Trois Couleurs #94 – Septembre 2011

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cinéma culture techno septembre 2011 n°94 by

Rentrée littéraire Et aussi… Bertrand Bonello • Abel-GordonRomy • La mort du Minitel • Baxter Dury • Emmanuel Carrère • Kanye West & Jay-Z • The Big Bang Theory

Super Nanni Moretti rhabille le pape www.mk2.com

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SOMMAIRE Éditeur MK2 Multimédia 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Direction artistique Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Secrétaire de rédaction Sophian Fanen Iconographe Juliette Reitzer Stagiaire David Elbaz, Daxia Rojas Ont collaboré à ce numéro Ève Beauvallet, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Bruno Dubois, Julien Dupuy, Sophian Fanen, Yann François, Claude Garcia, Joseph Ghosn, Florian Guignandon, Donald James, Anne de Malleray, Gladys Marivat, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Laura Pertuy, Pamela Pianezza, Jérôme Provençal, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Louis Séguin, Mélanie Uleyn, Bruno Verjus, Éric Vernay, Axel Zeppenfeld Illustrations Almasty, Dupuy & Berberian, Partel Oliva, Ruppert & Mulot Photographie de couverture Nicolas Guérin Publicité Directeur général adjoint MK2 Multimédia Rachid Boukhlifa 01 44 67 68 02 (rachid.boukhlifa@mk2.com) Responsable de clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Responsable de clientèle hors captifs Amélie Leenhardt 01 44 67 30 04 (amelie.leenhardt@mk2.com) Stagiaire Adrien Faucher

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7 … ÉDITO 10 … PREVIEW > Metropolis

13 LES NEWS 13 … CLOSE-UP > Céline Sallette 14 … BE KIND, REWIND > We Need to Talk About Kevin 16 … KLAP ! > Oz the Great and Powerful 18 … VIDÉODROME > The Creators Project 20 … MOTS CROISÉS > Hanni El Khatib 22 … TÉLÉCOMMANDO > La rentrée des séries américaines 24 … ŒIL POUR ŒIL > The Hour vs Mad Men 26 … FAIRE-PART > Raúl Ruiz 28 … PÔLE EMPLOI > Mike Medavoy 30 … ÉTUDE DE CAS > Kanye West et Jay-Z 32 … TOUT-TERRAIN > The Stepkids, Danny McBride, Miossec 34 … AUDI TALENTS AWARDS > Émilie Pitoiset 36 … Arty tech > Cinemetrics 38 … LE NET EN MOINS FLOU > Le testament du Minitel 42 … SEX TAPE > L’Étrange festival

44 DOSSIERS 44 … HABEMUS PAPAM > Entretien avec Nanni Moretti 50 … L’APOLLONIDE > Entretien avec Bertrand Bonello 56 … R ENTRÉE LITTÉRAIRE > Entretien avec Philippe Jaenada, découvertes, vedettes, tendances… 68 … LA FÉE > Entretien avec Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy

75 LE STORE 75 … OUVERTURE > Le téléphone Moshi Moshi 76 … EN VITRINE > The Big Bang Theory 79 … rush hour > Les bottines Marcel Cerdan, la boisson Mountain Dew, la cabine photo Harcourt 80 … KIDS > Les Nanoblocks 82 … VINTAGE > Dennis Hopper 84 … DVD-THÈQUE > Raphaël Enthoven 86 … CD-THÈQUE > Baxter Dury 88 … BIBLIOTHÈQUE > Emmanuel Carrère 90 … BD-THÈQUE > David Blot et Jérémie Royer 92 … LUDOTHÈQUE > From Dust

95 LE GUIDE 96 … SORTIES EN VILLE > We Love Green, Le XVIIIe au goût du jour, Georg Baselitz, La Nuit electro, Clôture de l’amour, Can We Talk About This ?, La Pulperia 110 … SORTIES CINÉ > Au Revoir, Putty Hill, Le Départ, Restless, Attenberg, Le Cochon de Gaza, Un été brûlant, Pure, Portrait d’une enfant déchue 124 … LES ÉVÉNEMENTS MK2 128 … LOVE SEATS 129 … TOUT OU RIEN PAR DUPUY & BERBERIAN 130 … LES PETITS ACCIDENTS SUR COMMANDE  DE RUPPERT & MULOT

NOUVEAU

© 2011 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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ÉDITO En trombe

C

urieuse expression que celle de « rentrée », comme si le retour de vacances s’accompagnait immanquablement d’un retour dans le droit chemin – bercail confortable et routinier duquel nous auraient éloigné d’éphémères tentations estivales. De retour chez soi, on reprendrait la course des habitudes passées, à peine chamboulées par une poignée de bonnes résolutions. Est-ce pour contrarier cette pente casanière que les distributeurs choisissent systématiquement l’automne pour diffuser leurs films les plus fugitifs ? La rentrée 2011 ne manque pas à la règle, cheminant à toute berzingue dans le sens des départs. Il y a d’abord La Fée du trio AbelGordon-Romy, hilarant conte burlesque dont les personnages courent inlassablement vers un bonheur à portée de main – ou plutôt de fée. Également dans les starting-blocks, saluons la ressortie du Départ de Jerzy Skolimowski, réalisé en 1967, où l’intrépide Jean-Pierre Leaud, splendide en garçon coiffeur rêvant de rallyes automobiles, opérait à cent à l’heure la jonction des nouvelles vagues européennes. Huis clos sur la fermeture d’une maison close à la fin du XIXe siècle, L’Apollonide de Bertrand Bonello s’arrache quant à lui de la chronique naturaliste par la grâce d’une mise en scène en mouvement constant, qui fait prendre au film une tangente crépusculaire et rêvée, aux confins de l’abstraction. En pôle position, trône enfin Habemus Papam de Nanni Moretti, l’histoire d’un pape dépressif et vagabond, crevant la bulle pontificale pour renouer avec ses primes amours théâtrales, loin d’un Vatican sous le choc. Trouvant la juste distance avec son sujet, Moretti relève la gageure de filmer le pontife sans poncifs, avec ce qu’il faut d’ironie, de lyrisme et d’empathie pour que l’échappée papale tienne en haleine. Magistral dans le rôle principal, Michel Piccoli effectue un trajet inverse – quitter ses pénates pour les planches de théâtre – à celui du personnage qu’il incarnait, il y a dix ans, dans Je rentre à la maison de Manoel de Oliveira. La rentrée n’est jamais qu’un nouveau départ. _Auréliano Tonet


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METROPOLIS de Fritz Lang, 1927


PREVIEW

Lang vivante

© Deutsche Kinemathek – Photo Archive

Metropolis de Fritz Lang Avec : Alfred Abel, Brigitte Helm… Resortie en salles : 19 octobre Sortie en DVD et Blu-ray : 5 octobre Exposition à la Cinémathèque française : du 19 octobre au 29 janvier Fritz Lang au travail de Bernard Eisenschitz (éditions Cahiers du cinéma, essai, sortie le 17 octobre)

Buenos Aires, 2008. Une copie de Metropolis est découverte. Stupeur : il s’agit de la version longue et originale du film, tel que Fritz Lang l’avait initialement conçu – un montage que l’on croyait à jamais perdu, incluant six séquences inédites. Après un nécessaire travail de restauration, cette version ressort enfin sur les écrans. En miroir, une exposition à la Cinémathèque française rend à ce film-monstre un hommage protéiforme : photographies de plateau, tableaux en trompe-l’œil, robot reconstitué… Des documents originaux par centaines, auxquels s’ajoute une rétrospective de l’œuvre du cinéaste allemand. Complétée par un ouvrage somme (Fritz Lang au travail de Bernard Eisenschitz), cette actualité foisonnante rappelle que si Kubrick a insufflé à la science-fiction sa maturité au cinéma, c’est Lang qui lui a peut-être donné la vie. _D.E.

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Close-up

© Nicolas Guérin

NEWS

Céline Sallette

En cette rentrée, la comédienne traîne sa belle lassitude du bordel de Bertrand Bonello à la Rome écorchée de Philippe Garrel, les deux cinéastes ayant vu dans cette grande bringue au timbre rauque une figure tragique. Témoin du naufrage du couple incendiaire Louis Garrel-Monica Bellucci dans Un été brûlant, elle en retient « une expérience unique dans une vie de comédien ». Castée en premier parmi les Bonello girls, son corps de gourgandine déjà fatigué trône au centre de L’Apollonide, où elle reluque ses clients d’un œil torve – « J’y joue l’amour blessé, désespéré. » Religieuse en janvier prochain dans Ici-bas de Jean-Pierre Denis, on la retrouvera aussi chez Jacques Audiard et Tony Gatlif. Enfin, c’est à Simone Signoret que Céline Sallette prêtera son beau visage inconsolable dans le biopic sur Yves Montand confié à Christophe Ruggia. _C.G.

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NEWS

Be kind, rewind

ENFANTS TERRIBLES

Gueule d’ange et regard de diablotin, Kevin (Ezra Miller), 16 ans, s’arme d’un arc et trucide ses camarades de classe avant de tranquillement rentrer chez lui assassiner père et sœur. Seule survivante, sa mère (Tilda Swinton) tente de décrypter dans We Need to Talk About Kevin la psyché de ce fils maudit. Avant elle, trois films ont également ausculté la figure de l’adolescent meurtrier. Photo de classe.

© Nicole Rivelli

_Par Laura Tuillier (avec Clémentine Gallot)

© MK2

© Rue des Archives/BCA

© Warner Bros.Entertainment

We Need to Talk About Kevin de Lynne Ramsay Avec : Tilda Swinton, Ezra Miller… Distribution : Diaphana Durée : 1h50 Sor tie : 28 septembre

ELEPHANT

FUNNY GAMES U.S.

ORANGE MÉCANIQUE

Filmeur hors pair de l’adolescence per turbée, de My Own Private Idaho à Paranoid Park, Gus Van Sa nt s’i nspi re ici de la t uer ie de Colombine, perpétrée en 1999 par deux adolescents joueurs de Doom et amateurs d’armes, pour examiner la folie tapie sous la routine étudiante. Rembobinant plusieurs fois la journée du massacre, le cinéaste, loin de lever le mystère du passage à l’acte, éclate le point de vue du spectateur. À rebours du déterminisme qui plombe çà et là We Need to Talk About Kevin, Elephant fait de ses personnages des figures emblématiques de la jeunesse américaine contemporaine, blocs de mystère qui résistent à l’explication. ♦

Le poupin Michael Pitt et son comparse (Brady Corbet) investissent, pour le fun, une maison de vacances et terrorisent ses occupants, une famille wasp cossue (Naomi Watts et Tim Roth)… Cette séance de torture s’applique aussi au spectateur martyrisé, qui se voit administrer une bonne leçon sur la violence des écrans. Le sadisme de ces kids, rehaussé de metal hurlant, est redoublé par celui du cinéaste autrichien, qui a poussé le vice jusqu’à tourner ce remake plan par plan d’un premier film déjà traumatisant, réalisé dix ans auparavant en Autriche. Un regard clinique sur la brutalité ado, dont s’est souvenue Lynne Ramsay au moment de réaliser son premier film. ♦

Kevin et Alex, le héros du film de Stanley Kubrick, ont en commun un regard mêlant désespoir haineux et cruauté malicieuse, ainsi qu’un goût prononcé pour les perversions en tout genre. Inspiré par le roman épony me d’A nthony Bu rgess, Kubrick suit l’itinéraire d’un droog sans foi ni loi dont les occupations préférées varient entre passages à tabac d’innocents et viols psychédéliques. Alors que We Need to Talk… se concentre sur le passé de Kevin, Orange mécanique examine les châtiments réservés à Alex par une Angleterre futuriste et répressive. Deux films qui associent pulsions meurtrières et couleurs primaires dans un symbolisme souligné, parfois grandiloquent. ♦

de Gus Van Sant (2003)

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de Michael Haneke (2007)

de Stanley Kubrick (1971)


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Klap !

© Warner Home Entertainment

NEWS

Le Magicien d'Oz de Victor Fleming, 1939

EN TOURNAGE

OSER OZ L Oz, the Great and Power ful de Sam Raimi Avec James Franco, Mila Kunis… Sor tie prévue : printemps 2013 Le Magicien d’Oz de Victor Fleming est disponible en DVD chez Warner

Sous l’égide des studios Disney, SAM RAIMI s’attaque vaillamment à un parangon de la culture populaire, Le Magicien d’Oz, sous la forme d’un prequel au casting luxueux : Oz, the Great and Powerful. _Par Juliette Reitzer

a légende du magicien d’Oz s’écrit en deux tomes dans la culture populaire : la parution du roman de Lyman Frank Baum en 1900, et la sortie du fantastique film de Victor Fleming, produit par la MGM, en 1939. Tous deux disent plus ou moins la même histoire : la jeune Dorothy Gale, emportée par une tornade jusqu’au Pays d’Oz, part à la recherche du magicien qui pourra la réexpédier chez elle, croisant en chemin nombre d’ét r a nge s p e r son n age s. El le découvre finalement que le fameux magicien d’Oz est un f umeux charlatan, et regagne ses pénates aidée par la gentille sorcière du Sud. Rituellement programmée par la télévision américaine avant

Thanksgiving, l’œuvre de Fleming a été désignée par la Library of Congress comme le film le plus vu au monde… Mais il en faut davantage pour effrayer le maître de l’horreur et du fantastique Sam Raimi (Evil Dead, Spider-Man, Jusqu’en enfer), qui installe son Oz, the Great and Powerful avant l’histoire contée dans le roman originel, pour se concentrer sur le personnage du magicien Oscar Diggs, miséducteur, mi-escroc, fraîchement arrivé à Oz de son Kansas natal. Le tournage, qui a débuté le 25 juillet aux Raleigh Michigan Studios, réunit James Franco, dans le rôle titre, et Mila Kunis, Rachel Weisz et Michelle Williams dans le rôle des trois sorcières. ♦

Indiscrets de tournage 1 John Landis À peine le temps de se remettre de Cadavres à la pelle, qui a brisé douze années de silence cet été, que le réalisateur des Blues Brothers remet ça, et à Paris s’il vous plaît. De l’horreur, de la vraie, dans un film coécrit par Alexandre Gavras. Tournage dès cette rentrée.

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_Par D.E.

2 Brian De Palma Depuis Le Dahlia noir en 2006, on attendait un nouveau thriller de la part du maître américain du suspens. Ce sera The Key Man, sur un père pris en chasse par des agents du gouvernement pour une histoire d’infos classées secret Défense.

3 Audrey Tautou Un moment tentée par une retraite anticipée, l’actrice rejoindra finalement Romain Duris dans L’Écume des jours, l’adaptation prometteuse du roman de Boris Vian par Michel Gondry. Elle y tiendra le rôle de Chloé. Début du tournage prévu en mars 2012.


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Vidéodrome

Courts, toujours

© DR

© Monumenta 2011 - Anish Kapoor © Pierre Emanuel Rastoin

_Par D.R.

3-Way de The Lonely Island Trio comique phare du Saturday Night Live, The Lonely Island parodie les clips pop des années 1990 sur fond de triolisme dans leur nouveau sketch musical. Avec Lady Gaga et Justin Timberlake en guest stars, un plan à trois enlevé.

Au Grand Palais en juin, pendant la rencontre entre Richie Hawtin et le Leviathan d’Anish Kapoor, soutenue par The Creators Project

ARTS NUMÉRIQUES

FUTURoscope

© DR

À mi chemin entre think tank international des arts numériques et plateforme participative pour artistes de tout bord, The Creators Project, initié par Vice et Intel, se développe autour d’un credo : l’union fait la force.

Open Five de Kentucker Audley Ode à la ville de Memphis, Tennessee, le deuxième moyen métrage de Kentucker Audley, jeune cinéaste américain, s’inscrit en plein dans la mouvance mumblecore : budget restreint et script improvisé. Dans la veine, aussi, de Shadows premier film de John Cassavetes (1959).

_Par Louis Séguin

Avec la création du Studio cette année, la plateforme vidéo s’est doublée d’un réseau participatif, puisque 18

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chacun peut candidater au financement d’un projet. The Creators Project dessine ainsi un univers artistique nouveau où les frontières entre création et diffusion s’effacent, tandis que les installations diverses (au cours de festivals ou d’expositions) sont relayées par le site qui les a enfantées. La boucle est bouclée. ♦

© DR

www.thecreatorsproject.com/fr

© Trafik 72 à la Gaité Lyrique - Steve Wells

«

Une communauté de plus de cent vingt artistes est en train de se créer. » Benjamin Lassale, directeur général de Vice Media France, a de quoi se réjouir : The Creators Project est devenu en deux ans un des lieux incontournables de la création liée aux nouvelles technologies. Sous le nom Créateurs du futur, le projet est né en France de la rencontre entre Intel et le magazine international et arty Vice. Benjamin Lassale raconte : « Le but était de documenter en vidéo le travail d’une nouvelle génération d’artistes qui repoussent leurs limites créatives grâce au numérique. Nous avons pour cela créé une plateforme web qui accueille notre contenu vidéo sur des acteurs de ce milieu, comme Yuksek, Romain Gavras, Phoenix… » L’initiative, renommée Creators Project, s’est vite étendue à six autres pays.

Crystalline de Michel Gondry Une pluie de météorites s’abat sur un astéroïde, chaque goutte produisant un son et une lumière différents… Pour sa septième collaboration avec la chanteuse Björk, à l’occasion de la parution de son album Biophilia, Michel Gondry adopte l’animation image par image pour bricoler un clip aux accents surréalistes.


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NEWS

Mots croisés

Haut perché sur la rampe des révélations de la rentrée musicale, HANNI EL KHATIB a découvert le rock par le truchement des planches de skate. À l’heure où il dégaine un premier album rêche, vintage et tapageur, Will the Guns Come Out, nous avons demandé au Californien de commenter une poignée de chansons cultes, résonnant avec son parcours accidenté. _Propos recueillis par Auréliano Tonet

ENTRE GUILLEMETS

© Partel Oliva

Wassup rocker Will the Guns Come Out d’Hanni El Khatib Label : Because Music Sor tie : 3 octobre En concer t le 11 octobre à la Flèche d’or et le 3 novembre à La Cigale

« I’m a world’s forgotten boy / The one who searches and destroys » (Search and Destroy d'Iggy & The Stooges, 1973)

J’aime beaucoup la spontanéité et la fraîcheur des disques des Stooges. La plupart de leurs chansons étaient enregistrées en une poignée de prises, à l’arrache. Je me méfie de la notion de confort : il ne faut jamais hésiter à tout reprendre à zéro, que ce soit en studio ou plus encore sur scène, un lieu propice à toutes les expérimentations. C’est le sens de ma chanson Build. Destroy. Rebuild., mais aussi de la pochette de mon album, une photo d’un accident de voiture. Ce genre de clichés me fascine et m’interpelle : le conducteur est-il mort ? Sa famille est-elle déjà au courant ? Cette tache, est-ce du sang ?

« Well, since my baby left me / I found a new place to dwell / It’s down at the end of lonely street / At Heartbreak Hotel » (Heartbreak Hotel d'Elvis Presley, 1956) C’est une chanson que j’écoutais enfant. Mes parents, tous deux très mélomanes et ouverts d’esprit, me l’avaient fait découvrir. La reprise que j’en ai faite 20

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« La colère et la tristesse m’inspirent plus spontanément que le bonheur. » sur mon album est très différente de l’original : la mélodie est méconnaissable, l’instrumentation aussi, à vrai dire je n’ai gardé que les paroles intactes.

« San Francisco is a lonely town » (San Francisco Is a Lonely Town de Charlie Rich, 1969)

J’ai déménagé à L.A. il y a un an, mais c’est à San Francisco que j’ai grandi, une ville fantastique pour faire du skate et plus largement pour toute forme de contre-culture. Cependant, lorsque j’ai commencé à écrire et à enregistrer mon album, je ne connaissais pas beaucoup de musiciens, du coup j’ai presque tout fait tout seul. De même, j’étais seul sur scène lors de mes premiers concerts.


La réplique

« L’essentiel de ma culture musicale découle de ma passion pour le skate : rap, jazz, funk ou rock’n’roll. » « I got a thing / You got a thing / Everybody’s got a thing » (I Got a Thing, You Got a Thing, Everybody’s Got a Thing de Funkadelic, 1970)

J’ai découvert cette chanson par le biais d’une vidéo de skate. L’essentiel de ma culture musicale découle de ma passion pour ce sport. Les bandesson des cassettes de skate que je regardais ado étaient très variées et mixaient rap, jazz, funk ou rock'n’roll. En plage bonus de mon album figure une reprise de ce titre de Funkadelic – j’ai essayé d’en reproduire le groove, en vain. Chez eux, j’aime tout : la période psychédélique, le virage funk, le look, la technicité. Ils sont imbattables.

« You just kinda wasted my precious time / But don’t think twice, it’s all right » (Don't Think Twice, It's All Right de Bob Dylan, 1963)

Quelle voix unique… Je ne me suis jamais considéré comme un chanteur, je ne sais pas vraiment chanter. Selon moi, cependant, c’est celui qui écrit les chansons qui est le plus à même de les chanter : voilà comment je me suis retrouvé à m’égosiller derrière un micro. J’ai composé la plupart de mes chansons sur une guitare acoustique pour ne pas gêner mes voisins ; mais, mis à part un ou deux titres que j’ai gardés dans des versions dépouillées, ces chansons ont pris une direction plus furieuse et électrique une fois en studio.

« You can crush us / You can bruise us / But you'll have to answer to / Oh, Guns of Brixton » (The Guns of Brixton de The Clash, 1979)

J’apprécie la musique et l’attitude punk, même si je ne m’en réclame pas. Un groupe comme les Misfits m’a beaucoup marqué, cela dit. La chanson Will the Guns Come Out, qui ouvre mon album et lui donne son titre, procède plutôt du gospel. Elle évoque les imprévus qui bouleversent nos vies : du jour au lendemain, votre meilleur ami peut se retrouver paralysé à la suite d’un accident de voiture, ou vous pouvez perdre votre emploi. On ne sait jamais ce qui va arriver. D’une manière générale, j’ai tendance à privilégier les sujets sombres : la colère et la tristesse sont des émotions qui m’inspirent plus spontanément que le bonheur. ♦

« Quand on se sent étranger dans son propre pays, mieux vaut être étranger à l’étranger. » Au revoir de Mohammad Rasoulof, en salles le 7 septembre

La phrase

« David Lynch n’a plus envie de faire de films. On en a parlé ensemble – je sais que ce ne sont pas des bobards. » (Abel Ferrara, dans une interview publiée le 8 août sur le blog IndieWire)

Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux

Johanna : Cinq frü et les gü par jour. Philippe : Au bout de vingt ans de vie commune, le radioréveil de ta vie décide que tu ne joueras plus avec les minutes et reste bloqué sur 58. Et là, c’est le drame. Christophe : Lenoir n’aurait pas dû arrêter : son émission était repoussée d’une heure chaque année, en patientant encore sept ans il aurait animé la matinale. Thomas : Si DSK s’était contenté d’un petit poke… Paul : C’est l’histoire d’un Japonais qui, devenant un peu trop miso, prit le maki. Jean-Baptiste : Mon vieil ami américain, Scony, vit et travaille à Rome. Hélas, il a des problèmes de vue : il a la berlue, Scony. Babette : Le dauphin du Grand bleu est mort. Déclaration de JeanMarc Barr à Nice-Matin : « C'est un collègue de plus qui s'en va cette semaine, après Raúl Ruiz. » Martha : Comme Kadhafi, DSK aussi tripe au lit. Jean-Benoît : Les Beatles, au fond, c’est un peu comme les Trois mousquetaires.


Télécommando

le caméo

© 2011 New Line Productions Inc. photo John P. Johnson

NEWS

Jason Sudeikis dans Kenny Powers

Omniprésent sur les écrans, Jason Sudeikis a décroché un rôle dans la troisième et (malheureusement) dernière saison de Eastbound & Down (renommé Kenny Powers pour la version française). Une série produite par Will Ferrell, ancien du Saturday Night Live, pas insensible aux prestations actuelles de Sudeikis dans l’émission satirique reine aux États-Unis. Déjà vu dernièrement au cinéma dans Bon à tirer et Comment tuer son boss ?, ce dernier jouera un ami de l’odieuse ex-gloire du baseball interprétée par Danny McBride dans Eastbound. Diffusion prévue sur HBO début 2012. _G.R.

SÉRIE TV

RENTRÉE DES CASTS

Côté networks, l’alternance désormais habituelle de dramas paresseux et de comédies innovantes. Côté chaînes du câble, des projets dont on espère parfois trop. Difficile de savoir ce que la télé américaine nous réserve pour la saison 2011-2012. _Par Guillaume Regourd

© 2010 Home Box Office Inc.

R

ét ro-chic sixties inspiré de Mad Men (hôtesses de l’air de la Pan Am sur ABC contre serveuses du Playboy Club sur NBC), remakes plus (Prime Suspect sur NBC) ou moins (Drôles de dames sur ABC) nécessaires… La rentrée des networks américains peine comme souvent à exciter côté dramas. Le budget pharaonique alloué par la Fox à Steven Spielberg pour son joujou avec dinosaures, Terra Nova, sonne bien comme une tentative de renouer avec le faste du début des années 2000. Mais on parie que cette nouveauté, tout comme les conceptuelles Person of Interest (CBS) ou Alcatraz (Fox), signées J.J. Abrams, marqueront moins les esprits que Lost en son temps. Les grandes chaînes se montrent heureusement plus à l’aise dans la comédie où, davantage que le comeback inutile de Tim Allen, on suivra de près (sur ABC) l’inédite Suburgatory, une satire banlieusarde qui pourrait reprendre le flambeau des Desperate Housevives usées, qui

Boardwalk Empire, saison 1

tireront leur révérence à l’issue de leur huitième saison. On gardera aussi à l’œil les séries girly taillées sur mesure pour Krysten Ritter (Apartment 23 sur ABC) et Zooey Deschanel (New Girl sur Fox). Enfin, il sera toujours possible de chercher son bonheur sur le câble auprès d’une poignée de nouveautés : Enlightened (HBO), ou Laura

Zapping

Jacques Audiard Le réalisateur multi-césarisé qui a révélé Mathieu Kassovitz et Tahar Rahim est à l’honneur sur Ciné+ Premier. Du 28 au 30 septembre, la chaîne diffuse l’intégralité de ses films ainsi qu’un documentaire d’une heure sur les coulisses d’Un prophète.

© Yves Forestier/WireImage

© Jesse Grant/WireImage

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Kevin Bacon La star du téléfilm Taking Chance multiplie les projets avec HBO. Outre une minisérie consacrée à John Wilkes Booth, assassin d’Abraham Lincoln en 1865, il travaille à la production de deux comédies, respectivement sur un golfeur et un animateur radio.

© Steve Granitz/WireImage

_ Par G.R. et D.R.

Frank Darabont Après avoir traîné la patte pour renouveler Breaking Bad en saison 5, la chaîne AMC a également fait le ménage côté The Walking Dead. Frank Darabont s’est fait virer au passage, remplacé par Glen Mazzara, son second, pour boucler une saison 2 attendue pour le 16 octobre.

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Dern en pleine crise de la quarantaine ; la série d’espionnage Homeland (Showtime) ; le thriller psychosexuel American Horror Story (FX) ou Hell on Wheels, un western ferroviaire (AMC). Sinon, la fresque mafieuse Boardwalk Empire (HBO) entre dans sa deuxième saison le 25 septembre. Ça nous fait au moins une valeur sûre. ♦



© AMC

NEWS

Œil pour œil

Mad Men

Dans le rétroviseur Tout en fifties chatoyantes, The Hour raconte la naissance de la première émission d’enquête sur la BBC britannique. Malgré cette patine vintage, la série a su s’affranchir de l’ombre de sa grande sœur new-yorkaise, Mad Men. _Par Clémentine Gallot


© BBC Kudos Film and Television

The Hour

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he Hour, nouveau Mad Men ? Surtout le marronnier de la rentrée. Si la série sixties américaine d’AMC a inspiré de pâles variantes (The Playboy Club, Pan Am…), la similitude revendiquée par ces portraits de groupe à la patine glossy reste d'ordre promotionnelle. The Hour s’inscrit bien également dans une histoire sociale et culturelle, mais la comparaison s’arrête là. Cette minisérie de six épisodes suit l’émancipation de la BBC britannique de sa houlette gouvernementale, à travers le lancement de sa première émission d’enquête en 1956. Pendant que les publicitaires de Mad Men s’envoient cocktails et secrétaires, The Hour opte plutôt pour le sérieux feutré d’une élégante série noire, portée par Ben Wishaw (Bright Star) en workaholic crispant, Dominic West (The Wire) en présentateur bellâtre, et surtout la suave Romola Garai en productrice ambitieuse. Cette trop brève première saison sur fond de crise de Suez s’ancre dans une réflexion politique qui est tombée à pic dans un été anglais houleux. La deuxième saison, qui vient d’être confirmée, s’attaquerait d’ailleurs aux émeutes londoniennes… de 1958. ♦

The Hour Chaînes : BBC Two et BBC America Dif fusion : depuis le 20 juillet sur BBC Two et le 17 août sur BBC America


Faire-part

Raúl Ruiz sur le tournage des Mystères de Lisbonne

© Clap Filmes

NEWS

DÉCÈS

DERNIER EXIL On savait RAúL RUIZ malade. En 2010, lors de notre rencontre au sujet des Mystères de Lisbonne, son ultime film, il nous avait confié avec l’humour qui le caractérisait avoir vécu une grande crise de foi(e). Il est décédé le 19 août à Paris à l’âge de 70 ans. _Par Donald James

Mystères de Lisbonne de Raúl Ruiz Avec : Adriano Luz, Maria João Bastos… Éditeur : Alfama films / Ar te Sor tie : DVD déjà disponible

R

aúl Ruiz avait commencé sa carrière au Chili, où il était né en 1941. En 1969, la France découvre son cinéma au Festival de Locarno, qui présente son premier long métrage, Tres tigres tristes. Quatre ans plus tard, ce proche de Salvador Allende s’exile en France après le coup d’État militaire de Pinochet. Ses premiers

films loin de sa terre reflètent ses questionnements d’alors : l’exil (Dialogue d’exilés, 1974), l’engagement idéologique (La Vocation suspendue, 1977), la pratique de l’art (L’Hypothèse du tableau volé, 1978). Puis son cinéma devient plus léger, sur réaliste, ludique et onirique, jouant des effets de miroirs dans des histoires à clés et à tiroirs. Mais c’est seulement dans les années 1990, alors qu’il tourne avec des stars (Piccoli, Deneuve,

Le carnet

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Mariage Union de l’opéra et de la musique traditionnelle mexicaine – le mariachi –, Cruzar la Cara de la Luna a été créé au Texas avant d’arriver au théâtre du Châtelet (du 23 au 27 septembre). C’est l’histoire, sur trois générations, de la famille Velasquez, immigrants de père en fils, qui doit composer avec une identité plurielle.

© DR

Naissance Revue de dessin semestrielle, The Drawer se veut, comme la polysémie de son nom l’indique, un tiroir à dessins. On croisera le long de ses pages les gribouilles et les mots de cinéastes (Nicolas Saada, Michel Hazanavicius), de musiciens (Herman Dune) et autres créateurs inspirés par un thème imposé : les temps modernes.

© DR

© Nick Harvey/WireImage

_ Par L.T.

Décès Le peintre figuratif britannique Lucian Freud s’est éteint à l’âge de 88 ans le 20 juillet à Londres, trois jours avant Amy Winehouse, chanteuse soul à la carrière digne des plus grandes comètes rock. L’actrice russe Katerina Golubeva, 44 ans, est quant à elle décédée le 14 août. Elle avait joué dans Pola X de Leos Carax.

