cinéma culture techno
mai 2011 n°91 by
Nouvelle formule Spécial Cannes 2011 Et aussi… Joann Sfar • L.A. Noire • Danger Mouse • January Jones • Herman Dune • Jessica Chastain
Ewan McGregor www.mk2.com
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SOMMAIRE mai 2011 Éditeur MK2 Multimédia 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Direction artistique & conception graphique Sarah Kahn (www.sarahkahn.fr) Assistée de Tom Bücher
7 ... ÉDITO 10 ... PREVIEW > Restless
13 LES NEWS 13 ... CLOSE-UP > Adèle Haenel 14 ... ŒIL POUR ŒIL > Play a Song for Me vs. I’m Not There 16 ... BE KIND, REWIND > Minuit à Paris 18 ... KLAP ! > Après mai 20 ... VIDÉODROME > Cannes, côté courts 22 ... MOTS CROISÉS > Gianni Di Gregorio 24 ... TÉLÉCOMMANDO > Le Trône de fer 26 ... FAIRE-PART > La Défense Lincoln 28 ... PÔLE EMPLOI > Éric Gautier 30 ... ÉTUDE DE CAS > SebastiAn 32 ... T OUT-TERRAIN > Odd Future, la Grenouille noire, R. Kelly 34 ... AUDI TALENTS AWARDS > Craig Armstrong 36 ... ARTY TECH > H5 habille Cannes 38 ... SEX TAPE > L’Exercice de l’État
40 DOSSIERS
Secrétaire de rédaction Sophian Fanen
40 ... BEGINNERS > Ewan McGregor, Mike Mills 48 ... C ANNES 2011 > Robert De Niro, Jessica Chastain, Le Havre, Michael Shannon, François Chalais… 68 ... B EYOND MAD MEN > L.A. Noire, Herman Dune, January Jones
Iconographe Juliette Reitzer
77 LE STORE
Stagiaires Laura Pertuy Louis Séguin Mélanie Wanga
77 ... NEXT BIG THING > Les bijoux Aime 78 ... EN VITRINE > Danger Mouse et Daniele Luppi 82 ... R USH HOUR > L’Œil de l’idole, le carnet pin-up, Classiques et cinéma 84 ... GUEST LIST > Joann Sfar 86 ... VINTAGE > Femmes en cage 88 ... DVD-THÈQUE > Grindhouse 90 ... CD-THÈQUE > Wiz Khalifa 92 ... BD-THÈQUE > Enki Bilal 94 ... BIBLIOTHÈQUE > Nicole Krauss 96 ... LUDOTHÈQUE > Yoostar 2
Ont collaboré à ce numéro Ève Beauvallet, Renan Cros, Bruno Dubois, Julien Dupuy, Ozal Emier, Sophian Fanen, Sylvain Fesson, Joseph Ghosn, Jacky Goldberg, Donald James, Wilfried Paris, Jérôme Provençal, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Violaine Schütz, Mélanie Uleyn, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente Illustrations Dupuy & Berberian, Partel Oliva, Ruppert & Mulot Dessin de couverture © Mike Mills pour Trois Couleurs Publicité Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Responsable de clientèle hors captifs Amélie Leenhardt 01 44 67 30 04 (amelie.leenhardt@mk2.com)
© 2011 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.
99 LE GUIDE 100 ... S ORTIES EN VILLE > Villette sonique, Kitsuné, Anish Kapoor, Kees Van Dongen, Jonathan Capdevielle, David Wampach, Pierre Jancou 114 ... S ORTIES CINÉ > L’Œil invisible, Le Gamin au vélo, Infiltration, Une séparation, London Boulevard 126 ... LES ÉVÉNEMENTS MK2 128 ... LOVE SEATS 129 ... LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN 130 ... L ES PETITS ACCIDENTS SUR COMMANDE DE RUPPERT & MULOT Rejoignez Trois Couleurs sur : - www.mk2.com/trois-couleurs - twitter.com/trois_couleurs - facebook.com/troiscouleurs
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ÉDITO Genèses
A
u commencement était l’image. Une magnifique photographie de Robert De Niro, de dos, prise par Hedi Slimane à l’automne dernier, devait figurer en couverture de ce numéro. Un choix dont nous étions particulièrement fiers, tant la posture du président du jury cannois symbolisait notre envie, avec cette nouvelle formule, de tourner le dos à notre ancienne maquette pour aller vers plus d’épure et de clarté. Mais, cinq jours avant le bouclage, nous apprenions que l’agent de De Niro bloquait toute utilisation presse des clichés que nous avions choisis. À peine avions‑nous fait le deuil de l’Italo-Américain qu’il fallait trouver une solution de remplacement. Jessica Chastain, l’héroïne de The Tree of Life de Terrence Malick ? Très difficilement joignable. Sean Penn, sur tous les fronts cannois ? Idem. Notre regard se tourne alors vers le bureau adjacent du nôtre. De passage à Paris pour la promotion de son deuxième long métrage, Beginners, le cinéaste, clippeur et graphiste américain Mike Mills y dessine de bon matin, avant de débuter une série d’interviews. D’une voix inquiète, nous lui demandons s’il aurait le temps et l’envie de croquer l’acteur principal de son film, Ewan McGregor. Une heure plus tard, le dessin est prêt. Et rien ne pouvait nous arriver de mieux : superbe variation sur la communication, Beginners raconte l’histoire d’un nouveau départ, celui d’un trentenaire paumé qui profite du deuil de son père pour s’ouvrir au monde. Le film aurait d’ailleurs eu toute sa place à Cannes, dont la plupart des fictions présentées cette année font dialoguer genèse et apocalypse, naissances et deuils. « Celui qui n’est pas occupé à naître est occupé à mourir », chantait Bob Dylan. Au commencement était la parole – celle du nourrisson de papier, chétif mais heureux, que vous tenez entre les mains.
_Auréliano Tonet
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PREVIEW
S’en fout la mort Restless de Gus Van Sant Avec : Henry Hopper, Mia Wasikowska… Distribution : Sony Durée : 1h31 Sortie : 21 septembre
Deux tourtereaux en sursis s’accrochent à la vie dans Restless de Gus Van Sant, dont le pitch évoque un Sérial noceurs gothique et adolescent : squatteurs de cérémonies funèbres, un orphelin déscolarisé (Henry Hopper) et une jeune cancéreuse (Mia Wasikowska) se rencontrent lors d’un enterrement et font ensemble l’apprentissage de la vie en défiant la mort. Si l’on a sans cesse l’impression de progresser en territoire connu, tant le film regorge de signaux indés (emo kids déphasés, Sufjan Stevens dans la B.O.), Van Sant explore avec autant de douceur cet amour de jeunesse condamné qu’il suivait le trajet des lycéens sacrifiés d’Elephant. Étonnement proche des premiers Tim Burton, l’auteur de Paranoid Park signe un teen movie sépulcral, hanté par la beauté frêle de ses deux interprètes. © Sony Pictures
_C.G.
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Close-up
© Nathalie Demontes
NEWS
ADÈLE HAENEL
Moue mi-gouailleuse mi-désespérée, formes longilignes et sensuelles, regard d’effrontée, jeu extrémiste, langueur de femme fatale : autant d’atouts qui ont permis à Adèle Haenel de s’imposer très jeune. À 12 ans, la Parisienne reçoit le prix d’Interprétation Cannes junior pour son rôle d’autiste dans Les Diables (2002). Cinq ans plus tard, elle éclot dans Naissance des pieuvres de Céline Sciamma, en danseuse aquatique délurée, objet du désir de tout un vestiaire. Ce printemps, l’histoire d’Adèle H. serpente encore par Cannes, où elle défend trois films : second rôle dans En ville, premier film attendu de l’écrivain Bertrand Schefer et de la plasticienne Valérie Mréjen, elle explose en prostituée fin de siècle dans L’Apollonide (Bertrand Bonello) et en tragédienne moderne et amoureuse dans Après le Sud (Jean-Jacques Jauffret). Naissance d’une star. _Laura Tuillier www.mk2.com
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NEWS
Œil pour œil
Dylan, es-tu là ? Premier long métrage du Brésilien ESMIR FILHO, Play a Song for Me plonge dans la psyché d’un ado présent-absent, rêvant d’un ailleurs symbolisé par la figure tutélaire de Bob Dylan. Un fantôme qui planait déjà sur la fugue pluridisciplinaire de TODD HAYNES, I’m Not There. Regards croisés.
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loggeur de 16 ans, émule de Bob Dylan et de sa poésie électrique, « Mr Tambourine Man » épie sur internet une jeune fille éthérée depuis sa bourgade embrumée du sud du Brésil. Convoquant un faisceau d’influences courant de Gus Van Sant (Paranoïd Park) à James Gray (The Yards), le film d’apprentissage d’Esmir Filho suit des jeunes encapuchonnés zonant aux limites de la ville, près d’un pont métallique où s’abîment les suicidés. À 27 ans, le cinéaste de São Paulo, auteur de courts déjà remarqués, porte en lui toute la promesse du jeune cinéma brésilien. Dans une scène fugace où l’adolescent s’imagine à un concert du prophète folk-rock, 14
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celui-ci apparaît nimbé de lumière, harmonica au bec. À ces projections mentales fait écho le Dylan fantasmé par Todd Haynes dans son I’m Not There. « Combien sont, aujourd’hui, les gens qui comme vous écrivent des chansons pour protester ? », demandait un journaliste dans le biopic à facettes du cinéaste américain. « À peu près 136 », répondait le Dylan interprété par Cate Blanchett. Éloges du camouflage. ◆ Play a Song for Me d’Esmir Filho Avec : Henrique Larré, Ismael Caneppele… Distribution : Solaris Durée : 1h41 Sortie : 25 mai
© Solaris Distribution
_Par C.G. et A.T.
© Diaphana
I’m Not There de Todd Haynes (2007) // DVD disponible chez Diaphana
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NEWS
Be kind, rewind
THEY LOVE PARIS
© Mars Distribution
Après quatre escales londoniennes, un arrêt en Espagne, et avant de tourner cet été à Rome, WOODY ALLEN pose ses valises au bord de la Seine dans son dernier film, Minuit à Paris. Un haut lieu du romantisme que d’autres cinéastes, de Minnelli à Wilder, ont fantasmé bien avant lui… _Par Éric Vernay
Minuit à Paris de Woody Allen Avec : Owen Wilson, Marion Cotillard… Distribution : Mars Sortie : 11 mai
UN AMÉRICAIN À PARIS
ARIANE
Un Américain à Paris contient l’un des plus beaux ballets filmés à Hollywood : dix-sept minutes de folie onirique, où Gene Kelly virevolte dans un Paris factice, sous influence Maurice Utrillo et Toulouse Lautrec. Conscient de son regard de touriste Yankee, Woody Allen s’inspire lui aussi sans honte des clichés de la grande peinture, mais – à en croire l’affiche bleutée de Minuit à Paris – il semble préférer La Nuit étoilée de Van Gogh aux froufrous de Montmartre. Campé par Owen Wilson, son héros américain sillonne des quais de Seine déjà filmés par Woody le NewYorkais dans Tout le monde dit I Love You en 1996.
« Yes, in Paris, everybody does it ! », roucoule Maurice Chevalier avec son accent so frenchy dans ce quasiremake de Sabrina, autre comédie romantique de Billy Wilder avec Audrey Hepburn sortie trois ans plus tôt. Elle y séduit successivement Humphrey Bogart et Gary Cooper avec la même méthode : s’inventer des amants pour les rendre jaloux. Woody Allen, qui semble affectionner les quartiers chics de Paris, pourrait lui aussi investir le Ritz avec des valses au Champagne. Mais, plus que l’image d’Épinal de la capitale des amoureux, c’est l’élégance et la Lubitsch touch de cette romance sucrée qui devraient l’inspirer.
de Vicente Minnelli (1951)
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de Billy Wilder (1957)
2 DAYS IN PARIS
de Julie Delpy (2007)
« On n’est pas à Paris, on est en enfer ! », finit par exploser le pourtant impassible Adam Godlberg, hilarant boyfriend souffre-douleur de l’actrice-réalisatrice Julie Delpy dans le deuxième film de celle-ci. On voit mal comment cette comédie indie pourrait inf luencer Woody, tant elle est elle-même allenienne : bavarde, psychanalytique, portée sur le sexe… et drôle. Mais 2 Days in Paris offre en sus une version bilingue et « amourhaine » des rapports franco-américains, qui pourrait plaire à Allen. Pourquoi ne pas inviter ces grenouilles racistes, ces soixante-huitards lubriques et ces indécrottables libertins dans sa carte postale ?
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Klap !
© Jeannick Gravelines
NEWS
EN TOURNAGE
PREMIERS MAI Après mai d’Olivier Assayas Distribution : MK2 Diffusion Sortie : courant 2012
Casting lancé pour Après mai, le nouveau film d’OLIVIER ASSAYAS, qui se replonge à travers des yeux juvéniles dans le tumulte politique des années 1970 déjà esquissé dans Carlos. _Par Clémentine Gallot
«
C’était le rôle de ma vie… » Une ga mine pleurniche, accroupie sur le pavé, après un essai infructueux. La directrice de casting, qui a recruté par Facebook, a reçu 1300 candidatures d’aspirants comédiens. D e pu i s le s bu re au x d e Tro i s Couleurs, au rez-de-chaussée du bâtiment, nous voyons défiler une armée de jeunes gens chevelus et neurasthéniques, crinières hirsutes ou mèche disciplinée, qui approchent tremblants pour nous taxer des clopes. Nos stagiaires, trop âgés pour les rôles, mais qui ne manquent pas de panache, se sont même vus refuser l’entrée du casting… Gilles et Christine, les personnages d ’Après mai, le nouveau f ilm sur lequel travaille Olivier Assayas, reprennent les noms
_Par L.P.
Indiscrets de tournage 1 Paul Thomas Anderson Le réalisateur de There Will Be Blood s’attaque à l’adaptation de Vice caché, le dernier roman de Thomas Pynchon. Robert Downey Jr. pourrait camper Doc Sportello, détective privé et drug addict, entrainé malgré lui dans une sombre histoire de disparition.
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des héros de L’Eau froide, téléfilm semi-autobiographique qu’il avait réalisé en 1994 mais qui n’en constitue pas véritablement un prequel. Le scénario, tissé à partir d’idées développées dans l’essai Une adolescence dans l’après-mai, un dialogue avec l’écrivain Alice Debord, devrait étayer une réflexion sur le flottement collectif post-1968, plus proche du nihilisme punk et de l’avant-garde picturale que de la croyance néo-hippie. L’auteur de L’Heure d’été entend capter la contigüité de l’intériorité adolescente et de l’imaginaire militant de la fin des années 1960, qui s’effiloche alors. Inspirée par les fictions décousues et frontales de Peter Wat k ins, Rober t A ltman ou Bo Widerberg, la structure du film tendrait d’un même geste à « retrouver la liberté du cinéma des années 1970 ». ◆
2 Brett Ratner Dans Tower Heist, il met en scène un homme débordé qui perd sa pension suite aux méfaits d’un businessman véreux. Aidé de ses collègues, il entreprend de le cambrioler. Ben Stiller et Eddie Murphy tiennent les rôles principaux de cette comédie très attendue.
3 Quentin Dupieux Avant de s’aventurer dans Reality, projet de longue date, l’auteur de Rubber tourne Wrong, l’histoire délirante d’un chien qui disparaît. Produit par Arte et situé à Los Angeles, le film réunit Éric (sans Ramzy) et William Fichtner (Les Rois du patin).
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Vidéodrome Courts, toujours
© DR
_Par L.T.
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Blue de Stephan Kang, présenté à la Semaine de la critique
COURT MÉTRAGE
Under the Sun de Mathieu Amalric Pour leur premier album, les Français de Fortune, adeptes d’une electro pop easy going, savent s’entourer. C’est Mathieu Amalric qui réalise le clip de leur morceau d’ouverture : montage nerveux et collages surréalistes, non loin du Gondry de La Tour de Pise, pour signifier une quête d’inspiration effrontément nocturne.
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PETIT MAIS COSTAUD
Cannes, son tapis rouge, ses belles robes et… ses courts métrages. De la compétition officielle aux sections parallèles, le festival s’est imposé comme un révélateur de talents fureteur et audacieux, où le petit format a toute sa place. _Par Donald James
Cette année, outre la production française Cross de Maryna Vroda, on attend impatiemment le Japonais Paternal Womb, le Belge Badpakje 46 et l’Argentin Soy Tan Feliz. Un jury présidé par Michel Gondry, entouré de Julie Gayet, Jessica Hausner, Corneliu Porumboiu et João Pedro Rodrigues, décernera la pa lme du court et primera les films de la 20
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Cinéfondation, section plus faste et inégale, composée d’une trentaine de films d’école. Côté courts, les sélections parallèles ne sont pas en reste : l’ACID, qui a révélé Olivier Babinet avec son ovni C’est plutôt genre Johnny Walker, la Semaine de la critique, où l’on a pu découvrir en primeur le multi-primé Logorama, ou la Quinzaine des réalisateurs, avec son Petit Tailleur de Louis Garrel en 2010. ◆
It Was on Earth that I Knew Joy de Para One Jean-Baptiste de Laubier, aka Para One, fait ici ses débuts de vidéaste, en parallèle d’une carrière probante dans la musique électronique (B.O. des films de Céline Sciamma). Sur fond de fin du monde, une recherche du temps perdu élégiaque inspirée par Kubrick (2001…) et Chris Marker (La Jetée).
Demain ça sera bien de Pauline Gay, à la Quinzaine des réalisateurs
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oi n de s projec teu rs , le s acteurs du court métrage se retrouvent à l’ombre du palais des Festivals, au Short Film Corner, centre underground et grouillant : affichage sauvage, café offert et postes de visionnage high-tech. Le genre a également sa place en compétition, avec un programme d’une dizaine de films internationaux. Cette section peut se targuer d’avoir montré les premiers films de Jane Campion, Xavier Giannoli, Nuri Bilge Ceylan ou Rúnar Rúnarsson, qui revient ce printemps à la Quinzaine des réalisateurs avec son premier long métrage.
Fight for your Rights Revisited des Beastie Boys Troubles identitaires en mode potache par le plus fringant des trios hip-hop new-yorkais : un quart de siècle après le tube originel, on prend (presque) les mêmes et on recommence. Casting dément (Seth Rogen, Jack Black, Elijah Wood, John C. Reilly, Kirsten Dunst, Chloë Sevigny, Mike Mills…) et effets à la pelle pour ce superclip de 32 minutes dopé au frat pack.
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Mots croisés
Gianni et les femmes, deuxième film du coscénariste de Gomorra, est une plongée senior et amusée au cœur d’une des plus grandes spécialités transalpines : la polygamie. GIANNI DI GREGORIO, réalisateur et acteur principal, y campe un sexagénaire qui déplore le déclin de son pouvoir de séduction et reprend la main par l’autodérision. Il commente pour nous une poignée de sentences commises par des experts de l’amour à l’italienne. _Propos recueillis par Louis Séguin Illustration : Partel Oliva
ENTRE GUILLEMETS
L’ITALIEN Gianni et les femmes de Gianni Di Gregorio Avec : Gianni Di Gregorio, Valeria De Franciscis… Distribution : Pyramide Durée : 1h30 Sortie : 1 er juin
« Les femmes ne me répondent plus, ne me regardent plus, je suis devenu transparent. » (Gianni et les femmes de Gianni Di Gregorio, 2011)
J’ai fait ce film précisément parce que j’avais peur de cela. Je m’en suis surtout aperçu dans le bus ; je regardais toujours les femmes, je scrutais pour voir si elles me regardaient avant de descendre. Il y avait toujours une petite histoire qui se déroulait ; maintenant il n’y a même plus ça… Alors j’ai pensé à faire ce film ; pour essayer de lutter. Mais je ne crois pas que ça ait fonctionné ! [Rires.]
« Tu es tout, sylvia. […] Tu es la mère, la sœur, l’amante, l’amie, l’ange, le diable, la terre, la maison ! Voilà ce que tu es : la maison ! » (La Dolce Vita de Federico Fellini, 1960)
Dans le monde méditerranéen, c’est comme ça ! La femme est aussi une mère. Pour l’homme 22
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« On doit toujours vouloir tomber amoureux, même à 90 ans. » méditerranéen, il est difficile de se libérer de la figure de la mère. Parce qu’elle veut toujours voir ce que fait son fils, les femmes qu’il fréquente… Moi, je voudrais que la femme soit la femme, que la maman soit la maman, que la fille soit la fille. Mais il y a une confusion étrange en Italie, en Méditerranée ; ce qui rejoint la citation de Fellini.
« Ce matin, à l’hôtel, je voulais coucher avec une femme de chambre ; mais la fille m’a répondu : “Président, même si on l’a déjà fait il y a une heure ?” Vous voyez les moqueries que provoque l’âge ! » (Silvio Berlusconi, 2010)
La réplique
« Entre un homme et une femme, la cuisine est le cœur de l’histoire. » Mamma mia ! Je crois qu’on doit toujours vouloir tomber amoureux, même à 90 ans. Mais il faut tenir compte de la réalité, de son âge ! Ici, il n’y a plus aucun rapport avec la réalité. Malheureusement, l’image que l’Italie donne à l’extérieur est terrible. Gianni et les femmes se voulait aussi un peu moqueur vis‑à‑vis de ces vieux hommes qui regardent les jeunes filles. À vrai dire, en le faisant, je ne pensais pas à Berlusconi, mais maintenant je suis content, parce que l’on voit qu’en Italie il y a une autre manière d’aimer les femmes, qui est bien plus normale. Parce que j’aimerais que tout le monde soit comme moi, et pas comme lui !
« Je ne crois pas dans la majorité des gens. Je sais que je ne serai toujours d’accord et à mon aise qu’avec une minorité. » (Journal intime de Nanni Moretti, 1994)
J’aime beaucoup Nanni Moretti, parce qu’il y a toujours un regard moral dans ses films. C’est l’un des rares qui reste cohérent avec lui-même. En ce qui me concerne, je suis plus ouvert. J’espère être en bons termes avec la majorité ; au fond, j’espère amuser le plus de gens possible. C’est dans ma nature d’écrire des choses qui font rire. Lorsque je travaillais sur Gomorra, j’écrivais des choses drôles, tout le monde riait, mais après mes coscénaristes me disaient : « Enlève, enlève ! » Chez moi, l’humour vient naturellement dans les situations dramatiques : c’est une parade à la douleur.
« Oui, mon fils, il fait très bien la cuisine ! Je le sais, c’est moi qui lui ai appris. Et ce qui a été bien appris finit toujours par servir… Mais il n’est pas marié ; il a eu quelques petites histoires, des amourettes. » (Le Déjeuner du 15 août de Gianni Di Gregorio, 2008)
Faire la cuisine, c’est un moment de convivialité, en famille, entre amis ; mais c’est aussi un moyen de séduction. J’ai eu le bonheur de cuisiner pour beaucoup de femmes. Elles ne pensaient pas que j’étais si bon cuisinier. C’est très important dans les rapports entre les hommes et les femmes, il y en a toujours un qui cuisine mieux que l’autre : c’est un peu le cœur de l’histoire, comme c’est le cœur de la maison. D’ailleurs, je travaille beaucoup dans ma cuisine, à Rome. C’est mon territoire. ◆
« Vous voulez que je cherche une fable qu’avec des animaux casher ? » Le Chat du rabbin de Joann Sfar (sortie le 1er juin)
Status quotes
Sélection des meilleurs statuts du mois
ShaakeYourKitty : Faut pas mettre la charia avant l’hébreu. Nassim : Oussama l’air bon, ce coup-ci. Fred : Jean-François Copé décalé. Christophe : Les filles, maintenant, vous allez bientôt pouvoir vous offrir un it-Gbagbo en peau de crocodile. Ludo : Balladur mp3. Johanna : Tout Pâques. Martine : Et pendant que tout le monde pousse la chansonnette, l’abbé rôde… Stephen : Ah, Lumet s’est éteint. Christophe : Bon, maintenant, qui se charge de Ben l’oncle soul ? Alexandre : Punk Brunch Love. Joséphine : Quand Messi met un nouveau statut Facebook, il a 2877 likes en 47 secondes. Je tente de relever le défi. Matteu : Mieux vaut Béla Tarr que Jamel.
La phrase
« Nous nous droguions beaucoup et nous vivions très naturellement, avec toutes sortes de dealers et d’artistes de passage, et tout le monde couchait avec tout le monde. C’était un adieu au gamin baptiste que j’avais été. » Wes Craven (entretien dans Les Cahiers du cinéma d’avril)
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NEWS
Télécomando le caméo
© BBC
Johnny Depp dans Life’s Too Short Ricky Gervais sait y faire pour attirer dans ses filets les vedettes hollywoodiennes. Après Robert De Niro dans Extras, il s’est assuré la présence de Johnny Depp dans un épisode de sa future série Life’s Too Short. Cette nouvelle coproduction BBC-HBO, écrite avec son complice Stephen Merchant, suivra les déboires de l’acteur nain Warwick Davis (Willow). Depp devrait y jouer son propre rôle, prouvant ainsi qu’il ne tient pas rigueur à Gervais de ses piques envers The Tourist lors de la dernière cérémonie des Golden Globes. _G.R.
SÉRIE TV
NOBLESSE D’ÉPÉE
Avec Le Trône de fer, présenté comme un « Soprano en Terre du Milieu », HBO se met à la fantasy, genre télévisuel de piètre réputation. Mais la chaîne américaine le fait à sa manière, en adaptant une série de romans rugueux signés George R.R. Martin. Très loin de Donjons et Dragons. Encore que… _Par Guillaume Regourd Le Trône de fer (Game of Thrones) Production : HBO Chaîne : Orange ciné choc Diffusion : à partir du 5 juin, à 20h40
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n pleine préparation de leu r première i ncu rsion dans l’heroic fantasy, on a senti les gens de chez HBO un peu embêtés. En service commandé, David Benioff, scénariste entre autres de La 25e Heure pour Spike Lee, n’a eu de cesse de présenter dans la presse son Trône de fer comme un « Soprano en Terre du Milieu ». Comment, en effet, concilier les aspirations chics et adultes de la maison mère de Deadwood avec un genre aussi méprisé à la télévision ? La réponse est limpide : en faisant confiance au matériau de base, à savoir les romans de George R.R. Martin, ici très fidèlement adaptés. Certes, il y est question en filigrane de dragons, mais Martin chronique un univers médiéval qui ressemble surtout à une relecture de l’histoire de l’Ancien continent par un
Américain biberonné au Richard III de Shakespeare. Les intrigues familiales entre factions se disputant le trône font donc le sel de ce Dallas en cotte de mailles, bien plus que l’usage de la magie. Et la patte HBO, alors ? Outre une production somptueuse et un casting solide (Peter Dinklage en
Zapping
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Neil Gaiman HBO a annoncé qu’elle adapterait en série American Gods, roman casse-gueule de l’écrivain britannique réputé, proche d’Alan Moore. Parue en 2001, cette histoire narre le combat des grandes figures de la mythologie et du folklore pour ne pas se faire oublier dans l’Amérique d’aujourd’hui.
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Playboy Malins, les producteurs de la future série de NBC sur le premier bar à hôtesses ouvert à Chicago dans les années 1960 par la firme au lapin. Ils ont annoncé qu’ils tourneraient des scènes hot (avec notamment Amber Heard) pour le DVD…
© Getty Images
© Getty Images
_ Par G.R.
Oliver Stone Près de vingt après la flippée Wild Palms, l’auteur de Tueurs nés prépare une nouvelle série paranoïaque. Il devrait réaliser lui-même – pour FX – le pilote de cette histoire d’individus spécialisés dans la diffusion de fausses rumeurs pour le compte de clients influents.
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Machiavel débauché, vraie star dormante du show), la série se distingue aussi par sa sexualisation explicite d’un genre qui préfère souvent filer sagement les métaphores. Comme dans True Blood, HBO confirme qu’elle préfère l’imaginaire quand il est incarné. Et pas trop habillé. ◆
Faire-part
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NEWS
RENAISSANCE
REPRIS DE JUSTESSE Le come-back du mois célèbre MATTHEW MCCONAUGHEY et RYAN PHILLIPPE, beaux gosses aux carrières embourbées, qui rebondissent ce printemps dans le polar La Défense Lincoln. Mâle bodybuildé versus beauté trouble, ces deux incarnations de la masculinité américaine des nineties y jouent les bad guys. _Par Clémentine Gallot
C
arrure texane et mâchoire carnassière, Matthew McConaughey a débuté par une apparition tordue dans le slacker Dazed and Confuzed de Richard Linklater (1993). Abonnée par la suite aux romcoms, la carrière de « l’acteur qui aime tomber la chemise » a pris un tour glissant. Jusqu’à La Défense Lincoln où,
quinze ans après Le Droit de tuer, il retrouve les prétoires en même temps qu’un peu de crédibilité. « Le tribunal est une scène, lâchet-il avec un accent traînant. Pour être un plaideur convainquant, il faut être bon acteur. » Ce thriller judiciaire, réalisé par le jeune Brad Furman (The Take) en hommage aux séries B seventies, lui offre un rôle de composition hargneux et roublard. Il retrouvera bientôt Richard Linklater (Bernie), avant de rejoindre le casting anxiogène de Killer Joe
Le carnet
Naissance Jean-Pierre Vortex et ses Aventures intersidérantes viennent d’atterrir sur la planète BD. Format original (des petites pochettes pop-up qui racontent chacune une courte histoire drôle, lisible à l’infini) pour le nouveauné de la jeune et dynamique maison d’édition strasbourgeoise 2024.
