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CINÉMA CULTURE TECHNO
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LÉA
SEYDOUX DE PLUS BELLE
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PLEIN POT Deux années séparent La Belle Personne de Belle Épine. Dans le film de Christophe Honoré, sorti en 2008, comme dans celui de Rebecca Zlotowski, en salles ces jours-ci, Léa Seydoux incarne deux jeunes filles endeuillées, frappées par la mort de leur mère, et contraintes de trouver un nouvel équilibre. Junie, dans La Belle Personne, et Prudence, dans Belle Épine, sont travaillées par les mêmes désirs contradictoires: la retraite ou la fuite, le retranchement intérieur ou l’abandon sensuel et véhément. La première refuse, par crainte de gâcher leur amour, de se donner au séduisant duc de Nemours ; la seconde, au contraire, s’offre aux caresses d’un motard téméraire. Cette trajectoire épouse celle de la comédienne, passée, en l’espace de quelques saisons, à la vitesse supérieure. Il y a deux ans, lorsque nous la rencontrions pour la première fois, Léa Seydoux nous avouait combien il lui était difficile de s’abandonner émotionnellement face à la caméra. Le mois dernier, en revanche, elle faisait montre en interview d’une assurance nouvelle, allant jusqu’à affirmer qu’elle s’était sentie « naître actrice » avec son rôle dans Belle Épine. Il faut dire que depuis son éclosion remarquée chez Christophe Honoré, la jeune femme a tourné avec certains des plus grands cinéastes en activité (Quentin Tarantino, Woody Allen, Ridley Scott, Raoul Ruiz, Amos Gitaï), le quatrième volet de la saga Mission impossible venant s’ajouter, à quelques jours du bouclage de ce numéro, à cet impressionnant tableau de chasse. « Léa a en elle quelque chose d’anesthésié, d’anéanti ; et en même temps il se dégage d’elle une grande vitalité, une énergie », nous confie Rebecca Zlotowski. En offrant à l’actrice une place de choix dans l’émouvant ballet motorisé qui scande son film, la prometteuse cinéaste ne fait qu’accompagner par le son et par l’image un mouvement qui va en s’accélérant: plus rien, désormais, n’arrête Léa Seydoux. _Auréliano Tonet
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ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS 01 44 67 30 00 Directeur de la publication & directeur de la rédaction Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com & troiscouleurs@mk2.com) Rédacteur en chef & chef de rubrique « culture » Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Direction artistique Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Maquette Louise Klang Iconographe Juliette Reitzer Secrétaire de rédaction Sophian Fanen Stagiaires Stéphanie Alexe, Laura Pertuy, Laura Tuillier Ont collaboré à ce numéro Ève Beauvallet, Julien Dupuy, Yann François, Joseph Ghosn, Jacky Goldberg, Florian Guignandon, Donald James, Amélie Leenhardt, Wilfried Paris, Bernard Quiriny, Sophie Quetteville, Guillaume Regourd, Violaine Schütz, Léo Soesanto, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente Illustrations Anna Apter, Xavier Barrade, Adeline Grais-Cernea, Dupuy & Berberian Photographie de couverture Nicolas Guérin Publicité Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Responsable partenariats Amélie Leenhardt 01 44 67 30 04 (amelie.leenhardt@mk2.com)
© 2009 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique
SOMMAIRE # 86 3 ÉDITO 6 ENQUÊTE > Le placement de marques dans les films 10 SCÈNE CULTE > Une nuit en enfer 12 PREVIEWS > Le Frelon vert
15 LES NEWS 15 CLOSE-UP > Roxane Mesquida 16 LE K > Rubber 18 SEUL CONTRE TOUS > Unstoppable 20 KLAP > L’Art d’aimer 22 TÉLÉCOMMANDO > Misfits 24 L’ŒIL DE… > Damien Babet sur Inside Job 26 EVENT > Heinrich Kühn à l’Orangerie 28 REGARDS CROISÉS > Paris photo 30 FLASH-BACK > Les Ballets C de la B 34 PASSERELLES > Grupo Corpo 36 UNDERGROUND > Arlt 38 MIXTAPE > The Bewitched Hands / Da Brasilians 42 IN SITU > Pharrell Williams au Festival de Cannes 44 BUZZ’ART > Le nouveau logo de Gap 46 LE NET EN MOINS FLOU > Clay Shirky 48 AVATARS > DJ Hero 2
51 LE GUIDE 52 SORTIES CINÉ 64 SORTIES EN VILLE 74 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN
68 DOSSIERS & INTERVIEWS 76 LÉA SEYDOUX & REBECCA ZLOTOWSKI // BELLE ÉPINE 88 LA POLITISATION DU CINÉMA FRANÇAIS // POTICHE, COMMISSARIAT, CE N’EST QU’UN DÉBUT, CHEMINOTS… 98 SCOTT PILGRIM VS QUARTIER LOINTAIN 104 DC COMICS FÊTE SES 75 ANS
111LE BOUDOIR 112 DVD-THÈQUE > Pierre Etaix 114 CD-THÈQUE > Florent Marchet 116 BIBLIOTHÈQUE > Antoine Bello 118 BD-THÈQUE > Takashi Fukutani 120 TRAIT LIBRE > Jim Morrison, poète du chaos 122 SEX TAPE > Nicolas Comment
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6 ENqUêTE // LE PLACEMENT DE MARQUES DANS LES FILMS
MARQUES D’AFFECTION Audi dans I-Robot, Perrier dans La Haine… Omniprésentes dans notre environnement quotidien, les marques squattent aussi nos écrans, du blockbuster hollywoodien au cinéma d’auteur français. Alors que sort La Famille Jones, comédie douce-amère sur l’inquiétante inventivité du marketing, nous nous sommes penchés sur la relation ambiguë qu’entretiennent marques et cinéma. _Par Juliette Reitzer
I
maginez que le sourire avenant de vos voisins de palier n’ait qu’une raison d’être : vous pousser à acheter. Dans La Famille Jones, Steve, Kate (David Duchovny et Demi Moore) et leurs deux ados possèdent tout pour être heureux – voitures, vêtements, accessoires dernier cri… Mais ce grand déballage est en toc. Les Jones sont en réalité des commerciaux recrutés pour faire acheter à leurs amis les produits qu’ils représentent. De la pure science-fiction ? «Le marketing furtif existe, répond Derrick Borte, réalisateur du film et ancien publicitaire. Aux États-Unis, les promoteurs immobiliers engagent de fausses familles pour occuper des maisons témoin qu’elles présentent aux visiteurs. » La Famille Jones nous invite donc à réfléchir sur notre rapport à la consommation et questionne l’idée du bonheur comme résultant de nos possessions matérielles. Pour mieux saisir son sujet, le film multiplie ainsi les références à des marques, inventées ou réelles, fournissant une illustration par l’absurde du recours au placement de produit au cinéma, méthode de marketing discrète, mais courante. On parle de placement de produit lorsqu’un accord commercial est conclu entre une marque et la production d’un film. Il peut se faire contre rémunération (la marque paie pour apparaître dans le film) ou avantage en nature (la marque prête ses produits
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pour le tournage). Patron de Marques & Films, agence spécialisée dans le placement de produit, Olivier Bouthillier précise : « Le spectateur considère que dès qu’une marque est présente à l’image, il y a un accord commercial. Mais sur une centaine de marques dans un film, il y en a peut-être cinq qui sont là par accord.» Car qui dit marque dit image, et les sociétés n’acceptent un accord qu’à plusieurs conditions: le contexte doit être bienveillant, le produit doit être associé à des personnages positifs et ne doit jamais être mis en concurrence. «Si le personnage A boit du Coca et le personnage B de l’Orangina, il n’y a pas d’accord. Si tous les personnages du film téléphonent avec des Nokia, il y a un accord.» FLIRT Le phénomène n’est pas nouveau. Dès les années 1910, le constructeur automobile Henry Ford flirte avec le cinéma en offrant son modèle T aux studios… à condition que ceux-ci n’utilisent pas d’autre marque de voiture dans leurs films. En France, la pratique se répand au milieu des années 1970 et progresse depuis. « L’engouement correspond à une réalité logique, continue Olivier Bouthillier: les marques n’ont jamais été aussi présentes dans nos vies. Dans les années 1990, on estimait qu’un urbain était confronté à 2000 logos par jour. Aujourd’hui, c’est 5000.»
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© UGC ph
LE PLACEMENT DE MARQUES DANS LES FILMS // ENqUêTE 7
Lauren Hutton et Demi Moore dans La Famille Jones de Derrick Borte
MARIAGE L’abondance des marques dans notre vie quotidienne expliquerait donc leur omniprésence sur les écrans de cinéma, et c’est souvent par souci de réalisme qu’un metteur en scène recourt à des produits connus pour installer une ambiance ou caractériser ses personnages. Ainsi, dans La Cérémonie, Claude Chabrol tenait à utiliser du café Carte Noire pour l’image d’élégance bourgeoise véhiculée par la marque. Même refrain dans La Famille Jones. « Tous les placements de produits dans le film sont dictés par la créativité. J’avais besoin de vraies marques pour obtenir un rendu réaliste », explique le réalisateur du film. Les marques sont alors contactées par des agences spécialisées, elles-mêmes démarchées par les sociétés de production, selon un raisonnement logique : quitte à filmer une marque, autant y gagner un avantage – qui peut aller de 3 000 à 200 000 euros, selon le rôle du produit dans l’histoire, la notoriété du réalisateur et des acteurs. Olivier Bouthillier estime que 99 % des sociétés de production françaises contactent systématiquement une agence de placement de produit lorsqu’elles lancent un film. Avec un succès mitigé, comme le résume Claire Dornoy, directrice de production chez MK2 : « Les marques s'intéressent peu aux films d'auteur. Pour Copie conforme d'Abbas Kiarostami, une marque de maquillage était intéressée par la présence de Juliette Binoche dans le film. Mais il fallait ajouter des plans pour les satisfaire, montrer leurs produits, et il était hors de question de toucher au scénario. »
« DANS LES ANNÉES 1990, ON ESTIMAIT QU’UN URBAIN ÉTAIT CONFRONTÉ À 2 000 LOGOS PAR JOUR. AUJOURD’HUI, C’EST 5 000. » Olivier Bouthillier
DIVORCE En France, le film est considéré comme une œuvre d’art appartenant à son auteur et ne serait donc pas menacé par la puissance économique des marques. Mais la liberté d’expression a tout de même ses limites. « Attaquer une marque ou la mettre dans une situation de dévalorisation extrême conduirait inévitablement à un procès », confie Olivier Bouthillier. Les membres du
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© Studio H5
8 ENqUêTE // LE PLACEMENT DE MARQUES DANS LES FILMS
Logorama, de François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain, 2009
collectif H5 ont fait fi de cette mise en garde dans leur court métrage Logorama, où tous les personnages et décors sont des logos, du Bibendum Michelin au clown Ronald McDonald (qui campe carrément un psychopathe prenant un gamin en otage). Drôle et corrosif, Logorama fait office de
GARDE PARTAGÉE Le succès public de Logorama résonne avec la méfiance grandissante de l’opinion à l’égard des marques et de la publicité. Selon l’étude TNS Sofres Observatoire des moyens de communication réalisée en mars 2010, 76 % des sondés considèrent
« NOUS N’AVONS PAS DEMANDÉ L’ACCORD DES SOCIÉTÉS, QUI N’ONT PAS LEUR MOT À DIRE DANS LA CRÉATION D’UN FILM. » Ludovic Houplain, coréalisateur de Logorama droit de réponse au principe fondateur du placement de produit au cinéma : puisque les marques saturent toujours plus notre champ visuel, libre à l’artiste de s’en saisir. « Il y a environ 3 000 logos dans le film, c’est une traduction de la société qui nous entoure, explique ainsi Ludovic Houplain, l’un des trois réalisateurs. Nous n’avons pas demandé l’accord des sociétés, considérant que les services juridiques des marques n’ont pas leur mot à dire dans la création d’un film. C’est un appel à la liberté d’expression. » En accord avec ses avocats, H5 décide alors de présenter le film uniquement dans de gros festivals internationaux, espérant qu’une large audience fera barrage contre la censure. Une stratégie qui a porté ses fruits, puisque Logorama a remporté l’Oscar du meilleur court métrage en 2009.
que le recours aux nouvelles technologies dans la communication des marques (parmi lesquelles figure le placement de produits) est «un nouveau pas franchi dans la manipulation ». Une inquiétude confirmée par la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel quant au placement de produit à la télé, autorisé depuis mars dernier : les téléspectateurs doivent impérativement être informés de l’existence d'un accord commercial par un pictogramme visible au début et à la fin du programme. Mais ce dispositif n’existe pas au cinéma, qui séduit de plus en plus les marques désireuses de développer leur notoriété. À l’image de la famille Jones, dont le succès commercial repose sur les rapports affectifs qu’elle entretient avec ses voisins, les héros de cinéma, admirés et imités, sont pour les marques des ambassadeurs rêvés.
La Famille Jones de Derrick Borte // Avec Demi Moore, David Duchovny… // Distribution: UGC // États-Unis, 2009, 1h36 // Sortie le 17 novembre
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© D.R.
10 SCèNE CULTE /// UNE NUIT EN ENFER
MORTEL LE PITCH Les frères Seth et Richard Gecko sont sur le point de réussir leur coup. Après une sanglante cavale, ils ont réussi à passer la frontière mexicaine avec leurs otages, le pasteur Jacob et ses enfants, Kate et Scott. Ils s’arrêtent boire un coup au Titty Twister, où se désaltère un autre routier de passage, Sex Machine. Mais les clients du rade semblent avoir un humour particulièrement mordant…
“
JACOB: Est-ce que l’un de vous sait ce qu’il se passe?
SETH : Oh, moi je sais ce qu’il se passe. Il y a toute une tripotée de vampires là-dehors qui essaie d’entrer pour nous sucer le sang. Et voilà, simple comme bonjour. Et que personne ne vienne me raconter « oh, moi je ne crois pas aux vampires », parce que moi, putain de merde, je ne crois pas aux vampires, mais je crois à ce que mes yeux voient. Et ce qu’ils ont vu c’était des vampires. […] Mais qu’est ce que nous savons sur les vampires ? Les croix font du mal aux vampires. Est-ce qu’on a une croix ici ?
JACOB : Dans le camping-car. SETH : Donc la réponse est non. SCOTT : Attendez, enfin, regardez autour de vous, il y a des croix partout. Tout ce qu’il faut, c’est mettre deux bâtons ensemble et ça fait une croix.
SEX MACHINE : Oui, j’ai vu dans les films de Dracula, ils font ça tout le temps. […] JACOB : Y-a-t-il quelqu’un ici qui ait lu un vrai livre sur les vampires ? Ou est-ce que ce sont juste de vagues souvenirs de ce qu’on a vu au cinéma ? Je parle d’un vrai livre ? SEX MACHINE : Vous voulez dire comme Science et vie junior ? JACOB : J’en conclus que la réponse est non. Bon alors, que savons-nous sur ces vampires-là ? SEX MACHINE : Nous savons qu’ils ont une force surhumaine mais on peut leur faire mal. Remarque, si tu veux enfoncer un barreau de chaise dans un humain, t’as intérêt à être vachement balaise, c’est vrai. Le corps humain c’est construit en super costaud. Mais ces machins-là, ces vampires, ils ont un corps tout mou. Ils ont la peau tendre, c’est un peu comme de la bouillie. Tu leur balances une bassosse dans le buffet, ça traverse. Une tarte dans la gueule: t’as la tête qui vient avec. SETH : En fait, notre meilleure arme contre ces suceurs sataniques, c’est cet homme. C’est un pasteur. Pour ce que Dieu en a à foutre, on pourrait tous être des merdes écrasées, mais lui, c’est un chouchou du paradis.
”
Une nuit en enfer de Robert Rodriguez // Scénario de Quentin Tarentino et Robert Kurtzman // États-Unis, 1996, 1h47 // DVD disponible chez Buena Vista Home Entertainment
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12 PREVIEW
© Green Hornet - Sony Pictures releasing France
LE FRELON VERT C’est affublé d’un costume et d’un masque émeraude que le journaliste Britt Reid (Seth Rogen) entend combattre le crime dans le prochain film de Michel Gondry, qui adapte pour Columbia Pictures une émission de radio lancée à Detroit en 1936, plus tard convertie en série télé et en comic. Secondé par Kato (Jay Chou), spécialiste en arts martiaux, Britt s’invente justicier à bord de son automobile de pointe, la Black Beauty. Si Kevin Smith (Clerks) fut un temps intéressé par le projet, c’est bien Gondry qui bourdonne en sollicitant le talent d’écriture des deux poulains de Judd Apatow, Evan Goldberg et Seth Rogen lui-même. Gageons que les deux scénaristes de Supergrave ont su offrir au Frelon vert de quoi faire déguerpir les vilains. Bon buzz. _Laura Pertuy Un film de Michel Gondry // Avec Seth Rogen, Cameron Diaz… // Distribution : Sony Pictures // États-Unis, 2010 // Sortie le 12 janvier
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LES
NEWS
SECOUEZ, AGITEZ, SAVOUREZ : L’ACTU CINÉ, CULTURE, TECHNO FRAÎCHEMENT PRESSÉE
CLOSE-UP
© Marianne Williams
Poupée diaphane aux yeux aguicheurs, ROXANE MESQUIDA échauffe les sens pour mieux glacer les sangs dans deux films tournés aux États-Unis : Kaboom et Rubber. Sous ses faux airs d’héroïne romantique, Roxane Mesquida cache des origines méridionales. Toute jeune, Manuel Pradal la dérobe à sa Provence natale pour Marie baie des Anges. Dès lors, la belle attire des cinéastes travaillés par la question des corps. On découvre sa grâce étrange dans L’École de la chair de Benoît Jacquot, avant une prolifique collaboration avec Catherine Breillat (À ma sœur !, Sex is Comedy et Une vieille maîtresse). Puis Roxane rejoint le clan Kourtrajmé : son regard enjôleur, sa silhouette menue et sa voix cristalline se font inquiétants dans Sheitan du doux voyou Kim Chapiron. Fraîchement exilée à L.A., elle joue enfin les nymphomanes vengeresses chez Gregg Araki (Kaboom), tandis que Quentin Dupieux filme dans Rubber son « côté lugubre », dont s’entiche le héros du film, un pneu tueur sentimental. Longue route à toi, Roxane. _Stéphanie Alexe
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16 NEWS /// POLÉMIQUE
IL Y A CEUX qU’IL ÉNERVE ET CEUX qUI LE VÉNèRENT © Relatism Films
K
LE
ROUE LIBRE En ces temps troublés pour les roux et les roues, Rubber, le pneu tueur de QUENTIN DUPIEUX aka Mr Oizo, tourne à vide. À moins qu’il ne roule tout droit vers les cimes du cinéma de genre ? _Par Juliette Reitzer (la question) et Clémentine Gallot (la réponse)
LA QUESTION
LA RÉPONSE
Rubber ne tourne pas rond. Pneu raplapla, il écrase un jour une bouteille en plastique, découvre qu’il peut aussi aplatir un scorpion, et s’attaque bientôt avec engouement aux têtes humaines, qu’il fait exploser à distance. Le film dévie hélas bien vite de ce pitch jouissif et prometteur. Les errements de la roue psychopathe sont scrutés par un groupe de spectateurs munis de jumelles, dans une mise en abyme grandeur nature du dispositif regardé / regardant. Dupieux s’engouffre à toute berzingue dans un symbolisme bavard et contre-productif, qui tourne en rond. Le film se veut manifeste de l’absurde, mais se dégonfle en tentant de justifier son incongruité par un discours philosophique pompeux. Sur ce chemin pavé de trop bonnes intentions, Rubber ne risque-t-il pas d’éclater ?
Gag ingénieux (comment désigner autrement cette roue tueuse télépathe qui éclate les gueules qui ne lui reviennent pas?), Rubber nous embarque dans un jeu de massacre sans être tributaire du nihilisme gavrassien un peu vain qui sévit actuellement. Ce road movie érudit décline dans le désert texan le principe ébauché par Spielberg dans Duel, en 1971. Les spectateurs participent au récit tout en exposant ses ficelles : « Au-delà du film de genre, c’est un film qui parle de cinéma», explique ainsi Quentin Dupieux, qui reconnait volontiers la facture modeste de ce sketch à rallonge (tournage à l’appareil photo, financement léger, comédiens inconnus mais excellents). Échappant de justesse à l’exercice prétentieux, cet ovni formaliste, rythmé par la bande-son épique et anxiogène de Quentin « Oizo » Dupieux (avec Justice), est décidément sur la bonne voie.
Un film de Quentin Dupieux // Avec Stephen Spinella, Roxanne Mesquida… // Distribution : UFO // France, 2010, 1h25 // Sortie le 10 novembre
LA RéPLIQUE
« – C’EST QUOI, NOTRE ÂME ? – C’EST UN TRUC INVISIBLE QUI EST BLEU. » (Ce n’est qu’un DéBut, DoCuMentAire sur Des éLèves De MAterneLLe, en sALLes Le 17 noveMBre)
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© Twentieth Century Fox
18 NEWS /// SEUL CONTRE TOUS
LOCO MOTIVÉ Un an après L’Attaque du métro 123, TONY SCOTT filme à nouveau Denzel Washington en cheminot téméraire dans Unstoppable. Blockbuster républicain en pilotage automatique, selon la majorité de nos confrères ; grand film sur l’héroïsme ouvrier, leur répond notre journaliste. _Par Jacky Goldberg
T
ony Scott n'est pas à proprement parler un thuriféraire de l’anarcho-syndicalisme : qui a vu Top Gun, U.S.S. Alabama ou Man on Fire sait la fascination du petit frère de Ridley pour les militaires, les guns et ce qui peut faire saigner les cocos. Il vient pourtant de réaliser un grand film sur la fierté ouvrière: Unstoppable. Le scénario est simple et droit comme les bottes d’un G.I.: un train bourré de produits chimiques est lancé à pleine vitesse sur les rails de Pennsylvanie, menaçant de détruire une ville entière ; deux cheminots, l’un novice l’autre expérimenté, se lancent à sa poursuite. La symbolique est claire: ce train fantôme qui défonce tout sur son passage, cette Lison moderne que la caméra de Tony Scott transforme en pièce de musée d’un siècle révolu – impossible de ne pas penser au Renoir de La Bête humaine –, c’est la classe ouvrière qui refuse d’être envoyée à la casse par de cyniques actionnaires; c’est l’Amérique des invisibles qui sort de sa torpeur pour un dernier baroud d’honneur, pour rappeler aux ronds-de-cuir dans leurs bureaux de verre qu’elle est encore capable de grandeur. Dans une visée matérialiste (qui infusait déjà Domino et Déjà vu, films de résistance de l’actuel sur le virtuel galopant), Unstoppable oppose deux mondes de façon claire: l’un concret, solide, peuplé de professionnels qui ne sont pas sans
rappeler les cow-boys d’Howard Hawks; l’autre abstrait, fumeux, dépassé par des événements que les caméras de Fox News, tels des moucherons s’excitant inutilement, ne parviennent pas à relater. Pour autant, on ne fait pas du jour au lendemain d’un vieux républicain un révolutionnaire marxiste : c’est toujours par son individualisme et son professionnalisme que se détache le héros scottien. Il n’y a pas de différence, chez lui, entre le pilote Maverick de Top Gun et l’ouvrier désobéissant d’Unstoppable. Nulle loyauté envers l’armée ou la compagnie, seulement envers ses collègues, sa famille et son outil. « Nous chanterons les locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails, tels d’énormes chevaux d’acier bridés de longs tuyaux », écrivait Marinetti dans son manifeste futuriste de 1909. Ceci est très clairement le programme esthétique du film. Peu de cinéastes contemporains sont allés aussi loin dans l’exploration des effets de la vitesse sur la matière (sublime effet de scratch film avec des céréales en vol) ; peu ont été capable de rendre aussi poétique la course d’un 4x4 rugissant; peu, enfin, ont célébré avec autant d’acuité la beauté d’un regard fixé sur la ligne d’horizon, ce moment d’ivresse où l’idée trace son chemin par-delà les vitres encombrées (de gouttes d'eau, de reflets) pour devenir, par la grâce du montage, action.
Un film de Tony Scott // Avec Denzel Washington, Chris Pine… // Distribution : 20th Century Fox // États-Unis, 2010, 1h35 // Sortie le 10 novembre
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© Jean-Claude Moireau / Moby Dick Films
20 NEWS /// KLAP ! /// ZOOM SUR UN TOURNAGE
ENAMOURE(T) Avec L’Art d’aimer, EMMANUEL MOURET se fait plaisir et réunit devant sa caméra des couples qui se cherchent et se trouvent selon des jeux de l’amour qui ne laissent pas de place au hasard. Tournage dans les règles de l’art. _Par Laura Tuillier
près Un baiser s’il vous plaît et Fais-moi plaisir, où le réalisateur incarnait un amoureux maladroit et attachant, Emmanuel Mouret laisse la place devant sa caméra à de nouveaux prétendants. « J’ai quand même un petit rôle dans L’Art d’aimer, mais je fais confiance avec bonheur à François Cluzet et Gaspard Ulliel », confie-t-il après une journée de tournage bien remplie à Paris, la ville des gens qui s’aiment. Inspiré par le livre du poète latin Ovide, dont il a conservé le titre, Emmanuel
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Mouret continue d’explorer le désir amoureux contemporain. Conscient que le mystère en est souvent le moteur, il refuse de trop déflorer son histoire et évoque « des chassés-croisés amoureux à n’en plus finir… » Infidèle, Emmanuel ? « Non, je travaille avec des gens que je connais très bien, c’est ce qui rend le tournage extrêmement plaisant. » Il retrouve en effet ses muses blondes Frédérique Bel et Judith Godrèche, mais filme pour la première fois Julie Depardieu, idéale troisième grâce. « Les comédiens jouent la partition avec beaucoup d’aisance et de naturel, je suis enchanté. » De coups de foudre en badinages, de fausses ruptures en vraies rencontres, L’Art d’aimer promet de dresser une carte du tendre où les règles sont faites pour être transgressées avec passion. Tout un art.
_Par L.T.
INDISCRETS DE TOURNAGE 1. Virginie Despentes dirige cet automne l’adaptation ciné de son propre livre, Bye Bye Blondie. Une RMIste (Béatrice Dalle) retrouve sous les traits d’un présentateur télé son amour de jeunesse (Emmanuelle Béart), jadis blonde et connue sous le nom de Frances. 2. Mystérieux tournage pour Francis Ford Coppola qui réalise Twixt Now and Sunrise, thriller dont on sait qu’il se passe au XVIIe siècle en pleine chasse aux sorcières. Val Kilmer et Elle Fanning (héroïne du nouveau film de Sofia Coppola, Somewhere) mèneront la danse. 3. Mathieu Demy tourne entre Paris, Los Angeles et Tijuana son premier long métrage, Americano, un film sur la quête d’identité de Martin, personnage que le comédien a lui-même interprété il y a 20 ans dans Documenteur, de sa mère Agnès Varda.
