Trois Couleurs #64 – Septembre 2008

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CINÉMA I CULTURE I TECHNOLOGIE

NUMÉRO 64 I SEPTEMBRE 2008

JAOUI /JAMEL

« AU DÉPART, ON NE SE CALCULAIT PAS. »





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ÉDITO

CINÉMA

APPRENDRE À ÉCRIRE

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Tendances, Ciné fils, Regards croisés, Scène culte

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DOSSIER : « Écrivains-cinéastes, de l’écrit à l’écran » Critiques, portraits, entretiens autour des films de Michel Houellebecq, François Bégaudeau et Christophe Honoré

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EN COUVERTURE : Parlez-moi de la pluie Entretien croisé Jamel Debbouze / Agnès Jaoui, critique du film Rumba : entretien des réalisateurs, critique du film LE GUIDE des sorties en salles

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CULTURE 48_ 50_ 52_ 54_ 56_ 58_

DVD : Le cinéma d’horreur à l’heure numérique LIVRES : Le « mystère » Thomas Pynchon MUSIQUE : La global soul d’Ayo LES BONS PLANS DE RADIO ART : Christian Boltanski à la Maison rouge PAR : Nicolas Comment

TECHNOLOGIE 60_ 62_ 64_ 66_

RÉSEAUX : La gratuité à l’assaut du cinéma JEUX VIDÉO : Spore réinvente la narration V.O.D. : La Religieuse de Jacques Rivette SCIENCE-FICTION : La voiture à air comprimé

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SOMMAIRE # 64

En cette période de rentrée des classes, nous aurions pu axer ce numéro sur la question scolaire : Entre les murs, La Belle Personne ou Afterschool sont trois très beaux films ayant pour cadre, voire pour enjeu, l’école. Mais, très vite, un autre type d’apprentissage, non moins passionnant, a retenu notre attention : celui de l’écriture cinématographique. Écrire un film, ce n’est pas écrire un roman, c’est même parfois l’inverse – lire un livre avec des yeux de cinéastes, par exemple. Ce mois-ci, trois écrivains (Michel Houellebecq, Christophe Honoré, François Bégaudeau) passent devant ou derrière la caméra. De l’écrit à l’écran, c’est une écriture neuve qui s’ouvre à eux. Les textes s’incarnent, s’épaississent. Les paysages se matérialisent, le réel s’offre plus généreusement. Découvrir d’autres musiques que celle des mots, d’autres contraintes que celle de l’indicible. Appréhender des durées, des outils différents. Comprendre, ainsi, que des corps peuvent à eux seuls raconter une histoire, ce que font ceux, burlesques et magnifiques, de Rumba. En entretien, Agnès Jaoui et Jamel Debbouze soulignent à quel point leur nouveau film documente l’évolution de leur relation, d’abord conflictuelle, aujourd’hui apaisée. Un apprentissage de l’autre rendu en partie possible par cette école de la vie qu’est le cinéma. _Auréliano TONET

ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA / 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS / 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION > Elisha KARMITZ I DIRECTEUR DE LA RÉDACTION > Elisha KARMITZ elisha.karmitz@mk2.com I RÉDACTEUR EN CHEF > Auréliano TONET aureliano.tonet@mk2.com / troiscouleurs@mk2.com RESPONSABLE CINÉMA > Sandrine MARQUES sandrine.marques@mk2.com I RESPONSABLE CULTURE > Auréliano TONET I RESPONSABLE TECHNOLOGIE > Étienne ROUILLON etienne.rouillon@mk2.com ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO : Christophe ALIX, Sylvain BOURMEAU, Isabelle DANEL, Baptiste DUROSIER, Clémentine GALLOT, Jacky GOLDBERG, Roland JHEAN, Rémy KOLPA KOPOUL, Vincent MALAUSA, Mathieu MAROIS, Bernard QUIRINY, Jean-Christophe SERVANT, Léo SOESANTO, Anne-Lou VICENTE I ILLUSTRATIONS > Thomas DAPON, DUPUY-BERBERIAN, Fabrice GUENIER, LABOMATIC™, Arnaud PAGÈS DIRECTRICE ARTISTIQUE > Marion DOREL marion.dorel@mk2.com I MAQUETTE > Marion DOREL, Louise KLANG IMPRESSION / PHOTOGRAVURE > FOT I PHOTOGRAPHIES > AGENCE VU’, RAPHAËL DUROY, PHILIPPE LÉVY, JÉRÉMIE NASSIF, DR PUBLICITÉ > RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA > Laure-Aphiba KANGHA / 01 44 67 30 13 laure-aphiba.kangha@mk2.com I CHEF DE PUBLICITÉ > Solal MICENMACHER / 01 44 67 32 60 solal.micenmacher@mk2.com © 2008 TROIS COULEURS // issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. // Tirage : 150 000 exemplaires // Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique.


Photo : © Jérémie NASSIF

L’échappée belle

À l’affiche de La Belle Personne et De la guerre, la jeune Léa Seydoux impose son mélange d’impudence et de douceur sur les écrans de la rentrée. Quand il l’a vue débarquer, il a tout de suite su qu’elle serait la bonne personne, sa Belle Personne, sa Princesse de Clèves. « Léa a ce truc d’être à la fois intemporelle et complètement d’aujourd’hui, avec son ovale de visage qui rappelle Adjani jeune, confie Christophe Honoré. Elle a le débit de Deneuve, elle parle très vite, mais on comprend chacun de ses mots. Des Léa Seydoux, le cinéma français en trouve une tous les cinq ans. Ce n’est pas l’actrice d’un seul rôle. » Et pour cause : la jeune fille, 23 ans, ne tient pas en place. Lycéenne brune, sensible et intimidante chez Honoré, la voilà blonde cendrée et cinglée, adepte d’une secte hédoniste chez Bertrand Bonello (De la guerre). L’effrontée dit avoir « changé dix fois d’école », qu’elle « détestait », entre deux cours de piano, violon, danse africaine, hip-hop, etc. Mère humanitaire au Sénégal, père ingénieur, et elle qui, dès 6 ans, joue les lutins sur pellicule : «Peu après le tournage, le réalisateur a fait une dépression », sourit-elle. Quinze ans plus tard, nouveaux débuts d’actrice, plus sensuels ceux-là, chez Sylvie Ayme (Mes Copines) puis Catherine Breillat (La Vieille Maîtresse). « Il est bien plus troublant, face à la caméra, de montrer ses émotions que sa poitrine », glisse-t-elle, en connaissance de cause. Son panthéon personnel ? Carmen, Belle du Seigneur, L’Ennui, Gena Rowlands. Léa Seydoux a le goût du risque, elle qui en prend de doux, si doux.

_Au.To.

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TENDANCES

CALÉ

DÉCALÉ

RECALÉ

L’école

L’armée

L’Église

En attendant Les Collégiens buissonniers de Riad Sattouf, prévu pour juillet 2009, Entre les murs et La Belle personne nous rappellent que la salle de classe peut être un décor de cinéma tout sauf académique. Félicitations.

Parodie musclée d’Apocalypse Now, Tonnerre sous les Tropiques de Ben Stiller, en salles le 15 octobre, fait du bourbier vietnamien un terrain de jeu pour troupe en déroute. Jeunesses poutiniennes s’abstenir.

Qu’elles prônent la jouissance absolue ou l’immortalité, les sectes font de l’ombre à Jésus, nous disent en substance De la guerre et La Possibilité d’une île. Selon certaines sources, Benoît XVI en aurait mouillé sa calotte.

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Entre les gouttes

Ennuyeuse, la pluie ? Pas au cinéma. Quand elle tombe, c’est un précipité d’émotions : les passions amoureuses s’exacerbent, les conflits éclatent, le déluge menace. Pas étonnant que les réalisateurs aient si souvent la tête dans les nuages… Plic ploc. La pluie tombe à grosses gouttes. Sortez Les Parapluies de Cherbourg. À l’issue de la projection du film à Cannes en 1964, André S. Labarthe consigne dans Happy End ce dialogue entre deux spectateurs : « Ça vous a plu ? – À verse. » Un enthousiasme de la plus belle eau que suscite encore le célèbre numéro de danse de Frank Sinatra dans Chantons sous la pluie. Pour l’écrivain Martin Page (De la pluie), « la pluie tombe comme nous tombons amoureux : en déjouant les prévisions ». Paradigme qu’illustre Woody Allen dans ses films où la promiscuité d’une averse contribue à la reformation d’un couple usé (Meurtre mystérieux à Manhattan) et l’orage, à une intense scène de sexe (Match Point) entre deux amants tragiques. Passions contrariées : depuis l’habitacle d’une voiture, une mère de famille regarde son amant disparaître à jamais sous un rideau de pluie (Sur la route de Madison), tandis qu’un couple se délite au rythme des saisons (Les Climats). Orage, ô désespoir pour une jeune aristocrate délaissée par son promis (Retour à Howard’s End). Si les histoires d’amour prennent l’eau, c’est sous une pluie battante que l’action atteint son climax : course-poursuite de voitures électrique (La Nuit nous appartient), mise à mort métaphysique (Apocalypse Now), tempête cataclysmique (Le Jour d’après). Dans les villes de l’après-apocalypse, la pluie tombe sans discontinuer, dans une ambiance de déluge biblique (Blade Runner, Seven, Pluie noire). Parlez-moi de la pluie nous demande pourtant Agnès Jaoui. Et quand elle s’abat, lustrale, dans Shara ou ABC Africa, la vie fait retour, préfigurant les plus beaux arcs-en-ciel. Une histoire vieille comme la pluie, on vous dit. _S.M.

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CINÉ FILS

La bande originale

ALEX BEAUPAIN « 33 tours » (Naïve) On triche un peu, car 33 tours n’est la BO d’aucun film répertorié, si ce n’est celui, blafard et fantasmatique, qui se joue dans la tête d’Alex Beaupain. De fait, peu de disques revendiquent tel ancrage cinéphile : du titre des chansons (À bout de souffle, I Want to Go Home) au casting perlé d’actrices (Ludivine, Chiara, Clotilde…), ce second album solo se regarde plus qu’il ne s’écoute. Parente des BO des films de Christophe Honoré, qu’il a presque toutes composées, sa french pop a l’élégance, leste et fragile, des plus beaux drames sentimentaux.

_Au.To.

Le ciné livre

JEAN-MICHEL FRODON « La Critique de cinéma » (Cahiers du cinéma)

Est-il profession plus enviée et décriée à la fois ? Dans cet ouvrage synthétique, Jean-Michel Frodon, directeur des Cahiers du cinéma, explicite la spécificité du travail de critique de cinéma. Au croisement du journalisme, de la littérature et de l’université, le critique est celui qui questionne et déploie, à destination du lecteurspectateur, le caractère plus ou moins « ouvert et troué » d’un film. Extraits de textes fondateurs, tour d’horizon pratique et perspectives historiques complètent cet éclairant précis.

_Au.To.



REGARDS CROISÉS

Carell vs Ferrell

Illustration : Fabrice GUENIER

De Frangins malgré eux à Max la menace, les deux kings de la comédie américaine occupent l’affiche. L’occasion de sonder la douce folie de ces ahuris jamais sereins, cachant toujours un mauvais tour sous leur masque tranquille.

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teve Carell et Will Ferrell, en voilà deux qui ne manquent jamais d’air, ni d’elles. Lorsque le grand public le découvre dans 40 ans toujours puceau, Carell semble heureux au milieu de ses jouets, avant que l’obsession amoureuse ne le rattrape brutalement. Will Ferrell est lui aussi complexé par la gent féminine, mais le manifeste différemment : rouleur de mécaniques et bombe lubrique (Les Rois du Patin, Semi-Pro), plus dans la démonstration de force que dans l’action véritable. Pas étonnant, dès lors, que ce soit une imitation de George W. Bush qui l’ait rendu célèbre… Ces deux adolescents à l’étroit dans leur corps d’adulte, volontiers schizo et inquiétants sous leurs dehors comiques, se sont déjà croisés plusieurs fois : en 1995 lors d’une audition, remportée par Ferrell, pour le Saturday Night Live (un show télévisé culte aux États-Unis), dans Melinda et Melinda de Woody Allen, dans Ma Sorcière bien aimée et surtout dans Présentateur vedette, première collaboration du duo Ferrell-McKay (son complice réalisateur), qu’on retrouvera pour la troisième fois dans Frangins malgé eux (le 19 novembre). Carell dans Bruce tout-puissant, Ferrell dans Présentateur vedette : ils y ont joué chacun le même rôle de speaker télé en perte de ses moyens et néanmoins imperturbable ; deux scènes cultes et jumelles où se trouve condensé leur génie, cette aptitude inouïe à garder leur contenance alors que le monde autour d’eux s’écroule. Couplée à l’austérité et l’élégance de Carell – qui font merveille dans Little Miss Sunshine, la série The Office et bientôt dans Max la menace (le 10 septembre) –, cette capacité le rapproche de son aîné Peter Sellers, tandis que l’aspect joyeusement bourru de Ferrell évoquerait plutôt Jerry Lewis. Chacun à sa manière n’a en tout cas qu’une obsession : stay classy. _Jacky GOLDBERG

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SCÈNE CULTE L’Esquive

Mis en pièces LA PETITE HISTOIRE : Avec L’Esquive, Abdellatif Kechiche renouvelle le film de banlieue. Loin des stéréotypes liés à la représentation des minorités, le réalisateur fait cohabiter la langue stylisée de Marivaux et le parler naturaliste des jeunes des quartiers. Le théâtre devient un lieu de conquête politique autant qu’amoureux. Tourné à Saint-Denis, le film a été récompensé par cinq Césars, dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur. Il a permis de révéler des jeunes talents comme Sara Forestier, une « nature » qui depuis enchaîne les rôles au cinéma. Ou bien encore Sabrina Ouazani, que l’on retrouve dans La Graine et le mulet.

LE PITCH : Pour le spectacle de fin d’année, Lydia (Sara Forestier) répète la pièce de Marivaux Le Jeu de l’amour et du hasard avec ses camarades de classe. Krimo (Osman Elkharraz) tombe amoureux d’elle et pour la séduire, il devient Arlequin. Mais introverti et tétanisé par ses sentiments, le garçon peine à interpréter son texte. Lors d’une répétition, l’enseignante de français le bouscule devant toute la classe.

[Krimo scrute le plafond.] LA PROF : Bon, non, s’il te plaît, on oublie le coup du lustre parce que là... Tu la vois, elle est belle, elle t’a manqué. Alors le lustre, même s’il est très beau, tu ne le vois pas. D’accord ? KRIMO : « Enfin Marine. je vous vois et je ne vous quitte plus car j’ai trop… » LA PROF : Y’a un lustre, là aussi ? KRIMO : Hein ? LA PROF : Bah, je te demande s’il y a un lustre car au lieu de la regarder, tu regardes tes pieds. C’est elle que tu dois regarder. Allez, vas-y. KRIMO : « Enfin Marine, je vous vois et je ne vous quitte plus car j’ai trop pâti d’avoir esquivé votre présence et j’ai cru que vous esquiviez la mienne… » LYDIA : « Il faut vous avouer, Monsieur, qu’il en était quelque chose. »

KRIMO : « Ah, que ces paroles me fortifient… » LA PROF : Non, mais là, tu le fais exprès ?! KRIMO : De quoi ? LA PROF : Bah rien, tu me débites tes répliques les unes après les autres. Il n’y a pas de cœur, de conviction. On l’a vu déjà, ça ! KRIMO : Je reprends tout ? LA PROF : Non. « Il faut vous avouer, Monsieur… » [Lydia reprend. Krimo lui donne la réplique.] LA PROF [l’interrompt encore] : Ne la quitte pas des yeux! Il n’y a aucune raison que tu regardes le public à ce moment-là ! [Ils rejouent la scène.] LA PROF [agacée, hurle à Krimo] : Amuse-toi ! Je ne sais plus comment te le dire! Amuse-toi! C’est drôle tout ça! C’est heureux. Tu comprends ? Et en plus, il est déguisé, il s’amuse, il imite un maître. Tu sais ce que ça veut dire ? Ça veut dire quelqu’un qui a du pouvoir. Donc essaie de jouer quelqu’un qui a du pouvoir, essaie de frimer, essaie – je ne sais pas – avec de l’énergie ! Et puis d’aller vers quelque chose d’autre… je sais pas… de sortir de toi pour aller vers un autre langage. Il imite quelqu’un d’autre ! Est-ce que tu te rends compte de l’importance du langage dans cette pièce et dans cette scène ?

L’Esquive, scénario de Ghalya Lacroix et Abdellatif Kechiche, film d’Abdellatif Kechiche (2003, DVD disponible chez Aventi).

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Pages 6 à 12 réalisées par S.M., Au.To. et J.G.




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DOSSIER

Cette année, la rentrée cinématographique a des allures de rentrée littéraire. La Belle Personne, La Possibilité d’une île, Entre les murs : trois films écrits, joués et / ou réalisés par des écrivains, trois lectures d’œuvres littéraires avec les yeux et les outils du cinéma. Nous avons échangé, parfois longuement, avec François Bégaudeau, Christophe Honoré et Michel Houellebecq, dont les trajectoires, après avoir bifurqué par le théâtre, le professorat ou la poésie, se rejoignent cet automne dans les salles obscures, pour des résultats souvent opposés mais toujours passionnants. De Guitry à Pérec, de Pagnol à Cocteau, voyage dans ce territoire, français par tradition mais universel par ambition, qu’occupent les « films tremblés » des cinéastes-écrivains, pour reprendre la belle expression de Christophe Honoré. _DOSSIER COORDONNÉ PAR SANDRINE MARQUES ET AURÉLIANO TONET

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MICHEL

HOUELLE BECQ EXTENSION DU DOMAINE DU CINÉMA À l’heure où sort le film de Michel Houellebecq, adaptation osée de son roman La Possibilité d’une île, retour sur les relations troubles qu’entretiennent littérature et cinéma, faites de désir, de défiance et de jalousie réciproques.