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Huppert et Marcello Mastroianni) que Raúl Ruiz accède à la reconnaissance. Depuis le début de ce siècle, il était aussi retourné au Chili pour réaliser des films et des séries télé. Un pan de cette tardive filmographie latine reste encore à découvrir. Grand amoureux de la littérature, celui qui envisageait une suite aux Mystères de Lisbonne et rêvait d’adapter Salammbô de Flaubert, est mort en laissant deux films en postproduction. ♦



NEWS

Pôle emploi

LE PROFESSIONNEL

Le géant de l’ombre Son nom figure au générique de Rocky, Annie Hall, Raging Bull ou Black Swan. Directeur de casting, agent puis producteur multiprimé, MIKE MEDAVOY est l’un des derniers nababs du Nouvel Hollywood. Nous l’avons rencontré début août, lors du Festival de Locarno, qui consacrait un hommage mérité à ce mastodonte du cinéma américain. _Par Auréliano Tonet

«J

e pense avoir assez de poids à Hollywood pour que certaines personnes n’aient pas envie d’avoir de problème avec moi », affirme tout de go Mike Medavoy, épaules larges, ventre rebondi. Ce corps massif a vu le jour à Shanghai, il y a 70 ans, de parents juifs émigrés en Chine pour fuir les pogroms. Première bifurcation : le Chili, où Mike passe son adolescence, et s’illustre sur les terrains de foot au poste de meneur de jeu. Nouveau déménagement, à Los Angeles cette fois. Le jeune homme y étudie l’histoire (« Pour savoir d’où nous venions et où nous allions »), avant de décrocher un job de coursier dans les studios Universal. « Comme mon père, qui a débuté sa carrière en tant que garagiste, j’ai commencé en bas de l’échelle, dit-il d’une voix grave et traînante. Et nous avons progressivement gravi les échelons. » Lorsqu’on lui propose de devenir directeur de casting, puis agent, il accepte sur le champ, tout heureux de présider aux destinées d’une nouvelle génération de cinéastes, parmi 28

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« J’ai servi en Corée, j’ai produit plus de 300 films, dont une centaine de réussites, j’ai cofinancé les campagnes de candidats démocrates, écrit des livres, reçu des trophées ; bref, j’ai bien vécu. » lesquels Francis Ford Coppola et Steven Spielberg. « Hollywood était alors en pleine mutation, synchrone avec les grands chamboulements mondiaux : la guerre du Vietnam, la jeunesse contestataire, etc. » Accumulation En 1974, il rejoint United Artists, où il tâte pour la première fois de la product ion, et y prend goût. « Ce studio était dirigé par des gentlemen, au fait des exigences à la fois artistiques et économiques du cinéma. Ce furent d’excellents tuteurs. » Chez United, Medavoy

CV 19 41 Naissance à Shanghai. 1964 Entre comme coursier chez Universal. 1965 Devient directeur de casting, puis agent. 1974 Nommé vice-président de la production chez United Artists. 1978 Cofondation d’Orion Pictures, où il applique sa définition d’un bon producteur : « Trouver le bon sujet, les bonnes personnes et le bon budget, puis se battre contre le studio pour obtenir une bonne distribution. » 1995 Cofondation de Phoenix Pictures, après un intermède de cinq ans à la tête de Tristar Pictures. 2011 Le Festival de Locarno lui rend hommage.


contribue à mettre sur pied – excusez du peu – Vol au-dessus d’un nid de coucou, Rocky, Annie Hall, Network, Raging Bull ou encore Apocalypse Now, dont il persiste à préférer la version écourtée : « Les scènes auxquelles tenait Francis étaient trop explicatives. Il n’arrivait pas à finir son film ; sans nous, Apocalypse Now n’aurait jamais été terminé. » En 1978, Medavoy décide de voler de ses propres ailes et cofonde Orion Pictures, puis, en 1995, Phoenix Pictures. Statuettes et succès s’accumulent, dessinant en creux les principales mutations du paysage hollywoodien, des grands blockbusters technologiques (Robocop, Terminator) au retour en grâce des acteurs (Danse avec les loups). Derrière un classicisme de façade (Platoon, Amadeus, Le Silence des agneaux), Medavoy reste fidèle à la génération du Nouvel Hollywood (La Ligne rouge, Shutter Island), tout en prenant soin de ses plus brillants héritiers (David Fincher, Darren Aronofsky…). « Aujourd’hui, Hollywood subit le

règne de l’entertainment et de l’individualisme. Il est devenu difficile de financer de jeunes auteurs ambitieux », regrette ce défenseur d’un « cinéma empathique », prêt à lâcher le final cut « à une poignée de réalisateurs dignes de [sa] confiance ». BIGGER THAN LIFE L’heure du recul semble avoir sonné pour le septuagénaire, dont la plus grande joie, nous assure-t-il, est d’assister aux matchs de basket de son fils. « J’ai servi en Corée, j’ai produit plus de 300 films, dont une centaine de réussites, j’ai cofinancé les campagnes de candidats démocrates, écrit des livres, reçu des trophées ; bref, j’ai bien vécu. Et je puis vous dire que rien ne vaut le temps passé auprès des siens. » Pas un hasard, dès lors, si ses deux prochains projets – un thriller sis à Shanghai, et une fiction sur le sauvetage des mineurs chiliens – font écho à son histoire familiale. La retraite de Mike Medavoy est à la mesure de sa carrière, et de sa carrure : bien remplie. ♦

La technique

Comme un requin dans l’eau Pour Shark 3D, le réalisateur David R. Ellis a filmé directement ses acteurs face à des répliques grandeur nature de squales, grâce à un spécialiste de la robotique aquatique : Walt Conti. Bénéficiant de plus de vingt ans d’expérience (il a débuté avec les baleines miniatures de Star Trek IV : retour sur Terre), Conti a conçu trois faux requins radiocommandés, constitués d’une armature d’acier recouverte de peau en uréthane et armés de dents sculptées à partir de véritables mâchoires… Des monstres longs de trois à quatre mètres et pesant de 180 à 450 kilos, qui peuvent se mouvoir sous l’eau sans aucun support extérieur. _J.D.

© Photo courtesy of Walt Conti

© Partel Oliva

Locarno, havre rock En ce 64e Festival de Locarno, nombreux sont les films qui ont questionné les limites propres à l’art cinématographique : dialogues délivrés par un acteur sourd (L’Estate di Giacomo), détournement des codes de la reconstitution historique (Les Chants de Mandrin), massacres perpétrés par un cinéphile compulsif… Cette pente réflexive a trouvé sa plus parfaite incarnation lors de la projection en plein air du Havre d’Aki Kaurismäki. Au terme de la scène durant laquelle le rockeur Little Bob, dans son propre rôle, interprète in extenso l’une de ses chansons, les 6000 spectateurs de la cité suisse applaudissent à tout rompre, avant de laisser le film reprendre sa dramaturgie. On s’y croyait. _A.T.

© Pyramide Films

Brève de projo

Shark 3D de David R. Ellis // Sor tie le 21 septembre

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NEWS

Étude de cas

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million d’entrées en France pour La Planète des singes : les origines. Soit le meilleur démarrage parisien de la semaine du 10 août et le quatrième meilleur démarrage en France depuis le début de l’année. Ces primates ont de l’avenir…

3 réalisateurs se sont succédés aux commandes de The Revenant. Après le Coréen Park Chan-wook et l’Australien John Hillcoat, c’est le Mexicain Alejandro González Iñárritu qui pourrait mettre en scène ce projet de la Warner sur un soldat vengeur.

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messages par seconde ont relayé sur Twitter l’annonce de la grossesse de Beyoncé lors des récents MTV Video Music Awards – un record. Le tournage d’Une étoile est née de Clint Eastwood, prévu pour février, pourrait du coup être repoussé.

JAY-Z ET KANYE WEST, HÉROS OU ESCROCS ? Casting royal, instrumentations de monarques absolus, pochette souveraine : l’album Watch the Throne réuni les deux empereurs du hiphop contemporain, JAY-Z et KANYE WEST. Le vassal auditeur sera partagé entre allégeance et envies de guillotine.

Watch de Throne de Jay-Z et Kanye West Label : Roc-A-Fella / Def-Jam / Barclay Sor tie : disponible

_Auréliano Tonet

© Arthur Elgort / Universal Music

_Étienne Rouillon

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Jay Z

Kanye West

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HÉROS Ne pas prendre Jay-Z et Kanye West pour ce qu’ils ne sont pas : ni poètes, ni prophètes, ces deux-là sont d’abord des MCs, soit, étymologiquement, des « maîtres de cérémonie ». Et le rôle premier du MC, à mi-chemin du mécène et du bouffon, est de s’assurer que la cérémonie soit réussie. En l’occurrence, le banquet de Watch the Throne atteint des sommets de délectation philanthrope. Loin de l’ego-trip primaire, les deux tycoons ont réuni autour de leur table les meilleures fourchettes des musiques noires passées et présentes : entourées de fantômes (Otis Redding, Curtis Mayfield, James Brown), vocalistes (Beyoncé, Franc Ocean, TheDream) et producteurs bienveillants (The Neptunes, Q-Tip, Swizz Beatz), leurs chroniques célèbrent avec une griserie contagieuse l’ascension d’une communauté tout juste sortie de la ségrégation. They made it in America.

© Universal Music.

ESCROCS « Ma bite vaut de l’argent », plastronne Kanye West dans la chanson That’s My Bitch. On craignait que l’association des deux mastodontes du phrasé véloce se résume à savoir qui remplit au mieux son caleçon. Pas du tout. L’émulation fonctionne, l’oreille ravie par des productions béton armé comme sur Made in America. Las, on est dans l’Amérique de l’arnaque made in Bernard Madoff. Le syndrome Ayo Technology qui avait frappé Justin Timberlake et 50 Cent en 2007 : bande-son dantesque pour paroles lambda dédiées à la quête du popotin féminin. Voire même de la pure paresse, quand les « unh-ah » poussés par West et Jay-Z se multiplient pour combler les blancs de la métrique. Aut re MC i mpér ial, Napoléon Bonaparte estimait qu’« un trône n’est qu’une planche garnie de velours ».



NEWS

Tout-terrain

COVER BOY +

Que reflètent les verres de Joakim sur la pochette de son nouvel album, Nothing Gold ? Les synthés futuristes du Stevie Wonder seventies ? Les boucles French Touch du Parisien Alex Gopher ? Comme ces musiciens visionnaires, Joakim ne regarde pas dans le rétroviseur : il avance droit devant.

=

UNDERGROUND

STEP BY STEP TIMELINE

© Stones Throw

Hier Ces new kids du Connecticut ont déjà bien roulé bosses et amplis dans les circuits jazz et R’n’B de la côte Est et les studios analogiques (y composant diverses B.O. et pubs), ou à l’ombre de quelques têtes d’affiches (Alicia Keys, 50 Cent, Lauryn Hill…).

Requins des studios vintage passés sur le devant de la scène, les STEPKIDS ressortent coupes afro et platform shoes seventies pour une madeleine funk en fusion freak. Chic. _Par Wilfried Paris

The Stepkids de The Stepkids Label : Stones Throw / Discograph Sor tie : 3 octobre

Dan Edinberg (basse et clavier), Jeff Gitelman (guitare) et Tim Walsh (batterie) passent de l’obscurité du backing band aux feux de la rampe (psychédéliques et projetés sur leurs costards impeccablement blancs) avec ce premier album d’affranchis balèzes, zicos rompus aux codes en tout genre devenus entité complète

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Les festivals écolos : musique (We Love Green au parc de Bagatelle – lire page 96 –, Kiosquorama dans dix kiosques franciliens) ou cinéma (Arbres en campagne au MK2 Quai de Seine – lire page 124) : les programmations éco-friendly fleurissent cet automne.

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et parfaitement isocèle : « Il y a une répartition égale dans le processus créatif, disent-il aujourd'hui. Chaque parole, chaque mélodie, chaque idée aurait pu être écrite par n’importe lequel d'entre nous. » Ce groupe à trois têtes distille ainsi dans ses alambics un « Funkenstein » fusionnant le meilleur de la musique afro-américaine des années 1970 : falsetto soul à la Curtis Mayfield virant blaxploitation virile à la Isaac Hayes, groove des émeutes façon Sly & The Family Stone passant transe peace and love à la Rotary Connection, le Funkadelic sci-fi de George Clinton mutant en trip space jazz à la Sun Ra, le tout vintage à gros grain saupoudré d’effets à bandes (echos, delays et reverse). Le plus bel anachronisme freak du moment. ♦

décalé

Les artistes écolos : de la protection des oisillons chère à Jonathan Franzen à l’apocalypse pétrochimique imaginée par Dalibor Frioux (lire le dossier rentrée littéraire page 56), sans oublier le concept-album de Björk, Biophilia, les créateurs passent au vert.

Aujourd’hui Stones Throw, label angelino défricheur (Dam Funk, James Pants, Gary Wilson, Mayer Hawthorne) s’aventure encore hors de ses pistes hip-hop originelles (Madlib, J Dilla, MF Doom) en signant le premier album des Stepkids.

Demain Le groupe retrouve son meilleur terrain de jeu, la scène, pour une tournée américaine au long cours, puis un détour par le Japon en novembre, avant de toucher une Europe qui trépigne. Bon trip.

recalé

Les politiciens écolos : Nicolas Hulot rumine sa rancœur post-râteau dans Bretons magazine, Eva Joly pétarade sur la route du Paris-drakkar, Daniel Cohn-Bendit vote pour « celle qui allait perdre » selon lui. Les Verts auraientils forcé sur les graines E.coli cet été ?


ON THE GROUND

OVERGROUND

LE ROI Recouvrance DES LOURDS L’écriture de chansons pour Axelle Red, le parrainage du disque des Marins d’Iroise… Au moment où il semblait couler sous les compromissions, CHRISTOPHE MIOSSEC sort son album le plus salé – la tête hors de l’eau. _Par Auréliano Tonet

© 2010 Universal Studios

Chansons ordinaires de Miossec Label : Pias Sor tie : 12 septembre

Le titre de roi de la comédie suscite les convoitises. Avec une nouvelle saison de Kenny Powers en tournage et une troisième collaboration prévue avec David Gordon Green, DANNY MCBRIDE est peut-être proche du sacre.

C’est entendu : depuis ses deux premiers albums, les magistraux Boire (1995) et Baiser (1997), Miossec n’a jamais fait que tanguer, déversant d’une voix sèche un flot d’infinitifs amers, taillant cahin-caha leur route sur des rythmiques imperturbablement carrées. Et avouons-le, malgré quelques coups d’éclat épars (Madame, Brest, Loin de la foule), on s’était lassé de ces saillies folkloricocuitées, de ce clopin-clopant trébuché avec une cadence de métronome. Mais le Brestois n’est jamais meilleur qu’en rade. Prenant « le contrepied » de son album précédent, Finistériens (2009), jugé « trop mou », le voilà qui publie Chansons ordinaires, un disque de « musique répétitive », c’est-à-dire essentiellement composé en répet’ avec son groupe de jeunots, chacun des onze titres contenant le mot « chanson ». Arrosé par les influences croisées de My Bloody Valentine, de Chet Baker et du musichall d’avant-guerre, l’album frappe fort et sonne juste. Il en va ainsi des claudicants : c’est lorsqu’ils rentrent dans le rang qu’ils sortent de l’ordinaire.

_Par David Elbaz

Bouc ringard et mullet improbable, Danny McBride a imprimé de son sceau des seconds rôles mémorables. Depuis The Foot Fist Way (2006), jusque chez Ben Stiller ou Todd Phillips, l’acteur – également scénariste et producteur – construit un personnage complexe de beauf égocentrique, lâche, cruel et raciste. Un malaise ambulant au pays des losers sympathiques de l’écurie Apatow. Mais c’est en Kenny Powers, imbuvable ex-gloire du baseball qui se prend le réel en pleine poire dans la série Eastbound & Down (en V.O.), que McBride remue le plus. Dans Votre Majesté du prometteur Gordon Green, il offre ce mois-ci au cinéma la déclinaison médiévale de sa persona, aux cotés de James Franco et Natalie Portman. Oyez ! © Léa Crespi

Votre Majesté de David Gordon Green // Sor tie le 7 septembre

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Audi Talents Awards

© Emilie Pitoiset - documentation de l'artiste

NEWS

Compte-rendu

VISIONS TROUBLES Lauréate des Audi Talents Awards catégorie art contemporain en 2010, ÉMILIE PITOISET revisite librement le cinéma expérimental, auquel elle associe un témoignage dérangeant du réel. Retour sur un projet gagnant. _Par Claude Garcia

Travaillée par le basculement et l’inversion, Émilie Pitoiset a fait ses classes lors de résidences au Point éphémère et au Palais de Tokyo, avant de s’exporter. Cette ancienne des Beaux-Arts sonde la dissimulation dans ses nombreux mouvements et supports. Tirages en noir et blanc, installations, dessins ou vidéos : il est toujours question d’un décalage, d’une nuisance sourde. La Parisienne entrelace ainsi la chute et l’échec en 2008 dans Ordinary Experience, où un cheval taxidermisé dans une 34

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Émilie Pitoiset sonde la dissimulation dans ses nombreux mouvements et supports. Il est toujours question décalage.

position improbable recrée une scène du Sang des bêtes, documentaire de Franju sorti en 1949. Ou la violence troublante du passage de l’original à la copie. En 2010, elle soumet son projet Renverser le temps aux A.T.A. catégorie art contemporain, se proposant d’inverser symétriquement Eyes of Science du réalisateur américain James Sidley Watson. Seulement, cette œuvre datée de 1930 ne peut être visionnée qu’à Ro che st e r (État de New York), ville natale de l’auteur et berceau du musée Kodak. Après obtention du prix, Pitoiset gagne cette cité délabrée jadis temple de la photographie. Piochant au détour des rues les témoignages d’une époque révolue, elle fait le grand écart lors de sa visite de l’université, vibrante et tournée vers l’avenir. Un décalage dont attestera probablement son projet abouti, présenté à la Fiac du 20 au 23 octobre. ♦

whATA's up ? L’artiste lyonnais PierreOlivier Arnaud, lauréat des A.T.A. art contemporain en 2009 et premier à exposer son travail sur un stand dédié lors de la Fiac 2010, rejoint l’exposition Antidote 7 à la Galerie des Galeries. Le collectionneur Guillaume Houzé y présentera, comme chaque année, certaines pièces de sa collection privée. Travaillant la photographie comme un objet privé de son sujet premier, Olivier Arnaud assemble des clichés modifiés selon une thématique choisie pour leur faire ensuite rejoindre des lieux d’accrochage inattendus. _C.Gar. Du 6 octobre au 7 janvier à la Galerie des Galeries, au premier étage des Galeries Lafayette, wwwgalerielafayette.com



NEWS

Arty Tech

WEB DESIGN

FILMS À LA DÉCOUPE

Des cercles colorés et fragmentés se promènent sur l’écran de Cinemetrics, le site-projet de FREDERIC BRODBECK. Ce jeune Néerlandais donne une empreinte digitale aux films en analysant leurs données formelles, pour mieux permettre de les comparer. Décodage.

© DR

_Par Laura Pertuy

CV Formé à la Royal Academy of Art de La Haye, aux PaysBas, Frederic Brodbeck y a présenté Cinemetrics en tant que projet de fin d’études. Le jeune diplômé a plus largement développé des projets de graphisme avant-gardistes. Minimalistes mais maladivement précises, ses productions révèlent un attrait pour la polysémie publicitaire et la science dans ses aspects ludiques. Brodbeck a récemment commercialisé un ouvrage reprenant les étapes de son travail sur Cinemetrics, avec les résultats de ses recherches, des croquis et l’avancée progressive de son projet. _L.P.

L’

idée première du travail de Frederic Brodbeck, spécialiste du design génératif, est de contourner les données commerciales en général associées aux films (budget, entrées, etc.) pour leur préférer des éléments plus formels. Après un désassemblage minutieux du fichier vidéo, les informations recueillies (structure du montage, couleurs, dialogues, mouvements, etc.) sont compartimentées puis superposées dans une sorte de camembert virtuel. La taille de celui-ci correspond

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alors à la durée du film, tandis que sa gamme chromatique donne une idée de son ambiance. À partir de cette forme graphique, il devient facile de comparer un original et son remake, des films du même genre ou du même réalisateur. Le Solaris original (1972) se différencie ainsi de son remake (2002) par une atmosphère moins sombre. Quant à la palette de couleurs chez Wes Anderson, elle est quasi identique de film en film,

dans des tons bruns, orange et rouges. Selon Brodbeck, son procédé vise non seulement les étudiants en cinéma mais aussi le spectateur lambda en quête d’un choix alternatif, qui peut ainsi confronter la récurrence des scènes d’action ou la longueur des dialogues. Du coup, le projet Moviebarcode, qui ne propose qu’une analyse non-interactive, prend un coup de vieux. Vous avez dit Movie freaks 2.0 ? ♦ www.cinemetrics.fredericbrodbeck.de, www.moviebarcode.tumblr.com


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NEWS

Le Net en moins flou

ENQUÊTE

2012 sonnera son apocalypse. La fin d’un monde pixelisé emmené par un petit carré blanc clignotant ; la fin de son pré carré rose aussi. Le Minitel, qui comptait encore près d’un million d’utilisateurs en 2010, s’éteint le 30 juin prochain après trois décennies de loyaux services. Après la mise en bière des renseignements du « 12 » ou de la télévision analogique, c’est un autre symbole de l’ère cathodique à la française qui disparaît. Souvent raillé comme le boulet industriel qui a freiné l’essor d’Internet chez nous, le petit terminal pourrait avec le recul avoir été son meilleur ambassadeur. _Par David Elbaz et Étienne Rouillon _Illustrations : Almasty

«

Dans certains coins, on n’a pas l’ADSL. Il faut se promener avec sa clé 3G. Moi, partout où je vais, je me balade avec mon petit poste Minitel, et je me raccorde sur une ligne téléphonique. » Gérard Neyret est ingénieur à la retraite dans les Yvelines, le bassin historique du Minitel, là où les cubes beige maronnasse se sont éveillés dans quelques foyers cobayes de l’automne 1980. Il s’autorise de rares entorses à son boycott du web, comme pour publier une tribune contre l’arrêt du service d’annuaire 3611, prévu en 2009 puis repoussé face à la persistance économique d’un service enregistrant encore des connexions chiffrées en millions. Fin 2010, 810 000 postes crépitaient toujours. Aujourd’hui, tout ça semble bel et bien cuit. Et de toute façon, quel intérêt peut encore revêtir le pâle 3611 à l’heure des flashy Pagesjaunes.fr, le 3615 Madame Irma face aux portails de

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3615 K.O.

voyance en ligne, le 3615 Ulla contre la sexothèque du site YouPorn ? Dans l’ère des applications, plus besoin de chercher l’info, c’est elle qui vous trouve.

Peu ont pris soin de démentir une cyberlégende urbaine qui dit que le Minitel aurait été préféré au web naissant de la fin des années 1970. La Télématique c’est fantastique

Mais, déjà, sur le web s’agite le haro de la vengeance. Bah, c’est de bonne guerre, pense-t-on de prime abord. Pour motiver la conversion des utilisateurs gaulois à Internet, peu ont pris soin de démentir une cyberlégende urbaine qui dit que le Minitel aurait été préféré au web

naissant de la fin des années 1970, faisant ainsi perdre à la France son avance dans le domaine et permettant aux Américains de nous damer le pion. Avec l’arrêt du Minitel, on bazarderait donc une vieille bourde giscardienne. En 2009, dans Libération, le président de Google, Eric Schmidt, remuait ce couteau dans la plaie : « Les Français étaient en retard, ils ne pensaient qu’à leur Minitel. » « On n’est pas du tout dans le même calendrier : l’Internet, le web grand public, ça commence en 1995. L’essor du Minitel débute quinze ans auparavant », lui rétorque l’un des pères du Minitel, le conseiller politique et économiste Alain Minc. En 1977, à la demande de Valéry Giscard d’Estaing, il rédige avec Simon Nora un Rapport sur l’informatisation de la société. L’ouvrage est un succès public, écoulé à des centaines de milliers d’exemplaires, et invente le mot « télématique » qui va impul-


Mot @ Mot _Par E.R.

GRANULARITÉ

n.f. [granylarite]

(Que l’on ne confondra bien évidemment pas avec la « granulation solaire », étude de la structure de grains brillants sur la surface du Soleil. Mais ça va de soi.) 1. Notion désignant la capacité d’un système à être divisé, de manière à en identifier la « granularité », c’est-à-dire l’élément le plus petit. Ex. : « La granularité de la population mondiale, c’est l’individu. » 2. En informatique, la granularité permet de définir la capacité d’un système réseau à morceler l’information qui y circule pour optimiser les échanges. Ex. : « Le système réseau du Minitel offre une granularité moins fine que celui de l’Internet. »

ser « un plan télécom vers 1978-1979. Cent milliards de francs de l’époque [50 milliards d’euros actuels, ndlr], le double du plan nucléaire français. On avait donné le prétexte au lancement de l’aventure Minitel. » « Goodbye Marylou »

Une aventure qui prend donc fin le 30 juin de l’année prochaine, sans possibilité pour les utilisateurs d’espérer un report comme en 2009. Car, cette fois, c’est l’ADN technique du Minitel et non ses services qui va être abandonné par France Télécom : le X.25. Déjà, dans les ports commerciaux, comme celui de Nantes - SaintNazaire, qui utilisaient le X.25, jugé robuste et particulièrement adapté pour traiter leurs flux d’informations, on a opéré la transition au printemps der nier, su r les conseils d’Orange. C’est dans ce X.25 que se love la rumeur – non sourcée mais lovée dans les pages des encyclopédies en ligne – du match désormais

passé Minitel vs Inter net. Quel qu’eut été le vainqueur, il faut commencer par dire que ce qui serait apparu sur les écrans de l’époque aurait de toute manière été plus que semblable. Mais il y a bien eu un choix technique. Pour le comprendre, il faut désemberlificoter les termes qui se cachent derrière le mot Minitel, qui désigne à la fois la machine, les services qu’elle propose et leur usage. Le principe de l’envoi de pages de texte et de graphisme s’appelle « vidéotex ». Le nom du réseau formé par les postes vidéotex est Télétel. Puis, pour que le Télétel fonctionne, il lui faut un système informatique ; ce sera Transpac. Et pour que Transpac marche, il lui faut une technique de communication : le fameux protocole d’échange X.25. Or, à la fin des années 1970, Transpac et son X.25 ne sont pas la seule option qui permet d’échanger des informations dans un réseau. Il y a un concurrent : le projet de réseau

Chronologie 1979 Lancement de Transpac et de son protocole d’échange X.25. C’est l’architecture technique du Minitel, préférée à d’autres systèmes préfigurant l’Internet (réseau Cyclades). 1980 À l'automne, 2500 foyers reçoivent un terminal Vidéotex (que l’on n’appelle pas encore Minitel). 1984 Apparition des services via le système de kiosques, dont le fameux 3615 Ulla. 2009 L’arrêt prévu du 3611, l’annuaire sur Minitel, est finalement repoussé face au nombre de connexions persistantes. 2012 Fin programmée de l’exploitation du Minitel, le 30 juin.

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Le Net en moins flou

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NEWS

Cyclades, qui préfigure Internet avec une avance relative sur des initiatives similaires outre-Atlantique. Cyclades offre notamment une meilleure granularité [lire l’encadré Mot @ Mot page précédente] que le X.25, c’est-à-dire qu’il permet des échanges plus rapides d’informations plus importantes, en les morcelant. Mais, plus acrobatique que le X.25, Cyclades a alors des allures de bizarrerie S.F.. Alain Minc estime aujourd’hui que le choi x du X.25 a d a ns ce débat répondu à « la logique du cadre institutionnel français classique, qui a choisi le système le plus fermé qui soit ». Un choix colbertiste qui eut pour effet certes d’engager un immense projet technologique, mais au détriment d’une approche plus ouver te. De ce choix technique naît l’idée que le Minitel fut le concurrent du Net. Mais le X.25 n’en a pas moins permis de lancer rapidement en France, dans la première moitié des an nées 1980, un monde de services inédits – et en grande partie érotiques –, chantés par Michel Polnareff dans son

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coquinou Goodbye Marylou (1989) et cruciale source de revenus pour des titres de presse comme Libération ou Le Nouvel Observateur.

Du point de vue des internautes, le Minitel a permis de forger des usages en France, tout comme son homologue allemand, le Bildschirmtext. Portails et verrous

Reste que la pique du patron de Google n’était pas dénuée de sens au milieu des années 1990, admet Alain Minc : « Il a failli y avoir un incident. L’existence du Minitel aurait pu retarder le passage à l’Internet en France. Il faut reconnaître à Lionel Jospin, Premier ministre en 1997, d’avoir eu la bonne réaction. L’un de ses conseillers technique lui a dit : “Attention, on est en train de se faire dépasser sur l’Inter-

net à cause du Minitel. On ne va pas tuer le Minitel mais on va se lancer dans l’Internet.” » L’abandon du X.25 met donc fin à une cohabitation non-concurrentielle entre deux technologies. Mieux : du point de vue des internautes, le Minitel a permis de forger des usages en France, tout comme l’a permis son homologue allemand, le Bildschirmtext. Pour preuve, les téléchargements massifs, sur les premiers ordinateurs connectés, d’émulateurs qui permettaient d’accéder aux services Minitel depuis Internet. Les premiers fournisseurs d’accès Internet, comme AOL, ne s’y sont pas trompé en proposant à l’époque des environnements de navigation par portail, hérités du système de « services par kiosques » (les 3615). À l’heure de la remise en question de la neutralité du Net et des projets de tarification graduée des accès au réseau évoqués par quelques opérateurs, nombreux sont ceux qui craignent que l’Internet ne devienne moins ouvert, plus verrouillé. Un retour à la case Minitel, en somme. ♦


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NEWS

Sex tape


De sang chaud H or ny H ouse of H or r or d e J u n Ts u g i t a Ave c : A r a i M i h o, S a o r i H a r a… D u r é e : 1h10

Trois amis font halte dans un salon de massage érotique où de charmantes hôtesses confondent petite mort et vilain massacre. Au programme de L’Étrange festival, le film japonais Horny House of Horror mêle érotisme granguignolesque et éruptions sanglantes sur fond de jouissive ironie – « Nos clients ne reviennent jamais », s’amuse l’une des coquines du f ilm. Nous, on est bien contents de retrouver ce festival pour une dix-septième édition qui promet une orgie de plaisirs coupables et d’effrayants délices avec sa nuit Grindhouse (et le très attendu Hobo With a Shotgun de Jason Eisener), ses cartes blanches à Julien Temple ou Jean-Pierre Mocky, ses avant-premières (Drive, Take Shelter…) et ses vingt deux longs métrages en compétition. Oh, oui ! ♦ _J.R.

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L’Étrange festival, jusqu’au 11 septembre au Forum des images, www.etrangefestival.com

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Que Que N


Nanni Nanni


Habemus Papam

Dans Habemus Papam, NANNI MORETTI filme un pape nouvellement élu qui, à la stupeur générale, s’enferme dans le silence puis prend la fuite. Avec ce personnage de pontife dépressif et démissionnaire, magistralement interprété par Michel Piccoli, le réalisateur italien porte à incandescence les fondamentaux de son cinéma : individualisme, simulacres et impostures y sont vilipendés avec une théâtralité inédite. Une divine comédie qui, loin de s’effacer derrière l’énormité de son sujet, trace avec une formidable finesse d’écriture les contours d’une psyché – individuelle et collective – malade. Rencontre avec un grand cinéaste autarcique, qui se soigne. _Propos recueillis par Auréliano Tonet

Cinq ans après Le Caïman, consacré à Silvio Berlusconi, vous mettez en scène un autre homme d’État : le pape. Je n’avais pas conçu Le Caïman comme un film exclusivement politique. Les histoires linéaires m’ennuient. Bianca, par exemple, est à la fois une comédie sur l’école, une histoire d’amour et un thriller. Le Caïman parle simultanément de Berlusconi, d’une séparation et de l’amour d’un producteur pour le cinéma bis. Cette fois, j’avais envie de raconter l’histoire d’un pape déprimé, qui n’arrive pas à affronter la charge qui lui a été donnée.

un psychanalyste, dix ans après La Chambre du fils. Votre personnage entretient d’étranges relations avec les hommes d’Église, où la concurrence se mêle à la fraternité… La psychanalyse et la confession sont deux pratiques très différentes. Dans mon souvenir, tout reste pareil avant et après la confession, tandis que la psychanalyse tente de mieux se comprendre soi-même, d’atténuer le malheur. Ce n’est sûrement pas un hasard si les deux psychanalystes que j’ai interprétés dans ma carrière cessent, pour des raisons différentes évidemment, d’exercer leur activité. Il faudrait psychanalyser cela !

