Récits de Bilbao

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RÉCITS DE

BILBAO PARLONS LE “BILBAIEN” UN PONT SUR LE CŒUR SECRETS DES MARCHÉS ET DES MINES UN PALAIS “TXIKITO” ET ENCHANTÉ L’“ARRIAGA” ET SES ESPRITS LE GRIBOUILLAGE DE BILBAO LE TERRITOIRE DU TILLEUL SUR LES MARCHES, LES PONTS ET LES PASSAGES SECRETS PUPPY ET LE GÉANT EN TITANE LE MUS EN TEMPS DE GUERRE LA MAISON DES LÉGENDES UN GOÛT DE BILBAO


ARTXANDA

RÉCITS DE

BILBAO

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Edition : 2014 © Mairie de Bilbao Édité et coordonné par : Mairie de Bilbao Plaza Ernesto Erkoreka, 1. 48007 Bilbao Textes : Jon Uriarte Lauzirika Photos : Mairie de Bilbao Traduction : Bitez® SL Impression : Grafo, S.A. D.L.: BI-1235-2014

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PARLONS LE “BILBAIEN” 1 2 3 4 5 6 7

UN PONT SUR LE CŒUR SECRETS DES MARCHÉS ET DES MINES UN PALAIS “TXIKITO” ET ENCHANTÉ L’“ARRIAGA” ET SES ESPRITS LE GRIBOUILLAGE DE BILBAO LE TERRITOIRE DU TILLEUL SUR LES MARCHES, LES PONTS ET LES PASSAGES SECRETS 8 PUPPY ET LE GÉANT EN TITANE 9 LE MUS EN TEMPS DE GUERRE 10 LA MAISON DES LÉGENDES UN GOÛT DE BILBAO

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RÉCITS DE BILBAO

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“BILBAIENâ€? Le “Botxoâ€?. C’est ainsi que nous appelons Bilbao. Ou mĂŞme “Botxitoâ€? [le Petit Botxo] lorsque que cela demande un peu de tendresse, parce que nous sommes loin. Et tout le long des pages qui suivent, nous allons parcourir la ville ensemble, comme lorsque l’on montre sa maison Ă un ami, avec tout ce qu’on y trouve, aujourd’hui et par le passĂŠ, et ce que cela veut dire. MAIS AVANT D’ABORDER LA RUE, nous devons prĂŠparer le verbe. Les habitants de Bilbao parlent quatre langues. Nous laisserons la quatrième pour la fin. Les trois autres sont l’euskara, le castillan et la langue du “Botxoâ€?. Il est vrai que toutes les rĂŠgions et les villes ont leur propre lexique, mais portons ceci Ă l’extrĂŞme. Il s’agit parfois de mots ou d’expressions crĂŠĂŠes Ă partir d’autres langues. Mais il en existe une poignĂŠe dont l’origine est aussi mĂŠconnue qu’intĂŠressante. C’est le cas de “Botxoâ€? qui, en somme, veut dire trou. Les historiens et les linguistes ne s’accordent pas sur ses origines. Et comme la vie est trop courte et le ciel souvent couvert, nous nous limiterons Ă raconter un fragment de cette langue “bilbaienneâ€?. Es espagnol, nous ĂŠcrivons le gentilĂŠ “bilbainoâ€? sans accent, et pour une raison très simple. Nous sommes des “bilbaiensâ€? avec diphtongue. Comme disait Unamuno, et avant lui Quevedo ou Cervantes, le “bilbainoâ€? et le “bizkainoâ€? ou “vizcainoâ€?, s’ils portent un accent, sont des faux. Toujours trois syllabes, jamais quatre. Et cela dit, commençons par la façon de saluer. N’ayez pas peur lorsque quelqu’un vous lâche un ÂŤ ÂĄQuĂŠ! Âť (Quoi !) Ă l’emporte-pièce en vous regardant dans les yeux. Ce n’est pas une question agressive, mais un bonjour diffĂŠrent. Vous pouvez rĂŠpondre par un pratique ÂŤ ÂĄaupa! Âť. Outre le cri sportif d’encouragement, et selon le ton utilisĂŠ, il sert Ă saluer, Ă soutenir ĂŠmotionnellement ou Ă transmettre ses condolĂŠances. Mais si l’on tourne lĂŠgèrement la tĂŞte en mĂŞme temps, il traduit l’indiffĂŠrence. Pour se dire au revoir un ÂŤ bueno Âť (bon) ou ÂŤ beno Âť suffisent. Le plus officiel serait ÂŤ agur Âť (au revoir). Mais malgrĂŠ les apparences, il ne signifie pas un au-revoir mais une façon de saluer et une preuve de respect. C’est peut-ĂŞtre parce que les basques en gĂŠnĂŠral, et les “bilbaiensâ€? en particulier, n’aiment pas se dire au-revoir. Quant Ă la façon de dĂŠnommer les autres, le “txireneâ€? est la personne ÂŤ qui fait son miel de tout Âť, qui ne rate pas une fĂŞte ou un ĂŠvĂŠnement, parce qu’elle-mĂŞme est une fĂŞte sur pied, dĂŠbordant de plaisanteries. Quand on l’appelle “pitxinâ€?, c’est un geste de tendresse qui signifie petit poussin, mais qui est utilisĂŠ de manière populaire pour montrer de la sympathie. En revanche, un “txotxoloâ€? est quelqu’un de simple, et un “sinsorgoâ€? quelqu’un faisant preuve d’aussi peu de sĂŠrieux que d’humour. La bonne poire qui encaisse tout est appelĂŠe “baldragasâ€? (lavette), le casse-pied, “cansagarriâ€?. Et le type aux manières rustres et peu distinguĂŠ, “jeboâ€?. Le menteur est appelĂŠ “boleroâ€? parce qu’il lance des bobards qui grandissent. Le fou, “chifladoâ€? (cinglĂŠ). On dit que cela peut venir de souffler dans le sifflet. Pour le pleurnichard, nous avons le terme de “maĂąosoâ€? (capricieux), c’est pourquoi nous disons “hacer maĂąasâ€? (faire des capirices) pour pleurer. Un “chico viejo“ (vieux garçon) ou “birrotxoâ€? est un vieux garçon qui, semble-t-il, ne changera pas son ĂŠtat civil. Et si vous entendez dire de quelqu’un qu’il est un “pesteâ€?, c’est qu’on le considère ennuyeux. Un “boronoâ€? est un plouc. Ă€ ne pas confondre avec un villageois, car ceux-ci sont intelligents en gĂŠnĂŠral. Maintenant que nous connaissons le personnel et la faune “du Botxoâ€?, allons “de potesâ€? ou, ce qui reviens au mĂŞme, prendre un verre. Pour cela, si nous sommes avec des amis, nous dirons que nous allons avec la “cuadrillaâ€? (bande). Et si c’est pour faire la fĂŞte, nous allons “de parrandaâ€? (en virĂŠe). La coutume veut que les tournĂŠes soient payĂŠes Ă tour de rĂ´le par les amis de la bande, jusqu’à ce que chacun ait payĂŠ une tournĂŠe. On peut aussi “poner un boteâ€? (faire une cagnotte) ou un fonds, chacun apportant la mĂŞme somme, qui sera tenue de manière responsable par un des composant de la bande. On appelle ĂŠgalement “boteâ€? (cagnotte) le pourboire. Si vous allez prendre des “pintxosâ€?, de petites tapas servies dans les comptoirs des bars et des restaurants, sachez qu’à Bilbao, elles sont ĂŠgalement connues comme “banderillasâ€? (banderilles). Poursuivons. Le “txokoâ€? est une sociĂŠtĂŠ formĂŠe par un groupe d’amis qui se rĂŠunissent pour dĂŠjeuner, dĂŽner ou prendre un verre. Sa raison d’être est son caractère gastronomique. Ce privilège ĂŠtait jadis rĂŠservĂŠ aux hommes, mais par chance, c’est du passĂŠ. En revanche, ce sont eux qui cuisinent, prĂŠparent et dĂŠbarrassent la table. En gĂŠnĂŠral, les “txokosâ€? se trouvent dans des locaux. Ne pensez pas qu’on y vend du poisson. Ă€ Bilbao, tous les locaux sont appelĂŠs “lonjasâ€?. Un “zuritoâ€? est une petite bière ou un demi, et une “caĂąaâ€? (un demi) ĂŠquivaut Ă un double demi de Madrid ou Barcelone. Un “txikitoâ€? est un verre de vin. Le “txakoliâ€? est notre vin par excellence. Il peut ĂŞtre blanc, le plus souvent, ou rouge pour des goĂťts plus autochtones. Et pour un dernier verre, demande une “espuelaâ€? (un stimulant). Et si le repas est excellent et copieux, ce sera une “jamada del copĂłnâ€? (une bouffe d’enfer). En parlant des ĂŠtats d’âme ou de la santĂŠ, lorsque quelqu’un est “larriâ€?, c’est que son estomac ne va pas bien, qu’il est plutĂ´t triste. Et celui qui va “kili-koloâ€?, c’est parce que son moral est moyen.

