cinéma culture techno I mars 2012 n°99 by
Spécial Paris-New York Et aussi...
Virginie Despentes • Lucas Belvaux • Le Policier Le retour des années 1990 • Blexbolex • JeanPhilippe Toussaint • Bored to Death • NZCA/Lines Benoît Jacquot • Stephen King • John Carter
Chris Rock électrise le nouveau julie delpy
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SOMMAIRE Éditeur MK2 Multimédia 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. : 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Directrices artistiques Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) Secrétaire de rédaction Mélanie Wanga Iconographe Juliette Reitzer Stagiaires Quentin Grosset, Isaure Pisani-Ferry Collaborateurs Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Léa ChauvelLévy, Renan Cros, Julien Dupuy, Sylvain Fesson, Yann François, Claude Garcia, Jacky Goldberg, Donald James, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Jérôme Provençal, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Louis Séguin, Léo Soesanto, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vincente Illustrateurs Isaac Benan, Dupuy & Berberian, Raphaël Garnier, Vasco, Stéphane Manel, Police, Charlie Poppins Illustration de couverture Raphaël Garnier, Vasco Publicité Directrice commerciale Emmanuelle Fortunato 01 44 67 32 60 (emmanuelle.fortunato@mk2.com) Responsable de clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Responsable de clientèle hors captifs Laura Jais 01 44 67 30 04 (laura.jais@mk2.com) Stagiaire Estelle Savariaux
© 2011 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.
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5 … ÉDITO 7 … PREVIEW > Twixt
9 LES NEWS 9 … CLOSE-UP > Clara Ponsot 10 … BE KIND, REWIND > Eva 12 … EN TOURNAGE > Spring Breakers 14 … TENDANCE > Les documentaires de campagne 16 … COURT MÉTRAGE > Le Festival de Clermont-Ferrand 18 … MOTS CROISÉS > Jean-Philippe Toussaint 20 … SÉRIES > Borgen 22 … ŒIL POUR ŒIL > Hunger Games vs Battle Royale 24 … FAIRE-PART > Bored to Death 26 … PÔLE EMPLOI > Ryan Church 28 … ÉTUDE DE CAS > Bellflower 30 … TOUT-TERRAIN > Michael Kiwanuka, Cloclo 32 … AUDI TALENTS AWARDS > Ludovic Bource 34 … ENQUÊTE > Pixar est-il indestructible ? 38 … SEX TAPE > Dictionnaire des films français érotiques et pornographiques en 16 et 35 mm
40 DOSSIERS 40 … PARIS-NEW YORK > Interview de Julie Delpy et portrait de Chris Rock à l’occasion de 2 Days in New York ; portfolio de Vahram Muratyan 52 … VIRGINIE DESPENTES > Interview à l’occasion de Bye Bye Blondie 56 … LUCAS BELVAUX > Interview à l’occasion de 38 Témoins 60 … VERSAILLES AUTREMENT > Interview de Benoît Jacquot à l’occasion des Adieux à la reine ; visite des coulisses de Versailles 64 … SURVIVANCE DES ANNÉES 1990 > Le shoegaze, De La Soul, Spiritualized, Nada Surf, Jason Reitman…
71 LE STORE 71 … OUVERTURE > Les montres rétro 72 … EN VITRINE > Chronique d’un été et Un été + 50 74 … RUSH HOUR > Les saisons des chefs, les chocolats Willy Wonka, les post-it « fuck » 76 … KIDS > Les Pirates ! Bons à rien, Mauvais en tout 78 … VINTAGE > Le Laboratoire d’Éric Rohmer, un cinéaste à la télévision scolaire 80 … DVD-THÈQUE > Le Premier Rasta 82 … CD-THÈQUE > NZCA/Lines 84 … BIBLIOTHÈQUE > Stephen King 86 … BD-THÈQUE > Blexbolex 88 … LUDOTHÈQUE > Final Fantasy XIII-2 et The Last Story
91 LE GUIDE 92 … SORTIES EN VILLE > La Biennale des Disques Bien, Revolver, Le festival EXIT, Berenice Abbott, Saburo Teshigawara, Ivo Van Hove, Sarah Delage 106 … SORTIES CINÉ > Elena, Fengming, Chronique d’une femme chinoise, Le Fossé, Aloïs Nebel, Target, Aurora, La Terre outragée, Week-end, Le Policier 124 … LES ÉVÉNEMENTS MK2 > Festival « Les courts métrages… le retour », avant-première de La Vida Útil 128 … TOUT OU RIEN PAR DUPUY & BERBERIAN 130 … LA CHRONIQUE DE CHARLIE POPPINS
NOUVEAU
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ÉDITO
Le fil d’Ariane
Lors de la récente cérémonie des Oscars, Michel Hazanavicius, couronné à cinq reprises pour son film The Artist, a tenu à remercier « trois personnes : Billy Wilder, Billy Wilder et Billy Wilder ». Cet hommage appuyé au réalisateur de Boulevard du crépuscule (1949) n’est pas anodin. Autrichien d’origine juive, Wilder fuit les nazis en s’installant à Paris, où il réalise son premier film, Mauvaise graine (1934), avant de rejoindre Hollywood. De ce double exil, deux films portent la trace : Sabrina (1954) et surtout Ariane (1957), avec à chaque fois Audrey Hepburn au générique. Wilder s’y amuse du choc des cultures entre la France et les États-Unis, dénouant avec malice les stéréotypes associés aux deux pays. Dans Ariane, brodée de sousentendus et de « double entendres », comme disent les Américains, la filature du détective Claude Chavasse déroule le programme d’un sousgenre mésestimé : la comédie transatlantique. Si un autre émigré, Ernst Lubitsch, donne le premier coup d’aiguille dans Sérénade à trois (1933), c’est bien Wilder qui tisse, avec Ariane, les motifs-clés du rire franco-américain : légèreté souveraine, sophistication d’ensemble, primat du scénario, quiproquos riches en sous-texte salé. Blake Edwards (via le personnage de l’inspecteur Clouseau), puis Woody Allen, Larry David ou Wes Anderson tricoteront cette pelote francophile sur un mode plus burlesque, absurde ou mélancolique, sans jamais effiler l’ironie chic chère à Wilder. Côté français, de même, on tire la ficelle comique à contresens des lieux communs. Face au cliché du Parisien romantique et cultivé, Hazanavicius invente avec O.S.S. 117 un James Bond ignare, balourd et franchouillard. Dans son diptyque 2 Days in Paris (2007) et 2 Days in New York, qui sort ce mois-ci, l’actrice et réalisatrice Julie Delpy adopte une ligne pareillement grivoise. Amusante en Gauloise blonde effrontée, elle scandalise sans le vouloir ses petits amis new-yorkais – dont l’excellent Chris Rock –, outrés par les frasques égrillardes de son entourage. D’une ingénuité à l’autre, par-delà les continents et les générations, un même ressort tend nos zygomatiques : le fil d’Ariane, qui plie mais ne rompt pas. _Auréliano Tonet
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PREVIEW
Nouvelles histoires extraordinaires Twixt de Francis Ford Coppola Avec : Val Kilmer, Elle Fanning… Distribution : Pathé Distribution Durée : 1h50 Sor tie : 11 avril
Il est fréquent que les vieux cinéastes, lorsqu’ils n’ont plus rien à prouver, retrouvent une candeur juvénile, gagnant en originalité ce qu’ils perdent en maîtrise. C’est ce qui arrive à Francis Ford Coppola, qui poursuit avec Twixt la veine bizarro-expérimentale de L’Homme sans âge (titre programmatique) et Tetro. Se figurant lui-même, non sans ironie, en écrivain raté (merveilleux Val Kilmer, revenu de tout) et courant les dédicaces dans les patelins perdus de l’Americana, le cinéaste signe ici un sublime hommage à Edgar Allan Poe et revient, par les détours d’un onirisme fulgurant, sur le plus triste épisode de sa vie : la mort de son fils Giancarlo dans un accident de hors-bord. Libre, fou, bouleversant. ♦
© Zoetrope Corp. 2011
_Jacky Goldberg
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Close-up
© Beatrice Cruveiller
NEWS
CLARA PONSOT
« Elle a une vraie insolence, j’adore ça. » Lorsqu’on lui rapporte ces propos de Virginie Despentes, qui la dirige dans Bye Bye Blondie, Clara Ponsot sourit : « Je lui ai fait du rentre-dedans : ‘‘Tu ne trouveras pas mieux que moi !’’. » La voici donc en jeune punk, portant bombers et jean délavé : « Ce qui m’excitait, c’est la violence du personnage et sa gestuelle masculine », qui tranche avec la sensualité de l’actrice dans Les Infidèles, en salles depuis le 29 février. À 23 ans, cette Parisienne formée au Conservatoire national (promo 2012) cite en modèles Lubna Azabal ou Amira Casar, avec qui elle partage une assurance discrète et ténébreuse. Elle vient de finir le tournage en Italie d’une romance passionnelle, Cosimo e Nicole, mais refuse d’évoquer ses autres projets : « C’est secret. » Insolente, on vous a dit. _Juliette Reitzer
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NEWS BE KIND, REWIND
La Nouvelle Ève 2041, les robots sont asservis par les hommes. Chargé de créer le premier enfant androïde libre, Alex choisit sa nièce Eva pour modèle. Premier film de l’Espagnol KIKE MAILLO, Eva revisite un duo classique du cinéma de science-fiction : monstre et savant fou.
© Wild Bunch
_Par Juliette Reitzer
Eva de Kike Maillo Avec : Daniel Brühl, Mar ta Etura… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h34 Sor tie : 21 mars
FRANKENSTEIN
de James Whale (1931)
« Maintenant je sais quel effet ça fait d’être Dieu ! », lance le docteur Frankenstein lorsque sa créature, patchwork de morceaux de cadavres, s’anime avant de s’échapper pour tuer quelques pauvres bougres. Le film installe le décor du parfait laboratoire clandestin (table d’opération, formol et engins électriques) et pose la morale matricielle du genre : l’homme ne saurait se prendre pour Dieu. Même pouvoir divin dans Eva, où des programmes virtuels permettent de façonner le caractère et l’aspect d’un androïde, puis de le détruire en lui soufflant : « Que vois-tu quand tu fermes les yeux ? » ♦ 10
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© Pathé Films
© Warner Home Video
monstrueuses
© Universal
Trois créatures
A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
LA PIEL QUE HABITO
Les androïdes d’Eva pourraient être les cousins des Mécas imaginés par Spielberg, robots dédiés au service d’une humanité futuriste. Purs produits de consommation, ils comblent des besoins variés et finissent à la benne. Parmi eux, David est le premier enfant Méca doté de sentiments, « toujours aimant, jamais malade ». Abandonné par ses possesseurs, il poursuit l’impossible espoir de devenir « un vrai garçon », comme le pantin Pinocchio avec lequel A.I. file la métaphore. En installant souffrance et empathie du côté du robot, Spielberg inverse les rôles, faisant de l’homme le vrai monstre du film. ♦
Dans L’Ève future de Villiers de L’Isle-Adam (1886), Thomas Edison crée une « andreïde », femme idéale, aussi belle qu’intelligente. Ce roman, qui partage avec Eva le prénom biblique de son titre, dit bien l’un des fantasmes du savant fou : façonner l’être parfait qui répondra aux désirs de son créateur. C’est, dans Eva, l’enfant que tout parent espère. Dans La Piel que Habito, un chirurgien esthétique met au point une peau synthétique pour sculpter la femme de ses rêves. Mais s’il parvient à maîtriser le corps, il n’a de prise sur les sentiments de la créature, qui se venge de son bourreau. ♦
de Steven Spielberg (2001)
de Pedro Almodóvar (2011)
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© O’Salvation
NEWS EN TOURNAGE
Le réalisateur Harmony Korine
Korine à la page D Spring Breakers d’Harmony Korine Avec : Selena Gomez, Vanessa Hudgens… Production : Muse Production et O’Salvation Durée : non communiquée Sortie prévue : 2013
Après s’être adonné à la gérontologie libidineuse dans Trash Humpers, HARMONY KORINE rajeunit en engageant la crème des icônes ados pour son Spring Breakers, en tournage à partir du 5 mars en Floride. Alors, percée grand public, ou simple envie de pervertir la petite copine de Justin Bieber ? _Par Quentin Grosset
es vieillards qui forniquent avec des poubelles, des skate-boarders séropositifs ou des enfants errants déguisés en lapins roses, c’est l’univers d’Harmony Korine, scénariste de Kids de Larry Clark (1995) et réalisateur de Gummo (1997) ou Julian Donkey-Boy (1999). On y retrouvera bientôt nulle autre que la girlfriend de Justin Bieber, Selena Gomez, 19 ans, révélée par Disney Channel. Avec Vanessa Hudgens (High School Musical), Heather Morris (Glee) et Ashley Benson (American Girls 4), elle formera un gang braquant un fast-food pour se payer son springbreak – ces congés printaniers durant lesquels la jeunesse U.S. se dévergonde à
Clap !
_Par I.P.-F.
1 Monty Python Avec Absolutely Anything, une parodie SF en préproduction, la troupe légendaire de Sacré Graal reprend du service, trente ans après son dernier film. Seuls manquent à l’appel Eric Idle, qui se tâte encore, et Graham Chapman, mort en 1989.
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plein tube. En marge du casse, la clique de donzelles sera amenée à fricoter avec un rappeur trafiquant d’armes (James Franco), qui les convaincra de tuer son ennemi juré... Le film préfigure une vague de liaisons dangereuses entre réalisateurs indés et kids effarouchés : Sofia Coppola prépare un film sur le Bling Ring, ce groupe d’ados qui cambriola les résidences du toutfashion d’Hollywood, tandis que Gregg Araki, qui avait déjà débauché des acteurs de Beverly Hills dans Nowhere, tournera cet été The Womb, un « film policier tordu ». Braquages juvéniles et détournement d’icones pop, telle semble être la mixtion en vogue sous le soleil californien. ♦
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2 Raúl Ruiz Valeria Sarmiento reprend la réalisation de The Lines of Wellington, le projet inachevé de son défunt mari Raúl Ruiz (Le Temps retrouvé) avec John Malkovich, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Mathieu Amalric et Chiara Mastroianni.
3 Vince Vaughn et Owen Wilson Les deux « serial noceurs » seront bientôt réunis dans Interns de Shawn Levy (Real Steel), d’après un scénario de Vaughn lui-même : la nouvelle vie de deux quarantenaires devenus, après leur licenciement, stagiaires chez un géant d’Internet…
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NEWS TENDANCE
Battre la campagne Mars : c’est le printemps, et avec lui l’approche de l’élection présidentielle. Alors que les candidats bourgeonnent dans un contexte de crise généralisée, cinq documentaires prennent la température de sujets sensibles, des prisons à la percée de l’extrême droite. Quelques bouffées d’air salutaires.
Au prochain printemps © 2011 ISKRA
de Luc Leclerc du Sablon
À l’ombre de la République de Stéphane Mercurio Dans son précédent documentaire, À côté, Stéphane Mercurio filmait les proches de prisonniers, venus leur rendre visite au parloir. À l’ombre de la République se déroule lui entre quatre murs : ceux de la prison ou de l’hôpital psychiatrique, ces « lieux de privation de liberté » que se charge de contrôler depuis 2007 une autorité administrative indépendante dirigée par Jean-Marie Delarue. Lui et son équipe parcourent la France des prisonniers et tentent de s’assurer que la dignité humaine est partout préservée. La caméra de Stéphane Mercurio recueille d’abord de longues conversations entre les contrôleurs et les détenus : l’occasion, au-delà de la dénonciation des conditions de vie, de mettre au jour les rapports de force complexes au sein de groupes autarciques. À mesure que le film progresse, et grâce à un montage brillant, la parole des prisonniers se libère avec une acuité rare. Mis au ban de la société, enfermés et bien souvent oubliés (on découvre des condamnés à la perpétuité pour qui la remise de peine n’a aucune réalité), des hommes et des femmes prennent conscience, dans un crescendo fiévreux, de la prise en otage de la totalité de leur existence par l’administration. Redoutable. _L.T. Sortie le 7 mars
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En 2006, trente-six semaines avant l’élection présidentielle, Luc Leclerc du Sablon avait promené sa caméra du café de la gare au plancher des vaches, aux quatre coins de la France, du Havre à Bayonne, du plateau de Millevache à Plomeur, avec pour objectif de faire parler ce « peuple » français dont les politiques se disputent la préférence. Le documentaire sort ce mois-ci, comme un « inventaire avant élection ». Certaines paroles recueillies sont dignes du monologue d’Otis dans Astérix Mission Cléopâtre. D’autres, moins tentées par les grands discours, forment un témoignage brut que Leclerc restitue intact. Libre à chaque spectateur ensuite d’analyser et de trier, pour tenter de comprendre ce qui se passe dans son pays. ♦ _I.P.-F. Sortie le 28 mars
© Julie Romano
de Thomas Lacoste
Quarante-sept films-entretiens pour un total de vingt-quatre heures de visionnage, voilà ce que réserve le coffret DVD Penser Critique concocté par Thomas Lacoste – fondateur de la revue Le Passant ordinaire et réalisateur des films Portraits d’idées pour Libération à l’occasion de la précédente campagne présidentielle. Cinq ans plus tard et avec le même désir de se démarquer des discours à courte vue qui sont le lot des périodes pré-électorales, Thomas Lacoste propose quatre portes d’entrée thématiques (« Travail, crise et luttes sociales », « Enseignement et recherche », « Des hommes et des frontières » et « Justice et libertés ») pour saisir les enjeux du vivre ensemble contemporain. Le dispositif est le même pour chaque film-entretien : de longues séquences pendant lesquelles des intervenants triés sur le volet (Luc Boltanski, Renaud Van Ruymbeke, Pap Ndiaye, Danièle Lochak…) déroulent le fil d’une pensée libre et accessible, qui emprunte les chemins de l’autobiographie, de la contextualisation historique ou de la théorie, pour finalement décrypter les politiques actuelles. Une enthousiasmante boîte à outils dans laquelle il fait bon piocher de quoi comprendre et résister, en temps de crise. ♦ _L.T. Sortie le 6 mars
Hénaut président de Michel Muller Pas évident de se faire poker par Jean-Luc Mélenchon quand on est le maire replet d’une paisible bourgade provinciale et qu’on prétend à la fonction présidentielle. Peu photogénique, Pierre Hénaut est la matière brute d’une agence de com’ qui veut faire accéder son poulain au rang de troisième homme. Un défi difficile, puisqu’il faudra affronter casseroles youtubiennes et se mesurer à l’éthique d’Hénaut, plus adepte de l’harmonisation fiscale européenne que du Petit Journal. Adaptée de la série du même nom de Michel Muller, cette plongée drolatique s’impose comme le film qu’aurait dû voir Nadine Morano avant d’utiliser Twitter. ♦ _Q.G. Sortie le 21 mars
© La Mare
Penser critique, kit de survie éthique et politique pour situations de crise[s]
Mains brunes sur la ville
de Jean-Baptiste Malet et Bernard Richard
Deux villes sont gérées par l’extrême-droite en France : Orange et Bollène, en Provence. Dirigées par Jacques et Marie-Claude Bompard (anciens FN, puis Ligue du Sud), elles sont le terrain d’expérimentation des idées ultra-conservatrices de Marine Le Pen. Les deux documentaristes sont revenus avec des images accablantes : désengagement du social, centres de loisirs fermés, cités à l’abandon, bibliothèques remplies d’auteurs révisionnistes… Les Bompard lâchent tout ce qui a moins de 60 ans pour flatter leurs électeurs les plus âgés. Au programme, organisation de thés dansants et fermeture du seul club de foot de la ville. Bienvenue chez les tradis. ♦ _Q.G. Sortie le 21 mars
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NEWS COURTS MÉTRAGES Courts, toujours _Par L.T.
© Ivana Laucikova et Martin Snopek
Spécial Clermont-Ferrand
© Vincent Macaigne
Dernier bus d’Ivana Laucikova En pleine nuit, un bus peuplé d’animaux des bois traverse une inquiétante forêt slovaque. Le voyage du loup, du lapin et de leur pote le renard tourne au jeu de massacre, sous double influence Lynch/Von Trier. Prix de la jeunesse à Clermont.
Ce qu’il restera de nous de Vincent Macaigne, film chéri du festival de Clermont-Ferrand
_Par Laura Tuillier
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i l’Asie était presque absente des tops 2011, elle est arrivée en forme à ClermontFerrand : du Grand prix du jury international, Guest, de la Sud-coréenne Ga Eun Yoon avec sa mise en scène maîtrisée, au montage audacieux de Little Precious du Chinois C.B. Yilin, jusqu’au fabuleux Night Fishing de Park Chanwook. Tournée à l’iPhone, sa rêverie bricolée n’a peur de rien et mélange les genres – concert pop au milieu des champs, séance de pêche nocturne – avec bonheur. D’une sélection française assez chagrine, on retiendra le fiévreux Sur la route du paradis d’Uda Benyamina, La Dérive de Matthieu Salmon, plus théorique, et le Prix du public, La France qui se lève
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tôt. Mais c’est surtout le metteur en scène de théâtre Vincent Macaigne qui distillait partout son urgence salutaire, en acteur dans I’m Your Man de Keren Ben Rafaël et Moonlight Lover de Guilhem Amesland, et en réalisateur de Ce qu’il restera de nous, film chéri du festival (Grand prix, Prix Télérama, Mention spéciale du jury jeunes). Ce premier essai creuse une réflexion rageuse sur la responsabilité des pères, juste après Au moins j’aurai laissé un beau cadavre au théâtre. Et propose un cinéma de tension permanente (« archaïque »), dans les cris, la rage et le sang. Pour que Clermont, engourdi par la neige, continue malgré tout de veiller. ♦ Lire l’inter view de Vincent Macaigne sur w w w.mk 2 .com
Le Ciel d’en bas de Leonardo Cata Preta Francisco, atteint d’une maladie osseuse, vit la tête penchée vers le bas, engoncé dans une routine morne. Un jour, il tombe amoureux de sa voisine du dessous. Délicat dans son trait et sombrement romantique, Le Ciel d’en bas a tout du couvercle baudelairien.
© Ruairi Robinson
Au grand rendez-vous du court métrage de ClermontFerrand, l’Asie tenait la forme et la France prenait le pouls de la crise. Quant à Vincent Macaigne, héros échevelé du festival, devant et derrière la caméra, il réchauffait les cœurs.
© Leonardo Cata Preta
Libres courts
Blinky TM de Ruairi Robinson Blinky, charmant robot-assistant, devient le meilleur ami d’un marmot despotique. L’enfant ne tarde pas à se lasser de son compagnon trop obéissant, et cherche à le faire tourner en bourrique : bien mal lui en prend… De la SF horrifique jouissive.
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NEWS MOTS CROISÉS
Parallèlement à la sortie d’un nouveau roman, L’Urgence et la Patience, le musée du Louvre donne carte blanche à l’écrivain JEAN-PHILIPPE TOUSSAINT, pour une exposition qui entend rendre un hommage visuel aux livres. Une gageure relevée haut la main par le romancier belge, qui depuis les années 2000 est aussi devenu plasticien. Face aux citations que nous lui avons soumises pour évoquer ses installations, néons, films et photographies, jamais l’artiste n’a détourné le regard. _Propos recueillis par Léa Chauvel-Lévy _Illustration : Stéphane Manel L’Urgence et la Patience de Jean-Philippe Toussaint Éditeur : Éditions de Minuit Genre : roman Sor tie : 1 er mars Livre/Louvre, du 8 mars au 11 juin au musée du Louvre, www.louvre.fr
Des livres au Louvre « Maurizio venait de l’appeler pour lui apprendre la mort de son père. (...) Elle se trouvait au Louvre en ce moment… » (Extrait de Fuir, de Jean-Philippe Toussaint)
C’est ce passage de mon roman qui a été le point de départ de l’exposition. Pascal Torres, conservateur au musée du Louvre, m’a téléphoné. Il venait de lire cet extrait, qui l’avait frappé. J’ai adapté cette scène au cinéma : c’est Dolores Chaplin qui incarne l’héroïne dans l’un des courts métrages diffusés au sein de l’exposition.
« Je voulais encore vous dire que la foule s’arrêtait devant la toile où Fantin-Latour a groupé tout un cénacle de jeune poètes. » (Extrait de Lettres parisiennes, d’Émile Zola)
Je propose une version contemporaine de l’Hommage à Delacroix, ce tableau d’Henri Fantin-Latour qui est un portrait collectif d’écrivains. J’ai fait poser, au Louvre, des écrivains de ma génération comme Emmanuel Carrère, Philippe Djian, Jean Echenoz, Olivier
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« Le principe de l’exposition est de rendre hommage au livre sans passer par l’écrit, d’un point de vue visuel. » Rolin… Et moi-même. La photographie reprend la composition originale du tableau, autour d’une gravure de Delacroix. Mais il ne s’agit pas d’une reconstitution qui viserait à établir la relève d’un nouveau cercle littéraire ! C’est plutôt l’idée que la littérature est très vivante.
« Convient-il ou ne convient-il pas d’écrire ? » (Extrait de Phèdre, de Platon)
Le principe de l’exposition est de rendre hommage au livre sans passer par l’écrit, de l’appréhender
La réplique
« J’avais envie que le sens des citations et des mots qui composent mes néons soit immédiatement perceptible. » d’un point de vue purement visuel. J’avais envie que le sens des citations et des mots qui composent mes néons soit immédiatement perceptible. C’est une façon de dire au public qui m’associe à mes livres que j’aime concevoir des images, que je suis plasticien depuis une dizaine d’années, même si seules deux expositions monographiques m’ont été consacrées.
« Essayons de converser sans nous exalter puisque nous sommes incapables de nous taire. » (Extrait d’En attendant Godot, de Samuel Beckett)
Beckett, c’est la seule trace d’écrit de l’exposition : quelques lignes qu’il a rédigées de sa main dans un cahier d’écolier. Il y a un choix sentimental à exposer ce manuscrit d’En attendant Godot : Beckett est mon écrivain préféré. Je me sens aussi lié à lui car son éditeur, Jérôme Lindon, fut également le mien pendant quinze ans.
« Ce qu’il y a de mieux dans la vie d’un pirate, c’est la ‘‘soirée jambon’’. » Capitaine Pirate dans Les Pirates ! Bons à rien, Mauvais en tout de Peter Lord et Jeff Newitt (en salles le 28 mars)
La phrase
« La première fois qu’on m’a maquillée en Thatcher, j’ai cru voir mon père dans la glace. » Meryl Streep, à propos de The Iron Lady
Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux
Christophe : Liliane Bettencourt regrette qu’il n’y ait toujours aucun prix pour The Arthrite. Priss : Je persiste à lire : Mission impossible : Proctologue fantôme. Tout va bien.
« Avant moi il ne fut rien créé, sinon d’éternel, et moi je dure éternellement… »
Antoine : « Omar m’a tuer. » (Jean Dujardin, après les César)
(Extrait de La Divine Comédie, de Dante Alighieri)
Raphael : « Hollywood-sur-Garonne », j’aime le projet, mais le nom, vraiment va falloir trouver autre chose.
Dans l’exposition, je propose une installation assez complexe sur des tablettes électroniques autour de la traduction de L’Enfer et des incunables de La Divine Comédie de Dante (ndlr : livres imprimés à la fin du XVe siècle). C’est assez inédit, une œuvre sur tablette numérique, non ? La disparition du livre ne m’inquiète pas plus que cela. Freiner ou accélérer les processus de changement, non ! Je ne suis pas un idéologue. Il faut être passif, mais ancré dans son époque.
« La nature même des clichés (...) leur conférait une apparence de réalité incontestable, une réalité brute… » (Extrait de L’Appareil photo, de Jean-Philippe Toussaint)
J’ai réalisé une série de 84 photographies pour illustrer le passage du temps et je les ai installées sur un grand mur. Je voulais retranscrire de façon très immédiate et visuelle l’effet du temps sur le monde. J’ai eu l’idée d’un principe qui guiderait ce travail : ma femme et mes enfants devant notre voiture 4L, saisis par mon appareil d’une année sur l’autre pendant sept ans. Le paysage change, les visages aussi, seuls les livres qu’ils tiennent sont les mêmes. ♦
Laterna Magica : De la farine, du lait, des œufs, du sucre... C’est la recette préférée de Steven Spielberg : la liste de Chandeleur. Matteu : Sid Hazanivicious. Sandrine : Ca y est, j’ai lu tout Guère épais, le manuel du Dr Dukan. Pierre : « À chacun son Lacan, à chacun ses lacunes. » (Louis Skorecki) Jean-Christophe : « La croisière, ça m’use. » (le patron du Costa Concordia) Christophe : Blanche-Neige, Blanche-Neige et le chasseur, The Hobbit : 2012 s’annonce comme l’année des nains.
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NEWS SÉRIES le caméo
DR
Shirley MacLaine dans Downton Abbey Shirley MacLaine fut dans les années 1970 la star d’une fugace sitcom à sa gloire. À 77 ans, elle rejouera pour la première fois dans une série, le drama britannique Downton Abbey. Déjà annoncée en attraction majeure de la saison 3, l’Américaine n’aura même pas à y travestir son accent puisqu’elle incarnera la mère de la comtesse Cora Crawley, interprétée par sa compatriote Elizabeth McGovern. On attend beaucoup de sa rencontre à l’écran – forcément électrique – avec Maggie Smith, peste en chef du monde clos imaginé par Julian Fellowes. _G.R.
La dame de velours
À l’image de son héroïne, oie blanche catapultée Premier ministre du Danemark, la série Borgen aborde avec fraîcheur le genre balisé de la fiction politique. Et prouve que l’on peut rendre l’exercice du pouvoir télégénique sans aligner les coups tordus. _Par Guillaume Regourd
Borgen saison 1 (Danemark) Diffusion : tous les jeudis Jusqu’au 8 mars sur Arte Saison 1 disponible en DVD chez Arte Vidéo
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n rejeton nordique de l’Américaine The West Wing : l’argument de vente pour l’exportation de Borgen était tout trouvé. Mais il ne suffit pas de planter sa caméra dans les couloirs du premier Parlement venu pour faire du Aaron Sorkin. Adam Price, le Danois à l’origine de Borgen, n’a pas cette prétention. Aux antipodes du président Bartlett, charismatique leader incarné par Martin Sheen dans The West Wing, Birgitte Nyborg est une modeste élue propulsée à la surprise générale Premier ministre du royaume. À Copenhague, point d’hyperprésidentialisation, le gouvernement de coalition est la règle. C’est autour de cette valse d’alliances et de trahisons que Borgen tisse sa dramaturgie feutrée, sans même avoir besoin de tirer sur la grosse ficelle du complot d’État.