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de William Friedkin. En attendant, McConaughey croise dans La Défense Lincoln un autre jeune premier à la carrière branlante, Ryan Phillippe, qui a cultivé sa blondeur de teenager (Souviens toi l’été dernier) avant un passage chez Altman et Eastwood… puis une série de mauvais choix. « Je ne suis pas un entertainer », avoue-t-il aujourd’hui. Le film de Brad Furman lui offre, en guise de purgatoire, une partition de nanti accusé du meurtre d’une prostituée. De la lose à la win. ◆
_ Par L.T.
Remariage Groupe clé des années 1980, auteur de l’album culte Crazy Rhythms, The Feelies n’avait plus enregistré depuis vingt ans (Time for a Witness). Leur pop nerveuse et rythmique est de retour : le cinquième album des Américains, Here Before, marque des retrouvailles enthousiastes autour de guitares inspirées.
Décès Adieu à trois stars du cinéma. Elizabeth Taylor, icône ravageuse (Une chatte sur un toit brûlant…), est décédée le 23 mars à l’âge de 79 ans. Le 9 avril, le réalisateur Sidney Lumet (Douze hommes en colère…), âgé de 86 ans, s’éteignait à son tour. Enfin, MarieFrance Pisier, actrice fétiche de la Nouvelle vague, est morte le 24 avril à 66 ans.
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La Défense Lincoln de Brad Furman Avec : Matthew McConaughey, Ryan Phillippe… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h58 Sortie : 25 mai
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Pôle emploi
LE PROFESSIONNEL
Hommeorchestre Collaborateur régulier d’Olivier Assayas, Arnaud Desplechin ou Alain Resnais, ÉRIC GAUTIER a également éclairé des films de Sean Penn ou Ang Lee et vient de mettre en boîte Sur la route, le très attendu nouveau long métrage de Walter Salles. Rencontre avec un chef opérateur pour qui la lumière est, d’abord et avant tout, affaire de musique.
Éric Gautier et Walter Salles sur le tournage de Sur la route
Sur la route de Walter Salles Avec : Sam Riley, Kristen Stewart… Distribution : MK2 Sortie : fin 2011
C
omment votre carrière a-t-elle débuté ?
Je viens d’un milieu ouvrier parisien qui n’a rien à voir avec le cinéma. Très tôt, la musique est devenue une échappatoire pour moi. J’ai joué beaucoup de jazz, ça marchait bien ; mais le monde des musiciens m’ennuyait. Je me suis dit qu’en faisant du cinéma, j’apprendrais beaucoup plus de la vie. Après le bac, j’ai fait un an de fac à Censier et j’ai passé le concours de l’école Louis-Lumière l’année suivante. J’en suis sorti à 21 ans, et j’ai été stagiaire sur La Vie est un roman d’Alain Resnais. J’ai ensuite fait beaucoup de courts métrages, de clips, de f ilms institutionnels. Parallèlement, je me suis lié aux réalisateurs de mon âge formés à l’Idhec [ndlr, aujourd’hui la Femis], dont Arnaud Desplechin. Huit ans plus tard, il m’a appelé pour travailler sur son premier long métrage, et ma carrière a vraiment démarré. 28
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« Travailler la lumière, c’est tenter de s’emparer du temps. » Êtes-vous influencé par le travail d’autres chefs opérateurs ?
Mon héros, c’est Sven Nykvist, le directeur de la photographie d’Ingmar Bergman. Il y a deux grands courants : l’école naturaliste, avec Néstor Almendros par exemple [ndlr : collaborateur de Rohmer, Truffaut ou Malick], et l’école formelle, avec des stylistes comme Gordon Willis [ndlr : chef opérateur du Parrain ou de Annie Hall]. Nykvist fait le lien entre les deux. À mon échelle, j’ai toujours essayé d’épouser les contradictions, de composer des images douces et dures en même temps, par exemple. Après Carnets de voyage, vous retrouvez Walter Salles pour Sur la route. En quoi ces deux road-trips se répondent-ils ?
© Phil Bray
_Propos recueillis par Juliette Reitzer et Auréliano Tonet
CV 1982 Diplômé de l’école LouisLumière. Il est stagiaire sur La Vie est un roman d’Alain Resnais, qu’il retrouvera sur Cœurs, Les Herbes folles et Vous n’avez encore rien vu, dont le tournage vient de s’achever. 1991 La Vie des morts d’Arnaud Desplechin. Début d’une collaboration au long cours (cinq longs métrages à ce jour). 1996 Irma Vep d’Olivier Assayas. Suivront HHH, Les Destinées sentimentales, Clean, L’Heure d’été et bientôt Après mai. 1999 César de la meilleure photo pour Ceux qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau. 2004 Carnets de voyage de Walter Salles, première collaboration internationale. Suivent Into the Wild de Sean Penn, Woodstock d’Ang Lee et Sur la route de Walter Salles, actuellement en post-production.
La « macarona » de Thor Comédie virile adaptée du comics made in Marvel par le Britannique Kenneth Branagh, Thor conte le dépaysement cosmique d’un viking bodybuildé et velu. Les heureux élus des projections presse du mois d’avril se sont vus remettre un décalé plateau-repas de chez Fauchon, surmonté d’un macaron à la framboise croquignolet. Victuailles en main, lunettes 3D de l’autre, on mâchouille sa friandise entre deux coups de marteau. Gloups.
« Je voulais quelque chose d’imparfait, car ce qui est beau chez Kerouac, ce sont les maladresses. » Pour Carnets de voyage, nous avions suivi à la lettre l’itinéraire emprunté par Guevara en Amérique Latine. C’était un voyage en forme d’ouverture au monde. Sur la route, au contraire, est un voyage intérieur : la destination n’a pas d’importance, ce qui compte, c’est le mouvement, l’expérience sensorielle des drogues, du sexe, de la fatigue. Un des partis pris était de capter les sensations : le froid, le chaud, la peur. Cela impliquait de filmer les acteurs sans maquillage, en cadrant très proche des visages, avec des focales longues. Tourner en pellicule était une évidence, parce que l’histoire se passe au début des années 1950. Il fallait de la texture, du grain. Pour transposer la spontanéité du roman, on a beaucoup tourné caméra à l’épaule, en laissant une grande liberté de déplacement aux acteurs. Je voulais garder quelque chose d’amateur, d’imparfaitement
contrôlé techniquement, car ce qui est beau chez Kerouac, ce sont les maladresses de la langue, les ruptures de rythme. Utilisez-vous la peinture et la photographie comme base de votre travail ?
Le cinéma n’a rien à voir avec la peinture et la photo, qui sont des images fixes. Le cinéma, c’est du mouvement, de la durée : travailler la lumière, c’est tenter de s’emparer du temps. Il faut établir une complicité totale avec le réalisateur, car il est très difficile de parler de lumière. Mon travail se rapproche de celui d’un orchestrateur : George Martin auprès des Beatles, ou le pianiste Bill Evans sur Kind of Blue de Miles Davis – des artistes qui arrangent et harmonisent, avec discrétion, les œuvres sur lesquelles ils interviennent. ◆
Thor de Kenneth Branagh // Sortie le 27 avril
La technique
Zooms infinis Pour créer les zooms fractals censés retranscrire l’omniscience du héros de Limitless, les équipes de Comen VFX ont eu recours à un mélange de trucages optiques et numériques. Les rues de New York étaient filmé statiquement avec trois caméras HD à focales différentes. Le numérique a permis ensuite de réunir ces trois prises pour offrir une image dont le centre avait une plus haute résolution que les contours, et dans laquelle les infographistes pouvaient zoomer numériquement avant d’incruster au centre de l’image un nouveau plan composite. _J.D.
Limitless de Neil Burger // Sortie le 8 juin
www.mk2.com
© 2011 Gaumont
© Phil Bray
_C.G.
TM & © 2010 Marvel © 2010 MVLFFLLC. All Rights Reserved.
Brêve de projo
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Études de cas
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C’est le classement de Justin Bieber dans la liste des cent personnalités les plus influentes de 2011 établie par le Time magazine. C’est mieux que Hillary Clinton (43e).
films ont été visionnés par le comité de sélection du Festival de Cannes, dont 49 longs, venus de 33 pays. L’an dernier, le comité avait vu 1665 films.
mètres de largeur, c’est la taille record de l’écran ayant accueilli la projection de Rio au Grand Palais, organisée par LG et MK2 le 21 avril dernier.
SEBASTIAN RÉINVENTE-T-IL LA FRENCH TOUCH ? OUI Le créateur du « son Ed Banger », son « âme tordue », son « côté obscur ». C’est ainsi que Pedro Winter présente son poulain maudit à la sortie de son premier album. Et c’est vrai. Se(r)bastiAn Akchoté a toujours été en marge de l’héritage French touch de son label. À côté, tant en termes de musique que de productivité. En six ans, il n’a publié que deux maxis, une compile de remixes et deux bandes originales (Steak de Quentin Dupieux et Notre jour viendra de Romain Gavras). Concassage hardcore de Prince, Costes, Cronenberg et Penderecki, Total réfute l’hédonisme electro pop d’Air, Daft Punk, Mojo ou Stardust, et de ses contemporains de Justice. Noir, tranchant et foutraque, il solde leurs univers, et le sien. SebastiAn s’y incarne et se saborde dans le même temps, tel Gainsbarre. La marque d’un affranchi, déjà higher.
Total de SebastiAn Label : Ed Banger / Because Music Sortie : 30 mai
NON Annoncé depuis 2009, le premier album de SebastiAn à ne pas être une bande originale arrive trop tard. À l’image du premier long format d’Uffie paru sur le même label, et qui traînait des morceaux vieux de plusieurs années, Total mouline largement en terres rabâchées. Le son, tout en pêches compressées, signature première de l’écurie Ed Banger, soulèvera probablement encore les dancefloors mais épuise par son systématisme. On se demande vite pourquoi SebastiAn, musicien et producteur habile, se contente du service minimum au moment de publier ce qui devrait être la revendication de son courage musical. Au lieu de tenter l’aventure, Total ronronne sans convaincre. Alors que Justice patine également avec le premier single de son futur album, Ed Banger semble s’endormir sur sa réputation. _Sophian Fanen
© Jean-Baptiste Mondino
_Sylvain Fesson
Connu – et reconnu – jusqu’ici pour ses remixes puissants et ses bandes originales percutantes, SEBASTIAN sort enfin son premier album, Total. Un dépassement définitif du son French touch, ou le symbole d’une famille qui peine à se renouveler ?
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NEWS
Tout terrain
COVER BOY +
=
Croisement entre les glapissements licencieux de Prince et la variété primesautière de Danièle Gilbert, le deuxième album de Julien Doré, Bichon, affiche un pedigree qui ne manque pas de chien (andalou).
UNDERGROUND
JEUNES LOUPS TIMELINE
© Jared Sherbert
Hier En colère contre les blogs de rap qui refusent de diffuser leur hip-hop déviant, Tyler, the Creator et son crew décident de balancer leurs albums gratuitement sur leur Tumblr, actif depuis 2009. Omniprésents sur Twitter, les Odd Future finissent par buzzer.
Inconnus il y a deux ans, chantres du do it yourself online, les MC skaters du collectif ODD FUTURE WOLF GANG KILL THEM ALL débarquent par effraction dans le rap game U.S. La tuerie ne fait que commencer. _Par Éric Vernay Goblin de Tyler, the Creator Label : Odd Future Records / XL Sortie : 10 mai
Un nom à coucher dehors, un son à tomber par terre : les onze kids californiens de Odd Future Wolf Gang Kill Them All – abrégé en Odd Future, ou OFWGKTA pour les intimes – sont en train de dessiner le futur malade et ultraconnecté du rap américain, un cutter rouillé dans une main, un skate
calé
Rome : c’est le nom d’un album-hommage aux B.O. de westerns spaghetti. Le bon concept de la réinvention sans pastiche. La brute exigence de l’enregistrement analogique. Et le truand, c’est le producteur Danger Mouse (lire page 78).
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dans l’autre, et un iPhone dans la poche. Avec leur dégaine de punks un peu nerd, Tyler, the Creator, grande perche de 19 ans à la voix sépulcrale, et ses sbires venus de Los Angeles cultivent depuis quelque temps déjà un style à part. Leurs textes, qui comprennent une occurrence de « fuck » à faire pâlir Tony Montana, sont volontiers orduriers ou violents, mais empreints d’un humour permanent, souvent potache, à l’image de leurs décapants clips faits maison. Inclassables, les magiciens d’Odd refusent l’étiquette « horrorcore », se disent influencés par des groupes indie rock comme Liars, admirent Pharrell Williams et Justin Bieber en même temps. « J’ai créé Odd Future parce je nous trouve plus talentueux que les vieux MC de 40 ans qui rappent sur Gucci », résume Tyler sur un morceau au titre étendard : Bastard. ◆
Aujourd’hui Sans album officiel, le groupe s’invite sur le populaire show TV de Jimmy Fallon, fait la couverture de magazines et est approché par des maisons de disque : Tyler, the Creator et le duo MellowHype ont déjà rejoint les labels XL et Fat Possum.
Demain Désormais hype au possible, le crew se rapproche de ses idoles : Pharrell Williams est entré en studio avec Tyler, the Creator, et Beyoncé collabore sur son nouvel album avec le crooner R’n’B Frank Ocean. Un show TV leur sera aussi consacré sur la chaîne Adult Swim.
Radical de OFWGKTA (autoproduit) Earl de Earl Sweatshirt (autoproduit)
décalé
Sound of Rum sort un premier single qui s’appelle Slow Slow, mais tout pourrait aller fissa pour le trio anglais et sa rappeuse Kate Tempest, qui s’époumone aussi vite qu’elle s’inspire du phrasé mâché de Mike Skinner ou de la mélancolie des regrettés Day One.
recalé
« Redrum » : l’inscription en lettres de sang de Shining donne lieu à une prolifération assez horrifique d’hommages sur le web. Jetezvous sur notre hors-série Stanley Kubrick et filez voir l’exposition de la Cinémathèque, qu’on en finisse.
ON THE GROUND
OVERGROUND
RICOCHETS Not alone
Clamer son admiration pour R.KELLY a longtemps été un exercice honteux. Love Letter, nouvel album merveilleusement vintage du crooner R’n’B, devrait rendre la chose moins ardue. _Par Auréliano Tonet
© La Grenouille noire
Love Letter de R.Kelly Éditeur : Sony Music/Jive Sortie : déjà disponible
Un tube atroce, ridiculisé par Kad Merad (I Believe I Can Fly) ; la paternité de la chanson la plus dégoulinante du répertoire de Michael Jackson (You Are Not Alone) ; de sombres accusations de détournement de mineures ; un look risible : il faut bien l’admettre, R.Kelly jouit, chez nous, d’une réputation exécrable. Aux contempteurs, nous nous sommes pourtant habitués à dégainer une batterie d’arguments bétons : le Chicagoan a posé sa voix – modèle de suavité et d’agilité – sur les titres les plus fluides de Snoop Dogg (That’s That, Pimpin’ Ain’t EZ) ; son premier album avec Jay-Z (Best of Both Worlds, en 2002) plane au firmament de la discographie de ce dernier ; il a tressé le remix le plus jouissif de l’histoire du remix (Ignition) ; et en interview, le folksinger Will Oldham, fan invétéré, compare sa musique à celle des films de Jacques Demy. L’actualité apporte une nouvelle corde à notre arc : trempé dans l’encre moite et languide de la meilleure soul 70s (Marvin, Stevie, Smokey), son quatorzième album, Love Letter, devrait valoir à R.Kelly une pile de déclarations énamourées. You won’t be alone (any more). ◆
Directeur artistique sur Harry Potter et X-Men, artiste aux multiples talents, LA GRENOUILLE NOIRE (re)bondit ce printemps à la galerie Arludik, où elle présente une hallucinante revue bisanuelle, La Dynamo. _Par Laura Pertuy
De son vrai nom Igor-Alban Chevalier, le batracien français sautille depuis une dizaine d’années pour éclabousser Paris et Hollywood d’idées loufoques. Passionné de BD, dessinateur, designer, écrivain, il se propulse ce mois-ci avec La Dynamo, un fourre-tout hybride qui regorge de projets variés : BD, jeux vidéo et de plateaux, collection de jouets, de films… « Ce magazine est un bac à sable où je veux pouvoir m’amuser et expérimenter des choses que mon éditeur, Ankama, produira s’il les aime. » Joliment vintage, le premier numéro ne lésine pas sur les détails et l’humour, avec des illustrations aux styles très divers. Un pavé dans la mare. ◆
© Randee St. Nicholas
La Dynamo de la Grenouille noire Éditeur : Ankama Sortie : déjà disponible Exposition à partir du 14 mai à la galerie Arludik du MK2 Bibliothèque
www.mk2.com
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Audi Talents Awards
© Renzo Mazzolini
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L'AMI JURÉ
GO-BETWEEN Compositeur de bandes originales, arrangeur attitré de Massive Attack, CRAIG ARMSTRONG se met au diapason cannois : juré des Audi Talents Awards catégorie musique, l’Écossais donnera un concert et une masterclass sur la Croisette. Portrait d’un passeur. _Par Mélanie Wanga
L e t it re de son premier a lbu m, The Space Between Us (1998), offre une idée assez juste du personnage : Craig Armstrong est un entremetteur, comblant sans relâche les espaces entre les genres, les continents et les générations. « Composer la musique d’un film, c’est créer un dialogue secret entre les personnages. Réagir à l’atmosphère, aux images, aux situations », explique l’auteur des violents violons de Roméo+Juliet, Moulin Rouge et Wall Street 2, dont il vient de faire parler la planche à 34
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« Composer la musique d’un film, c’est créer un dialogue secret entre les personnages. »
billets. Ce service gagnant a également fait le beau jeu de U2, Madonna ou de ses compatriotes post-rock de Mogwai, pour qui il a saupoudré les pianos léchés de I Chose Horses (sur Mr Beast, en 2006). Un talent qu’il sait également mettre au service de ses albums solo, publiés sur le label de ses amis de Massive Attack – on se souvient notamment avec émotion du voluptueux This Love. « L’endroit d’où vous venez a un effet indéniable sur la manière dont vous écrivez. J’aime beaucoup les traditions nordiques. L’Écosse comme la France sont des pays avec une identité très forte. » Pas sûr, cependant, qu’Armstrong vire musette lors de sa venue à Cannes, en tant que juré des A.T.A. – dont il remettra le prix musical le 12 mai. Participer à ce tremplin de jeunes compositeurs est raccord pour celui qui a commencé à bricoler ses premières croches à 15 ans. Avant de retourner travailler sur un opéra qu’il présentera en 2012 à Édimbourg. Go-between un jour, go-between toujours. ◆
whATA's up ? Partenaire de la Semaine de la critique et de la Quinzaine des réalisateurs, Audi sera en résidence à Cannes durant tout le festival, avec un lounge situé dans les Jardins du Grand Hôtel. Vous pourrez suivre, jeudi 12 mai, la remise des prix des cinquièmes Audi Talents Awards catégories musique et court métrage, présidée par Michel Denisot et suivie d’un concert de Craig Armstrong. Samedi 14 mai, il distillera sa sagesse au cours d’une masterclass sur « Les ultimes innovations technologiques au service de la musique du septième art ». Le même jour, Patrice Leconte, lui aussi juré des A.T.A., planchera sur le thème suivant : « La trajectoire technologique du cinéma nourrit nos rêves ». _M.W.
www.auditalentsawards.fr
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Arty tech
DESIGN
H5 SUR 5
Succédant au pinceau flamboyant de Juliette Binoche, c’est un graphisme minimal qui orne l’affiche officielle du 64e Festival de Cannes. Rencontre avec ses auteurs, le studio parisien H5, stakhanoviste des arts. _Par Laura Pertuy
© Benni Valsson
L’affiche réinterprête une photo de Faye Dunaway prise par Jerry Schatzberg en 1970.
Faye Dunaway © photo by Jerry Schatzberg – Artwork: H5 (M. Lelièvre, B. Parienté)
CV Créée en 1994 par Ludovic Houplain et Antoine Bardou-Jacquet, l’agence H5 multiplie très vite les contrats dans les secteurs de la musique (clips pour Röyksopp, Air…), de la culture (identité visuelle du Grand Palais, musée d’Art moderne…) et du luxe (pubs pour Dior Homme, calepins pour Hermès…). En compagnie d’Hervé de Crécy et de François Alaux, Houplain réalise Logorama, un premier court métrage ludique et frondeur sur l’emprise des marques dans notre quotidien, récompensé du César et de l’oscar du meilleur court d’animation. Si l’esthétique de H5 frappe par sa grande stylisation, Houplain est catégorique : « Le fond doit toujours primer la forme. » _L.P.
C
élébrés tant pour leur court métrage satirique Logorama (oscar 2010) que pour leurs travaux au service des grands noms de la mode, les graphistes de H5 ont choisi une photographie à la classe intemporelle pour habiller le soixante-quatrième Festival de Cannes. Couchée sur un fond d ’or et d ’ébène, Faye Dunaway pose pour Jerry Schatzberg, photographe et réalisateur auréolé d’une Palme d’or en 1973 (L’Épouvantail). Prise trois ans plus tôt, cette photo illustre sa collaboration avec l’actrice, 36
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interprète principale de son Portrait d’une enfant déchue, récemment restauré par Universal et qui sera projeté sur la Croisette en leur présence. La découpe quasi-chirurgicale du nombre sur la silhouette reprend les habitudes graphiques de H5, déjà à l’origine de l’affiche du marché du film 2010. Cette année, le directeur du festival Thierry Frémaux les a contactés avec « une grande exigence mêlée à une grande liberté », révèle Ludovic Houplain, l’un des graphistes du
collectif. « Nous avons d’abord travaillé autour du motif de la palme, puis sur les membres du jury réunis dans un film connu ; mais c’est le glamour qui l’a finalement emporté. » Côté projets, Houplain évoque un autre court métrage d’animation, installé cette fois dans les steppes russes, ainsi que plusieurs films qui seront présentés à la Gaîté lyrique à l’automne 2012 et qui mélangeront « installations artistiques, films, graphisme et concerts ». Décidemment pas de quoi se taper l’affiche. ◆
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Sex tape
Festin nu L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller Avec : Olivier Gourmet, Michel Blanc… Distribution : Diaphana Films Durée : 1h52 Sortie : courant 2011
© Jérôme Prébois
Plutôt que de se jeter dans la gueule du loup, cette femme nue et dodue préfère investir la mâchoire copieusement dentée d’un crocodile colossal, planté dans ce luxueux salon tel un tapis en peau d’ours. Nous voilà jaloux comme un tigre devant ce baiser hybride, curieuse vision porno-chic émanant de L’Exercice de l’État, deuxième long métrage de Pierre Schoeller après le beau conte socialo-bucolique Versailles. Quittant l’univers parallèle d’un SDF installé dans la forêt pour celui, plus cossu, du cabinet d’un ministre des Transports, le réalisateur livre dans ce plan une allusion franche à un cliché du photographe allemand Helmut Newton, The Legend of Virginity, extraite d’un ballet de Pina Bausch. Présenté ce printemps à Cannes à Un certain regard, le film met l’eau à la bouche. ◆ _E.V.
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Š Mike Mills pour Trois Couleurs
BEGINNERS
Éternel débutant
Nouveau nouveau départ pour EWAN McGREGOR. À 40 ans, l’acteur écossais fait œuvre d’humilité dans Beginners, prêtant son profil perpétuellement juvénile au fils déboussolé de la comédie familiale douce-amère écrite par Mike Mills. Passé maître (Jedi) dans l’art du rebond, cet inoxydable néophyte nous raconte, avec une affabilité candide, ses premières fois. _Par Clémentine Gallot et Auréliano Tonet
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es chiottes de Trainspotting à l’île noire de Roman Polanski (The Ghost Writer), la filmographie d’Ewan McGregor est jonchée de crevasses, desquelles l’Ecossais finit toujours par s’extirper, haut la main. Beginners ne conte pas le moindre de ces rebondissements : dessinateur timide et recroquevillé, son personnage, Oliver, apprend coup sur coup que son père (Christopher Plummer) est atteint d’un cancer en phase terminale et qu’il est homosexuel. Un rôle qui n’est pas sans rappeler I Love You Phillip Morris, où McGregor convolait avec Jim Carrey. « Pour être convainquant, il ne faut pas faire l’hétéro qui essaye de jouer gay, c’est très délicat. Mais, dans Beginners, la perspective est différente : Oliver ne doit pas réagir à sa propre homosexualité, mais à celle de celui qui l’a élevé. Ma performance, ici, est bien plus introspective. » Beginners n’est pas qu’une réponse enlevée aux rom-coms indie à la Garden State et autres 500 Jours ensemble. Scandé par des gimmicks visuels empruntant au design ou à l’art contemporain (photomontages, collages…), le film sonde avec maestria les interférences de communication au sein des sphères familiales, conjugales ou professionnelles. Ces malentendus nourrissent un regard joueur et amusé sur les névroses générationnelles : « L’anxiété est un état que je comprends très bien, même si je ne suis pas aussi inquiet et maniaque qu’Oliver », précise le jeune quarantenaire à la force tranquille.
BOY NEXT DOOR
Bien qu’abonné aux films à gros budgets, McGregor a été immédiatement conquis par le scénario – que son agent lui a raconté sur un télésiège de Salt Lake City. « Pour un réalisateur de ma stature, il était impensable de compter Ewan McGregor au générique d’un de mes films, explique Mike Mills. Mon agent le connaît, mais je me disais : ‘‘Il ne sera pas disponible, il sera trop cher ou ce sera un connard…’’ Et puis vous le
« Je me disais: “Il sera trop cher ou ce sera un connard.” Mais c’est un type adorable. » Mike Mills rencontrez et c’est un type adorable, très facile à aborder, très franc. » Impressionné par Thumbsucker, premier ovni de Mike Mills, McGregor suit le cinéastevidéaste-graphiste dans son studio, l’observe dans son travail : « Ses films sont une extension de son art. Mike est bien plus qu’un réalisateur – il a dessiné lui-même tous les croquis du film. » Cette proximité entre l’auteur et son comédien transparaît à l’écran, climat propice à un film largement autobiographique. « Ewan est la meilleure chose qui me soit arrivée, il a rendu l’ensemble du projet beaucoup plus facile à réaliser », poursuit l’époux de la cinéaste et musicienne Miranda July. Au cours du tournage, l’acteur s’est approprié le récit très personnel de Mills tout en se méfiant d’une interprétation trop mimétique : « Je me suis imprégné de sa présence. Nous avons longuement discuté de sa relation avec son père. À 30 ans, Mike a dû entièrement reconsidérer sa vie : tout ce qu’il tenait pour acquis sur ses parents était peut-être un mensonge… Il a résolu ces questions en réalisant ce film en forme de dédicace à ses deux parents, aujourd’hui décédés. »
PASSE-PARTOUT
Le titre, Beginners, évoque les points de départs multiples de la narration, comme autant de clés : « Un coming out paternel, un deuil, une histoire d’amour naissante…, énumère McGregor. Mais, au théâtre, l’interjection ‘‘Beginners !’’ signale surtout que chacun doit regagner sa place pour le début de la représentation. » Sa place à lui se situe désormais à Hollywood, www.mk2.com
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© MK2
BEGINNERS
Ewan McGregor (à gauche) et Mike Mills (à droite)
« Il doit y avoir un lien entre tous ces films, ce n’est pas pour rien que je les ai choisis. » où il s’est installé avec femme (française) et enfants. C’est donc en autochtone qu’il a tourné Beginners, dont l’action se déroule dans un quartier bobo et mélangé de l’Est de Los Angeles. « L.A. peut être un endroit aliénant, solitaire – c’est d’ailleurs l’un des propos du film. Mike vit à l’Est, moi à l’Ouest : c’est comme s’il vivait dans une autre ville ; la circulation est terrible, il n’y a pas de transports publics », admet l’acteur, qui ne cesse d’être rappelé par les cinéastes de son île britannique natale mais aimerait se sédentariser outre-Atlantique. Si l’on a pu prendre un temps sa discrétion pour de la fadeur, Ewan McGregor a peu à peu fait de son flegme passe-partout un atout, et de sa dégaine de boy next door le véhicule d’une carrière protéiforme.
