SEPTEMBRE 2010
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CINÉMA CULTURE TECHNO
by
JOHN C.
REILLY
A CYRUS MAN
by
ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS 01 44 67 30 00 Directeur de la publication & directeur de la rédaction Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com & troiscouleurs@mk2.com) Rédacteur en chef & chef de rubrique « culture » Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com Direction artistique Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Design Sarah Kahn Secrétaire de rédaction Laurence Lemaire Stagiaires Stéphanie Alexe, Cassandre Dessarts Ont collaboré à ce numéro Ève Beauvallet, Julien Dupuy, Sylvain Fesson, Yann François, Joseph Ghosn, Jacky Goldberg, Eileen Hofer, Donald James, Olivier Joyard, Anne de Malleray, Pamela Messi, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Sophie Quetteville, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Violaine Schütz, Raphaëlle Simon, Antoine Thirion, Bruno Verjus, Anne-Lou Vicente Photographie de couverture Giasco Bertoli Illustrations Dupuy & Berberian Publicité Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Directrice de clientèle hors captifs Amélie Leenhardt 01 44 67 30 04 (amelie.leenhardt@mk2.com) © 2009 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique
SOMMAIRE # 84 7 ÉDITO 8 SCÈNE CULTE > Walk Hard 10 L’ŒIL DE… > Antony Cordier 14 PREVIEWS > Waking Sleeping Beauty / Le Germain Paradisio
19 LES NEWS 19 CLOSE-UP > Dakota Fanning 20 LE K > Hors-la-loi 22 KLAP > Woody Allen et Martin Scorsese à Paris 24 TÉLÉCOMMANDO > The Pacific et Treme 26 EVENT > 100% BD à la bibliothèque Forney 28 CARTE BLANCHE > Les Shades 30 UNDERGROUND > Magic Kids 32 BUZZ’ART > Kane & Lynch 2 : Dog Days 34 LE NET EN MOINS FLOU > Les frères Gregory 36 AVATAR > Starcraft II
39 LE GUIDE 40 SORTIES CINÉ 52 SORTIES EN VILLE 62 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN
64 DOSSIERS 64 JOHN C. REILLY // CYRUS 74 JULIAN SCHNABEL // MIRAL 76 TAKASHI MURAKAMI À VERSAILLES 80 BERTRAND BELIN // CARTE BLANCHE 84 JUANJO GUARNIDO // BLACKSAD
87 LE BOUDOIR 88 DVD-THÈQUE > Ernst Lubitsch 90 CD-THÈQUE > Les enfants d’Animal Collective 92 BIBLIOTHÈQUE > Alice Ferney 94 BD-THÈQUE > David Mazzucchelli 96 LUDOTHÈQUE > Mafia II 98 SEX TAPE > The Housemaid
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BLAGUES À PART Longtemps méprisée par la critique comme par l’industrie cinématographique, la « nouvelle comédie américaine » semble enfin prise au sérieux. L’ex-rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, Emmanuel Burdeau, vient ainsi de publier aux éditions Capricci un passionnant ouvrage d’entretiens avec le principal rénovateur du genre, Judd Apatow. Le producteur et réalisateur y confie notamment son attachement pour trois de ses productions : « Je n’étais qu’un rouage dans la machine, mais il me semble que Ricky Bobby : roi du circuit (2006), Frangins malgré eux (2008) (…) et Walk Hard - The Dewey Cox Story (2007) contiennent quelques grands moments de comédie pure. C’est délicat à réussir. (…) Il est toujours plus facile de mélanger le drame et la comédie, la combinaison des deux genres permet de s’en tirer avec les honneurs quand ce n’est pas drôle. » Le point commun entre ces trois films ? Tous comptent à leur générique le comédien John C. Reilly, dont l’art ne s’exprime jamais mieux que dans les zones médianes, intermédiaires. À ses débuts, son physique bourru à la Gene Hackman lui donne des allures de briscard, et l’oriente vers des seconds rôles dramatiques, chez Brian De Palma, Paul Thomas Anderson, Martin Scorsese ou Terrence Malick. À mesure qu’il vieillit, cependant, Reilly s’illustre dans des performances de plus en plus juvéniles. Meilleur ami d’un pilote puéril (Ricky Bobby), rock-star immature (Walk Hard), gamin prisonnier d’un corps d’adulte (Frangins malgré eux), sa maturité de comédien coïncide avec un réjouissant retour en enfance. En cela, n’en déplaise au maître Apatow, les comédies de John C. Reilly n’ont jamais été tout à fait « pures », et ont toujours flirté avec le « film d’horreur émotionnel », pour reprendre la belle expression qu’emploie le comédien dans l’entretien qu’il nous a accordé ce mois-ci. Reilly s’y livre dans ce mélange de candeur et de gravité qui caractérise la plupart de ses rôles, dont le dernier en date, celui d’un beau-père flippé dans Cyrus des frères Duplass. Brouillant les repères d’âge (quand au juste devient-on adulte ?), de classe (banalité trompeuse de l’Amérique dite moyenne) et de genre (dramedy?), cette chronique de l’entre-deux trouve en John C. Reilly son interprète idéal, drôlement sérieux, sérieusement drôle, à part. _Auréliano Tonet
© D.R.
8 SCèNE CULTE /// WALK HARD - THE DEWEY COX STORY
DEMI-FRÈRE LE PITCH Dewey Cox (John C. Reilly), alter ego calamiteux de Johnny Cash, rêve de détrôner Elvis. Sur la longue route vers la gloire, il abandonne femme et enfants, goûte aux plaisirs artificiels et rencontre l’amour en la personne de Darlene, avec laquelle il chante en duo. Sa désinvolture cache une blessure profonde : enfant, il a tué son frère Nate, lors d’un jeu de duel. D’un coup de machette malencontreux, Dewey l’a coupé en deux…
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NATE : Dewey !
coupé en deux. Je n’ai pu rattacher le haut de son corps au bas de son corps. LE PÈRE : Parlez anglais, toubib ! On n’est pas des savants ! LE DOCTEUR : Je suis navré, il s’est éteint. LE PÈRE : Tout est ta faute, Dewey Cox. LA MÈRE : C’est pas de sa faute.
DEWEY : Nate !
LE PÈRE : Il l’a coupé en deux avec une machette ! T’arrives pas au nombril de Nate.Tu lui arrives même pas au genou, une fois Nate coupé en deux.
NATE : Je suis coupé en deux !
DEWEY : Quoi, je lui arrive même pas au tibia ?
DEWEY : On aurait dû écouter P’pa !
LE PÈRE : La mort s’est trompée de fils !
NATE : Je suis salement tranché. Si j’y passe, tu devras être doublement génial… pour nous deux.
DEWEY : M’man, je sens rien. LA MÈRE : Tu ne sens rien ?
DEWEY : C’est une sacrée charge, Nate. DEWEY : J’ai perdu mon odorat. NATE : Tu as les épaules.Va chercher P’pa ! Bordel de merde. [Peu après, la famille veille auprès de Nate, alité.]
LA MÈRE : T’es aveugle du nez, fiston. Ça passera, Dewey. Cours à l’épicerie nous chercher du beurre. Et une bougie. Nous allumerons une bougie ce soir.
LE DOCTEUR : C’est un cas très aigu de patient Un film de Jake Kasdan // Scénario de Jake Kasdan et Judd Apatow // États-Unis, 2007, 2h // DVD disponible chez Sony Pictures.
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De gauche à droite : Marina Foïs, Roschdy Zem et Élodie Bouchez.
11 L’œIL DE… ANTONY CORDIER
UN HOMME H E U R E U X Cinq ans après son premier long métrage Douches froides, superbe chronique adolescente, ANTONY CORDIER revient avec Happy Few, l’histoire de deux couples qui s’essaient au quadriolisme. Sans fausse pudeur ni trivialité, le film confirme le talent romanesque de ce digne héritier de Téchiné ou Doillon, et sa capacité à interroger le désir pluriel comme idéal. Notre entretien révèle un homme posé, ouvert, qui a su porter ses obsessions de cinéaste à un degré confondant de maturité. Pas de doute : il est bien le miroir de ses films. _Propos recueillis par Yann François
C
omment s’est opérée la transition entre Douches froides et Happy Few ? Compliquée... Quand on est un jeune cinéaste, on est souvent travaillé par des questions de légitimité : pourquoi un seul film ne suffirait pas? Je ne supporte pas l’idée d’un statut social du réalisateur qui dirait : « Je vais tourner tous les deux ans, je vais exister comme ça. » Un film est une chose beaucoup trop importante à mes yeux. J’ai besoin qu’un sujet s’impose, qu’il y ait un besoin vital de le tourner. J’ai travaillé pendant deux ans et demi sur l’écriture du projet. Il fallait que le scénario soit précis, mais que ça reste libre. Quelle est la genèse de Happy Few ? Avec Julie Peyr, ma coscénariste, on voulait parler de l’amour moderne. Les gens de notre génération ont hérité d’une culture de la liberté sexuelle mais ils ne veulent pas renoncer au couple. Comment on peut faire ? C’est l’histoire du film. En quoi Happy Few fait-il écho à Douches froides? Douches froides traitait déjà de l’amour pluriel, mais il y avait beaucoup de lignes narratives.Avec Happy Few, le récit tourne autour des quatre personnages, de manière quasi obsessionnelle. C’est le sens du titre : ce sont les élus du film, il n’y a qu’eux. Les personnages des deux films sont-ils liés ? Non, je vois ça plus comme une fratrie. Ce sont leurs frères, leurs voisins, ceux d’une classe sociale différente. Ils se ressemblent, ont un peu la même philosophie de vie. Mais ils sont moins travaillés par la
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culpabilité que dans Douches froides. En fait, c’est surtout ma psychologie qui a évolué en cinq ans. En matière de sexualité ? Non, c’est autre chose. J’ai commencé en bas de l’échelle sociale.Maintenant,j’ai la chance de gagner un peu plus d’argent. S’il y a un lien entre mes films, c’est cette traversée des classes sociales. Ce qu’il y a d’étonnant, quand on passe de fils d’ouvrier à bobo, comme moi, c’est que le mépris social des autres, lui, ne change pas. Je crois que cela affecte mes films. Happy Few refuse tout traitement sociologique. Ce n’est pas un film sur l’échangisme. Oui,le film est presque féérique.Dans Douches froides, les motivations sociales des personnages étaient très fortes. Dans Happy Few, ce n’est pas du tout le cas. L’enjeu, c’était cette rencontre, cette pulsion entre les couples. C’est un sujet universel : le coup de foudre qui remet tout en cause, vous exalte, vous isole et vous épuise. Même si ça n’a rien d’évident, je serais heureux que chaque spectateur puisse se projeter dans leur situation. Vous dérivez même vers l’onirisme. La fameuse scène d’amour à quatre dans la farine en est un bel exemple… Comme le suggère le titre, mes quatre personnages décident de vivre en autarcie. Ils pensent représenter le monde à eux seuls. Et ils reviennent à des jeux primitifs. La séquence de la farine ne prenait que deux lignes dans le scénario mais on savait qu’on allait proposer aux acteurs quelque chose qu’ils n’avaient jamais fait avant et qu’ils ne referaient
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12 L’œIL DE… ANTONY CORDIER
Marina Foïs et Élodie Bouchez.
jamais plus après. C’est une manière de les respecter, et aussi de respecter le spectateur. Si on raconte une histoire d’amour, la moindre des choses est d’essayer de filmer quelque chose d’inédit. Le film évoque le cinéma de Jacques Doillon ou d’André Téchiné, notamment lors d’une scène d’amour assez intense entre Marina Foïs et Nicolas Duvauchelle. J’adore les films de Téchiné. J’aime ce courage qu’il a eu de vouloir réconcilier le cinéma français avec le romanesque. Il fait du cinéma d’auteur dans un cadre populaire, on ne peut que l’envier. Ça m’a profondément inspiré. Chez Doillon, il y a quelque chose de plus isolé. C’est le côté obstiné de ses films que je trouve admirable. Pour la scène dont vous parlez, je pensais effectivement à un film de Téchiné : il y a un décalage dans l’union de Marina et Nicolas, comme une effraction.La blondeur et la modernité de Marina m’évoquaient Deneuve.Face à elle,Nicolas a ce côté écorché vif, à la Dewaere. Son personnage est porteur d’une violence qui surgit de manière inattendue. Vous tournez beaucoup en caméra épaule. Pourquoi ? Pour moi, la mise en scène découle d’abord d’une méthode de travail,pas d’une idée figée du cinéma. Là, j’avais besoin de tourner en continuité avec les acteurs. La caméra à l’épaule permet de tourner plusieurs plans en un seul, sans interrompre leur jeu. Je travaille avec un chef-op’, Nicolas Gaurin, que je connais depuis longtemps. On s’est rencontrés à la Femis et il a éclairé tous mes films. J’ai une confiance absolue en lui. On discute au préalable du plan à
faire, et ensuite la caméra épaule lui permet de suivre ses intuitions. L’idéal pour moi, c’est de rester aux côtés de mes acteurs.L’image doit rouler d’elle-même. Vous avez beaucoup répété avec eux ? Assez peu. Ce qui est flippant dans le cinéma, et donc assez excitant, c’est quand on arrive sur le plateau : on a quelque chose à filmer, mais on ne sait pas encore comment on va le filmer. On sait juste que dans une heure, ça doit être tourné. C’est tout le contraire d’une démarche théâtrale, où l’on peut passer trois heures sur une phrase. Il y a des gens qui le font très bien, moi ça me dépasse complètement. Ensuite, j’adapte ma méthode aux comédiens. Je les aime pour ce qu’ils sont, je ne veux pas les changer. Ils ont leur propre façon de travailler. Par exemple, Élodie Bouchez venait voir chaque prise au combo. Marina, c’est le contraire, elle ne veut rien voir. Moi, tout me va. On parle souvent de maladie du cinéma français. Vous savez pourquoi ? Je ne suis pas d’accord.Ce qui peut poser problème, c’est la qualité des films, pas leur nationalité. Après, que le cinéma français soit intimiste… On peut très bien faire de l’épique avec de l’intime. Ce que je trouve magique avec le cinéma, c’est qu’on puisse faire un film sur deux personnages dans une chambre, et que ça parle du monde. Je ne reprocherai jamais au cinéma français d’être trop nombriliste. Derrière le nombril, il y a les tripes. Et quand on fait un film, on le fait avec ses tripes à soi, pas celles des autres.
Un film d’Antony Cordier // Avec Roschdy Zem, Élodie Bouchez… // Distribution : Le Pacte // France, 2009, 1h43 // Sortie le 15 septembre
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WAkINg SLEEPINg BEAUTY Succès planétaire sortant définitivement Disney du marasme dans lequel il végétait depuis le début des années 1980, Le Roi Lion (1994) conte une double guerre de succession : celle, à l’écran, qui déchire les frères Scar et Mufasa, et celle, en coulisse, qui oppose les figures tutélaires du studio. C’est cette histoire-là, bal macabre et égotique, que décrit Don Hahn dans Waking Sleeping Beauty, sur fond d’innovations technologiques et de renouveau artistique et commercial. À l’aide d’archives fascinantes (parmi les fourmis travailleuses, on reconnaît l’agneau Tim Burton ou les jeunes loups Jeffrey Katzenberg et John Lasseter, futurs fondateurs de DreamWorks et Pixar), il livre un éclairage précieux, empreint de nostalgie, sur l’implosion du monde de l’animation. _S.A. et A.T. Un documentaire de Don Hahn // Avec Jeffrey Katzenberg, John Lasseter… // Distribution : Walt Disney Studios // États-Unis, 2009, 1h26 // Sortie le 6 octobre en exclusivité française au MK2 Hautefeuille
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CINéMA PARADISIAQUE La première salle privée de cinéma à la demande a vu le jour dans le secret, à Paris. Le Germain Paradisio s’est installé dans un sous-sol de 130 m² au cœur de SaintGermain-des-Prés, sous le Café Germain de Thierry Costes, y adjoignant ainsi un espace culturel interactif. L’alcôve, aux murs recouverts d’une fresque cloutée,doit ses formes généreuses à l’architecte d’origine irano-égyptienne India Mahdavi. Équipée d’un projecteur numérique, la salle, qui peut accueillir jusqu’à 24 personnes, se loue à la séance. On peut y voir, à l’horaire de son choix, nouveautés à l’affiche,films en 3D ou classiques restaurés – accompagnés, si besoin est, d’un plat de raviolis à la truffe. Dissimulé sous terre, à l’abri des regards, on est ici au cinéma comme chez soi.
© Derek Hudson
_C.G. et A.L. Germain Paradisio // 25-27 rue de Buci, 75006 Paris // Tél. : 06 34 99 37 13 Prestations : concierge, entrée privative... germainparadisio@mk2.com // www.legermainparadisio.com
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LES
NEWS
SECOUEZ, AGITEZ, SAVOUREZ : L’ACTU CINÉ, CULTURE,TECHNO FRAÎCHEMENT PRESSÉE
CLOSE-UP
On l’a connue haute comme trois pommes, elle revient en sex-symbol sans passer par la case premiers émois adolescents. Dakota Fanning, 16 ans et un CV long comme le bras, semble en avoir terminé avec les rôles d’adorable fille de (Sean Penn,Tom Cruise, Robert De Niro…), laissant ce créneau bon enfant à sa petite sœur Elle, 12 ans – à l’affiche du nouveau Sofia Coppola, Somewhere. Dans Les Runaways, la gamine surdouée de Hollywood est Cherie Currie – la chanteuse de ce groupe de pionnières du rock –, massacre sa crinière blonde, hurle des cochonneries au micro et roule des pelles aux filles et aux garçons. « Je voulais qu’on me voie autrement que la Dakota de 7 ans qui jouait dans Sam je suis Sam », le film qui la révéla au grand public en 2001. Émancipation réussie : elle est troublante de justesse dans ce rôle de femme enfant survoltée, papillon de nuit aux ailes brûlées par la drogue, l’alcool et le show business. _Pamela Messi (avec Juliette Reitzer)
© Metropolitan Filmexport
Bombe sensuelle même pas majeure dans Les Runaways, DAkOTA FANNINg remet au goût du jour la crise d’adolescence version punk.
20 NEWS /// POLÉMIQUE
k
LE
IL Y A CEUX QU’IL ÉNERVE ET CEUX QUI LE VÉNèRENT
HORSDU COUP? Après Indigènes, Hors-la-loi est-il indigeste, voire indigent ? Une polémique cannoise et un procès d’intention injustes précédant la sortie du film, la rédaction se penche sur ce cas de conscience. _Par Juliette Reitzer (la question) et Clémentine Gallot (la réponse)
LA QUESTION
LA RéPONSE
Tout l’enjeu d’un film historique est de nous faire oublier que l’on en connaît la fin. Pour y parvenir, les cinéastes s’attachent souvent à suivre le destin de petites gens pris dans la tourmente de la « Grande Histoire », de relire avec subjectivité les événements figés dans les manuels scolaires. Ainsi, Rachid Bouchareb aborde les épisodes sanglants de l’indépendance algérienne par le biais du parcours de trois frères : l’intello (Sami Bouajila), dévoué corps et âme au FLN, la brute au cœur tendre (Roschdy Zem) et la petite frappe égocentrique (Jamel Debbouze). Pourtant, le cinéaste livre ici son film le moins personnel, comme s’il craignait, en s’emparant de l’Histoire, de la desservir. Par souci d’objectivité, Hors-la-loi ne reste-t-il pas figé dans une forme classique à l’extrême, dénuée de véritables intentions de mise en scène ?
Hors-la-loi a des cojones. Si la pertinence historique ne suffit pas à sauver ce téléfilm de luxe d’un certain marasme, on ne peut reprocher au deuxième long métrage de Rachid Bouchareb de ne pas être militant ou de manquer de courage. Cette interminable reconstitution historique a au moins un mérite : celui d’être pris en main par ses véritables héritiers. En effet, le projet puise sa légitimité dans la position unique qu’il occupe au sein du cinéma français : des enfants d’immigrés prennent, enfin, la parole pour restituer leur histoire (l’exportation de la guerre d’Algérie en métropole). La singularité de l’entreprise, certes édifiante, de Rachid Bouchareb et de ses amis est d’en revendiquer le contrôle total, de la production au casting. Bien que menacé, à chaque instant, d’être écrasé par son sujet, ce film postcolonial fait donc figure de pionnier du genre.
Un film de Rachid Bouchareb // Avec Jamel Debbouze, Roschdy Zem… Distribution : StudioCanal // France-Algérie-Belgique, 2010, 2h18 // Sortie le 22 septembre
LA RÉPLIQUE
« C’EST SON PÈRE QUI LOUE L’ENDROIT. UN MAUDIT BEAU PALACE. C’EST QUE ÇA SE PREND PAS POUR UN SEVEN UP ÇA, OSTIE. » (LES AMOURS IMAGINAIRES, EN SALLES LE 29 SEPTEMBRE)
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© Derek Jones / FilmMagic
22 NEWS /// KLAP ! /// ZOOM SUR UN TOURNAGE
THEY LOVE PARIS En tournage cet été dans la Ville lumière, MARTIN SCORSESE et WOODY ALLEN confirment Paris comme capitale du film nostalgique. _Par Clémentine Gallot
C
e cher mois d’août en aura vu passer des reconstitutions en costumes, puisque Woody et Marty sont allés chacun puiser dans l’imagerie du Paris d’antan, respectivement des années 1920 et 1930. Allen, fuyant le coût exorbitant des tournages new-yorkais, renoue avec le Paris fantasmé de Tout le monde dit I love you (dansons déguisés, chantons sous les ponts) : Midnight in Paris, avec Adrian Brody et Marion Cotillard, suit cette fois une famille américaine en goguette. C’est sur le tournage, rue Mouffetard, qu’a éclatée l’auguste colère présidentielle, dont les photos ont filtré dans la presse. Le fameux caméo
aux 35 prises de Carla BruniSarkozy avec Owen Wilson y a déployé toute la panoplie folklo, baguette sous le bras. Moins d’une semaine plus tard, Scorsese lui emboîtait le pas, posant ses valises pour deux semaines dans la capitale avant d’entrer en studio à Londres. Quelques décors réels suffiront à son adaptation de L’Invention de Hugo Cabret, le roman graphique de Brian Selznick, hommage à Méliès (avec le petit Asa Butterfield et Jude Law). L’équipe, tournant en 3D, a transformé en salle de cinéma d’époque un amphi de la Sorbonne. L’acteur Ben Kingsley, grimé en Méliès barbu, a été aperçu place Édouard-VII et square de l’Opéra-Louis-Jouvet, dans le 9e arrondissement. De la neige synthétique avait recouvert le pavé, avec une mercerie et une horlogerie à l’ancienne reconstituées pour l’occasion. So French.
