Trois Couleurs #79 – Mars 2010

Page 1

MARS 2010

79

CINÉMA CULTURE TECHNO

by

TB U RI TOMN WONDER

BOY





by

ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS 01 44 67 30 00 Directeur de la publication & directeur de la rédaction Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com & troiscouleurs@mk2.com) Rédacteur en chef & chef de rubrique « culture » Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chef de rubrique « cinéma » Sandrine Marques (sandrine.marques@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Direction artistique Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Rédactrice Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Design Sarah Kahn Secrétaire de rédaction Laurence Lemaire Stagiaire Pablo René-Worms Ont collaboré à ce numéro Philippe Azoury, Ève Beauvallet, Pascale Dulon, Julien Dupuy, Clémentine Gallot, Joseph Ghosn, Florian Guignandon, Pierre-Simon Gutman, Donald James, Wilfried Paris, Sophie Quetteville, Bernard Quiriny, Adrien Rohard, Violaine Schütz, Bruno Verjus, Anne-Lou Vicente Illustrations Dupuy & Berberian (rubriques «In situ» et «La chronique de Dupuy & Berberian »), Sarah Kahn (page « La 3D, comment ça marche?») Photographie de couverture Nicolas Guerin Photographes Anouck Bertin (dossier « La Nouvelle-Orléans »), Nicolas Guerin (dossier « Tim Burton »), Viktor Jakovleski (dossier « La Nouvelle-Orléans »), Agnès Mazeau (rubrique « Alter Gamo »), Bruno Verjus (rubrique « Restos ») Publicité Responsable clientèle cinéma Laure-Aphiba Kangha 01 44 67 30 13 (laure-aphiba.kangha@mk2.com) Directeur de clientèle hors captifs Laurie Pezeron 01 44 67 68 01 (laurie.pezeron@mk2.com) © 2009 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique

SOMMAIRE # 79 7 ÉDITO 8 TAPAGES > Cinéastes et sans papiers 10 SCÈNE CULTE > Aguirre, la colère de Dieu 12 PREVIEW > Mammuth

15 LES NEWS 15 CLOSE-UP > Mia Wasikowska 16 LE K > Eastern Plays 18 KLAP ! > Les Aventures de Tintin 20 CONTRE-ATTAQUE > Nicolas Winding Refn 22 PORTRAIT > Jonathan Zaccaï 24 UNDERGROUND > Fool’s Gold 26 MOTS-CROISÉS > Alain Chamfort 28 PASSERELLES > Caroline Eliacheff 30 IN SITU > En studio avec Jacques Higelin 32 LE BUZZLE > Casey et Van Neistat 34 AVATARS > Dante’s Inferno

37 LE GUIDE 38 SORTIES CINÉ 50 SORTIES EN VILLES 60 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN

62 DOSSIERS 6

2 TIM BURTON // ALICE AU PAYS DES MERVEILLES 68 CLAIRE DENIS // WHITE MATERIAL 70 LA NOUVELLE-ORLÉANS : UN NOUVEL HOLLYWOOD

81 LE BOUDOIR 82 DVD-THÈQUE > Olivier Assayas 84 CD-THÈQUE > Joanna Newsom 86 BIBLIOTHÈQUE > Le gang des pastiches 88 BD-THÈQUE > Les dix ans de Poisson Pilote 90 LUDOTHÈQUE > Bioshock 2 92 TRAIT LIBRE > Trois Instincts 94 SEX-TAPE > Crossdresser

VOUS SOUHAITEZ COMMUNIQUER DANS APPELEZ-NOUS ! 01 44 67 68 01

?



ÉDITO

LA RELÈVE Avouons-le, depuis une dizaine d’années, le divorce était prononcé entre Tim Burton et une partie de son public, qui lui reprochait d’avoir cisaillé son génie créatif au profit de fictions plus lisses, plus carrées, loin des griffures magnifiques d’Edward aux mains d’argent. Gageons que ces ex-aficionados sortiront décoiffés de la projection d’Alice au Pays des Merveilles : comme retombé en enfance par l’appropriation de nouvelles techniques (la 3D, plus ébouriffante encore que celle d’Avatar), sans doute revitalisé à l’idée de travailler de nouveau avec un studio – Disney – qui l’avait jadis mis à la porte, l’Américain signe ici l’un de ses films les plus enthousiasmants, jouant avec un plaisir contagieux des changements d’échelles et de volumes, autour d’une question clé : comment s’adapter à un décor constamment changeant ? Plus jeunes, et pour certains profondément marqués par les premiers films de Tim Burton, d’autres réalisateurs bricolent un cinéma diablement inventif, les bottes fourrées dans les bayous de La NouvelleOrléans. Dernière illustration de l’art très américain du «rebond», la cité ravagée par l’ouragan Katrina est devenue, en cinq ans, le nouvel Eldorado du cinéma U.S., attirant espoirs (Ray Tintori, Benh Zeitlin…) et briscards (Werner Herzog, David Fincher, Sylvester Stallone…) en un même carnaval réparateur. Tandis que nous explorions la renaissance artistique de la cité louisianaise pour les besoins de ce numéro, des images nous parvenaient d’Haïti, du Chili ou de Vendée, semblant rejouer la catastrophe d’août 2005. Face à telle détresse, le pouvoir du septième art paraît bien mince : à quoi sert, au juste, le cinéma? À se relever, répondent, avec nous, les « wonderboys » de La Nouvelle-Orléans. _Auréliano Tonet


TAPAGES

8

Extrait de On bosse ici ! On vit ici ! On reste ici ! du « collectif des cinéastes pour les sans papiers »

TRAVAILLER LA PEUR AU VENTRE

PAPIER UNI Une fiche de paye ou une feuille d’imposition sont des papiers comme tant d’autres. Pourtant, ils ont beau en avoir, ils restent « sans ». Sans papiers et personnalités du cinéma s’unissent pour un court métrage en forme de manifeste, et pour rappeler que depuis plus de quatre mois, 6 000 travailleuses et travailleurs sans papiers sont toujours en grève. Ou comment faire du cinéma un piquet, au service du débat. _Par Adrien Rohard

Le film dure un peu plus de trois minutes, il se veut concis et déclaratif, dans l’image comme le propos. Les témoignages se succèdent dans la lamentation ou dans l’ironie, et c’est finalement elle qui marque, quand on découvre ces « sans papiers » employés par de grandes entreprises et institutions, parfois publiques. Ce film, ce sont les réalisateurs Laurent Cantet (Palme d’or 2008 pour Entre les murs) et Christophe Ruggia (auteur d’une campagne de lutte contre le sida en 1991) qui en sont à l’initiative. Une pétition l’accompagne, déjà signée par 350 personnalités du cinéma. Le film est là, rappellent les cinéastes, pour que « la

presse recommence à s’intéresser à ces grévistes fatigués et à bout de forces », qui veulent depuis octobre 2009 obtenir une circulaire permettant leur régularisation et l’amélioration de leurs conditions de travail. « C’est pas le travail qui me fatigue, c’est la peur au ventre qui me fatigue » peut-on entendre dans le documentaire, qui condense tout cela : la force de se battre, l’espoir de ne plus travailler au noir, mêlés à la peur de l’expulsion. En somme, l’histoire de sorts suspendus à un seul papier : la carte de séjour.

Peu savent que ce court métrage, diffusé sur Internet et intitulé On bosse ici ! On vit ici ! On reste ici !, est une expérience collégiale, déjà exprimée avant la dernière élection présidentielle dans Laissez-nous grandir ici !, un film pour les enfants de sans papiers. La caméra de ce « collectif des cinéastes pour les sans papiers » continue donc de rendre visibles ceux que l’on ne distingue pas des autres travailleurs, qui ont les mêmes devoirs mais pas les mêmes droits. Car un sans papiers au chômage ne touchera pas d’allocation, ni un centime de la retraite pour laquelle il cotise... Manifeste sincère pour combattre une réelle injustice ou opération de communication efficacement menée ? Les deux, sans doute. Reste à savoir si ce mouvement atteindra son objectif : convaincre la classe politique de la nécessité de régulariser ces travailleurs négligés.

www.collectifdescineastespourlessanspapiers.com MARS 2010

WWW.MK2.COM



SCèNE CULTE /// AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU

10

LE BATEAU IVRE LE PITCH Fin 1560, une expédition espagnole part à la recherche de l’Eldorado et s’embourbe en pleine Amazonie. Une plus petite équipe est alors constituée pour reconnaître l’aval du fleuve Amazone. À sa tête, Pedro de Ursua et son second, Lope de Aguirre, qui ne tardera pas à le trahir, avant de sombrer dans la folie.

Okello : Je vois un bateau avec des voiles, en haut d’un arbre. Un canoë est suspendu à sa poupe. Gaspar de Carvajal : Ce bateau est un mirage. Aucune crue n’irait si haut. Nous avons tous la fièvre. Ce n’est qu’une illusion. Il paraît que cela arrive aux hommes rompus de fatigue. Aguirre : Silence, moine ! Ce bateau est réel. Il nous conduira jusqu’à l’Atlantique. Gaspar de Carvajal : Non, Lope de Aguirre, je ne te suivrai pas. Nous sommes fatigués et affamés. Okello : Ce n’est pas un bateau. Ce n’est pas

un arbre. [Il est touché à la jambe par une flèche.] Ce n’est pas une flèche. Nous voyons des flèches parce que nous les craignons. Aguirre : Ce sont des flèches ! Abritez-vous ! Gaspar de Carvajal : Cette flèche ne peut pas me blesser… Ce n’est pas de la pluie. Aguirre : N’oublie pas de prier, ou Dieu te châtiera. Ne provoque pas Sa colère. Quand nous rejoindrons la mer, nous construirons un plus grand bateau. Nous irons au nord et arracherons Trinidad à la couronne d’Espagne. Nous continuerons notre route. Et nous arracherons le Mexique à Cortez. Quelle magnifique trahison ! Toute la Nouvelle-Espagne sera à nous. Nous mettrons en scène l’Histoire, comme d’autres mettent en scène des pièces de théâtre. Moi, la colère de Dieu, j’épouserai ma propre fille. Avec elle, je fonderai la dynastie la plus pure que l’homme ait jamais connue. Ensemble, nous régnerons sur la totalité de ce continent. Nous tiendrons jusqu’au bout. Je suis la colère de Dieu ! Qui est avec moi ?

Un film de Werner Herzog // Scénario de Werner Herzog, d’après le journal du moine Gaspar de Carvajal // République fédérale d’Allemagne, 1972, 1h33 // DVD disponible aux éditions G.C.T.H.V.

MARS 2010

WWW.MK2.COM



12 PREVIEW

MAMMUTH Le fructueux tandem grolandais réinvestit la comédie sociale, deux ans après Louise-Michel. Quand d’autres dégraissent le mammouth, le duo l’affuble d’une moumoute. Longue tignasse blonde, façon Mickey Rourke dans The Wrestler, Gérard Depardieu campe un retraité désœuvré. Pour glaner ses points retraite manquants auprès d’anciens employeurs négligents, il enfourche sa vieille moto fétiche, une Münch Mammuth. Dans son sillage défilent tous les états de la précarité (Poelvoorde en glaneur, Mouglalis en fripouille…), mais aussi les fantômes de sa jeunesse (Adjani, premier amour perdu). Démarrant sur les chapeaux de roue, Mammuth est un manifeste tendre et cocasse à la désaliénation, et s’impose comme un poids lourd des sorties d’avril. _S.M. Un film de Gustave Kervern et Benoît Delépine // Avec Gérard Depardieu, Yolande Moreau… // Distribution : Ad Vitam // France, 2009 // Sortie le 21 avril


13



LES

NEWS

SECOUEZ, AGITEZ, SAVOUREZ : L’ACTU CINÉ, CULTURE, TECHNO FRAÎCHEMENT PRESSÉE

CLOSE-UP Égérie de Tim Burton dans Alice au Pays des Merveilles, MIA WASIKOWSKA a su changer le kangourou en lapin blanc. Magique, comme elle. 2010, année australienne? Après Abbie Cornish (Bright Star), Mia Wasikowska emboîte le pas de sa compatriote, et enfile les souliers d’Alice dans l’adaptation baroque de Tim Burton. Habitué aux déclarations ésotériques, le réalisateur dit avoir choisi cette beauté classique de 20 ans, à l’air faussement éthéré, pour « sa vieille âme ». Ancienne ballerine lassée par l’excellence, issue d’une famille d’artistes et passionnée de photographie, Mia tenait un rôle de gymnaste, pas si éloigné de son vécu, dans la série «psy» In Treatment. À l’affiche de Jane Eyre aux côtés de Michael Fassbender en 2011, l’actrice n’a pas hésité à troquer ses anglaises contre une coupe garçonne pour le prochain film de Gus Van Sant (Restless). Vanity Fair la compte parmi les jeunes talents de 2010, tandis que Hollywood lui recommande de changer son imprononçable patronyme… d’un coup de baguette magique ? _C.G. & S.M.


16 NEWS /// POLÉMIQUE

K

LE

IL Y A CEUX QU’ IL ÉNERVE ET CEUX QUI LE VÉNèRENT

D’EST EN OUEST Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2009 puis dans de nombreux festivals internationaux, Eastern Plays poursuit une belle carrière critique. Mais les films dits « à potentiel festivalier » peuvent-ils rencontrer leur public ? _Par Sandrine Marques (la question) et Donald James (la réponse)

LA QUESTION

LA RÉPONSE

Le cinéaste Kamen Kalev ne considère pas Eastern Plays comme un film bulgare. Son propos, précise-t-il, n’est pas de rendre compte d’un pays en crise, mais de s’intéresser à celle, existentielle, que traverse son personnage principal, un ancien junkie en quête de rédemption. Pourtant, si le sujet universel du film déborde ses frontières, il pourrait bien rester circonscrit à un autre territoire : les festivals. En son temps, le critique de cinéma Jean-Baptiste Thoret avait suscité la polémique en identifiant une esthétique propre à ces films régulièrement distingués dans les festivals. Pratiquant l’art de la dilution, ils s’adresseraient à un public restreint de professionnels, s’il ne se trouvait des distributeurs indépendants aventuriers pour les rendre visibles. Le naturaliste Eastern Plays sera-t-il « un film de festival » de plus ?

Aucunement. La notion de « film de festival » demeure aujourd’hui encore très filandreuse. La présence de ce premier long métrage dans plus d’une vingtaine de festivals confirme avant tout l’intérêt des programmateurs pour ce film et un réel désir de le montrer. Tourné « en guérilla », Eastern Plays est aujourd’hui distribué non seulement en France, mais aussi à travers toute l’Europe… Taillé avec minutie, d’une profonde noirceur, Eastern Plays nous plonge dans un monde de déracinés : famille éclatée, relations amoureuses impossibles, où le fascisme lui-même est vaincu par le pouvoir de l’argent. Évitant tout manichéisme, traversé par de magnifiques respirations, ce film universel dessine des destins divergents et tragiques. C’est pour cette modernité renversante, pour ce battement lumineux des séquences qu’il ne faut manquer sous aucun prétexte Eastern Plays.

Un film de Kamen Kalev // Avec Christo Christov, Ovanes Torosian… Distribution : Épicentre // Bulgarie-Suède, 2009, 1h29 Sortie le 10 mars

LA RÉPLIQUE

« MA VIE SEXUELLE SE RÉSUME AU BROSSAGE DE DENTS. » (THE GOOD HEART, EN SALLES LE 17 MARS)

MARS 2010

WWW.MK2.COM



18 NEWS /// KLAP ! ///ZOOM SUR UN TOURNAGE

TINTIN AU CINÉ Entre motion capture et images de synthèse, les rois de la superproduction, STEVEN SPIELBERG et PETER JACKSON, s’attellent à l’adaptation des aventures du plus célèbre des reporters belges. Sortie du premier volet prévue en octobre 2011. _Par Pablo René-Worms

Un rêve de trente ans. C’est ce que réalise enfin Steven Spielberg, qui a récemment achevé le tournage des Aventures de Tintin - Le Secret de la Licorne, premier volet d’une trilogie, dont le prochain opus sera dirigé par Peter Jackson. Le projet remonte au début des années 1980 : à la sortie des Aventuriers de l’arche perdue, un journaliste compare le film aux histoires du fameux personnage d’Hergé, alors totalement inconnu au bataillon pour le

réalisateur américain. Depuis, Spielberg n’a cessé d’essayer de convaincre ses associés du bien-fondé d’une adaptation des péripéties du plumitif à houppette. C’est chose faite avec cet épisode tourné en Nouvelle-Zélande dans les studios de Peter Jackson, producteur du film, qui rassemblera le diptyque Le Secret de la Licorne / Le Trésor de Rackham le Rouge, ainsi qu’un extrait du Crabe aux pinces d’or. Le long métrage permettra de (re)découvrir la rencontre entre Tintin – interprété par Jamie Bell (Billy Elliot) – et le capitaine Haddock, qui prendra les traits d’Andy Serkis (Le Seigneur des anneaux). Tourné en 32 jours en octobre dernier, à grand renfort de motion capture, Le Secret de la Licorne, actuellement en postproduction, sera diffusé en 3D. Ou quand un jeune homme qui vient de fêter ses 80 ans passe des planches au relief…

© Hergé/Moulinsart 2010

INDISCRETS DE TOURNAGE « Houba, houba ! » Alain Chabat devrait réaliser l’adaptation (en 3D) de Marsupilami. Le tournage s’effectuera en prises de vues réelles à partir d’octobre en Amérique du Sud, avec l’exNul et Jamel Debbouze dans les rôles principaux. Une planète percute la Terre, provoquant l’extinction de la race humaine : tel est le programme du nouveau Lars Von Trier, Melancholia dont Penélope Cruz pourrait tenir le premier rôle. Tournage d’ici la fin de l’année, pour une possible présentation à Cannes en 2011. Michel Piccoli incarnera un pape effrayé par l’ampleur de sa charge dans le prochain film de Nanni Moretti, Habemus Papam. Le réalisateur interprètera le psychanalyste du SaintPère. Le tournage a débuté à Rome, pour une sortie prévue fin 2010.

LA TECHNIQUE CHÈVRE NUMÉRIQUE Lorsqu’il filme la scène durant laquelle George Clooney tue une chèvre par le seul pouvoir de son esprit dans Les Chèvres du Pentagone, le réalisateur Grant Heslov espère pouvoir se contenter d’un caprin dressé. Mais l’animal reste indifférent au charisme de la star et surtout aux ordres de ses dresseurs. C’est finalement la société d’effets spéciaux CIS Hollywood qui doit accomplir ce tour de passe-passe psychique. La véritable chèvre est remplacée par un double en image de synthèse, modélisé en 3D à partir de photos haute résolution du quadrupède, recouvert de milliers de poils numériques et animé à la main par un informaticien, qui se charge de définir les mouvements de l’animal. _Julien Dupuy // Les Chèvres du Pentagone de Grant Eslov, en salles le 10 mars

MARS 2010

WWW.MK2.COM



20 NEWS /// CONTRE-ATTAQUE

LA COLÈRE DE DIEU NICOLAS WINDING REFN divise régulièrement la critique avec ses films chocs. Le Guerrier silencieux – histoire de Vikings perdus entre paradis et enfer – n’échappe pas à la polémique. Visuellement impressionnant, son récit métaphysique est une quête de spiritualité que traverse une violence primitive. Remarquable pour certains, complaisant et d’un formalisme vain pour d’autres : le réalisateur danois s’explique. _Propos recueillis par Sandrine Marques

Vos films se caractérisent par une violence que certains vous reprochent d’approcher avec complaisance. Que leur répondez-vous ? Mes films ne sont pas violents. Ils s’inscrivent plutôt dans une violence émotionnelle, ce qui est très différent. Parce qu’elle perturbe les spectateurs, ils font un amalgame. Pour moi, l’art est un acte de violence. Il doit vous pénétrer au plus profond. Quelle est la genèse de votre film ? Je voulais faire un film sur les Vikings depuis des années, mais je ne connaissais rien à leur sujet. Plus jeune, j’ai entendu une émission à la radio où des archéologues parlaient de pierres runiques trouvées à Delaware, dans les années 1930. Comment étaient-elles arrivées en Amérique? Les inscriptions sur les pierres mettaient en garde contre la dangerosité du territoire américain. C’était une vraie matière à un film d’action. Le titre original Valhalla Rising est plus évocateur que le titre français [dans la mythologie nordique, le «Valhalla» est le paradis viking au sein du royaume des dieux]. D’où vous vient-il ?

De mon goût pour les titres de films de Kenneth Anger, Scorpio Rising et Lucifer Rising. Ma fiction traite de l’émergence des mythologies et de la foi. La religion aujourd’hui est un vrai business et les gens lui tournent le dos. L’humanité a besoin d’un nouveau « guerrier borgne » pour les élever à un niveau supérieur. Mon héros est l’alpha. C’est un guerrier, puis un dieu et à la fin, il devient humain car il se sacrifie. Le petit garçon représente l’espoir. Il veut rentrer chez lui, ce qui est une quête existentialiste. Quels effets recherchiez-vous avec la bande-son atmosphérique du film ? J’ai écouté le silence dans les montagnes et j’ai commencé à entendre de la musique. J’ai donc utilisé une partition rock pour insuffler de la modernité au film et j’ai intégré des compositions d’un groupe folk écossais. On a réduit les instruments au maximum pour obtenir quelque chose de très organique et de spirituel. Mon film est un récit mental, un voyage aux confins de l’espace et de l’entendement. Il se situe dans un passé très futuriste, entre paradis et enfer.

