cinéma culture techno I octobre 2011 n°95 by
La rentrée des festivals
Et aussi... Camille • Julie Delpy • Questlove • Vanessa Bruno • Maïwenn • Photoquai • Les rejetons de WikiLeaks • Robert Crumb • Pierre Schoeller •
Ryan
Gosling Chauffeur de salles
www.mk2.com
1
2
octobre 2011
SOMMAIRE Éditeur MK2 Multimédia 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Directrices artistiques Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Secrétaire de rédaction Sophian Fanen Iconographe Juliette Reitzer Stagiaires David Elbaz, Daxia Rojas Ont collaboré à ce numéro Ève Beauvallet, Christophe Beney, Léa Chauvel-Levy, Renan Cros, Julien Dupuy, Claude Garcia, Joseph Ghosn, Jacky Goldberg, Donald James, Wilfried Paris, Laura Pertuy, Pamela Pianezza, Jessica Piersanti, Jérôme Provençal, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Nathan Reneaud, Violaine Schutz, Mélanie Uleyn, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vincente Illustrations Almasty, Dupuy & Berberian, Ruppert & Mulot Photographie de couverture © Nicolas Guérin / Contour by Getty Images Publicité Directeur général adjoint MK2 Multimédia Rachid Boukhlifa 01 44 67 68 02 (rachid.boukhlifa@mk2.com) Responsable de clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Responsable de clientèle hors captifs Amélie Leenhardt 01 44 67 30 04 (amelie.leenhardt@mk2.com) Stagiaire Adrien Faucher
© 2011 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.
octobre 2011
5 … ÉDITO 6 … PREVIEW > Shame
9 LES NEWS 9 … CLOSE-UP > Emma Stone 10 … BE KIND, REWIND > The Thing 12 … EN TOURNAGE > 7 Days in Havana 14 … COURTS MÉTRAGES > HitRECord 16 … MOTS CROISÉS > Walter Benjamin 18 … SÉRIES > Breaking Bad 20 … ŒIL POUR ŒIL > The Artist vs Yoyo 22 … FAIRE-PART > François and the Atlas Mountains 24 … PÔLE EMPLOI > Darrin Prescott 26 … ÉTUDE DE CAS > Justice 28 … TOUT-TERRAIN > Puro Instinct, Real Steel 30 … AUDI TALENTS AWARDS > Cyprien Gaillard 32 … ART NUMÉRIQUE > Stefan Asafti 34 … ENQUÊTE > Les rejetons de WikiLeaks 38 … SEX TAPE > Crazy Horse
40 DOSSIERS 40 … RYAN GOSLING 48 … LA RENTRÉE DES FESTIVALS 56 … VANESSA BRUNO 60 … PHOTOQUAI 64 … QUESTLOVE 68 … CAMILLE
73 LE STORE 73 … OUVERTURE > Inkling 74 … EN VITRINE > Metropolis 78 … GUEST LIST > Julie Delpy 80 … RUSH HOUR > Road Movie, U.S.A., la boisson Tru Blood, Paris de la rue à la galerie 82 … KIDS > Les Aventures de Tintin : le secret de la “Licorne” 84 … VINTAGE > Paul Vecchiali 86 … DVD-THÈQUE > Alan Clarke 88 … CD-THÈQUE > Jonathan Wilson 90 … BIBLIOTHÈQUE > Joshua Ferris 92 … BD-THÈQUE > Robert Crumb 94 … LUDOTHÈQUE > Dead Island
97 LE GUIDE 98 … SORTIES EN VILLE > Pitchfork Music Festival, le Silencio, Edvard Munch, Mircea Cantor, Mathilde Monnier et Jean-François Duroure, Gwenaël Morin 112 … SORTIES CINÉ > Le Sauvage, Hors Satan, Polisse, The Ballad of Genesis and Lady Jaye, L’Exercice de l’État 124 … LES ÉVÉNEMENTS MK2 128 … LOVE SEATS 129 … TOUT OU RIEN PAR DUPUY & BERBERIAN 130 … LES PETITS ACCIDENTS SUR COMMANDE DE RUPPERT & MULOT
NOUVEAU
Réservez vos places de cinéma en ligne sur www.mk2.com www.mk2.com
3
4
octobre 2011
ÉDITO écarts de conduite
C
’est une actualité en cascade, qui laisse songeur : après Crazy Stupid Love le mois dernier, Ryan Gosling, nommé aux Golden Globes en début d’année pour Blue Valentine, est à l’affiche de deux des films les plus attendus d’octobre, Drive et Les Marches du pouvoir. Si tout ou presque oppose ces quatre films, les personnages qu’y interprète l’acteur canadien se ressemblent étrangement. Il y a chez eux un volontarisme charmeur et combatif, rivé sur une mission à accomplir ; et, parallèlement, une force contraire qui les écarte de cet objectif initial. Le playboy égoïste de Crazy Stupid Love délivre de froides leçons de drague à un quadra largué, avant qu’il ne s’éprenne de la fille de celui-ci. Le déménageur de Blue Valentine déplace des montagnes pour séduire celle qu’il aime, mais laisse ensuite le temps figer leur amour, jusqu’à la rupture. Cascadant pour Hollywood le jour et pour des truands la nuit, le chauffeur de Drive s’est forgé son propre code de conduite, solitaire et amoral, mais la rencontre d’une blonde princesse le fait bifurquer de cette voie sans issue. Enfin, après avoir propulsé son candidat en tête des sondages, le conseiller en communication des Marches du pouvoir en vient à trahir son camp et ses idéaux suite à une tentative de déstabilisation adverse. Si le beau Gosling pilote ainsi la rentrée cinématographique, c’est bien pour son habileté à changer de cap au quart de tour. Dans cet ovale capable d’exprimer alternativement la ruse ou le vide, le cynisme ou la candeur, les réalisateurs se plaisent à imaginer les pires dilemmes, les plus surprenantes métamorphoses – se souvenant, par exemple, de son rôle d’enseignant toxico dans Half Nelson, qui l’a révélé à Hollywood en 2007. Pour sa manière de déraper du mutisme à la volubilité, du quant-à-soi à l’altruisme, de la rationalité à la magie ; pour la façon désarmante dont il baisse la garde lorsqu’il réalise que le combat est perdu ; parce qu’il sait mieux que d’autres se trouver de nouvelles quêtes, de nouvelles loyautés ; voilà, sans doute, pourquoi il faut saluer le soldat Ryan.
_Auréliano Tonet
www.mk2.com
5
PREVIEW
Insatiable Shame de Steve McQueen Avec : Michael Fassbender, Carey Mulligan… Distribution : MK 2 Durée : 1h37 Sor tie : 14 décembre
© MK2 Diffusion
Nous retrouvons Michael Fassbender dans un loft aseptisé qui fait écho à la chambre d’hôpital de Hunger, premier film du plasticien Steve McQueen (2008), où l’acteur irlandais livrait déjà son corps sec au regard sidéré du spectateur. Dans Shame, qui lui a valu le Prix d’interprétation lors de la dernière Mostra, il est Brandon, qui copule mécaniquement, sans cesse et sans plaisir, dans un silence entrecoupé par les messages laissés sur un téléphone qu’il ne décroche jamais. Monomaniaque et isolé, Brandon voit débarquer sa sœur (Carey Mulligan), dont le besoin d’affection gêne son intimité détraquée et resserre l’étau d’un système de frustration épuisant. Filmant l’errance d’un corps tendu vers une plénitude qui lui échappe, Shame distille avec maîtrise et mélancolie l’angoisse d’une solitude indépassable. _L.T.
www.mk2.com
7
HORS-SÉRIE #7
Games stories En kiosques et en librairies s sortie le 2 novembre www.facebook.com/troiscouleurs
Close-up
© Robert Gauthier/Contour by Getty Images
NEWS
EMMA STONE
La France a raté une marche dans l’ascension de miss Stone puisque Easy A, le film qui l’a lancée aux ÉtatsUnis en 2010, reste invisible chez nous. Voix éraillée, pupilles immenses, humour grinçant : la jeune femme de 22 ans, chasseuse de zombie dans Bienvenue à Zombieland et petite amie de Peter Parker dans le prochain reboot de Spider-Man, présentait récemment à Deauville la comédie Crazy Stupid Love et La Couleur des sentiments, un drame autour des droits civiques dans le Mississippi. À cette occasion, la comédienne nous a gratifié de son inoubliable rire gras de dude découvert dans Supergrave : « Mon cœur appartient à la comédie, mais les rôles comiques ne courent pas les rues pour les filles », commente-t-elle. Son objectif : « Des films féminins qui ne soient pas interdits aux moins de 13 ans. » Le minimum syndical, en somme. _C.G. La Couleur des sentiments de Tate Taylor // Sor tie le 26 octobre
www.mk2.com
9
NEWS BE KIND, REWIND
UNE CHOSE EN COMMUN
À l’image de son monstre protéiforme, capable de muter pour survivre dans l’adversité, La Bête d’un autre monde, nouvelle de John W. Campbell publiée en 1948, a su s’acclimater aux univers de trois cinéastes distincts, partis filmer l’envahisseur en terre arctique à trente ans d’intervalle.
© Universal Pictures
_Par Julien Dupuy
The Thing de Mat thijs van Heijningen Jr. Avec : Mar y Elizabeth Winstead, Joel Edger ton… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h43 Sor tie : 12 octobre
© Universal Pictures
© Rue des Archives/BCA
© Editions Montparnasse
Trois adaptations de La Bête d’un autre monde
LA CHOSE D’UN AUTRE MONDE
THE THING
THE THING
Officieusement mis en scène par Howard Hawks, ce film est l’adaptation la moins respectueuse du texte de Campbell. Pas de paranoïa entre les hommes de la base arctique ici, Hawks reprend juste le contexte géographique et, cherchant à masquer le look kitsch de son monstre, livre quelques vignettes mémorables : la Chose luttant contre des chiens dans une tempête de neige, ou apparaissant en contre-jour dans l’embrasure d’une porte… Le film spécule par ailleurs sur le sentiment national de peur qui règne à cette époque de Guerre froide, notamment avec une conclusion passée à la postérité : « Keep watching the skies ! » ♦
Peut-être le plus grand f ilm de Carpenter : une œuvre d’une noirceur radicale, prodiguant une sensation d’apocalypse traumatisante, dont le casting – exclusivement masculin – est dominé par Kurt Russell, incroyablement charismatique en héros revêche. Respectant la nouvelle originelle quasiment à la lettre, The Thing est également resté dans les mémoires pour les créatures conçues par Rob Bottin qui, exténué par la somme de travail abattue, termina le tournage à l’hôpital ! Sorti en pleine E.T. mania, le film de Carpenter fut un échec en salles, avant d’acquérir au fil des années un statut d’œuvre culte. ♦
À mi-chemin entre remake et prequel, le premier film du réalisateur de pub néerlandais Matthijs van Heijningen Jr. tente d’initier une franchise à partir du chef-d’œuvre de Carpenter. Un projet culotté lancé par le créateur de Battlestar Galactica, Ron Moore. Cette Chose reprend ainsi tout ce qui a fait le succès de son prédécesseur de 1982, allant jusqu’à revisiter les scènes phares du Carpenter : la découverte de la soucoupe volante, le test du sang… La plus grande réussite du film restant la Chose en elle-même, qui propose des visions étonnantes évoquant tour à tour Francis Bacon, Salvador Dalí et Tex Avery. ♦
de Christian Nyby (1951)
10
octobre 2011
de John Carpenter (1982)
de Matthijs van Heijningen Jr. (2011)
www.mk2.com
11
© Havana Club International
NEWS EN TOURNAGE
Benicio Del Toro sur le tournage de 7 Days in Havana, avec les acteurs Vladimir Cruz (à gauche) et Josh Hutcherson (à droite)
CUBA À SEPT FACES I 7 Days in Havana de Laurent Cantet, Benicio del Toro… Avec : Emir Kusturica, Vladimir Cruz… Production : Full House / Morena Films Sor tie prévue : courant 2012
Au printemps dernier, La Havane accueillait le tournage de 7 Days in Havana. Une production ambitieuse, dans la lignée de Paris, je t’aime, qui conjugue les visions de sept réalisateurs internationaux (Gaspar Noé, Elia Suleiman, Pablo Trapero ou encore Benicio Del Toro) sur la capitale cubaine. _Par Jessica Piersanti
maginez-vous un instant parcourir La Havane au rythme des tournages des Français Laurent Cantet et Gaspar Noé, de l’Espagnol Julio Medem, du Palestinien Elia Suleiman, du Cubain Juan Carlos Tabío, de l’Argentin Pablo Trapero ou encore de l’acteur américain Benicio Del Toro – qui réalise ici son premier court métrage. Le projet 7 Days in Havana, initié par la marque de rhum Havana Club International, promet une multiplicité de regards qui tombent à point nommé, au moment où Cuba semble lentement s’ouvrir. Des matinées dans les ruelles ensoleillées de Tabío aux après-midi en famille de Cantet dans une maison
au bord du Malecón, des réflexions solitaires et crépusculaires de Suleiman aux recherches nocturnes d’un autre Cuba avec Noé, le film capture une semaine hors-norme. L’écrivain cubain Leonardo Padura, aux commandes du scénario, a relevé le défi de créer un récit unifié en faisant apparaître dans cette mosaïque de films quelques acteurs récurrents (Emir Kusturica et Vladimir Cruz, entre autres). Mais les thèmes chers à l’auteur (politique, corruption, prostitution) n’ont malheureusement pas trouvé place dans 7 Days in Havana. Espérons que tous ces talents réunis donneront tout de même à voir de Cuba un peu plus qu’une jolie carte postale. Réponse l’année prochaine. ♦
Clap !
_Par D.E.
1 Jacques Audiard Le « prophète » du cinéma français débute ce mois-ci le tournage d’Un goût de rouille et d’os, adapté d’un recueil de nouvelles du romancier canadien Craig Davidson. Au casting : Marion Cotillard, Bouli Lanners, Céline Sallette et Matthias Schoenaerts.
12
octobre 2011
2 Charlie Kaufman Passé à la réalisation en 2008 avec Synecdoche, New York, le scénariste de Spike Jonze et Michel Gondry embarque Nicolas Cage, Steve Carell et Jack Black dans son deuxième film : une comédie musicale satirique nommée Frank or Francis.
3 Jeff Nichols Ovationné cette année à Cannes et Deauville pour Take Shelter (sortie prévue en janvier), le cinéaste américain prépare son troisième long métrage, Mud, avec Matthew McConaughey, Reese Witherspoon et le jeune Tye Sheridan, vu dans The Tree of Life.
www.mk2.com
13
NEWS COURTS MÉTRAGES Courts, toujours
Acteur et pygmalion, l’Américain JOSEPH GORDONLEVITT, vu dernièrement dans Inception, invite à la recréation artistique permanente avec son site de production participatif HitRECord, dont les cadavres exquis sont compilés cet automne dans un livre-DVD-CD foisonnant. _Par Daxia Rojas
J
oseph Gordon-Levitt, ou plutôt Regular Joe, son pseudonyme sur le web, n’est pas un mordu du copyright. Il aime ainsi rappeler cette citation tirée du livre Remix de Lawrence Lessig : « Dans la culture africaine, les contes et les histoires étaient partagés entre les conteurs et leurs publics, chaque nouvelle version surpassant la précédente car elle incorporait les contributions de l’auditoire. Ce n’ était jamais envisagé comme un non-respect de la propriété intellectuelle, mais comme la façon naturelle dont la culture évolue et progresse. » Loin du huis clos hollywoodien, HitRECord, né en 2005, est une plateforme communautaire en ligne qui se nourrit de l’imagination combinée
14
octobre 2011
de milliers d’artistes enthousiastes. Parmi les réalisations phares déjà sorties de l’entreprise alternative, on trouve deux courts métrages baroques, Morgan M. Morgansen’s Date with Destiny et Morgan and Destiny’s Eleventeeth Date, issus de pas moins de 180 contributions, présentés à Sundance et à South by Southwest en 2010 et projetés lors de nombreux « HitRECord live shows » – eux-mêmes susceptibles d’être le point de départ de nouvelles créations collectives… À noter, tout profit réalisé par l’exploitation des œuvres créées revient en partie à HitRECord et en partie aux internautes ayant travaillé dessus. Inspiré et inspirant. ♦ RECollection, livre-DVD-CD comprenant 36 cour ts métrages, des histoires et des poèmes illustrés Sor tie : déjà disponible w w w.hitrecord.org
© DR
LA CHAÎNE CRÉATIVE DE GORDON-LEVITT
Armand, 15 ans, l’été de Blaise Harrison Armand a quinze ans, un peu d’embonpoint et de longs cheveux qu’il aime à peigner consciencieusement devant la glace. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs cette année, le documentaire de Blaise Harrison retrace avec douceur l’été indolent de cet ado attachant.
Bref : j’ai dragué cette fille de Kyan Khojandi et Bruno Muschio Un trentenaire dégarni (Khyan Khojandi) repère une jolie fille à une soirée. Opération séduction lancée. Et ratée. Drôle et incisif, le pilote de la nouvelle microsérie du Grand Journal ne fait pas plus de 120 secondes. Vite fait, bien fait.
© DR
©HitRECord
© Les films du poisson
_Par D.R.
Co, collection printemps-été 2012 de Thomas Bangalter Réalisé par Thomas Bangalter, moitié de Daft Punk, le nouveau spot mode de la marque californienne Co frappe fort. Des abords de Marrakech à la cathédrale du Havre, Élodie Bouchez, épouse du musicien-cinéaste, nous entraîne dans un voyage salvateur. Graphique et aérien.
www.mk2.com
15
NEWS MOTS CROISÉS
Photographie du passeport de Walter Benjamin, vers 1928 ©Berlin, Akademie der Künste, Walter Benjamin Archives
Tickets de caisse, cartes postales, coupures de presse… Devant la menace nazie, le philosophe allemand WALTER BENJAMIN s’est efforcé d’organiser, sur tous les supports à sa disposition, le sauvetage de sa propre pensée, de celle de ses proches ou de pans de l’histoire. Cette ordination d’une vie est retracée dans une exposition au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme. En guise de présentation, nous avons demandé à Florent Perrier, conseiller scientifique sur ce projet, de commenter quelques phrases marquantes de l’auteur. _Propos recueillis par David Elbaz
Walter Benjamin, archives, du 12 octobre au 5 février au musée d’Ar t et d’Histoire du judaïsme de Paris, w w w.mahj.org
Walter Benjamin, une vie (dé)rangée « Paris est la grande salle de lecture d’une bibliothèque que traverse la Seine. » (Extrait d’Images de pensée de Walter Benjamin, réédition 2001)
Walter Benjamin a fait ses recherches pour Paris, capitale du XIXe siècle [publié en 1939, ndlr] à la Bibliothèque nationale de France. Cette métaphore prend ici tout son sens. C’est une concentration de toute sa passion pour la littérature française – notamment Proust et Baudelaire – et de son attachement pour la ville elle-même, qu’il n’a eu de cesse d’arpenter. On trouve dans l’exposition une carte qui recense ses adresses au cours de ses différents séjours. Benjamin connaissait très bien l’histoire et la topographie de Paris. Après 1933, il y sera comme prisonnier puisque forcé à l’exil [le philosophe résidait alors à Berlin, ndlr]. Le fleuve évoque le mouvement, principe essentiel de sa pensée, qui n’est jamais figée mais en constante évolution. Dans Paris, la ville dans le miroir (1929), d’où est tirée la citation, il fait une description de la cité parisienne à travers les
16
octobre 2011
« Walter Benjamin arrache quelque chose du passé pour en sauver l’actualité. » miroirs qu’elle recèle. Pour lui, même la petite auréole du café noir le matin est comme un miroir dans lequel toute la ville se concentre.
« Le langage est tout simplement l’essence spirituelle de l’homme. » (Extrait de Œuvre I, in Sur le langage en général et sur le langage humain de Walter Benjamin, 1916)
Une grande partie de l’exposition et du livre qui l’accompagne [Walter Benjamin. Archives aux éditions Klincksieck, ndlr] est consacrée à son étude de la naissance du langage chez
La réplique
« Son écriture oblige à exister dans un rythme autre, celui de sa pensée. » son fils, Stephan, qu’il notait dans des carnets. Il a toujours été passionné par l’étude du langage, mais il assistait là à la naissance des idées, des modalités d’expression des concepts chez l’enfant. Il y avait tout un jeu d’observation à l’œuvre, auquel participait également sa femme.
« La nature qui parle à la caméra n’est pas la même que celle qui parle aux yeux. »
« On ne suce pas pour un portable, t’es au courant ? – Mais c’était un beau portable ! – Si tu suces pour un portable, qu’est-ce que tu ferais pour un ordinateur ? » La police interroge une adolescente dans Polisse de Maïwenn (en salles le 19 octobre)
La phrase
« Éric Rohmer m’a tuer. » Graffiti sur le mur de la Cinémathèque française
(Extrait de L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique de Walter Benjamin, 1955)
Cette phrase dit, entre autres, le rapport de Walter Benjamin au détail ou à la miniature. Ce que permet l’objectif de la caméra, ce sont des gros plans ou des ralentis, qui révèlent une chose passée inaperçue dans le regard naturel. Dans leur choix des pièces d’archives, les commissaires allemands de l’exposition [que le Mahj accueille] ont tenté de mettre en valeur les micrographies, l’écriture minuscule de Benjamin. À première vue, elle ne capte pas le regard, on passe dessus sans s’arrêter. Il faut faire un effort, s’en rapprocher – faire un gros plan ou ralentir comme peut le faire un film – pour pouvoir les déchiffrer d’une manière toute matérielle et les comprendre. Son écriture oblige à exister dans un rythme autre, celui de sa pensée, là où se révèlent les détails.
« Ctrl + C / Ctrl + V. » (Raccourci clavier de la fonction copier-coller)
L’écriture de Benjamin a quelque chose de heurté, de saccadé, comme celle du poète chez Baudelaire, qui bute sur les pavés, qui croit avoir trouvé une idée et s’arrête à chaque instant. Son rapport matériel à la citation était scrupuleux et méticuleux [Walter Benjamin arrangeait les textes selon un principe de jeu de construction, découpant et recollant pour obtenir différentes configurations, ndlr]. Il n’a jamais dénaturé ou falsifié les textes. Il met en valeur l’extrait dans un contexte différent de celui d’origine mais qui, en réalité, va lui donner son sens plein et surtout son sens actuel. Il arrache quelque chose du passé, mais pour en sauver l’actualité. Est-il dans le copier-coller ? Il est avant tout dans la confrontation et la mise en regard. Ce n’est jamais quelque chose de mécanique.
Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux
Thomas : Jean-François Poké. Raphaël déteste les séries. C’est comme les rencontres de vacances. « Amis pour la vie » et au bout de 15 jours, bye-bye. Patricia : Un esprit sain dans un corset. Fred : « Quo vadis, bitch ? » (nom provisoire de mon futur groupe de hip-hop en latin) Basile est désormais ami avec le Sénat. Jessica : Inégale à elle-même. Guillaume : Dick Rivers, c’est l’ancêtre de BitTorrent ? Denise persifle et signe. Christophe : Un Sébastien Chabal, des Arlette Chabot. Naïma : La fin des abricots. Sandrine : La guerre des boutons est déclarée. Nora : L’Insee Lohan. Cyril : Le titre Yahoo! du jour : « Coup dur pour les roux donneurs de sperme. » JB : Mehdi pas que c’est vrai.
NEWS SÉRIES le caméo
© FX Networks
Seth Rogen dans The League Révélé dans la série télé Freaks and Geeks, Seth Rogen n’oublie pas ses racines. Il fera une apparition cet automne dans la troisième saison de The League. Cette petite comédie salace de la chaîne FX suit une bande de trentenaires obsédés par le fantasy football, jeu impénétrable pour le Français moyen qui consiste à entraîner une équipe de foot américain virtuelle tout au long de la saison. Dans The League, Rogen jouera un certain Dirty Randy. Avec un nom pareil, il devrait écoper de répliques fleuries, dans un show de toute façon peu réputé pour sa distinction. _G.R.
LES COCKTAILS EXPLOSIFS DE BREAKING BAD
Toujours plus noire, Breaking Bad revient jouer avec les nerfs des spectateurs. Sa troisième saison, enfin diffusée en France sur une grande chaîne, s’engage dans une voie pulp qui lui sied bien. _Par Guillaume Regourd
Breaking Bad Chaîne : Ar te et Orange Cinéma Séries Dif fusion : saison 3 à par tir du 11 octobre sur Ar te, saison 4 fin 2011 sur Orange Cinéma Séries
© Rue des Archives
L
a lut te cont re le cancer de Walter White, paisible prof de chimie du Nouveau-Mexique devenu dealer de méthamphétamine pour assurer l’avenir de sa famille, avait fini par plomber l’ambiance de Breaking Bad. Heureusement, la troisième saison de la série, à voir sur Arte après une première diffusion sur Orange Cinémax, offre une rémission temporaire à son héros. Histoire, surtout, de le placer face à ses mensonges. Moins mortifère, la série ne relâche pour autant pas la pression. C’est même tout le contraire, au fur et à mesure du basculement de Walter et de son acolyte Jesse dans le crime organisé – ici métaphore transparente du capitalisme. La galerie d’antagonistes accueille notamment deux nouveaux prédateurs, des jumeaux tueurs à gages venus du Mexique, aux apparitions savamment chorégraphiées.
Figures outrancières, ces anges exterminateurs mutiques font flirter le show avec le fantastique et sont pour Vince Gilligan, le créateur de Breaking Bad, un vrai retour à ses racines : X-Files, série pour laquelle il officia comme scénariste dans les années 1990. Tout au long de cette saison, Gilligan pousse ainsi clairement Breaking Bad en direction
Zapping
octobre 2011
Andy Whitfield L’acteur australien, qui jouait le rôle titre dans la série Spartacus : Blood and Sand, diffusée aux États-Unis sur Starz, est décédé d’un cancer en septembre, à 36 ans. Son successeur dans la série produite par Sam Raimi et Rob Tapert se nomme Liam McIntyre.
© Joe Scarnici/FilmMagic
Anthony Hopkins Premier grand nom rattaché au projet, Anthony Hopkins devrait jouer dans l’adaptation que prépare Noah Baumbach (Greenberg) du roman Les Corrections de Jonathan Franzen. Le producteur Scott Rudin y travaille depuis la sortie du livre en 2001.
© Steve Granitz/WireImage
© Christopher Peterson/BuzzFoto/FilmMagic
_Par G.R.
James Gandolfini On n’imaginait pas revoir de sitôt la star des Soprano dans une série. Récemment revenu sur HBO dans le téléfilm Cinéma vérité, Gandolfini a signé avec la chaîne pour tenir l’un des rôles principaux de Big Dead Place, une comédie de bureau dans l’Antarctique.
18
du pulp. Mais un pulp de grande classe, aux cadres soignés et à l’humour noir imparable. Quant à Bryan Cranston, qui joue Walter White, il offre l’une des très grandes compositions du moment à la télé. Pas plus que lui-même, on ne sait jamais ce que nous réserve le chimiste. Désarmant et glaçant à la fois, le plus instable des mélanges. ♦
NEWS ŒIL POUR ŒIL
© Arte éditions/Studio 37
Pierre Etaix dans Yoyo (1964)
Yoyo de Pierre Étaix (DVD disponible chez Ar te éditions)
Dupond et Dupont
Films jumeaux, Yoyo de PIERRE ÉTAIX (réalisé en 1964) et The Artist de MICHEL HAZANAVICIUS (en salles ce mois-ci) partagent bien plus que le goût des moustaches et des costumes Années folles. Jeux de l’amour et de l’histoire, hommage ludique et épuré au cinéma muet… Ces deux clowns frenchies sont faits pour s’entendre. _Par Auréliano Tonet
© Warner Bros.
Jean Dujardin dans The Artist
The Artist de Michel Hazanavicius Avec : Jean Dujardin, Bérénice Bejo… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h40 Sor tie : 12 octobre
A
vant de tourner, dans les années 1960, une poignée de chefsd’œuv re du bu rlesque à la française, Pierre Étaix fut vitrier, affichiste, clown et… dessinateur. Avant de réaliser une trilogie comique avec Jean Dujardin, couronnée par un prix d’interprétation masculine en mai dernier à Cannes pour The Artist, Michel Hazanavicius fut pirate cathodique (Les Nuls, Le Grand détournement), scénariste, producteur et… dessinateur. Les dessins d’Étaix et d’Hazanavicius sont à l’image des gags de leurs films – graphiques, économes, en deux mots « ligne claire ». Quant à leurs scénarios,
ils rivalisent de simplicité : l’amour est l’ultime refuge de héros ballotés par les tribulations de l’histoire (une star du muet déclassée par le passage au parlant dans The Artist, un millionnaire ruiné par la crise de 1929 dans Yoyo). D’abord muettes, les bouches de The Artist et Yoyo finissent par émettre des sons, des mots. Mais point de nostalgie, ici : plutôt que de la rejeter en bloc, il faut converser avec l’époque, suggèrent les deux cinéastes. Buster Keaton et Charlie Chaplin, leurs maîtres communs, ne disaient pas autre chose : un saltimbanque n’est jamais plus émouvant que lorsqu’il se relève, après la chute. ♦
© L.Perstowsky
NEWS FAIRE-PART
MARIAGe
PORTEUR D’EAU
Le Charentais FRANÇOIS touche les sommets en sortant son deuxième album sur le prestigieux label britannique Domino. Mariant langue d’ici et anglais baladeur, rythmes touaregs et guitares indie, esprit océanique et sources divines, ses noces sonnent comme un baptême. Amen. _Par Wilfried Paris
E Volo Love de François & The Atlas Mountains Label : Domino / Pias Sor tie : disponible
C
hercheur de ponts, François Marry a fait de beaux voyages, de sa Charente natale à l’adoptive Bristol, via les montagnes qui traversent le Maghreb, supportant sur leurs épaules la voûte céleste. François y a visité un ami : « C’est un lieu idéal pour moi. Le temps y passe différemment. » Au bout de cette route, après sept ans de vie d’artiste, l’Icare de Saintes a franchi un cap en
devenant le premier Français signé chez Domino (Animal Collective, Robert Wyatt…). Dans la lignée de Dirty Projectors ou Vampire Weekend, il dit s’inspirer de « la musique du désert publiée sur le label Sublime Frequencies et de celle d’Afrique de l’Ouest, les [tambours] dounoumba du Mali. » Ces inf luences font langue dans E Volo Love, son deuxième album, avec l’indie rock et des paroles passant de l’anglais enlevé au français elliptique, en écho à Dominique A :
Le carnet
octobre 2011
Mariage La réalisatrice américaine Sofia Coppola (Lost in Translation) et le chanteur français Thomas Mars (Phoenix) se sont dit « oui » le 27 août à Bernalda, commune du sud de l’Italie dont est originaire le clan Coppola. Les deux tourtereaux se sont rencontrés sur le tournage du premier film de Sofia, Virgin Suicides.
© Venturelli/WireImage
Retraite Le réalisateur italien Ettore Scola a annoncé qu’il mettait fin à sa carrière et n’entamerait pas le tournage de son prochain film dans lequel Gérard Depardieu devait jouer. Steven Soderbergh, en revanche, après avoir déclaré qu’il arrêtait le cinéma, est revenu sur ses déclarations à Venise, où il présentait Contagion.
© 2011 Warner Bros. Entertainment Inc
© Brian Killian/WireImage
_Par L.T.
Décès Le 14 septembre, DJ Mehdi, musicien hip-hop, perdait la vie à 34 ans après avoir chuté d’une mezzanine à Paris. Le cinéaste underground newyorkais George Kuchar s’est éteint à l’âge de 69 ans le 6 septembre, une semaine avant Richard Hamilton, artiste pop art britannique, décédé à Londres à l’âge de 89 ans.
