MARS 2011
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CINéMA CULTURE TECHNO
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Frederick Wiseman
Hyper cut
Wise old man Il y a un mois, nous consacrions un épais dossier aux pas de deux entre la danse et le cinéma, à l’occasion de la sortie de Black Swan de Darren Aronofsky. Pour ce numéro, c’est l’histoire du face-à-face entre la boxe et le cinéma que nous retraçons, prenant pour appui l’arrivée sur les écrans de Boxing Gym de Frederick Wiseman. Dans l’intervalle, nous avons bouclé un hors-série dédié à Stanley Kubrick, en marge de l’exposition que lui consacre la Cinémathèque française. Au cours de nos recherches, nous nous sommes rendu compte que Kubrick, comme Robert Wise, Martin Scorsese, Frederick Wiseman ou Darren Aronofsky après lui, faisait partie des rares réalisateurs à avoir filmé, successivement, et parfois simultanément, la boxe et la danse – deux sports exacerbant, l’un sur un mode masculin, l’autre selon un arc féminin, une certaine idée du mouvement, de l’effort, de la discipline. Dans l’entretien qu’il a eu la gentillesse de nous accorder, Frederick Wiseman rappelle, avec malice, combien Kubrick s’est inspiré de l’un de ses documentaires. À cela, nulle surprise : leurs films – comme ceux de Wise, Scorsese et Aronofsky – explorent les conditions d’apparition et de contrôle de la violence. Chez ces cinéastes à cheval entre les genres, les époques et les continents, le montage fonde la narration : Wise et Scorsese ont débuté à Hollywood comme monteurs, Kubrick est sans doute mort d’avoir monté Eyes Wide Shut. Quant à Wiseman, il a fait de cette étape – qui s’écoule sur près d’un an – le socle de son cinéma : « Les souvenirs de ce qui n’a pas été filmé flottent quelque part dans mon esprit, en fragments que je peux me rappeler, qui ne pourront être inclus mais qui joueront un rôle très important dans ce processus d’extraction et de criblage qu’est le montage », explique-t-il dans le passionnant livre d’entretiens que publie ce mois-ci Gallimard. Avec quelques autres (Don Alan Pennebaker, Richard Leacock), Wiseman a lancé, dans les années 1960, ce qu’on a appelé le « cinéma direct » – un groupe de documentaristes qui, bénéficiant de l’émergence de caméras portatives, ont su poser un regard à la fois sincère, éthique et critique sur les sociétés anglosaxonnes. Il se trouve que le direct est aussi, par métaphore, un coup de boxe. La sagesse d’un cinéaste se mesure parfois au temps qu’il prend pour accoler deux images l’une à l’autre. _Auréliano Tonet
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ÉDITEUR : MK2 MULTIMÉDIA 55 RUE TRAVERSIÈRE, 75012 PARIS 01 44 67 30 00 Directeur de la publication & directeur de la rédaction Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef & chef de rubrique « culture » Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Direction artistique Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Design Louise Klang (louise.klang@mk2.com) Secrétaire de rédaction Sophian Fanen Iconographe Juliette Reitzer Stagiaire Laura Pertuy Ont collaboré à ce numéro Stéphanie Alexe, Ève Beauvallet, Renan Cros, Julien Dupuy, Anne de Malleray, Sophian Fanen, Yann François, Joseph Ghosn, Donald James, Annabelle Laurent, Raphaël Lefèvre, Gladys Marivat, Wilfried Paris, Pamela Pianezza, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Yal Sadat, Violaine Schütz, Michel Thomas, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente Photographie de couverture © Nicolas Guérin Publicité Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com)
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SOMMAIRE #89 3 ÉDITO 6 TRAILER > Pirat@ge : carnet de tournage 12 SCÈNE CULTE > Titicut Follies 14 PREVIEW > Road to Nowhere
17 LES NEWS
17 CLOSE-UP > Guillaume Gouix 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 42 44
LE K > Ma Part du gâteau KLAP > The Woman in Black L’ŒIL DE… > Mark Crash sur Rango L’HURLUBERLU > F.J. Ossang TÉLÉCOMMANDO > Les Beaux Mecs EVENT > Festival Cinéma du réel FLASH-BACK > Françoise de Laure Adler L’HEURE DES POINTES > Ivo van Hove à Exit PASSERELLES > L’Orient des femmes au quai Branly UNDERGROUND > The Shoes MIX TAPE > Alister, Séverin, G. Fédou, A. Léonpaul BUZZ’ART > La vague du transmedia LE NET EN MOINS FLOU > Viedemeuf.fr
47 LE GUIDE
48 SORTIES CINÉ 60 SORTIES EN VILLE 70 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN
72 DOSSIERS
72 BOXE ET CINÉMA // Boxing Gym, Fighter, Jimmy Rivière 86 LE RENOUVEAU SCANDINAVE // Easy Money, Revenge…
103 LE BOUDOIR 104 106 108 110 112 114
DVD-THÈQUE > Krzysztof Kieslowski CD-THÈQUE > Les Disques Bien BIBLIOTHÈQUE > La Merditude des choses BD-THÈQUE > AX, Nyctalope, The Book of George TRAIT LIBRE > Do Androids Dream of Electric Sheep? SEX TAPE > We Want Sex Equality
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6 Trailer /// Pirat@ge
HACKERS OUVERTS Quel point commun entre un paquet de céréales, Apple, Facebook et WikiLeaks ? Le piratage. Pas celui qui se joue à coup d’AK-47 en Somalie, mais celui qui se claviote depuis les premiers temps de la Silicone Valley jusqu’à l’écran Retina de l’iPhone. Pendant un an, nous sommes allés à la rencontre des disques purs et durs des hackers, du M.I.T. de Boston au Chaos Computer Club de Berlin. À quoi ressemblerait Internet sans les pirates ? Probablement au Minitel, répond notre documentaire Pirat@ge, diffusé en avril sur France 4. Journal de tournage.
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_Par Étienne Rouillon
os Angeles, Venice Beach. Huilé jusqu’au tendon, un culturiste body-builde sec de la fonte pour l’épate. Ça fait sourire d’admiration édentée John Draper, alias Captain Crunch, barbe blanche des pirates sans Caraïbes. Ce papy un peu givré sous le cagnard californien est un héros de la révolution informatique, mentor du Steve Jobs d’avant Apple, pirate de ce que l’on pouvait pirater avant les ordinateurs personnels : les lignes téléphoniques. Aussi loin qu’elles s’en souviennent, les mains de John, sclérosées par l’âge et les heures à bouffer du code sur clavier, n’ont soulevé de métal que celui d’une cuillère plongeant dans un paquet de céréales – des Cap’n Crunch ! Le muscle est ailleurs. Dans les contractions synaptiques du ciboulot de ce mad man, fou à en bidouiller le sifflet pour enfants offert avec les céréales, à la fin des années 1960, et de s’en servir comme base de sa Blue Box, qui permettait de détourner les lignes pour téléphoner gratuitement. Prison. Pas trop. Juste le temps de devenir la première légende du hacking1. Steve Jobs et Steve Wozniak feront leurs armes sur la Blue Box et en tireront quelques billes pour faire rouler le premier ordinateur d’Apple. Revendiquant le droit au bidouillage des technologies, les hackers se forgent après cela un mantra : repousser les barrières de la technologie – quitte à les fracasser – et défendre un libre accès à l’information. Témoin direct de l’essor de cette contre-culture californienne, celle des easy riders du modem, le journaliste Steven Levy la fixe en une « éthique » dans son livre Hackers. C’était avant que la pomme arc-en-ciel
ne devienne celle de la discorde, avant que Windows ne referme les fenêtres technologiques sur le copyright. Avant, aussi, que Kevin Mitnick, alias le Condor – autre Prométhée du hacking des années 1990, versé dans la nique au FBI –, ne nous oppose une barrière à la libre circulation de l’information : une interview à cinq chiffres, en euros. Refusée. Fin de promenade. Notre body-builder, vermoulu de cardio-training, prend une douche. L’ombre d’Hollywood glisse sur la plage. Des adolescents s’y rêvent skaters pros ou futurs Sean Parker, cofondateur du premier site de téléchargement illégal grand public à la fin des années 1990 – Napster – puis de Facebook dans la foulée. Interprété par Justin Timberlake sous l’œil de David Fincher dans The Social Network. Millénium ou Tron, les hackers sont désormais les héros des films tournés à deux pas de là. Otis, Massachusetts. « Comment va John Draper ? » Vingt-quatre heures plus tard, 20 degrés de moins. Des restants de neige sous la semelle. Sylvain, le coréalisateur, Benoit, l’ingénieur du son, et moi. Autant de tasses de café bouillant dans des paires de mains rouges du froid ou du coup de soleil tombé la veille. Et Steven Levy, journaliste référence noircissant de ses lumières les colonnes de la bible geek Wired, de nous faire faire le tour du propriétaire d’une maison de bois. Fin fond d’une forêt de conifères jaunissant leur fin d’octobre. Il y termine un livre. Au vu des dossiers consciencieusement archivés dans un coin du bureau, on y parlera de Google et de revenus publicitaires. D’une autre ...
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© Sylvain Bergère
Tournage de Pirat@ge à Venice Beach
© Sylvain Bergère
8 Trailer /// Pirat@ge
L’emblème du Chaos Computer Club, Berlin
révolution, celle de la monétisation d’un monde virtuel qu’il a vu grandir. En 1984, son ouvrage Hackers annonce que le hacking, cette capacité à affirmer qu’impossible n’est pas informatique, canonnera les Austerlitz de l’ère numérique. Le MP3 ? « Un format musical popularisé par le piratage, puis adopté par les industries numériques. » Facebook ? « Ce hacker de Mark Zuckerberg n’a fait qu’une bouchée de Rupert Murdoch et de son MySpace. » iTunes ? « Napster lui a montré la voie. Le hacking retrouve ses lettres de noblesse, même si le terme est de plus en plus utilisé pour désigner la cyber-
M.I.T., Boston. On se pince. Mate le sweat. Ce logo. C’est celui du Chaos Computer Club. On l’a vu en Allemagne la semaine dernière – on y revient plus bas. La tête de mort berlinoise ondule sur le pull à capuche jaune poussin bondissant dans le capharnaüm du M.I.T. Lab. Dedans, Benjamin Mako Hill, arcade percée et bouc rutilant. Il promène sa trentaine biberonnée sous l’adage de Pierre-Joseph Proudhon, « la propriété c’est le vol », dans ce centre de recherche où l’on dessine les innovations techniques d’après-demain : de la souris au système de guidage de missiles. Lui dirige des recherches sur le logiciel libre, a fait ses classes aux
« Avec Facebook, ce hacker de Zuckerberg n’a fait qu’une bouchée de Murdoch et de son MySpace. » Steven Levy, Wired criminalité. On pense souvent qu’il n’est affaire que de déconstruction, alors qu’au contraire les hackers sont des bâtisseurs. À l’image des tout premiers activistes de la fin des années 1950 : les membres du club de modèles réduits ferroviaires du M.I.T., le Massachusetts Institute of Technology. Ils bidouillaient leurs voies ferrées à l’aide de commutateurs électriques et de câbles… Du coup, quand on leur a installé un ordinateur dans la pièce d’ à côté, ils l’ont tout autant bidouillé et ont inventé une nouvelle manière d’interagir avec les ordinateurs, improvisant comme des joueurs de jazz. » À l’orée du bois, les phares crament un panneau : Boston.
côtés des équipes de Wikipedia ou d’Ubuntu,tape dans la main des pirates du Chaos Computer Club lors de conférences en Europe, refuse de parler de Wikileaks – trop sensible, trop proche de son boulot du moment dont il ne pipe mot. Les architectes du logiciel libre sont les fils spirituels des hackers des premiers temps, ils ont dessiné leur propre éthique à la généalogie pirate : tout le monde peut avoir accès à un logiciel libre, tout le monde peut mettre la main à la pâte et le modifier, personne ne peut le verrouiller, y apposer un copyright exclusif,en faire un logiciel propriétaire.Firefox : pendant libre d’Internet Explorer.Wikipedia : pendant libre de feu l’encyclopédie Encarta. Le piratage est devenu un modèle économique, on en fait même des chansons. ...
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10 Trailer /// Pirat@ge
Les hackers ont forgé des usages grand public, massivement adoptés bien qu’illégaux, comme ce fut le cas pour le téléchargement de musique ou de films. Brooklyn, New York. « Andrew ? Désolé, on est un peu paumés, le GPS du taxi est en rade alors on compte les rues. On sera là avec une demi-heure de retard, ça vous va quand même ? – Grmblgrmlbl… C’est bon, on émerge seulement là. C’était l’anniv d’un des frangins hier, on est un peu retournés. Prenez votre temps. » Le temps pour nous d’indiquer le chemin au taxi dans une ville dans laquelle je n’avais jamais foutu les pieds mais dont j’ai de vagues bribes cartographiques grâce à des heures et des heures passées à saigner la map de GTA 4, et nous voilà dans le salon des Gregory. Avec la drôle d’impression d’être entré dans YouTube. Avec son fond vert, son piano surchargé de comics Spider Man et autres bricoles de geek musicos, le living des frérots est la scène bien connue des amateurs de curiosités vidéo du web, d’où sont sortis les plus grands tubes 2.0. Leurs délires potaches accrochent des millions de vues en un clin de tweet. Au pays du copyright, les Gregory Brothers piratent les journaux télévisés sur lesquels ils n’ont pas les droits de reproduction, pour en faire des odes à la fois marrantes et prodigieusement musicales : ça s’appelle AutoTune The News. Le quatuor est composé d’Andrew, Michael, Evan et sa tendre moitié, Sarah, « sorte de frère honoraire en vertu de son mariage ». Le dernier tube international des Gregory s’appelle Double Rainbow, détournement de la vidéo amateur d’un campeur extatique face à un double arcen-ciel. Avec 20 millions de vues sur YouTube, le succès de la chanson est tel que Microsoft a retrouvé le fameux campeur pour en faire le héros d’un spot publicitaire pour Windows. Les majors piratent les pirates… Partout où l’on a posé notre caméra, la même équation se griffonnait : les hackers ont forgé des usages grand public, massivement adoptés bien qu’illégaux, comme ce fut le cas pour le téléchargement de musique ou de films. Les plus malins sont alors les industriels ou majors de la culture
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qui vont réinvestir ces usages les premiers, les imiter, détourner le flux de la contrefaçon numérique vers les plateformes légales. Napster devient iTunes chez Apple, le streaming de séries télé américaines devient la VOD Premium chez TF1. CCC, Berlin. « Si vous utilisez votre machine à café pour faire bouillir des saucisses, c’est du hacking. Parce que vous utilisez la technologie non pas pour son usage originel mais pour ce qui vous est le plus utile. » Expert en cuisson,Andy Müller-Maguhn est surtout le porte-parole du CCC Berlin,le Chaos Computer Club, Babel internationale des pirates informatiques qui s’est fait connaître au milieu des années 1980 en piratant l’équivalent allemand du Minitel. Ils ont ainsi chapardé un paquet de Deutsche Marks à une banque, avant de les remettre publiquement en claironnant : « Revoyez votre technologie. » Pas d’angélisme,le CCC est conscient que les techniques du hacking ont aussi armé les carquois de la cybercriminalité qui barbote vos identifiants bancaires. « Certains ne se sont pas rendu compte de l’impact de ces technologies. » Comme Boris Floricic, alias Tron, retrouvé pendu en 1998 dans un parc berlinois. Andy baisse d’un ton : Tron jouait les espions industriels pour des majors des médias. Il est persuadé que ça lui a coûté la vie. Croisé presque par hasard dans les couloirs du CCC, Daniel Domscheit-Berg, ancien porte-parole de Wikileaks, brouillé à mort avec son responsable, Julian Assange.Il lui reproche de ne pas avoir respecté l’exigence de transparence, l’ADN du site. Il monte en ce moment un site cousin, OpenLeaks. Lui aussi est hacker – l’éthique au taquet. Pirat@ge de Sylvain Bergère et Étienne Rouillon // Documentaire // Production : MK2 TV, France 4 // France, 2011, 1h15 // Diffusion le 15 avril sur France 4 On peut définir le hacking comme un ensemble de techniques de détournement de systèmes ou de machines. En France, le terme « piratage informatique » confond contrefaçon numérique, cybercriminalité et hacking.
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© 1967 Bridgewater Film Compagny courtesy of Zipporah Films
12 SCÈNE CULTE /// titicut follies
FIRST ROUND LE PITCH Dans les années 1960, Frederick Wiseman est professeur de droit. Il emmène ses élèves visiter le pénitencier psychiatrique de Bridgewater, dans le Massachusetts, et se lie d’amitié avec son surintendant. De là naît l’idée de tourner Titicut Follies, son premier documentaire, début d’une longue série de films sur les institutions américaines. À Bridgewater, les prisonniers (alcooliques, délinquants sexuels, déficients mentaux) sont également des patients que le personnel tente de soigner…
traitement », nous sommes d’accord sur le principe : tu n’as pas à le prendre.
Le patient : Est-ce que je peux savoir pourquoi j’ai besoin de cette aide forcée ? […] Il est évident que je m’exprime bien, que je réfléchis bien, je suis sain d’esprit ; et vous me détruisez.
Le patient : Pourquoi je ferais ça ?
Le docteur : Est-ce que je peux dire un mot ? Nous ne te forçons pas si tu dis « je ne veux pas prendre »…
Le patient : Mais ce n’est pas ça le principe, docteur. Le vrai principe, c’est que je suis ici, sain et en bonne santé et en train de me faire détruire. Si vous me laissez retourner en prison, je pourrai en sortir comme je le devrais. Le docteur : Si je te renvoie en prison aujourd’hui, tu seras de retour à Bridgewater avant le soir. […] Si tu ne me crois pas… Je… Dis-moi d’aller me faire voir.
Le docteur : Parce que si je dis des choses fausses,je dois être puni. Si on te renvoie à Walpole aujourd’hui, tu reviens ici demain. Peut-être même ce soir. Je te jure. Le patient : Mais, docteur…
Le patient : Non, non, non, je ne veux pas rester ici. Ici, je suis un prisonnier.
Le docteur : Tu veux essayer ? Tu veux tenter ta chance ?
Le docteur : Si tu dis « je ne veux pas prendre ce
Le patient : Oui, oui, je veux essayer.
Titicut Follies de Frederick Wiseman // Documentaire // États-Unis, 1967, 1h24 Retrouvez la scène culte sur
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© Capricci
14 PREVIEW
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ROAD TO NOWHERE Jeux de pistes, intrigue labyrinthique et simulacres : vingt-et-un ans après son dernier long métrage (Better Watch Out !, inédit en France), le nouveau film de Monte Hellman lance le spectateur sur une fausse route dès le générique d’ouverture, qui annonce sur un air de country languissant : « Réalisé par Mitchell Haven. » Road to Nowhere met en scène un film dans le film, tourné par un jeune cinéaste enthousiaste (le Haven du générique) à partir d’un fait divers dans lequel une jeune beauté et son amant vieillissant ont trouvé la mort. La mise en abyme permet au réalisateur culte de Cockfighter de questionner les ficelles mensongères du cinéma, et plus largement de la communication et de ses voies, dont l’oxymore du titre semble pointer les limites. Sublime. _J.R. Un film de Monte Hellman // Avec Shannyn Sossamon, Dominique Swain… // Distribution : Capricci // États-Unis, 2010, 2h01 // Sortie le 6 avril
LES
NEWS
Secouez, agitez, savourez : l’actu ciné, culture, techno fraîchement pressée
CLOSE-UP
© Pyramide distribution
Magnifique Jimmy Rivière dans le film de Teddy Lussi-Modeste, le ténébreux GUILLAUME GOUIX frappe fort avec ce premier rôle solaire, celui d’un gitan tiraillé entre démons et devoirs. De l’ombre à la lumière. Muscle saillant, visage de douce brute éclairé par un regard émeraude, Guillaume Gouix aurait pu jouer les jolis cœurs longtemps. Mais Jimmy Rivière lui a enfin offert une arène de jeu à la hauteur de son talent. Formé à l’école régionale d’acteurs de Cannes et second rôle récurrent (Poupoupidou, Belle Épine, Copacabana), le bel athlète a soumis son corps nerveux à l’épreuve des entraînements de boxe thaï. Acrobate éloquent, il adapte son phrasé avec la même agilité. Sous les traits de Jimmy, il prêche devant des pentecôtistes ou renvoie Béatrice Dalle dans les cordes avec le même aplomb. Teddy Lussi-Modeste ne s’y est pas trompé : « J’ai cherché un voyageur pour incarner le rôle, en vain. Dès que j’ai vu Guillaume sur le quai de la gare, j’ai su que c’était lui. Tout à coup un visage et vos désirs se rencontrent. C’est presque amoureux. » _Stéphanie Alexe
LE
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© Studio Canal - Emmanuelle Jacobson-Roques
18 NEWS /// POLÉMIQUE
IL Y A CEUX QU’IL ÉNERVE ET CEUX QUI LE VÉNÈRENT
GÂTEAU SEC Grand goulu de comédies sociales, CÉDRIC KLAPISCH confronte dans Ma part du gâteau un trader sans morale et une ex-ouvrière courageuse devenue sa femme de ménage… Jusqu’à l’écœurement du spectateur ? _Par Laura Pertuy (la question) et Renan Cros (la réponse)
La question
La réponse
Alors que son Auberge espagnole (1998) nous installait dans un bordel ibérique plutôt réjouissant, Paris engloutissait déjà des destins plus capiteux que capitaux. On attendait donc, un nœud à l’estomac, la nouvelle mouture de Klapisch. Ma part du gâteau se veut dénonciation sociale : Karin Viard troque ses habitudes germanopratines pour un uniforme de domestique après avoir été licenciée de son usine. Un trader aux confins du cliché (Gilles Lelouche) fait appel à elle pour nettoyer son appartement vide (attention, symbole). Macho et vénal quand elle est aimante et joyeuse, le financier donne finalement à savourer quelques lichettes d’humanité – le marxisme, après tout, c’est pas du gâteau. Ballonné, on se demande : que tirer de ce manichéisme frelaté et de son coulis de revendications ouvrières ?
Le réalisme n’est jamais le sujet du cinéma de Klapisch. C’est plutôt l’air du temps qui l’intéresse. Fini donc les utopies de la jeunesse du Péril jeune et de L’Auberge espagnole, le sacerdoce familial de Paris et Un air de famille, Ma part du gâteau tente de faire de la crise un roman-feuilleton. Si les clichés tenaces agacent, le film séduit par sa ligne de fuite permanente, entre drame, comédie et polar. Que ce soit l’âpreté du début, l’étrangeté d’une révolte finale ou de purs moments de comédie, le film invente un quotidien romanesque comme seule réponse possible à la crise. L’extraordinaire pour conjurer la triste banalité, en somme. Si la recette ne prend pas complètement, cette Part du gâteau possède tout de même un sens du récit qui contentera ceux qui ont encore faim de cinéma.
Ma Part du gâteau de Cédric Klapisch // Avec Karin Viard, Gilles Lelouch… // Distribution : StudioCanal // France, 2010, 1h49 // Sortie le 16 mars
LA RÉPLIQUE
« Oui, on peut être black et gothique. » (Nous, princesses de Clèves de Régis Sauder, sortie le 30 mars)
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20 NEWS /// klap ! /// zoom sur un tournage
Le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher, 1958
H LA MAUDITE The Woman in Black de JAMES WATKINS est le premier film d’horreur filmé par la Hammer sur ses terres britanniques depuis 1979. Un tournage ambitieux, loin des productions désargentées à revoir lors d’une rétrospective au Musée d’Orsay. _Par Pamela Pianezza
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our la cinquième fois consécutive, Daniel Radcliffe (Harry Potter) dévale l’escalier d’une maison hantée. Il incarne Arthur Kipps, un notaire enquêtant sur la disparition d’un de ses clients. Il est surtout le héros du premier film d’horreur tourné par la Hammer depuis le terrible flop de The Lady Vanishes d’Anthony Page en 1979. Dans l’espoir de retrouver l’atmosphère flamboyante et gothique des mythiques studios britanniques fondés en 1934, les producteurs
ont confié le scénario à l’imaginative Jane Goldman (KickAss) et la réalisation à James Watkins, auteur du thriller forestier Eden Lake. « J’aime bien l’idée de faire du neuf avec du vieux, murmure Watkins. Je conserve la mise en scène très classique qui a fait le succès des Dracula, mais pas le côté “vite fait pour pas cher”. » Emblème du cinéma d’épouvante subversif jusqu’au début des années 1970 – elle a lancé Terence Fisher, Christopher Lee, Peter Cushing… –, la firme britannique s’est ensuite laissée distancer par la génération Romero-Argento. Avant de ressusciter en 2007, rachetée par le prince de la télé-réalité John de Mol. Depuis, avec Laisse-moi entrer de Matt Reeves en 2010, la Hammer a su se rappeler aux bons souvenirs des spectateurs. Il ne lui reste plus qu’à transformer l’essai.