Un film de Nicolas Winding Refn // Avec Mads Mikkelsen, Maarten Steven… // Distribution : Le Pacte // Danemark, 2009, 1h30 // Sortie le 10 mars

MARS 2010

WWW.MK2.COM



22 NEWS ///PORTRAIT

DOUBLES JEUX JONATHAN ZACCAI impressionne dans Blanc comme neige de Christophe Blanc, en salles le 17 mars. De la comédie au film noir, du cinéma français aux plateaux hollywoodiens, le comédien franco-belge joue tous ses rôles avec un même plaisir gourmand. _Par Juliette Reitzer

Dans Blanc comme neige, il est Abel, frère cadet d’un concessionnaire automobile prospère pris pour cible par un réseau de mafieux finlandais. Bluffant de justesse dans ce rôle de rêveur indolent poussé à la violence par les circonstances, il constate : « J’aime surtout la comédie, mais bizarrement je me retrouve souvent dans des rôles plutôt noirs.» Comme si la douceur presque candide de ses yeux clairs inspirait de l’ambivalence aux metteurs en scène qui le choisissent pour leurs films. Personnage trouble aussi manipulateur que charmeur dans Petite Chérie d’Anne Villacèque, il est tiraillé entre une mère et son fils dans Ma vraie vie à Rouen d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, déchiré entre amour fraternel et raison citoyenne dans Les Yeux bandés de Thomas Lilti, ou encore coincé entre deux femmes dans Le Rôle de sa vie de François Favrat : l’acteur belge, qui se partage entre Paris et Bruxelles où vit sa famille, joue constamment sur deux tableaux. Jonathan Zaccaï a d’abord envisagé des études de droit, avant de bifurquer vers la comédie : « La vie est courte et je suis un peu rêveur. Je voulais pouvoir me

balader d’un endroit à l’autre, endosser des métiers différents. » Un penchant naturel à la flânerie qui imprime ses choix cinématographiques, déambulation gourmande et curieuse de la comédie romantique (Le Plus Beau Jour de ma vie de Julie Lipinski) au drame (Élève libre de Joachim Lafosse), du cinéma d’auteur (De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard) au blockbuster hollywoodien (Robin des Bois de Ridley Scott, en salles le 19 mai prochain). L’acteur revendique ce plaisir qu’il puise dans la diversité : « Je fonctionne à l’intuition. Le cinéma est un métier proche de l’enfance, qui doit rester ludique. » Il se réjouit d’ailleurs de donner la réplique (et un baiser) à Sophie Marceau dans L’Âge de raison de Yann Samuel, qu’il vient de terminer, et sera en septembre à l’affiche de Quartier lointain, adaptation très attendue d’un classique du manga par Sam Garbarski. Conjointement à cette riche carrière d’acteur, il dirigera bientôt un premier long métrage, une « comédie noire » : « Je suis fan de Terry Gilliam, Woody Allen et Maurice Pialat. Mon fantasme est d’arriver à marier sincérité et radicalité. » Une double mise qu’on lui souhaite gagnante. Lire la critique de Blanc comme neige page 41.

Un film de Christophe Blanc // Avec François Cluzet, Louise Bourgoin… // Distribution : MK2 // France-Belgique, 2009, 1h35 // Sortie le 17 mars

MARS 2010

WWW.MK2.COM



24 NEWS /// UNDERGROUND

© D.R.

OR NOIR Alchimistes d’un afro-rock à l’américaine, les Californiens de FOOL’S GOLD ont passé leurs guitares au tamis rythmique de l’Afrique. Rencontre avec le leader de ces orpailleurs venus d’ailleurs. _Par Étienne Rouillon

Or il n’en est rien… Fool’s Gold signifie « l’or de l’idiot », ou « pyrite », un minéral qui ressemble à de l’or mais qui n’a rien de précieux. Un attrape-nigaud, ce premier album ? Plutôt une affaire en or, un disque huit carats et autant de pistes gravées dans la roche de Los Angeles. Le collectif d’une dizaine de musiciens est allé piocher dans le sable du blues sahélien ou dans les côtes du highlife ghanéen, et en a tiré des pépites dont il fait des hits. Une ruée vers l’art motivée par une frustration, que résume le chanteur Luke Top : « Plusieurs membres du groupe jouaient sur des projets qui ne leur permettaient pas d’exprimer leur passion pour ces musiques. » La cité des anges métis accueille alors des répétitions fiévreuses : «La chanson Night Dancing est l’une de nos premières, un instantané de ces moments où l’on était en transe, sous l’emprise des riffs afro beat qu’on jouait en boucle... » Si l’auberge afro de Fool’s Gold évoque celle, tout aussi accueillante, de Vampire Weekend, elle s’ouvre vers des hôtes plus inattendus, comme sur le bien nommé Surprise Hotel, chanté en hébreu : « Un voyage que je fais vers mes racines israéliennes... » Autres périples à venir : Luke tente de rallier l’Afrique pour une tournée prochaine, peut-être après avoir retourné Paris en avril – un concert qui vaudra son pesant d’or. Fool’s Gold de Fool’s Gold (Cinq 7) En concert le 22 avril à La Bellevilloise

COPIER COLLER >> Docteur en mathématiques, le Canadien Daniel Victor Snaith (camouflé sous le sobriquet Caribou) compose une électropop élégante, qui pulse dans le mille de nos tympans.

>> Strié de motifs circulaires (loops, boucles, échos), son cinquième album, Swim, évoque les fameuses «cibles» du peintre Jasper Johns, impures et hypnotiques.

LE MYSPACE CHARTS DE LA RÉDACTION GORILLAZ – Stylo www.myspace.com/gorillaz Leur nouvel album s’annonce comme un sommet d’écritures plurielles, à l’image de ce Stylo Mont-Blanc, featuring les yetis R’n’B Mos Def et Bobby Womack : gare aux Gorillaz ! SHE & HIM – Thieves www.myspace.com/sheandhim « Elle » (l’actrice Zooey Deschanel) et « lui » (le folksinger M.Ward) reviennent squatter nos platines avec leurs ritournelles de gentlemen cambrioleurs. Haut vol. M-JO – On va trouver www.myspace.com/123mjo Accompagnée par Étienne Jaumet au sax, la Marseillaise M-Jo a trouvé la mélodie parfaite sur cet instrumental, prélude idéal à l’album Mes Propriétés prévu pour avril.

MARS 2010

WWW.MK2.COM



© Thomas Vassort

Une vie Saint Laurent d’Alain Chamfort (Pierre & Eau, album disponible sur www.vente-privee.com) Exposition rétrospective Yves Saint Laurent, jusqu’au 29 août au Petit Palais


NEWS /// MOTS-CROISÉS

27

CHAMFORT ET SES DOUBLES Avec l’élégance qui le caractérise, ALAIN CHAMFORT publie le disque Une vie Saint Laurent, classieux hommage au couturier disparu, que célèbre par ailleurs une exposition au Petit Palais. Pour évoquer cet album hors normes, nous avons demandé au chanteur de commenter des maximes de son homonyme, le moraliste Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort. Entretien-miroir avec l’un des plus grands stylistes de la chanson française. _Propos recueillis par Auréliano Tonet

«

Pourquoi supposez-vous que j’en dis du bien parce qu’il est mon ami ? Pourquoi ne supposez-vous pas plutôt qu’il est mon ami parce qu’il y a du bien à en dire ? » Mon parolier Pierre-Dominique Burgaud et moi, on écoutait beaucoup Songs for Drella, un disque de John Cale et Lou Reed autour de la vie d’Andy Warhol. Par ricochet, nous nous sommes intéressés à l’équivalent français de Warhol,Yves Saint Laurent, dont je connaissais mal le destin. J’ai alors réalisé qu’il avait mené une vie à part, d’une grande modernité. On a composé une quinzaine de chansons, puis on a demandé à son compagnon, Pierre Bergé, de nous recevoir pour lui faire écouter les maquettes. On se sentait mal à l’aise, mais il a tendu l’oreille, et, au-delà de toutes les imperfections, s’est montré extrêmement ému – certainement le fait de voir sa vie restituée sous une forme très étrange. Il nous a donné son autorisation et n’est pas revenu dessus. Il a été royal. « La plus perdue de toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri. » Il y a entre la mode et la musique des filiations naturelles. La mode, c’est beaucoup d’application, de risques, mais aussi une dose de superficialité. Saint Laurent était très gai, malgré sa profonde mélancolie. Il aimait rire, danser, fréquentait le Palace. Moi aussi, j’aime conserver une certaine légèreté dans ce que je fais. C’est, je crois, une forme d’élégance. « Il est très difficile de trouver le bonheur en soi, et impossible de le trouver ailleurs. Il y a une mélancolie qui tient à la grandeur de l’esprit. » Saint Laurent, c’est un destin tragique. Tous les gens de goût en avaient fait leur idole. Pour l’ego, c’est à la fois épouvantable et magnifique. La mélancolie qui l’a accompagné toute sa vie l’a empêché d’apprécier pleinement ce qui lui arrivait. Ce fond mélancolique, nous avons décidé de le restituer à travers des instrumentations organiques, comme les tissus qu’utilisait Saint Laurent. « L’estime vaut mieux que la célébrité, la considération vaut mieux que la renommée, et l’honneur vaut mieux que la gloire. » MARS 2010

Moi aussi, je suis plus sensible à l’estime qu’on porte à mon travail qu’à la célébrité, dont je me fous un peu. Cela dit, ce disque n’est pas destiné au milieu de la mode, ni à un cercle de privilégiés. Le grand public est capable selon moi d’apprécier des formes artistiques exigeantes. « Les économistes sont des chirurgiens qui ont un excellent scalpel et un bistouri ébréché, opérant à merveille sur le mort et martyrisant le vif. » On a proposé le projet à quelques labels « traditionnels ». Ils se sont montrés frileux. Finalement, on a fait le pari de proposer le disque à 5,50 euros sur le site vente-privee.com. Quand Pierre Bergé l’a appris, il était content. En un sens, notre démarche n’est pas si éloignée de la sienne, lorsqu’il a inventé le prêt-à-porter de luxe avec Saint Laurent Rive Gauche. « La société, qui rapetisse beaucoup les hommes, réduit les femmes à rien. » Les femmes ont toujours été la source d’inspiration d’Yves Saint Laurent. Sa mère, la première, lui a révélé l’élégance. Il a aidé les femmes à s’affranchir, en leur créant des pantalons, des smokings. Pour ma part, je leur déclare des choses plus compliquées que « femmes, je vous aime», ce qui n’empêche pas certaines d’être réceptives à mes chansons. « L’homme arrive novice à chaque âge de sa vie. » C’est aussi le besoin qui m’anime : me renouveler à chaque projet. Sortir deux disques trop proches l’un de l’autre, ça me déprime. J’aime qu’on vienne me chercher, comme l’a fait Pierre-Dominique sur ce projet. Sans émulation, j’ai du mal à me mettre au piano. « Les ouvrages qu’un auteur fait avec plaisir sont souvent les meilleurs, comme les enfants de l’amour sont les plus beaux. » Mon précédent album s’appelait Le Plaisir. Cette fois, le plaisir est né de ma découverte de la biographie d’Yves Saint Laurent. Cet homme m’a hanté toute une année. Si l’on traduit ce disque sur scène, on utilisera peut-être des images d’archives, mais on ne fera surtout pas appel à un sosie pour incarner Saint Laurent : ce serait grotesque, déplacé. WWW.MK2.COM


28 NEWS /// PASSERELLES

© Antoine Doyen

RADIO CAROLINE Psychanalyste spécialiste de l’enfance, mais aussi chroniqueuse pour Les Matins de France Culture, CAROLINE ELIACHEFF publie un recueil de ses billets hebdomadaires. Un livre plein d’humour, où l’actualité est décryptée avec un recul bienvenu. _Par Pablo René-Worms

Un regard des plus singuliers : c’est ce qu’on a tendance à penser à la lecture de Puis-je vous appeler Sigmund ? Le camouflet de Nicolas Sarkozy au Conseil constitutionnel comparé à la gifle d’un enfant de 9 ans à l’un de ses camarades ; la dérégulation financière mise en parallèle avec la vie d’une classe de maternelle ; la violence supposée des jeunes Français rapportée à la vigueur de notre taux de fécondité : Caroline Eliacheff n’hésite pas à faire des rapprochements qui, s’ils paraissent osés de prime abord, n’en restent pas moins pertinents. « Il est assez amusant de comparer des grandes théories économiques à ce qu’il se passe dans une cour d’école, souligne la psychanalyste. Nous y avons tous été, et tout le monde sait que tant que le professeur n’est pas là, la salle de classe ne se régule pas. J’ai l’impression que c’est un peu la même chose dans le monde de la finance. » Fatalement, en spécialiste de l’enfance, Caroline Eliacheff traite dans ses chroniques de thèmes qui ont rapport à son métier : de la question morale et légale des différentes formes de procréation à la famille « dans tous ses états », en passant par la justice des mineurs et l’édu-

cation, elle offre une réflexion toujours fine et accessible sur des thématiques parfois pointues. Mais celle qui a coécrit les scénarios de trois films de Claude Chabrol (La Cérémonie, Merci pour le chocolat et La Fleur du mal) ne se gêne pas pour épingler un autre milieu qu’elle connaît bien, celui du cinéma. Sa vision du Festival de Cannes, qu’elle fréquente depuis sa plus tendre enfance, est particulièrement savoureuse : «À chaque fois que je vais sur la Croisette, je me dis que si je prenais une chambre au Carlton et en faisais mon cabinet pendant un mois, j’aurais un succès fou, sourit Caroline Eliacheff. À Cannes, il y a cette espèce de dictature de la réussite : être au bon hôtel, avoir la bonne accréditation, aller dans la bonne soirée, gagner des prix, se faire remarquer… Les individus là-bas vont très mal. C’est un concentré d’humanité assez cocasse et plutôt rare – tous ces gens réunis qui ont l’impression d’être au centre du monde. » En somme, Cannes vu comme un haut lieu de la misère psychique humaine… Preuve que l’écriture de Caroline Eliacheff est à l’image de la discipline qu’elle pratique et transmet à ses auditeurs : libre.

Puis-je vous appeler Sigmund ? et autres chroniques de Caroline Eliacheff (Albin Michel)

MARS 2010

WWW.MK2.COM



30 NEWS /// IN SITU /// EN STUDIO AVEC HIGELIN PAR


31


32 NEWS /// LE BUZZLE

LE NET EN MOINS FLOU _Par Étienne Rouillon

BUZZ’ART

STATUTS QUOTES Sélection des meilleurs statuts de FACEBOOK

Isabelle : La Journée de la jupe, c’est la version féminine de la fête du slip ? Christophe : Une chose est sûre, le mot césarienne ne provient pas des Césars du cinéma, parce que là, l’accouchement est long et douloureux. Julie : Mélanie Thierry dit que Raphaël la tire vers le haut : y a un sous-entendu ? Chat Roulette de Casey Neistat // Posté le 23 février 2010 // 5’57 // 218 000 vues

POST-IT

Sandrine : Tahar ta gueule, le cinéma français ! Roland : Très bon Depardieu dans le rôle de Niels Arestrup !

Sociologues 2.0 au sens (très) pratique, les frères CASEY et VAN NEISTAT postent des vidéos lo-fi de leur quotidien new-yorkais. Hilarant.

Renan n’aurait pas aimé être le mec assis à côté de Jacques Audiard aux Césars, qui s’est levé toute la soirée...

_Par J.R.

« Données Chat Roulette : à 16h, un mardi, j’ai chatté avec 90 personnes. Je les ai classées en trois catégories : filles, garçons, et pervers. » À grand renfort de Scotch, ciseaux, Tipp-Ex et Post-it, Casey Neistat planche sur des sujets d’utilité publique (Déontologie du vol de vélo), ou tente plus prosaïquement de vendre sa vieille voiture (Car for Sale). Sous le vernis artisanal de ses vidéos, l’humour nostalgique côtoie une maîtrise technique bluffante. En 2003, Casey et son frère Van créent un buzz avec leur court métrage iPod’s Dirty

Secret, mécontents d’avoir appris que « la batterie, non remplaçable, de l’iPod ne dure que 18 mois ». Sept ans et quelque 200 réalisations plus tard, entre Michel Gondry, téléréalité et expériences façon Géo Trouvetou (enfoncer un clou dans une balle de gros calibre pour rigoler), leurs impertinents bricolages filmiques n’ont pas échappé à HBO, qui vient de leur acheter un programme court en huit épisodes qui seront diffusés l’été prochain. www.vimeo.com/user3007372 www.neistatbrothers.com

Sophie a de la fuite dans les idées. Christophe : BHL a terminé son livre sur les Botul. Christophe fait peine à boire. Arnold : Hasta l’ego, baby. Caroline va voir Alice au pays des merguez. Christophe : Et pour La Journée Delajoux, un bistouri d’or ! Caroline a bien rigolé quand sa fille a dit « Elle est cassée la dame » en entendant Jeanne Balibar aux Césars. Anne honore un plan cul(inaire).

APPLIS MOBILES _Par E.R. PROXIMA MOBILE

PLANTS VS. ZOMBIES

Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’économie numérique, s’applique avec Proxima, un portail dédié aux applications mobiles. Covoiturage, alerte enlèvement… Une sélection de services gratuits pour téléphones à la citoyenneté augmentée.

Super green.

Plus de renseignements sur www.proximamobile.fr

Plateforme : iPhone et iPod touch // Prix : 2,39 €

MARS 2010

Vous avez la main verte, mais le teint verdâtre des morts vivants vous fait tourner de l’œil. Jeune pousse sur PC, ce tower defense mûrit le même principe sur iPhone : repousser les zombies à coup de plantes piégées.

WWW.MK2.COM


33

MAL BUZZÉ

ChAT PERChÉ

L’ŒIL DU CYCLONE De Haïti à Vancouver, le studio IMMERSIVE MEDIA scrute l’actualité avec sa caméra panoramique et paranormale. Elle ressemble au vaisseau T.I.E. de Dark Vador, avec sa forme sphérique émaillée de verrues : autant d’objectifs sur la caméra à 360 degrés inventée par Immersive Media. Si l’entreprise canadienne de capture vidéo – avec des yeux dans le dos – existe depuis 1994, c’est en allant tourner des images en Haïti au lendemain du séisme qu’Immersive Media nous a fait battre des cils. Œil de Judas voyeur ou œil de Râ omniscient, la caméra Dodeca® 2 360 permet à l’internaute de naviguer dans la vidéo avec sa souris, à l’instar de ce que propose Google Earth (lui limité aux seules photos). Dernière expérience à nous faire de l’œil, la captation d’événements en marge des Jeux de Vancouver, en partenariat avec la chaîne d’info MSNBC. Bien vu. www.immersivemedia.com

IRL

– [ierel] acronyme

On donnait sa langue au chat, on donne désormais son image à Chatroulette. C’est un service de discussion anonyme par webcam, entre le speed dating et la roulette russe : d’une touche de clavier, on rencontre des inconnus que l’on peut zapper ou tutoyer un moment. Un échange dans la veine du vieux service de tchat Caramail. On dit pourtant de ce nouveau site qu’il sème le bazar le plus révolutionnaire depuis YouTube (qui vient de fêter ses cinq ans) et qu’il a été inventé par un Moscovite de 17 ans. Andrey Ternovskiy n’a sûrement pas d’enfants. Via son rejeton numérique, on tombe aussi bien sur un pénis frictionné que sur un bout de chou de huit piges. Au-delà du frisson voyeuriste ou du dialogue espérantiste, le grand mérite de Chatroulette, c’est de hurler aux parents qu’un élève de maternelle ne doit pas faire ses classes seul sur Internet.

MOT @ MOT _Par E.R.

(De l’anglais « in real life », ou « dans la vraie vie » ; désigne un ensemble empirique par opposition aux mondes fictifs) 1. Relatif aux interactions d’un sujet avec son environnement, sans l’entremise d’un écran ou d’un clavier. Terme employé par ceux qui passent le plus clair de leur temps sur Internet ou dans des mondes virtuels persistants comme Second Life. « J’ai une flopée de flirts sur Facebook, mais toujours pas de Saint-Valentin IRL. » 2. Par extension, remettre à sa place quelqu’un qui prend ses rêves pour des réalités. « Brian Joubert, le roi du patin ? Plutôt le roi du gadin IRL. »

MARS 2010

WWW.MK2.COM


34 NEWS /// AVATARS /// UN JEU VIDÉO EXPLIQUÉ À... MON PROF DE LETTRES

DANS TA FACE La Divine Comédie, c’est suant à quelques mois du bac. Je préfère le Dante en détente de Dante’s Inferno. De quoi faire grincer les molaires molasses de mon prof de lettres…

ALTER GAMO

_Par Étienne Rouillon

« Eh mec, t’as préparé ton exposé ? » Je veux, vieux. À l’heure du pain choco, voici le choc des pains du meilleur beat them all (« tatane-les tous ») de ce deuxième trimestre scolaire. La marotte de l’instit pour ses ouailles en stade terminale L, c’est de nous faire présenter des adaptations du corpus d’œuvres littéraires. La semaine dernière, Xinthya, ma douce Vendéenne, s’est noyée en abordant La Tempête de William Shakespeare… « Cet aprèm, je vais vous parler d’une adaptation libre de La Divine Comédie, premier texte de la littérature italienne couché par le maestro Dante Alighieri en 1472. Ça s’appelle Dante’s Inferno, un jeu qui use avec habileté de la topographie infernale des neufs cercles concentriques. Autant de niveaux où, armé d’une faux et d’un crucifix, notre héros terrasse des incarnations homériques des pêchés capitaux. Chef-d’œuvre capital. Un exemple capiteux ? Voyez ici Cléopâtre, figurant la luxure, et ses tétons obusiers qui vous bombardent des mort-nés errant dans les limbes avec des faucilles à la main ! » « Comment ça « Dante presque » ? Dantesque plutôt, m’sieur ! » L’enseignant n’a pas le goût pour le saignant : zéro pointé. M’enfin, personne n’est prophète en sa partie de jeu vidéo. L’enfer, c’est l’apôtre. Dante’s Inferno // Éditeur : Electronic Arts // Plateformes : PS3, X360

ALI, 32 ANS CHAUFFEUR DE TAXI

RÉTRO GAMO JEUX BRANCHÉS Console offerte pour l’anniversaire du petit dernier est souvent synonyme de tricotage de câbles:celui de la manette, de l’alimentation ou de la péritel. Les TiviPad soulagent les multiprises. À la fois console et contrôleur, ils se branchent d’un seul fil sur la télévision. Du prêt à (re)jouer les classiques des années 1980,comme Pac-Man. TiviPad Miss Pac-Man // Lansay // À partir de 35 € sur Internet.