_Par S.A.
INDISCRETS DE TOURNAGE 1. Isabelle Huppert jouera dans Captured, prochain film du Philippin Brillante Mendoza, à qui elle a remis le Prix de la mise en scène pour Kinatay cette année à Cannes. On attend avec impatience ce faceà-face entre deux adeptes d’un cinéma radical, en flux tendu. 2. Emmanuel Mouret chamboule de nouveau les codes du film sentimental dans L’Art d’aimer, en tournage ce mois-ci. Aux côtés de ses acteurs fétiches – Frédérique Bel, Judith Godrèche –, quelques nouveaux, parmi lesquels François Cluzet et Julie Depardieu. 3. Walter Salles adapte Sur la route de Jack Kerouac. Les premières images ont été tournées au mois d’août et le casting présage le meilleur, puisque le cinéaste brésilien a réuni Viggo Mortensen, Kirsten Dunst, Kristen Stewart et Sam Riley derrière sa caméra.
LA TECHNIQUE
© Patrick Glaize
DU VIEUx AVEC DU NEUF C’est grâce à des matériaux dernier cri que Jacques Malaterre a ressuscité les protagonistes antédiluviens d’AO, le dernier Néandertal. Et pour poser les dentiers en résine, les perruques et les prothèses faciales en silicone sur les visages des comédiens Simon Paul Sutton et Craig Morris, il fallait quatre heures de travail quotidien à l’équipe franco-québécoise de maquilleurs, emmenée par le Canadien Adrien Morot. Quant aux Néandertal n’apparaissant pas en gros plan, ils étaient créés avec de simples masques rigides en plastique thermoformé, ou grâce à des maquillages classiques agrémentés de faux nez directement modelés sur le visage des figurants. _Julien Dupuy // AO, le dernier Neandertal de Jacques Malaterre, sortie le 29 septembre
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The Pacific © Warner Home video
24 NEWS /// TÉLÉCOMMANDO
SÉRIES NOIRES Deux dramas rouvrent les plaies de l’Amérique ; celles, oubliées, laissées par la guerre du Pacifique et celles, récentes, infligées à La Nouvelle-Orléans par Katrina. _Par Guillaume Regourd
entrée télé solennelle cette année, avec deux belles œuvres en provenance des États-Unis. Dans The Pacific, Steven Spielberg revient sur la guerre de 1939-1945, se penchant cette fois – après Frères d’armes et Il faut sauver le soldat Ryan – sur le front asiatique. Les marines rescapés des boucheries de Guadalcanal ou Iwo Jima furent moins célébrés à leur retour que les héros de Normandie. C’est à leur mémoire qu’est dédiée cette fresque luxueuse en dix volets, semée de témoignages de vétérans. L’hymne est à la fois exalté et rageur – digne, par-dessus tout. Autant d’épithètes taillés pour Treme, signée David Simon. Ici, il s’agit de raviver le souvenir de l’enfer vécu par les habitants de La Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina en 2005. Au travers du retour à la vie d’un quartier, Simon s’en prend vertement à l’attentisme de l’administration Bush et des gouvernements locaux. Avec toutefois davantage d’espoir que dans The Wire (Sur écoute en VF), son précédent brûlot. C’est qu’en Louisiane, Simon a trouvé la meilleure des raisons de garder la foi : la musique. Joueurs de trombone et violonistes sont en première ligne pour chanter l’amour de cette ville et de ceux qui la portent à bout de bras. Comptant toutes deux à leur générique le scénariste George Pelecanos, The Pacific et Treme collent longtemps à la peau. Devoir (de mémoire) accompli.
R
BUZZ TV
_Par G.R.
1. L’industrie du porno inspire décidément la télé. HBO et Mark Wahlberg ont mis en chantier un drama sur un éditeur vidéo spécialisé dans le X. Le sulfureux romancier James Frey (L.A. Story) est à l’écriture, et la distribution comptera de vrais hardeurs. 2. Wale, un des patrons de la scène rap de Washington, ne se remet pas de Seinfeld. Après avoir dédié en 2008 à la sitcom The Mixtape About Nothing, featuring Julia Louis-Dreyfus, il vient de signer More About Nothing, où il sample la célèbre séquence du Soup Nazi. 3. Josh Holloway, le «Sawyer» de Lost, pourrait reprendre l’un des rôles les plus célèbres de l’histoire de la télé U.S., celui du privé Jim Rockford dans le remake de Deux cents dollars plus les frais. Il remplacerait Dermot Mulroney, qui n’a pas convaincu NBC.
Treme, à partir du 25 septembre sur Orange Cinéma Séries The Pacific, le lundi sur Canal+
LE CAMÉO
© Fox Pahé Europa
STEPhEN kINg DANS SONS OF ANARCHY Loin des bourgades du Maine qui composent habituellement son univers, le maître de l’horreur fera une apparition sur le plateau poussiéreux du show de motards californiens de la chaîne FX. Le romancier, fan avoué de Sons of Anarchy, sera un « solitaire taiseux » dans un épisode de la saison 3 diffusée ce mois-ci aux États-Unis. « Kurt Sutter [créateur de la série, ndlr] m’a assuré qu’il m’écrivait un méchant rôle sur mesure, raconte-t-il sur son blog. Surtout, il a dit qu’il me mettrait sur une putain de Harley. Comment pouvais-je refuser ? » _G.R.
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© Alberto Bocos Gil
26 NEWS /// EVENT
SANG NEUF De Charles Burns à Alex Robinson, cent auteurs contemporains redessinent cent planches issues de classiques de la BD. L’exposition 100% BD présente le résultat de cette confrontation, aussi didactique que surprenante. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)
L’
exercice a toujours intrigué les auteurs de bande dessinée: comment réagir à une planche déjà existante ? Après tout, la BD induit par son essence même l’idée d’œuvre séquentielle, jamais achevée. Regarder une planche isolée, c’est déjà en imaginer la suite, les ramifications, rhizomes, racines ou radicelles. Récemment, pour fêter ses 20 ans, l’Association organisait une exposition et un livre collectif qui confrontaient des planches extraites du catalogue de l’éditeur à d’autres faites pour l’occasion. Un artiste réinventait le propos et le graphisme d’une de ses propres pages déjà publiée par l’éditeur, mesurant ainsi le chemin parcouru. L’exposition 100% BD propose une démarche voisine: des planches issues des collections du musée de la BD d’Angoulême sont redessinées ou poursuivies par des auteurs contemporains. Des échos se créent d’une génération à l’autre et un dialogue s’installe, comme avec un fantôme. Par exemple, Charles Burns refait un strip de Chester Gould, l’auteur de Dick Tracy, et sa relecture s’apparente autant à une discussion qu’à un remix : vu à travers lui, Gould s’ouvre à une modernité différente, résonne d’une voix nouvelle. L’ensemble de l’expo est ainsi, qui crée des passerelles et construit une histoire de la BD mise à nue par ses auteurs mêmes. Du 24 septembre au 8 janvier à la bibliothèque Forney, Hôtel de Sens, 1 rue du Figuier, 75004 Paris.
RENDEZ-VOUS
_Par J.R.
1. Dans le cadre de l’année France-Russie, voyage cinématographique en 60 films (de 1917 à aujourd’hui) en présence des cinéastes Pavel Lounguine, Alexei Guerman, Alexandre Sokourov… Moscou, Saint-Pétersbourg : deux visages de la Russie, du 14 septembre au 24 octobre au Forum des images
2. Programmation monstrueuse pour la 16e édition de l’Étrange festival ! De l’horreur bien sûr (dont le nouveau Romero, une soirée Tobe Hopper et une nuit « vampires »), mais aussi du docu, de la SF, de la musique… L’Étrange festival, du 3 au 12 septembre au Forum des images
3. Le dessinateur américain Iain McCaig a créé les personnages du Star Wars de George Lucas et les univers visuels d’Entretien avec un vampire, Terminator 2 ou Dracula… Une expo fantastique et colorée. Iain McCaig & Paul Topolos, dès le 9 septembre à la Galerie Arludik
L’AFTER-SHOW
© Nicolas Joubard
CYPRESS HILL À ROCK EN SEINE Foin de séparation ou d’annulation coup sur coup, cette année Rock en Seine fut un oasis ami. Six pieds sur terre (détrempée) lévitait Cypress Hill, saints patrons d’un genre, le hip-hop, encore hérétique aux oreilles des programmateurs de grands-messes rock. Éclipsant les pétards mouillés Arcade Fire ou Roxy Music, le quatuor a fait bouger les têtes sans tourner en rond, tout beuh tout flamme. Les obus I Wanna Get High et Insane in the Brain ont fait de la vapeur sous le crachin, laissant la foule retraverser la Seine en nage. _E.R. et A.T.
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28 NEWS /// CARTE BLANCHE
FANTAISIE
MILITAIRE Soldats au sein du régiment d’infanterie du rock français, LES ShADES montent en première ligne avec leur deuxième album, 5/5. Après le succès d’estime du premier, Le Meurtre de Vénus, ils avancent au pas de charge. Objectif : gagner du galon. Le lundi 4 octobre, le quintet prend d’assaut le MK2 Quai de Seine pour la soirée d’ouverture de sa carte blanche, Les Shades font leur cinéma. _Par Stéphanie Alexe
À
quinze ans,Les Shades entament leurs classes et s’unissent sous le même uniforme. Dans l’enceinte de leur lycée, ils prennent position contre le CPE. Le matin, avant les cours, ils achètent des chaînes au Castorama et cadenassent les portes de la forteresse, «pour être tranquilles et partir répéter». Retranchés dans leur garage, ils fourbissent leurs armes : «Au début, t’arrives avec ton instrument et tu te dis : ‘‘Mais qu’est-ce qu’on va faire ?’’Tu sais juste un peu jouer et il va falloir créer à partir de rien. » Le maquis qu’ils prennent ensuite, c’est la route. « Partir en tournée tous les week-ends cache sans doute le désir de s’échapper. Il y a trois ou quatre ans, en vacances dans le Sud, on est allés voir les Stones en concert à Nice. On a longé toute la côte en écoutant Exile on Main Street. Un vrai pèlerinage. » Leur rage de vaincre cache-t-elle une ombre qui plane? «J’ai toujours cru que mon père pensait que j’étais un bon à rien », lâche Benjamin, qui s’identifie au personnage principal de Rushmore de Wes Anderson : « Il veut tout faire mais le résultat est médiocre. À force de conjuguer études, rock et copines, on a parfois cette même impression d’inachevé. » Parmi les héros décorés, les Shades portent aux nues Bill Murray. La B.O. de Ghostbusters reste, pour eux, un hymne psychédélique fondateur. Étienne revendique son admiration : « L’esthétique de cet album est complètement réempruntée aujourd’hui. On avait toutes les figurines du film quand on était petits : la
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maison, la caserne de pompiers, la voiture, le brassard, le sac à dos bouffe-tout. » Cette conception ludique du combat se retrouve dans leur pratique artistique, alimentée par des références cinéphiliques communes : « Dans les films de Woody Allen ou de Michel Gondry, il y a une espèce de joie à créer, qui caractérise beaucoup ce que l’on fait », explique Benjamin. Toute fougue, aussi inspirée soit-elle, a besoin d’un catalyseur pour porter ses fruits sur le champ de bataille. Le maître d’armes à l’origine du premier album, c’est Bertrand Burgalat. « On l’a rencontré parce qu’il nous a proposé de faire une reprise de Stevie Wonder, I Was Made to Love Her. À l’époque il venait de sortir Tricatel de la crise et voulait signer un vrai groupe de rock. Il nous a d’abord supervisés à fond pour mettre sa patte puis progressivement, il nous a laissés faire. C’est un manager de luxe, en quelque sorte. » Après cette première victoire, seconde charge : les Shades réattaquent avec 5/5, plus sombre, plus sérieux. Comme s’il fallait prendre les armes pour trouver sa place. C’est la guerre, Dictateur, Infanterie, disent les titres des chansons. Des blessures enfouies, à demi pansées? «En sixième, j’étais dans un collège un peu difficile, Porte de Bagnolet ; c’était une période où il y avait beaucoup d’événements en Israël et en Palestine. J’ai compris que j’étais juif le jour où des mecs me sont tombés dessus », confie Benjamin. Pudique, il hésite à s’attarder sur le sujet. Étienne l’épaule : « On a des débats sur la Seconde Guerre mondiale trois fois
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De gauche à droite : Étienne, Hugo, Benjamin, Victor et Harry.
par semaine. Le thème de la guerre nous obsède. Quand on écrit des chansons, on a plutôt envie d’évoquer cette gravité que d’être dans la légèreté. » Une angoisse qui imprègne également les clips de 5/5. Alain Guillerme, ami d’enfance enrôlé auprès du bataillon, a réalisé 4/5, un court métrage découpé en quatre séquences, reprenant chacune une chanson de l’album. Pour le groupe, la peur du vide que le film illustre s’érige en reflet d’une époque.Valeureuse troupe, les Shades pourraient-ils étendre leur conquête au cinéma ? Après une première offensive d’Étienne l’année dernière dans La Reine des Pommes de Valérie Donzelli, ils jouaient cet été une scène dans Je ne suis pas une princesse d’Eva Ionesco. Et surtout, à partir d’octobre, ils établissent leur campement au bord de l’eau, pour une carte blanche au MK2 Quai de Seine qui annonce elle aussi une vague d’hostilités : I’m Not There de Todd Haynes, variation onirique autour du dieu Dylan, ou le film fétiche, Down by Law de Jim Jarmusch qui «finit comme un western, une tragédie grecque transposée dans l’air du temps ». Aux armes, cinéphiles !
5/5 des Shades (Tricatel / Sony BMG, album disponible depuis le 5 avril) Cycle Les Shades font leur cinéma au MK2 Quai de Seine. Soirée d’ouverture le lundi 4 octobre : miniconcert suivi d’un débat avec le public, puis de la projection d’un film. Et les samedis et dimanches en matinée. Plus d’infos sur www.mk2.com
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« ON AVAIT TOUTES LES FIGURINES DE GHOSTBUSTERS QUAND ON ÉTAIT PETITS : LA MAISON, LA CASERNE DE POMPIERS, LA VOITURE, LE BRASSARD, LE SAC À DOS BOUFFE-TOUT. »
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30 NEWS /// UNDERGROUND
IT’SSUMMERTIME Les symphonies au soleil des MAgIC kIDS courent vers l’ouest américain, ses plages, ses vagues, et d’éternels étés. Sunshine pop forever. _Par Wilfried Paris
i Memphis fut la ville de naissance de l’industrie du rock américain (Elvis Presley, Johnny Cash, Jerry Lee Lewis y firent leurs premiers hoquets), ces ados tout frais tout rétros ont surtout gardé du mythique label local Sun Records son premier mot, sun, et s’avèrent être moins rock’n’roll torse-poils que sunshine pop aux mentons glabres. Retour à l’enfance de l’art donc, celui de Brian Wilson et de Phil Spector, dont ils récitent les manières, reprennent les cantiques, entre le mur d’eau sur lequel glisser et le mur du son sur lequel grimper, vers des sommets amoureux, les Zombies, Harpers Bizarre, Belle & Sebastian ou Magnetic Fields les prenant aussi par la main. Nul doute que ces nouveaux Icare touchent un jour du doigt l’objet de leurs célébrations, païennes comme l’est l’adolescence (ses crushes, ses boys et ses girls), tant elles sont fidèles à la tradition American Graffiti (doo-wop, radio shows, cars’n’girls), inépuisable fontaine de jouvenceaux et jouvencelles. De joyeuses chorales de cœurs d’artichauts, qui se brisent comme la vague sur le sable fin, ou qui s’épanouissent comme la mer qu’on voit danser, voilà ce que donnent à entendre ces gamins magiques, sur des cordes angéliques, des cuivres innocents, le long de cavalcades sentimentales, évidemment entraînantes. Vamos a la playa.
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Memphis de Magic Kids (Rough Trade / Beggars)
COPIER COLLER
_Par A.T.
>> Sur leur premier album, Memphis, les Magic kids décochent de délicates fléchettes chantées, tout en orchestrations pointues et mélodies crève-cœur.
>> Juvénile et estivale, leur pop évoque les mues émouvantes de Young Man, dont le premier LP, Boy, chamarre la rentrée aux couleurs de l’été indien.
LE MYSPACE CHARTS DE LA RÉDACTION _Par A.T. gUILLAUME FéDOU – Garçon moderne www.myspace.com/guillaumefedou « À commencer par l’épiderme, je veux être un garçon moderne. » Rockeur raccord, Fédou a l’époque dans la peau, et nous savons que c’est réciproque. Vivement l’album (octobre). ThE MORNINg BENDERS – Excuses www.myspace.com/themorningbenders Ces Californiens se font l’écho des productions 70s de Phil Spector (reverb, cloches, wah wah, chœurs) en un merveilleux update : belles excuses. FAMILY OF ThE YEAR – Summer Girl www.myspace.com/familyoftheyear Leur Summer Girl a enchanté l’été 2010 : dans la grande famille de la sunshine pop, je demande les neveux des frères Wilson, des Mamas & the Papas et des Papas Fritas.
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32 NEWS /// BUZZ’ART
BÂTARD Les amours chiennes du cinéma pour le caméscope amateur – de Blair Witch à Redacted – ont fait des portées dans le jeu vidéo. Dog Days a du chien.
ARTY TECH
_Par Étienne Rouillon
a commence cru avec la vidéo de surveillance d’un resto, lâchée sur le web sans commentaire. Deux bonshommes tous nus trébuchent entre les tables, poursuivis par un clébard mordant qu’ils fracassent à coups de plateau repas.Teaser sauce barbare pour faire monter la mayonnaise et le bruit des modems. Une technique venue du grand écran, qui utilise l’esthétique du petit pour dévoiler ses [Rec] Deux bonshommes tous nus et Cloverfield, pellicules où trébuchent entre les tables. celui qui filme est le héros. Dog Days reprend les codes de la VHS encrassée et de la course à pied sans steadycam pour ce deuxième épisode de la série de jeux d’action Kane & Lynch. Le premier, Dead Men, louchait révérencieusement vers le Heat de Michael Mann. Le deuxième garde les mêmes artifices crépitants de la fusillade soutenue en pleine rue, mais la photo est brillamment souillée par les scories visuelles propres au document amateur. On en jappe de plaisir, même si Dog Days, à la croisée des niches cinématographiques, agacera quelques rétines avec ce parti pris artistique parfois redondant. C’est là qu’est l’os. Kane & Lynch 2 : Dog Days (Square Enix, sur PC, PS3, X360)
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>> gROSSE TÊTE Pour se faire le melon brillant de Daft Punk, mieux vaut en avoir sous la casquette, et du lumineux s’il vous plaît : dix-sept mois de conception à tâtons, entre la sculpture, l’électronique et la peinture. Le hobby du graphiste américain Harrison Krix, c’est la reproduction d’objets cultes, dont il vous livre les modes d’emploi. Chapeau. _E.R. http://volpinprops.blogspot.com
VIDÉOS _Par E.R.
Mark Ronson – Bang Bang Bang www.youtube.com/user/MarkRonson Le producteur d’Amy Winehouse en pleine audace Power Ranger pour une reprise synthétique d’Alouette, gentille alouette avec le rappeur Q-Tip. Introduction en japonais et conclusion à la McEnroe sur court. Logique.
BirdBox Studio – Sketchy Ice Cream www.youtube.com/birdboxstudio C’est mignon comme un Sylvain Chomet et méchant comme un épisode de Happy Tree Friends. Vue sur la BBC, la série des Sketchy prouve que les moments Nutella, eh ben, c’est mieux quand ça finit mal.
Blu – Big Bang Big Boom http://vimeo.com/13085676 Le peintre en bâtiments en remet une couche avec ses fresques animées sur murs en stop motion. Une révolution darwinienne de dix minutes se joue sous le pinceau dantesque du graffiteur italien.
34 NEWS /// LE NET EN MOINS FLOU
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AUTO-THUNES Quand le potache met de l’oseille dans le potage, c’est qu’Internet est aux fourneaux. À table, les gREgORY BROThERS assurent le service. Passe-moi le buzz. _Par Étienne Rouillon
e piratage numérique, ça rapporte des sous à iTunes. Si, si, c’est vrai. Prenez les petits Gregory, un quatuor américain de trois frères, plus la femme de l’un d’eux. Depuis un poil plus d’un an, ils orchestrent un grand détournement des interventions les plus expressives des journalistes ou politiques à la télévision. Ça s’appelle « Auto-Tune the News », du nom du logiciel auto-tune qui permet de moduler des discours parlés. La douzaine de chants grégoriens a déjà fait gazouiller Obama, Hugo Chávez ou le Parlement européen Les petits Gregory caracolent sur des rythmes R&B. désormais en tête des charts U.S. Dernière galette tunée, l’interview du dénommé Antoine Dodson par une chaîne locale de l’Alabama. Aussi hystérique que Ruby Rhod du Cinquième Élément, il apparaît très remonté après l’irruption avortée d’un supposé violeur dans la chambre de sa sœur. The Bed Intruder Song a eu un tel succès – 16 millions de vues en un mois sur YouTube – que les Gregory ont retrouvé Antoine pour lui proposer de vendre l’hymne sur iTunes. Il caracole désormais en tête des charts U.S. Et c’est pas de la soupe.
