Trois Couleurs #88 – Février 2011

Page 1

FéVRIER 2011

88

CINéMA CULTURE TECHNO

by

NATALIE

PORTMAN

DIRTY DANCING





GRAND BAIN On se souvient de Natalie Portman, adolescente chétive, ensanglantant son bain dans Heat de Michael Mann (1995). On se souvient de Natalie Portman, femme fatale opiniâtre, séduisant, dentifrice à la main, Jason Schwartzman en ouverture de Darjeeling Limited de Wes Anderson (2007). On se souviendra, de même, de Natalie Portman, ballerine vieillissante, pourchassée par ses doubles dans les salles d’eau de Black Swan de Darren Aronofsky (2011). Voilà, peut-être, l’idée la plus inventive du réalisateur de The Wrestler : dans Black Swan, le lac du cygne Portman, c’est sa baignoire, où la danseuse s’ébroue contre ses pulsions autodestructrices. Filmer avec lyrisme une banale scène d’intérieur ; jeter un regard intime, en retour, sur la préparation du plus grandiose des ballets : c’est en dosant habilement ses entrechats qu’Aronofsky parvient à trouver la bonne cadence, ni trop pompière, ni trop feutrée, détournant les codes du film d’horreur, de danse ou d’apprentissage au profit d’une réflexion très personnelle sur l’usure des corps, la cruauté du spectacle et le caractère obsessionnel de nos comportements. Maître avoué d’Aronofsky, et plus avant de toute la génération de cinéastes formalistes qui, de Christopher Nolan à David Fincher, déstabilise ces temps-ci Hollywood, Stanley Kubrick a lui aussi célébré les noces de la danse et du cinéma. Explicite dans Le Baiser du tueur, cette union irrigue, en sous-main, toute l’œuvre de l’Américain, qui semble entièrement vouée à chorégraphier ce qui éloigne l’homme de son humanité, et le rapproche de la bête ou de la machine. On ne s’étonnera pas, dès lors, de retrouver dans tous les films de Kubrick, à partir des Sentiers de la gloire, des scènes de toilette, de la tuerie de Full Metal Jacket au bain d’Orange mécanique, où le héros chantonne Singin’ in the Rain. « Par le chant et la danse, l’homme manifeste son appartenance à une communauté supérieure ; […] il se sent dieu, il circule luimême extasié, soulevé, ainsi qu’il a vu dans ses rêves marcher les dieux », écrit Nietzsche. Cinéastes démiurges, Kubrick et Aronofsky s’emploient au contraire à faire valser leurs créatures dans le grand bain, impur et poisseux, de la vie. _Auréliano Tonet



by

ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS 01 44 67 30 00 Directeur de la publication & directeur de la rédaction Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com & troiscouleurs@mk2.com) Rédacteur en chef & chef de rubrique « culture » Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Direction artistique Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Design Louise Klang (louise.klang@mk2.com) Secrétaire de rédaction Sophian Fanen Iconographe Juliette Reitzer Stagiaires Laura Pertuy, Laura Tuillier Ont collaboré à ce numéro Ève Beauvallet, Renan Cros, Julien Dupuy, Joseph Ghosn, Jacky Goldberg, Florian Guignandon, Donald James, Claire Lefeuvre, Wilfried Paris, Pamela Pianezza, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Violaine Schütz, Bruno Verjus, Anne-Lou Vicente Photographie de couverture © TM 2010 and 20th Century Fox Film Corporation Illustration Dupuy & Berberian Publicité Responsable clientèle cinéma Laure-Aphiba Kanga 01 44 67 30 13 (laure-aphiba.kangha@mk2.com)

Directrice de clientèle hors captifs Amélie Leenhardt 01 44 67 30 04 (amelie.leenhardt@mk2.com)

© 2009 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit Ne pas jeter sur la voie publique

SOMMAIRE # 88 5 ÉDITO 8 TRAILER > Kim Chapiron vs Oxmo Puccino 14 SCÈNE CULTE > Les Chaussons rouges 16 PREVIEW > La Fée

19 LES NEWS

19 CLOSE-UP > Andrew Garfield 20 LE K > 127 heures 22 REGARDS CROISÉS > Never Let Me Go vs Le Discours d’un roi 24 KLAP > On the Road 26 COUP POUR COUP > The Hunter 28 TÉLÉCOMMANDO > Rubicon 30 MAGNÉTO > Michel Gondry au Centre Pompidou 32 EVENT > Parodies à Angoulême 34 UNDERGROUND > Lisa Li-Lund 36 L’HEURE DES POINTES > (M)imosa au festival Anticodes 38 BUZZ’ART > L’« aflokalypse » 40 LE NET EN MOINS FLOU > Justin Bieber vs Twitter

43 LE GUIDE 44 SORTIES CINÉ

56 SORTIES EN VILLE 66 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN

68 DOSSIERS

68 DANSE ET CINÉMA > Black Swan 90 DEAD SPACE 2

95 LE BOUDOIR

96 DVD-THÈQUE > L’Incompris 98 CD-THÈQUE > Discodeine 100 BIBLIOTHÈQUE > Nicolas Fargues 102 BD-THÈQUE > Cleet Boris 104 TRAIT LIBRE > Moi aussi, je t’aime 106 SEX TAPE > Rio Sex Comedy

VOUS SOUHAITEZ COMMUNIQUER DANS APPELEZ-NOUS ! 01 44 67 68 01

?


Kim Chapiron

Š SÊbastien Agnetti


trailer 9

ENFANTS DE LA PARTIE C’est l’heure de l’échange des maillots. MK2 et Nike, nouvel équipementier officiel de l’équipe de France de football, ont demandé à KIM CHAPIRON de dribbler les préjugés sur la banlieue. En deux courts métrages diffusés dans les salles du réseau, le réalisateur de Sheitan et Dog Pound réinvente astucieusement les valeurs des Bleus. Dans Enfants de la patrie, de jeunes fans affrontent leur passion sous une tempête de neige, tandis que Dripping met en scène OXMO PUCCINO dans un hommage graphique à l’énergie du sport. Troisième mi-temps avec le coach Chapiron et son libero rappeur, acteur le temps d’un match. _Propos recueillis par Juliette Reitzer

K

im, vous avez déjà collaboré à plusieurs reprises avec Oxmo Puccino, notamment pour Sheitan et pour son dernier clip, Quitte-moi. Vous vouliez aller plus loin avec lui ? Kim Chapiron : En général, dans la vie, j’essaie de passer le maximum de temps avec lui. Il me parle depuis longtemps de son envie de jouer, de faire passer des émotions par la prestation d’acteur. C’était le prétexte idéal.

Oxmo, votre désir de faire du cinéma est visible dans vos clips, très cinématographiques… Oxmo Puccino : Pour moi, le cinéma, c’est l’art total, comme un sportif de décathlon qui remporterait toutes les disciplines. Il faut être le meilleur partout. Je ne prétends pas que mes clips ressemblent à du cinéma, mais c’est vrai que j’ai des aspirations, j’en rêve un peu. Tout le monde veut faire son cinéma. Kim, qui d’autre avez-vous mobilisé pour ce projet de courts métrages ? K.C. : J’essaie toujours de travailler en famille et

Février 2011

avec des amis. C’est DJ Kraft, de Birdy Nam Nam, qui m’a présenté les gens de MK2. Ladj Ly de Kourtrajmé et Said du groupe La Caution se sont occupé du casting. J’ai aussi sollicité l’excellent acteur François Levantal, qui s’exprime ici dans un registre comique inattendu. Les deux films sont très différents l’un de l’autre. Comment avez-vous abordé le premier, Enfants de la patrie ? K.C. : Je voulais filmer la nouvelle génération, la future équipe de France. C’est pour ça qu’on a décidé de tourner avec les enfants des clubs de football de Montfermeil et Villemomble, dans le stade de Clichy-sous-Bois. L’idée de départ était de filmer un cours de supporting et une équipe qui défend ses valeurs sous la neige, en criant, en ayant froid. La neige était donc prévue dès le scénario ? K.C. : La neige était prévue, mais pas la tempête ! On s’est retrouvés avec les camions bloqués sur le stade, j’ai dû dormir sur le plateau de Dripping, les

WWW.MK2.COM


© Kim Chapiron

François Levantal entouré des jeunes acteurs d’Enfants de la patrie

gens sont rentrés à cinq heures du matin pour revenir le lendemain à neuf heures… C’était la totale. Mais comme d’habitude sur les tournages, c’est cette tension qui donne l’énergie au film.

scènes de balle au prisonnier et de repas de Dog Pound, qui dégénéraient en émeute… K.C. : Disons que l’émeute est un sujet récurrent chez nous. On a des amis qui la filment en vrai, d’autres

« Le cinéma, c’est l’art total, comme un sportif de décathlon qui remporterait toutes les disciplines. » Oxmo Puccino Comment avez-vous dirigé les enfants ? K.C. : J’ai beaucoup travaillé avec des enfants pour Dog Pound, et tout se joue dans les premières prises. D’ailleurs, comme pour ce film, j’avais deux caméras pour attraper des expressions au vol sans qu’ils s’en rendent compte. La spontanéité, c’est ce qui est le plus beau dans la prestation d’un enfant. Dans Dripping, vous mettez en scène des footballeurs qui projettent des couleurs sur les murs en shootant dans des ballons imbibés de peinture. Cette énergie, presque violente, rappelle les

Février 2011

qui la font en vrai ; nous on préfère la mettre en scène. L’émeute est dans l’air ambiant, on a essayé de traduire ça par une explosion de couleurs et de musique, avec un orchestre qui improvise en live. La présence d’Éric Abidal a-t-elle compliqué le tournage du film ? K.C. : On nous a dit, « Abidal n’a que deux heures, il doit prendre un avion ». Bref, le mythe habituel qu’il y a autour des stars du foot. En fait, il était charmant, patient, il voulait même rater son vol pour rester avec nous. Tout s’est fait dans le rush total : le chat

WWW.MK2.COM


Oxmo Puccino

© Sébastien Agnetti


© MK2

Éric Abidal dans Dripping

sans poils est arrivé au dernier moment, comme les deux géants, qui sont des jumeaux joueurs de foot. C’était un tournage assez imprévisible, comme d’habitude en fait. D’ailleurs, le titre de la série est Unpredictable Creativity. O.P. : « Imprévisible », c’est exactement ce que je me dis quand je vois travailler Kim. On ne peut jamais

C’est la première fois que vous réalisez un projet pour une marque. Quelles étaient les contraintes ? K.C. : Je dois dire que la liberté de création était totale, c’était très agréable. Par exemple, j’avais dès le départ lancé l’idée qu’on ne voie jamais le logo Nike dans Enfants de la patrie, et ça n’a posé aucun problème.

« Le titre du film, Dripping, est un hommage à Jackson Pollock, qui jetait littéralement la peinture sur ses toiles. » Kim Chapiron comprendre ce qui se passe. Comme un peintre, sa caméra est un pinceau, les comédiens sont des couleurs. Quand on découvre le tableau, on est toujours surpris. K.C. : Le titre du film, Dripping, est un hommage à Jackson Pollock, qui jetait littéralement la peinture sur ses toiles. [ndlr : le père de Kim Chapiron, Kiki Picasso, est notamment célèbre pour avoir créé le collectif de graphistes Bazooka, aux théories et à l’esthétique radicales.]

Février 2011

O.P. : De toute façon, Nike a imposé un style visuel depuis la grande période du basket, au-delà du fait qu’il y ait le logo ou pas dans leurs pubs. Ils savent qu’ils n’ont pas besoin qu’on voit leur marque pour marquer les esprits. Ils misent sur autre chose, la création artistique par exemple. Enfants de la patrie et Dripping de Kim Chapiron // Avec François Levantal, Oxmo Puccino… Dripping sera projeté dans les salles MK2 jusqu’au 9 février Les deux films sont visibles sur www.mk2.com

WWW.MK2.COM


© MK2 © MK2

Extraits de Dripping


14 SCÈNE CULTE /// Les chaussons rougeS

VICTORIA’S SECRET LE PITCH Victoria Page, jeune ballerine parrainée par une bourgeoise amatrice d’art, se prépare à danser lors d’une soirée succédant à un ballet dirigé par le grand chorégraphe Boris Lermontov. Elle fait sa rencontre autour du buffet, sans que celui-ci ne sache qui elle est.

VICTORIA [au barman] : Une coupe de champagne, s’il vous plaît. LE BARMAN : Oui, madame. LERMONTOV [à Victoria] : Dans les soirées, on doit se montrer très souriant. [Silence de Victoria] Mais peut-être détestez-vous cela autant que moi ? Pourtant, cette soirée aurait pu être bien pire… Cela a failli tourner à la catastrophe […] : on devait nous offrir un spectacle de danse, mais cette horreur nous est épargnée. VICTORIA [un sourire amusé aux lèvres] : Mais je suis cette horreur.

[Lermontov prend une gorgée puis se tourne vers elle et rit, l’air gêné.] LERMONTOV : Il est tard pour s’excuser, n’est-ce pas ? VICTORIA : Oui, un peu, en effet. LERMONTOVÓ: Pourtant, je suis navré. […] VICTORIA [agacée] : Mais vous n’êtes pas navré que je n’aie pas dansé ? Puis-je vous demander pourquoi ? LERMONTOV : Parce que, chère mademoiselle… VICTORIA : Victoria Page… LERMONTOV : Et bien, Mademoiselle Page, quand j’accepte une invitation à une soirée, ce n’est pas pour faire passer une audition pendant celle-ci. VICTORIA : En effet, vous avez raison. LERMONTOV : Pourquoi voulez-vous danser ? VICTORIA : Pourquoi voulez-vous vivre ? LERMONTOV : Je ne sais pas exactement,mais j’y tiens.

Les Chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger // Scénario de Michael Powell et Emeric Pressburger // États-Unis, 1949, 2h13 // DVD disponible chez Carlotta Films Retrouvez la scène culte sur

Février 2011

Vodkaster.com

WWW.MK2.COM



16 PREVIEW

LA FÉE Troisième long métrage du trio belge constitué par Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy, La Fée s’annonce comme un flashback sur la rencontre Dom-Fiona, couple partageant l’écran et la caméra depuis leur premier film, L’Iceberg (2005). S’ils étaient amoureux fous dans Rumba, dansant sur un même tempo – burlesque et gracieux – pour éviter les espiègleries de la vie, ils ne se sont pas encore rencontrés quand débute La Fée. Au Havre, Dom est un veilleur de nuit friand de jambon-beurre, constamment dérangé par les clients de l’hôtel. Lorsque la rousse Fiona lui propose d’exaucer trois de ses vœux, il préfère d’abord finir son sandwich… Inspirés par Keaton, Tati et Etaix, nos trois trublions promettent, avec cette fantaisie clownesque, rires et féérie mêlés. _L.T.

© Laurent Thurin-Nal

Un film de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy // Avec Dominique Abel, Fiona Gordon… // Distribution : MK2 Diffusion // France-Belgique, 2011 // Sortie le 14 septembre 2011


17



LES

NEWS

Secouez, agitez, savourez : l’actu ciné, culture, techno fraîchement pressée

CLOSE-UP

© 20th Century Fox

ANDREW GARFIELD, le frêle Britannique à l’affiche de Never Let Me Go, remplacera Tobey Maguire dans le justaucorps moulant de Spider-Man. Découvert dans Boy A en 2007, ce jeune homme nerveux à la tête d’oisillon incarnait Eduardo, le frenemy furieux laissé à la traîne par Mark Zuckerberg dans The Social Network. Never Let Me Go de Mark Romanek tire encore sur sa corde vulnérable : « J’y joue un personnage aveuglé par l’espoir, qui refoule ses sentiments », expliquait-il récemment. Prochaine étape : Garfield, 27 ans, prendra le relais de Tobey Maguire dans le nouveau volet des aventures de Spider-Man (aux côtés de la géniale Emma Stone), injectant ainsi sa sinistrose british au rôle du sensible mais déterminé Peter Parker. « Intimidé » à cette idée, le futur homme-araignée précise que « c’est l’occasion d’emmener le personnage ailleurs, de se l’approprier. Sinon, à quoi bon ? » Éloquent, Andrew Garfield a néanmoins tendance à se prendre un poil au sérieux. Avant de s’excuser : « Je viens d’être submergé par une vague d’amour. » _Clémentine Gallot


20 NEWS /// POLÉMIQUE

K

IL Y A CEUX QU’IL ÉNERVE ET CEUX QUI LE VÉNÈRENT © Chuck Zlotnick

LE

TROU NOIR Avec 127 heures, film d’action minimal qui raconte le calvaire d’un randonneur fanfaron coincé au fond d’une faille rocheuse, DANNY BOYLE touche-t-il le fond ou réussit-il une remontée in extremis après quinze années d’apnée ? Débat. _Par Clémentine Gallot (la question) et Jacky Goldberg (la réponse)

La question

La réponse

L’acharnement dont est victime Danny Boyle est amplement mérité depuis l’horreur chamarrée dans laquelle nous plongeait il y a deux ans le démago Slumdog Millionaire. Le réalisateur de Trainspotting adapte ici le récit du sauvetage d’un randonneur coincé dans un canyon pendant 127 pénibles heures (James Franco, hébété). Plutôt que d’affronter, à la manière de Gus Van Sant dans Gerry, l’incroyable minimalisme de son sujet (un homme seul, une unité de temps et de lieu), le Britannique, redoutant sans doute l’ennui, convoque les procédés narratifs les plus conformistes pour se sortir de cette mauvaise passe : souvenirs, visions, fantasmes multipliant les points de vue (non sans humour, il va même jusqu’à autoparodier son esthétique publicitaire). On s’interroge, au fond du gouffre : peut-on faire du cinéma sans idées ?

Danny Boyle n’est certes pas Gus Van Sant, mais demanderait-on à Sébastien Chabal de s’aligner au départ d’un 100 mètres nage libre face à Alain Bernard ? Finesse et réflexion n’ont jamais été son fort. Mais c’est précisément dans cette dépense d’énergie, dans cette débauche de mauvais goût sans autre prétention que de divertir, loin des navrantes leçons de choses de Slumdog Millionaire, que le film séduit. Boyle construit un film à l’image de la psyché limitée de son héros (James Franco, toujours parfait en Apollon ahuri), où les clichés Kodak le disputent à un imaginaire de téléachat. Consciemment ou non, 127 heures est une plongée fascinante dans le cortex d’un bipède américain moyen, qui n’est jamais jugé mais pris tel quel, comme pure présence. Chez Boyle, on n’a peutêtre pas d’idées, mais on a plein d’énergie.

Un film de Danny Boyle // Avec James Franco, Amber Tamblyn… // Distribution : Pathé // États-Unis, 2010, 1h34 // Sortie le 23 février

LA RÉPLIQUE

« – Tu veux être quoi quand tu seras grand ? – Orphelin. » (Winter Vacation de Li Hongqi, sortie le 23 février)

Février 2011

WWW.MK2.COM



© 20th Centurty Fox DR

Never Let Me Go (en haut) et Le Discours d’un roi (en bas)


REGARDS CROISÉS /// 23

LES ROSBEEFS SE REBIFFENT Délaissant le réalisme social qui encombrait encore les rangs de Cannes l’an dernier (Leigh, Loach), un autre cinéma britannique (re)fait surface pour mieux s’évader par la fiction vintage. Étude de cas avec le brumeux Never Let Me Go et le savant Discours d’un roi. _Par Clémentine Gallot

D

eux films d’époque sont condensés dans Never Let Me Go, mais de quelles époques s’agit-il ? Ce drame d’anticipation débute comme une utopie communautaire déconnectée à la manière du Village de M. Night Shyamalan, pour finir sa course dans la grisaille d’un hôpital intemporel. Brouillant encore davantage les pistes, ce film localisé dans une réalité alternée est adapté d’un roman de l’écrivain anglojaponais Kazuo Ishiguro (Les Vestiges du jour), dirigé par un Américain (Mark Romanek) et joué par des Britanniques. La sage Carey Mulligan, qui apparaît aux côtés de Keira Knightley et Andrew Garfield, raconte : « L’auteur voulait mettre des jeunes face à leur propre mortalité. La difficulté était de contenir le pathos. » Sans trop en dévoiler, disons que cette tragédie méditative renvoie au sacrifice d’une génération de clones pour qui la fin est proche (on pense à The Island), et dont on se demande s’ils sont ou non dotés d’une âme. « Ils sont aussi humains que s’ils avaient été conçus naturellement, mais ils grandissent comme des orphelins, c’est une altérité imperceptible », précise l’actrice. « La science-fiction est une métaphore pour aborder ce triangle amoureux de manière profonde et originale », ajoute le réalisateur Mark Romanek, hanté par la beauté lugubre du roman. L’ingénieux clippeur de Nine Inch Nails et Jay-Z s’est rangé en passant au long métrage avec Photo Obsession (2002) et s’efface ici devant un rétrofuturisme évoquant Alphaville ou Fahrenheit 451. « Le ton raffiné du roman suggérait une approche contenue. L’écriture est influencée par le cinéma japonais des années 1950, d’où ce style hybride, mêlé à une certaine idée du cinéma anglais. »

curieux consensus qui doit sans doute beaucoup à sa démonstration édifiante. Un monarque bègue (Colin Firth) face à son orthophoniste excentrique (Geoffrey Rush, exorbité) : un pitch improbable qui a atterri entre les mains du jeune réalisateur angloaustralien Tom Hooper. « Ce qui m’intéresse, c’est le renversement de perspective, observer ces moments historiques de l’extérieur, explique ce dernier. La périphérie devient le centre lorsque George VI, roi malgré lui, est couronné. » Mais cette microhistoire, celle des drames qui se trament dans l’ombre des grands hommes, a fini par devenir un lieu commun aussi assommant que les reconstitutions poussiéreuses. Un certain tact et l’intelligence d’une mise en scène en retrait tiennent heureusement le film à distance de ces travers. Les efforts de diction de Colin Firth en roi bégayant ont sans surprise été récompensés d’un Golden Globe : d’Orgueils et Préjugés à la franchise Bridget Jones, l’acteur incarne depuis plusieurs années à l’écran la masculinité anglaise old school et guindée, à l’opposé du joli cœur chaloupé qu’est Hugh Grant. « Si les scènes de thérapie sont improvisées, j’ai travaillé avec un coach pour retranscrire la période, la classe et l’expression très crispée de la génération de George VI », se souvient-il. Le film raconte aussi comment cette figure cérémoniale a été bouleversée par la technologie. « L’arrivée de la radio comme média de masse oblige le roi à communiquer directement avec ses sujets, décrypte Tom Hooper. L’anxiété liée à la performance en politique est née à ce moment-là, bien avant Obama et ses pseudo-problèmes de communication. » La famille royale britannique, drapée dans sa discrétion, s’est abstenue de tout commentaire.