MARS 2010

« Petit, j’ai eu entre autres l’Atari 2600 et la Gameboy. J’aime Mario Kart parce qu’un jeu vidéo doit être ludique, comme un jeu de société. Mais j’adore surtout Tétris, le premier jeu auquel j’ai joué. J’ai choisi la barre comme avatar, car c’est avec elle que tu fais le max de points… »

WWW.MK2.COM




LE

GUIDE CALENDRIER MALIN POUR AVENTURIER URBAIN

DU MERCREDI 10 MARS AU MARDI 6 AVRIL

« AVEC MON COSCÉNARISTE, NOUS AVIONS LE LIVRE DE JOB EN LIGNE MIRE. » CHRISTOPHE BLANC

P.41

SORTIES EN SALLES SORTIE LE 10 MARS 38 Achille et la tortue de Takeshi Kitano SORTIE LE 17 MARS 40 La Révélation de Hans-Christian Schmid 41 Blanc comme neige de Christophe Blanc SORTIE LE 31 MARS

42 Les Murmures du vent de Shahram Alidi 44 Nénette de Nicolas Philibert LES AUTRES SORTIES 46 Le Rêve italien ; Chicas ; La Rafle ; Fleur du désert ; Bus Palladium ; Soul Kitchen ; The Good Heart ; La Buena Vida ; Tout ce qui brille ; L’Immortel ; Dream ; Mumu ; Tête de Turc ; Manolete ; Les Invités de mon père ; Dragons

P.41

44 LES ÉVÉNEMENTS MK2 Cinéma du réel Le Printemps du cinéma

SORTIES EN VILLE 50 CONCERTS Christophe et Dominique A L’oreille de… Jonathan Zaccaï

52 CLUBBING La Machine du Moulin Rouge Les nuits de… Guido 54 EXPOS Vinyl à la Maison rouge Le cabinet de curiosité : Mythologies 56 SPECTACLES Rien n’est beau. Rien n’est gai… à la Ménagerie de verre Le spectacle vivant non identifié : Festival Exit

P.54

MARS 2010

58 RESTOS Inaki Aizpitarte au Chateaubriand Le palais de… Ariel Wizman

WWW.MK2.COM


38 CINÉMA

10/03

SORTIE LE

Achille et la tortue 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Sur sa palette, Kitano superpose hardiment humour, tragédie et réflexion sur la condition d’artiste. 2… Pour découvrir les toiles peintes par Kitano lui-même, exposées dès le 11 mars à la Fondation Cartier. 3… Parce que ce film est typique du cinéma de Kitano, auquel le Centre Pompidou consacre une rétrospective.

TALENT D’ACHILLE Un film de Takeshi Kitano // Avec Takeshi Kitano, Kanako Higuchi… // Distribution : Océans films // Japon, 2008, 2h00

Depuis Takeshi’s en 2005, TAKESHI KITANO semait le doute sur son passage. Avec Achille et la tortue, son nouveau film aux allures de sortie de crise, il rallie un cinéma classique et profondément émouvant. _Par Juliette Reitzer

Au Ve siècle avant J.-C., le philosophe et mathématicien grec Zénon d’Élée formulait ce paradoxe : Achille dispute une course avec une tortue, accordant au reptile une avance de 100 mètres. Lorsque Achille s’élance, la tortue a rejoint un point A, que le coureur met un certain temps à atteindre à son tour. Quand il y parvient, la tortue a quant à elle progressé jusqu’au point B, et ainsi de suite indéfiniment, Achille ne rattrapant jamais la tortue… De même, le héros du nouveau film de Takeshi Kitano poursuit une course effrénée : soit Machisu, enfant passionné par la peinture devenu étudiant en art puis peintre quinquagénaire (interprété par Kitano lui-même). Les morts, suicidés ou sacrifiés sur l’autel de l’art – comme cet étudiant en quête d’une nouvelle proposition picturale, qui lance sa voiture chargée de peinture sur une toile blanche – jalonnent la course de Machisu sans jamais la freiner.

MARS 2010

Insensible aux malheurs et supplications de ses proches, il poursuit une reconnaissance populaire qui ne cesse de le distancer, personnifiée par un cynique marchand d’art lui refusant scrupuleusement chacune de ses toiles. Et Kitano d’énoncer à son tour un paradoxe: peintre boudé des amateurs d’art, Machisu n’en est-il pas moins un artiste? Lui-même créateur aux œuvres polymorphes (il est à la fois peintre, designer, acteur, chanteur, cinéaste, poète…), le réalisateur signe avec Achille et la tortue son troisième long métrage sur la condition de l’artiste, après Takeshi’s (2005) et Glory to the Filmmaker (2007), deux précédents volets sombres et destructurés qui témoignaient d’une réelle crise. Ici, la narration classique bouleverse, le propos émeut et Kitano franchit sereinement la ligne d’arrivée, résolvant avec son brio narratif d’antan tous les paradoxes de la quête artistique.

WWW.MK2.COM



40 CINÉMA

17/03

SORTIE LE

La Révélation 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Il expose les rouages, rarement vus au cinéma, du Tribunal pénal international. 2… Pour les deux comédiennes, Kerry Fox et Anamaria Marinca. 3… Pour la maturité du cinéaste allemand Hans-Christian Schmid (Requiem, Au loin les lumières).

FAITES ENTRER L’ACCUSÉ Un film de Hans-Christian Schmid // Avec Kerry Fox, Anamaria Marinca… Distribution : EuropaCorp // Allemagne-Pays-Bas, 2008, 1h45

Avec La Révélation, l’Allemand HANS-CHRISTIAN SCHMID réalise un thriller polyglotte et maîtrisé, autour d’une enquête au long cours du Tribunal pénal international. Édifiant. _Par Clémentine Gallot

Le désastre de la guerre est plus photogénique que la longue traînée qu’il laisse derrière lui. Pourtant, c’est bien aux conséquences de la guerre des Balkans que le film de Hans-Christian Schmid choisit de s’intéresser. Un général serbe doit être jugé pour crimes contre l’humanité. La procureur (Kerry Fox) est chargée d’assembler les preuves, le film naviguant ainsi entre La Haye, Bruxelles, Berlin et la Serbie. Cette coproduction s’inscrit dans un genre qu’affectionne la télévision publique : la fiction européenne savante et efficace. Rendre cinégénique le Tribunal pénal international et les rouages opaques de sa bureaucratie n’était pas une mince affaire. Ce polar sans apprêt surmonte pourtant l’austérité de son sujet grâce à l’actrice néo-zélandaise Kerry Fox, vue dans Bright Star, et à la géniale Anamaria Marinca, de 4 mois, 3 semaines et 2 jours. Le film dresse un constat amer : la justice internationale est un dirty business et l’inculpation des criminels de guerre une tâche quasi impossible. Et l’un des personnages de conclure : « Le tribunal n’est pas une thérapie. »

HANS-CHRISTIAN SCHMID Pourquoi avoir choisi ce sujet ? J’ai lu un article sur une procureur. Après l’avoir rencontrée, je me suis demandé si je voulais vraiment raconter l’histoire d'une personne impliquée dans de si complexes sujets. Je ne me suis pas dit : « Je vais faire un film autour de la juridiction internationale ! », mais plutôt que j'avais envie d’explorer plus avant ce personnage. La journaliste Florence hartmann a travaillé sur le film. Quel a été son apport ? Elle apparaissait dans un documentaire sur la procureur Carla Del Ponte, dont elle était la porte-parole. Je l’ai contactée et lui ai demandé de rencontrer les acteurs. C’était très important pour eux d’avoir une experte de son envergure pour comprendre le fonctionnement du tribunal. Dans votre film, un des procureurs dit du TPI qu’il est loin d’être une thérapie… Je pense qu’il a raison. On leur demande de raconter une toute petite partie de l’Histoire, et surtout pas le reste, parce que le tribunal n’a pas le temps. Pour beaucoup, le passage devant la cour est un grand traumatisme. _Propos recueillis par P.R.-W.

MARS 2010

WWW.MK2.COM


17/03

41 CINÉMA

SORTIE LE

Blanc comme neige 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour François Cluzet, impeccable en homme d’affaires devenu homme de main. 2… Pour la séquence finlandaise, plongée morbide et poétique dans une mer de neige. 3… Pour découvrir un film d’action à la française, tout en finesse.

NOIR SUR BLANC Un film de Christophe Blanc // Avec François Cluzet, Louise Bourgoin… Distribution : MK2 // France-Belgique, 2009, 1h35

CHRISTOPHE BLANC jongle avec les codes du genre dans Blanc comme neige, thriller familial classieux qui nous fait visiter les plus sombres recoins de l’âme humaine. Un film qui époustoufle par son sens du storytelling et son impureté. _Par Pablo René-Worms

Des ombres qui jouent à cache-cache dans les étourdissantes plaines finlandaises. Un homme seul, touché, agonisant au milieu de nulle part. Comment en est-on arrivé là ? Heureux patron d’une concession automobile de luxe, Maxime a tout pour lui. La reconnaissance de ses pairs, une femme magnifique, et l’amour de sa famille. Tout roule donc dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce qu’une bande de malfrats surgisse dans sa vie. Dès lors, la machine infernale se met en branle, la seule issue pour lui est de mettre les mains dans le cambouis, entraînant irrémédiablement son entourage dans sa propre chute. « Avec mon coscénariste, Roger Bohbot, nous avions le Livre de Job en ligne de mire, explique le cinéaste. Il propose une suite de catastrophes sans fin dont Job est constamment la victime. Job a peur de tout : peur de perdre, de manquer, d’être mal perçu. » Des Bouches-du-Rhône à la Finlande, le périple de Maxime l’entraînera sur le chemin de la rédemption. Un passage de l’ombre à la lumière pour ce film noir sur fond blanc.

CHRISTOPHE BLANC On retrouve dans Blanc comme neige des éléments clés du film de genre, mais aussi des motifs plus personnels… À l’intérieur du thriller, j’avais le désir de parler de sentiments familiaux très communs : la fraternité, l’amour... J’ai dernièrement été très marqué par La nuit nous appartient et 7h58 ce samedi-là, deux thrillers qui s’inscrivent dans un univers familial omniprésent. Selon quels critères avez-vous choisi vos acteurs ? Je voulais des acteurs très terriens. Les trois frères ont cette dimension : une profondeur, une électricité… Ils sont toujours connectés au présent. Louise Bourgoin est très belle, mais sa beauté est accessible, elle ne met pas à distance. Le héros du film fait l’expérience de la duplicité… Maxime ment beaucoup, il a peur de tout et n’a aucune confiance dans les gens qui l’entourent. Il lui manque une forme de foi païenne. En même temps, il est sûr de détenir la bonne façon de vivre. Il pense en substance : « Si tous les gens vivaient comme moi, le monde serait enfin équilibré. » _Propos recueillis par A.T.

MARS 2010

WWW.MK2.COM


42 CINÉMA

SORTIE LE

31/03

Les Murmures du vent 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour l’acteur Omar Chawshin, monument de dignité alors que le chaos s’acharne autour de lui. 2… Pour les montagnes battues par les vents, témoins muets du sort terrible des Kurdes d’Irak. 3… Pour la scène du mariage, explosion de joie et de musique d’une puissance émotive rare.

POSTE AÉRIENNE Un film de Shahram Alida // Avec Omar Chawshin, Maryam Boubani… // Distribution : Les Acacias // Irak, 2009, 1h17

Premier film irakien tourné depuis les événements que vous savez, Les Murmures du vent suivent un postier d’un genre différent. Une œuvre traversée par une beauté, une chaleur et un souffle bienvenus. _Par Pierre-Simon Gutman

Évidemment, il est difficile de traiter Les Murmures du vent comme un film ordinaire lorsqu’on découvre sa provenance : les riantes contrées d’Irak, une terre qui, ces dernières années, s’est certes illustrée par une forte présence médiatique, mais pas pour la vitalité de sa production cinématographique. Tout cela risque de changer avec Les Murmures du vent, premier long métrage de Shahram Alidi, présenté à Cannes l’année dernière lors de la Semaine de la critique. On y suit les pérégrinations d’un vieil homme qui transporte de village en village des sons et des paroles enregistrés sur des cassettes, faisant le lien entre les êtres et les âmes de ces montagnes du Kurdistan balayées par les ombres et qu’il arpente sans relâche. Mémoire, transmission, communication : de grands thèmes donc, auxquels répond la majesté des décors

MARS 2010

naturels. Les paysages sont sublimés par un remarquable travail sur l’image, la photographie bénéficiant d’un cinémascope n’ayant rien à envier aux fresques épiques du vieil Hollywood (le David Lean de Lawrence d’Arabie, par exemple). Si le ton du récit est contemplatif, il se permet des embardées vers des climats absurdes ou oniriques, qui évoquent parfois le cinéma violemment poétique du jeune Kusturica. Le résultat possède surtout une chaleur qui rend ce film bien plus accessible que sa façade de premier long métrage kurde ne le laisse deviner. Loin d’être une création austère et renfermée sur elle-même, Les Murmures du vent est une œuvre au diapason de son héros insolite : faussement timide, ouvert sur les autres, plus accueillant qu’il n’en a l’air, et prêt à séduire un public occidental qui aurait bien besoin de voir enfin une autre image de ce pays.

WWW.MK2.COM



44 CINÉMA

SORTIE LE

31/03

Nénette 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour l’intelligence du dispositif réflexif, imaginé par Nicolas Philibert. 2… Pour l’habile travail de montage sonore qui donne au film sa brillante dynamique. 3… Pour la sagesse de Nénette dont nous avons tout à apprendre.

SINGERIES Un documentaire de Nicolas Philibert Distribution : Les Films du Losange // France, 2009, 1h10

Contemplez le primate, vous y verrez l’humanité. C’est le parti pris de Nénette, le nouveau documentaire de NICOLAS PHILIBERT qui installe, autour d’une femelle orang-outan, un dispositif malin comme un singe. _Par Sandrine Marques

Femelle orang-outan impassible, Nénette coule, depuis 1972, des jours tranquilles à la ménagerie du Jardin des Plantes à Paris. Vedette incontestée des lieux en raison de son exceptionnelle longévité, cette « rentière velue est victime de sa rareté », comme le souligne un visiteur avisé. Avec un sens aigu du montage, Nicolas Philibert enregistre les commentaires de ces anonymes qui se bousculent chaque jour devant la cage de la digne doyenne. Et les projections abondent. On lui trouve un air triste, on s’extasie de la proximité de son comportement avec l’homme, une mère de famille spécule sur la tragédie de la séparation d’avec sa progéniture. Autant de paroles qui glissent sur la surface de verre derrière laquelle la blasée Nénette contemple ces drôles d’animaux. Subtilement, la relation humain-animal se redéfinit. Regardeur et regardé s’observent, tandis qu’au loin gronde une manifestation. Folie des hommes, que rappelle la lecture d’un texte de Buffon : dans le documentaire de Nicolas Philibert, les grands singes ne sont pas ceux qu’on croit. MARS 2010

NICOLAS PHILIBERT En filmant Nénette, qu’avez-vous appris sur vous ? Je ne me savais pas capable de rester des heures à regarder des orangs-outans, et d’être aussi ému ! Ils nous dévisagent, eux aussi, avec une intensité incroyable. Du coup, on se met à réfléchir à leur condition, à la nôtre, à ce qui nous distingue et nous rapproche… L’impassibilité de Nénette tranche avec les désordres du monde. Comme cette scène où, au loin, on entend une manifestation… C’est une séquence entièrement construite au montage. Il n’y a rien de synchrone. J’ai enregistré les sons d’une manif qui passait à proximité, et je les ai montés sur ces plans de Nénette. Je voulais jouer de ce contraste : d’un côté, la colère des manifestants, excédés par les plans de licenciements ; de l’autre, l’impassibilité de Nénette. En quoi Nénette prolonge votre précédent documentaire Un animal, des animaux ? Les deux films ont en commun de nous plonger dans le monde animal sans être pour autant des films « animaliers ». Dans les deux cas, il est moins question des animaux en tant que tels que du regard que nous portons sur eux. WWW.MK2.COM



46 CINÉMA

AGENDA SORTIES CINÉ 10/03 _Par C.G., J.R., P.R.-W. et S.M.

SORTIES DU

LE RÊVE ITALIEN de Michele Placido Avec Riccardo Scamarcio, Jasmine Trinca… Rezo Films, Italie, 1h41

Après Romanzo Criminale, Michele Placido revient avec un film autobiographique, Le Rêve italien, plongée dans l’Italie soixantehuitarde à travers le regard d’un jeune policier dont la mission est d’infiltrer un monde étudiant en pleine effervescence.

CHICAS de Yasmina Reza Avec André Dussollier, Emmanuelle Seigner… UGC, France, 1h24

Avec son premier film, Yasmina Reza nous embarque dans la psyché d’une famille dysfonctionnelle. De crises de nerfs en crises de jalousies, de crises de pleurs en crises de rires, on se laisse emporter par la folie de ces personnages hauts en couleurs.

LA RAFLE de Rose Bosch Avec Mélanie Laurent, Jean Reno… Gaumont, France, 1h59

Paris, 16 juillet 1942. Treize mille Juifs sont raflés au vélodrome d’hiver. Parmi eux, plus de quatre mille enfants… Entièrement basé sur des anecdotes et personnages réels, La Rafle bouleverse en privilégiant le regard, fragile et innocent, des enfants.

FLEUR DU DÉSERT de Sherry Hormann Avec Liya Kebede, Sally Hawkins… Bac Films, Allemagne-France-Autriche, 2h04

Adapté de l’autobiographie homonyme de Waris Dirie, Fleur du désert revient sur le destin de cette fillette du désert somalien devenue top model international, et sur son combat contre l’excision. On y voit l’éclosion d’une jeune actrice sublime, Liya Kebede. ET AUSSI CETTE SEMAINE : EASTERN PLAYS de Kamen Kalev (lire la critique p. 16) LE GUERRIER SILENCIEUX de Nicolas Winding Refn (lire l’interview p. 20) ACHILLE ET LA TORTUE de Takeshi Kitano (lire la critique p. 38)

MARS 2010

17/03

SORTIES DU

LA BUENA VIDA d’Andrés Wood Avec Francisco Acuña, Jorge Alis… Jour2Fête, Chili, 1h48

À Santiago du Chili, Teresa, Edmundo et Mario sont tous un peu paumés. Convaincre les prostituées de mettre un préservatif à leurs clients ou intégrer enfin l’orchestre philharmonique, chacun poursuit sa quête à sa manière. Un film choral fin et émouvant.

BUS PALLADIUM de Christopher Thompson Avec Marc-André Grondin, Géraldine Pailhas… StudioCanal, France, 1h38

Des amis d’enfance montent un groupe de rock, bientôt populaire. Mais l’arrivée d’une groupie déstabilise leur unité… Pas toujours originale, cette incursion musicale dans les années 1980 est galvanisée par l’énergie de jeunes interprètes à suivre.

THE GOOD HEART de Dagur Kári Avec Paul Dano, Brian Cox… Le Pacte, Danemark-Islande-États-Unis, 1h35

Affaibli par de fréquentes crises cardiaques, un vieux patron de bar new-yorkais entreprend d’enseigner son métier à un jeune SDF. Duo d’acteurs monumentaux et dialogues brillants d’irrévérence pour un film drôle et émouvant : un vrai coup de cœur.

SOUL KITCHEN de Fatih Akin Avec Adam Bousdoukos, Birol Ünel… Pyramide, Allemagne-France, 1h39

Récompensé par l’Ours d’or de Berlin en 2004 avec Head-On, l’Allemand d’origine turque Fatih Akin livre une comédie légère autour du sauvetage d’un restaurant. Un feel good movie, avec l’acteur Udo Kier en guest star et une B.O. rock soul entraînante. ET AUSSI CETTE SEMAINE : LA RÉVÉLATION de Hans-Christian Schmid (lire la critique p. 40) BLANC COMME NEIGE de Christophe Blanc (lire le portrait p. 22 et la critique p. 41) BAD LIEUTENANT : ESCALE À LA NOUVELLE-ORLÉANS de Werner Herzog (lire le dossier p. 70) WWW.MK2.COM


47

SORTIES DU

24/03

MUMU de Joël Séria Avec Sylvie Testud, Helena Noguerra… Gebeka Films, France, 1h35

L’auteur des mémorables Galettes de Pont-Aven revient avec un film situé dans l’après-guerre. Roger, un gosse rebelle promis à la maison de correction, se transforme sous l’influence d’une institutrice sévère mais compatissante. Un joli drame familial.

L’IMMORTEL de Richard Berry Avec Jean Reno, Kad Merad… EuropaCorp, France, 1h55

Richard Berry s’inspire d’un épisode de la vie de Jacky Imbert, dernier parrain historique du milieu marseillais – célèbre pour avoir survécu à 22 balles dans le buffet –, dans ce film de vengeance sur fond d’honneur bafoué. Sanglant à souhait.

TOUT CE QUI BRILLE de Géraldine Nakache et Hervé Mimran Avec Leïla Bekhti, Géraldine Nakache… Pathé, France 1h40

Lila et Ely vivent à Puteaux. Elles rêvent d’une autre vie qui leur permettrait de traverser le périphérique et d’enfin pouvoir s’acheter des pompes de luxe. Une fable sociale qui nous entraîne dans le monde pas si merveilleux de la capitale…

DREAM de Kim Ki-duk Avec Joe Odagiri, Lee Na-young Films Sans Frontières, Corée du Sud, 1h35

Depuis Locataire (2005), on attendait le retour du célèbre réalisateur coréen. Il signe un film fantastique décalé où la fiction devance la réalité. Deux êtres liés à la vie à la mort par le sommeil et les rêves. Fascinant.

ET AUSSI CETTE SEMAINE : ALICE AU PAYS DES MERVEILLES de Tim Burton (lire le portrait p. 15 et le dossier p. 62) WHITE MATERIAL de Claire Denis (lire l’interview p. 68) CROSSDRESSER de Chantal Poupaud (lire la critique p. 94)

MARS 2010

SORTIES DU

31/03 MANOLETE de Menno Meyjes Avec Penélope Cruz, Adrien Brody… Quinta, Espagne-Grande-Bretagne-France, 1h32

L’histoire vraie de la passion fusionnelle entre le célébrissime matador espagnol des années 1940 et Lupe Sino, actrice sublime et mystérieuse. Une danse tragique et romanesque avec l’amour et la mort, par le scénariste de Spielberg, Coppola et Zemeckis.

TÊTE DE TURC de Pascal Elbé Avec Roschdy Zem, Ronit Elkabetz… Warner Bros., France, 1h27

Poussé par sa bande de potes, un gamin jette un cocktail Molotov sur la voiture d’un médecin, qu’il sauve in extremis avant de prendre la fuite… Polar ambitieux, le premier film réalisé par Pascal Elbé bénéficie d’un casting impeccable.

LES INVITÉS DE MON PÈRE d’Anne Le Ny Avec Fabrice Luchini, Karin Viard… UGC, France, 1h35

Un patriarche engagé épouse une jeune Moldave menacée d’expulsion. Ses enfants doivent alors composer avec ce nouveau schéma familial déstabilisant. Très bien écrite, cette comédie caustique renvoie avec bonheur les personnages à leurs petites bassesses.

