Trois Couleurs #66 - Novembre 2008

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CINÉMA I CULTURE I TECHNOLOGIE

JOAQUIN PHOENIX

NUMÉRO 66 I NOVEMBRE 2008

SON DERNIER FILM?



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CINÉMA 8_ 16_

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Tendances, Ciné fils, Regards croisés, Scène culte DOSSIER : la galaxie Judd Apatow Itinéraire d’un producteur épatant, Critique croisée de Frangins malgré eux et Délire express EN COUVERTURE : Two Lovers Portrait de Joaquin Phoenix, Entretien avec James Gray, Critique du film J’irai dormir à Hollywood : Rencontre avec Antoine de Maximy Critiques de Hunger, About a Son, Je veux voir, Stella, L’Échange, Burn After Reading Le GUIDE des sorties en salles

CULTURE 54_ 56_ 58_ 60_ 62_

DVD : Jacques Rozier, le cinéma de traverse LIVRES : G.K. Chesterton, le prince du paradoxe MUSIQUE : La disco avant-gardiste d’Arthur Russell LES BONS PLANS DE RADIO ART : Jeff Mills et le futurisme au Centre Pompidou

TECHNOLOGIE 64_ 66_ 68_ 70_

RÉSEAUX : Le high-tech, eldorado des musiciens ? JEUX VIDÉO : Le pouvoir d’achat des gamers VOD : La Nuit nous appartient de James Gray SCIENCE-FICTION : L’eBook

ÉDITO + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + ++ + + + + + + + + + +

SOMMAIRE # 66

L’ENFANCE DE L’ART Pour ce numéro automnal, nous hésitions entre deux couvertures : Seth Rogen ou Joaquin Phoenix. Deux acteurs que tout, à première vue, oppose : Rogen est la valeur montante de la comédie hollywoodienne, quand Phoenix incarne, lui, un cinéma plus sombre et écorché. De haute lutte, nous avions obtenu un entretien, par mail et téléphone, avec chacune de ces icônes. Problème : Rogen se décommande à une semaine du bouclage, avant que Phoenix ne décide d’envoyer tout valdinguer, cinéma, promo et consorts, nous laissant nus et désolés… Nus ? Loin de renoncer au traitement que nous leur réservions, nous avons creusé, scruté, sondé leur filmographie, pour nous apercevoir, in fine, que l’un et l’autre ont bien plus à voir qu’il n’y paraît : même épaisseur candide de l’enveloppe corporelle, même refus de l’ironie facile et factice, même attachement, presque filial, à l’univers d’un cinéaste-démiurge (Gray pour Phoenix, Apatow pour Rogen). Nus, disionsnous : Seth Rogen et Joaquin Phoenix sont deux enfants dans des corps adultes, ils se baladent, nus de corps et de cœur, donc, sur les bords d’un cinéma fragile, direct et sincère, pour mieux nous aider à grandir. Il ne suffit pas de les regarder ; il faut les suivre. _Auréliano TONET

ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA / 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS / 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION > Elisha KARMITZ I DIRECTEUR DE LA RÉDACTION > Elisha KARMITZ elisha.karmitz@mk2.com I RÉDACTEUR EN CHEF > Auréliano TONET aureliano.tonet@mk2.com / troiscouleurs@mk2.com RESPONSABLE CINÉMA > Sandrine MARQUES sandrine.marques@mk2.com I RESPONSABLE CULTURE > Auréliano TONET I RESPONSABLE TECHNOLOGIE > Étienne ROUILLON etienne.rouillon@mk2.com I STAGIAIRE > Juliette REITZER I ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : Claire BASTIN, Isabelle DANEL, Sylvain FESSON, Clémentine GALLOT, Jacky GOLDBERG, Titiou LECOQ, Jérôme MOMCILOVIC, Wilfried PARIS, Bernard QUIRINY, Léo SOESANTO, Anne-Lou VICENTE I ILLUSTRATIONS > Thomas DAPON, DUPUY-BERBERIAN, Fabrice GUENIER, Fabrice MONTIGNIER, Pierre ROUILLON DIRECTRICE ARTISTIQUE > Marion DOREL marion.dorel@mk2.com I MAQUETTE > Marion DOREL, Louise KLANG IMPRESSION / PHOTOGRAVURE > FOT I PHOTOGRAPHIES > Jérome BONNET (couverture), DR PUBLICITÉ > RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA > Laure-Aphiba KANGHA / 01 44 67 30 13 laure-aphiba.kangha@mk2.com I CHEF DE PUBLICITÉ > Solal MICENMACHER / 01 44 67 32 60 solal.micenmacher@mk2.com © 2008 TROIS COULEURS // issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. // Tirage : 200 000 exemplaires // Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique.




Chaud Seth

Dans Délire express, en salles le 3 décembre, Seth Rogen casse littéralement la baraque. À 26 ans, le protégé de Judd Apatow incarne le futur de la comédie US, versant XXL. «Je suis aussi laid qu’une bite, mais je sais parler aux femmes », dit-il, voix de nounours, vocabulaire de satyre, dans 40 ans, toujours puceau. Seth Rogen, rebutant? À voir. Cet été, l’acteur d’En cloque a fait la couv’ de plusieurs mensuels anglo-saxons, séduits par sa virilité replète et égrillarde. En interview, l’homme parle de sa bande d’amis comme du «Jew-Tang Clan». Dans la grande famille de l’humour juif (ses parents, canadiens, se sont rencontrés dans un kibboutz), Rogen incarne une sorte de Woody Allen kingsize et West Coast , porté sur la ganja. De film en film se dessine la silhouette d’un gangsta-lover à la verve anxieuse, que tempère une loyauté amicale à toute épreuve. Celle-ci se dirige en premier lieu vers le producteur Judd Apatow, qui l’a lancé au sortir du lycée dans la série TV Freaks and Geeks. Trajectoires voisines, d’ailleurs, que celles de Rogen et Apatow : rompus très jeunes à l’art de la stand-up comédie, tous deux essuient un temps les refus des studios, avant de s’y faire une place au soleil (le carton SuperGrave, coécrit par Rogen). Funny People, leur prochain projet commun, devrait conter cet apprentissage comique. D’ici là sortiront plusieurs comédies d’action accidentées, très frères Coen (Délire express). Insecte (Le Frelon vert) ou hardeur (Zack et Miri tournent un porno), Seth n’a pas fini de planter son dard, tendre et bombé, dans l’épiderme hollywoodien.

_A.T.

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TENDANCES

CALÉ

DÉCALÉ

RECALÉ

Les mères

Les frères

Les fils

Leonera de Pablo Trapero, L’Échange de Clint Eastwood, Une Famille Chinoise de Wang Xiaoshuai : trois films portés par des personnages de mères-courage, méritantes et mèresveilleuses.

Après les Wachowski et les Larrieu, et en attendant les Farrelly et les Podalydès, les frères Coen s’offrent une récréation (Burn After Reading), presque aussi drôle que Frangins malgré eux. À quand la « feel good » comédie des Dardenne ?

Sale temps pour les « fils de » : les plus brillants d’entre eux (Depardieu Jr.) sont broyés par la maladie, quand d’autres, moins doués, quittent enfin la scène (Bush Jr.). Comme disait NTM, « tout ne tient qu’à un fil… »

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À l’ombre

Actuellement à l’affiche, La Bande à Baader, Mesrine, Leonera et Hunger font des incursions dans l’univers carcéral. Le film de prison seraitil en cours de réhabilitation ? Retour sur une filmographie aussi captive que captivante. Genre cinématographique à part entière, le film de prison a été popularisé par des séries télévisées comme Le Prisonnier et plus récemment Oz ou Prison Break. Le décor carcéral exacerbe les tensions et donne lieu à d’intenses huis clos. Le dehors se rappelle avec nostalgie aux détenus qui n’envisagent plus qu’une chose : prendre la poudre d’escampette. Ce que fait de manière hilarante Charlie Chaplin dans Charlot s’évade. D’autres échafaudent des plans bien huilés mais doivent composer avec d’improbables compagnons de cellule, comme les pieds nickelés que réunit Jarmusch dans Down by Law. Évasion collective encore dans Le Trou de Jacques Becker et Un Prisonnier à mort s’est échappé de Bresson, deux films où la solidarité est la condition de réussite de la fuite. Cependant, Kirk Douglas n’hésite pas à supprimer ses co-détenus à qui il avait promis de partager son magot dans Le Reptile. Sa cupidité lui sera fatale, comme l’insolence pleine de panache de Newman dans Luke la main froide, un expert de l’évasion, à l’instar du héros de Papillon. Alan Parker dénonce les conditions inhumaines de détention dans les geôles turques avec Midnight Express quand Clint Eastwood, Robert Wise et Tim Robbins livrent, depuis le couloir de la mort, de vibrants plaidoyers contre la peine capitale (Jugé Coupable, Je veux vivre, La Dernière Marche). Les visionnaires Peter Watkins (Punishment Park) et Stanley Kubrick (Orange Mécanique) envisagent, quant à eux, une société où la violence criminelle est détournée en violence d’État. Néanmoins, pas de quoi mater les ardeurs d’un Jess Franco, chantre du « WIF » (« Women In Prison »), un genre érotique débridé. Jean Genet enregistre cette survivance de la sensualité en milieu pénitentaire, dans son magnifique poème filmé Un Chant d’amour. Au cachot, s’épanouissent aussi des désirs cachés. _S.M.

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CINÉ FILS

La bande originale

ART ENSEMBLE OF CHICAGO « Les Stances à Sophie » (Discograph) Marqué par la Nouvelle Vague, le Franco-Israélien Moshe Mizrahi réalise Les Stances à Sophie en 1970, avec Bernadette Lafont en féministe tragique et effrontée. Le film aurait pu végéter dans les corridors de l’oubli si sa BO, composée par l’Art Ensemble of Chicago, n’était devenue l’une des plus prisées des amateurs de free-jazz. Enfin réédité (de même que le film, disponible en DVD), le score fait la part belle aux impros incandescentes du quintette chicagoanparisien, qui trempe ses cuivres dans un ardent chaudron funk et l’épice d’épars clins d’œil à Monteverdi. Du grand art. _A.T.

Le ciné livre

ADRIEN GOMBEAUD (dir.) « Dictionnaire du cinéma asiatique » (Nouveau Monde Éditions)

Films de kung-fu hongkongais, nouvelle vague thaïlandaise, séries B philippines…On s’en doutait, ce bel ouvrage le confirme : le cinéma asiatique est divers et foisonnant. En 400 entrées, 600 photos et 1100 noms propres, cet épais dictionnaire scanne objets cultes, conditions de productions, courants phares et autres figures légendaires. Entre yakusas, fantômes et amants maudits, de Godzilla à la princesse Mononoke, en passant par Bollywood, Bruce Lee et Takeshi Kitano, voyage dans un univers pimenté et coloré. _J.R.



REGARDS CROISÉS

Depardieu vs Dewaere

Illustration : Fabrice GUENIER

Deux enfants de la balle sont morts prématurément d’avoir trop vécu. Mal aimé du cinéma français, Patrick Dewaere pourrait bien être le père spirituel du « mauvais fils », Guillaume Depardieu. Retour sur la trajectoire fulgurante d’acteurs de génie.

R

endant un hommage posthume à Guillaume Depardieu, le cinéaste Leos Carax, qui l’avait fait tourner dans Pola X, disait à son propos « penser à ces êtres inadéquats qui sont les plus vifs reflets d’une époque ». Une formule qui pourrait s’appliquer à Patrick Dewaere, l’enfant maudit du cinéma français. Mieux que quiconque, le comédien a incarné les contradictions d’une société française partagée entre émancipation et rigorisme. Il en a d’ailleurs largement fait les frais. Ostracisé par la presse et la profession dans les années 1980, suite à ses frasques, son nom n’apparaissait plus au générique des films où il prêtait sa grâce blessée. La question aiguë du nom lie ces deux destinées d’acteurs, tout en fêlures. Patrick, qui commence sa carrière précoce sous le patronyme de Maurin, s’affranchit du fardeau familial en devenant Dewaere. Guillaume Depardieu, quant à lui, portera sa filiation écrasante tout au long d’une carrière qui compte près de trente films. Dans Tous les matins du monde, il joue avec son père, auquel Patrick Dewaere donne la réplique dans Les Valseuses. Relativement à Gérard Depardieu, les deux hommes entretiennent une relation ambivalente d’amour et de rivalité. Reste leur talent incontestable qui explose, à l’état brut, dans des compositions fiévreuses. Dewaere se tape la tête contre le capot d’une voiture dans Série noire, comme il se cogne contre les murs du cinéma français qui ne le comprend pas, aussi subtil soit-il dans Un Mauvais Fils ou Coup de tête. Salvadori exploite la part intacte d’enfance de Guillaume Depardieu dans Les Apprentis et Cible Emouvante. On le retrouve chez Rivette, Bozon, Bonello ou Verheyde (Stella, en salles ce mois-ci), où son corps amputé se fait dorénavant l’écho de son incomplétude fondamentale, la même qui a toujours caractérisé Dewaere. Drame de deux carrières inachevées, portées par des acteurs dont la force était précisément une fragilité à fleur de peau. _S.M.

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SCÈNE CULTE La Femme d’à côté

Ni avec toi, ni sans toi LA PETITE HISTOIRE : Avant-dernier film de François Truffaut, La Femme d’à côté fut tourné en six semaines, sur un scénario écrit au fur et à mesure du tournage. Son précédent film, Le Dernier Métro, mettait en scène un autre couple mythique du cinéma français : Depardieu / Deneuve (Je vous aime, Les Temps qui changent). Fanny Ardant, dont c’est le premier film, fut repérée par Truffaut dans la série télé Les Femmes de la côte, avant de devenir son épouse de 1981 à 1984. Elle retrouve Gérard Depardieu en 1994 à l’affiche du Colonel Chabert, puis dans Hello Goodbye de Graham Guit, en salles le 26 novembre prochain.

LE PITCH : Bernard vit paisiblement près de Grenoble, avec son épouse et leur fils, jusqu’à ce qu’un couple emménage dans la maison voisine. La jeune femme, Mathilde, est l’ancienne maîtresse de Bernard, avec laquelle il a vécu une histoire d’amour passionnelle huit ans auparavant. Leur liaison reprend, sous l’œil de Madame Jouve, gérante du club de tennis local. Entre les deux amants, ce sera « ni avec toi ni sans toi ».

MATHILDE : Ah, j’aime mieux ça ! La semaine prochaine, Philippe et moi, nous allons t’inviter à dîner. Avec Arlette évidement. BERNARD : Oui. MATHILDE : Alors, pas question de faire faux bond, hein ! C’est promis ? BERNARD : C’est promis ! Je serai là. Fidèle au poste. MATHILDE : Alors, on s’embrasse ?

[Après avoir croisé Mathilde au supermarché, Bernard la raccompagne à sa voiture.] MATHILDE : Tu as un beau petit garçon, Bernard. Il te ressemble. Tu dois être content, non ? BERNARD : Oui, oui, je suis content. Enfin, je l’étais, jusqu’au jour où tu as débarqué. MATHILDE : Alors, il faut qu’on parle, Bernard. Il le faut. Écoute, je ne te demande pas d’être rongé par la culpabilité, mais je peux te rappeler que tu m’en as fait voir, tu sais. Tu partais, tu revenais, tu ne pouvais plus me supporter. Huit jours après, tu ne pouvais plus vivre sans moi. Alors, quand j’ai eu le courage de te quitter, c’était ça ou devenir folle. Puisqu’on s’en est tiré tous les deux, autant devenir des amis, tu crois pas ? BERNARD : Oui. Oui, tu as raison. Tu as raison. Au fond, je t’en veux autant du mal que je t’ai fait que de celui que tu m’as fait, c’est idiot… Enfin, je suis content. Je suis content que tu sois bien.

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BERNARD : Oui. [Il lui fait la bise.] MATHILDE : Je voulais te demander encore quelque chose. C’est de prononcer mon nom de temps en temps. Autrefois, je pouvais deviner à l’avance quand tu me devenais hostile parce que tu pouvais passer une journée entière sans m’appeler Mathilde. Mais tu ne t’en souviens sûrement pas… BERNARD : Mathilde… [Il caresse sa joue, elle prend sa main, ils s’embrassent. Mathilde s’écroule, évanouie.]

La Femme d’à côté, scénario de François Truffaut, Suzanne Schiffman et Jean Aurel, film de François Truffaut (1981, DVD disponible chez MK2 Éditions).



LA PATTE APATOW ITINÉRAIRE D’UN PRODUCTEUR ÉPATANT

Les deux meilleures comédies de cette fin d’année, Frangins malgré eux et Délire express, sont produites par le même homme : Judd Apatow. L’occasion de revenir sur l’itinéraire de ce nouveau nabab, à la fois producteur, réalisateur et scénariste, qui a su, en l’espace de quelques années, modifier en profondeur l'image des teen-movies et accroître substantiellement la qualité du rire américain. était le milieu des années 1990. À cette époque, pour devenir comique aux États-Unis, il était presque obligatoire de se présenter aux portes du Saturday Night Live, le célèbre show télévisé où Steve Martin, Bill Murray et Eddie Murphy firent jadis leurs armes. Will Ferrell entamait ainsi la première de ses sept saisons au SNL (de 1995 à 2002), tandis que Steve Carell, moins chanceux, vivotait de pièces de théâtre en petits rôles dans des téléfilms. Quant à Ben Stiller, ancien du SNL, après les audiences moyennes de son propre show sur Fox TV, il s'apprêtait à réaliser son second film, Disjoncté, joué par la star du moment, Jim Carrey. Ce fut un échec, tant commercial que critique – largement immérité au demeurant. Mais au générique, un jeune producteur ambitieux, un certain Judd Apatow, rongeait son frein. Ex-roi du stand-up au lycée, ce New-Yorkais d’origine juive, fraîchement débarqué à Los Angeles, attendait patiemment le moment propice pour changer la donne et imposer sa vision renouvelée de la comédie...