COUREUR DE FOND
Formé sur les planches en Écosse puis à Londres, il est révélé par la comédie morbide Petits meurtres entre amis, en 1994, si bien qu’il restera fidèle à son réalisateur Danny Boyle pour deux autres films (Trainspotting et Une vie moins ordinaire). Peter Greenaway et Todd Haynes l’accompagneront dans sa période chevelue, amant scribe dans The Pillow Book, rockeur à paillettes dans Velvet Goldmine. Difficile de résister à l’appel cosmique de la trilogie Star Wars mais, dans la foulée, « Obi-Ewan » refuse le rôle de James Bond – par peur d’être catalogué. Machine à encaisser les chocs, le comédien s’est relevé des pires tapisseries pop (Moulin Rouge), passant avec aisance de Tim Burton (Big Fish) à Michael Bay (The Island), comme de Woody Allen (Le Rêve 42
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de Cassandre) à Ron Howard (Anges et démons). Pour McGregor, la consécration vient en s’effaçant, à l’image du nègre pris dans la tourmente du magnifique Ghost Writer : « Pendant quatre mois, Polanski m’a malmené. Il cherche la vérité sans relâche. Il m’a poussé à une performance feutrée, à sous-jouer. » Coureur de fond traversant avec la même endurance La Chute du faucon noir ou Les Chèvres du Pentagone, Ewan McGregor semble être devenu la figure cinématographique de la résilience : « Il doit y avoir un lien entre tous ces films, ce n’est pas pour rien que je les ai choisis. Je suis quelqu’un d’optimiste, je vais de l’avant. »
HARICOT MAGIQUE
À peine revenu de son Écosse natale, où il tournait Perfect Sense avec Eva Green, sous la direction de son compatriote David Mackenzie (Toy Boy, Young Adam), il a récemment fait escale en Thaïlande pour The Impossible de Juan Antonio Bayona, avec Naomi Watts, l’histoire d’une famille submergée par le tsunami : « Une fois sur place, le film s’est révélé plus difficile à tourner que prévu, au vu de la charge émotionnelle », confie l’acteur. Autre film en préparation : Haywire, l’histoire d’une femme-soldat revancharde. « Gina Carano m’y met une sacrée branlée ! » Son réalisateur, Steven Soderbergh, a particulièrement marqué l’acteur : « Steven fait tout lui-même : l’image, la lumière. Mais il ne tournera que deux autres films. Il dit qu’il ne peut plus renouveler son langage cinématographique et qu’il ne veut pas se répéter. Il veut se donner assez de temps pour devenir bon à autre chose. C’est admirable. » Au moment de notre entretien, Ewan McGregor arbore une barbiche moyenâgeuse, requise pour son futur rôle de chevalier dans le blockbuster médiéval de Bryan Singer, relecture en 3D de Jack et le haricot magique. Et se trouve une ressemblance avec Stephen Dorff, transformé en vieil ado zonard dans Somewhere de Sofia Coppola. La résistance et l’élasticité en plus. ◆
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Extraits de Beginners de Mike Mills
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Š Mike Mills - Damiani editore
Transformations personnelles, dessin de Mike Mills pour Beginners
BEGINNERS
Coming out Graphiste et clippeur pour Air, les Beastie Boys ou Marc Jacobs, l’Américain MIKE MILLS a gardé de ces expériences une approche résolument ludique de la mise en scène. Comédie romantique sur le divan, portrait d’un père métamorphosé au seuil de la mort, variation sur l’incommunicabilité, son deuxième long métrage, Beginners, multiplie les approches, embrassant d’un même mouvement l’histoire de sa famille et celle de son pays. Rencontre avec un grand timide qui – à l’image de ses héros – a peu à peu appris à s’ouvrir au monde. _Propos recueillis par Juliette Reitzer et Auréliano Tonet
Beginners est-il un film autobiographique ? Dans une certaine mesure, oui. Mes parents se sont bel et bien mariés en 1955. Mon père était gay, ma mère le savait. Elle est décédée quarante-quatre ans après leur mariage et mon père a fait son coming out à ce moment-là, quelques années avant de mourir d’un cancer. Je voulais tenter de faire un portrait de mes parents, mais les souvenirs sont si étranges, subjectifs et fragmentés que j’ai compris que je travaillais surtout à partir de mes rêves. Le processus était très proche d’un collage, comme dans L’Insoutenable Légèreté de l’être de Milan Kundera, où l’histoire tchèque se mêle à des histoires individuelles. Le film entrecroise constamment l’histoire de votre famille à celle des États-Unis… La politique américaine a façonné la vie de mes parents. À 18 ans, ils ont été plongés dans la Seconde Guerre mondiale. Ils sont devenus adultes à une époque où les relations amoureuses étaient règlementées : être gay signifiait que l’on pouvait vous tuer, vous mettre en prison, vous faire des électrochocs. La vie intime de mon père était impactée par des lois concrètes. Ces entraves ont inévitablement ricoché sur ma vie. Les relations entre parents et enfants ne vont pas sans heurts dans votre film. Aviez‑vous la volonté de poser un regard psychanalytique sur le sujet ? Oui, je pense que nos relations adultes sont les échos de nos rapports avec nos parents. D’ailleurs, les personnages joués par Ewan McGregor et Mélanie Laurent, Oliver et Anna, se rencontrent sur un divan, dans une fête où Oliver est déguisé en Freud. Les histoires d’amour ne sont pas juste composées de rires, de romantisme et de sexe. Elles sont aussi la rencontre entre les fantômes que chacun porte en soi, avec lesquels il faut composer. Mon premier long métrage, Thumbsucker, racontait l’histoire d’un gamin de 17 ans qui suce encore son pouce, de manière inconsciente. C’était un film sur la manière dont vous vous définissez
en tant qu’individu au sein d’une famille. En ce sens, c’est assez proche de Beginners, et je pense que tous mes films traiteront de ce sujet. Malgré la mort annoncée de Hal, le père, le film n’est pas tragique… Aussi surprenant que cela puisse paraître, j’ai essayé de vivre le coming out et la mort de mon père comme une expérience positive. Alors même qu’il était en train de mourir, il continuait de faire la fête, d’acheter des billets d’avion… Pour lui, la vie ne faisait que commencer. Le film reflète cette dynamique, jusque dans son titre. J’ai voulu que les moments tristes soient aussi des moments drôles. Par exemple, quand le docteur annonce à Hal qu’il n’est plus utile qu’il vienne suivre son traitement, Hal répond : « Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? » Quand les choses tournaient mal, mon père plaisantait toujours. Il avait à cœur de rendre le monde moins froid, d’écarter un peu les murs de la prison. Beginners traite de la difficulté de communiquer au sein du couple, de la famille et du monde professionnel, mais aussi entre espèces animales, comme l’illustre le dialogue entre Oliver et son chien. Dans la sphère familiale, il y a toujours beaucoup de nondits. Je crois que nous essayons de comprendre qui nous sommes en nous confrontant aux autres. Quand Oliver raconte à son chien l’histoire de l’espèce canine, il essaie en fait de comprendre des choses sur lui-même. Le récit de Beginners est très fragmenté, notamment d’un point de vue chronologique. Pourquoi avez-vous choisi de multiplier les flashbacks ? Lorsque l’un de vos proches meurt, le passé ne cesse de venir vous hanter. Vous êtes en train de faire quelque chose quand un souvenir très puissant s’invite et affecte votre comportement. Il était donc naturel www.mk2.com
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Le premier couple marié pour de mauvaises raisons, dessin de Mike Mills pour Beginners
« Après la mort de chacun de mes parents, je me suis senti incroyablement vivant. » d’intégrer ces éléments dans le scénario. Par ailleurs, j’adore Un film d’amour d’István Szabó, Huit et demi de Federico Fellini ou même La Guerre est finie ou Hiroshima mon amour d’Alain Resnais ; des films plutôt linéaires, mais dans lesquels les souvenirs instaurent une dimension non chronologique. Le montage du film fait cohabiter, selon un rythme très vif et répétitif, des matériaux radicalement différents (photos d’archives, dessins, aplats de couleurs…). Cette forme hybride était-elle un moyen d’introduire une distance entre vous et votre sujet ? Pour moi, un graphique ou un dessin ne sont pas des outils de distanciation. Ce sont juste des moyens que j’ai utilisé dans un besoin désespéré de communiquer. Quand j’ai commencé à écrire Beginners, mon père venait juste de mourir et je voulais mettre le monde entier dans ce film : le soleil, les étoiles… Vous avez suivi une formation de designer, un métier que vous n’avez jamais cessé de pratiquer depuis. Quelles sont vos principales influences graphiques ? Mon attirance pour les arts graphiques procède sans doute d’une réaction par rapport à mon père, qui baignait dans le versant le plus institutionnel du milieu de l’art. Mais c’est Cassandre, un affichiste des années 1930, qui m’a vraiment donné envie de faire ce métier. Aujourd’hui, je pense être davantage influencé par le pop art de David 46
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© Mike Mills - Damiani editore
BEGINNERS
Hockney ou Andy Warhol, ou par des artistes conceptuels comme Christian Boltanski, Robert Rauschenberg, Hans-Peter Feldmann ou Sophie Calle, dont j’adore l’approche autobiographique. Quant à Feldmann, il a fait un livre entier sur des genoux de femmes, un autre sur les mouettes, un autre sur les radios… Cette approche systématique a nourri Beginners. Vous avez réalisé des clips pour Air, Pulp, Papas Fritas ou Blonde Redhead. Dans quelle mesure cette expérience alimente-t-elle votre travail de cinéaste ? Aux États-Unis, le monde créatif est beaucoup plus brutal et capitaliste qu’en Europe. Je n’ai pas fait d’école de cinéma, j’ai commencé à réaliser des films à 27 ans. Les clips sont une école parfaite, à la fois pratique et ludique, pour pénétrer le milieu. Réaliser un clip vous apprend à développer un concept narratif, à tourner avec une steadycam, avec ou sans lumières… Des cinéastes comme Spike Jonze ou Michel Gondry ont prouvé que ce champ pouvait être très inventif. Dans Beginners, Oliver est graphiste. Il est sans cesse confronté au fossé entre ses désirs artistiques et les contraintes imposées par ses clients… En tant que graphiste, ce genre de choses arrive tout le temps. Même quand j’écrivais le film, les gens me disaient : « Tu ne peux pas inclure un chien qui parle… » La frustration dont vous parlez existait aussi au moment de l’écriture du scénario. Après la mort de chacun de mes parents, je me suis senti incroyablement vivant, avec la sensation que la vie est courte et qu’il ne faut pas être raisonnable, ne pas suivre les règles ni les habitudes. C’est ce que je voulais montrer dans ces scènes : Oliver ne veut pas être un bon garçon, il veut penser grand et n’en faire qu’à sa tête. ◆ Beginners de Mike Mills Avec : Ewan McGregor, Mélanie Laurent… Distribution : MK2 Diffusion Durée: 1h44 Sortie : 15 juin
Divers travaux réalisés par Mike Mills et visibles sur son site, www.mikemillsweb.com © Mike Mills
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OUTLAWS ALAIN CAVALIER VALÉRIE DONZELLI GENÈSE ET APOCALYPSE SEAN PENN SOFT PORN PEDRO ALMODÓVAR RED CARPET MAÏWENN NANNI MORETTI NICOLAS SARKOZY LUC ET JEAN-PIERRE DARDENNE ROBERT DE NIRO GUS VAN SANT GEORGES MÉLIÈS PIN-UP LE HAVRE WOODY ALLEN TERRENCE MALICK BURLESQUE MICHAEL SHANNON LARS VON TRIER
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EN ROUGE ET NOIR Les programmateurs cannois ont-ils lu Stendhal, écouté Jeanne Mas et supporté le Milan AC pendant la confection de leur sélection ? Multipliant contrastes et dégradés, l’édition 2011 du festival sera effrontément bicolore. Rouge, comme les joues des bambins au cœur des nombreuses fictions familiales sélectionnées, comme la chevelure des plus belles actrices prenant d’assaut le red carpet, comme le velours des antres – charnels ou présidentiels – déflorés par une poignée de films licencieux. Noir, comme la robe des religieux d’un festival plus mystique que jamais, comme les pensées de héros hantés par la mort et l’au-delà, comme la crinière de jais d’un Sean Penn méconnaissable en gothique croassant. Choisissez votre camp. _Dossier coordonné par Auréliano Tonet
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LE PRÉSIDENT
Et le parrain devint président. Du « You talkin’ to me ? » de Taxi Driver au « I’m watchin’ you » de Mon beau-père et moi, ROBERT DE NIRO a changé ses lentilles au contact cinématographique. De plus en plus en retrait, multipliant les seconds rôles en forme de clins d’œil ironiques à son imposante filmographie, l’acteur se fait aujourd’hui spectateur d’un art qu’il mirera ce printemps en tant que président du jury cannois. Histoire d’une transformation. _Par Juliette Reitzer et Étienne Rouillon
«
Et pour remettre la Palme d’or, monsieur Robert De Niro ! » Le 25 mai 2008, une longue standing ovation accueille l’acteur, qui déclare – son célèbre sourire frondeur aux coins des lèvres, et en français dans le texte : « En 1976, Martin Scorsese remporta la Palme d’or pour un petit film sur un chauffeur de taxi fou. » De passage à Cannes cette année-là pour y présenter Panique à Hollywood de Barry Levinson, De Niro est sûr de son effet : Taxi Driver a fait de lui l’un des comédiens les plus adulés de sa génération. Réputé pour son implication totale dans ses rôles (il a passé des heures enfermé dans un caveau pour préparer Bloody Mama, a pris trente kilos pour Raging Bull…), il est l’acteur américain par excellence, physique et nerveux, formé à l’Actors Studio et à la méthode Stanislavski, et disposant d’une facilité déconcertante pour l’improvisation, à laquelle on doit la fameuse réplique aboyée par Travis à son ref let dans Taxi Driver : « You talkin’ to me ? » 50
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LIGNE DE MIRE Ce classique marquait le point d’orgue d’une collaboration au long cours entre Scorsese et De Niro : huit films à ce jour, de Mean Streets (1973) à Casino (1995). Depuis ce dernier, le comédien n’a certes pas arrêté de tourner. Mais il a peu à peu abandonné les premiers rôles tapeà-l’œil pour des apparitions distanciées : là où ses personnages les plus emblématiques ne vivaient que par et pour le regard des autres (le psychopathe de Taxi Driver, le boxeur de Raging Bull, le comique de La Valse des pantins, le tueur de Heat…), De Niro se contente aujourd’hui de caméos ironiques, voire autoparodiques. Ainsi, dans le récent Limitless, il incarne le ponte indiscuté de la finance mondiale, dispensant ses conseils de vieux-briscard-indéboulonnable-qui-en-a-chié au héros du film, un jeune loup (Bradley Cooper) boosté par une pilule magique qui décuple ses capacités intellectuelles. Ce personnage d’observateur sceptique et expérimenté fait écho à celui du chef de famille control freak de la comédie Mon beau-père et moi, où De Niro ne cessait de rappeler sa puissance omnis-
© Steve Schapiro A. Galerie
Il a peu à peu abandonné les premiers rôles pour des apparitions autoparodiques. ciente à son gendre : « I’m watchin’ you. » Difficile pour les metteurs en scène contemporains de faire abstraction de sa riche filmographie : dans Machete, Robert Rodriguez le filmait à l’intérieur d’un taxi jaune semblable à celui de Taxi Driver ; dans L’Amour a ses raisons, Giovanni Veronesi l’imagine en vétéran de la guerre du Vietnam, convoquant inévitablement le spectre du personnage de Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino. Le New-Yorkais n’est plus qu’un simple acteur : progressivement, il quitte la fiction pure pour incarner tout un pan de l’histoire du cinéma, dont il est un témoin privilégié.
Kazan, Panique à Hollywood de Barry Levinson, La Liste noire d’Irwin Winkler), et réalisera lui-même deux longs métrages directement nourris par le cinéma classique hollywoodien : Il était une fois le Bronx (1993) et Raisons d’état (2006). Cinéphile attentif, il crée en 2002 le Tribeca Film Festival, à New York, et occupe fréquemment depuis le début des années 1990 le fauteuil de producteur, par le biais de sa société Tribeca Productions. Plus que jamais sollicités, ses yeux sont désormais braqués sur la sélection cannoise : gageons que dans ce nouveau rôle, Robert De Niro sera particulièrement regardant.
LIGNE DE FUITE Cette inversion des rôles – de l’acteur au témoin, du regardé au regardant – trouvait dès 1969 une illustration prophétique dans Hi, Mom ! de Brian De Palma : De Niro, voyeur et aspirant réalisateur de pornos, y épiait ses voisins, braquant sur eux sa caméra amateur. Plus tard, le comédien multipliera les rôles réflexifs et les mises en abyme sur l’industrie du cinéma (Le Dernier Nabab d’Elia
Sorties en salles de Stone de John Curran (11 mai) et L’Amour a ses raisons de Giovanni Veronesi (15 juin) Ressortie en salles de La Valse des pantins de Martin Scorsese (18 mai) et Il était une fois en Amérique de Sergio Leone (22 juin) You Talkin’ to Me, exposition des photos du tournage de Taxi Driver par Steve Schapiro, dont celles ci-dessus, jusqu’au 14 mai à la A. galerie, www.a-galerie.fr Limitless de Neil Burger Avec : Bradley Cooper, Robert De Niro… Distribution : Gaumont Durée : 1h58 Sortie : 8 juin
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© DR
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SOMBRES HÉROS
Des personnages singuliers se détachent des fictions de la sélection 2011 : enfants turbulents tour à tour bourreaux et victimes, hommes de pouvoir en proie au doute, créateurs isolés transcendant par l’art leurs névroses. Présentations. KIDS
L’enfant – désiré, idéalisé ou désaxé – fait des premiers pas très assurés dans les différentes sélections cannoises. Première manifestation de sa présence : les ventres rebondis de futures mamans, souvent paumées et toujours troublées par cette protubérance soudaine et encombrante. Les 17 filles de Delphine et Muriel Colin (Semaine de la critique) décident brutalement de toutes tomber enceintes, dans un violent adieu à leur enfance qui laisse 52
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garçons et parents hébétés. Dans The Island de Kamel Kalef (Quinzaine des réalisateurs), la grossesse de Sophie (Laetitia Casta) dérègle pro-
Quand les adultes ne sont pas absents du quotidien des petits, ils sont indignes. fondément le couple fusionnel qu’elle forme avec Daneel. La Fée du trio Abel-Gordon-Romy (ouverture de la Quinzaine) accouche quant à elle d’un bébé qui offre au film son climax comique et dramatique. Une fois venu au monde, l’enfant, dans sa quête d’émancipation, a tendance à faire les 400 coups. Gentiment
dans Les Géants de Bouli Lanners, récit d’apprentissage champêtre, ou cruellement dans Play de Ruben Östlund (Quinzaine), où il devient un loup pour son semblable, et Boy de Topaz Adizes (court métrage de la Semaine), où la violence fait office de rite initiatique. Autre façon de grandir : se transformer, comme Junior (de Julia Ducournau, à la Semaine), 13 ans, qui se prépare à briser sa chrysalide à la faveur d’une gastroentérite fulgurante. L’enfant, dans sa naïveté, en profite pour questionner le monde dans lequel il se prépare à vivre : dérive sécuritaire à travers le personnage d’un jeune immigré clandestin dans Le Havre d’Aki Kaurismäki (compétition officielle), morale religieuse dans Corpo Celeste d’Alice Rohrwacher (Quinzaine), éducation et répression dans Polisse de Maïwenn (compétition), plongée musclée dans le quotidien d’une brigade de protection des mineurs.
Boy de Topaz Adizes
© Zhao Wei Films
My Little Princess d’Eva Ionesco s’inspire de sa propre histoire de lolitrash exploitée par une mère névrosée.
Tatsumi d’Eric Khoo
_ Laura Tuillier Lire la critique du Gamin au vélo page 104
© Gaumont 2011
Quand les adultes ne sont pas absents du quotidien des petits (Blue Bird de Gus Van den Berghe, à la Quinzaine), ils sont indignes (My Little Princess d’Eva Ionesco, à la Semaine, inspiré de sa propre histoire de lolitrash exploitée par une mère névrosée) ou pervers (Michael de Markus Schleinzer, film suggestif sur le viol, en compétition). Seul Le Gamin au vélo des frères Dardenne (en compétition, déjà Palme d’or en 2005 avec… L’Enfant), abandonné par son père, trouve dans les bras maternels de Cécile de France un endroit sûr où nicher sa colère. Souvent muets, les parents savent quelques fois se montrer responsables : We Need to Talk about Kevin de Lynne Ramsay (compétition) engage le dialogue tandis que dans La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli (Semaine), mère, père et fils font front commun contre la maladie. À Cannes, la question est posée : Are the kids alright ? ◆
La Conquête de Xavier Durringer
Princes Alors que les réalisatrices (Kawase, Leigh, Ramsay, Maïwenn…) jouent des coudes pour trouver leur place sur le tapis rouge, les hommes de pouvoir squattent les sélections. Michel Piccoli incarne le pape dans Habemus Papam de Nanni Moretti (compétition) et Denis Podalydès campe un Nicolas Sarkozy bluffant dans La Conquête de Xavier Durringer (compétition). Olivier Gourmet est un ministre confronté au pire dans L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller (Un certain regard). Pedro Almodóvar (La Peau que j’habite) et Alain Cavalier (Pater), en compétition, explorent l’ivresse du pouvoir et les relations de domination, à travers le mélo et l’introspection documentaire. _L.T.
Artistes Un acteur muet déclassé, un mangaka solitaire, un rocker à la retraite, un filmeur (auto)biographe… Les artistes isolés habitent les sélections cannoises. Ils sont sans voix : Jean Dujardin en vedette du muet bousculée par l’arrivée du parlant dans The Artist de Michel Hazanavicius (hors compétition), ou le dessinateur culte Yoshihiro Tatsumi, au centre de Tatsumi d’Eric Khoo (Un certain regard). Ou ils ont perdu leur voix : Sean Penn est le rocker has been de This Must Be the Place de Paolo Sorrentino (compétition), cinquantenaire adolescent amarré à sa gloire passée. Dernière option : ils réfléchissent la voix des autres, tels le comédien et le cinéaste du mystérieux Pater d’Alain Cavalier, en compétition. _L.S. www.mk2.com
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BURLESQUE L’an dernier, Cannes fêtait la restauration des films de Pierre Etaix. Il semblerait que le passage du clown français ait laissé quelques marques. Il y aura bien des films peu bavards sur la Croisette, mais certains s’annoncent joyeusement comiques. Comme toujours, peu de dialogues dans La Fée du trio Abel-Romy-Gordon, mais un conte burlesque aussi poétique qu’hilarant, laissant aux corps – handicapés, engrossés – le soin de faire valser la narration. Encore moins de parole et de son dans le très attendu The Artist de Michel Hazanavicius, film muet aux allures de Chantons sous la pluie avec en rôle titre le décidément très vintage Jean Dujardin. Après les girls de Tournée l’an dernier, Cannes redécouvre les joies du nouveau burlesque. _R.C. ÉROTIQUE L’éveil sensuel caresse cette nouvelle édition cannoise, avec quatre films aux atours très peu chastes. La France en susurre deux. En compétition, L’Apollonide de Bertrand Bonello (déjà réalisateur des incandescents Le Pornographe et Tirésia) se vautre dans la luxure d’une maison close, tandis que L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller (Un certain regard) joue d’une sexualité énigmatique, reluquée à travers le prisme politique. Israël concocte un drame sulfureux avec The Slut de Hagar Ben Asher (Semaine de la critique), tandis que Sleeping Beauty de Julia Leigh (compétition) réveille les sens d’hommes aux fantasmes lubriques que satisfont de voluptueuses jeunes femmes. Un appétissant quatuor de propositions épicuriennes. _L.P. 54
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The Artist de Michel Hazanavicius
The Slut de Hagar Ben Asher
© 3B Productions - Photo Roger Arpajou
Hors Satan de Bruno Dumont
© Warner Bros.
MYSTIQUE Genèse ou Apocalypse ? Les deux. Chantre élégiaque des paradis perdus, croisant l’épopée biblique et le drame intime, Terrence Malick plonge Sean Penn dans les affres de la Création (The Tree of life), tandis que la catastrophe de Lars von Trier (Melancholia) remet les destins individuels dans la balance. Au poncif dubitatif de Habemus Papam, satire vaticane de Nanni Moretti, répond une nouvelle méditation radicale de Bruno Dumont mêlant extase spirituelle et retour à la terre (Hors Satan). À la Quinzaine, Jeanne captive, du prometteur Philippe Ramos, retracera la dernière année de la pucelle en prison, tandis que la Semaine de la critique tentera de résister au tourbillon climatique de Jeff Nichols (Take Shelter). Avis de tempête. _C.G.
© DR
MAUVAIS GENRES
Reléguant le récit naturaliste aux oubliettes, Cannes 2011 sera mystique, burlesque et érotique. Spiritisme de salle obscure (The Tree of Life, Hors Satan), cabrioles burlesques (The Artist, La Fée) et déhanchés libertins (L’Apollonide, Sleeping Beauty) ouvrent la voie à des fictions décentrée du réel – qui décollent.
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TAPIS ROUX
Adieu blondes platines et brunes vénéneuses, figures récurrentes du cinéma encore honorées récemment lors d’une exposition : cette année, un quatuor de rousses dans le vent soufflent le chaud et le froid sur les films en compétition. Portraits de comédiennes tout feu tout femme, prêtes à embraser le red carpet.
The Tree of Life de Terrence Malick
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Merie Wallace © Cottonwood Pictures LLC
JESSICA CHASTAIN Julia Roberts, Kristin Scott Thomas, Isabelle Huppert… La nouvelle venue Jessica Chastain, comme une synthèse, les rappelle toutes. Son visage, d’une beauté lointaine et diaphane, semble pouvoir s’animer de toutes les émotions en un mouvement de tête. Il faut croire que Terrence Malick a saisi l’universalité de la comédienne en lui confiant la lourde tâche d’allégoriser la Femme/Mère dans son ambitieux The Tree of Life, face à Brad Pitt en Homme/ Père. Passant en un éclair de la Genèse à l’Apocalypse, elle est également à l’affiche du film-catastrophe de Jeff Nichols, Take Shelter, présenté à la Semaine de la critique. Une double exposition cannoise qui devrait permettre à l’actrice d’exploser en France, où elle reste méconnue malgré une succession ininterrompue de tournages depuis son rôle-titre dans Jolene de Dan Ireland en 2008. Comme sortie d’un tableau préraphaélite, cette châtain-rousse exhale un halo ambigu, mis en évidence dans L’Affaire Rachel Singer, en salles le 15 juin, où elle incarne un agent secret du Mossad chargé de traquer un nazi particulièrement antipathique. Une mission sur mesure pour cette femme aux deux visages : de profil, une trentaine sèche et nerveuse, de face, une vingtaine tendre et mélancolique. Ce dernier trait, surtout, définit l’èthos de Chastain, dont la mélancolie très british semble découler de ses jeunes années consacrées à l’étude et la pratique des textes de Shakespeare, notamment au sein de la prestigieuse Juilliard School de New York. Sur scène, en 2006, elle avait d’ailleurs campé la Salomé d’Oscar Wilde au côté d’Al Pacino. La sortie d’un documentaire sur cette pièce, réalisé par Pacino himself, permettra d’apprécier la performance de la Californienne, qui, récemment encore, incarnait sur les planches la Desdémone d’Othello, mourant au sommet de sa candeur et de sa splendeur. Salomé ou Desdémone, bourrelle sensuelle ou amante sacrifiée, voilà ce que cache la crinière de Chastain : des traits saillants mais doux, un visage grave mais lumineux. ◆ _Louis Séguin Retrouvez l’interview de Jessica Chastain sur www.mk2.com
© Arp Selection
Emily Browning
Nouveau corps fantasmé du cinéma mondial, Emily Browning, 22 ans, réunit dans ses pommettes gonflées jeunesse rebondie et vieillesse prématurée. Gamine lippue à la télévision australienne puis dans Les Orphelins Baudelaire, Zack Snyder s’est saisi de sa plastique de poupée pour guider les aliénées en fuite de Sucker Punch. Obscur objet du désir, sa crinière auburn d’étudiante prostituée servira d’appât dans Sleeping Beauty, en compétition. Fini de jouer entre les mains de réalisateurs : le premier film de sa compatriote, la romancière Julia Leigh, est female-only. _C.G.
Sleeping Beauty de Julia Leigh
We Need to Talk About Kevin de Lynne Ramsay
C o m m e l ’a f f i r m e l e t i t r e d e s o n n o u v e au f i l m , présenté en ouverture de la Quinzaine, Fiona Gordon est une fée – ou plutôt « un prototype inachevé de fée, aux moyens limités », ainsi qu’elle définit son personnage. Rumba et L’Iceberg nous avaient déjà convaincus de ses pouvoirs. Australienne grandie au Canada et vivant en Belgique, elle habitait de son corps filiforme et élastique ces romances burlesques, cosignées par Bruno Romy et Dominique Abel – par ailleurs son compagnon à la ville. Car Fiona Gordon est une fée amoureuse. Et même si l’adversité survient au détour d’un frigo ou d’une route de campagne, l’amour survit toujours avec farces et tracas. Évidence poétique, performance clownesque, Fiona met sa féminité au service du comique. Qu’elle s’élance dans une rumba endiablée ou qu’elle sombre dans une dépression glaciaire, la ligne rousse que l’on suit est une ligne de fuite, capable de nous emmener, du pôle Nord au Havre, vers un pays imaginaire. C’est le charme des fées que de savoir nous donner des ailes. ◆ _Renan Cros
© Nicole Rivelli
La Fée de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy
© Mk2
FIONA GORDON
Tilda Swinton Membre du jury du festival en 2004 sous la houlette de Quentin Tarantino, l’élégante Britannique revient sur la Croisette avec We Need to Talk About Kevin de Lynne Ramsay, en compétition. Elle y incarne Eva, mère d’un ado perturbé qui s’interroge avec John C. Reilly sur leurs faux pas de parents. Dans Amore, elle avait abandonné sa toison rousse pour camper une mère tout en blondeur, indigne et amoureuse. On n’ose imaginer ce que Tilda Swinton nous réserve ici, coupe de cheveux radicale et teinture noire de jais. _L.T.
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LOVE PARADE Mai, mois des amours : remariés (Pedro Almodóvar-Antonio Banderas), ambigus (Maïwenn-Joey Starr) ou toujours bons copains (Valérie Donzelli-Jérémie Elkaïm), trois couples débarquent sur la Croisette bras dessus, bras dessous.