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n récompensant cette année Entre les murs et Gomorra, deux beaux films issus de deux livres majeurs, le jury du festival de Cannes a, d’une certaine manière, reconnu l’immense dette du cinéma à l’endroit de la littérature. Une dette qu’un lieu commun aussi juste que commode tente, en général, habilement d’effacer : les chefs-d’œuvre littéraires ne font, dit-on à raison, que très rarement des chefs-d’œuvre cinématographiques. Pourtant, le cinéma ne cesse de vampiriser la littérature, en pillant allégrement ce formidable gisement de fiction. Mais aussi, surtout en France où les réalisateurs sont souvent considérés comme des «auteurs», en tentant de plaquer sur une œuvre pourtant collective la figure exemplaire du créateur solitaire

heureusement jamais vues dans le monde de l’édition !). Quant au second complexe, la liste de plus en plus longue des auteurs de best-sellers aspirant à réaliser « leur » film trahit un besoin de reconnaissance que la littérature semble ne plus être susceptible de leur apporter. À la différence des Yann Moix, Frédéric Beigbeder, Bernard Werber ou Philippe Claudel, et même s’il vend autant voire davantage de livres qu’eux, Michel Houellebecq est un écrivain – je veux dire : un grand écrivain, reconnu comme tel à travers la planète – et son envie de cinéma ne me semble pas relever des mêmes motifs. C’est dans la tradition d’autres grands écrivains qui ont joué avec la possibilité du cinéma – Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet, Samuel

« BIEN AVANT D’ÊTRE ADAPTÉ POUR LE CINÉMA, LE ROMAN FUT D’ABORD UN FILM MENTAL. » qu’est l’écrivain. Sans doute la Nouvelle Vague, et l’inclination très littéraire de ses tenants – Truffaut, immense lecteur, mais aussi Rohmer qui publia un roman avant de faire du cinéma – a-t-elle joué un rôle décisif dans la mise en place de cette relation ambiguë qui prévaut ici entre littérature et cinéma. Une relation caractérisée par un double complexe d’infériorité : du cinéma à l’égard de la littérature au plan esthétique ; de la littérature à l’égard du cinéma au plan économique. Pour se convaincre de la réalité du premier, il suffit de regarder la façon dont le monde du cinéma tente de rationaliser, d’industrialiser, de bétonner même ce qu’il appelle «l’écriture», en y collant parfois des équipes de quinze personnes auxquelles on fait réécrire cinquante fois un scénario (des choses 16 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_SEPTEMBRE 08

Beckett... – qu’il convient, au vu de son très singulier premier long métrage, de le replacer. Ce que, visiblement, le monde du cinéma n’a pas compris, qui est allé chercher Michel Houellebecq pour des raisons aux antipodes de celles pour lesquelles lui a frappé à la porte du cinéma. Ce n’est certainement pas pour « raconter une histoire» que Houellebecq voulait faire un film ; plutôt pour étendre le domaine cinématographique, continuer par d’autres moyens la quête du bonheur poétique et le sens de son combat esthétique très personnel. La Possibilité d’une île (le film) ne manquera pas de déconcerter ceux qui jusqu’ici se contentaient de l’image caricaturale d’un Houellebecq écrivain du monde de l’entreprise et des clubs échangistes. Film étrange, sans nul doute – entre


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DOSSIER

..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... LA POSSIBILITÉ D’UNE ÎLE ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... UN FILM DE MICHEL HOUELLEBECQ ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... AVEC BENOÎT MAGIMEL, RAMATA KOITE, ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... PATRICK BAUCHAU… ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... DISTRIBUTION : BAC FILMS // FRANCE, 2007, 1H25 ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... SORTIE LE 10 SEPTEMBRE ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... .....................................................................

C’est arrivé près de chez vous, pour les scènes d’humour froid de la partie contemporaine, et C’est arrivé sur la planète Mars, pour les sublimes plans d’anticipation, entre Benoît Poelvoorde et Andreï Tarkovski en quelque sorte. Pour l’appréhender à sa juste mesure, il faut resituer ce long métrage dans l’ensemble des productions de Michel Houellebecq (romans, poèmes, essais, disques…). C’est en effet l’une des forces de son parcours que de toujours tenter d’élargir les domaines esthétiques qu’il investit, de faire tomber les barrières. S’il a eu envie de cinéma, ce n’était certainement pas pour produire un blockbuster à partir d’un best-seller. Plutôt pour poursuivre, d’une autre manière, ce qu’il place par-dessus tout : la poésie. Comme il a pu le

carrières géométriques, grottes profondes et fraîches… Le roman fut d’abord ce film mental, bien avant d’être adapté pour le cinéma. Et c’est ce film mental que Michel Houellebecq a voulu révéler sur une pellicule, sans jamais redonder avec le roman, en cherchant ce que le cinéma pouvait lui apporter de spécifique, tout ce que la littérature, pourtant si puissante, ne pouvait pas. Saisi d’un très ancien désir de cinéma (il a réalisé deux courts métrages pendant ses études), Michel Houellebecq s’était assuré lors de la signature du contrat du roman qu’il disposerait de moyens de production pour en tirer un film. Les choses se sont avérées plus compliquées et la recherche de financement fut délicate, les représentants du monde du

« C’EST L’UNE DES FORCES DE HOUELLEBECQ QUE DE TOUJOURS TENTER D’ÉLARGIR LES DOMAINES ESTHÉTIQUES QU’IL INVESTIT. » faire avec des portfolios composés de ses photos, sur lesquels il pose des mots avec un grand soin typographique – une forme dont il est persuadé que Mallarmé s’en serait emparé s’il l’avait pu. D’où le choix, qui peut de prime abord surprendre, d’adapter essentiellement la troisième et dernière partie de son roman – ce long poème en forme de marche vers la mer, aux réminiscences hugoliennes et au romantisme assumé. Ce sont ces paysages d’apocalypse qui furent à l’origine d’un roman d’abord né d’images. Avant d’écrire la moindre ligne, Michel Houellebecq a parcouru en long et en large le sud de l’Espagne à la recherche de ces lieux improbables, anciennes mines de fer aux rivières rouges, vertigineuses

cinéma redoutant sans doute de prendre des risques avec un poète. Ils avaient tort : Michel Houellebecq n’est pas un doux rêveur. C’est au contraire un homme réfléchi, extraordinairement organisé qui a su mener de main de maître ce projet collectif. Ce qu’ils n’ont pas compris en revanche, c’est que cela ne l’empêchait pas d’être effectivement un vrai poète, déterminé à mettre tous les moyens faramineux du cinéma (comparés au petit ordinateur qu’il utilise habituellement) au service de la seule poésie. La Possibilité d’une île sort en salle. Il y a fort à parier qu’après cette première exploitation, le film prendra logiquement sa place dans les musées, à côté des longs métrages de plasticiens comme Matthew Barney ou Eija-Liisa Ahtila. _Sylvain BOURMEAU (www.mediapart.fr) 17 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_SEPTEMBRE 08


FRANÇOIS

BÉGAU DEAU TOUT JUSTE

Ex-punk rockeur, professeur, journaliste, écrivain et aujourd’hui acteur : François Bégaudeau cumule les domaines d’excellence. Au moment où le film Entre les murs de Laurent Cantet sort sur les écrans (adapté de son roman éponyme, Palme d’or 2008), nous avons rencontré cet intellectuel décontracté, épris de précision. n mot revient régulièrement dans le discours fluide, savant et structuré de François Bégaudeau : la justesse. Une idée contenue dès son premier roman, intitulé Jouer juste, qui articulait considérations footballistiques et confession amoureuse. On peut voir dans ce titre une profession de foi, à l’aune du parcours de ce Nantais brillant de 37 ans qui confie : « Certains amis me font part de leur difficulté à me cerner. Mais tout est dans mes livres. » On mène donc l’enquête à travers l’œuvre romanesque. Bifurcations, saccades, esquives et forme littéraire émancipée : son deuxième ouvrage, Dans la diagonale, met en scène un narrateur fuyant et asocial, qui se fait l’écho de l’inanité des discours de trentenaires. Quand on

U

«qu’on pense bien en marchant». A fortiori, en se produisant également sur scène. Chanteur dans le groupe punk Zabriskie Point dans les années 1990, François Bégaudeau ne se revendiquait pas à l’époque comme un technicien du rock. Ce qui n’a pas empêché «Zab’» de sortir quatre albums en cinq ans. Encore aujourd’hui, de jeunes groupes punk comme Justine se réclament de leurs fringants aînés. Mais pour Bégaudeau, « la maturité est une clownerie ». Contrairement au cliché du vieux beau, lui se trouve plus séduisant lorsqu’il était jeune. Les concerts de Zabriskie Point sont immortalisés dans un documentaire de Sophie Proux et Xavier Esnault, Je suis une vidéo machine, filmé lors de la tournée d’adieu

« CERTAINS AMIS ME FONT PART DE LEUR DIFFICULTÉ À ME CERNER. MAIS TOUT EST DANS MES LIVRES. » lui parle de l’ironie qu’il exerce également à l’égard de ses anciens collègues professeurs dans son troisième roman, Entre les murs, François Bégaudeau concède : « Je peux parfois être caustique, mais avec les formes. » Difficile en tout cas de lui dénier son sens aigu de l’observation, talent qu’il met en pratique dans ses chroniques sportives pour le journal Le Monde. Adolescent, il pratique le football en club et en selection fédérale. Pourtant, il se définit avec humour comme un « très bon joueur de cour de récréation, avec un niveau moyen sur le terrain ». Le sport est pour lui une pensée en mouvement. Il dirige ainsi l’ouvrage collectif Le Sport par les gestes. À ce propos, il réaffirme « la porosité entre le corps et la pensée ». Et d’ajouter 18 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_SEPTEMBRE 08

I Would Prefer Not To en 1999. Un document rare où l’on découvre François Bégaudeau en leader charismatique, prendre des poses expressionnistes de possédé et sauter sur scène en tous sens. Ces archives traduisent déjà l’aisance qu’il entretient à son corps et à la scène. Entre les live, face à la caméra, il théorise la musique rock. Un discours qui se concrétise avec un quatrième roman Mick Jagger, un démocrate, 19601969. Dans cette « fiction biographique » réussie, il décrète la mort du chanteur des Rolling Stones en 1969. Celui que le public a sacré « démocrate » (dans le sens élu du peuple) s’est renié selon lui en devenant une star opportuniste. La sanction se retourne contre François Bégaudeau, à la


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DOSSIER

faveur de ses succès récents. Certains affirment qu’il se la joue, juste. En retrait au moment de la consécration suprême au festival de Cannes, refusant dans la foulée bon nombre d’interviews et de débats, il exacerbe une image de fausse modestie ou d’arrogance que lui prête également la profession quand il a le malheur de déclarer, rapport à sa prestation dans la Palme d’or de Laurent Cantet : « Jouer n’est pas cette chose si difficile, profonde et éprouvante. Les acteurs réfléchissent mal. Un bon acteur accepte le vide. Le rôle se construit comme cela. » Parce qu’il ne cache pas ses facilités, il entretient selon lui le malentendu sur son dédain supposé. Une image juste ou juste une image ? Il tient à nous rappeler

(Référendum, banlieues, CPE), un ouvrage collectif littéraire de réflexion sur la politique française, au moment de l’embrasement des banlieues. Clairement positionné à gauche, lui qui a le goût du travail à plusieurs prépare actuellement avec le collectif Othon (des amis de quinze ans) un documentaire intitulé Jeune, sarkozyste, militant. Huit duels montés sur des thématiques larges comme Mai 68, où l’interviewer se tient dans le cadre. «Être un démocrate, c’est appartenir au même champ, habiter le même lieu, nous explique-t-il sur le projet. Je ne crois pas au point neutre d’objectivité. Nous ne voulions pas créer de dispositif inégalitaire . » Une exigence politique et intellectuelle qui transparaît jusque dans son refus de prendre

qu’il « se bat dans les médias pour qu’on rende justice aux jeunes qu’on méprise » ou qu’il y défend, non sans controverse, ce qu’il appelle « le féminisme viril ». De la justesse à la justice sociale, Entre les murs valorise en effet l’inclination foncièrement démocrate qu’a prélevée Laurent Cantet chez son héros. Pour autant, Bégaudeau, l’ancien professeur de français, fils d’enseignants, s’attend à ce que le film soit commenté uniquement sur le mode du débat sur l’institution scolaire : « Entre les Murs va être appréhendé comme un document sur l’école et c’est une erreur. » Qu’on ne voie donc pas en lui le héraut de la condition professorale. Il a eu l’occasion de préciser ses positions à l’occasion de sa participation à Une Année en France .............................................................................................................. .............................................................................................................. .............................................................................................................. .............................................................................................................. RETROUVEZ L’INTERVIEW VIDÉO DE FRANÇOIS BÉGAUDEAU SUR WWW.MK2.COM .............................................................................................................. .............................................................................................................. ..............................................................................................................

en considération le concept même de contradiction : «Pour moi, la contradiction n’existe pas. Ceux qui concluent que deux énoncés se contredisent n’ont pas su saisir ce qui les relie. Il faut bosser plus. » Alors François Bégaudeau bosse inlassablement, « s’éprouve à des travaux, affûte sa plume et sa pensée », notamment sur Canal+ où il est chroniqueur littéraire, et dans la revue Transfuge où il écrit des critiques cinéma, après une collaboration aux Cahiers du cinéma. Le 2 octobre sortira son Anti-manuel de littérature aux éditions Bréal. Un boulimique de travail, un habile charmeur rompu aux médias : conclusion à côté de laquelle il était difficile de passer. Même de justesse. _Sandrine MARQUES

Photo : © Jérémie NASSIF

« ENTRE LES MURS VA ÊTRE APPRÉHENDÉ COMME UN DOCUMENT SUR L’ÉCOLE. C’EST UNE ERREUR. »

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CHRISTOPHE

HON ORÉ

CINÉASTE TREMBLÉ

Avec La Belle Personne, en salles le 17 septembre, l’écrivain et cinéaste Christophe Honoré achève une trilogie sur Paris, empreinte de mélancolie. Dans ses films habités, les sentiments s’écrivent de la manière la plus romanesque. Un cinéma sous influence littéraire qui affirme tout son éclat quand l’auteur adapte, comme ici, La Princesse de Clèves. L’occasion d’un entretien réjouissant sur les relations entre cinéma et littérature.

P

ouvez-vous commenter la phrase : « Il n’y a rien d’aimable dans le cinéma français qui n’ait couché avec la littérature», extraite d’une conférence que vous aviez donnée pour les Assises du roman ? Truffaut, Rohmer, Rivette, Chabrol, Godard : les très grands réalisateurs français ont couché avec la littérature. Un film français se définit à travers son rapport à celle-ci. Cela forme notre identité. On le partage avec peu de pays. Les grands auteurs populaires romanesques comme Guitry, Pagnol, Cocteau (qui a été très important pour les réalisateurs de la Nouvelle Vague) étaient des cinéastes-écrivains. Dans tout film français traîne cette idée de vol à la littérature. Les réalisateurs qui s’en méfient ne se réclament pas vraiment du cinéma français. Ça peut être une tare aussi, en ce que le cinéma d’ici est parfois insupportablement et incroyablement littéraire : on lui reproche d’être déconnecté de la réalité, de ne pas savoir observer la société. Mais comme dans toute démarche artistique, il faut soigner sa jambe de bois et je m’y emploie.

Pourquoi établissez-vous une distinction entre l’adaptation littéraire et ce que vous appelez « la lecture » d’un livre par un film ? Je n’aime pas quand le cinéma se pense plus fort que la littérature et essaie de digérer un livre en trouvant des correspondances quasi-mathématiques. J’aime quand la littérature est le terreau d’un film. À travers La Belle Personne, 20 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_SEPTEMBRE 08

je donne une lecture de La Princesse de Clèves qui n’est pas un reader’s digest du roman. Les gens qui veulent savoir ce qu’est le livre de Madame de Lafayette peuvent regarder le film de Jean Delannoy avec Jean Marais et Marina Vlady, sur un scénario de Jean Cocteau, qui prend d’ailleurs des libertés. Ce n’est pas tant trahir que d’être comme un metteur en scène de théâtre qui remonterait Hamlet tel qu’il le lit aujourd’hui. Il faut que cela passe à travers le tamis d’une intimité. Qu’est-ce qui définit selon vous un cinéaste-écrivain ? Un cinéaste-écrivain est toujours dans le doute de ce qu’il fait. Sa mise en scène n’est jamais une réponse. Il projette. Le cinéma est quelque chose qui est projeté vers le futur, de par la lumière déjà. Le cinéma interroge la mort. Faire des films, c’est faire revivre des morts ou essayer de témoigner de choses que vous avez vécues pour le moment où vous ne serez plus là. Alors que l’écrivain est confronté à un autre néant qui est « l’avant-lui ». C’est comme le mythe d’Orphée, fondateur de la littérature chez les Grecs : il revient aux Enfers d’avant et ne doit pas se retourner. La littérature, c’est se retourner. C’est pourquoi un cinéaste-écrivain est plus « tremblant » que les autres car il est tout le temps ramené à son travail d’écriture. L’histoire du cinéma est encore jeune et en tant que réalisateur, vous vous dîtes qu’il est encore possible d’inventer quelque chose à soi, de trouver sa voie, de faire son territoire. Sur la carte, vous choisissez avec qui vous allez partager la frontière. Moi,


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Photo : © Bruno GARCIN-GASSER

DOSSIER

j’aime autant que ce soit avec les gens de la Nouvelle Vague, Pasolini ou Fassbinder plutôt qu’être entouré de pays comme Tavernier ou le cinéma anglais dont je me sens moins proche. Je n’aimerais pas du tout avoir un pays frontalier avec Fellini qui est un cinéaste que j’apprécie énormément, mais j’ai l’impression qu’on ne pourrait pas faire beaucoup d’échanges commerciaux. Je crois à cette idée de territoire. Certains, comme Woody Allen, ont un grand pays. C’est la Russie et vous, le Lichtenstein ! En littérature, c’est impossible : le globe est déjà complet. Vous écrivez dans les limbes. Pourquoi adapter La Princesse de Clèves aujourd’hui ? Cela vient de ce qu’avait dit Nicolas Sarkozy, au moment de la campagne électorale. Il se demandait «quel sadique ou imbécile avait mis La Princesse de Clèves au programme » du concours d’attaché d’administration, comme si c’était

de filmer des jeunes gens qui sont sexuellement dans un apprentissage et ont conscience d’être beaux. Dans le livre, Madame de La Fayette insiste sur la grâce de ses personnages : « Jamais cour n’avait connu d’aussi belles personnes », écrit-elle. Je voulais filmer cette beauté, ce mystère, cette intelligence. Votre héroïne est très complexe. Comment l’appréhendezvous ? Clèves / Junie (Léa Seydoux) s’invente à travers ce qu’elle observe chez les autres. Le lycée est un lieu fermé mais, pour autant, La Belle Personne n’est pas un huis-clos puisqu’on en sort. En revanche, on ne rentre jamais dans les appartements des parents. Je ne tenais pas à définir sociologiquement les gens, ni à filmer la chambre de l’adolescent. Je souhaitais filmer les personnages dans des rues désertes un peu lugubres avec cette idée que personne ne voulait vraiment

« UN CINÉASTE-ÉCRIVAIN EST TOUJOURS DANS LE DOUTE DE CE QU’IL FAIT. SA MISE EN SCÈNE N’EST JAMAIS UNE RÉPONSE. » une chose absolument incongrue. Ces propos me blessent car pour moi, le livre est aussi important que des mesures politiques. Il définit un regard sur une société. Réaliser ce film apportait un démenti. Il y avait urgence. Après, j’avais la volonté de représenter l’adolescence comme tout cinéaste a envie, à un moment donné, de le faire. Mais je ne voulais pas signer un film nostalgique dans lequel je projetterais ma propre adolescence. Les adolescents d’aujourd’hui ont quelque chose que je n’avais pas : une beauté, une espèce de gravité qu’on possédait certes, mais différemment. À mon époque, la société ne définissait pas comme canon de la beauté l’adolescence. La Princesse de Clèves me permettait

d’eux. Le dispositif du film est le même que celui du livre. Il fonctionne comme un entonnoir. Il faut qu’il en reste un et Junie a décidé que c’était elle. C’est un tyran, un monstre de raison et d’égoïsme : elle ne pense qu’à elle. Elle ne se veut sainte et vertueuse qu’à partir du moment où elle sait qu’elle est aimée par tout le monde. Elle passe le film à se venger de Nemours (Louis Garrel) car à cause de lui, elle a été débordée par ses sentiments. Elle ne va pas s’enfermer dans le couvent pour être en tête-à-tête avec Dieu. Elle veut être en tête-à-tête avec le monde. _Propos recueillis par Sandrine MARQUES et Auréliano TONET

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COURS DE RE-CRÉATIONS Laurent Cantet (Entre les murs) et Christophe Honoré (La Belle Personne) retrouvent les bancs de l’école. Le premier dans un registre naturaliste où prime le constat social, le second dans une veine romanesque. Deux visions exemptes de nostalgie, où la cour d’école forme un espace politique.