I BÈGUE YOUR PARDON Dans une veine historique plus linéaire, non loin du Stephen Frears de The Queen, Le Discours d’un roi, petit film britannique bardé de prix, fait l’objet d’un

Never Let Me Go de Mark Romanek // Avec Carey Mulligan, Keira Knightley // Distribution : Twentieth Century Fox // États-Unis, 1h43, 2010 // Sortie le 2 mars Le Discours d’un roi de Tom Hooper // Avec Colin Firth, Geoffrey Rush // Distribution : Wild Bunch // Royaume-Uni-Australie-ÉtatsUnis, 1h58, 2010 // Sortie le 2 février

Février 2011

WWW.MK2.COM


24 NEWS /// klap ! /// zoom sur un tournage

© Gregory Smith

Garrett Hedlund

BEAT goes on Dans une lettre adressée à Marlon Brando à la fin des années 1950, Jack Kerouac disait « prier pour qu’un film soit fait » de son cultissime roman Sur la route. Un demi-siècle plus tard, c’est le cinéaste brésilien WALTER SALLES qui vient de réaliser le rêve de l’écrivain. _Par Laura Tuillier

L

orsque Walter Salles (Carnets de voyage) fait escale chez MK2 fin 2009 avec le scénario de Sur la route emballé dans une enveloppe kraft, cela fait quelque temps que l’adaptation au cinéma du roman de Kerouac cherche sa voie. Précisément depuis que Francis Ford Coppola a acquis les droits du livre dans les années 1960. Convaincu par la passion de Salles pour l’itinéraire sinueux et jazzy des trois beatniks, MK2

rallie le projet, définitivement lancé. Sam Riley (Control) sera Sal Paradise, Kristen Stewart (Twilight) jouera Marylou, et le blond Garrett Hedlund (Tron, l’héritage) incarnera le légendaire Dean Moriarty. Le trio est bientôt complété par Viggo Mortensen dans le rôle de William S. Burroughs et Kirsten Dunst dans celui de la deuxième femme de Dean. Au début de l’été, la troupe s’envole pour le Canada, première étape d’un tournage homérique qui les mènera des neiges de Patagonie aux bayous de Louisiane, des champs de coton de l’Arizona aux déserts du Mexique, pour s’achever sur les collines de San Francisco. Le coproducteur Charles Gillibert, à peine revenu de ces six mois intenses, évoque « un tournage qui trouvait son souffle parce que l’on bougeait, sans cesse ». Comme des beatniks.

_Par L.P.

INDISCRETS DE TOURNAGe 1. Après I Wish I Knew, Jia Zhang-ke s’attaque à un film de kung-fu. Passionné d’arts martiaux, le réalisateur entend évoquer un tournant politique de l’histoire de la Chine (18991911) à travers cette pratique ancestrale. 2. Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva tiennent les rôles principaux du nouveau film de Michael Haneke, Amour, l’histoire de deux octogénaires confrontés à la paralysie. On retrouve également au générique Isabelle Huppert, fidèle du réalisateur autrichien. 3. Alfred de Musset sera à l’honneur dans Confession d’un enfant du siècle, le prochain film de Sylvie Verheyde (Stella), inspiré de l’œuvre du poète. Pete Doherty jouera les dandys aux côtés de Charlotte Gainsbourg, et Sébastien Tellier signera la B.O.

Sortie prévue le 7 décembre 2011

© TM and 20th Century Fox Film Corporation

LA TECHNIQUE

Février 2011

LA BALLERINE DÉCAPITÉE Pour les 220 plans truqués de Black Swan, les techniciens de Look Effects ont dû composer avec l’aspect cinéma-vérité du film et son budget réduit. Ainsi, lorsqu’ils doivent incruster sur le corps d’une danseuse professionnelle les visages de Natalie Portman et Mila Kunis, il est hors de question de recourir aux onéreuses répliques virtuelles des visages de comédiens, telles qu’employées pour les jumeaux de The Social Network. Leur solution est plus empirique : ils tournent une première fois le plan avec les doublures corps, puis une prise dans laquelle Portman et Kunis répliquent la chorégraphie, avant de coller le visage des deux vedettes image par image sur la première prise. _Julien Dupuy // Black Swan de Darren Aronofsky, sortie le 9 février

WWW.MK2.COM



26 coup pour coup

TIRS CROISÉS Dans The Hunter, son cinquième long métrage, RAFI PITTS pointe les désillusions de l’Iran contemporain sous les traits d’un homme modeste, amateur de chasse, poussé à bout par la souffrance et l’injustice. Dans le viseur du cinéaste, la rage et les enjeux de son pays au bord de l’explosion. _Par Juliette Reitzer

N

ous sommes en 20 09, à quelques mois de l’élection présidentielle iranienne. La jeunesse vibre de l’espoir de voir Mahmoud Ahmadinejad quitter le pouvoir. Ali, fraîchement sorti de prison, n’aspire qu’à jouir d’un bonheur encore fragile, soutenu par sa jeune épouse et leur petite fille. Veilleur de nuit dans une usine de Téhéran, il souhaite changer d’horaires pour passer davantage de temps en famille, mais essuie un refus de son patron : « Pourquoi feraisje ça ? » Première désillusion, bientôt suivie d’une tragédie : de retour d’une partie de chasse, Ali trouve l’appartement familial vide. Il apprendra d’un policier blasé que sa femme et sa fille ont disparu dans une émeute, prises dans des tirs croisés entre la police et les rebelles. Dès lors se dessine la question, volontiers militante, que pose le film de Rafi Pit ts : comment l’individu peut-il vivre son désir de liberté dans un pays où règne l’arbitraire ? Emmuré dans le silence et la douleur, le chasseur cherchera vainement une réponse dans le viseur de son fusil, tirant sur des policiers et se condamnant à une fuite désespérée en forêt.

Février 2011

ENFERMEMENT Ali est une bombe à retardement dans un pays au bord de l’explosion. « Il reflète les sentiments d’injustice et de violence qui parcourent l’Iran, où 30 % de la population a moins de 30 ans et refuse d’accepter les abus du régime mis en place après la révolution de 1979 », explique le réalisateur, avant d’ajouter : « Mon film s’adresse à cette génération. » Le cinéaste a eu la chance de tourner The Hunter juste avant l’élection de juin 2009, période de relative tolérance à l’égard des équipes de production : « Nous avons obtenu l’autorisation plus de six mois après avoir déposé la demande, et un agent du bureau de censure était en permanence avec nous pour contrôler le tournage », nuance toutefois Pitts. Ce climat d’étroite surveillance ajoute encore au sentiment d’enfermement qu’exhale constamment The Hunter, construit sur une organisation labyrinthique de l’espace, des rues saturées de voitures aux intérieurs confinés de Téhéran, jusqu’à la forêt brumeuse, baignée d’un silence de mort anxiogène et prophétique. Le changement de rythme entre la première partie du film, urbaine, et la seconde, immergée en pleine forêt, accompagne le délitement progressif du héros et de son

WWW.MK2.COM


© Maryam Takhtkeshian

coup pour coup 27

The Hunter débute sur un tableau positif, pour s’achever dans la souffrance

environnement. « Le second paysage est un peu une mise à nu du premier. Dans le bois, les personnages finiront de se perdre », confirme le cinéaste. Ali et les deux policiers qui l’ont attrapé s’égareront littéralement en pleine forêt, situation absurde chargée de symboles sur l’état de la société iranienne telle que Pitts souhaite la dénoncer.

d’interdiction de quitter le territoire, actuellement en attente de son jugement en appel. Arrêté en même temps que Panahi, son collaborateur Mohammad Rasoulof était condamné à la même peine d’emprisonnement. En écho à la pétition lancée à l’initiative du Festival de Cannes, de la Cinémathèque française et de la SACD en soutien

« UN AGENT DU BUREAU DE CENSURE ÉTAIT EN PERMANENCE AVEC NOUS POUR CONTRÔLER LE TOURNAGE. » CHAISE VIDE Pour l’heure, The Hunter n’a pas reçu l’autorisation d’être distribué dans les salles iraniennes. « Depuis la réélection de Mahmoud Ahmadinejad pour quatre ans, le 12 juin 2009, les conditions de travail des cinéastes iraniens se sont encore précarisées », s’alarme le réalisateur. On se souvient, lors du dernier Festival de Cannes, de la chaise restée vide de Jafar Panahi, membre du jury condamné à six ans de prison et vingt ans

Février 2011

aux deux cinéastes, Rafi Pitts invite la communauté cinématographique mondiale « à soutenir nos compatriotes cinéastes iraniens, en arrêtant de travailler pendant deux heures le 11 février 2011, jour du 32 e anniversaire de la révolution. » Bien décidé à ne pas baisser les armes, il garde en ligne de mire l’objectif de tourner son prochain long métrage dans son pays natal. The Hunter de Rafi Pitts // Avec Rafi Pitts, Mitra Hajjar… // Distribution : Sophie Dulac // Iran-Allemagne, 2009, 1h32 // Sortie le 16 février

WWW.MK2.COM


© Warner Bros. Entertainment Inc.

28 NEWS /// télécommando

FB AÏE Une petite main du Renseignement met à jour une conspiration. Dans son unique saison, Rubicon rejoue sobrement Les Trois jours du Condor dans l’Amérique en guerre contre le terrorisme. Rétro et d’actu. _Par Guillaume Regourd

M

odeste fonctionnaire du Renseignement américain, Will Travers (James Badge Dale) a pour mission de scruter la planète, retranché dans un building banalisé donnant sur Manhattan. Mais, tout en faisant des mots croisés, il lève un lièvre : ça complote en haut lieu, ça ourdit, ça trame. Le piège se referme. Exécution d’un proche, menaces de moins en moins voilées, rendez-vous secrets, indics, appartement sur écoute… Rubicon, série annulée par AMC au bout d’une unique saison, suit à la lettre le manuel du thriller d’espionnage en faisant preuve d’une obstination crâne à se conformer à ses références seventies – celles posées par Les Trois jours du Condor de Sydney Pollack, principalement. En faisant un pas de côté dans la surenchère d’action et de technologie à laquelle se livrent les suiveurs de 24, la série se contente d’observer un type banal se heurter à la culture du secret. Miroir flippé tendu à un pays qui doute plus que jamais de tout et de tous (Will est un veuf du 11-Septembre), Rubicon ne tient malheureusement pas toutes les promesses de son fascinant pilote signé Allen Coulter (Remember Me). À force de répéter ses motifs, l’histoire laisse retomber le soufflé avant de se reprendre pour offrir un final satisfaisant, prolongeant une réflexion intemporelle et tout à fait dans l’air du temps sur la transparence.

BUZZ TV

_Par G.R.

1. History Channel a décidé de déprogrammer en catastrophe sa minisérie The Kennedys, pourtant déjà tournée, sous la pression des héritiers du clan. Cette saga à 30 millions de dollars, avec Greg Kinnear en JFK et Katie Holmes en Jackie, se cherche du coup un nouveau diffuseur. 2. La nouvelle coqueluche indé Lena Dunham, réalisatrice de Tiny Furniture, a signé avec HBO pour une série intitulée Girls. La jeune femme de 24 ans sera l’auteur et l’interprète principale de cette comédie générationnelle produite par Judd Apatow. 3. Le réalisateur de Blue Valentine, Derek Cianfrance, développe pour HBO une comédie sur le monde du culturisme pro. L’histoire se base sur les mémoires de Sam Fussell, un diplômé d’Oxford devenu en quatre ans le plus improbable des bodybuilders.

Rubicon, sur Orange CinéMax le mardi à 20h45

© Warner Bros. Entertainment Inc.

LE CAMÉO

Février 2011

CHRISTOPHER LLOYD DANS FRINGE Remis en selle par les 25 ans de Retour vers le futur, Christopher Lloyd ne chôme pas. Vu récemment dans Piranha 3D, il attaque une année 2011 très chargée mais a quand même trouvé le temps d’apparaître dans Fringe pour saluer le professeur Walter Bishop, héritier direct de son inoubliable Doc Brown. Dans cet épisode très attendu, Lloyd campera un musicien idolâtré par le savant fou. L’autre passager de la DeLorean, Michael J. Fox, effectue pour sa part une pige remarquée en saison 2 de The Good Wife, série judiciaire qui débute seulement en France sur M6. _G.R.

WWW.MK2.COM



30 news /// MAGNÉTO

hypergondRyaque Variation participative de son loufoque Soyez sympas, rembobinez, L’Usine de films amateurs, exposition itinérante imaginée par MICHEL GONDRY, investit le Centre Pompidou du 16 février au 7 mars. L’auteur du récent Frelon vert y déploie un manuel rêvé du réalisateur en herbe, complété par une carte blanche sur CinéCinéma. Retour rapide sur un projet mémorable. _Par Laura Pertuy

L’

Usine de films amateurs, véritable studio de cinéma installé dans la Galerie Sud du Centre Pompidou, convie le promeneur du dimanche comme l’apprenti scénariste à suivre le processus de création d’un court métrage, étape par étape et en équipe. Frustré d’exercer un métier créatif quand d’autres en sont privés faute de moyens, Michel Gondry se propose d’initier gratuitement le public à une réalisation décomplexée, au sein même d’une institution qu’il considérait enfant comme une soucoupe volante posée près des Halles.

COLLECTIVISME DÉVERGONDÉ Une fois le scénario extirpé des cerveaux participants, dans une lointaine réminiscence d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, les cinéastes en herbe gagnent un espace de tournage où s’amoncellent accessoires hollywoodiens et machineries étranges, d’installations roulantes (train, voiture…) en décors à échelle réelle. Hypogondryaques s’abstenir : ruche ouverte à toutes les contaminations artistiques, cette exposition-atelier s’annonce comme un remake grandeur (human) nature de Soyez sympas, rembobinez, ode aux versions bricolées de films cultes, avec l’entraide et la débrouille pour leitmotiv. Car c’est

Février 2011

bien de collectivisme dont il s’agit : Petit, Gondry rêvait déjà d’investir les anciens cinémas indépendants du XIIIe arrondissement pour les convertir en studios ouverts à tous, lesquels auraient ensuite servi de lieux de projection aux créations citadines. On retrouve ces utopies dévergondées sur les pellicules de Georges Méliès et Woody Allen, dont les héros traversent l’écran (La Rose pourpre du Caire), comme un salut à la magie première du cinéma – celle que Gondry a souvent célébrée, de ses clips pour Björk à La Science des rêves. Pour son dernier film, Le Frelon vert, le Français nous disait avoir cherché à occuper tout l’espace du studio de Sony Pictures de manière à jouer sur la géométrie des combats et sur les profondeurs de champ. Pareillement, le Centre Pompidou rend possible une prolongation du décor et du réel grâce à ses façades de verre, derrière lesquelles le groupe de visiteurs s’approprie un scénario en plein bourgeonnement. Idée toute gondriesque, les ego des uns et des autres s’annulent grâce à un système garantissant l’égalité entre les participants. RÊVERIES SYNCHRONISÉES En parallèle, Beaubourg organise une rétrospective incluant la totalité des courts et longs métrages du cinéaste, ainsi que plusieurs de ses clips musicaux et publicitaires. Six de ses films

WWW.MK2.COM


Courtesy Deitch Archive, New York © Tom Powel Imaging

MAGNÉTO /// news 31

Le plateau imaginé par Michel Gondry à Beaubourg s’inspire des rues de New York

fétiches seront également présentées, oscillant entre succès populaires et productions intimistes : Two Friends de Jane Campion, drame social où s’affrontent deux adolescentes issues de classes opposées, Le Magnifique de Philippe de Broca, inoubliable film d’espionnage avec Jean-Paul Belmondo et Jacqueline Bisset, et Hibernatus

(Katrin Cartlidge et Lynda Steadman) qui rembobinent leur existence lors de retrouvailles avec le réel. Incessante conjonction d’imaginaires décalés, la programmation n’offre guère de pause à Michel Gondry, qui planche actuellement sur un documentaire animé avec Noam Chomsky, ainsi que sur Megalomania, film d’animation que réali-

Les ego des uns et des autres s’annulent grâce à un système garantissant l’égalité entre les participants. d’Édouard Molinaro, où s’agite la folie douce de Louis de Funès. S’y bousculent aussi Kes, l’une des œuvres les plus sensibles de Ken Loach, et Le Voyage en ballon d’Albert Lamorisse, dépucelage cinématographique de Gondry, qui en loue l’onirisme engendré par le décalage de la postproduction. Synchrone, la chaîne CinéCinéma diffusera début mars certains titres de cette carte blanche parisienne, auxquels s’ajouteront L’Ibis rouge de Jean-Pierre Mocky et Deux filles d’aujourd’ hui de Mike Leigh, sur un duo de femmes

Février 2011

sera son fils Paul. On y croisera deux des chantres du cinéma indépendant américain : le dessinateur et scénariste Daniel Clowes et l’acteur Steve Buscemi, dix ans après leur collaboration sur Ghost World de Terry Zwigoff, d’après une bande dessinée de Daniel Clowes. Pas de doute : cette usine-là ne connaît pas la crise. L’Usine de films amateurs, du 16 février jusqu’au 7 mars au Centre Pompidou, www.centrepompidou.fr Carte blanche à Michel Gondry, du 4 au 12 mars sur CinéCinéma (Classic et Club), www.cinecinema.fr

WWW.MK2.COM


32 NEWS /// event

Mona Lisa par interDuck

Halte humoristique sur le chemin du festival d’Angoulême, l’exposition Parodies : la bande dessinée au second degré fait plier de rire les vignettes de toutes les époques. Sérieusement délirant. _Par Laura Pertuy

L

e magazine Mad, support premier de la BD parodique, amorce dès 1952 les moqueries diffuses qui feront la joie de ses lecteurs. En 1945 déjà, Jean Effel revisitait les péripéties bibliques dans sa Création du monde. Leur héritier, Gotlib, auteur de l’affiche de l’exposition, s’attaque ensuite, à partir de 1965, aux classiques littéraires, dans une surenchère jouissive ici livrée par fragments. À parcourir Shakespeare, Stendhal et Hugo avec un regard autre, on s’aperçoit du spectre d’interprétation exponentiel que peut recouvrir un récit. On chemine de case en case comme d’histoire en histoire dans ce parcours ludique et documenté, peu avare en planches burlesques. La peinture s’invite au cœur de cette (re)découverte avec une portée autrement caustique : la pièce monumentale de Philippe Geluck, dont le Chat revêt les attributs de Mona Lisa, se veut un tendre écho au L.H.O.O.Q. de Marcel Duchamp. Le collectif d’artistes allemands interDuck se plaît quant à lui à interpréter les toiles les plus connues en y parachutant Donald et Mickey. Une façon hilarante de faire se côtoyer culture de masse et denrées plus aristocrates, comme pour signifier le franchissement des barrières socioculturelles théorisé par Bernard Lahire (La Culture des individus) et galvanisé ici par le neuvième art. Parodies : la bande dessinée au second degré, jusqu’au 24 avril à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, Angoulême, www.citebd.org

© InterDuck

COMIC TRIP rendez-vous

_Par L.P.

1. Isabelle Le retourHuppert des morts jouera est undans motif récurrent dans l’art, quels que soient le support et l’époque. Un cycle de films vient compléter une exposition au Louvre, où se conjuguent littérature, peinture, théâtre et ballet. Délicieusement macabre. Revenants. Images, figures et récits du retour des morts, jusqu’au 28 mars au musée du Louvre

2. L’historien Max Gallo présente une sélection de photographies chocs, qu’il légende de ses réflexions. Tirées de Paris Match et de séries signées Michaël Wolf et Patrick Chauvel, ces images aident à redéfinir la vision de la violence. Peurs sur la ville : violences urbaines à Paris, jusqu’au 17 avril à la Monnaie de Paris

3. L’Australien Dennis Nona expose ses linogravures où apparaissent les légendes des îles du détroit de Torrès. On y raconte que les noyés sont devenus les îles et rochers qui peuplent l’endroit. Entre ciel, terre et mer ou le mythe revisité, du 27 janvier au 20 mai 2011 à l’ambassade d’Australie

© Dan Aucante

l’after-show

Février 2011

SURESNES CITÉS DANSE Pour sa dix-neuvième édition, le festival a prêté ses planches aux compagnies internationales, venues mêler leur savoir-faire aux aspirations hip-hop de danseurs français. Le Brésil a ouvert les festivités dans un hommage à la gestuelle de la rue, suivi par une habituée de ce rendez-vous annuel, l’Espagnole Blanca Li, auteur d’un programme electro percutant. Notons également une création originale du danseur étoile Jérémie Bélingard, invité d’honneur de cette manifestation qui a euphorisé le mois de janvier francilien. _L.P.

WWW.MK2.COM



© Chrystèle Lacène

34 NEWS /// UNDERGROUND

GROS CRUSH Trotteuse chantante, LISA LI-LUND s’installe chez Versatile sous le pseudo The Big Crunch Theory, le temps d’un album pop rayonnant, 1992, mis en lumière par Gilb’r. Pour les pistes (de danse) aux étoiles. _Par Wilfried Paris

G

randie dans l’ombre de troubadours folk modernes (les frères Herman Düne), Lisa Li-Lund ne doit pourtant son talent qu’à elle-même, à son goût des voyages, des rencontres. Des constellations dessinées de New York à Paris, de la Suède au Brésil, Lisa a fait toute une théorie. Chansons tristes sur mélodies aériennes, chansons joyeuses d’une fille pour les garçons, elle ne craint pas de paraître fragile, femme-enfant toujours sincère dans la comédie des corps qui s’attirent et se rejettent. Petite fille qui cache un couteau sous son oreiller (Weapon), numérologue comptant les animaux morts sur le bord de la route (637) ou ses amis new-yorkais comme autant de tribus (12 Friends in the City), Lisa est moins en fuite dans un univers en expansion qu’en marche vers un foyer pour se rassembler. Illustrant ses ballades épiques, Gilb’r, boss de Versatile (I:Cube, Joakim), s’affirme en producteur éclectique : claps de girls band et farfisa, harpes quantiques et synthétiseurs cosmiques, guitares électriques et TR-808 (Étienne Jaumet sur 637). Et, quand la basse seventies de Burgalat annonce le picking afro de David Herman Düne, les stridences du saxo de Quentin Rollet répondent aux coups de tonnerre sur Brooklyn. The Big Crunch Theory, c’est ça : on s’écarte, puis on se retrouve, quand bien même ce serait pour brusquement sauter dans l’inconnu. 1992 de The Big Crunch Theory (Versatile)

le myspace charts de la rédaction

copier-coller

_Par A.T.

>> S’il ne fallait retenir qu’une découverte de 2010, nous opterions pour les mixtions touffues et hallucinées d’Innerspeaker, premier album du trio australien Tame Impala.

>> Leur conception du psychédélisme traverse les îles et les époques, comme le prouve Those Shocking, Shaking Days, nouvelle compilation de rock 70’s indonésien.

_Par A.T.

Hortênsia du Samba – Mon bel amant du Berry www.myspace.com/hortensiadusamba Ce merveilleux bouquet d’hortensias est né du croisement de cinq histrions marseillais et d’un trio de sambistes paulista. Idéal pour la célébration d’unions transatlantiques et autres hybridations inopinées. Emmanuelle Parrenin – Même de dos www.myspace.com/lavraieemmanuelleparrenin Également sur le label Les Disques Bien, paraît le deuxième album de la harpiste, collecteuse et diva d’intérieur Emmanuelle Parrenin, trente ans après le premier, aujourd’hui culte. La même en mieux, de face, de profil, et même de dos. Orwell – On this Brightful Day www.myspace.com/orwellfrenchband Orwell, well, well. Jérôme Didelot progresse d’album en album, perçant la brume nancéenne pour laisser entrevoir d’amicales radiations californiennes, Beach Boys en tête. Vous reprendrez de cette niche lorraine.

Février 2011

WWW.MK2.COM



Š Donatien Veismann


L’HEURE DES POINTES /// news 37

NOUVELLE VOGUE À New York, les communautés gays ont incorporé l’histoire du racisme et de l’homophobie dans une danse sociale extravagante. Ce « voguing » débarque à Chaillot sous les traits de (M)imosa, quatuor cosmopolite présenté dans le cadre du festival Anticodes.