DRAGONS de Chris Sanders et Den DeBlois Avec les voix de Gerard Butler, Jay Baruchel… Paramount, États-Unis, 1h47

Chez les Vikings, la chasse au dragon est un sport national, auquel le chétif Harold aimerait bien s’adonner. Jusqu’au jour où il rencontre une grosse bestiasse fumante qui lui fera changer d’avis. Un film en 3D sur l’amitié entre les peuples… ET AUSSI CETTE SEMAINE : LES MURMURES DU VENT de Shahram Alidi (lire la critique p. 42) NÉNETTE de Nicolas Philibert (lire la critique p. 44)

WWW.MK2.COM


48 CINÉMA

LES ÉVÉNEMENTS BASTILLE

BIBLIOTHÈQUE

HAUTEFEUILLE

ODÉON

QUAI DE LOIRE

BEAUBOURG

GAMBETTA

NATION

PARNASSE

QUAI DE SEINE

CINÉMA

PASSERELLES

FLASHBACKS & PREVIEWS

LE DIALOGUE DES DISCIPLINES

MARDI 9 MARS – 20h30 / SOIRÉE BREF / Dehors, dedans. Jours ordinaires de Damien Maestraggi, Rendez-vous à Stella-Plage de Shalimar Preuss, Lapsus d’Arnauld Visinet et Petite Anatomie de l’image d’Olivier Smolders.

SAMEDI 13 MARS – 11h / STUDIO PHILO / Séance autour de Le Pouvoir psychiatrique de Michel Foucault. Animée par le philosophe Ollivier Pourriol.

DIMANCHE 14 MARS – 10h30 / La Leçon de piano de Jane Campion. Film choisi par Valentine Goby à l’occasion de la parution de son nouveau livre Des corps en silence (Gallimard). JEUDI 25 MARS – 20h / Au nom des trois couleurs de Chantal Richard. Séance présentée par la réalisatrice. LUNDI 29 MARS – 20h30 / RDV DES DOCS / Fin de siglo et Elian, l’enfant captif de Marilyn Watelet et Szymon Zaleski. D’un grand magasin cubain à l’histoire très médiatisée du petit naufragé que Cuba et Miami se sont disputé au début de l’année 2000. En présence des cinéastes et de J. Packer-Comyn, directeur artisitique du festival Cinéma du réel. MARDI 6 AVRIL – 20h / Vita Nova en présence de Marcelin Pleynet. MARDI 6 AVRIL – 20h30 / MARDIS DU COURRIER INTERNATIONAL / Bassidji de Mehran Tamadoon. Portrait de quatre membres de la police des mœurs iranienne. Projection suivie d’un débat avec le réalisateur. MERCREDI 7 AVRIL – 18h / Vita Nova en présence de Florence D. Lambert. JEUDI 8 AVRIL – 20h / Vita Nova en présence de David di Nota. VENDREDI 9 AVRIL – 18h / Vita Nova en présence de David Grinberg. SAMEDI 10 AVRIL – 18h / Vita Nova en présence de Lionel Dax et Augustin de Butler.

JUNIOR

JEUDI 18 MARS – 19h30 / RENCONTRE / Autour de Bollywood. Soirée autour de La Nuit aux étoiles de la romancière indienne Shobhaa De (Actes Sud). Rencontre avec l’auteur suivie de la projection de Devdas de Sanjay Leela Banshali à 20h30. SAMEDI 20 MARS – 11h / STUDIO PHILO / Séance autour de Les Anormaux de Michel Foucault. Animée par le philosophe Ollivier Pourriol. SAMEDI 20 MARS - 11h30 / CINÉ-BD / Serge Le Tendre et Vincent Mallié. Avec Dargaud, projection de Million Dollar Baby de Clint Eastwood, suivie d’une rencontre-dédicace autour d’Avant la quête tome 3 : la voie du Rige. VENDREDI 26 MARS – 19h / RENCONTRE / Anthony Pastor. Avec les éditions Actes Sud, rencontre autour de la parution de la bande dessinée Las Rosas. SAMEDI 27 MARS – 11h / STUDIO PHILO / Séance autour de Les Anormaux de Michel Foucault. Animée par le philosophe Ollivier Pourriol. MARDI 30 MARS – 19h30 / RENCONTRE / Agnès Varda. Avec les éditions L’Œil, rencontre autour du livre Les Plages d’Agnès suivie de la projection du film homonyme à 21h. JEUDI 1er AVRIL – 19h30 / SOIRÉE ZÉRO DE CONDUITE / L’immigration Avec les éditions Attila, autour des textes Le Barbier et le Nazi d’Edgar Hilsenrath et Récits d’Ellis Island ; Histoires d’errance et d’espoir de Georges Perec, (éditions P.O.L.). Insc. au 01 44 52 50 70. SAMEDI 3 AVRIL – 11h / STUDIO PHILO / Séance autour de Les Anormaux de Michel Foucault. Animée par le philosophe Ollivier Pourriol.

JUSQU’AU 17 MARS - SÉANCE DU MATIN

Jasper, pingouin explorateur L’Écureuil qui voyait tout en vert Kérity, la maison des contes Le Petit Chat curieux Moomin et la folle aventure de l’été L’Ours et le magicien Alvin et les Chipmunks 2

MERCREDI 7 AVRIL – 10h30 LECTURE POUR LES 3-5 ANS / Super-héros Rejoignez-nous pour découvrir nos super-héros… Jean-Michel le caribou des bois, Superlapin et leurs amis ! Inscription gratuite au 01 44 52 50 70.

Toute la programmation sur www.mk2.com.

MARS 2010

WWW.MK2.COM


49

UVREZ DÉCO ÉMA IN C LE DANS N E M T AUTRE K2 ! M LLES LES SA

FOCUS

_Par J.R.

CINÉMA DU RÉEL : MUSIC IN MOTION Le festival international de cinéma documentaire squatte les écrans du MK2 Beaubourg! Entre les sélections officielles (compétition internationale, premiers films, panorama français…), une programmation parallèle promet d’exciter les festivaliers… Soit une vingtaine de docus dédiés au rock – ou comment filmer la musique, son public et ses idoles. Outre le mythique Woodstock de Michael Wadleigh (1970), cette playlist ressuscite quelques pépites, comme la version longue de What’s Happening! The Beatles in the U.S.A. (1964), des concerts légendaires filmés (Led Zeppelin en 1970, Rolling Stones en 1969, Talking Heads en 1984) et portraits de musiciens (Eurythmics par Amos Gitai, Sex Pistols, Pink Floyd…). L’occasion aussi de poser un regard ethnographique sur l’entrée en transe des publics rock (Black and White Trypps Number Three de Ben Russell) ou de voyager jusqu’à Tokyo et son effervescence musicale avec We Don’t Care About Music Anyway de Cédric Dupire et Gaspard Kuentz. Du 18 au 30 mars. Toute la programmation sur www.cinereel.org

LE PRINTEMPS DU CINÉMA Le printemps approche à grands pas, et en attendant le soleil et les filles en fleurs, c’est l’occasion rêvée d’aller se réchauffer au cinéma. Éclos en 2000, le Printemps du cinéma propose d’accéder à tous les films, à toutes les séances et dans toutes les salles de France pour un tarif unique de 3,50 euros. Ça tombe bien, une brassée d’œuvres très attendues s’apprête à fleurir sur les écrans : The Ghost Writer, le nouveau long métrage de Roman Polanski récompensé d’un Ours d’argent au Festival de Berlin, Nine, la comédie musicale de Rob Marshall au casting torride, mais aussi les nouveaux films de Martin Scorsese, Takeshi Kitano, Atom Egoyan, Werner Herzog, Tony Gatlif ou Fatih Akin. Au printemps dernier, l’événement avait chaleureusement rassemblé dans les salles plus de 2,8 millions de cinéphiles malins… Du 21 au 23 mars. Plus d’informations sur www.printempsducinema.com

MARS 2010

LES CYCLES VITA NOVA Homme d’art et de lettres né en 1933, Marcelin Pleynet signe en 2008 Vita Nova, proposition autobiographique coréalisée avec la chorégraphe Florence D. Lambert. Entre Paris, Venise et Rome, le film emprunte son titre à l’œuvre de Dante et associe étroitement art, biographie, poésie et histoire. Le film sera projeté tous les soirs du 6 au 10 avril, en présence d’intervenants prestigieux. Toute la programmation dans la rubrique cinéma ci-contre.

STUDIO PHILO Les samedis à 11h, Ollivier Pourriol nous fait voir le cinéma par le prisme de la philosophie – et inversement. Avec de nombreux extraits, de La Ligne verte aux Choristes, il questionne ici la pensée de Michel Foucault et les influences du pouvoir sur l’individu… www.cinephilo.fr. Toute la programmation dans la rubrique passerelles ci-contre.

MICROCOSMES Du 20 mars au 20 avril, les samedis et dimanches matin à partir de 10h30 : Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, Shining de Stanley Kubrick, Stalker d’Andreï Tarkovski, Canine de Yorgos Lanthimos et Home de Ursula Meier.

CINÉMA CORÉEN Les samedis et dimanches matin : The Host et Memories of Murder de Bong Joon Ho, Thirst de Park Chan Wook, L’île de Kim Ki Duk, Oasis et Secret Sunshine de Lee Chang Dong, Conte de cinéma de Hong Sang Soo et A Bittersweet Life de Kim Jee Woon.

T o u t e l a p r o g r a m ma t i o n s u r m k 2 . c o m

WWW.MK2.COM


© Julien Mignot

CONCERTS

50 SORTIES EN VILLE

Dominique A

DÉCHANTEURS Christophe & Dominique A Deux rénovateurs de la chanson française, le beau bizarre CHRISTOPHE et le toujours remué DOMINIQUE A, hanteront et enchanteront ce mois-ci les salles de concerts. Parcours croisés de deux intranquilles. _Par Wilfried Paris

Alpha du renouveau de la chanson française dans les 90s, Dominique A, s’il a payé son tribut à l’imprudent Bashung (Immortels, sur le récent La Musique, fut composé pour lui), avait aussi, en 1993, repris le Chiqué, chiqué de Christophe, dans une tentative d’autodérision au moment (auto)critique du deuxième album. « C’est du faux, pas du vrai » : tube qui ne sonnait pas creux, et qui pourtant ne parlait que de ça, du vide derrière l’artefact culturel, Chiqué, chiqué résonnait comme un passage de témoin, intronisant l’A dans la cour des petits maîtres de la chanson française (Polnareff, Christophe donc), avant qu’il ne s’attaque aux grands chanteurs hantés, à la voix portant et au regard lointain (Brel, Ferré). Boucle presque bouclée, Dominique A revient aux sources ces jours-ci avec La Musique, enregistrée en autarcie comme La Fossette originelle, et se trouve peut-être plus d’affinités que jamais avec le dernier Bevilacqa. Car Christophe, revenu des Paradis perdus, du rock’n’roll, des yé-yé, de l’électro, conscient de l’impermanence de son statut, de l’évanescence d’un air, comme Dominique A, remet chaque fois sur le tapis de sa maisonstudio l’ouvrage, pour tenter chaque fois de réinventer ce que chanson veut dire : « déchanter » est son mot favori. Comme s’il fallait défaire, (se) défiler, découdre et dénouer les fils, pour mieux réapprendre à tisser (peindre) une nouvelle toile, et finalement Aimer c’que nous sommes, comme le titre de son dernier album. Ces deux grandes voix claires déchantent, comme on déjoue l’attente, comme on dévie d’une route, préférant les obliques ou les perpendiculaires, voire les retours en arrière, pour mieux repartir. Ainsi amateurs d’expériences scéniques parallèles, Dominique A jouera ce mois-ci devant un nouveau public, les abonnés des centres culturels hexagonaux, avant un Bataclan conclusif, tandis que Christophe, qui fut prince à Versailles cet été, investira la Cité de la musique, sa cité. Christophe les 15 et 16 mars à la Cité de la musique, dès 20h, 39 € Dominique A en tournée dans les centres culturels et au Bataclan le 31 mars, dès 19h30, 33 € MARS 2010

WWW.MK2.COM


L’OREILLE DE… JONATHAN ZACCAI

SPEECH DEBELLE LE 13 AVRIL À LA MAROQUINERIE « Je suis assez ringard au niveau de mes goûts musicaux. Ça va de la musique classique à la variété française : dans le train en arrivant, j’écoutais du Francis Cabrel, c’est pour dire… Je pense que Speech Debelle, ça peut vraiment valoir la peine. J’adore la voix de cette petite rappeuse anglaise, son accent cockney et sa manière de mélanger les genres, avec un côté un peu jazzy. Sinon, en juin, j’irais bien voir Air à la Cité de la musique, ils ont composé la B.O. d’un film dans lequel je joue qui devrait sortir bientôt, Quartier lointain. » _Propos recueillis par J.R.

Speech Debelle, le 13 avril à La Maroquinerie, dès 19h30, 20 €. Lire le portrait de Jonathan Zaccaï page 22.

AGENDA CONCERTS

_Par W.P.

1 RETRIBUTION GOSPEL CHOIR Quand Alan Sparhawk et Steve Garrington, deux membres de Low, se la jouent loud, ils branchent les distos et demandent au batteur Eric Pollard de taper sur les fûts. Slowcore, mais tout à fond. Le18 mars au Point Éphémère, dès 20h, 16,60 €

2 YEASAYER Yeasayer sont la dernière sucrerie new-yorkaise, déclinant la franchise Animal Collective avec synthés d’outre-espace, rythmes world delayés, chamaneries progressives. Une synthèse pop que les hipsters s’arrachent déjà. Le19 mars au Point Éphémère, dès 20h, 16,60 €

3 LONELADY & JESSIE EVANS Sœurette des post-punkettes E.S.G. ou Lizzy Mercier Descloux, Lonelady sort sur Warp un premier album Nerve Up, groovy cold-wave – si cela est possible. La divine Jessie Evans, son saxo et son batteur virtuoso, ouvriront pour le chaud et froid. Le 23 mars à La Maroquinerie, dès 19h30, 19 €

4 WHY ? Toujours en quête de la perfection pop, la bande de Yoni Wolf ne se pose plus de questions (hiphop ? pas hip-hop ?) et enchaîne les concerts, restituant le touché très live de son dernier opus Eskimo Snow. Et pourquoi pas ? Le 25 mars à La Maroquinerie, dès 19h30, 19,80 €

MARS 2010


© Lev Oleksander

CLUBBING

52 SORTIES EN VILLE

LOCOMOTION La Machine du Moulin Rouge En octobre dernier, en pleine pétition sur Paris « capitale du sommeil », on apprenait la fermeture de la mythique Locomotive, dernier bastion du clubbing montmartrois. Le lieu rouvrait fin janvier sous le nom de Machine du Moulin Rouge. Revue d’une reconduction. _Par Violaine Schütz

À la « Loco » pouvaient se croiser 2 000 noctambules de tous horizons lors de soirées new-wave, hip-hop ou techno, dont certaines sont restées dans les annales. Ouverte en 1960, cette discothèque rock à la déco rétro avait même accueilli live les Beatles, les Kinks et Bowie. C’est donc avec une certaine inquiétude qu’on apprenait son rachat en octobre dernier par le Moulin Rouge, le cabaret risquant à terme de faire de ses 2 500 m² une succursale café-musée de la maison mère. Destination commerciale sinistre s’il en est pour un lieu jadis adulé par les punks… Mais pour l’heure, c’est le collectif Sinny & Ooko (des anciens du Glazart et du Divan du Monde) qui a été chargé de remettre la machine sur les rails, et il entend bien insuffler l’énergie des musiques actuelles à ce lieu chargé d’histoire. Nouvelle programmatrice et chef de chantier, Peggy Szkudlarek promet des soirées différentes, thématiques et éclectiques… « Nous aimons la fête, les rendez-vous atypiques qui mixent musique, ciné et littérature, donc tout sera possible dans les trois espaces de la Machine – la salle de concert, le club et le bar américain. » Peggy a aussi dans l’idée de « réveiller le live car on a la chance de pouvoir programmer des concerts tard dans la nuit. Sont déjà prévus Aufgang, Black Lips, Puppini Sisters, Dinosaur Jr. ... Il y aura aussi des DJ sets de membres de Babyshambles et Belle and Sebastian. On veut également mettre en lumière des labels tels que Compost, Ninja Tune, Warp ou la scène de Manchester ou Berlin, le tout accompagné d’images de VJ. » Et le 20 mars, Autechre, le groupe de Sheffield adulé par les amateurs de dance intelligente, jouera live, suivi de DJs de l’écurie Warp. Une soirée locomotive qui nous pousse à croire que la Machine a su garder une âme. Soirée Warp avec Autechre live, le 20 mars, dès 23h, 15 € // La Machine, 90 boulevard de Clichy, 75018 Paris.

MARS 2010

WWW.MK2.COM


LES NUITS DE… GUIDO

GOLDRUSH LE 27 MARS À LA FLÈCHE D’OR « Depuis quarante ans, j’ai trois passions : la cuisine, le jogging et les soirées dansantes. De mélomane en chambre, je suis passé à DJ, organisateur et D.A. de lieux. Actuellement, c’est le Panic Room, dans le XIe et très prochainement, Chez Moune, le cabaret pigallois. Il va renaître sous la forme d’un club sexy et sexué, où la musique de danse sera enfin traitée à sa juste valeur et non martyrisée par de fades ipodiens. Accessoirement, je continue d’organiser les soirées Goldrush à la Flèche d’or. Et un jour, j’achèterai un éléphant pour me promener dessus. » _Propos recueillis par V.S.

Avec Flairs, Man&Man, Siobhan Wilson, DJ Cæsar, dès 20h, 8 € avec une conso.

AGENDA CLUBBING

_Par V.S.

1 BOYS NOIZE RECORDS NIGHT Amateurs d’électronique classieuse et de minimale sensible, s’abstenir. L’Allemand Boys Noize n’est pas réputé pour faire dans la dentelle. Il invitera cette nuit-là les signatures de son label et d’autres (Djedjotronic, Strip Steve, Das Glow) également connus pour s’adonner avant tout aux joies de la sueur et du beat tout-puissant. Le 19 mars au Rex Club, dès minuit, 10 € en prévente

2 TILT! PARTY Les fans d’italo-disco en savent quelque chose, Mike Simonetti, patron new-yorkais du très fréquentable label Italians Do It Better, sait faire onduler les corps sous la boule à facettes tout en nous faisant verser une larme. À ses côtés, l’Anglaise glam-rock Ghostcat, et le Parisien Play Paul, spécialiste de la dance moustachue, tenteront d’être à la hauteur du maître synth-disco. Le 20 mars au Point Éphémère, dès 23h, 10 €

3 WHAT THE FUNK Après avoir accueilli Cut Chemist, Quantic, E.S.G., Boombass ou encore Alice Russell, les soirées What The Funk fêtent leurs sept ans. Pour l’occasion, quelques-uns des artistes qui ont le plus marqué les soirées passées (dont DJ Format et TM Juke) se livreront à des exercices de définition du genre (funk, soul, hip-hop, breakbeat) qui promettent d’être très remuants… Le 3 avril au Nouveau Casino, dès minuit, 10 €

MARS 2010


© Photo Bettina Brach/ Collection Guy Schraenen

EXPOS

54 SORTIES EN VILLE

GRAND MIX Vinyl à La Maison rouge La Maison rouge présente Vinyl, disques et pochettes d’artistes, autour de la collection de GUY SCHRAENEN. Une exposition que prolongent les œuvres de CÉLESTE BOURSIERMOUGENOT, amplifiant la dimension visuelle et plastique du son. _Par Anne-Lou Vicente

Tombé en désuétude avec l’apparition de nouveaux supports, le vinyle n’a pourtant pas perdu de son aura mythique. Depuis plus de trente ans, le Britannique Guy Schraenen, passionné de ces séries d’œuvres originales qu’on appelle des «multiples», collectionne disques vinyles, pochettes, bandes magnétiques, revues spécialisées et autres éléments rattachés au son. Un vaste ensemble de cette collection est aujourd’hui réuni à la Maison rouge pour le plaisir des néophytes comme des spécialistes les plus pointus. Le visiteur n’échappe pas aux fameuses pochettes qu’Andy Warhol a réalisées pour les Rolling Stones et le Velvet Underground. Le pop art n’est toutefois qu’une étape d’un long et riche parcours qui réunit les mouvements d’avant-garde des années 1920 (dadaïsme, futurisme), mais aussi Fluxus, le nouveau réalisme ou encore l’art conceptuel. Le disque vinyle a aussi été pour certains artistes le moyen de conserver les traces de performances réalisées pendant les années 1960 et 1970. Pour d’autres, comme Roman Opalka ou Yves Klein, l’occasion de réaliser un véritable single… Présentées dans une section attenante à l’exposition, les œuvres de l’artiste français Céleste Boursier-Mougenot ne sont pas sans faire écho à l’art du vinyle : une platine blanche, entièrement réalisée en plâtre – y compris le socle sur laquelle elle repose – fait figure tant de réplique que de contrepoint chromatique et plastique à l’original, une platine Numark noire. Le disque, de plâtre lui aussi, est empreint de sillons progressivement creusés par la tige de cuivre qui fait office de diamant et produit, par son frottement avec la matière, un bruit sourd et abstrait. Une belle façon de montrer que le disque, s’il s’écoute, est avant tout un objet qui se contemple, une œuvre en soi. Jusqu’au 16 mai à La Maison rouge, 10 boulevard de la Bastille, 75012 Paris. Du mercredi au dimanche de 11h à 19h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21h. 7/5 €.

MARS 2010

WWW.MK2.COM


LE CABINET DE CURIOSITÉS

MYTHOLOGIES DE MAURICE RENOMA Désarçonnant : c’est le premier adjectif qui vient à l’esprit après la visite de Mythologies. Dans cette série de photomontages, exposés à la galerie Sparts, le photographe Maurice Renoma, précurseur de la mode yé-yé, a choisi de jouer sur la caricature. Mi-humains, mi-animaux, les héros de cette galerie de portraits déclinent la nature humaine. De la vache au cochon en passant par le cheval ou encore le singe, les personnages deviennent caractères – et l’on en vient presque à oublier l’humain derrière. _P.R.-W.

Du 11 mars au 13 avril à la galerie Sparts, 41 rue de Seine, 75006 Paris.

AGENDA EXPOS

_Par A.-L.V.

BRICE DELLSPERGER L’artiste présente deux nouveaux opus de sa série Body Double, qui consiste à rejouer des scènes de films préexistants. Ici, il déconstruit la séquence du casting du Dalhia noir de Brian de Palma et réactive plusieurs scènes de Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. Jusqu’au 20 mars à la galerie Air de Paris, 32 rue LouiseWeiss, 75013 Paris.

DAVIDE BALULA Pour son exposition Le Compas dans l’œil, l’artiste présente un ensemble d’œuvres récentes qui font la part belle à l’expérimentation et à l’aléatoire. Matériaux et gestes intègrent la notion de processus à travers dessins, tableaux et installations à l’allure souvent low tech. Jusqu’au 28 mars à la galerie Frank Elbaz, 7 rue Saint-Claude, 75003 Paris.