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Un “trompalariâ€? est quelqu’un qui picole, et “pisar (marcher) iturriâ€?, “ir perfumadoâ€? (ĂŞtre parfumĂŠ) ou “pillar castaĂąaâ€? (prendre une cuite) quelqu’un qui a bu plus qu’il n’en faut. “Kurdaâ€? aussi dĂŠsigne une cuite. Aux alentours de 1894, il y avait un ĂŠtrange club Ă Bilbao : le “Kurding Clubâ€?. Il se composait de jeunes de bonnes familles et au portefeuille encore meilleur. Leur devise ĂŠtait de profiter de la fĂŞte et du bon vin, lors de leurs cĂŠlèbres rendez-vous culturels. Ou du moins, c’est ainsi qu’ils les appelaient. Ă€ noter ĂŠgalement que la voiture de la Mairie qui ramassait dans les rues ceux qui avaient trop bu, pour qu’ils passent la nuit derrière les barreaux, ĂŠtait connu comme le “Kurding Carâ€?. Le plus frappant, c’est que le terme de “kurdaâ€? vient du fait que quelqu’un avait fait courir le bruit dans la Ville que les kurdes ĂŠtaient un peuple qui aimait bien boire. Ajoutons qu’un “iturriâ€? est une capsule de bouteille. Son nom puise son origine dans une limonade mythique ÂŤ bilbaienne Âť appelĂŠe “iturrigorriâ€? qui existe toujours bien qu’elle soit fabriquĂŠe dans d’autres terres. D’ailleurs, Ă Bilbao, il ne fait pas froid mais ÂŤ frais Âť. La pluie fine qui trempe sans que l’on s’en aperçoive est appelĂŠe “sirimiriâ€?. Et lorsque les eaux inondent les rues ou que la Ria dĂŠborde, nous avons un “aguadutxuâ€?. Et maintenant, parlons nourriture. Lorsque quelqu’un dit “le pegarĂ­a un tariscoâ€?, il veut dire qu’il lui donnerait une bouchĂŠe ou un coup de crocs. Un “tanqueâ€? est un grand verre et un “katxiâ€?, un verre, en gĂŠnĂŠral en plastique, contenant de la bière ou du vin et du coca, c’est-Ă -dire un “kalimotxoâ€?. Ici, les calamars Ă la romaine sont des “rabasâ€? (beignets) et les moules, des “mojojonesâ€?. Les “vainasâ€? (cosses), les haricots verts, et les haricots, des haricots rouges. Si ces dernierss ont du boudin, du chorizo et du lard, on parle de haricots avec des “sacramentosâ€? (sacrements). Les bigorneaux sont connus comme des “caracolillosâ€? (petits escargots) ou des “maguriosâ€?. Quant Ă l’“antxoaâ€? (anchois), demandez dans un restaurant, cela ĂŠvitera de vous tromper. Pour les objets et les noms, la capuche d’un vĂŞtement pour le froid est appelĂŠe “chotoâ€? (gĂŠnisse) ; un impermĂŠable trois-quarts, “trincheraâ€? (tranchĂŠe) ; et une veste, “chamarraâ€? (pelisse). Ă€ Bilbao, une ĂŠtagère est une “baldaâ€? (rayon). Nous disons “baldeâ€? pour un sceau d’eau, pour parler d’argent, nous disons “chinesâ€? et lorsque nous lançons une fusĂŠe, nous lassons un “chupĂ­nâ€?. Dire “tu-ru-rĂşâ€? (taratata) Ă quelqu’un pour lui indiquer que nous ne sommes pas d’accord ou que ÂŤ pas question Âť, c’est aussi de chez nous et cela vient du français. Par contre, la raison pour laquelle nous appelons les chaussures “calcosâ€? (calques) n’est pas claire du tout. Mais les marchands de chaussures sont appelĂŠs “calquerosâ€?. En outre, ce n’est que chez nous que l’on fait “chinchĂ­nâ€? en trinquant. Une expression dont l’origine est un ancien instrument militaire formĂŠ de clochettes. Concernant les lieux particuliers et autres sujets, il n’y a pas de vieux quartier dans la ville. Ici, nous l’appelons “Casco Viejoâ€?, le “Kaskoâ€? ou, encore mieux et plus autochtones, les “Siete Callesâ€? (les Sept Rues). Le parc de Madame Casilda est le “Parque de los Patosâ€? (Parc des Canards). Et San MamĂŠs a toujours ĂŠtĂŠ connu comme ÂŤ La CathĂŠdrale Âť. D’ailleurs, le nouveau terrain n’existe pas. C’est le mĂŞme, tournĂŠ Ă 90 degrĂŠs. Bien entendu, ne dites jamais ÂŤ le Bilbao Âť en parlant du club de foot de la Ville. Il n’existe pas. Il y en eut un appelĂŠ ainsi, mais il fut dissout lorsqu’il fut intĂŠgrĂŠ dans le vieux, le primitif et l’unique Athletic Club. Nous l’appelons affectueusement ÂŤ Athletic Âť. Avant de terminer, nous allons vous raconter un secret : nous avons une couleur de plus que les autres. Le ÂŤ bleue Bilbao Âť. Cherchez-le. On dit que c’est celui des foulards des fĂŞtes, du ciel propre après une tombĂŠe de la nuit pluvieuse en ĂŠtĂŠ et celui qu’utilisa l’armĂŠe amĂŠricaine dans la Guerre d’IndĂŠpendance, après qu’un commerçant du “Botxoâ€? y ait amenĂŠ du tissu de cette couleur. J’oubliais, le bilbaien est aussi connu comme un “chinboâ€?, “chimboâ€? ou “tximboâ€?, en souvenir d’un oiseau qui peuplait autrefois les cieux et les arbres de la Ville. Si vous souhaitez en savoir plus sur les expressions et les termes, vous pouvez consulter le “LexicĂłn bilbainoâ€? (lexique de Bilbao) d’Emiliano Arriaga. Vous y dĂŠcouvrirez de vĂŠritables trĂŠsors. Nous pourrons nous y plonger un autre jour. Aujourd’hui, nous avons un autre parcours. Vous souvenez-vous que je vous disais qu’il existait une quatrième langue Ă Bilbao ? Eh bien, c’est la “riaâ€?, au fĂŠminin, et c’est celle que nous allons suivre maintenant.