Tendre à ses débuts, Birgitte ne se départira pourtant jamais de son élégance. Pas plus que la mise en scène de la série, habile à saisir les inévitables arrangements de conscience imposés par « l’exercice de l’État ». Un regret peut-être : le
Zapping
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Rainn Wilson À Dwight Schrute bientôt la gloire ! NBC envisage de lancer dès la saison prochaine une série centrée sur ce personnage secondaire de The Office, commercial cinglé propriétaire d’une ferme de betteraves, campé avec génie par Rainn Wilson.
© Michael Kovac/WireImage
Robert Kirkman Le scénariste des comics The Walking Dead est poursuivi en justice par son dessinateur de la première heure, Tony Moore. Il estime s’être fait rouler au moment de la signature du contrat de l’adaptation télé à succès de leur œuvre commune.
© John Searer/WireImage
© Jason LaVeris/FilmMagic
_Par G.R.
Ben Stiller Encore une jolie prise pour HBO. Ben Stiller produira la série comique All Talk, dont il tiendra l’un des rôles principaux. Peu d’infos à ce stade, si ce n’est le créateur : le romancier Jonathan Safran Foer (Extrêmement fort et incroyablement près).
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traitement plus hasardeux de la vie privée du personnage. Mais même de ça, la comédienne Sidse Babett Knudsen se tire remarquablement, en patronne impeccable d’une distribution royale. On signe pour un second mandat. ♦
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DR
NEWS ŒIL POUR ŒIL
Battle Royale de Kinji Fukasaku DVD disponible chez M6 Vidéo
Dos ados
Les jeunes participants d’un jeu télévisé sont contraints de s’éliminer mutuellement : à douze ans d’intervalle, Hunger Games de GARY ROSS prolonge la chasse à l’homme sacrificielle de Battle Royale de Kinji Fukasaku, lui aussi adapté d’un best-seller. _Par Clémentine Gallot
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© © Metropolitan
Hunger Games de Gar y Ross Avec : Jennifer Lawrence, Josh Hutcherson… Distribution : Metropolitan FilmExpor t Durée : 2h22 Sor tie : 21 mars
D
ans la société rétro-futuriste d’Hunger Games, des adolescents sont sacrifiés aux « jeux de la faim » annuels, sous les yeux du royaume qui retransmet leurs mises à mort successives à la télévision. Ce dispositif d’une incroyable perversité rappelle le jeu de massacre nippon de Battle Royale (2000), où des lycéens parachutés sur une île exécutaient leurs camarades pour survivre. Phénomène pour ados aux États-Unis, la saga imaginée par la romancière Suzanne Collins prend le relais de Twilight, dont
elle reproduit le motif du triangle amoureux, avec pour héroïne une tireuse à l’arc (Jennifer Lawrence, jeune mère courage de Winter’s Bone) issue des classes populaires. Inspirée par la mythologie grecque, Collins pille la pop culture, des joutes d’Harry Potter à l’arène carcérale de The Running Man ou Sa Majesté des mouches, paraboles d’une civilisation décadente. Derrière ces jeux du cirque cathodiques se cache une curieuse critique de la société du spectacle, glissée dans un best-seller. ♦
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NEWS FAIRE-PART
Bored to Death, saison 3 épisode 2
décès
La mort dans l’Ames Bored to Death, c’est le cas de le dire. HBO a sonné l’arrêt de la série dont la dernière saison est diffusée ce mois-ci sur Orange cinéma séries. Son doux créateur, le romancier en costume JONATHAN AMES, est venu se recueillir à Paris. _Par Clémentine Gallot
Bored to Death de Jonathan Ames (U.S.) Dif fusion : saison 3 en mars sur Orange cinéma séries Une double vie, c’est deux fois mieux de Jonathan Ames (Gallimard, disponible)
U
n petit remontant pour Jonathan Ames ? L’ancien alcoolique sirote, avachi, du vin blanc à trois heures de l’après-midi. HBO ne renouvelle pas sa série Bored to Death, annulée après une troisième saison qui allait pourtant en se bonifiant, où Ames écrivain se mettait en scène dans une version romancée et légèrement dépressive de lui-même.
Cette incartade à la télévision ayant été aussi accidentelle que providentielle, son arrêt l’attriste mais ne l’étonne guère : Ames luimême n’est ni friand ni connaisseur du petit écran. « J’ai plutôt grandi avec Woody Allen, Philip Roth et les films noirs », admetil. Le doucereux Jason Schwartzman s’improvisait détective privé dans cette quête littérairo-œdipienne au charme primesautier, avec pour bras droits un dessinateur bedonnant (Zach Galifianakis) et un patron de presse infantile
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Retraite Le compagnon de Jean Dujardin dans The Artist, le chien Uggie, prend sa retraite, a annoncé son propriétaire : s’il continuera de faire de petites apparitions, il n’acceptera plus de premier rôle. Le réalisateur George Lucas attend lui la sortie de son prochain film, Red Tails, pour se retirer des affaires.
© Rue des Archives/BCA
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Décès L’acteur américain Ben Gazzara est décédé le 3 février à New York, à l’âge de 81 ans. Le 8, Laurent Perrin, ancien critique des Cahiers du Cinéma et réalisateur, s’est éteint à Paris. Et le 11, la chanteuse Whitney Houston a été retrouvée morte dans sa baignoire, à Beverly Hills. Elle avait 48 ans seulement.
Mariage Théâtre et cinéma feront bon ménage au Magic Cinéma de Bobigny, du 7 au 20 mars. Au programme de cette 23e édition de Théâtres au cinéma : l’intégrale Barbet Schroeder en sa présence, un hommage à Charles Bukowski et un portrait de la comédienne Bulle Ogier. Un ciné-mix complètera les festivités.
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_Par L.T.
Le carnet
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(merveilleux Ted Danson). Tout en saynètes drolatiques, Bored to Death capturait la fébrilité de l’ethos brooklynien, chef-lieu d’une masculinité déclinante : « C’est une épidémie parmi les artistes mâles américains de ne pas grandir », soupire Ames. Et pour sortir une bonne fois pour toutes la tête de l’eau, le NewYorkais pourra se féliciter de la récente traduction de son recueil, qui a inspiré la série, au titre évocateur : Une double vie, c’est deux fois mieux. ♦
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NEWS PÔLE EMPLOI
La vue de Ryan Nom : Ryan Church Profession : concept designer Dernier projet : John Car ter d’Andrew Stanton Sor tie : 7 mars
Il n’existe pas d’équivalent français pour concept designer, le métier de RYAN CHURCH. Peutêtre « dessinateur d’idées » : chargé de traduire visuellement les descriptions fantasmagoriques des romans du Cycle de Mars dont est tiré John Carter, Church est le chaînon manquant entre l’imagination d’E.R. Burroughs et le film d’Andrew Stanton. _Par Julien Dupuy
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ohn Carter est un film-univers qui promet tout autant de partager l’aventure d’un personnage que d’explorer un monde imaginaire. Ce type de projet, du Metropolis de Fritz Lang à la Guerre des étoiles de George Lucas, vit et meurt par ses concept designers, des peintres chargés de poser les bases graphiques du film avant que le réalisateur ne tourne la moindre image. Ils avaient hier pour nom Otto Hunte ou Ralph McQuarrie. Ryan Church est leur descendant direct : cela fait désormais plus de dix ans qu’il est une star du milieu. Repéré pour son travail sur L’Attaque des clones, il devient l’un des designers les plus prisés en imaginant l’apparence des tripodes de La Guerre des mondes de Steven Spielberg. Logique donc que Church ait participé aux multiples tentatives d’adapter les romans d’E.R. Burroughs : « Chaque projet d’adaptation de John Carter ref létait la personnalité de son 26
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« John Carter est proche de ma sensibilité. Un univers primitif et délabré m’intéresse plus que des décors ultratechnologiques. » réalisateur. Lorsque j’ai travaillé sous les ordres de Kerry Conran (ndlr : réalisateur de Capitaine Sky et le monde de demain) le film promettait d’être une grande épopée hollywoodienne. La version sur laquelle Jon Favreau (ndlr : auteur d’Iron Man) a ensuite planché était plus barbare et pleine d’humour. » Univers impitoyables Au printemps 2008, Ryan plonge une troisième fois dans l’univers de John Carter, installé dans les locaux de Pixar (« un lieu absolument merveilleux pour travailler ! »), sous les ordres d’Andrew
CV 1971 Naissance de Ryan Church à Long Beach, en Californie. 2002 Employé de la compagnie Industrial Light & Magic de George Lucas, il est superviseur des concept designers sur les épisodes II et III de Star Wars. 2005 Il crée en un temps record les tripodes de La Guerre des mondes. 2009 Après avoir brièvement collaboré à Dead Space, il imagine l’apparence de la navette transatmosphérique Valkyrie d’Avatar. 2012 Sortie de John Carter, probablement son plus grand projet à ce jour.
© Nick Wall
Brève de projo
La Dame en noir de James Watkins // Sor tie le 14 mars
La technique © 2011 Sony Pictures Animation Inc. All Rights Reserved.
© 2011 Disney Inc.
Creepy Harry La dernière fois que j’ai vu un film d’horreur, j’ai tellement crié que les voisins ont appelé les flics. Mais en chemin pour la projection presse de La Dame en noir, je ne m’inquiète pas : Daniel Radcliffe, éternel Harry Potter, joue dedans. Une fois dans la salle, je me décompose : le film conte, à grand renfort d’effets spéciaux, l’histoire d’un village perdu où le spectre d’une folle enragée pousse les enfants à se suicider… et à hanter Daniel/Harry, ici père de famille. Aux premiers fantômes, je bondis. Bientôt, c’est toute la salle qui se met à ricaner nerveusement et à chuchoter des jurons. Finalement, j’étais la plus calme : j’ai fermé les yeux jusqu’au générique. _I.P.-F.
La cité d’Helium, dessin préparatoire de Ryan Church pour John Carter
Stanton, réalisateur de WALL-E : « Andrew est une personne extrêmement difficile à satisfaire. Il a l’habitude d’être entouré par les meilleurs du milieu, et par conséquent il régnait sur John Carter une ambiance très compétitive. Mais c’était pour le mieux. » Néanmoins, voir Ryan Church au générique de John Carter reste une surprise. Les amateurs le connaissaient pour ses travaux sur les univers high-tech et glaciaux de Transformers ou Star Trek : « Et pourtant, nous assure-til, John Carter est bien plus proche de ma sensibilité. Un univers primitif et délabré m’intéresse nettement plus que des décors ultra-technologiques. Notre but sur John Carter était d’obtenir le look le plus crédible possible. » Art conceptuel Production hybride, à mi-chemin entre l’animation, le film live et la performance capture, John Carter bouscule la chaîne de fabrication
traditionnelle d’un long métrage. Jadis rivé à sa table à dessin, le concept designer est désormais impliqué tout au long du processus créatif. C’est pourquoi Ryan Church a travaillé trois longues années sur John Carter : « En plus des milliers de dessins que j’ai signés durant la longue phase préparatoire, j’ai également travaillé directement sur les images tournées : je les repeignais pour montrer aux sociétés d’effets spéciaux comment modifier les plans filmés. Mais il m’arrivait aussi de modéliser en 3D certains éléments, comme des véhicules, amenés à être créés en images de synthèse. » Un travail au long cours, donc, qui a conduit Church à influer directement sur le scénario : « Comme mes confrères, j’ai forcément apporté beaucoup de petites idées sur le film. Et sur ce point, l’une des choses dont je suis le plus fier, c’est d’avoir eu l’idée de faire de la cité Zodanga une ville mouvante. » ♦
Bouche-à-bouche Pour les mouvements de bouche des personnages des Pirates ! Bons à rien, Mauvais en tout, le studio Aardman a employé la technique de l’animation par remplacement. Créée par le réalisateur George Pal dans les années 1930, cette méthode consiste à sculpter, mouler et peindre autant de bouches qu’un personnage possède d’expressions. Durant les prises de vue, l’animateur doit changer les bouches sur le visage de ses marionnettes, entre chaque capture d’image. Une fois le film projeté, la substitution invisible de ces sculptures crée l’illusion du mouvement. Cette méthode, extrêmement laborieuse lors de la préproduction, permet un appréciable gain de temps durant la prise de vues. _J.D. Les Pirates ! Bons à rien, Mauvais en tout de Peter Lord et Jef f Newit t // Sor tie le 28 mars (lire aussi p. 76)
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NEWS ÉTUDE DE CAS
4,8
millions de ventes en V.O.D. en quatre mois, c’est la performance du film Mes meilleures amies de Paul Feig. La comédie détient le record du film le plus vendu de tous les temps en vidéo à la demande, avec une recette de plus de 24 millions de dollars.
2,5
millions de tweets et de retweets sont tombés en l’espace d’une heure sur le réseau social Twitter, juste après l’annonce du décès de la chanteuse soul Whitney Houston. Des détracteurs aux hommages de fans, tout le monde y est allé de son 140 signes.
17
euros par an, c’est la dépense moyenne par consommateur actif consacrée à l’achat de livres. En 2011, le secteur a enregistré une baisse de 1% par rapport à l’année précédente. Un recul qui touche tous les secteurs de la distribution.
Faut-il allumer Bellflower ? OUI La génération Y (prononcer « why ? »), c’est entendu, ne veut rien, ne sait rien, ne comprend rien. Sur ce banal constat, Evan Glodell, jeune cinéaste acteur de son propre film, érige un grand monument creux à la gloire du vide, vague Fureur de vivre sans fureur ni vie. Ses deux glandus qui rêvent de tout brûler au lance-flamme pour pallier leur frustration (beau sujet, sur le papier) sont des Beavis et Butt-head qui auraient passé trop de temps chez American Apparel. La rage factice de ces punks de pacotille fait plouf. Filmé pour une poignée de dollars, avec une caméra bricolée qui donne à chaque plan l’allure d’une pub de jeans, Bellflower échoue – contrairement à Donoma, son pendant français – à rendre palpable le désarroi de la jeunesse sur laquelle il se penche complaisamment. Zéro + zéro = ?
© Joel Hodge
_Jacky Goldberg
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Très remarqué outreAtlantique, Bellflower d’EVAN GLODELL prouve qu’une autre production est possible, loin des circuits habituels. Quand le lanceflamme de Mad Max croise l’incandescence du cinéma indé américain, cela met le feu aux poudres de la rédaction. Alors, doit-on incendier Bellflower ?
Bellflower d’Evan Glodell Avec : Evan Glodell, Jessie Wiseman… Distribution : U.F.O. Distribution Durée : 1h46 Sor tie : 21 mars
NON Deux fans de Mad Max rêvent de réaccorder la réalité au prisme de leur film de chevet. Cependant, leur projet est contrarié par la rencontre de deux amies avenantes mais duplices : l’idylle croisée se transforme alors en vendetta vengeresse et amère. On peut être agacé par cette histoire d’apocalypse amoureuse filmée à grand renfort d’effets de style. Pourtant, à l’instar de Donnie Darko de Richard Kelly, Bellflower témoigne d’une envie de dynamiter le cinéma américain, de créer des formes hybrides pour raconter l’Amérique d’aujourd’hui. Si le film décontenance, il séduit par l’inventivité de son récit, à la fois intime et grandiloquent. Pour son premier long, produit au forceps, Glodell ose une mise en scène où le trivial croise des sommets de mélancolie urbaine, sentant aussi bien l’eau de rose que le kérosène. _Renan Cros
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NEWS TOUT-TERRAIN COVER boy +
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On joue à « colin-maillard » avec l’enivrant Jean-Louis Murat, puis on cherche « la chaleur humaine » avec le minimaliste Bertrand Betsch, et on se retrouve face à la pop lo-fi du premier album de Caged Animals, Eat Their Own, qu’on écoute à l’aveugle depuis sa sortie l’automne dernier. _Q.G.
UNDERGROUND
© Polydor Records
LA TIMELINE DE Michael Kiwanuka
Âme sœur Pendant masculin d’Amy Winehouse, le Britannique MICHAEL KIWANUKA se fait l’apôtre d’une classic soul retrouvée sur un premier album capiteux, Home Again. _Par Éric Vernay Home Again de Michael Kiwanuka Label : Polydor Sor tie : 12 mars
À l’écoute de Home Again, on se sent comme chez soi. La voix, agile et onctueuse, rappelle celles des légendes Marvin Gaye et Bill Withers, l’écrin chaleureux évoque les orchestrations de Curtis Mayfield, Minnie Riperton, Terry Callier et autres étoiles de la Chicago soul. « Je ne me considère pas comme un nostalgique, parce que je n’ai pas
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vécu l’âge d’or de la soul dans les années 1970, mais j’aime la façon dont la musique était faite à cette époque », reconnaît Michael Kiwanuka dans un sourire. À 24 ans, ce Londonien d’origine ougandaise a digéré plusieurs kilomètres de vinyles rock, soul et folk. Après avoir frayé avec des groupes de rock au lycée, il jamme un peu avec des rappeurs grime du coin, pour se faire la main. Mais il le sait bien, son truc, « c’est d’abord de jouer de la guitare, d’entendre le son du clavier et de la batterie. Pas de faire des beats ». Passionné par les instruments, ce « geek musical » revendiqué recherche avant tout l’émotion. Peu importe si elle passe par des sonorités rétro : pour lui, seule la soul authentique émane du cœur. ♦
Hier Né dans le nord de Londres, Michael Kiwanuka se met à la guitare à 12 ans. Fan de Bob Dylan et Jimi Hendrix, il pige pour la scène grime locale, notamment avec Labirinth (le producteur de Tinie Tempah), Chipmunk et Bashy.
Aujourd’hui Après avoir publié deux E.P. chez Communion Records, le soul singer assure la première partie d’Adele en 2011. Vainqueur du Sound of 2012 de la BBC, Kiwanuka sort son premier album, Home Again, produit par le leader de The Bees, Paul Butler.
Demain Revenu d’une tournée U.K., Kiwanuka vient d’enregistrer un morceau avec la moitié de The Black Keys, avant d’enchaîner avec le festival texan SXSW en mars. Il sera à la Maroquinerie le 14 avril, et cet été sur les routes américaines.
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CALÉ
Excitées : dans Bye Bye Blondie de Virginie Despentes, Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart ravivent la flamme d’un amour d’adolescence perdu. Le retour du refoulé promet d’être explosif pour ces ex-punkettes au cœur tendre.
DÉCALÉ
Exterminées : surmonter le deuil amoureux en zigouillant les ex-amantes encombrantes, tel est le projet de Bellflower, premier film du jeune Américain Evan Glodell, inspiré par une rupture mal digérée. Ça va aller, mec.
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RECALÉ
Excédée : aller de l’avant pour Mavis, l’écrivaine irascible et paumée de Young Adult de Jason Reitman, consiste à revenir dans le bled où elle a grandi, pour y séduire son ancien prétendant du lycée. Notre diagnostic : move on, girl.
OVERGROUND The Artist Loin des clichés, le film de FLORENT EMILIO SIRI magnifie de façon inattendue celui qui incarne la quintessence du chanteur populaire français : Cloclo. Une révélation. _Par Julien Dupuy
Cloclo de Florent Emilio Siri Avec : Jérémie Renier, Benoî t Magimel… Distribution : StudioCanal Durée : 2h13 Sor tie : 14 mars
© Studio Canal
Cloclo s’ouvre sur une pluie d’étoiles dans laquelle s’abîme un Claude François totalement habité par sa performance scénique. Ce scintillement hypnotique s’accompagne d’une ritournelle minimaliste, Comme d’habitude, dont les notes égarées sont l’essence même de Claude François, la différence entre le calculateur cynique qu’il fut parfois et l’artiste à fleur de peau qui sut s’abandonner à son public. Car le biopic de Siri est aussi un film sur l’impossible maîtrise de l’existence : Claude François était obnubilé par le contrôle de sa carrière, de son image, de sa vie. Un désir obsessionnel voué à l’échec, combattu en créant d’increvables standards de la variété. « Il transformait sa vie en chanson : il était sincère, mais ne perdait jamais de vue le public. En cela, il correspond à ma vision du cinéma. J’ai mis beaucoup de moi dans ce film », explique Emilio Siri. Reflet « des contradictions et des passions d’un personnage aux deux mille vies », Cloclo ne se contente pas de révéler l’homme derrière l’icône : il dévoile l’artiste qui s’y cache. ♦ Retrouvez l’intégralité de notre entretien avec Florent Emilio Siri sur w w w.mk 2 .com
LA TIMELINE De florent emilio siri Hier Florent Emilio Siri fait une entrée discrète dans le long métrage avec Une minute de silence, avant de mettre en scène l’un des plus beaux films de genre français, Nid de guêpes. Repéré par Bruce Willis, il part tourner Otage aux États-Unis.
Aujourd’hui Après avoir réalisé L’Ennemi intime, Emilio Siri cède à la tentation de la comédie musicale : « Avant de faire du cinéma, j’ai réalisé trente clips. Et avant ça, j’avais un groupe de musique. J’avais toujours rêvé de faire un film musical. »
Demain Il est – enfin ! – sur le point de concrétiser l’un des projets sur lesquels il planche depuis près d’une dizaine d’années : une grande saga consacrée à la Bande à Bonnot, sujet fascinant qui pourrait donner lieu à une mini-série sur Canal +.
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© Forent Schmidt
NEWS AUDI TALENTS AWARDS
AMERICAN IDOL Juste avant qu’il ne remporte l’Oscar de la meilleure musique, nous sommes allés saluer LUDOVIC BOURCE, compositeur de la B.O. de The Artist et membre du jury des Audi Talents Awards dans la catégorie musique. Rencontre avec un mélomane aussi admirable qu’admiratif. _Par Quentin Grosset
Trent Reznor de Nine Inch Nails est un mec trop cool. » Depuis que Ludovic Bource accumule les trophées pour la bande originale de The Artist, il rencontre ses idoles. Il est même allé demander à Steven Spielberg des nouvelles de John Williams, le compositeur de la B.O. des Dents de la mer : « John s’est isolé dans son studio pour travailler sur la musique de mon prochain film, même moi je ne peux pas
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le voir », lui a répondu Spielberg – ce qui n’empêchera pas Bource de s’incliner respectueusement devant Williams juste avant d’aller recevoir son Oscar, lors de la cérémonie du 26 février dernier. Pour composer le thème de The Artist, lui aussi s’est coupé du monde et de l’époque : « Je me suis immergé dans les années 1930, jusqu’à m’interdire d’aller glander sur Internet », explique-t-il dans le studio parisien où il a conçu toutes les musiques des films de Michel Hazanavicius. Celle de The Artist a, de son propre aveu, largement été influencée par les partitions hitchcocko-wagneriennes de Bernard Hermann. « Tout a été dit niveau mélodie, ce qui importe ce sont les textures des instruments et les outils d’interprétation. Mes goûts me portent autant vers du symphonique que de l’électro. » Et quand il nous souffle qu’il a été accordéoniste avant de travailler dans le hiphop, on veut bien le croire. ♦
whATA's up ? L’innovation est toujours le mot d’ordre pour cette nouvelle session des Audi Talents Awards. Depuis déjà six ans, le concours cherche à traduire les ambitions industrielles du constructeur automobile en investissant le domaine de la culture et en récompensant les créateurs de demain. Design, court métrage, musique : la jeune garde est invitée à proposer ce mois-ci les projets audacieux qu’Audi, en tant que mécène, soutiendra tout au long de l’année 2012. _Q.G.
Conditions de participation sur www.myaudi.fr/ auditalentsawards
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NEWS enquête
Pixar est-il indestructible ? Les temps sont durs pour l’illustre studio d’animation. La concurrence croît en quantité et en qualité. Les majors débauchent, les uns après les autres, les talents de la compagnie : après Brad Bird pour Mission : Impossible – Protocole Fantôme, c’est au tour d’un membre historique de la firme, ANDREW STANTON, de s’émanciper avec John Carter. Alors que Cars 2 est loin de faire l’unanimité, le studio de John Lasseter s’apprêterait-il à connaître la rançon de son succès ? _Par Julien Dupuy
_Illustrations : Police
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usqu’au 24 janvier dernier, date de l’annonce des nominations aux Oscars, la formule Pixar tenait du miracle. Le studio d’animation de John Lasseter et Ed Catmull avait résisté aux multiples tentations d’une industrie dévolue au billet vert, pour atteindre un niveau de qualité étonnamment constant. Entre son inf lexible intégrité artistique et sa gestion saine des talents, Pixar semblait avoir trouvé le vaccin contre l’échec. Le camouflet asséné par l’establishment hollywoodien n’en fut que plus choquant : pour la première fois depuis la création de l’Oscar du Meilleur film d’animation, le dernier long métrage du studio d’Emeryville n’était pas nommé. Les 551 millions de dollars récoltés au box-office mondial
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par le film Cars 2 (soit 20 % de plus que le premier Cars) ont donc un arrière-goût amer. Car cette privation de nomination ajoute à la mau-
Pas de nomination aux Oscars pour Cars 2 : les 55 millions de dollars récoltés au box-office mondial ont un arrière-goût amer. vaise réputation du film, qui a également échoué aux Golden Globes (une première dans l’histoire du studio) et a reçu un accueil particulièrement mitigé de la part des critiques. Le site Rotten Tomatoes, spécialisé dans la réception critique
des films, estime à 38% le taux d’avis positifs sur Cars 2. Un score historiquement bas pour Pixar, qui marque une nette dégringolade depuis… Cars. Cette aura négative ne serait pas si préoccupante, si elle n’était accompagnée d’autres signes de faiblesse. Séquelles des séries Ce n’est probablement pas un hasard si l’humiliation des nominations aux Oscars vise une suite : on peut y voir la dénonciation de l’exploitation facile du succès. Protecteur de son catalogue, Pixar s’était jusqu’à présent refusé à céder aux sirènes des suites, à l’exception notable de Toy Story, trilogie brillamment conclue il y a deux ans. Mais en plus de posséder depuis 2010 une succursale à Vancouver,
Mot @ Mot _Par J.D.
Plénoptique (adj.)
[du latin « plenus » (« plein ») et « optique »]
Désigne une matrice de micro-objectifs permettant d’enregistrer le point d’arrivée et la direction des rayons lumineux sur l’image. Cette captation en 4D du flux lumineux permet de modifier en post-traitement la focale (il n’est donc plus nécessaire de faire le point pendant la prise de vue), ou encore de fournir les informations nécessaires pour reconstituer l’image en stéréoscopie, voire pour capter des déplacements dans un espace tridimensionnel. À ce jour, un seul appareil photo plénoptique est à disposition du grand public, celui de la société Lytro.
Pixar vient d’inaugurer un bâtiment de plus de 114 000 mètres carrés à Emeryville. Difficile, dès lors, de ne pas penser que certains projets répondent plus aux nécessités du marché qu’à l’inspiration artistique. C’est le cas de Monsters University, suite de Monsters Inc., qui sortira en 2013, ou encore de Toy Story 4. Planes, seconde série dérivée de l’univers d’un film Pixar, en l’occurrence Cars, sortira en vidéo cette année : elle est produite par Lasseter mais a été conçue chez Disney et réalisée par Klay Hall, responsable du médiocre spin-off Peter Pan, La Fée Clochette et la pierre de lune. Un rappel de 2004, où Pixar parvint à annuler in extremis un Toy Story 3 mis en chantier par Disney, qui s’annonçait indigne de la franchise. Impossible d’ou-
blier que 2011 fut également marqué par la mort de Steve Jobs, qui était, comme l’a signalé l’hommage que lui rendirent John Lasseter et Ed Catmull au lendemain de sa disparition, « le guide spirituel de Pixar ». Si le PDG d’Apple fut déterminant dans la victoire des nombreuses batailles qu’a dû mener Pixar contre les argentiers d’Hollywood, on peut s’inquiéter de savoir qui va le remplacer au conseil d’administration de Disney, un poste-clef pour l’indépendance du studio. De la fuite dans les idées Le studio doit également faire face à une fuite de ses talents emblématiques. Si John Carter remporte le succès escompté, Andrew Stanton, réalisateur du Monde de Némo,
risque d’être accaparé pour de nombreuses années par l’adaptation des autres romans de la saga fleuve d’Edgar Rice Burroughs. Il est encore plus improbable que Brad Bird (Ratatouille et Les Indestructibles) revienne travailler dans la compagnie : courtisé par les plus grands studios depuis le triomphe de Mission : Impossible – Protocole Fantôme, il serait en lice pour réaliser Here There Be Monsters, dans lequel le révolutionnaire américain John Paul Jones affronte des créatures marines géantes. Quant à l’annonce du départ du coréalisateur de Cars 2, Brad Lewis, elle est d’autant plus embarrassante qu’il a claqué la porte pour fonder Tradition Studios, dédié aux films d’animation et soutenu par Digital Domain, géant des effets spéciaux.
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NEWS enquête
L’adversaire numéro un de Pixar, DreamWorks Animation, a lui marqué des points en sollicitant les talents de Guillermo Del Toro en tant que conseiller artistique. Son apport sur Kung-Fu Panda 2 et surtout sur Le Chat Potté fut, de l’avis de l’équipe comme de la critique, extrêmement bénéfique à ces deux films nommés aux Oscars (eux). Même Sony Pictures Animation, l’outsider de l’animation américaine, semble être passé à la vitesse supérieure en embauchant pour son prochain long métrage Hotel Transylvania un immense réalisateur : Genndy Tartakovsky. Ce qui ne nous tue pas… La situation a beau être préoccupante, l’avenir de Pixar reste pourtant rempli de magnifiques promesses. Rebelle sort cet été, et malgré sa confection chaotique (la réalisatrice Brenda Chapman a été renvoyée du film en cours de production), il s’annonce sous les meilleurs auspices. C’est également le cas du Pixar cuvée 2013
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dont les héros seront des dinosaures. Le concept du prochain film de Pete Docter (Là-Haut) est non seulement alléchant, mais aussi très intriguant, puisqu’il se déroule dans l’es-
L’avenir de Pixar reste pourtant rempli de magnifiques promesses : Rebelle sort cet été, et s’annonce sous les meilleurs auspices. prit d’une petite fille. Le chercheur David DiFrancesco travaille au sein du Pixar Research Group sur une caméra plénoptique (cf. encadré), une invention qui ouvre d’incroyables possibilités en termes de capture de mouvements et de stéréoscopie. Pixar traverserait donc une situation, si ce n’est de crise, du moins de transition. Mais après tout, son histoire est parsemée d’embûches dont le studio est à chaque fois sorti grandi. ♦
Carter de noblesse Terrien téléporté sur Mars, pris dans des guerres fratricides pour la domination de la planète, John Carter est recueilli par des créatures à quatre bras, avant de s’éprendre d’une princesse. Retitrée, retournée et remontée au terme d’une gestation laborieuse, cette adaptation en 3D de la saga culte d’Edgar Rice Burroughs est allée puiser à la télévision ses interprètes (Friday Night Lights, The Wire). Produit par Disney pour un budget colossal de 250 millions de dollars, le film lorgne du côté du western et du blockbuster viril façon Thor, avec une touche de comique animalier à la Pixar. Le passage à la prise de vue réelle pour Andrew Stanton, réalisateur de WALL-E, s’accompagne d’une entreprise éminemment nostalgique : revenir aux sources du cinéma de sciencefiction, de Star Wars à Avatar, à jamais marqué par l’influent héros d’Edgar Rice Burroughs, qui fête cette année son centenaire. _C.G.