Sortie prévue au printemps 2011
© 2010 Warner Bros. Entertainment Inc
LA TECHNIQUE LE GOMMAGE NUMÉRIQUE Boutons, cicatrices, bourrelets : les trucages numériques servent fréquemment à gommer des portions d’image indésirables. Dans Harry Potter et les Reliques de la mort, le nez aquilin de Ralph Fiennes a ainsi été escamoté numériquement, pour accentuer les traits reptiliens de Voldemort. Plus fort encore : dans Machete, le réalisateur Robert Rodriguez est parvenu à montrer Jessica Alba dans le plus simple appareil tout en respectant la clause de non-nudité du contrat de l’actrice, en filmant la comédienne en sous-vêtements couleur chair, qui ont été ensuite effacés. _Julien Dupuy // Harry Potter et les Reliques de la mort (première partie) de David Yates, sortie le 24 novembre // Machete de Robert Rodriguez et Ethan Maniquis, sortie le 1er décembre
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© Clercenwell Fims 2009
22 NEWS /// TÉLÉCOMMANDO
PÉRIL JEUNE Sous ses airs de Heroes pour ados, Misfits, nouvelle série en provenance du Royaume-Uni, ose le discours jeuniste énervé. Gregg Araki style. _Par Guillaume Regourd
n 1986, les Beastie Boys chantaient: (You Gotta) Fight For Your Right (to Party!). Presque 25 ans plus tard, leur hymne acnéique et moqueur est pris au pied de la lettre par les cinq héros british de Misfits, tous condamnés à des travaux d’intérêt général. Alors qu’ils purgent leur peine, une tempête éclate. Frappés par la foudre, ils se découvrent alors des pouvoirs du type télépathie ou invisibilité, tandis que leur superviseur se transforme en Jack Torrance dans Shining. Il ne survivra pas au pilote de la série. Car ici, les moins de 20 ans s’émancipent des adultes à coup de hache. La métaphore météo est limpide : l’énergie incontrôlable libérée par l’orage est celle de la jeunesse et chaque épisode se veut un chapitre d’un malicieux manifeste du petit rebelle. À la fois crue (la série passe sur E4, la chaîne de Skins), glauque – avec sa banlieue de film d’épouvante – et drôlement régressive, Misfits déploie sa rage libératrice jusque dans sa très sûre B.O. La star du show se nomme Nathan Young, irrésistible grande gueule jouée par la tornade Robert Sheehan. C’est lui qui tentera, dans une tirade mémorable, de ramener à la (dé)raison ses camarades transformés en zombies pro-abstinence vêtus de cardigans: «On est jeunes. On est censés trop boire, être des merdeux et s’envoyer en l’air. On a été conçus pour faire la fête. C’est comme ça. C’est notre tour.» Kaboom!
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BUZZ TV
_Par G.R.
1. Catherine Hardwicke devrait développer une série autour de Roméo et Juliette. Frustrée par l’échec d’une paire de projets sur les amants de Vérone, ABC a semble-t-il trouvé en la réalisatrice du premier Twilight la sensibilité qui manquait. 2. La comédie indé culte de 2004 Napoleon Dynamite aura bien une suite. Mais à la télé et sous la forme d’une série animée sur FOX. Jared Hess, le réalisateur du film, sera aux manettes et les acteurs, Jon Heder en tête, ont tous donné leur accord pour le doublage. 3. Énième série sur de jeunes et – sans doute – jolis bleus de la police, le projet Rookies de CBS pourrait passer inaperçu. Mais, avec Robert de Niro à la production et Richard Price (Clockers, Sur écoute) au scénario, tout de suite, on s’intéresse.
Misfits sera diffusé sur Orange Cinéma Séries à partir du 14 novembre
LE CAMéO
© Warner Bors. Television
TIMOTHY DALTON DANS CHUCK Faites chauffer l’Aston Martin frappée du logo « Nerd Herd » : James Bond himself, ou plutôt son quatrième interprète au cinéma, va faire un détour en novembre par le magasin de Chuck. Timothy Dalton a en effet accepté, comme Linda « Sarah Connor » Hamilton quelques semaines avant lui, d’assouvir un pur fantasme de geek en apparaissant dans la quatrième saison de cette parodie sympa des films d’espionnage. Le sexagénaire retrouvera ensuite son sérieux dans l’adaptation américaine d’Anthony Zimmer, The Tourist, en salles le 15 décembre. _G.R.
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© Sony Pictures Releasing France
24 L’œIL L’œILDE... DE…/// /// DAMIEN DAMIEN BABET BABET SUR SUR INSIDE INSIDE JOB JOB
DE L’INTÉRIEUR Exposé accablant du hold-up du monde politique par les banques, narré par Matt Damon et nourri d’interventions d’experts (Christine Lagarde, DSK…), Inside Job révèle le délabrement du système financier américain. DAMIEN BABET, professeur d’économie à la New York University pendant la crise, a vu pour nous le documentaire de Charles Ferguson. Compte-rendu. _Propos recueillis par Clémentine Gallot
«
L’orientation générale du film traite la crise comme une grande arnaque dont il faut punir les coupables, pas comme un phénomène économique dont il faut expliquer les causes. C’est une approche logique, mais le film n’adopte pas le point de vue économiste traditionnel. Charles Ferguson cherche à démontrer qu’il y a des responsables et qu’ils devraient être en prison. En cela, Inside Job ressemble à une enquête policière qui expose le mensonge et la dissimulation. Il pose une partie du contexte, c’est-à-dire qu’il y a eu de la dérégulation ainsi que des inégalités sociales croissantes depuis Reagan. Le récit est dense en données, il explique, par exemple, le mécanisme par lequel les subprimes ont été transformées en produits financiers. Pourtant, il pèche en pédagogie sur les phénomènes économiques. La seule explication systémique pro-
posée consiste à dire que la crise résulte d’une pyramide de Ponzi, ou fraude pyramidale. Or, on peut décrire ainsi toutes les bulles spéculatives. La spéculation est une pratique autorisée : tout le monde sait quel est le risque en bourse. À mes yeux, l’image de la pyramide de Ponzi ne suffit pas à expliquer ces arnaques, même s’il y en a eu, on le voit bien. Néanmoins, le film reste intéressant car il aborde des questions trop peu étudiées par les économistes: la corruption et l’influence des universitaires qui enseignent l’économie, ou les effets pervers de ce milieu (concurrence entre collègues, bonus, jets, prostitution, drogue). Faire intervenir un psychanalyste rappelle que les traders sont des êtres humains, que tout ne peut pas être expliqué par des théories économiques. Au bout du compte, le film a évidemment raison, mais son approche judiciaire ne suffit pas.»
Un film de Charles Ferguson // Documentaire // Distribution : Sony Pictures // États-Unis, 2010, 1h40 // Sortie le 17 novembre
KANYE WEST À L’OUEST
Après Cleveland contre Wall Street, procès imaginaire de la crise, Inside Job dresse un diagnostic Le 5 octobre dernier à Paris, le rappeur Kanye West présentait son premier film, Runaway, «avant que les pyramides se libèrent à charge sur l’effondrement des marchés. analyse et souventlearide, qui de dénonce pour la mégaprojo en avril». Sept morceaux de son Une nouvel album àpartisane venir accompagnent film, série tableauxune rococo économie minée par la corruption. De la faillite islandaise au34 statu quode depyrotechnie l’administration timorée d’Obama, ou s’enchaînent bagnoles, bambis, banquet et ballerines. Verdict: minutes sur fond de fin du monde entre Kanye un End phénix une fille en sublime dans la culotte. la fin deles la projection, Kanye l’auteur deetNo in (Selita Sight Ebanks), (sur la guerre Irak)avec livre des un plumes film méthodique qui Àretrace effets desest monté sur plaider sa cause d’artiste, avantdérivés de fondre larmes. Mouaif. La voix off de Matt Damon donne au tructeurs descène la dérégulation, des produits eten des subprimes. _C.G documentaire des airs de film de braquage, épinglant un à un escrocs et financiers véreux. Haut les mains ! Runaway de Kanye West // Avec Kanye West, Selita Ebanks… // États-Unis, 2010, 34 mn // Visible en ligne _C.G.
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© Droits Réservés
26 NEWS /// EVENT
Les enfants Kühn, 1913
KÜHN ILLUSION C’est un flou à l’aspect d’aquarelle qui vient cueillir le visiteur de l’exposition Heinrich Kühn au musée de l’Orangerie, pour lui faire approcher la photographie expérimentale de l’artiste autrichien au succès tardif. _Par Laura Pertuy
hotographe du tournant du XX e siècle, Heinrich Kühn a longtemps promené son appareil dans le cercle restreint de sa famille, laquelle restera son sujet préféré. Mary, la gouvernante de ses quatre enfants, illustre d’ailleurs parfaitement l’évolution d’un artiste qui n’aura de cesse d’appliquer à ses clichés des techniques avant-gardistes, dont le fameux tirage à la gomme bichromatée. De son utilisation ressortent des œuvres au grain surprenant, qui viennent chatouiller les limites du figuratif tout en accompagnant l’essor du mouvement pictorialiste (qui simule la peinture grâce à la retouche des photographies). Le parcours exhaustif et concis proposé par l’Orangerie permet de découvrir le travail de Kühn, mais aussi quelques-uns de ses contemporains. Ce stakhanoviste imperturbable, qui n’hésitait pas à faire poser ses modèles de longues heures durant, s’essaya également à la nature morte ainsi que la photographie couleur, fraîchement inventée par les Lumière. On retiendra Emporté par le vent, cliché vaporeux de Mary et de Lotte, la fille de Kühn, caressées par l’alizé sous un ciel que l’on pourrait croire d’orage quand il s’agit peut-être simplement d’une impression injectée par l’artiste après développement. Heinrich Kühn, ou le plaisir d’effacer les contours pour proposer une alternative à la réalité.
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RENDEZ-VOUS
_Par L.P..
1. Esthète : le metteur en scène Patrice Chéreau s’installe au Louvre pour une exposition en forme de carte blanche, qui tisse des correspondances inédites entre peinture, danse, théâtre, littérature et cinéma. Les Visages et les Corps, jusqu’au 31 janvier au musée du Louvre
2. Revendicatif : au programme de ce festival joliment transversal, l’excellent documentaire d’Émilie Jouvet, Too Much Pussy, mais aussi Mutantes de Virginie Despentes, une série d’entretiens autour d’un féminisme désinhibé. Chéries-chéris, le festival de films gays, lesbiens, trans & +++ de Paris, du 12 au 21 novembre au Forum des images
3. Stylisé : cette rétrospective retrace avec exhaustivité la filmographie de Jean-Pierre Melville, dont les polars abstraits ont irrigué les œuvres de Jim Jarmusch, Martin Scorsese, John Woo ou Johnnie To. Cycle Jean-Pierre Melville, jusqu’au 22 novembre à la Cinémathèque française
Heinrich Kühn, jusqu’au 24 janvier au musée de l’Orangerie
L’AfTER-SHOW KANYE WEST À L’OUEST Le 5 octobre dernier à Paris, le rappeur Kanye West présentait son premier film, Runaway, «avant que les pyramides se libèrent pour la mégaprojo en avril». Sept morceaux de son nouvel album à venir accompagnent le film, série de tableaux rococo ou s’enchaînent bagnoles, bambis, banquet et ballerines. Verdict: 34 minutes de pyrotechnie sur fond de fin du monde entre Kanye et un phénix (Selita Ebanks), une fille sublime avec des plumes dans la culotte. À la fin de la projection, Kanye est monté sur scène plaider sa cause d’artiste, avant de fondre en larmes. Mouais. © D.R.
_C.G. Runaway de Kanye West // Avec Kanye West, Selita Ebanks… // États-Unis, 2010, 34 mn // Visible en ligne
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28 NEWS /// REGARDS CROISÉS
© 1. Alexandra Boulat/Association Pierre et Alexandra Boulat. 2. Georges Rousse/ADAGP Paris Courtesy Galerie RX, Paris. 3. Philippe Vermès/Courtesy Galerie W.
Alexandra Boulat, Des civils serbes armés après la chute de vukovar, novembre 1991
Georges rousse, Amilly, 2007. 160 x 125 cm PHOTO SHOOT
En novembre, le Mois de la photo investit musées, galeries et centres culturels de la capitale. Voici nos conseils pour garder la tête froide face aux quelques 60 expos proposées. D’abord, réviser ses classiques avec la rétrospective André Kertész au Jeu de paume, les clichés empreints de surréalisme d’Herbert List au Goethe-Institut ou les reportages de Pierre et Alexandra Boulat au Petit Palais. Ensuite, découvrir les œuvres récentes du photographe d’architecture Georges Rousse à la galerie RX, et les images contemporaines de Roumanie (Institut culturel roumain), de France (Depardon à la BNF) ou du Mali (Camara à la galerie Pierre Brullé). Finir en apothéose par les clichés sensuels de Hiéroglyphes du plaisir (Galerie 1900-2000) ou les fiers motards de Philippe Vermès à la galerie W. Dites «cheese»! _J.R. // www.mep-fr.org
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Philippe vermès, Charly and the Lakeside sharks, 1988
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© Chris Van der Burght
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FLASHBACK /// NEWS 31
POUR UNE DANSE FÊLÉE Figure de proue de l’avant-garde flamande, Pygmalion du grand Sidi Larbi Cherkaoui, l’ancien médecin ALAIN PLATEL et son collectif Les Ballets C de la B prônent depuis vingt-cinq ans l’extension du domaine de la danse, avec Pina Bausch en héritage et la réalité sociale en ligne de mire. Nouvelle illustration en deux spectacles à Chaillot et une rencontre au Centre national de la danse. _Par Ève Beauvallet
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ilieu des années 1980. Dans l’espace désaffecté d’anciens laboratoires de chimie, un groupe de personnes développe une chorégraphie à partir d’un piétinement ininterrompu. Nous ne sommes pas dans le trip underground de teufeurs berlinois, mais à l’université de Louvain-la-Neuve, en Belgique.Alain Platel et quelques danseurs sont alors loin de réaliser que naissait ici l’une des compagnies aujourd’hui les plus respectées au monde, modèle de production quasiment unique en Europe, rêve avoué de milliers de jeunes danseurs internationaux et cible des conservatismes les plus hargneux.
A.O.C DE LA B Les Ballets C de la B sont nés comme on lancerait une bonne blague. Leur nom annonce déjà la couleur: originellement dénommés Ballets contemporains de la Belgique, ils répondaient aux conflits communautaires qui agitaient alors – déjà – le royaume avec une jolie faute de français (on préfèrerait Ballets contemporains de Belgique), comme ils ripostaient via l’emploi dissonant du terme ballet à une certaine joliesse de la danse. Et puis, la troupe proposait des spectacles en famille, avec les amis, parfois en appartement – Stabat Mater (1984). Vingt-six ans après, alors que la troupe s’est structurée à Gand, qu’elle a fêté l’ouverture d’un nouveau studio en 2008 pour accueillir workshops et compagnies de passage, pas grand chose de la vitalité insolente des débuts n’a été abandonné. Aux Ballets C de la B se croisent parfois des adolescents de clubs de boxe locaux, des transsexuels (pour Gardenia, nouvelle création d’Alain Platel, l’actrice transsexuelle Vanessa van Durme est allée à la recherche de ses amis d’enfance travestis) et quelques-uns
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des meilleurs danseurs au monde. Là, chorégraphes, interprètes, plasticiens et vidéastes forment un arbre généalogique baroque où chacun s’invente à la fois maître et élève, développe un projet personnel ou suit la tournée mondiale d’une création d’Alain Platel, peut s’exporter chez les voisins Wim Vandekeybus, Jan Fabre ou Anne Teresa De Keersmaeker ; ou encore importer une centaine d’amateurs sur scène comme l’a fait Christine de Smedt pour 9x9 (2000). FLEXIBILITÉ Cet échangisme artistique n’est permis que par la flexibilité de la structure des Ballets, qui se plie à la création et non l’inverse. Car, à l’époque où la nouvelle danse française, incarnée dans la figure aujourd’hui disparue de Dominique Bagouet, s’institutionnalise à grande vitesse et multiplie les centres chorégraphiques nationaux, Alain Platel invente au quotidien un mode de fonctionnement nouveau et unique, qui lui a permis de produire en parallèle de ses propres créations celles d’Hans van den Broeck (cofondateur des Ballets), de l’Argentine Lisi Estaràs, de Koen Augustijnen ou du plus jeune de ses disciples, Sidi Larbi Cherkaoui, que Platel est allé dénicher à l’époque où il dansait sur la musique de Prince (et en chaussons) dans des clips télévisés. On pourrait aisément se croire chez l’ami Ricoré, mais certainement pas dans une compagnie traditionnelle avec répertoire, cours techniques et répartition ferme des rôles entre interprètes et chorégraphes. Lisi Estaràs, qui présente actuellement au Théâtre national de Chaillot un très proustien Primero, raconte sa première fois dans la famille Platel : « J’ai quitté l’Argentine pour aller rejoindre la Batsheva Dance Company en Israël, une grosse compagnie qui accueillait les chorégraphes pour lesquels, alors, j’avais envie de danser, comme Angelin Preljocaj. Je l’ai vécu comme une
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32 NEWS /// FLASHBACK
bonne école. Aux Ballets C de la B, dans la mesure où personne n’a le même parcours, que certains viennent du hip-hop et d’autres du classique, on ne partage pas de cours techniques comme ailleurs. C’est une recherche plus personnelle: tu apprends à développer ton propre langage. J’étais venue d’Israël à Amsterdam voir La Tristeza complice [1995]. Jamais, alors, je n’avais vu sur scène une chose pareille. » « POÉTIQUE DE L’EXCÈS » Qu’a-t-elle vu au juste il y a 15 ans maintenant? Un chorégraphe qui n’imposait pas un vocabulaire formel mais laissait la déglingue et le contraste des corps installer l’art naturellement. Comme la majorité de l’avant-garde flamande, Alain Platel n’est pas chorégraphe de formation. Formé à l’orthopédagogie, il est tout d’abord allé traquer la danse dans le hoquet de l’autiste, les spasmes de l’hystérique ou le cache-cache désordonné des enfants. Aux Ballets C de la B, c’est parce que les corps sont brinquebalants qu’ils tiennent ensemble. À l’époque où Platel arrive sur la scène internationale, rares étaient les chorégraphes à savoir déceler dans l’élan d’un crochet de boxe ou une course d’autotamponneuses une voie d’accès vers le sublime. Avec Pina Bausch et son cultissime Tanztheater, la danse avait déjà cessé de n’être qu’une écriture de pas et d’enchaînements de figures dans l’espace. Au mouvement, elle avait ajouté le comportement et toute une gamme d’accentuations entre geste quotidien et geste dansé. «Alain se réfère beaucoup à Pina Bausch, mais il ajoute la poétique de l’excès, note Lisi Estaràs. C’est l’extrême, la démesure des corps, qui l’obsède.» Il en ressort souvent une scène foutraque, formulée dans la grâce triviale de la réalité sociale, où s’entrechoquent paroles et symphonie de Purcell reprise à l’accordéon (La Tristeza complice), où courent parfois des chiens (ils étaient nombreux dans Wolf, en 2003) et jouent des enfants. En somme, un point de rencontre entre Ken Loach et Almodóvar. Mais avec un cocktail inédit de troubles comportementaux et de virtuosité sidérante, rançon de ces danseurs qui traquent la beauté où il n’était pas prévu qu’elle aille traîner ses baskets.
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LES BALLETS FORMENT UN ARBRE GÉNÉALOGIQUE BAROQUE OÙ CHACUN S’INVENTE À LA FOIS MAÎTRE ET ÉLÈVE. PLATEL SUR UN PLATEAU « Cette danse s’inscrit dans le monde, et le monde appartient à tous. » Cette devise, chère aux Ballets C de la B, a donné naissance en 2006 à un long métrage documentaire : Les Ballets de-ci de-là. Du Vietnam au Burkina Faso, le film, réalisé par Alain Platel lui-même, trotte à la rencontre des danseurs qui ont fait l’histoire du collectif. Le chorégraphe y offre une caméra à son image : pudique quand des artistes, de retour dans leur pays d’origine, visionnent les captations des spectacles avec leurs proches ; nerveuse lorsqu’elle traque les mouvements d’un danseur en action ; stoïque lorsqu’elle saisit la rage viscérale de certains abonnés de l’Opéra de Paris, consternés devant les représentations de Wolf en 2005. Alain Platel, qui a multiplié les films de danse en toute discrétion, propose ainsi au Centre national de la danse, une installation vidéo constituée des films de pièces signées Lisi Estaràs, de Koen Augustijnen, de Ted Stoffer et de lui-même, cousus aux images dansantes de ce précieux documentaire. _E.B.
En éclat, installation vidéo des Ballets C de la B, jusqu’au 30 novembre au Centre national de la Danse ; rencontre avec Alain Platel le 20 novembre à 15h. www.cnd.fr
Gardenia, mise en scène d’Alain Platel et Frank van Laecke, du 17 au 27 novembre au théâtre national de Chaillot Primero, chorégraphie de Lisi Estaràs, du 24 au 27 novembre au théâtre national de Chaillot
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34 NEWS /// PASSERELLES
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CAÏPIROSKA Savant cocktail de ballets russes et d’épices maisons, la compagnie brésilienne GRUPO CORPO exporte son néoclassicisme pimenté au théâtre des Champs-Élysées avec ses pièces Ima (2009) et Parabelo (1997). Santé ! _Par Ève Beauvallet
L’
adage veut que les Brésiliens, visiblement bénis par Orphée, aient « le diable au corps et le rythme dans la peau ». On ne comptera pas sur la populaire troupe brésilienne Grupo Corpo pour rompre le mythe, elle qui le caresse dans le sens du poil depuis 1975, dans une trentaine de spectacles et autant de triomphes internationaux. Car c’est bien entre virtuosité méphistophélique et polissonnerie sensuelle que la famille Pederneiras a fondé son empire, une fierté nationale désormais pour le Brésil, et un temps fort immanquable des saisons du théâtre des Champs-Élysées comme de la Biennale de la danse de Lyon en France (Guy Darmet, qui quitte cette année ses fonctions de directeur de la Biennale, devient d’ailleurs ambassadeur de Grupo Corpo à l’international). Il faut dire que la compagnie est gâtée côté storytelling. Milieu des années 1970, les parents Pederneiras, s’apercevant de la passion déployée par chacun de leurs cinq enfants dans les domaines artistiques, leur cèdent la vieille maison familiale dans l’État de Minas Gerais. Les amis s’y greffent, chacun se spécialise, Paulo signant aujourd’hui la scénographie pendant que Rodrigo, aux commandes chorégraphiques depuis 1978, a mis au point un cocktail redoutable à base de
techniques académiques, de composition corsetée et de saveurs terroirs. Pointes euphorisantes, acrobaties énergétiques réchauffées par ces déhanchés suaves qui fondent, selon Rodrigo Pederneiras, l’identité du corps brésilien, la danse de Grupo Corpo fut l’une des pionnières en matière de métissage tous azimuts. La sacro sainte samba, le forró des bals populaires nordestins, la capoeira (danse des esclaves marrons) et les enlacements moites du tango, tous shakés aux pas-de-deux classiques comme pour en adoucir le palais… Si certains pourront regretter la façon dont le chorégraphe pasteurise le tout pour mieux exporter le produit, comment bouder la séduction immédiate exercée par la vitalité des 20 danseurs que compte aujourd’hui la compagnie, ou l’ingéniosité avec laquelle elle a su collaborer avec les plus intéressants compositeurs locaux, du mythique Clube da Esquina de Milton Nascimento aux tropicalistes Tom Zé ou Caetano Veloso. La musique de leur nouvelle création, Ima, est d’ailleurs signée par le fiston de ce dernier, Moreno Veloso, qui mêle roucoulement psychédélique des cuícas et réminiscences afrobeat. Soit une commune façon d’honorer le cannibalisme esthétique propre au Brésil.
Ima et Parabelo, du 19 au 22 novembre au théâtre des Champs-Élysées, www.theatrechampselysees.fr
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36 NEWS /// UNDERGROUND
Après une longue gestation, le premier album du duo ARLT sort enfin. La Langue tresse les mots et les sensations dans un folk organique et accidenté. _Par Wilfried Paris
ongtemps tournée dans la bouche, parait La Langue du duo élémentaire Arlt, aka Eloïse Decazes (eau, air) et Florian Caschera (terre, feu), reliés par l’électricité en un corps commun (roc, arbre), force de la nature (centripète dans l’introspection, centrifuge dans la projection). Lui est musique, faux nonchalant qui électrise en accords de guitare tordus (blues primitif, folk en barres, velours underground), accidentés comme son balancement sur scène, penchant du côté où il va tomber. Elle est chant (un peu Brigitte Fontaine, un peu Nico), et chaque concert ressemble pour elle à un voyage astral, glissant sur les hertz comme un fantôme sur les sillons que trace l’électricité dans l’air. Elle semble voir des choses que personne d’autre ne voit: spectres, ancêtres, forêts, oiseaux? On la dirait hantée, habitée, mais jamais possédée, toujours échappée belle, envolée. De haut en bas, de ce déséquilibre qui les fait tenir debout ensemble, les deux tirent La Langue, des chansons mastiquées où l’on ressasse en suspens des ritournelles médiévales, litanies derviches, où la nature devient surnaturelle, à l’instant de la chute («Partout tous les oiseaux sont tombés au sol, d’un coup d’un seul»), ou juste après («Après quoi nous avons ri»), un peu hébétés, un peu étonnés d’avoir ainsi retrouvé l’ancienne parole. Babélienne ou esperanto (la langue des oiseaux), à tout le moins.
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MOTS LIERRE COPIER COLLER
_Par A.T.
>> Sur son premier album, The Heart of the Nightlife, le duo Kisses miroite au soleil californien, à quelques brasses de la discopop minimale d’Arthur Russell.
>> Leur chronique chantée des affres de l’hôtellerie de luxe nage dans les mêmes eaux, claires et languides, que le nouveau film de Sofia Coppola, Somewhere.
La Langue d’Arlt (Almost Musique / Differ-ant)
LE MYSPACE CHARTS DE LA RéDACTION _Par A.T. GUILTY SIMPSON - O.J. Simpson www.myspace.com/guiltysimpson Straight from Detroit, ce justicier masqué, conseillé par le producteur expert Madlib, rejoue le procès d’O.J. Simpson. Verdict : coupable du meilleur album hip-hop de 2010. OLIVIA PEDROLI - A Path www.myspace.com/olivia-pedroli Suissesse insulaire, cette folkeuse est partie enregistrer son troisième album en Islande, imprimant sa marque altière sur des sentiers foulés, avant elle, par Björk ou Camille. À suivre. ANTOINE LÉONPAUL - Un autre homme www.myspace.com/antoineleonpaul Vous l’avez peut-être entendu cet automne dans une salle MK2, pour un concert impromptu d’avant-séance. La transformation de ce « branleur » désinvolte en Un autre homme sera finalisée début 2011, lorsque sortira un premier LP annoncé comme du très bon Dutronc.