22
« Il a permis de marier un récit à une sonorité en ajustant la durée de la langue française à l’écriture pop. Il a inventé de nouveaux codes. » Le mariage stylistique est consommé dans un duo (Cherchant des ponts) avec l’ex-compagne du grand A, Françoiz Breut, évoquant la noyade de voyageurs clandestins ou la rivière se jetant dans l’océan. Car, mélancolique (Bail éternel), urbaine (Piscine) ou joyeusement baptismale (Soyons les plus beaux), l’eau est partout ici, dévalant les montagnes et conjurant le feu. ♦
NEWS PÔLE EMPLOI
Le fou du volant Profession : cascadeur Film : Drive de Nicolas Winding Refn Sor tie : 5 octobre
Aux commandes ce mois-ci des acrobaties automobiles de Drive, DARRIN PRESCOTT est l’un des cascadeurs les plus recherchés d’Hollywood. Il est aussi le patriarche comblé d’une fratrie de têtes brûlées. Photo de famille.
«M
a femme, ma fille et mon fils travaillent tous dans la cascade. Mon épouse, Suzanne, est le manager de notre équipe. Ma fille, Kalia, est une athlète d’exception et a beaucoup travaillé sur le film Hunger Games qui sort l’année prochaine. Mon fils, Tanner, n’a que huit ans, mais c’est le meilleur d’entre nous. Il a fait sa première cascade pour une pub à quatre ans, et a doublé l’alien Paul dans le film du même nom. » C’est en bombant le torse que Darrin Prescott parle des siens. Il faut dire que cette famille de casse-cou a de qui tenir : cascadeur depuis le milieu des années 1990, papa Darrin est passé assistant coordinateur sur Spider-Man 2 en 2004 (« C’est sur ce film que j’ai eu le plus peur pour sa vie », nous confie son épouse), puis coordinateur à part entière pour la seconde équipe de La Mort dans la peau, deuxième volet de la saga Bourne sorti la même année. Depuis, on l’a vu aux génériques des films d’action américains les 24
ww
« Comme le personnage principal de Drive est un cascadeur, Nicolas Winding Refn et Ryan Gosling m’ont demandé conseil : comment un cascadeur agirait-il dans telle ou telle situation ? » plus grandiloquents : Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal, Le Livre d’Eli ou Faster. L’AMOUR DU RISQUE Embauché sur Drive de Nicolas Winding Refn grâce à la productrice Alice Kim, qui avait été très impressionnée par ses exploits sur Very Bad Trip, Darrin Prescott a écopé de la double casquette de coordinateur des cascades et de réalisateur de seconde équipe. Un contrat de rêve pour ce grand fan de Bronson, l’un des pré-
© Courtesy of Darrin Prescott
_Par Julien Dupuy
CV 1994 Premier job professionnel, sur la comédie Sacré Mariage. 1997 Darrin Prescott est l’un des cascadeurs principaux de Batman & Robin de Joel Schumacher. 2003 Il double Hugo Weaving dans Matrix Reloaded et Revolutions, notamment lors des éprouvants combats sous des trombes d’eau. 2004 Darrin se fait remarquer en réglant les cascades automobiles de La Mort dans la peau. 2005 Premier emploi de coordinateur des cascades, sur Shérif, fais-moi peur. 2010 Premier poste de réalisateur de seconde équipe, sur Faster.
cédents films du réalisateur. « Comme le personnage principal de Drive est un cascadeur, Nicolas et Ryan [Gosling, qui tient le rôle, ndlr] m’ont demandé conseil : comment un cascadeur agirait-il dans telle ou telle situation ? Quel est son style de vie ? Néanmoins, le film n’est pas vraiment réaliste. Le personnage de Ryan est un novice, et on ne confie jamais une cascade automobile à un débutant. Ses ratés risqueraient de coûter trop cher et d’être trop dangereuses pour l’équipe. » Non content de donner son point de vue sur le scénario, Darrin Prescott y a aussi apporté sa patte. « Très souvent, le scénario se contentait d’un simple : “Et soudain, la voiture a un violent accident !” Avec Nicolas, nous écrivions alors ces séquences plan par plan, en essayant de trouver un style spécifique à chaque poursuite. » DÉRAPAGE CONTRÔLÉ En fin de compte, Prescott a réalisé une partie de l’ouverture et du final de Drive, et l’intégralité de la séquence de poursuite qui suit l’at-
taque du prêteur sur gage. « Après le succès de la série des Bourne, tout le monde ne voulait filmer les scènes de poursuite qu’avec des focales très longues et un montage haché. Nicolas, lui, a eu le courage d’aller à l’inverse de cette mode. Il voulait les lentilles les plus courtes possibles et des plans très longs. Et rien ne pouvait me faire plus plaisir ! Grâce à ce parti pris esthétique, on peut admirer en un seul plan la marche arrière avec un dérapage à 270 degrés qu’effectue la doublure voiture de Ryan, Jeremy Fry. C’est l’une des cascades les plus difficiles à faire. » Malgré son petit budget, imposant des conditions de travail souvent difficiles, Drive figure désormais en bonne place dans le top dix de Darrin Prescott : « Les cascades automobiles des Bourne et mon travail dans les Matrix sont les temps forts de ma carrière. Mais je sais désormais que j’ajouterai Drive à cette liste. » ♦ Lire également le dossier consacré à Ryan Gosling page 40. Pour plus d’informations sur la famille Prescot t, visitez w w w.teamprescot t.net
Un chat dans la gorge Salle comble pour l’avantpremière de Drive à l’Étrange Festival, le 10 septembre dernier. Le film commence, mais le fameux chat du logo de l’éditeur Wild Side reste muet : un spectateur miaule alors pour lui. Les images arrivent et tout ce qui sort de la bouche des acteurs est inaudible. Les néophytes pensent à un parti pris de mise en scène, les autres fusillent du regard la cabine de projection. L’enceinte centrale était tout simplement en panne… Dix longues minutes à se cacher les yeux avant que le projectionniste n’arrête la séance, le temps de régler le problème. Le film redémarre depuis le début. Cette fois, le chat miaule tout seul, comme un grand : tonnerre d’applaudissements. _D.E.
La technique © Drive Film Holdings, LLC. All rights reserved.
© Courtesy of Darrin Prescott
© Clémence Demesme
Brève de projo
Crash tête Pour réaliser l’éprouvante scène de l’ascenseur de Drive, Nicolas Winding Refn s’est fendu d’un coup de fil à notre compatriote Gaspar Noé. Le cinéaste danois voulait savoir comment avait été réalisée la première séquence d’Irréversible, où Vincent Cassel écrase une tête ennemie à coups d’extincteur. Le secret repose sur un habile mélange de maquillages prosthétiques et d’effets spéciaux numériques : une prise est réalisée avec le comédien mimant la réception des coups. Puis une seconde est tournée avec un buste de l’acteur en silicone, qui encaisse les coups en laissant échapper des gerbes d’hémoglobine. Les deux prises sont ensuite mixées numériquement, pour un résultat peu ragoûtant. _J.D. Drive de Nicolas Winding Refn // Sor tie le 5 octobre
www.mk2.com
25
NEWS ÉTUDE DE CAS
100
millions de dollars de budget pour la version 3D des Trois Mousquetaires de Paul W.S. Anderson. Tourné en onze semaines entre les studios de Bavaria (Munich) et ceux de Babelsberg, c’est le film européen le plus cher de l’année.
60
minutes : c’est le temps qu’il a fallu pour vendre les places des concerts que Lana Del Rey a donnés à New York et Los Angeles les 21 et 27 septembre. Depuis, la prometteuse crooneuse pop a annoncé une tournée européenne.
1
minute et douze secondes, c’est la durée de The 3 Rs, la bande-annonce réalisée par David Lynch pour l’ouverture de la Viennale. Parmi ceux qui se sont livrés à l’exercice avant lui : Stan Brakhage, Leos Carax, Agnès Varda ou encore Jean-Luc Godard.
JUSTICE, COUPABLE OU INNOCENT ? COUPABLE Xavier de Rosnay et Gaspard Augé ont beau avoir découvert que la moustache de biker va bien avec les crucifix géants, signé sur le mythique label des Doors, tatoué sur leurs bras le titre de leur second album Audio, Video, Disco qui, derrière ses allures de rayon Fnac, cache un sens profond en latin (« J’entends, je vois, j’apprends »), il ne faut pas s’y méprendre. Justice, c’est le pire d’hier – le prog-rock gélatineux de Yes, l’onanisme guitaristique de Van Halen, les hymnes pompiers de Queen – servi à la mode d’aujourd’hui : distorsion digitale et infrabasses à tous les étages. Si on a pu se faire avoir (le popotin) par ces gimmicks post-Daft Punk en 2007, le duo français, paresseux et putassier, nous ressert la même tambouille en 2011, enfonçant les portes ouvertes au marteau-pilon.
© Because Music
_Éric Vernay
Audio, Video, Disco de Justice Label : Ed Banger / Because Sor tie : 24 octobre
INNOCENT Justice pour tous – période We Are Your Friends célébré dans les nightclubs en communion –, c’est fini. Ce nouvel album se danse dingo mais seul, comme on mime avec conviction un solo d’air guitar à l’abri de sa cabine de douche. Le marteau-pilon des batteries d’Europe ou les guitares dégoulinantes de Scorpions sont certes convoqués avec moins de délicatesse que peut le faire Ratatat, mais ces emprunts – que l’on retrouve sur les morceaux de bravoure Newlands ou Parade – sont à prendre au pied de la lettre. Preuve en est la réorchestration rentre-dedans de Civilization, après une version single pompière. Plus consistant qu’il n’y paraît, Audio, Video, Disco rappelle que guitar hero n’est pas qu’un jeu vidéo et qu’un jean slim se porte avec des santiags, pas des mocassins f luo. Ce n’est que Justice. _Étienne Rouillon
Justice
26
Après avoir synthétisé electro pointue et populaire avec une efficacité écœurante, le duo à la franche touche revient avec un album, Audio, Video, Disco, branché sur les amplis assumés du heavy metal mélodique. À moins qu’il ne soit coupable d’un second degré poseur. Réquisitoires.
octobre 2011
NEWS TOUT-TERRAIN COVER GIRL +
=
Chez quel coiffeur Björk s’est-elle fait faire la touffe rousse qui ébouriffe la pochette de son nouvel album, Biophilia ? Si les frisures vocales empruntent à son modèle assumé, la diva eighties Kate Bush, les rythmiques adoptent une coupe plus contemporaine, façon Rihanna. _A.T.
UNDERGROUND
© Record Makers
LA TIMELINE DE PURO INSTINCT
Filles de rêve À peine sorties de l’adolescence, les deux sœurs de PURO INSTINCT mettent un peu de glamour dans le rock psychédélique américain avec un premier album moite et languide. _Par Éric Vernay
Headbangers in Ecstasy de Puro Instinct Label : Record Makers Sor tie : disponible
Difficile de ne pas penser au Virgin Suicides de Sofia Coppola devant la pochette de Headbangers in Ecstasy, le premier album de Puro Instinct. Baignant dans une atmosphère rose et ouatée, Piper Kaplan, 22 ans, et Skylar, sa sœur de 16 ans, dégagent un parfum d’inaccessible. La dream pop débraillée des deux nymphettes a vite tapé dans l’oreille 28
octobre 2011
avisée d’Ariel Pink, le pape du nouveau psychédélisme californien. « On a rencontré Ariel lors d’une soirée à Los Angeles, puis on est parties en tournée avec lui en 2010, se souvient Piper. C’était un saut vers le grand inconnu pour nous. Un véritable rêve. » Leur autre mentor est R. Stevie Moore, légende du lo-fi. Croisé à New York, l’homme aux 400 disques autoproduits leur a montré à quel point enregistrer pouvait être « accessible, drôle et vital ». De là vient sans doute la facture instable et hédoniste de leur univers vaporeux, qui se nourrit par ailleurs d’obscurs groupes soviétiques époque glasnost, ou de romans horrifiques signés H.P. Lovecraft. Punks dans l’âme, les bombes de Puro Instinct, dont l’ancien nom était Pearl Harbour, prônent la subversion de velours. ♦
Hier En 2008, dans une chambre de Los Angeles, les sœurs Kaplan se découvrent une complicité musicale. Sous le nom de Pearl Harbor, Piper (chant, basse) et Skylar (guitare) sortent leur premier EP, Something About the Chaparrals, un an plus tard.
Aujourd’hui Signé sur le label de Best Coast et Washed Out, avec qui le duo partage un son crade et sexy, Puro Instinct sort son premier album, Headbangers in Ecstasy. Le disque est produit par l’influent Ariel Pink, qui les a entraînées en tournée avec ses Haunted Graffiti.
Demain En studio, Puro Instinct prépare déjà la suite. Après une tournée estivale avec John Maus et Geneva Jacuzzi, les sœurs Kaplan repartent sur la route en novembre, à la conquête de l’Europe.
▲
CALÉ
La brigade de Polisse. Les personnages du film connaissent bien leur sujet, à l’image de Maïwenn, la réalisatrice, qui a suivi plusieurs mois durant de vraies brigades des mineurs pour nourrir son scénario [lire page 118].
►
DÉCALÉ
La sortie de Metropolis de Fritz Lang dans sa version d’origine. Il aura fallu attendre 84 ans (la dernière projection a eu lieu en 1927) pour voir ce chef-d’œuvre du muet tel qu’il était avant de subir les coupes de la Paramount [lire page 74].
▼
RECALÉ
La peau lisse de Johnny Hallyday. La star est apparue une nouvelle fois rajeunie, le visage lifté, sur le plateau du Grand Journal, pour faire la promo d’une pièce de Tennessee Williams où il tient le premier rôle. Qu’est-ce qu’elle a, sa gueule ?
OVERGROUND Robots après coups Produit par le duo magique SPIELBERGZEMECKIS, Real Steel resserre les boulons du film de boxe à grands coups d’uppercuts électroniques. Du divertissement habile et bien huilé. _Par Renan Cros
Real Steel de Shawn Lev y Avec : Hugh Jackman, Evangeline Lilly… Distribution : Walt Disney Pictures Durée : 2h07 Sor tie : 19 octobre
DreamWorks Distribution Co. LLC.Photo Greg Williams
On n’attendait pas grand-chose d’un film de boxe avec des robots réalisé par Shawn Levy. Mais c’était sans compter l’apport essentiel des rois du divertissement, venus ressusciter ici la grandeur des productions Amblin, studio cofondé par Steven Spielberg. Tout y est : le nœud familial qui se desserre au cœur de l’épreuve, l’union des contraires qui voit triompher les héros, ce mélange de nostalgie et de poésie urbaine qui faisait le charme de Retour vers le futur ou des Goonies et, bien sûr, le merveilleux triomphant et rassurant. La réussite de Real Steel est d’autant plus frappante que le film ne se contente pas d’appliquer une recette comme le faisait récemment Super 8. Reprenant à son compte le combat « homme contre machine », le film offre dans sa dernière partie de grands moments de mise en scène, où l’acteur devient le miroir du robot. Jamais théorique mais toujours intelligent, Real Steel étonne par sa capacité à recréer du merveilleux dans un cinéma qui semble avoir tout vu. Il suffit parfois d’un robot rouillé, d’un petit garçon têtu et d’un bad boy au grand cœur pour nous rappeler que le cinéma a encore de quoi nous faire rêver. ♦
LA TIMELINE DES PRODUCTIONS AMBLIN Hier Dans les années 1980, Amblin Entertainment, studio cofondé par Steven Spielberg, enchaîne les succès cultes avec Retour vers le Futur, Gremlins ou Les Goonies. Une mainmise sur l’imaginaire de toute une génération.
Aujourd’hui Si Robert Zemeckis pousse toujours plus loin ses expérimentations visuelles (Beowulf, Scrooge), Spielberg produit à tout-va des dérivés de ses films, entre série TV (Band of Brothers, Falling Skies) et hommages cinéphiles (Super 8, Real Steel).
Demain Grosse année pour Spielberg : un défi numérique avec Tintin (fin octobre) et des retrouvailles avec la fresque romanesque dans War Horse (janvier). Comble de la reconnaissance, la Cinémathèque française lui rendra hommage cet hiver.
www.mk2.com
29
© CG /Audi France
NEWS AUDI TALENTS AWARDS
Cyprien Gaillard, une œuvre en chantier Premier lauréat des Audi Talents Awards en 2007 dans la catégorie Art contemporain, CYPRIEN GAILLARD expose cet automne ses Geographical Analogies au Centre Pompidou, après avoir remporté l’an passé le prix Marcel-Duchamp. Portrait de l’artiste en archéologue, entre deux fouilles. _Par Claude Garcia
Il est Français mais vit à Berlin, ville dont les friches éparpillées et les grands espaces en reconstruction s’accordent avec son œuvre, toute entière tournée vers la ruine, la dispar ition, le recyclage des formes architecturales. Inspiré par le land art, Robert Smithson en tête, Cyprien Gaillard avait marqué la Fiac 2010 avec son film Dunepark, montrant l’excavation d’un bunker de la Seconde Guerre mondiale aux 30
octobre 2011
Pays-Bas. Intitulée UR (triple référence à une cité mésopotamienne, au label américain Underground Resistance et au mouvement occident al urban rene wal de la f i n du XIX e siècle), l’exposition que lui consacre le Centre Pompidou retrace les pérégrinations de l’artiste à travers sa série de polaroïds Geographical Analogies. Ces clichés, résultats de trois années de voyage à la recherche de paysages mixtes – zones en reconstruction ou à l’abandon –, sont eux aussi soumis au passage du temps, puisque l’image polaroïd s’estompe inexorablement. Barres de HLM condamnées à partir en fumée, banlieue décrépie de Manchester, terrains vagues autour de Moscou, tout est assemblé par associations plastiques, de formes et de couleurs. Une classification à la mesure du grand Gaillard, archéologue de nos sociétés de la rénovation effrénée et des débris laissés derrière elles. ♦ UR de Cyprien Gaillard, jusqu’au 9 janvier au Centre Pompidou, w w w.centrepompidou.fr
whATA's up ? La Fiac 2011 ouvrira ses portes le 20 octobre et Audi sera à nouveau partenaire de cet événement majeur de l’art contemporain. Émilie Pitoiset y présentera son installation réalisée à partir du film Eyes of Science de James Sibley Watson (1930). Le lendemain, un jury composé d’Alexia Fabre, Jennifer Flay, Marin Karmitz et Bertrand Lavier choisira l’artiste qui aura l’opportunité de présenter l’année prochaine son travail au stand Audi de la Fiac. Le constructeur proposera également au public une conférence sur l’innovation dans l’art contemporain. _C.Gar. Du 20 au 23 octobre au Grand Palais, w w w.fiac.com
NEWS ART NUMÉRIQUE
JEU DE LOGOS
Le web-designer roumain STEFAN ASAFTI relativise la puissance des logos et des slogans qui nous entourent en les entremêlant dans un jeu graphique qu’il nomme « Brandversations ». Collisions et confusions. _Par Laura Pertuy
© Stefan Asafti
CV Stefan Asafti est originaire de Cluj-Napoca, au nordouest de la Roumanie. Après des études à l’Université d’art et design de sa ville, il se lance dans le graphisme web avec une attention particulière à l’identité visuelle des marques. Une cinquantaine de logos constituent aujourd’hui son portfolio, aboutissement d’un projet longuement réfléchi. Asafti s’intéresse aussi à la manipulation photographique, notamment à travers le portrait, et à l’art vidéo qu’il pratique dans des atmosphères résolument mélancoliques.
F
asciné par les ressemblances qui lient souvent deux grandes enseignes d’un même secteur, à l’image des sodas Pepsi et CocaCola, Stefan Asafti s’est mis en tête de faire converser les marques (brands) par des moyens graphiques. Son travail crée ainsi des binômes bizarres surgis d’un fond vieillot. Le logo de la première marque se fait pinceau pour remplir le logo de la seconde, et viceversa. Chaque parcelle de l’image finale est patiemment déplacée et
32
octobre 2011
redimensionnée pour que la disposition des éléments parvienne à un équilibre parfait. C’est ainsi qu’une foultitude de mini-logos Burger King dessinent le « M » de McDonald’s… À cette première inversion s’ajoute la permutation des slogans, aisément reconnaissables car datés de plusieurs décennies. La confusion distillée par Stefan Asafti souligne l’interchangeabilité de l’image associée à une marque.
_L.P.
Son jeu graphique nous montre la façon dont les firmes s’influencent l’une l’autre et comment, in fine, la concurrence ne répond qu’à ellemême. Cette réflexion en trompel’œil gagne un terrain plus vaste une fois élargie à la dualité humaine, à la construction de notre propre identité par rapport aux autres et au désir de perfection qui se joue à l’aune des évolutions de notre environnement. Une conversation sans fin sur la force de l’image… ♦ w w w.behance.net /stefanasaf ti
www.mk2.com
33
NEWS ENQUÊTE
FrenchLeaks, OwniLeaks, OpenLeaks, QuébecLeaks et même un invraisemblable HollywoodLeaks… Les rejetons de WikiLeaks se comptent désormais par dizaine. Du tutélaire site de révélations, menacé aujourd’hui de disparition à cause d’un énième scandale fratricide, ne pourrait bien rester que le principe de leak viral, devenu à la fois étalon de la transparence journalistique mondialisée et opportunité marketing. Enquête sur une fuite généralisée. _Par Étienne Rouillon (avec Daxia Rojas)
«
WikiLeaks doit-il révéler immédiatement l’ intégralité des câbles diplomatiques américains ? » La réponse au sondage lancé par le site auprès de son million d’abonnés sur Twitter fut un « oui » massif, qui a donc conduit à la publication de 250 000 documents non anonymisés le 2 septembre dernier. Le chant du cygne paniqué d’une plateforme qui avait réussi jusque-là à associer révélations de documents confidentiels et protection du secret de ses sources. Jadis fondée sur le concept d’anonymat, rempart aux dérives individuelles, la structure collégiale du site, qui mêle hackers, journalistes ou avocats, est devenue en quelques mois une marque avec un visage – celui, controversé, de Julian Assange – et un label, leaks (« fuites » en anglais), aussi iconique que l’est le like de Facebook pour les réseaux sociaux. 34
octobre 2011
© Almasty
Après WikiLeaks, le déluge
Préfixe Après tout, c’est de bonne guerre. Avant de se faire voler son suffixe par d’autres plateformes aux visées similaires (OpenLeaks,
Les câbles diplomatiques américains publiés pendant l’hiver 20102011 par WikiLeaks contribueront à amorcer le printemps arabe. FrenchLeaks…), WikiLeaks, créé en 2006, avait barboté son préfixe à l’encyclopédie communautaire Wikipédia. Les deux sites n’entretiennent absolument aucun lien, mais le plus jeune profite du doute. « Je reçois beaucoup de mails de
gens qui me disent : ‘‘Vous êtes un grand défenseur de la liberté. Vive WikiLeaks !’’ », racontait ainsi Jimmy Wales, le cofondateur de Wikipedia, dans un entretien à The Telegraph au mois d’août 2010. À cette époque, on savait encore peu de choses sur WikiLeaks, un site qui publiait régulièrement des éléments sensibles, comme l’ensemble des auditions du pédophile belge Marc Dutroux. C’est pendant cet été 2010 que WikiLeaks passe sous les feux de la rampe en diffusant la vidéo d’une bavure de l’armée américaine à Bagdad, où l’on voit des soldats abattre deux photographes de l’agence Reuters. Suivront les publications de rapports militaires sur les opérations en Afghanistan et en Irak. Et, à l’automne 2010, un premier contact entre le site et des médias partenaires, dont Le Monde, The New York Times ou le site français Owni.
Mot @ Mot _Par E.R.
Wiki
n.m. [wiki]
(De l’hawaïen wiki, qui veut dire « rapide » ; le service de transport entre les terminaux de l’aéroport d’Honolulu s’appelle Wiki-Wiki) 1. Désigne une plateforme de publication sur Internet dont les visiteurs peuvent créer et modifier le contenu de façon collaborative. Souvent utilisé sous forme de préfixe. Ex. : « Une bonne âme a saisi le sommaire de tous les numéros sur la page Wikipedia de Trois Couleurs. » 2. Par extension, désigne un énoncé déformé par les modifications successives d’individus fédérés. Synonyme de « téléphone arabe ». Ex. : « L’affaire Karachi ? Un vrai wiki. »
personnalisation Dans son documentaire À la Une du « New York Times » (qui sort le 23 novembre), l’Américain Andrew Rossi est le témoin de ces rapprochements entre WikiLeaks et le quotidien américain. On y voit le reporter Brian Stelter téléphoner à un certain Julian Assange, qui lui dit préférer l’activisme au journalisme. Sous la pression médiatique, l’entité WikiLeaks est malgré tout peu à peu contrainte de s’incarner en la personne de l’un de ses fondateurs. Ce sera le charismatique Australien, figure du piratage informatique des années 1990. Un premier accroc pour le site, qui trouvait dans le refus de la personnalisation et de la hiérarchie un moyen de satisfaire son exigence de transparence vis-à-vis des gouvernements ciblés par ses révélations, mais aussi vis-à-vis de son fonctionnement interne. Mais Assange est une aubaine pour les médias,
qui entérinent alors un partenariat de publication. Quelle est la nature exacte de leur accord ? Dans le documentaire d’Andrew Rossi, l’une des rédactrices du New York Times reste évasive : « WikiLeaks n’est qu’une source… » Ces relations déboucheront sur la révélation au compte-gouttes de câbles diplomatiques américains pendant l’hiver 2010-2011, dans lesquels le monde découvre les commentaires des ambassadeurs sur les pantalonnades de Berlusconi, ainsi que des révélations sur certains régimes, ce qui contribuera à amorcer le printemps arabe. Des documents qui sont toutefois expurgés de tout nom qui pourrait mettre en danger espions ou diplomates.
Chronologie Décembre 2006 Naissance de WikiLeaks. Avril 2010 Publication de la vidéo d’un raid aérien américain à Bagdad. Juillet 2010 Publication du Afghan War Diary, rapport militaire américain sur la guerre en Afghanistan. Novembre 2010 Publication des câbles diplomatiques anonymisés. Septembre 2011 Publication des câbles diplomatiques sans anonymisation.
PRESSION Le site s’est fait un suffixe avec ces câbles. Leaks et son « L » majuscule deviennent un label de qualité
www.mk2.com
35
© Almasty
NEWS ENQUÊTE
repris par toute initiative similaire. La presse y voit même un renouveau du journalisme, comme le site Mediapart qui lance FrenchLeaks en mars dernier. Côté web citoyen, on mentionnera WikiLeaks13 (sur la région de Marseille), QuébecLeaks ou OpenLeaks… Ce dernier ayant un statut à part. Au mois d’octobre 2010, alors que WikiLeaks et la presse convolent en habiles noces, nous rencontrons Daniel DomscheitBerg à Berlin. Cet ancien ponte de WikiLeaks charge Julian Assange, alors empêtré dans un scandale de viol, avec lequel il est brouillé à mort : « Julian veut aller trop vite, publier des documents sous la pression médiatique, sans prendre le temps de les rendre anonymes et intraçables. » Domscheit-Berg part donc monter OpenLeaks de son côté, emportant des documents confidentiels dans ses valises. Tandis que le grand public commence à se passionner pour ces porte-étendard de la vérité, eux se déchirent en coulisses. La publication non anonymisée du 2 septembre dernier clôt ces mois de guerre larvée, durant lesquels le Chaos Computer Club, Mecque internationale des hackers, a tenté une médiation avant de jeter l’éponge. La mise en ligne de 36
octobre 2011
documents affichant des noms sensibles est aux antipodes de l’idéal originel de WikiLeaks. Les médias associés à WikiLeaks la condamnent
« Julian [Assange] veut aller trop vite, publier des documents sous la pression médiatique, sans prendre le temps de les rendre anonymes et intraçables. » immédiatement dans une déclaration commune : la décision « de publier la totalité de ces télégrammes appartient à Julian Assange et à lui seul, estiment-ils. Il en est le seul responsable. Nous ne pouvons défendre la publication des données complètes, qui n’était pas nécessaire. » Le divorce est consommé. En voulant couper l’herbe sous le pied de ceux qui auraient pu publier ces informations avant lui, Julian Assange s’est coupé de sa base d’informateurs, hétéroclite mais fédérée jusqu’ici par les garanties d’anonymat et l’idéal de transparence affichés par WikiLeaks.
ÉPOUVANTAIL Que retenir de cette histoire ? Les sites en « Leaks » n’ont pas fuité grand-chose, exception faite d’OwniLeaks et de FrenchLeaks, qui a publié des documents relatifs à l’affaire Ziad Takieddine fin août. Surtout, le terme leaks a opéré un glissement sémantique de l’investigation vers le ragot. Ainsi, mi-septembre, lorsque Scarlett Johansson se fait pirater son téléphone portable avec des photos d’elle nue, rapidement publiées en ligne, le Guardian ou le Daily Mail qualifient l’évènement d’« HollywoodLeaks » et renvoient vers le site Hollywoodleaks. com, agitant l’épouvantail d’un ersatz d’Assange spécialisé dans la vie des stars. Nous avons contacté le fondateur de ce site, qui se fait appeler David, complètement tétanisé par le fantasme médiatique qui lui est tombé dessus : « Mon site n’est pas actif ! J’ai acheté ce nom de domaine au moment du buzz autour de WikiLeaks et créé un faux site pour spéculer sur ce nom susceptible d’attirer l’attention de potentiels acheteurs. » HollywoodLeaks n’existe donc pas, mais le terme est tellement fort qu’il l’a inscrit dans une réalité. Une fuite en avant. ♦
www.mk2.com
37
NEWS sex tape
En selle Cr az y H or se d e Fr e d e r i c k W i s e m a n Documentaire D i s t r i b u t i o n : S o p h i e D u l a c D u r é e : 2 h14 S o r t i e : 5 o c to b r e
Des rangées de fesses, des mers de culs, des popotins par dizaines. Cinéaste fécond, Frederick Wiseman s’attèle avec entrain au sujet de son nouveau et 39e documentaire, six mois seulement après la sortie du très beau Boxing Gym. Il s’agit ici de mettre à nu les rouages du Crazy Horse – qui produit le film –, autoproclamé « meilleur spectacle nu haut de gamme du monde ». Des répétitions aux coulisses, des castings aux représentations, sous la houlette du chorégraphe star Philippe Decouflé, les effeuilleuses ondulent du derrière dans un jeu de lumière kitsch à souhait, caressées par l’insatiable caméra du réalisateur, fidèle à son amour pour les longs plans séquences. Hue dada.
© Sophie Dulac
_J.R.
www.mk2.com
39
Š Drive Film Holdings, LLC. All rights reserved.
Drive
40
octobre 2011
En couverture
LES VIES DE RYAN RYAN GOSLING déploie son aura magnétique sur les deux meilleurs films américains d’octobre. Dans Drive de Nicolas Winding Refn, il est un super-héros penchant du côté obscur de la force. Dans Les Marches du pouvoir de George Clooney, un conseiller politique emberlificoté dans les coups bas d’une campagne présidentielle. Au fil d’une conversation téléphonique avec le comédien, nous avons tenté d’analyser les clés de ce succès. Attention, zone de phénomènes inexpliqués. _Par Juliette Reitzer
M
agie du téléphone. Neuf mille kilomètres, neuf heures de décalage horaire, et vous voilà dans l’intimité d’un étranger, lovée au creux de son oreille, à papoter. Temps suspendu, en orbite quelque part entre deux continents ; un monde parallèle en somme, plutôt raccord avec l’ambiance de la conversation qui s’amorce avec Ryan Gosling. « Je pense vraiment qu’un film peut vous jeter un sort, vous envoûter. Quand vous vous asseyez devant un écran, vous mettez votre personne de côté, vous arrêtez d’être regardé pour regarder vous-même. C’est une expérience existentielle, et je pense que la conduite peut être une expérience similaire. » Depuis Los Angeles, entre deux prises du tournage de The Gangster Squad de Ruben Fleischer, film d’époque sur la lutte antimafia à L.A. après 1945, l’acteur américain fait montre d’un enthousiasme teinté de mysticisme lorsqu’il s’agit d’évoquer sa première rencontre avec Nicolas Winding Refn, réalisateur danois de Drive. « Nous avons tous deux eu le sentiment que nous avions un genre de connexion télépathique. Nous étions en voiture, la chanson Can’t Fight This Feeling Anymore [sic] de REO Speedwagon est passée à la radio et quelque chose s’est produit ; nous étions connectés. Dans le film, nous n’avons fait que pourchasser cet instant, dans cette voiture. C’est devenu un procédé de fabrication : filmer toute la journée et rouler la nuit en écoutant de la musique, s’arrêter dans des diners, parler de films, et mettre à profit ces moments le lendemain www.mk2.com
41
© Drive Film Holdings, LLC. All rights reserved.