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NEWS SEX TAPE
mars La 38 Main noire de Max2012 PĂŠcas, 1968
Le grand livre rose Dictionnaire des films français érotiques et pornographiques en 16 et 3 5 mm de Christophe Bier (Serious Publishing, en vente sur w w w.serious-publishing.fr)
S’il ne fallait emporter qu’un livre sur une île déserte, un seul, ce serait celui-là. Pas seulement parce qu’avec ses roboratives 1 195 pages et 1 813 notules, ce Dictionnaire… a de quoi sustenter son lecteur pour des années. Mais aussi parce qu’il constitue, en soi, un objet érotique de la plus noble essence : de celle qui fait frétiller les neurones et excite l’intelligence. Christophe Bier et ses 27 rédacteurs-apôtres n’ont souhaité aucune image pour accompagner leur beau pavé ; seuls les textes, d’une érudition à faire pâlir, relatent et analysent ce qu’a été de 1918 à 2007 – avec une emphase sur les années 1970 et 1980, « l’âge d’or » – ce cinéma de la marge, ce cinéma déclassé (X) dont on saisit ici toute la force subversive. Essentiel.
DR
_Jacky Goldberg
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Illustration : RaphaĂŤl Garnier, Vasco
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Julie Delpy
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Paris vs New York
We New York
« Tant que vous n’avez pas été embrassé par une pluvieuse après-midi parisienne, vous n’avez jamais été embrassé », disait Woody Allen dans Maris et Femmes, en 1992. JULIE DELPY lui renvoie le compliment dans son nouveau film 2 Days in New York, en salles le 28 mars. La Française y met en scène un couple franco-américain lové dans la Grosse Pomme, bouleversé par l’irruption d’une belle famille envahissante. Cette tendre et jouissive réponse à 2 Days in Paris, réalisé en 2007 par la même cinéaste, jette un pont au-dessus de l’Atlantique. Nous l’avons emprunté, y glanant les nombreuses preuves d’une romance au long cours entre les deux villes, où amour et cinéma font, plus qu’ailleurs, bon ménage. _Dossier coordonné par Juliette Reitzer et Clémentine Gallot
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Paris vs New York
La grande traversée
© Nicole Rivelli / Polaris
Sorti ici et outre-Atlantique en 2007, 2 Days in Paris faisait les présentations du petit ami américain aux parents. Renouant avec un entourage gaulois et turbulent, 2 Days in New York accueille Chris Rock en nouveau concubin et Vincent Gallo en diablotin retors. Devant et derrière la caméra, JULIE DELPY, Parisienne transplantée à Los Angeles, reprend à sa sauce le style de la comédie U.S. auto-dépréciative. Retour sur une réinvention américaine. _Propos recueillis par Clémentine Gallot
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Paris vs New York
À
la tête d’un ménage franco-américain bi-racial installé à New York, Marion, photographe névrosée (ses travaux la représentent la nuit, en pyjama dans son lit), a refait sa vie avec un animateur radio, Mingus. L’intrusion de sa famille en villégiature, franchouillarde et dissipée, fait tanguer cette paisible union. Plus abouti, écrit en binôme avec une amie et conservant le tempo éparpillé du premier opus, ce deuxième volet est chapoté par Chris Rock, trouvaille du film, à qui Delpy ménage des envolées hilarantes. La cinéaste, de nationalité duelle comme son film, experte en malentendus culturels et transports amoureux transnationaux (le diptyque Before Sunrise/Before Sunset), s’est d’abord formée comme actrice chez Godard, Carax, Kieślowski et Jarmusch. Des années de lutte pour la reconnaissance ont été nécessaires à la confection de La Comtesse (2009) et du Skylab (2011). Entretien.
Pourquoi ouvrir et clore votre film sur un théâtre de marionnettes ?
Le film n’est pas autobiographique, mais je trouvais cela intéressant : quand on devient mère, on passe un cap vers un autre univers, davantage tourné vers l’enfant. Dans le film, Marion essaye de résumer les années qui ont passé à son fils. Je l’ai moi-même fait à la mort de ma mère. Quelle est l’identité du film ? Est-il américain, français ?
Le film est hybride, l’esprit est américain et l’humour gaulois, paillard et rabelaisien, et tient surtout au personnage du père. Les Français n’y sont pas « vus par les Américains ». Les longues scènes de repas du Skylab semblent avoir nourri celles de 2 Days in New York, tandis qu’on retrouve, sur un mode satirique, le gothique de La Comtesse dans les fantaisies macabres des enfants, en plein Halloween.
Il paraît que les Gaulois décidaient de tout autour d’un repas. Il y a toujours des repas dans mes films : ces scènes avec plein de personnages sont très compliquées à tourner. Ce sont aussi des souvenirs dans ma vie. Je viens de revoir Un mariage de Robert Altman, que j’adore : les personnages se télescopent, c’est passionnant.
« Aux États-Unis, c’est encore très difficile pour une femme d’être cinéaste, ce n’est pas accepté. » Avez-vous pensé à d’autres comédies transatlantiques, jouant sur le clash des cultures (Sabrina, Ariane, Un Divan à New York, Broken English, Minuit à Paris…) ?
Quand je prépare un film, je regarde des choses qui n’ont rien à voir : pour 2 Days in Paris, j’avais regardé Les Dents de la mer. Là, j’ai vu La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock. Comment ont évolué, selon vous, les stéréotypes croisés entre Français et Américains depuis cinq ans ?
Quand on me dit que j’exagère avec le père qui amène des saucisses dans l’avion, je vous jure que non, mon père le fait. Le film joue sur le choc des cultures, mais aussi sur le couple, la transition d’enfant à femme, le fait de perdre une partie de sa famille. 2 Days in New York de Julie Delpy Avec : Julie Delpy, Chris Rock… Distributeur : Rezo Film Durée : 1h31 Sor tie : 28 mars
2 Days in Paris a été tourné pendant les années de présidence Bush. Aujourd’hui, l’Amérique est redevenue désirable aux yeux des Français… www.mk2.com
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Paris vs New York
Réalisatrice, française, à Hollywood, vous multipliez les contraintes…
© Nicole Rivelli / Polaris
Les choses ont évolué. J’ai commencé à 16 ans et personne ne voulait me financer : on me rit un peu moins au nez maintenant. Des compagnies croient vraiment en moi, d’autres ne me considèrent même pas comme un metteur en scène. On m’avait dit que 2 Days in Paris était insortable, puis on a mis dix ans à faire La Comtesse. Tourner un film français à New York est très compliqué et coûteux, cela s’est fait du bout des lèvres, c’est miraculeux. J’ai mis ma société en jeu. Les films n’ont jamais le financement qu’on espère… Les gens ici croient qu’Obama est un loser et ne se rendent pas compte qu’il a redoré leur blason. Les Américains sont incroyables : Obama a tué Ben Laden et personne n’en parle. Si c’était Bush, il y aurait un bandeau sur la lune. Je trouve qu’il s’en sort bien, l’économie repart, le chômage baisse et tout le monde s’en fout. Les gens sont extrêmement influencés par les médias, qui racontent n’importe quoi. Ils n’ont aucun sens critique de l’information. En France, on essaye au moins de se faire sa propre idée. Que représente le contrat faustien que votre personnage passe avec Vincent Gallo, en lui vendant littéralement son âme ?
Un jour, j’étais sur eBay, je regardais les choses bizarres que les gens vendent : je me demandais ce que je pourrais vendre qui n’a aucune valeur pour moi, mais en aurait pour d’autres. Je ne crois pas à l’au-delà, je trouvais ça drôle comme acte conceptuel. Ensuite, mon personnage s’en mord les doigts, car symboliquement, c’est perturbant. C’est quand même vraiment cynique de vendre son âme ! Vous utilisez l’autodépréciation comme ressort comique : quel rapport entretenez-vous aux comédiennes américaines Tina Fey, Kristen Wiig ou Sarah Silverman ?
J’aime beaucoup Sarah Silverman, j’ai été à ses one woman shows. Kristen Wiig aussi. J’aime moins Tina Fey dans 30 Rock, ça ne m’amuse pas beaucoup, ce n’est pas assez absurde. Je m’identifie plus à Larry David, qui dit toujours ce qu’il ne faut pas aux mauvaises personnes. Pourquoi avoir tourné le film à New York, et non à Hollywood, où vous vivez ?
Pour être raccord avec le premier opus, où Marion dit qu’elle vit à New York. Je connais aussi pas mal de photographes là-bas, cela me paraissait logique. Comme dans Greenberg de Noah Baumbach, y a-t-il des névroses propres à chaque ville ?
Dans Greenberg, c’était des névroses très « L.A » : sans carrière, on n’est rien. Le jour où je ferai un film sur Los Angeles, ce sera très différent et ça parlera du cinéma. Ici, on ne voit jamais les gens. 44
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On ne compte que 5 % de réalisatrices dans les films américains de 2011.
La Director’s Guild m’aide un peu, mais aux États-Unis, c’est encore très difficile pour une femme d’être cinéaste, ce n’est pas accepté. On s’en prend plein la gueule et certains médias d’industrie, comme Variety, sont extrêmement misogynes. Quand je vais à des déjeuners « femmes à Hollywood » c’est bien, mais en même temps je me dis « merde, on est encore des parias ». C’est comme pour les Noirs dans les années 1960 : on est au fond du bus, une minorité rejetée. Chris Rock monologue face à une silhouette cartonnée de Barack Obama tandis que le beau-frère de Marion multiplie les faux-pas. Est-ce le visage d’un nouveau racisme, sous des dehors bon enfant ?
Le personnage du beau-frère est surtout con : au fond, il aime bien les Noirs, mais il n’a pas compris comment ça marche. Les Français disent des choses très politiquement incorrectes aux ÉtatsUnis : quand on est Blanc, on ne peut pas dire à un Black « tu es mon frère » ou « nigger » ! ♦ French kisses et Grosse Pomme d’amour D’échanges de salive en cours de langue, cent ans d’ébats transatlantiques sur grand écran ont cimenté la longue amitié Paris-New York. Déjà, la concurrence artistique entre les deux villes alimentait le triangle amoureux entre expatriés chez Ernst Lubitsch (Sérénade à trois). Les œillades vers l’autre côté de l’océan se sont multipliées depuis qu’Audrey Hepburn est revenue transformée par son escapade européenne chez Billy Wilder (Sabrina), avant de s’éprendre de Gary Cooper dans un fastueux hôtel parisien (Ariane). Gene Kelly, tornade en technicolor, peuple Paris des rêves dansants de Vincente Minnelli (Un Américain à Paris) tandis que Woody Allen vient virevolter sur nos quais (Quoi de neuf, pussycat ?, Tout le monde dit I love you) et voyager dans le temps (Minuit à Paris), préparant le terrain à nombre de romances écartelées (Green Card, Un Divan à New York, Broken English). En attendant Paris-Manhattan de Sophie Lellouche et Nous York de Géraldine Nakache et Hervé Mimran, Valérie Donzelli prépare Main dans la main, qui devrait faire le pont entre l’Opéra Garnier et Manhattan. _C.G. et A.T.
Illustration : RaphaĂŤl Garnier, Vasco
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Paris vs New York
Rock star Dans 2 Days in New York, CHRIS ROCK est Mingus, l’amoureux américain de Marion (Julie Delpy), qui voit son quotidien chamboulé par l’irruption de sa belle famille française. Méconnu chez nous, l’acteur est pourtant une star de la comédie populaire américaine. Présentations.
« V
_Par Juliette Reitzer
ous connaissez Chris Rock ? – Qui ?! » Un tel échange est aujourd’hui hautement improbable aux États-Unis. La scène se passe en 1989, et ouvre un court métrage étudiant sobrement titré Who is Chris Rock ? Quasi inconnu à l’époque, malgré quelques premières apparitions dans des programmes télé type Showtime at the Apollo ou Miami Vice, un jeune Chris Rock de 23 ans bougonne, assis à côté de maman dans l’appartement familial de Brooklyn, où il a grandi : « Les gens disent que je ne devrais pas parler de suicide ou d’avortement. Mais je ne vais pas changer mon style : on peut rire de tout ! » Plus de vingt ans plus tard, son succès outre-Atlantique lui donne raison.
diffuse à l’antenne ses spectacles, dont Bring the Pain en 1996, qui assoit solidement la cote de popularité du comédien, lui vaut deux Emmy Awards et incite la chaîne à lui offrir une émission régulière, The Chris Rock Show. Très populaire, Chris Rock parade en couverture de Vanity Fair, Rolling Stone ou GQ, présente la cérémonie des Oscar en 2005 et écrit même une série télé inspirée par son adolescence, ironiquement nommée Tout le monde déteste Chris.
Comme Jim Carrey, Dave Chappelle ou Whoopi Goldberg, Rock débute sur les planches du comedy club new-yorkais Catch a Rising Star. En 1987, Eddie Murphy le repère dans une autre salle de Manhattan, le Comic Strip, et lui offre un petit rôle dans Le Flic de Beverly Hills 2, premier jalon pour Rock d’une filmographie inégale, de Dogma à Nurse Betty ou Bad Company, jonchée de pépites comme New Jack City (1991). C’est à la télé que le jeune homme fait des étincelles. Trois ans au sein des « Bad Boys du Saturday Night Live », sur NBC (avec Adam Sandler), assurent sa notoriété et lui permettent de retourner à sa marotte : le stand up. Comprenez, un type tout seul sur une scène vide, un micro à la main, qui raconte des blagues. Et, dans le cas de Rock, un public en délire. Sur un ton inspiré par les prêches de son grand-père révérend, comme il aime le répéter, Chris Rock épingle scandales judiciaires, affres de la vie de couple et stéréotypes sur les Afro-Américains, passant les mœurs U.S. à la moulinette de l’humour noir. Ponctuées d’un rictus sardonique – nez froncé, yeux hilares –, ses punchlines déferlent sur un public extatique : « Un sport sans Noirs n’est pas vraiment un sport. C’est un jeu. » ; « Celui qui n’a jamais pensé à tuer son conjoint n’a jamais été amoureux. La seule chose qui vous a empêché de descendre cet enfoiré, c’est un épisode des Experts. » Rapidement, HBO produit, enregistre et
« Les gens disent que je ne devrais pas parler de suicide ou d’avortement. Mais je ne vais pas changer mon style : on peut rire de tout ! »
Si le petit écran l’a confortablement installé dans le salon de ses compatriotes, son humour ravageur, intrinsèquement lié à la culture populaire américaine, reste hélas peu diffusé dans notre pays. Il fal-
lait rien de moins qu’une Française émigrée outreAtlantique pour combler ce fossé culturel : « Il est très drôle. J’ai écrit le rôle de Mingus en pensant à lui », nous a confié Julie Delpy, qui le dirige dans 2 Days in New York. La cinéaste fait des différences de mœurs l’un des ressorts comiques les plus savoureux de son film : Mingus, New-Yorkais pur jus, s’y retrouve confronté aux gauloiseries éhontées de sa belle-famille. Une traversée culturelle pas si surprenante pour Chris Rock, lui-même réalisateur de deux comédies efficaces, Président par accident en 2003 et Je crois que j’aime ma femme en 2007, librement inspiré par L’Amour l’après midi d’Éric Rohmer, dont il transpose l’intrigue en plein New York. Outre un documentaire sur l’endettement (Credit is the Devil), il prépare actuellement le remake américain d’un autre film français, La Première Étoile, qu’il produit et devrait réaliser. À 47 ans, cette star très américaine semble prête à déferler de notre côté de l’océan. ♦
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Paris vs New York
© Vahram Muratyan
Vis -àvilles
L’ acteur
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© Vahram Muratyan
Paris vs New York
Le réalisateur
Paris versus New York a débuté comme un match illustré et amical entre les deux métropoles, sur le blog du designer VAHRAM MURATYAN, au fur à et mesure que ce Parisien d’origine faisait l’expérience du mode de vie new-yorkais. Le résultat est ensuite paru, enrichi de nouveaux dessins, dans un épais livre jaune, métonymique et cinématographique à souhait. Au banc d’essai : Jean-Luc Godard vs Woody Allen, King Kong vs Quasimodo... Et vous, êtes-vous plutôt Dernier Métro ou Taxi Driver ? _Par Laura Tuillier
«C’
est lorsque je me suis installé à New York que j’ai commencé à repenser Paris, et à compiler en dessins ce qui me plaisait dans les deux villes, un peu de ce que je garderais de chacune, très inspirantes pour moi », explique Vahram Muratyan. Sur son blog, il multiplie les comparaisons malicieuses entre la Ville Lumière et la Grosse Pomme, avant d’éditer un livre-recueil. « Mes premières illustrations étaient des éléments de la vie quotidienne, des clichés, des détails, parce que c’est ce qui donne la couleur des deux villes. Le café serré au comptoir versus le café à emporter style Starbucks. » Au fil des manches du match, le designer déploie une identité visuelle très personnelle, ludique et stylisée : « Je commence d’abord par des mots et des croquis sur papier. Ensuite, je simplifie à l’extrême sur mon Mac. » Habitudes vestimentaires, culinaires, lieux de promenade, références culturelles : Vahram Muratyan arbitre avec bonheur la tendre dispute de deux cités fantasmatiques. ♦
Paris vs New York de Vahram Murat yan (10/18) parisvsnyc.blogspot.com
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Š Vahram Muratyan
Paris vs New York
New York sur Paris
Paris vs New York
© Gil Lesage
Virginie Despentes
LES TEMPS QUI CHANGENT Au tournant des années 1980, deux ados punks et bagarreuses se rencontrent en hôpital psychiatrique et s’aiment durant quelques mois fusionnels. Vingt ans plus tard, Frances et Gloria se retrouvent. L’une est vedette de télévision, l’autre marginale endurcie. En portant à l’écran son roman éponyme, Bye Bye Blondie, VIRGINIE DESPENTES orchestre la rencontre électrique de deux comédiennes intenses, Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart. _Propos recueillis par Clémentine Gallot et Juliette Reitzer
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© Gil Lesage
Virginie Despentes
Figurants sur le tournage de Bye Bye Blondie
L’
une est blonde, bourgeoise et parisienne, l’autre est brune, RMiste et provinciale. Dans Bye Bye Blondie, Virginie Despentes se joue des antagonismes, renvoyant dos à dos ce qu’on était et ce que l’on devient en faisant dialoguer deux époques – les jeunes Clara Ponsot (lire page 9) et Soko interprètent Frances et Gloria période 1980, avec perfecto, maquillage qui coule et bottes de moto. Douze ans après le controversé Baise-moi, Despentes signe un deuxième long métrage plus apaisé, mais toujours porteur d’une énergie révoltée, trop rare dans le cinéma français. Fine connaisseuse d’une scène musicale alternative qu’elle injecte dans le film (France de Griessen, Lydia Lunch, Cherokees, les Béruriers noirs), l’auteure du manifeste féministe King Kong Théorie continue de brasser les questions de genre et de classe dans cette romance à la douceur galvanisante. Rencontre. L’équilibre est très réussi entre Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart, l’une carnassière et déglinguée, l’autre magnétique et plantureuse. Pourquoi les avoir réunies ?
Ça a été évident tout de suite. Je les trouve très différentes mais elles s’assemblent parfaitement. Elles ont quelque chose en commun, une façon d’être dans le cinéma français un peu particulière, un peu outsideuses. J’ai quarante-deux ans, et quand j’étais jeune, Manon des sources et 37°2 le matin sont sortis coup sur coup : deux films qui n’avaient rien à voir, mais dont les personnages féminins, incarnés par Emmanuelle et Béatrice, étaient super forts. Et j’adorais l’idée de faire travailler deux comédiennes qui n’avaient jamais tourné ensemble. Le film dégage de la révolte, de la colère, une forme d’encouragement aussi. Ce sont des énergies importantes à transmettre selon vous ?
J’avais envie qu’on sorte du film rechargé. Il y a une
« Ce sont toujours les femmes qu’on enferme et qu’on essaie de réguler en premier. J’avais envie de le raconter. » artiste qui joue dans le film, Lydia Lunch. Elle bosse sur la colère, mais quand on sort d’un de ses concerts, on se sent comme après une semaine de vacances au grand air. Pourtant, elle n’est pas contente. Je voulais que le film procure cette sensation. C’est la sinistrose en ce moment : si je vais voir un film, je n’ai pas envie qu’on m’enfonce. J’ai essayé de transmettre une énergie positive, sans niaiserie. Dans le film, Gloria dit : « Du moment que je ne bosse pas, ça va. » C’est un discours qu’on entend peu au cinéma ou dans les médias…
J’ai relu Charles Bukowski avant le film, et il n’arrête pas de répéter : « On ne va pas aller bosser, ça ne nous intéresse pas. » Il ne s’agit pas de ne faire aucun effort, de ne rien créer, mais il y a l’idée que le travail n’est pas nécessairement une chose positive. Je suis sensible à plusieurs discours politiques en ce moment, mais ils sont tous attachés à la « valeur travail », même les écolos. Personne ne dit : « Arrêtons de bosser ! » C’est triste. Je voulais que Gloria porte ça, parce que c’est l’antithèse de Frances. Le film parle aussi des pathologies « féminines » comme l’hystérie. Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter l’univers de l’hôpital psychiatrique ?
Ce sont toujours les femmes qu’on enferme et qu’on essaie de réguler en premier. J’ai été internée quand j’étais petite. C’est un lieu assez banal, où les gens sont plein de bonne volonté mais souvent à côté de la plaque, et j’avais envie de le raconter. www.mk2.com
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© Redstar
Virginie Despentes
Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart dans Bye Bye Blondie
Vous ne venez ni d’un milieu aisé, ni d’une école de cinéma. Comment avez-vous financé ce film ?
La présence d’Emmanuelle et Béatrice au générique et le succès à l’étranger de Baise-Moi ont aidé, c’est sûr. Mais on a quand même mis quatre ans à trouver les fonds. Après, une certaine confusion dans le cinéma français m’a été bénéfique, qui veut qu’un réalisateur peut soi-disant écrire des romans, et inversement. Ce n’est pas forcément vrai, mais on est plusieurs écrivains à tenter notre chance. Comment vous situez-vous dans le paysage du cinéma français ?
Humainement et en tant que spectatrice, je suis proche de Gaspar Noé, dont Enter the Void me fascine. Je m’intéresse aux films de Catherine Breillat, même si je ne fais pas du tout le même cinéma. En France, quand on ne vient pas de la Fémis, on occupe une position bizarre. Je ne déteste pas tous les films français, j’ai du plaisir parfois en les regardant, mais souvent je me gratte la tête. Quand tu n’as pas certains codes, ça laisse songeuse... C’est bien qu’on produise beaucoup de films, mais il faudrait nous apprendre à les regarder. Que signifie le fait d’être une femme lorsque l’on réalise un film ?
Pour moi, ça veut dire qu’on travaille avec moins d’argent. Les gros budgets sont réservés aux hommes. Même les grandes cinéastes comme Catherine Breillat, Claire Denis ou Pascale Ferran travaillent toujours avec des petits budgets. Travailler avec un budget de trois millions, c’est déjà pas mal, mais ce constat m’énerve. En France, le cinéma n’a pas la même tradition punk qu’en Angleterre ou en Espagne, où vous vivez. Qu’en pensez-vous ?
En France, on a un rapport aux prolos toujours très dramatique. Ce n’est pas forcément inintéressant, mais
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quand les intermittents du spectacle s’intéressent au prolétariat, c’est toujours ultra-glauque. Alors que les Anglais sont très décomplexés avec ça. En France, les punks, c’est un peu has-been. On n’est pas une nation profondément punk. Les deux ados du film grandissent en musique. Ce sont des groupes avec lesquels vous avez grandi vous-même ?
C’est incroyable tout ce qu’il y a eu dans les années 1980, pas seulement les Bérus (ndlr : les Béruriers noirs), mais du rock alternatif, des paroles, du son, une attitude, une réflexion assez radicale que je trouve toujours jouissive et pertinente aujourd’hui. Pour beaucoup de gens, il n’y a pas de genre moins légitime et moins universel que le film de lesbiennes…
Je cumule : c’est un film lesbien, avec des femmes de quarante ans qui ne sont jamais nues. Les mecs ne se sentent pas accueillis et le prennent mal, alors qu’on est censé regarder leurs conneries et les accueillir bras ouverts. Ce qui est subversif dans l’homosexualité féminine, c’est qu’elle porte l’idée de se soustraire à un ordre établi où la femme est en position d’infériorité. À mon avis, c’est l’une des grandes solutions politiques, mais ce n’est pas un message facile à faire passer. Bye Bye Blondie est aussi un vrai film d’amour…
Le film essaye d’être très romantique. L’amour change tout, il nous rend plus souple pour évoluer. J’avais envie de faire une comédie romantique qui se termine bien, où l’homosexualité ne soit pas un problème, mais une solution. ♦ Bye Bye Blondie de Virginie Despentes Avec : Béatrice Dalle, Emmanuelle Béart… Distribution : Happiness Durée : 1h37 Sortie : 21 mars
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lucas belvaux
TÉMOINS L’homme n’est qu’un témoin frémissant d’épouvante », écrivait Victor Hugo. Un soir, 38 habitants d’un même quartier laissent une femme se faire assassiner sous leur fenêtre. Dans son nouveau film, 38 Témoins, LUCAS BELVAUX sonde la part la plus ténébreuse de l’âme humaine, prostrée entre sidération et convalescence. Fidèle à une mise en scène distanciée, qui trouve dans la confrontation des points de vue toute son acuité, le cinéaste remue la léthargie qui nous guette. Témoignage au bout de la nuit. _Propos recueillis par Auréliano Tonet
38 Témoins ne laisse pas indifférent. Vous attendiez-vous à ce que le film divise autant ? Il y a un vrai clivage. Des soutiens très enthousiastes, et des réactions de rejet, notamment concernant la 56
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distance établie avec les personnages. Or je pense que c’est l’une des qualités de 38 Témoins : ce n’est pas un film d’identification. Le spectateur est témoin des témoins, il n’est pas à leur place. Je ne voulais pas d’un film totalitaire, qui prenne les gens en otage. Le roman que vous adaptez ici, Est-ce ainsi que les femmes meurent ? de Didier Decoin, est lui-même inspiré d’un fait divers : en 1964, Kitty Genovese était assassinée en pleine nuit dans le Queens, à New York. Malgré ses cris effroyables, le voisinage n’a pas réagi. Vous êtes-vous documenté sur ce meurtre ? Ce n’était ni la victime ni son agresseur qui m’intéressaient, mais la question des témoins. Il y a eu toute une littérature sur leur absence de réaction. Aux ÉtatsUnis, des psychologues se sont emparés de l’affaire Genovese pour démontrer que, en cas d’homicide, plus il y a de témoins, moins ils ont tendance à intervenir. Ces explications ne tiennent pas. On ne peut pas se mettre à la place des témoins. Nous sommes face à un
© Kris Dewitte
FANTÔMES point aveugle, une énigme sans réponse, une noirceur humaine qui dépasse l’entendement. Absente la nuit du meurtre, le personnage de Sophie s’accommode du récit qu’en fait son compagnon, Pierre. En revanche, elle ne supporte pas la reconstitution du crime organisée par la police. On peut s’arranger avec un récit, pas avec la réalité. Le récit de Pierre est pourtant extrêmement précis, il détaille les faits sans complaisance. Mais face aux cris, même reconstitués, le ressenti est tout autre. La reconstitution pose plus de questions qu’elle n’y répond. Rapt, votre film précédent, s’attardait déjà sur « l’après », en décrivant l’impossible retour à la normale qui succédait à la prise d’otage. Cette fois, 38 Témoins est tout entier centré sur les conséquences ravageuses de l’assassinat. Comme dans Rapt, le personnage expérimente un
« CE N’EST PAS UN FILM D’IDENTIFICATION. LE SPECTATEUR EST TÉMOIN DES TÉMOINS, IL N’EST PAS À LEUR PLACE. » état de sidération, de choc ; il va devoir se relever, et affronter le regard extérieur. Comment les témoins se réveillent-ils le lendemain du meurtre ? Comment vivent-ils après avoir appris concrètement ce qu’ils ont laissé faire ? Comment leur entourage vit-il avec cela ? Aujourd’hui, les faits divers occupent une place importante dans notre société, mais ils sont presque toujours racontés sur le mode de l’émotion, de la sensation, de l’anecdote. Je ne supporte plus ces émissions voyeuristes qui prétendent reconstituer objectivement tel fait divers, alors qu’elles manipulent sciemment le téléspectateur. On insiste sur la monstruosité de www.mk2.com
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© Agatfilms
lucas belvaux
Pourquoi avoir situé l’action dans la ville du Havre ? Il fallait trouver la bonne distance. Je ne voulais pas du réalisme d’un quartier pavillonnaire, qui risquait de faire glisser le film vers l’anecdote. Je n’avais pas envie non plus d’une claustrophobie absolue. Le centre-ville du Havre a été reconstruit après la guerre selon des principes très stylisés. Il est rythmé par des aplats, des perspectives qui lui donnent des allures de décor de théâtre, un côté presque Fritz Lang. C’est un endroit inhabituel, on ne s’y sent pas chez soi. Il y a vingt-cinq ans, j’y avais tourné en tant qu’acteur un court métrage – la ville m’avait déjà beaucoup impressionné. La beauté des lumières, des ciels ne s’invente pas. Et puis il y a le port, son mouvement permanent, son ouverture sur le monde, sa mémoire ouvrière. Ça m’a permis de donner à Pierre un métier très spécifique, presque lyrique : officier de marine. C’est quelqu’un qui a vécu des tempêtes, qui a commandé des équipages hétéroclites, on ne peut pas l’accuser a priori de lâcheté. Et pourtant, cet homme peu banal réagit, face au meurtre dont il est témoin, comme tout le monde. La mise en scène alterne des séquences figées, en plan fixe, et d’autres plus mobiles. Pourquoi ? La ville s’arrête pendant les obsèques, et redémarre après. Les plans fixes permettaient d’installer l’ambiance d’une ville endeuillée, sidérée. Ils figurent aussi le calme avant la tempête. Je suis frappé par la multiplication, depuis une quinzaine d’années, des marches blanches au lendemain de tel ou tel fait divers. On voit des gens pleurer des victimes qu’ils ne connaissaient pas. Cela renvoie à l’état dépressif général de nos sociétés. Des drames privés prennent une résonnance sociétale. Ce sont des mobilisations compassionnelles, qui ne mènent à rien. Votre film s’intéresse à chaque maillon de la chaîne institutionnelle : police, justice, médias. À chaque étape, de nouveaux dilemmes, de nouvelles interrogations…
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J’avais envie de ramener l’institution à son premier rouage : l’humain. On dit « la justice », mais ce sont d’abord des gens qui la font. J’ai rencontré des juges, des policiers : tous m’ont dit qu’à un moment ou un autre, l’émotion, le doute pouvaient les assaillir. De même, on parle péjorativement des journalistes comme des « fouille-merdes » : or, retourner la merde, voir ce qu’il y a dessous, derrière, peut être salutaire. La journaliste que joue Nicole Garcia dans 38 Témoins est en partie inspirée du travail qu’a effectué Florence Aubenas sur l’affaire d’Outreau. L’information ne s’arrête pas à l’actualité. Il faut parfois passer des semaines sur place pour comprendre ce qui s’est passé, éclairer, révéler. La journaliste et le policier vivent chacun sur les hauteurs du Havre. Est-ce anodin ? Ils contemplent la ville, juste avant ou juste après une prise de décision importante. La ville en bas ne sera plus la même, et ce sera de leur fait. Depuis votre trilogie Un couple épatant / Cavale / Après la vie (2001), votre cinéma ne cesse de croiser les regards, de confronter les points de vue. C’est peut-être l’une des seules choses qui m’intéressent au cinéma, et même dans la vie. Tout le monde a ses raisons mais tout le monde n’a pas raison. On reproche à 38 Témoins d’être trop bavard, mais la parole est l’expression d’une pensée. Le cinéma d’images et de sensations qui nous envahit me fatigue. Il ne faut pas avoir peur de développer des idées à l’écran. Le film s’appelait Une nuit initialement. Pourquoi ? J’aimais bien ce titre mais un autre film s’appelait déjà comme ça. J’ai pensé 38 Témoins comme une nocturne. Entre la nuit du meurtre et celle de la reconstitution, on va vers un apaisement, malgré tout. C’est un film de fantômes qui reviennent à la vie, qui reprennent chair, un film de reconstruction. ♦ 38 Témoins de Lucas Belvaux Avec : Yvan At tal, Sophie Quinton… Distribution : Diaphana Durée : 1h44 Sor tie : 14 mars
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l’agresseur, jamais sur son humanité. Or, cette humanité, la fiction peut la restituer, grâce au recul qu’elle induit par rapport aux faits.