Vous voulez nous suivre?


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RÉCITS DE BILBAO

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pont sur le cŒur

On dit que la mer est au masculin, en langue espagnole, lorsque l’on se trouve sur terre, et au féminin lorsqu’on est en mer. Et c’est un peu pareil avec la ria de Bilbao. Certes, un fleuve (“río”) change de genre lorsqu’on approche de son embouchure et qu’il se remplit de sel, mais il y a autre chose. Il a un goût de mère. Une odeur inimitable. Celle de la vie qui vient et qui va, depuis bien avant que l’on pose un pied sur cette planète. Parce qu’elle a toujours été là. Voilà pourquoi nous allons la visiter, dans le voyage que nous débutons maintenant. ••••••

B

ilbao n’est rien d’autre que le fils préféré de la ria. Et pour le connaître, il faut d’abord parler avec la ria. Pour cela, le Pont de San Antón est sans doute un bon endroit. C’est lui qui a relié, par les deux rives, depuis la nuit des temps. Le spirituel et le charnel. La vieille église et les temps nouveaux. Les deux parties du cœur d’une Ville. C’était ainsi avant même qu’elle ne fut créée. C’est pour cette raison que nous allons voyager jusqu’au lieu où tout a commencé.

Détruit au cours de la Guerre Civile, il fut reconstruit à la fin du conflit. Sachez aussi que pendant un temps, le vieux pont cohabita avec le nouveau, jusqu’à la démolition du premier. Imagiez un peuple capable de faire tomber le symbole de sa ville en faveur du développement. Nous sommes ainsi, à Bilbao. Aussi traditionalistes que progressistes. Aussi romantiques que pratiques. Pour toutes ces raisons, se promener sur ce pont, c’est parcourir notre histoire. Nous vous invitons néanmoins à lever le regard.

Trois siècles plus tôt, à quelques années près, il existait un dépôt de marchandises là où nous nous trouvons. Le lieu occupé par l’église de San Antón. Elle fut construite sur le plus gros rocher, de sorte qu’elle a été entourée, parcourue et, bien souvent, inondée par l’eau. Tels les amours qui tuent, la ria autorise notre présence, mais elle rappelle de temps en temps qui commande. Nos aïeux le savaient bien, c’est pourquoi ils firent construire une muraille que vous pouvez voir si vous entrez dans l’église et regardez derrière l’autel. Mais allons d’abord sur le pont.

Vous voyez cette figure, en hauteur ? C’est le Giraldillo. Nous l’écrivons avec une majuscule, car il est un et unique. Il a huit pieds de haut, est en bronze et parle avec les mouettes. Leur relation est si étroite que quand elles lui rendent visite, nous savons que l’orage approche. En échange, le Giraldillo leur raconte les “susedichos”, comme nous appelons les ragots et les événements, ou les vieilles histoires d’autrefois.

On dit qu’il existait aussi avant que Diego López de Haro ait fondé la Ville. D’ailleurs, il n’y en a pas eu un, mais plusieurs. Autant que le nombre de fois où il a repris vie. En 1334, on en faisait construire un en bois pour remplacer le précédent, qui avait été emporté par les eaux après une crue. En 1463, il avait été refait en pierre, de style gothique, détruit en 1593 par une nouvelle crue. Les fréquents “aguadutxus”, comme nous appelons ici les pluies qui inondent, en particulier, les parties basses de la Ville et les zones proches de la ria, le blessèrent grièvement et il dut être démoli en 1882. C’est alors que fut construit le nouveau pont. D’ailleurs, il s’appelle également “de Atxuri” en raison de son emplacement du côté où se trouve l’Église consacrée au saint.

Comme celle des “sirgueras” qui occupaient les rives de la ria jusqu’au début du siècle dernier. Des femmes qui, avec leur tablier et un foulard sur la tête, parcouraient les rives en tirant sur les cordages ou les câbles pour traîner les bateaux à bout de bras jusqu’au marché et les mines. Des plumes illustrent d’ici et là ont écrit sur elles, surprises par une telle force et ce destin cruel. Le Giraldillo leur raconte également que la célèbre sardinière qui parcourait les rives utilisait parfois le transport public. Le train de Santurtzi sentait différemment selon qu’elle arrivait ou partait avec ses bijoux marins. La vigie de San Antón n’oublie pas non plus d’inclure dans son récit les aventures de ceux qui nageaient dans la ria, pour le travail, un pari ou simplement par plaisir. En 1839, un arrêté interdit la baignade nu ou, en gardant ses vêtements et sa pudeur, pendant les heures de travail. Nombreux furent ceux qui bravèrent cette règle. Peut-être

parce-qu’au fond, nous avons un côté atlante. C’est pour cela qu’il continue à raconter la légende de l’homme de Liérganes. Vous ne la connaissez pas ? Penchez-vous au-dessus du pont, écoutez la vigie et regardez vers l’intérieur des eaux.