O

_Par Ève Beauvallet

n se souvient bien du clip de Vogue, de Madonna, avec ses danseurs ultralookés qui chorégraphiaient les pauses des icônes de mode. Mais c’était en 1990 et en version pasteurisée. Depuis, à moins d’habiter aux États-Unis ou d’être versé dans l’histoire des sous-cultures américaines, difficile de voir de quoi retourne le voguing1. Pourtant, cette danse au langage complexe, point de rencontre entre la virtuosité de la break dance, la provoc bitchy et l’élégance haute couture, reste le porte-voix original des luttes identitaires d’une communauté. RITUEL New York, années 1970. Dans les ballrooms du quartier de Harlem, Latinos et Afro-Américains, principalement issus de la communauté gay et transgenre, se retrouvent de façon confidentielle, à la nuit tombée. Le programme ? Danse, théâtre. Enfin… Un show à tendance nymphomane, avec pléthore de mimiques et de masques. On y pastiche les stéréotypes du luxe, les pauses archétypales des icônes de mode, on campe les postures des business exécutives, des hommes travestis en femmes imitent des hommes (les butch). Le tout,dans un rituel flamboyant où s’affrontent différentes houses, des sous-communautés qui prennent le nom de prestigieuses maisons de couture (Mugler, Saint Laurent, Armani…), chaque house faisant concourir ses propres danseurs (les walkers) sur un simili catwalk. Bref, le voguing est une danse sociale extrêmement codifiée où se rejouent la nuit les catégories de genre et de race marginalisées le jour. DÉRISION À l’égard de la culture mainstream et de ses modèles inaccessibles, l’attitude de ce milieu est souvent restée la même : un mélange ambigu de fascination, de rejet et de dérision. Le style du voguing, en revanche, s’est transformé jusqu’à concurrencer les plus acrobatiques des street dances actuelles. « Les gestes de bras très angulaires, qui encadrent le visage, ça c’est “old way”, explique la danseuse et chorégraphe argentine Cécilia Bengolea. On ne voit plus trop cela dans les clubs où nous sommes

Février 2011

allés dans le Bronx ou Midtown. Les bals commencent vers 3h du matin, parce qu’ils attendent que les participants, qui travaillent souvent dans le milieu de la prostitution, finissent leur job. » Ce « nous », c’est le quatuor formé par Cécilia Bengolea avec le New-Yorkais Trajal Harrell, la Cap-Verdienne Marlene Freitas et le Français François Chaignaud. Soit quatre chorégraphes parmi les plus doués de la jeune garde actuelle, qui créent (M)imosa avec Lasseindra, un des voguing kids de la House of Ninja. « Ce qui nous intéresse particulièrement, continue la chorégraphe, c’est la façon de construire un langage avec une vraie température sexuelle. Dans la danse contemporaine, on doit toujours être humble, dans l’introversion, s’effacer au service d’un propos. La fierté avec laquelle les walkers affichent leur danse est fascinante. C’est une forme de coming out, de libération du corps. » Transit En matière de libération, le tandem François Chaignaud / Cécilia Bengolea a acquis une certaine maîtrise depuis sa lumineuse performance Pâquerette en 2008. Sans doute cela vient-il de leur intérêt pour les histoires et pratiques corporelles les plus bariolées – du strip-tease aux techniques classiques, en passant par les danses anthropologiques. Peut-être est-ce leur façon de les refondre en des performances pepsy aujourd’hui saluées à l’international… Toujours est-il qu’on les imagine mal se fourvoyer dans un copiercoller pâlot du voguing. « Cette histoire est liée à des prolétaires parfois jugés irrécupérables par la société, à des destins souvent misérables, confirme François Chaignaud. Téléporter le voguing sur scène, déplacer cette culture dans des corps qui n’en sont pas issus, serait une expropriation douteuse. » N’attendons donc pas de (M)imosa un voguing en total look Harlem, mais un lieu de transit d’histoires identitaires et chorégraphiques stylisées. (M)imosa, du 3 au 5 mars au Théâtre national de Chaillot, à Paris ; du 15 au 19 mars au Quartz à Brest. Dans le cadre du festival Anticodes, du 3 mars au 3 avril à Brest, Paris, et Lyon, www.anticodes.fr 1. Voir également le documentaire Paris is Burning de Jennie Livingston (1990)

WWW.MK2.COM


© 2010 Paramount Pictures. All Rights Reserved.

38 NEWS /// le net en moins flou

TWEET HEURTS Avec ses 200 millions d’inscrits au 1er janvier, Twitter termine une année qui l’a vu s’imposer comme le baromètre de ce qui fait bruisser la toile. Mais avant de claironner jasmin, on y a surtout buzzé juste un : Bieber.

statuts quotes SÉLECTION DES MEILLEURS STATUTS DU MOIS

Sarah : est plutôt fashion weed.

_Par Étienne Rouillon

Camille : Édouard de Rothschild aux mains d’argent.

L

Nestor : Aimé Césaire au Panthéon, Aimé Jacquet au Pantashop.

e réseau social où l’on s’écrit rikiki voit grand, avec désormais 110 millions de messages publiés chaque jour. Associé à Facebook, on le crédite même au générique de la révolte tunisienne, qui n’avait pourtant rien de spécialement connecté. Twitter, ciment des révolutions ? Le débat n’est pas nouveau pour Chris W. Anderson de la City University of New York, qui étudie les liens entre militantisme Justin Bieber = 3 % de Twitter. et réseaux sociaux : « L’idée de Twitter vient des milieux contestataires aux États-Unis, quand, en 2004, des manifestants voulaient trouver un moyen d’échanger de façon plus efficace qu’un SMS. Il a muté aujourd’hui, mais cet ADN fait qu’il reste particulièrement pertinent en manifestation. » Muté en monstre. Le huitième sujet le plus discuté en 2010, derrière le séisme en Haïti ou les vuvuzelas : le chanteur Justin Bieber. Les fans de la mèche pop mobilisent en permanence 3 % des ressources du site, qui a dû lui dédier des salles entières de serveurs au moment de l’annonce de son prochain film, Never Say Never. Une révolution, pour le coup.

Fail Whale

Fred : Laisse pas traîner ton fist. Thomas : Dimanche : et dieu créa la flemme. Christophe : Le Top 5 des noms les plus consultés sur Jesuismort. com qui recense les personnalités disparues : Andy Warhol, Grégory Lemarchal, Adolf Hitler, Jésus et Claude François. Un bon résumé de l’histoire de l’humanité. Philippe : Moubarak à propos de Twitter : « I don’t Caire.» Walter : Mesdemoiselles, à défaut de Point G, sachez au moins trouver le Super U.

[fejl wejl] mot composé

mot @ mot

_Par E.R.

(Traduction de l’anglais « le cétacé du capotage », titre d’une illustration de l’artiste australienne Yiying Lu publiée sur le web en 2007 puis réutilisée par Twitter.) 1.Figuré graphique apparaissant sur les pages du site de microblogging Twitter lorsque celui-ci est planté. Représente une baleine blanche hélitreuillée dans les cieux par des oiseaux. « Twitter est surchargé de tweets pro-Bieber, et v’là la fail whale. » 2.Par analogie, plantage présidentiel soldé par un hélitreuillage. « Ben Ali quitte la Tunisie par les airs : fail whale. »

Février 2011

WWW.MK2.COM



© 2011 Google

40 NEWS /// buzz’art

AFLOKALYPSE Plus qu’un an avant la fin du monde (remember 2012), et le compte à rebours est déjà bien entamé. Depuis l’atterrissage contrarié d’oiseaux en Arkansas, le web recense une succession d’événements de mauvais augure : c’est l’« aflokalypse ».

arty tech

_Par Étienne Rouillon

n n’avait pas vu de tel pic conspirationniste depuis la prise d’assaut des forums de Yahoo à la parution du Da Vinci Code. Compote de moineaux en Suède ou Louisiane, poissons qui font la planche dans le Maryland ou au Brésil : depuis le 30 décembre, les Les points de passage de l’« aflokalypse » points de passont recensés sur Google Maps. sage de l’« aflokalypse » (la fin du monde annoncée par des disparitions massives d’animaux) sont recensés sur Google Maps via la carte Mass Animal Deaths. Coïncidence ou attention aiguë à des phénomènes habituels ? Ces histoires de plumes foutent la chair de poule aux internautes, qui se souviennent des chutes de pigeons annonçant une apocalypse géologique (The Core de Jon Amiel) ou une tempête de grenouilles (Magnolia de Paul Thomas Anderson). L’aflokalypse accouche de centaines d’explications farfelues : les fondamentalistes chrétiens posent des marque-pages sur la Bible, les illuminés accusent comme d’hab la base scientifique HAARP qui modifierait le climat. On parle même de la responsabilité du jeu vidéo star sur iPhone : Angry Birds.

© Visual Bug

O

>> OUISTITI

Souriez : vous êtes affiché en panoramique sur la nouvelle mouture des pages profil de Facebook. Non plus une, mais cinq photos de vous se présentent de gauche à droite. Ce débord égotique a trouvé une résonnance inattendue lorsque d’habiles utilisateurs ont détourné la nouveauté pour réaliser des trucages visuels à la Méliès. Allez faire un tour sur le profil du premier de ces photobricoleurs, le Français Alexandre Oudin. _E.R.

vidéos _Par L.T.

Keren Ann – My Name is Trouble www.dailymotion.com/video/xgm7xe_ keren-ann-my-name-is-trouble_music Keren Ann se la joue noir sur noir pour le premier clip de son nouvel album 101, qui sortira fin février. Chorégraphie tirée à quatre épingles et travellings élégants. Février 2011

Ricky Gervais – Cérémonie des Golden Globes www.youtube.com/watch?v=bwH0HfbYHlM L’humoriste britannique (The Office) officiait comme maître de cérémonie des derniers Golden Globes. Devant un parterre de stars assez dubitatif, Ricky n’a épargné personne.

Jamie Stuart – Idiot with a Tripod http://www.youtube.com/ watch?v=4uR1TjhDzT4 Dans la neige des rues de New York, en décembre, Jamie Stuart a enregistré avec élégance le ballet tragi-comique orchestré par la chute continue des flocons. WWW.MK2.COM




LES

GUIDE

43

Calendrier malin pour aventurier urbain

DU MERCREDI 2 FÉVRIER AU mercredi 2 MARS

« Avant de connaître les frères Coen, je ne savais pas vraiment ce qu’était le cinéma. » Hailee Steinfeld

P.47

SORTIES EN SALLES SORTIE LE 2 FÉVRIER 44 Carancho de Pablo Trapero SORTIE LE 9 FÉVRIER

46 Le Choix de Luna de Jasmila Žbanic SORTIES LE 23 FÉVRIER 47 True Grit d’Ethan et Joel Coen 48 Winter Vacation de Li Hongqi SORTIE LE 2 MARS 49 Winter’s Bone de Debra Granik LES AUTRES SORTIES 50 Rien à déclarer ; Un chic type ; Morgen ; Slovenian Girl ; Very Cold Trip ; Le Marchand de sable ; Les Fables de Ladislas S. ; Qui a envie d’être aimé ? ; Last Night ; Santiago 73 ; Gnoméo et Juliette ; Jewish Connection ; Dharma Guns ; Les Voyages de Gulliver ; Sanctum ; Toi, moi et les autres ; Le Roman de ma femme ; Avant l’aube ; L’assaut ; Paul

P. 49

54 LES ÉVÉNEMENTS MK2 Himalayas au MK2 Bibliothèque

sorties en ville 56 CONCERTS Barbara Carlotti célèbre les dandys à la Cité de la musique L’oreille de… Barbara Carlotti 58 CLUBBING Le renouveau de l’esprit brasserie dans le Xe Les nuits de… Maman Records 60 EXPOS Echoes au Centre culturel suisse Le cabinet de curiosité : Montages et démontages 62 SPECTACLES Brigitte Jaques-Wajeman rejoue Corneille au Théâtre des Abbesses Le spectacle vivant non identifié : Cédric Andrieux

P. 62

Février 2011

64 RESTOS Delphine Zampetti, Patrice Gelbart et Ryotar Miyauchi au Verre volé Le palais de… Keren Ann 66 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN

WWW.MK2.COM


44 CINÉMA

sortie le

02/02

Carancho 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour la performance de Martina Gusman, égérie du réalisateur, déjà parfaite dans Leonera. 2… Pour la plongée au cœur de Buenos Aires, tout en ombres et lueurs. 3… Pour le long plan séquence final, qui porte au plus haut la tension et l’émotion.

CARANBOLAGES Un film de Pablo Trapero // Avec Ricardo Darín, Martina Gusman… // Distribution : Ad Vitam // Argentine et France, 2010, 1h47

Après avoir infiltré le milieu carcéral dans Leonera, en compétition à Cannes en 2008, l’inépuisable PABLO TRAPERO filme dans Carancho les nuits sans sommeil de deux antihéros en lutte pour éviter le crash. _Par Laura Tuillier

Dans un Buenos Aires délabré, de drôles d’oiseaux rôdent près des feux rouges, guettant l’assoupissement d’un conducteur malheureux pour fondre sur le lieu du carambolage. Sosa (Ricardo Darín) fait partie de ces caranchos qui profitent de la détresse des victimes de la route pour faire fructifier un business d’arnaques aux assurances. Lorsque l’avocat déchu croise Lujan, une jeune interne à bout de nerfs, accro à l’héroïne pour résister aux trop longues nuits de garde, ils décident de se réveiller ensemble du cauchemar. Jouant sur l’épuisement des plans séquences, Pablo Trapero orchestre une tragédie où le poids d’un système corrompu écrase l’histoire d’amour en train de poindre. À l’urgence des situations répond la torpeur de plus en plus prégnante de deux personnages englués dans un quotidien délétère. La veille interminable finit par démolir les visages et anesthésier tout désir de fuite. Dans la veine d’un Iñárritu (en plus sec et moins pathétique), Carancho se révèle l’autopsie désespérée d’une passion minée par la fatigue. Février 2011

PABLO TRAPERO Après la police, puis la prison, comment avez-vous infiltré le milieu des assurances médicales pour préparer ce film ? J’ai d’abord entendu parler des ambulance chasers aux États-Unis, et j’ai décidé d’enquêter à Buenos Aires. Pendant plus d’un an, j’ai interrogé des avocats, des juges, des victimes… J’ai peu à peu découvert tout un business. Comment avez-vous travaillé le style visuel du film, très noir et claustrophobe ? Avant d’être un portrait des institutions, Carancho est une histoire d’amour. Je voulais instaurer un rapport presque tactile entre le spectateur et les protagonistes. Le monde extérieur est toujours envisagé selon leur point de vue, ce qui donne l’impression d’être enfermé avec eux. Aviez-vous l’intention de provoquer une réaction forte en Argentine avec ce film ? J’aime que mes films aient différents niveaux de compréhension, du plus intime au plus politique. À la sortie du film, on a assisté à un grand débat en Argentine, à tel point que la loi qui va être promulguée à ce sujet s’appelle la loi « anti-carancho ». WWW.MK2.COM



46 CINÉMA

sortie le

09/02

Le Choix de Luna 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour la mise en scène lumineuse et sensuelle de ce drame humain. 2… Pour son montage audacieux, dont les coupes abruptes annoncent la métamorphose du héros. 3… Pour la mémorable scène de fête de l’Aïd, arrosée à l’eau de vie : quand l’esprit slave rencontre la religion musulmane.

CIEL ET TERRE Un film de Jasmila Žbanic // Avec Zrinka Cvitešic, Leon Lucev… // Distribution : Diaphana // Bosnie-Croatie-Autriche-Allemagne, 2009, 1h40

En dressant le parcours d’un homme tenté par un islam dur, JASMILA ŽBANIC, Ours d’or en 2006 pour son premier film Sarajevo mon amour, questionne avec un réalisme mordant la société bosniaque contemporaine. _Par Donald James

Le Choix de Luna dessine le portrait de deux solitudes, celles d’un homme et d’une femme au tournant de leur vie. Luna et Amar forment un couple de trentenaires dissemblables mais parfaitement faits l’un pour l’autre. Elle, cheveux courts et visage d’ange, hôtesse de l’air, vit dans le ciel. Lui, cheveux en bataille et barbe de trois jours, travaille comme contrôleur aérien, les pieds bien sur terre. Surpris à consommer de l’alcool sur son lieu de travail, Amar est relevé de ses fonctions et rencontre un ancien ami devenu wahhabite – tendance dure de l’islam –, qui lui offre du travail et une nouvelle santé morale. Le montage très singulier du film, tout en ruptures sonores et visuelles, illustre à la perfection la transformation brutale d’Amar en dévot intransigeant. Loin d’enfiler des clichés, la réalisatrice, ex-marionnettiste, détaille avec finesse les motivations de ses personnages et dévoile par un jeu de décalages la fragilité de nos destinées suspendues à un fil, entre rupture et réconciliation. Février 2011

JASMILA ŽBANIC Quel est le sens du titre original du film, Na putu ? En Bosnie l’expression contient plusieurs sens. Cela veut dire « être en voyage », réel ou spirituel. Cela peut également signifier « chercher sa voie ». Enfin, lorsqu’un bébé est « na putu », c’est qu’il est sur le point de naître. Luna et Amar travaillent en relation avec les avions, pourquoi ce choix ? Lorsque le film commence, Luna assiste les pilotes dans leur vol. À la fin, c’est elle qui prend son envol. Quant à Amar, au début, il est celui qui contrôle tous les avions, puis on va le voir perdre peu à peu ses moyens. Luna et Amar s’opposent dans leur travail et leur trajectoire de vie. Je désirais aussi jouer avec les attentes des spectateurs qui, lorsqu’ils voient un avion et un musulman, concluent tout de suite au terrorisme. Pourquoi jouez-vous avec ce cliché du musulman intégriste ? Les idées reçues sont souvent stupides et agressives. En tant qu’artiste, vous vous devez d’accepter la diversité des êtres, même si leurs prêches ou discours ne vous conviennent pas. WWW.MK2.COM


47 CINÉMA

23/02

sortie le

True Grit 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour constater qu’Elle Fanning n’est pas la seule gamine surdouée d’Hollywood : il y a aussi Hailee Steinfeld. 2… Pour la rivalité virile et crasseuse entre Jeff Bridges en marshal alcoolo et Matt Damon, Texas ranger poseur. 3… Pour apprendre à manier la joute verbale avec autant de dextérité qu’une Winchester.

NOUVEAU WESTERN Un film de Joel et Ethan Coen // Avec Jeff Bridges, Hailee Steinfeld… // Distribution : Paramount Pictures France // États-Unis, 2010, 2h05

Ne pas se fier au classicisme apparent du nouveau film des frères COEN : avec son héroïne haute comme trois pommes infiltrée chez les cow-boys soûlards, True Grit renouvelle bel et bien le genre du western. _Par Pamela Pianezza

Promue chef de famille après la disparition de son père, une adolescente revancharde décide de se faire justice elle-même et se lance dans un périple initiatique au cœur de territoires hostiles. Dans son western rural Winter’s Bone, Debra Granik dépeint, à partir d’une trame quasi identique, le folklore et la poésie de l’Amérique profonde. Dans True Grit, Joel et Ethan Coen infligent comme elle à leur héroïne un passage précoce à l’âge adulte. Mais ils la malmènent plus sévèrement encore : Mattie (Hailee Steinfeld) est impitoyablement privée des attributs traditionnels de la jeunesse (humour, légèreté, féminité naissante). Sa psychorigidité en devient dès lors bouleversante. Adaptation bavarde et pimentée, bien que formellement très classique, du roman de Charles Portis, True Grit glisse vers la parodie respectueuse lors de scènes de bravoure surréalistes. C’est lorsqu’ils détournent les codes du genre pour y injecter leurs motifs-clé (cynisme insolent, piétinement sadique de toute morale, bestiaire absurde) que les deux frères emportent, à l’image de leur opiniâtre héroïne, l’adhésion. Février 2011

HAILEE STEINFELD À part votre âge – 14 ans – que partagezvous avec le personnage de Mattie ? Une maturité précoce ? Comme elle, je suis prête à tout pour obtenir ce que je veux. C’est cette proximité qui m’a permis de me glisser aussi facilement dans la peau de mon personnage. Quant à la maturité… Je n’ai aucune envie de grandir trop vite, mais je passe le plus clair de mon temps avec des adultes et cela me convient parfaitement. Qu’avez-vous appris aux côtés de Jeff Bridges, Matt Damon et Josh Brolin ? Je ne leur ai posé aucune question, mais je les ai beaucoup observés. Il suffit de s’asseoir dix minutes et de les regarder jouer pour en apprendre plus que durant un an de cours d’art dramatique. Jeff Bridges m’a aussi transmis le virus de la photographie : sur le tournage, il mitraillait tout le monde avec son appareil, et je me suis mise à faire pareil. Parlez-nous des frères Coen… Ce sont des génies ! Tout est tellement simple avec eux. Je crois qu’avant de les connaître, je ne savais pas vraiment ce qu’était le cinéma. WWW.MK2.COM


48 CINÉMA

sortie le

23/02

Winter Vacation 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Sous ses dehors désespérés, Winter Vacation est une comédie à l’humour (pl)acide. 2… Chaque cadre, travaillé dans ses moindres détails, est une splendeur plastique. 3… S’il arrive qu’on puisse dénombrer les plans d’un film, être capable d’en compter chaque mouvement est plus rare.

SORS D’HIVER Un film de Li Hongqi // Avec Junjie Bai, Naqi Zhang… // Distribution : Capricci Films // Chine, 2010, 1h31

Héritier de la sobriété du cinéma chinois autant que du burlesque scandinave, LI HONGQI explore l’ennui provincial par l’absurde dans son troisième film. Une réussite étonnamment drôle, récompensée au dernier Festival de Locarno. _Par Jacky Goldberg

Une rue de province en Chine, ses vieux bâtiments à l’horizontale, son château d’eau lancé vers le ciel gris. C’est l’hiver – et les vacances, nous apprend le titre du film –, la rue est vide. Seuls le grésillement d’un haut-parleur, hors-champ, et le bourdonnement des pétards lointains viennent rompre le silence, avant qu’un, puis deux, puis trois adolescents ne fassent leur entrée, comme au théâtre. Un théâtre de l’absurde, cependant, ou bien une galerie d’art : parole raréfiée, corps engourdis, flottement généralisé du sens. « Où tu vas ? / J’allais te chercher, et toi ? / Moi aussi… » Le plan dure ainsi plusieurs minutes, sans que le cadre à la stricte géométrie n’ait bougé d’un iota, donnant le la de l’heure et demie à venir. On a tellement vu, depuis les premiers exploits du grand Jia Zhang-ke, de fictions chinoises chroniquer l’ennui provincial, cette jeunesse poissarde et néanmoins tournée vers les lendemains qui Février 2011

chantent (faux),que l’on commence par craindre ici un tel académisme.Mais surprise : Winter Vacation est drôle. Lauréat du Léopard d’or au Festival de Locarno 2010, c’est même, de mémoire, la première comédie chinoise à nous parvenir. Que Li Hongqi (dont c’est le troisième long métrage) écrive ses blagues sur le même parchemin usé que ses collègues dramaturges a d’ailleurs tout pour nous réjouir. On rira ainsi des aventures chorales d’une bande de teens désabusés attendant la rentrée des classes ; d’un enfant qui veut devenir « orphelin » ; d’une mère de famille qui a une façon bien à elle d’acheter des choux. Étirés à l’extrême, les plans de Li Hongqi, lointain cousin des burlesques scandinaves (Kaurismäki, Andersson), font mieux que dénoncer : ils décapent par le rire un pacte social rouillé, au risque parfois d’une misanthropie un peu facile. Acide, épicé, pétillant en bouche : vive le comique chinois. WWW.MK2.COM


49 CINÉMA

02/03

sortie le

Winter’s Bone 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour l’époustouflante Jennifer Lawrence, monstre de rigueur et d’acharnement. 2… Pour le portrait peu frileux de vies condamnées par la méthamphétamine. 3… Pour se remettre une bonne fois pour toutes au banjo, star des soirées du Midwest.