Comment avez-vous reconstitué le Vatican ? Comme il est interdit de tourner au Vatican, nous avons construit une réplique de la chapelle Sixtine en studio, tandis que la majeure partie du film a été tournée dans l’ambassade de France, au palais Farnèse.

La psychanalyse et la confession sont deux formes unilatérales de discussion. D’ailleurs, les dialogues équilibrés sont rares dans vos films : il y a toujours un des locuteurs qui fait la sourde oreille, ou qui refuse de parler – comme, ici, le pape… L’important, lorsqu’on raconte cette difficulté de dialogue, c’est de ne pas le faire de manière ennuyeuse ou en jouant les victimes. En général, lorsque je veux décrire cette incommunicabilité, j’ai recours à l’ironie.

Habemus Papam résonne curieusement avec l’un de vos précédents films, La Messe est finie (1985). Un prêtre y renonçait au monde pour se rapprocher de Dieu, tandis qu’ici, le pape renonce à Dieu pour se rapprocher du monde. C’est juste. Tous deux s’égarent à la recherche d’un barycentre, mais ils le font de manière opposée. Le pape est un personnage beaucoup plus doux que le prêtre, qui était quelqu’un de très coléreux et intolérant. Dans Habemus Papam, vous campez à nouveau 46

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En schématisant, l’histoire du cinéma italien semble balancer entre deux pôles : d’un côté, la fresque familiale populaire, de l’autre, la chronique de l’individualisme contemporain. Depuis Je suis un autarcique (1976), votre premier long métrage, vous penchez clairement vers la deuxième catégorie, et ce n’est


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Habemus Papam

pas Habemus Papam – l’histoire d’un homme isolé au sein d’une communauté elle-même isolée – qui va inverser la tendance. Je suis un autarcique racontait l’histoire d’un homme qui reste seul avec son enfant après que sa femme l’ait quitté. Les journalistes ont interprété le titre comme un manifeste esthétique, en insistant sur le fait que je faisais tout tout seul – la réalisation, le montage, l’interprétation, etc. Il est clair que je fais partie de votre deuxième catégorie. Cela est en partie dû à ma méthode d’écriture : je fais partir mes personnages de moi, non pas que je sois le sujet le plus intéressant du monde, mais parce qu’on m’a dit – et j’espère que c’est vrai – qu’en me racontant moi-même, j’arrive aussi à raconter quelque chose des autres. Cela dit, même lorsque je les insère dans une situation collective – que ce soit le théâtre, le cinéma ou l’école –, mes personnages font toujours montre d’une forte individualité. Le théâtre, parlons-en : votre pape est un comédien frustré, amoureux de Tchekhov. Pourquoi Tchekhov ? Sa passion pour le théâtre, le personnage la vit par procuration, en tant que spectateur, par le biais de sa sœur comédienne. Michel Piccoli interprète tout le film à l’aune de cette relation frère-sœur. C’est une vision un peu forcée, mais je l’aime beaucoup. Dans le film, il ne reste que trois allusions à cette sœur, dont cette confession à la psychanalyste : « Oui, j’avais une sœur mais elle est morte. » Quant à Tchekhov, il me semblait adapté au ton du film – plus que Shakespeare, en tout

« Dans Habemus Papam, j’affirme simplement que dans la vie, on peut parfois dire non. » cas –, et je voulais un auteur célèbre, que le spectateur puisse facilement identifier. Dans vos films, les garants de l’autorité sont souvent gagnés par un sentiment de découragement, voire d’imposture. À la fin de La Messe est finie, le prêtre souhaite « redevenir un enfant, sans responsabilités ». Il y a quelque chose d’enfantin, également, chez les cardinaux d’Habemus Papam… Oui, je les filme comme de grands enfants enfermés. Habemus Papam n’est pas une invitation à fuir toute responsabilité ; j’y affirme simplement que dans la vie, on peut parfois dire non. Mon personnage veut réacquérir sa liberté, pouvoir gérer seul son mal de vivre, son angoisse. Quel rôle joue le championnat de volley-ball qu’organise le personnage que vous jouez en plein Vatican ? Au lieu de faire ce à quoi le spectateur s’attendrait, c’està-dire psychanalyser chacun des cardinaux, il organise un tournoi, usant du sport pour créer une forme de fraternité. C’est le sujet même du film : bâtir un sentiment

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de familiarité entre des mondes qui en principe ne devraient pas se côtoyer. Très présent dans votre œuvre, le sport touche à l’un des nœuds de votre filmographie : le frottement de l’individu et du collectif. C’est aussi, au même titre que le cinéma, une activité extrêmement physique. Je ne connais rien de plus physique qu’un tournage, en effet ! C’est vrai, mes personnages sont très sportifs : waterpolo, basket, tennis, football… Leur rapport au sport est toujours actif : ce sont des pratiquants, pas des spectateurs. D’ailleurs, dans la vraie vie, lorsque je rencontre les enfants de mes amis, la première question que je leur pose, c’est : « Quel sport fais-tu ? » Hélas, je fais de moins en moins de sport. Il faut que je m’y remette ! Le mélange de malice et de fragilité de Michel Piccoli dans Habemus Papam évoque certains de ses plus beaux rôles au cinéma, notamment Je rentre à la maison de Manoel de Oliveira. Pourquoi l’avez-vous choisi ? Je n’ai pas pensé à sa filmographie en le choisissant : c’est un excellent acteur qui correspondait parfaitement au personnage, voilà tout. Durant le tournage, je me suis rendu compte à quel point il fait partie de cette catégorie d’acteurs qui ne s’annulent pas dans leur personnage, mais qui au contraire l’enrichissent de leur personnalité propre. Et puis sa capacité d’adaptation m’a époustouflé. 48

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« Michel Piccoli est de ces acteurs qui ne s’annulent pas dans leur personnage. » Dans la lignée du Caïman, Habemus Papam porte un regard caustique sur le cirque médiatico-politique. Ironiquement, la sortie du film a elle-même fait grand bruit dans les médias italiens, qui ont relayé un appel au boycott. Le public italien a un rapport beaucoup plus sain à mes films que les médias italiens. Les journalistes simplifient tout. Lors de la sortie d’Habemus Papam, ils ont amplifié un appel au boycott qui ne représente en rien le milieu catholique. De même, ils dramatisent le fait que je refuse de faire des interviews. Mais je ne dis pas non parce que je suis méchant – d’ailleurs, il n’y aurait rien de mal à être méchant avec les journalistes –, mais parce que je n’ai pas envie d’obséder les Italiens avec mes opinions sur tel ou tel sujet. Si n’importe quel acteur tourne une scène de sexe, c’est normal ; mais si moi j’en fais une, ça devient un drame national. On vous a souvent taxé de moraliste. Or, Habemus Papam évacue très vite la question de la morale, qui n’est, cette fois, absolument pas au cœur du récit. Tant mieux. Cela prouve que je fais des progrès. ♦


Pope star

Habemus Papam

Moins mordant, plus assagi mais pas moins pertinent, NANNI MORETTI nous revient avec un discret coup d’éclat présenté à Cannes. Entre guignol et Tchekhov, Habemus Papam est un bijou de mélancolie amusée, servi par la prestation exceptionnelle de Michel Piccoli. _Par Yann François

Puis l’ambiance d’opéra-bouffe du film faiblit progressivement pour dériver vers la quête introspective du Pape. Après la caricature, l’indécision et l’errance, le théâtre de

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ncore sous le coup de son Scud envoyé à la face du berluscon isme avec Le Caïman en 2006, on avait peut être oublié le Moretti mélancolique, observateur subtil des atermoiements de l’âme. Stupeurs et tremblements que de le voir donc prendre pour cible le Vatican, en la personne d’un hypothétique pape victime d’une dépression incurable. Au lendemain de son élection, ce dernier, pris d’angoisse, s’enferme dans ses appartements, refusant toute apparition publique et laissant ainsi une foule de cardinaux et de fidèles en plein désarroi. Si le sujet se veut dramatique, inutile de craindre un quelconque abandon à l’austérité chez le Woody Allen transalpin. En faisant du palais des Papes le théâtre guignolesque d’une crise de foi contagieuse, Nanni Moretti use allègrement de son art sarcastique pour tirer gentiment à boulets rouges sur l’institution pontificale et sa cour. Mais sa justesse à singer le camp adverse, celui d’un psychanalyste (qu'il incarne, en toute logique, lui-même) appelé à la rescousse du Pape mais tout aussi impuissant à pallier à ses doutes existentiels, prouve un choix catégorique d’équité chez l'auteur. Le film se veut certes laïc, mais il ne cède jamais pour autant à l’anticléricalisme primaire.

Tchekhov s’invite (littéralement) sur scène et parasite la légèreté ambiante de ses désillusions. Telle La Mouette du dramaturge russe, le Pape Melville s’érige contre un destin tout tracé par le déterminisme. Le sujet d’Habemus Papam, plus qu’un portrait critique d’une dépression papale et (par extension) nationale, se veut alors parabole et n’a que faire du symptôme à incriminer. Admirablement habité par Michel Piccoli (au point d’apparaître comme une évidence de casting), ce souverain pontife symbolise le Doute universel fait homme. Au-delà de toute charge contre un

système, Moretti donne à son pape la solitude d’une star, expulsée de sa tour d’ivoire à force de sollicitations publiques. Michael Jackson, Amy Winehouse, le pape de Moretti : même combat pour de simples épaules humaines surchargées par le prestige. Habemus Papam, malgré ses airs faussement classiques, témoigne d’une modernité insoupçonnée chez son auteur, qui signe peut-être là son plus beau film. ♦ Habemus Papam de Nanni Moret ti Avec : Michel Piccoli, Nanni Moret ti… Distribution : Le Pacte Durée : 1h42 Sor tie : 7 septembre

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Spleen & idéal Jeux de miroirs, harmonie des couleurs, éclatante agonie : le cinéma de BERTRAND BONELLO atteint avec L’Apollonide une forme de plénitude, en dépit d’un final équivoque qui l’a sans doute desservi lors du dernier Festival de Cannes où il était présenté en compétition. Hypnotisante plongée dans les derniers jours d’un bordel à la fin du XIXe siècle, le film choisit de fixer, plutôt que l’usure des corps, des visages menacés de disparition. Le réalisateur du Pornographe et de Tiresia contourne ainsi habilement l’écueil du titi parisien en tirant le crépuscule d’un siècle vers l’abstraction. Rencontre à l’ombre du Palais-Royal, face à la Comédie-Française, au Café Nemours, « deuxième bureau » du cinéaste dandy. _Propos recueillis par Clémentine Gallot et Auréliano Tonet


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otre cinquième long métrage porte le même nom que la maison de votre enfance, à Nice…

L’Apollonide était la maison de mon grand-père, une grande bâtisse squattée par des artistes, dans les années 1970. C’était un lieu vivant et joyeux, c’était le bordel mais ce n’était pas un bordel. J’ai pas mal couru après cette idée de collectif et, quand il a fallu nommer la maison close du film, je me suis dit : autant se référer à quelque chose d’intime et d’affectif.

Dix ans après Le Pornographe, qui montrait le décalage entre le cinéma porno des années 1970 et celui des années 2000, vous filmez de nouveau une économie sexuelle en déclin.

Avant la loi sur le X, qui l’a marginalisé, le porno était totalement intégré au reste du cinéma. Aujourd’hui, les gens font de la pub et du cinéma d’auteur. En 1900, la prostitution est autorisée, les maisons closes 52

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ont pignon sur rue, même le préfet les fréquente. Puis, en 1945, elles sont interdites, mais la prostitution ne disparaît pas. Comme dit un personnage du film, « ça change doucement ». Vous êtes-vous plongé dans des documents d’époque ?

Je suis parti du livre de Laure Adler, Les Maisons closes, puis j’ai lu les archives de la police, des journaux intimes et de la littérature de la fin du XIXe siècle. Le risque est alors de tomber dans la sociologie. J’ai préféré m’intéresser à des choses qui concernent directement le cinéma : couleurs, textures, affects… La maison est littéralement close  : les personnages ne  s’en échappent qu’une fois. Comment avez-vous travaillé l’espace du film ?

On a investi un château en banlieue. Cette perception de l’espace est fidèle à la réalité : les prostituées ne pouvaient pas sortir, sauf quand la mère maquerelle les emme-

nait en promenade, de temps en temps. J’avais l’angoisse de faire du théâtre filmé, je me suis donc beaucoup interrogé sur le rapport à l’espace-temps. La non-linéarité de la narration et les split screens visent à aérer quelque peu ce film par essence très claustrophobe. Nous avons beaucoup travaillé les mouvements de caméra – notamment de Steadicam –, dans l’idée d’aboutir à une sorte de décor-cerveau. La caméra circule de pièce en pièce, de la chambre de bonne au salon luxueux, épousant l’incessant ballet des corps, qu’ils soient riches ou pauvres. De la guerre et Tiresia jouaient aussi de ces espaces confinés…

J’aime beaucoup les huis clos, les films de survie dans le désert : Shining, Elephant... Le monde extérieur disparaît, la réalité devient abstraite. De Cindy, the Doll is Mine à My New Picture, jusqu’aux larmes


L’Apollonide

Votre regard ne victimise ni n’idéalise, et pourtant, il n’est jamais neutre.

Je ne vois pas comment faire autrement. Les clients du film sont de grands gamins, parfois manipulés par les prostituées. J’ai voulu montrer la cohabitation du luxe et de la pauvreté, de la beauté et de la maladie, faire un film de contrastes. En effet, l’apollinien pactise avec le dionysiaque, le naturalisme avec l’onirisme, le plaisir avec l’effroi, l’harmonie avec la dissonance. Le montage est pour beaucoup dans cette friction des extrêmes.

de sperme de L’Apollonide, votre filmographie est ponctuée de visages féminins en pleurs.

Les visages qui se décomposent me bouleversent : lorsqu’elles ne sont que purs affects, les larmes disent quelque chose de l’écroulement intérieur. J’en abuse peutêtre, mais c’est un artifice que j’aime bien. Comme je savais que le film ne serait pas très sexuel, j’avais envie qu’on se raccroche aux visages. On a même envisagé à un moment ne faire le film qu’en gros plans… Historiquement, on se déshabillait peu dans les bordels car cela prenait du temps, les prostituées portaient donc des culottes fendues. Du coup, j’ai préféré éluder les scènes sexuelles trop explicites pour m’intéresser à la théâtralité des chambres, où les filles étaient transformées en poupée, en geisha, etc. Paradoxalement, le personnage féminin en devient plus fort : son corps est réifié, mais on ne saura jamais ce qui se passe dans sa tête.

Le montage a pris six mois, ce fut un travail d’orfèvrerie. Il fallait donner l’impression d’un continuum, d’une spirale qui se dilue et ne s’arrête jamais, nuit et jour, afin que le spectateur perde tout rapport au temps. J’ai voulu m’arracher de la chronique naturaliste, la tordre en injectant du songe et des affects. La musicalité du montage est accentuée par la bande originale, que vous avez composée, mêlant nappes, bourdonnements et saturations.

D’habitude, je compose la musique avant le tournage, car je la considère comme un élément narratif, et non illustratif. Mais là, j’ai eu du mal à retrouver l’ambiance des salons. Le folklore musical du Paris 1900 renvoie davantage aux brasseries, aux églises, ce qui me faisait très peur… J’ai finalement opté, en cours de montage, pour des sonorités opiacées, planantes. Cette musique a pris corps avec le travail des voix, feutrées et sensuelles.

« J’aime les huis clos, les films de survie dans le désert. Le monde extérieur disparaît, la réalité devient abstraite. »

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Qu’est-ce qui a guidé vos choix de casting ?

La notion d’harmonie. J’ai d’abord choisi Céline Sallette, puis je voulais que ma deuxième actrice s’accorde avec la première, etc. Je cherchais des parcours et des physiques différents : Alice Bagnol, par exemple, n’avait jamais joué auparavant. Malgré ces différences, je tenais à ce qu’aucune ne sorte du lot, à l’idée d’un collectif incarné. Je fonctionne beaucoup au son, à la voix : dans les scènes de groupe, il vaut mieux ne rien regarder et tout écouter. L a plupar t des personnages qu i entou rent vos prostituées sont joués par des cinéastes. Pourquoi ?

Peut-être que tous mes films finissent par parler de cinéma… Ce sont des amis, des connaissances. Dans le rôle de la mère maquerelle, Noémie Lvovsky mêle dureté et bienveillance maternelle : elle met littéralement en scène les filles et les clients. Quant aux autres cinéastes, comme Jacques Nolot, Xavier Beauvois ou Pierre Léon, leur physique fait très 1900. La séquence finale a été reçue assez violemment à Cannes. Quelle est votre analyse ?

Thierry Frémaux m’a dit qu’il avait beaucoup hésité à sélectionner le film en compétition à cause de cette scène. J’assume le débat : tout dépend de ce que l’on voit dans le plan. Céline Sallette dit « Je ne sais pas ce que je vais devenir », et on la retrouve cent ans plus tard, prostituée sur le périphérique. Je voulais expul-

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ser le spectateur par un retour au réel : il faut sortir de la matrice. Le numérique, utilisé pour cette séquence, le montre mieux que le 35 mm, qui est le format du reste du film. Le film est jalonné de très belles citations : « Les hommes ont des secrets mais ils n’ont pas de mystères. » Ou encore : « Si l’on ne brûle pas, comment les ténèbres éclaireront-elles la nuit ? »

Un comédien lisait cette phrase en exergue d’une pièce de Pasolini, je l’avais notée il y a dix ans. L’idée de se consumer une dernière fois avant de s’éteindre est un peu romantique, mais j’assume. Le film, sous-titré Souvenirs de la maison close, témoigne d’une triple clôture : celle du bordel qui se meurt, du siècle qui s’achève, et d’une blessure qui cicatrise.

Il y a l’idée de parler d’une décadence, de la fin de quelque chose que l’on n’a pas connu. Le souvenir, c’est aussi la trace, quelque chose d’un peu impressionniste. Je voulais qu’il n’y ait pas de surprise, que l’on assiste lentement à cette fin, au spectacle de cette pourriture magnifique. ♦ L’Apollonide, souvenirs de la maison close de Ber trand Bonello Avec : Céline Sallette, Hafsia Herzi… Durée : 2h02 Distribution : Haut et Cour t Sor tie : 21 septembre Bande originale disponible le 15 septembre en édition collector (Blaq Out / Dissidenz)


L’Apollonide

Joris-Karl Huysmans et Marcel Proust « L’atmosphère décadente et fin de siècle d’À rebours m’a beaucoup marqué, de même que certains passages de Proust, qui racontent les détails de la vie d’un bordel en 1900 : un décor, une lampe, un geste – comment les filles se brossaient les dents après un client, par exemple. »

Correspondances

Film-palimpseste, L’Apollonide déploie, dans les entrailles de sa maison close, un vertigineux réseau de références. Bertrand Bonello commente pour nous les plus évidentes d’entre elles.

Les peintres impressionnistes « On a beaucoup regardé les tableaux qui se passent dans des maisons closes pour la texture des murs et le décor, car il y existe peu de photos de bordels, et elles sont en noir et blanc. Pour la lumière, on s’est demandé comment éclairer : 1900, c’est l’arrivée de l’électricité. On a décidé que plus on montait dans les étages, moins il y aurait d’électricité. » João César Monteiro « Le premier film que j’ai vu de lui, c’était La Comédie de Dieu, un mélange hallucinant de trivial et de poésie, je ne comprenais pas du tout ce que je voyais. Le sous-titre de L’Apollonide fait probablement référence à l’un de ses films, Souvenirs de la maison jaune. » La Petite « Ce que je trouve très beau dans le film de Louis Malle, c’est le choix de donner le point de vue principal à l’enfant. Les prostituées y apparaissent d’abord comme des femmes, des grandes sœurs, des mères. On les voit prendre le petit déjeuner, prendre un bain, cohabiter. Le film est totalement débarrassé de son aspect sulfureux. »

Stanley Kubrick « Eyes Wide Shut est un chef-d’œuvre de maturité, c’est le plus grand film moderne sur le couple. Sa manière de faire dialoguer le corps et le cerveau m’a fortement marqué. »

Charles Baudelaire « Pour la sensualité mêlée d’effroi, l’archétype du dandy qui peut tout se permettre, débarque avec une panthère et prend des bains de champagne. »

Victor Hugo « Pendant l’écriture du scénario, j’ai rêvé du film muet L’Homme qui rit de Paul Leni, adapté du livre de Victor Hugo. Très vite, le personnage défiguré de la « femme qui rit » est devenu la colonne vertébrale du récit de L’Apollonide. Elle fait penser au Joker de Christopher Nolan, lui-même inspiré par Hugo. J’aime les corps abîmés, leur manière de contaminer le récit – j’avais d’ailleurs écrit un film autour d’une greffe de visage, que je n’ai jamais pu réaliser. »

John Cassavetes « Je voulais donner une patine sixties au film. Les photos en noir et blanc qui scandent le générique d’ouverture découlent en partie de mon admiration pour Faces de Cassavetes : des filles qui rigolent, décoiffées, avec de la fumée qui diffuse les visages. »

Lee Moses « Initialement, je voulais insérer des chansons de chanteuses folk américaines pour casser quelque chose de trop français dans le son des voix. Finalement, l’énergie vitale de la soul de Lee Moses fonctionne bien, comme lorsque Pasolini utilise du gospel dans la B.O. de L’Évangile selon Saint Matthieu. »

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Vénus noire « J’ai vu le film d’Abdellatif Kechiche après le tournage de L’Apollonide : on a les mêmes références historiques, mais Vénus noire parle du racisme plutôt que de la perversion. C’est un drôle d’objet, j’adore l’idée qu’il a du film, son scénario est splendide, même si l’ensemble manque selon moi de dialectique et de contrepoint. »

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Š Sarah Kahn

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rentrée littéraire

fournitures

solaires

Cette année, la rentrée littéraire est placée sous le signe du soleil – très exactement. Celui qui brille à Los Angeles et consume l’innocence des sex-symboles Britney Spears et Jayne Mansfield, héroïnes sacrifiées de Jean Rolin et Simon Liberati. Celui, encore, qui calcine les ailes du double fictionnel de Philippe Jaenada, Icare entraîné dans une vertigineuse chute. Celui – astre noir et exsangue – qui incendie les nombreux récits d’apocalypse, intime ou planétaire, qui scandent la rentrée, inspirés par une actualité anxiogène. Celui, enfin, qui nimbe de lumière le retour très attendu de gloires internationales, de Jonathan Franzen à Haruki Murakami, et éclaire les premières œuvres d’une poignée de révélations. Amis lecteurs, l’été ne fait que commencer. _Dossier coordonné par Bernard Quiriny et Auréliano Tonet

ROLIN JAENADA LIBERATI MURAKAMI FRANZEN CARRÈRE… www.mk2.com

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© Roberto Frankenberg

« Je voulais écrire un voyage vers le bas. Mais un petit bas. C’est tout de même une chute d’opérette, puisque le fond du gouffre est Monte-Carlo. »


Rigolard et ripailleur, habitué des rentrées littéraires depuis 1997, PHILIPPE JAENADA revient cette année avec La Femme et l’ours, descente aux enfers drolatique et arrosée d’un romancier qui lui ressemble. Décryptage de ce « road novel vers le bas » avec l’auteur. _Propos recueillis par Bernard Quiriny

Retour aux ours

Quel a été le point de départ de La Femme et l’ours en tant que roman ? Un type en piteux état que je croise dans les bars de mon quartier m’a raconté une histoire terrible qui lui était arrivée avec une fille. Un soir, elle l’a emmené chez elle, un peu comme un ours emmène une jeune bergère dans sa caverne, mais en plus agréable – et finalement en plus terrible. J’en ai fait une petite nouvelle, qui a obtenu le prix du Roman inachevé 2010. Ça m’a vexé, et inquiété, cette notion d’inachevé. Du coup, pour conjurer le sort, j’ai réellement fait de cette nouvelle le début d’un roman, que j’ai achevé. C’est un roman qui tire, plus que vos précédents, vers le genre du road novel… C’était exactement ce que j’avais envie de faire : un road novel, mais vers le bas. Ça correspondait à un moment de la vie de mon narrateur (un peu moi, soyons franc). Il a 45 ans, l’époque, souvent, de l’inertie. Son avenir lui semble un peu bouché, flou. Il sait qu’il ne peut pas plus qu’un autre retourner en arrière. Fureter à droite à gauche, genre « crise de la quarantaine », c’est pathétique. Aller plus haut, il est lucide, c’est dans les rêves. Il ne reste donc qu’une issue : descendre. Je voulais écrire ça, un voyage vers le bas. Mais un petit bas. C’est tout de même une chute d’opérette, puisque le fond du gouffre est Monte-Carlo.

Pourquoi vous cacher derrière un double dans ce livre, Bix Sabaniego ? On ne peut pas dire que je me cache derrière, mauvaise langue. Quand je commence un roman, le personnage me ressemble toujours beaucoup plus que quand je le termine. Il se détache, se distingue pendant l’histoire, il prend souvent une forme archétypale, symbolique. Je me suis aperçu que chacun des héros de mes sept romans portait la casquette d’une des facettes de ma personnalité. Je me suis dispersé sur mes sept

romans comme j’ai dispersé la femme du titre dans le dernier. Celui-ci, le septième, marque la fin d’un cycle. Il me semble avoir bouclé la boucle, je n’écrirai plus de livres de ce genre, pseudo autobiographiques.

Pourquoi l’humour est-il si rare dans notre littérature ? D’une part, dans la, comment dire, vraie vie, les gens vraiment drôles ne courent pas les rues. Personnellement, d’ailleurs, je ne suis pas vraiment drôle dans la vraie vie. Je suis plutôt dans une sorte de détachement permanent, de recul – et c’est toujours de la distance que naît la légèreté, la dédramatisation, donc une forme d’humour. Mais les détachés ne courent pas les rues non plus. D’autre part, la littérature, peut-être par nature, et surtout en France, est considérée comme une chose sérieuse, grave, c’est le jardin d’enfants des intellectuels – en ce qui me concerne, je leur suggèrerais bien d’aller jouer ailleurs. Du coup, trop d’auteurs, à mon avis, se prennent au sérieux, croyant bien faire, influencés par une sorte de convention collective. Et l’alcool dans tout ça ? C’est bizarre, l’alcool est considéré comme quelque chose de honteux. La littérature regorge de lâchetés, de trahisons, de douleurs, de faiblesses, de mort, et c’est très bien comme ça ; mais l’alcool, ah non ! C’est mal, on n’en parle pas. Dans mes romans, et surtout dans le dernier, il est très présent parce que très utile. Mes personnages sont toujours faibles et enfermés, ou engourdis : l’alcool désinhibe, déclenche le mouvement. Sans boire, Bix n’aurait jamais eu l’énergie ou l’inconscience de bouger, de dégringoler. C’est donc, simplement, le carburant qui provoque l’étincelle dans le moteur. Contribuer au raout de la rentrée littéraire, vous aimez ? Oui. Je sais bien que, pour les prix, je peux toujours courir, mais ce n’est pas grave. J’aime bien la rentrée, l’effervescence, le bruit, ça m’amuse, je vois du monde. Avez-vous lu vos collègues ? Malheureusement non, je n’ai pas encore lu un seul des livres de la rentrée. Avant de vous répondre, je lisais Le Petit César, de William Riley Burnett. C’est vachement bien. Vous ne connaissez pas un journal qui cherche un critique littéraire ? ♦ La Femme et l’ours de Philippe Jaenada (Grasset)

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© Greg Martin

Haruki Murakami

© Cedric Martigny - Opale

rentrée littéraire

trois vedettes mondiales David Grossman

JONATHAN FRANZEN

Livre événement de l’année passée aux États-Unis, Freedom arrive enfin en traduction française. Les Corrections (2 0 0 2) av a it d é jà f a it d e Jo n a t h a n Franzen un auteur de premier plan, le grand portraitiste de son pays. Freedom confirme ce statut, au point de lui offrir en 2010 la couverture du prestigieux Time Magazine. Étalé sur plusieurs décennies, croisant les personnages et les intrigues, ce roman est aussi ambitieux que profondément captivant. Du fil d’un triangle amoureux dévastateur, Franzen tisse un feuilleton cruel sur les choix d’une vie. Prenant alternativement la parole, les personnages deviennent par un tour de passe-passe littéraire assez bluffant les commentateurs désabusés de leur propre vie. Si parfois Freedom s’égare dans des digressions politico-écologiques un peu superflues, Jonathan Franzen touche à la perfection quand il raconte les compromissions et les désillusions de ces héros ordinaires. On n’oubliera ainsi pas de sitôt Patty, cœur battant et contrarié. Elle est, à elle seule, le chef-d’œuvre de Franzen. _R.C.

Freedom de Jonathan Franzen (Éditions de l’Olivier, roman)

DAVID GROSSMAN

Avec Une femme fuyant l’annonce, son sixième roman traduit en français, David Grossman plonge dans la psyché d’une famille israélienne de 1967 à nos jours. À Jérusalem, Ofer s’engage dans une opération militaire en terre palestinienne. Craignant qu’il ne revienne pas, sa mère part alors en randonnée, persuadée que si les messagers de la mort ne la trouvent pas pour lui annoncer la funeste nouvelle, son fils restera en vie. Cheminant loin de la ville, ses souvenirs ressurgissent. Comment donner la vie et y croire malgré la guerre ? Un an avant d’achever ce roman, David Grossman a perdu son fils engagé au Sud-Liban. Son optimisme est d’autant plus marquant. _G.M. Une femme fuyant l’annonce de David Grossman (Seuil, roman)

HARUKI MURAKAMI

Avec Murakami, on tient l’un des rares auteurs à jouir d’une gloire quasi planétaire, bien au-delà du Japon où les trois tomes de sa trilogie 1Q84 se sont arrachés à plus de 3,7 millions d’exemplaires. Les deux premiers sont traduits en cette rentrée, et c’est l’un des événements de l’automne : une somme inclassable qui, sous son titre en forme de clin d’œil à Orwell, intrique plusieurs fils narratifs dans deux mondes distincts, celui de la « vraie » année 1984 et celui de l’an « 1Q84 », dans un univers parallèle. À mi-chemin entre polar et uchronie, cet éblouissant pavé est l’un des récits les plus riches et complexes du romancier nippon. _B.Q. 1Q84 tome 1 et 2 de Haruki Murakami (Belfond, roman)

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Jonathan Franzen


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Céline Minard

François Beaune

CÉLINE MINARD

© C. Hélie/Gallimard

Il lui aura suffi de quelques livres pour imposer son univers en se réinventant à chaque fois, de la science-fiction (Le Dernier Monde) au roman d’épée revisité (Bastard Battle). Cette fois, Céline Minard se met dans la peau d’une écrivain imaginaire qui rédige une lettre testamentaire à l’intention de sa compagne, Luise – lettre qui dérive vers les mémoires, puis l’affabulation. Roman d’amour, roman érotique, satire du milieu littéraire, le tout sous la houlette de Villon : So Long, Luise épate par une langue riche, travaillée, inclassable, surprenante, et par la liberté que s’octroie sans cesse l’auteur, jusqu’à la fantaisie (un détour inattendu par le conte de fées). En parallèle, on lira aussi Les Ales, écrit en duo avec la plasticienne Scomparo. _B.Q. Les Ales de Céline Minard et Scomparo (Cambourakis, roman) So Long, Luise de Céline Minard (Denoël, roman)

trois « jeunes » romanciers FRANÇOIS BEAUNE

Révélé en 2009 avec Un homme louche, François Beaune livre l’un des romans les plus délirants de la rentrée, entre récit à énigme et journal intime d’un antihéros. Soit la cavale d’Alexandre Petit, soupçonné d’avoir tué sa jeune collègue. Ce vieux garçon de 30 ans traité pour ses angoisses a tout du coupable idéal. Alors il prend la fuite, et la plume pour livrer des confessions qu’il présente comme « son meilleur alibi »… mais qui rapidement le desservent. Lentement, le héros de François Beaune sème le doute et nous fait pénétrer dans son esprit, où la souffrance mentale et la haine se livrent bataille. Acculé au voyeurisme, le lecteur est renvoyé ici à sa passion criminelle et à ses préjugés. Une bombe. _G.M.