_Par L.T.
INDISCRETS DE TOURNAGe 1. Echappée nippone pour Abbas Kiarostami qui tourne The End avec la Japonaise Aoi Miyazaki dans le rôle d’une étudiante qui se prostitue pour financer ses études et se trouve prise dans un triangle amoureux douloureux. Sortie en 2012. 2. Stoker sera le premier film hollywoodien de Park Chanwook. Mia Wasikowska interprétera une jeune fille bouleversée par le retour d’un oncle mystérieux. Nicole Kidman et Colin Firth complèteront le casting de ce film écrit par Wentworth Miller (Prison Break). 3. Sandrine Bonnaire réalise son premier film de fiction, J’enrage de son absence. Le scénario (une femme installe son ex-amant dans la cave de la maison familiale) est cosigné par Jérôme Tonnerre (Quartier lointain). Devant la caméra, Alexandra Lamy et William Hurt.
Rétrospective au Musée d’Orsay du 11 au 27 mars
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LA TECHNIQUE
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BATTEMENT D’AILES Pour saisir les circonvolutions des colibris ou l’envol des papillons, le réalisateur du documentaire Pollen a bénéficié du dernier cri en matière de caméra numérique : la Phantom HD, employée initialement par l’armée américaine pour ses tests de lancement de missiles, et qui a la particularité de filmer en haute résolution à 1500 images par secondes – contre les 24 habituelles –, ralentissant ainsi plus de 60 fois le mouvement enregistré. Déjà utilisée dans Inception, la Phantom HD continue de voir ses performances améliorées : les derniers modèles peuvent filmer jusqu’à 2500 images par seconde, et même 10 000 avec une résolution moindre. _Julien Dupuy // Pollen de Louie Schwartzberg // Sortie le 16 mars
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22 L’œil de… /// MARK « CRASH » MCCREERY SUR RANGO
le caméléon Pour la traversée du désert de Rango, le réalisateur des Pirates des Caraïbes, Gore Verbinski, s’est adjoint les services de l’un de ses plus fidèles collaborateurs : le designer MARK « CRASH » MCCREERY. Ce dernier revient sur la naissance de ce film d’animation biberonné aux westerns classiques.
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_Par Julien Dupuy
e travail de l’artiste-peintre Mark « Crash » McCreery est partout à Hollywood depuis vingt ans : pour Tim Burton, il a imaginé le look d’Edward aux mains d’argent et du Pingouin de Batman, le défi. C’est grâce à son tableau du T. Rex galopant dans une jungle antédiluvienne que Steven Spielberg a décroché le budget de Jurassic Park. James Cameron l’avait chargé de visualiser les apparences du T-1000 protéiforme de Terminator 2… Quant à Gore Verbinski, il l’a sollicité depuis son premier film, La Souris (1998). Pour sa trilogie Pirates des Caraïbes, Crash a créé le pirate lovecraftien Davy Jones. Il était donc logique que l’association soit renouvelée sur Rango, western existentiel dans lequel un caméléon en quête d’identité devient le sauveur d’une ville asséchée par l’avidité de vils comploteurs. Directeur artistique de ce film d’animation, Crash a imaginé l’apparence de 80 personnages, 20 décors et d’une ville entière composée de 35 bâtiments. Mais le vrai défi de ce projet pharaonique résidait dans le ton du film, qui détonne dans l’industrie de l’animation américaine : « Gore m’a impliqué avant même que nous ayons obtenu le feu vert d’un studio. C’était
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un processus créatif fascinant, parce que nous laissions libre cours à notre imagination. Personne ne regardait au dessus de notre épaule pour nous dire : “Ce n’est pas ainsi que Dreamworks ou Pixar aborderait ces personnages !” Ce n’est qu’une fois la direction artistique bien établie que nous avons démarché les studios pour obtenir le budget. C’est aussi ce qui rend le film si unique. » ANIMAL COLLECTIVE Assumant son caractère postmoderne, Rango est l’occasion pour Verbinski et Crash de mitonner un pot pourri de sources d’inspirations que l’on n’attend pas forcément dans l’animation : « Rango est le fruit de mon amour pour quantité d’artistes. Par exemple, le peintre allemand Sebastian Krüger m’a beaucoup influencé pour les designs des caricatures d ’Hunter S. Thompson et de l’Homme sans nom. Je suis aussi un grand amateur de Western Art, et en particulier de Frederic Remington. C’est grâce à lui si les cieux nocturnes du film tirent vers les verts foncés et non pas vers l’ indigo habituel. » À l’image du nom du personnage principal, qui rappellera immanquablement
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MARK « CRASH » MCCREERY SUR RANGO /// L’œil de… 23
Rango, caméléon haut en couleurs
aux amateurs le Django du classique de Sergio Corbucci, Rango est un démarquage animalier des westerns spaghettis. Rien de surprenant lorsque l’on sait que la sonnerie du portable de Crash est le thème principal du Bon, la brute et le truand ! « Très vite, j’ai dessiné un concept qui reprenait les cadres typiques de Sergio Leone : un très gros plan d’un pistolero en amorce, avec
le parfait état d’esprit artistique pour nous aider. » On le voit, Rango est également un hybride, en ce qu’il mêle les grands principes de l’animation et l’expérience d’une équipe issue du cinéma live. « Nous devions donner la sensation aux spectateurs que nous avions dû composer avec les aléas d’un tournage live : nous avons ajouté des aberrations optiques sur l’image, et même des petits heurts
« Nous avons travaillé avec le directeur de la photo des frères Coen pour retrouver les images contrastées de Sergio Leone. » en arrière-plan plusieurs personnages, le tout filmé avec une grande profondeur de champ. Gore a aussitôt déclaré que ce dessin serait le mètre étalon de tout le film. Nous avons aussi travaillé sur la lumière avec le directeur de la photographie des frères Coen, Roger Deakins, pour retrouver les images très contrastées de Leone. Ce qui est amusant, c’est qu’il travaillait en même temps sur True Grit, il était donc dans
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dans nos travellings. » Reste à espérer que Rango parviendra à accomplir les exploits de son héros : briser les idées reçues pour ouvrir de nouvelles perspectives à un médium qu’Hollywood persiste à cantonner en priorité aux plus jeunes. Rango de Gore Verbinski // Avec les voix de Johnny Depp, Isla Fisher… // Distribution : Paramount Pictures France // États-Unis, 2010, 1h40 // Sortie le 23 mars
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24 NEWS /// L’HURLUBERLU
© Solaris
À feu et Ossang
« Moteur ! » Le cri qui précède l’action cinématographique semble avoir été inventé pour F.J. OSSANG, réalisateur de la vitesse, musicien électrique, poète révolté (des rêves et des volts…). Dharma Guns, la succession Starkov est son nouveau traité d’alchimie visuelle. Photosensible. _Par Wilfried Paris
A
yant vu sa vocation de pilote de course contrariée à 15 ans par un accident de moto, l’amour des moteurs s’est mué chez F.J. Ossang en amour des mots (créant dans les années 1970 les Céeditions,publiant Burroughs,Pélieu,Rodanski…), des guitares (dans les groupes punk-indus De la Destruction Pure et Messageros Killer Boys) puis des caméras (L’Affaire des divisions Morituri conclut en 1984 ses études à l’IDHEC). F.J., né en 1956 dans le Cantal,renaît Ossang,expression qui viendrait selon lui de la Bible : « Je solidifierai mon sang, j’en ferai de l’os. » Depuis,chacun de ses film (Le Trésor des îles Chiennes en 1990, Docteur Chance en 1997, et plusieurs courts dont Silencio, prix Jean Vigo en 2007) semble raconter une renaissance, celle qui doit d’abord passer par la mort, la traversée du Styx, ou le monde souterrain que parcouraient les anciens Égyptiens avant de sortir au jour pour retrouver la lumière. La lumière irradie donc ses films comme le soleil impressionne la rétine et imprime l’argentique. Ossang est de la vieille école, celle du muet, des alchimistes du cinéma (Eisenstein, Murnau, Epstein), tournant surtout en noir et blanc. Foulant les terres volcaniques (les Açores, l’Auvergne), cherchant le
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magnétisme d’un lieu autant que d’un geste, les chargeant d’électricité (la musique de Throbbing Gristle dans Silencio), il inscrit ses récits initiatiques dans le film de genre (noir, d’espionnage, de sciencefiction, road movie), magnifiant ses archétypes en leur restituant un corps vivant. C’est celui de sa compagne Elvire, couverte de latex, Irma Vep / James Bond girl qui nous introduit, sur les guitares de Jello Biaffra, à Dharma Guns, à la vitesse vrombissante d’un hors-bord (« hors des bords »), entre le ciel et les fonds sous-marins, où le héros, tracté par un fil, va sombrer, nous entraînant avec lui dans son voyage au pays des morts. C’est Dante, Osiris et le Necronomicon qui croisent Burroughs, Debord et le Godard d’Alphaville. Et s’il cite Hölderlin (« L’homme qui songe est un dieu, l’homme qui pense un mendiant »), c’est en nous épargnant la fin du texte : « Et celui qui a perdu la ferveur regarde dans sa main orpheline les quelques pièces que la pitié lui a laissées en chemin. » Car F.J. Ossang n’a, lui, jamais perdu sa ferveur. Dharma Guns, la succession Starkov de F.J. Ossang // Avec Elvire, Guy McKnight… // Distribution : Solaris // France-Portugal, 2010, 1h33 // Sortie le 9 mars Rétrospective des longs métrages de F.J. Ossang au MK2 Hautefeuille, à partir du 9 mars
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© France2 Laurent Denis
26 NEWS /// télécommando
ça fait mâle Les Beaux Mecs revisite l’histoire du grand banditisme français via la cavale de deux truands mal assortis, et confirme le nouveau savoir-faire hexagonal en matière de séries noires. _Par Guillaume Regourd
I
l aura fallu attendre 2005 et l’arrivée d’Engrenages sur Canal + pour que le polar télé français se réveille. La scénariste de sa deuxième saison, Virginie Brac, et son réalisateur, Gilles Bannier, sont à la manœuvre des Beaux Mecs. Et ça se sent dans le traitement réaliste comme dans les dialogues, enlevés. Emprisonné il y a vingt-cinq ans, Tony le dingue est un truand à l’ancienne, un « beau mec », dur mais droit, intelligent et méticuleux. Tout le contraire de Kenz, petit caïd des cités qui partage sa cellule. Les deux hommes s’évadent, avec à la clé une chance pour Tony de prendre sa revanche sur ses anciens associés à l’accent titi parisien – dont Simon Abkarian, plus convaincant encore que dans Pigalle, la nuit. L’esprit Canal plane sur chaque scène des Beaux Mecs – sauf que, plutôt que d’en rajouter dans la noirceur qu’affectionne tant la chaîne cryptée, Virginie Brac choisit de retracer en parallèle de sa cavale la jeunesse de Tony et son ascension dans le crime organisé. La série bifurque alors ponctuellement du côté de la fresque en costumes, rappelant au spectateur qu’il est bien sur France 2. Quoi qu’il en soit, la fiction du service public a changé et on attend maintenant de pied ferme Signature, thriller en terre réunionnaise signé Hervé Hadmar et Marc Herpoux.
BUZZ TV
_Par G.R.
1. Succès de Mad Men oblige, tout le monde veut sa série sixties. Tony et Ridley Scott s’apprêtent donc à produire The Drivers. Ce Jours de tonnerre en costumes se déroulera pendant les 24 heures du Mans. Casting international probable. 2. Les deux ados crétins Beavis and Butt-head, qui firent le bonheur des spectateurs de MTV dans les années 1990, reviendront cet été sur la chaîne musicale. Mike Judge sera toujours aux manettes pour leur faire commenter les clips de Lady Gaga et Rihanna. 3. Stephen Gaghan, le réalisateur de Syriana, prépare une série au titre un peu barbare, S.I.L.A., annoncée comme une plongée dans le Los Angeles du crime et de sa prévention. Le show se veut proche de son Traffic, écrit en 2000 pour Steven Soderbergh.
Les Beaux Mecs, sur France 2 le mercredi à 20h35 à partir du 16 mars
LE CAMÉO
© BBC
WILL FERRELL ET RICKY GERVAIS DANS THE OFFICE US
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C’est l’effervescence du côté de The Office aux États-Unis. Alors que Steve Carell s’apprête à quitter la série, les poids lourds de la comédie se pressent pour lui présenter leurs respects. Will Ferrell vient d’accepter de jouer dans quatre épisodes. En janvier, Ricky Gervais s’était offert un tour du proprio sous les traits de David Brent, son alter ego de la version originale britannique. À l’heure où le nom du remplaçant de Carell demeure secret, Gervais a au passage balancé qu’il verrait bien Will Arnett (Les Rois du patin) dans la série. Info ou intox ? _G.R.
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28 NEWS /// event
The Ballad of Genesis and Lady Jaye de Marie Losier
Le festival Cinéma du réel, à Beaubourg, grand rendez-vous du documentaire international, hisse les voiles ce mois-ci vers les terres composites de l’utopie. Une cartographie idéaliste du monde. _Par Laura Tuillier
A
vec 25 000 spectateurs en 2010 et plus de 2300 films reçus pour cette 32e édition, le festival Cinéma du réel a toujours le vent en poupe dans le monde du documentaire. Pour conserver cette pertinence, son directeur artistique, Javier Packer-Comyn, défend ses choix : « La caméra elle aussi est concernée par la révolution. Programmer un film, c’est déjà s’engager. Un film en appelle un autre, un parcours se crée, d’œuvre en œuvre. » Au bout du tunnel de visionnage, une dizaine de documentaires sont en compétition internationale, presque autant dans la catégorie premiers films et dans une sélection appelée Contrechamp français, que Javier Packer-Comyn qualifie de « subjective, destinée à marquer de quelques repères essentiels la création contemporaine ». Tandis que des rencontres éclairciront le futur de l’image à l’ère numérique, les documentaires présentés battent avec le pouls du monde, tout en ménageant des espaces en friche, utopiques : American Passages (ou le rêve américain abîmé par la crise), Palazzo delle Aquile (le collectif contre le cynisme organisé) ou encore Koundi et le jeudi national (sur la possibilité d’une autogestion dans un village camerounais), autant d’œuvrespilotis qui se dressent dans l’épaisseur du réel pour signaler soubresauts sociétaux et prémisses révolutionnaires.
DR
NEO-RÉALISME rendez-vous
_Par L.T.
1. Isabelle Adaptations, Huppert inspirations… jouera dans Le cinéma est l’art qui puise dans les autres sa force. La 22e édition du festival Théâtres au cinéma célèbre les œuvres mixtes du cinéaste suisse Alain Tanner et de l’écrivain britannique John Berger. Théâtres au cinéma, jusqu’au 22 mars à Bobigny
2. Le musée de l’Armée propose un cycle de films sur la Renaissance. L’Extase et l’Agonie de Carol Reed, La Princesse de Clèves de Jean Delannoy… des classiques présentés par l’historien Patrick Brion. La Renaissance au cinéma, du 4 au 9 avril au musée de l’Armée
3. Amos Gitai reconstitue l’existence de son père architecte, figure du Bauhaus, à travers une installation vidéo itinérante. Douze extraits de films se répondent, témoignages d’une histoire à perpétuer. Traces, jusqu’au 17 avril au Palais de Tokyo
Cinéma du réel, du 24 mars au 5 avril au Centre Pompidou, www.cinemadureel.org
© Christine Guibert
l’after-show
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HERVÉ GUIBERT PHOTOGRAPHE Pour la première fois depuis la mort de l’écrivain (emporté par le sida en 1991), une rétrospective est consacrée aux photographies d’Hervé Guibert. Plus de 230 tirages en noir et blanc, tous réalisés grâce au Rollei 35 paternel, captent la vie qui se consume. Au fil de la visite, les portraits (Isabelle Adjani, les amants, les grandes tantes adorées…) laissent place aux ombres, aux masques, à une évanescence délicate. Hervé Guibert, condamné, fait du mal qui le ronge sa dernière muse : ce sera La Pudeur ou l’Impudeur, son unique film, sublime adieu de l’artiste au monde. _L.T. Rétrospective, jusqu’au 10 avril à la Maison européenne de la photographie, www.mep-fr.org
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30 NEWS /// Flash-back
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© Fonds Françoise Giroud / Archives IME
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1. Françoise Giroud sur le tournage de La Grande Illusion de Jean Renoir en février 1937. 2. Réunion de travail à L’Express. 3. Sur le tournage de Courrier Sud de Pierre Billon en 1936. 4. Françoise Giroud fait répéter leurs textes à Louis Jouvet et Fernand Charpin sur le tournage d’éducation de prince d’Alexandre Esway en 1938.
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Flash-back /// news 31
ELLE(S) « Je suis une saltimbanque », déclarait effrontément Françoise Giroud en 1998, alors qu’on lui remettait la Légion d’honneur. C’est cette vie de combats, masquée par l’aura de la femme de lettres visionnaire, que LAURE ADLER entreprend de dévoiler dans Françoise, biographie « sans retouches » de la fondatrice d’Elle et de L’Express. _Par Laura Tuillier
Lorsque Caroline Eliacheff m’a confié qu’il existait des archives inédites conc e rna nt s a m è re, Fra nçoi s e Giroud, j’ai su qu’il y avait matière à écrire un livre qui soit à la fois le portrait d’une femme et celui d’une époque », se souvient Laure Adler. Mais, entre le jour où la journaliste décide de s’atteler à une biographie de Françoise Giroud et la publication de Françoise, des années de recherches se sont écoulées. Correspondance, journal intime, rencontres avec les amis, les amants, les collaborateurs… La tâche fut ardue. D’autant que, douée d’un grand sens romanesque, Françoise Giroud n’a cessé de se raconter, de récits autobiographiques (Si je mens, On ne peut pas être heureux tout le temps) en publications d’entretiens (Profession : journaliste). Laure Adler analyse cette tortueuse quête de vérité : « J’avais l’impression que derrière la guerrière se cachait quelqu’un d’autre. C’est cette personne que je voulais trouver. » Aux avant-postes À la différence de la plupart des hommes qu’elle côtoie, Françoise Giroud a fait son éducation – intellectuelle et artistique – sur le tas, loin de l’instruction bourgeoise et privilégiée qu’ont reçue la majorité de ses collaborateurs à Elle ou à L’Express. À 15 ans, la jeune fille quitte les bancs de l’école et, contrainte d’aider sa mère financièrement, saute à pieds joints dans le cinéma. De très belles photos en noir et blanc la dévoilent, en cahier central du livre, sur le tournage de Courrier Sud ou de La Grande Illusion. Elle a 20 ans à peine, des rondeurs enfantines qui lui valent le surnom condescendant de « Bouchon », mais déjà elle s’impose, infiltre un milieu très masculin, amie d’André Gide, collaboratrice de Jean Renoir… Mais le véritable épanouissement de la jeune femme a lieu lors de la création du magazine Elle, juste après la Seconde Guerre mondiale. « Françoise mène un combat féministe à Elle,
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pour que les femmes aillent voter, soient indépendantes matériellement, aient accès à une sexualité choisie et épanouie », poursuit Laure Adler. C’est donc en tant que journaliste politique et culturelle que Françoise Giroud éblouit, à l’avant-garde du modernisme au sein d’une profession trustée par la gent masculine. Première en France à évoquer les rapports Kinsey sur la sexualité, c’est elle qui titre, en 1957, « Nouvelle vague » dans L’Express, baptisant ce qui s’apprête à devenir le mouvement cinématographique phare de la seconde moitié du XXe siècle en France. Laure Adler note : « Elle sera la première dans le pays à lancer la Beat generation, à évoquer Les Maîtres fous de Jean Rouch, à prononcer l’éloge des Nègres de Jean Genet. » Une enfant du siècle Née pendant la Première Guerre mondiale, Françoise Giroud est résistante en 1939-1945, s’engage contre les combats en Algérie, milite en Mai-68, devient première secrétaire d’État à la Condition féminine sous Giscard, donnant l’impression d’avoir vécu plusieurs vies, d’avoir traversé l’histoire. L’aventure de L’Express, dans laquelle elle s’embarque avec son grand amour Jean-Jacques Servan-Schreiber, la conduit à côtoyer François Mauriac, à conseiller Pierre Mendès France ou François Mitterrand. Au milieu de cette période d’intense bouillonnement idéologique, entre les ruines de la IVe République et les tourments qui suivent les Trente glorieuses, Françoise Giroud trouve sa place, d’intellectuelle et d’artiste. « Accordez-moi encore quelques fois le droit d’être une femme et pas seulement une locomotive, un sanglier, une brute, un baobab. […] Nous avons tant à faire encore », écrit-elle à Servan-Schreiber, un soir de doute. Dans sa biographie, c’est bien le portrait d’une femme – surprenante, singulière – que dresse Laure Adler, au-delà de la légende. Françoise de Laure Adler (Grasset)
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32 NEWS /// L’HEURE DES POINTES
© Jan Verweyeld
Extrait de Scènes de la vie conjugale de d’Ingmar Bergman
PAS DE DEUX Génial entremetteur du théâtre et du cinéma, atout maître du festival international EXIT, le metteur en scène belge IVO VAN HOVE transforme les Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman en une fresque déambulatoire intergénérationnelle, rebaptisée Scenes From a Marriage. _Par Ève Beauvallet
L’
anecdote veut qu’en Suède, le nombre de divorces ait sensiblement augmenté après la diffusion de Scènes de la vie conjugale, une série télévisée datée de 1973 et plus tard synthétisée en long métrage. Il faut dire qu’avec cette chronique de l’amour-haine ordinaire, Ingmar Bergman prouvait méthodiquement que l’enfer, c’est bien l’autre, surtout lorsqu’on l’a épousé(e). Si le sujet n’avait rien d’inédit,jamais encore on ne l’avait à ce point adossé au genre pamphlétaire : les scènes de ménage du couple étaient traitées en fresque politique, avec flingage en règle – et en gros plan – des mœurs de la petite bourgeoisie. DESCENTE Pourtant, c’est moins la charge sociale qui intéresse Ivo van Hove, lorsqu’il adapte ce film culte pour la scène, que cette façon quasi clinique qu’avait le réalisateur de traquer les moindres rictus du désespoir et de s’attarder sur la lente métamorphose des êtres par la douleur. Rien d’étonnant dans ce choix dramaturgique : le motif de la descente aux enfers est par excellence celui du metteur en scène belge. Il y a quelques années, c’était en sondant les rives de la folie avec Opening Night, adapté du chef-d’œuvre
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de John Cassavetes, qu’il a gagné ses galons de grand directeur d’acteur. Le public découvrait alors un artiste (également réalisateur d’un long métrage, Amsterdam) capable d’en découdre avec un autre couple, non moins problématique : celui du théâtre et de la vidéo.Savoir plier les outils multimédia au théâtre, saluer le low-tech avec le high-tech… Une rareté. Car, malheureusement pour l’histoire des arts, les liaisons tumultueuses entre théâtre et multimédia ont souvent péché par excès de zèle et abouti à ce que l’on s’ennuie en 3D. Merci, donc, au festival EXIT de savoir distinguer l’artiste du promoteur technologique. DESIGN D’ailleurs, aucun écran vidéo (pour une fois) dans cette mise en scène de Van Hove, mais un design sonore virtuose, qui permet de recréer l’effet de zoom optique. Ses Scènes de la vie conjugale isolent trois couples de générations différentes dans de petites alcôves transparentes. Probable que les spectateurs, invités à varier les points de vue en circulant d’un espace à l’autre, concluront qu’il n’y a pas plus beau geste d’amour envers le cinéma que cette transposition live. Scenes From a Marriage, du 10 au 12 mars à la Maison des arts de Créteil, dans le cadre du festival EXIT, www.maccreteil.com
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34 NEWS /// passerelles
LACROIX ET SES BANNIÈRES Étreintes d’orange et de rose, camaïeux bruns et horizons bleutés, c’est en Orient que nous guide le musée du quai Branly à l’occasion d’un défilé onirique orchestré par CHRISTIAN LACROIX. Le couturier y propose une cartographie de la couleur, de la matière et du motif de 1880 à nos jours sur le tapis rouge de L’Orient des femmes. Déambulation dans une mezzanine caressée par les arabesques de cet amoureux du Levant.
S
_Par Laura Pertuy
inueuse dans son agencement, épousant les couleurs (du noir au blanc en passant par des tons très prononcés) et les contours du Croissant fertile (du nord de la Syrie pour atteindre le désert du Sinaï), l’exposition du quai Branly réinvente l’ocre des visages sous les parures aux milles piécettes, perles et coquillages. Quant aux motifs reproduits sur les quelque 150 pièces présentées, datant principalement de la fin du XIXe siècle, ils narrent les origines et traditions de la bédouine ou de la villageoise orientale, au fil d’une visite où les imprimés se jouent gracieusement de la lumière qui traverse parfois les vitres de la mezzanine. On frôle ici et là les coffres de mariage créés par le couturier pour l’occasion, écrins stylisés du trousseau de la mariée.