Sur le tournage de La Peau que j’habite de Pedro Almodòvar
© Jose Haro
PEDRO ALMODÓVAR ET ANTONIO BANDERAS
Pedro Almodóvar a déniaisé Antonio Banderas en lui offrant son premier rôle dans Le Labyrinthe des passions (1982). L’idylle a perduré pendant sept ans, le temps de tourner Matador, La Loi du désir, Femmes au bord de la crise de nerfs et le truculent Attache-moi. Le ténébreux espagnol convole ensuite en secondes noces avec Robert Rodriguez (Desperado), qui lui ouvre les portes d’Hollywood, tandis que le volage Almodóvar s’entiche d’une autre bombe latine, Penélope Cruz, avec qui il séduit la Croisette (Parle avec elle et Volver, tous deux primés). Le jury décidera-t-il de sceller leurs retrouvailles dans La Peau que j’habite, présenté en compétition officielle, par une Palme d’or ? _L.T.
La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli
© Wild Bunch Distribution
VALÉRIE DONZELLI ET JÉRÉMIE ELKAÏM
Ils incarnaient les différents visages de la conjugalité dans l’adorable première réalisation de Valérie Donzelli, La Reine des pommes (2009), et se déchirent actuellement dans Belleville Tokyo d’Élise Girard, réflexion sur les affres de la vie commune. Le duo sibyllin Elkaïm-Donzelli se retrouve souvent au détour d’une ritournelle pop, conclusion chantée aux constatations amères. À Cannes, leur musique de chambre ouvrira la Semaine de la critique avec La Guerre est déclarée, deuxième long de madame. Prénommés Roméo et Juliette, leurs alter ego cinématographiques doivent faire face à la maladie grave de leur fils Adam. Love hurts. _L.P.
Polisse de Maïwenn
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© Mars Distribution
MAÏWENN ET JOEY STARR
Cultivant l’ambiguïté entre fiction et réalité depuis Pardonnez-moi (2006), Maïwenn se met en scène dans Le Bal des actrices (2007) en épouse de Joey Starr, avec qui elle vit une idylle nourrit de rivalité artistique (leur fils porterat-il un tee-shirt NTM ou Bal des actrices pour aller à l’école ?). Chacun joue alors son propre rôle, brouillant la frontière entre vie publique et vie privée. Dans Polisse, en compétition, elle se fait mutine, donnant au rappeur le plus connu des services de police le rôle d’un sous-officier de la brigade de protection des mineurs. Maïwenn se consacre cette fois à la réalisation, laissant l’écran à sa bande de fidèles (Karin Viard, Marina Foïs…). That’s her people. _L.T.
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PLACES TO BE
La Fée de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy
Cette année, la géographie des films sélectionnés marie les contradictions : lieux isolés et confinés d’une part (hameaux, îles, hôpitaux), port balafré, ouvert aux quatre vents, de l’autre (Le Havre). Brève cartographie d’une édition entre deux eaux. LE HAVRE
D’un port à l’autre, une diagonale secrète et cinéphile relierait-elle Le Havre à la Croisette ? Tournée de Mathieu Amalric et Belle Épine de Rebecca Zlotowski l’an dernier, La Fée du trio Abel-Gordon-Romy 60
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et Le Havre d’Aki Kaurismäki cette année : les programmateurs cannois semblent avoir pris l’habitude de sélectionner, à chaque édition, au moins deux films tournés dans la cité normande. Et ce n’est qu’un début, nous explique Christian Jouen, chargé auprès de la mairie havraise d’accueillir les tournages : « En 2007, deux longs métrages ont été tournés ici. En 2009, il y en a eu quatre, et en 2010, cinq, plus une série télé. » Parmi ceuxci, Léa de Bruno Rolland, en salles le 6 juillet, et Une nuit, le très attendu nouveau film de Lucas Belvaux. À quoi est dû ce soudain plébiscite ? « La Haute-Normandie a été la première région à nous allouer une subvention », confie Mathieu Amalric. Christian Jouen évoque pour sa
part « le bouche à oreille : les réalisateurs savent qu’on leur apporte un appui logistique ». Mais l’argument économique n’explique pas tout : « Au départ, c’était une contrainte de production, parce que filmer en banlieue parisienne revenait plus cher, admet Rebecca Zlotowski. Puis je suis tombée amoureuse du béton de cette ville à la fois orpheline et utérine, dure et sensationnellement digne. On ne sait pas si c’est une cité du passé ou du futur. » Entièrement reconstruite par les ateliers de l’architecte Auguste Perret, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Le Havre porte « la trace d’un grand projet humain, esthétique et moderniste, comme Berlin-Est »,
© Laurent Thurin-Nal
Rebecca Zlotowksi
© DR
estiment les réalisateurs de La Fée. « La ville ressemble à une maquette géante, où cohabitent les extrêmes, poursuivent-ils. À l’architecture incroyablement quadrillée et cohérente de Perret se juxtaposent des quartiers en pleine décrépitude. » Avec ses dégradés chromatiques gris-vert, ses
The Island de Kamen Kalev
« ciels incroyables » (Abel-GordonRomy), son passé impressionniste, ses formes singulières (containers colorés, toits plats, cathédrale élancée, « yaourt » géant dessiné par Niemeyer…), Le Havre est le terrain de jeu idéal des tenants d’un cinéma graphique et stylisé. À l’inverse, son port à l’abandon, ses clandestins en transit, ses dockers amadoués par des filles légères, sa patine vintage irriguent des approches plus sociales et réalistes, héritières des fictions de Jean Renoir (La Bête humaine), Marcel Carné (Quai des brumes) ou Jean Vigo (L’Atalante), en partie tournées ici. À la fois hors du temps et lourdement marqué par l’histoire, Le Havre est le port privilégié d’un cinéma qui, happé par les vents contraires de la fantaisie et du naturalisme, refuse de jeter l’ancre. ◆
© Jose Haro
« On ne sait pas si Le Havre est une cité du passé ou du futur. »
La Peau que j’habite de Pedro Almodóvar
Hôpitaux L’univers aseptisé des hôpitaux, synonyme de folie démiurgique dans le court métrage Le Songe de Poliphile de Camille Henrot et Dans la peau que j’habite de Pedro Almodóvar, inspire les cinéastes. Chez la première, des scientifiques fabriquent des anxiolytiques, dans une intrigue qui serpente de l’Inde à l’Occident . Chez le second, un chirurgien se livre à des expériences sur des humains pour créer une peau éternelle. C’est un royaume mortifère dans Code Blue, d’Urszula Antoniak, où une infirmière tue ses patients incurables. Sur un ton moins grave, Abel-RomyGordon emprisonnent leur Fée dans un centre psychiatrique havrais, pour mieux la faire s’évader par le biais d’un joyeux subterfuge, digne du plus réjouissant malade du cinéma burlesque, Buster Keaton. _O.M.
_Louis Séguin et Auréliano Tonet
Iles et hameaux À rebours du lifestyle frénétique du festivalier (files d’attente interminables, cohue, fêtes surpeuplées…), les films sélectionnés brillent par l’isolation de leur décor. Radu Mihaileanu (La Source des femmes) et Nadine Labaki (Et maintenant on va où ?) réfléchissent l’enfermement de villageoises hardies, tandis que Bruno Dumont chasse le mal sur des terres désertées (Hors Satan). Un couple fusionnel part en vacances sur une île bulgare (The Island de Kamen Kalev) à peine plus accueillante que celles visitées par Jack Sparrow (Pirate des Caraïbes 4). Once Upon a Time in Anatolia de Nuri Bilge Ceylan dresse le portrait d’un médecin solitaire évoluant au cœur de la steppe turque, pas si loin de la quête entreprise par Rahul pour retrouver son frère dans Mushrooms (Chatrak) de Vimukthi Jayasundara. Solitude des auteurs. _L.P. et A.T. www.mk2.com
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RÉCIDIVISTES
Take Shelter de Jeff Nichols
Habitué des courbettes sur red carpet, l’acteur activiste Sean Penn montera cette année les marches avec Terrence Malick et Paolo Sorrentino, tandis qu’Hafsia Herzi jouera de ses charmes à tout-va, de L’Apollonide à La Source des femmes. Bas de plafond, voix nasillarde, le comédien Michael Shannon inquiétera pour sa part les cinéphiles avec deux films très attendus, Take Shelter et Return. Doublez la mise.
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La Source des femmes de Radu Mihaileanu
HAFSIA HERZI
Omniprésente ce printemps sur les grands écrans, où elle envoûte l’espiègle matou du Chat du rabbin (Joann Sfar et Antoine Delesvaux) et la caravane de Jimmy Rivière (Teddy Lussi-Modeste), Hafsia Herzi percute également la Croisette avec deux apparitions fortes. Rebelle dans La Source des femmes (Radu Mihaileanu), privant son homme de plaisir charnel tant qu’il ne collabore pas aux tâches quotidiennes, la Falbala phocéenne se fait prostituée dans L’Apollonide (Bertrand Bonello), où elle chasse le mâle avec liesse. _L.P.
The Tree of Life de Terrence Malick
SEAN PENN
Merie Wallace © Cottonwood Pictures LLC
La venue à Cannes de Michael Shannon, acteur magnétique du Midwest, mérite d’être fêtée. Avant de camper pour HBO un inspecteur enchapeauté sur les planches de Boardwalk Empire, le comédien de théâtre a collectionné les seconds rôles (Les Noces rebelles) et les partitions hystériques (Bug, The Runaways). Seule ombre au tableau : l’incongru Kangourou Jack en 2002… Michael Shannon retrouve cette année le réalisateur Jeff Nichols, qui avait déjà mis à profit sa présence dérangeante dans un premier film impressionnant, Shotgun Stories (2007), drame sacrificiel entre rednecks de l’Arkansas. Son deuxième long métrage, Take Shelter, présenté à la Semaine de la critique, en fait un père de famille affolé par l’imminence d’une tempête. À la Quinzaine, Shannon partage également l’affiche de Return de Liza Johnson avec Linda Cardellini (Freaks and Geeks), soldate déboussolée de retour de mission. Le comédien a par ailleurs récemment fait savoir qu’il endosserait l’habit de vilain dans le reboot de Superman par Zack Snyder, où sa physionomie grimaçante devrait faire des merveilles. _C.G.
Julian Torres © Elzevir Films Oi Oi Oi Productions
MICHAEL SHANNON
En 1997, son rôle d’amoureux dérangé dans She’s So Lovely de Nick Cassavetes lui vaut le prix d’Interprétation masculine. Puis, c’est en tant que réalisateur de The Pledge que Sean Penn arpente le tapis rouge, avant de présider le jury cannois en 2008. Cette année, le revoilà acteur dans deux films de la compétition : il se grime gothique dans This Must Be the Place de Paolo Sorrentino (à qui il avait remis le prix du Jury en 2008 pour Il Divo) et retrouve Terrence Malick, dix après La Ligne rouge, pour The Tree of Life. Cannes must be his place. _L.T.
© DR
CANNES
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CANNES
FILMS SOCIALISME Trois communautés en marge – féminines, illégales ou gothiques – infiltrent les sélections cannoises, y distillant un parfum de scandale. Autant de voies tortueuses, tour à tour clandestines, obscures et sensuelles, d’accéder à la lumière ? Laissant les hommes à leur bruit et leur fureur, les femmes des fictions cannoises font bloc. Celles de La Nuit elles dansent d’Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault se transmettent l’art de la danse de mère en fille et de sœur à sœur. La maternité collective des 17 filles de Muriel Coulin révèle leur quête de sens désespérée, tandis que les maisons closes de L’Apollonide (Bertrand Bonello) et Sauna on Moon (Zou Peng) deviennent des lieux de survie. En filigrane ou de manière explicite, le lien féminin se fait politique : dans le village de La Source des femmes de Radu Mihaileanu comme dans celui de Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki, les hommes sont sommés de prendre leurs responsabilités – apporter l’eau ou cesser leur guerre, même combat. _M.W. et A.T.
L’Apollonide de Bertrand Bonello
© Carole Bethuel
GYNÉCÉES
Pirates des Caraibes : la fontaine de jouvence de Rob Marshall
© Peter Mountain Disney Enterprises Inc.
Plus in que jamais, les outlaws gravitent au centre des sélections. Bertrand Bonello se cloître dans une maison close en compagnie de ses habitantes (L’Apollonide) tandis qu’Aki Kaurismäki (Le Havre) et le trio Abel-Gordon-Romy (La Fée) explorent les bas-fonds du Havre à travers les destins de jeunes clandestins. Dans Yellow Sea de Na Hong-jin, un homme dans le besoin devient tueur à gages, pendant que deux personnages masqués partent à l’assaut des Neiges du Kilimandjaro (Robert Guédiguian). Un jeune aborigène australien se rêve gangster (Toomelah de Ivan Sen), quand le Loverboy de Catalin Mitulescu entraîne ses conquêtes dans un réseau de trafic humain. Et ce n’est pas Jack Sparrow (Pirate des Caraïbes 4) qui remettra tout ce bon monde dans le droit chemin… _L.T.
This Must Be the Place de Paolo Sorrentino
© ARP Sélection
HORS-LA-LOI
GOTHIQUES Du côté obscur de la sélection, les amoureux de Gus Van Sant ont rendez-vous au cimetière dans Restless, film crépusculaire sur la nécrophilie adolescente : pâleur d’héroïne burtonienne pour Mia Wasikowska, mine Twilight, humour de croquemort et costume sombre pour Henry Hopper. This Must Be the Place brille d’un même éclat lugubre : les rares images du vengeance movie de Paolo Sorrentino – sur une vieille rock star à la recherche de son père, ancien nazi – révèlent un Sean Penn transfiguré, les yeux cernés de khôl, arborant une moumoute cold wave. Même touffe sataniste chez les fermiers démoniaques du Pas-de-Calais qui terrorisent la populace : Hors Satan de Bruno Dumont promet un exorcisme rustique. _C.G. 64
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24 HOMMAGES PAR SECONDE Entre deux avant-premières, le festival sait aussi (se) rendre hommage : de rétrospectives événements (les émissions cultes de François Chalais) en révérences appuyées (Belmondo, Bertolucci, Méliès), sans oublier de célébrer le glamour éternel des pin-up (l’exposition Certaines l’aiment show), Cannes 2011 a des allures de grand classique.
François Chalais
Coffret Reflets de Cannes & Cinépanorama (INA / TF1 Vidéo) Exposition Certaines l’aiment show dans le Palais des festivals
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GEORGES MÉLIÈS
En attendant l’hommage de Martin Scorsese (L’Invention de Hugo Cabret, en salles fin 2011), Cannes célèbrera le père des effets spéciaux avec la projection, lors de la séance d’ouverture, de son chef-d’œuvre, Le Voyage dans la lune (1902), en couleur. Longtemps considérée comme perdue, minutieusement restaurée, cette version bénéficiera d’une bande-son inédite composée par Air. Treize ans après leur précédent alunissage (Moon Safari), le duo livre une partition ludique et enchanteresse, épousant avec une parfaite synchronie l’imaginaire visionnaire de Méliès. _A.T.
LES VIEUX B.
Triple A pour les trois B. Bernardo Bertolucci, tout d’abord : lors de la cérémonie d’ouverture, le réalisateur du Dernier Tango à Paris se verra décerner une Palme d’or d’honneur pour l’ensemble de son œuvre. Bébel, ensuite : une soirée lui sera dédiée, le 17 mai, au cours de laquelle la vie du « Magnifique » défilera sur grand écran avec la projection d’un documentaire de Jeff Domenech et Vincent Perrot (Belmondo, Itinéraire…). Enfin, bien entendu… Bob de Niro, qui surveillera les festivités depuis sa chaire présidentielle. _L.S.
© 20TH CENTURY FOX / THE KOBAL COLLECTION / Bert REISFELD
Voici un homme que les moins de 20 ans peuvent ne pas connaître… Pourtant, François Chalais siège au panthéon du journalisme français : globe-trotter dans l’âme, grand reporter et écrivain, il reste avant tout associé à deux émissions de télévision, Reflets de Cannes et Cinépanorama, qui ont fait de lui, durant les années 1950 et 1960, le chroniqueur attitré du septième art sur le petit écran. Mis à l’écart après Mai-68, il travailla ensuite pour la radio et la presse écrite. Quinze ans après sa mort, l’INA a décidé de lui rendre hommage en éditant un coffret de 3 DVD, dont des morceaux choisis seront projetés sur la plage de la Croisette durant le festival. Parmi les icônes interviewées par Chalais figure Brigitte Bardot, par ailleurs mise à l’honneur – avec d’autres créatures aux formes avantageuses, telles que Liz Tailor ou Ava Gardner – dans l’exposition Certaines l’aiment show, qui réunit des photos de star(lette)s en goguette sur la Croisette. Glamour un jour, glamour toujours… _Jérôme Provençal
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RAINING MEN Bouffée d’air encrassé de tabac dans le paysage télévisuel, la série Mad Men infiltre la musique, le cinéma et même le jeu vidéo. Depuis 2007, les aventures de ces McGyver de la publicité naissante distillent les gouttes ambrées d’un whisky qui pleut ce mois-ci sur le nouveau clip d’Herman Dune, enivre des X-Men en quête d’origines vintage et insinue son sens de la tchatche jusque dans le nouveau jeu malté du studio Rockstar : L.A. Noire.
© Rockstar
_Dossier coordonné par Étienne Rouillon
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BEYOND MAD MEN
L.A. confidentielle. Celle des feutres mous de privés fanés à force de rempoter le Dahlia noir. Celle du studio Rockstar, maison mère de G.T.A, qui avec L.A. Noire adapte sa syntaxe libertaire au jargon d’enquêtes policières interactives conduites par l’acteur Aaron Staton, numérisé entre deux épisodes de Mad Men. Cette année, le meilleur polar n’est pas signé James Ellroy, il se joue sur PS3 et Xbox 360. _Par Étienne Rouillon
BLACK U
ne voiture de police. Mais je ne l’ai pas volée. Je suis policier, déambulant peinard dans le Los Angeles de 1947, où le bois n’a pas encore disparu de bâtiments moins hauts, de rues moins quadrangulaires, moins plantées de tricolores. Et quand bien même y’en aurait, on s’en fiche, le gyrophare, c’est nous. Le premier contact avec L.A. Noire donne le tournis. Tout est d’une étrange familiarité. C’est un jeu Rockstar, certes, mais du coté de la loi. Le carrosse à la ligne cabossée, l’affichage de la carte routière, les savoureux dialogues qui ponctuent la virée dans une ville ouverte à tous nos caprices… Autant de reprises de ce qui fit le succès et l’excellence des productions du studio, dont les plus fameuses sont la série des Grand Theft Auto, au pouvoir de séduction séditieux incarné par des malfrats qui mettent à sac les New York et Londres actuels. Rebelote au printemps dernier avec Red Dead Redemption, où Rockstar faisait une entorse à sa cheville contemporaine en chaussant les éperons d’un braqueur de banques aussi droit dans
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ses bottes qu’un apothicaire ambulant pour quelques dollars de plus. Qu’est-ce que Rockstar trafique donc en nous collant l’insigne d’un flic vintage qui carbure au bourbon, aux actrices égarées et à Billie Holiday ?
LES INCORRUPTIBLES
Les premières communications sur le jeu étaient axées sur le nerf de l’affaire : les enquêtes policières. Inspirées de crimes crapuleux ou d’affaires de mœurs qui firent les grasses colonnes des années 1950, elles nous guident depuis l’inspection sur les lieux de l’homicide jusqu’aux coups de pression sur des témoins qui mouchent rouge. Guider ? Passages obligés ? Oui. L.A. Noire est d’office dans l’antithèse totale de la vaine vadrouille défendue jusque-là par l’éditeur. On a alors craint un arrivisme surfant sur le succès de séries à enquêtes comme Les Experts. On attendait des séquences d’interrogatoires gadgets, celles qui avaient lassé les joueurs de Heavy Rain. Sauf que cette fois, la donne a changé. Avec sa bobine sortie d’une pellicule d’Otto Preminger, Aaron Staton campe Cole Phelps. Le jeune acteur, remarqué
« Dans le jeu, vous ne regardez pas des personnages de synthèse doublés, mais des acteurs. » pour son rôle de Ken Cosgrove dans Mad Men, a numérisé son visage et ses gestes grâce à une technologie révolutionnaire de motion capture, similaire à celle employée pour Avatar. En interview, l’acteur est toujours ébaubi d’avoir pu diriger son jumeau de pixels : « Lorsque vous jouez à L.A. Noire, vous regardez non pas des personnages de synthèse doublés par des acteurs, mais des acteurs. Le procédé de motion capture saisi l’essence de notre jeu et le résultat est similaire à ce que l’on peut ressentir devant un film ou une série télé comme Mad Men. » Les équipes du studio de Team Bondi ont ensuite réussi à faire de cette palette d’expression le support d’un gameplay tout en finesse. Par exemple,
© Rockstar
STAR quand vous interrogez un affreux à propos de la disparition de sa femme, il vous répond avec un regard imperceptiblement fuyant. Une subtilité que l’on peut enfin appréhender dans un jeu vidéo, en l’occurrence pour confondre les suspects en sautant sur son canapé : « C’est du flan ce que tu me sers là, mon gaillard ! »
FUNNY GAMES
« On a déjà dit que le jeu et le cinéma se croisent désormais dans l’expérience du spectateur-joueur. Mais, ici, la différence, c’est que ces deux mondes fusionnent également pour l’acteur. Lorsque je dirige mon personnage dans une partie, j’ai l’impression d’interpréter les scènes à nouveau », renchérit Cole Phelps. Ou Aaron Staton, on ne sait plus trop, mais c’est fait pour. ◆ Retrouvez l’interview d’Aaron Staton en intégralité sur www.mk2.com L.A. Noire Genre : aventure / actionAbel Éditeur : Rockstar Games Plateformes : PS3 et X360 Sortie : 20 mai
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BEYOND MAD MEN
STRANGE MOOVIE Quand le groupe HERMAN DUNE invite le Mad Man JON HAMM dans le clip de son nouveau single, ce sont deux (re)visitations modernes du passé qui sont réunies : le songwriting folk des années 1960 et un certain archétype de l’acteur américain. Moins anachronique qu’intemporel.
ars 2011 : à 20 minutes du centre d’Austin, Texas, et en marge du festival indépendant South by Southwest, Herman Dune tourne le clip de Tell Me Something I Don’t Know, premier single tiré de son nouvel album, Strange Moosic, dans une enchanted forest qui rappelle un peu celle de La Mort aux trousses d’Hitchcock. Jon Hamm, qui interprète Don Draper dans Mad Men, vient y accompagner Baby Blue, petite marionnette bleue – entre yeti et Chewbacca – inventée par le chanteur-dessinateur David Herman Dune, pour une balade folk. « J’aime les acteurs qui sont des figures masculines, avec une élégance d’homme fort, à la James Stewart ou Cary Grant, avoue ce dernier. Il ne pouvait y avoir de meilleur choix que Jon Hamm, qui peut être silencieux, drôle, élégant. Il ressemble à un héros hitchcockien, et vu mon amour obsessif pour Hitchcock, je m’imaginais sur un de ses tournages, sur une petite route américaine… »
Si David et le réalisateur Toben Seymour ont également pensé à Jon Hamm pour ses rôles de comédies (en Lex Luthor sur la chaîne internet Funny or Die, ou en guest dans 30 Rock sur NBC), c’est surtout l’élégance rétro de l’acteur qui a séduit David : « Mes goûts esthétiques sont très compatibles avec les sixties, poursuit-il. Je trouve que
Jon Hamm, David Herman Dune et Toben Seymour
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les femmes sont magnifiques vêtues comme Marilyn ou Audrey Hepburn, et que les hommes sont plus élégants avec des pantalons comme Charlton Heston. J’aime la sobriété de cette époque. » On jettera aisément un pont entre la reconstitution minutieuse de Mad Men et la fidélité indéfectible au songwriting américain de la même époque (Spector, Cohen, Dylan) dont témoigne la discographie du groupe (neuf albums en onze ans), aux côtés de side projects plus expérimentaux (Yaya Tova pour David, Zombie Zombie pour le batteur Néman,). Mais David réfute vigoureusement l’intention revivaliste : « Herman Dune est un groupe de rock’n’roll et de chansons. Notre expérimentation, c’est l’écriture et notre façon de jouer : les rythmes de Néman sur The Rock, mes solos de guitare dans Your Love is Gold, bien plus que si Néman tapait sur une batterie laser ou si je jouais de la guitare avec une perceuse. Nous ne sommes ni traditionalistes, ni classicistes, ni revivalistes, nous voulons juste faire de bonnes chansons, et Strange Moosic est notre vision d’un bon album, quelle que soit l’année de sa sortie. » ◆ Strange Moosic de Herman Dune Label : Green United Music / City Slang / Pias Sortie : 23 mai www.strangemoosic.tumblr.com
© DR
M
_Par Wilfried Paris
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Š Nino Munoz
BEYOND MAD MEN
HORS SÉRIE Dans Mad Men, elle incarne une housewife aux manières aussi impeccables que sa chevelure. Dans X-Men: le commencement, elle est Emma Frost, une mutante télépathe, sulfureuse et ambivalente. Pour casser son image de blonde hitchcockienne un peu lisse, January Jones tombe le serre-tête. Portrait. _Par Bruno Dubois, à Los Angeles
P
erchée sur ses escarpins Jimmy Choo, elle s’excuse pour son retard d’une voix presque enfantine. À 33 ans, January Jones n’a pourtant plus grand-chose de la petite fille de Sioux Falls (Dakota-du-Sud). Désormais égérie de Versace, elle a connu une ascension aussi tardive qu’explosive grâce au rôle de Betty Draper dans la série Mad Men. Le 1er juin, elle reviendra au cinéma dans la peau de diamant d’Emma Frost pour X-Men: le commencement. « Sans doute le plus grand risque de ma carrière », confiaitelle récemment.
FATALEMENT
Tout s’est enchaîné en quelques jours. Après avoir auditionné pour deux rôles, elle décroche celui de la White Queen. Sitôt la saison 4 de Mad Men achevée, l’été dernier, elle fait donc ses valises pour rejoindre le réalisateur britannique de Kick-Ass, Matthew Vaughn, à Londres. « Un jour, je suis femme au foyer. Le lendemain, je deviens une mutante télépathe ! » Dans la précipitation, elle n’a pas vraiment eu le temps de se mettre en condition physique. « Si je passe trop de temps à la salle de gym, je perds mes courbes féminines », justifie-telle. Pas vraiment idéal pour incarner Emma Frost, « la femme fatale ». January Jones s’est en revanche vue obligée de potasser la mythologie Marvel, sa méthode pour apprivoiser son personnage. « Je n’ai pas de formation d’actrice. J’y vais à l’instinct, je fais semblant », ajoute cette autodidacte. En plein Midwest, son père, prof de sport au lycée, aurait sans doute rêvé d’avoir un fils. Ce sera finalement trois filles : Jina, Jacey et l’aînée, January – un prénom choisi en référence à un roman à l’eau de rose qui s’achève par une orgie. Avec un tel nom, elle aurait pu devenir chanteuse de jazz ou strip-teaseuse. Mais un directeur de casting convainc ses parents de la laisser tenter sa chance dans le monde de la mode, à New York. « J’avais 18 ans, j’étais naïve. Je n’avais jamais vu l’océan », se souvient-elle. Avec 200 dollars en poche, elle multiplie les petits boulots de mannequinat qui paient tout juste le loyer. Elle part même pour une aventure à Paris mais, après quelques mois passés à se morfondre sur la tombe de Jim Morrison, elle rentre aux États-Unis. Direction Hollywood.
« Je suis impulsive, mes parents m’ont toujours encouragée à courir après mes rêves. » Son boyfriend de l’époque, un certain Ashton Kutcher, lui aurait déconseillé ce changement de carrière. « Je ne veux pas parler de lui », interrompt-elle, sur la défensive. « Elle déteste s’épancher sur sa vie privée », expliquera plus tard un de ses proches, croisé par hasard dans un bar branché. Pendant plusieurs années, January Jones galère en Californie, d’un téléfilm fauché à un projet de série avorté. Mais elle persévère. « Le monde de la mode, ça endurcit. » Elle enchaîne quelques petits rôles dans des gros films, notamment Anger Management (2003), aux côtés d’Adam Sandler et Jack Nicholson. Avec Trois Enterrements (2005), de Tommy Lee Jones, elle retourne en France, à Cannes. Mais c’est bien le personnage de Betty Draper qui lui a donné un visage et un nom.