En couverture
Drive
« Petit, j’ai vu Rambo et le lendemain, j’ai apporté des couteaux à l’école, que j’ai jetés aux autres enfants pendant la récré. » pendant le tournage. Beaucoup d’images de Drive proviennent du rêve éveillé que fut l’expérience même du tournage. » Can’t Fight This Feeling est une drôle de chanson, ballade rock sentimentale venue d’une autre époque, 1984, lointaine et brumeuse – une impression peut-être due au halo duveteux qui enveloppe la chevelure du chanteur Kevin Cronin dans le clip.
SQUELETTES
En fait, Ryan Gosling lui-même semble débarqué d’une autre époque ; voire d’une autre planète. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter certains des titres qu’il a composés et interprétés avec Zach Shields au sein de leur groupe Dead Man’s Bones, qui a signé sur le même label que Tom Waits et Sage Francis. Paroles murmurées, mélodies trainantes et mélancoliques sont traversées d’une étonnante fascination gothique – il prévoit que leur deuxième album sortira d’ici un an. Dans un 42
octobre 2011
même registre sépulcral, Ryan décrit le tatouage qui orne son bras gauche comme « la main d’un monstre qui lâche un cœur ensanglanté. » Avant d’ajouter, ménageant son effet : « Je l’ai fait moi-même. » On se souvient à cet instant avoir lu dans le magazine Esquire que l’acteur a décoré son appartement new-yorkais de squelettes humains pourvus de guirlandes de Noël en guise de système nerveux… Sur ce, la communication téléphonique est inexplicablement interrompue.
MYTHOLOGIE
Il demande : « Est-ce que vous avez raccroché parce que je parlais trop ? » Non, le réseau fait des siennes, mais on aimerait bien savoir d’où vient cet attrait pour l’au-delà et ses créatures pas catholiques. Peut-être, justement, de son éducation très religieuse, au sein d’une famille mormone. Ryan Gosling est né en 1980 au Canada. Son père travaille alors dans une usine de papier, sa mère est secrétaire. Diagnostiqué hyperactif (ce qu’il revendique encore aujourd’hui en disant « si je ne fais rien, j’angoisse »), il raconte : « Petit, j’ai vu Rambo et le lendemain, j’ai apporté des couteaux à l’école, que j’ai jetés aux autres enfants pendant la récré. Du coup, mes parents ont essayé de contrôler le genre de films que je pouvais voir. Jusqu’à mes douze ans, je n’ai eu le droit de regarder que des films de National Geographic et des films sur la Bible. » À dix ans, il rejoint Justin Timberlake, Christina Aguilera et Britney Spears pour animer l’émission télévisée All New Mickey Mouse Club, puis enchaîne des rôles
« J’ai toujours voulu jouer un super-héros et le personnage de Drive était l’opportunité d’en créer un. C’est un type perdu dans la mythologie hollywoodienne, il confond sa vie avec un film. » dans divers téléfilms. Suivent une dizaine de longs métrages, des bluettes adolescentes (The Notebook en 2004) mais aussi quelques rôles plus ardus : un néonazi dans The Believer de Henry Bean, un toxicomane dans Half Nelson de Ryan Fleck (qui lui vaut une nomination à l’Oscar en 2007) ou un type amoureux d’une poupée gonflable dans Une fiancée pas comme les autres de Craig Gillepsie (2007). Dans le plus récent Crazy Stupid Love de John Requa et Glenn Ficarra, il est l’archétype du séducteur macho ; dans Les Marches du pouvoir, il campe un idéaliste politique « en proie aux dangers qu’ il y a à séparer son esprit et son cœur ». Très disert sur les cinéastes et acteurs qu’il aime (Bill Murray, Gary Oldman), Gosling se fait économe lorsqu’il s’agit d’évoquer sa célébrité grandissante. « Je n’ai ai jamais rencontré quelqu’un qui sache comment gérer ça. Mais vous avez tort sur le truc du sex-symbol. Je pourrais vous montrer des films où je suis franchement moche, comme Blue Valentine de Derek Cianfrance [sorti en juin dernier, ndlr]. Parfois, vous vous immergez complètement dans un personnage, et quand vous en sortez vous avez vécu une autre vie ; alors que la plupart des gens ne peuvent vivre que la leur », concède-t-il. Ou le cinéma comme médium permettant d’accéder à d’autres niveaux de conscience. Dans la même veine, il cite l’auteur de science-fiction Ray Bradbury : « Nous sommes les “animaux collecteurs de tension” de ce monde. L’art nous permet d’évacuer cette tension et d’assouvir nos fantasmes. J’ai toujours voulu jouer un super-héros et
© Drive Film Holdings, LLC. All rights reserved.
En couverture
Drive
le personnage de Drive, qui sillonne les rues avec son propre code moral, était l’opportunité d’en créer un. C’est juste un type perdu dans la mythologie hollywoodienne, il confond sa vie avec un film. »
CONFLUENT
Voilà comment opère le charme de Ryan Gosling. À l’autre bout du fil comme dans ses films, il se tient au confluent du réel et de la fiction, quelque part entre le magique et le rationnel. Quasi muet pendant les trente premières minutes de Drive, son visage irrégulier (nez aiguisé, lèvres fines et regard bleu électrique), sa manière tranquille de se mouvoir suffisent à ensorceler. Les cinéastes l’ont compris et aiment à le retrouver. Il a récemment resigné avec Derek Cianfrance pour The Place Beyond the Pines, et devrait tourner deux nouveaux projets avec Winding Refn : Only God Forgives, dans lequel il enfilera les gants du propriétaire d’un club de boxe thaï, et un remake du film de science-fiction seventies Logan’s Run. « J’ai le sentiment que j’ai besoin de faire plus qu’un seul film avec les réalisateurs que j’admire pour passer au niveau supérieur, conclut-il. Je vois ça comme mon école de cinéma, car je compte réaliser mon propre film rapidement. » Petit sorcier deviendra grand. ♦ Drive de Nicholas Winding Refn Avec : Ryan Gosling,Carey Mulligan… Distribution : Le Pacte Durée : 1h40 Sor tie : 5 octobre
www.mk2.com
43
En couverture
APPELS DE PHARES Onirique et sanglant, baigné dans une esthétique eighties électrique, Drive sonde l’intériorité troublée d’un héros anonyme, cascadeur le jour et pilote pour des braqueurs la nuit, devenu tueur par amour. Rencontré au lendemain de la projection cannoise et la veille de la cérémonie de clôture qui lui décerna le Prix de la mise en scène, NICOLAS WINDING REFN évoque ses choix visuels à grand renfort de métaphores, comme autant de témoignages d’un regard aiguisé, visionnaire. _Propos recueillis par Juliette Reitzer
C
omme vos précédents longs métrages, Pusher, Le Guerrier silencieux ou Bronson, Drive est parfois sanglant, ce que certains vous reprochent. Quel est votre rapport à la violence ? Si tout le monde aime ce que vous faites, c’est que vous avez foiré quelque part. Je n’ai aucune sympathie pour la violence, mais l’art est un acte de violence. Parfois les gens ne savent pas comment y réagir, ils sont à la fois fascinés et dégoutés, et préfèrent s’en prendre au réalisateur. Dans Drive, vous utilisez certains codes de la série B, en les détournant et sans vous y limiter… Oui, l’enveloppe est une chose, l’ADN en est une autre. Drive est enrobé dans une esthétique reprenant les conventions des séries B tournées à Los Angeles dans les années 1980 : l’action, les couleurs, la musique… Mais intrinsèquement, c’est un conte de fées. En lisant les contes de Grimm à ma fille, il m’a semblé que ce serait une façon intéressante de faire un film. Dans ces contes, il y a des 44
octobre 2011
archétypes, incarnés par des personnages et placés dans un environnement restreint. De la même manière, dans Drive, Irene est la fille innocente qui se retrouve impliquée dans de sales histoires. Et le héros arrive pour la protéger du mal. Il y a beaucoup de symboles dans les contes de fées, leur narration est au-delà du réalisme. En effet. Beaucoup considèrent que les contes de fées ne sont pas de la littérature, alors qu’ils sont au contraire l’essence même du story telling. C’est une manière unique de résumer les rapports entre les individus. Comment avez-vous pensé la musique du film, qui contribue à lui donner une coloration très années 1980 ? Eh bien, j’ai grandi dans les années 1980 ! Tout le monde parle des fucking seventies, franchement, je trouve les années 1980 bien plus intéressantes. Pour Drive, je voulais ce côté artisanal des débuts de la
« Si tout le monde aime ce que vous faites, c’est que vous avez foiré quelque part. » techno, ou la veste en satin que porte Ryan et qui rappelle le groupe Kiss. Et puis, au sujet de la musique, je ne voulais surtout pas de rock’n’roll, c’est ce qui aurait pu arriver de pire. Et l’exact opposé du rock’n’roll, c’est l’electro. C’est là que Cliff Martinez, le compositeur de la bande originale, est intervenu. Vous auriez-pu choisir le hip-hop ! Oui, mais cela aurait davantage ancré Drive dans le contemporain, alors que je voulais créer une atmosphère onirique, sensible, que le film n’appartienne à aucune époque précise.
En couverture
© Juliette Reitzer
à atteindre la mer, je me suis dit qu’ils allaient vouloir m’y noyer. Mais étrangement ce fut tout le contraire : les gens m’ont fait confiance.
Nicolas Winding Refn à Cannes, en mai
Votre mise en scène participe de cette ambition onirique, avec une lumière expressionniste, des ralentis ou de lents travellings… Le calme, l’immobilité sont parfois le chemin le plus rapide, car la lenteur oblige le spectateur à se concentrer davantage, à s’impliquer d’une manière beaucoup plus puissante. Ces plans permettent aussi d’instaurer un équilibre, car le film traite au contraire de rapidité – les courses de voiture – et de violence. Il y a de nombreux masques dans le film, à commencer par le visage de Ryan Gosling, mutique, que vous sondez dans de longs gros plans. Pourquoi ? Le film parle d’un homme sans identité, qui n’a d’ailleurs pas de nom. C’est quelqu’un qui n’appartient pas au monde réel. Il vit la nuit en faisant des choses illégales, il est psychotique mais ne le sait pas. Au début du film, quand il rencontre Irene et l’aide à porter ses sacs chez elle, le fils d’Irene met un masque pour se déguiser. Plus tard, le héros met un masque à son
tour, c’est pour lui une transformation vers ce que les gens ont fait de lui. Il est ce que les autres ont besoin qu’il soit, un chauffeur pour ses clients, un héros pour Irene.
Quels sont vos prochains projets ? À l’automne, je tourne Only God Forgives en Asie, avec Ryan Gosling. Puis, l’année prochaine, toujours avec Ryan, je fais un remake de Logan’s Run, un film de sciencefiction des années 1970.
Dans la scène où il tue pour la première fois, il y a de même un gros plan sur son visage couvert de sang… C’est ce que j’appelle son moment de « super-héroïsation ». Dans cette scène, il réalise qu’il est destiné à devenir un super-héros. Il trouve sa place et son identité.
Un film de science-fiction ? Vous avez la particularité de vous frotter à un genre nouveau à chaque nouveau film… Certains réalisent des œuvres merveilleuses en creusant un même sujet toute leur vie, mais moi, j’ai l’angoisse de me répéter. Je ne vois pas l’intérêt de faire un film si je sais déjà à quoi il ressemblera, je préfère relever des paris.
Vous êtes un réalisateur européen. Comment s’est déroulée cette expérience hollywoodienne ? Hollywood est comme un grand magasin de bonbons : vous pouvez en manger jusqu’à l’écœurement. Les équipes américaines sont impressionnantes, ce sont les meilleures du monde. Mais ce qui est délicat, c’est qu’il y a beaucoup de chefs cuistots dans la cuisine… Au début de ce projet, j’imaginais une traversée du désert jalonnée de champs de mines, avec la mer au bout. Quand j’ai réussi
La personnalité du héros de Drive semble résumée par le scorpion brodé au dos de son blouson. Racontez-nous l’histoire du scorpion et de la grenouille évoquée dans le film. La grenouille propose au scorpion de traverser la rivière sur son dos. Elle demande : « Tu promets de ne pas me piquer ? - Bien sûr. » La grenouille fait traverser le scorpion, mais celui-ci la pique : « Pourquoi m’as-tu piquée ? - Parce que je suis un scorpion. » ♦ www.mk2.com
45
En couverture
CONDUITE ACCOMPAGNÉE Rarement film n’aura autant regardé dans le rétroviseur : raccord avec les pulsations electro de sa bande-son eighties, emmenée par le crépusculaire Nightcall du Français Kavinsky, Drive trace sa route parmi un épais réseau de références littéraires, filmiques et musicales. Tour de pistes. _Par David Elbaz, Clémentine Gallot, Juliette Reitzer et Auréliano Tonet
L’italo-disco
Ralentissant et étirant la disco, l’italo-disco en offre, à l’orée des eighties, une version européenne, synthétique et évanescente. Pour la bande originale de Drive, Nicolas Winding Refn a choisi des morceaux signés par des continuateurs actuels de ce sous-genre (College, Chromatics, Desire, Kavinsky…), dont s’est également inspiré Cliff Martinez pour sa partition originale, d’une beauté lysergique. Bande originale du film Drive (Record Makers)
Les contes de Grimm
Ryan Gosling aime à le répéter, Los Angeles est un lieu magique, bâti sur le fantasme. En bon film de genre, et de l’aveu même de son réalisateur [lire pages précédentes], Drive adopte la structure et la taxinomie d’un conte de fées, dont le conducteur est le chevalier blanc venu sauver sa mie, aux prises avec un dragon et un sorcier maléfique.
Scorpio Rising de Kenneth Anger (1964)
Drive emprunte son économie de dialogues et son sceau – un scorpion – à ce film de motards rebelles et mutiques, monument crypto gay du cinéma expérimental des années 1960. Les assistants de Refn auraient cherché dans toute la ville le blouson écru et molletonné, orné du fameux scorpion, qui enveloppe le flamboyant Gosling. Pas facile à porter.
46
octobre 2011
Pretty in Pink d’Howard Deutch (1986)
« Drive, c’est Pretty in Pink avec une tête qui explose », déclare Gosling. Jalonnée d’entêtantes rengaines pop, cette comédie romantique produite par le père fondateur du teen movie, John Hughes, suit une lutte des classes entre modeux dans un lycée américain. Comme le générique de Drive, film de bagnoles pour filles, joli en rose…
Le Solitaire de Michael Mann (1981)
Difficile de ne pas comparer l’ouverture haletante de Drive avec celle du Solitaire (Thief en V.O.). Musique pulsatile, titres fluos sur séquence nocturne et perfection du geste : le personnage de Ryan Gosling a hérité du professionnalisme féroce et motorisé des malfrats repentis de Michael Mann, à trente ans d’écart.
The Driver de Walter Hill (1978)
Si l’on songe parfois à To Live and Die in L.A. de William Friedkin (1986) ou Jours de tonnerre de Tony Scott (1990) pour leur violence et leurs courses poursuites stylisées, c’est ce récit de chauffeur à gages surdoué qui est cité en référence par Refn – ce, dès le titre de son film. Un lien qui donne à voir de saisissants échos plastiques et thématiques.
Stanley Kubrick
Grand rénovateur de la représentation de la violence à l’écran, Refn parle du maître américain avec ferveur : « J’ai pensé à Orange mécanique pour Drive, et je suis fan de Malcom McDowell, que j’ai croisé à Cannes. J’aime aussi beaucoup Eyes Wide Shut, j’ai tenté d’infuser dans mon film le même côté irréel, onirique. »
David Lynch
Comme Blue Velvet ou Sailor et Lula, Drive se délecte du contraste entre amour et violence dans un univers pop et années 1980. Les déambulations nocturnes et psychotiques du Driver rappellent celles du héros de Lost Highway, quand le regard posé par Refn sur les simulacres hollywoodiens évoque, dix ans plus tard, Mulholland Drive.
Drive de James Sallis (2005)
Polar court et nerveux, le roman dont est tiré le film a été écrit par un poète, traducteur, musicien et universitaire américain, spécialiste de Raymond Queneau et de Chester Himes. Si le film s’affranchit de la narration en flash-backs adoptée par le livre, l’adaptation reste très fidèle, sombre vision du monde observé à travers un pare-brise de voiture. Roman disponible dans la collection Rivages Noir
En couverture
MARCHES À L’OMBRE Pour sa quatrième réalisation, GEORGE CLOONEY signe avec Les Marches du pouvoir un grand film de campagne. Un thriller classique mais haletant, infiltrant les arcanes peu reluisantes des primaires démocrates aux États-Unis. _Par Clémentine Gallot
T
emps fort des primaires, le scrutin intermédiaire organisé dans l’État de l’Ohio s’annonce décisif dans la course à la Maison Blanche. À trente ans à peine, Stephen Myers (Ryan Gosling) est le conseiller en communication du favori des sondages, un gouverneur démocrate poivre et sel et cabotin, campé avec aisance par George Clooney (who else ?). Bref, tout coule suavement comme dans une pub caféinée, jusqu’à ce que le jeune loup, débauché par le camp adverse, décide de trahir son mentor. Cette partie de campagne convoque tour à tour les mythes fondateurs de l’ascension et de la chute politique : innocence perdue, loyauté réversible, hybris (le titre anglais, The Ides of March, évoquant l’assassinat de César). Le storytelling édifiant du film vient directement de la pièce de théâtre qu’il adapte, Farragut North de Beau Willimon, plongée maline dans les rouages du système, inspirée par la campagne du démocrate Howard Dean en 2004. Entérinant le règne des spin doctors, découpé selon une équitable structure chorale, le scénario des Marches du pouvoir alterne joutes verbales, huis clos crispants et face-à-face chuchotés, où s’épuise une belle brochette d’acteurs (Paul Giamatti et Philip Seymour Hoffman en directeurs de campagne rivaux, Evan Rachel Wood, Marisa Tomei…). Clooney a eu le bon goût de céder le devant de la scène à Ryan Gosling, en demi-teinte, qui, après ses frasques érotisées dans Drive, renoue
© Metropolitan FilmExport
SCHIZOPHRÉNIE
ici avec l’opacité de son personnage dans Half Nelson. Dans l’entretien qu’il nous a accordé [lire pages précédentes], l’acteur s’explique sur son personnage, dont l’ambition confine à la schizophrénie : « Qu’est-ce qui prime, la loyauté envers un candidat ou la loyauté envers le peuple américain ? » Rodé à une mise en scène un brin académique (en témoignent ses premiers longs, Good Night, and Good Luck et Confessions d’un homme dangereux), Clooney entretient depuis ses débuts une fascination trouble pour l’entertainment. Démonstration magistrale, aussi effacée qu’efficace, son drame politique ridiculise les efforts hexagonaux (La Conquête) par son amplitude et sa détermination. En sus
d’évidentes références aux sommets du genre (Primary Colors ou la série The West Wing), le cinéaste a invité ses troupes à visionner The War Room, le documentaire de D.A. Pennebaker et Chris Hegedus tourné pendant la campagne Clinton de 1992. Sorti outre-Atlantique alors que Barack Obama a déjà commencé sa campagne en vue de sa réélection, la satire de l’activiste Clooney, produite par Leonardo Di Caprio et donc estampillée à la gauche d’Hollywood, s’expose à la critique partisane. Chez nous, il éclaire la primaire socialiste d’un autre regard. ♦ Les Marches du pouvoir de George Clooney Avec : Ryan Gosling, George Clooney... Distribution : Metropolitan FilmExpor t Durée : 1h35 Sor tie : 26 octobre
www.mk2.com
47
BIARRITZ - PARIS - NEW YORK - TELLURIDE - VENISE - LOCARNO STRASBOURG - DINARD - LYON - DEAUVILLE - SAN SEBASTIรกN
UN FESTIVAL DE FESTIVALS
Un festival de festivals
Une fois dissipés les remous cannois, l’été laisse place à la saison des festivals, qui lance à son tour la rentrée cinématographique, traditionnellement dominée par Venise et ses avant-premières. S’enchaînent ensuite Deauville, San Sebastián, les marchés nord-américains de Telluride ou Toronto et d’autres rendez-vous en petit comité, de Strasbourg à Dinard ou Contis. Nos correspondants ont vadrouillé, du Canada à l’Espagne en passant par les côtes françaises, à la découverte des films qui feront l’année. Souvenirs de vacances. _Dossier coordonné par Clémentine Gallot et Auréliano Tonet
Festival du cinéma américain de Deauville _C.G et L.T.
Dates : du 2 au 11 septembre Existe depuis : 1975 Spécialité : cinéma américain Cadre : plage normande venteuse Nombre de films présentés : près de 90 longs
métrages, dont 14 en compétition
Président du jury : Olivier Assayas
(avec Claire Denis, Chiara Mastroianni…) Palmarès : Take Shelter de Jeff Nichols (Grand prix du jury), The Dynamiter de Matthew Gordon (Prix du jury) Temps forts : Francis Ford Coppola parrain ; Jessica Chastain et Ryan Gosling honorés ; Kate Bosworth, Shirley MacLaine, Bill Murray, Roger Avary et tout le gratin qui défile sur les planches Révélation : les films Sundance (Take Shelter, Terri…) Déception : les films Sundance (On the ice, Jess + Moss…) Potins : on y a croisé les jeunes ados d’Après mai (le prochain film d’Olivier Assayas) et rencontré Michael Shannon, Emma Stone, Todd Solondz et le jeune prodige Azazel Jacobs • NOTE :
7/10
Festival du film britannique de Dinard _J.R.
Dates : du 5 au 9 octobre Existe depuis : 1990 Spécialité : cinéma britannique Cadre : station balnéaire sur la Côte d’Émeraude, en Bretagne Nombre de films présentés : 29, dont 6 en compétition Président du jury : Nathalie Baye Palmarès : à venir Temps forts : un hommage sera rendu à l’acteur anglais John
Hurt (Elephant Man) ; Jim Loach, fils de Ken, présentera son premier long métrage (Oranges and Sunshine) Nos pronostics : on attend beaucoup de Weekend, deuxième long métrage d’Andrew Haigh, ancien monteur de Ridley Scott et Harmony Korine, une comédie romantique, gay et intimiste remarquée aux festivals de Sundance et Austin Potins : chaque année, une dizaine de vins de Loire sont sélectionnés pour former la cuvée du festival, dégustée tout au long de l’événement • NOTE :
7/10
Retrouvez notre compte - re ndu sur w w w.mk 2.com /troiscouleur s
www.mk2.com
49
Un festival de festivals
Festival international de Contis
Festival international du film La Roche-sur-Yon
Festival Biarritz Amérique Latine
_A.T.
_A.T.
_L.T.
Dates : du 15 au 19 septembre Existe depuis : 1996 Spécialité : courts métrages Cadre : le cinéma art et essai
d’une station balnéaire de 500 habitants, perdue en plein « no man’s Landes »
Nombre de films présentés :
53 courts métrages, dont 43 en compétition, et 10 longs en avant-première Président du jury :
Corinne Bernard Palmarès : Douce de Sébastien Bailly (Grand prix du jury), Bukowski de Daan Bakker (Prix spécial du jury), Je pourrais être votre mère de Bernard Tanguy (Prix du public) Temps fort : le moyen métrage Un monde sans femmes de Guillaume Brac, sur les atermoiements amoureux d’un Picard timide et dodu, entre Conte d’été et Du côté d’Orouët Révélation : l’obscurité luminescente d’Et ils gravirent la montagne de Jean-Sébastien Chauvin ; les blouses blanches interlopes de Douce [lire page 124] Déception : la qualité très branlante de la compétition, raccord avec les caprices de la météo Potins : Alain Riou, critique au Masque et la Plume, et sa compagne éblouissant les festivaliers avec leurs marinières synchro •
5/10 NOTE :
Dates : du 13 au 18 octobre Existe depuis : 2002 Spécialité : films d’auteur
rares ou inédits
Cadre : une paisible commune
octobre 2011
au 2 octobre
Existe depuis : 1991 Spécialité : cinéma et
cultures d’Amérique latine
vendéenne non loin de Nantes, fief de l’éditeur Capricci, très impliqué dans la programmation du festival
Cadre : films, surf et
100, dont 8 en compétition Président du jury : Ingrid Caven Palmarès : à venir Temps fort : la rétrospective intégrale, en sa présence, du cinéaste et producteur James L. Brooks, secret le mieux gardé de la comédie romantique hollywoodienne, auteur des joyaux Broadcast News et Spanglish Nos pronostics : côté compétition, outre Les Chants de Mandrin, on guettera Quality Control de l’Américain Kevin Jerome Everson ; côté oldies, on attend beaucoup des programmations élaborées par Bertrand Bonello et Michel Hazanavicius Potins : à la faveur de séanceshommage et de dédicaces, les festivaliers pourront approcher Walter Murch (le monteur de Francis Coppola), les créateurs de la série The Wire ou le cinéaste japonais Shinji Aoyama : que demande le peuple cinéphile ? •
Président du jury :
Nombre de films présentés :
NOTE :
8/10
Retrouvez notre compte -rendu sur w w w.mk 2.com /troiscouleur s
50
Dates : du 26 septembre
soleil en pays Basque
Nombre de films présentés :
36, dont 10 longs métrages de fiction en compétition
Ricardo Darín Palmarès : à venir Temps forts : le dernier film du Mexicain Arturo Ripstein, Las Razones del corazón, adaptation moderne mais en noir et blanc de Madame Bovary ; les rencontres littéraires qui offrent une intertextualité passionnante Révélation : Les Acacias de l’Argentin Pablo Giorgelli, road movie économe et humaniste, Caméra d’or au dernier Festival de Cannes (mention spéciale au bébé de cinq mois, qui excelle devant cette caméra) Décéption : Boleto Al Paraíso du Cubain Gerardo Chijona, qui pêche par une direction d’acteurs brouillonne Potins : un groupe de mariachis endiablés a fait se trémousser sur un même rythme public et jurés, dont Astrid Bergès–Frisbey, la jolie sirène du dernier Pirates des Caraïbes, au diapason d’une météo muy caliente •
NOTE :
8/10
Retrouvez notre compte -rendu sur w w w.mk 2.com /troiscouleur s
Un festival de festivals
Festival européen du film fantastique de Strasbourg
Lumière Grand Lyon Film Festival
Et pendant ce temps-là, à Paris…
_N.R.
_L.T.
_L.T.
Dates : du 11 au 18 septembre Existe depuis : 2008 Spécialité : cinéma fantastique Cadre : les rues pavées du centre-
Dates : du 3 au 9 octobre Existe depuis : 2009 Spécialité : films de patrimoine Cadre : Lyon, ville des
Nombre de films présentés :
Nombre de films présentés :
ville et de la Petite-France
une quarantaine de longs métrages, dont 11 en compétition Président du jury :
George Romero Palmarès : The Woman de Lucky McKee (Octopus d’or et Prix du public), Vampire d’Iwai Shunji (Mention spéciale du jury), Hideaways d’Agnès Merlet (Méliès d’argent) Temps forts : le choc The Woman ; le miraculeux Vampire ; la rétrospective Edgar Wallace, entre comédies policières pop et polars érotiques à la Argento Révélation : Harold’s Going Stiff de Keith Wright, faux documentaire fauché sur le devenir-zombie Déception : les deux films inutiles produits par La Fabrique (Livide de Julien Maury et Alexandre Bustillo, Kidnappés de Miguel Ángel Vivas) Potins : Romero aime manger japonais et adore Guillermo Del Toro ; Lucky McKee est un fan absolu de Drive •
NOTE :
7/10
frères Lumière
une centaine de longs métrages Président du jury : festival non compétitif Palmarès : Prix Lumière remis à Gérard Depardieu pour l’ensemble de sa carrière Temps forts : la présence du producteur Roger Corman à l’occasion de la présentation du documentaire d’Alex Stapleton, Corman’s World : Exploits of a Hollywood Rebel ; la nuit science-fiction avec Le Voyage dans la lune de Georges Méliès, Blade Runner de Ridley Scott et Soleil vert de Richard Fleischer Nos pronostics : Portrait d’une enfant déchue de Jerry Schatzberg et Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau [lire également page 114] en copies restaurées ; La Guerre des boutons d’Yves Robert pour les petits Potins : un dortoir est prévu derrière l’écran en cas de coup de fatigue •
7/10 NOTE :
Retrouvez notre compte -rendu sur w w w.mk 2.com /troiscouleur s
Dans la capitale, la rentrée 2011 suggère que faire l’école buissonnière ne serait pas une si mauvaise chose, tant les festivals fourmillent, avec une tendance à privilégier un cinéma confidentiel, des films de genre aux inédits coréens en passant par les films gays, lesbiens et trans. Au Forum des images, dix jours d’Étrange festival ont permis, dans une ambiance geek et décontractée, de s’immerger dans l’arty-gore (Super de James Gunn), de flirter avec le polar agricole (Bullhead de Michaël R. Roskam, nommé aux Oscar) et de prendre des nouvelles de jeunes cinéastes prometteurs (Koen Mortier qui, après Ex Drummer, revient avec Soudain le 22 mai). Toujours au Forum, le festival ChériesChéris fêtera en octobre les alliances les plus queer et dévergondées (fictions, docs et courts entrelacés). L’avantpremière de Bye Bye Blondie de Virginie Despentes en donnera le coup d’envoi. Enfin, la sixième édition du Festival franco-coréen du film dévoilera une sélection de cinquante films inédits en France, en compagnie du réalisateur invité Yoon Sung-hyun. • Lire notre compte-rendu de l’Etrange festival page 25 et sur www.mk2.com/troiscouleurs • Festival Chéries-Chéris, du 7 au 16 octobre au Forum des images, www.cheries-cheris.com • Festival franco-coréen du film, du 11 au 18 octobre au cinéma Saint-André-des-Arts, www.ffcf-cinema.com
www.mk2.com
51
Un festival de festivals
Mostra internazionale d’arte cinematografica de Venise _C.B. Dates : du 31 août au 10 septembre Existe depuis : 1932 Spécialité : historiquement,
le premier festival de cinéma d’envergure internationale Cadre : l’île du Lido et son vénérable Palais des festivals, lagune et vaporettos
Nombre de films présentés :
près de 170 longs et courts métrages en sélection officielle, dont 23 longs en compétition Président du jury :
Darren Aronofsky Palmarès : Faust d’Alexandre Sokourov (Lion d’or), People Mountain, People Sea de Cai Shangju (Lion d’argent), Terraferma d’Emanuele Crialese (Prix spécial du jury) Temps forts : l’utilisation de Skype par Abel Ferrara dans son film d’apocalypse 4:44 Last Day on Earth ; la nudité de Michael Fassbender dans Shame Révélation : Michael Fassbender, étincelant dans Shame et A Dangerous Method Déception : l’accueil injuste réservé par la critique italienne à Alps de Yorgos Lanthimos Potins : les aveux de William Friedkin sur ses différents mariages (en épargnant Jeanne Moreau, trop bien pour lui à ses yeux), lors d’une conférence de presse transformée en one-man show •
9/10 NOTE :
52
octobre 2011
Festival del film Locarno
Festival de San Sebastian
_A.T.
_P.P.