ORIENT EXPRESS Pétries des usages liés à chacune des régions parcourues, les robes et tuniques empruntent à la Syrie des teintes profondes (noir ou bleu nuit) que viennent embraser des broderies très vives. Le rouge se pique, lui, d’une signification toute particulière, puisqu’il porte les vertus de la fécondité, de la protection et de la richesse. Plus au Sud, le satin noir chatoie sur les silhouettes des femmes jordaniennes, qui le parent de broderies diverses quand leurs consœurs des cités historiques leur préfèrent des robes aux dimensions bien peu communes. Une vidéo étonnante montre une femme maniant l’une de ses tenues pour s’en faire un vêtement de la vie quotidienne, ajusté à sa taille et à ses mouvements. Il servira aussi de réceptacle à des objets nomades. Détour par la Palestine, où l’art du fil tient de la transmission millénaire, puisqu’être brodeuse émérite était jadis gage de mariage assuré : on estimait la valeur d’une femme à la qualité de ses travaux brodés ! Copieuses
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assermentées, les femmes bédouines s’inspirent souvent de leurs voisines pour égayer leurs robes et quitter des horizons jusqu’ici très bruns. TISSUS D’HISTOIRES Fort d’une collection en constante expansion, le musée du quai Branly a acquis une trentaine d’accessoires ces trois dernières années : robes, manteaux,coiffes et voiles de visage.Autant d’éléments qui viennent compléter les portraits de ces femmes que l’on ne voit jamais qu’à travers leurs apparats et que l’on imagine en mariées fières et fiévreuses. D’abord entreposés au musée de l’Homme,ces trésors procheorientaux sont le fruit de trouvailles diverses: savants, archéologues ou militaires en poste au Levant ont ramené certaines de ces richesses en France entre les deux guerres. « Le fonds s’enrichit par la suite au rythme des missions, dons et achats », détaille Hana Chidiac, commissaire de l’exposition. Voyageurs et écrivains se laissent charmer par ce patchwork de couleurs et ces jeux de symétrie, et en rapportent d’émouvants récits. L’Orient des femmes fait le pari d’exposer ces tenues, qu’il s’agisse des robes ou des manteaux, en aplat et à la verticale, sans relief aucun. Comment, alors, faire transparaître la vie censée les animer, les habiter au gré des âges ? C’est au visiteur de se faire progressivement mannequin parmi ces étoffes statiques, pour voir se dessiner au cours de ses déambulations les contours vaporeux d’une villageoise précieuse, sans ridicule. Une occasion peu commune d’adapter nos regards et d’imaginer les corps sous l’étoffe de ces « robes écrites », selon le terme de Christian Lacroix, ombre discrète derrière ces femmes qui font l’Orient. L’Orient des femmes vu par Christian Lacroix, jusqu’au 15 mai au musée du quai Branly, www.quaibranly.fr
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Christian Lacroix
© Musée du quai Branly, photo Cyril Zannettacci
© Gavin Watson
36 NEWS /// underground
CHAMPAGNE ! Reims attack ! Après Yuksek, Brodinski et les Bewitched Hands, c’est au tour du duo THE SHOES d’exporter la hype champenoise avec un premier album gonflé au savoir-faire british, Crack My Bones. _Par Wilfried Paris
E
nregistré à Londres, mixé par Lexxx (Crystal Castles), invitant lads (Esser), girls (CocknBullKid) et apatrides (Gonzales, Anthonin des Bewitched), Crack My Bones joue ses chansons electro-pop à l’international, monté en sauce par la blogosphère, une synchro dans Gossip Girl, des remixes (pour Daho ou Shakira), un défilé (pour Castelbajac) et des concerts jusqu’au Japon. Que de bonnes fées donc, sur un berceau plutôt prolo qu’illustre une pochette où un gamin décoloré monté sur un BMX fixe un horizon morne. « Nous ne venons pas de Neuilly. Reims a longtemps été une ville assez ennuyeuse et sinistre. Nous sommes des gens du Nord, du froid et de la pluie. » Le premier single, Stay the Same, tient le même discours : chanson dansante et anxiogène à la fois (« We always dance the same, like we did last night… »), ou comment rappeler la réalité sociale dans l’oubli de la danse. « Nous répétions sans cesse en studio que nous voulions un son “glacé”. Pas froid, mais glacé. Tout en gardant un rythme soutenu… On essaie de mêler différents sentiments dans la même chanson. » Tout l’album est ainsi réchauffé par des percussions. Le duo a même engagé trois batteurs pour jouer sur scène une « batucada moderne ». Pour les jambes, donc, et la tête aussi. Crack My Bones de The Shoes (Pias)
le myspace charts de la rédaction
copier-coller
_Par A.T.
>> Event Horizon, premier album de Mohini Geisweiller, fixe la voix blanche et les nappes synthétiques de cette Parisienne évanescente, comme hors du temps.
>> Hasard du Calendrier, le deuxième album d’Austine déploie une semblable pâleur diaphane, obéissant cependant à des cadrages plus organiques et francophones.
_Par A.T.
The Strokes – Under Cover of Darkness www.myspace.com/thestrokes Retour en catimini pour le quintet new-yorkais phare du rock des années 2000, après cinq ans de pause. Impeccablement ciselé, faussement sombre, assurément radieux. Iron & Wine – Walking Far From Home www.myspace.com/ironandwine Sur son quatrième album, le barde barbu d’Austin s’éloigne de son habituel pré carré folk pour s’aventurer sur des pâturages amis – hard-rock zeppelinesque, electro-gospel sufjanoïde. Mehdi Zannad – L’Allemagne www.myspace.com/fugumusic Autre échappée belle, celle du Nancéen Mehdi Zannad, aka Fugu, qui poursuit – après la B.O. de La France – sa collaboration avec le cinéaste Serge Bozon pour une Fugue à paraître en mai, sous le double patronage de Jacques Rozier et Fleetwood Mac.
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38 news /// Mix tape
Quatre garçons dans le vent Ils sont trentenaires, parisiens et irrésolus. Vaguement nostalgiques, timidement patriotes, ils ne chantent pas vraiment bien. SÉVERIN, ANTOINE LÉONPAUL, ALISTER et GUILLAUME FÉDOU soufflent pourtant un air nouveau sur la variété française, dont ils réagencent, en douceur, la rose des vents. Portraits croisés.
E
_Par Auréliano Tonet
n retard à notre interview téléphonique, Antoine Léonpaul finit par nous appeller, haletant, sur le chemin d’une partie de tennis à la campagne. Séverin nous répond depuis une aire d’autoroute, au retour d’un week-end champêtre.Alister nous cherche du regard dans un café colonial, un Canard enchaîné sous le bras. Quant à Guillaume Fédou, on ne saura jamais où il se trouve – en croisière méditerranéenne sur les traces d’Ulysse, à l’expo universelle de Shanghai ou dans les tribunes des Girondins de Bordeaux.
À l’ouest Élusifs et branlants, ces quatre trentenaires s’ébrouent dans des paysages aussi incertains que leur organe vocal, qui croone faux (Fédou), monocorde (Alister), pâle (Séverin) ou fluet (Léonpaul). Chanteurs tardifs, tous ont gambergé avant de se lancer sur les pistes flageolantes de l’industrie du disque.« Je fais tout dans le désordre, s’excuse Antoine Léonpaul. J’ai toujours composé des chansons, mais mon projet musical a mis du temps à se monter. Alors, dans l’intervalle, j’ai écrit le scénario d’un film qui sortira à la fin de
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l’année, Hénaut président, ainsi qu’un programme en 3D pour Canal+, L’Abécédaire de François RémyJeansac. » Même refrain chez Alister : « Il y a dix ans environ, j’ai envoyé mes premières démos aux labels : pas de réponse. Par contre, les télés adoraient mes scénarii et m’en ont commandé à la pelle. J’ai écrit pendant six ou sept ans des vannes pour Un gars, une fille, La Minute blonde ou Le Vrai Journal, avant de revenir à la charge avec mes chansons. Cette fois, ça a payé. » Lui aussi attiré par l’audiovisuel, Séverin a suivi des études de cinéma : « Je n’allais plus trop aux cours, jusqu’au jour où j’ai décidé de me consacrer à ce qui me plaisait le plus, l’écriture de chansons. J’avais 24 ans. » En bon Rastignac girondin,Guillaume Fédou s’est lancé à l’assaut de la capitale au tournant des années 2000, fricotant avec la French Touch(e) d’Air et d’Arnaud Fleurent-Didier, lequel a produit ses premières démos. Mais c’est grâce à ses talents de journaliste (pour Blast, GQ…), de sound-designer (pour Soundwalk) et d’activiste ségoliste (pour Désirs d’avenir) qu’il gagne son pain, avant de se résoudre à autoproduire son premier album, Action ou vérité, sorti à l’automne dernier.
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DR
© Alexandra Compain-Tissier
© Antoine Legrand
© Grégoire Alexandre
Mix tape /// news 39
De gauche à droite et de haut en bas : Alister, Antoine Léonpaul, Guillaume Fédou et Séverin
« CHANTER EN français est un défi, en même temps qu’un gage de sincérité. » Alister Combinés nordiques Sous leurs dehors de « branleur », pour reprendre l’expression clé du premier single d’Antoine Léonpaul (Un autre homme), nos vedettes en devenir ne perdent pas le Nord, dissimulant mal l’exigence et la minutie qui les habitent. « J’avais envie d’un disque très pop et arrangé, à rebours de mon premier album, qui était bien plus rock, brut et spontané », admet Alister.Après avoir fait appel à la star indie Baxter Dury pour la production de son premier essai, le Parisien a convié le claviériste d’Elvis Costello, Steve Nieve, à arranger les cordes du second, dont le titre, Double Détente, a valeur de programme esthétique : « J’en aime l’ambiguïté. C’est à la fois un avertissement et une injonction à l’hyperrelaxation. » L’album est à l’avenant, qui décline, sur un mode très spatial (Je suis loin, Tu peux dormir ici, Drame chez les riches, Supermarché), cette idée d’une menace confortable, d’un confort menaçant. Même cohérence chez Séverin, qui a pensé son premier véritable album solo, L’Amour triangulaire, comme une variation ternaire et tricolore : « Rythmiquement, sentimentalement, graphiquement, oui, c’est un disque
à trois temps. » L’album éponyme d’Antoine Léonpaul peut, lui, s’écouter comme une ode à la patience. Dans un dédale de punchlines à retardement, on y guette l’être aimé (Je t’attends), la faille (Oh Claire), la bonne prise (1975), la renaissance (Un autre homme), la reconnaissance (Un jour). Son auteur en résume le pitch comme « l’histoire d’un mec en demi-teinte qui attend sa copine à l’appart. » Quant à Action ou vérité de Guillaume Fédou, c’est une réflexion mitragique mi-débonnaire sur les notions de justesse et d’engagement, à un niveau tant politique que sentimental ou musical. « Y a rien à faire », dit Fédou sur le très beau single Garçon moderne,pointant le cynisme ambiant (On s’en fout, Open bar) et regrettant les lendemains qui chantaient (Le Cri de la liberté) d’une enfance mitterrandienne (Un autre monde). on dirait le sud « J’ai la nostalgie d’une époque / Et je sais que c’est réciproque / Je manque à une dizaine d’années / Avec le mur je suis tombé / À la renverse d’aujourd’hui / Je suis de la dernière pluie », ose Fédou,qui ouvre son disque sur un extrait de la fameuse diatribe télévisée de ...
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DR
40 news /// Mix tape
Séverin
Daniel Balavoine contre « tonton » Mitterrand. Raccord, l’instrumentation d’Action ou vérité, cheap et synthétique, célèbre en sous-main quelques idoles communes au quatuor : Alain Chamfort, Étienne Daho ou Elli & Jacno,héros d’une variété eighties sachant conjuguer modernité digitale et classicisme pop,romantisme et légèreté. « La scène post-punk, autour de Daho et de Jacno, est celle, en France, dans laquelle je me reconnais le plus », avoue Séverin. Difficulté similaire, chez Alister,à se trouver des pairs contemporains,lui qui préfère saluer les exploits passés de Léo Ferré, Gérard
le rock en écoutant Lou Reed ou Elvis Costello. Il évoque avec des étoiles dans les yeux sa récente interview de MGMT – groupe contemporain favori de Fédou, avec Arcade Fire. Séverin parle pour sa part de Led Zeppelin comme de « musiciens ultimes, totaux ». Chanter en anglais a été, pour ces artistes, une phase naturelle et obligée, quoique provisoire : après une expérience anglophone au sein du groupe One-Two, Séverin a apprivoisé l’écriture en français sur son premier projet solo, Cheesecake, dans lequel il
« Entre 1970 et 1977, le son français atteint un grain chaleureux et spacieux. on a perdu ce savoir-faire. » Antoine Léonpaul Manset, Serge Gainsbourg ou Nino Ferrer. Antoine Léonpaul a dédié une chanson, 1975, aux mythiques studios Ferber, où la plupart de ses musiciens chéris – de Françoise Hardy à Christophe – ont enregistré leurs meilleurs disques. « Entre 1970 et 1977, dit-il, le son français atteint un grain très particulier, chaleureux, analogique et spacieux, avec des pédales steel volées aux Anglo-Saxons et de somptueuses orchestrations. Aujourd’hui, on a perdu ce savoir-faire-là, même si on essaye de le dupliquer. » Est républicain Cette nostalgie ne doit pas être comprise comme un repli mor tifère et cocardier, mais comme l’étape d’un affranchissement. Alister a appris
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offrait des sucreries pop à 14 voix féminines, dont La Fiancée ou Constance Verluca. Le code graphique de la pochette de L’Amour triangulaire – bleu, blanc, rouge – est un clin d’œil assumé à cette confiance nouvelle à manier notre langue. « Le français est un défi, en même temps qu’un gage de sincérité », prolonge Alister, comme l’est la voix fausse, et partant si juste, de Fédou, d’Artagnan malgré lui de ces mousquetaires modernes, prompts rénovateurs de la chanson d’ici et de maintenant. Double Détente d’Alister (Barclay) Antoine Léonpaul d’Antoine Léonpaul (Because) L’Amour triangulaire de Séverin (Cinq 7) Action ou vérité de Guillaume Fédou (June Sex International Airlines)
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© Philippe Brault Agence VU
42 news /// buzzart
Extrait d’Addicts
ON VA TRANSER De webséries en laboratoires narratifs, la vague du transmedia déferle déjà et pourrait bien emporter sur son passage le bon vieux schéma de la fiction linéaire, prête à visionner.
LE JEU
_Par Annabelle Laurent
T
out était simple : une pression sur « play » et vous regardiez sagement l’histoire se dérouler. Mais un écran ne suffira bientôt plus : inspirée de notre tendance au multitasking, la narration transmedia s’articule aujourd’hui sur plusieurs supports. Découvrez l’histoire sur Internet, faites connaissance avec les personnages sur Faudra-t-il huit mains pour suivre Twitter, retrouvezles séries de demain ? les à la télé. Des projets « immersifs » qui agitent déjà le monde de la télévision. En France, Addicts est la première du genre. À travers une structure narrative éclatée (16 épisodes de 5 modules vidéo), l’internaute construit son propre récit en se focalisant sur un personnage, un lieu… Une version « classique » (3x26 mn) de la série, qui espère 2 millions de visionnages, sera diffusée sur Arte cette année. La suite ? Les premiers longs métrages transmedia, c’est pour quand ? Dans les starting-blocks, le Transmedia Lab récemment créé par Orange nous donne cinq ans. Tenez-vous prêts.
>> MONTJOIE ! Oyez oyez gamer avide de complots et de chasse au dragon : le Sims nouveau est arrivé ! Halte aux add-ons en cascade, voilà un jeu robuste où la quête se fait reine dans des missions de haute volée. Sorcier, espion, barde ou reine, toute profession mène à l’évolution d’un royaume toujours plus costumisable et à des interactions franchement désopilantes. L’occasion rêvée d’envoyer votre souverain au pilori. _L.P.
Addicts, sur Arte, www. addicts.arte.tv
Les Sims médievaux (Electronic Arts, sur PC), sortie le 16 mars
vidéos _Par L.T.
La Femme - Sur la planche http://vimeo.com/19670302 Rénovateurs acclamés de la surf music, La Femme glisse entre remous pop et écume psyché. Clair de lune halluciné, surimpressions hitchcockiennes, montage houleux : son clip triomphe des rouleaux hype. mars 2011
Radiohead - Lotus Flower (Mashup) http://j.mp/igYn5n Retour de bâton pour Radiohead et son décevant nouvel album : dans ce mashup inspiré, la transe de Thom Yorke, initialement réalisée pour le clip Lotus Flower, se trouve accouplée au son du Single Ladies de Beyoncé.
Garfunkel & Oates - This Party Took a Turn for the Douche http://j.mp/g6J4yf La blonde et la brune, show women californiennes, se déchaînent dans une délicieuse parodie R’n’B, autour de rappeurs affublés de boules à facettes plus grosses qu’eux. WWW.MK2.COM
© Alice Déchelette
44 news /// le net en moins flou
MLF + HTTP Dans une lutte, tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins. Avec Viedemeuf.fr, les féministes disposent d’une nouvelle arme de frappe : le LOL.
statuts quotes SÉLECTION DES MEILLEURS STATUTS DU MOIS
_Par Michel Thomas
Thomas : Jodie, faut se taire.
O
Raphaël : Fidèle gastro.
n a beau nous parler de parité en permanence, les femmes gagnent en moyenne 27 % de moins que les hommes en France, assument 80 % des tâches ménagères, représentent 18,5 % des députés, et ainsi de suite. Pourtant, être féministe en 2011 revient parfois à traîner l’image de l’amazone forte en gueule, prête à dégainer le rouleau à pâtisserie à la moindre blague machiste. Histoire d’atténuer un peu le sérieux de la lutte, le réseau Osez le féminisme a eu la bonne idée d’investir le front de l’humour avec un blog communautaire, Un exutoire pour tailler croustillant et grinçant : les collègues machos. Viedemeuf. Hommage évident à Viedemerde.fr – monument du LOL à la française –, Viedemeuf réussit le tour de passe-passe d’ancrer une lutte vieille de plusieurs décennies dans l’humour collaboratif numérique. Initiative bien sentie pour sensibiliser une génération décomplexée, encline à se moquer de tout et n’importe quoi à coup de GIF animés, de sites potaches et de groupes Facebook futiles, Viedemeuf s’impose comme un exutoire pour tailler les collègues machos, les mamans old school et les beaux-frères réfractaires à la cuisine.
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!1
ponctuation
Romain s’est régalé de sa chiffonnade de prosciutto et mariage de fromages sur croustillade moelleuse (une pizza Sodebo, quoi). Clément : Kadhafi duck. Johanna : Poker, mousse à raser, voiture, déodorant Mennen et après rasage : je me sens bien à ma place devant les pubs de la mi-temps, ça va. Stéphane : Le Discours d’un roi : bègue & breakfast. Nestor : Raviolis superposés. Laura : Bekhti tombe le haut : nipplegate. Rob : Firth I was afraid, I was petrified. Idibi : Rihanna Arendt.
mot @ mot
_Par E.R.
(Association erronée et récurrente de caractères typographiques sur un clavier américain, qu’on sélectionne en appuyant sur la touche « shift ») 1. Signes de ponctuation adoptés de manière fortuite lorsque, réagissant avec trop d’emphase, l’internaute relâche frénétiquement la touche « shift », ce qui transforme le « ! » en « 1 ». Adopté dès lors comme marqueur d’engouement. « - On parle d’un remake de SuperVixens en 3D. - Dingue !1 » 2. Adj. Par association, qualifie une personne en état d’excitation avancé. « Jacques vibre. Il est complètement !1 après ses quatre cafés. »
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LES
GUIDE
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Calendrier malin pour aventurier urbain
DU MERCREDI 9 mars AU MARDI 5 avril
« Je trouve incroyable que personne n’ait eu auparavant l’idée de montrer une décharge à l’écran. » Lucy Walker
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SORTIES EN SALLES SORTIES LE 16 MARS 48 Route Irish de Hong Sangsoo 50 Ha Ha Ha de Ken Loach 52 L’Étrange Affaire Angélica de Manoel de Oliveira SORTIE LE 23 MARS 54 Waste Land de Lucy Walker LES AUTRES SORTIES 56 Poursuite ; L’Assaut ; La Ligne droite ; Le Marquis : World Invasion : Battle Los Angeles ; Pollen ; The Silent House ; Légitime Défense ; L’Agence ; 108 Cuchillo de Palo ; Les Yeux de sa mère ; Precious Life ; Je n’ai rien oublié ; Le Vagabond ; Nous, princesses de Clèves ; Tous les chats sont gris
P. 48
58 LES ÉVÉNEMENTS MK2 Le Printemps du cinéma Himalayas au MK2 Bibliothèque
sorties en ville 60 CONCERTS Les Femmes s’en mêlent L’oreille de… Mehdi Zannad 62 CLUBBING Le renouveau des squats Les nuits de… Anteros et Thanaton 64 EXPOS Philippe Decrauzat au Plateau Le cabinet de curiosités : Tous cannibales 66 SPECTACLES Jos Houben au théâtre du Rond-Point Le spectacle vivant non identifié : Manteau long et Marlon
P. 66
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68 RESTOS Ewen Lemoigne et Sven Chartier chez Saturne Le palais de… Teddy Lussi-Modeste 70 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN WWW.MK2.COM
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48 CINÉMA
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Route Irish 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour sa noirceur de ton qui ne cède devant aucune naïveté philanthrope. 2… Pour ses emprunts au rythme et à l’efficacité de Hard-Boiled de John Woo. 3… Car même chez les mercenaires, la lutte des classes existe bel et bien.
LOOKING FOR IRAK Un film de Ken Loach // Avec Mark Womack, Andrea Lowe… // Distribution : Diaphana // Grande-Bretagne-France-Italie-Belgique-Espagne, 2009, 1h49
Un ancien des services secrets devenu mercenaire enquête sur la disparition de son meilleur ami, abattu en Irak. En délaissant la classe ouvrière britannique pour sonder les bassesses d’une sale guerre, KEN LOACH n’abandonne pas la dimension sociale de son cinéma. _Par Yann François
Il y a souvent une résistance consensuelle à voir un chantre de la cause humaniste s’attaquer à la question si glissante des bavures de la guerre en Irak. L’arrivée de Ken Loach dans un tel registre, lui qui s’est surtout dédié à la cause ouvrière en Grande-Bretagne, pouvait faire craindre un basculement de la noirceur vers une ingénuité inappropriée. Il n’en est rien. Si Looking for Eric, sympathique récréation, renouait avec une veine plus philanthrope et nonchalante, ce Route Irish use d’une ambiguïté retorse, déjà amorcée dans It’s a Free World, mais qui trouve là une dimension singulière. Le tour de force du film réside peut être dans son refus à succomber aux sirènes pamphlétaires ou à rejoindre la fronde des brulots antimilitaristes de type Redacted. Ken Loach semble plus enclin à jouer avec l’héritage
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classique (efficacité de narration et de ton) du polar Hard-Boiled de John Woo, pour l’appliquer au contexte international contemporain. Pour une fois, la dénonciation de l’ultracapitalisme passe au second plan. Il y a certes chez son personnage (excellent Mark Womack), en croisade contre les consortiums militaires, comme le refrain familier du David prolo contre le Goliath en col blanc. Mais il y a surtout chez lui une dimension annexe, et plus intéressante, à celle du tract agit-prop. Jamais glorifié, jamais condamné non plus, le soudard « loachien » rappelle, par son ambivalence morale, la figure mythique du privé (on pense à Raymond Chandler) et transcende son statut à controverse par une troublante empathie.C’est une des nombreuses magies du cinéma que de donner une beauté tragique aux salauds irrécupérables. Loach peut se vanter de l’avoir compris.
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50 CINÉMA
sortie le
Ha Ha Ha 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour le jeu narratif sophistiqué des récits, entrelacés comme des rubans. 2… Pour le regard tendre, piquant et sans pathos sur la vie. 3… Pour son humour noir et sa mélancolie tenace.