D’UN MAN À L’AUTRE
Avec elle, January Jones partage « un goût pour la haute couture ». Entre Mad Men et X-Men, qui revient cette fois aux origines de la saga et se déroule lors de la crise des missiles de Cuba en 1962, elle commence à s’y connaître en mode des sixties. Selon elle, Mad Men « a incontestablement influencé les designers. Les tailles hautes, les bustiers : les créateurs y reviennent pour trouver des silhouettes plus féminines. » Pour le reste, elle ne se reconnaît pas vraiment dans son personnage de mère de famille déchirée entre ce qui est attendue d’elle et ses bouillants désirs intérieurs. January lance, avec un petit air de défi : « Je suis impulsive, mes parents m’ont toujours encouragée à courir après mes rêves. » Avant d’ajouter, sérieuse : « Si X-Men se révélait une catastrophe, je pourrais quand même être forcée d’en faire trois. » Puis elle éclate de rire. Sous ses faux airs de beauté froide, January Jones est délicieusement sarcastique. ◆ X-Men : le commencement de Matthew Vaughn Avec : January Jones, Michael Fassbender… Distribution : Twentieth Century Fox France Sortie : 1 er juin
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LE STORE
ET PAON ! © Aime
Cet été, plutôt que d’acheter un billet d’avion pour le bout du monde, ouvrez la boîte à bijoux Aime. Depuis 2009, la créatrice parisienne Magali Pont invite au voyage avec ses collections exotiques. Flânant tantôt dans la savane africaine avec les bracelets tête de lion et les manchettes serpent, ou rendant hommage aux tribus indiennes avec les colliers Apaches en plume de paon, ces fantaisies précieuses et félines font un carton au Japon et aux États-Unis. Plus près d’ici, une nouvelle collection Pharaon et l’ouverture d’une boutique à Paris se profilent. _M.W. Retrouvez les bijoux Aime au Store du MK2 Bibliothèque
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EN VITRINE CD
MAOUSE COSTAUD Rome ne s’est pas fait en un jour. Depuis cinq ans, le superproducteur DANGER MOUSE et son acolyte italien DANIELE LUPPI se sont lancés sur les terres d’Ennio Morricone. Le résultat de cette magistrale cavalcade spaghetti‑pop sort ces jours-ci. Ne comptez pas sur eux, en revanche, pour en remettre une couche en interview… _Par Étienne Rouillon
« – Alors Danger Mouse, qu’est-ce que ça fait d’enregistrer avec l’orchestre d’Ennio Morricone ? – Ben, tu sais, on n’y pense pas trop, c’est du boulot. Il nous fallait ce son, ils savent le faire. – Rome se jette dans les sabots du western spaghetti. Quels films de Sergio Leone vous ont particulièrement marqués ? – Ben, tu sais, c’est juste qu’on aime bien ses films et qu’on voulait réinventer leurs musiques. – … » Danger Mouse est un mauvais client en interview mais un artiste lucide. Dans nos pages, lorsqu’on fait la critique d’une œuvre – et plus encore quand on peut rencontrer ses auteurs –, on cherche toujours à vous raconter une histoire derrière l’objet chroniqué. Ça coule de source pour un film, c’est plus délicat pour un disque, et c’est impossible face à Danger Mouse. Ses oreilles ont pourtant manufacturé des chansons jouées en boucle sur les baladeurs numériques ces dix dernières années, dont l’homérique Crazy avec Gnarls Barkley qui squatte toujours les castings de télécrochet. Le producteur américain est de tous les projets supersoniques : Gorillaz, Danger Doom, The Grey Album (lire ci-dessous)… De toutes les interviews aussi, avec toujours une seule réponse. En substance : « Ma musique parle d’elle-même,
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De gauche à droite : Danger Mouse, Norah Jones, Daniele Luppi et Jack White
Les guitares qui sifflent comme des pruneaux de Winchester, ça a de la gueule. dis ce que tu veux mais ne compte pas sur moi pour te tenir le stylo. » On a tenté le coup quand même, ne serait-ce que pour lui faire signer un vieux vinyle du petit frère. WIKIPEDIA Tous les chemins mènent à Rome, y compris l’Eurostar, pour une promo londonienne. Dans le train, on se rassure. On connaît la discographie de Danger Mouse sur le bout des tympans
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Ghetto Pop Life Premier album de Brian Burton aka Danger Mouse, grandi entre New York, Athens et Londres. Véloce et féroce, sa collaboration avec le rappeur Jemini fait des étincelles.
The Grey Album La souris mélange avec génie mais sans autorisation le White Album des Beatles et le Black Album de Jay-Z. Le disque est vite retiré des rayons, avant d’être massivement téléchargé.
Demon Days Damon Albarn, leader de Blur et tête pensante du combo Gorillaz, scotche sur le Grey Album et recrute Danger Mouse pour produire le second album du groupe cartoon, qui fait un carton.
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Rome recompose les B.O. de Morricone avec ce qu’il faut d’irrévérence.
© Frank W Ockenfels 3
WINCHESTER Dernière recommandation de l’attachée de presse (« surtout, posez des questions intelligentes »), avant que l’on se jette sur le ring anthracite d’une chambre d’hôtel. « Nice to meet you / Piacere. » On ouvre les hostilités avec l’anecdote de la soirée chez les copains pour lancer un développement sur la pertinence de ce projet qui ne pastiche pas mais recompose l’ambiance des bandes-son de Morricone période L’Estasi dell’oro (composé pour Le Bon, la Brute et le Truand), avec ce qu’il faut d’irrévérence pour ne pas chevaucher dans l’hommage stérile. Mais la réponse se résume en un sourire franc sous moustache (Luppi) et un clin d’œil derrière besicles fumées (Mouse), qui veulent dire : « Eh ouais, c’est rigolo ! Cool pour toi. » Pour la genèse dantesque d’un projet né – mettons – lors d’une expérience synesthésique dans le désert d’Atacama, tu peux te brosser. Ils ont fait Rome parce que les guitares qui sifflent comme des pruneaux de Winchester, ça a de la gueule, vas pas chercher plus loin.
depuis qu’on a écouté son premier album Ghetto Pop Life tard chez des copains de 2003, endormis devant Il était une fois la révolution sur mute. On n’en a pas moins imprimé 120 pages Wikipedia sur la souris dangereuse, sur ce nouvel album composé pendant cinq ans avec le compositeur de musiques de films Daniele Luppi (déjà présent sur St. Elsewhere de Gnarls Barkley), sur ses racines moriconniennes, sur la collaboration grisante avec Jack White et Norah Jones, vocalistes luxueux de Rome. Mais on a un peu honte de potasser quand le voisin de banquette s’appelle Olivier Cachin, le plus grand journaliste hip-hop de l’Hexagone. On relit en cachette, dans le tunnel, sous sa manche.
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The Mouse & The Mask Danger Mouse et le rappeur MF Doom (déjà sur Demon Days) deviennent Danger Doom le temps d’un disque drôle et rigoureux, qui fait rougir de honte Madlib et Timbaland.
WIN WIN Il faut tout de même tenter de leur faire mettre des mots sur cette science de l’association défendue par Danger Mouse. Cette cohérence harmonique qu’il travaille pour The Rapture (Pieces of the People We Love, 2006), Sparklehorse (Dreamt for Light Years…, 2006), Beck (Modern Guilt, 2008), The Black Keys (Attack & Release, 2008), Martina Topley-Bird (The Blue God, 2008) ou James Mercer (Broken Bells, 2010). Formellement, Rome est une salvatrice entorse analogique au diktat du surproduit par le tout-électronique. Et pourtant, les basses grasses et les cordes syncopées de The Gambling Priest, pure musique de duel au bellicisme mutique, sonnent comme un délicat beat hip-hop à la Madlib. Enfin, c’est ce que l’on essaie d’expliquer, mais Danger Mouse ne voit pas du tout de quoi on parle. Alors, on lui chante le morceau en question ; Daniele fredonne la partie de xylophone, je prends les violons. Ça y est, il voit. On est tous d’accord, il y a quelque chose de moderne malgré l’utilisation d’un instrumentarium vieux comme les films spaghettis.
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St. Elsewhere Qui a pu échapper à Crazy, la chanson-mappemonde qui révèle Gnarls Barkley, énième duo de l’ami Brian, cette fois avec le chanteur de soul en béton armé Cee Lo Green ?
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The Good, The Bad and The Queen Retrouvailles western pour le nouveau superprojet de Damon Albarn, qui se paye le luxe de réunir Tony Allen, co-inventeur de l’afrobeat, et Paul Simonon, ex-bassiste de The Clash.
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EN VITRINE CD La pertinence des projets de Danger Mouse repose uniquement sur sa capacité à synthétiser des évidences.
« Mais ce n’est pas un choix réfléchi, c’est simplement que ça sonne bien comme ça. On nous demande souvent comment on se répartit le travail de création. [ndlr : là, je raye ma question suivante.] Tout se fait naturellement, on se nourrit l’un de l’autre. On s’est bien trouvés, c’est tout. » Voilà pourquoi il est absurde d’ergoter sur la pertinence des projets de Danger Mouse : celle-ci repose uniquement sur sa capacité à identifier et synthétiser des évidences créatives. Et une évidence, ça ne s’explique pas. Du coup, discuter de ses albums antérieurs, c’est comme un bisou princier au balcon : un passage obligé mais sobrement expédié. Résigné, on se risque malgré tout à le titiller sur l’intertextualité de ses productions – comment les années de gestation de Rome semblent avoir bourgeonné sur les chœurs cow-boy de Going on du second Gnarls Barkley, en 2008, ou sur les ballades sous le soleil blanc poussière de The Good, The Bad and The Queen (produit
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The Odd Couple Gnarls Barkley persiste dans l’idée de séduire toutes les oreilles avec de la musique intelligente. Pas de Crazy cette fois, mais treize titres complètement dingos.
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en 2007 pour Damon Albarn), à l’évidente filiation patronymique. Ce même goût pour les structures circulaires assises sur des nappes sourdes, au-dessus desquelles s’égrènent des arpèges entêtants. « Que veux-tu, ce sont mes chansons. » VINYLE Bien sûr, c’est quand on range le dictaphone en tendant ce vieux disque de 2001 à faire signer pour le frérot que l’on s’est vraiment mis à parler de Rome : oui, c’était quand même mortel d’enregistrer avec 80 musiciens de 70 piges, de les faire revenir dans les mythiques studios du Forum Music Village, sis dans d’anciennes catacombes romaines, où Morricone a jadis battu la mesure. Parce qu’ils ont leur manière bien à eux de jouer cette musique polie et sophistiquée – « vous diriez “lâchée” en français », ose Daniele Luppi. Et Danger Mouse sourit. ◆ Rome de Danger Mouse et Daniele Luppi Label : EMI Sortie : 16 mai Retrouvez notre sélection d’objets « western spaghetti » (DVD, B.O., essais…) au Store du MK2 Bibliothèque
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Dark Night of the Soul Casting pharaonique (Iggy Pop, The Flaming Lips…) pour ce projet mené avec David Lynch et feu-Sparklehorse. Suite à une brouille avec EMI, le disque sort d’abord en CD vierge…
U2 Outre un disque avec Black Thought des Roots et un sequel de Ghetto Pop Life, Danger Mouse travaille actuellement sur une douzaine de chansons pour le prochain album des stadiers du rock.
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RUSH HOUR AVANTMINUIT À
D’ALLER VOIR PARIS, LISEZ L’ŒIL DE L’IDOLE DE S.J. PERELMAN.
Une mère larmoyante accompagne son enfant à la gare : « Oh, mon fils, comme j’aurais préféré que tu ne deviennes pas scénariste. » Voilà le genre de perles comiques qu’offre ce premier tome des nouvelles de S.J. Perelman (1904-1979), maître américain de l’absurde. Pilier du New Yorker et scénariste, notamment pour les Marx Brothers, son art du contrepied a durablement marqué Woody Allen, qui préface ici : « Aucun écrivain actuel n’égale son sens du comique, sa folie inventive, son talent narratif et l’originalité éblouissante de ses dialogues. » Ouvrez l’œil. _W.P. L’Œil de l’idole, textes humoristiques tome 1 (1930-1948) de S. J. Perelman (Wombat)
PENDANT X-Men
la séance de , prenez des notes sur un carnet Pin-up.
Mieux vaut ne pas aller voir X-Men : le commencement les mains dans les poches, surtout si l’on n’est pas au jus des trois épisodes déjà sortis (qui racontaient les aventures de la bande du Professeur X après qu’ils aient découvert leurs superpouvoirs). Afin de rembobiner tranquille et de saisir tous les enjeux de la rivalité naissante entre Magneto et Xavier, le carnet pin‑up, sous influence comics, s’impose. On y griffonnera des indices et des hypothèses interprétatives sans se soucier du noir, façon Diablo. _L.T. Carnet Pin-up movie fun, 12 €, en vente au Store du MK2 Bibliothèque
APRÈS
LA VISITE DE L’EXPOSITION KUBRICK , ÉCOUTEZ LA COMPILATION CLASSIQUES ET CINÉMA. Kubrick se demandait pourquoi faire appel à des compositeurs alors qu’il avait sous la main un répertoire de chefs-d’œuvre inépuisable. Deutsche Grammophon édite une compilation de pièces classiques célèbres utilisées par le cinéma, de Barry Lyndon à Black Swan, de Eyes Wide Shut à Match Point, dans des interprétations de référence. C’est l’occasion de vérifier que le mariage va parfois si loin qu’en entendant Ainsi parlait Zarathoustra de Strauss, impossible de ne pas penser à 2001… _L.S. Classiques et cinéma, compilation (Deutsche Grammophon / Universal)
Trop apps À la pointe Plongé dans le même encrier qu’un Crayon Physics, le marqueur magique du jeune Max lui permet de dessiner avec un doigté tactile les objets qui l’aideront à venir à bout de ce joli jeu de plateformes reposant sur votre inventivité – et une physique rarement aussi bien exploitée sur les consoles à emporter. _ E.R. Max and the Magic Marker (Electronic Arts) // iPhone, iPad et iPod touch
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Bande dessinée, musique, cinéma : de Gainsbourg (vie héroïque) à l’exposition Brassens ou la liberté, en passant par l’adaptation sur grand écran de son héros phare, Le Chat du rabbin, JOANN SFAR décline un univers culturel boulimique et protéiforme. Il commente pour nous sept de ses (nombreux) pêchés mignons. _Propos recueillis par Louis Séguin
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GUEST LIST
LES CHOIX DU RABBIN
LE CHAT DU RABBIN
« Je ne suis pas un touche-à-tout ; je fais pousser le même arbre à chaque fois et j’arrose toujours la même histoire. La plus grande difficulté dans un dessin animé, c’est de garder la spontanéité et la simplicité du dessin, alors que le travail dure quatre ans. Je suis ravi du résultat, c’est exactement ce qu’on voulait faire. Il fallait être aussi piquant que la BD sur la religion, et en même temps ne pas être blessant pour un public familial – à qui le film s’adresse en priorité. En tout cas, je ne vais pas refaire un nouvel album du Chat pour l’instant. Peut-être un jour, mais aujourd’hui je serais complètement bloqué, j’ai trop l’habitude de le voir sur des dessins immenses, très détaillés. Et puis, depuis que j’ai tourné avec les acteurs, je n’arrive plus à penser aux personnages autrement. » Dargaud réédite plusieurs albums du Chat du rabbin ce printemps. Joann Sfar sera l’invité du prochain Ciné-BD, le 16 juin au MK2 Quai de Loire, plus d’infos page 127 et sur www.mk2.com Le Chat du rabbin de Joann Sfar Avec les voix de : François Morel, Hafsia Herzi… Distribution : UGC Durée: 1h40 Sortie : 1 er juin
UN PAQUET DE ZLABIA
« On a appelé la fille du rabbin Zlabya parce que, quand j’ai créé cette BD, je pensais à une fille bien plantureuse. Il y a des filles, on a envie de mordre dedans… Et le zlabia, c’est très bon. C’est une pâtisserie orientale à l’orange et au miel qu’on fait griller sur des grandes plaques en ferraille. » Retrouvez du zlabia dans toutes les bonnes pâtisseries orientales
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UKULÉLÉ
« Je passe mon temps à offrir des ukulélés à tout le monde ! C’est un petit instrument dont on apprend à jouer très vite. Je lui ai d’ailleurs consacré une BD il y a quelques années. Ce que je découvre en ce moment, c’est Hank Williams III, le petit-fils de Hank Williams, l’un des plus grands chanteurs de country, qui est une musique de blancs pauvres inventée aux États‑Unis dans les années 1930. Hank Williams III, lui, joue un mélange de country et de hard‑rock. J’essaie, tant bien que mal, de l’interpréter au ukulélé, ça me fait un bien fou. » Rebel Within de Hank III (Curb Records) Ukulélé de Joann Sfar (L’Association)
QUAI D’ORSAY
« J’adore cette BD, et en plus son dessinateur, Christophe Blain, est un bon copain. Un ancien conseiller de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, y raconte ce que c’est que de vivre sous la coupe de ce despote poète. Je crois que les ministères français ne ressemblent pas à ceux des autres pays ; les raconter de l’intérieur, ça me paraît intéressant. Je suis convaincu que la bande dessinée peut s’immiscer partout. Quand elle prouve qu’elle peut investir un nouveau lieu, ça me rend heureux. » Quai d’Orsay de Christophe Blain et Abel Lanzac (Dargaud)
YOM
« Il y a un copain clarinettiste que j’adore : il s’appelle Yom, il vient de sortir un nouvel album dont la jaquette est dessinée à la Jack Kirby, dans le genre comics des années 1960. Son approche du klezmer, une musique juive d’Europe de l’Est, est incroyable : il la transcende littéralement, c’est de la folie ! » With love de Yom et The Wonder Rabbis (Buda musique)
THE SOCIAL NETWORK
« C’est un pas en avant dans le cinéma : l’écriture guide le film, et tout le reste suit. Il y a une tension perpétuelle. Réussir à ce que le spectateur s’identifie à ce génie insupportable qu’est le héros, c’est un vrai tour de force. Le making of est très généreux ; il est rare qu’un réalisateur accepte de raconter à ce point sa méthode de travail. Là, on comprend que la supériorité du cinéma américain n’est pas seulement une supériorité économique. On s’imagine qu’ils ont une méthode d’écriture, mais ce n’est pas ça : c’est qu’ils ont besoin de bosser pour manger. Alors qu’il y a une conception étrange en France : si le public aime, c’est forcément suspect. » The Social Network de David Fincher (Sony Pictures, édition collector 2 DVD)
BRASSENS OU LA LIBERTÉ
« L’idée, avec cette exposition, était de rendre Brassens accessible sans simplifier son discours, faire découvrir son œuvre à des gamins. Pour cela, nous avons mêlé les approches : d’un côté, un grand travail de documentation, de l’autre, beaucoup de dessins, de manière à rendre le parcours ludique. On retrouve certains d’entre eux dans le catalogue de l’expo, et d’autres dans le livre de chansons illustrées, qui contient les accords de guitare de ses chansons. Dans l’exposition, nous montrons aussi des textes inédits de Brassens, qu’Olivier Daviaud a mis en musique pour l’occasion. Ils datent des années 1940 : l’écriture est moins érudite et comique que ce qu’il a pratiqué après, mais c’est très tendre. » Exposition Brassens ou la liberté, jusqu’au 21 août à la Cité de la musique
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VINTAGE Pam Grier dans The Big Bird Cage de Jack Hill
CASE PRISON Un coffret rend hommage aux women in prison, sous-genre seventies où des amazones peu vêtues tentent d’échapper à des hommes dans une ambiance moite. On y découvre une Pam Grier déjà éblouissante, et des scénarios un poil moins glorieux. _Par Donald James
C’est à Bach film, spécialiste de la série B à petit prix, que l’on doit aujourd’hui le coffret de trois DVD Femmes en cage. Un hommage bienvenu à ce sousgenre du cinéma bis, plus connu sous l’acronyme anglo-saxon WIP (women in prison), dans lequel – immanquablement – un groupe de femmes se retrouve cloîtré et cherche à s’enfuir. Ces films fauchés, coquins mais pas érotiques, ont connu leur heure de gloire au début des années 1970 au Japon, notamment avec la série des Elle s’appelait Scorpion, et aux États-Unis avec les films réunis ici. Produits par l’Américain Roger Corman, capable du pire (la liste est longue) comme du meilleur (il a lancé les carrières de Monte Hellman, Francis Coppola ou Martin Scorsese), ces trois longs métrages ont été tournés aux Philippines, haut
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lieu de la sexploitation, comme le décrit le documentaire Machete Maidens Unleashed ! de Mark Hartley. L’archipel fait alors figure d’oasis exotique bon marché et constitue le décor parfait pour mettre en scène des républiques bananières rongées par la corruption. Mais le délice de ces films articulés autour du triptyque sexe, action et violence, c’est avant tout la découverte d’une actrice alors débutante et explosive : Pam Grier, future star de la blaxploitation et du Jackie Brown de Tarantino. Elle est tour à tour geôlière lesbienne sadique dans le sombre Women in Cages de Gerardo de León (notre préféré), détenue dans le
Ces films ont été tournés aux Philippines, haut lieu de la sexploitation rocailleux Big Doll House de Jack Hill et rebelle dans le nanar The Big Bird Cage du même auteur. Autour d’elle, d’autres actrices ont connu une carrière plus éphémère, notamment la belle Anitra Ford, que l’on retrouvera plus tard dans le génial L’Invasion des femmes abeilles. Ces films où la femme captive désire son indépendance, où la guerrière paraît tout aussi idiote que l’homme, demeurent réservés à un public averti. ◆ Femmes en cage, coffret 3 DVD Éditeur : Bach Films Sortie : déjà disponible
RAYON IMPORT
Assaut sur Carpenter
« En France je suis un auteur, aux États-Unis je suis un loser. » Le maître moustachu de la série B fantastique a pourtant été salué par Hollywood à l’heure de ses succès commerciaux (The Fog, Assaut) et doit son indépendance à sa productrice, Debra Hill, ses acteurs (Kurt Russell) et ses B.O. homemade. Cette introduction en anglais nous guide sur les traces du cinéma bis esquissées par Dark Star, son film de fin d’études. Déviant rarement de cette voie marginale, les films d’action grungies et apocalyptiques de Carpenter (Escape From New York), hommages à Howard Hawks, ont engendré d’innombrables remakes, tout comme Halloween a donné ses lettres de noblesse au sous-genre du slasher. À lire en attendant la sortie française de The Ward, son prochain film. _ C.G. John Carpenter de Michelle Le Blanc et Colin Odell (Kamera Books, biographie)
BACK DANS LES BACS
Jacnow Pionnier du punk français avec les Stinky Toys (couve du Melody Maker et concert avec les Sex Pistols à Londres en 1976), précurseur d’une electro pop joueuse et acide (avec son album Rectangle, la B.O. des Nuits de la pleine lune ou le jingle de l’émission TV Platine 45), producteur pygmalion (pour Daho, Darc ou Lio), joli garçon du couple mythique Elli & Jacno, Denis Quilliard, alias Jacno, n’est pas mort le 6 novembre 2009, mais survit en immortelle ritournelle dans les mémoires et les cœurs. L’hommage rendu au futur de Jacno prend la forme d’un disque de reprises par ses amis et admirateurs, qui sera joué live cet été à la Cité de la musique, tandis que ses albums sont progressivement et luxueusement réédités. _W.P. Rééditions de Stinky Toys de Stinky Toys et Tout va sauter d’Elli & Jacno (Sony Music) La compilation Jacno Future (Polydor) sera jouée le 30 juin à la Cité de la musique, dès 20h, avec Étienne Daho, Jacques Higelin, Benjamin Biolay, Christophe, Dominique A, Miossec, Brigitte Fontaine… www.cite-musique.fr
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GRANDE BOUFFE Le coffret DVD Grindhouse, qui rabiboche son Boulevard de la mort et Planète terreur de son compère ROBERT RODRIGUEZ, et un cycle sur CinéCinéma rappellent combien l’art de QUENTIN TARANTINO goûte aux meilleurs plats : humour gras, sauce série B, féminisme spicy. Récit par le menu. _Par Laura Pertuy
« Le gras est ce qu’il y a de meilleur dans la viande », affirme Robert Rodriguez. Clin d’œil à J.T, le restaurateur indéboulonnable de Planète terreur, une vidéo bonus montre le cinéaste assaisonnant de gigantesques tronçons de viande bientôt recouverts d’une marmite de sauce ketchup. Une gloutonnerie faussement triviale, puisque moteur essentiel de l’action : c’est chez J.T. que les survivants de Planète terreur se restaurent avant l’affrontement final. De même, dans Boulevard de la mort, Stuntman Mike engloutit un plat de nachos XXL pour mieux dézinguer une tripotée de bonasses en microshort – lesquelles descendent, de leur côté, une folle quantité de liquide ankylosant. Punition récurrente infligée par Tarantino à ses héroïnes, notamment la Fiancée dans Kill Bill, cette paralysie abrupte invite le do it yourself movie à sa table. En parcourant plus avant les copieux bonus, on apprend ainsi que Kurt Russell est un as de la conduite, choix heureux au vu des figures que son
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Lionne mélomane, Jungle Julia évoque Pam Grier dans Jackie Brown. personnage doit effectuer. Autant de scènes qui revendiquent le style bricolé des films d’exploitation : utilisation outrée du grain, image qui saute, sens de la prosodie décalée… Cinéastes buvards et bavards, Tarantino et Rodriguez ne tarissent pas d’anecdotes sur leur programme commun, hommage assumé à la série B : Planète terreur et Boulevard de la mort ont été pensés pour être diffusés l’un à la suite de l’autre, au cours d’une même séance, comme aux grandes heures du cinéma bis. Lionne mélomane tout droit échappée d’un film blaxploitation, Jungle Julia évoque la forte tête qu’incarnait Pam Grier dans Jackie Brown, quand Butterfly fait évoluer le célèbre déhanché de Mia Wallace dans Pulp Fiction. Malmenées, les héroïnes Grindhouse renversent le fétichisme destructeur qu’on leur impose : Cherry, la hot chick de Planète terreur, va jouer de son handicap comme d’une arme de guerre, garantie de la survie du groupe. Les suppléments creusent toute l’intertextualité de ces deux néoséries B, qui nourriront notamment Machete, dernière mouture en date de Rodriguez. Ambiance popcorn et drive in movie devant les bandes-annonces trash à l’inter-programme : Eli Roth (Cabin Fever) revisite Thanksgiving dans l’appétissant slasher du même nom. Crade mais divinement goûtu. ◆ Coffret Grindhouse de Robert Rodriguez et Quentin Tarantino Editeur : TF1 vidéo Sortie : déjà disponible Cycle Quentin Tarantino, du 15 mai au 26 juin sur CinéCinéma Premier et Frisson
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DVDTHÈQUE
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Boulevard de la mort de Quentin Tarantino
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FILMS La sélection de la rédaction MYSTÈRES DE LISBONNE
FAITES LE MUR !
de Banksy (Francetélévisions) « Sortie par la boutique », soupire le titre original de ce faux documentaire. Son géniteur – le secret Banksy – décide de vendre ses œuvres dans une galerie de Los Angeles en septembre 2006. Une blague qui tourne mal puisque Jude Law ou les Brangelina s’arrachent ses pochoirs comico-terroristes à prix d’or. Banksy, bankable, vient d’instaurer la cote d’une forme d’expression qu’il a toujours refusé de monnayer. Faites le mur ! est son excuse mystificatrice auprès des collègues. En suivant un artiste français qui essaie de le copier, Banksy prouve par l’absurde que le street art, ça se passe dans la rue. _E.R.
de Raoul Ruiz (Alfama) Outre le film de 4h26 sorti l’an dernier en salles, ce riche coffret contient la version télévisée (six épisodes d’une heure chacun) de l’ambitieux film fleuve du maître franco-chilien. La liberté de format lui permet de déplier les pans d’une intrigue qui vogue dans l’Europe du XIXe siècle, du Portugal à la France via l’Italie. Autour du jeune Pedro da Silva, orphelin à la recherche de ses origines, gravitent quantités de destins, tous plus romanesques les uns que les autres. De longs plans-séquences et d’amples mouvements de caméra font sans cesse basculer, non sans humour, la narration. Envoûtant. _L.T.
de Joe Dante (Carlotta) Après l’échec public de l’orgiaque Gremlins 2 (1990), Joe Dante signait son œuvre la plus introspective avec ce vibrant hommage aux séries B des années 1950 sur fond de crise des missiles cubains. Ode aux films de monstres géants tels que pouvait les mettre en scène Bert I. Gordon, avec un John Goodman génial en ersatz de William Castle, Panic sur Florida Beach est l’un des chefs-d’œuvre de Dante, enfin édité chez nous en DVD et en Blu‑Ray avec une tripotée de bonus, dont l’inénarrable film-dans-le-film : Mant ! Si vous aimez la comédie, le cinéma festif, le twist, les teen-movies et, SURTOUT, les monstres, foncez. _J.D.
LE PROCÈS BARBIE
COFFRET F.J. OSSANG
(Potemkine/Agnès B.) Alors que son dernier long, Dharma Guns, disparaît des salles obscures, les archivistes de Potemkine coffrent en leur beau repaire deux décennies du pistolero F.J. Ossang, cinéaste, écrivain, chanteur, messager… « Les flingues ouvrent les portes du rêve » et ses films (quatre longs, cinq courts) nous emportent, underground radical (L’Affaire des divisions Morituri), poésie volcanique (Le Trésor des îles Chiennes) ou road movie punk (Docteur Chance, avec Joe Strummer), en ces voyages oniriques aux pays des morts dont on revient re-né, par révolutions électroniques (Burroughs, Debord) ou radiations argentiques (Epstein, Murnau). _W.P.
