ÉTÉ 2010
83
CINÉMA CULTURE TECHNO
by
ENFANT TERRIBLE
by
ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS 01 44 67 30 00
SOMMAIRE # 83
Rédacteur en chef Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com)
7 ÉDITO 8 ENQUÊTE > Qu’est devenue la scène de Montréal ? 12 SCÈNE CULTE > Festen 14 PREVIEWS > Treme / Blacksad
Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com)
19 LES NEWS
Directeur de la publication & directeur de la rédaction Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com)
Rédactrice Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Direction artistique Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Design Sarah Kahn Secrétaire de rédaction Laurence Lemaire Stagiaires Cassandre Dessarts, Amélie Leenhardt Ont collaboré à ce numéro Ève Beauvallet, François Bégaudeau, Isabelle Danel, Anne de Malleray, Pascale Dulon, Julien Dupuy, Sylvain Fesson, Yann François, Clémentine Gallot, Joseph Ghosn, Jacky Goldberg, Florian Guignandon, Donald James, Olivier Joyard, Claire Lefeuvre, Pamela Messi, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Pablo René-Worms, Léo Soesanto, Violaine Schütz, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente Photographie de couverture Philippe Quaisse/Pasco Illustrations Dupuy & Berberian, Sarah Kahn Publicité Responsable clientèle cinéma Laure-Aphiba Kangha 01 44 67 30 13 (laure-aphiba.kangha@mk2.com) Directrice de clientèle hors captifs Laurie Pezeron 01 44 67 68 01 (laurie.pezeron@mk2.com) © 2009 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique
19 CLOSE-UP > Katell Quillévéré 20 LE K > Night and Day 22 KLAP > Sponsoring 24 TÉLÉCOMMANDO > Friday Night Lights 26 EVENT > Le Festival de Locarno 27 PASSERELLES > Imaginez maintenant 28 UNDERGROUND > Aloe Blacc 30 BUZZ’ART > A Remix Manifesto 32 LE NET EN MOINS FLOU > Le web 2.0 prend-il des vacances ? 34 AVATAR > Alan Wake
37 LE GUIDE 38 SORTIES CINÉ 50 SORTIES EN VILLE 60 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN
62 DOSSIERS 62 XAVIER DOLAN // LES AMOURS IMAGINAIRES 72 THOMAS VINTERBERG // SUBMARINO 76 APICHATPONG WEERASETHAKUL // ONCLE BOONMEE
81 LE BOUDOIR 82 DVD-THÈQUE > Robert Kramer 84 CD-THÈQUE > Bertrand Belin 86 BIBLIOTHÈQUE > Les poches de l’été 88 BD-THÈQUE > Les vingt ans de l’Association 90 LUDOTHÈQUE > Super Mario Galaxy 2 93 HOLLYWOOD STORIES > Michael Cimino 94 SEX TAPE > Be Bad !
VOUS SOUHAITEZ COMMUNIQUER DANS APPELEZ-NOUS ! 01 44 67 68 01
?
COCtEAU TWIN « L’élève pâle contourna le groupe et se fraya une route à travers les projectiles. Il cherchait Dargelos. Il l’aimait. […] C’était un mal vague, intense, contre lequel il n’existe aucun remède.» À quelques détails près, cet extrait des Enfants terribles de Jean Cocteau pourrait faire office de pitch des Amours imaginaires, le second long métrage de Xavier Dolan, en salles à la rentrée. Dans le long entretien qu’il nous accorde, le cinéaste montréalais clame toute son admiration pour son aîné, dont il a tatoué une phrase («L’œuvre est une sueur») en haut du genou droit : «J’aime Cocteau. Il représente tout ce que je ressens, tout ce que je préconise, tout ce que j’admire. C’est mon héros. » Il faut dire que Xavier Dolan partage la plupart des dispositions de l’auteur d’Orphée : précocité déconcertante (il a réalisé son premier film à 19 ans, devançant d’un an l’entrée de Cocteau dans le monde littéraire), singularité d’une écriture qui se nourrit du travail en groupe (Dolan est fidèle à ses meilleurs comédiens, quand la «bande à Cocteau» – Piaf, Picasso, Chanel, Marais, Satie, Diaghilev, Truffaut… – n’a cessé d’irriguer l’œuvre du Français), polyvalence qui force de le respect (l’un est acteur, scénariste, réalisateur, styliste et photographe, l’autre fut poète, dessinateur, romancier, dramaturge, librettiste, cinéaste). Esthètes turbulents et prolifiques, Dolan et Cocteau creusent les mêmes motifs – amours impossibles, clash de la norme et de la différence, de l’imaginaire et du réel –, rejouant avec audace le mélange des genres, des niveaux de langue, des sexualités. Tous deux se méfient des promoteurs d’une identité nationale monochrome, préférant puiser dans ce que leur pays recèle d’unique et d’universel à la fois. Dans son dernier court métrage, Jean Cocteau s’adresse à l’an 2000, réalisé quelques mois avant sa mort en 1963, le vieil homme se livre sans pudeur, à l’intention de la jeunesse du nouveau millénaire. Il y définit le poète comme «un intermédiaire, un médium». Xavier Dolan a entendu Cocteau. Mieux, il le traduit, à l’usage du temps présent. _Auréliano Tonet
8 ENqUêTE // QU’EST DEVENUE LA SCÈNE ROCK DE MONTRÉAL ?
AFTER THE GOLD RUSH Six ans après le séisme qui l’a frappée – Funeral d’Arcade Fire, plus d’un million d’exemplaires dans le monde, magnitude 9,7/10 sur l’échelle de Pitchfork – et les autres feux qui furent alors visibles, et sont de retour cet été – Wolf Parade, The Acorn, Arcade Fire encore… –, MONTRÉAL est-elle toujours l’eldorado rock qu’on a décrit ? Enquête. _Par Sylvain Fesson
J
e me souviens. On était en 2004 et, avec Arcade Fire, on découvrait une nouvelle façon de faire du rock.Calqué sur le mythe à fermeture (éclair) du gang, le concept de groupe cédait sa place à celui, plus participatif, de collectif. Sur scène, bêtes de live, sept personnes s’échangeaient leurs instruments comme une patate chaude, chantant en chœur des «we are the world» avec une rage de Sex Pistols. Les guitares côtoyaient les violons, les percus de fortune l’accordéon, et les morceaux passaient souvent le mur des 3 minutes 30 syndicales de la pop song. Ce mélange (à combustion) spontané de folk et de rock accélérait le palpitant. On se sentait plus vivant qu’avec le rock vintage des Libertines, Strokes et White Stripes. Là, nos poumons s’ouvraient.tout semblait de nouveau possible. À l’heure de l’Internet roi, Pitchfork, le nouveau sismographe pop à faire autorité, avait sonné l’alerte.À juste titre, les autres médias avaient suivi, faisant d’Arcade Fire le cross-over indie/mainstream le plus rapide de l’histoire. C’est bien simple : en 2007, avec leur deuxième disque, Neon Bible, ils étaient déjà perçus comme des U2 made in Canada (dry). Et Montréal comme la nouvelle Mecque du rock, où ils règneraient en godfathers. Alors…
ÉTÉ 2010
Fantasme ? Oui, bien sûr. Parce qu’il y a un avant Arcade Fire : le label Constellation, monté en 1997 par deux musiciens qui souhaitaient initialement créer «une nouvelle salle de spectacle gérée par des artistes pour des artistes », dixit Ian Ilavsky, cofondateur. Avec Godspeed You! Black Emperor (GY!BE) et Silver Mt. Zion (SMZ), leurs formations culte, c’est eux qui ont secrètement remis au goût du jour la mouvance du groupe et du rock à rallonge,mêlant le nouveau monde (électrique) à l’ancien (acoustique). Ce que fit aussi Sigur Rós en Islande. Quand Arcade Fire a explosé en 2005, ces groupes chorale-fanfare bête de live à la vas-y que je te passe mon archet si tu me passes ton tuba s’étaient déjà répandus sur le globe. Islands, Architecture in Helsinki, I’m from Barcelona, Of Montreal, Beirut, the National étaient leurs noms… en total brouillage de pistes avec leur pays d’origine. Conquise par le prodige Sufjan Stevens, la blogosphère s’était mise à parler d’indillinoise, néologisme malin mixant indie (pour indépendance), Illinois (l’État de Super Sufjan) et noise (pour le beau bazar joué par ces groupes) pour tenter de définir cette scène… utopique. Chanteur de SMZ et ex-guitariste de GY!BE, Efrim Menuck précise qu’ils ne furent jamais prophètes en leur pays: «Nous y sommes quasi invisibles, largement ignorés par les médias qui nous ont très tôt affublés d’une réputa-
WWW.MK2.COM
© Eric Kaynes
QU’EST DEVENUE LA SCÈNE ROCK DE MONTRÉAL ? // ENqUêTE 9
Arcade Fire
tion de groupes “prétentieux” et “difficiles”. » Un sentiment de ne pas trop faire corps avec la scène de Montréal que confirme tim kingsbury, guitariste-bassiste-claviériste d’Arcade Fire : «Je veux dire, ce n’est pas comme si nous jouions tout le temps dans chaque coin de la ville. » Mais alors cette soi-disant grande vague de groupes communautaires spécifique à Montréal… Réalité ? Oui. « Par effet de loupe, l’idée de scène est toujours une construction médiatique », soupire vincent Moon, photographevidéaste-globe-trotter qui a pas mal fréquenté celle de Montréal. Avec son lot de bullshit, comme cette légende qui voudrait que le groupe Wolf Parade soit né en 2003 parce que Arcade Fire avait besoin d’une première partie, alors que non, rétablit tim : «Le soir de leur premier concert, on jouait après eux mais comme on était nousmêmes inconnus, la tête d’affiche était un obscur groupe belge du nom de Melon Galia ! » Et son lot de suiveurs qui, par la grâce du succès locomotive d’Arcade Fire, sont automatiquement auréolés d’un label « pur songwriter élevé à Montréal », alors que globalement, y a peau de zob. Mais oui quand même, car là-bas, une grande fa(m)ille tectonique s’agite. Est-ce dû à l’appel des montagnes ? À l’intense activité culturelle ? Non, à l’argent, soulève tim : « Si chacun de nous s’est installé à Montréal il y a près de dix ans pour faire de la musique, c’est parce que la vie n’y est pas chère. Beaucoup moins chère qu’à Paris. » « Et qu’à New York, renchérit vincent. C’est important, parce que du coup les musiciens peuvent presque vivre de leur musique en jouant dans 3-4 groupes à la fois.» D’où la pérennité d’une structure comme Constellation qui, dixit Ian, ne produit « que des créations locales sous-exploitées » et «5 albums max par an», car ils ne veulent «pas devenir trop grands». C’est pour ça qu’ils ont enregistré le premier album d’Arcade Fire en 2003, mais pas les suivants. Aussi, leurs contrats se nouent à l’oral et les profits sont redistribués entre tous les groupes car «à petite échelle, seul ce système fonctionne.» Cette vie peu chère explique
ÉTÉ 2010
« ICI, LES MÉDIAS NOUS ONT TRÈS TÔT AFFUBLÉS D’UNE RÉPUTATION DE GROUPES “PRÉTENTIEUX’’. » EFRIM MENUCk (SILvER Mt. ZION)
WWW.MK2.COM
© DR
10 ENqUêTE // QU’EST DEVENUE LA SCÈNE ROCK DE MONTRÉAL ?
Wolf Parade
également la vivacité de groupes électro-punk comme Les Georges Leningrad, Lesbians on Ecstasy, Duchess Says ou We Are Wolves. On ne parle plus trop d’eux – leur musique ne restera d’ailleurs pas dans les annales – mais ils rappellent pourquoi, avec son quartier homo parmi le plus grand au monde, Montréal appartient au club sélect des capitales gaies mondiales. Montréal ? Parlons-en. La ville a changé depuis ces six dernières années. En passant au-dessus d’elle, le radar médiatique l’a fait muter. « Beaucoup de gens s’y sont installés, poursuit tim, notamment des promoteurs de rock indé qui travaillent dur. Et des salles de concerts se sont ouvertes, alors que quand je suis arrivé il n’y avait que deux endroits où jouer. » Une chose n’a pas changé : le réseau de galeries, qui fait de Montréal une des plus grandes villes souterraines au monde (il faut bien se protéger des grands écarts de température, de 35°C en été à -35°C en hiver), une sorte de ville-cave. Et c’est souvent là, undergound, que les groupes se rencontrent, jouent et parfois vivent. Faut-il y voir comme une métaphore directe de leur marginalité artistique? Un élément de réponse à cet héroïsme folk qui émane presque systématiquement du rock qui s’y fait ? À ce lyrisme, qu’on retrouve jusque dans la nouvelle scène francophone où Pierre Lapointe, Malajube et karkwa font bien plus que tordre le cou au syndrome québécois des chanteuses à voix ? La ville occupe d’ailleurs une situation géographique tout sauf anodine : isolée dans cet immense pays d’Amérique du Nord (le Canada est le deuxième État du monde en terme de superficie), Montréal est à la fois hors des États-
ÉTÉ 2010
Unis (au-dessus, comme s’il elle incarnait leur bonne conscience, moralisatrice) et tout près, à trois ricochets de géant. Cette position schizophrénique ne vous rappelle pas… Arcade Fire ? Oui, elle résume bien le statut paradoxal d’Arcade Fire sur l’échiquier pop mondial, et la figure tout aussi paradoxale de leur charismatique et mystérieux leader, Win Butler. Car il ne faut pas oublier que ce dernier, comme son frère Will, qui joue aussi dans le groupe, a grandi au texas. Loin de moi l’envie de faire une chasse aux sorcières genre : «Ouh! il a du sang de redneck dans les veines, c’est pour ça qu’il a faim de conquête, c’est un putain d’Américain ! » Non, mais voilà : Win n’est pas un enfant du coin (il s’y est installé pour rejoindre sa compagne, la Québécoise et cofondatrice du groupe, Régine Chassagne). Et Win, il faut le voir live. Il semble constamment écartelé entre la tentation mégalo d’être Bono et la pudeur monacale de rester Cash. Avant toute chose, on dirait que c’est ça qui pousse Arcade Fire : la bataille intrinsèque de son leader pour continuer à émerger comme le boss dans un collectif qui serait censé ne pas en avoir. Ça rejaillit sur lui. Le dote d’un magnétisme inédit. Il est curieux de voir que ce principe dualiste touche un autre très très (si ce n’est LE) bon groupe de Montréal : Wolf Parade. Quatuor constitué de deux songwriters, Dan Boeckner et Spencer krug, ce groupe ne devait à la base pas être leur priorité. Ils en avaient d’autres bien à eux chacun de leur côté. Et puis voilà, le frottement de deux ego qui se tirent la bourre à la compo, le ludisme de se dire que de toute façon ce n’est qu’un side project et tac ! Ce genre de particula-
WWW.MK2.COM
QU’EST DEVENUE LA SCÈNE ROCK DE MONTRÉAL ? // ENqUêTE 11
« SI ON S’EST INSTALLÉS À MONTRÉAL IL Y A DIX ANS, C’EST PARCE QUE LA VIE N’Y EST PAS CHÈRE. » tIM (ARCADE FIRE) risme, c’est ce qui fait que leur son est si jubilatoirement rock, qu’ils sont signés chez Sub Pop, et que je pourrais parler d’eux durant des heures, alors que le folk gentiment boisé de the Acorn me forcerait à gloser sur la luxuriance de ses arrangements. Oui, cette «christ d’identité» n’est pas pour rien dans le succès d’Arcade Fire. En touchant simultanément les cordes sensibles du fan de rock indé et de l’amateur de rock de stades, elle lui a permis de devenir ce dinosaure avant l’heure,loué par Bowie et ouvrant pour Springsteen, U2 et… Obama ! Wake up ! Mais là, justement : un os. À l’heure du troisième album qui sépare rituellement les hommes des petits garçons, Arcade Fire devrait trancher tous les câbles et accélérer vaille que vaille, alors qu’on les sent au contraire hésitants. Leur nouveau disque, The Surburbs, est étrangement dépourvu d’hymnes. Comme s’ils tentaient de renouer le dialogue avec la pureté de leurs débuts. Est-ce pour cela qu’ils ont appelé cet album « Les Banlieues », alors que de son côté, Wolf Parade semble montrer des signes d’ouverture en ayant nommé le sien Expo 86 (du nom de l’Exposition internationale sur les transports et la communication qui s’est tenue cette année-là à vancouver) ? On pose la question à tim. « Euh, c’est intéressant. Je n’avais jamais pensé à ça. [Silence.] Oui, tu as peut-être raison ! Je veux dire, aucun de nous ne souhaite qu’on devienne le plus grand groupe de rock du monde. » Dans la foulée d’Arcade Fire, réduit à faire le juke-box de ses anciens tubes sur scène, c’est au tour de GY!BE d’effrayer les fans. La formation matricielle de Constellation s’était retirée on ne peut plus dignement il y a huit ans,telle une Greta Garbo rock.Là,elle s’est laissée convaincre de se reformer pour une poignée de dates et de dollars à partir de décembre. Le dogme de ce label d’obédience Walter Benjaminienne vacille sur son socle.Bref,ça sent la fin d’une époque. « Tant mieux ! tonne vincent. The Luyas, Colin Stetson, Patrick Watson… Cette mine reste truffée de groupes sidérants!»
ÉTÉ 2010
The Suburbs d’Arcade Fire (Merge / Universal) Expo 86 de Wolf Parade (Sub Pop / PIAS) No Ghost de The Acorn (Bella Union / Cooperative Music)
WWW.MK2.COM
12 SCèNE CULTE /// FESTEN
LINGE SALE LE PITCH Dans un grand manoir, une quarantaine de convives célèbrent les soixante ans du patriarche Helge. En son honneur, Christian, le fils aîné, porte un toast au cours duquel il révèle un terrible secret. Premier film du label Dogme, Festen a reçu le Prix Spécial du Jury à Cannes en 1998.
“
ChRISTIAN : C’est une sorte de « discours de vérité ». Je l’ai intitulé : « Quand papa prenait son bain » [l’assemblée éclate de rire]. J’étais très jeune quand nous avons déménagé.tout a complètement changé pour nous. Nous avions de grands espaces et plein d’occasions d’y faire des bêtises ! À l’époque, il y avait même un restaurant ici même. Et de nombreuses fois, Linda, ma sœur décédée, et moi… nous avons joué ici, à cacher des trucs dans les plats à l’insu des clients. Puis de notre cachette, nous les observions et Linda pouffait de rire. Elle avait un rire si
chaleureux et tellement contagieux qu’en un rien de temps, nous riions aux éclats. Et bien sûr, on se faisait pincer. Mais rien ne nous arrivait. C’était beaucoup plus dangereux quand papa prenait son bain. Je ne sais pas si vous vous rappelez, mais papa était un maniaque de la propreté. Il emmenait Linda et moi dans son bureau. Il avait d’abord une chose à régler. Il verrouillait la porte, baissait les persiennes et allumait une jolie petite lampe. Il enlevait sa chemise et son pantalon et nous devions en faire autant. Il nous allongeait sur la banquette verte, qu’on a jetée depuis, puis il nous violait. Il abusait de nous sexuellement. Il avait des rapports sexuels avec ses chers petits. […] Bon, mais vous n’êtes pas venus que pour m’écouter. Nous sommes là pour célébrer les soixante ans de Helge, alors faisons-le ! Donc, merci pour toutes ces bonnes années. Bon anniversaire !
Un film de Thomas Vinterberg // Scénario de Thomas Vinterberg // Danemark, 1998, 1h41 DVD disponible aux éditions Paramount
ÉTÉ 2010
” WWW.MK2.COM
Skip Bolen © 2010 Home Box Office, Inc. All rights reserved. HBO® and all related programs are the property of Home Box Office, Inc.
14 PREVIEW
15
TREME Les inconditionnels de The Wire de David Simon, arrêtée en 2007, attendaient en trépignant la nouvelle production du maître de la série contemporaine. Treme arrive à point nommé pour combler leurs attentes, avec son regard acéré posé sur le destin d’une poignée de musiciens de jazz, quelques mois après le passage de l’ouragan katrina à La Nouvelle-Orléans, alors que la ville a été «abandonnée» par George W. Bush. En vision panoramique, l’histoire d’une reconstruction des âmes et des corps qui embrasse à la fois les petits soucis du quotidien et les larges enjeux politiques ou sociaux. Et donne en plus le sentiment unique de plonger dans la culture musicale centenaire de la ville. vibrant. _Olivier Joyard Une série de David Simon // Avec Wendell Pierce, Clarke Peters… // Diffusion en septembre sur Orange cinéma séries
16 PREVIEW
17
BLACKSAD La Nouvelle-Orléans, son charme festif, ses clubs de jazz et son carnaval. John Blacksad, le détective privé, est cette fois chargé de retrouver un pianiste de génie, dogue allemand héroïnomane. Malgré les menaces, notre chat noir aux méthodes musclées n’a pas l’intention de la mettre en sourdine. Dans les basfonds de la ville, entre manipulation et faux-semblants, les masques ne tombent jamais et maquillent, comme toujours chez les auteurs espagnols de la BD, la noirceur des âmes. Diaz Canales et Guarnido nous servent un quatrième tome étonnant de créativité sur fond d’identité raciale et de trahisons. Un polar sombre à l’histoire crescendo, impeccablement mis en scène et au dessin toujours parfait. Ça va swinguer. _Cassandre Dessarts Blacksad – tome 4, L’Enfer, le silence de Diaz Canales et Guarnido (Dargaud, disponible le 17 septembre)
LES
NEWS
SECOUEZ, AGITEZ, SAVOUREZ : L’ACTU CINÉ, CULTURE,TECHNO FRAÎCHEMENT PRESSÉE
CLOSE-UP
La quête de sacré d’Anna, 14 ans, s’incarne dans une histoire d’amour avec un jeune garçon de son village : Un poison violent sonde cet âge tendre où la pure innocence bascule vers la conscience de ses désirs propres. « C’est toujours une violence d’affirmer ses différences », confesse la réalisatrice, ellemême revenue d’une enfance catholique très croyante, avant d’ajouter : « À 17 ans, j’ai découvert le cinéma et j’ai investi cet espace de manière un peu sacrée, comme un endroit où me dépasser moimême. » Après trois courts métrages remarqués en festivals, la jolie Parisienne de 30 ans, marquée par les films de Bresson et Bergman, les écrits de Georges Bataille et ceux « à la fois fervents et érotiques » de Sainte thérèse d’Ávila, signe un premier long lumineux, auréolé du prix Jean vigo. Un bon présage pour son prochain film, Suzanne, autre héroïne prête à s’abandonner corps et âme : l’histoire d’une jeune femme qui sombre dans la délinquance par amour… _Juliette Reitzer
© Antoine Doyen / contour by Getty Images
Dans Un poison violent, KATELL QUILLÉVÉRÉ filme l’émancipation adolescente, entre éveil érotique et ferveur religieuse.
20 NEWS /// POLÉMIQUE
K
LE
IL Y A CEUX qU’IL ÉNERVE ET CEUX qUI LE VÉNèRENT
CHIEN ET LOUP Une poissarde de l’amour, un homme aussi mystérieux que séduisant, une romance rigolote au milieu d’une course-poursuite effrénée entre agents secrets… Où nous mènent les grosses ficelles de Night and Day : à l’ennui ou à l’extasy ? _Par Donald James (la question) et Jacky Goldberg (la réponse)
LA QUESTION
LA RÉpONSE
Cameron Diaz aux côtés de tom Cruise : à quoi jouent ces acteurs stars, têtes d’affiche des films les plus bankable des années 1990 ? À une comédie sentimentale, mais une comédie sans personnages. Un film d’espionnage, mais tellement balisé que le réalisateur lui-même finit par endormir les scènes d’action. Super-agents et super-amants, nouveaux Mr. and Mrs. Smith, guimauve sucrée, cinéma sentimental avec effets spéciaux, presque rien de surprenant mais au final, un malaise. Night and Day ranime le rêve américain du couple, du pavillon et du chien qui aboie dans le jardin avant de glisser vers le stoner movie. toujours beaux et jeunes en maillot de bain, Cruise et Diaz se droguent, se piquent et esquivent étrangement les scènes d’action. Un film d’espionnage estival de plus ou une porte ouverte vers un nouveau monde ?
Night and Day n’est pas un film de James Mangold. C’est un film de tom Cruise. Peu importe, dès lors, que son scénario soit un peu bâclé, ses rebondissements attendus, sa mise en scène aplatie (mais efficace, au demeurant) : ce n’est pas eux qu’on vient voir. Ce qu’on vient voir, ou plutôt vérifier, c’est que tom Cruise n’a pas vieilli, qu’aucune ride n’est venue strier son visage rond, qu’aucun poids n’est venu grever son jeu aérien, inquiéter sa glisse permanente. Il faut, c’est certain, une part de dévotion pour apprécier Night and Day. Il faut, telle Cameron Diaz ne cessant de tomber, droguée, dans les bras de son bel espion – ce qu’elle réussit toujours aussi bien, du reste, neuf ans après Vanilla Sky – accepter de suivre Saint Cruise où bon lui semble de nous mener. Car après tout, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.