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Léa Seydoux dans Les Adieux à la reine
relire On n’attendait pas BENOÎT JACQUOT sur un registre aussi spectaculaire. Vision enfiévrée de la débâcle de Versailles par une jeune lectrice de Marie-Antoinette, Les Adieux à la reine mêle avec bonheur chronique historique et épopée intime. Frondeur, ambivalent, le film balaye les codes du film en costumes et dissèque le désir féminin dans un monde au bord du gouffre. Quoi de plus logique pour un cinéaste qui a souvent déployé, par le portrait de femmes tourmentées, la quintessence de son art ? Rencontre. _Propos recueillis par Yann François
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omment avez-vous décidé d’adapter le roman de Chantal Thomas, Les Adieux à la reine ? Je l’avais lu à sa sortie, en 2002, par hasard. Le sujet me correspondait parfaitement mais il demandait un budget assez lourd. Un jour, Jean-Pierre Guérin, le producteur du film, m’appelle pour m’annoncer qu’il a les droits et qu’il veut monter le film avec moi. J’ai bien évidemment foncé. Le bouquin de Chantal Thomas me plaît beaucoup pour sa concentration du récit dans le temps et l’espace : quatre journées, catastrophiques, décisives, et un seul lieu, Versailles. Mais il est vécu sous forme de flash-back par Sidonie, une des lectrices de Marie-Antoinette, qui a 60 ans dans le livre. J’ai préféré mettre l’histoire au présent et rajeunir drastiquement le personnage. J’ai gardé l’idée qu’on ne devait jamais la quitter d’un seul plan. Toute la dramaturgie est agencée autour de ce qu’elle voit ou pas. Je n’aime pas trop le mot « adaptation », ça implique une idée de réduction. Le mot « transformation » sonne mieux, car on touche déjà à de la mise en scène. Même si c’est un film en costumes, le ton est résolument moderne. On peut diviser les films d’époque en deux groupes. Ceux où l’époque constitue un autre monde, un peu comme chez un grand antiquaire. Moi, c’est l’opposé : mes personnages, dans leurs actes mêmes, doivent paraître contemporains. Il faut toujours rendre l’évocation du passé la plus présente possible. Il faut qu’il y ait ce rapport de plain-pied entre l’image sur l’écran et ce qu’on vit dans la salle.
Vous êtes donc à l’opposé de Barry Lyndon ou L’Anglaise et le Duc ? Barry Lyndon est admirable parce qu’il reconstitue une époque comme un monde disparu, comme une mélancolie à l’œuvre. Luchino Visconti était pareil. Moi, je me sens plus proche de Mauro Bolognini, qu’on a un peu oublié. Ses films ont cette résonance du présent qui me touche énormément. Quant à L’Anglaise et le Duc d’Éric Rohmer, il obéit à des principes techniques et esthétiques contraignants, dont je me sens assez éloigné. Sur Les Adieux à la reine, il pouvait y avoir 200 figurants, des costumes, des falbalas, je travaillais comme si j’avais une petite caméra pour filmer à la volée. Je ne cherche pas le tableau animé, mais plutôt à capter la liberté du moment. Les dialogues participent aussi de cette impression de présent… Le choix de mes actrices s’est joué en partie là-dessus. Je savais que Léa Seydoux se réapproprierait cette langue du XVIIIe, pour en faire quelque chose à elle. Je savais aussi qu’elle porterait les coiffures d’époque comme si elle portait une queue de cheval dans la vie de tous les jours. Laissez-vous une part importante à l’improvisation ? Non, je reste assez directif, mais le plus discrètement possible. Je n’aime pas couper une prise trop tôt, ça pourrait gâcher l’instant. J’aime travailler vite, donc je répète beaucoup en amont. Il faut que les acteurs sentent une forme de liberté dans un cadre d’idées que j’impose. La mise en scène s’apparente à la météorologie : il faut à la fois gérer www.mk2.com
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le temps et la lumière sur un tournage, mais aussi les affects changeants des comédiens. Chantal Thomas dit avoir écrit le livre en pensant au 11-Septembre pour décrire ce Versailles en vase clos, secoué par les événements extérieurs… C’est un tremblement de terre dont Sidonie serait le sismographe. On éprouve tout avec elle en rattachant ces événements historiques à ceux que l’on a vécus. Le 11-Septembre est celui auquel on pense tout de suite parce qu’il est proche de nous. Mais à mon avis, la prochaine élection présidentielle sera de cet ordre. On sent dans l’attente des gens ce désir de bascule, ça va être passionnant à vivre… Moi, c’est surtout Mai 68 qui m’a marqué. J’avais l’âge qu’a Sidonie dans le film. Bon, je n’étais pas du côté du Roi de l’époque ! Mais il y avait ce même gouffre entre les institutions planquées dans leur palais et ce qui se passait dans la rue. Les jours et les nuits n’obéissaient plus à une succession ordinaire, les gens ne dormaient plus, il y avait ce sentiment d’égarement, de fuite en avant. C’est la même chose pour Sidonie : son monde s’écroule. Versailles est filmé comme un personnage à part, en pleine décrépitude. Il fallait jouer sur le relief entre l’espace doré des galeries et l’envers du décor : des centaines de courtisans vivant dans des conditions d’insalubrité, proches d’un squat. Deux siècles après sa construction, Versailles n’avait jamais été restauré ou entretenu, sauf du côté des lieux nobles. Je voulais que le château devienne un monde en soi, avec toute la diversité de sa faune. Vous vous intéressez aussi aux mises en scène qui régissent la vie de la cour, avec ces moments de cohue quand le Roi fait une apparition publique… Je ne sais pas si c’est historique, je les ai inventées en tournage. Ma mise en scène est entièrement dépendante de celle de Versailles, c’est vrai. De toute façon, toute mise en scène reste un protocole, une sorte de cérémonial. 62
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C’est ce qui explique aussi votre choix de Xavier Beauvois dans le rôle du roi ? Absolument. Il y a même trois réalisateurs dans le film : lui, Noémie Lvovsky et Jacques Nolot. Il était important pour moi de mettre en scène des metteurs en scène, dans ces rôles-là. Le personnage de Lvovsky règle tous les rendez-vous de la reine. La reine a la même emprise sur Sidonie qu’un marionnettiste sur sa poupée… Il y a comme une pression hypnotique, oui. C’est le propre du cinéma : il faut que le spectateur entre dans un film comme dans un réveil éveillé. Pour moi, un film est réussi quand on sent ce mouvement qui vous dépasse et vous entraîne. Je ne suis pas prêt d’arrêter le cinéma – juste pour ça. La fin est d’ailleurs à l’image de Sidonie : rester un caméléon toute sa vie… Pour reprendre vos métaphores, elle est comme une actrice. Elle vit à la mesure des personnages qu’elle imite, c’est son identité. C’est ce qui m’a toujours fasciné chez les acteurs : ce gouffre existentiel entre ce qu’ils investissent dans un personnage et leur propre identité, qu’ils ont souvent du mal à définir. On a oublié de parler du Marie-Antoinette de Sofia Coppola… Vous savez, si on devait revenir sur toutes les MarieAntoinette au cinéma, on n’aurait pas fini ! J’aime beaucoup le film de Sofia Coppola et je pense qu’elle aimera aussi mon film. L’un est le miroir de l’autre. Le sien se termine quand MarieAntoinette s’apprête à connaître ce moment de bascule vers une autre réalité. Le mien peut alors commencer… ♦ Les Adieux à la reine de Benoî t Jacquot Avec : : Léa Seydoux, Diane Kruger... Distribution : Ad Vitam Durée : 1h40 Sor tie : 21 mars
On connaît tous le Versailles de la galerie des glaces et des jardins de Le Nôtre. Mais si le château a été conçu pour montrer la puissance de Louis XIV, les locataires suivants avaient moins le goût de se montrer et ont peu à peu construit un Versailles intime. Plusieurs formats de visites en petit groupe permettent de découvrir cette face cachée, habituellement fermée au grand public.
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ifficile de s’y retrouver parmi les époques et les plans de Versailles. À l’origine, le château était le repère de chasse de Louis XIII. Puis, Louis XIV en a fait la vitrine où afficher aux Français et au monde son pouvoir. Près du premier bâtiment construit en U autour de la petite cour de marbre, il a fait bâtir ce que les touristes visitent aujourd’hui, les appartements d’apparat : hauts plafonds, chambres tendues de soie, mobilier à marqueterie, peintures, moulures, dorures, etc. C’est l’image que tout le monde a de Versailles, et surtout ceux qui, comme la majorité des Franciliens, n’y ont pas mis les pieds depuis dix ans. Si bien que le Versailles ancillaire des Adieux à la reine étonne par ses pièces nues et ses allées sombres. Ce Versailles, périphérique et méconnu, est celui de Louis XV et de Louis XVI qui, n’appréciant guère d’avoir à se réveiller face aux courtisans et de dîner systématiquement avec 150 convives, ont l’un après l’autre construit, derrière les parties officielles, des appartements aux dimensions resserrées, plus simples et qui leur ressemblaient davantage.
Dans la petite pièce du Secret, attenante au Cabinet des Chaises (autrement dit, les toilettes), Louis XV accueillait ses agents secrets ; autour de la cour intérieure, Louis XVI avait fait installer son atelier de menuiserie ; dans sa bibliothèque, auprès du globe délicatement peint, il préparait avec La Pérouse son voyage autour du monde. Loin de la foule touristique, des visites-conférences quotidiennes permettent de visiter ces lieux secrets à des groupes de 20 personnes maximum (coupe-file qui plus est, puisque l’entrée se fait par la petite porte de la salle des Gardes, sans avoir à passer par l’interminable file d’attente du portail). Des visites thématiques proposent d’explorer en profondeur un aspect du château, choisi parmi une centaine de sujets. Enfin, on peut s’organiser une journée de découverte sur mesure, entre amis, avec un guide personnel. Autant de façons privilégiées de s’approprier ce haut lieu de l’aristocratie. ♦ Billets et horaires des visites conférences : w w w.chateauversailles.fr Visites thématiques : réser vation au 01 30 83 78 0 0 ou visites.thematiques@chateauversailles.fr Visites sur mesure : avec l’abonnement mensuel
Détail de la pendule astronomique de l’ingénieur Claude-Siméon Passemant
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© Christian Millet/Christian Milet
_Par Isaure Pisani-Ferry
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Dans son best-seller Retromania, le journaliste anglais Simon Reynolds diagnostique le mal musical du XXIe siècle : le passéisme, intimement lié à la prolifération des données numériques. La sortie ce printemps du film Young Adult de Jason Reitman, dont l’héroïne peine à s’extirper de l’indie-rock qui a bercé son adolescence, offre l’occasion d’appréhender l’une des facettes les plus visibles de cette nostalgie généralisée : l’attrait que continuent d’exercer les musiciens issus des années 1990 sur nos contemporains. Portrait, pour faire honneur à ce numéro 99 de Trois Couleurs, de quelques artistes plus ou moins neufs, piochés parmi l’« actualité » – ou ce qu’il en reste. _Dossier coordonné par Auréliano Tonet _Illustrations : Isaac Bonan
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Semelles like teen spirit
Retrouvez l’inter view intégrale de Frankie Rose sur w w w.mk 2 .com
Vingt ans après son apogée, le mouvement shoegaze revient contaminer en profondeur la pop contemporaine. Au-delà du bête revival, les partis pris de ce courant s’avèrent toujours pertinents, comme le prouve la jeune Brooklynite FRANKIE ROSE, bon pied, bon œil. _Par Michaël Patin
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e même que le punk, le shoegaze est un terme de journalistes, inventé pour désigner avec mépris la jeune scène rock britannique de la fin des années 1980 et du début des années 1990. Si ces musiciens « regardent leurs chaussures », c’est qu’ils n’ont aucun charisme ; s’ils font tant de bruit, c’est pour cacher leurs lacunes techniques ; et si leurs voix sont noyées sous le larsen, c’est qu’ils chantent comme... des pieds. Dans le sillage de The Jesus & Mary Chain ou Spacemen 3, des groupes comme My Bloody Valentine, Slowdive, Ride, Lush, Seefeel et Moose se réapproprient le terme. Leur détachement est un refus du cirque rock’n’roll, une manière de faire disparaître les égos derrière la musique. Cette « scène qui se célèbre elle-même » attire alors toute une génération d’ados romantiques qui se reconnaissent dans ce mur du son libérateur. Jusqu’à ce que le grunge et la britpop et ne mettent fin au fantasme, laissant le rock exsangue, abîmé par ses excès et ringardisé par l’électro, à l’aube du troisième millénaire. On se contentera désormais des revivals de la décennie 2000, favorisés par l’explosion d’Internet. Réapparue sous l’impulsion de quelques francs-tireurs comme
The Radio Dept. ou Amusement Parks on Fire, la référence shoegaze est de nouveau incontournable, inspirant des formations comme The Pains of Being Pure at Heart, A Place To Bury Strangers, Trailer Trash Tracys, Stuck in The Sound ou Porcelain Raft, et des sous-genres comme la chillwave ou le shitgaze. Plus qu’un son ou une esthétique figés, le shoegaze représente un symbole d’intégrité dans une époque saturée d’images floues et d’égotisme triomphant. Ainsi, la New-Yorkaise Frankie Rose avoue s’être longtemps cachée derrière sa batterie (chez Vivian Girls ou Crystal Stilts) avant de signer un premier album très shoegaze, Frankie Rose & The Outs en 2010. « Je n’étais pas sûre de moi, ni de la direction à prendre. Mon nouvel album possède une esthétique plus cinématique et un son plus clair. Il est aussi plus personnel. » Dénouant l’écheveau sonore qui la protégeait autant qu’il l’étouffait, et troquant la fureur des guitares contre des synthés scintillants, elle offre à sa voix et ses mélodies envoûtantes l’espace qu’elles réclamaient. Planté dans les cieux, son Interstellar démontre que le shoegaze aussi peut voir loin. ♦ Interstellar de Frankie Rose (Slumberland, déjà disponible)
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Tindersticks Est-ce là le secret de leur longévité ? Ce sextet de Nottingham n’a jamais été d’aucune mode. Trop lounge, trop noir, trop s(a)oul. Ils ont failli rendre l’âme en 2006, après quatorze ans de bons et loyaux services. Ils pensaient avoir fait le tour de leur formule à six : nous aussi. Quelle place pour leur spleen fin de siècle dans ce nouveau monde 2.0 ? Et puis ils sont revenus, à trois, et rien n’a changé. À l’image de la voix de Stuart Staples, leur son est resté grave, somnambule. Sur ce neuvième album, comme un « sky » de longue lignée (Cave, Cohen), il s’est juste un peu plus affiné. On en reprend une lampée. ♦ _S.F. The Something Rain de Tindersticks (Cit y Slang, déjà disponible)
DE LA SOUL
MC, sex and fun Pionniers du jazz rap des années 1990, deux membres du crew DE LA SOUL sortent First Serve, un concept-album funky et coloré, comme à la belle époque. _Par Éric Vernay
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vec A Tribe Called Quest et les Jungle Brothers, le trio new-yorkais De La Soul a contribué à réinventer le hip-hop dans les années 1990, d’abord en l’ouvrant au jazz et au rock psychédélique, ensuite en lui redonnant le sourire en pleine vague de rap hardcore. Plus de vingt ans après 3 Feet High and Rising, leur mythique premier album, deux membres de De La Soul (Posdnuos et Trugoy The Dove) font une escapade avec un duo de producteurs français (Chokolate et Khalid) sous un nouveau nom, First Serve. Sur ce concept-album narrant l’ascension et la décadence d’un duo de rap dans le New York des nineties, l’esprit est resté le même qu’à leur débuts : « C’est funky, c’est disco, c’est hip-hop, et c’est du lourd ! », résume une speakerine au début du single Must B The Music, assorti d’un clip cartoonesque. Surtout, acte toujours subversif dans le rap-game 2012, c’est drôle. « Certains rappeurs ont du mal à faire de l’humour car ils ont peur de s’aliéner des auditeurs en montrant qu’ils s’amusent, nous confie Pos. Pas nous : on reste en accord avec nous-mêmes. » ♦ De La Soul’s Plug 1 & Plug 2 Present First Ser ve de First Ser ve (Pias, sor tie le 2 avril) Lire l’inter view intégrale sur w w w.mk 2 .com
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Damon & Naomi Ex-Galaxie 500, ex-Pierre Étoile (« rock-star » traduit en français : l’un des meilleurs noms de groupe de l’histoire du rock), le couple de Boston Damon & Naomi a sorti quelques joyaux pop-folk depuis 1991, dont le programmatique More Sad Songs, produit par Mark Kramer. Réédité cet hiver, With Ghost (2000) documente en douceur languide et évanescente leur rencontre avec le combo psychédélique japonais Ghost. La formation tokyoïte colore de percussions éthérées et guitares spectrales les ballades acoustiques du duo, parsemées de reprises jouées sur du velours (Blue Moon de Big Star, Femme Fatale du Velvet). ♦ _W.P. With Ghost de Damon & Naomi (Drag City, déjà disponible)
Beau fixe À 44 ans, Matthew Caws, leader de NADA SURF, a les cheveux poivre et sel et la voix d’un éternel ado. The Stars are Indifferent to Astronomy, septième opus du groupe, prouve l’endurance des rois de la power-pop, aussi frais que dans les nineties. _Par Laura Tuillier
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lors que Daniel Lorca, le bassiste, dort encore, Matthew Caws nous entraîne vers le café le plus proche. Nada Surf est en escale rapide sur la scène parisienne. Le chanteur compositeur, fils de profs (littérature comparée et philo), insiste pour nous parler français. Balloté ado entre Paris et New York, il vient de se retirer dans la campagne anglaise, juste après l’enregistrement de The Stars are Indifferent to Astronomy dans un studio de Brooklyn, « à deux pas de la maison ». Avec cet album, à la fois nostalgique (Teenage Dreams, When I Was Young) et optimiste (The Future), Nada Surf persévère dans son être, fidèle à l’esprit des débuts, quelque part entre Weezer, Pixies ou Teenage Fanclub hier, et The Shins aujourd’hui. « Je reviens souvent aux quatre mêmes accords, aujourd’hui je l’accepte », admet Matthew, qui passe finalement à l’anglais pour nous livrer la clé de cet état d’esprit spinozien : « Un agréable sentiment de survivant. » ♦
Palace Brothers De 1993 à 1997, alors que l’indie rock surproduit triomphe sur les college radios américaines, Will Oldham et ses acolytes altcountry (Palace Brothers, Palace Songs, Palace Music) restituent l’ambiance « weird Americana » des bandes magnétiques d’Alan Lomax ou Harry Smith. Crincrins de banjos, guitares étiques, batteries sommaires et voix éraillée du futur Bonnie ‘Prince’ Billy pleurent un paradis perdu, avant la clarification de son propos et de sa musique sous influence Neil Young et l’égide de Steve Albini (Viva Last Blues, classique rock de 1995). Cinq palais à revisiter. ♦ _W.P. Réédition de cinq albums de Palace Music, Palace Brothers et Palace Songs (Domino, déjà disponible)
The Stars are Indifferent to Astronomy de Nada Sur f (Cit y Slang, déjà disponible)
Dominique a
Dominique A S’il est un chanteur français qu’on peut qualifier de survivor, c’est bien lui. À quarante-trois ans, déjà vingt qu’il est là, moins célèbre que Philippe Katerine ou Christophe Miossec, mais attirant patiemment de plus en plus de fans à son art. Dans le creuset d’une pop indé chantée en français, Dominique A a engagé des travaux et élevé le débat esthétique comme peu d’autres. Tant et si bien qu’il apparaît désormais comme la grande figure de cet art mineur. En témoignent ses huit albums, réédités depuis janvier en version remastérisée avec force inédits, avant le neuvième : Vers les lueurs, attendu à la fin du mois. ♦ _S.F. Vers les lueurs de Dominique A (Cinq7, sor tie le 26 mars)
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The Magnetic Fields
SPIRITUALIZED
Vénéré pour son triple album 69 Love Songs (1999), le classiciste contrariant Stephen Merritt signe son premier disque chez Domino et revient à ses primes amours nineties, les synthétiseurs. Perturbateurs de mélodies supérieures (filiation Phil Spector/Brill Building/Tin Pan Alley), les grésillements synthétiques transforment ses morceaux élémentaires, romantico-gays ou élusifs, en pépites électro-pop aptes à renverser les dancefloors. S’ils rappellent les early Depeche Mode, Morrissey ou Momus, ses gimmicks — concision, prolifération, rapidité — s’avèrent essentiellement modernes. ♦
Esprit de contradiction Depuis deux décennies, SPIRITUALIZED marie les contraires, à la fois dévot et mécréant, gospel et space rock. Confirmation avec un septième album équilibré, qui sort ce printemps. _Par Auréliano Tonet Difficile de croire que la silhouette malingre qui se présente face à nous a bâti les murs du son les plus épais de ces vingt dernières années. Sauf à se souvenir que Jason Pierce a toujours entretenu, depuis ses débuts avec Spacemen 3 en 1982 puis sous le nom de Spiritualized à partir de 1990, le goût du paradoxe. « Je pratique une forme de gospel athée », nous ditil de cette voix chétive qu’il aime tant, sur disque, recouvrir de luxuriances spectoriennes. Rattaché au plus humble courant qui soit, le shoegaze (lire p. 67), Pierce peut faire montre d’une morgue très british, snobant par exemple ses disciples célébrés, MGMT. Éternel convalescent, il confond le mal et le remède : « La drogue est aussi un médicament, non ? » Jason chérit le souffle libérateur du free jazz, l’infini des conquêtes spatiales, les paroles abstraites et générales. D’une insatisfaction chronique, il revient pourtant « toujours aux mêmes disques, aux mêmes thèmes ». Se contredire pour mieux ressasser, ressasser pour mieux se contredire : ici réside, sans doute, son immuable singularité. ♦ Sweet Heart Sweet Light de Spiritualized (Double Six /Domino, sor tie le 16 avril)
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_W.P. Love at the Bottom of the Sea de The Magnetic Fields (Domino, déjà disponible)
The Roots Une caisse claire, frappée par Questlove, le plus grand batteur de musique populaire des années 1990 ; juste derrière : le phrasé savamment mollasson d’Erykah Badu qui enroule un refrain écrit par Jill Scott, avant les dictées au hachoir de Black Thought et Eve : You Got Me par The Roots est le tube du début 1999. L’hymne préfigure les productions transgenres de la décennie à venir, entre rock, hiphop et électro, où s’invitent pêlemêle Common, Mos Def, Talib Kweli, Joanna Newsom, Dirty Projectors ou Sufjan Stevens. Même alchimie, efficace mais toujours exigeante, cet hiver, avec le sensationnel Undun. ♦ _E.R .
Undun de The Roots (Universal Music, déjà disponible)
Sors de ta cassette Jusqu’alors réalisateur d’aimables comédies indé (Thank You For Smoking, Juno, In the Air), JASON REITMAN signe avec Young Adult son film le plus rêche. Derrière la mix-tape nineties se cache le portrait cruel d’une post-ado narcissique et fossilisée. Retour rapide. _Par Auréliano Tonet
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oung Adult s’ouvre sur les entrailles d’une vieille cassette audio, entrelacs de bandes magnétiques dépositaires de toute une époque, de toute une jeunesse. L’antiquité appartient à une auteure en vogue de littérature pour ados, Mavis Gary (Charlize Theron), célibataire névrosée et spectatrice assidue de télé-réalité. Un matin, l’adulescente apprend que son amour de lycée, Buddy Slade, vient d’être papa. En réécoutant la mix-tape qu’il lui avait offert au temps où ils s’aimaient, The Concept de Teenage Fanclub à fond dans l’autoradio (« oh yeah ! »), elle décide de le reconquérir. Direction Mercury, le bled paumé où elle a grandi avant de s’installer à Minneapolis, et où Buddy guette impatiemment son retour – elle en est sûre.
à mes copines. L’art de la mix-tape s’est perdu, mais il fallait un sacré talent de manipulateur pour convaincre, à l’aide d’une simple cassette, une femme de coucher avec vous. » Manipulatrice, Mavis l’est beaucoup, un peu trop au goût de Buddy. Elle essaye de l’embobiner comme au bon vieux temps, mais la cassette est cassée, le refrain usé comme un survêt fluo made in 1994. Plusieurs pédicures, un flirt avec l’ancien geek du lycée, l’achèvement de son roman et quelques pintes n’y feront rien : Mavis rentre à Minneapolis comme elle en était partie – obnubilée par ellemême, tandis que l’autoradio répète inlassablement la même rengaine. Oh yeah. ♦
Jason Reitman
Chronique acide d’un passé qui ne passe pas, Young Adult porte la marque de sa scénariste, Diablo Cody (Juno, Jennifer’s Body), spécialiste des mutations adolescentes et du détail qui tue – ici, le caniche ridicule et le soutif en plastique dont est flanquée Mavis. De son propre aveu, Reitman y a mis moins de vécu personnel que sa collaboratrice tatouée : « Lorsque l’on met en scène, on réagit plus qu’on ne crée, estime le natif de Montréal, dont le père a réalisé S.O.S. Fantômes 2. On réagit au scénario, aux costumes… On décide de l’harmonie, de la tonalité du film. » Ce n’est pas par hasard que Reitman utilise le champ lexical de la musique : « La cassette est une porte d’entrée dans la psyché de Mavis, en même temps qu’un fétiche pour moi et Diablo. Dans les années 1990, j’utilisais la même marque, Memorex, avec des triangles jaunes et des cercles bleus, pour les compilations que j’offrais Young Adult de Jason Reitman Avec : Charlize Theron, Pat ton Oswald… Distribution : Paramount Durée : 1h34 Sor tie : 28 mars
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LE STORE
montres & cie
Les montres remontent leurs aiguilles à l’heure du rétro. Alors que Casio ressort la montre-calculette pour nostalgiques de l’adolescence boutonneuse, Timex « danse le mia, montre en or qui brille », et réédite son classique des années 1980 à écran rétroéclairé et chiffres affichés : idéal pour se pavaner dans la cour de récré. Quant à Open Watch, il propose l’atemporel classique, mais attention, en silicone, et livré… dans une cannette en aluminium. Retour vers le futur. _I.P.-F. Montres Casio, Timex et Open Watch, en vente au store du MK 2 Bibliothèque
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EN VITRINE Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin
Souvienstoi, l’été 60
Au tournant des années 1960, du bitume parisien aux plages de Saint-Tropez, JEAN ROUCH et EDGAR MORIN partent à la rencontre de la jeunesse, caméra 16 mm sous le bras. Une entreprise ethnographique et poétique à redécouvrir en DVD. _Par Laura Tuillier
« Es-tu heureux ? Comment vis-tu ? » Ces questions indiscrètes, posées à la volée, ouvrent Chronique d’un été et actent la naissance du cinéma vérité de Jean Rouch, cinéaste ethnologue, et d’Edgar Morin, sociologue. S’y esquisse une série de portraits individuels et de groupe, intimes et politiques, des déboires sentimentaux de Marylou l’Italienne aux longs débats sur la condition ouvrière, la décolonisation ou la guerre d’Algérie – avec en guest-star un Régis Debray encore poupin. Complices mais pas toujours d’accord, les deux réalisateurs n’hésitent pas à se mettre en scène, aiguillant les conversations avec jubilation et roublardise. Le
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résultat oscille entre l’ambition universitaire – il s’agit de radiographier l’état de la jeunesse française, rien de moins – et le docufiction entre copains, frisant l’amateurisme. Cette entreprise de réaménagement du réel est décryptée dans Un été + 50, réalisé en 2010 à partir de rushs coupés de Chronique d’un été et de témoignages. On y découvre tout le processus de fabrication du film, étrange mélange de spontanéité et de répétitions. La séquence de rupture entre Marceline et Jean-Pierre est tournée une douzaine de fois : tandis que Marceline, au bord du malaise, rejoue son naufrage sentimental, Jean-Pierre est tout entier disponible pour la caméra, prenant lui-même en charge le clap. D’autres séquences coupées dévoilent un film plus politique, comme lorsqu’il est question de la désertion en Algérie, du travail en usine. Les tensions entre Morin et Rouch (qui trouve que le film devient triste et l’emmène à la plage) renforcent l’hybridité de Chronique d’un été, dont le charme surgit d’une dialectique imparfaite. En faisant dialoguer étudiants et ouvriers, les réalisateurs n’échouent pourtant pas à flairer l’air du temps à venir : quelques étés plus tard, mai 68. ♦ Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin et Un été + 50 de Florence Dauman Éditeur : Montparnasse Durée : 1h43 Sor tie : 6 mars
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RUSH HOUR AVANT
PENDANT
APRÈS
Finies les raclettes ! Le printemps arrive, avec ses fruits généreux et ses angoisses de régime. C’est le moment de potasser vos recettes. À la carte du coffret Les Saisons des chefs : un tablier avec une fente sexy (mais les hommes aussi ont de belles cuisses…), quatre menus complets et diététiques qu’un chef étoilé (Philippe Gauvreau) a imaginés à partir de fruits et légumes de saison (mais il y a aussi un tiramisù aux carambars, miam), et un « sakaglass » pour que le rosé reste bien frais. Oui chef !
