Trois Couleurs #98 – Février 2012

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cinéma culture techno I février 2012 n°98 by

Spécial femmes scénaristes

Et aussi...

Steven Spielberg • Juliette Binoche • PlayStation Vita • Charlie Chaplin • Bonnie ‘Prince’ Billy • JC et l’essor des « documenteurs » • Tim Burton • Guy Maddin • Dominique Issermann • Lambchop

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SOMMAIRE Éditeur MK2 Multimédia 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Directrices artistiques Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Secrétaire de rédaction Solène L’Hénoret Iconographe Juliette Reitzer Stagiaires Quentin Grosset, Isaure Pisani-Ferry Ont collaboré à ce numéro Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Julien Dupuy, David Elbaz, Claude Garcia, Donald James, Anne de Malleray, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Pamela Pianezza, Jérôme Provençal, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Yal Sadat, Louis Séguin, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente Illustrateurs Dupuy & Berberian, Stéphane Manel, Charlie Poppins, David Vicente Illustration de couverture David Vicente Publicité Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Directrice de clientèle hors captifs Laura Jais 01 44 67 30 04 (laura.jais@mk2.com)

© 2011 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

février 2012

7 … ÉDITO 8 … PREVIEW > John Carter

11 LES NEWS 11 … CLOSE-UP > Vincent Rottiers 12 … BE KIND, REWIND > Tucker & Dale fightent le mal 14 … EN TOURNAGE > Frankenweenie 16 … TENDANCE > Colères sur grand écran 18 … COURTS MÉTRAGES > Festival Nikon 20 … MOTS CROISÉS > Guy Maddin 22 … SÉRIES > Homeland 24 … ŒIL POUR ŒIL > La Taupe vs. L’Étau 26 … FAIRE-PART > Les 40 ans de Maus 28 … PÔLE EMPLOI > Bobby Lovgren 30 … ÉTUDE DE CAS > Bovines 32 … TOUT-TERRAIN > Soko, Stephen Daldry 34 … AUDI TALENTS AWARDS > Pascal Lengagne 36 … REPORTAGE > Sur les lieux du tournage de Félins 40 … SEX TAPE > Go Go Tales

42 DOSSIERS 42 … FEMMES SCÉNARISTES > Les « fempire » à l’assaut d’Hollywood ; portrait de Diablo Cody, scénariste de Young Adult 50 … JULIETTE BINOCHE > Interview autour de La Vie d’une autre et Elles ; reportage sur le tournage d’Un singe sur l’épaule 54 … STEVEN SPIELBERG > Portrait à l’occasion de Cheval de guerre 58 … TIM BURTON > Portfolio des dessins exposés à la Cinémathèque 62 … DOCUMENTEURS > De Orson Welles à JC comme Jésus Christ, retour sur près d’un siècle de « mockumentaries » 66 … CHARLIE CHAPLIN > Exposition, dessin animé, reprises : le retour de Charlot sur les feux de la rampe 70 … WILL OLDHAM & KURT WAGNER > Portrait de deux voix phares de la country alternative

75 LE STORE 75 … OUVERTURE > Le video memo 76 … EN VITRINE > La PlayStation Vita 80 … RUSH HOUR > MM – Personal, Un amour de jeunesse, Lomokino 82 … KIDS > Zarafa 84 … VINTAGE > Talk Radio 86 … DVD-THÈQUE > Nicolas Winding Refn 88 … CD-THÈQUE > Mickey Moonlight 90 … BIBLIOTHÈQUE > Michael Cunningham 92 … BD-THÈQUE > Quai d’Orsay – Chroniques diplomatiques, tome 2

95 LE GUIDE 96 … SORTIES EN VILLE > Festival Fireworks !, Django Django, Dominique Issermann à la MEP, Au loin une île à la Fondation Ricard, Suresnes cités danse, Gaspard Proust, Nicolas Gaudoin 110 … SORTIES CINÉ > Hanezu, l’esprit des montagnes, Tatsumi,  Un monde sans femmes, Amador, Bullhead, Oslo, 31 août,  Martha Marcy May Marlene 124 … LES ÉVÉNEMENTS MK2 > Carte blanche à Charles Berling, Le Marin masqué et Un monde sans femmes 128 … TOUT OU RIEN PAR DUPUY & BERBERIAN 130 … LA CHRONIQUE DE CHARLIE POPPINS

NOUVEAU

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ÉDITO

Fempiriquement

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empire », peut-on lire sur la bobine qui zèbre ce mois-ci notre couverture. C’est ainsi que se sont baptisées, au détour d’une interview donnée il y trois ans au New York Times, quatre jeunes scénaristes américaines, emmenées par l’auteur charismatique de Juno, Diablo Cody. Si l’expression a fait florès, c’est que, au-delà du trait d’humour, elle pointe une réalité alarmante : aux États-Unis, seuls 5 % des films à succès sont réalisés par des femmes. Alors que le reste de la société américaine s’est considérablement modernisé, de la promotion des women’s studies à la correction des inégalités salariales, l’industrie cinématographique frappe par ses survivances d’un autre âge.

Pour contourner la prééminence masculine à Hollywood, les femmes ont dû se replier vers des métiers jugés moins « virils » que la réalisation ou la production : chef costumier, monteur, et plus encore scénariste. Après un âge d’or au début du XXe siècle, puis un lent déclin, la proportion de femmes scénaristes obéit ces dernières années à un léger frémissement, impulsé par d’autres écrans que ceux des salles obscures. À l’inverse du cinéma, la télévision valorise davantage l’écriture que la réalisation. Séries et émissions satiriques ont ainsi ouvert une brèche pour nombre de femmes scénaristes, de Tina Fey à Kirsten Wiig, aujourd’hui draguées par Hollywood. Quant à Internet, il a permis à des profils différents, et notamment féminins, d’infiltrer les studios, à l’instar de Diablo Cody, repérée grâce à un blog où elle relatait ses expériences de strip-teaseuse. Depuis cette sulfureuse entrée en matière, Cody s’est spécialisée dans la chronique de moments charnières : éveil au désir (Jennifer’s Body), grossesse (Juno), prémices du vieillissement (Young Adult, en salles le mois prochain). Ne craignant jamais la surenchère symbolique, mêlant frontalement physiologie et psychologie, ses scénarios dessinent le portrait d’une féminité mutante et intranquille, en conflit ouvert avec la marche du monde. Des scénarios que la phallocratie hollywoodienne ferait bien, si elle entend perdurer, d’étudier d’un peu plus près. _Auréliano Tonet

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PREVIEW

Mars attaque !

© Walt Disney Company

John Car ter d’Andrew Stanton Avec : Taylor Kitsch, Lynn Collins… Distribution : The Walt Disney Company France Durée : 2h05 Sor tie : 7 mars

Il aura fallu attendre plus de quatrevingts ans pour que les romans pulp d’Edgar Rice Burroughs soient portés à l’écran. Huit décennies au cours desquelles plusieurs grands noms du septième art – Bob Clampett, Ray Harryhausen, John McTiernan… – se sont cassés les dents sur cette adaptation réputée impossible. Entretemps, cette épopée de science-fantasy aura été pillée sans vergogne : Avatar, Superman ou Star Wars doivent énormément aux aventures de John Carter, soldat confédéré parti redresser les torts sur une planète rouge rendue exsangue par des siècles de guerres. C’est finalement l’un des piliers de Pixar, Andrew Stanton (réalisateur du Monde de Nemo et de WALL-E), qui sera parvenu à extirper John Carter des limbes d’Hollywood, armé d’un budget monumental et d’une passion indéfectible pour les romans. Il y a – enfin – de la vie sur Mars… ♦ _Julien Dupuy

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concours Je suis l’avenir Clap de fin pour la 2ème édition du Nikon Film Festival ! Vous avez été plus de 330 à soumettre votre court-métrage sur le thème JE SUIS L’AVENIR Le Prix du Public a été attribué à JE SUIS SANS VOIX, réalisé par Poulet-Moka qui remporte 5000 € Le prix du Jury remportera 5000 € et sera diffusé dans les salles MK2 sur le mois de février 2012

Jury • Julie Gayet Présidente du jury Actrice, productrice • Fred Cavayé Réalisateur • Nathanaël Karmitz Directeur général de MK2 • Eric Wojcik Délégué général du Festival du court métrage de Clermont-Ferrand • Thomas Sotinel Journaliste au Monde

Le court-métrage mis à l’honneur par Nikon et MK2 !

Le Nikon Film Festival 2011/2012 s’achève donc avec la création de plus de 330 courts-métrages de moins de 140  secondes répondant au thème JE SUIS l’AVENIR. C’est lors du week-end de clôture du Festival du Court Métrage à Clermont-Ferrand que sera dévoilé le Prix du Jury du Nikon Film Festival par Julie Gayet en personne. Le court-métrage du lauréat Prix du Jury recevra 5000€ et sera mis à l’honneur dans les salles MK2 à compter du 8 février pendant un mois. Cette deuxième édition, qui s’est ouvert sur le thème de l’avenir nous aura livré différentes interprétations du temps qui passe et de ce que sera demain.

L’avenir et ses mille visages, sujet sur lequel se sont exprimés de nombreux jeunes talents sous les traits de l’humour pour les plus enthousiastes, avec un fond dramatique pour les plus pessimistes ou encore sous le regard de la science-fiction laissant libre court à toute forme d’imagination futuriste. Nous retiendrons le Prix du Public avec le court-métrage Je suis sans voix, dans lequel est livrée une version du futur incarnée par les enfants, ambassadeurs de l’avenir. Rendez-vous fin 2012 pour la troisième édition du Nikon Film Festival.

concours en partenariat avec

festivalnikon.fr


Close-up

© Philippe Quaisse/Pasco

NEWS

Vincent Rottiers

« Je préfère quand le personnage ne parle pas », marmonne Vincent Rottiers, 25 ans, au bout du fil. Jeune paysan taiseux dans L’Hiver dernier, de John Shank, il enchaîne discrètement les films depuis dix ans, orphelin (Les Diables) ou petite frappe (Qu’un seul tienne et les autres suivront). En 2011, le rythme s’accélère et Vincent Rottiers côtoie quelques pointures, comme Jean-Pierre Bacri (Avant l’aube) ou Tahar Rahim (Love & Bruises). L’Hiver dernier, chant du cygne d’une coopérative de l’Aveyron, trouve dans ce héros jusqu’au-boutiste son identité : à la fois triviale (« Le défi, c’était de savoir y faire avec les vaches », explique- t-il) et romantique, lorsque les flammes des derniers feux de joie éclairent le visage épuisé mais déterminé de l’acteur. Vincent Rottiers n’est pas bavard mais on ne voit que lui. _Laura Tuillier

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NEWS BE KIND, REWIND

REDNECK PLUS ULTRA Autour d’un énorme quiproquo, une bande d’étudiants tente d’échapper aux « griffes » bien innocentes de deux péquenauds. Parodie hyper référencée, Tucker & Dale fightent le mal, le premier film d’ELI CRAIG, manipule avec brio les codes du film d’horreur à la sauce redneck.

© Wild Bunch Distribution

_Par David Elbaz

Tucker & Dale fightent le mal d’Eli Craig Avec : Tyler Labine, Alan Tudyk… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h28 Sor tie : 1 er février

DÉLIVRANCE

de John Boorman (1972)

Initiateur de la peur version white trash, Délivrance déployait sur un air de banjo un long round d’observation entre quatre amis venus pour le week-end faire du canoë dans l’État de Géorgie et un groupe de locaux à bretelles et chapeaux troués. C’est ce calme oppressant avant la tempête gore que reprend toute la première partie de Tucker & Dale fightent le mal. Mais l’œil hagard que posent les deux compères sur la bande de jeunes vadrouilleurs n’a cette fois rien de vicieux. Eli Craig va même jusqu’à reprendre la scène du cochon (le fameux « squeal like a pig »), sauf qu’ici, les tortionnaires ont changé de camp… ♦ 12

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LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE de Wes Craven (1972) Précédant de quelques années les hillbillies irradiés de La colline a des yeux (du même Wes Craven), La Dernière Maison sur la gauche inspire Tucker & Dale par son atmosphère boisée et ses accents burlesques (une musique très Benny Hill, totalement à contre-emploi). Point de salopettes dégrafées ni de casquettes crados ici, la bande de sadiques filmée par Craven affiche un look très urbain. Violée puis achevée dans un lac, la pauvre Mari aura eu moins de chance que son homologue de 2012, Allison, sauvée des eaux par les deux gadjos. Tucker et Dale n’ont qu’un programme pour la jeune femme : tisanes et jeux de sociétés. ♦

© Rue des Archives-BCA

© 1972 The Night Company. All Rights Reserved.

d’horreur rurale

© RDA

Trois films

MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE de Tobe Hooper (1974)

C’est le film auquel Eli Craig adresse sans doute son clin d’œil le plus évident, à travers une coursepoursuite en forêt qui rappelle celle de Sally fuyant l’horrible Leatherface. Un des jeunes de la bande s’approche du bungalow de Tucker et Dale pour aider son amie qu’il pense captive. Tucker surgit de nulle part en hurlant, tronçonneuse à la main. Alors que l’ado croit revivre un des épisodes les plus cauchemardesques de l’histoire du film d’épouvante, il s’agit encore une fois d’un malentendu. Ce bon vieux Tucker tente juste d’échapper à un nuage de guêpes révoltées alors qu’il vient de découper leur nid par mégarde… ♦


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© Disney Enterprises Inc.

NEWS EN TOURNAGE

Le jeune Victor sur le point de ramener son chien à la vie

AINSI FONT LES MARIONnETTES « Frankenweenie de Tim Burton Avec les voix de : Charlie Tahan, Winona Ryder… Ditribution : Walt Disney Pictures Durée : non communiquée Sortie prévue : 5 octobre

Premier projet contrarié de TIM BURTON, soldé par un court métrage d’une demiheure en 1984, Frankenweenie revient d’entre les morts dans une version longue et stop-motion, prévue pour octobre. Nous étions sur le tournage, dans les studios londoniens du maître, étrange pays des merveilles où les marionnettes prennent vie. _Par Étienne Rouillon, à Londres

Entrez, entrez. Mais non, il ne faut pas avoir peur, vous n’allez rien casser. Attention à votre sac quand même. » La productrice Allison Abbate soulève les longs drapés noirs qui isolent l’un des plateaux de tournage, parmi les dizaines qui racontent dans un silence d’horloger les différentes séquences de ce film rêvé il y a vingt-cinq ans. Faire gaffe aux sangles de son barda, progresser comme un cosmonaute dans des décors qui évoquent une version miniature des pavillons de banlieue d’Edward aux mains d’argent. L’animateur en chef, Trey Thomas, précise qu’ici, « on avance au rythme d’une seconde de film

_Par I.P.-F.

Clap ! 1 Kimberly Peirce La réalisatrice de Boys Don’t Cry va tourner un remake de Carrie, le roman de Stephen King déjà adapté au cinéma par Brian De Palma en 1976. Une adolescente souffre-douleur s’y découvre des pouvoirs de télékinésie pour se venger de ses bourreaux…

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par jour de tournage ». S’appuyer un peu trop sur la table, c’est fracasser une semaine de déplacements, au millimètre, de ces saisissantes figurines de 30 centimètres de haut qui peuplent les 3 Mills Studios et leurs drôles de tours biscornues à la burtonienne. Frankenweenie raconte l’histoire d’un enfant prodige qui ressuscite le cadavre de son chien. Damiers noirs et blancs, moulins perdus aux vents gothiques : si on a l’impression de voir défiler une checklist des grands motifs de sa filmographie, de Beetlejuice jusqu’à Sweeney Todd, c’est que le dernier film de Tim Burton n’est au fond que le tout premier. ♦

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2 Yousry Nasrallah Le réalisateur égyptien vient de terminer au Caire le tournage mouvementé d’Après la bataille, une histoire d’amour sur fond de révolution. Il s’agit de la première coproduction internationale sur les printemps arabes de 2011.

3 Isabelle Huppert et Kool Shen La comédienne et le rappeur joueront les rôles titres du prochain film de Catherine Breillat, Abus de faiblesse, récit autobiographique de sa relation avec l’escroc Christophe Rocancourt, qui profita de son accident cérébral pour lui soutirer de l’argent.


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NEWS TENDANCE

Caméra au poing

En 2011, les révoltes se sont propagées comme autant de feux de joie. Les printemps arabes, dont on fête le premier anniversaire, ont ouvert la porte à une réappropriation de l’espace public. Alors que là-bas, l’avenir se réinvente, l’Occident prend acte de la crise de ses démocraties. Le septième art a su conjuguer ce nouveau désordre du monde, à travers des portraits in vivo de manifestants (Tahrir), en chantant un autre monde (Les Chants de Mandrin) ou en décrivant une jeunesse en marge (En secret, Une bouteille à la mer), prête à tout brûler (Sur la planche, La Désintégration). Tirs groupés. _Par Donald James

La Désintégration de Philippe Faucon, France

Le nouveau long métrage de Philippe Faucon a l’immense mérite de questionner une réalité délaissée (politique de l’autruche) ou manipulée (politique de la haine) : celle, en France, de la place des immigrés des deuxième et troisième générations, de plus en plus « désintégrés ». Dans une cité lilloise, le jeune Ali envoie deux cents CV pour obtenir un stage, en vain. Il trouvera, dans la pratique de la religion musulmane, un foyer. Littérale, parfois un brin attendue, cette fiction évite néanmoins tout manichéisme. Très bien documenté sur le sujet (l’échec de la République à intégrer les siens), Faucon signe un film coup de poing. ♦ Sortie le 15 février

En secret

© Jour 2 Fête

de Maryam Keshavarz, États-Unis-Iran

Tahrir, place de la Libération de Stefano Savona, France-Italie

Quelques jours après la chute de Ben Ali, en Tunisie, les Égyptiens occupent à leur tour la rue. Au Caire, ils se regroupent sur la place de la Libération, à partir du 25 janvier 2011. Le 11 février, le départ d’Hosni Moubarak – au pouvoir depuis trente ans – est annoncé. Dès la fin janvier, le documentariste italien Stefano Savona rejoint la révolution, son appareil photo HD en poche. Il y capte la colère et les espoirs, le sang et les pierres de l’Histoire en marche. Un brin chaotique, ce film fourmillant d’images, réalisé à chaud, sur un peuple fatigué, est un témoignage brut et vivant de l’occupation de la place Tahrir. ♦ En salles depuis le 25 janvier

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On le sait, en Iran, l’étau se resserre de jour en jour. En secret, le premier long métrage de Maryam Keshavarz, réalisatrice américanoiranienne, aborde frontalement la question de la liberté de la sexualité en mettant en scène les amours clandestines et sulfureuses de deux jeunes femmes. « Les religions, écrivait l’Américain Gore Vidal dans son célèbre article Sex is Politics, sont manipulées dans le but de servir ceux qui gouvernent et de ne permettre aucune autre solution. » Ce film musical, très immédiat et sensible dans son approche du tabou, révèle toute la mécanique perverse du pouvoir, plus animé par des pulsions morbides que religieuses. ♦ Sortie le 8 février


© Sarrazink Productions, Maharaja Films, MK2 Diffusion

© Epicentre films

de Leïla Kilani, France-Maroc-Allemagne

Il y a dix ans, Leïla Kilani, jeune cinéaste marocaine, signait un documentaire remarquable : Tanger, le rêve des brûleurs, dans lequel elle captait l’attente de ceux qui avaient choisi de détruire leur identité, de s’immoler socialement pour émigrer. Écrit avant les printemps arabes, tourné dans la Babylone marocaine qu’est Tanger, Sur la planche colle à la peau de Badia, « une jeune femme subversive politiquement, au sens où elle cherche constamment à se dépasser ; elle n’arrive pas à l’exprimer car elle est encore dans l’âge le plus violent qui soit, l’adolescence », explique la cinéaste. Badia travaille dans une usine à décortiquer des crevettes. « Fillecrevettes », elle rêve de bosser dans la zone franche, d’accéder au rang de « fille-textile ». Bricoleuse de l’urgence, Badia ne respire jamais. Elle ne vole pas, elle se rembourse. Elle ne cambriole pas, elle récupère. Face à ce film slam, rythmé par le phrasé bouillonnant et la pensée incandescente de son héroïne, on pense aussi bien à Maurice Pialat, Ken Loach, les Dardenne qu’à Gus Van Sant : animal nyctalope, le personnage de Badia, prend des allures mythologiques, au-delà de toute définition psychologique. Polar underground et hypnotique, Sur la planche capte l’énergie vive d’une réalité explosive. ♦ Sortie le 1er février Du 31 janvier au 7 février au cinéma L’écran à Saint-Denis, la 12 e édition du festival Est-ce ainsi que les hommes vivent ? est consacrée aux révolutions. Parmi les invités : William Klein, Leï la Kilani, Rabah AmeurZaïmeche, Jacques Nolot, Hala Abdallah, Olivier Assayas… w w w.estceainsi.fr

Les Chants de Mandrin de Rabah Ameur-Zaïmeche, France

Situé au XVIIIe siècle, Les Chants de Mandrin, qui a reçu le prix Jean-Vigo 2011, est un film magnétique, sensuel, mais avant tout politique. Après l’exécution de Mandrin, sorte de Robin des bois français, ses frères solidaires, troubadours prérévolutionnaires, se cachent dans la forêt. Ils ne se montrent au grand jour que pour revendre à bas prix leurs menus larcins et colporter les idées nouvelles. Jusqu’au chant final, AmeurZaïmeche multiplie les audaces et les contre-jours : portée par un casting hors normes, son armée des ombres est en marche. En ligne de mire : la tête du roi et, par-delà les régimes et les siècles, le pouvoir dans ce qu’il a d’odieusement oppresseur. ♦ En salles depuis le 25 janvier

© Diaphana

Sur la planche

Une bouteille à la mer de Thierry Binisti, France-Canada-Israël

Ils sont jeunes. Elle s’appelle Tal et vit à Jérusalem. Lui se nomme Naim et vit à Gaza, territoire prison. Tal « jette à la mer » une bouteille dans laquelle elle a glissé une lettre destinée à un Palestinien. Elle communiquera avec Naim. Au-delà de la charge symbolique, le réalisateur Thierry Binisti dessine de bien beaux personnages, qui, bridés dans leur quotidien, vont parcourir un chemin éminemment personnel. Avec Naim sauvé par l’Alliance française, ce film peut se percevoir comme une réponse, teintée d’espoir, à La Désintégration de Philippe Faucon : non, la République française ne rate pas tout ce qu’elle entreprend… ♦ Sortie le 8 février

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NEWS COURTS MÉTRAGES Courts, toujours

© Independencia films

_Par Q.G.

© Lee Hardcastle/Hit Entertainment

© Poulet Moka

Lothringen ! de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet Présenté au Festival de Locarno en 1994, Lothringen ! ressort le 8 février en salles. À partir d’extraits du roman Colette Baudoche, de Maurice Barrès, Straub et Huillet évoquent le sort de la Lorraine après la défaite de 1870. Hypnotiques, les longs panoramiques interrogent l’histoire des paysages de la région.

Charlie Anson dans Je suis sans voix, de Poulet-Moka

BÊTES À CONCOURS _Par Isaure Pisani-Ferry

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ovembre 2011, en Suisse romande. Trois frères et un pote dînent dans un restaurant jap. Ils sont avocats, directeurs marketing, bref, rien à voir avec le cinéma mais ils viennent de s’inscrire au 48 Hour Film Project de Genève. Leur dessert a un goût de moka et ressemble à du poulet : ils signeront leur film sous le nom de PouletMoka. Le lendemain, le sujet tombe, 48 heures après, ils rendent leur court. C’est la première fois qu’ils touchent une caméra. Bam. Prix du public. Dans la foulée, ils s’inscrivent au Festival du Film Nikon. Pour la deuxième année consécutive, la marque propose de récompenser les meilleurs films tournés avec pour contraintes un thème (« Je suis [l’avenir] »), un format (HD) et une durée (140 secondes). Les

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335 candidats ont un mois. « À cause de nos boulots, on disposait de peu de temps : on a écrit le scénario en une soirée et tourné en moins d’une journée », raconte Maxime Chollet, l’un des membres du collectif. « Nous voulions filmer une tranche de vie, sans ellipse, en respectant l’unité de temps et de lieu », ajoute son frère Gregory. Ça donne Je suis sans voix, face-à-face intense d’un couple à l’avenir trouble. Bim. Reprix du public. Il concourt pour le prix du jury qui sera remis le 6 février lors du Festival de Clermont-Ferrand. Songent-ils, avec toutes ces récompenses, à se lancer dans le cinéma ? « C’est vrai que si ça continue comme ça… » ♦ Je suis sans voix de Poulet-Moka Durée : 140 secondes w w w.festivalnikon.fr

Pingu’s The Thing de Lee Hardcastle Si la créature de The Thing, le film culte de Carpenter, s’attaquait à des chercheurs en Antarctique, pourquoi ne s’en prendraitelle pas aussi aux pingouins ? C’est l’idée farfelue de Lee Hardcastle qui, en claymation, pervertit l’univers du gentil Pingu à base d’hémoglobine et de lance-flamme.

© Mobile film festival

Le prix du public du Festival du Film Nikon vient d’être remporté par POULET-MOKA, un collectif d’outsiders qui, chaque fois qu’ils touchent la caméra, remportent la mise.

Mobile Film Festival Des coloscopies, de la danse hip-hop avec deux doigts ou des blockbusters système D, c’est ce que réserve la 7e édition du Mobile Film Festival avec son concept bien rôdé : un portable, une minute, un film. Les votes du jury et du public sont ouverts jusqu’au 5 février sur www.mobilefilmfestival.com.


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NEWS MOTS CROISÉS

Adaptation de L’Odyssée d’Homère, Ulysse, souvienstoi ! de GUY MADDIN est aussi un hommage surréaliste aux films de gangsters. Dans un noir et blanc onirique, le cinéaste canadien y retrouve les lieux de son enfance, hantés par les fantômes du passé. En parallèle, l’auteur de Winnipeg mon amour bénéficie d’une résidence à Beaubourg, où il s’apprête à tourner dix-sept films en « transe ». À cette occasion, nous lui avons demandé de commenter quelques phrases résonnant avec sa filmographie habitée. _Propos recueillis par Clémentine Gallot _Illustration : Stéphane Manel Ulysse, souviens-toi ! de Guy Maddin Avec : Jason Patric, Isabella Rossellini… Distribution : ED Distribution Durée : 1h34 Sor tie : 22 février Spiritismes, dix-sept films tournés en public, du 22 février au 12 mars au Centre Pompidou, dans le cadre d’Un nouveau festival

Ulysse, reviens ! « La maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix. » (Extrait de La Poétique de l’espace, de Gaston Bachelard)

Pour Ulysse, souviens-toi !, je voulais utiliser ce livre qui décrit si bien les sentiments induits par les espaces. En ce moment, je rêve d’espaces vides et de maisons dépeuplées – souvent celle de mon enfance –, alors qu’avant j’étais hanté par les fantômes des disparus. Mais je ne suis pas Chris Marker, je sais qu’il m’est impossible d’adapter Bachelard.

« Il n’est point de terre plus douce que la patrie. » (Extrait de L’Odyssée, d’Homère) L’Odyssée m’a rappelé mes rêves obsessionnels : quand mon père est mort, je me suis mis à rêver qu’il revenait, qu’il avait oublié quelque chose et qu’il n’était pas mort, ce qui est commun pour les survivants. C’était le prisme parfait pour aborder la maison de mon enfance. Pour moi, L’Odyssée épouse la forme du rêve.

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« Beaucoup de spectateurs se perdent dans les couloirs de cette maison. Mais moi aussi je suis perdu ! » « Je ne suis qu’un fantôme, mais un fantôme, ce n’est pas rien. » (Extrait de Ulysse, souviens-toi !, de Guy Maddin)

C’est quasiment le même film que Winnipeg mon amour : les deux films sont hantés par les mêmes fantômes, mais ils sont organisés différemment. La structure de Winnipeg est plus linéaire et plus simple à suivre, tandis qu’Ulysse relève de la pure sensation. Beaucoup de spectateurs se perdent dans les couloirs de cette maison. Mais moi aussi je suis perdu !


La réplique

« Ulysse est corêvé par son fils et par sa femme. Je ne crois pas aux fantômes dans la vie, mais si je tiens une caméra, je me mets à y croire. » « Pourquoi ces gens ne sont-ils pas rentrés chez eux après le dîner ? » (Extrait de L’Ange exterminateur, de Luis Buñuel)

J’adore les astuces de ce film, d’une simplicité effroyable. Dans Ulysse, souviens-toi !, il y a l’idée que tout fonctionne à l’envers. Au départ, tout le monde dans la maison a l’air vivant. Les personnages se rêvent et se construisent mutuellement : Ulysse est corêvé par son fils et par sa femme, il est le produit de leur volonté. Je ne crois pas aux fantômes dans la vie, mais si je tiens une caméra, je me mets à y croire.

« Je suis né quand elle m’a embrassé. Je suis mort quand elle m’a quitté. » (Extrait du Violent, de Nicholas Ray)

On dit que mes films sont inclassables et que je devrais choisir un genre. Cette fois, je me suis dit que j’allais faire un film noir de gangsters et de fantômes. J’aime l’hybridation : Cowboys & Envahisseurs, Abbott and Costello meet Frankenstein ou encore Spooks Run Wild avec les Bowery Boys et Bela Lugosi.

« Nés pour nous par la grâce de la lumière et du celluloïd, des fantômes autoritaires s’assoient à notre côté, dans la nuit des salles de cinéma. » (Extrait de Puissance des fantômes, de Robert Desnos)

J’aime les mêmes films que les surréalistes, Louis Feuillade et ses Fantômas notamment. Et leurs collages. J’ai moi-même organisé des soirées collage dans plusieurs villes : on donnait une phrase à différents artistes invités, qu’ils développaient en coupant et collant des extraits de livres ou de vieux magazines. Ce matériau a d’ailleurs nourri le scénario d’Ulysse, souviens-toi !

« Dix-sept séances de spiritisme prennent la forme de dix-sept films. » (Extrait de la

« Il dort encore dans son lit d’enfant… Ce qui ne l’a pas empêché d’y ramener deux call-girls pour manger des Miel Pops avec lui. » JC comme Jésus Christ, de Jonathan Zaccaï (en salles le 8 février)

La phrase « J’ai été victime d’un viol. J’ai le sentiment que mon corps – ou du moins mon corpus de films – a été violé par le film The Artist. » (L’actrice Kim Novak, le 10 janvier, dans le journal Variety. Novak est notamment célèbre pour son rôle dans Sueurs froides d’Alfred Hitchcock, dont des extraits de la B.O. figurent dans The Artist.)

Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux

Christophe : La France a perdu le triple A mais il lui reste Dominique A. Joachim : Cumuler apathie du 1er janvier et spleen du dimanche soir : 2012 année du blues ! Alexandra : La conseillère Pôle Emploi m’a dit que j’étais un gâteau au chocolat pour les employeurs qui ne recevaient que des candidatures « tarte aux fraises ». La métaphore pâtissière me reste néanmoins sur l’estomac. Roland : M.Pokora est quand même plus proche de Justin Bridou que de Justin Timberlake. Alexandre : Calamity James Cameron Crowe Blanc. Sonia : Scandale des implants, la faute à Noël Mammaire ? (joyeuses fêtes à tous) Patricia : Croit au coup de fourbe. Thomas : Serge Lama del Rey.

présentation d’Un nouveau festival à Beaubourg)

Je suis invité au Centre Pompidou pour re-filmer des films disparus. J’invite des acteurs pour une séance de spiritisme, dix-sept fois de suite. Nous allons tourner en direct, avec trois caméras ; les spectateurs pourront choisir leur angle de vue via le site web du Centre. J’aime l’idée qu’un cinéaste puisse aussi être un showman, qui ne tourne pas seulement pour lui. ♦

Christophe : La vérité, c’est que Beckham a refusé de venir au PSG lorsqu’il a découvert la vignette Panini de Jérémy Menez. Joachim : Dans J. Edgar, Richard Nixon parle comme l’Inspecteur Harry, mais dans La Dame de fer, Margaret Thatcher ne parle pas comme la femme d’Iron Man. www.mk2.com

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NEWS SÉRIES le caméo © Lisa Rose /Nickelodeon

Michelle Obama dans iCarly À qui en douterait, le couple Obama est en campagne. Madame est ainsi partie à la rencontre du public jeunesse en apparaissant le 16 janvier dernier dans iCarly, comédie teen de la chaîne Nickelodeon. La série préférée, dit-elle, de ses enfants, dont l’héroïne est fille de militaire. Michelle Obama n’est pas la première First Lady à faire un caméo dans une sitcom : en 1976, Betty Ford avait participé pour le plaisir à un épisode du Mary Tyler Moore Show et Nancy Reagan vint dénoncer les ravages de la drogue dans Arnold et Willy, en 1983. _G.R.