« Liérganes ». Après plusieurs enquêtes, ils découvrirent qu’il existait une commune portant ce nom, près de Santander. Et il fut décidé qu’un moine appelé Rosendo amènerait le jeune à ce village. La réponse se trouvait peut-être là-bas.

L’être qui se donna aux eaux

Et ce fut le cas. Peu avant d’y arriver, il s’éloigna en avant du groupe et marcha jusqu’à la maison de María de Casar. En le voyant, elle le reconnu et fondit en larmes. Et c’est là qu’il resta. Mais il ne revint jamais totalement. Il vivait dans son propre monde. Il marchait pieds nus et souvent nu. Il pouvait passer des jours à manger, ou à jeuner. Il parlait à peine. Jusqu’au jour où, au matin, il se lança de nouveau dans l’eau et disparut une nouvelle fois. Mais cette fois-ci, ce fut à jamais.

Au milieu du XVIIe siècle, dans un lieu de la province voisine de Cantabrie appelé Liérganes, vivait le couple Francisco de la Vega et María de Casar, avec leurs quatre enfants. Lorsqu’elle fut veuve, elle envoya le deuxième de ses rejetons, Francisco, faire des études à Bilbao. Le but était de lui faire apprendre le métier de menuisier. Et c’est ce qu’il fit jusqu’à ce qu’en 1674, la veille de la Saint-Jean, il partit nager dans la ria avec des amis. Il se lança à l’eau, commença à nager et, d’un seul coup, on le perdit de vue. Comme c’était un bon nageur, on n’en fit pas grand cas. Mais au fur et à mesure que les heures passaient, on commença à craindre le pire. La nuit tombée, il fut tenu pour mort. Cinq ans plus tard, des pêcheurs partis chercher des crevettes dans la baie de Cadix virent quelque chose d’étrange dans l’eau. Un être marin à l’apparence humaine. Et tout comme il apparut, il disparut. À leur surprise, ils le revirent plusieurs fois. Jusqu’au jour où, profitant de la marée basse, ils parvinrent à l’attraper dans leurs filets. En le montant à bord, ils virent qu’il s’agissait d’un jeune à la peau blanche et aux cheveux roux. Mais il y avait autre chose. De grandes écailles descendaient de sa gorge jusqu’à son estomac et d’autres parcouraient l’épine dorsale. Apeurés, ils l’amenèrent au couvent de San Francisco. Après avoir tenté de le libérer du démon par des exorcismes et des prières, il y fut interrogé en plusieurs langues. Il ne dit rien. Mais lorsqu’ils s’y attendaient le moins, il prononça le mot

CECI VOUS INTÉRESSE PEUT-ÊTRE …

Lors des travaux de restauration intégrale de l’Église, entre 1996 et 2003, un mur de 2 mètres de large fut découvert. Il entourait le rocher d’Atxuri qui, dit-on, continuait sur la courtine de la muraille venant de la rue Ronda.

Sur la porte d’entrée de l’Église, un texte dit : « Ajoutée à la Basilique Saint-Jean-deLatran », qui n’est autre que la Cathédrale de Rome. De plus, le tracé de l’église à côté du pont font partie des armoiries de la Ville.

L’actuel pont de San Antón fut construit entre 1871 et 1877 par Pablo de Alzola et Minondo et Ernesto Hoffmeyer. C’est un pont en pierre, formé de deux arches séparés par un avant-bec. Il fut construit près du lieu occupé par le premier pont mediéval.

D’ailleurs, lorsque l’ancien fut retiré, et bien qu’il fut le symbole de la ville, personne ne se plaignit. Surprenant pour un peuple accroché aux traditions. On pensait peut-être que tout sacrifice est acceptable lorsque l’on cherche de nouveaux chemins.

Tels les amours qui tuent, la ria autorise notre présence, mais elle rappelle de temps en temps qui commande Du fait que la ria sert aussi bien aux départs qu’aux arrivées, poursuivez ce voyage avec nous. Afin de vous éviter de vous perdre, la ria sera notre point de référence. Cela a toujours été ainsi. D’ailleurs, les rues démarrent à côté des eaux ou avec celles-ci comme référence. Son importance est telle que nous lui avons demandé pardon. Il fut un temps où elle nous donna de la richesse en échange de la perte de sa propreté. Il lui est arrivé de se fâcher. Comme en 1983, où elle déborda emportant Bilbao avec elle. Mais nous avons appris la leçon. Nous lui avons rendu sa splendeur grâce à un intense plan de régénération et un investissement sans précédents, que nous aborderons lors de cette promenade. Vous pouvez le faire par terre ou par l’eau. Parce que reconnaissante, elle nous autorise de nouveau à la sillonner, voire à y nager. Au fait, elle a même sa journée. Le 22 juin. Il faut toujours fêter l’anniversaire des êtres chers. En fin de comptes, nous sommes une terre qui sent la mer. Un lieu où les eaux sillonnent le cœur de la Ville en pompant la vie et la mort, la comédie et le drame. Un lieu où nous allons aujourd’hui et d’où nous revenons demain, mais où on ne s’arrête jamais. Parce que la ria, et la Ville, c’est cela, depuis le jour où quelqu’un décida que le monde serait doté d’un nombril et qu’il s’appellerait Bilbao.


RÉCITS DE BILBAO

SECRETS DES MARCHÉS ET DES MINES

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Une pièce de monnaie a toujours deux faces. Et l’économie de Bilbao les a eues. Les deux « M ». Marché et Mines. De sorte qu’elle tombait parfois sur une face, et d’autres fois sur l’autre. Ou pas. Parce que les deux ont cohabité depuis l’origine comme deux fiancés qui se regardent depuis l’autre côté de la ria. ••••••

O

n ne pourrait comprendre la naissance de Bilbao sans la ria, ni sa croissance sans ce qui arriva sur ses rives. C’est pourquoi nous allons poursuivre le parcours, sans trop nous éloigner du Pont et de l’Église San Antón. Car deux mètres à vue d’œil suffisent pour parvenir à un géant qui sait ce que vivre collé aux eaux veut dire. Le Marché de la Ribera.