Mettez-vous en plein les doigts. Plein. Les barres chocolatées du plus gratiné des confiseurs arrivent en France, après avoir barbouillé les chapitres de Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl et badigeonné les pas de Johnny Depp dans l’adaptation sur grand écran de Tim Burton. Il se murmure que le fantasque confiseur Willy Wonka est allé faire un tour du côté de l’exposition consacrée au réalisateur de Beetlejuice, avec sous le bras un paquet de ses fameux pavés cacao emballés de violet…
Nul doute que Virginie Despentes reste vénère. Son essai jubilatoire, King Kong Théorie, donnait envie de boxer les machistes de tout poil. Son deuxième film Bye Bye Blondie, après le sulfureux et non moins virulent Baise-Moi, risque de donner à beaucoup d’anciennes punkettes l’envie de tout plaquer, le majeur levé. En attendant de passer à l’acte comme Gloria et Frances, les post-its « fuck » édités par Get the Hint vous permettront de faire passer le message à votre entourage : « Punk’s not dead ! »
_I.P.-F.
_E.R.
_L.T.
Cof frets Les Saisons des chefs en vente au Store du MK 2 Bibliothèque
Wonka Chocolate en vente au Store du MK 2 Bibliothèque Tim Bur ton, l’exposition, du 7 mars au 5 août à la Cinémathèque française, w w w.cinematheque.fr
Post-it « fuck » Get the Hint en vente au Store du MK 2 Bibliothèque
les beaux jours, (ré)apprenez à cuisiner avec le coffret Les Saisons des chefs
l’expo Tim Burton à la Cinémathèque française, grignotez les barres Willy Wonka
Bye Bye Blondie de Virginie Despentes, collez des post-it « fuck » un peu partout
TROP APPS _Par E.R.
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Tweetbot Avec une nouvelle mise à jour, cette application s’impose définitivement comme le meilleur moyen de consulter et enrichir le site Twitter depuis une machine mobile. Intégration pertinente des gestes tactiles, design complet et adapté aux petits écrans, Tweetbot nous botte.
Tiny Wings Merveille d’ingéniosité ludique, ce jeu fête ses un an d’existence. L’occasion de (re)découvrir ses niveaux bigarrés, parcourus par un petit oiseau incapable de voler autrement qu’en rebondissant sur des collines aux tons pastels et sucrés. Délicat, ardu, addictif.
Rockmate Si vous avez quatre paires de menottes sous la main, transformez votre tablette en combo rock à l’assaut des plus grands stades. Un des joueurs se charge de la batterie quand, sur le même écran, deux guitaristes soutiennent un claviériste. De quoi incarner les quatre garçons dans le vent.
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© 2011 Sony Pictures Animation Inc. All Rights Reserved
KIDS
nerd qui dressait des bonobos pour plaire aux filles et la reine Victoria une experte en arts martiaux se goinfrant d’animaux en voie de disparition. Normal donc que Sa Majesté ait lorgné sur le dodo du Capitaine Pirate, prêt à renoncer à la piraterie pour copiner avec les hautes sphères de l’Angleterre... Dans ce remix en plasticine, le studio Aardman (Chicken Run, Le Mystère du Lapingarou) renoue avec l’animation image par image tout en la combinant à des effets numériques plus contemporains que jamais, à l’heure où les hackers assaillent tous les sites des gouvernements en place. Les membres de l’équipage du Capitaine, bien que complètement benêts et amateurs de jambon, sont des pros du déguisement et de la combine. Anonymous dans Londres, ils font buguer le plan machiavélique de la reine d’Angleterre. À l’abordage ! ♦
PIRATES À MODELER
Si aujourd’hui les Anonymous attaquent le site du FBI, les pirates d’hier faisaient des soirées jambon. Dans le dessin animé Les Pirates ! Bons à rien, Mauvais en tout, le studio Aardman, à qui l’on doit Wallace et Gromit, se penche sur cette généalogie fantaisiste en actualisant le stop motion qui a fait sa renommée. _Par Quentin Grosset
En hackers de l’Histoire, les réalisateurs des Pirates… partagent des infos confidentielles : Charles Darwin était un gros
LE DVD
_D.J.
Le Gruffalo
de Jakob Schuh et Max Lang (Les Films du Préau) Ludique, intelligente et inventive, l’adaptation du best-seller de Julia Donaldson et Axel Scheffler s’adresse aux enfants de 3 à 10 ans. Avec des personnages jamais effrayants, une narration savoureuse et une délicieuse mise en bouche du texte, les versions française et anglaise sont d’une grande qualité. Sur Internet (www.lesfilmsdupreau.com), cette sortie DVD s’accompagne de jeux et d’activités pédagogiques.
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Les Pirates ! Bons à rien, Mauvais en tout de Peter Lord et Jef f Newit t Avec les voix de : Hugh Grant, Salma Hayek… Distribution : Sony Pictures Releasing France Durée : 1h38 Sor tie : 28 mars
LE SPECTACLE
_Lo.Sé.
La Sorcière du placard aux balais
« Sorcière, sorcière… » Pierre, qui n’en loupe pas une, fait sortir la sorcière de sa planque : son propre placard aux balais. Il devra ruser pour lui échapper… Adapté du fameux conte de Pierre Gripari par la jeune Mathilde Delahaye, et interprété dynamiquement par trois comédiens tout aussi frais, ce spectacle très en verve a de quoi enchanter les derniers dimanches d’hiver. Tous les dimanches à 15h, jusqu’au 25 mars à la Comédie de la Passerelle, 102 rue Or fila, 75020 Paris
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© CNDP
VINTAGE En haut : Éric Rohmer s’entretient avec François Truffaut, PostFace à l’Atalante, 1968 En bas : Métamorphoses du paysage, 1964
Œil de maître
Deux ans après sa mort, un pan inédit de l’œuvre d’ÉRIC ROHMER refait surface. Réunis dans un coffret DVD, une douzaine de films pédagogiques réalisés dans les années 1960 éclairent d’un jour nouveau la filmographie de l’auteur de Ma nuit chez Maud. _Par Isaure Pisani-Ferry
En 1963, celui qui n’est encore qu’un cinéaste débutant, ancien professeur de lettres et rédacteur en chef détrôné des Cahiers du cinéma, entre à la Radio-Télévision scolaire. Il est chargé de concevoir des films pédagogiques de vingt à trente minutes destinés à être projetés dans les classes d’école. Laissé libre quant au choix des sujets et de la forme, Rohmer se charge de cette « éducation par l’image » en refusant le didactisme propre au genre et fait de ces petits films un lieu d’expérimentation où il exerce sa propre approche du cinéma, artisanale, volubile
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et érudite. Rien n’est exclu a priori : l’abstraction des poésies de Victor Hugo ou d’Edgar Allan Poe cohabite avec des réflexions sur l’architecture ou l’industrie, tandis que percent déjà certains leitmotivs de l’œuvre à venir, de Blaise Pascal à Perceval le Gallois. Modeste mais inventive, toujours soucieuse de trouver à chaque sujet son expression visuelle idoine, la mise en scène cherche à exciter l’imagination des jeunes spectateurs. À même les images, un texte se déroule en phrases courtes et rythmées, afin de laisser aux enfants le temps de comprendre et de retenir. Treize de ces curieuses et poétiques études sont rassemblées dans le riche coffret qu’édite aujourd’hui le Centre national de documentation pédagogique, convaincu qu’elles ont plus que jamais leur place dans l’enseignement de la littérature. Chaque petit film possède sa propre histoire, que plus de quarante ans après Éric Rohmer raconte, alerte et facétieux malgré son grand âge, dans un long entretien avec Hélène Waysbord inclus dans le coffret. En complément, un documentaire de Jean-Louis Cros, Genèse d’un cinéaste, explore avec finesse la naissance du Rohmer des contes moraux pendant ces années de travail alimentaire à la télévision. ♦ Le Laboratoire d’Éric Rohmer, un cinéaste à la télévision scolaire d’Éric Rohmer Éditeur : Scérén CNDP-CRDP Sor tie : déjà disponible
RAYON IMPORT
Corman, le série B chevillée au corps Quel cinéaste n’a pas été un jour ou l’autre arnaqué par Roger Corman, micro-budgets obligent ? Producteur et cinéaste frénétique, vétéran de la série B américaine, parrain du teen movie, découvreur de talents, Corman a été la rampe de lancement du Nouvel Hollywood, entouré d’assistants comme Francis Ford Coppola ou Peter Bogdanovich, et de protégés tels Jonathan Demme ou James Cameron. Ce recueil d’interviews, qui inclut des textes de sa main, s’inscrit dans une entreprise de réhabilitation tardive, au même titre que le récent documentaire Corman’s World. On doit aussi à Corman la distribution des films étrangers (Kurosawa, Fellini, Resnais) au public américain. Bergman au drive-in, c’est lui ! _C.G. Roger Corman : Inter views, Constantine Nasr, Universit y press of Mississipi (en anglais)
BACK DANS LES BACS
Delerue, le revenu
Que seraient Le Mépris de Jean-Luc Godard et La Nuit américaine de François Truffaut sans leur bande originale signée Georges Delerue ? Quelques notes de ces merveilleuses partitions, à la fois lyriques et mélodiques, suffisent à replonger dans les émotions des films. Dans la compilation Musiques de films 1961-1992, on retrouve ce « surplus d’émotion » visé par le natif de Roubaix, auteur de plus de 300 B.O., aussi bien pour la Nouvelle Vague que pour un cinéma plus populaire allant de Philipe De Broca à Oliver Stone. Partitions inédites permet de découvrir le score tourmenté de La Foire des ténèbres de Jack Clayton, et celui, plus romantique, d’À propos d’Henry de Mike Nichols. Intemporel. _E.V. Partitions inédites et Musiques de films 19 61-19 9 2 de Georges Delerue (Emarcy / Universal Jazz)
© NiZ!
DVDTHÈQUE RASTA PHARE Déshabillée de son folklore insulaire, l’origine du courant rasta est révélée dans Le Premier Rasta, sorti en salles en 2011. Un documentaire rigoureux d’HÉLÈNE LEE, qui remonte aux sources de la pensée synthétique du fondateur du mouvement, Leonard Percival Howell. _Par Étienne Rouillon
Ni bonhomme, ni placide, le rythme du reggae est lent pour être « menaçant ». Le texte lu en voix off par Hélène Lee donne le tempo de son documentaire, articulé autour d’une questionclé : comment le culte et la culture du rastafarisme ont-ils pu émerger du Pinnacle, une petite communauté dirigée par un ancien matelot, avant de conquérir le monde ? Icône rasta, Bob Marley n’est ici qu’un ambassadeur, mégaphone des idées séditieuses de Leonard Howell, figure phare de l’histoire de la Jamaïque, dont le pays a perdu le souvenir. À la ténacité de ce premier rasta fait écho celle de la première journaliste française à avoir sondé la musique reggae sans exotisme. Hélène Lee raconte dans les bonus que celui qui l’a jetée sur la route du Pinnacle n’est autre que Perry Henzell, le réalisateur du mythique The Harder They Come avec Jimmy Cliff (1972). Né en 1898, Howell quitte son île à l’adolescence, pour fuir une affaire criminelle, 80
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et devient marin, de Panama à Mourmansk. Sur les entreponts des navires, « écoles à penser des matelots, (…) ces passeurs de la mondialisation » dit la voix off, il se familiarise avec le marxisme, le léninisme, le panafricanisme de Marcus Garvey, et assiste à l’hégémonie naissante des compagnies agro-alimentaires. « Babylone et son inflation », résume le chanteur Max Romeo, intarissable en interview sur les vertus autosuffisantes de son potager. Autonomie, honneur et probité : l’interprète du majeur I Chase the Devil (1976) trouve, grâce à Lee, l’espace d’exprimer, avec une cohérence rarement vue, les tenants d’une pensée dont on ne voit souvent que les aboutissants – des tubes planétaires sur contretemps. Howell est en prison à Sing-Sing lorsque le « king of kings » Hailé Sélassié, chanté ici par les Abyssinians dans une formidable version de Satta Massagana, est couronné empereur d’Éthiopie. Leonard revient en Jamaïque en 1932, après dix-huit ans de voyage. Il est le premier à voir en Sélassié un prophète, le « véritable empereur ». Des prises de position qui lui valent procès, prison et hôpital psychiatrique. Vient ensuite l’édification de ce Pinnacle, communauté des premiers rastas, dont on apprend que les pratiques culturelles – dreadlocks et ganja entre autres – viennent de l’immigration indienne de la fin du XIXe siècle. Une histoire enfin exhumée dans ce documentaire édifiant et bouillonnant, racontée par ceux qui l’ont vécue. ♦ Rencontre avec la réalisatrice, suivie d’un sound system le 31 mars à Commune Image, www.communeimage.com Le Premier Rasta d’Hélène Lee Avec : Max Romeo, Bunny Lee… Édition : Kidam Durée : 1h25 Sortie : disponible
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FILMS La sélection de la rédaction
Roujin Z
de Hiroyuki Kitakubo (Kazé) Voir ou revoir Roujin Z grâce au très beau Blu-ray édité par Kazé permet de mesurer combien ce film d’animation conçu par Katsuhiro Ôtomo (Akira) et réalisé par Hiroyuki Kitakubo (Robot Carnival) était prophétique. Tout en ironisant sur le vieillissement de la population japonaise et le jeunisme des sociétés modernes, Roujin Z annonce l’œuvre salvatrice des pirates du Net. Mais n’allez pas croire que le film, sorti directement en vidéo en 1991, est un pensum : il s’apprécie aussi bien comme une satire hilarante que comme un joyeux spectacle nihiliste. Comme tout projet signé Ôtomo ! _J.D.
The Ward de John Carpenter (Seven7)
Si les jolies poupées de Sucker Punch s’échappaient de l’asile par l’esprit, les aliénées de The Ward, confinées dans une unité psychiatrique sous haute surveillance, se volatilisent une à une. Après un burn-out de John Carpenter, contrecoup de l’échec commercial en 2001 de Ghosts of Mars (« coulé comme le Titanic », selon le cinéaste), cette errance mentale claustrophobe est menée par la fonceuse Amber Heard, à la tête d’un casting très féminin. Confirmant pour certains le déclin de John Carpenter, ce retour aux affaires — chez nous en directement en DVD — mérite néanmoins d’être signalé. _C.G.
PLUIE
de Lewis Milestone (Wild Side video) Dans les années 1930, quelque part dans le Pacifique, une fille légère à l’inénarrable dégaine (Joan Crawford) et un missionnaire fanatique (Walter Huston) sont contraints de vivre dans la même auberge pendant plusieurs semaines, sous les trombes d’eau. Il décide de la remettre dans le droit chemin, elle lui tient tête… Le réalisateur Lewis Milestone (À l’Ouest rien de nouveau, Des Souris et des Hommes) parvient à hisser un film, aux abords banals et datés, jusque dans les sphères mystiques d’un bras de fer entre deux esprits également forts et pervers. _I.P.-F.
Hors Satan
de Bruno Dumont (TF1 Vidéo) Présenté à Cannes dans la sélection Un Certain Regard, le sixième film de Bruno Dumont (La Vie de Jésus, Flandres) poursuit un travail vertigineux sur le jeu de l’acteur. Sur les dunes de la Côte d’Opale vit un « gars » qui braconne et médite. Arrive sur son passage une fille malheureuse qu’il libère, sans qu’on sache s’il lui redonne vie ou l’arrache à son existence. Grand filmeur des terres immenses et désolées, Bruno Dumont capture les visages comme des paysages creusés de sillons énigmatiques et mouvants. Bressonien en diable, Hors Satan impressionne par sa belle littéralité : tout est là sans que rien ne soit dit. _L.T.
Poursuite mortelle
de Julian Gilbey (E1 éditions) Poursuite mortelle n’a pas pour prétention de révolutionner le survival, mais son incursion dans les paysages montagneux d’Écosse a quelque chose d’astucieux. Un groupe de randonneurs vient escalader les Higlands, et découvre une petite fille serbe séquestrée qu’ils décident de recueillir. Dès lors, ils se font tirer dessus comme des lapins sans savoir d’où viennent les coups de feu. Si l’on déplore la partie urbaine du film, qui perd tout le charme de la désorientation, la mise en scène repose sur une idée simple mais belle : appliquer le sentiment claustrophobique aux grands espaces. _Q.G.
13 Assassins de Takashi Miike (Metropolitan)
Dans Hara-Kiri, sorti en novembre dernier, le prolifique Takashi Miike ramenait l’armure du samouraï à un tas de ferraille usé. Réalisé un an plus tôt, 13 Assassins est un remake d’un classique d’Eiichi Kudo. Treize samouraïs sont recrutés pour assassiner un seigneur sanguinaire et son armée. Miike y souligne une nouvelle fois l’arrogance des guerriers : un péquenot des montagnes peut démembrer 200 militaires avec quelques pierres et un peu d’adresse. Car pour le réalisateur japonais, le film de sabre – aussi corrosif et crépusculaire soit-il – prend toujours l’allure d’une lutte des classes. _Q.G.
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CDTHÈQUE Lignes de fuite
Tandis que d’autres s’abîment dans le rétro, Michael Lovett imagine, avec NZCA/LINES, le futur de l’électro-pop. Entre rigueur et ondulations R’n’B, vertige conceptuel et hits virginaux, rencontre. _Par Michaël Patin
Les amou reu x de Met ronomy connaissent peut-être déjà Michael Lovett, demi-frère de Gabriel Stebbing (guitariste titulaire jusqu’à l’album Nights Out, 2008) et membre à ses côtés du groupe post-britpop météorique Your Twenties (deux petits singles et puis s’en va). Sous le patronyme compliqué NZCA/Lines – prononcez « Nazca Lines » –, cet Anglais au look d’étudiant vient de signer un premier album électropop éponyme d’une finesse et d’une modernité confondantes, parfait antidote à la rétro attitude actuelle (voir dossier page 64). Il accepte volontiers le compliment : « Il est bien plus intéressant de réfléchir à ce qui peut être nouveau que de tenter de reproduire la musique des décennies passées. En ce moment, j’écoute surtout du hip-hop, car c’est le seul genre qui se tourne encore vers le futur. » Si cela l’agace au plus haut point, il n’évitera pourtant pas la
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comparaison avec ses aînés, comme Hot Chip ou... Metronomy, ses synthétiseurs gazouillants et le doux timbre de sa voix renvoyant à leur récent The English Riviera. De son côté, Lovett préfère présenter NZCA/ Lines comme un album-concept, inspiré par les géoglyphes de Nazca (ces grandes figures mystiques tracées au sol par une culture pré-incaïque du Pérou), mais aussi par les conséquences du déplacement du pôle Nord magnétique… Et voilà le musicien parti dans une tirade saccadée sur l’architecture, les arts visuels, Jorge Luis Borges et les paysages du Devon, sa région natale. « Je ne pense pas que mon origine anglaise se ressente dans ma musique. Mes grandes influences, ce sont le R’n’B américain, la pop américaine et l’électro française, comme Daft Punk. L’album ne parle pas de choses personnelles, mais d’impressions d’un monde imaginaire. » Ouf. Tout cela a finalement peu d’importance, le disque s’avérant aussi brillamment accessible et accrocheur que son enrobage intellectuel est obscur. Les attentes que nous confesse l’intéressé (tourner en Europe, participer à des festivals cet été, mettre en boîte de nouveaux clips) semblent d’ailleurs bien raisonnables en ces temps de délires apocalyptiques. « J’ai lu sur le site space.com que le calendrier maya se terminait en 2012 un peu de la même façon que le nôtre se termine en décembre. Quand on parle de la fin du monde en 2012, ça revient à dire : c’est dimanche, il n’y aura plus jamais de lundi ! » Tant mieux, car l’avenir appartient à NZCA/Lines. ♦ NZCA/Lines de NZCA/Lines Label : Alter K Sortie : déjà disponible
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ALBUMS La sélection de la rédaction
Harmony, Melody & Style – Lovers Rock & Rare Groove in the U.K. 1975-1992
Other People’s Problem
de Breton (Fat Cat/Pias) Moins bretonnants que révolutionnaires surréalistes, ces Anglais indignés et buzzés par des concerts épiques sous capuches balancent, depuis leur squat londonien, un précipité — dans tous les sens du terme — pop, dubstep, electronica, newwave, qui fusionne l’époque (Tom Vek, Salem, The XX, James Blake, Crystal Castles) en très haut débit. Y surimprimant cordes spacieuses (enregistrées par Hauschka dans les studios de Sigur Rós) comme une version mélodieuse, pop, dansante, de WU LYF, le quintette synthétique et groovy produit une pop open-source engageante et engagée, au goût du jour. _W.P.
(Soul Jazz Records/Differ-ant) Cette indispensable compilation documente l’émergence, de 1975 à la fin des années 1980, des musiciens londoniens venus de Jamaïque pour moderniser en mélodies nostalgiques et arrangements synthétiques — beatboxes et synthés Yamaha — le reggae-dub des Caraïbes à destination de la jeunesse élevée dans la capitale. Quelques classiques (Uspide Down d’Eva Smart, Be Thankful For What You Got de Winston Curtis) et de nombreuses raretés chaloupent sur une vague aussi exotique que citadine, venue caresser les frimas anglais en assimilant soul, disco et rare groove dans un mix so british. _W.P.
Liza Manili
de Liza Manili (EMI) Jeune femme de 25 ans, originaire de Strasbourg, Liza Manili ne manque ni de culot – car il en faut pour se lancer dans la chanson avec un nom si connoté –, ni de charme – elle est d’ailleurs mannequin en parallèle de ses prestations au cinéma et dans la chanson. Après un E.P. en 2011, elle franchit avec bonheur le cap du premier album, produit par deux garçons estimables, Severin et Julien Delfaud. Petite sœur mutine de Lio et Elli Medeiros, elle y distille 11 morceaux vifs et légers, dont certains (Non non, On ne se le dit pas, Le Petit Train) sonnent d’emblée comme des tubes de l’été. _J.P.
Keep Cool
de La Classe
et Contamination de Jef Barbara (Tricatel) Le label Tricatel fait son retour avec pas moins de quatre sorties. Avant Chassol et Burgalat, le Montréalais Jef Barbara joue de ses multiples ambiguïtés (métis, androgyne, frangliche), papillonnant du rimmel sur des mini-hits synth-glam contagieux, entre Mylène Farmer (aile) et Étienne Daho (cuisse). La Classe, moins France 3 que Broadway, 22 ans de moyenne d’âge, se la joue Style Council sous voix veloutée, en un premier EP maîtrisé : « Jouer la pop avec le délié du jazz, le jazz avec l’énergie du rock et le rock avec la concision de la soul, c’est ça La Classe. », dixit le patron de l’usine, Burgalat. _W.P.
Faithful Man de Lee
The Fantasist
de Maxence Cyrin (Ekleroshock) « C’est lorsqu’il parle en son nom que l’homme est le moins luimême, donnez-lui un masque et il vous dira la vérité », prétendait Oscar Wilde. Après deux albums de reprises au piano de standards pop, le trentenaire Maxence Cyrin sort son premier disque de compos originales – à une exception près (Eye of the Storm). À la jonction du classique (orgue, clavecin, Berlioz, Rachmaninov), de la B.O. (Colombier, Vannier, Morricone) et de la French Touch (synthés vintage, Air, Tellier), originaux, ces instrus le sont à tous points de vue, le bizarre opérant toujours une percée dans le beau. Une vraie fantaisie. _S.F.
Retrouvez notre playlist sur
Fields & The Expressions (Truth & Soul / Differ-Ant) Vieux briscard méconnu du grand public, Lee Fields sillonne pourtant le paysage soul et funk depuis plus de quarante ans : surnommé « Little J.B. » depuis les années 1970, en référence à James Brown, le chanteur de Caroline du Nord a notamment participé aux débuts de Kool & The Gang. Après une période de disette dans les eighties, il s’offre, depuis quelques années, une résurrection méritée. Épaulé par les fondateurs du label Truth & Soul, producteurs du récent carton d’Aloe Blacc I Need A Dollar, le vétéran prouve qu’il a toujours la foi (« I still got it ») sur cet album regorgeant de pépites soul cuivrées. _E.V.
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BIBLIOTHÈQUE © Dick Dickinson Photography
« Écrire mal, c’est plus qu’une question de syntaxe tocarde et d’observation erronée : cela provient du refus obstiné de raconter des histoires sur ceux qui les font réellement. »
KING AU TOP
Un an après Dôme, énorme roman de science-fiction en deux tomes, STEPHEN KING revient avec Nuit noire, étoiles mortes, un recueil composé de quatre petits éblouissants romans à suspense. Et démontre qu’à bientôt 65 ans, il est toujours le boss. _Par Bernard Quiriny
La couverture indique « nouvelles », mais les quatre histoires réunies dans ce recueil de presque 500 pages sont en fait des romans courts, format hybride assez peu pratiqué en France et pourtant très prisé dans le monde anglo-saxon. Stephen King est un habitué du genre, notamment depuis Différentes saisons (1982) et Cœurs perdus en Atlantide (2001). Et c’est peu dire qu’il lui réussit : quoique publié juste après Dôme, Nuit noire… s’est immédiatement hissé au sommet de la liste des best-sellers du New York Times et a récolté la moisson habituelle de
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prix littéraires (prix Bram Stoker et prix British Fantasy du meilleur recueil, entre autres). Comment s’en étonner ? À chaque page de ce pavé éclate la virtuosité du maître, un art narratif qu’il connaît sur le bout des doigts. Rythme, ambiance, dissémination des indices, scènesclefs, dialogues, décors : tout semble évident, facile. Une efficacité que King, dans sa postface, impute simplement à la sincérité qui est la sienne quand il écrit : « Pour les écrivains qui mentent sciemment, pour ceux qui substituent à la façon dont les gens agissent vraiment des comportements humains incroyables, je n’ai que mépris, lance-t-il. Écrire mal, c’est plus qu’une question de syntaxe tocarde et d’observation erronée : écrire mal provient généralement du refus obstiné de raconter des histoires sur ceux qui les font réellement. » Mais comment imaginer ce que font les gens après avoir assassiné leur femme, comme le héros de 1922 ? Inspirée à l’auteur par un livre de photos sur le Wisconsin du début du siècle (rural, pauvre, isolé), cette nouvelle raconte comment Wilfred et son fils, inquiets que leur épouse et mère vende les terres familiales, la tuent puis la balancent au fond d’un puits. Le texte, difficile à lâcher, vaut bien sûr pour sa tension psychologique puissante, mais aussi pour le tableau de la société paysanne pré-crise de 1929, avec ses pionniers bourrus, pénétrés de religion et attachés par-dessus tout à leur propriété. À peine plus courts, les trois autres textes sont d’un niveau tout aussi exceptionnel. Le plus réussi est peut-être Extension juste, variation sur le thème du pacte avec le diable, réincarné en marchand ambulant. « J’ai peu d’indulgence pour les écrivains qui ne prennent pas leur boulot au sérieux », martèle King dans la postface. Qu’il se rassure : avec des livres de ce calibre, personne n’ira lui dire qu’il prend son art à la légère. ♦ Nuit noire, étoiles mortes de Stephen King Traduit de l’anglais par Nadine Gassie Éditeur : Albin Michel Genre : Nouvelles Sor tie : 1 er mars
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LIVRES La sélection de la rédaction
Rester sage d’Arnaud Dudek (Alma)
D’un côté, un chômeur. Viré après sept ans de service dans une agence de voyages, il aimerait dire sa façon de penser à son ex-patron, qui a revendu la boîte sans s’inquiéter des conséquences. De l’autre, un cadre déprimé, qui jalouse vaguement le courage de ceux qui osent dire non. Ces deux amis d’enfance ne se sont pas vus depuis des lustres, ils se retrouvent par hasard dans un troquet… Léger et plein d’ironie, ce premier roman aux allures de comédie d’époque touche juste et s’avère beaucoup moins sage qu’il n’en a l’air. À lire rien que pour des phrases comme celle-ci : « Vieillir, c’est élever les désillusions au carré. » _B.Q.
American Rock Trip
de Stéphane Malfettes (Zones sensibles)
Critique pour Mouvement et Art Press, écrivain mélomane, Stéphane Malfettes est aussi programmateur des spectacles vivants au musée du Louvre. Avec American Rock Trip, son nouveau livre, il s’engage dans une traversée décalée des ÉtatsUnis, reliant entre eux différents musées et autres lieux symboliques dédiés à la musique populaire américaine. De la maison de Johnny Cash, figure tutélaire du récit, aux trois tombes de Robert Johnson, en passant par le Rock and Roll Hall of Fame ou les musées des labels Stax, Sun ou Motown, le voyage, retracé d’une plume alerte, s’avère aussi étonnant que passionnant. _J.P.