Un film de James Mangold // Avec Tom Cruise, Cameron Diaz… Distribution : 20th Century Fox // États-Unis, 2010, 1h40 // Sortie le 28 juillet
LA RÉPLIQUE
« JE VEUX TE CHATOUILLER LE NOMBRIL… DE L’INTÉRIEUR. » (BE BAD !, EN SALLES LE 1ER SEPTEMBRE))
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
© Marion Stalens
22 NEWS /// KLAP ! /// ZOOM SUR UN TOURNAGE
FAC OFF Visite à Paris sur le tournage multilingue de Sponsoring, plongée dans la prostitution étudiante réalisée par la Polonaise MALGORZATA SZUMOWSKA, avec Juliette Binoche. _Par Juliette Reitzer
ans un living-room spacieux, au cinquième étage d’un immeuble haussmannien, une nuée de techniciens s’affaire dans un savoureux mélange de français, d’anglais et de polonais : « Notre langage est celui du cinéma », plaisante la réalisatrice, jolie brune pétillante. Armée d’un brumisateur, une coiffeuse humidifie les cheveux de Juliette Binoche – censée sortir de la douche –, et arrose au passage quelques machinos ravis d’échapper à la chaleur de ce début d’été. De l’accessoiriste à la productrice, tous sont unanimes quant à la dis-
D
ponibilité de la star, qui confie : « Ce tournage est comme une spirale légère, concentrée et familiale. J’ai tout de suite aimé le scénario, qui questionne le rapport au corps, différent pour un homme et pour une femme. » Dans Sponsoring, Binoche campe une journaliste réalisant un reportage sur deux étudiantes, une Française et une Polonaise (Anaïs Demoustier et Joanna kulig) qui se prostituent pour financer leurs études. « C’est un sujet révélateur de notre époque et de la manière dont nos sociétés fonctionnent, explique Malgorzata Szumowska. Ce phénomène existe aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. » Le silence s’installe, il est temps de tourner le dernier plan de la journée. Demain, l’équipe rejoint l’Allemagne pour finir le film, qu’on espère découvrir au printemps prochain. Pourquoi pas à Cannes, capitale du cinéma mondial ?
_Par C.D.
INDISCRETS DE TOURNAGE 1. Le prolifique Judd Apatow (Funny People, En cloque, mode d’emploi…) va produire le prochain film de son actrice de femme, Leslie Mann. Le tournage de Business Trip, version féminine du délirant Very Bad Trip, devrait commencer en 2011. 2. Après Woody Allen, c’est au tour de Martin Scorsese de poser sa caméra à Paris, pour les besoins de son prochain long métrage : une adaptation en 3D du roman The Invention of Hugo Cabret de Brian Selznick (2007), avec Jude Law. 3. Isabelle Huppert tourne actuellement devant la caméra de l’actrice Eva Ionesco. Inspiré par sa jeunesse d’enfant model, ce premier film s’intitule Je ne suis pas une princesse. Sortie prévue courant 2011.
LA TECHNIQUE © 2010 Warner Bros. Entertainment Inc.
SENS DESSUS DESSOUS Inauguré dans Mariage Royal de Stanley Donen, où Fred Astaire dansait au plafond, popularisé par 2001 : l’odyssée de l’espace puis par Poltergeist et La Mouche, le trucage « zero gravity » est remis au goût du jour par Inception de Christopher Nolan. Pour affranchir les acteurs de l’attraction terrestre, le décor est construit sur un énorme cardan et effectue des rotations à 180 degrés grâce à des moteurs hydrauliques pilotés par ordinateur. Synchronisée avec les mouvements du décor, la caméra donne au spectateur l’impression que les comédiens évoluent du sol au plafond, alors qu’en réalité ce sont ce décor et cette caméra qui se meuvent autour d’eux. _Julien Dupuy // Inception de Christopher Nolan, sortie le 21 juillet
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
24 NEWS /// TÉLÉCOMMANDO
Dillon, Texas. Son équipe de foot. Sa jeunesse qui rêve d’ailleurs. Depuis 2006, Friday Night Lights sublime autant qu’elle la questionne la Middle America. La saison 1 sort enfin en DVD. _Par Guillaume Regourd
raquer l’Amérique, la vraie, derrière l’Americana, son pendant fantasmé… Pas sûr que si Peter Berg, le producteur de Friday Night Lights, avait présenté ainsi à NBC son projet de série ado centrée sur une petite équipe de foot, la chaîne aurait donné son accord. Et pourtant, sous ses airs de fable sportive édifiante mâtinée de romance teen, FNL brosse le portrait d’une Middle America loin des chromos, filmée caméra à l’épaule pour mieux coller aux basques de comédiens encouragés à improviser. « Ce n’est que du football », tente de se rassurer le nouveau coach Eric taylor à son arrivée à la tête des Panthers de Dillon. Personne n’y croit, surtout pas lui. Cette modeste bourgade du texas ne vit que pour les prestations d’une poignée de lycéens starisés, auxquels on dédie même des prières collectives. Il en faudrait malheureusement plus pour immuniser ces aspirants pros contre la défaite, les blessures ou le racisme. Pour eux, le pire des échecs, ce serait de rester. À l’inverse, le spectateur, lui, ne quitterait Dillon pour rien au monde. Car FNL est avant tout une épopée follement romanesque, mélancolique mais jamais désespérée. Pour mettre à nu l’âme de la classe moyenne américaine, ces « lumières du vendredi soir » n’oublient jamais qu’elles sont avant tout là pour faire le show. Éblouissant.
T
© D.R.
SUD PROFOND BUZZ TV
_Par P.R.-W.
1. Coast to Coast : Larry David, le génial créateur de Seinfeld, va faire voyager sa petite dernière, Curb Your Enthusiasm, dont la huitième saison se situera en grande partie non plus à L.A. mais à New York, sa ville d’origine. 2. C’est décidément la mode des reboots. Après V, Le Prisonnier et bientôt Hawaii police d’État, Alias devrait aussi passer à la moulinette de la mise à jour. Pas de Jennifer Garner à l’horizon, mais une intrigue simplifiée serait au programme. 3. Laura Dern, Luke Wilson et Mos Def ! Voici une partie du casting d’Enlightened, que diffusera HBO à la rentrée. Cette comédie tournera autour d’Amy, jeune femme autodestructrice qui, à la suite d’un éveil spirituel, décide de rendre sa vie plus lumineuse.
Friday Night Lights saison 1 (Universal Pictures Vidéo, DVD disponible le 24 août)
LE CAMÉO
© Trago/FilmMagic
CLÉMENCE POÉSY DANS GOSSIP GIRL Les producteurs de la plus new-yorkaise des séries cultivent une passion pour Paris. Après avoir prêté à la mère de Serena van der Woodsen (Blake Lively) une aventure avec Nicolas Sarkozy, voilà que deux épisodes prévus pour ouvrir la saison 4 ont été tournés du côté de la Sorbonne et de la place d’Aligre, début juillet. Pour donner de la couleur locale au casting, c’est Clémence Poésy, visage connu du public anglo-saxon depuis Harry Potter, qui a été choisie pour pimenter la relation Blair Waldorf (Leighton Meester)/Chuck Bass (Ed Westwick). vous avez dit électrique ? _G.R.
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
© Film Festival Locarno 2010
26 NEWS /// EVENT
BELLES PRISES Du 4 au 14 août, le jeune cinéma mondial déferle sur le 63e FESTIVAL dE LOCARNO, sous la houlette de son nouveau directeur artistique, Olivier Père. _Par Juliette Reitzer
A
près six ans à la barre de la Quinzaine des Réalisateurs, Olivier Père pose ses valises sur les rives du lac Majeur, port annuel du quatrième plus gros festival européen de cinéma. Pour cette édition 2010, le nouveau capitaine est allé pêcher dans les eaux internationales avec une ambition : « En cette période de crise, les films sont conçus dans des économies très fragiles. Un festival comme Locarno doit se mettre à l’écoute et à la disposition de ces jeunes cinéastes pour qui faire un film est un chemin semé d’embûches. » Cap sur la jeunesse et la diversité donc, comme en témoigne la compétition Cinéastes du présent, aux contours jusqu’alors un peu vagues et désormais dévolue aux premiers ou deuxièmes longs métrages. On y attend notamment Memory Lane de Mikhaël Hers, dont les trois moyens métrages firent sensation à Cannes ces dernières années. Côté compétition officielle, Christophe Honoré et Chiara Mastroianni (pour Homme au bain), le Canadien Bruce LaBruce (avec son sulfureux L.A. Zombie), l’acteur américain John C. Reilly (à l’affiche de la comédie Cyrus) annoncent un cru particulièrement excitant. Sans oublier la rétrospective Ernst Lubitsch, le prix honorifique remis au producteur Menahem Golan (Love Streams de John Cassavetes, Runaway Train d’Andrei konchalovsky) et les emblématiques projections en plein air de la Piazza Grande… Une pêche prometteuse.
RENDEZ-VOUS
_Par J.R.
1. Le rendez-vous estival et gratuit des cinéphiles fête ses vingt ans et met à l’honneur la jeunesse : de Cry Baby à Virgin Suicides, de La Balade sauvage aux Valseuses, cure de jouvence sous les étoiles. Cinéma en plein air, du 17 juillet au 22 août au parc de la Villette
2. Voir Les Nuits de la pleine lune sur la butte Montmartre, À bout de souffle dans le jardin des Champs-Élysées ? La Ville lumière éclaire la programmation de ce festival nomade et gratuit, organisé par le Forum des images. Cinéma au clair de lune, du 4 au 22 août à Paris, www.forumdesimages.fr
3. En 1951, l’Occident découvre le cinéma japonais avec Rashômon, couronné d’un Oscar et d’un Lion d’or à Venise. Suivront Les Sept Samouraïs, Dersou Ouzala, Ran… Hommage incontournable au maître Akira Kurosawa. Rétrospective Akira Kurosawa, jusqu’au 1er août à la Cinémathèque française
L’EXPO Courtesy Galerie 9e art © D.R.
LA VILLE DESSINÉE Née dans une mégalopole en plein essor (le New York de la fin du XIXe s.), la BD n’a cessé d’affirmer sa capacité à représenter, interroger et rêver la ville. C’est ce que révèle cette exposition dense et grand public qui tisse habilement des liens entre BD et architecture, au point qu’on ne sait plus qui du délirant Rem koolhaas et du précis Winsor McCay est l’architecte… Un dialogue orchestré par Jean-Marc thevenet, ex-directeur du Festival international de la BD d’Angoulême, et Francis Rambert, directeur de l’Institut français de l’architecture. _A.L. Archi & BD, La ville dessinée, du 9 juin au 28 novembre à la Cité de l’architecture et du patrimoine
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
© D.R.
27 NEWS /// PASSERELLES
Maquette de la Tour sans faim, agence Luxigon
IMAGINARIUM IMAGINEZ MAINTENANT qu’on donne carte blanche à de jeunes créateurs de tout horizon dans neuf villes françaises, quatre jours durant. Quelques instants d’un événement foisonnant et gratuit, qui se propose de ré-imaginer la démocratisation de la culture… _Par Amélie Leenhardt
P
armi les touristes et les derniers fans de foot, on pouvait trouver du 1er au 4 juillet sur le parvis des Droits-de-l’Homme une population jeune et métissée. Si, depuis que Dominique Hervieu est à la tête de Chaillot, le lieu accorde une place croissante à la danse et aux arts dits urbains, l’invasion soudaine de baskets avait une explication précise : Imaginez maintenant, première édition d’un festival-expérimentation initié par le Conseil de la création artistique et l’ex-haut-commissaire à la Jeunesse Martin Hirsch, visant à soutenir les jeunes artistes. «Les inviter à partir du patrimoine, à s’en emparer et le décaler»: telle est l’idée de Dominique Hervieu qui, pour l’occasion, a ouvert grand les portes du palais. Le 1er juillet, après un défilé coloré de mannequins impassibles poursuivis par des danseurs hip-hop, Chaillot a vibré au rythme du popping de DeyDey, puis s’est laissé transporter dans les différents univers qu’explore R.A.F. citi’z, création époustouflante des R.A.F. crew. Fiers de pouvoir proposer leur « danse métissée, actuelle, dans un lieu aussi mythique que Chaillot », les champions du monde de hip-hop 2009 se sentent pourtant à leur place : «Cet endroit a subi plusieurs évolutions, tant au niveau du théâtre que
ÉTÉ 2010
de la danse. Et le hip-hop fait partie de l’évolution de la danse. C’est une culture à part entière, qui a beaucoup à dire. » Le lendemain, alors que s’effondrait la moelleuse tour sans faim, plus haute pâtisserie au monde, une danseuse s’envolait sous les yeux d’un public émerveillé ; secret de la compagnie 14:20, qui associe techniques magiques et numériques,pour un spectacle à mi-chemin entre arts plastiques et vivants. Les huit autres villes n’étaient pas en reste. À Basseterre, les artistes se sont approprié le thème du marronnage et le fort Delgrès, un des hauts lieux de la résistance des Guadeloupéens au rétablissement de l’esclavage en 1802, à coups de concerts, dégustations, projections et défilés. Et c’est au fort SaintJean à Marseille que s’est attaqué le paysagiste Mathieu Gontier, en y créant un jardin durable de 1500m², investi par des lectures, des solos de danse, des séances de clown. Bref, des Antilles à la Côte d’Azur, avec plus de 1150 créateurs propulsés et près de 100000 visiteurs,cette première édition d’Imaginez maintenant est une réussite ; espérons qu’elle ait une suite.
WWW.MK2.COM
© Dan Monick
28 NEWS /// UNDERGROUND
SORtIE DE CRISE Comment s’extraire de la mouise ? Placer une de ses chansons au générique de la série How to Make it in America. Avec son superbe deuxième album, Good Things, le soul singer ALOE BLACC se relance, dans tous les sens du mot. _Par Auréliano Tonet
l fut un temps où Aloe Blacc n’allait pas bien. Ce latino d’origine panaméenne, grandi à L.A., a touché le fond il y a peu : « J’étais un excellent élève. J’ai étudié dans une des meilleures universités californiennes, trouvé un job de consultant, mais la boîte m’a licencié. » Amis et famille autour de lui connaissent un sort similaire. Mais la crise n’est pas qu’économique, elle est aussi amoureuse et artistique : « J’ai rompu avec une fille en même temps qu’avec le rap. J’ai été MC pendant dix ans, mais je me suis aperçu que le chant pouvait être plus efficace que le flow. Moins de mots, plus d’émotion. » Un premier album chanté, Shine Through, sort en 2006, dans un relatif anonymat. Le salut vient d’HBO, qui choisit l’an dernier le morceau I Need a Dollar en guise de générique de sa nouvelle série, l’obamesque How to Make it in America : piano alerte, «hey hey» entêtants, basse bombée, chant chaud, le premier tube du beau Blacc est né. Alloeluia. Dans la foulée, il enregistre son second album solo entouré de musiciens virtuoses, requins de studio bien plus sensibles que ceux de la finance. Disque de relance plutôt que de reprise (cf. sa version abrasive de Femme fatale du velvet), baigné de la soul grand angle de Donny Hathaway et Sly Stone, Good Things fait du bien en chantant là où ça faisait mal.
COPIER COLLER
_Par A.T.
>> tout en nappes vocales hypnotiques, la noisy pop du sextet rémois The Bewitched hands On the Top of our heads irradie sur leur premier EP, le luminescent Hard to Cry.
I
>> Leur musique à rallonge lorgne vers les climats fantomatiques du nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul, Oncle Boonmee, Palme d’or limpide.
LE MYSPACE CHARTS DE LA RÉDACTION _Par A.T. ThE MAGIC KIdS – Summer www.myspace.com/themagickids Leur premier album ne sort qu’à la rentrée, mais Summer de ces kids de Memphis est déjà la popsong de l’été, comme magiquement échappée du Pet Sounds des Beach Boys. LA FIANCÉE – On avait juré www.myspace.com/lafiancee « On avait juré de faire mieux », entend-on ici. On aimait le charme indolent du premier EP de cette promise prometteuse ; on chavire à l’écoute du second, plus percussif et cuivré. ALICE LEWIS – Night’s End www.myspace.com/alicelewiss D’Hypernuit (Bertrand Belin) à Sky at Night (I am kloot), le temps est aux mélopées nocturnes. tendre est la nuit d’Alice Lewis, luciole folk pop dont l’album illuminera septembre.
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
© EyeSteel Film
30 NEWS /// BUZZ’ART
1+1= 2.0 RIP: A remix manifesto, le premier documentaire en « open source », célèbre la culture du remix et réécrit l’équation du Net.
ARTY TECH
_Par Clémentine Gallot
ul ne sait pourquoi le DJ américain Girl Talk, qui a bâti toute sa carrière musicale en remixant sur son ordinateur des morceaux qui ne lui appartenaient pas, n’a jamais été inquiété par la justice. Cet artiste réputé pour ses performances incontrôlables sert de prétexte au documentaire de Brett Gaylor, qui aborde les transformations de la culture à l’ère numérique, notamment l’épineux casse-tête Le recyclage des œuvres existe du droit d’auteur. La pradepuis toujours. tique même d’Internet a en effet placé le remix au cœur de notre culture : copie de fichiers et partage de données se sont généralisés. À travers l’histoire de mouvements d’émancipation comme celui du logiciel libre aux États-Unis, ce pamphlet contre le copyright procède par démonstration : le recyclage des œuvres existe depuis toujours et cette utilisation, lorsqu’elle n’est pas limitée par les lois, stimule la créativité et serait même nécessaire à la vitalité d’une culture. L’existence même de ce film-patchwork participatif, accessible en ligne gratuitement, en est la meilleure preuve. www.opensourcecinema.org/project/rip2.0
© D.R.
>> TÊTE À CLAp Filmer ses vacances quand on a un môme en rappel sur la paluche droite et une glace ensuquant la gauche… Possible grâce aux « hatcams », des chapeaux embarquant sur la visière un socle pour caméra. À la rentrée, les enseignants garderont leur casquette à l’envers, vidéo surveillance contre cancres et crasses face au tableau noir. _E.R. www.hatcams.com
VIDÉOS _Par C.D.
UBC Comedy – BP spills oil Un gobelet de café renversé et c’est la crise chez BP. Comment limiter la perte de liquide noirâtre et gérer ses dommages collatéraux ? Miniature hilarante du désastre louisianais, cette parodie scandalisera même les moins écolos d’entre vous.
Gorillaz – Journey for Plastic Beach Suivez Murdoc, 2D, Noodle et Russel dans leur voyage pour Plastic Beach. Regroupant des images des clips de Stylo, On Melancholy Hill et Priority Work, ce court métrage, merveille d’animation, revient sur les origines du groupe. Le tout, en chanson.
Liquid mountaineering Quand un groupe de sportifs se prend pour Jésus, ça donne le Liquid mountaineering, ou « courir sur l’eau ». Miracle ou imposture ? La vidéo qui montre leurs exploits devrait convertir plus d’un amateur de sensations fortes. Amen.
www.youtube.com/watch?v=2AAa0gd7ClM
www.youtube.com/watch?v=MypXWl_uBCU
www.youtube.com/watch?v=Oe3St1GgoHQ
© D.R.
N
© Sarah Kahn
32 NEWS /// LE NET EN MOINS FLOU
StAtUS : AWAY Durant l’été, le web 2.0. prend-il des vacances? Qui va nourrir Facebook en dehors des heures d’amphi ou de bureau?
STATUTS QUOTES SÉLECTION DES MEILLEURS STATUTS DU MOIS
_Par Clémentine Gallot
ux heures les plus chaudes de l’année, le web a longtemps enregistré une plus faible activité. L’Internet déserté pendant l’été, quid des réseaux sociaux ? Encore récemment, la baisse saisonnière chez Facebook était liée à la démographie de ses utilisateurs : les étudiants qui en faisaient majoritairement usage pendant leurs études rentraient chez eux l’été, délaissant le site pendant les vacances. Selon le site Inside Facebook, en juillet 2009, l’audience de Facebook chez les 18-25 ans a ainsi baissé de 3 % (soit 600 000 utilisateurs en En juillet 2009, l’audience moins). Cependant, cette de Facebook a baissé de 3 %. tendance est contredite par une autre modification du trafic, liée à un facteur constitutif des grandes vacances : l’ennui. Ce sont en effet les ados qui font exploser le trafic en été : leur usage augmente précisément parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. Aujourd’hui, l’adoption massive de l’Internet mobile signifierait la fin du creux de fréquentation estival : le marché de la 3G en Europe devrait en effet passer de 22 millions de personnes fin 2009 à 43 millions fin 2011. Plus d’excuses pour ne pas surfer à la plage.
A
OPEN SOURCE
Bertrand : L’Oréal, because I’m Woerth it ! Sébastien : J’iphone, donc j’e-suis ? Christophe : Stéphane Guillontiné. Brian : Platini a passé tout un tas d’examens à l’hôpital mais pas un seul scanner car il est contre l’arbitrage vidéo. Benoît : Climatisez-moi. Emmanuel : Le train vuvuzellera trois fois. Christophe : France 0 Mexique 2 : la pelle du 17 juin.
[open surs] adj.m.
MOT @ MOT _Par E.R.
(Traduit au Québec par le terme «code source libre», transposition commerciale de son cousin philanthrope, le «logiciel libre») 1.Qualifie un programme informatique, gratuit ou payant, et dont l’utilisateur peut modifier et partager librement tout ou partie. «La société Apple, bonne pomme, propose de croquer dans Darwin, un système d’exploitation open source.» 2.Par extension, libre partage des richesses, pour tout ou partie, par son détenteur. «Pour pousser, les salades politiques puisent à l’open source Bettencourt.»
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
34 NEWS /// AVATARS
WAkE UP Jeu d’éveil en sursaut, l’insomniaque Alan Wake vous fait tenir la plume d’un écrivain terrassé par l’angoisse de la page et de la nuit blanche. Et ça fout les fouettes. _Par Étienne Rouillon
oir. Stores déployés, ampoules dévissées, le canapé du joueur est plongé dans une pénombre intransigeante. Non qu’il soit de ces fiers à doigts qui bidouillent du joystick en se plongeant dans l’ambiance d’un thriller psychologique nocturne pour mieux stresser leurs artères. Dans la veine des pétochards faciles, il s’est juste mis à l’abri du brûlant caniculaire. Idée lumineuse.
N
C’est qu’Alan Wake s’apprécie sueur sur la tempe. Songe d’une nuit d’été dans le verbe d’un Stephen king, cauchemardé par Alan Wake, auteur de romans qui, isolé dans un village paumé, voit les monstres de son manuscrit prendre vie à la nuit tombée avant de les combattre armé d’une… lampe de poche.
APPLIS MOBILES
_Par C.D.
MONKEY ISLANd 2 SpECIAL EdITION Se battre contre des pirates et retrouver des trésors perdus : dure, dure, la vie de corsaire ! On replonge dans ce jeu culte qui fit les belles heures de l’aventure sur PC avec une version adaptée pour iPhone et iPad. Plateforme : iPhone et iPad // Prix : 5,99 € et 7,99 €
IMOVIE Les détenteurs de l’iPhone 4G seront les seuls à pouvoir profiter la version portable du célèbre logiciel de montage vidéo d’Apple. iMovie permettra notamment de créer, monter et retoucher ses propres films directement à partir de son mobile. Plateforme : iPhone 4G // Prix : 3,99 €
Noir comme l’encre, comme la robe des nuées de corbeaux ou comme le café que le héros éponge tel un buvard. Jeu d’atmosphère, Alan Wake profite d’une direction artistique sans reproche. Dans les forêts anxiogènes, le faisceau vacillant de la Maglite est aussi rassurant que la veilleuse qu’on a rallumée au pied du lit. Dormez bien. Alan Wake (Microsoft Games Studio, sur X360)
NEXT LEVEL
Plateforme : iPhone // Prix : 0,79€
_Par C.D. et E.R.
MAFIA II Le premier volet avait parrainé nos mercredis après-midi en 2002. Godfathers gominés, sulfateuses sulfureuses et curieux cure-dents se ramasseront à la pelle pour l’automne, dans une suite qui revendique une influence scorsesienne, période Les Affranchis.
ÉTÉ 2010
AGING BOOTh «Miroir, mon beau miroir, dismoi à quoi je ressemblerai à l’âge de la retraite… » Ultraréaliste, cette application se propose de rajouter une quarantaine d’années à votre joli minois. Carpe diem.
NINOKUNI : THE ANOTHER WORLD Le géant de l’animation Ghibli s’associe aux studios Level-5, créateurs du célèbre Professeur Layton, pour enfanter un RPG surprenant d’inventivité graphique. Reste à savoir si le jeu dépassera les frontières japonaises.
