait. En fait, on se contentait de trouver le meilleur angle possible. » Face à cette réalité sur laquelle il n’a pas de prise, le cinéaste, dépossédé de sa fonction de metteur en scène, devient metteur en images, illustrateur de son propre film. Ou réalise des documentaires, un genre en pleine expansion. Il y a
« LA RÉALITÉ AU BRÉSIL AUJOURD’HUI EST À TEL POINT EXCESSIVE QUE TOUTE FICTION SEMBLE PAUVRE EN COMPARAISON. » F.MEIRELLES sont rabattus sur la seule alternative qui s’offrait à eux : la télévision et ses célèbres « télénovelas ». ENFANTS DE LA TÉLÉVISION. Depuis 2001, ayant retrouvé sa vitalité, sa diversité et ses subventions, le cinéma brésilien voit émerger une génération de cinéastes rodés à surfer entre télévision et cinéma. Enfants de la pub, du clip et de la BD, leur langage cinématographique est radicalement différent de celui de leurs prédécesseurs. Mais pas le propos. Comme le cinéma novo, ils braquent leur caméra sur le Brésil et, à travers leur objectif, montrent la violence urbaine qui croît au même rythme effréné que les villes et conditionne de manière quasi-obsessionnelle le quotidien
aujourd’hui au Brésil une profusion de cinéastes de grande valeur dont les films passent régulièrement sur nos écrans. Il ne faudrait donc pas réduire le cinéma brésilien à Fernando Meirelles (La Cité de Dieu) et à José Padilha (Troupe d’élite), ni même à l’esthétique de la violence qui caractérise leurs films. Mais il est certain que c’est d’eux que vient le vent du renouveau, le souffle capable de révolutionner le cinéma brésilien comme le fit, en d’autres temps, le cinéma novo. _Dominique DREYFUS L’œuvre intégrale de Joaquim Pedro de Andrade est rassemblée dans un coffret 5 DVD édité par Carlotta. La Cité de Dieu (2002) de Fernando Meirelles, Avril brisé (2001) et Carnets de voyage (2003) de Walter Salles sont disponibles en VOD sur www.vod.mk2.com.
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© Vantoen PJR - Mandarin Cinema
Cinéma de cartes postales Le tournage du nouveau volet des aventures d’OSS 117 vient de s’achever à Rio de Janeiro. Parodie de l’exotisme de carte postale véhiculé par certaines productions, le film rappelle à quel point le Brésil, au cinéma, est synonyme d’ailleurs et d’inconnu.
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En cette année 1967, l’espion OSS 117 est envoyé en mission à Rio de Janeiro, à la recherche d’un ancien dignitaire nazi réfugié en Amérique du Sud après la guerre. Les péripéties de son enquête vont l’amener à traverser le Brésil, de Rio à Brasilia en passant par les chutes d’Iguaçu, accompagné d’une charmante espionne du Mossad, elle aussi à la recherche du nazi. L’homme a du charme, la jeune femme aussi, et, sur fond de bossa nova, ils vont alterner aventure et histoire d’amour. Le film cherche à avoir une ligne graphique très stylisée, et à jouer sur les clichés, qu’ils soient narratifs ou visuels. Le Brésil doit ressembler à l’idée que s’en font les Français, joyeux, ensoleillé, stylé, et tous les plans « carte postale du Brésil » sont non seulement les bienvenus, mais même précisément ce que nous recherchons. » Tel est le pitch de Rio ne répond plus de Michel Hazanavicius, avec Jean Dujardin, prévu dans les salles pour avril 2009. De la même manière que son prédécesseur, Le Caire nid d’espions, moquait l’orientalisme de la France coloniale d’après-guerre, ce nouveau volet de la saga OSS 117 se veut donc une parodie de l’imagerie exotique communément associée au Brésil. Une imagerie que le cinéma a largement contribué à forger. Rio fut le décor rêvé, tout en surface, de films d’espionnage fameux, comme L’Homme de Rio (1964), avec Jean-Paul Belmondo, ou Moonraker (1979), un James Bond période Roger Moore. Plus artificielle encore est la représentation que donnent les comédies musicales hollywoodiennes des années 1930 et 1940. Symbole de ce Brésil de carton-pâte, l’actrice et chanteuse Carmen
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Miranda, star nationale exilée en Californie, alla jusqu’à danser vêtue de bananes et d’ananas dans le kitschissime Banana Split de Busby Berkeley (1943). Les Nuls ont d’ailleurs rendu hommage à cette vision suave et naïve dans La Cité de la peur (1994), à travers La Carioca, chanson culte adaptée d’une comédie musicale avec Fred Astaire (Flying Down to Rio, 1933). De fait, l’utilisation de motifs brésiliens fonctionne d’autant mieux qu’elle allège et aère le récit, le tirant vers un ailleurs ludique aux allures d’inconnu. Wes Anderson ponctue La Vie aquatique (2004) de vignettes bossa, où le chanteur Seu Jorge reprend le répertoire de David Bowie en portugais. Jacques Rozier émaille ses films de personnages brésiliens : Nana Vasconcelos égaye par sa musique les héros des Naufragés de l’île de la Tortue (1974), tandis que dans MaineOcéan (1985), le regard amusé de Rosa-Maria Gomes colore d’une douce absurdité l’Ouest français, qu’elle traverse de manière rocambolesque. Quant à Bertrand Bonello, le Brésil prend dans son film Tiresia (2003) la forme d’un troisième sexe troublant, celui de transsexuels aux étranges pouvoirs. Un pouvoir de transformation qui donne tout son sel au chefd’œuvre futuriste de Terry Gilliam, Brazil (1983). Le titre lui serait venu lors de repérages au Pays de Galles : « Je suis allé sur la plage, une sorte de décharge publique, et j'ai vu un homme assis seul, avec un transistor, tombant par hasard sur le thème Brazil, confiait le réalisateur au magazine Cinéma. De toute sa vie, cet homme n'avait jamais écouté une musique pareille, entraînante, romantique, évocatrice d'évasion latine, suggérant qu'au-delà des tours d'aciers se trouve un monde luxuriant et paisible. »
_Au.To.
D’homme à hommes Architecte de formation, issu de la production télévisuelle, Paulo Morelli signe avec La Cité des hommes son troisième long-métrage, suite étonnante de La Cité de Dieu (2000). Entretien avec un réalisateur humaniste et militant, lucide quant à l’état de son pays.
L
a Cité des hommes prolonge La Cité de Dieu, réalisé par votre ami Fernando Meirelles. Qu’est-ce qui selon vous différencie les deux films? La Cité de Dieu retrace l’émergence des trafiquants de drogue à Rio. C’est un film social avec plusieurs personnages et plusieurs temporalités. D’une certaine manière, La Cité des hommes en est l’exact opposé. Il raconte le quotidien des personnes qui vivent dans les favelas, avec les trafiquants en toile de fond. C’est un film tiré par ses personnages principaux. On pourrait dire que La Cité de Dieu est centré sur les Dieux des collines, des personnes qui ont un pouvoir de vie et de mort sur le reste de la population ; tandis que La Cité des hommes adopte, lui, le point de vue des gens qui vivent sous la contrainte de ce pouvoir tyrannique.
« MONTRER LES ASPECTS SALES, LAIDS ET VIOLENTS DE MON PAYS EST UN ACTE POLITIQUE. »
Le thème de la responsabilité paternelle est primordial dans le film. Pensez-vous que le Brésil ait un problème avec cette notion de responsabilité ? 24 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_ÉTÉ 08
Oui, je le pense, sans savoir si cela fait partie de notre culture ou de notre nature. Il y a un très large spectre de conduites que l’on pourrait qualifier de brésiliennes : l’irresponsabilité, l’absence de pères, la corruption, l’aveuglement, la permissivité, la tolérance, le métissage, l’intégration, l’amitié, la créativité et la joie. Toutes ces influences agrégées définissent ce que nous sommes. Brésiliens. On peut lire ce chemin dans un sens positif, de l’irresponsabilité à la joie, ou dans un sens négatif, de la bonne humeur à la tolérance aux mensonges. Tous les Brésiliens mesurent la différence entre le bien et le mal, mais
beaucoup acceptent d’agir mal si cela leur apporte quelque bénéfice. Regardez nos politiciens : ils ont le pouvoir de changer les choses, mais ne le font pas. Ils sont responsables
devant le peuple, mais agissent avec irresponsabilité, depuis des générations. Cela dit, l’absence de pères dans les favelas est un problème bien plus complexe, et ne peut être attribué aux seuls politiciens. Avant d’être un film, La Cité des hommes fut une série télévisée, dont vous avez réalisé certains épisodes. Dans quelle mesure est-il différent de tourner pour la télévision et pour le cinéma ? Il y a deux grandes différences, l’une dramaturgique, l’autre esthétique. La dramaturgie diffère en ce qu’à la télévision, il n’est pas nécessaire de faire évoluer les personnages, tandis qu’au cinéma, cette transformation est souhaitable. D’un point de vue esthétique, le cinéma se prête davantage aux grands angles et aux plans larges que la télévision. Les deux acteurs principaux jouent leur rôle depuis plusieurs années maintenant, au cinéma comme à la télévision. Qu’ont-ils apporté à leur personnage ? Ils sont à peu près les mêmes que dans la vie. Ils ont prêté leurs expériences aux personnages, leur ont donné vie, utilisant leurs propres mots, leur propre argot, leurs propres attitudes. La totalité des dialogues a été improvisée. On leur a seulement décrit les scènes et le scénario, pour les guider. Le fait de les avoir filmés durant plusieurs années pour la série TV a été une bénédiction. On appelait ces archives notre «trésor», dans lequel nous avons évidemment puisé. Lorsque nous avons décidé de conclure la série par un long métrage, le thème de la paternité s’est imposé. Du coup, en 2004, nous avons orienté dans cette direction la troisième et dernière saison de la série, dont j’étais le producteur délégué, en prévision du film à venir. On fête cette année les 50 ans du « cinéma novo » et de la bossa nova, et les 40 ans du tropicalisme. Pensez-vous, comme l’écrivait Stefan Zweig, que le Brésil soit encore
« le pays du futur », dans le domaine culturel notamment ? Je pense que la bossa nova et le tropicalisme constituent peut-être les périodes les plus créatives de notre culture. En même temps, cette impulsion créative est inscrite dans nos gènes et les nouvelles générations d’artistes sont obligées d’y répondre. Le temps dira si nous avons fait du bon boulot. Les réalisateurs du cinéma novo tenaient à filmer le Brésil tel qu’il était, et non comme une carte postale exotique ou une télénovela divertissante. Pensez-vous que leur lutte est toujours d’actualité ? Je respecte le cinéma novo, et admire certains films de ce mouvement, mais j’avoue que ce n’est pas une de mes influences principales. Je n’ai pas décidé de réaliser un film réaliste à cause du cinéma novo, mais parce que je pensais que c’était la bonne façon de montrer mon pays. J’ai essayé de rendre mon film aussi réaliste que possible. Les histoires sont basées sur de vraies histoires que j’ai entendues dans les favelas. Les acteurs sont tous issus de ces quartiers. Les décors sont tous authentiques, c’est-à-dire situés dans de vraies favelas. Mon premier désir était de donner la parole aux habitants de ces quartiers. Le simple fait de filmer ces quartiers est-il, selon vous, un acte politique ? Je pense que chaque acte est un acte politique. Montrer les aspects sales, laids et violents de mon pays en est un. Hélas, je ne fais pas confiance à nos hommes politiques, je suis convaincu qu’ils ne veulent pas améliorer la situation des pauvres. Je ne suis pas sûr que le cinéma puisse changer grand chose à cela, mais peut-être, dans un futur lointain, une forme de conscience émergera-t-elle et le Brésil sera un pays meilleur et plus juste. _Propos recueillis par Au.To.
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Favelas choc La Cité des hommes de Paulo Morelli et Troupe d’élite de José Padilha s’ancrent dans la réalité brutale des favelas. Films taraudés par la question de la paternité et de la violence, ils dessinent la carte politique d’un pays tout en contrastes.
E
n 2002, Fernando Meirelles provoque une véritable déflagration avec La Cité de Dieu, devenu dans l’intervalle une série télévisée à succès. Situé dans une favela ultra-violente de Rio de Janeiro, le long métrage suivait la trajectoire chaotique d’adolescents, dont certains parvenaient à s’extirper de leur environnement violent quand d’autres sombraient dans le crime, sans retour possible. Sur fond de guerre des gangs, le film s’achevait sur une séquence glaçante où la jeune génération prenait le pouvoir à sa manière sanglante et inconséquente. Avec La Cité des hommes, Paulo Morelli donne une suite enthousiasmante au film de Meirelles. Les héros, qui ont grandi sans père, s’apprêtent à le devenir à leur tour tandis que dans la favela deux bandes rivales se déchirent pour le pouvoir. Dans La Cité de Dieu, les protagonistes perpétuaient un cycle de violence quand dans La Cité des hommes, la filiation forme l’enjeu essentiel. Même transmission négative dans le dérangeant Troupe d’élite, Our d’or à Berlin et véritable électrochoc au Brésil (11 millions de spectateurs). Un policier du bataillon des opérations spéciales de police (BOPE), chargé de nettoyer les favelas de ses trafiquants, est sur le point de devenir père. Sous pression, il doit trouver rapidement un remplaçant pour reprendre le flambeau. La transmission fonctionne ici à un double niveau, intime et politique. Second volet d’une trilogie sur la violence, Troupe d’élite se caractérise par le même réalisme stylisé que La Cité des hommes. Couleurs saturées, caméra à l’épaule, atmosphère nocturne accompagnent deux films mus par un sentiment d’urgence et à l’ancrage documentaire marqué. Témoin, la longue et saisissante séquence d’entraînement des nouvelles recrues, au centre de Troupe d’élite. Le naturalisme (la plupart des dialogues sont improvisés chez Morelli et Padilha) le dispute à la sophistication. Au cœur des représentations, la favela est un incroyable décor de cinéma. Dédale fermé sur lui-même, il exacerbe les conflits et les passions, entraînant les fictions du côté de la tragédie moderne, où des pères défaillants se débattent avec leur devoir. Faut-il les blâmer ? Rejeter la responsabilité sur les politiques ? Ou conclure comme Sartre « qu’il n’y a pas de bons pères, c’est la règle. Qu’on n’en tienne pas rigueur aux hommes, mais au lien de paternité qui est pourri » (Les Mots). _S.M.
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Troupe d’élite Un film de José PADILHA Avec Wagner Moura, Caio Junqueira… Distribution : TFM // Brésil-Argentine, 2007, 1h55 Sortie le 3 septembre Retrouvez l’interview filmée de José Padilha sur www.mk2.com/troiscouleurs
La Cité des hommes Un film de Paulo MORELLI Avec Douglas Silva, Darlan Cunha… Distribution : MK2 // Brésil, 2007, 1h48, Sortie le 23 juillet
PLEIN ÉCRAN Be Happy_Mike LEIGH
EN 3 FILMS
MIKE LEIGH Naked (1993). Secrets et mensonges (Palme d’or 1996). Vera Drake (2004).