24 heures sans chrono Lauréate du Golden Globe 2012 de la meilleure série dramatique, écrite par d’anciens scénaristes de 24, Homeland a pour héroïne une agent de la C.I.A., seule contre tous. Mais Jack Bauer semble loin : cette nouveauté impressionne par sa retenue et son sens de la nuance. _Par Guillaume Regourd Homeland (US) Diffusion : saison 1 prochainement sur Canal +

© Showtime

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es complots ter roristes, Howard Gordon et Alex G a n s a , r e s p e c t ive me nt showrunner et scénariste de 24, n’en ont apparemment pas fait le tour. Cet automne, ils lançaient sur la chaîne Showtime le feuilleton Homeland, adapté d’un concept israélien. Son héroïne, l’agent Carrie Mathison, tient de source sûre qu’un soldat américain, converti à la cause islamiste, prépare un attentat aux États-Unis. Quand le sergent Brody, porté disparu en Irak depuis huit ans, réapparaît, elle le suspecte immédiatement. A-t-elle raison ? Saura-t-elle seulement convaincre ses chefs à la C.I.A. de l’écouter ? Réponse(s) en douze épisodes riches en rebondissements. Mais aussi remarquablement pauvres en effets. Laissant à Jack Bauer l’action échevelée, le manichéisme et les enjeux dantesques, les créateurs d’Homeland optent pour un suspense psychologique. Appréhendée comme un thriller, la série fonctionne

parfaitement. Elle se montre plus passionnante encore dans le portrait en miroir qu’elle brosse de ses deux protagonistes. La bonne fée qui a soufflé les noms de Claire Danes et de Damian Lewis au directeur de casting peut d’ailleurs être remerciée : leur performance est d’une intensité rare. Si Carrie

Zapping

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Maison close Son développement fut si compliqué qu’on pensa un temps sa saison 2 tombée aux oubliettes. Maison close, la sulfureuse série de Canal + sur des prostituées parisiennes du XIXe siècle, reviendra. Le tournage a démarré à Lisbonne début janvier pour une diffusion en 2013.

© Canal+

Star Wars Mis en stand-by, officiellement pour attendre que baisse le coût des effets spéciaux à la télévision, le projet de série live, tirée de l’œuvre gigogne de George Lucas, ne semble pas enterré. Son producteur, Rick McCallum, en a révélé le titre : Star Wars – Underworld. DR

© Fred Duval/FilmMagic

_Par G.R.

Roland Emmerich Après une parenthèse historicolittéraire (Anonymous), le réalisateur allemand revient aux films catastrophe qui ont fait sa réputation. Entre deux nouveaux Independence Day, il réalisera aussi un pilote pour la chaîne ABC mêlant politique et astrophysique…

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devient obsédée par Brody, c’est que la jeune femme instable, rongée par le souvenir du 11 Septembre, reconnaît dans le militaire brisé par la captivité une âme sœur, une âme en peine. Le constat d’échec de dix ans de war on terror américaine est implacable. 24, un peu. À la folie. Pas du tout. ♦


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© SNAP Photo/Rue des Archives

NEWS ŒIL POUR ŒIL

L’Étau d’Alfred Hitchcock DVD disponible chez Universal Pictures

Hommes de  Londres

Après avoir filmé un vampire dans la neige suédoise (Morse), le prodige TOMAS ALFREDSON s’expatrie et redonne au thriller d’espionnage une classe et une profondeur toute britannique, avec La Taupe. De quoi nous rappeler un film méconnu de Sir Alfred Hitchcock : L’Étau. _Par Renan Cros

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© 2011 Studiocanal

La Taupe de Tomas Alfredson Avec : Colin Fir th, Gar y Oldman… Distribution : Studio Canal Durée : 2h07 Sor tie : 8 février

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ortées par des titres énigmatiques, ces deux œuvres détournent le film d’espionnage des modèles de leur époque : James Bond pour l’un, Jason Bourne pour l’autre. À la débauche de vitesse et d’action, La Taupe et L’Étau préfèrent la géopolitique de la guerre froide à hauteur d’hommes. Entre intrigues de couloirs et réunions au sommet, le destin du monde se joue dans de grands bureaux glacés où chacun cherche à piéger l’autre. Sous inf luence hitchcockienne, les hommes de

l’ombre de Tomas Alfredson deviennent les pions d’une partie d’échecs à l’issue tragique. Trahir, être trahi ou se sacrifier, voilà le destin de ces employés de bureau qui cachent sous leur complet croisé les plus noirs secrets. Reprenant à Hitchcock son sens du « détail qui tue », le Suédois signe un film où l’élégance est une arme, à l’image de son casting royal (Gary Oldman, Colin Firth, Tom Hardy) qui frappe juste et prouve que la classe n’a jamais été américaine mais bien britannique. ♦

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© Nadja Spiegelman

NEWS FAIRE-PART

ANNIVERSAIRE

SUPERSOURIS

L’espérance de vie de cette souris bat des records. Apparue pour la première fois en 1972, Maus s’offre pour ses 40 ans une exposition colossale de 700 planches durant le 39e festival d’Angoulême, présidé par son créateur, ART SPIEGELMAN. Lequel en profite pour publier MetaMaus, une exégèse dense qui revient sur les origines du rongeur. _Par Stéphane Beaujean

MetaMaus d’Ar t Spiegelman Éditeur : Flammarion Sor tie : déjà disponible Exposition Ar t Spiegelman – Le Musée privé jusqu’au 6 mai au musée de la bande-dessinée d’Angoulême

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eu de bandes dessinées rivalisent avec Maus, bouleversant dans son fond, quasi parfait dans sa forme, couronné d’un Pulitzer en 1992 et jouissant d’une reconnaissance artistique inégalée. Or rien n’étonne dans ce succès : Maus est l’œuvre d’une vie. Celle d’un auteur de bande dessinée underground, Art

Spiegelman, Américain d’origine juive, incapable de supporter son père au point de camoufler sa voix derrière un mouchoir au téléphone pour lui faire croire qu’il vit loin. « Alors que j’habitais de l’autre côté du pont de Brooklyn, mon père pensait que je lui téléphonais de San Francisco. » Père étrange et taciturne que celui-là, installé dans la banlieue de New York depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le silence autour du passé, un fils/frère disparu, une épouse/

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Anniversaire En janvier, la revue Trafic a fêté ses 20 ans au Centre Pompidou. Créée par le critique Serge Daney, Trafic a soufflé les bougies autour de vingt films choisis et présentés par autant de contributeurs de la revue : Inland par Jacques Rancière, Saraband par Raymond Bellour, Film Socialisme par Jean Narboni…

DR

© Philip Ryalls/Redferns

Décès George Whitman, fondateur de la librairie anglophone parisienne Shakespeare & Co, est décédé le 14 décembre, à 98 ans. La chanteuse capverdienne Cesaria Evora s’est éteinte trois jours plus tard sur son île de São Vicente. Le réalisateur grec Theo Angelopoulos, qui tournait son prochain film, est mort le 24 janvier, à 76 ans.

Naissance Zinzolin, c’est le nom de la petite dernière des revues de cinéma en ligne, créée par une équipe de jeunes cinéphiles ultra motivés. On trouve pêle-mêle dans les premiers billets une lettre d’amour à Jessica Chastain, une critique audio de Drive et un entretien avec la Femme qui rit de L’Apollonide de Bertrand Bonello. www.revuezinzolin.com

DR

_Par L.T.

Le carnet

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mère suicidée, et l’expérience des camps de concentration, séparent les deux hommes. À mesure que progresse Maus, l’écriture retisse les liens filiaux, libère la mémoire et reconstruit, comme toute autobiographie, l’identité de son auteur. Voilà comment cette souris grisâtre, cousine de Mickey et de la vermine selon Hitler, devint à la bande dessinée ce que la négritude est à la littérature noire. Le mépris et l’injure transformés en poésie. ♦


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NEWS PÔLE EMPLOI

Son cheval de bataille Nom : Bobby Lovgren Profession : chef dresseur Dernier projet : Cheval de guerre de Steven Spielberg Sor tie : 22 février

C’est lui qui tient les rênes du véritable héros de Cheval de guerre, l’épopée hippique de Steven Spielberg : le chef dresseur BOBBY LOVGREN nous apprend comment faire d’un vulgaire canasson une star de cinéma. _Par Julien Dupuy

«C

’est le meilleur film de cheval jamais tourné ! s’enthousiasme tout de go Bobby Lovgren. Cheval de guerre montre la totalité des incroyables aptitudes de cet animal. À ma connaissance, aucun autre film ne s’est montré aussi exhaustif. » Élevé dans une immense ferme équestre d’Afrique du Sud, le chef dresseur de Cheval de guerre fut intronisé dans le monde du cinéma par une famille légendaire de ce métier vieux comme le septième art : les Randall. Soit Corky et Glenn Randall senior puis junior, dresseurs entre autres des montures déchaînées de Ben-Hur et des fiers destriers de L’Étalon noir. « Les Randall m’ont appris deux choses primordiales pour notre métier : connaître l’animal avant d’ambitionner de le dresser. Et surtout, surtout, savoir être patient. » Finder, la trouvaille Et de la patience, il en a fallu pour préparer, durant plus de trois mois,

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« Deux choses sont primordiales : connaître l’animal avant d’ambitionner de le dresser. Et surtout, surtout, savoir être patient. » une troupe équine comprenant une centaine d’animaux, dont quatorze chevaux destinés à interpréter Joey, le héros de Cheval de guerre. « Entraîner un cheval, c’est l’accoutumer petit à petit à des événements qui risqueraient de l’effrayer en temps normal. Ainsi, nous collaborons avec les artificiers pour définir quel type d’explosion nous pouvons utiliser sans faire fuir les animaux. Mais nous devons aussi et surtout préparer nos chevaux au capharnaüm d’un tournage. Il faut les habituer à reconnaître notre voix au milieu du bruit incessant du

CV 1987 Le nom de Bobby Lovgren apparaît pour la première fois à l’écran, au générique de Gor, une série B de la Cannon. 1998 Auprès de Glenn Randall Jr., Lovgren contribue aux ambitieuses cascades équestres du Masque de Zorro. 2003 Sous les ordres du chef dresseur Rusty Hendrickson, il se charge des cinquante chevaux nécessaires au tournage de Pur sang, la légende de Seabiscuit. 2005 Il dresse une espèce atypique d’équidés : dix zèbres (dont deux bébés) pour Zig-Zag. 2012 Lovgren est le chef dresseur de trois grosses productions : Cheval de guerre, John Carter et Mirror Mirror.


© Andrew Cooper DreamWorks II Distribution Co LLC

© Bellissima Films

Brève de projo

Détournement de stagiaire « Salut, on ne te voit jamais en projo… » C’est comme ça qu’un journaliste du troisième âge m’aborde à la sortie de L’Homme en plus (2001), le premier film inédit en France de Paolo Sorrentino, le réalisateur d’Il Divo. S’est-il identifié au personnage de Tony, un chanteur déclinant qui n’hésite pas à accoster de jolies et (très) jeunes filles ? Le type me suit jusqu’au métro avec un regard niaiseux, puis me demande mon 06 tout en me proposant un tour de moto. Embarrassé, je pense à mon statut précaire de stagiaire : je pourrais boucler ma fin de mois s’il me proposait des piges. Mais je viens d’assister aux galères de vieux vicieux endurées par Tony, et, après mûre réflexion, je renonce à la prostitution estudiantine. _Q.G. L’Homme en plus de Paolo Sorrentino // Sor tie le 1 er février

La technique

plateau, à déceler notre présence auprès de la caméra, à ne pas paniquer lorsqu’ils voient se déplier une grue... » Parmi l’écurie pléthorique nécessaire au tournage du film de Steven Spielberg, un cheval a dévoilé l’étoffe d’une star : « Finder est mon cheval, je l’ai acheté après le tournage de Pur sang, la légende de Seabiscuit. Je l’ai fait venir des États-Unis en Angleterre spécialement pour le tournage, et il fut l’un des principaux interprètes de Joey. Contrairement aux autres animaux, Finder a une très grande expérience des plateaux. Avec un cheval comme lui, on peut même se permettre de changer des choses au dernier moment. Il a aussi une étrange faculté à exprimer ses émotions. » Accouchement difficile Logique, donc, que Finder figure dans l’une des scènes les plus complexes de Cheval de guerre, bizarrement pas celle à laquelle on aurait pu s’attendre : « Je joue l’un des

© Cecile Burban/Disney

Entre Jeremy Irvine (à gauche) et Steven Spielberg (à droite), le jeune dresseur Bill Lawrence, assistant de Bobby Lovgren, sur le tournage de Cheval de guerre

fermiers qui aide la jument, interprétée par Finder, à mettre bas Joey au début du film. Je n’apparais pas dans le film par plaisir, mais pour des raisons purement pratiques : les séquences impliquant le poulain, et en particulier sa naissance, furent en effet les plus difficiles à tourner. Les poulains sont très délicats à dresser, déjà parce qu’ils sont plus impétueux et qu’ils se fatiguent excessivement vite. Ils sont comme de très jeunes enfants. Mais travailler avec des poulains est également difficile parce qu’on a peu de temps pour les apprivoiser. Celui que l’on voit au début du film n’avait que trois semaines lorsqu’on a tourné ! C’est là que vous avez intérêt à être un dresseur très expérimenté. N’importe quel cavalier accompli saura reconnaître le tour de force que mon équipe et moi-même sommes parvenus à accomplir dans cette scène ! » ♦

Final cut Jusqu’à Cheval de guerre, Spielberg faisait figure d’exception en étant l’un des tous derniers cinéastes au monde, avec Christopher Nolan, à monter ses films en analogique. Alors que depuis le début des années 2000, le montage numérique est devenu la norme, Spielberg et son monteur attitré, Michael Kahn, continuaient de couper et coller la pellicule manuellement. Une véritable gageure, puisque l’adhésif nécessaire à ce genre de processus est devenu une denrée rare. Mais même l’homme le plus puissant d’Hollywood ne peut résister à la marche du progrès : pour Cheval de guerre, Spielberg a, sur l’insistance de Kahn, accepté de se soumettre au montage virtuel sur Avid. Pas encore convaincu par cette méthode, le réalisateur espère revenir à l’analogique pour ses films suivants. _J.D.

Lire également le dossier consacré à Steven Spielberg page 54.

Cheval de guerre de Steven Spielberg // Sor tie le 22 février

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NEWS ÉTUDE DE CAS

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millions de tickets de cinéma ont été vendus en France en 2011, selon le CNC qui note une augmentation de 4,2 % par rapport à 2010. Un chiffre record qui ne dépasse pourtant pas l’année 1966 et ses 234,17 millions de places achetées.

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million et 49 ans : c’est l’âge de l’art en 2012, selon le poète-performer Robert Filliou. Figure du mouvement Fluxus, il avait décidé de faire du 17 janvier 1963 la date du millionième anniversaire de l’art. Happy birthday, donc.

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pour cent du trafic mondial du web : c’est ce que revendiquait Megaupload, le site de téléchargement, avant sa fermeture, le 19 janvier. Le 22e site le plus visité de l’Hexagone engrangeait 150 millions de dollars de bénéfices dans le monde.

Faut-il être vache avec Bovines ? OUI Le documentaire d’Emmanuel Gras suit un élevage de vaches au fil des saisons. Au printemps, on découvre la blanche charolaise aux côtés de son jeune veau dans les grasses et brumeuses collines de Basse-Normandie. Manque le timbre à la carte postale. Les angles se diversifient, les saisons se succèdent, le sujet reste identique : la vache. Le bovin n’est pas d’un naturel très bavard et, au-delà de la belle image, le propos demeure sibyllin. Est-ce un f ilm sur le temps, le vide, l’ennui ? Est-ce un exercice (scolaire, classique, sans surprise) de cinéma ? On regrette de ne pouvoir accélérer cette flânerie téléguidée. On regrette surtout l’absence d’une pensée souterraine. Filmer le monde paysan peut s’avérer captivant, encore faut-il mouiller sa chemise, accompagner le geste d’un regard, même vache. _

Bovines d’Emmanuel Gras Documentaire Distribution : Happiness Distribution Durée : 1h04 Sor tie : 22 février

© Bathysphere

Par Donald James

Comme des toiles d’Eugène Boudin mises bout à bout, Bovines d’EMMANUEL GRAS déroule la vie d’un troupeau de vaches, sans commentaire ni musique. Poils, bouses, langues qui broutent : la démarche semble plus organique qu’esthétique. Mais cet audacieux documentaire est-il vraiment dépourvu de grâce ? Points de vue.

Dans Bovines, d’Emmanuel Gras, l’amour est dans le près

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NON Parmi la production florissante de docus terreux sur les aléas du monde paysan, Bovines fait figure de drôle d’animal. Cassant les codes du documentaire animalier, écartant toute tentation anthropomorphique par un dépouillement radical, Emmanuel Gras filme ces vaches à viande sans étiquette : ni dénonciatrice ni bucolique. Son film, épuré de toute empreinte humaine, ouvre un champ libre, volontairement déconcertant, pour interroger le statut de ces animaux façonnés par l’homme à force de croisements. « Face à l’étrangeté, on se raccroche à tout ce qui ressemble à de l’humain pour s’aider dans notre regard. Je voulais laisser le spectateur se débrouiller seul », souligne le réalisateur. Seul au milieu d’un champ de vaches, on se surprend à se perdre dans des regards bovins, à l’étrange pouvoir de fascination. _Par Anne de Malleray


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NEWS TOUT-TERRAIN COVER boy +

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Une explosion atomique a conjointement frappé les champignons hallucinogènes de Jefferson Airplane et les bricolages plastiques de Gorillaz. Résultat : la pop mutante du nouvel E.P. de Flare Acoustic Arts League, Big Top – Encore. _Q.G.

UNDERGROUND

© Emmanuelle Picq

LA TIMELINE DE soko

Sokoupe vaillante Avec son joli minois et ses chansons tristes, SOKO émeut les cœurs solitaires et fait pleurer de concert. Un premier album folk, I Thought I Was An Alien, sort gorge serrée et confirme le buzz. Snif. _Par Wilfried Paris

I Thought I Was An Alien de Soko Label : Because Sor tie : 20 février

It-girl depuis 2007 et ses premières démos balancées sur Internet, la jeune comédienne et musicienne Stéphanie Sokolinski aura mis cinq ans à achever son premier album, ovni lo-fi enregistré sur GarageBand entre Paris, Londres et les ÉtatsUnis. De tournages (Bye Bye Blon32

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die, de Virginie Despentes) en tournées (avec Adam Green, Jeffrey Lewis, M.I.A.), dans l’urgence de la voix qui tremble et de la guitare qui frise, ses complaintes sonnent fuite en avant, cœur éperdu. « Mon père est mort subitement d’une rupture d’anévrisme quand j’étais enfant. Depuis, je me dis que je peux mourir en traversant la route, qu’il faut que je fasse le plus de choses possibles maintenant… » Entre no future (« je fais du punk secret ») et tout, tout de suite, la folk-pop do it yourself de Soko marie sincérité -risme, féminisme, autoprods cheap). Ses ballades amoureuses, déçues, commotionnelles, inspirées par Daniel Johnston, Leonard Cohen ou le Velvet, forment l’autoportrait fragile et à cœur brisé d’une femme-enfant du siècle. Remuée. ♦

Hier En 2008, sa chanson jalouse I’ll Kill Her est un hit de la blogosphère et Soko est invitée dans tous les grands festivals d’été. Elle est nominée en 2010 pour le César du meilleur espoir féminin dans À l’origine, de Xavier Giannoli.

Aujourd’hui Tandis que sort son premier album solo, Soko est aussi à l’affiche du film de Virginie Despentes, Bye Bye Blondie. « Je suis devenue vraiment féministe après avoir lu King Kong Théorie. J’avais envie de frapper la terre entière ! »

Demain Avant de chanter le 5 mars au Café de la danse, Soko tourne actuellement dans Augustine, d’Alice Winocour. Elle y joue le rôle du premier cas d’hystérie, en 1885, avec Vincent Lindon dans le rôle du professeur Jean-Martin Charcot.


CALÉ

À l’image du Cheval de guerre de Spielberg, les chevaux ont la crinière dans le vent cet hiver, laissant les autres chouchous des cinéastes, vaches (Bovines, El Chino, Bullhead), girafes (Zarafa) ou prédateurs (Félins, Le Territoire des loups), loin derrière.

DÉCALÉ

Les chevaux de compétition, notamment, investissent à grand train l’imaginaire cinématographique : après Stretch, Cavaliers seuls ou Sport de filles, ils galopent au cœur de la nouvelle série de HBO, Luck, dont le pilote a été réalisé par Michael Mann.

RECALÉ

Revers de la médaille de cette hype hippique, certains cinéastes confèrent aux équidés une puissance symbolique pour le moins absconse, à l’instar de Béla Tarr et de son Cheval de Turin, dont le dépérissement annonce, entre deux patates, la fin du monde. Hue !

OVERGROUND Extrêmement Foer Après Billy Elliot et The Hours, le Britannique STEPHEN DALDRY adapte le best-seller tortueux Extrêmement fort et incroyablement près, drame à hauteur d’enfant écrit par la coqueluche new-yorkaise Jonathan Safran Foer. _Par Clémentine Gallot Extrêmement fort et incroyablement près de Stephen Daldr y Avec : Thomas Horn, Tom Hanks… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h09 Sor tie : 29 février

© 2011 WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC.

Bambin éperdu cherche serrure pour clé léguée par père disparu (Hugo Cabret, sors de ce corps !). Roman à… clé de l’après-11 Septembre, l’ouvrage de Foer procédait d’un habile collage sentimental et postmoderne. Pour l’adapter, Daldry, qui navigue dans la zone grise du cinéma indé grand public, déploie une mise en scène fébrile, épousant l’esprit véloce d’Oskar, gamin hyperactif. Comme Jamie Bell, outcast précoce dans Billy Elliot, Thomas Horn, vainqueur d’un jeu télévisé, débute. « Pour ce personnage proche de l’autisme, on ne voulait pas d’un enfant qui minaude à la Disney », précise Daldry. L’enquête sur les traces d’un père débonnaire (Tom Hanks), englouti dans l’effondrement des Twin Towers, progresse selon une logique de collectionneur angoissé et frénétique. Dérives opportunistes ? Daldry rétorque : « On était nerveux à l’idée de décider quoi montrer et je n’avais pas très envie de recréer le 11 Septembre, c’est très délicat. » Coupant court à la charge patriote, ce bambin phobique traduit à lui seul toute la raideur des années Bush. ♦

LA TIMELINE DE Stephen Daldry Hier Stephen Daldry débute sur les planches dans les eighties, où il met en scène Billy Elliot, avant de l’adapter sur grand écran. Après The Hours, qui détricote les époques, il passe deux ans en Allemagne pour filmer Le Liseur.

Aujourd’hui Adapté par le scénariste Eric Roth (Forrest Gump, Benjamin Button), qui offre un rôle muet à Max von Sydow, Extrêmement… est présenté à la Berlinale. Daldry est sacré réalisateur de l’année au Palm Springs International Film Festival.

Demain Des projets flous et une rumeur persistante, l’adaptation du roman de Michael Chabon, Les Extraordinaires Aventures de Kavalier & Klay, en série pour HBO. Le cinéaste dément : une envie, rien de plus pour l’instant. Too bad.

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© Laurence Guenoun

NEWS AUDI TALENTS AWARDS

Pascal Lengagne, compositeur de musiques de films et de spectacles événementiels

LES LANGAGES DE LENGAGNE Il y a un an, PASCAL LENGAGNE gagnait l’Audi Talents Awards catégorie musique. Portrait d’un compositeur polyglotte. _Par Claude Garcia

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ans son home studio du sud de la France, Pascal Lengagne a longtemps créé du bout des doigts des musiques monumentales. L’habillement sonore des cérémonies de la Coupe du monde de football en 1998, c’était lui ; du spectacle pyrotechnique de la tour Eiffel en 2000, lui aussi ; de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques d’Athènes en 2004, encore lui. Jouer avec l’espace et la lumière lui plaît : « J’aime tout ce qui est un peu hypnotique », expliquet-il. Mais son travail ne se réduit pas à la musique spectaculaire. En plus de vingt-cinq ans de carrière, cet autodidacte a touché à tout, du

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piano classique au piano bar en passant par l’électro à Bollywood. Même si ce qu’il préfère, c’est l’univers « calme et introspectif » de la musique instrumentale : « Quand j’écris librement, je cherche avant tout à m’émouvoir, à exprimer un contenu psychologique. » Sa polyvalence l’a fait voyager partout dans le monde et lui permet aujourd’hui de vivre de sa musique en jonglant entre projets personnels et commande. Cette année, il a travaillé à la fois comme compositeur attitré d’Audi et a participé à la B.O. du prochain film produit par Thomas Langmann, Stars des années 1980. Grâce au prix Audi Talents Awards, il a pu ressortir des cartons « un travail inachevé qu’[il] ne savait pas comment faire aboutir car il n’entre pas vraiment dans les critères habituels de financement et de rentabilité ». Tendez l’oreille, vous n’avez pas fini de l’entendre. ♦ w w w.scalpmusic.com

whATA's up ? Jul, Ju’Ju’ et Joro, les trois « musiciens au grand air » du groupe pop et funk ZuzooM, lauréats 2009 des Audi Talents Awards catégorie musique, se sont depuis pliés à l’exercice de la composition en studio et ont sorti leur premier album. Cinq titres ensoleillés dont ils sont fiers. Et pour les prochains candidats, l’ouverture du programme Audi Talents Awards 2012 section court métrage et musique sera annoncée lors du festival du court métrage de Clermont-Ferrand, qui se tiendra jusqu’au 4 février. _C.Ga. w w w.myspace.com/zuzoom


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NEWS REPORTAGE

Après The African Lion, en 1955, et Le Roi Lion, en 1994, Disney ravive son côté fauve avec Félins, documentaire animalier réalisé dans la savane du Masai Mara, au Kenya. Nous avons suivi les traces encore fraîches du tournage de ce film à grand spectacle, aux allures de drame shakespearien. _Par Anne de Malleray, au Kenya Félins de Keith Scholey et Alastair Fothergill Documentaire Distribution : Disney Nature Durée : 1h27 Sor tie : 1 er février

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ne voix résonne dans le talkie et nous fonçons vers un buisson sous lequel deux guépards, une mère et son jeune adolescent, se repaissent de leur chasse. Rapidement, les voitures dessinent un cercle, à quelques mètres des animaux rendus indifférents à ce barouf par trente ans de tourisme. Tout à leur festin, ils ne voient pas une lionne, qui, dans leur dos, s’avance dangereusement. Cette fois, ils en réchapperont. Souples et musculeux, les guépards peuvent atteindre plus de 100 kilomètres/heure. De cette vie sauvage, les documentaires animaliers offrent un concentré spectaculaire et télégénique, mais il faut des mois de planque pour la filmer. On ne le réalise qu’après avoir, pendant une heure, scruté la savane sans rien voir, ou seulement des « Ani36

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©Disney Enterprises, Inc. All Rights Reserved

Félins pour

mal Like Things », nom donné par les guides masaïs aux leurres, troncs d’arbres et rochers à l’allure féline, qui, de loin, trompent le tou-

« Je savais, en venant ici, qu’on pouvait garantir une histoire, même si je ne savais pas laquelle. La vie de ces animaux est shakespearienne. » riste. Sur deux ans de tournage, une vingtaine de jours seulement furent assez riches en rebondissements pour nourrir l’intrigue de Félins, entièrement réalisé dans cette réserve du sud-ouest kenyan. Le Masai Mara, 1 500 km 2 de savane giboyeuse traversée par trois cours

d’eau pleins d’hippos et de crocos, offre pourtant l’un des meilleurs champs d’exploration d’Afrique. Les trois grands fauves – lions, guépards et léopards – y cohabitent encore.

Saga Africa

Félins retrace les péripéties d’un clan de lionnes, lâchées par le mâle dominant, Fang, papi majestueux à la canine brisée. Le vieux roi prend la tangente devant Kali et ses quatre fils, clan invincible qui soumet la moitié du Mara. Pendant ce temps, Sita, mère courage, tente d’élever seule ses cinq petits guépards dans un univers impitoyable où 5 % d’entre eux parviennent à l’âge adulte. « Je savais, en venant ici, qu’on pouvait garantir une histoire, même si je ne savais pas laquelle. La vie de ces animaux est


l’autre

shakespearienne. Il y a des lois, des duels, des batailles entre clans pour un territoire… Le point central pour réussir le film était d’avoir le bon équilibre entre les personnages, le bon casting », retrace le réalisateur Keith Scholey, issu de la grande lignée des documentaristes animaliers de la BBC, dont il fut directeur des programmes documentaires. Grand familier des lieux, il créa, en 1996, la série à succès Big Cats Diaries, sur le quotidien des félins de la réserve. Si Disney se fie à la nature pour « inventer les plus belles histoires » (confère la devise de son label Disney Nature), il faut, autant que possible, en extraire des blockbusters 100 % organiques. Pour y parvenir, l’équipe fit appel au script doctor John Truby, dont la méthode pour devenir le meilleur auteur de scénario en vingt-deux étapes s’ar-

rache à Hollywood. « Il fallait dégager des personnages forts sans ajouter d’éléments fictionnels. Or cela fonctionne. Kali est le méchant, Fang, le faux allié, les lionnes et la mère guépard, les héroïnes… Le parallèle avec la société humaine est intéressant. C’est un film féministe. Je me demande comment il sera perçu dans le Midwest américain », s’amuse le réalisateur britannique.

Ambiance de la brousse

Sur les plaines kenyanes, deux guépards ont repéré un bébé gazelle qui n’aura aucune chance de leur échapper. Au lieu de les suivre, le guide positionne la jeep en aval, essayant d’anticiper la trajectoire des animaux pour que nous puissions embrasser du regard leur chasse, qui peut s’étendre sur près d’un kilomètre. Sous un soleil de

plomb, les guépards renoncent finalement à cette course épuisante. Le rythme de la savane oscille ainsi entre indolence et accélérations soudaines, léchouilles et coups de crocs, siestes à l’ombre et parties de chasse. Pour capter ces sprints et ces ralentis difficilement prévisibles, l’équipe du film, composée de fins connaisseurs du comportement des félins, a dû anticiper positions et cadrages tout en s’essayant à une nouvelle génération d’engins rarement étrennés sur un tournage animalier. Conçue au départ pour des images scientifiques, la caméra Phantom a permis de filmer les scènes de chasse en captant 450 images par seconde (au lieu de 24). « À ce rythme, on perçoit chaque mouvement, chaque muscle, chaque tendon et on réalise à quel point le guépard est conçu www.mk2.com

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NEWS REPORTAGE

pour la course », raconte Alastair Fothergill, coréalisateur.

Attention les secousses

Dans le parc, les voitures roulent à côté des fauves, mais il est formellement interdit de mettre pied à terre. On pourrait, dans l’ordre des probabilités, être chargé par un buffle, animal un peu dingo selon nos guides, voire par un éléphant, un hippo, un rhino ou croqué par des félins, s’ils ont peur ou très faim. Le film est donc tourné à l’abri de voitures et d’hélicoptères, grâce à de très longues focales, qui permettent de réaliser des gros plans décapants : « Au départ, nous voulions les éviter, pensant qu’ils agresseraient le spectateur, mais voir le visage d’un fauve remplir l’écran provoque une émotion incroyable. Vous avez l’impression d’être assis à côté de lui », s’émeut Owen Newman, autre figure de la BBC passée derrière la caméra pour Félins. Tout le film est légèrement ralenti, entre 30 images/seconde et environ 400 images/secondes pour les scènes de chasse. « Cet effet crée un 38

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léger agrandissement de l’image et ralentit la course des animaux, la rendant perceptible à l’œil. En combinant cela à des plans très courts, on obtient un effet drama-

« Le parallèle avec la société humaine est intéressant. C’est un film féministe. Je me demande comment il sera perçu dans le Midwest américain. » tique saisissant », souligne Keith Scholey. En 1955, à la sortie de The African Lion, le critique Bosley Crowther s’émerveillait déjà de la proximité avec laquelle on découvrait les fauves sur grand écran : « Rendons grâce au téléobjectif », s’exclamait-il, suggérant aux spectateurs de se munir de casques coloniaux pour parer aux assauts plus vrais que nature. Autre temps, autres mœurs. Restez zen, même puisées dans la nature, les histoires, chez Disney, finissent bien. ♦

Fauves qui peut ! La crise économique, votre mère ou votre mec vous donnent une furieuse envie de rugir… Profitez-en, Nat Geo Wild, la chaîne nature de la fondation National Geographic, permet aux citadins policés de libérer, en février, leur côté fauve. Un peu comme les bonnes vieilles boîtes à gros mots, des boîtes à rugir, disposées dans des hauts lieux de sociabilité (gares et cinémas MK2), autorisent à s’époumoner pour la bonne cause. Notez qu’on peut aussi rugir tout contre son iPhone grâce à l’application idoine. Pour un rugissement, un euro reversé dans la bataille pour la sauvegarde des félins. En effet, il reste entre 30 000 et 100 000 lions d’Afrique et moins de 200 spécimens en Asie. On recense moins de 12 000 guépards à l’état sauvage, quant aux tigres, ils sont carrément en voie d’extinction. Cet effondrement aussi à de quoi faire hurler. Pour vous y entraîner, la chaîne a concocté en février une programmation exceptionnelle de documentaires, à partir de 20h35, tous les soirs du 20 au 26 février et les dimanches. _A.D.M.