Pour les basques, la gastronomie est comme une religion. C’est pourquoi Bilbao prend pour des temples les magasins, les restaurants et les marchés. Ce lieu en est une preuve. Vous n’avez pas à avoir besoin de nourriture pour remplir l’estomac, le garde-manger ou la casserole. Vous pouvez d’ailleurs n’être que de passage et ne pas avoir prévu de faire des courses. Peu importe. Alimenter les yeux est une pratique aussi « bilbaienne » qu’effective. Et si ensuite, on rentre à la maison avec un bijou culinaire, c’est la cerise sur le gâteau. Allons donc visiter le marché. Lequel, soit dit en passant, n’est pas n’importe lequel. C’est le plus complet, selon le « Guinness », et le marché couvert le plus grand d’Europe. C’est un bâtiment gris, avec des détails en rouge, noir et blanc, qui repose tel un bateau ancré sur la rive. Ou comme une gare qui attend des wagons invisibles. Ou encore, en parlant d’un théâtre, à attendre que le rideau se lève et que les rêves descendent. Car, en fait, c’est tout ceci et bien davantage. Le marché s’est agrandi dans ce lieu en raison de son emplacement. Tout commença au XIVe siècle, quand les étals de fruits, légumes, poissons, viandes et épices s’installèrent sur la Plaza Vieja, tout à côté de San Antón. Et parce qu’il fallait se protéger de la pluie, ils se couvrirent petit à petit. Mais ceci n’était ni suffisant ni pratique. Ainsi, en 1928, débuta la construction du bâtiment qui se trouve devant vous. Un an plus tard, il ouvrait ses portes. C’est alors que le bateau sillonna les mers, la gare reçut des voyageurs et le théâtre lança sa pièce la plus universelle. Celle du quotidien d’une Ville en mouvement. Nous nous promènerons plus tard à l’extérieur. Entrons maintenant. De nos jours, il y a 60 étals, le 207 étant le plus ancien. On y vend de la charcuterie, des dérivés du porc, et appartient à une famille qui a passé le relais commercial et l’étal de génération en génération. Ainsi en attestent les photos que vous y trouverez, sur lesquelles on les voit décharger un char à chevaux. À cette époque, face au marché se trouvait la fabrique de glace, de l’autre côté du Pont de la Merced. Un pont qui en sont deux. Celui de San Francisco, qui n’existe pour avoir été détruit par un incendie, et celui de la Merced, qui prend sa place et cache une légende.

En vous rapprochant, vous verrez d’étranges figures à côté des huit lampadaires. Ce sont seize êtres ailés, disposés par deux, de chaque côté du pont. On dit que cela vient de l’ingénieur chargé de le concevoir, après s’être entiché d’une histoire qui courrait les rues au début du XVe siècle. Il semblerait que ces êtres vivaient dans les zones boisées de l’actuel quartier de San Francisco. Et certaines nuits, ils parcouraient les rives. On ne connaissait pas grand-chose ou rien sur eux. Pas même leur sexe. On savait seulement qu’ils allaient par deux, à la recherche d’âmes tristes et solitaires. Quand ils étaient à côté, ils les frôlaient avec leurs ailes et, ce faisant, les personnes faisaient le plein d’énergie, dégageaient de l’optimisme et trouvaient leur bonheur. Ceux qui cherchaient l’amour le trouvaient et ceux qui l’avaient, le consolidaient. Vous ne croyez peut-être pas aux légendes. Mais si vous passez par-là, touchez leurs ailes au cas où. On dit que cela porte chance et des années de bonheur. Mais avant, parlons de ces mines devenues un souvenir. Saviez-vous qu’elles existent encore ?

La richesse des mines

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, tout habitant de Biscaye pouvait extraire le minerai. D’ailleurs, il fallait à peine creuser parce que le minerai était partout. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et l’affaire commença à être exploitée par une poignée d’entreprises de choix. Depuis toujours, les faubourgs avaient combiné l’activité portuaire et minière, en raison de la richesse du sous-sol. Voyez-vous la rive face à San Antón et le Marché de la Ribera ? Il y eut là des mines, aussi bien vers la mer que vers le quartier de La Peña. Certaines furent célèbres. Comme celles de La Julia, San Lus, Malaespera ou la Abandonada de Miribilla. Une zone, d’ailleurs, dont le nom vient de “Mira-villa” (Regarde-ville), s’agissant de la partie haute d’où l’on apercevait Bilbao. Et si sa surface était riche, ses entrailles l’étaient encore davantage. De là que nous ayons dit adieu au XIXe siècle et accueilli le XXe « en trouant le trou ». Le “Botxo” devint plus “botxo” que jamais. Des maisons et des quartiers surgissaient en même temps que le minerai sortait de la terre. Jusqu’à l’approche de la clôture du siècle dernier, dans les années 70, où les lumières s’éteignirent progressivement. Il ne reste que les souvenirs des derniers miniers. Mais les galeries sont là. Voyez-vous le quai de la Marzana ? C’est là que débouche une galerie venant de Bilbao la Vieille pour mourir dans sa ria. Si vous avez la chance d’être là à marée basse, vous pourrez voir les restes du lieu du chargement où arrivaient les gabares pour transporter du matériel vers Sopuerta ou les Hauts Fourneaux. On dit même qu’il conserve les vieux rails où circulaient les chariots. Son air dystopique lui a valu d’y accueillir des tournages de pub, de documentaires et de films.

À l’inquiétant bruit du silence s’ajoute celui d’une source qui coule. Cela nous rappelle qu’il y eut un jour de la vie. D’ailleurs, celles-ci et d’autres conservent encore des minerais. Mais leur extraction ne serait plus rentable. Citons, comme curiosité, que la porte d’entrée se trouve à côté d’un restaurant appelé “Mina” (« mine »). Il est en métal et si discret que personne n’oserait imaginer qu’il cache des secrets semblables à ceux du Palais de Granit de l’île Mystérieuse. On dit qu’à l’intérieur, il ne fait ni chaud ni froid. Comme s’il s’agissait de limbes. Ou d’une lune. Car c’est l’impression que donnait cette zone jusqu’à sa rénovation, après un important investissement qui démarra en 1992. Elle se compose aujourd’hui de logements, de parcs et d’une vie qui n’a plus rien à voir avec celle des miniers. Excepté pour un cri qui y naquit et qui perdure « Alirón ! Alirón ! L’Athletic est le champion ! En commençant par Pichichi et terminant par Apón ! ». Le terme « Alirón » est assez courant lorsque l’on parle de succès sportifs. Mais il est né à Bilbao. On l’entendit pour la première fois lorsque l’Athletic Club remporta la Coupe, le 10 mai 1914, face au Club España. Ce jourlà, il passa des locaux à « cuplés » aux rues d’Irún, où se jouait la finale, et ensuite à Bilbao. Avant cela, Teresita Zazá avait inclus les termes de « Athletic » et « champion » dans une chanson interprétée par l’artiste Marietina, écrite par Retana et Aquino qui disait, à l’origine, « à Madrid, la chanson de l’Alirón est à la mode. Et il n’y a personne à Madrid qui ne connaisse cette chanson. Aujourd’hui, les filles ne remettent pas leur cœur à un amoureux, s’il ne sait les rendre amoureuses au rythme de l’Alirón. Alirón, Alirón, Alirón pom, pom, pom ! ». Après avoir entendu le public de Bilbao chanter en chœur « l’Athletic est le champion », Zazá le changea. Mais d’où venait le terme d’Alirón. En dépit de ce qu’indique l’Académie Royale Espagnole sur la supposée origine arabe du mot, son adaptation sportive est en rapport avec les mines de la ria de Bilbao. Elles étaient pratiquement toutes exploitées par les britanniques, et lorsque l’acier était de bonne qualité, un panneau indiquait « All-iron », tout en acier. Ceci entraînait une paye supplémentaire, ce qui explique la joie. Les miniers, qui ne parlaient pas l’anglais, le lisaient et le prononçaient tel qu’ils le voyaient. « Al-irón ». Et son adaptation au football et aux succès de l’Athletic ne fut qu’une question de temps. Le destin a fait qu’une gabare utilisée pendant les années minières et industrielles devienne la nef dans laquelle l’équipe sillonnerait les eaux, en direction de la Mairie, pour y fêter des ligues et des coupes sous les acclamations. D’une certaine façon, tout revenait à son origine. Mais celle de la gabare est une tout autre histoire. Une parmi toutes celles qui nous restent si vous poursuivez le parcours de la ria de Bilbao avec nous.

