cinéma culture techno été 2011 n°93 by
NUMÉRO DOUBLE Et aussi… John Landis • Euzhan Palcy Christophe Honoré • Miranda July Festival d’Avignon • James Franco Antonio Banderas • Blutch • Pixar
LES
SURDOUÉS
SPÉCIAL JEUNE CINÉMA FRANÇAIS
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SOMMAIRE été 2011 Éditeur MK2 Multimédia 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Direction artistique Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Secrétaires de rédaction Sophian Fanen, Marie Gratias Iconographe Juliette Reitzer Stagiaire Louis Séguin Ont collaboré à ce numéro Ève Beauvallet, Bruno Dubois, Julien Dupuy, Claude Garcia, Joseph Ghosn, Donald James, Claire Lefeuvre, Anne de Malleray, Wilfried Paris, Laura Pertuy, Stéphane Petiruisso, Pamela Pianezza, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Yal Sadat, Violaine Schütz, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Adrian Walter Illustrations Anna Apter & Charles Bataillie, Paul Bourgois, Dupuy & Berberian, Lola Raban Oliva, Ruppert & Mulot Photographie de couverture Nicolas Guérin Publicité Directeur général adjoint MK2 Multimédia Rachid Boukhlifa 01 44 67 68 02 (rachid.boukhlifa@mk2.com) Responsable de clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Responsable de clientèle hors captifs Amélie Leenhardt 01 44 67 30 04 (amelie.leenhardt@mk2.com) Stagiaire Adrien Faucher © 2011 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.
9 … ÉDITO 12 … PREVIEW > L’Apollonide
15 LES NEWS 15 … CLOSE-UP > Alexander Skarsgård 16 … BE KIND, REWIND > Super 8 18 … KLAP ! > Haywire 20 … VIDÉODROME > Plato 22 … MOTS CROISÉS > Euzhan Palcy 24 … TÉLÉCOMMANDO > Modern Family 26 … ŒIL POUR ŒIL > La Peau que j’habite vs Les Yeux sans visage 28 … FAIRE-PART > Mes meilleures amies 30 … PÔLE EMPLOI > Eric Overmyer, Richard Russo et Sarah Treem 32 … ÉTUDE DE CAS > Captain America et Green Lantern 34 … TOUT-TERRAIN > Bibio, le Festival d’Annecy, Steve Coogan 36 … AUDI TALENTS AWARDS > Arnaud Lapierre 38 … LE NET EN MOINS FLOU > L’open data 42 … SEX TAPE > Absent
44 DOSSIERS 44 … JEUNE CINÉMA FRANÇAIS > Portraits de JC, Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm, portfolio, enquête 62 … FESTIVAL D’AVIGNON > Focus sur l’édition 2011 66 … LA PLANÈTE DES SINGES : LES ORIGINES > Portrait de James Franco 70 … CADAVRES À LA PELLE > Entretien avec John Landis 74 … LA PEAU QUE J’HABITE > Portrait d’Antonio Banderas
77 LE STORE 77 … OUVERTURE > Le micro Samson 78 … EN VITRINE > Pixar 82 … GUEST LIST > Miranda July 84 … KIDS > Le Roi lion 86 … VINTAGE > Delta Swamp Rock et Atlanta : Hip-Hop and the South 88 … DVD-THÈQUE > David Lean 90 … CD-THÈQUE > Brent Cash 92 … BD-THÈQUE > Blutch 94 … BIBLIOTHÈQUE > Geoff Nicholson 96 … LUDOTHÈQUE > Infamous 2
99 LE GUIDE 100 … SORTIES EN VILLE > Jazz à la Villette, Yuksek, My Winnipeg, Paris-Dehli-Bombay, Angelin Preljocaj, la compagnie des 26 000 couverts, Agapé Substance 114 … SORTIES CINÉ > Submarine, L’Épée et la Rose, Les Contes de la nuit, The Murderer, Melancholia, Impardonnables, Les Bien-aimés, NEDS 130 … LES ÉVÉNEMENTS MK2 132 … LOVE SEATS 133 … TOUT OU RIEN PAR DUPUY & BERBERIAN 134 … LES PETITS ACCIDENTS SUR COMMANDE DE RUPPERT & MULOT
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ÉDITO Avec mention
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es résultats du bac viennent de tomber, la rentrée est encore un horizon lointain, le travail se fait un peu moins intense, la concentration se relâche. Bref, la période est idéale pour partir à la rencontre des « surdoués », cette nouvelle génération de réalisateurs et de comédiens prenant d’assaut le cinéma français. Nous avons reçu – avec mention – ses chefs de file dans nos studios pour un volumineux shooting photo, agrémenté d’une interro surprise questionnant leur cursus, leur motivation, leurs aspirations. Résultat des courses : un portfolio, des portraits et une longue enquête, desquels il ressort que cette génération aime à jouer sur (presque) tous les tableaux – moins parisienne et monochrome, plus sonore et féminine, elle n’hésite plus à hybrider ses films au contact de disciplines, de décors et de formats jadis interdits. Doués, certes, mais un peu cancres sur les bords, ces drôles d’écoliers ne vivent guère dans la vénération des anciens, dont ils ne révisent que les passages qui les intéressent – quitte à se réserver des séances de rattrapage pour plus tard. Cet été, vous pourrez découvrir certains de leurs films en salles (La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli, Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Løve), en redécouvrir d’autres en DVD (Tomboy de Céline Sciamma, Memory Lane de Mikhaël Hers), en attendant les bizutages automnaux. Le prochain sur la liste s’appelle JC. Il vient de passer son bac et s’offre ce mois-ci sa première couverture de Trois Couleurs. Avant la sortie de son nouveau film, prévue pour début 2012, nous avons tenté de démêler la part de génie et d’imposture dans l’itinéraire de ce cinéaste en herbes – folles, vertes et foisonnantes, les herbes : l’école, ne l’oublions pas, n’est jamais aussi inventive que lorsqu’elle est buissonnière.
_Auréliano Tonet
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PREVIEW
Paradis artificiel L’Apollonide, souvenirs de la maison close de Ber trand Bonello Avec : Adèle Haenel, Hafsia Herzi… Distribution : Haut et cour t Durée : 2h02 Sor tie : 21 septembre
© Carole Bethuel
Joyau du dernier Festival de Cannes, le quatrième film de Bertrand Bonello porte un regard d’une infinie richesse sur le quotidien d’une maison close de la fin du XIXe siècle. Regard qui n’idéalise ni ne condamne, et pourtant n’est jamais neutre : à la rectitude du jugement moral, le cinéaste préfère le charme vénéneux des songes. Félines encagées, promenant leur ennui baudelairien parmi le velours de leur prison dorée, les prostituées forment une troupe polymorphe et balafrée, chacune passant du statut d’objet à sujet, de victime à bourreau, d’enfant à adulte. Métonymie d’un pays et d’une époque, la fermeture annoncée du bordel symbolise la clôture d’un siècle où hommes et femmes s’aimaient dans un mélange d’opacité et de transparence – à l’image de ce film rêvé, d’une impénétrable évidence. _A.T. www.mk2.com
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Close-up
© Yves Bottalico / Getty Contour
NEWS
ALEXANDER SKARSGÅRD
Connu pour son rôle de vampire viking, cruel et débauché dans la série True Blood, où il souffle depuis quatre saisons le chaud et le froid face à une héroïne mièvre qu’on ne cesse d’attendre qu’il culbute, le Suédois Alexander Skarsgård cristallise tous les fantasmes. À l’image de son apparition en 2009 dans le clip du Paparazzi de Lady Gaga, où il embrassait goulûment la pop star avant de l’occire. Vu dans Zoolander de Ben Stiller et moult productions suédoises depuis son enfance, le géant blond (1m93) apporte quelques grammes de douceur au sublime et dépressif Melancholia de Lars Von Trier (lire la critique page 122). Il y donne la réplique à Kirsten Dunst… et à son propre père, l’immense Stellan Skarsgård, internationalement acclamé depuis 1996 et son rôle dans un autre grand film de Von Trier, Breaking the Waves. _J.R.
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NEWS
Be kind, rewind
GRAND HUIT
Dans Super 8, son nouveau teen movie apocalyptique produit par Steven Spielberg, le créateur des séries Alias et Lost, J.J. ABRAMS, rend hommage aux fééries banlieusardes du cinéaste barbu. Un sous-genre à travers lequel, à la fin des années 1970, le réalisateur de E.T. a réenchanté le cinéma fantastique américain.
© 2010 Paramount Pictures. All Rights Reserved
_Par Julien Dupuy et Clémentine Gallot
RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE
© Paramount photo Frank Masi
© Rue des archives/AGIP
© Rue des archives/AGIP
Super 8 de J.J. Abrams Avec : Joel Courtney, Elle Fanning… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h50 Sortie : 3 août
de Steven Spielberg (1977)
de Steven Spielberg (1982)
E.T., L’EXTRA-TERRESTRE
LA GUERRE DES MONDES
On doit à Spielberg d’avoir pris à rebours l’association traditionnelle du surnaturel et des ténèbres. Ainsi, les ovnis de Rencontres du troisième type, comme les ectoplasmes de Poltergeist (réalisé par Tobe Hooper et produit par Spielberg en 1982), sont des nuées colorées dont l’éclat imprime sur les rétines des aberrations optiques chamarrées. Pour Super 8, filmé en 35 mm anamorphique, J.J. Abrams a étroitement travaillé avec son directeur de la photographie, Larry Fong, pour restituer ces effets lumineux éblouissants et volontairement datés. Jusqu’à employer les lentilles Panavision utilisées à l’époque de Rencontres du troisième type… ◆
Comme dans E.T., l’extra-terrestre, l’action de Super 8 prend place dans une petite ville pavillonnaire américaine passe-partout et reprend un autre poncif du sous-genre : le jeune héros vit dans une famille monoparentale. Un ressort dramatique autant autobiographique (Steven Spielberg a beaucoup souffert du divorce de ses parents) que puissant : ces films catastrophe en forme de récits d’initiation, filmés du point de vue des enfants, dramatisent leur quotidien dans un cadre auquel le spectateur peut s’identifier. Expérience foncièrement nostalgique, Super 8, avec sa bande d’apprentis cinéastes, renoue avec le pur plaisir sensible des premiers Spielberg. Grisant. ◆
Partant du même héritage cinématographique, à savoir les séries B de science-fiction réalisées durant la guerre froide, Super 8 déroule deux références explicites à l’ultime féerie banlieusarde de Steven Spielberg, où Tom Cruise embarque tant bien que mal ses enfants pour tenter de fuir les envahisseurs. Elle Fanning, muse des bébés cinéastes du film, fait écho à sa grande sœur, Dakota, en fuite dans La Guerre des mondes. Puis une même réplique – « On est toujours vivants ? » – intervient juste après la grande scène catastrophe du film : un crash d’avion traumatisant dans La Guerre des mondes, un spectaculaire déraillement de train dans Super 8. Still alive. ◆
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de Steven Spielberg (2005)
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Klap !
© 2011 Relativity Media
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Gina Carano dans Haywire de Steven Soderbergh
EN TOURNAGE
CLAPS DE FIN
Haywire de Steven Soderbergh Avec : Ewan McGregor, Antonio Banderas… Sor tie : courant 2012
La nouvelle a fait grand bruit : STEVEN SODERBERGH a déclaré qu’il ne tournerait plus que cinq long métrages avant de prendre sa retraite de réalisateur. Le deuxième d’entre eux, Haywire, est un mystérieux film d’action actuellement en postproduction. _Par Clémentine Gallot (avec Laura Tuillier)
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arallèlement aux méandres de Contagion, un film d’anticipation avec Matt Damon, Kate Winslet et Jude Law, qui doit sortir en salles en France le 9 novembre, Steven Soderbergh achève en ce moment un film d’espionnage international porté par une inconnue musclée championne de kickboxing, Gina Carano. Elle sera pour l’occasion entourée d’une brochette d’acteurs A-list, parmi lesquels Channing Tatum, Michael Douglas et Mathieu Kassovitz… « Gina me met une sacrée branlée dans ce film ! », révèle Ewan McGregor, qui y tient le rôle principal, jugeant pour sa part « admirable » la décision du réalisateur de stopper sa carrière.
L’Espagnol Antonio Banderas est venu se greffer à la dernière minute au tournage de cette histoire d’agent secret partie délivrer un homme retenu prisonnier à Barcelone, révélant au passage une machination pour la faire tomber et l’éliminer. « Je n’avais qu’un tout petit rôle au départ, explique Banderas. Puis, quand j’ai fini La Peau que j’habite [de Pedro Almodóvar], Steven Soderbergh m’a rappelé pour me dire : “Hey man, je viens de finir un premier montage, il me reste deux millions à dépenser et du coup je t’ai écrit cinq scènes de plus. Tu peux venir à Los Angeles les tourner ?” Bien sûr, j’y suis allé. Je joue le méchant. Again. Et ça me plaît, je préfère les méchants, ils sont moins lisses. » ◆
_Par Lo.Sé.
Indiscrets de tournage 1 Brian Wilson La vie tourmentée de Brian Wilson fera bientôt l’objet d’un biopic, selon River Road Entertainment, qui produira le projet. Oren Moverman (The Messenger) est pressenti au scénario, mais on ignore encore qui interprétera le leader siphonné des Beach Boys.
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2 Benoît Jacquot Xavier Beauvois (Louis XVI), Diane Krüger (Marie-Antoinette), Léa Seydoux (suivante de la reine) : le tournage du nouveau film de Benoît Jacquot a débuté à Versailles. Adieux à la reine, inspiré d’un roman de Chantal Thomas, racontera les derniers jours de l’Autrichienne.
3 Joel et Ethan Coen Les frérots hyperactifs devraient bientôt planter leur caméra au cœur du Greenwich Village des sixties, comme ils l’ont révélé en off. Le projet semble s’articuler autour de Dave Van Ronk, figure centrale du revival folk de cette période et influence majeure du jeune Bob Dylan.
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NEWS
Vidéodrome
Courts, toujours
© Ecce Films
_Par L.T.
© Leonard Cohen
Le Marin masqué de Sophie Letourneur Laëtitia et Sophie partent prendre l’air à Quimper et font le point, entre deux crêpes, sur leurs vies sentimentales. Enrobée d’un noir et blanc nostalgique, cette histoire de filles bavardes et attachantes a remporté tous les honneurs au festival Côté court.
COURT MÉTRAGE
© Maria Marin
PLAN B
Prix du meilleur film de fin d’études au Festival d’animation d’Annecy, le court métrage Plato du Français LÉONARD COHEN oppose un peu de simplicité au diktat du tout conceptualisé, fâcheuse habitude des écoles de création graphique.
Scenes from the Suburbs de Spike Jonze et Arcade Fire Pendant cinématographique du troisième album des Canadiens prodiges, le court métrage de Spike Jonze est une chronique romantique et déstructurée de la vie d’adolescents de banlieue, alors qu’une sombre répression règne. Entre Gus Van Sant et Larry Clark.
_Par Étienne Rouillon
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envies de retrouver la magie de l’animation : une technique pour ce que l’on ne saurait figurer autrement. » Trait dépouillé, astuces optiques, transfigurations de volumes en dessins, Plato interroge la perméabilité entre réel et fiction, prologue à un nouveau projet alliant spectacle vivant et animation live. ◆
© DR
Plato de Léonard Cohen Disponible en ligne
© Leonard Cohen
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racer des carrés comme on remplit par ennui les colonnes des cahiers de classe, jusqu’à découvrir par hasard que l’on peut en faire des cubes. Plato sonde l’abîme ludique du jeu des perspectives avec son personnage anonyme, à la fois démiurge et i mpu issa nt da ns sa pr ison de papier. Durant sept minutes, le héros planifie tous les moyens de crever le plan pour évoluer en trois dimensions. Son moteur : la frustration de ne pouvoir sortir du cadre. Fraîchement diplômé à 28 ans, le réalisateur Léonard Cohen explique : « Ma démarche s’inscrit en réaction à la pédagogie des ArtsDécos [l’Ensad, son école, ndlr], qui est très cérébrale et conceptuelle. On passe beaucoup de temps à retourner les trucs dans tous les sens avant de faire le moindre crobar. Même si cela permet d’avoir un regard moins naïf sur son travail, je trouvais ça un peu stérile. J’ai puisé mon inspiration du côté des situations kafkaïennes, d’un goût pour l’absurde et de mes
The Look de Metronomy Sur les plages épurées de Metronomy, trois mouettes animées se toisent en rythme tandis que les quatre Anglais baladent leur flegme joyeux. Gobelets abandonnés, portables piétinés et autotamponneuses en fin de course… Aux premiers jours de l’été, Metronomy regarde déjà vers la fin du mois d’août.
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NEWS
Mots croisés
Protégée d’Aimé Césaire et François Truffaut, la Martiniquaise EUZHAN PALCY, réalisatrice de Rue Cases-Nègres, signait en 1995 et 2006 deux séries documentaires qui évoquent à leur façon la négritude : Aimé Césaire, une parole pour le XXIe siècle et Parcours de dissidents. Ces deux œuvres sont aujourd’hui éditées en DVD. Rencontre, sous les auspices de ses illustres mentors. _Propos recueillis par Juliette Reitzer _Illustration : Lola Raban Oliva
ENTRE GUILLEMETS
ÉTOILES NOIRES Aimé Césaire, une parole pour le X XI e siècle et Parcours de dissidents d’Euzhan Palcy Deux cof frets de trois DVD Distribution : JMJ Productions Sor tie : déjà disponibles
« Mes lectures préférées consistaient plutôt en ouvrages hors du programme et relatifs à la vie des Nègres, ceux des Antilles et ceux d’Afrique, leur histoire et les fictions les concernant. » (Extrait de La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel, 1950)
Quand je lis ça, j’ai l’impression que c’est tiré d’une interview que j’aurais pu donner. Mais bien sûr, c’est Joseph Zobel ! J’étais une gamine agitée, je posais beaucoup de questions… Ma mère s’est dit un jour : « Pour la calmer, je vais lui donner à lire La Rue Cases-Nègres. » Dans mon école, à la Martinique, il y avait une petite fille blanche, et nous, les petites Noires, étions en admiration devant elle. On voulait avoir ses cheveux, ses yeux. On lui demandait : « Est-ce que tu aimerais être comme nous ? » Elle répondait : « Non, non. » On la comprenait, parce que nous non plus ne voulions pas être noires ! Le roman de Zobel a donc été un choc très violent pour moi. Je découvrais un monde que je connaissais, mais dont je n’avais jamais vu ni la beauté, ni l’intelligence. Ce livre m’a réconciliée avec moi-même. 22
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« Césaire m’a formée intellectuellement, humainement, politiquement. » « Je fais des films pour réaliser mes rêves d’adolescent, pour me faire du bien et si possible faire du bien aux autres. » (François Truffaut)
Ses thèmes de prédilection – l’adolescence, le monde des adultes vu par l’enfant qu’il était resté – sont des liens communs entre nos univers. Gamine, je rêvais de le rencontrer, je n’ai pas imaginé une seconde que ça arriverait… À Paris, je logeais dans une résidence universitaire pour jeunes filles, et j’écrivais déjà une adaptation de La Rue Cases-Nègres. Ma copine de chambre était à l’école Normale sup et m’a dit un jour :
La réplique
« J’ai grandi avec Mahalia Jackson, Billie Holiday et Edith Piaf. » « Devine qui est arrivé aujourd’hui ? La fille de ton réalisateur préféré, Laura Truffaut. Je lui ai parlé de toi, elle veut te rencontrer. » Une fois mon scénario terminé, Laura l’a donné à son père. Une semaine après, le téléphone sonne : « Monsieur Truffaut souhaiterait vous rencontrer. » Je me revois face à cet homme pas très grand, un peu dégarni, le regard perçant, qui me dit : « J’ai beaucoup aimé cette histoire. » Il ne pouvait pas m’aider financièrement, mais il a pris des rendez-vous pour moi et il m’a trouvé une équipe de tournage.
« Je pose la question suivante : la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact ? Ou, si l’on préfère : de toutes les manières d’établir un contact, était-elle la meilleure ? Je réponds non. » (Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, 1955)
Et je suis d’accord avec lui ! Dans Rue CasesNègres, il y a l’école, où l’on dispense un enseignement choisi par le gouvernement pour ses colonisés ; et puis il y a le village, où les anciens dispensent un savoir qui relève des traditions, de la mémoire. Bien plus qu’une prise de contact artificielle, c’est un échange profond, un respect mutuel. Césaire m’a formée intellectuellement, humainement, politiquement. Avant de partir faire mes études à Paris, je suis allée le rencontrer à la mairie de Pointe-à-Pitre : « Je viens vous dire merci, car grâce à vous je pars avec beaucoup de bagages. » Il m’a donné un chèque de 3000 francs, en disant : « On n’a jamais trop d’argent à Paris, quand on est étudiant. » C’est grâce à lui que j’ai pu boucler le budget de Rue Cases-Nègres. Et, puisque j’avais le privilège de le côtoyer, j’ai décidé de faire un documentaire sur lui.
« Cette musique, c’est mon âme. Elle est partie intégrante de la vie à La Nouvelle-Orléans. Comme de manger des haricots rouges et du riz. » (Mahalia Jackson, archives de la National Public Radio, États-Unis)
Petite, mes trois grandes copines étaient Mahalia Jackson, Billie Holiday et Edith Piaf. Ces trois femmes-là, j’ai grandi avec elles, elles sont parties avec moi à Paris, je connaissais leur répertoire par cœur. Il y a un an et demi, j’ai reçu un scénario sur l’histoire de Mahalia Jackson. Le tournage commence en juillet, à La Nouvelle-Orléans : c’est ce que j’appelle les petits miracles de la vie. ◆
« J’ai fait confiance à un pet, un jour : je me suis chié dessus. » Cadavres à la pelle de John Landis (en salles le 27 juillet)
La phrase
« The Tree of Life est l’œuvre visionnaire et philosophique d’un grand auteur. Sa narration n’est pas linéaire. Nous encourageons nos clients à s’informer sur le film avant de le voir et pour ceux qui choisissent de s’y rendre, merci d’y aller avec une certaine ouverture d’esprit. Nous vous rappelons que notre cinéma NE REMBOURSE PAS les billets une fois achetés. » (Extrait d’un texte affiché dans une salle de cinéma du Connecticut projetant The Tree of Life de Terrence Malick)
Status quotes Sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux
Lynn : Conversation entendue dans le bus entre deux septuagénaires : « Moi, je vis en poète. – Où ça ? » Julien : Un accordéoniste roumain interprète la Neuvième de Beethoven sur un tempo de David Guetta. Mon humanisme a ses limites… Albert va y aller un peu mollo sur les DSK-pades, promis. Jean-Baptiste : Je pense, donc je sue. Maeva : De la suite du Sofitel au cas Banon, c’est la crise du logement pour DSK. Patricia : Si à 5 ans t’as pas un Solex, t’as raté ta vie. Fred : Prospère périnée. Georges : Le Havre’n’b. Thomas : Le saviez-vous ? Tsonga est l’anagramme de Gaston. Antoine : « La Source des femmes, c’est un film sur les femmes fontaines ? » Matteu : FMI Kuti.
NEWS
Télécommando
le caméo
© DR
Patti Smith dans New York, section criminelle Pour leur avant-dernier épisode avant disparition, les producteurs du polar New York, section criminelle ont réussi deux jolis coups. Le 19 juin, ils ont été les premiers à traiter dans une fiction des déboires de la comédie musicale Spider-Man : Turn Off the Dark. Puis ils ont convaincu Patti Smith de faire chez eux ses débuts d’actrice. C’est Vincent d’Onofrio, interprète de l’inénarrable inspecteur Goren, qui a servi d’intermédiaire auprès de la rockeuse. Laquelle s’est décidée à acheter un téléviseur pour regarder la série. Il était temps… _G.R.
SÉRIE TV
UNE FAMILLE en or
Drôle et enlevée, Modern Family caricature finement trois générations d’une même tribu et bouscule avec un culot bienvenu le genre habituellement frileux de la sitcom familiale à l’américaine, trente ans après Madame est servie. _Par Guillaume Regourd
Modern Family Chaîne : Paris Première Dif fusion : saison 1 à par tir du 24 juillet, saison 2 à par tir du 21 août
C’est là que se niche le précieux contraste : le patriarche s’est remarié à une Colombienne de vingt ans sa cadette. Quant à Mitchell, il vient d ’adopter une fillette avec son homme. Sans avoir l’air d’y toucher, Modern Family fait franchir un pas
© Twentieth Century Fox Film Corporation
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rente ans de clones de Madame est servie ont fait du tort à la sitcom familiale, assimilée à un divertissement ringard qui développera it une v ision conservatrice de l’American way of life. Modern Family, lancée en 2009 sur ABC, n’usurpe pas son titre : pour réussir sa révolution de salon, la série voit plus loin que le living room du couple avec enfants. Les époux, Phil et Claire, flanqués de leurs trois rejetons, sont bien là, mais la caméra s’installe aussi – en parallèle – chez Jay, le père de Claire, et chez Mitchell, son frangin.
important à la télé américaine en mettant ces trois visages de la (même) famille sur un même plan. Le tout avec un humour vachard mais bienveillant. Les dialogues sont particulièrement soignés, taillés sur mesure pour un casting emmené par le toujours vert Ed O’Neill (Al
Zapping
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Irvine Welsh L’auteur du roman Trainspotting prépare pour HBO une série tirée du film Knuckle. Ce documentaire remarqué à Sundance s’intéresse aux combats à mains nues qu’organisent régulièrement deux familles irlandaises pour solder une vieille querelle. © DR
Mike Tyson Doug Ellin songe à l’après-Entourage, qui se conclura cet été. Il s’est associé à Mike Tyson pour une série dans le même esprit, inspirée de la jeunesse du boxeur dans le New Jersey. Spike Lee devrait réaliser le pilote de Da Brick, toujours sur HBO.
Steve Granitz/WireImage
© Anna Webber /WireImage
_ Par G.R.
Chloë Sevigny L’actrice, qui joue l’une des épouses dans Big Love, tiendra la vedette d’une série britannique signée Paul Abbott (State of Play), Hit and Miss. Joli titre pour un pitch intrigant : une tueuse à gages découvre qu’elle a eu des enfants à l’époque où elle était un homme.
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Bundy dans Mariés, deux enfants). À ses côtés, que des révélations : Sofía Vergara dans un rôle impossible de bombe à l’épais accent latino, et surtout Ty Burrell en papa immature, qui réinvente tout simplement la figure de l’idiot magnifique. Moderne, et déjà un classique. ◆
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Œil pour œil
Greffe générale Dans son dernier thriller, La Peau que j’habite, PEDRO ALMODÓVAR greffe l’univers du chef-d’œuvre fifties de Georges Franju, Les Yeux sans visage, à ses propres obsessions transgenre. Exploration de leurs cicatrices communes, à visages découverts.
© 1960 GAUMONT France / LUX FILM Italie. Collection Musee Gaumont
_Par Éric Vernay
Traumatisé par la mort de sa femme, défigurée dans un accident de voiture, le docteur Robert Ledgard (Antonio Banderas) concentre ses recherches sur la thérapie cellulaire. Avec la complicité de sa mère, il teste une peau artificielle sur une femme-cobaye, Vera (Elena Anaya). Dans La Peau que j’habite, Pedro Almodóvar convoque directement le souvenir traumatisant des Yeux sans visage. Ce chef-d’œuvre onirique de Georges Franju, sorti en 1960, racontait le calvaire d’une jeune fille confrontée à un père qui, coupable de son atroce défiguration, cherchait à lui redonner visage humain – volant pour cela celui d’autres jeunes femmes, attirées par son assistante… C’était terrifiant. Adapté d’un 26
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polar français signé Thierry Jonquet (Mygale), La Peau que j’habite questionne également les séquelles psychologiques d’un rapt facial. Goût du mélo, porosité des genres cinématographiques et des sexes : plus clinique qu’à son habitude, Pedro Almodóvar y transplante ses propres obsessions, en grand chirurgien. ◆ Lire également le portrait d’Antonio Banderas page 74 La Peau que j’habite de Pedro Almodóvar Avec : Antonio Banderas, Elena Anaya… Distribution : Pathé Distribution Durée : 2h Sor tie : 17 août Les Yeux sans visage de Georges Franju, DVD disponible aux éditions Gaumont
Š Lucia Faraig
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Faire-part
© 2011 Universal Studios
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mariage
NOCES REBELLES
Nous sommes heureux de vous convier à l’union entre la plus drôle des actrices américaines, KRISTEN WIIG, et le producteur régressif de la comédie U.S., Judd Apatow. Au programme des festivités : le mariage du siècle et la comédie de l’été, Mes meilleures amies. _Par Clémentine Gallot
Mes meilleures amies de Paul Feig Avec : Kristen Wiig, Maya Rudolph… Distribution : Universal Durée : 2h05 Sor tie : 10 août
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essivée après des mois de promotion, Kristen Wiig expire longuement dans le combiné : « J’ai écrit le scénario avec une amie très proche, nous faisions de l’impro ensemble à Los Angeles. » Un ton professionnel pour un film au comique dément : saccager un avion sous l’effet de l’alcool, conduire sans les mains les seins à l’air, déféquer dans sa robe de mariée : tout est
dans Mes meilleures amies, écrit sous l’aile de Judd Apatow. « Les mariages réunissent des gens qui souvent ne se fréquentent pas et qui, en se comparant, deviennent un peu fous. C’est le matériau parfait ! », décrypte l’actrice et scénariste. À la fois comédie du mariage et buddy movie, Mes meilleures amies prend à revers l’impératif feelgood de Sex and the City et autres « films pour filles » célibataires et fabuleuses. Seule, minable et névrotique, Annie est la demoiselle de déshonneur de ce film choral
Le carnet
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Anniversaire 303, revue dédiée aux beaux arts des Pays-de-la-Loire, fête l’anniversaire de la naissance de Jacques Demy avec un numéro spécial consacré à cet enfant de la ville de Pontchâteau, près de Saint-Nazaire. La géographie régionale est le point de départ d’une cartographie passionnante de l’œuvre du réalisateur de Peau d’âne.
© DR
Renaissance La marque vintage Cerdan sort cet été une collection de bottines inspirées par celles du champion de boxe français disparu en 1949 au sommet de sa gloire. Déclinées en plusieurs matières (du cuir au tweed) et sur une palette de couleurs allant du rouge au jaune, elles raviront amateurs d’uppercut et coquets à tout crin.
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© Time Life Pictures/Getty Image
_ Par L.T.
Décès Jorge Semprún, écrivain et homme politique espagnol, est mort à Madrid le 7 juin à l’âge de 87 ans. L’acteur Peter Falk est quant à lui décédé le 23 juin à Beverly Hills, à 83 ans. Lieutenant Columbo à la télévision pendant quarante ans, il était aussi l’un des acteurs fétiches de Cassavetes (Husbands, Une femme sous influence).