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http://thegregorybrothers.com
STATUTS QUOTES SÉLECTION DES MEILLEURS STATUTS DU MOIS
Johanna is now friend with Jean Duvoyage. Thomas écoute le nouveau single de Yann-Arthus Plastic Bertrand, Ça plane pour moi vu du ciel. Raoul se fait Lecce / Les Pouilles, et aime plutôt ça. Christophe : C’était cool cette université d’été du PS avec Julien Dray, Jean-Paul Huchon, Jack Lang, et c’était sympa d’avoir invité Roxy Music et Arcade Fire. Julie ne comprend pas pourquoi Brice Hortefeux veut démanteler les CD-Roms. Patricia : Aussi taudis, aussitôt fée. The Light Carrier : Aujourd'hui encore, permettons-nous ce désormais fameux jeu de mot « It's getting Woerth ». Sophie préfère François Sagat à Françoise Sagan.
Check-in
[t ekin] v.
MOT @ MOT _Par E.R.
(Du terme anglais désignant la procédure d’enregistrement d’un individu à son arrivée dans un endroit, communément un hôtel ou aéroport) 1.Action de mise à jour de sa position géographique physique via des plateformes de géolocalisation communautaires comme Foursquare. Chaque utilisateur ami peut ainsi suivre vos déplacements. «Fin du mercato, Yoann Gourcuff check-in à l’Olympique Lyonnais.» 2.Système de suivi transfrontalier d’expédition de colis vivants. «Cher Brice, vos envois viennent de check-in à Bucarest.»
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36 NEWS /// AVATARS
STAR SYSTEM Il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine, celle des salles de jeux en réseau, Starcraft menait sa guerre des étoiles. Douze ans plus tard, que donne la suite quand on n’a pas joué au premier ? _Par Étienne Rouillon
peine sorti de l’hégémonie ludique du magasin l’Œuf Cube, avec ses cartes Magic et figurines Warhammer, le Quartier latin hibernait sous les voutes de Dotcom et PCgamer, antres du jeu à plusieurs par claviers interposés. On était en 1998, les Bleus pressaient des oranges sanguines mutantes, les newbies cliquaient à s’en rougir l’index sur Starcraft.
À
La belle affaire, moi j’étais beau gosse à la Sattouf, les doigts englués de Super Glue sur des maquettes de Spitfire pour survoler le collège. Alors quand il a fallu les faire pianoter sur Starcraft II, j’étais comme Colomb débarquant en compagnie de Vikings qui ont déjà fait trente fois l’aller-retour : « Quoi t’as jamais saigné Starcraft ? T’as passé douze piges dans une mine chilienne ? » Étoile du berger pour le néophyte, comète de Halley pour les nostalgiques, Starcraft II brille déjà comme la référence du jeu de stratégie. Sidérant comme c’est malin. Promis, je m’attaque bientôt au retour d’une autre vieille dame boudée à l’époque : Diablo. Starcraft II : Wings of Liberty (Activision Blizzard, sur PC, Mac) Lire la critique page 97
APPLIS MOBILES
_Par E.R.
TRICOUNT Pour éviter que les colocs finissent en loques, cette application vérifie l’adage « les bons comptes font les bons amis » en permettant de gérer la balance des dépenses communes. Plus efficace qu’un saladier de facturettes sur le meuble de l’entrée. Plateformes : iPhone, iPad et iPod touch // Prix : gratuit
BEATMAkER La référence de l’édition musicale nomade est soldée. Plus de raisons de faire la sourde oreille pour enfin profiter de ses boîtes à rythmes et séquenceurs. Compositions sur le pouce et arrangements live de l’index sont à portée de paume. Plateformes : iPhone, iPad et iPod touch // Prix : 7,99 €
DARk NEBULA 2 La suite du jeu de labyrinthe double son fameux aîné avec deux fois plus de contenu. Une vingtaine de niveaux entre jungle steampunk et cartes mères à la Tron, où l’on dirige une sphère en inclinant son téléphone. Va jouer aux billes. Plateformes : iPhone, iPad et iPod touch // Prix : 0,79 €
NEXT LEVEL
_Par E.R.
RED DEAD REDEMPTION John Marston va-t-il chevaucher le grand écran ? La rumeur web veut que Brad Pitt chausse les santiags du héros de Red Dead. En attendant, le réalisateur John Hillcoat (La Route) vient de poster un moyen métrage réalisé à partir d’images du jeu.
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VIRTUA TENNIS 4 Tétant aux entêtantes mamelles de la 3D et de la motion capture, Sony a annoncé le retour de la licence aux balles jaunes pour 2011, avec lunettes en relief et raquettes Playstation Move à la clef.
LES SIMS MEDIEVAL Oyez, oyez, gueux geeks. Dans le rude hiver prochain, la chaleur des foyers Sims crépitera une geste médiévale. Privilégiant les quêtes à la gestion de pantins incontinents, serait-ce l’épisode du renouveau ?
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LE
GUIDE CALENDRIER MALIN POUR AVENTURIER URBAIN
DU MERCREDI 8 SEPTEMBRE AU MARDI 5 OCTOBRE
« MON FILM PARLE DE L’ÉTÉ, DE LA CHALEUR ET DES TRANSFORMATIONS DU CORPS. » JULIA SOLOMONOFF P. 42
SORTIES EN SALLES SORTIE LE 8 SEPTEMBRE 40 Des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvois
42 Le Dernier Été de la Boyita de Julia Solomonoff SORTIES LE 22 SEPTEMBRE 43 Homme au bain de Christophe Honoré SORTIES LE 29 SEPTEMBRE 44 Un homme qui crie de Mahamat-Saleh Haroun 46 Les Amours imaginaires de Xavier Dolan LES AUTRES SORTIES 48 Twelve ; Benda Bilili ! ; Copains pour toujours ; Une Chinoise ; Black Diamond ; The Town ; Soldat de papier ; Les Runaways ; Chantrapas ; Miel et Milk ; Pauline et François ; Amore ; Wall Street : l’argent ne dort jamais ; La Meute ; Sans queue ni tête ; La Yuma
P. 42
50 LES éVéNEMENTS Mk2 La reprise du Festival de Locarno Carte blanche aux auteurs de Blacksad
SORTIES EN VILLE 52 CONCERTS Le néopsychédélisme de MgMT et Of Montreal L’oreille de… Alice Lewis
54 CLUBBINg La Nuit électro au grand Palais Les nuits de… We Are Enfant Terrible
56 ExPOS La frères Farrell à Mains d’œuvres Le cabinet de curiosité : La Biennale de Belleville
58 SPECTACLES Un mage en été au Centre Pompidou Le spectacle vivant non identifié : Plastique Danse Flore
60 RESTOS Sylvain Sendra chez Itinéraires Le palais de… Mahamat-Saleh Haroun
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62 LA ChRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN
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40 CINÉMA
SORTIE LE
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Des hommes et des dieux 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour le casting impeccable, avec une mention spéciale à Lambert Wilson et Michael Lonsdale. 2… Pour admirer le sacrifice de ces moines, dont un seul a survécu. 3… Pour la photographie magnifique, qui saisit aussi bien les moments de recueillement que les paysages.
HUMAINS AVANT TOUT Un film de Xavier Beauvois // Avec Lambert Wilson, Michael Lonsdale… Distribution : Mars // France, 2010, 2h
S’inspirant de l’épisode tragique des moines de Tibhirine, xAVIER BEAUVOIS évite le piège de la reconstitution politico-historique dans un film humaniste. Divin. _Par Raphaëlle Simon
En 1996, lors du conflit entre l’État algérien et la guérilla islamiste, sept moines français sont assassinés. Manipulation? Acte terroriste? Là n’est pas la question de ce film qui parle d’hommes avant tout. Ceux-là vivent dans les montagnes selon les rites cisterciens qui plongent leur quotidien dans la prière, le chant, la contemplation, la fraternité avec leurs voisins musulmans. Mais bientôt le conflit s’enlise et les moines sont priés de partir. Doivent-ils rester ? Avec une mise en scène dépouillée qui s’inspire de l’iconographie du martyre, Beauvois filme l’exigence spirituelle de ces hommes à l’heure où leur engagement est mis à l’épreuve de la réalité. C’est une décision collective qui les guide finalement vers le sacrifice de soi par amour de l’autre. Aussi spirituel soit-il, le film regorge d’émotion : à l’issue de la décision ultime, les visages des moines sont filmés un à un au son exalté du Lac des cygnes. Leurs yeux sont vides, leurs rides se creusent, comme si la vie s’échappait déjà de leur chair pour monter vers les cieux. Un pur moment de transcendance.
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xAVIER BEAUVOIS Vous ne cherchez pas du tout les coupables ici. Pourquoi ? Dans la presse, on n’a fait que ça, chercher les coupables. J’ai trouvé bien plus important de montrer qui étaient ces moines trappistes retirés en Algérie. Je voulais faire découvrir leur message de tolérance et de fraternité. En suivant le destin de ces hommes extrêmement tolérants et généreux, vouliezvous dénoncer notre société individualiste ? Oui, c’est ce qui était aussi excitant dans ce projet. J’ai souvent l’impression qu’on veut nous monter les uns contre les autres, avec ces histoires de burqa et autres faux problèmes qui ne concernent presque personne. Comment avez-vous pensé la mise en scène ? En me retirant dans l’abbaye pour préparer le film, j’ai vite compris que j’allais devoir être précis car la vie monastique est très ritualisée. La sobriété de la mise en scène s’est imposée d’elle-même. J’ai de plus en plus envie d’aller vers l’épure, comme dans les films récents de Clint Eastwood : il n’y a rien en trop. WWW.MK2.COM
42 CINÉMA
SORTIE LE
08/09
Le Dernier Été de la Boyita 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour découvrir le premier film distribué en France de cette jeune cinéaste argentine. 2… Pour un teen movie déroutant sur l’identité sexuelle. 3… Pour l’atmosphère intimiste du film : acteurs non professionnels, tournage en équipe réduite, beaucoup d’improvisation.
LA MÉTAMORPHOSE Un film de Julia Solomonoff // Avec Guadalupe Alonso, Nicolas Treise ... Distribution : Epicentre Films. // Argentine, 2009, 1h30
Avec son deuxième long métrage, Le Dernier Été de la Boyita, l’Argentine JULIA SOLOMONOFF signe un film perspicace sur l’enfance qui fait sa mue. _Par Clémentine Gallot
La préadolescence est-elle un état avéré plutôt qu’une étiquette sur les étals de jouets et dans les officines des psychologues ? C’est le point de vue adopté par Le Dernier Été de la Boyita, qui se poste au seuil de l’adolescence. Au divorce de ses parents, la petite Jorgelina est envoyée à la campagne pour les vacances. Elle glandouille dans un ranch avec son père et fréquente le fils des métayers, Mario. Celui-ci s’entraîne pour une course de chevaux, qui sera à la fois le test de sa virilité et un rite de passage. Mais la mue n’est pas là où on l’attend : c’est Mario qui se met à saigner. Julia Solomoloff aborde ici librement les questions de genre et de sexualité, et témoigne de la constance avec laquelle le cinéma argentin, en particulier féminin, s’y attèle. L’adolescence volatile, voire magique est un thème qui mûrit chez d’autres réalisatrices du pays depuis plusieurs années : jeunes filles mystiques et miraculées dans La Niña Santa, hermaphrodite dans XXY. Tous les éléments de ce film solaire – faune et flore sensuelles de la pampa, lumière radieuse – concourent à amplifier cette fuite erratique des corps. SEPTEMBRE 2010
JULIA SOLOMONOFF D’où vient l’histoire des deux adolescents ? J’y pense depuis des années : c’est un cas dont ma mère, gynécologue, avait parlé à mon père, psychiatre, durant le dîner, quand j’avais 10 ou 11 ans. Vous abordez l’adolescence à travers la figure de l’hermaphrodite, comme dans XXY. Le mot n’est jamais prononcé, il est trop sensationnel. Le film parle de l’été, de la chaleur et des transformations du corps. Cette fille a la curiosité et la générosité de questionner ce qui fait qu’une fille est une fille. Elle découvre que l’identité (de genre, de classe, culturelle) ne peut pas être réduite à des X et des Y, contrairement à ce qu’on lui a appris. Et la nouvelle vague des cinéastes argentins ? Elle se porte bien ! Ils en sont à leur troisième ou quatrième film. Nous continuons à penser nos histoires selon nos propres termes et pas à l’échelle d’Hollywood. Je vis à New York, j’enseigne à l’université de Columbia. Je vais tourner à Buenos Aires, où je me sens toujours inspirée.
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43 CINÉMA
SORTIE LE
22/09
Homme au bain 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Parce que l’homosexualité en banlieue n’a pratiquement jamais été montrée dans le cinéma non pornographique. 2… Pour le plaisir de voir le sosie d’un Jonas Brother qui se prend une fessée par François Sagat. 3… Refusant de céder à la mélancolie facile, le film fait preuve d’une drôlerie constante et souvent inattendue.
NOUVELLE VIRILITÉ Un film de Christophe Honoré // Avec François Sagat, Chiara Mastroianni… // Distribution : Le Pacte // France, 2010, 1h12
Deux hommes ne savent plus quoi inventer pour se dire qu’ils ne s’aiment plus, et ChRISTOPhE hONORé sait quoi filmer pour nous émouvoir : le corps Pascal Brutalien de la star du porno gay, François Sagat. _Par Jacky Goldberg
Lorsque le directeur du Théâtre de Gennevilliers commanda à Christophe Honoré un court métrage avec pour seule contrainte de filmer Gennevilliers en très peu de jours et avec un budget réduit, imaginait-il que le prolifique cinéaste allait réaliser son septième long métrage? Alors que tout le monde se plaint, à juste titre, de la lenteur du processus de production en France, Honoré a fait de la vitesse une condition d’existence, une éthique, un pied de nez aux tiédasses commissions. Par ce geste brusque, il est plus que jamais au cœur de son sujet : la perte et l’ivresse.Tout commence par la séparation de deux amants.L’un,Omar,part une semaine à New York présenter son dernier film, en compagnie de son actrice (Chiara Mastroianni, comme toujours impériale).Cela donne lieu à la partie la moins intéressante du film : si ce carnet de voyage à la DV et à l’arrache pouvait se justifier théoriquement (offrir un
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contrepoint, faire son autoportrait sous le masque d’un alter ego moustachu) et pratiquement (passer du moyen métrage au long), il ne trouve simplement jamais la forme adéquate, demeurant brouillon de bout en bout. L’autre, Emmanuel, prié par Omar de déguerpir avant son retour, décide malgré tout de squatter l’appartement quelques jours encore, se tape des mecs du « tiéquar », se fait humilier par son écrivain de voisin (Dennis Cooper), pleure, peint… Cet autre, l’amant désolé donc, c’est François Sagat, star du porno gay, ici merveilleusement filmé. C’est là, dans la tendresse de chaque geste et l’âpre légèreté des situations, entre le bibendum keatonien se recomposant après la chute et la drôlerie d’un Pascal Brutal – dont on connaît désormais, à coup sûr, la source d’inspiration –, qu’Honoré trouve matière à se renouveler et à émouvoir le plus.
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44 CINÉMA
SORTIE LE
29/09
Un homme qui crie 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour découvrir du grand cinéma africain sans folklore. 2… Pour cette fable universelle aux personnages attachants. 3… Pour sa mise en scène épurée et lumineuse.
BYE-BYE AFRICA Un film de Mahamat-Saleh Haroun // Avec Youssouf Djaoro, Diouc Koma… Distribution : Pyramide // France-Belgique-Tchad, 2010, 1h32
Cinéaste tchadien vivant en France depuis son exil, MAhAMAT-SALEh hAROUN est malgré lui le portedrapeau de l’Afrique noire et de son cinéma, de plus en plus rare sur nos écrans. _Par Donald James
En prise directe avec l’actualité de son pays à travers ce film – Prix du jury à Cannes – qui met en scène un vieil homme, ex-champion de natation, confronté à son obsolescence, Haroun croise l’intime et le politique. La séquence d’ouverture, où l’on découvre Adam s’adonnant aux côtés de son fils à un concours d’apnée, témoigne assez bien de la situation d’aveuglement des personnages, et dessine les contours d’une relation père-fils à la fois proche et concurrentielle. Cinéaste exigeant, maîtrisant l’art du plan-séquence avec brio (le film est monté par Marie-Hélène Dozo, fidèle des Dardenne), Haroun revisite la tragédie d’Abraham, sauf que chez lui, les dieux n’existent plus : Adam-Abraham sacrifie son fils par devoir citoyen, pour l’effort de guerre… Traversé par des accents burlesques, Un homme qui crie déploie en silence des images puissantes, comme celle d’Adam parcourant le désert en side-car, masque de plongée sur la tête. L’homme qui crie est un homme qui perd pied, un vieux lion battu dont on n’entendra jamais le cri. SEPTEMBRE 2010
MAhAMAT-SALEh hAROUN Vous habitez en France et filmez au Tchad. Comment vivez-vous cette situation ? Adolescent, j’ai été blessé par la guerre et j’ai fui mon pays. Le seul rêve qui me restait était de faire du cinéma, d’aller à Paris. Aujourd’hui, deux mondes existent en moi. Je porte le Tchad dans mon cœur. Présenté en compétition officielle à Cannes, votre film y était le premier depuis treize ans à venir d’Afrique noire : comment expliquezvous cette absence ? Les films africains ont peut-être trop joué sur le folklore, comme si c’était le parangon de notre culture. Mon premier combat, c’est de ramener ce cinéma dans une confrontation avec les autres cinémas. Dans le film, Adam dit que notre malheur est d’avoir confié notre destin à Dieu. Avezvous réalisé un film sur la perte de la foi ? Plutôt sur l’impression d’être abandonné par la vie. Ce sentiment prend naturellement une connotation métaphysique, spirituelle. À la fin de mon film, l’univers aquatique musical absorbe le silence et l’absence du père.
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46 CINÉMA
SORTIE LE
29/09
Les Amours imaginaires 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Parce qu’après le duo filial de son premier long métrage, J’ai tué ma mère, Xavier Dolan transforme l’essai avec ce sublime triangle amoureux. 2… Parce qu’avec ce film, la lose sentimentale devient un art de vivre. 3… Pour la B.O. réjouissante, qui réunit Dalida, Indochine, The Knife et House of Pain.
LES LOIS DE L’ATTRACTION Un film de Xavier Dolan // Avec Xavier Dolan, Monia Chokri… Distribution : MK2 Diffusion // Canada, 2010, 1h42
Avec Les Amours imaginaires, le jeune Québécois xAVIER DOLAN livre une superbe variation, duale et maîtrisée, sur le sentiment amoureux. _Par Stéphanie Alexe et Anne de Malleray
Deux papillons de nuit sur une ampoule, s’y brûlent les ailes mais reviennent, inlassablement. Deux amis, Marie et Francis, s’entichent d’un bellâtre indifférent, Nicolas, éphèbe aux boucles d’or. S’ensuit une cour maladive faite de flatteries gauches, cadeaux somptueux et rendez-vous manqués. Si cet amour est imaginaire, c’est que son objet importe moins que les effets qu’il provoque. Plus qu’à l’amour, Dolan s’intéresse à ses signes, ses signaux, son langage. Avec force ralentis, il ausculte les états d’âme de ses héros antagonistes : masculin/féminin, homo/hétéro. À ce regard intime et stylisé répondent des séquences proches du documentaire, souvent très drôles, où de jeunes Québécois déballent leurs déboires sentimentaux. Comme pour saisir, au-delà du particulier, les lois de la condition amoureuse. Des figures un peu «quétaines», ploucs en VF, y côtoient dans un contraste réjouissant les trois héros, dont l’univers esthétisant, inspiré de la Nouvelle Vague, est émaillé de fragments poétiques et littéraires. Aucun autre langage ne saurait mieux que l’art exprimer l’état amoureux.
SEPTEMBRE 2010
xAVIER DOLAN Tu es à la fois scénariste, réalisateur, acteur : d’où vient cette polyvalence ? J’aime quand les choses se recoupent et ressemblent à ce que j’avais en tête. Je préfère faire les choses moi-même plutôt que de m’obstiner avec un chef de département opiniâtre. Ça passera, c’est une phase. Dirais-tu que ton film traite moins de l’amour que de la manière dont on l’exprime et l’interprète ? Le film parle d’un rêve, d’un idéal, d’une romance imaginée par un geste, par une parole volée, involontaire. Il parle de la réaction la plus humaine qui soit : l’envie de tomber amoureux pour l’être soi-même, davantage que pour l’être d’une personne. Qu’est-ce qui, dans tes racines, est source d’inspiration ? Les Amours imaginaires est québécois sans essayer avec ostentation de l’être, par nature, par instinct. Ce n’est pas un brûlot ou un documentaire choc, c’est un film sur le chagrin amoureux ! Je ne pense ni aux Québécois, ni à la France, ni à personne quand j’écris. Je pense à moi, pour être honnête. WWW.MK2.COM
48 CINÉMA
AGENDA SORTIES CINÉ 08/09 _ Par S.A., C.D., C.G. et J.R.
SORTIES DU
TWELVE de Joel Schumacher Avec Chace Crawford, 50 Cent… Gaumont, États-Unis, 2010, 1h35
À New York, des adolescents privilégiés s’ennuient. Blasés, ils voient en White Mike, dealer notoire, celui qui pourvoira l’adrénaline manquante. Leur équilibre est ébranlé à la mort de Charlie, le cousin de White Mike. La descente aux enfers commence.
BENDA BILILI ! de Renaud Barret, Florent de La Tullaye Avec Cubain Kabeya, Paulin Kiara-Maigi … Sophie Dulac, France, 1h25
Le pitch est irrésistible : un groupe de SDF paraplégiques qui compose dans les rues de Kinshasa est repéré par deux documentaristes français. La success story mondiale qui s’ensuit pour les gueules cassées de Staff Benda Bilili est amplement méritée.
COPAINS POUR TOUJOURS de Dennis Dugan Avec Adam Sandler, Kevin James… Sony, États-Unis, 1h42
Ce buddy movie avec le sémillant Adam Sandler (Funny People, Punch-Drunk Love) met en scène une réunion d’amis d’enfance trente ans plus tard, chauves, bedonnants et parents.Top là, mec.
