Trois Couleurs #69 – Mars 2009

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CINÉMA I CULTURE I TECHNOLOGIE

NUMÉRO 69 I MARS 09

SA MAJESTÉ YOLANDE DONNE SA LANGUE AU «CHAT BOTTÉ»





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CINÉMA 6_ 15_

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Tendances, Ciné fils, Regards croisés, Scène culte DOSSIER CINÉMA ASIATIQUE Le cinéma asiatique face à la notion d’autorité ; Entretien avec Kiyoshi Kurosawa ; Critiques de Tokyo Sonata, Les Trois Royaumes, 24 City, The Chaser, Ponyo sur la falaise EN COUVERTURE : La Véritable Histoire du chat botté Entretien avec Pascal Hérold, Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff ; Portrait de Yolande Moreau La Fille du RER : Entretien avec André Téchiné Critiques de Chéri, Une Famille brésilienne Wendy et Lucy : Portrait de Michelle Williams ; Critique du film LE GUIDE des sorties en salles

CULTURE 54_ 56_ 58_ 60_

DVD : Nagisha Oshima, trublion nippon LIVRES : Antoine Bello, falsificateur éclairant MUSIQUE : Le hip-hop chronophile d’Oxmo Puccino ART : Shilpa Gupta au Laboratoire

TECHNOLOGIE 62_ 64_ 66_

RÉSEAUX : Plongée dans les égouts du web JEUX VIDÉO : Addictions, fantasmes et réalité SCIENCE-FICTION : Le Solex 2.0

ÉDITO + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + ++ + + + + + + + + + +

SOMMAIRE # 69

MARÉE HAUTE Il faudrait revoir Quand la mer monte (2004), le premier film de Yolande Moreau en tant que (co)réalisatrice. Le début du film, surtout. Un air d’opéra. Les mains de Yolande, peinturlurées de rouge, agrippant un revolver, puis un masque, avant d’entrer sur scène et de mettre le public dans sa poche. Les récompenses, les Césars, les grands rôles à venir (la peintre de Séraphine, la justicière de Louise-Michel) y sont comme anticipés ; préfigurée aussi, son apparition souveraine dans le Chat botté – suprématie du comique quand il souligne, sans forcer, avec la grâce des faux naïfs, la précarité des pouvoirs que l’on dit absolus. Autorité branlante que radiographie, de même, une nouvelle génération d’auteurs asiatiques, auxquels nous consacrons un épais dossier central. Famille, entreprise, usine, police, empire, écosystème : de Tokyo Sonata aux Trois Royaumes, de The Chaser à 24 City, les équilibres qui structurent les sociétés coréennes, chinoises ou japonaises sont subtilement questionnés. Le plus beau de ces films ? Ponyo sur la falaise. L’histoire d’une vague – amoureuse, cosmique, opératique. Quand la mer monte, le cinéma suit. _Auréliano TONET

ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA / 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS / 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION > Elisha KARMITZ I DIRECTEUR DE LA RÉDACTION > Elisha KARMITZ elisha.karmitz@mk2.com I RÉDACTEUR EN CHEF > Auréliano TONET aureliano.tonet@mk2.com / troiscouleurs@mk2.com RESPONSABLE CINÉMA > Sandrine MARQUES sandrine.marques@mk2.com I RESPONSABLE CULTURE > Auréliano TONET I RESPONSABLE TECHNOLOGIE > Étienne ROUILLON etienne.rouillon@mk2.com I STAGIAIRES > Juliette REITZER, Raphaëlle SIMON, Victoire SOULEZ I ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : Claire BASTIN, Isabelle DANEL, Pascale DULON, Clémentine GALLOT, Donald JAMES, Titiou LECOQ, Sophie QUETTEVILLE, Bernard QUIRINY, Max TESSIER, Antoine THIRION, Anne-Lou VICENTE I ILLUSTRATIONS > Thomas DAPON, DUPUY-BERBERIAN, Fabrice MONTIGNIER DIRECTRICE ARTISTIQUE > Marion DOREL marion.dorel@mk2.com I IMPRESSION / PHOTOGRAVURE > FOT PHOTOGRAPHIES > DR, MARC DOMAGE, RAPHAËL DUROY, CATHERINE HÉLIE / GALLIMARD PUBLICITÉ > RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA > Laure-Aphiba KANGHA / 01 44 67 30 13 laure-aphiba.kangha@mk2.com DIRECTEUR DE CLIENTÈLE HORS CAPTIF > Daniel DEFAUCHEUX / 01 44 67 32 60 daniel.defaucheux@mk2.com © 2009 TROIS COULEURS // issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. // Tirage : 200 000 exemplaires // Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique.


Cera fin

Dans la pépinière Judd Apatow, on demande le petit dernier : nouveau king of comedy sensible et décalé, Michael Cera est à l’affiche ce moisci d’Une Nuit à New York. On est toujours plus que la somme de ses rôles : Michael Cera, 20 ans, l’a bien compris. Issu de l’écurie Judd Apatow, dont les productions ne cessent de renouveler la comédie ado hollywoodienne, il en est le visage innocent, complice à la voix de fausset des poupins Seth Rogen et Jonah Hill. Ensemble, ils réinventent le programme de cette nouvelle scène comique, potache et déconnante, comme avaient pu le faire les comédies alternatives de John Hughes il y a vingt ans. Ses rôles cultes de lycéen loseur dans la famille perturbée d’Arrested Development (série bientôt sur grand écran), dans Supergrave, et en géniteur accidentel dans Juno composent des variations autour d’une même figure : le puceau godiche et gringalet, l’andouille mélancolique. On a suffisamment glosé sur l’énergie créatrice mise en branle par Apatow : de son côté, Cera, ancien enfant-acteur solitaire, accompagne depuis ses débuts cette vague transformatrice. Fan de Bill Murray, l’outsider canadien a récemment créé avec un copain une mini-série sur le web, Clark and Michael, et devrait bientôt camper un homme de Cro-Magnon avec Jack Black dans Year One. Une Nuit à New York, quête musicale et amoureuse dans la Grosse Pomme, voit émerger, sous le garçon sensible, un acteur singulier. S’extirpant de l’enfance, donc des rôles d’adolescent empoté et bienveillant, il est au diapason de cet éloge léger de l’insouciance, dont il tire sa vitalité et sa grâce. _Clémentine GALLOT

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TENDANCES

CALÉ

DÉCALÉ

RECALÉ

Les chats

Les chiens

Les loups

Touffus tout flamme, les minous griffent l’actualité culturelle, du ciné (Le Chat botté, Un Chat un chat) à la BD (Sacha), en passant le web (la vogue des lolcats) ou la chanson (Chat). Bref, un printemps au poil. Miaou ! 6 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MARS 09

Jadis cantonnés à une niche de fidèles, les films canins truffent désormais les salles obscures, de Wendy et Lucy au Chihuahua de Beverly Hills, de Palace pour chien à Marley et moi. On s’en lèche les bobines !

Certains hommes sont des loups pour l’âme. Pointant le bout de leur museau après une éclipse médiatique, les effrayants Garou, Laurent Wolf et Nicolas Canteloup nous hérissent plus que jamais le pelage. Au secours !



Griffes d’auteur

Pas cabots, chiens et chats tiennent le haut de l’affiche au cinéma. Retour sur quelques films qui ne manquent pas de mordant… « Le chien est une machine à aimer avec effet d’entraînement », écrit Michel Houellebecq dans La Possibilité d’une île, roman qu’il a porté à l’écran l’été dernier. Si le héros cloné voit dans son compagnon Fox l’amour inconditionnel, d’autres leur réservent un chien de leur chienne. Dans Gozu, un yakusa paranoïaque atomise les chihuahuas qu’il soupçonne de conspiration. Dans Fenêtre sur cour, un assassin liquide le chien de ses voisins, sur le point de le démasquer. Moins canaille, un tueur de vieille dame contrarié cause la mort violente de ses bichons dans Un Poisson nommé Wanda. Grrr... De quoi devenir enragé, comme le malfaisant bull-terrier Baxter qui sème la mort autour de lui, ou le White Dog de Fuller, dressé pour tuer les Noirs. Éternel chien dans un jeu de quilles, M. Hulot est poursuivi par une horde de cadors (Les Vacances de M. Hulot), à l’instar d’un ancien soldat israélien dans ses rêves (Valse avec Bachir). D’autres périssent déchiquetés sous leurs crocs (Les Chasses du Comte Zaroff, Election 2). Pas très poilant. Nombre de toutous perdus sans collier (Wendy et Lucy, Une Vie de chien) nous ont fait pleurer. Mais il faudrait être une truffe pour ne pas s’esclaffer devant Didier, où Chabat se transforme en clebs lubrique. « Chat-bite ! » miaulerait le débridé Fritz the Cat. Comme chiens et chats, Signoret tue par jalousie le mâtin matou de son mari (Un Chat). La sexy Catwoman (Batman 2) les venge. Simone Simon, elle, est une vraie panthère (La Féline). Tout comme Elizabeth Taylor, qui ne manque pas de chien (La Chatte sur un toit brûlant). Fétiche de l’infâme Dr No (James Bond contre Dr No), un minet joue les pachas. D’autres, capricieux, se font désirer pour boire leur lait devant la caméra (La Nuit américaine). Rusés (Le Chat botté, Shrek), maléfiques (Le Chat noir), abandonnés (Diamants sur canapé) ou perdus (Chacun cherche son chat) : qui a dit qu’au cinéma, les chiens ne faisaient pas des chats ? _Sandrine MARQUES

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CINÉ FILS

La bande originale

MORIARTY « La Véritable Histoire du chat botté » (Naïve)

On les sifflote sous la douche sans les connaître : des comptines apprises en maternelle, des tubes d’opéra de quat’sous, des rengaines entreentendues dans un film oublié. C’est une vraie compile des hits de l’inconscient collectif qui accompagne l’adaptation ciné du non moins méconnu conte de Perrault. De Bizet au Beau Danube Bleu, du folklore d’Henri VIII à l’Ave Maria, ces pépites sont passées au tamis countryfolk du quintet Moriarty, sous la direction musicale de Juliette Deschamps, ingénieuse ingénue. _E.R.

Le ciné livre

RENÉ PRÉDAL « Le cinéma à l’heure des petites caméras » (Klincksieck)

« Qu’est ce que le cinéma numérique ? » Voici la première des 50 questions auxquelles répond l’auteur, avec pédagogie et précision. Partant de définitions indispensables (DV, HD, montage virtuel, images de synthèse…), il dresse un état des lieux passionnant : du cinéma d’auteur au documentaire, d’Abbas Kiarostami à Lars Von Trier, quels sont les enjeux esthétiques, techniques et économiques de ce «cinéma du XXIème siècle» ? Si la question d’un avenir du «tout numérique» divise, il s’agit bel et bien d’une vraie révolution.

_J.R.



REGARDS CROISÉS

Mastroianni vs Bruni

Illustration : Fabrice MONTIGNIER

L’une est « fille de », l’autre « sœur de »... Si elles ne peuvent escamoter leur noble héritage familial, Chiara Mastroianni et Valeria Bruni-Tedeschi n’en sont pas moins devenues deux égéries du cinéma d’auteur français, sans passe-droit, ni guillemets.

D

ans Il est plus facile pour un chameau, sa première réalisation, Valeria Bruni-Tedeschi confesse avec ironie sa culpabilité d’être issue d’une riche famille turinoise. Qui mieux que Chiara Mastroianni pouvait interpréter le rôle de sa sœur ? Noblesse oblige, les deux jeunes filles sont formées à l’école des grands maîtres. Chiara suit les traces familiales et donne la réplique à sa mère, Catherine Deneuve, dans Ma Saison préférée de Téchiné, puis à son père Marcello dans Trois Vies et une seule mort de Raoul Ruiz. Valeria fait ses premiers pas au théâtre et au cinéma avec Patrice Chéreau, son « papa de travail ». L’émotivité toute particulière des deux actrices les propulse rapidement dans le jeune clan du cinéma d’auteur français : Lvovsky ou Ozon pour Valeria, Honoré ou Desplechin pour Chiara. Une intériorité qui est précisément l’essence de ce cinéma, névrotique et bavard, où les (anti)héros existent par et pour leurs failles.

Chiara campe des rôles audacieux, comme dans Un Chat un chat, le dernier film de Sophie Fillières, où elle incarne une romancière délurée à court d’inspiration. De film en film, elle dégage cependant une aura plus lunaire et introvertie, née du croisement de la froideur de sa mère et de la ressemblance physique avec son père, qui lui donnerait presque des airs de fantôme. Oliveira en fait d’ailleurs une princesse de Clèves moderne dans La Lettre. Valeria irradie au contraire par sa sensibilité à fleur de peau, ses crises de rires et de larmes toujours confondantes de réalisme. Ce tempérament lui vaut des personnages empreints de folie douce ou amère dans Les Gens normaux n’ont rien d’extraordinaire de Barbosa, dans ses propres films et bientôt dans Les Regrets de Cédric Kahn, où elle joue une fois encore une amoureuse fragile. Fortes de leur héritage, les deux Franco-Italiennes n’ont pas volé leur place de choix dans la cour royale du cinéma français. _Raphaëlle SIMON

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SCÈNE CULTE Princesse Mononoké

Esprit, es-tu là ? LA PETITE HISTOIRE : Le projet original de Mononoke-Hime date de la fin des années 1970 : Hayao Miyazaki avait imaginé l’histoire d’une princesse vivant avec une bête sauvage, inspirée du conte occidental La Belle et la bête. Mais le sujet, jugé sombre et coûteux, est abandonné. Quand Miyazaki y revient en 1994, Disney a déjà sorti sa Belle et la bête. Il modifie donc l’histoire et dessine à la main la moitié des 1600 plans du film. Un travail laborieux qui le pousse à annoncer Princesse Mononoké comme son dernier long métrage… Il a depuis réalisé Le Voyage de Chihiro, Le Château ambulant et Ponyo sur la falaise, en salles le 8 avril.

LE PITCH : Ashitaka, futur roi de la tribu des Emishi, tue un démon qui menaçait son village. Il est dès lors frappé par une malédiction mortelle et part à la recherche de l’Esprit de la forêt, seul à pouvoir le sauver. Il croise sur sa route San, jeune fille sauvage élevée par une louve. Un soir, San tente de tuer une souveraine locale dont les actions menacent l’équilibre de la forêt. Mais Ashitaka l’en empêche et se retrouve blessé. San l’emmène dans la forêt où il s’écroule, à demi mort.

[Ashitaka, couché sur le sol, reçoit une pierre lancée par un groupe d’orangs-outans, perchés sur un rocher.] SAN : La tribu des orangs-outans… LE LOUP, FRÈRE DE SAN : Insolents, qui vous rend ainsi hardis de troubler notre paix ? LES SINGES [avec des voix d’outre-tombe] : Forêt à nous. Donnez-nous humain. Donnez-nous humain et partez.

comme les sages de la forêt, qu’est ce qui vous prend de vouloir manger les humains ? LES SINGES : En mangeant humain, on reçoit force. Avec force, on peut chasser autres humains. Donnez-nous humain. SAN : Imbéciles ! Si vous mangez leur chair, vous ne possèderez pas la force des humains ! Vous serez transformés en une chose terrible, plus terrible encore qu’un humain ! LES SINGES : Nous plantons arbres, humains arrachent. Nous replantons, ils arrachent. Forêt ne pousse plus. En tuant humains nous sauverons forêt. SAN : Ne perdez pas espoir, continuez à planter ! L’esprit de la forêt nous protège. Nous combattons à vos côtés et nous vaincrons ensemble.

LE LOUP : Disparaissez, ou vous goûterez de mes crocs !

LES SINGES : Esprit forêt nous abandonne, nous allons tous mourir. Fille-louve s’en moque, fille-louve humaine.

LES SINGES : Nous mangeons humain, nous mangeons humain, oui donnez-nous humain à manger. Donnez-nous humain à manger. SAN : Quelle est cette folie ? Vous que tous considèrent

LE LOUP : Assez d’insolence orang-outan, ou je te brise l’échine ! [Poursuivis par les loups, les orangs-outans se dispersent et disparaissent dans la nuit.]

Princesse Mononoké (Mononoke-Hime), un film écrit et réalisé par Hayao Miyazaki (1997, DVD disponible chez Buena Vista). 12 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MARS 09




ASIE MUTÉE

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Cela faisait depuis le tsunami des années 2000 / 2001 (Yi Yi, In The Mood For Love…) que les écrans français n’avaient pas accueilli un tel tir groupé de grands films asiatiques. Japonais (Tokyo Sonata, Ponyo sur la falaise), coréens (The Chaser) ou chinois (Les Trois Royaumes, 24 City), une nouvelle génération d’auteurs dynamite un modèle sociétal séculaire. Faillite de l’autorité patriarcale, policière ou politique, dislocation de la classe ouvrière, spectre de l’apocalypse écologique : les cinéastes dressent le panorama d’une Asie en pleine mutation. Dossier.