BLAGUE À PART Un film de Hong Sangsoo // Avec Kim Sang-kyung, Moon So-ri… // Distribution : Les Acacias // Corée du Sud, 2010, 1h56
Plus une année ne passe sans un nouveau film signé du plus occidental des réalisateurs sudcoréens : HONG SANGSOO. Dans ce Ha Ha Ha au titre trompeur, il filme des losers abandonnés à leurs souvenirs croisés et questionne l’aveuglement des hommes. _Par Donald James
En 2003,la découverte en France des trois premiers longs métrages d’Hong Sangsoo révélait un cinéaste cinéphile et rohmerien : marivaudage, humour décapant, mélancolie tenace, mise en scène frontale et distante, refusant l’émotion facile des gros plans et des séquences subjectives… Ses personnages de losers attirés par les jeunes étudiantes,éternels doubles du cinéaste,hantent inlassablement ses films. Récompensé par le prix Un certain regard à Cannes en 2010, Ha Ha Ha est assurément un excellent cru du cinéaste sud-coréen, qui a de quoi dérouter ceux qui attendent, sous ce titre, trouver une comédie franche et hilarante. Pour cela, il faudra attendre Oki’s Movie, son prochain film déjà sur les rails et présenté dans de nombreux festivals. Dans Ha Ha Ha, deux amis se retrouvent,trinquent et se souviennent des moments heureux et de leur déboires amoureux passés. L’un, plutôt balourd, est un cinéaste qui n’a jamais mars 2011
rien réalisé. L’autre est un poète sans œuvre dont les éclats de rire fréquents et graves semblent provoqués par l’usage intensif d’antidépresseurs.Sans qu’ils ne s’en aperçoivent, leurs récits se croisent et s’enrichissent au fil de la narration d’un sens nouveau. Comme l’a si bien noté Jacques Aumont, professeur et critique de cinéma, Hong cultive « une énigme résiduelle » au cœur de son œuvre. Grand fabuliste, il met en scène les hasards de la vie, illustre la théorie de la relativité de l’atome humain. Ici, point de tragédie : on s’endort lamentablement après avoir trop bu, on se fait gifler avec le sourire et tromper sans cris ni larmes. Ce vaudeville noir révèle non pas la médiocrité du poète ou du cinéaste, mais leur aveuglement naturellement humain, qui les rend incapables de porter un regard sur eux-mêmes et de s’ouvrir au monde. WWW.MK2.COM
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sortie le
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L’Étrange Affaire Angélica 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour les effets spéciaux à l’ancienne, d’une rare poésie, qui évoquent Méliès ou Mankiewicz. 2… Pour l’interprétation du beau ténébreux Ricardo Trêpa, acteur fétiche d’Oliveira depuis La Lettre. 3… Pour la science du cadrage du réalisateur portugais, élégante, inventive et non dénuée d’humour.
CHAMBRE NOIRE Un film de Manoel de Oliveira // Avec Ricardo Trêpa, Pilar López de Ayala… // Distribution : Épicentre // Portugal-France-Espagne-Brésil, 2010, 1h35
Plus maître de son art que jamais, MANOEL DE OLIVEIRA, 102 ans, fait cohabiter les sentiments extrêmes dans une superbe fable onirique qui met en scène un photographe amoureux du mystérieux cadavre confié à son objectif. _Par Éric Vernay
Grand cinéaste des amours frustrées, le Portugais Manoel de Oliveira ne gâte pas le héros de L’Étrange Affaire Angélica. Jeune photographe solitaire, Isaac tombe sous le charme d’une femme totalement inaccessible. Issue d’une famille riche et catholique alors qu’il est pauvre et d’origine juive, Angélica n’est pas de son monde. D’autant plus qu’elle vient tout juste de décéder… Ce coup de foudre à retardement survient lorsque, chargé par la famille de la défunte d’immortaliser sur pellicule le corps inerte, Isaac voit soudain s’éclairer le visage de la jolie blonde sur son objectif. Certain d’avoir halluciné, l’artiste, sujet à une curieuse passion post-mortem, est ensuite hanté par ce sourire. Le présent, qu’il s’échinait jusqu’alors à capturer pour l’impressionner sur du papier, lui paraît tout d’un coup douloureusement vide et incomplet.
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Pour conter cette histoire d’amour impossible,la caméra du maître de Porto bouge peu, attentive aux frémissements du réel et à la composition des plans,toujours très soignés. Oliveira sait donner à une image fixe un mystère incroyable, souvent imprégné de fantastique ou de malice. Film sur le passage, L’Étrange Affaire Angélica ne cesse de circuler entre les contraires et de les allier, à l’image de son héros traversé par des courants paradoxaux. Le temps d’un champ / contre-champ, Isaac saute du présent au passé sur les rives du Douro, de la vie à la mort, du rêve à la réalité. Cette violente cohabitation l’isole dans un entre-deux tragique et le distingue des autres habitants de la pension Dona Rasa, qui ont choisi leur camp entre matérialisme et croyance spirituelle. Oliveira lui, se place du côté de l’artiste, nourrissant d’un doute fécond son élégante fable onirique. .
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54 CINÉMA
sortie le
23/03
Waste Land 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour le décor fascinant que constituent ces monceaux de déchets à perte de vue. 2… Pour le chef de file des catadores, Tião, fin lecteur de Machiavel et admirateur de Marat. 3… Pour la réflexion très concrète sur les notions de forme et de matière, au cœur de toute œuvre d’art.
TRI SÉLECTIF Un film de Lucy Walker // Documentaire // Distribution : Eurozoom // Brésil-Grande-Bretagne, 2010, 1h38
Rares sont les cinéastes qui portent leur regard vers les décharges. Le quatrième documentaire de l’Anglaise LUCY WALKER y plonge les deux mains en retraçant le travail de l’artiste brésilien Vik Muniz auprès de chiffonniers. Terriblement humain. _Par Anne De Malleray
« Je trouve incroyable que personne n’ait eu auparavant l’idée de montrer une décharge à l’écran. C’est un endroit obsédant, un peu comme un cimetière. » Cette fascination pour les fins de cycles a inspiré à Lucy Walker Waste Land, qui immerge le spectateur dans le cloaque immonde de Jardim Gramacho, à la périphérie de Rio de Janeiro. Enfer peuplé de damnés qui fouillent inlassablement les ordures, cette décharge, la plus vaste au monde, est parcourue par un ballet de camions qui chaque jour déversent 700 tonnes de déchets sur une terre stérile, presque lunaire. Mais le propos de Waste Land n’est pas directement écologique.La décharge est surtout le décor hors norme d’une rencontre entre l’artiste brésilien Vik Muniz et les catadores, chiffonniers de l’ère de l’hyperconsommation. Connu pour ses œuvres organiques, façonnées à mars 2011
partir de sucre,ketchup ou confiture,Muniz y a réalisé,en 2006, une série transformiste à l’autre bout de la chaîne alimentaire.Pendant un an,il a investi Jardim Gramacho pour photographier une dizaine de catadores. Ces clichés ont ensuite servi de support à d’imposants portraitsmosaïques réalisés à partir de déchets. Waste Land, nommé aux oscar mais reparti bredouille, retrace ce projet depuis ses prémisses jusqu’à l’exposition finale à Rio, dont les catadores sont les héros. L’artiste s’engage, implique ses sujets dans le processus de création, leur reverse l’argent de ses œuvres. Mais, au-delà du geste humanitaire,Muniz initie un cycle de vie artistique improbable qui métamorphose de la matière vile en œuvre d’art.« Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence / Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. » L’épilogue des Fleurs du mal raconte la magie qui opère lorsque, sur une décharge immonde, brillent des pépites. WWW.MK2.COM
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AGENDA SORTIES CINé 9/03 _Par L.P., J.R., A.T., L.T.
SORTIES DU
L’ASSAUT
de Julien Leclercq Avec Vincent Elbaz, Gregori Derangère… Mars, France, 1h35
Récit de la prise d’otage d’un airbus A300 par le G.I.A. en 1994, L’Assaut se concentre sur trois personnages pivots que sont un soldat du G.I.G.N., une conseillère ambitieuse du Quai des Orfèvres et un djihadiste convaincu. Terriblement efficace.
LA LIGNE DROITE
de Régis Wargnier Avec Rachida Brakni, Cyril Descours… Gaumont, France, 1h30
Cette Ligne droite est celle qui mène de Leïla, tout juste sortie de prison, à Yannick, jeune athlète devenu aveugle à la suite d’un accident. Il décide de continuer à courir malgré tout, et elle entreprend de l’aider à se surpasser. La course comme sport de survie.
LE MARQUIS
de Dominique Farrugia Avec Franck Dubosc, Richard Berry… Pathé, France, 1h28
Thomas Gardesse, spécialiste du système d’alarme, écope de six mois de prison après un fait mineur. Derrière les barreaux, il sera Le Marquis, faux professionnel du casse, avant de se lancer dans une mission à Manille…
POURSUITE
de Marina Déak Avec Marina Déak, Yann Guillemot… Contre-allée, France, 1h32
Audrey se retrouve seule avec son fils après s’être séparée de son compagnon. Elle décide de le faire garder par sa mère pour rester libre. Un docu-fiction tremblé et sans issue. ET AUSSI CETTE SEMAINE : BOXING GYM de Frederick Wiseman (lire l’interview p. 74) DHARMA GUNS… de F.J. Ossang (lire le portrait p. 24) FIGHTER de David O. Russell (lire l’article p. 80) JIMMY RIVIÈRE de Teddy Lussi-Modeste (lire les articles p. 17 et 78) LE RITE de Mikael Håfström (lire l’article p. 90) WE WANT SEX EQUALITY de Nigel Cole (lire l’article p. 114) mars 2011
16/03
SORTIES DU
LÉGITIME DéFENSE
de Pierre Lacan Avec Jean-Paul Rouve, Claude Brasseur… Haut et Court, France-Belgique, 1h22
Benoit, jeune père de famille, mène une existence sans histoires. Quand son père, détective privé au passé trouble, disparaît, il se lance dans des recherches qui vont mettre sa vie et celle des siens en danger… Jean-Paul Rouve en grande forme.
POLLEN
de Louis Schwartzberg Documentaire Walt Disney, États-Unis, 1h17
La nouvelle production des studios Disney essaime du côté du documentaire, explorant les merveilles de la rencontre entre la faune et la flore, tout en nous alertant sur les menaces qui pèsent sur nos amies butineuses et, partant, sur l’écosystème.
THE SILENT HOUSE
de Gustavo Hernandez Avec Florence Colucci, Gustavo Alonso… UFO, Uruguay, 1h28
Laura et son père s’installent dans une vieille maison. Mais la jeune fille entend des bruits à l’étage, avant de découvrir d’étranges clichés dans une chambre délaissée. Filmé à l’appareil photo, cette sensation cannoise offre quelques bonnes trouvailles horrifiques.
WORLD INVASION : BATTLE LOS ANGELES
de Jonathan Liebesman Avec Aaron Eckhart, Ramon Rodríguez… Sony, États-Unis, 1h56
Les États-Unis sont attaqués par des créatures qui semblent vouloir piller la Terre de ses ressources. Un énième scénario catastrophe. ET AUSSI CETTE SEMAINE : L’ÉTRANGE AFFAIRE ANGÉLICA de Manoel de Oliveira (lire la critique p. 52) HA HA HA de Hong Sangsoo (lire la critique p. 48) MA PART DU GÂTEAU de Cédric Klapisch (lire la critique p. 18) REVENGE de Susanne Bier (lire l’article p. 90) ROUTE IRISH de Ken Loach (lire la critique p. 50) WWW.MK2.COM
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SORTIES DU
L’AGENCE
de George Nolfi Avec Matt Damon, Emily Blunt… Universal, États-Unis, 1h47
Sombres complots, réflexion sur le libre arbitre et histoire d’amour impossible-donc-romantique se côtoient tant bien que mal dans ce film de SF adapté d’une nouvelle de Philip K. Dick. Avec aussi John Slattery, le Roger Sterling de Mad Men.
108 CUCHILLO DE PALO
de Renate Costa Documentaire Urban, Espagne, 1h33
La vie de Rodolfo Costa, un Paraguayen qui refusait de devenir forgeron et rêvait d’une carrière de danseur. Sous la dictature de Stroessner, dans les années 1980, son nom figura sur la liste des « 108 homosexuels » arrêtés et torturés.
30/03
SORTIES DU
JE N’AI RIEN OUBLIÉ
de Bruno Chiche Avec Gérard Depardieu, Niels Arestrup… Studio 37 / Rezo Films, France, 1h39
Sur le point de perdre la mémoire, Connie, ancien domestique, resurgit dans la riche famille Senn. Il se confie à Simone, la jeune épouse de l’héritier : un raz de marée de souvenirs déferle alors, n’épargnant personne et surtout pas Elvira, la matriarche.
NOUS, PRINCESSES DE CLÈVES de Régis Sauder Documentaire Shellac, France, 1h09
Des lycéens d’une ZEP de Marseille s’approprient le texte de Madame de La Fayette, malgré les barrières sociales, linguistiques ou historiques. Une troublante éducation sentimentale, non loin de L’Esquive.
PRECIOUS LIFE
TOUS LES CHATS SONT GRIS
Ce documentaire relate l’histoire du jeune Mohammad, quatre mois, originaire de Gaza et hospitalisé. Après un appel à la télévision, un Israélien offre l’argent nécessaire à son opération. Toute la complexité du conflit israélo-palestinien est ici cristallisée.
Un juge sombre dans une paranoïa malsaine lorsque sa fille, sortie de sa vie quinze ans plus tôt pour cause de divorce, refait surface. Malgré l’opacité des personnages, ce drame familial et naturaliste pose un regard original sur les angoisses de la paternité.
de Shlomi Eldar Documentaire Memento, Israël, 1h30
LES YEUX DE SA MÈRE
de Thierry Klifa Avec Catherine Deneuve, Nicolas Duvauchelle… Mars, Belgique-France, 1h45
Un écrivain en panne sèche infiltre la vie d’une journaliste et de sa fille danseuse étoile, dans l’espoir d’écrire une biographie interdite. Il découvre un fils caché, des drames et des secrets… Un Tout sur ma mère franco-belge ?
ET AUSSI CETTE SEMAINE : RANGO de Gore Verbinski (lire l’article p. 22) WASTE LAND Lucy Walker (lire la critique p. 54) mars 2011
d’Aleksi Salmenperä Avec Ville Virtanen, Lauri Tilkanen… Jour2fête, Finlande, 1h30
LE VAGABOND
d’Avishai Sivan Avec Omri Fuhrer, Ali Nassar… Sophie Dulac, Israël, 1h26
Isaac est coincé entre des parents castrateurs et une sexualité problématique. Il découvre que son père souffre des mêmes maux et fouille son passé. La balade d’une jeunesse en questionnement.
ET AUSSI CETTE SEMAINE : EASY MONEY de Daniél Espinosa (lire le reportage p. 88) WWW.MK2.COM
58 CINÉMA
les événements BASTILLE
BIBLIOTHÈQUE
HAUTEFEUILLE
ODÉON
QUAI DE LOIRE
BEAUBOURG
GAMBETTA
NATION
PARNASSE
QUAI DE SEINE
cinéma
flash-backs & previews LUNDI 28 MARS – 20h30 / RDV DES DOCS Deux films au programme (Loire) : Derniers mots, ma sœur Joke de Johan van der Keuken (PaysBas, 1998, 52 minutes) et Heligonka de Yann Le Masson (France, 1985, 26 minutes). En présence de Patrick Leboutte, essayiste et critique itinérant. 7,70 € et 6,50 € pour les abonnés DSGE. Cartes UI acceptées.
passerelles
le dialogue des disciplines DU 5 AU 27 MARS / EXPO ARLUDIK / Pascal Campion (Bibliothèque) Ce character designer français travaille aux ÉtatsUnis au sein des studios Disney, Cartoon Network ou Dreamworks. DU 23 MARS AU 5 AVRIL / EXPO / Bleu, photographies de Karine Lardeur (Seine) 28 tirages 30x45 cm, impression sur plaques d’aluminium. SAMEDI 12 MARS – 11h / STUDIO PHILO par Ollivier Pourriol (Bibliothèque) « Corps de rêve ou de cauchemar ? / Érotisme du numérique. »
cycles GAMINS DE TOKYO Tampopo de Juzo Itami, Gozu de Takashi Miike, Le Tombeau des lucioles de Isao Takahata, Tatouage et La Bête aveugle de Yasuzo Masumura, Kaïro de Kiyoshi Kurosawa, La Vengeance est mienne et L’Anguille de Shohei Imamura, La Ballade de Narayama de Kesuke Kinoshita, Mon voisin Totoro et Le Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki. Jusqu’au 3 avril, les samedis et dimanches en matinée. Tarif 6,50€. Cartes UI acceptées.
LUNDI 14 MARS – 20h / SOIRÉE STUDIO PHILO (Bibliothèque) Olivier Pourriol invite André Manoukian. SAMEDI 19 MARS – 11h / STUDIO PHILO par Ollivier Pourriol (Bibliothèque) « Vers la perception pure (Gilles Deleuze et le cinéma) / La bataille de la perception. » VENDREDI 25 MARS – 19h30 / RENCONTRE-LECTURE / Emmanuelle Heidsieck (Seine) À l’occasion des 5 ans de la collection Laureli (éditions Leo Scheer), et de la parution de Vacances d’été. SAMEDI 26 MARS – 11h / STUDIO PHILO par Ollivier Pourriol (Bibliothèque) « Vers la perception pure (Gilles Deleuze et le cinéma) / La bataille de la perception. »
JUNIOR MERCREDI 16 MARS - 10h30 / LECTURE POUR LES 3-5 ANS (Loire) À l’occasion de la sortie du film Les Moomins et la chasse à la comète, nous vous lirons les livres de la série des Moomins de Tove Jansson (éditions Glénat). Inscr. au 01 44 52 50 70. MERCREDI 6 AVRIL – 10h30 / LECTURE POUR LES 3-5 ANS (Loire) En avril, nous partirons vers le pays des songes ! Inscr. au 01 44 52 50 70.
SAMEDI 2 AVRIL – 11h / STUDIO PHILO par Ollivier Pourriol (Bibliothèque) « Vers la perception pure (Gilles Deleuze et le cinéma) / La bataille de la perception. » JEUDI 7 AVRIL – 19h30 / SOIRÉE ZÉRO DE CONDUITE / « Pêcheurs d’Islande » (Seine) Avec les éditions Attila, balade-lecture sur le bassin de la Villette autour des textes Entre ciel et terre de J.K. Stefannson (Gallimard), Pêcheur d’Islande de Pierre Loti (Flammarion), L’Homme qui n’avait jamais vu le printemps de P. Humbourg (in Perdus/Trouvés, une anthologie de la littérature oubliée, éd. Monsieur Toussaint Louverture). Inscr. au 01 44 52 50 70. VENDREDI 15 AVRIL – 19h30 / RENCONTRE / Autour des textes d’Hélène Bessette (Seine) Avec la collection Laureli des éditions Léo Scheer, soirée à l’occasion de la parution de N’avez-vous pas froid. En présence de Laure Limongi (éditrice) et Bruno Blairet (comédien).
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mars 2011
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FOCUS
_Par L.T.
LE PRINTEMPS DU CINÉMA Du 20 au 22 mars, l’arrivée du printemps se fête dans les salles obscures. Les jours rallongent et laissent le temps d’aller voir fleurir les films pour presque rien. Alors que Cédric Klapisch (ambassadeur de l’événement) nous offre généreusement sa Part du gâteau, Manoel de Oliveira envoûte avec L’Étrange Affaire Angélica, où mort et beauté s’affrontent sous le soleil portugais. Le Sud-Coréen Hong Sangsoo s’exclame d’un rafraîchissant Ha Ha Ha (lauréat du prix Un certain regard à Cannes) tandis que la Route Irish de Ken Loach mène jusqu’à un Bagdad en guerre. Pour ceux qui auraient hiberné, la douzième édition du Printemps du cinéma marque également le temps des rattrapages : Winter’s Bone de Debra Granik (Grand Prix à Sundance), Jimmy Rivière de Teddy Lussy-Modeste, premier film remarqué, ou encore le documentaire de Frederick Wiseman, Boxing Gym. Autant de sorties hivernales qui se savourent d’autant mieux à l’heure d’été. Le printemps du cinéma, du 20 au 22 mars, 3,50 € la séance dans toute la France, www.printempsducinema.com INVITATION AU VOYAGE Chaque samedi de mars à 10h, départ du MK2 Bibliothèque vers les hautes cimes du documentaire. À l’occasion de l’exposition Himalayas, sur les pas d’Alexandra David-Néel, sept films viennent compléter le récit photographique de l’exploratrice Priscilla Telmon. Le 12 mars, Les Regards de Sagarmatha d’Henri de Gerlache se tournent vers l’Everest et ses neiges éternelles. Puis c’est l’histoire du Tibet que retracent Histoire d’une tragédie de Ludovic Segarra et Jean-Michel Meurice et The Sun Behind the Cloud de Ritu Sarin et Tenzing Sonam (le 19 mars). Enfin, le cycle se refermera le 26 mars avec deux portraits, celui de l’enfant moine de Phuktal (Himalayas, le chemin du ciel de Marianne Chaud) et celui de deux jeunes filles du Zanskar, ancien royaume bouddhiste (Devenir femme au Zanskar de Jean-Michel Corillion). Chaque projection est suivie d’une rencontre avec les réalisateurs. Le mois du film documentaire, jusqu’au 26 mars, chaque samedi à 10h au MK2 Bibliothèque, 6 €, www.mk2.com mars 2011
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CONCERTS
60 sORTIES EN VILLE
Phoebe Killdeer, le 31 mars au Divan du monde
INDIEPENDENZA
Les Femmes s’en mêlent encore
Pour sa quatorzième édition, le festival rock moins féministe que simplement féminin voyage jusqu’au Mexique. Cumbia, garage et electro saveur mariachis se mêleront aux nouvelles têtes d’Europe. Sortez les talons. _Par Wilfried Paris
Vitrine annuelle de la « scène musicale féminine indépendante », le festival Les Femmes s’en mêlent accoste cette année en Amérique centrale, dans le cadre de l’année du Mexique en France. On ne savait pas encore, à l’heure du bouclage de ce numéro, si le festival souffrira de la dispute avec Mexico suite à l’affaire Florence Cassez, ni si Jessy Bulbo (icône garage-rock), Amandititita (reine de l’anarcumbia), Pau y Amigos (electro-house-latino), Afrodita (aztèques futuristes sur cumbia et sabres lasers) ou Sonido Lasser Drakar (duo electro-pop 80’s) boycotteront le festival… Il est toutefois permis d’en douter, tant l’esprit frondeur semble animer cette vivace culture alternative mexicaine, autant que son passé aztèque, les mariachis fantômes et le kitsch bariolé. Réparti dans plusieurs lieux à Paris et en province, le festival sera animé à la mode burlesque par une Madame Loyale, entertaineuse et performeuse qui
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fera la go-between entre le public et les artistes, ces derniers représentant la fine fleur du rock indé au féminin, au présent comme au futur : la dark-pop de la Berlinoise Anika (une Nico en douceur, épaulée par la Beak> team de Geoff Barrow), les pulsations technoïdes de la Canadienne Austra, le rock fragile et farouche du Prince Miiaou, les orgues vaporeuses des Danois Our Broken Garden, les échardes et lézardes de Phoebe Killdeer & The Short Straws, la folk gothique de la Suédoise Promise and the Monster ou la pop dans les étoiles de The Big Crunch Theory… Également au programme : Clara Luzia, CocknBullKid, Glasser, Lail Arad, Le Corps Mince de Françoise, Marina Gasolina, Mohna, N’Relax, Notic Nastic, Oy, Rebekka Karijord, Tearist,Tripple Nipples,The Pack A.D.,The Konki Duet… Où sont les femmes ? Eh bien, elles sont ici. Les Femmes s’en mêlent, du 19 mars au 3 avril dans plusieurs salles à Paris et en province, www.lfsm.net
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© Mathieu Zazzo
L’oreille de… MEHDI ZANNAD
OWEN PALLETT À FRIBOURG « Son album Heartland m’a marqué. C’est la première fois que j’entends sur un disque pop des arrangements qui s’inscrivent dans la modernité : mise à profit des possibilités d’édition de l’ordinateur, virtuosité, mouvements imprévisibles. C’est un vrai progrès, même si on est encore en retard d’un siècle par rapport à la musique classique – on songe parfois à Charles Ives. Sa voix, qui semble détimbrée, me rappelle celle de Ian Masters, une de mes premières inspirations, qui ressurgit presque immaculée. Il faut l’écouter en concert ! » _Propos recueillis par W.P.
Owen Pallett, le 26 avril à Fribourg (Suisse), dès 20h Fugue de Mehdi Zannad (Third Side / Discograph), à paraître en mai
agenda CONCERTs
_Par W.P.