RAYMAN ORIGINS Bien avant d’être le héros de la forêt primordiale, Rayman était du genre casse-cou bagarreur. Grosses mandales, petites torgnoles et pouvoirs magiques devraient être au rendez-vous de ce nouvel opus retraçant la naissance du mythe. Première partie, fin 2010.
WWW.MK2.COM
LE
GUIDE CALENDRIER MALIN POUR AVENTURIER URBAIN
DU MERCREDI 21 JUILLET AU MARDI 7 SEPTEMBRE
« AU DÉPART JE VOULAIS ADAPTER LE BARON PERCHÉ D’ITALO CALVINO. » P. 42 JULIE BERtUCCELLI
SORTIES EN SALLES SORTIE LE 21 JUILLET 38 Inception de Christopher Nolan SORTIES LE 11 AOÛT
40 The Killer Inside Me de Michael Winterbottom 41 Chatroom d’Hideo Nakata 42 L’Arbre de Julie Bertuccelli SORTIE LE 25 AOÛT
43 Poetry de Lee Chang-dong LES AUTRES SORTIES 44 The City of Life and Death ; Yo También ; La Blonde aux seins nus ; Norteado ; Le Dernier Maître de l’air ; L’Âge de raison ; Millénium 3 ; Desierto Adentro ; Insoupçonnable ; Cellule 211 ; Le Café du pont ; L’Heure du crime ; Orly ; Le Voyage de Sami ; Ce que je veux de plus ; Donne-moi ta main ; Expendables ; Crime d’amour ; Cleveland contre Wall Street ; D’amour et d’eau fraîche ; Le Bruit des glaçons ; Ondine ; Lost Persons Area ; La Rivière Tumen ; Rudo y Cursi ; Krach ; Terre d’usage ; Piranha 3D
P.42
46 LES ÉVÉNEMENTS MK2 1Max 2 Ciné Jazz à La villette
SORTIES EN VILLE 50 CONCERTS Rock en Seine L’oreille de… Guillaume Fedou
52 CLUBBING Les vingt ans de Ninja Tune Les nuits de… Miss kittin
54 EXpOS Bruno Serralongue au Jeu de paume Le cabinet de curiosité : Perspectives
56 SpECTACLES Kristian Lupa au Festival d’automne Le spectacle vivant non identifié : La Confidence des oiseaux
58 RESTOS Raquel Carena au Baratin Le palais de… Yolande Moreau
P.52 ÉTÉ 2010
60 LA ChRONIQUE dE dUpUY & BERBERIAN
WWW.MK2.COM
38 CINÉMA
SORTIE LE
21/07
Inception 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour Ellen Page (Juno) qui fait une entrée remarquée sur les plateaux de blockbusters aux côtés du prometteur Tom Hardy. 2… Pour le duo Leonardo DiCaprio/Marion Cotillard, convaincante comme jamais depuis sa délocalisation atlantique. 3… Pour la scène de bagarre en apesanteur d’une beauté aussi sidérante qu’une rue de Paris pliée en origami.
RÊVE GÉNÉRAL Un film de Christopher Nolan // Avec Leonardo DiCaprio, Ellen Page… // Distribution : Warner Bros. // États-Unis, 2010, 2h28
Après avoir sondé nos mémoires dans le mémorable Memento, l’écuyer du Dark Knight livre sa science des rêves dans Inception. Une histoire proprement à dormir debout, mais du sommeil du juste. _Par Étienne Rouillon
Pince moi pas, je rêve ; des chimères en chiasmes de l’illusionniste Christopher Nolan, marchand de poudre à canon comme de sables mouvants, de ceux dont il fit les miroirs d’Inception. Projections sur écrans mis en abyme, celui de la salle de cinéma où DiCaprio crame la toile, et celui, intime, des personnages, qui se jouent leur petit cinéma, leur rêve. « Nous sommes le rêve d’un dormeur qui dort si profondément qu’il ne sait pas qu’il nous rêve» songeait Jean Cocteau. C’est précisément ce dont il est question dans ce film de braquage onirique, l’histoire d’une équipe de voleurs dont la spécialité est de s’introduire dans les rêves des endormis pour leur dérober des informations. Un hold-up des subconscients qui aurait pu se ronronner comme une sorte d’Ocean’s Twelve fantasmagorique. Mais Nolan ne s’est endormi que d’un œil sur ses prestigieux lauriers et met fin à de jouissives scènes d’exposition en dictant son barbarisme : inception.Allez,
ÉTÉ 2010
on se risque à le traduire par ensemencement. Pour Dom Cobb (Leonardo DiCaprio) et ses acolytes, il ne s’agit plus de barboter des secrets mais de réaliser une inception, autrement dit d’insuffler une idée dans les neurones ensommeillés de leur cible. Le plus fort c’est que l’inception tombe jusque dans la salle. Cette autre inception, c’est celle d’un réalisateur et d’acteurs qui démontrent le pouvoir d’ensemencement du cinéma, de ces films qui n’ont pas encore dit « coupez ! » dans votre crâne à la fin du générique. Conte d’effets, également. Privilégiant une approche réelle, le réalisateur a limité les trucages numériques et leur a préféré plateaux tournants sur vérins et explosions à la dynamite. Ce qui confère une étrange familiarité aux séquences oniriques. Logique, on rêvait déjà l’apesanteur avant les fonds verts et les ordinateurs. Nolan tourne sa magie avec une complexité élémentaire. Il y a quelques années, il appelait ça le prestige.
WWW.MK2.COM
11/08
40 CINÉMA
SORTIE LE
The Killer Inside Me 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour le retour tout en noir du Britannique Michael Winterbottom (24 Hour Party People, Un été italien), plus inspiré qu’à son habitude. 2… Pour le triomphe de Casey Affleck, face sombre de la fratrie Affleck. 3… Pour redécouvrir l’univers trash du romancier Jim Thompson.
CASEY JUDICIAIRE Un film de Michael Winterbottom // Avec Casey Affleck, Jessica Alba… // Distribution : Mars // Royaume-Uni-États-Unis, 2009, 2h
Sous des dehors affables, Casey Affleck est un terrifiant bad cop dans The Killer Inside Me, adaptation par MIChAEL WINTERBOTTOM d’un polar sulfureux de Jim Thompson. _Par Clémentine Gallot
Flic ripoux de Central Station, bled texan des années 1950, Lou Ford (Casey Affleck) est chargé par la police locale et par un gros bonnet de débarrasser la ville d’une prostituée (Jessica Alba). Il en tombe amoureux, non sans l’avoir d’abord fessée gaillardement. Ce préambule réveille une vieille vengeance qui pousse le jeune homme à commettre dans la bourgade une série de meurtres de sang-froid. The Killer Inside Me porte à l’écran le polar le plus connu de Jim thompson, maître de la littérature pulp. Paru en 1952, nihiliste à souhait, le livre était entièrement bâti sur le regard que le héros porte sur le «tueur en lui», le conduisant à assassiner indifféremment ceux qu’il aime et ceux qu’il déteste. L’on a fait, après sa présentation à Sundance, grand cas de la misogynie du film, qui dresse un sombre portrait de la masculinité américaine. La brutalité transgressive de Lou Ford et ses jeux SM troublants prennent peu à peu la forme d’une pathologie, chez thompson
ÉTÉ 2010
l’excitation n’étant jamais loin de l’horrifique. Mais les appétits du jeune shérif nourrissent ses crimes plus qu’ils ne les expliquent. Au moment où Michael Cera explore son côté obscur dans Be Bad !, Casey Affleck dissimule lui aussi derrière un air placide les inavouables pulsions de son personnage. Après Gone Baby Gone et L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (décidément), le jeune acteur hérite ici d’un rôle de bad guy trouble qui serait jadis revenu d’office à Leonardo DiCaprio. Glaçant, pervers, Affleck fait bon usage de son timbre aigu et de sa voix éraillée, qui rappelle étrangement celle de Bill Clinton. La presse américaine a durement accueilli l’effort « southern gothic » de Winterbottom, jugeant l’adaptation indigne du monstre sacré. Pourtant, à mesure qu’il progresse, le film nous attire inexorablement vers plus de noirceur, fidèle à l’œil féroce de thompson le fataliste.
WWW.MK2.COM
41 CINÉMA
11/08
SORTIE LE
Chatroom 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour son casting d’ados épatant, Aaron Johnson en tête. 2… Pour sa représentation décalée mais futée d’Internet, théâtrale et fantasmée. 3… Pour la greffe réussie des atmosphères nippones poisseuses d’Hideo Nakata en terre anglaise.
CHAT MÉCHANT Un film de Hideo Nakata // Avec Aaron Johnson, Imogen Poots… Distribution : Diaphana // Royaume-Uni, 2010, 1h27
Le conteur d’histoires de fantômes japonais hIdEO NAKATA hante cette fois Internet avec un thriller au casting 100% anglais, où le virtuel cache une angoisse bien réelle. _Par Léo Soesanto
Adolescent replié sur lui-même et sur Internet, William ouvre un groupe virtuel de discussion avec des jeunes de son âge, pour mieux les manipuler et les pousser à la (chat-)roulette russe. Il y a deux sortes de dialogues dans Chatroom : ceux, piégés, entre les personnages et celui entre Hideo Nakata, maître ès horreur (Ring), et Enda Walsh, scénariste irlandais de l’éprouvant et très politique Hunger. La rencontre est fructueuse en terme d’anxiété grâce à une représentation simple mais ingénieuse du chat : un couloir qui rappelle Dark Water, une chambre, des gens qui discutent. Sans écran d’ordinateur, Nakata transforme cette idée théâtrale en un univers mental vertigineux. Comme sur les réseaux dits sociaux, ce sont les souris qui accouchent de montagnes de rumeurs et on s’y met en scène en permanence, avançant paré de son plus beau masque – ici celui d’Aaron Johnson (Kick-Ass) dans le rôle de William. Nakata livre un bel exemple de cinéma métissé, claustrophobe mais ouvert, tapissant le réalisme le plus british de fantasmagorie nippone. ÉTÉ 2010
ENdA WALSh, SCÉNARISTE Chatroom était une pièce de théâtre à la base… Je l’avais écrite très vite en 2005, après une affaire de harcèlement entre jeunes sur Internet en Irlande. J’ai beaucoup pensé à Sa Majesté des Mouches de William Golding, à la cruauté de ces jeunes livrés à eux-mêmes; la Toile a juste remplacé l’île du roman. Comment avez-vous rencontré Hideo Nakata ? Avec la production, on avait pensé à lui très tôt, suffisamment pour lui envoyer le second jet du script. Ça l’a très vite intéressé car il avait été marqué par des événements similaires au Japon. Le film est doublement universel, par son sujet et par le fait que sur le tournage, Nakata ait réussi à diriger les acteurs malgré son faible anglais. Ils ont trouvé un langage commun de travail, très corporel. Hunger et Chatroom sont des films assez théâtraux, conceptuels… Mon prochain scénario le sera aussi : une sorte de biopic de la chanteuse Dusty Springfield. Être conceptuel, c’est pour moi se concentrer sur les personnages. Quand j’écris, ce qui m’intéresse est de savoir pourquoi ils en arrivent à telle ou telle situation. WWW.MK2.COM
42 CINÉMA
11/08
SORTIE LE
L’Arbre 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour la mise en scène de Julie Bertuccelli, fluide et ample, émouvante mais jamais tire-larme. 2… Pour Morgana Davies, blondinette de 8 ans à l’aplomb déconcertant. La nouvelle Dakota Fanning ? 3… Pour le carnaval des animaux déployé dans le film, quasi fantastique : chauve-souris, grenouilles, etc.
AUPRÈS DE SON ARBRE Un film de Julie Bertuccelli // Avec Charlotte Gainsbourg, Morgana Davies… Distribution : Le Pacte // France-Australie-Italie, 2010, 1h40
Conté avec une rare délicatesse par JULIE BERTUCCELLI, exilée en Australie, L’Arbre est une émouvante méditation panthéiste sur le deuil. _Par Éric Vernay
Au lieu de se laisser terrasser par la mort brutale de son père, Simone, 8 ans, décide de continuer à communiquer avec lui, par l’intermédiaire d’un arbre. Mais pas n’importe quel arbre : un imposant figuier auquel la maison familiale, perdue au milieu de la campagne australienne, est adossée. Quand Dawn (Charlotte Gainsbourg), sa mère, découvre ce petit manège, elle garde le secret devant ses trois autres enfants. La vie semble reprendre son cours, jusqu’au jour où l’arbre commence à provoquer des dégâts… Deuxième film de Julie Bertuccelli après le remarqué Depuis qu’Otar est parti (Grand Prix de la Semaine de la Critique, Cannes 2003), L’Arbre prolonge avec subtilité les thématiques amorcées par la cinéaste française : déracinement (on passe de la Géorgie à l’Australie), secrets et deuil. Épousant le rythme alangui du figuier, capté en Scope, la caméra dessine d’amples mouvements autour de ces êtres confrontés à la mort, tandis que le film tout entier est contaminé par la nature et son bestiaire, digne de terrence Malick. Onirique, à la lisière du fantastique, un film d’une lumineuse délicatesse. ÉTÉ 2010
JULIE BERTUCCELLI qu’est-ce qui vous a attirée dans le roman de Judy Pascoe ? L’histoire d’arbre ! Au départ je voulais adapter Le Baron perché d’Italo Calvino… J’aimais aussi la symbolique du livre de Pascoe, sur l’imagination d’une petite fille confrontée à un drame, et sur les rapports mère-fille. L’Arbre a été tourné en Australie, votre film précédent en Géorgie. Comment expliquezvous ce besoin d’exil ? Le sujet de Depuis qu’Otar est parti m’a conduite en Géorgie, car c’était nécessaire à l’histoire. L’Arbre parle de la nature qui nous dépasse : l’Australie est le pays idéal pour ça. Je me sens très libre d’aller loin, sans être touriste, pour être plus près des gens, et donc de l’universalité. Pour ce film, je sentais un lien très fort entre l’exil et le deuil. Comment avez-vous trouvé l’arbre, au centre du film ? Trouver un arbre immense, qui fasse peur mais qui soit aussi magique et accueillant, facile à grimper, avec un beau paysage autour, cela a été si difficile qu’on m’a conseillé d’en construire un faux ! Mais j’ai refusé, ça me déprimait de perdre cet aspect organique et vivant. WWW.MK2.COM
43 CINÉMA
SORTIE LE
25/08
Poetry 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour l’actrice Yun Junghee, la reine de l’âge d’or du cinéma coréen, qui revient à l’écran après seize ans d’absence. 2… Pour découvrir le nouveau mélodrame du Douglas Sirk coréen. 3… Pour le portrait réaliste d’une grand-mère courage généreuse, solitaire et excentrique.
LE SENS DE LA VIE Un film de Lee Chang-dong // Avec Yun Junghee, Lee David… // Distribution : Diaphana // Corée du Sud, 2009, 2h19
Avec Poetry, portrait poignant d’une grand-mère dépassée, le Sud-Coréen LEE ChANGdONG redonne vie à cette notion d’un autre âge et pourtant essentielle à notre existence, la poésie. _Par Donald James
Ode à la vie, Poetry dessine le portrait d’une femme âgée frappée par la maladie d’Alzheimer. Mija perd la mémoire des mots, mais s’inscrit à des cours du soir en rêvant de pouvoir composer des vers.voir, sentir et percevoir, tels sont les préceptes de son professeur. À travers cet enseignement primaire se révèle un enjeu esthétique et vital, suggérant que l’état passif, réceptif, peut être source de révélation et de création. Loin d’être inactive – et c’est peut-être là tout son drame –, Mija, femme de ménage chez un riche vieillard hémiplégique, ne cesse de courir, de s’agiter, car tout lui échappe. Non seulement les mots, mais aussi le sens du monde. Son petit-fils a participé à un viol collectif à son lycée, et la victime s’est suicidée. Mija n’a pas perdu son sens moral, mais elle ne sait comment réagir. Grand-mère docile, elle continue à servir le repas de l’adolescent sans que celui-ci ne lui décro-
ÉTÉ 2010
che un merci. Poussée par les pères des violeurs à trouver un arrangement, elle rencontre la mère de la victime mais ne parvient qu’à lui parler du goût des abricots tombés de l’arbre… Un peu à côté, un peu dedans, Mija est borderline. Cette année en Corée du Sud, la figure maternelle, matrice révélatrice des pulsions détraquées d’une société misogyne, semble occuper le devant de la scène avec l’ironique Mother de Bong Joon-ho et ce silencieux Poetry. À travers ce film, récompensé par le Prix du meilleur scénario à Cannes, Lee remet le mélodrame au goût du jour. Écrivain, ancien ministre de la Culture, Balzac moderne, il livre une nouvelle grande histoire de petites gens, après Oasis et Secret Sunchine, et détaille, avec un sens de la réserve qui en fait toute la force, une tragédie humaine glaciale sauvée in extremis par la poésie et le cinéma.
WWW.MK2.COM
44 CINÉMA
AGENDA SORTIES CINÉ 21/07
_ Par I.D., C.D., D.J., P.M., J.R., E.R., E.V., P.R.-W.
SORTIES DU
CITY OF LIFE ANd dEATh de Chuan Lu Avec Liu Ye, Yuanyuan Gao… Metropolitan, Chine, 2h15
Chine, décembre 1937. L’armée impériale japonaise prend possession de la ville de Nankin, perpétrant pillages, meurtres et viols en masse. tourné en noir et blanc, ce film historique revient sur l’un des massacres chinois les plus méconnus en Occident.
YO TAMBIÉN d’Álvaro Pastor et Antonio Naharro Avec Lola Dueñas, Pablo Pineda… Happiness, Espagne, 1h43
Daniel, 34 ans, est diplômé et trisomique. Dans son nouveau travail, il rencontre Lola, indépendante et séduisante. Leur amitié chavire leur entourage et bouleverse leurs repères. Une fable réjouissante et jamais convenue sur la différence.
LA BLONdE AUX SEINS NUS de Manuel Pradal Avec Vahina Giocante, Nicolas Duvauchelle… Eurozoom, France, 1h40
vivant sur une péniche, deux frères sont rejoints par une ravissante gardienne de musée : elle a suivi le plus jeune, qui a volé un tableau de Manet.Amour et jalousie s’en mêlent. Si la fable prend un peu l’eau, Paris vu de la Seine est bien joli.
NORTEAdO de Rigoberto Perezcano Avec Harold Torres, Sonia Couoh… ASC, Espagne-Mexique, 1h35
Dans un style quasi documentaire, Rigoberto Perezcano offre avec Norteado une belle réflexion sur le temps qui passe. On y suit les aventures d’Andres, un homme qui cherche à traverser la frontière vers les États-Unis et se retrouve bloqué à tijuana. ET AUSSI CETTE SEMAINE : INCEpTION de Christopher Nolan (lire la critique p. 38)
ÉTÉ 2010
SORTIES DU
28/07 LE dERNIER MAÎTRE dE L’AIR de M. Night Shyamalan Avec Noah Ringer, Jackson Rathbone… Paramount, États-Unis, 1h43
Le dernier maître du thriller surnaturel (Sixième sens, Signes) ne manque pas d’air en s’essayant à la saga onirique pour enfants, avec cette adaptation d’une série animée à succès. Inégal, ce premier épisode en 3D séduit par ses audaces picturales.
L’ÂGE dE RAISON de Yann Samuell Avec Sophie Marceau, Jonathan Zaccaï… Mars, France, 1h37
Le jour de son septième anniversaire, Marguerite écrit une lettre à sa future « elle » pour lui rappeler les promesses qu’elle s’est faites à l’âge de raison. Après Jeux d’enfants, Yann Samuell revient avec une comédie romantique pleine de fraîcheur.
MILLÉNIUM 3 – LA REINE dANS LE pALAIS dES COURANTS d’AIR de Daniel Alfredson Avec Michael Nyqvist, Noomi Rapace… UGC, Suède, 2h27
La jeune hackeuse Lisbeth Salander prépare son procès, immobilisée dans une chambre d’hôpital après avoir frôlé la mort en affrontant son père… Le dernier épisode de la trilogie culte du Suédois Stieg Larsson est un thriller dépouillé et glacial.
dESIERTO AdENTRO de Rodrigo Plá Avec Mario Zaragoza, Diego Catano… Films sans frontières, Mexique, 1h52
En pleine révolution mexicaine, Elías commet une faute impardonnable. Pour expier ses péchés, il va dédier sa vie à la construction d’une église en plein désert. Un film poignant sur la paternité, la foi et la folie.
ET AUSSI CETTE SEMAINE : NIGhT ANd dAY de James Mangold (lire la critique p. 20)
WWW.MK2.COM
45 CINÉMA
SORTIES DU
04/08
INSOUpÇONNABLE de Gabriel Le Bomin Avec Charles Berling, Laura Smet… StudioCanal, France, 1h35.
Le réalisateur des Fragments d’Antonin réunit un casting de choix pour un polar sulfureux. Dans cette sombre histoire de faux frères, si le fil blanc qui coud l’intrigue est parfois un peu gros, la machination à tiroirs ne manque pas d’ambition.
CELLULE 211 de Daniel Monzón Avec Alberto Amman, Luis Tosar … La Fabrique 2, Espagne-France, 1h50
visitant la prison où il doit devenir gardien, Juan est pris dans une émeute et se fait passer pour un prisonnier afin de sauver sa vie. Mais la violence appelle la violence et l’incurie de certains gardiens envenime la situation. Un brûlot impressionnant.
LE CAFÉ dU pONT de Manuel Poirier Avec Bernard Campan, Cécile Rebboah… Le Pacte, France, 1h35
Le réalisateur du remarqué Western (1997) porte librement à l’écran le roman autobiographique de Pierre Perret. Plongée dans le quotidien d’une famille unie en quête du bonheur pour cette chronique de la France rurale de l’après Seconde Guerre mondiale.
L’hEURE dU CRIME de Giuseppe Capotondi Avec Kseniya Rappoport, Filippo Timi… Bellissima, Italie, 1h35
Sonia vient de rencontrer Guido lorsque celui-ci est assassiné… thriller psychologique autant que drame romantique, L’Heure du crime emprunte l’audace de sa mise en scène au film de genre en jouant sur la déformation de la réalité et les troubles de la perception. ET AUSSI CETTE SEMAINE : UN pOISON VIOLENT de katell Quillévéré (lire la critique p. 19)
ÉTÉ 2010
11/08
SORTIES DU
ORLY d’Angela Schanelec Avec Natacha Régnier, Bruno Todeschini… Baba Yaga Films, France-Allemagne, 1h24
Quatre récits s’entrecroisent dans l’aéroport français, dévoilant les solitudes béantes d’êtres soudain ouverts à l’autre.troué d’ellipses, ce film allemand sublime son procédé docu-fictionnel grâce à des performances d’acteurs impliqués.
LE VOYAGE EXTRAORdINAIRE dE SAMY de Ben Stassen Avec les voix de Dany Boon, Elie Semoun… StudioCanal, Belgique, 1h25
Le réalisateur de Fly Me to the Moon plonge dans les eaux sauvages mais polluées des océans, avec Samy, tortue de mer attachante. La 3D offre de beaux voyages sous-marins et invite à réfléchir aux conséquences parfois dramatiques de nos actes sur l’environnement.
CE QUE JE VEUX dE pLUS de Silvio Soldini Avec Alba Rohrwacher, Pierfrancesco Favino… Pyramide, Italie, 2h
Dans le Milan d’aujourd’hui, Anna vit en couple, Domenico est marié et père de famille… Fougue et désillusions d’une relation adultère, cette variation autour de l’amour impossible confirme le talent de la troublante Alba Rohrwacher, actrice à suivre.
dONNE-MOI TA MAIN d’Anand Tucker Avec Amy Adams, Matthew Goode… MC4, États-Unis, 1h35
Une working girl américaine s’envole vers Dublin pour y demander la main de son petit ami – un cardiologue coincé – et atterrit dans les bras d’un barman grincheux mais sexy. Peu de suspense mais deux acteurs craquants et des décors naturels sublimes. ET AUSSI CETTE SEMAINE : ThE KILLER INSIdE ME de Michael Winterbottom (lire la critique p. 40) ChATROOM d’Hideo Nakata (lire la critique p. 41) L’ARBRE de Julie Bertuccelli (lire la critique p. 42)
WWW.MK2.COM
46 CINÉMA
AGENDA SORTIES CINÉ 18/08
_ Par I.D., C.D., D.J., P.M., J.R., E.R., E.V., P.R.-W.
SORTIES DU
EXpENdABLES : UNITÉ SpÉCIALE de Sylvester Stallone Avec Biceps, Triceps, Poudre à canon… Metropolitan, États-Unis, 1h45
SORTIES DU
25/08 LE BRUIT dES GLAÇONS de Bertrand Blier Avec Jean Dujardin, Albert Dupontel… Wild Bunch, France, 1h27
Sylvester Stallone, Jet Li, Bruce Willis, Arnold Schwarzenegger, Mickey Rourke, Jason Statham, Steve Austin et Randy Couture sont dans un bateau ; les pirates tombent à l’eau.