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vendu au spectateur mâle comme un équivalent féminin et outrancier de Very Bad Trip. Contournant la niaiserie condescendante, il célèbre plutôt les losers magnifiques. Pilier de l’émission à sketchs Saturday Night Live, Kristen Wiig, qui a enquillé ces derniers temps les seconds rôles mémorables (Adventureland, Walk Hard, En cloque…), cache une douce mélancolie que Drew Barrymore avait déjà su capter dans Bliss. On ne peut qu’acquiescer quand son flirt du film lui dit : « Il y a quelque chose chez vous qu’on n’oublie pas. » ◆
NEWS
Pôle emploi
LES PROFESSIONNELS
Lettres de noblesse Leurs noms accompagnent les génériques de quelques-unes des plus profondes séries nées aux États-Unis ces dernières années : The Wire, Treme et En analyse. Rencontre avec les scénaristes ERIC OVERMYER, RICHARD RUSSO et SARAH TREEM pour une séance de décryptage et d’autocritique d’un métier qu’ils ont aidé à redéfinir, au cœur de la chaîne américaine la plus inventive de son époque : HBO. _Par Adrian Walter
En A nal yse , Tr eme et The Wi r e C h a i n e : O r a n g e c i n é m a s é r i e s D i f f u s i o n : e n c o u r s
«Q
ui aurait pu prévoir que la télévision deviendrait un tel espace de création artistique ? », s’emporte Richard Russo, écrivain jovial couronné par le prix Pulitzer en 2002 pour Empire Falls, dont l’adaptation en mini-série par HBO porte le même nom. À côté de lui se trouve Eric Overmyer, plus introverti, scénariste de la cultissime série The Wire puis cocréateur du chefd’œuvre de HBO sur La NouvelleOrléans de l’après-Katrina : Treme. Une belle jeune femme est assise entre eux, Sarah Treem. Sous contrat avec HBO, elle a coécrit les trois saisons d’En analyse et est désormais l’une des scénaristes phares de How to Make it in America. DOCUMENTAIRE En fin connaisseur de l’histoire de la télévision américaine, Eric Overmyer tempère l’enthousiasme de Russo : « Tout cela est cyclique. » Une remarque 30
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« La plupart des séries restent à vocation consumériste, avec un niveau extrêmement médiocre. » que Sarah Treem reprend au vol : « C’est vrai, dans les années 1950-1960, de grands scénaristes écrivaient pour la télévision. » C’est l’apparition des chaînes Showtime, TNT et HBO qui a bouleversé la donne ces dernières années, avec en toile de fond le désert créatif du cinéma hollywoodien. Pour nos interlocuteurs, la qualité des séries made in HBO tient d’abord à l’accumulation du matériel qui nourrira l’écriture. « The Wire et Treme ont un style documentaire, y compris dans la façon dont les plans sont tournés, juge Overmyer. Même si Treme est un drame historique, il y a beaucoup de documentation, de
CV 1986 Publication du premier roman de Richard Russo, Quatre saisons à Mohawk. 1999 Eric Overmyer rencontre David Simon, futur créateur de The Wire, sur le tournage de Homicide: Life on the Street. 2002 Richard Russo reçoit le prix Pulitzer pour Le Déclin de l’empire Whiting. 2005 Sarah Treem, repérée grâce à une pièce écrite pour son diplôme de la Yale School of Drama, est embauchée par HBO comme scénariste pour En analyse. 2006 Eric Overmyer devient scénariste pour The Wire. 2010 HBO diffuse le premier épisode de Treme.
rencontres avec de vrais Louisianais. Quant à la musique, elle est filmée live à 95 %, que ce soit dans la rue ou dans un club, et non en playback. C’est un vrai défi technique. » Sarah Treem enchaîne : « Filmer la rue, attraper l’instant, même si c’est écrit et qu’il y a cent personnes autour ! On ne sait pas si ça va durer, mais on est passé de quatre caméras pour un plan dans Friends à une seule, avec une approche cinéma ou documentaire. Beaucoup de séries vont dans ce sens. » POLITIQUE Au-delà de cette forme nouvelle, la réussite des séries de HBO repose sur une équation fondamentale, que résume Sarah Treem : « Un point de vue qui n’a pas encore été clairement établi et qui est, grâce à l’histoire montrée, perçu comme vrai par le public. Si Treme peut être regardé comme un show assez politique, c’est parce qu’il capitalise sur un fait identifié : la responsabilité des autorités dans le désastre humain de Katrina. » Faiton pour autant de la politique chez HBO ? Overmyer et Treem semblent
s’en défendre, mais Richard Russo se lance : « Je ne crois pas être un écrivain particulièrement politique. Mais, du fait que je m’intéresse aux gens les plus pauvres et aux rapports de classes en Amérique, je ne crois pas qu’il soit possible de mettre de côté mes opinions. » Overmyer s’interroge, après un moment de silence : « Nos séries affectent-elles le réel ? On a dit que les parrains de la mafia américaine avaient changé de style après la sortie du Parrain, mais je ne sais pas si c’est mesurable. » On sent néanmoins que c’est là que réside le nœud gordien qui les préoccupe tous les trois : quantifier l’interaction avec ce réel réinventé. « Vous savez, nos shows ne sont pas très populaires en Amérique, avoue Eric Overmyer, impuissant. La plupart des séries restent à vocation consumériste, avec un niveau extrêmement médiocre, comme American Idol. Nos séries n’ont pas encore pénétré le mainstream. Peut-être indirectement, avec les années… » Demain, les trois scénaristes rentreront chez eux, sur la Côte Est. Loin d’Hollywood et des studios. ◆
_C.G.
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From Michael Bay with love « Hello, I’m Michael Bay. » Avant la sortie de son Transformers 3 : la face cachée de la lune, le cinéaste a renoué avec une tradition qui perdure depuis Kubrick : la lettre passiveagressive aux projectionnistes. Dans une missive control freak bien sentie, il leur demande gentiment d’éclairer davantage l’écran, trop de productions en 3D étant à la fois sombres et floues, selon lui. Or, plus les ampoules utilisées brillent, plus elles s’usent rapidement, soit un coût de quelques milliers de dollars pour les remplacer. De quoi ravir les exploitants de salle et les écolos. Pour calmer le jeu, le cinéaste a enchaîné avec une lettre de remerciements à ses fans. Trop chou.
La technique
Les illuminations de Pixar Inauguré sur le premier Cars et de nouveau adopté pour sa suite, l’algorithme du « lancer de rayon » (raytracing en anglais) permet de retranscrire le lustre des vrombissants protagonistes des films. Ce rendu visuel calcule le cheminement des sources lumineuses dans la globalité d’un espace : en effet, chaque objet conditionne, par son emplacement ou son degré de réverbération, l’illumination de la totalité d’une scène. Extrêmement gourmand en temps de calcul, le « lancer de rayon » permet ainsi aux véhicules de Cars 2 de se refléter dans le bitume mouillé ou de réfléchir les néons tokyoïtes. _J.D. Cars 2 de Brad Lewis et John Lasseter // Sor tie le 27 juillet
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Treme
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Brève de projo
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Étude de cas
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millions d’euros. C’est la somme dépensée par la société Kléber Rossillon pour sauver le musée de Montmartre. D’ici 2014, d’importants travaux donneront une nouvelle vie au manoir de Rosimond, qui abrite le musée.
spectateurs par copie pour Une séparation pendant sa première semaine d’exploitation. Le film iranien a ainsi obtenu le meilleur démarrage de la semaine, bénéficiant d’un excellent bouche à oreille. Et ce malgré l’arrivée des blockbusters de l’été.
million de dollars. C’est le prix de la veste portée par Michael Jackson dans le clip de Thriller, atteint lors d’enchères organisées fin juin à Beverly Hills. Les fonds seront en partie reversés à Shambala Preserve, une association de défense des félins.
LES SUPER-HÉROS PEUVENT-ILS PARTAGER LEURS COLLANTS ?
Green Lantern de Martin Campbell Avec : Ryan Reynolds, Blake Lively… Distribution : Warner Bros Durée : 1h54 Sortie : 10 août Captain America : First avenger de Joe Johnston Avec : Chris Evans, Hugo Weaving… Distribution : Paramount Pictures Durée : inconnue Sortie : 17 août
OUI D’accord, ces hérésies de distribution peuvent détonner quand on a apprécié la rigueur avec laquelle Hollywood exploite les super-héros depuis le début des années 2000 et les premiers X-Men ou Spider-Man sur pellicule. L’intelligence des intertextualités d’un film à l’autre a fait la joie des connaisseurs, qui se font alors caisse de résonance de la promotion. Pour exemple, on se souviendra du bouclier de Captain America, servant de vulgaire cale-meuble dans Iron Man 2. Mais ces transsubstantiations d’acteurs, loin de contrarier le fil des adaptations (qui doivent se dépatouiller dans le multivers tentaculaire de Marvel), exercent la sagacité des fans de la première heure. Ceux-ci font alors œuvre pédagogique sur les forums ou pages Wikipedia à destination des plus jeunes, qui n’ont découvert les héros des cases cellulosiques que sur grand écran. _Stéphane Petiruisso
2010 MVLFFLLC. TM & © 2010 Marvel Entertainment, LLC. All rights reserved. Photo : Jay Maidment.
_Étienne Rouillon
Au bal masqué cet été, on retrouvera sur écran deux étalons des comic books, Captain America et Green Lantern, incarnés par des acteurs déjà vus au cinéma dans d’autres super-costumes. Un tabou des castings qui brise le continuum spatiotemporel.
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NON Non mais attendez, c’est comme si le Daniel Radcliffe d’Harry Potter jouait des crocs dans la saga Twilight. On ne parle que de ça cet été au Comic Con (la mecque éphémère des fans de super-héros) et partout les forums bruissent d’avis circonspects. La faute à l’acteur abdominal Ryan Reynolds, que l’on a déjà vu sous les traits de l’abominable antihéros Deadpool dans X-Men Origins: Wolverine. Alors qu’un X-Men Origins: Deadpool est en préparation, il fait une infidélité à Marvel Comics pour incarner un héros DC Comics, le Green Lantern. Verts, les geeks orthodoxes refusent l’ubiquité au générique. Le summum de l’hérésie est atteint à la mi-août avec Chris Evans, ex-Torche humaine dans Les 4 Fantastiques, tenant le pavois de Captain America, alors que les deux héros pourraient lutter ensemble si le Graal de papier Civil War était porté à l’écran.
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Tout-terrain
COVER GIRL +
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Les aigus fantasques et vaporeux de la chanteuse St. Vincent, côté pile ; les graves présents-absents de l’égérie Jeanne Balibar, côté face : pour son deuxième long métrage, The Future, la cinéaste américaine Miranda July parie sur la créativité sans âge des dames brunes.
UNDERGROUND
Bibiodiversité TIMELINE
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Hier Stephen Wilkinson étudie les arts soniques à la Middlesex University de Londres. Avec son sampler et son matériel vintage, il enregistre ses premiers essais electro et sort sur le label Mush, dans un relatif anonymat, trois albums entre 2005 et 2009.
Sur son sixième album, l’Anglais BIBIO, désormais fleuron du label Warp, perce une clairière pop dans sa luxuriante forêt folktronica. _Par Éric Vernay Mind Bokeh de Bibio Label : Warp / Discograph Sor tie : disponible
Sorcier de studio distillant une electronica sensuelle où les sonorités folk croisent des breaks de hip-hop sur des textures ambient héritées de Boards of Canada, Bibio se considère avant tout comme un producteur : « Si j’étais un Beatles, je serais probablement George Martin. » Son sixième album, Mind Bokeh, marque un tournant plus pop dans sa discographie : au milieu d’une
calé
Savants mélanges : films fusionnant les planètes (Melancholia), les humeurs (The Future) et les registres de vérité (The Trip, La Guerre est déclarée), disques bâtards (Bibio), scènes hybrides (Avignon, Jazz à la Villette)… l’été sera ambigu ou ne sera pas.
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habituelle constellation de samples, bruits d’instruments vintage et autres sonorités non-identifiées, le chant de l’Anglais s’infiltre comme un lierre grimpant vers la lumière. Fasciné par la nature, Stephen Wilkinson tient son nom de scène d’une mouche qu’utilisait son père pour pêcher la truite. « Cette proximité avec les rivières et les lacs du Pays-de-Galles et d’Angleterre lors de mon enfance m’a vraiment inspiré. » Devenu pêcheur de sons, « de préférence naturels, comme le vent, la pluie et les insectes, mais aussi l’écho d’un aéroport ou d’une gare », ce lecteur des Feuilles d’herbe de Walt Whitman élabore sa musique en partant du second plan, une matière floue qu’il cisèle pour modeler ses curieux poèmes soniques. ◆
décalé
Singes savants : plus bluffant encore que James Franco dans La Planète des singes, un macaque indonésien s’est emparé de l’appareil d’un photographe animalier anglais et a pris la pose face à l’objectif. Le prix de ces autoportraits simiesques n’a pas été divulgué.
Aujourd’hui Il a intégré Warp, prestigieuse écurie de ses idoles Boards of Canada, rois de l’electronica rêveuse, dont il a fait un remix. Après Ambivalence Avenue, son premier disque pour le label, qui a reçu un accueil critique dithyrambique en 2009, il revient avec Mind Bokeh.
Demain Pas très fan de live, ce musicien de chambre distille tout de même quelques prestations scéniques en Europe en 2011. Cet été, il se produira notamment au festival néerlandais De-Affaire, le 17 juillet à Nijmegen.
recalé
Savants fous : chirurgien toqué (La Peau que j’habite), chercheur dépassé par ses trouvailles (La Planète des singes), scientifiques peu scrupuleux (Cadavres à la pelle)… Cet été, les blouses blanches affolent les salles obscures.
ON THE GROUND
Le lac dessine
OVERGROUND
VERY BRIT TRIP Ambassadeur de la gouaille flegmatique à Hollywood, STEVE COOGAN retourne chez la reine pour une auto-analyse itinérante : The Trip, en salles le 20 juillet. _Par Yal Sadat The Trip de Michael Winterbot tom Avec : Steve Coogan, Rob Br ydon… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h47 Sor tie : 20 juillet
© Paul Bourgois
Que seraient des comédies comme Tonnerre sous les tropiques ou Very Bad Cops, peuplées de yankees balourds et infantiles, sans l’onctueux phrasé british de Steve Coogan ? Rendu célèbre à domicile par ses pléthoriques imitations pour Radio 4, puis sacré roi de l’understatement dans 24 Hour Party People de Michael Winterbottom, le trublion endosse aujourd’hui des seconds rôles de couard en tweed dans les meilleures pantalonnades hollywoodiennes. Cette figure d’éternel pince-sans-rire, Coogan et Winterbottom l’interrogent à nouveau dans The Trip. Engagé avec l’imitateur Rob Brydon dans un périple gastronomique au nord de l’Angleterre, il disserte sur sa condition sisyphéenne de pitre public, avide de premiers rôles chez Spielberg mais condamné à mimer les autres jusqu’à l’écœurante sensation d’imposture. Thérapie entrecoupée de cocktails à la coriandre, le road movie épluche l’aura du dandy, écartelé ici entre fiction, documentaire et improvisation. Transparaît alors peu à peu, entre les bons mots, les sarcasmes et les pastiches, l’étonnante sincérité d’un illustre inconnu. ◆
Pendant une semaine d’une densité délirante, le Festival du film d’animation d’Annecy, qui se tenait début juin, a permis au cinéphage de faire le plein d’images hors normes. En dehors des masters class et du marché du film, on va d’abord à Annecy pour voir des courts métrages (une centaine) révélant de nouveaux talents. Ainsi, après avoir survécu au combat aérien de Paths of Hate de Damian Nenow, on prie pour que le Polonais ait l’opportunité d’exploiter ses talents en format long. Côté longs métrages, justement, les temps forts avaient pour nom Midori-Ko de Kurosaka Keita, incroyable monologue intérieur évoquant le Eraserhead de Lynch, Tatsumi, biopic éclaté du célèbre mangaka par le cinéaste Eric Khoo, ou encore Colorful, le nouveau conte fantastique intimiste du réalisateur d’Un été avec Coo, Keiichi Hara, récompensé du prix du public et du jury. ◆ www.annecy.org
© Phil Fisk
_Par Julien Dupuy
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Audi Talents Awards
Patrick Zachmann © Agence Magnum
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Arnaud Lapierre
Compte-rendu
RÊVES ÉCLAIRÉS Grand-messe annuelle de l’objet et de ses multiples usages, les Designers Day ont nommé Arnaud Lapierre lauréat des Audi Talent Awards section Design. Une fête plaisamment désuète a illustré la contemporanéité lo-fi de ce jeune artiste français et de son duo de lampes oniriques. _Par Claude Garcia
Toupies et chevaux de bois nourrissent l’enthousiasme du millier de professionnels venus découvrir les lauréats des Designers Days en ce lundi 20 juin. Installée au Théâtre du merveilleux, dans le quartier de Bercy, la cérémonie se prépare au rythme de jeux anciens, dans une atmosphère anachronique. C’est un ludisme de circonstance qu’offrent les deux lampes imaginées par Arnaud Lapierre, trentenaire diplômé de
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« Se pose toujours la question de la légitimité d’un objet à exister. »
l’Ensci Paris. Son duo de luminaires interroge la relation entre objet et usager : « En préambule de mon travail se pose toujours la question de la légitimité d’un objet à exister », commente-t-il. Vecteurs de lumière, ses lampes se font ainsi supports personnalisables : la Field permet à son utilisateur de composer des motifs lumineux tandis qu’Eclipse joue sur un effet d’optique. Une volonté de revenir à des ambiances plus songeuses, moins attachées aux actuelles prouesses high-tech. Marc-Andreas Brinkmann, directeur marketing d’Audi France, a remis au jeune designer un trophée imaginé par Constance Guisset, lauréate des ATA 2010. Il s’est par ailleurs engagé, au nom d’Audi, à financer le prototypage et l’édition du projet vainqueur. Les manèges ralentissent peu à peu et Lapierre de rejoindre de nouvelles machines à songes. ◆
whATA's up ? Audi a inauguré sa première master class le 18 juin avec une réflexion autour des innovations « matérielles » animée par Cédric Morisset, journaliste spécialiste du design, et JeanLuc Colonna d’Istria, juré des Audi Talents Awards Design 2011 et patron de l’espace Maison du concept store Merci. Étudiants, designers et clients Audi ont suivi cet échange sur la transformation de nouveaux matériaux en objets du quotidien. Ces masters class se poursuivront dans les mois à venir autour des enjeux industriels, sociologiques et artistiques du design. _C.Gar.
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Le net en moins flou
ENQUÊTE
À data sur la cité Le mouvement de l’open data, en version française « ouverture des données publiques », est de moins en moins une utopie démocratique et de plus en plus une réalité aux conséquences grandissantes. Des États-Unis à la Grande-Bretagne et désormais à travers toute l’Europe, poussés par une légitime revendication des citoyens à accéder aux informations qui les concernent, villes et États ouvrent leurs bases de données. Sont ainsi peu à peu libérées des milliers d’informations sur le budget, la santé, l’environnement, les transports, la sécurité… Une riche semence, que fécondent développeurs, start-up, multinationales du 2.0 et journalistes, pour donner naissance à de nouveaux outils d’exercice de la citoyenneté. _Par Anne de Malleray _Illustrations : Anna Apter & Charles Bataillie
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n 2009, Barack Obama avait fait de l’ouverture des données publiques une priorité de son premier mandat, lançant dans la foulée de son élection le site Data. gov, qui depuis a mis à disposition des milliers de bases de données sur la qualité de l’air, les dépenses de l’État ou encore l’inspection des centrales nucléaires… Cette année, c’est au tour du gouvernement français de lancer, au mois de décembre prochain, le portail Data.gouv.fr. Il aura fallu du temps : l’accès des citoyens aux données qui régissent leur vie, hormis celles couvertes par le secret (Défense, d’instruction, professionnel), est inscrit dans la loi française depuis 1978. Mais ce droit restait jusqu’à aujourd’hui souvent lettre morte, faute d’outils susceptibles de transformer les données en applications concrètes. Aujourd’hui, l’accès à haut débit au réseau et les applications nomades ouvrent des perspectives qui font fantasmer 38
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– c’est rare – aussi bien les défenseurs d’un Internet ouvert que les ronds-de-cuir des ministères. Il faut dire que la Commission européenne a récemment évalué à 27 milliards d’euros par an le marché de la réuti-
À Chicago, une carte flippante permet de géolocaliser les homicides, agressions et vols constatés par la police. lisation des données dans l’Union… Il y a donc plus que de l’amour pour la liberté derrière cet élan international en faveur de l’ouverture. « C’est ce que j’appelle les gains économiques
de la transparence », s’enthousiasme Séverin Naudet, le directeur d’Etalab, mission gouvernementale en charge de la création du portail Data.gouv.fr. Il cite l’exemple de la ville de Washington qui, en 2008, a lancé un concours pour inciter les développeurs à mettre au point des outils pour interpréter ses données. Résultat : 48 applications en 30 jours, soit l’équivalent d’un investissement de deux millions de dollars, alors que la ville en a investi elle-même 50 000. Ailleurs, dans d’autres villes qui ouvrent leurs données, des concours similaires permettent depuis d’amorcer la pompe. VILLES OUVERTES Grâce au pouvoir de géolocalisation des smartphones, les données auparavant inertes déploient une couche d’informations sur les villes. Toilet Finder, par exemple, localise les WC publics les plus proches, partout
Mot @ Mot _Par E.R.
ODOSOS
acr. [odosos]
(Regroupe les termes « open data », information brute librement exploitable, « open source », forme de logiciel libre, et « open standards », norme désignant une technologie ouverte) 1. Démarche dite « libre » dans sa globalité, par opposition à un système « verrouillé », qui restreint les capacités d’exploitation des informations par l’utilisateur. Ex. : « Les travaux du collectif de chimistes et informaticiens Blue Obelisk respectent l’Odosos. » 2. Forme de sociabilité ouverte. Ex. : « B ien sûr que tu peux taper l’incruste vendredi. C’est une soirée Odosos. »
dans le monde. NYC Restaurant Scrutinizer vous alerte si l’endroit où vous vous apprêtez à casser la croûte ne respecte pas les normes sanitaires. Bookzee localise le bouquin que vous cherchez dans les bibliothèques de la Grosse pomme. Vous préférez Chicago ? Une carte flippante permet d’y géolocaliser les données criminelles (homicides, agressions, vols…) diffusées par le site de la police depuis 1996. À côté de ces utilisations débridées, la grande majorité des applications open data concerne la mobilité. À Rennes, première municipalité française à avoir ouvert ses données (en 2010), trois applications calculent désormais des itinéraires en temps réel en combinant les différents modes de transport à disposition des habitants, ce que ne permettent pas les sites respectifs des opérateurs. Déjà, dans les labos de recherche et développement, on invente le mobile qui saura satisfaire
ces nouveaux usages : tablettes transparentes qui superposent les informations sur le paysage, téléphones équipés de capteurs capables de « scanner » un lieu et d’afficher les informations qu’il contient… OPEN, JUSQU’OÙ ? L’open data ne se limite toutefois pas aux balades augmentées. Il inscr it su r tout les États da ns u ne démarche de transparence d’une ampleur inédite. Jonathan Gray, étudiant en philosophie la nuit, community coordinator à l’Open Knowledge Foundation de Londres le jour, est connu pour avoir initié le projet Where does my money go ?, qui permet aux citoyens britanniques de savoir comment est dépensé l’argent public. D’autres initiatives lui ont emboîté le pas, comme Recovery.org aux ÉtatsUnis, consacré à l’utilisation des fonds du plan de relance économique. Jonat han Gray constate
Chronologie 1996 Le Chicago Tribune embauche Darnell Little, pionnier du journalisme de données. Les computer-assisted reporters se font peu à peu une (petite) place dans les rédactions. 2005 Création de la Chigaco crime map sur Google Map par Adrian Holovaty, jeune musicien, journaliste et développeur. Sa performance incite Google à ouvrir son API Map. 2006 Le Guardian lance la campagne « Libérez les joyaux de la couronne » et le site Freeourdata.org.uk. 2011 Après les États-Unis et la Grande-Bretagne, la France ouvre ses données.
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Le net en moins flou
© Anna Apter / Charles Bataillie
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« un emballement jouissif, avec pratiquement une initiative par semaine ». Mais aussi des défis à relever. « Les développeurs font face à trois types de problèmes : des données introuvables, dans un format inutilisable, ou des données dont il est impossible de savoir si leur utilisation est autorisée. » Une startup parisienne, CheckMyMetro, en a récemment fait les frais en reprenant la carte du métro et les informations trafic de la RATP dans son application collaborative sur la vie dans les transports souterrains parisiens – leurs perturbations, leurs contrôleurs, leurs jolies filles… Sûre de son bon droit, la RATP a exigé le retrait de l’appli
pour violation de sa propriété intellectuelle. Son statut d’Établissement public industriel et commer-
La libération des données engage les États dans une démarche de transparence d’une ampleur inédite. cial l’exonère en effet de l’obligation d’ouverture des données à laquelle
sont tenus les services publics. Après être revenu à une version antérieure de son « appli », Benjamin Suchar, jeune diplômé de Dauphine et de l’E.M. Lyon, a fait de sa mésaventure un emblème de la résistance contre l’arrière-garde grincheuse. Orchestrant la polémique, il interpelle depuis le gouvernement pour ouvrir un débat sur la pertinence de la législation française. Le message semble être passé, puisque le cabinet du ministre de l’Industrie, Éric Besson, lui a assuré fin juin que l’on veillait sur son application en haut lieu et que la RATP avait été incitée à revoir ses positions sur l’usage de ses données. On vous le disait, l’open data fait tourner les têtes. ◆
Principe d’application de l’ouverture des données à destination du grand public
1 … Valorisation des bases de données
CITOYEN 1 DONNÉES
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2 … Production de bases de données 3 … Exigence de transparence démocratique 4 … Données ouvertes
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Sex tape
Hard chlore A bsent d e M a r c o B e r g e r Ave c : J av i e r D e Pi e t r o, Ca r l o s Ec h eva r r í a… D i s t r i b u t i o n : B o d e g a D u r é e : 1h 2 7 S o r t i e : 2 7 j u i l l e t
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Que s’est-il passé la nuit où Martìn, lycéen inquisiteur, a dormi chez son professeur de natation ? Distillant au compte-gouttes un suspense homoérotique à la sensualité minimale, Absent navigue en eaux troubles. Après un premier film acclamé, Plan B (2009), cette deuxième saillie du jeune cinéaste de 31 ans confirme sa place au sein d’un jeune cinéma argentin à la pudeur suggestive : qui sait ce que cachent les jeunes filles pieuses de Lucrecia Martel (La Niña Santa), les surveillantes de Diego Lerman (L’Œil invisible), les gamins de Lucía Puenzo (XXY) ? Au vu de ce teen-movie feutré, dans la lignée de Deep End, Long Way Home, Swimming Pool ou Naissance des pieuvres, l’on se dit que les films d’apprentissage sexuel en bassins chlorés ont de beaux plongeons devant eux. _C.G.
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NOUVEAU SOUFFLE JEUNE CINÉMA FRANÇAIS
À bout de souffle, le cinéma français ? Au contraire. État des lieux annuel de la jeune création hexagonale, le festival Close Up MK2 Jameson vient de distinguer une ribambelle de lauréats talentueux (Valérie Donzelli, Rebecca Zlotowski, Raphaël Personnaz), qui se livrent dans nos pages à un shooting rafraîchissant. Ouverte aux quatre vents, la séance photo laisse la place à leurs côtés à une cohorte de comédiens et de cinéastes aux desseins déjà affirmés, de Mia Hansen-Løve à Djinn Carrénard. Ce qui les inspire, ce à quoi ils aspirent : nous avons demandé à cette jeune génération, au moment où elle prend son envol, comment elle compte oxygéner un cinéma français guetté par l’étouffement. Moins parisien, plus sonore et féminin, l’air du temps est à leur mesure – haletante et saccadée. _Dossier coordonné par Juliette Reitzer, Auréliano Tonet et Laura Tuillier _Photographies : Nicolas Guérin
PIERRE NINEY comédien « Je veux exercer mon
métier en ayant d’abord acquis une formation technique. On m’a dit que je pouvais rappeler Jean-Pierre Léaud dans J’aime regarder les filles, ce qui m’a fait très plaisir, mais ce n’est pas un modèle de jeu pour moi. Avec Swann Arlaud, Guillaume Gouix ou encore Grégoire LeprinceRinguet, nous sommes comédiens, mais nous avons aussi envie d’aller vers l’écriture et la réalisation, avec un même désir de raconter du “vrai”, tout en se permettant des délires scénaristiques et visuels. Je crois à cette unité d’une nouvelle génération d’acteurs et de réalisateurs. » _Propos recueillis par Lo.Sé.
À l’affiche de J’aime regarder les filles de Frédéric Louf (sortie le 20 juillet), Pierre Niney a débuté au théâtre à 11 ans et se partage entre les planches et le cinéma. Depuis octobre 2010, il est actuellement le plus jeune pensionnaire de la Comédie-Française.
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TEDDY LUSSI-MODESTE
réalisateur « Je crois qu’il n’y a plus du tout de territorialisation des cinématographies aujourd’hui. Il n’y a
pas de cinématographie française, il y a une cinématographie faite de plein d’influences différentes. Je pense qu’on est une génération très marquée par la culture des années 1980 dans son ensemble – la musique est très importante, par exemple. Il y a des films qui comptent beaucoup, mais qui ne sont pas forcément les plus grands films de leurs réalisateurs. Rusty James ou The Outsiders de Coppola, par exemple, qui dessinent une possibilité de romanesque au cinéma et qui ont aussi décidé du cinéma que je pouvais faire. » _Propos recueillis par Lo.Sé.
Après trois courts métrages remarqués, Teddy Lussi-Modeste a réalisé Jimmy Rivière, son premier long, co-écrit avec Rebecca Zlotowski. Sorti en mars 2011, il réunissait Guillaume Gouix, Hafsia Herzi et Béatrice Dalle.
REBECCA ZLOTOWSKI réalisatrice « Aux Philippines
ou en Argentine, il y a une génération de réalisateurs qui se correspondent, et il y a eu des époques en France où c’était aussi le cas : la Nouvelle Vague, par exemple. Mais je ne vois rien de semblable aujourd’hui. Pour ma part, mes influences sont très hétéroclites. Je n’admire pas tout le cinéma de Scorsese, mais quand j’écris, je peux repenser à certains plans de Mean Streets. Je n’avance pas dans le cinéma en me disant qu’il y a des périodes chéries et d’autres qui ne le sont pas. Et je n’ai pas besoin d’aller à la Cinémathèque pour voir des films, ce qui était le cas des générations de cinéphiles précédentes, qui avaient donc une culture du cinéma différente. »
_Propos recueillis par Lo.Sé. Découvert à la Semaine de la critique en 2010, le premier long métrage de Rebecca Zlotowski, Belle épine, est sorti en DVD au mois de mai. Après le prix Louis-Delluc en janvier dernier, elle vient de recevoir le prix Close Up MK2 Jameson du meilleur réalisateur.
JEUNE CINÉMA FRANÇAIS – portfolio
LOLA CRÉTON comédienne « Au cinéma, j’aime bien Lars Von Trier… Chez Olivier Assayas, dans Après-mai, je vais jouer une syndicaliste. Le personnage est très différent d’Un amour de jeunesse, elle est engagée politiquement. Je viens de passer mon bac en philo. J’ai choisi comme sujet : ‘‘la culture dénature-t-elle l’homme ?’’ J’ai répondu oui… » _Propos recueillis par C.G. Révélée par Un amour de jeunesse de Mia HansenLøve (en salles depuis le 6 juillet), Lola Créton, 17 ans, tient l’un des rôles principaux d’En ville de Valérie Mréjen et Bertrand Schefer (sortie le 27 juillet), sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs.
MIA HANSENLØVE
réalisatrice « J’aime aller au cinéma et j’éprouve de l’admiration pour de nombreux cinéastes français, morts (Abel Gance, Robert Bresson, Sacha Guitry…) ou vivants (Philippe Garrel, Claire Denis, Abdellatif Kechiche…). Bien que l’écriture et la pratique du cinéma soient avant tout solitaires pour moi, j’ai aussi beaucoup de plaisir à découvrir les films de certains cinéastes de ma génération : Céline Sciamma, Rebecca Zlotowski, Isild Le Besco, Laurent Perreau, Mikhaël Hers… Mon prochain projet est un film qui se déroule des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, dans le milieu de la nuit à Paris. L’histoire d’une jeunesse, marquée par l’avènement d’un métier, celui de DJ, et d’un courant musical, le garage. »
_Propos recueillis par C.G. Un amour de jeunesse, le troisième film de Mia Hansen-Løve, vient de sortir. Son précédent long métrage, Le Père de mes enfants, avait reçu le prix spécial Un certain regard à Cannes en 2009.