PANIC SUR FLORIDA BEACH
SOMEWHERE
de Sofia Coppola (Pathé)
VÉNUS NOIRE
d’Abdellatif Kechiche (MK2 / TF1) Somewhere installe le spectateur face au quotidien morne de la star déprimée Johnny Marco, quand Vénus noire le soumet à une représentation dérangeante de l’altérité. Les quatrièmes films de Sofia Coppola et Abdellatif Kechiche sont chacun un point limite dans la carrière des deux cinéastes, curieusement travaillés par des thèmes voisins (solitude, mélancolie et captivité de l’entertainer), qu’appuie une mise en scène plus radicale que jamais (dépouillement des plans, étirement à l’extrême des séquences). Des extraits des hors-série que Trois Couleurs a consacré à chaque film complètent ces coffrets. _L.T.
coffret 6 DVD (Arte éditions / Ina éditions) À la barre, les témoins se sont succédés pendant 37 jours, du 11 mai au 4 juillet 1987. Avec eux, les récits de torture, de déportation. Tous – juifs, résistants, rescapés des camps – ont été victimes du « boucher de Lyon », Klaus Barbie. Face au chef mutique de la Gestapo lyonnaise, jugé pour crime contre l’humanité, une victime dira que « quiconque a vu une fois le regard de Barbie ne peut pas oublier ça ». C’est son procès qui est restitué ici, moment historique car premier du genre en France et premier procès d’assises filmé entièrement. Les enjeux sont détaillés par douze experts en supplément du coffret. _O.E.
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© Sean Berry
CDTHÈQUE THE WIZ Et si c’était lui, le nouveau Snoop Dogg ? En quelques singles accrocheurs, l’Américain WIZ KHALIFA, 23 ans, est parvenu à imposer à la planète rap son groove relax, pop et enfumé. Il sort son premier album officiel, Rolling Papers. _Par Éric Vernay
Dégaine de skater, tatouages, gros smile de fumeur, regard malicieux, pa nt acou r t , chem i s e hawa ïen ne , mèche teinte et joint à la main : derrière ses airs de glandeurs, Wiz Khalifa est un véritable stakhanoviste de la rime. À moins de 23 ans, il a déjà sorti une dizaine de mixtapes. Comme Lil B ou le crew Odd Future (lire page 32), autres fleurons du nouveau rap américain ultraconnecté, le MC de Pittsburgh travaille en f low continu depuis ses 17 ans. Claquant la porte de Warner parce que la major tardait à sortir son disque en 2009, juste après le minitube Say Yeah, Wiz décide, entre deux LP publiés en indé, de balancer sa musique gratuitement sur la toile. Rapidement, il devient le chouchou des blogs, une fanbase réactive qui a hissé sa dernière mixtape en pôle position des sujets les plus discutés sur Twitter le jour de sa sortie. Sans parrain célèbre pour le soutenir, chose rare dans le rapgame, Wiz entre dans la cour des grands le jour où la mégastar Lil Wayne reprend
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son hymne Black and Yellow, composé pour la finale du Superbowl 2011 : si les Pittsburgh Steelers, en noir et jaune, ont perdu au profit des green and yellow de Green Bay, le rookie a gagné un adoubement inattendu de la part du MC sudiste. Un remix avec Snoop Dogg fait par la suite le tour des radios, et Wiz Khalifa décroche la première place du Billboard. On retrouve Black and Yellow sur son premier album à sortir officiellement (sur une major), Rolling Papers. Irrésistible, avec son refrain chewing-gum et ses chœurs entraînants – Wiz chante aussi –, le single ne donne pas pour autant le ton d’ensemble du disque, plus smooth et onctueux que l’hymne footballistique
Wiz a quitté Pittsburgh afin de pouvoir fumer de l’herbe en paix sur la West Coast. en question. Maigre comme un clou, hippie dans l’âme, Khalifa n’est pas un énervé psychotique à la Eminem ou un adepte de la débauche de testostérone type 50 Cent. Son truc, c’est plutôt la plage, les filles, les virées en bagnole et la weed. Grand consommateur d’herbe, le MC a d’ailleurs quitté Pittsburgh pour L.A. afin de pouvoir fumer en paix sur la West Coast. Psychédéliques, pop et ensoleillés, ses morceaux évoquent plus les palmiers et le farniente californiens que la grisaille de la cité de l’acier. Recouvert de nappes de synthés funky, en grande partie produit par les Norvégiens de Stargate (auteurs de tubes pour Beyoncé, Ne-Yo ou Rihanna), laidback sans être inconsistant, Rolling Papers est un beau disque hédoniste. ◆ Rolling Papers de Wiz Khalifa Label : Atlantic / Warner Music Sortie : déjà disponible
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ALBUMS La sélection de la rédaction LES COULEURS, LES OMBRES
FOR EACH A FUTURE TETHERED
de Butcher the Bar (Morr Music) Derrière le pseudonyme Butcher the Bar se cache ni un boucher, ni un ivrogne, mais Joel Nicholson, jeune songwriter basé à Manchester, dont le deuxième album s’égrène en réminiscences délicates et tournoyantes, traçant une ronde où le fantôme d’Elliott Smith (pâleur), les boiseries de Sufjan Stevens (chaleur), les comptines des Papas Fritas (candeur) et le romantisme des Magnetic Fields (chœurs) se donnent tour à tour la main : étymologiquement, le folk est la musique des gens, des folks. Ce folksinger-là sait s’entourer – quand bien même ne serait-ce qu’en songes. _A.T.
de Thomas Méry (Own Records) Déconcertant. C’est le mot qui vient à l’esprit à l’écoute de cet album, et qui se confirme au fil des suivantes. Depuis 2001, cette figure phare et rare de la scène indépendante française avait déjà dénué son propos musical : au post-rock groupal de Purr avait succédé une carrière solo placée sous le signe d’un folk électronique, puis nu – mais toujours anglophone. Aussi, quelle mue que ces six longs guitare-voix en français, cette voix blanche et ce stream of consciousness qui se confrontent au silence. On a l’impression de découvrir quelqu’un d’autre. Un poète. D’assister à sa naissance. Fascinant. _S.Fe.
INTO THE MURKY WATER
de The Leisure Society (Full Time Hobby / Pias) Intitulé d’après La Chute de Camus, ce deuxième album du combo londonien est plutôt ascensionnel, moins plongée en eaux troubles qu’envol icarien vers une parfaite lumière. Volées de chœurs californiens et montées de cordes changent ainsi Dust in the Dancefloor en piste de décollage vers une pop toute zénithale, éclairant d’orchestrations luxuriantes des mélodies dont le classicisme évoque Divine Comedy. Réponse britannique aux symphonies extatiques U.S. (Sufjan Stevens, Fleet Foxes), l’orchestre greffe percussions, banjo ou grain électrique à son folk baroque, en passages apaisés ou cavalcades frénétiques, sous le soleil. _W.P.
PSYCHEDELIC PERNAMBUCO (Mr. Bongo) Le Pernambouc est un État du Nordeste brésilien, célèbre pour ses cannes à sucre, ses récifs et ses chanteurs psychédéliques. À l’aube des années 1970, une poignée d’autochtones chevelus (Alçeu Valença, Geraldo Azevedo, Lula Côrtes) entreprennent de rivaliser avec le tropicalisme inventé quelques saisons plus tôt par leurs voisins bahianais. Ici compilées, leurs mixtions de racines folkloriques (baião, forró), de gazon hippie (guitares fuzz, chœurs psyché) et d’épices orientales (tablas) garde aujourd’hui encore toute sa saveur – le barde folk Devendra Banhart s’en nourrit, paraît-il, quotidiennement. _A.T.
SLOW SLOW
SOMEONE GAVE ME RELIGION
d’Arnaud Rebotini (K7 / Pias) La France ayant du mal à adouber ses grands musiciens électroniques, Arnaud Rebotini reste un modèle underground. Et pourtant, de Black Strobe à Zend Avesta, via un duo avec Bashung, sa discographie est déjà majeure. Revenu aux affaires sous son propre nom en 2008 avec le très bon Music Components, où il ressortait ses machines pour composer un disque très pur, il bascule ici dans une électronique plus relâchée – presqu’un appel aux dancefloors. Habile assimilateur des genres (minimale, transe, techno), Rebotini parvient à les contraindre à sa façon, bourrue et tendre à la fois. La classe hors du temps. _S.Fa.
de Sound Of Rum (Sunday Best / Pias) Son « esprit est un ouragan », et ses prestations scéniques, en compagnie des deux musiciens de Sound of Rum (guitare et batterie), sont réputées tourmentées : Kate Tempest, jeune rappeuse de 24 ans, porte bien son nom. Après des études de poésie, cette drôle de Londonienne en pantalons informes s’est faite remarquer par Dan le Sac Vs Scroobius Pip, avant de taper dans l’œil de son idole, GZA du Wu-Tang Clan. Grande lectrice de Virginia Woolf, Tempest, vulnérable et volcanique, déploie un flow subtil mais âpre sur ce premier album, doublant ses métaphores d’une sacrée présence physique – comme un ouragan. _E.V.
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© Enki Bilal - Casterman
BDTHÈQUE
APOCALYPSE NOW Poursuivant le lent renouvellement de son langage graphique, plus loin des villes et plus près d’une nature désorganisée, ENKI BILAL confronte son nouvel ouvrage, Julia & Roem, à son inspiration première : Shakespeare. Le cruel constat d’une époque sombre. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)
Avec les années, le trait d’Enki Bilal évolue. Après des débuts très affirmés, il avait atteint vers la fin des années 1980 une sorte d’apex stylistique, son art se confondant avec l’esthétique d’une époque. Ainsi, cette décennie finissante, autour de la chute du Mur de Berlin, sera
à jamais figée dans la façon dont Bilal en aura restituée l’essence. Continuant depuis à transcender notre quotidien à l’aide d’une SF très urbanisée, il a changé légèrement de registre ces dernières années. Depuis Animal’z, il s’attaque à la description d’un monde moins urbain, plus organique. Ou plutôt, post-organique, c’est-àdire apocalyptique, dessiné en tonalités grises. Julia & Roem se situe dans cette lignée, décrivant un environnement désertique et désorganisé, dans lequel les repères (sensoriels, spatiaux, moraux) sont en pleine désorganisation. Mais, ici, ce qui interpelle au-delà de l’histoire, c’est ce qui sert de matériau de départ : Bilal réinvente le Roméo et Juliette de Shakespeare, et Julia & Roem se lit comme un palimpseste mutant dans lequel le texte original surgit soudainement. Se dessine alors l’invasion littérale d’une œuvre par une aut re, dont En k i Bi la l sor t grandi : son livre émeut parce qu’il décrit un monde en train d ’ é c hou e r à s e re nou ve le r. Le nôtre ? Exactement. ◆ Julia & Roem d’Enki Bilal Éditeur : Casterman Sortie : déjà disponible
3 BANDES DESSINÉES LE VOYAGE DE RYU TOME 1 ET 2 de Shōtarō Ishinomori (Glénat)
Classique SF du Japon des 60s et 70s, cette série prend pour terreau l’imaginaire de La Planète des singes. Dans une Terre décimée par le nucléaire, des survivants tentent de revenir à une vie sociale. La virtuosité graphique de l’auteur, mêlant clarté et disruptions, fait le reste.
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ATTATION ! ; NOS MEILLEURS AMIS ET L’ACTE INTERDIT ; TOP TÉLÉ MAXIMUM
de Pierre La Police (Cornélius) Ces trois petits livres sont en fait de fausses rééditions : entièrement retravaillés par leur auteur, ils n’ont le plus souvent gardé que leur titre d’origine et forment autant de portes d’entrée dans l’univers dessiné le plus follement fertile et surréel qui existe en France aujourd’hui.
FRED, L’HISTOIRE D’UN CONTEUR ÉCLECTIQUE
de Marie-Ange Guillaume (Dargaud) Au moment où Dargaud réédite l’intégrale de son Philémon, il est temps de se pencher sur la vie de Fred, grand dessinateur pop et psychédélique français ici mis à nu. Son univers est entièrement dépecé, mais jamais complètement circonscris, entre rêve et folie douce.
© RDA
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BIBLIOTHÈQUE
© Joyce Ravid
Pour certains, Krauss et Safran Foer incarnent une littérature bobo, lisse derrière ses sujets lourds.
TRÉFONDS DE TIROIRS Après le succès mondial de L’Histoire de l’amour, NICOLE KRAUSS revient avec La Grande Maison, ample roman choral sur la mémoire, le secret et la blessure. Et si la femme de Jonathan Safran Foer était la vraie star du couple ? _Par Bernard Quiriny
Parmi tous les couples célèbres que compte la littérature américaine, ils sont les plus emblématiques : Nicole Krauss (37 ans) et Jonathan Safran Foer (34 ans) forment le « golden literary couple » symbolique d’une génération, d’une ville – New York – et, à tort ou à raison, d’un milieu social aisé, cultivé et cosmopolite. Moins connue que son mari, Krauss n’en a pas moins obtenu un succès planétaire avec L’Histoire de l’amour (2005), qui lui a valu une vingtaine de traductions, une sélection dans la liste des vingt jeunes écrivains les plus prometteurs du New Yorker et les compliments de pointures comme J.M. Coetzee. Un succès fulgurant qui n’a évidemment pas été sans susciter des critiques : pour certains, Krauss et Safran Foer incarnent
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une littérature bobo new-yorkaise, lisse derrière ses sujets lourds, exportable et surestimée. La presse américaine n’en a pas moins largement célébré La Grande Maison, le troisième roman de Krauss après cinq ans de silence, qui reprend sur un mode mélancolique plusieurs thèmes du précédent, avec davantage d’ampleur. De fait, ce ne sont pas une mais quatre histoires qui sont racontées, tissées de liens discrets, avec comme point d’articulation un objet venu du passé – ici, non pas un livre comme dans L’Histoire de l’amour, mais un bureau dont les tiroirs forment l’architecture du texte. Voici donc Nadia, jeune écrivain new-yorkaise à qui une femme vient réclamer ce bureau qu’elle n’imagine pas perdre. Ailleurs, à Londres, un homme veille sa femme, une romancière atteinte d’Alzheimer, et découvre dans ses papiers un pan caché de sa vie. À Jérusalem, un père s’adresse d’une voix vibrante à son fils qu’il a empêché de devenir écrivain. À Oxford, enfin, une étudiante américaine tombe amoureuse d’un juif dont le père traque à travers le monde les objets confisqués par les nazis… De cet entrelacs ressort un roman grave, d’une lecture délicate à cause des changements de narrateur, traversé des mêmes interrogations que L’Histoire de l’amour : le passé, la transmission entre générations, la blessure de l’histoire (la Shoah). Sans doute La Grande Maison poset-il un peu trop ostentatoirement comme un « grand » roman pour séduire complètement, faute de l’exubérance enjouée de son prédécesseur. Il n’en confirme pas moins le statut de surdouée de Nicole Krauss, qui est peut-être bien le vrai pilier du plus glamour des couples littéraires. ◆ La Grande Maison de Nicole Krauss Editeur : L’Olivier Genre : roman Sortie : déjà disponible
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LIVRES La sélection de la rédaction
LE VOYAGE D’AGATHE ET SON GROS SAC
de Magali Le Huche (Sarbacane, album jeunesse) Malgré moult occupations dans son 96e étage du mégachouette building de la 325e rue, Agathe finit par s’ennuyer. Elle décide alors de partir en voyage pour l’île de Wawaïe et s’offre pour cela LE sac à dos extra‑large « Rêve au dos », dans lequel elle entasse tous ses objets. Mais le périple jusqu’à l’aéroport s’avère plus compliqué que prévu. Le sac est bien trop lourd, ce qui la contraint à demander de l’aide sur son chemin. C’est ainsi qu’elle trouvera en route une planche à roulette, un vélo, un éléphant blagueur… Magali Le Huche livre un album subtil et amusant, rempli de rebondissements. À partir de 6 ans. _M.U. Dédicace à la librairie du MK2 Quai de Loire le samedi 11 juin à partir de 16h
LA SAGA CINÉASTES, DE NOTRE TEMPS, UNE HISTOIRE DU CINÉMA EN 100 FILMS d’André S. Labarthe (Capricci, document) À l’occasion de l’actuelle rétrospective Cinéastes, de notre temps au Centre Pompidou, consacrée aux documentaires télévisuels d’André S. Labarthe, l’ancien critique des Cahiers du cinéma livre à Thierry Jounas les coulisses de son travail. Parti en 1965 à la rencontre des « amis américains » (Walsh, Ford, Vidor…), il découvre rapidement de jeunes surdoués (Cassavetes, Fuller, Ferrara…), dont il capte les brillants débuts. Un art du dialogue, du tri et du montage qu’il perpétue jusqu’à aujourd’hui, offrant aux cinéphiles les portraits, de Kaurismäki à Hou Hsiao‑hsien, de générations de cinéastes. Intemporel. _L.T.
L’HOMME DE SES RÊVES
de John Cheever (Joëlle Losfeld, roman) Surnommé « le Tchekhov des suburbs » pour sa propension à décrire l’Amérique des banlieues résidentielles, John Cheever (1912‑1982) a fait l’objet en France d’une découverte tardive mais réussie : il est aujourd’hui considéré comme l’un des grands nouvellistes américains du XXe siècle, aux côtés de Carver ou Sherwood Anderson. Paru après sa mort, ce recueil de nouvelles nous ramène au début de sa carrière, dans les années 1930, rongées par la dépression économique et les espoirs déçus. Soit douze textes qui résonnent de manière étrangement actuelle avec la crise des subprimes et ses conséquences pour la middle class paupérisée. _B.Q.
LE LIVRE DE L’INTRANQUILLITÉ de Fernando Pessoa (Christian Bourgois, roman) Dans le cercle des chefs-d’œuvre de la littérature du XXe siècle, il occupe une place comparable à l’Ulysse de Joyce : Le Livre de l’intranquillité est le texte majeur de Pessoa, un monument en forme de journal intime fragmenté, attribué par l’auteur à l’un de ses hétéronymes, l’employé de bureau Bernardo Soares. Traduit à la fin des années 1980, le Livre avait bénéficié dix ans plus tard d’une retraduction améliorée (par Françoise Laye) difficile à trouver. La voici enfin réimprimée. Une somme inépuisable de méditations sur l’homme et sa condition, à la fois tourmentées et lumineuses. Une réédition de salut public. _B.Q.
ENVIRONS ET MESURES
de Pierre Senges (Le Promeneur, essai) Voici quelques années, Pierre Senges s’était attelé à démontrer par personnage interposé que l’Amérique n’existe pas (La Réfutation majeure). Cet élégant essai continue la démonstration, ou plutôt la renverse : il ne s’agit plus ici de prétendre à la fausseté d’un continent réel mais de s’interroger sur la réalité d’endroits irréels, ceux inventés par les écrivains depuis des siècles – l’île de la nymphe Calypso d’Homère, l’Eldorado mythique ou la bourgade sans nom de Don Quichotte. Peut-on établir un atlas des lieux imaginaires ? Senges creuse la question en cent pages copieusement informées, dans un esprit plus borgésien que jamais. _B.Q.
MAELSTRÖM de Stéphane Marchand (Flammarion, roman)
L’existence d’Harold Irving, écrivain dilettante au bord du gouffre, aurait suivi son cours médiocre si elle n’avait croisé celle du Maestro, serial killer impitoyable décidé à multiplier les meurtres sauvages. Ordonné, grandiloquent et cruel, le tueur sème les corps mutilés dans San Francisco, tout en guidant cyniquement ceux qui se lancent à sa recherche à l’aide d’indices technologiques. Un polar français gorgé de références culturelles anglo-saxonnes (James Ellroy, Brian De Palma, Elvis Costello, les séries HBO), qui décrit une Amérique urbaine fantasmée et dangereusement brûlée par le soleil. Tenace. _M.W.
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LUDOTHÈQUE
HOME STUDIO Suivez les traces de la timide Cecilia dans La Rose pourpre du Caire ou du turbulent Danny de The Last Action Hero grâce à Yoostar 2, un karaoké cinématographique qui vous propulse à la place de votre acteur favori, dans votre film préféré. _Par Julien Dupuy
Cela fait quelque temps déjà que le jeu vidéo rêve de projeter les gamers dans les films. Les amateurs se souviennent peut-être de l’anecdotique You Are in the Movies, ou encore de Yoostar, jeu PC passé totalement inaperçu en 2009. Et pour cause : cette authentique usine à gaz exigeait des joueurs qu’ils installent un écran vert dans leur salon ! On comprend dès lors que ce jeu contraignant ne soit pas passé à la postérité.
Pourquoi dans ce cas avoir ressuscité la franchise ? Tout simplement parce que les technologies Kinect et PlayStation Eye permettent désormais de détourer les joueurs sans l’aide d’un fond neutre, pour les incruster à la place des comédiens dans 80 (trop) courtes scènes de films, qui vont du Magicien d’Oz à Terminator en passant par Le Shérif est en prison. Un petit tour de force technique qui n’est pas la moindre des qualités de ce party game. Il faut reconnaître également à Yoostar 2 une filmographie qui ne pêche pas autant par jeunisme qu’on aurait pu le craindre. C’est même en ravissant la place à Bogie dans Casablanca que l’on obtiendra les résultats les plus convaincants. Bref, à défaut d’être le jeu définitif dans ce sous-genre tout neuf, Yoostar 2 prouve que le principe du karaoké cinématographique est désormais une réalité… augmentée. ◆ Yoostar 2 Genre : party game Éditeur : Namco Plateforme : PS3 et X360
3 JEUX VIDÉO
_Par E.R.
PORTAL 2
(Valve, sur PC, PS3, X360 et Mac) On a cherché. Longtemps. Tout retourné. Inspecté, disséqué, charcuté. Ben, on n’a pas trouvé la moindre raison de ne pas se jeter sur le jeu de réflexion le plus extraordinaire depuis la sortie de celui qui cassait des briques, Tetris.
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Operation Flashpoint : Red River
(Codemasters, sur PC, PS3 et X360) Voilà un jeu de guerre sain, puisque réaliste au possible, qui vous met dans la peau d’un marine embringué dans une intervention discutable à la frontière afghano-tadjike. Au front, quand on se prend une balle dans le front, on est rarement là pour en parler.
LEGO STAR WARS III : THE CLONE WARS (Activision, sur tous supports)
Après avoir transposé l’hexalogie Star Wars dans le monde des petits blocs qui s’emboîtent, les Lego passent la série dérivée Clone Wars à la moulinette de la rigolade épique. Les fans de la saga partiront en quête d’une myriade de bonus à débloquer.
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LE GUIDE
SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS
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© Bruno Verjus
FESTIVAL-CLUBBING / ART CONTEMPORAIN-ARTS PREMIERS / ONE-MAN SHOW-DANSE / LE CHEF
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SORTIES EN SALLES CINÉMA © Sophie Dulac Productions - Transfax Films Productions
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DU MERCREDI 11 MAI AU MERCREDI 8 JUIN
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SORTIES EN VILLE CONCERTS
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PANASONIQUE FESTIVAL Villette Sonique Du 27 mai au 1 er juin dans divers endroits du parc de la Villette, www.villettesonique.com
Le festival VILLETTE SONIQUE revient mettre de l’électricité dans l’air et les jardins. Ténors à guitares, électroniciens sans limites, clubbers exotiques et folkeux mystiques sont réunis, indoor et outdoor, pour six jours et nuits dédiés aux avant-gardes musicales. _Par Wilfried Paris
Pour sa sixième édition, Villette sonique propose l’une des plus belles programmations des festivals d’été, réunissant vieilles gloires et jeunes pousses. Au rayon oldies but goodies, Current 93 de David Tibet, précurseur britannique des courants industriel et dark folk, invite Comus, formation fondatrice du son folk psychédélique anglais dans les années 1970, tandis que l’atrabilaire mancunien Mark E.Smith viendra pousser à 11 les amplis de son combo post-punk The Fall. Mais, question électricité, c’est de la journée du samedi 28 dont est particulièrement fier Étienne Blanchot, programmateur du festival : « Les retrouvailles de Thurston Moore [Sonic Youth] et de son mentor Glenn Branca 100
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[premier concert à Paris depuis 1988], mais aussi d’un cousin d’Austin, Jad Fair [avec ses Half Japanese]. En amont, les concerts dans les jardins d’Antilles [cousin no wave français de Sonic Youth] et de Yuri Landman [luthier expérimental], compléteront le tableau de cette journée free guitar exceptionnelle. » Pour les amateurs de sons moins saturés, la troupe psyché new-yorkaise Animal Collective fera son grand retour à Paris la veille (le 27), entourée de la sensation pop drone Emeralds et d’une création exclusive du duo electro Discodeine avec le musicien sur instruments rares Thomas Bloch, tandis que la Géode sera investie par les collages hypno-dub et lo-fi du Liverpuldien Forest Swords. Les nuits soniques accueilleront enfin Beth Ditto, Connan Mockasin, la troupe Ed Banger (Busy P, SebastiAn…) ou la frange radicale de l’electro foutraque latino, avec le label Comeme (Matias Aguayo, Rebolledo…). Également programmés : Cheveu, OOIOO, Caribou, Group Doueh, Suuns, James Pant, Hype Williams, Kode9… Un vrai rituel. ◆
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En haut : Group Doueh En bas : Animal Collective (à gauche) et Half Japanese
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In Paradisum #2 au Rex Club
L’AGENDA _Par W.P. et V.S.
Thee Oh Sees + Magnetix
Si vous aimez Tournée d’Amalric et les compilations Nuggets de Lenny Kaye, le quatuor sonique de John Dwyer, Seeds mâtinés d’indie-rock, devrait faire vrombir votre garage. Pour ouvrir, le couple-duo français Magnetix vous aimantera vers le mur du son. Le 14 mai à Mains d’œuvres, Saint-Ouen, dès 18h, 13,60 €
In Paradisum #2 Organisée par Mondkopf, jeune prodige de l’electronica mentale à tendance messianique, cette soirée réunit des artistes techno/rave qui n’ont pas peur de l’expérimentation. Parmi eux, Qoso, Tommy Four Seven et Emptyset devraient soumettre leur vision assez radicale du Paradis clubbing. Le 18 mai au Rex Club, dès 23h30, entrée libre
Bill Callahan Lonesome cow-boy traversier, prophète au phrasé sec et coupant, l’ex-Smog vient avec son backing-band made in Drag City murmurer son Apocalypse personnelle aux oreilles du vieux monde. Le cynisme est, encore et toujours, la voie la plus courte vers la vertu. Le 20 mai au Café de la danse, dès 19h30, 20 €
Okkervil River + Kurt Vile Affiche partagée entre l’oiseau perché Will Sheff (Very Far sur Secretly Canadian) et l’oiseau en liberté Kurt Vile (Smoke Ring For My Halo chez Matador), soit deux des plus beaux talents du rock psychédélique américain d’aujourd’hui. Bariolé. Le 23 mai à la Maroquinerie, dès 20h, 18,80 €
Papas Fritas Le groupe power-pop de Boston, qui a changé votre façon de marcher avec son tube sautillant de 2000, Way You Walk, revient sur scène après dix ans (!) d’absence. Mélodies enjouées Beatles, harmonies mentholées Beach Boys, sentimentalité Fleetwood Mac, fraîcheur de vivre. Le 25 mai à la Maroquinerie, dès 20h, 18,80 €
dEUS (Pias Nite) Pour les nostalgiques de l’indie-rock des Belges dEUS, cette Pias Nite fait office de rendez-vous immanquable. Pour les autres, c’est l’occasion de découvrir une soirée qui depuis trois ans propose des groupes aussi rares qu’estimables. Précieux. Le 25 mai à la Flèche d’or, dès 19h30, 15 €
Beth Ditto (Nuit sonique) Dans le cadre de Villette sonique, la Nuit sonique frappe fort en invitant la passionnante diva de Gossip, Beth Ditto, qui vient de se lancer solo dans un registre house. Entourée de DJs (L-Vis 1990, Tensnake), elle jouera live lors d’une nuit de fête qui s’annonce old-school et hédoniste. Sortez les sifflets. Le 27 mai à la Grande halle de la Villette, dès 23h30, 30 €
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SORTIES EN VILLE CONCERTS
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Gildas Loanec
CHICS TYPES CLUBBING Kitsuné Maison 11 : The Indie-Dance Issue Éditeur : Kitsuné Sortie : 16 mai Soirée Kitsuné le 30 juin au Social Club, www.kitsune.fr
Label rusé et ligne de vêtements au flair aiguisé, KITSUNÉ n’a pas encore dix ans mais fête déjà la sortie de sa onzième compilation, Maison 11 : The Indie-Dance Issue. Retour sur une affaire de style. _Par Violaine Schütz
En japonais, kitsuné signifie « renard ». Depuis 2002, c’est aussi le nom d’un label et d’une ligne de vêtements parisiens créés par Gildas Loaec et Masaya Kuroki. Avec eux, flairer l’air du temps est rapidement devenu un art. Il en résulte des compilations et des collections tombant toujours pilepoil, comme un beau costard bien coupé à qui l’on demeure fidèle. Côté musique, on doit à la maison d’avoir contribué à lancer les Klaxons, Hot Chip, Boys Noize et Two Door Cinema Club. Pour ce qui est de la mise, leurs sapes preppy et leurs collaborations chic (Pierre Hardy, Weston, Petit Bateau, André) en ont fait la marque fétiche des garçons à mèches et des filles fashion mais sages. Du style et du goût, la maison Kitsuné en met aussi dans les soirées qu’elle organise régulièrement un 102
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peu partout. On y entend des jeunes groupes mêlant habilement pop, rock et dance, sans jamais se poser la question de l’appartenance à une mode. On ne s’étonnera donc pas que la nouvelle compilation de la série Maison se nomme The Indie-Dance Issue : c’est l’expression qui définit le mieux le son prêché par les deux patrons. « J’aime la dance, peu importe la façon dont elle se fait, avec ou sans guitares. Et j’ai souvent préféré un bon remix à un titre original », avoue Gildas. On y croise le duo electro pop parisien « chic et sport » Housse de Racket, dont le deuxième album sortira fin août chez Kitsuné, ou Is Tropical, trio de rock chamarré britannique, masqué et épat a nt , p r é s e nt é s c o m m e de nouveaux The Cure. Souvent, les groupes qui se retrouvent sur une compilation Kitsuné prennent vite de l’ampleur. Normal : défricher a toujours été la prime ambition du label, et découvrir celle de ses aficionados. Comme le dit Gildas, « tout le monde est bienvenu, le public Kitsuné est jeune, curieux, beau, et bienveillant, à l’image du label, en somme ». ◆
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L’OREILLE DE…
David Yaya Herman Dune, musicien « Nos seuls shows avec nos nouvelles chansons ont eu lieu au Texas. Je me suis senti bien avec ces nouvelles ambiances et je suis excité de partir en tournée avec Strange Moosic. Néman et moi [avec Ben Pleng de Yeti Lane à la basse] nous sentons super libres sur ces titres. Nous répétons en ce moment dans une petite pièce intime et feutrée, au son très chaud. J’espère qu’on pourra rendre cette ambiance sur scène. Nous jouerons très près les uns des autres pour pouvoir nous concentrer sur les subtilités de nos instruments, sans chercher un gros son. Herman Dune ne fait jamais de liste, donc je ne sais pas quelles chansons nous jouerons, mais Strange Moosic me brûle les doigts ! » _Propos recueillis par Wilfried Paris
Herman Dune, le 9 juin au Trianon, dès 19h, 25,30 € ; Strange Moosic de Herman Dune (Green United / Pias)
© Romain Eludut
LES NUITS DE…
José Manuel Gonçalves, directeur du CentQuatre « Pour le clubbing au CentQuatre, lieu de création et de production artistique inauguré en 2008, je cherche d’autres sensations, d’autres sensualités que celle de l’hégémonie de la “boîte à ronron”. Avec les Nuits ouf, on essaie d’inventer des soirées qui se lèvent aussi à l’Est. Tout d’abord avec des musiciens (en DJ set et en live), mais aussi avec des artistes et propositions transgenres (projections de courts métrages, performances théâtrales, lectures), le tout enveloppé dans les vapeurs de hot pots, où viennent tremper les noctambules en quête d’un foisonnement créatif jubilatoire et pluridisciplinaire. En toile de fond de cette seconde Nuit ouf : les années beatnik, le flower power et les textes de Kerouac. » _Propos recueillis par V.S.