Un écrivain alcoolique reçoit la visite d’un inconnu qui se présente : « Je suis votre cancer. » La suite est du pur Blier retrouvé. Insolent, joyeusement désespéré, bourré de trouvailles farfelues et poétiques. En prime, des interprètes au taquet !
d’AMOUR ET d’EAU FRAÎChE
ONdINE
d’Isabelle Czajka Avec Anaïs Demoustier, Pio Marmai… BAC, France, 2h
Julie a 23 ans, un bac +5, mais enchaîne les petits boulots et les hommes en attendant de trouver le(s) bon(s), jusqu’à ce qu’elle rencontre Ben et décide de tout plaquer. Isabelle Czajka filme avec délicatesse la soif de vivre et les désillusions des jeunes actifs.
CLEVELANd CONTRE WALL STREET de Jean-Stephane Bron Avec Barbara Anderson, Keith Taylor… Les Films du Losange, France, 1h38
Jean-Stéphane Bron réinvente le documentaire en mettant en scène le procès imaginaire du capitalisme et livre un film haletant avec, d’un côté, les victimes de la crise des subprimes et, de l’autre, les défenseurs du libéralisme armés d’arguments en acier.
CRIME d’AMOUR d’Alain Corneau Avec Kristin Scott Thomas, Ludivine Sagnier,… UGC, France
Duel au sommet entre Catherine, femme d’affaires influente d’une grosse boîte de finance, et Isabelle, l’employée dévouée. Entre manipulation et domination, le jeu de pouvoir devient malsain et les entraîne dans l’irréparable. Un polar efficace.
de Neil Jordan Avec Colin Farrell, Tony Curran… UGC, États-Unis-Irlande, 1h51
Lorsqu’un pêcheur irlandais tombe amoureux d’une sirène (ou, dans le cas présent, d’une « selkie ») sortie de nulle part, l’histoire risque de se finir en queue de poisson. Un conte moderne, par le réalisateur d’Entretien avec un vampire et The Crying Game.
LA RIVIÈRE TUMEN de Zhang Lu Avec Jian Cui, Jinglin Li… Arizona Films, Corée-France, 1h28
Dans un village chinois séparé de la Corée du Nord par la rivière tumen, de plus en plus de migrants affamés affluent, semant le trouble dans la population. Puissante réflexion sur l’immigration et la difficulté de vivre ensemble, le film bouleverse.
LOST pERSONS AREA de Caroline Strubbe Avec Lisbeth Gruwez, Sam Louwyck… Les Acacias, Belgique, 1h49
Dans un bout du monde flamand, un chef de chantier vit avec sa femme et sa fille, gamine secrète, rêveuse et indépendante. Un jour, un accident vient bouleverser leur quotidien… Une œuvre sensible et organique, prix SACD du meilleur scénario à Cannes en 2009. ET AUSSI CETTE SEMAINE : pOETRY de Lee Chang-Dong (lire la critique p. 43)
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
47 CINÉMA
SORTIES DU
01/09
RUdO Y CURSI de Carlos Cuaron Avec Gael García Bernal, Diego Luna… SND, États-Unis-Mexique, 1h43
La vie est comme un match de foot. Entre coups francs et coups bas, le destin de deux frères footballeurs se joue sur le terrain. Mais la célébrité a un prix, qu’ils devront payer… Plutôt drôle, cette comédie est produit par Gonzáles Iñárritu et Guillermo Del toro.
KRACh de Fabrice Genestal Avec Gilles Lellouche, Vahina Giocante… UGC, France
Après Cleveland contre Wall Street, avant Wall Street – l’argent ne dort jamais –, encore un film avec la crise en ligne de mire, vue ici sur un mode fantasmé. Et si la météo pouvait prédire les mouvements des marchés ?
TERRE d’USAGE de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil Documentaire ADR, France-Belgique, 1h52
Le rapport au monde, la notion de territoire, le communisme, la république… Autant de thématiques que les réalisateurs abordent dans ce documentaire, au travers de Pierre Juquin, « penseur et passeur » de sa mémoire et de ses expériences.
pIRANhA 3d d’Alexandre Aja Avec Elisabeth Shue, Richard Dreyfuss… Wild Bunch, États-Unis
Poissons pas nés de la dernière pluie, des piranhas préhistoriques sont relâchés dans un lac après un séisme. C’est tout ? Bah non, dans la même flaque barbote un banc de 20 000 étudiantes en bikini, chauffées à blanc pendant leur Spring Break. À croquer. ET AUSSI CETTE SEMAINE : SUBMARINO de thomas vinterberg (lire le portrait p.72) ONCLE BOONMEE (CELUI QUI SE SOUVIENT dE SES VIES ANTÉRIEURES) d’Apichatpong Weerasethakul (lire l’interview p.76) BE BAd ! de Miguel Arteta (lire la critique p. 94)
ÉTÉ 2010
48 CINÉMA
LES ÉVÉNEMENTS BASTILLE
BIBLIOTHÈQUE
HAUTEFEUILLE
ODÉON
QUAI DE LOIRE
BEAUBOURG
GAMBETTA
NATION
PARNASSE
QUAI DE SEINE
CINÉMA
PASSERELLES
FLASH-BACKS & PREVIEWS
LE DIALOGUE DES DISCIPLINES
SAMEdI 24 JUILLET – 10h30 / CARTE BLANChE À pUSh Up / Black Dynamite de Scott Sanders (2009) dIMANChE 25 JUILLET – 10h30 / CARTE BLANChE À pUSh Up / Soul Power de Jeffrey Levyhinte (2009) LUNdI 26 JUILLET – 20h / CARTE BLANChE À pUSh Up / Do the Right Thing de Spike Lee (1989) Projection et miniconcert de Push Up et d’invités surprise. SAMEdI 4 SEpTEMBRE – 10h30 / SINATRA FAIT SON CINÉMA / Comme un torrent de Vincente Minnelli SAMEdI 4 SEpTEMBRE – 10h30 / SINATRA FAIT SON CINÉMA / Escale à Hollywood de George Sidney et Match d’amour de Busby Berkeley
JEUdI 9 SEpTEMBRE – 19h30 / SOIRÉE ZÉRO dE CONdUITE / Cargos Avec les éditions Attila, lecture-balade sur le bassin de la villette suivie d’une rencontre à la librairie, autour des textes : Noir Océan de Stefán Máni (Gallimard) Cargo mélancolie d’Alexandre Bergamini (Zulma) Cargo de Bernard Mathieu (Joëlle Losfeld) Le Havre-Malte de Bérengère Cournut (Attila). Inscription au 01 44 52 50 70.
dIMANChE 5 SEpTEMBRE – 10h30 / SINATRA FAIT SON CINÉMA / Haute Société de Charles Walters et Amour et swing de Tim Whelan dIMANChE 5 SEpTEMBRE – 10h30 / SINATRA FAIT SON CINÉMA / Un jour à New York de Stanley donen et Gene Kelly
JUNIOR LECTURES pOUR LES 3-5 ANS - MERCREdI 4 AOÛT - 10h30 / Escale en Afrique ! - MERCREdI 1ER SEpTEMBRE - 10h30 / À la découverte des dragons… Inscription gratuite au préalable à la librairie ou par téléphone (01 44 52 50 70) auprès de Mélanie et Sophie. SAMEdI 4 SEpTEMBRE – 10h30 JAZZ À LA VILLETTE FOR KIdS ! Projection de Bugsy Malone d’Alan Parker dIMANChE 5 SEpTEMBRE – 10h30 JAZZ À LA VILLETTE FOR KIdS ! Projection des Aristochats de Wolfgang Reitherman
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
49
UVREZ DÉCO ÉMA IN C LE DANS N E M T AUTRE K2 ! M LLES LES SA
FOCUS
_Par J.R.
1 MAX 2 CINÉ D’accord, la perspective du mois de septembre n’est pas franchement rÊjouissante. Mais une bonne nouvelle s’est glissÊe dans l’agenda de la rentrÊe cinÊmatographique : tous les samedis, pour les moins de 27 ans, un ticket sera offert après l’achat d’un premier ticket au tarif habituel. Celui-ci est valable le même jour, pour un autre film, à une autre sÊance et dans le même cinÊma. Un rapide coup d’œil aux sorties prÊvues à cette pÊriode donnerait presque envie d’Êcourter les vacances : Les Runaways sur la chanteuse et guitariste Joan Jett (kristen Stewart) et son groupe de rock entièrement fÊminin ; la Palme d’or (Oncle Boonmee) et le Grand Prix cannois (Des hommes et des dieux), ou encore le nouveau film du rÊalisateur de Festen, Submarino, et le dernier-nÊ du petit gÊnie quÊbÊcois Xavier Dolan, Les Amours imaginaires‌ Les 4, 11, 18 et 25 septembre dans toutes les salles. Plus de renseignements sur www.1max2cine.com
JAZZ À LA VILLETTE Plus que jamais cette annÊe, Jazz à la villette fait le pari de la mixitÊ, du plaisir et de la curiositÊ. Au diapason d’une programmation musicale survoltÊe (the Roots, Gil Scott-Heron, Chucho valdes & Archie Shepp, Alice Russell, Marc Ribot, Saul Williams‌), deux cycles de films prolongent l’expÊrience dans les salles des Mk2 Quai de Seine et Quai de Loire. Jazz à la villette for kids !  d’abord, avec Bugsy Malone – dÊlicieuse parodie de film de gangsters entièrement interprÊtÊe par des gamins – et Les Aristochats, un Disney jazzy avec le matou Scat Cat et son Cat Band. Un hommage à l’acteur et chanteur Frank Sinatra ensuite, avec six perles du musical amÊricain: Un jour à New York de Stanley Donen et Gene kelly, Comme un torrent de vincente Minnelli, Amour et swing (avec Michèle Morgan), Haute SociÊtÊ (avec Grace kelly), mais aussi Escale à Hollywood et Match d’amour‌ Des standards incontournables pour swinguer jusque dans les salles obscures. Jazz à la Villette, du 31 aoÝt au 12 septembre. Projections à partir du 4 septembre. Toute la programmation sur www.citedelamusique.fr/minisites/1009_jazz_villette/index.aspx
ÉTÉ 2010
LES CYCLES ANIMATION Du 10 juillet au 1er aoÝt, les samedis et dimanches à partir de 10h30, le Mk2 Quai de Loire vous propose de revoir les grands succès du cinÊma d’animation de l’annÊe, avec Max et les maximonstres de Spike Jonze, Fantastic Mr. Fox de Wes Anderson, KÊrity la maison des contes de Dominique MonfÊry et La Princesse et la grenouille de John Musker. Tarif 6,50 ₏. Cartes UI acceptÊes. dÊtails de la programmation sur www.mk2.com
SUCCĂˆS dES QUAIS Du 7 au 29 aoĂťt, les samedis et dimanches Ă partir de 10h30, retour sur quelques films qui ont marquĂŠ l’annĂŠe, avec Tetro de Francis Ford Coppola, Les Herbes folles d’Alain Resnais, A Serious Man de Joel et Ethan Coen et Vincere de Marco Bellocchio. Tarif 6,50 â‚Ź. Cartes UI acceptĂŠes. dĂŠtails de la programmation sur www.mk2.com
ENGLISh TOUCh A partir du 31 juillet, reprise du meilleur du cinÊma d’outre-Manche, sorti cette annÊe : Bright Star de Jane Campion, Fish Tank d’Andrea Arnold, In the Loop d’Armando Lannuci, Good Morning England de Richard Curtis et Une Êducation de Lone Sherfig. Tarif 6,50₏. Cartes UI acceptÊes. dÊtails de la programmation sur www.mk2.com
T o u t e l a p r o g r a m ma t i o n s u r m k 2 . c o m
WWW.MK2.COM
Š D.R.
CONCERTS
50 SORTIES EN VILLE
The Kooks
RIFF DROITE Rock en Seine Le temps de troquer ses tongs contre des Converse, ROCK EN SEINE siffle la fin des vacances dans la bière et les dÊcibels. Électrique et Êclectique, le festival enseigne et fÊdère, de 6 à 666 ans. Attention les oreilles. _Par Wilfried Paris
Gros festival estival rÊgional, Rock en Seine assure depuis huit ans la rentrÊe rock, avec du lourd comme son nom l’indique (même Justice avait sorti les amplis Marshall il y a deux ans). Cette annÊe, blink-182 (pop punk potache depuis 1993) ou les mÊtalleux de Queens of the Stone Age sont ainsi en tête d’affiche. Domaine national de Josh Homme, qui y revient avec gourmandise, le festival avait crÊÊ la bonne surprise l’an dernier en faisant jouer them Crooked vultures – supergroupe composÊ dudit Josh Homme avec Dave Grohl et John Paul Jones – mais peut aussi en rÊserver de mauvaises, comme les deux annulations d’Amy Winehouse (2007 et 2008) et le split en temps rÊel d’Oasis l’annÊe dernière, sans toutefois calmer les ardeurs du public puisque l’Êdition 2009 a battu des records d’affluence (97 000 personnes). D’aucuns reprochent à Rock en Seine l’absence de parti pris dans l’Êclectisme (vieilles gloires, gros ven-
ÉTÉ 2010
deurs indie-rock, quelques groupes locaux) et y voient un festival à l’esprit moins rock’n’roll que commercial (tarifs ÊlevÊs, publicitÊs sur le site). N’empêche, l’Êdition 2010 est particulièrement excitante, avec Arcade Fire (feu sacrÊ), Massive Attack (trip-hop alchimiste), Roxy Music (glam-rock ressuscitÊ), the kooks (slackers bubble-gum), Black Rebel Motorcycle Club (shoegaze psychÊ), LCD Soundsystem (nounours sous ecsta) ou encore Cypress Hill, Beirut, Foals, 2 Many DJ’s, Crystal, Castles, two Door Cinema Club, Chew Lips, Wave Machines‌ Suite dans les idÊes, la fÊe ÊlectricitÊ se penchera sur vos bambins pour un Mini Rock en Seine,  formation accÊlÊrÊe pour devenir un parfait rocker , tandis qu’Avant Seine invitera nos espoirs hexagonaux (I Am Un Chien !!, viva & the Diva, Roken Is Dodelijk, king of conspiracy‌). Le rock a de l’avenir, à n’en pas douter. Les 27, 28 et 29 aoÝt, Domaine national de Saint-Cloud. Pass trois jours : 99 ₏ ; un jour : 45 ₏. www.rockenseine.com
WWW.MK2.COM
Š D.R.
L’OREILLE DE‌ GUILLAUME FEDOU
ARCADE FIRE LE 29 AOÛT À ROCK EN SEINE  Ce qui m’ennuie dans la plupart des concerts, c’est la hiÊrarchie entre la scène et le public. Certains musiciens Êgalitaires, comme Girl talk ou Dan Deacon, font monter le public sur scène. L’avantage d’Arcade Fire, c’est que, sans aller aussi loin, ils tournent beaucoup et s’Êchangent leurs instruments. On sent qu’il y a une vraie âme collective. J’adore, ça a un côtÊ  scout toujours . Et puis, ils allient cette approche hippie à quelque chose de plus urgent, une Êmotion typique post-11 septembre, la sensation d’un monde qui s’Êcroule.  _Propos recueillis par A.L.
Le premier album de Guillaume FĂŠdou, Action ou vĂŠritĂŠ, sera disponible fin septembre.
AGENDA CONCERTS
_Par W.P.
1 dUM dUM GIRLS Shangri-Las noise ou riot grrrls rÊtros, Dee Dee et ses Dum Dum Girls nostalgiques devraient plaire à tous les Dum Dum Boys. Fuzz et buzz. Le 23 juillet à La Plage du Glaz’Art, dès 19h, 14,80 ₏.
2 ChATEAU MARMONT + FLAIRS L’armada de synthÊtiseurs vintage de Chateau Marmont (aussi producteurs pour AlizÊe) et la pop cinÊma de Flairs (connu pour sa B.O. des Beaux Gosses et le clip 8-bits hardcore de Truckers Delight rÊalisÊ par JÊrÊmie PÊrin) se rÊunissent pour une soirÊe teenage. Embarquez. Le 28 juillet au Batofar, dès 20h, 13,60 ₏.
3 JENS LEKMAN Le mÊnestrel pop suÊdois que l’on compare volontiers à Jonathan Richman ou Stephin Merritt (Magnetic Fields) vient siffloter ses nouvelles compos. Lyrisme gai et songwriting tout en haut. Le 4 aoÝt au Nouveau Casino, dès 19h, 17,70 ₏.
4 TAME IMpALA Après avoir assurÊ les premières parties de MGMt, ces solaires Australiens psychÊdÊliques viennent illuminer le Nouveau Casino. Buvard vintage. Le 26 aoÝt 2010 au Nouveau Casino, dès 19h30, 17,70 ₏.
ÉTÉ 2010
Š Will Cooper Mitchell
CLUBBING
52 SORTIES EN VILLE
Bonobo
GUERRIERS DU SON Les 20 ans de Ninja Tune À l’ère du jetable et du virtuel, le label Êlectro hip-hop anglais NINJA TUNE a rÊussi le tour de force d’exister encore vingt ans après. Ce modèle d’indÊpendance mÊritait bien un anniversaire aussi dantesque que le combat sonore menÊ jusqu’ici‌ _Par Violaine Schßtz
FondÊ en 1991 par les bons petits soldats du DJing Matt Black et Jon Moore (alias Coldcut), le label indÊ Ninja tune a dÝ faire preuve d’inventivitÊ et d’ambition pour dÊfier l’industrie du disque. C’est d’abord l’ouverture du son Ninja qui fait sa force. En vingt ans, on y a croisÊ l’Êlectronique mais aussi le nu-jazz, l’ambient, l’abstract hip-hop ou le breakbeat, mixÊs de façon percutante. Les plus fiers reprÊsentants de ces sonoritÊs seront prÊsents à Paris pour cÊlÊbrer cet anniversaire : Amon tobin, Bonobo, Cinematic Orchestra, Coldcut, Daedelus, Dj Food, Dj vadim, Fink, kid koala, Mr. Scruff, Roots Manuva, Speech Debelle, Herbaliser, le tout à la Machine, à l’ÉlysÊe-Montmartre et au Centre Pompidou. Et du 10 septembre au 2 octobre à la galerie Chappe, une exposition prÊsentera le travail du graphiste surdouÊ Openmind, qui signe l’identitÊ visuelle du label, l’une de ses grandes forces. Autres principaux atouts de Ninja tune, comme le rappelle Peter Quicke, son boss actuel :  Les Innovations ÉTÉ 2010
musicales de Coldcut (parmi les premiers à utiliser, dans annÊes 1990, le VJing, le sampling, les remixes, les cut&paste), les podcasts de la radio Solid Steel et les deals 50/50 avec nos artistes. Mais Ninja, c’est aussi une philosophie. Nous nous sommes dit que si nous Êtions prudents et honnêtes avec nos finances, nous pouvions être plus expÊrimentaux dans notre musique. Nous ne croyons pas à la hype. Nous n’allons pas dÊpenser des sommes folles pour promouvoir un disque juste parce que quelques personnes nous disent qu’il va s’en vendre des millions. On sort des disques qui vivent tout seuls comme de l’art et de l’entertainment et non des projets s’inscrivant dans un profil commercial.  Une bataille payante, que l’on fêtera en grande pompe à Paris, et dans le reste du monde. Le 10 et 17 septembre à l’ÉlysÊe-Montmartre, dès 22h, 22₏ ; le 15 et 17 septembre au Centre Pompidou, dès 20h, 14₏ ; le 1er octobre à La Machine du Moulin Rouge, dès 21h, 32₏. WWW.MK2.COM
Š Woolhouse Studios London
LES NUITS DE‌ MISS KITTIN
 Une bonne nuit dehors, c’est d’abord retrouver les copains pour un apÊro, par exemple rue Dupetit-thouars, pour filer ensuite dans une soirÊe oÚ l’on se sent chez soi, comme au RÊgine. Le cadre disco dÊsuet chargÊ d’histoire inspire à tout le monde de reprendre en main la fête, sans se reposer uniquement sur le DJ. Ce qui veut dire : sortir ses tenues d’apparat, les tourner en dÊrision, danser sur les tables et rigoler. Au Bataclan, j’Êchange les platines toutes les heures avec mon invitÊ pour un clubbing grand format Êgalitaire.  _Propos recueillis par V.S.
Miss Kittin est en rĂŠsidence une fois par mois chez RĂŠgine et au Bataclan, dates Ă guetter sur misskittin.com
AGENDA CLUBBING
_Par V.S.
1 KATApULT pARTY Le petit label parisien de musique Êlectronique investit La Machine pour un plateau aiguisÊ et hors format rÊunissant le Californien iconoclaste Daedelus, le dÊroutant Jackson and His Computer Band, et l’Êclectique DJ Seep. Catapultage de bombes sonores garanti. Le 31 juillet à La Machine, dès 23h, 15 ₏.
2 TERRASSA Les apÊros terrassa fêtent leurs dix ans cette annÊe avec des artistes qui viennent rarement dans nos contrÊes. Pour cette nuit allemande, les producteurs Martin Buttrich, Superpitcher et tobias thomas livreront leur vision d’une techno exigeante mais jamais ennuyeuse. Le 8 aoÝt à la pÊniche Concorde Atlantique, dès 22h, 10₏.
3 SOCIAL SUMMER Le Social Club prend ses quartiers d’ÊtÊ au Plaza Madeleine, plus habituÊ aux thÊs dansants dominicaux, pour une nuit dancefloor en compagnie des efficaces Fischerspooner et Azari & III. Paris ville morte en aoÝt ? Pas si sÝr, cette fois-ci. Le 28 aoÝt au Plaza Madeleine, dès 23h, 15 ₏.
4 ALL NIGhT LONG WITh dJ MEhdI Dans le cadre du rÊjouissant festival Jazz à la villette, le Point ÉphÊmère propose de passer toute une nuit avec DJ Medhi, trublion à mi-chemin entre le hip-hop et l’Êlectro. Un peu notre DJ Shadow à nous. Le 3 septembre au Point ÉphÊmère, dès 22h, 14 ₏.
ÉTÉ 2010
Š Bruno Serralongue, courtesy Air de Paris
EXPOS
54 SORTIES EN VILLE
SĂŠrie ÂŤ World Social Forum, Mumbai Âť, 2004
OPTIQUES 2000 Bruno Serralongue au Jeu de Paume Jusqu’au 5 septembre, le Jeu de Paume prÊsente Feux de camp, une exposition du photographe BRUNO SERRALONGUE qui, depuis plus de dix ans, sillonne le monde entier pour donner une autre image de l’actualitÊ. _Par Anne-Lou Vicente
Comme certains prÊparent un voyage, guide touristique et autres donnÊes à l’appui, Bruno Serralongue se rend rÊgulièrement là oÚ la sacro-sainte actualitÊ mÊdiatique bat son plein. En guise de prÊliminaires à ces excursions, un travail documentaire consistant à Êplucher les informations publiÊes ou diffusÊes à travers les mÊdias : presse papier, Internet, tÊlÊvision, radio.  Mon AFP à moi, explique-t-il, ce sont tous les journaux accessibles pour un lecteur/spectateur. J’effectue à mon tour une sÊlection et, si une information se rÊfère à un ÊvÊnement qui va se dÊrouler et qui m’intÊresse, je cherche à m’y rendre par mes propres moyens pour y rÊaliser mes photographies.  Ce n’est donc ni en touriste, ni en photojournaliste que Bruno Serralongue opère. Mais bien en artiste, dont la dÊmarche interroge les procÊdures actuelles de production, de diffusion et de circulation des images. ÉTÉ 2010
 Je ne suis pas fascinÊ par l’ÊvÊnement , affirme-t-il. Qu’il assiste à un concert de Johnny Hallyday à Las vegas (1996), au Forum social mondial à Bombay (2004) ou à la contestation des ouvriers de New Fabris à Châtellerault (2009), il s’attache à infiltrer les marges et les interstices dudit ÊvÊnement, plus que son Êpicentre, dont la couverture est propice à la production d’images destinÊes pour la plupart à devenir des  clichÊs . Sur un mode paradoxalement froid et neutre, Serralongue entend donner à voir le monde autrement et le raconter sans tomber dans les travers de la machine mÊdiatique. Point de scoop ni d’image choc. L’exposition au Jeu de Paume, qui rÊunit une centaine de photographies, pointe la notion d’action collective qui, dans une perspective citoyenne et militante, intÊresse l’artiste. L’humain avant tout. Feux de camp, jusqu’au 5 septembre au Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris. WWW.MK2.COM
LE CABINET DE CURIOSITÉS
PERSPECTIVES L’exposition Perspectives fait se croiser la pratique de deux artistes françaises : Odile Decq, architecte, et Camille Henrot, plasticienne, prÊtendante au prochain Prix Marcel Duchamp. La première transforme le lieu en une sorte de navire et la seconde en un genre de musÊe de l’homme. Deux regards, deux visions du monde qui se mêlent et composent un horizon singulier en forme d’invitation au voyage dans l’espace, et dans le temps. _A.-L.V.