JEUNE CINÉMA FRANÇAIS – portfolio
DJINN CARRÉNARD réalisateur « J’ai choisi
de tourner Donoma de façon très légère parce que j’aime le cinéma documentaire. Je suis sensible à la lumière naturelle, à la spontanéité du jeu. Je voulais être libre, avoir une proximité avec les comédiens. Aujourd’hui, les cinéastes sont très chanceux de pouvoir faire des films qui coûtent des millions ; en même temps, ils deviennent des géants aux pieds d’argile, oubliant que les moyens ne font pas toujours la qualité. Mon prochain film sera très contemporain, il traitera de l’identité française. On en parle beaucoup, mais mal, parce qu’on ramène toujours ça à l’immigration, alors que la question de l’identité se pose pour tous les Français.»
_Propos recueillis par L.T. Cadre, son, lumière, montage… Djinn Carrénard a tout fait lui-même pour son premier long métrage, Donoma (sortie prévue cet automne), film-guérilla réalisé avec des moyens ultraréduits et une énergie débordante.
RAPHAËL PERSONNAZ
acteur « Le jeune cinéma français, selon moi, c’est une génération qui a beaucoup de respect pour les ainés, se construit dans une continuité, dans un esprit travailleur. Je viens de tourner le premier film de Géraldine Maillet : c’est typiquement une réalisatrice qui aime ce qu’elle fait, se pose les bonnes questions sans être dans une douleur un peu feinte. Il y a des personnalités très différentes parmi les acteurs : Tahar Rahim, Jérémie Rénier, Reda Kateb… Des gens d’origines diverses, qui créent un beau mélange, pas artificiel. J’ai le sentiment qu’il y a moins de chapelles qu’il y a quelques années. » _Propos recueillis par J.R. Raphaël Personnaz vient de recevoir le prix Close Up MK2 Jameson du meilleur acteur pour son rôle dans La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier. Il sera à l’affiche de Forces spéciales de Stephane Rybojad le 2 novembre, puis dans Trois Mondes, le nouveau film de Catherine Corsini.
JEUNE CINÉMA FRANÇAIS – portrait
Dans La Guerre est déclarée, deux fantassins fantasques et déterminés combattent la maladie qui frappe leur jeune enfant. Histoire vécue et restituée comme une épreuve cicatrisée, le deuxième film de l’actrice et cinéaste VALÉRIE DONZELLI, qui en a cosigné le scénario avec son comédien JÉRÉMIE ELKAÏM, entonne une musique singulière, méticuleusement ciselée mais perméable aux imprévus, refusant de choisir entre naturalisme et romanesque, gravité et légèreté. Portrait de deux jeunes gens prompts à faire plier toutes les résistances.
«
_Par Laura Pertuy et Auréliano Tonet
Nous sommes le jeudi 10 octobre 2002, la guerre est déclarée. » Simultanément au conflit en Irak, une autre bataille, plus sourde et intime, voit le jour : celle que s’apprêtent à livrer Roméo (Jérémie Elkaïm) et Juliette (Valérie Donzelli) contre la maladie qui s’abat sur leur enfant – une tumeur au cerveau quasiincurable. Après des années de lutte, travaillé au corps par une armada médicale tenace et solidaire, le mal est
PLANS DE BATAILLEs
Architecte de formation, la vocation de Valérie Donzelli a d’abord émergé d’un pur plaisir de spectatrice – le « couple » cite autant Truffaut ou Bozon que Rappeneau ou Spiderman 2 parmi ses influences : « J’avais envie d’un métier amusant et puis Jérémie m’a dit que si je voulais devenir actrice, il fallait que je fasse des films. Cinq minutes après, je me mettais à l’écriture. » Son premier court métrage, Il fait beau dans la plus belle ville du monde, dessinait un Paris de carte postale, capitale bientôt ternie par les tourments pluvieux de La Reine des pommes, son premier long. Déjà, le duo Donzelli-Elkaïm s’y engageait corps et âme, le comédien interprétant pas moins de quatre rôles pour mieux souligner les affres de la fixation amoureuse post-rupture. Ce jeu hyperbolique, préférant l’effusion à la mesure, la générosité au quant-à-soi, les deux Parisiens l’ont décliné chez d’autres réalisateurs (Belleville-Tokyo, L’Art de séduire, Pourquoi tu pleures ?, En ville, Polisse…), occupant le champ avec une belle omniprésence. « Valérie ne se regarde pas faire, elle s’abandonne, expose Jérémie Elkaïm. Je préfère voir des choses fausses mais incarnées que des scènes qui te sortent du film. » Même mobilisation côté financier : La Reine des pommes est autoproduit, La Guerre est déclarée tourné en équipe (très) restreinte, avec un « esprit commando ». Bricolant ses films à la manière « d’un artisan », d’un enfant qui appréhende le monde, Valérie Donzelli a « l’intelligence des mains », selon Jérémie : « Quand on s’est rencontré, elle fabriquait plein de petites choses. » Ludique et ingénieuse, la mise en scène de sa nouvelle réalisation désamorce la gravité du propos par un jeu sur les dialogues (tantôt triviaux, tantôt fiévreux), l’image (surimpressions, saturations), la musique (alternant séquences instrumentales et chantées) ou les décors, qui bifurquent du brouhaha citadin au calme hospitalier (le personnel du film est le même que celui qui a soigné l’enfant du couple dans la réalité). En voix off, trois narrateurs « se passent le relais », raccords avec la chronologie du film, divisée en trois mouvements d’inégale durée. « Il fallait donner l’impression d’un temps qui s’arrête et se dilate », précise Valérie. Le tournage de Respire, son prochain film, « une œuvre dansée », débutera à l’automne entre New York, Paris et sa banlieue. Le combat continue. ◆
FANTAISIE MILITAIRE
pourtant vaincu. « Déclarer la guerre à un ennemi que l’on connaît, c’est très positif car on ne subit plus le mal, explique Jérémie Elkaïm. Notre génération est désinvestie, elle n’a pas de combat. Ces deux personnages, au contraire, sont portés par une question de vie ou de mort. La lutte les épanouit autant qu’elle les atteint. » C’est en plein drame, bien réel, que les deux parents se sont promis de faire de leur épreuve un film – avant que leur couple ne chancelle, fragilisé par le combat : « Il fallait être à la hauteur du rendez-vous, l’incarner au plus juste », dit Valérie Donzelli. Loin de l’autobiographie cathartique prenant en otage le spectateur, La Guerre est déclarée vibre d’une énergie communicative et d’une fantaisie pop et cocasse qui emportent l’adhésion. « On a essayé de faire un drame qui fasse rire, mais parfois le film vous dépasse. Il est difficile de mesurer l’émotion, confient-ils en chœur. Au montage, l’équilibre pouvait basculer très vite, ça a été un vrai travail de dentelle. »
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La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli Avec : Valérie Donzelli, Jérémie Elkaïm… Distribution : Wild Bunch Sor tie : 31 août
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JEUNE CINÉMA FRANÇAIS – en couverture
© Nicolas Guérin
UN PROPHÈTE
Woody Allen, Léos Carax, Steven Soderbergh, Gregg Araki, Darren Aronofsky… À cette liste de grands cinéastes précoces, il faudra désormais ajouter JEAN-CHRISTOPHE KERN, alias JC, en passe de devenir le porte-voix de sa génération. Vigilante pédanterie et insouciance de bon aloi : portrait du next big man du cinéma. _Par Louis Séguin
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« Il m’arrive de sécher les cours, mais, au lieu d’aller au bar du coin pour faire un flipper, je travaille un scénar avec une actrice. »
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ous avons rendez-vous dans un café cossu, non loin du Palais-Royal. Il a vingt minutes de retard et il est sur messagerie. On en profite pour relire sa bio : à 13 ans, il entre en stage auprès de David Lynch, qui lui présente Kid Frost, dont il réalise aussitôt le nouveau clip. Sous le charme, le rappeur californien produit son premier film, qui suit les pas d’une fille de bonne famille de L.A. tombée dans la prostitution. Ce documentaire poignant, réalisé à 14 ans, l’impose immédiatement parmi les auteurs phares de la nouvelle génération. Mi-effronté, mi-intimidé, il finit par débarquer dans le café. « Il », c’est bien entendu Jean-Christophe Kern, mieux connu sous son pseudo : JC. Comme tous les adolescents promus au rang de génie, on ne peut déterminer la part de coup de bol et la part de talent véritable dans son succès fulgurant. Au moment de s’installer à notre table, le petit surdoué s’excuse d’un air lointain : « Désolé j’étais collé. Normalement je suis dispensé de colles, mais là avec le bac… » Car le principal défi de JC, c’est de décrocher le diplôme qui mettra fin à sa vie schizophrénique – artiste couru et cancre notoire. Et ça n’est pas gagné : « C’est vrai qu’il m’arrive de sécher un cours de maths ; mais, au lieu d’aller au bar du coin pour faire un flipper, je travaille un scénar avec une actrice. »
TÊTE À PALMES
La gouaille de JC frise toujours la f lambe du gosse insupportable, comme lorsqu’il raconte ses exploits plus ou moins crédibles. « À 12 ans, j’ai filmé mon père qui trompait ma mère et j’ai montré la bande à Noël. Ils ont commencé à s’insulter. Du coup, j’ai vu l’émotion que pouvait provoquer le cinéma. » Pourtant, l’apprenti réalisateur sait se rendre sympathique. Il a pour lui une sorte de détachement et de lucidité quant aux rouages impitoyables du star system : « J’ai l’impression que je suis
plus identifié par mon âge que par mon talent potentiel », estime l’adolescent, dont les producteurs travaillent parallèlement sur le film d’un génie du streetart, plus jeune que lui de quelques mois. Pour supporter l’attente que le monde du cinéma place sur ses épaules, JC a des parades bien à lui, entre autoparodie et illuminations poétiques. Lorsqu’on l’interroge sur ses projets, il manifeste sa lassitude et commande tout de go un verre de lait à la serveuse, avant de dévorer un bol de Miel Pops. L’œuvre de JC est à son image… et laisse perplexe : applaudis dans les festivals, tous ses films méritent pourtant la mention « à suivre ». Chaque nouvel opus, comme un prélude, semble annoncer le chef-d’œuvre qui reste encore à naître. C’est la lourde tâche qui incombe désormais à celui dont les influences s’avèrent un peu disparates. S’il cite Godard à foison (« un vrai poète, qui peut faire des films avec rien »), il n’a aucun complexe à mentionner Shrek et les chorégraphies de Kamel Ouali comme source d’inspiration pour son prochain film, une comédie musicale. Il confie aussi avoir adoré Les Beaux Gosses de Riad Sattouf, même si « l’acteur principal n’est pas si formidable ».
SAC À DOS
Sorte d’épigone contemporain d’Arthur Rimbaud et de Macaulay Culkin, en couple avec une belle énarque de 17 ans, JC affirme ne prêter aucune attention à l’image qu’il renvoie, et pourtant chaque détail de son look semble minutieusement étudié. Ainsi en va-t-il de ses épaisses lunettes noires, qui rappellent son maître aux trois initiales, JLG. « J’ai un problème d’hypermétropie depuis mon enfance, assure le jeune homme. À la base, c’est juste pour mieux voir. » Pudeur ? Il est certain, en tout cas, que le succès lui va comme sa paire de binocles, qu’il porte avec une classe désinvolte. Et l’on ne peut s’empêcher de regretter par avance une retraite que JC annonce déjà : « J’adore chanter, j’adore mettre des sandales et partir à l’aventure avec un sac à dos. Un jour, j’aurai besoin de repartir vers quelque chose de plus simple. » Espérons que ce jour ne viendra pas trop vite. ◆
Le prochain film de JC sortira en salles début 2012. Pour patienter, retrouvez la bande-annonce sur www.mk2.com
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JEUNE CINÉMA FRANÇAIS – enquête
Quels points communs entre la course du pneu tueur de Quentin Dupieux (Rubber) et les amours hésitantes de Mia Hansen-Løve (Un amour de jeunesse) ? Multipliant les lignes de fuite géographiques, musicales ou sexuelles, les films de la génération actuelle doivent tracer leur route entre points de repère traditionnels et embardées délirantes. Cartographie d’une jeunesse française tout-terrain.
FILMEZ, _Par Laura Pertuy, Louis Séguin et Laura Tuillier
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Mia Hansen-Løve sur le tournage d’Un amour de jeunesse
«
Je m’identifie à une génération de cinéastes qui piochent des échantillons de films, des extraits d’œuvres, des plans qui surgissent ; comme une pression marine, des choses qui ressortent à la surface, des temps très courts », avance Rebecca Zlotowski. Faut-il chercher dans ces bribes filmiques disparates, à la croisée des genres, des arts et des cinémas nationaux, le moteur d’un jeune cinéma français qui trouve dans le mouvement son salut, quitte à oser le hors-circuit ? Si la Nouvelle Vague, adolescente effrontée, demeure un étalon pour nombre de cinéphiles, si Jean-Pierre Léaud influence toujours la diction et la gestuelle d’acteurs contemporains (de Louis Garrel à Pierre Niney), les cinéastes en fleur doivent composer avec cet héritage parfois pesant. Le thème de la transmission, du legs, est même devenu chez les réalisateurs éclos dans les années 1990 un motif saillant : Arnaud Desplechin avec L’Aimée puis Un conte de Noël ; Olivier Assayas avec L’Heure d’été… Réalisateur passeur d’une décennie à l’autre, Christophe Honoré est peut-être celui qui assume le plus cette idée de pioche constante dans la Nouvelle Vague. Des Chansons d’amour aux Bien-aimés, sur les écrans en août, les chansonnettes de ses personnages, accrochés à leurs désillusions, soulignent l’envie de revenir à une forme plus simple de cinéma, enlevée et offerte à l’imprévu. Il y a pourtant chez Honoré une volonté de s’affranchir de cet héritage tout en lui rendant automatiquement hommage. Renan Cros, enseignantchercheur à l’université Paris-VII en cinéma français, estime que, « Dans Paris incarne à la fois le caractère indépassable de la Nouvelle Vague, notamment avec l’appartement-musée et l’apparition de Marie-France Pisier, tout en en relevant les limites. »
« La mondialisation se joue aussi au cinéma. L’essentiel, c’est la synthèse. »
© Carole Bethuel
VOIX D’ACCÈS
« J’ai eu l’occasion de rencontrer Benjamin Heisenberg et Christoph Hochhäusler, qui forment une bande autour de la revue allemande Revolver. Le fait que ce soit des cinéastes qui tiennent la revue témoigne d’une solidarité qui n’existe pas en France, où je trouve la cinéphilie un peu étouffante », déplore Mia Hansen-Løve. Pourtant, certains jeunes font escale par la critique avant d’arriver à la réalisation. Mia HansenLøve elle-même, Jean-Sébastien Chauvin, Jacky Goldberg, Axelle Roppert, Yann Gonzalez ou encore Nicolas Saada ont écrit leur amour des films avant d’eux-mêmes en réaliser, dans un dialogue cinéphile fécond. Starting-block en or, la Femis gratifie quant à elle ses apprentis cinéastes, triés sur le volet, d’une caution institutionnelle et d’une bande de potes ad hoc, de l’écriture à la distribution des films. Céline Sciamma, Teddy Lussi-Modeste et Rebecca Zlotowski se www.mk2.com
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JEUNES CINÉMA FRANÇAIS - Enquête
Pierre Niney et Ali Marhyar dans J’aime regarder les filles de Frédéric Louf
sont rencontrés à l’école de la rue Francœur, ces deux derniers signant des films à quatre mains. Mikhaël Hers, auteur du remarqué Memory Lane, est lui aussi issu de la Femis. Lorsqu’on l’interroge sur sa formation, il concède : « Elle m’a donné une forme de légitimité, pour m’aider à transformer ce désir de cinéma, qui était une évidence mais que je ne m’autorisais pas nécessairement. »
MARCHE ARRIÈRE
Produire et réaliser un premier long prend du temps et oblige souvent à situer l’action dans le passé lorsqu’il s’agit de filmer sa propre jeunesse. Ainsi, Frédéric Louf (premier film à bientôt cinquante ans) propose avec J’aime regarder les filles un film d’apprentissage situé au début des années 1980, période qui fait écho à sa vie d’étudiant, mais empêche le film de se mêler du contemporain. La fin de l’ère giscardienne et le basculement vers les années Mitterrand constituent aussi la toile de fond du troisième long métrage de Julie Delpy, qui tente de ressusciter ses jeunes années et convie une trentaine d’acteurs à la table de son Skylab. Sa virtuosité à installer une époque par le mot témoigne d’un recul qu’elle cultive à travers son statut de cinéaste française naturalisée américaine. En ville, premier film de Valérie Mréjen et Bertrand Schefer, insiste pour sa part dans ses dialogues sur un vocabulaire un peu désuet, volontiers précieux. Quant aux Beaux Gosses, premier film de l’auteur de bande dessinée Riad Sattouf, il est lui aussi situé dans un passé proche (les années 1990), qui déconnecte les ados du mode de vie contemporain (smartphones, réseaux sociaux…), pourtant essentiel pour cerner la génération actuelle. Pull jacquard, Discman, ordinateur
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maousse : l’auteur de La Vie secrète des jeunes semble assumer cette patte vintage, lui qui déclare préférer aux films récents, « S.O.S fantômes, Robocop ou Conan… et en V.F. seulement ». Mais ce regard tendre des jeunes cinéastes français sur leur passé n’explique pas à lui seul cette tendance nostalgique, voire passéiste. Si la France des années 1970-1980 est familière et que sa jeunesse porte un nom (génération Mitterrand), il est plus difficile de dire pour quoi roule la génération d’aujourd’hui. « La jeunesse est toujours l’un des sujets les plus brûlants au cinéma. Comme en général on n’a pas l’âge de faire des films quand on est jeune, on est tout le temps menacé d’être ringard, à côté de la plaque… », analyse Rebecca Zlotowski. Elle assure que Belle Épine, qui se situe dans un passé indéfini, n’est pas un film nostalgique : « J’aime bien l’idée de mettre une génération entre les sujets qu’on raconte et nous. J’ai l’impression qu’au cinéma on a le droit de le faire, et que ça ne crée non pas de la nostalgie, mais une sorte de mélancolie. » Le cinéma français serait-il condamné à la nostalgie, auteuriste d’un côté, légèrement autodérisoire de l’autre ? Les jeunes réalisateurs que nous avons rencontrés affirment pourtant envisager la Nouvelle Vague comme une marraine lointaine, aujourd’hui un peu encombrante et qu’il faut distancer à tout prix. Même si Rebecca Zlotowski refuse d’en faire un événement significatif, force est de constater que le milieu se féminise à toute allure : de Céline Sciamma à Sophie Letourneur, de Rebecca Zlotowski à Valérie Donzelli, de Maïwenn à Axelle Ropert en passant par Mia Hansen-Løve, le jeune cinéma hexagonal négocie en leur compagnie le tournant de l’audace, à la recherche d’espaces, de rythmes et d’atmosphères où prendre l’air.
© Les Films de Pierre/Maia Cinema
« Est-ce normal de ne pas faire son film si on n’a pas deux millions ? » CHEMINS DE TRAVERSE
Ce que le sociologue américain Richard A. Peterson appellait « l’omnivorité culturelle », par opposition à la « distinction culturelle » identifiée par Bourdieu (hiérarchisation sociale de la culture), touche le cinéma comme tous les domaines artistiques : la génération contemporaine a les moyens de puiser son inspiration à peu près partout, de choisir des médiums de création hybrides, le droit d’aimer Prince et Bach, Rohmer et Apatow. Nicolas Anthomé, producteur chez Bathysphere, une jeune société de production indépendante, affirme orienter ses choix vers « des films travaillés par la littérature, parfois par le théâtre, des documentaires qui cherchent le romanesque ou des fictions qui s’appuient sur le trivial. Finalement, un cinéma impur. » Réalisateur d’un premier documentaire remarqué à la Quinzaine des réalisateurs (Armand, quinze ans l’été), Blaise Harrison pioche partout et nourrit son désir de cinéma d’influences démultipliées : « Je suis autant
influencé par la photographie documentaire américaine que par les spectacles de Jonathan Capdevielle, avec qui je partage beaucoup d’obsessions. » Les deux premiers films de Valérie Donzelli, La Reine des pommes et La Guerre est déclarée, appellent le chant à la rescousse, qui « permet d’exprimer le sentiment sans passer par la théâtralité qu’engage l’aspect verbal. Chanter permet de transcender l’émotion et de se retrouver au cœur de la forme. » Les films de Maïwenn, de l’autobiographique Pardonnezmoi au faux documentaire Le Bal des actrices, mêlent avec générosité et impudeur fiction et autofiction, scènes écrites et mise en abyme de sa propre vie (notamment sa vie de couple avec JoeyStarr dans Le Bal des actrices). D’autres, comme Quentin Dupieux ou Jan Kounen, sont des freeriders prêts à investir sans complexes le cinéma de genre : quand l’un débarque dans le septième art sans renier le Mr Oizo qui gazouille en lui, le second fonce dans l’abstraction après des études d’arts plastiques. Via le collectif Kourtrajmé, Kim Chapiron et Romain Gavras passent par le court métrage débrouillard pour accéder au long, Riad Sattouf débute dans la bande dessinée avant d’opérer un virage vers le film d’ado. Rebecca Zlotowski et Teddy Lussi-Modeste, bien que tous deux fémisards, revendiquent l’influence des films américains des années 1980 beaucoup plus que celle de Sautet ou de Pialat. Quant au jeune comédien Pierre Niney, déjà tenté par la réalisation, il affirme « construire peu à peu [son] paysage, au croisement entre la poésie de Terry Gilliam, celle de Michel Gondry et des scénarios à la Charlie Kaufman… J’aimerais bien l’inventer avec les gens de ma génération. »
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Donoma de Djinn Carrénard
LIGNES D’HORIZON
C’est hors de Paris et de sa cinéphilie normée qu’il faut se diriger pour trouver de nouveaux viviers créatifs : le cinéma français gagne à s’offrir le frisson du départ. Blaise Harrison travaille actuellement sur un premier long métrage de fiction (adaptation de la nouvelle de Jim Harrison, La Fille du chasseur), qu’il souhaite économe et libre. « L’idée de transposer le Montana dans la campagne française me plaît énormément. Je ne tournerai jamais à Paris », explique-t-il. En contraste avec les scènes d’appartement chères au cinéma des années 1990, celui des années 2000 fait le mur. Aventures en banlieue pavillonnaire (Memory Lane, Simon Werner a disparu, Belle Épine…), déambulations sur les chemins de province (Poupoupidou, La Lisière, Tournée, Bas-fonds, Jimmy Rivière, En ville, 17 filles…), fuites en Amérique (Twentynine Palms, Rubber, Dog Pound, Piranha 3D…), les jeunes cinéastes affichent un goût salutaire pour les friches et les influences éclatées. Dans son dernier film, Christophe Honoré délocalise ses Bien-aimés, conjuguant un Paris bohème et bien connu à une série de déplacements géographiques à Londres, Metz et Montréal. Comme le note Teddy Lussy-Modeste, « la mondialisation se joue aussi dans le cinéma, et on voit des réalisateurs être aussi inspirés par le cinéma américain que thaïlandais… L’essentiel, c’est la synthèse que fait le cinéaste de toutes ces influences. »
FUGUES RYTHMIQUES
La jeune génération voyage également au cœur d’univers sonores en plein renouvellement. La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli amorce un retour à une forme très simple de narration, sonnant comme une comptine. Renan Cros précise qu’« il n’est plus question de faire lire le dialogue aux acteurs mais bien de le mettre en scène », pour donner une vigueur, une originalité au propos et s’inscrire dans une réflexion sur les nouveaux moyens de communication. Dans Belle Épine, les dialogues se font rares, supplantés par un travail sur le son très maîtrisé, symbolisé par deux gros plans sur l’oreille de l’héroïne : au début comme à la fin, tout se joue sur le vacarme qui entoure Prudence et qu’elle veut ou non entendre… L’appel du dehors (le vrombissement des motos) contre l’appel de l’appartement (le silence à la suite de la mort de sa mère). À l’extrême inverse, la logorrhée 60
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© DR
JEUNE CINÉMA FRANÇAIS – enquête
« Nos moyens réduits donnent aux films un côté hold-up. » des filles de La Vie au ranch (de Sophie Letourneur, qui a d’abord effectué des repérages uniquement sonores) dénue les dialogues de tout sens, de sorte qu’ils se transforment en simples bruits de fond. Poussé au volume maximum pendant tout le film, accaparant le spectateur de toutes parts, le son se transforme en espace, saturé. Quant au tempo du jeune cinéma français, il se situe au croisement de deux tendances. Style post-gainsbourien d’un côté, avec des mélodies susurrées comme les chante le très courtisé Benjamin Biolay sur les bandes originales de Pourquoi tu pleures ?, La Guerre est déclarée ou Le Bal des actrices, et des airs lourds-légers (le prolifique duo formé par Christophe Honoré et Alex Beaupain). De l’autre, une mouvance plus novatrice misant sur des musiciens issus de la néo-french touch : Quentin Dupieux / Mr Oizo cosigne ses bandes originales avec Sebastian, Riad Sattouf confie ses Beaux Gosses aux beats de Flairs, Yann Gonzalez collabore avec son frère Anthony aka M83… Pour Naissance des pieuvres et Tomboy, Céline Sciamma a travaillé avec Para One, tandis que Rebecca Zlotowski s’est associée à Rob sur Belle Épine. Valérie Donzelli se situe quant à elle au croisement de ces tendances, avec des chansonnettes couplées à des rythmes electro, soufflées par son coscénariste Jérémie Elkaïm. L’attention au son, le sens du rythme, scanderaientils l’unité de la jeune génération ? Le deuxième film de Teddy Lussi-Modeste, qu’il coécrit avec Rebecca Zlotowski, mettra en scène un patron de boîte de nuit menacé par la fermeture de son établissement. Et Mia Hansen-Løve nous confie que son prochain film, « se passe dans le milieu de la nuit à Paris. C’est l’histoire d’une jeunesse, marquée par l’avènement du métier de DJ et celui d’un courant musical, le garage. »
JEUNE CINÉMA FRANÇAIS – enquête
VOYAGER LÉGER
© Wild Bunch
« Je crois que les jeunes producteurs, qui n’ont pas connu l’âge d’or de la production indépendante des années 1990, savent faire des films désargentés de manière assez naturelle », note Nicolas Anthomé. Des producteurs qui, comme lui, Charlotte Vincent ou Olivier Chaumet, poussent leurs poulains à l’audace, le cinéma « fauché » en a besoin, analyse Arnaud Gourmelen, directeur du festival Premiers Plans d’Angers : « On reçoit deux fois plus de films depuis l’ouverture au format numérique, mais la qualité ne suit pas toujours. Je pense que c’est moins dû au manque d’argent qu’à la nécessité d’un producteur qui apporterait son regard. » Pourtant, certains jeunes cinéastes choisissent de dévier avec succès des circuits classiques de production et de distribution. Valérie Donzelli évoque le côté bricolé de sa Reine des pommes, film autoproduit, et théorise le concept du « couteau suisse » : « Tout le monde était investi de plusieurs tâches sur La Guerre est déclarée. Comme on fait des films avec des moyens économiques réduits et une équipe peu nombreuse, il y a un côté commando qui donne l’impression d’un hold-up d’images. » Le premier film de Djinn Carrénard (qu’il s’apprête à codistribuer), Donoma, lui a coûté 150 euros. Dans ce film choral, les histoires d’amour se côtoient et interrogent les rapports de force et de domination entre les sexes. Les limites techniques sont largement compensées par le foisonnement brillant d’idées de mise en scène. Exemplaire, Djinn Carrénard assume cette radicalité des moyens et de la forme :
« J’avais besoin de ce rite initiatique, comme un passage à l’âge adulte qui passe par faire tout soi-même. » Isolé parce que sans école ni réseau parisien, Carrénard croit profondément à « un grand mouvement artistique collectif, avec des gens qui veulent bouger le cinéma », et milite pour une bonne dose d’audace : « Est-ce normal, quand on est jeune, de ne pas faire son film si on n’a pas deux millions ? » Poussant l’art de la débrouille jusqu’au bout, il a appris le cinéma grâce à la communauté internet : « Je postais des séquences que j’aimais sur des forums et je demandais qu’on m’explique comment c’était fait. » C’est encore par le biais d’internet que l’équipe de Donoma fait aujourd’hui connaître son film, à l’aide d’un marketing maison (happening, teasing viral…). Comme le souligne Arnaud Gourmelen, « l’idée de la Nouvelle Vague était de prendre des caméras légères, de tourner vite, dans la rue, avec peu d’éclairage, en réaction contre le cinéma de studio ». C’est peut-être cette ambition de voyager léger qui reste l’enseignement le plus pertinent des jeunes Turcs de la Nouvelle Vague : ne pas chercher à tout prix à rouler sa bosse au cœur du système, mais faire du manque de moyens le secret d’un cinéma jeune, parce qu’indépendant et impatient. ◆ SORTIES EN SALLES J’aime regarder les filles de Frédéric Louf, sor tie le 20 juillet En ville de Valérie Mréjen et Ber trand Schefer, sor tie le 27 juillet SORTIES DVD Memor y Lane de Mikhaël Hers, déjà disponible Tomboy de Céline Sciamma, sor tie le 21 septembre
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© Boris Brussey
FESTIVAL D’AVIGNON
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Enfant de Boris Charmatz, dans la Cour d'honneur du Palais des Papes
FESTIVAL D’AVIGNON
LA CITÉ DES ENFANTS PERDUS Peter Pan dépressif, Pinocchio empressé ou chaperon trop naïf… L’enfance, comme ambiguïté sociale, contrepoint moral ou parabole artistique, emmène la 65e édition du Festival d’Avignon aux confins d’étranges pays imaginaires. Cartographie du programme, de l’enfant roi au sale gosse. _Par Ève Beauvallet
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a vérité sort peut-être de la bouche des enfants mais, si l’on reprend l’étymologie latine du mot – infans, celui qui n’a pas la parole –, il n’est pas dit qu’ils puissent la révéler. De cette ambiguïté, entre savoir et secret, mais aussi entre sauvagerie et civilisation, naît un axe central de la 65e édition du Festival d’Avignon, cité mythique et méridionale du Théâtre populaire de Jean Vilar, aujourd’hui tournée vers une création internationale chahutée par la danse ou la musique. Comment interpréter les occurrences de la figure enfantine dans cette édition 2011 ? Angoisse du futur qui se dessine ? Façon de réaffirmer la place de l’incontrôlable et de l’imaginaire ? Quoi qu’il en soit, du labo chorégraphique (Enfant de Boris Charmatz) au docu-poème (SUN de Cyril Teste) en passant par l’adaptation de classique (Au moins j’aurai laissé un beau cadavre de Vincent Macaigne), les artistes font sortir l’enfance du bac à sable et des fantasmes régressifs. Cour de récré
– Chorégraphe espiègle associé à cette édition, Boris Charmatz, directeur du Centre chorégraphique national de Rennes, a sa responsabilité dans l’affaire. On lui doit – geste manifeste – d’ouvrir le festival avec Anne-Karine Lescop et son Petit Projet de la matière, une version enfantine du Projet de la matière d’Odile Duboc, figure tutélaire et regrettée de la génération 1990. On lui doit surtout de voir l’enfance comme un territoire symbolique, en recrutant vingt-sept enfants de 6 à12 ans pour Enfant, sa nouvelle création imaginée pour la cour d’honneur du palais des Papes. « Il y a trente ans, au mot “enfant”, les premières images qui venaient à l’esprit étaient celles des chansons, des jeux, de la joie de vivre, confie le chorégraphe au Festival d’Avignon. Aujourd’hui, ce sont celles de la pédophilie, du problème de l’éducation nationale, du chômage, du manque de visibilité sur le futur. On a peur pour ses enfants, on les surveille d’autant plus. Comment on regarde un enfant, comment on le touche :
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© Haut et court
FESTIVAL D’AVIGNON
« Comment on regarde un enfant, comment on le touche : ces questions sont devenues problématiques. » Au moins j'aurai laissé un beau cadavre de Vincent Macaigne, au cloître des Carmes
Boris Charmatz
ces questions sont devenues problématiques. » C’est bien pour cela que Boris Charmatz s’en empare, détournant au passage le motif de l’« aire de jeu » auquel l’histoire de l’art a souvent couplé l’enfance. Enfant est en fait une extension de sa pièce Régi (2006), dans laquelle les corps inertes des danseurs étaient déplacés, comme des jouets de fête foraine, par de grosses machines. Reprenant cette façon oulipienne d’imaginer une danse sans dépense musculaire, comme d’autres ont fait des romans sans la lettre « e », il charge cette fois des danseurs adultes d’agencer et de manipuler les corps « endormis » des enfants. Une façon beaucoup plus étrange d’aborder leur présence qu’en les faisant galoper sur le plateau. « Au début, les spectateurs les verront en mouvement alors qu’ils ne feront rien, détaille Charmatz. Je veux amener l’espace mental de l’enfance dans le corps endormi. Il s’agit d’organiser, pour eux, autour d’eux, une danse mentale sous forme de jeux. Ils ferment les yeux et imaginent la danse parce qu’on les fait voler. Par ailleurs, j’ai découvert que les enfants pouvaient aussi déplacer des corps d’adultes. Du coup, on a inversé les rôles et c’est devenu une république des enfants. Un enfant seul ne peut pas faire grand-chose, mais lorsqu’ils sont dix, ils peuvent tout faire. » Ils peuvent notamment fuguer en Afrique, se souvient par exemple le talentueux metteur en scène Cyril Teste, qui, lui, part d’un fait divers survenu en 2009 – des jeunes Allemands partis sac au dos pour se marier « là où il fait chaud » – pour écrire SUN, un poème visuel conçu avec trois mineurs âgés de 9 à 11 ans. Une façon de questionner la place de l’utopie chez l’enfant, et la possibilité ou non pour l’adulte de lui donner crédit. Abécédaire
– Moins solaires, plus bilieuses, trois autres pièces phares du festival mesurent le fossé qui sépare les sphères adultes et enfantines. Au moins j’aurai laissé un beau cadavre demande à être lu comme une « conversation » entre l’Hamlet de Shakespeare et Vincent Macaigne, outsider tonitruant réputé pour ses mises en scène héroï-comiques. Il fait cette année son entrée sur la scène internationale en imaginant ce qu’aurait pu être l’enfance d’Hamlet, ce jeune prince qui, faute
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AVIGNON par les CHIFFRES 4h30
du matin. C’est l’heure du début de Cesena, nouvelle et très matinale création d’Anne Teresa De Keersmaeker. Entreprise sadique ? Plutôt caprice esthétique : Cesena délègue l’éclairage des danseurs au soleil levant. Un pendant à sa sérénade de l’an passé, qui s’effaçait progressivement dans la nuit noire.