CHASSE À L’OS Un film de Debra Granik // Avec Jennifer Lawrence, John Hawkes… // Distribution : Pretty Pictures // États-Unis, 2010, 1h40

« Je suis parti dans les bois parce que je voulais vivre intelligemment », déclamait H.D. Thoreau dans Walden. Dans Winter’s Bone, DEBRA GRANIK pousse son héroïne à sucer toute la moelle de la vie dans le grand vide du Missouri, le temps d’une quête néoréaliste. _Par Laura Pertuy

Guidée par un instinct de survie presque inhumain, Ree, jeune femme aux responsabilités trop précoces, s’embourbe dans les forêts du Midwest sur les traces d’un père toxico, seul garant de la maison familiale menacée d’expropriation par la police. Satellites nerveux de son quotidien : une sœur et un frère sous sa tutelle, une génitrice léthargique et dépendante, un shérif insistant et une nuée de cowboys quelque peu inquiétants. Mère courage de substitution, l’adolescente ne dévie jamais des sillons creusés par le fugitif paternel, qui se nichent sur les visages des témoins qu’elle rencontre, folklore d’existences oisives et alternatives, hâtivement jugées hostiles. Les aspérités du paysage se calquent sur une lutte viscérale pour la vie, aux fondements même du transcendantalisme de Walt Whitman et autres mangeurs de brins d’herbe. Une jolie affirmation de l’altérité yankee, 150 ans après la parution de Walden ou la vie dans les bois. Février 2011

DEBRA GRANIK Qu’est-ce qui a motivé votre désir d’adapter cette aventure ? J’ai été happée par l’histoire de cette jeune femme. Je me demandais quelle serait ma réaction à sa place. Tout s’écroule autour de ce personnage très strict dont l’humanité affleure difficilement. Il y avait beaucoup de matière autour de laquelle travailler. On trouve dans Winter’s Bone un certain folklore de l’homme des bois. Il existe une longue tradition de la retraite dans les montagnes. Cela m’intéresse beaucoup, d’autant que l’Amérique s’est bâtie sur un principe de conformisme. Certains y ont cherché une alternative à la ruée vers le capitalisme, comment ne pas vivre dans l’accumulation des richesses, etc. Quelles ont été vos inspirations pour la photographie ? Nous avons regardé Flandres de Bruno Dumont. On y retrouve des cadres très larges qui rendent une impression d’hiver vraiment palpable. J’aime aussi la proximité qu’ont les frères Dardenne avec leurs sujets, installés dans des environnements très précis. Quant aux séquences de traversée des bois, elles sont inspirées de La Leçon de piano. WWW.MK2.COM


50 CINÉMA

AGENDA SORTIES CINé  02/02 _Par R.C., C.G., L.P., E.R. et L.T.

SORTIES DU

MORGEN

de Marian Crisan Avec Andras Hathazi, Yılmaz Yalçın… Les Films du Losange, France-Hongrie-Roumanie, 1h40

Vigile dans une petite ville à la frontière hongro-roumaine, Nelu s’adonne régulièrement à la pêche. Un matin, il surprend un Turc qui tente de s’introduire dans le pays et décide de le recueillir contre l’avis de sa femme. Tendre et diablement d’actualité.

RIEN À DÉCLARER

de Dany Boon Avec Benoît Poelvoorde, Dany Boon Pathé, France-Belgique, 1h48

Nouvelle incursion chez les beaufs après Bienvenue chez les ch’tis. Boon cinéaste-anthropologue explore cette fois la belgitude d’en bas, via les déboires frontaliers de deux douaniers, campés par Boon et Poelvoorde.

SLOVENIAN GIRL

de Damjan Kozole Avec Nina Ivanisin, Peter Musevski… Épicentre, Serbie-CroatieAllemagne-Slovénie, 1h27

De parents divorcés, Aleksandra étudie l’anglais à Ljubljana, où elle divise son temps entre révisions sporadiques et prostitution régulière. Elle se fait vite rattraper par de dangereux proxénètes…

UN CHIC TYPE

de Hans Petter Moland Avec Stellan Skarsgård, Bjørn Floberg… Chrysalis, Norvège, 1h47

Ulrik, ancien détenu, tente de reprendre une vie normale entre copains mafieux, logeuse nympho et descendance mutique. Une réhabilitation difficile, que vient adoucir l’humour pince-sans-rire du héros, imperméable au fatalisme. Grisant.

ET AUSSI CETTE SEMAINE : CARANCHO de Pablo Trapero (lire la critique p. 44) LE DISCOURS D’UN ROI de Tom Hooper (lire l’article p. 22) Février 2011

09/02

SORTIES DU

LE MARCHAND DE SABLE

de Jesper Møller, Sinem Sakaoglu (animation) Bac, Allemagne-Danemark, 1h24

Théo est un petit garçon rêveur dont les nuits sont peuplées de jolis songes grâce au soin d’un marchand de sable. Mais lorsque TourniCauchemar s’en mêle, l’aventure commence. Un film d’animation à l’esthétique rétro, pour les petits.

LES FABLES DE LADISLAS STAREWITCH de Ladislas Starewitch Avec Léona-Béatrice Martin-Starewitch… Les Acacias, Français, 1h10

Inspiré des Fables de La Fontaine, ce programme rassemble cinq films montés entre 1922 et 1932 par un amoureux russe de l’animation. Humour, fantaisie et tendresse composent des contes d’un autre temps.

QUI A ENVIE D’ÊTRE AIMÉ ? de Anne Giafferi Avec Éric Caravaca, Arly Jover Eurimage, France, 1h29

La vie d’Antoine était bien réglée jusqu’à l’irruption d’un hobby inattendu : le catéchisme. Portrait d’une foi ordinaire, Qui a envie d’être aimé ? touche par la justesse de ses comédiens et la finesse de son écriture amusée.

VERY COLD TRIP

de Dome Karukoski Avec Jussi Vatanen, Jasper Pääkkönen… DistriB, Finlande, 1h35

Un loser sympathique doit faire face au ras-le-bol de sa copine, refroidie par le manque d’initiative du jeune homme. Sa mission : trouver un décodeur TV avant l’aube… Un road trip nordique digne du Fargo des frères Coen. ET AUSSI CETTE SEMAINE : BLACK SWAN de Darren Aronofsky (lire le dossier p. 68) LE CHOIX DE LUNA de Jasmila Zbanic (lire la critique p. 46) TRON : L’HÉRITAGE de Joseph Kosinski (lire l’article p. 84) WWW.MK2.COM


SORTIES DU

16/02

GNOMÉO ET JULIETTE

de Kelly Asbury Avec les voix de James McAvoy, Emily Blunt… Walt Disney, États-Unis, 1h24

« Oh Gnoméo, pourquoi es-tu Gnoméo ? » Malgré une B.O. convenue signée Elton John, le film dépoussière la tragédie shakespearienne : une histoire d’amour impossible entre deux nains de jardin séparés par une clôture et par la haine que se voue leurs familles…

JEWISH CONNECTION de Kevin Asch Avec Jesse Eisenberg, Justin Bartha… Pyramide, États-Unis, 1h29

Dans le New York des années 1990, Sam (Eisenberg, parfait en ingénu rebelle) tente d’échapper à son destin de juif orthodoxe en se lançant dans le trafic d’ecstasy. Sélectionné à Sundance, ce polar familial évoque les films de James Gray, Little Odessa en tête.

LAST NIGHT

de Massy Tadjedin Avec Keira Knigthley, Guillaume Canet… Gaumont, France-États-Unis, 1h32

Keira Knigthley, Sam Worthington, Guillaume Canet et Eva Mendes pataugent dans cette étude des mœurs inégale, chronique des petites tromperies entre maris et femmes, plus proche de Closer que de Cassavetes.

SANTIAGO 73, POST MORTEM

de Pablo Larrain Avec Alfredo Castro, Antonia Zegers… Memento, Mexique-Chili-Allemagne, 1h38

À la veille du coup d’État de Pinochet, Mario partage son quotidien entre son travail à la morgue et l’observation de sa voisine, dont il est secrètement amoureux. Après Tony Manero, Pablo Larrain confirme la radicalité de sa mise en scène, teintée d’humour noir. ET AUSSI CETTE SEMAINE : SEX FRIENDS d’Ivan Reitman (lire l’article p. 70) THE HUNTER de Rafi Pitts (lire l’article p. 26) décembre - janvier 2011


52 CINÉMA

AGENDA SORTIES CINé  23/02 _Par R.C., C.G., L.P., E.R. et L.T.

SORTIES DU

DHARMA GUNS

de Francois-Jacques Ossang Avec Guy McKnight, Elvire… Solaris, France-Portugal, 1h33

À peine sorti du coma, un garçon part en quête de son père dans un décor insulaire désolé, magnifié par un noir et blanc soigné. On se perd avec trouble dans ce film où tout semble relever du complot.

SANCTUM

d’Alister Grierson Avec Richard Roxburgh, Rhys Wakefield… Metropolitan, Australie-États-Unis, 1h45

Une expédition scientifique dans des grottes cathédrales du Pacific Sud tourne à la cata lorsqu’un cyclone bloque les aventuriers. Produit par le réalisateur-explorateur James Cameron, une histoire vraie, arrivée à ses potes de plongée.

TOI, MOI, LES AUTRES

d’Audrey Estrougo Avec Leïla Bekhti, Benjamin Siksou… Mars, France, 1h30

Un beau gosse de la jeunesse dorée parisienne s’éprend d’une fille d’immigrés engagée. Cette comédie musicale et sentimentale n’échappe pas à la mièvrerie et aux clichés, mais dispense un discours altruiste touchant.

LES VOYAGES DE GULLIVER

de Rob Letterman Avec Jack Black, Jason Segel... 20th Century Fox, États-Unis, 1h25

Dans cette relecture moderne du conte, un journaliste ventripotent est catapulté en géant chez les Liliputiens. Une version décapante pour enfants, où Gulliver passe subtilement de monstre à tyran. Mention spéciale à Jason Segel en courtisan miniature. ET AUSSI CETTE SEMAINE : 127 HEURES de Danny Boyle (lire les articles p. 20 et 84) RIO SEX COMEDY de Jonathan Nossiter (lire la critique p. 106) TRUE GRIT de Joel et Ethan Cohen (lire la critique p. 47) WINTER VACATION de Li Hongqi (lire la critique p. 48)

Février 2011

02/03

SORTIES DU

L’ASSAUT

de Julien Leclercq Avec Vincent Elbaz, Gregori Derangère… Mars Distribution, France, 1h35

Récit de la prise d’otage de l’airbus A300 par le GIA en 1994, L’Assaut se concentre sur trois personnages pivots que sont un soldat du GIGN, une conseillère ambitieuse du Quai des Orfèvres et un djihadiste convaincu. Terriblement efficace.

AVANT L’AUBE

de Raphaël Jacoulot Avec Jean-Pierre Bacri, Vincent Rottiers… UGC, France, 1h44

Frédéric, un jeune en réinsertion, travaille dans un hôtel de montagne. Lorsqu’un des clients disparaît, il soupçonne son patron (Jean-Pierre Bacri), mais décide de s’en rapprocher plutôt que de le dénoncer. Un film noir aux échos chabroliens.

PAUL

de Greg Mottola Avec Simond Pegg, Nick Frost… Universal, Grande-Bretagne, 1h42

Le génial Greg Mottola (Supergrave) exécute cette comédie cosmique écrite à la truelle par deux trublions anglais. Entre SF, road movie et buddy movie, les rôles secondaires, excellents, sauvent l’ensemble d’une pesante vulgarité.

LE ROMAN DE MA FEMME de Djamshed Usmonov Avec Léa Seydoux, Olivier Gourmet… Ad Vitam, France, 1h40

Léa Seydoux, jeune veuve éplorée dans une province brumeuse, est recueillie par un avocat libidineux qui lui veut du bien (Olivier Gourmet). Le visage chiffonné de la ravissante actrice reste le principal atout de ce drame confiné.

ET AUSSI CETTE SEMAINE : NEVER LET ME GO de Mark Romanek (lire les articles p. 19 et 22) WINTER’S BONE de Debra Granik (lire la critique p. 49) WWW.MK2.COM



54 CINÉMA

les événements BASTILLE

BIBLIOTHÈQUE

HAUTEFEUILLE

ODÉON

QUAI DE LOIRE

BEAUBOURG

GAMBETTA

NATION

PARNASSE

QUAI DE SEINE

cinéma

passerelles

JEUDI 10 FÉVRIER – 21h / CARTE BLANCHE / Lucía Puenzo

Jusqu’au 6 FÉVRIER / VIDÉODANSE Tous les lundis et mardis à 20h30, les samedis et dimanches à 11h. Programme détaillé sur www.mk2.com

flash-backs & previews Avec les éditions Stock, rencontre-lecture avec la réalisatrice autour de son dernier livre, La Malédiction de Jacinta, suivie de la projection du film XXY. Cartes UI acceptées. MARDI 15 FÉVRER – 20h30 / SOIRÉE BREF / Clermont-Ferrand 2011

le dialogue des disciplines

SAMEDI 5 FÉVRIER - 11h / STUDIO PHILO par Ollivier Pourriol « Corps de rêve ou de cauchemar ? / Risque des métamorphoses »

Au programme : La Grande Course de Kote Camacho, L’Homme de l’automne de Jonas Selberg-Augusten, La Mort d’un insecte de Hannes Vartiainen et Pekka Veikkolainen, Le Baiser d’Ashlee Page, En attendant Gorgo de Benjamin Craig, Sucre de Jeroen Annokkeé, Higglety Pigglety Pop ! de Chris et Maciek Szczerbowski. LUNDI 28 FÉVRIER – 20h30 / RDV DES DOCS / Deux films de Denis Gheerbrant Amour, rue de Lappe (1984) et Question d’identité (1986). En présence de Thierry Garrel, ancien directeur de l’unité de programmes documentaires d’Arte France. Tarifs : 7,70 € et 6,50 € pour les abonnés DSGE. Cartes UI acceptées.

SAMEDI 12 FÉVRIER – 17h / RENCONTRE / Spécial Saint-Valentin Avec les éditions Emmanuel Proust, dédicace de la bande dessinée Moi aussi… je t’aime ! de Christophe Achard. VENDREDI 25 FÉVRIER – 19h30 / Soirée L’Œil d’or et les éditions du Sonneur Regard croisé entre deux jeunes maisons d’édition aux catalogues exigeants et originaux.

cycles GAMINS DE TOKYO Films réalisés par des cinéastes tokyoïtes : Tampopo de Juzo Itami, Gozu de Takashi Miike, Le Tombeau des lucioles de Isao Takahata, Tatouage de Yasuzo Masumura, La Bête aveugle de Yasuzo Masumura, Kaïro de Kiyoshi Kurosawa, La Vengeance est mienne et L’Anguille de Shohei Imamura, La Ballade de Narayama de Kesuke Kinoshita, Mon voisin Totoro et Le Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki. Jusqu’au 27 mars, les samedis et dimanches en matinée. Tarif : 6,50 €. Cartes UI acceptées.

Février 2011

JEUDI 3 MARS – 19h30 / SOIRÉE ZÉRO DE CONDUITE / En croisière Balade-lecture sur le bassin de la Villette autour des textes Les Gagnants de Julio Cortázar (Gallimard, coll. Folio), Impressions d’Afrique de Raymond Roussel (Flammarion, coll. GF) et Les Confessions de Dan Yack de Blaise Cendrars (Gallimard, coll. Folio). Sur inscriptions. Tél. 01 44 52 50 70. SAMEDI 5 MARS - 11h / STUDIO PHILO par Ollivier Pourriol « Corps de rêve ou de cauchemar ? / Risque des métamorphoses »

Toute la programmation sur mk2.com

WWW.MK2.COM


découvrez éma le cin dans autrement mk2 ! salles les

FOCUS

_Par L.T.

DIALOGUE D’EXPLORATRICES L’écrivain-voyageur française Priscilla Telmon expose en ce moment au MK2 Bibliothèque des photographies prises durant son périple en solitaire entre Hanoï (Vietnam), Lhassa (Tibet) et Calcutta (Inde). Soit plus de six mois de marche pour parcourir 5000 kilomètres, des vallées interdites du Yunnan aux sommets du Tibet. Priscilla Telmon est partie sur les traces de celle dont les récits de voyage ont bercé son adolescence, la téméraire Alexandra David-Néel qui – déguisée en mendiante tibétaine – avait réussi en 1923 à pénétrer dans la cité interdite. Poussée par le même souffle, cette ancienne étudiante en ethnomédecine revient sur son projet avec humilité et émerveillement : « Je voulais évoquer une culture en souffrance, de façon subtile, à travers quelques photos… J’aime l’idée que des gens venus au cinéma voir le dernier succès repartent avec des images du Tibet dans la tête. » Lorsqu’on l’interroge sur les difficultés à surmonter pour affronter seule une telle aventure, la voyageuse sourit : « J’ai un côté caméléon qui me permet d’être bien dans le froid, sur une paillasse, sous ma tente, n’importe où. Les gens savent que j’arrive chez eux après beaucoup d’efforts, il y a immédiatement une densité des rapports, on parle du terreau de notre existence. » À l’image d’Alexandra David-Néel qui se décrivait comme une « exploratrice du monde et des êtres », elle affiche une générosité délicate, dont son exposition est le symbole. Prochaine étape : la Tanzanie, où elle débute un projet à la croisée de la littérature, de la photo et du cinéma, Le Matin des origines, accompagnée de deux amies – de celles qui n’ont pas froid aux yeux. Himalayas, jusqu’au 30 mars au MK2 Bibliothèque. Démonstrations de calligraphies et de thangkas par Dorjee Sangpo dans un décor himalayen. Signatures de l’auteur à la librairie. Lecture des textes d’Alexandra David-Néel le 8 mars à 20h. Cycle de documentaires autour de l’exploration et de la culture himalayenne, rencontres avec des réalisateurs, chaque samedi matin de mars. Réalisation d’un mandala de sable du 19 au 27 mars. Programme détaillé sur www.mk2.com Voyage au Tibet interdit de Priscilla Telmon et Thierry Robert (DVD, MK2) Himalayas, sur les pas d’Alexandra David-Néel de Priscilla Telmon (récit photographique, Actes Sud) Février 2011


© Thomas Geffrier

CONCERTS

56 sORTIES EN VILLE

Barbara Carlotti sera entourée de quatre musiciens pour cette « promenade littéraire et musicale »

DANDY COOL

Hommage aux décadences

Entourée d’images flottantes et de musiciens de chair et d’os, BARBARA CARLOTTI invoque à la Cité de la musique des fantômes plaisants, Frankenstein élégants, hommes en fragments cousus de fils d’or : les dandys. _Par Wilfried Paris

« Nous passerons nos vies dans des lieux sublimes, à siroter de l’alcool en lisant des textes décadents, des poésies subtiles, Verlaine, Rimbaud, Baudelaire… » C’est ce que chantait Barbara Carlotti, éthérée et alanguie, sur L’Idéal, petite merveille de pop française, sophistiquée et gracieuse, parue en 2008. Elle revient aujourd’hui décliner cet idéal voluptueux sur scène, à travers la figure du dandy, artiste de la vie théorisé par Baudelaire (« Le dandysme est le dernier éclat d’héroïsme des décadences »), personnifié par Brummell ou Oscar Wilde, incarné par le chic (Ray Davies) et le glamour britannique (David Bowie), le déclin (Alain Pacadis) et le savoir-faire français (Jean-Jacques Schuhl). Barbara Carlotti et ses musiciens rendent hommage à ces individualistes raffinés et élégants dans Nébuleuse Dandy, sur des images de l’artiste Cécile Paris, projections-constellations impressionnistes qui accompagnent les musiques, les chants, les lectures. Février 2011

Cousant ces fragments sublimes en figures de styles et costumes de scènes, Barbara Carlotti affirme aujourd’hui nécessaire (car galvaudé) cet art des artifices et de la fabrication de soi, en un éloge de la lenteur et de la distinction : « Je trouve que la société est en mal d’idéal. L’héroïsme du dandy est de ne pas se laisser happer par la modernité, mais de toujours garder le cap du sublime. Qui est aussi celui de l’art pour l’art, de l’inutilité, de l’oisiveté. Le dandy est avec l’époque et contre l’époque. C’est le défenseur de valeurs aristocratiques – il peut être un peu réac –, le garant de la beauté, de l’art ancien, de la culture. » Mémoire vivante de ses idéaux, le dandy détourne le réel pour rappeler les valeurs d’une très ancienne aristocratie, celle de l’âme. Les âmes des dandys forment désormais une nébuleuse, que l’on peut aller voir et écouter.

Nébuleuse dandy, les 8 et 9 février à la Cité de la musique, dès 20h, 24 € WWW.MK2.COM


© DR

L’oreille de… BARBARA CARLOTTI

BERTRAND BELIN À LA CIGALE « “ Hypernuit”, formule étrange qui définit pour moi Bertrand Belin. L’élégant poète nous installe au beau milieu d’une forêt, la nuit. Là, on commence à entendre le silence, puis le moindre bruissement de feuilles, le vent léger qui passe dans les arbres, les animaux tapis dans les buissons ; et l’espace qui s’étend à l’infini… Il y a toujours eu cette dimension atmosphérique dans ses chansons, mais c’est dans la sobriété et la classe inventive du dernier album, Hypernuit donc, qu’elle se déploie le mieux. » _Propos recueillis par W.P.

Bertrand Belin, le 8 avril à la Cigale, dès 20h, 23,65 € Hypernuit de Bertrand Belin (Cinq7 / Wagram)

agenda CONCERTs

_Par W.P.