1 CHEVEU Les Cheveu capilotractent au forceps des cordes baroques sur Casio punks, et leur album 1000 sort coiffé par le label Born Bad. Ébouriffant. Le 12 mars au Nouveau casino, dès 20h, 13 €
2 THE BLACK KEYS Avec l’impeccable Brothers, Dan Auerbach et Patrick Carney ont mis de la soul dans leur blues et sont devenus nos frangins de cœur. En live, c’est très fraternel-barbu aussi. Le 15 mars à L’Olympia, dès 20h, de 33 € à 38,50 € (complet)
3 SEEFEEL Point de jonction entre le shoegaze et l’IDM dans les nineties, Seefeel revient avec un album qui percute nos oreilles (un batteur des Boredoms à la rescousse). Toujours chez Warp, toujours sharp. Le 24 mars au Point éphémère, dès 20h, de 14 € à 16 €
4 THE RADIO DEPT. Adoubé par Marie Antoinette et Sofia Coppola, le Suédois bipolaire Johan Duncanson sort une double compilation, Passive-Agressive comme sa musique : des mélodies de rêve écharpées par l’électricité la plus retorse. Je t’aime, je te fuis. Le 26 mars à la Flèche d’or, dès 20h, 13,80 €
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© Soukmachines
CLUBBING
62 sORTIES EN VILLE
La dernière soirée en date du collectif Soukmachines : Karnasouk
DÉLIRES D’INITIÉS
Les nouveaux squats
En marge du clubbing établi, une poignée de Parisiens font la fête en toute liberté dans des lieux insolites, voire interdits. Flateurville, Gare aux gorilles, Jardin d’Alice, soirées du collectif Soukmachines : panorama des spots confidentiels où squatter peinard. _Par Violaine Schütz
Interdiction de fumer, de faire du bruit, de trop boire : le verdict est tombé comme un couperet sur la nuit parisienne. Depuis ces lois, certains noctambules se sont réfugiés loin du clubbing ostentatoire des lieux tapissés de velours rouge : des « boums » clandestines, itinérantes et thématiques du collectif Soukmachines aux « nuits roses » du Jardin d’Alice, dans le XVIIIe, ce sont les squats, avec leurs bières chaudes à bas prix, qu’il faut privilégier pour fuir les diktats d’un clubbing régulé. À ce titre, Flateurville, véritable village dans la ville imaginé par l’artiste plasticien et comédien Laurent Godard dans un squat de 600 m2 (qu’il occupe légalement), fait figure de havre de paix. Son idée – tirée d’un scénario qu’il écrit depuis vingt ans – a donné naissance à des soirées qui ont souvent lieu le jeudi vers Château-d’Eau, dans une sorte d’atelier d’artiste jonché de peintures, vieilles voitures, plantes, télés et autres objets improbables. Ici, on assiste à des expos, pièces de théâtre ou concerts de groupes sous-médiatisés.
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Autre lieu insolite et désaffecté, la Gare aux gorilles, une ancienne gare aux airs de club berlinois près de la Villette, aujourd’hui menacée d’expulsion, reçoit groupes alternatifs, expos et soirées underground. Un habitué des lieux, Cyril, raconte : « C’est le genre de lieux à l’opposé des clubs parisiens : grand, sans physio à l’entrée, ni déco léchée, ni verres ultra chers. Ici, les limiteurs de son et les lois antitabac n’existent pas. C’est surprenant et vivifiant, un peu comme lorsqu’on sort la première fois, ado, et qu’on ne dit rien aux parents. On retrouve les mêmes sensations qui se sont un peu perdues dans la nuit aujourd’ hui. » Pour vivre heureux, vivons cachés : le vieil adage a encore de belles nuits devant lui. Flateurville, 24 cours des Petites-Écuries, www.flateurville.com La Gare aux gorilles, 1 rue Corentin-Cariou, www.myspace. com/lagareauxgorilles Soukmachines, http://soukmachines.blogspot.com
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LES NUITS DE… ANTEROS ET THANATON
CHEZ MOUNE « C’est sur le dancefloor à taille humaine de Chez Moune que notre projet est né, avec un public d’habitués hétéroclite et une ambiance familiale. Nous y organisons chaque mois depuis presque un an notre soirée résidente Retrograde, où nous essayons à chaque fois d’explorer tous les aspects du disco au sens large. Pour notre prochaine soirée, nous jouerons au côté d’Hugo Capablanca [Los Massieras, Berlin] et Grackle aka Speculator [Galaxy Toobin, New York]. » _Propos recueillis par V.S.
Retrograde, le 12 mars chez Moune, 54 rue Pigalle Change (Anteros et Thanaton remix) d’Acid Washed (Record Makers), à paraître en avril
agenda CLUBBING
_Par V.S.
1 DRAMA PER MUSICA Performance aux frontières de la danse et de la musique électronique, Drama per musica est né de l’association de la Berlinoise Ellen Allien et des artistes Alexandre Roccoli et Séverine Rième. Femme d’expériences, la DJette jouera un set s’inspirant de l’art du cut-up cinématographique et de la Beat generation. Le 7 mars au Centre Pompidou, dès minuit, de 12 € à 15 €
2 CLOSER Chloé, étoile de Kill the DJ à la classieuse electro mentale, et Superpitcher, fleuron des exigeants Allemands de Kompakt, se rencontrent derrière les platines pour une Saturday night qui s’annonce aussi pointue que fiévreuse. La soirée s’appelle Closer, ou l’art de rapprocher les corps. Le 12 mars au Rex Club, dès minuit, de 12 € à 15 €
3 LAISSE TES MAINS SUR MES HANCHES Un bal populaire, c’est ainsi que se présente cette soirée mensuelle aux airs de boum adolescente. Tango, salsa, hip-hop, swing, musette, slows… Les genres les plus sympathiques sont allègrement glorifiés dans le magnifique décor de ce théâtre associatif où l’on se régale d’empanadas et de doux vins argentins. Le 19 mars au Théâtre de verre, de 17h à 22h, de 3 € à 6 €
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© Conception graphique : Loran Stosskopf
EXPOS
64 sORTIES EN VILLE
Carte stéréoscopique : vue du canal de Mangue à Rio de Janeiro, Brésil de Philippe Decrauzat
l’illusioniste
Philippe Decrauzat au Plateau
Dans Anisotropy, sa première exposition personnelle dans une institution parisienne, l’artiste suisse PHILIPPE DECRAUZAT montre une série d’œuvres prolongeant sa quête picturale autour de l’art abstrait et cinétique, tout en renvoyant à d’autres arts. Vibrant. _Par Anne-Lou Vicente
Rares sont les expositions qui nous font tourner la tête. Mais celle que Philippe Decrauzat présente au Plateau pourrait bien relever – quasi littéralement – de cette catégorie. Né en 1974 à Lausanne, où il vit et travaille, tôt captivé par l’art cinétique (qui se base sur des motifs créant une illusion de mouvement), il développe depuis une quinzaine d’années une œuvre qui revisite l’abstraction et en renouvelle les perspectives à travers différents médias – peinture, dessin, sculpture, vidéo, installation. Si l’art graphique constitue inévitablement un champ dont Philippe Decrauzat s’approprie certaines formes relevant du minimalisme et de l’abstraction, le cinéma, l’architecture, le design, la littérature, la musique, mais encore la science, voire la science-fiction, sont aussi pour lui des sources d’inspiration. Ainsi, le Farenheit 451 de François Truffaut (1966) – adaptation du roman de Ray Bradbury –, la Chaise n°14 du designer Michael Thonet ou la revue
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américaine de vulgarisation scientifique American Scientific, sont évoqués à travers les œuvres présentée à Paris. Des citations à lire à travers le nom de l’exposition, Anisotropy, du nom de la propriété physique qui rend un objet ou une matière dépendants de la direction, modifiant ainsi sa perception selon le point de vue adopté. L’œuvre à laquelle l’exposition emprunte directement son titre consiste en un moulage en aluminium de format carré posé sur une table en bois, objet scientifique produit dans le cadre d’expérimentations sur le détournement des ondes – en l’occurrence aquatiques. Devenu sculpture abstraite et minimale, ce moulage rend compte de la disparition du mouvement ordinairement produit par les ondes, motif qui traverse toute l’exposition, dont on vous laisse le soin d’aller apprécier les – bonnes – vibrations.
Anisotropy, du 17 mars au 15 mai au Plateau, place HannahArendt, 75019 Paris. Du mercredi au vendredi de 14h à 19h, samedi et dimanche de 12h à 20h, www.fracidf-leplateau.com
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© Yasumasa Morimura
LE CABINET DE CURIOSITÉS
TOUS CANNIBALES « Tous cannibales », comme l’avance une phrase de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss en exergue de l’exposition ? Les œuvres réunies à la Maison rouge témoignent de la persistance et de l’évolution du thème de l’anthropophagie dans les arts plastiques, au-delà du cliché gore. Les amateurs de bains de sang seront déçus : c’est davantage le concept d’incorporation qui fait office de fil rouge. À l’heure où l’intégrité du corps est remise en question, les artistes lui donnent un nouveau visage, quitte à le métamorphoser et à le donner en pâture. _A.-L.V.
Jusqu’au 15 mai à la Maison rouge, 10 boulevard de la Bastille, 75012 Paris, www.lamaisonrouge.org
Agenda expos
_Par A.-L.V.
FRANÇOIS MORELLET Réunissant 26 œuvres retraçant les temps forts de sa carrière depuis 1963, Réinstallations met l’accent sur les installations de cet artiste français qui a développé pendant soixante ans une œuvre ancrée dans l’abstraction et régie par le hasard. Réinstallations, jusqu’au 4 juillet au Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris
DOMINIQUE PETITGAND Conçues spécifiquement pour les lieux où elles s’inscrivent, les installations sonores de Dominique Petitgand sollicitent notre écoute des voix, éléments musicaux, bruits et silences qu’il assemble pour créer des récits à la fois familiers et mystérieux. Dominique Petitgand, du 17 mars au 30 avril à la galerie GB Agency, 18 rue des Quatre-Fils, 75003 Paris
VEIT STRATMANN Cette nouvelle installation in situ de l’artiste recouvre le sol de la galerie de nombreux rectangles de moquette aux couleurs vives, formant un motif de grille en creux qui conditionne et complique le déplacement (délibérément sans but) du visiteur. Un sol parisien, jusqu’au 26 mars à la galerie Chez Valentin, 9 rue Saint-Gilles, 75003 Paris mars 2011
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SPECTACLES
66 sORTIES EN VILLE
Josh Houben
AH AH ART
Leçon de rigolade théâtrale
Sérieux comme tous les grands clowns, l’acteur belge JOS HOUBEN bricole les rouages de la gaudriole dans L’Art du rire, traité pédagogique et hilare présenté au théâtre du Rond-Point après un triomphe bruyant l’an passé. _Par Ève Beauvallet
Imiter la voix de Michèle Alliot-Marie ou l’indolence de Ségolène Royal, beaucoup de comiques s’y sont évertué de façon plus ou moins heureuse. Créer un caractère à partir d’une bulle de champagne ou de l’énergie d’un fromage qui s’étale, les candidats sont moins nombreux… Normal, l’exercice n’est pas frontalement politique. Il fonde pourtant l’art de ces ingénieux portraitistes que sont les acteurs, et qui croit encore à leur nécessité s’émerveillera de la virtuosité dont le Belge Jos Houben fait preuve lorsqu’il révèle le visage du baba cool dans un camembert fort ou de la bourgeoise revêche dans un crottin de chèvre. On ne parle pas d’illustration vaseuse façon Dessinez, c’est gagné !, mais d’une faculté à saisir et transposer l’essence dramatique d’un objet lambda. Ce jeu de correspondances entre un type comportemental et les coordonnées physiques de la réalité immédiate fonde L’Art du rire, traité scientifico-burlesque visant à démanteler les mécaniques du rire. Pourquoi
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rit-on ? De quoi ? Comment ? Avec pour oncle Jacques Tati et pour cousin Philippe Caubère, Jos Houben est l’un des piliers de cette école Jacques Lecoq que l’on nous envie à l’international, tradition de théâtre gestuel qui, depuis plus de cinquante ans, forme des Ariane Mnouchkine ou des Julie Ferrier. « J’ai enseig n é p e n d a nt p rè s d e d i x a n s l e m o uve m e nt, le théâtre gestuel, raconte-t-il pour le théâtre du Rond Point. Je donnais des cours en Israël, en Thaïlande. De plus en plus, on me demandait d’assister aux cours […] et les cours sont devenus des spectacles, des conférences, des performances. Le spectacle prend le temps du cours, entre cinquante minutes et une heure. » Ce n’est ni un cours d’Actors Studio ni un exercice de distanciation brechtienne, mais la preuve irréfutable que « le vrai sujet du rire, c’est le corps des choses ».
L’Art du rire de et avec Jos Houben, du 15 mars au 10 avril au théâtre du Rond-Point, www.theatredurondpoint.fr
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Le Spectacle Vivant Non Identifié
MANTEAU LONG ET MARLON Qui se souvient de la libidineuse Esther dans La Possibilité d’une île de Houellebecq ne pourra bouder la farce porno soft des Delgado-Fuchs. Même peinture de la sexualisation de la société, sauf qu’au lieu d’orgies anxiogènes, les chorégraphes belgo-suisses proposent l’univers vitrifié des salles de Pilates. On gamberge moins et on sourit plus, surtout si l’on a profité plus tôt de l’excellent Marlon de la danseuse Aude Lachaise, autour de son fantasme pour Marlon Brando. _E.B.
Manteau long de la compagnie Delgado-Fuchs et Marlon d’Aude Lachaise, les 19 et 20 mars au théâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec, www.letheatredesbergeries.fr
agenda SPECTACLES
_Par E.B.
1 L’INDESTRUCTIBLE MME RICHARD WAGNER Christophe Fiat a deux manies : les guitares électriques et les biopics (Rudolf Noureev is Dead !), qu’il écrit et met en scène avec un sens ébouriffant du tempo. La preuve aujourd’hui avec une variation épique autour de Cosima Wagner qui devient nouvelle façon d’accorder format théâtral et dispositif musical. Jusqu’au 19 mars au Théâtre 2 Gennevilliers, www.theatre2gennevilliers.com
2 ENNEMI PUBLIC Le drame politique Un ennemi du peuple, qu’Henrik Ibsen publia en 1882, trouve un passeur pédagogue et éclairé en la personne de Thierry Roisin, metteur en scène et directeur de la Comédie de Béthune, qui peint avec brio le faciès contemporain du fanatisme et de la corruption. Le 26 mars au théâtre Louis-Aragon de Tremblayen-France, www.tremblay-en-france.fr
3 OPÉRA JAVA Opéra multimedia mêlant vidéo, musique traditionnelle javanaise, consonances pop, théâtredansé inspiré du wayang wong indonésien et conte millénaire (L’Enlèvement de Sita, extrait de l’épopée du Ramayana), l’Opéra Java du cinéaste Garin Nugroho offre une vision contemporaine des grands mythes indonésiens. Du 17 au 27 mars au musée du quai Branly, www.quaibranly.fr mars 2011
© Bruno Verjus
RESTOS
68 sORTIES EN VILLE
Sven Chartier (à gauche) et Ewen Lemoigne, chez Saturne
table de deux
Éloge d’une cuisine au naturel
Rencontre avec deux artisans œuvrant en poètes aux plaisirs du goût. EWEN LEMOIGNE, sommelier au naturel, et SVEN CHARTIER chef organique, du restaurant Saturne. Leçon de nature des choses. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)
Tutoyant la place de la Bourse, Saturne se vêt de pierres aux tons de miel et s’annonce sobrement en façade – « Saturne, table, cave ». Promesse tenue : l’on pénètre un vaste loft dédié aux plaisirs conjugués de la nature – quasi anagramme de l’enseigne. Un décor minimaliste et serein, yin et yang pour une concentration sur l’essentiel : les vins, la cuisine et l’hédonisme. Le décor amplifie cette essence du net, une transparence habitée du soin que l’on prend de vous. Le convive habite ce confort du goût pur et partage en jubilation une cuisine du simple, des fondamentaux. La poésie sublime de Sven Chartier en rendez-vous des gourmands palais ! Ewen Lemoigne, ludion enjoué, témoigne lui d’une rare sommellerie, celle d’un homme pour qui le vin est un être vivant, un ami. « Je peux lui sourire, lui faire la tête, lui faire la fête, m’engueuler avec lui, le bouder, mais jamais le trahir », dit-il.
mars 2011
Sven Chartier, passé à l’école des maîtres Alain Passard (L’Arpège***) et Arnaud Daguin (Hégia*), et Ewen Lemoigne,apprenti à 15 ans puis sommelier à 18 auprès de la famille Ezen à Crozon, incarnent une modernité classique et créative. Les vins qu’ils proposent participent de la joie du boire, de l’excitation olfactive et gustative, de la surprise, de la découverte de terres inconnues, ou plutôt de la redécouverte de terroirs. Le choix de vignerons, de millésimes ou de cuvées rend justice aux vins contenus dans les bouteilles avant de célébrer des étiquettes.L’alliance avec les mets se fonde sur des accords de lumières, de coloris et de tonalités. « Pour le canard à la betterave, je vais rechercher le côté violacé d’un vin, un rouge taupé, un pulpeux charnu encore fou, chahutant ! » Association de bienfaiteurs pour mise en orbite des saveurs.
Saturne, 17 rue Notre-Dame-des-Victoires, 75002 Paris. Tél. 01 42 60 31 90
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LE PALAIS DE… TEDDY LUSSI-MODESTE
CHEZ SAÏD « Le décor de Chez Saïd me rappelle les voyages que j’ai pu faire au Maghreb, sans jamais jouer la carte de la surcharge. Ce sont deux amies qui m’ont fait découvrir l’endroit. Je suis encore surpris quand les plats arrivent sur la table tant on est bien servi en viande, semoule, légumes, pois chiches et raisins secs. Aujourd’hui, je mange souvent le fameux couscous berbère avec une personne qui m’est chère et qui a, ce qui est rare, plus d’appétit que moi. » _Propos recueillis par S.A.
Le Bec fin, chez Saïd, 15 rue du FaubourgSaint-Martin, 75010 Paris. Tel. 01 42 06 62 82 Lire également les articles page 17 et 76
Où MANGER APRÈS… _Par B.V.
CHEZ GINO Chez 40/60, pour retrouver la pizza de Gênes. Un moelleux croustillant et une garniture exigeante. Les pizzas sont cuites sur une plaque rectangulaire, dont les dimensions, exprimées en centimètres, ont donné leur nom à l’échoppe. Elles sont vendues au centimètre carré. 40/60, 44 rue Trousseau, 75011 Paris. Tél. 09 53 57 58 18
PINA Chez Sola, car, pour accéder à la salle en sous-sol, on doit ôter ses chaussures et dîner pieds nus. Un hommage à Pina Bausch qui, enfant, se cachait sous les tables du bistrot de ses parents à Solingen. Une cuisine à petits pas, à petits gestes répétitifs, entre gastro, bistrot, franco et japonais. Sola,12 rue de l’Hôtel-Colbert, 75005 Paris. Tél. 01 43 29 59 04
LA LIGNE DROITE Chez Dans les Landes, pour une cuisine droite comme la route entre Liposthey et Biscarrosse. Dans les Landes, nous y sommes avec les charcuteries de chez Ospital, les piments, le patxaran et une ardoise de pintxos taillée pour le rugby. Dans les Landes, 119 rue Monge, 75005 Paris. Tél. 01 45 87 06 00 mars 2011
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70 LA CHRONIQUE DE
CAMéRA
AU POING _Dossier coordonné par Juliette Reitzer et Auréliano Tonet
En mars, trois cinéastes grimpent sur le ring pour en découdre avec un genre phare du septième art : le film de boxe. Dans Boxing Gym, la c a méra du do c u menta ri ste FREDERICK WISEMAN balaie la poussière d’un club d’entraînement texan transformé en sanctuaire de la violence américaine. Poids lourd hollywoodien, lauréat de deux oscar, le biopic Fighter de DAVID O. RUSSELL endosse avec emphase le peignoir du boxeur white trash Micky Ward. Côté français, l’outsider TEDDY LUSSI-MODESTE conte dans l’excellent Jimmy Rivière l’histoire d’une gueule cassée hésitant entre sa passion pour la boxe thaï et l’appel du pentecôtisme. Au cœur du récit ou hors-champ, réaliste ou romancée, la boxe au cinéma alterne directs et crochets pour mieux percuter le spectateur.
robert de niro dans raging bull de martin scorsese (1980)
Š Rue des Archives / BCA
74 dossier /// BOXE ET CINÉMA
GYM TONIQUE À 81 ans, le champion du cinéma direct esquive les clichés du film de baston avec Boxing Gym, plongée naturaliste dans un club de boxe texan. Quarante-cinq ans après Titicut Follies, son premier long métrage sur un asile d’aliénés, le cinéaste américain poursuit sa radiographie de l’homme par le prisme des institutions. En plein montage de son prochain film consacré au Crazy Horse, rencontre avec FREDERICK WISEMAN, docte documentariste, noble artiste et vieux sage, entre rigueur du propos observé et poésie du montage. Bon pied bon œil.
Q
_Propos recueillis par Clémentine Gallot et Juliette Reitzer
uelle est la genèse de Boxing Gym ? J’avais l’idée de faire un film sur la boxe depuis très longtemps. Un ami m’a conseillé de visiter cette salle de boxe, Lord’s Gym, à Austin au Texas. Dès que j’y suis entré, j’ai compris que c’était un décor qui valait 20 millions de dollars. Les posters qui recouvrent les murs sont magnifiques, vieux et abimés. Ils racontent une histoire de la boxe, un peu comme dans un musée. Richard Lord, le patron des lieux, m’a donné l’autorisation de tourner tout de suite, et j’ai commencé cinq semaines plus tard.
D’où vient votre envie de filmer ce sport ? J’en suis fan. Dans les années 1970, avant que la boxe ne passe à la télévision, le Boston Garden ou le Madison Square Garden montraient les combats sur de très grands écrans, 12 pieds par 15 [environ trois mètres par cinq, ndlr]. C’était encore mieux que de les voir en vrai. J’y suis allé souvent avec mes fils. J’ai aussi pris des leçons de boxe pendant deux semaines quand j’avais 13 ans ! En quoi est-ce une discipline particulièrement cinématographique ? C’est une discipline du mouvement, comme le cinéma. Mais il n’y a pas que ça : la boxe permet d’explorer encore une fois le thème de la violence, qui parcourt beaucoup de mes films, même si c’est inconscient. La violence est très commune dans la vie humaine.
mars 2011
Quel lien entretient Boxing Gym avec votre précédent long métrage, La Danse ? Dans La Danse, Brigitte Lefèvre, directrice de la danse de l’Opéra de Paris, dit : « Être danseur, c’est être à moitié nonne, à moitié boxeur. » Danse et boxe sont très proches. D’abord parce que ce sont deux disciplines qui s’intéressent aux mouvements des corps,mais aussi parce que les boxeurs,comme les danseurs,débutent très jeunes et ont des carrières courtes. Naturellement, le ballet est un peu moins brutal que la boxe, mais beaucoup de danseuses ont des problèmes de hanches, de genoux, de ligaments. La danse est un exercice physique très violent pour le corps. Vous prenez le contre-pied des fictions sur la boxe en choisissant de ne pas montrer les combats mais plutôt ce qui se passe autour : l’entrainement, la préparation, les conversations… Mon film n’est pas Rocky, heureusement ! Le sujet, c’est « que se passe-t-il dans cette salle ? » J’ai filmé plusieurs combats, mais je n’ai pas utilisé les images au montage, car on peut les voir sur les chaînes du câble tous les samedis soir. Ça ne me semblait pas très intéressant. Tous vos films portent une attention particulière à l’administration et aux structures hiérarchiques. Qu’en est-il de Boxing Gym ? Dans Boxing Gym, ce n’est en tous cas pas une hiérarchie telle qu’elle existe en France. Au club, Richard, le propriétaire, fait tout. Il est psychologue,
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BOXE ET CINÉMA /// Dossier 75
« La boxe est une discipline du mouvement, comme le cinéma. » entraîneur, trésorier ; mais c’est surtout un homme touchant dans ses rapports à l’autre. Il aborde les gens sans condescendance, de manière très directe, comme dans la séquence avec le jeune homme épileptique : il lui dit qu’il peut venir s’entraîner, qu’on ne le frappera pas sur la tête et que, peut-être, son épilepsie passera après quelques années. Il y a ensuite de fait une hiérarchie naturelle, où les boxeurs confirmés donnent des conseils aux nouveaux. Mais ce n’est pas une hiérarchie sociale. Il y a dans cette salle de boxe une égalité entre les gens qui n’existe pas ailleurs. Les riches côtoient les pauvres, les immigrés sans papiers côtoient les avocats, les médecins… C’est le melting pot américain. Les questions hiérarchiques rigides et parfois dramatiques qui se posent dans mes autres films n’existent pas ici, et c’est à mon avis l’un des intérêts de Boxing Gym. L’organisation de la salle de boxe est finalement très démocratique. Oui, Richard Lord en serait le président. Comme un garçon le dit dans le film : « C’est un sport violent mais ici tout le monde s’aime. » On se parle, on s’écoute, on s’aide. C’est un endroit très civique. Vos films suivent généralement une dynamique du particulier au général. Peut-on voir une illustration de cette structure dans le dernier plan du film, une vue d’ensemble d’Austin ? En effet. Le Lord’s Gym est une société miniature, une représentation du monde. Le dernier plan est aussi lié, dans ma tête en tout
Wiseman power
« Je suis peut-être un fantaisiste fanatique », analyse Frederick Wiseman dans son texte Esquisse d’une vie, qui ouvre l’élégant ouvrage collectif qui lui est consacré chez Gallimard. Quelques lignes plus haut, il a choisi un extrait des Aventures d’Alice au pays des merveilles où l’héroïne avoue à la chenille ne pas vraiment savoir « qui elle est ». Constamment occupé à filmer les institutions (prisons, hôpitaux…), l’American way of life, la jeunesse (High School I et II) ou la mort (Near Death), Wiseman est-il le parfait caméléon, tourné vers les autres avec un intérêt qui frôle la fuite en avant ? C’est cette énigme que tentent de percer les contributeurs du livre, du documentariste Errol Morris au critique du New York Times David Denby en passant par le juriste et psychanalyste Pierre Legendre. « Roi du cinéma misanthrope » selon Morris, « quelqu’un qui a tout vu » selon Joshua Siegel, directeur adjoint du département cinéma du Moma. Ensemble, ils esquissent un portrait de l’homme-orchestre du cinéma documentaire. _L.T.