1989
Cette année-là, les salles se vident à chaque représentation de Eh, qu’est-ce que ça me fait à moi ? de Maguy Marin, qui contribua à faire d’Avignon le lieu des polémiques esthétiques. La chorégraphe n’est pas moins controversée aujourd’hui : un spectateur, mécontent de son Umwelt, lui a cassé un doigt en 2010.
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C’est le nombre de comédiens du Living Théâtre venus s’installer à Avignon en 1968. Grandes figures de l’avant-garde new-yorkaise, ils furent invités par Jean Vilar à jouer leur dénudé Paradise Now. La pièce sera finalement déprogrammée, et le Living accusé d’atteinte à la pudeur.
© Boris Brussey
FESTIVAL D’AVIGNON
Enfant de Boris Charmatz, dans la cour d'honneur du Palais des Papes
d’avoir trouvé la pureté, choisit la tyrannie. Le motif est voisin chez Angélica Liddell, performeuse espagnole, auteur d’autoportrait tranchés (« J’ai le cœur comme de la viande hachée ») et de sombres prophéties (« Je n’ai pas connu un seul enfant qui soit devenu un bon adulte »). Son désenchantement, qui avait bouleversé l’édition 2010 du festival, vire au hurlement métaphysique avec Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme – une complainte sur l’« innocence massacrée » articulée autour des lettres de l’alphabet. Chez Roméo Castellucci, mieux vaut prévenir que l’enfance n’a pas non plus les couleurs des films Walt Disney. Génie de la mise en scène qui erre entre l’ésotérisme d’un Terrence Malick et le dérèglement perceptif d’un David Lynch, il propose Sur le concept du visage du fils de Dieu, trip hallucinogène axé sur la filiation – grand leitmotiv de son travail –, lui qui érige l’enfance en mode de perception du monde. Zéro de conduite
– Lorsqu’elle n’apparaît pas en transparence dans des rétrospectives ou des flash-backs historiques (ne râtez pas la reprise de Fase, premier chefd’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker en 1982, et de Danses libres de Cécilia Bengolea et François Chaignaud, sur l’enfance de la danse moderne), l’enfance revient à plus large échelle à travers la programmation 2011 du festival. En tant qu’attitude face à l’art, horizon esthétique, Graal du créateur. En la matière, Boris Charmatz est un parfait porteparole : à la fois cancre et chouchou, circulant généralement en bande (dans son musée de la Danse à Rennes ou à Avignon, où il embarque tous ses copains), il semble le plus en quête de cette « perception enfantine » qu’évoque Baudelaire dans Le Peintre de la vie moderne, « une perception aiguë, magique à force d’ingénuité ». Au mot « enfance », on ajoutera à l’étendard 2011 « naïveté » et « expérimentation ». Soit une façon désinvolte de fourrer ses doigts dans toutes les prises et de faire fi des compartimentages esthétiques. « Trop de danse, pas assez de théâtre ! » s’indignaient certains fayots en 2005. Si ces geignards récitent toujours la même leçon six ans plus tard, ils savent ce qui les attend pendant l’édition Charmatz : une bonne fessée, et un pied de nez. ◆
12 heures
La durée de la trilogie de Wajdi Mouawad donnée en 2009. Une expérience hors du commun pour certains, expiatoire pour d’autres, qui s’inscrit dans la tradition des spectacles-fleuve avignonnais (neuf heures pour Peter Brook en 1985, onze pour Antoine Vitez en 1987).
75 000
places vendues et finalement remboursées suite à l’annulation du festival en 2003. Un moment historique, qui a vu des milliers de manifestants bâillonnés sur la place du Palais pour protester contre la réforme des régimes d’indemnisation des intermittents du spectacle.
2005
L’année d’une controverse esthétique liée à la nomination du plasticien-chorégraphe Jan Fabre comme artiste associé du festival. Théâtre de texte contre théâtre d’image ? Danse contre théâtre ? Médias, artistes et intellectuels s’empoignent, et Régis Debray publie son pamphlet Sur le pont d’Avignon.
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Étudiant en doctorat d’anglais à plein temps le jour, photographe, écrivain, peintre ou réalisateur la nuit, JAMES FRANCO est un super-héros. Un vrai. Parfois, il trouve même le temps de tourner dans des films, comme dans La Planète des singes : les origines, en salles le 10 août. Qu’est-ce qui fait courir l’homme le plus occupé d’Hollywood ? Entretien, à la recherche de l’art perdu. _Par Bruno Dubois, à Los Angeles
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es cernes aussi noirs que son tee-shirt trahissent d’emblée le secret de James Franco : il dort peu et prend plus souvent l’avion que George Clooney dans Up in the Air. « Voyons voir, récapitule-t-il. On a fini un tournage à 6 heures du matin mardi. J’étais debout à 7h30 pour une matinale télévisée. Le soir, c’était la projection de Broken Tower [son dernier film, ndlr]. Une caméra nous a suivis avec le poète Frank Bidart jusqu’à 4h du matin. Puis direction San Francisco. Couché à 2h. Levé à 4h ; retour à Los Angeles pour un photoshoot de mode que je produis. Au lit à minuit. Plus quelques siestes. » Il dit ça d’une traite, sans hésiter ni respirer. Plutôt chargé, pour des vacances.
qui revisite la genèse du mythe dérivé du roman de Pierre Boulle publié en 1963, James Franco incarne un scientifique perdu dans ses recherches. En tentant de mettre au point un remède contre la maladie d’Alzheimer, dont souffre son père (John Lithgow), il rend par accident nos cousins intelligents. Et cause la perte de l’humanité. « C’est avant tout une variation sur le thème de Frankenstein, analyse Franco. Bosser avec les effets spéciaux derniers cris de Weta Digital, c’est ce qui m’a d’abord attiré. Mais, en fin de compte, le film est surtout porté par l’évolution des personnages, des humains et de César, de sa naissance jusqu’à la prise du pouvoir. »
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Avec ce film à 90 millions de dollars, James Franco fait aussi une entorse à ses choix récents, qui l’emmenaient plutôt vers des « petits » films. « Avec la fac à côté, tourner plusieurs mois dans un blockbuster est exclu », explique-t-il. Depuis 2006, l’acteur a en effet repris ses études avec une fièvre jamais vue dans le milieu, pas même chez les intellos d’Hollywood, Jodie Foster ou Natalie Portman. Paradoxalement, sa carrière ne s’est jamais aussi bien portée que depuis qu’il l’a mise entre parenthèse. « Mes parents sont passés par Harvard et Stanford. Du coup, quand j’ai arrêté mes études à 19 ans à U.C.L.A., l’université de Los Angeles, ils m’ont coupé les vivres. Ils n’étaient pas vraiment déçus, mais plutôt inquiets. Ils m’ont dit : ‘‘Si tu veux vraiment être acteur, tu payes pour tes cours’’. » Ce que James Franco fait en bossant chez McDonald’s le soir. Repéré par Judd Apatow,
Calé au fond de son fauteuil, l’acteur, 32 ans, semble perdu dans une rêverie. Ou « stoned », comme a d’abord cru Danny Boyle lors de leur première rencontre pour 127 Heures. Mais, c’est juré, Franco ne carbure qu’au café. Quand il commence à parler de La Planète des singes : les origines, il s’anime d’ailleurs soudainement. Les coudes sur les genoux, le regard qui ne fléchit pas, il raconte son expérience avec Andy Serkis, qui incarne le personnage central, le chimpanzé César – après s’être déjà glissé dans la peau de Gollum dans Le Seigneur des anneaux. « En face de moi, j’ai Andy dans un pyjama avec des capteurs partout. Je me dis que je ne vais jamais entrer dans la scène. Et puis il commence à bouger, avec une posture tellement crédible que tout le monde oublie la technique. » Dans ce sequel,
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© Twentieth Century Fox 2011
le jeune acteur débute à la télé dans la série aussi culte que brève Freaks and Geeks (une saison, entre 1999 et 2000) puis décroche le rôle de James Dean dans un téléfilm grâce à sa belle gueule, qui lui ouvre les portes de la trilogie Spider-Man. Tout ça ne suffit pas et, après trois films oubliables en 2006 (Tristan et Yseult, Annapolis et Flyboys), le verdict du box-office tombe : Franco n’est pas bankable dans un premier rôle. Ce n’est pourtant pas faute de tout donner. Il fume deux paquets par jour et s’isole pendant quatre mois pour rentrer dans les bottes de James Dean. Pour Sonny, réalisé par Nicolas Cage en 2002, il suit un vrai gigolo dans un club de strip-tease et jusque dans la chambre d’un client. Rien n’y fait, et il finit par délaisser sa carrière pour retourner chercher des réponses sur les bancs de la fac, à 28 ans.
soap General Hospital ou exhibe son art à New York et Berlin dans l’expo The Dangerous Book Four Boys (qui comprend notamment une photo de défécation humaine et un court métrage dans lequel il déambule dans les couloirs du Louvre avec une prothèse de pénis à la place du nez), James Franco veut « expérimenter avec l’art du vivant ». Qu’importe si les critiques comparent son travail à celui d’un élève besogneux, l’apprenti artiste se satisfait de son rôle d’étudiant perpétuel, qui s’est inscrit à trois masters dans trois universités new-yorkaises différentes. Son diplôme en cinématographie de Columbia en poche, il poursuit actuellement un doctorat en anglais à Yale, avant un prochain cursus déjà prévu à Houston.
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Vient la question, inévitable : pourquoi ? « Pourquoi pas ? », esquive-t-il avant un silence. « Je ne sais pas, mon but n’est pas de travailler pour prendre des vacances. J’ai envie d’expérimenter, d’apprendre, d’être émulé au contact des autres, de tenter de rendre chaque expérience aussi intéressante que possible. » Comme pratiquer une fellation – non censurée, mais sur une prothèse – pour son long métrage The Broken Tower, dans lequel il adapte la vie du poète Hart Crane, suicidé à 32 ans en se jetant du pont d’un bateau ? « L’idée n’était pas de choquer pour choquer, se défend-t-il. Crane n’a jamais caché sa sexualité débridée, à une époque [les années 1920, ndlr] où c’était risqué. C’était naturel de le montrer à l’écran. Et puis le film est lent, en noir et blanc. Cinématographiquement, la scène apporte une rupture de rythme intéressante. » Son assistante, montre en main, l’interrompt à cet instant. Il est temps de passer à l’interview suivante. La journée de James Franco ne fait que commencer. ◆
Aux États-Unis, la plupart des étudiants s’inscrivent pour 30 crédits par an. James Franco convainc U.C.L.A. de le laisser en prendre 60… en un trimestre. Il termine ainsi sa licence en deux ans au lieu de quatre, tout en continuant de tourner pendant les vacances, surtout dans des seconds rôles et pour des réalisateurs qu’il admire, comme Paul Haggis (In the Valley of Elah), et dans quelques films indépendants. Quand il rate des cours, il demande à des étudiants de lui enregistrer la séance, qu’il écoute dans sa loge quand il ne lit pas du Faulkner ou du Proust. Dans Pineapple Express (2008), de la team Apatow, il vole la vedette à Seth Rogen, avant de coller ses lèvres contre celles de Sean Penn dans Milk (2008), puis celles de Julia Roberts dans Eat, Pray, Love (2010). En se coupant le bras au couteau suisse dans 127 Heures (2010), il récolte enfin les fruits de ce travail : nommé pour l’oscar du meilleur acteur, il est coiffé par la performance de Colin Firth dans Le Discours d’un roi. Qu’il publie un recueil de nouvelles, apparaisse régulièrement en guest dans le
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La Planète des singes : les origines de Ruper t Wyat t Avec : James Franco, Andy Serkis… Distribution : 20th Centur y Fox Sor tie : 10 août
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JOHN LANDIS
LICENCE TO KILT John Landis, l’insaisissable et subversif réalisateur des Blues Brothers en remet une couche avec Cadavres à la pelle, farce victorienne placée sous le patronage des Monty Python. Pouet pouet. _Propos recueillis par Clémentine Gallot et Juliette Reitzer
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ropulsé cinéaste le plus bankable d’Hollywood par le succès d’Animal House en 1978, John Landis a façonné le tandem comique moderne pendant une décennie frénétique, asseyant la suprématie de John Belushi et autres Harold Ramis ou Eddy Murphy sur les seventies (The Blues Brothers), puis les eighties (Un fauteuil pour deux, Un prince à New York). En parallèle, il s’est aussi installé en maître de l’horreur, réalisant le cultissime clip de Thriller pour Michael Jackson et Le Loup-garou de Londres (1981). Aujourd’hui, celui dont l’humour noir et scato fait désormais peur aux grands studios livre Cadavres à la pelle, une comédie macabre mâtinée de buddy movie, où deux grigous deviennent tueurs en série par appât du gain, afin de pourvoir en macchabées des scientifiques peu scrupuleux dans l’Écosse de la révolution industrielle, déjà en proie à la concupiscence capitaliste. Survolté en interview, d’éclats de rire sonores en jurons paillards, John Landis est un animal rare, mélange de bonhomie joyeuse et de cinéphilie. À le voir s’animer ainsi, on imagine que le cinéma doit être pour lui un art vivant. Rencontre digressive, ponctuée d’anecdotes interminables sur Stanley Kubrick ou Judd Apatow et de blagues vaseuses (lorsque son portable vibre dans sa poche, il nous lance un tonitruant : « Sorry, it’s my penis ! »), avec celui qui pratique, à la ville comme à l’écran, un humour de farces et attrapes.
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Vous êtes fan de Stanley Kubrick, pouvezvous remonter à la source de cette passion ? Beaucoup de cinéastes se sentent floués par Kubrick, mais ils devraient être flattés : c’est Kubrick ! Les vingt premières minutes de The D.I. de Jack Webb [en 1957, ndlr] ont été entièrement copiées dans Full Metal Jacket, par exemple. Tout le monde est influencé par tout le monde. L’originalité, c’est full of shit. Le cinéma, ce n’est pas une question d’idées, mais d’exécution. Stanley n’était pas très sympathique, mes rencontres avec lui étaient pour le moins bizarres ; il m’a uniquement parlé d’argent. Je me souviens avoir vu 2001 : l’odyssée de l’espace à minuit, sur Hollywood Boulevard, avec un jeune camarade dont le père était l’avocat de Kubrick. J’avais 16 ans, j’étais comme ça [il écarquille les yeux]. Ça m’arrive rarement, la dernière fois, c’était pour Morse de Tomas Alfredson. Cadavres à la pelle marque votre retour à la comédie horrifique britannique, trente ans après Le Loup-garou de Londres. Je suis allé visiter un peu par hasard les studios Ealing, le seul studio de cinéma à Londres intra muros. C’est une compagnie historique, qui a produit entre autres Noblesse oblige de Robert Hamer [1949] et The Ladykillers d’Alexander Mackendrick [1955]. Ils m’ont fait lire le script, qui m’a plu. Ce film a été fait avec très peu de moyens, à partir d’une histoire vraie très populaire en Grande-Bretagne. William Burke et William Hare [les deux héros du film, inspirés de personnages réels] étaient la lie de l’humanité. J’aime l’idée de rendre sympathiques ces deux sales types. De votre premier long métrage, Schlock, au clip de Thriller, en passant par Le Loupgarou de Londres, vos films ont souvent témoigné d’une certaine sympathie pour les monstres… Oui, c’est intéressant. Frankenstein, Quasimodo, la créature du lac noir ou le loup-garou… Je les aime parce que leur fragilité et leur isolement les rendent sympathiques. Pour Cadavres à la pelle,
© Ealing Studios
JOHN LANDIS
« En cloque, mode d’emploi ou Juno, c’est drôle, certes, mais c’est totalement réactionnaire ! »
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le parti pris de mise en scène était de tout montrer, y compris les meurtres. J’ai dit aux acteurs : « Vous êtes les méchants Laurel et Hardy. » Le personnage joué par Simon Pegg est le pire. L’autre est juste amoral, il fait du business, comme un politicien. Le film permet d’aborder des problématiques liées au progrès, à la technologie, à la science. J’en suis très content. Il y a aussi dans Cadavres à la pelle l’idée d’une transmission entre deux générations de comiques, de vous à Simon Pegg par exemple, qui est un fan de vos films. Oui, c’est très étrange qu’il soit aussi fan ! Shut up, relax, quoi ! Bon, moi aussi je suis un fan, je suis né dans les années 1950… Le cinéma a cent ans, j’ai donc connu ceux qui l’ont inventé : je déjeunais avec Alfred Hitchcock, car nous avions des bureaux chez Universal. Frank Capra, Howard Hawks, Billy Wilder– qui était nasty but funny –, je les connaissais tous. Les Blues Brothers, Un fauteuil pour deux, Cadavres à la pelle… Vous êtes un maître du duo comique. Que pensez-vous de la génération actuelle ? C’est une idée très ancienne, voyez Abbott et Costello, Laurel et Hardy, Butch Cassidy et le Kid… Les films d’Adam Sandler sont assez infantiles, ceux de Judd Apatow traitent d’adolescents attardés : j’aime certains de ses films ; mais j’ai été parfois gêné par leur discours moral. Dans En cloque, mode d’emploi, comme d’ailleurs dans Juno de Jason Reitman, quel bullshit ! C’est drôle certes, mais c’est totalement réactionnaire ! On a un rapport sexuel non-protégé, la fille tombe enceinte et soit le garçon devient gentil et accepte l’enfant, soit on donne le bébé à adopter et tout le monde est heureux.
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« Aujourd’hui tout est déshumanisé dans les grands studios, voté par des comités, ce qui rend la subversion au sein du système de plus en plus retorse. »
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Ce sont les deux seules options possibles… What the fuck ? Dans Fast Times at Ridgemont High, un teen movie progressiste et futé [d’Amy Heckerling, sorti en 1982, ndlr], l’ado qui tombe enceinte se fait avorter. Quand on a fait Animal House, qui se termine de manière très chaotique, la politique des comédies seventies était anarchiste. On avait beaucoup plus de liberté, pas d’obligation de happy end, contrairement à Very Bad Trip de Todd Philips… Beaucoup de personnages d’aujourd’hui, comme ceux de Wayne’s World, sont des dérivés de Spicoli [joué par Sean Penn dans Fast Times at Ridgemont High, ndlr], l’ado qui fume des joints.
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Le réalisateur ponctue ses réponses de nombreuses références cinématographiques. Morceaux choisis. Noblesse oblige de Robert Hamer : « Un film très élégant, malicieux, à propos d’un serial killer. Regardez-le, vous me remercierez. » Bride of Frankenstein de James Whale : « C’est du camp. Il était gay, c’était drôle. » Psychose d’Alfred Hitchcock : « Hitchcock considérait ce film comme une comédie ! » L’Exorciste de William Friedkin : « Je suis athée, pourtant j’ai eu très peur, j’y ai vraiment cru. Le Pape devrait le sanctifier, c’est le meilleur avocat pour les catholiques. »
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Vous avez débuté votre carrière en triant le courrier pour la Fox, avant de réaliser pour Universal le film le plus rentable pour la société jusque-là, Animal House. Quel rapport entretenez-vous aujourd’hui avec les grands studios ? La situation à Hollywood est problématique et globale : de grands conglomérats sont propriétaires des studios et aujourd’hui, c’est le goût supposé du plus grand nombre qui compte pour remplir les salles – donc pour mettre de l’argent dans un projet. Les années 1970, c’était une autre époque ! Les studios étaient dirigés par des individus en chair et en os, qu’on connaissait. Aujourd’hui tout est déshumanisé, voté par des comités, ce qui rend la subversion au sein du système de plus en plus retorse. J’aimerais retravailler avec un gros studio hollywoodien, mais je ne fais pas le genre de films qu’ils souhaitent produire. Joe Dante, John Carpenter, tous ces cinéastes que je fréquente travaillent peu en ce moment pour cette raison, quelle tristesse ! Les studios ont peur de nous. ◆
Cadavres à la pelle de John Landis Avec : Simon Pegg, Andy Serkis… Distribution : La Fabrique 2 Durée : 1h30 Sor tie : 27 juillet.
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Vingt ans après leur dernière collaboration, le comédien espagnol le plus caliente de sa génération retrouve son réalisateur de prédilection, Pedro Almodóvar. Dans La Peau que j’habite, ANTONIO BANDERAS troque sa chemise de latin lover pour la blouse d’un chirurgien plastique givré. Portrait de l’étalon ibère en monstre froid. _Par Laura Tuillier (avec Clémentine Gallot)
edro ne voulait rien de ce que j’aurais pu amener de l’extérieur ou du passé. Pour ce rôle, il me voulait nu », raconte Antonio Banderas, mi-effrayé, mi-amusé par les exigences d’un réalisateur marionnettiste dont il fut jadis la muse et vers qui il revient à 50 ans. Pedro Almodóvar lui avait offert son premier rôle dans Le Labyrinthe des passions en 1982. De cette idylle artistique naîtront six films, dont cinq tournés à Madrid à l’époque bénie de la Movida, mêlant mélodrame excessifs et comédies trans. – Le nouveau film qui les réunis, La Peau que j’habite (lire également page 26), se détache de ce style et confirme le virage hitchcockien pris par Almodóvar depuis Étreintes Brisées (2009). Dans ce thriller dépouillé, Antonio Banderas prend le temps de laisser monter une très froide vengeance. « Je joue un monstre qui ne ressemble pas à un monstre. Il est poli, réservé, c’est un médecin brillant. Il avance sans être démasqué. » Cerveau habile, homme sans visage façon Georges Franju (Les Yeux sans visage en 1960), Robert Ledgard kidnappe l’agresseur de sa fille pour en faire sa créature (Frankenstein n’est pas loin) et tester sur elle une peau artificielle qu’il croit pouvoir créer. Tout en économie, le jeu de Banderas tranche avec les effusions hystériques de ses débuts. De Matador à Femmes au bord de la crise de nerfs en passant par La Loi du désir, l’hispanique au regard brûlant était devenu l’icône gay des eighties, adulé de Madonna (In Bed with Madonna puis Evita) avant de virer hétéro dans les nineties virilistes d’Hollywood. « J’ai presque tout joué, je ne raisonne jamais en termes de choix de carrière, je fais ce que je veux », explique-t-il, fier par exemple de son Zorro fleur bleue, destiné à conquérir les foules perdues par ses excursions déjantées chez Robert Rodriguez. 74
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– Pour son retour chez Almodóvar, Antonio Banderas incarne un salaud à la froideur désarmante. « Pedro m’a fait jouer des notes que je ne pensais pas à ma portée. Il m’a fait aller vers quelque chose de très grave, de monocorde. » Adaptation d’un roman du Français Thierry Jonquet (Mygale), La Peau que j’habite est un film-somme dans lequel le réalisateur espagnol dresse l’inventaire de ses obsessions (magnétisme transgenre, travestissement identitaire, passion destructrice…) en les réduisant à leur plus simple expression. Loin des débordements charnels des débuts, il signe un thriller osseux au sommet duquel Banderas se hisse, tel un Dieu vengeur et impassible. Pour la première fois chez Almodóvar, le sexe se détache de l’affectif : « Le docteur Ledgard pense pouvoir transformer non seulement l’apparence mais également la façon dont sa créature pense. Il n’est pas amoureux d’elle, mais du chef-d’œuvre qu’il a créé », analyse l’acteur. Pour résister à un réalisateur « difficile parce que très exigeant » et ne pas devenir à son tour une créature, Banderas a progressivement développé, comme le cobaye de La Peau que j’habite (formidable Elena Anaya), ses propres techniques de manipulation. « Dans le scénario d’Attache-moi ! [en 1989, ndlr], je devais enfiler une perruque blonde. Moi je trouvais ça laid, mais je ne pouvais pas le lui dire, il n’aurait rien écouté. J’ai donc enfilé une longue perruque noire, et je me suis pavané avec. Je n’ai pas tardé à entendre “Antonito, viens par ici”. Pedro m’a dit que la perruque m’allait bien et moi j’ai joué l’étonné. C’est comme ça que j’ai gagné la manche et gardé la perruque noire. » Mimant le cinéaste et ses mimiques, l’Espagnol finit par nous faire les yeux doux – façon Chat Potté – et annonce qu’il a prévenu Almodóvar, devenu trop sérieux en vieillissant. « Je lui ai dit : “Pedro, tourne une comédie, et vite. On a besoin de rire, tu te souviens du rire ?’’ » Pourtant, le noir lui si va bien. ◆ La Peau que j’habite de Pedro Almodóvar // Sortie le 17 août
Š Lucia Faraig
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LE STORE
MICRO D’ARGENT
Popularisée par le dernier album de Gorillaz et de retour à l’automne avec Biophilia (le projet de Björk et Michel Gondry), la création musicale sur iPad trouve un compagnon de choix avec le Meteor Mic. Ce micro très compact offre une prise de son incroyablement satisfaisante pour un périphérique USB. Avec l’arrivée récente du logiciel GarageBand sur la tablette tactile, c’est la solution de choix pour bricoler des maquettes entre deux trempettes à la plage. _E.R. Meteor Mic par Samson, pour Mac et PC, en vente au Store du MK 2 Bibliothèque, www.samsontech.com
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EN VITRINE
Le plein de super
Cinq ans après un premier volet pétaradant, Cars 2 plonge ses rois du circuit dans un film d’espionnage débridé, délaissant l’Amérique profonde pour un tour du monde vif et bon enfant. De passage à Los Angeles, nous avons rencontré les pilotes de l’écurie d’animation Pixar, qui souffle cette année ses vingt-cinq ans. Moteur ! _Par Clémentine Gallot (à Los Angeles)
Quand Cars sortait en 2006, une rutilante voiture de course vermillon, Flash McQueen (Owen Wilson / Guillaume Canet au micro, avec un enthousiasme juvénile), s’échouait dans un bled de l’Arizona au milieu de carcasses vintage, auprès de qui elle faisait l’apprentissage de la valeur de la fraternité face à l’ambition personnelle. La technologie qui donne des leçons d’humanité, tel est le paradoxe de Pixar, tel que l’expose Hervé Aubron dans son essai, Génie de Pixar (Capricci). Dans un monde déserté par les humains, l’horizon de l’écosystème Pixar apparaît, d’un film à l’autre, pris en charge par les machines. Éloge de la vitesse, Cars 2 s’autorise une certaine esbroufe inhérente au genre, non pas à la façon martiale du futurisme italien, mais tout en excès pondérés auxquels nous a habitué le studio, doublés d’une sympathie pour les communautés hétéroclites et l’obsolescence qui les guette. Sans la splendeur visuelle de Là-haut, ni l’ampleur métaphysique de Wall-E, ce deuxième volet, de bonne tenue, renoue avec les premières productions du studio (1001 pattes, Le Monde de Nemo), accessibles aux plus jeunes. En reprenant la route, la franchise family-friendly prend le virage du buddy movie, emmené par un duo remuant, le fougueux McQueen et son acolyte Martin, une dépanneuse simplette. En plein tour du monde à la faveur d’un championnat automobile, une Toy Story (1995)
Premier film 100 % réalisé en images de synthèse, il reçoit un prix spécial aux oscars. Si le deuxième volet est sauvé par l’acharnement du studio en 1999, Toy Story 3 (en 2010) est l’une des suites les plus réussies au cinéma.
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Dans un monde déserté par les humains, l’écosystème Pixar apparaît pris en charge par les machines.
conspiration les entraîne hors des sentiers battus – l’occasion pour les graphistes de s’amuser, de voitures tunées en gadgets transformables façon James Bond, dans un joli clin d’œil au cinéma racé des seventies. Parmi les nouveaux venus de cette troupe vrombissante, un bolide de formule 1 italienne qui roule des mécaniques et de véritables agents secrets doublés dans la version originale par le malicieux Michael Caine, entouré de John Turturro, Eddie Izzard, Emily Mortimer et Vanessa Redgrave en Reine d’Angleterre.
1001 pattes (1998)
Passant des jouets miniatures au vivant microscopique, Pixar pointe son miroir grossissant sur les insectes, tout en s’inspirant directement des mythiques Sept samouraïs d’Akira Kurosawa.
Monstres et compagnie (2001)
Des monstres velus se repaissent de l’énergie produite par les cris des enfants. La patte industrieuse, inventive et bricolée de Pixar s’affirme, à l’avantgarde de l’animation pileuse.