Robert Altman, une biographie orale de Mitchell Zuckoff (G3J éditeur)
La « biographie orale » du journaliste Mitchell Zuckoff ressemble à un film de Robert Altman : jeu un brin ironique sur le genre (ici la bio élogieuse), divergence des points de vue entre les personnages (ses proches, amis, acteurs, ennemis, admirateurs…), cacophonie de surface laissant finalement la personnalité du réalisateur émerger. Du petit Bob Altman de Kansas City au réalisateur prodige des années 1970 (M*A*S*H, Le Privé, Nashville) en passant par quelques années creuses (où il fut soldat puis tatoueur de chien), Mitchell Zuckoff recolle dans le désordre les morceaux d’une vie nébuleuse. _L.T.
Les Pissenlits de Yasunari Kawabata (Albin Michel)
Alors que le Japon est l’invité officiel du Salon du Livre, on découvre enfin ce roman inachevé de Yasunari Kawabata (1899-1972), l’un des plus grands écrivains nippons du siècle dernier, prix Nobel de littérature en 1972. Un texte poétique et étrange, qui ne dépaysera pas les admirateurs du Pays de neige et des Belles endormies, où un jeune homme et une femme mûre, rentrant de l’asile où ils ont fait interner leur compagne et fille, parlent ensemble de la vie, de la mort et de la folie. « Un asile de fous, c’est le fond d’un abîme où se déposent les substances toxiques du cœur humain ». Pénétrant. _B.Q.
MidCentury Ads: Advertising from the Mad Men Era de Jim
Heimann et Steven Heller (Taschen)
Les deux beaux volumes en technicolor que Taschen consacre aux années glorieuses de la publicité américaine raviront évidemment les inconditionnels de la série Mad Men, mais pas que. Des campagnes General Motors, associant son image aux innovations architecturales, au traitement du rapport homme-femme dans les publicités pour collants Chemstrand, l’ouvrage plonge le lecteur dans le berceau du capitalisme : l’époque du New Look de Dior, de l’essor des stratégies marketing et de la course à l’armement électroménager. Un précipité d’histoire des mœurs à feuilleter avec un verre de bourbon. _E.B.
Les Terrains, Écrits sur le sport de Pier Paolo Pasolini (Le Temps des Cerises)
Pasolini, à un journaliste qui lui demandait ce qu’il aurait fait s’il n’avait pas combiné les activités de cinéaste et d’écrivain, répondait : « Un bon footballeur. Après la littérature et l’éros, pour moi, le football est l’un des plus grands plaisirs. » Dans ces Écrits sur le sport, il détaille la dimension poétique du gardien de but, et témoigne de l’inscription du sport dans la société de consommation. Attaché à la perspective ludique, il tacle également le nationalisme qui infuse les compétitions. Et dribble toujours aussi bien avec les mots, sur un terrain où on ne l’attendait pas. _Q.G.
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BDTHÈQUE Hors Zone de Blexbolex
Hors contours
Livres pour enfants, imagiers, romans graphiques sombres et oniriques : rien ne résiste à BLEXBOLEX, dessinateur tout en lumières, matières et couleurs, dont la lisibilité exceptionnelle s’affranchit du cerné de la ligne. Vérification avec la sortie simultanée de Crimechien et Hors zone. _Par Stéphane Beaujean
Blexbolex, aka Bernard Granger, aime les livres. Il leur sacrifie tout, même sa créativité. Chez lui, l’esthétique se pense en fonction du procédé d’impression, de la forme de l’objet à venir. Pas étonnant que ce génial esthète de la composition en couleurs ait reçu le prix délirant du « plus beau livre du monde » en 2009. Si chacune de ses publications réjouit les bibliophiles, c’est également le cas des passionnés d’image. Car réduire Blexbolex à la surface matérielle serait trop ingrat : l’artiste renouvelle perpétuellement ses outils et sa grammaire visuelle pour enrichir le langage de l’image. Qu’énonce le dessin ? Comment communique-t-il avec le texte ? Comment créer plusieurs niveaux de lisibilité ? … Voilà les véritables obsessions de l’illustrateur.
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Et les deux dernières publications ne dérogent pas. Crimechien, portfolio en sérigraphie, reprend une courte histoire à l’onirisme baroque dans laquelle un détective se retrouve piégé dans un guet-apens. Hors zone, plus massif, commence pile là où Crimechien s’arrête, alors que le héros acculé se tire deux balles dans la tête. S’engage ensuite une série de cauchemars hantés par les thèmes de la survie, de l’évasion et d’autres motifs récurrents (un bras mécanique, le feu, un monstre aux innombrables yeux), nourris d’une logorrhée fiévreuse qui rappelle parfois Burroughs. Le processus d’écriture est clairement mis en abyme, comme pour sousentendre un combat entre la volonté de l’écrivain et celle du personnage. Ce déchaînement textuel ne cesse de rebondir contre l’image, tel un match de tennis où écriture et dessin s’opposeraient. Le monde selon Blexbolex s’affranchit de la ligne. Il se présente sous forme de masses lumineuses et de contrastes, doté d’une palette chromatique volontairement limitée ; autant de formes qui s’emboîtent et se superposent pour composer des tableaux aussi lisibles en surface que cryptés sur le fond. Les amoureux de Tintin relèveront les emprunts au répertoire d’Hergé (ici l’amphore du Lotus bleu, là une tête proche de celle de Tintin). D’autres remarqueront que les contours, dans Hors zone, jouent du contraste entre douceur des effets de matière et saillance d’angles définis et aigus. Que d’étranges rêveries, rafales d’images intrigantes, dont les trouvailles excitent et épouvantent l’imaginaire. ♦ Crimechien et Hors zone de Blexbolex Éditeur : Cornélius Sortie : 8 mars
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BANDES DESSINÉES La sélection de la rédaction _Par Stéphane Beaujean
Billy Bat de Naoki Urasawa (Pika)
Découvert avec Monster et 20th Century Boys, le chantre japonais du récit noir version manga est de retour. Une nouvelle fois travaillé par les thèmes du souvenir refoulé, de la puissance de l’art et de la secte millénariste, Naoki Urasawa raconte dans ce polar les déboires d’un auteur de bande dessinée américain qui découvre que le héros de ses comics lui a été inconsciemment inspiré par un personnage japonais. Décidé à se faire pardonner cet emprunt involontaire, il part à la rencontre de l’auteur originel, avant d’être rattrapé par une série de meurtres… Réflexif à souhait.
Pépito
de Bottaro (Cornélius) Voilà une magnifique réédition d’un classique des années 1950, emblématique du genre des « petits formats », ces créations industrielles, sans considération artistique apparente, destinées à être jetées. Le travail des éditions Cornélius, précisément, est d’en revaloriser le caractère artistique et de montrer que les aventures enfantines, pleines de poésie anarchiste, d’un petit pirate dans une Espagne autocratique cachaient en leur sein une vraie vision du monde. Sans compter une ligne aux courbes parfaites et à l’énergie rare pour l’époque. De l’éloge de l’insoumission à hauteur d’enfant.
Total Swarte
de Joost Swarte (Denoël) Quel dommage que cette anthologie des bandes dessinées de Joost Swarte ne soit pas plus grande : en dehors des dimensions réduites du livre qui rendent difficilement hommage à la démesure et au foisonnement de ses planches, c’est un sans-faute pour cet artiste de génie, aux lignes modernes et élégantes, à l’humour pincesans-rire, amoureux du lettrage de Cassandre et de l’architecture. Le dessin selon Swarte, c’est l’intelligence des compositions, une structure monumentale qui joue incessamment entre organisation rigoureuse de l’espace et chaos tragicomique de la mise en scène.
Les Professionnels de Carlos Giménez (Fluide Glacial)
Moins connu que les souvenirs d’enfance de Giménez dans un orphelinat de l’Espagne franquiste (Paracuellos), le récit de ses débuts dans la BD est pourtant tout aussi réussi, et témoigne lui aussi de la dictature. À travers la légèreté d’une bande de dessinateurs, toujours prompts aux blagues de mauvais goût, c’est la passivité et le désengagement citoyen qui sont dénoncés. Car finalement, à l’abri du studio, l’humour se montre incapable d’apaiser le mal et la surenchère de bêtise et de sadisme. De l’inutile du rire lorsqu’il n’empêche plus de pleurer.
Little Things, A Memoir in Slices
de Jeffrey Brown (Ego Comme X) Finies les confessions amoureuses : désormais, Jeffrey Brown inventorie les petites expériences de la vie qui ont forgé, à son insu, son entendement. L’annonce par téléphone d’un accident de voiture, la lecture d’un journal intime sans la permission de l’amie, la découverte de la nature à l’occasion d’une randonnée… Sans jamais appuyer sur le caractère bouleversant de ces souvenirs, n’hésitant pas au contraire à les dédramatiser, Brown dresse en creux le portrait de l’enfant qu’il a été, et de l’homme qu’il est. Comme s’il demandait au lecteur de tisser les liens entre les chapitres.
Crime Suspenstories Tome 1 (Akileos)
Les éditions Akileos sont bien courageuses de s’attaquer aux rééditions du patrimoine des récits de genre américain. Ces vingtquatre histoires, un brin naïves, au charme désuet, choquaient pourtant les ligues de bonnes mœurs des années 1950 par leur violence graphique. Horreur, crime et guerre sont ingénieusement mis en images par les plus grands esthètes du noir et blanc, d’Harvey Kurtzman à Wallace Wood, maîtres du dessin aujourd’hui encore sans égal. Crime Suspenstories, bien que moins célèbre que les Contes de la crypte ou les Weird Science, se nourrit d’Allan Poe, de Ray Bradbury et de John Collier.
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ludoTHÈQUE C’est pas fini L’un des fleurons du jeu de rôle nippon, Final Fantasy, renaît de ses cendres avec une version XIII-2 au taquet. Quant au créateur originel de la saga, HIRONOBU SAKAGUCHI, il revient avec The Last Story, un RPG tout aussi inventif. La partie est loin d’être terminée… _Par Yann François
Il est d’usage de croire les mythes immuables. Quand on pense « jeux de rôle japonais » (J-RPG), un nom vient instinctivement à l’esprit : Final Fantasy, appellation légendaire, presque un genre à lui seul. Il y a 25 ans, Hironobu Sakaguchi, jeune développeur chez Square, posait la première pierre d’une pyramide inébranlable. La découverte du chapitre VII, premier épisode commercialisé en Europe, fait partie des souvenirs historiques de la vie des joueurs, de ceux dont on ne peut parler sans trémolo dans la voix. Car Final Fantasy, c’est l’un des mariages les plus réussis entre 7e et 10e art, une maîtrise hallucinante de la mise en scène toujours servie par une technologie de pointe. Et pourtant… En 2010, Final Fantasy XIII avait divisé sa communauté, lassée de sa linéarité et de son manque d’innovations. Ce XIII-2 joue la rupture de ton et devrait enfin mettre tout le monde d’accord. Première nouveauté majeure : la capacité pour le joueur de voyager dans le temps, conjuguée 88
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à une liberté totale de mouvements à travers les méandres temporels. Le récit, morcelé dans tous les sens, devient un passionnant puzzle à réécrire soi-même. De cette proposition géniale découle une inventivité constante, soutenue par une charte graphique splendide. Apportant au gameplay son lot d’originalité (dont un système de combat inspiré de Pokémon !), cet épisode dissipe les derniers doutes sur la pérennité de la saga. The Last Story signe lui aussi un retour en grâce. Sakaguchi, éloigné depuis quelque temps des fourneaux de Final Fantasy, n’a pourtant rien perdu de son talent de précurseur. Le maître confirme un besoin urgent de rénovation du genre : « Depuis l’apparition de la 3D, le RPG semble aujourd’hui dans une impasse. Mon rêve, c’est que tout joueur puisse se dire, devant celui-ci, qu’il n’avait jamais vu ce genre de choses dans un RPG ! » D’une mélancolie parfois déroutante, comme si on assistait à l’un des chants du cygne de la Wii, The Last Story ose l’expérimental avec un système de combat absolument unique. Reste une seule angoisse : le titre qui, comme Final Fantasy, évoque l’idée d’un accomplissement terminal. La dernière histoire, vraiment ? « Aucune inquiétude, c’est juste que j’aime ce genre de titre. Je ne suis pas prêt de prendre ma retraite ! », nous décoche-il, signe irréfutable que le vieux briscard ne se reposera jamais sur ses lauriers. ♦ Final Fantasy XIII-2 Genre : RPG Éditeur : Square Enix Plateforme : PS3 / Xbox 360 Sortie : disponible The Last Story Genre : RPG Éditeur : Nintendo Plateforme : Wii Sortie : disponible
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jeux vidéos La sélection de la rédaction _Par Yann François
CATHERINE
(Deep Silver, sur PS3/X360) Et si notre psyché prenait la forme d’un puzzle à géométrie perverse ? Dans la peau d’un trentenaire pris en étau entre sa copine et sa maîtresse, le joueur se retrouve prisonnier, à chaque niveau, d’un de ses cauchemars, tel un Thésée moderne. Une seule règle : gravir un tas de cubes en y formant des escaliers, sous peine d’être tué dans son sommeil. Accolé d’un buzz sulfureux depuis sa sortie japonaise, Catherine n’a rien d’une pochade bêtement complaisante sur l’adultère. S’il reste un des concepts les plus barrés de cette année, le titre n’en demeure pas moins d’une exigence folle.
THE DARKNESS 2 (2K Games, sur PS3/X360/PC)
Genre parmi les plus rentables qui soient, le FPS (jeu de tir en vue subjective) est aussi celui qui se voit affligé d’un doute persistant : l’originalité estelle encore possible ? Si The Darkness 2 n’invente pas grandchose, il sait le masquer avec la plus grande classe. Soit un mélange improbable mais racé entre mafia movie et fantastique gore. Servi par une somptueuse esthétique d’ombrage, The Darkness 2 se consomme comme un comics à l’esprit garage : pas grand chose dans le ciboulot, mais une belle gueule où chaque fureur se dessine dans une splendide gerbe d’hémoglobine.
METAL GEAR SOLID HD COLLECTION (Konami, sur PS3/X360)
Après les indispensables ICO et Shadow of the Colossus, c’est au tour de l’œuvre culte d’Hideo Kojima de connaître sa jouvence HD. L’occasion de (re) découvrir ce monument, avec trois de ses épisodes les plus réussis, est trop belle – mention spéciale à l’excellent et méconnu épisode PSP Peace Walker. Si la réactualisation graphique accuse un léger coup de vieux, Metal Gear Solid n’est pourtant pas qu’un simple jeu d’infiltration, c’est une orfèvrerie d’écriture, à base de cyber punk, de complots d’États et de mythologies fantastiques. La recette imparable d’une postérité éternelle.
LES ROYAUMES D’AMALUR : RECKONING
(Electronic Arts, PS3/X360/PC) Après Skyrim, le jeu de rôle occidental peut-il encore avoir une saveur ? Cette nouvelle franchise entend bien nous le démontrer. Nettement orienté action, Reckoning est un modèle de classicisme : mécanismes RPG parfaitement équilibrés, esthétique fantasy léchée (Todd McFarlane, créateur de Spawn, à la direction artistique), environnements et intrigues complexes (R.A. Salvatore, auteur des Mondes oubliés, au scénario). Allergique au genre ? Passez votre chemin, le jeu ne convertira personne. Pour les autres, le dynamisme jouissif des combats et l’immensité de ses arcanes vous scotcheront sans peine.
RESIDENT EVIL REVELATIONS (Capcom, sur 3DS)
Petite lucarne ne signifie pas forcément petite frayeur. Quand le plus grand des survival horror s’invite sur 3DS, le résultat se hisse à la hauteur de l’héritage. Faisant d’un paquebot à la dérive le théâtre d’un calvaire harassant parsemé de zombies, Resident Evil Revelations s’appréciera comme un retour aux fondamentaux, après quelques épisodes assez brutaux. Atmosphères étouffantes, action et investigation en équilibre constant, emprunts aux classiques de l’horreur (Alien, The Thing)… Avec un jeu enfin mature, la 3DS trouve le prétexte d’exhiber ses performances les plus impressionnantes.
SOULCALIBUR V (Namco Bandai, sur PS3/X360)
Après quelques épisodes en demiteintes, SoulCalibur V entend bien remettre la franchise sur le podium du jeu de baston. Beau à mourir K.O. sur un ring, le titre dispose d’une panoplie de personnages variée, adaptable à tous les styles de combats. S’il reste un lieu idéal pour tout débutant désireux de coller une misère aux hardcore fighters, SoulCalibur n’en cache pas moins une technicité qui ne demande qu’à s’étoffer au fil de l’expérience. Avec, en guest-star, Ezio Auditore (le héros d’Assassin’s Creed II), que demande le peuple ? Des pains et du jeu ? Ça tombe bien…
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LE GUIDE
SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS
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© Emi France
© Berenice Abbott Commerce Graphics Ltd Inc
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© Jan Versweyveld
© Sakae Oguma
f e st i val- cl u b b i n g / p h oto g rap h i e- A R T C O N T EM P O R A I N / D A N S E-S TA N D - U P / L E C HEF
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SORTIES EN SALLES CINÉMA 122
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© Bodega Films
© A3 Distribution
© Les Films du Poisson Photo : Baruch Rafic
du mercredi 7 mars au mardi x avril
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© Philippe Lebruman
SORTIES EN VILLE CONCERTS
Flóp, le 13 mars à La Java
Bien entendu FE S T IVA L La Biennale des Disques Bien, du 12 au 18 mars à La Java, au Connétable et au Souf fle Continu, 8 € par soir, pass 20 € pour tous les soirs, lesdisquesbien.com
Label de qualité, les Disques Bien font leur « Biennale » dans le tout Paris. Au programme : chanson de gauche, duos duaux, playback inversé, superbes bravos, et enterrement de Georges. Mais kesako, Bien ? _Par Wilfried Paris Petit rappel : Les Disques Bien est un label « de haute qualité artistique » créé en 2005, où « seul l’artiste décide du contenu de son disque Bien ». De ce principe fondateur, des œuvres bénéfiques sont nées : les albums de French, Jim Yamouridis, Flóp & M-Jo, Tante Hortense, La Pompe Moderne, SuperBravo ou Emmanuelle Parrenin dressent le portrait d’une famille musicale dont l’esprit libertaire, collaboratif et inventif rappelle le Saravah de Pierre Barouh et Brigitte Fontaine. Après les soirées « Bienfaisances » à la Java, ces « tropicalistes cartésiens » – ainsi dénommés par notre bienaimé rédacteur en chef – mettent de la suite dans leurs idées avec « La Biennale », une semaine dédiée à la biennitude. 92
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Le label rédige des biographies d’artistes si bien tournées que le journaliste, rouge de honte et de plaisir, ne peut que les copier-coller. Ainsi : « Plus que mariés, Flóp & M-Jo campent un duo total : il écrit, elle chante ; il bouge son boule, elle sourit ; elle joue au bilboquet, il repasse. C’est une véritable redéfinition de la division sexuelle du travail dans un genre figé depuis Niagara. » Ou encore, pour SuperBravo : « Armelle Pioline, demi-Holden en vacances de français et de vedettariat, réinvente l’élégance lo-fi en deux coups de manche de Danelectro. Son sens mélodique et son phrasé sont d’autant plus altiers qu’elle semble s’en contrefoutre. » Ceux-là et d’autres gens de Bien seront donc de passage : Blair et le Peuple de gauche, Antoine Loyer, François Tarot, la chanteuse et harpiste folk Emmanuelle Parrenin ou encore Mr Ma et Mr Go, duettistes accompagnant le magnétophone à bandes Harmonie – ou l’art du playback à l’envers. Une messe pour Georges de la Pompe Moderne (qui reprenait I.A.M. ou Diam’s à la manière de Georges Brassens) sera également rendue, achevant là sa carrière de petit cheval blanc. Faites passer le mot. ♦
© James Rhodes
Other Lives, le 23 mars au Café de la danse
L’AGENDA _Par W.P.
The Big Pink Rien à voir avec la maison rose où Dylan a enregistré ses Basement Tapes. The Big Pink tape plutôt fort côté brit pop-Madchester, avec un peu d’électro pour faire danser les filles. Du bruit et de la jeunesse. Le 13 mars au Point Éphémère, à par tir de 20h, 15,80 €
Laura Marling La folkeuse anglaise la plus douée de sa génération vient jouer ses arpèges compliqués et chanter de sa voix d’or son dernier A Creature I Don’t Know, qu’il est bon de connaître. Du génie et du bel âge. Le 20 mars à l’Alhambra, à par tir de 20h, 26 €
Other Lives On ne sait comment le quintette de l’Oklahoma reproduira sur scène son Tamer Animals, entre Phil Spector et Fleet Foxes, cordes mélancoliques et chorales grandiloquentes. Amstramgram épique et folk. Le 23 mars au Café de la danse, à par tir de 20h, 24, 20 €
Jeff Mills Le festival Chorus/Magic Mirror transforme le parvis de la Défense en dancefloor, avec le vétéran de la techno Jeff Mills, sa rejetonne Chloé, et les belges Hoquets pour la bière. Hips et bleeps. Le 24 mars sur le par vis de la Défense, à par tir de 20h, 16,80 €
Connan Mockasin Auteur de l’un des plus beaux albums de 2011, le Néo-Zélandais ramène son électro-pop psychédélique et son amour des dauphins. Un ovni qui monte, qui monte, et qu’on espère bientôt voir au Zénith. Tip top. Le 25 mars à la Cigale, à par tir de 18h, 24,50 €
Jonathan Richman Entre Lou Reed et Harpo Marx, le troubadour de Mary à tout prix, fondateur des Modern Lovers en 1976, est moins punk que pierrot lunaire. Il arrive guitare sous le coude, avec le printemps. Immanquable. Le 29 mars à La Flèche d’or, à par tir de 19h30, 25 €
Yeti Lane + Egyptology Ex-trio, Yeti Lane joue sans complexe et à quatre mains la plus belle pop psychédélique depuis Grandaddy. Autre duo, Olamm et Domotic construisent avec des synthés vintage des pyramides électroniques, tout en basses terriennes et mélodies éthérées. Le 30 mars au Point Éphémère, à par tir de 20h, 14,80 €
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© Emi France
SORTIES EN VILLE CONCERTS
Grand air POP DE S TA DE Le 22 mars à la Maroquinerie, dès 19 h30, 22 € Let Go de Revolver (EMI, sor tie le 12 mars)
Auréolés du succès de leur premier album, les trois bardes de REVOLVER reviennent à la Maroquinerie pour défendre un second essai plus libre, énergique et baroudeur. Finie la « pop de chambre » des débuts, place aux grands espaces. _Par Éric Vernay
On avait quitté Revolver sur un premier album prometteur, Music for a While, riche en harmonies vocales et en mélodies accrocheuses, répondant au concept annoncé par leur premier EP, Pop de chambre. Soit un mélange un brin précieux de musique baroque et de pop sous influence Beatles, Simon & Garfunkel ou Elliott Smith. Depuis, les trois Parisiens ont enchaîné les concerts en France, en Europe et aux États-Unis. Sur une scène face à 60 000 personnes, ils ont dû s’adapter et rythmer leur répertoire. Débraillées par la force des choses, leurs symphonies d’intérieur prennent alors des couleurs plus rock. « À l’époque de Music For a While, on développait un côté très intimiste, un peu 94
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religieux aussi, confie Ambroise Willaume, chanteur et guitariste du groupe. Maintenant on a envie de faire danser les gens ! » Le titre du deuxième album, Let Go (« Lâcher prise » en VF), traduit ce besoin d’expérimentations : « On avait envie d’aller vers plus de lâcher prise au moment de l’enregistrement. Sur le premier LP, on était un peu réservés, voire scolaires parfois. Là, on voulait se permettre plus de dérapages. » Ce n’est pas un hasard si Christophe Musset, l’autre compositeur et guitariste du groupe, rend hommage à John Cassavetes sur une chanson éponyme : « Cassavetes incite les gens à se débarrasser des peurs, quitte à aller vers le ridicule. Car selon lui les peurs nous bloquent : peur de la société, de son propre boulot, ou des réactions de ses amis et de sa famille. J’ai l’impression que c’est ce qu’on a fait : après un premier album assez strict, on s’est tourné vers des formes plus libres, moins référencées. » Plus sexy, à l’image du tube Wind Song, de l’irrésistible slow Still ou de la balade The Letter, la musique de Revolver s’émancipe. « Maintenant, prévient Ambroise, on fait de la pop de stade ! » ♦
© Les Monstres
LES NUITS DE…
Sir Alice Auteure, compositrice et interprète « En attendant impatiemment la sortie de mon nouvel album, j’ai décidé de jouer mes morceaux en version acoustique dans la rue. Seulement, comme ma musique ne se prête pas à ce genre de folklore, il fallait orchestrer le tout pour en faire un événement exceptionnel. Investir sauvagement plusieurs lieux dans Paris, la nuit, avec des musiciens et des titres à chaque fois différents, pendant une période donnée. Telle est l’idée des ‘‘sessions acoustiques’’. Comme des réunions secrètes, les rendez-vous sont fixés, mais le lieu est dévoilé au dernier moment. Les quelques lumières et le son aideront les curieux à se diriger vers ce rassemblement solennel. » _Propos recueillis par W.P. Isle of You de Sir Alice (Pan European Recording / Sony, sor tie le 2 avril) Suivez Sir Alice « Acoustic Sessions » sur Facebook pour vous tenir informé
DR
L’OREILLE DE…
Egyptology (O.Lamm)
« J’écoute tous les jours Lixiviation, une anthologie d’œuvres jamais éditées de l’Américaine Suzanne Ciani. Ce n’est pas seulement un bon disque pour sa pochette, où l’on voit l’adorable Ciani dans sa prime jeunesse en train de manipuler un gros synthétiseur modulaire Buchla. Au début de sa carrière, avant de devenir la première superstar de la musique new-age, Ciani rêvait de monter l’équivalent du groupe de recherches musicales du Lincoln Center de New York, en vain. Du coup, elle a créé sa boîte d’illustration sonore et a révolutionné l’oreille du public en composant des jingles pour Coca Cola ou Atari. Elle fait partie des gens qui ont façonné le papierpeint sonore de notre jeunesse… » _Propos recueillis par W.P. Egyptology en concer t le 31 mars au Point Ephémère (lire p. 9 3) The Skies d’Egyptology (Clapping Music, déjà disponible)
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© Asle Nilsen
SORTIES EN VILLE EXPOS
Installation-performance du collectif norvégien Verdensteatret
C’était mieux demain art cont empora in Low Tech, du 8 au 18 mars au festival EXIT, à la Maison des Ar ts de Créteil, w w w.maccreteil.com
Mêler innovation 2.0 et ingénierie époque Jules Verne… C’est l’enjeu de l’exposition Low Tech, bidouillée par le festival EXIT à Créteil : une sorte de vieux concours Lépine en forme de canular, où l’obsolète devient le top de l’innovation contemporaine. _Par Ève Beauvallet
La « rétromania », c’est ce qui nous fait trouver émouvant le brushing gonflable de feu Maguy, adopter le look de Marty McFly dans Retour vers le futur ou acheter Schnock, la « revue des vieux de 27 à 87 ans ». Une obsession propre aux générations ultra-connectées, remâchant compulsivement la culture des cinq dernières décennies, qu’analyse le journaliste britannique Simon Reynolds dans un essai justement intitulé Retromania. Esthétique steam-punk (« futur à vapeur »), délires uchroniques (imaginer, par exemple, le présent si Jean-Marie Le Pen était passé en 2002), manifestes low-tech (« basse technologie ») sont autant 96
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de formes ultra-créatives de nostalgie, qui inondent le Net et contaminent le champ de la musique, du cinéma ou encore de la littérature. Côté art contemporain, il faut compter sur l’avantgardiste festival EXIT pour conjuguer les œuvres au futur antérieur et imaginer une expo qui ravira les fans de WALL-E, de George Orwell ou de Philip K. Dick, dont – signe des temps – les œuvres sont entièrement rééditées chez J’ai Lu. Au menu, plein de trouvailles de pépé pour mettre à l’amende les technologies de pointe : machine à tricoter participative, ordinateur époque Louis XV, cabines téléphoniques en réseau, instruments de musique conçus avec de vieilles machines à coudre Singer… Un florilège d’inventions rétro-geek auxquelles font contrepoint les fascinantes vidéos d’humanoïdes de l’artiste hollandais Bart Hess. Collaborateur de Lady Gaga, designer star niché entre mode, musique et nouvelles technologies, il imagine ici d’improbables battles entre passé et futur – ou quand Géo Trouvetou affronte Steve Jobs : on refait le match ? ♦
© Patrick Lafièvre
Vittorio Santoro, The World Was Full of Objects and Events and Sounds That Are Known to be Real...
L’AGENDA
_Par L.C.-L. et A.-L.V.