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ANALYSE

AUTORITÉS FANTÔMES La sortie du très beau Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa invite à voir, dans le cinéma japonais et asiatique en général, combien y sont centrales et polymorphes les figures d’autorité. Filmographie sélective. éputé pour la douceur de ses films de fantômes (Kaïro, Séance, Rétribution...), Kiyoshi Kurosawa sort aujourd’hui Tokyo Sonata, un film de famille terrifiant. L’histoire d’un homme obligé de fréquenter l’ANPE et la soupe populaire, tout en se comportant à la maison comme si son licenciement n’avait pas eu lieu, continuant d’enfiler chaque matin son costume de cadre d’entreprise. Les histoires, aussi, de sa femme et de ses deux fils : l’aîné s’engage dans l’armée américaine, le cadet utilise l’argent de la cantine pour prendre des leçons de piano, l’épouse délaissée s’échappe avec un autre homme. Cette musique, faussement harmonieuse lorsqu’elle est jouée en chambre, éclate dehors en autant de solos qu’il y a de membres dans la famille. C’est à l’école que le cadet fait l’expérience de cet éclatement dissimulé par le père. Devant le professeur qui tente publiquement de le punir pour une faute qu’il n’a pas commise, Kenji rétorque qu’il l’a vu, le matin même dans le métro, feuilletant un manga porno, sapant son autorité. Kenji vient plus tard s’excuser mais n’obtient pour toute réponse qu’une indifférence suprême. Loin des arènes verbales occidentales, d’Entre les murs aux films d’école américains, c’est cette idée terrible de devoir dresser un mur invisible entre deux personnes partageant un même espace, classe ou salon, qui semble inciter l’adolescent à apprendre le piano, dans l’espoir que des espaces cloisonnés puissent un jour être unifiés par la suprématie d’une musique – autorité juste et magnanime de l’art.

peuvent aussi bien virer au fantastique qu’au réalisme : elles concernent directement la mise en scène et la manière dont des individus vivent, s’approprient, découpent un même espace en zones de visibilité et d’invisibilité. Que celui-ci soit partagé par deux personnes qui ne peuvent pas se voir, ce peut être aussi bien un vivant effrayé par la présence d’un fantôme qu’un garçon en révolte contre son père, une femme réalisant que son époux lui est devenu inconnu, le secret, le mensonge et la honte érigés en seul sédiments de la famille. Aucun cinéma n’est parvenu à lier aussi parfaitement que le japonais la réalité de l’absence et le fantastique de la présence, à faire sentir par un courant d’air, un bruissement de feuilles, des mouvements alanguis ou un regard vide l’apparition d’un fantôme comme l’inéluctabilité d’un divorce. Pas étonnant que la plupart des succès du cinéma d’horreur des années 1990-2000 prennent comme point de départ un drame familial ou domestique : des noyades d’enfants dans Ring et Dark Water de Hideo Nakata (et jusqu’au Pensionnat thaïlandais de Songyos Sugmakanan en 2007), l’enfant du placard de Ju-On de Takashi Shimizu, disparu après le meurtre de sa mère par son père, sont là pour témoigner que le drame familial et le film d’horreur naissent d’un même sentiment. Dans chacun de ces films, des cheveux tapissent les murs et les plafonds, des fantômes attendent qu’une porte coulisse pour apparaître et témoigner de l’abus d’autorité qui a provoqué leur mort.

C’est un air apparemment doux mais terrible, en vérité, que le cinéma japonais siffle sous le quotidien des fictions familiales. On voit bien comment de telles préoccupations

Dans Tokyo Sonata, il n’y a qu’un pas entre le licenciement du père, la disparition de son autorité, et l’éclatement de la famille. C’était le même trajet que suivait le personnage

R

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Extraits de The President’s Last Bang (en haut et à droite), Memories of Murder (au centre) et Blood & Bones (à gauche).

principal des Contes de la lune vague après la pluie (1953) de Kenji Mizoguchi, où un potier ivre d’ambitions rentrait chez lui les bras ballants pour n’y retrouver que les spectres de sa femme et de son enfant lui reprochant de les avoir abandonnés. En passant d’histoires de fantômes à celle d’une famille, Kiyoshi Kurosawa ne peut pas ne pas avoir pensé à Ozu, dont l’œuvre, d’abord nourrie d’une fascination américaine, s’est peu à peu resserrée autour de l'effilochage des liens traditionnels entre parents et enfants. La dernière partie de son œuvre, avec notamment Le Goût du saké en 1962, traite des rapports entre un père vieillissant, en passe de perdre sa position d’influence, et sa fille en âge de se marier. Ozu, matrice d’un cinéma japonais parlant de solitude, d’atomisation sociale et d’incommunicabilité – lieu commun

monde, dans le Kaïro du même Kurosawa ou chez Shinji Aoyama, avec Eureka ou Eli Eli Lama Sabachtani. Cette conscience d’arriver après le désastre s’inscrit largement dans le cinéma asiatique, dans tous les genres, du drame familial à la science-fiction, en passant par le documentaire. Ce peut être le souvenir des guerres et de l’explosion atomique, mais aussi une mort ou un licenciement dans la famille. De fait, du Japon à la Corée du Sud, les cinéastes reconnaissent volontiers leurs pères comme des monstres. Dans The President’s Last Bang, Im Sang-soo représente comme une farce les derniers jours de la vie du dictateur Park Chung-hee. The Chaser qui sort ce mois-ci, aussi bien que Memories of Murder de Bong Joon-ho, adoucissent leurs personnages de serial killer en noircissant les traits du

« DES FANTÔMES ATTENDENT QU’UNE PORTE COULISSE POUR TÉMOIGNER DE L’ABUS D’AUTORITÉ QUI A PROVOQUÉ LEUR MORT. » dont Still Walking de Hirokazu Kore-Eda (auteur de Nobody Knows) fournira le 22 avril un autre exemple, en suivant la réunion d’une famille dans le souvenir tragique de la mort d’un frère. Tous ces films ont en commun la conscience d’arriver à la fin, après, alors qu’il faut reconstruire. Regarder froidement, lucidement le désastre est une chose dans laquelle le cinéma japonais excelle, d’Ozu à Mikio Naruse, du Goût du saké au Repas ou au Grondement de la montagne. Les générations récentes brossent un portrait volontiers apocalyptique du

pouvoir politique qui se cache derrière elles. Dans le violent Blood & Bones de Yoichi Sai, enfin, Takeshi Kitano incarne un usurier terrifiant un quartier entier : en filigrane, le comédien figure la monstruosité absolue d’un père que les jeunes générations doivent pour toujours abattre. _Antoine THIRION The President’s Last Bang, disponible en DVD chez Potemkine le 21 avril.

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TOKYO SONATA

KUROSAWA

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LE MAESTRO En vingt ans de carrière, le cinéaste phare de la nouvelle génération japonaise Kiyoshi Kurosawa a étoffé sa partition. Romans pornographiques, polars ou films de fantômes rythment sa filmographie. Avec le magnifique Tokyo Sonata, il signe son premier drame familial. Rencontre. ous vous êtes essayé à différents genres cinématographiques, tout au long de votre prolifique carrière. Dans quel registre êtesvous le plus à l’aise ? Difficile de dire quel registre je préfère le plus. Ce qui m’intéresse, c’est d’explorer tous les genres cinématographiques. Il y en a encore que je n’ai pas abordés et mon idéal serait de tous les embrasser. Je vais donc continuer tant que je ne les aurais pas tous essayés.

V

Comment définiriez-vous Tokyo Sonata ? Mon dernier film appartient à un genre très prisé du public japonais, que l’on voit aussi bien au cinéma qu’à la télévision : le « home drama ». Tokyo Sonata n’est pas un film sur la famille, c’est un film sur le foyer. C’est un genre précis où vous voyez les membres d’une même famille manger ensemble.

de la famille soient traités à égalité. C’était une façon pour moi d’introduire le monde extérieur au sein de cet univers clos qu’est le foyer et de réaliser un « home drama » à ma manière. Dans Cure, vous dynamitiez le modèle sociétal japonais. Vouliez-vous de nouveau le stigmatiser dans Tokyo Sonata ? C’est vrai, mais je n’avais pas conscience d’un lien particulier avec Cure. Dans tous mes films, il y a, au début, un univers assez bien agencé dans lequel la position de chacun est définie. Et puis, en cours de récit, tout vole en éclats. Là, c’est la même chose. On s’échappe de cet univers familial pour construire quelque chose de nouveau. En revanche, je voulais apporter une touche d’espoir avec ce film-là. À la fin, la famille divisée est réunie et tous les éléments réconciliés.

« AU JAPON, L’AUTORITÉ PATERNELLE N’EXISTE PLUS, ELLE N’EST QU’UNE FAÇADE. » Pourquoi souhaitiez-vous peindre cette petite cellule qu’est le foyer à ce moment de votre carrière ? J’en avais un peu assez car j’avais enchaîné plusieurs films de fantômes à la suite. Je voulais faire quelque chose de diamétralement opposé. Quand mon producteur m’a proposé l’histoire de cette famille, j’ai été immédiatement séduit car il n’y a rien de plus éloigné des films d’horreur. J’ai modifié le scénario initial qui tournait essentiellement autour du personnage du père, afin que les quatre membres

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Est-ce un sujet tabou au Japon de remettre en cause l’autorité du chef de famille comme c’est le cas dans le film ? Non. Tout le monde sait au Japon que l’autorité paternelle n’existe plus en réalité, qu’elle n’est qu’une façade. Simplement, on ne sait plus par quoi la remplacer. Donc, on continue à maintenir cette apparence et à la préserver. Autour de quoi organiser la nouvelle famille ? C’est un des sujets les plus importants du jour au Japon.

RETROUVEZ L’INTERVIEW FILMÉE DE KIYOSHI KUROSAWA SUR WWW.MK2.COM


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INTERVIEW

Extraits de Tokyo Sonata (en haut), Cure (en bas).

Dans votre film, le fils aîné s’engage dans l’armée américaine pour échapper au cadre rigide de sa famille. Est-ce que le modèle américain fascine la jeunesse nipponne ? Je tiens tout de suite à vous détromper et à m’excuser si je vous ai abusée, mais il est impossible à un Japonais de s’engager dans l’armée américaine. Actuellement, l’armée japonaise n’a pas le droit de s’engager dans des opérations extérieures au pays et à faire la guerre. C’est de la fiction. Mais dans la réalité, de nombreux jeunes japonais souhaiteraient, par désœuvrement, s’enrôler dans l’armée américaine, pour aller sur un champ de bataille. Cela traduit chez eux un malaise profond. Le personnage du fils aîné m’intéresse beaucoup. Il s’engage non par ennui, mais pour aller voir ailleurs et se confronter à la réalité de la guerre décrite dans les journaux. Il découvre qu’elle est atroce. C’est à la fois pitoyable et drôle.

d’entre eux était parti de son côté, pour renaître à un autre monde. Mais malgré ce retour au sein du foyer, ils sont régénérés. C’était bien mon ambition, en tout cas, de filmer une catharsis. Elle s’est appliquée à moi. Votre film s’achève sur l’interprétation au piano de Clair de Lune de Debussy par le jeune prodige de la famille. Est-ce que ce final émotionnel révèle la structure secrète de Tokyo Sonata ? Au début, j’ai choisi ce morceau parce que je le trouvais très beau. Après, je me suis renseigné, n’étant pas du tout un spécialiste de musique, et l’on m’a appris que ce morceau comportait des accords qui n’étaient pas du tout classiques. Ces dissonances étaient compliquées à jouer pour un enfant. Il faut avoir un cœur d’adulte et de l’expérience pour pouvoir bien l’interpréter. Ce qui est le cas de mon jeune

« DANS TOUS MES FILMS, L’UNIVERS BIEN AGENCÉ DU DÉBUT VOLE EN ÉCLATS AU COURS DU RÉCIT. » Le temps d’une nuit où leur univers bascule, vos protagonistes se transforment. Cette catharsis fictive est-elle aussi la vôtre ? Oui, ce film est très clairement une catharsis pour moi. J’ai été surpris par l’écart entre le point de départ du film et son arrivée. En revanche, est-ce que c’en est vraiment une pour mes personnages, dans la mesure où ils reviennent dans la maison ? Cela aurait été plus simple de l’affirmer si chacun

acteur, Kai Inowaki. Une sonate comporte trois ou quatre mouvements. Cela correspond à mes quatre personnages, mais aussi à quatre rythmes différents pouvant fonctionner de manière autonome : l’allegro, l’andante, le scherzo (ce qui dans le film coïncide avec l’arrivée du cambrioleur) et le final. L’ensemble forme la sonate. Cette structure était parfaite pour mon film à quatre rythmes. _Propos recueillis par Sandrine MARQUES

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TOKYO SONATA

RÉACCORDÉS Il nous avait récemment habitués à des films d’horreur, Kiyoshi Kurosawa revient avec une chronique intimiste. À travers l’histoire d’une famille déstabilisée, Tokyo Sonata accorde ses mouvements à ceux d’un Japon déliquescent. Chef-d’œuvre. inéaste du dérèglement, Kiyoshi Kurosawa aime brouiller les pistes. On le croyait fidèle aux films de fantômes (Kairo, Retribution), il prend tout le monde de court avec ce long métrage aux allures de classique, dont la composition virtuose évoque celle d’un concerto pour musique de chambre. Une famille ordinaire rencontre une série d’épreuves. Cadre dans une importante firme, le père est licencié du jour au lendemain et le cache aux siens. En quête de repères, le fils aîné s’engage dans l’armée américaine. Quant au cadet introverti, il se révèle un pianiste prodige. Mais pour préserver son autorité vacillante, le patriarche s’oppose à l’épanouissement de son talent. Lassée par la vie domestique, la mère assiste, impuissante, au délitement du foyer. Une nuit, le destin des différents membres de la famille divisée bascule. Chacun en sortira grandi et réconcilié. Quatre personnages pour un film en quatre mouvements : Kiyoshi Kurosawa a construit son récit sur la structure musicale d’une sonate. Dans ce «home drama» qui fait écho à l’univers et à l’esthétique d’Ozu, chacun des membres de la famille interprète sa partition. Mais pour que l’harmonie surgisse de l’ensemble, il leur faut endurer une suite de revers cathartiques. L’irruption d’un cambrioleur (interprété par l’excellent Koji Yakusho, acteur fétiche de Kurosawa) contribue à détraquer le quotidien de la famille. L’occasion pour le réalisateur de convoquer une réalité politique et sociétale où la quête identitaire prédomine, comme dans ses films précédents. S’interrogeant sur la disparition du modèle patriarcal, il signe une œuvre d’une beauté et d’une élégance stupéfiantes. Quand le jeune fils interprète Debussy au piano devant un parterre médusé par son génie, Kurosawa apporte la note finale apaisée à ce qui forme d’ores et déjà dans sa filmographie sa pièce maîtresse.

C

_S.M.

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............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour la séquence nocturne, au bord de la mer, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ à l’atmosphère fantastique. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour les employés de bureau que Kurosawa ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ filme comme des fantômes en plein jour. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour Teruyuki Kagawa qui campe, non sans risques, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ un père pathétique. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................



LES 3 ROYAUMES

ÂGE D’OR À 62 ans, John Woo gagne haut la main un pari impossible : adapter un récit traditionnel chinois à la sauce hollywoodienne. Au confluent de l’Orient et de l’Occident, Les Trois Royaumes pourrait bien être la pierre philosophale d’un cinéaste alchimiste. i les films de John Woo étaient des livres, Les Trois Royaumes serait son précis d’alchimie militaire. Loin des scènes de gunfight de sa période hongkongaise, le réalisateur décortique la science guerrière avec brio – un art qui s’avère aussi poétique, rigoureux et réglementé que celui du thé. Woo semble ici avoir trouvé la formule idéale, mêlant comme autant de clins d’œil les éléments qui cohabitent dans toute son œuvre : esthétique stylisée et matérialiste (zooms avant, hémoglobine et ralentis), symbolique traditionnelle, faux-semblants… Pourtant, la tâche s’avérait ardue, qui prévoyait d’adapter à l’écran un épisode fondateur de l’histoire chinoise : au IIIème siècle de notre ère, la Chine est divisée en trois royaumes rivaux. L’ambitieux Cao Cao rêve de s’installer sur le trône d’un empire unifié, mais Zhuge Liang et Zhou Yu, résolus à ne pas se laisser envahir, concluent un pacte d’alliance et entrent en guerre. Avec sa caméra virtuose, capable de suivre un pigeon voyageur dans son vol, John Woo signe un blockbuster qui vaut son pesant d’or (80 millions de dollars!). Sa mise en scène se révèle aussi efficace dans les scènes d’action qu’elle l’est à restituer la finesse du cinéma asiatique traditionnel, notamment par la présence en filigrane des cinq éléments de la philosophie chinoise – métal, bois, eau, feu et terre – dont la maîtrise permet aux stratèges de mener à bien leurs attaques. Avec ce film en forme de synthèse de sa propre carrière, menée de Hong-Kong à Hollywood, Woo s’adresse avec la même intensité à tous ses publics, oriental ou occidental. Record absolu au box-office asiatique, où les spectateurs ont eu la chance de le découvrir dans sa version intégrale de quatre heures, Les Trois Royaumes pourrait bien être l’élixir de longue vie d’un réalisateur parvenu à maturation. Son grand œuvre.

S

_Juliette REITZER

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Pour l’ingéniosité des stratégies militaires des trois ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ batailles qui rythment le film. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour ses acteurs, le sublime Takeshi Kaneshiro côté ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ garçons, ou le mannequin Zhao Wei côté filles. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour les décors et costumes de Tim Yip, qui officiait ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ sur Tigre et dragon d’Ang Lee. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ UN FILM DE JOHN WOO ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ AVEC TONY LEUNG, TAKESHI KANESHIRO, ZHANG FENGYI… ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DISTRIBUTION : METROPOLITAN FILMEXPORT // CHINE, 2007, 2H25 ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ SORTIE LE 25 MARS ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................