La poursuite du b Ours d’argent à Berlin, voici, Be Happy, comédie légère, surprenante et sans sarcasme sur une quête escarpée : celle du bonheur. Actrice montée sur ressorts, Sally Hawkins plane sur le film, en missionnaire badine et espiègle.
L
a poursuite candide du bonheur n’a pas bonne presse par les temps qui courent. C’est pourtant l’enjeu du nouveau film de Mike Leigh, Be Happy. Pari risqué pour une comédie popu déroutante, qui prend à contre-pied le recours attendu au cynisme et à l’ironie – autant d’obstacles à la réussite de ce film casse-gueule. Récit initiatique tirant vers la fable, Be Happy accompagne le cheminement de son héroïne, Poppy, institutrice londonienne fantasque, tête à claques et optimiste impénitente. Les frasques de cette trentenaire épanouie se heurtent à la misère urbaine et la détresse morale d’un moniteur de conduite grognon et psychorigide (Eddie Marsan). Actrice de théâtre et de télévision en pleine ascension, Sally Hawkins, en Anglaise frénétique, est de chaque scène. Son personnage porte à bout de bras le discours humaniste du scénario, qui se double d’un questionnement subtil sur l’éternel problème du bonheur – sa transmission, sa contagion, sa finalité. La primesautière Poppy vient ainsi rejoindre la galerie de personnages du cinéaste de Manchester. Ancien de la BBC, rompu à l’art de la satire sociale irrévérencieuse, Mike Leigh poursuit ici en filigrane une réflexion amorcée dans ses chroniques des cités britanniques (All or Nothing, 2002) et ses drames des classes moyennes (Secrets et mensonges, 1996). On retrouve dans Be Happy le dialoguiste working-class de ses débuts (Life is Sweet, 1991) et le goût du loufoque de Topsy Turvy (1999), son opéra baroque endiablé. Très bien accueilli en GrandeBretagne, reste à voir si la fibre british du film fera mouche de ce coté-ci de la Manche. _Clémentine GALLOT
Un film de Mike LEIGH Avec Sally Hawkins, Alexis Zegerman, Andrea Riseborough… Distribution : MK2 // Royaume-Uni, 2008, 1h58
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SORTIE LE 27 AOÛT
EN 3 DATES
MIKE LEIGH 1960 : Études de théâtre et de cinéma à Londres. 1971 : Premier film, Bleak Moments, Léopard d'or à Locarno. 1976 : Il monte Nuts in May pour la BBC, l’une de ses 9 pièces pour la télévision réalisées dans les années 1970.
onheur
3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM 1 2 3
Pour le retour à la comédie de Mike Leigh, auteur du truculent Topsy Turvy (1999). Pour l’interprétation pétillante de Sally Hawkins, nouvelle venue du cinéma british et Ours d’argent à Berlin. Pour l’improbable tandem formé par l’héroïne débridée et son prof de conduite, mystique frustré.
3 QUESTIONS À MIKE LEIGH La quête du bonheur, thème que vous avez déjà abordé dans d’autres films, est ici centrale (jusque dans le titre original, Happy-Go-Lucky). Pourquoi ? L’impulsion à l’origine de Be Happy était de faire un film résolument anti-misérabiliste. Pourquoi vous a-t-il paru nécessaire de faire ce film aujourd’hui ? Le monde est en très mauvais état. Nous détruisons la planète et nous nous détruisons les uns les autres. Il y a beaucoup de raisons d’être déprimé. Il est facile de simplement ne rien faire tout en étant pessimiste et cynique. Pendant ce temps, il y a des gens positifs, qui continuent à vivre leur vie. Parmi ces gens-là, on trouve des enseignants qui consacrent leur vie à prendre soin de l’avenir – c’està-dire de nos enfants. On ne peut pas enseigner en étant pessimiste quant à notre futur. Le personnage de Poppy fait partie de ces instituteurs. Parlez-nous de l’héroïne du film, jouée par Sally Hawkins. Au rang des trentenaires britanniques, on pense naturellement à Bridget Jones. Pourtant Poppy est différente, plus subtile. En quoi s’en éloigne t-elle ? Elle est vive, responsable, intelligente, attentionnée et positive. Elle a le sens de l’humour et possède une touche salutaire d’anarchie. On l’a en effet comparée au personnage de Bridget Jones, mais je ne vois pas bien la ressemblance. En vérité, Poppy est bien plus intéressante et complexe… Elle est réelle. _Propos recueillis par C.G.
Retrouvez l’interview filmée de Mike Leigh sur www.mk2.com/troiscouleurs
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PLEIN ÉCRAN Le Silence de Lorna_Jean-Pierre et Luc DARDENNE
EN 3 DATES
LES FRÈRES DARDENNE 1975 : Ils fondent la maison de production Dérives, derrière une soixantaine de documentaires dont les leurs. 1999 : Rosetta obtient la Palme d’or à Cannes. 2005 : Les cinéastes réitèrent l’exploit avec L’Enfant.
Le secret magnif Après deux Palmes d’or, les frères Dardenne ont obtenu le prix du scénario cette année à Cannes pour Le Silence de Lorna. Poignant, travaillé par la violence de l’époque, leur dernier film met en scène Lorna, une émigrée de l’Est en quête de rédemption.
A
près Ken Loach, qui inventait une héroïne ambivalente dans It’s a Free World, c’est au tour des frères Dardenne d’explorer les contradictions de Lorna (lumineuse Arta Dobroshi), une Albanaise décidée à profiter du miracle économique. Pour obtenir la nationalité belge, elle côtoie les hommes du milieu qui lui arrangent des unions factices, moyennant une forte rétribution. Mariée à un toxicomane, Claudy (Jérémie Renier, exceptionnel), la jeune femme refuse de l’aider dans sa tentative de sevrage, avant de se laisser gagner par la compassion. Mais devenu gênant pour les mafieux, Claudy succombe à une overdose suspecte. Lorna choisit de garder le silence, tandis que dans son ventre grandit le fruit mystérieux de son étreinte avec le défunt. Puissante, la mise en scène des Dardenne opère d’imperceptibles révolutions. Réputés pour leur caméra mobile, talonnant au plus près les personnages, les cinéastes posent ici leurs plans et laissent à leurs protagonistes du champ pour les regarder évoluer. Ils nous avaient habitués à un cinéma où le geste prime, le voici organique. Les corps en souffrance sont au centre de ce film nocturne, qu’ils soient en proie aux crises de manque ou l’objet de tractations mercantiles. Les films des Dardenne ne recouraient à aucune musique additionnelle. Quelques notes de piano viennent déstabiliser ce postulat naturaliste dans un dernier plan bouleversant. La musique accompagne Lorna, l’enveloppe de sa douceur. Une rondeur, une générosité qu’adressent les cinéastes à leur nouvelle égérie, transformée par la grâce de la maternité. Lorna a choisi de se taire. Son silence est d’or. _Sandrine MARQUES Un film de Jean-Pierre et Luc DARDENNE Avec Arta Dobroshi, Jérémie Renier, Fabrizio Rongione… Distribution : Diaphana Films // France-Belgique, 2007, 1h45
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SORTIE LE 27 AOÛT
EN 3 RÉVÉLATIONS
LES FRÈRES DARDENNE Jérémie Renier dans La Promesse (1996). Il a 14 ans à l’époque et ne cesse de tourner depuis. Émilie Dequenne dans Rosetta (1999). Elle obtient le prix d’interprétation féminine à Cannes. Deborah François dans L’Enfant (2005). Depuis, elle enchaîne les rôles (La Tourneuse de pages, Les Femmes de l’ombre).
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3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM 1
Pour les Dardenne qui revisitent par touches le film noir, à leur manière intimiste.
2
Pour l’impressionnante Arta Dobroshi, nouveau talent issu de la scène théâtrale de l’Est.
3
Pour le mystère qui accompagne la trajectoire en forme de rédemption de Lorna.
3 QUESTIONS AUX FRÈRES DARDENNE Comment est né le personnage de Lorna ? L.D. : Lorna est née d’une discussion avec une assistante sociale de Bruxelles. Son frère, qui prenait des drogues dures, a reçu la même proposition que Jérémie Renier dans le film d’épouser une prostituée albanaise. Elle l’a mis en garde, suite à la mort par overdose de deux jeunes types mariés ainsi. Il l’a écoutée. Trois ans plus tard, nous avons repris cette histoire qui nous intéressait. Nous voulions filmer une femme face à un choix : accepter ou refuser la mort de quelqu’un. Pour avoir sa place au soleil, Lorna devrait normalement fouler aux pieds le cadavre de Claudy. Votre propos était-il politique ? J.-P. D. : À partir du moment où l’on choisit un personnage comme Lorna, qu’on le veuille ou non, on porte un regard sur la manière dont fonctionne la société, même si ce n’était pas notre ambition première. De la même manière, les films noirs ou le roman policier sont des regards sur la société. Notre film en est un également. L.D. : Quand on est une émigrée comme Lorna, on est une proie pour la mafia, du fait d’une situation précaire qui impose d’avoir des papiers, une nationalité. Avec les lois actuelles sur l’immigration en Europe, ce genre de criminalité se développe alors qu’on devrait accueillir avec davantage de fraternité ces personnes. Pourquoi avoir eu recours à la musique dans la séquence finale ? L.D. : La musique de fin court sur tout le générique parce qu’on ne voulait pas abandonner le spectateur comme cela, dans le silence. Et en même temps, je crois que nous ne voulions pas non plus abandonner Lorna. La musique plonge le spectateur et Lorna dans une certaine douceur, une solitude, un rêve. On avait envie que le spectateur reste avec elle quand le générique défile. La musique permettait de garder ce lien.
_Propos recueillis par S.M.
Retrouvez l’interview filmée des frères Dardenne sur www.mk2.com/troiscouleurs
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PLEIN ÉCRAN Lake Tahoe_Fernando EIMBCKE EN 3 FILMS DE CHEVET
FERNANDO EIMBCKE Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu (1953). Pickpocket de Robert Bresson (1959). Stranger than Paradise de Jim Jarmusch (1984).
Lac majeur Un jeune garçon cherche quelqu’un pour l’aider à redémarrer sa voiture encastrée dans un poteau… De rencontres en rencontres, Juan se réveille à la douleur qu’il tentait d’occulter. Le fond est grave, la chronique légère : un grand cinéaste est né.
C
‘est une ville portuaire mexicaine quasi déserte où passe, de temps à autre, une ombre. Le bleu du ciel, la blancheur de craie des maisons : voilà pour le décor. Juan, un grand adolescent nonchalant, a embouti sa voiture et cherche un garagiste. Tour à tour, sa quête le mène à rencontrer un vieil homme bougon et son chien, une très jeune maman aspirante rockeuse, un mécanicien fan de kung-fu… Les situations virent au tragi-comique, et le silence qui s’étire entre les êtres fait basculer les scènes vers un constat doux-amer à l’humour délicat. Retournant régulièrement dans la maison familiale où son petit frère joue tout seul dans la cour tandis que sa mère pleure dans la salle de bain, Juan fuit une réalité qui se devine assez vite dans le récit. Mais cette révélation ne fait que renforcer la singularité de ce portrait en creux d’un grand adolescent, beaucoup plus dense et complexe que ceux que le cinéma international, de nos jours, fabrique à la douzaine. Solitude, communication difficile, oui, mais encore ? Ce qui est beau dans Lake Tahoe, c’est que s’opère sous nos yeux la mutation d’un tout jeune homme en adulte. Sur le visage de Juan, apparemment impassible, passe peu à peu l’orage des sentiments : peur, amitié puis désir font craqueler son masque et le révèlent au monde. Comme dans son premier film, Temporada de Patos (2004), plus joyeux mais pas moins profond, Eimbcke avance par petites touches, choisit la demi-teinte, joue des ruptures de ton. Le burlesque n’est pas si loin, parfois l’absence d’image n’empêche pas le son d’exprimer le sel d’une situation et les cadres du chef opérateur Alexis Zabé (Lumière silencieuse de Carlos Reygadas) sont autant de tableaux magnifiquement composés, où le vide tient une place folle. _Isabelle DANEL Un film de Fernando EIMBCKE Avec Diego Cataño, Hector Herrera, Daniela Valentine, Juan Carlos Lara… Distribution : Ad Vitam // Mexique, 2008, 1h32 // Sortie le 16 juillet Retrouvez l’interview de Fernando Eimbcke sur www.mk2.com/troiscouleurs
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3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM 1
Pour la rencontre de Juan avec de doux déjantés.
2
Pour la rencontre du jeune Diego Cataño avec son rôle.
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Pour la rencontre avec un nouveau cinéma mexicain plein de vitalité.
LE GUIDE
DES SALLES
DU MERCREDI 16 JUILLET AU MARDI 9 SEPTEMBRE
SOMMAIRE
Intrusions - Un film d’Emmanuel Bourdieu
SORTIES DU 16 JUILLET 38_Voyage au centre de la terre d’Eric Brevig // Soit je meurs, soit je vais mieux de Laurence Ferreira Barbosa SORTIES DU 23 JUILLET 38_L’Incroyable Hulk de Louis Leterrier // Souvenir d’Im Kwon-taek 39_Night and Day d’Hong Sang-soo SORTIES DU 30 JUILLET 39_X-Files - Régénération de Chris Carter // Fleur secrète de Masaru Konuma // Wall-e d’Andrew Stanton 40_Un Millier d’années de Wayne Wang // La Princesse du Nebraska de Wayne Wang SORTIES DU 6 AOÛT 40_Dorothy d’Agnès Merlet // Les Trois P’tits Cochons de Patrick Huard SORTIES DU 13 AOÛT 42_The Dark Knight, Le Chevalier noir de Christopher Nolan // Gomorra de Matteo Garrone // Une Chanson dans la tête d’Hany Tamba // Versailles de Pierre Schoeller SORTIES DU 20 AOÛT 44_Babylon A.D. de Mathieu Kassovitz // Back Soon de Solveig Anspach // La Fille de Monaco d’Anne Fontaine // Woman on the Beach d’Hong Sang-soo 46_Shaolin Basket de Chou Yen-ping SORTIES DU 3 SEPTEMBRE 46_Christophe Colomb, l’énigme de Manoel de Oliveira // Inju, la bête dans l’ombre de Barbet Schroeder // Intrusions d’Emmanuel Bourdieu LES ÉVÉNEMENTS MK2_48 > 49 35 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_ÉTÉ 08
LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES
VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE
SOIT JE MEURS, SOIT JE VAIS MIEUX
Un film d’Eric BREVIG Avec Brendan Fraser, Josh Hutcherson, Anita Briem… Distribution : Metropolitan FilmExport // États-Unis, 2006, 1h30 // Sortie le 16 juillet
Un film de Laurence FERREIRA BARBOSA Avec Florence Thomassin, François Civil, Émile Berling… Distribution : Bac Films // France, 2008, 1h53 // Sortie le 16 juillet
Reliefs 3D, piranhas mangeurs d’hommes et trekking immersif, 6 km sous terre, sont au programme de ce voyage au centre de l’écran. Lorsqu’il découvre une version annotée par son défunt frère du classique de Jules Verne, Voyage au centre de la terre, le sismologue Trevor Anderson (Brendan Fraser, La Momie) entreprend un incroyable périple sousterrain. Habilement tourné en 3D par Eric Brevig, le film met en relief l’emprise fascinatoire des créatures et paysages verniens sur l’imagination des petits et des plus grands, chaussés de lunettes polarisant l’intemporalité de ce conte mégalithique.