Alexis Jenni

ALEXIS JENNI Ce professeur de biologie de 48 ans, père de trois enfants, n’a pas vraiment le CV du jeune débutant. Mais son pavé (640 pages) n’en est pas moins la révélation de la rentrée. Victorien Salagnion, un ancien parachutiste né en 1926, qui a fait le maquis, l’Indochine et l’Algérie, demande à un jeune de notre temps, né en 1981, d’écrire sa biographie en échange de cours de peinture. Coupé en deux (le présent de la rencontre et le récit des combats), le roman d’Alexis Jenni, dense, à bout de souffle, nous plonge dans ces années du mensonge dont jaillissent la guerre et l’amour, mais aussi la question – d’une éternelle actualité – de l’identité nationale et du « nous ». _G.M. L’Art français de la guerre d’Alexis Jenni (Gallimard, roman)

Un ange noir de François Beaune (Verticales, roman)

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trois tendances L’HOMMAGE À une ICÔNE DÉCHUE

Blonde on blonde : d’un côté, Britney Spears en fantôme flou rêvé depuis un bus de Los Angeles ; de l’autre, Jayne Mansfield, sex-symbol crashé, sujet d’une analyse pointilleuse. JEAN ROLIN et SIMON LIBERATI signent en cette rentrée deux romans à icônes aux trajectoires divergentes. _Par Gladys Marivat

Depuis le Michaël Jackson de Pierric Bailly sorti en janvier, qui parlait de tout sauf du King of pop, on sent que les grandes figures de la culture populaire travaillent nos auteurs. Nouvelle (double) illustration de cette tendance avec Le Ravissement de Britney Spears de Jean Rolin et Jayne Mansfield 1967 de Simon Liberati. Deux femmes qui sont ici bien plus que des prête-noms pop et sexy. Centres d’une intrigue dont le dénominateur commun pourrait être « Hollywood tue », les stars inspirent surtout deux brillants hommages au roman de genre. Hybride de fausse histoire d’espionnage façon Pulp de Bukowski et magnifique ratage gonzo à la Hunter S. Thompson chez Rolin. « Roman de non-fiction » morbide à la manière du De sang-froid de Truman Capote, avec supplément perruques et LSD, chez Liberati. Au risque de décevoir les fans de Britney Spears, Jean Rolin ne nous apprend rien de croustillant. Hormis des hot news sur ses problèmes de confort urinaire, elle 62

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© Randee St. Nicholas/Sony Music

rentrée littéraire

Britney Spears

est toujours grassouillette et hystérique. En revanche, les méthodes des paparazzis, les déboires de Lindsay Lohan n’auront plus aucun secret pour vous. Roman d’espionnage impossible, Le Ravissement de Britney Spears met en scène un agent dépêché à Los Angeles par les services secrets français pour sauver la chanteuse, menacée d’enlèvement par un groupuscule islamiste. À mesure que l’agent progresse en bus dans la ville, satisfaisant au passage ses besoins en bananes et en quick sex, l’objet de sa mission lui échappe. Depuis le Tadjikistan, où il s’est réfugié pour des raisons connues de lui seul, il nous fait le récit hilarant de ce flop absurde. Jayne Mansfield est en revanche traquée et autopsiée tout au long du livre de Simon Liberati. Ou plutôt les morceaux de son corps. Éclats de cervelle sur la vitre de sa Buick, mèches de cheveux accrochées au châssis du poids lourd : aucun détail de l’accident qui l’a tuée le 29 juin 1967 n’est épargné au lecteur. S’ouvrant sur cette scène, le récit cherche ensuite l’actrice méconnue dans les loges, les maisons, les témoignages. La voix de Liberati, grave et clinique, orchestre cette oraison funèbre. ♦ Le Ravissement de Britney Spears de Jean Rolin (P.O.L., roman) Jayne Mansfield 1967 de Simon Liberati (Grasset, roman)


LES ROMANS FRANÇAIS D’ANTICIPATION

C’est un genre sur lequel on n’aurait pas parié un kopeck voici quelques années, sinon dans le registre de la science-fiction : l’anticipation, la contre-uchronie, voire le récit d’apocalypse, font un retour en force chez les auteurs français, qu’il s’agisse de mettre en scène la chute de notre civilisation ou d’inventer le futur proche, comme jadis Orwell ou Huxley. Ainsi Dalibor Frioux imagine-t-il l’ère de l’après-pétrole dans Brut, premier roman remarqué qui réfléchit sur nos modèles culturels et économiques – et leurs failles. L’ambiance est plus strictement fantastique dans Solène, le nouvel ouvrage du discret et talentueux François Dominique, où une famille lyonnaise survit après une étrange catastrophe qui a ravagé le pays. Quant à Xabi Molia, il ose le revival du zombie dans un Paris du futur où une maladie étrange transforme nos concitoyens en brutes sanguinaires… Un mélange de polar et d’anticipation qui fait écho aux récentes paniques épidémiques et s’interroge sur la résistance de nos sociétés face à la crise. _B.Q.

© Bertini

Brut de Dalibor Frioux (Seuil, roman) Solène de François Dominique (Verdier, roman) Avant de disparaître de Xabi Molia (Seuil, roman)

Xabi Molia

LES ROMANS INSPIRÉS DE FAITS DIVERS

Le Pacte des vierges de Vanessa Schneider (Stock, roman) Room d’Emma Donoghue (Stock, roman) Mont-Blanc de Fabio Viscogliosi (Stock, roman, sortie le 14 septembre) Tout, tout de suite de Morgan Sportès (Fayard, roman)

www.mk2.com Morgan Sportès

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© Christine Tamalet / Fayard 2009

Du Rouge et le Noir à De sang-froid, les exemples ne manquent pas pour illustrer la propension des écrivains à s’inspirer des faits divers. Un réservoir si fécond que Jérôme Béglé a même créé chez Grasset une collection dédiée au genre : Ceci n’est pas un fait divers… La tendance se vérifie d’année en année, et 2011 ne fait pas exception. Ainsi la journaliste Vanessa Schneider revient-elle dans Le Pacte des vierges sur les dix-sept adolescentes tombées enceintes simultanément dans un lycée du Massachusetts en 2008, tandis que l’Irlando-Canadienne Emma Donoghue s’inspire de la sinistre affaire Fritzl dans Room, captivant roman sur la séquestration et la parentalité. On pourrait citer aussi Mont-Blanc de Fabio Viscogliosi, évocation d’un drame routier survenu en 1999, mais le meilleur exemple reste Tout, tout de suite, puissante reconstitution par Morgan Sportès de l’affaire Ilan Halimi et du « gang des barbares ». Un récit minutieux et glaçant, mêlé de réflexions sociologiques et politiques, qui s’impose comme l’un des livres marquants de cette rentrée. _B.Q.


trois objets littéraires non identifiés ADAM LEVIN

Rick Moody et Philip Roth (qui y apparaît comme personnage) ont parlé de chef-d’œuvre, la critique américaine prétend tenir le nouveau David Foster Wallace et The Observer a comparé le livre à un Ulysse newlook. Avec ses mille pages et son réjouissant exergue de Flann O’Brien, Les Instructions d’Adam Levin est l’ovni officiel de cette rentrée, un roman faramineux qui raconte quatre jours de la vie de Gurion ben-Judah Maccabee, garnement hyperactif qui, depuis son école pour enfants difficiles dans l’Illinois, se prend pour le Messie et rédige un nouveau Testament intitulé Les Instructions… Personnage improbable, propos théologique écrasant, souffle, ce pavé ambitieux et déjanté gagne sans conteste le prix de la découverte de l’automne. _B.Q. Les Instructions d’Adam Levin (Inculte, roman)

EMMANUEL CARRÈRE

Il y a une phrase récurrente qui dit assez justement ce qu’est le livre d’Emmanuel Carrère : « C’est plus compliqué que cela. » Le héros, d’abord. Voyou en Ukraine, clochard puis valet de chambre à Manhattan, Édouard Limonov a également été écrivain branché dans le Paris des années 1980 avant de faire la guerre aux côtés des Serbes puis de fonder en Russie un parti d’extrême gauche. La forme du livre, tout en jeux de miroirs, est pareillement sinueuse. L’histoire de Limonov, c’est celle du monde depuis 1945, les combats d’idées, les revirements. Celle de Carrère et la nôtre aussi. À la fin, c’est une chasse à l’homme impossible, la complexité de Limonov comme celle du XXe siècle échappant superbement à toute vérité. _G.M. Limonov d’Emmanuel Carrère (P.O.L., roman) Lire également l’article page 88

JUAN FRANCISCO FERRÉ

On pourrait dire que c’est l’histoire d’un cinéaste à qui une productrice confie un scénario intitulé Providence pour qu’il en fasse un film, mais ça ne servirait à rien. Avec ses 600 pages impossibles à résumer, sa structure en rhizome, ses virages vers le cinéma et le jeu vidéo et son labyrinthe de livres dans le livre, Providence de Juan Francisco Ferré est un roman-monstre, postmoderne en diable, fer de lance du mouvement espagnol Afterpop (une constellation d’auteurs influencés par Thomas Pynchon ou David Foster Wallace, parmi lesquels Robert Juan-Cantavella et Eloy Fernández Porta, également traduits en cette rentrée). Une sorte d’Ulysse de l’ère numérique, adoubé par Julían Ríos ou Juan Goytisolo, que certains jugent génial et d’autres, disons, cryptique. Dingue, en tous cas. _B.Q. Providence de Juan Francisco Ferré (Passage du Nord-Ouest, roman)

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© Sarah Kahn

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conte triple

Tiercé gagnant pour DOMINIQUE ABEL, FIONA GORDON et BRUNO ROMY. Après L’Iceberg et Rumba, le trio signe avec La Fée un troisième film enchanteur, fable burlesque sur l’écart entre la fin et les moyens. Magnifié par son décor havrais, conciliant fantaisie graphique et poésie sociale, le film conte l’histoire d’un veilleur de nuit distrait, secouru par une drôle de fée. À la fois comédiens, réalisateurs et scénaristes, les trois magiciens australo-belgo-normands évoquent pour nous leurs trucs et astuces de mise en scène, où la modestie le dispute à l’inventivité. Soyez prévenus : ces trois-là savent, en un coup de baguette, ressusciter les fantômes de Méliès, Keaton et Hergé.

© Laurent Thurin-Nal/MK2 Diffusion

_Propos recueillis par Auréliano Tonet

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La Fée

La Fée prolonge les pistes esquissées par vos deux premiers longs métrages, L’Iceberg et Rumba. Avez-vous pensé ces trois films comme une trilogie ? Dominique : Disons que chacun raconte les nouvelles aventures de personnages récurrents, à la manière de Tintin et Milou, de Charlot ou de Laurel et Hardy. Le mot « trilogie » nous gêne, car nous avons le sentiment d’être des amateurs qui ont encore beaucoup à apprendre. Fiona : En fait, La Fée est le troisième volet d’une « vingtologie »… Au cirque, les clowns ont recours à ce qu’ils appellent la « règle de trois » : annoncer une proposition comique, puis la répéter, et enfin la casser. Nous utilisons cette règle pour certains de nos gags, mais nous aimons aussi la détourner, pour déjouer les attentes du spectateur. Pareillement, chaque film se construit en réaction au précédent. Par exemple, il n’y avait pas de scènes de danse dans L’Iceberg. Or, nous adorons danser. Nous avons donc inclus beaucoup de séquences dansées dans Rumba. Comme cela fonctionnait plutôt bien, nous en avons également insérées dans La Fée, même si les chorégraphies sont très différentes, puisque la principale scène dansée a lieu sous l’eau, parmi les algues et les sacs plastiques, comme derrière un aquarium. Vos films sont construits autour du couple formé par Dominique et Fiona. L’Iceberg chroniquait leur rupture et leurs retrouvailles. Rumba les saisissait dans un état de plénitude, contrarié par la malchance. La Fée remonte 70

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« Au cirque, les clowns ont recours à la « règle de trois » : annoncer une proposition comique, puis la répéter, et enfin la casser. » plus loin encore dans le temps, et raconte leur rencontre. Fiona : On est un couple sur scène avant d’être un couple dans la vie. Nos pièces de théâtre étaient déjà centrées autour d’histoires d’amour. C’est un peu moins le cas, je crois, dans La Fée. C’est l’histoire d’un être un peu perdu et enfermé. Et puis quelqu’un arrive dans sa vie pour arranger ce qui ne va pas. Dominique : Le film croise les trajectoires de personnages borderline, en marge de la société : un patron myope qui a perdu son permis de conduire, un Anglais solitaire qui a perdu son chien, une femme internée dans un hôpital psychiatrique, un veilleur de nuit… S’agit-il d’un conte de fée, comme le suggère le titre du film ? Fiona : Ce n’est pas un conte classique avec un prince charmant, une princesse et un château. C’est un conte sur le bonheur que l’on peut extraire de la vie à force de volonté et d’envie. Si Rumba racontait l’histoire de gens qui tombent, La Fée conte celle de gens qui courent.


© Laurent Thurin-Nal/MK2 Diffusion

Beaucoup de vos personnages souffrent d’un handicap physique ou mental. Cependant, vous vous arrangez toujours pour que le spectateur ne rie pas à leurs dépends, mais avec eux. Fiona : Mon personnage est un prototype inachevé de fée. Ses pouvoirs sont limités. C’est en cela qu’elle peut être drôle et touchante, et qu’elle se rapproche du clown. Nous sommes tous des prototypes inachevés d’être humain. Le burlesque s’articule tout entier autour des corps. Les vôtres subissent toute sorte de sorts : amputés, agrandis, grimés, dénudés – une nudité, Dominique, que vous affectionnez particulièrement… Dominique : On voit souvent des femmes nues au cinéma, mais on voit peu d’hommes nus. Pourquoi se l’interdire ? On est maladroit quand on est nu, c’est un excellent ressort comique. Contrairement à Jacques Tati ou Pierre Étaix, dont les gags étaient très écrits, nous trouvons nos gags en jouant, en improvisant avec nos corps. La scène de l’accouchement est l’acmé comique et dramatique de La Fée. Comment l’avez-vous pensée ? Dominique : Les situations importantes, comme la naissance, sont des moments géniaux pour les clowns, qui sont des rateurs professionnels. On a imaginé une scène où tous les hommes seraient dans un désarroi total, occupés à résoudre des problèmes anecdotiques,

« Si Rumba racontait l’histoire de gens qui tombent, La Fée conte celle de gens qui courent.» pendant que Fiona serait seule en train d’accoucher. Nous avons composé le cadre en plaçant les éléments anecdotiques au premier plan, et le plus important – l’accouchement – au fond. Mais, au moment de tourner la scène, nous n’avions pas de bébé. Philippe Mars, un clown avec lequel on travaille depuis longtemps, en a fait un, par hasard, pile le jour où il fallait. Votre mise en scène fait la part belle aux plans larges et fixes. Comment adapter cette grammaire visuelle à « l’histoire de gens qui courent », ainsi que Fiona définit La Fée ? Dominique : On privilégie toujours le plan fixe, parce qu’il laisse aux corps le soin de rythmer la scène. Cependant, trop de plans fixes nuit aux plans fixes, d’où l’importance de découper les scènes au montage. Bruno : On a appris qu’on pouvait aller très loin dans le non-réalisme. Le spectateur est notre complice. Si la scène est réussie, il y croit, malgré l’incongruité du propos ou la pauvreté des moyens utilisés. Dominique : Les pionniers du cinéma font partie de www.mk2.com

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La Fée

notre famille, qui est celle des clowns. Il y a un siècle et demi, les clowns jouaient dans les théâtres ; quand la caméra a été inventée, ils se la sont appropriée. Lorsque l’on est passé à la réalisation, nous avions à cœur de ne pas perdre ce minimalisme hérité de l’art vivant. Hergé disait qu’il ne mettait jamais de téléphone sur une table si le téléphone n’allait pas sonner. Nous, c’est pareil. Le théâtre nous a appris l’épure. La Fée mesure l’écart entre la fin et les moyens. Les personnages se posent les mêmes questions qu’un cinéaste en plein tournage : comment parvenir à concrétiser ses désirs ? Dominique : La fée du film est une fée foireuse, qui dispose de petits moyens pour satisfaire beaucoup de besoins. Aider les gens est une mission importante mais difficile ; on se plante tout le temps. En tournage, il arrive, de même, que l’on rate ce que l’on entreprend : pour la séquence finale, on voulait faire la poursuite la plus lente de l’histoire du cinéma. On a un peu raté notre coup, mais tant pis.

cinégénie de cette ville ? Dominique : Le Havre nous a toujours passionnés : l’omniprésence du complexe pétrochimique et ses montagnes de containers colorés, l’architecture incroyablement quadrillée et cohérente d’Auguste Perret, qui évoque Berlin Est… Le Havre porte la trace d’un grand projet humain, esthétique et moderniste, un peu comme le communisme. On sent que quelqu’un a pensé à faire vivre les gens ensemble. Fiona : C’est un lieu où cohabitent les extrêmes. À l’architecture parfaitement dessinée par Perret se juxtaposent des quartiers en pleine décrépitude, celui du port notamment. On avait besoin d’un terre-plein, d’un pont, de toits plats, de décors dans lesquels on puisse se faufiler. Le Havre réunissait ces conditions. Bruno : On a découvert sur place des ciels incroyables, un vert fascinant, qu’on a baptisé « vert Le Havre ». Je ne sais pas si c’est à cause du béton omniprésent, mais il est partout, dans les bars, les écoles… Ce n’est pas un hasard si Le Havre fut l’un des berceaux des impressionnistes.

Votre cinéma est souvent qualifié de rétro. Pourtant, à travers notamment la figure des immigrés clandestins, La Fée documente un certain état de la société contemporaine. Dominique : L’action se passe dans un hôtel, au Havre, une ville de passage. Des voyageurs démunis, il y en a beaucoup là-bas, mais aussi à Bruxelles, où Fiona et moi vivons.

Tous vos films se finissent face à l’océan, comme chez Jacques Rozier… Dominique : Pour nous qui nous exprimons davantage avec des formes et des couleurs qu’avec des mots, la mer est une ouverture idéale. Bruno : C’est vrai. Truffaut disait : « Surtout ne finissez pas un film en intérieur ! »

Mathieu Amalric, Rebecca Zlotowski, Lucas Belvaux ou Aki Kaurismäki viennent aussi de tourner au Havre. Comment expliquez-vous la

La Fée de Fiona Gordon, Dominique Abel et Bruno Romy Avec : Fiona Gordon, Dominique Abel… Distribution :MK 2 Dif fusion Durée: 1h33 Sor tie : 14 septembre

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La Fée

fée moi rire Le trio Abel-Gordon-Romy renoue avec le burlesque chorégraphié et décalé de ses deux premiers longs métrages, Rumba (2008) et L’Iceberg (2005). Avec La Fée, les langues se délient et les corps n’en font qu’à leur tête dans un Havre stylisé et dansant. Présenté cette année en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, une réussite clownesque, tout en éclats (de rire). _Par Laura Tuillier

Le dernier né du trio de saltimbanques Dom, Fiona et Bruno rembobine sur la rencontre des deux premiers, clowns amoureux à l’écran comme à la ville. Après Rumba (où ils étaient déjà mariés et écumaient ensemble les concours de danse régionaux), les voilà qui remuent de nouveau sur le fil d’une comédie romantique synchronisée à souhait.Le ballet débute par un long travelling qui poursuit Dom, veilleur de nuit d’un modeste hôtel havrais, pédalant à toute vitesse sur le bord d’un quai tandis que le soleil fait la course contre lui. Il arrive à temps à son poste, pour voir son quotidien ronronnant (télé, sandwich au ketchup et clients agaçants) bousculé par la fée Fiona, venue lui annoncer qu’elle va réaliser trois de ses vœux. Tombée amoureuse de Dom dans la foulée, Fiona l’entraîne dans une parade amoureuse rythmée, gracieuse et truculente. DIAPASON

Cette cavalcade se poursuit pendant tout le film, puisque les deux tourtereaux ne sont jamais laissés tranquilles par le destin : prise pour folle parce que fantaisiste, Fiona est internée et Dom, en chevalier improvisé, s’en va la délivrer. Acculé, le couple ne se décourage jamais, opposant une imagination souple et débridée aux coups du sort. Leurs corps, principaux témoins de leurs émois, sont les

supports de métaphores (très jolie séquence d’accouplement aquatique avec algues et sac plastiques ondoyants) et de gags (une poussée de ventre instantanée, une évasion d’hôpital dans un manteau deux places) désopilants de simplicité. Clowns façon Tati et Étaix, Dom et Fiona sont également des acteurs talentueux parce que parfaitement au diapason l’un de l’autre. Leur face-à-face comique et romantique est complété par une galerie de

personnages secondaires habilement croqués en quelques touches fantaisistes : l’homme à la valise qui remue de la queue, le patron très taupe du bar L’Amour flou, et même le bébé – dont le sourire n’a pas manqué d’attendrir les festivaliers cannois au printemps dernier. Spontanée, vibrante et jamais sotte, La Fée affirme le pouvoir universel du rire comme compagnon essentiel de la liberté – des fous, des exilés. Chapeau bas. ♦

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© Native Union

LE STORE

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EN VITRINE

LE GEEK, C’EST CHIC

Après l’explosion en vol de Mon oncle Charlie et la perte de vitesse de How I Met Your Mother, The Big Bang Theory est la sitcom la plus populaire du moment. Comment une série qui a failli être annulée à deux reprises par sa chaîne, CBS, est-elle devenue le porte-étendard d’un genre longtemps donné pour mort ? Décryptage d’un succès inattendu. _Par Bruno Dubois, à Los Angeles

Pour briller dans un dîner branché, mieux vaut vanter les qualités comiques de 30 Rock et de The Office ; ou mieux encore, de Louie, Curb Your Enthusiasm et Community. Mais Tina Fey, Steve Carell et Larry David peuvent remballer leurs Emmys : la comédie la plus regardée aujourd’hui aux États-Unis – avec Modern Family sur ABC – s’appelle à la surprise générale The Big Bang Theory. Une histoire de collision entre humains lancée en 2007 : d’un côté, quatre scientifiques nerds aux compétences sociales inversement proportionnelles à leur Q.I., de l’autre, la jolie voisine de palier, blonde et ingénue. Un pitch basique, tout droit sorti d’une mauvaise émission de téléréalité, The Beauty and the Geek, terreau idéal pour une situation comedy grand public.

CHAOS ORIGINEL

The Big Bang Theory a pourtant failli ne jamais être diffusé. À ses débuts, la série ne compte qu’un grand nom, son cocréateur Chuck Lorre, vétéran de la sitcom à l’américaine, notamment créateur de Dharma et Greg et Mon oncle Charlie. Un talent renforcé par un casting bien mené. Pour jouer leurs deux physiciens principaux, Lorre et son compère Bill Prady recrutent Johnny Galecki, révélé dans Roseanne, qui joue Leonard, le binoclard maigrichon, et Jim Star Trek

Sheldon est un trekkie qui méprise évidemment Babylon 5. Sa Némésis s’appelle Wil Wheaton, acteur de Star Trek Next Gen, qui effectue des apparitions pour le tourmenter. Mr Sulu apparaît aussi dans un épisode.

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Le pitch est basique, tout droit sorti d’une mauvaise émission de téléréalité, The Beauty and the Geek. Parsons, un quasi inconnu venu de Broadway, qui sera Sheldon, le génie psychorigide et obsessionnel-compulsif. Mais le pilote se fait tout de même recaler par CBS… Chuck Lorre convainc malgré tout Galecki et Parsons de patienter un an, le temps de revoir le personnage féminin de la série, jugé trop manipulateur par le public test. La voisine s’adoucit alors peu à peu pour devenir la blonde Penny (Kaley Kuoco), qui comme toutes les apprenties actrices d’Hollywood est surtout serveuse. Leonard en tombe Halo

Les super-héros

Le mercredi soir dans les premières saisons, c’est Halo night. Et quand Penny se met à jouer, elle s’en prend bien sûr à son physicien préféré : « Regardez, il pleut des petits morceaux de Sheldon. »

Pour un cosplay, le groupe incarne la Justice League : Penny est Wonder Woman, Leonard The Green Lantern, Sheldon joue Flash, Howard Batman. Quant à Raj, il est Aquaman, « le super-héros le plus nul de l’histoire ».


The Big Bang Theory, saison 3

© 2011 Warner Bros. Entertainment

De Screech dans Sauvé par le gong aux lycéens de Freaks and Geeks, les nerds et les geeks appartiennent à la mythologie teenage américaine des vingt dernières années.

évidemment amoureux, Sheldon tente de lui inculquer des rudiments de physique quantique, et elle essaie de leur apprendre la vie. Wolowitz (Simon Helberg), une caricature de Juif névrosé qui habite encore chez sa mère, et Raj (Kunal Nayyar), un immigré indien incapable de parler en présence d’une femme, complètent la clique des geeks asociaux.

UNIVERS EN EXPANSION

De Screech dans Sauvé par le gong (1989) aux lycéens de Freaks and Geeks (1999), la série aussi culte que brève de Judd Apatow, les nerds (génies et/ou scientifiques souvent peu intégrés à la société) et les geeks (passionnés jusqu’auboutistes, souvent de jeux vidéo et de comics)

appartiennent à la mythologie teenage américaine des vingt dernières années. Mais Chuck Lorre se défend d’avoir « juste voulu mettre en avant des nerds. C’est d’abord l’histoire de personnages extraordinaires, venus de deux mondes différents, qui tentent de cohabiter », expliquait-il récemment à Trois Couleurs. Jim Parsons acquiesce : « Je n’ai jamais perçu Sheldon comme froid et dépourvu d’émotions. Il a les siennes, qui sont juste différentes. » Sheldon Bull, scénariste puis showrunner de Sabrina l’apprentie sorcière à la fin des années 1990, mais surtout auteur du livre à succès Elephant Bucks, véritable guide pour écrire une sitcom télévisée, considère pour sa part que « les thématiques de la série sont universelles et humaines. Les téléspectateurs s’identifient facilement à ces antihéros maladroits qui tentent de trouver l’amour et d’opérer une transition du monde de l’adolescence vers celui des adultes. On n’est pas si loin de Friends ». De fait, même si les références à Star Trek et les débats sans fin entre les héros pour savoir qui est le plus puissant des super-héros (voir ci-dessous) donnent un ton pop plutôt frais à The Big Bang Theory, la vraie force de la série tient avant tout dans ses personnages et dans son casting. C’est Jim Parsons (trois nominations aux Emmy Awards pour une victoire) qui récupère la majorité des bonnes répliques – surtout dans ses face-à-face avec Penny –, mais Wolowitz le sous-diplômé et Raj l’expatrié ne sont pas en reste.

VERS L’INFINI ET AU-DELÀ

Après avoir frôlé l’annulation suite à la grève des scénaristes de 2007, The Big Bang Theory a gagné une nouvelle case horaire pour sa troisième saison en 2009, se retrouvant alors diffusé après Mon oncle Charlie (Two and a Half Men en version originale). De quoi faire exploser son audience aux États-Unis, qui atteint dès lors près

Les comics

Stan Lee

Suite à un pari, Sheldon et Howard jouent un jour leur bien le plus précieux : une édition originale de Flash of Two Worlds pour le premier, et Fantastic Four #48 pour le second. Howard l’emporte.

Dans la troisième saison, Sheldon manque une dédicace du père de Spiderman et décide de se rendre à son domicile… Pour repartir avec une injonction l’interdisant d’approcher l’auteur. Signée, évidemment.

La Station spatiale internationale Wolowitz n’est certes qu’un « simple » ingénieur, mais il travaille régulièrement sur l’I.S.S. Comme dans cet épisode où il a mal conçu les « toilettes de l’espace » et demande de l’aide au gang sur fond d’humour pipi-caca.

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© 2011 Warner Bros. Entertainment

EN VITRINE The Big Bang Theory, saison 1

de 15 millions de téléspectateurs hebdomadaires. Les nerds finissent même par battre Charlie Sheen chez les 18-49 ans, tant convoités par les annonceurs. Dans la foulée, la série devient la comédie la plus rentable en syndication (la rediffusion sur d’autres chaînes), à plus de deux millions de dollars par épisode – soit deux fois plus que Seinfeld en son temps. Du coup, comme Friends à son époque, les acteurs réclament leur part du gâteau : les salaires de chacune des trois stars principales sont passés de 60 000 à 250 000 dollars par épisode en 2011.

Neurosciences

Combien de temps la série peut-elle encore durer à ce rythme sans perdre son efficacité comique ? Mary Dalton, professeur de communication et coauteur de The Sitcom Reader, est optimiste. « L’arrivée de deux nouveaux personnages, avec Bernadette et Amy Farrah Fowler, une version féminine de Sheldon, lui a donné un nouveau souffle », estime-t-elle. Au dernier Comic-Con de San Diego, Mayim Bialik, qui interprète Amy, expliquait qu’elle est la seule membre du casting à comprendre les dialogues… Et pour cause : elle est titulaire d’un doctorat en neurosciences. La relève du show semble donc assurée pour un moment. Mais après ? The Big Bang Theory peut-elle atteindre le club fermé des grandes sitcoms

World of Warcraft et Age of Conan Quand « Sheldor » se fait dépouiller de son compte WoW, il appelle le F.B.I. Dans un autre épisode, Penny devient accroc à Age of Conan. « Queen Penelope AFK » (« away from keyboard »), lâche-t-elle, très pro.

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« Je n’ai jamais perçu Sheldon comme froid et dépourvu d’émotions. Il a les siennes, qui sont juste différentes. » qui durent, y rejoignant Friends ou Seinfeld ? C’est que, régulièrement, des experts annoncent la mort du genre, qui serait has been avec ses trois décors et ses rires enregistrés. « C’est cyclique, riposte Mary Dalton. On entendait le même refrain au début des années 1980. Et puis le Cosby Show est arrivé. Pareil dix ans plus tard avant Seinfeld et Friends. » Les audiences sont certes loin de l’âge d’or des années 1990, mais toutes les séries sont en recul face à l’explosion des sources de divertissement (chaînes du câble, jeu vidéo, Internet…). Face à ces doutes, The Big Bang Theory, avec son fonctionnement ultra classique, agit comme un refuge, autant pour le public que pour les chaînes qui diffusent la série. Warner Bros et CBS ont d’ailleurs déjà annoncé son renouvellement pour trois saisons. Bazinga ! ♦ The Big Bang Theor y Chaîne : CBS (États-Unis), TPS Star et MT V (France) Dif fusion : saison 5 à par tir du 22 septembre aux États-Unis Édition DVD : saisons 1 à 3 disponibles en VF/ VOST ( Warner Home Vidéo)

La machine à voyager dans le temps Sheldon réfléchit à la théorie façon Terminator. « Quand je l’inventerai, je reviendrai dans le passé pour me donner la machine, donc je n’ai pas besoin de l’inventer maintenant. »

Les guest stars

On croise Summer Glau (The Sarah Connor Chronicles) que Raj essaie de draguer. Ou Katee Sackhoff (Battlestar Galactica) nue dans un rêve d’Howard. Heureusement, Steve Wozniak, cofondateur d’Apple, reste habillé.


RUSH HOUR

AVANT

PENDANT

Dans la tradition des films de boxe mêlant rivalité familiale et dépassement sportif (cf. le récent Fighter de David O. Russell), Warrior oppose deux frères ennemis ambitieux, déterminés à s’affronter par uppercuts interposés. Avant la séance, réviser vos classiques (Rocky, Raging Bull, Ali…) s’impose. Chausser les bottines vintage Marcel Cerdan (déclinées du cuir au tweed et du rouge au jaune) vous permettra également de rentrer dans la peau de ces héros abimés. _L.T.

Bear Grylls, ancien des forces spéciales et plus jeune grimpeur britannique de l’Everest, s’est reconverti présentateur de l’extrême avec sa fameuse émission Man vs. Wild (et ses scènes de survie à base de désaltération urinaire). Dans Worst Case Scenario, il vous apprend à surmonter des défis urbains, genre voiture tombée dans un fleuve ou attaque de chien. Pour tenir le coup, on lui conseille de siroter du Mountain Dew, le soda de la génération Jackass. _E.R.