Frederick Wiseman, sous la direction de MarieChristine de Navacelle et Joshua Siegel (Gallimard)
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mars 2011
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76 dossier /// BOXE ET CINÉMA
Boxing Gym de Frederick Wiseman
cas, aux quelques réflexions sur le monde extérieur qu’il y a dans les conversations du film : la tuerie de Virginia Tech, le soldat qui part en Afghanistan, le cambriolage de la maison d’un boxeur… Ce sont des suggestions, à l’intérieur du film, des autres formes de violence qui existent à l’extérieur. Comment avez-vous travaillé le son du film ? Comme une partition musicale. Le son est un travail très important du montage, il donne le rythme. Tout est coupé sur les sons de l’horloge, de la sonnerie, le bruit des coups sur les corps ou sur le sac de frappe. Vous disiez d’ailleurs que votre premier documentaire, Titicut Follies, était une comédie musicale… Oui, mais ce n’était pas très malin de dire ça ! Il y a beaucoup de musique dans tous mes films, mais ce sont des musiques qui appartiennent aux événements que je filme. Quelle attitude adoptez-vous sur le tournage pour faire oublier la caméra ? J’essaie d’être gentil et de ne rien demander. J’essaie aussi de démystifier le tournage : les gens peuvent regarder dans le viseur de la caméra pour se rendre compte, par exemple. La plupart du temps, je ne tourne pas : je passais douze heures par jour au club, mais je ne tournais que deux ou trois heures. Je discute, je regarde, les repérages se font pendant le tournage. Je porte beaucoup d’attention à ce que les gens me disent, j’ai toujours un petit carnet dans la poche et je prends beaucoup de notes.
mars 2011
Avez-vous une idée précise du résultat final lorsque vous commencez à tourner ? Non, je ne sais pas du tout de quoi le film va parler avant le tournage : je le découvre au montage, généralement même à la fin du montage. Quand je reviens du tournage, je regarde tous les rushs, ce qui me prend entre six semaines et deux mois. Pour Boxing Gym, j’avais à peu près 80 heures de rushs. Puis je garde environ la moitié des rushs et je commence à monter les séquences qui m’intéressent. Après six ou sept mois, je monte dans une forme presque finale toutes les séquences qui sont des candidates sérieuses pour être incluses dans le film. C’est seulement après cela que je commence l’assemblage des séquences entre elles. Je peux faire ce premier assemblage en trois ou quatre jours car, à ce moment-là, j’ai une très bonne connaissance du matériel. Cette première version est environ 30 minutes plus longue que la version finale, et il me faut encore six ou sept semaines pour travailler sur le rythme à l’intérieur des séquences et sur les relations et les articulations entre chaque scène. Est-il exact que Stanley Kubrick a demandé à visionner votre film Basic Training (1971) ? Un jour, j’ai reçu un appel : « Monsieur Wiseman, je suis le secrétaire de Stanley Kubrick. Il veut voir Basic Training. » Je n’ai pas dit oui tout de suite, mais j’ai fini par envoyer une copie 16 mm, que j’ai eu beaucoup de mal à récupérer. Un an après, j’ai vu le nouveau film de Kubrick… et j’ai compris pourquoi il avait gardé Basic Training aussi longtemps : dans la première partie de Full Metal Jacket, il y a beaucoup
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BOXE ET CINÉMA /// Dossier 77
Boxing Gym de Frederick Wiseman
de scènes qui sont – comment dire ça gentiment ? – « empruntées » à mon film. Ça m’amuse qu’il n’ait pas pu faire ses recherches lui-même, qu’il les ait faites en regardant les films des autres. Pour qui faites-vous vos films ? Quand j’ai monté Boxing Gym, comment aurais-je pu penser qu’un an après j’en parlerais avec vous ? Je n’ai aucune idée de qui est le public, de ce qu’il va penser ou comment il va réagir. La seule chose à laquelle je pense, c’est que les gens qui verront le film sont aussi stupides ou aussi intelligents que moi.
des personnages, d’exposition, de métaphores, d’abstraction, de rythme, d’articulation d’éléments comiques et dramatiques… Vous êtes donc un grand lecteur ? Je lis beaucoup. Les meilleurs livres que j’ai lus, qui m’ont aidé pour le montage, sont les lettres de Gustave Flaubert à George Sand et les essais d’Eugène Ionesco sur le théâtre. J’allais dire que tous les deux sont Français, mais Ionesco n’était pas Français, même s’il habitait en France et était membre de l’Académie française.
« LA BOXE PERMET D’EXPLORER LE THÈME DE LA VIOLENCE, QUI PARCOURT BEAUCOUP DE MES FILMS. » Pourtant, votre passé de professeur de droit aurait pu vous laisser des ambitions de transmission, d’éducation ? C’est une question compliquée. Il y a des gens qui pensent que je fais des films comme des exposés, que je traite des problèmes sociaux pour tenter de les résoudre. Mais je ne connais aucun exemple de film qui ait changé les choses. Moi je fais des movies, et j’essaie de les faire le mieux possible. Ce qui compte, c’est la structure dramatique. Je vois le montage de mes films comme l’écriture d’un livre : j’ai les mêmes problèmes qu’un écrivain, sauf que mon imagination doit jouer avec les rushs. C’est plus limité, mais il y a quand même beaucoup de choix. J’ai tous les problèmes de caractérisation
mars 2011
Vous parlez vous-même couramment français et vivez en France une bonne partie de l’année. Est- ce par goût du cinéma français et de sa tradition documentaire ? [Il se marre] Mais non, ça c’est du bullshit. J’aime vivre à Paris, on y mange bien ! Depuis 2000, je suis en France au moins la moitié de l’année. J’ai tourné trois films ici, j’en ai monté deux. Il y a infiniment plus de choses à faire le soir qu’à Boston, où j’ai grandi. Et la ville est si belle ! J’adore marcher, je marche tout le temps. Je marche tous les jours quarante minutes pour me rendre à ma salle de montage, aller-retour. Boxing Gym de Frederick Wiseman // Documentaire // Distribution : Sophie Dulac // États-Unis, 2010, 1h31 // Sortie le 9 mars
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78 dossier /// BOXE ET CINÉMA
Guillaume Gouix interprète Jimmy Rivière
POINGS DE SALUT
Grenoble, le temps d’un été fiévreux. Jimmy Rivière, jeune gitan, doit étouffer les deux passions qui le consument – la boxe thaï et Sonia – pour mieux embrasser le pentecôtisme des siens. TEDDY LUSSI-MODESTE revient sur la genèse de son brillant premier film.
A
_Propos recueillis par Stéphanie Alexe
u parti pris documentaire, vous préférez un film empreint de romanesque et dédié à un héros charismatique. Pourquoi ce choix ? Le documentaire aurait représenté un regard d’étranger sur les choses. Je partage avec le héros le fait d’être gitan et le sentiment de m’être senti étranger chez moi à un moment de mon histoire. Je voulais donc filmer la communauté et organiser un point de vue sur le monde à partir de mon personnage. Je me suis même permis une certaine stylisation : le ralenti, le recours au plan-séquence, l’usage du flare [un reflet ostensible du soleil à l’image, ndlr]… Mon désir était de faire un film classique avec un gitan comme héros. Jimmy Rivière doit quelque chose à Rumble Fish et The Outsiders de Francis Ford Coppola. Ces films ont eu sur mon imaginaire d’enfant un impact aussi puissant que les exploits de mes cousins, qui ont servi de modèles pour le personnage de Jimmy. La boxe thaï reste longtemps hors-champ, en périphérie du film, comme une métaphore des pulsions de Jimmy. Ça vient du personnage lui-même : Jimmy n’a pas envie d’être boxeur, il veut juste boxer. Ça lui fait du
bien.Ça le libère de sa violence. Ça l’émancipe aussi. La boxe n’a jamais représenté un sujet pour Rebecca Zlotowski et moi-même, qui avons écrit le scénario. L’exploit, Jimmy le réalise ailleurs, dans l’affirmation à l’intérieur du groupe de sa différence. La boxe est plutôt un véhicule que prend le récit pour se raconter. Deux formes de discipline sont mises en lumière, la religion et la boxe. Comment s’imbriquent-elles ? Ces deux formes de discipline sont à la fois spirituelles et physiques. J’avais envie, par la mise en scène, de saisir la boxe comme un rituel et la religion comme un match de boxe. En fait, Jimmy a surtout un problème avec la discipline, alors même qu’il rêve d’être discipliné. La question de la langue innerve tout le film… Elle est reliée à la matière même du film. Comment parle quelqu’un ? À quel groupe se rattache-t-il ou veut-il se rattacher en parlant de telle manière ? À l’inverse, comment un mot de travers peut-il exclure ? Chaque monde que fréquente Jimmy a ses codes linguistiques. Peut-être Jimmy Rivière est-il en fin de compte un film qui raconte comment un jeune homme parvient à trouver une langue qui fait sens pour lui.
Jimmy Rivière de Teddy Lussi-Modeste // Avec Guillaume Gouix, Béatrice Dalle… // Distribution : Pyramide // France, 2009, 1h30 // Sortie le 9 mars
mars 2011
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Š Rue des Archives /BCA
Errol Flynn dans Gentleman Jim de Raoul Walsh (1942)
boxe et cinéma /// Dossier 81
Corps raccords De The Champ aux récents Fighter et Boxing Gym, boxe et cinéma s’affrontent depuis toujours dans un corps à corps ambigu. Représentation moderne du mythe américain, extension violente et stylisée du film noir, allégorie du combat social ou politique, mise en abyme du ring comme plateau de tournage : les deux arts multiplient feinte et uppercut devant des spectateurs fascinés par l’abandon des corps. Retour sur un duel au sommet entre deux arts du conflit. _Par Yal Sadat
Qu’on me donne une scène. Pour ce taureau, une arène. Bien que je sache boxer, je préfère déclamer : c’est ça, le spectacle. » Dès l’ouverture de Raging Bull (1980), le lyrisme hébété de Jake La Motta, reconverti sur le tard en comique boursouflé, révèle l’enjeu existentiel du boxeur : bête du ring ou clown de cabaret, il s’accroche jusqu’au bout à l’instant scénique, ne vivant qu’à travers la vibration du public – même le plus méprisant. L’essentiel n’est pas de gagner, mais bien de fasciner par sa douleur. Dès lors, rien d’étonnant à ce que le cinéma, lui-même voué à captiver les foules, ait subtilisé cette figure pour bâtir une mythologie. Plus que chez n’importe quel autre athlète, il y a chez le boxeur une mise en scène de soi face à autrui parfaitement cinégraphique, une exacerbation pittoresque de passions ambivalentes et de pulsions impudiques.Autrement dit : il y a un personnage de film. AMERICAN IDOLS Au même titre que le pionnier du western ou le superhéros de comics, le boxeur célèbre une histoire américaine brève mais vertigineuse. Aucun hasard si les personnages d’immigrés ou de selfmade men se frottent au ring, comme John Wayne dans L’Homme tranquille de John Ford (1952) ou Tom Cruise dans Horizons lointains de Ron Howard (1992) : conquérir un pays suppose de recevoir des coups et d’en donner. L’humanisation du héros est toutefois primordiale. Porte-étendard du rêve américain, il endosse à la fois le rôle du parangon de vertu et celui d’homme du peuple, émancipé à la seule force de ses poings. La voix-off du Day of the Fight de Stanley Kubrick (1951), portrait du poids moyen Walter
Cartier, résume ce double statut d’icône héroïque et d’average Joe accessible : « Dans la vie d’un homme qui doit littéralement se battre pour exister, le K.O. n’est pas qu’un moment d’anthologie, c’est la fin d’une journée de travail. » Qu’il s’agisse du champion alcoolique de King Vidor (The Champ, 1931), de l’entraîneur mélancolique de John Huston (Fat City, 1972), ou du fragile poids plume de David O. Russell (Fighter), le boxeur reste modeste, voire pathétique. C’est qu’il est aussi un martyr – un mythe ne se passe pas de portée biblique. Quoi de mieux que le pugilat sanglant pour concilier péché, douleur, repentir et stigmates ? Dans Raging Bull, Martin Scorsese poussera le motif spirituel à son comble en filmant Robert De Niro frappant sans arrêt dans le vide et finissant par tendre l’autre joue en plein match. SANCTUAIRES Reste à savoir, pour le cinéaste, comment relayer une telle mythologie : comment filmer et raconter un cérémonial qui constitue déjà une mise en scène ? Une école dramaturgique naît à Hollywood lorsque Raoul Walsh immortalise James J. Corbett, poids lourd de la fin du XIXe, dans Gentleman Jim (1942). Le boxeur se caractérise désormais par sa double destinée : il vit parallèlement une brillante carrière sur le ring et une romance tourmentée, pour finalement atteindre les cimes de la gloire. Le Rocky de John Avildsen et Sylvester Stallone (1976) transformera ce modèle en success story orgiaque : le boxeur de rue se sortira des bas-fonds et deviendra, au fil des épisodes, challenger, champion du monde, puis porteparole de l’Oncle Sam face à l’U.R.S.S.Reprenant cette structure ascendante, Michael Mann décrit dans Ali (2001) une élévation cette fois intérieure, spirituelle ...
mars 2011
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82 dossier /// boxe et cinéma
Rocky de John Avildsen et Sylvester Stallone (1976)
et politique, pointant la puissance médiatrice de la boxe. Quelques années plus tard, lorsque c’est une héroïne qui enfile les gants chez Clint Eastwood (Million Dollar Baby, 2004), la lutte devient une exploration du surpassement moral et physique – tandis que Girlfight de Karyn Kusama (1999) et La Yuma de Florence Jaugey (2009) se concentrent sur l’émancipation de filles qui tentent de battre les hommes à leur propre jeu. Dans tous les cas, dans le biopic réaliste comme dans l’épopée à la Rocky, le match reste un point d’orgue, un spectacle sacré que la caméra s’efforce de rendre interactif. Dans Requiem pour un champion de Ralph Nelson (1962), elle va jusqu’à épouser le point de vue d’Anthony Quinn confronté
qui retraçait la rencontre de Mohammad Ali et George Foreman au Zaïre en 1974, renforçait quant à lui la dimension politique du moment (Ali venu combattre sur la terre de ses ancêtres) par son seul montage. BEURRE NOIR De The Set-Up de Robert Wise (1949) à The Boxer de Jim Sheridan (1997),l’emprunt au film noir est une autre constante du film de boxe.Cette correspondance entre la pulsion du crime et celle du ring n’a pas échappé pas à Kubrick, dont Le Baiser du tueur (1954) utilise le sport comme contrepoint : le crime restant sobre et élégant, les matchs matérialisent la violence refoulée par le cadre. Plus tard, Brian De Palma, moins intéressé
Pour le boxeur, l’essentiel n’est pas de gagner, mais bien de fasciner par sa douleur. à Mohammad Ali, alors Cassius Clay, lequel boxe l’objectif jusqu’au K.O. dans un plan-séquence subjectif. Chez Michael Mann, l’alternance entre l’extérieur des cordes et le centre du ring alterne contemplation quasi naturaliste et plongée dans la psyché du pugiliste. Un processus qui s’inverse chez les documentaristes, pour qui l’enregistrement d’un duel sert l’émergence d’une profondeur thématique. Dans Boxing Gym de Frederick Wiseman (lire page 74),la caméra découpe le rituel de l’entraînement au plus près des poings, des visages et des jeux de jambes, transformant le gymnase en sanctuaire dédié à une philosophie de la violence. When We Were Kings de Leon Gast (1996),
par la boxe que par la fascination ambiguë qu’elle suscite, s’en tient au contre-champ du match. Lors du long plan-séquence de Snake Eyes (1998),les regards fascinés augmentent étrangement la tension meurtrière et préparent le terrain à l’explosion de la violence. À l’inverse, chez le Japonais Shinya Tsukamoto (Tokyo Fist, 1995), le spectateur est immergé au cœur du combat ; la caméra se démène au centre du ring, l’objectif essuie directs et uppercuts,est éclaboussé de bile, accompagne les têtes au tapis… De l’Occident à l’Orient, le film de boxe s’apparente ainsi à un sousgenre du polar, dans lequel la France peine à s’imposer. Est-ce parce que son cinéma demeure étranger à ...
mars 2011
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84 dossier /// boxe et cinéma
Fighter de David O. Russell (2011)
Comment filmer et raconter un cérémonial qui constitue déjà une mise en scène ? toute notion de genre ? Toujours est-il qu’un Belmondo exploita rarement son passé de boxeur, si ce n’est pour le plus américain des cinéastes français, Jean-Pierre Melville (L’Aîné des Ferchaux, 1963). UNE HISTOIRE DE VIOLENCE Si elle participe à un mythe, la mise en scène de la boxe n’est toutefois pas qu’une affaire d’anthropologie. Filmer le corps du boxeur, c’est mettre les autres arts en abyme. Le ballet n’est pas loin dans les échauffements de Boxing Gym ou dans le générique de Raging Bull. Peu amateur de boxe, Scorsese y décrit la lente destruction de La Motta avec des ralentis silencieux chorégraphiés qui évoquent la pantomime tragique. Les matchs font également écho au jeu d’acteur : passé du ring au cinéma à plusieurs reprises,Mickey Rourke a bien compris cette dimension et entretient la confusion entre ses deux casquettes pour donner leur ampleur aux héros de Homeboy de Michael Seresin (1988) et The Wrestler de Darren Aronofsky (2009). Inversement, les caméos de Mike Tyson, de Badland à Very Bad Trip, de Crocodile Dundee 3 à Rocky 6, sont systématiquement sublimés par sa persona d’athlète furieux : si Iron Mike ne joue jamais que son propre rôle, il ressemble toujours à quelque héros d’épopée légendaire. Après tout, le boxeur, ce roi de l’arène starifié par les projecteurs, n’est-il pas une métaphore de l’acteur qui lui donne chair ? Comme lui, son visage porte les cicatrices d’émotions, de coups et de rôles qui le transforment peu à peu, à la manière d’un palimpseste humain. Du sport à la violence, du jeu à la haine viscérale et authentique, leurs performances respectives partagent une ambiguïté résolument fascinante.
mars 2011
FIGHTER : RING FAMILIAL De la carrière en dents de scie du poids léger Micky Ward, il y avait de quoi tirer un film de boxe hybride : entre biopic hollywoodien et chronique naturaliste sur l’Amérique white trash, Fighter retrace donc l’émancipation d’un loser magnifique, condamné à essuyer les coups. Éclipsé par son champion de frère aîné, chaperonné par une matrone pugnace, le petit boxeur incarné par Mark Wahlberg n’a pour lui que l’endurance. C’est d’abord son combat hors du ring que décrit le film, à travers le portrait cassavetien d’une cellule familiale curieusement soudée par la boxe. David O. Russell guette les mots de trop et les gestes incontrôlés pour révéler cette violence borderline qui fait toute l’ambiguïté de la discipline. Puis la lutte physique reprend le dessus à mesure que la relation entre Micky et son frère (Christian Bale, incroyable en beauf salement amoché) se transforme en apprentissage tactique. Plus que le récit d’un entraînement désespéré, c’est celui de la résurrection d’une gloire déchue à travers l’initiation de son cadet que l’on suit – sonné. _Y.S. Fighter de David O. Russell // Avec Mark Wahlberg, Christian Bale… // Distribution : Metropolitan FilmExport // États-Unis, 2010, 1h53 // Sortie le 9 mars
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Millénium, Morse, Adieu Falkenberg, Nouvelle donne, Submarino ou Sound of Noise : irriguée par le roman noir et les séries américaines, une nouvelle vague de froid a remis la Scandinavie sur la carte du cinéma mondial, égratignant au passage son image proprette. Ce mois-ci, deux thrillers – le sobre, sombre et nerveux Easy Money et la fable enfantine Revenge – rad iogra ph ient la violence q u i fissu re le modèle social-démocrate dans ces royaumes. À l’occasion du festival Ciné Nordica et du Salon du livre, dont le Suédois Henning Mankell est l’invité d’honneur, nous avons plongé dans le maelström de la production artistique au nord de l’Europe.