1 WIRE Dès Pink Flag (1977), les Britanniques Wire étaient à l’avant-garde de l’avant-garde, artpunk ou post-punk avant la lettre. Aujourd’hui encore, les suiveurs (Bloc Party, Franz Ferdinand) n’arrivent pas à suivre. Préférez l’original. Le samedi 12 février au Point éphémère, dès 20h, 18 €

2 IRON & WINE La pop-folk d’ornements de Sam Beam est au moins l’égal d’un Sufjan Stevens dans les mélodies attrape-cœur, les arrangements flâneurs et les harmonies supérieures. Sortez-le du bois. Le jeudi 17 février à l’Alhambra, dès 20h, 25 €

3 PJ HARVEY Pour la sortie de son très new wave Let England Shake, Polly Jean la malpolie quitte sa campagne anglaise et secoue deux fois le boulevard des Capucines. Sauvageonne. Jeudi 24 et vendredi 25 février à l’Olympia, dès 20h30, de 50 € à 55 €, complet

4 ALAN VEGA + CERCUEIL L’ex-Suicide fait des infidélités à Martin Rev pour un concert avec Marc Hurtado (Étant Donnés), à l’occasion de la sortie de leur album Sniper. Les formidables Cercueil ouvriront pour le rescapé new-yorkais. Le jeudi 24 févier à la Machine du Moulin Rouge, dès 20h, 22 €

Février 2011


© Helmi Charmi

CLUBBING

58 sORTIES EN VILLE

Le Pompon a installé son dancefloor rock dans une ancienne synagogue de la rue des Petites-écuries

NÉOBISTROTS

L’esprit brasserie renaît dans le Xe

Après l’essor du XIe arrondissement puis du « south Pigalle », c’est dans le Xe que s’ouvrent tous les lieux où l’on veut boire et danser en 2011. Dans ces bistrots, le nouveau clubbing frais et décontracté se vit « comme à la maison ». _Par Violaine Schütz

Tout a commencé il y a quelques années avec la rénovation de Chez Jeannette, beau bistrot fifties redécoré pour les trentenaires branchés au 47 rue du Faubourg-Saint-Denis. Depuis ce succès, la même clientèle arty-bobo se croise au très kitch Mauri7 (au n°46), qui organise même des soirées house, et au Napoléon (n°73), élégante brasserie familiale et bon marché. Rue du Faubourg-du-Temple, le Floréal, ouvert par l’équipe de Chez Jeannette, compte à nouveau réinventer l’esprit bistrot en le rendant encore plus cool… avec des DJs rock. En continuant la balade rue de la Fidélité, on croise la Clique (le Baron, Chez Moune), qui a installé dans le sous-sol de son restaurant, La Fidélité, une cave avec jukebox qui joue des oldies punk, garage et pop. Pourquoi un tel attrait pour le X e arrondissement ? Diane Lebel, programmatrice du Pompon, club ouver t en octobre dernier au 39 rue des

Février 2011

Petites-Écuries dans une ancienne synagogue et qui a depuis reçu des pointures indés (Black Keys, Two Door Cinema Club, Ariel Pink), l’explique ainsi : « C’est un vrai quartier populaire, l’un des rares qui demeure à Paris, avec un mélange de cultures et de religions. Des magasins de perruques du boulevard de Strasbourg aux épiceries chinoises, on y trouve tout à n’ importe quelle heure. C’est aussi un quartier où il fait bon vivre, avec les abords du canal, les espaces verts, des galeries d’art qui ouvrent régulièrement, une multitude de restos et de bars. Et la proximité avec d’autres quartiers comme le Marais ou Belleville en fait un endroit pivot de la vie parisienne. » Autre raison du succès : ici, on peut boire un verre entre amis sans se ruiner, improviser une sortie en sachant qu’on trouvera de la bonne musique, grignoter et rentrer tôt. Toutes les tendances du clubbing 2011 sont déjà dans le X e.

WWW.MK2.COM


© Guillaume Adrey

LES NUITS DE… MAMAN RECORDS

« Maman, c’est un label de musique pop qui aime faire la fête. À un moment, on aimait tellement ça qu’on a oublié que les labels sortaient aussi des disques. D’ailleurs, nos disques ne sont presque plus destinés à l’écoute domestique. On apprécie des endroits variés, les trucs chic (Carmen, la Fidélité), les pubs rock indé (Truskel, Pop In), voire les bars que l’on aime d’amour, comme le Sans Souci. La nuit, c’est le meilleur moment pour les rencontres, sentir ce que les gens ont envie d’écouter et éviter de s’enfermer dans ses propres certitudes. » _Propos recueillis par V.S.

Maman Records, le 11 février chez Carmen, le 18 au Tigre, le 25 à la Fidélité, le 26 au Truskel et le 3 mars VS Moune au Sans Souci, www.mamanrecords.com

agenda CLUBBING

_Par V.S.

1 DISCODEINE RELEASE PARTY Discodeine, alias Pentile et Pilooski, mêle disco moite et pouvoirs psychotropes de la codéine. Au Point éphémère, ils joueront leur premier live pour fêter la sortie de leur premier album éponyme, accompagnés de Tristesse contemporaine (live), Tim Sweeney et Optimo (DJ). Le 11 février au Point éphémère, dès 23h, 14 €

2 FREE YOUR FUNK Amoureux du funk libre, ce collectif consacre une soirée à Jay Dee, plus connu sous le nom de J Dilla, éminent producteur hip-hop mort en 2006. Onra, DJ Fab et Saneyes lui rendront hommage derrière les platines. Le 19 février à la Bellevilloise, dès 23h, 12 €

3 WIDE STYLE #9 Choc des titans à la Machine : d’un côté Bonobo, du label Ninja Tune, et de l’autre Nightmares on Wax, de l’écurie Warp. Deux diamantaires du mix qui devraient transformer la Raffinerie en quai des Orfèvres par la magie de beats trip-hop, downtempo et soul. Le 25 février à la Raffinerie de la Machine du Moulin rouge, dès 23h, de 16 € à 20 €

Février 2011


© Courtesey Andrea Caratsch

EXPOS

60 sORTIES EN VILLE

Zakk Wylde II de John Armleder (2008)

À VUE D’OUÏE

Les sons s’exposent en silence

Avec l’exposition Echoes, le Centre culturel suisse de Paris réunit 37 artistes pour montrer la musique au-delà de son expression audible, et témoigne à sa façon de l’ampleur des liens existants entre son et arts visuels. _Par Anne-Lou Vicente

Évoquer le son et plus particulièrement la musique : tel est le parti pris de Echoes, exposition présentée au Centre culturel suisse, qui réunit les œuvres (non sonores) de 37 artistes, suisses (comme John Armleder, Valentin Carron, Philippe Decrauzat ou Christian Marclay) mais pas seulement. On y constate que nombreux sont les plasticiens qui, à travers différents médias (photographie, vidéo, peinture, dessin, sculpture, installation, etc.), cultivent les références au son et à la musique de manière plus ou moins systématique. Photos de concerts, instruments, matériel de diffusion ou d’amplification sonore constituent quelquesuns des multiples éléments permettant d’évoquer la chose musicale de façon explicite tout en jouant sur un registre mutique, mettant ainsi en exergue son potentiel pictural ou sculptural, voire architectural. « Il est problématique d’exposer des œuvres sonores, explique Jean-Paul Felley, qui codirige l’institution parisienne avec Olivier Kaeser. Certaines en écrasent d’autres par leur puissance. Dans une salle comme la nôtre,

Février 2011

cela conduirait à une cacophonie totale. D’autre part, la première chose qu’utilise l’artiste, c’est le visuel. Ce qui nous intéresse dans ce projet, c’est comment un plasticien crée visuellement des liens avec l’univers de la musique. » C’est ce dont témoigne aussi Unisson, projet du peintre helvétique Francis Baudevin présenté dans un autre espace du Centre culturel suisse, qui revisite les ponts entre les scènes musicales new-yorkaise et suisse à partir de la compilation Plow! (Organik, 1985), qui rassemblait des groupes phares des deux contrées à l’époque. Enfin, toujours à propos d’écho, signalons l’exposition Musique plastique, présentée simultanément à la Galerie du jour agnès b. Décidément, les yeux ont des oreilles partout.

Echoes, jusqu’au 10 avril au Centre culturel suisse, 32-38 rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris. Du mardi au vendredi de 10h à 18h, samedi et dimanche de 13h à 19h, www.ccsparis.com

WWW.MK2.COM


© Maison Populaire

LE CABINET DE CURIOSITÉS

MONTAGES ET DÉMONTAGES Pour le premier volet de son cycle d’expositions à la Maison populaire, la commissaire Raphaële Jeune propose à 45 artistes – dont la liste est tenue secrète – d’exposer une œuvre pour une unique journée, au cours de laquelle s’enchaînent donc, voire se chevauchent, accrochage, vernissage, démontage et finissage. Un dispositif curatorial original, augmenté des interventions quotidiennes du philosophe Frédéric Neyrat, qui inscrit l’exposition collective dans le temps plutôt que l’espace. _A.-L.V.

Jusqu’au 26 mars à la Maison populaire, 9 bis rue Dombasle, 93100 Montreuil, www.maisonpop.net

Agenda expos

_Par A.-L.V.

MAÏDER FORTUNÉ Une série de photographies, d’origamis et une projection vidéo stroboscopique entourent Carrousel, film contemplatif où les nappes sonores accompagnent un lent travelling faussement continu, formant ainsi une boucle atemporelle. Le Quatrième Mur était complètement dégagé, jusqu’au 26 février à la galerie Martine Aboucaya, 5 rue Sainte-Anastase, 75003 Paris

ANTHONY MCCALL L’artiste britannique installe ses cônes de lumière dans l’architecture gothique du collège des Bernardins. Issue de la série Solid Light, l’installation constitue paradoxalement une sculpture immatérielle formée par le halo de projecteurs vidéo. Between You and I, du 3 février au 16 avril au collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, 75005 Paris

ÉRIC DUYCKAERTS L’exposition Idéo réunit vidéos, objets, sculptures, wall paintings et sérigraphies de l’artiste belge, maître en l’art du langage, du discours et de son détournement, qu’il expose au cours de conférences-performances dans lesquelles la logique côtoie l’absurde et le burlesque. Idéo, du 5 mars au 5 juin au MAC/VAL, place de la Libération, 94400 Vitry-sur-Seine Février 2011


© Cosimo Mirco Magliocca

SPECTACLES

62 sORTIES EN VILLE

JEUX DE VILAINS Corneille version farce Dans un salon néocolonial, BRIGITTE JAQUES-WAJEMAN met en scène aux Abbesses le petit théâtre de la politique dans Nicomède, une tragédie de Corneille qui pactise pour une fois avec la comédie domestique. _Par Ève Beauvallet

Au risque de paraître sadique, coupons court à tout suspens : il n’y a ni parricide, ni flaque de sang, ni empoisonnement dans Nicomède de Pierre Corneille, pièce datée de 1651 dans laquelle l’auteur prend un plaisir certain à brouiller les règles de la tragédie. En effet, quid de la mort des héros ? Quid des émotions de « crainte » et de « pitié » dans cette farce politico-familiale qui révèle un happy end fédérateur ? Corneille s’éloigne cette fois des codes du genre pour se focaliser sur l’admiration que suscite le valeureux Nicomède, prince de Bithynie au III e siècle avant J.C., petit frère des peuples mais fils d’un roi chenapan. Le dilemme s’articule autour de la relation père / fils : Nicomède doit-il dénoncer son père, souverain versé dans la corruption, pion de l’Empire romain, sexuellement assujetti à sa seconde épouse Arsinoé, ici sorte d’Attila griffée Louboutin et flanquée de ses sbires mafieux ? La première qualité de la mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman, qui s’attaque

Février 2011

également – toujours au théâtre des Abbesses – à Suréna du même auteur et qui réclame que l’on « rit à Corneille comme on rit à Molière », est de pousser les figures néfastes vers la démesure carnavalesque. Car tout le monde dupe dans ce machiavélique Nicomède ; et chacun entre et sort de son jeu avec une agilité inquiétante. La seconde de ses qualités (passons sur son aisance à esquiver les coups de coudes racoleurs aux politiques actuelles) est de savoir condenser les enjeux de la pièce dans une unique machine à jouer. Soit une table de banquet démesurée, aussi bien compte à rebours tragique (y défilent petit déjeuner, déjeuner et apéritif vespéral) qu’icône des liens familiaux : berceau originel et arène impitoyable, table de festin et lieu de mets pourris.

Nicomède et Suréna de Pierre Corneille, mises en scène de Brigitte Jaques-Wajeman, jusqu’au 13 février au théâtre des Abbesses, www.theatredelaville-paris.com

WWW.MK2.COM


© Herman Sorgeloos

Le Spectacle Vivant Non Identifié

CÉDRIC ANDRIEUX Jérôme Bel est souvent présenté comme la figure de proue de la vague de chorégraphes déconstructivistes qui, dans les années 2000, a mis à sac ce qui restait des artifices du spectacle. Sorte de croisement entre Warhol (les recyclages pop) et Béjart (la mégalomanie), il poursuit avec la pièce Cédric Andrieux une série de portraits de danseurs amorcée en 1995. Peu d’entrechats ici, mais un documentaire chorégraphié où Cédric Andrieux retrace son parcours personnel, via le Ballet national de Lyon et la troupe de Merce Cunningham. _E.B.

Le 3 mars au théâtre de Vanves, dans le cadre du festival Artdanthé, www.artdanthe.fr

agenda SPECTACLES

_Par E.B.

1 SALOMÉ Avec Carmelo Bene en héritage et Tex Avery en sous-texte gestuel, la compagnie des Dramaticules devrait porter à merveille ce décadent et très baroque Salomé qu’Oscar Wilde écrivit en français en 1891. On les a bien vue scotcher leur public avec Beckett, Pinter et Collodi… Les 3 et 4 février au théâtre de Cachan, www.theatredecachan.fr. Du 9 au 11 février au théâtre de l’Ouest parisien, www.top-bb.fr

2 SCÈNES DE BAL, BALS EN SCèNE De la belle danse à Pina Bausch en passant par Roland Petit ou Madame de La Fayette, la pratique sociale du bal et ses porosités avec les danses « savantes » sont à l’honneur dans une généalogie qui croise exposition, projection, publication et bals contemporains. Du 9 février au 30 avril au Centre national de la danse, www.cnd.fr. Du 5 mai au 10 juin au Théâtre national de Chaillot, www.theatre-chaillot.fr

3 LE PROBLÈME Défiant les convenances bourgeoises, Annie quitte son foyer tandis que ses adolescents bûchent sur un problème philosophique : la conscience est-elle compatible avec le bonheur ? À cette question de François Bégaudeau, auteur de la pièce, répondent les hypothèses du metteur en scène Arnaud Meunier et des acteurs, Jacques Bonnaffé et Emmanuelle Devos. Du 23 février au 3 avril au théâtre du Rond-Point, www.theatredurondpoint.fr Février 2011


© Bruna Verjus

RESTOS

64 sORTIES EN VILLE

HAUT VOL

Tiercé gagnant au Verre volé

Cuisine à six mains pour ce bistrot en quête de hauteur. DELPHINE ZAMPETTI, PATRICE GELBART et RYOTAR MIYAUCHI mêlent expériences, fraîcheur et exotisme pour une leçon de piano bien accordé. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)

La rue de Lancry s’écoule en flots gris passe muraille vers le canal Saint- Martin. Quelques mètres en amont, le restaurant Le Verre volé reste fidèle, depuis plus de onze ans, à son addiction pour la cuisine et les vins, natures. Cyril Bordarier, en bon capitaine, donne le cap à ce lieu unique, alternatif, havre d’hédonisme. « Je pratique une cuisine de ménagère, tournée vers la nostalgie des plats d’avant. Je rêve d’un véritable jambon roulé à la macédoine de légumes… », glisse Delphine Zampetti. Sa cuisine du cœur nous guide vers le souvenir de goûts et de sensations d’avant. Une quintessence sublimée par des produits impeccables. Patrice Gelbart, cuisinier engagé au sens de la défense du terroir et de ses artisans, aime la spontanéité du geste : « La cuisine, c’est bien sûr faire plaisir, mais c’est aussi construire des réseaux humains. » Une responsabilité du chef, souligne-til ! « J’aime assaisonner la cuisine par mes exotismes, les tempura, les panés, le cru, les agrumes, Février 2011

les vinaigres de riz… » : voilà comment la sagesse exquise du Japonais Ryotar Miyauchi tempère ensuite la brute nature du produit. Trois chefs pour trois parcours autour du sensible, du divers et du vivant. Les expériences se combinent au fourneau et dans l’assiette, pour le meilleur des gourmands. Au Verre volé, l’on s’attable et laisse le temps s’envoler. Les voyages à rebours de Delphine enlacent les produits, inspirant Patrice, à l’égal de cette tempura (la touche de Ryo) d’encornet et crème de poivron au ton cardinal. Elle joue de sa note framboisée en belle escorte pour l’encornet. Les coquilles Saint-Jacques de plongée s’invitent « coque », juste le temps de laisser fondre un beurre cru demi-sel, assaisonnées de quelques atomes de bergamote. Une cuisine à six mains de haute voltige, qui fait tourner toutes les têtes.

Le Verre volé, 6 rue de Lancry, 75010 Paris. Tél. 01 48 03 17 34. www.leverrevole.fr WWW.MK2.COM


© Amit Israeli

LE PALAIS DE… KEREN ANN

MICHELANGELO « C’est un petit restaurant italien perché sur la butte Montmartre. Le patron se rend au marché tous les matins et, en fonction des produits du jour et de son inspiration, le menu change continuellement. J’y ai goûté des pâtes fraîches aux fruits de mer, du poisson grillé… Il y a toujours des antipasti et de délicieux desserts. Souvent du très bon vin que lui apportent ses amis producteurs indépendants. Idéal avec un tartare ! Penser à réserver absolument, il n’y a que deux ou trois tables, c’est vite complet. » _Propos recueillis par Auréliano Tonet

Michelangelo, 3 rue André-Barsacq, 75018 Paris. Tél. 01 42 23 10 77 101 de Keren Ann (EMI)

Où MANGER APRÈS…  _Par B.V.

RIO SEX COMEDY À la Favela Chic, pour une soirée en rose et azul. Sans comédie, les filles roulent des hanches et sourient. Ambiance samba et caï bien tassée. La cuisine, grande ouverte, déborde de feijoada, de Garota de Ipanema (saumon poêlé, citron et piment), de sauce corcovado ou de pudim. Favela Chic, 18 rue du Faubourg-du-Temple, 75011 Paris. Tél. 01 40 21 38 14

UNE PURE AFFAIRE Chez RAP, parce que c’est une pure affaire. Dans un cadre élégant, contemporain, voilà une table italienne fringante. Une carte courte, pure – deux antipasti, deux primi, trois secondi et trois dolce – mais suffisante pour vous donner l’envie de tout dévorer. RAP, 24 rue Rodier, 75009 Paris. Tél. 01 45 26 86 26

LES FEMMES DU 6e ÉTAGE Chez Le Pantruche, pour sa culture du Paris qui gouaille. Ici l’on mêle les produits canailles et les produits bourgeois : velouté de céleri rave et châtaigne, noix de SaintJacques poêlées et chips de vitelotte, soufflé au Grand Marnier. Une cuisine qui réconcilie tous les étages de la gourmandise. Le Pantruche, 3 rue Victor-Massé, 75009 Paris. Tél. 01 48 78 55 60 Février 2011

WWW.MK2.COM


66 LA CHRONIQUE DE

Février 2011

WWW.MK2.COM




Avec Black Swan, plongée lyrique et duale dans les coulisses d’une troupe de ballet, DARREN ARONOFSKY filme le dérèglement d’une danseuse modèle, dont le corps et la psyché se détraquent à l’approche de la première du Lac des cygnes. Aiguillés par les arabesques somptueuses de Natalie Portman, nous avons confronté ce film d’horreur au regard de danseurs et chorégraphes aguerris. Œuvre-somme, criblée de références, Black Swan rappelle par ailleurs combien danse et cinéma n’ont cessé de se nourrir mutuellement, au long d’un pas de deux jonché d’innovations esthétiques, techniques et commerciales. Turlututu, dossier pointu. _Dossier coordonné par Ève Beauvallet et Auréliano Tonet

© TM and 2010 20th Century Fox Film Corporation

DANSE MACHINE


Š TM and 2010 20th Century Fox Film Corporation


danse et cinéma /// Dossier 71

CYGNE DE TÊTE Ballerine schizo et écorchée dans Black Swan, fuck buddy blasée dans Sex Friends, NATALIE PORTMAN attaque l’année enceinte, oscarisable et fraîchement auréolée d’un Golden Globe. Portrait d’un corps élastique surmonté d’une forte tête. _Par Clémentine Gallot

O

n entend souvent qu’il n’y a pas de « Natalie Portman movie ». L’actrice de 29 ans a pourtant eu l’intelligence de choix de carrière qui l’ont menée de gamine tenace chez Luc Besson à des cameos chez Woody Allen, Michael Mann et Wes Anderson, pour finir en créature métamorphosée – courtisane fluo dans Closer, crâne rasé dans V for Vendetta, reine cosmique dans Star Wars. Avec quelques navets en chemin : The Other Boleyn Girl, Free Zone et autres Garden State. Son tout récent Golden Globe de meilleure actrice pour Black Swan, un prix qui récompense de plus en plus les performances physiques, laisse penser qu’il faut aujourd’hui souffrir pour décrocher son award (fonctionne aussi pour les Oscars). À l’occasion, son rire de greluche lâché pendant la cérémonie a fait le tour du web, tout comme son monologue dégoulinant.Ce qui n’a pas entamé la cote d’amour qui porte l’ancienne étudiante d’Harvard (en psycho), aujourd’hui féministe écolo et engagée. CORPS RACCORD Avec Black Swan, Natalie Portman s’est donnée en pâture à Darren Aronofsky, qui offrait deux ans plus tôt une renaissance suppliciée à Mickey Rourke dans The Wrestler. Elle s’est glissée dans les collants de Nina, ambitieuse danseuse du New York City Ballet en lice pour le rôle titre du Lac des cygnes, tourmentée par une mère envahissante, un directeur abusif et une rivalité avec une doublure maléfique. Engloutie par un rôle qui la consume entièrement, scrutée par une steadicam braquée tout du long sur sa nuque gracile, Nina finit sacrifiée sur scène, au terme d’un chemin de croix poursuivant, sur un mode plus lyrique, celui du Wrestler. Ce cauchemar anxiogène sur l’horreur du spectacle fait de cette petite poupée une chose élastique, dont l’ossature désarticulée craque peu à peu – « raide comme un cadavre », entend-on dans le film. Fable radicale sur l’art, où la dépossession de soi se substitue à l’incarnation, Black Swan est une œuvre mimétique, au tempo binaire, qui obéit à une construction en gammes chromatiques (rose, blanc, noir) – sans doute sa plus grosse ficelle. « Le ballet est un environnement extrêmement cruel, déclarait Février 2011

l’actrice en décembre à Londres. C’est un art féminin encore dominé par les hommes. Les danseuses vieillissent, se périment et sont remplacées par les plus jeunes. Un peu comme les acteurs. Il était donc très judicieux de faire un film sur ce milieu. C’est une histoire singulière, mais elle aborde des sujets tabous, que les gens ne veulent pas voir. » JUSTE AU CORPS Ce film mutant, qui investit le domaine du fantastique par le biais du récit d’apprentissage, évoque aussi, de loin, la trajectoire d’enfant acteur de Natalie Portman : « Quand on est enfant star, on veut faire plaisir à tout le monde. On vit à travers cette approbation. Mais je n’irais pas jusqu’à tuer pour un rôle, contrairement à Nina », explique-t-elle avec un sourire sardonique. Cette partition de ballerine aux prises avec un corps et une psyché déréglés n’est peut-être pas son rôle le plus sensuel (quoique…), mais reste sans doute celui qui lui a demandé le plus d’investissement. « Je suis très exigeante mais pas maso. Pourtant, sur ce film, j’ai été obligée d’affronter la douleur et de repousser mes limites. » Soit un régime strict et une préparation d’un an,à raison de cinq heures par jour,avec un chorégraphe (son boyfriend français Benjamin Millepied, rencontré sur le tournage), au terme de laquelle elle s’est disloquée une côte. Dans un registre qui faisait défaut à sa filmographie,l’actrice fan de Supergrave a aussi produit récemment Sex Friends. Cette comédie du désengagement met en scène une jeune interne (Portman) et son fuck buddy du moment (Ashton Kutcher). Ivan Reitman (Ghostbusters) revisite ainsi la rom’com générationnelle sous la plume acérée d’une jeune scénariste, Elizabeth Meriwether. Le charme de ce petit film tient en partie à ses seconds rôles délurés, Olivia Thirlby et Greta Gerwig. Alimentant au passage les débats américains sur la restriction de la nudité à l’écran, Natalie Portman et Ashton Kutcher tirent à deux leur épingle de ce joli corps à corps. Black Swan de Darren Aronofsky // Avec Natalie Portman, Vincent Cassel… // Distribution : 20th Century Fox // États-Unis, 2010, 1h43 // Sortie le 9 février Sex Friends d’Ivan Reitman // Avec Natalie Portman, Ashton Kutcher… // Distribution : Paramount // États-Unis, 2010, 1h48 // Sortie le 16 février