Dates : du 3 au 13 août Existe depuis : 1946 Spécialité : cinéma d’auteur
indépendant
Cadre : en bordure de lac et à
flanc de montagne, une riche cité suisse, fameuse pour ses projos en plein air sur la Piazza Grande Nombre de films présentés :
plus de 200, dont 20 longs métrages en compétition Président du jury : Paulo Branco (avec Louis Garrel, Jasmine Trinca…) Palmarès : Abrir Puertas y Ventanas de Milagros Mumenthaler (Léopard d’or), Tokyo Koen de Shinji Aoyama (Léopard d’or spécial du jury), Hashoter de Nadav Lapid (Prix spécial du jury) Temps forts : Les Chant de Mandrin de Rabah AmeurZaïmeche, western picaresque et grand film de contrebandiers ; le thriller de Laurent Achard, Dernière séance, sur la cinéphilie mortifère d’un projectionniste Révélation : L’Estate di Giacomo d’Alessandro Comodin, escapade sylvestre et amoureuse d’un ado sourd Déception : la théâtralité boursouflée de Low Life d’Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz Potins : fidèle à sa légende de cinéaste rock, Abel Ferrara saborde son propre concert devant une Piazza Grande incrédule et trempée •
8/10 NOTE :
Dates : du 16 au 24 septembre Existe depuis : 1953 Spécialité : cinéma
hispanique et reprises de Cannes, Venise et Toronto Cadre : les côtes escarpées d’une station balnéaire basque
Nombre de films présentés :
193 dont 16 longs métrages en compétition Président du jury :
Frances McDormand Palmarès : Los Pasos Dobles d’Isaki Lacuesta (Coquille d’or), Adikos Kosmos de Filippos Tsitos (Coquille d’argent), Le Skylab de Julie Delpy (Prix spécial du jury) Temps forts : le scénariste fétiche de Luis Buñuel, Jean-Claude Carrière, fêtant ses 80 ans ; Frances McDormand et Álex de la Iglesia tapant un sprint en conférence de presse ; Glenn Close recevant le Donostia Lifetime Achievement Award Révélation : Silver Tongues, intriguant thriller de l’Écossais Simon Arthur Déceptions : Amen, nouvel ovni fauché de Kim Ki-duk ; Albert Nobbs, attrapeOscar de Rodrigo García Potins : on a croisé Glenn Close dans un bar à tapas, Frances McDormand chez le primeur et Michael Fassbender en combinaison de motard •
7/10 NOTE :
www.mk2.com
53
Un festival de festivals
Telluride Film Festival
New York Film Festival
Toronto International Film Festival
_C.G.
_C.G.
_Ja.Go.
Dates : du 2 au 5 septembre Existe depuis : 1974 Spécialité : la programmation
des avant-premières est tenue secrète jusqu’au dernier moment Cadre : les montagnes du Colorado Nombre de films présentés : 82 courts et longs métrages, dont 28 longs dans la section principale Président du jury : Caetano Veloso, invité d’honneur en charge de la programmation des rétrospectives) Palmarès : le Silver Medallion en reconnaissance du travail d’un artiste, a été remis à George Clooney, Tilda Swinton et Pierre Étaix Temps fort : la première de Living in the Material World, le documentaire de Martin Scorsese sur George Harrison Révélations : The Descendants d’Alexander Payne ; le court métrage La Luna d’Enrico Casarosa, produit par Pixar Déception : Albert Nobbs de Rodrigo García ; Butter de Jim Field Potins : entrisme de rigueur dans ce festival où tout Hollywood va en tongs aux premières et se retrouve dans des ranchs pour des barbecues ; s’y sont croisés Georges Clooney, les Dardenne et Michel Hazanavicius •
8/10 NOTE :
Dates : du 30 septembre
au 16 octobre
Existe depuis : 1963 Spécialité : le meilleur
du cinéma international (films précédemment montrés à Berlin, Cannes et Venise) Cadre : urbain (la Film Society du Lincoln Center, la cinémathèque new-yorkaise) Nombre de films présentés :
une centaine de longs métrages, dont 27 dans la section principale
Président du jury et palmarès :
festival non-compétitif Temps forts : on attend avec impatience My Week with Marilyn de Simon Curtis, avec Michelle Williams, mais aussi les nouveaux films de Steve McQueen, David Cronenberg ou Martin Scorsese, qui dévoilera son documentaire sur George Harrison Nos pronostics: les films de Kevin Jerome Everson et Ben Rivers dans la sélection Views from the avant-garde Potins : toujours interdit de territoire, Roman Polanski ne pourra présenter son film new-yorkais, Carnage •
8/10 NOTE :
Retrouvez notre compte -rendu sur w w w.mk 2.com /troiscouleur s
54
octobre 2011
Dates : du 8 au 18 septembre Existe depuis : 1976 Spécialité : gigantesque best
of des grands festivals (Cannes et Venise en tête), destiné à lancer les films sur les marchés nord-américains et asiatiques Cadre : le centre-ville de Toronto et son immense cinémathèque flambant neuve Nombre de films présentés : plus de 300 Président du jury :
festival non compétitif Palmarès : Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki (Prix du public) Temps forts : la première mondiale du fantastique Twixt de Francis Ford Coppola ; Moneyball de Bennett Miller avec Brad Pitt en président d’un club de baseball Révélation : Silver Tongues, intriguant thriller de l’Écossais Simon Arthur Déception : Into the Abyss de Werner Herzog ; Trespass de Joel Schumacher (à condition d’attendre quelque chose d’un film avec Nicolas Cage et Nicole Kidman) Potins : Madonna maltraite des bénévoles et déclenche un scandale ; le festival désapprouve la star ; ici, on n’embête pas les bénévoles •
7/10 NOTE :
www.mk2.com
55
© Stephanie Di Giusto
Løvely
Couleurs froides, paysages enneigés et beauté éthérée. Løv, le dernier court métrage de STÉPHANIE DI GIUSTO réalisé pour la créatrice de mode VANESSA BRUNO, présente la collection automne-hiver 2011 de la marque sous la forme d’une ode aux origines scandinaves de la couturière. Nouvelle égérie de l’enseigne, la blonde KATE BOSWORTH y brille comme jamais. _Par Daxia Rojas
56
octobre 2011
« Le cinéma est une source d’inspiration pour moi, j’y puise des personnages féminins. » scène, où elle apparaît gracile, marchant (à l’envers) seule au cœur d’une ville géante, à la dernière scène qui la montre s’époumonant sur fond blanc face à la caméra, le nacre dessine le cadre de ses déambulations. Blancs, le manteau de laine de l’égérie, la robe du cheval et la neige, omniprésente.
BEAUTÉ NATURELLE
B
orée, le vent du Nord dans la my tho logie grecque, souffle sur la dernière campagne Vanessa Bruno. À commencer par les références cinématographiques tacites du spot, puisque la créatrice, selon ses propres mots, a été inspirée par le personnage mutique joué par Liv Ullmann dans Persona d’Ingmar Bergman. « Le cinéma a toujours été une source d’inspiration pour moi, j’y puise souvent des personnages féminins pour mes collections, comme dans La Petite de Louis Malle ou La Pianiste de Jane Campion. » Dans Persona, une actrice (Liv Ullmann, donc), perd soudainement la voix et développe une relation fusionnelle avec son infirmière (Bibi Andersson). Ingmar Bergman en disait d’ailleurs : « Le début est un poème. Il y a un liseré blanc tout autour. Les personnages n’occupent pas tout l’écran, ils sont inscrits dans la blancheur. » Tout au long du spot promotionnel de Stéphanie Di Giusto, Kate Bosworth elle aussi s’insère dans la blancheur. De la première
Les horizons aux monts enneigés que l’on croise font échos aux somptueux paysages norvégiens du Vestlandet, où a été tourné le film. Le court métrage joue ainsi avec les représentations septentrionales et recrée une vallée glaciaire, un fjord au lac cristallin et à la forêt de pins, où se meut avec grâce l’actrice, pour qui « il y a une véritable sensation de nature sauvage dans ces paysages. Une liberté. Une immensité. Le sentiment que l’on peut se soulever et s’envoler. Selon moi, cela évoque un sentiment d’éternité et d’infini. C’est à la fois excitant et écrasant. » Nature abrupte, esthétique ivoire et atmosphère feutrée forment la toile de fond sur laquelle s’esquisse progressivement le portrait d’une femme scandinave, incarnée à merveille par l’Américaine Kate Bosworth, nouveau visage de la marque Vanessa Bruno après la brune Lou Doillon. La rencontre entre la couturière et l’actrice a jailli comme une évidence. « Kate Bosworth a la grâce et l’ élégance tout en étant d’une beauté naturelle et sophistiquée », commente cette dernière. Un teint de porcelaine, des yeux vairons sublimés par un maquillage nude… La comédienne possède les traits idéalisés d’une beauté nordique. Et incarne au passage le basculement de plus en plus fluide des comédiennes du grand écran aux pages de mode. Révélée dans un film de surf (Blue Crush, en 2002), l’actrice de 28 ans sera en novembre à l’affiche du remake de Chiens de paille réalisé par Rod Lurie, et enchaîne les tournages (Serpent Girl, Fairytale of New York, le film d’horreur Black Rock). « J’ai récemment vécu l’une de mes expériences de cinéma préférées, confie-t-elle. Une adaptation de Big Sur de Jack Kerouac, avec Michael Polish. »
POÈMES VISUELS Derrière elle, une autre femme réellement venue du Nord : Vanessa Bruno, qui a vu le jour au Danemark en 1967. Pour sa nouvelle collection, la créatrice s’inspire directement de l’héritage familial de sa mère, « une femme parisienne et cosmopolite à la fois, toujours imprégnée de ses origines scandinaves dans son style », et surtout une ex-top model danoise. Y a-t-il un style nordique ? Tout est dans la simplicité des coupes et la qualité des matières travaillées, selon Vanessa Bruno. « La soie et la maille sont mes tissus de prédilection. Les matières doivent créer une harmonie et se poser sur le corps pour s’intégrer à la silhouette de façon naturelle et sensuelle. » www.mk2.com
57
Il s’agit de trouver, au terme d’un jeu subtil, « la juste mesure entre l’épure et la profusion, qui donne une allure décontractée et raffinée tout en évitant de tomber dans la caricature. » Quant au cabas à paillettes, pièce phare de l’enseigne, il ne disparaît pas mais laisse place à un nouveau leitmotiv : le bonnet de laine. Pour porter à l’écran cet univers scnadinave, un nom s’est imposé. « Stéphanie [Di Giusto] est une femme avant tout urbaine, mais la nature est le reflet de sa personnalité : libre et bien dans son corps, poétique et pure. » Les courts métrages de mode de cette réalisatrice sont en effet moins des campagnes publicitaires que des « poèmes visuels ». Scandés par la musique de la pièce d’Ibsen Peer Gynt, composée par Edvard Grieg, les plans se succèdent comme autant de strophes dont les différents paysages et vêtements sont les vers. Le parti pris de la mélodie n’est pas anodin. Peer Gynt est un drame poétique et musical du XIXe siècle qui décrit une quête d’identité insaisissable. Or, le thème du poème cinématographique de Stéphanie Di Giusto n’est-il pas le voyage identitaire ? Kate Bosworth parle même de « personnalité fracturée ». De scène en scène, l’actrice se dédouble, se croise et se fuit dans une sorte d’odyssée émotionnelle dont la destination finale n’est autre que l’amour. L’amour rédempteur qui éclaire l’intitulé du film, Løv, avec le « o » barré partagé par plusieurs pays nordiques.
FUSION Poème, drame, objet de mode, le court métrage de Stéphanie Di Giusto est le résultat d’un vrai travail de création artistique. C’est ce qui explique, en plus de l’affinité qui la lie à Vanessa Bruno, la participation de Kate Bosworth, attirée par « les scripts et les réalisateurs intenses. Ce que j’adore chez Vanessa et Stéphanie, c’est qu’elles veulent créer une femme, une idée de sa vie, de son esprit et de son âme. Vanessa sacrifie volontiers un plan sur une tenue pour un plan qui est plus viscéral à regarder. » Loin des stéréotypes, l’association entre Stéphanie Di Giusto et Vanessa Bruno produit une fusion aussi bien esthétique que lyrique. Un rayon de soleil sur la banquise des campagnes publicitaires. ♦ 58
octobre 2011
FESTIVAL ASVOFF
© 2010 Jam Media/Getty Images
© Stephanie Di Giusto
« Ce que j’adore chez Vanessa Bruno et Stéphanie Di Giusto, c’est qu’elles veulent créer une femme, une idée de sa vie, de son esprit et de son âme. »
Chic alors ! Diane Pernet, organisatrice du festival
Le Centre Pompidou accueille, pour la troisième année et dans le cadre de la Semaine de la mode, le festival A Shaded View On Fashion Film (Asvoff), qui allie mode et cinéma dans sa sélection de courts métrages. Initié par l’Américaine Diane Pernet, ex-costumière de cinéma (pour Amos Gitaï notamment) et critique de mode, il permettra de découvrir près de 80 films, documentaires (I Want Muscle et sa body-buildeuse sexy), films expérimentaux (l’aquatique Inferno), films de danse (Dancing on Glass) ou comédies (Onions Don’t Make me Cry). « Un film de mode ne sera bon que s’il est bon en soit, comme n’importe quel film », assure Diane Pernet. Parmi les membres du jury, qui remettront entre autres un Grand prix, un Prix de la meilleure direction artistique et un Prix du meilleur stylisme, on compte l’égérie de Pedro Almodóvar Rossy de Palma, la chef décoratrice Thérèse DePrez (Black Swan) et le rédacteur en chef de GQ.fr (et collaborateur de Trois Couleurs), Joseph Ghosn. _L.T. Festival Asvoff, du 7 au 9 octobre au Centre Pompidou, w w w.ashadedviewonfashionfilm.com
www.mk2.com
59
octobre 2011
Extrait de la série Indonesia uniform de Jim Allen Abel, Indonésie
© Jim Allen Abel © Musée du quai Branly, Photoquai 2011
60
PHOTOQUAI
Globe oculaire Encouragé par le succès de ses deux précédentes éditions, Photoquai s’approprie le paysage urbain en se nichant entre les eaux et les arbres, dans une luxuriance de propositions inédites. Regroupant quarantesix photographes et presque autant de nationalités, cette « biennale des images du monde » proposée par le musée du quai Branly surprend par sa liberté de ton, emmenée par sa directrice artistique FRANÇOISE HUGUIER, exploratrice des altérités artistiques.
Photo Fiction de Shailabh Rawat, Inde
www.mk2.com
61
© Shailabh Rawat © Musée du quai Branly, Photoquai 2011
_Par Laura Pertuy
PHOTOQUAI
HERBES FOLLES
La route, le pont, le gravier : une foule de sentiers conduisent à la Biennale des images du monde. Une liberté d’approche encore soulignée par la disposition très malléable des photos. Des panneaux de forme triangulaire, cubique ou plane, qui jouent sur des dimensions de tirages hétéroclites, brouillent d’éventuels parcours prédéterminés tout en nourrissant l’œil de grains variés. Mais la balade ne s’achève pas en ces chemins géométriques et géographiques. Installée pour la première fois au creux du jardin touffu qui baigne les pieds du musée, la suite de l’exposition accompagne le visiteur dans une déambulation végétale. Ici, un bosquet se pare des visages striés par le souvenir de Nicène Kossentini (Tunisie) ; là, on dévale une allée au rythme d’une enfilade de symboles, portrait de la Malaisie contemporaine par Minstrel Kuik. Souvent, les voies sont multiples, mais la cohérence émerge des portraits sociétaux dressés par les artistes. « Tous les photographes qui exposent parlent de leur culture, ils offrent un vrai discours sur ce qui se passe chez eux et dans le monde. Je ne voulais pas de quelque chose de gratuit, d’une forme parfaite mais vide de sens. »
62
octobre 2011
© Musée du quai Branly, Photoquai 2011
F
estival hors les murs, Photoquai prend le large pour la troisième fois de sa jeune existence en s’installant sur la promenade qui fait face au musée du Quai Branly et dans ses jardins. C’est la photographe et réalisatrice Françoise Huguier qui endosse le rôle de directrice artistique de cet événement tout entier abandonné à la photographie non-occidentale. Intrépide voyageuse, cette dernière a ramené de ses expéditions des images aux contrastes forts et un film pénétrant, Kommunalka, immersion dans un appartement communautaire russe. « Même s’il y avait des commissaires dédiés à chaque partie du monde, j’ai aussi mis la main à la pâte en me réservant le SudEst asiatique, que je connais bien », ajoute-t-elle. La biennale explore ainsi une photographie bien souvent occultée par les grandes tendances occidentales, avec quarante-six photographes sélectionnés au terme de recherches denses et exigentes. « En Tanzanie, on m’a proposé trois photos, raconte Françoise Huguier. Impossible de travailler avec si peu ! Du coup, j’ai fouillé les ordinateurs des artistes en question et j’y ai déniché certaines trouvailles. » Plus classiquement, les commissaires de Photoquai ont aussi contacté les attachés culturels des pays concernés afin d’obtenir un panorama à jour de leurs scènes photographiques et rencontrer les artistes dont ils ont jugé le travail intéressant. Aucune ligne directrice spécifique n’a guidé ces recherches, si ce n’est l’intérêt porté aux productions inédites en France. « Il était important pour moi de rester ouverte à tout type de photos et de n’imposer aucun thème précis face à tant de cultures différentes », commente encore Françoise Huguier.
Extrait de la série Stage Chao-liang Shen, Taïwan
DEBROUSSAILLAGE
Flânant du « total réalisme » proposé par le Russe Gueorgui Pervov, enjoliveur du quotidien dans ses situations les plus absurdes, vers l’acidité plastique de Sergeï Loier et de sa très belle variation sur la solitude de l’enfant, on rencontre au sein d’un même pays des visions au style et au propos opposés. En parallèle, les correspondances entre artistes de nationalités différentes sont fréquentes, à l’image du travail de Mack Magagane (Afrique du Sud) sur le suicide adolescent, qui rejoint la plongée infernale de Kosuke Okahara dans le quotidien de jeunes Japonaises en proie à un mal-être terrifiant. Le musée du quai Branly poursuit sa mise en lumière des artistes en proposant une résidence à certains d’entre eux. « Cette année, deux sont exposés à Photoquai. Le musée du quai Branly leur offre ainsi 15 000 euros et un an de travail. », détaille sa directrice artistique. Une façon de ne pas simplement laisser les photographes exposés regagner leurs pénates : « Nous voulions également voir comment les photographes du monde entier vivent de la photo, étant donné que les magazines spécialisés ne marchent plus du tout. Aujourd’hui, beaucoup de photojournalistes se tournent vers un travail moins documentaire faute de moyens, même s’il reste des nids comme les Philippines ou Singapour. Cette ville est en train de devenir le pôle artistique de toute l’Asie du Sud-Est. » Des constats qui complètent les quarantesix regards posés sur la société au sein de Photoquai, et que viennent retravailler les pupilles du visiteur comme celles de Françoise Huguier. « En tant qu’œil extérieur, je suis libre, je vois tout. » ♦ Photoquai, troisième Biennale des images du monde, jusqu’au 11 novembre en face du musée du quai Branly et dans ses jardins, w w w.photoquai.fr
PHOTOQUAI
Niqab ni soumises Le piratage de voiles islamiques, ça existait déjà. Mais pour en découvrir une version drôle et artistique, il a fallu attendre HASSAN HAJJAJ, photographe britannique d’origine marocaine, invité par Photoquai à exposer ses parodies d’icônes de mode. _Par Ève Beauvallet
En avril dernier, quelques jours après l’entrée en vigueur de la loi interdisant le port du voile intégral dans les lieux publics, les passants voyaient déambuler d’illégales et funkissimes formes voilées près de la Tour Eiffel ou devant le magasin Colette. Des femmes en niqab griffés Puma, Nike ou Adidas, avec babouches assorties et djellabas couleur Warhol. Rien à voir avec un coup des Niqabitch, ces deux Parisiennes sorties dans les rues en niqab et minishort moulant en 2007. Autrement sophistiqué, le coup des voiles « de marque » n’était pas un coup politique mais artistique : il s’agissait d’un shooting photo signé Hassan Hajjaj, figure montante de la scène contemporaine nord-africaine, internationalement admiré pour la tournure « marrakitsch » de son travail de photographe et designer. Originaire de Larache, au nord-ouest du Maroc, émigré à Londres au milieu des années 1970, il est le premier artiste à avoir articulé les préceptes du pop art et les identités visuelles arabes. Logos maxidupliqués façon moucharabieh, canapés détournés à partir de cagettes de Coca marocaines, produits de consommation vintage fétichisés sur des étagères… Les exemples abondent sur les pochettes des albums de sa copine Hindi Zahra, dans sa boutique londonienne aux allures de casbah rock ou dans le célèbre bar parisien du Marais auquel il a prêté son design et son surnom : le Andy Wahloo (« Je n’ai rien », en arabe). Tout cela pour expliquer qu’Hassan Hajjaj, proche du milieu de la mode et passionné par le pouvoir des slogans et des logos, travaille depuis belle lurette sur le détournement d’objets populaires. C’est donc sur l’usage du voile qu’il insiste dans la série Spring-Summer Collection 2018 présentée au sein de Photoquai. « Je m’inspire par exemple des voiles que portait ma mère quand j’étais petit, au Maroc, explique-t-il. Ils étaient saturés d’imprimés psyché et de couleurs très pop, avec une fonction très différente de celles des voiles noirs intégraux qui effraient les capitales occidentales. » Une façon espiègle de synthétiser en une formule graphique les revendications des unes, les fantasmes des autres et de déplacer l’éclairage médiatique sur sa religion à lui : l’humour. ♦
Keshmara de Hassan Hajjaj, extrait de Spring-Summer collection 2018, Maroc
© Hassan Hajjaj © Musée du quai Branly, Photoquai 2011
Spring-Summer Collection 2 018 de Hassan Hajjaj, jusqu’au 11 novembre au musée du quai Branly, dans le cadre de Photoquai, w w w.photoquai.fr Le Andy Wahloo, 69 rue des Gravilliers, 750 03 Paris, w w w.andy wahloo-bar.com
www.mk2.com
63
QUESTLOVE
MOISSONNEUR BATTEUR
© Anthony Barboza
Sous le patronage de la Red Bull Music Academy, le rigoureux batteur du groupe hip-hop The Roots, QUESTLOVE, interroge les racines afrobeat des musiques américaines avec le projet AfroPicks : Africa 2.0. En présence d’une autre légende du beat – le Nigérian Tony Allen –, ce jukebox transatlantique s’est joué une seule et unique fois, le 11 septembre dernier, dans une Grande halle de la Villette balancée au rythme d’une dense cadence. On a collé notre chemise trempée sur les murs des coulisses, le temps de sécher avec Questlove. _Par Étienne Rouillon
«
Mais t’es qui, toi ? » Dominé d’un bon mètre par le colosse des Roots (même affalé sur le canapé qui l’accueille à la sortie du concert), on n’ose pas vraiment lui dire qu’on fait partie de la foule furieuse qui l’a sifflé y a cinq minutes parce qu’on n’a pas eu droit à un rappel, que c’est de la torture quand on vient d’avoir droit à une heure trente d’un live des plus épatants qui soient, que c’est un scandale de… « Attends, mec, on sort de la loge, on va se trouver un coin plus tranquille pour l’interview. » Donc, que c’est un scandale de ne pas nous donner à revoir Black Thought, son pote d’enfance et rappeur de The Roots, qui a fait ce truc sidérant : chanter… « Tiens, les gradins, là, c’est parfait, non ? » Bref, sidérant de chanter avec son flow habituel, mais fondu dans le timbre de Fela Kuti, le convoquant avec plus d’intensité que ne l’ont fait ses fils Femi et Seun Kuti. Et pourquoi on n’a pas eu droit à un rab du soubassophone espiègle de Damon… « Bonsoir madame. Un autographe ? Bien sûr. » De Damon Bryson, donc, qui a
64
octobre 2011
poussé ses pistons de Lagos à La Nouvelle- Orléans. Ou au moins à un dernier tour de grosse caisse, lui et Tony Allen, quatre baguettes qui nous ont roulé dans le rythme comme un maki. « Ça va ? Il enregistre ton truc ? »
REWIND
Bon. Alors, Black Thought, d’abord. « Ben, tu connais Black Thought, c’est pas un perdreau de l’année… L’une des raisons pour lesquelles The Roots dure depuis plus de vingt ans, c’est parce que, quelque part dans la chronologie du groupe, entre 1992 et 2011, il y a eu un moment où on a stupéfait les gens par nos choix artistiques [probablement avec le disque panoramique Phrenology en 2002, ndlr]. Donc, il n’y a pas lieu d’être surpris avec Afro-Picks. Quant à la qualité du spectacle, c’est surtout affaire de répétitions. De toute manière, lorsque vous travaillez avec le saxophoniste David Murray, qui s’occupe des arrangements et de la direction d’orchestre, eh ben, vous n’avez pas le choix : il y a une graaaaaaande exigence d’intelligence musicale de sa part envers chacun des membres. C’est notre deuxième projet ensemble après Tongues on Fire, a Tribute to The Black Panthers, qu’on avait joué ici l’année dernière. J’adore travailler avec David parce que… La plupart des gens venus du jazz s’ouvrent peu sur les autres types de musiques. Lui les inclut dans un ensemble. Chaque musicien était là ce soir pour une raison, pour sa manière unique de faire vibrer ses cordes artistiques. Puis vous y ajoutez le claviériste Amp Fiddler, et alors là… »
FORWARD
Ben oui, tiens. Amp Fiddler en rappel, c’eût été parfait. Ce gourou des claviers, qui a bossé avec le pape du P-funk, George Clinton, a explosé il y a une demiheure le répertoire de Tony Allen, le pape de l’afrobeat, lors d’un duo au coté de Macy Gray, plongeant dans
QUESTLOVE
1
©Mr. Mass./Red Bull Content Pool
1.2.3 Photos du concert à la Grande halle de la Villette
©Mr. Mass./Red Bull Content Pool
« Si The Roots dure, c’est parce que, quelque part entre 1992 et 2011, il y a un moment où on a stupéfait les gens par nos choix artistiques. »
2
www.mk2.com
65
QUESTLOVE
une langueur soul Love is a Natural Feeling, une des compos phares d’Allen. Complètement frissonnant. « Un tube ! Ce projet fait écho à l’influence très puissante de Fela Kuti sur la musique américaine, sur toutes les musiques américaines. Par exemple, l’album Remain in Light du groupe new wave Talking Heads a incorporé des éléments d’afrobeat sous la houlette de Brian Eno dans les années 1980. Ce qui est marrant, c’est de se rappeler comment Tariq [alias Black Thought, ndlr] et moi avons découvert Fela. On a grandi avec la chanteuse Santigold, et elle a eu son permis de conduire avant nous. Elle nous promenait donc un peu partout, Fela tournait en boucle dans la voiture. Un jour, elle nous a fait des K7 à partir des disques que possédait son père. Ces K7, je les ai chéries jalousement. Elles m’ont beaucoup influencé quand j’ai travaillé sur l’album Voodoo de D’Angelo [on y retrouve un morceau de bravoure reprenant au beat près certains passages de l’album Expensive Shit de Fela Kuti, ndlr] ou sur la production de Like Water for Chocolate pour le rappeur Common [qui intègre des samples de Tony Allen, ndlr]. Ceci dit, la plupart des gens pensent qu’afrobeat est le synonyme exclusif de Fela… Le concert s’appelle Afro-Picks parce que nous avons pioché dans cette musique pour en conserver les messages puissants et prendre quelques libertés au niveau des arrangements. Donc pas uniquement Fela mais aussi Bongi Makeba, Letta Mbulu et bien sûr Tony Allen, inventeur de l’afrobeat aux côtés de Fela. »
PLAY
Questlove, lui, n’a pas créé un style musical, mais il est aujourd’hui l’un des derniers remparts aux boîtes à rythmes qui remplacent progressivement les batteurs dans la production de musiques populaires. De Jay-Z à Amy Winehouse, de nombreux musiciens ont recherché son mélange unique de rigueur métronomique et de groove discret – lui appelle ça « la discipline ». De ce côté-là, Tony Allen non plus n’est pas un manchot. Du coup, comment jouer ensemble sans se marcher sur le kick ? « Le seul moyen, c’était de prendre du recul et de laisser Tony investir les musiques. Il a ce don pour couvrir le rythme d’un feeling… Quand il fait ses mouvements sur les fûts et ses jeux de cymbales. C’est son truc, son style. Alors moi, je me demandais : comment être complémentaires ? C’était la balance à trouver : moi le métronome que le groupe suit, et lui qui vient jeter de la couleur sur nous. » Encore tout rouge, on sort des coulisses pour retrouver les têtes amies dans la foule furieuse : « Alors ! Alors ? » Ben, il a dit non. Pas de rappel. ♦
66
octobre 2011
3
Red Bull Music Academy, workshop itinérant
Le tour du monde de la Red Bull Music Academy posera cet automne ses valises à Madrid. Depuis sa première édition berlinoise en 1998 (ont suivi Seattle, São Paulo, Londres ou Melbourne), ce workshop organisé par la marque autrichienne de boissons énergisantes offre aux aspirants musiciens et aux apprentis producteurs la possibilité d’apprendre au contact de professionnels de l’industrie. Loin d’un banal télécrochet sponsorisé, la RBMA ne délivre ni prix ni classement. Quinze jours durant, les soixante participants sélectionnés chaque année bénéficient de studios d’enregistrement high-tech et de l’encadrement de tuteurs de choix, comme Cristian Vogel ou Russell Elevado, l’ingénieur du son de D’Angelo. Des master classes sont tenues chaque jour par des artistes et techniciens de renom, de Chuck D à M.I.A. Depuis leur passage parmi les décors toujours inattendus de la RBMA (cette année, le Matadero, un site d’architecture industrielle), plusieurs artistes ont explosé sur les scènes mondiales, des Portugais electro-kuduro de Buraka Som Sistema aux rappeurs américains de Spank Rock. _D.E. La quatorzième édition de la RBMA se tiendra du 23 octobre au 25 novembre à Madrid, www.redbullmusicacademy.com
©Mr. Mass./Red Bull Content Pool
« LE projet AFRO-PICKS fait écho à l’influence de Fela sur la musique américaine. par exemple sur Talking Heads. »
www.mk2.com
67
68
Š Armelle Bouret/ EMI Music
octobre 2011
CAMILLE
Il y avait les poches gonflées du Sac des filles (2002), les boucles emmêlées du Fil (2005), les tessitures trouées de Music Hole (2008). Pour son quatrième album, Ilo Veyou, qui paraît cet automne, CAMILLE s’est mise à la broderie. Un disque organique et délié, tissé à la campagne, tandis qu’un autre cordon – maternel, celui-là – se nouait en elle. Avant de la retrouver le 10 octobre au MK2 Quai de Seine, où elle présentera un film réalisé en marge de l’album, nous avons brodé avec Camille, gracile fil de voix et grande couturière. _Propos recueillis par Auréliano Tonet
ous attendiez un enfant pendant la confection d’Ilo Veyou. Dans quelle mesure la maternité a-t-elle nourri la gestation de l’album ? À chaque fois que je fais un disque, je suis dans un état particulier, que ce soit lié au couple, à ma vie de femme… L’écriture et l’enregistrement ont eu lieu avant l’accouchement, le mix a été réalisé après. Comme mon corps est mon instrument premier, cela a joué, c’est sûr. On se meut différemment, on chante différemment, on atteint une certaine sérénité ; d’un coup, on s’aperçoit que les humains vivent trop vite, on a l’impression d’entrer dans le temps référence, le temps T, universel, musical. Vos précédents albums accordaient une place prépondérante aux rythmiques. Les percussions sont moins marquées sur Ilo Veyou… C’est un disque-fleuve, qui coule et s’étire. Il y a plus d’aléas, de recoins temporels. « Je suis très peu électricienne / Un fruit juteux et je jouis à l’ancienne », chantez-vous sur Pleasure. On a le sentiment qu’Ilo Veyou est le moins électrique de vos disques. Je bannis l’électricité et les centrales nucléaires de mon travail – à part les tables de mixage, qui consomment très peu… Le Fil était un disque très organique, déjà – j’y employais par exemple, pour les rythmiques, la technique du human beat box. Le Fil était guidé par l’envie de travailler à partir de boucles répétitives, sur lesquelles je posais ma voix. Cette fois, au contraire, je voulais enregistrer les chansons en direct et en une prise, dans la mesure du possible, a cappella ou avec un quatuor à cordes formé pour l’occasion. D’où peut-être cette coloration acoustique plus prononcée. Le titre de l’album, Ilo Veyou, pourrait résumer votre écriture : s’approprier les formats conventionnels – ici, la chanson d’amour –, en saper la syntaxe et la grammaire, pour aboutir à un
phrasé intime, personnel. Comment naissent vos chansons ? C’est un processus très long et mystérieux. Les chansons jaillissent souvent spontanément, dans des moments d’étourderie, mais je passe beaucoup de temps, ensuite, à revenir dessus, corriger un mot, réécouter, affiner. Lorsque la chanson est finie, je me demande souvent comment tel ou tel mot est venu à moi, comme un tissu trouve ses plis. Parfois, les coutures sont trop apparentes, trop scolaires ; alors, il faut retirer du sens, faire pendre les mots, laisser du mou, rajouter de l’étourderie. L’étourderie, c’est le titre d’une de vos nouvelles chansons, qui fait presque figure de manifeste. Sur Le Sac des filles et Le Fil, vous chantiez principalement en français ; sur Music Hole, en anglais. Cette fois-ci, la répartition est équitable, comme si vous vous étiez laissée couler entre les deux langues, indolente, étourdie. C’est vrai, je ne me pose plus la question de la langue, c’est une fausse problématique. Sur La France, vous comparez notre pays à une gigantesque photocopieuse. Faites-vous partie de la machine ? Oui, sans doute, mais j’espère être un modèle défectueux, bricolé, de photocopieuse. Les coquilles sont plus intéressantes que la reproduction à l’identique. Et puis, j’ai l’art de faire buguer les machines. À la maison, mon imprimante parle de bourrage de papier alors qu’il n’y a pas de papier à l’intérieur. Avez-vous déjà rencontré ce problème ? Cela m’arrive, oui. Cependant, on ne trouve guère de bugs sur Ilo Veyou, mais des perdrix, des étourneaux, des agneaux ; c’est un disque très bucolique. Les chansons les plus orchestrées ont été enregistrées au Studio du Hameau, dans la région du Perche. Le reste a été enregistré dans des petites chapelles du www.mk2.com
69
© Armelle Bouret/ EMI Music
CAMILLE
coin, mis à part deux chansons en région parisienne. La tension entre le temps de la maternité – organique, bucolique – et celui de la vie urbaine m’intéresse. C’est un album champêtre, qui raconte l’histoire d’une transhumance. J’ai voulu le ramener à la ville à travers le film. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce film, que vous montrerez le 10 octobre au MK2 Quai de Seine ? Il dure une soixantaine de minutes et sera inclus dans l’édition limitée de l’album. Il a été réalisé par Jeremiah, qui avait déjà filmé certains de mes concerts pour La Blogothèque. Comme je le connais depuis longtemps, j’oubliais la caméra. C’est une suite de situations plus ou moins improvisées. Certaines ont été tournées à Saint-Denis, d’autres au couvent des Récollets, en amont du spectacle que j’y ai donné. Toutes les chansons d’Ilo Veyou sont présentes, mais dans un ordre différent. Chaque support – disque, film, scène – raconte une histoire qui lui est propre. Après l’église Saint-Eustache il y a quelques années, vous avez investi début septembre le couvent des Récollets pour présenter Ilo Veyou à votre public. Qu’est-ce qui vous attire dans ces lieux ? C’est une approche païenne, qui cherche à se défaire du poids culturel de ces lieux. Je suis plus sensible à leur dimension sonore et tellurique qu’à leur dimension solennelle. Ils ont été conçus pour que les voix s’élèvent, résonnent. Il est très courant de jouer dans des églises lorsqu’on fait de la musique peu ou pas amplifiée. Pour moi, la musique ne naît pas amplifiée. L’amplification est devenue une nécessité dans le marché de la pop ; comme les contraintes m’intéressent, je jongle avec, mais si je pouvais me passer de micros, je serais ravie. Dans mes relations avec mes musiciens, de même, il faut que la communication soit évidente, immédiate, limpide.