C

L’écurie Apatow : une bande à part Quinze ans plus tard, Apatow est un producteur comblé : il enchaîne les cartons au box-office, et en a lui-même réalisé deux, parmi les plus belles comédies des années 2000 (40 ans, toujours puceau en 2005, En cloque, mode d'emploi en 2007). D'une façon ou d'une autre, son nom est au générique de cinq films sortis en France cette année (Drillbit Taylor, Sans Sarah rien ne va, Rien que pour vos cheveux, Délire express et Frangins malgré eux). Désormais, c'est à sa porte qu'il faut frapper pour réussir. L'acte de naissance officiel de ce qu'il convient d'appeler la « bande à Apatow » est une 16 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08

série, ou plutôt deux séries (Freaks and Geeks et Undeclared), diffusées au début de la décennie, déjà porteuses du virus malicieux inoculé depuis au genre. En premier lieu, une troupe d'acteurs, qu'Apatow a saisi au sortir de l'adolescence et qui, depuis, gravitent plus ou moins autour de lui : James Franco (Spiderman, Délire express), Seth Rogen (En cloque, Délire express) ou Jason Segel (Sans Sarah rien ne va, How I met your Mother), auxquels se sont agrégés au fur et à mesure de nouveaux membres (sa propre femme Leslie Mann, Bill Hader, Jay Baruchel, Paul Rudd, Jonah Hill, Apatow lui-même, à travers des caméos aussi improbables qu’inquiétants). Une véritable méritocratie s'est instaurée dans cette petite famille, le maître offrant aux plus talentueux de ses disciples l’opportunité de faire leurs propres films. Ainsi, SuperGrave, écrit par Rogen, et Sans Sarah rien ne va, par Segel, sont de purs produits maison qui, sans être le fait direct d'Apatow, en affichent toutes les caractéristiques : thématiques proches, dialogues brillants, naturalisme et profondeur psychologique des personnages, mise en scène simple mais efficace. Du teen-movie aux kings of comedy Dès sa première série, Freaks and Geeks, co-produite avec Paul Feig en 1999 et arrêtée au bout d'une demi-saison faute d'audience, Judd Apatow annonçait benoîtement l'ensemble de son programme à venir : pleins feux sur les corps adolescents de la marge, ces freaks et geeks honnis des high schools, fans de Star Wars chétifs et boutonneux à qui tout le monde s'identifie aujourd'hui – juste retour des choses. Les quelques chanceux qui ont pu voir la série (18 épisodes de 45 minutes) en parlent avec


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PORTRAIT

Images extraites des films : Sans Sarah rien ne va (en haut à gauche), 40 ans, toujours puceau (en haut à droite), SuperGrave (en bas à droite). En bas à gauche : Judd Apatow.

émotion, et trépignent en attendant qu'un éditeur français se décide à en racheter les droits, tant elle marque un aboutissement du teen-movie, d'une finesse et d'une drôlerie sans équivalent. En 2001, toujours entouré des mêmes acteurs, Apatow tente d'adapter le concept au format sitcom (22 minutes) et fait grandir ses personnages, désormais à la fac. Hélas, la première saison de Undeclared (Les Années campus en français), presque aussi brillante que son aînée, est à nouveau un échec et contraint le producteur malheureux à s'éloigner jusqu'à nouvel ordre de l'impitoyable royaume télévisuel. C'est donc au cinéma, un peu plus loin des ados mais plus près des idiots (au sens le plus noble du terme), que Judd Apotow va désormais exercer ses talents multiples. Il se retrouve ainsi derrière

à accueillir la candeur adolescente. Transposer les codes du teen-movie dans le monde malade des adultes : c'est bien la grande idée d'Apatow. Non pour faire l'éloge facile de la régression à l'ère du triomphe des geeks et des «adulescents», mais au contraire pour affirmer le besoin impérieux de muer, tel Steve Carell abandonnant ses figurines miniatures dans 40 ans... ou Seth Rogen choisissant de prendre ses responsabilités à la fin d'En cloque. Bien qu'on y parle en bas de la ceinture, les comédies d'Apatow sont donc tout le contraire de régressives : elles apprennent plutôt à grandir. Les influences : Hughes, Tarantino, Edwards, Rohmer Grand réformateur de la comédie, Apatow n'en vient pas, pour autant, de nulle part. La première référence qui vient

« LES COMÉDIES D'APATOW SONT TOUT LE CONTRAIRE DE RÉGRESSIVES : ELLES APPRENNENT À GRANDIR. » le scénario de Braqueurs amateurs, brillante satire du capitalisme voyou avec Jim Carrey et Alec Baldwin, et produit les deux premiers films du génial duo Adam McKay / Will Ferrell, Présentateur vedette, la légende de Ron Burgundy et Ricky Bobby, roi du circuit. Surtout, il réalise deux films essentiels, 40 ans, toujours puceau (avec Steve Carell) et En cloque (avec Seth Rogen), traités de savoir-vivre à l'usage des (plus ou moins) jeunes générations. Avec le recul, il apparaît logique qu'il ait croisé la route des deux plus importants comiques apparus ces dernières années (Ferrell et Carell, donc), clowns détraqués marchant sans cesse au bord d'un abîme de puérilité, corps adultes prédisposés

en tête à son propos est John Hugues, l'artisan des meilleurs teen-movies eighties (Breakfast Club, Sixteen Candles, Pretty in Pink...). Partageant avec lui le goût du naturalisme et le refus de caricaturer les personnages de parents – souvent traités à égalité des ados –, Apatow lui a directement rendu hommage à travers Freaks and Geeks, qui se déroule dans le Michigan au début des années 1980. Évidente également, la parenté avec Quentin Tarantino, son indéfectible coolitude West Coast, son plaisir du verbe et de la digression semi-improvisée, ses myriades de références culturelles pointues, ses interminables dialogues en voiture, entre deux carambolages (au propre et au figuré). Plus souterraine, 17 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08


Extraits d’En cloque, mode d’emploi (à gauche), Frangins malgré eux (en haut à droite) et 40 ans, toujours puceau (en bas à droite).

l'influence du Blake Edwards tardif, celui des années 1980 (10, Micky and Maude, That's Life...), se fait ressentir par les thèmes choisis (crise de croissance, dérèglements corporels), le ton adopté (mise à distance du gag par la sentimentalité) et l'obsession pour la question sexuelle, traitée sans tabou, avec un mélange de trivialité et de sentimentalisme fleur bleue. Enfin, on imagine volontiers Apatow fin connaisseur d'Éric Rohmer, mettant sans cesse ses personnages à l'épreuve de paris pascaliens (l'absolue d'une amitié ou la jouissance immédiate du sexe dans SuperGrave), se passionnant en définitive, sous ses dehors trash, pour les tréfonds existentiels de l'âme humaine.

dealer dans Délire express). Au-delà de ce simple constat physique, c'est en fait un nouveau modèle de comédie qu'il a inventé – ou réinventé. Les années 1990 avaient été celles de l'exubérance burlesque (le corps ultra-malléable de Jim Carrey), du foisonnement pop (les masques de Mike Myers dans Austin Powers) et du travestissement sous influence SNL (dont Tonnerre sous les tropiques de Ben Stiller marque sans doute l'aboutissement). Avec Freaks and Geeks, et plus encore dans 40 ans, toujours puceau, Apatow dénude le comique : exit déguisements et torsions, le corps et les sentiments sont désormais à poil (littéralement au début de Sans Sarah...), sans fard, livrés à la rudesse de

« APATOW DÉNUDE LE COMIQUE : EXIT DÉGUISEMENTS ET TORSIONS, LE CORPS ET LES SENTIMENTS SONT DÉSORMAIS À POIL. » Nouveaux corps pour nouvelle comédie Ce n'est pas ce qui frappe à la vision d'une comédie de Judd Apatow, mais c'en est pourtant un trait essentiel : l'étrangeté des corps. Une étrangeté certes, mais naturelle, qui ne nécessite nul procédé de mutation ou d'amplification. On peut aller plus loin en affirmant que ce qui rend ces corps si étranges, c'est paradoxalement leur normalité, leur refus de se conformer à quelque canon que ce soit. Apatow a ainsi fait entrer l'Amérique moyenne dans ses films, des gens un peu gros, complexés, disgracieux mais pas exagérément, bref des gens banals, à l'image de Steve Carell, Seth Rogen, Jonah Hill (le grassouillet de SuperGrave), ou plus récemment l'extraordinaire Danny McBride (le

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rapports sociaux que seule l'amitié vient, un peu, atténuer. Si la vanne est ici un art et la cruauté entre potes parfois sans limite (les plaisanteries sur la barbe de Martin Starr dans En cloque), il ne faut pas ne pas s'y tromper : l'amitié virile représente tout pour les personnages d'Apatow. Dès lors, la vie de couple, essentielle au bonheur masculin – le seul qui jusqu'à présent le préoccupe, c'est là sans doute sa grande limite –, ne peut être menée au détriment de ce principe roi, sous peine de schizophrénie aigüe. Une façon de réactualiser un vieux couplet célèbre : « Hey Judd, don't let me down, you have found her, now go and get her... » _Jacky GOLDBERG


CRITIQUE CROISÉE

LES COPAINS D’ABORD Deux comédies produites par Judd Apatow, différentes dans la forme, mais similaires dans le fond, font l'éloge des amitiés indéfectibles et posent l'immaturité et l'idiotie comme forces créatrices. Plus qu'hilarants : follement attachants.

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n peut affirmer, sans tellement se tromper, que la filmographie de Judd Apatow se divise en deux catégories : les comédies avec Will Ferrell, et les comédies sans Will Ferrell. La sortie, à quelques semaines d'écart, de Frangins malgré eux et de Délire express, un spécimen de chaque espèce donc, permettra d'y voir plus clair dans cette dichotomie. Mon premier est une comédie loufoque réalisée par Adam McKay, déjà responsable des classiques Présentateur vedette et Ricky Bobby, roi du circuit, mettant en scène deux quadras qui refusent de grandir. Mon second est un stoner movie où deux jeunes fumeurs de joints essaient d'échapper à d’inquiétants dealers asiatiques à leurs trousses. Entre les deux films, peu de similitudes stylistiques mais une, essentielle, d'ordre thématique : l'amitié. Frangins malgré eux porte à son acmé la grande idée de Judd Apatow : transposer l'âme adolescente dans des corps adultes. Peut-on cependant parler d'ados attardés à propos de John C. Reilly et Will Ferrell, qui, à 40 ans passés, vivent encore de Playstation et d'eau fraîche sous le toit de leurs parents? Comme dans Ricky Bobby, il s'agit de pousser à son paroxysme une situation initiale absurde, explorant avec entêtement les 1001 gags qu'elle permet. En ressort un grand film initiatique, un éloge de l'idiotie et la plus belle déclaration d'amour fraternel vue au cinéma récemment. Délire express décevra peut-être les fans du jeune prodige David Gordon Green (George Washington, L'Autre Rive), qui a là quelque peu tu son lyrisme habituel pour se fondre dans le «système Apatow». Le film ravira en revanche les admirateurs du nounours Seth Rogen (En cloque mode d'emploi, SuperGrave) et de son irrésistible comparse James « Dean » Franco (Spiderman). À partir d'un matériau des plus vils (la comédie d'action eighties), le film est un pur plaisir de digression et de régression, une litanie de dialogues brillants et, en définitive, un plaidoyer pour l'amitié comme gage d'invincibilité.

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_J.G.

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JOAQUIN PHOENIX FEUILLE D’OR

Coïncidence troublante et, avouons-le, un peu douloureuse : à quelques semaines de la sortie de Two Lovers, où il est splendide, Joaquin Phoenix annonce sa retraite anticipée, pour se consacrer à la musique. À l’heure où il suspend son vol, portrait d’un immense comédien, surnommé « Leaf », feuille instable et tremblante, happée par la chute. ’est simple, aucun acteur ne nous avait bouleversé comme ça depuis... Joaquin Phoenix dans La Nuit nous appartient. Sa performance laisse sans voix dans Two Lovers, où il scelle avec génie la belle relation qui l’unit à James Gray depuis The Yards. Il nous brûlait de trouver les mots pour dire, en cette occasion, combien sa présence à Hollywood nous est précieuse, combien elle étanche une passion pour les acteurs américains qui, si elle ne nous a jamais quitté, ne s’était pas vue ainsi rassasiée depuis longtemps. Et voilà qu’au moment précis de s’atteler à ce portrait, Joaquin Phoenix annonce, au micro de la chaîne E ! Entertainment, qu’il renonce à sa carrière de comédien. Pour, dit-il, camouflé derrière ses Ray-Bans, se consacrer à la musique. Un album

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films, que ces images où l’acteur Phoenix tire sa révérence sont elles-mêmes pleines de ce qui, depuis le début, suscite notre engouement chez lui. Face au journaliste qui lui demande s’il plaisante, Joaquin se rembrunit, rentre la tête dans ses larges épaules et se dérobe. On ne le prend pas au sérieux, et il réagit en boudant. Un instant, on croirait qu’il va fondre en larmes. Le journaliste, malhabile, n’a pas compris que l’ironie lui est étrangère : plus qu’une saute d’humeur (Phoenix est un hypersensible, un excessif par nature), le moment traduit une manière d’être au monde. Une fragilité, une innocence qui sont aussi le terreau où ont germé ses plus beaux rôles. Il y a, logé dans Two Lovers, un paradoxe qui n’en est pas

« TOUT SON JEU S’APPUIE SUR CETTE CONTRADICTION : YEUX DE POULAIN SUR CORPS DE TAUREAU. » avec les leaders de deux combos brit-pop, The Charlatans et Spacehog, serait en préparation. Drôle d’impression : notre portrait devenait-il une épitaphe? Fallait-il parler au passé de celui dont le talent sans bornes irradie là, tout de suite, dans un rôle qui est probablement son meilleur ? Peut-être, au fond, cette nouvelle qui résonne comme un glas (curieux comme elle s’est répandue sur le Net avec des atours funèbres, comme si l’on annonçait son décès), ne rend-elle que plus urgente la nécessité d’y voir clair dans sa filmographie. Devant une porte close, on n’a jamais assez de clefs. Précisons seulement, avant de revenir aux

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vraiment un, et sur quoi repose la beauté étale du film : Joaquin Phoenix n’a jamais paru si adulte, et on lui fait jouer un enfant. Ce n’est pas vraiment un paradoxe parce qu’il n’y a que des enfants dans le cinéma de James Gray. Mais surtout c’est une pente (un enfant dans un corps d’adulte) qui travaille en profondeur la filmographie du comédien à la bouche entaillée : Phoenix est un acteurenfant. Il fut d’abord un enfant acteur, au sein d’une fratrie poussée très tôt sur le devant de la scène par des parents hippies, membres de la secte Les Enfants de Dieu : deux garçons, trois filles, tous comédiens à la sortie du berceau. Jaloux des prénoms bucoliques attribués à ses aînés Rain


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EN COUVERTURE

et River (acteur surdoué lui aussi, mort dans ses bras au début des années 1990), Joaquin décide, à quatre ans, de troquer le sien pour « Leaf », la feuille. C’est sous ce nom qu’on le découvre, en 1989, dans Portrait craché d’une famille modèle. Mais c’est Gus Van Sant (auquel River devait son plus beau rôle, dans My Own Private Idaho) qui le révèle, six ans plus tard et sous son vrai nom, avec Prête à tout. Il y est prodigieux face à Nicole Kidman, dans un registre à la fois innocent et saturé d’inquiétude. Et la mélancolie toute juvénile qu’il y déploie n’en finira plus de remonter à la surface de ses rôles, à contre-courant d’un corps qui, lui, ira en épaississant. Le corps s’alourdit de film en film, mais reste, ainsi, traversé

l’idée de la chute, lesté littéralement par ce corps, barda tragique que Phoenix traîne d’un bout à l’autre (tandis qu’un sac de voyage, vers la fin, chutera comme un cadavre), sans jamais se départir de son infinie candeur. Tout son jeu ici s’appuie sur cette contradiction, yeux de poulain sur corps de taureau, et le contraste de sa carcasse lourde et de ses sanglots enfantins déchire le cœur. Il y a une scène étonnante dans une boîte de nuit, qui voit Joaquin danser. Elle étonne parce que la danse est à la fois gracieuse, spontanée, et en même temps elle est maladroite, lourde, c’est une danse qui inquiète un peu, comme si le corps menaçait, encore, de chuter – et d’ailleurs c’est un corps qui ne se prive pas d’être burlesque, à

des mêmes frissons. Brindille (Prête à tout) ou butor (Two Lovers), Joaquin est perpétuellement secoué par des affects enfantins : l’image écrasante d’un père (Gladiator, La Nuit nous appartient) ou la mort de celui-ci (Le Village), l’adoration d’un frère (dans Signes, où il joue le cadet de Mel Gibson, mais semble son fils) ou bien son deuil (Walk the Line). Déchiré, hyperémotif, Phoenix est un enfant qui pleure ou qui casse ses jouets (il est les deux dans The Yards). La corpulence nouvelle qu’il dévoilait, l’an dernier, dans La Nuit nous appartient, fait prendre à cette ligne une direction bouleversante. À l’ouverture, sublime, de Two Lovers, il commence par tomber. Et le film entier restera hanté par

l’occasion. Il y a fort à parier que c’est cet équilibre instable qui passionne James Gray, et lui a fait écrire le personnage de Two Lovers pour Phoenix. Dans La Nuit nous appartient aussi, il dansait. Avant de faire, plus loin, une chute mémorable. À trente-quatre ans, Joaquin n’a jamais si bien porté le nom de scène qu’il s’était donné, enfant : tremblant comme une feuille, il ne danse que pour tomber. Et à l’heure où la feuille semble vouloir s’envoler vers d’autres territoires, on ne souhaite qu’une chose : que la retraite de l’acteur-enfant ne soit rien d’autre qu’un caprice. _Jérôme MOMCILOVIC

Photographie : © Jérome BONNET

« DANS TWO LOVERS, LE CONTRASTE DE SA CARCASSE LOURDE ET DE SES SANGLOTS ENFANTINS DÉCHIRE LE CŒUR. »

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JAMES GRAY LE RETOUR DU FILS PRODIGUE

À l’origine d’une œuvre irriguée par les liens familiaux et la tragédie, James Gray livre un somptueux mélodrame avec Two Lovers, son quatrième film. L’occasion d’aborder avec ce réalisateur cinéphile sa relation à un cinéma où l’émotion occupe toute la place. wyneth Paltrow a déclaré que Two Lovers est un film sur l’obsession. Êtes-vous d’accord ? Tous les films, à leur niveau, racontent une obsession. Dans cette mesure, ce qu’elle dit est juste, davantage pour elle que pour moi car les acteurs doivent réfléchir aux motivations de leurs personnages. Je dirais que Two Lovers évoque la part la plus douce et tendre de nos existences : le sentiment amoureux et ce qu’on y projette.

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D’où vous vient cet intérêt pour les portraits de famille, au cœur de votre filmographie ? J’ai toujours voulu faire des films universels et les relations parentales sont les plus fondamentales. Quelqu’un a écrit à propos de Two Lovers que ça ne se passait plus ainsi dans les familles de nos jours. Je me suis demandé quel ego avait ce critique pour penser que son époque était si spéciale, car les relations familiales n’ont pas changé depuis des siècles. Je ne cherche pas à écrire des histoires « intelligentes » à tout prix ; c’est la raison pour laquelle la cellule familiale, comme concept élémentaire, m’intéresse.