Jusqu’au 5 septembre à l’espace culturel Louis Vuitton, 101 avenue des Champs-ÉlysÊes 75008 Paris.
AGENDA EXPOS
_Par A.-L.V.
VALÉRIE JOUVE Poursuivant sa rÊflexion sur la prÊsence de l’homme dans la ville, l’artiste française montre une trentaine de photographies rÊalisÊes en 2008 et 2009 dans le monde arabe avec l’intention de le faire ressentir plus que comprendre. Jusqu’au 13 septembre au Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris.
BEAT TAKEShI KITANO Après David Lynch, Agnès varda et Patti Smith, c’est au tour de takeshi kitano de dÊvoiler ses talents de plasticien. Avec Gosse de peintre, peintures et vidÊos côtoient objets insolites et machines folles pour un retour joyeux vers l’enfance. Jusqu’au 12 septembre à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail, 75014 Paris.
LA pESANTEUR ET LA GRÂCE Sous le commissariat d’Éric de Chassey, l’exposition rÊunit cinq artistes internationaux dont les œuvres abstraites procèdent de la manipulation de matÊriaux bruts. Une façon de s’Êlever en s’inclinant devant les lois physiques de la matière. Jusqu’au 12 septembre au Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, 75005 Paris.
ÉTÉ 2010
Š Factory2 - K. Bielinski
SPECTACLES
56 SORTIES EN VILLE
SUPERSTARS Krystian Lupa rĂŠinvente la Factory Au terme d’une annĂŠe d’improvisations, la troupe du maĂŽtre polonais KRYSTIAN LUpA rĂŠpond Ă celle inventĂŠe par Andy Warhol, avec Factory 2, recrĂŠation thÊâtrale du film Blow Job, rĂŠalisĂŠ par le pop artiste en 1963. _Par Ăˆve Beauvallet
En inaugurant sa trilogie sur les icônes avec un travail sur la Silver Factory, noyau en fusion du New York underground des annÊes 1960, krystian Lupa s’est donnÊ pour tâche de  crÊer le film qu’Andy Warhol n’a jamais rÊalisÊ.  Et pour relever le dÊfi, il choisit l’arme thÊâtrale. Pose auteuriste? Recyclage d’un mythe dÊjà rognÊ jusqu’à l’os ? Pas si l’on est comme lui le grand gardien de l’Êcole polonaise, si l’on est l’hÊritier du mythique tadeusz kantor et le maÎtre du très saluÊ krzysztof Warlikowski. Nulle exagÊration de la dÊcadence warholienne, nul fantasme biographique à l’horizon, mais une plongÊe en plein cœur de la construction du personnage. Edie Sedgwick, Candy Darling, Ultra violet‌ les acteurs du Stary teatr font revivre les zombies couvÊs dans le microcosme excentrique de la Factory. Mais sans doute faut-il prÊciser que krystian Lupa se distingue depuis trente ans sur la scène internationale en basant son  thÊâtre de la rÊvÊlation sur une apprÊhension singulière de la gram-
ÉTÉ 2010
maire dramatique : de la même façon que les films de Warhol se libèrent de la psycho-logique de la narration pour Êpouser le format happening, le thÊâtre de Lupa se positionne moins sur qu’entre les actions des personnages. On comprend dès lors pourquoi le metteur en scène retravaille à partir du so shocking film de Warhol datÊ de 1963 : Blow Job, en cadrant durant 65 minutes le visage d’un homme en train de recevoir une fellation, rÊvèle en gros plan les processus infimes de dissimulation de soi, de travestissement et de rÊvÊlation des Êmotions. Soit une cristallisation du travail schizophrène et foncièrement sadique du jeu d’acteur, que Lupa Êrige en superstar.
Factory 2, du 11 au 15 septembre au thÊâtre national de La Colline, dans le cadre du Festival d’Automne, www.festival-automne.com
WWW.MK2.COM
Š Alain Julien
LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ
LA CONFIDENCE DES OISEAUX Le chorÊgraphe picard Luc Petton propose, dans La Confidence des oiseaux, une danse ornithologique oÚ corneilles, Êtourneaux, geais, perruches et pies participent de l’Êcriture du mouvement. ImprÊgnÊs de la prÊsence des danseurs dès la sortie du nid et ÊlevÊs au sein de la compagnie Le Guetteur, les oiseaux migreront, dans le cadre du festival Paris quartier d’ÊtÊ, dans les espaces verts du domaine de Chamarande. Une façon de redynamiser quelques fondamentaux de la danse de groupe : pesanteur, unisson, Êcoute et fragilitÊ extrême d’une rencontre ÊphÊmère. _E.B.
Les 24 et 25 juillet au Domaine dĂŠpartemental de Chamarande, en Essonne, www.quartierdete.com
AGENDA SPECTACLES
_Par E.B.
1 FESTIVAL SAUTES d’hUMOUR Cet ÊtÊ, Le tarmac de la villette cÊlèbre le couple  politique et dÊrision . Ainsi les 50 ans d’indÊpendances africaines sont-ils fêtÊs, dans Bienvenue O Kwatt, en  camfranglais , langue explosive du Cameroun contemporain, ou carrÊment en casque gaulois, en sang et en sourire sur l’affiche du festival qui illumine le site. Du 20 juillet au 28 aoÝt au Tarmac de la Villette, www.letarmac.fr
2 NOTRE TERREUR Au terme d’un travail d’improvisation, et autour de l’hÊritage rÊvolutionnaire, la jeune compagnie D’ores et dÊjà a inventÊ Notre terreur : une interrogation sur l’incarnation, par le corps même de Robespierre, de cette pÊriode noire de la RÊvolution qu’est la terreur, et une mise en procès d’un ludisme fougueux des lois traditionnelles du thÊâtre. Du 9 au 30 septembre au ThÊâtre national de la Colline, www.colline.fr
3 LA BAYAdĂˆRE On n’ira pas voir La Bayadère, ballet romantique sur fond d’Inde antique affinĂŠ par Marius Petipa, en espĂŠrant y apprĂŠcier des danses Ă caractère hindou. Hormis quelques fakirs aux longs couteaux, cette pièce datĂŠe de 1884 est un pur produit de l’acadĂŠmisme russe. L’occasion de dĂŠcouvrir ce que signifie la structure d’un corps de ballet et la perfection d’un grand pas. Du 20 au 24 juillet au thÊâtre du Châtelet, dans le cadre des ÉtĂŠs de la danse, www.lesetesdeladanse.com
ÉTÉ 2010
Š Bruno Verjus
RESTOS
58 SORTIES EN VILLE
BELLE À NOURRIR Raquel Carena au Baratin Rencontre au cœur de Belleville avec une cuisine d’auteur. RAQUEL CARENA, autodidacte et chef du Baratin, en Êpoustouflante leçon de gourmandise. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)
La rue Jouye-Rouve ?  C’est la quatrième à droite en remontant la rue de Belleville depuis le boulevard.  Cette rue pentue du vingtième arrondissement de Paris s’Êtire en noir et blanc à la façon d’une image du photographe Willy Ronis. Au numÊro 3, Raquel Carena et Philippe Pinoteau officient au parfait Êquilibre du manger et du boire. Cette gourmande atmosphère berce clients et amis qui se retrouvent, heureux et attablÊs face au bar vernissÊ. Derrière, juste au-dessus des carafes de verre, voici le tableau noir. OrdonnÊs et tirÊs aux quatre Êpingles d’une calligraphie choisie, les mets paradent. Les entrÊes sont prÊcises, justes, excitantes, appÊtissantes. Place aux poissons avec le tartare de lieu jaune à la pomme verte, les encornets à la galicienne, le saumon ou les sardines crues ! vive les triperies avec les sublimes cervelles d’agneau citronnÊes et tièdes, les rognons entiers, le ris de veau croustillant ou le gratin de tripes et aubergines ! Ils nourris-
ÉTÉ 2010
sent, subjuguent, rÊgalent. Les desserts ? Mousse au chocolat et moka, soupe de fruits au pÊtillant naturel ou crumble acidulÊ de fruits rouges. tout simplement. De son expÊrience passÊe, Raquel Carena retient les poissons et la friture en Espagne, et les frères Can Roca, pour le rythme, le tempo du menu dÊgustation.  Plus que tout, elle apprÊcie l’ÊlÊgance de la cuisine d’un Olivier Roellinger au service des poissons bretons  et se rÊjouit de la  libertÊ d’un Inaki Aizpitarte dans ses associations gustatives. Elle pratique une cuisine dÊvolue au sensible, dans une Êpure absolue.  Je donne à manger comme j’aime manger. Justesse des cuissons, maÎtrise des jus, extrême qualitÊ des matières premières.  Retour à l’ÊlÊmentaire, mais retour à l’essentiel, comme le dirait FrÊdy Girardet. Un hÊdonisme de l’Êvidence. Le Baratin, 3 rue Jouye-Rouve, 75020 Paris. TÊl. : 01 43 49 39 70
WWW.MK2.COM
≈ Cassadre Dessarts
LE PALAIS DE‌ YOLANDE MOREAU
CHEZ RAMULAUD  J’aime bien ce restaurant, situÊ entre Nation et Bastille. Les rares fois oÚ je viens à Paris, quand on est amenÊs à aller manger au resto, c’est Chez Ramulaud qu’on va. C’est une ambiance un peu bistrot : petites tables en bois, nappes à carreaux‌ Au niveau des plats, c’est de la cuisine traditionnelle française ; du canard, de la cuisine à l’Êchalote, ce genre de choses. Mais c’est très bon. Les gens aussi sont sympas‌ et ils connaissent très bien les vins ! 
SI VOUS SOUHAITEZ COMMUNIQUEZ DANS NOTRE PROCHAIN NUMERO
_Propos recueillis par C.D.
Chez Ramulaud, 269 rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75011 Paris. Tel : 01 43 72 23 21 // La Meute de Franck Richard avec Yolande Moreau, en salles le 29 septembre.
OĂ™ MANGER APRĂˆS‌ _Par B.V.
LE CAFÉ dU pONT Ô Philos’Off, pour en finir avec la philosophie de comptoir et dÊguster en terrasse le saumon fumÊ maison ou, plus simplement, partager le menu du midi pour 12 ₏. Une bonne raison pour laisser tomber l’habituel sandwich nÊgociÊ au cafÊ du coin‌ ou du pont. Ô Philos’Off, 86 boulevard Diderot, 75012 Paris. TÊl. : 09 52 05 41 17
L’ŒUVRE AU NOIR Chez MBC pour une cuisine qui renaÎt de ses cendres. AdulÊ puis honni, Gilles Choukroun revient avec une cuisine en ode au bon, au beau et au petit prix. Ainsi, hommage monochrome, ce riz à l’encre de seiche et crevette crue tout droit sorti d’un tableau de Soulages. MBC Gilles Choukroun, 4 rue du DÊbarcadère, 75017 Paris. TÊl. : 01 45 72 22 55
d’AMOUR ET d’EAU FRAÎChE À La Terrasse, ÊphÊmère restaurant de Fumiko kono, pour partager sous le ciel de Paris la cuisine amoureuse, limpide et fraÎche de ce chef japonais. À dÊcouvrir, ses goÝteuses pâtes mentaiko, habillÊes d’œufs de cabillaud pimentÊs, picotÊes de yuzu frais. La Terrasse, jusqu’en septembre au 8e Êtage des Galeries Lafayette, 40 boulevard Haussmann, 75009 Paris. TÊl. : 01 42 82 34 56 ÉTÉ 2010
CONTACTEZ-NOUS : 01 44 67 68 01 ou troiscouleurs@mk2.com
LE 1ER MENSUEL CULTUREL GRATUIT www.mk2.com/troiscouleurs
60 LA CHRONIqUE DE
gÊ de 21 ans à peine, XAVIER dOLAN impressionne par sa libertÊ de ton et son indÊpendance. DÊcouvert à Cannes en 2009 avec J’ai tuÊ ma mère, premier film très autobiographique, le MontrÊalais transforme l’essai en signant Les Amours imaginaires, superbe variation sur le sentiment amoureux. Inclassable, à la fois acteur, scÊnariste, rÊalisateur et photographe, il nous parle avec finesse de son parcours, de ses films et du QuÊbec, oÚ son audace et son Êrudition dÊtonnent. Entretienfleuve.
Ă‚
_Propos recueillis par Anne de Malleray, Juliette Reitzer et AurĂŠliano Tonet, entre Cannes, Paris et MontrĂŠal
Š Philippe Quaisse/Pasco
Š Sarah Kahn
64 LES AMOURS IMAGINAIRES
LE MAÎTRE d’ŒUVRE Xavier Dolan est un cinÊaste prÊcoce, même s’il n’aime guère l’image de jeune prodige que lui valent ses deux sÊlections cannoises. Au dÊpart, son âge lui a fermÊ des portes. Essuyant les refus des organismes de subvention, il a dÝ produire lui-même son premier film avec les Êconomies gagnÊes, enfant, en jouant dans des publicitÊs ou en doublant la saga Harry Potter. Par goÝt autant que par nÊcessitÊ, Dolan s’est improvisÊ homme-orchestre, auteur, rÊalisateur, acteur, mais aussi photographe et styliste – il a ainsi ÊlaborÊ les costumes des Amours imaginaires, en mixant avec goÝt le pop et le vintage. À la tête d’une sorte de Factory 2.0, Dolan s’entoure de gens de talent pour construire ses films de façon artisanale. BasÊ à MontrÊal, rêvant de New York, il s’est fait tout seul et sait tout faire, ce qui assure sa libertÊ. Affichant sans complexe son Êrudition et son homosexualitÊ, ce faux cancre est parvenu à puiser le meilleur chez ses maÎtres (Truffaut, Godard, Wong Kar-wai, Van Sant‌) pour produire une œuvre cohÊrente et singulière, comme seuls les plus douÊs en sont capables. _A.D.M. et A.T.
ÉTÉ 2010
avier, il y a beaucoup d’agitation autour de toi, mais on ne te connaÎt pas très bien encore. d’oÚ viens-tu? J’ai grandi en banlieue de MontrÊal. J’ai ÊtÊ au pensionnat très jeune, entre 9 et 14 ans. Ma mère Êtait responsable des admissions dans un collège. Mon père acteur, chanteur, compositeur, interprète‌ J’ai eu une enfance passablement heureuse et banale. Tout le monde te parle constamment de ton âge. Cela t’agace-t-il? Ça m’indiffère un peu. J’espère simplement que je serai jugÊ de façon impitoyable, sans que l’âge ne constitue un argument contre la maladresse. J’espère que l’Êpithète jeune devant rÊalisateur  ne confinera pas mes films à un rayon limitÊ de premières œuvres  courageuses . Je veux que mon cinÊma soit le moins ÊtiquetÊ possible, qu’on parle de mes films comme de bons ou de mauvais films, mais jamais comme d’un  bon film pour un rÊalisateur de 20 ans .
hOMMAGES ET MALENTENdUS Ton amie Monia Chokri, actrice principale des Amours imaginaires, te dÊcrit comme quelqu’un de très cultivÊ. Jusqu’à ce tatouage que tu portes, en hommage à Jean Cocteau. Que reprÊsente-t-il ? La phrase de Cocteau que j’ai tatouÊe juste en haut du genou droit est :  L’œuvre est une sueur.  J’aime Cocteau. Il reprÊsente tout ce que je ressens, tout ce que je prÊconise, tout ce que j’admire. C’est mon hÊros. En gÊnÊral, tout ce qu’il Êcrit et dessine m’Êvoque, spontanÊment, ÊnormÊment de choses. J’avais lu au sujet de Cocteau les mots d’un historien ou d’un homme de lettres dont le nom m’Êchappe :  Cocteau a crÊÊ son Êpoque en même temps qu’il y vivait.  On t’a dÊcouvert l’annÊe dernière avec J’ai tuÊ ma mère, un premier film très intimiste. En comparaison, Les Amours imaginaires semble plus ouvert et extraverti, brassant au-delà de ton expÊrience propre. En quoi, selon toi, tes deux films se rÊpondent-ils ? tous deux traitent d’amour impossible. Le premier, entre un fils et sa
WWW.MK2.COM
mère, le second, entre un sinistre poseur et deux admirateurs en totale cristallisation amoureuse. La diffÊrence, c’est que dans Les Amours imaginaires, l’intrigue ne s’exprime pas seulement en huis clos familial. L’histoire des deux protagonistes est partagÊe par toutes sortes de tÊmoins et d’intervenants qui viennent appuyer leur propos, Êtayer leurs arguments. Il y a une plus grande pluralitÊ des points de vue, c’est certain. Les Amours imaginaires a ÊtÊ ovationnÊ pendant huit minutes après sa prÊsentation à Cannes, en mai dernier. Lorsque tu es montÊ sur scène avant la projection, tu as sous-entendu que le film portait une certaine ambition gÊnÊrationnelle‌ En fait, ce n’est pas une proposition que, moi, j’amenais. Je ne faisais que remercier thierry FrÊmaux [dÊlÊguÊ gÊnÊral du Festival de Cannes, ndlr] d’avoir suggÊrÊ une telle possibilitÊ. J’ai 21 ans, je ne sais pas trop oÚ je me situe exactement : dans les plus jeunes des cinÊastes de la gÊnÊration X ou dans les plus vieux de la gÊnÊration Y ? Je ne sais pas vraiment si je suis prÊcoce pour les plus vieux ou vieux pour les plus jeunes.
 JE VEUX QUE MON CINÉMA SOIT LE MOINS ÉTIQUETÉ POSSIBLE.  Quels sont tes rÊalisateurs favoris ? Michael Haneke, Wong kar-wai, Gus van Sant, Jean-Luc Godard, François truffaut, Louis Malle, les frères Dardenne, Paul thomas Anderson‌ Le triangle amoureux des Amours imaginaires nous a fait penser à cette phrase de Roland Barthes : La jalousie est une Êquation à trois termes permutables (indÊcidables) : on est toujours jaloux de deux personnes à la fois : je suis jaloux de qui j’aime et de qui l’aime.  C’est extrait de Fragments d’un discours amoureux (1977). Comme Barthes, tu t’intÊresses au langage amoureux, à sa sÊmiotique, sa signalÊtique. dirais-tu que ton film traite moins de l’amour que de la manière dont on l’exprime et l’interprète ?
ÉTÉ 2010
Š Sarah Kahn
LES AMOURS IMAGINAIRES 65
LA SŒUR Dans Les Amours imaginaires, Monia Chokri et Xavier Dolan incarnent deux amis dÊchirÊs par leur commun bÊguin pour un beau blond. Mais le film rÊvèle aussi leur complicitÊ artistique :  Xavier Êcrit très bien pour les femmes. D’autres rÊalisateurs, comme Almodóvar, le font aussi mais c’est rare , nous confiaitelle à Cannes. Cette fille de goÝt partage celui du jeune rÊalisateur pour la mode – elle traverse le film moulÊe dans des robes rÊtros qu’il lui a choisies – et pour les hÊroïnes de la Nouvelle Vague. DJ ÊmÊrite, Monia a enrichi la B.O. d’une sÊlection Êclectique : Dalida, France Gall, The Knife‌ Hormis une apparition dans L’Âge des tÊnèbres de Denys Arcand, on connaissait peu cette brune lippue, plus habituÊe aux rôles de thÊâtre. À 28 ans, Les Amours imaginaires est le film de la rÊvÊlation. Tour à tour impÊriale et sensuelle, elle joue la sÊduction avec une amplitude qui tient peutêtre au contraste thermique entre ses deux contrÊes d’origine, la Tunisie, par son père, et le QuÊbec, par sa mère. Cette annÊe, Monia souffle le chaud et le froid sur le cinÊma quÊbÊcois. _A.D.M. et A.T.
WWW.MK2.COM
Š Sarah Kahn
66 LES AMOURS IMAGINAIRES
LA CONFIdENTE Alors que Xavier Dolan n’Êtait encore qu’un gamin de 20 ans qui voulait rÊaliser son premier film, Suzanne ClÊment en avait aimÊ le scÊnario et l’avait encouragÊ. Il lui avait alors promis un rôle si le projet aboutissait. Dans J’ai tuÊ ma mère, elle incarne donc une professeur de littÊrature pleine de sollicitude pour Hubert (Xavier Dolan), Êlève bizarre et brillant. De confidences ÊchangÊes autour d’un cafÊ naÎt une amitiÊ qui poussera la jeune femme à tout plaquer pour un voyage initiatique‌ Suzanne ClÊment est cÊlèbre au QuÊbec pour ses rôles dans des sÊries tÊlÊvisÊes ou des films locaux. J’ai tuÊ ma mère l’a fait connaÎtre hors des frontières et son pÊriple artistique avec Xavier Dolan ne fait que commencer. Entre MontrÊal, la Floride et le Midwest, elle donnera la rÊplique à Louis Garrel dans le prochain film du rÊalisateur canadien, Laurence Anyways, histoire d’amour contrariÊe entre un homme qui devient femme et sa compagne, qu’elle interprÊtera. _A.D.M.
ÉTÉ 2010
Le sujet des Amours imaginaires est le concept de l’amour, son idÊologie. Et non le vÊritable sentiment chimique, concret, lorsque l’amour se produit. Le film parle d’un rêve, d’un idÊal, d’une romance imaginÊe par un geste, par une parole volÊe, involontaire. Il parle de la rÊaction la plus humaine qui soit : l’envie de tomber amoureux pour l’être soi-même, davantage que pour l’être d’une personne. Fragments d’un discours amoureux, De l’amour de Stendhal, Le Choc amoureux d’Alberoni, Du côtÊ de chez Swann de Proust, sont des œuvres qui m’inspirent ÊnormÊment, et auxquelles mon film veut, du moins espère, rendre hommage.
LA MĂˆRE pATRIE Les trois personnages principaux se distinguent des autres par leur langage soutenu, leur style raffinĂŠ, leur ĂŠrudition. Ce clash culturel ĂŠtait plus prĂŠgnant encore dans J’ai tuĂŠ ma mère, oĂš ton personnage contrastait violement avec celui de la mère. Y a-t-il une intention derrière ce dĂŠcalage ? Le clash entre les niveaux de langue n’est pas pour moi intentionnel, ou utile, ou symbolique. Il n’est qu’instinctif. Je vis au QuĂŠbec, oĂš se cĂ´toient et s’entrechoquent plusieurs univers linguistiques très diffĂŠrents. Ce dĂŠcalage est quelque chose auquel je ne pense pas forcĂŠment lors de l’Êcriture. Mais il ĂŠvoque, je pense, une certaine diversitĂŠ, une forme d’ouverture. En mĂŞme temps, ça n’a rien de trop exclusif. Les AmĂŠricains ont le slang, vous l’argot‌ Nous, le joual [lire notre lexique page 71, ndlr]. Ce ne sont que des variations sur thème. Au fond, tout le monde dit la mĂŞme chose, Ă l’arrivĂŠe. Les Amours imaginaires est incontestablement un film quĂŠbĂŠcois, dans sa langue, son dĂŠcor, mais il s’affranchit de la dimension politique et identitaire qui habite souvent la culture de la Belle province . Qu’est-ce qui, dans tes racines, est source d’inspiration ? Et en quoi, peut-ĂŞtre, t’en dĂŠtaches-tu ? J’admire l’acharnement du QuĂŠbĂŠcois. J’aime son authenticitĂŠ, sa colère, son besoin d’exister, sa singularitĂŠ. Je n’aime pas son snobisme envers l’intellectualisme, les arts, les lettres. Je n’aime pas la façon dont il rĂŠcuse le succès de ses propres artistes Ă l’Êtranger,
WWW.MK2.COM
LES AMOURS IMAGINAIRES 67
Xavier Dolan, Niels Schneider et Monia Chokri dans Les Amours imaginaires
hÊritÊe par atavisme. Je n’aime pas quand il me reproche de m’exprimer comme je m’exprime. Les Amours imaginaires est quÊbÊcois, oui, puisque je le suis. Il est quÊbÊcois sans essayer avec ostentation de l’être, par nature, par instinct. Pourquoi parler de politique ou d’identitÊ ? Ce n’est pas un brÝlot ou un documentaire choc, c’est un film sur le chagrin amoureux ! Je trouve inutile cette revendication qui maquille et alourdit souvent les films de chez moi, parfois truffÊs de ces commentaires subliminaux, ces allusions, ces rÊpliques particulièrement quÊbÊcoises qui localisent et rendent l’œuvre hermÊtique. On peut être quÊbÊcois sans rien faire. Pour ma part, je ne pense ni aux QuÊbÊcois, ni à la France, ni à personne quand j’Êcris. Je pense à moi, pour être honnête. Et il s’avère que moi, à cet instant, je dirais les choses comme ça ou comme ci. Alors je l’Êcris. Et c’est tout. La langue d’une personne, je crois, sera toujours – et ce bien avant d’être la langue d’une collectivitÊ, d’un pays – la langue de ses sentiments, de son passÊ, sa langue propre. Comment tes films sont-ils reçus au QuÊbec ? Avec une brique et un fanal, comme tu le disais il y a quelques mois ? Un peu moins de 0,47 % du QuÊbec est allÊ voir Les Amours imaginaires. Ça ne l’intÊresse peut-être pas. Une minoritÊ artistique est allÊe le voir, de même que des gens un peu partout à travers la province qui aiment ce genre de cinÊma, ou qui souhaitent encourager la production quÊbÊcoise. Je commence à penser – et ma fiertÊ quÊbÊcoise en prend plein la gueule – que mon public est en France, aux États-Unis et à Cannes‌ mais pas chez moi, paradoxalement.