WWW.MK2.COM


72 DOSSIER /// danse et cinéma

Traversées du miroir Jeu de faux-semblants autour des fantasmes d’une ballerine, Black Swan offre un regard horrifique et schizophrène sur les coulisses du monde de la danse. Pour Trois Couleurs, danseurs, chorégraphes et spécialistes du quatrième art ont jaugé le film de Darren Aronofsky à l’aune de leurs propres pratiques. Synchronisation et contrepoints. _Propos recueillis par Ève Beauvallet et Laura Pertuy

MARIE-AGNÈS GILLOT Danseuse étoile de l’Opéra national de Paris « Black Swan m’a vraiment troublée, bien que je me situe à l’inverse de ce personnage. Natalie Portman a véritablement pris le rôle à cœur et à corps, son travail est irréprochable, même si elle est loin d’atteindre le niveau d’une professionnelle. Après, l’image de la danse qui est transmise me déplaît beaucoup : toutes les choses contre lesquelles nous nous battons depuis dix ans, comme l’anorexie (qui est passée dans la mode), sont mises sur le devant de la scène ; il est assez dur de voir tous ces clichés revenir sur grand écran. Il faut absolument interdire aux jeunes ballerines de voir ces scènes. En ce sens, c’est un film daté. Quant à la préparation du Lac des cygnes, elle est retranscrite avec justesse, seulement c’est bien pire que ça dans la réalité. Par contre, j’ai beaucoup apprécié l’introduction de l’horreur dans le film, il m’a vraiment angoissée ; ça va décaper pour le grand public. » PHILIPPE NOISETTE Journaliste spécialisé, auteur de Danse contemporaine, mode d’emploi (Flammarion) « Les amateurs de films de danse penseront évidemment aux Chaussons rouges de Powell et Pressburger, mais, en matière de romantisme sombre, Black Swan est selon moi moins puissant. Sa façon de tirer vers le sanguinolent, d’intégrer des effets spéciaux et de saluer le cinéma d’horreur – c’est davantage un thriller psychologique qu’un film sur la danse – est peut-être un peu grandiloquente. En revanche, le film est intéressant dans sa façon de

Février 2011

récupérer tous les clichés de l’univers du ballet et de les assumer : le climat d’une compagnie, la relation mère / fille dans la danse classique, l’anorexie évidemment, le chorégraphe mentor mi-maléfique… On peut difficilement esquiver ces lieux communs lorsque l’on prend la danse classique pour objet. Mais ce que certains ont pu reprocher au film est sûrement l’une de ses forces : savoir revendiquer les clichés, les fondre dans la psychologie du personnage, les incorporer habilement au scénario. » MICHÈLE BARGUES Responsable du festival Vidéodanse au Centre Pompidou « J’aime le cinéma américain : de Howard Hawks à Gus Van Sant en passant par James Gray, Martin Scorsese ou Quentin Tarantino. J’aime la comédie musicale, et j’aime la danse. C’est pourquoi le film m’a déçue. Passons sur les poncifs affolants : le rôle de la mère, la douleur des pieds due aux pointes, et ce maître de ballet qui fait découvrir à la ballerine qu’elle peut devenir cygne noir dès lors que c’est elle qui désire et non plus l’homme… C’est assez réactionnaire. Surtout, on nous montre l’effort, la rivalité (comme souvent), mais pas la danse. On ne voit rien du ballet, la caméra est hystérique, ne prend pas le temps de se poser sur la danse, comme si elle craignait que le public s’ennuie si on lui en montrait plus. Le grand public a droit au meilleur, mais visiblement Aronofsky n’est pas Eastwood. Par contre, Natalie Portman est magnifique. On est porté par elle, alors qu’on est brinquebalé par le film. »

WWW.MK2.COM


Š TM and 2010 20th Century Fox Film Corporation


© TM and 2010 20th Century Fox Film Corporation

74 DOSSIER /// danse et cinéma

JERÔME BEL Danseur, chorégraphe « Je ne suis pas danseur classique, mais j’ai fréquenté assidument l’Opéra de Paris pendant quatre ans pour la création d’une de mes pièces. Je me suis demandé si les scénaristes du film étaient les plus paresseux d’Hollywood ou s’ils usaient de substances illicites, vu les incohérences du scénario : ce maître de ballet qui explique Le Lac des cygnes en plein cours, c’est improbable. Quand à l’artistic director, il faut l’enfermer immédiatement : l’écharpe duveteuse de l’héroïne pour évoquer le cygne, le décor

la danse est très fort : un danseur garde toujours à l’esprit qu’il va certainement devoir s’arrêter plus tôt qu’il ne l’aurait souhaité, il est obnubilé par le délabrement de son propre corps. Le registre de l’horreur est parfait pour rendre l’étrangeté liée à notre activité : ce mystère qui entoure les coulisses, le fantasme que peut susciter la danseuse… Les jeux de miroirs qui parcourent le film renvoient au narcissisme auquel nous sommes confrontés quotidiennement, et les discussions psychologiques introduites par le maitre de ballet sont d’une justesse appréciable. »

« Comme on suit la danseuse de façon continue, on se retrouve happé par sa psychose. » Angelin Preljocaj noir et blanc, au secours ! Bref, c’est la machine hollywoodienne en marche, la machine qui simplifie tout. Le pire étant l’association du noir à la sexualité. La pureté étant le cygne blanc, l’impureté le noir. Non, messieurs et mesdames les scénaristes, la sexualité n’est pas impure. Ni mortelle, puisque c’est par une défloration symbolique mais sanglante et définitive que se termine ce navet. Par contre, Natalie Portman est très crédible en danseuse. » CLAIRE TRAN Danseuse, comédienne « Aronofsky a très bien compris les angoisses qui nous traversent en tant que danseur, en les traduisant par ces mutilations infligées au corps, notre outil de travail. L’angoisse du vieillissement est particulièrement bien traitée. Le jeunisme du milieu de

Février 2011

PASCAL RAMBERT Auteur, réalisateur, chorégraphe, metteur en scène, créateur du Side One Posthume Theatre, directeur du théâtre de Gennevilliers « C’est too much, hyper dramatisé. Un peu l’Inception de la danse, si l’on veut. Déjà, ce n’est pas un film sur la danse, mais un film sur le plaisir féminin, le désordre intérieur que peut provoquer un sacrifice total à son art et la façon de somatiser ce désordre. Sur la frigidité, il y a des choses justes, mais on rêve que ce soit traité par David Lynch. Ensuite, c’est une idée de la danse pour les petites ballerines adolescentes, qui vont sortir du film encore plus terrorisées qu’elles ne le sont déjà ! Cette figure du chorégraphe tout puissant est toujours un peu agaçante, quand on voit à côté la justesse, la vérité sur le travail de la danse

WWW.MK2.COM



76 DOSSIER /// danse et cinéma

© Vincent Bosc

« Le pire est l’association du noir à la sexualité. Non, messieurs et mesdames les scénaristes, la sexualité n’est pas impure. » Jérôme Bel Vaguely Light d’Andrea Cera

MK2, RÉSEAU POINTU Festival bientôt trentenaire, Vidéodanse célèbre la vigueur de la danse sur les écrans via un programme de documentaires, de fictions, de clips et de captations de spectacle. Un temps fort pour la danse contemporaine, qui s’inscrit dans la politique de décloisonnement des cinémas MK2 : « Nous sommes un réseau très attaché aux autres modes d’expression, et particulièrement à la danse », explique Bertrand Roger, directeur de la programmation et ancien accessoiriste au Théâtre de la ville. « Pouvoir apprécier au cinéma la captation de Kontakthof de Pina Bausch dans le cadre de Vidéodanse, et parallèlement découvrir le documentaire d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann sur la reprise de cette même pièce avec des adolescents, c’est merveilleux. » Seizième semaine à l’affiche du MK2 Beaubourg pour ces Rêves dansants – en attendant le Pina de Wim Wenders, prévu en avril et en 3D –, un succès inattendu ? « Pina Bausch a chorégraphié l’individu perdu dans la foule comme seuls les réalisateurs contemporains l’avaient filmé avant. Que le public convienne de l’immensité de son talent ne me surprend pas. » Mais, nous réjouit, si. _E.B. Vidéodanse, jusqu’au 6 février au MK2 quai de Loire, www.mk2.com

Février 2011

dans Les Rêves dansants, le documentaire d’Anne Linsel. En tant qu’artiste, je valide par contre cette idée d’une perfection que l’on pourrait trouver dans le lâché-prise. Les séquences chorégraphiques intéressantes, on les trouve dans la façon qu’a la caméra de traquer au cou Natalie Portman, de faire peser sur elle une pression psychologique. » ANGELIN PRELJOCAJ Danseur, chorégraphe, créateur du Ballet Preljocaj, directeur du Pavillon noir, centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence « Le film bénéficie d’une construction dramaturgique assez claire et crédible malgré l’incongruité et le côté fantastique de l’histoire. C’est écrit de telle manière que le spectateur se laisse progressivement prendre au jeu. Aronofsky s’est emparé du monde de la danse pour raconter l’histoire d’une schizophrène, pour faire évoluer son personnage à l’intérieur de problématiques qui nous sont familières, l’idée d’excellence par exemple. Comme on suit la danseuse de façon continue, on se retrouve happé par sa psychose. Les ressorts de Black Swan sont d’ailleurs très proches de Psychose d’Alfred Hitchcock. J’aurais seulement aimé plus d’invention dans le filmage des séquences dansées. » RAPHAËLLE DELAUNAY Danseuse, chorégraphe, créatrice de la compagnie Delaunay « C’est un film passionnant ! J’ai adoré le basculement de l’intrigue dans l’horreur, avec des références à Suspiria de Dario Argento. Le traitement des sons, comme le halètement de l’étoile, m’a paru d’une justesse vraiment appréciable ; on s’attend presque à sentir les odeurs de la scène. Bien que le film véhicule certains clichés, tous ne sont pas faux : la crainte qu’inspire le chorégraphe, la quête de la perfection, la privation de la chair, voire du vivant… On retrouve certaines thématiques de Requiem for a Dream, des drogues jusqu’à l’automutilation : Aronofsky a su, au fil des films, développer un univers personnel. Et quelle subtilité dans l’approche de la compétition ! Est-elle fruit de la schizophrénie de Nina ou de la folie du réalisateur ? »

WWW.MK2.COM



78 DOSSIER /// danse et cinéma

Drôle d’oiseau

Deux ans après The Wrestler, l’Américain DARREN ARONOfSKY poursuit avec Black Swan son étonnante traversée cinéphile, jalonnée de corps exténués et dépendants, de psychés éclatées, de citations plus ou moins évidentes. Tandis qu’il planche actuellement sur Batman 4 et Wolwerine 2, le réalisateur de Requiem for a Dream s’explique sur l’équilibre précaire de son cinéma, clivé entre pesanteur et légèreté, amples battements formalistes et grâce poids plume.

V

_Propos recueillis par Juliette Reitzer et Auréliano Tonet

ous n’avez pas écrit le scénario de Black Swan. Comment vous êtes-vous emparé du sujet ? Le scénario original se déroulait dans l’univers du théâtre, mais je l’ai transposé dans le monde de la danse, que je trouve particulièrement fascinant et que je connaissais par ma sœur. La danse occupait toute sa vie, c’était un vrai mystère pour moi, enfant. Ce film est donc très personnel, comme tous mes précédents.

De même que The Wrestler, Black Swan dresse le portrait d’un corps supplicié sur l’autel de l’entertainment. Oui, dans ces deux films, les personnages utilisent leur corps pour faire de l’art. Ces corps explorent leurs limites,littéralement,et sont confrontés au vieillissement. En préparant Black Swan, j’ai regardé de nombreux films sur le ballet,dont La Danse de Frederick Wiseman. Il se trouve qu’il consacre son nouveau documentaire, Boxing Gym, à l’univers de la boxe. Il filme les deux disciplines avec une même attention aux jeux de jambes, aux mouvements des corps. Les univers du combat et de la danse sont très proches. Dans Le Baiser du tueur, Kubrick filmait d’ailleurs une histoire d’amour entre un boxeur et une danseuse…

Février 2011

J’ai appris à aimer Kubrick avec le temps, en vieillissant. Ses films sont sophistiqués, ils ne se laissent pas saisir à la première vision. Le statut d’icône absolue qu’a Shining le place à un niveau très particulier. Regarder Shining, c’est un peu comme rendre visite à un vieil ami pour voir s’il a changé ou s’il est resté le même. Black Swan est- il un conte de fée filmé selon les codes du film d’horreur ? Oui, un conte de fée particulièrement noir. Nina ressemble à l’Alice du Pays des merveilles, sauf qu’elle ne traverse pas le miroir ; elle s’écrase littéralement dessus. Le terme « horreur » a un peu perdu son sens aujourd’hui, particulièrement aux États-Unis où beaucoup de films comportent des scènes gore. Donc faire un film d’horreur psychologique était une de mes ambitions. La plupart de vos personnages souffrent d’addiction, qu’elle soit toxique, professionnelle ou sentimentale. Pourquoi cette fascination ? C’est ainsi que je conçois la nature humaine. Je crois que les gens sont tous plus ou moins obsessionnels. Vous seriez surpris de découvrir tous les rituels auxquels les gens s’accrochent, dans l’intimité de leur maison.

WWW.MK2.COM


© TM and 2010 20th Century Fox Film Corporation

danse et cinéma /// dossier 79

La scène d’ouverture est d’une extrême simplicité : comment l’avez-vous pensée ? Au moment de tourner cette scène, nous n’avions plus d’argent. Nous avons dû la simplifier au maximum : une danseuse, une pièce noire et un unique projecteur. Si vous réussissez une scène avec ces seuls éléments, c’est que vous êtes sur la bonne voie. Le dernier tournage qui avait eu lieu dans ce lieu était

Répulsion de Roman Polanski… Black Swan utilise les ficelles classiques de l’horreur ; il y a peu de moyens d’effrayer les spectateurs. Je ne sais pas si vous pouvez rendre ces ficelles originales, mais vous pouvez les détourner, vous en amuser. Il y a dans Black Swan un plan où le cadre est traversé, au fond, par une ombre furtive. J’ai volé ça au Sixième Sens de M. Night Shyamalan.

« Vous seriez surpris de découvrir tous les rituels auxquels les gens s’accrochent, dans l’intimité de leur maison. » celui de la scène finale d’All That Jazz de Bob Fosse. On sentait une sorte de magie planer dans la pièce. Aviez-vous des références filmiques précises ? On pense notamment à Suspiria de Dario Argento et Phantom of the Paradise de Brian de Palma… Je n’ai pas vu Phantom of the Paradise, mais j’ai regardé Dressed to Kill du même réalisateur. Nous avons également visionné Les Chaussons rouges et Les Contes d’Hoffmann de Michael Powell et Emeric Pressburger, La Mouche de David Cronenberg,

Février 2011

À la différence des Chaussons rouges, où la caméra était statique, votre mise en scène accompagne et amplifie les mouvements des danseurs. Pourquoi avoir fait ce choix ? Tout simplement parce qu’aujourd’hui la technique le permet. Ce n’était pas le cas à l’époque. C’est très excitant d’avoir une caméra qui danse avec les acteurs. Lorsqu’on regarde de la danse assis dans un fauteuil, cela semble très facile. On ne se rend pas compte de la souffrance, des efforts, du sang. Comment arrive-t-on à créer une telle illusion ? C’est

WWW.MK2.COM


80 DOSSIER /// danse et cinéma

« Nina ressemble à l’Alice du Pays des Merveilles, sauf qu’elle ne traverse pas le miroir ; elle s’écrase littéralement dessus. » Eyes wide open Après Hedi Slimane, les Doors, Sofia Coppola et JR, Trois Couleurs consacre son cinquième hors-série à un cinéaste total, Stanley Kubrick, à l’occasion de l’exposition que lui dédie la Cinémathèque française. Au sommaire de ce numéro collector : une biographie et une filmographie exhaustives ; une présentation de ses motifs-clés (dérèglements, dédoublements, détournements) ; un panorama de ses influences ; une analyse de ses rapports à la technique, au son, aux échecs aux visages ; un retour sur ses projets avortés ; un reportage dans son manoir de Childwickbury ; une histoire des théories du complot qui lui ont été associées… Ce tour d’horizon sera complété par plusieurs interviews des proches de Kubrick : sa femme Christiane, son beaufrère et producteur Jan Harlan, son monteur Nigel Galt, son décorateur Ken Adam, l’inventeur du Steadicam Garrett Brown, etc. Last but not least, un portfolio reviendra sur les affinités du cinéaste avec la photographie, les arts plastiques et le design, mettant des œuvres de Georges de La Tour, Saul Bass, Mark Rothko ou Invader en regard des films de l’auteur visionnaire d’Eyes Wide Shut. Trois Couleurs hors-série #5, en kiosques et en librairies à partir du 2 mars, 132 pages, 9,90 € Exposition Stanley Kubrick, du 23 mars au 31 juillet à la Cinémathèque française, www.cinematheque.fr

Février 2011

ce qui m’a poussé à enlever la caméra du fond de la salle pour l’installer sur la scène. Peut-on considérer le personnage du directeur de ballet, interprété par Vincent Cassel, comme votre double ? Vincent se défend de s’être inspiré de moi, peut-être parce que je ne suis pas assez haut en couleurs. Mais j’aimerais pouvoir être aussi manipulateur que son personnage, qui est constamment dans le calcul. Je suis beaucoup plus direct, je vais droit au but avec mes acteurs et j’en ai fait fuir beaucoup. Je leur dis de manière très claire à quel point ce sera un défi de travailler avec moi ; beaucoup s’en effraient. Pourquoi vous êtes-vous tourné vers Natalie Portman pour jouer le rôle de Nina ? J’ai pensé à elle très tôt, et plus le projet prenait du temps, plus elle prenait de l’âge. Du coup, le personnage a évolué en fonction d’elle : dans le film, Nina a 25 ou 26 ans, ce qui est jeune en soi mais pas pour une danseuse. Natalie a fait de la danse enfant, mais elle a dû tout réapprendre en travaillant très dur, près de huit heures par jour pendant un an. L’engagement était complet pour elle, puisque j’ai vraiment cherché à installer le spectateur dans la tête de Nina : le film se concentre sur son expérience, son cerveau, son âme. En français, le terme « psyché » désigne à la fois l’âme et une grande glace mobile. Multiplier les miroirs dans le film était-il un moyen de souligner la schizophrénie dont souffre votre héroïne ? On savait dès le départ que les miroirs auraient une place importante, notamment parce que l’univers de la danse est saturé de miroirs dans les salles de répétition. Il se trouve que Black Swan traite aussi du fait de perdre son identité. Le film multiplie les figures du double, comme lorsque vous vous placez entre deux miroirs et que vous continuez à vous refléter, à perte de vue.

WWW.MK2.COM



82 DOSSIER /// danse et cinéma

FENÊTRE SUR CORPS Onduler dans l’espace, déboussoler le temps, enchaîner les images… Le cahier des charges du cinéma ? De la danse ? Les deux. Ce n’est pas par hasard si, des premières caméras aux applications iPhone, danse et image ont souvent fait bon ménage. Plan large, en vitesse accélérée, sur l’histoire de leur union.

A

_Par Ève Beauvallet

oût 2010. Lunettes 3D sur le nez. En relief dans les rues de New York, un gringalet au corps chewing-gum virevolte autour de son aimée. Sorte de Fred Astaire 2.0,la jeune star de Sexy Dance 3, Mooze, lance à quelques décennies d’écart un salut énamouré à Gene Kelly et son cultissime Singin’ in the Rain (1952). Ce ne sera pas le seul clin d’œil du film à cette époque bénie des dieux, où la danse était préservée de l’hystérie du cut. Et c’est heureux : au top du high-tech en matière de geste amplifié et d’espace augmenté, ce blockbuster de 2010 marquait également un retour à la notion de plan. Des premiers films en couleur de Georges Méliès au logiciel Lifeforms de Merce Cunningham,des danses cinégéniques de Loïe Fuller à celles pour smartphone de N+N Corsino, du Technicolor à la 3D, la danse est présente à chaque progrès technique du cinéma. Pourtant – et Sexy Dance 3 pose le problème à sa façon – les questions restent inchangées : comment sortir de la frontalité de la scène ? Caméra danseuse ou caméra spectatrice ?

VOLATILISATION Sexy Dance 3 a retenu la leçon : pas de caméra immersive pour diffracter le mouvement dans le monde de Gene Kelly. Pas de focalisation externe, déboussolée par les danseurs comme dans l’ouverture de Step Up 2 (2008). À l’époque de Singin’ in the Rain, le mouvement ne devance pas le cadre,

Février 2011

c’est la caméra qui, onctueuse, l’anticipe et l’accompagne. Nous sommes aux grandes heures de la Metro-Goldwin-Mayer, les réalisateurs s’appellent encore Vincente Minnelli, les stars Gigi Rogers ou Cyd Charisse. Le grand Jerome Robbins n’a pas encore soulevé Broadway ni révolutionné la comédie musicale en exorcisant les conflits sociaux dans sa bourrasque West Side Story (1961), culte pour tous les baby-boomers. Pas question, non plus, de préoccupations identitaires comme dans Rize (2004) de David LaChapelle, ni de romances sociales comme dans Grease (1978), Flashdance (1983), Dirty Dancing (1987) et tous les teen movies de la fin du XXe siècle. Bob Fosse n’a pas encore imposé ses chorégraphies freaky façon Sweet Charity (1969). La comédie musicale U.S., comme les fifties la conçoivent alors, est livrée aux claquettes, au charleston et à la féérie de l’envol amoureux. Superbe antidote aux traumas d’après-guerre mondiale. Dans les années 1950, cependant, le vent a déjà tourné. La danse à l’écran ne se contente plus du second rôle de spectacle filmé. On chorégraphie désormais pour l’écran. Un demi-siècle déjà que la prestidigitatrice des Folies Bergère, la danseuse Loïe Fuller, est passée par là, excitant avec les tissus vaporeux et les lumières électriques de sa Danse serpentine les recherches techniques en matière d’image animée. Mais ce sont surtout les séquences kaléidoscopiques du chorégraphe et réalisateur américain

WWW.MK2.COM


© Rue des Archives

danse et cinéma /// Dossier 83

Footlight Parade de Lloyd Bacon, avec des chorégraphies de Busby Berkeley (1933)

Busby Berkeley qui ont délivré la danse des musicals plan-plan du début de siècle.Lui,qui s’est d’abord illustré dans l’organisation de parades militaires, invente alors d’audacieux et rococo ballets géométriques où la narration devient prétexte de fantaisies graphiques. L’exemple le plus spectaculaire reste Footlight Parade (1933) : plans verticaux légendaires, géométrisation du groupe de nymphettes, technologie sous-marine, pour un ballet abstrait,presque désincarné,qui assure alors un succès monstre à la Warner des années 1930 et préfigure, par sa démesure, le kitsch bollywoodien.

cinématographique. Et double effet Kiss Cool : Les Chaussons rouges propose deux motifs qui reviendront désormais en leitmotiv dans l’histoire du film de danse. Il nourrit d’une part le thème de la fusion maléfico-romantique entre rôle et interprète, encore décliné récemment dans Black Swan de Darren Aronofsky, lui-même inspiré du Suspiria de Dario Argento (1977). Suivant ce motif, la danse, dans les fictions, sera souvent dangereuse. C’est la lap dance de Butterfly qui déclenche la pulsion assassine de Stuntman Mike

Comment sortir de la frontalité de la scène ? Caméra danseuse ou caméra spectatrice ? INCARNATION Avance rapide. Nous sommes en 1948, quelques années avant la balade urbaine de Fred Astaire dans Singin’ in the Rain. La Grande-Bretagne produit Les Chaussons rouges, fiction chatoyante adaptée d’un conte cruel d’Andersen, que Martin Scorsese considère comme le « plus beau film en Technicolor ». Autre qualité, le chef-d’œuvre de Michael Powell et Emeric Pressburger a pour lui de montrer, pour la première fois sans interruption, un quart d’heure de ballet, glissant délicatement du spectacle filmé à une pure séquence

Février 2011

dans Boulevard de la mort de Quentin Tarantino (2007) ; ou encore la danse finale de Chris qui entrainera la mort de Romain dans L’Année des méduses de Christopher Frank (1984). D’autre part, Les Chaussons rouges alimente une curiosité intarissable pour les coulisses. Celles de la danse en général (Fame d’Alan Parker en 1980 n’est qu’un des nombreux exemples) et celles du ballet académique en particulier. On aimera alors filmer le danseur au travail, et le danseur qui souffre au travail. Comme si, après Loïe Fuller,

WWW.MK2.COM


© 2009 Summit Entertainment, LLC

84 DOSSIER /// danse et cinéma

Sexy Dance 3D de Jon Chu (2010)

Gigues de geeks Tout le monde a vu sur YouTube les réinterprétations collectives, par des prisonniers, des sportifs ou des employés, de la chorégraphie du Thriller de Michael Jackson, filmée à l’origine par John Landis en 1984. D’autres scènes de danse au cinéma sont devenues cultes du fait de leurs multiples répétitions sur Internet. Parmi les plus répandues figure le finale de Napoleon Dynamite (2004), étonnant teenage movie de Jared Hess où un jeune nerd dégingandé conquiert son lycée en chorégraphiant seul sur scène le Canned Heat de Jamiroquai. La scène est devenue un classique de toutes les fêtes de fin d’année des écoles américaines, en même temps que le symbole de la libération d’un corps que tous les a priori avaient engoncé, inhibé. Autre classique : l’ouverture de Ghost World de Terry Zwigoff (2001), où Thora Birch imite dans sa chambre la chorégraphie d’un film de Bollywood sur l’incroyable Jaan Pehechan-Ho de Mohammed Rafi. La séquence peut être vue comme un moment précurseur – elle regarde une VHS – de ce rituel d’intégration des nerds à la société. La webcam fera le reste.