© Aril Wretblad
_Dossier coordonné par Clémentine Gallot et Auréliano Tonet
© Aril Wretblad
88 DOSSIER /// SCANDINAVIE
Extraits d’Easy Money de Daniél Espinosa
mars 2011
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SCANDINAVIE /// DOSSIER 89
VERY cold TRIP Dans les piaules des prisonniers suédois, on trouve, paraît-il, deux choses : un poster d’Al Pacino dans Scarface et Snabba Cash, premier roman de la série Stockholm noir signée Jens Lapidus. C’est en tout cas ce que raconte l’auteur, peu avare de détails bâtissant sa propre légende. Reportage dans les bas-fonds de la capitale suédoise à l’occasion de la sortie d’Easy Money de DANIÉL ESPINOSA, sobre et sombre adaptation du livre, qui croise les destins de trois criminels plus ou moins efficaces. _Par Pamela Pianezza
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elle gueule, cheveux noirs gominés, costard coupé au poil et chaussures italiennes, Jens Lapidus a la dégaine ambitieuse. À 35 ans, il est l’un des avocats de la défense les plus médiatiques du Royaume de Suède et compte parmi ses clients quelques truands réputés – nous le rencontrons au petit déjeuner, avant les audiences. Il est aussi l’auteur d’une série de romans noirs aussi violents que brillants. Dans la veine de la série The Wire, qu’il vénère mais jure n’avoir vue qu’après avoir rédigé son premier tome, Stockholm noir suit le quotidien de trois criminels – apprenti, petite frappe et gros poisson. Jorge, fraîchement évadé de prison, pense se faire du fric sur le dos d’un gang de dealers serbes dont l’homme de main, Mrado, est absorbé par ses soucis familiaux. Leur route croise celle de JW, étudiant en école de commerce pour gosses de riches le jour, dealer dans un taxi la nuit. MONEY MONEY MONEY Si, en France, ses livres bénéficient de l’effet Millénium, Lapidus n’a pas grand-chose à voir avec le romancier décédé. « Je suis l’exact opposé d’un Stieg Larsson ou d’une Camilla Läckberg », avertit-il. Contrairement à ces deux rocks stars du polar scandinave, dont les héros sont journalistes ou policiers et les romans construits « à l’anglaise » (l’école Agatha Christie), Lapidus se fiche royalement de la résolution de l’intrigue. En disciple d’Ellroy, Lehane et Chandler, il ne s’intéresse qu’aux personnages défiant insolemment la loi. Son écriture est, à leur image, brutale et sans concession. L’envie de raconter lui est venue d’un coup, après qu’un juge ait demandé à deux de ses clients coffrés pour vol à main armée où ils se voyaient dans cinq ans. « Au même endroit qu’aujourd’hui, répondirent les gamins. Que voulezvous qu’on fasse d’autre ? » De retour chez lui, Jens Lapidus a tapé sur son clavier durant des heures et écrit Snabba Cash (L’Argent facile en VF), son premier roman. C’était en 2006. Une adaptation sur
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grand écran est rapidement confiée à un réalisateur quasi inconnu en Suède, Daniél Espinosa. Le film sort finalement cette année, à la fois grand public et exigeant, sans doute le meilleur thriller nordique depuis la trilogie Pusher de Nicolas Winding Refn, en 1996. LA HAINE COMME MODÈLE Fils d’immigrés chiliens, Daniél Espinosa a grandi dans une cité ouvrière à quelques kilomètres de Stockholm. Avec ses copains, il regarde en boucle La Haine de Mathieu Kassovitz, et rêve de tourner à son tour un film de gangsters. « On s’identifiait bien plus à Saïd Taghmaoui et Vincent Cassel qu’aux personnages de Bergman », confie-t-il. Le temps de ses études au Danemark, le jeune homme rentre dans les rangs du cinématographiquement correct et se passionne pour Godard,Truffaut et Ettore Scola. « J’ai réalisé mes deux premiers longs métrages dans une tradition très art et essai : de vrais films de festival », s’amuse-t-il aujourd’hui. Jusqu’à ce qu’un ami lui fasse lire L’Argent facile. Espinosa tient dès lors son sujet et part à la recherche de nouvelles têtes : Joel Kinnaman (JW) et Matias Padin (Jorge) sont professionnels mais ont peu tourné au cinéma. Mrado est interprété avec un charisme au couteau par un ancien braqueur, Dragomir Mrsic. Le reste de l’équipe est recruté lors de castings sauvages. Depuis, Hollywood a (re)découvert l’existence de la Suède et mis le grappin sur le réalisateur.Après Morse (sublime conte vampirique de Tomas Alfredson) et Millénium (coproduction suédo-danoise un peu tiède), c’est Easy Money qui fera l’objet d’un remake par la Warner (sortie prévue fin 2011, avec Zac Efron dans le rôle de JW). Quant à Espinosa, il tourne en Afrique du Sud son premier blockbuster, Safe House, en compagnie de Ryan Reynolds et Denzel Washington. Easy Money de Daniél Espinosa // Avec Joel Kinnaman, Mathias Padin… // Distribution : MK2 Diffusion // Suède, 2009, 1h59 // Sortie le 30 mars Stockholm noir : L’Argent facile de Jens Lapidus (Plon, roman)
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90 DOSSIER /// SCANDINAVIE
FILMS NOIRS FOND BLANC Du carton Millénium aux récents Easy Money, Revenge ou Le Rite, la fiction nordique emprunte ces dernières années deux directions : d’un côté, une implacable vague policière, championne du box-office et tributaire de la manie d’adapter à tout-va. D’un autre, un cinéma d’auteur qui enferme dans une blancheur immaculée des films introspectifs et cafardeux sur l’alcoolisme, la dépression ou le crime organisé, interrogeant en creux la social-démocratie suédoise, norvégienne ou danoise. À l’occasion du récent festival Ciné Nordica, voyage en hypothermie. _Par Clémentine Gallot
B
ides relatifs en France, les trois volets de Millénium ont pourtant trusté les boxoffices suédois, danois et norvégien en 2009. L’œuvre au noir inachevée de Stieg Larsson a aidé à ranimer le goût du polar made in Sweden autant qu’à le faire connaître à l’étranger. Procès à charge de la société suédoise, ce nouveau pilier de la culture populaire aurait mine de rien porté un coup à l’utopie du welfare state sur les rives de la Baltique. « On y voit que la Suède n’est pas parfaite, expliquait récemment à Stockholm le producteur du film, Søren Stærmose. Il y a des abus, du racisme… » En creusant du côté obscur du royaume, la saga s’est inscrite dans une longue série de fictions anxiogènes dominées par le pessimisme corrosif d’Ingmar Bergman, qui malmènent le fantasme arcadien des pays du Nord, épinglé ici comme un nouveau creuset des inégalités. Dans ce créneau, la critique de Stieg Larsson a pris le relais de la fibre sociale développée dans les seventies par les polars du couple Sjöwall et Wahlöö, puis plus récemment par Henning Mankell. Yellow Bird, la société de production qui a raflé les droits de Millénium, a aussi fait son beurre des polars poisseux de ce dernier, déclinant son enquêteur dépressif et mal embouché Kurt Wallander à la télévision.Tâcherons de l’adaptation, le mot d’ordre de Yellow Bird, « we turn bestsellers into blockbusters », est sans ambiguïté, associant les romanciers pour recycler leur héros aussi longtemps
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que possible tout en minimisant le risque commercial. Il est ici question de « packages » et de « propriétés ». Soucieux de capitaliser sur le succès de la franchise Millénium, leur objectif avoué est d’épuiser le filon. Logique, quand on sait qu’un film sur dix était une adaptation en 2000, et que ce chiffre a depuis été multiplié par trois… D’où la récente explosion de « scandinanars » suédois, scripts au rabais portés par des héroïnes dysfonctionnelles. « Tout le monde est à la recherche de la nouvelle Lisbeth Salander, mais c’est une mauvaise idée », reconnaît le producteur, en partance pour le tournage américain du remake de Millénium par David Fincher, dont la sortie mondiale est fixée au 21 décembre. Facultés d’adaptations La spécificité du modèle nordique, réputé difficile à exporter, veut que le lancement d’une série télévisée se fasse d’abord par la diffusion du premier épisode au cinéma. Pour sortir de leurs marchés nationaux isolés et limités, un réseau de coproduction relie les pays scandinaves à la Finlande, l’Allemagne et souvent la Pologne. Le système le plus profitable voudrait que tous les romans portés à l’écran et au cinéma finissent également à Hollywood. Ce qui n’est pas le cas : 41 productions suédoises ont vu le jour en 2009, dont une poignée seulement a cartonné au box-office. Dans la continuité d’un nouveau cinéma d’auteur populaire à la Morse, She Monkeys de Lisa
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SCANDINAVIE /// dossier 91
Revenge de Suzanne Bier
« Tout le monde est à la recherche de la nouvelle Lisbeth Salander, mais c’est une mauvaise idée. » Søren Stærmose Aschan et Pure de Lisa Langseth ont fait une entrée remarquée dans le circuit des festivals, comme celui de Göteborg. Le César suédois de la réalisation, Beyond, drame familial de Pernilla August (la nounou de Fanny et Alexandre de Bergman), avec Noomi Rapace pour égérie, a pour sa part donné la parole aux immigrés finnois, jusqu’ici point aveugle de la fiction suédoise. Mais, malgré ces pistes nouvelles, « c’est surtout la marque du crime suédois qui est vendue sur les marchés du film », confie Pia Lundberg, de l’Institut du film suédois, dont l’immense blockhaus trône au milieu d’un jardin enneigé de la capitale. Un filon exploité à outrance par les Américains, qui voient désormais dans la Scandinavie un réservoir à scénarios formatés. Dernier bon client en date : le thriller horrifique de Mikael Håfström Le Rite, avec Anthony Hopkins… Nøuvelle vågue Escale, sur l’île de Södermalm, par la maison de Mikael Blomkvist, le journaliste star du roman Millénium, devenue lieu de pèlerinage des fans. On y croise par hasard le cinéaste Stig Björkman, auteur d’un documentaire remarqué sur Bergman, qui nous fait
ÉRRANCE NOIRE Il se passe toujours quelque chose à Stockholm. À Kungsholmen, près du palais de justice, j’assiste à l’arrestation d’un conducteur de Fiat Punto par des flics en civil. Son coffre est rempli d’un nombre impressionnant de sacs de sport on ne peut plus louches. De retour sur l’île bobo de Södermalm, je suis plus rassurée : les gens sont plutôt beaux et portent des jeans Acne. Un peu comme JW, le héros d’Easy Money. On m’invite à passer la soirée au Riche, dans le quartier blingbling de Stureplan où un verre de mauvais vin blanc coûte 88 couronnes (10 euros). Dans la queue des toilettes, je rencontre Magnus, qui m’invite à fêter ses 30 ans le week-end suivant sur le yacht de son père. Je refuse poliment, n’ayant aucune envie de disparaître après une soirée arrosée comme Camilla, la sœur de JW. Magnus ne se vexe pas. En plus, il a bon goût : il a vu trois fois Un prophète, qu’il trouve « fucking great ». Le chauffeur de taxi qui me raccompagne chez moi a adoré Easy Money mais trouve que le film ne donne pas une image très reluisante de sa profession. N’empêche, si je ne lui laisse pas de pourboire, il promet de se lancer dans la revente de coke… _P.P.
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92 DOSSIER /// SCANDINAVIE
Revenge de Susanne Bier
gentiment faire le tour du propriétaire. Un peu plus tard dans le centre de Stockholm, chez Tre Vänner, producteurs de sitcoms concurrents de Yellow Bird, on se félicite d’avoir engrangé le deuxième score au box-office suédois en 2010 avec Easy Money. Le thriller aux points de vue multiples de Daniél Espinosa serait la première incursion dans la mafia immigrée de Stockholm et aurait permis de réinventer le genre, explique Fredrik Wikström, son jeune producteur de 32 ans (lire page 88). Certain du déclin du cinéma d’auteur suédois, il serait selon lui remplacé par une école de jeunes scénaristes
à l’eau de rose, ou « scandinavet ». Des bleuettes sentimentales laborieuses ancrées dans un village de carte postale : « On appelle ce nouveau genre le cosy crime ou garden crime », explique la productrice Helen Ahlsson. Deux millions et demi d’euros seront tout de même investis par épisode. Loups solitaires Direction Bergen, deuxième ville de Norvège, lovée au fond d’un fjord encerclé par une chaîne montagneuse, à l’Ouest. Il y pleut, paraît-il, 250 jours par an. On y retrouve la coqueluche du polar norvégien,
Célébrité locale, le détective privé imaginé par Gunnar Staalesen a même sa statue sur le port. formés à travailler rapidement. « La Suède est une société très sûre, le confort ennuyeux stimule l’imagination et le besoin de divertissement », analyset-il. Sa boîte de production, qui ne perd pas le Nord, a ainsi mis la main sur les droits des romans de Camilla Läckberg, publiée en France aux mêmes éditions que Stieg Larsson (Actes Sud) mais présentée en Suède comme un Harlequin du crime, ouvrant la brèche à un nouveau marché du polar
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Gunnar Staalesen, qui nous explique comment il a calqué son privé Varg Veum (« loup solitaire ») sur le modèle américain de Raymond Chandler. Dans ses romans, l’écrivain chronique à coup d’humour froid les changements sociétaux dans son pays, comme la révolution du pétrole qui a enrichi la Norvège d’un jour à l’autre à la fin des années 1960. Les dénouements rocambolesques et la criminalité fantasmée de ses polars laissent
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toutefois songeur quand on sait la paisible ville qu’est Bergen… Célébrité locale, son héros n’en a pas moins sa statue sur le port. Staalesen a déjà vendu les droits de ses 33 livres, déclinés depuis en série et films. Par une forme de colonialisme culturel, c’est une société de production danoise qui s’en est emparé. « Quant à moi, je ne suis pas un loup solitaire, mais plutôt un grand-père », déclare-t-il modestement, avant de nous entraîner à travers un brouillard neigeux pour une visite des ruelles boisées de la ville, jusqu’au plateau où est tournée la série, au dernier étage d’un immeuble de bureaux à l’abandon. Le producteur Jonas Allen, de Miso Film, décrypte le processus : « Les romans policiers comme Varg Veum sont populaires car ils prennent à rebours la social-démocratie. Au Danemark, par exemple, il n’y a jamais eu de serial killer. » Il s’attarde ensuite sur les conditions difficiles de tournage dans une région où il pleut parfois 90 jours d’affilée, ce qu’un crachin ininterrompu vient confirmer. En pleine scène d’action, quelques heures plus tard, l’acteur hirsute Trond Espen Seim déboule d’une échelle dans la cour, poursuivi par des méchants. Interrogé pendant sa pause, il maugrée quelques réponses avant de nous envoyer paître, très en phase avec son personnage de détective maussade. Sardines et carpaccio de baleine Alors que la lumière hivernale de 16 heures décline déjà sur le fjord, à la Western Norway Film Commission, installée dans une ancienne usine de sardines au bord de l’eau, on s’occupe de promouvoir cette région occidentale de la Norvège, qui a servi de décor somptueux à des blockbusters comme Harry Potter. Succès récent du grand écran, Nokas, signé du réalisateur d’Insomnia et
SÉRIES : MÂCHEZ DANOIS Dans une Scandinavie qui exporte ses commissaires par wagons, le Danemark se pose en oasis de création télévisée rafraîchissante. Si l’on connaît surtout – et justement – l’éprouvant polar The Killing (en ce moment sur TPS Star et bientôt en remake américain sur AMC), on a découvert, lors des dernières rencontres Scénaristes en séries d’Aix-les-Bains, qu’une fiction plus éclectique est aussi défendue dans ce pays. DR, la télé publique, n’hésite pas à salarier des scénaristes pour leur permettre de développer des projets en toute sécurité. Une politique d’auteurs rarissime et payante. Lulu & Leon, odyssée tragique et follement romantique d’un homme envoyé en prison et de sa compagne se découvrant prête à tout pour l’en sortir, résiste à toute tentative de classement. Autre belle surprise, Borgen (bientôt sur Arte) questionne l’exercice du pouvoir, via l’accession surprise d’une outsider politique au poste de Premier ministre. Près de 1,5 million de spectateurs ont suivi cette série complexe… dans un pays qui ne compte que 5,5 millions d’habitants. _G.R.
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94 DOSSIER /// SCANDINAVIE
Troll Hunter d’André Øvredal
« la noirceur est une tradition culturelle. »
À GÉRARDMER, LE NORD MAGNÉTISE
Thomas Vinterberg représentant d’une nouvelle veine nationale introspective, reconstitue le braquage d’une banque en 2004 avec un style efficace, proche de celui de Paul Greengrass. L’absence d’école de cinéma dans le pays jusqu’en 1997 en dit long sur le cinéma norvégien, longtemps parent pauvre de l’industrie scandinave, habité par un petit groupe d’acteurs issus du théâtre pour qui les rôles filmés ne sont qu’un bonus. En haut de l’échelle se trouve Bent Hamer. Le réalisateur, révélé à Cannes en 1995 avec Eggs, identifie néanmoins dans le cinéma norvégien « un tournant : le passage de la narration à l’abstraction qui a eu lieu dans les années 1990. Sûrement le changement le plus important », dont ses films, comme Kitchen Stories, sont le plus vibrant exemple. Drôle d’oiseau que cet héritier de Jacques Tati qui regarde d’un œil circonspect les polars nordiques commerciaux et préfère nous raconter ses souvenirs de beuverie avec la veuve de l’écrivain Charles Bukowski. Il fait nuit noire depuis longtemps quand sonne l’heure du carpaccio de baleine au restaurant du coin. Sous-marins Après la Suède et la Norvège, direction le Danemark. La clique des studios Zentropa de Lars von Trier étant en villégiature à la Berlinale, nous retrouvons Thomas Vinterberg à la cinémathèque de Copenhague, face aux jardins du Roi. « La passion pour la noirceur est une tradition culturelle, nous avoue-t-il pour tenter d’expliquer le style revêche du cinéma national. Nous essayons de parler de la réalité comme elle est. » Après Submarino, la descente aux enfers d’un marginal qui l’a sorti de l’impasse, Vinterberg prépare en ce moment le tournage (prévu en octobre) d’un « film de Noël sur un village obsédé par la même idée », sans nous en dire davantage. Le petit génie de Festen évoque
Avec la Corée du Sud, la Scandinavie se sera imposée comme l’un des nouveaux bastions du cinéma de l’imaginaire lors de la 18e édition du Festival du film fantastique de Gérardmer, en janvier dernier. Le fantasticophile était invité à la chasse aux monstres norvégiens de Troll Hunter, faux documentaire tout juste revenu de son petit buzz créé à Sundance. Pas vraiment concluant, le film mérite néanmoins le détour pour son habile réappropriation du bestiaire merveilleux nordique, et pour la magnificence des paysages sillonnés. Mais la vraie révélation du festival vosgien fut incontestablement le finlandais Rare Exports, premier film signé d’un futur grand, Jalmari Helander. Partant du postulat que le Père Noël est une créature qui tient plus du croquemitaine que du patriarche altruiste, ce conte initiatique à grand spectacle mêle The Thing de Carpenter, les fééries banlieusardes de Spielberg et les films espagnols de Guillermo del Toro. Rare Exports sortira à Noël prochain, et c’est d’ores et déjà l’un de vos plus beaux cadeaux. _J.D. Troll Hunter d’André Øvredal // Avec Otto Jespersen, Hans Morten Hansen… // Distribution : Universal Pictures // Norvège, 2010, 1h43 // Sortie le 20 juillet Rare Exports de Jalmari Helander // Avec Onni Tommila, Jorma Tommila… // Distribution : Chrysalis // France-Norvège-Suède-Finlande, 2010, 1h18 // Sortie en décembre 2011
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96 DOSSIER /// SCANDINAVIE
Submarino de Thomas Vinterberg
les difficultés rencontrée au sortir du Dogme : « J’ai dû réinventer mon style, j’ai flotté pendant les dix dernières années. » Il s’attarde ensuite avec franchise sur la crise morale que traverse le cinéma danois. « Le Danemark est un pays médiocre, une communauté en train de s’effondrer. En tant qu’artiste, il faut tenter de se soustraire à cette forme d’indifférence, car le politiquement correct tue la scène artistique scandinave. » Avant de poursuivre sur le paysage cinématographique plus spécifiquement danois : « Plus qu’une crise du cinéma, il y a une crise des spectateurs et de la presse; il n’y a plus de dialogue sur le cinéma. » Vinterberg ne mâche pas non plus ses mots sur la qualité des superproductions locales, affirmant que « ces thrillers sont un appel du pied à la zone de confort du cinéma américain », et préférant recommander le prochain film de son comparse Lars von Trier, Melancholia, attendu à Cannes. Mythologie Dernier arrêt aux plus anciens studios du monde encore en activité, Nordisk Film,qui ont produit Terribly Happy en 2008,comédie grinçante à succès de Henrik Ruben Genz avec le génial Jacob Cedergren. Une variation désenchantée de Bienvenue chez les ch’tis mâtinée de frères Coen, qui a révélé aux Danois la région reculée du Jutlanddu-Sud, le Danemark « d’en bas ». Enfant du pays ayant pris la fuite, Erling Jepsen, l’auteur du roman, y décrit abus, violence, alcoolisme et consanguinité. Un poil exagéré ? « En littérature, la question qui se pose ici est celle du sujet, car il n’y a pas de conflit dans la société danoise », reconnaît-il.De fait,l’histoire est plus proche de la mythologie sauvage de Deliverance que de l’attrayant modèle danois. Inutile de préciser qu’un remake américain est déjà prévu, dans le Michigan. Festival Ciné Nordica, du 4 au 8 mars au Cinéma du Panthéon, rencontres, avantpremières, nuits blanches, concerts : www.cinenordica.com Le Rite de Mikaël Hafstrom // Avec Anthony Hopkins, Alice Braga... // Distribution : Warner Bros // États-Unis, 2011, 1h53 // Sortie le 9 mars Beyond de Pernilla August // Avec Noomi Rapace, Tehilla Blad... // Suède-Finlande, 2010, 1h43 // Sortie courant 2011 Submarino de Thomas Vinterberg (MK2 Éditions, DVD disponible)
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LA REVANCHE DANS LA PEAU Le héros de cette fable enfantine sur la vengeance est un garçonnet endeuillé qui entraîne amis et parents dans sa rage destructrice. Récompensé par le golden globe et l’oscar du meilleur film étranger, Revenge porte à l’écran toute l’angoisse larvée de la masculinité scandinave. Nul réquisitoire social sur la violence scolaire ou les élèves « perturbés » dans ce drame familial raffiné, qui met en scène une enfance dépositaire de la violence de toute une nation. Les forces souterraines du Danemark, pays pacifié et sans conflit, ressurgissent ici pour transiter à travers les plus jeunes et se transmettre, dans une parfaite symétrie, aux adultes. Formée au Dogme (Open Hearts avec le génial Mads Mikkelsen) puis quelque temps égarée, comme Thomas Vinterberg, la cinéaste Susanne Bier retrouve une belle rigueur sur le terrain passionnant de la violence refoulée en milieu nordique. Parents (Ulrich Thomsen et Trine Dyrholm, de Festen) et enfants (Markus Rygaard et William Jøhnk Nielsen, troublants) sortent grandis de ce bel affrontement. _C.G.
Revenge de Su sa n ne Bier // Avec Ulrich Thomsen, Markus Rygaard… // Distribution : Equation // Danemark, 2010, 1h53 // Sortie le 16 mars
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98 DOSSIER /// scandinavie
Henning Mankell
POLARS POLAIRES Ils caracolent en tête des meilleures ventes de romans noirs et font couler beaucoup d’encre sur leur style venu du Nord. À l’honneur ce mois-ci au Salon du livre de Paris, les auteurs scandinaves sont des stars en France. Tour d’horizon des ténors et des nouvelles têtes. _Par Gladys Marivat
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rlendur Sveinsson, Erica Falck, Mikael Blomkvist. Ces personnages sont devenus des légendes, tout comme leurs inventeurs. Parmi eux, un incontournable suédois : Henning Mankell,invité d’honneur du Salon du livre cette année. On lui doit les aventures du bedonnant et dépressif inspecteur Kurt Wallander, dont le dernier volet, L’Homme inquiet, a été parmi les livres les plus lus l’an dernier en France. Portrait intime du héros et ouverture sur l’actualité : la recette est désormais bien rôdée et se retrouve en Islande, autre eldorado du polar nordique,chez Arnaldur Indriðason,auteur de La Rivière noire. Au milieu des années 1990,ce pionnier a ouvert la voie à toute une génération d’auteurs prêts à s’emparer de l’atmosphère sombre de l’île, laboratoire des excès de notre monde contemporain, ruinée par la dernière crise économique. Comme pour son compatriote,Árni Thórarinsson, auteur du Temps de la sorcière, c’est la diffusion à la télévision des séries TV et des polars américains qui a préparé le terrain aux romans noirs venus du froid. Car il n’y a pas vraiment de « touche nordique ». Ce qui marche, ce sont des auteurs qui produisent beaucoup,souvent en séries,et qui savent fidéliser leurs lecteurs avec des héros complexes, sur le modèle du Millénium de Stieg Larsson
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(2006), dont les trois tomes se sont encore vendus à 45 millions d’exemplaires dans le monde en 2010. Même succès pour Camilla Läckberg et Jo Nesbø. HORS NORD Derrière ces stars, la nouvelle génération tente de se défaire de cette encombrante étiquette « nordique », à l’image du Danois Jonas T. Bengtsson, qui a publié en janvier le très noir Submarino – adapté au cinéma par Thomas Vinterberg. La Suédoise Sara Stridsberg et la Finlandaise Sofi Oksanen sont les autres révélations avec qui il faut désormais compter. En 2009, la première flinguait la construction du roman dans La Faculté des rêves, fiction autour de la voix de Valerie Solanas, celle qui tira sur Andy Warhol. Un an plus tard, la deuxième remportait le prix Femina avec Purge, portrait de deux femmes dans les tourments de l’Estonie de 1945 à nos jours. Un nouveau souffle, pas forcément froid. Salon du livre de Paris, du 18 au 21 mars au Parc des expositions de la porte de Versailles, www.salondulivreparis.com L’Homme inquiet d’Henning Mankell (Seuil, roman) Submarino de Jonas T. Bengtsson (Denoël et d’ailleurs, roman) La Faculté des rêves de Sara Stridsberg (Stock, roman) Purge de Sofi Oksanen (Stock, roman)
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100 DOSSIER /// scandinavie
The Dø
Vikings of pop Loin du modèle « fjordiste » et industriel d’antan, l’avenir de la pop scandinave passe aujourd’hui, de THE RADIO DEPT. à PETER BJORN AND JOHN ou THE DØ, par la polyvalence sonore et la délocalisation. Études de cas. _Par Auréliano Tonet
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bba, A-ha, Ace of Base : la pop scandinave a longtemps trusté les hauteurs – de l’alphabet, des charts. Ce succès, très vivace du milieu des années 1970 à celui des années 1990, a changé au tournant du millénaire : suivant désormais le modèle islandais (Björk, GusGus, Sigur Rós), les Scandinaves ont dilué leur efficacité pop dans des sous-genres bobo, tout en ressuscitant leur folklore mythologique et boisé.Triphop (Jay-Jay Johanson, Stina Nordenstam), electropop (The Knife),indie-pop (Sondre Lerche,Loney,Dear, Pacific !), indie-rock (The Hives,Dungen),r’n’b d’auteur (Bloodshy & Avant), folk cosy (Kings of Convenience, Thomas Dybdahl) : les années 2000 ont vu neiger de nombreuses galettes scandinaves louangées par les gazettes – lesquelles ont parfois eu du mal à distinguer dans l’avalanche les authentiques ébénistes (El Perro del Mar, Jens Lenkman) du prêt-à-meubler Ikea (Röyksopp, José Gonzales). Les arrivages de ce printemps confirment cette hybridation à l’œuvre depuis quelques saisons. La shoegaze évanescente du chouchou suédois de Sofia Coppola, The Radio Dept., se rappelle à notre bon souvenir via une compilation de singles enlevés, tandis que le trio Peter Bjorn and John signe avec le nerveux Gimme Some son meilleur album à ce jour. Autre combo à rallonge
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(27 membres !),les Suédois de I’m From Barcelona s’essayent avec moins de bonheur au métissage dancepop sur leur quatrième réalisation, faisant regretter l’innocente euphorie des débuts. C’est hors des royaumes qu’il faut s’aventurer pour contenter son ouïe. Terres d’émigration historiques (Brian Wilson, Harry Nilsson ou Joni Mitchell sont d’ascendance nordique), les grands espaces hostiles de Scandinavie exilent, ces derniers temps, certains de leurs meilleurs éléments en France. Après l’affriolante fratrie antifolk (Herman Düne, Lisa Li-Lund) et les orfèvreries pop de Peter Van Poehl et Bardi Jóhansson (collaborateurs de Delerm et Keren Ann), le duo mixte franco-finnois The Dø publie ce mois-ci un deuxième album moins tubesque mais plus maîtrisé que le premier. « Nos influences sont très éclectiques : Beck, Reich, Debussy, Radiohead, l’Album blanc des Beatles, Charlie Chaplin, souligne le groupe. La Finlande plane sur le disque comme un songe : contes et poèmes folkloriques, chansons enfantines… » Le Nord, plein Sud. Passive Aggressive : Singles 2002-2010 de The Radio Dept. (Labrador) Gimme Some de Peter Bjorn and John (Cooking Vinyl) Forever Today de I’m From Barcelona (EMI Music) Both Ways Open Jaws de The Dø (Cinq 7)
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BOUDOIR
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ÉBATS, DéBATS, CABAS : LA CULTURE DE CHAMBRE A TRouvé son antre
© Juliette Vincent
« Il n’y a pas de respect a priori de ce que l’autre apporte. On peut en prendre ce qu’on comprend ; ce n’est pas une insulte, c’est de l’anthropophagie culturelle. » P. 106
Hortênsia du samba, p. 106
DVD-THèQUE
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Les premiers pas de KRZYSZTOF Kieslowski
LES DISQUES BIEN, de mieux en mieux
DIMITRI VERHULST sème La Merditude des choses
AX, NYCTALOPE… Les revues à la hausse
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104 LE BOUDOIR /// DVD-THÈQUE
Premiers pas
Kieslowski, du documentaire à la fiction
Au début des années 1970, KRZYSZTOF KIESLOWSKI suit le chemin de la nouvelle vague polonaise, attirée par le cinéma documentaire, avant de teinter son cinéma de couleurs plus intimes et romancées. Un coffret de cinq films retrace ces Premiers Plans. _Par Laura Tuillier
Le jeune apprenti costumier du Personnel (1975), l’époque, mais le cercle des possibles est délimité par Romek, est embauché dans un grand théâtre polola censure. Dans Premier Amour, Kieslowski choisit nais. Ce lieu protégé, bohème, est l’objet de son l’intime (le couple) tout en distillant une dénonciaadmiration et le support de ses fantasmes de débution du contrôle politique dont est victime la société tant (énigmatiques danseuses et envoûtants viocivile. Les amoureux sont confrontés à la grossesse lons). Très vite, Romek doit pourtant se résoudre à de la jeune fille et à toutes les mesquineries d’une faire l’expérience du réel, qui ne laisse pas nation apeurée. Malgré cette tension polila création tranquille et suinte à travers les tique sourde, Kieslowski est davantage intédécors du théâtre (magnifique séquence ressé par l’intimité de ceux qu’il filme déjà où la vie se mêle à l’art grâce aux sons comme un réalisateur de fiction. La caméra extérieurs, chantiers, trams, qui viennent centre son attention sur les jeux corporels, contaminer les notes d’un morceau de les infimes changements d’expression, et classique). Selon une trajectoire presque les larmes. Le cinéaste semble avoir du mal inverse à son héros, Kieslowski est parti du à assumer ce trop plein d’émotions qu’il documentaire (Premier Amour, 1974) pour « vole » à ceux qu’il filme, mais il choisit de s’affirmer dans la fiction (La Paix, 1976), Premiers Plans, cinq films poursuivre son exploration de l’humanité de Krzysztof Kieslowski celle qui permet non seulement de critiavec deux films, Le Personnel et La Paix, où (Montparnasse) quer la réalité de l’état des choses, mais il offre à ses personnages la liberté d’hisaussi de la sublimer. toires imaginées. En même temps que ses héros qui découvrent l’âge adulte (Premier Amour), Inédits en France, les cinq films du coffret Premiers le monde professionnel (Le Personnel) ou la réinPla ns forment le récit de cet apprentissage : sertion (La Paix), Kieslowski découvre son style Kieslowski, fraichement diplômé de l’école natioesthétique et narratif. Gralak cherche à tout prix nale de cinéma de Łódz, fait ses premières armes La Paix après une jeunesse que l’on présume agitée ; de réalisateur dans un pays en proie à la révolte le cinéaste, lui, trouve la liberté, incarnée par ce dercontre le régime communiste. Le documentaire nier plan sur le galop bleuté d’un cheval sauvage, est la voie privilégiée par les jeunes cinéastes de délié de toute attache naturaliste.