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NEWS SEX TAPE

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Regard baladeur Go Go Tales d’Abel Ferrara Avec : Willem Dafoe, Bob Hoskins... Distribution : Capricci Films Durée : 1h36 Sor tie : 8 février

Qu’est-ce qui fascine aujourd’hui l’œil fureteur d’Abel Ferrara ? La faune interlope d’un strip club en déroute. Alors qu’avant le bitume salissant de Manhattan l’attirait plus facilement que les intérieurs tamisés, il s’introduit avec Go Go Tales dans un microcosme clos, peuplé de rondeurs. Le sanctuaire concentre l’énergie de la Big Apple, qui virevolte autour de la barre verticale, mais surtout dans la salle et les coulisses. L’objectif voyeur s’intéresse en priorité au contrechamp de la scène, pour raconter la lose pathétique de quelques pauvres diables soucieux de cacher leur débandade derrière un show qu’ils contemplent avec anxiété : gérants, spectateurs et girls elles-mêmes. Du moins celles qui tiennent encore debout.

© Capricci Films

_Yal Sadat

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FEMMES SCÉNARISTES

Les années 1990 ont scellé l’envol du « frat pack » autour de Judd Apatow, Ben Stiller et quelques autres joyeux lurons. Serait-ce désormais le tour du « fempire » ? De ce terme fourre-tout, homologué – comme « beat generation » et « mumblecore » – par un article du New York Times, difficile de déduire qu’un empire féminin tient désormais les rênes d’Hollywood. Mais lorsqu’un groupe de scénaristes américaines se fait remarquer pour ses scripts enlevés, de Mes meilleures amies à Young Adult, il y a néanmoins de quoi se réjouir. Présentations. _Par Clémentine Gallot et Auréliano Tonet _Illustrations : David Vicente

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lles se sont rencontrées lors d’une soirée Halloween, au début des années 2000. Très vite, leur amitié débouche sur des séances de travail en commun. Toutes apprenties scénaristes, Diablo Cody, Elizabeth Meriwether, Dana Fox et Lorene Scafaria baptisent leur groupe d’un nom iconoclaste : « fempire ». Lancée comme une boutade en 2009, mais rapidement montée en épingle par la presse, l’expression est restée. « Lorsqu’on l’a employé dans un entretien au New York Times, on ne s’attendait pas à ce que ce terme nous poursuive encore aujourd’hui, s’amuse Diablo Cody. Nous passons beaucoup de temps ensemble, toutes les quatre. Certaines s’apprêtent même à passer à la réalisation, comme moi bientôt. On progresse ! Nous pensons qu’il faut se soutenir dans cette industrie dominée par les hommes. On célèbre mutuellement nos succès, au lieu de les vivre de manière conflictuelle. » On doit aux « fempire », aujourd’hui trentenaires, des scripts de facture très différente, parfois féministes, mais pas toujours. Cody a pris pour habitude d’y injecter une dose d’expérience personnelle : « Il est important,

lorsque vous construisez un personnage de strip-teaseuse ou de barman, d’avoir vousmême vécu cette expérience. J’admire les scénaristes qui ont une vie bien remplie. Et moins ceux qui restent chez eux à écrire, ou dans une école de cinéma à écouter le prof. Fréquenter des gens névrosés aide beaucoup. » Depuis le succès inaugural de Juno, en 2007, la singularité d’écriture du quatuor s’est confirmée, grâce à de solides personnages féminins et à une dramaturgie détournant avec finesse les clichés, comme dans Jennifer’s Body, sorti en 2009, ou Sex Friends, en 2011. Young Adult, le nouveau film scénarisé par Diablo Cody, en salles au printemps, surprend ainsi par son absence de happy-end : « Cela a été une décision difficile à prendre. Je dois dire que j’étais tentée par une rédemption hollywoodienne, notamment parce que je veux continuer à pouvoir gagner ma vie ! Mais je pense que c’est un bon choix pour le film. » Prônant l’entraide là où la majorité des scénaristes œuvrent en solitaire, les « fempire » contrecarrent le stéréotype du catfight : non, la compétition à Hollywood ne se solde pas toujours par des crêpages de chignon.

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FEMMES SCÉNARISTES

« Il faut se soutenir dans cette industrie dominée par les hommes. On célèbre mutuellement nos succès, au lieu de les vivre de manière conflictuelle. » Fempire weekend

Il faut dire que sur les collines de Los Angeles, la guerre des sexes fait rage. Rares sont les femmes cinéastes à s’y être imposées, quand leur réussite n’est pas suspectée d’avoir été facilitée par leur mari (Kathryn Bigelow, exépouse de James Cameron) ou leur papa (Sofia Coppola, fille de Francis Ford). Hors des salles de réunion corsetées d’Hollywood, il est sans doute plus aisé d’exister dans l’axe « indie » qui relie New York, Portland et Austin, où évoluent Kelly Reichardt (La Dernière Piste), Debra Granik (Winter’s Bone) ou Karyn Kusama (Girlfight). Volontiers programmées par les circuits indépendants, les réalisatrices sont plus rarement abonnées aux multiplexes, exception faite de Nancy Meyers (Ce que veulent les femmes), Catherine Hardwicke (Twilight) et Phyllida Lloyd (Mamma Mia !). Si l’Amérique garde une longueur d’avance en matière d’équité salariale ou de women’s studies, force est de constater qu’elle traîne loin derrière la France sur le terrain ô combien symbolique des représentations cinématographiques. À la farandole de réalisatrices, expérimentées (Agnès Varda, Catherine Breillat, Patricia Mazuy, Pascale Ferran, Virginie Despentes…) ou novices (Valérie Donzelli, Céline Sciamma, Sophie Letourneur, Mia Hansen-Løve, Rebecca Zlotowski, Géraldine Nakache…), qui investissent chaque semaine nos écrans, répond ce chiffre implacable : aux États-Unis, en 2011, les femmes n’ont réalisé que 5 % des films à succès. Dès lors, les stratégies d’infiltration passent par deux canaux principaux, souvent simultanés : l’écriture de scénario et la confection de séries télévisées. Plusieurs « fempire » sont ainsi passées par le petit écran, comme Diablo Cody (United States of Tara, produite par Steven Spielberg) et Elizabeth Meriwether (New Girl). S’y développe un savoir-faire précieux, encouragé par

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les spécificités de l’écriture cathodique, à la fois régulière, collective et resserrée. Depuis Madelyn Pugh Davis, plume hilarante d’I Love Lucy dans les années 1950, plusieurs showrunners se sont rôdées à la télévision, notamment dans l’émission satirique hebdomadaire Saturday Night Live, vivier de jeunes talents, de Kristen Wiig (Mes meilleures amies) à Tina Fey (30 Rock). Si Weeds et Nurse Jackie ont été créés par des femmes, on se doute moins que sept des neuf scénaristes de Mad Men sont de sexe féminin. Une percée en demi-teinte, cependant, puisqu’une productrice chevronnée, Neely Swanson, vient de tirer la sonnette d’alarme dans son essai Women Can’t Create and White Men Can’t Jump (« Les femmes ne savent pas créer, les hommes blancs ne savent pas sauter »), faisant état d’une baisse de 11 % des pilotes écrits par des femmes entre 2009 et 2010.

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Historiquement, l’écriture constitue la niche féminine privilégiée de l’industrie, son point de concentration. « Les scénaristes sont les femmes de l’industrie du cinéma », a-t-on même coutume d’entendre dans les très conformistes studios californiens. Parmi celles ayant marqué les mémoires, citons Gene Gauntier (auteur de Ben Hur en 1907), Nora Ephron (Quand Harry rencontre Sally, 1989), Callie Khouri (Thelma et Louise, 1991) ou Caroline Thompson (L’Étrange Noël de Monsieur Jack, 1994). Mais, pour trouver une relative équité, il faut revenir à l’âge d’or du muet, entre 1912 et 1925, lorsque la moitié des films étaient scénarisés par des femmes, grâce à des fortes têtes comme Beulah Marie Dix et Marion Fairfax. Rien de tel aujourd’hui : selon les chiffres du Center for Study of Women in TV and Film, seuls 12 % des films sont écrits par des femmes, avec, au sommet de la pyramide économique,


FEMMES SCÉNARISTES

« Il est plus facile d’écrire des films autour d’hommes-enfants, c’est un phénomène mieux accepté socialement. L’idée d’une femme qui a du mal à grandir effraie. » Melissa Rosenberg, qui a adapté la lucrative saga Twilight sur grand écran. Le point de vue développé dans les scénarios grand public reste donc essentiellement masculin. Symbole ambigu de cette phallocratie, Judd Apatow s’apprête peutêtre à virer de bord avec sa prochaine réalisation (This Is 40), où il laisserait le rôle principal à son épouse, la pince-sans-rire Leslie Mann. Autre indice d’un éventuel vent frais : la nouvelle série produite par Apatow pour HBO, Girls, sur un groupe de jeunes filles se lançant à l’assaut de New York, a été conçue par la prometteuse Lena Dunham, que l’on s’arrache déjà. Les « bromances » d’Apatow et leurs brochettes de losers imberbes auraient-elles ouvert une brèche dans le plafond de verre des archétypes hollywoodiens ? « J’apprécie les films de Judd, mais j’estime qu’il est nécessaire de proposer une perspective féminine, tempère Diablo Cody. Il est plus facile d’écrire des films autour d’hommes-enfants, car c’est un phénomène mieux accepté socialement. L’idée d’une femme qui a du mal à grandir effraie. C’est contre cette peur-là que se bat Young Adult. » Pierre angulaire de 2011, le succès de Mes meilleures amies a ouvert des portes : cette subversion de la comédie du mariage, certes réalisée par un homme, Paul Feig, a le mérite d’avoir créé un précédent, financier tout du moins. Dès lors, on peut voir dans l’ascension de Maryam Keshavarz (En secret), Madeleine Olnek (Codependent Lesbian Space Alien Seeks Same), Dee Rees (Pariah) ou Cindy Meehl (Buck), stars montantes du circuit « indie », une entorse encourageante aux normes mâles, blanches et hétérosexuelles. Les « fempire » n’ont pas fini de contre-attaquer. ♦ Young Adult de Jason Reitman Avec : Charlize Theron, Patrick Wilson… Distribution : Paramount Durée : 1h34 Sor tie : 28 mars Mes meilleures amies de Paul Feig DVD disponible chez Universal Vidéo

Cuisine et dépendances du scénariste

La majorité des manuels de scénario sont des livres de recette où l’on vous donne les ingrédients, l’ordre et la structure que devra avoir votre tambouille pour qu’elle soit appréciée. Selon l’universitaire Frédéric Sojcher, qui a coordonné l’ouvrage L’Art du scénario, c’est une bêtise. D’abord, parce qu’il n’y a pas qu’une seule méthode possible : pour chaque règle édictée par les manuels, on peut trouver nombre de contre-exemples fameux. Ensuite, parce que le scénario n’est pas tout. Il fait partie d’un processus collectif de création : production, mise en scène, direction d’acteurs, montage nourrissent et complètent l’écriture. Enfin, parce que mieux vaut donner la parole à ceux qui fabriquent vraiment des films que de laisser causer des auteurs qui écrivent plus souvent des manuels que des scénarios. Cantonné à l’exemple français, L’Art du scénario recueille ainsi des entretiens avec des réalisateurs, acteurs, scénaristes, producteurs ou monteurs, de Noémie Lvovsky à Valeria Bruni-Tedeschi, d’Agnès Jaoui à Laurent Cantet, qui, sans dogmatisme, partagent leur expérience. À chacun, ensuite, de créer sa propre recette.

_I.P.-F.

L’Art du scénario sous la direction de N. T. Binh, Catherine Rihoit et Frédéric Sojcher (Archimbaud/Klincksieck, disponible)


« Fempire » & compagnie

Derrière la médiatique Diablo Cody et ses amies « fempire », plusieurs femmes s’emploient à réécrire, entre ombre et lumière, le script hollywoodien. Portraits.  _Par C.G. et A.T.

Tina Fey

Issue de la troupe de stand-up Second City à Chicago, cette scénariste et comédienne dispense un humour véloce, futé et frénétique, évoquant la Julia LouisDreyfus de Seinfeld. On l’a vue au cinéma au bras de Steve Carell (Crazy Night), mais aussi et surtout en productrice de télévision débordée dans 30 Rock. Cette hilarante série, qu’elle a créée en 2006, s’inspire de ses années passées au Saturday Night Live, où elle s’est fait connaître en arborant la choucroute de Sarah Palin. Dans son autobiographie, Bossypants, Tina Fey explique qu’être une femme dans le milieu de la comédie, c’est déjà être une minorité.

Lena Dunham

Après une première autofiction remarquée, Tiny Funiture, la jeune femme de 25 ans a rejoint les génies potelés de Judd Apatow, pour qui elle a créé la série Girls, diffusée en avril sur HBO. Qui es-tu, Lena Dunham ? On lui a posé la question : « Je fais des comédies à partir d’éléments qui ne sont pas drôles. Je m’intéresse au naturalisme, à la sociologie, au fossé entre la manière dont on se voit et dont les autres nous perçoivent. Visuellement, je m’inspire de Gordon Willis, des documentaires vérité comme The Farmer’s Wife de David Sutherland et de sitcoms comme Cheers ou Seinfeld. »

Annie Mumolo

Acolyte de Kristen Wiig, Annie Mumolo s’est inspirée de leurs déboires communs pour coécrire le scénario de Mes meilleures amies. « Sans fioritures ni froufrous, juste la vérité crue, explique-t-elle au site ScreenRant. On connaît des femmes qui sont si drôles dans leur vie personnelle et qui font de la vraie performance. On s’est dit qu’on devait leur donner une chance de le montrer. » Après des années de stand-up en Californie et quelques apparitions sur petit et grand écran (on lui doit d’ailleurs un caméo dans l’avion de Mes meilleures amies), elle tiendra un petit rôle dans le prochain Judd Apatow, This Is 40.

Dana Fox

Versant bling-bling et commercial du « fempire », Dana Fox est à nos yeux son maillon faible. Déviant peu des canons traditionnels, elle a infiltré le mainstream avec deux comédies romantiques, The Wedding Date et Jackpot avec Camerion Diaz et Ashton Kutcher. Mal reçues par la critique, elles n’ont toutefois pas nui à sa crédibilité auprès des investisseurs. Fox, qui se destinait à une carrière de productrice, se retrouve au générique de films mineurs, tels Night and Day, 27 robes ou Thérapie de couples. Avec en préparation une série télé sur un « manny » (un baby-sitteur) commandée par la… Fox (attention, jeu de mots).


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Elizabeth Meriwether

Lorene Scafaria

Cette native du New Jersey a insufflé un charme irrésistible à deux audacieux teenmovies : la ballade romantico-musicale Une nuit à New York de Peter Sollett (avec Michael Cera et Kat Dennings), qu’elle a scénarisé, et le bondissant Bliss de Drew Barrymore, dont elle a composé la B.O. On attend beaucoup de son passage à la réalisation, Seeking a Friend for the End of the World avec Steve Carell et Keira Knightley, sur fond de fin du monde, comme son nom l’indique. Elle a également développé un projet avec le cinéaste italien Gabriel Muccino, en stand-by, et fréquenterait Ashton Kutcher, pour ceux que cela intéresse.

Benjamine des « fempire », la dramaturge new-yorkaise est l’auteure de la pièce Heddatron, soit Hedda Gabler d’Henrik Ibsen en version robot, tout simplement. Elle a également signé la série avortée Sluts, ainsi que l’une des nombreuses variations en « sexe » de l’année passée, Sex Friends, comédie romantique frontale et enlevée, qui voit Natalie Portman et Ashton Kutcher négocier les termes de leur relation. Plus récemment, elle a créé la série à succès New Girl sur la chaîne FOX, dans laquelle Zooey Deschanel campe les aventures primesautières d’une enseignante mélomane un peu trop dans la lune.

Kristen Wiig

Découverte la plus démente de 2011, Kristen Wiig a prouvé avec Mes meilleures amies, dont elle a coécrit le script et joué le rôle principal, son absence de limites dans l’autodérision (elle a depuis fait savoir qu’elle avait refusé d’écrire une suite au film). À son actif, des épisodes parmi les plus drôles de Saturday Night Live, où elle est comédienne en résidence, et bientôt Friends with Kids, comédie générationnelle où elle retrouve Jon Hamm. Consécration, elle rejoint Ben Stiller dans son remake de The Secret Life of Walter Mitty, l’histoire d’un photographe de presse qui tombe sur elle en rêvassant. De vilain canard à dream girl.

Abi Morgan

De ce côté-ci de l’océan, l’hyperactive Anglaise Abi Morgan, 43 ans, déjà évoquée dans ces pages en fin d’année dernière (Trois Couleurs #96), est sur tous les fronts, cumulant l’écriture de pièces de théâtre, de films et de séries. Récemment, on lui doit la série The Hour, brillante incursion dans la fabrique du journalisme fifties, mais aussi l’errance sexuelle de Shame et l’ascension de Margaret Thatcher version « apolitique » dans La Dame de fer. L’attendent une adaptation de Birdsong, d’après Sebastian Faulks, et The Invisible Woman, sur la maîtresse de Dickens, produit par Ralph Fiennes pour la télévision, où elle a fait ses débuts.

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Diablo décodée Ancienne strip-teaseuse devenue, par la grâce de Juno, la scénariste la plus en vue de sa génération, DIABLO CODY revient avec Young Adult, de Jason Reitman, en salles au printemps. Chroniqueuse d’une féminité mutante et inquiète, elle nous a parlé de ses manies et de ses marottes, à rebours des clichés hollywoodiens. Portrait d’une plume intelligente en diable. _Par Auréliano Tonet, à Los Angeles

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iercée, le cheveu ras, vêtue d’une robe léopard ocre et moulante, une rousse rutilante nous reçoit dans sa suite du Four Seasons, à Beverly Hills. Qui estce ? Diablo, probablement. Le doute est permis car, dans notre souvenir, la diablesse était alternativement brune ou blonde, mais un coup d’œil sur ses imposants tatouages lève nos dernières hésitations. Dans le monde plutôt feutré des scénaristes hollywoodiens, Cody – de son vrai nom Brook Busey – détonne. Depuis l’illustre Paddy Chayefsky, auteur de Network, c’est l’une des seules scénaristes à bénéficier d’un droit de regard sur le montage des films qu’elle écrit. Et, bien qu’elle prétende « ne pas être un auteure », elle fait partie des rares plumes, avec Charlie Kaufman (Eternal Sunshine of the Spotless Mind) ou Aaron Sorkin (The Social Network), à être considérées avec autant de déférence qu’un réalisateur.

Busy busey

À quoi tient cette aura ? À son parcours, tout d’abord, bien plus traversier que la moyenne. Native de Chicago, elle s’est fait connaître en relatant sur son blog, The Pussy Ranch, son

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expérience de strip-teaseuse, un métier qu’elle a exercé avec un plaisir avoué. La parution, à 24 ans, de son autobiographie tape dans l’œil d’un producteur hollywoodien, Mason Novick, pour qui elle boucle en quelques semaines le script de Juno, en 2006. Triple nomination aux Oscars, succès mondial, Cody enchaîne avec la série United States of Tara, produite par Steven Spielberg en 2009, et le scénario de la comédie horrifique Jennifer’s Body, la même année. C’est pour Young Adult, sa deuxième collaboration, après Juno, avec Jason Reitman, qu’on la rencontre aujourd’hui. On y retrouve, en pagaille, les principaux motifs de sa filmographie, au premier rang desquels le renversement sardonique des codes du teen movie. Auteur à succès de romans jeunesse, Mavis (Charlize Theron) apprend la récente paternité de son ex, et entreprend de le reconquérir. Les scènes canoniques du teen movie – premiers baisers, disputes familiales et amicales, bal de fin d’année – sont détournées une à une avec un cynisme glaçant, la stratégie de séduction de la pourtant ravissante Mavis échouant lamentablement. « Comme elle, je n’ai pas tout à fait surmonté mon adolescence, confesse Diablo.


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Charlize Theron dans Young Adult, de Jason Reitman

« certaines femmes se comportent comme des hommes, même si, venant d’une femme, cela choque bien davantage. » Malgré son égoïsme, je me sens proche de l’intensité de mon personnage, de ses imperfections. Depuis les années 1970, les femmes ont gagné en indépendance. Dès lors, certaines d’entre elles, telle Mavis, choisissent de se comporter comme des hommes, même si, venant d’une femme, cela choque bien davantage. »

Le Diablo corps

Comme dans chacun des scripts de Cody, les corps – chéris ou abhorrés, toujours changeants – trônent au cœur de Young Adult. L’adolescente enceinte de Juno, la pompom girl cannibale de Jennifer’s Body, l’héroïne schizophrène de United States of Tara et l’adulescente narcissique de Young Adult

se heurtent, l’une après l’autre, à un monde qui ne leur convient pas. Lequel prend, plus souvent qu’à l’occasion, la forme d’une paisible bourgade du Minnesota, à peine bousculée par quelques déflagrations rock. « Par amour, j’ai déménagé, comme Mavis, dans un bled pourri du Midwest. Comme elle, j’étais lycéenne dans les années 1990, lorsque tout le monde était grunge et alternatif. Je ne me lavais pas les cheveux. Quant à la grossesse, c’est une gâchette formidable pour tout scénariste », confie Diablo, qui vient d’avoir son premier enfant. Citant Le Lauréat de Mike Nichols comme film de chevet, elle vient de finir l’adaptation d’un roman jeunesse phare des années 1980, Sweet Valley High, dont l’écriture a fortement irrigué Young Adult. Elle s’apprête surtout à réaliser son premier film, « la virée à Las Vegas d’une femme en quête d’aventures », sorte de « pendant intime et féminin de Very Bad Trip », avec Jennifer Hough et Russell Brand. « Même si je vis ici, je ne pourrais jamais écrire sur Los Angeles », ajoute-telle, avant d’ouvrir la fenêtre de sa chambre et d’humer, clope au bec et tatouages au vent, l’air californien. ♦

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Journaliste parisienne bourgeoise et débordée, JULIETTE BINOCHE se confronte dans Elles à la prostitution estudiantine et son cortège de fantasmes et d’interdits. Abordant son sujet de manière frontale, avec beaucoup de justesse, le film sort quelques jours avant La Vie d’une autre, où l’actrice explore la personnalité morcelée d’une femme frappée d’amnésie, témoin impuissant du naufrage de son mariage. Rencontre. _Propos recueillis par Juliette Reitzer

Elles et La Vie d’une autre sont deux films réalisés par des femmes. Est-ce une coïncidence ? La vie est faite de coïncidences et de non-coïncidences, et je ne peux pas répondre à la place de la vie. Le sexe n’est pas un critère pour moi. Je ne me suis jamais sentie loin des metteurs en scène masculins, parce qu’il y a une attirance évidente entre un homme et une femme, et de ce fait une relation privilégiée. Mais avec une femme je ressens aussi une séduction. Je crois que cela vient du fait d’être filmée. Décider où braquer sa caméra, c’est un geste assez masculin. Alors qu’un acteur a une position plus féminine, il reçoit, se laisse voir. Vous avez une manière très physique de vous approprier les rôles. Est-ce dû à votre expérience de la danse contemporaine ? Le mouvement m’a toujours passionnée, c’est pour ça que j’ai eu envie de faire de la danse. Si on n’a pas un rapport à son corps et à l’espace, on n’est pas tout à fait acteur. Comment donner forme à un sentiment, une émotion, à quelque chose qui ne peut pas se dire ? Le geste est la parole du corps.

© Philippe Quaisse / Pasco

Qu’est-ce qui vous a séduit dans Elles de Malgorzata Szumowska ? Le scénario avait un vrai sujet. Malgo n’a pas de complaisance dans l’écriture, ni dans sa façon de filmer. Elle sait se remettre en question, et j’aime ce risquelà. Mon personnage se confronte à sa vie sexuelle, à ses angoisses, à sa vie familiale. Elle est souvent filmée seule chez elle, c’est presque un non-jeu parce que quand on est seule on s’oublie, on vit dans un état de non-être. L’absence de jugement sur la prostitution est une des forces du film. Ce qui est provoquant dans ce film, c’est que ce sont les filles qui choisissent leur vie, leurs clients. Elles sont leur propre mac, gèrent leur business. Je pense que c’est une des conséquences de nos sociétés occidentales, qui

banalisent la prostitution dans les magazines, les pubs. Cela fait des années qu’on voit des filles de 15 ans maquillées, dans des positions provocantes, entourées de luxe, de brillance. Une vie cool, possible et facile. On sent une tendresse particulière à l’écran entre vous et Joanna Kulig, la jeune actrice polonaise. Notre complicité était immédiate, peut-être due au fait qu’elle ne parle pas le français. Nos rapports se jouaient dans les échanges de regards, les rires. La grande force des Polonais, et je dis peut-être cela parce que j’ai des origines polonaises, c’est qu’il y a chez eux un mélange de désespoir et de rire à la vie, quelque chose de fonceur et libérateur.

« Si on n’a pas un rapport à son corps et à l’espace, on n’est pas tout à fait acteur. Le geste est la parole du corps. » Sur le tournage, vous proposez des choses différentes à chaque prise. Est-ce fonction de la liberté que vous laisse le réalisateur ? Il y a une inertie avant de commencer une prise, une zone de vide où je ne sais pas ce qui va se passer, comme avant de commencer une peinture. Ce n’est pas moi qui suis juge, c’est le metteur en scène, mais cet instant est une zone hors de sa portée. À ce momentlà, tout est possible, c’est une aspiration au présent, un appel d’un autre temps qui devient hors du temps. Je m’échappe à moi-même et donc à tout autre. Qui est Marie, votre personnage dans La Vie d’une autre de Sylvie Testud ? Marie se réveille un matin en ayant oublié les quinze dernières années de sa vie. Elle voit juste qu’elle est en plein divorce de l’homme dont elle est amoureuse. C’est insupportable. Il fallait qu’à chaque plan Marie soit perdue comme un enfant qui ne sait pas où aller. www.mk2.com

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juliette binoche

dans la peur de perdre. Le pire, c’est de perdre l’amour, l’amour de la vie, aimer s’étonner, apprendre, écouter. Aimer faire le petit-déjeuner, aimer faire l’amour. On peut oublier qui on est vraiment, mais je crois qu’au fond l’enfant, l’adolescent est toujours là si on fait attention. Ce n’est pas le nombre d’années qui fait l’âge. Celle que vous étiez à 20 ans serait-elle fière de celle que vous êtes aujourd’hui ? « Fière », c’est un drôle de mot. En tout cas, j’ai voulu ma vie et je peux dire que je n’ai pas de regrets. Sauf peut-être d’avoir fait souffrir ou souffert moi-même, mais ces souffrances permettent aussi de prendre conscience, de se réveiller. Nos grandes douleurs sont nos grands cadeaux.

Elles de Malgorzata Szumowska

« Résister à ce que la vie peut vous proposer, c’est de l’héroïsme ! Ne pas se laisser aller physiquement, devenir une poupée, être dans l’avoir, dans le pouvoir. » Elle est traversée par une multitude de sentiments contradictoires… Oui, Marie doit jouer un rôle sans arrêt. Il fallait à la fois que l’histoire soit crédible et exploiter le côté cocasse de la situation. Cette jonction entre le tragique et le comique était fastidieuse.

©Haut et Court

Allez-vous naturellement vers des rôles difficiles, qui vous mettent en danger ? Il faut que je sois touchée quand je lis le scénario. Et à partir du moment où on est touché, on prend un risque. Mon cœur a besoin d’être engagé, sinon le jeu n’en vaut pas la chandelle. Ce qui est tragique pour Marie, c’est qu’elle est devenue quelqu’un d’autre pendant ces quinze années, elle ne se reconnaît pas. C’est un danger pour chacun d’entre nous : ne pas se reconnaître. Résister à ce que la vie peut vous proposer, c’est de l’héroïsme ! Ne pas se laisser aller physiquement, devenir une poupée, être dans l’avoir, dans le pouvoir,

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Que vous apporte la dimension collective d’un tournage ? Une unité. Le même sentiment d’unité que je ressens dans la rue quand je marche. Je ne me sens pas séparée des autres. J’ai le désir fondamental de participer au monde. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas choisi la peinture, j’ai choisi d’être « avec ». Quand on a des scènes difficiles à jouer, où l’on se met à nu, on est obligé d’intégrer tout le monde en soi pour y aller. Je ne sais pas me donner en étant séparée des autres. C’est vraiment quelque chose que j’ai appris avec le temps. Pouvez-vous nous parler du tournage de Cosmopolis, de David Cronenberg ? Je joue une vendeuse d’art qui a une relation sexuelle avec un jeune riche, interprété par Robert Pattinson, à qui elle essaie de vendre des tableaux. J’ai tourné deux jours, dans un univers très cronenberguien, c’està-dire assez distant pendant le tournage, mais chaleureux au départ et à l’arrivée. C’était devant un fond vert, dans une limousine avec une caméra dirigée à distance, David nous parlait à travers un micro. Au départ, j’étais grisée à l’idée de jouer une espèce de folle furieuse. Or, à la fin de la scène, elle se retrouve dans une solitude misérable. En sortant du film, je me suis sentie assez mal. Et c’est exactement ce que David voulait raconter : l’illusion de prospérité, puis la sensation d’un monde qui tombe et perd tout. Pensez-vous passer un jour à la réalisation ? On m’a beaucoup posé la question, je dis toujours « oui » et je n’ai pas encore vraiment commencé donc je n’ai plus envie de répondre. La question ne nécessite plus une réponse, elle nécessite une action ! ♦ Elles de Malgorzata Szumowska Avec : Juliet te Binoche, Anaïs Demoustier… Distribution : Haut et Cour t Durée : 1h36 Sor tie : 1 er février La Vie d’une autre de Sylvie Testud Avec : Juliet te Binoche, Mathieu Kassovitz… Distribution : Arp Sélection Durée : 1h37 Sor tie : 15 février


juliette binoche

En anglais, l’expression « to have a monkey on one shoulder » désigne une addiction. MARION LAINE se frotte au sujet dans Un singe sur l’épaule, son deuxième long métrage, prévu en salles fin 2012, où Juliette Binoche donne la réplique à Edgar Ramirez. Reportage à Marseille, sur le tournage.

On est crevés, Juliette et Edgar ont payé un pot à l’équipe hier soir », prévient la régisseuse qui nous conduit de la gare de Marseille au parc Borély, au sud de la ville, où se tourne Un singe sur l’épaule. Lorsqu’on arrive sur place – une petite palmeraie au cœur d’un jardin botanique –, les techniciens font une pause pendant que Juliette Binoche, Marion Laine et Edgar Ramirez répètent une scène de dispute. On note les éclats de rire de l’une, l’énergie de la deuxième et l’accent du troisième, hyper concentré. Les séquences tournées aujourd’hui se situent vers la fin du scénario, qu’on a lu dans le train : l’histoire d’un couple de chirurgiens fragilisé par l’addiction de l’homme à l’alcool. Après trois prises pour le premier plan, neuf pour le suivant, c’est l’heure du déjeuner. Direction la cantine, installée sous une grande tente blanche. Là, Marion Laine explique : « Avec Juliette, on vient de l’école de théâtre Véra Gregh. Elle a été une personne importante pour nous deux, et cela nous lie. » Avant de regagner le plateau, elle ajoute : « Je n’ai pas envie de faire un film sur la chirurgie ou sur l’amour. Mais plutôt de jouer avec toute la poésie possible à l’intérieur d’un corps, d’un cerveau,

© Marion Stalens

_Par Juliette Reitzer

d’une âme. » À Paris, quelques jours plus tard, Binoche ajoutera : « Ce sont des chirurgiens habitués à ouvrir des cœurs. Ils vivent une histoire d’amour folle dont ils pourraient mourir l’un et l’autre. C’est le parallèle de ces deux mondes qui fait la force du film. » Alors que l’équipe tourne un plan de Juliette seule, on fait quelques pas au soleil avec Ramirez, aussi exalté que le Carlos qu’il campait chez Assayas : « ‘‘Addiction’’ est un mot qui fait peur, mais l’amour n’est-il pas une addiction ? Les couleurs, les sensations, le corps changent quand on est amoureux… » Il

s’interrompt pour héler un technicien : « Tu as trouvé la barque ? Je voudrais l’essayer un peu avant la scène. » Dans la dernière séquence du jour, il doit en effet manœuvrer l’embarcation sur le lac qui traverse le parc. Une heure plus tard, Juliette tourne un plan large dans lequel elle s’introduit dans le jardin, encore fermé. Les lieux doivent sembler déserts, et les assistants s’affairent pour contenir les badauds hors du champ. Silence, moteur, action… et coupez. Au fond du cadre, une barque progresse péniblement sur l’eau, tableau surréaliste, étrange bateau ivre. C’est Edgar qui, zélé, s’entraîne à pagayer. ♦

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Célébré à la Cinémathèque française par une rétrospective, STEVEN SPIELBERG a profité de son passage à Paris pour parler de son prochain film, Cheval de guerre. Cette fresque splendide, qui renoue en apparence avec ses fables humanistes des années 1980, poursuit une fascinante odyssée du regard.  _Par Jérôme Momcilovic 54

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STEVEN SPIELBERG

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encontrer Spielberg, se frotter à pareille aura (celle d’un pan entier d’Hollywood, le plus important peutêtre, le plus significatif sûrement), n’est évidemment pas rien. Quand il se présente, l’homme semble aussi simple qu’on se le figurait, quoique plus élégant – une chic casquette de laine coiffe sa soixantaine radieuse, loin de l’uniforme nerd dont l’habillait encore notre mémoire. Il est courtois, et un peu enrhumé. S’il impressionne tant, c’est que derrière Spielberg, derrière ce nom, il y a beaucoup plus que l’ordinaire silhouette qui se présente à nous. De quoi Spielberg, aujourd’hui encore, est-il l’icône ? D’un moment d’abord, au carrefour des années 1970-80, qui le vit redéfinir les contours d’une industrie hollywoodienne dont il reste, trois décennies plus tard, l’emblème. D’une morale de l’entertainment ensuite, dont la sidération serait le commencement et la fin, la clef de voûte des récits, entièrement requis par la force épiphanique du plan – émerveillement ou terreur rejoués sans cesse devant le surgissement d’un requin, d’un alien, d’un dinosaure, de la guerre, d’un cheval.