L

es deux films phare de la rentrée ont en commun d’approcher l’institution scolaire sur le mode de l’apprentissage de la démocratie. La Belle Personne se concentre autour d’une lycéenne qui suscite toutes les convoitises mais se refuse au sentiment amoureux. Entre les murs est une chronique réaliste d’une année scolaire dans un collège difficile de l’Est parisien. Deux films aux styles opposés mais articulés autour d’un même lieu tactique. Espace politique des liaisons secrètes chez Honoré – qui adapte Madame de La Fayette –, la cour de récréation actualise la cour de Henri II, représentée dans La Princesse de Clèves. Matthias (Esteban Carvajal Alegria), jeune lycéen-monarque, exerce sur ses camarades son plein pouvoir. Chez Cantet, le professeur de français François Marin (François Bégaudeau) incarne également une figure de l’autorité. Une position dominante qui se traduit dans les deux films par des plongées sur le poste d’observation privilégié qu’est la cour de récréation. Mais dans les deux cas, ce pouvoir vacille. Honoré enregistre le dérèglement social d’un groupe où celui qui a le contrôle le perd par amour. Faire cours ou faire la cour : le professeur d’italien Nemours (Louis Garrel) chute à son tour face à l’inatteignable Junie (Léa Seydoux). Quant à Cantet, il documente le dérapage d’un enseignant qui touche aux limites de la maïeutique et de la démocratie avec ses élèves. Des faillites sanctionnées par la loi : une arrestation chez l’un, un conseil de discipline qui conduit à l’exclusion d’un élève chez l’autre. Concentré d’affects, l’école est un lieu fermé par où s’engouffre la société. Cantet opte pour le huis clos, à l’inverse d’Honoré qui filme les rues désertes du XVIème arrondissement. Jeunesse idéale contre collégiens en difficulté, langue classique modernisée contre parler naturaliste : plus que de s’opposer, ces visions dessinent la complexité d’une jeune génération irréductible aux considérations sociologiques et qui selon la phrase d’Éluard « ne vient pas au monde mais est constamment de ce monde ». _Sandrine MARQUES

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............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ENTRE LES MURS ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... UN FILM DE LAURENT CANTET ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... AVEC FRANÇOIS BÉGAUDEAU, NASSIM AMRABT, LAURA BAQUELA... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... DISTRIBUTION : HAUT ET COURT // FRANCE, 2008, 2H08 ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... SORTIE LE 24 SEPTEMBRE ............................................................................................... ............................................................................................... ...............................................................................................

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EN COUVERTURE

JAOUI JAMEL LE GOÛT DE L’AUTRE

Depuis longtemps, il rêvait de faire partie de sa « famille », séduit par son intelligence et sa finesse d’écriture. Depuis longtemps, elle souhaitait le voir jouer dans ses films, émue par la révolte, sincère et complexe, qui l’anime sous la carapace comique. Cette aimantation commune a donné vie à Karim, personnage écrit pour Jamel Debbouze par Agnès Jaoui et pierre angulaire de son nouveau film, Parlez-moi de la pluie. Dialogue au beau fixe entre deux fortes têtes du cinéma français.

C

omment en êtes-vous venus à travailler ensemble ?

AGNÈS JAOUI : Jean-Pierre [Bacri, ndlr] et Jamel s’appréciaient depuis longtemps. Ils ont essayé d’écrire ensemble. Ça n’a pas abouti. Pendant ce travail d’écriture, j’étais là, et je me suis dit : « Il faut les filmer, ils sont trop mignons. » Une aimantation mutuelle, très belle à voir. Ils ont tous les deux quelque chose de très rare, une sorte de tac au tac endiablé. Après, il a fallu quelqu’un pour faire la cuisine, et comme ils ne savaient pas la faire, ils m’ont appelée.

JAMEL DEBBOUZE : Moi, j’adorais Agnès dans Les Choristes...

A.J. : C’est vrai que ça a joué, aussi. (rires) Habituellement, je n’aime pas les one-man-show, ça m’ennuie, parce qu’il n’y a pas d’histoire. Jamel fait partie des quelques-uns à te rendre heureux du début à la fin. Au moment de Comme une image, j’avais fait des essais avec Jamel pour le rôle de Ken. Je m’étais rendu compte que c’est un véritable acteur. Car il y a des comiques qui ne savent pas jouer autre chose que la drôlerie. Ils ont tendance à tout le temps faire leur numéro, parce qu’ils sont habitués aux temps courts. En faisant les essais, j’ai senti chez Jamel une force qui était trop importante pour le rôle – c’est pour ça entre autres que je ne l’ai pas pris. Mais comme on avait envie de passer du temps avec lui, Jean-Pierre et moi avons écrit le rôle de Karim, qui est inspiré de lui, et d’autres. 24 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_SEPTEMBRE 08

Jamel, en quoi Agnès diffère des cinéastes avec lesquels vous avez travaillé ? J.D. : C’est une femme, avec tout ce que ça implique. C’est beaucoup plus doux. J’étais très intrigué, aussi, par la proximité et la longévité du couple qu’elle forme avec Jean-Pierre. Après sept films ensemble, c’est toujours la même ferveur, le même respect, la même admiration. Du coup, on a envie de les connaître, ces gens-là, de faire partie de leur famille. A.J. : Tourner avec un homme, ce n’est pas pareil ? J.D. : Tu es plus protectrice. Je me sentais beaucoup plus en confiance. Tu n’avais aucune pression, donc on n’en avait pas non plus. Il suffisait de se laisser guider. Agnès, qu’est-ce qui, dans le personnage de Karim, est inspiré de Jamel ? A.J. : Une révolte vivante de ne pas être considéré, lui et ses semblables. Une force, un regard, un point de vue sur les gens, une curiosité pour les autres. J.D. : Une pertinence, un style… (rires) A.J. : Une misogynie, ou plutôt une peur des femmes, d’ordre culturel, sur laquelle il travaille. J.D. : Face à une caméra, on a toujours une posture. Soit


je cherche à être ridicule, soit à transmettre une émotion en faisant le beau gosse, l’énervé, le ténébreux, bref le macho. Tu m’as aidé à me libérer de ça, doucement. Je te voyais faire et ça m’énervait profondément. (rires) En même temps, je savais que tu avais raison. Parlez-moi de la pluie… Comment, chacun, comprenezvous ce titre ? A.J. : Il y a deux choses nouvelles dans ce film, par rapport à nos précédents. Il y a le fait qu’on n’a pas voulu d’explication finale. Et on a un titre qui ne veut rien dire – même si je le trouve poétique. Un soir, pendant l’écriture du scénario, en traversant le pont de Sully, j’avais dans mon i-pod L’Orage de Georges Brassens (« parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps »), et je me suis dit : un moment, il va pleuvoir, ils vont devoir se casser je ne sais pas où, et il y aura cette musique. Finalement, on n’a pas gardé la chanson de Brassens, qui devait intervenir à la fin. Ce

J.D. : C’est presque le parcours que j’ai fait, en ce qui me concerne, vers Agnès. A.J. : C’est ce que j’ai écrit ! J.D. : C’est vrai qu’au départ, elle me faisait un peu peur, cette femme très intelligente et très belle. C’est assez agaçant, quand tu n’es pas outillé... Parce que je viens de là où je viens, et on n’a pas tous les codes pour comprendre... A.J. (l’interrompt) : Je connais des tas de mecs qui sont comme ça, qui ne savent pas trop relationner avec des seins et un cerveau. Pour le coup, ce n’est propre ni à la culture musulmane, ni à la banlieue. C’est propre aux hommes, à un instinct un peu grégaire. J’ai passé des soirées à m’emmerder pire que ferme, au début, quand tu ne me calculais pas… J.D. (l’interrompt) : Je ne te calculais pas parce que j’avais peur d’être jugé, de ne pas être à la hauteur. J’avais des réflexes, que j’ai beaucoup moins j’espère, à l’égard des

titre, c’est aussi une manière de prendre le contre-pied de l’imagerie qui veut qu’il fasse beau, qu’on soit bronzé, qu’on ait les dents blanches, avec des enfants qui courent partout... J.D. : La pluie fait partie intégrante de nos vies. Ce n’est pas grave qu’il pleuve, ni triste. Il n’y a pas à lutter contre. Les relations entre vos deux personnages donnent au film toute son énergie. Ils s’admirent mutuellement, mais ont du mal à se le dire. On sent un malaise, voire une rancœur réciproques...

femmes qui parlent bien, en public. Les femmes autour desquelles j’ai pu grandir, ce sont des femmes assez éteintes par leur mari, malheureusement, et qui n’ont jamais réussi véritablement à s’affirmer. C’étaient les piliers, sans elles la machine ne tournait pas, mais personne ne le reconnaissait jamais. Elles ont toujours été figurantes de nos vies, bien qu’elles en soient membres actives. Et puis le rapport que j’ai eu avec mon daron – je n’en ai juste pas eu : je l’ai rencontré pour la première fois à 19 ans, dans mon salon, sans faire exprès. Quand j’ai rencontré Jean-Pierre, c’était la première fois de ma vie que j’échangeais avec un adulte

Photo : © Philippe LÉVY

« JE CONNAIS DES TAS DE MECS QUI NE SAVENT PAS RELATIONNER AVEC DES SEINS ET UN CERVEAU. » AGNÈS JAOUI

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Photo : © Philippe LÉVY

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mâle, que j’avais le sentiment qu’intellectuellement, je m’élevais un peu. Cela répondait à un manque profond. Agathe et Karim sont deux personnages voisins en ce que chacun essaie de s’imposer dans un milieu a priori hostile à leur sexe ou à leur race. Elle tente sa chance en politique, un univers encore très masculin malgré la parité, et lui rêve de journalisme, où les Arabes sont sous-représentés. Il y a chez eux deux la volonté de s’affranchir des déterminismes, quitte à ce que cela ébranle leur vie amoureuse… A.J. : C’est juste. Chacun pense que sa lutte est plus importante que l’autre. On a eu ce débat avec Jamel sur Ni putes, ni soumises. Jamel disait : «Je ne suis pas contre ce mouvement, mais je pense qu’elles se trompent, le problème est d’abord social, pas la peine d’en remettre une couche.» Je lui disais : « Non seulement elles sont dans une merde sociale, mais en plus elles sont dans une merde personnelle parce que ce sont des femmes. Elles se font doublement martyriser. » On peut avoir la vérole et un bureau de tabac... On s’opposait beaucoup là-dessus. C’est ce dont essaie de parler le film.

Bon nombre de copines de ma mère, et ma mère avec, ont à peine osé se plaindre, considérant qu’elles étaient mieux loties ici que dans leur village. Je suppose, Agnès, que quand tu as écrit ce personnage, tu faisais attention aux clichés, mais tu la voulais aussi proche que possible de n’importe quelle Mimouna. C’est compliqué. Aucune Mimouna ne se ressemble, et en même temps, elles ont toutes subi la même chose : elles sont venues en France pour tenter d’élever leurs enfants dans de meilleures conditions, sans oublier leur village. On les appelle «immigrées» ici, « émigrées» là-bas. Elles vivent la même crise identitaire. Ma mère était femme de ménage, elle faisait partie d’un groupe qu’on appelait «les fourmis». Cette condescendance-là m’a fait atrocement mal. Jean-Pierre Bacri et vous, Jamel, êtes impliqués dans le collectif Devoirs de Mémoires. Avec Agnès, vous partagez des origines maghrébines : la Tunisie pour Agnès, l’Algérie pour Jean-Pierre, le Maroc pour Jamel. Ces racines voisines ont-elles joué dans votre désir de travailler les uns avec les autres ?

« J’AI GRANDI AUTOUR DE FEMMES ASSEZ ÉTEINTES PAR LEUR MARI, MALHEUREUSEMENT. » JAMEL On a tous des causes et des traumatismes légitimes, vécus ; on a besoin qu’ils soient reconnus pour pouvoir s’en débarrasser, mais ce ne sont pas les seuls. Parlons du très beau personnage qu’est la mère de Karim, Mimouna. Elle incarne les deux mouvements du film, à savoir la révolte et la résignation. À travers les rapports ambigus de cette femme de ménage avec ses employeurs, le film pointe aussi la subsistance de réflexes post-coloniaux en France… J.D. : Mimouna, c’est un cas malheureusement assez atypique d’émancipation. Cette femme qui a réussi à sortir du joug de son mari, à élever seule son enfant et qui reprend une nouvelle fois sa vie en main, c’est une démarche peu commune.

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J.D. : On a toutes sortes d’atomes crochus, il s’avère qu’il y a celui-là aussi, donc ça facilite les choses. Mais il est certain que ça ne repose pas sur ça. On se considère comme Français avant tout. A.J. : Cela a pu jouer au moment de se mobiliser contre Le Pen, à la rigueur. Mais on n’a ni la même histoire, ni la même religion, ni le même sexe... La Tunisie, je n’y suis jamais retournée, le Maroc je n’y suis allée qu’une fois. Bref, on ne mange pas ensemble du couscous, ni rien. On boit ensemble du bon vin français. J.D. : Et on écoute du bon rap. (rires) _Propos recueillis par Auréliano TONET


PLUIE FINE Le tandem Agnès Jaoui / Jean-Pierre Bacri retourne à la comédie de mœurs douce-amère avec Parlez-moi de la pluie, chronique de « l’humiliation ordinaire », subtile satire sociale où brille comme jamais Jamel Debbouze. uand Agnès Jaoui nous convoque, on peut être certain que ce n’est pas pour causer de la pluie, encore moins du beau temps, grand absent de ce film climatique, récit d’un mois d’août pourri. Parlez-moi de la pluie examine le corps politique à l’épreuve du quotidien (classe, race, genre, tout y est passé en revue), au truchement de l’intériorité, des rapports familiaux et amoureux, pour en contempler les états successifs. Agathe Villanova (Agnès Jaoui), auteure féministe à succès tombée en politique grâce à la parité, se voit chargée de dispenser un meeting provincial de cinq minutes, en pleine grisaille avignonnaise. Le temps de renouer avec la maison familiale et ses occupants, et d’être le sujet d’un documentaire sur « les femmes qui ont réussi », tourné par Karim (Jamel Debbouze), gosse du coin, et Michel (Jean-Pierre Bacri), reporter distrait et has-been. La satire est, comme d’ordinaire chez Jaoui, finement observée : « Papa, demande l’enfant, c’est quoi une féministe?» Un embarras désolé succède à cette accablante question. De fait, le personnage d’Agathe, enfermé comme les autres par une nomenclature contraignante, peine à s’arracher au rôle social qui lui est assigné. Petit théâtre de la cruauté, le cinéma du couple Jaoui / Bacri parle le langage de l’insatisfaction, circonscrit les contrariétés, enregistre le cumul des ressentiments, la friction des échanges sociaux et des rapports de pouvoir. Le récit écarte fermement l’idée du « politiques tous pourris » et les films qui, à l’évidence, en confortent la croyance. Fidèle aux sentiments qui l’inspirent, Jaoui / Agathe mène le film selon la rectitude de son personnage. La détente procède de la paire Bacri (bougon et rouspéteur, comme d’ordinaire) et Jamel, tout en souplesse, qui donnent la mesure de cette fugue provençale.

Q

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AGNÈS JAOUI EN 3 FILMS ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Un Air de famille (1996) ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Le Goût des autres (2000) ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Comme une image (2004) ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ........................................................................................................... ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour retrouver la plume vacharde du couple ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Jaoui-Bacri, à l’écran. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour la partition sur mesure composée pour ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Jamel Debbouze. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour une cinéaste qui ausculte encore une fois ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ avec justesse le pouls d’un milieu social. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ UN FILM D’AGNÈS JAOUI ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ AVEC AGNÈS JAOUI, JEAN-PIERRE BACRI, JAMEL DEBBOUZE... ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DISTRIBUTION : STUDIOCANAL // FRANCE, 2008, 1H38 ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ SORTIE LE 17 SEPTEMBRE ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

_Clémentine GALLOT

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RUM BA

PLUS DOUCE SERA LA CHUTE Fiona Gordon, Dominique Abel et Bruno Romy forment un trio burlesque talentueux qui impose de film en film son univers poétique et stylisé. Animés d’un vrai esprit de troupe, ces saltimbanques nous enchantent avec leur nouveau film, Rumba, une comédie sur des pointes. Rencontre avec trois personnalités attachantes et complémentaires.