24 CITY

PORTRAIT CHINOIS Dans 24 City, documentaire-fiction sur la reconversion d’une cité ouvrière, le réalisateur chinois Jia Zhangke dessine la mémoire de son pays en donnant la parole à ceux que l’on entend peu. Poétique et libérateur. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour la bande originale, qui mêle chants patriotiques, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ opéras traditionnels et musique moderne. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour les anecdotes qui parsèment le film, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ parfois amusantes, souvent émouvantes. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour la photographie magnifique de Yu Likwai ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ (le réalisateur de All Tomorrow’s Parties). ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ UN FILM DE JIA ZHANGKE ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ AVEC JOAN CHEN, LV LIPING, ZHAO TAO… ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DISTRIBUTION : AD VITAM // CHINE, 2008, 1H47 ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ SORTIE LE 18 MARS ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ RETROUVEZ L’INTERVIEW DE JIA ZHANGKE SUR WWW.MK2.COM

A

près deux documentaires (Dong, Useless) et une fiction (Still Life), Jia Zhangke complète son portrait d’une Chine en pleine mutation, en mêlant les deux approches. Dans 24 City, il croise sans distinction témoignages réels et fictifs, recueillis dans l’ancienne cité ouvrière d’armement de Chengdu, en passe de devenir un complexe immobilier. Trois femmes (dont la célèbre actrice Joan Chen) et cinq anciens ouvriers, issus de générations et milieux différents, font face à la caméra pour raconter leur expérience, douce ou amère, dans la cité. Le premier d’entre eux, la soixantaine, évoque avec nostalgie la vie communautaire et son accomplissement au sein de l’usine. Le poème « Dans la cité 24, les hibiscus fleurissaient, Chengdu resplendissait » prend alors son sens. A contrario, la dernière intervenante rêve d’acheter un appartement à ses parents, qu’elle a vus ravagés par le travail ouvrier. Jia Zhangke confronte subrepticement tous ces personnages à un portrait chinois : si la Chine était une chanson ? Un métier ? Une idéologie ? Chacun y va de son anecdote, entre histoire d’amour et de bagarre. Le résultat forme un cadavre exquis, qui témoigne de la schizophrénie sociale d’un pays en pleine crise identitaire. Dans le très beau Still Life, le cinéaste dénonçait la démolition de villages entiers suite à la construction d’un barrage dans la région des Trois Gorges. Ici, il filme également les ruines de la guerre entre socialisme paternaliste et capitalisme sauvage : si l’angle diffère, le propos reste le même. La photo est d’une grande force picturale, entre naturalisme (les plans fixes des visages) et impressionnisme (ceux de l’usine vide, parsemée d’énormes machines rouillées et inertes, de vitres brisées, de flaques immobiles, comme une salle de fête au petit matin). Avec ce nouveau tableau, d’un pinceau à la fois réaliste et métaphorique, Jia Zhangke continue de sauver de l’oubli une mémoire collective en lambeaux. _R.S

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THE CHASER

DÉMORALISÉ Premier film d’un jeune cinéaste arrivé directement en tête du box-office de son pays, The Chaser laisse efficacement paraître derrière les influences américaines de Fincher et de Scorsese une démoralisation typiquement coréenne. ifficile d’imaginer derrière ce thriller efficace, et les millions qu’il a généré au box-office coréen, un réalisateur si jeune, Na Hong-jin, qui avouait l’année dernière sur une jetée cannoise avoir encore à passer son diplôme. Demi-surprise si l’on connaît cependant la vigueur du cinéma coréen, sa capacité à enfanter des prodiges, et sa propension à rivaliser avec Hollywood – laquelle a déjà en chantier un remake du film avec Leonardo Di Caprio. Comme Memories of Murder (autre grand succès d’un autre prodige, Bong Joon-ho), The Chaser est une histoire de tueur en série héritant du cinéma américain post-Seven : un proxénète se met en chasse d’un homme séquestrant et assassinant ses prostituées. Comme dans Memories of Murder, cette histoire est contrariée par la lourdeur et l’incapacité de la police à s’organiser : le visage du tueur devient le miroir de l’incompétence et des fautes morales du héros, ce proxénète violent incapable de protéger ses filles, enregistré dans le portable de l’une de celles-ci sous le nom d’« Ordure ». Le cinéma coréen populaire n’est pas manichéen. Héros et ordure : le policier devenu proxénète de Na Jong-jin n’échappe pas à la confusion morale. Chaque film est une occasion de racheter cette monstruosité masculine dans laquelle les acteurs coréens rejoignent naturellement la brutalité des personnages de Scorsese. L’originalité de The Chaser tient à ce que tout y arrive d’emblée : meurtres, arrestation, aveux surviennent dans la première demi-heure. Le film ne commence véritablement qu’après ces coups de théâtre, lorsque « le chasseur », forcé de reconnaître qu’il a foiré et jeté ses filles dans la gueule du loup, doit se rattraper. Démoralisation typiquement nationale, particulièrement bien rendue par les décors du quartier de Mangwon, une colline peuplée, abrupte, noyée sous des torrents de pluie comme seul le cinéma coréen sait en inventer.

D

_An.Th.

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............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour l’efficacité du suspense et de l’action, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ typique du cinéma coréen. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour la brutalité scorsesienne de ses personnages. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour la singularité d’une histoire écrite à rebours, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ quand tout est déjà perdu. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ UN FILM DE NA HONG-JIN ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ AVEC KIM YOON-SEOK, HA JEONG-WOO, YEONG-HIE SEO... ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DISTRIBUTION : HAUT ET COURT // CORÉE DU SUD, 2007, 2H03 ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ SORTIE LE 18 MARS ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................



PONYO SUR LA FALAISE

SIRÈNE D’ALARME Le réalisateur de Porco Rosso nous avait habitués à des films aériens. Dans cette somptueuse fugue aquatique, Miyazaki relit le mythe d’Andersen avec des lunettes wagnériennes. Plongée dans l’univers du maître de l’animation japonaise.

H

ayao Miyazaki a l’œil. La pupille intriguée des enfants fiévreux qui voient notre monde sous des auspices dantesques. Le réalisateur japonais est un orfèvre qui dessine vos cauchemars pour n’en garder que la dimension épique. L’histoire de Ponyo, poisson rouge voulant devenir petite fille, est celle d’un tsunami. Au centre du film : une grande vague, animée par la faune sous-marine, engloutit un village côtier, dans un délire d’une dizaine de minutes à la beauté monstrueuse. Les films d’animation d’aujourd’hui serinent leur leitmotiv : « Un film pour les petits et les grands ». Depuis Le Roi et l’oiseau (1980), la maxime n’a jamais sonné aussi juste : ce dessin animé embarque les enfants et happe tout ce qui a plus de 12 ans. Comme dans le film de Grimault et Prévert, le conteur Andersen souffle l’intrigue. Ici, celle de la petite sirène : un petit poisson femelle, Ponyo, échappe à son père pour vivre auprès d’un garçon de cinq ans, Sosuke. Sauf qu’ici la fugue met en péril l’équilibre du monde émergé. Sauf qu’ici, avant d’avoir des jambes, Ponyo s’appelait Brünnhilde. Il y a peu de chances que votre fille de cinq ans vous tire par la manche : «Ah ouais... Brünnhilde, comme dans La Walkyrie de Wagner... ». Et pourtant, la Tétralogie du compositeur de L’Or du Rhin constitue la trame abyssale de ce film aux multiples niveaux de lecture. Il y avait deux Miyazaki. Le premier, auteur de Princesse Mononoké ou du Château dans le ciel, fasciné par le potentiel allégorique de la catastrophe atomique d’Hiroshima. Le second, réalisateur du Voyage de Chihiro, révélant les angoisses intimes des hommes, mais à hauteur d’enfant. Un duo associé dans Ponyo pour conter le quotidien de deux gamins qui vivent une aventure à leur mesure, en parallèle d’une apocalypse qu’ils entrevoient sans la comprendre. À la barre de cet esquif onirique, le timonier sexagénaire du studio Ghibli a toujours bon pied bon œil. _Étienne ROUILLON

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............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour l’audacieuse association du conte de la Petite ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Sirène au Crépuscule des dieux de Richard Wagner. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour sa remarquable animation aux tons pastels, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ entièrement réalisée à la main. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour la réhabilitation d’un jouet oublié : ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ le bateau « pop-pop ». ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ UN FILM D’HAYAO MIYAZAKI ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ANIMATION ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DISTRIBUTION : WALT DISNEY // JAPON, 2007, 1H55 ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ SORTIE LE 8 AVRIL ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................



............................................................................. ............................................................................. ............................................................................. ............................................................................. ............................................................................. ............................................................................. LA VÉRITABLE HISTOIRE DU CHAT BOTTÉ ............................................................................. ............................................................................. .............................................................................

ENTRE CHATS

..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... LA VÉRITABLE HISTOIRE DU CHAT BOTTÉ ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... UN FILM DE PASCAL HÉROLD, ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... JÉRÔME DESCHAMPS ET MACHA MAKEÏEFF ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... AVEC JÉRÔME DESCHAMPS, YOLANDE MOREAU... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... DISTRIBUTION : MK2 DIFFUSION ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... FRANCE, BELGIQUE, SUISSE, 2008, 1H20 ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... SORTIE LE 1 AVRIL ..................................................................... ..................................................................... .................................................................... ER

Les créateurs des Deschiens, Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps, se sont associés au réalisateur Pascal Hérold pour adapter à l’écran et en 3D Le Chat botté de Charles Perrault. Ils nous ont reçus dans leur atelier parisien pour nous conter la genèse de ce dessin animé tous publics. Une aventure familiale qu’ils vécurent heureux, en travaillant avec leurs enfants. l était une fois un film… Macha Makeïeff : Pascal est à l’origine du projet. C’est un grand marin, et cette fois il n’est pas parti en solitaire, il nous a invités à bord pour cette adaptation du conte de Perrault. On est montés à bord, et sont montées aussi d’autres personnes de la famille Deschamps : Arthur Deschamps qui interprète Petit Pierre, Louise Wallon qui joue la princesse et réalise les chorégraphies, Juliette Deschamps à la réalisation musicale. Pascal Hérold : En fait, j’ai été un prédateur de Deschamps. [rires] Je les ai enrôlés, l’un après l’autre.

Notre plaisir de la voir jouer le rôle a modifié l’histoire. On s’est dit : « On est fous de ne pas développer son personnage. » PH : Du coup, on a pris tous les dialogues du roi et on les a donnés à la reine. Comme on n’avait plus rien pour le roi, on l’a laissé ronfler. MM : Ce rêveur entretient cependant une relation extrêmement affectueuse avec la reine. Leur fille, la princesse Manon, est également hors normes. Elle investit sa vie avec la danse et la musique. Elle n’est pas éthérée, elle n’a pas de tendance anorexique. PH : Et elle n’est pas blonde ! [rires]

Pourquoi Le Chat botté ? PH : J’aime beaucoup ce conte, d’abord parce qu’il est un peu amoral : le héros raconte une baliverne pour que son copain puisse épouser la princesse. Mais il y a aussi un

Les chorégraphies sont, elles aussi, très naturelles et réalistes... PH : Louise Wallon nous a fait une surprise, un vrai cadeau. Juliette Deschamps avait choisi le titre I Feel Pretty pour la

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« IL FAUT POUVOIR TOUCHER LES ENFANTS ET LES ADULTES D’UN MÊME GESTE. L’ENFANCE, ON L’A TOUS EN NOUS. » JÉRÔME DESCHAMPS message beaucoup plus important : même si vous n’êtes pas le premier de la classe, vous avez une chance dans la vie. Je pense que c’est important aujourd’hui, en France, de dire ça aux enfants. Le personnage de la Reine, joué par Yolande Moreau, n’existe pas dans le conte de Perrault. Elle porte la culotte de ce couple royal atypique… Jérôme Deschamps : C’est la faute de Yolande! Elle a investi le personnage avec sa voix, sa gestuelle et son imaginaire.

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princesse, et bien sûr, elle en avait parlé à sa sœur, qui a répété en cachette. Louise nous l’a dansée et chantée en playback. On l’a filmée, et en seulement deux prises, on avait ce qu’on voulait. Les choses se sont faites avec beaucoup de générosité et de gentillesse. En cela, le travail en famille est imbattable. Macha, comment avez-vous pensé les costumes ? MM : C’est toujours agréable de travailler avec des acteurs que l’on connait. Ici, j’étais fascinée par la façon dont les


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© Agnès MAZEAU

ENTRETIEN

personnages prenaient vie, à partir des formes géométriques de la 3D. Mais c’est aussi une grande contrainte, parce que j’avais très peu de marge sur la forme des vêtements, pour des raisons techniques d’animation. En revanche, j’avais une grande liberté pour les matières, les couleurs ou les bruits que font les tissus en bougeant. JD : Ce qui est intéressant, c’est que cette technique 3D permet de fournir un travail artisanal, à partir d’échantillons de tissus, proche de ce que l’on fait au théâtre ou à l’opéra. Les animateurs ont travaillé avec ces échantillons, comme dans un atelier de couture. Une démarche artisanale que l’on retrouve dans l’architecture des décors… PH : Nous nous sommes beaucoup inspirés de Gaudi, cet architecte espagnol complètement fou : la couleur, la profusion,

JD : La musique, comme d’autres éléments du film, est venue comme une évidence. Juliette Deschamps a invité le groupe folk Moriarty à transposer des thèmes connus de l’Opéra, comme celui de la chevauchée des Walkyries de Richard Wagner. Je trouve ça très original et amusant. Vous mobilisez tout un pan de l’inconscient culturel collectif : les airs d’opéra, le conte lui-même, un bagage architectural et théâtral... Est-ce une gageure de synthétiser tout cela ? JD : Non, je n’ai pas eu cette impression. Le choix des éléments se fait d’abord à l’intuition. PH : Et d’ailleurs les enfants intègrent ça sans problème, ils sont d’une grande générosité, alors que les adultes se figent dans des schémas. Les enfants sont des consommateurs instinctifs de beauté.

« POUR LES DÉCORS, NOUS NOUS SOMMES BEAUCOUP INSPIRÉS DE GAUDI : LA COULEUR, LA PROFUSION, LES MATIÈRES. » PASCAL HÉROLD les matières. D’ailleurs, les textures de Gaudi sont très proches du travail de Macha sur les costumes. Gaudi et Macha, c’est vraiment l’harmonie idéale, ils étaient faits pour s’entendre. MM : On s’est raté malheureusement ! [rires] La musique de Moriarty a un rôle clé dans la narration du film… PH : La musique a été enregistrée avant les voix. Ce n’est pas une musique de fond. C’est un objet-fée qui a autant de valeur que les dialogues, comme les bottes du Chat.

Y-a-t-il une différence entre faire rire les enfants et faire rire les adultes ? JD : Je pense qu’il y a toujours des mécanismes de l’enfance dans le comique. Il y a très souvent l’idée que l’adulte est un grand enfant qui fait des bêtises, se prend les pieds dans le tapis ou se trompe de porte. Je déteste l’appellation « film pour enfant», qui sous-entend qu’on va emprunter un discours gnangnan approprié à cet âge. Il faut pouvoir toucher les enfants et les adultes d’un même geste. L’enfance, on l’a tous en nous. PH : Toi plus que la moyenne.

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Pour la diction antithétique de Yolande Moreau, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ reine au naturel merveilleux. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour la patte décalée des auteurs des Deschiens, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ posée sur ce chat qui nous botte. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour l’architecture meringuée du palais royal, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ qui fait tout le sucre de ce conte alléchant. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ MM : Le conte, c’est aussi l’idée de la transmission. Il y a une gravité dans le conte qu’il faut raconter à travers les générations. Vous avez également fait preuve d’imagination pour pallier les contraintes techniques… PH : On a essayé de penser un système beaucoup plus léger de façon à pouvoir faire des modifications le plus tard possible. Pour cela, nous avons choisi une technologie qui n’a encore jamais été employée. Elle consiste à utiliser des cartes graphiques, pour obtenir ce qu’on appelle un «rendu hardware» (rendu matériel), par opposition à «rendu software » (rendu logiciel). C’est très ambitieux de faire un film d’animation 3D, et c’est cette technologie nouvelle qui nous a permis d’y arriver.

Macha, vous êtes commissaire et scénographe de l’exposition consacrée à Jacques Tati à la Cinémathèque, à partir du 8 avril. L’influence de Tati est-elle présente dans le film ? MM : On n’oublie jamais que pour lui le cinéma était aussi un art forain, une occasion d’avoir des émotions directes, comme au cirque. Même si on raconte parfois des choses graves, il faut qu’il y ait toujours quelque chose de l’ordre de la jouissance. Tati aimait les mélanges, entre acteurs de théâtre et de cinéma par exemple... Tout cela était pour lui un seul et même art. À ce titre, oui, c’est un très grand maître. Cependant, La Véritable Histoire du chat botté est un film en costumes qui s’éloigne totalement de son regard sur la modernité. JD : Tati était là par exemple quand on travaillait les bruitages, parce que c’est un élément qu’il a utilisé de façon géniale,

« NOTRE PLAISIR DE VOIR YOLANDE MOREAU JOUER LE RÔLE DE LA REINE A MODIFIÉ L’HISTOIRE. » JÉRÔME DESCHAMPS Comment avez-vous dirigé les comédiens ? JD : Cette souplesse technique nous a donné une liberté encore plus grande qu’au cinéma. Le jeu des acteurs a ainsi pu servir de base à la réalisation. Ce qui nous intéressait, c’étaient les mouvements, les expressions, le rythme des comédiens. On enregistrait les voix juste après les prises, dans un tout petit studio. On s’est amusés, beaucoup plus que sur un vrai tournage, où l’on doit bien se tenir jusqu’au « coupez ! ».

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alors on s’amuse comme des enfants en pensant à lui. Mais on ne peut pas prétendre que le film relève de son esthétique, même s’il relève peut être de son intention. _Propos recueillis par Juliette REITZER et Étienne ROUILLON

RETROUVEZ L’INTERVIEW FILMÉE DES RÉALISATEURS SUR WWW.MK2.COM


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PORTRAIT

LA REINE YOLANDE Elle est un peu à tout le monde et pourtant, elle n’appartient qu’à elle. Yolande Moreau, 56 ans et trois Césars, croyait que personne ne la verrait jamais en princesse. La voilà reine. lle est grande et belle, douce et ronde, silencieuse et bruissante. Il a fallu du temps, au cinéma du moins, pour que ce corps voluptueux se coule dans des rôles à sa taille. Elle faisait déjà du théâtre depuis longtemps, avait écrit et tourné des années durant son one-womanshow Sale Affaire, quand sa compatriote Agnès Varda l’a distribuée dans un court métrage puis dans Sans toit ni loi (1985). Très vite, la Belge, née à Bruxelles d’un père négociant en bois et d’une mère au foyer, a rejoint la troupe de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff pour des spectacles inouïs, et un rendez-vous quotidien dans la petite lucarne de Canal + (Les Deschiens). Le septième art lui offre des silhouettes de bonnes, de boulangères et de concierges en tous genres,

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des rôles de princesse, alors elle s’est concoctée celui d’une femme d’aujourd’hui dans un conte empli de poésie délicate, aux échos doucement autobiographiques : Quand la mer monte. Les Césars du Meilleur premier film et de la Meilleure actrice pour ce long métrage, en 2005, ont donné un coup de fouet à sa carrière et des idées aux réalisateurs. Le 27 février dernier, jour de son anniversaire, elle a reçu une troisième statuette pour son interprétation d’une peintre naïve dans Séraphine de Martin Provost, à la lisière de la folie. Elle aurait pu la briguer aussi pour Louise-Michel de Gustave Kervern et Benoît Delépine, splendides retrouvailles du « Yo-land » et du Groland, toujours à l’affiche. Elle n’a pas prêté ses yeux bleus de félin souriant au Chat botté de

« LE CINÉMA LUI A LONGTEMPS OFFERT DES SILHOUETTES DE BONNES, DE BOULANGÈRES, DE CONCIERGES. » exploitant à plein le potentiel burlesque de son physique hors-norme. Ici fruste et bonhomme, là gueuse hébétée, tantôt naïade majestueuse, tantôt prolo inerte et bilieuse, elle marque les esprits avec son rôle de gardienne au cœur brisé dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet (2001). La quarantaine bien entamée, elle se décide à écrire une histoire, avec Gilles Porte, chef opérateur et documentariste. À l’époque, elle disait que personne ne pensait à elle pour

Pascal Hérold, Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff, mais on les retrouve dans le visage aux tresses rousses de la reine, qui a sa voix traînante, braque, inimitable. Reine, c’est encore mieux que princesse ! On n’est jamais si bien servis que par les siens, fussent-ils Deschiens. Elle sera du prochain film de Jeunet, Micmacs à tire-larigot, et incarnera Fréhel dans Serge Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar. Aujourd’hui, Yolande Moreau vit en Normandie et cultive son jardin. _Isabelle DANEL

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LA FILLE DU RER

ANDRÉ TECHINÉ

..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... LA FILLE DU RER ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... UN FILM D’ANDRÉ TECHINÉ ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... AVEC EMILIE DEQUENE, CATHERINE DENEUVE... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... DISTRIBUTION : UGC ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... FRANCE, 2008, 1H45 ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... SORTIE LE 18 MARS ..................................................................... ..................................................................... .....................................................................