Liberté du regard Venu du temple de la cinéphilie française, l’hommage rendu par la Cinémathèque est un signal, fort, de réconciliation, favorisé par la poignée de chefs-d’œuvre sombres de la décennie passée, de A.I. à Munich. Car la voie ouverte par Spielberg fut longtemps, et reste en

« On ne peut pas filmer le Devon en gros plans, pas plus que Monument Valley. Le paysage ici est un personnage à part entière. » partie, marquée du sceau d’une infamie : celle d’avoir sacrifié la modernité américaine des seventies sur l’autel du public et du merchandising, tout en se réclamant d’un classicisme dont il retrouvait le spectacle mais pas la morale, le sentimentalisme mais pas la pudeur. Il y a une certaine ironie à voir Spielberg célébré alors qu’il présente un film, Cheval de guerre, qui semble précisément revenir au cœur humaniste et sucré de son œuvre, sa part la plus honnie. Mais ce qui frappe surtout dans ce film, où se mêlent une effarante virtuosité et une grâce absolue, c’est qu’il souligne combien le cinéma de Spielberg est toujours resté arrimé, en dépit de son goût des défis techniques (Tintin le disait encore brillamment), à une mise en scène classique qui, aujourd’hui, le rend presque anachronique. Affaire de découpage, réglé par la conviction qu’il est, www.mk2.com

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STEVEN SPIELBERG

Cheval de guerre de Steven Spielberg

« Il est essentiel de laisser au spectateur la liberté de poser son regard où il le voudra. » explique-t-il, « essentiel de laisser au spectateur la liberté de poser son regard où il le voudra », et conçu toujours selon sa plus juste adéquation au sujet. Dinosaures et Moviola Quand on lui parle de Ford, auquel la pastorale majestueuse du film, tourné dans le Devon, renvoie forcément ( à L’Homme tranquille surtout, qu’il citait dans E.T.), il nie avoir voulu lui rendre hommage. « Mais je savais, dit-il, que le fond de Cheval de guerre renvoyait aux récits classiques des années 1930, ceux de Ford, Walsh ou Fleming. Et on ne peut pas filmer le Devon en gros plans, pas plus que Monument Valley. Le paysage ici est un personnage à part entière. » Affaire de croyance aussi, là encore définie par des canons balayés par l’époque : « Il n’y a quasiment pas d’effets numériques dans le film. On peut tout représenter avec le numérique aujourd’hui, et le public peut décider de croire à ce qu’il voit, comme, par exemple, les dinosaures de Jurassic Park. Mais il a besoin aussi de croire au temps, à l’espace du film. Et poussé à un certain degré, le numérique empêche cette croyance. » Cheval de guerre marque, par ailleurs, une véritable révolution 56

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copernicienne pour Spielberg : c’est, Tintin mis à part, le premier film qu’il a accepté – à contrecœur et poussé par son monteur – de monter en numérique. Difficile à imaginer mais c’est pourtant vrai : jusqu’ici, Spielberg montait encore ses films à la main, sur une antique table Moviola (lire aussi page 29). Trêve éveillée Narrant l’amitié, au cœur de la Grande Guerre, entre un cheval et un jeune garçon, Cheval de guerre renoue avec ce goût pour la fable qu’avaient obscurci les années post-11 Septembre. Il se tresse, surtout, autour de motifs on ne peut plus spielberguiens : traumatisme d’une séparation (La Couleur pourpre, Always, A.I, Minority Report), fil ténu d’une humanité retrouvée au cœur de la guerre (Empire du soleil, La Liste de Schindler), voyage initiatique dont l’unique dessein est de rentrer à la maison (E.T., Hook, Il faut sauver le soldat Ryan, A.I., Arrête-moi si tu peux, La Guerre des mondes, Munich). Un film simple comme bonjour, donc, une fable sentimentale et édifiante. Pourtant c’est aussi un film étonnamment abstrait, qui refuse de faire du cheval un véritable personnage, alors même qu’on le suit sans relâche dans sa trajectoire guerrière – scènes sublimes au cœur des tranchées, où le cheval finit supplicié, ficelé dans un lacis de barbelé que démêleront, en une trêve irréelle, un soldat allemand et un autre anglais. Joey, c’est son nom, serait plutôt une fonction, une sorte de catalyseur


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« Il n’y a quasiment pas d’effets numériques dans le film. Car le public a besoin de croire au temps, à l’espace. Et poussé à un certain degré, le numérique empêche cette croyance. » de récit pareil à la Winchester 73 d’Anthony Mann ou au Balthazar de Bresson, dont il serait le pendant lumineux, attirant le Bien à lui comme l’âne attirait le Mal. Là-dessus, Spielberg parle, évidemment, de la bonté du cheval, de la force évocatrice de son innocence. On pourrait encore, et à bon droit, reprocher au cinéaste sa naïveté. Mais ce n’est pas tant la bonté qui fait s’unir un temps les soldats ennemis, que l’occasion que leur donne le cheval, qui les fascine, d’offrir leur regard au même spectacle, exactement comme, dans Munich, Israéliens et Palestiniens communiaient autour de la voix céleste d’Al Green. L’aventurier de l’image perdue Ce regard-là, expérience du sublime, fascination pour le spectacle, pour une image (et le dessin du cheval qu’on passe précieusement de main en main ne dit rien d’autre, rappelant que le vrai drame de la guerre chez Spielberg,

dans Empire du soleil comme dans Il faut sauver le soldat Ryan, est toujours de perdre l’image de ses proches), ce regard n’a cessé dans l’œuvre d’être le seul rapport possible au monde (Richard Dreyfuss franchissant, à la fin de Rencontres du troisième type, la porte d’un vaisseau filmée comme un écran de cinémascope : rentrer à la maison, c’est toujours rentrer au cinéma). Les années « sombres » de Spielberg, celles de Minority Report et de La Guerre des mondes, ne représentent au fond que l’envers de cette puissance de l’image, la découverte que la force d’une image, parfois, tue. On se risque à lui proposer cette interprétation : que ce regard partagé par tous ses personnages (et opportunément réunis, sur YouTube, par un habile montage titré The Spielberg Face, qu’il n’a pas vu) n’est que la mise en scène toujours rejouée d’un regard d’enfant levé vers un écran de cinéma – lui peut-être, lui bien sûr, que la découverte du cinéma éveilla au monde. Sa réponse est celle, attendue, d’un cinéaste hollywoodien. Qui dit : « C’est une merveilleuse description, vous venez de trouver le secret de mon œuvre ! », tandis qu’on entend : « Mais quelle idée de vous poser des questions pareilles ? » Le secret, pourtant, est dans le film, facile à déloger, dans l’œil rond du cheval filmé comme l’objectif d’une caméra. ♦ Cheval de guerre de Steven Spielberg Avec : Emily Watson, David Thewlis… Distribution : Walt Disney Durée : 2h27 Sor tie : 22 février

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Haut les cœurs : l’exposition itinérante consacrée à Tim Burton arrive enfin entre les murs de la Cinémathèque française, agrémentée d’une rétrospective de films. Conçu par le MoMa de New York, ce parcours invite à se jeter dans la gueule d’un clown hirsute et grimaçant qui avale les visiteurs à l’entrée… De quoi faire le tour de l’œuvre du plus gothique des cinéastes américains en activité.

© 2011 Tim Burton

_Par Clémentine Gallot

Blue Girl with Wine. c. 1997 Oil on canvas 28 x 22” (71.1 x 55.9 cm) Private collection

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© 2011 Tim Burton

Untitled (Doodle Pad Series). 1989–1993 Pen and ink, and colored pencil on paper 17 x 24” (43.2 x 61 cm) Private collection

S

i elle éclaire le pan cinématographique de l’œuvre de Tim Burton, l’exposition envisage surtout sa carrière au cinéma comme une seconde vie, préférant s’attarder sur sa genèse d’artisan dessinateur. Des œuvres marquées par une enfance solitaire dans la banlieue rangée de Burbanks, en Californie, qui le mène d’une formation à CalArts, en animation, jusqu’à un poste de graphiste chez Disney. Bestiaire grouillant, créatures filiformes, silhouettes endeuillées : la patte du grand escogriffe américain évoque pêle-mêle Edgar Allan Poe, le Bibendum de Nicolas de Crécy, les araignées d’Odilon Redon et les sinistres ombres gribouillées par l’Américain Edward Gorey. À partir des années 1980, les talents de caricaturiste de Burton se déploient sur grand écran, où il épuise et recycle inlassablement ses motifs de prédilection. Incontournable burtonisme, le gothique rénové a pour principal mérite

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© 2011 Tim Burton © 2011 Tim Burton

Untitled (Ramone). 1980–1990 Pen and ink, marker and colored pencil on paper 11 x 9” (27.9 x 22.9 cm) Private collection

Untitled (Mars Attacks !). 1995 Watercolor and pastel on paper 17 x 14” (43.2 x 35.6 cm) Private collection Mars Attacks ! © Warner Bros.

de s’être rendu désirable : une fascination morbide qui a si bien infiltré le mainstream que les visiteurs en famille observent ici benoîtement crânes désossés et bébés criblés de clous. Sculptures et maquettes, croquis et dessins préparatoires de Beetlejuice, masques de Batman, pull angora de Ed Wood : près de sept cents objets s’alignent ainsi dans une farandole macabre. Aux productions inégales des années 2000, l’on préfèrera des microrécits mélancoliques plus obscurs, tel le remarquable livre jeunesse La Triste Fin du petit enfant huître, en attendant l’éclosion dans quelques mois de ses deux nouveaux longs métrages, Frankenweenie (lire page 14) et Dark Shadows. Tour de piste. ♦ Tim Bur ton, l’exposition, du 7 mars au 5 août à la Cinémathèque française, w w w.cinematheque.fr Avec une car te blanche, des conférences, des rencontres et activités pédagogiques pour adultes et enfants. Tim Bur ton signera le catalogue de l’exposition et le livre The Ar t of Tim Bur ton le 4 mars.

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JC et la tradition des documenteurs

AVANT J.C.

L’année de l’apocalypse s’ouvre avec un prophète : Jean-Christophe Kern, réalisateur prodigieux qui multiplie les plans oscarisés et césarisés avant même d’avoir pu se coiffer des lauriers du baccalauréat. JC comme Jésus Christ est un documentaire schizophrène sur sa double vie, entre l’aridité du cahier de texte lycéen et les lignes bourgeonnantes des scripts de films. C’est aussi un gros mytho. Tout est faux dans JC, sauf ce qui est vrai. De fait, le film s’inscrit dans la tradition d’un sous-genre ambigu, brouillant les pistes entre fiction et réalité, le « documenteur » (ou mockumentary). Passage en revue de ces précédents avec le (vrai) réalisateur de JC, JONATHAN ZACCAÏ.

© MK2

_Par Étienne Rouillon (avec Louis Séguin)

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“ JC est un mélange d’Orson Welles et de mon fils de 4 ans.”

C’

est Agnès Varda qui a imaginé le terme de « documenteur » en 1981, devenu le titre de l’un de ses longs métrages. Il emprunte une forme encore très apocryphe : un mélange de fiction et de gimmicks formels issus du documentaire pour donner l’illusion d’une légitimité et d’une véracité complètement bricolée. Ce documenteur et son portrait de femme, perdue dans un exil géographique et intérieur, montre que cette confusion des genres, journalistique et cinématographique, investit le spectateur avec force. « On a presque de l’empathie lorsque JC est confronté à des drames qui n’en sont pas vraiment », dit le comédien belge Jonathan Zaccaï, qui a inventé pour sa première réalisation cet insupportable marmot, cerveau brillant et tête en forme d’aspirateur à baffes. « JC est un mélange d’Orson Welles et de mon fils de 4 ans. Le film peut être vu comme à la fois potache et un peu dérangeant. » Associer blague de dortoir et sentiment d’étrangeté, c’est bien Welles qui s’y est collé le premier, un 30 octobre 1938, avec une fausse émission radiophonique consacrée à l’invasion en direct de la Terre par les extraterrestres (lire pages suivantes).

Depuis, si les formes du documenteur se sont étoffées, son leitmotiv est resté le même : mimer le format journalistique pour susciter une adhésion dérangeante chez le spectateur (à ne pas confondre donc avec le docu-fiction qui, lui, se sert des codes de représentation du cinéma pour illustrer une démarche journalistique). Jusqu’à l’absurde. Ainsi, l’expert des arcanes du pouvoir, le documentariste William Karel, nous confiait l’année dernière avoir été surpris par la force du dispositif documenteur lors de la diffusion de son Opération Lune sur Arte en 2004. On y apprend que l’on n’a jamais débarqué sur la Lune. Et personne n’a été trompé, le documentaire étant explicitement présenté comme un bidonnage. « Reste que pour certaines personnes, les légendes présentées dans le documentaire sont devenues des convictions », affirme Karel. Du fait de sa nature équivoque, le documenteur place les acteurs dans une position de témoins, muant l’interprétation en confession. « Par exemple, Elsa Zylberstein joue au premier degré l’actrice princesse, la star…, souligne Zaccaï. Et comme les situations sont grotesques mais que les comédiens sont sérieux dans leur jeu, ça peut créer un certain malaise. C’est risqué, mais ça me plaît. Je n’ai pas pensé à C’est arrivé près de chez vous en écrivant JC, mais ce film m’a vraiment marqué ; il n’est pas confortable, et deux spectateurs qui le voient en même temps ne réagiront pas du tout de la même façon. Si mon film s’en rapprochait un peu, ce serait par cette ambigüité. » L’étalon belge du documenteur à l’européenne continue de faire les émules avec le prochain En pays cannibale de Alexandre Villeret et Aymeric de Heurtaumont, où l’on suit une équipe de cinéastes qui elle-même file un trafiquant de drogue dans son quotidien complètement braque. Justifier la présence de la caméra en la plaçant dans un contexte crédible, c’est le fond du documenteur : étudiants en cinoche pour Le Projet Blair Witch, équipe de téléréalité pour la série The Office, soldats désœuvrés dans Redacted, journalistes télé dressant un portrait du petit surdoué dans JC. « Ça m’amusait de donner des médailles – Palme d’or, César… – à un personnage de fiction, en me disant qu’il pourrait devenir dérangeant ou attirant, simplement parce que ces médailles existent pour de vrai », sourit Zaccaï. Heureusement, ce n’est que du cinéma. ♦ JC comme Jésus Christ de Jonathan Zaccaï Avec : Vincent Lacoste, Elsa Zylberstein… Distribution : MK 2 Dif fusion Durée : 1h15 Sor tie : 8 février

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DOCUS MENTEURS

Du film de vacances virant au drame jusqu’au spot touristique raciste, en passant par la satire anticonspirationniste, passage en revue des différentes manières de faire des docus bidons mais béton. _Par Étienne Rouillon

> Plus vrai que nature Documenteur (1981) Pitch : Les affres de l’exil vues par une Française partie vivre aux États-Unis. Principe : Avec ce néologisme, Agnès Varda montre que les codes de représentation propres au documentaire peuvent parfois rendre les émotions avec plus de pertinence que ceux de la fiction.

> Invasion extraterrestre La Guerre des mondes (1938) Pitch : La radio CBS annonce l’invasion de la Terre par les Martiens. Principe : Animateur sur CBS, Orson Welles lit le roman de H.G. Wells comme s’il commentait sur le vif et en direct des faits réels.

> Vis ma vie Prend l’oseille et tire-toi ! (1969) Pitch : La vie de Virgil Starkwell, violoncelliste contrarié reconverti dans les braquages mal ficelés. Principe : Woody Allen utilise les codes du portrait documentaire pour présenter un personnage fictif.

> Backstage Spinal Tap (1984) Pitch : Le quotidien d’un groupe de heavy metal, de l’enregistrement en studio jusqu’aux tournées démentes. Principe : Le format docu permet à Rob Reiner de squatter les coulisses : interviews court-circuitées par les égos des membres, morts récurrentes des batteurs, archives volées par des producteurs requins… Un « rockumentaire » hilarant. 64

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> Expédition tragique Cannibal Holocaust (1980) Pitch : Une équipe de journalistes part à la recherche de collègues disparus dans une jungle peuplée de cannibales. Principe : Le réalisme macabre et trash du film soulève un tollé en Italie. Le réalisateur, Ruggero Deodato, est près de passer par la case prison.


JC et la tradition des documenteurs

> Film institutionnel

> Strip-tease C’est arrivé près de chez vous (1992) Pitch : Une équipe de journalistes suit un tueur professionnel, comme on filmerait un artisan boulanger. Principe : Dans la veine des documentaires télévisés Striptease, ce film belge joue des contraintes techniques du reportage pour jeter une lumière à la fois crue et férocement drôle sur une folie gaillarde.

Borat (2006) Pitch : Un reporter kazakh part aux ÉtatsUnis pour s’inspirer de leurs méthodes de communication touristique. Principe : Fausses visites officielles, conférences de presse ubuesques et déclarations publiques effarantes. Borat tient la ligne « documenteur » jusque durant la promotion du film.

>Manifeste artistique Faites le mur ! (2010) Pitch : À force de filmer les stars du street art, M. Brainwash devient l’une d’elles. Principe : L’artiste Banksy démontre par l’absurde la vacuité de la récupération du street art par les galeries les plus en vue. La dimension fictive de ce documentaire est toujours incertaine.

> Secret d’État Opération Lune (2002) Pitch : On n’a jamais marché sur la Lune, et c’est Stanley Kubrick qui a tourné (en studio) le film de l’alunissage. Principe : En rapprochant habilement de véritables interviews sorties de leur contexte, William Karel montre qu’on peut donner corps et légitimité à toutes les rumeurs conspirationnistes.

>Destins extraordinaires JC Comme Jésus Christ (2012) Pitch : Une Palme d’or à 15 ans, un César à 16, et le bac à passer cette année. Principe : Le format documentaire choisi par Jonathan Zaccaï permet de télescoper avec malice la banalité lycéenne et les paillettes du septième art. www.mk2.com

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© Roy Export S.A.S courtesy Musee de l Elysee, Lausanne

février 2012 1923 66 Charlie Chaplin, Le Pélerin,


Dans son manoir face au mont Blanc, au fil d’une expo de photographies à Évian, sur France 3 dans une série animée pour les petits, et bientôt sur les écrans avec la ressortie en salles de l’intégrale de son œuvre en numérique : en 2012, CHARLIE CHAPLIN est partout. _Par Laura Tuillier

E

n arrivant par une petite route de montagne suisse au manoir de Charlie Chaplin, on tombe nez à nez avec le mont Blanc. Sauf que, réchauffement climatique oblige, nous sommes mi-décembre et le mont, excepté les cimes, est plutôt gris. Une atmosphère qui donne à la visite de la dernière demeure de Chaplin un parfum fantaisiste et intemporel qui lui va bien.

Noir et blanc Le manoir de Ban, aujourd’hui presque vide et ouvert aux quatre vents, attend patiemment d’être restauré, pour ouvrir ses portes au public en 2013. Immense, il a abrité à partir de 1953 la famille nombreuse du réalisateur britannique. Remarié en quatrième noces à Oona O’Neill en 1943, Chaplin a eu avec elle huit enfants qui ont vécu dans l’exil, leur père étant interdit de séjour aux États-Unis par le maccarthysme. L’imposante demeure est sur le point d’être transformée en lieu de rencontre avec le fantôme de Chaplin : extraits de films, bandesson, photographies, chaque pièce sera l’occasion de faire connaissance avec le maître de maison. Dans le jardin sera construit un espace « Hollywood » tout entier dédié à son œuvre tandis qu’un théâtre ouvrira le soir. Les décors d’Easy Street (un des courts métrages de Chaplin) devraient même être reproduits près de la piscine. En attendant, la maison dort, enveloppée dans le silence des montagnes : les quinze vieilles cheminées ne fument pas et seul le piano ouvert témoigne de l’animation qui a pu y régner. Lorsqu’on s’aventure dans les chambres du premier, on note sur une porte un sticker

Janet Jackson (collé par Géraldine ?), là une photo de famille oubliée. Première étape de notre tour de piste chaplinien, le manoir de Ban, dans sa splendeur muette, a le charme suranné des films en noir et blanc. Chaplin superstar C’est face au lac Léman que Chaplin le vagabond nous accueille une deuxième fois : le Palais Lumière de la ville d’Évian reçoit jusqu’en mai 2012 l’exposition Charlie Chaplin, images d’un mythe. Grâce au fonds d’archives de la famille du réalisateur, c’est plus de deux cent cinquante photos et documents inédits qui peuvent aujourd’hui être exposés. « À part un costume que nous n’avons pas résisté à livrer au public, nous avons fait le choix de montrer uniquement des images, ce sont elles qui parlent le mieux de Chaplin », explique Sam Stourdzé, commissaire de l’exposition. Si le parcours débute de façon réjouissante mais sage avec le court métrage Charlot fait une cure, cure qui tourne au pugilat du fait d’un masseur trop violent, il se poursuit avec plus d’audace. De très beaux clichés inédits dévoilent Chaplin sans le costume ni la moustache de Charlot. Sous l’acteur superstar, c’est le producteur soucieux de son indépendance qui apparaît. « D’abord acteur, Chaplin passe rapidement à la réalisation, puis il possède son studio, compose ses musiques : il a le contrôle de ses moyens de production », poursuit Sam Stourdzé. Libre, Charlie Chaplin peaufine le personnage de Charlot qui reste son avatar le plus célèbre, et affûte son sens du gag et de la dramaturgie. Ainsi, on peut se régaler d’une désopilante scène coupée des Lumières de www.mk2.com

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CHARLie CHAPLIN

Buster Keaton et Charlie Chaplin sur le tournage des Feux de la rampe, en 1952

« Chaplin était très soucieux de son image, il allait en civil dans les salles de cinéma pour voir comment le public réagissait à ses gags. » la ville, supprimée du montage final par Chaplin, qui ne la trouvait pas justifiée par rapport au reste de l’intrigue. Deuxième homme le mieux payé des États-Unis en 1917, Chaplin devient l’une des premières superstars internationales : il fait la couverture de Vanity Fair, photographié par Edward Steichen, les gravures de Fernand Léger l’immortalisent en « Charlot cubiste » tandis que Chagall le peint en 1925, à la sortie de La Ruée vers l’or. « Chaplin était très soucieux de son image, il allait en civil dans les salles de cinéma pour voir comment le public réagissait à ses gags », précise Sam Stourdzé. Moderne, indomptable, Chaplin réalise aux États-Unis ses plus beaux succès, jusqu’au Dictateur en 1940, film qui marque l’abandon du personnage sympathique de Charlot et le saut vers le parlant, dans une prise de parole engagée. Sans moustache, Chaplin redevient Charlie et quitte les États-Unis contraint et forcé pour s’installer en Europe. Dernière pépite de l’exposition : les « homes movies » que nous présente le petit-fils de l’artiste (Charly, lui aussi), notant que son grand-père « ne pouvait s’empêcher de cabotiner dès qu’il voyait une caméra ». Des vidéos de famille où le patriarche improvise saynètes et gags dans le grand jardin du manoir, pour amuser ses enfants, ébahis comme nous devant tant d’allant et de talent. Retour vers le futur On rembobine : Charlie Chaplin est de nouveau Charlot dans une série animée, diffusée actuellement sur France 3 chaque dimanche matin. Après Le Petit Prince, Les Daltons ou Gaston, Method Animation s’est associé à MK2 pour « faire revivre Charlot sans le trahir », comme l’explique Vincent de Mul, producteur et 68

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directeur littéraire de la série chez Method Animation. À la nuance près que Chaplin & co a lieu dans les années 2000 et que Chaplin a donc pris des couleurs. Passé la première surprise de lui découvrir les yeux bleus, on note avec plaisir que la série a fait le pari du muet et redouble d’inventivité sur la bande-son : musique et bruitages habiles habillent avec poésie le monde de ce Charlot des tout-petits. « Le personnage de Charlot a une dimension cartoon indéniable, due à sa gestuelle, à ses gags. L’animation était donc une passerelle naturelle d’adaptation », ajoute Vincent de Mul. Le dessin animé est même conçu en 3D, « cela lui donne un côté pop-up qui va très bien à Charlot ». L’identité visuelle de la série renforce le côté pantomime du personnage qui, comme le décrit Vincent de Mul, « rappelle parfois la marionnette, l’expressivité en plus ». Quant à la transposition des aventures du vagabond maladroit dans le New York contemporain, Vincent de Mul estime que « la force de Chaplin, c’est sa marginalité, son regard décalé sur les choses qui l’entourent. On a donc voulu le confronter à des situations contemporaines, et voir ce qu’il arrivait en terme de comique ou de poésie. » Le dessin animé permet alors aux enfants de faire connaissance avec un personnage dont la puissance comique reste, même lorsque Charlot est parachuté dans le monde moderne, universelle. La ressortie en salles de l’intégralité des films de Chaplin en numérique 2K à l’automne, permettra de finir en beauté le tour de piste et de découvrir Charlie Chaplin après Charlot, notamment dans la peau de Calvero (Les Feux de la rampe), clown qui a certes perdu beaucoup d’illusions mais trouve encore les moyens de faire rire son public. Un personnage qui, comme Chaplin, sait que l’important est de rester sous les feux des projecteurs. Show must go on. ♦ Exposition Charlie Chaplin, images d’un mythe au Palais Lumière d’Évian, jusqu’au 20 mai Chaplin & co, tous les dimanches matins sur France 3, à par tir de 8h30 Ressor tie en salles de l’intégralité des films de Charlie Chaplin en numérique 2K, à l’automne 2012


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WILL OLDHAM & KURT WAGNER

Quelques mois après la sortie de son superbe dernier album, Wolfroy Goes to Town, on réédite les premiers enregistrements de WILL OLDHAM, aka Palace, aka Bonnie ‘Prince’ Billy. Lui aussi dissimulé sous un faux nom (Lambchop), KURT WAGNER se rappelle à notre bon souvenir avec l’excellent Mr M. L’occasion d’entremêler ces deux voix qui, depuis le début des années 1990, s’emploient à réinventer l’approche des musiques traditionnelles du Midwest, folk et country en tête. Portrait croisé, en forme de fable.

L’

un a baptisé son groupe Lambchop, soit « côte d’agneau » en VF, quand l’autre ne cesse de chanter les loups : A Wolf Among Wolves (2003), SuperWolf (2005), The Signifying Wolf (2006) et maintenant Wolfroy Goes to Town. Le premier, visage tendre et poupin, fait montre d’une bonhomie accorte en entretien, quand le second, barbe hirsute et crâne pelé, dispense un malaise diffus les rares fois où il prend la parole. D’un côté, la chaleur suave de Nashville, célèbre pour sa country mielleuse, calibrée pour les radios ; de l’autre, la rudesse apparente de Louisville, ses KFC, son musée de la batte et sa statue de Louis XVI. S’il devait brosser un portrait croisé de Kurt Wagner et Will Oldham, le journaliste pressé serait tenté de rejouer la fable de La Fontaine, agneau disert dévoré par un loup cruel et affamé, sans autre forme de procès. Mais notre confrère serait, tout aussi promptement, châtié de sa témérité. Car, à y écouter de plus près, nos deux animaux ont des pédigrees plus voisins qu’antagonistes. Country club Oldham et Wagner ont débuté leur carrière au début des années 1990, insufflant à des genres désuets – folk et country – l’âpreté tranchante et

sépulcrale du grunge alors en vogue. Enregistrés dans des conditions précaires, leurs premiers albums sont publiés par des labels exigeants, Merge et Drag City, et ne tardent pas à bénéficier d’un culte souterrain – le prestigieux New Yorker n’hésitant pas à consacrer un reportage d’une dizaine de pages au seul Oldham. Avec le temps, leur discographie prend des contours de plus en plus foisonnants, ployant sous les noms de scène (Palace, Palace Music, Palace Songs, Palace Brothers et Bonnie ‘Prince’ Billy côté Oldham ; Posterchild, Lambchop ou Kort côté Wagner) et les collaborations (Tortoise, Matt Sweeney, Johnny Cash, The Cairo Gang, Anna Ternheim, Mariee Sioux, Red ou Nicolai Dunger pour Oldham ; Josh Rouse, Silvain Vanot, Crop Circle Hoax ou Cortney Tidwell côté Wagner). Leaders de formations mouvantes, pouvant atteindre jusqu’à une vingtaine de membres, les deux hommes partagent un penchant certain pour les duos, mêlant leur voix – pure, plaintive et solennelle chez Oldham, plus granuleuse et murmurée chez Wagner – aux vocalises haut perchées de sirènes de passage. Le dédain qu’affiche leur ville à leur égard ? Oldham se contrefiche, dit-il, de ne pas faire partie des « cinq musiciens locaux favoris » des habitants de Louisville selon un sondage récent, quand Wagner n’en veut aucunement

« Nashville dispose d’une histoire, de studios et surtout de musiciens incomparables. » 70

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_Par Auréliano Tonet

Kurt Wagner


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Kurt Wagner avec son groupe, Lambchop

Will Oldham

« J’avais envie d’explorer le privilège qu’ont parfois les animaux sauvages à naviguer au-delà de tout language. »  au vaste musée de la country, où son nom reste inexplicablement absent. « Je ne pourrais pas vivre ailleurs », disent-ils l’un et l’autre, avant d’insister sur la position centrale de Louisville et Nashville – seulement distantes de 243 km – sur la carte des États-Unis, à mi-chemin du nord et du sud, de l’est et de l’ouest : « En Amérique, c’est à Nashville qu’il y a le plus d’intersections de voies ferrées », fanfaronne Wagner. Kurtis Cette position de carrefour explique en partie l’aspect hybride de leur musique, alternant épure et profusion orchestrale, avec de fréquents détours du côté de la soul, du gospel et du rock indépendant. Ainsi, les influences revendiquées des deux compères ne manquent pas d’étonner : Leonard

Cohen, R. Kelly et Merle Haggard pour Will Oldham ; Barry White, Marvin Gaye et Curtis Mayfield pour Kurt Wagner. « Adolescent, je ne pouvais pas supporter la country, omniprésente à Nashville, avoue ce dernier. Le R’n’B jouait un rôle d’échappatoire. Aujourd’hui, je parviens à marier ces deux parts de moi. » Cet amour non feint des musiques populaires se double d’une écriture hautement littéraire, citant sans rougir Pouchkine ou Alain-Fournier. Acteur dans les films de John Sayles ou Kelly Reichardt, Will Oldham est aussi photographe – il a notamment pris le cliché qui orne la pochette du chef-d’œuvre de Slint, Spiderland, sorti en 1991. Quant à Kurt Wagner, il a fait des études d’arts plastiques, songeant, au sortir de l’université, à se lancer dans la sculpture. Une passion longtemps en sommeil, qui a rejailli durant la confection de Mr M : « Chaque chanson du disque renvoie à un portrait en noir et blanc que j’ai dessiné parallèlement à l’enregistrement, explique Wagner. Alors que j’étais persuadé que les arts plastiques et la musique n’avaient rien en commun, des correspondances mystérieuses se sont tissées. Chaque portrait est exécuté de la même manière, seules la forme et l’expression des visages varient, en fonction de l’humeur des chansons notamment. Le dessin qui figure sur la pochette du disque correspond à l’un www.mk2.com