C

omment en êtes-vous venus à signer vos films à trois ?

continuons ce travail qui consiste à mettre notre langage physique en évidence.

BRUNO ROMY : À la fin des années 1990, j’étais régisseur de théâtre dans le Calvados où Dominique et Fiona sont venus faire une tournée avec l’un de leurs spectacles burlesques. Je préparais un court métrage et les ai embauchés comme acteurs : on s’entendait bien, on avait les mêmes désirs de cinéma et c’est tout naturellement que nous nous sommes retrouvés à trois pour L’Iceberg.

FIONA GORDON : Bruno possède cette qualité de déceler s’il y a ou non du potentiel dans nos improvisations…

DOMINIQUE ABEL : Nous ne sommes pas des gens de théâtre qui, un jour, se sont mis à faire du cinéma. Dans nos spectacles, nous avons toujours eu pour référence les clowns du septième art : Jacques Tati, Buster Keaton et quelques autres. Nous avons toujours travaillé l’image. Quand on a 20 ans et qu’on se lance dans le burlesque, il est plus facile de faire de la scène : il suffit de trois mètres carrés chez soi pour commencer à improviser, et trouver ensuite un théâtre qui vous accueille n’est pas si compliqué. Au début, même si vous jouez devant douze spectateurs, vous êtes heureux ! Et puis, petit à petit, nous avons inventé notre monde, nos spectacles se sont mis à marcher et, au bout d’un moment, nous avons eu accès à l’argent pour tourner un court métrage, puis un long... Nous nous sommes toujours mis en scène, Fiona et moi, avec cette espèce d’œil extérieur qui se déclenche intuitivement et nous permet de « visualiser » et peaufiner notre matière. À trois, nous

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D.A. : Il sait toujours où est le nord, c’est notre boussole ! Comment travaillez-vous ? F.G. : Concrètement, nous écrivons très peu. Nous lançons des thèmes sur lesquels nous improvisons, et filmons le tout en DV. Ce sont des idées du genre : « Fiona et Dom n’arrivent pas à dormir », ou bien « Dom ne parvient pas à ouvrir une porte de supermarché ». À partir de ce qui, dans ces improvisations, nous paraît juste à tous les trois, nous transcrivons des scènes qui, petit à petit, forment un script. B.R. : Ce n’est pas l’aspect burlesque de ces scènes qui nous intéresse au premier chef, mais leur force. Le script de Rumba pourrait très bien donner un drame, mais il se trouve que notre prisme commun est le burlesque… Comment créez-vous ce mélange entre comique et tragique ? F.G. : Nous partons de ces canevas dont découlent, non pas des histoires drôles, mais des histoires simples et quotidiennes qui nous touchent. Ensuite, c’est dans le jeu que naît le burlesque.


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INTERVIEW

D.A. : Quand quelque chose est comique, il y a souvent une part de tragique. Si une personne trébuche dans la rue, sa façon de se rétablir, de retrouver l’équilibre quitte à partir dans des gesticulations ridicules, peut faire rire. Mais si cette personne tombe et passe soudain sous une voiture, ça ne fait plus rire du tout! Quoiqu’il leur arrive, nous mettons toujours en avant la maladresse et l’optimisme inébranlable de nos héros. L’Iceberg comportait moins de drame, c’était la quête identitaire d’une femme qui va voir ailleurs si elle existe. Rumba parle aussi du couple et des relations humaines – puisque c’est ce que nous connaissons le mieux – à travers une fable sur la difficulté qu’il y a, pour chacun de nous, à rester debout.

tant que comédiens et réalisateurs… Pour cette scène en particulier, nous avions prévu un dispositif plus subtil, mais la jambe était tellement lourde qu’il me fallait faire des efforts insensés pour la soulever. Dans cette gymnastique, je me suis mise à sourire à Dominique et nous avons décidé de garder cette connivence, qui intègre aussi le spectateur et fait partie du jeu… D.A. : Un journaliste a un jour parlé à notre sujet de « science du ratage contrôlé » ! Mais, au risque de le décevoir, il faut bien avouer que ce n’est pas toujours contrôlé. B.R. : À force, les gens ne savent plus ce qu’on contrôle et ce qu’on ne contrôle pas… et c’est très bien comme ça !

« LE SCRIPT DE RUMBA POURRAIT TRÈS BIEN DONNER UN DRAME, MAIS IL SE TROUVE QUE NOTRE PRISME COMMUN EST LE BURLESQUE. » Dans ce que vous racontez, et la façon dont vous le racontez, il y a une apparente simplicité…

On ne naît pas clown, on le devient ?

D.A. : La complexité nuit ! Si on veut que ce soit clownesque, il faut que ce soit simple. Souvent, que ce soit dans nos spectacles ou dans nos films, les gens devinent assez rapidement ce qui va se passer : ce ne sont pas les événements qui les surprennent, je crois, mais la manière dont les personnages les vivent et les acceptent.

D.A. : C’est l’expérience de la scène, le travail répété de l’imaginaire qui font le clown. Notre manière de créer ne peut pas être « normale », c’est le fait d’essayer sans cesse (et de nous tromper souvent) qui nous permet de trouver les idées, d’apporter nos couleurs et notre découpage, aussi. Nous avons d’ailleurs des tonnes de scènes ratées que nous n’utiliserons jamais…

B.R. : Dans Rumba, lors de la scène où la jambe de bois de Fiona prend feu, nous avons constaté que les spectateurs rient avant même que ça arrive…

F.G. : Ou bien des scènes assez réussies, qui ne trouvent pas leur place pour l’instant, mais la trouveront peut-être un jour… Le burlesque, c’est le travail d’une vie.

F.G. : Beaucoup de choses naissent de nos maladresses en

_Propos recueillis par Isabelle DANEL

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TOMBÉS DU CIEL Dans Rumba, fable jubilatoire sur «la difficulté de rester debout» face aux épreuves de la vie, trois clowns réinventent le burlesque, et le rendent à sa poésie première. Le cinéma du déséquilibre a trouvé ses maîtres chorégraphes.

«

Y’a d’la rumba dans l’air », chantait Souchon. L’air de rien, le second long métrage de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy est parti pour nous intoxiquer longtemps : le parfait film de début septembre, avec dépression d’automne au-dessus du jardin d’été. Le premier long du trio, L’Iceberg, posait déjà les tréteaux de leur univers déphasé et sensible, passé au tamis de la belgitude. Rumba met en scène un couple d’instituteurs de campagne, fous amoureux et fous de rumba, qui accumulent les récompenses dans les compétitions de danse. Un accident de voiture fait basculer leur existence, sans pour autant les faire renoncer à danser avec la vie, aussi sombre soit-elle. De, disons, Chaplin à Will Ferrell, le comique burlesque meut des corps contrariés par leur environnement. C’est de l’énergie déployée pour ne pas ployer, ou du moins rester digne face au monde, que naissent gags bien sûr, poésie toujours. Abel, Gordon et Romy ont parfaitement assimilé la leçon, avec un sens certain du bricolage. Ainsi, des transparences pendant les scènes de conduite renvoient aussi bien à Hitchcock qu’à Oui-Oui en voiturette : la réussite de Rumba tient à ce clash entre des territoires différents, enfantins et sombres, des humeurs sucrées ou acides. Où Keaton rencontrerait les Deschiens qui déshabilleraient Wes Anderson. Souvent muet, toujours mutin, composé de plans et d’idées fixes, le film évoque une succession de petites scènes de théâtre (dont sont issus les auteurs), jouant sur le hors-champ et le statisme, mais respirant, avançant constamment. La distance se fait décalage par l’humour – avec pas grand-chose : une jambe de bois, un pain au chocolat ou une robe se délitant comme un spaghetti dans La Belle et le clochard. Dans Rumba, se perdre est toujours la garantie de se retrouver avec la fraîcheur des premières fois (de préférence sur la plage – voilà le côté belge, le regard perdu sur la mer du Nord). «J'te suis pas dans cette galère / Ta vie tu peux pas la r'faire », fredonnait donc Souchon. Rumba détrompe la chanson de la façon la plus exquise qui soit : on suit Abel, Gordon et Romy sans se poser de question. _Léo SOESANTO

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............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... RUMBA ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... UN FILM DE DOMINIQUE ABEL, FIONA GORDON ET BRUNO ROMY ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... AVEC DOMINIQUE ABEL, FIONA GORDON, BRUNO ROMY… ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... DISTRIBUTION : MK2 DIFFUSION // BELGIQUE, FRANCE, 2007, 1H17 ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... ............................................................................................... SORTIE LE 10 SEPTEMBRE ............................................................................................... ............................................................................................... ...............................................................................................




LE GUIDE

DES SALLES

DU MERCREDI 10 SEPTEMBRE AU MARDI 7 OCTOBRE

De la guerre - Un film de Bertrand Bonello

SOMMAIRE

SORTIES DU 10 SEPTEMBRE 36_Cherry Blossoms de Doris Dörrie // Cafe de los Maestros de Miguel Kohan // Mamma Mia ! de Phyllida Lloyd // Jar City de Baltasar Kormakur 38_Max la menace de Peter Segal // Les Cendres du temps redux de Wong Kar-wai SORTIES DU 17 SEPTEMBRE 38_Obscénité et vertu de Madonna // Les Nouvelles Aventures de la petite taupe de Zdenek Miler 40_C’est dur d’être aimé par des cons de Daniel Leconte SORTIES DU 24 SEPTEMBRE 40_Faubourg 36 de Christophe Barratier // Des Trous dans la tête de Guy Maddin 42_Wackness de Jonathan Levine SORTIES DU 1ER OCTOBRE 42_Go Fast d’Olivier Van Hoofstadt // Appaloosa d’Ed Harris 44_ De la guerre de Bertrand Bonello // Afterschool d’Antonio Campos // Séraphine de Martin Provost // Vinyan de Fabrice Du Welz LES ÉVÉNEMENTS MK2_46 > 47

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LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

CHERRY BLOSSOMS

CAFE DE LOS MAESTROS

Un film de Doris DÖRRIE Avec Elmar Wepper, Hannelore Elsner, Nadja Uhl, Maximilian Brückner… Distribution : Jour 2 Fête // Allemagne, 2007, 2h02 // Sortie le 10 septembre

Un film de Miguel KOHAN Avec Leopoldo Federico, Anibal Arias, Atilio Stampone, Carlos Garcia… Distribution : Pathé // Argentine, 2008, 1h30 // Sortie le 10 septembre

Le deuil impossible de la personne qui vous a accompagné toute votre vie est le sujet de ce film joliment ambitieux. Passée la « surprise » initiale que l’on ne révélera pas ici, il faut bien admettre que ce double voyage, intérieur et réel – le personnage quitte sa ville de Bavière pour Tokyo, où vit son fils –, peut dérouter. La réalisatrice allemande, dont on connaît surtout chez nous Mes Deux Hommes, tente une fable poétique sur l’amour, la mort et le sentiment de l’éphémère. Plus que le scénario ou la mise en scène, on retiendra l’émotion qui, malgré ses lacunes, sourd de cette œuvre fragile.

Comme Wim Wenders avec les musiciens cubains de Buena Vista Social Club, le réalisateur réunit ici les vieilles gloires du tango argentin. Il filme en caméra DV leurs retrouvailles et les répétitions qui mènent à un concert exceptionnel. Léger bémol : le montage, qui désincarne quelque peu les personnages, dont aucun ne se détache vraiment. Quant aux morceaux de musique, ils sont tronqués la plupart du temps, ne laissant pas au spectateur le loisir d’être envahi. Restent ces images fortes de mains ridées courant sur les touches d’un bandonéon. Et une phrase définitive : « Le tango, tu as beau le semer ailleurs, il ne pousse qu’ici. »

_I.D.

_I.D.

MAMMA MIA !

JAR CITY

Un film de Phyllida LLOYD Avec Meryl Streep, Pierce Brosnan, Colin Firth… Distribution:Universal Pictures // États-Unis, 2008, 1h50 // Sortie le 10 septembre

Un film de Baltasar KORMAKUR Avec Ingvar Eggert Sigurdsson, Agusta Eva Erlensdottir… Distribution : Memento Films // Islande, 2006, 1h34 // Sortie le 10 septembre

Décors de rêve, légèreté et intrigue transgénérationnelle : Mamma Mia! remplit son contrat sans surprise. Le but étant d’attirer dans les salles obscures les millions de spectateurs qui ont ovationné sur scène la comédie musicale basée sur les succès d’Abba. Foutraque et confondant, animé d’un rythme factice, le film travaille la mémoire collective – les plus rétifs au groupe suédois connaissent Dancing Queen ou Take a Chance on Me. Les acteurs assument, entre premier degré et parodie. À leur tête, Meryl Streep ne recule devant rien, danse et chante avec entrain, et sa version de The Winner Takes It All fendra même les cœurs de pierre.

Une enquête sur un meurtre d’aujourd’hui met au jour un crime du passé et dévie vers une piste troublante. Adapté d’un best-seller islandais et triomphe au box-office de son pays, ce polar est précédé d’une forte réputation. L’intrigue complexe se double d’une réflexion sur la transmission (génétique comme psychologique) des pères envers leurs enfants. Elle est parfois très appuyée, notamment dans la relation de l’inspecteur Erlendur avec sa fille droguée et enceinte. Le traitement efficace et spectaculaire, façon Hollywood, ôte un peu de personnalité à l’ensemble ; mais les paysages d’Islande, sublimes et désolés, font la différence.

_I.D.

_I.D.

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LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

MAX LA MENACE

OBSCENITÉ ET VERTU

Un film de Peter SEGAL Avec Steve Carell, Anne Hathaway, Dwayne Johnson… Distribution : Warner Bros France // États-Unis, 2008, 1h49 // Sortie le 10/09

Un film de MADONNA Avec Eugene Hütz, Holly Weston, Vicky McClure, Stephen Graham… Distribution : La Fabrique de Films // Grande-Bretagne, 2008, 1h20 // Sortie le 17/09

Maxwell Smart (Steve Carell) est espion, mais d’un tout autre genre que James Bond : analyste pour l’agence Control, son quotidien se déploie entre les quatre murs gris d’un sous-sol secret. Lorsqu’enfin il est envoyé sur le terrain, sa gaucherie maladive lui joue des tours. Adaptation d’une série US culte dans les années 1960, Max la menace adopte un ton parodique qui ne surprendra pas les anciens fans. Peter Segal, réalisateur paré à la comédie, enchaîne avec aisance les gags bon enfant. Digne héritier de Peter Sellers, avec son obsession du contrôle et son penchant involontaire pour le chaos, Steve Carell est une nouvelle fois irrésistible en idiot magnifique.

Dans le Londres post-Thatcher, un gigolo, une strip-teaseuse et une pharmacienne partagent leur envie de « faire mieux», perdus dans un appartement d’humeur grincheuse. Quand la papesse pop passe derrière la caméra, c’est avec le soutien d’une icône underground : Eugène Hütz, leader ukrainien du groupe Gogol Bordello, jouant son (presque) propre rôle. Malgré un inévitable côté branchouille, le premier film de la Ciccone dépasse son statut de curiosité. Il s’agit d’une tentative plutôt gracieuse, au décalage british que l’on imagine chuchoté par son réalisateur de mari, Guy Ritchie. Un film à l’image d’un hymne gypsy-punk de Gogol Bordello : cradingue et séduisant.

LES CENDRES DU TEMPS REDUX

LES NOUVELLES AVENTURES DE LA PETITE TAUPE

Un film de Wong KAR-WAI Avec Leslie Cheung, Tony Leung Chiu-Wai, Maggie Cheung… Distribution : ARP Sélection // Hong Kong, Chine, 2008, 1h33 // Sortie le 10/09

Un film de Zdenek MILER Dessin animé, à partir de 3 ans Distribution : Les Films du Préau // République Tchèque, 44 mn // Sortie le 17/09

Presque quinze ans après sa sortie, Les Cendres du temps se rappelle à notre bon souvenir et vient ironiquement bousculer la vague récente de « wu xia pian » (films de chevalerie chinoise) un peu proprets à la Zhang Yimou. Dans une version remontée selon le bon vouloir de Wong, le film n’a guère changé : il ne va pas droit du tigre au dragon, mais zigzague selon un récit impressionniste et sensoriel, plus contemplatif que dynamique, et reste toujours aussi romantique et sexy, grâce aux délicats Leslie Cheung, Brigitte Lin et Maggie Cheung. Un changement tout de même : une nouvelle BO, plus sombre, plus In the Mood for Love, s’est substituée à l’originale synthétique-lyrique.

Star du film d’animation tchèque depuis les années 1950, la « petite taupe » est l’héroïne de cette sélection de cinq courts métrages (il y en eut près de 50 jusqu’en 2002). Baptisée au feu de la Mostra de Venise en 1957, qui lui valut la reconnaissance, cette malicieuse et maladroite créature enchante avec ses aventures presque muettes mais universelles – la série fut aussi populaire dans les pays de l’Est qu’en Inde ou au Japon. De cette petite bête, au départ influencée par Disney mais ayant depuis fait son propre trou, son papa Zdenek Miler dira : « Il me fallut longtemps pour le comprendre, mais quand je dessinais la petite taupe, je me dessinais moi-même. »

_L.S.

_L.S.

_J.G.

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_E.R.



LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

C’EST DUR D’ÊTRE AIMÉ PAR DES CONS FAUBOURG 36 Un film de Daniel LECONTE Avec Philippe Val, Georges Kiejman, Richard Malka, Cabu… Distribution : Pyramide // France, 2008, 1h55 // Sortie le 17 septembre

Un film de Christophe BARRATIER Avec Nora Arnezeder, Gérard Jugnot, Clovis Cornillac, Kad Merad… Distribution : Pathé // France, 2008, 2h // Sortie le 24 septembre

Après avoir publié les douze caricatures du prophète Mahomet frappées de censure au Danemark, Charlie Hebdo est assigné en justice. Le motif ? « Injures publiques envers un groupe de personnes en raison de sa religion. » Composé d’une suite d’interviews des différents intervenants (avec une nette majorité pour les pro-Charlie), et de réactions à chaud aux portes du tribunal, ce documentaire est précieux sur le fond, puisqu’il s’attaque à l’intégrisme sous toutes ses formes. Même s’il manque d’ampleur sur la forme, C’est dur d’être aimé par des cons reste un résumé efficace pour ceux qui n’ont pas suivi le détail de l’affaire.