Un adolescent solitaire, tenté par la séduction maléfique de deux sœurs jumelles, brave un certain nombre d’interdits pour trouver sa place en ce monde. Cinéaste singulière, Laurence Ferreira Barbosa n’a pas son pareil pour dresser des tableaux cliniques et cracher des portraits furieusement humains : elle l’a prouvé avec Les Gens normaux n’ont rien d’exceptionnel et J’ai horreur de l’amour. Ici, elle se perd dans plusieurs sujets (l’adolescence, l’existence du Mal), hésite entre plusieurs genres (la chronique, le fantastique), diluant du coup quelque peu son propos. C’est d’autant plus dommage que certaines pistes amorcées sont passionnantes.
_E.R.
_Isabelle DANEL
L’INCROYABLE HULK
SOUVENIR
Un film de Louis LETERRIER Avec Edward Norton, Liv Tyler, Tim Roth… Distribution : SND // États-Unis, 2008, 1h52 // Sortie le 23 juillet
Un film d’Im KWON-TAEK Avec Oh Jung-hae, Jo Jae-hyun… Distribution : Mars // Corée du Sud, 2007, 1h46 // Sortie le 23 juillet
Nouvelle tentative de Marvel pour franchiser le géant vert après l’adaptation d’Ang Lee, ce Hulk-là semble armé d’atours plus grand public. Un médecin victime de radiations se transforme en une créature incontrôlable aux forces surhumaines, devenant ainsi une arme potentielle pour l’armée. C’est donc la lutte intérieure d’un homme en prise avec ses démons qui se joue. L’abondance d’images de synthèse, doublées de scènes de destruction massive en plein New York, placent ce film d’action fantastique dans la lignée d’autres blockbusters apocalyptiques (les sagas Spiderman ou X-Men).
Centième film d’Im Kwon-taek, Souvenir consacre en beauté une œuvre tout entière inspirée par les arts. Le réalisateur coréen, qui a abordé tous les genres cinématographiques (du mélodrame au film de guerre), s’est fait connaître du public occidental grâce à son film La Chanteuse de Pansori (1993). Il renoue avec son plus beau succès en tournant de nouveau avec son interprète de l’époque, Oh Jung-hae, employée dans le même rôle mais sur une trame narrative différente. Elevés comme frère et sœur par un sévère professeur de chant et de tambour, Song-hwa et Dong-ho s’aiment secrètement. Les années passent, avec leur lot de déchirures. Un mélodrame à la beauté plastique envoûtante.
_Sophie de LA SERRE NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.
_S.M.
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NIGHT AND DAY
X-FILES - RÉGÉNÉRATION
Un film d’Hong SANG-SOO Avec Kim Young-ho, Hwang Soo-jeong… Distribution : Sophie Dulac // Corée du Sud, 2008, 2h25 // Sortie le 23 juillet
Un film de Chris CARTER Avec David Duchovny, Gillian Anderson… Distribution : Twentieth Century Fox France // États-Unis, 2008 // Sortie le 30 juillet
Un jeune peintre coréen part s’exiler à Paris, laissant sur place épouse et démêlés judiciaires… Au gré de ses vagabondages, il fait la connaissance de plusieurs femmes séduisantes. Hong Sang-soo rend ici hommage à la France, pays qui l’a le plus influencé (Rohmer, Bresson, Courbet…), brossant de sa capitale un portrait attachant et loin de toute imagerie carte postale. À l’instar d’Hou Hsiao-hsien avec Le Voyage du ballon rouge, il ne change rien à son système esthétique (romances et dialogues alcoolisés, longs plans fixes agrémentés de zooms et de panoramiques) et révèle avec subtilité les failles existentielles d’un homme partagé entre deux femmes et deux pays.
Dix ans après X-Files, le film, adaptation en long métrage de la série culte éponyme, ce second volet met le doigt sur de nouveaux phénomènes paranormaux, dans une atmosphère de thriller fantastico-policier. Pour l’occasion, Chris Carter, auteur de la série originelle, réunit le couple mythique de chercheurs Fox Mulder et Dana Scully pour d’épineuses enquêtes surnaturelles, à grand renfort de péripéties et de rencontres avec « l’inquiétante étrangeté ». Mais contrairement à Freud, nous n’expliquerons rien ; le mystère, premier propos du film, se doit de rester entier.
_Jacky GOLDBERG
_S. de L.S. NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.
FLEUR SECRÈTE
WALL-E
Un film de Masaru KONUMA Avec Naomi Tani, Natagoshi Sakamoto, Yasuhiko Ishizu… Distribution : Zootrope Films // Japon, 1974, 1h14 // Sortie le 30 juillet
Un film d’Andrew STANTON Avec Ben Burtt, Fred Willard… Distribution : Walt Disney Studios // États-Unis, 2008, 1h37 // Sortie le 30 juillet
Dans la veine des pinku eiga (« cinéma rose » en japonais), ce film érotique réussit le pari d’être à la fois drôle et obscène en abordant la thématique de la souillure. Un riche PDG demande à l’un de ses employés, un impotent flanqué d’une mère castratrice, de «dresser» sa femme qui se refuse à lui. D’où une multiplication de scènes de bondages – shibari, véritable art au Japon – visant à pulvériser l’étiquette d’une femme de haut-rang par la transgression sadomasochiste. Léger et pervers, à la croisée de Sade et de La Bête aveugle de Masumura, marqué par une débauche finale en forme d’apothéose, ce classique est un pur délire de kitsch érotique à la nippone. Jubilatoire.
Dans un monde futuriste aux allures de contre-utopie, Wall-E se présente comme un conte sur la solitude et la poursuite de l’amour. Un petit robot nettoyeur resté seul sur une terre polluée par les détritus partage sa vie monotone avec un cafard en rêvant du grand amour. Drôle et attachante, cette comédie en images de synthèse regorge de trouvailles. Elle interroge la place des machines et la déshumanisation qu’elles induisent, l’humanité obèse étant réduite à une vie peuplée d’écrans sur fauteuils volants. Mais la légèreté prime, et le happy end final semble inéluctable. _S. de L.S.
_S. de L.S.
39 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_ÉTÉ 08
LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES
UN MILLIER D’ANNÉES
LA PRINCESSE DU NEBRASKA
Un film de Wayne WANG Avec Henry O, Faye Yu, Vida Ghahremani, Pasha Lychinikoff… Distribution : Diaphana // États-Unis 2007, 1h25 // Sortie le 30 juillet
Un film de Wayne WANG Avec Ling Li, Pamelyn Chee, Brian Danforth, Patrice Lukulu Binaisa… Distribution : Diaphana // États-Unis, 2007, 1h20 // Sortie le 30 juillet
Venu de Chine aux États-Unis pour rendre visite à sa fille, Monsieur Shi constate que le gouffre qui les séparait déjà il y a douze ans s’est irrémédiablement creusé… D’une banale histoire de retrouvailles familiales, adaptée d’une nouvelle, Wayne Wang tire un film touffu déguisé en épure, une réflexion douce-amère sur la différence de langage, de culture, d’âge et d’aspiration. De mots en regards, d’incompréhensions en silences, ces deux vies parallèles bruissent d’inconsolables déceptions. Cadres au cordeau et acteurs prodigieux font de cette chronique de l’incommunicabilité aussi singulière qu’universelle un grand moment de cinéma.
Ce film est la deuxième moitié du diptyque de Wayne Wang commencé avec Un Millier d’années. Contrairement à son précédent diptyque (Brooklyn Boogie / Smoke, coréalisé avec Paul Auster), celui-ci réunit un casting distinct d’un film à l’autre mais répond à la même démarche que son « grand frère » : observer une Chinoise d’aujourd’hui émigrée aux États-Unis. Découvrant qu’elle est enceinte, une jeune étudiante hésite sur la décision à prendre et se rend à San Francisco. Voyage intérieur rendu par une image chahutée, solitude se traduisant par une communication permanente via le téléphone portable : la forme, peut-être un peu classique, ne convainc qu’à moitié.
_I.D.
_I.D.
DOROTHY
LES TROIS P’TITS COCHONS
Un film d’Agnès MERLET Avec Jenn Murray, Carice Van Houten, Gary Lewis, David Wilmot… Distribution : Mars // France, 2008, 1h42 // Sortie le 6 août
Un film de Patrick HUARD Avec Claude Legault, Guillaume Lemay-Thivierge, Paul Doucetl… Distribution : TFM Distribution // Québec, 2007, 1h34 // Sortie le 6 août
Quand elle eut traversé la mer, les fantômes vinrent à sa rencontre... On pourrait plagier le célèbre intertitre du Nosferatu de Murnau pour qualifier l’aventure de Jane, psychiatre reconnue, qui se rend dans une île au large de l’Irlande pour examiner une adolescente accusée d’avoir molesté un bébé. Intrigante dans un premier temps, l’exposition de ce cas clinique de personnalités multiples rejoint trop souvent l’obscurantisme et le folklore. Reste une distribution remarquable et la découverte éblouissante d’une adolescente, nouvelle venue, dont l’interprétation habitée de la jeune Dorothy Mills nous hantera longtemps. Elle s’appelle Jenn Murray.
« L’histoire commence là, avec l’accident de maman. Ça a été le déclenchement d’un paquet d’affaires qui ont bousculé nos vies. » Tour à tour, chacun des trois frères, accourus à l’hôpital, prend la parole pour raconter sa vie amoureuse et son rapport à l’infidélité. Ce premier long métrage de l’acteur, auteur et humoriste Patrick Huard, peu connu chez nous, est l’un des plus gros succès du cinéma québécois. Passé le plaisir d’« entendre » – avec l’aide indispensable des sous-titres ! – la langue fleurie et les expressions imagées, ce catalogue honnête des travers masculins en matière de séduction et de mensonge finit par être plus triste que drôle.
_I.D.
_I.D.
40 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_ÉTÉ 08
LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES
THE DARK KNIGHT
GOMORRA
Un film de Christopher NOLAN Avec Christian Bale, Heath Ledger, Michael Caine, Morgan Freeman… Distribution : Warner Bros. France // États-Unis, 2008 // Sortie le 13 août
Un film de Matteo GARRONE Avec Toni Servillo, Gianfelice Imparato, Maria Nazionale… Distribution : Le Pacte // Italie, 2007, 2h15 // Sortie le 13 août
Fort du succès critique et public de Batman Begins, qui revenait sur les traumatismes originels du justicier, le réalisateur de Memento réitère quatre ans après avec The Dark Knight. Plus fidèle au comic et moins baroque que les adaptations de Tim Burton, cette superproduction devrait respecter les conventions du genre, effets spéciaux et courses-poursuites à l’appui. Inscrit dans la continuité du précédent opus, le film s’est doté du même casting brillant, Katie Holmes en moins, supplantée par Maggie Gyllenhaal. Cette séquelle axe sa narration sur la lutte sans merci entre le super-héros et son ennemi juré, le sempiternel et sardonique Joker – interprété par le regretté Heath Ledger. Grand spectacle en perspective. _S. de L.S.
« On ne partage pas un empire d'une poignée de main, on le découpe au couteau. » L’empire en question est celui, tentaculaire, de la mafia napolitaine, aux ramifications inextricables. Régnant en sous-marin sur des secteurs d’activité aussi variés que le traitement des ordures, le textile ou la banque, l’organisation entraîne dans ses rouages des hommes gagnés à la criminalité. Ce sont ces destins individuels que croise Matteo Garrone, à sa manière distanciée. Loin du cliché flamboyant du mafieux, le réalisateur évacue le spectaculaire au profit d’une violence crue et ordinaire. D’après le best-seller de Roberto Saviano. _S.M.
NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.
UNE CHANSON DANS LA TÊTE
VERSAILLES
Un film d’Hany TAMBA Avec Patrick Chesnais, Pierrette Katrib, Gabriel Yammine… Distribution : Haut et Court // France, 2007, 1h38 // Sortie le 13 août
Un film de Pierre SCHOELLER Avec Guillaume Depardieu, Judith Chemla, Max Baissette de Malglaive… Distribution : Les Films du Losange // France, 2007, 1h53 // Sortie le 13 août
Bruno Caprice, un chanteur des années 1970 aujourd’hui oublié (Patrick Chesnais), va donner un concert au Liban, où son unique tube (Quand tu t’en vas) résonne encore dans le cœur des femmes – de deux d’entre elles en particulier. Avec cette comédie estivale, Hany Tamba, dont c’est le premier film, rend hommage à la chanson de variété, à ses refrains démodés qu’on fredonne pour se projeter dans un passé heureux. Derrière la légèreté et l’humour (pas toujours léger, malheureusement), il s’agit aussi de faire le point sur le Liban d’aujourd’hui, pris dans ses contradictions (les piscines de luxe y côtoient les décombres) et meurtri par une guerre absurde. Show must go on…
Seule et sans emploi, Nina élève comme elle peut son fils de 5 ans, Enzo. Tous deux se retrouvent dans une forêt près du château de Versailles, où une communauté de SDF a élu domicile. Elle confie Enzo à l’un d’eux, Damien, et s’enfuit. Pierre Schoeller réalise un film âpre, à l’écorce mélodramatique et à la sève humaniste, où ombre et lumière alternent sans jamais rien céder à la facilité sociologique. Excellent directeur d’acteurs, il révèle Judith Chemla (Nina) et Max Baissette de Malglaive (le petit Enzo), et confirme Guillaume Depardieu (Damien) comme l’un des meilleurs acteurs de sa génération. Un constat implacable sur la France contemporaine.
_Ja.Go.
42 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_ÉTÉ 08
_Ja.Go.
LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES
BABYLON A.D.
BACK SOON
Un film de Mathieu KASSOVITZ Avec Vin Diesel, Mélanie Thierry, Michelle Yeoh… Distribution : Studio Canal // France, 2006, 1h41 // Sortie le 20 août
Un film de Solveig ANSPACH Avec Didda Jonsdottir, Julien Cottereau, Joy Doyle, Ingvar E. Sigurdsson… Distribution : Bac Films // France, 2008, 1h32 // Sortie le 20 août
Six ans que Mathieu Kassovitz prépare son adaptation du roman Babylon Babies de Maurice G. Dantec. Dans cette superproduction d’anticipation, un mercenaire revenu de tout (Vin Diesel, au charme viril un peu émoussé), est chargé de convoyer une jeune fille aux mystérieux pouvoirs (Mélanie Thierry), de la Russie mafieuse à un New York vicié par des techno-sectes. Elliptique, le récit privilégie les scènes d’action et l’imagerie SF, rappelant, sur un sujet proche, le récent Fils de l’homme d’Alfonso Cuaron. À noter les premières minutes très réussies de plongée dans un futur chaotique.