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© Domino Record co

WILL OLDHAM & KURT WAGNER

Will Oldham, alias Bonnie ‘Prince’ Billy

« Alors que j’étais persuadé que les arts plastiques et la musique n’avaient rien en commun, des correspondances mystérieuses se sont tissées. » de ces portraits. » De son côté, Will Oldham a lui aussi soigné l’artwork de Wolfroy Goes to Town. Fils d’une artiste peintre, il a confié l’illustration de la couverture à l’un des dessinateurs les plus prometteurs du moment, Sammy Harkham, respecté pour son anthologie de comics alternatifs Kramer’s Ergot. « Cela fait plus de dix ans que Sammy et moi collaborons ensemble, mais c’est la première fois que je lui offre – sur son insistance – la pochette », glisse-t-il malicieusement. Nashville ouverte La parenté entre les deux disques ne s’arrête pas là. Plus de deux décennies après leurs débuts, Oldham et Wagner y affichent une maîtrise vocale et instrumentale inédite, à mille lieues du son crade et étouffé de leurs premiers albums. Oldham s’est une nouvelle fois entouré du brillant guitariste The Cairo Gang, avec lequel il avait publié le splendide The Wonder Show of the World il y a deux ans. Quant à Wagner, il s’est adjoint les services de son producteur historique,

Mark Nevers, par ailleurs responsable des trois albums qu’Oldham a enregistré à Nashville, dont les magnifiques Master and Everyone (2003) et Lie Down in the Light (2008). « J’enregistre la majorité de mes disques chez moi, à Louisville, mais Nashville dispose d’une histoire, de studios et surtout de musiciens incomparables », admet Oldham. Marqués par l’élégance feutrée de l’Amérique du début du XXe siècle, Mr M et Wolfroy Goes to Town valsent entre western, 78 tours et bals des débutantes. Mr M est le héros d’un « récit d’apprentissage » dixit Wagner, Wolfroy d’une « quête menée avec ambition et abandon » selon Oldham. Si le décès du songwriter Vic Chestnutt plane sur Mr M, Wolfroy Goes to Town entend explorer « le privilège qu’ont parfois les animaux sauvages à naviguer au-delà de tout langage ». Faux disques apaisés, leur calme apparent couvre une onde impure où cohabitent joliesse et effroi, deuil et renouveau. Cherchant aventure, loup et agneau s’y désaltèrent, enfin réconciliés. ♦ Wolfroy Goes to Town de Bonnie ‘Prince’ Billy + réédition des albums de Palace, Palace Brother, Palace Songs et Palace Music (Drag Cit y / Domino, disponible) Mr M de Lambchop (Cit y Slang, disponible)

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© Native Union

LE STORE

Mémo technique

Le video memo, c’est comme un Post-it, mais avec un écran, de l’image, du son, une mémoire de 3 minutes, une autonomie de 45 heures, et un aimant qui vous garantit que votre message ultraimportant ne se décollera pas du frigo. Postez-vous devant la chose, appuyez sur enregistrer, dites/ chantez/criez ce que vous avez sur le cœur et partez au boulot. Il suffira que la personne à qui le message était destiné appuie sur lecture pour savoir de quelle humeur vous vous êtes levé ce matin. _I.P.-F. Native Union, enregistreur video memo, en vente au Store du MK 2 Bibliothèque

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EN VITRINE

PS Vitale

Alors que les smartphones semblaient avoir signé la lettre de démission du jeu vidéo sur consoles portables, l’acteur historique Sony PlayStation relance la correspondance, en postant une missive qui n’a rien d’anachronique : la PS VITA. Non content d’assimiler le langage des réseaux sociaux et une syntaxe technologique digne des consoles de salon, ce lancement rappelle que dans le champ lexical du jeu vidéo, il y a « jeu ». _Par Étienne Rouillon, à Londres

C’est pas possible. Elle va m’exploser dans les pattes. Mes mains éparpillées en spaghetti, sauce bolo. Une machine trop petite pour une qualité graphique trop grande. Ça sent la surchauffe, le cataclysme façon accélérateur de particule du LHC. La fin du monde aura donc lieu fin novembre 2011, lors de la présentation londonienne de la dernière née de PlayStation aux journalistes. Mettez du tarama dans vos poches les gars, parce qu’on va se faire toaster comme des blinis. Et puis non. Finalement, la console a tenu toute ma partie de Fifa Football. Il y a quelque chose de particulièrement effarant, pour le gamer vétéran, dans le fait de voir une transposition graphique quasi exacte d’un jeu pratiqué sur console de salon et ainsi retrouvé sur console portable. L’histoire trentenaire du jeu vidéo nomade veut en effet que le passage de licences vidéoludiques de la télévision à l’écran portable ne se fasse pas sans une irrémédiable réduction visuelle et structurelle. Moins beau, moins complet. Sauf que là, même combat : de la PS3 à la PS Vita, du living room à la rame de métro. Dans celle de l’Eurostar, qui emmenait les baveux parisiens un peu plus tôt dans la journée, 1980

Avec la série de consoles Game & Watch, le constructeur Nintendo invente une nouvelle manière de jouer hors de chez soi. Chaque console embarque un seul et unique jeu. Il s’en est vendu plus de 40 millions.

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Artwork préparatoire pour le jeu WipEout 2048

Pour la forme, la PS Vita ressemble à la nomade PSP, mais pour le fond, elle offre une expérience graphique jumelle de celle de la PS3. on faisait semblant de potasser l’impressionnante liste technique de cette bombe technologique qu’est la Vita. Mais, en fait, on louchait sur l’un des journalistes qui faisait gesticuler le plombier moustachu dans le récent Super Mario 3D Land, sur la Nintendo 3DS. Cette machine, sortie en 2011, mettait en doute l’idée que la console portable traditionnelle (c’est-àdire qui sert essentiellement à jouer) ne survivrait pas à l’émergence des couteaux suisses technologiques que sont les téléphones mobiles 1989

1990

Nintendo développe la Game Boy, qui peut accueillir plusieurs jeux grâce à un système de cartouches. Au même moment, Atari sort la Lynx, plus avancée techniquement mais qui n’a pas de jeux aussi phares que le Tetris de Game Boy.

La firme Sega se lance dans la course avec sa Game Gear qui permet de jouer à Sonic dans la cour de récré. L’autonomie ridicule de la machine (liée à la présence d’un écran couleur rétroéclairé) l’empêche de s’imposer.


La portable PS Vita, valorisée par des applications propres aux réseaux sociaux type Twitter, est avant tout une console de jeu vidéo.

© Sony Computer Entertainment

que la 3DS ne correspondait pas à l’évolution démographique des joueurs. Noté. Du coup, on attendait de savoir ce que les premiers avaient retenu du choix des seconds. Encore un peu gerbouilleux d’avoir trop promené Mario dans un monde de tuyaux colorés, nous voilà rassis pour la présentation de la console. Sony avait un paquet de trucs à nous raconter. L’ensemble tournait autour de deux idées. Primo, le constructeur est un acteur plus qu’historique de l’industrie du jeu vidéo. Tout à fait d’accord. La forme d’une manette PlayStation suffit à faire revivre la nostalgie des ampoules, foi de mémoire dermique. Deuzio, ce patrimoine et ce savoir-faire valorisent des productions à la pointe des nouvelles technologies. Par « nouvelles technologies », il faut entendre « logiciels communautaires, réseaux sociaux », bref, tout le toutim 2.0 : Foursquare, Skype et Twitter, mais aussi des applications propres à la communauté des joueurs PS Vita, nommées « Proximité » et « Party ». Soit. C’est désormais un passage obligé, et on leur aurait reproché de ne pas l’intégrer. Reste qu’on balisait sévère en voyant combien Sony focalisait le topo sur ces outils. Nintendo avait présenté la 3DS en soulignant également un outil finalement assez anecdotique dans l’expérience des joueurs : ses fameux écrans autostéréoscopiques (relief 3D sans lunettes). Rebelote ? Non. Ouf. La PS Vita ne s’adresse pas seulement aux personnes qui n’ont pas de smartphone et qui souhaitent tout de même accéder à Facebook depuis leur pantalon. C’est avant tout une console de jeu vidéo portable, définie, comme l’étaient ses aînés, par deux fondamentaux : à quels jeux on joue et comment on y joue.

intelligents, les tablettes tactiles, les systèmes ludiques légers via navigateur Internet. Dans des jeans trop serrés par les iPhones, reste-t-il une poche pour les héritiers de la Game Boy ? Pas sûr. Si la 3DS mettait fin à des années de silence technique de la part des constructeurs (depuis 2004 avec les PSP de Sony et les DS de Nintendo), difficile, aujourd’hui encore, de dire si elle tiendra le choc face à l’entrée du jeu vidéo dans l’ère des applications mobiles. Celle d’Angry Birds et ses millions de téléchargements. Attention, les 3DS se vendent certes comme des petits pains, mais le succès d’un lancement de console peut vite muer en saturation d’un marché finalement plus réduit qu’espéré. Une leçon que n’avait pas manqué de rappeler Sony au lan- Le comment, c’est le plus important. C’est ce cement du petit dernier de Nintendo, jugeant qui singularise une console, ce qui assoit sa 1995

Une fois n’est pas coutume, Nintendo se plante en beauté avec le Virtual Boy. Ce casque-lunettes préfigurait les jeux en 3D relief et leurs effets de profondeur bluffant. Trop en avance, la console est abandonnée un an après.

1997

Lancement au Japon du Tamagotchi par Bandai. À mi-chemin entre le jeu vidéo et le gadget, ce petit boitier en forme d’œuf propose de gérer les attentes et besoins d’un animal virtuel, qui dépérit si l’on n’en prend pas soin.

1999

Les jeunes s’arrachent le Nokia 3210. Robuste, personnalisable et ergonomique, ce téléphone portable doit son succès à l’intégration d’un jeu vidéo chronophage et addictif : le Snake et son serpent mangeur de pommes.

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© Sony Computer Entertainment

EN VITRINE Artwork préparatoire pour le jeu WipEout 2048

légitimité et sa pertinence. Bouger avec la Wii, bouger sans manette avec Kinect, jouer en relief avec 3DS. Le mantra de la Vita, c’est donc : jouer partout comme si on était dans son salon. Pour la forme, elle ressemble à sa grande sœur nomade PSP, mais pour le fond, elle offre une expérience graphique jumelle de celle de la PS3 (elle, clouée sous les télévisions). Un bel écran large Oled, un processeur quadricœur et une mémoire de 512 Mo : autant d’atouts qui permettent à la version Vita de Virtua Tennis 4 de ne pas rougir face aux versions des consoles sédentaires. Les astuces de jouabilité sont, elles, légion : deux joysticks, à droite et à gauche, révolutionnent la prise en main, tandis que la présence de deux surfaces tactiles (une sur l’écran, l’autre au dos de la machine) ouvrent d’alléchantes possibilités d’interactions, notamment pour les jeux de puzzles, d’énigmes ou de plateformes (comme le prouve le brillant Escape Plan). On a également apprécié l’innovation du jeu en réalité augmentée, grâce aux caméras embarquées. Par exemple, en plaçant des repères sur votre table basse, tablette de train ou gazon de jardin, vous

2004

Nintendo, avec sa DS, mise sur une nouvelle manière de jouer, à l’aide de deux écrans dont un tactile. Sony, avec la PSP, parie de son côté sur la réduction des écarts technologiques entre machines nomades et sédentaires.

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En plaçant des repères sur votre tablette de train, vous vous servez de ces supports réels comme terrain de foot pour personnages virtuels. pourrez vous servir de ces supports réels comme terrain de foot pour personnages virtuels. La plupart des jeux disponibles au lancement de la console s’appuient sur cette idée de savoir-faire ancien, en mobilisant un catalogue historique de valeurs sûres : LittleBigPlanet, ModNation Racers, Uncharted ou encore le mythique jeu de course boosté à la taurine, WipEout 2048. On a aussi bavé devant l’adaptation portable de l’un des meilleurs jeux de l’année dernière : Rayman Origins. Pourquoi encombrer ses poches d’une PS Vita ? Pour jouer, tout bonnement. ♦ PS Vita Constructeur : Sony PlayStation Disponible : 22 février

2007

L’iPhone d’Apple plonge le jeu vidéo dans l’écosystème des « apps », ces petits programmes que l’on télécharge. La plupart d’entre eux exploitent un principe hérité des Game & Watch : simplicité et plaisir immédiat.

2012

La PlayStation Vita sort en Europe. Elle fait la synthèse des différents principes ludiques inventés depuis trente ans par les constructeurs de consoles portables. Il s’en est écoulé plus de 500 000 exemplaires au Japon.


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RUSH HOUR AVANT

PENDANT

APRÈS

En attendant de découvrir le biopic anglais de Simon Curtis avec Michelle Williams, qui retrace le tournage du Prince et la Danseuse, de Laurence Olivier, un beau livre assemblé par Lois Banner explore les dossiers privés de Monroe à partir de ses armoires, recelant cinq mille documents. Cette plongée impudique dans ses petits papiers mêle correspondances, dessins, factures, télégrammes (adressés à « Mme Arthur Miller ») et photos candides. Une coupure de journal, à côté de la plaque, s’interroge : « Marilyn sait-elle vraiment jouer ? »

Non, ceci n’est pas du tout une comédie romantique à regarder en ronronnant avec votre moitié. Troisième long métrage de la jeune auteure de Tout est pardonné, Un amour de jeunesse s’adresse en priorité à ceux qui ont de la bouteille sentimentale. Au lieu d’aller dîner d’une purée en forme de cœur avec votre futur(e) ex, restez bien au chaud à la maison et laissez vos joies adolescentes, vos illusions perdues et vos plaies mal cicatrisées refaire surface en regardant Camille (très belle Lola Créton) aimer pendant huit ans le fuyant Sullivan.

Comme Laetitia et Sophie, les copines dépressives du nouveau court métrage de Sophie Letourneur, vous noyez vos week-ends de glande dans des boîtes de nuit discount et des crêperies au rabais ? Filmez donc vos virées lose avec le Lomokino, un appareil lo-fi à manivelle, qui ose renouer avec l’argentique pour enregistrer des saynètes désuètes en lomographie, sans son, sans post-production et sans effets spéciaux. L’aspect authentique et vintage du rendu teintera vos flirts rohmeriens d’une douce nostalgie.

d’aller voir My Week with Marylin, révisez les archives de l’actrice avec MM – Personal

la Saint-Valentin, restez chez vous devant Un amour de jeunesse

Le Marin masqué de Sophie Letourneur, essayez-vous au court métrage avec Lomokino

_C.G.

_I.P.-F.

_Q.G.

MM – Personal de Lois Banner (La Mar tinière), My Week with Marilyn de Simon Cur tis // Sor tie le 7 mars

Un amour de jeunesse de Mia HansenLøve (Les films du Losange)

ht tp://microsites.lomography.fr/ lomokino, Le Marin masqué de Sophie Letourneur // Sor tie le 8 février

TROP APPS _Par E.R.

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iTunes U Après avoir ouvert le plus grand portail légal de musique en ligne, iTunes prend la clé des champs universitaires et propose en libre accès une moisson fertile de contenu éducatif, produit par des enseignants de grandes écoles internationales.

LostWinds Venue de la Wii, cette aventure a toute sa place sur les plateformes nomades, tant sa jouabilité épouse les possibilités du tactile. Le joueur dirige de l’index des bourrasques de vent qui permettent au jeune Toku de progresser dans un environnement enchanteur et atypique.

iBooks Author Bien qu’uniquement opérable sur un Mac, ce logiciel constitue une petite révolution dans le monde du livre numérique, puisqu’il met à portée de tous la rédaction, l’édition, mais aussi la distribution d’un ouvrage sur l’iBook store.

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© 2011 Prima Linea Productions - Pathé Productions - France 3 Cinéma - Chaocorps - Scope Pictures

KIDS

le petit Maki échappe aux mains d’un esclavagiste et se lie d’amitié avec Zarafa, un girafon destiné à être offert au roi de France, Charles X. Le pacha d’Egypte voit dans ce présent un moyen d’obtenir l’aide française suite à l’invasion turque. Zarafa et ses compagnons vont vivre un périple ponctué par la dualité de l’être humain, entre servitude et affranchissement. Après une traversée en ballon tumultueuse, on parcourt l’Hexagone par touches d’aquarelle, en autant de dessins que d’étapes. Les Français s’éprennent de cette bête étrange puis utilisent ses motifs à tout va, lançant une réelle « girafomania ». Quand l’euphorie retombe, c’est le temps des adieux pour des personnages devenus intègres, soignés tout du long par une image bien loin des loufoqueries en trois dimensions. ♦

Voyage au long cou

Dessin animé aux ornements modestes mais aux couleurs généreuses, Zarafa, de RÉMI BEZANCON et JEANCHRISTOPHE LIE, conte l’équipée d’un girafon qui traîne ses pattes des oasis africaines jusqu’au Jardin des Plantes. Une leçon de morale, et de bon goût.

Pour plus d’informations sur la vraie Zarafa, lire Les Avatars de Zarafa, d’Olivier Lebleu (Arléa)

_Par Laura Pertuy

Réalisateurs poètes de cette très jolie adaptation de faits historiques, Rémi Bezançon (Le Premier jour du reste de ta vie) et Jean-Christophe Lie ont fantasmé des paysages d’une rare opulence. Au XIXe siècle,

LE JOUET

_Q.G.

Les Stickaz

La nostalgie des jeux vidéos old school a encore frappé : avec leur simplicité pixel et leur minimalisme monochrome, les Stickaz remettent le puzzle au goût du jour avec un design des plus geek. Les stickers (les « Kaz ») se collent côte à côte pour obtenir un magnifique « Stickaz », conçu à partir d’une variété de cinq tailles et d’une gamme de quarante couleurs. Pour donner à votre appartement un joli look Pac-Man. w w w.stickaz.com/fr

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Zarafa de Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie Avec les voix de : Simon Abkarian, François-Xavier Demaison… Distribution : Pathé Durée : 1h18 Sor tie : 8 février

LE livre

_L.T.

grands Labyrinthes

de Martin Nygaard et Jesus Gaban (Actes Sud Junior) Une série de labyrinthes à la Shining vont mettre à l’épreuve les nerfs et les méninges des bambins : fleuve infesté de gros poissons patibulaires, château hanté par des fantômes peu amènes mais aussi ville tentaculaire dans laquelle trouver une pharmacie en cas d’indigestion cauchemardesque (!), douze labyrinthes inventifs, graphiquement au top. Poules mouillées, s’abstenir.


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© Carlotta films

VINTAGE Ellen Greene, Eric Bogosian et Alec Baldwin dans Talk Radio, d’Oliver Stone, en 1988

PLAN FRÉQUENCE

Écrasée dans la filmographie d’OLIVER STONE entre le désormais culte Wall Street et le pharaonique Né un 4 juillet, l’adaptation de la pièce coécrite et interprétée par Eric Bogosian, Talk Radio, mérite d’être redécouverte. _Par David Elbaz

Dans son émission nocturne, Barry Champlain (Eric Bogosian) reçoit les appels souvent sinistres du tout Dallas insomniaque. Une arène radiophonique où les saillies provocatrices de la star envers ses auditeurs suscitent chez eux haine et admiration. Des dizaines de voix s’y succèdent, sans jamais ou presque être associées à un corps. C’est là le grand ressort dramatique du film. Tout comme Blow Out, de Brian De Palma, ou Conversation Secrète, de Francis Ford Coppola, proposaient le versant sonore du Blow Up de Michelangelo Antonioni, Talk Radio pourrait constituer le pendant radio du classique d’Alfred Hitchcock, Fenêtre sur cour. Aux visages sans paroles encadrés dans des bribes d’espace se substituent ici des voix

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sans corps aux existences minutées. Alors que l’émission est transférée sur le réseau national, menaces diverses et insultes antisémites envers Barry font rage. Paranoïa ou réel danger ? Comme chez Hitchcock, cette ronde en forme de roulette russe dessine la silhouette d’un meurtrier prêt à passer à l’acte. Car le film, sorti en 1989, est également l’adaptation de Talked to Death – The Life and Murder of Alan Berg, de Stephen Singular, récit véritable de l’assassinat d’un animateur de radio par un néo-nazi, en 1984. Talk Radio s’émancipe de la pièce de Bogosian par des flash-backs qui retracent le parcours de Barry jusqu’à la consécration. Pour Oliver Stone, l’ascension vers les sommets (ou la descente aux enfers, tout est dans le placement de caméra) est toujours un escalier fait de cadavres empilés : littéralement, dans Scarface (qu’il scénarise) ou Tueurs nés et JFK (le président Johnson qui doit la fonction suprême à la mort de Kennedy) ; métaphoriquement, dans la jungle financière de Wall Street et les touchdowns, les points inscrits en escaladant d’autres joueurs, dans L’Enfer du dimanche. Le succès de Barry Champlain s’est bien forgé dans la défaite d’une génération antérieure. Une mécanique implacable, où le bourreau d’un jour sera l’exécuté du lendemain. ♦

Talk Radio d’Oliver Stone Avec : Eric Bogosian, Alec Baldwin… Édition : Carlot ta Durée : 1h44 Sor tie : disponible


RAYON IMPORT

Toupie or not toupie Implanter des idées dans un crâne : tel était l’inquiétant fil conducteur d’Inception, de Christopher Nolan, sorti en 2010. Une science des rêves ambigüe, dans laquelle la toupie de l’extracteur Cobb ne suffisait plus à se repérer : le rêveur rêve-t-il ? Est-il rêvé ? Du grain à moudre pour une poignée d’universitaires américains qui, à partir des indices semés dans le film, entreprennent ici d’en démêler les pistes. Cette collection d’essais navigue entre différents niveaux de rêve et de réalité, multipliant les schémas interprétatifs à partir de textes de Descartes, Spinoza ou Leibniz. Un questionnement passionnant sur la nature et les paradoxes d’un film dont la matière même épouse les formes du rêve. _C.G. Inception and Philosophy : Because It’s Never Just a Dream de David Kyle Johnson ( Wiley)

BACK DANS LES BACS

Dominique, de A à Z Pour ses 20 ans de labeur, on réédite l’entière discographie de Dominique A. De La Fossette (1992) à La Musique (2009), A, c’est autant l’art de la césure (« Dieu que cette histoire / Finit mal »), et l’application de la manière anglosaxonne (guitares) au lyrisme français (voix), que l’ouvrage sans cesse remis sur le métier. Quitte : avec Si je connais Harry, deuxième album raté comme une balle dans le pied, ou Tout sera comme avant, perdu à vouloir se hisser à hauteur de commandeur (Bashung). Double : Remué, parcouru d’électricité, La Mémoire neuve, épuisement du sujet, Auguri, album qui sourit. Cette table rase renouvelée en fait l’A capital de la chanson française, vraie victoire, en huit albums et autant de bonus, de la musique. _W.P. Rééditions des huit albums studio de Dominique A (EMI/Cinq7)

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© Wild Side

DVDTHÈQUE Auto tunes

Le film le plus musical de 2011, Drive, de NICOLAS WINDING REFN, sort en DVD. La chaîne Ciné + Frisson en profite pour faire du réalisateur danois l’attraction principale de son « Mois du blanc », playlist visuelle consacrée au nouveau cinéma scandinave. _Par David Elbaz

« Ce garçon m’a sorti de ma dépression cinématographique », confie Alejandro Jodorowsky dans N.W.R., le documentaire de Laurent Duroche consacré à Nicolas Winding Refn (diffusé le 2 février à 19h30 sur Ciné + Frisson). Car, même si la comète Drive l’a révélé à un plus large public, le Danois est loin d’en être à son coup d’essai. Adepte dans ses premiers films d’une caméra à l’épaule nerveuse associée à un goût pour l’improvisation, son esthétique ne cesse d’évoluer jusqu’aux plans-tableaux du Guerrier silencieux – Valhalla Rising (2010). Ce qui à la base n’était qu’une contrainte pratique (les terres d’Écosse où se déroule l’action étaient trop accidentées pour que s’y risquent les chevilles d’un caméraman) semble avoir durablement influencé le style Refn. Un casque vissé sur la tête pour écouter de la musique en continu sur ses tournages, il affirme devoir comprendre comment « sonne » un film pour en livrer l’essence. Son premier film, Pusher 86

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(1996), serait pour lui un morceau de postpunk ; Bleeder (1999), du glam-rock ; Bronson (2009), un titre des Pet Shop Boys. Assurément, son dernier film, Drive, sonne comme le Nightcall du Français Kavinsky, joué à plusieurs reprises sur la bande-son : un hit eigthies usiné à contretemps. Comparé à Stanley Kubrick pour Bronson et Le Guerrier silencieux, la manière qu’a Nicolas Winding Refn d’édifier un certain cinéma de genre peut rappeler, à une génération d’écart, celle d’un Quentin Tarantino. Autodidactes et ex-employés de vidéoclubs, tous deux ont vu leur carrière prendre un virage décisif lors du Festival de Cannes : Tarantino remporte la Palme d’or en 1994 avec Pulp Fiction, Refn le prix de la mise en scène l’année dernière avec Drive. Mais aux mosaïques référentielles et aux joutes verbales de Tarantino, Refn préfère les héros taiseux (Mads Mikkelsen dans Le Guerrier silencieux, Ryan Gosling dans Drive), l’épure et la pondération des actions dans un canevas millimétré. De plus en plus, il semble vouloir partager avec tous les pulsions plastiques et scopiques que le cinéma de genre lui a offert à lui seul, personnellement (Massacre à la tronçonneuse le fascine toujours autant). Quelques semaines à peine après la sortie de Drive en salles, hommages et parodies fleurissaient sur la Toile, laissant entrevoir un film dont le culte se construit à l’heure d’Internet : la première œuvre pop de ce début de siècle ? ♦ Le « Mois du blanc », jusqu’au 1er mars sur Ciné + Frisson Drive de Nicolas Winding Refn Avec : Ryan Gosling, Carey Mulligan… Édition : Wild Side Video Durée : 1h40 Sortie : 8 février


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FILMS La sélection de la rédaction

MICHEL PETRUCCIANI

The Trip

de Michael Radford (Éditions Montparnasse)

de Michael Winterbottom (Ad Vitam) Réalisé sous forme de série en six épisodes pour la télévision britannique, ce road trip culinaire met en présence deux éminents comiques anglais, Steve Coogan et Rob Brydon, en rase campagne. Michael Winterbottom en a assemblé les morceaux pour leur assurer au cinéma la continuité d’un documenteur à sketchs. L’exercice de style cabotin prend rapidement le pas sur la plaisante excursion : dans ce badinage gastronomique, chacun déploie et exorcise une version caricaturale de lui-même à coups de bons mots et de savoureuses imitations de Michael Caine, le tout servi entre deux coquilles Saint-Jacques. _C.G.

Le dispositif biographique s’attache davantage à documenter l’intime du pianiste – l’enfance, la maladie, les femmes, nombreuses et très amoureuses – qu’à questionner sa musique, malgré quelques scènes de concert hallucinantes. On saura donc comment Michel, atteint de la maladie des os de verre, grandit à Montélimar avant de conquérir l’Amérique à force de virtuosité, d’humour et de sensibilité, devenant le premier étranger signé chez Blue Note. Un beau portrait d’homme pressé, mort à seulement 36 ans, ponctué de témoignages souvent bouleversants comme celui de son fils, atteint de la même maladie.

_J.R.

_L.T

Assaut

de John Carpenter (Metropolitan Vidéo)

de Matthew Porterfield (Ed Distribution)

de Lars von Trier (Potemkine)

_C.G.

Dom, Fiona et Bruno rembobinent sur la rencontre des deux premiers, clowns amoureux à l’écran comme à la ville. Après L’Iceberg et Rumba, les voilà qui remuent de nouveau sur le fil d’une comédie romantique synchronisée à souhait. Dans un Havre stylisé et dansant, une fée aux pouvoirs limités (Fiona) s’amourache d’un gardien d’hôtel étourdi (Dom). Témoins maladroits de leurs émois, leurs corps n’en font qu’à leur tête : burlesques et élastiques, ils sont les supports de métaphores (très jolie scène d’accouplement aquatique) et de gags (une poussée de ventre instantanée) désopilants de simplicité.

Putty Hill

Melancholia La fin des haricots vue par Lars von Trier, soit l’un des plus beaux films de 2011. Tristan et Isolde à fond, les pigeons pleuvent, Kirsten Dunst sombre et emporte l’humanité dans son sillage. Ou le triomphe ravageur de la volonté en une éblouissante agonie. L’éclipse de Melancholia devrait résister au petit écran. En bonus, les traditionnels entretiens avec l’équipe artistique et technique du film, ainsi qu’un documentaire consacré aux studios de production danois à Filmbyen. Et, pour ceux qui auraient envie de la revoir dans son intégralité (perversion ou opportunisme ?), la tapageuse conférence de presse cannoise.

La Fée de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy (TF1 Vidéo / MK2)

Évocation fantomatique qui s’ouvre et se clôt sur la chambre d’un défunt, Putty Hill gravite autour de la figure de l’absent. La mort du jeune Cory par overdose force ses proches à se réunir et sert de point de départ à une exploration des liens et des lieux qui délimitaient la vie de l’adolescent. Ni docu ni fiction, le film enregistre dans de longs plans-séquences des conversations à bâtons rompus entre les habitants et dessine le portrait en creux d’une communauté urbaine en déshérence. Matthew Porterfield se place dans la digne lignée de Gus Van Sant ou Larry Clark, filmant sans fard des kids mutiques et lucides.

Los Angeles, 1976. Un commissariat en voie de désaffection, sans téléphone ni électricité, est pris d’assaut par une bande de gangsters prêts à tout, contraignant les policiers à faire alliance avec les détenus pour se défendre… Faisant suite à son film de fin d’études, Dark Star (1974), Assaut est le premier véritable long métrage de John Carpenter. Coup d’essai, coup de maître : une mise en scène d’un minimalisme radical et une musique imparable (composée par Carpenter lui-même) confèrent à ce western moderne, remake avoué du Rio Bravo (1959) d’Howard Hawks, tous les atours de la parfaite série B.

_L.T.

_J.P.

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© Mickey Moonlight

CDTHÈQUE Pierrot lunaire

Après quelques EPs et remixes remarqués (pour Tame Impala, Franz Ferdinand, Jack Penate…), le mystérieux MICKEY MOONLIGHT sort un premier album rétrofuturiste et éclectique, entre space disco, psyché pop, Chicago house et exotica. Pour danser à 111 bpm dans son salon. On a rencontré le cosmonaute. _Par Wilfried Paris

« Tu les as reconnus ? Tu aimes la science-fiction ? Oh, tu es cool alors. Tu es un geek ! » Mike Silver, alias Mickey Moonlight, lève les deux pouces et me fait un large sourire complice lorsque j’énumère les six écrivains de science-fiction qui ornent la pochette de son premier album : J. G. Ballard, Alfred Bester, Philip K. Dick, Robert Anton Wilson, Doris Lessing, Kurt Vonnegut. Sous l’égide de ces auteurs, l’Anglais a mixé un rêve de passé (l’exotica de Les Baxter, Martin Denny, Eden Ahbez) et des visions futuristes de la pop music (space disco, kosmische musik, afrofuturisme) dans ce disque au titre évocateur : The Time Axis Manipulation Corporation. Manipulant les époques et leurs musiques, Mickey Moonlight explore les transformations technologiques et 88

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éthiques (colonisation de l’espace, euthanasie volontaire, décodage de l’ADN) comme autant de fictions réalisées. « J’ai suivi la contrainte que s’était fixé Syd Mead, le décorateur de Blade Runner : créer une esthétique qui se réfère aux quarante dernières années et aux quarante prochaines, telles qu’on peut les imaginer. J’ai utilisé des synthétiseurs analogiques, mais aussi des sonorités modernes, pour créer une musique futuriste, si possible, mais contenant des éléments du passé, comme l’exotica. » Autant marqué par le discordianisme des années 1950 (religion-canular fondée sur le chaos) que par les personnalités les plus singulières de la musique populaire (« Sun Ra, qui a développé une imagerie complètement unique, idiosyncrasique ; Klaus Nomi, même si ça ne s’entend pas trop sur l’album ; David Bowie... »), Mike s’est fictionné en Mickey Moonlight (« Ma mère m’appelait Mickey quand j’étais petit »). DJ geek, il lit Dick d’une main et mixe de l’autre la cosmic disco d’Arpadys ou de Space (son Buckaroo Banzai est un hommage à leur Magic Fly), Kraftwerk et João Gilberto (sur le très tropical Pelu Tolo), dérivant psyché-funk spatial, ralenti et vocodé sur Come On Humans !. Pétri de guests de talent (Zongamin, des membres de Bonde Do Role, New Young Pony Club, The CocknBullKid ou George Lewis Jr, alias Twin Shadow, posant sa voix soulful sur un Close to Everything très early house), cet album postmoderne pour le living-room détonne parmi les turbines du label d’accueil Ed Banger, mais ravit les sens et fait un beau voyage. Bon trip. ♦ And The Time Axis Manipulation Corporation de Mickey Moonlight Label : Ed Banger / Because Sortie : disponible


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ALBUMS La sélection de la rédaction

New World Generation (Stones Throw)

Voguing and the House Ballroom Scene of New York City 1976-1996 (Soul Jazz Records)

O, Devotion ! de Liz Green (Pias) La disparition d’Etta James vous a laissé sans voix ? Le réconfort se trouve à l’autre extrémité du prisme soul, sur le premier album d’une Anglaise de 28 ans. Loin des big bands rutilants, Liz Green dévoile ses blues d’une voix blanche et hors d’âge, comme échappée d’un gospel victorien, accompagnée d’une simple guitare ou d’un piano nu, et caressée en contre-jour par quelques cuivres hagards. Une austérité formelle qui invite à entendre l’essentiel : entre la langueur d’un folk pastoral et la mélancolie expirante d’un cabaret jazz, O, Devotion ! offre la blessure et le baume, relevant la beauté jusqu’aux heures les plus sombres. _M.P.