Dans ce music-hall parisien souffle le vent du Front Populaire : rêve collectif, romance et grand spectacle sont au programme. Faubourg 36 est une comédie musicale qui puise son inspiration chez Julien Duvivier, Marcel Carné et quelques autres. Le pari du réalisateur des Choristes est gagné : le film est passéiste, calibré et doté d’une vraie énergie, comme les belles chansons composées par Reinhardt Wagner, en hommage à l’époque. Le trio Gérard Jugnot, Clovis Cornillac et Kad Merad est parfaitement huilé, chacun respectant son « emploi ». Et la débutante, Nora Arnezeder, voix d’or et gouaille authentique, est magnifique.

_I.D.

_I.D.

DES TROUS DANS LA TÊTE Un film de Guy MADDIN Avec la voix d’Isabella Rossellini Distribution : ED Distribution // Canada, 2007, 1h37 // Sortie le 24 septembre

Huitième long métrage du réalisateur canadien Guy Maddin, Des Trous dans la tête vient dans le prolongement d’une œuvre aussi discrète que brillamment singulière, à rapprocher de l’Eraserhead de David Lynch, des frères Quay ou du premier surréalisme de Buñuel. Ce dernier opus s’amorce comme une prise de pouls intime : le réalisateur, interprété par un comédien, revient sur l’île où il a grandi pour ressusciter la mémoire enfouie de son enfance. La matière biographique implose dans un festival de séquences oniriques où l’imaginaire érotique de Maddin se mêle à des visions horrifiques, sorties tout droit d’un conte sans fées. Cinéma d’avant la couleur et la parole, entièrement tourné en Super 8, le film retrouve les beautés vénéneuses des oeuvres expressionnistes et formalistes qui agitèrent le septième art au temps du muet. Tout y est : noir et blanc charbonneux, ouvertures à l’iris, cartons, sautes de l’image, avec en prime une narration incarnée à travers la voix teintée d’ironie d’Isabella Rossellini. _Guillaume ORIGNAC

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LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

WACKNESS

GO FAST

Un film de Jonathan LEVINE Avec Ben Kingsley, Famke Janssen, Josh Peck… Distribution : BAC Films // États-Unis, 2008, 1h40 // Sortie le 24 septembre

Un film d’Olivier VAN HOOFSTADT Avec Roschdy Zem, Olivier Gourmet, Xavier Maly, Catalina Denis… Distribution : EuropaCorp // France, 2008, 1h30 //Sortie le 1er octobre

New York en été, derniers mois avant la fac et premier amour pour Luke Shapiro (Josh Peck), un adolescent introverti, tourmenté et dealer d’herbe à ses heures. Situé en 1994, alors qu’on disait au revoir à Cobain (suicidé en mai), bonjour à Giuliani (maire de New York) et que le rap « East Coast » connaissait son apogée, Wackness décrit l’amitié flottante entre un kid, tendance Gus Van Sant, et son extravagant psy, joué par Ben Kingsley, pas moins paumé que son patient. En dépit de quelques afféteries inutiles et d’une psychologie parfois appuyée, le film, soutenu par une BO sublime (Wu-Tang Clan, Nas, Bowie…), demeure très attachant.

Un « go fast » est une livraison de drogue à travers l’Europe, avec voiture ultra-rapide et chauffeur expérimenté. Et ce n’est pas le seul secret révélé dans ce film adapté de faits réels et écrit par un commissaire divisionnaire, sur un flic des stups infiltré au sein d’une bande de trafiquants. Au-delà d’un aspect « documentaire » plutôt réussi, le scénario et la mise en scène, très fonctionnels, ne convainquent qu’à moitié. Restent des acteurs remarquables de solidité, du plus petit au plus grand rôle, avec à leur tête Roschdy Zem, qui s’impose définitivement à la place qu’il mérite au sein du cinéma français.

_J.G.

_I.D.

APPALOOSA Un film d’Ed HARRIS Avec Ed Harris, Viggo Mortensen, Renée Zellweger… Distribution : Metropolitan Filmexport // États-Unis, 2007, 1h55 // Sortie le 1er octobre

Pour son deuxième passage à la réalisation après Pollock, l’acteur Ed Harris signe un western de bonne facture. Dans la petite ville d’Appaloosa, une bande de renégats sème la terreur. À sa tête, Randall Bragg (Jeremy Irons), qui a édicté ses propres lois, descend en toute impunité le shérif. Pour mettre fin à ses exactions, les notables de la ville louent les services de deux mercenaires : le marshal Virgil Cole (Ed Harris) et son adjoint Everett Hitch (Viggo Mortensen). Un bras de fer s’engage, que complique l’arrivée d’une veuve un peu aventurière. Sur une trame classique qui convoque tous les codes et motifs du western, le réalisateur inscrit un récit intimiste en pleine conquête de l’Ouest. Toujours impeccables, les acteurs Ed Harris et Viggo Mortensen se complètent, comme leurs personnages à l’écran. La profonde et complexe relation d’amitié qui relie ces deux représentants de la loi fait tout l’intérêt d’une histoire où la question de l’honneur est prégnante. _S.M.

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LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

DE LA GUERRE

AFTERSCHOOL

Un film de Bertrand BONELLO Avec Mathieu Amalric, Asia Argento, Guillaume Depardieu, Clotilde Hesme... Distribution : Ad Vitam // France, 2008, 2h10 // Sortie le 1er octobre

Un film d’Antonio CAMPOS Avec Ezra Miller, Addison Timlin, Gary Wilmes… Distribution : CTV International // États-Unis, 2008, 2h02 // Sortie le 1er octobre

Réalisateur en perte d’inspiration, Bertrand (Mathieu Amalric) passe une nuit dans un cercueil. Peu après, abordé par un noctambule errant, il se laisse conduire dans un refuge sylvestre où s’est établie une communauté de jouisseurs. Le groupe prône le plaisir absolu, acquis de haute lutte... Adaptation lointaine de Clausewitz, autobiographie sinueuse, De la guerre prolonge le parcours singulier de Bertrand Bonello, cinéaste sensible et mélomane dont l’œuvre, percluse de trouées oniriques, se situe à l’exacte frontière du réel et de l’irréel. D’une beauté nébuleuse, le film se regarde comme on peut apprécier un poème : ressentir, plutôt que comprendre.

Sur la fascination morbide qu’exercent auprès des adolescents les vidéos qui circulent sur Internet, Antonio Campos signe une première œuvre très maîtrisée. Ce pourrait être un film de campus traditionnel mais réalisé par Michael Haneke, la glose en moins. Lycéen introverti, Robert s’inscrit à un cours d’audiovisuel. Par hasard, il est témoin de la mort de deux sœurs jumelles très populaires au sein de l’école. On lui confie la réalisation du film en hommage à leur mémoire. Ici, la profusion des nouvelles images (téléphone portable, caméra numérique, web) ne sert pas d’alibi : elles stigmatisent avec justesse le malêtre adolescent.

SÉRAPHINE

VINYAN

Un film de Martin PROVOST Avec Yolande Moreau, Ulrich Tukur, Anne Bennent… Distribution : Diaphana // France, 2008, 2h05 // Sortie le 1er octobre

Un film de Fabrice DU WELZ Avec Emmanuelle Béart, Rufus Sewell, Petch Osathanugrah… Distribution : Wild Bunch // France, Belgique, 2008, 1h37 // Sortie le 1er octobre

À Senlis en 1914, un collectionneur allemand découvre en sa femme de ménage un peintre de talent. Séraphine Louis a vraiment existé et ses tableaux naïfs sont connus des aficionados. Ce personnage étrange, mystique et trivial, entravé et libre, nous est présenté à travers ces petits riens qui la constituent et nous la rendent juste et vraie. Séraphine, c’est Yolande Moreau, corps balourd qui prend des légèretés de libellules quand il se pose dans un champ d’herbes folles ; yeux vides qui se parent d’une incomparable lumière quand elle peint. Elle est la touche magique de ce beau portrait qui dit la complexité des simples et la force des faibles.

Un couple d’Européens recherchent en Thaïlande leur fils, disparu lors du tsunami de 2004. Ils s’embarquent dans une quête absurde, entre veille et cauchemar, terre et mer, folie et réalité : « Vinyan » est le nom donné aux morts qui hantent les vivants. Après Calvaire, premier film renversant qui explorait le manque d’amour sur le ton de la fable fantastique, Fabrice Du Welz traite du deuil impossible sans choisir son camp. D’une caméra chahutée, il accompagne la dérive de ses personnages sous les pluies torrentielles, jusqu’aux sublimes dernières images, terribles d’horreur et de douleur ressenties.

_Au.To.

_I.D.

44 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_SEPTEMBRE 08

_S.M.

_I.D.



ÉVÉNEMENTS DES SALLES MK2

PARTENARIATS LA MUSIQUE SUR LES QUAIS La rentrée des MK2 Quai de Seine et Quai de Loire cette année sera musicale. Pendant les deux premiers week-ends de septembre, chaque côté du canal résonnera au rythme de l’image et de la musique grâce à deux programmations organisées en collaboration avec l’association Les Journées romantiques et la Cité de la musique. MK2 QUAI DE LOIRE_Venez découvrir les films que nous vous proposons en résonnance.

LES JOURNÉES ROMANTIQUES Le MK2 Quai de Seine renouvelle son partenariat avec la cinquième édition des Journées romantiques organisées cette année sur la péniche Planète Anako. Dans ce cadre, des films seront programmés en matinées les week-ends des 6 et 7 septembre et des 13 et 14 septembre. Au programme : Samedi 6 septembre vers 11h : Un Violon sur le toit avec Isaac Stern Dimanche 7 septembre vers 11h : Prova d’Orchestra de Federico Fellini Samedi 13 septembre vers 11h : La Flûte enchantée de Kenneth Branagh Dimanche 14 septembre vers 11h : Couleurs d’orchestre de Marie-Claude Treilhou www.journees-romantiques.org MK2 QUAI DE SEINE_Les 6, 7, 13 et 14 septembre.

JAZZ À LA VILLETTE Au MK2 Quai de Loire, c’est le jazz qui sera à l’honneur pour la nouvelle édition du partenariat liant le cinéma et la Cité de la musique. Au programme : Jeudi 4 septembre à 20h30 : Herses (une lente introduction) de Boris Charmatz Samedi 6 septembre à 11h : À bout de souffle de Jean-Luc Godard Accords et désaccords de Woody Allen Dimanche 7 septembre à 11h : Bird de Clint Eastwood J’entends plus la guitare de Philippe Garrel Samedi 13 septembre à 11h : La Jungle plate de Johan Van der Keuken Moi, un noir de Jean Rouch Big Ben de Johan van der Keuken Fun and Games for Everyone de Serge Bard Dimanche 14 septembre à 11h : Love Streams de Cassavetes Accords et désaccords de Woody Allen The Cool World de Shirley Clarke www.cite-musique.fr MK2 QUAI DE LOIRE_Les 4, 6, 7, 13 et 14 septembre. MK2 QUAI DE SEINE_Les 6, 7, 13 et 14 septembre.

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FOCUS LA RENTRÉE DU CINEMA Cette année, le principe de la Rentrée du cinéma, organisée par la Fédération Nationale des Cinémas Français, change. Pendant trois jours, vous pourrez profiter de tous les films à l’affiche pour un tarif unique de 3,50 € la séance. L’offre de la Rentrée du cinéma est valable dans toutes les salles MK2 et sera prolongée pendant une semaine pour tous les détenteurs d’une contremarque BNP Paribas, partenaire de l’événement. Nous vous invitons à découvrir les nouveaux films à l’affiche, parmi lesquels Rumba, Les Cendres du temps, Cherry Blossoms et bien d’autres… Nous vous attendons nombreux dans nos salles pour profiter de cet événement exceptionnel et partager toujours plus de cinéma. www.rentreeducinema.com www.mk2.com Les 14, 15 et 16 septembre dans toutes les salles MK2.

CINÉ-BD Un samedi matin par mois, en partenariat avec Dargaud, un auteur de bande dessinée présente un film de son choix en salle, puis dédicace ses ouvrages à la librairie. Stephen Desberg, Griffo et Alain Mounier viendront présenter les deux premiers tomes de Empire USA, nouvelle série prévue en six albums dont le héros Jared Gail nous emmène dans le monde des Hashashins et de la droite extrémiste américaine. Projection du film Couvre feu d'Edward Zwick, choisi et présenté par les auteurs. 25 tickets de dédicace distribués au moment de l'achat de votre place de cinéma. Au cinéma puis à la librairie du MK2 QUAI DE LOIRE le samedi 20 septembre à 11h30 (dédicace à la livrairie vers 14h). Carte Illimité acceptée.

LE THÉÂTRE DU VIEUX-COLOMBIER MK2 travaille depuis de nombreuses années avec plusieurs théâtres parisiens. Cette année, un nouveau lien se crée avec la Comédie Française et le Théâtre du Vieux-Colombier. Le film Fanny de Marc Allégret, interprété notamment par Raimu, sera projeté à l’occasion du spectacle Fanny de Marcel Pagnol mis en scène par Irène Bonnaud au Théâtre du Vieux-Colombier à partir du 24 septembre. Il sera suivi d’un débat intitulé Pagnol, auteur universel?, en présence de Nicolas Pagnol, d’Irène Bonnaud, des comédiens et de l’équipe artistique du spectacle. MK2 QUAI DE LOIRE_Le lundi 6 octobre à 20h.

LE RENDEZ-VOUS DES DOCS Pour le premier rendez-vous de la rentrée, Documentaires sur grand écran programme Norias et Sub qui seront analysés après la projection par Jean-François Chevrier, historien et critique d’art. MK2 QUAI DE LOIRE_Le lundi 29 septembre à 20h30.


RETROUVEZ TOUS LES ÉVÉNEMENTS SUR

POUR LES ENFANTS MK2 JUNIOR Rentrée animée. Pour la rentrée de tous les enfants, le programme MK2 Junior a concocté une grille de nouveaux films, des Nouvelles Aventures de la petite taupe au Kid de Chaplin, en passant par Plume et l’île mystérieuse. Au programme du 27 août au 28 octobre : À PARTIR DE 3 ANS :

Les Aventures de Impy le dinosaure de Holger Tappe Les Nouvelles Aventures de la petite taupe de Z. Miler Plume et l’île mystérieuse de Piet de Rycker À PARTIR DE 5 ANS : Chasseurs de dragons d’Arthur Qwak et Guillaume Ivernel The Kid de Charlie Chaplin Le Roi et l’oiseau de Paul Grimault Katia et le crocodile de Vera Smikova et Jan Kucera Tous à l’Ouest : une aventure de Lucky Luke d’Olivier Jean-Marie Du 27 août au 28 octobre dans sept salles MK2.

LES CINÉMUSICALES ET LES CINÉPOLARS Le MK2 Bibliothèque reconduit son partenariat avec l’association Cinéma et musiques autour de deux rendezvous. Les Cinémusicales proposent pour la première séance la projection de Wattsax qui sera suivie d’une rencontre avec Jean-Emmanuel Deluxe, journaliste, auteur du Dico du Rock n’ roll au cinéma (Scali) et directeur de la collection de DVD Martyrs du Pop (Chalet Pointu). Pour l’automne, une programmation sur le thème du polar (Cinépolar) est en cours d’élaboration pour un nouveau rendezvous animé par le critique Michel Boujut et l’enseignant Gilles Pidard. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Premier rendez-vous des Cinémusicales le samedi 13 sept.

COURT METRAGE LA CENTIÈME DES SOIRÉES BREF MK2 soutient le court métrage depuis de nombreuses années et fête en septembre son partenariat avec le magazine Bref et l’Agence du Court Métrage. Pour célébrer la centième séance de courts métrages proposée par Bref, les rédacteurs du magazine se sont emparés de la programmation et ont chacun proposé un film qui leur tient particulièrement à cœur. Cette soirée unique dessine un profil atypique, finalement fidèle à l’éclectisme revendiqué par la revue. Au programme de cette soirée exceptionnelle : Twentuno de Rodolphe Cobetto-Caravanes Jeux de plage de Laurent Cantet La Tête dans le vide de Sophie Letourneur La Route des hêtres d’Antoine Parouty La Pisseuse de Frédéric Benzaquen et Suzanne Legrand Mourir d’amour de Gil Alkabetz Exoticore de Nicolas Provost

CYCLES LES MATINÉES DU MK2 HAUTEFEUILLE Du réel au fantasme, l’œil sauvage de l’image : Jarhead de Sam Mendes Redacted de Brian De Palma Valse avec Bachir d’Ari Folman (sous réserve) Depuis le mois d’août.

Diptyque Jacques Doillon, l’art de la rencontre : Le Premier Venu Le Petit Criminel Depuis le 13 août.

Kijû Yoshida, le trouble du corps : La Source thermale d’Akitsu Eros + massacre Femmes en miroir Depuis le 20 août.

DANS LES LIBRAIRIES La librairie du MK2 Bibliothèque accueillera Amélie Nothomb le samedi 4 octobre de 15h à 18h pour une dédicace de son dernier livre Le Fait du Prince paru chez Albin Michel. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Le samedi 4 octobre.

L’AUDIO DESCRIPTION En partenariat avec la Mairie de Paris et le distributeur Haut et Court, le MK2 Quai de Seine diffusera la Palme d’or 2008, Entre les murs de Laurent Cantet, en version sous-titrée et audio décrite. Après Azur et Asmar, Le Temps qui reste, Actrices..., le MK2 Quai de Seine accentue son travail d’accès aux films pour tous. MK2 QUAI DE SEINE_À partir du mercredi 24 septembre.

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DVD Le cinéma d’horreur contaminé par les nouvelles images

Horreur, année zé Le faux-documentaire en DV est à la mode. De Cloverfield à [Rec], de Redacted à Chronique des morts-vivants, plusieurs films déplacent la question des nouvelles images sur le terrain de l’horreur la plus archaïque.