UNE ChINOISE de Xiaolu Guo Avec Lu Huang, Geoffrey Hutchings… Les Films du Paradoxe, Chine-Royaume-Uni, 1h38
Mei quitte son village pour découvrir le monde, de la Chine à l’Angleterre. Au fil de ses amours et désillusions, la jeune femme fait l’apprentissage de la violence et de la solitude. Portrait d’une génération en quête d’identité, Léopard d’or à Locarno. ET AUSSI CETTE SEMAINE : DES hOMMES ET DES DIEUx de Xavier Beauvois (lire la critique p. 40) LE DERNIER éTé DE LA BOYITA de Julia Solomonoff (lire la critique p. 42)
SEPTEMBRE 2010
15/09
SORTIES DU
BLACk DIAMOND de Pascale Lamche Documentaire Shellac, France, 2009, 1h41
En Afrique, les agents sportifs promettent monts et merveilles aux jeunes footballeurs, mais ne retiennent qu’un diamant brut parmi les innombrables familles aux espoirs sacrifiés. Au nom du foot, l’émergence d’une nouvelle forme glaçante de trafic humain.
ThE TOWN de Ben Affleck Avec Ben Affleck, Rebecca Hall… Warner Bros., États-Unis, 2h03
Pour son deuxième passage derrière la caméra après Gone Baby Gone, l’acteur Ben Affleck persévère dans le polar bostonien, entouré de stars du petit écran (Jon Hamm de Mad Men, Blake Lively de Gossip Girl) et de la délicieuse Rebecca Hall (Vicky Cristina Barcelona).
SOLDAT DE PAPIER d’Alexeï Guerman Jr. Avec Merab Ninidze, Chulpan Khamatova… ASC, Russie, 1h58
En 1961, dans un désert de sel kazakh,Youri Gagarine s’apprête à être le premier homme dans l’espace… Mais le vrai héros de ce film sublime, Lion d’argent à Venise, est le médecin du programme, clown pathétique tiraillé entre devoir patriotique et peurs macabres.
LES RUNAWAYS de Floria Sigismondi Avec Kristen Stewart, Dakota Fanning… Metropolitan, États-Unis, 1h46
L’histoire vraie des Runaways, LE groupe de glam rock féminin, emporté par les toutes jeunes (17 et 16 ans !) et survoltées Joan Jett et Cherie Currie. Un régal de musique, d’humour et d’émotion, qui dit à merveille l’énergie débauchée des années 1970. ET AUSSI CETTE SEMAINE : hAPPY FEW d’Antony Cordier (lire l’entretien p. 10) CYRUS de Jay et Mark Duplass (lire le dossier p. 64) MIRAL de Julian Schnabel (lire le portrait p. 74) ThE hOUSEMAID d’Im Sang-soo (lire la critique p. 98)
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SORTIES DU
22/09
ChANTRAPAS d’Otar Iosseliani Avec David Tarielashvili, Tamuna Karumidze… Les Films du Losange, France-Géorgie, 2h02
Nicolas, un jeune cinéaste prometteur qui se heurte à la censure des idéologues en Géorgie, fuit à Paris pour tenter d’y tourner son prochain film. Une fable burlesque et partiellement autobiographique du réalisateur d’Adieu, plancher des vaches!
MIEL ET MILk de Semih Kaplanoglu Avec Melih Selcuk, Bora Altas… Les Acacias et Bodega Films, Turquie, 2008 et 2010, 1h42 et 1h43
Les derniers volets de la trilogie de Kaplanoglu présentent deux périodes charnières, l’enfance et les débuts en poésie, de la vie de Yusuf, personnage librement inspiré du cinéaste turc. Ces deux films, aux échos multiples, touchent par leur rare finesse.
PAULINE ET FRANÇOIS de Renaud Fely Avec Laura Smet, Yannick Renier… Haut et Court, France, 2009, 1h35
Pauline est mutée dans l’agence bancaire d’un village isolé, avec l’espoir de faire le deuil de son mari. C’est le fief d’une famille dont l’hospitalité dissimule de douloureux secrets. Elle s’éprend de François, le fils. Un premier film nuancé, tendre et rude à la fois.
AMORE de Luca Guadagnino Avec Tilda Swinton, Alba Rohrwacher… Ad Vitam, Italie, 1h58
Pour sonder le quotidien d’une famille bourgeoise figée dans les conventions, le cinéaste italien file la métaphore du marbre et de la pierre, fissurés par le désir de liberté d’une Tilda Swinton sensuelle comme jamais, impeccable en épouse ranimée par l’adultère. ET AUSSI CETTE SEMAINE : hORS-LA-LOI de Rachid Bouchareb (lire la critique p. 20) hOMME AU BAIN de Christophe Honoré (lire la critique p. 43)
SEPTEMBRE 2010
SORTIES DU
29/09 WALL STREET : L’ARgENT NE DORT JAMAIS d’Oliver Stone Avec Michael Douglas, Shia LaBeouf Twentieth Century Fox, États-Unis, 2h16
Notre requin de la finance préféré, Gordon Gekko (Michael Douglas), revient en ex-taulard grisonnant et repenti. Il renoue avec sa fille (Carey Mulligan), amoureuse d’un jeune trader (Shia LaBeouf). Mais on n’apprend pas au vieux singe à faire la grimace…
LA MEUTE de Franck Richard Avec Yolande Moreau, Emilie Dequenne… La Fabrique 2, France, 1h29
Franck Richard signe un premier film de genre audacieux, aux dialogues jouissifs de vulgarité. En mère surprotectrice et meurtrière, Yolande Moreau est terrible, dans tous les sens du terme.
SANS QUEUE NI TÊTE de Jeanne Labrune Avec Isabelle Huppert, Bouli Lanners… Rezo Films, France, 2009, 1h35
Alice, prostituée de luxe, satisfait les fantasmes extravagants de ses clients. On la recommande à Xavier, un psychanalyste désabusé. Ces deux altruistes de profession, l’une caméléon, l’autre ours taciturne, perdent pied lorsqu’il s’agit de se regarder en face.
LA YUMA de Florence Jaugey Avec Alma Blanco, Gabriel Benavides… La Femme endormie, Nicaragua, 1h24
Dans un quartier pauvre de Managua, une jeune fille encaisse les coups durs et se bat pour atteindre son rêve : devenir boxeuse professionnelle. Touchant d’énergie et d’optimisme, La Yuma est le premier film produit au Nicaragua depuis plus de vingt ans. Prometteur. ET AUSSI CETTE SEMAINE : LES AMOURS IMAgINAIRES de Xavier Dolan (lire la critique p. 44) UN hOMME QUI CRIE de Mahamat-Saleh Haroun (lire la critique p. 46
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50 CINÉMA
LES ÉVÉNEMENTS BASTILLE
BIBLIOTHÈQUE
HAUTEFEUILLE
ODÉON
QUAI DE LOIRE
BEAUBOURG
GAMBETTA
NATION
PARNASSE
QUAI DE SEINE
CINÉMA
PASSERELLES
FLASH-BACKS & PREVIEWS
LE DIALOGUE DES DISCIPLINES
DIMANChE 12 SEPTEMBRE – séance du matin / JAZZ À LA VILLETTE / Escale à Hollywood de george Sidney
DU 8 AU 21 SEPTEMBRE / ExPO / Blacksad À l’occasion de la sortie du nouvel album de Blacksad, L’Enfer, le silence.
DIMANChE 12 SEPTEMBRE – séance du matin / JAZZ À LA VILLETTE / Match d’amour de Busby Berkeley
JEUDI 9 SEPTEMBRE – 19h30 / SOIRéE ZéRO DE CONDUITE / Cargos Avec les éditions Attila, lecture-balade sur le bassin de la Villette suivie d’une rencontre à la librairie, autour des textes Noir Océan de Stefán Máni (Gallimard), Cargo mélancolie d’Alexandre Bergamini (éditions Zulma), Cargo de Bernard Mathieu (éditions Joëlle Losfeld) et Le Havre-Malte de Bérengère Cournut. Insc. au 01 44 52 50 70.
SAMEDI 11 SEPTEMBRE – séance du matin / JAZZ À LA VILLETTE / Un jour à New York de Stanley Donen et gene kelly
LUNDI 27 SEPTEMBRE – 20h30 / RDV DES DOCS / Un homme qui dort de Bernard Queysanne et georges Perec En présence d’Erik Bullot, cinéaste, critique et auteur. Dans ce film français de 1974, un étudiant remet en cause toutes ses activités et tous ses projets et se plonge volontairement dans une sorte d’hibernation… Une réflexion commune entre les deux auteurs et un propos très concerté ont généré une œuvre novatrice, singulière, hors du temps.
JUNIOR MERCREDI 6 OCTOBRE – 10h30 - LECTURES POUR LES 3-5 ANS Ce mois-ci, nos histoires vous parleront d’amoureux et d’amoureuses… Inscription gratuite au préalable à la librairie ou par téléphone (01 44 52 50 70) auprès de Mélanie et Sophie.
MERCREDI 15 SEPTEMBRE – 17h / DéDICACE / Alain Chiche Avec les éditions Le Sorbier, à l’occasion de la parution de l’album pour enfants Dans mon école.
JEUDI 16 SEPTEMBRE – 20h / SOIRéE BLAkSAD/ Carte blanche à Juanjo guarnido et Juan Díaz Canales. À l’occasion de la parution du tome 4 de Blacksad : L’Enfer, le silence, rencontre avec les auteurs animée par Eric Libiot de L’Express. Projection de Bird de Clint Eastwood, choisi et présenté par le dessinateur.
MERCREDI 29 SEPTEMBRE – 17h / DéDICACE / Benjamin Chaud Avec les éditions Albin Michel, à l’occasion de la parution de l’album pour enfants La fée coquillette mène l’enquête, et autour des albums de Pomelo.
VENDREDI 1er OCTOBRE – 19h / DéDICACE / gaëlle Almeras Avec les éditions Diantre, à l’occasion de la parution de la bande dessinée Bambou.
JEUDI 7 OCTOBRE – 19h30 / LECTURE / CosmoZ de Claro Avec les éditions Actes Sud, rencontre-lecture avec l’auteur, suivie de la projection du Magicien d’Oz de Victor Fleming, à 21h.
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UVREZ DÉCO ÉMA IN C LE DANS N E M T AUTRE K2 ! M LLES LES SA
FOCUS
_Par J.R.
SOIRéE BLACkSAD Héros animaliers et ambiance film noir, le quatrième opus des aventures du matou John Blacksad, Blacksad : L’Enfer, le silence, sort le 17 septembre. Le chat noir se fait mélomane et délaisse New York pour les clubs de jazz de La Nouvelle-Orléans, sur les traces d’un pianiste de génie. Le cinéma et la librairie du MK2 Quai de Loire offrent une carte blanche à Juanjo Guarnido et Juan Díaz Carales, respetivement dessinateur et scénariste de la série, qui présenteront au public un autre oiseau de nuit et de musique : Bird de Clint Eastwood (1988), évocation de la vie du saxophoniste de jazz Charlie Parker. La rencontre sera animée par Éric Libiot, journaliste de L’Express, et suivie d’une séance de signature. Jeudi 16 septembre à 20 h. Billets en vente avant la séance. Carte Pass acceptée. Blacksad, L’Enfer, le silence. Tome 4, Dargaud. À paraître le 17 Septembre. Lire l’interview p. 84
LOCARNO À PARIS La 63e édition du Festival de Locarno, installé sur les rives du lac Majeur en Suisse italienne, s’est achevée le 14 août dernier. Si, comme nous, vous êtes impatients de découvrir quelques-uns des 280 films qui y étaient présentés (certains n’ayant pas encore de date de sortie française), rendez-vous dès le 8 septembre au MK2 Quai de Seine pour une reprise de la sélection du festival. L’occasion de découvrir en avant-première le palmarès du jury 2010, présidé par le cinéaste singapourien Eric Khoo : Han Jia de Li Hangqui (Léopard d’or), Curling de Denis Côté (Prix de la meilleure mise en scène et Prix d’interprétation masculine) ou Morgen de Marian Crisan (Prix spécial du jury). Mais aussi le très controversé Bas-fonds d’Isild le Besco, inspiré d’un fait divers sordide et qui n’a, pour l’heure, pas trouvé de distributeur, ou le très attendu Memory Lane de Mikhaël Hers, histoire de sept amis d’enfance qui se retrouvent pour quelques jours dans la ville qui les a vus grandir (sur nos écrans fin novembre). Du 8 au 14 septembre. Toute la programmation sur www.mk2.com Lire notre compte rendu du festival p. 72
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LES CYCLES 1 MAx 2 CINé (TOUTES LES SALLES) Tous les samedis de septembre, pour les moins de 27 ans, un ticket sera offert après l’achat d’un premier ticket au tarif habituel. Celui-ci est valable le même jour, pour un autre film, à une autre séance et dans le même cinéma. Plus de renseignements sur www.1max2cine.com
JAZZ À LA VILLETTE En partenariat avec le festival Jazz à la Villette, programmation autour de Frank Sinatra avec Escale à Hollywood de George Sidney, Match d’amour de Bubsy Berkeley et Un jour à New York de Stanley Donen et Gene Kelly. Et pour les enfants, projection des Aristochats de Wolfgang Reitherman. Jusqu’au 14 septembre. Samedi et dimanche à partir de 10h30. Tarif 6,50€. Cartes UI acceptées.
EN PLEINE NATURE Au programme : Tropical Malady d’Apichatpong Weerasethakul, Last Days de Gus Van Sant, Le Nouveau monde de Terrence Malick, Grizzly Man de Werner Herzog, La Femme des sables de Hiroshi Teshigahara, The Shooting de Monte Hellman, La Forêt de Mogari de Naomi Kawase, La Forêt d’émeraudes de John Boorman. Du 15 septembre au 2 novembre
T o u t e l a p r o g r a m ma t i o n s u r m k 2 . c o m
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© Patrick Heagney
CONCERTS
52 SORTIES EN VILLE
Of Montreal
FACE TO FACE Psyché pop à Paris Deux étendards du néopsychédélisme, moins psychotrope ou révolutionnaire que synthétique, passent par Paris. Entre MgMT et OF MONTREAL, ne choisissez pas, allez voir les deux. _Par Wilfried Paris
Les groupes psychédéliques semblent user aujourd’hui du collage (genres et époques) et de la juxtaposition colorée (timbres, instruments, vêtements) dans l’espoir de réunir et synthétiser ce que la schizophrénie culturelle (la profusion) éclate et éparpille. D’où le caractère un peu maladif, dépressif et obsessionnel de groupes comme MGMT (le «management» rationnalise la pop culture) ou Of Montreal. Fondé à Athens dans les années 1990, Of Montreal est le groupe d’un seul homme, Kevin Barnes, multi-instrumentiste princier et control freak, qui a enregistré tout seul ou presque sur son laptop une dizaine d’albums aussi spectaculaires que déconstruits, exaltants et exténuants, pop (baroque émotionnel), glam rock (sensualité décadente) et funk (move your ass and your mind will follow), où le virtuose solitaire finit à poil (littéralement à la fin de ses concerts). Après Skeletal Lamping, qui ressemblait à un épuisement de la forme pop (des poupées russes à tiroirs emboîtées, à un rythme effréné), il s’est calmé et a intégré un studio d’enregistrement pour créer False Priest, «qui n’est définitivement pas aussi schizophrène SEPTEMBRE 2010
et “collage” que Skeletal Lamping. Ma vision était de faire un album qui sonnerait comme la rencontre de George Clinton et William Burroughs. Je voulais que ce soit funky, brut et émotionnel, mais aussi que l’album contienne des éléments d’intellectualisme et de vulnérabilité ». De leur vulnérabilité, les MGMT ont fait un album, Congratulations (le mot qu’ils ont le plus entendu en 2009), grand disque malade, foisonnant, introspectif, qui semble vouloir faire le tour de quarante ans de psychédélisme, et déjà un classique. Si Kevin Barnes s’est assagi, MGMT a pris la relève d’une ambition démesurée, presque sacrificielle. Jusqu’où iront-ils ? À voir sur scène. MGMT, les 7, 8 et 9 octobre au Bataclan, 50 boulevard Voltaire, 75011 Paris, dès 19h30. Of Montreal, le 7 octobre à La Cigale, 120 boulevard de Rochechouart, 75018 Paris, dès 19h.
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L’OREILLE DE… ALICE LEWIS
BLONDE REDHEAD AU BATACLAN « Ce qui me fascine chez Blonde Redhead, c’est qu’ils arrivent à produire, à partir d’harmonies proches de la musique classique, des popsongs à la fois gracieuses et populaires, à l’énergie très rock’n’roll. Il y a un côté horizontal, planant et sophistiqué dans leurs mélodies, qui se déroulent d’elles-mêmes, comme ça. Cette horizontalité, c’est aussi ce que je recherche en musique. Mes concerts sont assez minimaux par rapport à mon album : je suis seule sur scène, où je joue des versions réduites de mes morceaux, plus intimistes. » _Propos recueillis par S.A.
Blonde Redhead le 16 septembre au Bataclan, dès 19h30, 27,50 €. No One Knows We’re Here, d’Alice Lewis (Naïve, album disponible le 19 octobre)
AGENDA CONCERTS
_Par W.P.
1 ISOBEL CAMPBELL & MARk LANEgAN + DAMIEN JURADO + WILLY MASON L’ex-Belle de Sebastian et l’ex-voix rauque de Queens of the Stone Age poursuivent leur road movie en Bonnie éthérée & Clyde crasseux, ou Lee imberbe & Nancy sans les bottes. Reste l’Americana fantasmée le long des motels. Le 11 septembre au Café de la Danse, dès 19h, 22 €.
2 EL gUINChO + MOUNT kIMBIE Des marimbas sud-américaines de ce Guincho qui a su mieux que personne pirater Animal Collective, au dubstep lancinant en bouts de mélodies RnB du duo Mount Kimbie, voilà de quoi passer en une soirée du soleil qui tape au bitume qui chauffe. Le 17 septembre au Point Éphémère, dès 20h, 18 €.
3 ThE MORNINg BENDERS Venus de Berkeley mais plutôt California Dreaming des Beach Boys dans le Big Echo (titre de leur album) de Phil Spector, ces jeunes voix hautes transforment leur public en chorale et leurs mélodies imparables en hymnes légères. Pop participative. Le 29 septembre au Nouveau Casino, dès 19h, 18 €.
4 BLACk MOUNTAIN Si vous voulez du lourd, les Canadiens de Black Mountain mettent leurs cheveux longs dans la soupe psychédélique et touillent les amplis à 11, Black Sabbath à la louche. Stoner et tonnerre. Le 4 octobre à la Maroquinerie, dès 20h, 18 €.
SEPTEMBRE 2010
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CLUBBING
54 SORTIES EN VILLE
DJ Hell
RAVE ÉVEILLÉE La Nuit électro au Grand Palais Adieu binoclards cachés derrière leurs ordinateurs : entre installation numérique, décor fastueux et plateau monstre, la Nuit électro au Grand Palais invente le clubbing monumental. _Par Violaine Schütz
Sortir dans des endroits dédiés à la fête ne suffit plus. Le succès des We Love Art (forêt, piscine), des Die Nacht (hangar) ou des Gare Aux Gorilles (squat) a prouvé qu’il fallait des lieux inédits aux insomniaques blasés, adeptes de l’adage «Paris ville morte». En plein dans la tendance, les agences La Lune Rousse (à l’origine des soirées Panik) et Artevia (derrière la Nuit blanche) offraient l’an dernier une alternative royale aux clubs balisés. La nef du Grand Palais (qui accueille depuis l’Expo universelle de 1900 des événements avant-gardistes) fut transformée en dancefloor géant le temps d’une nuit. «Cela faisait dix ans que nous rêvions de ce projet, et cinq ans que nous bataillions pour le réaliser, raconte Denis Legat, codirecteur de La Lune Rousse. Alors voir 5000 personnes danser au Palais, c’est grisant, et ça donne envie de recommencer. » Pour sa deuxième édition, la programmation de la Nuit électro se devait d’être aussi extraordinaire que le
SEPTEMBRE 2010
monument qui l’abrite. Le faste sera de mise le 9 octobre avec des artistes d’envergure, exigeants mais fédérateurs. D’un côté du live (Laurent Garnier,Yuksek, Simian Mobile Disco et Ebony Bones), de l’autre, des DJs (Supermayer, Juan McLean, Siskid), mais que du prestige. Pourtant, le vrai luxe pourrait venir d’ailleurs : «Après le succès de la première édition, nous sommes attendus au tournant, admet Denis. Nous avons donc demandé à Electronic Shadow, une architecte et un réalisateur multimédia, de travailler sur quelque chose de bien plus ambitieux, en espérant que cela marquera les esprits.» Le duo d’art numérique promet « une mise en scène de l’espace qui fera résonner la vibration émise par les musiciens et leur public à travers une installation artistique monumentale. » Une expérience sensorielle collective qui pourrait bien entrer au patrimoine collectif du clubbing. Le 9 octobre au Grand Palais, de 18h à 6h, 30 €.
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© J-M (Shanghai)
LES NUITS DE… WE ARE ENFANT TERRIBLE
« Nos nuits sont souvent comme celles des enfants turbulents : agitées et empreintes de rêves étranges. Nous aimons transformer la scène en un grand terrain de jeu (avec des sons de Nintendo 8-bit, des pédales de guitare qui clignotent dans tous les sens et des cascades sans filet) pour que la nuit se transforme en une performance artistico-technico-sportive. Réussie ou non, l’important, c’est de participer ! » _Propos recueillis par V.S.
Grrrrr Block Party le 17 septembre à La Machine avec We Are Enfant Terrible, Fortune, Para One & Tacteel et Bobmo, dès 23h, entrée libre.
AGENDA CLUBBING
_Par V.S.
1 DECADE Le webzine Brain a demandé à cinq DJs de s’atteler à une décennie musicale : Plaisir de France se chargera des 60s, Acid Washed des 70s, Joseph Mount (Metronomy) des 80s, Sexy Sushi des 90s, et Teki Latex des 00s. Une vraie leçon d’histoire clubbing. Le 10 septembre au Social Club Summer (Plaza Madeleine), dès 23h, 13 €.