Au mitan des 70s, le disco et l’avènement du DJ entraînent la disparition des groupes de musiciens en clubs. Stone Throw sort de l’oubli New World Generation, soul-band chevronné qui fut à la jonction de cette histoire, entre Boston et New York, Roy Ayers et Earth Wind & Fire, densifiant funk et soul pour le dancefloor en new soul. Autre victime de la mode, le voguing, étrange danse qui transforma les New-Yorkais en gravures de mode et les pistes en défilés, ressort sur une compilation, de Loose Joints à Masters At Work, joués par Larry Levan et Junior Vasquez, avant recyclage par McLaren ou Madonna. _W.P.

Future This

de The Big Pink (4AD / Beggars) Trois ans après A Brief History Of Love et le hit Dominos, le duo anglais The Big Pink persévère dans le même sillon, tracé au char d’assaut : la brit-pop épique. Emballé dans des productions flamboyantes signées Paul Epworth (Adele, Friendly Fires), leur deuxième album préfère la puissance et l’efficacité sonique aux afféteries mélodiques, faisant rugir les décibels sur des samples de Laurie Anderson ou Ann Peebles. Biberonnés aux sons du Madchester des années 1980 (Stones Roses, Happy Mondays), Robbie Furze et Milo Cordell injectent leur sensibilité romantique dans cette collection d’hymnes électro-rock. _E.V.

II de Limousine

(Ekler’O’Shock / Differ-ant)

Ester de Trailer Trash Tracys (Double Six / Domino)

Ce combo moleskine et grand luxe parisien (quatre transfuges de Poni Hoax, Viva and the Diva, Joakim…) nous emmène en un très planant road-trip instrumental dans leur bagnole effilée (« Ceci n’est pas un peigne » semble dire la pochette). Une subtile invitation au voyage, entre krautrock suave (le II du titre piqué à Amon Düül  II ?) et post-rock au rythme de tortue (Tortoise ?), des cuivres éthiopiques de Drianke à celles d’un Chet Baker métaphysique sur Cosmos, de guitares tournoyantes en batteries hypnotiques, jusqu’au romantisme noir d’Au revoir, apogée badalamentesque : on ne touche pas plus le sol en limo qu’en fusée. _W.P.

Pétri de neurasthénie new wave et de larsens shoegaze, le son vaporeux des Trailer Trash Tracys (du nom d’un groupe de stripteaseuses russes sous Staline) convoque le souvenir de The Jesus and Mary Chain et des incantations feutrées de Mazzy Star. Ces influences essentiellement eighties imprègnent Ester, le premier album du quatuor londonien. Pourtant, la chanteuse-prêtresse Susanne Aztoria parvient à donner corps mélodique et âme pop à la musique lancinante du groupe, enveloppant d’un brouillard sexy et mystérieux les boucles en fil barbelé ciselées par la guitare de son acolyte Jimmy Lee. Hypnotique. _E.V.

La Grande

de Laura Gibson (City Slang) On ne sait pourquoi l’Oregon est ainsi terre d’accueil des plus belles voix féminines. Outre ce territoire chanté, Laura Gibson a en commun avec Laura Veirs et Alela Diane le goût pour une country-folk délicate, la voix douce et précise. La Grande est une ville de la Wallowa Valley, non loin de Portland, que Gibson chante comme lieu de transition, mais contenant « une certaine gravité, une énergie curieuse ». Comme sa musique, ancrée dans les graves terreux, les vieilles réverbérations pleines de medium, les craquements des vieux 78 tours jazz, et pourtant le chant aussi baladeur que celui d’un oiseau, volant haut avec vents et bois. _W.P.

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BIBLIOTHÈQUE © 2010 Richard Phibbs

Sous le New York clinquant des galeries d’art,  l’auteur décrit un monde romantique, avec des portraits caustiques qui équilibrent sa description de la crise intérieure du héros.

Michael Cunningham

Un éphèbe à New York

Après l’immense succès des Heures et du Livre des jours, MICHAEL CUNNINGHAM écrit la romance impossible d’un galeriste quadragénaire et d’un adonis toxicomane, un genre de Mort à Venise newlook à l’ombre des gratte-ciel. _Par Bernard Quiriny

La crise de la quarantaine chez les intellos reste décidément un sujet inépuisable. Voyez le couple inventé par Michael Cunningham, presque trop typique pour sonner vrai : Peter est galeriste à New York, Rebecca s’occupe d’une revue d’art, tous deux partagent un loft à Soho. Une vie épanouie, au contact des artistes et de leurs œuvres. Mais il n’est pas sûr que frayer dans ces milieux raffinés soit la meilleure manière de contenter leur besoin intime de beauté…

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C’est ce que découvre Peter quand débarque le frère de Rebecca, Mizzy : un éphèbe toxicomane à la splendeur irréelle, habitué à se promener nu après sa douche, et qui réveille chez le héros des démons homosexuels enfouis depuis l’adolescence. Il se lance ainsi dans une autoanalyse où surgissent divers souvenirs impliquant son père ou son frère disparu, Matthew… « Bon. Vous aimez votre femme pour une foule de raisons, parmi lesquelles sa ressemblance (que vous exagérez en esprit) avec la jeune fille inaccessible de votre adolescence, qui préférait votre grand-frère. Vous êtes attiré (érotiquement ?) par son jeune frère parce que, d’une part, il vous rappelle Matthew et, de l’autre, vous permet pour la première fois de votre vie d’être Matthew. » Le style virevoltant de Cunningham donne au roman une désinvolture légère, en phase avec l’attitude cynique qu’affectent les personnages. C’est la part « fitzgéraldienne » du livre, avec moult clins d’œil à Gatsby. Mais les tourments de Peter, eux, se raccrochent plutôt à la tradition d’Henry James et, surtout, de Thomas Mann : comment un lettré tel que lui ne rapprocheraitil pas son attirance pour Mizzy de la romance contrariée entre Aschenbach et Tadzio, dans Mort à Venise ? Sous le New York nocturne et clinquant des galeries d’art, c’est en fait un monde romantique et crépusculaire – comme l’indique le titre – que décrit l’auteur des Heures, avec des portraits caustiques (l’artiste dans son loft, la richissime acheteuse…) qui équilibrent sa description de la crise intérieure de Peter. On peut s’agacer de la profusion de références littéraires (outre Fitzgerald et Mann, on croise Cheever, Barthelme, Joyce, Hawthorne…), mais elles disent bien le projet du roman : une variation sur un thème rebattu, en écho à la thèse postmoderne selon laquelle l’art est condamné à se répéter. Mais la beauté, le désir et la mort seront-ils jamais des thèmes rebattus ? ♦ Cr é pus cule d e M i c h a e l C u n n i n g h a m Tr a d u i t d e l’a n g l a i s p a r A n n e D a m o u r Éd i t e u r : B e l fo n d G e n r e : r o m a n S o r t i e  : 2 f év r i e r


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LIVRES La sélection de la rédaction

Le Dernier Contingent

Rétromania

de Simon Reynolds (Le Mot et le reste) Avec Rétromania, publié par l’excellente maison marseillaise Le Mot et le reste, Simon Reynolds – critique britannique de premier plan, auquel on doit notamment Rip It Up and Start Again, somme colossale sur le post-punk (paru en France chez Allia) – entreprend d’analyser en profondeur cette maladie de la nostalgie qui, de revivals en reprises, de reformations en recyclages, affecte la scène musicale mondiale depuis le début des années 2000. Richement documenté et porté par un style très incisif, l’ouvrage fait figure d’antidote salutaire au virus passéiste et exprime une foi inébranlable en un futur toujours renouvelable. _J.P.

Éternelle question : comment reproduire en littérature une langue qui n’a rien à voir avec la littérature, celle des déclassés ? Ou celle des jeunes, avec leurs mots, leur syntaxe hasardeuse mêlée d’anglais, leur argot ? Le dramaturge et romancier Alain Julien Rudefoucauld relève le pari en faisant parler six ados en rupture de ban, à la première personne, dans des monologues croisés qui reconstituent leur odyssée sur douze semaines. Il faut parfois s’accrocher tant le rythme est syncopé, mais la rage obscure et insurrectionnelle qui émane de ce Dernier contingent mérite qu’on fasse l’effort.

_B.Q.

LA MAFIA À HOLLYWOOD

_J.R.

de Rithy Panh et Christophe Bataille (Grasset)

Parallèlement à son film Duch, le maître des forges de l’enfer (en salles depuis le 18 janvier), Rithy Panh publie ce témoignage littéraire qui mélange coulisses du tournage, souvenirs personnels de la dictature khmère rouge et méditations sur la nature du régime et la mentalité des tortionnaires. Tout aussi saisissant que le film – monologue glaçant de Duch, haut dignitaire du régime, monté à partir de 300 heures d’interview –, le livre captive, avec des scènes insoutenables (famine, expérimentations sur les prisonniers, etc.) et une réflexion fragmentée sur l’origine du mal et le délire de la pensée totalitaire. _B.Q.

Une année studieuse

Pour Genevoix

de Tim Adler (Nouveau Monde)

Enfin un format (et un prix) poche pour cette pépite des éditions Nouveau Monde, parue initialement en 2009 et réjouissante pour tout amateur de film noir. Sur la couverture, pour planter la scène, Kim Novak et Marilyn partagent la vedette avec le gangster Al Capone, hilare et cigare au bec… Le journaliste anglais Tim Adler dresse un vaste panorama des liaisons dangereuses entre la pègre et l’industrie du cinéma, des années 1920 aux années 2000. Ou comment trafic de drogue, blanchiment d’argent, meurtres et romances interdites ont tour à tour nourri et imité le meilleur du cinéma hollywoodien.

L’Élimination

d’Alain Julien Rudefoucauld (Tristram)

d’Anne Wiazemsky (Gallimard)

de Michel Bernard (La Table Ronde) Maurice Genevoix ? Voilà un nom qui fleure bon la dictée et les volumes jaunis dans les maisons de campagne. Goncourt en 1925 (Raboliot), académicien, l’auteur de Rémi des Rauches semble appartenir à un autre temps. Mais pourquoi l’anachronisme serait-il une tare ? Dans cet essai émouvant et somptueusement écrit, Michel Bernard réhabilite cette figure oubliée et rappelle que, avant Barbusse ou Dorgelès, Genevoix fut le grand écrivain de la première guerre (le recueil Ceux de 14). C’est aussi une méditation nostalgique sur la France d’hier, avec sa vie plus lente et pas forcément moins heureuse que la nôtre.

Si les hagiographies fanatiques à la gloire de Jean-Luc Godard ne manquent pas, rarement le regard amoureux s’est fait aussi fervent que dans ce récit autobiographique d’Anne Wiazemsky. Une année studieuse fait suite à Jeune Fille, où elle relatait le tournage d’Au hasard Balthazar, de Robert Bresson. Étudiante en philosophie à Nanterre, l’actrice de 19 ans envoie à l’auteur du Mépris (36 ans) une missive enflammée et finira par l’épouser en catimini. En dépit de son pitch racoleur, ce délicieux roman d’apprentissage, une fois n’est pas coutume, humanise Godard, amant disert et possessif, malicieux sous ses lunettes noires.

_B.Q.

_C.G.

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© Dargaud

BDTHÈQUE Gaîté d’Orsay

Toujours avec beaucoup d’humour, ABEL LANZAC et CHRISTOPHE BLAIN ramènent, dans le deuxième tome de Quai d’Orsay – Chroniques diplomatiques, le petit monde de la politique à hauteur d’homme. _Par Stéphane Beaujean

N’y a-t-il que la moquerie, le jugement implacable et cruel du caricaturiste qui vaille en matière d’humour politique ? À cette question, la bande dessinée ne répondait à ce jour que par « oui ». Or avec Quai d’Orsay, Abel Lanzac, scénariste, et Christophe Blain, dessinateur, offrent – enfin – un démenti cinglant. Les deux auteurs font table rase des vieux codes de l’humour politique, au profit d’une écriture empruntant aux classiques de la BD jeunesse. Comment ne pas retrouver, derrière les emportements à la Falstaff de ce ministre des Affaires étrangères, ceux, tout aussi drôles et émouvants, du capitaine Haddock ou de Joe Dalton ? Le principal protagoniste, Arthur Vlaminck, diplomate fraîchement sorti de l’école et dévoué à l’écriture des discours du ministre, est un double du scénariste, caché sous pseudonyme, dont on dit qu’il aurait travaillé avec Dominique de Villepin avant de s’envoler

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pour d’autres missions diplomatiques. Lanzac excelle dès qu’il s’agit de souligner, à l’intérieur de ces situations plus grandes que nature auxquelles la politique est souvent réduite, les détails révélateurs des comportement humains : tension sexuelle qui s’exprime par la vacherie, versatilité intellectuelle qui confine à la folie chez des diplomates soumis à des dizaines de prérogatives et d’influences contradictoires, archaïsme culturel d’élites coupées depuis trop longtemps de la société civile, aliénation d’un quotidien qui défile à cent à l’heure… Blain, quant à lui, convoque les codes de la bande dessinée franco-belge de son enfance pour mieux incarner cette troupe de tempéraments incroyables. Nez, gestuelle, et même mise en scène participent à faire des diplomates, comme du ministre de l’Intérieur, des héros classiques de la bande dessinée d’aventure. Il faut dire que l’atmosphère des ministères, ces fourmilières qui bouillonnent de mouvements humains, se prête parfaitement à la philosophie esthétique de l’auteur, en perpétuelle quête de « l’énergie » du personnage, cette ligne qui permet de synthétiser son identité en une gestuelle emblématique. En ramenant le fait politique dans le sillon de la BD classique, Blain et Lanzac dénoncent ainsi un académisme qui n’avait pas été questionné depuis des décennies. Ces postmodernes malgré eux rappellent que la politique est une entreprise à hauteur d’homme. Mieux, une fantasque et palpitante aventure de bande dessinée. ♦ Quai d’Orsay, tomes 1 et 2 de Lanzac et Blain Éditeur : Dargaud Sortie : disponible


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BANDES DESSINÉES La sélection de la rédaction _Par Stéphane Beaujean

Bambi, tome 0

d’Atsushi Kaneko (IMHO) Atsushi Kaneko, mangaka marginal à l’esthétique colorée, amoureux dingue de l’imagerie pop-rock, rencontre enfin le succès en France. Autant Soil, polar teinté de fantastique en pleine banlieue japonaise, que Bambi, road trip d’une tueuse implacable chargée de protéger un enfant muet, séduisent par leur sens de la mise en scène, tout deux dans des atmosphères et des registres presque opposés. Avec le tome 0, les origines de son troublant personnage de femme fatale se dévoilent. Un ballet de duels aussi graphiques qu’outrancièrement sanglants, non loin de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez.

On a perdu la guerre mais pas la bataille de Michel Gondry (Cambourakis)

Les amateurs du cinéma ludique et bricolé de Michel Gondry vont adorer cette incartade en bande dessinée. L’immaturité proclamée de son écriture, tantôt lyrique, tantôt potache, se prête avec bonheur à ce récit inspiré par l’angoisse adolescente de devoir faire le service militaire. Projeté dans une France du futur mais baignée par l’atmosphère des années 1980, le récit se nourrit allégrement des hormones déréglées de l’éveil à la sexualité et d’une vision enfantine de la guerre. La culture franchouillarde, incarnée par un Johnny Hallyday Président de la république, en prend également pour son compte. Un drôle de collector.

Le Château des ruisseaux

de Frédéric Poincelet et Vincent Bernière (Dupuis)

Inspiré de faits réels, Le Château des ruisseaux est porté par un sujet fort : la désintoxication. Mais pardelà la précision du témoignage, c’est la mise en scène du réel qui attire l’attention. Le dessin, réalisé d’après photos et modèles, se construit autant sur le respect des acteurs que sur sa capacité à réinterpréter les perspectives et les attitudes. Il en va de même pour le récit puisque l’autobiographe, ancien toxico, choisit dans cette reconstitution de jouer le rôle du directeur du centre. Parfois édifiant, ce curieux objet fascine par son désir de dompter la réalité comme l’expérience personnelle.

La Vie avec Mister Dangerous de Paul Hornschemeier (Actes Sud)

Derrière son esthétique nordaméricaine classique, l’œuvre de Paul Hornschemeier se distingue par sa personnalité. L’écriture questionne perpétuellement la notion d’héritage moral, le modèle parental à suivre et à dépasser, par la mise en scène des corps et du regard. Avec son assemblage de dessins à décoder, La Vie avec Mister Dangerous ne déroge pas à la règle. Amy est vendeuse dans un centre commercial et trompe son quotidien avec une série télévisée. Ce divertissement la fascine car il fait inconsciemment résonner son incapacité à construire une relation amoureuse et à communiquer avec sa mère…

Le Petit Cirque

de Fred (Dargaud) Avant la série des aventures de Philémon qui allait rendre Fred si célèbre, il y avait Le Petit Cirque, œuvre plus méconnue mais d’une poésie tout aussi personnelle. Ceux qui la connaissent la considèrent comme une pièce majeure de l’histoire de la bande dessinée. Dans cette fantaisie douce-amère qui suit les errances d’une famille de forains en roulotte, c’est toute l’histoire personnelle de l’auteur qui résonne. Or, ce conte de fée mélancolique, ourlé d’un lavis parfait, se voit enfin sublimé par une édition digne de ce nom, capable de retranscrire les nuances des coups de pinceau, la quantité d’eau diluée dans l’encre.

Ovnis à Lahti de Marko Turunen (Fremok)

Marko Turunen, depuis Lahti, glaciale bourgade de la Finlande, réinvente sa vie en images d’un noir et blanc très dense et sous les traits d’un extraterrestre aux airs roswelliens. Cette manière de déplacer les traumatismes dans l’imaginaire des martiens évoque autant le Mysterious Skin de Gregg Araki que le E.T. de Steven Spielberg. Sauf que chez Turunen, la métaphore n’est pas un masque de l’inconscient, mais le langage poétique et maîtrisé d’un artiste qui subit pleinement ses angoisses. L’omniprésence de la culture pop, son sucre et sa tendresse, rehausse la violence de l’inéluctable conclusion qui se profile au loin.

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LE GUIDE

SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS

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© Dan Aucante

© Pavla Kopecna

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© François Darmigny

© Dominique Issermann

f e s t i val- c lubb i n g / p h o t o grap h i e- A R T CONTE M P O R A IN / D A NSE-STA N D - U P / L E CHE F

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SORTIES EN SALLES CINÉMA 120

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© Advitam

© Memento Films

© Twentieth Century Fox

du mercredi 1er février au mardi 6 mars

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© Neil Krug

SORTIES EN VILLE CONCERTS

Les Suédoises Klara et Johanna Söderberg de First Aid Kit

Feux d’artifice festival Fireworks ! Festival, du 15 au 25 février à Paris (Point Ephémère, Flèche d’or, Nouveau Casino, Machine du Moulin Rouge, Maroquinerie), w w w.supermonamour.com

Le festival Fireworks !, organisé par le tourneur aux doigts verts Super !, défriche les nouvelles tendances et révèle les jeunes pousses rock, pop et électro. Verdeur et feux de joie : pendant dix jours, Paris est un jardin électrique. _Par Wilfried Paris

Agence artistique française créée il y a cinq ans, Super! représente plus de cent cinquante artistes internationaux, entre têtes d’affiches confirmées (The XX, Animal Collective, Bon Iver, Bonnie « Prince » Billy, Deerhunter…) et jeunes artistes en développement (Salem, Toro Y Moi, Yuck, Suuns…). Présenté comme un véritable « label/marque de concerts de qualité », il organise son festival annuel et itinérant à Paris, où il dévoile la belle et jeune avantgarde musicale internationale. Ces dix jours de balade citadine et musicale permettront au public parisien de découvrir ces artistes émergents, en autant d’affiches que de genres musicaux : le rock, avec le duo Gauntled Hair de Denver (riffs énervés et post-punk 96

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synthétique), ou Arrington de Dionyso, chantant en indonésien des textes inspirés par le poète William Blake ; la pop, bondissante afro avec tUnE-yArDs, synthétique-romantique avec Active Child, surfréverbérée avec Real Estate, ou hypnagogique avec Blouse, Trailer Trash Tracys et le duo français Noir Cœur, sous influence Lynch-Badalamenti. Côté électro, avec NZCA/Lines ou King Midas Sound, on attend une grosse poussée anglaise, avec une division dubstep bien fournie : l’afro-futurisme de Kode9 (patron-philosophe du label Hyperdub), la voix d’or de Karin Park, les infrabasses mélancoliques d’Ikonika, enfin les productions léchées et langoureuses de SBTRKT, qui retrouvera la singulière Jessie Ware, qui chante également pour Joker, de Bristol. Mais ce sont surtout les deux jeunes Suédoises Klara et Johanna Söderberg (18 et 21 ans) de First Aid Kit que l’on viendra admirer. Leur étonnante maturité vocale et leurs puissantes chansons hippie-folk, entre Pentangle et Mamas & Papas, montreront l’exemple, pur et intense, d’une jeunesse qui sait retrouver dans l’art le chemin du plaisir. ♦


© Denis Carrier & Pedro Olivas

Le duo Câlin

L’AGENDA _Par W.P.

James Ferraro Petit frère VHS d’Ariel Pink, le prolifique Angelino vient présenter son dernier Far Side Virtual, recyclant le tapis sonore de la musique signalétique (bleeps Windows, jingles Apple, sonneries BlackBerry) en pop songs synthétiques de l’époque. Cheap et hip. Le 11 février au Batofar, à par tir de 19h30, 8 €

I Break Horses + Fiodor Dream Dog Belle affiche avec le mur du son des shoegazers suédois I Break Horses (nom tiré d’une chanson de Smog) et Fiodor Dream Dog, le projet solo de l’extraordinaire batteuse de Bertrand Belin, Tatiana Mladenovitch. Le défrichage, c’est ici aussi. Le 11 février à la Flèche d’or, à par tir de 20h, 10 €

Jonathan Wilson Après avoir fait salle comble en novembre au Point Éphémère, Jonathan Wilson revient enfiler les soli de guitares transcendants, sur les traces de Crosby, Stills, Nash & Young et de toute la clique solaire et 70s de Laurel Canyon. Sunshine forever. Le 12 février au Divan du monde, à par tir de 19h30, 18,80 €

Howe Gelb Vétéran de l’indie folk-rock à carreaux, le leader de Giant Sand s’est offert en 2011 une facétie guitaristique avec Alegrias, en compagnie d’un groupe de musiciens gitans, Band of Gypsies, qu’il vient présenter live. Arizona flamenca. Le 13 février à La Maroquinerie, à par tir de 20h, 19 €

Is Tropical Combo électro londonien, buzzé par un clip (The Greeks) où des kids se mitraillent en mode manga sanguinolent, Is Tropical dispense aussi quelques hits synthpop pour dancefloors froids. Teenage kicks. Le 16 février au Nouveau Casino à par tir de 19h30, 19,80 €

Dirty Beaches Le beau Taïwanais en marcel blanc revient faire pencher sa guitare vers les graves saturés, entre Elvis sous psychotropes et Alan Vega pour midinettes, pour une performance gominée comme au cinéma (Wong Karwai meets David Lynch). Badlands. Le 19 février à La Maroquinerie, à par tir de 19h30, 19,80 €

Lazer Crystal + Câlin Les Chicagoans rétro-futuristes Lazer Crystal rejouent en double avec les Belges électro-disco Câlin, qui viennent de sortir le très jouissif Black Chinese II, aux hymnes space évocateurs : No Wave No Surf, Attentif ensemble, Le Foot c’est le pied. Telex et Moroder dans un bateau. Le 6 mars à L’International, à par tir de 20h, entrée libre

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© Pavla Kopecna

SORTIES EN VILLE CONCERTS

Le quatuor écossais Django Django

Discovery CL UBBING Le 14 février à la Boule noire, dès 19h30, 16,80 € Django Django de Django Django (Because, déjà disponible)

Tirant leur nom du guitariste Django Reinhardt, les Écossais DJANGO DJANGO sont moins manouches que chamans, chœur angélique grimpant l’échelle tonale sur des percussions tribales, de la lave aux étoiles, explorateurs pop. _Par Wilfried Paris

Édimbourg est une ville schizophrène : d’un côté, old town, construction verticale sur une colline volcanique, enchevêtrement gothique de petites rues charbonneuses, au-dessus duquel trône le château de la reine ; de l’autre, new town, plat quadrillage géorgien et horizontal, où chaque carrefour érige une statue anoblie. Entre les deux, l’artère centrale Princes Street sépare le passé du présent, le monument Walter Scott entouré de flèches noires baroques observant depuis la vieille ville les Starbucks et H&M qui longent la nouvelle. On comprend mieux la musique de Django Django quand on sait que ses quatre musiciens viennent du College of Art d’Édimbourg : rarement rapport entre ancien et 98

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moderne ne s’était présenté sur une échelle aussi étendue, de la transe primitive aux envols spatiaux futuristes. « Oui, nous sommes des hommes préhistoriques cosmiques », disent-ils en rigolant. Les Écossais, depuis émigrés à Londres, ont créé du fond de leur chambre un intervalle musical qui met en boucle de terriens agencements rythmiques (« à partir de jams de percussions, comme Bomb Squad quand ils produisaient Public Enemy ») sur les oscillations cosmiques des synthétiseurs analogiques. Entre deux, les voix angélisent des mélodies lysergiques (Beatles, Beach Boys), chantant « l’amour, l’évolution, la dévolution », sur des guitares acides (Seeds, Monks), et font décoller le dancefloor. « Les rythmes africains ont infusé le rhythm’n’blues, le funk, le disco, la house, la techno… On prend ce groove et on essaie de le ramener jusqu’à ceux qui l’ont initié pour imiter la course des animaux ou le battement d’un cœur. Pourquoi avons-nous ce rythme, que les animaux n’ont pas ? Il y a beaucoup à explorer… » Logotypés cercle plutôt que pyramide, ces quatre nouveaux fabuleux ont compris la musique, art du temps. ♦


© Rafael Monzo Valls

LES NUITS DE…

Mi and L’Au « Nous avons joué plus de cinq cents concerts en Europe et aux États-Unis, en duo, accompagnés chacun de notre guitare acoustique. En dehors du fait que nous voulions rattraper un rêve d’enfant, cette formule nous a appris à tenir une salle en éveil jusqu’à extinction de nos propres silences. Le minimalisme en musique est une rude épreuve, mais elle débouche souvent sur des compositions ouvertes qui tolèrent des arrangements multiples et variés. C’est ainsi que nous allons remonter sur scène et offrir une nuit à la Flèche d’or, accompagnés d’un piano, de synthétiseurs, et d’un ordinateur, objet – ou instrument en l’occurrence – qui nous a servi à composer dans son intégralité notre dernier album If Beauty is a Crime. » _Propos recueillis par W.P. Le 25 février à la Flèche d’or, à par tir de 20h, 12 € If Beauty is a Crime de Mi and L’au (Alter K / Module, déjà disponible)

© Julia Hetta

L’OREILLE DE…

Anna Ternheim « Dernièrement, je suis tombée sur ce disque de Neil Young, Dreamin’ Man Live 92, où il joue en concert les chansons qu’il enregistrera ensuite pour Harvest Moon. J’ai toujours été fan de Neil Young, j’ai grandi en dansant sur sa musique. Je me souviens, à 13 ans – j’avais assez économisé pour acheter ma première guitare folk –, avoir essayé de faire sonner mon nouveau bébé comme son You and Me, dans la cafétéria de l’école. Avec les doigts tremblants et un fort accent. Les bons enregistrements live vous ramènent à un lieu, un état d’esprit, vous faites partie de l’expérience… Vous le sentez dans votre sang et votre cœur. L’imperfection est parfaite, chaque écoute est différente, la musique ne vieillit jamais. » _Propos recueillis par W.P. Anna Ternheim, les 22 et 23 février au Café de la danse, à par tir de 19h30, 24, 20 €

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© Dominique Issermann

SORTIES EN VILLE EXPOS

Laetitia Casta, photographiée par Dominique Issermann, aux Thermes de Vals

Objectif nu pho t ographie Dominique Issermann, Laetitia Casta, jusqu’au 25 mars à la Maison européenne de la photographie, w w w.mep-fr.org

La Maison européenne de la photographie expose le dernier travail en argentique de DOMINIQUE ISSERMANN. Une invitation à dévorer la beauté canonique de Laetitia Casta posant sous son regard, dénudée et mélancolique, aux Thermes de Vals. Une série qui renouvelle le genre du nu. _Par Léa Chauvel-Levy

À l’origine de cette exposition, un livre monographique, Laetitia Casta, tout juste paru aux Éditions Xavier Barral, dont la Maison européenne de la photographie (MEP) choisit d’extraire trente-trois images en noir et blanc. « J’étais venue plusieurs fois à Vals, aux Thermes, raconte Issermann, photographe de mode réputée pour ses collaborations avec Sonia Rykiel, Dior, Chanel, Vogue ou Cosmopolitan. Le bâtiment de l’architecte Peter Zumthor est exceptionnel. Chaque fois, j’envisageais d’y réaliser une série de photos et, petit à petit, l’idée s’est imposée de faire ce livre avec 100

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Laetitia… Une traversée d’un lieu par une femme nue. » Devant cette nudité, toute offerte, désirable, si immédiate, le regard s’affole. On connaissait Laetitia Casta, grimée en homme par Jean-Paul Goude, désormais il y aura Laetitia Casta, la femme intronisée par Issermann. Une vision intemporelle de la féminité évoquant tantôt Ophélie, tantôt Vénus, et laissant place, par touches, à une sidérante beauté plastique. Très vite, la question de la légitimité du nu se pose. « Le nu est une espèce en voie de disparition, se défend la photographe. Montrer des humains nus est presque devenu un acte militant contre la pornographie ! » De pornographie, il ne s’agira jamais dans cette série. La pureté de l’eau thermale jouant un rôle de limite, de pudeur, de gardefou à la crudité de certaines images, lorsqu’une main fait glisser le long des fesses une culotte. Ou qu’un buste, entre ombre et lumière, exhibe une paire de seins redessinés par un sensuel filet d’eau. Loin de brusquer le regard, l’érotisation du corps nous invite à repenser la nudité, renvoyant sensiblement au « va et vient du monde » dont parlait si bien Vladimir Nabokov. ♦


© Musée Rodin - Photo Jean de Calan

Femme nue allongée vue de dos et en perspective, dessin de Rodin

L’AGENDA

_Par L.C.-L. et A.-L.V.