Les personnages qu’interprète Joaquin Phoenix dans La Nuit nous appartient et Two Lovers sont-ils les deux faces d’un même dilemme ? Je n’y ai pas songé de manière consciente. J’essaie d’écrire des histoires où les personnages sont en lutte contre euxmêmes et contre l’extérieur. J’aime les personnages qui se débattent, ce qui pour moi appartient au drame. Shakespeare n’a pas écrit Hamlet avec un personnage qui dit « to be » et quitte la scène. Le «not to be» manifeste un conflit intérieur. Two Lovers s’ouvre sur un plan tremblé, puis sur la tentative du suicide du héros. Était-ce important pour le caractériser ? 22 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08

Cette scène d’ouverture permet en effet de comprendre l’instabilité du héros et son désir de mort qui préexiste au film et le traverse tout du long. Elle permet également de faire le lien avec la scène finale, quand Léonard est face à la mer et qu’on se demande ce qu’il va faire. Je voulais introduire un point de vue sombre et mélancolique au sein même de la structure classique de la comédie romantique. Ceci dit, Joaquin n’a pas sauté dans l’eau car elle était très sale et polluée. D’ailleurs, il s’est énervé contre moi, car il tenait absolument à le faire… Sur la base de votre scénario, Hollywood aurait tiré une plaisante comédie romantique. Est-ce la raison du malentendu persistant que vous entretenez avec la presse américaine ? Si je voulais séduire la critique de mon pays, je sais quels films je devrais tourner mais je n’en ai pas envie. Les Américains sont optimistes et n’aiment pas l’aspect tragique de mes oeuvres. Les happy ends les fascinent. Pour eux, le cinéma n’est pas une forme d’art, mais un médium populaire. Ils préfèrent un film raté plutôt qu’une œuvre d’une belle facture qui les implique émotionnellement. J’essaie de faire des films sincères, mais la sincérité n’est pas en vogue, contrairement à ce goût décadent pour la nouveauté et la distance ironique. Seul La Nuit nous appartient a fait l’objet d’une distribution et d’une promotion décentes aux ÉtatsUnis. Mais je l’accepte avec humilité. On reverra peut-être mes films plus tard en les trouvant horribles. Vos films sont très influencés par le cinéma italien, jusqu’au titre de votre dernier opus… En effet. J’avais en tête un autre titre très simple, Deux Femmes, mais le film ne parle pas de cela bien sûr. Je cherche à atteindre le sentiment authentique, ce qui signifie traiter


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INTERVIEW

Images extraites des films : Little Odessa (en haut à gauche), La Nuit nous appartient (en haut à droite) et The Yards (en bas à droite). En bas à gauche : James Gray.

avec respect les émotions de mes personnages. Je veux évacuer la condescendance chez le public. Ce que font les films italiens. Mon préféré est Les Nuits de Cabiria de Fellini, car il est l’opposé de cette distance ironique dont je parlais. De même, l’hommage à Hitchcock est assez explicite dans Two Lovers… J’ai volé beaucoup de choses à Vertigo, que j’ai montré à l’équipe avant le tournage. Dans la chambre d’hôtel, Kim Novak se tourne vers la caméra et la regarde. À ce momentlà, j’ai éclaté en sanglots car le film m’a paru terriblement profond et personnel. J’ai piqué ce regard caméra, ainsi que le moment où Michelle (Gwyneth Paltrow) sort de l’allée. La classe sociale est un fétiche très fort pour le personnage de James Stewart. Il n’aime pas Novak, mais son idée. L’amour de Léonard (Joaquin Phoenix) est aussi une projection, de celle dont parle Lacan.

Vous faites cohabiter tous ces contraires dans le même plan… C’était une décision très volontaire de ma part. Je souhaitais que le cadre soit démocratique dans mon film. Je ne voulais pas indiquer au public quoi regarder. Filmant une histoire d’amour, j’aurais pu facilement tomber dans le soap opera. Two Lovers est-il un film sur un adolescent coincé dans un corps d’homme ? C’est un film sur un adolescent névrosé dont le développement s’est arrêté. Léonard est une version exagérée de moi. Comment a évolué votre relation avec Joaquin Phoenix, après une collaboration fructueuse de trois films ? J’entretiens avec lui une relation merveilleuse qui, sur les films, est allée dans le sens d’une vraie libération des contraintes propres aux genres cinématographiques que

« JOAQUIN PHOENIX FAIT CE MÉTIER DEPUIS QU’IL EST GAMIN. JE CROIS QU’IL EST FATIGUÉ. » Pourquoi teniez-vous à ce que Two Lovers tourne autour des affects de classe ? Je voulais que le film soit politique, au sens où l’appartenance sociale est un facteur de l’attirance sexuelle. Quand Michelle dit à Léonard qu’il ne la connaît pas du tout, elle a probablement raison. Il était important que Vinessa Shaw, qui joue Sandra, ne soit pas une caricature de la fille populaire de Brooklyn, qu’elle soit attirante. Tout comme Léonard, personnage perturbé, inspiré par Les Nuits Blanches de Dostoïevski.

j’ai abordés. Or, il a décidé d’arrêter le cinéma, ce qui est vraiment dommage car j’adorais travailler avec lui. C’est un acteur très intelligent et bosseur, mais il fait ce métier depuis qu’il est gamin et je crois qu’il est fatigué. Ce film lui a pris beaucoup. Quand on a tourné la scène finale au bord de la mer, il a poussé un cri animal. Je crois qu’à ce momentlà, il n’avait pas conscience que la caméra tournait, que nous étions présents. Il était dans un état hypnotique. C’est un talent rare. Dorénavant, il marche au rythme de son propre drame. _Propos recueillis par Sandrine MARQUES

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TWO LOVERS

PAS DE DEUX Après avoir investi le polar avec La Nuit nous appartient, James Gray signe un mélodrame de la plus belle eau. Sublime variation sur le dilemme amoureux, Two Lovers oppose le devoir à la passion. Un film romantique bouleversant. wo Lovers s’ouvre sur une silhouette en déséquilibre, promise à la chute. Elle intervient peu après, inéluctable : Léonard (Joaquin Phoenix) se jette du haut du pont avec l’intention d’en finir. Il est secouru. Protecteurs à l’excès, ses parents lui présentent la sage et ravissante Sandra (Vinessa Shaw), en vue d’une union arrangée. Mais Léonard tombe éperdument amoureux de Michelle (Gwyneth Paltrow), une voisine fantasque, aussi déstructurée que lui. Le voici tiraillé entre deux femmes et ses devoirs envers sa famille. Le héros soufre d’un syndrome bipolaire. Tout le film porte la marque de sa pathologie et fonctionne sur un mode duel. Two Lovers scelle la rencontre d’entités opposées : la blonde et la brune, le milieu populaire et l’élite sociale, Manhattan et Brooklyn, la passion contre la raison... Au sommet de son art, James Gray fait cohabiter les contraires, au sein même de plans tirés au cordeau, parfois divisés symboliquement en leur centre. Très travaillée, la photographie épouse l’humeur changeante de Léonard. Le film est porté de bout en bout par un Joaquin Phoenix plus vulnérable et intense que jamais. Face à lui, Isabella Rossellini compose avec justesse une mère de famille aimante et concernée. Au diapason de son héros cyclothymique, le film alterne le drame et la comédie. Two Lovers narre la tragédie des sentiments mouvants et des corps instables. Adolescent coincé dans un lourd corps d’homme, Léonard se transforme face à la lumineuse Michelle. Dans une très belle scène de club, comme les affectionne James Gray depuis The Yards, le jeune homme maladroit se lance dans un impressionnant numéro de danse. Instant suspendu, débarrassé de la pesanteur physique et de l’appartenance sociale. Léonard adapte ses pas à ceux de Michelle, dans une chorégraphie où le sentiment amoureux s’accomplit. Mais la chute n’est jamais très loin, car l’équilibre précaire. Pudique et sensible, Two Lovers ne raconte pas tant comment un homme tombe par amour mais comment il apprend à se relever.

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_Sandrine MARQUES 24 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08

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Pour la manière dont James Gray filme l’aura ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ mystérieuse de Gwyneth Paltrow. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour retrouver les thèmes chers à James Gray : ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ le retour du fils à la maison, la famille comme agent ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ du destin, la dualité... ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour l’émotion que dégagent des interprètes tous ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ plus remarquables les uns que les autres. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ UN FILM DE JAMES GRAY ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ AVEC JOAQUIN PHOENIX, GWYNETH PALTROW, VINESSA SHAW… ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DISTRIBUTION : WILD BUNCH // ÉTATS-UNIS, 2008, 1H50 ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ SORTIE LE 19 NOVEMBRE ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................



ANTOINE DE MAXIMY NE DORMIR QUE D’UN ŒIL « Quand rien n’est prévu, tout est possible. » C’est la maxime d’Antoine de Maximy, Géo Trouvetou du documentaire d’aventure, connu du grand public pour la série télévisée J’irai dormir chez vous. Tandis que sort l’intriguant J’irai dormir à Hollywood, qui maximise avec succès le concept sur grand écran, rencontre avec un globe-squatteur moins candide qu’il n’y paraît. epéré de loin sur les quais de la Seine avec son emblématique chemise rouge, Antoine de Maximy prend le soleil, assis sur une bite d’amarrage, les mains affairées à monter ses caméras-comparses. Une fois harnaché, il est immédiatement reconnu par les passants. Les pékins qui l’ont vu à la télé pendant les derniers JO, ou au hasard des ses pérégrinations cathodiques, l’apostrophent : « Ouah eh, c’est le mec de la télé ! Dites, on peut aller dormir chez vous ? » Et Maximy de prendre le temps de leur retourner la question. Entre Gaston et Spirou, ce reporter du commun édifiant a fait de son ingénuité un prisme de lecture, désarmant tous ceux qui le croisent, lui ou son travail.

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J’irai dormir à Hollywood est une transposition au format ciné de la série de documentaires de 52 minutes intitulée J’irai dormir chez vous. Chaque pays visité par ce routard atypique constitue un épisode dont le fil rouge a des airs de défi : arriver à dormir chez l’autochtone. On pourrait penser à de la téléréalité d’aventure, mais qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas un service que lui rendent ses hôtes. Dormir chez les gens est le point culminant d’une rencontre, un suspense un peu factice, prétexte pour aller vers l’autre. «Ce n’est pas le nombre de nuits chez l’habitant qui fait le succès d’un voyage. Je ne m’en cache pas, si personne ne m’invite, je vais à l’hôtel. » De fait, Antoine de Maximy ne dissimule rien. Comme quiconque ayant eu LA bonne idée avant les autres, il est sujet aux critiques des jaloux. Lorsqu’on pense le titiller sur ses méthodes de travail, il répond avec une évidence naturelle : oui, il finit

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toujours par expliquer à ceux qu’il rencontre qu’il réalise un documentaire, « mais le plus tard possible, pour ne pas fausser les relations » ; et non, il n’a pas débarqué en parachute aux États-Unis, c’était juste une belle scène d’ouverture pour le film. Ce type est un vrai gentil, le genre à vous donner le truc d’un tour de magie si vous le lui demandez. Point de menterie ni d’artifices, et pourtant on est bien en peine quand il s’agit de coucher sur papier la formule de l’alchimie thaumaturgique qui se dégage de J’irai dormir à Hollywood. C’est que, dans sa recette, Maximy a mis beaucoup d’Antoine : partir seul à l’étranger et sans aucune préparation, pourvu uniquement de trois caméras. La première, miniature, filme ce qu’Antoine voit, secondée par une autre tenue à la main. La dernière, véritable clef de voûte du documentaire, filme Antoine en permanence, sur le côté ; c’est à cette « confidente » qu’il s’adresse dans les moments de doute comme de complicité. « Sans cette caméra, je ne prendrais pas autant de risques. Dans les situations délicates je m’y raccroche, cela permet d’établir une distance entre moi et les évènements. » Le principe même de l’émission est une cristallisation de toutes ses expériences passées : reporter de guerre puis documentariste animalier ou scientifique, voyageur insatiable mû par un respect de l’autre à toute épreuve. Certains ont essayé d’exploiter l’idée à leur sauce, en vain. « Pékin Express ? Le problème, c’est qu’ils sont dans une urgence qui les pousse à trouver un lit. Ce qui les conduit à forcer la porte. » Il avoue que la frontière entre provoquer et imposer la


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RENCONTRE

..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... J’IRAI DORMIR À HOLLYWOOD ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... UN FILM D’ANTOINE DE MAXIMY ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... DOCUMENTAIRE ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... DISTRIBUTION : WALT DISNEY ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... FRANCE, 2007, 1H40 ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... SORTIE LE 19 NOVEMBRE ..................................................................... ..................................................................... .....................................................................

rencontre est ténue. Surtout ne pas agir en touriste : « Le touriste se souvient des lieux, le voyageur se souvient des personnes. J’ai filmé des types extraordinaires pendant des années, j’ai eu envie de filmer les gens « normaux ». » Par « normaux », entendez les « rencontrés par hasard », le concept de normalité s’avérant plutôt flou pour quelqu’un qui a dormi un peu partout sur la planète. J’irai dormir à Hollywood est un road-trip, traversant les États-Unis d’Est en Ouest, dont les étapes dressent une image franchement surprenante du pays. Les foyers, tout accueillants qu’ils sont, n’ont rien à voir avec celui de Ma Sorcière bienaimée. L’Amérique qui héberge Maximy est celle des

par un mal atavique qui a tué ses deux fils jumeaux ; une victime de l’ouragan Katrina ; une jeune indienne Navajo coincée dans une réserve désertée par l’État. Revenons donc à la charge : c’est un film rude. Au cours du voyage, Antoine décide d’acheter une voiture pour avaler les kilomètres (on se souviendra des plans dantesques dans le désert du Nevada). Il cherche une bagnole « à l’image des USA », bonne gueule et cul généreux, comme une Buick des années 1950. Il se retrouve avec un corbillard. Faut-il y voir une métaphore ? Il se marre : « Pff… Mais non. Il est extraordinaire ce corbillard. Une fois repeint en rouge, il m’a attiré la sympathie de beaucoup. »

« LE TOURISTE SE SOUVIENT DES LIEUX, LE VOYAGEUR SE SOUVIENT DES GENS. » ANTOINE DE MAXIMY marginaux, des laissés-en-vrac. Un pays où la « sécurité » qui tremble sur toutes les lèvres se traduit par sécu armée et non sociale. J’irai dormir à Hollywood, le premier film sur la crise économique actuelle ? « Non, pas du tout. Chacun retient ce qu’il veut du film, c’est selon les affinités. Toi, tu trouves que c’est un film très dur, mais regarde le passage d’Halloween, c’est plutôt détendu. Ah ! Tu vois, tu l’avais complètement oublié. » Yes, indeed. De retour d’interview, on a ouvert la double page centrale du dossier de presse, celle qui présente « les personnages de mes rencontres », promis juré, on y trouve : un para du Vietnam qui prend le train, direction la prison pour quinze ans ; une Cajun frappée

Imperturbable, Antoine de Maximy préfère botter en touche sur tous les sujets qui ne ressortent pas directement du voyage : présidence noire, guerre en Irak, image des Français, ségrégation sociale. Ces questions sont pourtant omniprésentes dans le film et traitées avec justesse. Le mystère Maximy, c’est cette candeur qui n’est qu’apparente – Antoine fait de beaux rêves en plein cauchemar. S’il ne veut pas s’étendre sur ce peuple étranger, c’est par respect pour les Américains qu’il a filmés : ils se sont racontés euxmêmes dans ce documentaire hors-normes, pas la peine d’en rajouter.

RETROUVEZ L’INTERVIEW FILMÉE DE BÉATRICE ARDISSON SUR WWW.MK2.COM

_Étienne ROUILLON

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HUNGER

CORPS ET ARME Caméra d’or à Cannes cette année, Hunger de Steve McQueen évoque l’incarcération de Bobby Sands et de ses camarades activistes, membres de l’IRA. Dans cette œuvre organique et claustrophobe, le corps est l’ultime arme de résistance…

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emarquable premier long-métrage, Hunger est une plongée viscérale dans l’univers carcéral. Le décor labyrinthique de la prison de Maze fascine la caméra de Steve McQueen , au même titre que le corps des détenus. Par la force de sa mise en scène, le cadre circonscrit dans lequel évoluent les protagonistes est un prolongement de leurs corps entravés. Le réalisateur, qui nourrit son œuvre choc de ses expérimentations de plasticien, installe entre ces deux instances un rapport d’équivalence charnelle. Véritable organisme vivant, avec ses cellules et ses couloirs comme des viscères, la prison s’incarne. Elle devient le lieu d’une expérience esthétique et politique. Pour protester contre les conditions indignes de leur détention et la non-reconnaissance par le gouvernement Thatcher de leur statut de prisonniers politiques, les membres de l’IRA entament une grève de l’hygiène. Ils déversent leur urine dans les couloirs, maculent les murs de matières fécales, composant des fresques qui rappellent l’art brut. La prison suinte par tous ses conduits et orifices. C’est par eux, encore, que la résistance s’organise à l’intérieur comme à l’extérieur. Cavités nasales, buccales et vaginales accueillent des messages et même une radio de fortune, remise en catimini au parloir. Mais face à l’inertie de l’État britannique, Bobby Sands décide de durcir l’action, en engageant sa vie. Il s’en explique à un prêtre dans un face à face qui forme l’épine dorsale du film. Long plan-séquence de vingt minutes, ce pingpong verbal permet de confronter jusqu’à l’épuisement les arguments en faveur de la vie et de la mort. Dans son dernier tiers, le film suit l’agonie du personnage principal. Une prestation extrême pour l’impressionnant acteur Michael Fassbender, qui a perdu près de trente kilos pendant le tournage. Pour autant, Steve McQueen ne poursuit pas la performance. Sa démarche est celle d’un humaniste. Avec intelligence, il unit dans la même souffrance le destin des détenus et des matons, tous coincés dans une impasse. _S.M.

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Pour la mise en scène épurée qui trouve sa ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ force dans une économie de dialogues. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour l’absence de manichéisme dont le film ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ fait preuve à l’égard de ses personnages. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour explorer un volet de la lutte politique ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ des membres de l’IRA. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

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ABOUT A SON

À KURT OUVERT Après Last Days de Gus Van Sant, portrait de Kurt Cobain en fantôme christique, et avant Heavier Than Heaven, un biopic de Brett Morgen avec Scarlett Johansson, l’intéressé prend la parole dans About a Son, documentaire intime et poétique.