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APRÈS

LA SÉANCE D’UN ÉTÉ BRÛLANT, FAITES-VOUS TIRER LE PORTRAIT DANS LA CABINE HARCOURT

Inaugurée en mai à Cannes, la cabine Harcourt, version express de la photo posée pratiquée par le studio parisien depuis 1934, est désormais installée dans le hall du MK2 Bibliothèque. Au sortir d’Un été brûlant, cinéphiles et nostalgiques pourront donc profiter de trois essais pour tenter d’adopter les poses lascives de Monica Bellucci, belle infidèle du film de Philippe Garrel. Trente secondes pour faire de son visage « un objet romanesque », selon les mots de Barthes. _L.T. Cabine Harcourt au MK2 Bibliothèque, 10 euros la photographie noir et blanc

TROP APPS _Par E.R. Marmiton Véritable compagnon du pas à pas culinaire, l’application dérivée du fameux site de recettes permet de faire au mieux avec ce que l’on a, quitte à marier le hareng aux fraises. La navigation à la voix et les vidéos techniques permettent de se lancer sans bile, et pour pas un radis.

AnimationDesk Un studio Disney dans la poche, c’est ce que propose cette application qui simule un banc d’animation. On y retrouve les outils de base pour gribouiller soi-même son dessin animé grâce à un système de calques superposés. Méthode à l’ancienne pour accessibilité moderne.

1000 Heroz 1000 niveaux. Un nouveau chaque jour. Une compétition mondiale très disputée pour être le plus rapide de ces courses de plateforme. Un moteur physique déconcertant. Des graphismes alléchants. Une rejouabilité indéniable pour peu qu’on soit attaché à faire péter les scores. Rendez-vous dans trois ans.

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© Nanoblock

KIDS À BLOC

Nostalgiques des Lego, angoissés de la rentrée, échauffez vos doigts bronzés et faites craquer vos phalanges engourdies : le microjeu de construction japonais Nanoblock débarque en France. _Par Juliette Reitzer

Gamin, vous passiez des heures sur vos Meccano, vous décortiquiez votre montre Flik Flak pour mieux la remonter, et vous adoriez bâtir des cabanes ? Nanoblock est fait pour vous, et pour les enfants (les vrais) à

LE ROMAN

_M.U.

BRISE GLACE de Jean-Philippe Blondel (Actes Sud Junior)

Brise glace sonde l’âme d’Aurélien, un ado au passé mystérieux qui ne souhaite qu’une chose : se fondre dans le décor. Dans son nouveau lycée, il rencontre Thibaud, qui va le pousser dans ses retranchements grâce au slam. Mais, en plus de se confronter à lui-même, Aurélien doit se heurter au regard d’autrui. Tout en pudeur, ce roman rappelle que littérature et écriture peuvent aider à aller de l’avant. Dès 14 ans.

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par tir de douze ans. Il faudra vous ar mer de patience et de bonnes lunettes, car les 150 à 500 briques à tenons qui composent les différents modèles proposés (du panda géant au pingouin empereur, en passant par la Sagrada Família, les statues de l’île de Pâques ou le Taj Mahal) ont une hauteur de cinq millimètres seulement. De quoi bâtir des minifigurines hyperdétaillées à l’aspect pixellisé, nineties à souhait. Commercialisé au Japon depuis 2008 par la société Kawada, le Nanoblock est le petit frère du Diablock, l’équivalent nippon, lancé en 1962, du Lego danois bien connu par chez nous. Un jeu de patience idéal pour décorer votre petit appartement parisien ou votre bureau. ♦ Jeu de construction Nanoblock. Prix variable en fonction du modèle, de 9,50 € à 21,9 0 € En vente au store du MK 2 Bibliothèque, w w w.diablock.co.jp

LE DVD

_J.D.

STAR WARS, L’INTÉGRALE DE LA SAGA de George Lucas, Irvian Kershner et Richard Marquand (Fox Pathé Europa)

L’hexalogie la plus culte de l’histoire du cinéma en HD Blu-ray : les fans en ont rêvé, Lucas l’a fait. Mais à sa façon : si les kids seront heureux de pouvoir (re)découvrir la grande saga familiale des Skywalker dans son ordre chronologique, les vieux puristes regretteront que l’incorrigible George ait encore – pour la troisième fois ! – bidouillé numériquement les six films. La palanquée de bonus inédits devrait mettre tout le monde d’accord. En vente à par tir du 14 septembre


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© Potemkine et Agnès b. DVD

VINTAGE LES YEUX DANS LE BLUE

Une famille décharnée, un père alcoolo, une mère perdue, une gamine obsédée par la violence punk… Et les guitares de Neil Young. Out of the Blue, film crépusculaire réalisé par DENNIS HOPPER en 1980, s’offre enfin une nouvelle vie en DVD. _Par Jérôme Provençal

Troisième long métrage tourné par Dennis Hopper, Out of the Blue – que le distributeur français rebaptisa Garçonne lors de sa sortie en salles en 1980 – succède dans sa filmographie à The Last Movie (1971). Complet désastre sur le plan commercial, ce dernier a longtemps éloigné l’auteur d’Easy Rider de la réalisation. Il faudra le départ en cours de tournage de Leonard Yakir, initialement engagé pour réaliser Out of the Blue, pour que Hopper enfile de nouveau sa casquette de director. Avec quatre semaines seulement pour boucler le film, celui-ci décide alors de tout reprendre à zéro et d’apporter au récit une coloration nettement plus désenchantée. Présent derrière la caméra, l’acteur-cinéaste l’est aussi devant, jouant le rôle masculin principal, celui de Don, un camionneur alcoolo qui croupit en prison pour avoir causé la mort de plusieurs

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Révélée dans Les Moissons du ciel de Terrence Malick en 1978, Linda Manz incarne Cindy, étoile filante perdue dans l’immensité de la nuit. enfants dans un accident de circulation. Dehors l’attendent sa femme Katie (Sharon Farrell), qui flirte tantôt avec d’autres hommes, tantôt avec la drogue, et sa fille Cindy (Linda Manz), adolescente androgyne qui ne jure que par Elvis et le punk, et à laquelle le nihilisme fait comme une seconde peau. Lorsque Don, libéré, revient au bercail, les choses ne s’arrangent pas, bien au contraire… En choisissant une mise en scène au classicisme frontal, Dennis Hopper colle au plus près de ses personnages, ordinaires laissés-pour-compte traînant dans les marges de l’Amérique, et signe une ardente ballade crépusculaire scandée par les accords obsédants du My My, Hey Hey (Out of the Blue) de Neil Young, qui donne son nom au film. Révélée deux ans plus tôt dans Les Moissons du ciel de Terrence Malick, la jeune Linda Manz incarne Cindy, étoile filante perdue dans l’immensité de la nuit, avec un parfait mélange de candeur et de rage qui imprime une marque profonde dans la mémoire du spectateur. ♦ Out of the Blue de Dennis Hopper Avec : Linda Manz, Dennis Hopper… Édition : Potemkine / Agnès b. Sortie : déjà disponible


RAYON IMPORT

Sale guerre

War, Inc., Dans la vallée d’Elah, Green Zone, Redacted… Alors que l’on commémore ce mois-ci les dix ans des attentats du 11 septembre 2001, un essai britannique passe en revue les formes cinématographiques inspirées par l’invasion en Irak qui a suivi. L’auteur y recense pas moins de vingt-trois fictions et documentaires qui témoignent du malaise des studios, de l’opinion américaine et des frictions entre Hollywood et l’administration Bush. Convoquant la tradition du film militaire de propagande, ces transpositions du conflit irakien à l’écran ont permis de redéfinir la figure du soldat américain, notamment latino, dans des films peu vus comme G.I Jesus. Un genre considéré comme « toxique » pour le box-office, à l’exception de Démineurs de Kathryn Bigelow, venu clore le cycle après l’élection d’Obama. _C.G. A Toxic Genre : the Iraq War Films de Mar tin Baker (Pluto Press, en anglais)

BACK DANS LES BACS

Kourosh perse enfin Quelques titres traînaient bien en ligne ou sur les compilations Pomegranates et Forge Your Own Chains. Mais la carrière de Kourosh Yaghmaei, héros moustachu des premiers temps du rock à l’iranienne, restait un mystère réservé aux initiés. La faute à la censure, qui l’a interdit dès le début de la révolution islamique en 1979 – et qui fait son retour depuis l’ère Ahmadinejad. Cette première rétrospective lui rend sa place et révèle un brillant chaînon manquant entre la pop psychédélique occidentale (Beatles, Love…) et le corpus folklorique perse. Kourosh chante des chansons nourries d’effets de guitares électriques, mais les tempos et motifs mélodiques restent orientaux. Un témoignage incontournable sur l’Iran d’avant le blackout artistique. _S.F. Back From the Brink : 1973-1979 de Kourosh Yaghmaei (Now Again)

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© A Prime Group

DVDTHÈQUE PROMENADE SALUTAIRE Déambulation au pays des concepts, l’émission dominicale Philosophie, sur Arte, regroupe ses meilleurs épisodes dans un coffret DVD. RAPHAËL ENTHOVEN y mène les débats en guide interrogateur et aventureux. _Par David Elbaz

Un vieil atelier du XIe arrondissement de Paris, tortueux et baigné de lumière, empli de livres entassés, ponctué d’images – reproductions, photos et photogram mes agrandis pour l’occasion. C’est dans ce décor-cerveau que Raphaël Enthoven et son invité du jour (souvent philosophe, toujours spécialiste) composent en mouvement sur une thématique : animal, désir, dignité, technique… De ses émissions radiophoniques sur France Culture jusqu’à Philosophie sur Arte, ce qu’affectionne Enthoven dans cette pratique de la pensée en parole, c’est « la métamorphose en silex de deux personnes qui, sans se connaître, transforment leurs désaccords en étincelles ». Étincelles et fulgurances : l’émission, tournée en un unique plan-séquence, traduit la volonté de faire la part belle à l’improvisation en assumant les risques. Pour le professeur agrégé de philosophie, « les incidents sont le supplément d’âme de l’émission ». La promenade emmène

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parfois le spectateur au dehors, dans la rue qui vit à son rythme, comme pour mieux signaler le besoin pour la philosophie de prendre un recul constant sur son objet, de s’externaliser. Pour le passage en format DVD, trente entrées ont été rangées par ordre alphabétique – qui rappellent un certain abécédaire deleuzien. Avec quelques pépites, comme « Adèle Van Reeth découpant une tomate pour expliquer la différence entre Jean-Paul Sartre, Stanley Cavell et Alain Robbe-Grillet ». Chaque épisode trouve un prolongement dans sa partie bonus, où l’entretien se poursuit une fois le tournage achevé. Plus informelle, mais tout aussi passionnante. « Dans la plupart des cas, le dialogue de vingt-six minutes n’est que l’ébauche d’une discussion qui pourrait durer des heures et qui, si elle avait été enregistrée un autre jour, aurait suivi un autre chemin. » On revient souvent sur ce qui aurait pu être dit en lieu et place de ce qui vient de l’être, échangeant regrets et satisfactions. Les points d’ancrage ludiques sont ces images familières en lien avec le sujet, plantées de part et d’autre du décorum, et par lesquelles s’accroche le fil de l’échange. Leur fonction : « Attirer l’attention sur ce qu’on néglige de regarder dans les objets du quotidien, rappeler l’inquiétante étrangeté d’un monde qui n’est familier qu’en surface. » La belle idée de l’émission, c’est de rendre la philosophie accessible sans entamer son devoir de précision. Dire simplement mais sans simplifier. Et ça marche. ♦ Philosophie, cof fret 6 DVD (avec un livret de 40 pages) Édition : Ar te Editions Sor tie : 21 septembre


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FILMS La sélection de la rédaction

LA FEMME AUX REVOLVERS d’Allan Dwan (Montparnasse)

Les Éditions Montparnasse publient une nouvelle salve de DVD tirés du prestigieux catalogue de la firme RKO. Parmi eux, La Femme aux revolvers d’Allan Dwan, petite pépite qui rappelle que ce réalisateur compte parmi les grands noms du western. Débutant sa carrière dans les années 1910, Dwan fut plus largement un maître dans l’art de s’adapter à tous les genres cinématographiques. Sorti en 1952 et interprété par Jane Russell, La Femme aux revolvers suit l’itinéraire d’une braqueuse de banque et se révèle aussi juste et précis dans sa mise en scène que dans la peinture des affects. Parfaitement rythmé, profond et sensible. _F.G.

LAME DE FOND

de Vincente Minnelli (Wildside) Ce remarquable film noir tourné en 1946 débute à la manière d’une comédie lubitschienne : Ann (Katharine Hepburn) se moque bien de finir vieille fille, malgré les remontrances de sa gouvernante. Séduite par un magnat de l’industrie (Robert Taylor), elle l’épouse mais découvre vite son côté obscur : il nourrit une haine inexplicable envers son frère (Robert Mitchum). Rigueur tyrannique contre nonchalance romantique, désir de possession contre esprit d’indépendance, opulence matérielle contre sensibilité artistique. À travers cette rivalité fratricide, Minnelli affirme l’idéal qui illuminera ses chefs-d’œuvre à venir. _J.R.

EASY MONEY de Daniel Espinosa (MK2 Diffusion)

JW est un jeune homme ambitieux. Étudiant d’une prestigieuse école de commerce le jour, chauffeur de taxi la nuit, sa soif de luxe le conduit à fréquenter le milieu du crime organisé suédois. C’est là qu’il se lie à Jorge, un dealer fugitif qui prépare le coup du siècle et l’initie aux codes du narcotrafic. Dans son troisième long métrage, Daniel Espinosa brosse un portrait sombre et à vif d’une Stockholm corrompue. JW et son histoire d’amour avortée, Jorge et sa relation fraternelle chaotique… Jamais monolithiques, les personnages de ce thriller nerveux naviguent dans une atmosphère âpre, entre émotion et violence. _D.R.

LE BEAU SERGE et LES COUSINS

de Claude Chabrol (Gaumont) Gaumont réédite deux films de jeunesse de Claude Chabrol. Le premier sur un retour aux origines – François retrouve son ami d’enfance, Serge, alors que celui-ci a sombré dans l’alcool, abattu par sa morne vie campagnarde –, l’autre sur l’arrivée à Paris d’un étudiant intègre dont le cousin dandy se charge de faire tomber les illusions. Les deux premiers films du réalisateur mettent en scène le même duo d’acteurs, Gérard Blain et Jean-Claude Brialy, qui y manipulent tour à tour l’emploi et le contre-emploi. Chabrol dissèque parfaitement leurs relations équivoques dans ces œuvres cruelles et complémentaires. _L.T

Devil Story

PRIME CUT

de Michael Ritchie (Carlotta) Nick Devlin (Lee Marvin) est missionné par des créanciers de Chicago pour récupérer la dette de Mary Ann (Gene Hackman), sorte de parrain-fermier du Kansas. Délires anthropophages et élevage de jeunes vierges en batterie : dans ce film de 1972, Michael Ritchie, étoile filante du Nouvel Hollywood, détournait avec style l’Amérique clinquante et glauque. Le prestige du casting (Sissy Spacek dans son premier rôle) se mêle au saugrenu de la série B. Prime Cut a des allures de chaînon manquant entre les motifs obsessionnels du cinéma des années 1970 (de Soleil vert à Délivrance). Une créature inadaptée, dérangeante et jouissive. _D.E.

de Bernard Launois (Nanarland / Sheep Tapes)

Promenons-nous dans les bois avec Bernard Launois. Ce cinéaste oublié – et pour cause –, considéré par les spécialistes comme un Ed Wood français, tourne en 1985 un roadmovie de zombies normands resté unique à ce jour. Une pépite excavée des improbables tiroirs de Nanarland, « le site des mauvais films sympathiques ». Paysans mutants, momie hostile et troglodytes gargouillants se jettent sur des automobilistes égarés dans la cambrousse et poursuivent une jeune femme court vêtue. En bonus, des documents poilants autour de la postérité et du tournage franchouillard dans une Normandie infernale. _C.G.

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© Tom Beard/EMI Music LTD

CDTHÈQUE Baxter Dury

POP POTAGE

Fils de (Ian Dury et son Sex & Drugs & Rock & Roll), BAXTER DURY devient grand et sort son classique mineur, rajoutant sea et sun au triptyque paternel. Un troisième disque solo enregistré à Ibiza, entre pop solaire et nuages intérieurs. _Par Wilfried Paris

Déjà album de l’été glissant automne, le troisième disque solo du fils Dury est tempéré, mi-figue mi-saison, entre rigolade et dégringolade, baignade et débandade. Après Len Parrot’s Memorial Lift en 2002 (pépite claustro et psyché qui samplait le Velvet et invitait Geoff Barrow) et Floor Show trois ans plus tard (plus électrique, plus couillu, pas moins bien), la coldpop de Baxter a la neurasthénie plus légère, plus conviviale aussi, sur cette « soupe joyeuse » qui rejoint pour l’occasion EMI. Mélodies tranquilles sur tapis pop minimal (batterie, basse, guitare, claviers), cette « musique psychédélique de bord de mer », selon son auteur, est douce (les back ups vocaux et lumineux de Madeleine Hart) et amère (poivre et sel), épinglant en dix saynètes sordides sentimentales des préquadras à la gueule de bois : « I was a sexual forest fire / My flame had been dampened by fear and age. » « Ces histoires sont profondément et péniblement vraies », dit-il. Coucheries et tromperies,

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racontées d’un ton cockney indifférent et clinique, font de Dury l’entomologiste lucide des petites lâchetés ordinaires, moins chanteur que narrateur. « Je ne dis à personne que je ne chante pas, car jusqu’ici, personne ne l’a encore remarqué », glisse-t-il encore par mail, avec cet humour du contre-pied qui sied si bien à ses chansons – et que Madeleine contrebalance en petits ponts clairs, nets et concis. Cet album, finalement moins d’un homme que d’un homme et d’une femme (androgyne, ou ambidextre), de femmes mêmes (les chansons Claire ou Isabel), fait fatalement penser à Gainsbourg f lirtant la petite rousse dans le cœur de Londres. Sinon, c’est spacieux comme une maison à Ibiza, entre la syncope Specials, les endives The XX, une basse Cure, l’entrain morose de Ray Davies. Que pense-t-il de son pays, et de la Reine, alors ? « Je viens juste de découvrir que tous les stocks de mes deux derniers albums ont disparu suite à un incendie [celui du stock Pias, brûlé pendant les émeutes de l’été, ndlr], ce qui est assez étrange. Mais je ne le relie d’aucune façon au songwriting anglais. Je pense que c’est la troisième génération de fucked kids qui n’ont aucune empathie et cherchent les extrêmes pour s’exciter. Porter le blâme sur David Cameron serait le créditer de beaucoup d’influence, il a une tête de fromage français coulant. » Pas de fromage dans le potage, s’il vous plaît. ♦ Happy Soup de Ian Dur y Label : EMI Sor tie : disponible


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ALBUMS La sélection de la rédaction

BON IVER, BON IVER

PORTAMENTO

de The Drums (Cooperative Music) Si le groupe de Brooklyn file la métaphore musicale dès le titre de son nouvel album (le portamento est une forme de glissando constant), c’est peut-être pour signaler que la différence avec son premier disque de 2010 y est aussi ténue que le glissement sur une vague surf rock décolorée, et aussi hésitante qu’un groupe Sarah Records noyé dans la reverb’. Ce qui les rend assez touchants. Un changement de line-up et un Searching For Heaven en arpèges de synthé analogique ne font pas diversion : The Drums reste fidèle à sa matrice new wave (Smiths, Joy Division, Field Mice) et adolescente. _W.P.

de Bon Iver (4AD / Beggars) Quatre ans après For Emma, Forever Ago, disque solitaire à l’œil humide, Justin Vernon émerge avec ce deuxième disque qui fait tout pour ne pas être une suite. Bon Iver, Bon Iver s’est pour cela entouré d’une clique soudée lors des tournées (le saxophoniste Colin Stetson, les chœurs de Sean Carey…) et offre un folk qui dévie toujours vers le R’n’B et la soul tout en s’enrichissant copieusement. Parfois trop, quand Vernon embourbe ses chansons dans une production que n’aurait pas reniée Phil Collins en 1992 – et qu’on rapprochera des sonorités borderline exploitées par Kanye West, nouveau meilleur ami de Justin Vernon. Pour le reste, les paroles s’accrochent toujours durablement à l’âme. Faire du bon avec du moche est un talent rare. _S.F.

TAMER ANIMALS

d’Other Lives (Tbd / Pias) Le quintet d’Oklahoma mené à la baguette par le prof de gratte Jesse Tabish aura mis seize mois pour composer et enregistrer cette symphonie épique, folk en chambre de cordes, bois et vents mouvants. Un western spaghetti 180 degrés trippant space odyssey (le cinématique clip de For 12 et son monolithe triangulaire), glissant du mur du son spectorien (castagnettes) aux subtilités morbides de Brian Wilson (polyphonies). « The sun is getting closer to the world », chantet-il : l’emphase postapocalypse (Arcade Fire ou Godspeed), quêtant le sublime romantique, retourne en une mesure à l’émotion pure, simplement organique. _W.P.

FATHER, SON, HOLY GHOST

de Girls (True Panther Sounds / Pias) « Come into my heart, my love », susurre Christopher Owens au terme de l’épique Vomit, premier single du deuxième album de Girls après un premier essai triomphal sorti en 2009. Dans cette suite, le chanteur californien n’a rien perdu de sa morgue romantique ni de son timbre de crooner écorché. Toujours épaulé par Chet « JR » White, et renforcé par trois nouveaux venus, le junkie blond élevé dans la secte des Children of God poursuit son chemin de croix musical sur Father, Son, Holy Ghost, langoureux juke-box entre anges surf et démons shoegaze, ballades de lover à la Elvis Costello et spleen folk drogué au lo-fi. _E.V.

Jeff Bridges

Chicago Soul

(Soul Jazz Records / Differ-ant) Soul Jazz réédite en deux vinyles et 40 pages de livret l’un de ses incunables consacré au Chicago des années 1960 – blues électrique (Bo Diddley, Howlin’ Wolf), funk (Sonny Cox, Stereos) soul (Etta James, Little Milton) et psychédélisme (Rotary Connection, Phil Upchurch). Le label Chess Records y popularisa la musique afro-américaine, à l’instar de ses rivaux de Motown (Detroit) et Atlantic (New York). Ces vingt titres explorent l’histoire du label, du blues des banlieues aux hits black music, en passant par les ponts jazz (l’Art Ensemble of Chicago est à côté) et la prog hippie (Hendrix piquera beaucoup à Muddy Waters). Soulful. _W.P.

Retrouvez notre playlist sur

de Jeff Bridges (Blue Note / EMI) Dix ans après Be Here Soon, premier essai honorable sorti en indé, et suite à sa performance applaudie en country singer alcoolo dans le film Crazy Heart de Scott Cooper, Jeff Bridges reprend sa gratte pour livrer un deuxième album. On retrouve avec plaisir le grain de voix amoché et le charisme irrésistible de son personnage Bad Blake, emballés là encore dans une production honky tonk assurée par l’expérimenté T-Bone Burnett. Si les disques d’acteurs sont souvent des caprices dispensables, Jeff Bridges, sans atteindre les sommets d’un Kris Kristofferson (son sosie !), emporte la mise avec le charme sobre de l’artisan. _E.V.

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BIBLIOTHÈQUE © Hélène Bamberger/P.O.L

Limonov, formidable personnage, s’impose dans sa splendeur ambiguë d’électron libre.

ZESTICULATIONS En contant la vie d’Édouard Limonov, clochard et poète devenu patron borderline des nationauxbolchéviques, EMMANUEL CARRÈRE raconte l’histoire de la Russie et de l’Europe depuis 1945. _Par Bernard Quiriny

Limonov ? Certains se souviennent peut-être avoir lu ce nom dans le journal gauchiste L’Idiot international, dans les années 1980. Pour ceux-là, Édouard Limonov est un écrivain russe provocateur et surdoué, auteur d’ouvrages autobiographiques dont Le Poète russe préfère les grands Nègres, récit de son existence de pouilleux dans les basfonds du New York seventies. Pour d’autres, Limonov est un homme politique russe discutable, cofondateur du parti d’extrême gauche national-bolchévique en 1992 et dissident « héroïque » en délicatesse avec Poutine, qui l’a envoyé quelques mois dans les meilleures prisons du pays, Lefortovo et Saratov.

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Ce Limonov-ci et ce Limonov-là ne sont en fait qu’un seul homme, né en 1943, parti d’URSS pour l’Amérique puis Paris, avant de retrouver sa patrie après la chute du Mur de Berlin via une escale en Yougoslavie. Il n’y a donc pas un, ni deux, mais une multitude de Limonov, personnage insaisissable qu’Emmanuel Carrère a rencontré à Paris dans les années 1980 avant de le retrouver en 2006 à Moscou. C’est là qu’est née l’idée de ce livre, mélange de roman vrai, de reportage, de réflexion historique et d’autobiographie [lire aussi p. 64]. En retraçant la vie de l’improbable Limonov (un pseudo qui renvoie à limon, citron en anglais, et limonka, grenade en russe – tout est dit), l’écrivain y reconstitue l’histoire de la Russie depuis 1945 (la torpeur brejnévienne, l’intermède flottant jusqu’à Gorbatchev, la victoire d’Eltsine et le triomphe des oligarques) et celle de l’Europe entière, avec ses idéologies, ses guerres, ses déchirements. Solidement documenté, Limonov, le livre, embrasse une profusion de thèmes et d’époques dans un style brut et bourré d’humour noir, et aborde avec une profondeur impressionnante des questions majeures – fascisme, soviétisme, héroïsme, guerre, histoire, valeurs, virilité, combat, poésie – en montrant toujours le nœud de contradictions de chaque problème. Car, comme le répète inlassablement l’auteur, « c’est plus compliqué que ça ». À travers ce maelström historique, Édouard Limonov, formidable personnage, s’impose dans sa splendeur ambiguë d’électron libre, sec, brutal et inclassable, à mi-chemin entre second couteau magnifique (il n’aura finalement percé nulle part, ni comme écrivain, ni comme meneur d’hommes) et baroudeur anarchique, courant derrière tout ce que la vie peut procurer comme sensations extrêmes – la littérature, l’alcool, l’amour et la guerre. Bref, Limonov est un homme dans toute sa complexité. Et Limonov un livre, un grand. ♦ L i monov d ’ E m m a n u e l Ca r r i è r e Éd i t e u r : P.O. L . G e n r e : r o m a n b i o g r a p h i q u e S o r t i e : d i s p o n i b l e


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LIVRES La sélection de la rédaction

VOUS ÊTES NÉS À LA BONNE ÉPOQUE

de Matthieu Jung (Stock, roman) La Vague à l’âme et Principe de précaution ont imposé Matthieu Jung comme l’un des meilleurs chroniqueurs de notre temps, avec ses travers et ses types sociaux. On a souvent cité Houellebecq comme l’un de ses modèles, et ça n’est pas injustifié. Plus modeste que le précédent, ce troisième roman aborde un thème également plus intime : l’amour et la maternité, ou plutôt ce que les codes sociaux exigent des femmes en la matière, cette pression sociale qui voudrait qu’elles enfantent à tout prix. La chute peut ne pas convaincre, mais le tableau des trentenaires bobos que rencontre l’héroïne et la réflexion sur les paradoxes de notre époque confirment le talent de l’auteur. _B.Q.

LES MORUES de Titiou Lecoq (Au diable vauvert, roman)

Charlotte Durieux s’est-elle vraiment suicidée ? Est-il bien raisonnable de continuer à fêter la mort de Kurt Cobain à la bougie passé 30 ans ? Et il existe ce bar pourri où « les morues », bande d’intello-féministes drolatiques, un brin dépressives et alcooliques, se retrouvent chaque semaine ? Voilà quelques-unes des nombreuses questions soulevées par le premier roman joyeusement bordélique de la journaliste (Grazia, Slate…) et blogueuse (Girlsandgeeks) Titiou Lecoq. Entre roman générationnel à la Douglas Coupland, thriller politique et web love story, on y retrouve avec plaisir sa prose énergique, spirituelle et décalée. _G.M.

LA FEMME ET L’OURS

de Philippe Jaenada (Grasset, roman) Ça ne va pas fort pour Bix Sabaniego, romancier parisien qui ressemble à Philippe Jaenada [lire également p. 58]. Ses livres ne lui rapportent rien, son copain de bar meurt bêtement et son épouse lui tape sur les nerfs. Épuisé, il part noyer ses idées noires dans le whisky. C’est le début d’une épopée qui l’emmènera de Saint-Germaindes-Prés à Monaco, entre road novel alcoolisé et odyssée de l’absurde. Ce neuvième roman a plus que jamais un côté bordélique qui est à la fois sa limite et son charme : c’est décousu, débonnaire et très drôle, avec cette manière de regarder le monde comme un endroit où tout est triste mais rien n’est grave. _B.Q.

SERMONS RADIOPHONIQUES d’Hakim Bey (Le Mot et le Reste, essai)

« Toute chose délicate et belle, du surréalisme à la break dance, finit comme fourrage pour les publicités McDeath. » Écrivain anarchiste américain, Hakim Bey, de son vrai nom Peter Lamborn Wilson, est connu pour sa théorie des T.A.Z (« zones autonomes temporaires ») et son attachement à la culture pirate en général. Dans Sermons radiophoniques, il pose la question de la pratique de l’art à l’heure de la culture poubelle : « Est-il possible d’être sérieux mais pas sobre ? » Foutraque et fulgurant, l’auteur prêche en onze sermons – comme les stigmates d’un dogmatisme achevé – sa théorie de l’immediatisme. _D.E.

VINCENTE MINNELLI

d’Emmanuel Burdeau (Capricci, essai) « Weaver of dreams » – tisseur de rêves. L’épitaphe inscrite sur la tombe de Vincente Minnelli, disparu en 1986, ne saurait résumer la complexité de son œuvre. En 350 pages, le critique Emmanuel Burdeau dresse un portrait du cinéaste américain en travailleur acharné, tout à la fois « enchanteur mondain et artiste torturé », auteur de trente-quatre longs métrages de 1944 à 1976. De Tous en scène aux Ensorcelés, de Comme un torrent au Père de la mariée, des analyses de séquences amorcent une réflexion sur les genres (musical, comédie, mélodrame), le rapport aux arts ou les thèmes récurrents (mondanité, guerre, enfance, télévision…). Précieux. _J.R.

Le Royaume enchanté de

James B. Stewart (Sonatine) Tout n’est pas rose chez Disney. Dans une enquête passionnante, l’auteur, journaliste au New Yorker, retrace les guerres intestines qui ont présidé à la lente décadence du studio dans les années 1980, précipitée par des procès et une révolte des actionnaires. Ce tableau des coulisses de l’entertainement sous l’ère Michael Eisner fustige la valse des hommes d’affaires se disputant l’héritage du père fondateur, Walt Disney, en proie à une lutte à mort pour le leadership de Hollywood. Infiltrant ces réseaux de pouvoir, l’auteur s’est même déguisé en Dingo à Disneyworld pour les besoins du reportage. La magie du cinéma. _C.G.