Partie pour quelques minutes, Anna se retrouve embringuée dans un périple d’une journée, jonché de rencontres plus ou moins étranges. Après son premier long métrage, Haut les cœurs !, Solveig Anspach, par ailleurs documentariste, a initié avec Stormy Weather et ce film-ci un cycle de cinéma itinérant où son pays d’origine, l’Islande, tient une place prépondérante. Nous sommes à Reykjavik. Alentours, la beauté des paysages est à couper le souffle. L’épopée d’Anna, gentille dealeuse de shit, qui souhaite vendre son négoce afin de démarrer une nouvelle vie avec ses enfants, est charmante et absurde, un peu désincarnée aussi.
_Ja.Go.
_I.D.
LA FILLE DE MONACO
WOMAN ON THE BEACH
Un film d’Anne FONTAINE Avec Fabrice Luchini, Roschdy Zem, Louise Bourgoin… Distribution : Warner Bros. France // France, 2007, 1h35 // Sortie le 20 août
Un film d’Hong SANG-SOO Avec Ko Hyeon-jeong, Song Seon-mi, Kim Seung-woo… Distribution : Sophie Dulac // Corée du Sud, 2007, 2h07 // Sortie le 20 août
Sous couvert d’une comédie légère aux allures vaudevillesques, le thème rebattu du triangle amoureux sous-tend des enjeux plus dramatiques. Chargé de défendre à Monaco une meurtrière septuagénaire, un brillant avocat d’assises se voit accompagné d’un garde du corps zélé et pragmatique. Quand le premier digresse à foison avec les femmes, le second agit. Cette dichotomie est à l’origine de des situations cocasses, jusqu’à l’apparition de l’élément perturbateur, une miss météo délurée et arriviste. Film sur les fauxsemblants, La Fille de Monaco se plaît à renverser les rôles. Une réalisation sobre, soutenue par des acteurs convaincants.
Un réalisateur coréen parti chercher l’inspiration dans une station balnéaire tombe amoureux, à quelques jours d’écart, de deux femmes se ressemblant étrangement. Hong Sangsoo creuse ses habituels motifs – romance et alcool, aléas et valse-hésitation – mais les pousse ici à un point de perfection qui fait de Woman on the Beach un de ses plus beaux films, avec la répétition comme sujet principal. Dans cet ambigu autoportrait (tous ses films le sont plus ou moins), magnifié par la lumière hivernale des plages désertes, Hong Sangsoo pose des questions justes et essentielles : en quoi les obsessions nourrissent la création, ou comment l’art et la vie s’entremêlent.
_S. de L.S
_Ja.Go.
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LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES
SHAOLIN BASKET
CHRISTOPHE COLOMB, L’ÉNIGME
Un film de Chou YEN-PING Avec Jay Chou, Charlene Choi, Eric Tsang… Distribution : Metropolitan FilmExport // Hong-Kong, 2008, 1h40 // Sortie le 20 août
Un film de Manoel DE OLIVEIRA Avec Manoel de Oliveira, Maria Isabel de Oliveira, Ricardo Trêpa… Distribution : Épicentre // Portugal, 2007, 1h15 // Sortie le 3 septembre
Superproduction taïwanaise de l’année, Shaolin Basket se devait d’être spectaculaire, autant par ses cascades que par son casting pop. Comme souvent avec ce genre de film, l’histoire, elle, ne casse pas de briques : un jeune orphelin est initié au kung-fu ; un sympathique loser aura l’idée de l’intégrer à une équipe de basket. Shaolin Basket joue sur le thème de l’alliance des techniques ancestrales et de la modernité – métaphore de la Chine actuelle ? –, traité sur le ton d’un teen movie mièvre et mangaesque. Les scènes de combats, chorégraphiées avec virtuosité, évoquent, sur le même registre, le déjanté Shaolin Soccer de Stephen Chow. _S. de L.S.
La quête identitaire et la mémoire impriment au dernier projet de Manoel de Oliveira sa marque nostalgique. Manuel Luciano a consacré son existence aux grandes découvertes, en compagnie de sa fidèle épouse Silvia. Ses nombreux voyages entre le Portugal et les États-Unis l’ont amené progressivement à percer la véritable identité du grand explorateur. Romanesque, le Christophe Colomb de Manoel de Oliveira, témoin érudit du temps qui passe, est autant didactique qu’intimiste. Film sur le couple et l’histoire, que ponctuent les dialogues entre Oliveira et son épouse, Christophe Colomb est un monument d’intelligence.
INJU, LA BÊTE DANS L’OMBRE
INTRUSIONS
Un film de Barbet SCHROEDER Avec Benoît Magimel, Lika Minamoto… Distribution : UGC // France, 2007, 1h45 // Sortie le 3 septembre
Un film d’Emmanuel BOURDIEU Avec Natacha Régnier, Denis Podalydès, Amira Casar… Distribution : Rezo Films // France, 2007, 1h37 // Sortie le 3 septembre
« La raison d’être d’une geisha est de plonger celui qui la regarde dans un monde de fiction.» Sur cet argument, Barbet Schroeder immerge sa caméra dans la culture japonaise et porte sur elle un regard fasciné. Alex Fayard, un écrivain français (Benoît Magimel, en décalage plus ou moins contrôlé), est invité au Japon, en tant que spécialiste de l’œuvre littéraire de Shundei Oe, une véritable star nationale. Mais, asocial et violent, l’homme veut se venger d’une geiko qui l’a repoussé. Fayard provoque son rival et tombe dans un engrenage meurtrier, où les relations complexes entre la fiction, la réalité et le sexe s’exacerbent. D’après un roman d’Edogawa Ranpo. _S.M.
Quatrième long-métrage d’Emmanuel Bourdieu, fils du sociologue Pierre Bourdieu et co-scénariste d’Arnaud Desplechin, Intrusions est un drame psychologique lent, elliptique et distancié, très travaillé par la question du hors-champ. Une jeune bourgeoise enceinte se voit contrainte par son père d’épouser le géniteur, qui la quitte peu après, engendrant une chaîne de vengeance alambiquée. La haine couve sous le vernis craquelé des apparences avec des comédiens tout en sous-jeu, la réalisation froide achevant de maintenir l’action en surface. Le contrepoint du craquage final à la Marivaux réamorce le film avec justesse.
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Retrouvez l’interview filmée de Manoel de Oliviera sur www.mk2.com/troiscouleurs
_S.M.
_S. de L.S.
ÉVÉNEMENTS DES SALLES MK2
CYCLES UNA STORIA PARTICOLARE Le MK2 Quai de Loire accueille un cycle italien, en matinée le week-end pendant les vacances d’été, autour des « années de plomb », la période sombre des années 1970. Venez voir ou revoir : Romanzo Criminale de Michele Placido Mon Frère est fils unique de Daniele Luchetti A Casa Nostra de Francesca Comencini Libero de Kim Rossi Stuart Buongiorno Notte de Marco Bellochio Nos Meilleures Années de Marco Tullio Giordana Au MK2 Quai de Loire du 5 juillet au 31 août.
LES SÉANCES INTERDITES : SAGA ALIEN Dans le cadre de ses « séances interdites» qui sélectionnent chaque mois le meilleur du cinéma fantastique, le MK2 Parnasse programme durant le mois de juillet les quatre premiers volets de la saga Alien : Alien, le 8ème passager de Ridley Scott (4 et 18 juillet) Aliens, le retour de James Cameron (5 et 19 juillet) Alien 3 de David Fincher (11 et 25 juillet) Alien, la résurrection de Jean-Pierre Jeunet (12 et 26 juillet)
FOCUS FESTIVAL JAZZ A LA VILLETTE Pour la troisième année consécutive, le MK2 Quai de Loire s’associe à la Cité de la Musique dans le cadre du festival Jazz à la Villette. Le festival accueille cette année de grands noms du jazz mais aussi des danseurs et chorégraphes. Dans le cadre de cette diversité artistique, le MK2 Quai de Loire propose des séances en matinée autour du thème «filmer jazz». Au programme : À bout de souffle de Jean-Luc Godard (6 sept.) Bird de Clint Eastwood (7 sept.) J’entends plus la guitare de Philippe Garrel (7 sept.) La Jungle plate de Johan Van der Keuken (13 sept.) Moi, un noir de Jean Rouch (13 sept.) Big Ben de Johan van der Keuken (13 sept.) Fun and Games for Everyone de Serge Bard (13 sept.) Love Streams de John Cassavetes (14 sept.) Accords et désaccords de Woody Allen (14 sept.) The Cool World de Shirley Clarke (14 sept.) Par ailleurs, le 4 septembre sera organisée la projection de Herses (une lente introduction) de Boris Charmatz sur une improvisation de Méderic Collignon. La séance sera précédée d’une rencontre avec Médéric Collignon. Au MK2 Quai de Loire du 4 au 14 septembre.
Au MK2 Parnasse les vendredis et samedis soirs (séances vers 22h).
CYCLE PORTRAIT(S) / AUTOPORTRAIT(S)
CYCLE NOTRE MUSIQUE
Le MK2 Quai de Seine propose pour l’été un cycle en matinée intitulé « portrait(s)/autoportrait(s) » prolongeant la thématique du portrait au cinéma.
Les matinées du MK2 Beaubourg proposent pendant l’été un cycle basé sur le rapport entre musique et cinéma. Au programme : Stop Making Sense de Jonathan Demme Joe Strummer : the Future is Unwritten de Julien Temple Berlin de Julian Schnabel Soigne ta droite de Jean-Luc Godard Crossing the Bridge de Fatih Akin Latcho Drom de Tony Gatlif (sous réserve) Au MK2 Beaubourg en matinée.
CYCLE LE VENT DU NORD Faisant suite au cycle « notre musique » , le MK2 Beaubourg programme, à compter du 16 juillet, des films en matinée autour du thème « le vent du Nord ». Au programme : Abel d’Alex Van Warmerdam L’Illusionniste de Jos Stelling Noi Albinoi de Dagur Kari Nous, les vivants de Roy Anderson Italian for Beginners de Lone Scherfig Au MK2 Beaubourg en matinée à partir du 16 juillet.
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Au programme : Le Filmeur d’Alain Cavalier Takeshi’s de Takeshi Kitano Le Fils de Jean-Claude Videau de Frédéric Videau Avant que j’oublie de Jacques Nolot No Sex Last Night de Sophie Calle
LES REPRISES DU MK2 PARNASSE Après 12 hommes en colère l'été dernier, le MK2 Parnasse accueille en juillet les ressorties en copies neuves de deux chefs-d’œuvre du cinéma : Mad Max le 9 juillet, de George Miller, avec Mel Gibson L'Affaire Thomas Crown le 16 juillet, de Norman Jewison, avec Steve McQueen et Faye Dunaway Au MK2 Parnasse à partir du 9 juillet.
RETROUVEZ TOUS LES ÉVÉNEMENTS SUR
POUR LES ENFANTS MK2 JUNIOR Enfin l’été prend ses marques et MK2 Junior vous propose d’emmener vos bambins s’amuser et rêver devant Plume et l’île mystérieuse et Les Aventures de Impy le dinosaure, mais aussi Horton, l’éléphant rigolo, Azur et Asmar, les frères de cœur et Nocturna, la nuit magique. Pour les plus grands, La Reine Soleil et la désormais classique adaptation de Tim Burton de Charlie et la chocolaterie. Bel été ! Au programme : À PARTIR DE 3 ANS :
Plume et l’île mystérieuse (animation) : le retour des péripéties de notre petit ours polaire préféré ! Les Aventures de Impy le dinosaure (animation) : un joli univers peuplé d’animaux de tous poils. Horton (animation) : les aventures de l’imaginatif et extravagant Horton, un éléphant qui sait prendre la vie du bon côté.
PARTENARIATS ODÉON THÉÂTRE DE L’EUROPE UN ÉTAT DE MARCHE ET DE PENSÉE À l’occasion du 40 anniversaire des événements de mai 68, chaque semaine pendant l’été, le MK2 Hautefeuille propose une programmation de films en matinée en partenariat avec l’Odéon Théâtre de l’Europe. ème
Au programme à partir du 16 juillet (le week-end en matinée) : La Commune de Peter Watkins Au MK2 Hautefeuille à partir du 16 juillet.
LES JOURNÉES ROMANTIQUES Le MK2 Quai de Seine renouvelle son partenariat avec Les Journées romantiques, organisées cette année sur la péniche Planète Anako. Dans ce cadre, des films seront programmés en matinée les week-ends des 6 et 7 septembre et des 13 et 14 septembre. À l’heure où nous bouclons, le programme est en cours de finalisation. Deux films sont cependant arrêtés : Un Violon sur le toit de Norman Jewison Prova d'Ochestra de Federico Fellini La programmation complète sera bientôt disponible sur le site www.mk2.com
À PARTIR DE 5 ANS : Nocturna, la nuit magique (animation) : quand Tim découvre le monde incroyable de la nuit et sa ribambelle de créatures. La Reine Soleil (animation) : c’est vif, attachant et rigolo sur fond de belle Égypte. À voir ! Azur et Asmar (animation) : intelligence du propos et féérie visuelle, on ne s’ennuie pas une seconde. À PARTIR DE 7 ANS :
Charlie et la chocolaterie (film) : l’adaptation par Tim Burton du célèbre livre de Roald Dahl. En VF. Jusqu’au 26 août dans sept salles MK2.
SÉANCE SPÉCIALE LE PREMIER JOUR DU RESTE DE TA VIE Le MK2 Bibliothèque accueillera le réalisateur et l’équipe du film Le Premier Jour du reste de ta vie le mercredi 23 juillet à la séance de 14h. Au MK2 Bibliothèque le 23 juillet.
3 JOURS 3 EUROS Cette année encore, la Mairie de Paris organise l’opération 3 jours 3 euros, trois jours pendant lesquels toutes les séances seront au tarif unique de 3 euros. Les 17, 18 et 19 août dans toutes les salles MK2.
Au MK2 Quai de Seine les 6 et 7 septembre et 13 et 14 septembre.
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DVD Californication, la série (dé)culottée de Showtime
Mulder, classé X De X-Files au X, David Duchovny tombe le costume. Dans la sulfureuse série télévisée Californication, il incarne Hank Moody, un écrivain à succès autodestructeur, porté sur le sexe et les drogues. Le profil d’un nouvel héros romantique ?