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008, année numérique ? Dans la saga des statue de la Liberté qui s’écrase en plein milieu nouvelles images qui secoue le cinéma d’une rue). Il ne faut pas chercher ailleurs que contemporain, le tir groupé offert par dans cette simplicité-là : pour peu qu’ils se nichent Cloverfield, Redacted, Chronique des morts- dans le point aveugle de leur écriture impulsive (et vivants et [Rec] aura au moins fait entendre sa pas dans le bric-à-brac théorique qu’ils induisent), petite musique : celle d’un simili-réalisme épuré, les trois films offrent un champ tout neuf au fuyant comme la peste les canons du grand spectacle cinéma d’épouvante traditionnel. pour tenter de puiser dans les ressources du documentaire. Pas étonnant de la part de George A. Autre film d’horreur à sa manière, Redacted retrace Romero et de Brian De Palma, deux cinéastes un fait divers sordide, le meurtre et le viol d’une historiquement en rupture avec le système des studios. jeune Irakienne par une poignée de marines. De Issus de la génération hargneuse et politique du Palma fait mine de s’y effacer au profit d’une «Nouvel Hollywood», les deux cinéastes endossent la rigoureuse reconstitution de documents et d’images panoplie du reporter et trouvent dans le numérique recueillies sur Internet (blogs, films amateurs, une aubaine pour renouer avec la grande fiction reportages, vidéos de famille). Feindre cet effacement critique des années 1970 : paranoïa CES FILMS AUX IMAGES « IMPURES » médiatique et brûlot anti-Irak (Redacted), monde vu comme un grand chaos filmé ROMPENT AVEC LA DIALECTIQUE DU 24h sur 24 (Chronique des morts-vivants). SPECTACLE HOLLYWOODIEN. [Rec] et Cloverfield se répondent dans un domaine plus ouvertement lié à l’entertainment : radical du metteur en scène met directement le premier exploite le filon Blair Witch (image Redacted en rapport avec les trois autres films : il crasseuse et tressautante prétexte à tous les y a dans ce retour éminemment politique d’images effets « bouh fais-moi peur ») tandis que Cloverfield « impures », extérieures au cinéma – à l’image des tente héroïquement de faire tenir dans un petit plans substitués aux infos post-11-Septembre de caméscope numérique la plus hallucinante apocalypse Cloverfield –, une forme de dissolution du regard qui se puisse imaginer. qui rompt complètement avec la dialectique du grand spectacle hollywoodien. Mais le passage de Le régime du faux-documentaire produit des effets relai qui se joue ici – des images «pures» (imaginées étonnamment similaires. Deux films aussi antithétiques et fabriquées par un metteur en scène) à ce brouillard que Cloverfield et Chronique des morts-vivants (un indécidable des nouvelles images qui flottent autour blockbuster ambitieux contre une série Z fauchée) du cinéma – est tout sauf un renoncement. Il faut partagent une même structure : forme brève, prétexte toute la ruse de vieux fauves de l’âge d’or des du délire potache, glose autour du «je te filme / tu me seventies pour en renverser la portée critique (De filmes», dialogues empreints de fausse spontanéité. Palma, Romero) et tout l’effarement de la jeunesse [Rec] s’en tire mieux en liquidant rapidement la (Reeves, Balaguero) pour les avaler comme autant question de justifier son processus de fabrication de visions à recracher à la face de l’entertainment. pour se rendre tout entier à un pur empire de la vision : À tous ceux qui associent la sophistication digitale à surgissement frénétique des zombies, effets de l’idée d’un art de l’apesanteur et de l’artifice, ces sursauts, crépitements grotesques dignes d’un quatre films s’offrent donc en électrochoc : un retour train fantôme. Car c’est bien dans ce jeu très enfantin halluciné et sauvage aux plus archaïques puissances d’apparitions au détour d’un cadre aléatoire, au du cinéma. cœur de l’action et non dans la glose qu’il produit, _Vincent MALAUSA que réside la puissance du procédé. Chronique des morts-vivants y trouve ses plus beaux instants [Rec] de Jaume Balaguero et Paco Plaza, Wildside (sortie le 23/10) Cloverfield de Matt Reeves, Paramount Vidéo (disponible) (le principe d’avancée à tâtons qui régit le film) Chronique des morts-vivants de George A. Romero, Bac Vidéo tandis que Cloverfield n’existe vraiment que lorsqu’il (sortie le 20/01/09) s’étourdit dans le chaos (la tête explosée de la Redacted de Brian De Palma, TF1 Vidéo (disponible)

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LA SÉLECTION par S.M. COFFRET 2 FILMS DE NANNI MORETTI Cahiers du cinéma Professeur de mathématiques obsessionnel et énamouré dans la comédie sentimentale Bianca, Nanni Moretti endosse la soutane dans La Messe est finie. Deux films graves et cocasses par un moraliste de génie.

LA GRAINE ET LE MULET D’ABDELLATIF KECHICHE Pathé Cinq Césars, dont celui du meilleur film français et du meilleur réalisateur : une consécration méritée pour cette chronique familiale naturaliste aux allures de thriller métaphysique, qui a révélé Hafsia Herzi.

L’ORPHELINAT DE JUAN ANTONIO BAYONA Wild Side Un premier film en forme de coup de maître. Dans ce conte à l’univers visuel sophistiqué, une mère de famille affronte les fantômes de son passé. Le plus gros succès de tous les temps en Espagne.

DANS LA CHAMBRE DE VANDA DE PEDRO COSTA Capricci Très complet et richement illustré, un livre constitué d’une conversation avec Pedro Costa accompagne ce magnifique film du réalisateur portugais sur les laissés-pourcompte.

L’HEURE D’ÉTÉ D’OLIVIER ASSAYAS MK2 Éditions

Avec cette chronique familiale climatique sur le deuil et le passage de relais entre générations, que portent des interprètes justes et émouvants, Olivier Assayas signe l’un des plus beaux films français de 2008.

ACTUALITÉ ZONE 1 Célèbre pour Un Été 42, Robert Mulligan n’est pas l’homme d’un seul film, loin s’en faut. Pour preuve, ce western réalisé en 1969, The Stalking Moon (L’Homme sauvage en VF) : l’histoire d’une chasse à l’homme implacable entre un confédéré vindicatif et un serial killer indien. Sécheresse des mots et corps-à-corps spectaculaires, le film respecte les règles du genre tout en déployant, en sous-main, un sujet plus intime, à savoir la rencontre entre un Gregory Peck fragilisé et une Eva Marie Saint plus émouvante que jamais. Cette œuvre réaliste et méconnue est l’égale des plus grands westerns, de Willie Boy à Un Convoi sauvage. _R.J. De haut en bas : Cloverfield, Chronique des morts-vivants, Redacted.

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LIVRES Le « mystère » Thomas Pynchon

L’homme invisible Avec ses 1200 pages, ses dizaines de personnages et son dédale d’intrigues, Contre-Jour est le livre qu’il faut avoir lu en cette rentrée littéraire. Son auteur : Thomas Pynchon, l’écrivain le plus secret d’Amérique. Mais pourquoi fascine-t-il autant ?

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La scène se déroule en 1997, à Manhattan. mais les administrateurs font barrage, jugeant le Caméra à l’épaule, une équipe de CNN court texte «illisible, ampoulé et obscène»). Cette volonté les rues derrière un homme d’une soixantaine farouche de garder le contrôle sur sa vie fait de d’années, qui fait tout pour ne pas être filmé. Pynchon l’archétype du grand écrivain secret, d’autant Médusés, les passants pensent avoir affaire à une plus fascinant qu’il est invisible ; elle témoigne aussi vedette du petit écran. Erreur : il s’agit de Thomas d’une profonde compréhension des rouages de la Pynchon, le romancier le plus secret de son époque, société du spectacle, qu’il prend à revers en refusant considéré par beaucoup comme le meilleur écrivain d’entrer dans son jeu. Moins il est là, plus on en parle. américain vivant. Son dernier livre, Mason & Dixon, est un événement national : une sorte d’hystérie Mais au-delà de son aura de mystère, la vraie raison s’empare des lecteurs et des journalistes, qui de son succès est bien sûr dans ses livres, monuments vendraient père et mère pour publier des photos de labyrinthiques qui constituent presque un genre à l’écrivain. Dix ans plus tard, la parution de Contre-Jour part entière. Dès V, en 1963, les jalons sont posés : a de nouveau déclenché les passions : dès sa sortie, intrigue foisonnante, érudition maniaque, humour ce pavé a généré d’innombrables articles dans la décapant, noms bizarres, construction baroque et presse et, phénomène nouveau, une myriade de sites problématiques philosophiques d’une rare profondeur, sur Internet, chaque fan pouvant désormais se ses romans sont des machines textuelles hors-normes, faire exégète et mettre en ligne ses IL EST IMPOSSIBLE DE CERNER PYNCHON impressions. Certains sites ressemblent à de véritables monographies, avec AUTREMENT QU’À TRAVERS SES ÉCRITS. des annotations page par page et des E. JELINEK, SA TRADUCTRICE cartes indiquant les lieux de l’action… Une fièvre critique qui, en cette rentrée littéraire, loin des canons académiques. Les spécialistes n’épargne pas l’Hexagone : en même temps que la publient des guides de lecture et cataloguent ses traduction française de Contre-Jour, paraissent thèmes de prédilection : l’impérialisme, les substances plusieurs essais et dossiers consacrés à l’écrivain, psychotropes, la paranoïa, la culture populaire à l’image du roboratif volume concocté par le (Pynchon est fan de jazz et de comics), le racisme, l’histoire américaine ou la science moderne, dont les collectif Inculte, Face à Pynchon. grands concepts irriguent ses romans. Autant être La première raison de cet engouement tient bien clair : avec ses 1200 pages fourmillantes, Contre-Jour sûr dans l’épais mystère qui entoure sa vie. Dès le n’est pas le plus simple de ses livres. Commençant début de sa carrière, Pynchon s’est tenu à l’écart à bord d’un dirigeable au-dessus de Chicago lors de des médias, refusant les photos et dissimulant l’Exposition universelle de 1893, l’intrigue explose habilement les informations à son sujet. « Dans son rapidement pour défier toute linéarité, comme un sillage, des documents disparaissent en permanence, kaléidoscope narratif truffé de sables mouvants. constate sa traductrice, la romancière Elfriede Jelinek. Aussi dense et frénétique que L’Arc-en-ciel..., il est Il est impossible de le cerner autrement qu’à travers peut-être encore plus marqué politiquement, avec ses écrits. » Si des milliers de pages sont écrites sa vision désenchantée du mythe américain et du chaque année sur ses livres, ce qu’on sait de lui se système capitaliste. Impossible, cela dit, de résumer réduit à quelques dates : sa naissance en 1937, son à une étiquette ou un thème cette somme délirante, passage dans l’US Navy à la fin des années 1950, la presque monstrueuse, que certains voient déjà publication à 26 ans de son premier roman, V, sa comme le meilleur roman de son auteur. Sur Internet, fréquentation du milieu hippie californien, son des milliers de lecteurs travaillent fiévreusement à opposition à la guerre du Vietnam ou encore les décoder la bête, les plus téméraires lui dédiant des péripéties qui ont accompagné en 1973 la publication blogs entiers. Si vous allez jusqu’au bout, vous serez de L’Arc-en-ciel de la gravité, son chef-d’œuvre peut-être le prochain. (les jurés du Pulitzer lui décernent le prix à l’unanimité _Bernard QUIRINY

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LA SÉLECTION par P.D., S.Q. et Au.To. UNE FILLE DU FEU, EMMANUELLE BAYAMACK-TAM Roman, P.O.L. Les tribulations de Charonne, 20 ans, élue entre toutes pour être mère porteuse. Très sensible à la question de l’identité sexuelle, l’auteure livre un roman d’une grande originalité, mêlant humour, cruauté et tendresse. TROIS HOMMES SEULS, CHRISTIAN OSTER Roman, Minuit Trois hommes seuls en route pour un séjour en Corse où les attend Marie, une amie du narrateur : l’occasion pour Christian Oster de nous offrir une subtile variation sur les intermittences du cœur et de l’affection.

NULLIPARE, JANE SAUTIÈRE Roman, Verticales

Partant de sa propre histoire, celle d’une femme qui n’a pas enfanté, Jane Sautière sonde ce mystère à travers les lieux et les hommes de sa vie, en un très beau récit fragmentaire, aussi sobre que percutant.

TRACTEUR ET COMPAGNIE, ALAIN CROZON à partir de 3 ans, Seuil Jeunesse Que les petits d’hommes se réjouissent : après Pelleteuse et compagnie, Alain Crozon revient avec Robert le Tracteur et ses amis. Un livre animé rigolo et coloré, en trois dimensions. ROCK N’ROLL, FRANÇOIS BON Roman, Albin Michel

Après Dylan et les Stones, François Bon achève sa trilogie rock avec cet envoûtant portrait de Led Zeppelin. Dans une langue nette et fiévreuse, l’écrivain raconte, en filigrane, l’acmé d’une époque – excessives seventies.

LE SITE http://www.monsieurtoussaintlouverture.net/ En dépit de son nom, Monsieur Toussaint Louverture n’est pas un site consacré au célèbre libérateur d’Haïti : sous cet intitulé se cache une revue littéraire dédiée à la nouvelle et à la poésie, avec une prédilection spéciale pour les raretés, les contes étranges et les perles humoristiques. Sous une devise qui résume bien son esprit à la fois potache et érudit (« Nous avons une métaphysique avantageuse »), le site offre un délicieux bric-à-brac de textes inédits, de fausses petites annonces et de listes inutiles à la Ben Schott, où il est même possible de proposer ses contributions. Succulent. _B.Q. Thomas Pynchon, Contre-Jour, Traduit de l’anglais par Claro, Seuil, 1200 p., 35 €. 51 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_SEPTEMBRE 08


MUSIQUE Ayo, grave et groovy

Gobal soul Après la soul acoustique de Joyful, l’Afro-Européenne Ayo passe à l’électricité dans Gravity, at Last, son second album. La formule est éprouvée ; l’ambition, plus que jamais universelle pour cette icône du transculturalisme.

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De la sentimental music ? » Ayo opine, les Ayo est plutôt du genre à passer sa vie avec ses yeux brillants. Nile, le jeune fils, joue aux guitares qu’avec des ingénieurs du son. La musique pieds de ses longues jambes terminant sur est son « yoga de l’âme », sa « thérapie » : Love and un short en jean. C’est le cœur de l’été. On entend Hate, Better Days, Mother… la présence absente des presque Paris respirer. Demain, avant la déferlante parents coule une nouvelle fois dans les veines de de la rentrée, promotion et concerts destinés à certains morceaux. Mais sans pathos. Naturellement. imposer son nouvel album Gravity, at Last au- «J’essaie d’être honnête, même si en face on n’aura delà du Vieux Continent qui l’a déjà adoubée et pas nécessairement envie de m’écouter. » Ayo est reconnue, la jeune femme, 28 ans ce mois de la benjamine de la famille. Elle sera « toujours là septembre, part se reposer « en famille », du côté pour eux». Mais a elle renoué avec la pesanteur – la de Nosy Be, Madagascar. « gravity » – et doit d’abord songer à tracer sa « Sentimental music », donc. Quelque part dans les route. Vers l’Amérique, d’abord. Le label Motown années 1970, le godfather de l’afrobeat, le Nigérian vient de la signer pour les États-Unis. Quand elle Orlando Julius, jouait de ce répertoire AYO EST FILLE DE NIGÉRIAN ET DE pour les expatriés anglo-saxons de Lagos : soul, rhythm and blues, pop... madeleines ROUMAINE. NÉE ALLEMANDE, PASSÉE musicales destinées à réconforter les PAR LONDRES, DÉCOUVERTE À PARIS. étrangers dans l’étuve de la mégalopole africaine. La «sentimental music» des années 2000, était jeune, Ayo était plutôt Stax. Mais Stax et Otis celle d’Ayo, s’accommode aussi de reggae. Et les Redding ont disparu. Et le charisme d’Ayo a tout pour expatriés à qui elle s’adresse sont les 200 millions séduire un Nouveau Monde sous début de mandat de migrants de la mondialisation, asiatiques ou Obama. Avant, qui sait, de s’imposer auprès de la africains, latinos ou indiens, venus tenter leur nouvelle classe moyenne africaine. Ayo est devenue chance dans les pays occidentaux. Ayo parle surtout une des plus célèbres représentantes du Nigeria à la génération montante. Elle est comme eux. sans frontières, celui de la plus grande diaspora Transculturelle, pour reprendre le titre du récent noire du monde. « J’espère pouvoir bientôt y acheter livre de Claude Grunitzky consacré aux figures et du terrain, si possible à Ile-Ife. C’est le centre du enjeux du métissage. monde pour les Yoruba. Je suis fascinée par cette Ayo est fille de Nigérian et de Roumaine. Née culture.» Un jour, peut-être, Ayo y fondera aussi une Allemande, passée par Londres, découverte à Paris, école pour « jeunes artistes, avec un encadrement en 2002, durant les soirées Big Bang Gang du adulte, mais sans professeurs. Les élèves eux-mêmes Sénégalo-Gaulois Malik N’Diaye. Depuis, elle a été se chargeraient de leur apprentissage. Je crois consacrée grâce à son tube Down on my Knees, beaucoup dans la jeune génération. » sa guitare acoustique, ses fêlures et sa voix feulante. Aux pieds d’Ayo, dans le restaurant-bar qui s’ébroue, Ayo prendra un appartement dans le sixième Nile commence à patienter. On parle du papa et de arrondissement parisien pour les mois à venir. Vit à la Sierra Leone – Patrice vient lui aussi de sortir Brooklyn. Loue une maison dans l’Ondo State, au son nouvel album, Free-Patri-Ation. Ayo et lui forment Nigeria. Et a enregistré son nouvel album en cinq le couple le plus glamour de cette bouillonnante jours aux historiques studios Compass Point de scène afro-européenne, «à la double culture». Mais Nassau. Plié, comme d’habitude, aussi rapidement de là à faire la une des magazines people... « Il fait qu’à Nollywood, le Hollywood du Nigeria. Ayo ses choses, je fais les miennes. À la fin de la journée, sourit : « Au Nigeria on fait des films dans l’urgence on se retrouve. C’est très bien comme ça. Mais pourquoi pour des raisons économiques ! Moi, c’est tout pas un jour faire ensemble une tournée africaine? Ce simplement parce que j’aime aller vite. Je ne suis continent progresse si rapidement. C’est aujourd’hui pas du genre à passer deux mois en studio. Sortir que ça se passe. » _Jean-Christophe SERVANT un disque, pour moi, c’est un procédé naturel. Retrouvez une interview exclusive d’Ayo à Rio de Janeiro J’avais des chansons. On les a enregistrées. » sur www.mk2.com

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LA SÉLECTION par Au.To. LINDSTRØM «Where You Go I Go Too» Feedelity / Differ-Ant Là ou il va, nous allons aussi : le disco hypnotique et étiré du Norvégien Lindstrøm se danse à même la navette spatiale, avec, en guise de boule à facettes, une poussière d’étoiles. Immense.