À NOTER

En 1840, on commence à couvrir les étals et en 1870, ils sont tous couverts d’un hangar pour supporter les intempéries. Peu après, a lieu la construction d’une enceinte en fonte, en fer forgé et en verre. En 1850, un service de contrôle qualité est mis en place pour le poisson, le lait et la viande. Le 22 août 1929, est inauguré un nouveau bâtiment, réalisé en béton armé, un ouvrage de l’architecte Pedro de Ispizua et de style rationaliste. Entre 1872 et 1873, le premier haut fourneau basque est construit. Il utilisait du charbon minéral.

Alirón vient des mines de la ria de Bilbao. Lorsque l’acier était de bonne qualité, un panneau indiquait « All-iron », tout en acier. Ceci entraînait une paye supplémentaire, ce qui explique la joie


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RÉCITS DE BILBAO

UN PALAIS

“TXIKITO” ET ENCHANTÉ Vous aimez les histoires avec des passages ? Et celles sur des lieux qui ne sont pas ce qu’ils semblent ? Connaissez-vous le coin des “txikiteros” ? Et le plus grand verre au monde ? Pour répondre à ces questions, nous allons jusqu’à un palais qui n’en est pas un. En fait, il est connu comme La Bourse de Bilbao, même si elle ne contient aucun marché de valeurs. ••••••

À NOTER

Début mars 1908, la crise ouvrière que traversait la Biscaye provoqua des tensions en tous genres. Mais il y en eut une bien étrange. On touchait à quelque chose de sacré. Le 4 mars, et en raison de l’augmentation de l’impôt sur les vins selon leur graduation, les propriétaires des dépôts de vins de Bilbao décidèrent de fermer leurs portes et de ne plus vendre aux magasins ni aux tavernes. Les taverniers se joignirent à cette fermeture. Outre des impôts plus faibles, ils exigeaient le droit d’ouvrir les dimanches pendant les foires. Ce fut une sorte de loi sèche pour les habitants de la ville, qui finirent par acheter le vin dans les parties arrière de tavernes et dans la clandestinité. Quoi qu’il en soit, le bras de fer avec le Maire de l’époque, Ibarreche, et avec les normes imposées par les autorités locales et étrangères prouva qu’à Bilbao, on ne joue pas avec le vin.

D

e plus, ne s’agissant pas d’un bar, il apparaît comme le temple de ses plus grands représentants. Étrange, n’est-ce pas ? Pour le connaître, nous visiterons les “Sept Rues”. C’est là que se trouve le Palais de Yohn. Connu comme le Centre Civique du Casco Viejo. On raconte qu’il comptait un passage et qu’il arrivait jusqu’à la ria. En vous penchant, en faisant attention à ne pas tomber, chercher une voûte en direction du Palais. Vous la voyez ? C’est par là qu’il passait. Ou qu’il passe. On affirme qu’il est toujours ouvert. Il était utilisé pour le transport de marchandises. Mais nous sommes plusieurs à croire que sa mission était bien plus coupable. En fin de comptes, tout en lui est mystère. À commencer par son origine. La première version date du XIVe siècle, lorsqu’il existait une maison-tour à côté de la muraille qui entourait Bilbao. À l’époque, le pouvoir, à Bilbao, était exercé par les “jauntxos” ou familles puissantes. Il ne reste aucune trace de ses premiers propriétaires, mais au milieu du XVIe siècle, elle appartenait à un certain Gaspar de Bilbao. Avec le temps, sa fille María en hérita, puis sa fille Magdalena, qui se marie à Francisco de Salazar. Ce dernier inclut la tour, parmi d’autres, dans la dot de son fils. C’est ce dernier chevalier qui s’acharna à lui donner un air de palais, au XVIIe siècle. Les générations passèrent ainsi, jusqu’à Francisca Luisa de Salazar, qui changea son destin. En 1783, elle loua trois locaux, l’entresol et une chambre à des commerçants arrivés du Royaume de Bohême.

La loi “txikitera” veut que celui qui arrive paye, et qu’ensuite, la tournée reprend. Les conversations aborderont les sujets de la terre, la gastronomie, le climat ou l’Athletic. La politique et la religion sont interdits. Les blagues, en particulier les coquines, à voix basse mais les éclats de rire, forts et à cœur joie Les Groh et les Gotscher venaient des terres des Habsbourg, actuellement occupées par la République Tchèque, plus précisément de sa capitale, Prague. Ils étaient quincaillers. Les affaires marchent grâce aux mines et au commerce, mais au début du XIXe siècle, les disputes entre les héritiers commencent. Elle est reprise par un certain Juan Jorge Yerschik, associé des Groh. Au cours des décennies qui ont suivi, les citoyens de langue allemande continuent de venir. C’est ainsi que l’on désignait les allemands, autrichiens formant ce

collectif qui se consacrait à la quincaillerie, la porcelaine et le verre. Mais un certain Leandro Yhon, employé de Yerschik prend la suite et en fait un lieu emblématique. La raison pour laquelle il finit par être connu comme La Bourse est toujours un mystère. Peut-être parce qu’on trouvait de tout dans l’orographie du terrain. Dans tous les cas, c’est ainsi qu’il entra dans l’histoire avant la création de la Bourse de Bilbao. Une nouvelle fois, les années se succèdent, et les propriétaires aussi, jusqu’aux inondations de 83, qui détruisent tout. En 1987, elle devient la propriété de la Mairie, et elle est actuellement un Centre Civique unique. Vous y trouverez des restes de la muraille et un mirador privilégié qui permet de regarder le nouveau Bilbao et d’imaginer ce qu’il fut. Mais avant, approchez-vous du monolithe des “txikiteros”. C’est là aussi qu’il se trouve.