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Š Melanie Elbaz
Š Gregory Moricet
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en haut : Da Brasilians en bas : the Bewitched Hands
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MIX TAPE /// NEWS 39
BANDES À PART Sans leader ni trompettes, deux collectifs français de pop à facettes débarquent. Tandis que les Normands DA BRASILIANS font du tourisme musical sur la West Coast des seventies, les Rémois THE BEWITCHED HANDS revisitent joyeusement l’histoire de la pop à mille têtes. Revue des troupes. _Par Wilfried Paris
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ans les années 2000, le groupe de rock comme collectif, rassemblement, communauté impliquant le partage et la solidarité, réfrénant les ego au profit de l’esprit de corps, s’est développé en chorales punks (Moldy Peaches), hippies (Polyphonic Spree), canadiennes (Arcade Fire, Broken Social Scene), californiennes (Fleet Foxes, Magic Kids)… En France aussi, en 2010, émergent deux groupes ainsi vocaux, qui donnent ensemble de la voix, échangent leurs instruments, partagent bus, chambres d’hôtel et cachets et, alignés sur scène, poursuivent cette tradition du collectif soudé par l’amitié et le « tour magique et merveilleux ». The Bewitched Hands (cinq gars et une fille, composant, jouant, chantant sur un premier album pop euphorique, Birds & Drums) et Da Brasilians (cinq gars plutôt barbus, plutôt chemise à carreaux, mais mariant leurs octaves sur leur premier album sans nom) sont des bandes de potes qui ont en commun la longue promiscuité d’une jeunesse passée dans une ville de province, où l’ennui et l’envie d’y échapper ont non seulement consolidé leur amitié, mais aussi constitué leur identité musicale. CARTES POSTALES « Saint-Lô, c’est petit, c’est moche, et tu t’ennuies, racontent Da Brasilians. Tous les week-ends, on se retrouvait en bande pour faire du skate, picoler dans les parcs, jouer de la guitare. À 15 ans, quand on voyait Sonic Youth dans la salle locale, le Normandy, taper sur leurs guitares avec des baguettes, on se disait : “On va faire pareil.” Il n’y avait pas Internet, on enregistrait les émissions de Bernard Lenoir sur des cassettes. Nos grands frères étaient dans la musique, et nos petits frères en font aujourd’hui. On a créé une véritable microsociété autour de la musique à Saint-Lô. Quand on a déboulé à Paris, il y
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a dix ans, on arrivait en bande dans les bars, on buvait énormément, on était un peu cons, arrogants. Des Saint-Lois, quoi ! » The Dadds, Oly Arkle, Belone, The Lanskies, Tom Violence, sont d’autres exemples de l’incroyable exception culturelle saintloise, nourrie par le crachin normand et l’horizon océanique. Les Da Brasilians semblent ainsi idéaliser un paysage lointain mais si voisin, l’autre côte Ouest, celle américaine, chantée et glorifiée par leurs idoles et modèles : The Byrds, Buffalo Springfield, The Beach Boys et Dennis Wilson… Comme leurs aînés, ces classicistes classieux, obsédés du vintage, vocalisent en hauteurs des chansons baladeuses, chaudes et colorées, teintées de nostalgie pour un paradis perdu, tendues par le projet d’un avenir radieux. Du premier titre à contre-jour, Shadows, à un finale de conquête spatiale (Million Miles), ils envoient leurs chansons comme autant de cartes postales (Greetings from America) postées lors des étapes de leur cheminement vers l’Ouest et son lumineux passé, modernisant (au studio Third Side) et francisant (léger accent normand) leurs missives, un peu à la manière, par ici, de Phoenix. CUI-CUI ET BOUM BOUM « Quand on s’appelait encore The Bewitched Hands On The Top Of Our Heads, on jouait dans les bars de Reims, on était toujours au moins dix sur scène, et tout le monde devait chanter et avoir au moins un tambourin dans les mains.» The Bewitched Hands vient de Reims, « où tout le monde se connaît », et ont fusionné plusieurs groupes locaux « à force de jouer ensemble », invitant pour les épauler Yuksek et Guillaume Brière (The Shoes) au mixage. Sinon, ils font tout ensemble : l’enregistrement en mille pistes et les compositions tonitruantes en deux ou trois parties, écrites à quatre ou six mains (So Cool commence ainsi en ballade à la Ray Davies, puis finit
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40 NEWS /// MIX TAPE
« SAINT-LÔ, C’EST PETIT, C’EST MOCHE, ET TU T’ENNUIES. » © DR
DA BRASILIANS Best Coast
PORTE-VOIX Reflet d’inquiétudes sociétales (devant l’obstacle, on se rassemble), d’une culture connective ou simple revival de la pop polyphonique des années 1960-1970, l’influence californienne sur les voix nouvelles semble plus vivace que jamais, comme en témoignent ci-contre nos deux chorales hexagonales, mais aussi, sur ses rivages originaux, des flopées de jeunes vocalistes qui paient leur tribut aux aînés de la plage : après les Drums, Morning Benders et autres Magic Kids d’un été à se pâmer, c’est Best Coast qui glorifie sa côte natale en mettant un B à la place du W, et poétise ses humeurs ados en métaphores météos (Sun Was High (And So Was I)), des doo-wop et de la reverb comme s’il en pleuvait. Un peu plus hippies, des « Mamas and Papas sous acide » (dixit Steven Tyler, d’Aerosmith) sont devenus la Family of the Year, à Los Angeles, entonnant comptines folk ou hymnes pop. Influences communes de ces deux combos : Beach Boys bien sûr, mais aussi Fleetwood Mac et… Seinfeld. Ou comment chanter le grand écart Est-Ouest. _W.P. Crazy for You de Best Coast (Wichita) Our Songbook de Family of the Year (Washashore Records / Volvox Music)
glam rock à la T.Rex). Entre douce schizophrénie (Birds & Drums, à la fois chant d’oiseau et tambours battants) et folie collective, lorsque trois guitares partent en trombe et que la voix principale devient hydre à six têtes, les Bewitched tâtent du psychédélisme (Brian Jonestown Massacre ou Boo Radleys, convoqués sur Happy With You), du rock à guitares (Sonic Youth ou Pavement, sur 24 Get ou Underwear), de l’indie-pop new-yorkaise (Moldy Peaches ou Strokes, sur Birds & Drums), jusqu’aux girls bands sixties (Staying Around) ou boys bands californiens (Sea). Le tout en 13 titres frénétiques et enthousiastes comme une révolution. STADE DE REIMS Ce qui réunit ces deux bandes, c’est le beau jeu collectif et l’Amérique comme étalon musical, mais aussi une formidable aisance mélodique qui leur fait accoucher de standards (Greetings From America des Da Brasilians n’a rien à envier au Music Sounds Better With You de Stardust) autant que de potentiels hymnes de stade (Birds & Drums, des Bewitched, est à reprendre à tue-tête). Cette conscience historique assume les guilty pleasures dans les soli de guitare un peu Mark Knopfler (sur Ocean) des Da Brasilians, ou l’héroïsme grandiloquent de Work, des Bewitched. Pour les Saint-Lois, c’est la dimension autotélique (« qui a soi-même pour but ») de leurs chansons qui expliquerait cette distance amusée : « Le mot song revient très souvent dans nos morceaux, et fait référence aux chansons qui nous ont marqués. Plus que sur l’Amérique, ce sont souvent des chansons sur la chanson américaine ellemême, sur son histoire. » Selon les Bewitched, « si on jouait dans des stades, quitte à jouer sur les clichés, on aimerait que les gens lèvent leurs briquets plutôt que leurs téléphones. On nous compare souvent à Arcade Fire, mais on trouve ça assez plombant. On se sent plus proches de groupes comme Ween, Beck ou les Beastie Boys, qui faisaient aussi du second degré, des clins d’œil. » Il n’empêche, c’est surtout une grande sincérité émotionnelle qui affleure de ces bouquets vocaux et mélodies supérieures. Elles nous frappent au cœur, on les retient par cœur, on les chantera en chœur. Allumez les briquets. Da Brasilians de Da Brasilians (Underdog Records) Birds & Drums de The Bewitched Hands (Savoir Faire / Sony Music)
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42 NEWS /// IN SITU
© DR
PHARNIENTE Producteur phare des années 2000, PHARRELL WILLIAMS ne faisait plus rien de bon depuis quelques saisons. De moins jusqu’à la sortie, ce mois-ci, de Nothing, quatrième album du trio N*E*R*D, dont il est la tête pensante. Nous l’avons croisé sur la Croisette, en mai dernier, où, entre deux rêveries panoramiques, il présentait le disque en avant-première. _Par Auréliano Tonet
L
orsqu’on l’apercevait en mai ronronner sur les terrasses de la Croisette, on se demandait ce que Pharrell Williams était venu faire à Cannes, en plein festival. Certes, on le savait friand de plages citadines, lui qui a grandi à Virginia Beach et vit désormais à Miami. On avait entendu dire, de même, qu’il s’était incrusté sur le plateau d’American Trip pour un caméo anodin et qu’il travaillait sur la B.O. de Moi, moche et méchant. Mais de là à jouer live dans un club cannois des plus interlopes, où tournoyaient nains en combinaison de Batman, gogo danseuses en petite tenue et patineuses artistiques, il y avait un monde qu’on ne pensait pas le voir franchir. Puis tout s’éclairait en interview, tandis que, face aux mouettes, il expliquait la genèse du quatrième album de N*E*R*D: «J’ai imaginé ce disque comme un western flower power et cosmique. » Notre producteur se rêvait donc en nabab hollywoodien. Cet été, dans la foulée du festival, il retournait en studio enregistrer le plus beau morceau de l’album : Hypnotise Me, épure intersidérante produite par Daft Punk, et clin d’œil appuyé à Inception de Christopher Nolan.
Nothing aurait d’ailleurs pu s’intituler «Bienvenue dans le monde des rêves emboîtés de Pharrell Williams», tant il s’étend sur plusieurs niveaux d’irréalité, faisant
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cohabiter trois minifilms distincts. Sans surprise, le premier est un porno torride (Party People, préliminaire lascif), où Nelly Furtado, invitée sur le single Hot N’Fun, peine un peu à faire oublier les précédentes bombes produites par notre voyeur visionnaire (Kelis, Britney Spears, Madonna ou Gwen Stefani côté femelle; Jay-Z, Justin Timberlake, Nelly ou Snoop Dogg côté mâle). Le second rêve est un western spaghetti dans lequel Pharrell, las d’être comparé à son maître Prince ou à ses rivaux Timbaland et Kanye West, cavale vers de plus solitaires contrées, pour finalement pactiser avec de drôles d’Indiens (The Doors et Ennio Morricone, influences principales du disque selon Williams himself). Le troisième songe, enfin, est une divagation SF, qui voit notre cosmonaute pop et hiphop déserter la planète Neptunes – du nom de son duo de producteurs avec Chad Hugo – pour explorer de nouvelles galaxies, étonnament jazzy, et remonter le temps jusqu’au big-bang originel (Life as a Fish). À Cannes, l’ex-égérie de Louis Vuitton nous confiait avoir supprimé la quasi-totalité de ses tatouages au laser. Il paraît que Christopher Nolan, depuis Memento, est lui aussi revenu de sa passion pour les peintures épidermiques. Pharrell au générique du successeur d’Inception? Rien ne nous empêche de rêver un peu. Nothing de N*E*R*D (Polydor / Universal Music, album déjà disponible)
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© Illustration : Adeline Grais Cernea
44 NEWS /// BUZZ’ART
GAP, PAS GLOP Quand une marque de fringues mondialisée troque son logo historique contre une aberration bricolée sur Paint, l’initiative se fait rhabiller pour l’hiver par l’Internet social. Chronique d’une gaffe monumentale.
ARTY TECH
_Par Étienne Rouillon
est une icône. Tous se sont lovés dedans, jusqu’à Mark Zuckerberg dans The Social Network. Le sweat à capuche de GAP est probablement la plus bête des nippes de l’histoire du prêt-à-porter, mais elle tient son succès dans le placardage assumé de ses trois lettres. Quelle aiguille a donc piqué la firme de San Francisco quand, le 7 octobre dernier, elle annonce via sa page Facebook qu’elle GAP comptait sur le réseau pour abandonne son sacroreprendre l’info à vitesse 2.0. saint logo ? GAP comptait sur le réseau social pour reprendre l’info à vitesse 2.0… Gagné : le nouveau visuel a instantanément provoqué l’ire des internautes, censés en être les adjuvants marketing. C’est comme si Nike avait remplacé son emblématique swoosh par une banale virgule. Vingt-quatre heures plus tard, GAP annonce, un peu pisseux, qu’il ouvre le débat aux propositions du web social, avant de revenir à son logotype original le 12 octobre. Les claviers crépitent de soulagement. En une semaine, la marque phare des années 1990 est revenue dans tous les esprits. De là à penser que tout était calculé…
C’
>> TACTILE TOUCH La table de mixage de demain ressemblera à un immense écran plat translucide, très coloré et entièrement tactile. Sous les tapotis délicats des DJs du futur, les pistes, les niveaux et les morceaux s’enchaîneront avec tact et doigté. Conçu par le Chilien Rodrigo Campos, ce prototype devrait bientôt être commercialisé. DJ sets improvisés sur le bout des doigts en perspective. _L.T. http://tokenexperience.com
VIDéOS _Par L.T.
Francis and the Lights - Darling it’s Alright vimeo.com/11474503 Quand Francis, crooner allumé, joue avec ses lights, on s’en prend plein la vue. Le clip en trompe-l’œil de Darling it’s Alright est en réalité un seul et même plan séquence, qui se monte sous nos mirettes fascinées, suivant de troublants jeux d’ombre et de lumière.
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Kentucker Audley - Open Five vimeo.com/15998448 Kentucker Audley est l’un des cinéastes phare du mumblecore, mouvement prônant l’art de la débrouille et de la spontanéité. Très open, il diffuse gratuitement son troisième long métrage, une comédie nonchalante sur l’amour à Memphis, saluée par la critique U.S.
Arnaud Fleurent-Didier - Je vais au cinéma www.youtube.com/watch?v=UlwohkRGQ5M Aller au cinéma pour oublier une fille; en rencontrer une autre. Ou pas. Place Clichy à Paris, le long des avenues de N.Y.C., Arnaud Fleurent-Didier se fait du cinéma, emmenant Antoine Doinel chez John Cassavetes, dont cette so romantic melody épouse l’allure et l’allant.
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Š Xavier Barrade
46 NEWS /// LE NET EN MOINS FLOU
AGIT PAPE L’AmÊricain CLAY SHIRKY, gourou du web 2.0, publie un essai sur l’engagement cybercitoyen, Cognitive Surplus. Bullshit ou bingo? _Par ClÊmentine Gallot
SĂŠLECTION DES MEILLEURS STATUTS DU MOIS
Fred : Toussaint pour ça.
L
e chauve le plus populaire du rÊseau, dÊjà auteur d’un manuel sur l’activisme en ligne (Here Comes Everybody, 2008), revient avec une mise au point sociologique sur les modalitÊs d’engagement online. Le  surplus cognitif  dÊcrit par Clay Shirky dÊsigne une nouvelle rÊpartition du temps libre, une migration de la simple consommation des mÊdias (TV, radio) vers des nouveaux mÊdias collaboratifs. Il nous explique ainsi, comme l’indique son sous-titre, la crÊativitÊ et la gÊnÊrositÊ à l’ère connectÊe, comment ces rÊcents outils de  La rÊvolution ne sera pas twittÊe.  mobilisation et de Malcolm Gladwell participation à la sphère publique (comme Wikipedia) produisent des bÊnÊfices sociÊtaux. Une culture Êmergente porteuse d’une valeur civique grâce à des ressources accessibles, une infrastructure partagÊe et un contenu produit par ceux qui le consomment. Toutefois, son analyse empirique manque de recul et a ÊtÊ longuement contestÊe dans le New Yorker par Malcolm Gladwell, pour qui  la rÊvolution ne sera pas twittÊe . L’activisme des rÊseaux sociaux exploiterait selon lui des  liens faibles  entre les individus, qui ne remplacent pas une prÊsence dans la rue.
Cognitive Surplus de Clay Shirky (Penguin Press)
Leak
STATUTS QUOTES
[lik] n.m.
Roland: Ce qu’il faudrait, c’est un numÊro du Point spÊcial  Changement d'heure : ce qu'on nous cache . Nestor : À la vue de la taille des tombes du Père Lachaise et de celle des appartements, il vaut mieux être mort que vivant à Paris. Jean-Baptiste :  Montand, je me suis douchÊe de bonne heure.  (Marilyn Monroe, Correspondance en français) Christophe : C’Êtait pas cet ÊtÊ le dÊpart de la route du rom ? Johanna: Bouleversement sur le podium des meilleures choses rendues possibles par l’existence. Nouveau classement : 1) la burrata, 2) but de Thierry Henry dans les prolongations, 3) les enfants en smoking.
MOT @ MOT _Par E.R.
(Du terme britannique signifiant fuite, soit l’Êcoulement d’un fluide. Au figurÊ, marque la rÊvÊlation d’informations qui devaient rester confidentielles) 1.Sur Internet, mise à disposition pour le grand public de matÊriel chipÊ à la source: films, albums de musique, documents classÊs, brevets industriels‌ Le site Wikileaks a annoncÊ disposer de fuites sur les fuites de pÊtrole de BP. 2.Par association, synonyme de lapsus. Fuite par le verbe de pensÊes qui devaient rester confidentielles. Fellation? Y a leak sous roche là .
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48 NEWS /// AVATARS
Coups de pompe, opérations escargots, métro timides… Dur de se mettre en boîte pendant les grèves des semaines passées. Sauf à danser en zone autonome avec mon DJ Hero 2. Partout, le mix s’immisce. _Par Étienne Rouillon
«
Pet-pet-pouf. » Séché comme une caisse des retraites, l’Airbus gazouille une fin de gazole et nidifie en bout de tarmac chez Charles en Gaule. À force de jouer à cligne-musette avec les stations, on est marron pour rejoindre la Grosse Pomme où Phoenix partageait un quartier avec Daft Punk. Tant mieux, j’ai dans mon bagage cabine deux tours de contrôle pour désaltérer les soiffards de mélanges. Platines contre or noir, je m’étale précieux.
Nue comme une vérité Wikileaks, la piste s’habille de passagers pour les décollages supersoniques des escadrons Daft, Bambaataa, Prodigy, Shadow. C’est mûr du son que DJ Hero 2 crève des tympans en pamoisons avec un second sillon tracé au diamant dans le vinyle du premier. Pas de grand soir, mais une réforme démocratique de la jouabilité qui tient compte des critiques passées. Ris de nous, fada du fader. Reste qu’en vulgarisant sans être vulgaire les techniques du cavalier des galettes, DJ Hero 2 fend les airs sans bémol. C’est l’essence d’un jeu. DJ Hero 2, pack deux platines, micro, DJ Hero 1 et 2 (Activision, sur Playstation 3, X360 et Wii)
D.R.
DIÈSE AILES APPLIS MOBILES
_Par E.R.
TRIPDECK Véritable tour operator, sans les désagréments de la visite imposée au magasin d’artisanat local, cette application thésaurise les infos pratiques du quotidien en vadrouille : horaires de train ou d’avion, références de l’hôtel ou du resto, visites… Plateforme: iPhone, iPad et iPod touch // Prix : gratuit
ISURVIVAL Sorte de Copain des bois version Koh-Lanta, ce manuel de survie distille de judicieux conseils, classés selon votre détresse. S’hydrater dans le désert, bivouaquer en forêt, allumer un feu dans la neige… On vous souhaite de ne pas avoir à vous en servir. Plateforme : iPhone et iPod touch // Prix : 1,59 €
1 MET - 1 VIN Restau appétissant et invité(e) tout autant, vient le moment de choisir le vin pour accompagner la caille. Histoire d’avoir du nez et d’enivrer votre compagnie, un coup d’œil sous la table à ce guide qui associe chaque type de plat à la bouteille qui va bien. Plateforme: iPhone, iPad et iPod touch // Prix: gratuit
LE JEU _Par E.R CHÂTEAU fORT Très fort même, ce nouveau Castlevania, dernier héritier du trône bâti par une série qui fit les riches heures du jeu d’action-plateforme en 2D dans les années 1980. Lords of Shadow est une mue en trois dimensions et sans ombre aux tableaux gothiques, peints dans la gouache d’un Darksider ou d’un Shadow of the Colossus. Plus accessible que ses retors aïeux, le titre mise sur des environnements grandioses et une mise en scène blockbustée, alternant énigmes, voltige, fracassage de sbires et boss dantesques. Une mise au goût du jour apocryphe à laquelle on se convertit sans peine. Castlevania : Lords of Shadows (Konami, sur PS3, X360)
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LE
GUIDE CALENDRIER MALIN POUR AVENTURIER URBAIN
DU MERCREDI 10 NOVEMBRE AU MARDI 7 DéCEMBRE
« LE SOLDAT DIEU SE SITUE AU MOMENT OÙ LES ÉTATS-UNIS INVENTENT LE JAPON D’AUJOURD’HUI. » Kôji Wakamatsu
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SORTIES EN SALLES SORTIE LE 10 NOVEMBRE 52 Welcome to the Rileys de Jake Scott SORTIE LE 24 NOVEMBRE 54 Outrage de Takeshi Kitano SORTIE LE 1ER DECEMBRE 55 Machete de Robert Rodriguez 56 Alamar de Pedro González-Rubio 58 Le Soldat dieu de Kôji Wakamatsu LES AUTRES SORTIES 60 Date limite ; Le Secret de Charlie ; Le Braqueur ; The Dinner ; Fix Me ; No et Moi ; Mother and Child ; My Joy ; Memory Lane ; Mugabe et l’Africain blanc ; Harry Potter et les Reliques de la mort – partie 1 ; L’Empire du milieu du Sud ; Raiponce ; Pieds nus sur les limaces ; À bout portant ; Lullaby
62 LES ÉVÉNEMENTS MK2 Le Festival du film d’environnement Arludik s’expose au MK2 Bibliothèque
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SORTIES EN VILLE 64 CONCERTS Einstürzende Neubauten à la Cité de la musique L’oreille de… Da Brasilians
66 CLUBBING Le clubbing confidentiel, du Cercle au Cointreau privé Les nuits de… Zombie Zombie
68 EXPOS Didier Marcel au musée d’Art moderne de la Ville de Paris Le cabinet de curiosité : Jérémie Nassif
70 SPECTACLES Joël Pommerat au théâtre de l’Odéon Le spectacle vivant non identifié: Les Chiens de Navarre à la Ménagerie de verre
72 RESTOS
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Gilles Choukroun au MBC Le palais de… Florent Marchet
74 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN WWW.MK2.COM
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SORTIE LE
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Welcome to the Rileys 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour la subtilité d’une mise en scène qui ne succombe jamais aux sirènes du pathos. 2… Pour ses deux acteurs, qui prennent une tangente jouissive de leur statut iconique. 3… Pour accepter enfin que Les Soprano, c’est bel et bien fini.
UN MAFIEUX DISPARAÎT un film de Jake scott // Avec James Gandolfini, Kristen stewart… // Distribution : BAC Films // états-unis, 2009, 1h50
Dans Welcome to the Rileys, un ex-Soprano et une égérie de Twilight croisent le destin de leurs personnages le temps d’une mise en abyme choix de vie/choix de carrière. _Par Yann François
En visite à La Nouvelle-Orléans, un homme se prend d’affection pour une escort girl dont les traits ressemblent étrangement à ceux de sa fille, décédée quelques années plus tôt, et décide de l’aider à s’en sortir. Cette rencontre entre le quinquagénaire endeuillé et la jeune paumée avait de quoi faire peur: le soupçon « AOC Sundance », le mélo moralisateur, le ressassement de la crise du modèle familial américain… Mais le film de Jake Scott (fils de Ridley et neveu de Tony) semble heureusement biaisé, comme envoûté par le poids symbolique de ses deux acteurs. À tous les fans éplorés des Soprano, le film s’offre en effet comme la reconversion tant espérée de James Gandolfini. On croyait l’acteur tributaire à vie de Tony Soprano, incapable de relancer une carrière après une performance aussi marquante. Mais son talent est ici intact, donc exceptionnel, bien que naviguant aux antipodes de ses repères mafieux. Ce qui pourrait s’avérer un clin d’œil facile (du gangster à
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l’ange gardien) sert en réalité de chemin initiatique. En incarnant un homme plus tempéré, dépressif mais moral, James Gandolfini semble se délester méthodiquement de son fantôme. Refuser un strip-tease, réprimander le langage fleuri de la jeune fille: autant de scènes contradictoires à celles qui ont forgé le mythique Tony dans la série de HBO. Même combat pour Kristen Stewart: l’égérie de Twilight balaie son image de marque prématurée. Est-ce par angoisse de jouer ad libitum les donzelles à la froideur virginale? Nul ne sait, mais ce choix sonne comme une prévention au formatage de carrière. Sourd à l’exercice démonstratif, Welcome to the Rileys se voit ainsi comme une mise en abyme de l’angoisse de l’acteur à rester prisonnier d’un rôle. En cela le film de Jake Scott est une très belle réponse à la problématique des gloires éphémères: oui, il existe bien une seconde chance après le rôle d’une vie.
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SORTIE LE
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Outrage 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour l’inventivité graphique et sadique avec laquelle Kitano orchestre la violence sous toutes ses formes. 2… Pour l’humour noir déployé dans ce jeu de massacre aux airs de farce. 3… Pour la musique technoïde et abstraite de Keiichi suzuki, qui avait déjà collaboré avec Kitano pour Zatôichi.
BATTLE DÉLOYALE un film de takeshi Kitano // Avec Beat takeshi, Kippei shiina… // Distribution : Metropolitan Filmexport // Japon, 2009, 1h52
Dix ans après Brother, TAKESHI KITANO revient à ses yakuzas dans Outrage, jeu de massacre nihiliste et bouffon, sous la forme d’une épure trempée dans l’humour noir. _Par Éric Vernay
Dans Sonatine, des yakuzas jouaient sur la plage comme des gamins. Pas de sable dans Outrage, le dernier film de Takeshi Kitano, présenté en compétition à Cannes cette année. Seulement des malfrats puérils, tous plus avides de pouvoir les uns que les autres, qui se livrent à un véritable jeu de massacre. Après une trilogie réflexive sur la création (Takeshis’, Glory to the Filmmaker !, Achille et la Tortue), le réalisateur-acteur au visage parcouru de tics revient ainsi au genre qui l’a révélé au grand public. Dès la première réunion entre gangs nippons, violente et grotesque, on comprend que le ver est dans la pomme : pour prouver sa loyauté au chef, il faut abattre son frère. Et ce, à tous les échelons de la hiérarchie mafieuse. Dans cette affaire, Beat Takeshi se donne le rôle d’Otomo, un petit chef de gang, yakuza parmi les autres, qui va devoir régler le compte d’un ami de prison de son supérieur. L’implosion peut commencer… NOVEMBRE 2010
Outrage est un film à la fois jubilatoire et inconfortable. Inconfortable parce que Kitano fait subir à ses personnages les pires sévices – décapitation, lacération, amputation– jusqu’au malaise. Mais cette répétition sadique appelle dans le même mouvement un rire salutaire, nerveux. En maître du montage au scalpel, le cinéaste fait de ses yakuzas de simples pantins et rend leur lutte intestine dérisoire. Déformés par les grimaces ou les pansements, leurs visages saisis en gros plans semblent hystérisés par l’appât du gain et deviennent masques de clowns. Par le biais de cette farce à la mécanique abstraite et stylisée, Kitano élabore une épure du film de yakuza, dont l’ultraviolence fait à bien des égards écho à celle du monde de l’entreprise. Sec et froid comme les décors gris et impersonnels des bureaux de ces fonctionnaires du crime, Outrage traduit de sanglante manière la logique de dominos à l’œuvre dans cette chaîne de l’humiliation. WWW.MK2.COM
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55 CINÉMA
SORTIE LE
01/12
Machete 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour Lindsay Lohan, confondante en héritière décadente transformée en nonne vengeresse. 2… Pour les intestins utilisés comme corde à sauter, et d’autres objets savamment détournés. 3… Pour la réplique « Machete don’t text », déclamée par le héros lorsqu’on lui parle sMs.