HERMAN DÜNE « Next Year in Zion » Source Etc Le duo franco-suédois a perdu un membre, mais trouvé l’amour sur les bords d’une plage californienne. Plus serein, son antifolk s’orne de mariachis, chœurs et autres douceurs. Toujours aussi crucial.

DAVID VANDERVELDE « Waiting for the Sunrise » Secretly Canadian / Differ-Ant

Voix d’ange, guitares aiguisées, ce jeune Américain chante la route qui n’en finit pas, la brise qui annule l’horreur, guérit l’erreur et précède l’aurore. Neil Young, George Harrison, Wilco : son countryrock puise chez les plus grands.

FLEET FOXES « Fleet Foxes » Bella Union

À peine sortis de leur terrier de Seattle, ces cinq renards glapissent de somptueuses harmonies folk-pop, à faire croasser les corbeaux et fondre les fromages. Nulle malice ici, mais une sincérité à fleur de pelage, du meilleur aloi.

METRONOMY«Nights out» Because Le tic-tac de ce drôle de métronome a perdu la boule, boule qui s’en va cogner l’électro UK dans des angles impossibles, rythmes saccadés, synthés vertigineux, voix déréglées, tandis que résonne, comme une bénédiction, le tilt du flipper.

LE SITE

Photo : © Raphaël DUROY /Slingshot Music / MK2

www.myspace.com/thecoolkids On a écouté les peu regrettés New Kids on the Block, on écoute les Cold War Kids, on écoutera The Cool Kids. Totalisant plus de 6 millions de visites sur leur MySpace, leurs skuds soniques autoproduits n’ont rien à envier à ceux de leurs aînés, Kanye West et consorts : «Qui ?», fanfaronne le duo chicagoan. Après une première partie épique de Jay-Z à Bercy, Mickey Rocks et Chuck Inglish sonnent le glas du circuit VRP hip-hop avec le tubesque Delivery Man en téléchargement gratuit sur le Net. Pourquoi The Cool Kids ? « En fait, on est plutôt cool comme mecs. » Dont acte. Retrouvez un reportage consacré aux Cool Kids sur www.mk2.com _E.R.

Ayo, Gravity, at Last, Polydor.

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LES BONS PLANS Kompilés par Rémy Kolpa Kopoul

Nova fait sa rentr La rentrée musicale parisienne se la joue pédale douce ? Que nenni ! NTM et Stevie Wonder à Bercy, Jazz à la Villette, le Salon de la musique, plus profusion de concerts et soirées : sur tous tempos, Paris pulse ! Égrenons le calendrier date par date. MERCREDI 10 SEPTEMBRE MATTHEW HERBERT BIG BAND > CITÉ DE LA MUSIQUE (Jazz à la Villette) Le facétieux magicien britiche de l’électro à la tête d’un grand orchestre. Jubilatoire. BIRDY NAM NAM > OLYMPIA Quatre platineurs patentés et quarante doigts experts, un show électro acrobatique. Électrisant.

JEUDI 11 SEPTEMBRE BUMCELLO > GRANDE HALLE DE LA VILLETTE (Jazz à la Villette) Un duo à tout faire, un big band à deux, groove organique avec cohorte d’invités. Convivial.

VENDREDI 12 SEPTEMBRE TORTOISE > CITÉ DE LA MUSIQUE (Jazz à la Villette) Les Chicagoans du post-rock dans leur grand écart avec le jazz libertaire. Audacieux. MISS KITTIN > SOCIAL CLUB La lady grenobloise de la techno-pop dans tous ses éclats. Entêtant. THE EX & GETATCHEW MEKURIA > CABARET SAUVAGE (Jazz à la Villette) Des punks hollandais déchirés et un sax éthiopien déchirant. Hallucinogène. MARTINA TOPLEY BIRD / HERMAN DÜNE / JAMIE LIDELL / HUGH COLTMAN / NOVA TEAM > BELLEVILLOISE (Nuit Zébrée de Nova) Cinq ans de Zèbre Novaïen, nouvelle formule, 17h > 5h, marathon de luxe. Invits à Nova. Grandiose.

SAMEDI 13 SEPTEMBRE LALO SCHIFFRIN > GRANDE HALLE DE LA VILLETTE (Jazz à la Villette) Le compositeur de Mission Impossible et cent autres BO en leader de big band. Classieux TOURÉ KUNDA / SOUAD MASSI > BERCY (Veillées du Ramadan) Le grand raout annuel, le Maghreb, l’Afrique et... Paris célèbrent le Ramadan. Festif.

DIMANCHE 14 SEPTEMBRE MOUSS & HAKIM / CARAVAN PALACE / DIDIER LOCKWOOD & SANSEVERINO / DJ RKK > PARC DES EXPOSITIONS (Salon de la musique) La musique tient salon et s’offre en plateau varié. Appétissant.

MERCREDI 17 SEPTEMBRE STEPHANIE MCKAY > NEW MORNING La groovy sister du Bronx est fière gardienne de la flamme soul. Enivrant.

JEUDI 18 SEPTEMBRE NTM > BERCY (jusqu’au 20/09 + 22 & 23/09) 20 ans et toujours debout. Tête de pont du hip-hop d’ici. Costaud. MAGIC MALIK ORCHESTRA > SUNSIDE (jusqu’au 20/09) Le shaman de la flûte dans sa nouvelle parure, délibérément jazz. Ensorcelant. KOUYATÉ / NEERMAN > CENTRE FLEURY GOÛTE D’OR Balafon africain et vibraphone du jazz : deux fines lames pour un magique duo. Transcendant.

VENDREDI 19 SEPTEMBRE TANIA MARIA > DUC DES LOMBARDS (jusqu’au 20/09) La grande dame du jazz made in Brasil en duo avec Carneiro le percu. Trépidant. SLY JOHNSON > OPUS CAFÉ Le lutin beatboxer du Saian Supa Crew élargit les perspectives du hip-hop. Vitaminé. DJ SPINNA : JACKSON VS PRINCE > BELLEVILLOISE (Free Your Funk) Le funambule des platines fusionne les deux caïds de la black music. Hardi. CASSIUS DJ SET > SOCIAL CLUB Boombass et Zdar, les éclaireurs de la French touch dans leurs ébats intemporels. Réjouissant.

LUNDI 22 SEPTEMBRE NATACHA ATLAS > ALHAMBRA (Veillées du Ramadan) La diva de l’électrOriental, dans une parure plus acoustique. Élégant. LE PEUPLE DE L’HERBE > CIGALE Entre reggae dub et électro rock, des pointures hexagonales. Fumant.

MARDI 23 SEPTEMBRE LULENDO > SATELLIT’ CAFÉ Le petit prince angolais de Paris, une Afrique vocale minimaliste. Chaleureux.

MERCREDI 24 SEPTEMBRE MIKIDACHE / ORCHESTRE BAOBAB > CENTRE FLEURY GOÛTE D’OR (Veillées du Ramadan) La voix d’or de Mayotte et le mythique big band sénégalais : l’Afrique au pluriel. Familial.

JEUDI 25 SEPTEMBRE

ANGELO DEBARRE > ALHAMBRA (Nuits Manouches) Le guitariste le plus novateur de la galaxie jazz manouche, temps fort d’un mini-festival. Fusionnel.

PIERRE BAROUH / STÉPHANE BELMONDO / ALINE DE LIMA : 50 ANS DE LA BOSSA NOVA > BAISER SALÉ + SUNSIDE + DUC DES LOMBARDS (Paris jazz club). Pour le mi-centenaire de la bossa carioca, trois clubs et trois concerts pour le prix d’un. Caressant.

TITI ROBIN > SUNSET (jusqu’au 20/09) Le guitariste angevin dans ses pérégrinations entre Inde et flamenco. Voyageur.

ED MOTTA > ALHAMBRA Le grand manitou de la scène soul jazz « do Brasil », un groove implacable. Monumental.

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ée BEVINDA > SATELLIT’ CAFÉ La madone parisienne du fado portugais revisite quinze ans de répertoire. Délicat. MARK DE CLIVE LOWE FULL BAND / OLLIE TEEBA > BATOFAR (Think # 2) Le DJ et clavier drum ‘n bass / hip-hop en live, plus l’homme d’Herbaliser en DJ set. Flamboyant.

VENDREDI 26 SEPTEMBRE LES FLEURS NOIRES > STUDIO DE L’ERMITAGE (Festival Tango Nuevo) Neuf filles dingues de tango : rigueur et fantaisie. Majestueux. YELEEN > CENTRE FLEURY GOÛTE D’OR (Veillées du Ramadan) Hip-hop du Burkina Faso, une parole contestataire. Incandescent.

SAMEDI 27 SEPTEMBRE 24H AUTOUR DE L’INDE > CITÉ DE LA MUSIQUE Ragga du soir puis du matin, 24 heures de voyage en musique non-stop. Zen. MICKY GREEN / MORIARTY / ASA > MEAUX (Musik’Elles) Festival au féminin avec trois voix très Nova. Gracieux.

OSUNLADÉ > BATOFAR L’électro avec magie noire, une rare élégance. Chic et choc.

DIMANCHE 28 SEPTEMBRE STEVIE WONDER > BERCY Le Parrain de tous les grooves en visite, c’est rare. Impérial.

LUNDI 30 SEPTEMBRE SÉBASTIEN TELLIER > OLYMPIA Oui, il y a des lendemains qui chantent après l’Eurovision. Rassurant.

MERCREDI 1ER OCTOBRE JEAN-LOUIS MURAT > L’EUROPÉEN (jusqu’au 05/10) L’ermite des Causses monte à la capitale, avec sa rugueuse poésie. Salutaire.

MARDI 7 OCTOBRE HOCUS POCUS > ALHAMBRA (jusqu’au 09/10) Le rap du pays nantais donne des couleurs au paysage hip-hop. Vivifiant.


ART Christian Boltanski à la Maison rouge

Les mille et une v La Maison rouge présente l’exposition Les Archives du cœur de Christian Boltanski. L’occasion de revenir sur le parcours de cet artiste français majeur dont l’œuvre, articulant l’intime et l’universel, dresse un portrait en clair-obscur de l’humain.

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’effet est saisissant. Et pourtant Le Cœur, l’installation phare de l’exposition de Christian Boltanski Les Archives du cœur, présentée du 13 septembre au 5 octobre à la Maison rouge, est d’une sobriété exemplaire. Suspendue au plafond, une ampoule varie d’intensité en fonction de la bande-son d’un battement de cœur. Celui de l’artiste. Nous voilà au cœur d’une des préoccupations essentielles de Christian Boltanski : la fébrilité de la vie, intrinsèquement liée à l’extinction.

Né en 1944 à Paris, dans une famille juive d’origine russe marquée par l’Holocauste, le jeune homme est d’abord attiré par la peinture, qu’il délaisse vers la fin des années 1960. L’artiste, auquel on prêterait volontiers l’image du bon vivant, s’emploie dès lors à préparer sa mort en prenant soin de conserver sa vie, soigneusement « mise en boîtes ». Un véritable travail d’historien de sa propre existence, sans cesse relié à la mémoire collective. Nombre de ses œuvres, mêlant texte, son, photo, vidéo et objets, présentent un ensemble de documents personnels révélant autant de souvenirs de ce qui a été. Si l’autobiographie s’impose comme la principale thématique de son travail, Christian Boltanski, dans cet exercice AUJOURD’HUI, 70 % DE MES ŒUVRES de reconstitution, n’hésite SONT VOUÉES À ÊTRE DÉTRUITES. pas à semer mensonges et simulacres. « On se construit à l’intérieur du personnage que l’on s’est créé et finalement, on ne vit plus, on joue à la vie...», explique, volubile, cet artiste marié à une autre grande artiste, Annette Messager.

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De plus en plus, la réalité vient aujourd’hui dépasser la fiction. Ses projets sont conçus comme des sortes de légendes, principalement du fait de la difficulté d’accéder aux lieux qui les abritent, comme l’île de Naoshima, au sud du Japon, où résonneront tous les battements de cœur recueillis à travers le monde dans le projet itinérant Les Archives du cœur. L’artiste, qui investira le Grand Palais à l’occasion de Monumenta en 2010, prévoit également d’installer une horloge parlante dans la crypte d’une cathédrale à Salzbourg. Mais encore de mettre en place un duplex vidéo entre son atelier de Malakoff et, à des milliers de kilomètres, une obscure caverne en Tasmanie… La mythification de l’œuvre de Christian Boltanski va de pair avec sa progressive dématérialisation. «J’utilise de moins en moins la photographie. Je n’ai plus véritablement envie de créer des objets que les gens peuvent avoir chez eux. Aujourd’hui, 70% de mes œuvres sont vouées à être détruites, à ne plus avoir d’existence matérielle», précise-t-il. «À ce jour, je joue encore mes propres partitions. Mais après ma mort, je souhaiterais que d’autres personnes s’en emparent à leur tour. » Il y a de grandes chances que le cœur de Christian Boltanski continue de battre longtemps... _Anne-Lou VICENTE Retrouvez l’interview vidéo de Christian Boltanski sur www.mk2.com. Les Archives du cœur, 13 sept.-5 oct. - La Maison rouge, 10 boulevard de la Bastille, 75012 Paris. Du mercredi au dimanche de 11h à 19h. // Ouverture exceptionnelle lors de la Nuit blanche, dans la nuit du 4 au 5 octobre. // Festival d’automne à Paris, 13 sept.-21 déc., www.festival-automne.com.

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EXPOSITIONS par A.-L.V. PLAYTIME 8 - 28 SEPTEMBRE Entre performance et exposition, Playtime propose à une cinquantaine d’artistes issus des arts visuels, du théâtre, de l’architecture ou de la danse, de déployer un ensemble d’objets et d’actions venant nourrir la dimension fictionnelle de la nouvelle ZAC Paris Rive gauche, site urbain en plein aménagement où est implanté Bétonsalon.Bétonsalon // 9 esplanade Pierre Vidal-Naquet // Rdc de la Halle aux Farines, 75013 Paris.

JACQUES VILLEGLÉ 17 SEPT.- 5 JANV. Intitulée La Comédie urbaine, la rétrospective de l’artiste français rassemble plus d’une centaine d’œuvres des années 1940 à nos jours. À partir d’affiches lacérées par des mains anonymes, Jacques Villeglé, flâneur à l’affût des fruits du hasard urbain, invite à un voyage dans le temps et les formes. Centre Pompidou // Place Georges Pompidou, 75004 Paris.

STÉPHANE CALAIS 12 SEPT. - 9 NOV. Nourrie de l’histoire du design et de la littérature, l’œuvre de Stéphane Calais combine dessin, peinture, objets et installations. Elle pose la question de la représentation et de l’image comme leurre, cristallisant la tension entre figuration et abstraction, réalité et imaginaire, horreur et féerie. Le Crédac, Centre d'art contemporain d'Ivry // 93 avenue Georges Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine.

PALIMPSESTE, UN BON PRÉ-TEXTE 6 SEPTEMBRE - 11 OCTOBRE L’exposition réunit une vingtaine de jeunes artistes dont les œuvres relisent des travaux réalisés par d’autres artistes. Ici, la référence ou la copie plus ou moins explicites sont envisagées comme critères possibles d’analyse de l’œuvre, et non en tant qu’argument visant à en contester la légitimité. Galerie Xippas // 108 rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris.

LE SITE © Christian Boltanski et Galerie Marian Goodman, Paris / New York

www.semiconductorfilms.com Créé en 1997 par les vidéastes Ruth Jarman et Joseph Gerhardt, le duo britannique Semiconductor donne à voir et à entendre les ondes, vibrations, flux et autres phénomènes immatériels, invisibles et inaudibles, présents dans notre environnement. Un travail minutieux sur l’image et le son sous-tendu par une réflexion sur le temps et l’espace, la matière et le mouvement. À découvrir de plus près au Centre de création numérique Le Cube à partir du 5 octobre dans l’exposition Out of the Light. _A.-L.V.

Christian Boltanski // Le Cœur, 2005 // Vue d’installation.

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PAR NICOLAS COMMENT


WWW.AGENCEVU.COM AGENCE VU // 17 BD HENRI IV - 75004 PARIS GALERIE VU’ // 2 RUE JULES COUSIN - 75004 PARIS

EST-CE L’EST ? (BERLINER ROMANZE) NICOLAS COMMENT Co-édition Filigranes / Probe Laze it 60 pages + CD audio // 25 €

Est-ce l’Est ? est une romance berlinoise, un film fixe, un disque imagé. C’est une ballade dans l’ex-Berlin Est, hanté par le spectre du Mur et des totalitarismes, mais également par la musique de David Bowie et de Lou Reed. Pour l’une des toutes premières fois, photographies d’auteur et pop music – deux arts « de demi-teinte » – sont ici réunies pour former un tout cohérent dans cet objet original et collector. Roman visuel et sonore, Est-ce l’Est ? (Berliner romanze) est autant un livre de photographies qu’un mini-album de rock (les six chansons ont été produites à Berlin par Jean-Louis Piérot et Philippe Balzé). La galerie VU' propose une édition spéciale d'un vinyle 33 tours Est-ce l'Est ? (Berliner romanze) accompagné d'un tirage original 24 x 30 cm signé et numéroté à 20 exemplaires ainsi qu'une édition limitée de trois i-touch gravés et numérotés faisant dialoguer de façon innovante les images et la musique de l'artiste.


RÉSEAUX La gratuité à l’assaut du cinéma

Gratuité, mon am

Illustration : Arnaud PAGÈS

Après la presse ou la musique, c’est au tour du cinéma de subir les assauts de la gratuité numérique, de Cdiscount à AOL ou DailyMotion. Des modèles uniquement financés par la publicité, bousculant le fragile équilibre qui régit la création cinématographique.