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Raoul ÇaRoule
Concentré rétro d’americana, le premier volet de la saga s’installait dans une ville sinistrée aux encablures de l’historique route 66. Élargissant l’horizon claustrophobe auquel nous confinaient les chambres d’enfants de Toy Story, Cars 2 conduit le spectateur dans un tour du monde effréné où les décors chamarrés de chaque ville ont été minutieusement « car-ifiés ». « Nous avons revisité l’architecture de plusieurs pays en fonction de leur industrie automobile », jubile le coréalisateur, John Lasseter. Ainsi, le film circule du Paris de Ratatouille (patrie du pilote Raoul ÇaRoule) aux néons de Tokyo, en passant par Londres et son horloge « Big Bentley ». Paradoxalement, malgré les efforts des dessinateurs, les petites voitures anthropomorphes Le Monde de Nemo (2003)
Cette cinquième mouture suit un poisson-clown sur la barrière de corail, repousse les limites techniques de l’animation sousmarine et multiplie les références aux Monty Python. Immense succès.
semblent avoir trouvé ici leur propres limites : elles subissent, bien plus que les bestioles vivaces et imparfaites du Monde de Nemo ou de 1001 pattes, la masse statique de leur carrosserie. Cette suite sur quatre roues en a néanmoins sous le capot et affiche le plus gros budget du studio – plus de 200 millions de dollars. Si l’ultime défi de Pixar reste l’animation humaine, chaque sortie repousse les limites techniques de son prédécesseur : « On a observé une accélération en 1991 avec Terminator 2 et La Belle et la Bête, puis en 1993 avec Jurassic Park, du point de vue des logiciels », se souvient Ed Catmull, mormon originaire de Salt Lake City et cofondateur de la compagnie. Dans ce créneau, ce douzième film Pixar inaugure moins de nouveaux procédés qu’il n’explose un record d’échelle par la profusion des décors et des « personnages » (926 à croquer). Une question – aussi – de rapidité : alors que quatre années sont habituellement allouées au développement et à l’élaboration de chaque film, l’entreprise a raccourci ses délais à trois ans. « La qualité se détériore partout », déplore Lasseter, taclant sans les nommer ses concurrents de chez DreamWorks : « Nous sommes passés d’un film et demi par an à un film. Mais nous ne voulons pas faire moins bien, au contraire. »
Élargissant l’horizon claustrophobe des chambres d’enfants de Toy Story, Cars 2 conduit le spectateur dans un tour du monde effréné, où les décors de chaque ville ont été minutieusement « car-ifiés ». Fast & curious
Fils d’un vendeur de Chevrolet (ce qui expliquerait, selon la légende, son amour des voitures et plus généralement des objets inanimés), John Lasseter, chemise hawaïenne taille XL, protège amoureusement son petit dernier et sa « marque ». Artisan historique des quatre premiers films, il cumule aujourd’hui les casquettes de directeur artistique de Pixar et de la branche animation de Disney. Le génie créatif de Pixar
Les Indestructibles (2004)
Pixar s’humanise : la saga rétrofuturiste de Brad Bird sur le quotidien d’une famille de super-héros habillés en latex lui offre un deuxième oscar du meilleur film d’animation.
Cars (2006)
Pixar est contraint de livrer Cars à Disney. Premier film à utiliser la technique du ray tracing, qui permet aux voitures de refléter leur environnement de façon réaliste, il ne fait pas le plein d’entrées en France.
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EN VITRINE se double d’une intelligence stratégique depuis sa naissance en 1986, quand Steve Jobs a racheté la division informatique de Lucasfilm, pensant en faire une boîte de logiciels. Lasseter, jeune dessinateur (remercié par Disney) bidouillant dans l’ombre de petits courts métrages, prend alors la tête de la mutinerie. Fini les logiciels, les graphistes inspirés ne laisseront d’autre choix à Jobs que de produire douze films en vingt-cinq ans, raflant au passage vingt-six oscars. Depuis, la fourmilière Pixar, aujourd’hui basée à Emeryville près de San Francisco, dorlote ses nerds d’employés tel un monstre bienveillant.
Roulez, jeunesse
« Pixar est une maison de réalisateurs, chacun a son style, mais c’est avant tout une œuvre collective, pas du cinéma d’auteur, insiste Lasseter. L’animation est la forme artistique la plus collaborative qui soit. » Cet esprit familial (doté, notera-t-on, d’un département communication ultra efficace) se double d’un souci de transparence. « Notre philosophie est de toujours nous remettre en question, assure Ed Catmull. Avec Toy Story 2, on a failli tout bousiller et mettre la clé sous la porte. Les employés sont tous tombés malades à cause du surmenage. On a dû reprendre entièrement le film. » Après d’interminables
Ratatouille (2007)
Un rat cuistot cuisine dans un restaurant étoilé. Ce Pixar à la française (4500 photos sont prises à Paris) progresse encore dans l’animation numérique des poils (30 000 sur le rongeur !).
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« Pixar est une maison de réalisateurs. Chacun a son style, mais c’est avant tout une œuvre collective. » tractations, Disney, qui a acquis le studio en 2006, a fini par redonner à Pixar le contrôle des suites de ses créations. Tenu depuis cette acquisition à de très hautes exigences de réussite commerciale, Pixar cédera-t-il à la sérialisation à outrance ? Tom Hanks aurait récemment soufflé mot d’un possible Toy Story 4… « On ne fait pas des suites pour imprimer des billets de banque, comme tout le monde », rassure John Lasseter. Quoi qu’il en dise, Cars 2 s’adresse principalement aux jeunes garçons et reste, après Toy Story et Nemo, la franchise la plus rentable du studio d’animation. En attendant, Brave, un conte de princesse celtique, sortira l’an prochain et sera suivi du prequel de Monstres et compagnie en 2013. « Demeurer grand public sans se soumettre entièrement à la technologie, martèle Lasseter. La clé tient en un mot : é-mo-tion. » ◆ Cars 2 de John Lasseter et Brad Bird (en 3D) Avec les voix de : Owen Wilson (en V.O), Guillaume Canet (en V.F.)… Distribution : Walt Disney Durée : 1h45 Sor tie : 27 juillet
Wall-E (2008)
Production Pixar la plus impressionnante, cette fable métaphysique autour d’une histoire d’amour entre deux robots sur une Terre désertée confirme le génie d’écriture d’Andrew Stanton.
Là-haut (2009)
Ce dixième film ouvre le Festival de Cannes, en 3D. Le script alambiqué, qui suit un garçonnet joufflu et un papi mal embouché, décolle, merveille d’inventivité tropicale et transgénérationnelle.
HORS-SERIE #6
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Deuxième réalisation de l’actrice, performeuse, écrivain et cinéaste MIRANDA JULY, The Future est une plongée anxiogène dans les affres de la création et de la vie de couple. Abstraction et incarnation, absence et présence au monde, accélération et dilatation du temps, norme et périphérie : l’Américaine évoque pour nous ses grands axes d’inspiration, à travers une sélection d’œuvres fétiches.
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GUEST LIST
Retour vers le futur
_Propos recueillis par Laura Pertuy
THE FUTURE « Les origines de The Future remontent à une pièce que je jouais à New York, Things We Don’t Understand and Definitely are not Going to Talk About. Je sortais d’une rupture très soudaine et la scène où l’on voit Jason arrêter le temps a été l’image fondatrice de mon projet. Je l’ai intégrée à ce spectacle dans une forme totalement différente de celle que j’ai filmée. Y figuraient aussi le chat parlant, les petites danses et le tee-shirt jaune. C’était bien plus abstrait, la façon dont on peut jouer de la trame étant plus malléable dans un spectacle. J’y ai impliqué le public et son enthousiasme a tellement nourri mon travail que chaque représentation était une expérience à part. Puis j’ai arrêté car il n’y avait plus d’effet de surprise ; il m’est alors apparu évident qu’il fallait que j’en fasse un film. » The Future de Miranda July // Sor tie le 17 août
PEGGY LEE « En plus d’un morceau de Beach House, je cherchais une chanson très particulière qui soit associée au couple et lui rappelle ses fondations. Ne trouvant rien de satisfaisant, j’ai appelé mon amie Carrie Brownstein, une ancienne du groupe Sleater-Kinney. Elle venait juste de reprendre une chanson assez connue de Peggy Lee et en surfant sur Youtube, j’en ai trouvé une autre, Where or When, dont les paroles collent on ne peut mieux au propos du film. Le reste de la bande originale est signée Jon Brion, l’un de mes compositeurs préférés. »
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Where or When de Peggy Lee et the Benny Goodman Orchestra (Future Noise Music ltd.)
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LEONARD COHEN « Pendant l’écriture d’un film, certaines musiques sont tellement présentes dans mon esprit qu’elles en forment la base, sans pour autant figurer au générique. La tristesse qui se dégage de Bird on a Wire de Leonard Cohen m’a mise dans l’ambiance exacte que je voulais donner à la fin de The Future. J’admire les gens qui parviennent à retranscrire une émotion précise dans une chanson ; cela m’encourage à reproduire cette émotion à ma manière, dans une forme autre. » Songs From the Road de Leonard Cohen (Sony BMG)
LOS ANGELES « Le film fonctionne très bien avec la ville, car le personnage que je joue est amené à se rendre dans un monde irréel, banlieusard. À L.A., on peut rejoindre la vallée en quinze minutes seulement et se retrouver à l’opposé du quartier branché où vivent les artistes (et moi-même), tout comme le couple du film. Ceci dit, je ne suis pas très intéressée par les lieux en eux-mêmes, ce sont plutôt les petits mondes personnels des gens qui me captivent. On le voit dans la façon dont l’appartement du couple est décoré. » Los Angeles de Catherine Grenier (Editions du Centre Pompidou)
BRIGHT STAR « Je pense beaucoup à ce film de Jane Campion. On ne peut faire plus différent de mon cinéma, mais je le trouve très bien tissé… Je me sens liée à son travail même si cela ne se manifeste pas véritablement dans le mien. » Bright Star de Jane Campion (Pathé vidéo)
FRANZ WEST & CO « Pendant la préparation du film, j’étais en constante recherche d’images correspondant à ce que je voyais mentalement. Je collectionnais des photos de personnes avec des choses sur la tête, par exemple. Aucun artiste n’a directement influencé The Future mais j’aime beaucoup le travail de Maria Lund, Christian Boltanski et Franz West avec ses bulbes colorés. » To Build a House You Start With the Roof de Franz West (MIT Press)
UN BREF INSTANT DE ROMANTISME « Après avoir écrit le recueil de nouvelles Un bref instant de romantisme, je travaille sur mon premier roman dont l’action se déroule dans un univers totalement différent. Je viens aussi d’achever un livre autobiographique à paraître cet automne. On y retrouve Joe, le vieil homme de The Future, qui joue d’ailleurs son propre rôle. La séquence du film où il apparaît est en fait une sorte de petit documentaire, car je l’ai aussi rencontré par le biais des petites annonces alors que je travaillais sur un projet. Les cartes de Noël que l’on voit dans le film sont donc réelles. Le livre revient sur ma rencontre avec plusieurs personnes qui passent des petites annonces à travers des photos et interviews. J’y évoque aussi les origines du film. » Un bref instant de romantisme de Miranda July (Flammarion)
LE CHAT « Le chat qui attend ses nouveaux maîtres est en quelque sorte une métaphore de l’attente que l’on peut avoir vis-à-vis de nos parents. Cet espoir qu’ils viennent nous chercher et qu’ils nous voient tels que nous sommes vraiment, jusqu’à ce que l’on réalise que personne ne viendra. C’est à ce moment que les choses s’arrangent, en un sens, car on se prend enfin en charge. »
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KIDS
Le Roi lion
BB KING
La réédition en 3D, en salles et en DVD du Roi lion nous replonge dans une savane nineties, mélodique et survoltée, aux sous-textes foisonnants. _Par Clémentine Gallot
Opération toilettage : une conversion à la 3D (réalisée en seulement quatre mois) permet désormais aux plus jeunes de découvrir le parcours initiatique du jeune lion Simba sur fond de chorégraphies frétillantes. Pour Mark Henn, le dessinateur moustachu responsable du trait souple de l’impulsif lionceau – et de toutes les princesses Disney depuis 30 ans – « Le Roi lion est une relecture d’Hamlet . » Tony Bancroft, géniteur sur papier de Pumba,
LE ROMAN
_C.L.
Le Chaos en marche tomes 1, 2 et 3 de Patrick Ness (Gallimard)
Respectivement sous-titrés Le Cercle et la Flèche, La Voix du couteau et La Guerre du bruit, les trois tomes de ce récit initiatique nous embarquent dans un univers déconcertant. L’écriture singulière de Patrick Ness illustre parfaitement le monde brutal et bruyant dans lequel son héros, Todd, a grandi et contre lequel il va devoir se battre aux côtés de la jeune Viola. Une aventure pleine de rebondissements à couper le souffle. À partir de 14 ans.
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phacochère odorant, ventripotent et drolatique, raconte s’être inspiré à l’époque de sa femme enceinte ! Critiqué à sa sortie, en 1994, pour ses références bibliques et l’exotisme niais de ses compositions (signées Sir Elton John), le film camoufle un sous-texte corporate fascinant, qui décrit en trompe-l’œil la loi de la jungle alors en vigueur au sein des studios Disney : une lutte à mort entre ses dirigeants ambitieux, relatée en 2010 dans Waking Sleeping Beauty, le documentaire de Don Hahn. Alors que retentissent les tambours du générique, aux tréfonds de la brousse, on pense aussi à Barack Obama, diffusant pour la blague l’ouverture du Roi lion comme la « vidéo de sa naissance ». Hakuna matata ! ◆ Le Roi lion de Roger Allers et Rob Minkof f Avec les voix de : Jean Reno, Michel Elias… Distribution : Disney Durée : 1h25 Resor tie : le 24 août en salles, DVD et Blu-Ray
L’Expo
_L.P.
MUTINERIE ESTIVALE
Îlot aux recoins ludiques, la nouvelle expo de la Cité de la BD d’Angoulême invite en ses lagunes Luciano Bottaro et son Pepito, pirate précurseur du ténébreux Isaac de Christophe Blain, mais aussi Laureline Mattiussi (L’Île au poulailler), dont les pastels affirment une féminité frondeuse. Des extraits de films ainsi qu’une chasse au trésor égayent la visite des petits forbans en quête d’aventure. À l’abordage ! L’Ile aux pirates, jusqu’au 2 octobre à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême, w w w.citebd.org
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VINTAGE Extrait de Atlanta – Hip-hop and the South
Eaux troubles Le paradoxe est bien connu : les musiques américaines les plus métissées de ces cinquante dernières années ont vu le jour dans les États du Sud – soit ceux qui ont le plus férocement défendu la ségrégation raciale. Un livre et une compilation remontent à la source de cet étonnant syncrétisme. _Par Auréliano Tonet
C’est l’histoire d’un fleuve impur, renfermant des pépites insoupçonnées. Richement illustrée, la double compilation Delta Swamp Rock replonge dans le bouillonnement créatif qui a éclaboussé les bords du Mississippi au tournant des années 1970. Sous l’impulsion du label Stax, basé à Memphis, fleuron des musiques noires (Otis Redding, Sam & Dave) dirigé par un blanc n’hésitant pas à signer d’importants rockeurs locaux (Big Star), les digues rock, country et soul cèdent brutalement, mêlant tout de go des courants jadis jugés contraires. Les plus beaux timbres country (Waylon Jennings, Bobby Gentry) adoptent alors des inflexions neuves – granulations rhythm and blues, rugosités rock’n’roll –, tandis que les rockeurs du coin (Lynyrd Skynyrd, Link Wray) embrassent sans ciller le triptyque santiags, moustache et chapeau de cow-boy.
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Delta Swamp Rock replonge dans le bouillonnement créatif qui a éclaboussé les bords du Mississippi au tournant des années 1970. Passionnante, la compilation ne s’intéresse cependant qu’aux musiciens blancs de la région. Son pendant idéal sera donc le beau livre Atlanta – Hip-hop and the South, qui montre combien la métropole a révolutionné le hip-hop et le r’n’b ces vingt dernières années, en les aspergeant de sonorités jazz, rock ou electro. Photographiés par Michael Schmelling, interviewés par le journaliste Will Welch, les principaux visages de cette réinvention s’égrènent dans des poses fières et outrancières : producteurs (Lil Jon, Jermaine Dupri, The-Dream), MC (Ludacris, Gucci Mane), posses (Arrested Development, Goodie Mob, Outkast), tous incarnent la vitalité économique et créatrice de la ville – souvent réduite aux caricatures dirty South, ce sous-genre lascif et minimal qui a affolé les charts il y a quelques années. « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or », écrivait Baudelaire. Sur leur tube commun, Lil’ Jon, Ludacris et Usher ne disent pas autre chose : Yeah ! ◆ Delta Swamp Rock, compilation Label : Soul Jazz Records Atlanta – Hip-hop and the South de Michael Schmelling, Kéléfa Sanneh et Will Welch Éditeur : Chronicle Books Sorties : déjà disponibles
RAYON IMPORT
La doctrine du choc
À lire à l’aune du récent Melancholia, cet essai enrichi d’entretiens dresse le portrait schizophrène et contradictoire de l’über auteur du Dogme95, pilotant depuis Copenhague les studios Zentropa. À coup de visions virtuoses et de stratégies narratives cathartiques, Lars Trier de son vrai nom tisse depuis la fin des années 1970 une œuvre transnationale, phobique et roublarde, un « petit théâtre de l’horreur » érigé en réaction au cinéma danois. Un « nouvel expressionisme postmoderne » qui tiendrait de la performance, selon l’universitaire américaine Linda Badley, pour se faire chambre d’écho d’une Europe dévastée et d’une Amérique capitaliste fantasmée, vouées au ressassement obsessionnel du traumatisme. _C.G. Lars Von Trier de Linda Badley (University of Illinois Press, en anglais)
BACK DANS LES BACS
Crap, boum, hue Pépite pop des années 1960, Le Système Crapoutchik fut le backing band de Jacques Dutronc à ses débuts, rompu à tous les styles (garage, R&B, psyché), avant d’officier dès 1968 en Moody Blues frenchies sous cet improbable patronyme (donné par Dutronc à l’un des membres du groupe, Gérard Kawczinski). D’abord sous influence popsike (balades à la Ray Davies, clavecins sautillants à la Left Banke, paroles bêbêtes fleuries), le groupe vira progressivement prog rock, conceptualisant ses albums dans une veine inédite par ici (Guy Skornik ou Mehdi Zannad en cousinages). La compilation Flop intitula adéquatement en 1970 l’état de leur popularité, que ces rééditions en vinyles épais mériteraient de relancer. _W.P. Aussi loin que je me souvienne, Flop et Le Système Crapoutchik de Le Système Crapoutchik ( Wah Wa Records Supersonic Sounds)
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DVDTHÈQUE TRANSPORTS AMOUREUX
Dix ans séparent Summertime, tourné en 1955 dans une Venise toute en gondoles et déambulation sensuelles, du chef d’œuvre anglais et ferroviaire de David Lean, Brève rencontre (1945). Entre ces deux films d’amour, une différence de taille : le sexe. _Par Juliette Reitzer
« Si vous avez faim, mangez les raviolis. » Cette douce métaphore, lancée par un appétissant Italien à une Américaine un peu trop fine bouche, résume bien le message de Summertime : l’amour, ça se consomme. La quarantaine, célibataire et pas franchement épanouie (Katharine Hepburn, parfaite dans sa veine gouailleuse), Jane débarque à Venise pour y passer une partie de l’été. Attendrie
par ses pigeons, ses gondoles et ses amants enlacés, elle succombe aux charmes d’un bellâtre local, Renato, qui lui joue la sérénade avant de tomber le masque : il est marié et père de famille. Premier film de l’Anglais David Lean tourné pour Hollywood (suivront les plus connus Le Pont de la rivière Kwaï en 1957 et Lawrence d’Arabie en 1962), Summertime orchestre le choc des cultures entre pudibonderie américaine et chaleur européenne, plaçant son héroïne, saisie loin de chez elle, dans une parenthèse spatiale, temporelle et émotionnelle. Pris dans un mouvement permanent, de déambulations romantiques en gondoles abritant des amours clandestines, le film débute et s’achève dans un train, rappelant le sublime mais tragique Brève rencontre, tourné par Lean dix ans plus tôt. Un amour adultère y naissait et s’achevait dans une gare, sans être jamais consommé. Jane, au contraire, repartira de ses vacances vénitiennes heureuse et rassasiée. ◆ Summertime de David Lean Avec : Katharine Hepburn, Rossano Brazzi… Éditeur : Carlotta Sortie : déjà disponible
3 FILMS REGARDE LES HOMMES TOMBER ET SUR MES LÈVRES de Jacques Audiard (Why Not)
Rêches, impatients, captivants, les premier et le troisième longs métrages de Jacques Audiard découpent dans l’ombre des intrigues les visages abîmés d’antihéros sincères. Mathieu Kassovitz, Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Devos sont impeccables. _L.T.
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FANBOYS
de Kyle Newman (Wild Side) 1998. Quatre fans traversent les États-Unis jusqu’au ranch de George Lucas pour lui voler les rushes du prochain Star Wars : Episode 1. En bonus, un édifiant docu sur la sortie de La Menace Fantôme et une interview vintage de la princesse Leia. _E.R.
LA PRISONNIÈRE ESPAGNOLE de David Mamet (Carlotta)
Embrouille sous les tropiques : des Caraïbes à New York, un employé d’une grande entreprise ayant mis au point un « système » révolutionnaire se trouve piégé de toutes parts par une série de personnages truculents. Dialogues au couteau et rythme d’enfer. _L.T.
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CDTHÈQUE Le soleil donne
Étincelant deuxième album de l’Américain BRENT CASH, How Strange it Seems ravive le lustre d’un genre oublié quoiqu’on ne peut plus de saison : la sunshine pop. L’été sera beau. _Par Auréliano Tonet
C’est un sous-genre méconnu, tourné vers les charts mais rarement adoubé par ceux-ci, longtemps déprécié par les gazettes, circonscrit dans le temps et dans l’espace – pour résumer, le Los Angeles de la fin des sixties et du début des seventies. Une musique inventée par quelques démiurges illuminés (Brian Wilson, Curt Boettcher, Jimmy Webb), recréant en studio, par l’éclat de leurs polyphonies perchées, un soleil alternatif : la sunshine pop. Gazouillés en famille (The Beach Boys, The Mamas & Papas, The Free Design) ou par des chorales fantoches (Sagittarius, The Millenium, The Fifth Dimension), leurs morceaux chantent la grandeur du cosmos, la joie d’une partie de cerfsvolants, la douceur des plages estivales – ne gardant de l’arc-en-ciel hippie que les teintes les plus naïves (mièvrerie des paroles) et les plus sophistiquées (ambition des arrangements). Après une éclipse de deux décennies, la sunshine pop s’est découvert une myriade d’émules disparates, séduits par ses mélodies accrocheuses et
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ses harmonies savantes, empruntant au jazz, à la bossa nova et au music-hall. Plus une saison, ces quinze dernières années, sans que l’Angleterre (The High Llamas), la France (Louis Philippe), le Midwest (Magic Kids) ou la Côte Est (BC Camplight, Papas Fritas) ne redorent brillamment le blason du genre. Cet été, c’est le dénommé Brent Cash qui s’en vient battre le rappel avec un splendide deuxième album, How Strange it Seems. « Les groupes de sunshine pop utilisent très fréquemment des accords de septième majeure, explique l’Américain. Enfant, j’étais déjà très sensible à ce type d’accords – quand bien même je n’en connaissais pas encore le nom. » Amateur de Debussy, Miles Davis et Supergrass, originaire d’Athens, ville étudiante fameuse pour ses rénovateurs pop (R.E.M., Of Montreal), Cash a appris la musique sur la batterie que lui avaient offert ses parents – et qu’on entend aujourd’hui encore sur ses disques. Sideman pour des groupes locaux, il se décide à transposer ses amours ensoleillées sur un premier disque passé inaperçu il y a trois ans. Mélodies supérieures, orchestrations grandioses, chant gracile, How Strange it Seems devrait aisément dissiper le malentendu. À moins que cet homme-orchestre, célébrant « sans ironie les joies de la solitude » sur le tube It’s Easier Without Her, ne se résigne au sort réservé à la majorité des Icare dans son genre : atteindre – fut-ce de biais – l’astre solaire, sans récolter les honneurs que mérite tel exploit. H ow S tr ange It S e ems d e B r e n t Ca s h L a b e l : M a r i n a Re c o r d s S o r t i e : d éj à d i s p o n i b l e
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ALBUMS La sélection de la rédaction
HAPPY SOUP
POUSSÉE ANGLAISE
d’Antoine Loyer (Les Disques Bien / Abeille) Miniaturiser cette Poussée de sève du nouveau venu Loyer est une gageure qu’on n’osera soutenir. Celle-ci semble avoir déjà cent ans d’âge, comme l’art cubiste dont le Parisien s’inspire au propre (car il peint) et au figuré, mettant sens dessus dessous et sur le même plan (deux ou trois minutes musicales) les profondeurs et l’invisible d’une langue et d’une chanson (française) : Areski-Fontaine aux temps des tablas, Dominique A oiseau courageux, Dick Annegarn en déconstructeur. Cette chanson-là est pourtant neuve invention, caractère destructeur qui fait de la place. Une infanterie d’avant-garde à lui tout seul. _W.P.
de Baxter Dury (EMI) Troisième – joli – album du fils de Ian Dury, Happy Soup est sex (histoires de coucheries désabusées), drugs (psychédélisme en bandes inversées et guitares bouclées) et pas vraiment rock’n’roll (plutôt pop mid-tempo en chœurs défaillants et handclaps). Les histoires d’amour finissent mal en général, mais Baxter Dury narre et conte plus qu’il ne chante ces romances de quadras pathétiques, en sorry entertainer à l’accent cockney comme une lucide distance. Ces portraits tendres et cruels font un oxymore sentimental de cette « soupe joyeuse », où la voix claire de Madelaine Hart adoucit la grimace. Tasty. _W.P.
MIRROR TRAFFIC
de Stephen Malkmus and The Jicks (Domino / PIAS) Beck, producteur aux doigts d’or. Après Thurston Moore en solo, il se met au service du leader de Pavement pour un cinquième album de quinze « almost popsongs », toujours trop tordues pour être des hits (ruptures de rythmes, changements de tons, variations de genres), toujours assez mémorables pour devenir des classiques indie-rock. Comme d’hab, les guitares électriques surlignent le chant vacillant de Malkmus, en notes sympathiques et harmoniques, faisant du guitar hero une voix armée d’un médiator. Les Jicks balancent dévoués et discrets, Beck coud le patchwork, enlève les épines, polisse le bois, lisse le miroir. _W.P.
IT’S ALL TRUE
de Junior Boys (Domino / Pias) Ce quatrième album du duo electro basé en Ontario semble achever l’agenda d’une intelligent pop qui marierait les slaps d’Art of Noise, les riffs de Duran Duran, les mélodies de Japan et la techno berlinoise sur des couplets bavards et sentimentaux, susurrés hauts dans les échos. Ajoutez-y une syncope R’n’B, des harpes chinoises et des références à moitié sérieuses à Orson Welles et Howard Hugues, et voilà un album moins nostalgique que synthétique (dans tous les sens du terme), qui revendique sa haute ambition et sa parfaite modernité. Que celle-ci flirte avec le mauvais goût FM ne manque pas de sel. _W.P.
THE RIP TIDE
LA LIBERACIÓN
de CSS (Cooperative Music) Toujours pas fatiguées d’être sexy, les CSS rempilent pour La Liberación, un troisième album plein à craquer de tubes hédonistes. La new wave foldingue et fluo des filles de São Paulo s’acoquine ici avec, en vrac, le punk, le rap et le reggae, dans un mélange sonore pop et accrocheur. Sautillant de l’anglais au portugais ou à l’espagnol telle une gamine jouant à la marelle, la chanteuse Lovefoxxx minaude comme une diablesse, prête à tout pour draguer votre popotin. Le quintet est épaulé par deux pointures en la matière : le duo electro Ratatat et Bobby Gillespie (Primal Scream), en featuring. _E.V.
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de Beirut (Pompeii Records) Le barde de Santa Fe signe un troisième album dans lequel on retrouve tout ce qui fait le son de Beirut : cuivres nostalgiques, accordéons entraînants, cordes frottées, chœurs allègres, mêlant le Mexique, l’Amérique et les Balkans dans un folk sans âge. Mais avec quelque chose de neuf cette fois, qui rend sa musique plus personnelle, plus limpide. Zach Condon a seulement 25 ans, mais il chante comme un vieux sage, portant un regard mélancolique et vivifiant sur le monde. Les huit superbes morceaux de The Rip Tide, enregistrés pendant un hiver new-yorkais, forment un carrousel enivrant et romantique, qui réchauffe le cœur et l’âme. _E.V.
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© Blutch & éditions Dargaud 2011
BDTHÈQUE Le cinéma et son double Après trois années d’absence, le retour de BLUTCH, lauréat du Festival d’Angoulême 2009, sonne comme une nouvelle profession de foi, qui prend pour sujet un art (le cinéma) et finit implicitement par en évoquer un autre (la BD). À découvrir à la rentrée, en librairies et au MK2 Quai de Loire, à la faveur d’un Ciné-BD idoine. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)
Pour en finir avec le cinéma arrive au moment où d’autres auteurs de bande dessinée semblent avoir déserté le genre pour migrer progressivement vers les salles obscures. On pense à Marjane Satrapi, Joann Sfar, Pascal Rabaté, Riad Sattouf… des auteurs qui sont, plus ou moins, de la même génération que Blutch. S’il a tâté du cinéma, en participant il y a quatre ans au projet collectif Peur(s) du noir ou en faisant l’acteur pour un film de Winshluss, ces petits essais ne mettaient pas vraiment en jeu sa position d’auteur de bande dessinée. De fait, son livre sonne comme une mise au point, dès son titre qui fait écho au grand texte radiophonique d’Antonin Artaud, Pour en finir avec le jugement de Dieu. Quoi de commun entre Artaud et Blutch ? Sans doute leur style, mélange de brutalité extrême et de raffinement inégalé, charriant en lui une 92
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violence sourde et une envie de capter le réel, de capter ce qui fait, au fond, la véracité grotesque du monde. Ici, Blutch dessine mieux que jamais, se mettant lui-même en scène, invectivant ses souvenirs de cinéma, dessinant des visages et des corps qui lui importent : Burt Lancaster, Michel Piccoli… Et il le fait comme pour mieux s’interroger lui-même sur sa position d’auteur et de spectateur hanté par certaines images. Son livre se lit comme un condensé de souvenirs issus d’un écran et venus là se mêler au réel. Tout porte vers ce mélange entre fiction et réalité, pointant ce moment étrange durant lequel les figures de fiction (et donc ici du cinéma) deviennent des êtres de notre monde. Au-delà de la vénération qu’il a pour certains acteurs, Blutch poursuit le travail entamé dans son Petit Christian, qui consistait à remettre en scène ses souvenirs d’enfance pour constituer un journal autobiographique flirtant avec l’humour et la fiction. Pour en finir avec le cinéma part du même principe, mais s’attelle à représenter l’auteur vieillissant et déconstruisant ses souvenirs et les images qui lui restent en tête. Plus encore qu’un anti-Petit Christian, c’est aussi l’antithèse véritable de la bande dessinée autobiographique, à laquelle il met un point final, en signalant qu’au fond, ce n’est pas la vie anecdotique de l’auteur qui importe, mais les strates décousues qui constituent sa psyché, sa mémoire, sa folie larvée. ◆ P our en fini r ave c le c i néma d e B l u tc h Éd i t e u r : D a r g a u d S o r t i e : 9 s e p t e m b r e À l’o c c a s i o n d u p r o c h a i n C i n é - B D, l e 6 s e p t e m b r e à 20h, Dargaud et le MK2 Quai de Loire donnent c a r t e b l a n c h e à B l u tc h , q u i p r é s e n t e r a l e f i l m L e Flic se r ebif fe d e B u r t L a n c a s t e r (19 74), e t d é d i c a c e r a P our en fi nir ave c le c i néma .
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bandes dessinées La sélection de la rédaction _Par Jo.Gh.
Le Perroquet des Batignolles tome 1 : L’énigmatique Monsieur Schmutz de Boujut, Tardi et Stanislas (Dargaud) Premier tome d’une série adaptant l’excellent feuilleton radiophonique écrit par Jacques Tardi et Michel Boujut pour France Inter à la fin des années 1990, ce Perroquet des Batignolles est assurément l’une des belles surprises de l’année. Narrant au présent l’enquête (menée par Oscar Moulinet, preneur de son de Radio France) digne d’un polar fifties, avec pointes d’humour et suspense à l’ancienne, l’album sait rester extrêmement moderne et très prenant. Sorte de variation moderne sur l’univers de Tardi, on y retrouve son sens aiguisé du détail, mais avec une touche plus pop, habilement servie par Stanislas, en grande forme graphique.
Debout l’humanité !
d’Osamu Tezuka (Editions FLBLB) Récit datant de la fin des années 1960, Debout l’humanité ! fait partie des histoires crépusculaires d’Osamu Tezuka (le créateur, entre autres, du célèbre Astoboy), dont l’œuvre a bifurqué dans les sixties vers un assombrissement progressif marqué par des thématiques complexes, des personnages troubles et un pessimisme affirmé. À travers un récit de S.F. évoquant Philip K. Dick ou Norman Spinrad, Tezuka explore l’idée d’une humanité qui, en cherchant à se renouveler – et à s’améliorer – finit par imploser. La science impossible sans conscience ? Autant d’idées qu’il avait déjà mises en scène pour sa série Astro Boy, mais qui prennent ici une dimension lugubre inédite. On en rit, mais souvent jaune.