Le “txikitero”, de Bilbao depuis toujours

Les “txikiteros” ne sont ni une race ni une espèce, mais ils sont à nous et déjà en voie de disparition. Nous parlons de ce groupe qui parcourt les bars, de vin en vin. Tous les ans, le 11 octobre, ils ont rendez-vous avec la Vierge de Bégonia. Ou, comme on dit chez nous, “la amatxu”. Il y a deux branches : ceux qui chantent toujours et ceux qui chantent parfois. Les premiers sont passés à l’imaginaire partagé. Les seconds se promènent encore dans les rues. Dans les deux cas, ils ne boivent que du vin. Ce qui les différencie de cet autre groupe, appelé “cuadrilla”, qui avale d’autres boissons. Il ne mange jamais, même s’il est invité. On ne le verra pas non plus émus devant un “pote”. C’est une excuse pour faire de la randonnée dans les tavernes. Et le “txikitero” n’aime pas les verres longs, mais plutôt courts et solitaires. Celui qu’il faut pour faire un point à la ligne et changer de taverne. Dans un groupe classique, nous trouvons de quatre à huit membres. Mais aucune règle n’est écrite et aucune loi n’est sacrée. Et s’il n’est pas facile d’y rentrer, il est encore plus difficile d’en sortir. La loi “txikitera” veut que celui qui arrive paye et qu’ensuite, la tournée reprend. Les conversations aborderont les sujets de la terre, la gastronomie, le climat ou l’Athletic. La politique et la religion sont interdits. Les blagues, en particulier les coquines, à voix basse. Les éclats de rire, forts et à cœur joie. Et les chants, fermés. Vous pouvez rire avec eux mais ne flanquez pas le ton par terre. Le “txikitero” a une opinion sur tout, même s’il n’en a pas la moindre idée, très typique de Bilbao, mais jamais sur les intimités. Il y a eu des “txikiteros” qui, cinquante ans après, ignorent l’état civil des autres. Ils vont seuls, qu’ils

vivent en couple ou pas. Certains sont des groupes de vieux ou de vieux garçons. D’autres, mariés avec droit de fuite et de tournée de “potes”. Par chance, les us et rythmes sont aujourd’hui plus doux et boire importe moins que de partager un parcours, des bavardages et les “bilbainadas”. En fin de comptes, ils portent avec fierté, entre la ria et le ciel, la bande sonore de notre Ville. Quant au verre de “txikito”, il avait presque disparu. Mais il revient peu à peu. Vous pouvez le trouver dans les boutiques cadeaux et dans quelques bars. Il y a eu plusieurs versions. La plus populaire proposait 623 grammes répartis en 9,5 millimètres de haut, 6 de large et 5 millimètres au bord. Pour la base, 5,5 centimètres, et pour le vin, 4. Mais il existait un modèle plus radical. Un quart seulement pour le liquide. Juste ce qu’il faut pour une brève gorgée. Cependant, le premier était le plus utilisé. Son origine remonte à l’époque où le vin arrivait dans des chariots, transporté dans des peaux. À cause de la température, il était servi dans des carafes en faïence, et de là, dans le verre. Selon la première de versions sur son origine, la reine Victoria-Eugénie visita Bilbao dans les années vingt, avec ses enfants Carlos et Luisa. Afin de décorer la Ville, de petites lampes en verre furent accrochées, avec une bougie à l’intérieur. Quelqu’un imagina que ces lampes pourraient avoir d’autres utilités et les distribua dans les bars et les tavernes. Dans les tavernes, en voyant leur design, on décida de s’en servir comme des verres. Et c’est ainsi que fut créé l’usage et la pratique propre à Bilbao. « On dit qu’Erreña arrive, pour visiter Bilborá. Le price txikito avec elle viendra… ». Mais certains penchent pour une autre origine. L’ébéniste Miguel Gallaga se rendit au palais de la puissante famille liée à la sidérurgie, Lezama Leguizamón pour y réparer des armoires. En les ouvrant, il y découvrit les verres. En réalité, il s’agissait d’éprouvettes pour conserver les échantillons des minerais extraits des mines. Ceci expliquait sans doute leur forme, leur fond et leur épaisseur. Et cette théorie ajoute que les célèbres lampes dont la pratique est propre à Bilbao furent installées en raison de la visite d’Amédée de Savoie et non de la reine. Mais ils étaient plus grands, avec plus de fond et plus élancés. À son départ, ils furent recyclés comme verres à “Txakolí”, et non à “txikito”. Quoi qu’il en soit, le succès du verre au fond épais fut tel qu’une entreprise de Badalona se lança dans sa fabrication. Jusqu’au début des années quatrevingt-dix, où il fut mis de côté à cause de la réduction dans le nombre de “txikiteros” et traité de vieux. Que les choses sont étranges ! Avec le temps, ce petit verre pas beau est devenu un magnifique cygne en verre.


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L’

“Arriaga” et SES ESPRITS Certains opéras ont des fantômes et certains théâtres, des esprits. Le Théâtre Arriaga fait partie des seconds. Pour le connaître, il faut parcourir son extérieur, son intérieur et son inquiétante histoire. Avant sa naissance, les flammes marquèrent déjà sa vie. C’est à l’époque où naissaient, à Bilbao, les germes de ce qui deviendrait par la suite le théâtre actuel. ••••••

U

ne époque à laquelle l’art était montré à ciel ouvert. Des rues avec des sièges, des fenêtres comme orchestres et pour le rideau, la tombée de la nuit. Ces artistes et ceux qui applaudissaient défiaient la météo en esquivant les pluies et les froids. Nous ne serons pas en reste, et c’est là que nous allons. Au Théâtre Arriaga. Il n’y pas moyen de se perdre. Il se trouve sur la berge de la ria. En descendant par le pont du Arenal, à droite. Et il aime s’exhiber. On le voit de loin. Tout commença en 1799 lorsque la Ville, fatiguée de devoir se plier devant les nuages, décida de mettre murs et toit aux spectacles et aux représentations. Un colisée fut d’abord érigé dans la rue Ronda. Approchez et imaginez la scène. À Bilbao, chaque rue à son secret, et celle-ci en renferme beaucoup. Par exemple, ce qui put bien arriver pour qu’un soir de 1816, elle subisse un incendie dévastateur. Tout fut réduit en cendres. Le coup fut dur pour les amoureux de l’art et reprendre une pareille entreprise s’avéra difficile. Jusqu’à une date cruciale : 1834. Cette année est élevé le “Théâtre de la Ville”. Exactement là où se trouve aujourd’hui l’Arriaga.