Mathématiques, un dépaysement soudain Mathématiciens et artistes se rencontrent pour traduire plastiquement l’émerveillement des maths. David Lynch, Raymond Depardon ou Patti Smith se sont prêtés au jeu. Si la forme de leurs œuvres paraît parfois anecdotique, le climat d’excitation intellectuelle, lui, est intense. Jusqu’au 18 mars à la Fondation Car tier pour l’ar t contemporain, w w w.fondation.car tier.com
Le hibou tourne la tête pour regarder ailleurs Ancrées dans l’observation du quotidien, les œuvres de Vittorio Santoro – installations, dessins, vidéos – en révèlent les réalités historiques, esthétiques, socio-politiques, voire métaphysiques latentes. L’exposition invite à la désorientation et à la prise de distance. Jusqu’au 31 mars à la Fondation d’entreprise Ricard, 12 rue Boissy d’Anglas, 750 08 Paris, fondation-entreprise-ricard.com
Videodrones L’œuvre de Céleste Boursier-Mougenot, présentée dans l’ancienne sacristie du Collège des Bernardins, utilise des images captées aux alentours et diffusées en direct pour émettre une note basse continue – un drone –, modulée en fonction de la luminosité, de la vitesse et de la taille des objets qui traversent son cadre. Jusqu’au 15 avril au Collège des Bernardins, w w w.collegedesbernardins.fr
Enacting Populism Pour cette exposition collective calée sur la fin de la campagne présidentielle, Matteo Lucchetti transforme l’espace en un bureau de parti politique lambda. Prenant acte de la dérive populiste du discours politique, il démontre l’interférence des stratégies esthétiques dans le champ médiatique. Jusqu’au 22 avril à la Kadist Ar t Foundation, 19 bis-21 rue des Trois Frères, 75018 Paris, enactingpopulism.tumblr.com
Matisse, paires et séries Reprendre un motif pour l’explorer, l’enrichir : telle est la démarche du peintre du Nu bleu. Ce fut le cas pour La Blouse roumaine, Les Poissons rouges ou La Danse. Le Centre Pompidou décortique le processus créatif de Matisse et son besoin constant de répétition. Jusqu’au 18 juin au Centre Pompidou, w w w.centrepompidou.fr
Bob Dylan, l’explosion rock Retour sur cinq années essentielles (1961-1966) durant lesquelles Dylan enregistre sept albums et révolutionne l’écriture folk-rock, y injectant conscience politique, charisme, mystère et poésie. Un parcours éclectique et électrique à la gloire du plus nasillard des prophètes rock. Jusqu’au 15 juillet à la Cité de la musique, w w w.citedelamusique.fr
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© Berenice Abbott Commerce Graphics Ltd Inc
SORTIES EN VILLE EXPOS
Berenice Abbott, Station-service Sunoco, Trenton, New Jersey, 1954
femme sans influences PHO T OGR A PHIE Berenice Abbott (18 9 8-19 91), photographies jusqu’au 29 avril au Jeu de Paume w w w.jeudepaume.org
Le Jeu de Paume poursuit son cycle consacré aux femmes photographes du XXe siècle. Après Claude Cahun et Diane Arbus, place aux épreuves de la photographe américaine BERENICE ABBOTT, disciple émancipée de Man Ray. Virtuose. _Par Léa Chauvel-Levy
Son premier travail en France, où elle vécut six ans, Berenice Abbott l’obtient auprès de Man Ray, dans son studio parisien de la rue Campagne-Première. C’est dire comment sa trajectoire fulgurante commence. Pourtant, « si elle est formée techniquement et intellectuellement par Man Ray, précise Gaëlle Morel, commissaire de l’exposition, elle s’en émancipe très vite et se désintéresse même de l’idéologie surréaliste ». Bientôt, la disciple portraitiste dépasse peu ou prou le maître. Man Ray perd même quelques fidèles clients qui lui préfèrent le tout récent studio d’Abbott, devenue sa concurrente directe : Jean Cocteau s’y fait tirer le portrait plus d’une fois, comme en atteste ce fameux 98
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cliché de l’auteur d’Orphée sur lequel il fait mine de tirer à bout portant vers l’objectif (Jean Cocteau avec un revolver, 1926). Difficile pourtant de ne pas voir dans la série de photographies scientifiques de Berenice Abbott des références explicites au rayogramme, procédé technique mis au point par Ray et consistant à poser directement sur une feuille de papier photosensible des objets – ciseaux, plumes, copeaux de bois… –, sans autre appareil que la lumière elle-même. Passionnée par l’invisible du monde, l’artiste utilise des fonds noirs pour montrer ce que l’homme ne peut voir à l’œil nu : le magnétisme ou le principe ondulatoire de la lumière. Le résultat, d’une sidérante beauté, découle d’une technicité virtuose qui lui inspirera plus tard une invention de génie : le « super sight », un appareil qui permet un agrandissement grâce à des négatifs de 40 x 50 cm. Un besoin d’élargir le champ que l’on retrouve dans son travail documentaire Changing New York, qui consigne la métamorphose architecturale du New York des années 1930 et élève le regard. ♦
© NKB Architectes et Associés /Roberto Ostinelli studio di architettura
LE CABINET DE CURIOSITÉS
Institut de beautés L’Institut du Monde Arabe rouvre ses portes ce mois-ci. Autrefois chronologique et géographique, l’organisation a été entièrement repensée pour s’établir autour de thèmes qui permettent d’explorer l’identité arabe telle qu’on ne la conçoit pas d’ordinaire. Les vitrines du « Sacré et figures du divin » mêlent ainsi icônes chrétiennes, ménorah et dalles de mosquée. Le musée croise également les époques et les régions, comme à l’étage des villes, où des vidéos d’artisans penchés sur leur métier à tisser côtoient de merveilleux ustensiles de calligraphie ou d’astronomie. Une manière un peu déroutante, mais qui fait sens, d’aborder une civilisation deux fois millénaire, extrêmement riche. _I.P.-F. L’Institut du Monde Arabe, 1 rue des Fossés Saint-Bernard, 750 05, Paris, w w w.imarabe.org
© Exquise design - Florian Kleinefenn
L’ŒIL DE…
Arik Levy, Contemporary Domestic Confessional, 2010
Bénédicte Colpin, consultante design « C’est grâce à Marie-Claude Béaud (ex-directrice de l’Union des Arts Décoratifs) que j’ai monté il y a quelques années mes premières expositions sur des designers comme Jean-Marie Massaud ou Patrick Jouin, aujourd’hui très reconnus mais alors plutôt ignorés. De plus en plus de pièces sont sculpturales et réclament leur place dans les foires d’art contemporain. Le travail d’Arik Levy, par exemple, est à la fois fonctionnel et poétique : l’œuvre présentée à Art Paris est composée de deux assises séparées par une cloison comme dans un confessionnal. Parfait d’un point de vue formel, cet objet interroge également le quotidien du couple, puisque les deux personnes peuvent se parler en secret… » _Propos recueillis par E.B. Séries limitées, Art Paris Art Fair 2012, du 29 mars au 1er avril au Grand Palais, www.grandpalais.fr
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© Sakae Oguma
SORTIES EN VILLE SPECTACLES
Traversée du miroir D A NSE Mirror and Music de Saburo Teshigawara, du 29 au 31 mars au Théâtre National de Chaillot, w w w.theatre-chaillot.fr
Le Japonais SABURO TESHIGAWARA se vit en chorégraphe autant qu’en plasticien. Une double vie idéale pour mettre en scène les grandes obsessions liées à l’ère numérique. Nouveau voyage au cœur de la matrice avec Mirror and Music au Théâtre National de Chaillot. _Par Ève Beauvallet
Effets de téléportation, corps pixellisés, ultra-ralentis façon Matrix, mouvements courts-circuités… On ne parle pas ici d’un toon, mais bien des qualités d’un danseur. Saburo Teshigawara, grand nom de la chorégraphie mondiale depuis la création de sa compagnie Karas en 1981, est un de ceux qui a su, en pionnier, inventer un corps apte à témoigner des mutations technologiques. Il faut dire que son poste d’observation était privilégié : né en 1953, le chorégraphe s’est formé au ballet classique et aux arts plastiques dans le berceau du numérique – Tokyo – et s’est vite emparé, 100
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comme beaucoup d’artistes japonais de sa génération, des tensions créées entre fantasmes robotiques et perpétuation des antiques traditions zen. Sur des plateaux épurés dont il signe lui-même lumières, scénographie, costumes et danse, ce sont les grandes obsessions métaphysiques de la fin du siècle dernier qui s’éprouvent : constante métamorphose, fugacité des présences, dématérialisation… Exemple fut donné à Chaillot en 2009 avec Miroku, un solo baigné dans un néant de couleurs, où les jeux de contre jour et d’aplats lumineux semblaient saluer certains plans du cinéma SF. Cette fois, Teshigawara revient à Chaillot avec une pièce pour huit danseurs, une rareté chez lui, nommée Mirror and Music parce que « le miroir et la musique démultiplient le monde ». Faisons confiance à ses danseurs humanoïdes pour dérégler nos perceptions de l’espace, et à Teshigawara pour que ce « poème du matin », selon ses mots, basé sur la notion d’évanescence et de visualisation de la musique, égale la précision graphique qui fit jusqu’alors sa notoriété sur les grands plateaux internationaux. ♦
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Youdream, les 20 et 21 mars à la Gaieté Lyrique
L’AGENDA _Par E.B.
Thanks to my eyes Un vieil homme, jadis plus grand acteur comique au monde, tente de transmettre son savoir à son fils. Cet étrange drame de l’héritage est le pitch de la première mise en scène d’opéra de l’excellent Joël Pommerat, sur une musique du compositeur Oscar Bianchi. Jusqu’au 12 mars au Théâtre 2 Gennevilliers, www.theatre2gennevilliers.com
Life : Reset/Chronique d’une ville épuisée Fabrice Murgia, jeune Belge repéré sur les planches de l’Odéon, a créé la polémique avec son Chagrin des Ogres. Il présente au Festival EXIT sa nouvelle mise en scène : une variation autour de la solitude et des nouveaux moyens de communication, soutenue par des effets 3D. Du 15 au 17 mars à la Maison des Arts de Créteil/ Festival EXIT, www.maccreteil.com
Festival À Voir et à Manger / le goût des autres Mêler art, art vivant et art culinaire : c’est l’alléchante proposition du nouveau festival du 104. À la carte, des ateliers gastronomiques, mais aussi des mets raffinés comme ceux de Radhouane El Meddeb, auteur de Je danse et vous en donne à bouffer, inspiré des moments de préparation du couscous familial. Du 10 au 18 mars au 104, www.104.fr
Youdream Le collectif franco-autrichien Superamas explore les arts visuels et multimédia avec un savoirfaire hérité des arts vivants. Interlope et onirique, leur nouveau projet interactif, Youdream, se décline sur scène en installation vidéo. Les 20 et 21 mars à la Gaieté Lyrique, dans le cadre de l’exposition 2062, www.gaite-lyrique.net
Dances at a Gathering/Appartement Des danseurs se croisent dans des scènes de la vie quotidienne… Ce sera le point de rencontre, à l’Opéra national de Paris, entre l’Américain Jérôme Robbins, chorégraphe star de West Side Story, et le Suédois Mats Ek, génie d’un néo-ballet aux inflexions théâtrales. Du 13 au 31 mars à l’Opéra national de Paris, www.operadeparis.fr
Bérengère Krief
Dans la désormais culte mini-série Bref sur Canal +, Bérengère Krief est Marla, le « plan cul régulier » du personnage principal. Sachez qu’on peut aussi la voir sur scène au PointVirgule, dans un show à la fois grande gueule et girly. Bref, pile dans l’air du temps. Du dimanche au mercredi au Point-Virgule, www.lepointvirgule.com
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© Jan Versweyveld
SORTIES EN VILLE SPECTACLES
Molière numérique T HE ÂT R E Der Menschenfeind [Le Misanthrope], ms. Ivo Van Hove, du 22 mars au 1er avril à l’Odéon, Théâtre de l’Europe w w w.theatre-odeon.fr
La quête de la transparence est-elle un faux combat ? La question sonne trash chez le Flamand IVO VAN HOVE à l’Odéon, avec une mise en scène incontournable du Misanthrope de Molière. Ou quand Alceste se fait l’ancêtre de Julian Assange. _Par Ève Beauvallet
Un Misanthrope de l’époque Wikileaks, de la génération smartphones et réseaux sociaux, dans un décor blanc et clean façon Apple ? Rien de moins motivant pour tous ceux qui s’agacent des joujoux high-tech devenus parfois seule caution de modernité au théâtre. Il faut dire que Le Misanthrope est l’un des premiers textes à avoir bénéficié (subi ?), dès les années 1960, de la vague de « dépoussiérage des classiques ». Ce qui rend légitime l’exclamation : « Encore un ?! » Mais quand la mise en scène est signée par un Flamand – on évite plus facilement l’autocensure et les querelles d’héritage – et que ledit Flamand est Ivo Van Hove, l’un des directeurs d’acteurs les plus stupéfiants 102
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d’Europe, auteur de chefs-d’œuvre aux confins du théâtre et du cinéma, on est rassuré. Le nom ne vous dit rien ? C’est parfaitement normal : hormis le travail pionnier de la Maison des Arts de Créteil qui le programme depuis dix ans, et un passage au Festival d’Avignon, Van Hove est anormalement méconnu en France. Justice lui est enfin rendue à l’Odéon où l’on découvrira sa façon de composer avec la grammaire cinématographique : jeu sur le hors-champ (salle, coulisses, rue), éclatement du cadre frontal du spectacle, sonorisation de parcelles de plateau pour recréer l’effet de zoom… Van Hove est moins fasciné par les gadgets high-tech que par le changement de perception qui en découle. Sur un plateau envahi de dispositifs de surveillance, les questions de fond du Misanthrope, loin de passer à la trappe, sont rendus à nouveau audibles par la mise en scène : le paria social est-il séduisant ou grotesque ? L’exigence de transparence est-elle compatible avec l’ordre social ? Et, par dessus tout, estelle moralement souhaitable ? De quoi relativiser une bonne fois pour toutes le capital sympathie d’Alceste et de ses avatars de l’ère connectée. ♦
© Valerie Archeno
LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ
Sacré Wampach Les Français l’ignorent, mais l’Air Guitar a un cousin cul nommé l’Air Sex, qui a même ses concours branchés chez les Nippons. La pratique n’a pas échappé au chorégraphe David Wampach, jeune chef du décalage pop, qui s’est déjà exercé à mêler sexe, rire et effroi dans d’improbables remixes de Brian De Palma ou de John Waters. Revenant tout juste du Japon – il était lauréat de la Villa Médicis « Hors les murs » –, il présente SACRE, un Sacre du printemps version Air Sex. À partir d’un duo homme-femme en cottes de mailles, Wampach bat le rappel de son goût pour le cinéma populaire américain : péplum, série B, gore, etc. Une façon pas si grotesque de montrer des individus tyrannisés par leur désir. _E.B. SACRE (et aussi BAT TEMENT et BAT TERIE), ch. David Wampach, le 17 mars au théâtre de Vanves, dans le cadre du Festival Ar tdanthé, w w w.theatre-vanves.fr
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l’invité surprise
Vincent Macaigne
Balibar et Macaigne à la Ménagerie de Verre Elle vient de susciter l’enthousiasme dans La Dame aux camélias de Frank Castorf à l’Odéon. Il vient d’exploser à l’écran dans Un Monde sans femmes, le court métrage de Guillaume Brac présenté à ClermontFerrand. Après les pleins feux, Jeanne Balibar et Vincent Macaigne s’écartent des gros plateaux pour entrer dans l’ombre underground de la Ménagerie de Verre, lieu de pèlerinage de la jeune garde théâtrale et chorégraphique internationale. On retrouvera Balibar chez l’interlope Yves-Noël Genod, pendant que Macaigne présentera un premier travail avec des danseurs contemporains. _E.B. Création de Yves-Noël Genod et En manque de Vincent Macaigne, du 13 au 17 mars et du 3 au 6 avril à la Ménagerie de Verre, dans le cadre du Festival Étrange Cargo, www.menagerie-de-verre.org
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© Bruno Verjus
SORTIES EN VILLE RESTOS
Sarah et Guillaume Delage
LA CUISINE A DES YEUX L E CHEF Aux verres de contact, 52 boulevard Saint-Germain, 750 05 Paris Tél. : 01 46 34 58 02
Dans le Ve arrondissement, à l’angle de la rue de Bièvre, la terrasse vitrée du restaurant Aux verres de contact lorgne sur le marché de la place. La chef SARAH DELAGE nous y offre une cuisine qui fleure bon le Paris gouailleur et souriant. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)
Aux verres de contact, on flirte avec le passé, l’esprit vagabond d’Antoine Blondin et la cuisine d’Édouard Nignon. Contemporain d’Auguste Escoffier, Nignon avait rédigé en guise de testament les Éloges de la cuisine française, un ouvrage résolument moderne, préfacé par l’amateur de bonne chère et de bons mots Sacha Guitry. Quant à Blondin, hussard, romancier et journaliste, il aurait fait de ce restaurant son siège social : il dénommait ses notes de boissons pour le journal L’Équipe « verres de contact ». Sarah officie en cuisine. Passée chez Guillaume Delage – son époux – au Jadis pendant trois ans, puis chez 104
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Ribouldingue, le temple de la cuisine tripière, elle apprécie « les plats généreux et simples, ceux qui donnent les plaisirs de la table ». Alors, elle nous sert les grands classiques de la cuisine française : blanquette, bourguignon, pot-au-feu, terrines… Cette cuisine aux intitulés prometteurs attrape avec tempérament les recettes d’antan et les conjugue au présent. On a envie de tout commander, tant l’offre caresse notre goût des bistrots. La terrine de gibier, escortée de pain tout chaud, offre un jus, un fondant… Un idéal de charcuterie. Un véritable air de gaieté souffle dans les assiettes avec une blanquette de veau à la texture de soie où les légumes peignent de leurs couleurs acidulées une toile gourmande. Les taglierini enrobés d’une sauce aux truffes récompensent le palais de leurs saveurs savantes. À noter, le midi, un menu de semaine à 14 euros. Imbattable, compte tenu de la qualité des produits. Le lieu recèle une table d’hôte en sous-sol pour célébrer entre amis le bon vivre et goûter les dérives chères à Antoine Blondin. ♦
© Helene Robert
LE PALAIS DE…
Revolver, groupe pop « Le meilleur bar-resto de Paris, c’est le Café-Épicerie, dans le Xe arrondissement. J’habitais juste à côté il y a quelque temps, et c’était devenu ma deuxième maison, j’y passais plus de temps que chez moi. Avec le temps, j’ai fini par devenir ami avec le patron. Les deux autres membres de Revolver, Jérémie et Christophe, y sont aussi très souvent ! C’est maintenant une sorte de QG pour le groupe. La plupart des bars parisiens ont des bières très tristes, mais eux, ils ont des bières incroyables, vraiment bonnes. L’ambiance est détendue, avec de la musique que j’aime bien, un peu nostalgique mais cool. C’est un endroit très chouette, comme je les affectionne : simple et très agréable. » _Propos recueillis par E.V. Le Café-Epicerie, 38 rue de Sambre-et-Meuse, 75010 Paris Tél. : 01 42 45 31 82 , w w w.cafe-epicerie.com
© Zed
la Recette
La grande bouffe façon Apart Together Si la Chine continentale s’empiffre de mutations gigantesques, c’est sous une focale moins panoramique que l’on s’invite chez Qiao et Lu, fins gastronomes shanghaïens. Au retour du premier amour de la matriarche, envoyé à Taïwan cinquante ans auparavant, se concoctent d’amples festins qui débordent bien souvent du cadre. Raviolis à la vapeur, travers de porc sauce aigre-douce et autres crabes poilus se croisent sur les palais, symboles sensuels du feu qui dort, comme des vérités qui vont bientôt surgir de la bouche des convives. Rehaussées d’alcool, de sucre et de soja, les discussions soulignent, avides, un fossé générationnel que seules les traditions culinaires semblent pouvoir combler. _L.P. Apar t Together de Wang Quan’an // Sor tie le 7 mars
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
L’AGENDA
© Shellac
_Par. Q.G., I.P.-F., J.R., A.T. et L.T.
Le Paradis des bêtes d’Estelle Larrivaz
07/03 HASTA LA VISTA
POSSESSIONS
Trois jeunes handicapés partent sur la route des vins en Espagne avec pour ambition d’avoir leur première expérience sexuelle. Cinquième long métrage du cinéaste flamand, et premier distribué en France, le film enchaîne les fulgurances tragicomiques.
Maryline et Bruno s’installent en montagne dans l’espoir d’une nouvelle vie. Mais humilié par l’arrogance du propriétaire de leur chalet, un promoteur immobilier véreux, le couple devient de plus en plus amer et assoiffé de vengeance.
À L’AVEUGLE
AU CŒUR DU COMBAT
Enquêtant sur le meurtre sanglant d’une jeune femme, un flic tourmenté (Jacques Gamblin) par la mort de son épouse en vient à concentrer ses soupçons sur un mystérieux aveugle, Narvik (Lambert Wilson), pourtant innocenté par son handicap et son alibi.
La caméra d’Ivan Castellano s’infiltre dans le monde de l’hôpital et suit le traitement de six patients atteints de cancers. Entre les murs blancs de l’institution, le combat est mené avec l’aide du personnel soignant. Patrick Bruel prête sa voix au narrateur.
ENTRE LES BRAS – LA CUISINE EN HÉRITAGE
LE PARADIS DES BÊTES
Le chef Michel Bras, trois étoiles au guide Michelin, laisse peu à peu les cuisines de son restaurant de Laguiole à son fils Sébastien. Le documentariste Paul Lacoste filme avec attention cette passation, entre filiation et émancipation.
Encerclés par des montagnes à la fois merveilleuses et effrayantes, deux enfants assistent à la violente séparation de leurs parents, qui vire à l’enlèvement. Face à l’horreur, leurs jeux ne font plus illusion. Un conte déchirant, entre Shining et les frères Grimm.
BI, N’AIE PAS PEUR !
TERRAFERMA
À Hanoï, autour du jeune Bi, gravite une famille pleine de désirs. Tandis que le père du petit garçon délaisse le domicile familial, attiré par sa masseuse, sa tante célibataire succombe au charme d’un adolescent croisé dans le bus…
Crialese revient à l’univers insulaire qui avait fait la beauté de Respiro. Sur une île hors du temps, la mer se met à déverser deux types d’embarcations : les unes remplies de touristes, les autres d’immigrés clandestins. Les habitants doivent choisir leur camp.
de Geof frey Enthoven Avec Robrecht Vanden Thoren, Gilles de Schrijver… Les Films 13, Belgique, 1h53
de Xavier Palud Avec Jacques Gamblin, Lamber t Wilson… EuropaCorp, France, 1h34
d’Eric Guirado, Avec Jérémie Rénier, Julie Depardieu… U.G.C., France, 1h38
d’Ivan Castellano Documentaire Les Films à fleur de peau, France, 1h33
14/03 de Paul Lacoste Documentaire Jour2Fête, France, 1h40
de Phan Dang Di Avec Phan Thanh Minh, Nguyên Thi Kiêu Trinh… Acrobates Films, France-Vietnam-Allemagne, 1h30
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d’Estelle Larrivaz Avec Stefano Casset ti, Géraldine Pailhas… Shellac, France, 1h43
d’Emanuele Crialese Avec Filippo Pucillo, Donatella Finocchiaro… Bellissima, Italie, 1h28
ET AUSSI… 07/03 À l’ombre de la République de Stéphane Mercurio (lire p. 14) Apart Together de Wang Quan’an (lire p. 105) Elena d’Andreï Zviaguintsev (lire p. 108) FengminG de Wang Bing (lire p. 110) John Carter d’Andrew Stanton (lire p. 26 et p.34) 14/03 38 Témoins de Lucas Belvaux (lire p. 56) Aloïs Nebel de Tomás Lunák (lire p. 112) Cloclo de Florent Emilio Siri (lire p. 31) La Dame en noir de James Watkins (lire p. 27) La Terre outragée de Michale Boganim (lire p. 116) Le Fossé de Wang Bing (lire p. 110) 21/03 Aurora de Cristi Puiu (lire p. 116) Bellflower d’Evan Glodell (lire p. 28)
Bye Bye Blondie de Virginie Despentes (lire p. 9 et p. 52) eva de Kike Maillo (lire p. 8) Hénaut président de Michel Muller (lire p.15) Hunger Games de Gary Ross (lire p. 22) Les Adieux à la reine de Benoît Jacquot (lire p. 60) Mains brunes sur la ville de Jean-Baptiste Malet et Bernard Richard (lire p. 15)
Target de McG (lire p. 114) 28/03 2 Days in New York de Julie Delpy (lire p. 42) Au prochain printemps de Luc Leclerc du Sablon (lire p. 14) Les Pirates ! Bons à rien, Mauvais en tout de Peter Lord et Jeff Newitt (lire p. 76)
Young Adult de Jason Reitman (lire p. 31) La Vida Útil de Federico Veiroj (lire p. 126) Le Policier de Nadav Lapid (lire p. 122) Week-end d’Andrew Haigh (lire p. 120)
21/03 L’ONCLE CHARLES
30 BEATS
Un richissime homme d’affaires sans héritier (Eddy Mitchell) apprend qu’il va mourir et passe une annonce pour retrouver sa sœur, perdue de vue il y a cinquante ans. Une famille endettée décide d’y répondre pour toucher l’argent…
Dans un New York caniculaire, les itinéraires sentimentaux de dix cœurs à prendre, de Harlem à Brooklyn. Une romance urbaine dans le style de New York, I Love You, avec la fiévreuse Paz de la Huerta (Enter the Void) en amoureuse indécise.
Y’A PIRE AILLEURS
TORPEDO
d’Etienne Chatiliez Avec Eddy Mitchell, Alexandra Lamy… Pathé, France, 1h38
de Jean-Henri Meunier Zootripe Films, France, 1h32
Après La vie comme elle va et Ici Najac, à vous la terre, Jean-Henri Meunier continue de filmer, sans pittoresque mais avec tendresse, le village d’Aveyron où il vécut. Et à faire parler ses piliers de bar, ses mécanos, ses paysans, ses musiciens.
d’Alexis Lloyd Avec Ingeborga Dapkunaite, Jason Day… Latitude 49, France-États-Unis, 1h28
de Mat thieu Donck Avec François Damiens, Audrey Dana… Bac, Belgique, 1h29
Le road-trip miteux d’un raté (François Damiens), d’une femme battue (Audrey Dana, parfaite en grande gueule), d’un enfant de la DDASS et d’un vendeur de canapés, de la Belgique à la Bretagne, à la poursuite du cycliste légendaire Eddy Merckx.
28/03 VOL SPÉCIAL
de Fernand Melgar Dissidenz, Suisse, 1h40
Fernand Melgar, qui avait filmé dans La Forteresse les difficiles conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Suisse, montre ici, entre espoir, révolte et résignation, l’interminable détention des sans-papiers en attente d’être renvoyés dans leur pays.
PERFECT SENSE
de David MacKenzie Avec Ewan McGregor, Eva Green… Pret t y Pictures, Grande-Bretagne, 1h32
Le réalisateur de My Name is Allan Foe signe une histoire d’amour inégale sur fond d’épidémie fulgurante, parfois bluffante grâce à l’empathie de sa mise en scène. Le spectateur expérimente avec les héros une privation de chacun des cinq sens.
MARIEKE
DESPAIR
Au moment de devenir adulte, Marieke (belle et étrange Hande Kodja) cherche auprès de vieillards la tendresse et l’apaisement dont la mort de son père l’a privée. Un premier film réussi dans les froides brumes du plat pays.
Sorti en 1978, Despair se situe dans les années 1930. Hermann Hermann est propriétaire d’une usine de chocolat. Il fait la rencontre d’un vagabond qu’il reconnaît comme son double et décide d’échanger sa vie contre la sienne.
de Sophie Schoukens Avec Hande Kodja, Philippe Van Kessel… KMBO, Belgique-Allemagne, 1h25
de Rainer Werner Fassbinder Avec Dirk Bogarde, Andréa Ferréol… Carlot ta, France-Allemagne, 1h59
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© Pyramide Distribution
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21/03
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
Marche funèbre ELENA
3 questions à
d’Andreï Zviaguintsev Avec : Nadezhda Markina, Andreï Smirnov… Distribution : Pyramide Distribution Durée : 1h49 Sor tie : 7 mars
Avec Elena, ANDREÏ ZVIAGUINTSEV poursuit le portrait de la société russe qu’il esquissait déjà dans Le Retour et Le Bannissement. Un requiem froid et minutieux, à l’image de la mère courage qui porte le film. _Par Louis Séguin
Si Elena a été pensé par son réalisateur comme une composition musicale, son héroïne éponyme en est le thème principal qui fait tenir ensemble les mouvements antagonistes d’une sonate macabre. Cinquantenaire de condition modeste, Elena a fait sur le tard un heureux mariage avec le riche Vladimir. Le couple vit dans un bel appartement de ville, selon une
routine adagio, ni joyeuse ni triste. En contrepoint, le fils d’Elena, Sergeï, habite une banlieue glauque avec femme et enfants, et vivote grâce à l’argent que son beau-père consent à lui donner. Aucun contact entre les deux hommes, pourtant. L’argent a besoin d’Elena pour parvenir à Sergeï, et celle-ci incarne symboliquement la distance qui sépare les deux classes sociales. Mais pas que, puisque l’épouse/ mère accomplit concrètement le trajet entre le faste et la déshérence au cours de longues séquences cérémonieuses, semblables à la symphonie de Philip Glass qui les accompagne. Si Elena ne manque pas d’emphase lyrique, la façon dont Zviaguintsev tient à distance les enjeux de chaque personnage permet au spectateur d’engager ses propres critères moraux : dans une société où l’unisson n’existe plus, chacun chante pour lui-même sa ritournelle égoïste. ♦
Andreï Zviaguintsev L’affiche du film présente Elena comme une sainte. Pourquoi ? Il ne faut pas s’y fier, elle a été conçue par le distributeur français. En Russie, il serait inimaginable de la présenter comme une sainte étant donné ce qu’elle fait. Pourtant, il y a du positif chez chacun des personnages du film. Il s’agit d’un drame circonstanciel. La séquence de bastonnade du groupe de jeunes se démarque de l’ensemble du film, très quadrillé… Je voulais que le spectateur sente une cassure dans la forme du film, d’où le choix du plan-séquence caméra à l’épaule, proche des vidéos amateurs filmées au téléphone portable. Ce plan-séquence répond à celui qui suit Elena dans l’appartement. La société russe, dont le film dresse un tableau pessimiste, a semblé amorcer un changement à l’automne dernier. Comment vivez-vous la situation actuelle ? Évidemment, je souhaiterais que cela change ; mais comme le disait Tolstoï, on a le pouvoir qu’on mérite. Si la société ne se prend pas en main, il n’y a pas de raison que le pouvoir change.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la comédienne Nadezhda Markina, interprète du rôle-titre. Son dévouement, qui va jusqu’à la cruauté, donne au film toute sa force et son ambiguïté.
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2… Pour la virtuosité géométrique avec laquelle Zviaguintsev construit le récit, mais aussi chaque plan de ce film récompensé à Cannes en mai dernier.
3… Pour le personnage de Katerina, la fille de Vladimir. Sa lucidité et son cynisme sans fard donnent au personnage d’Elena un éclairage différent.
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© Capricci
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
Ombres chinoises Fengming, Chronique d’une femme chinoise et Le Fossé Avec : Fengmin He, Li Xiangnian… Durées : 3h0 6 et 1h49 Sor ties : 7 et 14 mars
Après À l’ouest des rails, magnifique documentaire fleuve, WANG BING prolonge sa radioscopie critique de la Chine avec Fengming et Le Fossé, deux films hantés par l’Histoire, qui sortent ce mois-ci à une semaine d’intervalle.