Nuit ouf On the Road, le 28 mai au CentQuatre, avec Moriarty, Black Devil Disco Club, DJ Oof, Andy Votel…, dès 21h, de 12 € à 15 €
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SORTIES EN VILLE EXPOS
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Untitled d’Anish Kapoor
MONSTRE SACRÉ ART CONTEMPORAIN Léviathan d’Anish Kapoor dans le cadre de Monumenta du 11 mai au 23 juin dans la nef du Grand Palais www.monumenta.com
Jusqu’au 23 juin, ANISH KAPOOR investit la nef du Grand Palais dans le cadre de la quatrième édition de Monumenta. Avec Léviathan, l’artiste britannique défie l’envergure architecturale du lieu et rivalise de gigantisme. _Par Anne-Lou Vicente
Après Anselm Kiefer, Richard Serra et Christian Boltanski, c’est au tour du Britannique Anish Kapoor, né à Bombay en 1954, de s’emparer de ce lieu à la fois majestueux et complexe qu’est le Grand Palais. « Un seul objet, une seule forme, une seule couleur » : c’est à partir de ce principe que l’artiste a conçu Léviathan, référence directe au monstre marin, figure biblique de la dévastation et – par extension – du mal, devenue métaphore politique de l’État depuis le livre éponyme de Thomas Hobbes publié en 1651. Plus qu’une œuvre plastique, le Léviathan de Kapoor se présente comme une créature monumentale, engloutissant l’espace démesuré du lieu et aspirant le visiteur dans une expérience tant physique que mentale, de l’ordre du rituel et du sublime. 104
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Nombre d’œuvres réalisées par Anish Kapoor jouent sur une ambivalence entre surface et profondeur, à l’image de ses pièces réfléchissantes comme Cloud Gate, gigantesque forme aux courbes sensuelles posée dans l’espace public du Millennium Park de Chicago et reflétant le spectateur et son environnement. Matière et couleur constituent des éléments clés du travail de l’artiste, qui utilise de façon récurrente des pigments purs, traditionnellement déposés à l’entrée des temples indiens, desquels il recouvrait la surface de ses sculptures à la fin des années 1970 et au début des années 1980. La cire constitue un autre de ses matériaux de prédilection, comme dans l’installation Svayambh conçue sur mesure pour le musée des Beaux-Arts de Nantes en 2007 : reprenant la forme des arches du lieu, un immense bloc de cire rouge posé sur des rails traversait l’espace dans un mouvement d’une infinie lenteur. Car, s’il est évidemment question d’espace dans l’œuvre de l’artiste, et encore davantage au Grand Palais, le temps – de la contemplation puis de l’immersion – y fait aussi son œuvre. ◆
© Anish Kapoor
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© Martin Parr
Martin Parr : The Goutte d’Or à l’Institut des cultures d’Islam
L’AGENDA _Par L.P. et A.-L.V.
Chagall et la Bible Marc Chagall a débuté l’illustration de la Bible hébraïque en 1930, pour l’achèver au bout de 105 planches. Prophète pictural, le peintre surréaliste franco-russe dévoile ici une impressionnante série de gouaches accompagnée de travaux sculptés. Jusqu’au 5 juin au musée d’Art et d’histoire du judaïsme, www.mahj.org
Odilon Redon, prince du rêve Pionnier d’un surréalisme moucheté de couleurs, Odilon Redon s’impose à l’orée du XXe siècle comme l’un des porte-drapeaux du symbolisme. Cette exposition fait la part belle à ses « noirs » (fusain, lithographie…) pour mieux exhaler la teinte de ses œuvres mythologiques tardives. Jusqu’au 20 juin aux Galeries nationales du Grand Palais, www.grandpalais.fr
Martin Parr : The Goutte d’Or ! Photographe du kitsch et des mœurs locales, Martin Parr a traîné l’œil du côté du quartier de la Goutte-d’Or, à Paris, pour y recueillir des instants de vie. On y apprécie surtout la place donnée au religieux, loin du regard habituel des quotidiens nationaux. Enlevé. Jusqu’au 2 juillet à l’Institut des cultures d’islam, 19-23 rue Léon, 75018 Paris, www.institut-cultures-islam.org
Rituels Proposée par Gaël Charbau, cette exposition réunit les œuvres de onze artistes qui manifestent, par leur signification ou leur mode d’élaboration, une célébration contemporaine de la nature, à la fois objet de contemplation et univers chargé de mythes. Du 7 juin au 9 juillet à la Fondation d’entreprise Ricard, 12 rue Boissy-d’Anglas, 75008 Paris, www.fondation-entreprise-ricard.com
Vaudou La Fondation Cartier présente un ensemble inédit d’objets vaudou issus de la collection Anne et Jacques Kerchache, ardents défenseurs des arts premiers ayant œuvré pour leur entrée dans les collections d’importants musées français. Jusqu’au 25 septembre à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, www.fondation.cartier.com
Zaha Hadid Première exposition en France de Zaha Hadid, Une architecture met en perspective plus de trente années d’activités de l’architecte britannique d’origine irakienne, à travers une sélection de projets internationaux déjà réalisés ou en cours d’exécution. Jusqu’au 30 octobre à l’Institut du monde arable, www.imarabe.org
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© ADAGP, Paris 2011 - Photo DR
SORTIES EN VILLE EXPOS
Marchandes d’herbes et d’amour, 1913, Collection privée, Istanbul
TRUE COLORS RÉTROSPECTIVE Van Dongen : fauve, anarchiste et mondain jusqu’au 17 juillet au musée d’Art moderne de la Ville de Paris www.mam.paris.fr
Barbu avant-gardiste du début du XXe siècle, KEES VAN DONGEN s’est encanaillé chez les néo‑impressionnistes avant de courtiser les fauves. Le musée d’Art moderne retrace la belle confusion des genres proposée par l’artiste néerlandais dans une exposition pop surprenante. _Par Laura Pertuy
Touche-à-tout prolixe et précurseur des courants picturaux du XXe siècle, le jeune Kees Van Dongen attaque la couleur sur des croquis irrévérencieux effectués à Paris et Rotterdam. L’humour noir transpire sous la vivacité des traits, amplifiés par des contours rouge vif – brusques chamboulements pour le public, alors en pleine période impressionniste. Mais coup de théâtre : le peintre néerlandais embrasse soudainement les aubes de Monet tandis que les visages s’effacent pour signifier le groupe en liesse et en mouvement. Admirateur du pointilliste Paul Signac, il terrasse vite le coloris pastel pour imposer une ébriété picturale tout juste amorcée par Matisse et Derain, amis du Bateau-Lavoir. 106
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Passé expressionniste, le voilà saluant l’abstraction de Mondrian et annonçant celle de Rothko au détour d’une fenêtre, ses attitudes référentielles et son avant-gardisme fièrement affichés. Des visages-masques exhalent ici la farce et amorcent une (nouvelle) mutation vers l’art primitif. Les traits s’y allongent comme pour souligner une mondanité en pleine propagation. En juin 1910, le peintre gagne l’Espagne, terrain du pigment, et en nourrit l’expression de ses figures féminines, sublimes de mélancolie. Celles-ci se font parfois chimères de la Sécession viennoise, quand la fièvre des cocktails qu’il organise dans les années 1920 offre un tourbillon de poses brusques et de couleurs criardes. Les mondains se pressent au devant de son chevalet, entreprise dont se souviendra Warhol quelques décennies plus tard. Puis, à la toute fin du siècle, Hayao Miyazaki (Le Voyage de Chihiro) de célébrer avec ses sorcières burlesques l’un des chefs-d’œuvre de Van Dongen, La Penseuse, portrait d’une femme aux larges proportions céphales, captive des gouaches colorées d’une œuvre protéiforme. ◆
Burladies © Giovanni Cocco / VII Mentor Program
LE CABINET DE CURIOSITÉS
Les Nuits photographiques La première édition des Nuits photographiques se tiendra chaque vendredi de juin aux Buttes-Chaumont. À la croisée de la photographie, du court métrage et de la vidéo, ce festival est dédié au « film photographique », pratique émergente et prometteuse. Il a pour ambition de réunir vidéastes, photographes, musiciens et réalisateurs du monde entier autour de projections et de concerts gratuits. Des invités d’honneur (le collectif Tendance floue, le studio du Fresnoy, l’agence VII…), des DJ sets ainsi que des séances de minuit pour réviser ses classiques (Chris Marker, Vertov, Man Ray…) complètent l’alléchant programme de cette première. _L.T.
Chaque vendredi du 3 au 24 juin au parc des Buttes‑Chaumont, à partir de 20h, www.lesnuitsphotographiques.com
© Adagp
L’ŒIL DE…
Khaled, 2002
Patrick Tosani, photographe « Je m’interroge sur le pouvoir de la photographie, ce qu’elle peut restituer du réel, ce qui est vrai et ce qui est altéré dans cette restitution. Depuis les années 1980, mon travail se centre sur l’idée de l’objet (au sens philosophique : ce qui est devant nous), avec des variantes assez importantes autour du corps, qui devient objet d’étude. Quoi qu’on fasse avec la photographie, le médium lui-même induit un processus de sérialité. Et la série, c’est le développement d’un ensemble par la variation, qui rend possible la comparaison entre objets. Toute une partie de mon travail tient dans cette relation à l’image : le séquençage, la multiplication des formats induisent la possibilité de comparer. » _Propos recueillis par Louis Séguin
Patrick Tosani, œuvres, 1980-2011, du 20 avril au 19 juin à la Maison européenne de la photographie, www.mep-fr.org
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SORTIES EN VILLE SPECTACLES
ON DIRAIT LE SUD ONE-MAN SHOW
Chant d’amour et d’adieu à ses origines gasconnes, Adishatz est le premier solo du comédien, ventriloque et marionnettiste JONATHAN CAPDEVIELLE. Une tragicomédie identitaire sur fond d’exil entre Tarbes et Paris. Correspondance. _Par Ève Beauvallet
En patois gascon, adishatz signifie « adieu ». Choisir une épitaphe pour signer la naissance d’un parcours solo : une démarche paradoxale qui devient cathartique chez Jonathan Capdevielle. Adolescent, ce comédien-ventriloque – sans doute le plus doué de son époque – a voyagé de son Tarbes natal jusque Charleville-Mézières pour étudier à l’Institut international de la marionnette. À Paris, où il est arrivé ensuite, on a pu le voir, morbide et sublime, manipuler des marionnettes d’ados défoncés dans Jerk, sur un texte de Dennis Cooper. Aujourd’hui, il a 35 ans et voyage à rebours vers ses plaies d’adolescent tarbais. Là où, passionné par la variété internationale mais asphyxié par l’atmosphère locale, il criait son besoin d’émancipation. 108
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Voici donc une tragédie des origines (avec soustexte homosexuel) telle que l’ascenseur culturel français en fabrique à foison. On savait déjà que la distance critique sur son milieu natal peut être une forme très moderne de chagrin, mais Adishatz n’a rien de la dédicace larmoyante et du mélo de repenti. C’est un portrait de classes sociales éclaté en mille et une chansons populaires : des tubes de Madonna, de Francis Cabrel ou des Daft Punk interprétés a capella, puis brutalement interrompus par des rengaines homophobes… C’est aussi un puzzle, sans commentaires, d’imitations virtuoses des milieux populaires du Sud : saynètes avec « Rico » déchiré sur le parking d’un night-club gascon, tentative de discussion téléphonique entre un père et son fils avortée par la pudeur et l’éloignement irréversible… Adishatz dessine, en somme, un autoportrait polyphonique qui utilise la chanson populaire comme outil original d’introspection. Et signe la naissance d’un artiste hors pair. ◆
© Alain Monot
Adishatz / Adieu de Jonathan Capdevielle les 17 et 18 mai à la Maison des arts de Créteil www.maccreteil.com
© Elisabeth Carecchio
Mademoiselle Julie au Théâtre de la Colline
L’AGENDA _Par E.B.
Mademoiselle Julie et Créanciers Guerre des sexes, lutte des classes : dans ces deux pièces, « tragédie naturaliste » et « tragicomédie » écrites en 1888, le dramaturge suédois August Strindberg décrivait le médiocre des désirs humains sur fond de bouleversement social. La quête d’une forme moderne de tragique, ici mise en scène par Christian Schiaretti. Jusqu’au 11 juin au Théâtre national de la Colline, www.colline.fr
Au revoir parapluie Entre les fantasmagories de Jules Verne et les volutes entêtantes de Lewis Carroll est né, à des décennies d’écart, un bien curieux personnage, à la fois danseur, acteur et circassien. James Thierrée, petit-fils de Charlie Chaplin, n’a ni complexe d’héritage, ni problème d’inventivité. Du 12 mai au 4 juin au théâtre Marigny, www.theatremarigny.fr
Fin de partida Un trio d’handicapés, dans un monde apocalyptique… Samuel Beckett savait choisir son cadre pour faire dire au personnage de Nell que « rien n’est plus drôle que le malheur ». Comptons sur la mise en scène de Krystian Lupa, grand amateur de Tarkovski, pour pousser l’angoisse existentielle dans les gorges du comique. En espagnol surtitré. Du 13 au 18 mai au théâtre des Amandiers, Nanterre, www.nanterre-amandiers.com
Incredibly Incroyable
Stand up comedy bilingue, avec accent oxfordien parfaitement clean, Incredibly Incroyable est le premier one-man show de Bertrand Bossard. Un virage burlesque pour ce comédien repéré dans les mises en scène de Jean-Pierre Vincent, qui ouvre, en amont de son show, un training collectif. Les 13, 14, et 21 mai au CentQuatre, www.104.fr
Rock’n’roll Suicide Ancienne ballerine, la chorégraphe allemande Andréa Sitter était, dans La Reine s’ennuie, une sorte de pendant burlesque et sous acide du Swan d’Aronofsky. Sa libre adaptation de La Voix humaine de Cocteau vire cette fois du côté black, avec le suicide ordinaire d’une « victime médiocre », sans plumes et sans pointes. Du 19 au 21 mai au théâtre de l’Échangeur, Bagnolet, www.lechangeur.org
Festival Impatience Le « festival des jeunes compagnies » n’est pas un gala de fin d’année. Il y a vingt ans, à Strasbourg, dans un festival similaire, on découvrait les premières œuvres d’Olivier Py et Stéphane Braunschweig. On sera donc attentif à ces nouvelles signatures du théâtre européen, et en particulier à Anna Nozière. Du 9 au 18 juin dans plusieurs lieux, www.theatre-odeon.fr
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© Richard Wampach
SORTIES EN VILLE SPECTACLES
MIX TAPE DANSE CASSETTE de David Wampach du 13 au 15 mai à la MC93 de Bobigny dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis www.rencontreschoregraphiques.com
Conte iconoclaste, CASSETTE croise le ballet populaire Casse-Noisette avec la danse sportive la plus flashy. Un point de rencontre improbable entre Fantasia, Dirty Dancing et The Rocky Horror Picture Show signé DAVID WAMPACH, aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine‑Saint‑Denis. _Par Ève Beauvallet
Qui a tendance à sourire devant le pantalon un peu trop moulant et les pas de danse un peu trop léchés de Patrick Swayze dans Dirty Dancing jubilera sûrement devant CASSETTE. La nouvelle création de David Wampach se lit comme un piratage en règle du ballet-féérie CasseNoisette (1892) par des danseurs de cha-cha hystériques. Un pastiche des danses sportives, donc, ces danses de salon devenues particulièrement populaires depuis que TF1 a adapté Dancing With the Stars, une émission de téléréalité qui cartonne aux États-Unis. Figure très pop de la nouvelle garde chorégraphique, Wampach est notamment salué pour sa façon de cumuler rire, hystérie 110
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et effroi : il est fan de séries B, de cinéma gore, de John Waters, de Brian de Palma – il a même raflé un prix dans un club de travestis en imitant la scène du sang de porc de Carrie… On ne s’étonnera pas qu’en atterrissant dans l’univers lustré des ballrooms, il veuille en faire un terrain de jeu aussi outrancier qu’inquiétant. La première bonne nouvelle, c’est que – contrairement au casting de TF1 – il n’y a ni Adriana Karembeu, ni M Pokora dans celui de CASSETTE : l’affiche est partagée entre danseurs contemporains et anciens champions de danses sportives, tous en brushings laqués et sourires Aquafresh. L’autre bonne nouvelle, c’est que le chorégraphe a eu le bon goût d’éviter l’énième brûlot contre la société du spectacle et ses strass de pacotille. Avec leurs grands écarts éroticoflamboyants et les mélodies de Tchaïkovski remixées sur des beats technos façon Dance Machine Volume 2, la troupe de CASSETTE affiche un regard plus ambigu sur la culture populaire, entre dérision et fascination. Libre au public de trouver cela drôle ou monstrueux… Quand la féerie prend, chez David Wampach, c’est souvent les deux. ◆
© TDR Theatre de Gennevilliers
LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ
Hypnographie Ensemencer une idée dans l’imaginaire d’un endormi et l’observer construire sa propre fiction… Ça rappelle le scénario de Inception, mais c’est du projet théâtral de Joris Lacoste qu’il s’agit ici. Metteur en scène et hypnotiseur, passionné par les différents usages de la parole, il s’évertue depuis 2009 à faire de l’hypnose une discipline artistique à part entière. Explications aux frontières du sommeil avec Hypnographie, une conférence illustrée donnée en marge de l’exposition Vaudou à la Fondation Cartier (lire page 119). Également au programme des Soirées nomades, placées jusque fin juin sous le signe du mystère : les contorsions vaudou de la circassienne Angela Laurier, et un rituel sylvestre très barbu par Patrick Mario Bernard. _E.B.
Les Soirées nomades : cycle Mystère, les 16 mai, 26 mai et 9 juin à la Fondation Cartier, www.fondation.cartier.com
© Dave St-Pierre
DIRTY DANCING
Un peu de tendresse bordel de merde ! Le chorégraphe québécois Dave SaintPierre sait choisir ses titres, et il s’arrange pour qu’ils ne mentent pas : Un peu de tendresse, bordel de merde ! est donc une injonction à faire la paix entre copains dans un bordel hédoniste complètement décomplexé. On n’est pas loin des soixante-huitards du Living Theater, ni des tragédiens de Pina Bausch qui, eux aussi, criaient leur besoin désespéré d’amour… Ceci dit, les danseurs de Saint-Pierre sont plus naturistes. On ne sait pas si les humains s’aiment davantage lorsqu’ils vont cul nu mais, dans le doute, le chorégraphe préfère cette option. Aucun atout n’est à négliger pour gratter l’affection jusque dans les tribunes. _E.B.
Du 25 au 29 mai au théâtre de la Ville, www.theatredelaville-paris.com
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© Bruno Verjus
SORTIES EN VILLE RESTOS
BON VIVANT LE CHEF Vivant Adresse : 43 rue des Petites-Écuries, 75010 Paris Tél. : 01 42 46 43 55
Rencontre avec la gourmandise transalpine de PIERRE JANCOU, cuisinier plus que nature de Vivant. Produits d’auteurs autour du bagout cajoleur de cet épicurien. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)
Chez Vivant, Pierre Jancou fête 40 ans et mille vies tracées d’une trajectoire romanesque et gourmande. La légende raconte qu’enfant, il s’entichait de produits et se formait le goût le temps de pérégrinations prolongées en Suisse, en France et en Italie. Une chose est sûre : depuis une vingtaine d’années, il régale les gastronomes. Des adresses choisies avec éclectisme et singularité où priment l’âme des lieux et l’histoire qu’ils recèlent. Il en fut ainsi de La Bocca, « inventée » dans une ancienne boulangerie, ou des Caves Miard, près de l’Odéon, rebaptisées La Crémerie. De Racines encore, une ancienne imprimerie du passage des Panoramas. Autant de quêtes des produits, du bon vivre, des artisans et de lieux pour aboutir à l’essence même du vibrant. Le dernier-né, Vivant, se niche 112
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dans une oisellerie fondée en 1903, petit écrin luxuriant orné de panneaux de céramique Art nouveau venus de l’atelier Gilardoni. « En découvrant la finesse du travail sur les céramiques qui couvrent murs et plafond, je me suis dit que Monsieur Gilardoni devait être secrètement amoureux de la propriétaire de l’oisellerie… et je suis tombé sous le charme de cette belle histoire », raconte Pierre Jancou, tout feu tout flamme. Autodidacte et fier de l’être, il collectionne les produits d’auteurs comme d’autres les timbres ou les aventures. Mobilier hétéroclite, tables en marbre ou en formica, cabine téléphonique en bois du village de Pupillin chinée sur eBay, zinc où trône une trancheuse Berkel et une machine à café Faema de musée, voilà pour le décor. Avec le Niçois Massimo Ruggiero aux fourneaux, Pierre Jancou offre la genèse du simple et du vif. Sur tables, des produits, des vins d’artisans et de vignerons exprimés dans leur juste énergie. Nous voici bel et bien vivants – en chair et en os, comme dirait Almodóvar. ◆
© DR
LE PALAIS DE…
Joann Sfar, dessinateur
« La Boule rouge est un restaurant séfarade où, l’après-midi, des vieux jouent au poker : un vrai spectacle. Si je voulais faire un bon film, je poserais juste ma caméra ici. C’est un resto familial, qui existe depuis les années 1950‑1960. Beaucoup de juifs et d’arabes vont y manger pour retrouver leur cuisine. Ils font la mloukhia par exemple, c’est très bon. C’est du couscous avec une sauce presque noire et un légume dont je ne connais pas le nom ; on dirait qu’on bouffe du pétrole, mais c’est délicieux, surtout avec de l’anisette Phénix ! La clientèle est principalement composée d’habitués. Enrico Macias y va souvent, moi j’y vais quand je n’essaye pas de maigrir… » _Propos recueillis par Louis Séguin La Boule rouge, 1 rue de la Boule-Rouge, 75009 Paris. Tél. 01 47 70 43 90
© Rue des Archives / Ciné-Tamaris
la Recette
Le cake d’amour de Peau d’âne Le cake fait partie de ces gâteaux que l’on nomme « de voyage ». Il aime rassir. C’est pourquoi, même si vous n’avez pas encore trouvé de fiancé(e), vous pouvez vous lancer dans la confection de ce gâteau. Pour commencer, fredonnez à tue tête l’hymne du film de Jacques Demy, composé par Michel Legrand (« Préparez votre… Préparez votre pâte… »). Ce faisant, mélangez dans une jatte 170g defarine avec quatre œufs frais. Ajoutez 20cl de lait – « bien crémeux s’il‑vous‑plaît » – et 100g de sucre. Amalgamez avec 70g de beurre doux, une cuillerée à café de miel, un demi-sachet de levure, une pincée de sel et… un présent pour votre fiancé(e). À condition que celui‑ci résiste à une cuisson de 40 minutes à 180°C. _B.V.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA
Very Bad Trip 2 de Todd Phillips
11/05 LE DILEMME
REVOLUCIÓN
Nick et Ronny sont amis depuis l’université. Mais Ronny découvre avec stupeur que sa femme le trompe avec un certain Zip… Se pose alors la question de l’informer, au risque de le blesser.
À l’occasion des 100 ans de la révolution mexicaine, dix réalisateurs reviennent sur ce bouleversement et sur ses résonnances actuelles. L’enfant, le vieillard et l’homme politique y sont trois figures privilégiées.
JUSTE ENTRE NOUS
STONE
Variation sur les tentations de l’adultère, ce film s’articule autour de deux frères, leurs femmes, leurs maîtresses et leurs bambins. Tous en quête d’amour et de plaisir, ils vont devoir faire face aux conséquences de leurs actes.
Déballage d’artillerie lourde, Stone navigue entre une prison et le monde extérieur : incarcéré pour meurtre, un prisonnier (Norton) demande à sa petite amie (Jovovich) de séduire le geôlier (De Niro) pour le faire sortir…
LA CONQUÊTE
PIRATES DES CARAÏBES 4 : LA FONTAINE DE JOUVENCE
de Ron Howard Avec Vince Vaughn, Kevin James… Universal, États-Unis, 1h52
de Rajko Grlic Avec Miki Manojlovic, Bojan Navojec… Kanibal Films, Serbie-Croatie-Slovénie, 1h29
de Gael García Bernal, Diego Luna… Film collectif Tamasa, Mexique, 1h50
de John Curran Avec Robert De Niro, Edward Norton… Metropolitan Film Export, États-Unis, 1h45
18/05 de Xavier Durringer Avec Denis Podalydès, Florence Pernel… Gaumont, France, 1h45
Présenté hors compétition à Cannes, La Conquête revient sur les cinq ans qui ont précédé l’élection de Nicolas Sarkozy. Dans le rôle du candidat bourré de tics, Denis Podalydès est bluffant.
mai 2011
Ce quatrième épisode des aventures exotiques de l’imbuvable capitaine Jack Sparrow promet un supplément de panache avec l’arrivée dans le casting de Penélope Cruz.
INTO ETERNITY
UNE FOLLE ENVIE
La Finlande creuse une caverne pour stocker des déchets radioactifs nuisibles pendant 100 000 ans. Mais comment communiquer avec les générations jusqu’à l’an 102 000 pour les dissuader de visiter cette grotte mortelle ?
L’envie d’avoir un enfant démange Yann et Rose, qui essaient de concevoir… sans succès. Ils envisagent alors des moyens de plus en plus imaginatifs, au risque de s’éloigner complètement l’un de l’autre.
de Michael Madsen Documentaire Chrysalis, Italie-Danemark-Suède-Finlande, 1h15
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de Rob Marshall Avec Johnny Depp, Penélope Cruz… Disney, États-Unis, 2h20
de Bernard Jeanjean Avec Clovis Cornillac, Olivia Bonamy… SND, France, 1h20
© 2011 WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC. AND LEGENDARY PICTURES - Photo Melinda Sue Gordon
_Par C.G., L.P., L.S., L.T. et m.w.
25/05 LE COMPLEXE DU CASTOR
de Jodie Foster Avec Mel Gibson, Jodie Foster… SND, États-Unis, 1h30
Dans ce psychodrame de la quarantaine, un Mel Gibson raplapla dialogue avec une marionnette de marmotte… Jodie Foster redonne une chance à l’acteur tombé en disgrâce.
SENNA
d’Asif Kapadia Documentaire Océan Films, France-États-Unis-Grande-Bretagne, 1h44
Primé lors du dernier festival de Sundance, ce documentaire revient sur le parcours du champion brésilien de formule 1, jusqu’à son accident fatal sur le parcours du grand prix d’Italie en 1994.
VERY BAD TRIP 2
de Todd Phillips Avec Bradley Cooper, Zach Galifianakis… Warner Bros, États-Unis
À l’aube de son mariage, Stu ne s’attend pas à revivre l’enfer amnésique vécu à Las Vegas. Cette suite très attendue du succès surprise de 2009 quitte les casinos pour rejoindre la Thaïlande.
RÊVES VOLÉS
de Sandra Werneck Avec Nanda Costa, Amanda Diniz... Artédis, Brésil, 1h30
Dans une favela de Rio de Janeiro, trois jeunes filles, obligées de se prostituer pour gagner un peu d’argent, n’en restent pas moins des adolescentes et font leur possible pour empêcher qu’on vole leurs rêves.