TÉMOIN DE PASSAGES

Été 2004 : une jeune femme se déclare victime d’une agression antisémite – mensonge que relaient à outrance les médias... La Fille du RER revisite ce fait divers, tout en synthétisant ce qui fait la force du cinéma d’André Téchiné : lumière solaire, amours débutantes, identité en crise, qu’elle soit intime ou collective... Interview-bilan, au moment où la Cinémathèque lui rend hommage. ourquoi avoir réalisé un film à partir de ce fait divers ? À l’époque, le fait qu’un mensonge, une pure fiction, puisse produire un tel effet dans notre pays m’avait beaucoup secoué. Cette tempête médiatique touche à des hantises et des fantasmes ancrés dans la société française. Je ne suis pas sûr qu’une telle histoire puisse avoir lieu dans un autre pays. Et puis, j’ai découvert la pièce d’un ami, JeanMarie Besset, RER, qui part justement de ce fait divers. J’en ai changé l’orientation, les personnages… J’ai voulu montrer comment Jeanne s’approprie un document réel, en l’occurrence un reportage sur une véritable agression antisémite, comme souvent chez les mythomanes. Pour parler comme Spinoza, ce mensonge est une « mauvaise action », violente et irrecevable, mais aussi bouleversante. Je n’ai pas voulu noircir Jeanne, l’accuser, ni la blanchir d’ailleurs ; j’ai plutôt voulu montrer qu’une demande d’amour peut parfois prendre une forme monstrueuse.

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Votre cinéma s’articule souvent autour d’un moment clé de l’histoire française : la drôle de guerre, l’apparition du sida, la guerre d’Algérie... Quand l’Histoire est si présente, comment éviter l’écueil du didactisme ? J’essaie toujours de suivre les mouvements qui ont marqué ma vie et de distinguer les vrais tournants, qu’ils soient historiques ou personnels. Dans le cas des Roseaux sauvages, par exemple, il se trouve que j’ai vécu dans ma chair d’adolescent l’arrivée d’un pied-noir dont le pays d’origine avait été brutalement rayé de la carte. À l’époque, la guerre d’Algérie restait un mouvement lointain quand on vivait comme moi dans un village de la France profonde. Ce sont 32 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MARS 09

ces connections entre l’intime et le collectif qui m’intéressent. Pour Les Témoins, la question du sida a un caractère personnel, car j’ai eu l’impression d’échapper à mon propre destin, j’ai perdu beaucoup d’amis. Mais le film était lié également à ce que notre société renvoyait comme image effrayante : le sida était perçu comme la nouvelle peste. Si le cinéma a une fonction, cela a toujours été pour moi d’apprendre à aimer le monde, qui m’a traumatisé très tôt. Le cinéma m’a permis d’en échapper, tout en m’aidant à me rapprocher des autres. C’est sa magie contradictoire. Le personnage de Jeanne est très élusif. Elle est en mouvement permanent, comme insaisissable, y compris pour le cinéaste… C’est juste. Traquer l’invisible, telle est ma démarche de cinéaste. J’ai l’impression que la caméra sert à ça. Mais les masques sont sans fin, un masque en cache un autre, l’ombre et la lumière clignotent toujours. Quand je la laisse filer à la fin du film sur ses rollers comme une danseuse, je ne pense pas que cette histoire lui ait servi de leçon, ni l’avoir remise sur le droit chemin. Enfin, j’espère ne pas avoir donné cette impression ! Votre filmographie est peuplée de figures déviantes, marginales, en rupture. Parmi elles, les pères, absents ou défaillants, ont rarement le beau rôle… La paternité pose toujours problème, ça n’a rien de personnel! Les personnes étiquetées, bien installées dans la société, sont difficiles à rendre touchantes, à moins que le ciel leur tombe sur la tête. Comme beaucoup, j’ai été nourri d’Homère ou de Dante : c’est en dérangeant son confort que l’on rend un personnage humain. S’il y a quelque chose qui nous


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INTERVIEW

rassemble tous, c’est quand même ce sentiment de précarité. Je n’aime pas épingler les personnages comme des papillons, les programmer, leur donner des destins. Je ne pense pas que les hommes ont des caractères figés. J’essaie toujours, en tant que scénariste, de leur donner le plus de liberté possible. Par exemple, dans Les Voleurs, Catherine Deneuve se suicide, mais je n’avais pas prévu cela dans le scénario. C’est sa manière de jouer, sombre et mélancolique, qui m’a fait accepter ce suicide, comme si je faisais un documentaire sur l’actrice, sa façon d’incarner le personnage. Les plans sur les roseaux vers la fin de La Fille du RER sont-ils un écho volontaire aux Roseaux sauvages ?

n’est pas uniquement destiné à rassurer, il est très salutaire quand il dérange aussi… Je crois qu’il faut trouver un équilibre entre les deux, même si c’est difficile. Vos films sont souvent très lumineux, très solaires. Est-ce une manière de sortir de la grisaille qui caractérise un certain cinéma français ? C’est vrai que le cinéma d’ici est particulièrement hivernal, mais après tout, pourquoi pas ? Moi, j’aime les quatre saisons… Mais il est vrai que je suis nourri de peinture vénitienne, où la lumière et les couleurs dominent. Il ne faut pas avoir peur des couleurs, des éblouissements de la lumière, des appels d’air !

« IL NE FAUT PAS AVOIR PEUR DES COULEURS, DES ÉBLOUISSEMENTS DE LA LUMIÈRE, DES APPELS D’AIR ! » Je voulais surtout éviter le cliché de la maison de campagne un peu pittoresque, bourgeoise et rustique. Je voulais que le cadre de cette maison rappelle la jungle, qu’il évoque le Canada ou l’Afrique plus que la région parisienne! On a fait de longues recherches pour le trouver, car je suis autant obsédé par les espaces que par les acteurs... Un film, c’est mettre des acteurs dans des espaces. La Fille du RER est, comme tous vos films, très sentimental. On y retrouve deux moments qui traversent votre cinéma : les premiers émois, et les retours de flamme… C’est important de parler d’amour, car on se demande tous si l’amour existe ! Il faut chercher des preuves ! L’amour

Vous avez joué chez Eustache, on vous sait grand amateur de Truffaut, vous avez collaboré avec Olivier Assayas : votre parcours fait le lien entre la génération de la Nouvelle Vague et celle dite du « nouveau cinéma d’auteur » des années 1990… Les réalisateurs de la Nouvelle Vague aimaient les mêmes cinéastes, tout en réalisant des films très différents, très personnels, parfois aux antipodes les uns des autres. C’est là toute la force de leur mouvement. C’est aussi le cas des cinéastes d’aujourd’hui : Gaël Morel, Olivier Assayas ou Pascal Bonitzer font un cinéma qui leur ressemble. _Propos recueillis par Raphaëlle SIMON et Auréliano TONET

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CHÉRI

MUREMENT RÉFLÉCHIE Adaptation du roman éponyme de Colette, Chéri scelle les retrouvailles de Stephen Frears et de son égérie Michelle Pfeiffer. Dans le Paris d’une Belle Époque finissante, les amours contrariées d’une courtisane d’âge mûr et d’un jeune homme bouleversent. n les appelait les « grandes horizontales ». Jusqu’au XXème siècle, les courtisanes ont amassé des fortunes colossales. Recherchées par les grands de ce monde, ces femmes influentes vivaient en marge de la société. Moderne et affranchie, la belle Léa de Lonval a fait fructifier son patrimoine, loin des tourments de l’amour. Mais quand une consœur la charge de l’éducation sentimentale de Chéri, son jeune fils, les plans de Léa basculent. Après six ans d’une relation complice, les amants doivent se séparer, à l’occasion du mariage de Chéri. Ils prennent alors conscience de la force de leurs sentiments. Chéri aurait pu s’intituler Les Liaisons dangereuses, le chefd’œuvre de Frears dont il est le pendant mélancolique. Avec Christopher Hampton, de nouveau au scénario, et Michelle Pfeiffer, inoubliable Mme de Tourvel défaite par la passion, Chéri dessine la carte de l’amour quand il n’est pas tendre. Malgré son académisme, la forme élégante et subtile du film parvient à saisir la cruauté du temps qui passe. Chéri raconte autant l’histoire d’une courtisane qui vieillit que celle d’une actrice quadragénaire au miroir. Quand leurs charmes respectifs se fanent, leur carrière s’achève. Dans cet exercice risqué de mise à nu, Michelle Pfeiffer émeut. Prêtant sa beauté patinée à la caméra, elle habite son personnage de femme blessée mais digne. Face à elle, le jeune Chéri, interprété par Rupert Friend, lui renvoie sa jeunesse arrogante. Tout le film fonctionne sur ce système de reflets, jusqu’au plan final où Léa, face au miroir, regarde le spectateur droit dans les yeux. Frears nous rend témoins de son drame intime. Comme dans Les Liaisons dangereuses, où une Merteuil tombée en disgrâce révélait son visage sans fard. Frears ne passionne jamais autant que lorsqu’il fait du dévoilement des apparences le sujet de ses films.

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_S.M.

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Pour l’élégance de Michelle Pfeiffer, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ star secrète et intemporelle. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour l’abattage de Kathy Bates, dans le rôle ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ d’une vieille cocotte manipulatrice. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour la partition sensuelle et raffinée ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ du Français Alexandre Desplat. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ UN FILM DE STEPHEN FREARS ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ AVEC MICHELLE PFEIFFER, RUPERT FRIEND, KATHY BATES… ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ DISTRIBUTION : PATHÉ // ROYAUME-UNI, 2008, 1H30 ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ SORTIE LE 8 AVRIL ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................


DU 25 AU 31 MARS AU MK2 BEAUBOURG, MK2 PARNASSE, MK2 QUAI DE SEINE Redécouvrez pour 3€ : L’Heure d’été, La Belle Personne, Stella, The Visitor, L’Échange, Hunger, Louise-Michel, Two Lovers, Burn After Reading, Frozen River, Rumba, Le Premier Venu, Tous les horaires de vos séances sur xxxxxxxxxxxxxxxx

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UNE FAMILLE BRÉSILIENNE

SURPLACE Quelques mois dans la vie de quatre frères et leur mère dans un quartier pauvre de São Paulo. Retour aux sources pour le Brésilien Walter Salles qui retrouve, douze ans après, sa coréalisatrice de Terre Lointaine.

«

Je suis votre père et votre mère ! », lance Cleuza à son fils aîné, qui lui reproche l’arrivée imminente d’un «cinquième enfant sans père». Et elle est tout cela. La quarantaine usée, Cleuza fait des ménages chez les riches et élève seule dans les quartiers pauvres de São Paulo le fruit de ses amours sans lendemain. Ces quatre garçons dans le mouvement ne cessent de sillonner la ville : l’aîné Denis est coursier à moto ; le cadet, Dinho, confit en religion, gagne quelques sous dans une station-service ; âgé de 18 ans, Dario rêve d’une carrière dans le football mais est déjà trop vieux ; le petit dernier, Reginaldo cherche sa place et son géniteur, conducteur d’autobus à la peau noire, comme lui. Les Brésiliens Daniela Thomas et Walter Salles sont amis depuis vingt-quatre ans. Elle est architecte, décoratrice de plateau et scénariste, et ne réalise pas de films sans lui. Il est scénariste et producteur et signe le plus souvent ses œuvres en solo, de Central do Brasil (1998) à Dark Water (2005) en passant par le très célébré Carnets de voyage (2004). Une Famille brésilienne est la suite logique de Terre étrangère (1996), leur premier long métrage commun, une fiction proche du documentaire dont le but est de « prendre à nouveau le pouls du Brésil et de ses habitants». Douze ans après, l’état des lieux est à la fois nécessaire et terrible. Une Famille brésilienne ne juge pas, ne propose rien, mais dit la difficulté quotidienne, l’absence de certitudes, les « solutions » pas toujours orthodoxes. Sous un ciel pâle et gris, dans des teintes délavées, la caméra suit avec rage et à toute allure des êtres humains pourtant abonnés au surplace. Ils ont beau se battre, s’échiner, se relever, rien ne semble vouloir changer pour eux. «Avance! Avance!» sont les derniers mots du film, comme une prière que chacun des personnages se fait à soi-même, comme une injonction à ne jamais s’arrêter d’y croire, sous peine de disparaître. Et mourir. _Isabelle DANEL

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Pour Sandra Corveloni, prix d’interprétation ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ féminine au Festival de Cannes. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Parce que le néo-réalisme brésilien ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ n’est pas si fréquent. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Parce que regarder le monde ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ en face est indispensable. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

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WENDY ET LUCY

MICHELLE WILLIAMS

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AVEC PERTE ET ÉCLAT Dawson et Brokeback Moutain l’ont révélée au grand public. À l’affiche actuellement de Wendy et Lucy et de Synecdoche, New York, en tournage dans le prochain Martin Scorsese, l’actrice Michelle Williams y révèle deux facettes de son immense talent. Entre femme fatale et femme-enfant, perte et renoncement, portrait d’une candide, douloureuse et lucide. uand on évoque Michelle Williams, son visage s’impose immédiatement. La douceur de ses traits encore juvéniles – joues pleines, bouche sensuelle délicatement dessinée – contraste avec son regard mélancolique. Comme si les yeux de cette jeune femme de 28 ans, originaire du Montana, avaient absorbé un lot d’expériences qui l’aurait grandie prématurément. Ce hiatus entre adolescence et maturité donne à ses rôles une puissance émotionnelle troublante. Il lui vient tout droit de son parcours personnel. La comédienne a fait des débuts précoces. Encore adolescente, Michelle Williams a dû s’assumer seule. Émancipée par ses parents à l’âge de quinze ans, elle quitte sa campagne pour la Californie, avec la ferme intention de devenir actrice. Sa vocation lui vient à dix ans, à la suite d’une représentation théâtrale de Tom Sawyer. Comme toute apprentie comédienne

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Nouvelles Aventures de Lassie. De Lassie à Lucy, la chienne de la réalisatrice Kelly Reichardt et sa partenaire de jeu dans Wendy et Lucy, l’actrice fait preuve de flair sur le choix de ses rôles. Bouleversante dans la peau d’une jeune femme démunie, elle porte sur ses frêles épaules un film dont l’essentiel de l’intrigue repose sur sa relation avec un animal. Quand on l’interroge sur ce challenge, l’actrice le relie à son expérience télévisuelle passée : « C’est très intéressant de travailler avec un chien. C’est un peu comme à la télévision. L’animal vous donne des indications immédiates, car il est toujours dans l’instant présent. Il n’y a ni passé, ni futur pour un chien. Il est donc totalement réceptif, et vous permet de rester dans le rôle.» Son personnage de Wendy, qu’elle « a préparé en revoyant Mouchette de Robert Bresson et des films de Mike Leigh, première période », est le témoin d’une

« PENDANT LONGTEMPS, JE ME SUIS SENTIE COMME UNE PLAIE OUVERTE AMBULANTE. » fraîchement débarquée à Hollywood, elle accumule les galères et les auditions infructueuses, avant de décrocher des apparitions dans des séries télévisées. Grâce à son rôle récurrent dans la série à succès Dawson, elle accède enfin à la notoriété, sous les traits de l’ambivalente Jen Lindley. Mais au préalable, elle s’aligne aux côtés des sirènes d’Alerte à Malibu, incarne des ados rangées et nunuches dans Papa bricole et Notre Belle-Famille, apparaît dans le téléfilm Les

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Amérique des laissés-pour-compte. À l’évidence, les trajectoires de la réalisatrice indépendante et de la belle contemplative devaient se rencontrer. Liens défaits, solitude, perte – thèmes chers à Kelly Reichardt – s’inscrivent au plus profond du regard de la jeune comédienne. « La tristesse est une joie ancienne », disait Will Oldham dans Old Joy, le précédent film de Reichardt. Le visage de Michelle Williams raconte tout de ses personnages et de sa vie : sur la surface lisse


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PORTRAIT

Extraits de Wendy et Lucy (en haut), Synecdoche, New York (à gauche), I'm Not There (au milieu) et Le Secret de Brokeback Mountain (à droite).

de son minois, les récits s’impriment, chargés d’une peine secrète et souterraine. Wim Wenders, qui l’a faite tourner dans Land of Plenty en 2004, multipliait précisément sur elle les gros plans. À l’instar de Reichardt, le cinéaste évoque dans son film une Amérique désillusionnée et marginale. Arborant déjà une coupe brune à la garçonne, comme pour l’androgyne Wendy qu’elle campe aujourd’hui, Williams cherchait son oncle chez Wenders. Une famille qu’elle a trouvée dans la vraie vie avec le réalisateur Todd Haynes, par ailleurs producteur de Kelly Reichardt. Le cinéaste de Portland lui confie un rôle dans I’m Not There, kaléidoscope fascinant sur Bob Dylan. « Je n’avais jamais interprété un rôle semblable auparavant. C’était un défi pour moi de jouer quelqu’un d’aussi meurtri, d’aussi confiant et sexuel. Ce film m’a donné une autre famille, celle que l’on se choisit. J’espère continuer à travailler avec Todd et Kelly. C’est dur, parfois. Vous faites un film puis vous devez rentrer à la maison. C’est un peu déstabilisant, cette absence de continuité dans les relations. Mais avec Todd et Kelly, il y a des bases solides qui ne s’effacent pas, même le film terminé. Nous sommes toujours en contact. J’ai toujours voulu faire partie d’une troupe comme au cirque, et il y a quelque chose de cet ordre-là avec eux. » Si elle s’est trouvée une famille d’adoption, l’actrice a une longue habitude de la perte. Elle fait face à la plus tragique en 2008 : le père de sa fille Matilda, Heath Ledger (inoubliable Joker de The Dark Knight), décède prématurément. Les conjoints partagent l’affiche de I’m Not There et surtout Brokeback Mountain, qui la consacre auprès du grand

public. « Pendant longtemps, je me suis sentie comme une plaie ouverte ambulante, partout où j’allais. Il y a cette citation de Joan Didion [romancière américaine, ndlr] qui parle du pressentiment de la perte qui vous afflige dès le plus jeune âge. Suis-je venue au monde ainsi ? Où est-ce un don ? » Ses compositions se nourrissent de cette sensibilité tragique. Femme délaissée chez Lee, Haynes et Kaufman, mère mourante dans Dawson, elle perd toute sa famille lors d’un attentat suicide dans le torride Incendiary de Sharon Maguire, à sortir prochainement en salles. Habituée aux productions indépendantes, sa carrière est en passe de décoller. Martin Scorsese l’a choisie pour jouer aux côtés de Leonardo Di Caprio dans Shutter Island, thriller psychologique actuellement en production. La belle s’en étonne : « Ce fut un choc parce que j’ai joué dans des films à petit budget où s’autoriser trois prises est un luxe. Si l’on en fait trois, c’est que quelque chose ne va pas. Et puis sur un tournage comme celui de Martin, on peut faire 20 à 30 prises. Je l’ignorais. Je me demandais si je devais payer pour mes erreurs. J’ai dû vite m’adapter. » Qu’on se rassure, d’autres films de la même envergure s’annoncent pour Michelle Williams, qui reconnaît être dans l’insécurité en permanence face à chaque nouveau rôle. Indifféremment brune ou blonde, au naturel ou sophistiquée, l’actrice mène sa carrière, avec éclat. _Sandrine MARQUES

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WENDY ET LUCY

DÉLAISSÉES Une jeune hobo perd sa chienne et, partant, son dernier lien avec la société. Bouleversant récit initiatique, hommage intimement politique aux gens de peu, Wendy et Lucy questionne la nature, humaine et sauvage.