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urt Cobain a toujours souffert d’incompréhension. Il ne fut pas seulement victime de cette lente récupération que subissent les grands artistes lorsque leur œuvre s’académise après leur mort. Non : de son vivant, le chanteur de Nirvana fut pris pour le chantre d’une culture jeune abêtissante, culture qu’il dénonce pourtant dès 1991 dans Smells Like Teen Spirit, devenu à force de passer sur MTV le premier tube du groupe et l’hymne grunge ultime. En août 1992, tout s’accélère. Décrit par les tabloïds comme un junkie maltraitant sa fille, Kurt demande à ce que Michael Azerrad du magazine Rolling Stone l’interviewe pour rétablir la vérité. Après sept entretiens d’une durée totale de vingt-cinq heures, le journaliste publie en septembre 1993 Come As You Are : The Story of Nirvana, aujourd’hui best-seller à travers le monde. Kurt Cobain meurt le 5 avril 1994. C’est sur ces confessions que se base About a Son. Et tout son mérite est de s’articuler autour de cette seule voix. Elle permet à l’artiste de se faire enfin entendre. Car des entretiens d’Azerrad, AJ Schnack, le réalisateur, n’a gardé que ce qui éclaire l’homme, pas la légende. Excepté les grésillements du combiné, rien ne vient parasiter la parole du chanteur. On n’entend ni le journaliste, ni d’autres interlocuteurs, ni même la musique de Nirvana. Et surtout à aucun moment on ne voit son visage. Pas question de parler spectacle, semble dire Schnack. The show must end, sometimes. Et toute la magie de la chose tient dans cette fantômatisation de l’icône. Paradoxalement, en ne voyant pas Cobain mais en l’écoutant se raconter, on n’a jamais été aussi proche de lui. Autour de cette voix, tel un linceul, flottent des images tournées à Aberdeen, Olympia et Seattle où il vécut, des photos de Charles Peterson, témoin phare de la scène grunge, et une BO qui mêle titres planants signés Steve Fisk et Benjamin Gibbard et morceaux de groupes ayant marqués l’auteur de Nevermind. Tout cela donne un film qui, loin du biopic ou du simple documentaire, avance hypnotique comme un poème d’une troublante humanité.

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Pour le portrait d’un grand artiste du XXème siècle, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ qui ne s’adresse pas qu’aux fans de Nirvana. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour le calme et l’évasion ressentis à communier ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ avec cette voix, ces images, cette musique. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour entendre comment Kurt Cobain prophétise ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ l’invention de l’iPod dès 1992. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ UN FILM DE AJ SCHNACK ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DOCUMENTAIRE ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DISTRIBUTION : ED DISTRIBUTION // ÉTATS-UNIS, 2006, 1H35 ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ SORTIE LE 26 NOVEMBRE ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

_Sylvain FESSON 30 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08

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JE VEUX VOIR

BEYROUTH, MON AMOUR Invitée à Beyrouth pour un gala de bienfaisance, Catherine Deneuve veut «voir». Non pas les images « irréelles » qu’elle a reçues via la télévision, mais la réalité d’un pays blessé, ravagé par les guerres successives et sans cesse reconstruit...

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e serait une sorte de road-movie, mais au lieu de rencontres avec des personnages hauts en couleur, l’héroïne, une icône du cinéma, de passage à Beyrouth juste après la guerre de 2006, rencontrerait des paysages dévastés. Des ruines et du deuil. De la peur aussi : tous ces soldats que l’on voit au coin des routes, toutes ces mines que l’on ne voit pas dans les profondeurs de la terre... En mettant côte à côte dans une voiture Catherine Deneuve et Rabih Mroué, leur acteur fétiche, en les faisant cheminer vers le sud du pays et le village natal de ce dernier, en apparaissant à l’image ainsi que l’équipe technique et le garde du corps de la star, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige proposent une « aventure cinématographique ». Une façon différente de regarder, de ressentir et de comprendre. À la fois film scénarisé et film en train de se faire, à la fois fiction et réalité, Je veux voir témoigne des questions que se posent les réalisateurs d’Autour de la maison rose et A Perfect Day : «Quelles histoires raconter? Quelles images montrer? Que peut le cinéma ? » Ils sont nés et ont grandi au Liban, où ils se sont rencontrés. Chaque après-guerre, chaque reconstruction les a fait s’interroger et se positionner. «Le Liban est un pays d’images minoritaires, dit Khalil. Quand les gens reconnaissent des images du monde arabe, elles proviennent très souvent d’un modèle dominant, d’une forme d’orientalisme.» Et Joana d’ajouter : « Ce sont des images fabriquées qui sont en train de nous opposer les uns aux autres. Dans Je veux voir, nos images sont fabriquées aussi, sans doute. Mais après un travail très précis en amont sur les décors, au moment où nous tournons, nous lâchons prise, et sommes prêts à recevoir tout ce qui se passe. Catherine Deneuve a été d’une immense générosité, elle nous a fait confiance : les plans durent très longtemps, elle n’est pas retouchée, presque pas éclairée, et ça lui va très bien. » Le cinéma possède un pouvoir certain : il peut suspendre la violence, les interdictions et le temps. _Isabelle DANEL Et surprendre.

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STELLA

ÂGE TENDRE Pour son troisième long-métrage après Un Frère et Princesses, Sylvie Verheyde plonge dans la tête d'une enfant entre deux âges et deux milieux sociaux. Et évite avec délicatesse tous les écueils du genre.

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in des années 1970. Les parents de Stella, douze ans, tiennent un bar-hôtel dans un quartier ouvrier. Mais le hasard des affectations scolaires amène leur fille à faire son entrée en sixième dans un grand collège parisien. Choc de deux univers qui ne se rencontreront jamais vraiment et entre lesquels Stella va apprendre à naviguer seule. Stella est un film bouleversant, avec ce « pas grand-chose » qui fait le grand cinéma. Des plans fixes sur une enfant qui pleure en lisant Duras. Caméra à l'épaule pour les scènes dans le café, où des adultes avinés font régner la cacophonie. La petite Léora Barbara pose tour à tour son regard sur Benjamin Biolay, en père alcoolique terriblement attachant, Karole Rocher, sa mère perdue qui tente de surnager, et Guillaume Depardieu, le prince charmant du caniveau. Tout est juste dans le ressenti sans nécessiter d'explication, de verbalisation à outrance, d'insistance particulière. Stella n'est pas qu'un film de classes sociales. S’il s’articule autour du contraste entre le collège et le café – univers bourgeois contre milieu populaire –, il oppose également le monde des enfants à celui des adultes. Les deux amies de Stella, qu'il s'agisse de la bonne élève parisienne ou de la petite marginale ch’ti, font bloc avec elle pour affronter les situations hautement problématiques de cet âge qui n'est plus tout à fait l'enfance. Cinéaste sensible et talentueuse, Sylvie Verheyde parvient à retranscrire les sensations propres à cette période qui, par définition et peu importe le milieu d'origine, est faite de transformations. Par la grâce de la mise en scène, les émotions de chaque personnage affleurent, perçues à travers les yeux de Stella. Nous rappelant au passage qu'on n'était pas si différent(e) de cette élève à qui l’on ne parlait pas et qu'on n'invitait pas aux boums, cette cancre mal habillée du fond de la classe qui exaspérait les profs par son pouvoir d'inertie. _Titiou LECOQ

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............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ UN FILM DE SYLVIE VERHEYDE ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ AVEC LÉORA BARBARA, KAROLE ROCHER, BENJAMIN BIOLAY... ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DISTRIBUTION : DIAPHANA // FRANCE, 2008, 1H43 ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ SORTIE LE 12 NOVEMBRE ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

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L’ÉCHANGE

ANGES DÉCHUS Avec L’Échange, récit d’un rapt d’enfant inspiré d’un fait divers retentissant, Clint Eastwood joue la carte du mélo hollywoodien féministe. Une descente aux enfers efficace et violente, avec Angelina Jolie en mère-courage dans l’Amérique des années 1920.

C

lint Eastwood aime les femmes qui ont du cran. L’héroïne de L’Échange, Christine Collins (Angelina Jolie), standardiste à Los Angeles, ne fait pas exception. Eastwood et le scénariste de séries TV Michael Straczynski ont puisé dans les archives de la ville l’histoire de cette mère célibataire dont le jeune fils disparait un jour, et à qui l’on restitue un enfant qui n’est pas le sien. Cette tragédie familiale mériterait un scénario à elle seule ; elle n’installe que le premier volet de ce film à tiroirs. Le second y superpose la trajectoire d’un serial killer prédateur d’enfants. Habité par un clair-obscur à la Edward Hopper, le film puise toute sa vitalité dans la silhouette tendue d’Angelina Jolie. Si elle bascule en pilote automatique dans le dernier tiers, l’ample dramaturgie eastwoodienne ausculte auparavant les stratégies de contrôle qui s’exercent, de manière aussi institutionnelle qu’arbitraire, sur les plus démunis (femmes, enfants, classes populaires). La ville des anges, foyer infectieux de la Côte Ouest, abrite surtout une police minée par la corruption. « L.A. a été souvent glamourisée dans les films noirs, mais la réalité est plus intéressante à mes yeux », expliquait le cinéaste en septembre à New York. Faisant écho à certains thèmes forts de la dernière campagne présidentielle (dénonciation de la corruption de Washington, masculinité en crise, rôle vital du quatrième pouvoir, incarné par Malkovich), Eastwood revisite les fondamentaux de la démocratie américaine et montre combien la liberté est un mythe fragile face à la paix des ménages. Républicain devenu libertarien, longtemps apôtre du western viril, Eastwood est passé tardivement de la success story au féminin (Million Dollar Baby) à un double hommage à la mémoire (Mémoires de nos pères et Lettres d’Iwo Jima). Avec cette fin de carrière puissante à visage humain, Clint Eastwood semble prendre plaisir à subvertir la place qu’il s’était lui-même assigné sur le territoire du cinéma américain. _Clémentine GALLOT

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............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour la grammaire hollywoodienne classique ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ et la facture vintage d’un Los Angeles d’époque. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Parce qu’à 78 ans, Clint Eastwood a composé lui............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ même la musique haletante de ce mélo à suspense. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour Angelina Jolie, repartie bredouille à Cannes, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ mais pressentie, à raison, pour les Oscars. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ UN FILM DE CLINT EASTWOOD ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ AVEC ANGELINA JOLIE, JOHN MALKOVICH, MICHAEL KELLY... ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DISTRIBUTION : UNIVERSAL PICTURES // ÉTATS-UNIS, 2008, 2H21 ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ SORTIE LE 12 NOVEMBRE ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................


BURN AFTER READING

RIEN QUE POUR VOS YEUX Après le sombre et oscarisé No Country for Old Men, les frères Coen s’accordent une récréation avec des stars déchaînées via cette comédie loufoque d’espionnage, plus nihiliste qu’il n’y paraît. Ce film s’autodétruira après vision. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour les numéros jubilatoires d’autodérision ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ de George Clooney et Brad Pitt. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour le talent des Coen à transformer n’importe ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ quel acteur en personnage de cartoon. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour le mélange de genres réussi, où espionnage, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ marivaudage et comédie forment un cocktail des ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ plus abrasifs. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ UN FILM DE JOEL ET ETHAN COEN ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ AVEC GEORGE CLOONEY, BRAD PITT, JOHN MALKOVICH, TILDA SWINTON… ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DISTRIBUTION : STUDIOCANAL // ÉTATS-UNIS, 2008, 1H35 ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ SORTIE LE 10 DÉCEMBRE ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

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omme pour s’excuser de nous avoir donné un grand film maléfique (No Country for Old Men), les frères Coen reviennent à leur veine vacharde et comique avec Burn After Reading. Souvent chez eux, l’appât du gain, un mauvais coup allument la mèche et soufflent le désastre sur les protagonistes. Ici, un disque, contenant les mémoires d’un espion, tombe entre les mains d’un employé de salle de sports, qui se met en tête de faire chanter l’agent. La trame est vite prétexte à un déchaînement de grimaces et d’évènements improbables, la particularité de tout ce beau monde étant d’être très stupide. C’est un plaisir de voir ces stars rivaliser d’idiotie cartoonesque : John Malkovich, en ensemble peignoir-hachette ; l’éthérée Tilda Swinton, qui maltraite encore – après Michael Clayton – George Clooney, qui lui-même joue à Dumb & Dumber avec Brad Pitt, envoyant valdinguer glamour, cool et expresso. Une récréation sans conséquence ? Certes moins tragicomique que Fargo, plus antipathique que The Big Lebowski (il n’y a aucun personnage positif), Burn After Reading est habité par un nihilisme qui n’a rien à envier à celui de No Country for Old Men (les deux scripts furent écrits en même temps). Javier Bardem y incarnait le mal qu’on ne peut arrêter. C’est ici la stupidité qui est virale, se répandant dans les clubs de gym et les couloirs de la CIA. Une misanthropie voisine de Kubrick, auquel les Coen font référence. Le jeu de massacre y devient aussi hypnotique et terrifiant que le hula hoop de Tim Robbins dans Le Grand Saut. Une spirale engloutissant tout, mue par l’énergie du désespoir, avec au centre un vide, tant moral que de sens. «Faites-moi un rapport quand vous comprendrez quelque chose », ordonne le chef médusé de la CIA. Il peut toujours attendre. À l’université, Ethan Coen avait écrit une thèse très sérieuse sur Wittgenstein, le philosophe qui avait postulé que « toutes les propositions de logique disent cependant la même chose, à savoir rien ». Sans doute la clé de l’œuvre des frères Coen. _Léo SOESANTO 37 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08





LE GUIDE

DES SALLES

DU MERCREDI 12 NOVEMBRE AU MARDI 16 DECEMBRE

Une Famille chinoise - Un film de Wang Xiaoshuai

SOMMAIRE SORTIES DU 12 NOVEMBRE 42_Expérience d’Abbas Kiarostami // The Duchess de Saul Dibb // Serbis de Brillante Mendoza // La Bande à Baader d’Uli Edel SORTIES DU 19 NOVEMBRE 44_Musée haut, musée bas de Jean-Michel Ribes // Le Silence avant Bach de Pere Portabella SORTIES DU 26 NOVEMBRE 44_Le Plaisir de chanter d’Ilan Duran Cohen // Baby Blues de Diane Bertrand 46_Aide-toi, le ciel t’aidera de François Dupeyron // Johnny Mad Dog de Jean-Stéphane Sauvaire // Une Famille chinoise de Wang Xiaoshuai SORTIES DU 3 DÉCEMBRE 46_Le Théâtre des opérations de Benoît Rossel 48_ L’Apprenti de Samuel Collardey // Comme une étoile dans la nuit de René Féret // Leonera de Pablo Trapero // Madagascar 2 d’Eric Darnell et Tom McGrath SORTIES DU 10 DECEMBRE 50_Caos Calmos d’Antonio Luigi Grimaldi // Mia et le Migou de Jacques-Rémy Girerd // Mascarades de Lyes Salem // Secret défense de Philippe Haïm LES ÉVÉNEMENTS MK2_52 > 53

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LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES EXPÉRIENCE Un film d’Abbas KIAROSTAMI Avec Hossein Yarmohammadi, André Govalovich, Parviz Naderi… Distribution : Les Films du Paradoxe // Iran, 1973, 1h (complément de programme : La Récréation, 1972, 11mn, Le Pain et la rue, 1970, 11mn) // Sortie le 12 novembre

THE DUCHESS

Les trois premiers courts-métrages de Kiarostami sont filmés à hauteur d’enfants. Prémisses du cinéma qui sera le sien par la suite avec Où est la maison de mon ami ? ou Devoirs du soir, ce sont des instants presque sans histoire et sans paroles : le travail quotidien d’un adolescent pauvre et son amour pour une jeune fille des beaux quartiers dans Expérience, la punition subie par un élève qui a brisé une vitre dans Récréation, la peur d’un chien dans Le Pain et la rue. En noir et blanc, avec déjà cet art de la lenteur, qui n’est jamais longueur, ce sens de la beauté qui n’est jamais esthétisme, le réalisateur iranien nous envoûte de petits riens.

Au XVIIIème siècle, la Duchesse du Devonshire, ancêtre de la princesse Diana, est une belle femme dont le mariage arrangé et pesant va la pousser à s’engager en politique, pour les droits des femmes. Toute ressemblance avec des personnages existants est fortuite… Frêle mais ne ployant jamais, Keira Knightley donne beaucoup d’épaisseur à cette icône glamour, noceuse nuancée, en avance sur son temps. Tout comme Ralph Fiennes, dans le rôle de l’époux apparemment odieux mais complexe. On pressent pour ce drame british soigné et costumé, genre un peu corseté mais très apprécié des Américains, un destin oscarisable à la Shakespeare in Love.

_I.D.

Un film de Saul DIBB Avec Keira Knightley, Ralph Fiennes, Charlotte Rampling… Distribution : Pathé // Grande-Bretagne, 2008, 1h50 // Sortie le 12 novembre

_L.S.

SERBIS

LA BANDE À BAADER

Un film de Brillante MENDOZA Avec Gina Pareño, Jaclyn Jose, Julio Diaz… Distribution : Équation // Philippines, 2008, 1h33 // Sortie le 12 novembre

Un film d’Uli EDEL Avec Martina Gedeck, Alexandra Maria Lara, Bruno Ganz… Distribution : Metropolitan FilmExport // Allemagne, 2008, 2h25 // Sortie le 12 novembre

Au cinéma Le Family, les Pineda travaillent bel et bien en famille. Et si le lieu se lézarde, les relations de cette petite communauté ne sont pas simples. «J’ai un diplôme d’infirmière, qu’est-ce que je fous ici ? », se demande Nayda, prise entre les frasques des clients qui se donnent rendez-vous pour des étreintes rapides, les colères de sa mère en plein divorce, les bêtises de son fils et son penchant inavoué pour son cousin Ronald. Après John John, Mendoza, d’une caméra toujours alerte, suiveuse, file la métaphore d’un pays qui part en vrille et ne survit qu’à coup de désirs et de transgressions. Un film aussi irrévérencieux que désespéré.

Chronique des années de plomb : Uli Edel revient sur la naissance de la RAF (Fraction Armée Rouge), communément appelée la « bande à Baader ». Fondée en Allemagne à la fin des années 1960, en réaction au passé nazi et au capitalisme anglo-saxon, la RAF a multiplié les actions coup-de-poing : enlèvements, attentats, assassinats. Uli Edel reconstitue ces épisodes sanglants, parfois au moyen d’images d’archives. Le film pointe les limites de l’action terroriste et gomme l’identité des membres satellites, au profit du destin des fondateurs Andreas Baader et Ulrike Meinhof. À leur suite, une génération radicale d’activistes a perpétué la terreur jusqu’à la fin des années 1990.