2 WE LOVE FANTASY Ambiance club berlinois, techno moite et groove minimal pour cette We Love Art au plateau exclusivement allemand. Ben Klock, résident du Berghain, la prêtresse Ellen Allien, et le sorcier Seth Troxler investiront les bords de Seine pour une party très arty. Le 11 septembre à la Cité de la mode et du design, dès 23h, 30 €.
3 L’ANNIVERSAIRE DE TIgERSUShI Le label d’électronique pointue de Joakim fêtera une deuxième fois sa décennie en lâchant les fauves les plus racés, dont James Holden, le boss de Border Community, le jeune Surkin, Zombie Zombie, Krikor ou Principles of Geometry… De quoi rugir de plaisir. Le 17 septembre au Nouveau Casino & au Café Charbon, dès minuit, 17 €.
4 LA TERRASSA ChLOé Pour les 10 ans des soirées Terrassa, le Concorde Atlantique tanguera toute la nuit au rythme des BPM de l’étoile de Kill the DJ. Avec ses invités surprises, il y a fort à parier que Chloé terrassera avec classe les derniers relents d’amertume de rentrée de vacances. Le 19 septembre sur le bateau Concorde Atlantique, dès 22h, 10 €. SEPTEMBRE 2010
© Vinciane Verguethen
EXPOS
56 SORTIES EN VILLE
Seamus Farrell, Retrovisions 1, 2010
FRÈRES D’ART Les frères Farrell à Mains d’œuvres Mains d’œuvres démarre cette nouvelle saison sur les chapeaux de roue avec l’exposition La Famille Farrell qui regroupe les trois frangins du même nom : Malachi, Seamus et Liam alias Doctor L. Attachez vos ceintures… _Par Anne-Lou Vicente
Mains d’œuvres fait sa rentrée avec une exposition collective pas tout à fait comme les autres : La Famille Farrell réunit pour la première fois Malachi et Seamus, plasticiens, et Liam Farrell alias Doctor L, musicien. Trois artistes d’origine irlandaise qui vivent en France depuis une trentaine d’années – et même non loin de Mains d’œuvres pour deux d’entre eux – et jouissent d’une reconnaissance internationale. Leurs univers foisonnants, empreints de culture hip-hop, de mécanique et de politique, ne font qu’un dans cette exposition qui joue la carte de la fusion fraternelle, bien qu’elle se tienne en deux lieux et en deux temps : décollage à Mains d’œuvres du 4 septembre au 31 octobre et atterrissage à la Maison populaire du 28 septembre au 17 décembre.
– fumée, son et lumière –, et qui symboliquement fonctionne comme le moteur d’une véritable machine à rêves et à souvenirs. Dans sa déambulation, le passager croise une sculpture de chaussures lumineuses et parlantes suspendue à des câbles, une éclaireuse intelligente, un petit train électrique, une ville en carton, des casques audio flottants rappelant ces masques à oxygène tombés du ciel en cas de dépressurisation d’une cabine d’avion, et autres inventions mêlant technologie et bricolage. Reprenez votre souffle… Quelques secondes suffisent pour que le paysage ait déjà changé. Au mur, les géoglyphes de Nazca, immenses figures visibles du ciel sillonnant le désert péruvien, nous font signe. Après plusieurs tours de piste, il est temps de décoller. N’oubliez pas d’atterrir !
Embarquement immédiat à Mains d’œuvres où le visiteur, après avoir traversé un sas truffé de rétroviseurs à messages, découvre la pièce maîtresse de l’exposition : un avion en bois old school qui pourrait faire penser à un jouet géant agrémenté d’effets en tout genre
Jusqu’au 31 octobre à Mains d’œuvres, 1 rue Charles-Garnier, 93400 Saint-Ouen, www.mainsdoeuvres.org Du 28 septembre au 17 décembre à la Maison populaire, 9 bis rue Dombasle, 93100 Montreuil, www.maisonpop.net
SEPTEMBRE 2010
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© Yann Rondeau
LE CABINET DE CURIOSITÉS
LA BIENNALE DE BELLEVILLE L’art prend ses quartiers d’automne à Belleville, où se sont multipliés les lieux d’art contemporain ces dernières années. La Biennale de Belleville met à profit cette dynamique tout en prenant en considération l’histoire du quartier et ses transformations d’un point de vue sociologique. Accueillant l’exposition Solde migratoire, le Pavillon Carré de Baudouin constitue le lieu phare de la manifestation, qui s’invite aussi dans l’espace public. _A.-L.V.
Du 10 septembre au 23 octobre à Belleville, www.labiennaledebelleville.fr
AGENDA EXPOS
_Par A.-L.V.
hIPPOLYTE hENTgEN Formé par Lina Hentgen et Gaëlle Hippolyte, le duo français Hippolyte Hentgen joue Les Solitaires et expose ses dessins, volumes et installations peuplant un univers plein d’humour et onirique, voire surréaliste. Du 3 septembre au 23 octobre à la galerie Sémiose, 3 rue des Montibœufs, 75020 Paris.
JéRôME PORET Suspension, Ogives de bonheur, vent de solitude, spirale de candeur : tout un programme pour la première exposition personnelle de Jérôme Poret à la galerie Frédéric Giroux, qui fait résonner ombre et lumière, légèreté et pesanteur, surface et profondeur. Du 4 septembre au 30 octobre à la galerie Frédéric Giroux, 8 rue Charlot, 75003 Paris.
MOhAMED BOUROUISSA Dans sa vidéo intitulée Temps mort, l’artiste interroge les notions de liberté et d’enfermement à travers les échanges, notamment au moyen du téléphone portable, entre un homme incarcéré et le monde extérieur. Du 8 septembre au 9 octobre à la galerie Kamel Mennour, 47 rue Saint-André-des-Arts, 75006 Paris.
SEPTEMBRE 2010
© Marthe Lemelle
SPECTACLES
58 SORTIES EN VILLE
MONOLOGUE À TROIS Un mage à Pompidou Seul en scène dans Un mage en été, l’acteur LAURENT POITRENAUx se transforme en Robinson, héros littéraire d’OLIVIER CADIOT, l’aventurier des mots qui réconcilie théâtre et monologue poétique, sous l’œil qui entend tout de LUDOVIC LAgARDE. _Par Ève Beauvallet
Sous la plume d’Olivier Cadiot, magicien des mots connu pour ses formules poétiques abracadabrantes, le héros Robinson a une vie littéraire des plus sauvage. Précédemment domestique dans Le Colonel des zouaves ou dandy mélancolique dans Retour définitif et durable de l’être aimé, il est aujourd’hui biographe, chargé d’explorer dans Un mage en été les reliefs de la vie de Cadiot lui-même. Loin des côtes de l’autobiographie classique, là où le roman de formation croise la profusion narrative la plus saugrenue, il accoste chez un aïeul maléfique de l’auteur, mage A.O.C., révolutionnaire occulte de 1848 expatrié en Angleterre et persuadé d’être la réincarnation de Rabelais. Mais là où le destin des mages est de se réincarner les uns dans les autres, ledit mage et aïeul de Cadiot se débat pour échapper aux réincarnations… Cette entreprise d’autobiographie désamorcée a trouvé, elle, à se réincarner au théâtre, grâce au triple effort de SEPTEMBRE 2010
Cadiot, du metteur en scène Ludovic Lagarde, et de l’acteur protéiforme Laurent Poitrenaux. Sa voix, qui épouse à merveille les facéties langagières de l’auteur, a fait taire les salles au festival d’Avignon cet été. Distordue, manipulée en live par les ingénieurs de l’Institut de recherche et de création acoustique et musicale (l’Ircam), elle en superpose mille autres: celle d’une femme d’autrefois, celle d’Alfred de Vigny dont il est question dans le texte, ou celles d’autres figures imaginaires qui bataillent pour prendre la parole. Dans cette entreprise quasi proustienne, où l’ordre logique des temps s’incline devant la puissance gustative des madeleines, les trois artistes dessinent sur scène les chemins non balisés de la mémoire. On les suit à la trace.
Un mage en été, texte Olivier Cadiot, mise en scène Ludovic Lagarde, du 22 au 27 septembre au Centre Pompidou, www.centrepompidou.fr WWW.MK2.COM
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LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ
PLASTIQUE DANSE FLORE Versailles et l’art contemporain ? On en connaît le versant monumental façon Koons ou Veilhan, moins l’alternative paysagère, intimiste et éphémère qui réjouit depuis quatre éditions les curieux de la danse in situ et de la poésie botanique : Plastique Danse Flore. Le Potager du roi se fera source d’inspiration ou propos même des onze créations présentées cette année, parmi lesquelles Central Park, promenade musicale et chorégraphique d’Alexandre Meyer et Julie Nioche. De quoi creuser la perspective entre jeunes pousses de l’art et chefs-d’œuvre patrimoniaux. _E.B.
Du 17 au 19 septembre au Potager du roi de Versailles, www.plastiquedanseflore.com
AGENDA SPECTACLES
_Par E.B.
1 LA CERISAIE Après des années d’exil loin de la Russie, la riche Lioubov revient dans le jardin de son enfance, un verger à la beauté improductive, source de mort et objet de la convoitise des marchands. Cette figure blême et outrageusement libre du drame crépusculaire d’Anton Tchekhov sera interprétée par Jeanne Balibar dans une mise en scène signée Julie Brochen. Du 22 septembre au 24 octobre à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, dans le cadre du festival d’Automne à Paris, www.festival-automne.com
2 POLITICAL MOThER Disséquant la gestuelle martiale dans son blockbuster Uprising, le jeune virtuose anglo-israélien Hofesh Shechter avait su concilier grand format spectaculaire et danse d’auteur. Ce genre de défi étant fort peu relevé en France, c’est dire si sa nouvelle création Political Mother, sur l’ambitieux sujet de l’irréalité, est attendue en ce début de saison. Du 21 au 25 septembre au Théâtre de la Ville, www.theatredelaville-paris.com
3 LES ChAISES Les héros de la farce tragique d’Eugène Ionesco sont deux personnes âgées et leurs hôtes fantasmés, qu’ils font mine d’accueillir sur des chaises vides. « La dernière fête avant de se suicider ? », s’interroge Luc Bondy, dont la mise en scène, selon les vœux de l’auteur, voit les rôles principaux confiés à deux jeunes comédiens, Micha Lescot et Dominique Reymond. Du 29 septembre au 23 octobre au théâtre NanterreAmandiers, www.nanterre-amandiers.com. SEPTEMBRE 2010
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RESTOS
60 SORTIES EN VILLE
ITINÉRAIRES BIS La croisière, sa muse… Voyage en bord de Seine au gré d’une cuisine de rencontres : SYLVAIN SENDRA, talentueux chef d’Itinéraires, en leçon de désirs et de traversées vagabondes. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)
Fringant vaisseau ancré à la proue des rues de Pontoise et Cochin, voici le restaurant Itinéraires qui croise, stores coloris chocolat au vent, au fil des aventures gustatives de son chef Sylvain Sendra. De la vaste salle à l’ambiance cirée, moderne et lissée, l’on perçoit sa silhouette découpée par l’entremise d’une écoutille de verre ouverte sur la cuisine. Vêtu d’un blanc rigoureux, l’œil vif, son regard à l’horizon annonce : «La cuisine, c’est mon paradis ! » Cette cuisine, il la pratique sans relâche depuis ses premières expériences et ses voyages : le Japon, le Pérou et la Grande-Bretagne. Avant Itinéraires, il y avait Le Temps au temps, rue PaulBert à Paris. Un espace de quelques mètres carrés, berceau de son art créatif, pour quelques couverts initiés. Désormais, Itinéraires, point fixe, fédère la ligne de vie de cet homme de rencontres. Récemment, un déjeuner à L’Arpège, le restaurant triplement étoilé d’Alain Passard, bouleverse sa vision : « Depuis, je fais
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exister la cuisine et non pas le cuisinier », dit-il. Autre lieu, autre lien, il évoque la belle nature du chef italien Pier Giorgio Parini, croisé lors du festival Omnivore, et son rapport simple aux produits. « En cuisine, j’aime tenter le risque de l’imprécision pour titiller l’émotion. » Il suffit de goûter son merlu de ligne, fumet à l’encre de seiche, ragoût de calamar, ou son voile de pommes de terre sur purée de carottes, sésa-me et beurre Bordier pour s’en convaincre avec délice. En compagnie de Sarah, sa femme et muse bachique qui pourvoit avec talent au choix des vins de vignerons et règle en maître de ballet l’harmonie de la salle, il invente ici une belle table, une croisière en gourmandise qui sonde l’âme des plats et des heureux convives.
Itinéraires, 5 rue de Pontoise, 75005 Paris. Tél. : 01 46 33 60 11.
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LE PALAIS DE… MAHAMAT-SALEH HAROUN
AU RELAIS DES BUTTES-CHAUMONT « Je n’aime pas les cantines parisiennes où l’on est serrés comme des sardines. Au Relais, les tables sont bien séparées, il y a une terrasse agréable en été, et un coin cheminée en hiver. L’accueil y est familial. On y boit des très bons apéritifs. Eléonore, la patronne, propose une cuisine traditionnelle. Pour éviter le cholestérol, je ne mange que du poisson. Filets de saintpierre, de mulet ou bouillabaisse que j’accompagne d’excellents bordeaux. La carte change souvent. Dans ce quartier peu visité par la gastronomie, c’est une très bonne adresse. » _Propos recueillis par D.J.
Au Relais des Buttes-Chaumont, 86 rue Compans, 75019 Paris. Tél. : 01 42 08 24 70 Un homme qui crie de Mahamat-Saleh Haroun, en salles le 29 septembre, lire la critique page 44.
OÙ MANGER APRÈS… _Par B.V.
UNE ChINOISE Chez Likafo, pour retrouver la Chine rêvée et gourmande. Celle où les soupes fumantes invitent à la méditation, à l’enseigne d’un thé Wu Long infusé en gong fu cha. Un voyage avenue de Choisy, aux confins d’une Asie de goût, pour une poignée d’euros. Likafo, 39 avenue de Choisy, 75013 Paris. Tél. : 01 45 84 20 45
AO, LE DERNIER NéANDERTAL Chez Cru, pour une cuisine qui renie ses cendres. Ici l’on dévore crus légumes, viandes et poissons. La guerre du feu n’aura pas lieu, il s’agit de plats modernes et frais comme ce carpaccio de bar, citron vert et combava. Attention tout de même, certains prix jouent les coups de massue ! Cru, 7 rue Charlemagne, 75004 Paris. Tél. : 01 40 27 81 84
MIEL À La Cantine de Merci, la très bobo cantine du concept store solidaire, Merci. Le jardin fleuri accueille aimablement abeilles et clients autour de salades à composer soi-même : quinoa, herbes aromatiques, fruits, légumes et fleurs. La Cantine de Merci, 111 boulevard Beaumarchais, 75003 Paris. Tél. : 01 42 77 01 90
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62 LA CHRONIQUE DE
© Festival del film Locarno / Daulte
SANS ÂGE À ses débuts chez De Palma, en 1989, il faisait dix ans de plus que son âge. Aujourd’hui, il ne cesse d’incarner des enfants prisonniers d’un corps d’adulte, du cultissime Walk Hard à Frangins malgré eux. Passé en vingt ans des seconds rôles prestigieux au haut de l’affiche, des drames d’auteur (Scorsese, Allen, Malick) aux comédies made in Apatow, JOhN C. REILLY n’est jamais meilleur que dans l’entre-deux, comme ce mois-ci dans Cyrus, comédie diablement retorse des frères Duplass. Entretien avec un go-between de génie. _Propos recueillis par Jérôme Momcilovic
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_Photo : © Giasco Bertoli
A
dmirable second couteau (de Boogie Nights à La Ligne rouge, de Magnolia à Gangs of New York ou Aviator), l’immense John C. Reilly fait désormais valoir son génie au premier plan, comme ce mois-ci avec Cyrus. Une révélation tardive où se dessine un charmant paradoxe. Quand Brian De Palma le retient, en 1989, pour le casting d’Outrages, il a 24 ans et en paraît dix de plus. Ses traits lourds et le front épais qui pèse sur ses yeux tristes (la ressemblance avec Gene Hackman est alors frappante) lestent ses traits pourtant poupins d’une puissante mélancolie. Vingt ans plus tard, ce visage anonyme et bouleversant semble à l’in-
l’avons rencontré, un prix pour l’ensemble de sa carrière. Dans Frangins malgré eux, vous jouiez un grand adolescent de 40 ans, et au début de Walk Hard, vous étiez censé avoir 14 ans : on a le sentiment que plus vous prenez de l’âge et plus les rôles qu’on vous propose sont enfantins, quand ce ne sont pas véritablement des enfants… Dans le cas de Walk Hard, c’est différent. C’était satirique, il s’agissait de se moquer des conventions des biopics, où le même acteur joue un personnage à l’échelle d’une vie ou presque. Mais à bien y penser, j’ai joué des personnages naïfs, un peu enfantins, durant toute ma carrière, même quand j’étais
« ON A TELLEMENT IMPROVISÉ SUR CE FILM, QUE FORCÉMENT JE ME RECONNAIS BEAUCOUP DANS MON PERSONNAGE. » verse voué à devenir toujours plus enfantin. Rien de plus logique, alors, à ce que ce nouveau souffle dans sa carrière se soit formé au sein de l’écurie Judd Apatow. Hilarant avec Will Ferrell dans Ricky Bobby : roi du circuit et Frangins malgré eux, tout bonnement génial dans Walk Hard, Reilly poursuit aujourd’hui une véritable œuvre d’acteur. Inutile pourtant de chercher à l’en convaincre : la modestie et la candeur de ses personnages (d’un registre à l’autre, c’est toujours le même portrait de l’Amérique moyenne) sont aussi les siennes propres. Et c’est avec un mélange de bonheur et de franche perplexité qu’il recevait cet été, au Festival de Locarno où nous
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plus jeune. Je ne saurais pas vous dire pourquoi. Je suppose qu’il y a une part de moi là-dedans. Dans Cyrus, votre personnage est plus mature en apparence que celui de Frangins malgré eux, mais il est porté par une inquiétude très enfantine. Au fond, il est aussi possessif et tyrannique avec son ex-femme que Cyrus l’est avec sa mère. Il est toujours très attaché à son ex-femme, mais il n’est pas possessif de la même manière que Cyrus. La différence est que mon personnage accepte l’idée que son ex-femme puisse se remarier, tandis que Cyrus refuse de laisser une place à quiconque
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De gauche à droite : Marisa Tomei, Jonah Hill, John C. Reilly et Catherine Keener.
« CHAQUE JOUR DE TOURNAGE ÉTAIT UN ACTE DE FOI. » dans sa relation avec sa mère. En fait, j’étais vraiment heureux, après Frangins malgré eux, de jouer quelqu’un de plus mature, un personnage qui ait mon âge et soit plus proche de moi. À quel point vous ressemble-t-il ? On a tellement improvisé sur ce film, que forcément je me reconnais beaucoup dans mon personnage. J’ai été beaucoup plus heureux en amour, mais je retrouve, en puissance, mes instincts. Puisque rien n’était écrit, je devais réagir à la plupart des situations de la manière qui me semblait la plus honnête. D’ailleurs, ce qui est étonnant c’est que les scènes qui provoquent le plus de rires sont celles qui, au moment de les jouer, ne me semblaient pas particulièrement drôles. Je me contentais de réagir aux situations données. Par exemple, quand Cyrus se glisse dans la salle de bains où sa mère est en train de prendre une douche, la perplexité qu’on peut lire sur mon visage est réelle : j’étais effectivement en train d’essayer de déterminer jusqu’à quel point une telle situation était bizarre ! Les frères Duplass vous ont laissé improviser pendant tout le film : était-ce, avec eux, très différent de ce que vous aviez pu expérimenter avec Adam Mckay et Will Ferrell pour Ricky Bobby : roi du circuit et Frangins malgré eux ? En improvisant, vous produisez un scénario pendant les scènes, vous écrivez en même temps que vous jouez. C’est un exercice difficile, et chaque jour de tournage était un acte de foi. Mais le film doit tout à cette méthode. Il aurait été totalement différent si un scénariste avait dû imaginer toutes les situations, écrire tous les dialogues… Nous ne répétions pas et il y avait très peu de prises : les
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MONSTRES EN COMPAgNIE Jonah Hill / John C. Reilly : le face-àface des deux plus beaux monstres de la comédie américaine, dans Cyrus, tient de l'évidence. Beaux monstres ? Hill, le grassouillet de SuperGrave, nous fut révélé un beau jour de 2005, cherchant à acheter une paire de platform shoes dans 40 ans toujours puceau de Judd Apatow. Perversité, ténacité, folie dans le regard, et pourtant, déjà, une incommensurable douceur lézardait son visage-baudruche. Une fêlure qu’il reproduit dans Cyrus, avec quarante kilos en plus. Reilly, le brave copain chez Paul Thomas Anderson (Hard Eight, Boogie Nights, Magnolia), tourna sa face simiesque, comme fripée, vers la comédie à partir de Ricky Bobby : roi du circuit, en 2006, pour devenir trois ans plus tard le Frangin malgré lui de Will Ferrell, 15 ans d’âge mental. Enfants-adultes, adultes-enfants : les deux brouillent les cartes, abolissent les frontières, définissant un nouvel état, perpétuellement transitoire, toujours monstrueux. Et follement beau. _Jacky Goldberg
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68 CYRUS /// JOHN C. REILLY
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« JE CROIS QUE LA MEILLEURE DÉFINITION DE CYRUS SERAIT : UN FILM D’HORREUR ÉMOTIONNEL ! » MARISA, RISE UP ! Après The Wrestler, le talent trop peu exploité de Marisa Tomei explose à nouveau dans Cyrus. Dans un monde juste, Marisa Tomei (46 ans) serait en haut de toutes les affiches, quelque part entre Sharon Stone (la bombe fêlée, 52 ans) et Eva Mendes (la folle bombée, 36 ans). Hélas pour elle, de mauvais choix de carrière, répétés, l’ont maintenue dans la B list des actrices hollywoodiennes, malgré un oscar en 1992 pour Mon cousin Vinny. Il faut depuis supporter les comédies bourrines (Ce que veulent les femmes, Bande de sauvages) ou les morceaux de bravoure indie (In the Bedroom, Grace is Gone) pour apercevoir son joli minois, et succomber, comme John C. Reilly dans Cyrus, à son sourire d’Italienne, irrésistible. Bouleversante en maman-putain dans The Wrestler de Darren Aronofsky, peut-être son plus beau rôle, elle n’y pliait pas sous le poids du bélier Rourke, pas plus qu’aujourd'hui elle n’étouffe au milieu des deux rigolos Hill et Reilly. Qu’on se le dise, les gros bras n’effraient pas Marisa ; ce sont même eux qui pourraient la porter en haut de l’affiche. _Ja.Go.