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BDTHÈQUE GET BACK Que se serait-il passé si les Beatles n’avaient jamais changé l’histoire de la musique – ou plutôt si quelqu’un l’avait fait à leur place ? Dans Yesterday, DAVID BLOT et JÉRÉMIE ROYER partent de ce postulat pour raconter la solitude des stars, loin du monde réel. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)

On se réjouissait cet été (Trois Couleurs n°93) de la réédition de l’intégrale du Chant de la machine, diptyque sur les musiques électroniques que David Blot (scénariste) et Mathias Cousin (dessinateur) avaient construit entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, juste avant le décès de ce dernier. David Blot, par ailleurs journaliste et animateur radio, aura finalement mis une bonne dizaine d’années avant de retourner aux bandes dessinées avec Yesterday. Une nouvelle histoire qui, au fond, traite des mêmes thématiques qui hantaient Le Chant de la machine : la musique, son histoire et ses héros. Blot et son dessinateur Jérémie Royer s’emparent ici du mythe ultime de la pop : les Beatles. Yesterday séduit d’abord par son graphisme plutôt clair, quoique parfois maladroit, mais qui parvient à exploiter avec justesse ses petits errements. Le livre met en scène un jeune

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homme né le jour du meurtre de John Lennon – le 8 décembre 1980 –, qui se retrouve, à 20 ans et sans plus d’explications, projeté en arrière dans le temps. Le voilà donc au début des années 1960 à New York, dans le quartier de Greenwich Village, où se croisent futures pop stars et chanteurs folk. Il y rencontre Bob Dylan, qui lui chipe la fille dont il est tombé amoureux… Ce joli paradoxe, qui lui brise le cœur avant même d’être officiellement né, façonne la présence du héros dans ce monde du passé, devenu son insoutenable présent quand il surprend sa copine octroyant une fellation à Dylan. Pour s’ancrer dans cette nouvelle vie et, surtout, se venger du chanteur, le jeune homme fonde alors un groupe avec lequel il enregistre les chansons des Beatles que Lennon et McCartney n’ont pas encore eu le loisir d’écrire. Devenu star à leur place, il change le sens du destin et de l’histoire. Oscillant entre le désir de tout dévoiler et l’impossibilité de le faire (personne ne peut vraisemblablement le croire), il sourd de lui une tristesse de plus en plus palpable, celle d’un exilé réfugié dans le succès comme pour se couper du monde réel. Un peu, au fond, ce que vivent toutes les pop stars… Yesterday ne raconte pas toute l’histoire ; une suite est prévue, qu’on a hâte de lire, moins pour avoir un dévoilement ou une explication, que pour suivre la façon dont ce jeune homme survivra à sa propre mémoire, à ce qu’il sait déjà du monde qui arrive devant lui. ♦ Yesterday de David Blot et Jérémie Royer Éditeur : Manolosanctis Sor tie : disponible


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BANDES DESSINÉES La sélection de la rédaction

PAUVRE LAMPIL

de Lambil & Cauvin (Dupuis) Longtemps publiées dans Le Journal de Spirou, les histoires de Lampil sont reprises ici dans leur intégralité. On y retrouve le quotidien d’un dessinateur de BD, affairé entre ses planches et sa famille. Belle tentative d’autobiographie ourdie par Lambil et Cauvin, auteurs par ailleurs des Tuniques bleues, ces histoires sont aussi un habile prétexte pour étudier en filigrane les relations entre mari et femme, enfermés à longueur de journée dans une même maison. Une autofiction autant qu’un récit familial débordant d’humour, et une des plus belles redécouvertes de l’année, qu’un travail éditorial soigné embellit davantage encore. _Jo.Gh.

LA BANDE À FOSTER

de Conrad Botes & Ryk Hattingh (L’Association) Comment raconter l’histoire en bande dessinée ? La Bande à Foster choisit un système de narration basé sur le dialogue débridé entre les personnages et la présentation de scènes à la façon de rapports de police. De cette confrontation des discours émerge la possibilité d’une écriture à la fois fluide et complexe, mêlant plusieurs degrés de lecture – et donc plusieurs possibilités de rendre compte de l’histoire – en additionnant notamment compte-rendu factuel et réminiscences intimes. Une belle lecture, qui confirme tout le talent de ces auteurs sudafricains, notamment celui de Botes dont le trait charbonneux est ici splendide. _Jo.Gh.

KIM DEVIL 3 : LE MONDE DISPARU

de Jean-Michel Charlier et Gérald Forton (Sangam) Dans les années 1950 et 1960, les éditions Dupuis étaient un terreau fertile, notamment pour les histoires d’aventure. On lisait dans le magazine de la maison, Le Journal de Spirou, les histoires de Jean Valhardi, Jerry Spring ou Buck Danny. Mais aussi celles, moins connues, de personnages comme Kim Devil, dont quatre albums sont parus à l’époque avant d’être oubliés. Luxueusement rééditées, ces histoires demeurent attachantes, et pas uniquement par exotisme ou nostalgie. Elles débordent d’une inventivité narrative et d’une exigence graphique assez bluffantes. Leur lecture donne envie d’en voir plus, de découvrir d’autres récits, héros et fétiches oubliés. _Jo.Gh.

LE SERVICE TOME 1 FRATELLI

d’Alessandro Tota (Cornélius) En attendant de sortir un Crumb vintage nommé Nausea et une biographie d’Hitler par le grand Japonais Shigeru Mizuki, Cornélius profite de la rentrée pour publier des ouvrages de jeunes auteurs. Parmi lesquels celui-ci, le plus réussi, qui évoque la vie d’une bande de jeunes gens refusant de vieillir dans l’Italie de la fin des années 1990. Le trait d’Alessandro Tota, Italien installé en France, est admirable de tension entre précision des scènes et aspérités brutes. On songe au dessin minimaliste de l’Américain Jeffrey Brown, ou à la fausse hâte qui habitait les plus beaux livres de Joann Sfar. En bref, un livre à lire, un auteur à guetter. _Jo.Gh.

de Jean-Blaise Djian, Olivier Legrand et Alain Paillou (Emmanuel Proust)

Premier volet d’une série en construction mettant en lumière les hommes de l’ombre de la Ve République, Le Service nous plonge dans la France de l’aprèsguerre d’Algérie. D’un côté, Edith, Luc et Michel, trois étudiants animés d’une fougue révolutionnaire ; de l’autre, Charrière et Galand, deux ex-militaires reconvertis en assassins à la solde du pouvoir. Au sein de ce thriller historique inspiré de faits réels, les deux intrigues se nouent et – fatalement – finissent par se croiser. Pour leur deuxième collaboration, Alain Paillou (dessin), Jean-Blaise Djian et Olivier Legrand (scénario) signent une bande dessinée noire et sans concession. _D.R.

VIVA LA VIDA d’Edmond Beaudoin et Troub’s (L’Association)

Baudoin et Troub’s, dessinateurs et conteurs de métier, livrent un émouvant journal de bord. Album à quatre mains aux accents gonzo, Viva la vida fait le récit de leur périple à Ciudad Juárez au Mexique, ville frontalière où les femmes meurent par centaines. Les deux auteurs portraiturent en un instant des personnages croisés au hasard du voyage et posent une question : « Quel est votre rêve ? » Sur fond de meurtres à répétition, deux subjectivités avancent ensemble, deux tracés s’épousent pour affronter le métronome funeste du quotidien local. Un hommage à la vie qui persévère dans ce décor sinistré. _D.E.

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ludoTHÈQUE GÉO MAÎTRE Prophète en son temps avec le mythique Another World (1991), le créateur de jeux vidéo ÉRIC CHAHI met fin à une parenthèse consacrée à l’étude des volcans en publiant From Dust, divin ovni tellurique. _Par Étienne Rouillon

Si Dieu s’est reposé le septième jour, From Dust prend le relais pour un huitième jour chahuté par toute sorte de cataclysmes : sécheresse, éruptions, raz-de-marée ou séismes… La Genèse prend ici des allures d’histoire sans fin dans laquelle il vous revient de glisser la ponctuation. Attendu comme un god game, genre où le joueur fait office de dieu omnipotent menant ses ouailles au sommet de la civilisation (cf. l’étalon du genre, Black & White sorti en 2001), From Dust surprend finalement par un exercice mesuré des forces célestes. Certes, il s’agit bien de guider d’une main invisible une tribu moribonde sur la trace de ses ancêtres, chamanes commandant les éléments naturels. Mais vos pouvoirs sont ici étroits, prométhéens, tout juste bons à éviter le pire dans un environnement où se déchaînent des forces qui vous sont supérieures. Parce que le maître de cet Olympe de pixels rugissants, c’est Gaïa, la Terre toute puissante. Ne l’oubliez jamais.

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Au cours d’une partie (où l’objectif est de créer et protéger des villages pour débloquer le monde suivant), le feu comme la terre, le vent ou l’eau redessinent continuellement – et la plupart du temps violemment – la topographie sur laquelle vos tribus jonglent. Comme dans un Tetris, la matière première surgit et s’entasse et c’est à vous d’y mettre de l’ordre en creusant le lit des rivières, en élevant des roches volcaniques qui seront autant de remparts aux vagues, ou encore en dressant des ponts de terre. Cette incidence limitée du joueur, irréductiblement spectateur, pourrait être frustrante, mais c’est sans compter sur la magie du moteur physique qui précipite la lave dans les fjords, étend les estuaires, érode les isthmes, sculpte les dunes… Un combat permanent. Vos visées cartographiques sont sans cesse sabordées par un écosystème qui n’en fait qu’à sa tête et laisse peu de temps à la contemplation béate d’un univers riche d’une direction artistique exquise, du design des personnages aux bruitages apocalyptiques. Pourtant, From Dust n’est pas loin de mordre la poussière à cause de ce système de jeu rapidement répétitif. C’est le tribut à payer dans la plupart de ces « jeux-expérience ». On milite donc pour que la majesté de l’objet soit exploitée dans une suite plus complète, maintenant que le pr incipe a fait ses preuves. Ce sera peut-être chose faite demain, le neuvième jour. ♦ From Dust Genre : God Game Édition : Ubisof t Plateformes : Xbox Live Arcade, PlayStation Net work, PC Sor tie : disponible


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JEUX La sélection de la rédaction

DEUS EX : HUMAN REVOLUTION

(Square Enix, sur PC, PS3, X360) Onze ans après la sortie du premier volet, voici le grand retour de l’incroyable tambouille qui vit se mêler dans la même marmite le jeu de tir à la première personne et le jeu de rôle. On retrouve le même univers transhumaniste (une thèse prônant le recours à la science et à la mécanique pour améliorer l’homme sur le plan physique et psychique) mâtiné de cyberpunk tout droit sorti de Blade Runner. Human Revolution réussit le périlleux (très) grand écart entre appel du pied aux joueurs néophytes et rigueur offerte aux adeptes fanatiques de la série. Sans conteste le meilleur jeu du genre publié cette année.

TRACKMANIA²: CANYON (Ubisoft, sur PC)

Les petites voitures sont devenues grandes. L’opus phare du studio français Nadeo bénéficie d’une refonte à l’approche de ses dix ans d’existence. Trackmania a en effet fait le bonheur des joueurs PC avec ses circuits complètement barrés – looping et tremplins kilométriques inclus – que l’on pouvait créer à l’envi. La communauté prolifique repart donc en quête du tracé parfait dans une édition qui mise autant sur son outil de programmation des circuits hyperfouillé que sur l’épure de son système de jeu. Jusqu’à toucher la quintessence du pilotage rien que pour s’amuser.

_Par E.R.

WARHAMMER 40.000: KILL TEAM (THQ, sur PSN et XBLA)

EARTH DEFENSE FORCE: INSECT ARMAGEDDON (D3 Publisher, sur PS3, X360)

La licence historique des jeux de plateau fait une entorse à la stratégie pour une brève épopée bourrine et tire-la-bourre en coopération, afin de savoir qui de vous ou de votre voisin de canapé aura explosé le plus d’Orks bavant dans les couloirs fétides d’un vaisseau spatial ennemi… Pour pinceau, vous disposez d’une épée ou d’un lance-missiles. La gouache sera le sang des extraterrestres que vous croisez. Les travaux de peinture se font avec enthousiasme, parois comme plafonds, lors d’affrontements ardents, la rétine guidée contre tout ce qui se meut. Kill Team, une fine équipe.

Un autre défouloir qui ira se ficher dans votre rayon nanar, tout contre le DVD de Starship Troopers et celui des Rats de Manhattan. Comme tout classique du genre, le titre vaut menu. Vous êtes donc un soldat, membre d’une force chargée de défendre la Terre contre des vagues d’insectes titanesques décidés à nous réduire en bouillie. Fourmis, tiques ou araignées de la taille d’un building ont soif du plomb en fusion qui sort de vos canons. Bien qu’on en fasse le tour en deux coups de cuillère à pot, Earth Defense Force : Insect Armageddon est une bonne pioche si vous le trouvez en occasion un de ces jours.

DRIVER: SAN FRANCISCO

DEAD ISLAND

(Ubisoft, sur PC, PS3, X360) Les vétérans se souviendront du douloureux premier niveau du premier Driver sur la première Playstation (1999) et sa tirade : « T’as ruiné la caisse, mec ! » On en a bavé. On s’en est vanté à la récré. Le revoilà aujourd’hui, ce classique qui a propulsé le genre de la course-aventure façon Starsky et Hutch, qui nous a promenés de braquages en barrages de police. Cette fois sise dans les rues de San Francisco (et sa topographie au poil pour des cascades aériennes), la partie gagne en dynamisme avec un système appelé Shift, qui permet de prendre le contrôle à la volée de n’importe quelle voiture engagée sur le bitume.

(Deep Silver, sur PC, PS3, X360)

Gravé dans le sillon maintenant bien fouillé du « jeu vidéo avec des zombies dedans », Dead Island avait affirmé sa singularité il y a quelques mois au détour d’une vidéo formidable plongeant une île tropicale paradisiaque dans l’horreur des morts-vivants. Dégueu comme il faut, Dead Island est un guide de survie enseignant l’art de pallier le manque d’armes à feu par un usage détourné du mobilier urbain et des objets du quotidien. Gore mais aussi hardcore, il mettra vos nerfs à rude épreuve avec une difficulté élevée. Finies, les vacances.

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LE GUIDE

SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS

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© Bodega Films

© ED Distribution

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© Sony Pictures Releasing France

© Wild Bunch Distribution

F E S TI VAL- CL UBBING / mode-scul p t ur e / T HÉ ÂT R E-D AN S E / LE C HE F

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

© Georg Baselitz

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© château de Versailles, Christian Milet

© Phil Sharp

© Marc Domage

du mercredi 7 septembre au MARDI 4 octobre

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SORTIES EN VILLE CONCERTS

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GREEN PEACE FESTIVAL We Love Green Samedi 10 et dimanche 11 septembre au parc de Bagatelle, w w w.welovegreen.fr

Mariant festivités pop et engagement écolo, We Love Green investit le parc de Bagatelle pour deux jours au vert et en musique. Une manière « expérientielle » de sensibiliser aux questions environnementales tout en dansant les pieds dans l’herbe avec Metronomy, Soko ou Of Montreal. _Par Wilfried Paris

Cela fait plusieurs années que les organisateurs de festivals, musicaux mais pas seulement, se préoccupent de l’impact environnemental de leurs événements. Entre le mur d’enceintes, le stand de frites et le bar à bières, on a ainsi vu fleurir toilettes sèches, poubelles de tri sélectif, gobelets consignés et incitations au covoiturage. Préoccupation sincère et/ou argument marketing (qui facilite aussi financements et subventions), peu importe si le résultat est là, se dit-on en admirant la plaquette de We Love Green, « premier festival musical écoconçu de A à Z » selon ses créateurs – l’organisateur 96

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We Love Art, le label Because et sa structure de tournées, Corida. Au programme, des artistes en développement (le brin de voix so frenchy de Soko, qui publie enfin son premier album en octobre, la révélation soul Selah Sue) ou à la carrière déjà durable (la weird pop de Metronomy, le romantisme borderline de Peter Doherty, le groove pop et baroque de Of Montreal, ou le retour des viennois down-tempo Kruder & Dorfmeister…). Non content de proposer une programmation musicale au poil, le festival promet surtout une « production écoresponsable pour faire rimer développement durable avec plaisir » : préservation du site d’accueil, réduction des émissions de CO2, technologies écoresponsables, scénographie durable, optimisation des transports, traitement des déchets, gestion de l’eau, restauration de saison et locale… Deux jours de festival n’ayant qu’un impact réduit sur l’environnement, on sera curieux de voir les moyens de sensibiliser les visiteurs à ces problématiques, notamment une compilation des best practices. On se demande aussi si Eva Joly ou Nicolas Hulot viendront boire un verre (recyclable). ♦

© Phil Sharp

Metronomy, en concert dimanche 11 septembre

OV EL

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© Ceballos

Zola Jesus

L’AGENDA _Par W.P.

Wooden Shjips

Avec le très beau West, les stoners de San Francisco font le pont entre la fuzz U.S. (13th Floor Elevators, Stooges) et la fuzz U.K. (Spacemen 3, Loop). Est-Ouest, quelle importance puisque la Terre est ronde ? Le 15 septembre au Café de la danse, dès 19 h, 22 €

The Wave Pictures Le groupe anglais introduit en France par Herman Dune (et Stanley Brinks) joue toujours les chansons les plus douloureusement romantiques depuis Jonathan Richman, et les solos de guitares les plus classes depuis Television. Sans blague. Le 16 septembre au Café de la danse, dès 19 h, 22 €

Art Brut Moins tordus que Luke Haines, moins doués que Ween, les Anglais railleurs Art Brut rament un peu depuis leur Bang Bang Rock & Roll de 2005. Malgré la production de Franck Black (Pixies), leur dernier concept, Brilliant! Tragic!, est plus tragique que brillant. Pour fans masos only. Le 27 septembre à la Maroquinerie, dès 19 h30, 22 €

Zola Jesus La chanteuse electro-goth russo-américaine ajoute Spinoza à sa table, intitulant son nouvel album Conatus. Les fantômes de Throbbing Gristle et Diamanda Galás participent de son « effort pour persévérer dans son être ». Intense. Le 28 septembre au Point éphémère, dès 20h, 15,80 €

Koudlam Connaissant son amour des lieux et paysages, on aurait aimé voir le performer de l’apocalypse jouer sur l’autoroute du Soleil pendant les grandes migrations estivales. On se contentera d’un rituel electro éphémère au dit point. Chaman. Le 29 septembre au Point éphémère, dès 20h, 15,80 €

Front 242 + Arnaud Rebotini Les parrains paramilitaires belges de l’electro body music reviennent faire peur aux démocraties vingt ans après leur fondation. Rebotini chauffera le meeting avec sept synthés et quatre webcams scrutant le public. Souriez. Le 30 septembre à la Gaîté lyrique, dès 20h, 18 €

Ganglians Psyché, désaccordée, nostalgique, mélodique, freak : les Ganglians de Sacramento font bien « de l’outsider music, mais avec une sensibilité pop », selon les mots du leader Ryan Grubbs. Un autre art brut. Le 1er octobre au Point éphémère, dès 20h, 13,80 €

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SORTIES EN VILLE CONCERTS

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La Nuit SFR Live sous la coupole du Grand Palais

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COUPOLE DÉCALÉE CL UBBING La Nuit SFR Live, le 8 octobre au Grand Palais, w w w.live-concer t.sfr.fr

Pour sa troisième édition sous la coupole du Grand Palais, la Nuit SFR invite vétérans toujours frais (CASSIUS, AGORIA…) et jeunesse bondissante (CRYSTAL FIGHTERS, MODESELEKTOR…). Avec pour défi supplémentaire de créer une ambiance dans un lieu au format inhabituel.

de 15 000 m² ne peut accueillir que 5000 personnes en même temps pour des raisons de sécurité », détaille Pierre Schneider, moitié du duo 1024 architecture, en charge de la scénographie du soir après avoir réalisé le fameux cube graphique d’Étienne de Crécy. « Il [s’agit] donc de créer un lieu dans le lieu, de manière à contenir le public sans qu’il ne se sente perdu dans l’immensité des grandes nefs. »

Et si le Grand Palais et ses 45 mètres sous coupole de verre étaient la meilleure discothèque de Paris ? C’est en tout cas ce qu’ont décidé depuis trois ans les organisateurs de cette nuit électronique qui s’installe dans le mythique palais parisien construit au tout début du XXe siècle, frère horizontal de la Tour Eiffel transformé le temps d’une soirée en dancefloor anachronique. Avec une difficulté de taille : tout ici est écrasant de gigantisme. L’artiste britannique Anish Kapoor en a fait son affaire dernièrement en y développant son Leviathan, mais le clubbing a besoin de frottements humains pour décoller. « Paradoxalement, cet espace

Voilà pour la forme. Le fond sera, lui, assuré par une affiche appuyée sur des valeurs sûres, capables d’affronter la taille du lieu. Les vétérans Cassius et Agoria sont de ce bois-là. Les premiers ont prouvé cette année avec leur tube I <3 U So qu’ils sont intemporels, et le second vient défendre un nouvel album fin et langoureux. S’y ajoutent le duo Carte blanche (Mehdi et Riton), qui tente de faire revivre les soirées house des années 198090, et les Berlinois de Modeselektor, habiles manipulateurs de textures. Enfin, les jeunots espagnols Crystal Fighters feront parler leur baile pop nerveuse. Pour les avoir vus sur scène récemment, on peut prévoir une véritable tornade sous la coupole du Grand Palais. ♦

_Par Sophian Fanen

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© Lisa Rovner

LES NUITS DE…

Turzi, musicien « La première fois que j’ai entendu la musique d’Arnaud Rebotini, c’était lors d’une visite aux Zombie Zombie dans leur studio. À l’époque, la musique électronique me laissait de marbre, mon oreille n’étant pas prête à être maltraitée par des beats aussi rapides, et sa musique synthétique était si violente qu’elle m’a laissé pensif. Les années ayant passé, mon évolution musicale m’a fait réaliser à quel point sa musique était intense. Ce genre d’agressivité ne s’entend habituellement que dans le rock de Motörhead ou des Stooges, et ressentir une telle oppression sonore pilotée par une seule personne est rare. Assister à ses concerts reste un moment unique d’énergie primitive alliant testostérone et fierté. » _Propos recueillis par W.P. Arnaud Rebotini en concer t le 30 septembre à la Gaîté lyrique (avec Front 242), dès 20h30, de 16 à 22 € Someone Gave Me Religion d’Arnaud Rebotini (Black Strobe Records / K7 !) Éducation de Turzi Électronique Experience (Record Makers, sor tie le 5 septembre)

© DR

L’OREILLE DE…

Wu Lyf « La musique est un processus humain, qui trouve sa meilleure incarnation lorsqu’elle est jouée en face d’un public. Sur notre album, nous avons essayé de retranscrire l’intensité du live. Nous jouons ensemble depuis le lycée ; les études nous ennuyaient, nous les avons abandonnées pour la musique. Manchester est une ville très ennuyeuse : être dans un groupe n’y a rien d’extraordinaire. Notre album parle d’aller vers un endroit meilleur, de fuir. Nos influences ? Les films d’Éric Rohmer, John Cassavetes et Vincent Gallo, le jazz sauvage de Thelonious Monk, d’Art Blakey, pas le jazz anal et académique, joué sans charisme ni émotion par des virtuoses chiants comme la pluie. » _Propos recueillis par A.T. Retrouvez l’inter view en intégralité sur www.mk2.com Go Tell Fire to the Mountain de Wu Lyf (Pias) Wu Lyf sera en concer t le 2 novembre à La Cigale, dans le cadre du Festival des Inrocks

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Le salon des Seigneurs, avec des créations de Yohji Yamamoto, Jacques Doucet Thierry Mugler…

COUR DE RECRÉATIONS MODE Le X VIII e au goût du jour, jusqu’au 9 octobre au Grand Trianon, 780 0 0 Versailles, w w w.chateaudeversailles.fr

Quel rapport entre des vêtements créés ces soixante dernières années et des costumes et accessoires de l’époque des Lumières ? À Versailles, entre dentelles et taffetas, une exposition confronte les siècles et montre que le XVIIIe n’a jamais cessé d’être contemporain. _Par Daxia Rojas

Une robe d’apparat digne d’une reine, en moire et velours rouge paré de broderies bleues et blanches, trône dans le salon des Malachites. Elle est signée Christian Dior, hiver 2004. Cinquante ans plus tôt, le couturier s’inspirait déjà des costumes de cour, comme en témoigne cette robe du soir en soie vert pâle brodée de motifs floraux exhibée dans le salon de la Chapelle. Mais l’obsession du XVIIIe n’est pas l’exclusivité de sa maison. À travers une cinquantaine de pièces sorties des archives des plus fameux couturiers des six dernières décennies, l’exposition Le XVIIIe au goût du jour dévoile combien le siècle des Lumières irrigue sans cesse l’univers de la mode. Mimétiques comme Vivienne Westwood et ses 100

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hommages satinés à Madame de Pompadour, novateurs comme Yohji Yamamoto et ses robes de bal en laine, frondeurs comme Jean-Paul Gaultier et ses vestes de « marquis touaregs », les créateurs s’emparent des codes de la cour pour les réactualiser et s’en amuser. Là où l’exposition versaillaise fait mouche, c’est lorsqu’elle confronte dans un jeu de miroir d’authentiques costumes du XVIIIe à leurs avatars contemporains. Surprise : l’extrême simplicité d’une robe de promenade contredit les clichés d’un siècle ambigu qui oscillait entre faste et sobriété. Cet édifiant aller-retour chronologique montre aussi à quel point les couturiers d’aujourd’hui se réfèrent moins à une vérité historique qu’à la vision fantasmée qu’ils ont de l’époque de Louis XVI. Nourrie par les gravures de Gustave Doré, les toiles de Watteau ou Delatour autant que par les films historiques d’Ernst Lubitsch ou de Sofia Coppola, la mode recrée la vie de cour avec liberté et anachronisme. De fil en aiguille, on se surprend alors à imaginer dans le salon des Glaces une Madame de Merteuil en Thierry Mugler ou une Marie-Antoinette en Balenciaga… ♦

© château de Versailles, Christian Milet

SORTIES EN VILLE EXPOS


© Giuseppe Gabellone - Galerie Perrotin

Giuseppe Gabellone à la Galerie Perrotin

L’AGENDA _Par L.C.-L.

Jan Kopp Une variation sur le thème du jeu à travers les vidéos, performances et installations de l’artiste contemporain allemand, où la création converge inlassablement vers une exigence technique. L’abbaye reconvertie en centre d’art contemporain habille ses œuvres d’une dimension particulière. La Courbe de la ritournelle, jusqu’au 1er octobre à l’abbaye de Maubuisson, 95310 Saint-Ouen-l’Aumône, www.valdoise.fr

Architectures quatre vingt L’Arsenal dresse un panorama didactique d’une décennie féconde pour l’architecture parisienne : 1980-1990. À l’appui, vidéos et maquettes resituent dans leur contexte sociopolitique l’apparition de grands projets comme La Villette, l’Opéra Bastille ou l’Arche de la Défense. Jusqu’au 2 octobre au Pavillon de l’Arsenal, www.pavillon-arsenal.com

Zaha Hadid Première exposition en France dédiée au travail de l’architecte britannique d’origine irakienne, après la rétrospective qui lui fut consacrée en 2006 au Guggenheim à New York. Trente années de sa création sont retracées dans son Pavillon Mobile Art, installé à jamais sur l’esplanade de l’Institut du monde arabe. Jusqu’au 30 octobre à l’Institut du monde arabe, www.imarabe.org

Lewis Hine La photographie humaniste de Lewis Hine, à laquelle est dédiée cette large rétrospective, offre une représentation profuse et touchante de l’Amérique au début du XXe siècle. Une idée de la justice sociale en 150 tirages noir et blanc. Du 7 septembre au 18 décembre à la Fondation HenriCar tier-Bresson, www.henricar tierbresson.org

Giuseppe Gabellone Quatrième exposition personnelle de cette figure phare de la scène artistique contemporaine italienne, installée à Paris. Articulé autour de sérigraphies et de bas-reliefs en aluminium, le parcours dessine un dialogue édifiant entre sculpture et photographie. Du 10 septembre au 15 octobre à la galerie Perrotin, 10 impasse Saint-Claude, 75003 Paris, www.perrotin.com

Vogue, l’aventure d’une maison de disques Retour coloré et non sans nostalgie sur l’histoire du mythique label musical Vogue, fondé en 1947 à Villetaneuse, à l’origine de nombreux succès planétaires jazz, yé-yé ou rap, du disque microsillons jusqu’aux cassettes. Du 18 septembre au 13 novembre à la BNF, site François-Mitterrand, www.bnf.fr

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Meine neue Mütze / Ma nouvelle casquette, 2003. Cèdre et peinture à l’huile. Essl Museum, Klosterneuburg (Vienne)

BOIS PRIMAIRE PANOR A M A Baselitz sculpteur, du 30 septembre au 29 janvier au musée d’Ar t moderne de la Ville de Paris, w w w.mam.paris.fr

Vaste pan de son travail jusqu’ici noyé dans l’ombre de sa création picturale, l’œuvre sculptée de GEORG BASELITZ, brute et brutale, reprend ses droits pour la première fois en France à l’occasion d’une rétrospective exhaustive.

_Par Léa Chauvel-Levy

Têtes, figures debout, autoportraits monumentaux, totems contemporains : trente années d’un travail génial et forcené se présentent à nous, où la tronçonneuse et la hache ont délogé le pinceau de Georg Baselitz. Rétrospectivement, la préfiguration de la sculpture est largement lisible chez l’artiste allemand, notamment à travers la récurrence des motifs de l’arbre et de la nature dans ses toiles. Cette essence primitive trouve logiquement dans le bois un medium de prédilection, un chemin direct vers son idée du monde – qui n’est pas tant l’ouverture aux cultures extra-européennes que le moyen d’illustrer la corruption des sociétés occidentales. Dans cette recherche, le thème de la culpabilité 102

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du peuple allemand pendant la Seconde Guerre mondiale tient une place importante. Georg Baselitz creuse la matière, débite, taille des veines végétales pour en exhumer une forme fidèle à son esprit quasi chamanique. Ce sens tribal très radical l’a poussé dans un premier temps à un certain sacrifice du beau, livrant parfois des concepts de sculpture, des « blocs idéaux », sans prendre garde à l’impression de son public. L’expression pure avant la réception. Aussi, pendant de longues années, le public s’est-il tenu en retrait, trouvant ses créations informes. À la Biennale de Venise en 1980, son travail déclenche la foudre : ingrate et torturée, l’expression artistique véhiculée par ses têtes de bois scarifiées effraye. C’est pourtant ce choc visuel qui fait précisément aujourd’hui la valeur de l’œuvre sculptée de Baselitz, le plaçant parmi les artistes les mieux cotés du marché de l’art. L’incision, la crudité et le goût pour la matière brute ont finalement eu raison d’un regard public trop peu habitué à la récupération de l’art populaire par la modernité, dont Emil Nolde ou Brancusi avaient pourtant creusé le sillon dès le début du XXe siècle. ♦

© Georg Baselitz - Photo : Jochen Littkemann, Berlin

SORTIES EN VILLE EXPOS


© William Klein

LE CABINET DE CURIOSITÉS

Divino amore, 1958

Klein chez Fellini Lorsque le jeune William Klein, dans un timide courrier, propose à Fellini de lui offrir son premier livre, New York (1956), il est loin d’imaginer la réponse du réalisateur italien : « Je l’ai déjà ! Il est sur ma table de nuit. Pourquoi ne venez-vous pas à Rome pour m’assister sur Les Nuits de Cabiria ? » C’est une occasion rêvée pour Klein de poursuivre sa série de portraits de villes, splendide microsociologie citadine en noir et blanc. Cette exposition retrace ces pérégrinations photographiques dans la Ville éternelle, en marge du tournage, où l’Américain shoote aussi bien les colonnes antiques du cœur de la civilisation occidentale que la Rome néoréaliste des fifties sous les traits de garçonnets en culottes courtes. _L.C.-L. Roma + Klein, photographies 1956-1960, du 5 octobre au 8 janvier à la Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris, www.mep-fr.org

© Jérémie Nassif

L’ŒIL DE…

Jérémie Nassif, photographe « À Paris, j’avais pris des photos de danseurs, dont l’un faisait partie du Malandain Ballet Biarritz. Il a montré mes clichés à la compagnie et celle-ci m’a proposé une collaboration. Je les ai fait danser dans un tout petit espace d’un mètre carré. La plupart du temps, je tente de leur faire jouer un personnage, car je pense que la danse et le mime sont assez proches. Les danseurs cherchent à traduire de l’émotion en dansant, et moi je cherche la même chose. Je compte continuer ce travail d’une manière ou d’une autre, peut-être avec des gens qui ne sont pas professionnels. En définitive, je m’intéresse plus à l’énergie qu’au mouvement, puisque selon moi on ne danse pas avec son corps mais avec sa tête. » _Propos recueillis par D.R. Ver tige de Jérémie Nassif, du 9 au 30 septembre sur la façade des halles de Biarritz, dans le cadre du festival Le Temps d’aimer la danse, www.letempsdaimer.com

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SORTIES EN VILLE SPECTACLES

JEU DE L’AMOUR ET DU BAZAR T HÉ ÂT R E

Variation désenchantée sur la rupture amoureuse, Clôture de l’amour de l’auteur et metteur en scène PASCAL RAMBERT s’est fait remarquer lors du dernier Festival d’Avignon. Reprise immanquable au Théâtre 2 Gennevilliers à la fin du mois. _Par Ève Beauvallet

Il y avait jusque-là Roméo et Juliette ou Titus et Bérénice. Au banc des amours tragiques cultes, on comptera désormais Stan et Audrey, couple d’antihéros modernes un brin hipsters mis en scène dans Clôture de l’amour de Pascal Rambert. À peine née cet été au Festival d’Avignon, cette pièce serait déjà mythique… C’est en tout cas ce que laissaient entendre les salles combles et comblées venues chaque soir saluer cette tragédie de la génération divorce et garde partagée, entonnée en jeans dans un white cube réfrigérant. Et à raison. Clôture de l’amour est moins centré sur le temps du

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désamour que sur l’instant précis de la formulation du verdict. Le principal éclat de son créateur est d’avoir su imposer un cadre formel très rigoureux aux acteurs : pour Stan et Audrey, le temps de parole est strictement réparti en deux monologues d’une heure chacun. Il en va de même pour leurs places – celle de celui qui tire et celle de celui qui meurt, comme dessinées sur un échiquier –, qu’ils échangeront au bout d’une heure. L’autre coup d’éclat de la pièce de Rambert, c’est ce texte très contemporain, tout à la fois trivial et épique, hyperréaliste et affecté, qui sait tourner en dérision le langage pour mieux plonger dans le mélodrame. Il y a même un coup de maître : les mises en abyme. Stan et Audrey (du nom des deux acteurs Stanislas Nordey et Audrey Bonnet) forment un couple d’artistes qui se sépare dans une fidèle reproduction du studio de répétition du Théâtre 2 Gennevilliers, dont Pascal Rambert est le directeur. Des procédés très « rambertiens » qui permettent à Clôture de l’amour de parler de la fiction amoureuse tout en interrogeant la réalité théâtrale. ♦

© Marc Domage

Clôture de l’amour, Texte et mise en scène de Pascal Ramber t Du 30 septembre au 22 octobre au Théâtre 2 Gennevilliers, w w w.theatre2gennevilliers.com


© Maria Baranova

Mikhaïl Baryshnikov

L’AGENDA _Par E.B.