_I.D.

_S.M.

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LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

MUSÉE HAUT, MUSÉE BAS

LE SILENCE AVANT BACH

Un film de Jean-Michel RIBES Avec Michel Blanc, Muriel Robin, Josiane Balasko… Distribution : Warner Bros. // France, 2007, 1h33 // Sortie le 19 novembre

Un film de Pere PORTABELLA Avec Alex Brendemühl, Féodor Atkin, Christian Brembeck… Distribution : Medula Films // Allemagne, Espagne, 2007, 1h42 // Sortie le 19 novembre

En adaptant, pour le cinéma, sa pièce de théâtre homonyme, Jean-Michel Ribes s’offre un casting époustouflant. S’y ajoute le décor grandiose d’un musée composite inventé à partir de « morceaux » tournés au Petit Palais, mais aussi au Louvre, à Guimet, aux musées de l’Architecture et des Beaux Arts… Comme dans les séries TV cultes (Palace, Merci Bernard!), les sketches se succèdent à toute vitesse. Ici, tous ont en commun le thème de l’art, ancien et moderne, adoré ou incompris, conceptuel ou concret. Pléthore d’intervenants célèbres, dialogues surréalistes, déambulations, croisements et affrontements absurdes : un film plein à craquer.

Aux antipodes du biopic classique, Pere Portabella signe un film entre fiction et documentaire, autour de l’œuvre magistrale de Jean-Sébastien Bach. Privilégiant la composition plastique à l’élaboration d’une trame narrative traditionnelle, le réalisateur catalan explore l’essence de la musique du compositeur. Saisissantes de beauté, les images se font le commentaire secret de la musique. Portabella tisse un réseau dense de correspondances visuelles. Elles se déploient dans une économie de dialogues, en écho au silence du titre. Un film où l’hommage à la musique de Bach est transcendé par la grâce d’une mise en scène aussi épurée qu’intelligente.

_Claire BASTIN

_S.M.

LE PLAISIR DE CHANTER

BABY BLUES

Un film d’Ilan Duran COHEN Avec Marina Foïs, Lorànt Deutsch, Jeanne Balibar… Distribution : Pyramide // France, 2008, 1h38 // Sortie le 26 novembre

Un film de Diane BERTRAND Avec Karin Viard, Stefano Accorsi, Valérie Benguigui, Jean-Marc Barr… Distribution : Mars // France, 2008, 1h35 // Sortie le 26 novembre

Deux agents des services secrets, une veuve ingénue, une clé USB perdue, quelques méchants et du chant lyrique. Voici les ingrédients de ce film qui ne s’inscrit dans aucun genre, mais les embrasse tous. De la comédie au drame en passant par le polar, Ilan Duran Cohen (La Confusion des genres) virevolte en saupoudrant le tout d’une pincée d’érotisme. C’est drôle, malin, violent, cru. Et en même temps joliment naïf : car les sentiments de tout ce petit monde s’apparentent aux envies et frustrations d’adolescents mal grandis. Décalé, singulier, Le Plaisir de chanter est une joyeuse sarabande qui traite du mal de vivre et du besoin d’amour avec grâce.

Tout va bien dans la vie d’Alex, sauf qu’elle désire un enfant et ne sait comment le dire à son compagnon. Pas plus qu’elle ne parvient à lui avouer qu’elle voit une psy depuis deux ans. Tout se complique lorsque Fabrizio, souffrant de troubles psychosomatiques, décide en cachette de consulter à son tour… et se rend sans le savoir chez la thérapeute d’Alex. Comédie sur le couple, le mensonge et la difficulté de communiquer, Baby Blues bénéficie d’un casting trois étoiles. Avec son lot de quiproquos et rebondissements, ce film signé Diane Bertrand (L’Annulaire) s’inscrit dans un genre anglo-saxon par excellence, celui de la comédie romantique.

_I.D.

44 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08

_C.B.



LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

AIDE-TOI, LE CIEL T'AIDERA

JOHNNY MAD DOG

Un film de François DUPEYRON Avec Felicite Wouassi, Claude Rich, Mata Gabin… Distribution : ARP Sélection // France, 2007, 1h32 // Sortie le 26 novembre

Un film de Jean-Stéphane SAUVAIRE Avec Christopher Minie, Daisy Victoria Vandy, Dagbeh Twey… Distribution : TFM // France, Royaume-Uni, 2007, 1h36 // Sortie le 26 novembre

Autour d’une famille noire traversant une série presque absurde de contrariétés (le fils petit délinquant, le père dépensier, la fille à marier…), le réalisateur de La Chambre des Officiers brode une comédie sociale pertinente, jamais misérabiliste. Il rafraîchit les clichés sur les cités tout en s’attardant, tendrement, lucidement, sur une catégorie souvent invisible au cinéma – ou alors, après l’inéluctable : les personnes âgées. Dans le rôle du voisin, Claude Rich fait merveille, mais la révélation est ici Felicite Wouassi, mère courage formidable se battant pour que sa famille ne se désagrège pas.

Produit par Mathieu Kassovitz, Johnny Mad Dog plonge dans le quotidien violent d’enfants-soldats africains. Saturés de références américaines, ils se font appeler « No Good Advice» ou «Small Devil» et forment des commandos armés qui pillent et assassinent de sang-froid. À sa manière viscérale, Jean-Stéphane Sauvaire s’immerge par le biais de la fiction dans cet enfer fait d’enfance broyée, de misère et de survie. Il met en parallèle la trajectoire d’une fillette qui tente de préserver sa famille et celle de Johnny Mad Dog, le leader d’une de ces milices hallucinées. Un film qui allie à la force du témoignage la vérité brute de ces jeunes interprètes.

_L.S.

_S.M.

UNE FAMILLE CHINOISE

LE THÉÂTRE DES OPÉRATIONS

Un film de WANG Xiaoshuai Avec Weiwei Liu, Jiayi Zhang, Nan Yu, Taisheng Cheng… Distribution : Sophie Dulac // Chine, 2007, 1h55 // Sortie le 26 novembre

Un film de Benoît ROSSEL Documentaire Distribution : Jour2fête // Suisse, 2006, 1h26 // Sortie le 3 décembre

Jusqu’où une femme est-elle prête à aller pour sauver la vie de son enfant ? La petite Héhé a besoin d’une greffe de moelle épinière, mais ses géniteurs ne sont pas compatibles. Un donateur – frère ou sœur – serait la solution si ses parents, depuis séparés, n’avaient refait leur vie. Sa mère convainc son ex-mari de lui faire un bébé… Ancré dans une réalité chinoise, qui veut qu’il n’y ait qu’un enfant par famille, ce portrait d’une obstinée désespérée, que rien ne rebute ni n’arrête jamais, touche à l’universel. Servi par des comédiens magnifiques, ce film pudique, à l’apparente simplicité formelle, reflète un juste combat.

Entrer à l’hôpital, dans un service de chirurgie, en tant qu’observateur et non en tant que malade. Tel est le postulat qui se cache derrière le titre belliciste du documentaire de Benoît Rossel. S’il nous entraîne dans des endroits peu fréquentés (la salle d’opération et même parfois le corps ouvert des malades !), s’il nous fait rencontrer quelques professeurs et doyens ainsi qu’un jeune médecin aspirant chirurgien, le film reste à distance. En dédramatisant les enjeux et en traitant les protagonistes comme « des mécaniciens qui travaillent à la vie », le réalisateur suisse évite identification et pathos.

_I.D.

_I.D.

46 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08



LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

L’APPRENTI

COMME UNE ÉTOILE DANS LA NUIT

Un film de Samuel COLLARDEY Avec Paul Barbier, Mathieu Bulle… Distribution : Lazennec // France, 2007, 1h22 // Sortie le 3 décembre

Un film de René FÉRET Avec Salomé Stévenin, Nicolas Giraud, Sabrina Seyvecou… Distribution : JML // France, 2008, 1h30 // Sortie le 3 décembre

Pour sa première réalisation, Samuel Collardey filme une chronique naturaliste et sensible, où la question de la filiation est prégnante. Élève dans un lycée agricole, Mathieu fait son apprentissage dans une ferme du HautDoubs. D’abord opposé aux méthodes du paysan qu’il juge passéistes, le jeune garçon développe, au fil des mois, une relation forte avec lui. Entre Depardon, pour l’observation d’un monde paysan en pleine mutation, et Pialat, pour la précision sociologique, L’Apprenti dresse avec pudeur et justesse le portrait d’un adolescent en mal de repères. Sobre, la mise en scène transcende les paysages d’une campagne âpre et sensuelle.

La fulgurance de la maladie qui déchire un jeune couple se mêle à celle de leurs étreintes amoureuses. Dans l’intimité de la chambre à coucher, la nudité des corps rappelle sans cesse leur vulnérabilité. Comme une étoile dans la nuit, à la manière d’une tragédie shakespearienne, donne à la mort une beauté nouvelle, sublimée par l’amour. Communicative, la bienveillance attendrie du réalisateur répond à la psychologie complexe et opaque de ses personnages. René Ferret, en adaptant une histoire vraie, continue d’ancrer ses films dans le réel, comme pour Il a suffi que maman s’en aille, et signe ici une touchante histoire d’amour.

_S.M.

_Juliette REITZER

LEONERA

MADAGASCAR 2

Un film de Pablo TRAPERO Avec Martina Gusman, Elli Medeiros, Rodrigo Santoro… Distribution : Ad Vitam // Argentine, 2008, 1h53 // Sortie le 3 décembre

Un film d’Eric DARNELL et Tom McGRATH Avec les voix de Ben Stiller, Sacha Baron Cohen… Distribution : Paramount // États-Unis, 2008, 1h35 // Sortie le 3 décembre

Après El Bonaerense, Pablo Trapero passe de l’univers masculin des flics à celui, sensuel mais tout aussi violent, d’une prison de femmes. Accusée du meurtre de son compagnon, dont elle porte l’enfant, Julia est incarcérée dans une section spéciale pour mères de famille. Son enfant grandit à ses côtés mais lui sera retiré à ses quatre ans. Julia se révolte contre cette décision. Pablo Trapero compose avec précision des cadres pleins de vie, comme les ventres ronds des détenues qu’il filme parfois en amorce des plans. Quant à la débutante Martina Gusman, compagne de Trapero à la ville, elle livre une interprétation remarquable de force et d’intensité.

À la fin du premier opus, nous avions laissé le lion Alex et sa bande (dont les hilarants et machiavéliques pingouins) échoués sur leur île. Ils ont bien sûr plus d’un tour dans leur sac et mettent au point un plan qui les emmènera jusque dans la jungle africaine. Mais la vie new-yorkaise commence à leur manquer… Casting vocal de haute volée (Ben Stiller, Sacha Baron Cohen…), tubes sur la bandeoriginale et choc des civilisations : Madagascar 2 reprend la formule initiale pour faire danser les animaux de la jungle et rire son public.

_S.M.

48 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08

_L.S.



LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

CAOS CALMO

MIA ET LE MIGOU

Un film d’Antonio Luigi GRIMALDI Avec Nanni Moretti, Isabella Ferrari, Valeria Golino... Distribution : Bac Films // Italie, 2007, 1h52 // Sortie le 10 décembre

Un film de Jacques-Rémy GIRERD Avec les voix de Dany Boon, Jean-Pierre Coffe, Yolande Moreau… Distribution : Gebeka // France, 2005, 1h31 // Sortie le 10 décembre

La mort soudaine de sa femme plonge Pietro Paladini dans un désespoir invisible à l’œil nu. Si ce n’est qu’il se poste chaque matin devant l’école où il mène sa fille de dix ans, et y passe toute la journée. Ses amis, sa belle-sœur, son frère et ses collègues de bureau viennent l’y rejoindre et tentent de comprendre cette douleur sans larmes. Adapté d’un roman à succès de Sandro Veronesi, ce premier longmétrage doit tout au talent inouï de Nanni Moretti, acteur principal et co-auteur du scénario. Drôle, impétueux, vulnérable, son personnage dit le deuil impossible et la mutation qui, d’un veuf, fait un père omniprésent jusqu’à l’obsession.

Pressentant un danger, Mia, une petite fille de 10 ans, part à la recherche de son père à travers une jungle peuplée d’êtres étranges. Avec sa forêt menacée par les hommes, Mia et le Migou est une charmante fable d’animation écologique, qui déploie un univers graphique riche (un arbre planté à l’envers…), lointainement inspiré par les peintres impressionnistes. La « French touch » aligne ici un casting vocal pittoresque où l’on retrouve Yolande Moreau, Jean-Pierre Coffe ainsi que, dans le rôle du Migou, Dany Boon et son accent caractéristique, qui rappellera un ch’ti quelque chose au spectateur…

MASCARADES

SECRET DÉFENSE

Un film de Lyes SALEM Avec Lyes Salem, Sara Reguigue, Mohamed Bouchaïb… Distribution : Haut et Court // France, 2008, 1h32 // Sortie le 10 décembre

Un film de Philippe HAÏM Avec Gérard Lanvin, Vahina Giocante, Rachida Brakni… Distribution : UGC // France, 2008, 1h40 // Sortie le 10 décembre

Dans un petit village, un jeune homme, Khliffa, aime en secret une jeune fille, Rym. Mais Mounir, le frère de celleci, prétend qu’il l’a promise à un riche étranger. La rumeur enfle, alimentée par Rym elle-même et les voisins avides de participer à la noce. Pour son premier film en tant que réalisateur, l’acteur Lyes Salem concocte une comédie qui doit beaucoup à Molière, tout en s’inscrivant dans la réalité de l’Algérie. Au-delà du quiproquo de base, les situations et les personnages secondaires – notamment le fils facétieux de Mounir et son épouse toute de bon sens – disent la grandeur qu’il y a à résister à la bêtise et aux préjugés.

Sur la corde raide, Philippe Haïm utilise la peur de la menace terroriste pour captiver le spectateur et le clouer à son fauteuil. Diane, étudiante en langues orientales, est recrutée par la DGSE pour une mission d’infiltration tandis que Pierre, jeune délinquant paumé, tombe dans les mailles d’un groupe islamiste. Le réalisateur de Barracuda et des Daltons signe un film d’espionnage documenté et efficace, soutenu par un montage nerveux, des effets spéciaux soignés et une musique spectaculaire – il est aussi compositeur de musiques de film. Parmi le casting hétéroclite, la bombesque Vahina Giocante explose en espionne manipulée.

_L.S.

_I.D.

_I.D.

50 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08

_J.R.



ÉVÉNEMENTS DES SALLES MK2

PARTENARIATS CINÉ-BD Un samedi matin par mois, en partenariat avec Dargaud, un auteur de bande dessinée présente un film de son choix en salle, puis dédicace ses ouvrages à la librairie. Richard Marazano et Jean-Michel Ponzio viendront présenter le troisième tome du Complexe du Chimpanzé (Civilisations). Projection du film Les Fils de l'homme d’Alfonso Cuaròn, choisi et présenté par les auteurs. 25 tickets de dédicace distribués au moment de l'achat de votre place de cinéma. MK2 QUAI DE LOIRE_Au cinéma puis à la librairie_Samedi 22 novembre à 11h (dédicace à la librairie vers 14h). Carte Illimité acceptée. Le prochain Ciné-BD accueillera Jean-Yves Ferri et Manu Larcenet qui viendront présenter le cinquième tome du Retour à la terre (Les Révolutions) le samedi 13 décembre.

LE RENDEZ-VOUS DES DOCS Le nouveau Rendez-vous des docs, en partenariat avec l’association Documentaires sur Grand Écran, proposera les projections des films Ce qui me meut de Cédric Klapisch et Louis Lumière d’Éric Rohmer. La séance sera présentée et animée par Hervé Gauville, écrivain et auteur d'une série en cours, Peinture et cinéma, publiée régulièrement dans la revue de cinéma Trafic. MK2 QUAI DE LOIRE_Lundi 24 novembre à 20h30. Tarifs : 7,20 €, 6 € pour les adhérents DSGE.

LE THÉÂTRE DE L’ATELIER Autour de Fin de partie de Samuel Beckett, le MK2 Hautefeuille accueille une soirée-rencontre avec la projection de L’Atalante de Jean Vigo en présence de Charles Berling. MK2 HAUTEFEUILLE_Lundi 1er décembre à 20h30.

COURRIER INTERNATIONAL La prochaine séance des Mardis de Courrier international aura lieu le mardi 2 décembre à 20h au MK2 Quai de Seine. À l’occasion des soixante ans de la déclaration universelle des droits de l’homme, les Mardis de Courrier international vous proposent une soirée spéciale avec la projection de deux documentaires. Sous la cagoule, voyage au bout de la torture de Patricio Henriquez (Chili) et Eaux troubles de Liz Miller (États-Unis). La projection sera suivie d’un débat en présence de Patricio Henriquez, animé par un journaliste de la rédaction de Courrier international. MK2 QUAI DE SEINE_Mardi 2 décembre à 20h.

POUR LES ENFANTS MK2 JUNIOR Nouveau programme MK2 Junior intitulé Des lucioles, un panda, une patate ! Le Bal des lucioles et autres courts (45 minutes, 2008) Atelier-marionnettes à l'issue des séances suivantes : MK2 QUAI DE SEINE_Dimanche 2 novembre à 11h. MK2 BASTILLE_Les dimanches 23 et 30 novembre à 11h. MK2 PARNASSE_Dimanche 14 décembre (après-midi, horaire à définir). Dans sept salles MK2 jusqu’au 30 décembre.

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FOCUS FESTIVAL EUROPÉEN DES 4 ÉCRANS Le Festival européen des 4 écrans est consacré aux films qui traitent du réel et des faits de société, qu’ils soient réalisés pour le cinéma, la télévision, le Net ou le téléphone mobile. Il célèbre les écrans comme outils de connaissance du monde. Organisé dans le cadre de la Saison culturelle européenne en France, le Festival européen des 4 écrans rend hommage à la sensibilité commune et à la diversité de création des pays européens. La 2ème édition du festival se tiendra les 14, 15 et 16 novembre à Paris, au cinéma MK2 Bibliothèque et à la BNF, site François-Mitterrand. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Les 14, 15 et 16 novembre.

LES CYCLES ET LES MATINÉES LES MATINÉES DES QUAIS Au programme du cycle L’État du monde, 2ème volet : La Fièvre de l’or Un Monde sans eau Biutiful Cauntri Paysages manufacturés Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés Du 5 novembre au 5 janvier.