MARION TAMPON-LAJARIETTE Qu’elles soient fixes ou en mouvement, les images de cette jeune artiste empruntent au registre cinématographique tout en déroutant la narration, créant ainsi un certain trouble. Errance et vertige sont au cœur de son exposition intitulée Lost Horizon. Du 18 mars au 30 avril à la galerie Dix9, 19 rue des Filles-du-Calvaire, 75003 Paris.

MARS 2010


© Caroline Albain

SPECTACLES

56 SORTIES EN VILLE

CADAVRES EXQUIS Rien n’est beau. Rien n’est gai… Dans un cabaret « camp » envahi de dindons, Jeanne Balibar partage avec le très dandy metteur en scène YVES-NOËL GENOD un amour pour l’imaginaire buto, cette danse japonaise tendue vers les ténèbres. _Par Ève Beauvallet

Avant d’appeler pour se faire engager, raconte-t-elle, Jeanne Balibar avait vu les pièces «inconnues et belles» d’Yves-Noël Genod – «de celles, précise-t-elle, qui nous plaisent non pas parce qu’elles sont intéressantes ou que le jeu d’acteur est bon». Il faut dire que les deux ont des accointances. Dans les capharnaüms insolites du metteur en scène, l’acteur erre entre jeu et non-jeu, au gré d’une composition hasardeuse. Et c’est précisément la méthode de travail privilégiée de Jeanne Balibar qui, dans cette trinité féminine réunie pour l’occasion (avec Kate Moran et Marlène Saldana), se confond avec l’image-icône de Barbara. « Une figure ‘‘buto’’ en ce qu’elle joue sur une inversion des valeurs entre beauté et laideur», explique Yves-Noël Genod. Le buto, cette « danse des ténèbres » post-Hiroshima, cet « arrière-plan paysager de la pièce », Jeanne Balibar le connaît bien : « Non pas parce que j’ai lu tous les livres, mais parce que j’ai joué ce texte, capital, de Tatsumi Hijikata avec le chorégraphe Boris Charmatz et qu’il m’imprègnera à jamais. Lorsqu’il dit “J’abrite un corps mort à l’intérieur de moi’’, c’est ce que je vois dans la pièce d’Yves-Noël. » Soit un travail qui raconte la disparition des trois actrices «derrière une créature de manga, un archétype de show-girl américaine, et de diva française – en cela, c’est buto », conclut-elle. Et cabaret ! Yves-Noël Genod souligne que, entre deux pièces de buto, le maître Hijikata faisait du cabaret porno le soir : « J’ai failli appeler la pièce Trois putains respectueuses. » Mais quand on sait à quel point Yves-Noël Genod est fasciné par la dissolution (à en croire le titre d’une de ses pièces, Le Dispariteur), rien de plus cohérent que le titre final ci-dessous…

Rien n’est beau. Rien n’est gai. Rien n’est propre. Rien n’est riche. Rien n’est clair. Rien n’est agréable. Rien ne sent bon. Rien n’est joli, du 10 au 13 mars à la Ménagerie de verre, www.menagerie-de-verre.org MARS 2010

WWW.MK2.COM


LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ

FESTIVAL EXIT Prototype de discothèque du futur, danse sur flux cybernétiques, corps en lévitation… Le festival Exit zoome volontiers sur l’invasion digitale et les fantasmes humanoïdes qui alimentent le spectacle vivant. Ce qui fait de lui une éprouvette précieuse, comme l’a compris le designer Philippe Starck – qui performe pour l’occasion sur la musique du collectif new-yorkais Soundwalk. Ce qui fait aussi de lui un festival hors frontières, au sens figuré comme au sens propre, puisque Exit est l’endroit rare où l’on retrouve, presque chaque année, l’excellent metteur en scène iranien Amir Reza Koohestani. _E.B.

Du 18 au 28 mars à la Maison des arts de Créteil, www.maccreteil.com

AGENDA SPECTACLES

_Par E.B.

1 ODE MARITIME Un poème du Portugais Fernando Pessoa, un seul comédien en scène, deux heures durant… Rebutant ? Sidérant. Le metteur en scène Claude Régy place pour l’occasion l’acteur Jean-Quentin Châtelain sur un ponton métallique au centre d’une immense vague de zinc, et nous révèle les déchirures de ce corps immobile, qui rêve de large et de néant. Jusqu’au 20 mars au Théâtre de la Ville, www.theatredelaville-paris.com

2 LE PRINCE DE VERRE Ce pourrait être le surnom du chorégraphe nantais Claude Brumachon, tant sa danse est tranchante et semble casser les corps. Mais c’est le titre du roman de son interprète Benjamin Lamarche, qui inspire cette nouvelle création. On y conte l’histoire d’un retour aux origines. Cela tombe bien, il paraît que Brumachon retrouve la tension lyrique qui a assis sa notoriété… Du 10 au 20 mars au Théâtre national de Chaillot, www.theatre-chaillot.fr

3 ÉTERNELLE IDOLE Rendez-vous à la patinoire où, entre des nuages de fumigènes, virevolte une adolescente à la grâce fantasmatique. La faille sous la glace, c’est que cette image d’innocence et de pureté est mise en scène par Gisèle Vienne, artiste polymorphe et sulfureuse, qui torture des poupées (Jerk) et assombrit l’ambiance des showrooms (Showroomdummies). Du 18 au 20 mars à la patinoire d’Asnières-sur-Seine, www.theatredegennevilliers.com MARS 2010


© Bruno Verjus

RESTOS

58 SORTIES EN VILLE

SHOW DEVANT Inaki Aizpitarte au Chateaubriand Rencontre avec la sensibilité et l’émotion, autour de la cuisine d’INAKI AIZPITARTE, le charismatique gourmand-terrible, chef du Chateaubriand. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)

Le Chateaubriand pose sa jolie devanture couleur cacao, avenue Parmentier, dans le XIe arrondissement. Un bistrot parisien typique, tel qu’Inaki en avait croisé, enfant, alors qu’il rendait visite à sa sœur à Paris, « comme dans un rêve, avec son atmosphère magique ». Coïncidence objective : Parmentier et Aizpitarte, deux passionnés, fous de produits, hommes libres et sans autres contraintes que celles guidant leur quête de savoir. Débarqué à Paris à 27 ans, après un bref séjour à la plonge d’un restaurant de Tel Aviv, voilà Inaki apprenti au Café des Délices, puis second à La Famille et, avec Laurent Chareau, au restaurant Le Transversal du Mac/Val. Un initiatique passage dans les cuisines du Baratin de « magic » Raquel Carena et c’est Le Chateaubriand. Un fameux bistrot, de la trempe de ceux qui lui avaient fait dire enfant : « Un jour, j’aurai un bistrot ! » Une vaste salle frangée d’un bar de bois fumé, une lumière surannée en goutte à goutte sur des tables brunes, sans nappe, voilà pour l’écrin de cette cuisine lumineuse, limpide, lisible. Le dîner se déroule en cinq, six et parfois sept mets. Inaki définit sa cuisine comme «une ligne, un trait tendu vers le produit ». Ici, les matières premières résident en leur royaume, et décident de la carte du jour. Alors débute la parade éclectique, électrique. Une mise en bouche (ou deux) vive comme l’appétit qui point à l’enseigne de ces « coques et navets en léger bouillon ». Ensuite viennent le cru, l’océan laiteux d’une « buratta, trévise, agrumes, poutargue », puis le doux « lotillon au foin, carottes » avant de plonger vers l’expressif et le plat principal : « selle d’agneau, poivrade, cresson-anchois ». Les desserts jouent de contrepoints comme cette « rémoulade de céleri au fromage blanc », à peine sucrée. Bref, ici, on embrasse la modernité à pleine bouche et jamais poésie et gourmandise ne quittent la table. Nous non plus !

Le Chateaubriand, 129 avenue Parmentier, 75011 Paris. Tél. : 01 43 57 45 95

MARS 2010

WWW.MK2.COM


LE PALAIS DE… ARIEL WIZMAN

CHEZ GABIN « J’aime aller Chez Gabin, à Belleville. On y mange de la cuisine juive tunisienne, très abondante, très lourde, absolument délicieuse. C’est un lieu vivant, comme au Maghreb, avec des gens qui parlent fort, s’abordent les uns les autres, se présentent leur famille, arrivent à dix… Je recommande en priorité la loubia, le complet poisson – dont j’adore le nom désuet –, et le blé : mangez du blé, c’est très, très bon. » _Propos recueillis par A.T.

Chez Gabin, 92 boulevard de Belleville, 75020. Tél. : 08 99 69 68 21 Venom in the Grass de Grand Popo Football Club (Pschent, album disponible)

OÙ MANGER APRÈS… _Par B.V.

BLANC COMME NEIGE Chez Passage 53, pour son décor immaculé. Ici, la cuisine brille comme neige au soleil, le calamar et chou-fleur rivalise de gourmandise avec le tartare de veaux à l’huître, autre perle blanche lactescente. Passage 53, 53 passage des Panoramas, 75002 Paris. Tél : 01 42 33 04 35

ALICE AU PAYS DES MERVEILLES Chez Grenouille, parce que courir toute la journée comme le lapin d’Alice, cela creuse le ventre. Ici, les tripes, la tourte, les terrines, la gueule de veau gribiche, la queue de bœuf sont légions et l’appétit fait merveille(s). Chez Grenouille, 52 rue Blanche, 75009 Paris. Tél : 01 42 81 34 07

TOUTES LES FILLES PLEURENT Chez mamie Arlette au Petit Café, parce que ses quiches, ses fleurs en clochettes, ses salades, ses tartes aux pommes du jour et son sourire sauront consoler les grosses peines comme les petites faims. Et si cela ne suffit pas, mamie Arlette se fera confidente des gros chagrins. Le Petit Café, 89 rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75011 Paris. Tél : 01 43 43 11 63

MARS 2010


60 LA ChRONIQUE DE



BOURREAU DES CŒURS Il a dessiné des chiens pour Mickey, mais ça n’était pas vraiment sa tasse de thé. TIM BURTON revient pourtant chez Disney infuser ses pousses gothiques dans le classique de la littérature britannique, Alice au Pays des Merveilles, grandie d’envoûtants atouts 3D. Entouré de ses ravissantes actrices, Burton a émerveillé notre journaliste, invité outre-Manche à boire le tea avec l’équipe du film : it’s Tim time.

© Nicolas Guerin

_Par Étienne Rouillon



© Disney Enterprises, Inc.

Johnny Depp en Chapelier Fou

RETARD, EN RETARD, EUROSTAR. London Calling peut-être, mais j’ai manqué l’appel de mon réveil parisien. Je dévale un escalier aussi tarabiscoté que ceux de Beetlejuice. Las, ce n’est pas l’étalon du Cavalier-sans-tête mais mon vieux deux-roues qui m’entraîne vers Londres, où m’attendent Tim Burton, Helena Bonham Carter, Anne Hathaway et Mia Wasikowska. Paris endormie a les atours du macabre nonchalant de Sleepy Hollow. Tortillard pour Albion dans vingt minutes. J’ai beau agripper la poignée des gaz comme un possédé, Alice semble m’échapper…

E

TOUT LE MONDE NE PLANTE PAS SES RENDEZ-VOUS. Prenez Tim Burton et les studios Disney. Ils ont même leur petite routine, selon le réalisateur : « C’est marrant, j’ai commencé ma carrière là-bas. Puis j’ai été dégagé, je suis revenu, dégagé de nouveau, revenu. Je vais probablement reprendre la porte après ce film. » Dans une chambre tout luxe cinq étoiles – mention écran plat de chez plat, vue sur Hyde Park et mobilier fac-similé victorien –, Burton écarquille les yeux comme des citrouilles d’Halloween pour marquer l’ironie de la situation. Ceci dit, la hache de guerre est enterrée entre le réalisateur aux focales orbitales et le rongeur aux grandes esgourdes. En 1979, un jeune dessinateur californien passionné de films étranges est au supplice : Tim donne vie aux canidés gnangnans de Rox et Rouky, mais se voit plutôt docteur Frankenstein. Intrigués par ce qui se trame sous cette tignasse – encore sage à l’époque –, les pontes de Disney lui permettent de réaliser Vincent et Frankenweenie, véritables abécédaires de la syntaxe burtonienne. Mais la souris perd le sourire en louchant sur ces deux courts funèbres inspirés par l’œuvre d’Edgar Allan Poe.Tim Burton, fort du succès critique de Vincent, part broyer du noir de son côté avec la réussite qu’on lui connaît. C’est une autre plume qui scelle les retrouvailles avec Disney, celle de Lewis Carroll, mathématicien britannique auteur des Aventures d’Alice

MARS 2010

au Pays des Merveilles et de la suite, De l’autre côté du miroir et ce qu’Alice y trouva. Les deux ouvrages inspirent un scénario à Disney, gros poisson que l’auteur de Big Fish s’est empressé d’attraper dans ses filets : « Il existe une vingtaine d’adaptations d’Alice, qui pour moi sont toutes trop littérales. De notre côté, nous avons choisi de partir, non pas du livre de Carroll, mais de l’Alice telle qu’est représentée dans la pop culture. Et pour replonger le spectateur dans ses propres souvenirs d’Alice, il fallait la 3D relief. » Faire résonner les univers de Burton et Disney mais aussi leurs techniques de mise en scène, voilà pourquoi on tire son coup de chapeau à ce film haut de formes. Depuis, ils ne se quittent plus, comme l’avoue à demi-mot le chantre du lugubre : «Oui, il y a bien un projet d’adaptation de Frankenweenie avec Disney. » GARE DU NORD. Vais-je poser un lapin à Tim Burton et ses actrices? Ma montre-gousset me cède deux minutes pour avaler un croissant repoussant qui me dit tout sauf «mange-moi». Mon passeport passe entre les mains d’un douanier aussi sourcilleux qu’Absolem, la chenille enfumée qui demande à Alice : « Qui es-tu ? »

« JE SUIS AUSTRALIENNE ET J’AI DES ORIGINES POLONAISES », répond Mia Wasikowska à deux journalistes anglais qui viennent de massacrer son patronyme. Cheveux coupés court pour Restless, le prochain Gus Van Sant, Mia est sondée par huit reporters, chevaliers d’une table ronde à l’unique quête : percer le mystère de celle qui incarne avec tant de justesse cette Alice de 19 ans, de retour au Pays des Merveilles pour le délivrer du joug de la tyrannique Reine Rouge. À l’image de son personnage de femme-enfant, le regard passe en un battement de l’innocence inquiète à la « sagesse des anciens », comme dit Burton de sa découverte australienne. Si Alice est entre deux âges, qu’en est-il de son public ? « Sur le tournage, je me souvenais de la part terrifiante et morbide des classiques que je regardais petite,

WWW.MK2.COM


© Disney Enterprises, Inc.

Mia Wasikowska dans le rôle d’Alice

comme Le Roi Lion, précise Mia. Alice n’est pas un film trop étrange pour les enfants. Au contraire, c’est en devenant adulte qu’on perd leur appétit et leur capacité à accepter l’étrange. » La garde prétorienne des attachés de presse rompt le charme : « C’était la dernière question. » Qu’on leur coupe la tête ! COACH 5 SEAT 27. Faire abstraction des mômes qui piaillent dans le wagon. Remarque, on aimerait en avoir pour partager l’ivresse de ce Fantasia des temps numériques. J’entre en Angleterre comme en Wonderland, en plongeant dans un terrier. Et de l’autre côté du tunnel, tout est sens dessus dessous : les enfants sont maintenant sérieux comme des papes, concentrés sur leurs iPhone, pendant que quatre Toulousains – la cinquantaine amortie – jouent aux cartes comme des gosses. À la gare de St. Pancras, un homme déguisé en Chapelier Fou fait un appel aux dons pour lutter contre la méningite. Un fou pour une maladie du cerveau ? Renversements, carnaval, détournement des objets et de leurs usages, changements d’échelles, voilà les ficelles du récit de Carroll. Elles ont excité comme jamais l’inventivité visuelle de Tim Burton, prochain président du jury cannois, lequel semble encore hanté par son film : « Cannes ? J’ai hâte d’y être. Ce festival me fait penser au Pays des Merveilles : une concentration irréelle de beauté, de qualité. » HYDE PARK. Dans les allées détrempées du jardin me revient la séquence guerrière où des soldats-cartesà-jouer forment un véritable château de cartes. Et qui mieux que le conteur fantasque de Mars Attacks! pour figurer les chausse-trappes et mots-valises du Chapelier Fou ? Peut-être celui qui l’incarne, confesse Burton : « Johnny Depp, vous le jetez au milieu d’écrans verts avec un pauvre bout de Scotch pour lui donner la réplique, et il adore ça ! » Autre habituée du prisme Burton, sa compagne Helena Bonham Carter, qui fait son entrée en marmonnant une blague pour nous

détendre. Mon voisin ukrainien est plié en quatre d’un rire effrayé. Helena incarne la Reine Rouge, demi-portion tyrannique à tête de pop-corn, qui passe son temps à hurler son désir de trancher des nuques : « J’en perdais la voix tous les matins sur le plateau… » Encore terrifiés par sa prestation, les plus audacieux bégayent leurs questions. Ouf, elle me répond avec une douceur médusante, dans le cliquetis de son collier raccord : pendentifs divers figurant le chapeau haut-de-forme, les couleurs des cartes-à-jouer... «Ce fut un film très éprouvant pour Tim. Ce n’est pas un malade du contrôle absolu et pourtant il fallait gérer l’armée de collaborateurs pour que cet énorme projet reste un film de Burton. » VOICI MAINTENANT SA MAGNIFIQUE SŒUR ENNEMIE : la Reine Blanche, alliée d’Alice, l’inattendue Anne Hathaway. Le journaliste néo-zélandais devient rouge pivoine et étrangle un «hello...» enamouré. Remarquée pour son rôle de stagiaire dans Le diable s’habille en Prada, elle fait ici une entorse aux comédies romantiques. « Enfin, c’est Burton quoi ! Il m’aurait demandé de jouer un champignon, je l’aurais fait.» Elle s’en sort avec le rôle d’une reine pacifiste rongée par une gestuelle magistralement nunuche. Je tente un rapprochement de ses mouvements avec ceux des marionnettes de L’Étrange Noël de Monsieur Jack... « C’est génial comme idée, tu permets que je la reprenne dans d’autres interviews?» Eye contact. Sourires. Mortel. Un Néo-Zélandais furibard après moi. DORCHESTER HOTEL, CHAMBRE 102. Enfin arrivé. Une collègue suisse goguenarde : «Eh, t’étais pas à cette conférence de presse sur Pirates des Caraïbes? Tu sais quand le type s’est affiché en demandant à Johnny Depp qui de Jack Sparrow ou Peter Pan aurait le dessus? » C’est une super question, mais, prudent, je raye mentalement quelques lignes de mon carnet d’interview tout en prenant place. Le thé chaud envahit les tasses, les tables rondes peuvent tourner : Tim Burton vient d’entrer.

Un film de Tim Burton // Avec Johnny Depp, Mia Wasikowska... // Distribution : Walt Disney // États-Unis, 2009, 1h49 // Sortie le 24 mars MARS 2010

WWW.MK2.COM


© Disney Enterprises, Inc.

DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR Tim Burton l’a répété : Alice au Pays des Merveilles est le plus grand défi technologique de sa carrière. Entre mix improbable de trucages et relief stéréoscopique, le superviseur des effets spéciaux KEN RALSTON lève le voile sur les secrets du « Pays des Merveilles ». _Par Julien Dupuy

L

a conception d’Alice au Pays des Merveilles n’a pas été un long fleuve tranquille. Pressés par le temps et hésitants quant aux méthodes à adopter, Tim Burton et son équipe ont finalement préféré recentrer la technologie sur ce qui leur importait réellement : l’interprétation des acteurs. « Le numérique nous a permis d’accentuer les performances des comédiens, et non pas de les dupliquer, comme c’est le cas avec la capture de mouvements telle qu’elle a été employée sur Avatar, explique Ken Ralston. Ainsi, nous avons élargi les yeux de Johnny Depp et la tête d’Helena Bonham Carter. Quant aux jumeaux Tweedledee et Tweedledum, nous avons effectué des prises de vues en double, puisque le même comédien interprétait les deux personnages. Cet acteur était revêtu d’une combinaison verte qui ne laissait apparaître que son visage, et nous collions ensuite ses yeux et sa bouche sur des corps entièrement virtuels. » Tout le film va donc procéder de ce mélange étonnant de technologies : maquillages prosthétiques, têtes de comédiens accolées à un corps en images de synthèse (pour le valet de cœur par exemple), mais aussi personnages entièrement animés, comme le lapin blanc

MARS 2010

ou le chat du Cheshire. Seules Alice et la Reine Blanche seront épargnées par les palettes graphiques des truqueurs. Et puis, il y a la question, de plus en plus inévitable aujourd’hui, du relief stéréoscopique. Sur ce point, Alice au Pays des Merveilles a fait jaser Hollywood : filmé à plat et conformé en postproduction en relief, le film a essuyé les foudres de James Cameron, le réalisateur d’Avatar, estimant qu’un bon relief stéréoscopique ne peut être obtenu qu’avec des caméras adaptées à ce format. « Malgré tout ce que vous avez pu entendre, les caméras stéréoscopiques sont encore loin d’être parfaites, se défend Ralston. Elles restent très lourdes d’emploi, et peu fiables. En tout sincérité, même moi qui suis habitué à décortiquer les images, je ne vois pas la différence entre notre 3D et celle d’un film tourné avec une caméra adaptée. Et puis travailler de la sorte nous donnait plus de contrôle sur notre relief. » Une chose est certaine : la 3D d’Alice au Pays des Merveilles a emporté l’adhésion des argentiers de Disney, qui ont signé avec Burton pour une adaptation en relief de son fabuleux moyen métrage Frankenweenie.

WWW.MK2.COM


67

Comment ça marche ? Dépassées les antiques lunettes en carton bigoût, couleur menthe à l’eau et grenadine : Avatar que jamais, la 3D relief est enfin une réalité au cinéma. Avant de plonger dans Alice au Pays des Merveilles, voici comment le relief vous fait de l’œil dans les salles obscures. _Par Justine Gecko et Séphane Petiruisso

LA STÉRÉOSCOPIE Voir double Comment simuler le relief à partir d’une surface de projection plane ? En mentant à votre cerveau. Au quotidien, chacun de vos deux yeux perçoit une image légèrement décalée par rapport à celle reçue par son voisin. Vos neurones binoculaires vont associer ces deux images pour donner la sensation de profondeur et de relief. Le cinéma reproduit cette illusion en filmant deux images simultanées d’un même objet, à l’aide de deux objectifs figurant les globes oculaires, ou en retraitant les rushes. Les plus vieux travaux stéréoscopiques remontent au XVIe siècle.