« La tension entre le temps de la maternité et celui de la vie urbaine m’intéresse. » Sur Music Hole, l’eau était utilisée comme percussion. Sur Ilo Veyou, elle irrigue les paroles, de Wet Boy à Shower. C’est aussi l’un des motifs de la pièce d’Henrik Ibsen, La Dame de la mer, que vous jouerez en mars aux Bouffes du Nord… Une femme qui vit dans un fjord est mystérieusement attirée par l’eau. Son mari s’inquiète. Elle lui avoue qu’elle est hantée par un ancien amant, un marin, dont elle sent le retour imminent. Va-t-elle suivre cet homme ou rester avec son mari ? Où se situe sa liberté ? C’est l’enjeu de cette pièce, que je trouve très moderne. C’est une plongée dans la fantasmagorie féminine. Le metteur en scène est venu me chercher. Ce sera ma première expérience de comédienne de théâtre, même s’il y aura des intermèdes musicaux, durant lesquels j’interpréterai des chansons traditionnelles scandinaves. Le dispositif de votre spectacle aux Récollets tournait tout entier autour d’une ampoule, suspendue par un fil. Ilo veyou est un disque brodé de fils d’or. La lenteur méditative de la broderie m’inspire. C’est peut-être durant les activités méditatives, comme la couture ou la cuisine, qu’on chante le plus justement ; on est moins collé au sens, plus détaché. Les voix qui nous habitent sortent plus librement. Elles nous incarnent, nous les incarnons. Vous brodez ? J’ai un peu brodé pendant l’enregistrement, mais la broderie exige beaucoup de minutie – je suis encore trop étourdie pour cela. ♦ I lo Veyou d e Ca m i l l e L a b e l : E M I S o r t i e : 17 o c to b r e
Carte blanche à Camille le 10 octobre au MK2 Quai de Seine, avec diffusion d’un film suivie d’un débat. Plus d’infos sur www.mk2.com
70
octobre 2011
www.mk2.com
71
72
octobre 2011
© Wacom
LE STORE
TRÈS LIBRE
Crayon à esquisse numérique portatif, Inkling permet la gribouille partout, du coin de serviette au carnet de notes. Tous les coups (de crayon) sont enregistrés simultanément de façon à pouvoir retrouver à l’écran les différents stades de sa création une fois chez soi. De là, Inkling propose de retravailler ses croquis, story-boards, vignettes, portraits, grâce à quelques outils qui guident l’imagination sans la brider. Work in progress. _L.T. Stylet Inkling, en vente au Store du MK 2 Bibliothèque
www.mk2.com
73
La version director’s cut de Metropolis avait disparu depuis les années 1930. Retrouvé il y a trois ans au fond d’un musée argentin, le film de FRITZ LANG ressort ce mois-ci en salles et en DVD dans sa version intégrale restaurée. S’ajoutent à cette renaissance une exposition à la Cinémathèque française et un ouvrage somme, Fritz Lang au travail de Bernard Eisenschitz. Recollage des morceaux, de la création à la résurrection. _Par David Elbaz et Laura Tuillier
Sur les étagères du musée du Cinéma de Buenos Aires, au milieu de centaines de pellicules numérotées, dormait depuis de longues décennies une copie 16 mm de Metropolis, onzième film muet de Fritz Lang, dans son métrage d’origine. Coupé, remonté, restauré, colorisé, sonorisé à de multiples reprises depuis sa sortie aux États-Unis en mars 1927, Metropolis est entré, au fil du XXe siècle, dans la légende des films maudits qui échappent à leur créateur pour circuler d’époque en époque, de Metropolis de Fritz Lang, le robot Maria pays en pays, sans jamais plus être eux-mêmes. Jusqu’à la découverte de Buenos Aires, qui permet enfin, après deux ans de restauration et « Au lieu d’une histoire de montage, de découvrir une version quasi intégrale de Metropolis. Comme le souligne Bernard linéaire à l’américaine, Eisenschitz, historien du cinéma et auteur de on retrouve la complexité l’ouvrage Fritz Lang au travail, « pour la pre- des sous-intrigues et mière fois, on découvre le film dans la continuité des récits secondaires. » dans laquelle il a été pensé. Au lieu d’une histoire linéaire à l’américaine, on retrouve la complexité Divisée entre une ville haute, lieu de plaisirs pour des sous-intrigues et des récits secondaires. » les nantis, et une ville basse au cœur de laquelle une main-d’œuvre réduite en esclavage fait foncSUPERPRODUCTION tionner une machine-cœur diabolique, la ville de Firtz Lang affirmait que Metropolis était né d’une Metropolis est la véritable héroïne du film, dont vision, celle de Manhattan et de ses gratte-ciel, elle préfigure le destin fragmenté. De retour en qu’il a découverts à l’automne 1924 en arrivant à Europe, le réalisateur autrichien trouve un scéNew York par la mer, en compagnie de son pro- nario, écrit par sa femme Thea von Harbou à ducteur allemand Erich Pommer. Fasciné par la par tir de son roman du même nom. Il débute hauteur de la mégalopole, alors en pleine redéfini- en mai 1925 le tournage de cette superproduction économique et architecturale, Fritz Lang l’au- tion de la Universum Film AG (UFA) destinée à rait prise pour modèle visuel de sa cité futuriste. satisfaire à la fois l’Europe et les États-Unis. Aux © Deutsche Kinemathek – Photo Archive
EN VITRINE
PREMIER METRO
Octobre 1924
Fritz Lang s’embarque pour les États-Unis en compagnie de son producteur Erich Pommer et découvre les gratte-ciel de New York de nuit. Il aurait déclaré que c’est à ce moment-là qu’est réellement né Metropolis.
74
octobre 2011
Mai 1925 - août 1926
10 janvier 1927
Tournage dans les studios de Neubabelsberg, près de Berlin, sur lequel sont fréquemment invités des journalistes. Le budget final s’élève à plus de 6 millions de marks, soit 5 de plus que le budget initial.
La première a lieu à l’Ufa-Palast am Zoo de Berlin, en présence de Fritz Lang et de sa femme et scénariste, Thea von Harbou. Les critiques sont acerbes et opposent Lang, brillant metteur en scène, à von Harbou, piètre scénariste (et future nazie).
« On s’aperçoit que le travail des opérateurs était très physique, que la direction de Fritz Lang était très autoritaire. » version qui servira d’étalon à toutes celles qui vont suivre, ne reflétant qu’une image tronquée, amoindrie, du travail de Lang. « Les coupes ont mis en relief la pauvreté du contenu, au lieu de mettre en valeur les prouesses techniques et de mise en scène », précise Bernard Eisenschitz. Dans les images longtemps dispar ues et aujourd’hui à nouveau visibles, on découvre donc non seulement des effet de mise en scène novateurs (caméra subjective, tentatives de split screen…), mais également des éléments de scénario absents des versions antérieures : la plongée dans le quartier sulfureux de Yoshiwara ; le personnage du « Mince », homme de main patibulaire de Fredersen (le maître de la cité) ; la rivalité entre le maître et Rotwang, le savant créateur de la femme-machine…
MÉTRIQUE
©
studios de Neubabelsberg, ses moyens semblent alors sans limites. Des milliers de figurants sont embauchés, des constructions gigantesques bâties, un véritable bûcher enflammé pour l’une des scènes finales… Fritz Lang multiplie pendant des semaines les prises de vue, avec un perfectionnisme qui restera une constante chez lui – même lorsqu’il sera plus tard contraint par ses producteurs américains à tourner vite, avec des moyens limités. « Il y a eu un âge d’or du muet pendant lequel les réalisateurs européens ont pu faire ce qu’ils voulaient sans limite, poursuit Bernard Eisenschitz. Ce qui a donné quatre films immenses : Napoléon de Gance, Octobre d’Eisenstein, L’Aurore de Murnau et Metropolis. » Pourtant, Metropolis, une fois terminé, ne reste pas longtemps un film libre. Pratique habituelle à l’époque, la Paramount le coupe et le remonte pour l’adapter au marché américain. C’est cette Mars 1927
Après une sortie berlinoise en janvier dans sa version intégrale (157 minutes), Metropolis sort aux États-Unis, coupé (116 minutes) et remonté par la Paramount. C’est cette version qui sera ensuite diffusée en Europe.
« On screen it’s pictures. Motion picture, it’s called », rétorque Fritz Lang dans Le Mépris de Jean-Luc Godard au producteur Jerry Prokosch – et ainsi aux détracteurs de Metropolis –, pour lui signifier la prévalence de l’œil sur le script dans son cinéma. Graphique et visionnaire, le tournage du film a mobilisé les plus grands techniciens et généré quantité de documents. Dessins, plans, croquis, costumes et machines de l’époque qui forment aujourd’hui le cœur de l’exposition proposée par la Cinémathèque française. S’y ajoutent les partitions de Gottfried Huppertz, compositeur de la musique originale de Metropolis, dont la métrique solidaire au premier montage a permis de restaurer le découpage initial en respectant le rythme des plans et des séquences. « On n’a jamais vu en France un tel rassemblement d’archives autour d’un film », souligne Laurent Mannoni, commissaire scientifique de l’exposition. Huit cent photos de plateau prises par Horst von Harbou (le frère de Thea) immortalisent notamment les équipes au travail. « C’est une source de renseignements incroyable qui permet, pour chaque scène du film, de connaître la méthode employée, estime
Avril 1945
L’armée Rouge occupe des archives cinématographiques à Babelsberg. Une commission spéciale est chargée de sélectionner des films qui seront envoyés à Moscou. Parmi ces films figure Metropolis, dans sa version courte.
1961
Le Gosfilmofond de Moscou tente la première restauration de Metropolis à partir des cinq bobines récupérées en Allemagne et de fragments retrouvés dans les archives tchécoslovaques. La version recréée correspond peu ou prou à la version américaine de 1927.
www.mk2.com
75
©
le commissaire. On s’aperçoit que le travail des opérateurs était très physique, que la direction de Fritz Lang était très autoritaire. »
POP CULTURE
Amputé, éparpillé puis finalement reconstitué, la vie de Metropolis ressemble à la ville futuriste qu’il décrit, société démembrée, sans médiation entre ses bras et sa tête. C’est également par portions que le film de Fritz Lang survit aujourd’hui dans la culture populaire. Metropolis est la ville où s’installe Clark Kent, alias Superman, dans le comic créé en 1938. La cité de Blade Runner de Ridley Scott (1982) fait elle aussi référence aux buildings imaginés par Fritz Lang plus d’un demisiècle plus tôt. C-3PO, l’androïde protocolaire de Star Wars, fut ouvertement inspiré par le robot Maria, dont le seul exemplaire (presque) d’époque sera visible dans l’exposition de la Cinémathèque. « Le robot original a disparu. Mais, au début des années 1970, la conservatrice de la Cinémathèque, Lotte Eisner, a retrouvé le sculpteur de l’époque et lui a commandé une reconstitution du robot pour l’inauguration du musée de la Cinémathèque en 1972 », raconte Laurent Mannoni. Enfin, en 1984, la version glamour de Giorgio Moroder, colorisée et habillée d’une nouvelle bande son très eighties
1984
L’talien Giorgio Moroder élabore une version colorisée et habille le film d’une nouvelle bande-son eighties (Freddie Mercury, Bonnie Tyler…). Un massacre pour certains, qui fait de Metropolis une référence pop pour d’autres.
76
octobre 2011
Giorgio Moroder, en redonnant vie au film pour une nouvelle génération en 1984, se fait au passage le fossoyeur de la version d’origine. (avec le Here’s My Heart de Pat Benatar), achève de souligner l’influence pop de Metropolis. Mais, en redonnant vie au film pour une nouvelle génération, le compositeur italien se fait au passage le fossoyeur de la version d’origine. Trente-cinq ans plus tard, le miracle de Buenos Aires replace Metropolis au centre d’une constellation d’événements hétéroclites. Une nouvelle étape de la vie d’un film qui ne semble pouvoir s’envisager que dans l’éclat. ♦ Metropolis de Fritz Lang Avec : Brigit te Helm, Alfred Abel… Distribution : MK 2 Dif fusion Durée : 2h33 Resor tie : le 19 octobre en salle, le 5 octobre en DVD (MK 2 éditions) Metropolis, exposition du 19 octobre au 29 janvier à la Cinémathèque française, w w w.cinematheque.fr Fritz Lang au travail de Bernard Eisenschitz (Cahiers du cinéma, essai)
Mai 2008
L’historien du cinéma Fernando Peña découvre des bobines 16 mm de Metropolis au musée du Cinéma de Buenos Aires. Cette version intégrale avait vraisemblablement été acquise par un distributeur argentin en 1927, et oubliée depuis.
2010
Ces bobines, restaurées sous la direction du curateur de la Cinémathèque de Berlin, Martin Koerber, sont intégrées au film en 35 mm. Le 12 février, le Metropolis « nouveau » est présenté en avant-première à la Berlinale.
© Deutsche Kinemathek – Photo Archive
EN VITRINE Metropolis de Fritz Lang, la transformation
www.mk2.com
77
GUEST LIST
À TABLE !
Portrait d’une époque sous la forme chorale de vacances en famille, Le Skylab explore la France des années 1970 à l’heure des grands débats politiques. Après deux premières réalisations remarquées (2 Days in Paris et La Comtesse), JULIE DELPY, actrice et cinéaste franco-américaine, nourrit son film d’une cinéphilie gourmande et nostalgique. Pour nous, elle commente par le menu les influences les plus assumées de son Skylab.
LES NOUVEAUX MONSTRES
« Pour Le Skylab, j’ai été très inspirée par les comédies italiennes, sans pour autant que leurs histoires soient très proches de mon film. Les Nouveaux Monstres [coréalisé par Mario Monicelli, Dino Risi et Ettore Scola, ndlr] et Le Pigeon [de Mario Monicelli] me plaisent pour leur humour et leur sens du joyeux bordel. Mais j’apprécie aussi, dans un autre genre, La Règle du jeu [de Jean Renoir]. Même si le style du Skylab en est très éloigné, il y a quelque chose de similaire dans le tourbillon amené par la ribambelle de personnages ; rien ne semble se passer et pourtant des choses arrivent si on veut bien les voir. »
_Propos recueillis par Laura Pertuy
Les Nouveaux Monstres de Dino Risi, Mario Monicelli et Ettore Scola (DVD disponible dans le coffret La Comédie italienne, Seven Sept)
© Ca rlos R. Alv
arez/WireI ma
ge
DALIDA
Le Skylab de Julie Delpy Avec : Éric Elmosnino, Noémi Lvovsk y… Distribution : Mars Durée : 1h53 Sor tie : 5 octobre
« Les chansons interprétées par les personnages ont figuré très tôt dans le scénario. Je savais que Monique (Noémie Lvovsky) chanterait Dalida, dont Bambino me plaît beaucoup. Chaque personnage correspond à une chanson précise. J’ai dû m’adapter aux limitations entraînées par le budget et les histoires de droit, comme pour la version « cochonne » de Hollywood chewing-gum que je n’ai pas eu le droit d’utiliser. C’est toujours ainsi, mais je n’ai pas de regret car les choses fonctionnent plutôt bien, en fin de compte. » Les 50 plus belles chansons de Dalida (Barclay)
78
octobre 2011
LÉO FERRÉ
« Le personnage d’Albertine est assez proche de moi dans ses goûts. Elle écoute Ferré, Moreau, et se passionne pour la sciencefiction – ce qui est encore quelque chose de très important pour moi. Les opinions politiques de ses parents sont similaires à celles de ma famille. J’ai des souvenirs de discussions interminables et très arrosées… Mes films parlent toujours de politique, cependant j’essaye d’approcher ce thème avec humour et distance. C’est un univers relativement corrompu, il vaut donc mieux l’aborder par le rire. » Léo chante Ferré, Best of 1960-1974 de Léo Ferré (Barclay)
LA GRANDE BOUFFE
« Ce repas qui n’en finit pas, c’était le but du film. Il me fallait transmettre cette sensation de prendre le temps, de bouffer, de chanter, de se raconter des histoires, de s’engueuler, de boire, de jouer au poker… Même si désormais je travaille beaucoup, j’ai tout de même passé une bonne partie de ma vie à ne rien faire et à m’amuser. C’est d’ailleurs pour cela que je me suis installée aux États Unis. Maintenant je traduis ce “plaisir”, finalement assez éloigné de celui de l’enfance, en film. Je le partage ! » La Grande Bouffe de Marco Ferreri (Opening)
WEST SIDE STORY
© Paolo Woods
« Je ne suis pas nostalgique ; j’évite de trop penser au passé, car beaucoup de gens ne sont plus là et ça m’attriste beaucoup. Avec ce film, j’ai voulu revivre ces instants de ma jeunesse, comme la boum, et revoir en quelque sorte ces personnes qui me manquent. De manière très éloignée et avec humour, c’est la scène de bal de West Side Story, où Maria rencontre Tony, qui m’a inspirée pour la soirée disco du Skylab. Et puis, je ne suis pas très axée sur l’enfance mais j’ai des souvenirs magnifiques de soleil, de pêche aux crabes, de banquettes en skaï brûlantes dans des voitures avec des trous partout… » West Side Stor y de Jerome Robbins et Rober t Wise (MGM)
ET APRÈS…
« Il est essentiel pour moi que les gens s’amusent sur le plateau. L’équipe du Skylab m’a semblé très heureuse, alors que de mon côté j’étais un peu angoissée, chose que je gardais pour moi. C’était un plaisir de voir tous ces grands acteurs et actrices s’amuser tout en se donnant pleinement à leur personnage. Quant à la suite… Beaucoup de projets en cours, que j’essaie tant bien que mal d’achever. Peu de temps et trop d’histoires à raconter. »
www.mk2.com
79
RUSH HOUR AVANT
PENDANT True
de partir sur les traces de Sam Riley, lisez Road Movie, USA
la diffusion de Blood, buvez une lampée de Tru Blood
_L.T.
_C.G.
Road Movie, USA de Bernard Benoliel et Jean-Baptiste Thoret (Hoëbeke)
Tru Blood est en vente au Store du MK 2 Bibliothèque
Plutôt qu’un genre cinématographique, les auteurs préfèrent définir le road movie comme un motif intrinsèquement lié à l’imaginaire étatsunien. Succédant au western, le road movie (dont Easy Rider devient l’étendard dès 1969) permet de continuer d’interroger les mythes fondateurs d’une Amérique que les réalisateurs (notamment du Nouvel Hollywood) démystifient peu à peu. Cet essai, magnifiquement illustré, est le compagnon de voyage idéal pour s’engager sur les traces de Sam Riley, qu incarnera bientôt Sal Paradise dans l’adaptation par Walter Salles du classique de Jack Kerouac, Sur la route.
APRÈSUn monstre
Rien ne vaut la chair fraîche, et pourtant… Dans la série américaine du même nom, le gouvernement commercialise le True Blood, une boisson au sang synthétique censée civiliser les vampires affamés. Peu goûteuse, elle constitue un substitut ad hoc à la barbaque humaine. D’où la sortie d’une boisson gazeuse du même nom, au goût d’orange sanguine. De consistance sanguinolente, elle se déguste goulûment devant Orange Cinéma Séries, qui diffuse la quatrième saison de la série de HBO dès le 14 octobre : exit Bill, Sookie jette son dévolu sur Eric, aux prises avec des sorcières récalcitrantes… On s’en lèche les babines.
la séance d’ à Paris, parcourez Paris, de la rue à la galerie Paris, décor de cinéma et galerie à ciel ouvert. Dans le film animé d’Eric Bergeron (en salles le 12 octobre), un monstre sème la panique dans les rues de la capitale au début du siècle dernier, se réfugiant sur les hauteurs de Montmartre pour échapper à la police. Aujourd’hui, d’autres créatures peuplent les murs de Paname. Des mosaïques d’Invader aux animaux en patchwork de Philippe Baudelocque, des aphorismes de SKKI© aux calligraphies de Nasty, l’ouvrage Paris, de la rue à la galerie retrace l’histoire du graffiti parisien en trente et un street artists. _J.R. Paris, de la rue à la galerie de Nicolas Chenus et Samantha Longhi (Pyramyd)
TROP APPS _Par D.R. et E.R. Mindjet
Archivme
Machinarium
Gratuit // iPad
1,99 € // iPhone, iPod touch et iPad
3,99 € // iPad 2
Pour ceux qui s’emmêlent rapidement les pinceaux, cette application fait office de fil rouge. En quelques touches, elle permet de créer des cartes visuelles et colorées qui hiérarchisent et organisent des concepts. De quoi débrouiller les esprits.
80
octobre 2011
Elle scanne vos documents, reconnaît les factures numériques, les archives et vous donne la possibilité de suivre leur évolution : l’application Archivme est bel et bien un GPS de vos dépenses en temps réel. Bienvenue dans le futur.
Adaptation d’un jeu vidéo indépendant sur PC, cette aventure aux pastels boulonnés suit un petit robot dans sa quête jusqu’au sommet. L’ascension de la ville, proche du Roi et l’Oiseau, est une merveille artistique qui fera regretter que votre train soit si vite arrivé en gare.
www.mk2.com
81
© 2010 Columbia Pictures Industries, Inc. and Paramount Pictures. All rights reserved.
KIDS ENFIN TINTIN
STEVEN SPIELBERG et PETER JACKSON : deux géants du cinéma s’unissent pour adapter un monument de la bande dessinée, Tintin. La rencontre était attendue, le résultat promet d’être étonnant. _Par Julien Dupuy
L’image avait fait jazzer chez les geeks : Spielberg arborant fièrement un tee-shirt Tintin sur le tournage du dernier Indiana Jones. Le signal adressé aux fans était clair, après trente ans de tentatives infructueuses, le réalisateur barbu allait enfin pouvoir porter à l’écran l’œuvre d’Hergé, dans un film qui respecterait à la fois l’énergie de sa narration et la précision de son
LE JOUET
_L.T.
Les baguettes Star Wars
Surfant sur l’engouement occidental pour les sushis et la sortie de l’intégrale de la saga en HD Blu-ray, la franchise Star Wars propose des baguettes de cuisine qui reprenent le design des sabres laser de Luke Skywalker et maître Yoda. De quoi initier les petits aux traditions culinaires asiatiques tout en organisant des batailles interstellaires.
82
octobre 2011
trait. L’homme qui souffla à Spielberg la solution miracle est un habitué des adaptations jugées impossibles : Peter Jackson. Le réalisateur de la trilogie du Seigneur des anneaux suggéra en effet à son confrère d’opter pour la révolutionnaire méthode de la performance capture, employée par James Cameron sur Avatar et consistant à faire jouer des personnages en image de synthèse à des comédiens de chair et d’os. En l’occurrence Jamie Bell (Billy Elliot) et Andy Serkis (le César de La Planète des singes : les origines), qui interprètent respectivement Tintin et Haddock dans un scénario condensant Le Crabe aux pinces d’or et Le Secret de la “Licorne”. Peu avant sa mort, Hergé avait déclaré que Spielberg lui semblait être un candidat idéal pour porter ses œuvres au cinéma… La prophétie de ce génie du neuvième art se vérifiera en salles, et en 3D. ♦ Les Aventures de Tintin : le secret de la “Licorne” de Steven Spielberg Avec : Jamie Bell, Andy Serkis… Distribution : Sony Pictures Durée : non communiquée Sor tie : 26 octobre
LE livre
_M.U.
LE CHACHEUR de Bernard Azimuth et Henri Galeron (Les Grandes Personnes)
« Un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien. Mais un chien aussi ! Un chien chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chasseur ! Mais est-ce qu’on peut dire qu’un chasseur qui chasse avec son chien ne sait pas chasser ? » Un livre totalement fou par son format et son histoire.
www.mk2.com
83
© DR
VINTAGE Une ténébreuse affaire
Vrai-faux polar noir comme la nuit, L’Étrangleur de PAUL VECCHIALI ressort enfin de l’ombre en DVD. L’occasion de redécouvrir un auteur méconnu, révéré par les cinéastes d’hier (François Truffaut) et d’aujourd’hui (Laurent Achard). _Par Jérôme Provençal
Marginal dans l’âme, cheminant aux côtés d’autres irréductibles francstireurs tels que Jean Eustache, JeanClaude Guiguet ou Gérard Davila, Paul Vecchiali n’a jamais vraiment fait partie de la « grande famille du cinéma français ». Cette préservation farouche de son indépendance ne lui a certes pas facilité l’existence, la question du financement de ses tournages s’avérant toujours plus épineuse. En témoigne directement son dernier film en date, À vot’ bon cœur (2004), qui relate les déboires d’un cinéaste aux prises avec le CNC… Aujourd’hui, près de quarante ans après sa sortie, l’un des premiers films de Paul Vecchiali, L’Étrangleur (1972), paraît en DVD aux éditions La Vie est belle, qui comptent déjà à leur catalogue ce scintillant joyau qu’est Femmes, 84
octobre 2011
Vecchiali ne respecte certains codes du genre que pour mieux prendre la tangente, brisant la linéarité et opérant de fugaces trouées poétiques à la lisière du fantastique. femmes (1974). Contrairement à ce que peuvent laisser croire son titre et sa trame – un tueur en série sème la psychose dans Paris, étranglant ses victimes, des femmes solitaires, avec une écharpe blanche –, L’Étrangleur n’est pas (ou pas seulement) un thriller ou un polar. Vecchiali ne respecte certains codes du genre que pour mieux prendre la tangente, brisant la linéarité du récit et opérant de fugaces trouées poétiques à la lisière du fantastique. Si l’ambivalent affrontement entre le tueur (Jacques Perrin, impeccable) et le flic (Julien Guiomar, non moins impeccable) constitue le principal ressort dramatique du film, l’essentiel est ailleurs, caché quelque part dans les profondeurs de la nuit que Vecchiali parcourt avec une sensibilité frémissante. Film foncièrement atypique, relevant autant de la tradition (le cinéma et la chanson réaliste) que de la modernité (les brisures narratives, aiguisées par la musique syncopée de Roland Vincent), L’Étrangleur est une traversée des ténèbres épousant les méandres intérieurs d’un tueur candide, hanté à jamais par une scène traumatique originelle. ♦ L’Étrangleur de Paul Vecchiali Avec : Jacques Perrin, Julien Guiomar… Édition : La Vie est belle Sor tie : disponible
RAYON IMPORT
Déclarations d’indépendance Retraçant l’histoire du label « indé » au cinéma, catégorie culturelle aussi mouvante que vague, cet essai universitaire s’en tient à « l’ère Miramax-Sundance », de Sexe, mensonges & vidéo en 1989 à la fermeture du studio Miramax par Disney en juin 2010, en passant par le développement de minimajors (IFC Films, Magnolia Pictures). Si le terme « indépendant » est d’usage au cinéma depuis 1910, ce n’est qu’au tournant des années 1980 que son acception première, strictement économique, se double d’un sens esthétique plus large. À travers l’analyse d’un corpus fourni (Pulp Fiction, Bienvenue dans l’âge ingrat, Juno…), l’auteur explore ce système anti-hollywoodien, dépositaire des tensions entre esprit d’outsider et désir d’infiltrer le mainstream. _C.G. Indie : an American Film Culture de Michael Z.Newman (Columbia University Press, en anglais)
BACK DANS LES BACS
Un zeste de Pulp Voici réédités les trois premiers albums du combo pop de Jarvis Cocker, sans remastering mais avec nouvel artwork, des bonus tracks et des notes de pochettes érudites signées Everett True. Le pastoral et tout-acoustique It (1983) rend un hommage tremblant au maître Scott Walker ; le très lyrique Freaks (1987) cultive sa différence dans un bain de noirceur acide ; le synthétique Separations (1992) lance le grand corps dégingandé de Jarvis sur des pistes disco cheap endiablées, errant de la fixette sexuelle au bar à vodka en dérives ironiques et morbides (My Legendary Girlfriend, Countdown). Tout est déjà là, merveilleusement pathétique : « Oh I was nothing when you came / And no-one now you’ve gone away », chante Pulp dans Death II. _W.P. It, Freaks et Separations de Pulp (Rééditions Fire / Differ-ant)
www.mk2.com
85
© Potemkine & Agnès b. DVD
DVDTHÈQUE The Firm d’Alan Clarke (1988)
histoire de violences
Quelques semaines seulement après les émeutes anglaises, un coffret célèbre le génie frondeur d’ALAN CLARKE. De la matière brute des débuts à l’épure sophistiquée des derniers films, son œuvre dresse un réquisitoire combatif contre les institutions britanniques. _Par Clémentine Gallot
Auteur d’une soixantaine de films frontaux, réalisés pour le cinéma comme pour la télévision (principalement la BBC), Alan Clarke, disparu en 1990 à 54 ans, vivait entouré d’une réputation trouble pour avoir fricoté de près avec ses sujets, les mauvais garçons. Cette réédition par Potemkine de quatre films encore peu visibles marque la deuxième phase d’un revival amorcé il y a huit ans avec Elephant de Gus Van Sant. Matrice de la Palme d’or 2003, l’Elephant de Clarke (réalisé en 1989 en dyptique avec un autre film, Contact) occupe dans sa filmographie la place d’un aboutissement radical. En un geste dépouillé qui se veut dépositaire de la somme des violences en Irlande du Nord, dix-huit meurtres anonymes commis en 38 minutes dans les rues de Belfast scandent le film et le décomposent en autant de variations abstraites. Privilégiant les inconnus pour ses rôles de marginaux, Alan Clarke fut un
86
octobre 2011
découvreur de talents, révélant très jeunes Tim Roth ou Gary Oldman. Son ultime long métrage, The Firm (1988), faisait de ce dernier le leader hyperactif d’une bande de hooligans, livrant un précis de violence urbaine dénué de toute explication psychologisante. Avant cela, Clarke avait réalisé deux fictions à charge contre les institutions britanniques. D’abord Scum (1977), plongée dans une maison de correction pour jeunes délinquants et versant punk du réformisme tortionnaire et baroque d’Orange mécanique : une caméra mobile y colle à la peau de détenus et de gardiens pris dans un engrenage sans issue, comme si la réponse aux dysfonctionnements d’une société verrouillée avait été pour Clarke d’élaborer son propre cinéma de l’enfermement. La réédition présente le film dans deux versions : celle, censurée, qui aurait dû être diffusée par la BBC, et un remake sorti en salles. Enfin, dans Made in Britain (1983), Tim Roth joue les tornades en roue libre, la boule à zéro, pendant près d’une heure. Tout un pan du cinéma social-réaliste britannique porte encore l’empreinte de ces fictions à vif, parfois entièrement tournées en Steadicam, à qui d’aucuns ont reproché leur trop grande proximité avec le documentaire. De l’œuvre admirable d’Alan Clarke, on pourrait ne retenir que ces travellings de dos qui avancent, obstinés – impulsion qui donne à ces corps leur belle ligne de fuite. ♦ Cof fret Alan Clarke (4 DVD) Éditeur : Potemkine / Agnès B DVD Sor tie : disponible
6
FILMS La sélection de la rédaction
LE JOURNAL DE DAVID HOLZMAN ET MY GIRLFRIEND’S WEDDING
AU SEUIL DE LA VIE
d’Ingmar Bergman (Montparnasse) « Il n’y a pas que les vagins qui s’ouvrent ici, les humains aussi », prévient une sage femme au début de ce film tourné en 1957. Trois femmes y partagent une chambre commune, dans une maternité suédoise. Cécilia vient de faire une fausse couche, Hjördis est hospitalisée suite à un avortement raté et Stina attend la naissance de son premier enfant avec ferveur et optimisme. Sans manichéisme, ce huis clos épuré questionne l’irrationalité de la vie et confirme la modernité de Bergman dans sa manière de filmer les femmes – les actrices seront d’ailleurs récompensées d’un prix collectif d’Interprétation féminine au Festival de Cannes 1958. _J.R.
de Jim McBride (Survivance)
Survivance, éditeur très avisé, exhume sur un même DVD les deux premiers films de l’Américain Jim McBride. Connu pour Breathless (1983), son remake d’À bout de souffle, McBride avait débuté de manière très singulière avec Le Journal de David Holzman (1967), vrai-faux journal filmé d’un jeune cinéaste new-yorkais, qui suscita une interrogation en profondeur sur la vérité des images et des sons, préfigurant les travaux de Sophie Calle, d’Alain Cavalier ou du courant mumblecore. Avec My Girlfriend’s Wedding, deux ans plus tard, McBride signait un portrait tout en nuances de sa petite amie, sur le point d’épouser un autre homme. _J.P.