OLD BOYS un film de robert rodriguez et ethan Maniquis // Avec Danny trejo, Michelle rodriguez… // Distribution : sony Pictures // états-unis, 2010, 1h45
Fringants sexagénaires, esthétique old school et citations à la pelle… Machete de ROBERT RODRIGUEZ of fre une nouvelle jeunesse à un adage d’antan : c’est entre vieux potes qu’on fait les meilleurs films. _Par Juliette Reitzer
Après la résurrection de Mickey Rourke dans The Wrestler et le retour en force des vétérans de l’action dans Expendables (Stallone, Li, Willis…), voici les sexagénaires énervés de Machete, vieilles gloires – parfois déchues – du cinéma américain: Robert De Niro, Steven Seagal, Don Johnson et Cheech Marin. À leur tête, le sémillant Danny Trejo, 66 printemps, prête ses muscles d’acier à Machete, un ancien agent fédéral désireux d’oublier son passé et impliqué dans une sombre affaire de complot politique pour le contrôle de la frontière mexicaine. Joyeusement passéiste, le cinéma de Rodriguez se nourrit de références cinéphiles – parfois empruntées à ses propres films. Dans Machete, coréalisé avec Ethan Maniquis, son monteur de longue date, on se délecte ainsi d’un De Niro conduisant un taxi new-yorkais au fin fond du Texas, ou de l’apparition de Tom Savini, maquil-
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leur légendaire du cinéma bis (pour Romero, Argento ou Hooper), déjà au casting d’Une nuit en enfer et Planète terreur. Avec son esthétique « pellicule usée par le temps », Machete cite le film d’arts martiaux autant que le cinéma gore, la sexy comédie, la blaxploitation ou le western. Loin d’être désuètes, ces filiations s’incarnent dans les corps abîmés de figures patriarcales, vieillards tout-puissants aussi prompts à sauver le monde qu’à culbuter de jeunes bombes latines plus ou moins farouches (Michelle Rodriguez, Jessica Alba ou les jumelles Avellan). Car, s’ils ne sont plus tous jeunes, les héros de Machete ne sont pas fatigués et investissent des problématiques bien contemporaines: racisme et blocage des frontières américano-mexicaines, politiques véreux (De Niro, en pastiche de Bush, vaut son pesant de burritos), féminisme, solidarité et résistance face à l’injustice… Une fontaine de jouvence bienvenue en plein débat sur les retraites.
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56 CINÉMA
SORTIE LE
01/12
Alamar 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour le charisme du comédien amateur Jorge Machado, qui crève l’écran. 2… Pour le sublime décor du film, Banco Chinchorro, au Mexique, l’une des plus grandes barrières de corail de la planète. 3… Pour la guest-star aviaire d’Alamar, la mouette Blanquita.
PÈRE ET MER un film de Pedro González-rubio // Avec Jorge Machado, natan Machado Palombini… // Distribution : épicentre Films // Mexique, 2009, 1h13
Après un documentaire remarqué (Toro Negro), le Mexicain PEDRO GONZÁLEZ-RUBIO accoste les rives de la fiction avec Alamar, superbe plongée au cœur du grand chantier des relations filiales. _Par Laura Tuillier
La maison pastel de Jorge est plantée comme par miracle au milieu du lagon, encore en construction, lorsque le petit Natan arrive. Un lieu à bâtir à l’image de la relation entre le père et son fils. Alamar conte une parenthèse initiatique dans la vie de Natan, cinq ans, qui quitte Rome et sa mère pour passer quelque temps avec son père au large du Mexique. Là, leur vie s’organise entre séances de pêche, dégustation de poissons et discussions avec le grand-père de Natan, Nestor. Pêcheur coquin, alerte et philosophe, témoin de ce qu’il faut préserver de la démolition (un art de vivre, un savoir-faire), ce dernier complète le tableau des générations. Car Alamar est un film d’apprentissage et de transmission : comment peindre les murs de la maison, comment être heureux ensemble… Jorge éduque à l’instinct, sorte de pèreloup très animal dans le contact qu’il noue avec son enfant. Pedro González-Rubio filme avec justesse et retenue leurs corps, témoins de l’évolution de leur NOVEMBRE 2010
relation. De la première plongée apeurée du petit aux larmes du départ, en passant par la lutte tendre qui réunit mains, cheveux, souffles, Jorge et Natan accèdent à un port d’attache affectif à mesure que leur point de chute sur pilotis prend forme. Le cinéaste mexicain a choisi comme terrain cinématographique une zone hybride qui fait toute la singularité de son second long métrage. À partir d’un lien filial existant (Jorge et Natan sont réellement père et fils), il trame une situation fictionnelle (la séparation imminente) qui lui permet de dérouler l’histoire qui lui plaît. Il laisse aussi la vie déborder la fiction avec légèreté, lorsque la mouette Blanquita investit quelques séquences du film avant de reprendre sa liberté. Comme cet oiseau, Alamar est un film frémissant, aérien. Construit avec trois bouts de bois, il a la simplicité de l’enfance, l’immédiateté des sensations et la beauté des débuts réussis. WWW.MK2.COM
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SORTIE LE
01/12
Le Soldat dieu 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour la performante osée de l’actrice Shinobu Terajima, récompensée par l’ours d’argent à Berlin en 2009. 2… Pour son pacifisme teinté de féminisme. 3… Pour voir l’un des films les plus accessibles de Wakamatsu, maître d’une œuvre radicale et sans concession.
GUERRE DES NERFS un film de Kôji Wakamatsu // Avec shinobu terajima, Keigo Kasuya… // Distribution: Blaq out // Japon, 2010, 1h25 // rétrospective à la Cinémathèque française du 24 novembre au 9 janvier
Coproducteur de L’Empire des sens, KÔJI WAKAMATSU filme dans Le Soldat dieu un homme parti à la guerre sans âme et revenu sans membres. Un tableau sur le désir et la vengeance, porté par une actrice parfaite. _Par Donald James
L’œuvre méconnue de Kôji Wakamatsu fait aujourd’hui l’objet d’une belle reconnaissance: coffrets DVD, livre et rétrospective à la Cinémathèque. Longtemps classé à tort comme cinéaste érotique, il a fait de la colère le moteur de ses films et du sexe une arme de combat, jamais jouissif et toujours subversif. Le Soldat dieu nous projette dans une campagne japonaise de l’année zéro, celle de la capitulation de 1945. Un soldat retourne chez lui, décoré de la plus haute des médailles mais amputé de tous ses membres. L’épouse, jadis battue et violée, se plie d’abord avec bravoure, puis avec un esprit de vengeance, à tous les désirs du héros de guerre. L’homme-chenille de Wakamatsu n’inspire ni haine, ni pitié. Hérossalaud, il était déjà une larve avant de devenir un homme-tronc. Servi par l’une des plus grandes actrices japonaises du moment (Shinobu Terajima), pacifiste et antinationaliste, ce nouveau film de Kôji Wakamatsu poursuit avec une extraordinaire ambiguïté son exploration subversive de la sexualité et du politique.
NOVEMBRE 2010
KÔJI WAKAMATSU Comment est né ce projet ? Le Soldat dieu est l’adaptation d’une nouvelle d’Edogawa Ranpo, écrite pendant la guerre et qui a donné lieu à trois mauvaises adaptations au cinéma. Je désirais corriger le tir. Après le succès de United Red Army, j’ai enfin pu mettre en chantier ce film. Je l’ai tourné en 12 jours avec une équipe réduite, en huis clos. De cette manière, je suis libre et dérangé par personne. Le Soldat dieu se situe après la Seconde Guerre mondiale, pourquoi cette période ? La situation était très difficile. Les soldats revenaient malades, les femmes étaient à peine considérées comme des êtres humains. L’opinion publique a alors complètement changé. C’est une période où les États-Unis vont inventer le Japon d’aujourd’hui. êtes-vous engagé politiquement ? Je vote à chaque élection. Je trouve néanmoins que notre malheur vient de la pratique du politique, qui empire chaque jour. Aujourd’hui, au Japon, une présentatrice télé ou un joueur de base-ball sans aucun programme électoral ont de bonnes chances d’être élus.
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60 CINÉMA
AGENDA SORTIES CINé 10/11 _Par S.A., C.G., L.P., J.R. et L.T.
SORTIES DU
LE BRAQUEUR de Benjamin Heisenberg Avec Andreas Lust, Wolfgang Kissel… AsC, Autriche, 1h38
Après huit ans de prison passés à s’entraîner, Johann gagne le marathon de Vienne. Et se met à dévaliser des dizaines de banques, dont il s’enfuit en courant, trop rapide pour être attrapé. Ce drame haletant est inspiré de l’histoire vraie du plus grand braqueur autrichien.
DATE LIMITE de todd Philips Avec robert Downey Jr., Zach Galifianakis… Warner Bros., états-unis, 1h40
En attendant la suite de Very Bad Trip, Todd Philips rempile avec Zack Galifianakis, qui minaude dans ce road movie de dudes aux cotés de Robert Downey Jr. Mention spéciale à Juliette Lewis en dealeuse de marijuana (médicale, bien entendu).
THE DINNER de Jay roach Avec steve Carell, Paul rudd… Paramount, états-unis, 1h44
Traduisez le titre en français et vous y serez presque… The Dinner, adaptation made in USA de notre Dîner de cons national, n’affiche pas un menu bien différent. Con de service, Steve Carell laisse tout de même présager quelques éclats de rire.
LE SECRET DE CHARLIE de Burr steers Avec Zac efron, Amanda Crew… universal, états-unis, 1h39
Charlie, bellâtre sportif, perd son frère dans un accident. Ce dernier va alors lui apparaître quotidiennement sous forme de fantôme, rituel bientôt bouleversé par l’irruption d’une navigatrice. Un mélodrame attendu mais rythmé.
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17/11
SORTIES DU
FIX ME de raed Andoni Avec raed Andoni, nasri qumsia… sophie Dulac, Palestine, 1h38
Raed a mal au crâne mais ne se laisse pas abattre. Ses migraines deviennent les héroïnes tapageuses de son prochain film, et son psy un script doctor dépassé… Pour sa deuxième réalisation, Andoni passe la société palestinienne au scanner avec causticité.
MOTHER AND CHILD de rodrigo Garcia Avec naomi Watts, Annette Bening… Haut et Court, états-unis, 2h05
Un cordon relie Naomi Watts, Annette Bening et Samuel L. Jackson, géniteurs dans ce film choral sur la parentalité. Un mélo lacrymal intergénérationnel couronné du grand prix au Festival du cinéma américain de Deauville.
NO ET MOI de Zabou Breitman Avec Julie-Marie Parmentier, nina rodriguez… Diaphana, France, 1h45
Délaissée par ses parents endeuillés (Breitman, géniale en mère neurasthénique), Lou se console auprès de No, une ado marginale. Adapté d’un roman de Delphine de Vigan, le film mêle réalisme et fantaisie (séquences animées, explosions musicales). Touchant.
MY JOY de sergueï Loznitsa Avec viktor nemets, vlad ivanov… ArP, russie, 2h07
Un jeune routier perd son chemin dans la campagne russe. Plus il avance en terres inconnues, plus les rencontres se font violentes et singulières. Une narration labyrinthique qui explore le continent noir de l’humanité.
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61 CINÉMA
SORTIES DU
24/11
MUGABE ET L’AFRICAIN BLANC de Lucy Bailey et Andrew thompson Documentaire Pretty Pictures, Grande-Bretagne, 1h30
Mike Campbell est africain, il vit avec sa famille de l’exploitation de leur ferme au Zimbabwe. Parce qu’il est blanc, le gouvernement du président Mugabe décide de le chasser. Un documentaire poignant sur la justice des hommes… Et celle des dieux.
MEMORY LANE de Mikhaël Hers Avec Lolita Chammah, thibault vinçon… Ad vitam, France, 1h38
Après Montparnasse, moyen métrage remarqué, Mikhaël Hers capture le spleen d’un groupe de musiciens trentenaires qui se retrouvent dans la ville de banlieue où ils ont grandi. Sous le soleil d’août, amour et amitié s’entrecroisent avec langueur.
HARRY POTTER ET LES RELIQUES DE LA MORT, PARTIE 1 de David Yates Avec Daniel radcliffe, rupert Grint… Warner, états-unis et Grande-Bretagne, 2h27
SORTIES DU
01/12 RAIPONCE de Byron Howard, nathan Greno Dessin Animé Walt Disney, états-unis, 1h41
Une princesse aux cheveux très (très) longs recueille un bandit au grand cœur dans sa tour d’argent. Elle le protège s’il la libère. Ce curieux marché les entraîne dans des aventures rocambolesques, au cœur d’un royaume déjanté.
LULLABY de Benoît Philippon Avec rupert Friend, Clémence Poésy… rezo, Canada et France, 1h42
Locataire permanent d’un hôtel new-yorkais, Sam est un jazzman inconsolable depuis la mort de sa femme. L’arrivée de Pi dans sa vie (et dans sa salle de bains) le conduit à improviser de nouvelles mélodies. La partition sentimentale se joue sans fausse note, ni surprise.
À BOUT PORTANT de Fred Cavayé avec Gilles Lellouche, roschdy Zem… Gaumont, France, 1h25
On retrouve les ados sorciers aux prises avec Voldemort dans le premier volet de ce finale ensorcelant. Un épisode dont la portée dramatique atteindra son paroxysme en juin 2011 pour l’achèvement de la saga.
Samuel et Nadia attendent un enfant. Mais leur bonheur cotonneux vire au cauchemar lorsque la jeune femme est enlevée. Samuel a alors trois heures pour faire évader un dangereux bandit de l’hôpital où il travaille. Fred Cavayé (Pour elle) confirme son goût pour le thriller.
L’EMPIRE DU MILIEU DU SUD
PIEDS NUS SUR LES LIMACES
de Jacques Perrin et éric Deroo Documentaire Les Acacias, France, 1h26
Les deux réalisateurs ont réuni une somme d’archives monumentale retraçant l’histoire du Vietnam et de ses habitants au XXe siècle. Après dix ans de recherches et de montage, naît un documentaire à la force historique autant que poétique.
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de Fabienne Berthaud Avec Ludivine sagnier, Diane Kruger… Haut et Court, France, 1h48
Une Ludivine Sagnier en sauvageonne échevelée, épaulée par une grande sœur vertueuse (l’impassible Diane Kruger), batifole avant de perdre pied dans ce film rural adapté d’un roman de Fabienne Berthaud.
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62 CINÉMA
LES éVéNEMENTS BASTILLE
BIBLIOTHèQUE
HAUTEfEUILLE
ODéON
QUAI DE LOIRE
BEAUBOURG
GAMBETTA
NATION
PARNASSE
QUAI DE SEINE
CINÉMA
PASSERELLES
FLASH-BACKS & PREVIEWS
LE DIALOGUE DES DISCIPLINES
MARDI 30 NOVEMBRE – 20h / AVANT-PREMIÈRE / Faites le mur de Banksy (sous réserve)
VENDREDI 19 NOVEMBRE - 19h30 / RENCONTRE / Mamadou Mahmoud N’Dongo Avec les éditions Gallimard, à l’occasion de la parution du roman La Géométrie des variables.
LUNDI 29 NOVEMBE – 20h30 / RDV DES DOCS / La Pudeur ou l’impudeur d’Hervé Guilbert Ce journal intime filmé, dont l’impudeur revendiquée fit scandale, est la chronique d’une mort annoncée, un tête à tête de l’auteur avec le sida. Un acte de foi en la littérature, une ode à la vie. SAMEDI 27 NOVEMBRE – 11h / CARTE BLANCHE / Le Fanfaron de Dino Risi Dans la cadre de l’exposition Cent pour cent bande dessinée (bibliothèque Forney), carte blanche à l’auteur François Avril. Projection suivie d’une séance de dédicaces à la librairie.
CYCLES LE SECRET DE CHANDA (Toutes salles) En compétition Un certain regard au dernier Festival de Cannes, Le Secret de Chanda d’Olivier Schmitz conte l’histoire d’une petite fille sud-africaine confrontée aux rumeurs et jugements de son village lorsque le sida fait irruption dans sa famille. Le 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le sida et jour de la sortie du film, les recettes des entrées seront reversées pour la lutte contre le virus. ROMA ÆTERNA
SAMEDI 4 DÉCEMBRE – 16h / RENCONTRE / Renaud Pennelle Avec les éditions Emmanuel Proust, séance de dédicaces à l’occasion de la parution de la bande dessinée La Vénus noire (sur un scénario original d’Abdellatif Kechiche). SAMEDI 13 NOVEMBRE - 10h30 / CINÉ-BD / Le Petit Livre Beatles d’Hervé Bourhis Après son Petit Livre rock, l’auteur s’attaque à l’épopée des quatre de Liverpool de façon passionnée et distanciée, où l’imagination est autant façonnée par les mots et les sons que par les images (pochettes, photos, films…). ATTENTION : 25 tickets de dédicace distribués au moment de l’achat de votre place de cinéma. film à définir.
JUNIOR MERCREDI 1er DÉCEMBRE – 10h30 / LECTURES POUR LES 3-5 ANS Ce mois-ci, nous courrons après des lapins… Inscription gratuite au préalable à la librairie ou par téléphone (01 44 52 50 70) auprès de Mélanie et Sophie. SAMEDI 11 DÉCEMBRE – 16h / DÉDICACE / Il était une fois et Blanche Neige Avec les éditions Seuil Jeunesse et les éditions Milan, rencontre dédicaces avec l’illustrateur Benjamin Lacombe.
Sont programmés : Amen de Costa Gavras, Le Ventre de l’architecte de Peter Greenaway, Fellini Roma de Federico Fellini, Il Divo de Paolo Sorrentino, Il Sorpasso de Dino Risi, Gladiator de Ridley Scott, Affreux, sales et méchants de Ettore Scola et Night on Earth de Jim Jarmusch. Jusqu’au 19 décembre, chaque samedi et dimanche à partir de 10h30. Tarif 6,50 €. Cartes UI acceptées.
Toute la programmation sur mk2.com NOVEMBRE 2010
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UVREZ DéCO éMA LE CIN S T DAN N E M E AUTR K2 ! M S E L L LES SA
FOCUS
_Par L.T.
LA VIE EN VERT La 28e édition du Festival international du film d’environnement aura lieu du 24 au 30 novembre prochain. L’occasion de se mettre au vert sans quitter l’Ile-de-France et sans dépenser un sou. Pollen de Louis Schwartzberg ouvrira le festival au MK2 Bibliothèque, suivi de 139 films du monde entier (documentaires, fictions et courts métrages pour la compétition officielle, ainsi que de nombreux inédits). Présidé par Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France, le festival abordera des thèmes aussi politiques que les désastres pétroliers, la gestion de l’eau ou le développement durable et solidaire. Fenêtre ouverte sur le monde, le cinéma se penchera, une semaine durant, sur le futur tel qu’il est nécessaire de le rêver à présent : écolo, économe, responsable. Des regards venus des quatre coins du monde qui pourraient bien favoriser l’éveil des consciences. Festival international du film d’environnement, du 24 au 30 novembre, entrée libre. Lieux, horaires et programme sur www.iledefrance.fr/festival-film-environnement
ARLUDIK S’EXPOSE AU MK2 BIBLIOTHÈQUE Créée en 2004 sur l’île Saint-Louis, la galerie Arludik a été la première à rendre hommage aux dessinateurs de comics, BD, jeux vidéo, films d’animation et autres mangas. Jirô Taniguchi (Quartier lontain), Moebius (Blueberry) ou encore Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (Persepolis) ont ainsi pu exposer leurs planches et faire découvrir en amont certaines des plus belles créations graphiques contemporaines. Le 27 novembre, la galerie inaugure un espace d’exposition unique au MK2 Bibliothèque, l’occasion de rapprocher le dessin du cinéma. Nicolas Keramidas (ex-animateur aux studios Disney) sera présent pour dédicacer le tome 6 des aventures de la jeune Amérindienne Luuna, la reine des loups. Des dessins de recherches des Simpson, de Superman ou encore des tirages limités réalisés autour d’Alice au pays des merveilles complèteront l’exposition. Un joli trait d’union entre dessinateurs et spectateurs. Espace Arludik au MK2 Bibliothèque. Inauguration le 27 novembre avec Nicolas Keramidas (Luuna, la reine des loups). NOVEMBRE 2010
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© Bargeld Entertainment
CONCERTS
64 SORTIES EN VILLE
EN RéfECTION Einstürzende Neubauten a 30 ans Les Berlinois EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN viennent fêter leur anniversaire industriel à la Cité de la musique. De « l’anarchitecture » punk à la célébration institutionnelle, que reste-t-il de ces vieux bâtiments aujourd’hui ? _Par Wilfried Paris
La musique industrielle, née dans les années 1970 (Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire, Nurse With Wound…), s’inspire des théories des futuristes italiens (en 1913, L’Art des bruits de Luigi Russolo prévoit l’avènement d’une musique inspirée par les bruits produits par les machines) ou du philosophe allemand Theodor Adorno – qui concevait la dissonance comme seule à même de rendre compte des antagonismes du capitalisme. Cette notion ne fut jamais aussi littéralement interprétée que par Einstürzende Neubauten, fondé en 1980 à Berlin-Ouest autour du chanteur multiinstrumentiste Blixa Bargeld et du percussionniste Nu Unruh (le reste du line up ayant changé au fil des années), qui fête aujourd’hui ses 30 années d’existence. Einstürzende Neubauten (« Bâtiments neufs qui s’effondrent ») a en effet développé à l’extrême les expérimentations bruitistes des musiques concrète et industrielle, traduisant les agressions sonores de la société contemporaine grâce à un instrumentarium
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original, qui fit leur réputation : bétonnières, marteauxpiqueurs ou bidons rejoignent des instruments traditionnels le long de compositions progressives, brutales, célébrant l’anarchie et la démolition urbaine. En trois décennies, Neubauten est passé de débuts punk (hurlements sur tôle martelée) à une musique plus mélodique et orchestrale, ressentie par certains fans comme un reniement. Blixa Bargeld, qui fut également guitariste des Bad Seeds de Nick Cave, reste l’âme du collectif, en même temps que sa voix rauque et chirurgicale, filant les métaphores architecturales. Dans le célèbre Haus der Lüge, chaque couplet correspond à l’étage d’un bâtiment, au premier étage vivant « les aveugles, qui croient ce qu’ils voient, et les sourds, qui croient ce qu’ils entendent ». Einstürzende Neubauten attaquera-t-il les piliers de la Cité de la musique à la perceuse? C’est à voir. Mardi 16 et mercredi 17 novembre à la Cité de la musique, dès 20h, 38€ à 45€
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© Gregory Moricet
L’OREILLE DE… DA BRASILIANS
TEENAGE fANCLUB AU POINT éPHéMèRE « Teenage Fanclub, c’est d’abord l’album culte Bandwagonesque, des grands disques (Grand Prix, Songs From Northern Britain) et l’un des meilleurs concerts de notre vie, au festival Mo’Fo en 2005. Ils ont beaucoup influencé notre façon d’aborder la musique. À chaque concert, ils diffusent une incroyable fraîcheur, une écriture classique et décomplexée, des harmonies vocales, et une subtile attitude cool. Leur dernier album contient des pépites, et en live c’est le "meilleur groupe du monde" ! » _Propos recueillis par W.P.
Le 24 novembre au Point éphémère, dès 20h, 24,20 € Da Brasilians de Da Brasilians (underdog records, déjà disponible). Lire l’article p. 38
AGENDA CONCERTS
_Par W.P.
1 RATATAT Accords de clavecin à la tierce, guitares FM et boîtes à rythmes rétrofuturistes : Ratatat se répète mais ne lasse pas, mitraillette à hits instantanés où seuls les détails font la différence. Pop obsessionnelle. Les 14 et 23 novembre à la Machine du Moulin rouge, dès 20h, 20 €
2 BROKEN SOCIAL SCENE / TORTOISE La chorale post-hippie de Toronto invite le combo post-rock de Chicago. La présence de John McEntire sur le dernier album de l’auberge canadienne laisse présager une scène moins partagée que mélangée. Le 17 novembre à l’Élysée Montmartre, dès 19h, 28,50 €
3 SHANNON WRIGHT / PHANTOM BUFFALO/ CYANN
Jolie triplette à Belleville : Shannon Wright revient (avec Secret Blood) à la rugosité rock de ses débuts, Phantom Buffalo fait un retour non moins attendu (on se souvient ému de son joyau pop Shishimumu de 2004), et Cyann, en rupture de Ben, joue du piano. Le 21 novembre à la Maroquinerie, dès 19h30, 18,80 €
4 ÅÄÖ ÅÄÖ, 27e, 28e et 29e lettres de l’alphabet suédois, est aussi le nom d’un festival d’artistes venus du froid: les blond(e)s Jay Jay Johanson (crooneries), Nina Kinert (folkeries), Bye Bye Bicycle (ABBAries), et d’autres. Swedish dances jusqu’au bout de la nuit. Du 1er au 6 décembre dans plusieurs salles, programme sur www.si.se/paris
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© Caroline Deloffre
CLUBBING
66 SORTIES EN VILLE
Le Cercle, rue étienne-Marcel, à Paris
SECRET PARTIES Le clubbing confidentiel On a fait des pieds et des mains pendant un mois pour entrer au Cointreau privé, on se presse au Café caché du 104, on traque les lieux secrets des soirées Die Nacht et Dimuschi… Ces derniers temps, les noctambules parisiens aiment le défi. _Par Violaine Schütz
C’est la Clique (Lionel du Baron et André, le graffeur) qui a lancé la tendance. Il y a un an, ils ouvraient l’éphémère Popup bar au théâtre du Renard, pour la marque de boisson Vitaminewater. En tout, 31 soirées sur invitation y ont accueilli concerts, soirées bingo-loto et happenings. Plus récemment, les mêmes recevaient à l’Appartement, lui aussi réservé à quelques initiés. Au même moment un miniclub privé se planquait à l’intérieur du Palais de Tokyo. Actuellement, les fêtards parisiens se pressent au Cercle, dont l’adresse n’a été dévoilée au grand public qu’il y a un mois. Pour passer l’entrée mystérieuse de ce club privé monté par Edouard Rostand, rédacteur en chef du magazine Trax, au 6 rue Étienne-Marcel, il fallait auparavant avoir été coopté par un habitué, ou avoir payé sa carte…
chez papy quand il n’est pas là. Tu vides la cave, tu fumes en cachette, tu mets de la bonne musique. Au début, un endroit comme ça ne pouvait pas être ouvert à tous; on avait donc réservé l’accès à 200 membres, qui payaient une cotisation mensuelle, comme dans les clubs anglais. » Le mois dernier, c’est au Cointreau Privé (à l’intérieur de l’Hôtel particulier, à Montmartre) qu’il fallait être. Comme lors des raves des années 1990 (mais en beaucoup moins social), on se procure l’adresse de ces fêtes au dernier instant, par hotline ou mailing list, dans une opacité savamment orchestrée. « Ces petits lieux secrets attirent, conclut Édouard Rostand, parce que les Parisiens blasés adorent être frustrés. » Un peu à la manière des histoires d’amour kierkegaardiennes, c’est la quête, la recherche du fameux sésame, qui excite plus que le lieu lui-même.