LES SALLES

Vers le numérique La sortie de Fly Me to the Moon, acheté par MK2 en 2008, a précipité l’équipement des salles du réseau en serveurs et projecteurs numériques, indispensables pour une diffusion en 3D, mais aussi pour profiter d’une meilleure qualité sur les films « traditionnels » tournés en numérique. Dix-huit salles en sont aujourd’hui pourvues, offrant au spectateur une plus grande pureté d’image et de son. Le système 3D Nuvision – choisi par MK2 et qui équipera à terme l’ensemble des salles – permet de projeter 125 images par secondes, soit plus de 60 images pour chaque œil. Un record.

MARS 2010

LES LUNETTES Infrarouge et cristaux liquides Les lunettes à cristaux liquides utilisées dans le réseau MK2 sont dites « actives », par opposition au système « polarisé » qui offre une définition et une luminosité moindres. Les lunettes reçoivent un signal infrarouge émis depuis la cabine de projection et réfléchi par l’écran. Le projecteur émet à une cadence rapide l’image destinée à l’œil droit, puis celle destinée à l’œil gauche. Un système électronique installé sur les lunettes rend opaques les lunettes alternativement du côté gauche et du côté droit, afin que chaque œil reçoive l’image qui lui est destinée.

LES FILMS

2010, la ruée En ce début de décennie, les films en 3D crèvent, plus que jamais, l’écran. Côté animés, ça se bouscule cet été : Shrek 4, il était une fin chez Dreamworks (juin), talonné par Toy Story 3 de l’écurie Disney-Pixar (juillet). Les Aventures de Samy cloront la marche, histoire d’une tortue par le réalisateur belge de Fly Me to the Moon (août). À Noël, après avoir exhumé Alice au Pays des Merveilles en mars, Disney ressuscitera un classique de la SF avec Tron l’héritage. La sortie de Hubble, documentaire spatial conté par Leonardo DiCaprio, n’est pas encore datée mais promet des images grandioses.

WWW.MK2.COM


Isabelle Huppert dans White Material Un film de Claire Denis // Avec Isabelle Huppert, Isaach de BankolÊ‌ // Distribution : Wild Bunch // France, 2008, 1h42 // Sortie le 24 mars


69

CLAIRE DENIS

UNE FEMME PUISSANTE Après Chocolat et Beau Travail, CLAIRE DENIS revient en Afrique avec l’impressionnant White Material. Cosignée par l’écrivain Marie NDiaye (prix Goncourt 2009 avec Trois Femmes puissantes), cette chronique de guerre civile installe un climat violent et onirique autour d’une plantation de café qui exalte toutes les passions. Entretien avec une cinéaste au sommet de son art. _Propos recueillis par Sandrine Marques

À quoi renvoie le titre de votre film ? C’est un titre que j’avais en tête depuis les années 1980. J’ai rencontré un Portugais du Mozambique qui avait travaillé dans le trafic de l’ivoire. Il me disait qu’à l’époque les Sud-Africains, les Kenyans et les Mozambicains abattaient les éléphants en masse depuis les hélicoptères, pour détacher l’ivoire. Ils appelaient ça le « white material». Cette formule est restée dans ma tête. Elle correspondait bien au surnom qu’on donne en Afrique de l’Ouest aux Blancs, qui ont une manière de vivre dans cette région très « matérielle ». Désiriez-vous rendre compte des plaies que le colonialisme a laissées en Afrique ? Non. C’est plutôt l’histoire d’une famille de Blancs dont une des membres pense qu’elle est tellement bien intégrée dans la communauté que si la guerre civile éclate, elle ne sera pas en danger. C’est un peu ce qui s’est passé en Côte-d’Ivoire, où les Blancs ne voulaient pas quitter le pays. Maria paye les gens qu’elle fait travailler. Elle les nourrit, elle n’est pas inhumaine. Mais pour ceux dépourvus d’une vision de l’Afrique, une Blanche qui a une plantation renvoie à des vieux schémas coloniaux. Le personnage du Boxeur qu’interprète Isaach de Bankolé est presque abstrait. C’est une entité par où tout se dérègle. Comment avez-vous pensé cette figure? Le film aurait fait quatre heures si on avait raconté toute l’histoire du Boxeur. Je savais qu’il valait mieux qu’il croise la route des personnages. Le fait qu’il ait une balle dans le corps dès le début du film est une allusion à Dead Man de Jim Jarmusch. Je pensais à la révolution au Burkina Faso en 1987, à ses capitaines rebelles qui ont essayé de transformer le pays et qui étaient des héros. Le Boxeur leur rend hommage. Il y a chez vous une confiance absolue dans la mise en scène qui passe aussi par l’ellipse… J’ai toujours eu un goût pour les ellipses, parce qu’on a l’impression de faire un bond sans filet. C’est dangereux mais ça amène une grande force au récit, qu’on ressent au tournage. On sait, de toute manière, que

MARS 2010

l’imaginaire saute ce bond. Le film devait se refermer sur Isabelle Huppert pleurant sur l’épaule d’une femme à qui elle demande enfin de l’aide. C’est au montage que j’ai amené de la brutalité. Je ne voulais plus voir grand-chose après cette scène. Nicolas Duchauvelle campe un fils progressivement gagné par la violence. Comment avez-vous envisagé son inquiétant personnage? Il est un peu comme moi j’étais à son âge, lorsque je vivais en Afrique. Il a le ramollissement des fils d’expatriés qui ont la vie assez douce, sans beaucoup d’obligations. Les enfants soldats qu’il croise lèvent en lui une violence qu’il ne connaissait pas, comme la Belle au Bois Dormant qui se réveille. Le rôle d’Isabelle Huppert impliquait une grande physicalité. Comment l’avez-vous travaillée avec elle ? Avec Isabelle, on s’est dit que le travail était la moindre des choses. Elle a donc appris à conduire un camion avec une boîte de vitesses complètement détraquée et à travailler le café. Je lui ai dit qu’il ne s’agissait pas d’exploits héroïques mais le quotidien de la vie de Maria. Il faut que ce soit intégré dans l’image. J’ai bien établi les rituels avec Isabelle. Le rôle qu’elle tenait au théâtre dans 4.48 Psychose de Sarah Kane m’a beaucoup inspirée pour ce film. Quand je l’ai vue dans cette pièce, je me suis dit que rien ne s’opposerait à cette femme-là. Comment s’est passée la collaboration avec Marie NDiaye ? Travailler avec Marie, dont j’adorais les livres, était une expérience singulière et très forte, parce qu’on n’est pas de grandes parleuses, elle et moi. On aime la solitude toutes les deux. Il nous a fallu franchir cette barrière. On s’est donné du mal pour percer à jour la matière qui allait nous réunir sur ce scénario. Isabelle, Marie et moi avons en commun l’horreur de l’avachissement. Si on laisse aller le corps à la mollesse, il ne pourra plus retrouver cet allant qui caractérise la démarche de Maria dans le film. La mollesse est quelque chose qui vous attaque comme une gangrène. À chaque moment, il faut la craindre.

WWW.MK2.COM


NOUVELLES La palme après la tempête ? Sur les ruines laissées par l’ouragan Katrina, La Nouvelle-Orléans fait du cinéma l’instrument de son renouveau. Dans le sillage de réalisateurs chevronnés (Werner Herzog, David Fincher, Bertrand Tavernier, Spike Lee…), une jeune génération de cinéastes s’est installée dans la cité louisianaise, posant les bases d’un nouvel Hollywood, frondeur, dynamique et ambitieux. Enquête. _Par Clémentine Gallot et Auréliano Tonet

VAG U E S


Š Viktor Jakovleski


© Viktor Jakovleski

Ray Tintori

D

u cataclysme, de la pauvreté et du crime a surgi une épiphanie : une effervescence artistique avec, en son centre, l’émergence inattendue d’un nouveau cinéma, jeune et déraciné. « La Nouvelle-Orléans est en train de vivre une renaissance. La vie y est facile et peu chère, la ville a une énergie et une histoire qui rendent possible cette créativité. Une communauté se forme là-bas en alternative à Hollywood, New York ou même Austin», explique Max Goldblatt, jeune scénariste basé à Los Angeles, qui s’apprête à rejoindre en Louisiane son ami Ray Tintori, réalisateur de courts métrages remarqués, et auteur des clips cultes du groupe MGMT. Anciens camarades de fac à Wesleyan, dans le Connecticut, Ray et Max planchent actuellement sur le scénario d’un film qu’ils décrivent comme le croisement de Purple Rain, Rambo et Sur les quais. Adoubé par Michel Gondry et Spike Jonze, qui s’est engagé à produire son premier long métrage, Ray n’hésite pas à comparer La Nouvelle-Orléans au New York punk et disco de la fin des années 1970 : «Une ville considérée comme trop dangereuse par le commun des Américains, mais parfaite pour les artistes, qui disposent de beaucoup d’espace pour créer. Le pire et le meilleur des États-Unis s’y trouvent réunis avec une force et une complexité absolument uniques. »

Par opposition à un milieu californien saturé, la Louisiane incarne le fantasme du cinéma indie, où tout est à reconstruire : « Les initiales de La Nouvelle-Orléans sont NOLA [pour New Orleans, Louisiana, ndlr], soit l’exact opposé de L.A. », sourit Chaz Ganster, artiste et décorateur de plateau. Nouvel eldorado, le chantier de La Nouvelle-Orléans constitue pour beaucoup de débutants la seule option financière viable. Le prix des loyers, trois à quatre fois inférieurs à ceux de la Grosse Pomme ou de la Cité des anges, n’explique pas, à lui seul, cet attrait. Dans les décombres de Katrina, la municipalité néo-orléanaise a débloqué d’importants fonds pour revitaliser la localité:une biennale, Prospect New Orleans, se tient désormais à l’automne et expose plasticiens MARS 2010

et vidéastes en pleine ville, y compris dans le quartier dévasté par la tempête, mis en scène pour l’occasion. Avec d’attractives réductions d’impôts pour les tournages et la construction de nouveaux studios, comme le Second Line Stages, la Louisiane est devenue le troisième État en matière de production de films, après la Californie et New York. Le miracle de La Nouvelle-Orléans s’explique aussi par la configuration unique du lieu : des quartiers historiques préservés jouxtant le champ dévasté de l’ouragan, soit un décor vintage qui sied autant aux fictions en costumes qu’aux récits d’anticipation. « Ici, la lumière est incroyablement expressive, comme chargée d’émotions », souligne Ray Tintori. L’atmosphère de la « ville du croissant », nimbée de brume, évoque autant les Caraïbes que la piraterie : un centre historique d’influence espagnole avec ses vieilles maisons et une rue de la soif, mais aussi, plus loin, les bâtisses coloniales du Faubourg Treme, qui fut le premier quartier noir des États-Unis à affranchir ses esclaves. De l’autre côté du Mississippi se tient le Lower Ninth Ward, pauvre et résidentiel, devenu le symbole de Katrina, qui offre un paysage saisissant, quasi désert – quelques familles vivent encore au milieu de maisons en attente d’être démolies. « La ville a récemment émergé dans les esprits comme métropole de la misère, de la maladie et de la malfaisance municipale », note le quotidien britannique The Guardian, à propos du paysage postapocalyptique qu’ont récemment exploité les réalisateurs de La Route et de la dernière pub Levi’s. Mais La Nouvelle-Orléans occupe aussi dans l’imaginaire américain une place à part, celle d’un lieu où tout est permis, l’équivalent sudiste d’Amsterdam ou de Las Vegas : on a le droit d’y boire dans la rue, la prostitution y est visible et répandue. C’est sur cette puissance évocatrice que repose le premier long métrage de Jake Scott (fils de Ridley), Welcome to the Rileys, tout juste présenté à Sundance. Kristen Stewart, jeune strip-teaseuse en fuite, y rencontre James « Soprano » Gandolfini dans un décor sinistre et délaWWW.MK2.COM


© Viktor Jakovleski

73

Benh Zeitlin

bré. Personnage à part entière, la ville y figure à la fois une terre d’exil et un lieu de perdition, comme a pu représenter la Californie lors du gold rush ou de l’effervescence hippie. Se perdre, se retrouver : voilà ce qui se joue dans cette nouvelle ligne de fuite vers le sud. Mû par la recherche symbolique d’une sauvagerie perdue, le mythe de la frontière s’est déplacé. Natifs de La Nouvelle-Orléans, à la fois acteurs (Humpday), scénaristes et réalisateurs (The Puffy Chair, Baghead), les frères trentenaires Mark et Jay Duplass ont ouvert la voie depuis quelques années à un cinéma low cost, qualifié par certains de « mumblecore », dont le dernier exemple en date, Cyrus, vient d’être montré à Sundance. Plus jeune encore, et lui aussi assimilé au courant mumblecore (mélange d’improvisation, de documentaire et d’autofiction), Kentucker Audley tourne actuellement son quatrième long métrage, un road movie sur de jeunes artistes itinérants, qui revisitent chacun à leur tour la maison de leurs parents. Le film trouve son acmé et sa conclusion à La Nouvelle-Orléans : « Ce dernier segment représente la vie de bohème, par opposition au quotidien des suburbs, précise le cinéaste, originaire de Memphis. C’est le dernier arrêt, le nouveau Far West, un terrain vague mythique pour une renaissance. À mes yeux, il s’agit de l’endroit aux États-Unis qui est le plus éloigné de la vie de famille et qui se rapproche le plus d’un autre monde. »

métrage très remarqué, Glory at Sea, où il est question d’un radeau humain sorti des débris de l’ouragan. « On a été très bien accueillis. À New York, avec un tournage pareil, on aurait été arrêtés », estime le jeune homme. Il s’est depuis installé en colocation dans une grande maison, avec un cochon et quatre chiens, et s’apprête à tourner fin avril son premier long métrage, Beasts of the Southern Wild, doté d’un budget d’un million et demi de dollars. L’histoire d’une petite fille sur une île en Louisiane, qui regarde la fin du monde : « Ici, la population est plus diverse qu’à New York, l’énergie est très différente, c’est un endroit qui change rapidement, même si La NouvelleOrléans a une culture très insulaire. On y voit encore peu d’art expérimental ou intellectuel. » C’est après avoir aidé Benh sur Glory at Sea que Ray a décidé de se baser à La Nouvelle-Orléans. En corsaire magnétique et entreprenant, il a rameuté ses troupes – musiciens, artistes, danseurs, poètes… – à NOLA, pour y enchaîner les tournages, du clip de Kids de MGMT aux films de Benh et Kentucker : «Notre économie n’a rien à voir avec celle des grosses productions qui se multiplient ici, comme Benjamin Button, dont j’ai pu visiter le plateau, précise Ray. Cette concurrence nous soude, nous stimule. » Il y a trois ans, Benh, en route pour recevoir un prix, est victime d’un grave accident de voiture. À l’image de sa ville d’adoption, il est aujourd’hui sur pied, au prix d’une douloureuse convalescence. «Je me suis récemment rendu à Detroit, une ville tout aussi ravagée que La Nouvelle-Orléans, explique Ray. J’ai été frappé par la résignation des habitants, là-bas. Ici, même si les scientifiques prédisent que la ville aura disparu dans cinquante ans, on se bat, on se serre les coudes, on résiste. »

« À NEW YORK, AVEC UN TOURNAGE PAREIL, ON AURAIT ÉTÉ ARRÊTÉS. »

Un autre monde, c’est, à son échelle, ce que tente de bâtir la société production indépendante Court13. Outre Ray Tintori et Max Goldblatt, ce collectif gravite autour du producteur Dan Janvey et du réalisateur Benh Zeitlin, lui aussi diplômé de Wesleyan. Benh est arrivé à La Nouvelle–Orléans un an après Katrina, et, tout en squattant un canapé, y a tourné un court MARS 2010

www.court13.com WWW.MK2.COM


Bad Lieutenant : escale à La Nouvelle-Orléans de Werner Herzog


NOUVELLE

ORLÉANS

75

PAR TOUS LES TEMPS Les fictions s’installent en nombre, et en trombe, à La Nouvelle-Orléans, s’emparant du traumatisme de l’ouragan Katrina pour mieux le commuer. De L’Étrange Histoire de Benjamin Button au récent Bad Lieutenant : escale à La Nouvelle-Orléans de Werner Herzog, en passant par la prochaine série HBO Treme, une déferlante d’images accompagne la ville vers sa transition. Panorama d’un creuset cinématographique où passé, présent et futur s’entremêlent avec bonheur. _Par Sandrine Marques, Juliette Reitzer, Pablo René-Worms et Auréliano Tonet

É

mergeant des eaux qui ont englouti une partie de son patrimoine culturel, La NouvelleOrléans se remet à flot grâce au cinéma. Œuvre emblématique de cette renaissance, L’Étrange Histoire de Benjamin Button (2008) de David Fincher voyait son héros rajeunir au lieu de vieillir, achevant son existence sous les traits d’un nourrisson. Et si La Nouvelle-Orléans, où le temps semblait s’être arrêté, s’acheminait elle aussi vers une nouvelle jeunesse ? Celle-là même qui attire les cinéastes de tous horizons : après Stallone et son The Expandables (en salles en août), Jimmy Hayward, échappé des studios Pixar, y tourne en ce moment l’adaptation du comic Jonah Hex avec Megan Fox et John Malkovich, Martin Campbell (Casino Royale) s’occupe lui de la transposition de The Green Lantern, tandis que sont annoncés les tournages d’un remake de Frankenstein et même, paraît-il, du nouveau Walter Salles…

LES CENDRES DU TEMPS Rencontré l’an dernier au moment où sortait Dans la brume électrique, polar baigné dans l’atmosphère poisseuse et fantomatique de la Louisiane, Bertrand Tavernier nous donnait une clé pour comprendre l’élan des cinéastes vers cet État américain parmi les plus cinégéniques : « C’est une région où vous butez sans arrêt sur des vestiges du passé.» Le passé est, en effet, un thème récurrent dans les films installés en Louisiane, d’Un tramway nommé désir (Elia Kazan, 1951), où Stanley (Marlon Brando) cherchait à déterrer les secrets de sa belle-sœur pour mieux la dominer, aux films

MARS 2010

« C’EST UNE RÉGION OÙ VOUS BUTEZ SANS ARRÊT SUR DES VESTIGES DU PASSÉ. » B. TAVERNIER d’époque (The Flame of New Orleans de René Clair), en passant par les adaptations de classiques (La Féline de Paul Schrader, en 1982, d’après l’œuvre de Jacques Tourneur). Ainsi convoqué, le passé ouvre la voie à l’introspection psychologique et questionne le thème du traumatisme, à l’image du très beau Soudain l’été dernier de Joseph L. Mankiewicz (1959), où Catherine (Elizabeth Taylor) est emprisonnée dans une folie hallucinatoire depuis l’assassinat sauvage de son cousin. Figure métaphorique de ces réminiscences, le fantôme hante régulièrement les fictions louisianaises, entraînant dans son sillage l’univers surnaturel et effrayant du vaudou, propre à la culture locale. Pour preuve, les spectres de soldats confédérés émergeant des bayous brumeux dans le film de Bertrand Tavernier; les zombies peuplant l’hôtel macabre de L’Au-delà (1981), chef-d’œuvre horrifique du maître du giallo Lucio Fulci ; les créatures mortes vivantes écumant la

WWW.MK2.COM


NOUVELLE

ORLÉANS

76

Eva Mendes et Nicolas Cage dans Bad Lieutenant : escale à La Nouvelle-Orléans de Werner Herzog

Louisiane du XVIIIe siècle dans Entretien avec un vampire de Neil Jordan (1994) ; ou encore l’expérience infernale de Mickey Rourke face à Robert De Niro en Louis Cyphre (prononcez « Lucifer ») dans Angel Heart d’Alan Parker (1987). Plus récemment, dans La Princesse et la grenouille, sorti le mois dernier, le traditionnel méchant des contes enfantins prend les traits d’un sorcier vaudou, secondé dans ses noirs desseins par une meute d’ombres surgies des entrailles de l’enfer… Mais le nouveau long métrage de Disney voit surtout le retour du studio à l’animation traditionnelle en 2D, clin d’œil au passé aussitôt compensé par la modernité de son propos : une jeune fille noire cumule deux emplois pour réaliser son rêve, devenir propriétaire d’un grand restaurant. En tant que lieu symbolique de passage d’une époque à une autre, la Louisiane trouve sans doute dans Easy Rider de Dennis Hopper (1969) une illustration idéale. Film charnière entre deux générations, deux modes de vie et deux visions du cinéma hollywoodien, les héros y traversent les ÉtatsUnis pour rejoindre La Nouvelle-Orléans. Comme si la Louisiane cristallisait en son sein tout l’enjeu du cinéma lui-même : un constant jeu d’ombres pour immortaliser l’inexorable fuite du temps.

BYE BYE BAYOU En dévastant La Nouvelle-Orléans le 29 août 2005, l’ouragan Katrina a redéfini la géographie intime et la mémoire de l’Amérique. Tabula rasa : les maisons doivent être reconstruites, en même temps qu’un passé dont la communauté a perdu toute trace tangible,

MARS 2010

« J’AI TENU À ÉVITER TOUS LES CLICHÉS ATTACHÉS À LA NOUVELLE-ORLÉANS. » W. HERZOG dans des inondations massives dues à la rupture des digues. Dans un documentaire incisif de 2006 produit par HBO, Spike Lee revient sur la désorganisation fédérale qui a présidé à la débâcle, à l’origine d’images télévisuelles hallucinantes, montrant une détresse d’un autre temps. Intitulé When the Levees Broke: A Requiem in Four Acts («Quand les digues rompent, requiem en quatre actes »), le film emprunte son titre à un blues de 1929 de Memphis Minnie et Kansas Joe McCoy (repris ensuite par Led Zeppelin). Le titre s’enracine dans l’histoire culturelle de la Louisiane, et renvoie à un phénomène physique identifié : le débordement. Chez Werner Herzog, les digues (physiques, morales) cèdent aussi régulièrement. Le cinéaste fait «escale à La Nouvelle-Orléans», à l’occasion d’un remake très libre du Bad Lieutenant d’Abel Ferrara. Terence McDonagh (Nicolas Cage) est inspecteur dans la police criminelle de La Nouvelle-Orléans. En sauvant un détenu de la noyade pendant l’ouragan Katrina, il se blesse au dos et devient accro aux antidouleurs. Cette esthé-

WWW.MK2.COM


NOUVELLE

ORLÉANS

77

Sur le tournage de Dans la brume électrique de Bertrand Tavernier

« LA VILLE EST DIGNE SOUS L’ŒIL DE WERNER HERZOG, À L’IMAGE DE SON POLICIER CABOSSÉ.» tique du débordement (pulsionnel, organique) rejoue le désastre de Katrina, qu’absorbe un film entre deux eaux. Rencontré à Paris, Werner Herzog commente : «Même si j’ai tourné mon film quatre ans après Katrina, je voulais que mon histoire se situe peu de temps après la catastrophe. Dans une ville qui a souffert de la dévastation, il y a une densité physique et une crise bien plus profonde à l’œuvre. Ce n’est pas tant La Nouvelle-Orléans qui est en crise que l’Amérique. » Traversé par un humour subversif, le film réserve d’étranges séquences observées du point de vue d’iguanes et d’alligators. Une faune qui identifie le territoire où Herzog ancre son néo film noir, même si le réalisateur a sciemment évacué le folklore : «J’ai tenu à éviter tous les clichés qui sont attachés à La NouvelleOrléans comme les expressions françaises, le carnaval, les cérémonies vaudou, les clubs d’échecs au beau milieu de la nuit. Je voulais explorer d’autres aspects et faire de la ville un personnage à part entière. » De fait, on trouve peu de façades gangrenées, de quartiers désolés dans le film : la ville est digne sous l’œil d’Herzog, comme son policier cabossé, qui se bat pour

MARS 2010

tenir debout à l’image d’une ville traumatisée. En ce sens, le héros, inexorablement attiré par les profondeurs narcotiques du club le Gator’s Gate, est un pur produit de son environnement fiévreux. Consacrant le retour en (grande) forme d’Herzog, Bad Lieutenant : escale à La Nouvelle-Orléans amorce une nouvelle appropriation d’un territoire dont la topographie bouleversée se prête également à une redéfinition des genres cinématographiques.