ÉTÉ 2010
d’un point de vue plus intime, comment ta mère a-t-elle rÊagi à la vision de J’ai tuÊ ma mère, oÚ tu mettais en scène assez âprement votre relation ? Elle a vu le film. Elle l’a aimÊ. Mes rapports avec elle sont bons. Sans se confiner à ce qui est strictement nÊcessaire, nous n’avons pas une relation très ÊlaborÊe. C’est une femme que j’aime et que j’admire d’une certaine façon.
hOMME-ORChESTRE Ton nom figure à plusieurs titres sur l’affiche des Amours imaginaires, scÊnariste, rÊalisateur, acteur. Tu es aussi styliste et photographe. d’oÚ vient cette polyvalence ? Au moment de l’Êcriture, tout se dessine. Il m’est difficile de dissocier l’image mentale que j’ai d’un projet et son potentiel rÊsultat. J’aime quand les choses se recoupent et ressemblent à ce que j’avais en tête. Je prÊfère faire les choses moi-même plutôt que de m’obstiner avec un chef de dÊpartement opiniâtre, convaincu que j’ai tout à apprendre de lui vu mon inexpÊrience, ma jeunesse, etc. Je le fais moi-même et puis voilà . Sinon, je ne me fais pas comprendre, les ego sont blessÊs, les gens pleurent, je pleure sans doute aussi, on me traite de tyran et d’enfant terrible et adieu Berthe ! Pour Êviter ça – sans jamais toutefois Êvincer la possibilitÊ d’être sÊduit par les commentaires, les idÊes, les suggestions d’autrui –, j’en fais le plus possible. Ça passera, c’est une phase. Quoique, la grand-mère de mon ami disait la même chose de l’homosexualitÊ de son frère, qui confectionne toujours de jolies Êcharpes d’organza‌ Quel autre mÊtier pourrais-tu faire ? Auteur, ou poète. J’aime Êcrire, de toutes les façons
WWW.MK2.COM
Š Sarah Kahn
68 LES AMOURS IMAGINAIRES
possibles. RÊpliques ou quatrains, c’est une façon à nulle autre pareille de m’affranchir, de survivre à quelque chose d’effrayant et de plus grand que moi.
LA MĂˆRE Dans J’ai tuĂŠ ma mère, Anne Dorval campait une bourgeoise ÂŤ quĂŠtaine Âť – plouc en VF – Ă qui ne manquait aucun attribut : goĂťts de chiotte, gilets ornĂŠs de perles, nĂŠant culturel. Soit l’exact opposĂŠ de son rejeton, incarnĂŠ par Xavier Dolan. Elle excellait dans ce rĂ´le, couronnĂŠ par le Jutra de la meilleure actrice en 2010 (ĂŠquivalent de nos CĂŠsars) mais aussi par le prix d’interprĂŠtation fĂŠminine aux festivals de Palm Springs et de Namur. Hors camĂŠra, un rapport quasi filial lie l’actrice et le rĂŠalisateur. Dolan a offert l’un de ses plus beaux rĂ´les Ă Anne Dorval, qui mène depuis vingt ans une carrière au thÊâtre, au cinĂŠma, Ă la tĂŠlĂŠvision et assure, entre autres, les voix quĂŠbĂŠcoises de Sharon Stone ou Nicole Kidman. En retour, l’actrice a couvĂŠ avec bienveillance les premiers pas du jeune cinĂŠaste. Dans Les Amours imaginaires, elle revient payer une visite Ă son fils, Nicolas (Niels Schneider), sous les traits d’une danseuse de cabaret fĂŞtarde et dĂŠfraĂŽchie. L’actrice est remarquable dans cette scène unique, clin d’œil Ă J’ai tuĂŠ ma mère, oĂš l’on devine que les nouvelles amours de Dolan n’ont pas effacĂŠ celles, maternelles, de l’enfance. _A.D.M.
ÉTÉ 2010
Es-tu un grand lecteur ? Je lisais plus, avant. Je lis encore un peu, mais moins, probablement parce que je passe trop de temps à Êcrire. par la fraÎcheur et la spontanÊitÊ qui s’en dÊgagent, Les Amours imaginaires donne le sentiment d’avoir ÊtÊ Êcrit et tournÊ très rapidement. Comment s’est dÊroulÊ le tournage ? On ne peut pas dire qu’on a cruellement manquÊ de temps. La plupart des films indÊpendants ne disposent guère de beaucoup de temps et d’argent, de toute façon. En un sens, cette Êconomie a dÊbloquÊ et dÊveloppÊ notre crÊativitÊ, favorisant une forme de dÊbrouillardise qui allège le film d’une lourdeur trop calculÊe.
 LES AMÉRICAINS ONT LE SLANG, VOUS L'ARGOT‌ NOUS, LE JOUAL.  Tu emploies deux procÊdÊs visuels dont se mÊfient beaucoup de rÊalisateurs : les ralentis et les zooms. Loin d’être gratuites, ces ruptures formelles servent et amplifient les dialectiques au cœur de tes films (raffinement/trivialitÊ, amour/amitiÊ, introversion/extraversion, jeunes/parents, local/universel). d’oÚ vient ton goÝt pour ces figures de styles ? J’aime la musicalitÊ avec laquelle Wong kar-wai utilise les ralentis. Quant aux zooms, je me suis inspirÊ des sÊquences  documentaires  de certains films de Gus van Sant. Outre une rÊelle rapiditÊ d’exÊcution, le zoom accentue le côtÊ très rÊaliste, très interview, des scènes oÚ il est employÊ.
BANdE À pART On retrouve certains acteurs de J’ai tuÊ ma mère dans ton second film (Anne dorval, Niels Schneider) et l’on en dÊcouvre de nouveaux, comme Monia Chokri, avec qui tu sembles très ami. peux-tu nous la prÊsenter ?
WWW.MK2.COM
ÂŤ JE PRÉFĂˆRE FAIRE LES CHOSES MOI-MĂŠME PLUTĂ”T QUE DE M’OBSTINER AVEC UN CHEF DE DÉPARTEMENT OPINIĂ‚TRE. Âť C’est une actrice audacieuse, adepte du dĂŠtail, de l’information prĂŠcise. Elle a un jeu très caractĂŠriel et personnel, en mĂŞme temps, je pense qu’elle pourrait s’adapter Ă tous les rĂ´les. Ce que j’adore avec Monia, c’est qu’elle comprend rapidement ce qu’on veut mais propose un jeu imaginatif, crĂŠatif, qui nous emmène vers des chemins plus intĂŠressants, moins attendus. Je pense que c’est ce qui fait sa force. Elle est très belle aussi. Elle a cette beautĂŠ dĂŠcoupĂŠe et impĂŠriale. Pour moi, le talent d’acteur, ce n’est pas juste l’instinct. C’est l’Êrudition, la culture qui vient nourrir la proposition et la suggestion. Et comme Monia est très cultivĂŠe, toute fĂŠbrile de partager ses connaissances, son jeu est rĂŠfĂŠrentiel sans jamais ĂŞtre plagiaire. Non seulement elle crĂŠe, mais elle rend hommage, aussi. As-tu le sentiment de travailler en bande ? Je travaille toujours avec des gens diffĂŠrents. Plus de la moitiĂŠ des acteurs des Amours imaginaires n’Êtait pas dans J’ai tuĂŠ ma mère. Je retravaille avec les gens que j’aime et qui sont bons, tout simplement. Ils l’Êtaient, ils le sont, et ils le seront, bons. Je retravaille avec eux par pur plaisir et recherche de qualitĂŠ, et non pour crĂŠer un ghetto ou une famille. Louis Garrel fait une apparition Ă la fin des Amours imaginaires. Il sera le personnage principal de ton prochain film, Laurence Anyways. pourquoi Louis ? Louis, c’est un acteur que j’apprĂŠcie ĂŠnormĂŠment. Je lui ai demandĂŠ de venir faire ce clin d’œil dans Les Amours imaginaires parce que pour moi, il ressemble de manière frappante Ă l’un des comĂŠdiens du film, Niels, et parce que j’avais envie de cette aura‌ Il exulte de Louis une sorte de force mystĂŠrieuse, quelque chose d’un peu surannĂŠ, d’une autre ĂŠpoque, comme un poète rimbaldien
ÉTÉ 2010
Š Sarah Kahn
LES AMOURS IMAGINAIRES 69
L'IdOLE  On tombe amoureux d’une idÊe, pas d’une personne , confie Xavier Dolan au sujet de la fascination qu’exerce le personnage incarnÊ par Niels Schneider dans Les Amours imaginaires. Mi-ange, mi-dÊmon, Nicolas n’existe que dans le dÊsir que projettent sur lui ses prÊtendants, hommes ou femmes. Il est un reflet, une figure illusoire, un Êcran blanc. C’est d’ailleurs au cinÊma, à l’occasion d’une projection, que se sont rencontrÊs Xavier Dolan et Niels Schneider. Très vite, le jeune rÊalisateur lui propose un rôle dans son premier film, J’ai tuÊ ma mère, oÚ Niels campe dÊjà un amant chimÊrique, blond solaire et mystÊrieux avec qui le hÊros Êchange un baiser sous l’influence de psychotropes. QuÊbÊcois d’adoption (il est arrivÊ à MontrÊal à 11 ans), issu d’une famille de comÊdiens, Niels s’installera à Paris à la rentrÊe, oÚ il est nÊ il y a 23 ans, mais gardera un pied-à -terre dans la Belle Province. Il compte bien y poursuivre sa double passion pour le thÊâtre et le cinÊma – manière de rappeler que, objet de tous les fantasmes, il est aussi, et surtout, un sujet dÊsirant. _J.R. et A.T.
WWW.MK2.COM
Š Sarah Kahn
70 LES AMOURS IMAGINAIRES
LE COUSIN MAThEUX ÉlevÊe Êtait la probabilitÊ, au sens mathÊmatique, de voir Louis Garrel et Xavier Dolan collaborer sur un même film. Leur gÊomÊtrie concorde : goÝt des triangles amoureux, parfois agrandis en rectangles, voire en pentagones – Louis s’Êtant fait une spÊcialitÊ des figures sentimentales à plusieurs côtÊs, des Chansons d’amour (HonorÊ) à The Dreamers (Bertolucci), du Mariage à trois (Doillon) à La Frontière de l’aube (Garrel père). Quant à l’arithmÊtique du Parisien, elle s’additionne avec fluiditÊ à celle du MontrÊalais : à la fois acteurs et rÊalisateurs (le premier moyen mÊtrage de Louis, l’ÊlÊgant Petit Tailleur, sortira le 6 octobre), Garrel et Dolan affectionnent les multiples de deux, solutionnant avec grâce les dialectiques les plus ardues (amour/amitiÊ, lourd/lÊger, comÊdie/tragÊdie, masculin/fÊminin, etc.). Il est donc logique de voir le beau brun Êclairer les derniers plans des Amours imaginaires, en attendant sa prestation de transsexuel dans Laurence Anyways, le prochain Dolan. Qui a dit que les maths n’Êtaient pas excitantes ? _A.T.
 LA DIFFÉRENCE EST UNE RICHESSE DE L’ÊTRE, UNE FORME DE BÉNÉDICTION.  catapultÊ dans la modernitÊ, avec son goÝt des belles choses, son langage, son articulation un peu archaïque, son faciès tout à fait ÊlÊgant et sculptÊ. Et en même temps, je trouvais ça bien que mes personnages marchent comme ça, avec fiertÊ, vers le recommencement de leurs dÊboires. Et que moi, symboliquement, je puisse marcher vers un acteur avec qui je vais travailler dans le futur, marcher vers mon avenir. peux-tu nous parler de ce prochain film ? Laurence Anyways est un drame poÊtique sur les choix que l’on fait au dÊtriment de l’amour. Un homme et une femme filent le parfait amour, jusqu’à ce qu’il dÊcide de devenir une femme. Et elle dÊcide de le suivre. Le film commence dans les annÊes 1990 et leur histoire dure dix ans. Ils se trouvent, se perdent, se rÊinventent, prennent la fuite, se quittent, se retrouvent, se font du bien‌ Le tournage se dÊroulera à MontrÊal, à trois-Rivières, à Miami et dans le Midwest des États-Unis. Encore un film sur la diffÊrence, donc. pourquoi ce thème te travaille-t-il autant ? Parce que la sociÊtÊ moderne se dÊfinit par son rapport à la diffÊrence. En gÊnÊral, les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas, ne partagent pas, ou ne comprennent pas. Je ne parle pas vraiment par empirisme, Êtant assez jeune. Et pourtant, j’ai dÊjà ÊtÊ confrontÊ à plusieurs situations d’ostracisme‌ Les gens diffÊrents m’intÊressent parce qu’ils reprÊsentent une occasion toujours renouvelÊe de varier et d’Êtoffer les perceptions, les analyses, les goÝts. Pour moi, la diffÊrence est une richesse de l’être, une forme de bÊnÊdiction. Elle permet à qui la dÊtient involontairement, ou à qui la cultive, d’Êchapper à la ressemblance collective qui unit tant de gens dans l’uniformitÊ. D’ailleurs, sans cette diffÊrence pourtant honnie, cette marge, il devient difficile de savoir ce qu’est la norme, et le citoyen lambda n’a guère plus de repères‌ Les Amours imaginaires // Un film de Xavier Dolan // Avec Xavier Dolan, Mona Chokri‌ Distribution : MK2 Diffusion // Canada, 2010, 1h42 // Sortie le 29 septembre
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
LANGUE IMAGINAIRE Les Amours imaginaires fourmille de dialogues en  joual , sorte d’argot quÊbÊcois biscornu, mÊlange d’anglicismes et de vieux français. À l’usage des non-initiÊs, voici un lexique des idiomes les plus savoureux du film, traduits par nos soins. _Par Anne de Malleray
JOUAL
TRADUCTION
J’lui ai dit de dire que j’m’appelle Cindy Rosenberg pour pas qu’il sache que j’suis une stalkeuse. 
 Je lui ai dit de dire que je m’appelle Marie Dupont pour ne pas qu’il sache que je l’espionne. 
 T’as vraiment des yeux dÊbiles. 
 T’as de beaux yeux. [Note de la traductrice : c’est peut-être ce qu’aurait dit le Jean Gabin quÊbÊcois.]
ÂŤ Est-ce que tu penses Ă des vedettes de cinĂŠma des fois quand tu fourres ? Âť
ÂŤ Est-ce que tu penses Ă des vedettes de cinĂŠma parfois quand tu baises ? Âť
ÂŤ On a splitĂŠ un banane frite puis on a partagĂŠ le bill. Âť
 On s’est partagÊ une banane frite et on a divisÊ l’addition. 
 Ça commence à faire ben du cash qu’on crisse par les fenêtres. 
 Ça fait beaucoup d’argent jetÊ par les fenêtres. 
C’est son père qui loue l’endroit. Un maudit beau palace. C’est que ça se prend pas pour un Seven Up ça, ostie. 
C’est son père qui loue l’endroit, un super bel appart. Il ne se prend vraiment pas pour de la merde.  [Ndt : aucun des QuÊbÊcois que nous avons interrogÊs ne voit le rapport avec le Seven Up‌]
ÂŤ Et lĂ , la peau de la face y est tombĂŠe Ă terre. Âť
ÂŤ Et lĂ , elle est restĂŠe bouche bĂŠe. Âť
ÂŤ Et puis il y a eu NoĂŤl avec tous les cousins et leurs ostie de blondes ĂŠpaisses. Âť
ÂŤ Et puis NoĂŤl est arrivĂŠ, avec tous les cousins et leurs copines chiantes. Âť
 À un moment, j’ai pesÊ sur send. Pas le temps de laisser mÝrir les bananes, à un moment ça va faire. 
 À un moment, j’ai cliquÊ sur  envoi . J’ai pas que ça à faire, y en a marre à la fin.  [Ndt :  Laisser mÝrir les bananes  ne serait pas vraiment une expression quÊbÊcoise type, ce qui n’est qu’à moitiÊ surprenant. Selon l’un des QuÊbÊcois qui nous a aidÊs pour la traduction,  quand on n’arrive pas à trouver la bonne expression, on en invente une .]
 Quand je suis au fond du calice de baril, c’est bien tout ce qu’il me reste, m’allumer une cigarette et fermer ma gueule. 
Quand je suis au fond du trou, tout ce qu’il me reste, c’est m’allumer une cigarette et fermer ma gueule. 
 Dis-moi pas que c’est une question de mood. On se fout que le facteur humidex soit dans le tapis ou que la lune se dirige en verseau. Voyons don’, mange d’la marde. 
 Ne me dis pas que c’est une question d’humeur. Arrête ton char.  [Ndt : le facteur humidex est un indice utilisÊ par les mÊtÊorologistes canadiens pour mesurer l’humiditÊ.]
 Oh boy, ça fait vingt ans que je suis coiffeuse. J’en ai crêpÊ en masse des cuillères vides. 
 Oh tu sais, ça fait vingt ans que je suis coiffeuse. J’en ai coiffÊ plein, des cuillères vides.  [Ndt :  cuillères vides  n’est pas une expression quÊbÊcoise. La coiffeuse rÊpond à Marie qui affirme qu’une des meilleures choses, en amour, c’est de dormir l’un contre l’autre, en cuillère. Idem en France.]
Š Per Arnesen
SUBMARINO 73
PAS SHOW DU TOUT RÊvÊlation de Submarino, le dernier Thomas Vinterberg, JAKOB CEdERGREN incarne son personnage avec une puissance glaçante, à l’opposÊ du charme tranquille qu’il dÊgage au naturel. Comment le sÊduire (avec un scÊnario), le rassurer (sur son jeu)‌ Le comÊdien danois nous livre quelques lignes de son mode d’emploi. Portrait d’un acteur allergique aux paillettes.
la sortie de l’auditorium de Setúbal – 40 km au sud de Lisbonne –, un groupe de filles n’a d’yeux que pour le grand blond qui s’Êloigne une statuette à la main. InvitÊ du 26e Festróia (le festival international du film de la presqu’Île portugaise de tróia) pour prÊsenter le dernier film de thomas vinterberg (Festen, It’s All About Love ‌) dont il incarne le personnage principal, Jakob Cedergren vient de recevoir un prix du public largement mÊritÊ. Dans Submarino, il est Nick, un trentenaire paumÊ rattrapÊ par une pulsion de responsabilitÊ lorsqu’il recroise son petit frère, encore plus larguÊ que lui. Un rôle qu’il habite avec une telle puissance que beaucoup dans l’assistance comprirent carrÊment qu’il venait d’être sacrÊ meilleur acteur. Peu importe puisqu’on se dit qu’une rÊcompense de plus ou de moins, dÊcernÊe par un festival plutôt confidentiel, ne lui fera ni chaud ni froid. Erreur.
Ă€
Š Per Arnesen
_Par Pamela Messi
Un film de Thomas Vinterberg Avec Jakob Cedergren, Peter Plaugborg‌ Distribution : MK2 Diffusion Danemark, Suède, 2010, 1h45 Sortie le 1er septembre
SUBTIL Pour commencer, Jakob prÊfère les petites rencontres pour cinÊphiles à tous ces marchÊs du film pour  pseudo-VIP, indispensables d’un point de vue marketing , certes, mais dont il se lasse très vite, à moins d’y dÊnicher les bons spots.  Un peu comme quand tu te rends dans une Ênorme soirÊe : l’ambiance est toujours meilleure dans la cuisine.  Ici, au bord de l’Atlantique, il se sent bien,
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
Š Per Arnesen
74 SUBMARINO
 comme chez des parents ÊloignÊs , à qui il viendrait rendre visite dÊjà pour la quatrième fois. Et puis cette annÊe est un peu spÊciale : Submarino n’est pas qu’une ligne sur son Cv mais un film dont il est  particulièrement fier. J’ai su que je voulais faire ce film à l’instant oÚ Thomas m’en a touchÊ un mot. Il m’a appelÊ alors que j’Êtais en vacances, pour me parler d’un livre de Jonas T. Bengtsson qu’il venait de lire et voulait adapter. J’ai senti que ce projet lui inspirait une Ênergie nouvelle.  Les deux n’avaient encore jamais travaillÊ ensemble, mais l’acteur rêvait depuis longtemps d’approcher son aÎnÊ. Il a ces deux qualitÊs indispensables pour être vraiment talentueux : le sens de l’humour et la musicalitÊ, explique Cedergren. Et le fait qu’il se soit essayÊ à autant de choses diffÊrentes prouve son
sation. tant mieux, c’Êtait l’idÊe. vinterberg et son scÊnariste, tobias Lindholm, tenaient à  restituer l’authenticitÊ du roman de Bengtsson  qui ne relève pas vraiment du conte de fÊes (Submarino – sousmarin – Êvoque une technique de torture par noyade) et n’offre pas une image très rutilante du pays rÊgulièrement estampillÊ  le plus heureux du monde .  D’oÚ l’importance du travail de recherche prÊalable, ajoute l’acteur. Même quand tu penses avoir une idÊe très claire de l’environnement dans lequel tu es censÊ t’inscrire, la rÊalitÊ te rattrape toujours et ce sont tous ces petits dÊtails auxquels tu n’aurais jamais pensÊ, grappillÊs en allant sur place et en rencontrant des gens, qui viennent nuancer ton jeu et l’image que tu t’Êtais faite de ton personnage. Ensuite, sur le tournage, je prÊfère qu’on ne me donne
JAkOB PRÉFèRE LES PEtItES RENCONtRES POUR CINÉPHILES À tOUS CES MARCHÉS DU FILM POUR  PSEUDO-VIP . courage et sa curiositÊ. Tu as dÊjà eu cette impression très rare de connaÎtre une chanson alors que tu l’entends pour la première fois ? Chacun de ses films me fait cet effet-là .  SUBMERSION Retour sur la côte portugaise. Les admiratrices du grand blond avec une chemise noire n’en reviennent toujours pas qu’il ait l’air si sympa dans la vraie vie.  Nous non plus. Jakob a les cheveux coupÊs courts, la barbe à peu près rasÊe, une gueule de gendre idÊal et un regard azur qui inspire confiance. Nick avait une coupe de bÝcheron, des tatouages de taulard, un look de videur mal lunÊ et le regard acier du type qui peut dÊfoncer une porte juste pour se calmer les nerfs. Pas le genre à qui on offrirait un verre de moscatel pour engager la conver-
ÉTÉ 2010
pas trop d’informations entre deux prises, ça risque de me dÊsorienter. Mieux vaut me traiter comme un boxeur sur le ring : entendre trop de consignes de l’entraÎneur engourdit les sens et empêche de faire ses propres choix. Et vinterberg? C’est un rÊalisateur très gÊnÊreux, qui donne à ses acteurs tout l’amour et toute la confiance dont ils ont besoin, ce qui leur permet de se dÊpasser.  Sous la carrure de viking bat donc encore un cœur d’artiste qui doute et aime être rassurÊ. Quinze ans après ses dÊbuts sur les planches et les plateaux de tournage et malgrÊ une Êtiquette très convoitÊe de jeune talent europÊen rÊcoltÊe au Festival de Berlin 2005, ainsi qu’un premier passage remarquÊ à Cannes avec le bouleversant Dark Horse de Dagur kåri (Un Certain Regard), Jakob Cedergren n’a toujours pas la grosse tête.