ET AUSSI ... 11/05
L’ŒIL INVISIBLE de Diego Lerman (lire la critique p. 118) MINUIT À PARIS de Woody Allen (lire l’article p. 16) 18/05
LE GAMIN AU VÉLO de Jean-Pierre et Luc Dardenne (lire le dossier p. 48 et la critique p. 119)
THE TREE OF LIFE de Terrence Malick (lire le dossier p. 48) 25/05
INFILTRATION de Dover Kosashvili (lire la critique p. 120) LA DÉFENSE LINCOLN de Brad Fulman (lire la critique p. 26) PLAY A SONG FOR ME d’Esmir Filho (lire l’article p. 14) 01/06
GIANNI ET LES FEMMES de Gianni Di Gregorio (lire l’interview p. 22) LE CHAT DU RABBIN de Joann Sfar (lire l’interview p. 84) 08/06
LIMITLESS de Neil Burger (lire l’article p. 48) LONDON BOULEVARD de William Monahan (lire l’article p. 124) UNE SÉPARATION d’Asghar Farhadi (lire l’article p. 122) www.mk2.com 115
SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA _Par C.G., L.P., L.S., L.T. et m.w.
(suite)
01/06 BELLEVILLE TOKYO
MEDIANERAS
Intellectuels précaires, Marie et Julien s’aiment, se séparent, se retrouvent. Mais l’arrivée d’un enfant accélère leur séparation… Après La Reine des pommes, Elkaïm et Donzelli emportent une nouvelle fois le morceau.
Medianeras prend la voix tantôt charmante, tantôt poussive des comédies de Cédric Klapisch pour raconter la rencontre de deux asociaux de la grand’ville (ici Buenos Aires). Un film d’une belle douceur.
MAUDITE PLUIE !
RENDEZ-VOUS AVEC UN ANGE
En 2009, plus de 1000 paysans indiens se sont suicidés, écrasés par les dettes. Le film conte l’histoire d’un couple rural. Effrayée par la vague de suicides, Alka fait surveiller son époux par toute la famille…
Un critique musical déchu (Sergi López) traite avec rudesse sa compagne, une infirmière licenciée pour avoir euthanasié un patient (Isabelle Carré). Mais il retombe amoureux d’elle au fur et à mesure qu’elle lui ment…
AMERICAN TRANSLATION
PRUD’HOMMES
Captifs de vies normées, Aurore et Chris se rencontrent et tombent immédiatement amoureux l’un de l’autre. Mais Chris dissimule des pulsions meurtrières et l’amour du jeune couple est mis à l’épreuve...
Immersion dans un tribunal suisse où se tiennent les procès opposant employeurs et salariés. Entre incompréhension et difficiles ébauches de dialogue, le spectateur (et le juge) oscille entre sourires et empathie.
LOW COST
THE PRODIGIES
Cette comédie dispersée se déroulant dans le huis clos d’un Boeing a pour elle la nonchalance du film de vacances improvisé. Judith Godrèche gère de façon convaincante son contre-emploi.
Farrar contrôle à volonté l’esprit de ceux qui l’approchent. À la tête de sa fondation, il recherche activement des êtres dotés de pouvoir similaires afin de les réunir. Mais ceux-ci font l’objet d’une traque impitoyable et décident de se venger…
d’Élise Girard Avec Valérie Donzelli, Jérémie Elkaïm… Épicentre, France, 1h15
de Satish Manwar Avec Girish Kulkarni, Sonali Kulkarni… Damned, Inde, 1h35
de Gustavo Taretto Avec Pilar López de Ayala, Inés Efron… Jour2fête, Argentine-Espagne-Allemagne, 1h35
d’Yves Thomas et Sophie de Daruvar Avec Isabelle Carré, Sergi López… Océan, France, 1h38
08/06
de Maurice Barthélémy Avec Jean-Paul Rouve, Judith Godrèche… Wild Bunch, France, 1h29
de Stéphane Goel Documentaire Blaq Out, Suisse, 1h25
d’Antoine Charreyron Film d’animation, avec Mathieu Kassovitz… Warner Bros, France, 1h27
Belleville Tokyo d’Élise Girard
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© Epicentre Film
de Pascal Arnold et Jean-Marc Barr Avec Pierre Perrier, Liz Brocheré… Zelig Films, France, 1h49
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© Pyramide Films
08/06
01/06
25/05
18/05
11/05
SORTIES EN SALLES CINÉMA
MAUVAISE ÉDUCATION 3 questions à
L'ŒIL INVISIBLE
de Diego Lerman Avec : Julieta Zylberberg, Osmar Muñez… Distribution : Pyramide Durée : 1h35 Sortie : 11 mai
Fidèle à un cinéma argentin plus que jamais travaillé par l’asphyxie et l’enfermement, le quatrième film de DIEGO LERMAN dissèque les pulsions d’une jeune surveillante de lycée paralysée entre feux libertaires et tentations autoritaristes, à l’aube de la guerre des Malouines. _Par Laura Tuillier
Buenos Aires, 1982. María Teresa est la surveillante la plus jeune et la plus zélée du lycée Nacional, cocon universitaire prestigieux voué à étouffer toute velléité de rébellion. Sous l’aile de Biasutto, le surveillant en chef, elle s’y adonne avec fougue à un minutieux travail de traque : trouver quel est l’étudiant coupable d’enfumer les
toilettes de volutes contestataires. Diego Lerman enferme le spectateur dans l’enceinte de l’institution en compagnie de la jeune femme, dont les déambulations se font de plus en plus angoissées et circulaires. Ce lieu clôt devient dès lors la métonymie des bouillonnements du pays (alors en révolte contre la dictature militaire) et de l’agitation intérieure de María Teresa. Les relations de l’héroïne avec sa malicieuse grand-mère, salutaires mais trop rares bouffées d’air, ne parviennent pas à la détourner de ses obsessions d’obéissance et de pureté. Son imagination se débride dangereusement tandis que celle de Biasutto lorgne avec lubricité sur une jeunesse paumée et vulnérable. En la sauvant de l’asphyxie, le dénouement (dont la violence frontale rappelle La Pianiste de Haneke) ouvre les yeux de María Teresa sur une réalité à l’opposée de ses fantasmes, dans laquelle agir s’avère vital. ◆
Diego Lerman Comment avez-vous construit le personnage de María Teresa ? Je voulais que l’on puisse sentir les contradictions de sa vie intérieure, malgré des changements d’expression peu nombreux. Pas de voix off, mais son visage, son corps, au centre du film. Avec Julieta, nous avons passé beaucoup de temps à chercher comment María Teresa marchait dans les longs couloirs du lycée. La révolution en germe est-elle présente dans l’établissement ? Je voulais que cela soit subtil mais perceptible. Les lycéens hésitent à franchir les limites de l’autorité, mais ils commencent à se battre, à s’embrasser plus librement. Les vrais changements viendront plus tard dans cette histoire ; je filme des prémices. Quel est le rôle joué par la famille de María Teresa ? Le personnage de la grand-mère n’était pas dans le roman de Martin Kohan, que j’adapte pour ce film. Je voulais que trois générations de femmes se répondent. La cellule familiale est une protection, mais trace aussi les frontières de la liberté de María. Surtout, il n’y a aucun homme, ce qui pose d’autres problèmes.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’actrice Julieta Zylberberg, déjà remarquée dans La Niña Santa, qui confirme sa place dans le cinéma d’auteur argentin.
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mai 2011
2… Pour la photographie soignée du film, qui baigne le lycée Nacional de Buenos Aires d’une troublante atmosphère.
3… Pour la scène finale, déchaînement des passions qui permet de faire enfin sauter les barrières.
SORTIES EN SALLES CINÉMA 11/05 18/05 25/05 01/06
© Christine Plenus
08/06
NOUVEAU CYCLE Nouvelle variation de la grande histoire du quotidien filmée par les frères Dardenne depuis leurs débuts, Le Gamin au vélo confronte une mère en devenir et un enfant abandonné par son père. Bouleversant. _Par Jacky Goldberg
Il est des créateurs chez qui l’éventualité d’une déception se révèle tout à fait secondaire. Chez les grands cinéastes à système, artisans moralistes refaisant le même film encore et encore – hier Rohmer ou Ozu, aujourd’hui Hong Sang-soo ou les Dardenne –, la lassitude guette à chaque nouveau rendez-vous ; et pourtant, après quelques plans, les doutes s’effacent devant le plaisir de retourner chez soi, comme la redécouverte de sa maison après
les vacances, telle qu’on l’a laissée et néanmoins changée par le regard. Tous les trois ans depuis 1996, avec une régularité de métronome, Luc et Jean-Pierre Dardenne dévoilent ainsi, à Cannes, leur nouveau film. De quoi est donc fait Le Gamin au vélo, nouvelle pièce du grand œuvre dardennien ? Avant tout d’un récit simple, presque un conte : un enfant abandonné par son père est adopté par une jeune femme sans enfant, qui tente de le mettre sur le bon – à défaut du droit – chemin. Un décor similaire à celui de tous les Dardenne : une ville moyenne de la vallée de la Meuse, en Belgique, à la topographie restreinte mais très précise (un bois, une cité, un orphelinat). Des acteurs qu’on reconnaît (Olivier Gourmet, Fabrizio Rongione et Jérémie Renier, à nouveau bouleversant en père irresponsable), d’autres qu’on redécouvre (Cécile de France, comme filmée
pour la première fois), ou dont on fait la connaissance : Thomas Doret, gamin blond et buté qui joue le rôle principal, nouveau coup de génie de casting. Pas de psychologie qui vaille, tout n’est qu’action et mouvement. Le pourquoi disparaît, seul compte le comment. Et ce qui bouleverse, encore et toujours, c’est cet art plus que maitrisé du jaillissement, cette façon de créer la tension avec rien, de réussir à surprendre en appliquant un programme qu’on croit connaître par cœur. La constance des génies. ◆
© Christine Plenus
LE GAMIN AU VÉLO
de Luc et Jean-Pierre Dardenne Avec : Cécile de France, Thomas Doret… Distribution : Diaphana Durée : 1h27 Sortie : 18 mai
3 raisons d’aller voir ce film 1… Sans être radicalement neuf, il offre mille variations passionnantes à ce que l’on sait déjà des Frères Dardenne.
2… Pour la distance adoptée, parfaite, à la fois tendre et lucide, sur les personnages et leur environnement.
3… Pour voir Cécile de France sous un jour totalement neuf et découvrir un enfant acteur génial : Thomas Doret.
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08/06
© Sophie Dulac Productions - Transfax Films Productions
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25/05
18/05
11/05
SORTIES EN SALLES CINÉMA
FULL METAL BRAGUETTE Troisième salve de DOVER KOSASHVILI, Infiltration s’immisce dans un camp d’entraînement israélien à l’été 1956. Là, une bande de bras cassés se découvre en trois mois de vie commune. Un condensé de désir, d’humour et d’humanité à l’amplitude féroce. _Par Laura Pertuy
Huit ans après la création d’Israël, le soldat fait figure d’héros national et promène les espoirs d’un État en germe. En marge de cette société que le film laisse deviner par bribes, Infiltration, inspiré d’un roman de 1986 signé Yehoshua Kenaz, adopte les lois chorales du récit de groupe pour nourrir des portraits bien individuels. De jeunes recrues, atteintes d’un handicap physique ou mental, se promettent à un avenir militaire ou administratif et recréent entre elles une hiérarchie originale, expurgée des origines de chacun et représentative de leurs aspirations. Alon, force guerrière du groupe, porte haut ses espoirs de parachutiste, gavant 120
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l’écran d’une blondeur solaire cruellement ignorée par ses supérieurs. Quant à Avner, valeureux charmeur, installé sur un lit devant le dortoir, il semble recueillir les souff les et déceptions de ses congénères tout en infiltrant le monde extérieur par le dessein amoureux. Ben-Hamo, figure la plus explicitement homosexuelle du film, aspire lui aussi à cette difficile intrusion, signifiée par la grille qui encercle le camp. La solidarité, au bourgeonnement ardu, se paye au prix d’un long apprentissage : celui qui clôt une adolescence encombrée de la violence des actes et des mots, charges dévastatrices qui faisaient déjà la saveur de Mariage tardif et Cadeau du ciel, les deux premiers films de Kosashvili. Même si l’Israël d’alors transpire les échanges entre des profils divers (immigrants, survivants de l’Holocauste, sabra…), le film concentre une cruauté bien universelle. Traversé par des tableaux comiques et érotiques à la tendresse amère, Infiltration capture en un camp toute la complexité d’une société balbutiante, où l’homme hésite à poursuivre ou à suspendre sa guerre contre lui-même. ◆
© Sophie Dulac Productions - Transfax Films Productions
INFILTRATION
de Dover Kosashvili Avec : Guy Adler, Dalia Beger… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h56 Sortie : 25 mai
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la charmante galerie d’éclopés au sex-appeal intact. 2… Pour la chorégraphie irrésistible de Ben-Hamo, personnage déluré et tendre. 3… Pour l’hommage homo‑érotique à Full Metal Jacket de Stanley Kubrick.
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© Memento Films
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DEGRÉS DE VÉRITÉ UNE SÉPARATION
d’Asghar Farhadi Avec : Leila Hatami, Peyman Moadi… Distribution : Memento Films Durée : 2h03 Sortie : 25 mai
Drame social construit comme un thriller, récompensé par l’Ours d’or à Berlin, le cinquième long métrage de l’Iranien ASGHAR FARHADI interroge la représentation d’une vérité fugitive. Haletant. _Par Laura Tuillier
« Ce n’est pas à moi de faire la lumière sur le film. Je vous indique plutôt des zones de pénombre. Ce sont elles qu’il faut scruter », annonce d’entrée Asghar Farhadi dans un demi-sourire énigmatique. Certaines interrogations resteront donc en suspens, à l’image du dernier plan d’Une séparation, longue attente insatisfaite – tant pour les personnages que pour le spectateur. Au début du film, Simin se sépare officieusement
de Nader et quitte le domicile familial, abandonnant derrière elle sa fille Termeh et son beau-père atteint de la maladie d’Alzheimer. Désemparé, Nader fait appel à une mère de famille dans le besoin, Hodjat, pour veiller sur le malade. Après quelques
Une séparation fait de ses personnages tour à tour la victime et le complice. jours, celle-ci commet une faute qui emporte la fiction loin de la « séparation » entrevue en ouverture, vers une course effrénée à la recherche du coupable : Hodjat, qui a manqué à ses devoirs de garde-malade, ou Nader, qui l’a violentée, provoquant ainsi sa fausse couche ? POINT DE VUE Du huis clos intimiste, Une séparation dérive rapidement vers le « film multidimensionnel ». Asghar Farhadi
nous livre le récit d’une anecdote qui a guidé cette construction dramatique : « Vous connaissez l’histoire de l’éléphant dans une pièce noire et pleine de gens ? Tout le monde le touche pour deviner de quoi il s’agit. Si l’un touche son pied, il a l’impression de toucher une colonne, un autre touche sa trompe et vous dira qu’il s’agit d’un saxo. Si on allume une petite ampoule, tout le monde découvre pourtant le même éléphant. » Bien qu’il déclare ne pas avoir vu Copie conforme d’Abbas Kiarostami, on pense au maître iranien et à son travail sur le vertige d’une vérité jamais donnée, toujours construite. Une séparation fait de chacun des personnages tour à tour la victime et le complice, si bien que le spectateur, épousant le point de vue mouvant de la caméra, fonce yeux écarquillés dans les chaussetrappes du scénario. Le couple de classe moyenne Simin/Nader, déjà ébranlé, se retrouve face à un couple
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour sa façon d’éprouver plusieurs strates de solidarités (conjugale, familiale, sociale) et de vérités (judiciaire, religieuse).
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2… Pour l’interprétation sur le fil des acteurs et actrices, récompensés collectivement d’un ours d’argent à Berlin.
3… Pour continuer, après The Hunter ou Mainline, de découvrir un cinéma iranien plein de promesses.
« J’aimerais qu’on arrive à autant de films que de spectateurs. » Asghar Farhadi
POINT DE SALUT Symétriquement, Une séparation place face-à-face leurs deux femmes, l’une dévouée à la tradition, l’autre tentée par le divorce et l’exil. Hodjat, très croyante, souffre de ne pouvoir démêler le vrai du faux de ses souvenirs de l’accident et de commettre ainsi le péché de mensonge. « Il me fallait un visage qui transpire l’hésitation. Je voulais qu’on devine les secrets qu’elle cache au fond d’elle, qu’on sente la dissimulation », précise Asghar Farhadi. Simin est quant à elle déchirée entre sa décision initiale
(quitter Nader) et le rôle qu’elle se fait un devoir d’endosser au cours du film (défendre sa famille). Uniques liens, leurs filles esquissent en marge de l’intrigue un début de complicité, sur laquelle le réalisateur se montre peu optimiste : « Même dans le regard qu’échangent les petites filles à la fin, on sent la séparation en germe. » L’ensemble des actrices a reçu un Ours d’argent, preuve que le jury du festival berlinois n’a pas voulu, lui non plus, trancher entre les incarnations dissonantes d’une même vérité. Grand film sur la représentation (comme ont pu l’être, dans des styles très différents, Snake Eyes de De Palma et Douze Hommes en colère de Lumet), Une séparation ne se laisse réduire à aucune catégorisation, dépassant les genres auxquels il se rattache (film social, drame familial, whodunnit…). « Je vais continuer de creuser dans cette direction pour mes prochains films, conclut Asghar Farhadi. J’aimerais qu’on arrive à autant de films que de spectateurs dans la salle. » ◆
3 questions à
Asghar Farhadi Vouliez-vous aborder la lutte des classes avec Une séparation ? Au début, les solidarités ont l’air de bien fonctionner : si Hodjat ne peut pas venir s’occuper du vieil homme, son mari s’en chargera… Mais, après l’incident, ces solidarités éclatent. L’important, c’est qu’il y ait différents points de vue possibles sur le film. Le social est l’un d’eux. Vous êtes-vous documenté sur le fonctionnement de la justice iranienne ? D’abord, je suis allé seul m’imprégner du travail des juges et des magistrats. Nous avons aussi embauché un consultant juridique, avec lequel j’ai passé beaucoup de temps. Je voulais que le film soit aussi fidèle que possible à la réalité juridique du pays. Est-il difficile de tourner en Iran ? Faire des films n’est simple nulle part. En Iran, c’est encore un peu plus compliqué mais je connais ce pays, j’ai grandi là-bas, rien n’est impossible. Une séparation vient de sortir en Iran. Bien sûr, j’ai rencontré des problèmes pendant le tournage, mais je veux que le spectateur regarde le film comme s’il avait été tourné dans des conditions idéales.
© Memento Films
encore plus désemparé : Hodjat et Razieh, eux aussi parents d’une petite fille. Sans le sou, instable psychologiquement, Razieh perd pied après la fausse couche d’Hodjat. La vérité raisonnable et juridique que défend Nader (reconstitution de la scène, recueil de témoignages…) se heurte alors au sentiment d’injustice viscéral que porte en lui Razieh, plus enclin à faire triompher une vérité vengeresse.
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© Metropolitan Filmexport
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BOULEVARD DU CRIME LONDON BOULEVARD
de William Monahan Avec : Colin Farrell, Keira Knighley… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h42 Sortie : 8 juin
Scénariste des Infiltrés et de Mensonges d’État, WILLIAM MONAHAN s’offre avec sa première réalisation, London Boulevard, une belle incursion dans les chemins pourtant balisés du film de voyou repenti. _Par Louis Séguin
À peine sorti de prison, Mitchel (Colin Farrell) se retrouve malgré lui sur une route toute tracée vers l’irréparable : replonger dans la pègre d’où il vient. On le met à l’épreuve, jusqu’à ce qu’il craque. Il y a le boss (Ray Winston) qui ne le lâche pas (mélange entre le flegmatique et populo parrain du documentaire A Very British Gangster et le furieux névropathe des Infiltrés) ; la sœur irresponsable qui saute à
pieds joints dans les emmerdes ; les jeunes désœuvrés qui tuent son ami clochard ; l’ami pénible qui l’entraîne dans les mauvais coups… Mais il y a surtout Charlotte, la star pop agoraphobe interprétée par Keira Knightley, qui l’embauche pour qu’il la protège des paparazzi. Assez vite, la cliente se transforme
Ce premier film est certes un film de scénariste, mais pas que cela. Il s’attache à filmer Londres, à saisir une ambiance. en fiancée fragile, c’est-à-dire à protéger non plus des paparazzi, mais de lui-même et de son milieu. Seul le majordome loufoque de Charlotte n’est pas un boulet pour Mitchel, toujours prêt à l’accompagner partout, même s’il sait qu’il fait fausse route.
Le héros campé par Colin Farrell dans London Boulevard évolue sur des sentiers battus : ceux du repentant qui compte bien rester droit dans ses bottes mais se retrouve très vite indisposé comme par des moustiques par les sollicitations de son entourage. Jusqu’au moment où – tout de même – il décide de les écraser pour avoir la pai x. En accomplissant efficacement ce programme, le premier film de William Monahan est certes un film de scénariste, mais il n’est pas que cela. Il s’attache à filmer Londres, à saisir une ambiance de faubourg qui se moque de l’économie du scénario. Les scènes d’amour entre Mitchel et Charlotte sont traitées avec pudeur et légèreté, composant habilement avec le schéma un peu convenu (le voyou et la paumée). En n’oubliant pas d’être réalisateur, Monahan donne à son film le charme, rectiligne et imposant, des grands boulevards. ◆
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la B.O. impeccable, dans un sillon rock sixties du meilleur aloi (Stones, Bob Dylan…), côtoyant la musique de Sergio Pizzorno.
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2… Pour David Thewlis, le professeur Remus Lupin de Harry Potter, qui joue ici Jordan, homme à tout faire complètement délirant.
3… Pour le panel d’ambiances londoniennes, des bas-fonds aux quartiers chics, magnifié par la photographie de Chris Menges.
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LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES
© DR
CARTE BLANCHE
CŒUR DE CIBLE À la fois sensuelle et lointaine, désincarnée et pourtant toute tournée vers la matière du monde, la musique de MOHINI GEISWEILLER est paradoxale – comme un rêve, dans une nuit blanche. Le MK2 Quai de Seine la reçoit le 6 juin pour une soirée entre chien et loup. _Par Wilried Paris
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a troublante Mohini Geisweiller est précédée par un storytelling impeccable : parents hippies, élevée dans une secte, goûtant les extrêmes au sein du combo electro (et très clash) Sex in Dallas, dérivant entre Berlin (clubs), Paris (rêves) et Londres (raves), puis enregistrant ses boucles sur un laptop, dans un train, dans une chambre de bonne, ou sur l’île d’Ouessant – « sans arbres, balayée par les phares ». La voilà faisant de son horizon un événement sur un album qui sonne comme une sortie hors de l’insularité. Évoquant une Autobahn kraftwerkienne minimale, la synth-pop des années 1980 revisitée par les plugins VST ou les expérimentations électrointimistes des Munichois Lali Puna au début des années 2000, Event Horizon séduit doucement et discrètement, en quatorze petites boîtes à musiques : beatboxes sommaires, basslines tournoyantes, arpèges de synthés, Mellotron émulé composent ces mélodies voyageuses, chantées en français limpide ou en anglais clair-obscur, du tube insomniaque Milk Teeth à la ballade post-apocalyptique Paris 2013.
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Rendue comme transparente par les transports (aériens, amoureux), cette femme fatalement fragile de 33 ans (christique, donc) obsède autant pour sa pale beauté et ses yeux azur que pour ses ritournelles électroniques et mélancoliques pianotées à deux doigts sur un clavier MIDI. Chi va piano, va sano, et l’étoile filante entre deux gouffres touche au cœur de cible, d’un murmure sans effets ni apprêts, voix intérieure telle celle d’un fantôme dans la machine. Sans rien pour la spatialiser (ni réverbération, ni bruits de bouche), la pureté des sons est translucide comme un écran LED, faisant de « la chute d’un gobelet vide » une ligne de poésie minimale, synthétique et lumineuse, aussi triste et précise que le glacis de l’hiver. Un événement. ◆ 6 juin - 20h30 QUAI DE SEINE Film et performance live, plus d’infos sur www.mk2.com Event Horizon de Mohini Geisweiller (Columbia / Sony Music)
14 mai - 15h BIBLIOTHÈQUE Dédicaces des albums La Dynamo d’Igor-Alban Chevalier (lire p. 33) et Sabine de Maya Minidou. 19 mai - 19h30 QUAI DE SEINE Soirée Zéro de conduite spéciale « pêche à la mouche » : balade-lecture sur le bassin de La Villette autour des textes Itinéraire d’un pêcheur à la mouche, Truites & Cie, La Boîte à pêche et En remontant les ruisseaux. Inscriptions : 01 44 52 50 70. 20 mai - 19h30 QUAI DE LOIRE Dédicace du recueil de nouvelles L’Assassinat de la dame de pique de Julien Campredon. 26 mai -19h30 QUAI DE LOIRE Lecture du recueil de poésie Uns de Mathieu Brosseau par le comédien Jean-Louis Baille. 26 mai - 20h BEAUBOURG Projection d’Andalucia d’Alain Gomis, suivie de courts métrages et d’un débat. Soirée élaborée par l’association Les Yeux de l’ouïe et l’atelier En quête d’autres regards, depuis la prison de la Santé. 27 mai à 20h30 BEAUBOURG Ciné-club Capprici : projection des Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, présenté par les auteurs du recueil d’essais The Wire. 27 mai - 19h30 QUAI DE LOIRE Rencontre avec Patrick de Saint-Exupéry autour de la parution du premier numéro de la revue 6 mois. 30 mai - 20h30 QUAI DE LOIRE Rendez-vous des docs : présentation de Valvert de Valérie Mréjen par le critique Jean-Michel Frodon. 1er juin -10h30 QUAI DE LOIRE Lecture des livres pour enfant de Magali Le Huche (lire p. 95). Inscriptions : 01 44 52 50 70. 4 juin - 11h BEAUBOURG Cycle Parfums de Lisbonne : projection du Fleuve d’or de Paulo Rocha, en présence d’Isabelle Ruth. 7 juin - 19h30 QUAI DE LOIRE Doc sur grand écran : projections de Les Braves : Jean Widhoff d’Alain Cavalier, Scènes de ménage (trois épisodes) de Claire Simon et Romances de terre et d’eau de Jean-Pierre Duret et Andrea Santana, suivies d’une rencontre avec les cinéastes. 9 juin - 20h30 BEAUBOURG Ciné-club Capprici : projection de Conversation secrète de Francis Ford Coppola, présenté par le critique Emmanuel Burdeau. 10 juin - 19h30 QUAI DE LOIRE Dédicace du livre de photographies Ce qui demeure de Baptiste Lignel. 11 juin - 11h BEAUBOURG Cycle Parfums de Lisbonne : projection de Ne change rien de Pedro Costa, en présence du réalisateur et de Jeanne Balibar. 16 juin - 20h QUAI DE LOIRE Ciné-BD : projection des Chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger, présenté par le cinéaste et dessinateur Joann Sfar (lire p. 84). Jusqu’au 26 juin QUAI DE LOIRE Chaque week-end en matinée / cycle Cannes sur Loire (Tournée, Kinatay, Gomorra, De l’autre côté, Nobody Knows, Elephant, L’Homme sans passé, La Pianiste). www.mk2.com 127
LOVE SEATS
LIGHT MY FIRE Cinéphile joyeusement cynique, Mélanie ne se doutait pas que les comédies romantiques l’aideraient à rencontrer l’âme sœur, ni que Jim Morrison jouerait pour elle les Cupidons. C’est pourtant ce qui lui est arrivé. _Propos recueillis par La Poste du cœur de Trois Couleurs
© Christophe Achard - Emmanuel Proust Editions
« Printemps 2010, soirée entre copines, à laquelle se sont greffés quelques inconnus. Je sympathise avec un garçon – un cinéphile pur et dur. J’aime le cinéma aussi, on en parle. Quelques jours plus tard, des amies et moi, on succombe à la tentation d’aller voir Sex and the City 2. On sait que ce sera nul, mais quand même. On opte pour le MK2 Gambetta, en se disant qu’on y sera mieux cachées que dans les cinés de Châtelet ou d’Odéon pour assouvir notre envie de film nul. À peine installées, une amie m’alerte : « C’est pas le type de la soirée ? » C’était lui, le cinéphile pur et dur, un peu honteux d’être ici. En sortant, je lui parle, on dit du mal du film, et on se promet, un mal pour un bien, d’aller en voir un bon un de ces jours. Moins d’une semaine s’écoule avant qu’il ne me propose d’aller voir When You’re Strange, le documentaire sur les Doors. Soit. Je suis un peu en avance. Je l’attends. Il est un peu en retard. Je l’attends. Il finit par arriver (il était plus ponctuel pour Sex and the City 2…). Pendant le film, il dépasse un peu de sa place, mais moi je regarde Jim Morrison et j’écoute la voix de Johnny Depp. Malin, il m’invite à boire un verre après la séance, pour se faire excuser d’être arrivé en retard. J’accepte. On boit un verre – enfin beaucoup de verres… Je me réveille le lendemain chez lui. On est ensemble depuis un an. Il y a quelques jours, j’ai accroché un poster de When You’re Strange chez nous. » ◆ Envoyez-nous vos histoires de coup de foudre en salles obscures à troiscouleurs@mk2.com
Extrait de la bande dessinée Moi aussi…je t’aime de Christophe Achard (Emmanuel Proust Éditions)
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LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN
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