In Paris

Le très russe amant de Sex and the City et accessoirement grande star de la danse, Mikhaïl Baryshnikov, s’épanche sur les planches de Chaillot sur un texte de l’écrivain russe nobelisé Ivan Bunin. L’histoire d’une triste passion amoureuse à Paris à l’approche de la Seconde Guerre mondiale. Du 8 au 17 septembre au Théâtre national de Chaillot, www.theatre-chaillot.fr

D’un 11 septembre à l’autre Dix ans après les attaques du 11 septembre 2001, D’un 11 septembre à l’autre a réuni pendant plusieurs mois des lycéens de SeineSaint-Denis autour d’un texte de Michel Vinaver. Le résultat est un montage d’articles, de slogans, de témoignages autour des événements, mis en scène par Arnaud Meunier. Les 10 et 11 septembre au Théâtre de la Ville, www.theatredelaville-paris.com

La Douleur Le titre n’est pas emphatique : Marguerite Duras écrivit ce journal dans l’attente du retour de son mari Robert Antelme, déporté à Dachau. L’attente, la douleur, tout cela est mis en scène par Patrice Chéreau et cristallisé sur le visage irradiant de Dominique Blanc, récompensée du Molière de la meilleure actrice en 2010 pour sa prestation. À partir du 12 septembre au Théâtre de l’Atelier, www.theatre-atelier.com

L’Ouest solitaire Dominique Pinon, Bruno Solo, Ladislas Chollat. Trois noms qui s’associent à la rentrée pour porter le texte de l’Irlandais Martin McDonagh. Les deux premiers campent deux frères ennemis dans un bled paumé de l’Irlande contemporaine. Le troisième, à la mise en scène, définit L’Ouest solitaire comme un point de rencontre entre la tragédie grecque et Tarantino. Du 13 septembre au 31 décembre au Théâtre Marigny, www.theatremarigny.fr

La Fête de la danse par Blanca Li C’est le genre de personne dont on imagine assez bien la maison : bordélique, bariolée, bruyante et festive. Ça tombe bien, la chorégraphe de flamenco hip-hop espagnole transporte tout son univers sous la nef du Grand Palais, où carte blanche lui est donnée pendant trois jours pour apprendre à danser de tout à tout le monde. Du 23 au 25 septembre au Grand Palais, www.grandpalais.fr

Ex.e.r.ce et encore Ce focus sur la formation Exerce mise en place par Mathilde Monnier à Montpellier n’a pas grand-chose d’un gala de fin d’année. Plutôt un aperçu d’une nouvelle génération de chorégraphes et artistes débridés, parmi lesquels David Wampach ou Aude Lachaise, qui présente son hilarant one-woman show Marlon. Du 30 septembre au 2 octobre au Théâtre de la Cité internationale, dans le cadre du Festival d’Automne, www.festival-automne.com

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© Oliver Manzi - Photographer: Stephen Berkeley-White

SORTIES EN VILLE SPECTACLES

Kim-Jomi Fischer, au premier plan, et Hannes Langolf

MOUVEMENTS POLITIQUES D ANSE Can We Talk About This ? Chorégraphie : Lloyd Newsom Du 28 septembre au 6 octobre au Théâtre de la Ville, dans le cadre du Festival d’automne, w w w.festival-automne.com

Figures clé de l’underground chorégraphique britannique, LLOYD NEWSON et son collectif DV8 Physical Theatre poussent la danse au bord de l’investigation politique avec Can We Talk About This ?. _Par Ève Beauvallet

Ceux qui eurent l’heureuse idée d’aller (re)voir l’excellent film The Cost of Living lors de la dernière édition du festival Vidéodanse courront d’eux-mêmes découvrir la nouvelle création du DV8 Physical Theatre. DV8 pour deviate, « déviant » en anglais. Nous invitons les autres à visionner, en guise d’introduction, des extraits YouTube dudit Cost of Living qui – le terme est un peu vilain – est une « fiction chorégraphique » et non une comédie musicale ou une captation de spectacle. On y voit entre autres un duo hors du temps entre une danseuse classique et un homme-tronc hyper pêchu… Les nouveaux venus prendront ainsi la mesure de l’originalité de cet essentiel collectif de danse britannique, 106

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niché depuis vingt-cinq ans entre la grisaille cafardeuse d’un Ken Loach, l’ironie bienveillante d’un Martin Parr et le génie post-dramatique de Pina Bausch. Loin des spotlights du grand divertissement mais guidé par une ambition fédératrice, DV8 est l’un des premiers groupe de danseurs à avoir su donner, par le biais de spectacles mais aussi de films très influents dans le milieu chorégraphique, une autre noblesse à la « dansedocumentaire ». Pas de musicals humanistes mielleux, pas de nanar édulcoré, mais la mise en scène vitaminée des revers du monde du spectacle. Après avoir sublimé les marginaux et rejetons sociaux dans les discothèques à l’anglaise, la compagnie de Lloyd Newson, avec Can We Talk About This ?, verse dans l’investigation politique en posant la question des nouvelles formes de censure à l’heure du multiculturalisme. L’occasion de revenir notamment sur les affaires des Versets sataniques de Salman Rushdie et des caricatures de Mahomet, avec enquêtes et images d’archives à l’appui – histoire de faire entrer la danse dans le débat. ♦


© Philippe Delacroix

LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ

Les mots à la bouche Sur France Inter, chaque samedi et dimanche matin d’été, les comédiennes Léonore Chaix et Flor Lurienne faisaient la différence dans Déshabillez mots. De petits sketchs radiophoniques créés en 2008 (et récompensés du prix Scam de la meilleure émission de radio en 2009) dans lesquels elles personnifient les mots avec un beau sens du burlesque. Pas forcément avec insolence… Quoiqu’elles y détournent l’exercice de l’interview en invitant des personnalités curieuses à parler de sujets comme l’onanisme, la pusillanimité, la paresse… Leurs voix ont aujourd’hui aussi un visage, que l’on peut admirer sur la scène de l’Européen dans un spectacle qui connaît le sens des mots « mise en scène ». _E.B. Déshabillez mots de Léonore Chaix et Flor Lurienne, à par tir du 11 septembre à l’Européen, www.leuropeen.info

© Stage Entertainment

DIRTY DANCING

Lust for Life Les années 1990 n’ont pas l’apanage de l’underground berlinois. Sur fond de crise économique et de montée de l’idéologie nazie, le Berlin des années 1930 fut le fief du cabaret décadent et la terre promise de tout libertin en quête d’expériences sexuelles. Qui en désire un aperçu « glamourisé » et mainstream réservera pour Cabaret, musical culte depuis sa création en 1966 à Broadway et véritable fabrique à icônes (à commencer par Liza Minnelli dans le film éponyme). Le Théâtre Marigny donne l’opportunité de revoir la version multiprimée de Sam Mendes (1994), qui téléporte le spectateur in medias res dans l’antre du célèbre Kit Kat Klub… Avec une jolie vue sur les jambes de Claire Pérot en nouvelle Liza Minnelli. _E.B. Cabaret, d’après une mise en scène de Sam Mendes, à par tir du 6 octobre au Théâtre Marigny, www.theatremarigny.fr

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© Bruno Verjus

SORTIES EN VILLE RESTOS

GAUCHO COMME LA BRAISE LE CHEF La Pulperia Adresse : 11 rue Richard-Lenoir, 75011 Paris Tél. : 01 40 09 03 70

Venu d’Argentine sans autre bagage que son amour de la cuisine, le gaucho FERNANDO DE TOMASO, 33 ans, offre à La Pulperia une cuisine de braises volcaniques qui mêle des produits français à sa pampa natale. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)

En Patagonie, le « droit de desseller » consistait autrefois à offrir l’hospitalité. Ainsi dénommées en référence à la pulpe de leurs viandes autant qu’à l’empressement de leurs serveurs pareils à des… poulpes, les pulperia, sorte d’épicerie-droguerie-restaurant-hôtel, remplissaient cette généreuse mission que prolonge aujourd’hui, dans le XIe arrondissement de Paris, La Pulperia du chef Fernando de Tomaso et de son associé Rachid Meziani. Flash-back. Par un soir de pleine lune, cuisinant dans la maison de sa grand-mère, un verre de malbec à la main, une poêle dans l’autre, Fernando, 18 ans, décide de devenir cuisinier… en France. Après quatre années d’études de cuisine et quelques stages à Buenos Aires, 108

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il arrive à Paris. Sans rien. « À la belle étoile », dit-il, mais avec la détermination et la fierté du gaucho. Il apprend le français de cuisine (« Pas besoin de trop parler, tu travailles sans parole, c’est comme le tango ») et complète sa formation au Ritz Escoffier. Il œuvre ensuite en qualité de chef de partie au Crillon et au Jardin du Royal Monceau. Dans sa Pulperia parisienne, on déguste aujourd’hui de purs produits argentins. Un asado de qualité – des travers de bœuf taillés en diagonale, grillés unilatéralement et infusés de l’esprit sauvage du chef. Formidables, aussi, les empanadas (les « meilleurs de France », s’amuse-t-il). Ses petits coussins croustillants et dodus recèlent herbes, jamón y queso, et d’innombrables secrets. Celui de leur pâte par exemple : 40 % de beurre de grande qualité (JeanYves Bordier), de la farine, un petit peu d’eau glacée et vingt-quatre heures de repos. La cuisine de Tomaso s’appuie sur des produits de tradition française traités avec la liberté d’esprit que procurent les grands espaces de la pampa argentine. Comme cet épatant foie gras tranché épais, juste grillé, accompagné d’un condiment de maïs frais délicatement fruité et sucré, électrisé de piment. La Pulperia est un voyage immobile. ♦


© David Elbaz

LE PALAIS DE…

Raphaël Enthoven, philosophe

« Je suis un inconditionnel du Rosebud, un bar-restaurant proche du boulevard du Montparnasse où le temps semble s’être arrêté dans les années 1930, avec son jazz ronronnant et ses serveurs en veste blanche. Si l’on en croit les dires d’Ernest Hemingway, c’est là que lui et Francis Scott Fitzgerald aimaient à se retrouver : le premier pour être heureux, le second pour se plaindre. Mais avant toute autre chose, « Rosebud », c’est le mot qu’expire dans un dernier souffle Orson Welles – en forme de confidence énigmatique – dans son Citizen Kane. Et pour rester dans la confidence, Rosebud cache bien son jeu sous ses allures feutrées puisqu’on y sert, à mon avis, l’un des meilleurs chili con carne au monde. » _Propos recueillis par D.E. Rosebud, 11 bis rue Delambre, 75014 Paris. Tél. : 01 43 35 38 54 Philosophie, coffret DVD, lire l’ar ticle page 84

© MK2

la Recette

Le sandwich façon La Fée

La tête un peu ailleurs et les yeux hagards, Dom est veilleur de nuit dans un hôtel du Havre. Chaque soir, à son arrivée dans l’établissement, il se prépare un sandwich des plus classiques en apparence, mais à la recette plus improbable qu’il n’y paraît. Ça vous tente ? Entre deux morceaux de pains, intercalez de façon aléatoire une feuille de salade, une tranche de jambon périmée (elle marinait sans doute depuis un an fond de votre frigo quand vous l’avez redécouverte) et une lamelle de fromage. Puis secouez bien le ketchup, laissez tomber le bouchon distraitement, aspergez de sauce, refermez, croquez et étouffez-vous. Avec un peu de chance, une fée viendra vous sauver. _D.R. La Fée de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy // Sor tie le 14 septembre Lire également l’inter view page 68

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

L’AGENDA

© Sony Pictures

_Par D.E., C.G., J.R., D.R., A.T. et L.T.

Justin Timberlake et Mila Kunis dans Sexe entre amis

07/09 SEXE ENTRE AMIS

LE MONDE DE BARNEY

Peut-on dissocier sexe et sentiments ? Non, s’aperçoivent à leurs dépends Dylan et Jamie, qui jouent au chat et à la souris dans New York et s’emmêlent les pattes dans les ficelles de la comédie romantique américaine. Attachant.

Barney (Giamatti) fait le bilan : trois mariages, un suicide, un père embarrassant (Dustin Hoffman, méconnaissable), l’homicide jamais élucidé de son meilleur ami… Le menu d’une comédie dramatique réjouissante.

18 JOURS

CARRÉ BLANC

En saisissante synchronie avec le printemps arabe, cette série de dix court métrages tournés juste après la révolution égyptienne donne à voir et à entendre une multiplicité de points de vue d’une actualité essentielle.

Prisonniers d’un monde implacable, Marie et Philippe voient leur couple se déliter. S’initie alors une lutte pour reconquérir leur amour. Le premier film de JeanBaptiste Leonetti vaut le détour pour son esthétique minimaliste et ouatée.

CRAZY, STUPID, LOVE

ET MAINTENANT ON VA OÙ ?

Les scénaristes de I Love You Phillip Morris passent à la réalisation avec cette comédie du remariage dans laquelle un quadra largué, touchant de maladresse, peine à reconquérir sa femme malgré les conseils d’un playboy endurci.

Dans un Liban en guerre, des femmes tentent de préserver leur village des tensions religieuses entre les hommes. Un de leurs stratagèmes consiste à faire venir une bande de jeunes Ukrainiennes pour les distraire. Fourre-tout et joyeux.

FRIGHT NIGHT

WARRIOR

Un lycéen découvre que son voisin aux dents longues terrorise le quartier. Une première incursion de Colin Farrell et du réalisateur d’Une fiancée pas comme les autres dans le monde ténébreux des vampires. Sélectionné à Deauville.

Vétéran traumatisé, Tommy charge son père (Nick Nolte) d’organiser un tournoi de free fight pour y rafler le pactole. Son aîné s’engage alors dans la compétition. Les vieilles rancœurs qui rongent les deux frères se régleront sur le ring.

de Will Gluck Avec Justin Timberlake, Mila Kunis… Sony Pictures, États-Unis, 1h49

de Sherif Arafa, Yousr y Nasrallah… Avec Mona Zakki, Ahmed Dahwood… Eurozoom, Égypte, 2h05

de Richard J. Lewis Avec Paul Giamat ti, Rosamund Pike… Océan Films, États-Unis, 2h12

de Jean-Baptiste Leonet ti Avec Sami Bouajila, Julie Gayet… DistriB Films, France, 1h17

14/09 de John Requa et Glenn Ficarra Avec Steve Carell, Ryan Gosling… Warner Bros, États-Unis, 1h58

de Craig Gillespie Avec Colin Farrell, Anton Yelchin… Walt Disney, États-Unis, 2h

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de Nadine Labaki Avec Claude Msawbaa, Leyla Fouad… Pathé, France, 1h50

de Gavin O’Connor Avec Tom Hardy, Joel Edger ton… Metropolitan, États-Unis, 2h20


ET AUSSI… 07/09 Habemus papam de Nanni Moret ti (lire p. 44) Putty Hill de Mat t Por ter field (lire p. 114) Au Revoir de Mohammad Rasoulof (lire p. 112) Le Départ de Jerzy Skolimowski (lire p. 116)

14/09 La Fée de Dominique Abel, Fiona Gordon, Bruno Romy (lire p. 68)

21/09 L’Apollonide de Ber trand Bonello (lire p. 50) Le Cochon de Gaza de Sylvain Estibal (lire p. 120) Restless de Gus Van Sant (lire p. 117) Attenberg d’Athina Rachel Tsangari (lire p. 118)

© Ad Vitam

28/09

Johan Libéreau dans La Brindille

We Need to Talk About Kevin de Lynne Ramsay (lire p. 14) Un été brûlant de Philippe Garrel (lire p. 121) Pure de Lisa Langseth (lire p. 122) Portrait d’une enfant déchue de Jerry Schatzberg (lire p. 123)

21/09 LA BRINDILLE

MINEURS 27

Une ado face au déni de grossesse et à l’accouchement sous X : premier long métrage courageux et renaissance pour Christa Theret (après LOL), plutôt convaincante en femme enfant sans attaches.

Stan est grand et timide, Wilson, plutôt fougueux. Tous deux, inextricablement liés par un lourd secret, sont amoureux de la même fille. L’histoire se corse lorsque Stan cherche à faire la lumière sur son passé…

LOS HEREDEROS

SHARK 3D

Quand d’autres jouent à des jeux vidéo, les enfants des campagnes mexicaines travaillent. Eugenio Polgovsky a suivi ces gamins, adultes avant l’heure et livre dans son dernier documentaire les images de ses pérégrinations.

Après Piranha 3D l’été dernier et The Reef (en DVD), Shark 3D revisite le sous-genre horrifique du film de requins. De la part du créateur ironique de la série Z Des serpents dans l’avion, on peut s’attendre à tout.

TRUE LEGEND

CECI N’EST PAS UN FILM

Le général d’armée Su Can décide de prendre une retraite bien méritée. Mais, trahi par son frère adoptif Yuan, qui kidnappe son fils et le laisse pour mort, Su Can se met au vert pour préparer sa revanche.

Applaudi et récompensé dans les festivals du monde entier, Jafar Panahi est retenu sur le sol iranien par le pouvoir islamique qui censure ses films à charge. Il filme ici une de ses journées, en attente d’un verdict de la cour d’appel.

LES HOMMES LIBRES

NOTRE PARADIS

Paris, 1942. Younès, jeune immigré algérien, est contraint par la police de Vichy de surveiller les activités de la grande mosquée. Il rencontre Salim Halali, juif algérien avec qui il se lie. Malgré les risques encourus, Younès décide de changer de camp.

Acteur chez André Téchiné et Christophe Honoré, passé derrière la caméra avec Après lui puis Le Clan, Gaël Morel sonde à travers ce drame inquiétant les pulsions criminelles de deux gigolos en cavale.

d’Emmanuelle Millet Avec Christa Theret, Johan Libéreau… Ad Vitam, France, 1h21

d’Eugenio Polgovsk y Documentaire Aloest Distribution, Mexique, 1h30

de Tristan Aurouet Avec Jean-Hugues Anglade, Nassim Si Ahmed… Bac films, France, 1h36

de David R. Ellis Avec Sara Paxton, Dustin Milligan… Metropolitan Filmexpor t, États-Unis, 1h35

28/09 de Yuen Woo-ping Avec Jay Chou, Michelle Yeoh… Universal, États-Unis-Chine, 1h54

d’Ismael Ferroukhi Avec Tahar Rahim, Michael Lonsdale… Pyramide, France, 1h50

de Jafar Panahi et Mojtaba Mir tahmasb Documentaire Kanibal, Iran, 1h15

de Gaël Morel Avec Stéphane Rideau, Béatrice Dalle… Alfama Films, France, 1h30

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© Pretty Pictures

28/09

21/09

14/09

07/09

SORTIES EN SALLES CINÉMA

PEINES PERDUES Dans la foulée d’Une séparation d’Asghar Farhadi, le nouveau film du trop méconnu MOHAMMAD RASOULOF, déjà remarqué pour La Vie sur l’eau en 2005, offre un nouveau témoignage sans issue sur la vie quotidienne en Iran. Politique et précieux. _Par Donald James

Sélectionné en dernière minute à Cannes, où il est arrivé clandestinement avec Ceci n’est pas un film de Jafar Panahi et reparti avec le prix de la mise en scène Un certain regard, le quatrième long métrage de l’Iranien Mohammad Rasoulof suit les péripéties d’une jeune femme aux

prises avec la bureaucratie perse. À travers ce portrait d’une Sisyphe trentenaire, il décrit avec subtilité et réalisme le quotidien d’une avocate dans l’incapacité d’exercer sa profession car l’État, sans vraiment l’en informer, vient de la priver de licence. Cela, sans aucun doute, parce qu’elle est mariée à un journaliste, opposant du régime disparu dans la clandestinité. Enceinte, seule, surveillée, sans autre moyen de subsistance que de vendre des boîtes en carton, elle décide d’avorter et se met en quête d’un visa pour quitter l’Iran. Dans cette aspiration au départ, son personnage ne cesse d’éprouver les limites de sa cage. La jeune femme possède ainsi chez elle une tortue dont l’aquarium fuit. Elle ajoute de l’eau dans le récipient quand elle y pense, mais un beau jour la tortue disparaît. Est-elle partie ? Estelle morte ? Au fil de ce récit immobile, Mohammad Rasoulof propose

une image étrange voire fantastique de la prison moderne qu’est son pays. Le réalisateur, qui a suivi de près la Révolution verte, a été condamné et a passé quelques mois dans les geôles iraniennes, tout comme Jafar Panahi. Aujourd’hui, tout ce qui nous vient de ce pays à la population bâillonnée est un acte politique. Avec Au revoir, Rasoulof n’y va pas avec le dos de la cuillère et signe un film énergique et étouffant, tourné en semi clandestinité, en intérieur et en plansséquences. Il semble que l’Amérique de Kafka pourrait aujourd’hui s’appeler Iran. ♦

© Pretty Pictures

AU REVOIR

de Mohammad Rasoulof Ave c : L ey l a Z a r e h , H a s s a n Po u r s h i r a z i… D i s t r i b u t i o n : Pr e t t y Pi c t u r e s D u r é e : 1h 4 0 S o r t i e : 7 s e p t e m b r e

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour son actualité brûlante et l’urgence de son message, alors que les révolutions du monde arabe ont entrainé un regain de pression politique en Iran.

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2… Pour l’interprétation courageuse de l’actrice Leyla Zareh, dans des conditions de tournage clandestines très difficiles.

3… Pour une mise en scène tirée au cordeau et d’une grande modernité, qui permet de voir de l’intérieur un pays très fermé.


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La colline a des yeux PUTTY HILL de Mat t Por ter field Avec : Sk y Ferreira, Cody Ray… Distribution : ED Distribution Durée : 1h27 Sor tie : 7 septembre

Avec son deuxième long métrage, l’élégiaque Putty Hill, l’Américain MATT PORTERFIELD dresse le portrait sombre d’une communauté dans un quartier sinistré de Baltimore, qui se livre après la mort de l’un des siens par overdose. Un docufiction dur et sensible. _Par Clémentine Gallot et Laura Tuillier

Hormis les farces pétulantes de John Waters et la série-somme The Wire, trop peu de fictions ont émergé ces dernières années de Baltimore, Maryland, 621 000 habitants et 300 000 de moins qu'il y a quarante ans. On se réjouira

donc des images que Putty Hill livre de ce bastion d’un urbanisme décati. « C’est très important pour moi de faire des films sur l’endroit où j’ai grandi », explique le jeune cinéaste Matt Porterfield, qui signe là son deuxième long métrage après Hamilton en 2006. « Pour le moment, tous mes films racontent quelque chose de cette ville que j’aime, même si j’en suis parti. » Putt y Hill, ni docu, ni fiction, enregistre dans de longs plans-séquences des conversations à bâton rompu entre habitants et dessine le portrait en creux d’une communauté urbaine en déshérence. Évocation fantomatique qui s’ouvre et se clôt sur la chambre d’un défunt, le film gravite autour de la figure de l’absent : la mort du jeune Cory par overdose force ses proches à se réunir et sert de point de départ à une exploration des liens et des lieux qui délimitaient la vie de l’adolescent.

Après des études à la Tisch School de la New York University, qu’il abandonne en cours de cursus, trop impatient de tourner, puis un premier teen movie white trash remarqué (Hamilton, donc), ce NewYorkais d’adoption a bâti Putty Hill sur les décombres de Gods of Metal, projet avorté faute de financement. « J’ai écrit un scénario ouvert à partir des jeunes qui m’avaient inspiré lors du casting de Gods of Metal. Je les ai rappelés, nous avons passé du temps ensemble, tout s’est passé de façon très organique », se souvient-il. Dans Putty Hill, les kids qu’il a choisis, ados mutiques et lucides, déclament des dialogues improvisés à partir de petites fiches biographiques qui cernent à minima leurs personnages. Une recherche du naturel à tout prix qui ne va pas sans un certain maniérisme, à mettre probablement sur le compte d’un dispositif un peu artificiel : en off, la voix du réalisateur

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour Matt Porterfield, nouvelle voix du jeune cinéma américain, qui a terminé depuis son troisième film, I Used to Be Darker.

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2… Pour découvrir un docufiction tourné à Baltimore, espace urbain en crise trop souvent délaissé au cinéma.

3… Pour les performances étonnantes d’acteurs inconnus et débutants, qui mêlent vécu et improvisation.


Plutôt que de montrer l’enterrement du jeune homme, le réalisateur filme la veillée qui suit, cernant des visages marqués – drôle

de fête durant laquelle chacun se relaie au karaoké. « Il me semblait que je pouvais trouver une diversité d’émotions plus grande en filmant une situation moins cérémonielle. La tristesse, mais aussi la célébration de la vie. » Ce refus du solennel et cette attention systématiquement portée aux microrebondissements animant la communauté ouvrent vers un quotidien finalement élégiaque et lumineux. À l’image de cette scène de baignade en rivière, dans laquelle les ados zonards se retrouvent pour échapper à la moiteur de l’été, Putty Hill est endeuillé mais jamais plombant, circonscrit mais pas aveugle. Très marqué par un certain cinéma naturaliste filmant les ados sans fard, façon Harmony Korine, Matt Porterfield affirme n’avoir regardé que Husbands de John Cassavetes avant le tournage. Une fluidité qui rappelle pourtant – passage obligé – le rythme et l’esthétique de Gus Van Sant et Larry Clark. Ces enfants perdus portent dans le regard le même air de défi. ♦

3 questions à

Matt Porterfield Pourquoi filmer à Baltimore ? J’y suis retourné après sept ans passés à New York. Mon premier film, Hamilton, a été tourné à Baltimore, tout près de là où j’ai tourné Putty Hill. On retrouve des fragments qui appartiennent à cette ville que je connais et que j’aime dans tous mes films. Vous êtes-vous inspiré de personnages réels ? J’ai grandi dans un environnement ouvrier, mais j’allais dans une école privée. C’était important pour moi de montrer des images qui représentent le quotidien de ma communauté. Hamilton était basé sur le roman de Faulkner, Lumière d’août, mais également sur l’histoire d’une fille que j’ai connue. Putty Hill est une fiction, mais nous n’avions pas un scénario précis à respecter et toutes les histoires résonnent avec ce que m’ont raconté les personnages du film, qui ne sont pas des acteurs. Pourquoi cet attachement aux lieux ? Ce que j’aime dans le cinéma réaliste, c’est qu’on peut associer les personnages et leur véritable environnement. Quand on travaille avec des acteurs non-professionnels, il est plus facile de les faire jouer de façon juste s’ils sont chez eux.

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questionne chaque protagoniste sur son quotidien, ses liens avec Cory, sa façon d’envisager le deuil, le manque, l’avenir. Des sauvageons jouant au paintball dans les bois, un oncle tatoueur tout juste sorti de prison, une mère catatonique, des jeunes punkettes, tous sont guidés par cette voix extérieure et laissent finalement entrevoir une jeunesse fragilisée par l’environnement lugubre de leur ville. Jamais voyeur, même lorsqu’il touche à l’intime, Matt Porterfied reconnaît que la question de la distance a été une préoccupation centrale pendant le tournage : « J’ai essayé de poser aux personnages des questions qui me semblaient appropriées, que ce soit d’un point de vue narratif ou d’un point de vue personnel, parce qu’ils me confient des choses parfois difficiles. »

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À bout de course 1967 : la Nouvelle vague française s’invite, via son ambassadeur JeanPierre Léaud, dans le cinéma virtuose et saturé d’énergie du Polonais JERZY SKOLIMOWSKI. Rencontre idéale, film sublime : Le Départ. _Par Jérôme Momcilovic

Pour Jerzy Skolimowski, le titre – Le Départ – est on ne peut plus raccord. En 1967, après trois films brillants tournés chez lui en Pologne (Signe particulier : néant, Walkover et La Barrière), un quatrième, Haut les mains, est frappé par la censure et le condamne à l’exil, faisant de lui le cinéaste vagabond que l’on

sait. Le Départ est ainsi tourné en Belgique, en français. Trois ans plus tard ce sera Londres et Deep End. Que raconte Le Départ ? L’histoire d’un garçon coiffeur (Jean-Pierre Léaud) bouillant d’une énergie brouillonne, qui se consume dans sa passion pour les courses automobiles. Le jeune homme s’est inscrit à un rallye mais il lui manque l’essentiel : la voiture. Le film est le récit des milles ruses qu’il déploie pour mettre la main sur ce précieux sésame. Mais la course a en fait déjà commencé devant nos yeux, sans voiture (et de toute façon on comprend vite que de rallye, il n’y aura point). C’est une course exténuante que le héros court, tout seul, le corps pareil à un câble électrique. Léaud en marche avant, en marche arrière, faux départs, demi-tours, glissades, changements de caps, et une parole qui va plus vite encore que les jambes. Léaud rencontre une fille, qui disparaît ; la retrouve, la perd encore, continue à

chercher sa voiture. Au fond, c’est le même récit que ceux des précédents films de Jerzy Skolimowski : celui d’une jeunesse qui n’existe que dans la dépense, qui n’arrête pas de courir pour ne pas se demander pourquoi elle cavale. Dans ce burlesque tragique, Jean-Pierre Léaud est simplement prodigieux. Bouleversant quand, l’espace d’un instant, ses yeux se figent, révèlent un peu du vide intérieur du garçon coiffeur. C’est une séquence sidérante de beauté, sur le stand d’un salon de l’auto caressé par une chanson triste et sublime qui parle de départ, de chambres livides et de bouteilles vides, « vides, toujours ». ♦

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le départ

d e J e r z y S ko l i m ows k i (19 6 7 ) Ave c : J e a n - Pi e r r e L é a u d , Ca t h e r i n e Isabelle Duport… D i s t r i b u t i o n : M a l av i d a D u r é e : 1h 2 9 Re s o r t i e : 7 s e p t e m b r e

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le bagout vertigineux de Jean-Pierre Léaud, qui trouve ici l’un des plus beaux rôles de sa carrière.

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2… Pour le style époustouflant de Jerzy Skolimowski, véritable free jazz visuel d’une beauté à couper le souffle.

3… Pour la chanson-titre chantée par Christiane Legrand, et pour toute la bande originale signée Krzysztof Komeda.