WWW.MK2.COM
Š Jan Buus / Kenneth Nguyen
SUBMARINO 75
ÂŤ SUR LE TOURNAGE, MIEUX VAUT ME TRAITER COMME UN BOXEUR SUR LE RING. Âť SUBJECTIF C’est en suivant The Life and Adventures of Nicholas Nickleby, minisĂŠrie anglaise rĂŠalisĂŠe par trevor Nunn, que Jakob, 12 ans, dĂŠcouvre le jeu d’acteur et envisage d’en faire son mĂŠtier. Plus tard il dĂŠlaisse un peu les films d’aventure et se passionne pour le cinĂŠma amĂŠricain des annĂŠes 1970 – Friedkin, Lumet, Scorsese, Cassavetes, Spielberg‌ – avant de s’intĂŠresser aux rĂŠalisateurs europĂŠens puis, très rĂŠcemment, asiatiques. Quant au cinĂŠma français, il en parle avec la prudence de ceux qui en savent bien plus qu’ils ne veulent l’admettre. ÂŤ Je ne peux pas dire que je connais le cinĂŠma français puisque vous produisez environ 250 films par an et que trop peu arrivent jusqu’au Danemark Âť, prĂŠvient-il, avant de citer tout de mĂŞme quelques noms qui ont retenu son attention ces derniers temps : Gaspar NoĂŠ, Laurent Cantet ou Jean-Pierre Jeunet. Mais surtout, il admire le ÂŤ pouvoir d’attraction de la scène artistique française, qui donne envie Ă des rĂŠalisateurs, parmi les meilleurs au monde – Haneke ou Kieslowski par exemple –, de venir rĂŠaliser de vĂŠritables ‘‘films français’’. Âť SUBCONTINENT Essayons Ă notre tour de ne pas rĂŠduire le cinĂŠma danois Ă Dreyer, ni au Dogme, le mouvement prorĂŠaliste initiĂŠ en 1995 par Lars von trier et thomas vinterberg en rĂŠaction au formatage des superproductions anglo-saxonnes. On l’a dit, on aimait dĂŠjĂ Dagur kĂĄri, mais aussi Pernille Fischer Christensen (Une famille, prĂŠsentĂŠ cette annĂŠe Ă Berlin), Christoffer Boe (Reconstruction, CamĂŠra d’or 2003) et Bille August (Palme d’or 1988 pour Pelle le ConquĂŠrant). Il nous conseille de jeter aussi un Ĺ“il aux films de Simon Staho (Au cĹ“ur du paradis), Heidi Maria Faisst (The Blessing) et bien sĂťr Henrik Ruben Genz dont le dernier long mĂŠtrage, Terribly Happy, devrait bientĂ´t arriver sur nos ĂŠcrans. Cedergren y incarne un policier de Copenhague mutĂŠ dans un village du fin fond du Danemark. ÂŤ Une tragĂŠdie absurde et drĂ´le Âť, rĂŠsume le comĂŠdien, qui reste de marbre quand on lui ĂŠvoque le plutĂ´t bon accueil du film par la critique internationale. SuĂŠdois grandi au Danemark, ÂŤ gitan Âť dans l’âme, il ne serait pas contre une carrière Ă l’Êtranger. ÂŤCopenhague est ma base, mais j’ai dĂŠjĂ vĂŠcu dans pas mal de pays et les frontières, ce n’est pas du tout mon truc‌ On le trouve si rĂŠflĂŠchi dans sa manière d’aborder le cinĂŠma – et la vie en gĂŠnĂŠral – qu’on l’imaginerait bien passer derrière la camĂŠra. ÂŤJ’y pense‌, admetil. Inutile d’essayer d’en savoir plus. Pour l’instant.
ÉTÉ 2010
pETITS pOUCETS Rien n’est jamais noir ou blanc chez Thomas Vinterberg, maÎtre dans l’art de susciter l’empathie pour des brutes mises à nu, comme dans ce Submarino, drame familial Êprouvant mais brillant. On croirait un conte d’Andersen qui a mal tournÊ. Il Êtait une fois deux frères oubliÊs des bonnes fÊes autant que de leur mère, partie boire et coucher dans tous les squats de Copenhague, leur lÊguant un irrÊpressible penchant pour l’alcool et la drogue. Devenus adultes, ils se perdent de vue, histoire de mieux gâcher leur vie chacun de leur côtÊ, jusqu’à ce que leurs chemins se recroisent et que l’aÎnÊ, Nick (Jakob Cedergren) constate à quel point son petit frère (Peter Plaugborg), devenu père, s’en sort encore plus mal que lui. Impitoyable portrait d’une sociÊtÊ avare de secondes chances, Submarino est conçu comme une chasse à l’espoir oÚ chaque personnage doit fouiller sous les coups, les bleus et les canettes de bière pour trouver sa part d’humanitÊ. Le film s’ouvre et se referme sur l’enfance des deux frères, comme si la vie d’adulte n’Êtait qu’une parenthèse avant un nouveau point de dÊpart. _P.M.
WWW.MK2.COM
© D.R.
« CETTE PALME D’OR EST UNE INVITATION POUR TOUS LES CINÉASTES À FAIRE DES FILMS PERSONNELS. »
ONCLE BOONMEE 77
ÉLOGE DES FANTÔMES Palme d’or 2010, Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antÊrieures) est une œuvre inouïe, qui rappelle que les plus beaux films sont toujours affaire de fantômes. Tout juste rentrÊ de Cannes, ApIChATpONG WEERASEThAKUL nous a reçus à Paris, dans les locaux de ses coproducteurs français d’Anna Sanders films. _Propos recueillis par JÊrôme Momcilovic
ncle Boonmee est d’abord la conclusion d’un projet au long cours, l’exposition Primitive, que vous prÊsentiez l’an dernier à paris. Quelle est l’origine de ce projet ? C’est une accumulation d’expÊriences. J’ai d’abord ÊtÊ marquÊ par la lecture de Waiting for the Macaws de terry Glavin, qui parle de diffÊrents types d’extinction : des espèces, du langage, de la culture et des dieux. J’ai rÊalisÊ que c’Êtait la situation du nord-est de la thaïlande, oÚ j’ai grandi. Par exemple, dans la province de Chiang Mai oÚ je vis aujourd’hui, les très nombreux immigrÊs birmans ne sont plus autorisÊs à cÊlÊbrer leurs rites – principalement parce que le gouvernement thaïlandais interdit les rassemblements de plus de vingt personnes. La disparition de cultures, de voix uniques, m’a touchÊ, et j’ai voulu travailler autour de cette rÊgion dont la mÊmoire s’Êteint petit à petit. Mon Êquipe et moi avons entrepris un long voyage dans l’optique d’un projet artistique qui allait devenir Primitive. Longeant le MÊkong, nous sommes passÊs notamment par un village qui s’appelle Nabua et qui m’a fascinÊ. Politiquement, son histoire est très importante : dans les annÊes 1960 et 1970, il fut un symbole de la rÊsistance du mouvement communiste et de sa rÊpression par l’armÊe. De nombreux
O ÉTÉ 2010
Un film d’Apichatpong Weerasethakul Avec Thanapat Saisaymar, Jenjira Pongpas‌ Distribution : Pyramide France, Royaume-Uni, Espagne, Thaïlande, Allemagne, 2010, 1h53 Sortie le 1er septembre
WWW.MK2.COM
78 ONCLE BOONMEE
souvenirs, douloureux, y sont enfouis. Cette histoire est devenue un background à partir duquel nous avons expÊrimentÊ et dÊveloppÊ une sorte de performance qui est devenue Primitive. Mais je voulais complÊter ce travail en rÊalisant un film de fiction. d’oÚ vient l’histoire de l’oncle Boonmee ? D’un autre livre, Êcrit par un moine à qui cet homme, Boonmee, avait racontÊ qu’il Êtait capable de se rappeler ses vies antÊrieures grâce à la mÊditation, et qu’il se voyait sous la forme d’un buffle, ou parfois d’un simple esprit. Boonmee frÊquentait un temple près de chez moi ; il est mort aujourd’hui, mais j’ai rencontrÊ ses proches, ses fils. Son histoire Êtait une autre manière d’Êvoquer l’idÊe de la mÊmoire de cette rÊgion. Et puis, petit à petit, j’ai inclus beaucoup de choses personnelles, ma propre mÊmoire est venue se fondre dans celle de la rÊgion et de Boonmee : des souvenirs de mon père, des endroits oÚ j’ai grandi, et de films que j’avais vus, enfant‌ Cette rÊgion, qui donnait dÊjà leur cadre à vos prÊcÊdents films, semble indissociable de votre travail : une matière pour votre inspiration, plus qu’un simple dÊcor. pourriez-vous tourner dans un endroit totalement diffÊrent ? Oui, bien sÝr. C’est l’expÊrience qui compte, la connexion qui se fait entre un paysage et moi. Mais c’est vrai que j’ai une attirance très forte pour la nature, parce que c’est quelque chose de très universel. Mes films sont très simples, de ce point de vue. Quelle fut votre rÊaction, au moment de recevoir la palme d’or, en mai dernier ? Ce fut un choc, et une grande joie. C’est le travail de toute une Êquipe qui a ÊtÊ rÊcompensÊ, nous avons tous tellement travaillÊ. La dÊcision du jury m’a surpris parce que Oncle Boonmee est un petit film, sans star ni grand sujet politique : ce prix est un
ÉTÉ 2010
vÊritable encouragement et une invitation pour tous les cinÊastes à faire des films personnels. d’oÚ vient l’histoire de la princesse et du poissonchat ? Je l’ai Êcrite, mais elle m’a ÊtÊ inspirÊe par mes souvenirs de programmes en costumes typiques de la tÊlÊvision thaïlandaise, des contes fantastiques peuplÊs d’animaux parlants, de rois et de princesses, de magie‌ Ces films vous ont-ils aussi donnÊ l’idÊe du fantôme de la femme de Boonmee, ou de l’Êtrange crÊature mi-homme mi-singe qu’est devenu son fils ? Oui. Et je me suis aussi beaucoup inspirÊ des comic books avec lesquels j’ai grandi et qui mettaient en scène des fantômes et des monstres. La manière dont vous faites apparaÎtre ces fantômes est très surprenante : ils ne suscitent aucun effroi chez les personnages, tout juste un sursaut, une lÊgère surprise‌ C’Êtait quelque chose de très naturel pour moi. Dans la culture thaïlandaise, les fantômes sont intÊgrÊs au monde des vivants, demeurant parfois avec eux‌ J’adore cette idÊe d’intÊgration des fantômes aux côtÊs des gens‌ Ce mode d’apparition rappelle aussi un cinÊma ancien, comme pour la femme de Boonmee, par exemple : un effet très simple, une transparence qui renvoie à certains films muets. Je tenais à utiliser ces vieux procÊdÊs. Dans ce cas prÊcis, nous avons eu recours à une immense glace et à un système de reflet assez complexe à mettre en œuvre, et qui, surtout, coÝte beaucoup plus cher que les effets numÊriques. Nous aurions pu utiliser un fond bleu, puisque le film, même s’il a ÊtÊ tournÊ en 16 mm, a de toute façon ÊtÊ digitalisÊ. Cela aurait
WWW.MK2.COM
ONCLE BOONMEE 79
 JE ME SUIS INSPIRÉ DES COMIC BOOKS AVEC LESQUELS J’AI GRANDI.  ÊtÊ plus simple et surtout, même si ça paraÎt paradoxal, moins cher‌ Mais je voulais retrouver ces vieilles techniques, qui sont celles des vieux films de fantômes hollywoodiens. La femme de Boonmee semble rÊapparaÎtre pour le soigner, pour l’accompagner vers sa mort. par exemple dans une très belle scène oÚ elle le prend simplement dans ses bras, sur le lit oÚ lui sont prodiguÊs les soins. Oncle Boonmee parle de naissance et de mort, et quand sa femme apparaÎt à l’oncle, c’est pour le prÊparer à rejoindre une autre dimension. Elle reprÊsente l’idÊe de la transmigration des âmes. Dans cette scène oÚ il la prend dans ses bras, elle est le fruit de son imagination. D’ailleurs, elle lui dit que les fantômes comme elle ne sont pas attachÊs aux lieux, mais aux gens, aux vivants. Elle n’existe que parce qu’il y a Boonmee, elle existe pour lui. Pour le dire simplement, elle reprÊsente sa mÊmoire. Elle mourra, en tant que fantôme, avec lui. Le moine avec qui se clôt le film est interprÊtÊ par un acteur qui jouait dans votre prÊcÊdent film, Syndrome and a Century. peut-on considÊrer qu’il s’agit du même personnage ? Oui. RÊincarnÊ ! dans une scène très belle, celui-ci se dÊfait de son vêtement traditionnel pour prendre une douche, très simplement. On retrouve là , sur un plan plus concret, une certaine tendance de vos films à  dÊshabiller  les moines : dans Syndromes and a Century, le personnage expliquait qu’il aurait rêvÊ d’être dJ‌ La thaïlande est fondÊe sur un système de classes très rigide, c’est une sociÊtÊ très segmentÊe et la libertÊ d’expression y est une des plus contraintes au monde [Syndromes and a Century y fut censurÊ, ndlr]. Je pense que les films doivent reprÊsenter l’humanitÊ comme une unitÊ, et pas en fragments. Ces scènes sont une manière de se dÊvêtir des conventions, de figurer l’humain avant tout. Quand il se dÊshabille, le moine quitte une vie et se glisse dans une autre. L’oncle Boonmee a eu des vies multiples, mais tout le monde, y compris vous et moi, avons plusieurs vies en une.
ÉTÉ 2010
EFFET BUFFLE D’une irrÊelle beautÊ, Oncle Boonmee est pareil aux fantômes dont il est peuplÊ : hypnotique, Êtrange et limpide à la fois. Pour qui connaÎt le cinÊma d’Apichatpong Weerasethakul, pour qui fut sensible à l’envoÝtante ÊtrangetÊ de Tropical Malady (qui remporta, dÊjà , un Prix du Jury à Cannes), l’entame hypnotique d’Oncle Boonmee ne sera pas tout à fait une surprise. Dans la jungle moite de la Thaïlande du Nord, un buffle erre puis finalement se fige, vous regarde, et bientôt c’est une autre crÊature qui vous fixe de ses yeux rouges. Dans cette jungle enivrante qui bruisse de mille vies, se loge un pays de cinÊma sublime, peuplÊ de spectres amicaux, de princesses et de poissons-chats. ContrÊe Êtrange et pourtant d’une Êvidence absolue, oÚ l’oncle Boonmee, au seuil de la mort, est rejoint par les fantômes de ceux qui l’ont aimÊ. L’homme-singe aux yeux luminescents est-il son fils ? Le buffle serait-il Boonmee lui-même ? De l’une à l’autre de ces visions enchanteresses, une seule hypothèse, au fond, trouve une constante confirmation : la Palme d’or 2010 est une vÊritable splendeur. _J.M.
WWW.MK2.COM
LE
BOUDOIR
81
ÉBATS, DÉBATS, CABAS : LA CULTURE DE CHAMBRE A TROUVÉ SON ANTRE
 ON NE PEUT PAS SE CONTENTER D’ÊTRE GRILLÉ PAR LE SOLEIL EN ATTENDANT DE TRÉPASSER.  BERtRAND BELIN
Š Philippe Lebruman
P.80
DVD-THĂˆQUE
78/79
CD-THĂˆQUE
80/81
ROBERT KRAMER, l’homme rÊvoltÊ
BERTRANd BELIN, ÂŤ parler moins, dire plus Âť
BIBLIOTHĂˆQUE
82/83
BD-THĂˆQUE
84/85
À l’ombre des sorties en poche‌
L’ASSOCIATION, vingt ans, toutes ses dents
LUDOTHĂˆQUE La voie lactĂŠe de SUPER MARIO GALAXY 2
ÉTÉ 2010
86/87 WWW.MK2.COM
82 LE BOUDOIR /// dVd-ThĂˆQUE
Laure Duthilleul dans Walk the Walk
FILM ACTIVISME L’HOMME RÉVOLTÉ Quatre jalons majeurs de l’œuvre de ROBERT KRAMER sont enfin ÊditÊs en DVD. Retour sur l’un des plus grands orfèvres du cinÊma militant. _Par Yann François
est le chef-d’œuvre d’une contre-culture en mue, oÚ Si Robert Kramer a dessinÊ les contours d’une contrecertitudes et chimères se confondent tragiquement. culture U.S., il n’en reste pas moins l’un de ses artisans AnnÊes 1980 : le cinÊaste s’est exilÊ en Europe. Le disles plus modestes. Reporter de profession, il prÊfère cours politique s’Êrode devant une Êpiphanie : le rapidement le cinÊma pour faire Êtat du grondement cinÊma n’est plus une arme mais un outil gÊnÊrationnel des jeunesses gauchistes qu’il côtoie depuis l’adolescence. La sortie essentiel aux questionnements existentiels. en deux coffrets de quatre de ses films perLe voyage, l’errance, deviennent les obsesmet de dresser un arc assez poignant d’une sions nouvelles d’un artiste apatride. Doc’s œuvre protÊiforme. Ice, qu’il rÊalise avec Kingdom (1987) signe les douloureuses peu de moyens en 1969, est un premier retrouvailles, dans un Lisbonne fantôme, jalon. Le scÊnario n’est que pure uchronie : d’un mÊdecin alcoolique exilÊ, Doc (peralors que les États-Unis sont en guerre contre sonnage que kramer rÊemploiera dans un le Mexique, des poches de rÊsistance armÊe autre chef-d’œuvre : Route One USA) et de naissent dans tout le pays. Le but ? Filmer son fils (vincent Gallo), en mal de paternitÊ. l’instinct de rÊvolte d’une jeunesse en sÊcesDans Walk the Walk (1995), magnifique essai sion. très vite, kramer impose un style, qui Walk the Walk/Doc’s philosophique, trois personnages (père, Kingdom (Why Not, deviendra mantra de mise en scène : une dÊjà disponible) mère, fille) dÊcident de sillonner le monde base documentaire (camÊra embarquÊe, Milestones/Ice (Capricci, sÊparÊment. Les idÊes en germe dans Doc’s disponible fin aoÝt) improvisations), contaminÊe par de purs Kingdom trouvent ici leur maturitÊ finale. Les ÊlÊments de fiction. Encore balbutiante, cette dialecpersonnages n’obÊissent plus à aucune ligne narratique amorce une problÊmatique, qui suivra kramer tive. PrÊfÊrant converser directement avec la camÊra comme une obsession : la rÊvolte se pense-t-elle par (et le cinÊaste), chacun aspire à une existence autoles actes ou par la parole? Cette incertitude trouvera nome, dÊgagÊe de tout destin scÊnaristique. Ils ne son acmÊ avec Milestones (1975). Long de plus de sont plus que des nomades, errant en quête de sens. trois heures, le film questionne l’après-vietnam à travers Plus aucune certitude, juste une impression itinÊrante une galerie de personnages plus ou moins liÊs à un de l’Êtat des choses. Il aura fallu vingt-cinq ans à kramer passÊ militant et qui tentent de retourner au quotidien pour mettre sa grammaire à nu. Mais l’ancien agitad’une vie rangÊe. Fresque de la dÊsillusion, Milestones teur semble serein, il peut mourir en vieux sage.
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
83
LES AUTRES SORTIES LE TRÉSOR CACHÉ ENQUÊTE SUR UN CITOYEN AU-DESSUS DE TOUT SOUPÇON d’Elio Petri (Carlotta) À Rome, un homme assassine sa maÎtresse pendant un jeu sexuel, s’applique à laisser le plus d’indices possible et regagne son lieu de travail, le commissariat, oÚ il dirige la brigade criminelle‌ Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon est un pur giallo, ce mÊlange volontiers bouffon de violence, d’Êrotisme et d’enquête policière, soutenu par une bande originale entêtante, signÊe Ennio Morricone. Mais, dÊbordant de ce carcan gÊnÊrique, le film se double d’une rÊflexion acerbe sur les dÊrives tyranniques et la corruption du pouvoir italien, dont l’omniscience est soulignÊe par les angles baroques et iconoclastes de la camÊra de Pietri. _J.R. et A.T.
L’OVNI NOT QUITE HOLLYWOOD de Mark Hartley (MK2) Si on connait Peter Weir, Crocodile Dundee et Nicole kidman, on ignore souvent la folie dÊlirante qui s’est emparÊe du cinÊma australien dès les annÊes 1960. L’ozploitation, c’est une ode à la grossièretÊ et à la dÊpravation, un joyeux foutoir de kangourous sanguinaires, de filles à poil, de bastons et de courses de bagnoles. Hilarant, ce docu au rythme effrÊnÊ compile extraits de films, anecdotes (cascadeurs dÊjantÊs, Êquipes dÊfoncÊes, censure) et quantitÊ d’interviews jouissives, de Quentin tarantino à Dennis Hopper ou John Waters. Un âge d’or d’oÚ ont ÊmergÊ certains films culte du cinÊma bis (Mad Max), devenus source d’inspiration pour toute une gÊnÊration de cinÊastes. Explosif. _J.R.
LE COUp dE CŒUR dU VENdEUR LA COMÉDIE DE DIEU de João CÊsar Monteiro (Blaq Out) L’intÊgrale de l’œuvre de João CÊsar Monteiro, ÊditÊe en DvD peu de temps après sa mort en 2003, est depuis quelques annÊes totalement ÊpuisÊe : difficile pour ceux qui ont loupÊ le coche de la première publication d’avoir accès à l’univers de cet inclassable cinÊaste portugais. Heureusement, l’Êditeur Blaq Out remet enfin sur le marchÊ La ComÊdie de Dieu, qui peut être considÊrÊ comme son chef-d’œuvre. Monteiro, devant et derrière la camÊra, touche formellement à un point de perfection qui retranscrit au mieux la vie de ce gÊrant d’un magasin de glaces, associable, fÊtichiste et burlesque, obsÊdÊ par la quête d’une forme de grâce. _Florian Guignandon, vendeur au MK2 Quai de Loire
ÉTÉ 2010
Š Philippe Lebruman
84 LE BOUDOIR /// Cd-ThĂˆQUE
GRAvItÉ LÉGĂˆRE ÂŤ PARLER MOINS, DIRE PLUS Âť Styliste funambule de la chanson française, BERTRANd BELIN trouve avec Hypernuit l’Êquilibre parfait entre gravitĂŠ et lĂŠgèretĂŠ, mĂŠlodie et poĂŠsie, dĂŠnuement et arrangement, et sur un fil ĂŠveille et rĂŠconcilie. Hyperbeau. _Par Wilfried Paris
Champion d’une  autre chanson française , communautÊ idÊale de singularitÊs lettrÊes (Barbara Carlotti), folk (JP Nataf), fantasques (Albin de la Simone), duales (Arlt) ou franchement bien (Les Disques Bien : Flop, tante Hortense, French), Bertrand Belin creuse son sillon sur un troisième album limpide, ressassant en guitares claires et gravitÊ concise ses obsessions villageoises et rêves de foyer, encore un peu cow-boy solitaire sous le soleil exactement, mais plus pour longtemps, cette Hypernuit mÊritant la compagnie d’un large public, qu’on lui promet.
autre chose qu’une attente gÊnÊrale : on ne peut pas se contenter d’être grillÊ par le soleil en attendant de trÊpasser. Je distribue cette obsession en histoires avec des personnages, qui sont des avatars dÊcharnÊs, sortes d’ectoplasmes de moi-même : celui qui part, celui qui revient, celui qui arrive à une frontière, celui qui se trouve sous le soleil et se demande s’il est le bienvenu‌ Remontant vers les eaux de source d’une enfance que l’on devine amère mais ici transfigurÊe, Belin, accompagnÊ d’un ballet de balais (tatiana Mladenovitch à la batterie) et de ponctuations graves (thibault Frisoni à la basse), touche et remue, en Après un album Êponyme et La Perdue, magnifiant discrètement ces petites flamqui l’intronisaient fils elliptique de Bashung, mes qu’entoure une obscuritÊ profonde et mouillant les cordes sèches de cordes brilgrandissante.  Finalement, la phrase qui lantes et de vents lointains (Ravel, Debussy, Hypernuit rÊsume le mieux et très sincèrement ce Mendelssohn) autant que de poÊsie de Bertrand Belin disque, c’est "Je voudrais vivre plus longlivresque (Michaux, Roussel, Jaccottet), Belin (Cinq7/Wagram) temps pour être encore avec toi".  ici dÊlaisse un peu ses classiques au profit d’une recherche de classicisme, c’est-à -dire une Êpure forSans naïvetÊ, tout en ellipses, l’hypertexte d’Hypernuit melle  qui parle moins, mais dit plus  et fait la part Êclaire et Êveille, et ramène au foyer les enfants probelle aux chansons, aussi dÊnudÊes et solaires que digues, leur pardonnant plutôt que les jugeant, faile souvenir d’une jeune fille se baignant dans un Êtang, sant œuvre de bienveillance. Accueillant autant et pourtant porteuses d’interrogations profondes, qu’exigeant, ce disque sort quand les jours raccourexistentielles :  Quand je chante "On ne laisse pas cissent et pourra Êclairer votre maison quand la nuit l’homme attendre sous le soleil", il ne faut pas y voir sera tombÊe. Et il ne s’agit pas que de musique.
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
85
LES AUTRES SORTIES LES REVENANTS SKY AT NIGHT de I Am Kloot (Shepherd Moon / PIAS) Dix ans après le premier, le trio mancunien I Am kloot rÊapparaÎt avec un cinquième album en forme de retour aux sources. Produit par ses voisins, Guy Garvey et Craig Potter (voix et clavier d’Elbow), dÊjà prÊsents aux manettes de Natural History, Sky At Night dÊroule une dizaine de compositions dÊlicatement mÊlodiques. ÉclairÊ par le timbre de John Bramwell, qui rappelle celui de Henk Hofstede (Nits), Sky At Night nous mène dans les trÊfonds des pubs du nord de l’Angleterre sur Proof, nouvelle version d’un morceau dÊjà prÊsent sur I Am Kloot, et irradie avec The Moon is a Blind Eye, sommet de spleen boisÊ. Un bel exemple de northern soul mÊlancolique, à apprÊcier de prÊfÊrence au clair de lune. _P.R.-W.