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frères Duplass cherchaient toujours à obtenir notre première réaction aux événements. Quand Jonah [Hill, qui interprète Cyrus, ndlr] apparaît en slip dans la cuisine avec un couteau, il ne peut pas y avoir mieux que la première prise ! Avec Adam McKay, c’était différent, comme ça l’est avec chaque réalisateur. Il s’agissait plus de variations sur le même thème : on faisait quelques prises avec les dialogues du scénario, et puis on tentait d’autres choses, pour ne pas perdre l’effet de surprise. Il faut surprendre l’autre. Le meilleur moment pour un acteur, dans la comédie, c’est quand vous êtes sur le point de craquer, que les larmes vous montent aux yeux parce que vous avez envie de rire. C’est ce sentiment qu’on recherche. Avec Cyrus, l’idée était surtout d’atteindre une vérité émotionnelle. Les situations sont tellement étranges, inconfortables, que le résultat est drôle, mais je n’avais pas la responsabilité de faire rire. Vous avez joué dans des registres très différents, mais on a le sentiment que presque tous vos personnages ont en commun une forme d’honnêteté absolue. Quand, dans Cyrus, John est obligé de mentir pour se débarrasser de Cyrus, on sent que c’est pour lui un vrai cas de conscience. Oui, c’est une des nombreuses tensions du film. Quand on me demandait quel genre de film ça allait être, je ne savais pas trop quoi répondre : ce n’est pas vraiment une comédie, pas vraiment un drame… Je crois que la meilleure définition serait : un film d’horreur émotionnel ! Parce qu’il y a une tension à couper au couteau, mais qui renvoie aux sentiments des personnages. Cette difficulté à trahir, à ne pas rester entier, on la retrouve dans plusieurs de vos films : même chez vos personnages les plus sombres, il y a toujours une part d’innocence. Je ne sais pas à quoi ça tient, peut-être est-ce quelque chose que les réalisateurs perçoivent chez moi. Ou peut-être est-ce lié à mon instinct d’acteur, qui est de développer des portraits complexes. Même un personnage au cœur noir comme le Happy Jack de Gangs of New York a une part de lui qui est en conflit avec sa manière d’être. De toute façon, les individus les plus durs ont toujours une face plus sensible, et inversement. C’est ce qui m’intéresse en tant
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qu’acteur : dévoiler les différentes facettes d’un même personnage. Vous savez, c’est exactement ce en quoi consiste mon travail : faire en sorte que ça ressemble à la vie. Aimeriez-vous vous éloigner de ce type de figure, expérimenter quelque chose de radicalement nouveau ? Bien sûr ! Je rêve de faire des films historiques en costumes. Le problème, c’est que le type de films qui m’intéresse n’est plus à la mode aujourd’hui, ce sont des productions qui coûtent très cher et que les gens ne vont pas voir. J’adore les histoires de marins, d’explorateurs… Je viens d’acheter les droits d’un roman historique qui se passe dans l’Ouest américain. Je me passionne pour les récits d’explorateurs : Ernest Shackleton, qui avait tenté de traverser le pôle Sud au début du XXe siècle, le colonel Percy Fawcett et la cité perdue de Z… J’ai lu aussi un livre extraordinaire, In the Heart of the Sea [de Nathaniel Philbrick, éd. Penguin, ndlr] sur le naufrage de l’Essex qui a inspiré Herman Melville pour son Moby Dick… Voilà le type d’histoires qui m’intéresse aujourd’hui, mais qui sait si on pourrait en faire des films ? [James Gray s’apprête justement à adapter pour le grand écran la quête de la cité perdue de Z par Percy Fawcett, ndlr] Aviez-vous des modèles quand vous avez commencé à jouer la comédie ? Pas vraiment. J’étais un grand fan de John Malkovich, parce qu’il vient de Chicago comme moi et qu’il triomphait au théâtre quand moi j’étais à l’école. Et puis, comme tout le monde à l’époque, j’aimais Gene Hackman, Jack Nicholson, Gene Wilder, Robert De Niro, Al Pacino… Mais, enfant, je ne m’imaginais pas devenir acteur de cinéma. En fait, quand je regardais les films, je ne pensais même pas aux acteurs comme à des acteurs. Je n’arrivais pas à me dire qu’ils faisaient semblant : je croyais que Gene Hackman était un détective, ou que Gene Wilder était Willy Wonka dans Charlie et la chocolaterie, et qu’il portait tous les jours son chapeau haut-deforme et son manteau pourpre. Je ne me voyais pas devenir acteur, tout simplement parce que je n’avais pas conscience que ces genslà étaient des acteurs.
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« JE RÊVE DE FAIRE DES FILMS HISTORIQUES EN COSTUMES. » BEAU-PÈRE MALgRé LUI Dans le voisinage trompeur des productions Apatow, Cyrus est une attachante comédie sentimentale, portée par des acteurs prodigieux. Quadragénaire divorcé et résigné, John fait la rencontre inespérée de Molly. Le coup de foudre est réciproque mais il y a quelqu’un dans la vie de Molly : son fils de 21 ans pas du tout décidé à quitter le cocon et qui va déclarer la guerre à l’intrus. Difficile de ne pas songer aux récentes productions Apatow : casting commun (John C. Reilly, Jonah Hill et l’excellente Catherine Keener), même tonalité tendre et, surtout, même manière d’aborder la géométrie des sentiments à partir de situations de gêne, à la fois comiques et incommodantes. C’est une fausse parenté, Cyrus préférant toujours retenir l’explosion de ce malaise pour viser une étude plus naturaliste et délicate des émotions de ses personnages. Drôle et vraiment touchant, le film vaut avant tout pour la finesse absolue de ses acteurs – outre John C. Reilly, la trop rare Marisa Tomei et surtout Jonah Hill qui trouve ici le meilleur rôle de sa très jeune carrière. _J.M.
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70 CYRUS /// LE COURANT «MUMBLECORE »
De gauche à droite : Jay Duplass, Jonah Hill et Mark Duplass.
MUMBLE-QUOI ? « Mumblecore » : nouvelle vague du cinéma indépendant américain, où les frères MARk et JAY DUPLASS ont fait leurs classes avant leur dramedy grand public, Cyrus. _Par Clémentine Gallot
e cinéma do it yourself de vingtenaires paumés a également été baptisé « Slackavetes », une contraction de slacker movies (« film de glandeur » en VF) et de maniérisme à la Cassavetes. Des petits films tournés à l’arrache, sans financement, associant bande de potes et acteurs amateurs. « Nous n’avons pas peur de faire des films tournés avec une camera pourrie et que cela se voie , raconte le jeune cinéaste Kentucker Audley. J’adorerais gagner un peu d’argent avec mes films mais je viens de finir un job au Bureau du recensement.» À quelques exceptions près, comme la comédie homoérotique de Lynn Shelton, Humpday, ils sont pour la plupart invisibles en France.
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Parti d’une blague («to mumble» veut dire murmurer), le terme, repris dans la presse, a donné corps à un courant qui n’en est pas un, ni école ni mouvement unifié. Funny Ha-Ha (2002), premier film du genre, a vu son géniteur, Andrew Bujalski, adoubé contre son gré « parrain » du Mumblecore. Ce label fourre-tout désigne désormais une troupe de jeunes gens hirsutes, tels Aaron Katz, les frères Safdie, Duplass et Zellner, Frank V. Ross, ainsi que la muse de ces messieurs, Greta Gerwig, qui vient de percer dans
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Greenberg. Leurs premiers essais doivent leur diffusion, certes limitée, au circuit des festivals indies, Sundance et South by Southwest (SXSW). «Nous nous sommes rencontrés à SXSW en 2005 ; nos films, chacun avec une esthétique différente, sortaient du lot et nous sommes devenus amis », explique Joe Swanberg, 28 ans, qui a tourné depuis LOL, Hannah takes the Stairs et Nights and Weekends. Si l’on en croit The Independent, «Mumblecore est le seul mouvement du cinéma indépendant à avoir connu le succès aux États-Unis ces dernières années ». «Bricolage bavard», «porno pour hipster» : le label est cependant vite devenu caricatural. Fatigués d’être catalogués, les frères Duplass soupirent : « Le terme est un peu limitant : ce n’est pas le Dogme, il n’y a pas de règles. » Cette étiquette leur a au moins permis de sortir de l’anonymat. Avec Cyrus, ils ont quitté leur pépinière d’Austin pour L.A. et plus de budget. « Notre style a toujours été rapide, instinctif, et nous voulons continuer à travailler ainsi. » Aussitôt dit : ils terminent le montage de Jeff Who Lives at Home avec Jason Segel, produit par Jason Reitman, réalisateur de Juno ou In the Air. «On ne se dit pas : ‘‘Ça y est, on a réussi.’’ On est juste deux mecs qui font des films, c’est tout. »
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72 CYRUS /// FESTIVAL DE LOCARNO
Curling de Denis Côté, Prix de la meilleure mise en scène au Festival de Locarno.
GRANDE LUCARNE Un messie? La presse est unanime : Olivier Père, l’ex-responsable de la Quinzaine des réalisateurs promu directeur artistique du Festival de Locarno, vient de redresser la barre du Titanic tessinois. _Par Eileen Hofer
aucissonné entre Cannes et Venise, Locarno devait jouer des coudes pour reprendre sa place au sein des festivals de catégorie A. La notoriété d’Olivier Père revigore le plus petit des grands festivals. Fini les roupillons en projo de presse: la 63e édition, clôturée le 14 août dernier, s’aiguise avec des films à personnalité forte et à la radicalité parfois novatrice. Sur 280 titres (contre 397 en 2009), on compte 22 premières œuvres. Une diminution de films et un rajeunissement salués par les 148 436 vacanciers et professionnels présents. Entre blockbusters et films d’avant-garde, et malgré quelques déceptions (l’hystérique Bas-fonds d’Isild Le Besco), les réussites sont légion : Cyrus des frères Duplass (notre dossier) ; Karamay du Chinois Xu Xin, qui durant 356 minutes analyse sans commentaire les conséquences d’un incendie en Chine qui a provoqué la mort de 288 enfants ; Rubber de Quentin Dupieux, présenté sur la Piazza Grande devant 8000 personnes ; ou Homme au bain, le dernier Christophe Honoré (lire notre critique p. 44).
S
Avec un jury very cinéma d’auteur, le palmarès ne pouvait qu’être satisfaisant. Présidé par le réalisateur singapourien Eric Khoo, le jury de la compéti-
tion internationale, composé aussi de l’acteur Melvil Poupaud et du réalisateur américain Joshua Safdie, remettait le Léopard d’or à Han Jia de Li Hongqi (Chine). Un film austère dans sa forme, réduite à de longs plans fixes, qui raconte avec humour le quotidien d’adolescents désœuvrés dans un village chinois. Outre Morgen de Marian Crisan (France, Roumanie, Hongrie), qui reçoit le Prix spécial du jury, on retient Curling de Denis Côté (Canada). Planté dans un décor hivernal à la Fargo, un père ultraprotecteur survit modestement avec sa fille Julyvonne à une routine sans histoire. Déjà récompensé en 2005 et 2008, cet habitué du festival repart cette fois avec le prix de la meilleure mise en scène, tandis que le prix de la meilleure interprétation masculine revient à son acteur Emmanuel Bilodeau. Hors concours, un couac technique précède la surprise : « Ce n’est pas mon film ! » Isabelle Prim interrompt l’interview de Godard projetée sur l’écran. La protégée de Luc Moullet sort de son sac le DVD de Mademoiselle Else. Solution in extremis pour découvrir le texte d’Arthur Schnitzler que la jeune vidéaste française se réapproprie dans un univers perso et poétique, à l’image d’un festival que beaucoup jugent sauvé par son nouveau programmateur.
Retrouvez la programmation du Festival de Locarno au MK2 Quai de Seine, du 8 au 14 septembre : plus d’infos sur mk2.com et p. 51 SEPTEMBRE 2010
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74 MIRAL /// JULIAN SCHNABEL
THE WRESTLER Avec son quatrième long métrage de fiction, Miral, biopic d’une orpheline palestinienne en lutte, le peintre et cinéaste JULIAN SChNABEL brosse un autoportrait paradoxal, fidèle à son esthétique fracassée. Portrait d’un artiste en constante confrontation avec ses contraires. _Par Auréliano Tonet
C
’est l’une des anecdotes les plus frappantes du documentaire sur Jean-Michel Basquiat, The Radiant Child de Tamra David, en salles le 13 octobre prochain. On y découvre qu’à ses débuts, à la toute fin des années 1970, le jeune prodige noir-américain rêvait de défier sur un ring de boxe celui qui affolait alors le marché de l’art contemporain : Julian Schnabel. Jusqu’à la mort de Basquiat en 1988, une intense rivalité opposera les deux peintres, avant que Schnabel n’enterre la hache de guerre avec son biopic controversé, Basquiat, en 1996.
Un film de Julian Schnabel Avec Hiam Abbas, Freida Pinto… Distribution : Pathé 2010, France-Palestine-États-Unis, 1h52 Sortie le 15 septembre
Ce film, le premier de son auteur, annonçait le leitmotiv de l’œuvre de Schnabel cinéaste : adapter à l’écran des récits de vies antagonistes de son expérience propre. Peintre noir passé de la rue à la starisation (Basquiat, donc), écrivain gay fuyant le Cuba castriste (Avant la nuit, 2000), journaliste paralysé suite à un coma profond (Le Scaphandre et le Papillon, 2007) ou portrait d’une jeune Palestinienne tentée par l’activisme (Miral, 2010) : quatre fictions biographiques, basées sur des faits réels, où l’auteur se confronte à son envers sexuel, artistique, ethnique, corporel et/ou langagier. Lorsqu’on le rencontrait, en juillet dernier, pour évoquer la confection de Miral, Schnabel avouait à quel point il concevait le cinéma comme un exercice de transposition : «La peinture s’apparente, pour moi, à la musique : elle s’exécute dans une sorte de présent perpétuel, sans médiation d’aucune sorte. Le cinéma, en revanche, n’est qu’une suite de traductions : traduction d’un texte à l’écran, d’intentions de mise en scène à une équipe de tournage, etc. L’essentiel, dès lors, est de garder un minimum de spontanéité. » La signature de Schnabel peintre ? Des tessons d’assiettes ou de bouteilles, collés à même la toile et participant, au même titre que
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JULIAN SCHNABEL /// MIRAL 75
Julian Schnabel et son actrice, Freida Pinto.
les formes peintes à l’huile, à l’harmonie de l’ensemble. Avec Basquiat et quelques autres (Anselm Kiefer, David Hockney, David Salle), le New-Yorkais a été rangé parmi les champions du néo-expressionnisme, dont les matériaux impurs, les tons criards et le retour de la figuration juraient avec le minimalisme en vogue dans les années 1970, épuré, conceptuel et abstrait. Il reste un peu de cette esthétique braque et éclatée dans les mises en scène de Schnabel : cadres branlants, perspectives renversées et couleurs violentes
ces petites histoires formaient la grande Histoire. C’est ainsi qu’est né Miral. » Drôle de film que celui-là, vaste fresque contant, sur trois générations, l’histoire chaotique de la Palestine, de 1948 à nos jours, vue depuis les murs de l’institut Dar Al-Tifel, école pour orphelins palestiniens. Schnabel y injecte ses obsessions formelles (constructions fragmentées, bande-son rock de Tom Waits ou Laurie Anderson) et thématiques (comment surmonter han-
« MIRAL VA À L’ENCONTRE DE MES PRÉJUGÉS, DE MON IGNORANCE. » déroutent le regard, chamboulent la narration. En entretien, l’homme, qui a peint en rose vif la façade de son appartement new-yorkais, est pareil à ses travaux : muni de ses inséparables lunettes jaunâtres, il répond aux questions par d’autres questions, s’enquiert de votre appétit, de vos origines, de vos projets, préfère disserter sur l’opportunité de servir le saumon sur un blini qu’expliquer ses choix artistiques. Déconcertant, décousu, oscillant entre franche empathie et vague hostilité. Ainsi de sa rencontre avec la Palestinienne Rula Jebreal : «Je l’ai croisée à une exposition, à Rome. Elle m’a parlé d’un scénario inspiré de son autobiographie. Je n’aime rien de ce que je lis en général, mais je l’ai lu quand même. J’ai trouvé le script nul mais j’ai adoré l’histoire. Le livre de Rula ressemblait à Rocco et ses frères, toutes
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dicaps et déchirements), croisant les langues (anglais, arabe) et les nationalités (l’Indienne Freida Pinto, dans le rôle titre, partage la vedette avec Hiam Abbas et Willem Dafoe). Tourné entre Jérusalem, Haïfa et Ramallah, Miral peut se voir comme le contrepoint féminin et palestinien d’Exodus d’Otto Preminger (1947), dont il partage l’ambition narrative et le lyrisme quelque peu édifiant. Un film que Schnabel, juif new-yorkais, avait vu enfant, entouré des siens : «Tout le monde chantait l’hymne israélien. Ça m’avait marqué. Miral adopte le point de vue opposé. Il va à l’encontre de mes préjugés, de mon ignorance. En cela, il me ressemble. »
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Takashi MURAKAMI, Flower Matango (d), 2001-2006, Peinture à l'huile, acrylique, fibre de verre et fer, 315 x 204,7 x 263 cm
© 2001 - 2006 Takashi Murakami/Kaikai Kiki Co., Ltd. All Rights Reserved. // Photo : © Florian Kleinefenn - Galerie des Glaces / Château de Versailles
TAKASHI MURAKAMI À VERSAILLES 77
ENTRE LES
MURAKAMI Le plus warholien des artistes japonais, TAkAShI MURAkAMI, sera le troisième après l’Américain Jeff Koons et le Français Xavier Veilhan à exposer au Château de Versailles. N’y entre pas qui veut, mais Murakami n’est pas n’importe qui : Time Magazine en a fait récemment l’une des cent personnalités actuelles les plus influentes. Portrait d’un créateur protéiforme. _Par Antoine Thirion
C
’est la seconde manifestation d’envergure que la France consacre à Takashi Murakami, après la Fondation Cartier en 2002. Celleci avait fait du bruit dans les mondes de l’art, de la mode et dans les portefeuilles les mieux remplis. Depuis, la cote de l’artiste a grimpé en flèche, gagnant plusieurs zéros en moins d’une décennie. Grande figurine d’un jeune héros onaniste, My Lonesome Cowboy atteint ainsi 13,5 millions de dollars chez Sotheby’s en 2008.
LIQUIDES BLANCHÂTRES Né à Tokyo en 1962, Murakami expose depuis 1989. Il rencontre son galeriste parisien Emmanuel Perrotin en 1993, et celui-ci avoue que, si l’homme est déjà « un leader », l’œuvre ne ressemble alors en rien à ce qu’elle est aujourd'hui. Au début de ses études, Murakami pratique le nihon-ga, une tradition picturale impure née dans un XIXe siècle imprégné par le commerce avec l’Occident. Par là, il revendique déjà une spécificité esthétique nationale paradoxale, car partie à la rencontre des autres cultures figuratives. Surtout intéressé par le statut contemporain de l’image, il change peu à peu de registre et s’attaque à la société moderne en empruntant le langage de l’anime, du manga, bref, de la culture otaku. En résulte une imagerie colorée, séduisante, enfantine et un brin inquiétante : elle dessine un monde où les fantasmes collectifs qui sous-tendent l’esthétique des mangas explosent dans un espace aussi plat qu’infini. On y croise des champignons et des fleurs psychédéliques, des jouets mignons et hallucinés, des geysers de lait et autres liquides blanchâtres héroïquement projetés par des poitrines et des sexes adolescents.
MERCHANDISING POP Si Murakami n’a pas encore la notoriété de Warhol, il est peu probable que vous soyez passés à côté de
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ses images. Elles se déclinent sur les sacs à mains, les mouchoirs de luxe, les livres, les pochettes de disques (Graduation de Kanye West), les musées et les podiums des défilés – alors pourquoi pas Versailles. L’œuvre du Japonais est inséparable d’une réflexion sur le marché, sur le statut de la production artistique à l’ère de la globalisation. Ses travaux oscillent consciemment entre les beaux-arts et le design, entre la signature d’artiste et la marque commerciale, et sa stratégie emprunte les voies modernes du merchandising : tout le monde ou presque connaît le monogramme qu’il a dessiné pour Louis Vuitton. Ce faisant, il ne fait que pousser dans ses conséquences actuelles l’héritage du pop art : le marché ouvert par la production des multiples, la mise en vitrine par Claes Oldenburg de ses propres œuvres, et bien sûr la Factory de Warhol, que rappellent peu secrètement les usines KaiKai Kiki, marque de Murakami, fondés en 2001 à Tokyo et à New York et employant plusieurs dizaines de salariés.
MARXISTE Murakami affiche clairement les ambitions de sa marque : poser les fondements d’un marché de l’art japonais, longtemps tenu, dans le contexte de l’aprèsguerre et de la débâcle face aux puissances occidentales, au simple rang de marchandise – dessins animés pour la jeunesse mondiale, figurines mignonnes pour enfants et jeunes adultes épris de mignardises. C’est pourquoi sa promotion à l’échelle internationale est capitale : sans aller jusqu’à le qualifier de marxiste, il faut reconnaître que Murakami se donne pour tâche de repenser les « moyens de productions » contemporains, de reconsidérer la production artistique en termes idéologiques et politiques, en maintenant le trouble entre objectifs mercantiles et artistiques. Murakami n’est pas dans la critique directe de la globalisation : il profite plutôt d’une sympathie étrange avec le marché global d’Hello Kitty et Dragon Ball.