U

ne promenade en forêt. L’entrelacs des voies de chemins de fer comme autant de destinations éventuelles. Dès son ouverture, Wendy et Lucy instaure un fragile équilibre entre la nature et le vaste champ des possibles. Seule avec sa chienne Lucy, Wendy traverse les États-Unis en voiture pour rejoindre l’Alaska, où elle espère trouver du travail. Son élan est vite freiné quand sa voiture tombe en panne sur le parking d’une petite ville de l’Oregon. Démunie, Wendy vole dans un supermarché, se fait arrêter puis libérer, pour découvrir que Lucy a disparu. À la manière d’Old Joy, son précédent film, où deux hommes éprouvaient la solidité de leur amitié au détour d’une balade sylvestre, Kelly Reichardt façonne autour de son personnage une parenthèse spatio-temporelle révélatrice, sinon salutaire. Un évènement anodin en apparence entraîne une succession de petits tracas qui, pour la jeune fille, silhouette menue vacillant au bord du gouffre de la précarité, ont des allures de tragédie. Des petits riens cruciaux, révélateurs de la modestie mise à l’honneur dans tout le film, tant au niveau des moyens de production que des personnages qui en jalonnent la progression. Car, à travers la rencontre d’un employé zélé de supermarché, d’un vigile compatissant ou d’une bande de jeunes punks à la dérive, c’est le paysage d’une Amérique des laissés-pour-compte qu’esquisse Kelly Reichardt. La symétrie qu’instaure le titre entre les deux prénoms semble d’ailleurs signifier davantage que la simple interdépendance qui unit les deux êtres. Quand Wendy scrute avec appréhension les cages d’un chenil pour chiens abandonnés, on est tenté d’y lire une réponse acerbe à la question essentielle que pose ce beau film : quelle place accordons-nous à ceux qui, comme Wendy et Lucy, ont tout perdu ?

............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour l’interprétation de Michelle Williams, ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ magnifique de subtilité et d’intensité. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Parce que Wendy rappelle la Mona du Sans toit ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ni loi d’Agnès Varda. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ Pour être ému aux larmes par un gros plan ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................ sur des yeux canins. ............................................................................................................ ............................................................................................................ ............................................................................................................

_J.R.

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RETROUVEZ L’INTERVIEW FILMÉE DE KELLY REICHARDT SUR WWW.MK2.COM




LE GUIDE

DES SALLES

DU MERCREDI 18 MARS AU MARDI 14 AVRIL

À l’aventure - un film de Jean-Claude Brisseau

SOMMAIRE SORTIES DU 18 MARS 44_Coco de Gad Elmaleh // Une Nuit à New York de Peter Sollett // Un Si Beau Voyage de Khaled Ghorbal // Un Lac de Philippe Grandrieux SORTIES DU 25 MARS 46_Duplicity de Tony Gilroy // La Première Étoile de Lucien Jean-Baptiste // Un Chat un chat de Sophie Fillières SORTIES DU 1ER AVRIL 46_Synecdoche, New York de Charlie Kaufman 48_Monstres contre aliens de Rob Letterman et Conrad Vernon // Nulle Part, terre promise d’Emmanuel Finkiel // À l’aventure de Jean-Claude Brisseau // Frost / Nixon, l’heure de vérité de Ron Howard SORTIES DU 8 AVRIL 50_Nous resterons sur Terre de Pierre Barougier et Olivier Bourgeois // Villa Amalia de Benoît Jacquot // Erreur de la banque en votre faveur de Michel Munz et Gérard Bitton // Ne me libérez pas je m’en charge de Fabienne Godet LES ÉVÈNEMENTS MK2_52 > 53

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LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

COCO

UNE NUIT À NEW YORK

Un film de Gad ELMALEH Avec Gad Elmaleh, Pascale Arbillot, Manu Payet... Distribution : StudioCanal // France, 2008, 1h35 // Sortie le 18 mars

Un film de Peter SOLLETT Avec Michael Cera, Kat Dennings, Alexis Dziena… Distribution : Sony Pictures // États-Unis, 2008, 1h29 // Sortie le 18 mars

Inventeur de « l’eau frétillante », icône bling bling au cœur fragile, l’extravagant Coco ne songe qu’à une chose : « éclater » tout et tout le monde. Pour ce faire, le résident de Coco-sur-Seine transforme la bar-mitsvah de son fils en évènements national, à coup de big-party au Stade de France, de parade aérienne, de « kippas Cabana » et de « Carte Vitale gold »… Gad Elmaleh adapte au cinéma son personnage de nouveau riche mégalo et réalise un premier film sans temps morts où les effets comiques, parfois surfaits, se superposent dans une ambiance flashy. Une heure trente-cinq de complète hystérie.

On était sans nouvelles du cinéaste new-yorkais Peter Sollett depuis son magnifique premier long métrage, Long Way Home (2001). Même s’il n’en a pas, cette fois, écrit le scénario, son second film, Une Nuit à New York, arpente des chemins voisins : la mue adolescente, l’éveil au désir, la quête amoureuse et identitaire dans une ville-monde (éternelle Grosse Pomme). Le film suit la virée nocturne de Nick et Norah, deux teenagers amateurs de rock indépendant, qui se cherchent, se ratent, pour mieux se retrouver. Un jeu de piste urbain, musical et sentimental dont la beauté – fugace, tremblante – épouse celle des corps qui le jonchent.

_Victoire SOULEZ

_Auréliano TONET

UN SI BEAU VOYAGE

UN LAC

Un film de Khaled GHORBAL Avec Farid Chopel, Assumpta Serna, Abdelhafid Metalsi… Distribution : Les Acacias // France, Tunisie, 2007, 2h17 // Sortie le 18 mars

Un film de Philippe GRANDRIEUX Avec Dimitry Kubasov, Natalie Rehorova, Alexei Solonchev… Distribution : Shellac // France, 2008, 1h30 // Sortie le 18 mars

Mohamed, ouvrier tunisien à la retraite, est malade et renvoyé du foyer dans lequel il vit à Paris depuis longtemps. Il décide alors de retourner au Bled. « Ici ou là bas, je suis un exilé.» Immigré à Paris, émigré en Tunisie, Mohamed est rejeté par sa propre chair, meurtrie par la maladie. Après une introduction parisienne quelque peu démonstrative, le retour au pays, très contemplatif, voire documentaire, est empreint d’une liberté vraiment surprenante. L’errance de l’acteur Farid Chopel, lui-même fatalement malade à l’époque, qui titube dans le désert vers sa délivrance, est d’une élégance rare. Rien n’est dit, mais tout peut être compris.

Philippe Grandrieux pratique un cinéma subjectif, singulier, organique. Son art tranche dans le réel avec une appétence particulière pour les détails et les gros plans, scrutant mains, peaux et visages. Drame familial vu à travers les yeux d’un enfant, Un Lac fait suite à Sombre (1999) et La Vie Nouvelle (2002), où le cinéaste opérait déjà comme cadreur. Ce troisième long métrage est un conte expressionniste, une plongée dans une forêt tumultueuse, un lac-océan. Avec ses tremblés, ses flous, ses séquences entièrement tournées dans la pénombre, cet impossible amour entre un frère et une sœur se regarde autant qu’il s’écoute et se ressent.

_R.S.

_Donald JAMES

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LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

DUPLICITY

LA PREMIÈRE ÉTOILE

Un film de Tony GILROY Avec Julia Roberts, Clive Owen, Tom Wilkinson… Distribution : Universal // États-Unis, 2008, 2h02 // Sortie le 25 mars

Un film de Lucien JEAN-BAPTISTE Avec Lucien Jean-Baptiste, Firmine Richard, Anne Consigny… Distribution : Mars // France, 2008, 1h30 // Sortie le 25 mars

Pour sa deuxième réalisation après Michael Clayton (2007), Tony Gilroy, scénariste de la série des Jason Bourne, confirme son obsession pour les faux-semblants. L’Américain mêle genres, tons et intrigues dans cette romance d’espionnage à la fois caustique et dramatique. Anciens salariés de la CIA et du MI6, Claire et Ray se sont recyclés dans l’espionnage industriel, employés par deux sociétés pharmaceutiques concurrentes. Manipulateurs professionnels, ils sont aussi amants... Duplicity met en scène un choc des titans, à l’image de sa jubilatoire séquence d’ouverture, une engueulade entre deux businessman filmée au ralenti. Un film-puzzle savoureux.

Jean-Gabriel, glandeur patenté et père de trois enfants, emmène sa famille au ski. Pour son premier long métrage en tant que réalisateur, le comédien Lucien Jean-Baptiste adapte un souvenir d’enfance. Il construit une comédie tendre, qui, au-delà du pitch sur lequel il ne manquera pas d’être « vendu » – les aventures de six Noirs à la neige –, pose, mine de rien, un regard juste sur les rapports humains, la pauvreté, le racisme. C’est l’histoire d’une promesse qu’il faut tenir. C’est aussi l’histoire d’un homme qui doit reconquérir sa femme. Chacun peut s’y reconnaître et c’est la qualité première de ce film généreux, primé au Festival de l’Alpe d’Huez.

UN CHAT UN CHAT

SYNECDOCHE, NEW YORK

Un film de Sophie FILLIÈRES Avec Chiara Mastroianni, Agathe Bonitzer, Malik Zidi… Distribution : Les Films du Losange // France, 2008, 1h46 // Sortie le 25 mars

Un film de Charlie KAUFMAN Avec Philip Seymour Hofman, Michelle Williams, Samantha Morton… Distribution : Océan Films // États-Unis, 2007, 2h05 // Sortie le 1er avril

Célimène (Chiara Mastroianni), écrivain en panne d’inspiration, d’amoureux et d’appartement, est harcelée par Anaïs (Agathe Bonitzer, fille de la réalisatrice), jeune étudiante inquiétante qui veut lui faire écrire sa biographie. Sophie Fillières livre une apologie de l’anticonformisme en confrontant deux femmes farfelues et désenchantées qui vont découvrir ensemble de nouveaux horizons rédempteurs. Si le rythme patine un peu, comme un chat sur la glace, le charme opère, à coup d’indélicatesses perverses et de gâteaux à la coquille d’œuf, concoctés par Célimène somnambule. La nuit, les chats sont moins gris qu’on ne le dit !

Scénariste talentueux pour Michel Gondry (Eternal Sunshine...) ou Spike Jonze (Dans la peau de John Malkovich), Charlie Kaufman passe pour la première fois à la réalisation. Déjouant les attentes, il livre une comédie dramatique singulière, à l’image de ses scénarios. Un dramaturge déprimé se débat avec les sentiments confus que lui inspirent les différentes femmes de son entourage. Bientôt, il se construit un monde qui se substitue peu à peu à la réalité. Le sens du récit de Kaufman éblouit dans la première partie d’un film en forme de puzzle. Si le rythme laisse ensuite plus à désirer, reste l’excellente distribution de cette fantaisie, cérébrale à souhait.

_J.R.

_R.S.

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_Claire BASTIN

_S.M.



LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

MONSTRES CONTRE ALIENS

NULLE PART, TERRE PROMISE

Un film de Rob LETTERMAN et Conrad VERNON Animation Distribution : Paramount // États-Unis, 2009, 1h33 // Sortie le 1er avril

Un film d’Emmanuel FINKIEL Avec Elsa Amiel, Nicolas Wanczycki, Haci Aslan… Distribution : Sophie Dulac // France, 2008, 1h34 // Sortie le 1er avril

Suzanne, jolie Californienne subitement transformée en créature de 20 mètres de haut, est enrôlée aux côtés d’autres monstres (un cafard savant, un gros bloc de gélatine, le Chaînon Manquant, mi poisson-mi singe…) pour contrer une invasion d’aliens destructeurs. Avec une animation en 3D stéréoscopique, Dreamworks offre un spectacle d’un réalisme confondant grâce aux effets de perspectives, comme la destruction du Golden Gate. Si la gestion des échelles entre les différentes créatures fait mouche, le film séduit aussi par ses habiles références parodiques, des films de séries B des années 1950 à Godzilla, en passant par Independance Day…

Tourné en HD avec une équipe légère, Nulle Part, terre promise a été récompensé par le prix Jean Vigo 2008. Emmanuel Finkiel a réalisé ce film sans scénario, porté par le désir de montrer le réel tel qu’il est, à une époque où la réalité disparaît souvent derrière son commentaire. Le film épouse la structure d’un récit à plusieurs voix, éclatées à travers l’Europe : celles d’un jeune cadre chargé de la décentralisation d’une usine, d’un groupe de clandestins kurdes et d’une touriste-vidéaste attirée par les marginaux. En réunissant les différents points de vue, ce documentairepuzzle se fait le miroir d’une Europe industrielle inhospitalière. _D.J.

_R.S.

À L’AVENTURE

FROST/NIXON, L’HEURE DE VÉRITÉ

Un film de Jean-Claude BRISSEAU Avec Carole Brana, Arnaud Binard, Nadia Chibani… Distribution : Shellac // France, 2008, 1h44 // Sortie le 1er avril

Un film de Ron HOWARD Avec Michael Sheen, Frank Langella, Sam Rockwell… Distribution : StudioCanal // États-Unis, 2008, 2h02 // Sortie le 1er avril

Et si À l’aventure de Jean-Claude Brisseau était une réécriture du roman La Possibilité d’une île de Michel Houellebecq ? Les deux auteurs entretiennent de nombreux points communs. À commencer par le rejet viscéral de la société bourgeoise, la description d’un érotisme aussi libérateur que destructeur, ainsi qu’une réflexion mystique parfois étrange ou coquette. L’intelligence mêlée à de vrais instants de naïveté, c’est ce qui, depuis des années, fait la patte et la qualité du cinéma de Brisseau. Modeste, effacé derrière des scènes dialoguées et des tableaux charnels, le réalisateur livre ici son meilleur film depuis Noces blanches. Lyrique et sulfureux.

1977 : le journaliste David Frost obtient de Richard Nixon, président démissionnaire, une interview télévisée au long cours. De ce grand moment qui révolutionna le journalisme, Peter Morgan (scénariste de The Queen) a écrit une pièce à succès, en 2004. La grande idée de cette adaptation cinématographique est d’en reprendre les deux acteurs principaux : Frank Langella, confondant en Nixon, et Michael Sheen, débarrassé de son personnage de Tony Blair chez Frears, ici formidable d’innocence et de roublardise mêlées. Si la mise en scène demeure un poil trop théâtrale, l’échange est passionnant, et le duel ne manque pas de panache !

_D.J.

_I.D.

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LE GUIDE_DES SORTIES EN SALLES

NOUS RESTERONS SUR TERRE

VILLA AMALIA

Un film d’Olivier BOURGEOIS et Pierre BAROUGIER Documentaire Distribution : Zootrope Films // France, 2007, 1h27 // Sortie le 8 avril

Un film de Benoît JACQUOT Avec Isabelle Huppert, Jean-Hugues Anglade, Xavier Beauvois… Distribution : EuropaCorp // France, 2008, 1h34 // Sortie le 8 avril

«Le jour où notre planète ne sera plus qu’un musée approche dangereusement », annonce Wangari Maathai, prix Nobel de la paix, dans ce documentaire synthétique et soigné. Sans surprise, Nous resterons sur Terre montre une harmonie homme-nature vacillante. À travers un tour du monde accéléré, nous sommes témoins de la condition précaire de notre environnement et des incohérences de sociétés dont la prise de conscience traîne. Quatre intervenants, dont le sociologue Edgar Morin et le politicien Mikhaïl Gorbatchev, soulignent l’urgence de remédier à ce qu’ils présentent comme l’auto-destruction de notre civilisation. Un filmexposition dont les images parlent d’elles-mêmes.