L’INCREVABLE HOW I GOT OVER de The Roots (Def Jam) Après le sombre Rising Down (2008), jouÊ tambour battant sous le joug Bush, les maÎtres hors norme du beat au mÊtronome sifflent l’ère Obama. Neuvième album incisif, scandÊ par des guests audacieux et tout-terrain (les folkeux Monsters of Folk, les indie-rockeurs Dirty Projectors, la harpiste Joanna Newsom), How I Got Over est un manuel de survie du flow live en milieu hip-hop hostile, viciÊ par l’hostie numÊrique, refusant la communion de la scène. CernÊ à la baguette par leur batteur virtuose ?uestlove, les Roots repoussent avec pour tuteur le combo organique claviersbasse-batterie, soutenant le verbe charpentÊ d’un Black thought mordant. Des tubes au bellicisme prÊcieux, à Êtaler sur l’ÊtÊ. _E.R.
LE NOCEUR HAVANIZATION de Raúl Paz (Naïve) Un prÊnom de footballeur, une touffe digne de Carlos Puyol, une pochette Êcarlate, des cadences latino du meilleur aloi : de prime abord, le septième album de Raúl Paz fait figure de compagnon idÊal aux hispanophiles ayant dÊcidÊ de fêter le sacre de la Roja tout l’ÊtÊ durant. Nuances : Raúl est cubain, vit à Paris, et sa musique – rythmes funky, cuivres Stax, pianos Êlectriques, voix chaude et altière – s’avère un poil trop subtile pour les stades. Produit par le prÊcieux Seb Martel, qui a invitÊ son amie Camille chanter sur le tube Carnaval, Havanization se hisse sans efforts au panthÊon des grands disques de soul latine, non loin de Mediterråneo de Joan Manuel Serrat ou Io Tu Noi Tutti de Lucio Battisti. _A.T.
ÉTÉ 2010
Š D.R.
86 LE BOUDOIR /// BIBLIOThĂˆQUE
Graham Parker
LU AU SOLEIL À L’OMBRE DES SORTIES EN POCHE De GRAhAM pARKER à JIM dOdGE, petite sÊlection subjective des dernières sorties poche à glisser dans votre valise, votre sacoche de vÊlo ou votre sac de plage. _Par Bernard Quiriny
En attendant la rentrÊe littÊraire, son flot de nouveautÊs et son emballement mÊdiatique, on profite comme chaque annÊe des vacances pour finir les romans jamais terminÊs, dÊcouvrir les grands classiques qu’on se promet de lire depuis des lustres et accompagner le farniente du mois d’aoÝt. L’arme absolue pour un ÊtÊ de lecture ? Le livre de poche, bon marchÊ, facile à emporter et moins douloureux à corner quand on n’a pas de marquepage sous la main. Au sein d’une production plÊthorique oÚ les collections classiques (Folio, Livre de Poche, Points, 10/18‌) sont rejointes par des moyens formats à l’esthÊtique soignÊe (Pavillons Poche chez Laffont ou Babel chez Actes Sud), les dernières sorties offrent un choix à peu près inÊpuisable, à assortir à la tonalitÊ de vos vacances.
Brian pour lui proposer d’intÊgrer les Stones). Dans le même registre, jetez un œil au Stone Junction (10/18) de Jim Dodge : prÊfacÊ par thomas Pynchon, cet Ênorme roman d’apprentissage en forme de fresque rock et alchimique possède un humour foutraque qui rappelle celui du grand tom Robbins, le maÎtre de la contre-culture U.S.
vous cherchez des lectures lĂŠgères mais solides? Foncez sur la reprise en proche du Paasilinna annuel, Les Dix Femmes de l’industriel Rauno Rämekorpi (Folio):le romancier finlandais y envoie son hĂŠros, un entrepreneur sexagĂŠnaire, dans une odyssĂŠe libertine Ă forts relents satiriques. Et pour un humour plus noir, plongez avec Le Cher Disparu (Pavillons Poche) du grand Evelyn Stone Junction de Jim Waugh dans le milieu lugubre des profesDodge (10/18, roman) vous comptez suivre la route des festivals sions funĂŠraires amĂŠricaines, prĂŠtexte Ă une d’Europe ? Optez pour une littĂŠrature rock’n’roll avec mordante critique des mĹ“urs occidentales. Enfin, si Graham Parker, l’idole du chroniqueur Éric Naulleau vous comptez profiter des vacances pour complĂŠter (qui vient de lui consacrer un essai, Parkeromane) : votre bibliothèque de classiques, ne manquez pas la dans les dix nouvelles de PĂŞche Ă la carpe sous valium nouvelle traduction du somptueux Berlin Alexanderplatz (Points), le songwriter se met en scène Ă travers un alter d’Alfred DĂśblin par Olivier Le Lay (Folio) et pourquoi ego nommĂŠ Brian Porker, et puise dans ses souvenirs pas, en guise de guide de conduite estivale, la rĂŠĂŠdition pour imaginer des aventures Ă la fois minuscules (une du chef-d’œuvre d’Érasme et son titre-programme : partie de pĂŞche au sud-ouest de Londres) et dĂŠlirantes Éloge de la folie (Folio). Bel ĂŠtĂŠ. (Mick Jagger dĂŠcĂŠdĂŠ, keith Richards tĂŠlĂŠphone Ă
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
87
LES AUTRES SORTIES LE RECUEIL COUP DE POING
UN TYPE IMMONDE de Dennis Cooper (P.O.L., nouvelles) Érotisme, mort, fantasmes, tabous : pas facile d’aborder l’univers dÊcapant et obsessif de Dennis Cooper, qui s’est imposÊ avec une dizaine d’ouvrages traduits (dont un cycle de cinq livres commencÊ avec Closer) comme l’un des grands Êcrivains amÊricains de l’Êpoque – les sectateurs des queer studies lui vouent un vÊritable culte, et toute une faune dans le rock et l’art contemporain se rÊclame de lui. Écrites sur vingt ans, les nouvelles d’Un type immonde forment une sorte de coupe à travers ses thèmes fÊtiches, captivante même si c’est dans le format long que se dÊploie le mieux son talent. En parallèle, l’Êditeur propose Les Mauviettes, un recueil de poèmes traduits par FrÊdÊric Boyer. _B.Q.
LA REVUE CHIC CAPHARNAĂœM N°1, ÉTÉ 2010 (Finitude, revue)
InstallÊes à Bordeaux, les Êditions Finitude se sont fait une spÊcialitÊ de la redÊcouverte d’anciens maÎtres français, parfois oubliÊs, toujours remarquables, de Jean-Pierre Martinet à Jean Forton. Pour les donner à lire de toutes les manières possibles, elles lancent aujourd’hui Capharnaßm, revue sans pÊriodicitÊ fixe consacrÊe aux  fonds de tiroir  de ces auteurs maison – nouvelles, lettres, articles. Le numÊro 1 donne le ton : deux rÊcits de voyage d’Eugène Dabit, cinq succulentes chroniques des annÊes 1950 signÊes Marc Bernard, ou, last but not least, des notes inÊdites de Raymond GuÊrin, dont le visage qui Êmerge de l’eau fournit au passage une parfaite image de couverture. _B.Q.
LE COUp dE CĹ’UR dE LA LIBRAIRE LA VIE EST BRĂˆVE ET LE DÉSIR SANS FIN de Patrick Lapeyre (P.O.L.) Ce roman nous invite Ă une mĂŠditation sur le dĂŠsir, par son titre empruntĂŠ au poète japonais Issa kobayashi, par l’inspiration romanesque et musicale renvoyant aux Manon Lescaut de l’abbĂŠ PrĂŠvost et Jules Massenet. Au centre d’une relation amoureuse triangulaire, Nora Neville, belle jeune femme sensuelle et dĂŠjantĂŠe autour de laquelle gravitent deux ĂŠlectrons mâles, Murphy Bloomdale Ă Londres, Louis BlĂŠriot Ă Paris, qu’aimante leur passion. Construit comme un mobile dont les temps et les espaces s’interpĂŠnètrent, ce roman Ă l’Êcriture dĂŠliĂŠe dĂŠploie l’infinie complexitĂŠ du rapport amoureux et de ses affres, et dit l’irrĂŠversible et la nostalgie, avec cet humour subtil propre Ă l’auteur. _Pascale Dulon, libraire au MK2 Bibliothèque
ÉTÉ 2010
Š Julie Doucet / L’Association
88 LE BOUDOIR /// Bd-ThĂˆQUE
Planche extraite de L’Association XX MMX
ASSAUtS VINGT ANS, TOUTES SES DENTS L’ASSOCIATION fête ses vingt ans d’existence et d’activisme : deux dÊcennies qui ont changÊ la façon de faire de la BD. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)
Vingt ans, le bel âge ? C’est ce qu’on se dit en regardant l’Association, Êditeur indÊpendant de bande dessinÊe, qui fête ses deux premières dÊcennies. vingt annÊes qu’on pourrait rÊsumer en deux traits : l’Association a imposÊ une BD diffÊrente de celle produite ailleurs au moment de sa naissance en 1990, et elle a sorti l’album le plus important des annÊes 2000, à la fois en termes d’influence esthÊtique et de succès commercial, le Persepolis de Marjane Satrapi.
expĂŠrimentaux, voire purement graphiques, comme le rĂŠcent Chronographie de Dominique Goblet et Nikita Fossoul.
Pour fêter les vingt ans, l’Association sort un ouvrage collectif (L’Association XX MMX) dans lequel des auteurs rÊinventent des pages publiÊes chez l’Êditeur au cours des vingt dernières annÊes. Une mise en scène qui sort de l’ordinaire des cÊlÊbrations pour aller vers quelque chose de plus rÊsolument plastique, Mais, l’Association, c’est un peu plus que explorant le dynamisme contemporain plucela. La structure a ÊtÊ fondÊe par des tôt que l’embaumement sage et officiel. On auteurs qui ont voulu s’Êditer eux-mêmes, y fait aussi implicitement les comptes: beauen-dehors des contraintes imposÊes par les coup d’auteurs des dÊbuts n’y sont pas prÊautres maisons. Des auteurs aux ambitions sents, laissant place à des plus jeunes, sans ancrÊes tout autant dans la BD que dans la L’Association XX MMX doute plus impertinents, plus novateurs pour L de BenoÎt littÊrature. Pour le comprendre, il suffit de lire (L’Association) // 2010. Dans le même temps, l’Association Jacques (L’Association) les rÊcits de l’obscur Mattt konture, le granpublie un autre livre hors norme : L de BenoÎt diose Livret de Phamille de Jean-Christophe Menu, les Jacques, journal intime sous forme de BD muette et albums plus connus de Lewis trondheim ou David B – noire, qui ressemble à de l’art brut mis en sÊquence. son Ascension du Haut Mal demeure un point d’orgue L’auteur y raconte sous une forme onirique une histoire du roman graphique autobiographique, traduit dans d’amour en pleine perdition. On y est pris à la gorge plusieurs pays‌ Après le succès de Persepolis, plusieurs par la violence du trait et la force de ce qui y est monfondateurs ou auteurs phares sont partis (trondheim, trÊ et l’on se dit qu’aucun autre Êditeur n’aurait pu Sfar, etc.). DemeurÊ seul aux commandes, Jean- sortir un livre d’une telle facture, qui se mÊrite plus qu’il Christophe Menu est parvenu à diversifier les publica- ne se donne. À vingt ans, l’Association est loin d’être tions : on trouve dÊsormais côte à côte les livres très assagie, ses dents sont acÊrÊes et tranchantes, plus accessibles de Riad Sattouf et des ouvrages plus que jamais. Happy birthday. ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
89
LES AUTRES SORTIES LA RÉINVENTION
HOKUSAI de Shotaro Ishinomori (Kana Dargaud) Ce long roman graphique de près de 600 pages explore la biographie d’un maÎtre japonais, le grand dessinateur et peintre Hokusai (on lui doit l’image de la vague japonaise iconique). Le rÊcit, très joliment esquissÊ et dessinÊ d’une main claire, est surtout l’occasion de narrer la vie d’un homme qui parvient à se rÊinventer, grâce à son envie d’être un autre, de se dÊpasser et parvenir à un art diffÊrent. _Jo.Gh.
LA BD FANTĂ´MATIqUE THE LAGOON de Lilli CarrĂŠ (Cambourakis)
En attendant la sortie du nouvel album de Charles Burns, X’ed Out, prÊvu pour la rentrÊe chez CornÊlius, on peut se plonger dans ce rÊcit proche de l’univers de l’auteur amÊricain, mais dans une version plus onirique et fÊminine. Lilli CarrÊ y dessine en noir et blanc les rêves enfantins d’une fille vivant au milieu d’une forêt peuplÊe de fantômes. Joliment surrÊel et touchant. _Jo.Gh.
LE ROMAN JEUNESSE J’AI 15 ANS ET JE NE L’AI JAMAIS FAIT de Maud Lethielleux (Éditions Thierry Magnier) Capucine a 15 ans et rêve de faire l’amour. Elle a le corps en Êmoi et fantasme sur sa première fois. Martin est bassiste et s’apprête à monter sur scène. Il s’immerge dans la musique pour Êchapper à ses problèmes familiaux. Ce roman à deux voix, plein d’Ênergie, d’humour et de sensibilitÊ nous fait voyager dans la quête identitaire de deux adolescents : l’amour passionnel pour Capucine et l’amour paternel pour Martin. Ils sont tous les deux très diffÊrents et frÊquentent la même classe sans se connaÎtre. Le destin va pourtant entremêler leurs vies et leurs espoirs. _Claire Lefeuvre, libraire au MK2 Quai de Loire
ÉTÉ 2010
90 LE BOUDOIR /// LUdOThĂˆQUE
MOtEUR ! LA VOIE LACTÉE DE SUPER MARIO GALAXY 2 Nintendo joue les Saint-ExupÊry en mettant à nouveau son petit prince moustachu en orbite. Cette comète ludique dÊcrit une ellipse parfaite autour d’un gameplay sans gravitÊ. Allô Houston ? On n’a aucun problème. _Par Étienne Rouillon
Vous avez dÊjà jouÊ à Super Mario Galaxy 2. Si, si, franchise et redessiner l’architecture du jeu de plateposez les mains sur les commandes de la console et forme. Le titre est aussi fendard pour les dÊveloppeurs vous voilà cosmonaute d’instinct, gradÊ comme y faut, que pour les gamers, tant les seconds sont sidÊrÊs prêt à avaler les miles interstellaires. C’est que ce se- par l’inventivitÊ des premiers. Chaque planète visitÊe cond volet suit la même rÊvolution que le est l’occasion de dÊcouvrir une nouvelle premier corps cÊleste, qui avait l’art de vous manière de jouer. faire atterrir sur des univers jamais exploiOn visite le cœur tendre des astÊroïdes à tÊs dans l’amusement vidÊo, tout en mobicoup de foreuse, court à dos de Yoshi dopÊ lisant une jouabilitÊ aussi intuitive que la aux piments ou gonflÊ d’eau pour un effet brasse coulÊe chez le nouveau-nÊ. SMG baudruche ascensionnelle, patine sur des est à SMG 2 ce qu’une blague carambar immensitÊs glacÊes. Les traditionnelles transest à un film de Judd Apatow, une naine formations en abeille butineuse ou lanceur blanche prÊcÊdant la supernova. Bien assis de feu perdurent aux côtÊs d’inÊdits enjôau milieu de sa lune, Mario va croissant. Exit leurs : le Mario-cumulonimbus qui gÊnère les antiques tuyaux ? Les sauts pieds joints des nuages sous ses pieds, ou le plombierdans la 2D ? La collecte de piÊcettes en Genre : Plates-formes rocher qui se met en boule fracassante. Mais Éditeur : Nintendo grippe-sou ? Non pas. Jeu-somme, SMG 2 Plate-forme : Wii dans cette quête stellaire, c’est le système est astronomique par le fond comme par la même des niveaux qui nous mène en apeforme. Comme d’hab, depuis le règne des cristaux santeur : 2D nostalgique par intermittence, planchers liquides sur GameBoy, la princesse Peach est prise dans ÊphÊmères, gravitÊ capricieuse, billard cosmique‌ la poche d’un ravisseur ravi par ses blonds pixels, le Plus ardu que son prÊdÊcesseur, SMG 2 reste accespiquant Bowser. Et le plombier italien de se retrouver le sible au nÊophyte via des aides à la progression. Une tuyau dans l’eau, seul au royaume des champignons. cosmogonie toujours en extension qui verse astucieutrip hallucinogène, une course poursuite s’engage aux sement dans l’intertextualitÊ et l’autorÊfÊrence. La star quatre coins de l’espace. Mario passe de galaxies en de Nintendo dÊcroche les Êtoiles en nous promettant planètes, parfois grandes comme une montgolfière. la lune. Promesse tenue. Autant de prÊtextes pour revisiter les classiques de la
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
91
LES AUTRES SORTIES PÉTROLE MODNATION RACERS (Sony, sur PS3) LassÊ de piloter des karts frÊnÊtiques dans la peau d’un plombier moustachu, ou d’un hÊrisson à la monochromie schtroumpf ? Sony s’essaie à son tour au jeu de course balistique, mais ici point de Mario ou de Sonic : c’est au pilote de façonner à l’envi celui qu’il incarnera derrière le volant. Bien pensÊ dans ses phases de course, ModNation Racers vaut surtout pour son aspect crÊatif et communautaire. À l’instar d’un LittleBigPlanet, il est possible de customiser tout ce qui peuple l’Êcran, du pilote au bolide en passant par l’Êdition de circuits aussi tortueux que l’autorisent vos synapses. Des crÊations qui sont ensuite jugÊes pied au plancher par les joueurs en ligne. _E.R.
CARTON SNIPER : GHOST WARRIOR (Micro Application, sur PC, X360)
Snipers. On les accuse souvent de camper sur des positions fallacieuses, flirtant avec la triche et l’antijeu. Les gamers adeptes du tir longue distance placeront dans leur ligne de mire ce jeu qui rÊhabilite les parents honnis du jeu de salve. Dans une jungle moite à faire de la buÊe sur la lunette, l’œil devra être vif pour dÊceler des ennemis coriaces à l’excès, capables de vous plomber à deux cents pas de là . L’index humectÊ, l’air de dire  ça souffle par ici , le joueur tiendra compte du vent, de sa respiration et de la distance, pour dÊcocher le carton plein. Sniper : Ghost Warrior atteint sa cible, aussi restreinte soitelle. _E.R.
PLASTIqUE TOY STORY 3 (Disney Interactive, sur PC, PS3, X360, Wii‌)
Loin des productions cachemisère dÊveloppÊes à la va vite et justifiÊes par la seule intelligence d’une opportunitÊ calendaire, Toy Story 3 est un rare exemple d’adaptation rÊussie de franchise de dessin animÊ. La faute à un jeu ingÊnieusement bicÊphale qui d’un côtÊ suit l’intrigue du film avec l’aisance d’un Lego Star Wars, et de l’autre propose d’explorer le mode  coffre à jouet , sorte de bac à sable oÚ les plus jeunes pourront s’inventer architectes d’un village western, peuplÊ des jouets qu’ils auront amassÊ au grÊ de missions annexes. Un titre drôle, astucieux et accessible aux nÊophytes sans pour autant les prendre pour des billes. PrÊfÊrez Buzz l’Éclair au  bzzz  vuvuzÊlien. _E.R.
ÉTÉ 2010
93 HOLLYWOOD STORIES /// GRANDES ET PETITES HISTOIRES DU CINÉMATOGRAPHE
LE NOIR DEStIN DU SURHOMME La filmographie de Michael Cimino met à l’Êpreuve notre scrupule de ne pas confondre l’artiste et l’œuvre. Chacun des sept films tournÊs à ce jour raconte, avant l’heure ou après coup, son histoire : celle d’un maÎtre que sa passion de la maÎtrise a condamnÊ à la marge. Dernier Êpisode de notre feuilleton : Sunchaser, 1996.
ÉPISODE 3, SAISON 4 _Par François BÊgaudeau ChERChEZ LE hÉROS
Š D.R.
Durant la dÊcennie qui prÊcède son dernier film à ce jour, Cimino accumule les raisons de remiser au placard sa panoplie de surhomme incompris : Le Sicilien ou Desperate Hours ne convainquent pas même les inconditionnels. De prime abord, Sunchaser s’inscrit dans cette molle continuitÊ. Aucun de ses deux fuyards ne semble digne des sublimes losers prÊcÊdents, Mike (The Deer Hunter) ou Stan (L’AnnÊe du dragon). Le docteur Reynolds s’appelle bien Michael, mais le surnom SuperMike dont l’affublent ses collègues vibre parodique. Quant à Brandon  Blue  Monroe, c’est un pur loser, sans le sublime : criminel et cancÊreux à 16 ans, bloc de haine et de refus. Pourtant, le mot d’un maton à propos de Brandon rend un son familier pour qui a suivi les mÊsaventures du surhomme :  CinglÊ . Mike et Stan l’Êtaient aussi, avec leur obsession de grandeur inaccessible. Monroe est la version surchauffÊe, terminale, de ses deux aÎnÊs morbides.
RETOUR Ă€ LA CASE NĂˆGRE Du chasseur de daim au dĂŠtenu rasĂŠ, la boucle est bouclĂŠe. La mĂŞme folle quĂŞte de puretĂŠ hissait le premier sur les cimes de Pennsylvanie, elle aimante le second vers un lac magique d’Arizona oĂš, dit la lĂŠgende indienne, il sera lavĂŠ de tous ses maux. voilĂ sa Cadillac bĂŠnie par une musique de western et par une horde de chevaux que montent sans selle des Indiens de rĂŠserve. Brandon se rĂŠvèle mĂŠtis, mi-navajo mi-blanc. Ă€ l’extrĂŞme pointe d’une surhumanitĂŠ qu’on a crue parfois blanco-blanche, il y a ce retour Ă l’origine mĂŠtissĂŠe de la terre d’AmĂŠrique. Le supposĂŠ racisme de Cimino atterrit lĂ , il y tendait ; il ĂŠtait la dernière rĂŠticence, pour la forme, avant de consentir Ă cette hybridation. voyez les photos rĂŠcentes du cinĂŠaste, gĂŠant nabot, sexagĂŠnaire juvĂŠnile, peau cuivrĂŠe d’indien et chapeau de cow-boy. Une rumeur rĂŠcente le dit transsexuel. C’est sĂťrement faux mais ça colle si bien aux fibres de cet Arlequin maboul pour qui le surhomme est, en dernière instance, l’homme total capable d’être tout et son contraire.
VERS L’INVISIBLE Mike et Brandon (dont le surnom Blue  indique la vocation picturale) sont des esthètes. Un esthète flirte avec la bêtise, parce qu’il tient la beautÊ en plus haute estime que sa vie propre. Blue refuse la chimio qui pourrait le sauver pour rÊaliser sa dernière volontÊ :  Que la beautÊ soit tout autour de moi.  Il y avait de cette bêtiselà , obtuse et racÊe, dans le point d’honneur que mettait Mike à ne s’accorder qu’une balle pour abattre le daim ; de cette dÊraison-là dans la conviction qu’un beau geste sauverait le monde. Plus fort encore : ne pas tirer du tout. L’hÊroïsme absolu, c’est la soustraction, renoncer à sa force et s’abolir. Blue se fond dans le lac ; un fondu pas enchaÎnÊ l’Êvapore dans le grand espace du lac magique. DÊrobÊ derrière d’invariables lunettes noires, Cimino s’est soustrait au cinÊma depuis treize ans. On dit qu’il Êcrit une adaptation de La Condition humaine. Ça fait envie, mais une logique supÊrieure à nos dÊsirs cinÊphiliques nous souffle que Mike est très bien oÚ il est, invisible, intouchable.
ÉTÉ 2010
WWW.MK2.COM
94 SEX TAPE /// L’INSTANT ÉROTIQUE
HISSÉE HAUT
Tu t’excites facilement, constate la tartine au contact du crÊmeur, complètement chèvre de sa peau toastÊe, amenant à sa vergue le fanal de la satisfaction tactile. Bitte d’amarrage sur les plages du teen movie depuis Supergrave et Juno, l’icône indÊ Michael Cera bande original avec Be Bad!, comÊdie sentimentale pour godelureaux atypiques, oÚ les maillots font le tipi. Surmontant ses inhibitions d’ado gentillet, le hÊros Nick twisp se crÊe un alter ego vilain, griffÊ Nouvelle vague. Pour ne pas être à bout de souffle face à la francophile Sheeni, il devient François, french lover tout en clopes gainsbouriennes et morgue dÊsinvolte, cascadeur de l’amour pyrotechnique à la Belmondo, qui vit pour son vit. Un dÊbarquement alliÊ de la Gaule, au service de la gaule. _E.R. /// Be Bad ! de Miguel Arteta // Sortie le 1er septembre