« L’idée, raconte Édouard, était d’avoir un lieu qui ressemblait à un appartement de grand-père: cosy, avec plein de livres, un piano. Un endroit où tu te sens comme
Le Cercle, 6 rue étienne-Marcel, 75002 Paris Soirée Die Nacht le 13 novembre, de 22h à 6h, dans une ancienne usine. Adresse révélée sur inscription à lanuit@die-nacht.fr
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© Philippe Lebruman
LES NUITS DE… ZOMBIE ZOMBIE
« Iggy Pop résume très bien le monde de la nuit en 1977, sur la chanson Nightclubbing extraite de son album The Idiot : “Nightclubbing we’re nightclubbing, we’re a nice machine, we are what’s happening, we learn dances, brain new dances, like a nuclear bomb.” Pour la soirée des 20 ans d’Arte, nous jouerons notre interprétation de nos thèmes préférés des films du maestro américain de l’horreur, le cinéaste et musicien John Carpenter. Nous voulons montrer qu’il n’a pas seulement écrit des musiques de films, mais aussi des machines à faire danser.» _Propos recueillis par V.S.
Zombie Zombie joue John Carpenter, le 4 novembre au 104, dès 14h, sur invitation, à l’occasion des 20 ans d’Arte
AGENDA CLUBBING
_Par V.S.
1 NUITS CAPITALES Les Nuits capitales (du 17 au 21 novembre), nées suite à la pétition « Paris : quand la nuit meurt en silence » avec pour but de relancer la fête à Paris, invitent les lyonnaises Nuits sonores. Les platines seront confiées pour l’occasion aux Berroyer père et fils : soit Jackie, acteur, comique et écrivain, et son rejeton électronique qui se fait appeler Ark. Le 17 novembre au Bar Ourcq, dès 19h30, entrée libre
2 KITSUNÉ MAISON EN VRAI Kitsuné fête la sortie de sa dixième compilation Maison avec un line up aussi festif que d’exception : les New-Yorkais discoïdes Holy Ghost !, le duo parisien chic et sport Housse de Racket et les petits nouveaux électro-pop Moskow et Logo. Synthés mélancoliques de rigueur. Le 2 décembre à la Maroquinerie, dès 19h, 22 €
3 BORN BAD ON ICE Jusqu’en mars, le label rock parisien Born Bad rechausse ses patins le premier vendredi de chaque mois à la patinoire Pailleron (XIXe). Sur la glace, on pourra enchaîner les triples axels sur une bande-son mixée par des représentants d’autres labels français indépendants. Ce soir-là, c’est Ed Banger qui réchauffera les corps et les cœurs. Le 3 décembre à la patinoire Pailleron, dès 21h, 10 € (location des patins incluse)
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© Pierre Even
EXPOS
68 SORTIES EN VILLE
CHAMPS LIBRES Didier Marcel à l’A.R.C. L’A.R.C., section contemporaine du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, présente l’exposition Sommes-nous l’élégance de l’artiste français DIDIER MARCEL, qui s’inspire d’une nature devenue artificielle. _Par Anne-Lou Vicente
Alors que les expositions de Larry Clark et de JeanMichel Basquiat, présentées simultanément au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, rameutent les foules, un troisième accrochage se fait plus discret. Non pas que Didier Marcel soit un jeune premier sorti de nulle part… Nominé au prix Marcel-Duchamp en 2008, l’artiste français officie depuis les années 1980, développant une œuvre qui vise à reconsidérer des éléments de notre environnement quotidien devenus « invisibles ». Depuis une dizaine d’années, la nature est ainsi devenue son champ de prédilection, si bien cultivée dans notre monde qu’elle en deviendrait artificielle. C’est ce paradoxe que les œuvres de Didier Marcel mettent en avant. Conçue comme un paysage linéaire inspiré du tableau de Kazimir Malevitch La Charge de la cavalerie rouge, la première salle de l’exposition, au sol recouvert d’une moquette dont les bandes colorées évoquent des champs, montre un récent moulage en résine rouge extrait de la série des NOVEMBRE 2010
Labours initiée en 2006, tableaux-sculptures muraux massifs imitant la matière de la terre labourée. Dans l’immense salle qui suit cette entrée en matière, la notion de linéarité se prolonge sur le mode du travelling : sur le mur de gauche se dessine un grillage sérigraphié que longent d’énormes rochés moulés en papier mâché. Sur la droite, s’étire un tas de rondins de bois épousant les courbes de l’espace et achevant de le « clôturer ». Jonchant le sol, des feuilles de papier carbone froissées rappelant des corbeaux insufflent un parfum de vanité. Montés sur roulettes, des moulages de troncs d’arbres peints en blanc simulent une forêt. Au bout de la promenade, jaillit enfin un troupeau de cerfs modestement stylisés à partir de structures en fer à béton soudé (Clairière, 2010). Une nature – morte – à méditer et réinventer.
Sommes-nous l’élégance, jusqu’au 2 janvier au musée d’Art moderne de la Ville de Paris / A.R.C., 11 avenue du Président-Wilson, du mardi au dimanche de 10h à 18h WWW.MK2.COM
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© Jérémie Nassif
LE CABINET DE CURIOSITéS
JéRéMIE NASSIf À PARIS PHOTO Souplesse du geste et précision dans le mouvement dansé : Jérémie Nassif concentre sa focale sur l’interstice qui lie un élan à l’autre dans ses photographies d’une grande douceur. La grâce des danseurs dont il capte la motricité parcourt cette série d’une quarantaine de clichés simplement scotchés sur les murs, comme porteurs de leur propre dynamique. On pense à des croquis au fusain, face à ces corps qui s’élancent sous le grain intense de l’objectif, célébrant une technique bien caractéristique de l’artiste, ancien photographe de plateau par ailleurs. _L.P.
Dis-lui que non !, du 9 au 20 novembre à la mairie du Ier arrondissement, www.nassif.smugmug.com
AGENDA EXPOS
_Par A.-L.V.
REHAB Cette exposition menée par Bénédicte Ramade rassemble 18 artistes internationaux autour de « l’art de re-faire ». Les œuvres réhabilitent des objets et matériaux familiers (meuble, carton d’emballage…), afin de renouveler l’expérience esthétique. Un art de la récuperation et de la relecture. Jusqu’au 20 février à l’Espace Fondation EDF, 6 rue récamier, 75007 Paris
RAINIER LERICOLAIS Pour la plus importante exposition qui lui est consacrée depuis dix ans, cet artiste explore les liens existants entre ses deux disciplines de prédilection, les arts plastiques et la musique. Ou comment faire figurer le son, matière invisible… Jusqu’au 27 février au domaine départemental de Chamarande, 38 rue du Commandant-Arnoux, 91730 Chamarande
LOUIDGI BELTRAME Explorateur de l’architecture moderne et des utopies qui l’ont sous-tendue, Louidgi Beltrame présente Energodar, un film réalisé en Ukraine dans cinq villesdortoirs proches de centrales nucléaires. Un questionnement de la modernité, entre documentaire et science-fiction. Du 19 novembre au 23 décembre à la Fondation d’entreprise Ricard,12 rue Boissy-d’Anglas, 75008 Paris
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© Elisabeth Carecchio
SPECTACLES
70 SORTIES EN VILLE
Pinocchio, d’après le conte de Carlo Collodi
CONTES CRUELS Joël Pommerat à l’Odéon Manipulateur savant de l’inconscient et grand méchant loup des plateaux de théâtre, l’auteur et metteur en scène JOËL POMMERAT propose au théâtre de l’Odéon Le Petit Chaperon rouge et Pinocchio. Deux contes mirifiques et immanquables. _Par Ève Beauvallet
Pas de Woofie façon Tex Avery ni de baleine animée comme chez Walt Disney dans les contes de Joël Pommerat. Les histoires qu’il chuchote depuis vingt ans sur les scènes internationales prennent l’allure calme et assurée des cauchemars les plus profonds. Tout de velours tapissé et de paillettes saupoudrées, les plateaux embrumés de sa bien nommée compagnie Louis Brouillard s’aventurent dans les forêts obscures de la mémoire et les méandres des douleurs tues. Ses versions du Petit Chaperon rouge et de Pinocchio n’échappent pas à la règle. Mais si cette entrée en matière vous dissuade d’y emmener vos enfants, sachez que Joël Pommerat trouverait cela dommage: « Affronter la peur en tant qu’enfant, se confronter à elle, dans le sens d’un apprentissage ou d’un jeu, c’est travailler à ne plus [en] être esclave […] pour finalement oser aller vers l’inconnu, le possible danger, inhérent à toutes actions humaines et à toute existence. »
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Lui, homme de théâtre, pour qui « rien n’est plus important que de vivre dans la vérité », qui manipule avec aisance les ficelles de la fiction et du réel, a trouvé avec la réécriture du Pinocchio de Carlo Collodi un thème sur mesure: quel menteur est aussi célèbre que le petit pantin, jeune empressé qui ignore tout des lois de la patience et du travail grâce auxquelles il doit pourtant son habit de bois ? Quant à sa version, aujourd’hui culte, du conte de Charles Perrault, focalisée sur trois illustrations de la solitude (l’enfant unique, la mère célibataire et la grand-mère veuve), elle redonne corps à la question du face-à-face effrayant avec soi-même. Le tout, dans un onirisme sidérant qui n’a pas grandchose à envier à David Lynch.
Le Petit Chaperon rouge et Pinocchio, texte et mise en scène de Joël Pommerat d’après les contes populaires, du 24 novembre au 26 décembre aux Ateliers Berthier, théâtre national de l’odéon, www.theatre-odeon.fr
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© Myra - Pommerat Elisabeth Carecchio
LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIfIé
LES CHIENS DE NAVARRE On ne va pas voir la nouvelle création du jeune collectif d’acteurs les Chiens de Navarre pour la portée visionnaire du texte (il n’y en a pas vraiment) ni pour l’ingéniosité du dispositif plastique (il n’y en a pas vraiment non plus), mais pour la vitalité insolente d’un jeu qui s’invente sur le vif, dans l’agencement foutraque de répliques à la hauteur du titre de la pièce : L’Autruche peut mourir d’une crise cardiaque en entendant le bruit d’une tondeuse à gazon qui se met en marche. _E.B.
Du 2 au 4 décembre à la Ménagerie de verre, dans le cadre du festival Les inaccoutumés, à Paris, www.menagerie-de-verre.org
AGENDA SPECTACLES
_Par E.B.
1 FESTIVAL MARTO La onzième édition du festival international Marto vous prouvera que le théâtre d’objets n’est pas une sous-rubrique des arts contemporains. Ni un parc pour enfants, si l’on en croit la compagnie Hotel Modern qui invente en direct une guerre des tranchées miniature, filmée à la caméra comme un tournage en modèle réduit. Du 19 novembre au 16 décembre dans six villes des Hauts-de-Seine, www.festivalmarto.com
2 BÉRÉNICE Session de rattrapage pour ceux qui auraient manqué l’extraordinaire plongée dans le répertoire entreprise par Gwénaël Morin et son Théâtre permanent. Pas d’histoire vaseuse de « dépoussiérage» des classiques, mais une rencontre brute et essentielle entre des acteurs d’aujourd’hui et des héros d’antan. Jusqu’au 21 novembre au théâtre de la Bastille, www.theatre-bastille.com
3 SACRIFICES Pour entendre un phénomène aussi improbable que la variété internationale chantée avec l’accent algériano-colmarien, il faut se déplacer pour l’inimitable Nouara Naghouche, jeune banlieusarde de Colmar qui dans son one-woman show Sacrifices propose un réquisitoire, par le rire, contre le sort réservé aux femmes dans les cités. Jusqu’au 28 novembre au théâtre du Rond-Point, www.theatredurondpoint.fr
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© Bruno Verjus
RESTOS
72 SORTIES EN VILLE
éTAT DE GRAff Gilles Choukroun au MBC Rupture urbaine au fil d’une cuisine graffiti : GILLES CHOUKROUN, chef du restaurant MBC – pour menthe-basilic-coriandre – réaffirme la gourmandise ultra-sensuelle. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)
La rue du Débarcadère tranche de franche façon la frontière entre le XVIIe résidentiel et la friche périphérique. Là, MBC, loft postmoderne, se maquille de sprays aérosols. Les artistes Da Cruz et Nasty taguent les murs et l’esprit du chef : « C’est un lieu qui me ressemble au même titre que l’un de mes plats emblématiques, le foie gras, cornichon doux, jus d’abricots ! » Gilles Choukroun aime la spontanéité des graffitis. Sa cuisine interpelle les produits et accepte «d’être à côté». Ce chef à part a décroché sa première étoile à Chartres, en 1996. Cinq ans plus tard, il quitte La Truie qui file pour ouvrir à Paris Le Café des délices. Début 2004, Angl’opéra bénéficie un temps de ses habiles mariages sel/sucre/épice, avant que Gilles Choukroun ne passe au conseil au sein du Sofitel Essaouira, au Maroc. Au Grand Palais, à Paris, il crée au printemps 2007 Le Mini Palais. Depuis février 2009, c’est au sein de son «restaurant-signature», MBC, qu’il se consacre à la gourmandise. Chaque jour, il y peint une cuisine d’instantanés.
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Voici par l’anecdote l’une de ses créations emblématiques : la lecture du catalogue de l’exposition Pierre Soulages à Beaubourg lui remémore une crevette Crystal Bay. Il utilise la purée de chou-fleur du menu et lui adjoint de l’encre de seiche; elle devient dès lors matière – son outrenoir. Là s’enténèbrent les mots de Pierre Soulages: «Le noir avait tout envahi, à tel point que c’était comme s’il n’existait plus.» La purée est couchée à la palette sur une plaque, les crevettes crues taillées en carpaccio, déposées sur cette surface et recouvertes à nouveau de purée noire. Les têtes de crevettes sont servies crues dans un bol adjacent. Fraîcheur, iode et croquant, assaisonnée de citron vert: voilà pour la surprise de cette nourriture où l’absence du lisse prend le risque d’une œuvre aspirée.
MBC Gilles Choukroun, 4 rue du Débarcadère, 75017 Paris. tél. 01 45 72 22 55 À pleine bouche de Gilles Choukroun (éditions de la Martinière)
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© Matthieu Dortomb
LE PALAIS DE… fLORENT MARCHET
L’AUTRE CAFÉ « Avant, j’habitais juste en face de L’Autre café, et la rue était tellement bruyante que j’avais pris l’habitude de venir me réfugier dans ce resto où la programmation musicale est à la hauteur de la carte. Souvent, je vais demander au comptoir le nom du disque, et je repars avec de précieux conseils. J’aime l’ambiance cinéma qui y règne, j’ai remarqué que beaucoup de scénaristes viennent chercher l’inspiration ici. Et puis, j’en profite pour commander la salade Inca, délicieuse et pleine de crudités, histoire de pallier mon train de vie dissolu. » _Propos recueillis par L.T.
L’Autre café, 62 rue Jean-Pierre-timbaud, 75011 Paris. tél. 01 40 21 03 07 Lire le portrait de Florent Marchet p.114
Où MANGER APRèS… _Par B.V.
MEMORY LANE Chez Philou, pour retrouver un amoureux du cinéma. Ici trône entre autres beautés l’affiche originale des Enfants du paradis. Un paradis qui prend sur la table la forme de mets nets et aimables au palais. Certains vins de la maison, proposés en carafe, ne ruinent ni l’âme ni le porte-monnaie. Philou, 12 avenue richerand, 75010 Paris. tél. 01 42 38 00 13
QUARTIER LOINTAIN Aux Grandes Tables du 104. Ce n’est pas la porte à côté, mais n’oublions pas qu’il fallait auparavant aller jusqu’à Astaffort, dans le Lot-et-Garonne, pour profiter de la cuisine de Fabrice Biasiolo! Alors, pour les entrées ludiques et les plats canailles de ce chef étoilé, il faut savoir apprivoiser les quartiers lointains. Les Grandes Tables du 104, 5 rue Curial, 75019 Paris. tél. 01 40 37 10 07
EVERYONE ELSE Chez Jeanne A, pour ses deux grandes tables d’hôtes un peu cachées, qui favorisent les rencontres gustatives… et les autres au passage. Au menu de cet endroit qui fait aussi cave et épicerie: des rôtisseries bien tournées, des salades fraîches comme une première rencontre et des magnums à boire ou à emporter, selon affinité. Jeanne A, 42 rue Jean-Pierre-timbaud, 75011 Paris. tél. 01 43 55 09 49 NOVEMBRE 2010
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QUI S’Y FR OTTE
S’Y PIQUE LÉA SEYDOUX, ou l’art de faire céder les résistances. La belle personne se fait Belle Épine chez REBECCA ZLOTOWSKI, jeune cinéaste surdouée, qui pour son premier long métrage emmène la comédienne séduire une bande de motards effrontés. Sur les pistes des circuits sauvages du Rungis de 1977, la jeune femme serpente entre deuil et éclosion sensuelle, dans une magnifique ode à la vitesse et à la mise en danger. Un rôle au diapason de la filmographie fulgurante de Léa Seydoux, dont l’aura irradie désormais bien au-delà de nos frontières. Entretien croisé entre deux filles à suivre de près, à toute allure.
© Nicolas Guérin
_Propos recueillis par Stéphanie Alexe et Auréliano Tonet
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« QUAND J’AI RENCONTRÉ LÉA, J’AI RESSENTI UNE POSSIBILITÉ DE TRAVAIL EN COMMUN, DES QUALITÉS D’ABANDON, DE SOLITUDE. » Rebecca Zlotowski
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elle Épine de Rebecca Zlotowski, Roses à crédit d’Amos Gitaï : l’hiver a des allures de printemps pour Léa Seydoux, à l’affiche de deux films aux terminologies joliment florales. Dès lors, la tentation est grande, pour le journaliste, d’affubler la comédienne de qualificatifs fleuris ; mais quelque chose chez elle résiste aux analogies faciles: loin du stéréotype de la femme pétale, docile et ornementale, Léa impressionne au contraire par son caractère trempé, ses prises de risques affirmées, ses choix de carrière audacieux. Jeune fille en fleurs peut-être, mais alors en fleurs nomades, changeantes, carnivores, à leur aise dans les sous-bois portugais (Les Mystères de Lisbonne de Raoul Ruiz) comme dans les vastes jardins à l’anglaise (Robin des Bois de Ridley Scott), passant en un coup de vent des champs verdoyants du jeune cinéma français (Petit Tailleur de Louis Garrel, Plein Sud de Sébastien Lifshitz) aux pelouses les plus selects du cinéma international (Inglourious Basterds de Quentin Tarantino, Minuit à Paris de Woody Allen, Mission Impossible 4 de Brad Bird).
« Léa est là », titrions-nous en mai dernier dans le portrait qui ouvrait notre dossier consacré au Festival de Cannes, où elle présentait trois films. Cette omniprésence pourrait bien être sa qualité première : une habilité à occuper tous les registres cinématographiques, du drame intimiste à la fresque historique costumée, du haut de l’affiche à des rôles plus discrets, voire antipathiques – brune, blonde, rousse, châtain, même combat. « Léa est à la fois intemporelle et complètement d’aujourd’hui, nous confiait Christophe Honoré, en 2008. Elle a le débit de Deneuve: elle parle très vite, mais on comprend
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chacun de ses mots. Des Léa Seydoux, le cinéma français en trouve une tous les cinq ans. Ce n’est pas l’actrice d’un seul rôle. » Le rôle en question était celui de La Belle Personne, qui l’a faite éclore auprès d’un plus large public, après des prestations remarquées chez Nicolas Klotz (La Consolation), Sylvie Ayme (Mes copines) et Catherine Breillat (Une vieille maîtresse). Lorsque nous l’avions rencontrée, en marge de la sortie du film de Christophe Honoré, Léa nous avait frappé par son franc-parler mâtiné d’auto-ironie : « Mon premier rôle était celui d’un lutin, j’avais six ans, le réalisateur a fait une dépression peu après le tournage. » « Il est bien plus troublant, face à la caméra, de montrer ses émotions que sa poitrine », lançait-elle encore du haut de ses 23 ans. Elle nous parlait avec naturel de ses modèles (la comédienne Gena Rowlands, l’écrivain Albert Cohen), de ses fétiches (Carmen de Georges Bizet, L’Ennui d’Alberto Moravia), de sa scolarité escarpée (« J’ai changé dix fois d’école »), de ses origines moins avantageuses qu’il n’y paraît (son grand-père est le président de Pathé, son grand-oncle dirige Gaumont ; de quoi vous coller une vilaine étiquette de « fille de », qu’elle a su, à force d’audace et de talent, peu à peu effacer). Deux ans après cette première rencontre, on la retrouve à l’hôtel Lutetia pour évoquer Belle Épine, peut-être son plus beau rôle, en tout cas celui où elle s’est livrée avec le plus d’abandon, de générosité. Elle y joue une jeune femme, Prudence Friedmann, dont le deuil (la mère de l’héroïne vient de mourir) coïncide avec une libération tous azimuts. En interview, face à sa réalisatrice, la très prometteuse Rebecca Zlotowski, Léa est pareille au
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© Shelby Duncan
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rôle qu’elle incarne: à la fois de toutes les phrases et légèrement en retrait, en équilibre entre expressivité et intériorité, distribuant pointes (d’humour, d’impudeur) et contrepointes avec une science éprouvée du juste placement – belle parce que piquante. _A.T.
Rebecca, vous n’avez pas rencontré d’autres actrices que Léa pour le rôle principal de Belle Épine. Pourquoi ? REBECCA ZLOTOWSKI : Je n’ai pas écrit le rôle pour Léa, mais je n’ai rencontré qu’elle, c’est vrai. Il faut être très sûr de ses sentiments pour faire un film. C’est un peu angoissant quand on commence, parce qu’on n’est jamais sûr de soi à 100 %. Ça incite beaucoup de jeunes metteurs en scène à faire des castings très longs, à aller à la sortie des lycées chercher des visages nouveaux, qui ont vraiment l’âge du rôle… Ce n’était pas du tout ma démarche. J’avais envie d’une comédienne assez expérimentée, mais il n’y en avait pas beaucoup qui m’attiraient. Parmi elles, il y avait Léa. L’affiche de La Belle Personne m’avait accompagnée tout un hiver, ça avait fait émerger son visage pour moi. Quand je l’ai rencontrée, j’ai ressenti une possibilité de travail en commun, des qualités d’abandon, de solitude, qui collaient parfaitement au personnage. Je cherchais une alliée. Contrairement à d’autres metteurs en scène, je n’aime pas travailler dans le conflit. Léa, qu’est-ce qui vous a poussé à accepter le rôle? LéA SEYDOUX : Le talent de Rebecca. C’était la première fois qu’elle abordait une actrice, elle y est allée en douceur, très habilement. Elle m’a fait passer des essais, elle avait besoin de me tester, de savoir qui j’étais, parce qu’il y a des choses très personnelles dans son film, propres à son vécu et au mien. Belle Épine est une histoire d’entente, d’intimité. J’ai le sentiment que je suis née actrice avec ce rôle. C’est mon premier travail de composition abouti. Je ne sais pas être naturelle. Jusqu’à présent, je me suis toujours sentie maladroite face à une caméra.
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LES BELLES HISTOIRES DE REBECCA ZLOTOWSKI Normalienne, agrégée de lettres, Rebecca Zlotowski fut d’abord scénariste avant de passer à la réalisation. Au cours de ses années à la Femis, elle collabore avec plusieurs camarades, dont Teddy LussiModeste. Issu de la communauté gitane, ce dernier prépare un premier film, Jimmy Rivière, dont la sortie est prévue en mars prochain et dont le scénario a été écrit avec Rebecca Zlotowski : l’histoire d’un gitan de 24 ans tiraillé entre sa passion dévorante pour la boxe thaï et le poids du pentecôtisme. Sous la pression de sa famille, Jimmy fait un choix radical, celui de renoncer à la boxe. Mais le jour de son baptême, le Christ lui fait faux-bond… Au risque de rompre toute attache avec sa communauté, il se lance alors dans la préparation du combat de ses rêves. Sous la plume de Rebecca, les jeunes héros vivent ainsi avec anxiété leur rapport à la foi : tandis que Prudence Friedmann traverse les dix jours terribles dans Belle Épine, Jimmy Rivière plonge tête baissée au cœur d’un été brûlant. _S.A.
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R.Z. : Léa joue très juste, elle ne sonne jamais faux. C’était le pilier de Belle Épine ; à partir d’elle, chaque comédien constituait une partie de l’échafaudage. Rebecca, vous avez coécrit plusieurs courts métrages réalisés par des camarades de la femis. À l’instar de Belle Épine, leurs castings faisaient la part belle aux jeunes comédiens. Doit-on forcément évoquer sa propre jeunesse dans un premier film ? R.Z. : Dans Belle Épine, je préciserais que je parle de la jeunesse et non de l’adolescence. L’adolescence est un sujet qui fut très en vogue dans les années 1990 et qui m’a beaucoup touchée, mais je ne sentais pas la nécessité d’apporter ma touche au
L.S. : Ceux qui commencent ont davantage besoin, je crois, de l’appui de leurs comédiens. Les réalisateurs qui ont de l’expérience savent ce qu’ils veulent. C’est la confiance en soi qui diffère. R.Z. : Moi j’ai eu l’impression d’avoir une grande confiance en moi dans ma façon de te diriger. L.S. : Tu savais exactement ce que tu voulais mais tu n’avais pas confiance en toi. En règle générale, ce sont surtout les acteurs qui sont dans une situation vulnérable. Pour un premier film, le rapport s’inverse, les réalisateurs sont plus à fleur de peau. Avec les réalisateurs expérimentés, je n’ai senti aucune fragilité. Amos Gitaï, par exemple, ne sup-
« J’AI LE SENTIMENT QUE JE SUIS NÉE ACTRICE AVEC CE RÔLE. » Léa Seydoux portrait d’un moment chrysalidaire des corps. Léa, qui est de tous les plans de mon film, est une femme, ce n’est plus une enfant. La jeunesse m’intéresse parce que c’est un sujet de cinéma à plein ; c’est un état qui se désigne au moment de sa disparition : on se rend compte que l’on a été jeune au moment où l’on cesse de l’être. Après, si tant de premiers films parlent de ce moment-là, c’est sans doute par honnêteté : l’envie de montrer une période que l’on connaît bien, de ne pas mentir. Léa, vous alter nez les tour nages avec des cinéastes débutants et d’autres avec des réalisateurs plus chevronnés. Ressentez-vous une différence ?