_Par Donald James
Tournés vers le passé, Fengming, Chronique d’une femme chinoise et Le Fossé s’ancrent plus précisément en 1959, dix ans après l’accession de Mao au pouvoir : les grands travaux ont échoué, la famine règne, le régime se durcit, les « droitiers »
sont déportés… Brisant le silence qui continue de peser sur cette époque, Wang Bing ressuscite les souvenirs d’une histoire interdite et creuse le sol pour exhumer des morts anonymes. Il va sans dire qu’il n’a pas demandé d’autorisation pour tourner ces deux films à haut risque politique, conçus comme un diptyque. Fengming, documentaire présenté en sélection officielle à Cannes en 2007, peut surprendre par sa radicalité et son minimalisme : cadre fixe immobile, durée de trois heures (le film en comptait neuf au départ), focale quasi-fixe et très rares plans de coupes. Aucun effet superfétatoire, le film semble être guidé par une seule et unique nécessité : recueillir le témoignage, ne jamais brusquer, et être entièrement à l’écoute de Fengming, vieille
dame anciennement internée dont le mari est décédé dans les camps. Le Fossé a été tourné deux ans après Fengming dans le désert de Gobi, avec la peur au ventre que les autorités ne montrent leur nez. Pour cette fiction, Wang Bing s’est inspiré des témoignages de survivants, dont celui de Fengming, ainsi que du livre Goodbye, Jiabiangou de Yang Xianhui. C’est un film d’horreur authentique où dans les camps de travail, les hommes meurent de faim, de froid et tombent comme des mouches. On les enterre à peine. La nuit, on les découpe pour les dévorer. Jamais dans le pathos moralisateur ni dans la facilité illustrative, le cinéaste gratte, creuse le désert de l’humanité et transcende de manière magistrale sa matière documentaire. ♦
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour deux œuvres exceptionnelles qui lèvent le voile sur une période noire de l’histoire chinoise.
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2… Pour vivre un voyage au bout de l’enfer, intense et épuré, au cœur d’un paysage lunaire : Le Fossé.
3… Pour revivre à contretemps une chronique intime, le destin tragique d’une femme chinoise : Fengming.
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SORTIES EN SALLES CINÉMA
Tchèque Point ALOÏS NEBEL de Tomás Lunák Avec : Miroslav Krobot, Marie Ludvikova… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h24 Sor tie : 14 mars
Cauchemar éveillé capté avec la technique rotoscopique, Aloïs Nebel de TOMÁS LUNÁK revient sur les traumatismes de l’histoire tchèque à travers le portrait tragique d’un chef de gare. _Par Éric Vernay
Adapté d’un graphic novel en trois tomes, Aloïs Nebel est une plongée spectrale dans la psyché perturbée de la République tchèque. Chef de gare dans un coin perdu des Sudètes, région frontalière autrefois peuplée par une minorité allemande expulsée en 1945, le personnage principal est hanté par cet épisode traumatique. Mutique, l’air hagard, il psalmodie les noms des stations et les horaires de train comme on récite une prière. Avec
3 questions à la volonté farouche de rester fidèle au matériau original, Tomás Lunák construit un récit ballotté entre deux époques (fin de la Seconde Guerre mondiale et chute du communisme en 1989) et deux régimes de réalité (les visions cauchemardesques de Nebel se greffent à un présent désenchanté). Pour ce faire, il utilise une technique méconnue : la rotoscopie. Hybridant le réel filmé d’une seconde peau animée, un peu à la manière de la motion capture mais dans un écrin comics en noir et blanc, ce procédé ancestral change les hommes en spectres. Ce n’est pas un hasard si Nebel veut dire « brouillard » en allemand : (dés) incarné par l’excellent Miroslav Krobot (vu dans L’Homme de Londres de Belà Tarr), Nebel est un fantôme errant aux confins de la raison. Seuls les phares aveuglants de locomotives fantasmées et l’amour d’une dame pipi viendront percer des rais de lumière dans ce voyage au bout de la nuit. ♦
Tomás Lunák Pourquoi avoir adapté ce graphic novel de Jaroslav Rudiš et Jaromír 99 ? J’ai tourné un clip vidéo pour l’un des groupes de rock de Jaromír 99, qui a ensuite créé la BD Aloïs Nebel avec le scénariste Jaroslav Rudiš. Ils ont pensé à moi pour le film. J’aime beaucoup le personnage d’Aloïs Nebel, très complexe. C’était un vrai défi de lui donner vie à l’écran. Pourquoi avoir choisi la technique de la rotoscopie ? C’est une technique peu connue. La BD d’origine est très dure, très noire et blanche, très concrète. On voulait s’en rapprocher au maximum avec la rotoscopie, qui permet de mettre de vrais acteurs derrière les dessins. D’où une plus grande profondeur pour raconter cette histoire tragique. Comment s’est déroulé le tournage ? On a tourné pendant quarante jours dans la région des Sudètes. Pour moi, Aloïs Nebel représente la mémoire de cette région. C’était presque comme un tournage de film « normal », mais avec deux copies. On savait qu’on pourrait ensuite modifier les décors dans lesquels on tournait.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la fascination que procure la rotoscopie, technique brevetée en 1915 par Dave et Max Fleischer, hybridant prises de vue réelle et animation.
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2… Pour l’esthétique sombre et contrastée en noir et blanc, mêlant ombres et brouillard dans une atmosphère onirique, à la fluidité de mouvement spectrale.
3… Pour la performance de Miroslav Krobot. Originaire des Sudètes, l’acteur prête ses traits fatigués et sa présence mutique au chef de gare Aloïs Nebel.
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Cœur de cible Target de McG Avec : Reese Witherspoon, Chris Pine… Distribution : Twentieth Centur y Fox France Durée : 1h40 Sor tie : 21 mars
Quand le film d’espionnage high-tech devient une comédie pop sur le choix amoureux, comme c’est le cas avec Target, il se transforme en un plaisir pour lequel on plaide forcément coupable. _Par Renan Cros
Plus qu’un simple pop-corn movie, Target est un film pop. Peut-être parce qu’il floute la frontière entre art et consommation, parce qu’il s’amuse de ses excès et de son mauvais goût, parce qu’il fait des conventions un plaisir cinématographique, le cinéma pop a mauvais
genre. McG s’était déjà beaucoup amusé avec ses Drôles de Dames dans deux opus à l’hystérie communicative. Il s’offre cette fois-ci deux drôles de mecs, en la personne de Chris Pine et Tom Hardy. D’un côté, l’Américain typique au sourire éclatant, de l’autre la brute européenne, archétype de l’idéal féminin. À la fois Bond et Bourne, les deux forment un tandem d’agents secrets. Devant ces gravures de mode, Reese Witherspoon, toujours à l’aise dans les rôles de fausses ingénues, de La Revanche d’une blonde à Comment savoir, se demande lequel des deux choisir. Dilemme mélodramatique à la James L. Brooks ? Bien sûr que non, comédie pop ! Transformant son héroïne en testeuse effrontée, McG filme la comédie romantique comme un objet de
consommation et détourne le film d’espionnage attendu vers une guerre d’égo d’alpha-mâles du gadget. Chacun bien décidé à devenir le produit élu de la belle, ils rivalisent d’inventions et de coups bas. Les ressources de la C.I.A. ne sont alors plus là pour traquer les criminels mais bien pour dresser le profil parfait d’une « consommatrice » qu’il faut satisfaire à tout prix. S’ensuit une série de rendezvous comiques, où les deux espions tentent de devenir le parfait prince charmant. Malgré une fin légèrement convenue, McG s’amuse de cette histoire d’amour à choix multiples, avec son sens du clip et du clinquant. S’il n’est assurément pas le produit de l’année, Target s’offre comme un plaisir acidulé, aussi futile qu’immédiatement plaisant. ♦
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour un vrai plaisir coupable de cinéma pop made in Hollywood gonflé au romantisme, à la comédie et à l’action.
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2… Pour le trio d’acteurs impeccables (Reese Witherspoon, Chris Pine et Tom Hardy), entre dérision et auto-parodie.
3… Pour l’énergie d’un film de pseudo-espionnage amoureux, décomplexé, spectaculaire et franchement drôle.
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Extrême banalité Aurora de Cristi Puiu Avec : Cristi Puiu, Clara Voda… Distribution : Shellac Durée : 3h01 Sor tie : 21 mars
Banalité du crime dans la banlieue de Bucarest : après l’excellent La Mort de Dante Lazarescu, Aurora continue, sur un mode minimaliste, le diagnostic glaçant de CRISTI PUIU. _Par Jérôme Momcilovic
Il y a deux ans, présentant le film à Cannes dans la section Un Certain Regard, Cristi Puiu a pris la précaution de s’excuser de sa longueur. Le film dure trois heures, soit une demi-heure de plus que le précédent, La Mort de Dante Lazarescu. Son rythme est tout autre : aussi languide et mécanique
que Lazarescu était nerveux, et selon une modalité à laquelle la nouvelle vague roumaine nous a habitués, cette durée ample ramasse un temps court. Après les dernières heures de Monsieur Lazarescu, voilà une journée dans la vie d’un autre anonyme, Viorel, joué par Puiu lui-même, ponctuée par le métronome des activités quotidiennes : rentrer du travail, faire les courses, manger à même la boîte, voir sa mère puis son exfemme, acheter une carabine, tuer trois fois, pousser finalement la porte du commissariat pour faire le récit du triple meurtre. Après le très beau Policier, Adjectif de Corneliu Porumboiu, Aurora conf ir me que l’extrême prosaïsme du jeune cinéma roumain est un terrain naturel pour le fait divers, ausculté depuis son envers
anti-spectaculaire : des activités quotidiennes de Viorel aux coups de carabine, c’est une même banalité qui travaille, et le meurtre n’est plus le levier de basculement, sinon celui qu’il opère sur le spectateur, désarmé devant l’invariable opacité du personnage. Puiu n’en est pas moins, parmi ses compatriotes, celui qui tire ce phénoménalisme vers les plus notables hauteurs : sa radicale précision de mise en scène est un rempart contre la complaisance. De Lazarescu à Aurora, se dresse un ample tableau tragicomique des relations humaines : ce film qui entend « restituer l’acte criminel » n’est que le deuxième volet d’un ensemble baptisé Six récits de la banlieue de Bucarest où il s’agit, du propre aveu de l’auteur, d’ausculter « l’amour, la morale, et les relations humaines ». ♦
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la mise en scène au cordeau de Cristi Puiu, d’une intelligence aussi discrète que remarquable.
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2… Pour l’interprétation de Puiu lui-même, bloc de présence effrayant dans sa banalité même.
3… Pour la manière d’hypnose que le réalisateur parvient à installer au fil des scènes.
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Fission nucléaire LA TERRE OUTRAGÉE de Michale Boganim Avec : Olga Kur ylenko, Andrzej Chyra… Distribution : Le Pacte Durée : 1h48 Sor tie : 28 mars
Face à la catastrophe, MICHALE BOGANIM prend le parti de l’intime. En revenant sur l’aprèsTchernobyl, la FrancoIsraélienne donne le rôle principal aux paysages désolés des alentours, reflets de personnages tiraillés entre mémoire et déracinement. _Par Quentin Grosset
La pluie noire rappelle Take Shelter de Jeff Nichols, la catastrophe qui s’annonce pendant un mariage évoque l’appréhension de Kirsten Dunst dans Melancholia. Motif contemporain, l’apocalypse glisse depuis quelques films sur une pente intimiste et mentale, qui se
3 questions à frotte ici, derrière le voile fictionnel, à des événements bien réels. 26 avril 1986, Ukraine : les 50 000 habitants de Pripiat sont évacués de la ville pour fuir, à quelques kilomètres de là, le drame pernicieux de Tchernobyl. Ne sachant rien de ce qui se passe, certains chantent dans les cars alors même que leur village est englouti dans l’oubli. Le passage du bucolique (les paysages ensoleillés de la première partie) au post-apocalyptique (la ville fantôme de la seconde) s’imprime sur le visage d’Anya, d’abord gai puis glacial. Cette tendance au binarisme aurait pu gâcher l’identification au personnage, qui n’est de toute façon pas l’affaire du film. Ce que Michale Boganim est venue chercher dans ce Pripiat quasi-ethnographique, c’est le maintien de la vie dans un univers désertique. Un lieu de mémoire mais aussi un « Tchernobyland » où les touristes viennent rencontrer les derniers habitants, partagés entre leurs souvenirs et l’envie de partir. ♦
Michale Boganim La Terre outragée est votre premier long métrage. À quel point cette histoire est-elle personnelle ? C’est un récit d’exil : je suis Israélienne et mon père a fait les guerres du Kippour et du Liban. Je n’ai pas été évacuée comme les personnages mais je suis partie très rapidement d’Haïfa. L’arrachement vécu par Anya fait écho à ma propre histoire. Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontée sur le tournage ? Il fallait des autorisations parce qu’il reste des zones de radiation, d’ailleurs certains acteurs n’ont pas voulu prendre part au projet à cause du risque radioactif, ce que je respecte. Les autorités nous surveillaient en permanence pour contrôler la façon dont on racontait les événements. Il y a comme un déni sur la catastrophe. Comment les Ukrainiens reçoivent-ils le film ? C’est très ambivalent : le sujet reste ultra-sensible, encore très difficile à digérer pour certaines personnes, qui se demandaient pourquoi une étrangère venait raconter leur histoire.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que Michale Boganim parle de Tchernobyl comme d’une catastrophe avant tout humaine, en la faisant apparaître par bribes plutôt que directement.
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2… Pour un film qui se concentre sur l’histoire de la petite ville de Pripiat et délivre une réflexion cinématographique passionnante sur la mémoire des lieux.
3… Pour le talent d’Olga Kurylenko dans le rôle d’Anya, dont l’interprétation accompagne les changements du paysage avant et après la catastrophe.
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Plans rapprochés Week-end de Andrew Haigh Avec : Tom Cullen, Chris New… Distribution : Outplay Durée : 1h55 Sor tie : 28 mars
Russell et Glen se rencontrent dans une boîte de nuit lambda. Jolie méditation sur le plan d’un soir, Week-end d’ANDREW HAIGH réconcilie deux tendances contradictoires du cinéma homo, clivé entre intégration et irrévérence. Une bonne surprise. _Par Quentin Grosset
« On dirait Coup de foudre à Notting Hill. » Si, comme le souffle Glen, la comédie romantique infuse bien le deuxième film d’Andrew Haigh, Week-end s’inscrit plutôt dans le versant amour-amitié du genre qui avait squatté les écrans l’année dernière (Sexe entre amis, Sex
3 questions à Friends). Après leur rencontre dans un night-club gay de Nottingham, Glen et Russell évoluent peu à peu vers l’aveu sentimental. L’occasion pour le réalisateur de délivrer sa petite philosophie de la romance d’un soir – ou « one-night stand » en V.O. Subtilement, Haigh fait endosser à ses personnages l’héritage de cinématographies gay antinomiques. Russell résonne avec les récits de coming-out et d’acceptation de soi, tandis que Glen se rapproche des films du « New Queer Cinema » des années 1990, dans la droite lignée de leurs personnages fiers brocardant toute idée d’assimilation dans la société hétéro. Comme si les cow-boys torturés par leur sexualité de Brokeback Mountain s’entichaient des amants punks, libres et criminels de Gregg Araki, qui faisaient exploser les placards dans The Living End (1992). On fait parfois de jolies rencontres en boîte de nuit. ♦
Andrew Haigh Comment s’est déroulée l’écriture du film ? Mon expérience a inspiré le film : l’histoire d’amour sonne vrai. C’est celle d’une lutte entre celui qu’on est et celui qu’on veut être. Les prémisses d’une relation me semblaient être un bon thème pour explorer ces idées. Russell cherche la romance tandis que Glen n’aime pas l’idée du couple. De qui vous sentez-vous le plus proche ? C’était important pour moi de ne pas trancher. Le choix entre le désir d’assimilation et le désir d’individualité continue à être une lutte. Il faut prendre en compte nos contradictions. Parfois, il n’y a rien de mal à ne pas ressortir de la foule. Le film gay est aujourd’hui devenu un véritable marché de niche. Que pensez-vous de la « gaysploitation » ? Il y a certainement beaucoup de films gays récents qui ne sont pas très bons. Je pense qu’il y a une place pour eux, mais encore faut-il que des histoires gays différentes soient réalisées, ce qui n’est pas le cas. Pourtant, les choses sont en train de changer.
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour une exploration contemporaine et rafraîchissante des liens entre sexe, amour, et intimité à travers la relation de deux jeunes garçons.
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2… Pour une histoire d’amour gay qui contourne le récit classique de la sortie du placard, en tirant parti des modes de vie variés des deux héros.
3… Parce que, pour Haigh, le one-night stand n’est pas stérile. Il est aussi l’occasion d’une réflexion inattendue sur soi-même et sur les autres.
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Révolution intérieure LE POLICIER de Nadav Lapid Avec : Yif tach Klein, Yaara Pelzig… Distribution : Bodega Films Durée : 1h47 Sor tie : 28 mars
Qualifié de « prophétique » par la presse israélienne pour avoir annoncé les manifestations de l’été 2011, le premier long métrage de NADAV LAPID dépeint la société d’Israël à travers une prise d’otage où s’opposent jeunes révolutionnaires, patrons et forces de l’ordre. Une exploration vertigineuse des différents ressorts qui régissent les groupes sociaux. _Par Isaure Pisani-Ferry
Avant même de voir Le Policier, les indignés qui manifestaient à Tel Aviv contre les inégalités en avaient fait leur manifeste. Le film
imagine le passage à l’acte d’un groupuscule de jeunes radicaux qui, révoltés par les profits excessifs des uns et la misère des autres, décident de prendre trois patrons
« Chez nous, il est interdit de parler des écarts sociaux : cela contredit l’essence d’Israël. » en otage pour appeler le peuple à la révolte. Cinq jours après l’avantpremière, les premières tentes d’indignés apparaissaient boulevard Rothschild. « Lors des manifestations, j’ai été témoin de scènes qui, si je les avais vues dans une salle de cinéma, m’auraient fait dire que quelqu’un avait volé mon film, se souvient Nadav Lapid. Mais quand j’ai commencé à écrire le scénario en 2006, je n’avais aucune idée qu’un tel mouvement aurait lieu.
En Israël, il y a comme partout dans le monde des écarts sociaux qui s’élargissent ; mais à la différence des pays “normaux” comme la France, chez nous, il est interdit d’en parler car cela contredit l’essence même de l’existence d’Israël : la cohésion entre nous, les Juifs, “tous ensemble contre les autres”. » De fait, alors que Le Policier ne comprend ni scènes de sexe, ni d’extrême violence, la commission de censure israélienne l’a interdit aux moins de 18 ans. Si le film aborde frontalement un enjeu politique majeur, il n’est pas partisan. Projeté dans une salle pleine à craquer de manifestants, il a provoqué la confusion. « Certaines personnes ont été vraiment ulcérées par Le Policier, raconte Lapid. Ils attendaient un film au milieu duquel ils pourraient hurler “à bas les capitalistes”. Ce n’est pas du tout ça, mon film. » Organisé en
3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour mieux comprendre les luttes intérieures de la société israélienne, où les inégalités sociales ne cessent de croître entre les citoyens.
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2… Parce que le film, écrit à la Résidence du Festival de Cannes, a depuis collectionné les prix, dont le prix spécial du jury du Festival de Locarno.
3… Pour le regard courageux et nuancé que Nadav Lapid, philosophe et historien de formation, désormais cinéaste et écrivain, porte sur son pays.
« J’ai été témoin de scènes qui, si je les avais vues dans une salle de cinéma, m’auraient fait dire que quelqu’un avait volé mon film. » qui les pousse à considérer l’autre comme un ennemi en puissance. L’originalité du film réside dans cette façon d’explorer les idéologies à hauteur d’individu. Nadav Lapid montre non ce qui oppose, mais ce qui lie les différents adversaires. La caméra traque dans chaque acte les motivations politiques mais aussi amicales, familiales ou érotiques des personnages. Yaron pose avec un bébé devant le miroir tandis que la jeune révolutionnaire Shira fait de même avec un pistolet. Elle s’est engagée dans cette cause autant par désir amoureux que par conviction. « Dans un pays comme Israël, ce mélange entre le personnel et le politique, l’émotionnel et l’idéologique, est très instinctif. Lorsque tu vas à l’armée à l’âge de 18 ans, tu es rempli d’énergie sexuelle. Tu es au service de valeurs, mais également de certains désirs… », explique Lapid. Il en résulte un film anthropologique qui, loin d’idéaliser la révolution, montre comment elle échoue du fait même de la nature humaine. ♦
3 questions à
Nadav Lapid D’où est venue votre idée de scénario ? À Berlin, en 2005, lors d’une expo sur la Bande à Baader. Je me suis dit qu’on aurait pu remplacer le lieu par Tel Aviv et garder tels quels ces manifestes qui fustigeaient les inégalités. Et pourtant, rien n’était fait en Israël : je me suis donc mis à écrire. Le policier tient le rôle-titre et joue une partition très physique… Il m’a permis de parler de ce qui me fascine depuis toujours : la virilité israélienne. Chez nous, elle passe par le champ de bataille. C’est l’élément-clé pour comprendre qui sont les Israéliens, quel est ce pays créé en plein désert par l’Occident. Le Policier évoque la question palestinienne, pour tout de suite l’évacuer. En France, on pense que les Israéliens débattent pour ou contre un pays palestinien. Mon expérience est que cette question ennuie les gens. Ça fait des années qu’ils l’entendent, et ils s’en foutent. De fait, le principal étonnement dans mon film est que l’ennemi ne soit pas palestinien, mais israélien.
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trois parties, il suit d’abord le quotidien de Yaron, membre d’une unité anti-terroriste. On est séduit par sa beauté et sa force, amusé par son culte du corps ; mais navré par son absence de réflexion et sa fierté d’être « un assassin au nom du pays ». Alors qu’on le croit personnage principal du film, on le perd pour entrer dans le salon où les quatre révolutionnaires préparent leur coup. Là encore, l’adhésion est en demi-teinte : ils sont touchants et ce qu’ils réclament est juste, mais leur immaturité et leur rhétorique figée annonce l’échec probable de leur entreprise. La partie finale montre les patrons richissimes, qu’on découvre dans un moment tendre : une fille va se marier et taquine son père. À nouveau, on est partagé : ils ont bien cherché ce qui va leur arriver, eux qui consciemment ruinent leur maind’œuvre pour gagner toujours plus. Et pourtant, ils ne sont pas moins humains que les révolutionnaires ou les policiers. Tous sont victimes de la même mécanique de groupe,
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LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES
DR
court métrage Une longue tristesse de Morgan Simon
Diffusion au long cours Les courts métrages de début de séance vous manquent ? Dans la lignée du Festival Nikon, MK2 s’est allié avec La Banque Postale et Kisskissbankbank pour piocher une dizaine de films courts qui seront diffusés dans le réseau tout au long de l’année. _Par Claude Garcia
Si vous êtes allé au cinéma récemment, vous avez peut-être vu Je suis une comédie de Tristan Sebenne, le court métrage qui a remporté le Prix du Jury au dernier festival Nikon et que MK2 a diffusé début février à chaque début de séance : cent quarante secondes d’un monde où le rire est devenu illégal… À ce pionnier viendront bientôt s’ajouter les dix lauréats (parmi 377 candidats) du concours « Les courts métrages… le retour ». Grâce au crowdfunding proposé par le site kisskissbankbank.com, qui permet à tout un chacun de devenir producteur en contribuant financièrement aux projets auxquels il croit, et avec l’aide de La Banque Postale, dix jeunes réalisateurs ont collecté les fonds nécessaires à la création d’une copie de projection de leur film. MK2 diffusera chacun d’entre eux près de 4 000 fois, de mars 2012 à mars 2013. Parmi les lauréats, Une longue tristesse dure seulement soixante secondes mais parvient en un instant
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à nous faire imaginer la violence du quotidien d’une femme. L’Amour à contrechamp, film dans le film, met en scène le tournage rocambolesque d’une histoire d’amour dont les acteurs principaux se haïssent. Et Absence montre un fils qui découvre, par messagerie téléphonique, le meurtre de sa mère… Du très court (moins d’une minute) au un peu moins court (jusqu’à sept minutes), du délirant (déjanté Double Rainbow Origins, qui imagine comment le double arc-en-ciel bien connu des habitués de YouTube est né) au tragique, du super pro (Les Bons Tuyaux ou pourquoi il n’y a pas de bonne manière de se suicider) au film de potes (ah, les dialogues de Lose Actually…), du dessin animé (Happy Hour) au film 3D (Réminiscence), il y en aura pour tous les goûts. Cette année, plus question d’arriver en retard au cinéma ! ♦ Films diffusés jusqu’en mars 2013
toutes les salles MK2
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RENCONTRE
Ciné-BD : Moby Dick en eaux vikings Le scénariste Xavier Dorison (XIII Mystery) et le dessinateur Ralph Meyer (Berceuse assassine) se sont alliés pour créer Asgard, un guerrier viking maudit par une infirmité de naissance et qui, malgré sa jambe de fer, se lance à la poursuite d’un monstre marin sanguinaire qui fait des pêcheurs sa proie. Le tome 1 des aventures d’Asgard, Pied-de-fer, sortira ce mois-ci chez Dargaud. À cette occasion, Dorison et Meyer animeront la soirée Ciné-BD du 13 mars, où, en marge d’une séance de dédicaces, ils présenteront un film qui a grandement influencé leur ouvrage : le mythique Moby Dick de John Huston (1956), dont on retrouve dans Asgard le souffle épique et l’atmosphère tempétueuse. _I.P.-F. Le 13 mars à 20h au MK2 Quai de Loire
écoute en salle
Kalash et M83 Avant chaque séance, un album choisi par la rédaction de Trois Couleurs est diffusé dans les salles MK2. Ce mois-ci, deux disques ont particulièrement retenu notre attention. La Valse des invisibles, troisième album de Kalash, groupe de hip-hop hybride et imbibé de calva-bière, mixe les ambiances décalées des quartiers nord de la capitale à coup de rap’haine rock. Loin de la trinité Barbès-Pigalle-Montmartre chère à Kalash, l’Antibois Anthony Gonzalez publie son cinquième album sous le nom de M83, Hurry Up, We’re Dreaming. Porté par Midnight City, élu morceau de l’année 2011 par le site Pitchforkmedia, son électro épique et ascensionnelle fera lever les foules de La Cigale le 18 mars prochain. _Q.G. La Valse des invisibles de Kalash (Lasierraprod, déjà disponible) Hurry Up, We’re Dreaming de M83 (Naïve, déjà disponible) www.mk2.com 125
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LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES
Avant-première
Utile, à vivre et à rêver « La cinémathèque a besoin de vous », martèle le héros de La Vida Útil au public. C’est peut-être lui qui a le plus besoin de ce temple, auquel le cinéaste uruguayen FEDERICO VEIROJ rend hommage dans son deuxième long métrage. Une ode poétique à la cinéphilie, à découvrir en avant-première au MK2 Beaubourg. _Par Léo Soesanto
Comme dans le récent Dernière Séance de Laurent Achard, la fermeture imminente d’un cinéma – ici une cinémathèque uruguayenne – sonne un peu comme la fin du monde. Ce qui n’empêche pas Jorge, le touchant héros de La Vida Útil, vieux garçon et programmateur, de perpétuer les rituels qui ont jalonné sa vie : ranger les bobines, lire à haute voix les cartons des films muets pendant la séance, s’assurer que les sièges sont confortables, organiser des cycles en l’honneur de tel pays (l’Islande) ou de tel cinéaste (Manoel de Oliveira)... Les habitués de la Cinémathèque française se sentiront comme chez eux dans ce film. Le sacerdoce de la cinéphilie y est dépeint à la manière des classiques projetés, en format 1:33 carré, dans un beau noir et blanc expressionniste qui transforme les personnages en ombres hantant les couloirs, et la cinémathèque en caverne chaleureuse et maternelle. Mais loin de ruminer dans le noir et les citations, ou de perdre la boule comme chez Achard, le héros décide de 126
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donner à la vie la même magie que celle qui se trouve sur les toiles. La Vida Útil vire soudainement, mais naturellement, à la romance délicieuse et pudique où la comédie, la poésie et même la danse naissent de petits riens, du nouveau regard de Jorge posé sur sa coiffeuse, de poissons nageant dans un bassin ou de l’attention d’étudiants portée à leur professeur d’un jour. On laisse généreusement Jorge se faire son propre film, avec une nonchalance réjouissante et une classe infinie. Critique de cinéma à la ville, l’interprète principal, Jorge Jellinek peut alors retourner d’un gant sa présence massive en grâce de midinette. À la question du philosophe Stanley Cavell : « Le cinéma nous rend-il meilleur ? », Federico Veiroj répond avec limpidité : « Oui. » ♦ Avant-première de La Vida Útil de Federico Veiroj au MK 2 Beaubourg, date et horaire à guet ter sur w w w.mk 2 .com Avec : Paola Vendit to, Jorge Jellinek… Durée : 1h07 Distributeur : A3 Distribution Sor tie : 28 mars
agenda _Par J.R.
À partir du 10 mars
Cycle films noirs MK2 QUAI DE LOIRE
Les samedis et dimanches en matinée, avec Le Faucon maltais de J. Huston, Le Grand Sommeil de H. Hawks, Arsenic et vieilles dentelles de F. Capra, La Soif du mal d’O. Welles, Les Tueurs de R. Siodmak, Le Coup de l’escalier de R. Wise et Crime passionnel d’O. Preminger. Le 10 mars à 11h
Studio Philo saison 7 d’Ollivier Pourriol MK2 BIBLIOTHÈQUE Sujet du jour : vie et mort de l’image (Régis Debray), magie des images. Le 13 mars à 20h
Ciné BD MK2 QUAI DE LOIRE
Avec Dargaud, Xavier Dorison et Ralph Meyer présentent et dédicacent leur ouvrage Asgard - Pied-de-fer. Projection de Moby Dick de John Huston, choisi par les auteurs (lire p. 125). Le 22 mars à 20h30
Projection-rencontre MK2 BEAUBOURG
Jean-Claude Taki présente Sotchi 255, film tourné avec des téléphones portables en Russie et en France. Le 24 mars à 11h
Studio Philo saison 7 d’Ollivier Pourriol MK2 BIBLIOTHÈQUE Sujet du jour : vie et mort de l’image (Régis Debray), propagande : raison d’image et raison d’État. Le 26 mars à 20h30
Rendez-vous des docs MK2 QUAI DE LOIRE
Adriano Aprà, critique, historien du cinéma et ancien directeur de la Cinémathèque de Rome, présente La Nuit du coup d’État de Ginette Lavigne, sur la révolution des œillets portugaise. Le 27 mars à 20h
Soirée Premiers pas MK2 HAUTEFUILLE
En partenariat avec le magazine Bref et l’Agence du court métrage, diffusion d’Un petit air de fête d’Éric Guirado, Notre père d’Estelle Larrivaz et Corps inflammables de Jacques Maillot. Du 28 mars au 3 avril
Festival Cinéma du réel MK2 BEAUBOURG
Le MK2 Beaubourg accueille certaines séances du festival Cinéma du réel. Plus d’infos sur www.cinemadureel.org
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la chronique de dupuy & berberian
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la chronique de charlie poppins
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