Partir : pas pour mourir un peu, mais pour vivre beaucoup. Est-ce parce qu’elle a vu son mari en embrasser une autre ? Est-ce parce qu’elle a retrouvé un ami d’enfance ? Ou parce qu’elle a la sensation que son art, la musique, ne lui suffit plus? Ann, du jour au lendemain, part sans laisser la moindre trace. Logée dans une maison cachée au cœur d’une île italienne (la villa Amalia du titre), elle reprend goût aux petits riens et au grand tout. Aucune explication, juste des sensations. Pour adapter Pascal Quignard, Benoît Jacquot, toujours aussi lacanien, convoque des images sensuelles et une interprète idoine. _C.B.

_V.S.

ERREUR DE LA BANQUE EN VOTRE FAVEUR

NE ME LIBÉREZ PAS JE M’EN CHARGE

Un film de Gérard BITTON et Michel MUNZ Avec Gérard Lanvin, Jean-Pierre Darroussin, Barbara Schulz… Distribution : Wild Bunch // France, 2008, 1h38 // Sortie le 8 avril

Un film de Fabienne GODET Documentaire Distribution : Haut et Court // France, 2008, 1h47 // Sortie le 8 avril

Le maître d’hôtel d’une grande banque d’affaire est sur le point d’être licencié et va enfin pouvoir réaliser son rêve : ouvrir un restaurant avec son meilleur ami. Faute de soutien financier, il tire profit d’informations confidentielles. Mais en matière de délit d’initiés, mieux vaut se méfier des gros poissons... Gérard Bitton et Michel Munz, scénaristes phares de comédies made in France (La Vérité si je mens, Ah ! si j’étais riche), réunissent pour la troisième fois l’attachant tandem Gérard Lanvin / Jean-Pierre Darroussin. Ancré dans l’actualité, ce divertissement de qualité montre la force de la solidarité contre le pouvoir de l’argent.

Au cours de son existence, Michel Vaujour a connu de nombreuses prisons. Et beaucoup d’évasions. Ce film est le portrait frontal d’un bandit repenti, après vingt-sept ans passés derrière les barreaux, dont dix-sept en cellule d’isolement. La réalisatrice de Sauf le respect que je vous dois, Fabienne Godet, recueille sa parole. Fine psychosociologue, documentariste ad hoc, elle joue la carte de l’humain contre celle du spectacle. Vaujour dit les cahots de son parcours chaotique, tout ce qui aurait dû le mettre KO et a fait de lui un homme debout. Il y a beaucoup d’honnêteté dans ce témoignage bouleversant sur la force de vie.

_V.S.

_I.D.

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ÉVÉNEMENTS DES SALLES MK2

LES CYCLES

FOCUS

LES SÉANCES INTERDITES

PRINTEMPS DU CINÉMA

Le MK2 Parnasse ouvre les mois de mars et d’avril avec deux nouveaux cycles de séances interdites. Au programme : Mars : Cure, Charisma (spéciale Kiyoshi Kurosawa) Avril : Audition, Le Sang des innocents

SERGUEÏ DVORTSEVOY : ANIMER LE RÉEL Autour de la sortie de Tulpan : Highway (1999) et le court métrage Paradise (1995) de Sergueï Dvortsevoy.

Le Printemps du cinéma entame cette année sa dixième édition et propose à nouveau aux spectateurs trois jours de cinéma au tarif unique de 3,50 €. Organisé par la Fédération Nationale des Cinémas Français en partenariat avec BNP Paribas, le Printemps du cinéma est une nouvelle occasion de découvrir les nombreux films à l’affiche, de L’Enquête de Tom Tykwer à Coco de Gad Elmaleh en passant par le nouveau film d’André Téchiné (La Fille du RER) ou la première réalisation de Guillermo Arriaga (Loin de la terre brûlée). Bienvenue dans nos salles pour ces trois jours de cinéma !

MK2 HAUTEFEUILLE_Depuis le 4 mars.

Dans toutes les salles MK2 les 22, 23 et 24 mars.

MK2 PARNASSE_Vendredis et samedis soirs à la séance de 22h.

LES MATINÉES DU MK2 HAUTEFEUILLE

AUTOUR DE LA PIÈCE LE SOULIER DE SATIN DE PAUL CLAUDEL (en partenariat avec l’Odéon-théâtre de l’Europe) L’Annonce faite à Marie (1991) d’Alain Cuny. MK2 HAUTEFEUILLE_Depuis le 11 mars.

DANS LES LIBRAIRIES À LA LIBRAIRIE DU MK2 QUAI DE LOIRE

À LA LIBRAIRIE DU MK2 BIBLIOTHÈQUE

À l’occasion de la journée mondiale du conte, la librairie du MK2 Quai de Loire invite le conteur Mario Urbanet (Petits Contes pour rêver et Petits Contes pour faire la fête, Glénat) et Stéphanie Fleury, « la conteuse du vent d’avril », pour un après-midi poétique destiné aux enfants (à partir de 7 ans) et aux adultes.

La librairie du MK2 Bibliothèque offre une carte blanche à Patrick Goujon à l’occasion de la parution de son nouveau livre Hier Dernier (Gallimard) avec la projection du film de Michel Gondry Eternal Sunshine of the Spotless Mind. L’auteur dédicacera son ouvrage à la librairie.

MK2 QUAI DE LOIRE_Samedi 21 mars à partir de 16h. http://laconteuseduventdavril.blogspot.com

La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions Attila invitent Bérengère Cournut à bord du Zéro de conduite pour une carte blanche sur le thème des voyages imaginaires. Elle conviera d’autres romanciers autour d’elle. Après la lecture-balade sur le Bassin de la Villette, une rencontre aura lieu à la librairie. MK2 QUAI DE LOIRE_Jeudi 2 avril à 19h30 (nombre de place limité, inscription au préalable auprès de Sophie à la librairie ou par tél. : 01 44 52 50 70).

La librairie du MK2 Quai de Loire et les éditions Emmanuel Proust vous invitent à une rencontre-dédicace avec Aurélien Morinière à l’occasion de la parution de sa bande dessinée La Véritable Histoire du chat botté, adaptation surprenante du long métrage d’animation en 3D réalisé par Pascal Hérold, Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff. MK2 QUAI DE LOIRE_Dimanche 12 avril à partir de 16h. 5% de réduction sur l’achat de la bande dessinée sur présentation d’un ticket de cinéma MK2 pour une séance du film La Véritable Histoire du chat botté.

MK2 BIBLIOTHÈQUE_Dimanche 5 avril à partir de 10h30 (billets en vente avant la séance).

POUR LES ENFANTS MK2 JUNIOR DES PASTELS AUX RÊVES EN PASSANT PAR LE CIEL : MIYAZAKI. Mon Voisin Totoro, Kiki la petite sorcière, Le Voyage de Chihiro, Le Château ambulant, Le Château dans le ciel, Nausicaa de la vallée du vent , Princesse Mononoké Dans sept salles MK2 jusqu’au 5 mai.

AVANT-PREMIÈRES LA VÉRITABLE HISTOIRE DU CHAT BOTTÉ Le MK2 Bibliothèque organise une avant-première de l’adaptation sur grand écran du célèbre conte de Charles Perrault réalisé par Pascal Hérold, Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff. Sortie nationale le mercredi 1er avril. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Dimanche 29 mars à 11h.

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RETROUVEZ TOUS LES ÉVÉNEMENTS SUR

PARTENARIATS LES MARDIS DE COURRIER INTERNATIONAL Le prochain rendez-vous en partenariat avec le magazine Courrier International proposera le film suisse La Forteresse de Fernand Melgar. Situé en Suisse, le Centre de Vallorbe héberge, pour un maximum de soixante jours, deux cents hommes, femmes et enfants en attente d’un verdict d’asile. Il est, dit-on, plus facile d’en sortir que d’y entrer – d’où le titre. Sans jugement et sans angélisme, Fernand Melgar a pointé sa caméra sur ces « exilés de force », tous uniques, tous semblables dans la douleur d’avoir eu à s’arracher de leur terre natale. À part et à hauteur égales, le cinéaste a également filmé ceux et celles – fonctionnaires, médecins, gardes de sécurité, prêtres – qui travaillent dans cette «forteresse», confrontés jour après jour à des destins et à des choix déchirants. MK2 QUAI DE SEINE_Mardi 7 avril à 20h30.

LE RENDEZ-VOUS DES DOCS

COURT MÉTRAGE SOIRÉE BREF MISCELLANÉES CLERMONTOISES Ce programme n’a d’autre ambition que de réunir quelques-uns des films dont la qualité et la singularité ont retenu notre attention pendant le Festival de Clermont 2009, voire auparavant tel Skhizein qui figurait sur la liste des finalistes aux César, après avoir fait la joie de la Semaine de la critique cannoise et du Festival d’Annecy. Il n’est pas exclu néanmoins que cet ensemble, composé avec une bonne dose d’aléatoire, établisse entre ces films des connivences qui nous auraient échappées. La séance s’achève par ce sommet de l’humour noir signé Jorge Furtado, L’Île aux fleurs. Nous ne pouvions pas ne pas le présenter l’année de nos vingt ans. On ne s’en lasse pas. _Jacques KERMABON

Au programme : Le Cœur d’Amos Klein, Uri Kranot et Michal Pfeffer Une Sauterelle dans le jardin de Marie-Baptiste Roches Skhizein de Jérémy Clapin C’est plutôt genre Johnny Walker d’Olivier Babinet L’Île aux fleurs de Jorge Furtado MK2 QUAI DE SEINE_Mardi 14 avril à 20h30.

Ce mois-ci, le Rendez-vous des docs accueillera Javier Packer-Comyn, directeur artistique du festival Cinéma du Réel autour de la projection du film Et la vie de Denis Gheerbrant. Durant une année, de Marseille à Charleroi, à travers des banlieues incertaines, des usines en friche et des paysages du bout du monde, le cinéaste est allé, de rencontres en rencontres, à la recherche de ce qui fait vivre les hommes d'un XXéme siècle finissant. MK2 QUAI DE LOIRE_Lundi 30 mars à 20h30.

LE THÉÂTRE DU VIEUX COLOMBIER En partenariat avec le Théâtre du Vieux Colombier, le MK2 Quai de Loire propose une carte blanche à Lars Noren. Au programme : Ordet de Carl Theodor Dreyer Pickpocket de Robert Bresson MK2 QUAI DE LOIRE_Samedis et dimanches à partir de 10h30 jusqu’au 21 juin.

CINÉ BD Un samedi matin par mois, en partenariat avec Dargaud, un auteur de bande dessinée présente un film de son choix en salle, puis dédicace ses ouvrages à la librairie. Dominique Roques et Alexis Dormal viendront présenter Pico Bogue, Tome 2, Situations critiques. Revoilà Pico et sa petite sœur Ana Ana dans un monde où les enfants ont leur mot à dire… Et ils ne s’en privent pas ! Le premier volet de la série a été l’un des coups de cœur des libraires du Quai de Loire au printemps dernier, un délice ! Projection du film Little Miss Sunshine de Jonathan Dayton et Valerie Faris, choisi et présenté par les auteurs. Mk2 QUAI DE LOIRE_Samedi 28 mars à 11h30.

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DVD Nagisa Oshima, cinéaste obsédé

Crimes sans chât On réédite quatre raretés du maître japonais Nagisa Oshima. Tournés entre 1966 et 1968, bien avant L’Empire des sens ou Furyo, ces films cristallisent les obsessions, sexuelles, criminelles ou politiques, du trublion de la Nouvelle Vague nipponne.

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ous sommes peu avant la symbolique année 1968. Nagisa Oshima est en rupture de ban avec la société japonaise, en pleine ébullition. Remis de son éjection en 1960 de la Cie Shochiku, sa mère nourricière, après le scandale de son quatrième long métrage, Nuit et Brouillard au Japon, le trublion de la Nouvelle Vague nippone tourne quatre films plus que personnels, où il cristallise ses obsessions : sexe, crime et « politique » (le complexe coréen). Sorti en 1966, d'après un roman scandaleux de Taijun Takeda, L'Obsédé en plein jour est sans doute le plus étonnant, avec ses plus de 2000 plans et sa sublime esthétique en noir et blanc, qui se réfère à la fois au muet et à certaines scènes de Rashomon (la forêt, le viol). Le film conte à sa manière les faits et gestes d'Eisuke (incarné par Kei Sato), un obsédé sexuel qui commet une série de viols dans le Japon

vrai celle qu'ils ont violée en imagination?» Pas très sexuellement correct, Oshima! Dans ce film hivernal, où les étudiants japonais ont du mal à passer à l'acte, une Coréenne incarnée par Akiko Koyama (Madame Oshima à la ville) veut se substituer à la victime désignée, dans une salle de classe... Le dernier film de la série est le plus léger, le plus « godardien » de tous : Le Retour des trois soulards met en scène trois jeunes insouciants un peu débiles, sorte d’équivalents de nos Charlots nationaux, qui se font passer pour des Coréens afin d'échapper à la conscription pour la guerre du Vietnam. Comédie parodique déroutante et hyper-manipulatrice, où Oshima mélange littéralement ses bobines, le film fut une nouvelle occasion de rupture entre sa compagnie de production (Sozosha) et la Cie Shochiku, poussée à bout par son goût de la provocation...

« ‘‘ TUEZ VOS PARENTS, TUEZ VOS PROFS ! COUCHEZ AVEC TOUTES LES FEMMES ! ’’, DIT LA BANDE-ANNONCE D’UN DE SES FILMS. » rural. Oshima y développe brillamment sa thématique du «crime sexuel démoniaque», qui parcourt nombre de films de cette époque de transition entre un Japon ancestral et le pays moderne qui veut se donner une respectabilité après les horreurs de la guerre. Oshima déclare lors : « Ce qui est le plus important pour moi, c'est de réaliser chaque fois un film pour lequel le sujet et ma «volonté capricieuse» soient en accord essentiel.» On retrouve Kei Sato, l'acteurfétiche du cinéaste, dans Été japonais : double suicide (1967), pseudo film de yakuza, imprégné d’amour, de sexe et de mort, aux limites de l'abstraction formelle (la photo est stupéfiante de beauté) et de la théâtralisation symbolique, entre cinéma d'auteur radical et manga.

Tous les films comportent en bonus une belle préface de Charles Tesson (enseignant, et ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma), ainsi que leurs bandes-annonces originelles, qui nous en apprennent un grain sur la façon dont la Shochiku voulait vendre ces films dérangeants au public de l'époque. Entretemps, Oshima avait déjà tourné le passionnant La Pendaison (1968), avant deux autres films majeurs, Le Petit Garçon (1969) et La Cérémonie (1971), où il reprend tous ses thèmes. À ceux qui se demandent aujourd'hui pourquoi il ne tourne plus, rappelons qu'Oshima a 77 ans, et qu'il est pratiquement paralysé depuis une attaque cérébrale qui l'a frappé en 1995. Son dernier film reste Tabou (1999), une érotisation du monde des samouraïs. _Max TESSIER

Les deux autres films, en couleurs cette fois, ne sont pas moins provocateurs. La bande-annonce d’À propos des chansons paillardes du Japon (1967) propose comme slogans publicitaires : « Tuez vos parents, tuez vos profs ! Couchez avec toutes les femmes ! », et encore : « Pourront-ils violer pour de

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4 DVD (L'Obsédé en plein jour, Été japonais : double suicide, À propos des chansons paillardes au Japon, Le Retour des trois soulards) édités chez Carlotta (Collection Oshima), avec bonus et bandes-annonces. À lire : Regards sur le cinéma de Nagisa Oshima, ouvrage collectif publié par Carlotta à l'occasion de la rétrospective du Festival des Trois Continents à Nantes en 2007.


iments

LA SÉLECTION par S.M. ARIANE BILLY WILDER Carlotta Second film tourné par Audrey Hepburn sous la direction de Billy Wilder, Ariane est une comédie romantique sophistiquée, dans laquelle une ingénue tente de conquérir un séducteur patenté (Gary Cooper). Pétillant à souhait.

SÉRAPHINE MARTIN PROVOST Diaphana Avec sept Césars remportés, dont celui de la meilleure actrice pour Yolande Moreau, Séraphine est un véritable triomphe. Femme de ménage d’un célèbre marchand d’art, Séraphine se révèle une artiste peintre prodige. Un film sensible et habité.

DE LA GUERRE BERTRAND BONELLO MK2 Éditions Auteur iconoclaste, Bertrand Bonello signe une autofiction originale. En perte d’inspiration, un cinéaste rejoint une communauté isolée où il réapprend le désir. Avec l’excellent Mathieu Amalric, en alter ego du réalisateur.

ENTRE LES MURS LAURENT CANTET TF1 Vidéo Retour sur les bancs de l’école avec la Palme d’Or 2008. Chronique douce-amère d’une année scolaire, cette adaptation du roman éponyme de François Bégaudeau sonne juste. Entre les murs méritait bien le tableau d’honneur.

SEMI-PRO KENT ALTERMAN Metropolitan Les nouveaux comiques US marquent encore des points. Sur fond de dunks et de funk rebondi, le déjanté Will Ferrell livre une performance hilarante dans cette comédie vintage, où il n’hésite pas à mettre la main au panier. ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ACTUALITÉS ZONE 1 ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... D’origine bahaméenne, Sidney Poitier est le premier ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... comédien noir à recevoir l’Oscar du meilleur acteur, ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... en 1963 pour La Chaîne de Stanley Kramer. Acteur ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... devenu réalisateur, il s’est livré à une constante remise ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... en question des stéréotypes raciaux, dont la Warner ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... offre un aperçu dans un coffret éponyme (4 DVD). Dans ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... Edge of the City (1957), sombre chronique new-yorkaise ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... de Martin Ritt, il donne la réplique à John Cassavetes ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... et illustre le thème d’une amitié en noir et blanc, repris ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... la même année dans le Kenya colonisé de l’excellent ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... Something of Value, réalisé par Richard Brooks. ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... À (re)découvrir. ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... _J.R. ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... .....................................................................................................................

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LIVRES Antoine Bello, falsificateur éclairant

Vrai-faux génie Avec Les Éclaireurs, Antoine Bello redonne vie aux héros des Falsificateurs, son roman-monde sur la manipulation de l’Histoire. Portrait d’un romancier hors du commun, amateur de casse-têtes borgésiens et de paradoxes littéraires.