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78 TAKASHI MURAKAMI À VERSAILLES
Takashi Murakami, Six ♥ Princess, 2009-2010, animation still
SUPERFLAT
LE PLUS NEUF, LE PLUS ANCIEN
Au début des années 2000, via une exposition et un manifeste retentissant, Murakami crée pour l’art qu’il produit et défend le concept Superflat. Celui-ci est censé refléter une sensibilité esthétique proprement japonaise, déprise des fondements de l’art occidental et de la perspective monocentriste. La «superplatitude», c’est le dessin sans la matière, l’espace sans la profondeur. C’est une certaine ivresse de l’infini. Pour le comprendre, il faut examiner la manière dont Murakami produit ses œuvres. Tout part d’un dessin original, une esquisse faite à la main par ses propres
La production des œuvres est ainsi intimement liée à leur stratégie de diffusion. Murakami sait que, dans tous les contextes économiques, dans l’opulence financière comme dans les crises, la main de l’artiste reste la valeur la plus solide. C’est la même chose avec Warhol : on peut s’intéresser théoriquement à la déshumanisation du geste de l’artiste, mais le marché, lui, prise l’artisanat tout en en requérant une large diffusion. Tout l’art actuel peut être envisagé sous cette visibilité paradoxale du travail manuel passé au crible informatique, où la main se montre
LA « SUPERPLATITUDE », C’EST LE DESSIN SANS LA MATIÈRE, L’ESPACE SANS LA PROFONDEUR. C’EST UNE CERTAINE IVRESSE DE L’INFINI. soins. Celle-ci est ensuite convertie sous forme digitale par ses assistants. Murakami utilise les courbes Bézier, du nom de son inventeur français Pierre Bézier, un paramétrage de graphisme vectoriel (vector graphics, sur Adobe Illustrator) utilisé pour concevoir des courbes douces à l’échelle infinie. Il s’oppose à l’infographie matricielle (raster graphics, aussi appelé bitmap, utilisé sur Adobe Photoshop), qui est quant à elle dépendante de la résolution des paramètres géométriques de l’image. Le graphisme vectoriel est ainsi indépendant des questions de résolution, et peut adopter, une fois l’image obtenue, toutes les dimensions possibles, ce qui la rend à la fois plus souple et plus légère. C’est ainsi que Murakami crée des images infiniment remodelables, capables d’épouser toutes les formes, et toutes les nécessités : celles des lieux d’exposition comme celles du marché. En résulte un monde infiniment plat.
autant qu’elle s’efface. Elle est propulsée dans une autre dimension. Il n’y a qu’à voir l’intérêt du cinéma pour l’âge primitif, le succès d’Avatar qui retrouve la nature dans l’omniprésence des images de synthèse, ou celui du prochain film de Werner Herzog, son premier en 3D, consacré aux cavernes des peintures rupestres. Au Japon, le collectif Boredoms, emmené par Yamatsuka Eye, est du même acabit : la production d’une musique tribale côtoyant les galaxies lointaines. Le dessin est devenu l’art du siècle précisément en ce qu’il joint le plus neuf et le plus ancien. Par là, et bien que Versailles n’ouvre ses portes que le 14 septembre, faites-vous déjà une idée de l’effet que produira l’intervention de Murakami dans les palais de l’ancienne monarchie. Il est peu probable que les dimensions du lieu l’aient intimidé : cela fait longtemps qu’il a découvert des contrées plus vastes.
Takashi Murakami, du 14 septembre au 12 décembre au Château de Versailles, Place d’Armes, 78000 Versailles, www.chateauversailles.fr
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Š Philippe Lebruman
CARTE BLANCHE À BERTRAND BELIN 81
HYPERLIENS Styliste funambule de la chanson française, BERTRAND BELIN trouve avec son troisième album solo, Hypernuit, l’équilibre parfait entre gravité et légèreté, mélodie et poésie, dénuement et arrangement. À l’occasion d’une carte blanche offerte par le MK2 Quai de Seine, il programmera en octobre prochain une sélection de films qui lui sont chers, qu’il a commentée pour nous. Extraits.
«
_Propos recueillis par Auréliano Tonet
J’avais 13 ou 14 ans quand je suis allé pour la première fois au cinéma, voir American Graffiti. À Quiberon, d’où je viens, il n’y avait qu’une salle, ouverte uniquement le week-end, en été, et diffusant le blockbuster du moment, trois mois après la capitale. Sinon, il y avait le film de Noël du foyer laïque. À mon arrivée à Paris, tout a changé. Après mon bac, en 1991, je me suis mis à fréquenter les salles de manière sauvage, tous azimuts, pris dans une émulation de groupe avec mes amis. Aujourd’hui, j’y vais deux à cinq fois par mois.
Dieu sait quoi de Jean-Daniel Pollet (1995) « En un sens, et même s’il dresse lui aussi le portrait d’un poète contemporain, Francis Ponge, Dieu sait quoi est une antithèse complète du Dernier des immobiles. C’est une autre façon de saisir la trace laissée par l’œuvre poétique. Les poèmes sont lus en voix off. Il y a une ascèse dans ce film, qui pour autant ne manque pas de rythme. Je n’ai pas découvert Ponge tôt, je suis arrivé à lui par un autre poète, Philippe Jaccottet. Ce qui me fascine chez Ponge, c’est son attention portée aux choses inertes, au
« MON PROPOS DANS HYPERNUIT N’A PAS CHANGÉ ; DISONS QU’IL A ÉTÉ ÉLAGUÉ. » J’imagine que les films que je préfère ont infusé en moi et que cela se retrouve quelque part dans mon travail, mais j’ai établi cette liste sans chercher à faire un lien ostentatoire entre les deux. La relation, si relation il y a, s’établit de manière inconsciente. » Le Dernier des immobiles de Nicola Sornaga (2003) « Même si le poète Matthieu Messagier, ami du réalisateur, joue dedans, la poésie jaillit moins des personnages que du film lui-même : il explose devant nous et crée de manière chaotique de la splendeur. Il y a du bruit, du déplacement, de l’activité, de l’urgence. C’est trépidant, très rythmé. Je n’ai pas l’habitude d’être séduit par une poésie aussi bruyante et c’est ce qui me plaît dans ce documentaire, qui est en lui-même un acte poétique. »
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non-spectaculaire, à ce qui fait obstacle au regard, sa manière de se confronter au dénuement, à la disparition du vocabulaire. Depuis pas mal d’années, je caresse l’espoir d’accéder, dans mes chansons, à quelque chose qui se tienne avec le moins d’afféterie, le moins de maniérisme possible. Avec le recul, par exemple, je me suis rendu compte que mon album précédent, La Perdue, était un disque somme d’un point de vue formel. C’est un disque un peu boursouflé, un peu clinquant, très poussé d’un point de vue végétal, qui a parfois le défaut de noyer le poisson. Mon propos dans Hypernuit n’a pas changé ; disons qu’il a été élagué. » Dillinger est mort de Marco Ferreri (1970) « J’ai choisi ce film pour des raisons un peu midinettes : se retrouver pendant deux heures avec
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82 CARTE BLANCHE À BERTRAND BELIN
« L’OCÉAN, UN MURET, UNE PIE, UN CHIEN SONT DES TÉMOINS SILENCIEUX DE QUELQUE CHOSE D’INOUÏ. » Michel Piccoli, qui est magistral, souvent seul à l’écran dans sa cuisine, à manipuler des poivrons, des casseroles, avec un regard très apaisé, couvant quelque chose. En cherchant dans un placard, il découvre un pistolet. Dès lors, il envisage de tuer sa femme, ou l’image fantasmée de sa femme, jouée par Annie Girardot. Avec ce film, je me suis laissé conduire par la poursuite d’un fantasme : Piccoli rêvant d’échapper à l’enfermement du quotidien, de la société de consommation, à laquelle il participe en tant que dessinateur industriel. Tout à coup, le film s’engage dans une espèce de fuite onirique, ça part tout droit, le fantasme se réalise. »
la Bible, qui nous enseignerait l’humilité. Pour ce qui est de la présence de la nature dans mes paroles, elle est liée aux paysages de mon enfance, faits d’océan, de rochers. À un moment, je me suis senti envahi par ça, d’où une inclination pour une syntaxe un peu surannée, gangrénée d’arbres. En découvrant Ponge ou Jaccottet, j’ai pris conscience qu’il était à la fois difficile et passionnant de parler de ce qui nous surplombe, nous survit, nous préexiste, de tout ce qui vit une expérience différente du temps que la nôtre. L’océan, un muret, une pie, un chien sont des témoins silencieux de quelque chose d’inouï. C’est à ça que je me confronte. »
The Saddest Music in the World de guy Maddin (2003) «Un homme est amoureux d’une femme ravissante, incarnée par Isabella Rossellini. Ils ont un accident d’auto : elle a la jambe coincée sous une voiture, et pour la sauver, il doit la lui couper. Il lui ampute son plus bel attribut, mais, ce faisant, se trompe de jambe. C’est moche. Il va passer le reste de son existence à essayer de rattraper cette erreur. On ne sait pas de quoi c’est la métaphore, et on ne se pose pas la question, parce qu’on est émerveillé par chaque plan. On croit que Maddin ne pourra pas être plus inventif et délicieusement obscur, et il y parvient quand même. Le personnage d’Isabella organise ce concours de ‘‘musique la plus triste du monde’’. Les musiciens viennent du monde entier pour jouer des ‘‘battles’’, filmées dans leur vraie durée. La musique est très belle. Il y a une esthétique du son, du rêve, en général très difficile à montrer au cinéma, qui fonctionne ici à plein. »
Les Fraises sauvages d’Ingmar Bergman (1957) « J’avais vu des films de Bergman plus récents, qui m’avaient plu par leur silence, leur violence. Je n’ai vu que la moitié des Fraises sauvages sur Arte, il y a deux ou trois mois. Si je l’ai proposé ici, c’était donc pour le regarder en entier, mais aussi pour revoir les premières minutes, qui m’ont bouleversé. Les choses sont montrées de manière explicite et en même temps magique, lumineuse : on reconnaît un moment du sommeil, de l’éveil. Ce film est peuplé de créatures toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Il y a ce retour incroyable vers l’enfance, vers la campagne, les fraises sauvages, les cousines. J’ai éprouvé un vertige. »
Old Joy de kelly Reichardt (2006) « Deux hommes ont envie de penser que c’est beau d’être l’ami de quelqu’un, et cherchent à faire durer cette amitié dans le temps. J’aime le rythme de Old Joy, ses silences, le passage de la ville à la forêt. Il y a de la douceur dans ce film qui se confronte au problème du temps qui passe et des aiguillages fatals dans une existence. La tristesse du personnage est remise à plus tard, ou à jamais, comme s’il acceptait pleinement son sort. On dirait une séquence de
Dernier Maquis de Rabah Ameur-Zaïmeche (2008) « C’est un film très mystérieux. J’ai eu l’occasion de rencontrer le réalisateur plusieurs fois. Je me sens proche de la douceur de sa démarche, très instinctive, tout sauf polémique. Dans ce film, il confronte dans un même espace, une usine de banlieue, la question de la pratique de la religion musulmane en France et celle du salariat. Il se frotte ainsi à des problématiques à la fois millénaires et très actuelles. Cela dit, je ne suis pas sûr d’avoir tout compris au film et j’aimerais en savoir plus – pourquoi pas en invitant Rabah à cette carte blanche, s’il est disponible. Je serais assez agréablement surpris d’apprendre qu’il n’y a pas plus que ça à comprendre. »
Hypernuit de Bertrand Belin (Cinq7/Wagram, album disponible le 20 septembre) Carte blanche à Bertrand Belin au MK2 Quai de Seine. Soirée d’ouverture le lundi 19 octobre : miniconcert suivi d’un débat avec le public, puis de la projection d’un film. Et les samedis et dimanches en matinée. Plus d’infos sur www.mk2.com.
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84 BLACKSAD
BACK TO BLACK Le privé John Blacksad revient pour une quatrième enquête, cette fois dans le berceau du jazz : La Nouvelle-Orléans. Retour sur une série devenue incontournable, avec son dessinateur, l’Espagnol JUANJO gUARNIDO, agile rejeton de Disney et d’Uderzo. _Propos recueillis par Cassandre Dessarts
L
a bande dessinée n’est pas votre métier premier. Pourquoi ce choix de carrière ? Pour être exact, je suis revenu à la bande dessinée. À la fin de mes études d’art, j’ai vu qu’il y avait peu de sorties BD en Espagne et, intimidé par l’idée de faire une carrière à l’étranger, j’ai opté pour le dessin animé : cela m’a convenu pendant longtemps, mais en fait ma première vocation, c’était la BD. Quelles ont été vos influences en matière de dessin ? Il y en a tellement! S’il n’en faut citer que trois, je reviens toujours aux mêmes : Moebius, Uderzo et les vieux Disney. J’ai d’ailleurs appris mes notions de croquis et de construction avec des cahiers de dessin Disney que mon père m’avait achetés. Ce sont de sacrées leçons, les meilleures que j’ai jamais reçues. J’ai plus appris dans ces bouquins qu’en cinq années aux Beaux-arts !
Blacksad, L’enfer, le silence, tome 4 de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido (Dargaud, album disponible le 17 septembre) Carte blanche à Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido le 16 septembre au MK2 Quai de Loire, plus d’infos sur mk2.com et p. 51.
Vous êtes allé faire des repérages à La Nouvelle-Orléans… Juan Díaz Canales [le scénariste des Blacksad, ndlr] m’avait dit que ce tome 4 s’y déroulerait, ce qui ne me plaisait pas : je ne voulais pas avoir à faire une tonne de recherches sur une nouvelle ville! J’ai insisté pour que seul un passage ait lieu à La Nouvelle-Orléans, le reste de l’action restant à New York. Il a fait la sourde oreille, comme d’habitude : j’ai reçu un scénario intégralement situé à Big Easy… et toutes mes réserves se sont envolées à la lecture.Après m’être documenté, j’ai décidé que ça valait le coup de faire le déplacement. Vos impressions ? J’ai adoré! L’enchantement que j’ai ressenti dans cette ville si complexe et si belle m’a beaucoup inspiré pour le décor et a complètement chamboulé la façon dont j’avais prévu de découper la BD. Je n’avais jamais eu un coup de cœur pareil pour une ville, ça a été magique. Avez-vous cherché à éviter les clichés touristiques communément associés à La Nouvelle-Orléans ?
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© Díaz Canales & Guardino / Dargaud
BLACKSAD 85
Planche extraite de Blacksad : L’enfer, le silence, tome 4.
Je ne sais pas si c’est parce que j’ai eu de la chance, les bons renseignements, les bons guides ou les bons conseils, mais je n’ai pas du tout vu ce côté touristique, vaudou à la gomme et pirates à la noix, dont la ville est soi-disant saturée. On retrouve pourtant dans ce quatrième tome tout le folklore néo-orléanais : le vaudou, le carnaval, le jazz… Il suffit d’approfondir un peu pour voir que le vaudou est une vraie religion, une croyance qui n’est ni de la barbarie ni de la sorcellerie. Ces gens qui entrent en transe par la danse, c’est très beau et empreint d’une vraie spiritualité. Les sacrifices ne sont pas des trucs sanguinolents à la Angel Heart, où l’on arrache la tête
Les thèmes abordés sont très modernes (corruption, conflits ethniques, guerre nucléaire…). Pourquoi avoir situé Blacksad dans l’Amérique des années 1950 ? On a rapidement rejeté l’époque moderne parce qu’on savait qu’on voulait utiliser les codes du polar classique. Notre choix s’est porté sur les années 1950, qui ont été à la fois riches en évolutions sociales et marquées par un certain optimisme. Et puis c’est une période au cours de laquelle l’Occident commence à ressembler à ce qu’il est aujourd’hui. Quant aux sujets abordés, s’ils sont actuels, c’est malheureusement qu’ils sont éternels… On a toujours toutes ces plaies collées à la peau, peu importe la décennie.
« J’AI PLUS APPRIS DANS MES CAHIERS DE DESSIN DISNEY QU’EN CINQ ANNÉES AUX BEAUX-ARTS ! » des poulets à mains nues! Et la musique est indissociable de la ville, elle est inévitable ! Comment est née votre collaboration avec Juan Díaz Canales ? Il n’avait pas vingt ans lorsqu’il a créé Blacksad, au détour de petites histoires courtes en noir et blanc. Je les avais lues à l’époque et j’en avais retenu l’ambiance si particulière. Cette combinaison entre personnages animaliers, trame sérieuse et histoires noires m’a donné envie de les dessiner, ce que je lui ai proposé de faire quelques années plus tard.
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Blacksad, le héros blessé, évolue très bien dans cette ville phénix qu’est La Nouvelle-Orléans : ils sont très semblables, en fin de compte… C’est vrai. Blacksad sera détruit et renaîtra de ses cendres dans ce tome-ci, vous verrez. Les gens jasent sur Internet depuis la sortie de la couverture en demandant : «Mais il meurt?!» ou «C’est le dernier tome de la série ?! » Non, elle continue mais effectivement Blacksad tel qu’on le connaît meurt… Chut, j’en ai déjà trop dit!
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BOUDOIR ÉBATS, DÉBATS, CABAS : LA CULTURE DE CHAMBRE A TROUVÉ SON ANTRE
« SI J’AVAIS LA FORMULE DE LA “LUBITSCH TOUCH”, JE L’UTILISERAIS ! » BILLY WILDER
© D.R.
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ERNST LUBITSCh, cinéaste parlant
Les enfants d’ANIMAL COLLECTIVE
BIBLIOTHÈQUE
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L’attentat du Petit-Clamart vu par ALICE FERNEY
Les planches de salut de DAVID MAZZUCChELLI
LUDOTHÈQUE MAFIA II, Martin à la page
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LADY DIT ERNST LUBITSCH, LE SILENCE EST D’OR Dans le film muet L’Éventail de lady Windermere, réjouissante comédie de mœurs réalisée en 1925, le réalisateur ERNST LUBITSCh déploie un langage cinématographique riche et nuancé, d’une incroyable éloquence. _Par Juliette Reitzer
« Si j’avais la formule de la “Lubitsch touch”, je l’utileuse lady Erlynne, qui lui annonce être la mère de sa liserais!» Prononcés par Billy Wilder, ces quelques mots jeune épouse, lady Windermere. Cette dernière voue disent bien toute la fascination qu’exerce sur ses pairs un véritable culte à sa mère, qu’elle croit morte depuis le cinéaste allemand, émigré aux États-Unis au début longtemps. Pour épargner à la jeune femme le choc de des années 1920 et proclamé maître de retrouvailles décevantes, lord Windermere la comédie américaine grâce à des chefsaccepte de subvenir aux besoins de lady d’œuvre tels que La Veuve joyeuse, Ninotchka Erlynne, déclenchant ragots et quiproquos… ou To Be or Not to Be. Savoureux mélange d’humour, d’élégance et de satire sociale, le Cadres audacieux, soin du détail, tendresse cinéma de Lubitsch fait, encore aujourd’hui, dans la peinture des personnages (le mari, beaucoup parler de lui : rétrospective à la modèle d’intégrité embourbé dans ses Cinémathèque (jusqu’au 10 septembre), bonnes intentions, lady Erlynne, bannie de vaste cycle au récent Festival de Locarno la société bourgeoise pour son anticonforet sortie DVD du précieux Éventail de lady misme ou les trois vieilles filles du voisinage, Windermere, pépite du cinéma muet adapcommères toujours enclines à semer la disL’Éventail de lady tée d’une pièce d’Oscar Wilde. corde dans les couples) : au-delà de l’exWindermere d’Ernst Lubitsch pressivité des regards et des gestes, carac(Éditions Montparnasse) « Nous sommes tous dans le caniveau, mais téristique du cinéma muet, quelle volubilité certains d’entre nous regardent les étoiles », « Je peux dans la réalisation de Lubitsch ! Truffé d’ironie et de rafrésister à tout, sauf à la tentation » : L’Éventail de Lady finement, L’Éventail de lady Windermere annonce déjà Windermere, version Oscar Wilde, regorge de pirouettes certains des thèmes à l’œuvre dans la prolifique carverbales et de ces aphorismes chers à l’auteur, grand rière du cinéaste : triangle amoureux, apparences tromamoureux de la langue. Dès lors, l’adapter pour le peuses, signifiance des objets – l’éventail du titre, une cinéma muet relevait du pari fou, remporté haut la lettre compromettante ou un cigare oublié par un amant main par Lubitsch, qui substitue à la verve wildienne en disent plus que de longs discours… Quatre ans après l’éloquence de la mise en scène. Dans la haute société ce film, Ernst Lubitsch réalisera Parade d’amour, négoanglaise, lord Windermere est contacté par la scandaciant brillamment son virage vers le cinéma parlant.
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LES AUTRES SORTIES LA PÉPITE OUBLIÉE
LE MONDE PERDU de Vittorio de Seta (Carlotta) De 1954 à 1959, Vittorio de Seta a filmé en Technicolor la vie quotidienne pastorale, agricole et ouvrière de l’extrême sud italien – Sicile, Sardaigne et Calabre. Il a saisi lavandières et mineurs, bergers et pêcheurs en dix courts métrages qui, au-delà du précieux document sociologique, nous offrent à voir « l’invisible tragédie des entrailles de la terre », l’histoire mêlée d’un peuple et de son territoire. Il faut voir, par exemple, la séquence de pêche au thon et le silence grave qui précède la mise à mort sanglante des poissons. Ou l’excitation fervente des fêtes de Pâques, où tout un village rejoue la passion du Christ au son des chants séculaires… Du grand cinéma, par l’un des réalisateurs favoris de Martin Scorsese. _J.R.