La danse contemporaine s’est introduite non pas derrière la caméra, mais dans la caméra. effacée sur scène par ses voiles, après Busby Berkeley et ses corps abstraits, après les élans vaporeux de Fred Astaire, la danse, et la caméra avec elle, devait retrouver une certaine pesanteur. C’est la quête commune des récents documentaires Ballets (1995) et La Danse (2009) de Frederick Wiseman, d’Aurélie Dupont danse, l’espace d’un instant (2010) de Cédric Klapisch, celle encore de Black Swan. En cadrant sur les blessures, le maquillage, en ressassant avec la ballerine ses échauffements laborieux, il s’agit de la faire descendre de ses pointes pour la ramener à une échelle humaine. De la danse, le cinéma avait jusqu’alors filmé l’envol. Dès la fin des grandes comédies musicales, il s’ancrera dans le sol. INCORPORATION Le sol, la gravité, c’est d’ailleurs le grand projet de la danse moderne, née peu ou prou en même temps que le cinéma. Davantage encore depuis les années 1970 et la naissance de la postmoderne dance américaine de Trisha Brown, cette performeuse dont on dit qu’elle déplaçait durant des heures les meubles de son appartement pour en percevoir le poids.

_W.P.

Février 2011

WWW.MK2.COM


© Sophie Dulac distribution

danse et cinéma /// Dossier 85

La Danse : le Ballet de l’Opéra de Paris de Frederick Wiseman (2009)

Avec elle, Lucinda Childs ou Yvonne Rainer, et à leur suite la nouvelle vague chorégraphique des années 1990 (malencontreusement nommée non-danse), le corps le plus quotidien est déjà possiblement un corps dansant. Parce qu’il a déjà un poids, un espace, qu’il est le degré zéro du corps. Encore faut-il savoir le regarder. À ce défi, les cinéastes contemporains ont répondu présents. Mais pas nécessairement en filmant ces nouvelles danses… Le lindy hop, les claquettes, le ballet, le charleston, et les street dances se sont affichés derrière l’écran au cours de l’histoire. La danse contemporaine – dans les fictions cinéma-

– mise en scène nerveuse et corps rythmiques chez Olivier Assayas, travellings amples et étirés chez Claire Denis ou Bertrand Bonello, cadrage frontal et pudique de Chantal Akerman 1… L’emblème de cette infusion de la danse dans le cinéma serait peut-être le curieux Zidane, un portrait du XXIe siècle (2004). Dans son futé KinoTanz, l’art chorégraphique du cinéma (PUF), Dick Tomasovic insiste sur le film de Philippe Parreno et Douglas Gordon en notant que Zidane y est cadré en état d’attente permanente et que cette « expectation d’un mouvement bientôt déployé est

Le corps le plus quotidien est déjà possiblement un corps dansant. Encore faut-il savoir le regarder. tographiques – s’est quant à elle essentiellement introduite ailleurs : non pas derrière la caméra, mais dans la caméra. On disait de Pina Bausch qu’elle construisait ses pièces comme des films. Échange de rôles : de Stanley Kubrick à Martin Scorsese, de Michael Cimino à Michel Gondry ou Gus Van Sant, ils sont nombreux, depuis la fin des années 1960, à chorégraphier leurs films

Février 2011

déjà de la danse ». On en vient alors avec lui à la conclusion suivante : « Lorsque Zidane ne bouge pas, il danse encore. » Dire que Gene Kelly n’a pas pu le caster. 1. Symbole de l’époque, si aucune de leurs fictions n’a pour sujet la danse, ces cinéastes ont collaboré avec nombre de chorégraphes : Assayas, Denis et Akerman à l’occasion de documentaires sur Angelin Preljocaj, Mathilde Monnier et Pina Bausch, Bonello s’entourant quant à lui de Bernardo Montet pour De la guerre (2007).

WWW.MK2.COM


© Stanley Kubrick Estate

© Disney Enterprises, Inc. All Rights Reserved.

86 DOSSIER /// danse et cinéma

Les boiseries de Tron : l’héritage (en haut), en écho au 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (en bas)

Février 2011

WWW.MK2.COM


danse et cinéma /// Dossier 87

Ballet FORMALISTE Exit Martin Scorsese, Clint Eastwood et compagnie. La nouvelle génération des cinéastes formalistes, menée par JOSEPH KOSINSKI, Danny Boyle ou Darren Aronofsky, squatte enfin le haut des tapis rouges. Œuvres lyriques, graphiques et stylisées, Tron : l’héritage, 127 heures et Black Swan réaffirment, sous l’égide du maître Stanley Kubrick, la puissance créatrice du cinéma américain contemporain.

T

_Par Renan Cros

héorie créée par le cinéaste russe Sergei Eisenstein, le formalisme est l’idée d’un cinéma total, où la forme de l’œuvre traduit à la perfection le propos, renouant par là avec la pureté et le grandiose de l’opéra. En guise de manifeste, le choc que produisit l’enchevêtrement des plans du Cuirassé Potemkine (1925) ou d’Octobre (1928). Si la dimension politique du formalisme d’Eisenstein s’est quelque peu perdue aujourd’hui, sa dimension universelle s’en trouve renouvelée par l’opposition entre grande forme et intimité des récits. 127 heures comme Black Swan s’articulent autour d’un seul et unique personnage, dont le destin, par l’utilisation d’un langage ample, vise l’universel. Comme Fincher et Facebook, Aronofsky et sa danseuse martyre, ou Boyle et le destin d’Aron Ralston, il s’agit de donner à ces récits intimes une dimension tragique, une grandeur qui sublimera la décadence annoncée. Chez ces nouveaux formalistes, il se joue quelque chose de la tragédie contemporaine, de l’ordinaire stupéfiant. Par cette forme lyrique, le cinéma trouve une nouvelle manière de mouvoir son corps lourd de récits et d’images. C’est la beauté du geste qui soudain en révèle la profondeur. Ces films pourraient presque se passer de mots : c’est la sidération qui prime. SYMPHONIE DE STIMULI Accélération, ralenti, champ, contre-champ, travelling. Tout est question de rythme. Il faut aboutir à une symphonie de stimuli qui met les sens du spectateur en éveil. Raconter et expérimenter par le montage, voilà l’une des grandes recherches

Février 2011

formelles qui – d’Eisenstein à Hitchcock – jalonne l’histoire du cinéma. Avec Fight Club, Slumdog Millionaire ou Requiem for a Dream, Fincher, Boyle et Aronofsky cherchent à leur manière la vitesse idéale. Aboutissant toujours dans des climax apocalyptiques, ces films visent l’épuisement du spectateur. Dans Requiem for a Dream, l’accélération du montage, porté par les stridences de la musique du Kronos Quartet, est l’apothéose horrible, prévisible et attendue, qui délivre enfin les personnages et le spectateur. Autres torrents d’images, 127 heures, Black Swan ou Fight Club sont des œuvres à la première personne qui, imperceptiblement, nous font glisser dans la psyché des héros. Films-flux, ces récits manipulent les images pour chercher à épouser la vitesse de l’esprit, bien souvent dérangé, de leur personnage principal. Dès lors, le film peut se permettre toutes les apparitions furtives, tous les dérèglements. Prisonnier d’un monde qui vacille, on se raccroche à ce que l’on voit comme à une bouée de sauvetage, sans savoir que c’est par ces images que nous allons sombrer. FANTASTIQUE SENSORIEL Derrière le formalisme, se cache donc une volonté de toute-puissance – la recherche d’une maîtrise artistique totale. L’exigence du créateur appelle en quelque sorte celle du spectateur. Chaque film prolonge une œuvre et se doit d’être une prouesse qui assoit la singularité de son auteur. Mais, du créateur au tyran, il n’y a qu’un pas. La performance du film est aussi celle du tournage. À la base même de 127 heures ou de Black Swan, il y a la dévotion d’un

WWW.MK2.COM


© Warner Bros Entertainment Inc

88 DOSSIER /// danse et cinéma

Dans Inception, Christopher Nolan mêle à l’extrême l’épique et l’intime

SEXY DANCE, réussite formelle Un titre français racoleur – on lui préférera l’original Step Up, signifiant « accélérer » – et une campagne marketing à destination d’un public adolescent n’ont certes pas agi pour la crédibilité de Sexy Dance 3D – ni de ses deux (beaux) prédécesseurs. Il n’est pourtant pas de plus belle comédie musicale aujourd’hui, alors que le genre a largement dépéri. Davantage axés sur la danse que sur le chant – et, partant, sur la mise en scène que sur les intrigues, simples mais pas idiotes –, les trois Sexy Dance racontent comment des jeunes gens largués trouvent dans le street dancing un moyen d’élévation sociale, une seconde famille. Tout de breaks et de déhanchés, les battles visent la sidération, organisent l’espace avec une précision redoutable (encore décuplée par la 3D dans le dernier épisode) et laissent les mouvements s’établir dans la durée, comme en témoigne ce plan-séquence de trois minutes sur fond de Fred Astaire dans le troisième opus. Nul doute que si le grand Fred vivait encore, il danserait sexy. _Ja.Go.

acteur, en l’occurrence James Franco et Natalie Portman.La violence du film s’imprime dans leur corps. Bien plus que la figure d’Eisenstein, vénéré par le Nouvel Hollywood des Lucas et Scorsese, c’est l’ombre de Stanley Kubrick, terrifiant tyran et créateur de formes, qui plane au dessus de cette nouvelle génération. Que ce soit 2001… et son grandiose d’avant-garde, Barry Lyndon et son intransigeance formelle ou Orange mécanique et sa violence chorégraphiée, chacune des œuvres de Kubrick a été un événement fondateur d’une cinéphilie. Le public et la critique se sont d’ailleurs empressés de faire le lien. Des projets comme The Fountain, Sunshine ou même L’Étrange Histoire de Benjamin Button, tentatives d’un fantastique sensoriel mêlant encore une fois le grandiose et l’intime, rappellent irrémédiablement la brèche ouverte par 2001: l’odyssée de l’espace. Comme l’œuvre culte de Kubrick, ce sont trois projets improbables, des films-concept menés par une performance,une prouesse visuelle et narrative hors norme. VOLONTÉ DE STUPÉFACTION Comment alors ne pas penser au plus cérébral des réalisateurs mainstream, autre digne enfant de la cinéphilie kubrickienne ? Inception de Christopher Nolan, avec ses strates de récit, sa mise en image complexe et son sens mêlé de l’épique et de l’intime, rappelle par instant la grandeur des projets de Kubrick. Sauf qu’il y a chez Nolan une volonté didactique, voire pédagogique, de rendre l’expérience intelligible et non uniquement sensorielle. Au contraire de Kubrick, dont la froideur des récits cache finalement une volonté finale de stupéfaction : c’est chez lui la cohérence de l’univers, le choc graphique, le territoire non encore exploré qui donne son énergie à l’œuvre. Pas étonnant qu’une œuvre comme Tron : l’héritage puise ardemment dans l’imaginaire visuel de Kubrick pour construire son univers digital. Assemblage de raies de lumière et d’architecture moderne, le film de Joseph Kosinski emprunte à son aîné son sens de l’abstraction quotidienne. Cette bizarrerie du monde, angoisse permanente qu’il puisse à tout moment basculer dans l’étrange ou le chaos, traverse Shining, bien sûr, mais aussi Eyes Wide Shut, Full Metal Jacket ou même Lolita. C’est la même sensation qui parcourt le réalisme baroque de Black Swan, le délire introspectif de 127 heures ou le labyrinthe mental d’Inception. Dès lors, il s’agit pour ces nouveaux formalistes, comme pour la danseuse étoile, de faire disparaître la technique et la souffrance derrière la beauté du geste et l’harmonie de l’œuvre. Lire la critique de 127 heures page 20 Tron : l’héritage // Un film de Joseph Kosinski // Avec Jeff Bridges, Garrett Hedlund… // Distribution : Walt Disney Pictures // États-Unis, 2010, 2h07 // Sortie le 9 février Exposition Stanley Kubrick, du 23 mars au 31 juillet à la Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, 75012 Paris, www.cinematheque.fr

Février 2011

WWW.MK2.COM



90 Dead space 2

2011 : L’ODYSSÉE DES SPASMES Dans l’espace, personne ne vous entendra crier. Mais dans votre salon, si. Alors rassurez les voisins inquiets : Dead Space 2 se parcourt en hurlant. Pour prolonger l’expérience, la galerie Artludik et le MK2 Bibliothèque consacrent une exposition à l’univers de ce jeu à part. Critique et rencontre avec le directeur artistique de la saga, Ian Milham. Un rêve de cauchemar. _Par Étienne Rouillon et Julien Dupuy

T

ambouille de la rédac. Alors que l’on mijote un hors-série sur Stanley Kubrick, je préfère passer le plat sur une critique de Shining, qui me fout les foies sévère. Manque de pot, j’étais du coup libre pour goûter à Dead Space 2. Les marmitons d’Electronic Arts remettent en effet leur ratatouille d’hémoglobine orbitale sur le feu. Et on replonge. Pire : après douze heures crispées sur les boutons, on demande du rab. De toute façon, on n’échappe ni aux fouettes ni à Kubrick, car le système de Dead Space orbite autour de 2001 : l’odyssée de l’espace, avec l’irruption d’un monolithe alien dont certains pensent qu’il nous a créés avant de causer notre perte (suivant le canevas alambiqué de la saga écrite par Arthur C. Clarke). Studieux dans ses références, Dead Space reprend les codes du survival horror prêché par Ridley Scott et son Huitième Passager. Un film d’animation,Dead Space Downfall, accompagnait la sortie du premier opus sur consoles. On y sentait déjà l’habileté du studio américain à rivaliser sur les terres japonaises de l’épouvante immersive, radicale dans son ascèse. Dead Space 2 est encore plus scotchant que son aîné. De la super-glue. De la 3D englobante sans les lunettes.Aucun affichage ne vient s’interposer entre le personnage et le joueur, la bande-son est un bijou de bruitages… On s’attrape les poumons quand le gladiateur astronaute manque d’oxygène. Partant de là, démembrer du mutant enfermé dans une boîte

Février 2011

de conserve échouée à dache dans l’univers, ça a de quoi vous attraper une demi-journée durant. Mais Dead Space 2 vaut surtout pour son ambiance, ses jeux de lumière dans des cathédrales de pixels, hier crayonnées par Ian Milham sur des planches qui sont aujourd’hui exposées à la galerie Artludik. On soupire de plaisir et on admire : c’est pour de faux. L’empathie entre le héros et le joueur cristallise la terreur qui se dégage des Dead Space. Comment fait-on oublier l’écran au joueur ? Dans le premier jeu, vous restiez confiné dans des espaces très étouffants.Un parti pris trop systématique qui obligeait le joueur à relâcher de lui-même la pression. Dans la suite, nous nous en chargeons, avec des phases de jeu pour vous détendre suivies de scènes effrayantes. La peur ressentie est ainsi toujours fraîche. Pour ce qui est de forger l’ambiance nous utilisons les color scripts [NDLR : de larges planches composées de petites vignettes colorées qui retracent chronologiquement les séquences majeures d’une histoire et permettent de juger de son évolution graphique]. Au début, le héros, Isaac, est plongé dans des couleurs froides inédites dans la franchise ; puis, à mesure qu’il reprend confiance en lui, il retrouve les teintes familières du premier jeu. Idem avec les décors. Au début, nous en changeons constamment. Impossible d’y trouver ses marques.

WWW.MK2.COM


© 2011 Electronic Arts Inc.

Dead space 2 91

Votre mission : démembrer du mutant enfermé dans une boîte de conserve échouée à dache dans l’univers

Ces décors et les textures ont quelque chose de très organique, pictural. En terme de lumière, il est évident que les deux Dead Space sont très influencés par l’école hollandaise et par Rembrandt en particulier, et ce pour deux raisons. D’abord, les principes esthétiques y sont très naturalistes. Ensuite, ces œuvres ne semblent conditionnées que par la lumière.

métallique de Terminator 2, ou des verts du premier Alien. Finalement, si je devais citer une référence cinématographique, ce seraient les ocres du David Fincher de Seven et Fight Club. J’imagine que les recherches pour les monstres étaient moins ragoutantes. C’était terrible à double titre : déjà parce que nous

« Les deux Dead Space sont très influencés par l’école hollandaise et par Rembrandt en particulier. » Ian Milham Qu’en est-il du cinéma ? Il y a des influences évidentes, comme Alien, le huitième passager ou Event Horizon… Elles sont même un peu trop évidentes, et c’est pour cela que nous voulions éviter ce type de référence à tout prix. Le souci des inspirations cinématographiques, c’est que nous avons tous les mêmes. Tout le monde a grandi en admirant les peintures de H.R. Giger, ou les films de James Cameron. C’est pour ça que nous sommes allés dans la direction opposée des teintes bleu

Février 2011

devions nous référer à des photos médicales de maladies graves ou d’accidents, ce qui n’est pas une partie de plaisir. Mais aussi parce que nous devions réfléchir à la façon dont nos contaminés avaient été transformés. Ce qui est en effet primordial, avec les Nécromorphs, c’est qu’ils ne doivent pas sembler magiques : il faut qu’ils soient réalistes et que l’on décèle encore l’humain en eux. Nous devons ressentir une peur viscérale en les voyant. C’est la même chose avec les armes : si vous voyez un personnage se faire blesser par

WWW.MK2.COM


© 2011 Electronic Arts Inc.

92 Dead space 2

Plus d’une trentaine de dessins originaux et de toiles numériques grand format sont exposés à la galerie Artludik

un pistolet laser, vous ne ressentirez pas la douleur, faute de référent. En revanche, tout le monde aura une sensation de dégoût devant une fracture ouverte. Effectuez-vous le même genre de recherches pour les décors et le matériel ? Oui. Par exemple, on s’est beaucoup inspiré de moteurs de véhicules et j’ai placé les lampes utilisées dans les cabinets de dentistes pour les pla-

À quelle étape passez-vous à la modélisation en 3D des décors ? Aussi rapidement que possible, et il en va de même pour la lumière. Un jeu tel que Dead Space 2 ne se base pas sur l’affrontement systématique d’un adversaire ou sur un obstacle à franchir. Nous avons des phases de jeu qui consistent uniquement à traverser un couloir. Nous devons alors définir ce que le joueur doit ressentir en évoluant dans ce décor : la taille de la pièce, l’éclairage… Tout, dans l’apparence d’un

« Notre futur n’est pas visionnaire ou détaché de notre monde. On n’est définitivement pas dans Star Trek. » Ian Milham fonniers de certaines pièces. Le truc avec Dead Space, c’est que notre futur n’est pas visionnaire ou détaché de notre monde. On n’est définitivement pas dans Star Trek, où un simple appareil peut vous guérir instantanément d’un cancer généralisé. Personne n’est jamais en danger dans Star Trek. À l’inverse, dans Dead Space, même les ordinateurs sont primitifs, parce qu’on voulait que les joueurs réalisent que ce matériel ne leur serait d’aucun secours.