D
epuis Sex and the City, la télévision stoïquement les coups mais ne vise qu’un objectif : zappe les conventions. Dans le sillage reconquérir sa compagne. des quatre New-Yorkaises délurées, une En cela, Californication est une comédie du remariage efflorescence de séries explicites a vu très bien écrite, dans la tradition hollywoodienne le jour. Le sexe se raconte et se montre dans des du genre. Au centre du dispositif, le couple et sa scènes très déshabillées. Diffusées sur les chaînes recomposition donne à la série sa teneur romantique à péage américaines, des séries comme Nip/Tuck inattendue, sous couvert de nihilisme trash que dynamitent les tabous dans un pays réputé puritain renforce son esprit rock’n roll. Les références musicales mais qui n’est plus à un paradoxe près. Derrière ces abondent (Metallica, Bob Dylan, Sex Pistols, Red productions (dé)culottées, deux principaux studios Hot Chili Peppers), qui donnent aux épisodes leurs – HBO et Showtime – se livrent une concurrence titres ou dopent la bande-son. artistique et économique. Après l’arrêt de Sex and Dans son rôle de père de famille un peu punk, the City et des Sopranos, HBO perd de la distance David Duchovny, la quarantaine fatiguée mais face à Showtime qui renverse la morale établie avec sexy, change radicalement de registre. Loin du des séries comme Weeds ou Dexter, en se situant cérébral agent du FBI Mulder dans X-Files, il nourrit délibérément du côté des DAVID DUCHOVNY NOURRIT SON PERSONNAGE criminels. Mais c’est sur le terrain du sexe que la guerre DE SA PROPRE TRAVERSÉE DU DÉSERT. fait rage. Showtime met en scène des amours lesbiennes dans The L World. HBO son personnage de sa propre traversée du désert : riposte avec Big Love (la vie quotidienne d’un Mormon une déchéance artistique marquée notamment par et de ses trois femmes) et Tell Me You Love Me un passage à la réalisation en 2004, demeuré (des couples en pleine crise libidinale). Dénominateur confidentiel. Pour Showtime, ce choix de casting commun à ces séries et comme l’indiquent leurs titres : n’a sans doute rien d’innocent. Car outre la crise du l’amour dans tous ses états et tous les états de sentiment amoureux, Californication stigmatise la fin l’amour. C’est l’enjeu central de la dernière née des de l’âge d’or des séries télévisées, qu’accompagne studios Showtime, Californication. une certaine mélancolie. David Duchovny, star Créée par Tom Kapinos, à qui l’on doit les émois interplanétaire tombée dans l’oubli après X-Files, adolescents de Dawson, la série met en scène un incarne typiquement l’acteur fin de série, la écrivain en pleine crise artistique et conjugale. patine en plus. De nouveau sous les feux de la Hank Moody a connu le succès grâce à son premier rampe avec la sortie cet été sur les écrans de roman, adapté au cinéma. Il a quitté New York avec X-Files Régénération et le tournage de la seconde sa compagne Karen (Natasha Mac Elhone) et sa saison de Californication (un carton), l’acteur fille Becca (Madeleine Martin), pour s’installer en enterre son image de has been. Une bonne nouvelle Californie. Mais Karen l’a plaqué et s’apprête à en n’arrivant jamais seule, on murmure que son épouser un autre. Dévasté, Hank, qui n’arrive plus ancienne partenaire Gillian Anderson (éternelle à écrire, s’adonne au sexe et aux excès en tous Scully) jouerait un personnage récurrent dans la genres, au grand dam de son agent littéraire Charlie nouvelle saison de Californication. De quoi surexciter (Evan Handler, le mari de Charlotte dans Sex and les fans de la première heure, qu’un chaste baiser the City – la boucle est bouclée). Triolisme, coït entre les deux acteurs de X-Files avait suffi à transgressif avec nymphette ambitieuse, pratiques mettre en émoi. Preuve que l’affaire n’était pas SM, le héros débauché se jette à corps perdu classée, on rouvre le dossier, estampillé comme il dans une véritable odyssée du sexe, tel un Charles se doit de la mention « confidentiel ». Bukowski des temps nouveaux. Avec sa fâcheuse _Sandrine MARQUES propension à toujours dire la vérité, Moody encaisse
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LA SÉLECTION par S.M. INTO THE WILD DE SEAN PENN Pathé L’acteur réalisateur Sean Penn signe son quatrième long métrage avec Into the Wild, une ode libertaire, transcendée par la magnificence de paysages sauvages. D’après la véritable histoire de Chris McCandless, un idéaliste à la recherche d’authenticité.
COFFRET 2 COMÉDIES DE DOUGLAS SIRK Carlotta Films Douglas Sirk ne s’est pas contenté de donner au mélodrame ses lettres de noblesse. Il s’est aussi attaqué à la comédie avec talent. Témoin, ce coffret qui réunit deux perles du genre. Burlesque et fantaisiste à souhait.
NO COUNTRY FOR OLD MEN DE JOEL ET ETHAN COEN Paramount Chantres de l’americana, les frères Coen adaptent magistralement le best-seller de Cormac McCarthy. Sur fond de poursuite sanglante, les cinéastes livrent une réflexion magistrale sur l’Amérique et le Mal. Avec un Javier Bardem terrifiant et loufoque à la fois.
COFFRET BARRY PURVES HIS INTIMATE LIVES Potemkine À découvrir dans de splendides versions restaurées, l’univers baroque, chatoyant et mystérieux d’un maître de l’animation britannique, passionné de théâtre, d’opéra et de mythologie. Un coffret 6 DVD indispensable.
OLD JOY DE KELLY REICHARDT Épicentre Films Produit par Todd Haynes, Old Joy est une élégie minimaliste et sensuelle, empreinte de nostalgie. Sur fond d’amitié à la dérive, la réalisatrice impose son regard aigu et délicat sur une Amérique broyeuse d’utopies.
ACTUALITÉ ZONE 1 Lançant la vogue des « Viêt-nam movies », tels Voyage au bout de l’enfer ou Apocalypse Now, Heroes (Héros en VF) est l’un des premiers films à avoir parlé des ravages de la guerre du Viêt-nam. Tournée en 1977, cette comédie dramatique est le deuxième long métrage de Jeremy Paul Kagan, auteur notamment du polar décalé The Big Fix (1978) et réalisateur de télévision prisé. Parmi les héros largués de ce road-movie existentialiste, l’on trouve Harrison Ford et Sally Field, alors débutants. Le premier joue le rôle d’un ancien combattant reconverti dans l’élevage de vers de terre, la seconde celui d’une pauvre fille esseulée, en mal d’amour. À leurs côtés figure Henry Winkler, le « Fonzy » de Happy Days, qui s’émancipait d’un rôle un peu trop collant. _R.J. Extraits de Califonication, Saison 1, coffret 3 DVD disponible chez Paramount.
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LIVRES La littérature brésilienne, au-delà des clichés
Tupi or not tupi La littérature brésilienne, vous connaissez? Derrière les best-sellers aseptisés de Paulo Coelho se cache un continent littéraire d’une richesse exceptionnelle, pas toujours bien connu en France. Petit panorama d’une littérature-monde.
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vec son territoire grand comme douze fois créer une vraie culture nationale, antiacadémique. la France et ses 184 millions d’habitants, Tandis qu’Oscar Niemeyer ou Candido Portinari on se dit que le Brésil doit posséder l’une s’imposent en architecture et en peinture, de des littératures les plus riches du monde. nouveaux écrivains surgissent, comme Manuel Et pourtant, le public français la connaît mal, mis à Bandeira ou Mario de Andrade – l’un des premiers part les best-sellers conçus pour l’export de Paulo à se réapproprier la langue orale pour « brésiliser » Coelho. La faute à notre maîtrise hasardeuse du («abrasileirar») l’écriture. Le pilier de cette révolution portugais, à la minceur de la communauté brésilienne est Oswald de Andrade : dandy milliardaire ruiné à Paris et à l’absence de grand passeur, à l’exception par le krach de 1929, il rédige en 1930 le Manifesto de Valery Larbaud ou Roger Caillois. Cela dit, la Antropófago, acte de naissance du mouvement situation change : grâce à des événements comme « anthropophage ». Non sans provocation, les le Salon du Livre (dont le Brésil fut l’invité en 1998) anthropophages affirment haut et fort que le Brésil ou l’année du Brésil (en 2005), ainsi qu’au travail doit cesser de copier les cultures extérieures et d’éditeurs comme Métailié, les écrivains brésiliens les « cannibaliser » pour les transformer : «Tupi or not gagnent leur place dans nos librairies, même si tupi, that is the question ». Cette théorie influencera des images réductrices continuent de circuler. «Le durablement la littérature brésilienne et ouvrira gouvernement continue d’exporter l’image d’un Brésil la voie au tropicalisme, courant musical autour exotique, le pays de la samba, proteste ainsi Luiz duquel graviteront une poignée d’écrivains Ruffato, l’un des jeunes loups LE CREDO DES ÉCRIVAINS ANTHROPOPHAGES : de la littérature brésilienne. Nous sommes aussi cela, “ TUPI OR NOT TUPI, THAT IS THE QUESTION.“ mais pas uniquement. » Derrière les clichés, il y a une tradition qui remonte à comme José Agrippino de Paula, l’auteur du délirant la naissance du pays, bien avant son indépendance PanAmérica, récemment traduit. en 1822. Dès le XVIIème siècle, les émigrés portugais C’est au croisement de toutes ces traditions que chantent la terre promise dans des chroniques et se construit aujourd’hui la littérature brésilienne des poèmes épiques. Pendant longtemps, le Brésil moderne. Héritiers d’auteurs phares comme Jorge reste néanmoins sous influence européenne, Amado, Clarice Lispector (la grande femme du roman épousant les courants esthétiques du continent. Se brésilien) ou Rachel de Queiroz, tous marqués succèdent ainsi un mouvement baroque, une période par les soubresauts politiques du XX ème siècle romantique et même une poésie parnassienne. (notamment la dictature militaire, de 1964 à 1984), À la fin du XIX è me siècle, c’est le réalisme qui les nouveaux écrivains brésiliens cultivent les l’emporte : Joaquim Maria Machado de Assis, le fruits du modernisme et s’attaquent aux problèmes génial auteur des Mémoires posthumes de Braz socio-économiques contemporains – l’inégalité, la Cubas, s’impose comme le grand écrivain de violence, l’identité et la vie des mégalopoles géantes l’époque. Très audacieux dans la forme, il est comme São Paulo, poumon du pays avec ses 20 aussi connu pour la psychologie raffinée de ses millions d’habitants. C’est à elle que Luiz Ruffato, personnages, qui fait de lui un anticipateur de la l’un des meilleurs espoirs de la scène actuelle, a psychanalyse. Avec Raul Pompéia ou Graciliano consacré son chef-d’œuvre, Tant et tant de chevaux, Ramos, il incarne le Panthéon de la littérature roman-kaléidoscope qui raconte une journée dans la brésilienne, au point que le prix littéraire le plus cité, « ville des contrastes, synthèse du Brésil ». prisé du pays porte aujourd’hui son nom. Une porte d’entrée idéale, en attendant la rentrée Mais la vraie rupture culturelle date du début du XXème littéraire et ses traductions, parmi lesquelles le siècle : c’est le modernisme, dont le coup d’envoi est nouveau roman du journaliste Bernardo Carvalho, donné lors de la « Semaine d’art moderne » de 1922 autre valeur sûre. Son titre ? Le Soleil se couche à à São Paulo. Dans tous les domaines, des artistes São Paulo. On ne saurait mieux conclure. décident de couper les ponts avec l’Europe pour _Bernard QUIRINY
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LA SÉLECTION par P.D., S.Q. et Au.To. LE VERSANT DE LA JOIE PASCALE BOUHÉNIC Portrait, Champ Vallon La vidéaste Pascale Bouhénic nous offre un portrait fragmenté de Fred Astaire, mobile et visuel, se déployant tel un flip book. Une évocation d’une grande originalité qui mêle écriture et danse.
AGNÈS, PETER STAMM Roman traduit de l’allemand (Suisse), Christian Bourgois
Oscillant entre le réel et la fiction, portée par une écriture dépouillée, cette histoire d’amour étrange et envoûtante dit la difficulté d’ouverture à l’autre, la solitude et la fuite comme corrélation de la rencontre.
RECADRAGES, HUBERT LUCOT Roman, P.O.L.
Dans les replis du temps et de l’espace, écriture de soi et du monde, au plus près des sensations : Hubert Lucot nous donne un livre rare, sur les traces de Stendhal et de Marcel Proust.
SKULLY FOURBERY, DEREK LANDY Roman (à partir de 11 ans), Gallimard Jeunesse
À 12 ans, Stephanie Edgley hérite d’une vaste propriété et devient l’assistante d’un détective privé, squelette vivant et magicien ! Humour et aventures irrésistibles sont au rendez-vous.
LES CARNETS, MARINA TSVETAEVA Carnets, Éditions des Syrtes
« Le génie du poète, c’est le génie des associations », écrit Tsvetaeva. Jusque-là inédits, les carnets intimes de la poétesse russe sont cela : géniaux par association – fragments incandescents d’une vie broyée par la Révolution soviétique.
LE SITE http://hoptv.free.fr « C’est quoi la gravité ? » Les parents avisés répondront à leur marmaille : « C’est ce qui fait que tu tombes par terre.» Ceux qui se sentent un brin dépassés par la vulgarisation de concepts du quotidien tomberont sur les désopilantes définitions de Hop TV. Face à la caméra, l’acteur Antoine Dallancour mime le vaccin, l’écologie ou la domotique, à mi-chemin entre Bourvil et E=M6. Repoussant le formalisme encyclopédique dans ses retranchements burlesques, ces pastilles désinformatrices n’ont rien d’un « alphabête et méchant ». _E.R. Luiz Ruffato (en haut), José Agrippino de Paula (en bas à droite).
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MUSIQUE Seu Jorge, CSS, Tetine… : un été brésilien
« Si tu vas à Rio... Cet été, le Brésil est partout. Dans les rayons vieilleries, via les 50 ans de la bossa nova. Sur les grandes ondes, que cajolent Vanessa da Mata et Seu Jorge. Et à la pointe de la hype, avec CSS et Tetine. Nuancier coloré, en forme d’invitation au voyage.