Kub
d’Atak (Frémok) Disséqué en une poignée de pages aux couleurs passées, une brocante chic et loufoque prend des airs de cabinet de curiosités. Gravitant autour de Kub, la douce jeune fille qui tient la boutique, ce petit ouvrage distille une étrange impression de mystère. Après une première parution sous la forme d’un recueil imprimé en sérigraphie, cette nouvelle édition, plus proche du livre de poche, permet de mesurer la force graphique d’Atak, auteur underground né à Berlin Est. Artiste, illustrateur et affichiste, on pourrait rapprocher son travail de celui du Français Blexbolex, avec un rendu toutefois moins géométrique et plus organique.
Pluto tome 8 de Naoki Urasawa (Kana)
On n’invente rien : Pluto est l’une des meilleures séries qu’il nous ait jamais été donné de lire, que ce soit en manga ou ailleurs. Et cela parce que son idée de départ est fameuse : inventer une variation (post-) moderne sur un épisode classique de la série Astroboy d’Osamu Tezuka. Sur cette géniale idée de départ, Naoki Urasawa construit un récit de S.F. tourmenté, habité par des préoccupations des années 2000, où l’on croise aussi bien la figure de Saddam Hussein que des questions écologiques ou des visions apocalyptiques teintées de romantisme fou. Les grands maîtres du genre, de Kubrick, à Spielberg, en passant par George Lucas et Norman Spinrad, n’auraient guère fait mieux…
La Lecture des ruines de David B. (Dargaud)
Réédition, dix ans plus tard, d’un livre peu connu de David B., cette Lecture des ruines est désormais disponible dans un petit format à couverture souple rappelant étrangement celui des livres de l’Association (maison d’édition indépendante dont l’auteur a été l’un des sept membres fondateurs). On retrouve à l’intérieur quelquesunes de ses plus belles obsessions : la mise en dessins des rêves, la mise en scène des récits de guerre et des personnages loufoques perdus au milieu de conflits complétement absurdes. La résurrection de cet hommage indirect aux récits de Tardi est une idée bienvenue.
Le Chant de la machine
de David Blot et Mathias Cousin (Manolo Sanctis) Initialement paru en deux volumes (désormais regroupés en un seul grâce aux éditions Manolo Sanctis), Le Chant de la machine fait partie de ces œuvres inclassables, météorites éclatantes, dont la place est à la fois nulle part et partout. Ses auteurs n’ont pas fait d’autres bandes dessinées – l’un d’eux, le dessinateur Mathias Cousin, s’est suicidé peu après la fin du récit – et leur livre peut aussi bien se classer dans les BD underground, pas loin de Crumb ou de Burns, que parmi les livres sur la musique. S’attachant à compiler et raconter 30 ans d’histoire de la techno, il trace aussi, en filigrane, celle de ses auteurs : des jeunes gens qui ont grandi et vieilli avec la musique dont ils s’emparent ici.
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BIBLIOTHÈQUE
« La beauté n’est pas faite pour avoir un sens ; elle existe, un point c’est tout. »
© Naomi Harris
madame Arnoux combien « la vue de son pied le trouble » ? Victor Hugo célèbre de son côté le « petit pied andalou » d’Esmeralda, tandis que Pouchkine évoque plaisamment « les petons de Terpsichore » dans Eugène Onéguine…
TRON COMMUN En racontant les aventures d’un fétichiste des pieds féminins, le romancier britannique GEOFF NICHOLSON nous rappelle que la séduction chausse parfois du 38. _Par Bernard Quiriny
Les récents déboires judiciaires d’un ex-secrétaire d’État adepte de la réflexologie ont ramené sur le devant de la scène une passion depuis longtemps bien connue des encyclopédies de la bizarrerie amoureuse : le fétichisme du pied féminin, obsession plus répandue qu’il n’y paraît et abondamment représentée en littérature. L’éminent Bernard Cohen, qui rêvait depuis des années de traduire ce roman de Geoff Nicholson, ne rappelle-t-il pas dans sa postface que Flaubert a fait s’étouffer les bigots avec sa description de la cheville à chaînette d’or de Salammbô, ou que le héros de L’Éducation sentimentale avoue à
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Vice, perversion, corruption du goût ? Pas du tout, rétorque le narrateur du Fétichiste : « La beauté n’est pas faite pour avoir un sens ; elle existe, un point c’est tout. Elle n’a pas de dimension morale, on ne doit pas attendre de conséquences d’elle. Sauf que, dans mon cas, elle a certaines conséquences : quand je vois une belle paire de pieds, j’ai envie d’agir d’une façon particulière. » Véritable passionné, notre héros v it par et pour les pieds de ces dames, avec un soin et un amour de la perfection qui forcent le respect. Vivier, Ferragamo, Louboutin, Jimmy Choo… les grands chausseurs n’ont aucun secret pour lui, qui collectionne compulsivement films, livres et photos sur le sujet et rêve de trouver un jour la femme aux pieds parfaits. C’est ainsi qu’il rencontre Catherine, jolie femme dotée des pinceaux les plus somptueux qu’il ait jamais vus. Une relation torride commence, pimentée par l’intervention d’un bottier londonien de génie, qui crée pour elle des modèles toujours plus excitants. Jusqu’à ce que la passion aille trop loin et que notre podophile se retrouve avec un cadavre sur les bras… On sent vite que l’intrigue policière flemmarde est plus un prétexte qu’autre chose pour Geoff Nicholson. Elle n’apparaît d’ailleurs qu’aux deux tiers du livre, après un copieux développement du véritable sujet du livre : la monomanie sexuelle, la variété des goûts et l’idée qu’il y a toujours plus fétichiste que soi. En résulte une comédie savoureuse et sexy, savamment documentée et, ce qui ne gâte rien, dotée d’une chute joliment amenée. Sur les plages de l’été, certains regards masculins pourraient viser plus bas qu’à l’ordinaire. ◆ Le Fétic histe d e G e o f f N i c h o l s o n Éd i t e u r : Ro b e r t L a f fo n t G e n r e : r o m a n S o r t i e : d i s p o n i b l e
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LIVRES La sélection de la rédaction
Géographies, Entretiens avec Charles de Meaux
de Philippe Azoury (Manuella Éditions) Artiste contemporain, producteur et cinéaste, Charles de Meaux revient avec le critique Philippe Azoury sur sa géographie : la « maison » Anna Sanders qui lui permet de produire notamment les films d’Apichatpong Weerasethakul, les terres oubliées d’Asie centrale (décors du Pont du trieur et de Shimkent Hotel, ses deux premiers films), les repères nécessaires (Antonioni, Sonic Youth…) et les escales récentes (Macao, décor de son troisième long, Stretch). Attentif au process à l’origine des films plutôt qu’aux œuvres finies, Charles de Meaux poursuit une réflexion passionnante sur ce qu’il reste à découvrir de la planète cinéma. _L.T.
PRÉSENCE
d’Arthur Miller (Robert Laffont, nouvelles) « J’ai l’impression que nous allons danser pour Mr Hitler, ce soir. Mais est-ce qu’ils savent que tu es… » Pas facile de faire un spectacle de claquettes dans un cabaret berlinois où s’installe le führer lorsqu’on est un danseur juif de Budapest. Et encore moins de l’impressionner au point qu’il vous propose de monter une école de claquettes pour favoriser le sport et la discipline chez les Allemands… Une histoire parmi les six de ce recueil inédit, écrites entre 1959 et 1992, qui donnent à lire un Miller plus intime, plus tendre aussi que dans la part la plus célèbre de son œuvre. _B.Q.
MAD MEN, UN ART DE VIVRE de
Nathalie Azoulai (La Martinière)
Élégant livre-album consacré à la série vintage qui fait mouche, Mad Men, un art de vivre comblera les fans de la classe blasée de Don Draper et des frasques de son équipe de publicitaires. Très graphique, l’ouvrage de Nathalie Azoulai propose de prolonger la connaissance des fifties et sixties new-yorkaises par l’exploration ludique des modes vestimentaires, des styles de vie, des grandes questions de société que Mad Men a si bien su remettre au goût du jour. Secrets de création des personnages, recettes scénaristiques, inspirations cinématographiques, tout l’art des mad men en 150 pages. _L.T.
CE GRAND SOLEIL QUI NE MEURT PAS de Bernard Sichère (Grasset, récit)
Après Olivier Rolin (Tigre en papier), c’est le philosophe Bernard Sichère qui revient sur son engagement gauchiste dans les années 1970, au sein du groupuscule d’Alain Badiou. Avec justesse et lucidité, sans le narcissisme complaisant de certains « ex », il restitue l’ambiance de cette époque à la fois si proche et si datée. Les développements étonnants sur le fonctionnement interne du groupe (intrusion dans la vie privée, proscription de l’humour, mégalomanie du chef…) font de ce beau récit un document instructif pour qui s’intéresse aux milieux maoïstes, ou veut en savoir plus sur le controversé Alain Badiou. _B.Q.
Plurivers, Essai sur la fin du monde de Jean-Clet Martin (PUF, essai)
Disciple de Deleuze et Nancy, le philosophe et écrivain Jean-Clet Martin livre dans cet « essai sur la fin du monde » les clés de son concept de « plurivers ». Entendu qu’en ces temps préoccupés par l’apocalypse, c’est moins le monde en soi qui court à sa perte que son unicité, sa vision comme un tout englobant. Synthétiseur brillant, il tisse des fils entre la philosophie et la science, mais aussi la littérature (Borges, K. Dick), la peinture (de Chirico, Escher), le cinéma (Star Wars) ou l’architecture, et propose, dans un style extrêmement élégant, de repenser le monde dans son instabilité intrinsèque, son chaos fondateur, son caractère im/monde. _Ja.Go.
ART ET FÉMINISME
de Helena Reckitt et Peggy Phelan (Phaidon) Cet ouvrage de 200 pages, conçu par deux chercheuses américaines, reflète la diversité de l’art féministe et féminin, des années 1960 à la fin du XXe siècle. Sexualité, intimité du corps, vie domestique et stéréotypes de genre sont ici questionnés par les performances (Yoko Ono, Carolee Schneemann), photos (Sophie Calle, Nan Goldin), peintures ou installations de quelque 150 artistes. Un ouvrage érudit et passionnant, qui donne envie de remettre au goût du jour les slogans choc du collectif anonyme des Guerilla Girls, très actif dans les années 1980 et 1990 : « Les femmes doivent-elles être nues pour entrer au Metropolitan Museum ? » _J.R.
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© Sony
ludoTHÈQUE
ÉCLAIR AUX PRUNEAUX Faisant suite à l’électrique Infamous, ce second volet branché sur courant alternatif sort des villes battues avec une visite inédite de La NouvelleOrléans post-Katrina. Un éclair de génie qui rafraîchit le genre. _Par Étienne Rouillon
Portes ouvertes. Les jeux de type « vadrouille » (où le joueur peut se promener à sa guise dans un environnement vaste, le plus souvent urbain) mobilisent depuis des années le patrimoine bâti aux quatre coins du monde. Le hic, c’est qu’à part quelques entorses exotiques (Mercenaries) ou rurales (Red Dead Redemption), le genre
3 JEUX VIDÉO DUKE NUKEM FOREVER
(2K Games, sur PC, PS3 et X360) Il aura fallu près de quinze ans pour revoir le héros le plus couillu du panthéon du jeu vidéo. Las, si le titre, qui n’a rien perdu de sa gouaille potache, comblera les fans d’antan, ses lourdes lacunes techniques plomberont le plaisir des nouveaux venus.
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se contente de battre le pavé restreint de trois villes : Londres, Los Angeles et bien sûr New York. Cette dernière, rebaptisée Empire City, est la ville de Cole MacGrath, frappé par la foudre en 2009. Le coursier à pédales s’en est relevé doté de pouvoirs électriques (à mi-chemin entre Highlander et Jean-Michel Jarre). Mais la banalité du lieu convoqué collait mal au charisme de l’homme-taser. Par le truchement d’un rebondissement narratif éclairé, Infamous 2 déplace heureusement les protagonistes dans la francophile et visqueuse New Marais, transcription assumée de l’inédite Nouvelle-Orléans. Après avoir infusé le cinéma (Bad Lieutenant de Werner Herzog) et la télé (la série Treme), les stigmates laissés par l’ouragan Katrina forment la trame de fond d’une superbe aventure qui prend parfois l’allure d’une ode à la révolte contre les bondieuseries obscurantistes du mouvement Tea Party. ◆ Infamous 2 Genre : Action Éditeur : Sony Plateforme : PS3 Sortie : disponible
_Par E.R.
SIMS GÉNÉRATION
(Electronic Arts, sur PC et MAC) La simulation de vie pavillonnaire se recentre sur l’embryon familial dans cette nouvelle extension, qui a pour but de rendre plus saillantes les différences générationnelles. Des batailles de bac à sable aux joutes à coup de canne du troisième âge…
TALES OF MONKEY ISLAND (Telltale Games, sur iPad 2)
Après une réédition du titre historique sur PC (lire Trois Couleurs n°92), les aventures du pirate ubuesque débarquent sur iPad. Attention : il vous faudra pour en profiter une machine de dernière génération – et une bonne connaissance de l’anglais (sous-titres dans les options).
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LE GUIDE
SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS
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© National Gallery of Arts, Ottawa
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
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DU mercredi 20 juillet au mercredi 31 août
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ALL THAT JAZZ FESTIVAL Jazz à la Villette, du 31 août au 11 septembre dans plusieurs salles, avec Archie Shepp, Rodolphe Burger, The Ex, ESG, The New JB’s, Meshell Ndegeocello, Mulatu Astatké, Questlove, Macy Gray, Steven Bernstein… www.jazzalavillette.com
« Jazz is not dead, it just smells funny », ironisait Frank Zappa en 1974. C’est la devise adoptée par le festival Jazz à la Villette cette année, pour dix jours de concerts au son d’une musique plus fringante que jamais. Une langue bien vivante. _Par Wilfried Paris
Si le be-bop n’a pas rendez-vous avec le tango, à la Villette d’autres rencontres témoignent de la vitalité d’un genre musical que d’aucuns entendent langue morte et qui pourtant se parle dans tous les idiomes. Dans la tour de Babel de cette nouvelle édition du festival parisien, les vieux dialectes rencontrent sur un plateau d’or d’autres oralités : ainsi Archie Shepp invitant le rappeur Napoleon Maddox, ou le guitariste free James Blood Ulmer conviant la voix cassée de Rodolphe Burger. Le jazz a aussi rendezvous avec le rock, fusionnant les saillies électriques des punks néerlandais The Ex et les cuivres libres du Brass Unbound, ou le post-punk groovy new-yorkais du gang féminin ESG avec la no-wave des Parisiens Poni Hoax. 100
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Du post-punk, on fera un petit pas de danse vers le vrai funk avec les New JB’s (Maceo Parker, Fred Wesley et Pee Wee Ellis), soit LE groupe de James Brown à nouveau réuni sur scène ; ou encore la virtuose Meshell Ndegeocello, sculptant à sa manière la matière groove de Prince. On chaloupera aussi sur le jazz abyssinien de Mulatu Astatké, fleuron des compilations Ethiopiques. Climax dancefloor, la soirée Afro Picks verra le batteur des Roots, Questlove, jouer le répertoire de Fela, Bongi Makeba ou Tony Allen, en compagnie de ce dernier (inventeur du rythme afrobeat) et de la diva soul Macy Gray. Un gros contingent new-yorkais est confirmé, avec la relecture de Sly Stone par le pilier de la Knitting Factory, Steven Bernstein. Il conviera à cette occasion le clavier John Medeski, qui jouera aussi avec son génial trio Medeski, Martin & Wood, « un improbable triangle isocèle entre Jimmy Smith, György Ligeti et l’Art Ensemble of Chicago ». C’est un peu la leçon (ternaire) de Jazz à la Villette : deux termes associés en forment un troisième. 1 + 1 = 3. CQFD. ◆
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James Blood Ulmer (à gauche) et Rodolphe Burger
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Washed Out
L’AGENDA _Par W.P. et V.S.
Respect été d’amour Sous les pavés… la plage. Les soirées Été d’amour sont de retour, non pas sur la péniche Concorde mais au Café barge. Le concept, lui, reste inchangé : entrée libre, electro classy (Gilb’r, Get a Room) et horaires convenant aussi aux « vieux ». Un amour d’apéro. Chaque mercredi de l’été au Café barge, 5 port de la Rapée, dès 18h, entrée libre
Sunny afterwork apéro mix Le Point éphémère a trouvé la parade pour distraire les Parisiens en manque de vacances : des apéros mix sur le quai, avec une brochette de sélectors pointus (Anteros & Thanaton, Brain, Je kiffe mes cops…) pour accompagner le rosé au bord du canal. Jusqu’au 31 août au Point éphémère, de 18h à 21h30, entrée libre
Skateboard culture
Dans le cadre de l’exposition Public Domaine consacrée à la culture skate à la Gaîté lyrique, cette soirée dédiée au son allemand avec Boys Noize et Housemeister (accompagnés du résident Feadz) promet des figures digne d’un skate park, mais sur la piste de danse. Le 22 juillet à la Gaîté lyrique, dès 22h, 22 €
Midi Festival La plage de l’Almanarre, la villa Noailles, une tête d’affiche extasiée (Primal Scream qui rejoue Screamadelica), un line-up les pieds dans l’eau (R. Stevie Moore, Johnny Hawaii, Dirty Beaches, Washed Out…). Que demande le peuple ? Des vacances comme ça. Du 22 au 24 juillet à Hyères, programme et tarifs sur www.midi-festival.com
Washed Out + Star Slinger Après la tournée des plages, Ernest Greene prolonge le trip hypnagogique sur un dancefloor au ralenti. Cerise sur le plateau, le producteur mancunien hip Star Slinger vient chauffer les potards. Brumisateurs de rigueur. Le 7 août au Nouveau casino, dès 19 h30, 17,80 €
Suuns Haletants (un peu Clinic) et électrisants (un peu Liars), avec des basslines electro qui transforment le pogo en dancefloor, les Canadiens Suuns reviennent à Paris après avoir chauffé la pelouse de la dernière Villette Sonique. Le 17 août au Nouveau casino, dès 19 h30, 17,80 €
The Rapture On attend un peu les New-Yorkais au tournant, eux qui ont ravivé le post-punk et mis du groove dans le rock (House of Jealous Lovers) au début du siècle. Nouvel album produit par Philippe Zdar (Cassius), live dans la foulée. Alors, tu danses ? Le 5 septembre à la Maroquinerie, dès 19 h30, 20 €
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SORTIES EN VILLE CONCERTS
La tête et les jambes CL UBBING Living on the Edge of Time de Yuksek Label : Barclay / Universal Sor tie : disponible Le 26 août au festival Rock en Seine, w w w.rockenseine.com
En 2009, YUKSEK offrait une alternative à la french touch 2.0 avec son premier disque, Away From the Sea, fait d’électro efficace et mentale. Il récidive avec Living on the Edge of Time, disque de pop exigeante mais dansante, qui hisse encore un peu plus le niveau. Normal : en turc, yuksek signifie « haut ». _Par Violaine Schütz
Provincial, toujours installé à Reims avec femme et enfant, discret voire timide, Pierre-Alexandre Busson – alias Yuksek – détonne dans le paysage des producteurs electro stars. Le Rémois n’a pas intitulé son deuxième album Living on the Edge of Time pour rien. S’il appartient à l’époque en faisant de la musique avec des machines, il reste aussi un peu en dehors, refusant les lois esthétiques de l’électronique maximale façon french touch 2.0. « J’avais envie de faire un album le plus intemporel possible, en dehors de toute considération d’époque, de mode ou de scène », confie le trentenaire. Celui qui a un temps publié des maxis de trance 102
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et fait ses gammes au conservatoire (section piano) sort un disque qui n’a rien des turbines formatées dancef loor du moment, tout en possédant une formidable force de frappe. Un disque de pop d’une grande musicalité, avec de l’électronique et des clins d’œil à Daft Punk. « Moins dans l’énergie pure, plus dans l’écriture et les mélodies, décrit-il. Il y avait cette volonté dans le premier album, mais la production electro avait peut-être tendance à le masquer un peu. » Autre différence notable : cette fois-ci, Yuksek chante sur presque tous les morceaux. « Les paroles reflètent mon état d’esprit lors de l’écriture du disque, parfois plutôt joyeux comme pour Off the Wall, qui raconte l’histoire d’un type qu’on n’aimerait pas vraiment connaître, même si on en a tous un comme ami. On a Train parle de mon côté un peu taciturne, de l’envie d’être parfois coupé du monde. » Autant de pop songs tubesques pour nourrir tous les états d’âme, bande-son parfaite de la vie des fluokids qui sont devenus adultes et des intellos qui aiment de temps en temps se dégourdir les jambes. ◆
© Tricatel
L’OREILLE DE…
Bertrand Burgalat
Jérémie Elkaïm, acteur et scénariste « Il y a quelqu’un que j’aime beaucoup, en tant que patron de label, musicien ou arrangeur, c’est Bertrand Burgalat – il avait d’ailleurs signé la musique de mon court métrage, Manù, en 2010. Outre la B.O. qu’il composée pour le long métrage Belleville Tokyo d’Élise Girard, je conseille celle de My Little Princess d’Eva Ionesco, aussi signée Burgalat. Il y a chez Bertrand quelque chose qui s’apparente à de la mélancolie ; on retrouve dans ses compositions une grande légèreté mêlée à de la tristesse, à une certaine profondeur. Et puis on reconnaît systématiquement son style, il a une identité qui lui est vraiment propre, un sens de l’envolée lyrique qui ne ressemble à aucun autre. » _Propos recueillis par L.P. La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli // Sor tie le 31 août
© Edwige Hamben
LES NUITS DE…
Emmanuel Forlani, cocréateur de Paris la nuit « Début de soirée avec ma sœur Nina, qui a lancé Paris la nuit avec moi il y a un mois. C’est un agenda des concerts et soirées, où l’on teste les nouveaux endroits. Dernier coup de cœur avec la Candelaria, un bar secret au fond d’un minuscule resto de tacos, le genre d’adresse à distiller avec la plus grande parcimonie ! Je passe mon temps à coller des stickers du site à gauche et à droite, réflexe de ma culture hip-hop. Si je ne vais pas à La Bellevilloise, où j’organise les soirées Free Your Funk chaque mois, je vais boire un verre au bar du Mama Shelter ou au Café Carmen. Il y a aussi de nombreux nouveaux lieux à découvrir, de la Terrasse FL au Café A en passant par le Café barge… L’été sera long, chaud et parisien ! » _Propos recueillis par V.S. www.parislanuit.fr Prochaine Free Your Funk sur www.freeyour funk.com
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© Prakash Rao
SORTIES EN VILLE EXPOS
Devi and The Sink d’Atul Dodiya, 2004 (détail)
BOMBAY BON ŒIL A RT CONTEMPOR AIN Paris-Delhi-Bombay, jusqu’au 19 septembre au Centre Pompidou, w w w.centrepompidou.fr
De la cabine photographique installée par JR s’envolent les portraits d’inconnus, parés du traditionnel bindi indien. Le Centre Pompidou joue des identités pour marier les cultures dans l’exposition Paris-Delhi-Bombay, ouverture circulaire sur l’Inde vue depuis l’Hexagone. Et vice versa. _Par Laura Pertuy
Confrontation osée de mégalopoles a priori peu liées, l’exposition Paris-Delhi-Bombay a choisi le point de vue comme matrice. Un manège, au centre duquel trône une sculpture pop-tradi signée Ravinder Reddy, fait rayonner en guise d’introduction six thématiques, dont la politique, la religion et l’identité. Quand Pierre & Gilles s’agitent autour du bling-bling des studios bollywoodiens, Stéphane Calais trace des végétaux à l’encre de Chine – vite souillés par un ballon noir, en référence à une triste barbarie du XIXe siècle. Flux, échanges et traditions : l’exposition provoque par le franc contraste entre chasteté entravée et rites toujours en vigueur. L’œil devient peu à peu perméable aux mutations de 104
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l’Inde actuelle, transcendée par cette cinquantaine d’artistes qui donnent à voir une société encore marginalisée. Des poèmes évoquent la circularité de l’existence, à l’image du tournoiement qui convoque l’œil et l’ouïe chez Nalini Malani, auteur d’un trio de projections murales à motifs. On se cogne plus tard à une série de miroirs sociétaux fêlés par les mœurs (Bharti Kher), avant d’assister à une projection passionnante sur les hijras, le troisième sexe indien (Kader Attia). Au dernier étage du Centre Pompidou, une installation de Leandro Erlich offre deux fenêtres : l’une donne sur les toits parisiens, l’autre sur les effusions de Delhi. L’emmêlement de ces lignes d’horizon nous fait vite redescendre de nos hauteurs pour parcourir enfin l’installation de Hema Upadhyay, reconstitution verticale d’un bidonville de Bombay dans sa folle densité. Ces regards pluriels (installations, vidéos, photos, peintures, œuvres musicales) et cohérents délestent la pupille de ses images d’Épinal pour la garnir d’une matière vivace et inattendue. De subtiles paillettes. ◆
© Jean-Louis Losi © ADAGP, Paris 2011 & Courtesy Galerie Z¸rcher, Paris & New York
Sans titre de Marc Desgrandschamps, 1993
L’AGENDA _Par L.P. et A.-L.V.
Claude Lévêque Sur une invitation d’agnès b., Claude Lévêque présente son Hymne à la joie à la Galerie des Galeries : une installation immersive dans laquelle le visiteur déambule entre des lits de camps sur lesquels il est invité à s’étendre, bercé par une bande-son hypnotique concoctée par Gerome Nox. Claude Lévêque, jusqu’au 20 août à la Galerie des Galeries, 40 boulevard Haussman, 75009 Paris
Marc Desgrandchamps L’hélice du Bagdad Café se devine sous les surimpressions de ce peintre atypique de la scène française contemporaine. Au gré des coulures et transparences qui le caractérisent, Desgrandchamps réinvente une mythologie fantasque, empreinte de références cinématographiques. Marc Desgrandchamps, jusqu’au 4 septembre au musée d’Ar t moderne de la ville de Paris, www.mam.paris.fr
Charlotte Perriand Artiste à l’inspiration poreuse, Perriand s’intéresse à l’utilité sociale du design. Un engagement citoyen qui transparaît dans ses photomontages, tandis que ses autoportraits la montrent sous un jour plus intime. Très géométrique, son mobilier indique quant à lui une forte proximité avec Le Corbusier, autre figure polyvalente du modernisme. De la photographie au design, jusqu’au 18 septembre au Petit Palais, www.petitpalais.paris.fr
Itinéraire bis Si elle ne fait pas dans l’originalité – une expo d’été sur le thème élargi du voyage –, Itinéraire bis a le mérite de montrer 70 œuvres (de Davide Balula à Robert Doisneau en passant par Raymond Hains et Delphine Coindet) sorties du fonds de la collection du musée d’Art contemporain du Val-de-Marne. Jusqu’au 18 septembre au MAC/ VAL, place de la Libération, 94400 Vitr y-sur-Seine, www.macval.fr
Génération « De l’air »
Si vous ne connaissez pas De l’air, magazine culturel indépendant fondé en 2000 et revendiquant l’éclectisme, cette exposition est l’occasion de découvrir les images des photographes qui ont contribué à son succès et à son ancrage dans le paysage photographique contemporain. Jusqu’au 25 septembre à la Maison européenne de la photographie, www.mep-fr.org
Maya, de l’aube au crépuscule Les édifices mayas se parent aujourd’hui d’une abondante végétation, comme pour préserver les reliques d’une civilisation extrêmement féconde. Cette exposition propose d’escalader des pyramides imaginaires en découvrant stèles, céramiques et éléments funéraires dans un parcours chronologique, de l’apogée au déclin de ce peuple. Jusqu’au 2 octobre au Quai-Branly, www.quaibranly.fr
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© Courtesy National Gallery of Arts, Ottawa
SORTIES EN VILLE EXPOS
Untitled (Flaming Head) de Guy Maddin, 2007
INTO THE WILD PA NOR A M A My Winnipeg, jusqu’au 25 septembre à la Maison rouge, 10 boulevard de la Bastille, 75012 Paris, w w w. lamaisonrouge.org
Winnipeg, cité paumée dans les grandes étendues du Canada, est à l’honneur à la Maison rouge, qui passe au crible son surprenant et dynamique paysage artistique. Rafraîchissant. _Par Anne-Lou Vicente
Comme un contrepoint climatique, la Maison rouge consacre son exposition d’été, première d’un nouveau cycle dédié aux scènes artistiques de grandes métropoles périphériques, à Winnipeg, capitale de la province canadienne du Manitoba connue pour ses hivers rigoureux. Si l’une des personnalités de la ville n’est autre que l’ours Winnipeg, devenu Winnie l’ourson chez Disney, ses habitants ne sont pas tous des plantigrades. Pour preuve, l’exposition My Winnipeg, dont le titre renvoie directement au film éponyme réalisé en 2007 par Guy Maddin, régional de l’étape, nous entraîne de surprise en découverte. Présenté dans son intégralité, le film constitue d’ailleurs une parfaite entrée en matière, contribuant à construire la « légende urbaine » de Winnipeg.