LES MATINÉES DU MK2 HAUTEFEUILLE Au programme du cycle Cette bonne vieille terre : Crime et châtiment Shadows in Paradise Les Lumières du faubourg Autour de la sortie de Quatre Nuits avec Anna : Ferdydurke

LES MATINÉES DU MK2 BEAUBOURG À compter du 5 novembre, le MK2 Beaubourg accueillera le travail cinématographique de Martial Raysse. Au programme : Le Grand Départ en matinée Deux programmes de courts métrages tous les jours à 19h. MK2 BEAUBOURG_À partir du 5 novembre.

CYCLE JOAQUIN PHOENIX À l’occasion de la sortie de Two Lovers, le MK2 Parnasse consacre un nouveau cycle à l’acteur Joaquin Phoenix. MK2 PARNASSE _À compter du 12 novembre.

LES SÉANCES INTERDITES Nouveau cycle des séances interdites avec au programme les films Les Oiseaux et Abyss. MK2 PARNASSE_Les vendredis et samedis soirs pendant tout le mois de novembre.


RETROUVEZ TOUS LES ÉVÉNEMENTS SUR

À LA LIBRAIRIE DU MK2 QUAI DE LOIRE La librairie du MK2 Quai de Loire et les Éditions Emmanuel Proust vous invitent à une dédicace avec Pascal Croci à l'occasion de la parution de la bande dessinée Césium 137, qui sera suivie de la projection du Bal des Vampires de Roman Polanski. MK2 QUAI DE LOIRE_Jeudi 13 novembre à partir de 18h.

La librairie du MK2 Quai de Loire et les Éditions Verticales vous invitent à une lecture-signature avec Jacques Rebotier. MK2 QUAI DE LOIRE_Jeudi 20 novembre à 19h30.

Les photographes de Le Footballeur (Éditions Ci Vediamo / Costa Nostra) seront présents à la librairie du MK2 Quai de Loire, pour une séance de dédicace. MK2 QUAI DE LOIRE_Vendredi 28 novembre à partir de 19h30.

La librairie du MK2 Quai de Loire et les Éditions La Boîte à bulles vous invitent à une dédicace de Nicolas Wild à l'occasion de la parution de Kaboul Disco T.2, de Michel-Yves Schmitt pour la parution de Ainsi Danse et du scénariste de Mes Copains d'autrefois Patrice Guillon.

EXPOSITIONS ROMAIN TARDY Du 17 décembre au 4 janvier prochain, le MK2 Bibliothèque accueillera des projections d’images (directement sur ses baies vitrées) basées sur le travail et les visuels de Romain Tardy alias Aalto, pour ainsi faire découvrir un nouvel art vidéo en pleine expansion : le « vjing ». MK2 BIBLIOTHÈQUE_Du 17 décembre au 4 janvier.

COSMOGONIES INSTALLATIONS NUMÉRIQUES DE HUGO VERLINDE Dans le travail d’Hugo Verlinde, le numérique bouleverse nos conceptions sur l’espace : les images s’échappent du cadre de l’écran, investissent les formes et les matériaux les plus variés et les paysages lointains se transforment en des univers infiniment intimes et féeriques. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Du 19 au 25 novembre.

AVANT-PREMIÈRES Le MK2 Quai de Loire accueillera une avant-première de la Caméra d’Or du dernier Festival de Cannes, Hunger, qui sera présenté en présence de son réalisateur Steve McQueen. MK2 QUAI DE LOIRE_Mardi 18 novembre à 20h30.

Le MK2 Quai de Seine accueillera une avant-première du film Aide-toi, le ciel t’aidera en présence de l’équipe du film. MK2 QUAI DE SEINE_Jeudi 20 novembre à 20h15.

MK2 QUAI DE LOIRE_Jeudi 4 décembre à partir de 19h.

La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions Seuil jeunesse vous invitent à une dédicace des albums pour enfants de Benjamin Lacombe et Sébastien Perez, à l'occasion de la parution du merveilleux coffret Généalogie d'une sorcière. MK2 QUAI DE LOIRE_Samedi 6 décembre à partir de 16h.

COURT MÉTRAGE SAISONS NUMÉRIQUES Histoires de compas. Un artiste vidéo se doit d’avoir à la fois le «compas dans l’œil» (sens de la composition) et ce que les passionnés de l’art tauromachique appellent le «compàs» (sens du rythme, de la cadence). Ces deux composantes sont inextricables. Elles font un pas de deux. Elles s’accouplent. Elles osent le grand écart entre le raisonnable et le débordement, entre le rythme et le risque, entre le son et le silence, entre le geste et son effacement. Cette programmation s’inscrit dans le cadre des 21es Instants Vidéo Nomades, L’Homme est terre qui marche. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Mardi 18 novembre à 20h30. www.instantsvideo.com

SOIRÉE BREF Le politique, les fantômes et les rêves... Au programme : Les Paradis perdus d’Hélier Cisterne Le Feu, le sang, les étoiles de Caroline Deruas La Vie lointaine de Sébastien Betbeder MK2 QUAI DE SEINE_Mardi 9 décembre à 20h30.

DANS LES LIBRAIRIES

TOUS LES SAVOIRS

À LA LIBRAIRIE DU MK2 BIBLIOTHÈQUE

CINÉ-PHILO SAISON 4

Dans le cadre des 20 ans des Belles Etrangères, en partenariat avec le CNL, MK2 Livres et les Éditions Verdier vous invitent à rencontrer Josef Winkler pour l’ensemble de son œuvre en compagnie de Rosemarie Poiarkov. Un débat autour de la littérature autrichienne contemporaine sera organisé et animé par Bernard Banouin.

Le thème de cette nouvelle saison : « Un ciné-philo nommé désir » 22 novembre : « Du désir au travail, les stratégies de la séduction » 6 décembre : « La peste du désir, la crise mimétique »

MK2 BIBLIOTHÈQUE_Samedi 15 novembre à 17h.

MK2 BIBLIOTHÈQUE_Tarifs : 7,5 €, étudiants et chômeurs 6 €. Le programme complet sur www.cine-philo.fr

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DVD Jacques Rozier, le cinéma de traverse

À l’occasion d’un coffret DVD événement, on redécouvre les chefs-d’œuvre de Jacques Rozier, cousin fugueur de la Nouvelle Vague.

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962. En couverture du numéro spécial « Nouvelle Vague» des Cahiers du cinéma figure Adieu Philippine de Jacques Rozier, présenté par la revue comme le « parangon » du mouvement. Un hommage qui, avec le recul, peut surprendre tant l’œuvre de Rozier, voyageuse, tendrement populaire, cadre mal avec le parisianisme insolent de Godard & co. Nouvelle Vague, Rozier l’est dans son rapport très libre au scénario, qui, bien que soigné, laisse toujours une place aux aléas du tournage. Il y a aussi, dans ses films, comme dans ceux de la bande des Cahiers, de constants échos socio-politiques, qu’il s’agisse de la guerre d’Algérie, de l’essor du tourisme de masse ou de la rémanence coloniale. Pour autant, la voie tortueuse de ce cinéaste-tortue – quatre longs métrages en quarante ans – n’a pas d’équivalent. Rozier est unique par sa direction d’acteurs, captés à des sommets de naturel, même et surtout lorsqu’ils s’appellent Bernard Menez, Pierre Richard ou Jacques Villeret. Unique, ensuite, par sa cohérence – fugues échevelées vers l’océan, bifurcations rocambolesques où des communautés de fortune s’éprouvent dans l’adversité, jusqu’à une utopique cohabitation. « Vibre ton corps, ouvre ton ouïe à la symphonie fortuite de ce qui mal se supporte et pourtant se marie », écrit Flóp, poète inconditionnel du réalisateur de Maine-Océan. Des vers qui disent tout de l’art harmonieusement dissonant de Jacques Rozier, cinéaste de la bonne entente. _A.T.

Coffret Jacques Rozier (5 DVD, Potemkine, avec Adieu Philippine, Du côté d’Orouët, Les Naufragés de l’île de la Tortue, Maine-Océan, trois courts métrages et des bonus).

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L’art de la fugue COFFRET WES ANDERSON Fox Pathé Europa De film en film, Wes Anderson a inventé un monde en miniature, fait de vignettes colorées où des familles dysfonctionnelles occupent le haut de l’affiche. Un coffret réunit enfin trois œuvres atypiques, à l’humour délicieusement décalé et poétique.

UN CONTE DE NOËL D’ARNAUD DESPLECHIN Bac Films

Une fratrie en crise se retrouve à l’occasion des fêtes de fin d’année. Arnaud Desplechin signe un film où les liens du sang et la dialectique du jeu irriguent un récit organique, brillamment mis en scène.

LES AVENTURES DU PRINCE AHMED DE LOTTE REINIGER Carlotta Films On réédite le premier film d’animation de l’histoire du cinéma (1926), en silhouettes de papier découpé. Inspirée de contes orientaux, cette splendeur rivalise d’inventivité formelle, et comblera petits et grands.

COFFRET RICHARD FLEISCHER Éditions Montparnasse

Auteur de 20 000 Lieues sous les mers, créateur de Popeye et de Betty Boop, Richard Fleischer a réalisé pour la RKO des films marqués par l’esthétique du film noir. À découvrir, Child of Divorce, son tout premier film, moderne et bouleversant.

STRIP-TEASE HORS SÉRIE MK2 Éditions

Dans un format long, retrouvez des épisodes de la collection Strip-Tease, qui s’installent aux États-Unis et en Belgique. L’occasion de revisiter cette série culte qui déshabille les contemporains de la plus caustique et désopilante des manières.

_par S.M.

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Le studio Fox réunit autour du documentaire Murnau, Borzage and Fox de John Cork (2008) douze films des deux .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. figures incontournables du cinéma muet. Outre le fameux Sunrise (L’Aurore), chef-d’œuvre et premier film américain .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. du maître de l’expressionnisme allemand Friedrich W. Murnau, la sélection fait une large place à l’œuvre de .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. Frank Borzage. Les mélodrames teintés de surréalisme de ce fils d’immigrés italiens font l’éloge de l’amour fou, .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. comme le magnifique The River (La Femme au corbeau), présenté pour la première fois en version intégrale. _J.R. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. ..............................................................................................................................................................................................................................

ACTUALITÉ ZONE 1

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LIVRES Retour sur G.K. Chesterton, fine lame de l’humour britannique

Le prince du para Peu connu chez nous, G.K. Chesterton fut l’un des maîtres de la littérature britannique du siècle dernier. Prince du trait d’esprit, il a écrit des dizaines de livres dont les fameuses Enquêtes du Père Brown, aujourd’hui rééditées. Redécouverte d’un génie humoristique.

S

i la grandeur d’un artiste se mesure à la stature une expérience à la fois parfaite et sublime si l’on pouvait de ceux qui l’ont admiré, alors il ne fait aucun avoir un crayon assez long pour dessiner sur le plafond. » doute que Gilbert Keith Chesterton (1874-1936) Comme l’explique Philippe Maxence, « son humour habitait fut un immense écrivain du vingtième siècle. littéralement sa vie. Chesterton était un enfant dans un corps Jugez plutôt : Borges répétait qu’aucun auteur ne lui avait de géant ». Véritable bourreau de travail, à l’aise sur tous les apporté plus de bonheurs de lecture, Claudel trouvait ses sujets (politique, théologie, économie ou littérature, avec des essais si fascinants qu’il en traduisait des chapitres entiers études sur Dickens, Blake ou Chaucer qui font référence), dans la NRF (Nouvelle Revue Française) et Gombrowicz le capable de passer du plus sérieux (une exégèse de Saintcitait élogieusement dans son journal. Encore aujourd’hui, François d’Assise) au plus absurde (Le Défenseur, dans lequel le philosophe Zlavoj Zizek recourt volontiers à lui pour il défend en vrac les squelettes, la publicité et les bergères illustrer ses théories et l’éminent Lakis Proguidis, de la revue en porcelaine), Chesterton publiera en tout plus de 100 livres, L’Atelier du roman, affirme que Chesterton « fait partie du 200 nouvelles et près de 4000 articles dans la presse ! cercle très restreint des écrivains qui veillent sur (sa) santé mentale et esthétique ». Même les gros bras du groupe Iron PARODIES POLICIÈRES Maiden semblent l’admirer, qui ont repris l’un de ses vers dans Outre les petits chefs-d’œuvre que sont Le Napoléon de leur chanson Revelations! Pourtant, malgré ces références Notting Hill ou Le Club des métiers bizarres, ses textes les prestigieuses, Chesterton demeure assez mal connu du plus célèbres sont incontestablement Les Enquêtes du public hexagonal : tout le monde a lu Wells ou Kipling, ses Père Brown, parodies de littérature policière où il met en grands contemporains, mais lui demeure un auteur discret, scène un curé détective doté d’un flair sensationnel, capable dont les fanatiques se recommandent les œuvres à la de résoudre les crimes les plus ingénieux en quelques manière d’un cercle d’initiés. «Cela tient en partie au fait que les Français s'intéressent SES CONTROVERSES HOMÉRIQUES AVEC G.B. SHAW peu à la littérature étrangère, explique OU H.G. WELLS SONT RESTÉES DANS L’HISTOIRE. Philippe Maxence, auteur du premier blog (1) francophone sur Chesterton . En outre, sa forme d'écriture, minutes. Avec son fidèle Flambeau, ancien voleur devenu qui n’est pas toujours bien rendue par les traductions, exige son bras droit, il promène son look débonnaire et son air un effort d’attention. Il faut entrer dans cet univers ; mais une ahuri (« C’était toujours au moment précis où il était le fois que le pas est franchi, une véritable joie s’en dégage.» plus intelligent qu’il avait l’air le plus idiot ») à travers une cinquantaine de nouvelles aujourd’hui rassemblées en un LOGIQUE ET NONSENSE volume, postfacé par Francis Lacassin. En parallèle, la Né à Londres en pleine ère victorienne, Chesterton a d’abord «Bibliothèque de Babel », la collection de littérature dirigée pensé devenir illustrateur. Mais très vite, il se lance dans le par Borges dans les années 1970 et progressivement importée journalisme littéraire. En 1905, il est embauché par l’Illustrated en France, réédite cinq d’entre elles avec une préface du London News, où il restera trente ans. Il lance aussi son maître. Enfin, pour compléter le bouquet, on pourra redécouvrir propre journal, modestement intitulé GK’s Weekly. Polémiste trois autres nouvelles dans Le Jardin enfumé et mieux connaître talentueux, il ferraille contre les maîtres à penser de l’époque, Chesterton grâce au dossier que lui consacre la revue animant joyeusement la vie intellectuelle britannique ; ses L’Atelier du roman. Le roi du paradoxe retrouverait-il enfin controverses homériques avec G.B. Shaw, Bertrand Russell le chemin de nos librairies ? Tout son humour et toute sa ou H.G. Wells, notamment, sont restées dans l’histoire. fantaisie imprègnent en tous cas ces contes policiers L’arme fatale de Chesterton, outre sa culture encyclopédique savoureux dont Borges assurait qu’on ne cesserait jamais et ses convictions bien arrimées (il est partisan des libertés, de les lire : quelque part entre le Dupin d’Edgar Poe et le catholique et farouchement antisocialiste), ce sont ses Chat du Cheshire de Lewis Carroll, le facétieux Père Brown, paradoxes, des traits d’esprit typiquement british à base avec son cigare, sa soutane et ses digressions improbables, de logique délirante, de nonsense et d’ironie badine. Tout est bien le meilleur ambassadeur du génie chestertonien. recueil de bons mots qui se respecte contient au moins « Un grand classique, c’est quelqu’un dont on peut faire deux ou trois aphorismes de Chesterton : «Aller droit devant l’éloge sans l’avoir lu », prétendait l’écrivain. Pour le coup, soi autour de la Terre est le plus court chemin pour atteindre ne vous privez pas de le démentir. le lieu où l’on se trouve déjà. » Ou : « Être dans son lit serait _Bernard QUIRINY

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(1) http://chesterton.over-blog.com/ 56 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08

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doxe

LA SÉLECTION par P.D., S.Q. et J.R. MALINA, INGEBORG BACHMANN Roman traduit de l’allemand (Autriche), Seuil

Une nouvelle traduction de ce très beau roman, paru en 1971, qui dit les angoisses existentielles d’une femme viennoise, son désenchantement face au monde, dans une narration d’une grande modernité.

ŒUVRES ROMANESQUES, ELFRIEDE JELINEK Romans traduits de l’allemand (Autriche), Thésaurus / Actes Sud

À lire ou relire, sept romans d’Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature 2004. Une œuvre obsessionnellement ancrée dans la culture autrichienne, un univers violent, une écriture acérée tel un scalpel.

LANGUE MATERNELLE, JOSEF WINKLER Roman traduit de l’allemand (Autriche), Verdier

Roman des origines, la langue, la mère, la terre, entre biographie et délire, dans une langue flamboyante, sur un mode symphonique : confirmation d’un talent majeur de la littérature autrichienne contemporaine.

GÉNÉALOGIE D’UNE SORCIÈRE, B. LACOMBE ET S. PÉREZ Album jeunesse, Seuil jeunesse

La jeune Lisbeth découvre qu'elle est issue d'une longue lignée de sorcières. Ceci explique les dons qu'elle possède... Ce joli album est accompagné du fameux Grimoire des sorcières, mis en scène dans l'histoire de Lisbeth.

ROBERTO SUCCO, ILARIA TRONDOLI Bande dessinée, Emmanuel Proust Éditions

La délicatesse du dessin à l’aquarelle permet à Ilaria Trondoli de nuancer ce portrait du tueur aux yeux de glace. Entre douceur et fureur meurtrière, retour sur une personnalité complexe au fil des crimes commis, de l’Italie au sud de la France. Les Enquêtes du Père Brown, Omnibus, 1204 p., 28 € L’Œil d’Apollon, FMR/Panama, 164 p., 21 € Le Jardin enfumé, L’Arbre Vengeur, 162 p., 11 € L’Atelier du roman n°55, Flammarion/Boréal, 222 p., 15 €

LE SITE http://table-rase.blogspot.com/index.html « Les vrais alchimistes ne transforment pas le plomb en or, ils transforment le monde en mots » : cette sentence de W.H. Gass sert de devise à Tabula Rasa, un blog consacré aux grandes machines littéraires contemporaines – les postmodernes américains (Pynchon, Barth) et leurs héritiers (Powers, Vollmann), les mégalomanes hispanophones (Bolaño, Cortázar) ou les inclassables européens (Sebald, Hrabal). Entre chroniques et digressions, Fausto Maijstral (un pseudo emprunté à Pynchon) commente ses lectures sur cette mine numérique, atlas subjectif de la littérature la plus ambitieuse d’aujourd’hui. _B.Q.