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porte pas que l’on s’enlise dans une forme de confort. Il veut que l’on se bagarre. Il n’aime pas les peureux, les manières. Pour Belle Épine, je sentais que Rebecca avait besoin de moi comme j’avais besoin d’elle. C’était la première fois que je jouais un personnage avec une telle part d’enfance. Ça m’a bouleversée. Prudence est fascinée par une bande de jeunes motards. Ce sont des héros qu’on a l’habitude de croiser dans le cinéma américain, moins dans le cinéma français… R.Z. : On n’a pas conscience, au moment où l’on fabrique un film, de rejoindre une quelconque vision nationale. Si l’on a beaucoup vu et aimé des
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teens movies américains, et en même temps des films de Tourneur, de Sautet, de Rozier, quand on réalise son propre film, on s’inscrit à la croisée de ces inspirations-là. Ce qui distingue le plus l’Europe des États-Unis, ce sont les distances. Il y a quelque chose de replié en Europe qu’il n’y a pas aux États-Unis, où des jeunes de 14-15 ans peuvent conduire une voiture. En France, cette précocité, cette mise en danger collective, on ne la retrouve que dans un cas, que décrit Belle Épine : celui du circuit sauvage de moto. D’un coup, des jeunes garçons deviennent maîtres de leur machine, qui sont une réminiscence des voitures conduites par les teenagers américains. Je voulais filmer l’excitation que l’on peut ressentir à monter sur ces engins de mort.
L.S. : Je ne pense pas que ce sont les acteurs qui amènent le rythme. C’est toi, Rebecca, qui l’as décidé, dans tes choix de lumière, tes mouvements de caméra. Rebecca, vous êtes agrégée de lettres et diplômée de la section scénario de la femis, et pourtant, l’écriture dans Belle Épine se joue moins au niveau des dialogues que de la bande-son : vrombissement des motos, grésillement de la radio ou de la platine vinyle, douceur des messages téléphoniques ou du jeu au piano à quatre mains, surdité de la mère défunte, trouble de la séquence du concert. Sans parler de la remarquable bande originale de Rob…
« BELLE ÉPINE EST UNE HISTOIRE D’ENTENTE, D’INTIMITÉ. » Léa Seydoux Belle Épine conte l’histoire mêlée d’un deuil et d’une libération. Cette dichotomie est soulignée par le rythme du film, qui bascule sans cesse entre inertie et accélération. R.Z. : C’est grâce aux acteurs que l’on arrive à obtenir du mouvement. Léa a en elle quelque chose d’anesthésié, d’anéanti ; elle parvient très bien à effacer son émotion, et en même temps il se dégage d’elle une grande vitalité, une énergie, un érotisme aussi. Comme on disposait de peu d’argent, on a limité le nombre de prises et privilégié les longs plans-séquence. Cela demandait de la part des comédiens une grande capacité de placement et de déplacement.
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R.Z. : Oui, la bande son, comme la lumière ou le climat, ont pris une large place à l’écriture. Le film s’articule autour de ce que ressent Prudence. C’est une épreuve à la fois visuelle et sonore. J’ai été très impressionnée par un passage de Marcel Proust que j’ai fait lire à Léa, un extrait de Sodome et Gomorrhe intitulé Les Intermittences du cœur, où le jeune Marcel se rend compte, un soir en faisant ses lacets, que sa grand-mère est morte. C’est l’histoire d’une révélation visuelle : Marcel apprend à voir. Dans Belle Epine, j’avais envie de raconter l’histoire d’une révélation sonore: Prudence apprend à entendre. Léa, comment vous y êtes-vous prise pour rendre visible le cheminement intérieur de votre personnage dans le film?
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« LÉA A EN ELLE QUELQUE CHOSE D’ANESTHÉSIÉ, D’ANÉANTI ; ET EN MÊME TEMPS IL SE DÉGAGE D’ELLE UNE GRANDE VITALITÉ, UNE ÉNERGIE. » Rebecca Zlotowski L.S. : Belle Épine est un film très physique, focalisé sur la perception des émotions. On a eu la possibilité avec Rebecca de travailler bien en amont du tournage. En lisant les livres que Rebecca m’avait indiqués, en discutant avec elle, j’ai pu me faire une idée de plus en plus précise de mon personnage, j’ai pu l’habiter. Nous sommes allées voir Diabolo menthe de Diane Kurys, un film sur des ados dont la façon de parler était très adulte, très élaborée. Ça nous a plu. Les essais avec de jeunes acteurs ne fonctionnaient pas, et ce film a convaincu Rebecca de faire appel à des comédiens plus âgés. R.Z. : Ça ne marchait pas avec des acteurs plus jeunes : être dans une situation d’essai, c’est déjà terrorisant – de part et d’autre d’ailleurs – et certains garçons trop jeunes perdaient leurs moyens devant Léa, qui était choisie, souveraine. Ce à quoi pouvait s’ajouter la pudeur devant une réalisatrice femme. L.S. : Oui, ça pouvait être un peu inhibant, surtout que Rebecca roulait des pelles à ses acteurs pour les aider à interpréter de manière plus brulante certaines séquences [sourires]. R.Z : Je ne l’ai fait qu’une fois ! L.S. : Catherine Breillat m’avait embrassée, aussi, pour m’indiquer comment jouer la scène de baiser avec Asia Argento dans Une vieille maîtresse. D’un point de vue onomastique, Rebecca, qu’est-ce qui a guidé le choix du prénom de votre héroïne, Prudence friedmann, et celui du titre du film, Belle Épine ? R.Z. : Le titre s’est imposé tout de suite. J’aime l’anagramme «belle peine», et sa version argotique, «belle pine»… En fait, le film est né d’un défaut d’imagina-
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tion de ma part. Je suis tombée sur le journal intime d’une fille dans le XIIIe arrondissement, qui est mon quartier d’enfance. Elle y racontait sa vie, l’année de ses 16 ans à Villejuif, ses escapades au centre commercial Belle Épine, le week-end avec ses copines. Quant à Prudence, j’aime le rapport antinomique de ce prénom à la disparition, à la mise en danger. Léa, après Une vieille maîtresse, Robin des Bois, Les Mystères de Lisbonne et Roses à crédit, vous jouez de nouveau dans un film d’époque, puisque l’action de Belle Épine se situe dans les années 1970-1980. L.S. : J’aurais du mal à vous dire pourquoi les metteurs en scène aiment me projeter ainsi dans le temps. Peut-être est-ce dû à la forme de mon visage ? R.Z. : Il y a de grandes actrices qui sont profondément ancrées dans leur contemporanéité, mais qui ne franchissent pas la barrière des époques. Et il y a d’autres actrices plus intemporelles, qui vont porter des histoires pendant très longtemps, et qui deviennent des étoiles. Léa s’inscrit dans cette lignée. À aucun moment, je ne lui ai demandé d’adopter la démarche ou la prosodie des années 1970. Rebecca, vous avez tourné en scope et en 35 mm. Vous filmez vos motards comme des cavaliers urbains, échappés d’un western. R.Z. : La scène de western, elle a lieu dans le bureau du père de Prudence, quand Marylin et Prudence se font face. En scope, lorsque que l’on bouge d’un demi-millimètre, on est flou ; ce qui crée la beauté de certaines scènes. Il y a des tremblés qui échappent à la maîtrise du metteur en scène et du cadreur. Pour les acteurs, ça demande une très
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grande concentration. Le scope, c’est aussi accepter de ne pas filmer le ciel, c’est sans transcendance, à hauteur des comédiens, toujours. L’action se déroule à Rungis, mais le film a été tourné au Havre, une ville qui inspiré de nombreux réalisateurs : Jean Vigo (L’Atalante), Jean Renoir (La Bête humaine), Marcel Carné (Quai des brumes) ou plus récemment Mathieu Amalric (Tournée), Aki Kaurismäki (Le Havre) et le trio Gordon-Abel-Romy (La Fée)…
L.S.: Le Havre était au diapason de mon personnage. C’est une ville propice à la solitude, à l’égarement. Rebecca, le film s’ouvre sur une séquence où sont évoquées les origines juives de votre héroïne. En quoi était-il nécessaire d’indiquer cette appartenance? R.Z. : La judéité est un motif très souterrain du film, un contrepoint, un sous-texte. C’est un sujet abordé notamment lors de la scène de repas familial, durant laquelle
« LA JEUNESSE M’INTÉRESSE PARCE QUE C’EST UN SUJET DE CINÉMA À PLEIN ; C’EST UN ÉTAT QUI SE DÉSIGNE AU MOMENT DE SA DISPARITION. » Rebecca Zlotowski R.Z. : Au départ, c’était une contrainte de production, parce que filmer la banlieue parisienne revenait plus cher. Puis je suis tombée amoureuse de cette ville que je trouvais sensationnellement digne. C’est une ville orpheline, qui a été reconstruite par Auguste Perret selon un schéma ultra social. On a tourné dans un appartement qu’il a construit, très utérin. Aucune enseigne n’y est violente ou agressive, la typographie n’a pas changé depuis les années 1950. La ville avait l’air de se réveiller, de dormir, de vivre avec nous.
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est exposée la notion des dix jours terribles [yamin noraïm]. Petite, on m’avait expliqué que pendant ces dix jours, Dieu écrivait les noms de ceux qui allaient mourir et comment. Ça raconte aussi l’idée qu’on peut vivre quelque chose et n’en ressentir l’impact que plus tard, ce qui était le sujet du film. La scène de repas m’aidait à montrer que Prudence n’avait pas grandi dans une famille dysfonctionnelle. Et puis, c’est une piste de lecture assez riche: Belle Épine, ce serait un peu les dix jours terribles de Prudence Friedmann. Et je pense que l’on a tous dix jours terribles dans notre vie.
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© Les Films Velvet
86 DOSSIER /// BELLE ÉPINE
CŒUR DE MOTARDS Présenté cette année à Cannes à la Semaine de la critique, Belle Épine est un très beau portrait de jeune fille à fleur de peau. Où une Léa Seydoux parfaite fait son deuil en se perdant dans les courses de motos clandestines. _Par Léo Soesanto
elle Épine est le genre de rose noire entêtante que l’on déniche dans le bouquet parfois défraîchi que composent les premiers films français. Oui, le film de Rebecca Zlotowski nous parle encore d’ados, de deuil et de rite de passage : la jeune Prudence (Léa Seydoux) perd sa mère et se perd dans le milieu des courses de motos clandestines organisées à Rungis à la fin des années 1970. Mais le portrait attendu de jeune fille en fleur fait ici place à une âpreté délicieuse, où Léa Seydoux fait merveille en plante d’un jardin de pierres, qui sait à la fois croître et se rétracter dans un même plan. Dès la première scène, elle est déshabillée, fouillée au corps car accusée de vol à l’étalage, mais on ne voit d’elle que sa carapace de dure à cuir, faite pour le perfecto.
B
Belle Épine excelle à traverser les genres. D’une sensibilité écorchée qui renvoie à Maurice Pialat (Agathe Schlencker a l’air d’avoir été téléportée de Passe ton bac d’abord), on passe aux climats fantastiques d’un John Carpenter lorsque le film évoque le Rungis 1977, rock’n’roll et nocturne. Un monde parallèle qui dépasse l’idée de nostalgie et de reconstitution. Belle Épine impressionne aussi par son travail sonore, tout d’abord pour son excellente
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bande originale signée Rob (entre autres clavier de Phoenix sur scène), comme sortie d’un Dario Argento i n é d i t . À qui veut prêter l’oreille, le film regorge aussi de détails sonores signifiants : le passage en revue des vinyles chez la copine, déterminant pour en cerner l’identité ; un morceau de piano à quatre mains entre deux sœurs ; un sonotone que l’on met même si on n’est pas sourde, pour se rapprocher de quelqu'un. « Je n'ai aucune idée de l’effet que ça fait, nous a confié Rebecca Zlotowski. J’ai postulé que ça amplifiait le son, mais je préfère imaginer. » Une telle attention au son est naturelle pour la réalisatrice, qui a coécrit pour le dernier album d’Alizée la chanson Grand Central. Elle raisonne encore en termes musicaux quand elle nous dit que « la chanson qui résume le plus Belle Épine, c’est Surrender de Suicide ». Une ballade titubante idoine pour la reddition de Prudence à l’aube, triste mais pleine de promesses. Belle Épine raconte cet état second des heures indues, ce flottement délicieux et un peu coupable d’après une nuit trop blanche, lorsque l’on sait qu’un jour nouveau pointe. Belle Épine de Rebecca Zlotowski // Avec Léa Seydoux, Agathe Schlencker… // Distribution : Pyramide // France, 2010, 1h20 // Sortie le 10 novembre
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RACCORDS & DÉSACCORDS Alors que le pays vient de battre le pavé pour protester contre la réforme des retraites, le cinéma français reprend le train de la contestation politique en marche. On lui a souvent reproché d’être intimiste, bourgeois, claustrophobe. Et pourtant, en novembre, fictions (Potiche, Le Nom des gens, Dernier Étage, gauche, gauche) et documentaires (Cheminots, Commissariat, Ce n’est qu’un début) questionnent avec acuité les institutions sociales et politiques de la France d’aujourd’hui. Immersion dans le cortège. _Par Clémentine Gallot, Juliette Reitzer, Auréliano Tonet et Laura Tuillier Illustration : Anna Apter - Numéro10 Studio.
De gauche à droite et de haut en bas : Nicolas Sarkozy, Catherine Deneuve, Lionel Jospin, Judith Godrèche, Marine Le Pen, Jacques Gamblin
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90 DOSSIER /// LE CINÉMA FRANÇAIS SE POLITISE
« IL Y A AUJOURD’HUI UNE OBSESSION POUR L’HYGIÈNE, LA SÉCURITÉ. MAIS LE MONDE MODERNE NE SE SOUCIE GUÈRE DE TRAITER LES MAUX EN PROFONDEUR. » Ilan Klipper et Virgile Vernier
A
rt de la durée et du temps long, le cinéma se trouve cet automne, par un troublant effet de synchronie, en phase avec l’actualité la plus brûlante. Le film le plus explicitement raccord avec la brusque politisation du pays est un documentaire : dans Cheminots, Luc Joulé et Sébastien Jousse suivent des employés du rail, souvent de père en fils, qui voient leur métier menacé par la privatisation progressive de la SNCF. Tourné dans les AlpesMaritimes, le film s’ouvre par L’Arrivée du train en gare de La Ciotat. La référence aux débuts du cinéma est ici marquée du souci constant de filmer au présent : des méthodes de travail aux relations avec les patrons, en passant par les retraites, c’est toute la culture d’une profession qui est remise en cause. Faisant montre d’une grande empathie pour ces travailleurs en sursis, Luc Joulé et Sébastien Jousse saluent au passage les camarades René Clément (La Bataille du rail) et Ken Loach, cité dans une très belle séquence durant laquelle un groupe d’employés regarde The Navigators à la télévision. Creusant la veine engagée de leur premier documentaire (Les Réquisitions de Marseille, en 2004, sur les expérimentations sociales menées par des résistants à la Libération), les deux réalisateurs affichent la volonté de fixer par l’image ce qui est menacé de disparition : un réseau ferroviaire que les cheminots pensent de façon collective et solidaire, aujourd’hui démantelé dans un souci de rentabilité. La force du train, c’est de ne laisser personne sur le carreau, semble nous dire Cheminots ; de s’arrêter dans toutes les gares et de permettre à chacun de faire partie du voyage.
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CELLULES GRISES Ilan Klipper et Virgile Vernier marquent quant à eux un arrêt au commissariat d’Elbeuf, près de Rouen. Ils y ont passé trois ans pour filmer un documentaire sans concession, Commissariat. « Le portrait d’une petite ville française à travers sa police, très loin de l’image pittoresque de la province», affirment en chœur les deux réalisateurs. Après avoir documenté dans Flics le processus de formation des gardiens de la paix, ils s’intéressent cette fois à l’institution dans sa réalité quotidienne : « C’est un métier où il est en permanence question de pouvoir, d’autorité et de hiérarchie.» Au fil de longs plans-séquences, sans voix off ni montage intempestif, la caméra capte ce qui se joue entre les murs du commissariat et pendant les rondes des agents: interventions musclées, face-à-face entre flics et prévenus, interrogatoires de témoins et victimes, cellules de dégrisement… En émerge le constat d’une misère sociale et affective larvée, tant chez les policiers que chez leurs interlocuteurs. Nourri des travaux de Frederick Wiseman et du cinéma direct, Commissariat s’empare du contemporain sans ostentation militante, avec la volonté de mettre à nu le réel pour mieux l’interroger. À l’image de sa séquence finale, qui s’articule autour du nettoyage des cellules au Kärcher, faisant resurgir certains souvenirs… «Il y a aujourd’hui une obsession pour l’hygiène et la sécurité. Il faut que tout soit lisse, aseptisé, estiment les cinéastes. Mais le monde moderne ne se soucie guère de traiter les maux en profondeur.»
LUTTE DES CLASSES Portant un même regard critique sur le réel, Ce n’est qu’un début démontre que la curiosité, la tolérance et le « vivre-ensemble » se bâtissent dès le plus jeune âge. Chronique d’une expé-
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De gauche à droite et de haut en bas : Potiche, Le nom des gens, Ce n’est qu’un début et Commissariat
rience menée pendant deux ans par une institutrice de maternelle pour éveiller ses élèves à la philosophie, le documentaire de Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier s’ouvre sur la déclaration polémique de Xavier Darcos, alors ministre de l’Éducation nationale, en 2008 : « Est-il vraiment logique […] que nous fassions passer des concours bac + 5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des
enfants expriment une certaine vision de notre société, ils dessinent une carte mentale de la France. Comment retrouver du sens en un projet de société commun et réenchanter notre pays ? », s’interrogent les auteurs, avant de conclure, optimistes : « Des enfants d’origines différentes se sont retrouvés autour de questions universelles plutôt que de se focaliser sur des débats dangereux et des questionnements qui dérapent. »
CE N’EST QU’UN DÉBUT ENREGISTRE L’APPRENTISSAGE DE LA VIE EN COLLECTIVITÉ, LA MISE À MAL DES STÉRÉOTYPES. enfants ou de leur changer les couches ? » Dans la classe montrée dans le film, les élèves lui donnent très rapidement tort. « L’amour », « la mort », « être chef » sont autant de sujets autour desquels les bambins, âgés de 3 à 5 ans, apprennent à réfléchir. « On aimerait que le film ouvre un débat », avance Pierre Barougier. Au montage, il a choisi avec Jean-Pierre Pozzi de créer un va-etvient incessant entre l’école et l’actualité, multipliant les flashs d’information comme autant de repères temporels, insidieusement anxiogènes. « On a tourné le film en plein débat sur l’identité nationale. La question identitaire se posait en permanence. » Avec une belle humilité, Ce n’est qu’un début enregistre l’apprentissage de la vie en collectivité, l’éveil turbulent à l’altérité, la mise à mal des stéréotypes par le débat dialectique ; bref, des questions éminemment politiques. « Les
DROIT DE CITÉ Dérapage politique contrôlé, également, dans Dernier Étage, gauche, gauche, où un huissier de justice (Hippolyte Girardot) est accidentellement pris en otage par ses débiteurs (Fellag et Aymen Saïdi). Inspiré par la visite d’un ancien ministre de l’Intérieur sur la dalle d’Argenteuil, ce premier film incongru d’Angelo Cianci explore l’espace d’une cité de banlieue, à la fois cour des miracles et Tour de Babel. « Si l’on dessinait une cartographie du cinéma français quand il évoque les quartiers, on trouverait à un extrême le cinéma magnifiquement rigoureux de Rabah Ameur-Zaïmeche et, à son opposé, les productions pop-corn de Luc Besson façon Banlieue 13. Entre les deux ? Pas grandchose », regrette le cinéaste. Servie sur le ton de la dérision, cette jeune comédie politique lorgne du côté des films de Pierre Salvadori belle époque, ...
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92 DOSSIER /// LE CINÉMA FRANÇAIS SE POLITISE
© Jean-Luc Bertini
DERNIER ÉTAGE, GAUCHE, GAUCHE D’ANGELO CIANCI S’INSCRIT CONTRE UN DISCOURS AMBIANT QUI « CONSISTE À OPPOSER ». DESPENTES, COUP POUR COUP Entre l’écriture de son roman coup de poing Apocalypse bébé et le tournage de sa prochaine fiction Bye Bye Blondie, Virginie Despentes, hyperactiviste radicale, a réalisé Mutantes, un documentaire qui milite dur pour le droit des femmes à disposer du sexe. Un héritage direct du mouvement pro-sexe né aux États-Unis dans les années 1980. Loin de dire non au porno et à la prostitution, les femmes qui en prennent la tête veulent alors révolutionner ces industries machistes sans renoncer au plaisir ou à l’argent. Ex-hippies devenues réalisatrices de films X, artistes avant-gardistes, prostituées volontaires et engagées, universitaires, strip-teaseuses subversives, amatrices de SM lesbien : elles attrapent le taureau par les cornes et ne se gênent pas pour l’envoyer valser, brisant d’un même geste la représentation des genres jugée sexuellement correcte. Des peep-shows de Los Angeles aux espaces expérimentaux de la Barcelone post-Movida, témoignages, photos, films, cris, musique se répondent pour marteler en chœur « pourvu qu’elles soient libres ! ». _L.T.
Mutantes, féminisme porno punk de Virginie Despentes (Blaq Out, DVD déjà disponible)
quand « le cinéma français osait le mélange des genres ». Le film s’inscrit volontairement en porte-à-faux d’un discours ambiant qui « consiste à diviser, à opposer ». Le dialogue forcé entre l’huissier bourgeois et ses preneurs d’otage maghrébins clôt le film sur un geste révolté qui « prône la nécessité du dialogue, de l'entraide et de la solidarité », précise le réalisateur. « Je voulais explorer par quels moyens alternatifs il était aujourd'hui possible de faire entendre sa voix.»
L E PA RT I D ’ E N R I R E Autre fiction, autre chemin emprunté pour faire entendre sa voix, électorale notamment: «Comment peut-on être jeune et UMP?», s’indigne Bahia (Sara Forestier) dans Le Nom des gens de Michel Leclerc. Son programme? Convertir, à l’approche de l’élection présidentielle, tous les « fachos de droite »… en couchant avec eux. Lorsqu’elle croise Arthur (Jacques Gamblin), qui, engoncé dans un austère costume trois-pièces, ne peut être que de droite, elle entreprend donc de le mettre dans son lit. Sauf que le bonhomme est un jospiniste convaincu. Les tourtereaux devront dès lors composer avec leurs convictions personnelles et leurs familles respectives, au passé chargé : les grands-parents de Bahia ont été assassinés par l’armée française en Algérie, ceux d’Arthur confrontés à la déportation nazie. On croise encore pêle-mêle, dans cet alerte plaidoyer pour la mixité («les bâtards sont l’avenir du monde»), une soixantehuitarde attardée, un immigré algérien circonspect et des extrémistes de tous bords, tant politiques que religieux.Volontiers bouffon, parfois caricatural, Le Nom des gens prend le parti de rire de tout, et particulièrement des sujets qui agitent les rangs de l’Assemblée nationale: mariage blanc, port du voile, communautarisme, discriminations… Une scène résume on ne peut mieux le propos du film: en caméo surprise dans son propre rôle, Lionel Jospin lance à Arthur, ému aux larmes de rencontrer son idole: «Un jospiniste, par les temps qui courent, c'est rare!» Dans la veine de la comédie politique française des années 1990 (Vive la république d’Éric Rochant, Dieu seul me voit de Bruno Podalydès), Le Nom des gens fait mouche grâce à son discours chargé d’ironie. Ainsi délestés de leur gravité, les enjeux politiques, risibles, n’en deviennent que plus lisibles. ...
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© Michaël Crotto / Mars Distribution / Le Pacte
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De haut en bas : Le nom des gens, Potiche, Ce n’est qu’un début
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UNE SOIXANTE-HUITARDE ATTARDÉE, UN IMMIGRÉ ALGÉRIEN CIRCONSPECT ET DES EXTRÉMISTES DE TOUS BORDS, LE NOM DES GENS PREND LE PARTI DE RIRE DE TOUT.
© Anger - Cinédoc 2010
94 DOSSIER /// LE CINÉMA FRANÇAIS SE POLITISE
Kustom Kar Kommandos de Kenneth Anger, 1965
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FÉMINITÉ
CRISES LIBÉRATRICES
Un même souffle comique parcourt le nouveau long métrage de François Ozon, Potiche. Fidèle à ses motifs-clés (théâtralité, féminité, filiation, transgression), le réalisateur de 8 Femmes signe là son film le plus politique, au sens où pouvait l’entendre Jacques Demy, influence évidente (casting, bande-son, couleurs, décors, parapluies, incestes larvés… le pastiche est bluffant). À la fin des années 1970, dans une ville de province bourgeoise, le patron d’une usine de parapluies (Fabrice Luchini) est contraint, suite à un problème de santé, de laisser femme et enfants aux manettes de l’entreprise familiale, alors bloquée par un mouvement social. Catherine Deneuve, renversante en dame patronnesse, retrouve ici un vieil amant encombrant, Gérard Depardieu, en député-maire syndicaliste et chevelu. Tous attifés seventies et permanentés, les sémillants caractères de cette comédie familiale évoluent dans une mise en scène joyeusement subversive, inversant avec maestria les rapports de classes, de sexes, d’âges et d’époques: les travailleurs dictent la loi aux patrons, le «sexe faible» triomphe du patriarcat, les parents s’avèrent plus progressistes que leurs enfants, et les années 1970 moins vieillottes qu’il n’y paraît. Car, derrière le postiche de la reconstitution historique, Ozon tient un discours sur la politique et la société d’aujourd’hui. « Travailler plus pour gagner plus» ou «casse-toi pauvre con!», entend-on dans Potiche, échos aussi réjouissants qu’anachroniques du vocabulaire sarkozyste. «Le cinéma est fait pour la transgression, le public le sait et l’accepte. Cela permet de voir les choses sous un angle différent», confie Ozon. Le twist le plus savoureux du film est sans doute celui du personnage-titre, propulsé du statut d’épouse soumise à celui de patronne libérée, où elle se révèle bien plus efficace que son époux, ce qui lui ouvre d’affriolantes perspectives électorales… «Le film est peut-être féministe, puisque Suzanne trouve sa place en s’émancipant. En cela, il est sans doute politique.» Difficile, d’ailleurs, de ne pas voir dans l’héroïne exaltée de Potiche l’ombre de Ségolène Royal, comme l’admet à demi-mot le cinéaste: «Pendant l’élection présidentielle qui a opposé Sarkozy et Royal, on a assisté à des épisodes misogynes qui m’ont convaincu de la légitimité de ce film.»