L‘INÉDIT DE L’ÉTÉ CE CHER MOIS D’AOÛT de Miguel Gomes (Shellac) Nous sommes dans les montagnes de l’Arganil, au centre du Portugal, et tout commence comme un documentaire : récits de vie des locaux et estivants, bals de village, incendies de forêts et baignades. Puis la fiction s’empare du réel, le transforme sous nos yeux. Nous voyons l’équipe de tournage préparer les plans, le film en train de se faire. Débute alors une seconde partie, qui déroule l’histoire d’un amour de vacances sur fond de drames familiaux, et dont les acteurs sont les personnes qui témoignaient dans la première partie… Pour son second long métrage, Miguel Gomes instaure un dispositif cinématographique inédit, portrait mélancolique et vibrant d’une région et de ses habitants.
SI VOUS SOUHAITEZ COMMUNIQUEZ DANS NOTRE PROCHAIN NUMERO, CONTACTEZ-NOUS : 01 44 67 68 01 ou troiscouleurs@mk2.com
_J.R.
LA VERSION ORIgINALE COPIE CONFORME d’Abbas Kiarostami (MK2 Éditions) Dans Copie conforme, son premier long métrage de fiction tourné hors d’Iran, Abbas Kiarostami filme la rencontre d’un homme et d’une femme, entre les vieilles pierres d’un petit village toscan. Elle (Juliette Binoche, Prix d’interprétation à Cannes pour sa prestation) est galeriste et mère d’un enfant. Lui (William Shimell, baryton anglais au charisme magnétique) est spécialiste de la copie dans l’art. Ensemble, ils explorent le temps d’une journée les différents âges de la passion amoureuse, à travers une mise en scène vertigineuse où sont sans cesse convoquées les figures du double, du reflet et de la copie. Une variation virtuose sur les thèmes du couple et du simulacre. _J.R.
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LE 1ER MENSUEL CULTUREL GRATUIT www.mk2.com/troiscouleurs
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Animal Collective à New York, en 2007.
BROOKLYN ZOO LES ENFANTS D’ANIMAL COLLECTIVE Hybrides, croisements ou chimères, les enfants d’ANIMAL COLLECTIVE forment une ménagerie joyeuse qui chante haut et en chœur les hymnes de nouvelles communautés, primitives, solaires ou aquatiques, toutes voix dehors. Bestiaire. _Par Wilfried Paris
On a oublié que l’émergence du groupe new-yorkais Grizzly Bear, Caribou), son influence a d’abord ressurgi Animal Collective fut à peu près concomitante du sur son entourage (motifs percussifs de Black Dice, soufpassage assourdissant des avions sur New York. Si le fle de K7 d’Ariel Pink, artistes de leur label Paw Tracks), groupe s’est formé en 1999, il a développé son idenpuis sur Brooklyn (rythmiques technoïdes de Gang tité musicale après le 11-Septembre et figure la tabula Gang Dance ou Yeasayer, tournoiements mélodiques rasa esthétique produite par le souffle de l’événement. de High Places), créant rien de moins qu’un (trans)genre Ses huit albums ont été les étapes d’une redéfinition musical à l’inventivité joyeusement communicative. du format pop à partir du silence et des ruines. Avey Cet esprit de fête, de rassemblement, touche désorTare, Deakin, Geologist et Panda Bear ont mais une nouvelle jeunesse qui explore abordé la musique en barbares, mais selon à son tour les voix délayées (Young Man), une conception « positive » de la barbarie les moiteurs tropicales (El Guincho), la (voir Walter Benjamin, Expérience et pautranse collective (Dan Deacon) ou met en vreté, à propos de l’après Première Guerre boucle Phil Spector (Wavves), annonçant mondiale) : reprenant tout à (ground) zéro moins une musique de chambre (Beach et, avec presque rien, réinventant la pop. House, Teengirl Fantasy, Julian Lynch) que Primitifs du futur, ils sont retournés chercher de nouveaux garçons de la plage (The les esprits de leur terre d’accueil (tambours Drums, Best Coast, The Morning Benders, Boy de Young Man chamanes), revenus à l’âge de pierre de The Magic Kids). Et si Avey Tare confiait (Kitchen Music / PIAS) la folk (excavée par Harry Smith), et à l’enrécemment ne pas vraiment reconnaître fance radieuse de la pop, de Brian Wilson aux Beatles, ses moutons dans la « chillwave » à la mode, grâce lui en passant par les sous-bois (field recordings) et leurs est rendue d’avoir été pour quelque chose dans cette habitants (les champignons). nouvelle aspiration à l’harmonie et à la communauté. Alors que son premier album solo, Down There, sort le Aujourd’hui, alors que l’on compare souvent leur 26 octobre et en attendant le nouveau Panda Bear, influence à celle des Fab Four sur les 60s, une progéleur descendance est la preuve que l’on peut construire niture bariolée en fait ses pères spirituels. Si Animal les plus belles maisons à partir d’un tas de ruines. Collective a lancé la mode des noms bêtes (Dodos,
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LES AUTRES SORTIES GLORIOUS BASTARD MIXED RACE de Tricky (Domino Records) En attendant la sortie de son premier long métrage, Brown Punk, l’enfant terrible du trip-hop, 42 ans au compteur, renoue avec la productivité dare-dare de ses débuts solo, inaugurés en 1995 avec l’inusable Maxinquaye. Deux ans après Knowle West Boy, l’ex-Massive Attack dégaine donc Mixed Race, le disque le plus short – 10 titres, 30 minutes – et uptempo de sa carrière. Nulle esbroufe là-dedans. En un florilège de ritournelles ligne claire aussi teigneuses qu’infectieuses, du blues harmonica aux lèvres à la bombinette électro-funk, de la complainte raï au rouleau surf rock, du kick disco-house au reggae made in Jamaïca, Mixed Race emboîte les genres et déboîte sa mère, straight to the point. Bâtard sensible. _S.F.
ASSAUTS ZOMBIE ZOMBIE PLAYS JOHN CARPENTER de Zombie Zombie (Versatile/Module)
Cosmic Neman (également batteur pour Herman Dune) et Étienne Jaumet (également soliste saxo-électro), après un premier album zombiesque et un neverending tour horrifique, reviennent hanter les salles de concerts et les playlists des meilleurs DJs avec un mini-LP de cinq reprises de John Carpenter, réalisateur de films qui font peur (Christine, Halloween, Assaut, The Thing) et compositeur minimaliste de ses propres B.O. Claustrophobie synthétique, chutes de tension mineures, contagion par arpégiateurs, la batterie métronomique et les synthétiseurs vintage sont ici magnifiés par le producteur Joakim, pour un projet moins nostalgique que transfigurateur, de vrais films mentaux. _W.P.
LE ROI ET L’OISEAU SWANLIGHTS d’Antony and the Johnsons (Rough Trade/Beggars) Après l’envol de I Am a Bird Now (2005), Antony Hegarty, le timbre égarant comme jamais, pond un quatrième album perché, aux ramages symphoniques plus riches qu’à l’accoutumée. Le voile de sa gorge androgyne se pose sur un lac docile, dont les reflets évoquent l’ascèse expérimentale des deux John (Cale et Cage) ou les redondances lancinantes de Philip Glass. D’une collaboration passée avec Björk (The Dull Flame of Desire), il garde le frottement de lourds cuivres contre son trémolo feutré (Salt Silver Oxygen), et rapporte un duo poignant (Flétta). Ce chant insigne s’accompagne, dans une édition spéciale, d’un art book de 144 pages où, miroir aux alouettes, Antony prend la plume. _E.R. et A.T.
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BOMBESHUMAINES D’AUTRES CRIMES QUE LE MIEN Dans Passé sous silence, ALICE FERNEY revient sur l’attentat du Petit-Clamart à la manière d’une fiction psychologique. Et si le roman était la meilleure manière de raconter l’histoire ? _Par Bernard Quiriny
Le fait divers est-il le meilleur allié du romancier ? La consiste en ceci que tout en racontant l’affaire avec question ne date pas d’aujourd’hui (il suffit d’évoquer une fidélité d’historienne, elle décale légèrement les Le Rouge et le Noir) mais, à observer la multiplication faits pour conserver sa liberté de romancière : ainsi des romans tirés de faits divers contemporains, elle Charles de Gaulle se transforme-t-il en Jean de n’a rien perdu de son actualité. Jérôme Béglé a même Grandberger, Yvonne de Gaulle en Charlotte, Bastiencréé une collection spécialement dédiée à des œuvres Thiry en Paul Donnadieu, l’Algérie en Terre du Sud et tirées d’histoires vraies, «Ceci n’est pas un fait l’OAS en CMC (Comité militaire clandestin). divers» chez Grasset, avec notamment Philippe En résulte une sorte de «roman vrai» non situé Besson (l’affaire Grégory), David Foenkinos (la (dates, lieux, noms ont disparu) qui alterne cavale du couple Rey-Maupin) ou Jacques entre un portrait plutôt fin de Grandberger Chessex, dont Un Juif pour l’exemple évoque (son charisme, ses idées, son habileté) et une un crime antisémite commis à Payerne en exploration des convictions de Donnadieu, 1942. L’histoire, de fait, est un vivier largement habité par les valeurs militaires et obsédé par exploité, le fait divers ouvrant sur le tableau l’idée de trahison. Alice Ferney appréhende d’une époque, comme dans Ballets roses de ainsi l’affaire comme une tragédie intime et Benoît Duteurtre, qui part d’une vieille affaire intemporelle, celle du conflit meurtrier entre politico-sexuelle pour peindre l’atmosphère deux interprétations des mêmes valeurs – la pittoresque de la IVe République. On retrouve grandeur, l’honneur et l’intérêt supérieur de cette perspective dans Passé sous silence Passé sous silence d’Alice la patrie. On peut ne pas la suivre dans son d’Alice Ferney, annoncé comme l’un des Ferney (Actes Sud, choix de ne pas prendre position, mais l’anroman) livres à succès de cet automne, mais dans un gle d’attaque original et le pari littéraire de but différent : l’auteur de Dans la guerre n’entend pas Passé sous silence en font l’un des romans remarquadécrire une époque à partir d’un fait divers politique bles de cette rentrée, et couronnent de manière inatdaté (ici, le début des années 1960 et l’attentat du tendue le flot des parutions sur de Gaulle en cette Petit-Clamart) mais sonder la psychologie de ses deux année de 60e anniversaire de l’appel du 18 Juin. acteurs, Bastien-Thiry et le général de Gaulle. L’originalité
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HORS DE LUI PLANCHES DE SALUT Après dix ans de labeur, l’Américain DAVID MAZZUCChELLI livre un roman graphique virtuose, Asterios Polyp, expérience cruciale de décadrage, au propre comme au figuré. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)
À quel moment un homme se rend-il compte que sa grammaire classique du genre pour inventer des codes vie lui échappe ? Est-il toujours temps de rattraper les différents. Ou plutôt, elle mélange différents codes inhéannées perdues, les amours et les rêveries évaporées? rents à la bande dessinée, à ses tics et ses formes, pour Pour Asterios Polyp, le héros du dernier livre de David créer une narration à plusieurs signes et niveaux de Mazzucchelli, la vie semblait toute tracée jusqu’à ce lecture. David Mazzucchelli, qui a travaillé plus de dix qu’un éclair vienne brûler sa demeure, le ans sur ce livre, parvient à en faire un essai sur poussant brutalement à s’inventer une nouce qu’il est possible de raconter en BD, sans velle existence. Avant cela, Asterios était un imiter aucune autre forme, mais en poussant architecte de renom qui, au lieu de bâtir, se à leur extrême toutes les manières de faire contentait de théoriser, enseigner et desside la BD. Pourquoi, après tout, se contenter ner d’admirables plans qui jamais n’étaient d’un style ou d’une forme ? Mazzucchelli le réalisés concrètement. Toute sa vie passait pouvait peut-être à ses débuts il y a 30 ans, ainsi dans une vision doctrinale de ce qui lorsqu’il dessinait les aventures de superdevait être (ou non), de ce qui était valable héros comme Daredevil ou Batman d’un trait (ou pas), de ce qui était blanc (ou noir). À impeccablement sombre. Mais les années ses yeux, peu de choses méritaient l’intérêt, l’ont conduit à métamorphoser son style, à Asterios Polyp confiné qu’il était dans une pose très tran- de David Mazzucchelli passer d’une esthétique réaliste à un crayon(Casterman) chée, mélange de misanthropie et de snoné plus lâche, plus pop et souple, plus libre bisme, de dureté avec les autres et de complaisance aussi, et aujourd’hui, dans Asterios Polyp, on ne croirait envers lui-même et ses propres goûts. Heureusement, pas retrouver le même dessinateur. Ce livre, malgré une en détruisant son domicile, l’éclair l’oblige à sortir de fin moins forte que tout le reste du récit très tendu, figure lui-même. désormais parmi les romans graphiques américains les plus aboutis. Asterios Polyp happe celui qui s’y plonge, Récit de redécouverte de soi entremêlé de flash-backs l’empêche de se consacrer à quoi que ce soit d’aud’une vie incroyablement cadrée, évoquant les bascu- tre et, surtout, lui ordonne de changer de vie, d’arrêter lements lumineux de certains films de Frank Capra, cette d’être assujetti à une fausse idée de lui-même. bande dessinée s’éloigne de tout ce qui constitue la
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LES AUTRES SORTIES LE TOUR DE FORCE WILSON de Daniel Clowes (Cornélius) Clowes pousse son sens de la misanthropie à l’extrême avec Wilson, sorte de white trash vieillissant qui déteste le monde et n’hésite jamais à le lui dire en face. Chaque tranche de vie de ce personnage amer et fait pour être détesté (mais que Clowes traite avec minimalisme et détachement) correspond à une page qui peut être lue indépendamment des autres. Mais bout à bout, l’ensemble forme une narration claire qui donne tout son sens, sa puissance et sa férocité à l’histoire. Un tour de force formel d’autant plus abouti que le récit est parfait de justesse psychologique, de précision chirurgicale : pas un mot ou un dessin de trop. Tout sert la méchanceté du personnage et l’acidité de l’auteur. Un grand livre malade. _Jo.Gh.
LA RÉÉDITION JERRY SPRING de Jijé, Intégrale tome 1 (Dupuis) Maquette impeccable, chronologie respectée, noir et blanc des planches originales de l’auteur, appareil critique réussi et documents d’époque passionnants : ce premier volume de la réédition complète de la collection Jerry Spring de Jijé confine à la perfection. Le parti pris d’imprimer en noir et blanc sans refaire les couleurs révèle la force et la profondeur du crayonné de Jijé, et sert admirablement sa mise en scène minimaliste où le superflu n’existe pas, où les décors ne sont là que parce qu’ils sont nécessaires. Au trop plein, Jijé préférait les espaces blancs et les horizons dégagés : plus de 50 ans après la première aventure de son héros western, cette intégrale lui rend justice. Indispensable. _Jo.Gh.
L’ALBUM JEUNESSE JEAN-MICHEL CONTRE VENTS ET MARÉES de Magali Le Huche (Actes Sud Junior, dès 2 ans)
Grande nouvelle, Jean-Michel le caribou des bois est de retour ! Cette fois, il doit retrouver le soleil qui a disparu à Vlalbonvent. Saperlipopette, Albert l’ours polaire l’a volé pour se réchauffer ! Notre super caribou part à sa poursuite et doit affronter l’orage, la neige et le vent. Nos petits lecteurs devront l’aider à choisir le bon chemin tout en découvrant les différents phénomènes météorologiques. L’humour de Magali Le Huche est au rendez-vous et ses illustrations tendres et colorées sauront réjouir les plus petits et leurs parents. À (re)découvrir du même auteur, le précédent album livre-circuit Jean-Michel le caribou des bois. _Sophie Quetteville, libraire au MK2 Quai de Loire
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FUNNY GUYS MAFIA II, MARTIN à LA PAGE Marty Scorsese inspire le deuxième opus de la série Mafia, qui part à la pèche des rages d’un Pesci et du tombé de mâchoire d’un De Niro. Révérencieux, le titre ne pastiche pas son parrain. _Par Étienne Rouillon
Et là, il lui démantibule la binette d’une beigne assumée. Non pas que le type lui ait particulièrement démangé les arpions, mais faut pas lui chauffer le spaghetti, à Vito. On a vidé les poches du gonze et on l’a rempoté dans un terrain vague. Pace salute. Start. Sauvegarde.
louche. Affamé comme le personnage d’Henry Hill (Ray Liotta), le héros Vito Scaletta n’y gagnera que des picaillons pour sa gamelle.
On merdoie donc immanquablement dans Mafia II : filatures plantées, empoignades inégales. C’est exprès. Pour l’ambiance. En En verve et en veine, Mafia II pique dans les jouant des billets comme au Monopoly, on artères des films de Martin Scorsese : Mean finit en case prison. Si ça marche au cinéma, Streets (1973) et Les Affranchis (1990). Le ça peut crisper le joueur. D’autant que pour même goût pour la sauce tomate relevée tenir cette ligne, le studio 2K Czech a proà la poudre (noire ou blanche), les vannes posé un jeu très directif alors qu’on s’attentendues vers la baston, les coups en douce dait à un monde ouvert truffé de quêtes de sa douce ou de la mamma, les biquettes annexes, un jeu « bac à sable » (comme attirées par la fraîche, les tires tirées en pétant dans GTA). Mais quoi ? Tu voulais jouer les la vitre conducteur. Bref les à-côtés de la vie Genre : Vendetta caïds? Ravale tes ratiches, tu feras ce qu’on de gangster, entre deux braquages ou deals Éditeur : 2K Games te dit. Et c’est comme ça que les dévelopPlate-forme : PC, PS3, X360 de dope. C’est quand même pas du Sims peurs nous racontent une histoire, classique façon don Corleone, mais ce jeu se détache des propour du cinoche, modèle pour du pixel ludique. En ductions labellisées pègre en tournant le dos aux habileur taillant la bavette, on avait été surpris de les ententuels éléments de gameplay mafieux : progression dans dre chanter les louanges du très narratif Heavy Rain. l’organigramme criminel, contrôle du territoire… Petites Comme si le jeu vidéo nous soufflait : « Fini de jouer. » frappes, les affranchis de Mafia II ne franchissent jamais Pour quoi faire alors? Pour le voyage, pour le soleil morle Rubicon des godfathers. On s’abonne aux casses dant la carlingue des tractions avant d’une vile ville mal barrés et initiatives déplacées, conduites la pluricaine des fifties, les oreilles noyées dans un rockabilly. part du temps par le meilleur pote : Joe – Barbaro, pas Gamers, voici la nouvelle cosa nostra. Pesci –, pile de nerfs spécialisée dans l’improvisation
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LES AUTRES SORTIES VOYAGE VOYAGE STARCRAFT II : WINGS OF LIBERTY (Activision Blizzard, sur PC et Mac) Pour son entrée dans l’ère LCD/Plasma, l’étalon des jeux de stratégie sur tubes cathodiques s’offre un retour aux allures de lifting graphique et ergonomique. Variées, les missions de la campagne Terran se payent même le luxe de clins d’œil à d’autres genres, du survival horror au beat’em all. Vieille marmite, nouvelles recettes : faire des pâtés de Zergs en croûte ou des terrines de Protos, c’est à la fois exigeant et accessible, comme un épisode de MasterChef. Les hardcore gamers auront toujours à cœur de faire péter leur APM (Actions Par Minute) avec des petites astuces au poil. Un nouveau testament qui tout en évitant l’hérésie saura convertir de nouveaux adeptes. _E.R.
BOUH BOUH LIMBO (Playdead, sur X360) Peut-on tout montrer dans un jeu vidéo ? Oui, si l’on fait la part belle à la suggestion. Plongé dans la réalisation ouatée mais cauchemardesque de tableaux tout de noir et de blanc mêlés, le héros haut comme trois pommes se fait souvent couper le trognon dans des pièges morbides reposant sur des énigmes physiques. Le personnage progresse par échecs successifs, tout fou, tout flou, dans un univers qui emprunte autant aux Idées noires de Franquin qu’à La Triste Fin du petit enfant huître de Burton. La bande-son, réduite au crépitement des os ou au grincement des chaînes rouillées, trébuche en sonnets sanglants. Le malaise poétique gonfle, soufflé par une jouabilité ascétique. Dur et/mais/ou joli. _E.R.
PIOU PIOU ANGRY BIRDS (Clickgamer, sur iPhone, iPad et iPod Touch)
Alors, c’est l’histoire de piafs dotés de superpouvoirs qui couvent leurs plumes blondes en rase campagne. Las de bâfrer des farines cannibales, des cochons voisins (et verts gazon) décident de barboter les marmots et de se faire une omelette. Les oiseaux se lancent à leur poursuite et c’est du bout des doigts que l’on doit les projeter sur les remparts porcins pour abattre leurs châteaux. Fort d’une ambiance sonore fendard, d’un pouvoir d’addiction clinique, Angry Birds (jeu le plus vendu sur iTunes) s’offre une mise à jour portant à 180 le nombre de niveaux à parcourir. Pour moins d’un euro, n’hésitez pas, je parie que le type qui lit par-dessus votre épaule l’a déjà. _E.R.
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98 SEX TAPE /// L’INSTANT ÉROTIQUE
VERTIGE DE L’AMOUR
Entre feu et neige, volupté et sécheresse, plus influencé par Hitchcock que par la fiction dont il s’inspire, Im Sang-soo n’a pas son pareil pour filmer les corps qui tombent et embrayer sur des spirales vertigineuses. Dans The Housemaid, il y a toujours un regard pour déshabiller, une main pour servir, toucher ou frapper, et une bouche pour avaler ou rappeler que la politesse est le voile de la monstruosité. Est-il possible de faire partie des riches quand on a toujours été pauvre ? Introduite dans la bulle autarcique d’une maison bourgeoise par la porte de service, Euny va en faire éclater la structure rigide, pour le malheur de ses frémissantes courbes. Sexy, subversif, truffé de sous-entendus et arrosé de grands crus.
© Pretty Pictures
_D.J. The Housemaid d’Im Sang-soo // Sortie le 15 septembre