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eilleurs vieux. L’aéroport de Rio de Sonantes, étonnant projet collectif mené par la suave Janeiro porte son nom : Antonio Carlos CéU. Plus moite encore est la bossa de Vanessa Jobim. C’est dire l’importance que da Mata : Sim, son premier album, recèle de vrais revêt, au Brésil, le fondateur de la trésors ruisselants, que porte une voix racée, métisse, bossa nova. Il y a 50 ans, épaulé par Vinicius de solaire. Héritière des plus grandes (Gal Costa, Moraes aux paroles et João Gilberto au chant et à la Astrud Gilberto), là voilà en tête des ventes au guitare, Jobim réinventait la samba, ralentissant Brésil, et invitée sur Encanto, le nouveau Sergio son rythme, la diluant dans un faisceau d’harmonies Mendes. Sur le disque du vieux maître carioca figure sophistiquées, importées du jazz et de la musique aussi Carlinhos Brown, jadis considéré comme le classique. La bossa nova (« nouvelle vague » en VF) rénovateur le plus prometteur de la samba, aujourd’hui était née. Plusieurs disques célèbrent l’anniversaire de sérieusement concurrencé par le dénommé Seu cette onde majestueuse. Un plantureux coffret de 8 CD, Jorge. Acteur pour Wes Anderson (La Vie Aquatique) Brasileiro, rend hommage au génie protéiforme de ou Fernando Mereilles (La Cité de Dieu), ce JorgeTom Jobim, tandis qu’est rééditée NOTRE MUSIQUE RESSEMBLE À DU PUNKavec soin la BO d’Orfeu Negro, un des disques fondateurs du FUNK TROPICAL ET MUTANT TETINE mouvement. Dix ans après la bossa, le Brésil, passé sous joug militaire, vibrait d’une là livre avec America Brasil son troisième album, secousse plus troublante encore : le tropicalisme. et reprend les choses là où Jorge Ben les avait (bien) Mené par Caetano Veloso et Gilberto Gil, ce collectif commencées : sa samba-rock stylée pulse d’une radicalisait ce que venaient d’accomplir Jobim et allégresse communicative. ses amis. Les genres autochtones, qu’ils soient Voies rock, cris rauques. Malgré ces percées cariocas, cariocas (samba, bossa) ou nordestins (forró, frevo), São Paulo reste le moteur de la créativité du pays. s’ouvraient à tous les vents, du psychédélisme anglo- Rejetant la joliesse feutrée fréquemment associée aux saxon au fado portugais, du mambo cubain aux sitars musiques brésiliennes, la scène paulista met au point indiennes. Ce syncrétisme boulimique débordait vers de surprenantes mixtions électro-rock, teintées de samba le théâtre, la poésie, la télévision, et figure encore et de baile funk, que recense l’électrisante compilation aujourd’hui parmi les aboutissements les plus Satanic Samba. Chef de file, avec les fantasques Bonde singuliers de l’histoire culturelle du pays. Deux disques do Rolê, de cette scène dévergondée, le combo féminin permettent de s’en rendre compte : Tropicália ou CSS publie cet été son second album, le très rock et Panis et Circenses, l’album-manifeste du mouvement, tubesque Donkey. «Nous vivons la plupart du temps à réédité pour ses 40 ans, et l’épatante compilation l’étranger, confie la guitariste Ana. Notre côté brésilien Post-Tropicália, qui montre à quel point les seventies se retrouve lors de nos prestations live, explosives brésiliennes furent ébranlées par la commotion et extatiques ». Parmi les influences revendiquées tropicaliste, malgré l’exil forcé de ses leaders. de CSS trône le duo polisson Tetine, basé à Londres
Samba, bossa : jeune garde et nouvelle vague. Si les glorieux aînés prolongent leur parcours avec les honneurs (voir les récentes productions de Milton Nascimento ou du ministre chantant Gilberto Gil), les plus beaux albums de ces derniers mois sont l’œuvre de jeunes pousses hardies. Hier raplapla, la bossa a ainsi repris de jolies couleurs. Depuis 2000 et l’explosition de Bebel Gilberto (fille de João), la vogue est de marier la vague à des courants plus électros. Dans ce registre, l’été est généreux qui nous offre les nouvelles galettes de l’élégante Aline de Lima ou de
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depuis quelques années, et dont l’exceptionnel huitième album, Let your Xs Be Ys, sort ces jours-ci. « Notre musique ressemble à du punk-funk tropical et mutant », sourit Bruno, tête pensante de Tetine. La référence à Os Mutantes, groupe tropicalisteclé, est évidente. Une descendance que revendique également Os The Darma Lovers, duo hippie-folk du Sud du pays, dont le troisième opus, Laranjas do Ceu, est enfin distribué chez nous. Le titre signifie «oranges du ciel ». Qu’elles aient décollé de l’aéroport Tom Jobim ne fait guère de doute. _Auréliano TONET
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LA SÉLECTION par Au.To. CHRISTOPHE « Aimer ce que nous sommes » AZ Méditerranéen lunaire, Christophe revient vaporiser des onces de beau bizarre sur nos enceintes. Plus que jamais, on aime ce qu’il est : voix d’ange très haut perché(e), blues synthétique, élégance dans l’élégie.
BONNIE “PRINCE” BILLY « Lie Down in the Light » PIAS Depuis quinze ans, ce drôle de prince règne en maître sur les musiques boisées – country, folk, requiem. Rarement si lumineuse, si apaisée, son écriture n’en découvre que mieux sa part d’ombre, poignante et fêlée.
V.A. « Congo 70 » & « Nigeria 70 » Discograph & Strut
Deux scènes-clé de l’Afrique 1970’s somptueusement compilées : d’un côté, l’afrobeat nigérian ; de l’autre, la rumba rock congolaise. Ici comme là, la clarté des lignes enchante.
SANTOGOLD « Santogold » Naïve Sur la pochette, il y a de la poudre dorée qui sort de la bouche de Santogold. Effectivement, son premier album est une mine d’or : des lingots grunge, du plaqué Strokes, quelques paillettes M.I.A., et des pépites pop, partout.
SPIRITUALIZED « Song in A & E » Universal Passé à deux doigts du trépas, cet Anglais chante comme un cosmonaute rescapé du crash de sa fusée, comme un chœur gospel au sortir du péché – la convalescence comme art de vie.
LE SITE www.francisandthelights.org Ces temps-ci, un campus, aux États-Unis, fait gazouiller les gazettes : Wesleyan University, dans le Connecticut. Les deux plus belles révélations de ce début d’année en sont diplômées : le duo psychédélique MGMT et la rockeuse indocile Santogold. Du coup, leurs camarades de promo sont scrutés avec appétence par le rock n’roll circus. Plus encore que les formidables Boy Crisis, Amazing Baby ou Snowblink, l’on retiendra les rutilants Francis & the Lights. Téléchargeable gratuitement, leur premier EP, Striking, prolonge le funk cinq étoiles de Prince, frappé, fripon, frappant. _Au.To.
De haut en bas, CSS, Vanessa da Mata, Seu Jorge et Tetine. rouvez l’interview filmée de CSS, Sergio Mendes et Tetine sur www.mk2.com/troiscouleurs
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LES BONS PLANS Kompilés par Rémy Kolpa Kopoul
Transhumances est L’été, Nova s’échappe hors-les-murs, là où ça groove, ça cogne, ça swingue, ça pulse. Quatre temps forts avec rendez-vous sur les ondes. Plus quelques pistes pour perdre le Nord… mais pas le tempo. SUDS À ARLES (BOUCHES-DU-RHÔNE) > DU 13 AU 20/07 Du petit déjeuner aux afters sur la friche SNCF, des siestes musicales aux moments précieux dans la cour de l’archevêché, du salon de musique aux concerts du Théâtre antique, un double voyage dans Arles et à travers les musiques du monde. Quelques rendez-vous : le funk napolitain de Roy Paci et le Toulousain Magyd Cherfi (le 14), Houria Aïchi, la voix berbère, les Marseillais de la Familha Artus et l’électro flamenco d’Ojos de Brujo (le 16), les Balkaniques Goran Bregovic et Darko Rundek (le 17), le troubadour burkinabé Victor Démé, le voisin malien Toumni Diabaté et le Cor de la Plana occitan (le 18), Buika, emblème du flamenco, et le feu-follet du Nordeste brésilien Silverio Pessoa (le 19). Tous les Suds, en somme… www.suds-arles.com Radio Nova en direct place Nina Berberova, le 18/07, 18h > 20h.
FIEST’A SÈTE (HÉRAULT) > THÉÂTRE DE LA MER > DU 2 AU 8/08 12ème édition, dans le cadre du Théâtre de la Mer, avec la Méditerranée en fond de scène. La prog’ 2008, dans un désordre savamment ordonné : l’Éthiopie, avec Mahmoud Ahmed, grand mix de James Brown, Fela Kuti et Bob Marley à lui tout seul, et Alèmayèhu Eshèté (le 5) ; la frénésie d’Europe centrale avec Taraf de Haïdouks, big-band tzigane roumain et le DJ et musicien germanobalkanique Shantel (le 7) ; Buika, un caractère de feu et une voix de braise qui mixe flamenco, afro et soul, plus Melingo de Buenos Aires, avec sa voix à la Tom Waits, qui renouvelle le tango (le 6) ; Kid Creole, son disco latino exubérant, son panama de légende, ses Coconuts et son swing daïquiri (le 8) ; le flûtiste cubain Maraca, avec son gang cuivré, le chanteur Candido Fabré, plus Ska Cubano, mix caribéen La Havane / Kingston (le 3) ; deux mythiques ladies soul 1970’s, Gwen McCrae et Candi Staton, une soirée gorgée de groove (le 4) ; une ouverture « bem Brasil » avec le soyeux Marcio Faraco qui invite la mythique voix de Milton Nascimento, plus l’électro Brasil ardent de Ramiro Musotto (le 2) ; la fête dans les villages alentours en préambule, avec Sandra Nkaké (le 25/07), Soul Jazz Orchestra (le 30), Kaloomé (le 31), et le marathon-mix de DJ RKK à la Ola (le 1/08). www.fiestasete.com Radio Nova en direct du Théâtre de la Mer, du 4 au 7/08, 18h > 20h.
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LES ESCALES DE SAINT-NAZAIRE (LOIRE-ATLANTIQUE) > LES 8 ET 9/08 L’immense esplanade des docks du port envahie par des musiques de tous les ailleurs : avec la thématique 2008, «Transes Atlantiques», l’océan s’ouvre sur trois continents. Une prog’ luxuriante, où manqueront les Congolais de Konono n°1, interdits de tournée européenne à cause de services consulaires obtus, un scandale ! Ouvrez le ban : l’Argentino-Brésilien Ramiro Musotto, ses berimbaus entêtants et le groupe nantais-brésilien Agua na Boca, Vieux Farka Touré (fils du prince du blues du Sahel), Dee Dee Bridgewater et son projet malien, les New-Yorkais Antibalas (afrobeat) et Balkan Beat Box (électro-rock yougo), Herminia, touchante capverdienne et Charlélie Couture (le 8). De nouveau Ramiro Musotto, plus la Nigériane Asa, les New-Yorkais bruitistes de Sonic Youth, le groovy souffleur des JB’s Fred Wesley, le brigadier de l’afro-reggae Alpha Blondy et DJ RKK (le 9). www.les-escales.com Radio Nova en direct du site le 8/08, 18h > 20h.
Dee Dee Bridgewater
ASTROPOLIS > BREST (FINISTÈRE) > DU 14 AU 17/08 Le festival électro breton fête dignement les 20 ans des rave parties en offrant… du rêve aux participants. Un «summer of love» du Grand Ouest entre la Carène, le port du Commerce et les quatre dancefloors du manoir de Kéroual. Parmi les noms annoncés : l’Allemand du Chili Señor Coconut en live, le Parisien Naab et l’Anglais Dave Clark (le 14), Sébastien Tellier, maestro Carl Craig, Midnight Juggernauts, plus l’écurie Ed Banger avec DJ Mehdi et DJ Feadz (le 16), le pionnier de la techno de Detroit Derrick May et Daniel Bell aka DBX, Birdy Nam Nam, l’Angevin Arno Gonzalez, mesdemoiselles Missill et Elisa do Brasil, Manu le Malin et Mix Master Mike (des Beastie Boys), plus une quinzaine d’autres (le 16). Faites provision d’énergie ! www.astropolis.org Radio Nova en direct de la Carène, les 15 et 16/08, 20h > minuit.
ivales ET PENDANT CE TEMPS-LÀ, À LA VILLETTE, DEUX SPOTS « NOVA »… LE MONDE À VOS PIEDS > CABARET SAUVAGE > DU 15 AU 26/07 Comment brasser les musiques urbaines de la planète dans un shaker en forme de cirque ? Ça se passe au Cabaret Sauvage, lieu idéal pour perdre la boussole et s’étourdir de tempos trépidants. Avec Vanessa da Mata, espoir fulgurant de la jeune scène brésilienne (le 15), le «Vrai Faux Mariage » des truculents garnements de La Caravane Passe (le 16), les DJs mariachi-dub mexicains Bostich et Fussible du fameux Nortec Collective de Tijuana (le 17), le allstar-groupe improbable Band of Gnawa composé de Loy Ehrlich d’Hadouk Trio, Louis Bertignac de Téléphone, Cyril Atef de Bumcello, Akram Sedkaoui de M’ Source et quelques Gnawis (le 18), la fanfare roumaine Ciocarlia (le 21), les Cubains de Manolito y su Trabuco, entre salsa et charanga (le 22), le pétaradant Koçani Orkestar de Macédoine (le 23), enfin le MC star du hip-hop brésilien Marcelo D2 plus DJ Dolores, mixer du Nordeste (le 26). www.cabaretsauvage.com
Ramiro Musotto, lutin de l’électro Brasil, à Sète, Saint-Nazaire et la Villette.
SCÈNES D’ÉTÉ DE LA VILLETTE > DU 20/07 AU 24/08 Le parc de La Villette dans ses éclats dominicaux pour le rendez-vous musical estival planétaire, de fin juillet à fin août. Commençons par le dimanche de clôture, une carte blanche à Radio Nova, avec Ramiro Musotto, le lutin argentin de Bahia, mage du berimbau et tête de pont de l’électro Brasil, plus l’afrobeat mêlé de hip-hop des énergétiques Montpelliérains de Fanga (le 24/08). Également, le tenant du jazz gnawa Karim Ziad et l’ethno-rock de Zen Zila (le 17/08), l’electrOriental de Mehdi Habbab & Speed Caravan et les New-Yorkais déjantés de Balkan Beat Box (le 10/08), l’Afrique féminine de l’Ivoirienne Dobet Gnahoré et de la Capverdienne Lura (le 3/08), celle des Camerounais Simon Nwambeben et Étienne Mbappé (le 27/07), le Nordeste do Brasil avec la pétulante Renata Rosa et le charismatique Silverio Pessoa (le 20/07). www.villette.com
ART Exposition L’Argent au Plateau
Plateau d’argent Le Plateau présente L’Argent, une proposition de Caroline Bourgeois et Élisabeth Lebovici. Soit un état des lieux non exhaustif des démarches artistiques qui, depuis le début du XXème siècle, interrogent la place de l’argent dans la société, et dans le champ de l’art.
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5 francs ! 5 francs, le baiser de l’artiste ! Enfin une œuvre conceptuelle à la portée de toutes les bourses ! » La voix d’Orlan, haranguant la foule lors de sa performance Le Baiser de l’artiste qui fit scandale à la Fiac en 1977, résonne dans le hall d’entrée du Plateau. Jusqu’au 17 août, la commissaire Caroline Bourgeois et l’historienne de l’art Élisabeth Lebovici y présentent l’exposition L’Argent.
«L’Argent est une exposition sans argent», ironisent les deux commissaires, elles-mêmes confrontées à l’impossibilité d’emprunter certaines œuvres pour le projet. « C’est aussi cette réalité que l’on voulait montrer », commente Élisabeth Lebovici. Dans la première des trois sections de l’exposition, laquelle s’offre malgré tout de belles pointures, figure toute « une base de données historique » qui pallie l’absence physique d’œuvres aussi majeures qu’inaccessibles. Aux côtés d’artistes contemporains individuels comme Sophie Calle, Félix González-Torres et Thomas Hirschhorn, ou collectifs comme Société réaliste, Claire Fontaine et Taroop & Glabel, trônent ainsi, par documents interposés, des œuvres d’Édouard Manet, Marcel Duchamp, Yves Klein EN 1979, LE TRIO CANADIEN GENERAL ou Andy Warhol.