Coopératives de cinéastes indépendants et expérimentaux fondées (puis réunies) dans les années 1970 pour diffuser leurs films, Paris Films Coop et Cinédoc présentent leurs 36 ans d’activité au Centre Pompidou, sous l’intitulé Crises 2 films. Il s’agit moins là d’évoquer une « crise du cinéma » que de révéler « la trépidation, la poussée et la levée des préjugés et des états figés, le jaillissement d’initiatives et d’actions qui modifient les situations », en une conception positive de la crise, comme mouvement, libération d’énergies. Ces crises de films et crises filmées se déploieront en six séances, présentant l’histoire du cinéma expérimental, du ciné-doc au film-expérience, des pionniers au cinéma multitechnologique, du politiquement underground à la diffusion des théories (en un hommage rendu à la revue Melba). Avec Hans Richter, Viking Eggeling, Henri Chomette, Man Ray, Pippo Oriani, Jonas Mekas, Pierre Clémenti, Peter Kubelka, Norman McLaren, Michael Snow et bien d’autres encore. _W.P.
Crises 2 films, 36 ans de cinéma expérimental dans les collections Cinédoc - Paris Films Coop, du 19 au 21 novembre au Centre Pompidou, www.cinédoc.org
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96 DOSSIER /// LE CINÉMA FRANÇAIS SE POLITISE
François Ozon MISSION POPULAIRE « Tout est engagement politique de nos jours », entend-on encore dans Potiche. Si la phrase était justifiée dans la France de 1977 où se déroule le film, elle l’est tout autant aujourd’hui, alors qu’approche à grands pas l’élection présidentielle de 2012. Le dernier Festival de Brive honorait ainsi de son grand prix le moyen métrage La République de Nicolas Pariser, où l’université d’été d’un parti politique se voit chamboulée par l’annonce de la mort du président de la République. Preuve, encore, de cette volonté des cinéastes français de cheminer en terres politiques et de rattraper le retard pris par rapport à leurs homologues anglo-saxons, très prompts à mettre en scène élus de tous bords (In the Loop, W., The Queen, The Ghost Writer…), le long métrage La Conquête de Xavier Durringer, dont la sortie en salles est prévue fin 2011, reviendra sur le parcours de Nicolas Sarkozy avant son accession à l’Élysée – avec Denis Podalydès dans le rôle principal, Bernard Le Coq en Jacques Chirac et Florence Pernel en Cécilia Sarkozy. Ainsi, moins frontalement militant que durant les années 1960 et 1970, mais tout aussi concerné, le cinéma hexagonal semble de nouveau enclin à remplir sa mission de grand art populaire, en concordance avec les priorités d’une des nations les plus politisées qui soit. Cheminots // Un film de Luc Joulé et Sébastien Jousse // Documentaire // Distribution : Shellac // France, 2009, 1h37 // Sortie le 17 novembre Commissariat // Un film de Ilan Klipper et Virgil Vernier // Documentaire // Distribution : Chrysalis Films // France, 2009, 1h24 // Sortie le 10 novembre Ce n’est qu’un début // Un film de Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier // Documentaire // Distribution : Le Pacte // France, 2010,1h35 // Sortie le 17 novembre Dernier Étage, gauche, gauche // Un film d’Angelo Cianci// Avec Hippolyte Girardot, Mohamed Fellag… // Distribution : Memento Films // France, 2010, 1h35 // Sortie le 17 novembre Le Nom des gens // Un film de Michel Leclerc // Avec Jacques Gamblin, Sara Forestier… // Distribution : UGC // France, 2009, 1h45 // Sortie le 24 novembre Potiche // Un film de François Ozon // Avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu… // Distribution : Mars // France, 2009, 1h43 // Sortie le 10 novembre
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« LE CINÉMA EST FAIT POUR LA TRANSGRESSION, LE PUBLIC LE SAIT ET L’ACCEPTE. CELA PERMET DE VOIR LES CHOSES SOUS UN ANGLE DIFFÉRENT. » une chambre en ville, 1982
JACQUES DEMY, L’INTIME ET LE SOCIAL Continuellement relégué à la marge du cinéma français de son vivant, Jacques Demy semble aujourd’hui, vingt ans après sa mort, en occuper le centre : ses films sont réédités, les recherches autour de son œuvre se multiplient et de jeunes cinéastes, à l’instar de François Ozon dans son récent Potiche, le citent abondamment. Alors que la question politique ressurgit dans le cinéma français, il peut être utile de réévaluer son apport dans ce domaine. C’est l’une des nombreuses vertus du beau livre sur Jacques Demy écrit par Olivier Père et Marie Colmant. Une somme iconographique colossale, à laquelle s’ajoute un « Demy-alphabet » conçu par les graphistes M/M, des cartes postales envoyées à titre posthume par Agnès Varda à son amour perdu et des analyses de chaque film. Cet ouvrage rappelle opportunément que le réalisateur des Parapluies de Cherbourg fut l’un des premiers à évoquer la guerre d’Algérie, mais aussi à apporter, dans Une chambre en ville, un regard neuf sur la lutte des classes, associant avec brio la faucille de l’intime au marteau du social. _Ja.Go.
Jacques Demy d’Olivier Père et Marie Colmant (Éditions de la Martinière, déjà disponible)
La République // Un film de Nicolas Pariser // Avec Thomas Chabrol, Alain Libolt… // France, 2009, 35 mn
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98 SCOTT PILGRIM VS QUARTIER LOINTAIN
À LA CROISÉE DES MONDES Deux univers culturels aux antipodes, pour deux films que tout oppose. Quartier lointain et Scott Pilgrim reflètent pourtant, chacun à sa façon, les problématiques soulevées par la réappropriation de la culture nippone par des Occidentaux. _Par Julien Dupuy et Auréliano Tonet
ccusée par certains d’ethnocentrisme, Sofia Coppola était toutefois parvenue, avec Lost in Translation (2004), à montrer combien le Japon fait cohabiter, aujourd’hui plus encore qu’hier, des univers antinomiques. Couple de gaijin («étrangers») déboussolés, Scarlett Johansson et Bill Murray passaient en un instant de la quiétude d’un sanctuaire shinto à la frénésie d’une salle de pachinko ou de karaoké, faisant l’expérience simultanée, dans leurs rapports aux autochtones, de la politesse la plus obséquieuse et de l’exultation la plus enfantine. Une cohabitation des extrêmes que deux films occidentaux parviennent à refléter ce mois-ci : Quartier lointain, adaptation du classique de la bande dessinée signé Jirô Taniguchi, et Scott Pilgrim, inspiré du manga canadien de Brian Lee O’Malley, tentent chacun à leur façon de s’approprier ces deux facettes de la culture nippone.
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je connaissais et appréciais le travail du réalisateur, Sam Garbarski. J’avais d’autant plus confiance en sa capacité à respecter mon œuvre que je voyais très clairement dans ses films le lien entre son univers et celui de Quartier lointain». Belge, d’origine polonaise, né en Allemagne mais travaillant en France, Sam Gabarski avait déjà, avec ses deux précédents longs métrages, Le Tango des Rashevski (2003) et Irina Palm (2007), filmé des intrigues familiales au long cours, s’étendant d’Israël à Melbourne, de Londres à Paris… Il semblait donc le candidat naturel pour adapter Quartier lointain, l’histoire d’un triple voyage, géographique (du Japon à la France), artistique (du manga au cinéma) et temporel: de passage dans son village natal, un homme d’une cinquantaine d’années se retrouve dans la peau de l’adolescent qu’il était à l’âge de 14 ans, juste avant que son père ne quitte le foyer – rupture que le jeune garçon se donne pour mission d’éviter coute que coute.
éPURE Tirer de Quartier lointain un film francophone semblait sur bien des points logique : lui-même imprégné de culture européenne, et notamment des travaux d’Hergé ou de Moebius, Jirô Taniguchi est parvenu avec cette œuvre à anoblir le manga auprès d’une critique française à l’époque très méfiante envers la bande dessinée d’Extrême-Orient. Quartier Lointain fut d’ailleurs le premier manga à être récompensé à Angoulême, en 2003. Sans surprise, le cinéphile Taniguchi a soutenu l’adaptation sur grand écran dès son lancement: «Le fait même que Quartier lointain fasse l’objet d’un film me faisait très plaisir. En outre,
S’éloignant de l’approche hollywoodienne du sujet (Peggy Sue s’est mariée, Code Quantum, Retour vers le futur, L’Étrange Histoire de Benjamin Button…), Gabarski nous confie avoir privilégié une mise en scène «épurée», plus apte selon lui «à souligner l’universalité du manga, à ne pas en trahir l’esprit ». Même si le cinéaste s’est autorisé à glisser çà et là quelques madeleines très personnelles : « La voiture, les polos, la montre… Je me suis beaucoup inspiré de mon propre père. » Ce qui avait le plus plu à Gabarski dans le manga ? « Les moments de temps suspendu. » Sans atteindre la maestria du chef-d’œuvre partiellement autobiographique de Taniguchi, le
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Š Universal Pictures
Š Patrick Muller
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en haut : quartier lointain en bas : scott Pilgrim
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© Patrick Muller
100 SCOTT PILGRIM VS QUARTIER LOINTAIN
quartier lointain
film dispense de belles séquences oniriques et éthérées, jouant sur les effets d’inquiétante familiarité que provoque le voyage du héros. Autres réussites : la retranscription de l’ambiance bien particulière d’un pays cicatrisant les traumatismes de la guerre et le retour purificateur dans une nature enchanteresse. Et puis, il y a cet accord troublant entre le cinéaste et le mangaka sur l’univers musical de Quartier lointain, comme l’a découvert avec bonheur Taniguchi: «J’étais enchanté d’apprendre que le duo Air allait signer la bande originale. Je connais bien leur travail,
imprégné de culture geek japonaise, lui qui dans son sitcom Spaced avait axé tout un épisode autour du classique du jeu vidéo, Resident Evil 2. Cette fois, pour obtenir les droits d’utilisation de la musique de La Légende de Zelda, le réalisateur s’est carrément fendu d’une lettre au siège de Nintendo à Kyoto, expliquant que cette musique était « la berceuse de toute [sa] génération ». Face à une telle déclaration d’amour, les ayants droit du héros, réputés pointilleux, ont aussitôt capitulé… L’un des secrets de la réussite de Scott Pilgrim se
SCOTT PILGRIM S’IMPOSE DÈS SON OUVERTURE COMME UN BOUILLON DE SOUS-CULTURE GEEK VIVIFIANT. et depuis des années je travaille avec leur musique sur mes albums. Je crois même les avoir écoutés durant la conception de Quartier lointain!» AUDACE À l’autre bout du spectre, Scott Pilgrim marque les premiers pas de l’Anglais Edgar Wright chez les majors américaines. Un changement tout relatif pour l’auteur de Shaun of the Dead et Hot Fuzz, puisque, si les capitaux proviennent effectivement d’Universal, le film fut tourné au Canada (contrée natale de l’auteur du manga dont s’inspire le film) et la postproduction menée à Londres. Scott Pilgrim s’impose dès son ouverture comme un bouillon de sous-culture geek vivifiant, comme avait pu l’être il y a quelques années Speed Racer, lui aussi adapté d’un manga (le cinéaste a d’ailleurs fait appel au directeur de la photo attitré des frères Wachowski, Bill Pope). On savait Wright
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cache dans cette démarche : parce qu’il a baigné dans ces univers ultraréférencés, Wright les a parfaitement assimilés avant de les régurgiter dans cet audacieux film expérimental qui conte l’éducation sentimentale du dénommé Scott Pilgrim (remarquable Michael Cera), lancé dans une éprouvante lutte contre les sept ex de sa dulcinée. Plus que pour son intrigue, le film vaut pour sa déferlante de propositions narratives, dont certaines intègrent de façon brillante les archétypes de la japanimation et du jeu vidéo : élargissement de l’espace, ponctuations sonores extradiégétiques des actions, incrustation d’onomatopées à l’image, « vie » supplémentaire accordée au héros… Romance hyperbolique et hyperactive, le film parvient, dans sa fusion véloce de médias et de registres, à retranscrire l’intensité émotionnelle d’une étape primordiale et finalement commune de la vie d’un jeune adulte. On ne s’étonnera donc pas de
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102 SCOTT PILGRIM VS QUARTIER LOINTAIN
POUR POUVOIR UTILISER LA MUSIQUE DE LA LÉGENDE DE ZELDA, EDGAR WRIGHT A EXPLIQUÉ À NINTENDO QU’ELLE EST « LA BERCEUSE D’UNE GÉNÉRATION ». quartier lointain a été publié en France en 2002
TANIGUCHI, EN DOUCE Parallèlement à sa sortie au cinéma, Casterman réédite Quartier lointain dans une version augmentée, et en profite pour publier le premier tome du nouveau roman graphique de Jirô Taniguchi, Les Années douces. Tsukiko, son héroïne, est toujours un peu ailleurs. Comme perdue dans l’une de ses vies antérieures, elle mène une existence flottante. Le célibat lui va bien, pense-t-elle, jusqu’au jour où elle rencontre un vieil homme dans un bar. Une complicité se noue alors. Ils se revoient sporadiquement, partageant au gré du hasard un bon plat arrosé de saké. Adapté d’un roman de Hiromi Kawakami, Les Années douces n’en est pas moins une œuvre typique de Taniguchi : les personnages y font corps avec la nature et les plaisirs sensibles, mais leurs esprits sont déphasés dans le temps. Pour saisir tout le tragique rentré de ce Nelly et Mr Arnaud version nippone, l’auteur de Quartier lointain noie sa ligne claire dans une narration discrètement alambiquée. Percée d’ellipses et de flash-backs, cette histoire d’amour impossible distille un mystère diffus. _E.V.
Les Années douces (tome I) de Jirô Taniguchi et Hiromi Kawakami (Casterman, album déjà disponible)
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constater que Scott Pilgrim est, à ce jour, le seul équivalent live d’un petit classique de la japanimation : Entre elle et lui d’Hideaki Anno (plus connu pour Neon Genesis Evangelion), avec en bonus des révérences envers le rock indé, les comics, les séries (très bel hommage à Seinfeld) et le cinéma d’exploitation dont nous avait habitués Wright. Ce qui permet à cet improbable collage culturel de tenir debout ? Un sens du montage époustouflant, rapprochant avec vitesse et fluidité des scènes, des personnages et des lignes de dialogues a priori sans rapports les uns aux autres. WON IN TRANSLATION « La poésie est ce qui se perd dans la traduction », écrivait Robert Frost dans un poème qui a donné son titre à Lost in Translation de Sofia Coppola. D’aucuns pourront insister, effectivement, sur les failles des adaptations de Sam Garbarski et Edgar Wright. Le film du premier, en transformant le salaryman du manga en auteur de BD, impose une métatextualité dont l’évidence du conte initial se serait bien passé. Par ailleurs, en laissant la question du fantastique en suspens (là où Taniguchi fournissait à son héros deux preuves objectives qu’il avait bien voyagé dans le temps), Gabarski prend le risque de réduire son film à une parabole freudienne un brin pragmatique. Côté Scott Pilgrim, la multiplication des références culturelles et le jeu sur les répétitions (de bouts de phrases, de gags, de duels), s’ils fondent le charme du film, en marquent aussi la limite: aussi séduisante soit-elle, la folle énergie d’Edgar Wright menace constamment de perdre le spectateur, possiblement désemparé face à tant d’informations. Mais ces réserves sont mineures face à ce que prouvent ces deux films, chacun dans un registre opposé (grave, adulte et respectueux pour Quartier lointain; extatique, juvénile et insolent pour Scott Pilgrim): oui, la culture et l’imaginaire nippons gagnent, ici ou ailleurs, à être traduits. Quartier lointain // Un film de Sam Gabarski // Avec Pascal Greggory, Jonathan Zaccaï… // Distribution : Wild Bunch // France-Belgique-Allemagne-Luxembourg, 2010, 1h38 // Sortie le 24 novembre Scott Pilgrim // Un film d’Edgar Wright // Avec Michael Cera, Mary Elizabeth Winstead… // Distribution : Universal Pictures // États-Unis, 2010, 1h52 // Sortie le 1er décembre
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Š Painting by H. J. Ward./Courtesy TASCHEN.
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superman Painting, H.J. Ward, 1940
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75 ANS EN COLLANTS Dans 75 Years of DC Comics, PAUL LEVITZ invite Superman et Batman à souffler les bougies de leur super-éditeur, DC Comics. Ouvrage phénomène de 720 pages riches en illustrations inédites, concocté par un homme qui a travaillé 35 ans pour la compagnie, le livre retrace exhaustivement l’histoire du comic book à travers ses différents âges, crises et succès. Immersion chez les rois du slip moulant. _Par Laura Pertuy
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u commencement était l’âge de pierre. Pour Paul Levitz, c’est en effet Cro-Magnon qui serait l’ancêtre du dessinateur de comic book. Pas si alambiqué, quand on considère que ses rupestreries faisaient déjà rugir la galerie avec des dieux superpuissants mais humains, auxquels s’identifiaient les badauds d’alors, silex au poing. Rien de bien nouveau, donc, quand la version bêta du comic américain invente l’âge de papier de ses héros en 1897, avant de les conduire au format que l’on connaît aujourd’hui, introduit au début des années 1930. C’est Max Gaines, éditeur précurseur, qui a le premier l’idée de plier les
L’ÂGE D’OR : SUPERMAN SAUVÉ DE LA POUBELLE L’autre figure dantesque de la première heure est Malcom Wheeler-Nicholson. Ce militaire reconverti dans les magazines pulp (publications bon marché proposant des fictions diverses) crée National Allied Publications, premiers bégaiements de DC Comics, avec l’idée de publier des séries dessinées inédites. C’est ainsi qu’en 1935 apparaît New Fun, dont les super-héros marquent le début d’une ère autrement révolutionnaire. Mais les retombées de la Grande Dépression de 1929 entraînent vite la jeune entreprise dans la tourmente. Une déroute qui n’échappe pas à Harry Donenfeld, alors prince
LA MONTÉE DU NAZISME IMPOSE SUPERMAN COMME LE JUSTICIER À POINT NOMMÉ. comics en deux afin de les insérer dans les journaux ; ils seront alors principalement utilisés comme bonus promotionnels (un homme aux muscles saillants en sus de votre produit vaisselle, c’est tout de même plus attrayant).Puis, un vendredi, Gaines décide de coller des étiquettes à 10 cents sur un paquet d’exemplaires, avant de les déposer tels quels (sans le journal) dans un kiosque quelconque de New York. Le lundi, tous les exemplaires ont été vendus. La charge héroïque a commencé et ne s’arrêtera plus.
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du pulp, qui en profite pour racheter des parts afin de relancer une machine qu’il pense juteuse. La fusion mènera à la création de Detective Comics en 1937, qui donnera ses initiales à la maison d’édition DC, finalement créée en 1944. La cape de Superman se déploie pour la première fois sur Metropolis en 1938, dans le premier numéro d’un nouveau magazine, Action Comics. Héros échappé de l’imagination de Jerry Siegel, ado bul-
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All star Batman & robin, the Boy Wonder n°6., Jim Lee, 2007
leur et ténébreux, le personnage puise ses origines et sa mission dans les tourmentes d’alors. La montée du nazisme l’impose comme le justicier à point nommé et inspire par la même occasion toute une génération de dessinateurs. Et dire que les 13 pages des toutes premières aventures du super-héros furent sauvées de la corbeille par Vin Sullivan (dessinateur et éditeur de DC, visionnaire… ou chanceux), inquiet de voir une rubrique de son journal laissée à l’abandon. Le succès du double de Clark Kent amorce ce qui est aujourd’hui désigné comme l’âge d’or des comics, une période marquée par l’avènement du support comme forme d’art populaire, alors même que se définissent les codes qui en assureront la pérennité. Une fois l’archétype du
rière d’Hitler à l’envi ou se régalent de fricassées japonaises pas bien catholiques. La bombe atomique marquera elle aussi l’univers DC, puisqu’on retrouve vite Atom Man et Atomic Thunderbolt dans des scénarios où leurs pouvoirs nucléaires les aident à dézinguer du gros vilain, tandis que la kryptonite, verte faiblesse de l’ami Superman, rappelle les dangers de la radiation atomique qui paralyse alors bien des foyers outre-Atlantique. L’ÂGE D’ARGENT : RELIFTING ET PSYCHOLOGIE Cette période de gloire s’achève au détour des années 1950, berceau de lecteurs d’une autre trempe, attirés par la montée en puissance du crime véreux et des histoires d’horreur. À l’âge d’argent, la
BATMAN DÉBARQUE À LA TÉLÉVISION EN 1966 ET TABASSE DES MÉCHANTS PSYCHÉDÉLIQUES À COUP D’ONOMATOPÉES STYLISÉES. super-héros esquissé, on retrouve les protagonistes majeurs de DC dans de folles aventures : Superman, Batman, Flash, Captain America, Wonder Woman ou encore Green Lantern (à ne pas confondre avec Green Hornet, prochainement porté à l’écran par Michel Gondry) se castagnent sans vergogne sous les yeux de lecteurs très vite fidélisés. Tous créés en l’espace de quelques années, ces héros forment le terreau de l’empire DC. Reflet des bouleversements d’un monde en guerre, les comic books se font alors souvent le porte-drapeau d’une Amérique en lutte : ses héros combattent les forces de l’Axe lors de la Seconde Guerre mondiale, bottent le der-
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notion de super-héros s’estompe pour laisser place à des considérations plus sombres, qui collent aux angoisses de l’Amérique de l’après-guerre. Des personnages aux prises avec la drogue et la délinquance apparaissent et déclenchent une polémique: les comics sont accusés d’incitation au délit. En 1954, les éditeurs, eux-mêmes, sous pression, créent le Comics Code Authority pour encadrer les publications (pas de tabac ni d’alcool; le bien doit toujours triompher, etc.). Ainsi autocensuré, le superhéros vertueux reprend du poil de la bête. DC en profite pour relancer Flash dans une nouvelle version, chargée de répondre aux Quatre Fantastiques lan-
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La couverture du n°30 de Flash Comics par e.e. Hibbard, 1942
La couverture du n°21 de Wonder Woman par H.G. Peternuary, 1947
cés par Marvel, éminente maison concurrente créée en 1939. Le combat continue encore aujourd’hui, même si les deux éditeurs défendent une vision bien différente. Chez DC, on s’aime et on s’allie contre le gros méchant tout jaune en slip kangourou et coiffé d’un bandana pas vraiment raccord. Chez Marvel, méfiance et sauvagerie priment; on teste son congénère avant de l’adopter. Les créateurs de Spider-man et Hulk prônent une atmosphère noire qui plonge le lecteur dans l’attente d’une résolution porteuse de sens : qui des deux héros remportera la victoire? Y’a du chicot qui vole dans les airs, du laser bien pensé et des éclairs dans ta face: rien à voir avec la politique aux accents pacifistes de DC.
retour du personnage de Green Lantern, désormais bien loin de son optimisme naïf des sixties. En 1972, pendant que Finkielkraut balbutie ses théories sur Mai-68, notre super-héros balance une réflexion qui fait frémir les ados en pleine fronde anti-guerre du Vietnam : « J’étais jeune, si certain de ne pouvoir commettre aucune erreur ! Mais j’ai changé… Je suis plus vieux maintenant, peut-être plus sage, bien plus malheureux en tout cas. » Avec la girlfriend de Spider-man qui rend l’âme dans la foulée, les beaux jours de l’Amérique galvanisée par des super-héros tonitruants semblent loin.