Sans commune mesure

La gravité est morte annonce le titre de l’œuvre de Vincent Mauger présentée dans l’exposition. Vive la gravité ! Ou comment sept artistes défient avec rigueur et légèreté les lois de la pesanteur, de la matière et de l’espace pour remettre le réel à sa place et créer un monde à leur (dé)mesure. Jusqu’au 25 février à la Galerie Ber trand Grimont, 47 rue de Montmorency, 750 03 Paris, w w w.ber trandgrimont.com

Le sentiment des choses Ce premier volet d’une série d’expositions prend pour point de départ le travail de l’inventeur, artiste, designer, écrivain, illustrateur, graphiste et pédagogue italien Bruno Munari, autour duquel gravitent d’autres artistes privilégiant une relation subjective à l’œuvre. Jusqu’au 26 février au Plateau Frac Île-de-France, place Hannah-Arendt, 75019 Paris, w w w.fracidf-leplateau.com

Time Capsule Cette exposition rassemble les œuvres de huit artistes, de Marcel Duchamp à Pierre Bismuth, faisant écho à une notion trouvée dans la peinture médiévale : la coexistence de plusieurs temps et récits en une seule image. Jusqu’au 4 mars à la Maison des ar ts de Malakof f, 105 avenue du 12-Février-1934, 92240 Malakof f, maisondesar ts.malakof f.fr

La saisie du modèle, Rodin 300 dessins 1890-1917

Du sculpteur du Baiser, on connaissait mal les dessins. Le musée Rodin rétablit ce tort en dévoilant son œuvre en 2D. Trois cents dessins donnent à voir un autre versant, libre, indépendant et tout aussi génial de l’artiste. Jusqu’au 1 er avril au musée Rodin, w w w.musee-rodin.fr

Henri Cartier-Bresson/Paul Strand 1932-1934 Les deux photographes Henri Cartier-Bresson et Paul Strand ont choisi de se rendre à Mexico au même moment, dans les années 1930. La Fondation Henri Cartier-Bresson réunit à Paris le regard croisé de cet Américain et de ce Français. Jusqu’au 22 avril à la Fondation Henri Car tierBresson, w w w.henricar tierbresson.org

Ai Weiwei : Entrelacs En rendant hommage à l’artiste chinois Ai Weiwei, libéré sous caution et interdit de territoire, le Jeu de paume milite à sa mesure. Une nuée de photographies et de vidéos iconoclastes présentent pour la première fois dans l’Hexagone cette figure emblématique de l’artiste censuré. Jusqu’au 29 avril au Jeu de paume, w w w.jeudepaume.org

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© Susan Hiller

SORTIES EN VILLE EXPOS

Suzanne Hiller, Day For Night

L’île aux artistes ar t con t empora in Au loin, une île !, jusqu’au 11 février à la Fondation d’entreprise Ricard, 12 rue Boissy-d’Anglas, 750 08 Paris, w w w.fondation-entreprise-ricard.com

Conçue par Marie Canet et Vanessa Desclaux, l’exposition Au loin, une île ! cartographie la scène britannique contemporaine. Après une escale au Frac Aquitaine à Bordeaux, elle jette l’ancre à la Fondation d’entreprise Ricard pour un deuxième et dernier volet. Embarquement immédiat ! _Par Anne-Lou Vicente

Aussi petite qu’elle puisse être, l’île est une inépuisable source d’inspiration. C’est à travers le prisme de ce motif volontiers exotique que les deux jeunes commissaires Marie Canet et Vanessa Desclaux ont choisi d’aborder la scène artistique britannique qu’elles jugent « pleine de contradictions, définie à la fois par sa diversité culturelle, son insularité géographique et politique, symbole d’ouverture et de domination ». Nés entre 1940 et 1973, les neuf artistes présents dans l’exposition suggèrent, de près ou de loin, l’espace de l’île, tant d’un point de vue physique que symbolique. Avec The Short and the Long of It 8.0 (2010-2011), Uriel Orlow 102

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fait émerger le souvenir de l’immobilisation, entre 1967 et 1975, de quatorze cargos de nationalités différentes dans le canal de Suez suite à la guerre des Six Jours. Un ensemble hétéroclite de documents témoigne de la (sur)vie communautaire des équipages, unis dans cette situation malgré les tensions politiques en cours. Day for Night et Nightwatch de Susan Hiller consistent en deux ensembles de neuf impressions numériques, agrandissements colorés de cartes postales de mers démontées collectées par l’artiste depuis les années 1970. Empreints de romantisme, ces flots déchaînés s’écrasant sur les côtes de la GrandeBretagne semblent menacer les « boats » de Bethan Huws, minuscules embarcations en jonc protégées des vents par une vitrine qui ne saurait résister aux violents assauts de Louis Benassi. Concluant, tout en l’ouvrant, l’exposition, sa vidéo Midnight-De-construction (20032010) le montre, visiblement éméché, détruire méthodiquement à coups de marteau plusieurs de ses œuvres qu’il ne semble plus pouvoir voir en peinture ! Une performance cathartique radicale, qui ouvre l’horizon… ♦


© musée du quai Branly, photo Henneman, Nicolaas

LE CABINET DE CURIOSITÉS

Zulu Mealtime (repas zoulou)

Galerie des glaces Des chapiteaux feutrés se disputent notre attention sur la mezzanine du Quai Branly. Derrière ces alcôves figurent les vestiges d’une industrie du spectacle qui, cinq siècles durant, a exhibé des hommes (venus d’Afrique, d’Asie…) à d’autres pour s’enrichir de leurs différences. Proposée par l’ex-footballeur Lilian Thuram, l’exposition Exhibitions retrace cette effarante entreprise, des cours royales du XVIe siècle où défilent les « sauvages » aux spectacles ethniques des XIXe et XXe, berceau du commerce des « freaks ». Les archétypes se façonnent dans une surenchère d’exotisme que l’on découvre à travers des films d’archives, photographies, affiches et autres costumes. Un cirque désuet qui questionne, avec acuité, l’histoire de notre rapport à l’autre. _L.P. Exhibitions, L’invention du sauvage, jusqu’au 3 juin au musée du Quai Branly, w w w.quaibranly.fr

© Paul Hornschemeier

L’ŒIL DE…

Flash after Carminé Infantino de Paul Hornschemeier

Joseph Ghosn, journaliste « En tant que journaliste, j’ai beaucoup écrit sur la bande dessinée. La personne qui s’occupe de la galerie 12mail m’a proposé d’être commissaire d’une exposition autour du format et j’ai voulu travailler autour d’une figure que j’aime bien, celle du visage. J’avais envie de rassembler des générations et des pratiques différentes, en mettant à l’honneur les auteurs plutôt que leurs personnages, avec de grands noms de la BD comme Serge Clerc ou Charles Burns, en passant par des illustratrices comme Caroline Andrieu. Les œuvres exposées sont le reflet de mon goût parce qu’elles vont au-delà de la plastique, elles parlent de notre époque. Avec l’idée que le visiteur, lui aussi, se sentira regardé. » _Propos recueillis par Q.G. Visages, jusqu’au 30 mars à la galerie 12mail, 12 rue du Mail, 75002 Paris, www.12mail.fr

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© Dan Aucante

SORTIES EN VILLE SPECTACLES

John Degois au festival Suresnes cités danse

Grand écart D A NSE Suresnes cités danse, jusqu’au 12 février au Théâtre de Suresnes Jean Vilar, w w w.suresnescitesdanse.com

Depuis vingt ans, le festival SURESNES CITÉS DANSE propose la rencontre entre chorégraphes contemporains et breakers gonflés à bloc. Ou quand le hip-hop réconcilie battles et plateaux… _Par Ève Beauvallet

Dans les années 1980, réunir les breakers et les contemporains dans un même studio de danse, c’était un peu comme d’espérer aujourd’hui un battle entre la reine du R’n’B Beyoncé et la perle de l’expérimental Anne Teresa De Keersmaeker : improbable. Danse de rue versus danse de scène, danse de compétition versus danse d’auteur, high versus pop culture… Les frontières étaient imperméables. Hier, il n’y avait guère que les jeunes Dominique Hervieu et José Montalvo pour mixer les street dances au ballet classique, à la danse baroque ou africaine. Aujourd’hui, ils sont des dizaines de chorégraphes contemporains, ou même issus de l’Opéra, à s’enthousiasmer pour les derniers virtuoses 104

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du popping (basé sur la contraction et la décontraction des muscles), du voguing (pastiche de la gestuelle des mannequins) ou du krump (version agressive et ultra rapide des danses africaines). Entretemps, le festival Suresnes cités danse est passé par là. Lorsqu’en 1992, Olivier Meyer fonde ce festival alors iconoclaste, il est l’un des premiers à établir le diagnostic suivant : le hip-hop français a pour l’instant des danseurs mais pas encore de chorégraphes. Son métier va donc consister à leur en trouver. Mourad Merzouki et Kader Attou (aujourd’hui directeurs de centres chorégraphiques nationaux) sont « nés » là-bas, Blanca Li est une fidèle, Jérémie Bélingard, de l’Opéra de Paris, est un nouveau venu, comme les Wanted Posse, les Pockemon Crew ou Angelin Preljocaj, qui a également répondu présent pour l’édition 2012, célébrant les 20 ans du festival. « Suresnes », qui a prouvé que le hip-hop pouvait s’exprimer professionnellement ailleurs que dans les clips télé, n’a donc plus qu’à inverser la donne : à quand les danseurs de Preljocaj en finale du prochain « Battle of the Year » ? ♦


© Maitetxu Etcheverria

Le Maître des marionnettes au musée du Quai Branly

L’AGENDA _Par E.B.

La Dame aux camélias Frank Castorf, icône des jeunes metteurs en scène européens et tonton flingueur du théâtre allemand, a grandi au rythme de la contreculture rock. Parfois censurées en Allemagne, ses relectures des classiques caressent rarement la morale dans le sens du poil. Nouvelle preuve : La Dame aux camélias, avec Jeanne Balibar. Jusqu’au 4 février à l’Odéon, Théâtre de l’Europe, w w w.theatre-odeon.fr

Nous avons les machines

Sorte de Deschiens de la génération Bref, les comédiens des Chiens de Navarre aiment les titres énigmatiques et les plateaux foutraques où l’on s’engueule en partageant un gueuleton. Des comédies sociales avec du gros rire qui tâche. Du 1 er au 4 février au Centre Pompidou, w w w.centrepompidou.fr Les 8 et 9 février au Théâtre de Vanves, dans le cadre du Festival Ar tdanthé, w w w.theatre-vanves.fr

La Mort d’Ivan Ilitch Les pièces d’Yves-Noël Genod racontent tout du théâtre parce qu’elles ne jouent rien. Du maquillage mais point de coquetterie, du tragique mais point de sérieux, et des acteurs en errance sur les plateaux, entre héros pasoliniens et amoureux durassiens. Du 6 au 12 février au Théâtre de la Bastille, w w w.theatre-bastille.com

Orphée et Eurydice Le mythe antique a inspiré à Pina Bausch un de ses premiers ballets, en 1975. Quatre tableaux (deuil, violence, paix et mort) encore empreints de classicisme mais déjà hantés par l’expressionnisme sensuel de ce monstre sacré de la danse du XXe siècle. Du 4 au 16 février à l’Opéra national de Paris, w w w.operadeparis.fr

Le Maître des marionnettes Plongée sous-marine dans les fonds mystérieux de la mythologie vietnamienne avec le metteur en scène et directeur d’opéra Dominique Pitoiset. L’occasion de découvrir l’art des marionnettes sur eau, une tradition dont il s’empare pour parler de dragons, de déesses et de poissons d’or. Du 10 au 25 février au musée du Quai Branly, w w w.quaibranly.fr

The Art of Not Looking Back / Uprising Jeune bulldozer israélo-britannique, le compositeur et chorégraphe Hofesh Shechter présente deux chorégraphies d’humeur martiale : l’une 100 % féminine, l’autre 100 % masculine. On ne loupe aucune des deux. Du 14 au 29 février au Théâtre de la Ville, w w w.theatredelaville-paris.com

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© François Darmigny

SORTIES EN VILLE SPECTACLES

Gaspard Proust à l’affiche de L’Amour dure trois ans

Humour amer s ta nd -up Gaspard Proust tapine, le 3 février à Villejuif, le 4 février à Noisy-le-Sec, le 10 mars à Villeparisis, le 24 mars à Meaux, et en tournée dans toute la France jusque fin juin, w w w.gaspardproust.fr

Faire la gueule est un art. L’humoriste GASPARD PROUST, également à l’affiche de L’Amour dure trois ans, de Frédéric Beigbeder, le prouve dans un one-man show venimeux qui redonne du pep au vieux jeu et de la classe au stand-up. _Par Ève Beauvallet

Le chemin qui mène aux hautes sphères du rire sordide et désabusé est semé d’embûches, comme si Pierre Desproges lui-même, en gardien sadique et vénéré du temple, l’avait truffé de mines antipersonnel. La provoc académique et la minauderie adolescente s’y cassent souvent les dents (Nicolas Bedos risque d’en perdre). Seul rescapé du gouffre, le très chevelu Gaspard Proust : brushing François-René de Chateaubriand, expressivité minimale, saillies trempées dans l’arsenic, il sait mixer Albert Camus et You Porn, classer les femmes en domaines viticoles, contredire Oscar Wilde 106

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et Amélie Poulain, et envoyer des petites pichenettes derrière l’oreille des anticonformistes conformistes. À l’heure des vannes en cent quarante signes et du Jamel Comedy Club, ce passionné de littérature, chroniqueur du bovarisme ordinaire, fait figure d’ovni. « Ton spectacle est vraiment trotskiste, il dénonce la bourgeoisie », lui dit un jour un type de gauche avant que, cinq minutes plus tard, un type de droite lui fasse pareillement part de sa proximité de pensée, confiait-il au magazine Glamour. Difficile de statuer sur un quelconque positionnement, chez Proust, même si on l’imagine davantage jouer au croquet avec Régis Debray qu’écouter du rap avec Stéphane Hessel. Ce qui est certain, c’est que cet ancien banquier élevé en Slovénie, en Suisse et en Algérie, amateur de Balzac, partage avec son écrivain favori une façon d’observer la société en entomologiste. Rien que ça ? Avec de l’entraînement, on le goûtera même peut-être en Houellebecq du oneman show. Qui sait ? Il réussirait presque à nous faire croire que l’amour dure trois ans. ♦


© Martine Derain

LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ

L’effet Quesne Chevaleresque et dérisoire comme un sourire de Jean Rochefort, l’univers de Philippe Quesne repose sur une économie de parole pour un maximum de comique. Dans L’Effet de Serge, l’introverti Serge bidouille des petits spectacles dans son salon pour les présenter ensuite à ses voisins. Le bon sens voudrait qu’ils ricanent devant ces pétards mouillés, mais Quesne préfère le fantasme social à la Kaurismäki : les voisins observent et débriefent avec autant de sérieux que s’il s’agissait du vernissage de Jeff Koons. Au Festival Artdanthé, la comédie sera précédée par une jolie divagation autour des héritages, signée par la compagnie Théâtre Déplié. Une sorte d’équation farcesque et hallucinée entre Pasolini, la téléphonie mobile et Beethoven. _E.B. L’Effet de Serge de Philippe Quesne, les 3 et 4 février, et Il est trop tôt pour prendre des décisions définitives de la compagnie Théâtre Déplié, le 4 février, au Théâtre de Vanves, dans le cadre du Festival Artdanthé, www.theatre-vanves.fr

© Jeremiah

l’invité surprise

Dame Camille au théâtre À peine bouclées les mélodies mysticoenfantines d’Ilo veyou, son cinquième album, Camille fait ses débuts au théâtre sous la double casquette d’interprète et de compositeur. Pas de comédie boulevardière à l’horizon, mais un drame de l’auteur norvégien Henrik Ibsen (écrit en 1888), dans une mise en scène de Claude Baqué. Camille est « Ellida », cette Dame de la mer qui doit lutter contre les fantômes du passé (un marin ténébreux à qui elle fut jadis promise) pour vivre l’amour au présent. Une femme « moderne qui se libère de ses propres fantasmes », selon les mots de la chanteuse qui dit s’être totalement identifiée au personnage et à sa mélancolie aquatique. _E.B. La Dame de la mer, du 28 février au 17 mars au Théâtre des Bouffes du Nord, www.bouffesdunord.com

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© Bruno Verjus

SORTIES EN VILLE RESTOS

Nicolas Gauduin, chef du Racines 2, et David Lanher, propriétaire du restaurant

Des racines et des mets L E CHEF Racines 2 , 39 rue de l’Arbre-Sec, 750 01 Paris Tél. : 01 42 60 77 34

Par le marcottage d’une racine sillonnant la capitale, Racines, le bien nommé restaurant du passage des Panoramas, vient d’éclore sur le bitume de la rue de l’Arbre-Sec, dans le 1er arrondissement de Paris. NICOLAS GAUDUIN, chef de ce Racines 2, nous offre une cuisine d’appellation d’origine. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)

La rencontre entre David Lanher, le propriétaire des Racines, et le designer Philippe Starck a mis en germination cet espace contemporain. Lumineux, le restaurant marie avec esprit les pierres de taille de l’immeuble et des moellons brut, un parquet de bois rustique et une table de marbre rétroéclairée ; infinie sagaie où s’égaient les clients sous une collection de lustre hétéroclites et starckien… La cuisine, baignée de jaune lacustre, prolonge sans frontière la salle. Nicolas Gauduin, accoudé au passe-plats, rêve de ses assiettes, tissées aux goûteuses promesses des artisans. Grâce au ballet du service, aimable et rôdé, les plats s’envolent 108

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vers les tables des convives et caressent avec sentiment le mangeur. Nicolas Gauduin se passionne pour la cuisine de produits : « Mon rôle de chef, c’est offrir un écrin à l’amour que les producteurs ont mis dans leurs travail. » Passé par L’Arpège, Le Laurent et Le Divellec, il y a cueilli l’essence de la cuisine : le produit. La cuisine file droit avec des ingrédients de belle extraction, à peine transformés, soigneusement assaisonnés et aux cuissons idéales. Les légumes suent en sauteuse, les entrées frissonnent, les viandes patientent, pour mieux forger le goût. Pas de « chichi » pour ce chef qui aime aiguiser la pureté d’une carotte d’un trait d’orange ou masser ses viandes et les laisser se reposer comme au spa. Par ici une soupe de coco, ou encore une côtelette de porc ibérique : elles se disputent le tendre et le soyeux d’un baiser. Le tourteau, émietté au naturel et relevé d’herbes fraîches, débarque sous les embruns. « Chez Racines, l’on travaille des produits d’étoilés pour une carte bistrot. » Diamant de ce Racines 2, Émilie Jolivet, sommelière, qui sait concilier les soifs avec (vin) naturel. Une cuisine de bonne étoile, qui tire son âme de ses racines. ♦


DR

LE PALAIS DE…

Charles Berling, comédien « Je vous conseillerais d’aller manger à L’Éclaireur, près de Concorde, surtout pour son ambiance. Le lieu est caché dans un magasin de mode et design des plus tendance, contrastant avec l’atmosphère baroque et poétique de la partie restaurant. Le décor est inspiré de la pâtisserie Dulciora, à Milan, qui a aujourd’hui disparu : on peut y voir de grandes fresques en trompe-l’œil et même une tribu de hiboux espiègles dans un renfoncement du plafond. On peut déguster la panna cotta aux agrumes dont raffolent les Milanais, agrémentée de cocktails farfelus comme le Fornaspresso, un mélange de vodka, de vanille, d’ananas et d’expresso. Parfait avant de faire quelques emplettes… » _Propos recueillis par Q.G. L’Éclaireur, 10 rue Boissy-d’Anglas, 750 08 Paris. Tél. : 01 53 43 09 99, w w w.leclaireur.com Jeune Chanteur de Charles Berling (Believe) Sor tie le 6 février (lire également page 124)

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la Recette

Comment noyer le poisson, façon Marée nocturne Vous êtes une sirène et avez rencontré Dennis Hopper jeune à la plage ? Pour le séduire, faites comme Mora : invitez-le à petit-déjeuner et préparez-lui des maquereaux. Pêchez-les dans le Pacifique en bas de chez vous. Videz-les, rincez-les et mettez-les sur le grill avec de l’huile et du thym. Puis, coupez en lamelles les citrons que vous faites confire dans un bocal depuis un mois. Surtout, ne vous trompez pas en prenant des bouts de la main qui trempe dans le formol à côté sur l’étagère. Disposez le tout dans une assiette creuse avec du persil frais et couvrez en attendant Dennis. Avec ça, s’il ne comprend pas que vous êtes une femme hors-norme… _I.P.-F. Marée nocturne de Cur tis Harrington (1944) Avec Dennis Hopper, Linda Lawson... DVD Wild Side Vidéo // Disponible

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

L’AGENDA

© SDN

_Par C.G., Q.G., I.P.-F., J.R., E.R. et L.T.

Ghost Rider 2 : L’Esprit de vengeance de Mark Neveldine et Brian Taylor

01/02 L’HOMME EN PLUS

DETACHMENT

Au sommet de leur gloire, un crooner et un footballeur perdent tout en même temps : deux destins qui se croisent pour une réflexion sur la rédemption. Le premier film de Paolo Sorrentino (Il Divo), inédit en France. (lire aussi p. 28)

Adrien Brody campe un prof au bord de la crise de nerf, désarmé face à la petite Sami Gayle, une révélation. L’auteur du glaçant American History X sonde une nouvelle fois les dysfonctionnements de la société civile américaine.

HOWL

ANOTHER HAPPY DAY

En 1957, l’éditeur du poème Howl, d’Allen Ginsberg, est attaqué en justice pour obscénité. Cette chronique du procès, qui fit du poète Beat une icône de la contreculture, doit beaucoup à l’interprétation de James Franco, remarquable.

À l’occasion du mariage de Dylan, une mère dépressive, un frère camé (Ezra Miller, parfait) et une sœur suicidaire sont forcés de cohabiter. Une comédie grinçante sur les joies de la famille, ambiance Festen.

JEUX D’ÉTÉ

EL CHINO

La Toscane, l’été, le camping. Nic, 12 ans, cherche sa place entre des parents qui se déchirent et son attirance pour Marie, une jeune fille, hantée par la disparition de son père. Leurs jeux interdits font le sel de ce film d’apprentissage.

Ricardo Darin, pilier du cinéma argentin (Dans ses yeux, Carancho), incarne à merveille un quincaillier ronchon sorti de sa torpeur par l’arrivée d’un Chinois qu’il tente, sans parler sa langue, de restituer à sa famille. Choc des cultures garanti.

MY LAND

RECHERCHE BAD BOYS DÉSESPÉRÉMENT

Le documentariste Nabil Ayouch confronte la parole de vieux réfugiés palestiniens, qui ont fui leur pays en 1948, à celle de jeunes Israéliens qui vivent aujourd’hui sur cette terre. Un dialogue qui déstabilise les certitudes sur le conflit israélo-palestinien.

Acculée par les créanciers, Stéphanie Plum, ancienne vendeuse de petites culottes, décide de devenir chasseuse de prime. Sa première cible : un flic en cavale, qui va fortement regretter de l’avoir plaquée, il y a dix ans, au lycée…

de Paolo Sorrentino Avec Toni Ser villo, Andrea Renzi… Bellissima, Italie, 1h40

de Rob Epstein et Jef frey Friedman Avec James Franco, Jon Prescot t… Mica, États-Unis, 1h24

de Tony Kaye Avec Adrien Brody, Christina Hendricks… Pret t y Pictures, États-Unis, 1h37

de Sam Levinson Avec Ellen Barkin, Ezra Miller… Memento, États-Unis, 1h55

08/02 de Rolando Colla Avec Armando Condolucci, Fiorella Campanella… Rezo, Italie-Suisse, 1h50

de Nabil Ayouch Documentaire Les Films de l’Atalante, France-Maroc, 1h22

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de Sebastián Borensztein Avec Ricardo Darin, Ignacio Huang… Eurozoom, Argentine, 1h40

de Julie Anne Robinson Avec Katherine Heigl, Jason O’Mara… Metropolitan, États-Unis, 1h31


ET AUSSI… 01/02 Elles (lire l’ar ticle p. 50) Félins (lire l’ar ticle p. 36) Hanezu, l’esprit des montagnes (lire l’ar ticle p. 114) Sur la planche (lire l’ar ticle p. 16) Tatsumi (lire l’ar ticle p. 115) Tucker & Dale fightent le mal (lire l’ar ticle p. 12) 08/02 En secret (lire l’ar ticle p. 16) Go go Tales (lire l’ar ticle p. 41) JC comme JÉsus Christ (lire l’ar ticle p. 62) La Taupe (lire l’ar ticle p. 24) Une bouteille à la mer (lire l’ar ticle p. 16) Un monde sans femmes (lire l’ar ticle p. 116) Le Marin masqué (lire les ar ticles p. 80 et 126) Zarafa (lire l’ar ticle p. 82)

15/02 10 HIVERS À VENISE

de Valerio Mieli Avec Isabella Ragonese, Michele Riondino… Bellissima, Italie, 1h39

Une étudiante réservée et un jeune homme effronté se rencontrent sur un vaporetto. Pendant dix ans, les allers-retours entre Venise et Moscou vont rythmer leur relation faite de rendez-vous manqués.

LA DAME DE FER

de Phyllida Lloyd Avec Mer yl Streep, Jim Broadbent… Pathé, Royaume-Uni, 1h44

Retraitée, Margaret Thatcher se remémore sa carrière politique, qui l’a menée jusqu’aux plus hautes marches du pouvoir. Meryl Streep, oscarisable, prête sa voix haut perchée à ce biopic historique.

VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE 2 : L’ÎLE MYSTÉRIEUSE

de Brad Pey ton Avec Josh Hutcherson, Dwayne Johnson… Warner Bros., États-Unis, 1h34

Après un premier volet, ce nouveau périple dans les bottes de Jules Verne foule les côtes de son île mystérieuse, peuplée d’éléphants nains et de ruines fascinantes…

GHOST RIDER 2 : L’ESPRIT DE VENGEANCE de Mark Neveldine et Brian Taylor Avec Nicolas Cage, Idris Elba… SND, États-Unis, 1h45

Parmi les adaptations au cinéma des sympathiques héros Marvel Comics, Ghost Rider faisait figure d’exception avec une tonalité sombre. Ce second opus enfonce le clou, empruntant une direction proche des illustrés.

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L’AGENDA _Par C.G., Q.G., I.P.-F., J.R., E.R. et L.T.

ET AUSSI… 15/02 Amador (lire l’ar ticle p. 118) La Désintégration (lire l’ar ticle p. 16) La Vie d’une autre (lire l’ar ticle p. 50) 22/02 Bovines (lire l’ar ticle p. 30) Bullhead (lire l’ar ticle p. 120) Cheval de guerre (lire les ar ticles p. 28 et 54) Ulysse, souviens-toi ! (lire l’ar ticle p. 20) © Les Films du Paradoxe

29/02 L’Hiver dernier (lire l’ar ticle p. 11) Martha Marcy May Marlene (lire l’ar ticle p. 121) Oslo, 31 août (lire l’ar ticle p. 122) L’Œil de l’astronome de Stan Neumann

22/02 SÉCURITÉ RAPPROCHÉE

ALBERT NOBBS

L’auteur suédois de Easy Money s’exile à Hollywood via l’Afrique du Sud : ce thriller avec Denzel Washington et Ryan Reynolds met en scène un agent de la C.I.A. et son prisonnier, dans une cavale forcée à deux.

Au XIXe siècle, en Irlande, une femme se fait passer pour un homme sous le nom d’Albert Nobbs afin de pouvoir travailler en tant que majordome. Glenn Close joue avec les genres dans un rôle tout en ambiguïté.

L’ŒIL DE L’ASTRONOME

CHRONICLE

En 1610, le télescope de Galilée arrive entre les mains de l’astronome Johannes Kepler. Il explore les astres et se confronte aux injonctions de l’empereur Rodolphe II. Entre la science et la superstition, il trace sa propre route.

Premier film très attendu de Josh Trank (fils de Richard Trank), écrit avec Max Landis (fils de John Landis), Chronicle s’inspire d’Akira et de l’esthétique du found footage façon REC, pour filmer les superpouvoirs de trois ados à Seattle.

EN TERRAINS CONNUS

LES INFIDÈLES

Après Continental, un film sans fusil, le Québécois Stéphane Lafleur confirme son sens de la bizarrerie avec son second long métrage, qui explore l’absurdité du quotidien d’une femme mariée et de son frère dans une petite ville enneigée.

Dirigés par sept réalisateurs (Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Emmanuelle Bercot, Fred Cavayé, Michel Hazanavicius, Éric Lartigau et Alexandre Courtès), Gilles Lellouche et Jean Dujardin vous montrent les manières de faire cocu votre femme.

LE TERRITOIRE DES LOUPS

DE MÉMOIRES D’OUVRIERS

Après un accident d’avion en Alaska, six hommes sont livrés à eux-mêmes et aux loups. Entre deux pauses introspectives, ce pur film de survie ménage quelques scènes épatantes, à commencer par celle du crash.

À partir d’un fait divers de 1904, durant lequel des patrons tirèrent sur des ouvriers grévistes, Gilles Perret recueille les souvenirs des ouvriers de Savoie. Une parole précieuse qui revient sur notre place dans une économie mondialisée.

de Daniel Espinosa Avec Denzel Washington, Ryan Reynolds… Universal, États-Unis, 1h30

de Stan Neumann Avec Denis Lavant, Air y Routier… Les Films du Paradoxe, France, 1h30

de Rodrigo Garcia Avec Glenn Close, Mia Wasikowska… Chr ysalis, Grande-Bretagne, 1h57

de Josh Trank Avec Michael B. Jordan, Dane DeHaan… 20th Centur y Fox, États-Unis, 1h30

29/02 de Stéphane Lafleur Avec Fanny Mallet te, Francis La Haye… Contre-Allée, Canada, 1h29

de Joe Carnahan Avec Liam Neeson, Dermot Mulroney… Metropolitan, États-Unis, 1h57

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d’Emmanuelle Bercot, Michel Hazanavicius… Avec Jean Dujardin, Gilles Lellouche… Mars, France, 1h49

de Gilles Perret Documentaire C-P Productions, France, 1h19


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Une femme et des dieux HANEZU, L’ESPRIT DES MONTAGNES de Naomi Kawase Avec : Tota Komizu, Hako Ohshima… Distribution : UFO Durée : 1h31 Sor tie : 1 er février

Enceinte, Takumi doit choisir entre deux hommes sous le regard bienveillant des montagnes et des fantômes voisins… NAOMI KAWASE signe un beau film contemplatif qui tient de l’expérience spirituelle. _Par Pamela Pianezza

Takumi est l’épouse délaissée de Tetsuya, un publicitaire distant, et la maîtresse passionnée de Kayoko, un artiste aux doigts de fée. Devoir d’un côté, amour de l’autre. La situation lui convient jusqu’à ce qu’elle se découvre enceinte et que sonne l’heure des choix. Rien de nouveau sous le soleil de Nara, région natale et adorée de Naomi Kawase, si ce n’est que la réalisatrice japonaise voit

dans ce triangle amoureux la répétition d’un tout autre drame se jouant depuis des millénaires : la rivalité entre les trois montagnes alentour, censées abriter des dieux. À mille lieux d’une société de consommation qui la répugne, Kawase filme sans échelle de valeurs, la faune, la flore et l’humain cohabitant harmonieusement sous le regard des ancêtres, dont les fantômes continuent d’errer ici et là. Peu de mots sont prononcés – le jeu des acteurs est étonnamment pudique – mais chaque geste a des allures d’éternité : des fruits frais partagés entre amants, un vélo qui file vers la promesse de plaisirs charnels, un oiseau chantant… Hanezu ressemble à une variante filmée du haïku : il ne se passe rien, ou presque, mais tout est fragile et puissant, bouleversant de beauté et de pureté. Naomi Kawase dit vouloir « capter l’invisible ». Et l’expression décrit à la perfection son singulier rapport au cinéma. ♦

3 questions à

Naomi Kawase Que signifie le titre de votre film, Hanezu ? L’expression, tirée d’un poème vieux de mille trois cents ans, désigne la couleur rouge – la toute première perçue par les humains et à travers elle le sang, le soleil, les flammes et la vie. Cette couleur disparaît aussi facilement qu’elle apparaît. Un peu comme le pouvoir finalement. Je trouve qu’elle symbolise bien le caractère fugace de notre vie. Tous vos films sonnent comme des odes à la nature… Je serais incapable de tourner un film en ville. L’idée même me stresse terriblement. Si j’infligeais cela à mon corps, il protesterait violemment. Je ne supporte pas l’atmosphère de ces lieux obsédés par le progrès. Êtes-vous nostalgique ? Ce que je ressens dans ma vie de tous les jours, ce n’est pas tant le passé en lui-même que les voix de ceux qui y ont vécu. Lorsque j’ai un choix à faire ou que je me demande qui je suis, je ressens le besoin de questionner ces personnes qui n’existent plus mais sont là malgré tout. Elles sont un autre reflet de moi-même.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce qu’il est assez rare de voir au cinéma les ingrédients d’un vaudeville remixés à la sauce naturaliste.

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2… Parce qu’une heure et demie en compagnie de Naomi Kawase vaut dix heures de méditation avec un grand maître zen.

3… Pour poursuivre notre réflexion sur la place de l’homme dans l’univers entamée avec The Tree of Life de Terrence Malick.