PORTIER DE NUIT
LE RÔDEUR
de Joseph Losey (Wild Side) Un ripoux vicieux et détraqué séduit une femme au foyer avant de tuer son mari. Pas étonnant que l’écrivain James Ellroy, dans les bonus du DVD, confesse son amour pour les amants maudits de ce huis clos hitchcockien, tendance « perv noir ». Réalisé en 1951, avec John Huston à la production et sa femme de l’époque (Evelyn Keyes) à l’écran, Le Rôdeur inaugure une nouvelle série éditée par Wild Side : Art of Noir. Joseph Losey, provocateur, y déjoue la censure avant d’être rattrapé par la lutte anticommuniste et forcé à un exil britannique qui, paradoxalement, présidera aux chefs-d’œuvre de sa carrière, dont The Servant et The Go-between. _C.G.
de Liliana Cavani (Wild Side) Le hasard réunit une survivante des camps (Charlotte Rampling) et son ancien geôlier (Dirk Bogarde), devenu portier de nuit d’un hôtel viennois. De ces retrouvailles, le film à la patine délavée de Liliana Cavani, classé X à sa sortie américaine en 1974, tire une confrontation ambigüe. Derrière ce huis clos parfois pataud affleure l’échec de la dénazification. S’il ne devait rester qu’une seule scène, troublante : Charlotte Rampling, nue sous ses bretelles, chante du Marlene Dietrich pour sauver sa peau. Un flashback qui façonnera tout un pan de l’esthétique publicitaire chez Jean-Paul Gaultier ou Chanel. _C.G.
L’AMÉRIQUE EN GUERRE
Coffret 6 DVD (Montparnasse) Au lendemain de l’attaque de Pearl Harbour, l’Amérique de Roosevelt se retrouve précipitée dans la Seconde Guerre mondiale. Une immense campagne de propagande s’engage alors, destinée à mobiliser une population peu concernée par les combats qui sévissent en Europe. Cinéastes confirmés et futurs talents sont appelés pour être les rapporteurs haut de gamme d’images du conflit mondialisé : John Ford, Frank Capra, William Wyler, John Huston ou encore George Stevens… De l’entrée en guerre au procès de Nuremberg, un témoignage précieux en dix-sept films documentaires plusieurs fois nommés et récompensés aux Oscars. _D.E.
STAKE LAND de Jim Mickle (eOne)
Sorti directement en DVD, Stake Land n’en a pas moins été repéré parmi les cadors décalés du dernier Étrange festival. L’apocalypse, sous la forme d’une épidémie de vampirisme, hante ce deuxième film d’un prodige du nouveau cinéma d’horreur américain, Jim Mickle – à peine 30 ans. Après un premier essai remarqué (Mulberry Street, en 2006), Stake Land, initialement lancé comme une web-série, a été conçu en pleine résurgence vampirique dans la pop culture. Mêlant film de survie, road movie et film d’apprentissage, le cinéaste confie avoir réalisé un hommage à I Am Legend, le roman de Richard Matheson qui n’a, selon lui, « jamais eu l’adaptation qu’il mérite ». _C.G.
www.mk2.com
87
© Cooperative Music
CDTHÈQUE SOLEIL VERT
Après Wilco, Bon Iver ou Fleet Foxes, JONATHAN WILSON réveille l’americana vintage et les cigales de Laurel Canyon, sanctuaire solaire du folk-rock des années 1970. « Retour au jardin », comme le chantait Joni Mitchell. _Par Wilfried Paris
De la même façon qu’en 1969 les hippies fuirent les vibrations maléfiques (Altamont et Charles Manson) d’Hollywood pour les collines encore sauvages de Laurel Canyon, le deuxième album de Jonathan Wilson (à 36 ans) s’annonce comme l’expression sublimée d’un désir de retraite pastorale. « C’est revigorant, régénérant, dit-il, d’aller dehors dans la nature sauvage, sous les étoiles, de dormir à l’air libre, de cuisiner avec du feu… C’est une existence duale que seule cette cité permet. Vous pouvez mener une vie rustique, entouré par la nature, et puis descendre dans les rues de la ville la nuit, c’est merveilleux. » En même temps que la douceur de vivre, le multi-instrumentiste, qui a bourlingué avec les chanteurs Robbie Robertson et Jackson Browne, a retrouvé dans le « jardin doré de Dieu » (dixit Pamela Des Barres dans son livre Waiting for the Sun) le son chaud et naturel qui fit les belles
88
octobre 2011
heures d’une génération dorée de singers-songwriters, attachés à ralentir le tempo et à sonder leurs mondes intérieurs, toutes portes (et literies) ouvertes. The Byrds, Crosby, Stills, Nash & Young, Joni Mitchell ou Fleetwood Mac hantent bien ce Gentle Spirit acoustique et crépusculaire, enregistré en analogique. « Les “ fréquences sublimes” sont mieux capturées et reproduites par l’analogique, commente Wilson. Les traductions numériques ne sont que des supercheries, des hologrammes de son qui ne contiennent pas les éléments terrestres, ferreux, l’énergie magnétique, le métal lourd, etc. Quand je m’assieds et j’enregistre sur bandes, tout est plus difficile, plus intéressant, plus musical, plus excitant, avec moins de choix, plus magistral, plus tactile. Ce qui disparaît dans le processus numérique, c’est l’habileté. » Habile, Jonathan Wilson l’est autant de ses dix doigts à la guitare qu’à écrire des ballades bucoliques (Desert Raven, très Crazy Horse) ou glorieuses (le trip soft-rock Valley of the Silver Moon), réunissant microcosme et macrocosme (« Je ne crains pas de dire que ma musique est cosmique ») en lentes explorations psychédéliques (Natural Rhapsody) qui questionnent la futilité de la vie urbaine (Can We Really Party Today ?) et célèbrent la nature. Le songwriter, né sur la côte Est en Caroline-duNord, renoue ainsi avec l’ancienne tradition de l’urbain qui se retire pour vivre avec la faune, la flore, et les éléments. « Mon grand-père a été membre de la Henry David Thoreau Society. J’ai grandi en lisant et en aimant Walden ou la Vie dans les bois. » Bon esprit. ♦ Gentle Spirit de Jonathan Wilson Label : Bella Union / Cooperative Music Sor tie : disponible
6
ALBUMS La sélection de la rédaction
UNDER THE NEW MORNING SUN
IT ALL STARTS WITH ONE
d’Ane Brun (Balloon Rangers Recordings) Programmé pour 2010, le nouvel album d’Ane Brun a pris du retard car la chanteuse norvégienne a été conviée à participer à la tournée de Peter Gabriel et Ani DiFranco – ce qui ne se refuse pas. Mais It All Starts With One ne déçoit pas. Épaulée par la crème de la pop suédoise, sa terre d’accueil depuis plus de dix ans, avec des collaborations du chanteur José Gonzáles et les percussionnistes de Lykke Li et Loney Dear, Ane Brun charme sans mal. Sa folk finement orchestrée (cordes, chœur, piano) fait écho, dans une version épurée, aux voltiges de My Brightest Diamond, autre diva au timbre profond. _E.V.
de 4 Guys From The Future (Underdog) De MGMT à Animal Collective en passant par Ariel Pink, le rock psychédélique n’en finit pas de se trouver de brillants héritiers américains. Voici la réponse danoise. Installés en Allemagne, terre Krautrock, les « Quatre gars du futur » redonnent des couleurs (vaporeuses) au souvenir du psych-rock britannique des sixties. Cerveau de ce quatuor prometteur, le chanteur Bjarke Porsmose plonge ses hymnes pop limpides, dignes d’un Damon Albarn, dans les eaux sombres de la reverb’, le martèlement des percussions et le grésillement des guitares, sans que jamais ne soient oubliées les mélodies, solaires et entêtantes. _E.V.
STRANGE MERCY
de St.Vincent (4AD / Beggars) Ex-Polyphonic Spree, copine de Sufjan Stevens, Annie Clark affirme son art singulier sur un inquiétant troisième album. Bardée de batteries heavy, enroulant ses cordes synthétiques autour de nos cous, percluse de guitares grotesquement saturées, cette « étrange miséricorde » exhale un parfum sourd et lourd de colère et de vengeance. De Cheerleader (« I, I, I, I don’t want to be a cheerleader no more ») ou Chloe in the Afternoon (version SM de L’Amour l’après-midi de Rohmer), jusqu’à Surgeon (hommage au corps sexuel sacrifié de Marilyn Monroe) ou Cruel, on passe de l’hystérie (cuts électroniques) à une psychose (cordes hermanniennes) follement maîtrisée. Ça va faire mal. _W.P.
VERONICA FALLS
de Veronica Falls (Bella Union / Cooperative Music) Madeleine shoegaze, le quatuor de Glasgow (fraîchement londonien) a beaucoup piqué à ses ancêtres new wave (Siouxsie and the Banshees) ou twee pop (The Pastels, Lush), au rock américain pré-grunge (Pixies, Veronica Salt) ou plus récent (Electrelane). On ne dira pas qu’ils sont moins originaux que Pains of Being Pure at Heart ou Vivian Girls, parce qu’ils savent surprendre en alternant chant masculin (sage) et féminin (emo), grattent leurs guitares obstinément en rythme et ont de vraies jolies chansons (comme l’ode à la falaise aux suicides anglaise, Beachy Head) qui, malgré les acouphènes, surnagent. _W.P.
JOSH ROUSE AND THE LONG VACATIONS
IN HEAVEN
de Twin Sister (Domino) Entourés d’un buzz considérable dans la planète indie pop grâce à leurs excellents premiers EP (Vampires with Dreaming Kids en 2008 et Color Your Life en 2010), les New-Yorkais de Twin Sister passent au format long avec un disque qui porte bien son titre. Sans excès de zèle, In Heaven distille ses chansons pop ouatées dans un écrin disco très eighties, parfois spaghetti, au service de la voix d’Andrea Estalla. Tour à tour joueuse et mélancolique, elle plane au dessus des nuages de synthés, envoûtante, un peu comme si Beach House s’était délesté de son spleen pour voguer dans un espace plus dégagé. _E.V.
Retrouvez notre playlist sur
de Josh Rouse (Bedroom Classics / Naïve) Le songwriter du Nebraska, touriste en Espagne depuis 2004, nous envoie une nouvelle carte postale depuis ses « longues vacances ». Mélopées farniente et ballades solaires rappellent moins le flamenco-castagnettes d’adoption qu’une sunshine pop américaine et sixties, sorte d’Harpers Bizarre sautillante, version poppy des High Llamas, où les banjos glissent des fréquences médium dans les nylons ronds de guitares bossa et de contrebasses jazz, où les mellotrons coulent en cascade de poche sur d’amples descentes chromatiques de piano, les mélodies au-dessus de tout, chantées claires et nettes. Soft pop. _W.P.
www.mk2.com
89
© Nina Subin
BIBLIOTHÈQUE
COURS, FERRIS ! COURS ! Père de famille comblé, avocat brillant, Tim Farnsworth a tout pour être heureux. Seul problème : ses jambes s’emballent malgré lui et l’obligent à faire des kilomètres à pied. Une fable ambulatoire signée JOSHUA FERRIS. _Par Bernard Quiriny
Les troubles mentaux donnent toujours de bons sujets de roman, de l’érotomanie (Délire d’amour de Ian McEwan) au syndrome de La Tourette (Les Orphelins de Brooklyn de Jonathan Lethem). Joshua Ferris, lui, a carrément inventé un dérèglement : Tim Farnsworth, son héros, est frappé de crises ambulatoires au cours desquelles il ne peut plus s’arrêter
3 LIVRES
de Madison Smartt Bell (Actes Sud) L’inquiétant monologue de Mae, employée de casino qui a fricoté jadis avec une secte hippie façon Charles Manson. Madison Smartt Bell (La Ballade de Jesse) change de registre et offre un roman sombre et puissant, écrit, dit-il, « sous la dictée des démons ».
octobre 2011
Le Pied mécanique de Joshua Ferris Éditeur : Jean-Claude Lattès Genre : roman Sortie : disponible
_Par B.Q.
LA COULEUR DE LA NUIT
90
de marcher, jusqu’à l’évanouissement. Les médecins hésitent entre cause psychique et physique et ne savent pas comment nommer son mal (d’où le titre original du roman : The Unnamed). Quant à sa femme et sa fille, elles supportent plus ou moins ses fugues soudaines et le spectacle atroce de ses crises, quand il leur demande de le menotter au lit… « Où sont les freins ? (…) Je suis prisonnier d’une machine folle. » Autant dire que l’avenir de Tim dans le cabinet d’avocats qui l’emploie s’annonce mal. Après Open Space, aimable comédie sur la vie en entreprise, Ferris monte d’un cran avec ce roman original et bizarrement grave sur le rapport de l’âme au corps et les puissances sauvages de la psyché, capables de détruire le polissage imposé par la société. Habile, bien construit, ce Pied mécanique (titre français tiré d’un poème d’Emily Dickinson) tire de sa trouvaille un tableau pessimiste sur le décalage entre l’individu et la civilisation. Et ça marche. ♦
LE LIVRE BLANC DE RAFAEL HORZON
de Rafael Horzon (Attila) Voici le roman le plus drôle de l’automne : l’épopée plus ou moins autobiographique de Rafael Horzon, trentenaire allemand jamais à court d’idées folles et d’entreprises absurdes dans le Berlin des années 2000. Loufoque, hilarant et bourré de scènes improbables.
BOIRE LA TASSE
de Christophe Langlois (L’Arbre vengeur) Saviez-vous que chaque 30 avril, on peut voir Hitler conduire une Laguna dans la forêt de Fontainebleau ? C’est en tout cas le point de départ de l’une des 15 nouvelles de ce recueil, pour les amateurs d’humour absurde et de littérature fantastique.
www.mk2.com
91
© Robert Crumb et Denoel Graphic 2011
BDTHÈQUE FUGUE À QUATRE MAINS
Méconnues, les histoires dessinées depuis quarante ans par ROBERT CRUMB et sa femme ALINE KOMINSKY sont regroupées dans un livre, Parle-moi d’amour. La vie de couple version vache. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)
Sans Crumb, la bande dessinée moderne aurait un visage différent. Mais on sait moins qu’à côté de son œuvre de géant (en cours de réédition chez Cornélius) existe celle de sa femme, Aline Kominsky, auteur des premiers comics autobiographiques féminins dans les années 1960. Et on ignore plus encore
qu’ils dessinent à deux depuis quarante ans des récits nés comme une distraction, alors qu’Aline était immobilisée par une jambe blessée. Le livre qui les rassemble, Parle-moi d’amour, saisit une une vie commune en pleine construction, des frictions du début jusqu’à une communion de pensée. « Nous sommes progressivement devenus une seule chose à deux têtes », insiste Aline, pointant le fait que leurs dessins, pour certains parus dans le New Yorker, ont eu tendance à converger. Leurs fulgurances narratives s’articulent autour de dialogues oscillant entre le trivial (le sexe) et le philosophique. La famille (la leur) aussi est au centre de leur travail, mais ils expliquent qu’il s’agit avant tout d’une œuvre sur l’infidélité – « Nous ne sommes pas monogames », lancentils, ajoutant tout de même qu’ils ne se quitteront jamais. Parle-moi d’amour est un singulier journal intime de couple, rempli de vacheries, graphiquement étonnant et touchant par sa brutale sincérité. En famille, Crumb est presque meilleur que tout seul. ♦ Parle-moi d’amour de Rober t Crumb et Aline Kominsk y Éditeur : Denoël Graphic Sor tie : 20 octobre
3 BANDES DESSINÉES ROCK STRIPS COME BACK
Ouvrage collectif, sous la direction de Vincent Brunner (Flammarion) Le second volume de Rock Strips poursuit son chemin consistant à mêler BD et histoire du rock. Émergent les histoires de Philippe Dupuy sur Bashung, Nine Antico sur le Velvet Underground et Rébéna sur Sonic Youth. Une jolie compile qui donne envie d’écouter des disques.
92
octobre 2011
_Pat Jo.Gh.
ANTHOLOGIE AMERICAN SPLENDOR VOLUME 3
d’Harvey Pekar (Çà et là) Dernier volume d’une anthologie indispensable, ce livre fait largement appel aux dessins de Joe Sacco, qui a longtemps illustré les histoires de Pekar. Il suit ce dernier jusqu’aux années 2000 et en dresse un portrait fragile, désemparé, quelques années à peine avant sa mort.
UN PLAN SUR LA COMÈTE d’Émile Bravo (Dargaud)
Le succès de son Spirou a fait oublier qu’Émile Bravo est avant tout l’auteur des aventures du jeune Jules. Des histoires d’apparence classique, mais remplies d’une intelligence implicite. Convoquant philosophie, politique, culture pop et souvenirs de BD, voilà l’un des plus enthousiasmants albums lus cette année.
www.mk2.com
93
© Deep Silver
ludoTHÈQUE
TUERIES TORRIDES
Ile tropicale, soleil de plomb, ambiance feutrée d’un complexe hôtelier qui évoque de vieux polars américains… Mais pas le temps de musarder sous l’air conditionné : t’es déjà raide refroidi. Dead Island délocalise sur le sable le genre de la boucherie de zombies. Ça va chauffer. _Par Laura Pertuy
Menacée par la propagation d’un virus incontrôlable, l’île où le joueur est parachuté subit les attaques d’une horde de zombies peu respectueux du dress code plagiste. On nous exhorte à piller les valises abandonnées par les vacanciers, afin de récolter des objets plus tard essentiels. Rien, en effet, ne
3 JEUX VIDÉO F1 2011
(Codemasters, sur PC, PS3, X360) À contresens sur la voie d’insertion des jeux de voiture multivitaminés, F1 2011 gratte toujours les platesbandes rouges et blanches de la course réaliste avec un nouvel opus référence pour tous ceux qui veulent jouer les Vettel sans mettre le casque.
94
octobre 2011
vous sera plus utile qu’une batte cloutée ou un pied de biche… Quelques survivants guident la première quête, à l’écart des eaux cristallines où coagule désormais l’hémoglobine. Le grand intérêt de Dead Island réside dans la possibilité d’explorer les niveaux sans limitation de temps et avec une liberté d’action assez appréciable. D’une maniabilité plaisamment intuitive, ce jeu de survie à la première personne regorge aussi de trouvailles faisant la synthèse des meilleurs titres cousins – Far Cry ou Left 4 Dead. L’angoisse de la rencontre fatale est permanente, et la solitude du joueur trouve un écho dans son personnage, pauvre en dialogues mais prolixe côté baston. Si ce nouveau survival horror n’égale pas Dead Rising dans le loufoque, il n’en procure pas moins une jouissance crade, doublée d’un exercice de style vaillamment cinématographique. Un faux nanar qui évoque, par bribes, l’atmosphère aussi onirique qu’inquiétante de La Vérité nue d’Atom Egoyan. ♦ Dead Island Genre : Action / FPS Éditeur : Deep Silver Plateforme : PS3 / Xbox 360 / PC Sortie : déjà disponible
_Par E.R.
RESISTANCE 3 (Sony, sur PS3)
Dans le catalogue chargé des jeux de tir post-apocalyptiques, la série Resistance surnage grâce à un armement toujours aussi génial, entre balles passe-muraille et tourelles à vortex électrique. Ou comment dézinguer en mode bazinga.
ICO et SHADOW OF THE COLOSSUS (Sony, sur PS3)
Colosses dantesques ou frêle princesse : deux expériences cultes du loisir pixelisé sont ici redécouvertes à l’occasion d’un lifting HD de titres sortis respectivement en 2001 et 2005. Imaginez une tournée commune de Mozart et Wagner…
www.mk2.com
95
96
octobre 2011
LE GUIDE
SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS
108
© André Morin, le Crédac
© Marc Coudrais
100
© DR
© Silencio Art Library
F E S T I VA L- CL UBBING / A R T C ON T EMP OR A IN - P E IN T UR E / D A N S E-T HÉ ÂT R E / L E C HE F
98
104
SORTIES EN SALLES CINÉMA
© Pyramide Distribution
120
118
116
122
© Mars Distribution
© Diaphana Distribution
© Epicentre Films
du mercredi 5 octobre au mardi 1er novembre
www.mk2.com
97
AL TIV S E KF R FO CH T I P
Lykke Li
HIP HIP HYPE FESTIVAL Pitchfork Music Festival Paris, les 2 8 et 2 9 octobre à la Grande halle de la V illet te, avec Bon Iver, Aphex Twin, Lykke Li, Four Tet, Jens Lenkman, Cut Copy, Mondkopf, Washed Out, Kathleen Edwards…, w w w.pitchforkmusicfestival.fr
Pendant deux jours et une nuit, la Grande halle de la Villette sera l’épicentre mondial du raffinement indie rock, folk et electro. Le Pitchfork Music Festival de Chicago traverse pour la première fois l’Atlantique pour poser ses enceintes branchées à Paris. Qui a crié hipsters ? _Par Éric Vernay
Avant d’être le créateur d’un grand festival dédié à la musique indé, Pitchfork est un site musical extrêmement influent. Fondé en 1996 par Ryan Schreiber, le webzine au logo fourchu a fait le pari, peu sexy au départ, de l’exhaustivité et du sérieux. Chaque jour, cinq disques sont longuement chroniqués par ses journalistes et notés sur dix, à la décimale près. En 2011, un groupe qui obtient plus de 7.9 sur l’échelle ainsi estampillée a son buzz quasiment assuré sur la Toile… C’est ce qui est arrivé récemment à des artistes tels que M.I.A., Kanye West, Sufjan Stevens, Arcade Fire ou encore Bon Iver. Faiseur de rois indé, Pitchfork 98
octobre 2011
revendique aujourd’hui 2,5 millions de visiteurs uniques par mois, un exploit dans le persistant climat de crise de la presse musicale. En 2006, le site a logiquement créé son propre festival, basé à Chicago et invitant les groupes défendus dans ses colonnes. Mais Chicago, ça fait loin pour les hipsters français. Par chance, le Pitchfork Music Festival s’évade cette année de la Windy City pour dynamiter l’automne parisien. Au programme de cette première édition « hors les murs » en Europe, deux jours et une nuit de concerts. Le premier soir, la Grande halle de la Villette pourra surfer sur la pop de Real Estate, glisser sur les vagues lo-fi de Washed Out, avant de se faire vriller les tympans par les nappes furieuses de Mondkopf et les beats déviants d’Aphex Twin. La star du label Warp laissera ensuite ses platines à Four Tet, Cut Copy ou encore Pantha Du Prince pour une nuit electro. Fruit d’une sélection signée Bon Iver en personne, la deuxième soirée, plus calme et boisée, sera marquée, outre le concert du folk singer américain, par les sets de Kathleen Edwards et de deux Suédois : le délicat crooner Jens Lekman et la fée pop Lykke Li. ♦
© DR
SORTIES EN VILLE CONCERTS
L’AGENDA _Par V.S. et W.P.
Grrrrr Block Party Après deux éditions dans le Marais et Montmartre, la fête de quartier bouge à Montorgueil et convie les crews Missive, Sun is Coming, InFunkWeTrust, Clichey ou Parisbouge. Un peu comme à la bonne époque du rap old school à N.Y.C. Le 7 octobre dans les bars du quar tier Montorgueil, de 17h à 21h, entrée libre, puis af ter au showcase dès 22h
Wet For Me Depuis 2005, le collectif de filles Barbieturix édite des fanzines et organise des soirées endiablées. Pour leur nouvelle résidence, Wet For Me, elles accueilleront la furieuse et sémillante Peaches en DJ set, puis Djuna Barnes, Maxime Iko et Rag. Le 8 octobre au Nouveau casino, dès minuit, 10 € en prévente
Connan Mockasin Le Néo-Zélandais néo-londonien revient nous plonger dans un rêve psychédélique, figurant un Syd Barrett pitché, déplaçant les Gorky’s Zygotic Mynci dans un conte enfantin, condensant les Beatles en un écrin weird pop intemporel. Gourou. Le 10 octobre à la Maroquinerie, à par tir de 19h30, 22 ,50 €
Ray Bartok Drôles d’oiseaux noirs tout droits sortis d’un film d’Aki Kaurismäki, le duo parisien présente son premier album pulp-rock, postpunk, cinématique. Hypnotique et chic. Le 14 octobre au Café de la danse, à par tir de 19h30, 15 €
Rodolphe Burger et Dupuy-Berberian Tandis que Rodolphe Burger balaie de sa guitare la palette rock, les dessinateurs Dupuy-Berberian jouent du feutre en direct, des caméras placées à la verticale saisissant leurs croquis instantanés. Chassé-croisé de sons et de signes in vivo. Le 14 octobre au 104, à par tir de 20h30, 20 €
Ramona Córdova et Orval Carlos Sibelius Orval arrange les comptines acides de son récent Recovery Tapes en power trio progtropical, tandis que le Philadelphien Ramona Córdova annonce le successeur du gracieux The Boy Who Floated Freely de 2006. Le 18 octobre au Point éphémère, à par tir de 20h, 12 ,80 €
We Love DFA Toujours au top malgré l’arrêt de LCD Soundsystem, le label de James Murphy réunira ses meilleures signatures lors d’une soirée exceptionnelle pour les amateurs de crossover rock-electro. The Rapture, Planningtorock, Yacht en live, Shit Robot et The Juan Maclean en DJ set. Le 19 novembre au 104, à par tir de 20h, 31,80 €
www.mk2.com
99
© Silencio Art Library
SORTIES EN VILLE CONCERTS
Le Silencio
GRANDE ILLUSION CL UBBING Le Silencio, 142 rue Montmartre, www.silencio-club.com
On pourrait parler de clubbing augmenté comme on parle de réalité augmentée. Depuis début septembre, le Silencio fait du bruit dans le milieu de la nuit parisienne en proposant non pas une boîte de nuit, mais une antre pluridisciplinaire. Avec DAVID LYNCH en directeur artistique et MK2 en programmateur ciné. Visite guidée. _Par Violaine Schutz
Dans Mulholland Drive, les deux héroïnes, Betty et Rita, espèrent trouver la clé de leurs identités troubles en se rendant au mystérieux et surréaliste club Silencio. « Ceci n’est qu’une illusion », entendon à l’intérieur. Depuis septembre, dans la vraie vie, les clubbers parisiens vont aussi au Silencio, le club ouvert par Savoir Faire (l’équipe derrière le Social Club, situé dans le même immeuble) et David Lynch himself en directeur artistique. Ils découvrent alors quelque chose de plus que de l’alcool coulant à flot, des filles en robes strassées et des DJ sets. 100
octobre 2011
Au 142 de la rue Montmartre (ancien siège de L’Humanité et de L’Aurore), l’immense Silencio (650 m²), aux murs et sols dorés par les Ateliers Gohard, se divise en salons intimistes pour multiplier les offres clubbing. À chaque pièce son concept. Une salle de concert et dancefloor, un restaurant, une bibliothèque d’art, une salle de cinéma de 24 places programmée par MK2, un fumoir aux lumières oniriques… Le tout a été mis en œuvre d’après des idées de David Lynch par le designer Raphaël Navot, l’agence d’architectes Enia et le concepteur de lumières Thierry Dreyfus. On pourra ainsi être surpris par les meubles iconoclastes choisis, proches de l’univers du réalisateur de Dune et Twin Peaks. Côté musique, des concerts (Gonzales, Mélanie Laurent, Christophe, Housse de Racket, Das Pop, Saul Williams…) et des DJ sets (centrés sur des oldies) attireront la clientèle habituelle du Social et du Baron. Si seuls les détenteurs d’une onéreuse carte de membre peuvent pénétrer dans les lieux de 18h à 23h – l’heure des showcases et des séances ciné –, tout le monde peut découvrir le Silencio aux alentours de minuit. L’heure parfaite, en somme. ♦
© Wagram
LES NUITS DE…
Julien Barthe, alias Plaisir de France, producteur, DJ et moitié du groupe Sløve « Mes jours sont comme mes nuits, entre surf et poésie. C’est la mélodie qui me dirige : aller écouter Gonzales battant le record du live le plus long au Studio 28 ou Rebolledo en sueur mixant des vinyles Chez Moune, passer de la musique dans un restaurant chic en buvant du bon vin comme à La Société, dans un club qui grince (encore Chez Moune), dans une rave rock au château de Kériolet le 8 octobre prochain ou lors d’un dîner à Cannes. Les petits formats chaleureux sont de rigueur… En ce moment, c’est l’heure du live avec le projet Sløve au Carmen (le 6 octobre) et au Social Club (le 22 octobre) pour fêter la sortie de notre premier album. Nous ferons aussi les disc-jockeys ! » _Propos recueillis par V.S. Le Danse de Sløve (Pschent / Wagram, sor tie le 17 octobre)
© Philippe Lebruman
L’OREILLE DE…
Étienne Jaumet, musicien « J’ai découvert Richard Pinhas au début des années 1990 grâce au fanzine Un certain rock français. Il m’est apparu comme un personnage musical très important, parce qu’il a fondé un des premiers labels indépendants en France, Disjuncta [en 1972, ndlr], mais aussi par les relations qu’il entretenait avec la littérature et la philosophie. La musique de [son groupe] Heldon, à la fois planante, habitée et mystérieuse, m’a tout de suite fasciné. Aujourd’hui, je partage la scène avec lui. Le son de sa guitare est resté tranchant et envoûtant, et j’associe aux volutes psychédéliques de ses vibrations mes vieux synthés analogiques. Je suis tellement impliqué que je n’ose lui faire dédicacer ses disques patiemment chinés depuis vingt ans ! » _Propos recueillis par W.P. Étienne Jaumet et Richard Pinhas, le 21 octobre à Boulogne-Billancour t dans le cadre du festival BBmix, dès 19h, 10,50 €
www.mk2.com
101
Mircea Cantor, Rainbow, 2010. Courtesy Mircea Cantor, Yvon Lambert, Paris & Dvir Gallery, Tel Aviv
IVRY D’AMOUR ET DE PEINTURE ART CONTEMPOR AIN More Cheeks Than Slaps, du 16 septembre au 18 décembre au Centre d’ar t contemporain d’Ivr y, Manufacture des œillets, 25 -29 rue Raspail, 9420 0 Ivr y-sur-Seine, w w w.credac.fr
Fraîchement installé dans le beau bâtiment américain de la Manufacture des œillets à Ivry, le Crédac inaugure son nouvel espace en exposant les œuvres du Roumain MIRCEA CANTOR, critique de notre mode de vie mondialisé. _Par Anne-Lou Vicente
C’est chose faite, le Centre d’art contemporain d’Ivrysur-Seine (Crédac), situé pendant vingt-cinq ans dans les sous-sols du Centre Jeanne-Hachette, loge désormais au troisième étage de la Manufacture des œillets, fleuron du patrimoine industriel du XXe siècle. Adieu, donc, aux souterrains pentus initialement destinés à accueillir un cinéma, et bonjour aux espaces baignés de lumière de ce bâtiment de brique, d’acier et de verre construit en 1913 sur le modèle américain de la daylight factory. C’est à l’artiste roumain Mircea Cantor, né en 1977 et qui travaille aujourd’hui en partie à Paris, que revient l’honneur de baptiser les lieux, pour sa première grande exposition personnelle en 102
octobre 2011
Ile-de-France. Ce « citoyen du monde », qui « vit et travaille sur Terre » comme s’il était partout et nulle part à la fois, n’a de cesse de questionner le sens et l’origine du monde dont nous venons et que nous habitons, tout en étant conscient que l’omniscience – du passé comme du futur – est un leurre. Mircea Cantor cultive ainsi une part de mystère, voire de mysticisme, dans une œuvre qui abolit l’utopie de la transparence (de l’art, de nos rapports humains) et prône une certaine ambivalence. Rainbow (2011), un arc-en-ciel dont le motif, réalisé avec les empreintes digitales de l’artiste sur des panneaux de verre, figure des fils de fer barbelé, déploie ainsi une tension entre un symbole de paix et d’union entre terre et ciel, et celui d’un territoire défendu, d’une liberté contrariée. Dans la vidéo Tracking Happiness (2009), six femmes munies d’un balai, les pieds nus sur du sable fin, forment un cercle, l’une effaçant devant elle les traces de pas laissées par celle qui la précède… Une chorégraphie en boucle, qui matérialise la quête infinie d’un bonheur pur. ♦
© André Morin, le Crédac
SORTIES EN VILLE EXPOS
© Marc Domage
Les frères Chapuisat
L’AGENDA
_Par A.-L.V. et L.C-.L.