À l’âge d’argent, le retour en force du super-héros ne signifie toutefois pas la reprise des codes qui en ont fait un mythe. L’homme en collants est alors chatouillé par des pulsions que la bienséance réprouve. Il interroge son environnement comme les pouvoirs qui lui ont été attribués. En bref, il doute. Ses copains de galère (Green Lantern, Wonder Woman…) vont, eux aussi, être repensés à l’aune des changements sociopolitiques qui bouleversent les États-Unis. Seuls leurs noms demeurent inchangés dans le relifting de masse qui s’opère sur les costumes et sur les identités, approfondies par une psychologie en béton armé. Le lecteur peut désormais trouver des explications scientifiques aux agissements du héros dont il suit les aventures. N’en déplaise à certains, la trame des comics s’annonce plus sophistiquée, en réponse à un lectorat demandeur d’explications rassurantes et de conclusions rationnelles après l’horreur de la guerre. Une mutation qui va jusqu’au défaitisme, symbolisé par le
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L’ÂGE DE BRONZE : BATMAN REVIENT Mais de défaitisme, point trop n’en faut. Batman débarque à la télévision en janvier 1966 et tabasse des méchants psychédéliques à coup d’onomatopées stylisées: les «boum», «paf» et « pan» intègrent l’imagerie télévisée des super-héros (une esthétique plus que vivace aujourd’hui, des clips de Lady Gaga au Scott Pilgrim d’Edgar Wright). L’âge de bronze signe l’avènement d’un naturalisme relativement sombre, où les super-héros font face à leurs propres limites. C’est l’époque où Jack Kirby (auparavant chez Marvel) et Neil Gaiman (The Sandman), grands noms du roman graphique, rejoignent les rangs de DC. Le premier lance The Fourth World, où l’on retrouve l’opposition millénaire entre le bien et le mal incarnée dans deux mondes ennemis. L’arrivée d’histoires où la cohérence des détails socioculturels est avérée inscrit peu à peu le comic book dans une ère nouvelle, qui s’attaque à des thèmes toujours plus matures. Le modèle du genre est le Dark Knight Returns de Frank Miller (1986), dont l’anti-héros, aux prises avec des considérations bien ancrées dans la société d’alors, fait écho aux Watchmen d’Alan Moore et Dave
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AVEC DARK KNIGHT RETURNS DE FRANK MILLER EN 1986, LA CRITIQUE COMMENCE ENFIN À CONSIDÉRER LE POTENTIEL LITTÉRAIRE DES COMICS. LES SUPER-HÉROS À L’ASSAUT DU MK2 BIBLIOTHÈQUE À peine inauguré, le concept-store du MK2 Bibliothèque s’enorgueillit déjà d’accueillir la bête : 75 Years of DC Comics y est en effet fièrement exposé à côté des grands titres du catalogue Taschen. Une bonne occasion de se replonger dans les péripéties de vos super-héros et dessinateurs préférés. À cela s’ajoute, du 10 au 24 novembre, un cycle de films qui fera la part belle aux adaptations de comics sur grand écran, signées Tim Burton, Christopher Nolan ou Sam Raimi. Seront programmées (sous réserve) les sagas Batman et Spider-Man, mais aussi Watchmen de Zack Snyder. Pour ceux qui ne seraient pas encore rassasiés, le collectif artistique MyFace lance une collection unique d’œuvres mettant en scène les super héros DC. Des artistes de différentes nationalités ont pour cela réinterprété le mythe en numérique à l’occasion d’un concours. À découvrir dans trois galeries parisiennes (MyFace, Wanted et Devos) jusqu’à la fin du mois de décembre. _L.P. Cycle super-héros, du 10 au 24 novembre au MK2 Bibliothèque
Gibbons, publiés la même année. Miller imagine un graphisme puissamment retors, influencé par l’esthétique manga et défini par une syncope des mouvements que propose un découpage inédit. Les Watchmen, quant à eux, imposent une grille en neuf cases parcourue par une signature graphique unique : des couleurs au rayonnement faible qui s’approprient l’action et en indiquent la gravité. La psychologie des héros s’insère comme un fil rouge dans ces récits au suspense sophistiqué, marque de fabrique du label Vertigo (American Splendor, Doom Patrol…) lancé par DC. La critique ne s’y trompe pas et commence enfin à considérer le potentiel littéraire des comics. Et les dessinateurs underground de suivre la voie défrichée en s’attaquant au format comics. On voit alors émerger le célèbre Maus (1986) d’Art Spiegelman ou Robert Crumb et son truculent Mes femmes (1989). Désormais, le lecteur s’attache autant à l’auteur du livre qu’au héros : on ne parle plus de comics, mais de roman graphique. L’ÂGE MODERNE : MÉTAMORPHOSE NUMÉRIQUE Alors que débutent les années 1990, l’anti-héros est devenu une valeur sûre, comme le prouve le succès du Daredevil de Frank Miller. Le réalisme émotionnel gagne encore du terrain: à l’utilisation de pouvoirs extraordinaires pour faire le bien, on substitue un élan psychologique profond justifiant la destruction de criminels. Les bad guys eux-mêmes sont dotés de traits plus ambigus, moins définitifs, à l’image du Joker, dépeint comme un psychopathe ne pouvant contrôler ses actions. Le succès des films tirés de comics, Batman et Superman en tête, permet à DC de trouver un nouveau public tout en menant à d’autres adaptations (V pour Vendetta, Constantine, Watchmen…) et à des séries télé (Smallville, Birds of Prey…). La métamorphose permanente de la figure du super-héros reste essentielle pour assurer la continuité des aventures de chacun. Le passage à l’âge numérique (les webcomics) engage déjà un remaniement du genre sur des thématiques liées à notre époque. Les capes sillonnent toujours royaumes du vice et cités visionnaires alors que Paul Levitz referme son ouvrage, témoin d’âges successifs, tous porteurs d’un empire en constante réinvention. 75 Years of DC Comics de Paul Levitz (Taschen)
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ÉBATS, DÉBATS, CABAS : LA CULTURE DE CHAMBRE A TROUVÉ SON ANTRE
« LES COMIQUES EXISTENT POUR FAIRE RIRE. POINT. » PIERRE ETAIX
© Arte France
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DVD-THèQUE
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CD-THèQUE
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PIERRE ETAIX coffré
FLORENT MARCHET, premier de cordée
BIBLIOTHèQUE
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BD-THèQUE
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ANTOINE BELLO mène l’enquête
Les bas-fonds tokyoïtes vus par TAKASHI FUKUTANI
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112 LE BOUDOIR /// DVD-THÈQUE
Le Grand Amour, 1969
GAGS RÊVÉS REVOILà L’ETAIX L’inclassable PIERRE ETAIX, réalisateur, acteur, dessinateur, clown et poète, revient sur le devant de la scène. Tour de piste complet à l’occasion de la publication miraculeuse de l’intégrale de ses films, après plus de vingt ans de bataille juridique. _Par Laura Tuillier
En juillet dernier, dans les salles fraîches du Quartier Déjà, ce premier film porte la patte Etaix, celle d’un latin, ceux qui n’étaient pas partis en vacances ont pu comique fou de cinéma. Car s’il n’abandonne jamais s’échapper à travers la filmographie de Pierre Etaix. le cirque – Yoyo lui rend hommage en 1964 –, ses films Cinq longs métrages et trois courts, restaurés sous la échappent au piège du gag boulevardier. Son travail direction du réalisateur, dessinaient le porsur le son, la tonalité des voix, le point de vue trait d’un artiste qui cultive l’humour comme (la scène devient muette pour le spectad’autres l’élégance, avec flegmatisme et un teur dès lors que le héros enfile ses boules soupçon de fatalisme. Ceux-ci, et d’autres, Quies), tout chez lui témoigne d’une volonté sont aujourd’hui rassemblés dans un très de faire jaillir le rire d’une utilisation fine du riche coffret DVD qui s’ouvre sur ces mots : cinématographe. C’est d’ailleurs le sens « Les comiques existent pour faire rire. Point. » de son duo inusable avec le scénariste Une façon de décrire la modestie pratiJean-Claude Carrière, qui leur vaudra un quée par Pierre Etaix, croyance en la force Oscar pour Heureux anniversaire en 1963. du rire léger, sans arrière-pensées. Enfant L’importance donnée à l’histoire, à la jusde la balle, héritier des maîtres du slap tesse des personnages et des situations L’intégrale Pierre Etaix stick américain (de Buster Keaton à Laurel (Arte Éditions, coffret affine encore la veine comique du réalisateur, et Hardy), il ne renie pas pour autant la 5 DVD déjà disponible) lui ouvrant la voie vers quelque chose de tradition du gag à la pelle. D’ailleurs, sa plus essentiel. Avec Carrière, Etaix le clown silhouette en noir et blanc n’est pas sans rappeler fait des films de rêveur. Les passages oniriques du celle de Chaplin, et toute son œuvre témoigne d’un Grand Amour ne sont pas sans rappeler Belle de attachement à la période du muet, art de faire de jour, dont Carrière cosigne le scénario deux ans plus chaque mot un gag. Pierre Etaix a débuté comme tôt. Il se dégage de leurs héros – dans lesquels on assistant de Jacques Tati pour Mon oncle, avant reconnaît systématiquement Etaix – un léger désespoir, de passer rapidement derrière la caméra avec quelque chose comme une pudeur qui estime le rire Le Soupirant, l’histoire d’un garçon qui se voit forcé par pour ce qu’il permet de cacher. Une œuvre sur le fil ses parents de tomber amoureux. qu’Etaix l’équilibriste place très haut.
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LES AUTRES SORTIES L’ANGE OUBLIÉ
qUATRE FILMS de Frank Borzage (Carlotta Films) Prolifique, multi-oscarisé, Frank Borzage est certainement l’un des cinéastes les plus romantiques de la première moitié du XXe siècle. Puisant à la fois dans le mélodrame (les malheurs pathétiques de l’héroïne de L’Heure suprême) et dans le surréalisme (la domination de l’amour fou sur les contingences de la vie et de la mort), il signe des chefs-d’œuvre du cinéma muet, avant que le parlant ne lui suggère une veine plus comique. L’interprétation époustouflante d’expressivité de ses deux acteurs fétiches, Janet Gaynor et Charles Farrell, contribue à donner à ses films une touche singulière. Ce coffret réunit quatre de ses chants d’amour, avec ce qu’il faut de tragique pour décupler l’émotion. _L.T.
GENèSE D’UN MYTHE LA NAISSANCE DE CHARLOT, coffret 4 DVD (Arte Éditions) Divisé en quatre parties, ce coffret rassemble des trésors comiques jusqu’alors méconnus du public puisque disséminés aux quatre coins du monde dans des versions incomplètes et de piètre qualité. Chaplin débute alors sa carrière cinématographique aux studios Keystone, où il tournera près de 35 films, et ce sont ces années qui sont retracées ici, dans des moyens métrages d’une grande variété et d’un comique irrésistible, tous accompagnés par des compositions musicales originales. Au vu des élans burlesques mâtinés de mélancolie proposés par Charlot dans ces dix heures de film, on se dit que toute l’essence de son talent était déjà là en 1914. _L.P.
LE COUP DE CŒUR DU VENDEUR HUILLET ET STRAUB - VOLUME 5 de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub (Éditions Montparnasse) Les Éditions Montparnasse publient un cinquième coffret consacré à l’œuvre de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Mais la particularité de cette nouvelle parution réside dans le fait que la plupart des films réunis ici sont en fait des documentaires consacrés au travail du couple de cinéastes, parmi lesquels se trouve le sublime Où gît votre sourire enfoui ? de Pedro Costa. Répétitions, tournage, montage, interrogations; ces films nous immergent dans le processus de création d’une œuvre injustement tenue pour austère, mettant en lumière une approche certes rigoureuse et intransigeante, mais aussi sensible et charnelle, à l’image de leur cinéma. _Florian Guignandon, vendeur au MK2 Quai de Loire
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© Matthieu Dortomb
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PISTES FRANCHES FLORENT MARCHET, PROFESSION TOPOGRAPHE Après avoir battu la campagne à Gargilesse et inventé la ville de Rio Baril, le chanteur nomade part prendre le frais sur les hauteurs de Courchevel. Et continue de décortiquer la France avec élégance, pudeur et un sens aigu de l’orientation. _Par Laura Tuillier
« Les lieux, imaginaires ou pas, sont comme les points « Souvent, j’ai eu honte d’être chanteur. Dans mon d’ancrage de mes chansons, pour moi qui me sens village natal, pour déconner, les gens me saluaient souvent en exil.» Lorsque Florent Marchet a déserté son en disant “ça va, Florent Pagny ?”… » Pour vaincre le Berry natal pour suivre sa voie vers la musique à Paris, il doute et ne pas seulement regretter Boris Vian et a fait l’expérience marquante du déracinement: «Mes les sixties, Florent Marchet rend parfois visite à ses morceaux évoluent toujours autour des mêmes contemporains, Dominique A, Arnaud Fleurentthèmes, dit-il aujourd’hui. La sensation d’être un étranDidier, Benjamin Biolay. « Ils me rassurent. Et je me dis ger chez soi, la volonté de lever les barrières, qu’elles qu’il faut continuer. » Pour cela, le chanteur s’est soient sociales ou artistiques.» Ses deux construit un refuge, le studio Nodiva, où premiers albums, Gargilesse (2004) et Rio il a enregistré Courchevel. « J’ai une Baril (2007), ont été enregistrés dans les machine à café dans le studio, ça favomaisons de campagne d’amis bienveilrise les rencontres. » Les musiciens de lants, en solitaire ou presque. Ses bousSyd Matters et le percussionniste malien soles ? « Je pars de fulgurances, de choses Mamadou Prince Koné sont venus improinconscientes ; je réorganise ensuite mes viser avec lui sur Courchevel. Il y a égalebouts de mélodies et mes paroles. » En ment composé et produit deux minisociologue esthète et topographe, Florent albums de La Fiancée, la promettant ainsi Courchevel de Florent Marchet Marchet bâtit des ponts entre les classes à de beaux débuts. Jane Birkin a (PIAS France) (remarquable chanson-titre), les humeurs à son tour fait halte dans son repère, et les disciplines, à l’image de Frère animal, un spectale temps d’enregistrer pour ce troisième album le cle-disque monté avec l’écrivain Arnaud Cathrine. Pour duo aéroportuaire Roissy. Florent Marchet semble Courchevel, c’est le photographe Anthony Goicoléa aujourd’hui avoir moins peur de se laisser griser par qui signe la pochette, dans un décor de chalet sa musique. Il l’avoue, « il faut lâcher prise » pour faire décalé. Auparavant, Rio Baril puisait dans le cinéma, corps avec elle. Abandonnant le parlé-chanté de des westerns de Clint Eastwood à Dogville de Lars Von Trier. ses premiers albums, il grimpe vers les sommets, Courchevel serait davantage tourné vers les musiques chante haut et fort, s’aventure Hors-piste. Qu’il se de films, celles de Magne, de Colombier, de Goraguer. rassure, la voix est libre.
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LES AUTRES SORTIES ÉCHAPÉE BELLE THE TRIP de Laetitia Sadier (Drag City / PIAS) NOT MUSIC de Stereolab (Duophonic / PIAS) Après 18 ans de recherches et 10 albums-éprouvettes, Stereolab s’accorde une pause depuis 2008. Sa chanteuse Laetitia Sadier en a profité pour se lancer dans un beau voyage en solitaire. The Trip est un cheminement introspectif sur les traces mnésiques d’une petite sœur disparue, et au passage une affirmation de l’identité de la musicienne (exit le pseudo Monade), laissant sa marque sur des paysages nostalgiques (rondeur des basses, grain vintage), où la mélancolie est paradoxalement (rêveusement) lumineuse. Dans le même temps nous parvient Not Music de Stereolab, chutes de studio de 2007 transformées en petits hits kraut-post-pop à la joliesse toujours formaliste, qui souffrent donc un peu de la comparaison. _W.P.
SCèNES SOUTERRAINES CORRESPONDANCES de C.Sen (Only Music) Dans sa jeunesse, C.Sen fut graffeur métropolitain. Devenu MC sensé, le garçon change de wagon mais pas de ligne directrice – underground, quand tu nous tiens (train). Sur son premier album, ça jacte concis, ça éructe érudit : plume poids lourd, missives impossibles, euphonies euphoriques, en 12 titres cintrés et pliés sur portemental qui déciment les tics en toc sociaux des Malik ou Malade. Parisien d’un 18 sur 20, où l’on se colle une frite en sirotant une 8.6 entre deux grecs, les scènes de C.Sen saignent la frustration et l’envie d'un microcosme moins merdique. La chanson demande « bien ou bien ? ». Nous, on a retiré le point d’interrogation. _E.R. et A.T.
COULEURS CHANGEANTES CEMENT POSTCARD WITH OWL COLOURS de Phantom Buffalo (Microcultures / Socadisc) Traduction littérale d’une chronique française de leur remarqué Shishimumu (2004), cette «carte postale de ciment avec des couleurs chouettes » porte bien son nom : baladeur et versatile, le troisième album de ces Bostoniens dadaïstes mais cohérents, se (dé)compose en paysages changeants, de pluvieux à tempéré, passant du coq à l’âne et de l’œuf à la poule comme autant d’étapes dans la reconstruction d’un puzzle mathématique et psychédélique, fractal entre ligne claire (découpe et distinction) et borderline (variations d’humeurs, échos, delays), comme le chant androgyne,un peu faux de Nico. On aime suivre le fil de ces fils du Velvet et de Pavement, les mélodies comme des petits cailloux. _W.P.
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© Hé́lie Gallimard
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ENQUÊTE DE SENS ANTOINE BELLO REVISITE LES CODES DU POLAR ANTOINE BELLO revient avec Enquête sur la disparition d’Émilie Brunet, un policier ludique en forme d’hommage à Agatha Christie. Et s’impose comme l’écrivain français le plus virtuose du moment. _Par Bernard Quiriny
Derrière son look sage et son curriculum vitae en béton (il a jadis fondé une société qui vend des services techniques aux salons et conférences), Antoine Bello, 40 ans tout juste, cache une habileté remarquable. Une virtuosité d’écrivain qui lui permet de créer des scénarios alambiqués et de pousser jusqu’au bout un esprit ludique plutôt rare dans la littérature hexagonale. S’il fallait lui trouver des inspirateurs, on les chercherait dans la tradition borgésienne (la cérébralité, le goût de l’abstraction, l’amour des livres), chez Marcel Aymé (dont il est l’arrière-petit-neveu) ou au cinéma, dans les intrigues millimétrées d’Alfred Hitchcock et les emboîtements mégalomanes de Christopher Nolan.
auquel le roman ne cesse de faire référence, au point de devenir une sorte d’essai théorique par la bande. Voici donc Achille Dunot, propriétaire d’un chien nommé Hastings (!), mari attentif et détective incomparable, chargé d’éclaircir la disparition d’Émilie Brunet, une riche héritière. Les soupçons se portent vite sur Claude Brunet, son mari, scientifique pervers, diaboliquement intelligent et grand connaisseur de littérature policière. Le handicap de Dunot, c’est qu’il est atteint d’«amnésie antérograde»: depuis un accident, il n’emmagasine plus aucun souvenir et se réveille chaque matin en ayant oublié les événements de la veille. Pour l’enquête, il doit donc tout consigner dans un journal qu’il relit jour après jour, en Enquête sur la disparition Après l’immense entreprise des Falsificateurs, d’Émilie Brunet d’Antoine n’en sachant jamais plus que le lecteur… Bello (Gallimard, roman) méditation en deux tomes sur la supercherie Une idée géniale à partir de laquelle Bello et la réécriture de l’histoire, couronnée par le prix France construit une partie de poker mental entre Dunot et Culture Télérama, Antoine Bello revient aux amours Brunet, pleine de mise en abymes et de commenpolicières qui lui avaient inspiré en 1998 un étonnant taires sur le genre policier en général (« Un bon polar abstrait, Éloge de la pièce manquante. Mais ce roman policier ne dépasse pas 250 pages »… celui-ci qui fascine Bello dans le policier, ce n’est pas la mytho- en faisant 252) et sur Christie en particulier, dans une logie du détective, c’est la structure logique du récit, la ambiance de pastiche feutré qui rappelle la délicieuse mise au défi des intelligences. « L’esprit du jeu », Heure zéro de Pascal Thomas… et qui se contredit comme dit le narrateur d’Enquête sur la disparition elle-même en violant méthodiquement ses règles. d’Émilie Brunet. On est ici dans la veine d’Agatha Christie, Jubilatoire, une fois encore.
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LES AUTRES SORTIES ÉCHOS DE PYONGYANG VIES ORDINAIRES EN CORÉE DU NORD de Barbara Demick (Albin Michel, roman) À l’heure où s’organise la transmission du pouvoir dynastique entre Kim Jong-il et son fils Kim Jong-un, la Corée du Nord n’en finit plus de fasciner et d’effrayer. Dans le dernier pays stalinien du monde, version asiatique du royaume d’Ubu, le culte de la personnalité et la paranoïa totalitaire sont poussés au quotidien jusqu’à l’absurde. Correspondante du L.A. Times en Chine après un passage par Séoul, la journaliste américaine Barbara Demick a recueilli les témoignages de Nord-Coréens en exil, qui décrivent les vies broyées, l’endoctrinement et la surveillance policière. Un livre captivant qu’on lit comme un roman, où la réalité dépasse hélas systématiquement les fictions les plus folles. _B.Q.
LES ILLUMINATIONS DE GREGOR DES ÉCLAIRS de Jean Echenoz (Les Éditions de Minuit, roman)
Pour clore avec éclat sa trilogie de fictions biographiques (après Ravel en 2006 et Courir en 2008), Jean Echenoz s’empare très librement de la vie de Nikola Tesla (1856-1943) alias Gregor, inventeur américain d’origine serbe, reconnu pour sa contribution au champ de l’énergie électrique. Ce conte à l’allure folle et elliptique épouse le rythme des idées de Gregor, éclairs et fulgurances donnant naissance à des inventions rarement achevées. Car ce génie aime admirer et faire admirer la beauté de l’idée, mais se soucie peu de ses paramètres matériels et sociaux. L’albatros court ainsi le risque de finir seul, fauché et phobique, avec pour uniques compagnons quelques pigeons. _A.L.
LE CINÉ-LIVRE LE CINÉMA PAR CEUX QUI LE FONT d’Yves Alion et Gérard Camy (Nouveau Monde, entretiens)
Un film ne se fait jamais seul, il se réussit toujours à plusieurs.Yves Alion (rédacteur en chef de L’Avantscène Cinéma) et Gérard Camy (critique et historien du cinéma) se sont infiltrés sur les plateaux de tournage et ont rencontré ceux qui y travaillent. Monteur, costumière, ingé-son, acteur, machiniste, réalisateur : des casquettes les plus célèbres aux postes les plus confidentiels (ventouseur, ça vous dit quelque chose ?), chacun livre quelques secrets de fabrication. Alain Corneau, Francis Lai, Alain Attal et bien d’autres racontent leurs collaborations fructueuses, leurs galères marquantes, leurs meilleurs souvenirs. Des entretiens de passionnés de cinéma, d’un bout à l’autre de la bobine. _L.T.
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© Takashi Fukutani & Le Lézard Noir
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TOKYO ZÉROS PLONGÉE DANS LES BAS-FONDS DE LA CAPITALE JAPONAISE Le deuxième tome du génial Vagabond de Tokyo de TAKASHI FUKUTANI, culte au Japon mais arrivé tardivement en France, paraît enfin. Un portrait noir et nocturne des laisséspour-compte de Tokyo, qui cache une mystérieuse beauté. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)
L’an dernier, le premier tome du Vagabond de Tokyo Au fond, c’est ce qui donne au livre toute son énergie: débarquait de quasiment nulle part. Avant cette édi- par son dessin et les mimiques qu’il insuffle à ses persontion française, due au Lézard Noir, on n’avait jamais nages, Fukutani se place à la frontière du slapstick et du entendu parler de cette bande dessinée frénétique. dessin animé, présentant souvent les corps qu’il dessine Dépeignant un Tokyo disparu qui pourtant ne remonte comme s’ils étaient aux limites de leurs possibilités. qu’aux années 1980, la série signée Takashi Se dégage ainsi de ses histoires une Fukutani émerveille par son subtil dosage forme très particulière de chronique sociale, entre humour et tristesse, absurde et misère oscillant entre la dépression et l’euphorie, sociale. Elle met en scène un personnage, disséquant une succession d’humeurs et qui en cache plusieurs autres, habitants de situations qui aboutissent toutes à la pauvres d’une résidence qui ressemble peinture assombrie d’un Tokyo nocturne, davantage à un squat qu’à un immeuble dans lequel hommes et femmes se croisent neuf. Ce héros, que l’on dit calqué sur l’audans un cirque perpétuel, fait d’alcool, de teur même (l’une des histoires du premier rencontres sexuelles impromptues – et sont volume était autobiographique), amuse tous habités par ce même désir d’améliorer par ses pérégrinations les plus minables Le Vagabond de Tokyo leur vie. Sans jamais y parvenir. Car, tout possibles: sans le sou, il cherche par tous les de Takashi Fukutani (Le Lézard Noir) bien pesé, cette vie est bien plus excimoyens à gagner un peu d’argent, mais ne tante que celle, uniforme, que mènent tous les nanparvient qu’à dilapider les quelques yen accumulés. tis encravatés qu’ils croisent. Cette vision très acérée Tout cela fleure bon la gaudriole et vaut surtout par l’œil de la capitale japonaise contraste joliment avec un aiguisé de Takashi Fukutani, qui dépeint ses person- autre manga publié au même moment chez le nages à la manière d’un Balzac du pauvre, cherchant même éditeur : La Chenille, de Suehiro Maruo. Dans à capter ce qui constitue l’essence même des rapports ce livre, c’est encore un autre Japon que l’on entre les marginaux qu’il dessine, leur façon de s’inscrire découvre, baigné de pratiques sexuelles génétiquedans une société qui va de plus en plus vite et les ment déviantes et graphiquement géniales. En deux livres, le manga nippon actuel se découvre : rugueux, laisse sur le carreau, habilités à se noyer dans le saké malséant, excitant. plutôt qu’à s’insérer dans un monde qu’ils regardent filer. NOVEMBRE 2010
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LES AUTRES SORTIES LE CONTE HORRIFIqUE
QUARANTAINE de Sam Rictus (Les Requins Marteaux) On connaissait le travail de Sam Rictus pour l’avoir croisé dans les publications en sérigraphie de l’éditeur marseillais Le Dernier Cri : visions d’enfer, entre abstraction et horreur déviante. Ici, le dessinateur livre une histoire aux influences médiévales, évoquant les films de la Hammer et les contes horrifiques que l’on murmure aux enfants pas sages. Son trait est noir, charbonneux et dense, parfois sous influence (on reconnaît les échos de Stéphane Blanquet et Charles Burns), mais le plus souvent purement effrayant et ensorcelé. Un jeune auteur à suivre. _Jo.Gh.
LE RÉCIT PSYCHÉDÉLIqUE METI d’Aapo Rapi (Rackham / Le Signe Noir)
Petit récit tout en couleurs et formes évoquant les dessinateurs psychédéliques des années 1970, ce Meti est une occasion idéale pour découvrir le travail d’Aapo Rapi, artiste Finlandais dont l’art frappe tout de suite l’œil. Sa précision graphique, alternant moments réalistes et percées onirique, forme un portrait saisissant de femme perdue. Coloré, délicat, marquant et précieux. _Jo.Gh.
L’ALBUM JEUNESSE COULEURS DU JOUR de Kveta Pacovska (Les Grandes Personnes)
Ce qu’il y a de bien avec l’automne, c’est qu’il fait apparaître sur les tables des libraires des livres-objets pour enfants (qui régaleront également les yeux des adultes) absolument magnifiques. Nous retrouvons ici l’illustratrice d’origine tchèque Kveta Pacovska avec un petit objet noir de prime abord, qui révèle à l’intérieur un accordéon qui, en se dépliant, laisse éclater les couleurs chères à l’auteur: le rouge, le noir, le blanc, une pointe d’argent ou de rose fluo, des découpes, des volumes… Signalons également, chez le même éditeur, les très beaux albums Oxiseau et Axinamu de Francesco Pittau et Bernadette Gervais, ainsi que Tout blanc et Tout noir d’Annette Tarmarkin et À toi de jouer de Claire Dé. _Sophie Quetteville, libraire au MK2 Quai de Loire
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120 TRAIT LIBRE
JIM MORRISON, POÈTE DU CHAOS DE fRéDéRIC BERTOCCHINI ET JEf (EMMANUEL PROUST ÉDITIONS, ALBUM DÉJÀ DISPONIBLE) Ricochet rock’n’roll pour les Doors après le biopic que leur avait consacré Tom DiCillo (When You’re Strange) en juin dernier. Jim Morrison, épicentre de ce roman graphique en noir et blanc, revient sur ses jeunes années quelques jours avant sa mort, en 1971. Le souffre de concerts achevés le nez dans la blanche chatouille la gorge du poète, ici croqué entre euphorie et brusques éclats, bercé aussi par le grand amour de sa vie qui parcourt la mélancolie de ces sombres pages. Waiting for the sun, probablement. _L.P.
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122 122 SEX TAPE /// L’INSTANT ÉROTIQUE
NO COMMENT
Nicolas Comment est photographe. Un soir, bloqué dans Berlin, il a l’impression de se trouver face à un « mur du son » près duquel planent Lou Reed, Iggy Pop, David Bowie… Il le franchit, jusqu’à cette silhouette dont les formes évoquent une guitare faite femme. Comment fait alors de la beauté une apparition, du nu une énigme. Son errance urbaine lui inspire un livre-disque dédié à la ville, Est-ce l’Est. Début novembre est sorti un deuxième opus produit par Marc Collin (Nouvelle Vague), où musique (La Ferme en flammes, hommage à Manset) et cinéma (Je te vœux, hommage à Bresson) s’accordent. Comment? Avec sensualité, romantisme et amour du mystère. _L.T. // Nous étions Dieu de Nicolas Comment (Kwaidan, album déjà disponible) Photographie extraite du livre-album Est-ce l’Est (Berliner Romanze) de Nicolas Comment (Éditions Filigranes, 2008)
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