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Contes amoraux TATSUMI d’Eric Khoo Avec les voix (en VO) de : Tetsuya Bessho, Yoshihiro Tatsumi… Distribution : Happiness Durée : 1h36 Sor tie : 1 er février

Pour sa première incursion dans l’animation, ERIC KHOO nous plonge dans la vie et l’œuvre de l’un des plus importants mangakas de l’histoire de la littérature nippone : Yoshihiro Tatsumi, conteur cruel des dérives d’un Japon interlope. _Par Julien Dupuy

L’évolution des mœurs et la disparition des traditions n’y changent rien : près d’un demi-siècle après leur publication, les mangas de Yoshihiro Tatsumi, âgé de 76 ans, demeurent traumatisants. Enfant de l’après-guerre, ce mangaka a exorcisé les démons de son pays et allégé sa mauvaise conscience

en brossant le portrait d’un Japon émasculé, tentant de panser ses plaies avec une croissance économique effrénée et inhumaine. Il y a, dans les contes amoraux de Tatsumi, une certaine complaisance dans le glauque et le mélodrame. Mais ces hurlements de haine et de désespoir sont toujours portés par un amour profond et sincère pour les âmes brisées qui traversent ses histoires – dont certaines ont récemment été traduites sous le titre Une vie dans les marges, fresque historique et document autobiographique, édité chez Cornélius. L’équilibre reste délicat, et rendre hommage à cet auteur n’était pas sans risque. Pourtant, Tatsumi – le film – évite les écueils qui menaçaient un tel projet, grâce à deux idées brillantes de son réalisateur, le Singapourien Eric Khoo. Première trouvaille : une direction

artistique qui troque, avec bonheur, la souplesse du mouvement contre une fidélité totale au trait torturé et aux caricatures impitoyables du mangaka. Mais la clef de la réussite de Tatsumi est surtout à chercher dans sa structure de film à sketches, genre dans lequel Khoo s’était déjà illustré avec Be With Me et 12 Storeys. Aux épisodes biographiques de Yoshihiro Tatsumi s’entremêle l’adaptation de cinq histoires courtes emblématiques du genre qu’il a fondé : le gekiga (littéralement « images dramatiques »), terme inventé en 1957 pour définir les mangas réservés aux adultes et très influencés par le cinéma néoréaliste. Tatsumi est ainsi constamment animé par une alternance de registres narratifs terriblement efficace : découvrir l’auteur à travers ses ouvrages ; retracer la vie du mangaka pour mieux décr ypter son œuvre. Préparez vos mouchoirs ! ♦

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour découvrir le gekiga, un genre méconnu et fascinant du manga, qui préfigure les graphic novels américains.

2… Pour l’interprétation habitée de Yoshihiro Tatsumi, qui a accepté de narrer les épisodes biographiques du film sur l’insistance du réalisateur.

3… Pour permettre à Eric Khoo de financer un second opus toujours dédié à Tatsumi, qu’il espère mettre en chantier rapidement.

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Sur la plage, abandonné UN MONDE SANS FEMMES de Guillaume Brac Avec : Vincent Macaigne, Laure Calamy… Distribution : NiZ ! Durée : 58 min Sor tie : 8 février

Conte d’été arraché à l’hiver, Un monde sans femmes narre les souffrances et les espoirs du jeune Sylvain, sur fond de station balnéaire picarde. Accompagnée du court métrage/prologue Le Naufragé, cette tragicomédie impose son auteur, GUILLAUME BRAC, comme un héritier original des grands maîtres du badinage estival. _Par Louis Séguin

À l’image de la bourgade d’Ault, paisible mais exposée aux vents du nord, Sylvain (Vincent Macaigne) contient sa douceur et sa maladresse dans

un corps d’ours mal léché. Quand débarquent pour une semaine de vacances Patricia et Juliette, une mère et sa fille, le célibataire endurci ne peut se permettre de louper le coche.

« Ce lieu, cette atmosphère de film de vacances se prêtait au grain du 16 mm. » S’engage alors un quatuor amoureux entre les deux femmes, Sylvain et un rival (un gendarme entreprenant) qui les rejoint bientôt. La séduction s’incarne dans des scènes très drôles, et au ton d’autant plus juste qu’il n’est jamais verbeux ; il suffit de penser à l’hilarante scène entre Patricia et Sylvain, où tout l’embarras s’exprime par des mains pataudes et sans aucune portée sensuelle. La comédie badine se construit instant après instant, devant le regard d’une caméra opportune : l’essentiel, ici, est de

réunir les conditions (décor, mise en scène, lumière…) d’épanouissement du naturel. Quel naturel ? Si Guillaume Brac voue à Maurice Pialat une franche admiration, Un monde sans femmes évoque surtout Du côté d’Orouët de Jacques Rozier, dont le ton et l’esthétique sont très proches. À propos du choix de tourner en 16 mm, il explique : « Ce lieu, cette atmosphère de film de vacances se prêtait au grain du 16 mm. » Avant de déclarer : « Un film numérique n’a pas tout à fait la même valeur qu’un film en pellicule. Il y a une mise en danger qui est très belle avec la pellicule, surtout lorsqu’il s’agit de filmer des acteurs non professionnels. On ne peut pas tourner à l’infini, ça ne laisse pas la possibilité de trop monter une scène. » Autrement dit, le tournage, loin de n’être qu’une illustration du scénario, doit imprimer sa marque (aléas climatologiques, seconds rôles confiés aux

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la beauté du littoral picard, ses falaises, ses brumes et ses pêches à la crevette, loin des frimas parisiens.

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2… Pour les habitants d’Ault, qui se prêtent volontiers à la comédie et ancrent concrêtement le film dans son décor.

3… Pour découvrir au cinéma le talent comique et dramatique de Vincent Macaigne, comédien et metteur en scène de théâtre.


« En pellicule, il y a une mise en danger, on ne peut pas tourner à l’infini, ça ne laisse pas la possibilité de trop monter une scène. »

Il faut néanmoins se garder de voir en Brac un simple épigone de ces grands cinéastes côtiers ; Un monde sans femmes se nourrit d’angoisses contemporaines, et la comédie se joue ici au bord d’un gouffre. Entre les hommes et les femmes, d’abord, comme l’indique le titre qui pend comme une menace au-dessus du microcosme picard. Entre une mère et sa fille, ensuite, qui sont perçues

comme identiquement désirables, et dont la relation trouble oscille de l’amitié à la rivalité. Un brouillard semble envelopper des personnages (Sylvain en tête) constamment en lutte contre une solitude inéluctable. Lui aussi tourné à Ault, mais en hiver cette fois, Le Naufragé, court métrage présenté en prologue, est plus encore marqué par une inquiétante grisaille : Sylvain (déjà lui) recueille un cycliste égaré. Mais de son hospitalité envahissante, et de la mauvaise volonté du naufragé, ne résulte que l’échec de la possibilité de rencontre. Cette violence larvée, si elle se fait plus discrète dans Un monde sans femmes, n’en est pourtant pas absente, offrant au film des saillies lyriques inattendues : ainsi Sylvain, oubliant toute pudeur, pleure devant les jeunes femmes qu’il ne pense même plus à séduire. Ou bien à l’inverse, après une soirée passée avec elles, le vieux garçon savoure quelques instants de solitude au bord de la mer, et, cheveux au vent, sourit dans la nuit. Entre deux hivers, l’été est fragile. ♦

3 questions à

Guillaume Brac Comment est né le personnage de Sylvain (Vincent Macaigne) ? Vincent et moi sommes très amis, et c’est pour lui que j’ai écrit. Le personnage de Sylvain tient donc beaucoup de lui, mais de moi aussi, et de beaucoup d’hommes. Certaines personnes d’Ault se sont identifiées à lui, ce qui m’a rassuré, en un sens. Pourquoi avoir tourné à Ault ? C’est un peu mon endroit à moi, découvert par hasard. Je trouve le lieu fascinant et les gens très conviviaux, je me suis senti adopté. Et j’ai l’impression que c’était plus facile de parler de choses très intimes en les déplaçant géographiquement ; j’aurais pu raconter des choses assez similaires à Paris. La scène d’amour finale fonctionne selon un rythme particulier, le temps semble dilaté… J’avais écrit cette scène très précisément, et elle ne devait pas durer si longtemps. Mais au tournage, il se passait quelque chose, les comédiens étaient vraiment troublés, et j’ai laissé la scène se dérouler. J’ai tenu à la garder telle quelle, à ce qu’on vive au rythme des personnages. Il ne fallait pas de montage, il ne fallait pas tricher.

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autochtones…) à l’œuvre finie, suivant en cela la façon très spontanée de Jacques Rozier. Diplômé de H.E.C., Brac est également producteur (ce fut même sa formation initiale à la Femis), et il ne se départit jamais de son pragmatisme, retrouvant ainsi une autre figure cruciale de sa cinéphilie : Éric Rohmer, grand cinéaste du calcul – amoureux, philosophique ou économique. Entre maîtrise et lâcher prise, le jeune Parisien distille l’improvisation avec parcimonie, tout en tenant le fil du conte de bout en bout, à la manière de l’auteur du Rayon vert, « le plus Rozier des films de Rohmer », selon lui.

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© Reposado

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

À LA VIE, À LA MORT amador de Fernando León de Aranoa Avec : Magaly Solier, Celso Bugallo… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h52 Sor tie : 15 février

« Il y a trois choses infaillibles dans l’existence : l’amour, la mort et la vie », explique le réalisateur espagnol FERNANDO LEÓN DE ARANOA. De ces trois ingrédients, il a fait Amador, ou comment une jeune femme malheureuse, Marcela, s’épanouit au chevet d’un mourant. _Par Isaure Pisani-Ferry

« J’ai réellement vu Marcela, raconte Fernando León de Aranoa. Lorsque j’étais étudiant en scénario, je me voyais proposer un

exercice courant : inventer des circonstances à des passagers de bus. Les traits physiques, l’apparence, les mimiques, les postures… Tout faisait sens. Elle regardait le ciel et tenait des fleurs. J’ai désespérément cherché à savoir ce qui l’animait. Je suis descendu au même arrêt, je l’ai suivie puis je l’ai vue mentir, culpabiliser, pleurer et rire. Amador lui est dédié. » Cette inconnue a inspiré au cinéaste un personnage effroyable et superbe, aussi fragile qu’opiniâtre. Jeune immigrée sud-américaine, Marcela est venue rejoindre en Espagne son compagnon, vendeur de f leurs fanées. Alors qu’elle a décidé de le quitter, elle se découvre enceinte. Pour subvenir aux besoins du ménage, elle renonce dès lors à partir et devient aide-soignante chez un vieillard mourant, Amador (Celso Bugallo).

Dans l’appartement sombre et désuet où vie et mort font chambre commune, un rythme serein s’installe. Amador travaille à son puzzle, Marcela feuillette des magazines, tous deux songent en secret à leurs amours manquées. Avec douceur, Marcela prend soin d’Amador. Avec finesse, elle répond à son cynisme grognon. Et avec entêtement, elle décide que cet homme-là, mort ou vif, sera l’étrier sur lequel elle grimpera pour reprendre les rênes de sa vie. Toute la force du film réside dans le personnage fascinant de Marcela et dans le jeu de son interprète, la Péruvienne Magaly Solier, dont on ne saurait dire si le visage est magnifique ou banal, épais ou délicat, enfantin ou maternel. À chaque instant cependant, il sait exprimer la complexité, le mystère et la puissance qu’Aranoa avait perçus chez sa passagère inconnue. ♦

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la beauté indéfinissable et le jeu subtil de la comédienne et musicienne péruvienne Magaly Solier, dans le rôle de Marcela.

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2… Pour la poésie discrète des dialogues et la manière à la fois humble et exigeante avec laquelle Aranoa décrit le quotidien.

3… Pour découvrir la seconde vie des roses, que les vendeurs à la sauvette récupèrent dans les décharges et ressuscitent.


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© Advitam

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Champ contre sang BULLHEAD de Michaël R. Roskam Avec : Mat thias Schoenaer ts, Jeroen Perceval… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h09 Sor tie : 22 février

Pour son premier long métrage, Bullhead, MICHAËL R. ROSKAM pose sa caméra en rase campagne flamande. Chouchou de la dernière édition de l’Étrange festival, son polar agricole s’y est vu attribuer le prix nouveau genre.

_Par David Elbaz

Jacky Vanmarsenille, éleveur renfermé et violent, s’est forgé une belle place au sein de la mafia des hormones. L’homme à la carrure démesurée s’injecte les mêmes substances qu’il administre aux bétails, mais ses motivations sont mystérieuses. Tout bascule lorsqu’un policier fédéral est assassiné. Jacky retrouve alors un ami d’enfance avec qui il

3 questions à partage un tragique secret. Michael R. Roskam, comme Jeff Nichols (Shotgun Stories, Take Shelter) ou Jean-Charles Hue (La BM du Seigneur), frappe de motifs mythologiques un matériau inattendu : la campagne belge et sa grisaille. Pour évoquer le métier de cinéaste, Andreï Tarkovski parlait de « sculpteur de temps ». Ici, c’est l’acteur tout entier (Matthias Schoenaerts) qui est sculpture, c’est-à-dire un catalyseur tragique et esthétique du monde qui l’entoure. Les préoccupations de Roskam sont proches de celles du New-Yorkais James Gray. Comme l’auteur de Two Lovers, le Flamand puise dans la tragédie classique pour baliser les destins. Si les blessures des personnages de Gray restent obscures (ils sont ce qu’ils sont au début du film sans que l’on ne sache jamais pourquoi), Roskam vient creuser dans l’enfance de sa créature colossale. Une terre maudite dont le metteur en scène exhume la pierre angulaire de son édifice. ♦

Michael R. Roskam Pourquoi avoir réalisé un polar agricole pour votre premier film ? Mon envie était de faire un film noir authentique. Bullhead s’inspire d’une histoire vraie qui est dans la mémoire collective de tous les Belges. Je voulais aussi raconter une belle tragédie qui puisse introduire les grands thèmes classiques qui me fascinent : le destin, l’impuissance… Parlez-nous du personnage de Jacky et de son interprète, Matthias Schoenaerts. Je suis fasciné par l’idée que l’on vit à la frontière entre deux forces (intérieure et extérieure) qui s’entrechoquent en permanence. Jacky est le fruit de cette confrontation. C’est une matière, un artéfact. Il est comme Batman : un mythe créé pour porter un sens. Sans le travail de Matthias, le film aurait pu être une caricature. Que pensez-vous du cinéma belge ? En Wallonie, le cinéma d’art et d’essai est très présent, tandis que le cinéma flamand a un spectre plus large. Il y a deux cultures en Belgique, mais les deux communiquent de plus en plus. Dans mon prochain projet Le Fidèle, il y aura encore d’avantage de séquences en français.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que le film a survolé l’Étrange festival 2011 et a aussi coiffé au poteau Le Gamin au vélo, des frères Dardenne, pour représenter la Belgique aux Oscars 2012.

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2… Pour l’incroyable transformation physique de Matthias Schoenaerts (bientôt chez Jacques Audiard) en Jacky Vanmarsenille, mystérieux colosse aux pieds d’argile.

3… Pour l’originalité de son histoire qui mélange des figures tragiques sur fond de trafic d’hormones en Flandre occidentale, le tout sous l’œil déjà expert de Michaël R. Roskam.


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MARTHA ET SES SŒURS MARTHA MARCY MAY MARLENE de Sean Durkin Avec : Elizabeth Olsen, Sarah Paulson… Distribution : Twentieth Centur y Fox Durée : 2h Sor tie : 29 février

À l’image des variations énigmatiques du titre, l’héroïne du premier film de SEAN DURKIN traverse une profonde crise identitaire. Elizabeth Olsen lui donne un visage fascinant, hanté et indéchiffrable. _Par Laura Tuillier

Au commencement, Martha s’appelait Martha. Orpheline, la jeune fille trouve refuge dans une communauté post-hippie réunie autour d’un gourou. Le film s’ouvre lorsque Martha, devenue Marcy May (nom de baptême choisi par le gourou), prend la tangente à travers bois et atterrit dans la villa de sa sœur et de son mari, au cœur de la campagne newyorkaise. Déboussolée par les mœurs

3 questions à bourgeoises de sa sœur, elle sombre dans la mélancolie et les souvenirs de sa vie dans la secte affluent, brillamment amenés par un montage poétique et subtil. À travers eux, c’est Marlene qui ressurgit, identité collective endossée par les membres de la secte pour faire face au monde extérieur. Sean Durkin, dont la caméra sonde la psychose naissante de Martha avec une élégante maîtrise, cite Trois Femmes et Images, de Robert Altman, comme films de chevet. Son héroïne s’inscrit dans la lignée de ces femmes aux multiples reflets, réminiscence des visages changeants de Persona (Bergman). « J’étais fasciné par le fait que deux sœurs puissent être si différentes », note Durkin. Elle-même petite sœur des célèbres jumelles, Elizabeth Olsen se démarque déjà – étudiante à la Tisch School of the Arts, elle joue aussi sur les planches – et s’impose dans ce premier rôle, paumée et attachante. Trois profils d’un visage dont il faut se souvenir. ♦

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le duo magnétique composé par Elizabeth Olsen, fragile et déterminée, et son gourou John Hawks (déjà troublant dans Winter’s Bone, de Debra Granik).

2… Parce que Sean Durkin maîtrise l’art de la composition et du montage et mérite bien le prix de la mise en scène reçu à Sundance.

Sean Durkin Pourquoi débuter le film au moment où Martha s’échappe de la communauté ? J’ai parlé à beaucoup de gens qui étaient passés par des communautés et il m’est apparu que la période la plus intéressante et la plus effrayante était celle juste après l’évasion. Parce qu’on ne va pas mieux mais moins bien à ce moment-là. Comment avez-vous travaillé avec Elizabeth Olsen, pour qui c’est le premier rôle au cinéma ? Je ne la connaissais pas, je l’ai rencontrée lorsqu’elle est venue au casting. Elizabeth Olsen a su donner à Martha une vie intérieure intense, un charme et une chaleur extraordinaires. Je ne voulais pas que mon héroïne soit simplement une victime et Elizabeth a cette force de caractère que je cherchais. Et puis ces yeux ! Avez-vous l’impression que les communautés sectaires soient un phénomène important aux États-Unis ? Des centaines et des millions de gens en font partie. Leur point commun, c’est l’existence d’un leader charismatique. C’est une tendance historique, il faut que quelqu’un prenne le pouvoir et brise l’utopie égalitaire.

3… Pour le brillant travail sur le son et les musiques, dont beaucoup sont signées Jackson C. Frank, compositeur folk qui a fini sa vie borgne et clochard.

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© Memento Films

29/02

29/02

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01/02

SORTIES EN SALLES CINÉMA

BURN AOÛT OSLO, 31 AOÛT de Joachim Trier Avec : Anders Danielsen Lie, Ingrid Olava… Distribution : Memento Films Durée : 1h37 Sor tie : 29 février

Inspiré du Feu follet, de Pierre Drieu la Rochelle, Oslo, 31 août narre la journée d’un junkie repenti. Un film sensible de JOACHIM TRIER, étoile montante du jeune cinéma norvégien. _Par Clémentine Gallot

Le plus beau film du mois nous vient de Norvège par l’entremise de Cannes, où il était projeté à Un certain regard, en mai dernier. Parent éloigné de Lars, Joachim Trier, 37 ans, partage avec lui, outre son patronyme, une melancholia dévastatrice. Sans lien aucun avec la tuerie d’Oslo de l’été dernier, le film concentre sur vingt-quatre heures

la fuite en avant d’un jeune homme pâle et frêle, Anders, cueilli à sa sortie d’un centre de désintoxication. Une journée de liberté lui est accordée pour mener à bien un entretien d’embauche dans un

« On ne voulait pas faire un film social sur l’héroïne, mais parler de l’addiction. » magazine, où il candidate en tant que secrétaire de rédaction ; à cette occasion, il entame la tournée des amis et de la famille, après des mois d’isolement. Joachim Trier filme ce retour au monde avec grâce, pour en tirer un portrait candide de junkie qui doit beaucoup à son merveilleux interprète, Anders Danielsen Lie. Éludant le conte moralisateur sur les effets des psychotropes ou la crise de la trentaine, le film

s’échappe avec bonheur du côté de la fugue métaphysique. Chronique d’une rechute et d’un gâchis, Oslo, 31 août, qui pourrait aussi bien s’appeler « Fin août, début septembre », suit la trajectoire de ce jeune homme pris dans une entropie mortifère. Ancien journaliste emporté par l’art de la fête, Anders, à 34 ans, a fait de sa vie un désastre, et il lui manque l’énergie vitale pour se refaire. Trier accompagne délicatement cette sortie de scène ouatée – une patine glacée lorgnant parfois trop du côté de l’esthétique publicitaire. À défaut d’autre mot (noirceur ?), ce que l’on identifie comme un ethos dépressif scandinave trouve ici un écho français, puisque le film décline librement Le Feu follet, de Pierre Drieu la Rochelle, chroniqueur controversé du vague à l’âme et de l’obsession suicidaire. Contrairement à ses voisins scandinaves plus vivaces, le cinéma norvégien, à l’exception des petites

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour son interprète désarmant, Anders Danielsen Lie, découvert il y a six ans dans Nouvelle Donne, par ailleurs médecin, écrivain et musicien dans le civil.

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2… Pour la nouvelle lecture, nordique et contemporaine du Feu follet, roman décadent de Drieu la Rochelle sur un écrivain opiomane, déjà revisité par Louis Malle en 1963.

3… Pour l’hommage à Oslo, ville peu vue au cinéma ; ici, la matière documentaire (récits oraux d’anonymes, bribes de conversations) se superpose avec grâce à la fiction.


« Le film fait appel au sens de l’observation des spectateurs, il se découvre à la manière d’un oignon que l’on pèle petit à petit. » Dans la capitale norvégienne, les problèmes de drogue sont depuis des années un fait de société. « On ne voulait pas faire un film social sur l’héroïne, mais parler de l’addiction. Nous avons fait des recherches : certains drogués connaissent parfois une nouvelle naissance en sortant du centre de désintoxication, après avoir gâché des années de leur vie. » Surtout, Trier associe très habilement au désarroi individuel les trajectoires collectives, constitutives du tissu d’une ville et de ses habitants : « La mémoire, l’identité des lieux est un des thèmes fondateurs du cinéma. Je suis très cinéphile, j’adore Alain Resnais, notamment la séquence de Nevers dans Hiroshima mon amour, où les villes françaises et japonaises se confondent. C’est très beau, cette façon de s’identifier aux lieux comme faisant partie intégrante de nous-mêmes. Il y a une mélancolie propre à ces lieux et à ces gens que l’on laisse derrière soi et qui vous constituent. » ♦

3 questions à

Joachim Trier D’où vient cet intérêt pour le controversé Feu follet ? J’aime l’adaptation de Louis Malle mais j’ai voulu adapter le livre de Drieu La Rochelle : c’est un portrait honnête de quelqu’un qui est à la fois au-dessus et en dessous de tout, qui préférerait mourir que de s’abaisser. Anders est un personnage très intègre, il manque peut-être d’ironie sur lui-même. Ce film parle de la nécessité de s’accepter. Le film est ponctué d’images de la ville et de souvenirs… Cela vient des vidéos de skate que je tournais en Super 8 quand j’étais jeune : c’était ma vie. Plus tard, je pensais que ces vidéos seraient ridicules mais en fait elles sont très émouvantes. Vous tenez à cette matière mélangée ? Nouvelle Donne était un film « sale » dans sa forme, qui mêlait flashbacks et voix-off. Je voulais épurer tout cela, à la manière de Robert Bresson, mais le chaos a repris le dessus. Ces séquences sont importantes pour que le héros s’exprime librement, c’est une dynamique que je voulais instaurer. Il aurait été trop facile de tout esquisser.

© Memento Films

productions de Bent Hamer et des films de genre (trolls et autres troglodytes exotiques), nous parvient toujours au compte-goutte : l’on se souvient pourtant du premier film de Joachim Trier, Nouvelle Donne, sorti en 2006, sur le microcosme rock et littéraire d’Oslo, tourné dans un noir et blanc au lyrisme syncopé et précieux. Toujours hanté par la figure du suicidé, Oslo, 31 août, cousin des Suédois égarés de Jesper Ganslandt (l’éthéré Adieu Falkenberg), s’interroge une fois encore sur la possibilité d’un nouveau départ. « J’ai très peu d’imagination, je fais des films sur mes amis et les gens que je connais, explique Trier. Même si, la dernière fois, j’ai touché un nerf avec Nouvelle Donne, je ne veux pas faire de films générationnels. La dramaturgie d’Oslo, 31 août est plus claire et resserrée, même s’il subsiste un mystère. Le film fait appel au sens de l’observation des spectateurs, il se découvre à la manière d’un oignon que l’on pèle petit à petit. »

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© Richard Aujard

LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

CARTE BLANCHE

L’ÉTERNEL DÉBUTANT

Acteur, écrivain, metteur en scène ou directeur de théâtre, CHARLES BERLING joue les hyperactifs. Cet hiver, il se lance dans la chanson avec son premier album, Jeune Chanteur. À l’occasion de sa carte blanche au MK2 Quai de Loire, rencontre avec un comédien animé par la fraîcheur du débutant. _Par Claude Garcia

La fougue de l’adolescence ne semble pas avoir quitté Charles Berling. Enchaînant les interviews avec énergie, l’œil piquant et l’éloquence facile, l’interprète de L’Heure d’été entend bien communiquer l’enthousiasme qu’il a eu à donner de la voix : « J’ai beaucoup chanté quand j’étais jeune ou même parfois au théâtre. Depuis trois ans et demi, je me suis remis aux cours de chant. Écrire mes propres chansons m’a décidé à me lancer dans l’aventure. » Au fil des rencontres avec des musiciens comme Bertrand Burgalat ou Carla Bruni, Berling s’est rendu compte qu’il n’avait guère envie de jouer à l’acteur-chanteur qui se contente de poser sa voix sur la musique, préférant s’amuser avec exubérance : « Je ne voulais pas m’adonner au parler-chanter. Lors de mes derniers concerts au Sentier des Halles, j’entrais en transe lorsque je poussais de la voix. »

Festif ou parfois plus sombre, Berling se fait le défenseur d’un certain hédonisme, consacrant les joies de la cigarette, du sexe et de la paresse. Un traité de savoirvivre pour ce jeune chanteur qui, à 53 ans, est toujours avide de nouvelles expériences et de plaisirs scéniques. Alors qu’il fait ses premiers pas dans la chanson, la carte blanche que lui a proposé MK2 est l’occasion pour lui de se replonger dans un parcours bigarré : « Je ne suis pas un type à listes, mais lorsqu’on m’a demandé de choisir des films qui me tenaient à cœur, j’ai essayé de refléter le côté disparate des œuvres qui m’ont marqué ou dans lesquelles j’ai pu jouer. Ce qui me plaît, c’est de rentrer dans des styles et des univers aux différents enjeux. » Un programme qu’il suit à la lettre dans son album, prouvant, contrairement à ce qu’il chante sur le premier titre, qu’il n’est pas un « VRP de la chanson ». ♦ Carte Blanche Charles Berling le 7 février à 20h MK2 Quai de Loire plus d’infos sur www.mk2.com

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RENCONTRE

Studio Philo saison 7 : « La Guerre des images » Chroniqueur littéraire au Grand Journal de Canal +, Ollivier Pourriol anime au MK2 Bibliothèque la 7e saison de Studio Philo, son laboratoire philosophique sur le cinéma. Pour cette nouvelle salve de cours magistraux, le décrypteur de concepts « écraniques » a choisi de méditer sur la « Guerre des images » en s’appuyant sur les réflexions de Régis Debray et de Paul Virilio : « Au XXe siècle, l’image est devenue une arme qui ne vise pas forcément à détruire mais qui peut avoir un impact très fort sur l’imaginaire collectif », précise Pourriol. Ce mois-ci, le philosophe cinéphile s’intéressera au star-système, un milieu pour le moins belliqueux. _Q.G.

Le 11 février à 11h MK2 Bibliothèque

© Angela Rossi/Image & Compagnie

AVANT-PREMIÈRE

Mafiosa infiltre Paris Le 16 février aura lieu l’avant-première de la saison 4 de Mafiosa, le clan au MK2 Bibliothèque, en présence de l’équipe de cette série créée par Hugues Pagan et diffusée depuis 2006 sur Canal +. Après un an d’exil au Brésil, Sandra Paoli (Hélène Fillières) est de retour parmi nous et, en attendant de récupérer sa place à la tête du clan Paoli, usurpée par son frère, c’est à l’assaut de la capitale qu’elle se lance. La série, toujours plus ambitieuse, continue d’approfondir sa peinture de la société à travers un milieu sans pitié où pourtant chacun cherche à vivre et aimer. À ce propos, mesdames : le nouveau compagnon de Sandra est un certain Stefano Accorsi… _I.P.-F.

Le 16 février à 19h30 MK2 Bibliothèque

Mafiosa, le clan saison 4, huit épisodes de 52 minutes diffusés à partir de mars sur Canal +

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© Shellac

LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

Courts métrages Le Marin masqué de Sophie Letourneur

AMOURS DE VACANCES

MK2 continue à soutenir les formats courts sur un air d’oisiveté : avec Le Marin masqué, de SOPHIE LETOURNEUR, et Un monde sans femmes, de GUILLAUME BRAC, les amours estivales sont à l’honneur dans le réseau, histoire de mieux affronter l’hiver. _Par Quentin Grosset

Les vacances sont toujours trop courtes. Refusant de cantonner la forme brève au seul circuit des festivals, le réseau de salles MK2 approfondit sa défense du court métrage, placé ce mois-ci sous le signe de la… glande. Sophie Letourneur renoue avec le film de copines azimuté dans Le Marin masqué, un road trip ParisQuimper en noir et blanc, ambiance flirts de jeunesse et crêpes dégueu. Letourneur jongle entre portrait générationnel et nostalgie rohmerienne par la grâce de dialogues enlevés (« J’avais la gueule dans le cul, j’avais pris trois Lexo la veille »). Le son, justement, voilà la grande force de la jeune cinéaste : dès son premier long, La Vie au Ranch, elle parasitait toutes les sources audio, dans un joyeux bordel sonore qui légitimait enfin l’expression « film choral ». En guise de repérages, la réalisatrice enregistre à l’aide d’un simple dictaphone divers causeries qui nourrissent ensuite l’écriture de ses scénarii. À ce travail en amont s’ajoute, dans Le Marin masqué, une postsynchronisation audacieuse : les 126

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deux héroïnes commentent en off leurs propres aventures, façon bonus DVD, entre deux reprises au synthétiseur du tube Words (Don’t Come Easy to Me). Ce titre pourrait d’ailleurs être le credo morose de leur pendant masculin, Sylvain (Vincent Macaigne). Héros malgré lui du moyen métrage de Guillaume Brac, Un monde sans femmes, ce trentenaire célibataire peine à articuler ses sentiments à l’égard d’une mère et d’une fille qu’il héberge sur la côte picarde. Le tendre loser qu’incarne Macaigne permet à l’acteur de se reposer des polémiques suscitées par sa mise en scène sanglante et scato d’Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, qui a outré la critique vieux jeu lors du dernier Festival d’Avignon. Vacances, j’oublie tout. ♦ Le Marin masqué de Sophie Letourneur Avec : Sophie Letourneur, Laetitia Gof fi… Distribution : Shellac Durée : 36 minutes Sor tie : 8 février Lire aussi page 80 la critique d’Un monde sans femmes de Guillaume Brac // Sor tie le 8 février


AGENDA _Par J.R.

À partir du 4 février

Cycle Roule ma poule mk2 QUAI DE SEINE

Les samedis et dimanches en matinée, avec Duel de Steven Spielberg, Thelma et Louise de Ridley Scott, Ten d’Abbas Kiarostami, Cars de John Lasseter, Boulevard de la mort de Quentin Tarantino et Drive de Nicolas Winding Refn. Jusqu’au 6 mars

Cycle Kenji Mizoguchi mk2 QUAI DE LOIRE

Les samedis et dimanches en matinée. Le 6 février à 18h

Séminaire philosophique de Charles Pépin mk2 HAUTEFEUILLE Sujet du jour : Rire avec Bergson. Le 7 février à 20h

Carte blanche Charles Berling mk2 QUAI DE LOIRE Lire p. 124.

Le 7 février à 20h30

Soirée Bref mk2 QUAI DE SEINE

Thème : Festival de Clermont-Ferrand, une sélection internationale. Le 11 février à 11h

Studio Philo Saison 7 d’Ollivier Pourriol mk2 BIBLIOTHÈQUE

Sujet du jour : Guerre et cinéma (Paul Virilio), le star-système (lire p. 125). Le 11 février de 10h à 19h

Studio photo éphémère mk2 BIBLIOTHÈQUE

Dans le cadre de l’opération In love with Magnum photos, le photographe Christopher Anderson installe son studio dans une salle du cinéma et propose aux couples de se faire photographier. 250 € pour un portrait signé A4 400 € pour un portrait signé A3 Sur réservation exclusivement : events.magnumphotos.com/events Le 13 février à 18h

Séminaire philosophique de Charles Pépin mk2 HAUTEFEUILLE Sujet du jour : Pouvons-nous vraiment être ensemble ? Le 16 février à 19h30

Avant-première Mafiosa, le clan saison 4 mk2 BIBLIOTHÈQUE Lire p. 125

Le 5 mars à 20h30

Rendez-vous des docs mk2 QUAI DE LOIRE

Javier Packer-Comyn, directeur artistique du festival Cinéma du réel, présente Il était une fois les 7 Siméon, de Vladimir Eisner et Herz Frank.

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la chronique de dupuy & berberian

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la chronique de charlie poppins


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