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LES AUTRES SORTIES ÉTREINTES BRISÉES
Amore de Luca Guadagnino (Ad Vitam) Dans la très haute bourgeoisie milanaise, l’élégance des diners s’accorde parfaitement avec la terrible froideur des sentiments. Emma (Tilda Swinton, qui trouve ici l’un de ses plus grands rôles) est une épouse et une mère impeccable. Jusqu’au jour où son fils lui présente un nouvel ami, Antonio, cuisinier rêveur. À partir d’une trame épurée et d’un thème conventionnel (la passion contre la raison), Lucas Guadagnino orchestre avec grâce et lyrisme l’effondrement du système – moral, économique, esthétique – qui soutient la famille Recchi. Rien ne résiste à la volupté retrouvée d’Emma, héroïne tragique et extrémiste, lorsqu’elle affirme sa liberté de femme. Quitte à finir tout au fond du gouffre amoureux. _L.T.
MAFIA BLUES LA BOCCA DEL LUPO de Pietro Marcello (France Télévisions) Il y va du visage buriné d’Enzo, voyou pasolinien et personnage principal de cet essai filmique, comme des vieux murs de Gênes : leur rudesse cache des richesses insoupçonnées, leurs replis sont le refuge de mille histoires et rêves d’ailleurs. Le film raconte, entre autres, l’étonnante histoire d’amour de la douce Mary et d’Enzo le macho (raciste de surcroît, comme le révèle un entretien en bonus…), préférant au jugement moral l’observation documentaire et la puissance de la fiction. Malgré quelques effets sonores superflus, « La Gueule du loup » atteint, grâce à un beau montage d’archives, un pouvoir d’évocation rare, remuant d’un même geste les forces du mythe et de l’intime. _R.L.
BAIN DE SANG PIRANHA 3D d’Alexandre Aja (Wild Side) Jake, ado mal intégré, se trouve embarqué sur le tournage d’un porno en plein spring break, période durant laquelle des hordes d’étudiants désœuvrés gagnent les rives de l’imaginaire lac Victoria. Alors que booties et boobies libérés s’ébrouent de tous côtés, une invasion de poissons tueurs venus du fond des âges vient punir tant d’hédonisme, boulottant sans ménagement les bimbos. Nouvelle addition jawsploitation au Piranha de Joe Dante (1978), cette comédie gore aquatique doit autant au parodique Des serpents dans l’avion qu’aux Dents de la mer de Spielberg, fondateur du genre. Alexandre Aja, frenchy exilé à Hollywood, orchestre avec humour le réjouissant carnage de ces jeunes corps naufragés. _C.G.
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© Philippe Lebruman
106 LE BOUDOIR /// CD-THéQUE
Emmanuelle Parrenin
bien ENTENDU
Les Disques Bien, de mieux en mieux
Dernières nouvelles du label de qualité Les Disques Bien, collectif de tropicalistes cartésiens qui font le grand saut de Marseille à São Paulo, avec HORTÊNSIA DU SAMBA, et du folklore à l’avant-garde avec EMMANUELLE PARRENIN. _Par Wilfried Paris
Après la sortie cet automne de Mes Propriétés de On retrouve l’attention bienveillante des musiciens Bien M-Jo, où la chanson française doucement cannibalisait sur le nouvel album d’Emmanuelle Parrenin, figure de la la langueur brésilienne, Les Disques Bien (Flóp, French, scène revivaliste folk des seventies et auteure de Maison etc.) présentent Hortênsia du Samba,soit la rencontre du Rose, qui accueillait en 1977 chansons traditionnelles, Marseillais Stéphane Massy (aka Tante Hortense, chanvoix éthérées et expérimentations électroacoustiques, teur détaché, poète attachant) et du trio Revista do et que les amateurs de Linda Perhacs ou Vashti Bunyan Samba (rénovateurs de São Paulo),confirmant la filiation s’arrachent encore sur eBay. Elle ressort vielle à roue, filée avec le Saravah de Fontaine,Higelin et Barouh dans harpes et épinette des Vosges sur Maison cube, comles années 1970. Comme les films de Jacques posé avec Flóp et enregistré dans une maison Rozier à la même époque,Hortênsia du Samba d’architecte de la forêt de Fontainebleau, qui donne à entendre la concorde que la musique donne son dernier titre à un album baladeur, rend possible entre des individus qu’un océan longue transe et anamnèse magique que l’on sépare : berrichon et carioca,français et portucomparera volontiers au Comme à la radio gais, rythmes et chansons fusionnent ici en un de Brigitte Fontaine. idiome commun que permet, selon Stéphane Maison cube Massy,« l’ignorance, naïve ou volontaire, des Fontaine et Parrenin sont enfin les figures tutéd’Emmanuelle Parrenin usages en vigueur dans le cadre d’une ren- (Les Disques Bien) laires du projet d’Éloïse Decazes, habituée des contre entre individus issus de cultures difsoirées Bienfaisance à La Java, et échappée férentes. Il n’y a pas de respect a priori de ce que de son duo Arlt pour chanter sur les guitares savantes du l’autre apporte, on peut le dénaturer. On peut en Canadien Éric Chenaux (de la galaxie Constellation), prendre ce qu’on comprend, même si on a mal comdes chansons traditionnelles, médiévales ou intempopris ; ce n’est pas une insulte, c’est de l’anthropopharelles qui chavirent le cœur et font battre les tempes. gie culturelle », du nom d’un mouvement important Un label britannique devrait bientôt les graver dans les du Brésil d’entre-deux guerres,porté essentiellement par mémoires.De rive en rive,d’une maison l’autre,des temps Oswald de Andrade. Loin de l’exotisme touristique, c’est anciens au temps nouveau, tout va Bien, donc. le respect de l’individu et de sa culture qu’Hortênsia du Hortênsia du Samba de Hortênsia du Samba (Les Disques Bien) www.eloiisedecazesericchenaux.bandcamp.com Samba énonce. mars
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LES AUTRES SORTIES CŒURS TROP GRANDS BELONG de The Pains of Being Pure at Heart (Fortuna Pop / PIAS) Rejouant les plates-bandes saturées des Pastels, Jesus & Mary Chain et autres My Bloody Valentine, le second tir du groupe new-yorkais voudrait renier son appartenance à une tradition (shoegaze et twee pop) qu’il poursuit pourtant magistralement. La production de Flood (Depeche Mode, U2) et le mix d’Alan Moulder (Smashing Pumpkins) sont moins nostalgiques qu’au service de la modernisation de l’idiome indie-pop dans toute sa pureté (mélodie languide, voix suave, guitares fuzz, basse-Hook, un doigt de synthé). Depuis Phil Spector, un tambourin n’a pas d’âge et la jeunesse qui écoute TPOBPAH sur les blogs s’en fout, car la jeunesse ne connaît pas la nostalgie. Les cœurs purs seront toujours à la peine. _W.P.
CARTE KIWI FOREVER DOLPHIN LOVE de Connan Mockasin (Phantasy / Because)
Révélation discrète des dernières Transmusicales de Rennes, le Néo-Zélandais désormais londonien débarque avec un cinquième album déroutant, déconnecté d’une large partie des sons qui font l’époque. Au folk barbu ou aux turbines électroniques, il préfère une pop nonchalante, psychédélique et nasillarde, qui laisse filer d’entre ses jeunes mains trompette tendre et parcelles de jazz exotique. On s’y perd vite, pour y revenir parce qu’il y a dans ces chansons l’épaisseur des passions à long terme. Reste une impression ramenée de Bretagne en décembre : les chansons de Connan Mockasin sont avant tout sublimées par la scène, ce que vient confirmer le disque live qui accompagne ce bel album. _S.F.
toison d’or Hotel Shampoo de Gruff Rhys (Ovni / PIAS) Depuis 1988, Gruff Rhys sculpte d’ébouriffantes constructions capillaires, sous différentes casquettes : en groupe (Ffa Coffi Pawb, Super Furry Animals, Neon Neon), en guest (Gorillaz, Mogwai, Danger Mouse) ou sous son propre nom. Sur cette troisième coiffe solo, le popsinger gallois adopte une coupe d’apparence plus classique, mais dont les ondulations vocales et mélodiques atteignent des reliefs insoupçonnés. Carré Beach Boys (Sophie Softly), mèche Bacharach (Vitamin K), houppette Costello (Take A Sentence), mulet McCartney (Honey All Over), épis O’Rourke (Shark Ridden Waters), ce shampooing emprunte aux meilleurs salons lounge, pour un volume idéal, ni trop lisse, ni trop frisé. Brillantissime. _A.T.
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© Nathalie De Clercq
108 LE BOUDOIR /// BIBLIOTHÈQUE
Dimitri Verhulst
LES BARAKIS RIENT Verhulst sème la Merditude
Avant le film, il y avait un roman, enfin traduit. Dans La Merditude des choses, l’écrivain flamand DIMITRI VERHULST replonge dans son enfance et raconte une famille de semi-marginaux miséreux et attachants, condamnés à rester englués dans leurs soucis. _Par Bernard Quiriny
« J’avais treize ans et je vivais avec mon père et des plans foireux, clients fidèles des bars du village, mes oncles et leur vieille mère à Reetveerdegem, fans de Roy Orbison (!) et grands amateurs de ces un village oublié par les grands cartographes, un beuveries homériques dont on ne sait jamais si elles trou perdu et moche, patrie de la colombophilie finiront au lit, à l’hôpital ou au commissariat. Bref, les et du crachin. » Reetveerdegem ? Si ce nom de vilVerhulst sont des barakis, mot wallon qui désigne lage flamand fictif vous dit quelque chose, c’est que les péquenots du coin, ceux qui vivent en jogging vous faites partie des 700 000 spectateurs en buvant des Jupiler et reçoivent réguliède La Merditude des choses, quatrième film rement la visite des services sociaux. de Felix Van Groeningen, succès surprise du box-office 2009, primé à Cannes ainsi qu’au Dénué d’intrigue à proprement parler, sinon Festival du film grolandais. L’histoire était en celle de savoir si Dimmetrie va sortir de ce fait adaptée d’un roman de Dimitri Verhulst, joyeux cloaque, La Merditude des choses véritable carton en Belgique et aux Pays-Bas, enchaîne les épisodes dantesques avec où il s’est vendu à 180 000 exemplaires : une un mélange de comique burlesque et suite de saynètes déjantées dans lesquelles, de tendresse dépressive qu’on ne trouve en se remémorant son enfance (le texte est qu’en Belgique, notamment chez Bouli en partie autobiographique), l’écrivain met La Merditude Lanners (Eldorado) ou Benoît Mariage en scène une famille de semi-marginaux fla- des choses de Dimitri (Les Convoyeurs attendent). Entre les visites mands alcooliques, sans-gêne, oisifs et sym- Verhulst (Denoël) d’huissier, les concours de picole, les cures pathiques, incapables de sortir de la « merde désintoxication vouées à l’échec et le ditude des choses » – cette mouise sociale fataliste mépris dans lequel les bourgeois du village tiennent qui empêche les gens au fond du trou de remonter. nos héros, on ne sait jamais s’il faut en rire ou en Voici donc Dimmetrie, héros et narrateur, coincé entre un père facteur et alcoolique, une grand-mère débonnaire et trois oncles improbables nommés Zwaren, Herman et Poutrel, champions de la débrouille et
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pleurer. Dimitri Verhulst compose ainsi une sorte d’ode au splendide « petit peuple d’ ivrognes du Kerkveldweg », plongeant les mains dans la poisse pour en sortir un beau livre. C’est ce qu’on appelle transformer le plomb en or. WWW.MK2.COM
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LES AUTRES SORTIES JUNGLE urbaine
Le Mariage de Kipling de François Rivière (Robert Laffont, roman) « Décidément, je hais cette ville ! » Celui qui peste ainsi contre Londres possède un beau visage poupin, des binocles épaisses et un talent d’écrivain à couper le souffle : c’est le jeune Rudyard Kipling, fraîchement débarqué des Indes et ballotté entre son attirance pour les milieux littéraires – dont il est la coqueluche – et son dégoût des mondanités. À moins qu’une certaine jeune fille le convertisse à l’Angleterre ? Avec son talent habituel, François Rivière raconte l’éducation sentimentale du futur auteur du Livre de la jungle dans le décor somptueux du Londres de la fin du XIXe, avec sa presse, ses personnalités littéraires et ses discrètes fumeries d’opium sur Villiers Street. _B.Q.
AU CŒUR DU MENSONGE Intuitions de Dominique Dyens (Héloïse d’Ormesson, roman)
Bois-Joli, ville résidentielle cossue, ses pavillons bien entretenus, ses familles de cadres qui vont à la messe : c’est là que vivent les Royer, famille typique, fière de sa cuisine équipée, de ses comptes en banque et de la réussite du fiston, parti étudier à New York pour devenir trader. Sauf que ledit fiston envoie un jour un SMS annonçant qu’il va se marier et qu’il revient en France pour leur présenter sa fiancée. Tout commence alors à se détraquer ; la dépression de maman resurgit, la vie adultérine de papa apparaît… Malgré une résolution un peu abracadabrante, on se laisse emporter par la satire chabrolienne de la bourgeoisie et par la sobriété de ce roman qui tire vers le polar. _B.Q.
Le coup de cœur du libraire ALFRED HITCHCOCK, UNE VIE D’OMBRES ET DE LUMIÈRE de Patrick McGilligan (Actes Sud, biographie) Comment Alfred Hitchcock a-t-il, comme le dit Jean-Luc Godard, « pris le contrôle de l’univers » ? Estce parce que, enfant, il assistait pendant des heures aux procès pour meurtre de sa région ? Est-ce parce que son père le fit mettre en prison grâce à la complicité d’un ami de la famille ? Les hypothèses sont nombreuses dans cette enquête biographique de plus de mille pages, mais n’est-ce pas plutôt parce que son cinéma rejoint ce fond ancestral que possèdent aussi les grands contes de fées ? Comme le suggérait Bruno Bettelheim, « le conte est moral, non pas si le héros triomphe, mais plutôt si l’enfant s’identifie au héros, au bon, qu’il triomphe ou non ». _Frédéric Foustoul, libraire au MK2 Bibliothèque
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110 LE BOUDOIR /// BD-THÈQUE
Extrait de Ax : anthologie
la CARTE JEUNES Les revues à la hausse
Et si les anthologies étaient le lieu le plus vivace de la création actuelle en bande dessinée ? Passage en revue de trois publications qui explorent ce qui se fait de plus novateur au Japon, en Roumanie et à Strasbourg. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)
Difficile de se départir de l’idée que la bande desthèmes se construire, des idées se faire écho d’un récit sinée est avant tout un art du saucissonnage, de la à l’autre, questionnant les identités, les corps et les mise en regard des œuvres au sein d’une même publiformes. C’est un étonnant livre sur les possibilités gracation : dans son ADN même,elle est un objet de journal phiques qu’offrent BD et manga, du plus brut au plus – on pense aux heures de gloire de gazettes comme le soigné. C’est aussi le cas d’une nouvelle revue strasJournal de Spirou, mais aussi à Métal hurlant ou – plus bourgeoise, Nyctalope, dont l’énergie, la tension et la proche de nous – aux regrettées et éphévivacité évoquent les décharges ressenties mères revues Capsule cosmique et Ferraille. aux premières lectures de magazines comme Depuis la disparition de ces dernières, vers le Raw d’Art Spiegelman : on y navigue entre le milieu des années 2000, il n’y avait guère histoires aux tonalités très littéraires et dessins plus que Lapin, la revue de L’Association, et gratuits, noir et blanc opaques et couleurs Bile noire, la revue des Suisses Atrabile, pour pop, légèreté et abstraction. On y lit surtout mettre en scène de jeunes auteurs. Et, malun auteur comme Simon Roussin, destiné à gré leur indéniable qualité, leur esthétique de grandes et belles choses. L’avenir de la était devenue ces derniers temps un peu trop BD en France est là, pas ailleurs. Cela dit, familière. Du coup, l’arrivée opportune de trois question avenir, on pourrait aussi bien regarAX : anthologie, anthologies (dont une revue nouvelle) perder vers Bucarest : une des vraies sensations ouvrage collectif met de ressusciter ce sentiment si prégnant (Le Lézard noir) du dernier festival d’Angoulême aura été la dans la BD : on n’est jamais aussi heureux découverte de The Book of George, antholoqu’en lisant des histoires les unes contre les autres. gie de BD roumaines publiées en anglais. L’ensemble est inégal, mais comporte de beaux moments de graLe plus ambitieux des projets est celui du Lézard Noir, phisme pur et quelques jolies constructions visuelles, qui édite une anthologie de la revue japonaise AX, notamment les pages d’Alexandra Gavrila ou Maria étalon de la créativité nippone. Pas besoin de comGuta. Vivement qu’un éditeur français ait la bonne et prendre, regarder suffit ; mais pouvoir désormais lire courageuse idée de les traduire. en français une sélection aussi exaltante d’auteurs www.lezardnoir.org, http://nyctalope.magazine.free.fr, www.thebookofgeorge.com japonais aventureux est une aubaine. On y voit des mars
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LES AUTRES SORTIES PETIT RAT DEVIENDRA GRAND
POLINA de Bastien Vivès (Casterman) Difficile d’échapper au tsunami déclenché par les mouvements de Natalie Portman dans Black Swan : toutes les filles rêvent (ou cauchemardent) plus que jamais d’être ballerine à l’opéra. Polina, le personnage de ce nouveau roman graphique du jeune Bastien Vivès, est comme les autres, mais sans doute un peu plus douée. L’auteur, en dessinant là un moment particulier de sa vie et de ses souffrances de petit rat, semble s’inspirer de l’art de Blutch, mais en plus déconstruit, plus désossé presque, et finit par livrer son meilleur livre depuis le très beau Goût du chlore. _Jo.Gh.
MÉTAMORPHOSES RENÉE de Ludovic Debeurme (Futuropolis)
Vraie fausse suite du beau Lucille sorti en 2006, Renée est un livre aussi volumineux que son prédécesseur : il fait plus de 400 pages, au cours desquelles Ludovic Debeurme dessine mieux que jamais, mais aussi en faisant une vraie économie de moyens. Minimaliste dans ses représentations du monde, ce qui semble l’intéresser d’abord ici, ce sont les corps qui mutent, les visages qui périclitent et racontent, par leurs métamorphoses subtiles, un drame intimiste et psychologique au bord de la folie. À lire, comme tout le reste de l’œuvre, désormais majeure, de cet auteur. _Jo.Gh.
2011 : A SPACE ODYSSEY LE ROYAUME de Ruppert & Mulot (L’Association)
Chute infinie dans l’intensément grand, le nouvel album du duo Ruppert & Mulot conquiert des dimensions galactiques pour faire évoluer ses personnages dans l’absurde. Le grand journal de 41 x 58 cm, sur lequel s’impriment des destins gagnés par une fin abrupte, propose une série de collages expérimentaux et interactifs. On rejoint vite l’apesanteur de ces héros perdus dans l’espace, traversés par de vastes questionnements – lesquels ne trouvent d’écho que dans le rire un brin perturbé du lecteur. Sourde inquiétude dont la minutie rappelle certaines œuvres de Stanley Kubrick ou de Chris Ware, autres explorateurs de territoires graphiques et cosmiques inédits. _L.P.
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112 TRAIT LIBRE
DO ANDROIDS DREAM OF ELECTRONIC SHEEP ? De Philip K. Dick et Tony Parker (Emmanuel Proust Éditions)
Le dessinateur américain Tony Parker entreprend l’adaptation d’un pilier de la science-fiction : Do Androids Dream of Electronic Sheep ? de Philip K. Dick, adapté au cinéma par Ridley Scott sous le nom Blade Runner en 1982. Dans une nouvelle traduction, plus fidèle à l’original, la BD déroule sur trois tomes un univers chromatique aussi policé que policier, où le brigadier Rick Deckard pourchasse de vils androïdes dépourvus d’empathie. Réminiscences du film, les néons éclairent l’abandon d’êtres aux prises avec le mensonge dans ce chef-d’œuvre d’anticipation. Amèrement puissant. _L.P.
mars 2011
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114 SEX-TAPE /// L’INSTANT ÉROTIQUE
Les sans culotte
DR
We Want Sex Equality, ou la lutte sans fut’ du beau sexe : si l’on en croit la jeune femme qui manifeste dénudée, il faut parfois faire tomber le haut pour mettre à bas les oripeaux du capitalisme. Le film de Nigel Cole rend hommage au corps à corps social des ouvrières de l’usine Ford de Dagenham, dans la banlieue de Londres, avec un patronat britannique trop droit dans ses bottes lorsqu’il s’agit d’égalité des sexes. Cette comédie politique couillue s’inscrit à l’intersection des mouvements de classe et de genre : « On exige un salaire reflétant notre boulot, pas le fait d’avoir une bite ou non », proteste Sally Hawkins, culottée, parfaite en meneuse de ladies estimant que si elles ont une belle gueule, c’est pour l’ouvrir. _C.G. et L.T. // We Want Sex Equality de Nigel Cole // Avec Sally Hawkins, Bob Hoskins… // Distribution : ARP // Grande-Bretagne, 2010, 1h53 // Sortie le 9 mars