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IDEA TRANSFORME UNE GALERIE DE
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Art et argent : deux notions a priori antagonistes mais qui TORONTO EN BOUTIQUE. s’avèrent intrinsèquement liées. Si la création n’est pas censée être motivée et conditionnée par des velléités mercantiles, la question financière intervient dès lors qu’un artiste aspire à vivre de son art. Progressivement, elle s’inscrit dans l’idée même de production, bientôt assumée par les galeries, musées et autres structures artistiques publiques ou privées qui (s’)investissent dans la conception des œuvres. La supposée pureté de l’art a vécu – peu de temps. Face à l’explosion du marché de l’art dans les années 1980 et, avec, l’avènement de l’œuvre en tant que marchandise, des postures plus critiques ont été adoptées par certains créateurs, qui ont su intégrer la notion de transaction dans leurs travaux, allant parfois jusqu’à l’ériger en tant qu’acte de naissance de l’œuvre. Du Pop Art à l’art conceptuel, nombre d’artistes se sont emparés des codes marketing et sont devenus « artistes publicitaires », « prestataires de services», producteurs, entrepreneurs, voire commerçants. Poussant la logique marchande à son paroxysme – et préfigurant à moindre échelle « l’Hybermarché » que Fabrice Hyber installera au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1995 –, le trio canadien General Idea transforme une galerie de Toronto en boutique en 1979, amalgamant sans ambiguïté la double fonction du lieu consistant à exposer l’art, mais aussi à le vendre. Aujourd’hui plus que jamais, art et argent sont unis. Pour le meilleur et pour le pire… _Anne-Lou VICENTE Retrouvez l’interview filmée d’Élisabeth Lebovici sur www.mk2.com/troiscouleurs Le Plateau / Frac Île-de-France, Place Hannah Arendt, 75019 Paris. Entrée gratuite. Performance de Cesare Pietroiusti, vendredi 18 juillet, 19h30.
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Arnaud Labelle-Rojoux, Profitez-en…, 2005. Acrylique sur papier de cou Collection Pierre Cornette de Saint-Cyr. Courtesy : Galerie Loevenbruck
EXPOSITIONS par A.-L.V. JOHN ARMLEDER 17 MAI - 28 SEPTEMBRE L’artiste suisse présente un projet spécifiquement créé pour le Centre Culturel Suisse, transformé en un véritable appartement néo-bourgeois par le décorateur Jacques Garcia. Une installation fidèle au principe de délégation cher à Armleder, qui superpose les notions d’art et de décor et propose l’ornement comme dispositif conceptuel. Centre Culturel Suisse (fermé du 4 août au 3 septembre) // 32, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris.
LILIAN BOURGEAT 21 JUIN - 26 JUILLET Une paire de bottes, un mètre, des gobelets, des punaises, un téléphone, une ampoule, etc. : les œuvres-objets de Lilian Bourgeat échappent à leur banalité par leur taille démesurée. Bouleversant les échelles, l’artiste introduit une étrangeté dans notre rapport aux objets du quotidien, dont l’usage devient difficile, voire impossible. Galerie Frank Elbaz // 7, rue St-Claude, 75003 Paris.
MAI 68 : L’AFFICHE EN HÉRITAGE 11 AVRIL - 7 JUILLET Une centaine d’affiches témoignent de la portée sociopolitique de ce support au moment de la contestation de mai 1968 en France. Conçues anonymement par les « ateliers populaires » des écoles des beaux-arts et des arts décoratifs de Paris, elles constituent l’héritage esthétique du mouvement. Galerie Anatome // 38, rue Sedaine, 75011 Paris.
TRAVELLING 7 JUIN - 31 AOÛT Sur le mode de la carte blanche, attribuée à l’artiste Ange Leccia, quatre réalisateurs présentent leur court métrage:Jean-Philippe Toussaint (Belgique), Carmen Castillo (Chili), Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande) et Edoardo Winspeare (Italie) nous livrent leur vision du monde en forme d’invitation au voyage cinétique. Espace Louis Vuitton // 60 rue de Bassano, 75008 Paris.
LE SITE www.blublu.org De Londres à Berlin en passant par Bethlehem ou São Paulo, Blu habille les murs de la ville de ses grands personnages blancs. Souvent présentés dans des mises en scène surréalistes et macabres, principalement en noir et blanc, les créatures et autres monstres conçus par ce street-artiste d’origine italienne questionnent l’humain, la folie, la vie et la mort. À voir absolument sur son site, la vidéo Muto, un wall-painting animé et sonore de sept minutes, réalisé dernièrement à Buenos Aires et à Baden. _A.-L.V.
uleur, 80 cm x 62 cm. , Paris.
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PAR BERNARD FAUCON
Bernard Faucon a interrompu en 1995 son œuvre de photographe metteur en scène. Depuis lors, il organise des « fêtes photographiques » tout autour du monde, toujours sur le même principe : une seule journée, un seul lieu, une centaine de garçons et de filles de 15 à 20 ans munis d’un appareil jetable ou numérique, une totale liberté – « photographiez-vous vous-mêmes, photographiez ce qui vous plaît...» Allemagne, Brésil, Cambodge, Chine, Corée, Cuba, France, Italie, Japon, Java, Liban, Mali, Maroc, Myanmar, Pologne, Réunion, Russie, Suède, Syrie, Taiwan, Thaïlande, Tunisie, Turquie : 25 fêtes ont eu lieu et ce livre clôture ces moments « d’éternité retrouvée en une farandole d’images qui court sur deux millénaires, 25 théâtres du monde, avec quelque 2500 jeunes gens!» LE TOUR DU MONDE Bernard Faucon / Éditions de l’œil 122 pages // 25 €
WWW.AGENCEVU.COM AGENCE VU // 17, BD HENRI IV - 75004 PARIS GALERIE VU’ // 2, RUE JULES COUSIN - 75004 PARIS
TRIBUNE LIBRE Entretien avec Lester Brown, scénariste du « plan B » écolo
En vert et contre t
Son influence ne cesse de croître, à mesure que brûle la planète. Né en 1934, Lester Brown est l’auteur d’ouvrages-clés d’écologie politique, comme Le Plan B, sorti en 2007, sorte de Bible des milieux écolos, de Nicolas Hulot à Jean-Louis Borloo. Cet agronome américain y décrit, chiffres à l’appui, la transition nécessaire vers une nouvelle économie, sobre, en cohérence avec nos ressources naturelles. Le Brésil, super-puissance agricole qui crispe les défenseurs de l’environnement, est un acteur majeur de la réussite de ce « plan B ». Entretien, à l’heure des choix.
L
e Brésil a été le premier pays à développer une industrie des carburants verts. Après avoir inspiré d’autres pays, notamment les États-Unis, et même réjouit certains écologistes, la solution des agrocarburants ne semble plus en être une. Êtes-vous de ceux qui jugent « criminel » le recours à ces carburants?
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d’éthanol de maïs subventionnée, nous avons une large part de responsabilité dans la hausse du prix des céréales. Cette année, sur les 400 millions de tonnes de maïs que les États-Unis espèrent produire, près de 100 millions iront à la production d’éthanol. C’est énorme, de quoi nourrir trois millions de personnes.
Dans les medias, on a vu des émeutes LA DÉFORESTATION EST UN DRAME POUR L’HUMANITÉ, de la faim qui ont fait des dizaines de morts. Spectaculaire. Mais ce qu’on MAIS AUSSI POUR L’ÉCONOMIE BRÉSILIENNE. sait, c’est que 18 000 enfants meurent chaque jour de Développer les agrocarburants n’empêche pas le Brésil malnutrition et que ce chiffre est en hausse. Oui, on peut de devenir la première puissance agricole mondiale, considérer les agrocarburants comme criminels, même s’ils premier exportateur de soja et de viande, devant les Étatsne sont qu’un facteur de l’inflation. Au Brésil, la culture des Unis. Pensez-vous qu’il puisse assurer sa croissance en agrocarburants menace la survie de la forêt amazonienne préservant son environnement, alors que la demande mondiale en repoussant les éleveurs et les petits agriculteurs à sa de denrées alimentaires augmente continuellement ? lisière. Néanmoins, à ce jeu-là, je trouve la politique des États-Unis plus désastreuse encore. Avec notre production Oui, parce qu’il n’a pas le choix. Le Brésil est une super-
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o gique
Illustration : © Pierre ROUILLON
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puissance « verte », dont la bonne santé dépend d’un écosystème préservé. Si la forêt amazonienne disparaît, il n’y aura plus d’agriculture brésilienne. En captant l’humidité venue de l’Atlantique, l’Amazonie irrigue toutes les terres agricoles du centre et du sud. Le programme de protection de la forêt prévoit la préservation de 50 millions d’hectares d’ici à 2010, mais l’on continue à en déforester deux millions tous les ans. C’est un drame pour l’humanité, mais aussi pour l’économie brésilienne. Dans votre livre, Le Plan B, vous chiffrez le coût de la transition vers une économie sobre en carbone à 161 milliards de dollars par an, soit un sixième du budget militaire mondial. Pensez-vous réellement que les gouvernements sont prêts à opérer ce transfert de fonds ? Plus on attend, plus il sera cher de restaurer les forêts, les ressources halieutiques, les nappes phréatiques… Depuis 2006, j’ai revu la facture à la hausse. Aujourd’hui, elle s’élève à 280 milliards de dollars par an. Je pense que les gouvernements vont réaliser rapidement que les menaces à notre sécurité sont moins militaires qu’écologiques. Nous devons craindre l’augmentation des températures, le boom démographique des pays en voie de développement ou encore la pénurie d’eau. Nous nous inquiétons beaucoup pour le pic de production de pétrole, mais nous avons déjà dépassé le pic de notre capacité d’irrigation avec les ressources dont nous disposons. Si cela paraît abstrait encore, le phénomène de hausse du prix des denrées
alimentaires devrait être un premier signe inquiétant. Comme pour le prix du pétrole, il s’agit d’une tendance structurelle, dont il faut prendre la mesure. Qui doit donner l’impulsion selon vous ? Je pense que les pays industrialisés, et notamment les États-Unis, doivent jouer leur rôle de leadership aussi sur l’environnement. Nous sommes passés à côté depuis des décennies, mais si les États-Unis vont dans le bon sens, tout le monde suivra. Parfois, on peut avancer très vite dans la bonne direction. C'est le cas avec l'industrie du charbon. En 2007, le département américain de l'énergie avait lancé un plan de construction de 151 centrales à charbon. Mais toutes sont bloquées sous la pression des ONG locales. Mieux, Wall Street est en train de donner le baiser de la mort aux industriels du secteur. Les banques d'investissement, comme Morgan Stanley, s'inquiètent qu'une loi de régulation des émissions de CO2 fasse grimper le coût de l'exploitation du charbon, très polluante. Elles ont décidé de dévaluer les stocks de charbon et exigent des constructeurs qu’ils prennent en compte le coût des émissions de CO2 pour démontrer la rentabilité économique de leur centrale. C’est la preuve, d’une part, que les places boursières peuvent calculer un coût d’opportunité en faveur de l’environnement. Preuve aussi qu’une gouvernance écologique ambitieuse peut infléchir les règles du marché. _Propos recueillis par Anna LHUNE
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RÉSEAUX La musique découvre l’interactivité
Play mobile
Illustration : © Fabrice MONTIGNIER
Le remplaçant du MP3 sera interactif ou ne sera pas. Les trop simplistes « Play » et « Stop » devraient s’effacer derrière l’écoute à la carte, qui permet de naviguer dans l’architecture d’un morceau. Voyage dans un futur aux sonorités hyper-customisées.
L
e MP3 est une anomalie de l’histoire. En une dizaine d’années de règne sans partage sur la musique numérique, ce format n’a jamais connu de vraie concurrence. Les technologies actuelles permettent pourtant d’aller beaucoup plus loin : un peu partout sur la planète, des équipes de chercheurs travaillent sur l’après-MP3, le Graal de la musique interactive. Un des projets les plus avancés est français. Lancé en version test à la fin 2007, le format MXP4 veut donner à la musique « une dimension vivante, presque live. Quand l’artiste enregistre son disque, il laisse sur le côté de nombreuses tentatives, de nombreux essais qu’il ne pourra utiliser dans son mixage final. L’idée, c’est d’utiliser ce précieux matériel qui part à la poubelle », explique Philippe Ulrich, cofondateur de Musinaut, la startup qui exploite le MXP4. Lors de l’enregistrement, LE SUCCÈS DES NOUVEAUX FORMATS l’artiste peut ainsi multiplier à l’infini les « skins », des INTERACTIFS REPOSERA SUR LA BONNE variations de son propre morceau intégrées dans le fichier : très légères (changement de tonalité de voix, VOLONTÉ DES ARTISTES. de son de batterie, etc.) ou plus consistantes pour créer une nouvelle ambiance à la chanson. Le MXP4 se lit avec un logiciel particulier qui permet de passer d’un « skin » à l’autre. « Écouter de la musique sur un format traditionnel est une hérésie», plaide Philippe Ulrich, qui a notamment produit Chambre avec vue, l’album d’Henri Salvador. «Je ne joue pas de la guitare de la même manière le matin en me levant et le soir tard. Le MXP4 essaye de capter cette variation d’humeur.»
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Les promesses sont belles mais le monde des formats est impitoyable. Pour un MP3 qui s’impose mondialement, combien de perdants ? Sur la ligne de départ de la musique 2.0, le MXP4 a déjà un très sérieux concurrent avec l’iKlax. Ce format offre encore plus de possibilités à l’auditeur puisqu’il permet aux musiciens de proposer plusieurs versions de chaque
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Le succès de ces formats reposera sur la bonne volonté des créateurs. Il est impossible de transformer un MP3 en MXP4 ou en iKlax ; il faut donc que l’artiste enregistre son titre avec les logiciels fournis par les deux start-up. Pour l’instant, pas de grosses pointures signalées dans le maigre catalogue du MXP4, à part Passi et Nitin Sawhney. Pourquoi tant de prudence? Philippe Ulrich avance une réponse : «Il n’y a pas de cellules de recherche et développement dans les maisons de disques, personne ne travaille sur la question des formats. Pourtant, l’innovation pourrait sauver l’industrie du disque. Le monde du jeu vidéo a été maintes fois relancé par l’arrivée de nouvelles plateformes, à l’image de la récente Wii de Nintendo. Pourquoi la musique n’en ferait pas autant?» En attendant la démocratisation de la musique interactive, le monde du clip surfe sur la vague. Arcade Fire a fait sensation en octobre dernier avec son clip Neon Bible, consultable sur beonlineb.com. Réalisée en flash, la vidéo permet à l’internaute de manipuler les mains du chanteur Win Butler, créant des animations différentes selon les clics. Les New-Yorkais de MGMT ont embrayé avec leur clip Electric Feel, déclinable en plus de 4 millions de versions différentes. La vidéo embarque une série de boutons cliquables qui permettent de modifier à l’envi les couleurs et l’ambiance du clip, pour une vraie orgie de psychédélisme. Rien de révolutionnaire au pays du jeu vidéo, mais un sacré rappel à l’ordre pour l’industrie du clip vieille école. _Baptiste DUROSIER
MXP4
OFF THE RECORD Wizzgo est un logiciel gratuit qui permet d’enregistrer les programmes de la TNT d’une simple requête sur son PC, sans avoir besoin d’un poste télé ou d’un magnétoscope. www.wizzgo.com
VIDÉODROME Quel clip cartonnait lorsque le Mur de Berlin s’est écroulé ? Love Shack des B-52’s. Grabb.it TV, véritable musée de l’âge MTV, propose un hit pour toutes les semaines de 1980 à 1998. www.grabb.it/tv
LA VIE EN ROSE Qui se cache derrière le téléphone rose ? Le photographe américain Phillip Toledano a photographié l’envers du décor, loin des publicités interlopes. Des visages étrangement ordinaires. http://phonesexthebook.com
BON VIEUX TIMES Le vénérable journal anglais The Times vient de mettre en ligne toutes ses Unes de 1785 à 1985. Deux cent ans de journalisme, de Waterloo à Churchill, à portée de clic. www.timesonline.co.uk/tol/archive
FILS DE PUB Depuis 9 ans, le blog culte Joe la Pompe recense les plagiats dans le domaine publicitaire. Un manifeste de la culture mondialisée et uniformisée. www.joelapompe.net
[ mikspekatr] sigle 3
MOT @ MOT
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instrument joué. L’auditeur peut mixer à loisir ses pistes, en renforcer une, en éliminer une autre et naviguer dans l’architecture du morceau au sein des limites fixées par l’artiste. Les fans de karaoké se réjouissent déjà de telles innovations...