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Plus loin, le plasticien Marcel Dzama, autre acteur majeur de la scène artistique de la ville, détourne le dispositif de prédilection des musées d’histoire naturelle nordaméricains qu’est le diorama – une scène reconstituée à l’échelle, avec personnages et décors. On the Banks of the Red River montre ainsi une étrange scène de chasse dans laquelle la rivière Rouge qui traverse Winnipeg se transforme en torrent de sang. Défendue à travers les œuvres du Indian Group of Seven, la culture des Indiens autochtones est également évoquée dans le diorama de l’artiste Kent Monkman, où est mis en scène son avatar, Miss Chief Eagle Testickle, un personnage d’indien transsexuel qui offre une relecture de l’histoire de la colonisation au Canada. Foisonnante, l’exposition nous fait voyager dans l’histoire, la culture et les paysages de la capitale du Manitoba, dont les clichés, s’ils ne sont pas ici démentis tant les contextes historique et géoclimatique viennent nourrir la création, s’assortissent d’une production artistique aussi singulière que le territoire dont elle provient. ◆
© Cong SA
LE CABINET DE CURIOSITÉS
Extrait de Fable de Venise, publié en 2001
Sur les pas de Corto Maltese Ivre de femmes et de mers gaillardes que le ciel pastel provoque, le dessinateur italien Hugo Pratt a fait cavaler son pinceau sur les traits de Corto Maltese de 1973 à 1995. Le capitaine romantique de la bande dessinée, enfant bohème, malmené pendant la Seconde Guerre mondiale, a rallié des contrées bien souvent parcourues par Pratt lui-même. Une scénographie sobre offre au visiteur la pleine expression des aquarelles, qui caressent des bouches féminines tout autant qu’elles dépeignent la sauvagerie des conflits. Un périple inspiré que nourrit l’immense bibliothèque de Pratt : Stevenson, Joyce, Kipling… Autant d’invocations au voyage par la plume, ici magnifiées par la bulle. _L.P. Le Voyage imaginaire d’Hugo Pratt, jusqu’au 21 août à la Pinacothèque de Paris, 28 place de la Madeleine, 75008 Paris, www.pinacotheque.com
© Xavier Lambours
L’ŒIL DE…
Orson Welles à Paris, le 26 février 1982
Xavier Lambours, photographe « C’était le soir des Césars, en 1982. Je savais qu’Orson Welles, acteur marquant de mes jeunes années cinéphiles, était à Paris pour l’occasion. Près de la salle Pleyel, j’ai observé le parking où étaient garées les camionnettes des télés. Puis, une silhouette encapée est passée non loin de moi. C’était Welles. Je me suis senti tout petit, comme dans Amarcord, quand les pêcheurs voient passer l’immense paquebot. Il est rentré dans sa voiture et j’ai glissé ma main au-dessus de la tête du chauffeur. L’appareil sur pause, j’ai donné un coup de flash avant de lâcher. Welles n’a pas bronché. Il existe un pendant à cette photographie, prise par le paparazzi Pascal Rostain. Il n’a jamais dû la vendre, on m’y voit autant que Welles ! » _Propos recueillis par L.P. Xavier Lambours : XL, jusqu’au 25 septembre à la Maison européenne de la photographie, 5-7 rue de Fourcy, 75004 Paris, www.mep-fr.org
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SORTIES EN VILLE SPECTACLES
SHAKESPEARE IN LIVE T HÉ ÂT R E Beaucoup de bruit pour rien de William Shakespeare Mise en scène : Les 26 0 0 0 couver ts jusqu’au 6 août au Théâtre Silvia-Montfort, dans le cadre du festival Paris quartier d’été, www.lemonfort.fr
_Par Ève Beauvallet
Notre pays leur doit l’indispensable Premier championnat de France de n’ importe quoi en 2003 (lancer de sapin, natation synchronisée sans eau) et Dijon sa première flash mob deux ans plus tard, avec 300 personnes prosternées devant un grille-pain… Largement de quoi réclamer une déclaration d’intérêt général pour les 26 000 couverts, compagnie fondée par Philippe Nicolle et Pascal Rome en Côte-d’Or et qui, depuis les années 1990, offre aux arts de la rue une alternative aux soirées son et lumières de Jouy-en-Josas et au cliché du rasta cracheur de feu. Derrière ce nom de baptême intriguant se cachent les plus sympathiques descendants du théâtre de tréteaux itinérant du XVIIe siècle : soit une troupe de déconneurs multisupport qui
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sait allier sans chichis look Prisunic et humour Canal+ en captant les publics les plus divers, la plupart du temps en extérieur : place de village, passants sur les marchés, etc. Voir jouer les 26 000 en salle close, et à Paris, est donc chose rare. Raison de plus pour en profiter : là où la capitale dégouline de grosses productions stand up avec blagues de winner préformatées, leur esprit canular et pétard mouillé devrait faire du bien. Mais autant être clair : on ne se déplacera pas pour entendre du Shakespeare interprété selon les us et coutume de l’art dramatique, même si la pièce se nomme Beaucoup de bruit pour rien. En revanche, on appréciera le culot avec lequel la compagnie réduit l’auteur classique à « son essence de symbole culturel », et le théâtre à tout ce qui fait sa périphérie (l’horizon d’attente du spectateur, les ratages et mauvais raccords des acteurs, etc.). Un néo-Théâtre populaire en somme, iconoclaste et fédérateur, qui a le bon goût de prendre le rire au sérieux. ◆
© Abdoul Aziz Soumaïla
L’esprit agit-prop sans le moralisme politique. C’est le pari (tenu) de la compagnie des 26 000 COUVERTS, farceurs tout-terrain qui jouent avec Shakespeare comme on lirait une blague Carambar.
© Wouter De Groot
Mireille et Mathieu
L’AGENDA _Par E.B.
Mireille et Mathieu Caution punk du théâtre d’objets, Mireille et Mathieu sont deux Belges passionnés de vide-greniers, où ils dénichent tous les ingrédients de leurs spectacles : Barbies, nains de jardin, baigneurs et autres jouets bousillés pour une Toy Story improbable. Jusqu’au 20 juillet au Festival Paris quar tier d’été, www.quar tierdete.com
Nous n’irons pas à Avignon Le Festival d’Avignon Off, pour les jeunes compagnies, est une sorte de carrefour géant où l’on doit batailler pour retenir l’attention des programmateurs. Un boycott existe : il est organisé chaque année par Gare au théâtre à Vitry-surSeine et c’est une sorte de « contre-teuf » où l’on fabrique du théâtre de façon plus détendue. Jusqu’au 31 juillet à Gare au théâtre, www.gareautheatre.com
L’art du costume à la Comédie-Française et Tragédiennes de l’Opéra (1875-1939) Cet été, deux temples des arts de la scène proposent une entrée côté backstage : la ComédieFrançaise expose ses plus beaux costumes au Centre national du costume de scène et l’Opéra de Paris met à l’affiche bijoux, photos, maquettes et documents relatifs aux grandes tragédiennes. Jusqu’au 31 décembre au CNCS, www.cncs.fr Jusqu’au 25 septembre à l’Opéra de Paris, www.operadeparis.fr
Noche Tango Organisée par les Scènes d’été de la Villette, un des rares spots parisiens de culture estivale, Noche Tango propose un focus sur le tango argentin couplé au concert de Juan Carlos Cáceres, célèbre pour sonder les origines noires de ces rythmes moites. Le 20 août au parc de la Villette, www.villette.com
Agamemnon Entrée au répertoire de la Comédie-Française pour l’Agamemnon de Sénèque, mis en scène par Denis Marleau, artiste québécois notamment distingué pour son usage original des nouvelles technologies. L’occasion, également, d’admirer l’excellente Julie Sicard dans le rôle d’Électre. Jusqu’au 23 juillet à la Comédie-Française, www.comedie-francaise.fr
Brilliant Corners Chorégraphe israélien passionné de musique, Emanuel Gat s’est fait particulièrement remarquer en inventant une version salsa du Sacre du printemps. Aujourd’hui, dans la cour d’honneur des Invalides, il révèle ce que sa danse peut dire de l’esprit jazz. Du 3 au 6 août au Festival Paris quar tier d’été, www.quar tierdete.com
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© JC Carbonne
SORTIES EN VILLE SPECTACLES
Annonciation d'Angelin Preljocaj
LES AILES DU DÉSIR D A NSE Annonciation et Empty Moves (Par ts I & II) d’Angelin Preljocaj du 21 au 24 juillet dans le cadre du festival Paris quar tier d’été, w w w.quar tierdete.com
Les anges ont-ils un sexe ? Difficile de s’en convaincre dans Annonciation, célèbre duo chorégraphié par ANGELIN PRELJOCAJ, qui trouble le dogme de l’Immaculée Conception. _Par Ève Beauvallet
« Sans la religion, l’ érotisme est moins intéressant. » Gardons en tête cette phrase de Luis Buñuel tout en regardant Annonciation, un des plus élégants ballets d’Angelin Preljocaj, et sûrement l’un des duos féminins les plus érotiques de la danse contemporaine. Créée en 1995, objet d’un film tourné par le chorégraphe en personne, la pièce est venue rectifier un manque important de l’histoire de l’art. En effet, le thème de l’annonciation faite à Marie par l’archange Gabriel, très présent dans l’iconographie mondiale et objet de spéculations théologiques diverses, n’avait curieusement jamais été traité par la danse. Un art auquel l’épisode biblique semblait pourtant destiné : la métamorphose du corps féminin par la fécondité, le lien entre chair et spiritualité, l’accouplement à distance, la fusion sans chair… Autant de 110
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moteurs créatifs passionnants pour une discipline chargée d’« incarnation », comme le rappelait Preljocaj lors de la création de ce pas de deux aujourd’hui repris dans le cadre du festival Paris quartier d’été. Si, dans le texte, la Vierge exprime une soumission sereine à l’événement, Angelin Preljocaj a privilégié dans son travail les interprétations accentuant des sentiments de doute et d’inquiétude face à l’annonce de l’archange. Sur scène, entre extase et effroi, révolte et soumission, Marie entame ainsi sa métamorphose biologique en générant un bien troublant tableau. À l’ubiquité et la fulgurance post-organique de l’ange répondent la langueur et la désorientation de la Vierge. Aux mouvements angulaires et érectiles de Gabriel, la souplesse et l’ingénuité d’un corps de femme en transformation… Une négociation violente et charnelle, abstraite et mystique, symbole des grandes heures des Ballets Preljocaj, qui sera accompagnée d’Empty Moves, pièce inspirée par une lecture de John Cage faite à Milan en 1977. ◆
© Laurent Friquet
LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ
Lutins pervers Selon la psychanalyse moderne, la figure du lutin, petit monstre rusé né de l’imaginaire moyenâgeux, représente la part maudite de l’homme, celle de l’enfant intérieur. Tout pour plaire à Sophie Perez et Xavier Boussiron, eux-mêmes dotés d’espièglerie volontiers sadique. Sorte de pervers pépères insolents, redevables aux farces rabelaisiennes et à l’euphorie déconstructiviste, les deux metteurs en scène imaginent dans Oncle Gourdin, leur nouvelle création présentée à Avignon, une troupe d’affreux lutins décidés à faire des pièces de théâtre après qu’un des leurs a trouvé la mort. Sur scène, ça s’empoigne sur les options dramaturgiques et ça prend ses distances avec le bon goût, nous prévient-on. _E.V. Oncle Gourdin, mise en scène de Xavier Boussiron et Sophie Perez, jusqu’au 17 juillet au Festival d’Avignon et le 24 juillet au domaine dépar temental de Chamarande, www.essonne.fr
© Antoine Poupel
DIRTY DANCING
String paillettes Pour la première fois, les plus bombesques des créatures s’exportent hors du VIIIe arrondissement de Paris pour présenter le Crazy Horse à Bruxelles en septembre, après Londres et Beyrouth en juin. Il est donc grand temps pour les Parisiens retardataires de pousser la porte de ce cabaret miniature : érotisme pop et acidulé, métamorphoses et trips optiques… N’oublions pas que c’est Philippe Decouflé, auteur de la cérémonie d’ouverture des J.O. d’Albertville en 1993, qui signe depuis trois ans les numéros de la mythique revue de nu. « Un lieu plus bizarre, plus rigolo », avait-il souhaité à son arrivée en tant que directeur artistique. On comprend mieux la commande passée à Philippe Katerine pour la musique de clôture du show… _E.V. Désirs, mise en scène de Philippe Decouflé, tous les jours au Crazy Horse, www.lecrazyhorseparis.com
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© Bruno Verjus
SORTIES EN VILLE RESTOS
EN SUBSTANCES L E CHEF Agapé Substance Adresse : 66 rue Mazarine, 750 06 Paris Tél. : 01 43 29 33 83
Rencontre avec l’insatiable appétit de DAVID TOUTAIN. L’enthousiasme créatif de ce jeune chef, tout juste âgé de 30 ans, se manifeste en partage de produits et d’expériences chez Agapé Substance, à Saint-Germain-des-Prés. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)
À la fin du XVIIIe siècle, une citoyenne belge, Mademoiselle de Genève, fonde au 66 rue Mazarine une crémerie-café-restaurant, La Petite Vache. Près de la Société de géographie, elle devient le rendez-vous des explorateurs et aventuriers du monde entier, qui y retrouvent scientifiques, écrivains et artistes de l’époque. David Toutain incarne aujourd’hui cet appétit du monde rénové. Une irrésistible faim de découvertes, de produits et de rencontres humaines. Pas étonnant, donc, de le retrouver avec Agapé Substance à cette même adresse. Natif de Flers, dans l’Orne, David Toutain a débuté en 1998 comme commis de cuisine à La Bourride. Enseignement classique, où riment rigueur et responsabilité. Apprentissage, derechef, à l’école du feu du triplement étoilé Alain Passard. En moins de neuf 112
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mois et pour deux années, il devient le chef exécutif de L’Arpège. Il partage à Paris la passion des produits avec la rigoureuse Ambroisie de Bernard Pacaud et l’art funabulesque de Pierre Gagnaire. Insatiable, il apprend encore… À l’énergie de New York, goûtée chez Corton, se mêlent l’influence campagnarde et montagnarde de Marc Veyrat et la vision humaniste du basque Andonis Luis Aduriz, chef du Mugaritz. Agapé Substance offre l’expression d’une haute gastronomie, différente. L’espace cuisine, au contact des clients assis de part et d’autre d’une longue sagaie de bois, parle « produits ». Le végétal se célèbre depuis le manche des couteaux en bois de genévrier – le bois des cuisiniers – en passant par le support de menu et bien sûr par l’assiette. Rien n’est prétexte, le légume occupe une place tout aussi importante que viandes et poissons. Agapé Substance propose une cuisine de racines, une façon d’aborder l’épure par la convivialité. Par ces substances, David Toutain cultive au quotidien le jardin de ses souvenirs, pour le plus grand bonheur de nos explorations culinaires. ◆
© DR
LE PALAIS DE…
Marc-André Grondin, comédien
« Ayant découvert le Kagayaki un peu par hasard, je m’y suis rendu pour la première fois sans attentes particulières. Une vraie découverte ! Le menu n’est pas très cher comparé à d’autres restos japonais. Si vous réservez à l’avance, assurez-vous d’être placé à la table du chef, qui cuisinera juste devant vous. Du foie gras aux crevettes, en passant par le délicieux bœuf et les saintjacques, le tout cuit au teppanyaki, ce restaurant réveillera la gourmandise en vous. La sauce d’accompagnement est une vraie tuerie. Un resto qui n’a l’air de rien, mais qui vous donnera envie d’y revenir trois fois par semaine. On a presqu’envie de commander une autre assiette de bœuf comme dessert. » _Propos recueillis par Sarah Kahn Kagayaki, 79 boulevard Beaumarchais, 75003 Paris. Tél. : 01 48 87 61 88. Marc-André Grondin est à l’affiche de Mike de Lars Blumers, actuellement en salles
© Rue des Archives/BCA
la Recette
Les saucisses piquantes façon Affranchis Paulie (Paul Sorvino) est le déplaisant parrain local des Affranchis de Martin Scorsese (1990). Après quelques scènes d’introduction, le film s’ouvre sur une barbecue party. Assis les yeux dans le vague, Paulie mâche un sandwich à la saucisse garni de poivrons et d’oignons. Pour faire de même, mêler un piment, 100 g de pecorino râpé, trois branches de cerfeuil effeuillées, 70 g de graines de fenouil, deux gousses d’ail blanchies et hachées à un kilo de chair à saucisse. Façonner de petites quenelles bien compactes et les cuire sur un feu de braises ou à défaut dans une poêle. Les accompagner d’oignons compotés à l’huile d’olive et de poivrons grillés au feu. Elles farciront avec succès tomates, courgettes ou poivrons. _B.V.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA
© Océan Films
_Par C.G., L.P., E.R., J.R., Lo.Sé et L.T.
Attack the Block de Joe Cornish
20/07 ATTACK THE BLOCK
J’AIME REGARDER LES FILLES
Les producteurs du frappé Shaun of the Dead s’attaquent (au trentième degré) aux rencontres du troisième type avec cette invasion d’extraterrestres qui terrorisent une cité aussi pourrie que les ratiches des gamins chargés de la protéger.
Primo, jeune provincial ambitieux, découvre la bonne société parisienne de l’avant Mitterrand, et par la même occasion l’amour. La souplesse du jeu de Pierre Niney épouse celle de la mise en scène, qui allège la solennité du propos.
M. POPPER ET SES PINGOUINS
THE TROLL HUNTER
Un yuppie bien installé dans sa vie professionnelle mais maladroit dans sa vie familiale reçoit en héritage un pingouin. Petit à petit, les palmipèdes envahissent son appartement et le ramènent à des valeurs simples.
Une caméra tenue à bout de bras tremblants par une bande de jeunes en panique. Évoquant Blair Witch ou le récent Super 8, le procédé est rafraîchi par sa transposition en Norvège, où des étudiants partent à la recherche de trolls.
COLOMBIANA
HAPPY, HAPPY
Tueuse à gage à la poursuite de l’assassin de ses parents, Zoe Saldana, la nymphe bleue d’Avatar, bat des records dans le vengeance movie d’Olivier Megaton, poids lourd du film d’action estival.
Une jeune femme vit avec son mari et son fils dans une maison isolée. Elle ne quitte jamais son optimisme, malgré des circonstances peu favorables (et un mari homo refoulé). L’arrivée d’un couple de voisins met ce sourire à rude épreuve.
d e Jo e C o r n i s h Ave c N i c k Fr o s t , Jo d i e W h i t t a ke r… O c é a n , G r a n d e - B r e t a g n e, 1h 2 8
d e M a r k Wa t e r s Ave c J i m Ca r r ey, Ca r l a G u g i n o… 2 0 t h C e n t u r y Fox , Ét a t s - U n i s , 1h 3 5
d e Fr é d é r i c L o u f Ave c Pi e r r e N i n ey, A u d r ey B a s t i e n . . . B a c, Fr a n c e, 1h 3 2
d’A n d r é Ø v r e d a l Avec Ot to Jesper sen, Glenn Erland Tosterud… U n i ve r s a l , N o r vè g e, 1h 4 3
27/07 d’O l i v i e r M e g a to n Ave c Zo e S a l d a n a , Jo r d i M o l l a… E u r o p a C o r p, Fr a n c e - Ét a t s - U n i s , 1h 4 5
L’ART DE SÉDUIRE
LOURDES
Psychothérapeute neurasthénique, Jean-François est fou amoureux d’une de ses patientes et décide de suivre les conseils de séduction de Julien, charmeur obsessionnel. C’est alors qu’il rencontre une jeune femme fantasque…
En pèlerinage à Lourdes, une jeune paraplégique attend d’être touchée par la grâce. La cinéaste autrichienne de Lovely Rita et Hotel filme avec une belle économie de moyens ce voyage mystique et thérapeutique.
de Guy Mazarguil Ave c M a t h i e u D e my, J u l i e G aye t … Z e l i g , Fr a n c e, 1h 2 4
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d ’A n n e S ew i t s k y Ave c Ag n e s K i t t e l s e n , Jo a c h i m R a f a e l s e n… Happiness, Nor vège, 1h28
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de Jessica Hausner Ave c S y l v i e Te s t u d , L é a S eyd o u x… S o p h i e D u l a c, Fr a n c e, 1h 3 9
ET AUSSI… 20/07
J’aime regarder les filles de Frédéric Louf (lire p. 53) Les Contes de la nuit de Michel Ocelot (lire p. 120) Submarine de Richard Ayoade (lire la critique p. 118) The Murderer de Hong-jin Na (lire la critique p. 121) The Trip de Michael Winterbottom (lire le portrait p. 35) 27/07
© ASC Distribution
Absent de Marco Berger (lire p. 42) Cadavres à la pelle de John Landis (lire p. 70) Cars 2 de Brad Lewis et John Lasseter (lire p. 78) En ville de Valérie Mréjen et Bertrand Schefer (lire p. 53) 03/08
Super 8 de J.J. Abrams (lire p. 16)
Voltiges
03/08 KILLING BONO
UNE VIE TRANQUILLE
La débâcle d’un groupe de rock qui débute en même temps que U2 (et dans le même lycée) et se retrouve condamné à n’être que la copie insipide des maîtres du genre. Ce biopic musical lui rend un hommage proportionné.
Deux jeunes mafieux du sud de l’Italie, en fuite, se planquent chez une connaissance en Allemagne. À mesure que l’on découvre le véritable lien qui unit l’hôte et les jeunes malandrins, la situation se dégrade…
VOLTIGES
VOYEZ COMME ILS DANSENT
Emma rejoint une troupe de voltige équestre pour apprendre à danser à cheval et se lie d’amitié avec Cassandra, danseuse confirmée. Se construit alors une relation étrange, entre domination et séduction.
Le cinéma dramatique de Claude Miller s’exporte au Canada, à bord d’un train qui traverse le pays, pour réunir un triangle amoureux sous le blizzard. À noter, la présence de James Thiérrée, petit-fils de Charlie Chaplin.
LE TAMBOUR
GREEN LANTERN
Dans la Pologne des années 1920, Oskar, trois ans, décide d’arrêter de grandir pour ne pas avoir à vivre dans le monde cruel des adultes. Palme d’or à Cannes en 1979, Le Tambour marque la reconnaissance du cinéaste Volker Schlöndorff.
La main droite d’un pilote se retrouve sertie d’une bague extraterrestre qui lui permet de matérialiser n’importe quel objet lui passant par la tête. Manque de pot, le bijou est la pierre angulaire d’une guerre interstellaire qui menace la Terre.
L’ARTISTE
NEKO DERNIÈRE DE LA LIGNÉE
Employé dans un service de gériatrie, Jorge Ramirez expose en parallèle des dessins dans une galerie et devient bientôt un artiste reconnu. Mais il s’avère que l’auteur des œuvres est en fait l’un de ses patients, atteint d’autisme…
Dans les années 1960, Neko, jeune nenet (le nom de son peuple), vit en Sibérie avec sa famille et se destine à devenir chamane. Mais le pouvoir soviétique l’envoie dans un internat, reniant par la même occasion l’identité de son peuple.
de Nick Hamm Ave c B e n B a r n e s , Pe t e Po s t l e t hwa i t e… P y r a m i d e, G r a n d e - B r e t a g n e, 1h 5 4
d e Li s a A s c h a n Ave c Kev i n Ca i c e d o Ve g a , S i g m u n d H ov i n d… A S C, S u è d e, 1h 2 4
de Claudio Cupellini Ave c To n i S e r v i l l o, M a r c o D’A m o r e… B e l l i s s i m a , I t a l i e, 1h 4 5
de Claude Miller Ave c M a r i n a H a n d s , J a m e s T h i é r r é e… W i l d B u n c h , Fr a n c e - Ca n a d a , 1h 3 0
10/08 d e Vo l ke r S c h l ö n d o r f f Ave c D av i d B e n n e n t , M a r i o Ad o r f… Ta m a s a , Po l o g n e -A l l e m a g n e, 2 h 2 2
d e M a r i a n o C o h n , G a s to n D u p r a t Ave c A l b e r to L a i s e c a , S e r g i o Pa n g a r o… B o d e g a , I t a l i e -A r g e n t i n e, 1h 3 0
d e M a r t i n Ca m p b e l l Ave c R ya n Rey n o l d s , B l a ke Li ve l y… Wa r n e r B r o s . , Ét a t s - U n i s , 1h 5 4
d ’A n a s t a s i a L a p s u i , M a r k k u L e h m u s k a l l i o Avec Aleksandra Okotetto, Radik Anaguritsi… B a b a Ya g a , Fi n l a n d e, 1h 2 3
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA
(suite)
© 2010 Warner Bros. Entertainment Inc. TM & © DC Comics
_Par C.G., L.P., E.R., J.R., Lo.Sé et L.T.
Green Lantern de Martin Campbell
17/08 CAPTAIN AMERICA : FIRST AVENGER
COMMENT TUER SON BOSS ?
Dans le maelström des adaptations de comics, c’est au tour du père fondateur des super-héros Marvel de coller des raclées. Verve antinazie à la Indiana Jones et couleurs de l’Oncle Sam, ce Captain America prend du galon.
Exit la grève. La seule manière d’arrondir les angles avec un patron affreux, c’est de l’assassiner. C’est ainsi que trois employés (Kevin Spacey, Colin Farrell et Jennifer Aniston) élaborent la disparition de leurs supérieurs.
CONAN
ZOOKEEPER
Pecs saillants et pépées peu vêtues sont les mamelles nourricières de ce remake du film qui porta Schwarzenegger aux nues. Plus fidèle aux textes de Robert E. Howard publiés en 1932, le barbare quasi centenaire garde toute sa vigueur.
Que font les animaux d’un zoo lorsque leur gardien décide de démissionner ? Ils lui parlent, et le font tourner en bourrique. Comédie familiale et estivale, Zookeeper amusera peut-être les fans de Docteur Dolittle et Ace Ventura.
COWBOYS & ENVAHISSEURS
TU SERAS MON FILS
Le réalisateur des Iron Man colle des éperons de garçons vachers à Han Solo et James Bond et leur fait affronter une bande d’extraterrestres bien décidés à commencer leur invasion terrienne dans le Far West du XIXe siècle.
Vigneron récalcitrant d’un domaine de saint-émilion, un père castrateur refuse de céder les rênes à son fils. Niels Arestrup revient en figure tutélaire écrasante dans ce drame viticole sur une filiation douloureuse.
THIS MUST BE THE PLACE
UN JOUR
Une ex-rock star décatie (Sean Penn ébouriffé à souhait) se lance sur les traces d’un criminel nazi. Incursion réussie en terre américaine pour Paolo Sorrentino (Il Divo), en compétition au dernier Festival de Cannes.
La Danoise Lone Scherfig, réalisatrice d’Une éducation, interroge une amitié amoureuse durant deux décennies. Les deux amis-amants mènent leurs vies séparément, mais sans jamais pouvoir se passer vraiment l’un de l’autre.
d e Jo e Jo h n s to n Ave c C h r i s Eva n s , H u g o We av i n g… Pa r a m o u n t , Ét a t s - U n i s , 2 h 0 3
de Marcus Nispel Ave c J a s o n M o m oa , Ro n Pe r l m a n… M e t r o p o l i t a n , Ét a t s - U n i s
de Seth Gordon Ave c J e n n i f e r A n i s to n , J a s o n B a t e m a n… Wa r n e r B r o s , Ét a t s - U n i s , 1h 4 0
d e Fr a n k C o r a c i Ave c Kev i n J a m e s , Ro s a r i o D aw s o n… S o ny, Ét a t s - U n i s , 1h 3 9
24/08 d e Jo n Fav r e a u Ave c D a n i e l C r a i g , H a r r i s o n Fo r d… Pa r a m o u n t , Ét a t s - U n i s
d e Pa o l o S o r r e n t i n o Ave c S e a n Pe n n , Fr a n c e s M c Do r m a n d… A R P, I t a l i e - Fr a n c e - I r l a n d e, 1h 5 8
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de Gilles Legrand Ave c N i e l s A r e s t r u p, L o r a n t D e u t s c h… U n i ve r s a l , Fr a n c e, 1h 4 2
de Lone Scher fig Ave c A n n e H a t h away, J i m S t u r g e s s… S N D, Ét a t s - U n i s , 1h 4 8
31/08 BLACKTHORN
de Mateo Gil Ave c S a m S h e p a r d , N i ko l a j C o s t e r-Wa l d a u… B a c, E s p a g n e, 1h 3 2
Inspiré par les doutes autour de la mort de Butch Cassidy, Mateo Gil fantasme le malfrat en sexagénaire nostalgique (impressionnant Sam Shepard) rattrapé par son passé dans ce beau western, classique et maîtrisé.
CAVE OF FORGOTTEN DREAMS
d e We r n e r H e r zo g Documentaire M e t r o p o l i t a n , Fr a n c e - Ét a t s - U n i s Ca n a d a - Roya u m e - U n i -A l l e m a g n e, 1h 3 0
Herzog s’aventure dans la grotte de Chauvet pour y filmer en 3D lions et rhinocéros peints il y a trente mille ans, et questionner le gouffre insondable du passé et de sa représentation.
LES WINNERS
d e T h o m a s M c Ca r t hy Ave c Pa u l G i a m a t t i , A my R ya n… 2 0 t h C e n t u r y Fox , Ét a t s - U n i s , 1h 4 6
Tableau doux-amer d’un Américain moyen pris dans la lose banlieusarde, cette comédie indé de Tom McCarthy (The Station Agent) bénéficie surtout de la merveilleuse présence d’Amy Ryan (Holly dans The Office).
R.I.F.
d e Fr a n c k M a n c u s o Ave c Yva n At t a l , Pa s c a l E l b é… S t u d i o Ca n a l , Fr a n c e
Comme Olivier Marchal, Franck Mancuso a officié dans la police avant de passer à l’écriture et la réalisation de polars punchy. Dans R.I.F., un flic (Yvan Attal) suspecté dans la disparition de sa femme tente de savoir ce qui réellement arrivé…
ET AUSSI… 10/08
La Planète des singes : les origines de Rupert Wyatt (lire p. 66)
Mes meilleures amies de Paul Feig (lire p. 28) Melancholia de Lars Von Trier (lire p. 15 et p. 122) 17/08
Impardonnables d’André Téchiné (lire p. 124) La Peau que j’habite de Pedro Almodóvar
(lire p. 26 et 74)
The Future de Miranda July (lire p. 82) 24/08
Les Bien-aimés de Christophe Honoré (lire p. 126) 31/08
La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli (lire p. 52) Neds de Peter Mullan (lire p. 128)
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© Mars Distribution
24/08
17/08
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
TOUCHÉ COULÉ Avec Submarine, son premier long métrage, le Britannique RICHARD AYOADE plonge dans les eaux agitées de l’adolescence et signe une comédie crépusculaire et acidulée sur la dépression. We all live in a blue submarine. _Par Clémentine Gallot et Juliette Reitzer
Avis de tempête : Oliver (Craig Roberts), ado en duffle-coat, pâlichon, intello et mal dégrossi, décide d’en finir avec sa condition de puceau en harponnant la ténébreuse Jordana, une condisciple revêche, qu’il trouve à son goût malgré ses crises d’eczéma. L’abordage sera mené avec précision, mais non sans émerveillement. La jeune fille, très
bien organisée, prend les choses en main : la première pelle sera immortalisée par le flash d’un polaroid, destiné à officialiser l’union auprès des autres lycéens. Balloté entre les problèmes familiaux de Jordana et les ennuis conjugaux de ses parents – l’ancien amant de sa mère, un gourou new-age complètement perché, vient d’emménager dans la maison d’en face –, Oliver fait péniblement l’apprentissage de l’âge adulte : prendre des décisions, s’engager, se révolter ou se soumettre… Adapté du roman de Joe Dunthorne et produit par la société de Ben Stiller, Red Hour Film, Submarine sonde avec indolence le spleen de l’enfant unique, la passivité mélancolique du mâle anglais (le père d’Oliver, océanographe grisâtre plongé dans ses histoires de poissons) et le désespoir des femmes au foyer (géniale Sally Hawkins, ébaubie). La réussite de ce teen movie dépressif tient dans
la distance qu’Aoyade instaure avec son sujet, désamorçant le potentiel tragique de l’histoire pour favoriser une lecture au second degré : voix off teintée d’autodérision, esthétique vieillotte et mordorée, plans subjectifs à travers la lentille d’un kaléidoscope et autres gimmicks visuels directement hérités de l’expérience du cinéaste comme clippeur pour Vampire Weekend ou Super Furry Animals. Et Richard Ayoade de signer une épatante illustration d’un principe bien connu : il faut accepter de toucher le fond pour mieux sortir la tête de l’eau. ◆
© Mars Distribution
SUBMARINE
d e R i c h a r d Ayoa d e Ave c : C r a i g Ro b e r t s , Ya s m i n Pa i g e… D i s t r i b u t i o n : M a r s Fi l m s D u r é e : 1h 47 S o r t i e : 2 0 j u i l l e t
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour une révélation : Craig Roberts a 20 ans, 15 dans le film. Cette nouvelle tête sera visible en 2012 dans Jane Eyre et Red Lights.
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2… Pour la bande originale composée par le musicien Alex Turner, des Arctic Monkeys et The Last Shadow Puppets.
3… Parce que le réalisateur, Richard Ayoade, est bien connu de ses compatriotes pour son rôle de frisé à lunettes dans la série The It Crowd.
SORTIES EN SALLES CINÉMA 20/07 27/07 03/08 10/08 17/08 24/08
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MANU RÊVA En filmant les aventures décentrées d’un jeune homme de Lisbonne qui décide de tout quitter pour vivre une vie de pirate, le premier film de JOÃO NICOLAU prolonge les rêveries d’un certain cinéma portugais, libre dans ses formes et surtout dans sa tête. À l’abordage. _Par Jacky Goldberg
Manuel vit à Lisbonne, où il s’ennuie. Un jour, il lâche tout (appartement, chat, petite amie) et s’engage, équipé seulement d’une malle et d’une mystérieuse barre phosphorescente, sur un navire de pirates, où il va vivre les plus extravagantes aventures. Transfigurer le quotidien en l’infusant de fantastique,
tout en démarquages poétiques et burlesques : on retrouve dans L’Épée et la Rose le programme d’un certain cinéma portugais, qu’on a déjà pu goûter chez Miguel Gomes (La Gueule que tu mérites). Acteur de ce dernier, monteur de João César Monteiro (Va et vient), et réalisateur de courts métrages remarqués (Rapace), João Nicolau s’inscrit dans un paysage balisé, dont il s’évertue précisément à dynamiter les frontières. On a rarement vu geste plus libre que ce premier film où chacune des séquences joue avec le spectateur. Dans ce marabout-de-ficelle, qui évoque certains films de Jacques R i ve t t e (C é l i n e e t Ju l i e vo nt e n bateau) ou de Wes Anderson (La Vie aquatique – en plus arty), tout semble soumis au règne de l’arbitraire, et bien malin celui qui pourra prédire le plan ou la scène qui suivra. Nul autisme pourtant,
même si le dernier tiers de l’histoire aurait mérité un traitement plus resserré ; seulement la volonté de casser les habitudes, d’emprunter des chemins buissonniers. João Nicolau milite pour un cinéma où tout est possible, délivré des mesquineries du réalisme et éloigné des rives de l’opulence (pas d’effets spéciaux onéreux, pas de mouvements de caméra superf lus). Un cinéma de corsaires bravaches qui préfèrent, selon leurs propres mots, « vivre en marge de la société plutôt que dans la jungle de son marché ». Nul besoin de menaces pour qu’on accepte de les suivre au bout du monde. ◆
© Shellac
L’ÉPÉE ET LA ROSE
d e Jo ã o N i c o l a u Avec : Manuel Mesquit a, Luis Lima Barreto… D i s t r i b u t i o n : S h e l l a c D u r é e : 2 h10 S o r t i e : 2 0 j u i l l e t
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’onirisme de la musique originale, composée par München, le groupe dans lequel joue João Nicolau lui-même.