Hema Upadhyay, Modernization L’artiste indienne, née en 1972, évoque les grandes mutations de la société indienne en déployant un labyrinthe coloré, dont la propagation au sol fait écho au développement incontrôlable de certains quartiers de Bombay. Jusqu’au 30 octobre à l’espace Topographie de l’ar t, 15 rue de Thorigny, 750 03 Paris, w w w. topographiedelar t.com
Solutions techniques à des problèmes théoriques Dans une vidéo de cette exposition, Vincent Mauger scie la planche sur laquelle il se tient debout… Un regard chargé d’humour sur sa propre pratique d’artiste-ouvrier-ingénieur, dont les œuvres mettent littéralement en relief les formes, à la fois calculées et anarchiques. Jusqu’au 30 octobre à la Galerie Bertrand Grimont, 47 rue de Montmorency, 75003 Paris, www.bertrandgrimont.com
Les frères Chapuisat Collectif à géométrie variable, les frères Chapuisat installent au Centre culturel suisse une imposante créature en bois dans le ventre de laquelle on peut pénétrer, à condition d’être équipé pour préalablement se faufiler dans ses interstices. Jusqu’au 18 décembre au Centre culturel suisse, 32-38 rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, www.ccsparis.com
Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde Orsay propose une immersion passionnante dans l’Angleterre victorienne, qui a vu naître l’Aesthetic movement, avatar de notre mouvement Parnassien à la fin du XIXe. Dès 1860, sous le pinceau de peintres « décadents », des œuvres affranchies de toute moralité affichent une scandaleuse beauté. Jusqu’au 15 janvier au musée d’Orsay, w w w.musee-orsay.fr
Mémoires du futur, la collection Olbricht La Maison rouge accueille pour la première fois en France la collection profuse de l’Allemand Thomas Olbricht. Soit 2500 œuvres à l’éclatement historique assumé, du XVIe siècle à nos jours. Du 22 octobre au 15 janvier à la Maison rouge, www.lamaisonrouge.org
Matisse, Cézanne, Picasso… L’aventure des Stein Le Grand Palais rend hommage à la famille Stein, collectionneurs américains installés à Paris au début du XXe siècle, dont le goût très sûr créa de toute pièce la modernité artistique française. Leur salon vit défiler toutes les avant-gardes, de l’impressionnisme au post-cubisme. L’esprit d’une époque. Jusqu’au 16 janvier aux Galeries nationales du Grand Palais, w w w w.grandpalais.fr
www.mk2.com 103
Photographies devant les tableaux, autoportrait, 53 quai Am Strom, Warnemünde de Edvard Munch, 1907
VERY MUNCH r É trospective Edvard Munch, l’œil moderne (19 0 0 -19 4 4), jusqu’au 9 janvier au Centre Pompidou, w w w.centrepompidou.fr
Replacer l’œuvre d’EDVARD MUNCH dans l’histoire de l’art, au-delà de ses pièces phares comme Le Cri. C’est le pari risqué, mais habilement négocié, de l’exposition qui s’ouvre à Pompidou. Avec au passage une (re)découverte du Munch réalisateur et photographe. _Par Léa Chauvel-Levy
Pour la première fois, Le Cri n’est plus un climax. Parti pris fort et audace de ses commissaires, l’exposition Edvard Munch, l’œil moderne remet carrément en question la place de l’artiste norvégien (1863-1944) dans l’histoire de l’art. Le dense parcours proposé vise ainsi à mettre en avant l’avant-gardisme de Munch, affilié trop systématiquement au pré-expressionisme ou au symbolisme. En pénétrant dans la première salle, on pense qu’aborder un artiste par sa « modernité » est une solution facile. Pourtant, à l’issue des douze sections admirablement pensées, les choix du Centre Pompidou convainquent au-delà des espérances. Il est même permis d’imaginer que le tournant 104
octobre 2011
historiographique opéré ici puisse faire date… Un tournant, voire une rupture : jamais les premières toiles de l’artiste (Le Baiser, La Puberté) n’avaient été aussi « déconsidérées », les toiles mythiques des années 1890 (Le Cri, La Madone…) décentrées pour laisser place à la dimension de toute une œuvre. Au-delà du peintre, l’exposition revient en effet sur le travail de Munch comme réalisateur et photographe. L’attirail démonstratif qui illustre son immersion dans un monde qui s’écrit alors au rythme des avancées techniques est aussi sobre qu’imposant. D’une intelligente simplicité. Il suffisait en effet ses autoportraits photographiques ou ses films home made pour habiller le peintre d’une peau neuve. Mais personne ne s’y était risqué si radicalement. Le regardeur s’émouvra ainsi devant un film presque expérimental où Munch filme l’ambiance de la rue avec sa caméra Pathé Baby. De l’habilité de ces croisements interdisciplinaires, de ces riches entrelacs entre la peinture, le cinéma et la photographie, naît la métamorphose d’un artiste qui semble crier sa deuxième vie. ♦
© Munch Museum Munch-Ellingsen Group BONO 2011 © Adagp, Paris 2011
SORTIES EN VILLE EXPOS
© Thierry Malty
LE CABINET DE CURIOSITÉS
Cinépuces Coup de projecteur sur le marché aux puces de Saint-Ouen. Avec leurs allées labyrinthiques, leurs objets insolites et leurs cultures disparates, elles offrent un décor en or, exploité par nombre de réalisateurs, de Roman Polanski (Frantic en 1988) à Woody Allen (Minuit à Paris en 2010). L’espace de deux jours, le marché se réapproprie cet héritage. À l’affiche : projections des longs métrages les plus célèbres tournés sur place, exposition de photos Harcourt, vente d’accessoires de films (costumes, meubles et bijoux)… « Les puces appartiennent au cinéma », affirme Serge Malik, président du marché. Et ce n’est pas Catherine Deneuve et Mireille Darc, des habituées de SaintOuen, qui vous diront le contraire. _D.R. Cinépuces, du 14 au 16 octobre au marché aux puces de Saint-Ouen. Programme complet sur w w w.st-ouen-tourisme.com
© Rue des archives
L’ŒIL DE…
Ran d’Akira Kurosawa (1985)
Françoise Huguier, photographe « J’ai beaucoup travaillé avec Serge Daney [critique aux Cahiers du cinéma, ndlr] et nous nous sommes notamment rendus au Japon alors que Kurosawa préparait Ran. Il nous a accueillis dans sa maison, au pied du mont Fuji. Un ouragan venait de dévaster son jardin et il boudait devant un tournoi de baseball universitaire à la télé. Quelle journée spéciale ! Serge a quand même pu faire son interview et moi son portrait, puis Kurosawa nous a montré les très belles aquarelles effectuées pour les costumes de Ran. Nous avons parlé de Dodes’Kaden, qui montre les restes de la guerre et les bidonvilles, et de sa tentative de suicide – le film n’ayant pas du tout marché. C’est pourtant une œuvre remarquable qui détonne dans sa filmographie. » _Propos recueillis par L.P. Françoise Huguier est commissaire de la biennale Photoquai, jusqu’au 11 novembre devant le musée du Quai Branly et dans son jardin [lire également page 6 0], w w w.photoquai.fr
www.mk2.com 105
SORTIES EN VILLE SPECTACLES
JE M’ACCUSE ! T HÉ ÂT R E
En détournant les ressorts de la rhétorique militaire, l’indispensable GWENAËL MORIN réalise un chef-d’œuvre de minimalisme avec sa mise en scène d’Introspection de Peter Handke (1966). Un jet d’acide à la première personne, qui ruine les bases du pacte social. _Par Ève Beauvallet
Peter Handke, un dramaturge autrichien pas très poli avec les mœurs de son temps ni avec les conventions théâtrales, a écrit Introspection en 1966. Dans la catégorie poésie insurrectionnelle, ce monologue – un véritable ovni pour la littérature de l’époque – a explosé les scores. Pas de fiction apparente ni de personnages, mais un matraquage de phrases courtes (des anaphores débutant par « je »), parfois venimeuses, souvent ironiques, pour présenter le bilan d’une vie d’homme « fautif ». Une sorte de perversion de l’aveu judiciaire ou du Jugement dernier, avec en arrière-plan un appel à la désobéissance civile et morale.
Ce texte athéâtral avait tout pour accoucher, quarantecinq ans plus tard, d’une mise en scène crispante aux allures de vieux tract pour Arlette Laguiller. On est donc d’autant plus choqué par la force de frappe de Gwenaël Morin, qui signe avec sa version d’Introspection une pièce quasi musicale, entre oratorio et harangue de manif. Handke avait écrit le monologue pour deux interprètes ? Morin démultiplie le principe et constitue un chœur de huit comédiens, de sexe, de look, de génération et de talent divers. Avec eux, alignés façon escadron de Full Metal Jacket en bordure de public, il éclate le texte en autant de voix pour composer canons, contrepoints et unissons millimétrés. On pense aux fantômes des dictateurs, à la rhétorique des chauffeurs de salle, à celle des G.O., des G.I., au martèlement des slogans, aux aboiements de la foule quand elle est en délire… Les comédiens n’interprètent pas, leur seule et éprouvante tâche est d’assener, dans un même souffle, une unique confession. Celle d’un citoyen vil comme un homme, fier comme un étendard qui claque au vent. ♦
© Huma Rosentalski
Introspection, texte de Peter Handke, mise en scène de Gwenaël Morin, du 6 au 20 octobre au Théâtre de la Bastille, w w w.theatre-bastille.com
© Ruth Walz
Desdemona au théâtre Nanterre-Amandiers
L’AGENDA _Par E.B.
Gaspard Proust Saillies arrogantes, coupe néo-H.E.C. : ce jeune représentant de l’humour vache propose un sketch d’anticipation historique : « L’histoire garde le sourire même dans ses répétitions les plus sordides », prévient-il. Jusqu’au 23 octobre au théâtre du Rond-Point, w w w.theatredurondpoint.fr
Roméo et Juliette Le flamboyant Olivier Py a choisi de renverser l’interprétation admise de Roméo et Juliette : les amants s’aiment précisément parce que leur amour est impossible, postule-t-il. Non pas malgré les entraves sociales mais à cause d’elles. Jusqu’au 29 octobre à l’Odéon, théâtre de l’Europe, w w w.theatre-odeon.fr
Mefausti Mathieu Amalric interprète des figures maléfiques, de Belzébuth à Méphistophélès. Un rôle sur mesure proposé par le cinéaste Damien Odoul, qui repasse au théâtre avec cette variation autour du Docteur Faustus de l’auteur élisabéthain Christopher Marlowe. Du 4 au 30 octobre au théâtre des Bouf fes du Nord, w w w.bouf fesdunord.com
Trisha Brown Figure de la post modern dance américaine, héritière libre de Merce Cunningham, la chorégraphe Trisha Brown s’est vue offrir une soirée-parcours à Chaillot. Au programme : Watermotor (1978), Opal Loop (1980) en création mondiale, et la première européenne des Yeux et l’âme. Du 5 au 14 octobre au Théâtre national de Chaillot, theatre-chaillot.fr
Desdemona Collaboration très attendue entre l’auteur afroaméricaine, prix Nobel de littérature, Toni Morrison, la chanteuse malienne Rokia Traoré et le metteur en scène américain Peter Sellars. Trois artistes majeurs unis autour d’une déclinaison contemporaine de la figure de Desdemone. Du 13 au 21 octobre au Théâtre NanterreAmandiers, w w w.nanterre-amandiers.com
Sur le concept du visage du fils de Dieu L’Italien Romeo Castellucci, qui ose souvent se passer du texte pour travailler des présences sophistiquées, est l’un des plus grands artistes de son temps. Voici l’occasion d’en prendre la mesure avec une variation ésotérique autour de la pitié filiale, de la misère de l’homme… et de l’incontinence. Du 20 au 30 octobre au Théâtre de la Ville et du 2 au 6 novembre au 104, w w w.theatredelaville-paris.com et w w w.104.fr
www.mk2.com 107
© Marc Coudrais
SORTIES EN VILLE SPECTACLES
Extasis
BONDS EN AVANT D A NSE Pudique acide et Extasis Chorégraphies : Jean-François Duroure et Mathilde Monnier, dansées par Sonia Darbois et Jonathan Pranlas Du 10 au 29 octobre au théâtre de la Cité internationale, dans le cadre du Festival d’automne, w w w.festival-automne.com
On entend souvent parler du boom de la jeune danse française des années 1980, dont ont émergé Dominique Bagouet et Angelin Preljocaj. La recréation de Pudique acide et Extasis, duos cultes signés JEAN-FRANÇOIS DUROURE et MATHILDE MONNIER, est l’occasion d’y plonger en live. Retour vers le futur. _Par Ève Beauvallet
Lorsqu’on est jeune danseur contemporain, et qu’on a l’occasion d’étudier à New York chez Merce Cunningham, l’« Einstein de la danse », on évite de sécher les cours. Pourtant, en 1984, Jean-François Duroure et Mathilde Monnier, étudiants boursiers du ministère de la Culture, ne s’en sont pas privé. Pas par snobisme ou forfanterie… C’est qu’ils étaient déjà rompus à la technique Cunningham pour avoir dansé dans la compagnie franco-américaine de Viola Farber, une de ses disciples. Il faut dire aussi que New York en 1984, ce sont les débuts de la break dance, du funk et du street art, 108
octobre 2011
l’époque Ziggy Stardust (le film) et Boy Georges ! JeanFrançois Duroure, en plus, avait déjà la tête à Wuppertal, où l’attendait Pina Bausch, antithèse esthétique de Cunningham, pour la saison 1985. Mathilde Monnier, aujourd’hui directrice du Centre chorégraphique national de Montpellier, prend alors les devants. Elle loue un studio de répétition à Paris et propose de créer un duo à leur image. Il sera fait de réminiscences chorégraphiques multiples (de la clarté géométrique façon Viola Farber à l’expressivité tellurique de François Verret), jouera sur le thème de l’androgynie, sera drôle et mixera l’ambiance des cabarets berlinois années 1930 (la musique est un opéra de Kurt Weill) au plus Gaultier des looks (des costumes à base de kilts, de houppettes et de bretelles). Ce duo, c’est Pudique acide et c’est un succès. S’en suivra en 1985, de l’autre côté de l’Atlantique, Extasis, un second volet où l’influence de Pina Bausch est cette fois prépondérante et se décline sur la musique du Psychose d’Hitchcock, signée Bernard Herrmann. Soit un condensé de cette histoire contemporaine de la danse si rarement mise à l’honneur. ♦
© Alain Monot
LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ
Sado mytho On a déjà évoqué dans ces pages les pièces chatoyantes du jeune tandem formé par Cecilia Bengolea et François Chaignaud – leur Mimosa en hommage au voguing des communautés gay et transgenres américaines, ou Pâquerette et sa danse armée de godemichés. Mais on attendait impatiemment de pouvoir louer leur Sylphides, une performance où les références mythologiques se conjuguent au SM, au body art le plus élégant et aux Spice Girls. Le protocole est aussi curieux sur le papier que fascinant sur scène : les danseurs sont mis sous vide dans des sacs en latex noir qui réduisent leur volume d’air a minima. Une façon très plastique d’évoquer ces êtres chimériques coincés entre vie et mort, réalité et fantasmes. _E.B. Sylphides de Cecilia Bengolea et François Chaignaud, du 13 au 15 octobre au Centre Pompidou, dans le cadre du Festival d’automne, www.festival-automne.com
© DR
DIRTY DANCING
À pas de Lulu On la connaît particulièrement pour son rôle dans Le Tambour de Volker Schlöndorff (1979). Les metteurs en scène internationaux, de Peter Handke à Luc Bondy, la reconnaissent pour son incomparable talent. La comédienne allemande Angela Vinkler revient sur la scène parisienne dans la peau de la Lulu de Frank Wedekind. Soit le prototype même de la femme fatale et de l’idole érotique, modèle pour peintre, prostituée dans le Londres de la fin XIXe, victime de Jack l’éventreur… Mieux vaut réserver à l’avance pour voir ce drame qui vire du glamour au trash, vu les autres jolies têtes à l’affiche : aux commandes, le mastodonte de la scène américaine Bob Wilson, et Lou Reed à la direction musicale. _E.B. Lulu de Frank Wedekind, mise en scène de Rober t Wilson, du 4 au 13 novembre au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’automne, w w w.festival-automne.com
www.mk2.com 109
© Bruno Verjus
SORTIES EN VILLE RESTOS
JEUNE POUSSE L E CHEF Le Passage, 18 passage de la Bonne-Graine, 75011 Paris. Tél. : 01 47 0 0 73 30
Dans l’un des replis du faubourg SaintAntoine, IACOPO CHOMEL œuvre au bon manger à la manière d’un artisan. De ceux dont la main façonne la réputation du faubourg et de Paris depuis des siècles. Une cuisine familière mais affutée. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)
Le pavage empressé et disjoint du passage de la BonneGraine résonne encore des talons d’Edith Piaf, qui aimait à le railler dans sa chanson J’m’en fous pas mal en 1946 : « Je suis née passage de la Bonne-Graine. J’en ai pris d’la graine, et pour longtemps. » Quelques restaurateurs de meubles et ébénistes témoignent encore, ici et là, de ce passé artisanal et populaire du XIe arrondissement. Réminiscence olfactive, le passage embaume de l’odeur vanillée et sucrée du chêne raboté. Pour combler vos papilles, tirez le numéro 18. Au Passage, Iacopo Chomel, diplômé en sciences économiques et chef autodidacte, cuisine par goût des hommes et des produits. 110
octobre 2011
« J’ai choisi ce métier pour vivre ma passion au quotidien. » Ses fournisseurs, les « voisins » du proche marché d’Aligre, le révèrent de leurs meilleurs produits. Michel Brunon, boucher au marché Beauvau, lui accorde quelques palerons rassis de sept semaines au moins ou de lactescents travers de veau. Iacopo Chomel les mêle au gingembre et leurs gras exhalent la saveur du gâteau. Sa main guide les produits vers la lumière. C’est une cuisine de l’instant, de l’essentiel. La salade de pied de porc et œufs de saumon s’affranchit de son versant canaille par l’ajout de jus frais de céleri branche et du « sel » des œufs de poissons. Alliant les textures et les horizons, ce Franco-Italien glisse par instant des accents transalpins dans ses plats. Ses gnocchis de pomme de terre, sauge et beurre s’évanouissent au palais des gourmets. Ces petits bonheurs en bouchées peuplent l’assiette ; surgit alors un sentiment de suave onctuosité et… de trop peu. Une belle aubaine, toutefois, pour ceux et celles qui guettent les cuisines de traverse. ♦
© Carine Kreb 2009
LE PALAIS DE…
Camille, musicienne « Pour moi, le restaurant de Jean-Luc Rabanel à Arles, L’Atelier, c’est le sommet. Sa cuisine est ancrée dans le terroir – il va sur le marché tous les jours, achète bio… – tout en étant très moderne. Il ose un menu essentiellement végétarien, qu’on pourrait presque qualifier de moléculaire, fourmillant d’illusions et de correspondances gustatives. Une feuille au goût d’huître, une association mâche-agneau… La viande et le poisson ne viennent qu’en accompagnement. Pour identifier chaque plat, il faut donner de sa personne, s’impliquer. C’est un marathon culinaire – entre sept et treize petits plats par repas –, qui épuise et élève à la fois, tant le corps que l’esprit. » _Propos recueillis par A.T. L’Atelier, 7 rue des Carmes, 1320 0 Arles Tél. : 04 90 91 07 69, w w w.rabanel.com Ilo Veyou de Camille (EMI, sor tie le 17 octobre) Lire également l’inter view page 68
© Zootrope Films
la Recette
La mandarine façon El Bulli Vous pouvez remiser vos deshydrateur, thermoplongeur, Thermomix, pipérine et autre mannitol. Voici l’extrapolation d’une recette plutôt simple, repérée dans le passionnant documentaire El Bulli, qui retrace le parcours sans faute du chef catalan Ferran Adrià. Commencez par peler à vif une mandarine fraîche pour en extraire les carpelles ou quartiers d’agrume. Les disposer harmonieusement dans une vaste assiette blanche et creuse. Verser de l’eau minérale fraîche pour offrir une illusion d’iceberg à ces quartiers. Ajouter deux bonnes cuillerées d’huile d’olive à la mandarine. Au moment de déguster, joindre à ce tableau lacustre quelques glaçons émiettés. Un vent frais souffle sur table. _B.V. El Bulli de Gereon Wetzel // Sor tie le 12 octobre
www.mk2.com
111
SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA
© UGC Ph
_Par D.E., C.G., J.R., D.R. et L.T.
Toast de S.J. Clarkson
05/10 DE BON MATIN
[S]EX LIST
Un matin, Paul abat deux de ses collègues de bureau. Il se souvient des petites humiliations quotidiennes qui l’ont poussé à bout… Après Violence des échanges en milieu tempéré (2003), Moutout poursuit son exploration du monde de l’entreprise.
Ally se tourne vers ses ex pour trouver un mari, grâce à la complicité d’un voisin libertin (Chris Evans, alias Captain America). Avec la queen of comedy du moment, Anna Faris, toujours parfaite en blonde ingénue.
TOAST
DREAM HOUSE
Cette comédie british sur la précocité culinaire d’un jeune garçon est l’adaptation des souvenirs de Nigel Slater, chef star de la télévision britannique, par les scénaristes de Billy Elliot.
Éditeur à succès à New York, Will Atenton quitte son emploi pour déménager avec femme et enfants en Nouvelle-Angleterre. La famille découvre alors que leur demeure a été le théâtre d’un meurtre.
ANOTHER EARTH
BEAUTY
Les vies de Rhoda, diplômée en astrophysique, et John, compositeur, se télescopent lors de la découverte d’un double de la planète Terre. Le premier film de Mike Cahill dévoile la prometteuse Brit Marling.
François mène une vie rangée auprès de sa femme et de sa fille lorsque le beau Christian, fils d’un ami, fait irruption dans sa vie. Ne sachant comment assumer l’attirance qu’il éprouve pour le jeune homme, François dérive.
UN MONSTRE À PARIS
APRÈS LE SUD
Le Paris de 1910, ses cabarets, son funiculaire tout neuf et sa puce géante nommée Francœur. Au son des mélodies de Vanessa Paradis et Mathieu Chedid, on se prend d’affection pour ce héros qui au fond n’est pas une teigne.
Un drame adapté d’un fait divers, au parti pris narratif osé : une même journée racontée tour à tour de quatre points de vue différents. On retiendra le travail sur le corps et la nudité, ainsi que la présence solaire d’Adèle Haenel.
de Jean-Marc Moutout Avec Jean-Pierre Daroussin, Valérie Dréville… Les Films du losange, France-Belgique, 1h31
de S.J. Clarkson Avec Oscar Kennedy, Victoria Hamilton… UGC, Grande-Bretagne, 1h32
de Mark Mylod Avec Anna Faris, Chris Evans… 20th Centur y Fox, États-Unis, 1h48
de Jim Sheridan Avec Daniel Craig, Naomi Wat ts… Warner, États-Unis, 1h31
12/10 de Mike Cahill Avec Brit Marling, Mat thew-Lee Erlbach… 20th Centur y Fox, États-Unis, 1h32
d’Éric Bergeron Avec les voix de Vanessa Paradis, Gad Elmaleh… EuropaCorp, France, 1h20
112
octobre 2011
d’Oliver Hermanus Avec Deon Lotz, Charlie Keegan… Équation, France-Afrique du Sud-Allemagne, 1h39
de Jean-Jacques Jauf fret Avec Adèle Haenel, Sylvie Lachat… Jour2fête, France, 1h32
ET AUSSI… 05/10 Crazy Horse de Frederick Wiseman (lire l’ar ticle p. 38) Drive de Nicolas Winding Refn (lire le dossier p. 40) Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau (lire la critique p. 114) 12/10 The Thing de Mat thijs van Heijningen Jr. (lire l’ar ticle p. 10) The Artist de Michel Hazanavicius (lire l’ar ticle p. 20) 19/10 Real Steel de Shawn Lev y (lire l’ar ticle p. 29) Metropolis de Fritz Lang (lire l’ar ticle p. 74) Polisse de Maïwenn (lire la critique p. 118) Hors Satan de Bruno Dumont (lire la critique p. 116)
© Les films du preau
26/10 Les Marches du pouvoir de George Clooney
(lire le dossier p. 40)
L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller (lire la critique p. 122) The Ballad of Genesis and Lady Jaye de Marie Losier Le Gruffalo de Jakob Schuh et Max Lang
(lire la critique p. 120)
19/10 ANOTHER SILENCE
LE GRUFFALO
Surprenant de retrouver l’excellente Marie-Josée Croze en flic canadienne lancée au fin fond de l’Argentine, à la poursuite du meurtrier de sa famille. Le film, présenté à la Mostra, arbitre le match de la vengeance et du pardon.
Une souris traquée par une bande de prédateurs invente un monstre imaginaire, le Gruffalo, censé la protéger. Prix du meilleur court métrage d’animation télévisée au Festival d’Annecy.
de Santiago Amigorena Avec Marie-Josée Croze, Ignacio Rogers… Rezo, France-Canada-Argentine-Brésil, 1h30
de Jakob Schuh et Max Lang Avec les voix de Helena Bonham Carter, James Corden… Les Films du Préau, GrandeBretagne-Allemagne, 45 min
LA MOSQUITERA
PARANORMAL ACTIVITY 3
Des grands-parents suicidaires, une mère à la limite de l’inceste, un père adultère, un fils neurasthénique et toxicomane qui adopte chiens et chats à tout-va… Mal-être et maltraitance se côtoient dans cet éprouvant portrait de famille.
Après le succès de leur Catfish, les deux réalisateurs new-yorkais se sont vus confier la réalisation du nouveau volet de la franchise lowcost. Un prequel qui revient sur une enfance tourmentée par des fantômes.
DE FORCE
CURLING
Réalisé par un ancien braqueur ayant passé plus de vingt ans en prison, un polar ambitieux au casting inattendu : Adjani, en commissaire aculée par un fils délinquant, face à Cantona, voyou extrait de prison par l’État pour infiltrer un gang.
Après Carcasses, le nouveau film du Québécois Denis Côté s’attache au quotidien de Jean-François et sa fille Julyvonne, qui vivent isolés du monde. Un portrait de famille étrange, entre humour noir et échappées fantastiques.
POULET AUX PRUNES
LA COULEUR DES SENTIMENTS
Le duo Satrapi-Paronnaud passe à la prise de vue réelle après les envolées épiques de Persepolis. Mathieu Amalric, en violoniste iranien suicidaire, y attend la mort, incarnée par Édouard Baer, encapuchonné et maléfique.
The Help en V.O., soit « les domestiques », porte à l’écran un best-seller américain dans lequel Skeeter, une jeune écrivain délurée, interviewe les bonnes noires de sa ville du Mississippi pendant la ségrégation, sur fond de lutte pour les droits civiques.
de Agustí Vila Avec Emma Suárez, Géraldine Chaplin… Bodega, Espagne, 1h35
d’Henr y Joost et Ariel Schulman Avec Katie Featherston, Micah Sloat… Paramount, États-Unis, durée n.c.