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AMOUR À MORT Enoch est un jeune orphelin qui squatte les enterrements. Annabelle une jeune fille atteinte d’une tumeur au cerveau. Ces deux-là ont trois mois pour apprendre à vivre… et à mourir. Un film mineur de GUS VAN SANT ? Pas si simple. _Par Renan Cros

Présenté cette année en ouverture d’Un certain regard à Cannes, Restless signait le grand retour de Gus Van Sant sur la Croisette. Celui qui a marqué les années 2000 avec ses audaces contemplatives a surpris tout le monde avec cette romance en apparence trop sage. Mais on aurait tort de ranger trop vite son film dans le pla-

card des œuvres mineures. Gus Van Sant s’offre là le luxe de la simplicité et ouvre les obsessions et les motifs de son cinéma à un plus large public. Cette fantaisie mortuaire possède ainsi le charme cotonneux de My Own Private Idaho, le temps suspendu adolescent d’Elephant, l’étrangeté fantomatique de Last Days et de Gerry, mais aussi l’émotion immédiate et diffuse de Harvey Milk. Elle révèle au passage Henry Hopper, fils de Dennis, et Mia Wasikowska, échappée des filets burtoniens. Comme toujours, les acteurs sont le cœur du cinéma de Gus Van Sant, qui s’amuse à modifier à chaque séquence notre perception de ce couple improbable. Teen movie ? Film de fantômes ? Méditation stoïcienne ? Comédie à la Wes Anderson ? Mélodrame flamboyant ? Bestiaire gothique ? Restless est tout ça à la fois, comme si le réalisateur offrait à ces amants condamnés l’opportunité de vivre toutes les vies possibles.

Le film a ainsi l’élégance de ne jamais faire de l’inéluctable le ressort larmoyant de son récit. La mort est là, tout le temps, mais le film joue avec, ponctué de parenthèses loufoques où le vrai et le faux se mélangent comme pour conjurer le sort prochain d’Annabelle. À l’image du fantôme d’un soldat japonais, compagnie philosophique d’Enoch, Restless permet à Gus Van Sant d’explorer à nouveau le temps fantomatique cher à son cinéma. Mais le plus beau des fantômes, c’est bien celui d’Harold et Maud, film de Hal Hasby sorti en 1971, qui hante nos amants irréguliers de son plus beau spectre. ♦

© Sony Pictures Releasing France

RESTLESS

d e G u s Va n S a n t Ave c : H e n r y H o p p e r, M i a Wa s i kows k a… D i s t r i b u t i o n : S o ny Pi c t u r e s Fr a n c e D u r é e : 1h 3 5 S o r t i e : 21 s e p t e m b r e

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la beauté simple d’une histoire d’amour qui met en scène deux personnages pas comme les autres.

2… Pour une nuit d’Halloween peuplée de fantômes, qui tourne à l’aveu romantique entre les jeunes amants.

3… Pour le dernier plan, une table remplie de sucreries, clin d’œil poignant et amusé à l’image du film.

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LE CARNAVAL DES ANIMAUX ATTENBERG d’Athina Rachel Tsangari Avec : Ariane Labed, Giorgos Lanthimos… Distribution : Bodega Films Durée : 1h35 Sor tie : 21 septembre

Un père et sa fille conjurent leur mélancolie par la danse et les documentaires animaliers. Film d’apprentissage excentrique et joueur, Attenberg d’ATHINA RACHEL TSANGARI confirme, deux ans après le stimulant Canine, l’éblouissante vitalité du jeune cinéma grec.

_Par Jérôme Momcilovic

Quel rapport entre Alan Vega et les documentaires animaliers de Sir David Attenborough ? Ce n’est pas la moindre des qualités d’Attenberg que de tisser de pareils liens et de poser le plus simplement du monde qu’entre les chansons de Suicide

et la pédagogie des sciences naturelles, il y a une même école de la vie. C’est celle que fréquente Marina, la vingtaine, qui s’ennuie dans un petit port industriel grec où

La rencontre de la tragédie grecque, du documentaire animalier et du western. son père architecte se meurt doucement. Ces deux-là sont identiquement misanthropes et dandy, alors ils se tiennent loin de la société et de ses tabous incompréhensibles et exorcisent leur mélancolie en visionnant des films sur les grands singes, qu’ils singent – poitrines frappées, grognements complices – pour tuer le temps, parce qu’il y a mieux à faire que parler. Dehors, avec son amie Bella, Marina cultive d’autres rituels, pas très loin non plus des parades animales : des danses idiotes et symétriques, exécutées pour elles

seules dans des r ues déser tées. Ces parenthèses incongrues qui plusieurs fois percent le récit d’Attenberg, Athina Rachel Tsangari les tient à la fois de la tragédie grecque et du « Ministry of silly walks » des Monty Python. C’est dire l’originalité de ce petit film fulgurant, décrit par son auteur comme la rencontre de la tragédie grecque, du documentaire animalier et du western. La réalisatrice explique qu’après treize années au Texas, où elle étudia le cinéma, fréquenta le gratin de la scène indépendante, tourna un premier long métrage et mit sur pieds un festival de films d’avantgarde, elle avait envie pou r ce premier film tourné en Grèce de se frotter à une « histoire archétypale ». « La relation père-fille est un schéma prégnant dans la culture grecque, qui est restée très tribale et patriarcale. Je voulais aborder une telle relation mais sous la forme d’un buddy movie. Entre

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’élégance raide et distanciée de la mise en scène d’Athina Rachel Tsangari, dans un décor où la présence humaine est rare.

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2… Pour la playlist impeccable, du Suicide d’Alan Vega au folk tordu de Daniel Johnston en passant par les chansons yé-yé de Françoise Hardy.

3… Pour la révélation Ariane Labed, récompensée du prix d’interprétation à la Mostra de Venise pour sa performance dans le rôle de Marina.


« C’est une double histoire de sortie de l’adolescence : lui devient adulte en approchant de la mort ; elle en découvrant le sexe. »

Cette manière de battre en brèche quelques tabous persistants de la société grecque ne surprendra pas ceux qui ont vu, il y a deux ans, l’étrange Canine de Yorgos Lanthimos, puisqu’il fut à l’époque produit par Athina Rachel Tsangari sous la bannière de la société de production Haos Film qu’ils ont fondée ensemble. Tandis que le prochain film de Lanthimos, Alps (sur une société de services qui offre de remplacer les morts par des acteurs), est annoncé à la prochaine Mostra, Attenberg confirme qu’il y a bien là, dans cette petite société de production d’un petit pays très mal en point, une rayonnante promesse pour le cinéma mondial. « Nous avons fondé Haos Film pour pouvoir produire nos films nousmêmes dans un pays où la notion

de producteur est assez peu développée, continue la réalisatrice. Les films ont été tournés sans l’aide de coproductions étrangères, avec peu d’argent. L’important pour nous était de tourner vite, pour ne pas perdre la vitalité des projets. » Le cinéma grec, dont Tsangari et Lanthimos (qui joue un petit rôle dans Attenberg) représentent la part la plus aventureuse et inspirée, est aujourd’hui dans une situation paradoxale, frappé com me le reste du pays pa r la crise financière alors qu’il venait juste d’arracher de haute lutte au gouvernement une importante loi de financement. « La situation en Grèce est évidemment très déprimante, mais je veux croire qu’elle peut aussi être une chance, l’occasion pour le pays de comprendre qu’on peut provoquer des choses en s’unissant, et de s’émanciper d’une identité très conservatrice et figée. Et, pour le cinéma grec, de refléter ça. » Une chose est sûre : la Grèce endolorie ne pouvait se trouver plus beau reflet qu’Attenberg. ♦

3 questions à

Athina Rachel Tsangari Peut-on parler d’une « nouvelle vague » au sujet du jeune cinéma grec ? Non, c’est une catégorie journalistique qui n’est pas forcément conforme à la réalité. Mais, à défaut d’un vrai courant, il y a bien un réveil, qui est dû notamment au fait que beaucoup d’entre nous ont fait leurs armes à l’étranger, où ils ont appris à se débrouiller sans nécessairement attendre d’être financés par les institutions. Il y a entre nous une forte camaraderie, qui est très productive. Pourquoi définissez-vous Attenberg comme un « western urbain » ? Parce qu’au fond, la structure du film, ses ingrédients, sont un peu ceux d’un western : une petite ville fantôme, des personnages en crise, et l’arrivée d’un étranger qui va jouer le rôle d’un catalyseur… Le western a été une inspiration, tout comme la comédie musicale. Quels sont vos projets désormais ? Je travaille sur mon prochain film, que je vais tourner au Texas. Ce sera, pour le dire vite, une screwball comedy de science-fiction.

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Marina et son père, il y a beaucoup de tendresse mais aussi une forme de franchise radicale. C’est un peu une double coming of age story : lui devient adulte en approchant de la mort ; elle en découvrant le sexe. »

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COLON QUI S’EN DEDIT Un pêcheur palestinien se retrouve avec un cochon sur les bras, et pour s’en débarrasser se voit forcé de commercer avec des colons juifs. Dans son premier film, SYLVAIN ESTIBAL mêle burlesque et réalisme désespéré pour conter l’impossibilité de vivre ensemble dans la bande de Gaza. _Par Axel Zeppenfeld

Pêcheur médiocre, malchanceux et endetté, Jafaar peine à écouler deux malheureuses sardines au marché de Gaza. Revenu sur son bateau, son quotidien poussif prend un tournant

absurde lorsqu’un cochon se retrouve piégé dans son filet. Après un temps de sidération, il reprend ses esprits, tente d’apprivoiser la bête et de lui imaginer une quelconque utilité. Un certain surréalisme plane autour de cette irruption, dans un film qui répond par ailleurs aux canons de la logique. Si l’animal a certes pu tomber d’un cargo, on accueille l’apparition comme le principe arbitraire qui fait plonger le récit dans la fable. Cet accident, dérèglement d’une trame partie pour rendre compte des mille et une misères palestiniennes, est une des petites joies du Cochon de Gaza. Le burlesque du film s’appuie dès lors sur l’impossibilité, dans cette contrée musulmane, de fréquenter un tel animal, qui fait face à la nécessité d’en tirer profit malgré tout. Le porc se révèle, en négatif, une convergence – l’occasion d’une rencontre : clandestinement, pour tenter de se débarrasser de la bête, Jafaar sera amené à

commercer avec une communauté de colons juifs. Le cochon symbolise là assez efficacement, la crispation des esprits et l’effort de subversion qui est nécessaire à tout rapprochement entre les deux peuples. En retour, le film de Sylvain Estibal ne cède pas au cliché qui appellerait naïvement au retour d’une fraternité oubliée, et assume le chemin à parcourir. En conséquence, c’est un sentiment de débâcle qui domine la fin de l’histoire, le réalisateur choisissant la tangente pour s’extirper d’un scénario en cascade. Passée une première impression grandguignolesque, on retiendra une authentique élégance dans le ton et chez les acteurs. ♦

© Studio Canal

LE COCHON DE GAZA

d e S y l va i n E s t i b a l Ave c : S a s s o n G a b ay, B aya B e l a l… D i s t r i b u t i o n : S t u d i o c a n a l D u r é e : 1h 3 8 D a t e d e s o r t i e : 21 s e p t e m b r e

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour visiter la bande de Gaza, une région souvent évoquée dans l’actualité, investie pour une fois par la fiction et la comédie.

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2… Pour la présence chaplinesque de Sasson Gabay, acteur israélien né en Irak, déjà vu dans La Visite de la fanfare d’Eran Kolirin.

3… Pour la dégaine de la truie actrice, dans son manteau de laine, imitatrice très approximative du mouton…


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FAUX JUMEAUX Dans Un été brûlant, deux jeunes hommes se croisent sans vraiment se comprendre. PHILIPPE GARREL en profite pour actualiser des motifs qui lui sont chers : l’autodestruction, l’éthique antibourgeoise, le vieillissement d’un monde… Un drame conjugal abrasif. _Par Louis Séguin

Paul (Jérôme Robart) est un personnage parfaitement garrelien : rejeton anachronique de la gauche prolétarienne en velours côtelé, adolescent tardif et comédien précaire… Malgré son statut de narrateur/acteur

du récit, il ne semble pourtant pas animé par l’habituelle inspiration poétique du réalisateur. Et pour cause : le centre de gravité de cette chronique estivale n’est pas Paul mais son ami Frédéric (Louis Garrel, fils de), véritable détenteur du lyrisme du film. Leurs postures sont néanmoins proches : Frédéric est un peintre installé à Rome, constatant la désuétude de sa situation (la Ville éternelle déborde de « beauté morte »), fustigeant la pensée bourgeoise tout en y aspirant manifestement, puisqu’il ne conçoit pas son amour sans mariage. Avec Paul, il apparaît coincé dans un réseau idéologique suranné, dans un monde trop vieux qui sert de décor au tournage de films d’époque : trois des quatre personnages centraux sont comédiens, et passent par Cinecittà.

Bellucci), ce dernier flotte et finit par se tuer (ou plutôt commence, en ouverture du film), avant de se perdre dans la galaxie garrelienne. Paul voit dériver ce satellite avec candeur : il se joue là quelque chose qui le dépasse, d’où l’idée astucieuse de lui confier la narration. Dès lors, le regard de Paul confère toute sa distance cosmique au naufrage du couple Frédéric-Angèle et lui donne l’allure trompeuse d’un feuilleton estival – revendiqué par le titre du film. L’intimisme flamboyant, enveloppé par de magnifiques couleurs, laisse l’été se consumer dans le cadre avec une certaine tendresse, tandis que la grâce survole cet univers de ruines. ♦ © Wild Bunch Distribution

UN ÉTÉ BRÛLANT

d e Ph i l i p p e G a r r e l Ave c : L o u i s G a r r e l , M o n i c a B e l l u c c i… D i s t r i b u t i o n : W i l d B u n c h D u r é e : 1h 3 5 S o r t i e : 2 8 s e p t e m b r e

Pourtant, malgré ce folklore commun, Paul et Frédéric ne jouent pas dans la même cour. Amoureux fou de sa femme adultère, Angèle (Monica

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la scène entre Louis et Maurice Garrel, dernière réunion des trois générations Garrel et ultime apparition de l’acteur, mort en juin.

2… Pour la finesse et l’intimité de la photographie, signée Willy Kurant (Masculin, féminin de Godard, Sous le soleil de satan de Pialat…).

3… Pour la performance de Monica Bellucci en femme fatale mais fébrile, dessinant un écho lointain à la Brigitte Bardot du Mépris.

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FUITE ENCHANTÉE PURE

de Lisa Langseth Ave c : A l i c i a V i k a n d e r, S a m u e l Fr o l e r… D i s t r i b u t i o n : AS C D u r é e : 1h 3 8 S o r t i e : 2 8 s e p t e m b r e

Quelque part entre Chabrol et les frères Dardenne transportés à Göteborg, LISA LANGSETH raconte la chute et l’ascension d’une banlieusarde perdue, convertie à la beauté par la musique classique. _Par Pamela Pianezza

Pure s’ouvre dans la douceur. Une jeune femme en jogging se délecte en écoutant Mozar t, qu’elle a découvert par hasard sur YouTube. Avant Wolfgang, Katarina (Alicia Vikander) suçait à la chaine les mecs de sa cité proche de Göteborg, dans l’Ouest de la Suède. Depuis, elle s’est jurée de mépriser « les hommes, leurs bites et leurs galères », et de

ne plus vivre que « pour ce qui est beau » (Till det som är vackert, le titre original du film). Embauchée comme réceptionniste dans une salle de concert, elle découvre alors avec fascination un univers où tous, pense-t-elle, ont fait ce choix d’une existence dédiée à la pureté… et succombe au charisme manipulateur du chef d’orchestre. Ce récit d’un passage forcé à l’âge adulte est au départ un monologue pour le théâtre où Noomi Rapace – avant Millénium – interprétait Katarina. Malgré quelques facilités narratives, son adaptation au cinéma, dirigée par Lisa Langseth qui signe là son premier long métrage, est d’une grande justesse. Alicia Vikander y est magnifique, l’énergie que son personnage dépense à deviner ce qu’on attend d’elle est bouleversante. Entre l’extase et la souffrance, peutêtre à la limite de la folie, elle avance comme un petit soldat buté vers une vie qui lui reviendrait de droit. ♦

3 questions à

Lisa Langseth Pourquoi l’univers de la musique classique vous fascine-t-il ? À mes yeux, c’est un milieu secret, quasiment mystique, où l’on parle une langue étrangère aux non-initiés. J’ai grandi entre la bourgeoisie et la classe ouvrière et, enfant, je pensais être handicapée par ce choc des classes. Aujourd’hui, ce thème est mon principal centre d’intérêt. Ce choc des classes est-il forcément violent ? Cet affrontement me semble aussi naturel qu’inévitable, mais il peut se passer de brutalité, se contenter de bouleverser votre âme. C’est ce qui m’est arrivé : j’ai longtemps ressenti une grande violence émotionnelle. Alicia Vikander est désormais un espoir du cinéma suédois… Pendant un an, j’ai cherché l’actrice parfaite pour interpréter Katarina : inexpérimentée mais talentueuse, et suffisamment jeune pour qu’on lui pardonne ses pires actes. On me disait que j’en demandais trop, jusqu’à ce que je rencontre Alicia. Une pure merveille.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’actrice Alicia Vikander, découverte du film, sa sensualité boudeuse et sa beauté bergmanienne.

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2… Pour l’orchestre philarmonique de Göteborg et ses interprétations de Nielsen, Bach ou Massenet, qui habitent le film.

3… Pour l’approche sans clichés de la banlieue suédoise, à la fois au cœur et en périphérie du film de Lisa Langseth.


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PLANS DE COUPE Dans Portrait d’une enfant déchue, son premier long métrage réalisé en 1970 et de retour en salles ce mois-ci, JERRY SCHATZBERG collecte les souvenirs d’un ancien mannequin fêlé, campé par une Faye Dunaway au couteau. _Par Juliette Reitzer

Une femme vit coupée du monde, dans une bicoque battue par les vents en bordure d’océan. Silhouette frêle, visage émacié, elle lâche un fébrile « j’essaie vraiment d’aller bien » à l’homme qui lui rend visite, un vieil ami photographe venu l’interroger sur sa vie pour en faire un film. Mais « aller bien », ce n’est pas gagné : ancien mannequin

adulé, Lou Andreas Sand fut ballottée comme un automate au gré des désirs d’autrui, toisée par des photographes tyranniques (« C’est un chiffon gênant à regarder, sexy comme du thon en boîte »), monnayée comme un objet, dépossédée d’elle-même jusqu’à glisser dans la dépression. Le titre original, Puzzle of a Downfall Child, dit bien le morcellement dont procède tout le film, tant dans son sujet (une psyché qui s’émiette, se désagrège) que dans sa manière de le traiter. Elle-même décousue, faite de bribes se refusant à toute linéarité, la confession de Lou est entrecoupée de flashbacks d’époques et de souvenirs réels ou fantasmés. Figure de l’effondrement, Lou Andreas Sand est interprétée par la magistrale Faye Dunaway, dont le corps et le visage se voient pareillement fragmentés par une foule de gros plans qui isolent tantôt une bouche laquée de rouge, tantôt des yeux hagards, et

transforment peu à peu la jolie poupée en pantin désarticulé. « Il faut d’abord avoir été brisée pour se reconstruire », lâche-t-elle, résumant l’ambition de ce Portrait aux allures de mise en abyme : lui-même photographe de mode dans les années 1960 (pour Vogue ou Esquire), Jerry Schatzberg s’est inspiré des confessions de son modèle favori, Anne Saint Marie, pour dessiner un portrait cohérent à partir de fragments désunis. « La vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas », faisait dire Truffaut à l’un de ses personnages, sous-entendant que seul le cinéma peut les assembler. Dans son brillant premier film, Jerry Schatzberg ne dit pas autre chose. ♦

© Carlotta

PORTRAIT D’UNE ENFANT DÉCHUE d e J e r r y S c h a t z b e r g (19 70 ) Ave c : Faye D u n away, B a r r y Pr i m u s… D i s t r i b u t i o n : Ca r l ot t a D u r é e : 1h 4 4 Re s o r t i e : 2 8 s e p t e m b r e

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’actrice Viveca Lindfors, géniale dans le second rôle d’une photographe possessive, masculine et grande gueule.

2… Parce que le film était présenté cette année au Festival de Cannes, en ouverture de la sélection Cannes Classic.

3… Pour la performance de Faye Dunaway, icône du Nouvel Hollywood, trois ans après sa révélation dans Bonnie and Clyde d’Arthur Penn.

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le cycle

Le botaniste et biologiste Francis Hallé

Arbres de vie

À travers sept films et une exposition de dessins, le cycle Arbres en campagne explore au MK2 Quai de Seine le regard esthétique, matérialiste et symbolique que les hommes portent sur les arbres – quand ils ne les abattent pas. _Par Anne de Malleray

« On abat toujours les arbres. On dit qu’on les conservera et sous un prétexte quelconque, en une heure on les abat, ni vu ni connu. Il y a toujours une bonne raison. Les accès, les canalisations, les lignes électriques, la vue qu’ils bouchent, comme si la plus belle vue n’était pas celle d’un arbre », s’émeut Marc Rossignol (Fabrice Luchini), instituteur révolté de Saint-Juire, village vendéen et théâtre de L’Arbre, le Maire et la Médiathèque, film d’Éric Rohmer (1993) qui ouvre ce cycle consacré aux arbres. Alors que nous détruisons d’une main en replantant d’une autre dans un élan de mauvaise conscience écologique, les œuvres choisies, documentaires ou fictions, interrogent cette frénésie. « Il ne s’agit pas de défendre une vision sanctuarisée de la nature. Ce cycle se veut dialectique et invite à une remise en question de nos pratiques », souligne Denis Asfaux, instigateur de l’événement. Sans moralisme ni treehugging compulsif, les films nous ne nous mettent pas moins au pied des arbres. Dans Wall-E comme dans Le Temps des grâces, superbe documentaire de Dominique Marchais

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sur le monde paysan, on redécouvre le génie écologique, ou comment les hommes renouent, in extremis, avec l’intelligence des écosystèmes. The Host du Coréen Bong Joon-ho ou encore Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki explorent d’autres racines, symboliques voire sacrées, qui ont longtemps nourri les cultures ancestrales et reviennent en force. Le cycle s’accompagne enfin d’une exposition de dessins botaniques réalisés par Dominique Mansion, illustrateur, David Dellas, spécialiste de l’aménagement du territoire, et Francis Hallé, botaniste et biologiste, dont le dernier ouvrage, Du bon usage des arbres, un plaidoyer à l’attention des élus et des énarques (Actes Sud) fait écho aux propos de Zoé, la fille de l’instituteur, dans L’Arbre, le Maire et la Médiathèque : à force d’aménagements, ce qui manque à la campagne, ce sont les espaces verts. Cycle Arbres en campagne à partir du 29 septembre au MK2 Quai de Seine plus d’infos sur www.mk2.com

© DR

LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES


© Aude Picault

LA DÉDICACE

Aude Picault Chaque premier mercredi matin du mois, la librairie du MK2 Quai de Loire organise des lectures pour les 3-5 ans. À l’occasion de la sortie de son nouvel album jeunesse, Trop loin, c’est l’illustratrice et auteure Aude Picault qui viendra rencontrer le public le 5 octobre. Crocodiles voleurs de doudous, cohabitations cocasses entre ours et souris… La fraîcheur des histoires et personnages de la conteuse, l’épure souple de son tracé emballeront les parents et leurs progénitures. Au programme : lecture à 10h30 et séance de dédicaces à partir de 17h. Sur inscription gratuite, à la librairie ou par téléphone (01 44 52 50 70) auprès de Mélanie. _D.E. Le 5 octobre au MK2 QUAI DE LOIRE Trop loin d’Aude Picault (Éditions Kaléidoscope, livre jeunesse), dès 3 ans, sor tie le 22 septembre

© MK2

LA TECHNOLOGIE

MK2 passe au 100% numérique Terminé, les boîtes de pellicules qui s’entassent dans les cabines de projection : place aux disques durs ! En septembre, l’intégralité des cinémas MK2, soit 58 écrans à Paris, passe au numérique. En partie motivé par la multiplication des films tournés en 3D et des succès utilisant cette technologie, d’Avatar de James Cameron à Alice aux pays des merveilles de Tim Burton en passant par les dessins animés Pixar, ce choix signifie pour les spectateurs une meilleure qualité d’image et une offre élargie de longs métrages – qu’ils soient en 3D ou pas. MK2 devient ainsi le premier réseau intégralement programmé en version originale à équiper toutes ses salles en numérique. _D.R.

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© Michaël Duperrin

LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

L’EXPOSITION

FONDU AU NOIR

À Lourdes, une file de pèlerins s’engouffre dans une grotte faiblement éclairée sous l’objectif de MICHAËL DUPERRIN. Silhouettes fuyantes, regroupements fugaces : autant de traces que l’on retrouve dans le dernier livre du photographe, En son absence, dont les pas sont à suivre dans l’exposition du même nom, au MK2 Bibliothèque. _Par Laura Pertuy

Ses clichés sont d’éphémères témoignages où les visages se perdent dans le flou. Des instants volés que le Toulousain Michaël Duperrin imprime en noir et blanc sur la pellicule, à la manière d’un montage du réel aux allures fantomatiques. Animé par la profondeur de temps et les jeux de mouvement offerts par la photographie, cet ancien étudiant en cinéma poursuit une réflexion sur la disparition, non loin des recherches d’Antoine d’Agata, autre photographe friand de portraits tremblés. Après des travaux poussés sur l’effacement, son dernier projet, En son absence (qui a donné un livre publié aux éditions Séguier), débute sur une perte : celle de sa grand-mère, à qui il avait promis un voyage à Lourdes. Un pèlerinage finalement entrepris en solitaire par le photographe. Le lien qu’il tisse entre cette expérience personnelle et l’universalité du lieu, la procession sans fin d’âmes en quête, illustre l’ensemble de sa démarche, « à mi-chemin de la trace qui

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s’efface et du signe qui perdure ». Un peu comme un écho au regard interdit lancé par Orphée à son Eurydice en remontant des Enfers – geste fatal mais constitutif de l’expérience. Les visages semblent ainsi errer entre l’ici et l’ailleurs, dans un espace indistinct que Duperrin place au croisement de l’empreinte et de l’écriture. Les silhouettes s’oublient dans des drapés aux dessins très graphiques, tandis que les cadrages comblent l’espace, vite envahi par le buio italien (l’obscurité) que pénètrent Dante et Virgile. Il y a quelque chose de la mythologie antique dans ces apparitions diaphanes et pourtant vibrantes d’un éclat peu commun, portées à leur paroxysme lors de recueillements intimement grandioses. ♦ En son absence de Michaël Duperrin, du 21 septembre au 14 octobre au MK2 BIBLIOTHÈQUE Plus d’infos sur www.mk2.com


l’AGENDA Jusqu’au 18 septembre

Carte blanche à Archie Shepp / QUAI DE LOIRE

Dans le cadre du festival Jazz à La Villette, cycle élaboré par le saxophoniste Archie Shepp, avec les projections des films Jungle Fever, Glory, Autant en emporte le vent, Stormy Weather, Hallellujah, Le Chanteur de jazz. Soirée d’ouverture le 8 septembre avec La Case de l’oncle Tom, en présence d’Archie Shepp. Jusqu’au 18 septembre

Cycle Jazz à La Villette for kids / QUAI DE LOIRE Une programmation destinée aux enfants, avec les films Tex Avery Follies et La Princesse et la Grenouille. 8 septembre à 19h30

Soirée Zéro de conduite / QUAI DE LOIRE

Balade-lecture sur le bassin de La Villette avec les éditions Attila, autour du naufrage, avec les textes Le Naufrage de la « Méduse » de Corréard et Savigny, La Chose dans les algues de William Hope Hodgson, « L’Ophélia », roman d’un naufrage de Marius Ary-Leblond et Papillon d’Henri Charrière. Sur inscription au 01 44 52 50 70. 13 septembre à 20h

Avant-première / QUAI DE LOIRE

Projection du documentaire The Black Power Mixtape de Göran Olsson, avec Erykah Badu, Harry Belafonte, Angela Davis… 15 septembre à 19h30

Rencontre-dédicace / QUAI DE LOIRE

Avec les éditons Attila, soirée autour du livre Palabres d’Urbano Moacir Espedite, en présence des éditeurs et de Bérengère Cournut, l’une des deux traductrices. Du 22 septembre au 31 octobre

Cycle Portraits de famille / QUAI DE LOIRE Projections en matinée des films C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée, Chat noir, chat blanc d’Emir Kusturica, À bord du Darjeeling Limited de Wes Anderson et Little Miss Sunshine de Jonathan Dayton. 24 septembre à 17h

Rencontre-dédicace / QUAI DE LOIRE

Avec les illustratrices jeunesse Morgane David (On s’aime quand même) et Anaïs Albar (Quand j’étais un autobus), des éditions Kilowatt. 26 septembre à 20h30

Rendez-vous des docs / QUAI DE LOIRE

Projection du documentaire You’ll Never Walk Alone de Jérôme de Missolz, en présence du réalisateur et de Philippe Azoury, critique cinéma à Libération. 5 octobre à 10h30

Lecture pour les 3-5 ans / QUAI DE LOIRE.

Lecture des albums de l’illustratrice Aude Picault : Le Crocovoleur de doudous, Trop loin et L’Ours et la Souris, parus aux éditons Kaléidoscope [lire également p.125].

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© Bavaria Films

LOVE SEATS

Deep End de Jerzy Skolimowski

BIEN PROFOND Peut-on rater une scène culte pour un langoureux baiser ? Lors d’une séance de Deep End de Jerzy Skolimowski, Pamela a dû se résoudre à choisir entre le film projeté à l’écran et celui qui se jouait sur sa gauche… _Propos recueillis par Bethsabée Krivoshey

« Deep End, MK2 Beaubourg, 19h55, Paris. Petite salle en fin d’après-midi pluvieuse et galant à l’heure : les ingrédients d’une séance idéale sont réunis. Après avoir négocié l’espace de l’accoudoir réparti à chacun, non sans chair de poule à chaque frôlement, le film commence enfin. Jerzy Skolimowski a pensé à tout le monde. Moi, j’ai un John Moulder-Brown à croquer, foulant les pavés londoniens mèche au vent sur un air de Cat Stevens, tandis que Jane Asher l’éblouit par sa rousseur. Furtif regard entre mon rendez-vous et moi : on se sourit, c’est bien parti. Mais malgré tout, il y a comme un hic, ça la fout toujours un peu mal de s’intéresser plus au film qu’au flirt.

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Théoriquement, on est venus pour voir un film, or la chair est faible dès qu’on est enfermé dans le noir. Donc bon, Jerzy, j’adore ton film, mais je sens bien que je vais devoir passer à la casserole. Quoi, préférer l’illusion plate de la fiction aux possibilités 3D de la vie réelle ? Sentimentalement incorrect. Alors, oui, quand tu veux, embrassons-nous. Galant enfin se décide. Il se tourne, lentement, tend sa bouche vers la mienne et m’embrasse suavement. Mais le salaud m’a bien roulé, il a eu le bon côté de la pelle. Que les plus romantiques ne s’offusquent pas, il y a définitivement un bon côté pour s’embrasser au ciné. Comme à l’écran, sauf que là il n’est pas question d’esthétique, mais de pratique. Qui pourra zyeuter discrétos l’écran pendant la démonstration d’amour ? Lui. Et voilà comment se faire rouler une pelle et rouler dans la farine. Deep End. » ♦ Envoyez-nous vos histoires de coups de foudre en salles obscures à troiscouleurs@mk2.com, nous publierons les plus enlevées.


la chronique de dupuy & berberian

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Chers lecteurs de Trois Couleurs, cette page est la vôtre. Avez-vous déjà rencontré au cours de votre vie une personne pour qui vous éprouvez ce qu’on pourrait appeler de la haine ? Avez-vous déjà plus ou moins désiré sa mort ? Pouvezvous décrire cette personne physiquement ? Si tel est le cas, envoyez un e-mail à unaccidentsvp@gmail.com en joignant le maximum d’informations en votre possession. Les dessinateurs Ruppert et Mulot, tout en préservant votre anonymat, tâcheront de faire qu’un accident soit vite arrivé. 130

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