(Dérivé de la norme de codage audiovisuelle MPEG-4 ou MP4, introduite en 1998 par le Moving Picture Experts Group. Le « X » désigne un agent mutagène améliorant les capacités d’un ensemble organique donné.) 1. Format interactif audiovisuel développé par Musinaut. Cette norme, annoncée pour la fin 2008, permet à l’auditeur de lire à partir d’un fichier unique plusieurs versions d’une même chanson. Sur le MXP4 de l’hymne des JO de Pékin, on trouve la version chuchotée par des Tibétains bâillonnés. 2. n.m. inv. Individu enclin à la soumission, physique ou intellectuelle, face aux élans d’interactivité manifestés par un tiers sur sa personne. Syn. : souffre-douleur, tête de Turc. On a forcé Bertrand à aller sur la plage en bikini. C’est grave le MXP4 de la colo.
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JEUX VIDÉO Les Legos, du placard à la console
Lego trip Morpions, ils se sont cassé les dents sur les pièces de Lego. Dorénavant, c'est avec des manettes que les (grands) enfants font remuer les petits hommes jaunes. Comment les briques danoises ont-elles su transformer le plastique en or 2.0 ? En s’alliant avec le cinéma, pardi.
Extrait de Lego Batman : the videogame (Traveller’s Tales) sortie fin 2008.
L‘
épopée des Legos n’aurait pas fait long feu si un incendie n’avait brûlé, en 1960, la chaîne de production de jouets en bois d’un charpentier danois. Chauffé à blanc par le sinistre, Ole Kirk décide de se consacrer entièrement à ses petits parpaings en acétate de cellulose. Cinquante ans plus tard, il se vend sept jouets Lego à la seconde, et l’on comptait en 2006 près de 65 pièces de plastique pour chaque habitant du globe. La firme danoise est l’une des rares, aux cotés des poupées de Mattel, à avoir résisté aux assauts du numérique sur les mercredis après-midi. Mieux, avec un chiffre d’affaires en progression constante depuis 2004, Lego a pris d’assaut le monde du jeu vidéo en 2005 pour s’en faire un allié de poids. Le leader du loisir d’intérieur a réussi à tendre une passerelle entre support physique et support numérique, là même où les majors du disque se LE LANGAGE UNIVERSEL N'EST PAS L'ANGLAIS OU prennent les pieds dans la Toile. En 1994, Douglas Coupland, écrivain MICROSOFT WINDOWS, C'EST LEGO. et journaliste pour le magazine Wired, affirmait : « Le langage universel n'est DOUGLAS COUPLAND, ÉCRIVAIN. pas l'anglais ou Microsoft Windows, c'est Lego. Il serait bien naïf de croire le contraire, car cette petite brique en plastique, comme les 26 lettres de l'alphabet, a véritablement changé le monde. » De fait, Lego peut faire sien n’importe quel langage ludique pour peu que l’on soit patient. Après la série des «serious Lego » (pendant physique des serious games) et quelques adaptations vidéoludiques qui sentaient la carotte cramoisie, les petites briques se mettent à parler sabre laser et Jedi à l’occasion de la sortie en 2005 de Lego Star Wars : le jeu vidéo. Cet opus, vendu à plusieurs millions d’exemplaires, mais boudé par la critique, a rencontré un succès aussi transgénérationnel que les blocs en dur.
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_Étienne ROUILLON
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Lego Star Wars titille habillement votre fibre nostalgique en misant sur une relecture décalée des scènes cultes du space opera : Darth Vador revendique sa paternité, preuve polaroïd à l’appui ; Luke préfère jouer du trampoline plutôt que du sabre chez Jabba the Hutt. Inspirées de la pléthore de films d’animation bricolés par des aficionados des jouets, ces capsules d’humour débridées ont eu raison des plus sceptiques. Ce succès, aussi inattendu qu’un Bienvenue chez les ch’tis au cinéma, a donné des ailes au studio indépendant Traveller’s Tale : sa trilogie originale de Star Wars se place numéro trois des ventes en 2006. Parallèlement, la croissance des ventes de briques, moribondes en France, est relancée par celles des jouets dérivés de la saga (+ 21% en 2005). La frontière entre l’expérience ludique numérique et physique vole définitivement en éclats avec la commercialisation de Lego Indiana Jones : la trilogie originale le 6 juin dernier. Une réplique sismique est attendue fin 2008 avec la sortie de Lego Batman : the videogame, à rapprocher de celle du film The Dark Knight. En douze ans d’existence, www.lego.com a hébergé des centaines de mini-jeux et surtout un logiciel permettant de créer virtuellement des constructions que l’on peut ensuite commander à la chaîne de production. En 2007, le site plastronne avec 12 millions de visiteurs uniques par mois, dont 5 millions qui viennent pour jouer en ligne. Mark Hansen, directeur du développement chez Lego, annonce en toute logique la venue pour cette année d’un jeu de rôle massivement multijoueur sur PC… et moquette : « Une sorte de Lego Star Wars puissance un million. » Vous pourrez voir évoluer virtuellement vos édifices en kits avant qu’ils ne finissent dans le sac à aspirateur, les confronter avec ceux de millions d’internautes, le tout dans un univers perpétuel. Pirates et chevaliers s’affronteront à l’écran pendant que parents et enfants lutteront pour le contrôle du clavier.
OPOONA Pouf ! Ambiance doucement rondouillarde avec ce jeu d’aventure atypique mettant aux prises des extraterrestres bibendumesques se caillassant à coup de Smarties pastels. Disponible : 25 juillet // Éditeur : Koei // Plateforme : Wii
SOUL CALIBUR IV Tzing ! Armés d’épées insolites, les mentors de cette saga d’escrime musclée croisent de nouveau le fer. Darth Vador, Yoda et autres Jedis sont les guests de luxe de ce quatrième opus. Disponible : 31 juillet Éditeur : Namco Bandai // Plateforme : Xbox 360, PS3
TOM CLANCY’S HAWX Ta-ta-ta ! La franchise Clancy s’illustre encore, mais cette fois dans les airs. Aux commandes d’un avion, on aura le cœur serré de devoir bombarder des décors au photoréalisme stupéfiant. Disponible : Sept. // Éditeur : Ubisoft // Plateforme : PC, PS3, XBOX 360
WALL-E Bip-bip! Le robot le plus charismatique depuis R2D2, pixellisé par Pixar, traînera ses chenilles timides sur grand et petit écran. Gameplay original et bouille sympathique pimentent cette chouette tambouille. Disponible : 25 juillet // Éditeur : THQ // Plateforme : Tous supports
STRONG BAD’S COOL GAME FOR ATTRACTIVE PEOPLE Yeah ! Incarnez le délirant Strong Bad, héros d’un dessin animé hilarant et autoproclamé «personnage le plus cool du monde». Un jeu cartoon téléchargeable en cinq épisodes tonitruants. Disponible : Juillet - Éditeur : Telltale Game // Plateforme : PC, WiiWare
Plus d’infos sur http://universe.lego.com
LE SITE www.spore.com Le papa des Sims, best-seller du jeu ronronnant sur PC, s’apprête à faire rugir de bien étranges créatures avec Spore, prévu pour la rentrée. Loin de la simulation de vie pour CSP+ assoupie, il s’agit ici de se chapeauter d’une perruque darwinienne et de materner des êtres à travers le processus évolutif, depuis l’état bactérien jusqu’au techno-peuple avide de conquête spatiale. L’Atelier des créatures vous permet de façonner, gratuitement dès cet été, des bestioles à votre guise : singetabouret, taureau ailé, grenouille princière…
_E.R.
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GORGE PROFONDE Gerard Damiano
Classique du porno seventies, Gorge Profonde demeure un film de genre, drôle et audacieux, en plus d'être une œuvre historique marquante.
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lle suçait comme personne. Linda Lovelace n'avait pas son pareil, ou plutôt sa pareille, pour prendre en bouche les sexes les plus gros et les engloutir vite jusqu'aux tréfonds de sa gorge. Cette prouesse a fait de cette Américaine moyenne, finalement ni belle ni laide, une star dans son genre, dont la « technique » a, au début des années 1970, marqué plus d'un spectateur anonyme. Le film fut sans doute l’occasion aussi de quelques exercices sexuels périlleux au sein des ménages américains les moins pudibonds mais pas forcément habiles en fellation sans filet. Linda, elle, était sans doute douée pour le porno, genre qu'elle a aidé à populariser avec ce film toujours aussi surréel. Tourné en 1972 par un grand petit maitre du porno, Gerard Damiano, Gorge Profonde (Deep Throat en VO) a été vu par des millions de spectateurs de New York, Paris et Beyrouth (sans doute). À l'époque, le X n'était pas interdit, il n'était pas non plus un cinéma de niches fétichistes. Il était d'abord un cinéma de genre, presque du cinéma bis. Gorge Profonde joue avec les codes de ce cinéma-là, oscille entre drôlerie et excitation, fait sonner les cloches au moment de l'orgasme et situe le clitoris de Linda tout au fond de sa gorge – d'où la nécessité de sucer profond : une manière de pointer, peut-être, que l'on peut jouir avec la bouche, en l'ouvrant grand. _Julie GUÉRIN ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++
CYCLE RENOIR Le récent décès de Jean Delannoy nous pousse à rendre hommage à l’un des contemporains du cinéaste : Jean Renoir. Fils du peintre Auguste Renoir, scrutant les faux-semblants de la bourgeoisie, son œuvre naturaliste, ample et populaire puise dans le patrimoine théâtral, littéraire et pictural français. De La Bête humaine à La Grande Illusion en passant par Nana, le legs de Renoir est immense sur le cinéma français d’aujourd’hui – Desplechin s’y réfère frontalement.
CYCLE TAVERNIER La dernière Palme d’or, attribuée à Entre les murs, incite à redécouvrir le cinéma de Bertrand Tavernier, récompensé pour un autre grand film sur l’école : Ça commence aujourd’hui. L’occasion de se plonger dans la très belle carrière d’un cinéaste toujours en activité, dont on attend le prochain film avec impatience (Dans la brume électrique). De l’épique, du polar, du social, du drame, de la comédie… Un réalisateur insaisissable et généreux, qui n’a pas fini de surprendre. 68 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_ÉTÉ 08
Retrouvez actuellement plus de 900 films sur www.mk2vod.com
SCIENCE-FICTION
La chronique des objets de demain... La combinaison vieillissante
Entre deux âges En juin dernier se tenait l’UPFING 2008, une université techno et pro-senior. La société Seniorsphère y a présenté Samo, sorte d’exosquelette simulant une sénescence physique d’une cinquantaine d’années. L’occasion rêvée pour notre plus jeune rédacteur d’usurper une maturité méritée. oyage. Barboter la combinaison vieillissante à un aréopage de piétons en déambulateur s’est avéré plus que facile. Je saute dans le premier train, direction la résidence du « Repos éternel » sur la Côte d’azur. Dans les sanisettes du rapide, j’entame ma transformation : gaines amoindrissant la motricité des membres, casque réducteur de bruit, le temps d’enfiler des pantoufles de 10 kilos et me voilà raisonnablement géronte.
V
Bizutage. Quand on prend autant de bouteille en si peu de temps, on reste un peu en carafe. C’est parti comme en 40 pour dix bonnes minutes de combat titanesque opposant un fessier septuagénaire, sur ma droite dans le coin vermeil, à la cuvette des gogues, sur ma gauche. Coincé aux commodités par la vétusté de mes jarrets, je ne dois le salut qu’au contrôleur. « Toc toc ! Billets s’il vous plaît, mon bon monsieur. Holà, dis-donc l’ancêtre, si tu crois que tu vas me faire avaler que t’es détenteur d’une carte 12-25, tu te fous ton petit doigt arthrosé dans ta cornée amblyope. » Petit con.
Illustration : © Thomas DAPON
Carnage. Arrivé sur une plage bondée de jeunes bayant aux corneilles, j’arbore ma carte de vétéran et déplace une tripotée de Marie-couche-toi-là dépoilées comme c’est pas Dieu possible. « Espèce de Pierre Tchernia, t’es tellement vieux que t’as connu la pub sur France Télévisions. » Je n’y bite rien, doit y avoir du sable dans mon sonotone. Un indécent élan d’incontinence m’enjoint d’aller déballaster au large des côtes. Emporté par le courant, je suis ramené au bord par une poupée dont la lune m’inspire le lancement d’une fusée dans la chaleur d’une nuit guyanaise. Pragmatique, la jeunette s’enquiert : «Fortune de l’immobilier? Armateur chypriote? – Euh non, pas du tout, je suis stagiaire dans une rédaction parisienne, mais… non t’en va pas…» Y a pas à dire, tout fout le camp. _Étienne ROUILLON
COUPS DE VIEUX 1/3 des Français aura plus de 55 ans en 2020. Grace à Seniorsphère, vous apprendrez également avec félicité qu’en moyenne l’on devient papy à 50 ans, que votre dernier moutard vous abandonne à 52, qu’à 57 vous êtes orphelin, juste avant de partir à la retraite à 58 ans. Bref, faut pas traîner. 76 ans. C’est l’âge auquel les Français jugent que commence la vieillesse, selon l’INSEE. Mais si vous êtes pressés, vous pouvez demander de tester la combinaison sur www.seniorsphere.com. Canicule. Cette année, le Ministère de la santé vous recommande en cas de cagnard de « ne pas sortir de 11h à 21h, de ne pas boire d’alcool. Ni jardinage, ni sport »… ni vacances. Cet été, sortir tue. Bonnes vacances à tous. _E.R.
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