À

quarante ans, Antoine Bello est un cas embauché dans un cabinet de consultants qui à part dans le roman français. Pour héberge en réalité une société secrète aux commencer, il n’a pas le profil de l’emploi : ramifications internationales, le CFR – Consortium là où l’écrivain hexagonal type vit à de Falsification du Réel. Son credo ? Comme son Paris et travaille dans la culture ou l’enseignement, nom l’indique, mettre du faux dans le vrai, pondre lui habite à New York où il a fondé Ubiqus, une des thèses sur des écrivains inexistants, insérer multinationale spécialisée dans le compte-rendu de des faux noms dans des listes d’état-civil, bref, créer réunions. Cette passion pour la sphère économique, des canulars gigantesques en utilisant des moyens associée à un libéralisme bon teint (il a clairement hors du commun. Laïka, le chien soviétique lancé dit qu’il voterait Sarkozy à la présidentielle), détonne sur orbite ? C’était eux. Les cartes du Vinland, ces dans un milieu plutôt à gauche, où l’entreprise est faux démontrant que les Vikings ont découvert regardée d’un œil critique. Mais c’est surtout son l’Amérique avant Colomb ? Eux aussi. Les charniers talent et son goût pour les jeux de l’esprit qui font de Timisoara ? Encore eux. Les secrets des archives de Bello un nom à part dans notre littérature. Ses de la Stasi, dont certains ne sont pas si véridiques modèles, ce sont les fous littéraires, les manipulateurs qu’il y paraît ? Toujours eux… de concepts, les uchronistes, les amateurs de cassetêtes, dans la lignée des Fictions de Borges et des Il ne faut que quelques pages à Bello pour nous jeux policiers que ce dernier a cosignés avec son accrocher et, derrière une construction proche du complice Casares. C’est d’ailleurs sous le COMMENCÉE SOUS LE SIGNE DU FAUX, signe du double que Bello a commencé sa carrière : en 1993, il envoie une nouvelle au LA SAGA S’ACHÈVE SUR UN HOMMAGE concours du jeune écrivain, et remporte le À L’IDÉE DE VÉRITÉ. premier prix. Mais ce que le jury ignore, c’est que le texte choisi pour le troisième prix est polar, nous plonger dans un jeu vertigineux sur le vrai, également de lui, sous un pseudo… le faux, le statut de la réalité dans un monde saturé d’informations, la malléabilité des grands récits Après les nouvelles (Les Funambules), Bello se lance historiques, toujours écrits par les empires dominants. dans le roman : ce sera Éloge de la pièce manquante, Avec Les Éclaireurs, on passe aux travaux pratiques : un polar spéculatif où il imagine des meurtres dix ans après son entrée au CFR, Sliv se demande perpétrés dans le monde très spécial des amateurs si son organisation n’est pas pour quelque chose de puzzles. L’intrigue est solide, mais c’est surtout le dans les attentats du 11 septembre, si l’insaisissable décor qui fait mouche : avec une minutie maniaque, Ben Laden n’est pas une fiction issue de l’imagination Bello invente de A à Z un univers de puzzlistes de ses collègues et si un traître ne refile pas de imaginaires, avec ses institutions, ses magazines, fausses preuves du programme nucléaire irakien son championnat, ses vedettes et ses légendes. Tout à l’administration Bush... Aussi palpitant que le est bien sûr complètement faux (« Je ne fais pas de premier et aussi bien documenté (il est question de puzzles et je connais mal cette discipline », admet-il relations internationales, d’histoire des idées, de benoîtement), mais les détails sont si bien agencés géologie ou de sociologie des organisations), ce qu’on se laisse berner sans s’en rendre compte. Voilà deuxième épisode se raccroche à l’actualité récente le secret de Bello : une puissance d’imagination pour mieux nous hameçonner et, derrière la fiction, phénoménale, qui lui permet de créer des mondes offre une réflexion critique sur l’Amérique, son rapport entiers et cohérents. Là où d’autres se contenteraient à ses valeurs fondatrices et son rôle dans le choc de quelques pages, lui se retrousse les manches et des civilisations. De manière inattendue, cette saga tire des romans complets de ses idées. C’est cette commencée sous le signe du faux s’achèvera force d’invention qui lui a permis de mettre sur pied d’ailleurs sur un vibrant hommage à l’esprit des le projet des Falsificateurs, pavé jubilatoire dont Lumières, autrement dit à l’idée de vérité. Quand on paraît aujourd’hui la suite, Les Éclaireurs. Le pitch vous dit que Bello est un homme de paradoxes… est imparable : Sliv, jeune diplômé islandais, est

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_Bernard QUIRINY

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LA SÉLECTION par P.D., S.Q. et Au.To. UNE CHAMBRE EN HOLLANDE PIERRE BERGOUNIOUX Récit, Verdier Revisitant l’histoire de l’humanité en quelques pages magistrales pour s’arrêter sur le sujet Descartes, Pierre Bergounioux nous offre une variation d’une grande originalité sur la vie de l’auteur du Discours de la méthode.

J’ATTENDS MEDHI MAGALI BRÉNON Roman, Le mot et le reste Une femme part en quête d’un homme, dans un récit suspendu entre lieux rêvés et lieux réels, comme sur les traces du marin de Gibraltar. Composition fragmentée et maîtrise de l’écriture font du premier roman de Magali Brénon un livre prometteur.

ÎLES MARCO LODOLI Guide traduit de l’italien, La fosse aux ours

Invitation à la flânerie, ce «guide vagabond de Rome» nous entraîne dans la ville labyrinthique, grouillante et chuchotante, sur les traces du Bernim, De Chirico, Poussin, Fellini ou Pasolini… Pour notre plus grand émerveillement.

© Catherine HÉLIE / Gallimard.

SERGIO SE JETTE A L’EAU

Antoine Bello - Les Éclaireurs (Gallimard, 478 p., 21 €) Les Falsificateurs (Gallimard, « Folio », 588 p., 8,30 €)

EDEL RODRIGUEZ Actes Sud junior (dès 3 ans) Sergio le petit manchot a un gros problème : il adore la pluie, les flaques, un bon bain froid, mais il ne sait pas nager et a peur de l’océan ! Finalement, bouée et brassards vont lui permettre de se jeter à l’eau, avec les encouragements de sa classe.

SACHA CHARLES BERBERIAN Bande dessinée, Cornélius

Un chien-chat débonnaire, un musicologue asocial et un couple déchiré peuplent cette magnifique ode à l’écoute, dessinée par le trait net et savoureux de Berbérian, en vacances (provisoires) de son complice Dupuy. ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... LE SITE http://vipere-litteraire.over-blog.com/blog.com/ ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... Mais qui est la Vipère ? Depuis quelques mois, ce blogueur ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... masqué lâche quotidiennement une série de vannes sur ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... les figures du monde littéraire, les journalistes-stars et ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... les intellectuels médiatiques, dans la veine d’un Pierre ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... Jourde. Sollers, Angot, Bégaudeau, Onfray et autres ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... BHL en prennent gentiment pour leur grade à travers des ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... parodies caustiques, des leçons de grammaire édifiantes ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... et des commentaires acides, souvent inspirés de la ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... presse du jour. C’est un poil inégal et répétitif mais, dans ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... un milieu où l’esprit critique se perd parfois, franchement ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... rafraîchissant. ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... _B.Q. ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... .....................................................................................................................

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MUSIQUE Le hip-hop chronophile d’Oxmo Puccino

À contretemps Pour le monde aujourd’hui exsangue du rap tricolore, il est la pythie sans pitié qui prévenait hier : « Rap français, tiens bon ! Il te reste des rimes à vivre. » Après un KO artistique, Oxmo Puccino revient demain avec un album visionnaire : L’Arme de paix. e colosse arrive légèrement en retard à du groupe The Jazzbastards. «L’Arme de paix, c’est notre lieu de rendez-vous – un élégant café trois ans d’écriture et un an de studio. J’ai pris le de l’ouest parisien, strié de lumière matinale. temps, et j’en ai gagné en écoutant mes collaborateurs. Le percolateur est en panne, c’est donc un Les artistes ont tendance à oublier qu’ils ne créent pas jus d’orange qui étanchera la soif de ce gosier solaire, que pour eux. J’ai fait un amalgame de ce qui a plu au qui scande sur un autre temps des stances d’un public dans les albums précédents et de ce que je autre ton. Il y a du Notorious B.I.G. dans l’allure de voulais apporter de neuf sur celui-ci. Pour atteindre ce lapin chronophile, tout droit sorti d’Alice au pays son but, il faut parfois savoir s’accompagner. » Un des merveilles. Ne pas confondre le recul de son travail participatif 2.0 inspiré par sa redécouverte de discours avec du retard sur son époque. Boby Lapointe et de la chanson française des années Imparfait. Il y a dix ans, le ténor réécrit la partition 1980, grâce à « un site qui commence à cartonner... du hip-hop hexagonal, au pupitre de son premier attends... ah oui, Deezer, ça s’appelle. Tu tapes un album : Opéra Puccino. Oxmo refuse le jeu du « Rap nom et il te sort tout ! » Pas en retard on vous dit, Game » et réinvente le rap du « je » sans fantasme. simplement pas en même temps que les autres : « On Décisives depuis une décennie, les galettes du peut réécouter le répertoire français qui nous a pucciste de la langue gauloise sont des pavés lancés formés et le réintégrer dans notre culture rap, qui contre les irréductibles du hip-hop, réfractaires à vient d’outre-Atlantique. Il faut arriver à un niveau toute évolution du genre vers la variété. «Longtemps, de qualité dans la chanson française qui soit tel le rap français s’est plaint d’être tricard auprès des qu’on reprend vos airs à l’étranger. » autres musiques. Aujourd’hui, alors PUCCINO SCANDE SUR UN AUTRE TEMPS que l’on commence à être bien assimilé, on se plaint d’une certaine DES STANCES D’UN AUTRE TON. récupération, mais c’est inéluctable quand on se Futur antérieur. Un œil dans le retro et l’autre dans diversifie », articule le funambule, plus que jamais le viseur. Le succès est dans la ligne de mire de cet en équilibre entre rimes urbaines et chanson album inter-temporel. Le Janus psalmodie ses textes française. Un virage entamé dès son second sur une production à l’avenant, guitare funk égrenée album, le mal-aimé L’Amour est mort (2001). Dealer sur basse synthétique, aria musette à la gloire de d’oxymores oniriques, Oxmo n’y gagne à l’époque que la verte Amsterdam en compagnie d’Olivia Ruiz. des ecchymoses : « L’Amour est mort ? Un échec L’oreille d’hier frottée aux rythmiques d’aujourd’hui. gigantesque ! Après sa sortie, je me suis dit que « Je n’ai pas la nostalgie d’un âge d’or du rap français. j’avais tort, j’ai arrêté de rapper pendant deux ans. La nostalgie, c’est un rongeur. C’est ne pas avoir Pourtant, malgré ses imperfections, cet album profité des choses au bon moment et rater aujourd’hui s’abreuve à ce que j’ai de meilleur, de plus profond pour le regretter plus tard. » Cinéphile accompli, à donner. » La pilule reste difficile à avaler, même il vient de participer à un documentaire sur le pour celui qui vient de siffler un demi de jus d’orange storytelling, et de jouer dans un court métrage en une gorgée. Respect. d’époque. Si L’Arme de paix était un film ? « Barry Participe présent. « Enterré et puis ressuscité » Lyndon de Stanley Kubrick. Pour le personnage comme il le chantait sur le magistral Cactus de Sibérie principal, un monsieur tout le monde qui suit son (2004), « Ox » pointe à nouveau le bout de sa langue chemin tant bien que mal, plein de paradoxes : fort avec L’Arme de paix. Un quatrième album solo qui et naïf, attachant et repoussant. Mais aussi pour ferme la quadrature du cercle d’un poète réapparu, sa lumière naturelle à la bougie, à l’image de celle conjuguant la verve d’Opéra Puccino, l’exigence de mon album ». Puccino est au volant d’un bolide de L’Amour est mort et le brio de Cactus de Sibérie. vintage qui va de l’avant malgré ses bougies entachées Celui pour qui parler est un métier a entendu les par les crasses du passé. IAM chantait « demain autres, fort de l’expérience collective Lipopette c’est loin ». Pour Oxmo, demain, c’est déjà hier. Bar (2006), un disque enregistré avec les musiciens _Étienne ROUILLON (avec Auréliano TONET)

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RETROUVEZ L’INTERVIEW FILMÉE D’OXMO PUCCINO SUR WWW.MK2.COM 58 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MARS 09

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LA SÉLECTION

par Au.To.

EMPIRE OF THE SUN « Walking on a Dream » Virgin / EMI La pop des antipodes s’attaque à votre i-pod. À peine sortis de l’adolescence, les deux Australiens d’Empire of the Sun réverbèrent les fluorescences de MGMT, qu’ils tempèrent d’un parasol eighties et SF. Solaire.

MOCKY « Saskamodie » Crammed Discs Multi-instrumentiste délicat, croisé chez Feist, Gonzales, Peaches ou Jamie Lidell, Mocky signe un album d’instrumentaux raffinés. Son jazz-pop a l’étoffe, abstraite et mélodique, des plus grands – Bacharach en tête.

OXMO PUCCINO - L’ARME DE PAIX (Cinq 7)

VETIVER « Tight Knit » Bella Union Proches des néo-hippies Devendra Banhart et Joanna Newsom, les Californiens de Vetiver tricotent un somptueux quatrième album, fin écheveau de lignes pop, de filaments folk et d’évanescents filets de voix.

JULIEN BAER «Le La» Universal Jazz Enregistré entre Paris et Bamako, pulsé d’échos suavement brésiliens, le quatrième album de Julien Baer dit l’élégance des murmures, la saveur des frottements, le spleen des amours de traverse. Son « la » sort, plus que jamais, du lot.

© MONDINO

JEREMY JAY « Slow Dance » K / Differ-ant À la new wave gonflée à l’hélium du nouveau Lily Allen, on préférera les gemmes noires de Jay, jeune Américain longiligne et indolent, dont les monochromes luisent d’un bel éclat smithien (Patti, Robert, Morrissey). ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... LE SITE www.myspace.com/rickyhollywoodthelowpets ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... Quand il ne joue pas de la batterie pour le combo ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... spaghetti-pop La Féline, Stéphane Bellity se rêve en ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... Ricky Hollywood. Ce Ricky-là, c’est un peu le double ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... inversé de Rocky Balboa : quand le cogneur rital ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... dissimulait sous ses pectoraux un cœur sensible et ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... spongieux, notre Parisien cache derrière son électro-pop ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... gracile des paroles d’une morgue gangsta. « Faut pas me ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ché-chère » chante son timbre doucereux sur J’t’éclate ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... la gueule, tube imparable qui fait rimer Morricone avec ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... testostérone. C’est que le début, dit-il ailleurs. D’accord, ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... d’accord. ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... _Au.To. ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... .....................................................................................................................

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ART Shilpa Gupta au Laboratoire, jusqu’au 4 mai

La peur au centre L’artiste indienne Shilpa Gupta présente l’exposition While I Sleep au Laboratoire. Une série d’œuvres issues d’un projet mené en collaboration avec une neuropsychologue sur la peur et ses origines, logées en grande partie dans notre subconscient…

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’est peu dire que la société contemporaine, ici comme ailleurs, est anxiogène. Attisée par un terrorisme désormais globalisé, la peur a généré une politique sécuritaire en pleine expansion, venant elle-même nourrir le sentiment d’insécurité, relayé par un matraquage médiatique qui a déjà prouvé son efficacité… Internationalement reconnue, Shilpa Gupta est née en 1976 à Bombay, cible de récents attentats. Le Laboratoire, lieu dévolu aux expérimentations entre art et sciences, accueille la dernière exposition de l’artiste indienne, While I Sleep. Un titre énigmatique qui fait allusion aux forces inconscientes, individuelles et collectives, déterminantes dans la formation de nos modes de pensée et réactions. Gupta s’est associée à Mazharin Banaji, une neuropsychologue indienne, pour tenter de cerner les divergences entre pensée et conscience à travers une étude reposant sur le Test d’Associations Implicites (TAI). Un questionnaire auquel chaque visiteur a la possibilité de se livrer, et qui consiste à associer des images et des mots choisis pour le sentiment de PARMI LES INSTALLATIONS TRÔNE peur qu’ils développent. À partir des résultats, Shilpa UN CEINTURON DE POLICE DUQUEL Gupta a conçu une série PENDENT DES DIZAINES DE SIFFLETS. d’œuvres protéiformes dont la plus spectaculaire trône au centre de l’espace d’exposition. Suspendue au plafond, Singing Cloud se présente comme une masse irrégulière rappelant un nuage. Les milliers de microphones qui le constituent le rendent tant menaçant que protecteur à travers la bande-son qui s’en échappe : un chant indien ponctué de bruits et de murmures épars. Plus loin, un ceinturon de police duquel pendent des dizaines de sifflets évoque la surenchère sécuritaire actuelle et son absurdité, que l’on peut aussi entrevoir dans la série de photographies intitulée There is No Explosive in This, montrant des bacs défilant sur un tapis d’aéroport, remplis de produits confisqués car jugés dangereux à bord d’un avion, de la bombe (déodorante) à la lime (à ongles)… S’extirpant de l’obscurité ambiante, deux tableaux, imitant les panneaux de lecture qui permettent à l’ophtalmologue de contrôler la vue de ses patients, donnent à lire des messages semés de coquilles, que l’œil perçoit sans toutefois empêcher le cerveau de restituer l’ordre logique de lecture. Réalisée à partir des théories du penseur et linguiste américain Noam Chomsky sur la fabrique de l’opinion, cette œuvre questionne la déformation de l’information et son impact sur sa réception. Avec intelligence et une certaine poésie, Shilpa Gupta nous incite à ouvrir l’œil, à ne pas nous laisser endormir par la ritournelle médiatique, à éveiller notre conscience : même pas peur !