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u'il existe une relation intrinsèque entre l'Internet et la gratuité ne fait plus aucun doute. Lieu d'abondance, relayant aux oubliettes toute idée de valorisation par la rareté, la Toile cherche maintenant à faire rimer VOD (vidéo à la demande) avec gratuité. Encore émergent, ce mode de consommation des films – où je veux, quand je veux – n'aura pas eu le temps de prendre son envol en classe payante que le commerçant électronique Cdiscount vient le chahuter dans une version gratuite tout ce qu'il y a de plus légale, financée par la publicité. Une première mondiale au pays de la télévision payante (Canal +) et d'un système de financement du cinéma présenté comme un modèle du genre, basé sur la « chronologie des médias » (l'étalement des fenêtres de diffusion : salle, DVD, VOD, chaînes payantes puis gratuites). Au rythme d'un long métrage par semaine pour débuter, LA GRATUITÉ RESTE UNE ESCROQUERIE Cdiscount mise sur 400 000 téléchargements par film et des écrans de pub non zappables avant et après INTELLECTUELLE. PÉTITION SIGNÉE PAR visionnage pour faire la preuve que même le cinéma, 31 RÉALISATEURS la plus coûteuse des industries culturelles, est gratuitocompatible. D'autres poids lourds de l'Internet s'y mettent également, tel AOL qui s'est associé avec le service de VOD gratuit de documentaires SnagFilms et qui promet un catalogue de 750 titres pour la fin de l'année. Un modèle naturel pour le site de partage de vidéos DailyMotion, qui dès mars dernier a mis gratuitement en ligne Révolta Kilomètre Zéro, un long métrage déjà vu par près de 65 000 internautes. Plutôt encourageant lorsque l'on sait que le temps de visionnage moyen des internautes reste à peine de quatre minutes sur un PC... À l'heure où le débat fait rage entre partisans et opposants de la future loi anti-piratage du gouvernement, cette irruption –

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encore timide – de la VOD à zéro centime risque de compliquer un peu plus la donne d'un paysage audiovisuel en pleine ébullition numérique. Si le monde du cinéma, rassemblé comme un seul homme derrière la ministre de la culture Christine Albanel, vient de lancer une pétition (déjà signée par 31 réalisateurs) pour dire « qu'il n'est pas prêt à sacrifier à la mode de la gratuité de la culture, qui reste une escroquerie intellectuelle », il s'est également engagé, dès que la loi sera rentrée en vigueur, à raccourcir la fenêtre VOD dans la fameuse chronologie des médias. D'abord de sept mois et demi à six mois puis ensuite, et après négociation, «à trois à quatre mois pour se rapprocher de la moyenne européenne», comme l'aimerait Christine Albanel. Le problème, c'est que si elle passait dans le camp de gratuité, la VOD dévaloriserait de fait l'offre de Canal +, grand argentier du cinéma français. Voir six mois après leur sortie et gratuitement les derniers blockbusters sur son PC risque de diminuer l'intérêt qu'il y a à s'abonner à une chaîne cryptée qui ne les diffusera que six mois plus tard ! Pour Alain Sussfeld, directeur général d'UGC auprès duquel Cdiscount aurait obtenu les droits VOD de certains films (Un Secret de Claude Miller ou Le Grand Alibi de Pascal Bonitzer), la fenêtre de diffusion de la VOD gratuite devra impérativement être la même que celle des chaînes de télévision non payantes, c'est-à-dire en bout de chaîne. Sauf si ces sites se mettaient également à participer au financement du cinéma, option plus qu'improbable dans le cas d'un vendeur de high-tech à prix cassés comme Cdiscount ! Menacé, comme la musique, par une banalisation du piratage auquel il ne résiste que grâce à la bonne tenue des entrées en salles et à son mode de financement original, le cinéma voit ses règles bouleversées par l'arrivée de cette VOD gratuite. Attention aux liaisons dangereuses, un enchaînement fatal est si vite arrivé... _Christophe ALIX Retrouvez l’interview vidéo de Jean-Michel Ben Soussan, réalisateur de Revolta Kilomètre Zéro, sur www.mk2.com.

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our FFFFABULEUX ! Ffffound ! recense les meilleures trouvailles graphiques glanées sur le web (photo, dessin, design...), et les offre en partage. Un vrai régal. http://ffffound.com

MEDIA-EXPERT Alors que les héros de la blogosphère commencent à fatiguer, la nouvelle génération est en place. Le meilleur blogueur du moment s’appelle Narvic et publie sur Novövision ses réflexions sur les nouveaux médias. http://novovision.free.fr

GALACTIQUE Moins terre-à-terre que Google Maps, WikiSky cartographie… l’espace. Le voyage est borné par de nombreuses explications, hélas toujours pas traduites en français. www.wikisky.org

STUDIO D’ART ET D’ESSAI Il est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Dans les années 1980, il était de bon ton d’aller se faire tirer le portrait au studio. Ce blog recense les catastrophes. http://renz-o.blogspot.com

POLITIQUEMENT (IN)CORRECT L’ancien ministre Alain Lambert filme les coulisses du Sénat à l’aide de son appareil photo. Confidences, bombes politiques, futilités, tout y passe. http://www.alain-lambert-blog.org par B.D.

MOT @ MOT

VOD

[veod] sigle.

[2001, de l’anglais « video on demand », on trouve également les versions francisées mais peu usitées « vidéo à la demande » (VàD) et « vidéo sur demande » (VsD)] 1. Modalité de diffusion interactive, payante ou gratuite, permettant à un utilisateur de réseau câblé ou non (portail 3G) d’acquérir temporairement les droits de visionnage d’une vidéo tout en étant affranchi des contraintes horaires de la programmation. Grâce à la VOD, j’ai pu regarder 7h58 ce samedi là, de Sidney Lumet, un dimanche à 11h12. 2. nf. Synonyme de fuckfriend, un(e) ami(e) à la demande pour une soirée au lit. Concept vulgarisé par la presse féminine. Non papa, je ne présenterai pas Guntrunde à mère-grand. Cette fille c’est ma VOD, rien de plus. _E.R.

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JEUX VIDÉO Spore, le nouvel âge de la narration vidéoludique

Je vidéo D’alternatives cornéliennes en joueurs-narrateurs, la façon dont se raconte un jeu vidéo égale désormais les modalités narratives des arts conventionnels. Le plus beau livre de cette rentrée pourrait bien être… un jeu sur PC : Spore, par le papa des Sims.

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u commencement n’était pas le verbe. Les antédiluviens Pong et Tetris ne s’embarrassaient pas d’un récit retors, seule la règle d’un jeu simple importait. La philologie vidéoludique est émaillée de tentatives avortées, le récit dans le jeu vidéo a longtemps eu une importance comparable à celle de l’intrigue dans un film pornographique. En 1979, Pac-Man bénéficie d’un embryon scénaristique : un personnage glouton enfermé dans un labyrinthe doit manger ou être mangé par des fantômes. D’aucuns pourront ergoter sur les perspectives anthropo-philosophiques d’un tel énoncé, reste qu’à l’époque glorieuse des bornes d’arcade les scénarii ont des allures de mauvais pitch de série Z. Ces vingt dernières années, les théoriciens de l’histoire du jeu se sont opposés autour de deux postulats antithétiques à la première lecture. D’un côté, les scénaristes vedettes comme Hideo SPORE PREND LE PARTI DE PLACER LE JOUEUR AU Kojima, géniteur de la tortueuse saga CENTRE DE L’ÉLABORATION DU RÉCIT. Metal Gear Solid (initiée en 1998), pour qui le jeu doit, à l’instar d’un roman, narrer une fable captivante. De l’autre côté, Will Wright, concepteur des Sims (nés en 2000), l’un des jeux les plus vendus au monde. Ses productions ne présentent pas d’histoire directive mais proposent un environnement dans lequel le joueur écrit lui-même le scénario, comme dans les « livres dont vous êtes le héros » qui initièrent à la lecture tout un aréopage d’écoliers, au soir des années 1980.

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Aujourd’hui, les partisans de la ligne dure et dirigiste de la progression narrative sont les héritiers menacés des premiers temps de la console de salon. On se souvient des jeux de plateforme Sonic the Hedgehog (1991) ou Super Mario Bros.

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Will Wright, qui présentait le 1er septembre à Paris son dernier-né, Spore, sourit de ce renversement de tendance. Depuis janvier 2000, date de sortie du simulateur de vie humaine The Sims, il a pris le parti de placer le joueur au centre de l’élaboration du récit. Mieux, avec Spore, il vise la simulation de la vie même. Peut-on encore parler de « jeu » lorsque l’on vous propose de devenir une puissance démiurgique ? Le joueur-auteur-architecte doit conduire l’évolution de sa créature depuis un état unicellulaire aquatique jusqu’à régir une civilisation à l’heure de la conquête spatiale. Une fois Spore lancé, la souris devient plume, l’écran se fait parchemin, les pixels sont des enluminures qui ornent le récit des gamers. Will Wright résume : « La meilleure histoire est celle que l’on peut déconstruire pour en remodeler une autre. Prenez Star Wars par exemple, donnez-moi un sabre laser et l’Étoile de la mort, et je vous reconstruis une histoire comme on bâtit un Lego. » Plus de 3 millions de créatures ont déjà été créées par des internautes ayant téléchargé la démo du jeu, avant même sa sortie. Autant d’auteurs potentiels d’une nouvelle Comédie humaine. _Étienne ROUILLON Spore // Disponible : 4 septembre Éditeur : Electronic Arts // Plateforme : PC, Mac, DS

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(1985). L’intrigue tient alors sur la tranche d’une disquette : sauver le monde ou libérer une princesse. La série des Zelda (1986) méritait un Goncourt puisqu’on pouvait faire les deux à la fois. En 1998, le développeur Red Storm fait appel à l’auteur de best-sellers Tom Clancy. S’ensuit une longue série d’opus à succès commençant par la mention « Tom Clancy’s» : Rainbow Six, Ghost Recon ou encore Splinter Cell. De son côté, l’équipe de Metal Gear Solid : The Twin Snakes (2004) multiplie les cinématiques livrant une histoire (trop) riche. Cette surenchère frustre le joueur, une manette inutile posée sur les genoux. La fin du règne du récit transcendant a sonné. Récemment, GTA IV, héraut du jeu à scénario, conte une vengeance dont l’issue finale relève du libre-arbitre du joueur : assassiner ou pardonner.

PURE Splotch ! Barbouillés de boue, des quads survitaminés se lancent dans des courses aussi terrestres qu’aériennes. Une ivresse graphique et vertigineuse pour le meilleur jeu du genre. Disponible : 25 septembre Éditeur : Disney Interactive Studio // Plateforme : PS3, Xbox 360, PC

STAR WARS Bzzz ! L’arrivée d’un nouvel adepte du sabre laser dans la saga ravira les fans. L’intrigue, située entre les épisodes trois et quatre, est presque masquée par un gameplay brillant. Disponible : septembre // Éditeur : LucasArts Entertainment Plateforme : PS2, PS3, Xbox 360, Wii, PSP, DS

NIKOPOL : LA FOIRE AUX IMMORTELS Cui cui! Nikopol et le dieu Horus se retrouvent dans ce point & click de grande classe, tiré de la BD d’Enki Bilal. Les tableaux magnifiques abriteront des énigmes diverses et ardues. Disponible : 18 septembre Éditeur : 505 Games // Plateforme : PC

MERCENARIES 2 : L’ENFER DES FAVELAS Ding ! La monnaie sonnante pousse une bande de mercenaires à faire valdinguer tout ce qui bouge dans un Venezuela ravissant. Le soleil, les pieds dans l’eau, le doigt sur la gâchette. Disponible : 5 septembre Éditeur : Electronic Arts // Plateforme : PC, PS3, Xbox 360, PS2

CRYSIS WARHEAD Ka-boum ! Opus parallèle et alternatif à l’excellent Crysis, ce Warhead fera la part belle à un personnage secondaire dézinguant de l’alien sur une île belle à s’en péter les mirettes. Disponible : 18 septembre // Éditeur : Electronic Arts // Plateforme : PC Retrouvez les tests de ces jeux sur www.mk2.com _E.R.

LE SITE www.audio-surf.com L’écoute de la musique ne peut selon vous être associée à une activité tierce (cocottes en papier, déclaration des impôts, rédaction d’articles) ? Audiosurf vous propose de redécouvrir vos MP3 aux commandes d’un vaisseau spatial. Chargez votre ritournelle favorite dans le jeu, il la transforme en une partition aux allures de piste de course sortie de Tron. À vous ensuite de piloter en rythme votre bolide. Entre easy listening et Easy Rider, Audiosurf a le bon goût d’être bon marché (9,99 $ en téléchargement). La plus belle façon de regarder la musique depuis le psychédélique Windows Media Player.

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LA RELIGIEUSE Jacques Rivette Libre adaptation du roman polémique de Diderot par Jacques Rivette, censurée par l’Église catholique à sa sortie en 1966, avec Anna Karina au couvent.

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our qui connaît Anna Karina en pin-up scandinave et égérie de Godard, la voici dans un premier rôle « sérieux », révélée par le voile grave que lui fait porter Jacques Rivette dans La Religieuse – l’histoire des efforts d’une jeune fille pour se soustraire à une carrière monacale. Les parents de Suzanne (Karina), désireux de lui épargner le sort réservé aux filles sans fortune – et, soyons honnêtes, de s’en débarrasser prestement – la forcent à entrer dans les ordres. Pieuse mais sans vocation, elle y fait l’apprentissage de l’austérité et de la rigueur, ainsi que le sacrifice de sa liberté. Jeune cinéaste, Rivette contemple ici l’impénétrable spectacle de la vie monastique. Suzanne y subit successivement les assauts de ses supérieures dont elle endure les tourments incessants, avant d’attirer malgré elle la sollicitude érotique et les transports d’une nonne qui lui dispense des faveurs empressées. Difficile de restituer ce qui fit scandale à l’époque, car le film, comme l’œuvre romanesque dont il s’inspire, ne se constitue guère en brûlot sur la religion tout entière, mais interroge plutôt le sens d’une institution, le couvent, et ses pratiques. _Clémentine GALLOT ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

CYCLE HITCHCOCK Alfred Hitchcock est à l’honneur ce mois-ci : quelques-uns des grands classiques du réalisateur anglais (Fenêtre sur cour, La Corde, Frenzy) font leur ressortie en salles. Nous prendrons la relève sur la Toile en vous proposant des films moins connus mais tout aussi fascinants du maître du suspense, comme ceux de sa plus discrète période anglaise, tels Chantage, Champagne ou Correspondant 17.

PARLONS POLITIQUE ! Octobre signe le retour d’Oliver Stone sur nos écrans avec W., son excitante chronique dédiée à l’actuel président américain. Opportuniste, MK2 VOD s’engouffre dans la brèche et compose un cycle ad hoc. Au programme ? Du politique historique (Kundun), du politique de bureau (Les Trois Jours du condor), du politique cynique (Aprile)... De quoi se remettre dans le bain pour la rentrée du gouvernement ! Retrouvez actuellement plus de 900 films sur www.mk2vod.com

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SCIENCE-FICTION La chronique des objets de demain... xxxxxxxxxxxxxx La voiture à air comprimé

Air force Début 2009, MDI Motors commercialisera une voiture fonctionnant à l'air comprimé. Une révolution technique qui pourrait mettre fin aux conflits armés pour du sans-plomb. Au volant du prodige, notre chroniqueur évangélise la Géorgie.

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Excusez-moi, l'Ossétie du Sud c'est par où ? - Vous n'avez qu'à suivre la file de Lada en rade d'essence... Vous manquez pas d'air quand même !»

Mad Max. Ma monture sortie de l'usine MDI a le souffle d'un Jamaïcain en fin de 100 mètres. Comme si de rien n'était éructé à fond les ballons de l'auto-radio, je pars piston battant prêcher pour des soldats russes jouant à «je te tiens, tu me tiens, par la barbe ossète ». Je dois leur parler de ce monde merveilleux où l'or noir est un simple bronze pour lequel on ne se bat plus.

Le Corniaud. « Écrase-moi pas ! », médit un médiateur médiatique croisé dans les rues de Tbilissi. Je présente à mon président cet incroyable tacot. « Une voiture à air ? Pfff... et puis quoi encore ? le QG du FN vendu aux Chinois ? Ah ! » Il se casse d'un pauvre bond. Nul n'est mécano en son garage. Je reprends la route, un aller-Gori. Taxi Driver. Le choc de l'image, le poids du plomb. Une journaliste s'écroule en plein direct devant mes roues, blessée par une balle de sniper. Tel une combinaison speedo frayant dans un bourbier abkhazien, je la dépose dans le premier hôpital. Dérapage dans le hall du service des urgences, le chirurgien me fait la leçon. « Monsieur vous ne pouvez pas laisser votre voiture fumer ici, c'est un lieu public. – Oui, mais non. Ce petit bijou est 100 % propre. De l'air entre par l'avant et de l'autre côté c'est de l'air qui ressort. Et c'est pas du vent. Juré craché sur la tête du protocole de Kyoto. » Illustration : Thomas DAPON

Boulevard de la mort. Ça n'a pas raté : 10 minutes plus tard, c'est le peloton d'exécution pour haute subversion. Je réclame la dernière cigarette du condamné. Un soldat goguenard me tend un briquet sans flamme. « Tu connais pas ? Un nouveau modèle qui marche à l'air... » _Étienne ROUILLON

QUELQUES CHIFFRES EN L’AIR 3500 €. C'est le prix de vente du modèle de base de MDI, la CityCat. Soit le prix de 46 pleins d'essence, l'odeur migraineuse et les cauchemars emplis de cyclo-nudistes sourcilleux en moins. 140 km. C'est l'autonomie de la City Cat. Et lorsque vous roulez en ville, la voiture accuse zéro émission polluante. Bref, on peut même se sécher les cheveux avec le pot. 250. C'est le nombre d'usines MDI ouvertes dans le monde en 2010 d'où partiront les modèles doués du moteur conçu par le Nobel-compatible Guy Nègre. Sur www.mk2.com, retrouvez un reportage vidéo-textuel pour de vrai sur la voiture qui roule vraiment à l'air.

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