26/10 de Frank Henr y Avec Isabelle Adjani, Éric Cantona… Rezo, France-Luxembourg, 1h36
de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud Avec Mathieu Amalric, Édouard Baer… Le Pacte, France, 1h33
de Denis Côté Avec Emmanuel Bilodeau, Philomène Bilodeau… Capricci, Canada, 1h32
de Tate Taylor Avec Jessica Chastain, Viola Davis… Walt Disney, États-Unis, 2h26
www.mk2.com
113
© Carlotta
26/10
19/10
12/10
05/10
SORTIES EN SALLES CINÉMA
LES DÉSAXÉS LE SAUVAGE
d e J e a n - Pa u l R a p p e n e a u Ave c : Yve s M o n t a n d , Ca t h e r i n e D e n e u ve… D i s t r i b u t i o n : Ca r l ot t a Fi l m s D u r é e : 1h 4 3 Re s o r t i e : 5 o c to b r e
Présenté dans sa version restaurée à Cannes Classics en mai dernier, Le Sauvage ressort en salles. Dans cette comédie sous les tropiques, JEAN-PAUL RAPPENEAU réunissait en 1975 deux bourlingueurs chamailleurs : Yves Montand et Catherine Deneuve. _Par Laura Tuillier
Dans une autre vie, Martin était un parfumeur de renom. Un Français immigré à New York, adulé d’une jolie femme d’affaires et plein aux as. S’en suivent Mai 68, les hippies, et le voilà qui plaque tout pour s’installer sur une île déserte au large de Caracas. Là, agriculteur bio avant l’heure, il fait pousser ses tomates
et mène une vie paisible de vieux célibataire écolo. Jusqu’à ce que, de passage en ville, il tombe sur Nelly, une fille en cavale aussi flamboyante que fatigante, qui menace tout d’un coup sa tranquillité insulaire. Martin est un inadapté qui tente de mettre l’océan entre la société et lui. Nelly est de celles qui s’adaptent à toutes les circonstances et se dit prête, dans un mélange de naïveté et de mauvaise foi, à rester vivre avec lui alors qu’elle ne fait que fuir un futur mari encombrant. Le potentiel comique de Catherine Deneuve, trentenaire solaire et épanouie, explose dans Le Sauvage. Débit accéléré, corps toujours en mouvement, bataille incessante et optimiste contre les éléments, elle est le contrepoint parfait à un Montand bourru, désarçonné par cette tornade désinvolte. Dépaysant et utopique, grand succès en salles en 1975, le film de Jean-Paul Rappeneau, dépaysant et utopique, offre la possibilité d’une île aux amoureux, finalement réunis. ♦
3 questions à
Jean-Paul Rappeneau Comment avez-vous restauré Le Sauvage ? C’est Pierre Lhomme, le chef opérateur de l’époque, qui a supervisé la restauration. C’était une chance, parce qu’il connaissait très bien le film. Moi, j’en ai profité pour refaire un peu de montage. J’ai notamment coupé une scène de course-poursuite dans Caracas, dont j’étais fier techniquement mais qui était bien trop longue. Dans un rôle d’aventurière, Catherine Deneuve est très drôle, moins lisse qu’à ses débuts… Catherine Deneuve, à cet âge, a vraiment éclaté. Sa beauté et son caractère se sont affirmés. J’aime beaucoup son énergie dans le film, elle me rappelle les héroïnes de comédies américaines, comme Rosalind Russell ou Katharine Hepburn. À partir de quoi avez-vous construit le personnage d’Yves Montand ? J’ai moi-même un côté farouche. Lorsque je ne tourne pas, je me retire dans ma maison de Bretagne, c’est là-bas que je travaille, assez isolé du reste du monde. L’idée du film m’est apparue clairement lorsque j’ai découvert une petite île déserte au large de São Paulo…
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le couple formé par Yves Montand et Catherine Deneuve, duo désynchronisé, impatient et comique.
114
octobre 2011
2… Pour la bande originale virevoltante de Michel Legrand, tout à sa joie de retrouver l’actrice fétiche de Jacques Demy : Catherine Deneuve.
3… Pour le mélange des genres qui rythme le troisième film de Jean-Paul Rappeneau, entre aventures, policier et romance.
www.mk2.com
115
© Pyramide Distribution
26/10
19/10
12/10
05/10
SORTIES EN SALLES CINÉMA
DUMONT ET MERVEILLES Deux ans après Hadewijch, BRUNO DUMONT revient filmer dans sa région, le nord de la France. Il signe avec Hors Satan, primé à Cannes, un conte pour adulte primitif et magique. Peutêtre bien son chef-d’œuvre. _Par Donald James
Présenté dans la sélection Un certain regard à Cannes cette année, Hors Satan y a reçu une multitude de prix, notamment celui de la mise en scène. Mais dire de Bruno Dumont qu’il est un grand metteur en scène relève de l’euphémisme. Avec lui, nous sommes face à un cinéma de l’insaisissable, où le particulier et le banal se marient silencieusement
au tragique épileptique et mystique. Après avoir vu Hors Satan – une œuvre ouverte, un palimpseste fantastique à l’animalité explosive –, nous ne pouvons être certains que d’une seule chose : ce film exceptionnel et privé de musique ne devrait pas trouver sa place sur le petit écran tant l’exigence cinématographique y est tranchée. Courez donc le voir avant qu’il ne disparaisse des salles. Gageons que dans quelques années on parlera de la direction d’acteur de Dumont comme aujourd’hui on évoque la méthode de Stanislavski ou plus discrètement celle de Bresson. Dumont a l’art de choisir ses acteurs et, même si ces derniers sont de parfaits inconnus, ils « jouent » mille fois mieux que certaines grandes stars. Chez lui, plus magicien que technicien (trois valeurs de plans et cinq fondus au noir, voilà pour tout le film), pas de cabotinage ni de maquillage, le corps suffit.
Il en dit plus long qu’un prénom ou qu’un discours. Avec ces moyens réduits, Hors Satan raconte l’histoire d’une paysanne et d’un SDF. Peut-être figurent-ils une bergère et un prince, le Christ et la Vierge, Adam et Ève… Lui est blond, il a les yeux profonds et la démarche lourde, chtonienne ; elle est brune, a un visage d’ange diaphane et une peau de porcelaine percée et tatouée. Quelques minutes suffisent à Bruno Dumont pour rappeler combien le cinéma est le lieu de la révélation. De quoi ? Des mains (qui touchent, caressent, tirent, donnent), des yeux qui embrassent et des paysages qui colorent nos âmes. ♦
© Pyramide Distribution
Hors Satan
de Bruno Dumont Ave c : D av i d D ewa e l e, A l ex a n d r a L e m a t r e… D i s t r i b u t i o n : P y r a m i d e D u r é e : 1h 5 0 S o r t i e : 19 o c to b r e
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour vivre des sensations fortes et mystérieuses, que seuls les grands cinéastes peuvent nous offrir.
116
octobre 2011
2… Pour la force physique et mystique des deux acteurs, David Dewaele (le gars) et Alexandra Lematre (la fille).
3… Pour la beauté des paysages de la Côte d’Opale, filmés comme l’Arizona des grands westerns américains.
www.mk2.com
117
©
26/10
19/10
12/10
05/10
SORTIES EN SALLES CINÉMA
MAUX CROISÉS POLISSE
d e M a ï we n n Ave c : K a r i n V i a r d , M a r i n a Foï s… D i s t r i b u t i o n : M a r s D u r é e : 2 h 07 S o r t i e : 19 o c to b r e
MAÏWENN radiographie le quotidien d’une brigade de protection des mineurs. Bavard et mordant, le film, Prix du jury à Cannes, met en exergue la fragilité de l’enfance pour mieux dire l’histoire douce-amère des violences ordinaires. _Par Juliette Reitzer
Polisse s’ouvre sur le témoignage d’une fillette, interrogée par un policier au sujet de son grand-père, suspecté de pédophilie. Les mots sont crus, précis. Ils le seront pendant tout le film, illustrant la violence à laquelle sont confrontés quotidiennement la dizaine de lieutenants d’une brigade parisienne : maltraitances, agressions sexuelles, incestes ou vols commis
sur ou par des mineurs. La violence est verbalisée, parfois hurlée, le langage sans cesse questionné : on se coupe la parole, on s’engueule, on argumente, on se justifie. Habile mélange d’improvisation et de dialogues scénarisés, les scènes d’interrogatoire qui scandent le film questionnent le rapport à l’autre et la difficulté de communiquer, comme nous le confirme la réalisatrice : « C’est un thème récurrent dans mes films, où se place la vérité ? Qu’est-ce qui est bon à dire ? » Puis survient le coup de grâce. D’abord imperceptible dans ce brouhaha de voix, d’ego et d’émotions, perce le murmure d’une histoire d’amour naissante entre un flic (Didier Morville alias Joey Starr, impressionnant) et une photographe venue faire un reportage sur la brigade, interprétée par Maïwenn. Contrepoint à la confusion des enquêtes criminelles, l’évidence de la rencontre amoureuse se passe de longs discours. ♦
3 questions à
Maïwenn La police est le sujet phare des séries françaises. Avez-vous cherché à en prendre le contre-pied ? Les séries télé me gonflent vite. Par contre, j’ai vu beaucoup de films de cinéma sur la police. Celui qui m’a le plus aidée, c’est le documentaire Commissariat d’Ilan Klipper et Virgil Vernier, que j’ai montré aux comédiens. Après Pardonnez-moi et Le Bal des actrices, vous semblez avec Polisse faire un pas supplémentaire vers la fiction pure… Polisse est très personnel, autant que mes autres films. Le déguisement est plus épais, c’est tout. Très vite, j’ai su que moi et Joey Starr allions jouer dedans et qu’on allait avoir une histoire d’amour. Pendant le tournage, Joey m’a surprise dans tous les sens du terme. Avec lui, vous ne savez jamais sur quel pied danser. Comment avez-vous travaillé avec les enfants ? On ne peut pas se permettre de rester dans le flou avec un sujet pareil, on a les parents à gérer, la Ddass est sur le tournage pour contrôler. Je parlais de la même manière aux adultes et aux enfants.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le bal d’acteurs que réunit le film : Karin Viard, Joey Starr, Marine Foïs, Nicolas Duvauchelle, Emmanuelle Bercot, Frédéric Pierrot…
118
octobre 2011
2… Pour l’énergie de la scène dans laquelle Joey Starr console un petit garçon en larmes, arraché des bras de sa mère.
3… Pour le réalisme que Maïwenn parvient à imposer, notamment grace à une caméra à l’épaule et des focales courtes.
www.mk2.com
119
© Epicentre Films
26/10
19/10
12/10
05/10
SORTIES EN SALLES CINÉMA
Genesis P-Orridge
AMOUR FUSIONNEL The Ballad of Genesis and lady jaye de Marie Losier Documentaire D i s t r i b u t i o n : É p i c e n t r e Fi l m s D u r é e : 1h15 S o r t i e : 2 6 o c to b r e
Pendant six ans, MARIE LOSIER a vécu auprès des deux artistes performers Genesis P-Orridge et Lady Jaye. La réalisatrice francoaméricaine en a tiré un documentaire qui parle de rock, de métamorphose physique, d’amour fou et de William Burroughs. _Par Donald James
The Ballad of Genesis and Lady Jaye est un documentaire tendre et pour le moins surprenant, qui filme sur plusieurs années les métamorphoses de deux figures marquantes de la scène artistique underground britannique. Genesis P-Orridge, artiste vidéaste devenu femme, performer pornographe, cofondatrice des groupes
industriels Throbbing Gristle et Psychic TV dans les années 1980, et sa muse Lady Jaye. Au-delà des portraits, ce qui compte avant tout pour Marie Losier, c’est de documenter leur amour fou et immense, une relation fusionnelle extrême et étrange. Durant une décennie, les deux Anglaises ont fait rimer scalpel et sexuel, repoussant les limites du corps et de sa représentation sociale en tentant de devenir le miroir l’un(e) de l’autre. Figures de proue de la « pandrogynie », amantes et quasijumelles, elles ont chirurgicalement manipulé leurs chairs et joué avec leur identité pour réinventer l’amour. Homme ? Femme ? Pour ceux qui aiment brouiller les cartes, la notion de genre est un terreau ludique, parfois brûlant et dangereux, comme le rappelait récemment l’exposition consacrée à la photographe Claude Cahun au musée du Jeu de paume. Et comme l’illustre encore aujourd’hui le rayonnant premier long métrage de la jeune Marie Losier. ♦
3 questions à
Marie Losier Comment avez-vous rencontré Genesis P-Orridge ? En lui marchant sur le pied ! Un soir, j’assistais à un concert et il y avait en troisième partie Thee Majesty – que je ne connaissais pas à l’époque – avec sur scène Genesis et Lady Jaye à la basse. Genesis récitait de la poésie. Sa voix m’a complètement happée. C’était quelqu’un d’émouvant, de beau, mais d’un peu repoussant aussi… Le lendemain, au vernissage d’une exposition, j’ai marché sur le pied de quelqu’un en entrant, c’était Genesis qui souriait de toutes ses grandes dents en or ! Faire ce film a-t-il été difficile ? Filmer seule pendant six ans avec ma Bolex, sans équipe et sans argent, a bien sûr été assez compliqué. Cela m’a également permis d’être libre et inventive. Quel regard portez-vous sur Genesis et Lady Jaye ? Ce sont des personnages intenses et riches. Ils vivaient dans un univers totalement nouveau pour moi et pourtant assez proche – excentrique, fou, plein d’émotions et de fragilité. Je suis devenue très proche de leur couple, c’est le plus beau cadeau que m’a fait ce film.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour découvrir un « film de genres » hors norme, qui documente l’amour fou de deux personnages uniques.
120
octobre 2011
2… Pour le portrait en filigrane de Genesis P-Orridge, artiste polémique et figure de la scène underground européenne depuis trois décennies.
3… Pour le regard intelligent et affectueux d’une jeune réalisatrice prometteuse, qui ne juge jamais.
www.mk2.com 121
© Diaphana Distribution
26/10
19/10
12/10
05/10
SORTIES EN SALLES CINÉMA
Exorcisme de style l’exercice de l’état de Pierre Schoeller Avec : Olivier Gourmet, Michel Blanc… Distribution : Diaphana Durée : 1h52 Sor tie : 26 octobre
Plongée viscérale dans le quotidien d’un ministre des Transports, entrechoquant les genres, les vitesses et les humeurs, L’Exercice de l’État de PIERRE SCHOELLER conjure avec maestria le fléau qui affligeait le cinéma politique français. _Par Auréliano Tonet
Entourée d’individus masqués, agençant à la hâte un bureau ministériel, une femme nue s’engouffre dans la gueule d’un crocodile impassible. Clin d’œil à vieux ballet de Pina Bausch, la scène figure un songe du ministre des Transports, Bertrand Saint-Jean (Olivier Gourmet), bientôt réveillé, le visage défait et le sexe
en érection, par un appel en urgence. D’un symbolisme saisissant, cette séquence d’ouverture donne le la de L’Exercice de l’État : à la différence du commun des fictions sur le sujet,
« C’est l’épopée d’un homme qui doit rentrer chez lui et qui n’y arrive pas. » la plongée dans les entrailles du pouvoir sera, cette fois, hautement cinégénique. « La politique est un milieu phagocyté par la télévision, explique Pierre Schoeller. Or le pouvoir, comme le cinéma, est affaire de mise en scène, d’incarnation, de rituels. J’ai trouvé là, en tant que cinéaste, un beau défi à relever. » Du cinéma, le film en exsude à torrents : road movie, thriller, vaudeville, western, péplum, épouvante, L’Exercice de l’État est tout cela à
la fois, sans jamais sombrer dans l’exercice de style vain et impersonnel. Road movie ? Le récit est scandé par deux accidents : celui, au début du film, d’un car scolaire sur une route enneigée, contraignant le ministre à se rendre sur place ; et celui, plus tard, de SaintJean et de son chauffeur sur une autoroute déserte. Entre ces deux dérapages, nous cheminons avec le héros et ses compagnons de route – les membres de son cabinet – au gré de leur odyssée étatique, jalonnée d’étapes plus ou moins douloureuses (interventions médiatiques, projet controversé de privatisation des gares, remaniement ministériel…). « C’est l’épopée d’un homme qui doit rentrer chez lui et qui n’y arrive pas », prévient le cinéaste. Jeu expressionniste des comédiens, lumière tranchée, montage au couteau, embardées techno de la B.O., la mise en scène vise avant tout à insuffler du mouvement, de la vitesse. Le road movie glisse alors
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la musique originale de Philippe Schoeller, frère du réalisateur, dont l’inquiétante étrangeté colore le film d’une teinte onirique et irréelle.
122
octobre 2011
2… Pour la générosité du jeu des comédiens, raccord avec la mise en scène haletante, physique et incarnée de Pierre Schoeller.
3… Pour la finesse du scénario, tout en échos, détails et contrepoints, éludant l’idéologie droite-gauche pour mieux sonder la fabrique du pouvoir.
« Je ne voulais pas que le spectateur juge le pouvoir, mais qu’il le ressente, dans sa force, ses humeurs, ses démons. » entre État et capital, valeurs collectives et intérêts privés, chaque personnage basculant du statut de justicier à celui de mercenaire. Car ce sont d’abord des animaux politiques que filme Schoeller. Tel un fauve dans l’arène, Gourmet saigne, pleure, bande, éructe, défèque, dégueule. Sous la carapace du costard-cravate, l’État n’est pas un monstre froid, mais un « tigre affamé qui avance dans la nuit », comme le murmure le ministre, avant d’ajouter, un peu plus tard : « La politique est une meurtrissure permanente. » À mesure que les têtes tombent, le péplum se fait horrifique : « Je ne voulais pas que le spectateur juge le pouvoir, mais qu’il le ressente, dans sa force, ses humeurs, ses démons. Saint-Jean est possédé. » L’Exercice de l’État conte un double exorcisme : celui d’un ministre qui sauve sa peau en s’offrant tout entier aux crocs de la bête étatique, et celui du cinéma français qui, en se risquant enfin à filmer les viscères du pouvoir, tient là sa première grande fiction politique. ♦
3 questions à
Pierre Schoeller Quelle est la genèse de votre troisième long métrage, L’Exercice de l’État ? J’en ai eu l’idée il y a sept ou huit ans. Le film était difficile à développer, j’ai donc réalisé Versailles, mon deuxième long, puis j’ai repris L’Exercice de l’état. Versailles était un mélodrame lent et nocturne, doté de peu de personnages ; L’Exercice… est un thriller choral, rapide et lumineux. Malgré ces oppositions, tous deux auscultent le monde du travail avec le souci d’être crédible, sinon réaliste. Quant à mon prochain film, il traitera de la Révolution française. Vous êtes-vous beaucoup documenté ? J’ai lu beaucoup d’articles, des récits de pompiers, le rapport Keller sur les gares… J’ai également mené quelques entretiens, dont celui du directeur de cabinet de Jean-Claude Gayssot, ministre des Transports sous Jospin. Il m’a éclairé sur les usages et les coutumes des hauts fonctionnaires : intonations, tournures de phrases… Pourquoi réaliser un film politique ? J’avais envie de faire un film d’action. Or, la politique, c’est le pouvoir d’agir sur les choses.
© Diaphana Distribution
vers le thriller : « Je suis frappé par l’immobilité de l’État, ses structures, ses traditions, tout ce qui préexiste au jeu politique, et lui survivra. J’avais envie de confronter ce conservatisme à l’urgence d’un ministre placé sur un siège éjectable. » Incarnation de cette stabilité séculaire, le directeur de cabinet, campé par Michel Blanc, en freinant les velléités opportunistes de son ministre, aiguise la tension du film, étouffante et acérée. Certes, en bon garant du suspense, Schoeller varie les rythmes et les registres, ménageant quelques beaux moments de comédie (« J’ai pensé à Feydeau pour ses acrobaties verbales, l’agilité de ses récits »), mais le vaudeville ne vire jamais à la farce verbeuse façon La Conquête. Au contraire, dès qu’elle s’emballe, la verve paniquée du ministre se heurte au mutisme de son chauffeur, Kuypers, masse digne et fière comme un Sioux en territoire ennemi. À l’aune de leur relation déséquilibrée, ce film d’hommes prend des atours de western, jonché de duels fratricides
www.mk2.com 123
COURT MÉTRAGE
Lise Bellynck dans Douce de Sébastien Bailly
BEAUTÉ CLINIQUE Fondateur des Rencontres européennes du moyen métrage de Brive, SÉBASTIEN BAILLY réalise Douce, son quatrième court métrage, qui suit une aide-soignante éprise d’un patient plongé dans le coma. Évoquant tour à tour Parle avec elle, Choses secrètes et Johnny s’en va-t-en guerre, le film sera montré le 11 octobre au MK2 Quai de Seine. _Par David Elbaz
Douce : ainsi s’appelle l’héroïne du film – auquel elle donne son nom. Jeune aide-soignante à la candeur sourde, elle fait ses premiers pas dans un service hospitalier réservé aux patients prisonniers d’un coma profond. Si pour rendre le quotidien supportable, certains se blindent ou rient de leurs locataires végétatifs, la discrète Douce est bouleversée, jusque dans sa chair, par un nouvel arrivant dont elle dérobe le livre de chevet, un recueil de poésie érotique qu’elle apprend par cœur. Ce qui caractérise la mise en scène de Sébastien Bailly, c’est un souci permanent du détail, de la forme des cols de blouses aux couleurs des tasses, jusqu’à l’attention portée aux sons. « La musique est d’abord celles des respirations interpolées, du contact des peaux, du frottement des draps », explique le cinéaste né à Brive-la-Gaillarde. Diffus ou différé, tout dans son film est vecteur de sens. Lisa Bellynck (Douce) et Sabrina Seyvecou, ses deux comédiennes, ont été découvertes chez Jean-Claude Brisseau,
124
octobre 2011
un réalisateur qu’il admire particulièrement – « Passée sa réputation compliquée, je pense que ses films seront des classiques. Pour moi, ils le sont déjà », confie-t-il. À plusieurs titres, Bailly manipule le paradoxe : corps réinvesti d’érotisme dans un milieu qui tend à le désexualiser, relation amoureuse mais littéralement unilatérale. Comme le format fantôme qu’il défend – officiellement, il n’existe que le court et le long, le moyen métrage n’étant pas une durée reconnue –, Sébastien Bailly évolue, à la limite du fantastique, sur un câble tendu entre les contraires, où chuter serait basculer dans le glauque. Si Douce perd l’équilibre, bousculée par un réel implacable, le cinéaste, avec une bienveillance douce-amère, ne lâche jamais la main de sa protégée. ♦ Douce de Sébastien Bailly le 11 octobre à 20h30 au MK2 QUAI DE SEINE dans le cadre de la soirée Bref
© Red Star Cinéma
LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES
©
DÉDICACE
Amélie Nothomb
Depuis 1992 et son Hygiène de l’assassin, la romancière a démontré, au rythme d’un roman (ou pièce de théâtre) par an, une fécondité impressionnante. La cuvée 2011 ne contredit pas cette cadence parfaite. Tuer le père raconte l’histoire de Joe, un jeune garçon passionné de magie. En quête d’un mentor, il trouve le dénommé Norman. Mais rapidement, l’adolescent cherche à surclasser ce père de substitution dans différents domaines, jusqu’à tenter de séduire sa femme… À l’occasion de la sortie du livre, Amélie Nothomb viendra à la rencontre de ses lecteurs samedi 22 octobre à 16h30, pour une séance de dédicace exceptionnelle au Store du MK2 Bibliothèque. _D.E. Le 22 octobre au MK2 BIBLIOTHÈQUE Tuer le père d’Amélie Nothomb (roman, Albin Michel)
nouveauté
Cinq labels MK2 Un peu perdu à l’entrée du cinéma au moment de choisir votre film ? Désormais, MK2 vous guide et vous propose de partager ses coups de cœur via cinq labels distincts. La sélection « Trois Couleurs » vous permet de ne pas rater les œuvres qui ont marqué notre rédaction. Avec les labels « On a vu, on a aimé » et « On a vu, on a aimé 3D », MK2 vous oriente vers des longs métrages pointus et exigeants tels Pianomania de Robert Cibis et Lilian Franck ou Pina 3D de Wim Wenders. « MK2 junior » vous conseille des films pour enfants ludiques et inventifs, à l’image de Là-haut, quand « Rire autrement » sélectionne les comédies qui renouvellent le genre, à la Juno. Vous n’irez plus au cinéma à l’aveuglette. _D.R.
www.mk2.com 125
festival
Ludivine Sagnier sera la maîtresse de cérémonie d’un soir
Il était une fée
Visant à initier les petits au cinéma, Mon premier festival est placé cette année sous la bonne étoile de la fée Ludivine Sagnier. Du bout de sa baguette, la marraine de cette septième édition nous dévoile un hommage à Gene Kelly et une ribambelle de films sur le thème « Que le spectacle commence ». _Par Laura Tuillier
« Je serai là pour présenter, entre autres, Peter Pan de P.J Hogan, dans lequel je joue la fée Clochette », s’amuse Ludivine Sagnier, qui officiera comme maîtresse de cérémonie de la septième édition de Mon premier festival. Entre deux tournages et des projets de théâtre, l’actrice récemment vue dans Les Bien-aimés de Christophe Honoré, en profitera pour peaufiner l’éducation cinéphile de ses deux filles. « Petite, mes parents m’ont montré quelques films très marquants, je me souviens notamment de La Vie est belle de Frank Capra et des Trenteneuf marches d’Alfred Hitchcock. J’essaye d’avoir la même exigence avec mes filles, de toujours choisir ce qu’elles vont regarder. » L’édition 2011 du festival permettra aux marmots d’esquisser quelques pas de deux avec le chorégraphe, acteur, réalisateur et danseur américain Gene Kelly – de Chantons sous la pluie aux Demoiselles de Rochefort –,
126
octobre 2011
et d’entrer dans la danse des plus beaux films mettant en scène le monde du spectacle : Yoyo de Pierre Étaix, Billy Elliot de Stephen Daldry, le doc swinguant Benda Bilili ! et beaucoup d’autres. Quant à Ludivine Sagnier, elle avoue un faible pour Le Magicien d’Oz dans sa version de 1939 : « Son côté désuet me plaît, surtout à l’heure de la 3D et des effets spéciaux à outrance. » À ses côtés, le réalisateur de films d’animation Jean-François Laguionie viendra présenter en avant-première son dernier long métrage, Le Tableau. Des ciné-concerts (Le Voyage dans la lune de Georges Méliès), des séances spécialement conçues pour les bébés, une fenêtre sur le cinéma nordique : pour les petits Parisiens, les vacances de la Toussaint s’annoncent remplies d’enchanteurs rebondissements. Mon premier festival du 26 octobre au 1er novembre au MK2 Quai de Seine et dans dix autres salles à Paris, 4 € la séance, programme complet sur www.monpremierfestival.org
© Cedric Mirande
LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES
L’AGENDA _Par J.R.
Du 22 septembre au 31 octobre
Cycle « Portraits de famille » QUAI DE LOIRE
Projection en matinée de Crazy de Jean-Marc Vallée, Chat noir chat blanc d’Emir Kusturica, À bord du Darjeeling Limited de Wes Anderson et Little Miss Sunshine de Jonathan Dayton. Le 5 octobre à 10h30
Lecture pour les 3-5 ans QUAI DE LOIRE
Lecture des albums de l’illustratrice Aude Picault (Le Croccovoleur de doudous, Trop loin et L’Ours et la Souris, parus aux éditons Kaléidoscope). À partir du 5 octobre
Cycle « God Save l’humour british » HAUTEFEUILLE
Projection en matinée de The Full Monty, La Vie de Brian, Sacré Graal, La Première Folie des Monty Python, Quatre mariages et un enterrement, Un poisson nommé Wanda. Le 11 octobre à 20h30
Soirée Bref « Folies douces » QUAI DE SEINE
Projection des courts métrages Douce de Sébastien Bailly [lire page précédente], Anne et les tremblements de Sólveig Anspach, Coloscopia de Benoît Forgeard, Bisclavret d’Emilie Mercier, Les Secrets de l’invisible d’Antonin Peretjatko. Tarif : 7, 70 €, www.brefmagazine.com Du 12 au 19 octobre
Bandes-annonces acoustiques TOUTES LES SALLES
Miniconcert de la chanteuse folk Claire Denamur avant les projections de The Artist. Les 22 et 23 octobre à 11h
Cycle « Arménie, Arménies » HAUTEFEUILLE
Projection des Chevaux de feu de Sergueï Paradjanov, Ararat d’Atom Egoyan, Le Voyage en Arménie de Robert Guédiguian, Sayat Nova, couleur de la grenade de Sergueï Paradjanov, en partenariat avec le Centre national du livre. Le 24 octobre à 20h30
Rendez-vous des docs QUAI DE LOIRE
Projection de CinéPsy de Sonia Medina et Les Messieurs de Patrick Chiha, en présence de Roger Dadoun, philosophe et psychanalyste. Le 13 octobre à 19h30 et 20h15
Soirée « Zéro de conduite » QUAI DE LOIRE
Balade-lecture sur le bassin de la Villette, suivie d’une rencontre à la librairie, autour de L’Archipel des hérétiques de Mike Dash, Les Naufragés du “Batavia” et La Mer dans la littérature française : de François Rabelais à Pierre Loti de Simon Leys. Sur inscription au 01 44 52 50 70.w
www.mk2.com 127
© Wild Bunch
LOVE SEATS
La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli
GUERRE OUVERTE C’est beau les histoires d’amour au cinéma. N’empêche, ça reste aussi le moyen le plus vicieux pour tester la température de son couple. Jessica L., spectatrice un brin jalouse, témoigne. _Propos recueillis par Bethsabée Krivoshey
« La Guerre est déclarée, MK2 Quai de Loire, Paris 20h10. On est un couple qui se veut singulier, mais évidemment, comme tout le monde, on file voir le film qui a charmé Cannes et nous représente désormais aux Oscars. Au début, on moque un peu la furieuse manie qu’elle a de ne pas lâcher son ex, Jérémie Elkaïm, la Donzelli, à croire qu’elle se donne les rôles simplement pour avoir le plaisir de continuer à le tripoter encore un chouïa… Lovés dans nos sièges rouges, on la plaint, on attend de voir son film construit à partir de son expérience. Et surtout de ses névroses. La première scène sonne faux, nos soupirs communs trahissent ce qu’on en pense : c’est absurde,
128
octobre 2011
cette cacahouète que Roméo lance à Juliette. Ça commence mal. Sauf qu’en deux minutes, Donzelli nous emporte loin avec eux. Ensemble, ils courent partout et dansent dans la ville, s’embrassent pendant des heures sur les bancs, et ratent leur bus tant ils ne voient qu’eux. Leur couple vibre, ils s’aiment. Et nous ? On est carrément mal à l’aise, parce qu’on est jeunes, beaux, brillants, et pourtant on n’a jamais laissé passer un bus ou un métro parce qu’on se roulait des pelles folles. Sans le vouloir, le film nous retourne la question : et si nous, on était un couple pourri ? OK, c’est du cinéma, mais quand même. Pourquoi ne s’est-on jamais assis pour ne rien faire d’autre que s’aimer ? Bonne question. Pas découragée, j’essaie alors de l’embrasser… Baiser à peine retourné : il est trop occupé à mater la guerre qu’elle m’a déclarée. » ♦ Envoyez-nous vos histoires de coups de foudre en salles obscures à troiscouleurs@mk2.com, nous publierons les plus enlevées.
la chronique de dupuy & berberian
www.mk2.com 129
Chers lecteurs de Trois Couleurs, cette page est la vôtre. Avez-vous déjà rencontré au cours de votre vie une personne pour qui vous éprouvez ce qu’on pourrait appeler de la haine ? Avez-vous déjà plus ou moins désiré sa mort ? Pouvezvous décrire cette personne physiquement ? Si tel est le cas, envoyez un e-mail à unaccidentsvp@gmail.com en joignant le maximum d’informations en votre possession. Les dessinateurs Ruppert et Mulot, tout en préservant votre anonymat, tâcheront de faire qu’un accident soit vite arrivé. 130
octobre 2011
www.mk2.com
131
132
octobre 2011