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MUSIQUE Les combinaisons sauvages d’Arthur Russell

Un documentaire et une compilation viennent relancer le culte d’Arthur Russell, génie trop méconnu du disco et de l’avant-garde newyorkaise 1980’s.

C

ompositeur, chanteur et producteur culte, Arthur Russell fut l’astre noir du disco new-yorkais. Mort du SIDA en 1992, il a été redécouvert à la faveur de rééditions posthumes comme une influence marquante pour la récente génération de producteurs de dance-music. LCD Soundsystem, The Rapture ou Black Dice, qui ont recyclé le groove froid du post-punk, du disco et de la no-wave, ont également réverbéré, par touches impressionnistes, son œuvre prolifique, en conservant parfois la dimension la plus efficace (les lignes de basse disco-pop de Loose Joint) au détriment des plus étranges de ses combinaisons de fréquences, variations de tonalités, permutations des genres et velléités transcendantales. Car Russell détonnait un peu au Club 54, lui qui vécut dans une communauté bouddhiste à San Francisco, où il étudia la musique des Indiens et accompagna les poésies d’Allen Ginsberg au violoncelle. De là sans doute son art singulier de poser sa voix mélancolique sur ses mélodies pleines d’effets et d’espace, entre prière haute en prose et lente litanie derviche. À New York, c’est surtout en tant que musicien d’avant-garde que Russell se fit une réputation, collaborant avec Philip Glass ou composant pour des chorégraphes. Love is Overtaking Me, qui contient des titres plus folk et intimistes, révèle encore un autre aspect d’une personnalité multiple, aussi évanescente qu’un filet d’eau, ou qu’un écho. _Wilfried PARIS Wild Combination, A portrait of Arthur Russell, documentaire de Matt Wolf (DVD disponible sur www.arthurrussellmovie.com) Love is Overtaking Me (Rough Trade / Beggars)

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Chambres d’échos MATHIEU BOOGAERTS « I Love You » Tôt ou tard

Composé à la batterie, ce cinquième album vibre d’une pulsation fantasque et débridée. Rarement la variété française n’aura frappé aussi fort, aussi juste – dans le plein mille de nos cœurs.

OF MONTREAL « Skeletal Lamping » La Baleine Faux Canadiens mais vrais génies, ces Américains prolixes démembrent la pop jusqu’au squelette, qu’ils redisposent avec la dextérité des meilleurs joueurs d’osselet, greffant ici une anche r’n’b, là une prothèse métal. Osé.

KEVIN AYERS « Songs for Insane Times » EMI Proche, à ses débuts, de Robert Wyatt ou Syd Barrett, Ayers a posé les bases d’une pop excentrique, suavement cinglée. Cette anthologie exhaustive (4CD) capte l’Anglais à son acmé, seventies, psychédélique et dada.

ANAÏS « The Love Album » Polydor Loin des parodies cheap et voilées du premier album, Anaïs se dénude sur ce disque intime, tremblant d’amour. Un strip-tease mis en son par Dan the Automator, producteur taquin (Gorillaz, Lovage).

HEADLESS HEROES « The Silence of Love » Fargo

La définition du silence amoureux, selon ces Californiens érudits : une voix d’or (celle de la diva Alela Diane), modulant des reprises habitées de standards folk-pop, claires, rondes, diaphanes. _par A.T.

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Et si vous profitiez d’une place à l’année dans la plus grande salle de concert du monde, pour pas un rond ? Un pitch .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. de courriel indésirable, et pourtant Awdio, co-fondé par le web-maverick Vittorio Strigari et le designer branchouille .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. Ora-ïto, tient harmonieusement ses promesses. 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Ce mois-ci : Bonobo en direct de La Bellevilloise, .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. DJ Premier depuis Hong Kong, Gilles Peterson en duplex de Berlin. .............................................................................................................................................................................................................................. _E.R. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. ..............................................................................................................................................................................................................................

LE SITE

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LES BONS PLANS Kompilé par Rémy Kolpa Kopoul

Les bons plans Paris sera toujours Paris... mais-pas-que... En dehors des lieux du culte, passé le périph’, Paris dessert la ceinture. En banlieue, ça foisonne. Surtout dans le Neuf-Trois où, de Villes des Musiques du Monde à Africolor, c’est un festival de trouvailles, de rencontres, de fêtes. Oyez, Parisiens : même pas peur... INTRA-MUROS FAT FREDDY’S DROP > ÉLYSÉE MONTMARTRE > 12/11 Les hypnotiques néo-zélandais et leur reggae all black reviennent avec leur potion magique, une pulsation enivrante. Même les Jamaïcains n’en reviennent pas. WASIS DIOP > NEW MORNING > 13 & 14/11 Il fut le premier à pratiquer l’afro-fusion dans la galaxie parisienne, c’était en 1976 avec West African Cosmos. L’homme sait se faire rare pour mieux rebondir. L’élégance, en somme. Indémodable. ROKIA TRAORÉ > ALHAMBRA > 13 AU 15/11 La voix malienne au port altier nous chante son Afrique, d’ici et là-bas, avec une fragilité qui n’a d’égale que sa force de lionne. Chaque note fait sens, chaque mot fait autorité. KORA JAZZ TRIO > NEW MORNING > 18/11 La kora de Djeli Moussa Diawara en a connu des batifolages, de flamenco en Brésil. Elle trouve refuge dans un jazz éthéré et pourtant enraciné dans les traditions du ternaire. L’Afrique explore son futur antérieur. BRAND NEW HEAVIES + DAJLA > CABARET SAUVAGE > 18/11 Le groupe US funky urbain, emmené par la volcanique N’Dea Davenport, a enchanté notre fin de siècle dernier. Il part à l’attaque du nouveau millénaire avec entrain. Également au programme, la liane nantaise de la planète groove, Dajla.

GÉRALDINE LAURENT > SUNSET > 28/11 Elle accumule les étoiles et les trophées : Miss Laurent pratique le sax avec un brio consommé. Elle s’est trouvé un son, tout entier au service d’un post-bop stimulant. NOUVELLE VAGUE > ALHAMBRA > 9/12 Le projet de Marc Colin, une relecture bossa de classiques d’ailleurs, notamment de la new wave britiche des années 1980, a captivé le monde entier. Série en cours. L’homme a de la ressource.

LA CEINTURE THE LAST POETS > HANGAR - IVRY (94) > 14/11 Les précurseurs new-yorkais du rap (début des seventies) se sont retrouvés le printemps dernier à Banlieues Bleues, ce fut grandiose. Re-voilà Umar Bin Hassan, Abiodum, Babatunde, Jamaladeen Tacuma et Shannon Jackson pour une session de rattrapage. RICHARD BONA > MJC THÉÂTRE - COLOMBES (92) > 18/11 > CANAL 93 - BOBIGNY (93) > 20/11 > THÉÂTRE V. HUGO - BAGNEUX (92) > 22/11 Le bassiste camerounais est bien plus que le caïd des «4 cordes» que le jazz moderne courtise. Il chante une Afrique où l’éternité fraie avec le futur simple, musclée et satinée à la fois. Il troque son New York d’adoption pour un tour de nos banlieues.

ELISABETH KONTOMANOU > SUNSIDE > 21/11 L’immense lady jazz se lance avec bonheur dans une aventure minimaliste, rien que piano / voix, avec son complice Laurent Courtailhac. Intime et puissante, la marque d’une grande.

ASIAN DUB FOUNDATION > EMB - SANNOIS (95) > 28/11 Rock around the clock d’Orient : les inoxydables Londoniens recyclent régulièrement les ingrédients des britiches d’ailleurs, Indiens et Pakistanais, à coup de guitares saturées : c’est le tandoori groove !

GILLES PETERSON + ?UESTLOVE > BATACLAN > 21/11 Une chaude soirée avec le boss des platines worldwide, insatiable extracteur de pépites estampillées groove (funk, latino, Brasil, reggae, hip hop, house...) et le maître penseur des Roots, ce qui se fait de plus constant sur la planète rap.

BUMCELLO > LE PLAN - RIS ORANGIS (91) > 6/12 Le duo vitaminé de Cyril Atef et Vincent Segal navigue en lisière des territoires identifiés, électro, pop, hip hop, funk, et prend plaisir à affoler la boussole. Résultat, des espaces infinis qui titillent la curiosité. Unique.

NUIT ZÉBRÉE DE RADIO NOVA > LA BELLEVILLOISE > 21/11 Soirée en direct sur Nova, nuit complète avec moult DJ’s, animation à tous les étages. En live, la pétulante Haïtienne Melissa Laveaux, la révélation reggae Tu Shung Peng et le nouveau live exclusif d’Amadou & Mariam. Invits à Nova dès le 17/11.

VILLES DES MUSIQUES DU MONDE

CHUCHO VALDES > PLEYEL > 25/11 Le pianiste suprême du jazz cubain, fondateur du monument Irakéré, dans tous ses éclats. En solo, en quartet, avec notamment son mythique géniteur, le vénérable Bebo Valdes, enfin à la tête d’un big band. Un couronnement. PUPPETMASTAAZ > NOUVEAU CASINO > 27 AU 29/11 Le collectif électro et hip hop allemand est de sortie avec ses irrésistibles marionnettes, destroy à souhait. Hilarant et somme toute rafraîchissant.

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La Seine St Denis s’offre son rendez-vous d’automne, avec mezzé de gourmandises de tous les ailleurs. De quoi combler les oreilles les plus fouineuses. www.villesdesmusiquesdumonde.com JUAN CARLOS CACERES > CIN’HOCHE - BAGNOLET (93) > 14/11 Le pianiste-tromboniste peintre argentin de Paris est l’inlassable porte-voix du « tango negro » : une voix madrée qui porte haut les origines afro d’un genre qui ne sort pas que de la cuisse des filles de joie de Buenos Aires ! BA CISSOKO > SALLE J. BREL - PANTIN (93) > 16/11 Le groupe des deux koras magiques, celle, acoustique, de Ba Cissoko, et celle, amplifiée, trafiquée, de son cousin Sekou Kouyaté, est de retour dans le panorama. L’Afrique de l’Ouest dans son essence vitaminée. De la dynamite.


ROBERTO SANTIAGO > ESP. FRATERNITÉ - AUBERVILLIERS (93) > 16/11 Ce collectionneur d’accordéons (il en possède 150 !) ratisse les rythmes de toute l’Amérique Latine, du tex-mex US au chamamé argentin, en passant par le forró du Nordeste brésilien, le vallenato colombien, le son cubano, etc. Buen viaje, bon voyage. SO KALMERY + LURIE BELL > LE CAP - AULNAY (93) > 20/11 Deux fenêtres ouvertes sur le blues : celui de Chicago, avec Lurie Bell, et le « brakka » du Congo et de l’Afrique australe, arme fatale du troubadour So Kalméry qui, un jour, adapta Brave Margot de Brassens... RAUL PAZ > SALLE P. NERUDA - BOBIGNY (93) > 21/11 Le Cubain de Paris a commencé urbain, avec une salsa empreinte de nouvelles tendances, plus pop. Avec son dernier album, enregistré dans la mère patrie cubaine, el Señor Paz fricote avec un «son» plus acoustique. Chaleureux et toujours dansant. AFRICOLOR Le festival de Philippe Conrath quadrille le Neuf-Trois avec notamment quelques rencontres fumantes, où le jazz, le néo folk et les polyphonies corses tutoient l’Afrique. www.africolor.com MORIARTY INVITE MORIBA KOITA > TREMBLAY EN FRANCE (93) > 28/11 Le groupe tête de pont du revival folk blues Moriarty sort de ses gonds pour une rencontre acoustique alléchante : avec le maître absolu du n’goni, magique guitare à deux cordes, Moriba Koita. BONGA + TRES POR SEIS > ESPACE J. BREL - VILLEPINTE > 29/11 La voix ébarbée de Bonga l’Angolais garde toute sa magie, avec les années qui passent. Avec lui, à l’affiche, un jeune trio brasilo-parisien (Ricardo Hertz - violon, Fernando do Cavaco -cavaco et Serge Krakowski - pandeiro). HADOUK TRIO + NABIL BALI ORCHESTRA > LE CAP AULNAY (93) > 29/11 > LE SAX - ACHÈRES (78) > 30/11 Le groove organique du magique trio, à la rencontre du son des peuls du désert algérien. Un hommage à feu Baly Othmani, avec qui Steve Shehan, un des «Hadouk», a longtemps joué... DATAMBOURS DU BURUNDI + FANGA > ESPACE P. ELUARD - STAINS (93) > 5/12 Les tambourinaires mythiques d’Afrique Centrale, ambassadeurs ô combien itinérants de leur pays, frappent - toujours - fort. Les Montpelliérains afrobeat de Fanga aussi, à leur manière. DANYEL WARO + A FILETTA > NOUVEAU THÉÂTRE - MONTREUIL (93) > 7/12 Une rencontre qui s’annonce hypnotique avec le chœur majestueux de Corse et le combattant suprême du maloya, Danyel Waro. Deux insularités qui revendiquent fort leur identité, au point de la croiser. Passionnant. SALEM TRADITION + LINDIGO > DYNAMO - PANTIN (93) > 11/12 Le Maloya de la Réunion, quasiment en transe, à la recherche de ses racines ailleurs : le groupe de Monique Salem fouille vers les Comores, Lindigo, nouveau venu, lorgne vers Madagascar. Riche Réunion... au sommet !


ART Jeff Mills et le Futurisme au Centre Pompidou

Futur proche Pionnier de la techno, le DJ et producteur américain Jeff Mills a progressivement combiné musique électronique et image. Au Centre Pompidou, son installation Critical Arrangements fait figure de contrepoint contemporain au sein de l’exposition consacrée aux Futuristes.

I

l y a de quoi surprendre les visiteurs de l’exposition Le Futurisme à Paris, qui s’est ouverte le 15 octobre dernier au Centre Pompidou : au milieu des œuvres de Robert Delaunay, Pablo Picasso, George Braque, Marcel Duchamp, Kasimir Malévitch ou Francis Picabia, l’installation visuelle et sonore proposée par le musicien américain Jeff Mills détonne, en même temps qu’elle vient prolonger certaines valeurs intrinsèques au mouvement futuriste. Apparue dès 1909, la première avant-garde du XXème siècle a célébré la vitesse, la technique, l’énergie de la foule et l’activité trépidante des métropoles modernes : un univers qui n’est pas étranger à Jeff Mills, né à Detroit en 1963 et considéré comme l’un des pionniers de la musique techno. D’abord DJ, Jeff Mills entame sa carrière de producteur en 1988. En 1992, il quitte Detroit pour New York où il fonde son label, Axis Records, avant de partir s’installer à Chicago, où il crée le sous-label Purpose Maker en 1996. Alors que les raves se multiplient en Europe, la carrière internationale de Jeff Mills décolle. Pourtant, agiter le dance-floor n’est pas le but ultime de l’artiste, J’AI ESSAYÉ DE MONTRER À QUEL qui mène parallèlement une recherche musicale plus POINT LA MUSIQUE ÉLECTRONIQUE pointue. EST FLEXIBLE. JEFF MILLS Une recherche qu’il va élargir jusqu’à fusionner le son et l’image dès 2000. « C’était une façon de démocratiser la musique électronique, et de montrer à quel point elle est flexible », commente Mills, qui commence par composer une bande-son pour le classique muet de Fritz Lang, Metropolis. Une expérience qu’il renouvellera en 2005 à la demande de MK2 pour le film de Buster Keaton, Three Ages. Alors qu’il produit en 2004 un DVD présentant plusieurs sets de DJ filmés sous différents angles, il acquiert une platine CD et DVD qui lui permet de manipuler simultanément sons et images. Jeff Mills ne se contente pas de concevoir des bandes-son ou des environnements sonores, comme il le fit pour l’exposition Diaspora proposée par Claire Denis au Musée du Quai Branly en 2007 : il mixe l’image, créant d’habiles arrangements visuels et sonores. À le voir, de noir vêtu, tout en finesse, élégance et discrétion, on peine à croire qu’il s’agit bien là du noctambule jet-lagé qui fait vibrer les scènes du monde entier depuis près de vingt ans. «Si j’avais le choix, je préfèrerais avoir un mode de vie plus classique, explique posément l’artiste. À ce rythme, le corps perd parfois ses repères...» La désynchronisation semble réussir à cet insatiable expérimentateur qui, en plus d’être parvenu à introduire la musique électronique dans le champ des arts visuels, joue Critical Arrangements - Jeff Mills (2008) désormais dans la grande cour de l’art contemporain.

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_Anne-Lou VICENTE

L’installation de Jeff Mills Critical Arrangements est présentée au Centre Pompidou jusqu’au 26 janvier 2009 dans le cadre de l’exposition Le Futurisme à Paris, Une avant-garde explosive.

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Installation vidéo et sonore à l’occasion de l’exposition Le Futurisme à Paris : une avant-garde explosive, Centre Pompidou.


EXPOSITIONS par A.-L.V. RYOJI IKEDA 11 OCT. - 12 JANV. Précurseur de la scène électronique minimale, l’artiste japonais révèle, en son et en images, l’infinie beauté des chiffres. Une quête du sublime et de l’immatériel à travers les mathématiques comme terrain d’investigation commun à l’art et à la science. Le Laboratoire, 4 rue du Bouloi, 75001 Paris.

YAN SÉRANDOUR 15 NOV. - 17 JANV. Réactivant les fondamentaux de l’art conceptuel en les désorientant, Yan Sérandour s’approprie œuvres, publications et autres éléments préexistants dont il déplace les enjeux de départ, à la fois historiques, esthétiques et politiques. Galerie GB agency, 20 rue Louise Weiss, 75013 Paris.

PIERRE LEGUILLON 6 DÉC. - 7 FÉV. Pierre Leguillon propose une rétrospective imprimée et inédite de l’œuvre de Diane Arbus (1923-1971) : l’ensemble des images commandées à la photographe new-yorkaise dans les années 1960 sont subtilement agencées par l’artiste et commissaire d’exposition. Kadist Art Foundation, 21 rue des Trois frères 75018 Paris.

JORDI COLOMER 21 OCT. - 4 JANV. Les photographies et installations vidéo de l’artiste espagnol interrogent la portée sociologique, psychologique et politique de l’urbanisme. L’architecture et la ville font ici figure de motifs cristallisant les failles des temps post-modernes. Jeu de Paume - Site Concorde, 1 Place Concorde, 75008 Paris.