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_Anne-Lou VICENTE Le Laboratoire, 4 rue du Bouloi, 75001 Paris. Jusqu’au 4 mai, du vendredi au lundi, 12h-19h. 4,50 € à 6 €. www.lelaboratoire.org

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Singing Cloud, As


EXPOSITIONS par A.-L.V. SALON DU DESSIN CONTEMPORAIN 26-29 MARS Les dessins de la collection Agnès b. sont à l’honneur de la 3ème édition de ce Salon qui réunit 63 galeries et la crème du dessin contemporain. À explorer aussi à l’Atelier Richelieu, où se tient en parallèle la foire Slick Dessin du 28 au 30 mars. Carreau du Temple, 1 rue Dupetit-Thouars, 75003 Paris.

ULLA VON BRANDENBURG 19 MARS - 17 MAI Empreinte d’une esthétique très XIXème siècle, l’œuvre protéiforme de la jeune artiste d’origine allemande questionne les notions de représentation et d’illusion à travers de multiples références à la magie et au théâtre. Le Plateau, place Hannah Arendt, 75019 Paris.

© Marc DOMAGE

MIKA ROTTENBERG 18 FÉVRIER - 3 MAI À travers ses installations vidéo, Mika Rottenberg analyse avec humour l’exploitation du corps féminin, au cœur des systèmes de production à la chaîne qu’elle décrit de façon parodique. Également à la Galerie Laurent Godin jusqu’au 11 avril. La Maison Rouge, 10 boulevard de la Bastille, 75012 Paris.

semblage de micros et d’éléments sonores, 4 x 1,5 mètre, 2009 - Le Laboratoire

QUAND JE SERAI GRAND(E), JE SERAI… 11 DÉCEMBRE - 24 MAI L’exposition nous invite à retomber en enfance en réunissant plus de 500 jouets : figurines, panoplies et autres jeux de simulation qui correspondent aux métiers, réels ou fantasmés, auxquels aspirent les quelque 600 enfants interrogés.

© Marc DOMAGE

Musée des Arts décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris.

Untitled 1 & 2, Impressions sur toile, 51 x 66 cm, 2009 - Le Laboratoire

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LE SITE http://www.tram-idf.fr ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... Militant pour faciliter l’accès des publics, y compris les ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... plus jeunes, à l’art contemporain, Tram est un réseau ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... regroupant une trentaine de lieux d’art franciliens, ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... du Palais de Tokyo à La Galerie de Noisy-Le-Sec, ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... en passant par La Maison des Arts de Malakoff ou ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... le Centre national de l’estampe et de l’art imprimé ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... (Cneai), à Chatou. Un samedi par mois, Tram met à ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... disposition une navette : Taxi Tram vous propose un ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... parcours artistique dans plusieurs structures du réseau ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... € par personne. De quoi embarquer pour seulement 5 ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... sans hésiter ! ..................................................................................................................... _A.L.V. ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... ..................................................................................................................... .....................................................................................................................

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RÉSEAUX Plongée dans les égouts du web

Geek émissaires Avec la sortie du très kitsch Cyprien, le cinéma rend hommage au substrat le plus fangeux de la Toile. L’occasion d’explorer les égouts du Net, et leur flot d’humiliations adulescentes de moins en moins canalisées.

Elie Semoun dans Cyprien

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n 2006, le ministre de la culture et de la communication, Renaud Donnedieu de Vabres, chantait : « La culture est un antidote à la violence, car elle nous invite à la compréhension d’autrui. » Sur le web participe-hâtif, on danse d’un autre pied : ce qui devait tomber dans les oubliettes de la production culturelle est porté au pilori de la blogosphère. Au lieu de vider la poubelle, on la transforme en gibier de potence, rôtie sous les feux de la rampe numérique. Comment en est-on arrivé là ?

À l'origine, Internet était l'espace réservé des geeks, équivalent clavier des rôlistes et philatélistes acharnés. Le geek aime les comics et la plupart des images iconiques de la pop culture – jusque dans ses bas-fonds. Mais l'inventivité de ces fous d'informatique les détournait d'un coupable premier degré. La plupart d’entre eux réalisaient des détournements photographiques assez drôles pour souligner le ridicule d’une situation, comme en témoigne le succès des lolcats, ces photos de chats accompagnées d'une LES NOUVELLES STARS DU NUL JALONNENT LE RIRE légende en mauvais anglais représentant la pensée de l'animal. Cependant, 2.0, DE PLUS EN PLUS FÉROCE ET MALSAIN. l’émergence du web 2.0, il y a quelques années, a fait exploser le nombre d'internautes producteurs de contenu. Le second degré est la victime collatérale de cet Internet où tous rêvent d’un quart d’heure warholien. Premier martyr de cette médiatisation moqueuse : « Clément le no-life », personnage central d’un documentaire diffusé sur Arte en 2006, depuis la risée du Net. Après s’être délecté du grotesque des clips des années 1980, on découvre, souris en main, que notre époque est elle aussi pourvoyeuse d’inepties

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S’il est devenu difficile de faire la part entre bêtise authentique et cynisme mercantile, les nouvelles stars du nul jalonnent, en tout cas, les spasmes du rire 2.0, de plus en plus féroce et malsain. On se souvient de cette vidéo de Noël qui montrait un petit garçon à qui ses parents offraient une console de jeux dernier cri. Mais quand l’enfant ouvrait la boîte, elle était vide... Et ses parents, qui filmaient la scène, de rire de leur bonne blague. Depuis que l’on a sonné l’hallali pour Billal, le rappeur du 92 (2006, plus de 2 millions de vues sur You Tube), les têtes de turc se succèdent. Après Cindy Sander et son Papillon de Lumière, Mickael Vendetta et sa « bogossitude », Damien Jean et C'est mon rêve, voilà « Amandine du 38 », la rappeuse analphabète. Objet d’un tombereau de critiques ordurières depuis le début de l’année, la jeune ado se défend sur son blog : « Moi je fè carière mé pa vou alè band' de nazzz critik c moi ki cera conu». Ces inconnus prêts à tout pour une minute de gloire ont-ils conscience de se transformer en chair à moqueries? Une des forces de Vidéodrome, film visionnaire de Cronenberg, était de pointer qu'il n'y avait pas de différence véritable entre les victimes qui apparaissent à l'écran et le spectateur. Le fait de se positionner comme spectateur de ces atrocités suffisait pour être contaminé. 1984 / 2009 : Big Brother se moque toujours de vous. _Titiou LECOQ (avec Étienne ROUILLON)

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ringardes et affligeantes. Voir comment les geeks ont accouché des «social heroes», ces acteurs trop sûrs d’euxmêmes du web communautaire, dont le porte-étendard reste Skyblog (cf. lepiredeskyblog.wordpress.com), ou son pendant vidéo-gag : You Tube. Lorgnant sur le succès des social heroes, certaines maisons de production se sont lancées dans la confection quasi-industrielle de vidéos « prêtes à buzzer », respectant les règles de fabrication amateurs, mais dénuées de toute spontanéité.

NOT TOO (S)LATE Slate s’est imposé comme le premier site américain d'analyses et d'opinion. Douze ans après sa création, il ouvre une version française, dirigée par une équipe chevronnée (Colombani, Attali...), entourée de plumes de tous horizons. http://www.slate.fr

TICS ANTIQUES L’Antiquité passée au peigne fin : ce blog tatillon corrige les erreurs sur le sujet propagées dans les médias ou les films dits « historiques ». http://seteblog.over-blog.com

JEUX DE MAINS Un dessin par jour pour croquer les dialogues croustillants entre un jeune papa illustrateur et sa fille Maé, petite terreur au caractère aussi trempé que celui de son père… http://www.mae-bd.fr

LU ET APPROUVÉ Lassé par la pratique du «rewriting» (les rédactions qui réécrivent les articles des journalistes), Jean-Marc Manach use d'une totale liberté de parole sur son blog mêlant décryptage de l'info et coup de gueule. http://rewriting.net

L’ÉVOLUTION À RECULON Un système de photo-morphing vous permet de visualiser votre tête en australopithèque, homo habilis ou homo erectus. De quoi relativiser les critères de beauté modernes… http://www.open.ac.uk/darwin/devolve-me.php _par T.L.

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MOT @ MOT LOLCAT [lolkat] n.m. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. (Mot composé de deux lemmes : l’anglais lol, acronyme en argot internet de laughing out loud, « rire à gorge .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. déployée » en français ; et le saxon britannique, cat, « matou » en gaulois) .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. 1. Parfois francisé en mdrchat (« mort de rire chat »), le lolcat est une photo poilante d’un chat pris dans une .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. situation ou posture incongrue, accompagnée d’une légende à la syntaxe infantilisante. Les plus vieux datent de .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. 1860. « Je suis allé à la ménagerie pour trouver de quoi faire des lolcats, mais y avait pas un chat. » .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. 2. Le second lemme peut être changé à l’envi pour désigner le caractère commun d’une suite d’images désopilantes. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. « Tu connais les lolMadoff, ces portraits d’actionnaires qui ont pris la pâtée ? » .............................................................................................................................................................................................................................. _E.R. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. ..............................................................................................................................................................................................................................

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JEUX VIDÉO Addiction : les parlementaires tirent la manette d’alarme

Jeux interdits

© Raphaël DUROY

Un amendement au projet de loi portant réforme de l'hôpital s’attaque à l’addiction au jeu vidéo. Entre fantasme et bricolage, il vise à responsabiliser les jeunes joueurs, sur fond de faits divers scabreux. Que font les parents ? Ils achètent les jeux.

V

u et entendu le mois dernier dans une classe de CE2 du 7ème arrondissement de Paris, lors d’un atelier presse écrite. Un enfant de 8 ans fait la critique d’un jeu vidéo : « Ce jeu interdit aux moins de 12 ans est vraiment très bien. » Dans cette classe, nombreux sont les écoliers qui ont un accès et une pratique non restreinte des jeux vidéo. N’en déplaise aux parents, ils ont remplacé le cordon ombilical par celui de la manette. Le vieux marronnier médiatique de la violence des jeux resurgit, au moment où la familiale console Wii, aux produits tous publics, accueille un jeu à la barbarie franchement peu soutenable : Madworld. Pire, un épisode de la très amorale série GTA débarque en mars sur la Nintendo DS, console habituellement réservée aux enfants. Une évolution lucide du marché, alors que les jeux LES DÉPUTÉS PRÉCONISENT D’ADOPTER familiaux connaissent une perte de vitesse. Reste que cette orientation vers un contenu mature est UNE SIGNALÉTIQUE DU TYPE : « JOUER PREND perçue comme une agression par beaucoup, dont DU TEMPS ». la frange la plus moraliste de nos parlementaires. L’amendement n°183 sur « les addictions aux jeux vidéo » est déposé par des députés UMP (notamment Arlette Grosskost et Paul Jeanneteau, auteurs d’un rapport sur la cyberdépendance en novembre 2008) dans le cadre du projet de réforme de l’hôpital actuellement à l’étude. Cet amendement postule que « lorsqu’un jeu vidéo présente un risque en matière de santé publique en raison de son caractère potentiellement addictif, le support [doit porter] un message de caractère sanitaire ». Un complément signalétique au classement « PEGGY (Pan-European Game Information) » (sic), du type « jouer prend du temps », indiquent les députés. Soit. Magazine d’intérêt public, Trois Couleurs vous rappelle que « boire du Coca fait péter ».

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Cet amalgame sanitaire eut été impensable sans le télescopage d’actualités récentes, dont les modalités de traitement n’ont fait que rajouter du foin à la bedaine de l’épouvantail : meurtres de la crèche de Termonde (le tueur jouait à GTA 4), allergie d’une Américaine aux manettes PS3, multiplication des cures de désintox au jeu, drame d’Uckange, où une mère a accusé son fils de 5 ans d’avoir poignardé sa sœur à la suite d’une partie de jeux vidéo, quand il semble désormais acquis que ce soit la maman qui ait porté le coup… Le Républicain Lorrain écrivait le 1er mars à propos de ce fait divers : «L’enfant a-t-il été influencé par des jeux dans lesquels les personnages ont plusieurs vies ? » À l’heure des Guitar Hero ou Rock Band, les plus anciens se souviendront de l’époque où la presse transformait les amateurs de rock’n roll en sexes sur pattes, marginaux et déviants. _Étienne ROUILLON

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Cette montée au créneau des parlementaires est partiale et peu documentée. Surtout, elle valide les fantasmes qui ont droit de cité : le jeu vidéo est un loisir pour ados, alors que la moyenne d’âge réelle approche la trentaine ; le jeu est la cause de pathologies, quand des études montrent qu’une pratique immodérée des jeux est l’effet d’une pathologie ; la lutte contre l’addiction et la restriction de l’accès aux plus jeunes à des jeux violents peuvent être confondues, malgré les avis plus mesurés d’experts sur le sujet. Une méconnaissance qui pousse le discret Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV) à écrire une lettre ouverte à Roselyne Bachelot le 18 février dernier. Le SNJV insiste sur la prise de conscience des éditeurs « qui ne nient pas les phénomènes d’utilisation excessive des jeux vidéo », et rappelle qu’ils ont récemment développé conjointement avec l’État « un site d’information détaillé sur le jeu vidéo à destination des parents : www.pedagojeux.com. »

AFRO SAMURAI Yo ! Samuel L. Jackson conte cette adaptation de l’inénarrable dessin animé : un samouraï au look blaxploitation veut venger son père, sur une bande-son hiphop de RZA. Convainquant. Disponible : Mars // Éditeur : Atari // Plateforme : PS3, XBOX 360

MADWORLD Dzii ! La Wii tranche enfin dans ses habitudes familiales à coup de tronçonneuse esthétisante. Des gladiateurs s’étripent dans des arènes futuristes au graphisme proche de Sin City. Gore. Disponible : Mars // Éditeur : Sega // Plateforme : Wii

RESIDENT EVIL 5 Biz ! Les zombies qui veulent vous faire des bisous dans le cou sont de retour. Cette fois, c’est dans une Afrique atypique que l’on tirera sur tout ce qui claudique. Le lion mord ce soir. Disponible : Mars // Éditeur : Capcom // Plateforme : PC, PS3, XBOX 360

WHEELMAN Pouèt ! Un jeu de voitures qui roule au Vin Diesel. Pensé comme un film en surdose d’adrénaline, ce titre mélange efficacement course et tir, au détriment de la sérénité de votre palpitant. Disponible : Mars // Éditeur : Midway // Plateforme : PC, PS3, XBOX 360

WANTED Blam ! Ce très bon jeu de tir à la 3ème personne profite de l’invention du film homonyme : les balles de pistolet n’ont pas forcément de trajectoire rectiligne. Tirez les premiers. Disponible : Avril // Éditeur : Warner Interactive Plateforme : PC, PS3, XBOX 360

_par E.R.

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LE SITE www.ganggarrison.com .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. Avatar bâtard du cinéma, le jeu vidéo entre lui aussi en récession, voire en régression. On connaissait les .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. remake des jeux sur lesquels de vieux pouces s’étaient fait des ampoules, dorénavant les plus snobs jouent .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. sur des demake. Sortis il y a peu, de nombreux titres passent à la moulinette vintage de passionnés du 8-bit. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. En attendant de voir à quoi aurait pu ressembler Lara Croft sur Atari 2600 en 1980, le demake de Team Fortress 2 .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. ouvre la voie à d’autres « déprises » : une adaptation de World of Warcraft sur un émulateur 8 bit est en route… .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. _E.R. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. ..............................................................................................................................................................................................................................


SCIENCE-FICTION La chronique des objets de demain... Le Solex 2.0

Ciao Ou plutôt « solex », mais ça ne veut rien dire en italien. Cette page tire ici son irrévérence et trace sa route à dos du nouveau rétro-mobile de Solex. Une nouvelle formule pour ne pas oublier l’ancienne : « Casse-toi, pauvre con. »

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Couleurs change le mois prochain pour devenir le meilleur squatter, sens papier, de votre table basse. Mais la rupture est tranquille, et ce magazine restera la béquille fétiche de l’amoureux en recherche. Transi sous la neige, il attend la minette de l’amphi de socio pour la séance ciné de 18h. Si la drôle a plus de 30 minutes de retard et si le gus est vraiment désœuvré, alors il se peut qu’il arrive malgré lui jusqu’à la fin du canard que vous tenez dans les pattes.

2 ans durant, moi, cette bafouille opportune (pour ceux qui sont loin de chez eux et qui ont dans le cœur quelque chose qui fait mal, qui fait mal), j’ai réchauffé l’âme des technophiles inaptes à faire une addition. Vieillards, bambins et jeunes (blog)gueuses ont gratté ma cellulose de leur plume, le temps de faire part de leur expérience des outils de demain. De la cape d’invisibilité à la voiture à air, j’ai montré les objets qui ont du poids.

Partez ! Mais partez donc en paix vers le nouveau Trois Couleurs. Pas d’inquiétude, j’ai ensemencé les nouvelles pages de ma techno-logique de l’à-peu-près. Qu’un seul vienne et tous les autres suivront, vous les lecteurs, victimes oisives de la pose de lapin amoureux. Et regardez, ça se termine bien, la voilà votre douce, en retard mais pas rétive. Le mois prochain, en sortant de la lecture inactive de mes rejetons, vous pourrez toujours lui dire : « Non, non, je suis arrivé il y a cinq minutes. T’as lu ce truc ? C’est complètement n’importe quoi. » _E.R.

Illustration : Thomas DAPON

1, il n’en restera qu’un. Réédition électrique pour cette pige éclectique, le Solex revient lifté sous une forme « 2.0 », avec sa vieille caboche au pif de dindon. L’ancien doit muter pour durer : j’ai saisi le message, je m’casse pour me faire papillon.

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POST-MORTEM .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. 35 km/h C’est la vitesse moyenne du e-Solex 2.0. Moins dangereux qu’un Booster débridé, plus silencieux qu’une pétoire .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. des Tontons flingueurs, le moteur vous permet d’aller juste assez vite pour mettre la haine aux cyclistes les plus aguerris. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. € d’électricité pour 1000 kilomètres roulés en e-Solex. La distance moyenne du trajet d’un usager du métro est de 5 km : 1 .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. € le ticket t+. 1,60 .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. In ze nestépizod L’actualité pointue des nouvelles technologies sera toujours décryptée pour ceux qui n’y connaissent .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. rien : plus de buzzs, plus de prototypes, plus de jeux vidéo. Vous pouvez maintenant tourner cette page, pour de bon. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. _E.R. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. .............................................................................................................................................................................................................................. ..............................................................................................................................................................................................................................

66 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_MARS 09




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