LA VILLE SANS ÂGE Les séries TV américaines se caractérisent par leur rapidité à s’approprier des événements historiques, bien avant le cinéma. The West Wing abordait les attentats du 11-Septembre deux semaines seulement après l’effondrement des tours. Il faudra patienter plus longtemps pour que la destruction de la NouvelleOrléans soit évoquée sur le petit écran, comme si la réponse à apporter au traumatisme de Katrina avait besoin d’une réflexion plus longue. Bizarrement – manière de briser la glace ? –, c’est ce bon vieux Larry David (cocréateur de Seinfeld), dans l’hilarante sixième saison de Curb Your Enthousiasm (diffusée en 2007 sur HBO), qui lance la machine en accueillant chez lui une famille de réfugiés de la Big Easy, les Blacks (sic). Si tout est traité sur le ton de la comédie, la toile de fond reste l’onde de choc ressentie par ces nouveaux arrivants et la difficulté, pour eux, de s’acclimater à un nouvel environnement. Ou quand La Nouvelle-Orléans, ville organique s’il en est, se confronte à son antithèse, Hollywood… Dans un tout autre regis-

WWW.MK2.COM


NOUVELLE

ORLÉANS

78

Wendell Pierce dansTreme de David Simon

« ET SI LA NOUVELLEORLÉANS S’ACHEMINAIT, COMME BENJAMIN BUTTON, VERS UNE NOUVELLE JEUNESSE ? » tre, le cadre postapocalyptique de la cité – notamment utilisé dans The Road de John Hillcoat – a également inspiré le «cop show» K-Ville (pour Katrina Ville). Vite annulée et pas foncièrement réussie, la série a au moins eu le mérite de montrer les paysages dévastés de la ville, et de rendre compte (certes grossièrement) de la hausse de la criminalité. Plus maîtrisée et située dans un petit village de Louisiane, True Blood, autre série HBO, mixe folklore local et imaginaire fantastique pour traiter, derrière une sombre histoire de vampires, de thématiques très contemporaines : racisme, homophobie… Mais si l’on ne devait attendre qu’une seule œuvre pour voir à quel point la télévision peut investir en profondeur

un espace, il s’agirait de Treme (prononcez « Treumé »), nouvelle création HBO par David Simon, le pape de la série sociale. Déjà auteur de l’extraordinaire The Wire (Sur écoute, en VF), portrait crasseux de la ville de Baltimore, ses dealers, ses flics, ses politiciens, ses dockers, ses journalistes, il récidive ici en se focalisant sur la reconstruction de la ville et de ses habitants. S’il y sera largement question de la scène musicale, Treme (diffusé à partir d’avril 2010 aux États-Unis) ira au-delà, pour explorer des thèmes chers au créateur : la corruption politique, la controverse des logements publics, le système de justice en ruine et la lutte pour reconquérir l’industrie du tourisme après Katrina. Alors, Treme, série politique ? David Simon, en observateur avisé des interactions entre citoyens et espace public, s’en défendrait presque : «Treme se focalise sur la vie quotidienne de personnes ordinaires. C’est une série politique dans le sens où la politique s’immisce dans leurs vies. Cela étant dit, les Néo-Orléanais sont tout particulièrement passionnés par leur ville. » S’il réussit son pari, on pourrait avoir affaire au premier portrait au long cours de «la ville oubliée de tous» (The City that Care Forgot en V.O., comme on la surnommait déjà en 1938), ville pourtant aujourd’hui sur toutes les lèvres – à l’instar de Benjamin Button, héros paradoxal : on ne peut plus archaïque, on ne peut plus actuel.

Bad Lieutenant : escale à La Nouvelle-Orléans // Un film de Werner Herzog Avec Nicolas Cage, Eva Mendes… // Distribution : Metropolitan // États-Unis, 2008, 2h02 // Sortie le 17 mars MARS 2010

WWW.MK2.COM


NOUVELLE

ORLÉANS

© Anouck Bertin

79

SUR ÉCOUTE De la même manière qu’elle attire jeunes cinéastes et vétérans de la pellicule, La NouvelleOrléans continue d’inspirer des musiciens de tout âge : espoirs (Joanna Newsom, Galactic) ou monuments (Dylan, Iggy Pop, Higelin), tous s’arrêtent en Louisiane. Juke-box. _Par Auréliano Tonet

Bagarres au King Creole (1958), avec l’icône Elvis Presley ; Le Kid de Cincinnati (1965), avec le jazzman Cab Calloway ; Down by Law (1986), avec le crooner rock Tom Waits : est-ce un hasard si trois des films les plus musicaux tournés à La Nouvelle-Orléans questionnent, chacun à leur manière, la notion de règle – qu’elle soit juridique, ludique ou pénitentiaire ? Première ville américaine à affranchir ses esclaves, temple des musiques improvisées, NOLA est, dans l’imaginaire yankee, la cité libre par excellence. De la liberté, c’est bien ce qui manque au récent My Own Love Song d’Olivier Dahan (en salles le 7 avril), road-trip trop conventionnel qui suit deux âmes égarées en route vers la Louisiane. Le principal mérite du cinéaste français? Avoir convaincu Bob Dylan de composer la B.O. du film et, par là, d’intégrer accordéons et rythmes cajuns à sa musique. Le résultat, vivifiant, avait été dévoilé l’an dernier sur l’album Together Through Life et consacrait le retour en jeunesse de Dylan. Un bayou de jouvence dans lequel plongeait, au même moment, Iggy Pop avec son dernier disque en date, Préliminaires, hautement influencé par le jazz Nouvelle-Orléans. C’est maintenant au tour de Jacques Higelin de payer son dû à la cité louisianaise, avec New Orleans, quatrième plage de Coup de foudre, nouvel album joliment frappé: «J’ai voulu rendre hommage aux musiciens que j’écoutais

enfant, Louis Armstrong, Sidney Bechet, Fats Weller, explique Higelin. Cette ville est le berceau du jazz et, partant, de toutes les musiques mêlant joie et révolte. » Riche d’un passé imposant, La Nouvelle-Orléans n’est pas pour autant une ville fantôme. Si Ys (2006), disquefleuve de Joanna Newsom, s’inspirait du désastre de Katrina (lire p. 84), deux projets s’attachent à montrer la vitalité de la scène actuelle : Treme, la très attendue série de David Simon (créateur de The Wire, lire ci-contre), et surtout Galactic, enthousiasmant collectif qui rassemble plusieurs générations de musiciens néo-orléanais, des papes du funk vintage (Allen Toussaint, Irma Thomas, The Meters… par ailleurs redécouverts via deux excellentes compilations parues chez Soul Jazz Records) jusqu’à Cheeky Blakk ou Big Freedia, déesses du bounce, locale et lascive variante du hip-hop. Une musique ô combien permissive, au diapason d’une ville dont la force – et la limite – fut toujours, à la différence de Detroit, Nashville ou L.A., de ne pas disposer d’infrastructures d’envergure (studios, labels), laissant ainsi ses artistes éclore en toute liberté. À moins que le récent attrait de l’industrie cinématographique pour La Nouvelle-Orléans ne change bientôt la donne…

Coup de foudre de Jacques Higelin (EMI) // Ya-Ka-May de Galactic (Anti Records) New Orleans Funk – volumes 1 & 2 (Soul Jazz Records) MARS 2010

WWW.MK2.COM



LE

81

BOUDOIR ÉBATS, DÉBATS, CABAS : LA CULTURE DE CHAMBRE A TROUVÉ SON ANTRE

« CERTAINS INSTRUMENTS M’ÉVOQUENT UNE FAMILLE DE COLOMBES ROUCOULANT POUR ELLES-MÊMES. » JOANNA NEWSOM

©

P.84

DVD-THÈQUE

82/83

CD-THÈQUE

84/85

Les disparitions d’OLIVIER ASSAYAS

JOANNA NEWSOM, reine, sirène

BIBLIOTHÈQUE

86/87

BD-THÈQUE

88/89

BOTUL, GARY, LEROY… : le gang des pastiches

POISSON PILOTE, dix ans dans les bulles

LUDOTHÈQUE La vie aquatique de BIOSHOCK 2

MARS 2010

90/91 WWW.MK2.COM


82 LE BOUDOIR /// DVD-THÈQUE

Ann-Gisel Glass et Wadeck Stanczak dans Désordre

LAST DAYS LES DISPARATIONS D’OLIVIER ASSAYAS MK2 réédite cinq films parmi les plus libres d’OLIVIER ASSAYAS : et si son sujet n’était ni l’adolescence ni le rock, mais quelque chose de plus profond – le besoin de formuler régulièrement une série d’adieux ? _Par Philippe Azoury

Il y a trois ans, l’Ina sortait discrètement un fantastique et peut-être celui que je continue de préférer), que coffret d’entretiens radiophoniques avec des cinéastes contrairement à l’idée reçue, il n’était en aucun cas français, menés par Serge Daney sur France Culture un film sur le rock mais précisément un dernier adieu à la fin des années 1980. Parmi ces cinéastes, et dans au rock. Et avec lui, à l’adolescence et aux désorle rôle du jeune espoir prometteur, Olivier dres qu’elle impose à ceux qui en épouAssayas, venu en juillet 1989 s’entretenir sent le mode de vie jusqu’au bout – choiavec le critique à la sortie de son deuxième sissant parfois d’en décider eux-mêmes la film, L’Enfant de l’hiver, peu ou pas vu, défin : le suicide. L’Enfant de l’hiver, que l’on fendu par la critique mais n’ayant pas renpeut enfin revoir pour la première fois contré son public. Avec le recul, il est troudepuis vingt ans, est tout entier un théâtre blant d’entendre l’Olivier Assayas d’alors de la rupture. Rupture avec l’être aimée, analyser à voix haute les rouages étriqués rupture avec la femme qui attend un du cinéma d’auteur à la française, décrienfant, rupture avec le père. L’Eau froide, vant la solitude du réalisateur indépendant son quatrième film, son plus libre aussi, par la métaphore d’un auteur se passant raconte l’histoire d’un jeune garçon encore commande à lui-même et recevant seul le sage mais tenté par la révolte, qui ne paquet ! Il ajoutait que cette absence de demande qu’à suivre une fille quant à elle dialogue avec un public ou un producteur Cinq films véritablement en rupture de ban. Dans la d’Olivier Assayas lui faisait cruellement défaut et que, selon (MK2 Éditions) longue séance de fête dans les bois, le ces propres mots, on ne l’y «reprendrait pas cinéma d’Assayas prend enfin ses marques, à deux fois ». se détache de ses influences (Bergman, Antonioni, Garrel) et connaît son véritable moment de grâce en La ressortie aujourd’hui de ses deux premiers films des dessinant le trajet d’une disparition volontaire. La fille années 1980 (Désordre, L’Enfant de l’hiver), du très beau disparaît dans la danse et le temps – adieu l’adolesL’Eau froide, du formidable Irma Vep et du crépuscu- cence sauvage, adieu ma chérie. Mais la leçon n’a laire Fin août, début septembre, tisse une manière de fil pas été oubliée pour autant : tout est affaire d’événerouge : il est possible que pas mal des œuvres d’Assayas ment, de situation (le mot est de Debord, dont Assayas (et a fortiori ces cinq-là) aient été tournées comme est un lecteur assidu et un exégète minutieux). Le on écrit une lettre d’adieux. Lui-même précisait, parlant cinéma, art de l’éphémère, doit être capable de ces il y a cinq ans à Rome de Désordre (tourné en 1986, enregistrements-là.

MARS 2010

WWW.MK2.COM


83

« LES ADIEUX D’ASSAYAS NE SONT PAS DES RÉVÉRENCES, CE SONT DES MISES AU POINT. » En 1998, en préface de son ouvrage consacré à Kenneth Anger (paru aux Cahiers du cinéma), il définissait Irma Vep comme un film où lui-même, ex-critique, renouerait avec la réflexion sur le cinéma. Irma Vep, récit de l’immersion d’une actrice de Hong Kong, Maggie Cheung, dans le cinéma indépendant français, est effectivement un des rares exemples de fiction bâtie à partir d’une réflexion esthétique portée sur la circulation des formes cinématographiques. Une critique de cinéma, si on veut, tournée en fiction. En 1999, la figure crépusculaire de l’écrivain mourrant de Fin août, début septembre rendait secrètement un dernier adieu à Serge Daney, disparu six ans auparavant. Les adieux d’Assayas ne sont pas des révérences, ce sont des mises au point. Ce qui nous hante et que l’on devrait raisonnablement chasser revient toujours – par la fenêtre ou dans le cadre. Son cinéma n’en a jamais douté, et si c’est un paradoxe, c’est tout le mouvement de la vie qui est alors paradoxal.

LE COFFRET DEUX FILMS

DE CLAIRE DENIS (PYRAMIDE VIDÉO)

Dans Beau Travail (1999), immersion dans un groupe de légionnaires français à Djibouti, et L’Intrus (2004), voyage d’un homme malade du Jura jusqu’en Océanie, Claire Denis scrute des hommes déracinés. Deux films splendides pour un acteur monumental, Michel Subor. _J.R.

LE COUP DE CŒUR DU VENDEUR DEUX FILMS DE ROGER CORMAN (SEVEN 7)

Producteur d’une centaine de films, ayant contribué à lancer des réalisateurs tels que Scorsese ou Coppola, Roger Corman a réalisé plus de 50 longs métrages. S’attaquant à tous les genres, connu pour la rapidité de ses tournages, Corman obtient une renommée certaine dans les années 1960 grâce au succès des adaptations d’Edgar Allan Poe qu’il met en scène. L’éditeur Seven 7 sort dans des copies somptueuses deux de ces films (Le Masque de la mort rouge et La Tombe de Ligeia), deux splendeurs dans lesquelles s’allient à merveille beauté formelle et obsessions morbides. _Florian Guignandon, vendeur à la boutique du MK2 Quai de Seine

_Par J.R.

DVD L’ENFER D’HENRI-GEORGES CLOUZOT DE SERGE BROMBERG ET RUXANDRA MEDREA (MK2 ÉDITIONS)

Ce documentaire hypnotique lève le voile sur les mystères d’un tournage mythique, débuté en 1964 et jamais achevé. Budget colossal, stars internationales et metteur en scène de génie pour une incroyable histoire d’amour et de jalousies. César du meilleur documentaire

LE RUBAN BLANC DE MICHAEL HANEKE (TF1 VIDÉO)

D’inquiétants incidents viennent troubler le quotidien d’un petit village protestant… Haneke sonde les racines du mal dans l’Allemagne rigoriste des années 1910 avec cette œuvre sublime et oppressante, récompensée d’une Palme d’or et d’un Golden Globe.

RAPT DE LUCAS BELVAUX (DIAPHANA)

Inspiré d’un fait réel, ce thriller claustrophobe revient sur la séquestration d’un puissant businessman (Yvan Attal, impressionnant), et dit avec brio le douloureux retour à la société d’un homme mis à nu, humilié par des médias acharnés. MARS 2010


© Annabel Mehran

84 LE BOUDOIR /// CD-THÈQUE

LA CORDE PARFAITE JOANNA NEWSOM, REINE, SIRèNE Accouchant dans le bonheur d’un triple album, la chanteuse JOANNA NEWSOM, plusieurs cordes à sa harpe, est sans doute l’un des plus beaux talents qu’ait enfanté la scène indierock américaine. _Par Wilfried Paris

Longs cheveux ensoleillés, doigts agiles pinçant les des arrangements vertigineux de cordes, mais aussi cordes de sa harpe, voix à la fois enfantine et très âgée, d’accordéon, marimba ou banjo, la harpe centrale comme revenue de tout, faisant vibrer les cordes sensi- faisant vibrer tout cet univers métaphorique (le disque bles et tambouriner les cœurs, la Californienne Joanna sort peu de temps après le passage de l’ouragan Newsom a tous les attributs d’une fée, une rémanence Katrina sur La Nouvelle-Orléans). bien réelle de temps anciens et magiques. Depuis ses premiers EP (Walnut Whales en 2002 et Yarn And Glue La décadence semble être le sujet de prédilection de en 2003), inspirés par l’immédiateté et la simplicité de Joanna Newsom, comme en témoigne la pochette de la musique traditionnelle des Appalaches son nouvel album, Have One On Me, la monet des antiques standards que l’on trouve trant en odalisque alanguie dans un décor dans Anthology of American Folk Music, de fanfreluches, objets précieux, plumes jusqu’à son premier album The Milk-Eyed de paon, telle une Vénus à fourrure dans sa Mender (2004), avec ses instruments anciens loge luxueuse, attendant la représentation (harpe celtique, dulcimer) et ses comptines suivante, dans une surcharge de signes. surréalistes, Newsom a ravivé une certaine «Certainement, la décadence, l’hédonisme tradition folk féminine (Laura Nyro, Judee étaient des idées que j’ai voulu donner avec Sill, Vashti Bunyan), en l’inscrivant dans la la pochette de l’album, et avec les chanmodernité indie-rock (elle est la « conteuse Have One On Me sons elles-mêmes, explique la native de préférée » de Will Oldham, et a tourné avec de Joanna Newsom Nevada City. J’ai voulu que l’instrumentation (Drag City/Pias) Cat Power ou Devendra Banhart). du disque ait une sorte de luxuriance à elle, avec un bon nombre de tonalités lourdes, foncées, Avec Ys (en 2006), album à l’imagerie préraphaélite, molles : des instruments à bois et à vents, les cordes livre de conte médiéval en cinq longues chansons jouées près du pont, et le grain un peu triste, caillé, comme cinq chapitres, elle narre le récit épique d’une de vieux instruments (les flutes, la viole de gambe, cité bretonne engloutie par l’océan pour ses orgies et la vielle à roue) qui évoquent pour moi une famille de sa démesure. Arrangé par Van Dyke Parks (collabora- colombes roucoulant pour elles-mêmes et dormant dans teur des Beach Boys pour Smile), enregistré par Steve les combles étroits et poussiéreux d’une grange. » Albini (le maître du son indie-rock de Chicago) et mixé par le génial Jim O’Rourke, Ys est un chef-d’œuvre Alors que l’on décrète partout le format mort et enterré, baroque et complexe, où la thématique omniprésente ce triple album, avec ses morceaux très longs (de six à de l’eau comme caractère destructeur s’allonge sur onze minutes en moyenne), restaure l’idée de durée en MARS 2010

WWW.MK2.COM


85

« JE NE VEUX DICTER À PERSONNE COMMENT ÉPROUVER CE DISQUE. » JOANNA NEWSOM musique, et l’on se plonge dans ses dimensions parallèles, sentiers qui bifurquent, entrelacs de songes, comme dans un roman postmoderne, une épopée en chorale ou une divine trilogie musicale. Dans ces récits à tiroirs, se tissant autour du « thème spectral de la maison : nidification, expatriation, mal du pays, occlusion, confort, phénomène des sans-abris, famille…», la langue est aussi stylisée que le chant (à l’intensité fragile de Kate Bush) ou les arrangements (la harpe cédant ici plus souvent la place au piano), et le tout est une véritable expérience que chacun vivra à sa façon. « Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’écouter cet album en une seule fois. Cela pourrait en épuiser certains. Je ne veux dicter à personne comment éprouver ce disque… » Joanna Newsom est une sage femme.

LE TRÉSOR CACHÉ GANGBUSTERS !

Il a le chapeau de Bob Dylan, le costume de Beck, les poils de Will Oldham et toute l’admiration de David-Ivar Herman Dune, qui prêche à qui veut bien écouter que Turner Cody est le trésor le mieux gardé de l’antifolk newyorkais. (Ghost)boosté par l’utilisation d’une de ses chansons dans Un prophète de Jacques Audiard, cet étincelant nouvel album chante disparitions, (ré)apparitions et tout ce qu’aimer veut dire. «I’m as lost as lost can be», entend-on en plage 6 : plus pour longtemps. _A.T.

LA BANDE ORIGINALE WAVE IF YOU’RE REALLY THERE DE WAVE MACHINES (NEAPOLITAN / GUESS WHAT !)

On l’avait loupé, et pour cause : sorti l’été dernier, le premier album des Waves Machines n’avait pas trouvé de distributeur français. Nouvelle émanation de l’écurie Tôt ou Tard, le label Guess What ! répare l’erreur, et nous fait goûter aux exubérantes machinations de ce quatuor liverpuldien, chantre d’une pop merveilleusement dysfonctionnelle. Bogue musique. _A.T.

_Par A.T.

CD I SPEAK BECAUSE I CAN DE LAURA MARLING (VIRGIN / EMI)

Sorte de Joni Mitchell made in England, âgée de 20 ans à peine, Laura Marling a séduit Neil Young en personne, dont elle assurera les prochaines premières parties. Son folk feuillu, fébrile et très élégamment sculpté ne devrait guère vous laisser de bois.

STARING AT THE ICE MELT DE FORTUNE (DISQUE PRIMEUR)

Adoubé par les milliardaires de Phoenix, ce trio power-pop amasse les tubes comme d’autres les billets de banque – leur reprise de Since You’re Gone des Cars fera fondre les cœurs, même les plus avares.

ALLEZ L’AMOUR

DE LUDÉAL

(SONY / COLUMBIA)

Après un premier album idéal mais injustement négligé par les stades, Ludéal reprend sa course, dans l’agile foulée d’un Bashung ou d’un Manset. Mots baladeurs, mélodies trotteuses, voix leste, ce deuxième effort est plus qu’encourageant : allez Ludéal !