LE SITE http://www.florenceloewy.com Ce site référence un ensemble d’ouvrages d’artistes en édition limitée dont Florence Loewy a fait sa spécialité depuis 1989. Sa librairie, située depuis 2001 au 9 rue de Thorigny dans le Marais, à deux pas du Musée Picasso, fait la part belle aux artistes qui envisagent le livre comme médium à part entière, de Sophie Calle à Matthew Barney en passant par Olivier Nottellet et Saâdane Afif. Le lieu accueille aussi des expositions temporaires, comme celle d’Eric Tabuchi jusqu’au 5 décembre.

_A.-L.V.

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RÉSEAUX Le high-tech, nouvel eldorado musical ?

Techno musique

Illustration : Fabrice MONTIGNIER

ITunes n’a plus le monopole des chœurs. Les musiciens pointent le bout de la croche sur toutes les plateformes high-tech, de l’application iPhone à la BO pour jeux vidéo. Une banalisation interactive qui fait de chacun de nous des Beethoven en puissance…

Q

uand la musique sonne aux portes des plateformes haute-technologie, on frise parfois le larsen. La sortie du futur blockbuster de la PlayStation 3, le jeu Little Big Planet, a été retardée après la révélation d’extraits du Coran dans les paroles d’une chanson. Son auteur n’est autre que Toumani Diabaté, virtuose malien de la kora. Une fausse note dans cette partition coécrite par les stentors des musiques actuelles (The Go! Team, Jim Noir…) et les ténors des nouvelles plateformes multimédia. La récente multiplication des supports interactifs est de plus en plus portée par des musiciens de premier plan, à NOUS AUTRES MUSICIENS DEVONS la fois inventeurs d’instruments 2.0 et fournisseurs de contenus adaptés à ceux-ci. CONTRIBUER À L’ÉVOLUTION SONORE DES « Jouer un titre de Metallica sur le jeu Guitar Hero, JEUX VIDÉO. FRANZ FERDINAND le jour même de la sortie de leur nouvel album, c’est un rêve de gosse ! », nous confiait récemment le bassiste très enthousiaste des Franz Ferdinand, Robert Hardy. Le groupe de rock écossais emboîte le pas aux monstres du heavy metal en proposant une de ses compositions, Lucid Dreams, en exclusivité sur la bande-son du jeu Madden NFL 09. « Aujourd’hui, la qualité graphique d’un jeu vidéo rivalise avec celle d’un film, poursuit Robert Hardy. Nous autres musiciens devons contribuer à l’évolution sonore des jeux, de manière à ce qu’on puisse un jour les écouter comme on écoute un disque. » Menacée par les hyènes du téléchargement illégal, l’industrie musicale arrive au bout d’une longue traversée du désert numérique. Tout comme Metallica (qui a pourtant participé activement en 2000 à la fermeture du site de téléchargement Napster), Oasis parie sur la dématérialisation vidéoludique de son nouvel album Dig Out Your Soul, qui sera présent dans Guitar Hero World Tour.

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C’est dans cette veine électronique et expérimentale que l’on retrouve d’autres artistes plus ambitieux. Ainsi, Brian Eno tourne peu à peu le dos au rock’n roll circus et lui préfère une utilisation plus téméraire des nouvelles technologies. Après avoir composé le jingle de Windows 95 et orchestré le jeu Spore, le producteur de U2 s’est tourné vers l’iPhone. L’écran tactile et l’accéléromètre du Smartphone ont déjà été utilisés pour des instruments virtuels tels que iBand ou Tap Tap Revenge, donnant lieu à des concerts joués uniquement par les téléphones d’Apple. Brian Eno a développé l’application musicale Bloom, qui peut être associée à RJDJ, véritable sampler de poche. De quoi composer une ode intergalactique entre deux stations de métro… _E.R. (avec A.T.)

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World Tour est le quatrième opus de la série Guitar Hero. Sortis sur la plupart des consoles récentes, les éditions précédentes de ce karaoké proposent au joueur-musicien de « rejouer» sans aucune connaissance technique des tubes rock, à l’aide d’une guitare-jouet. Rigueur métronomique et oreille automatisée sont de mise pour exploser les scores. Le jeu ne forme pas des virtuoses mais des gratteux hardcore, véritables bêtes de concours. World Tour, sortie prévue ce mois-ci, devrait opérer un salutaire glissement de la reproduction vers la création en permettant de jouer également de la batterie et de pousser fièrement la chansonnette. Une configuration déjà présente chez le concurrent Rock Band, mais World Tour permettra au joueur d’enregistrer ses propres morceaux et de les diffuser. Jusqu’à, un jour, signer chez une major ? Si l’odeur du cuir et les pédales overdrive vous font peur, vous pouvez vous rabattre sur le concept musical et aquatique Electroplankton, sorti sur DS, qui fait la part belle au nappes phréaticopsychédéliques.

INSTALLATION PROVISOIRE Pour une période d'un an, une jeune femme a décidé de poster une photo par jour sur ce blog. Elle joue avec des tags énigmatiques pour résumer son quotidien. Un subtil mélange de voyeurisme et poésie. http://provisoireetvecu.blogspot.com

BLOWIN’ IN THE WIND Sur son blog, cet avocat racontait des audiences, éclaircissait tel ou tel imbroglio juridique... Il l'a récemment transformé en « journal des magistrats en colère » et les témoignages ne cessent d'affluer. http://maitre-eolas.fr

RETOUCHÉ, COULÉ Ce blog américain recense tous les usages abusifs du logiciel de retouche Photoshop : couvertures de magazine, pubs, affiches de cinéma, les catastrophes sont nombreuses. http://photoshopd.blogspot.com

SEXO RIGOLO Un site qui repère tout ce qui a un lien avec le sexe. Études scientifiques, produits culturels, réflexions personnelles, prises de position politique : tout, tout, tout, vous saurez tout... http://sexoramag.com

ALTER-LEGO C'est le grand passe-temps sur le Net : se fabriquer des avatars en tous genres. Après s'être transformé en personnage de South Park ou des Simpsons, on peut désormais créer un Lego à son effigie. http://www.reasonablyclever.com/mm2/index.htm _par T.L.

MOT @ MOT

E-

[i] préfixe.

(Cinquième lettre de l’alphabet latin et étrusque. Ce préfixe traine une salle réputation d’identifiant européen pour additifs alimentaires louches : E160, E625. Il se rachète une conduite grâce aux technologies de l’Internet.) 1. Néologisme formé à partir de la première lettre du mot anglais electronic. Accolé au radical d’un concept, d’une action ou d’un objet du monde physique, il en désigne le pendant numérique. J’ai reçu par e-mail une e-pub pour un e-livre de Perec vendu sur eBay : La Disparition. 2. Hom. Mettons les points sur les i : il existe un autre préfixe homonyme, i- (prononcer [i], pour « internet »), associé à tous les produits Apple depuis 1998, date de sortie de l’iMac. J’ai demandé un iBook pour Noël, mes iGnares de parents m’ont offert un eBook. _E.R.

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JEUX VIDÉO L’industrie du jeu vidéo touchée par la crise ?

Cash machine

Illustration : Pierre ROUILLON

Après une décennie d’insolente réussite, le loisir numérique est directement menacé par la crise. Pouvoir d’achat en berne et effondrement de l’économie virtuelle, les consommateurs s’interrogent : le jeu vidéo est-il trop cher ?

C

’était mieux avant. Avant la crise, avant les nouveautés à 70 €, avant la division marketée entre hardcoregamers et joueurs occasionnels. L’âge d’or des parties de Streets of Rage entre potes sur le canapé des parents. La sortie récente de l’excellent Fallout 3, dix ans après le premier, a donné l’occasion à de vieux réacs de 25 ans de pester contre l’évolution du titre mythique vers une jouabilité plus grand public. Les « anciens » qui ont la madeleine tristouille pourront pousser un soupir nostalgique au National Media Museum à Bradford. Flambant neuf, le fond d’archives nationales britanniques dédiées au jeu vidéo retrace quarante ans d’histoire. Quarante ans d’évolution graphique et ludique. Quatre décennies durant lesquelles jouer a coûté de plus en plus cher. Le jeu vidéo en France a généré plus de 2 milliards d’euros de recettes en 2007, 1,18 milliards sur la période de janvier D’ICI FIN 2008, LE MARCHÉ DU LOISIR à mai 2008. D’ici la fin de l’année, le marché du loisir INTERACTIF POURRAIT DÉPASSER CELUI interactif pourrait dépasser celui des téléphones portables ou de la photo numérique, avec un chiffre d’affaire record DES TÉLÉPHONES PORTABLES. approchant les 3,4 milliards d’euros. Et l’année prochaine ? Le tableau LCD pourrait se noircir comme le prouve le recul des ventes de cet automne. Le monde virtuel Second Life, tombé dans les oubliettes médiatiques après le buzz dithyrambique de l’année 2006, est revenu sur le devant de la scène à la fin du mois d’octobre. Sur Second Life, les particuliers peuvent louer des terrains virtuels, souvent sous-loués à d’autres membres de la communauté. Cette monétisation repose sur la convertibilité du dollar en monnaie virtuelle, le «Linden dollar». Or, crise des subprimes et krach boursier obligent, l’éditeur de ce jeu, Linden Labs, a décidé d’augmenter les loyers de 66 %. Une manifestation internationale aux allures de crise économique

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_Étienne ROUILLON

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argentine, slogans et drapeaux anarchistes à l’appui, a même été organisée sur les pavés de Second Life le 31 octobre dernier… Moins anecdotique mais plus discrète, la chute du pouvoir d’achat des joueurs inquiète les éditeurs. Le panel des consommateurs s’est ouvert avec les jeux et consoles familiales, la Wii en tête. Cet essor des casual game, les jeux très grand public, a dopé les ventes de ces deux dernières années. Un marché récent qui pourrait très bien s’effondrer, refroidi par la crise. Ces acheteurs nouveauxvenus ont des habitudes de consommation encore floues. Une méconnaissance du panel des joueurs entretenue par les associations de défense de consommateurs, qui avouent ne pas se pencher sur la question du prix des jeux. Le profil archétypal de l’ado acheteur compulsif a la dent dure, même s’il est obsolète : 28% des Français jouent régulièrement, et plus de 30% des joueurs sont… des joueuses. Ce changement de cible pour les éditeurs et distributeurs s’accompagne d’une forte communication sur les nouvelles sorties. Au printemps dernier, les murs du monde entier se sont couverts de réclames pour GTA IV et le Wii Fit. Selon une étude publiée par l’Agence Française pour le Jeu Vidéo, l’industrie vidéoludique consacre un tiers de son chiffre d’affaire global au développement et à l’édition, le reste étant dédié au marketing et à la vente. Si les jeux vidéo sont aussi chers, c’est paradoxalement parce que l’on a mis le prix pour être sur que vous ne passiez pas à côté... La popularisation du jeu vidéo n’est donc pas synonyme de démocratisation financière. En mettant le pied dans des logiques de masse, le jeu vidéo est devenu vulnérable aux aléas de la consommation. Le prix à payer est élevé : l’éditeur Electronic Arts vient d’annoncer la suppression de 500 à 600 emplois dans le monde.

TOMB RAIDER UNDERWORLD Paf ! Coups de tatanes sur le museau des tigres, galipettes dans les sites classés de l’Unesco : Lara Croft, la plus affriolante des baroudeuses, est de retour en pleines formes. Disponible : novembre Éditeur : Eidos Interactive // Plateforme : PC, PS3, X360, PS2, DS, Wii

PRINCE OF PERSIA POP ! Les initiales du prince de Perse feront à nouveau trembler de plaisir ses fidèles sujets gamers. Rupture graphique dans une continuité narrative, l’aristocrate acrobate a tout d’un roi. Disponible : décembre Éditeur : Ubisoft // Plateforme : X360, PS3, DS, PC

SHAUN WHITE SNOWBOARDING Puf ! Champion de la planche montagnarde, l’ultrabright Shaun glisse la manette dans vos mains. Remettez le bon pied aux fixations, avant de mouiller les chaussettes pour de bon. Disponible : décembre Éditeur : Ubisoft // Plateforme : PC, Wii, DS, X360, PSP, PS3, PS2

MIRROR’S EDGE Pof! Un jeu magnifique qui vous prend du haut des toits de la ville. Ce crapahutage yamakasiesque en vue subjective redonne ses lettres de noblesses au parcours urbain. Disponible : novembre Éditeur : Electronic Arts // Plateforme : PS3, X360, PC

TOM CLANCY’S ENDWAR Poum ! Des champignons atomiques poussent sur les Champs-Élysées, théâtre d’un conflit militaire. Doué d’une commande vocale, ce jeu pas chien obéit à la voix de son maître. Disponible : novembre Éditeur : Ubisoft // Plateforme : PS3, X360, DS, PSP _par E.R.

LE SITE www.2dboy.com Ce pourrait être un dessin animé onirique post-OPEP, réalisé par Tim Burton et mis en musique par Yann Tiersen. World of Goo reprend la recette de Lemmings, éprouvée par les joueurs puis émoussée par les ténors de l’industrie. Cet innocent retour aux sources est tendrement conduit par le duo américain 2D Boy, et remporte un succès unanime chez les professionnels et festivaliers du monde entier. Projet étudiant à l’origine, World of Goo mue pour le meilleur (disponible en téléchargement pour 15 €) et part pour détrôner Tetris. Les jeux vidéo, c’était mieux avant, c’est bien mieux maintenant.

_E.R.

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LA NUIT NOUS APPARTIENT James Gray La sortie de Two Lovers est l’occasion de se replonger dans les ténèbres de La Nuit nous appartient, précédent film du tandem James Gray / Joaquin Phoenix, autre chef-d’œuvre.

À

bien des égards, Two Lovers se présente comme une sorte de remake sentimental et a minima de La Nuit nous appartient, sorti il y a tout juste un an. Comme dans tous les films de James Gray, l’histoire est celle d’un fils qui rentre à la maison. Et, ici comme dans Two Lovers, le fils est pris dans les feux croisés d’un destin tracé pour lui par son père (le fatum est toujours familial, chez Gray) et de son désir d’échappée belle. New York, 1988 : Bobby Green (Joaquin Phoenix, magnifique) est le gérant d’un night-club en vogue de Brooklyn. Alors que son père et son frère, tous deux cadors de la police locale, enquêtent sur la mafia russe qui opère en sourdine dans les lieux, Bobby sera contraint de choisir son camp. Le titre est repris d’une devise de la police new-yorkaise (We Own the Night en VO). Sa réciproque pourrait résumer la noirceur sépulcrale du film, qui se déplie comme une coulée de glaise, une dérive aveugle dans des ténèbres sans fond, à l’image d’une séquence magistrale de poursuite sous la pluie confirmant James Gray en héritier prodige du Nouvel Hollywood. La Nuit nous appartient est son meilleur film. Comme tous les autres. _Jérôme MOMCILOVIC ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

QUAND LE CŒUR BALANCE L’indécision amoureuse est à l’honneur dans les salles avec les sorties conjointes de La Frontière de l’aube, Vicky Cristina Barcelona et Two Lovers. L’occasion de revenir sur ce thème prisé des réalisateurs du monde entier : La Femme est l’avenir de l’homme du Coréen Hong Sang-soo, La Fidélité d’Andrzej Zulawski, Les Chansons d’amour du Français Christophe Honoré ou Accident de l’Américain Joseph Losey... Arriverez-vous à faire un choix ?

HISTOIRE(S) D’AMÉRIQUE À la suite des récentes élections américaines, MK2 VOD vous propose de (re)voir certains films qui illustrent les moments marquants de l’histoire des États-Unis. De la ruée vers l’or (Buffalo Bill et les Indiens) au drame des tours jumelles (11’09’’11 September 11), en passant par la guerre de Sécession (Gangs of New York de Martin Scorsese) et celle du Vietnam (Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino), entrez dans l’Histoire ! 68 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_NOVEMBRE 08

Retrouvez actuellement plus de 900 films sur www.mk2vod.com.



SCIENCE-FICTION La chronique des objets de demain… L’eBook

Sans-papier Ce que vous tenez entre les mains va disparaître. Le FMI prévoit de réquisitionner tout support papier pour palier la demande de billets. Quand votre pécule s’imprimera sur PQ, vous pourrez compter sur le papier électronique pour lire les mauvaises nouvelles...

J

e dors très mal. La faute à mes petites économies imprimées sur du mauvais papier journal et bourrées consciencieusement dans mon matelas. Ça fait « kriss-kriss » quand on fait crac-crac avec ma top-model italienne. Tout a commencé quand notre prescripteur de tendance républicaine s’est fait banane ses coordonnées bancaires sur le Net. En pleine crise financière, c’est finaud. Tout le monde s’est précipité chez le cambiste pour récupérer ses billes, vite transformées en fraîche à froisser. Pénurie de papelard, personne ne pipe. Traversée du Luxembourg, le Reader eBook de Sony en main, pour aller télécharger un magazine au kiosque. Des promeneurs s’envoient des giroflées à cinq branches en se disputant les feuilles des arbres, prisées par les hygiénistes. On est tellement marrons pour s’essuyer aux gogues qu’on a ressorti les bidets. Devant le Sénat, un sans-papier fait office de guide touristique pour touristes étasuniens, en pleine béatitude socialiste face à une statue du petit qui perd son peuple. Un képi pointe le bout de son Taser, je tire le candidat à l’expulsion par la manche. Il me rassure : « T’en fais pas pour les cognes, y a plus rien pour imprimer les arrêtés de reconduite à la frontière. »

Dans la rame qui me conduit au boulot, un orchestre philarmonique fait la manche au grand complet. Gêné, je me concentre sur mon Reader et tombe sur une dépêche : « Scandale : DSK détourne un emballage Carambar pour faire passer un mot doux. » Terminus, je descends écrire mon papier.

_Étienne ROUILLON

POST-IT 299 €. C’est le prix du Sony Reader eBook. Un investissement élevé pour les Américains frappés par la crise des subprimes. Ah bah non… chez eux, c’est 299 $ (240 €), le monde est bien fait. 250 grammes. Ce Reader est bien léger. Pour faire avouer un vol d’identifiant bancaire, on préfèrera le traditionnel bottin, cinq fois plus lourd. 39. Le nombre de James Bond Girls, pour seulement sept James Bond, soit une moyenne de 5,14 belettes. Mesdames, si vous voulez postuler, il vous faudra « savoir faire la sauce béarnaise aussi bien que l’amour », dixit le gourmand Ian Fleming dans Les Diamants sont éternels.

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Illustration : Thomas DAPON

Un ciné pour le moral, payé par billet électronique via mon eBook. L’ouvreuse se mouche dans ses doigts : « Le dernier James Bond, c’est salle 2. » 007 prend l’horizontale avec sa patronne, M, faute de mieux. C’est la crise : pas de pépètes, pas de pépées.




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