2… Parce qu’ici le fantastique infuse le quotidien, comme un pendant à l’absurdité de nos sociétés contemporaines.
3… Pour la magie qui traverse le voyage du héros. Sur leur bateau, les pirates du film ont le don d’invisibilité et d’ubiquité.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
LE CONTE EST BON LES CONTES DE LA NUIT
d e M i c h e l O c e l ot Avec les voix de : Julien Beramis, Marine Griset… D i s t r i b u t i o n : S t u d i o Ca n a l D u r é e : 1h 2 4 S o r t i e : 2 0 j u i l l e t
Après avoir exploré les images de synthèse dans Azur et Asmar, le créateur de Kirikou, MICHEL OCELOT, continue son voyage au pays du cinéma d’animation et livre, avec Les Contes de la nuit, son premier film en relief. Une technique qui, dans ses mains, prend tout son sens. _Par Donald James
Le nouvel film de Michel Ocelot réunit six histoires, inspirées de contes préexistants ou inventées de toutes pièces, chacune transposée dans des époques ou pays lointains. Grand fabuliste, amoureux de la langue et sculpteur sensuel des corps, le réalisateur se révèle également ici curieux de tout : des habits, de la couleur des
accents, de la végétation. Le résultat est éblouissant de magie et de poésie. On sort des Contes de la nuit enrichi par ces histoires courtes mais généreuses. Bien qu’intégrant les derniers procédés en vogue – la 3D relief –, Ocelot continue de faire ce qu’il fait depuis ses débuts : animer des personnages en ombres chinoises. Au centre de son film se trouve ainsi un petit théâtre dans lequel un technicien conteur, entouré de deux enfants acteurs, élabore les six histoires qu’ils vont mettre en scène. Rarement la présence du relief au cinéma n’a été aussi juste. Ici, la technique fait sens au lieu de servir des effets gadgets : emboîtement des récits, perpétuelle réinvention de l’acte de créer et liberté donnée à l’imaginaire du spectateur. Grand sorcier, formidable conteur, Michel Ocelot conjugue ici théâtre d’ombres et épopée, féérie et intelligence, beauté et éloge de la marginalité. ◆
3 questions à
Michel Ocelot Comment avez-vous abordé le relief ? Ça ne m’intéresse pas d’essayer de faire du faux réel. Le relief, je le conçois comme un jeu qui ajouterait de la dentelle, de la délicatesse. Ce choix se justifie, car vous mettez en scène un théâtre de silhouettes… J’aime bien les boîtes et les coffres au trésor. On ouvre quelque chose et il y a dedans un univers. Avec le relief, c’est un peu comme si vous plongiez dans le secret de notre petit studio. On vous étiquette souvent comme un réalisateur pour enfants. Êtes-vous d’accord ? Quand j’ai choisi de faire de l’animation, je me considérai seulement comme un auteur. Mon premier film porte sur la violence et l’intolérance. On ne l’a montré aux enfants que parce que c’était de l’animation ! Je n’ai jamais fait des films pour les enfants. Mais, puisque je sais que des enfants peuvent voir mes films, je fais attention à ne pas leur faire mal. Je fais des films pour tout le monde et c’est pour ça que les enfants les aiment. Ils n’en ont rien à faire d’être pris pour des bébés, ils besoin d’être intéressés et instruits.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’exigence et l’humanisme d’un réalisateur qui, depuis ses premiers films dans les années 1980, tire ses spectateurs vers le haut.
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2… Pour le travail d’un orfèvre de l’animation, qui taille chaque scène de son film comme un diamant, soignant autant les mouvements que les décors.
3… Pour l’envoûtement profond suscité par ces six courtes fables, colorées, émouvantes et tragiques, à la fois différentes et complémentaires.
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© Le Pacte
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GUERRES DE CORÉE On s’en doutait depuis The Chaser : NA HONG-JIN est bien l’un des plus grands espoirs du cinéma sud-coréen. Ce thriller ambitieux et stylisé situé aux confins de la Chine, de la Russie et de la Corée du Nord le confirme à nouveau. _Par Pamela Pianezza
En 2008, on avait assisté, médusés, aux premiers pas d’un étudiant en cinéma au profil de surdoué. Na Hong-jin avait stupéfié la Croisette avec The Chaser, thriller au scénario bateau – un proxénète se lance sur les traces du kidnappeur de sa fille – mais bigrement efficace. The Murderer, présenté cette année à Cannes dans la section Un certain
regard, confirme tous nos espoirs. À nouveau, le réalisateur sud-coréen met en scène une chasse à l’homme sur les bords de la mer Jaune (le titre original du film), ce petit bout de Pacifique désespéré qui borde les côtes russe, chinoise et coréenne. Gu-nam (Ha Jung-woo, excellent) est un chauffeur de taxi fauché. Pour éponger ses dettes et parce qu’il n’a plus rien à perdre depuis le départ de sa femme, il accepte une mission pour un mafieux local : se rendre clandestinement à Séoul pour y assassiner un inconnu. Gu-nam s’exécute, pour découvrir un cadavre tué par d’autres que lui... Traqué par la police, l’ingénu criminel pourchasse à son tour ses commanditaires – mourir, d’accord, mais pas sans comprendre pourquoi. Les voitures explosent, les têtes tombent et les os craquent dans cette boucherie nihiliste, parfaitement chorégraphiée
mais jamais complaisante. The Murderer transcende d’ailleurs les genres avec maîtrise : polar, film d’action, mélodrame mais également chronique sociale et politique, il lorgne aussi vers le documentaire, dans sa peinture indignée des conditions de vie des migrants. Malgré un scénario si ambitieux qu’il en devient parfois confus, le récit ménage adroitement quelques parcelles de répit, en évoquant la vie sentimentale du héros ou lors de scènes de bravoure époustouflantes (applaudies par la salle à Cannes). Kitano et Tarantino surgissant chez James Gray, soit l’un des meilleurs films vu sur la Croisette cette année. ◆
© Le Pacte
THE MURDERER
d e N a H o n g -j i n Ave c : K i m Yu n -s e ok , H a J u n g -wo o… D i s t r i b u t i o n : L e Pa c t e D u r é e : 2 h 2 0 S o r t i e : 2 0 j u i l l e t
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour découvrir d’intéressantes alternatives à l’usage d’une arme à feu : hache, couteau de cuisine, tournevis, os à moelle…
2… Pour sa course-poursuite d’anthologie dans les rues de Séoul, à faire pâlir d’envie Vin « Fast & Furious » Diesel.
3… Pour le jeu enragé de Kim Yun-seok, si crédible qu’il mériterait d’office le rôle du méchant dans le prochain James Bond.
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© Christian Geisnaes
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Attraction DÉSASTRE Objet terrible du dernier Festival de Cannes, Melancholia fait suite aux errances d’Antichrist et engage une réflexion sur le mal-être féminin confinant à l’abstraction. LARS VON TRIER y explore la dépression d’une jeune mariée cadenassée à ses obligations, tandis qu’une planète menace de percuter la Terre. Noces funestes. _Par Laura Pertuy
Adorateur de la femme en de sombres humeurs, Lars von Trier fait d’une catastrophe « naturelle » la représentation de l’apocalypse qui se joue chez son héroïne. Justine (Kirsten Dunst) se rend à son mariage organisé
par sa sœur (Charlotte Gainsbourg), puis abandonne son époux pour chuter irrémédiablement dans la dépression. Le tout pendant que Melancholia, une planète bleutée, se rapproche dangereusement de la Terre. La fascination créée par cette catastrophe annoncée, sublimée par le Tristan et Isolde de Richard Wagner, s’exprime dans un prologue dense. Le lent déroulé de l’action y détaille d’emblée l’impossibilité de la salvation, la virginale Justine s’avérant entravée par des ronces tenaces. Melancholia rejoue un temps Festen de Thomas Vinterberg, pour mieux fustiger les conventions du mariage, les relations patraques, la vie telle qu’on nous l’apprend. Justine s’en déleste pour devenir une cousine éloignée de l’Ophélie peinte par John Everett Millais, son corps nu éclairé par la menace céleste tandis que les espoirs du mariage se diluent
d a n s le s e au x d ’u n ma ré c a ge . L’incapacité de l’héroïne à s’accommoder du commun, la lutte blême de sa sœur pour échapper au désastre et la lâcheté d’un mari réfugié dans une bourbe animale illustrent tour à tour les différents aspects du renoncement humain. Leur sexualité désincarnée, tout aussi solitaire et irrépressible que dans Antichrist, n’est qu’une libération placebo. À l’approche de la planète Melancholia, la musique se fait plus présente, Tristan et Isolde semblant crier l’enchantement trompeur de l’amour, si vite condamné par la ronce des désillusions. ◆
© Christian Geisnaes
MELANCHOLIA
d e L a r s Vo n Tr i e r Avec : Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg… D i s t r i b u t i o n : L e s f i l m s d u l o s a n g e D u r é e : 2 h10 S o r t i e : 10 a o û t
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’ampleur des seconds rôles, Stellan Skarsgård en tête. Kiefer Sutherland compose, lui, un époux asservi aux possessions terrestres.
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2… Pour le spleen retrouvé de la sybilline Kirsten Dunst, ouverte à la contemplation de vies qui la répugnent, douze ans après Virgin Suicides.
3… Pour la photographie évoluant du naturalisme surexposé aux teintes sombres des amours mornes, en passant par l’éblouissement céleste.
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© Pedro Usabiaga
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
Passages de témoins Impardonnables
d ’A n d r é Té c h i n é Ave c : A n d r é D u s s o l l i e r, Ca r o l e B o u q u e t … D i s t r i b u t i o n : UG C D u r é e : 1h 51 S o r t i e : 17 a o û t
Avec Impardonnables, ANDRÉ TÉCHINÉ transporte à Venise son sens du romanesque, dont les rouages n’ont jamais été aussi nets : face à ce qui résiste au sens, il faut laisser le temps et la distance faire leur œuvre. _Par Auréliano Tonet
Il y a quelques siècles, telle pièce de monnaie – une contrefaçon – ne valait rien ; aujourd’hui, elle est hors de prix. Cette anecdote, contée en bordure de récit par un personnage secondaire du nouveau film d’André Téchiné, semble futile. Elle dit bien, au contraire, toute la valeur d’Impardonnables, fraîchement accueilli au dernier Festival de Cannes, mais
que le travail du temps devrait aider à (nettement) réévaluer. Car ce film de commande, adapté d’un roman de Philippe Djian, est peut-être celui où Téchiné se livre le plus explicitement. Depuis une dizaine d’année, le réalisateur d’Hôtel des Amériques n’a de cesse de filmer une réalité a priori indéchiffrable, condamnant ses personnages à s’élancer dans une quête de sens éperdue et saccadée. Marocain rêvant d’ailleurs (Loin), maladie foudroyant une génération et une communauté (Les Témoins), retour de flamme inespéré (Les Temps qui changent), mythomane appelant au secours (La Fille du RER), le romanesque, chez Téchiné, vise à recoller des « morceaux qui ne se joignent pas », pour paraphraser Truffaut. Le scénario d’Impardonnables est pareillement éclaté : un écrivain
(André Dussollier) s’exile à Venise pour écrire son nouveau roman. Il y trouve l’amour (Carole Bouquet) plutôt que l’inspiration, avant que tout ne s’embrouille : sa fille disparaît, il lance une détective privée à ses trousses, puis demande au fils de la détective de suivre son épouse… Plus que ces filatures gigognes, au fond dérisoires, ce sont les bascôtés de l’intrigue qui tiennent en haleine : la mine défaite de Dussollier, jumelles en mains, le souffle coupé, constatant que « plus rien n’est à sa place » ; Venise filmée comme jamais, en périphérie, de loin ; la statue du Mépris, transplantée parmi les gondoles ; le rythme des saisons, qui scande et éclaire le récit. Voilà, en fin de compte, la leçon d’Impardonnables : c’est dans l’éloignement que se révèle la valeur des êtres et des choses – sans mise à distance, point de salut. ◆
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le regard doux et fraternel que pose André Téchiné sur André Dussollier, dans la droite lignée de ses récentes prestations chez Alain Resnais.
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2… Pour les variations sur le proverbe « je te suis, tu me suis », creusé jusqu’à l’absurde, de filatures boomerangs en vraies-fausses fugues.
3… Pour la manière dont Téchiné a déplacé l’intrigue, située dans le Pays Basque dans le roman, à Venise, filmée depuis une île excentrée.
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© Le Pacte
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
RÉ-GÉNÉRATIONS Les Bien-aimés de Christophe Honoré Avec : Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni… Distribution : le Pacte Durée : 2h15 Sor tie : 24 août
Après Les Chansons d’amour, la nouvelle comédie musicale de CHRISTOPHE HONORÉ, Les Bien-aimés, est une tragédie pleine d’allant, un double portrait de générations citant toujours autant les aînés – davantage Truffaut que Demy, cette fois-ci – mais se refusant au maniérisme. Futur classique. _Par Jacky Goldberg
Qu’est-ce que c’est la maturité ? Pour n’importe quel cinéaste, une aubaine, l’occasion de se voir porté aux nues. Pour Christophe Honoré, c’est plutôt une inquiétude. « Je ne suis pas sûr que la maturité soit une qualité au cinéma. Par goût, je vais plutôt vers des cinéastes immatures. Je me méfie des films adultes, des films
de parents d’élève, qui cherchent à vous expliquer la vie. Alors, quand on me dit que je serais devenu mature avec ce film, je me méfie. » Qu’il soit rassuré : dans sa mue, le réalisateur
« Je me méfie des films adultes, des films de parent d’élève, qui cherchent à vous expliquer la vie. »
peu), tout en manifestant une impressionnante maîtrise. Comme si la sensibilité bordélique d’Homme au bain se glissait dans l’écrin soyeux de Dans Paris. De ce dernier film, Les Biens-aimés reprend le principe des chansons, toujours écrites par son complice Alex Beaupain, avec un peu moins de réussite que la dernière fois mais une cohérence d’ensemble qui en fait l’équivalent, dans la tragédie, du chœur révélant les états d’âme des personnages.
de La Belle Personne n’a rien perdu de sa fougue adolescente, rien lâché de cette célérité un peu inconsciente qui l’a guidé jusqu’ici. Huitième long métrage en dix ans – qui dit mieux ? –, Les Bien-aimés est simplement le plus beau. Pas le plus aisé, ni le plus séducteur (Les Chansons d’amour ou La Belle Personne remplissaient mieux ce rôle), mais celui où Honoré se découvre au maximum, avance sans filet (quitte à trébucher un
De tragédie, précisément, il est ici question. Mais comme toujours chez Honoré, celle-ci se conjugue avec légèreté. Les Bien-aimés fait le portrait de deux femmes, mère et fille, pendant quatre décennies, de l’euphorie sixties aux années SIDA. L’une, Madeleine (Ludivine Sagnier jeune ; puis Catherine Deneuve, impériale, comme toujours), est vendeuse de chaussures et prostituée occasionnelle à Paris, lorsqu’elle tombe amoureuse d’un beau médecin
3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que Christophe Honoré, au sommet de son art, prend des risques et réussit presque tout, avec insolence.
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2… Parce que Chiara Mastroiani n’a jamais été aussi bien filmée, et que le casting dans son ensemble est impeccable.
3… Parce que Catherine Deneuve.
« J’avais envie de jouer avec certains clichés du vaudeville, le côté “ciel, mon mari !”, mais en donnant du poids aux actes. »
Le second mouvement suit davantage les destinées de Véra, la gamine désormais adulte (Chiara Mastroianni, d’une beauté insensée), tiraillée entre deux amours
impossibles (Paul Schneider, formidable acteur américain révélé dans Bright Star, et Louis Garrel, brillant dans un rôle plus mat qu’à l’accoutumée), sans s’interdire de nous redonner des nouvelles de sa girouette de mère, remariée à Michel Delpech (la bonne surprise du casting) mais revoyant son ancien amant (Miloš Forman). C’est lorsqu’il s’accroche aux bottines de Chiara, son actrice fétiche et double féminin (c’est leur quatrième film ensemble), qu’Honoré se montre le plus virtuose et émouvant. À Paris, à Londres, à Montréal et même à Metz, il la filme gracile comme jamais, héroïne de tragédie condamnée par son époque, broyée par ce foutu sentiment d’impuissance qui vient toquer à la porte de l’hôtel, un certain 11 septembre 2001 – acmé du film et de la carrière d’Honoré. Le récit, déjà soutenu, ne cesse de s’accélérer, et la ronde ophulsienne des sentiments, à force de tournoyer, finit fatalement par arracher quelques cœurs. Le nôtre, quant à lui, ne s’en est toujours pas remis. ◆
3 questions à
Christophe Honoré C’est votre film le plus ambitieux, plastiquement et économiquement. Comment l’avez vous conçu ? J’ai écrit le scénario quand je tournais Homme au bain, et j’attendais les financements. Je savais que ce serait dur au tournage : un budget plus important que d’habitude, quatre villes différentes, une reconstitution historique… Esthétiquement, Les Bien-aimés essaie de faire non pas une synthèse de mes précédents films, mais un point. Comment expliquez-vous que vous parveniez à tourner autant, alors que le système de production français est souvent décrit comme lent? On est tous dans un état de fébrilité par rapport à la production, mais je refuse de me plaindre de ça. Je crois que si je tourne tant, c’est parce que j’adapte mes désirs à mes moyens. Je ne sais pas emmerder les producteurs. C’est sans doute mon côté provincial, breton : je suis trop poli. Que préparez-vous aujourd’hui ? Je vais faire une pause dans le cinéma. Là, je travaille sur un projet théâtral autour du Nouveau Roman, et j’aimerais également écrire un autre roman, ce qui me prend, contrairement aux films, beaucoup de temps.
© Le Pacte
tchécoslovaque. Il la ramène au pays, l’épouse, lui fait une enfant, la trompe, les chars russes envahissent Prague, elle s’enfuit avec la petite, se remarie : fin du premier mouvement. Ces deux premières bobines ne sont pas les plus éclatantes, mais elles donnent le ton : théâtralité, ode à la vitesse, romanesque à la Truffaut, sentiment d’urgence. « Plus le cinéma français devient social, s’enfonce dans une vision faussée des “vrais gens”, plus j’ai l’impression qu’il faut interroger le simulacre, se justifie le réalisateur. Nathalie Sarraute disait que “le réalisme est le réel qui échappe aux formes convenues”. Les outils du théâtre me semblent aujourd’hui les plus adaptés à cette recherche. J’avais envie de jouer avec certains clichés du vaudeville, le côté “ciel, mon mari !”, mais en donnant du poids aux actes. »
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© Mars Distribution
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’enfant sauvage NEDS
d e Pe t e r M u l l a n Avec : Conor McCarron, S teven Rober t son… D i s t r i b u t i o n : M a r s D i s t r i b u t i o n D u r é e : 1h 5 8 S o r t i e : 31 a o û t
L’acteur et réalisateur écossais PETER MULLAN revient dans NEDS sur une époque trouble et violente : celle de son adolescence à Glasgow, dans une ville terrorisée par sa jeunesse désœuvrée. Un portrait sombre qui s’affranchit du réalisme social sauce british sans le renier. _Par Laura Tuillier
John McGill, blondinet poupin et premier de la classe, grandit dans un Glasgow désolé au début des années 1970, théâtre d’affrontements entre NEDS, ces non educated delinquants à peine pubères. Discriminé au collège à cause de la réputation de voyou de son grand frère, il décide d’en prendre son
parti et de s’écarter de la voie méritocratique qu’il a d’abord empruntée. « Je me souviens avoir pensé que mon frère était un fardeau à l’école, mais qu’il était utile dans la rue », confie Peter Mullan, qui partage avec son héros une adolescence difficile, sabordée par un père indigne et un flirt poussé avec la violence gratuite. En collant aux dérives intimes de John, Mullan dévie de la reconstitution d’une époque à la déconstruction d’une identité : « Je me souviens que la réalité avait du sens jusqu’à mes quatorze ans et qu’ensuite tout est devenu confus. J’évoluais dans un monde étrange. » La séquence horrifique dans laquelle l’adolescent scotche à ses poignets des lames de couteau annonce la couleur d’un univers chaotique, fantastique, et d’un cinéma finalement visionnaire. « Dans mes films, je cherche la vérité. Pas la réalité, mais la vérité », termine Peter Mullan, iconoclaste engagé et enragé. ◆
3 questions à
Peter Mullan Pourquoi avoir choisi de placer l’action dans l’Écosse des années 1970 ? J’ai écrit NEDS parce que cela me gênait d’entendre des gens de ma génération se plaindre des problèmes de délinquance actuels et se rappeler du passé en le mythifiant. J’ai pensé à faire le film dans le Glasgow d’aujourd’hui, mais cela me paraissait gratuit, presque pornographique. Comment avez-vous travaillé avec Conor McCarron, le jeune acteur qui porte le film ? Je me souviens de cette scène où le père, que j’interprète, est en bas des escaliers et hurle des insultes. Nous devions nous toiser pendant un long moment et je me demandais comment il allait gérer ça. Il n’a pas cligné des yeux, il a soutenu mon regard jusqu’à la fin de la scène. C’est là que j’ai su qu’il serait parfait jusqu’au bout. Vous vous êtes attribué un rôle très difficile, celui du père alcoolique et violent… Le personnage est si fou et loin de ce que je suis. C’était très libérateur comme expérience. J’ai improvisé, il y a des scènes qui me sont venues alors que je jouais.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la reconstitution discrète et pertinente de la guerre des gangs dans le Glasgow ultraviolent des années 1970.
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2… Pour les envolées oniriques de la seconde partie du film, qui l’entraînent hors des sentiers battus du réalisme social.
3… Pour la scène finale au zoo, entre pardon et perdition, visuellement sublime.
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© Les Yeux de l’ouie
LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES
le cycle
Hors les murs
Depuis 2006, l’association Les Yeux de l’ouïe et le MK2 Beaubourg ouvrent une brèche dans la muraille de la prison de la Santé, faisant dialoguer détenus et spectateurs par le biais des films. Ou comment inscrire la prison dans la cité. _Par Louis Séguin
Si les murs (de la prison) n’ont pas d’oreilles, les oreilles (des détenus) ont des yeux. C’est le credo d’Anne Toussaint et de son association Les Yeux de l’ouïe, qui organise et anime un atelier audiovisuel à la maison d’arrêt de la Santé en partenariat avec le MK2 Beaubourg depuis 2006. Bertrand Roger (programmateur des salles MK2) et Anne Toussaint avaient à l’origine conçu le projet autour d’une projection annuelle, mais rapidement la nécessité d’une plus grande régularité s’est imposée, l’atelier de la prison étant ouvert en permanence. Tous les deux mois, donc, un film choisi par les détenus est projeté dans une salle du MK2 Beaubourg, suivi d’un court métrage réalisé dans le cadre de l’atelier et inspiré du long métrage sélectionné. Après la projection, les spectateurs discutent du film et du court métrage, tandis qu’une caméra se charge d’enregistrer la séance pour un retour à l’atelier de la prison. C’est Andalucia d’Alain Gomis qui a été projeté le 7 juillet dernier, offrant une piste de réflexion particulièrement adéquate sur les frontières entre l’intérieur 130
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et l’extérieur, les racines et la liberté de l’individu. Dans ce film, Yacine tente de s’affranchir de l’image que la société lui renvoie, et cette émancipation passe par un perpétuel conflit intérieur. Le court métrage projeté ensuite faisait écho à ce conflit, tel que les membres de l’atelier se l’étaient réapproprié, les séquences conçues par les détenus se mêlant à celles issues de l’atelier extérieur – depuis un an en effet, des volontaires peuvent se livrer au même travail de création que les détenus, permettant un dialogue créatif et une atténuation des frontières. « Nous cherchons à déplacer les regards et les représentations de la prison et des prisonniers pour les inscrire dans la cité, explique Anne Toussaint. Cela permet de parler du cinéma lui-même d’une manière différente, sensible plutôt qu’analytique : comment les films nous travaillent-ils ? » Ouvrons l’œil et tendons l’oreille. Prochaine séance du cycle : le 22 septembre au
MK2 BEAUBOURG
Plus d’infos sur www.mk2.com
© Dario Villa
© Stan Lee - Emmanuel Proust éditions
LE FESTIVAL
Jazz à la Villette dans les MK2
Les MK2 Quai de Seine et Quai de Loire s’associent à l’estival festival Jazz à la Villette (lire l’article p. 100) et proposent, comme chaque année, une programmation liée à cette musique. Lors d’un cycle parrainé par le saxophoniste engagé Archie Shepp et intitulé Blacks in American cinema, les festivaliers pourront voir Jungle Fever, Autant en emporte le vent, Cotton Comes to Harlem (en présence d’Archie Shepp) ou encore Le Chanteur de jazz. Quant aux enfants, ils seront ravis d’apprendre l’existence de Jazz à la Villette for kids, qui les initiera au jazz par le biais de films faits pour eux, à savoir La Princesse et la Grenouille et une sélection de dessins animés swinguants de Tex Avery. _Lo.Sé. Du 31 août au 11 septembre au
MK2 Quai de Seine et Quai de Loire www.mk2.com
Jusqu’au 31 juillet
Exposition Stan Lee / BIBLIOTHÈQUE
Dans l’espace Arludik, à l’occasion des sorties françaises des comics The Traveler, Starborn et Soldier Zero chez Emmanuel Proust Éditions Du 2 juillet au 28 août
Cycle « Une saison 2010-2011 » / QUAI DE LOIRE
Projections en matinée de Faites le mur, Toy Story 3, Benda Bilili, Les Rêves dansants, Dragons, Des Hommes et des Dieux, The Killer Inside Me, Les Femmes du 6 e étage, Moi, moche et méchant, Black Swan, Le Discours d’un roi, Somewhere, The Social Network 3 août à 10h30
Lectures pour les 3-5 ans / QUAI DE LOIRE
Le thème : « Visitons Paris à travers les livres ! » Inscription : 01 44 52 50 70 Mi-août
Cycle « Noir très serré » / HAUTEFEUILLE
L’EXPOSITION
Panorama du polar, avec Fargo, Le Silence des agneaux, Affliction, Fenêtre sur cour, Apportezmoi la tête d’Alfredo Garcia. En partenariat avec Carlotta Films. Du 3 au 18 septembre
© Alexandra Boulat: Association Pierre & Alexandra Boulat
Festival Jazz à la Villette / QUAI DE LOIRE
Programmation de films élaborée par le jazzman Archie Shepp autour du thème « Blacks in American cinema » (lire ci-contre). 6 septembre à 20h
Ciné BD / QUAI DE LOIRE Pierre et Alexandra Boulat
Le noir et blanc s’adjoint à la couleur pour réunir père et fille, photographes du conflit comme illustrateurs du glamour. Installée au MK2 Bibliothèque, avec le soutien de Canon, l’œuvre de Pierre et Alexandra Boulat s’expose en une vingtaine de photos à l’occasion du grand prix de l’association portant leur nom. Ici se croisent deux générations marquées par les guerres et saluées par l’histoire, de la chute de Saddam Hussein, capturée sur pellicule par Alexandra, au premier défilé, en 1962, d’Yves Saint Laurent. Le jeune couturier immortalisé alors par l’objectif de Pierre posera pour Alexandra quarante ans plus tard dans sa maison de haute couture, avant sa dernière collection. Croisade familiale. _L.P.
Soirée spéciale autour de la bande dessinée Pour en finir avec le cinéma de Blutch (Dargaud) et du film Le Flic de rebiffe de Burt Lancaster, choisi et présenté par l’auteur (lire l’article p. 92). Rencontre animée par le journaliste Éric Libiot de L’Express. 7 septembre à 10h30
Lectures pour les 3-5 ans / QUAI DE LOIRE Le thème : « Attention invasion de poux ! » Inscription : 01 44 52 50 70 8 septembre à 19h30
Soirée Zéro de conduite / QUAI DE LOIRE
Balade-lecture sur le bassin de La Villette avec les éditions Attila, autour du naufrage, avec les textes Le Naufrage de la “Méduse” de Corréard et Savigny, La Chose dans les algues de William Hope Hodgson, L’Ophélia, roman d’un naufrage de Marius Ary-Leblond et Papillon de Henri Charrière. Inscription : 01 44 52 50 70
Exposition tout l’été au niveau inférieur du MK2 BIBLIOTHÈQUE
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LOVE SEATS
TROIS SÉPARATIONS Arthur et Émilie, jeune couple frémissant, aiment aller au cinéma en choisissant le film au dernier moment, pour se laisser surprendre. En l’occurrence, l’improvisation ne leur a pas réussi. Et quand le sort parle, on ne lutte pas. _Propos recueillis par la poste du cœur de Trois Couleurs
Envoyez-nous vos histoires de coups de foudre en salles obscures à troiscouleurs@mk2.com, nous publierons les plus enlevées.
© Christophe Achard - Emmanuel Proust
« Émilie et moi étions collègues, dans le milieu du cinéma. On s’est rapproché au travail. Au cours d’une soirée en boîte, on s’est rapproché un peu plus… Mais officiellement, je ne savais pas trop à quoi m’en tenir. Deux jours après ce franc rapprochement, on est allé au MK2 Beaubourg, où l’on a vu Belleville Tokyo d’Élise Girard. L’histoire d’une relation en bout de course, d’une rupture… Mauvais choix. Pourtant, en sortant du cinéma, on parle de notre relation et on convient qu’on est un couple. Joie. On passe un week-end idyl-
lique : balades, glaces, concert. On décide de boucler ces deux jours parfaits par une toile. Elle veut aller voir Une séparation au MK2 Odéon. Tout est dans le titre. Après le film, l’ambiance est nettement moins idyllique et je sens un début d’éloignement. Après deux autres jours un peu tendus, je décide de conjurer le sort : cette fois, c’est moi qui choisis le film. Au MK2 Hautefeuille, il y a justement une comédie romantique, Blue Valentine. Plantage total, on tombe (encore) sur un film de rupture dépressif. C’est la fois de trop. Elle me fait comprendre qu’on devrait en rester là. Je m’incline devant ces signes répétés, et devant le choix d’Émilie. Depuis, je ne vais plus au cinéma sans savoir exactement où je mets les pieds. » ◆
Extrait de la bande dessinée Moi aussi… je t'aime de Christophe Achard (Emmanuel Proust éditions)
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la chronique de dupuy & berberian
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Chers lecteurs de Trois Couleurs, cette page est la vôtre. Avez-vous déjà rencontré au cours de votre vie une personne pour qui vous éprouvez ce qu’on pourrait appeler de la haine ? Avez-vous déjà plus ou moins désiré sa mort ? Pouvezvous décrire cette personne physiquement ? Si tel est le cas, envoyez un e-mail à unaccidentsvp@gmail.com en joignant le maximum d’informations en votre possession. Les dessinateurs Ruppert et Mulot, tout en préservant votre anonymat, tâcheront de faire qu’un accident soit vite arrivé. 134
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