MARS 2010

DE TURNER CODY

(BOY SCOUT RECORDINGS / DIFFER-ANT)


© Miguel Villalobos

86 LE BOUDOIR /// BIBLIOTHÈQUE

J.T. Leroy

FAKE ME LE GANG DES PASTIChES BHL qui cite le très douteux Botul, un prix littéraire piégé par une romancière fictive, une vraie biographie d’un écrivain imaginaire… Le faux s’affiche partout cet hiver. Et si la littérature n’était qu’un grand jeu de miroirs ? Méfiance. _Par Bernard Quiriny

Né en 1896 et mort en 1947, Jean-Baptiste Botul a long- imposteurs s’en donnent à cœur joie. En République temps été l’un des secrets les mieux gardés de la phi- tchèque, par exemple, un obscur romancier du nom de losophie française. Amant de Simone de Beauvoir et Jan Cempirek vient de décrocher un prix littéraire sur Lou Andreas-Salomé, compagnon d’Alain dans les tran- manuscrit en se faisant passer pour une Vietnamienne chées, guide d’une secte néokantienne réfugiée au de 19 ans. Malaise dans le jury, qui a reconnu du bout Paraguay après la guerre, cet autodidacte des lèvres que l’exotisme et le joli minois de n’a laissé que quelques cours retranscrits la fausse lauréate ont plus joué que les par ses disciples dans des livres comme qualités littéraires de son livre. Chez nous, Nietzsche et le démon de midi ou Landru, combien de lecteurs se laisseront encore précurseur du féminisme. Sa pensée aurait prendre à la mystification de l’universitaire continué de n’intéresser qu’une poignée Jean-Benoît Puech, qui depuis des années d’admirateurs si un certain Bernard-Henri Lévy fait vivre un écrivain imaginaire nommé ne lui avait apporté une incroyable notoriété Benjamin Jordane ? Après avoir publié ses en le citant dans son nouveau livre, De la faux textes, il a lancé des Cahiers d’études guerre en philosophie, à l’appui d’une crijordaniennes en compagnie de son confrère tique de Kant. En ignorant visiblement que Yves Savigny, lequel n’existe pas non plus ! Botul n’existait pas et que ses livres étaient C’est d’ailleurs sous le nom de Savigny qu’il des canulars érudits inventés par le journapublie aujourd’hui Une biographie autorisée liste Frédéric Pagès et quelques farceurs (P.O.L.), vraie-fausse bio de Jordane accomcomme le latiniste Jacques Gaillard ou l’ou- Romain Gary, de Wilno à pagnée d’une explication qui achève de lipien Hervé Le Tellier, piliers de la « Société la rue du Bac de Jean-Marie brouiller les pistes. Une réflexion magistrale Catonné (Actes Sud, biogrades amis de Jean-Baptiste Botul »… sur le rapport entre l’écrivain et son œuvre phie) (l’œuvre existe, l’écrivain non), dans la lignée Par-delà l’anecdote, cette affaire montre qu’en dépit d’autres supercheries célèbres : Gide et ses Cahiers des facilités dont dispose l’homme moderne (quelques d’André Walter, Queneau et ses Œuvres complètes clics suffisent pour démasquer Botul), cette vieille de Sally Mara ou Claude Bonnefoy parodiant les tics tradition littéraire du canular a encore de beaux jours de la critique savante dans ses études sur un faux devant elle. Et le meilleur est peut-être à venir : saturés contemporain nommé Marc Ronceraille, publiées en d’informations qui se propagent à la vitesse de la 1977 dans l’austère collection «Écrivains de toujours » lumière, on a paradoxalement de plus en plus de mal du Seuil… à distinguer le vrai du faux. Du coup, en littérature, les MARS 2010

WWW.MK2.COM


87

« SATURÉS D’INFORMATIONS, ON A DE PLUS EN PLUS DE MAL À DISTINGUER LE VRAI DU FAUX. » L’imposture prend parfois des proportions inattendues, comme aux États-Unis avec Penelope Ashe, romancière inventée en 1969 par des journalistes de Newsweek et dont le livre – délibérément nul – fut un best-seller, ou avec J.T. Leroy, auteur prodige des années 2000, scénariste pour Gus Van Sant, révéré par toute la presse branchée, et derrière lequel se cachaient en réalité la romancière Laura Albert et la designeuse Savannah Knoop… Le maître du genre demeure néanmoins notre Romain Gary national, dont une belle biographie de Jean-Marie Catonné rappelle les affabulations virtuoses et le jeu d’identités multiples, jusqu’au fameux Goncourt de son double Émile Ajar. En soulignant au passage que pour Gary, ce dédoublement était tout sauf une farce, et qu’il reflétait la tragédie intime de l’auteur : « Gary meurt avec son secret : Ajar lui survivra plus de six mois avant que la vérité éclate. La marionnette, si c’en était une, l’avait emporté sur le marionnettiste. »

LE CINÉ LIVRE TOURNAGES D’ISABELLE CHAMPION ET LAURENT MANNONI (LE PASSAGE)

Sous-titré Paris-Berlin-Hollywood, 1910-1939, ce beau livre prolonge l’exposition homonyme de la Cinémathèque Française (dès le 10 mars). Il abrite plus de 200 photos rarissimes, véritables bijoux, qui nous font visiter les studios d’antan en compagnie de Fritz Lang, John Ford ou Jean Renoir. _J.R.

LE COUP DE CŒUR DE LA LIBRAIRE LE REGARDEUR DE THOMAS FARBER (JOELLE LOSFELD, ROMAN)

Le Regardeur, ou le roman de la fulgurance amoureuse, dans une narration épurée, à deux personnages, l’homme, écrivain, la jeune femme, étudiante en histoire de l’art. À mesure que leur lien se sexualise, s’affinent les joutes verbales et s’accumulent les Polaroid alternant ainsi le passage de sujet à objet, et inversement. Avec élégance et brio, Thomas Farber nous donne à lire l’histoire d’un amour, et la genèse d’une fiction qu’induit l’épilogue post coitum. _Pascale Dulon, libraire au MK2 Bibliothèque

_Par B.Q.

LIVRES CHOIR

D’ÉRIC CHEVILLARD (ÉDITIONS DE MINUIT, ROMAN)

À Choir, île sinistre et paumée, les habitants se répètent sans fin l’histoire d’un héros ancestral, qui a réussi à s’enfuir par les airs… Une méditation tragi-comique sur l’absurde de l’existence, par le drôlissime et spirituel Chevillard.

LA VOIE DE BRO

DE VLADIMIR SOROKINE

(L’OLIVIER, ROMAN)

Plus déjanté que jamais, Vladimir Sorokine continue le pastiche SF commencé dans La Glace, et en profite pour épingler les errements de la Russie postcommuniste. Dans le même temps, Verdier publie Roman, le pavé des années 1980 qui l’a rendu célèbre.

LES IDIOTS D’ERMANNO CAVAZZONI (ATTILA, NOUVELLES)

Dans la lignée d’un Buzzati ou d’un Calvino, l’Italien Ermanno Cavazzoni trace le portrait de 31 personnages un peu spéciaux, comme un calendrier en forme d’ode décalée aux excentriques et allumés en tout genre. Une admirable curiosité.

MARS 2010


© Dargaud - Trondheim

88 LE BOUDOIR /// BD-THÈQUE

Extrait de Top Ouf ! de Lewis Trondheim

COLLECTOR POISSON PILOTE, DIX ANS DANS LES BULLES Dargaud fêtera les dix ans de sa collection innovante, POISSON PILOTE, les 10 et 11 avril prochains au MK2 Quai de Loire. Miniexpo, projections, dédicaces, débats, rééditions : c’est le moment d’aller à la pêche. _Par Joseph Ghosn (www.menstyle.com)

Au début des années 1990 apparaît en France une quels l’usage du noir et blanc n’est pas un tabou, et nouvelle génération d’auteurs et d’éditeurs de bande où le nombre de pages est fixé uniquement par les dessinée qui ont à cœur de réaliser des œuvres plus besoins de la narration. Un peu sur le modèle de Jean personnelles, plus intimes, dans des formats inédits, Giraud qui, dans les seventies, dessinait Blueberry pour évoquant davantage les livres de littérature que les le grand public tout en s’essayant à des projets plus albums de Tintin. Parmi les maisons d’édiexpérimentaux sous le nom de Moebius tion inscrites dans ce nouveau courant, la pour la revue Métal Hurlant et l’éditeur Les première à voir le jour et à formaliser une maHumanoïdes Associés. nière différente d’agir en BD, c’est L’Association, fondée en 1990 par des auteurs qui De ces envies d’histoires nouvelles, de ce teront fourbi leurs armes et formé leur jeunesse reau, Poisson Pilote va faire des albums qui dans les années 1980, notamment chez auront une visibilité plus grande. Mais auFuturopolis. La radicalité de L’Association ne delà de ces considérations, la collection va passe pas inaperçue et, surtout, ne cache surtout permettre la création de séries aussi ni ne gâche le talent de ses auteurs, comme importantes que Les Formidables Aventures Lewis Trondheim, Joann Sfar ou David B. : de Lapinot de Lewis Trondheim (dont on les mêmes qui, dix ans plus tard, se trouveregrette encore l’arrêt, mais qui a donné l’un ront réunis au sein d’une nouvelle collection Top Ouf ! Les Formidables des plus beaux livres de son auteur : La vie initiée par un ex du magazine Pilote, Guy Aventures sans Lapinot comme elle vient) ou Le Chat du rabbin de Lewis Trondheim Vidal (aujourd’hui disparu). Avec son nom de Joann Sfar. Poisson Pilote sera aussi l’écrin (Dargaud) entre deux eaux (l’ancien et le nouveau), idéal pour Isaac le pirate, splendide série ludique mais pointant son nez vers l’avant-garde, d’aventures de Christophe Blain, toute tournée vers l’inPoisson Pilote est une petite collection tout à fait par- time et qui se lit comme une version postmoderne des ticulière, malgré son format tout à fait classique et son grandes BD d’aventure comme Barbe-Rouge. La nouéditeur tout aussi classique, Dargaud, au sein duquel velle génération y fait aussi ses premiers pas vers le elle forme un nouveau vivier radicalement différent des grand public : Riad Sattouf et ses hilarantes Pauvres habitués de la maison. L’idée est que des auteurs Aventures de Jérémie, la jeune Anne Simon et ses d’avant-garde puissent y trouver une forme de publica- Petites Prouesses de Clara Pilpoile, sans oublier l’extions plus facilement achetables par le grand public, cellente Miss pas touche, d’Hubert & Kerascoët, ou le tandis que, chez les éditeurs indépendants, ils pourtrès réussi Retour à la terre de Jean-Yves Ferri & Manu raient s’essayer à d’autres sortes d’ouvrages, dans lesLarcenet. Dix ans après sa naissance, la collection est MARS 2010

WWW.MK2.COM


89

«UNE PETITE COLLECTION TOUT À FAIT PARTICULIÈRE MALGRÉ SON FORMAT TOUT À FAIT CLASSIQUE.» toujours très vivace : on y compte tous les ans plusieurs livres de jeunes auteurs dont beaucoup sont à suivre de près et qui n’ont plus, comme leurs aînés, le souci de faire cohabiter leur œuvre dans deux collections différentes, l’une commerciale et l’autre expérimentale. Poisson Pilote peut se targuer d’avoir ouvert la voie et d’avoir créé les conditions pour qu’émergent au grand jour certains auteurs devenus absolument majeurs. En parallèle de l’événement organisé au MK2 Quai de Loire, plusieurs albums emblématiques de la collection seront réédités en série limitée, avec couverture inédite et dos toilé (à commencer, le 26 mars par Slaloms de Trondheim et le tome 1 du Retour à la terre de Ferri & Larcenet). Ce n’est pas un poisson d’avril, et c’est à ne pas rater. Les dix ans de Poisson Pilote au MK2 Quai de Loire, les 10 et 11 avril, en présence des auteurs de la collection, en partenariat avec Trois Couleurs. Séances de dédicace, exposition, projections de films, débats… Plus d’infos sur www.mk2.com

LA RÉÉDITION TRAVAUX PUBLICS

DE YÛICHI YOKOYAMA

(MATIÈRE)

Matière fait tout pour que le public français découvre Yokoyama. Après Jardins l’an dernier, il réédite aujourd’hui son premier livre, augmenté de pages inédites. Un ouvrage où calligraphie et dessins se confondent, où constructions mathématiques et tracés radicaux se mixent avec un bonheur rare, aux frontières du futurisme et du constructivisme. _J.G.

LE ROMAN JEUNESSE À QUOI SERVENT LES CLOWNS ? D’ANNE PERCIN (LE ROUERGUE / DAVODAC, ROMAN POUR LES 9-11 ANS)

Mélinda, 7 ans, a tout perdu dans l’incendie de son appartement : sa peluche Tigrou, l’unique photo de son papa qu’elle ne connaît pas... Depuis, elle vit sur la RN près d’un terrain vague, dans une caravane avec sa maman et sa grande sœur. L’arrivée d’un cirque bouleverse son quotidien : Pablo (le fils du directeur du cirque), Igor le soigneur des animaux et un vrai gros Tigrou font de sa vie un rêve... Anne Percin est également l’auteur de l’émouvant L’Âge d’ange à l’École des loisirs (à partir de 12 ans). Deux romans pétillants et touchants, à découvrir absolument ! _Sophie Quetteville, libraire au MK2 Quai de Seine

_Par J.G.

BD DES BERNIQUES

DE SÉBASTIEN LUMINEAU

(CORNÉLIUS)

Difficile de faire plus touchant que ce petit livre en noir et blanc du mésestimé auteur du Chien de la voisine (signé à l’époque Imius). De ce couple sur le point de se séparer et qui ne sait trouver les mots, il ne dévoile rien : il montre l’inéluctable.

PAUL À QUÉBEC

DE MICHEL RABAGLIATI

(LA PASTÈQUE)

La série canadienne des aventures de Paul est extrêmement savoureuse, dessinée dans une ligne mi-claire mi-cartoon, qui évoque une version québécoise (mais sans accent) des histoires parisiennes de DupuyBerberian.

FOLLES PASSIONS VOL. 1 DE KAZUO KAMIMURA (KANA / DARGAUD)

Nouvelle occasion de savourer la hardiesse et la beauté du trait de ce maître japonais récemment redécouvert, et sa façon profondément sexy et charnelle de dessiner la jouissance des filles – mais aussi leurs larmes, comme si les deux ne pouvaient qu’aller de pair.

MARS 2010


90 LE BOUDOIR /// LUDOTHÈQUE

RESSAC LA VIE AQUATIQUE DE BIOSHOCK 2 Où l’on reparle de scaphandres et de petites filles mutantes... Il y a trois ans émergeait Bioshock, jeu de tir à la poésie toute sous-marine, entre Jules Verne et Wes Anderson. C’est donc tête la première qu’on plonge dans le second volet de la saga, qui sort ces jours-ci. _Par Étienne Rouillon

Palmes, tuba et foreuse anti-goule, paré pour patauger L’intrigue est sensiblement la même, bien que les proà nouveau dans la mare aux traquenards. En 2007, le tagonistes changent : Rapture est une cité utopiste où premier Bioshock a fait tourner les pupilles en inventant les scientifiques ne sont limités dans leurs expériences le jeu de tir contemplatif. C’est un peu comme si on par aucune contrainte morale. Les citoyens de cette parlait d’un film de cul interprété façon one-man show : ville établie dans les bas-fonds d’un océan profitent on est familier du fond mais surpris par la d’expérimentations débridées pour dévelopforme. Dans Bioshock 2, on redécouvre, per des pouvoirs incendiaires ou télékynéderrière le viseur du pistolet à rivets, les siques, jusqu’à devenir esclaves de l’Adam, contours ruisselants de la ville de Rapture – une drogue qui leur permet de profiter de jadis Atlante, aujourd’hui Tantale au supplice. ces nouvelles compétences. Ces junkies de Cette cité 20 000 pixels sous la mer est à Rapture, les Chrosômes, ont précipité la cité nouveau la raison d’être du jeu. Ainsi, après idéale dans une décadence cannibale.Vous avoir sulfaté les fats zombies qui peuplent incarnez un « Big Daddy » (personnage que ses gratte-ciel, on déambulera pour la rétine. l’on combattait dans le premier Bioshock), Dans les palais immergés, les yeux mouillés sorte de gardien du temple en scaphand’appétit pour l’architecture aqueuse, on dre dont le rôle est de défendre les « Petites retrouve les fantasmes d’anticipation scienSœurs » qui extraient l’Adam des cadavres tifique d’un Jules Verne, épanouis dans un de Rapture. Les choix moraux émaillent toudécorum aux frontières des années 1950 et Genre : FPS / Promenade jours votre progression : faut-il jouer les super Éditeur : 2K Games 1960. Les amateurs de la série Mad Men se Plateforme : PC, PS3, X360 nanny avec les Petites Sœurs ou jeter le bébé sentiront en terrain connu, une fois de plus avec l’eau du bain, c’est-à-dire massacrer – pour ne pas dire une fois de trop ? Parce que si c’est les frangines pour s’approprier l’Adam ? Doit-on punir toujours aussi enivrant, les joueurs qui ont de la bou- les salauds qui vous ont créé ou leur pardonner ? teille auront un goût de déjà bu. Bioshock 2 interroge le joueur sur la puissance que lui confère la manette, là où d’autres titres ne provoquent Au milieu des autres jeux de tir, Bioshock surnageait qu’œil torve et écume aux lèvres. entre deux eaux : l’évident et l’intriguant. Bioshock 2 brasse les recettes de l’aîné, en prenant le risque d’une Les mécanismes de jeu se sont toutefois musclés et suite redondante. Choisir, c’est risquer de choir. Le leit- les assauts des Chrosômes donnent la part belle à la motiv asséné au joueur a bien failli avoir raison du jeu. stratégie de défense. Il faudra mobiliser avec astuce MARS 2010

WWW.MK2.COM


91

« FAUT-IL JOUER LES SUPER NANNY OU JETER LE BÉBÉ AVEC L’EAU DU BAIN ? » l’arsenal steampunk, au design génial : pistolet à rivets piégés, tourelles de protection rouillées jusqu’à l’huile, et bien sûr l’iconique foreuse à pétrole. Dernier détail enchanteur : l’environnement sonore, particulièrement soigné. Les gouttes d’eau carillonnent dans les flaques, pendant que les cascades d’infiltration murmurent dans les murs. « C’est une imprudence d’écouter trop d’avis, et se tromper au choix », bafouillait Pierre Corneille. En refusant de donner du crédit aux Cassandres qui prédisaient une suite inutile, le studio 2K Games a fait le bon choix. On a hâte de barboter une troisième fois avec ces maîtres-nageurs.

LE RETOUR FINAL FANTASY XIII (SQUARE ENIX, SUR PS3, X360)

L’alpha et l’oméga du jeu de rôle revient en HD. Après avoir charmé toutes les consoles à manettes, la série Final Fantasy s’illustre avec un nouvel opus non moins hypnotisant. Entraîné par une réalisation homérique, le joueur concèdera quelques entorses aux canons du genre. Bien que plus directif avec sa progression en couloirs fermés et un système de combat plus orienté action, ce dernier volet n’a pas à rougir face à son glorieux aîné : le mythique Final Fantasy VII (1997). Le numéro XIII, porte-bonheur d’une odyssée qui n’a pas encore écrit son point final. _E.R.

L’ADAPTATION HEAVY RAIN (SONY, SUR PS3)

Beaucoup craignaient le pétard mouillé, mais Heavy Rain brûle d’un feu sans artifices. Avec trois jeux en dix ans, le studio Quantic Dream prend le temps de redessiner la frontière entre cinéma et jeu vidéo. Une œuvre très référencée, des Experts à Se7en, qui s’impose à son tour comme une référence du film interactif. _E.R. _Par E.R.

JEUX NAPOLÉON : TOTAL WAR (SEGA, SUR PC)

Et si on avait gagné la bataille de Waterloo, elle s’appellerait comment la gare de Londres ? Brillante par sa rigueur historique et ses graphismes sans pareils, la série des Total War vous met cette fois dans la peau d’un Bonaparte victorieux…

MASS EFFECT 2 (ELECTRONIC ARTS, SUR PC ET X360)

Comment ? Vous n’avez pas encore votre Mass Effect 2 ? Quelle idée… On ne saurait passer à côté du second volet de la sidérante saga sidérale. Un épisode brillant, aux accents plus sombres et matures mais qu’on parcourt avec un enthousiasme enfantin.

SILENT HILL : SHATTERED MEMORIES (KONAMI, SUR WII)

La Wii revisite les rues obscures de la ville de Silent Hill et remonte aux origines de l’épopée horrifique. On retrouve le héros Harry Mason, toujours persuadé qu’ouvrir des portes grinçantes, armé d’une seule lampe torche, c’est très malin. Chocottes assurées.

MARS 2010

VOUS SOUHAITEZ COMMUNIQUER DANS ? APPELEZ-NOUS ! 0144674801


92 TRAIT LIBRE

TROIS INSTINCTS DE JULIEN PARRA (EMMANUEL PROUST ÉDITIONS, SORTIE LE 18 MARS)

Quel lien peut-il y avoir entre une tueuse en série amatrice d’hémoglobine, un jeune homme paumé tombé dans la prostitution et un futur père de famille dans le coma ? BD nerveuse et habitée, Trois Instincts nous permettra de le découvrir en remontant le temps tout le long du récit. À la croisée du polar, du manga et de l’école francobelge, ce premier album de Julien Parra, au style des plus sanglants, se dévore à toute blinde et sans aucune modération. _P.R.-W.

MARS 2010

WWW.MK2.COM



94 SEX TAPE /// L’INSTANT ÉROTIQUE

QUEER PLEINE PEAU

«On ne cherche pas à devenir une femme, on cherche à l’être », affirme la raffinée Virginie Perle, dans l’un des quatre portraits que consacre Chantal Poupaud aux « crossdressers », autrement dit des hommes qui se travestissent en femmes. Ces hétérosexuels, parfois pères de famille, se défont de leurs oripeaux masculins devant la caméra de la respectueuse réalisatrice. Enfiler de la lingerie, se maquiller : les gestes se répètent, méthodiques et sensuels. Un véritable « rituel du plaisir », destiné à libérer la féminité, en même temps que la parole de ces hommes, transcendés à l’issue de leur transformation. Et de prouver dignement que du dur à cuire au queer, il n’y a parfois qu’une bride d’escarpins. _S.M. Crossdresser de Chantal Poupaud // Sortie le 24 mars




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.