Février 2011

lieu donné, conditionne le ressenti du joueur. Il faut savoir immédiatement quel sentiment nous devons obtenir avec nos décors. Si nous voulons transmettre un sentiment de solitude, nous imaginerons un long couloir monotone et sombre. Si nous cherchons une sensation de mystère, nous dessinerons un couloir plein de coudes et de recoins. Dead Space 2 (Electronic Arts, sur PC, PS3 et X360) Exposition Dead Space 2, jusqu’au 28 février à l’Espace Artludik, MK2 Bibliothèque, www.mk2.com

WWW.MK2.COM




LE

BOUDOIR

95

ÉBATS, DéBATS, CABAS : LA CULTURE DE CHAMBRE A TRouvé son antre

« Ça fait plaisir d’écrire un livre dont on ne connaît pas la fin. » Cleet Boris P. 102

DVD-THèQUE

96/97

CD-THÈQUE

98/99

L’INCOMPRIS, errance au crépuscule de l’enfance

DISCODEINE, la musique qui soigne

BIBLIOTHèQUE

100/101

BD-THèQUE

102/103

NICOLAS FARGUES réussit encore son coup

CLEET BORIS, d’album en album

Février 2011

WWW.MK2.COM


© Carlotta

96 LE BOUDOIR /// DVD-THÈQUE

JEUX INTERDITS Errance au crépuscule de l’enfance

L’incompris porte bien son nom : hué au Festival de Cannes en 1967, ce drame familial sensible et élégant s’impose, dans la filmographie inégale de l’Italien LUIGI COMENCINI, comme un chef-d’œuvre méconnu. _Par Laura Tuillier

Près de Florence, Andrea et Milo sont frappés au de la bande : « Elle n’est plus, nous ne pouvons rien cœur de leur insouciante enfance par la dispariy faire. » Cette métaphore pudique contient tout le tion de leur mère, emportée par un mal fulgurant. film. Parce qu’Andrea sait depuis le début (contraireÀ cette absence soudaine s’ajoute celle du père, Sir ment à son petit frère qu’il faut protéger), il est celui Duncombe, consul du Royaume-Uni en Italie, qui doit accepter et se conduire en adulte. qui se noie dans le travail pour oublier la Celui sur lequel on compte, celui également défunte. Il confie ses deux jeunes fils à une que le père abandonne, trop grand pour être gouvernante revêche et laisse derrière lui consolé, trop petit pour être traité en égal. une somptueuse propriété désertée par les adultes, qui devient alors le terrain de jeu des Dans la vaste propriété de Toscane, alors que deux orphelins, contraints d’improviser seuls le petit Milo s’accroche avec confiance à un douloureux deuil. Luigi Comencini fait du son héros de grand frère, aventurier qui n’hémotif de l’absence le cœur de sa trame ficsite pas à pousser les expéditions jusqu’à tionnelle : celle qu’on ne verra jamais – la la rivière, Andrea, « sans maître », sombre mère – est partout présente dans l’esprit secrètement dans une profonde mélancolie. L’Incompris d’Andrea, l’aîné, qui sous des allures d’enfant de Luigi Comencini La relation fraternelle, naturellement pleine terrible dissimule un immense cataclysme (Carlotta Films) de générosité et d’attentions, se dégrade émotionnel. Le réalisateur italien maîtrise de à mesure que l’aîné choisit de dissimuler bout en bout une mise en scène sur le fil, qui dévoile sous le masque du mauvais garçon son impossibiles vestiges des liens essentiels qui liaient Andrea à sa lité à continuer de vivre. Drame de l’enfance assasmère. Un sobre mouvement de caméra permet à l’absinée, L’Incompris est le récit implacable et tendre sente de se « pencher » sur le visage de son enfant via de la décomposition d’une famille que tout destiun portrait d’elle accroché au mur du salon ; la bande nait au bonheur. Quelques années plus tard, c’est oubliée d’un magnétophone infiltre l’espace sonore sous le soleil hispanique que Victor Erice (L’Esprit de et rend à la vie les éclats de rire de la jeune femme. la ruche) et Carlos Saura (Cría cuervos) comprenLorsqu’Andrea (maladroit malgré lui, dur par nécesdront Comencini et exploreront à leur tour la sombre sité) efface l’enregistrement, on lui explique, à propos beauté du tourment enfantin.

Février 2011

WWW.MK2.COM


97

LES AUTRES SORTIES FORÊT PRIMAIRE

SYNDROMES AND A CENTURY d’Apichatpong Weerasethakul (Survivance) Pour sa première édition DVD, Survivance célèbre le réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, vainqueur de la dernière Palme d’or avec Oncle Boonmee. Sorti en 2006, Syndromes and a Century clôt une trilogie entamée avec Tropical Malady et Blissfully Yours, et s’offre comme un voyage temporel, depuis un ancien hôpital tapis dans la forêt thaïlandaise à son pendant ultramoderne. Les personnages se croisent au cours d’itinéraires qui tiennent du rêve et du fantasme, et n’ont rien à devoir à de quelconques conventions narratives ou esthétiques. La quiétude et la fascination qui s’installent à mesure que le film progresse incitent à parler de chef-d’œuvre. _L.T.

APNÉE FAmiliale SUBMARINO de Thomas Vinterberg (MK2 Éditions)

Douze ans après, Submarino reprend certains thèmes centraux de Festen, premier film du mouvement Dogme95, qui révéla Thomas Vinterberg : la violence inhérente à la cellule familiale, faite de parents indignes, coupables, terribles, ne léguant que le pire en héritage. Un drame d’enfance lie les destins de Nick et de son frère et les force à entrer dans l’âge adulte par la voie de la culpabilité. Le cinéaste danois brosse le portrait de Nick (la partie la plus maîtrisée du film) par petites touches d’ombre et de lumière qui subliment sa destinée tragique. Plus sobre que par le passé, Vinterberg affirme la possibilité d’un futur pour ceux qui ont le courage d’affronter leur histoire, au risque d’être vaincus. _L.T.

LE COUP DE CŒUR DU VENDEUR WERNER SCHROETER, Coffret (Filmmuseum) En parallèle à la rétrospective qui vient de s’achever à Beaubourg, l’éditeur allemand Filmmuseum publie un coffret consacré à cet immense cinéaste qu’était Werner Schroeter. Décédé l’année dernière, il aura été affilié à ce que l’on a nommé dans les années 1960 le Nouveau cinéma allemand, aux cotés entre autres de Fassbinder et Herzog. Ce coffret est centré sur les premières années de sa filmographie, avec notamment deux longs métrages fameux, Eika Katappa et La Mort de Maria Malibran. Rompant avec le récit traditionnel et la transparence classique, ces films, baignés par le romantisme et l’opéra, offrent une expérience poétique rare. _Par Florian Guignandon, vendeur au MK2 quai de Loire

Février 2011


© Eric Beckman

98 LE BOUDOIR /// CD-THÈQUE

SYNCHRONES Discodeine, sans modération

Sur un beat disco, le duo parisien DISCODEINE synchronise époques et géographies, science et danse, musique savante et pop, pour produire dans son premier album une parfaite drogue de synthèse à gober par les oreilles. Réglez vos tempi. _Par Wilfried Paris

Discodeine est un duo de producteurs parisiens, formé en 2007 par Cédric Marszewski (Pilooski) et Benjamin Morando (Pentile). Avant de rencontrer son alter ego, Pentile passait au mixeur les Beach Boys et Charles Manson dans son combo pop Octet, ou matraquait avec Krikor l’electro mordante de France Copland. De son côté,Pilooski empilait les remixes (Bryan Ferry, LCD Soundsystem) et déconstruisait de vieilles galettes (Beggin’ de Frankie Valli, Crawfish d’Elvis…), copiées-collées en edits longs en bouche (la série des Dirty Edits).

riche en partiels inharmoniques. Ces sonorités existent naturellement dans des instruments acoustiques comme les cloches et gongs ; et elles peuvent être émulées et extrapolées dans le domaine numérique. Ces sons sont au-delà de la simple musique, ils sont utilisés de manière religieuse et spirituelle en Asie. »

Discodeine est enfin le titre éponyme du premier album-éprouvette des deux laborantins, trip primitif et technologique pensé depuis une plage illuminée (le cinglant Singular, susurré par Matias Aguayo) ou l’orée d’une forêt Discodeine est aussi un néologisme induinoire (Falkenberg et ses tambours d’aciers) sant un effet psychoactif de la musique popudans laquelle on s’enfonce progressivement, Discodeine de laire, de club en particulier. Moins musique de Discodeine comme sous l’effet d’un puissant narcotique, drogués que musique agissant comme une (Dirty / Pschent) descendant en cercles concentriques (Ring drogue, celle concoctée par le duo se nourMutilation) dans les méandres d’une introspecrit « d’écriture pop, de musique vaudou, de Chicago tion (Depression Kit) de plus en plus dissonante (Relaps), house, de disco lente, de lignes de basses analogiques, avant de repartir vers le dancefloor et les lumières artide ring modulation, de mascarpone et de chianti. » ficielles de Synchronize, retour néodisco à la réalité (la Ajoutez-y une pincée d’influences extra-occidentales plus dure des drogues) chanté par Jarvis Cocker. « On (instruments idiophones et atonalité) et une touche de a pensé cet album à l’ancienne. Avant l’apparition musique contemporaine (musique concrète, musique des playlists, des tonnes de fichiers stockés dans des spectrale), et c’est du gâteau : « Nous aimons les surdisques durs et écoutés de manière aléatoire. On a prises sonores, les sons qui évoluent de manière un construit notre disque de façon narrative et progressive. peu imprévisible. C’est le cas des timbres au spectre On espère que les gens l’écouteront dans l’ordre. »

Février 2011

WWW.MK2.COM


99

LES AUTRES SORTIES PARADIS BLEU BLUE SONGS de Hercules and Love Affair (Moshi Moshi / Cooperative Music)

En 2008, sur l’éponyme Hercules and Love Affair, la voix d’Antony Hegarty, guest soyeux, avait fait franchir au single Blind la corde de velours rouge d’un Paradise Garage fantomatique (Larry Levan backstage) et high-tech (Tim Goldsworthy aux manettes). En 2011, les « chansons bleues » du combo new-yorkais font à nouveau le grand écart entre les genres, tant sexuels que musicaux : new wave (un peu Yazoo), disco (un peu Arthur Russell), house (My House, revival littéral) et electro (Patrick Pulsinger à la prod), pour un crossover aux invités inattendus (clarinettes, guitares folk et Kele Okereke), où le primat est donné aux voix – inatteignables (hauteurs), indécidables (profondeurs) : elles ne quittent jamais le micro, ni nous le dancefloor. _W.P.

YOU’RE UNDER ARREST THE DEEP FIELD de Joan as Police Woman (Pias) Joan Wasser a beaucoup bourlingué avant de faire entendre sa voix en 2006 sur le superbe Real Life. Auparavant, l’Américaine avait travaillé avec Lou Reed, Antony Hegarty, Nick Cave, Elton John… et souffert plus que d’autres de la mort de Jeff Buckley : c’était son copain. Aujourd’hui, à l’image de The Magic, single au groove libidineux très Stevie Wonder, son troisième album palpite comme une ode à la chair, à la vie. Dans le genre incantatoire born again, Joan en fait d’ailleurs parfois un peu trop, et le ventre du disque s’étire en trip mystique. Mais ce Deep Field comporte des moments de grâce et de morgue gangsta, genre « j’suis pas ta sœur », qui la rendent terriblement sexy. Sade version Sarah Connor. _S.F.

Confessions d’une enfant du siècle 21 d’Adele (XL Recordings / Beggars) Certes, Adele est une chanteuse à voix, à prénom et à forte corpulence. Mais, sur une poignée de morceaux de cet inégal 21 (Rumour Has It, He Won’t Go), la belle parvient à s’extirper du tout venant r’n’b et à s’affranchir de modèles un brin envahissants (Gossip, Carole King, Janis Joplin, Etta James, excusez du peu). Nul doute que la présence, à la production, de Rick Rubin (Johnny Cash, Run DMC) a contribué à calmer les ardeurs vibratiles de l’Anglaise, adulée outre-Manche, ignorée chez nous. Son premier album, à l’écriture assez grossière, s’intitulait 19 ; parions que le troisième, 23, dans deux ans, mettra tout le monde d’accord. En attendant, le martial Rolling in the Deep se love déjà parmi les singles de 2011. Roulez jeunesse. _A.T.

Février 2011


© Clarisse Cantelaube/P.O.L.

100 LE BOUDOIR /// BIBLIOTHÈQUE

L’ARNACŒUR

NICOLAS FARGUES RÉUSSIT ENCORE SON COUP

Satire de la petite bourgeoisie moderne et drame de la mort d’un enfant : NICOLAS FARGUES mélange les registres dans Tu verras, et confirme que derrière le beau gosse, il y a l’un des romanciers les plus fins de sa génération. _Par Bernard Quiriny

D’un côté, il a tout pour agacer : un look de beau Après l’acteur métis (Antoine dans Beau Rôle), l’écrigosse, un style nonchalant truffé de clins d’œil à vain-pigiste (Christophe dans One Man Show) ou l’hul’actualité, un best-seller réussi (J’ étais derrière toi, manitaire désillusionné (Philippe dans Rade Terminus), 2007) et une manière de regarder le monde avec le héros de Tu verras s’appelle Colin, fonctionnaire un sourire en coin qui fait qu’on ne sait jamais divorcé, petit bourgeois misanthrope et père effondré trop sur quel pied danser. Mais il faut se d’un adolescent de 12 ans qui vient de mourendre à l’évidence, dans le registre des rir en passant bêtement sous un métro, son comédies d’époque, créneau ingrat car portable à la main. Le roman commence au for tement périssable, Nicolas Fargues Père-Lachaise, le jour de l’incinération. Colin est sans doute le meilleur. À chacun de s’interroge, découvre qu’il n’a pas été un père ses romans, on se fait la même réflexion : très ouvert, voire qu’il s’est peut-être comporté que de tics, de facilités, de name- drop en vieux con. « Je constatais qu’ être père ping et d’énormités – comme lorsqu’il fait d’un garçon, c’est non seulement ne pas surgir Nicolas Sarkozy dans une librairie supporter de reconnaître chez son fils ses de province à la fin de son Roman de propres défauts, mais également reprol’ été. Mais aussi, quel regard malicieux duire avec lui exactement les mêmes Tu verras sur les années 2000, quelle clairvoyance de Nicolas Fargues erreurs commises par votre propre père. » satirique sur la classe moyenne, la petite (P.O.L.) Comment compatir à la douleur du narrateur bourgeoisie française, les trentenaires ou quand celui-ci déballe posément ses erreurs quadras, leurs préoccupations, leurs usages, leurs et petites nullités ? Et quand,au lieu de sanctifier son ado hypocrisies… En plus d’être bien fagotés derrière disparu, il le présente tel quel, brave élève fainéant en leur apparence faussement négligée, les romans jeans informes, uniquement préoccupé par sa console de Fargues ont cette lucidité quasi sociologique, et son compte Facebook ? Fargues touche plus d’une ce second degré ambigu, plein d’autodérision fois une réelle émotion dans ce Tu verras tour à tour (Fargues sait appartenir aux groupes dont il se grave et caustique, qui s’achève de manière inattenmoque) qui les rendent infiniment plus complexes due sur une étrange fuite initiatique vers l’Afrique. Pour qu’ils n’en ont l’air. y trouver quoi ? Vous verrez. Février 2011

WWW.MK2.COM


101

LES AUTRES SORTIES RÉCIT D’UNE VIE QUI N’EXISTE PAS DINO EGGER d’Éric Chevillard (Éditions de Minuit, roman) Ce n’est pas exactement un roman sur rien, vieux rêve flaubertien, mais plutôt un roman sur personne. Dino Egger n’a jamais existé et Albert Moindre, le héros d’Éric Chevillard, en est conscient. C’est précisément l’intérêt : nous ignorons certes ce que serait le monde si Marco Polo ou Homère n’étaient pas nés, mais au moins savons-nous ce qu’est le monde en l’absence de Dino Egger… « Qu’est-ce qu’une vie qui n’est point vécue ? » Chevillard nous emberlificote dans les circonvolutions plus ou moins philosophiques de son narrateur, avec ce flegme spirituel qu’on retrouve également dans L’Autofictif père et fils (Éditions de l’arbre vengeur), troisième recueil tiré de son désormais célèbre blog. _B.Q.

VISIONS D’UNE ALLEMAGNE PORTRAIT-ROBOT. MON PÈRE de Christoph Meckel (Quidam, récit) Né en 1935, l’écrivain allemand Christoph Meckel est le fils du poète Eberhard Meckel (1907-1969), intellectuel subtil et austère qui, dans les années 1930, assista passivement à la montée du nazisme et fut enrôlé comme soldat sur le front de l’Est. « Il appartenait à une génération apolitique, se considérait comme membre de l’élite intellectuelle et n’en était que l’épigone emblématique dont les idées éculées sur le présent ne volaient pas bien haut. » Meckel trace le portrait de ce père dans un livre puissant qui est aussi une impressionnante radiographie de la conscience allemande. Tête-bêche, son éditeur publie également Portrait-robot. Ma mère, écrit vingt ans après, plus court mais tout aussi intense. _B.Q.

REGARD DIFFÉRENT LE CINÉMA D’EDWARD YANG de Jean-Michel Frodon (Éditions de l’éclat, essai)

Edward Yang, chef de file du Nouveau cinéma taïwanais, laisse derrière lui sept films (dont Yi Yi, prix de la mise en scène à Cannes en 2000), mais également des dessins, un projet de film d’animation et surtout « un regard différent », selon les mots du réalisateur Hou Hsiao-hsien, porté sur le monde cosmopolite qui fut le sien à la fin du siècle dernier. Cet ouvrage, extrêmement riche visuellement, propose de revenir sur chacun de ses films avant de laisser la parole au cinéaste lui-même, ainsi qu’à ses admirateurs (de Jia Zhang-ke à Olivier Assayas). Le cinéma d’Edward Yang, mal connu en France faute de distributeur, puise pourtant en Europe quelques unes de ses influences les plus nobles : lorsque l’Asie rencontre Antonioni. _L.T.

Février 2011


102 LE BOUDOIR /// BD-THÈQUE

DOUBLE ALBUM

PLONGÉE GRAPHIQUE DANS LA CRÉATION D’UN DISQUE

Ancien chanteur de l’Affaire Louis Trio, auteur de belles chansons en solitaire et dessinateur discret, HUBERT MOUNIER se met en scène dans La maison de pain d’épice, qui raconte les difficultés de la création et de l’exigence artistique. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)

Au moment où l’Association, éditeur indépenEsthétiquement, le livre rappelle davantage la dant historique, traverse une crise importante (ses décennie 1980, durant laquelle Hubert Mounier a salariés étaient en grève en janvier), sort chez Dupuis commencé en tant que musicien et – déjà – dessicette bande dessinée qui aurait pu être hébergée il y nateur. Yves Chaland, auteur phare de ces annéesa quelques années… par l’Association. Dans Journal là, était son ami et a dessiné la pochette du premier d’un disque, Cleet Boris (alias le chanteur Hubert album de l’Affaire Louis Trio, Chic planète (1987). Mounier) mêle en effet des thématiques autoDans son récit, Cleet Boris / Hubert Mounier biographiques et intimes pour documenter retrouve cette fausse naïveté pour mettre son travail sur un nouvel album.D’ailleurs,juste en exergue la tension d’une vie vouée aux retour des choses, c’est un livre édité par l’Asembuches, mêlant douceur de la créativité sociation qui a en partie servi d’inspiration.« Je personnelle et acidité des relations extéme suis replongé dans le Journal d’un album, rieures. S’impose alors un va-et-vient entre où Dupuy et Berberian racontent leur chemison intimité de créateur et ses difficultés nement personnel au moment de dessiner La Maison de pain face au monde, au business, aux autres. d’épice, journal d’un un de leurs livres, explique Cleet Boris. Ça fait disque de Cleet Boris Intérieur et extérieur cohabitent, et même plaisir d’écrire une histoire dont on ne connaît (Dupuis) si l’on n’y évoque que peu les chemins de pas la fin. » Effectivement, il y a dans ce livre la fabrication d’une BD, on comprend bien quelque chose d’indéterminé : on ignore où il va exacque faire ce livre était une sorte de catharsis. Ici, la tement, sinon qu’il traite d’un bout de vie. Pour l’auteurpratique circule surtout entre BD et musique. On chanteur, il s’agissait de raconter un fait peu médiasonge beaucoup à Robert Crumb, un peu à Joann tique : « On peut ne pas être premier au hit-parade Sfar et surtout à Charles Berberian dont le nouveau tout en ayant une existence artistique intéressante. » livre, Jukebox, est précisément dédié à cela : la façon dont l’écoute et la pratique musicale donnent envie Journal d’un disque conte l’existence d’un homme de raconter des histoires. Un peu comme si réussir qui vit loin de Paris et confectionne, en retrait, des un dessin relevait de la même souplesse d’esprit chansons comme tissées sur le fil, héritières des et de main que celle qui consiste à jouer un bon façons de faire de la pop dans les années 1960. accord de guitare.

Février 2011

WWW.MK2.COM


103

LES AUTRES SORTIES TRÉSOR OUBLIÉ TERRY ET LES PIRATES, VOL. 1 de Milton Caniff (Bdartist(e)) Depuis quelques années, il devenait difficile de trouver des livres de Milton Caniff en français. Pourtant, sans ce dessinateur américain influent, Hugo Pratt et d’autres n’auraient pas existé. Ici, les années 1934 à 1936 de son strip Terry et les pirates renaissent dans une édition soignée qui reprend le premier tome de l’intégrale américaine et y ajoute un cahier de dessins hommage, signés par des auteurs d’ici comme François Avril ou Charles Berberian. On y découvre les prémices de la BD d’aventures tout en se familiarisant avec une esthétique aussi importante graphiquement que l’est Hergé. Pas moins. _Jo.Gh.

PANORAMA CHINOIS UNE VIE CHINOISE de Li Kunwu et Philippe Otié, 3 volumes (Kana) Entre autobiographie et percée dans l’histoire de la Chine du XXe siècle, cette belle trilogie évoque en creux quelques-uns des romans graphiques majeurs des années récentes, comme Maus ou Persepolis. On y est confronté à l’évolution du pays depuis les années 1950 et c’est peut-être là que se fait la différence : Une vie chinoise a une ambition très large, embrassant plusieurs décennies de la vie d’un pays, alors que Maus ou Persepolis s’attachaient à des expériences très intimes racontées sur une période intense mais courte. Le dessin de Li Kunwu justifie à lui seul la lecture de ce livre : sa noirceur ronde fait penser aux pages de José Muñoz, mais en moins abstraites.

HORS-SéRIE #5

STANLEY KUBRICK

_Jo.Gh.

LE ROMAN JEUNESSE COMME DES TRAINS DANS LA NUIT d’Anne Percin (Éditions du Rouergue) Anne Percin raconte ici quatre histoires, qui évoquent chacune le parcours d’un adolescent sur le chemin tortueux de la vie adulte. Dans ce roman, les protagonistes ne sont pas seuls, ils affrontent, découvrent, espèrent et surtout agissent en duo. Qu’ils soient de la même famille, complices ou amoureux, tous vont vivre un grand bouleversement. Ils se serrent les coudes et foncent vers leur destin comme des trains dans la nuit. À partir de 14 ans.

EN KIOSQUES & LIBRAIRIES

_Claire Lefeuvre, libraire au MK2 quai de Loire

SORTIE LE 2 MARS Février 2011


104 TRAIT LIBRE

MOI AUSSI… JE T’AIME !

DE CHRISTOPHE ACHARD (EMMANUEL PROUST ÉDITIONS)

Cupidon semble avoir épuisé son stock de flèches sur Chris et Nat, un couple aux péripéties d’une désopilance bienvenue. Les tourtereaux charment par le silence peu coutumier des cases qu’ils occupent, quand celles-ci se grisent bien trop souvent de cris et d’émois rédhibitoires chez d’autres. Quelques films cultes (Dracula, King Kong, Titanic…) viennent se lover au cœur de bulles ludiques, sous une légende efficace et un trait enjoué, comme pour rappeler les contours sereins des belles histoires. Qui sait, nos héros rejoueront peut-être bientôt le Rose et le Noir… _L.P. // Dédicaces le 12 février au MK2 quai de Loire

Février 2011

WWW.MK2.COM



106 SEX-TAPE /// L’INSTANT ÉROTIQUE

CHAIR FRAÎCHE Rio Sex Comedy, le nouveau cru de Jonathan Nossiter (Mondovino), se goûte comme une satire sensuelle et carnassière de la bourgeoisie carioca. L’adultère ne suscite ici ni meurtre ni crise de nerf, mais alimente l’esprit transgressif d’un scénario qui jongle avec les faux-semblants. Adoptant le regard naïf d’expatriés français et américains, ce docu-fiction hybride tourné sous le soleil de Rio – où Nossiter réside aujourd’hui – joue malicieusement avec les clichés associés au Brésil des favelas, des telenovelas, de la chirurgie esthétique et des tribus amazoniennes. Carnaval de faux seins et de tromperies, Rio Sex Comedy actualise le cannibalisme culturel théorisé par les poètes anthropophages du début du XXe siècle : tupi or not tupi, that is the question. _D.J. et A.T. // Rio Sex Comedy de Jonathan Nossiter // Sortie le 23 février




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.