Ce fut une époque complexe, avec la première Guerre Carliste. Et on sait bien que dans les conflits de guerre, les ponts et les bâtiments singuliers sont souvent perdants, soit pour arrêter l’ennemi, soi pour qu’il ne puisse pas en profiter. L’Arriaga tint bon non pas une, mais pendant deux Guerres Carlistes. Ces périodes pendant lesquelles la ville était assiégée sont appelées “Sitios” (Sièges). Des réunions qui se tenaient sous un célèbre tilleul, dont nous reparlerons lorsque nous visiterons l’Arenal, surgit une société appelée “El Sitio” (Le Siège). Mais retournons au théâtre. Un demi-siècle après sa construction, les guerres et les pénuries économiques l’endommagent et il est abattu. Curieusement, comme pour le terrain de football de San Mamés, trois ans avant sa disparition, les démarches pour élever un autre théâtre à ce même endroit avaient commencé. À Bilbao, nous aimons le changement, mais en conservant quelque chose de l’avant. C’est peut-être notre caractère. Ou le fait que nous soyons un trou et, en tant que tel, tout doit arriver au même endroit. Ceci n’empêcha pas le débat. Les habitants de Bidebarrieta se plaignaient parce le bâtiment couperait leur sortie sur la ria, forçant les responsables à trouver une solution. C’est Joaquín Rucoba, architecte né à Laredo, qui devait l’apporter en élargissant les quais et en réorientant le bâtiment.

Le 31 mai 1890, après quatre ans, un million de pesetas et plus d’un casse-tête, le nouveau théâtre était inauguré. Son nom, le même que celui de la place, était censé être un hommage à Juan Crisóstomo d’Arriaga. Un musicien aussi énigmatique que l’était le théâtre. Son nom complet était Juan Crisóstomo Jacobo Antonio de Arriaga y Balzola. Si vous voulez savoir où il est né, vous n’aurez qu’à marcher un peu, jusqu’au 51 de la rue Somera. Vous souvenez-vous que je vous disais que les rues renferment des secrets ? Pour la trouver, vous devez vous planter devant le 12. C’est son numéro aujourd’hui. C’est là que courrait Arriaga. Il fut baptisé le jour de sa naissance dans la paroisse des Saints Jeans. C’était le dernier de huit enfants. Son père, prénommé Juan Simón, était organiste et c’est lui qui le lui appris. Il ne lui en fallut pas beaucoup. À l’âge de trois ans, il jouait du violon. À onze ans, il composait et fascinait avec ses spectacles et à treize ans, il terminait sa première opéra. Voilà pourquoi, déjà à l’époque, on le surnommait “le Mozart de Bilbao”. Si vous aimez les hasards, vous aimerez apprendre qu’l est né tout juste cinquante ans après le génie autrichien et que tous deux reçurent les prénoms de Jean Chrysostome à leur baptême. Et si Mozart mourut jeune, Arriaga bien davantage. Il décéda à l’âge de 19 ans, à Paris, où il avait été envoyé par son père quatre ans plus tôt pour y apprendre le violon, victime d’une maladie pulmonaire.

Les adversités d’un théâtre unique

Mais à l’inauguration du théâtre, ce ne furent pas ses partitions que l’on interpréta, mais La Cioconda d’Amilcare Ponchielli. Mais bien d’autres choses surprirent ce jour-là. L’éclairage électrique et une agréable nouveauté. Ceux qui ne purent acheter d’entrée pouvaient suivre l’interprétation par téléphone, au prix de quinze pesetas l’appel. Et c’est ainsi, avec des conférences incluses, que démarrait le nouveau théâtre. Mais rien n’est éternel. Il dura 25 ans. Le 22 décembre 1914, un nouvel incendie eut raison de lui. Cela ressemblait à la vengeance du tourmenté Erik, du “Fantôme de l’Opéra”. Aucune victime, mais tout fut détruit. Et il fallut recommencer. À cette occasion, l’architecte était un “bilbaien”, Federico de Ugalde. Il présenta le flambant bâtiment le 5 juin 1919. Cette fois-ci, on joua Don Carlo, de Giuseppe Verdi. Et d’autres suivirent. En 1977, il fut déclaré Monument

Historique-Artistique. Mais ce n’est qu’en 1980 qu’on commence à lui redonner sa splendeur. Et à défaut de feux, c’est l’eau qui le frappa. Les caves et la partie basse furent inondés en août 83. Cela faisait mal de le voir entouré de fange, arbres, fragments de tout et de rien, et de navires naufragés pour toujours. Mais le spectacle devait continuer. Et trois ans plus tard, le 5 décembre, il ouvrait ses portes. Depuis ce jour, il est toujours là. Au bord de la ria. À exhiber du néobaroque à l’extérieur, à garder des recoins à l’intérieur. Si vous pouvez, entrez et montez les escaliers. Laissezvous emporter par le tapis. C’est une pièce unique et créée pour ce théâtre. Comme celles qui la précédèrent, elle a été piétinée par ceux qui recherchaient des émotions dans la pénombre. Et autre chose, parfois. Car le spectacle n’est pas uniquement sur scène. Il y en a autant dans les recoins, si ce n’est davantage. Comme dans la loge inspirée de “l’Orient Express” ou dans celles jadis réservées aux veuves, à caractère plus austère et discret. Si vous regardez bien, toutes reposent sur des supports en forme de titans. Des Atlantes puissants qui portent le poids de la curiosité. En fin de comptes, “théâtre”, mot d’origine grecque, signifie « lieu pour contempler ». Et il y a beaucoup à voir dans l’Arriaga, même lorsqu’il est vide. Sur chaque siège se trouve quelque chose qui l’habite. L’écho d’un Bilbao qui ne brûla jamais, et ne se noya pas totalement. En dépit du feu, de l’eau et du temps, il a été élevé de nouveau. Peu de théâtre ont subi autant d’infortunes ni de tâches. Dans ses sous-sols fut installé, en 1854, le premier télégraphe électrique qui mettait en communication le port et le lieu de réunion des commerçants. Et en 1892, il accueillait la nouveaunée de la Bourse de Bilbao. En outre, pour donner le départ à nos fêtes du mois d’août, le discours d’ouverture et le lancement de la fusée, que l’on appelle “txupin”, de l’“Aste Nagusia”, sont réalisés sur un de ses balcons. Fait curieux, à côté de l’annonceur public et la “txupinera”, chargée de lancer la fusée, Marijaia est là. Maître de la fête. Icône de la Grande Semaine. Et tout comme l’Arriaga vit collée à la ria et a souffert de la fureur du feu, Marijaia clos la fête brulée sur les eaux de cette même ria. Et tous les ans, elle ressurgit, prête à profiter de ce court instant que l’on appelle vie. Comme l’Arriaga. Allez donc raconter dans le monde qu’il existe un théâtre, à Bilbao, qui n’est pas habité par un fantôme vindicatif, mais par un esprit invincible toujours aussi vivant que le premier jour.

Le tapis de l’Arriaga, une pièce unique, a été piétiné par ceux qui recherchaient des émotions dans la pénombre. Et autre chose, parfois. Car le spectacle n’est pas uniquement sur scène. Il y en a autant dans les recoins, si ce n’est davantage

CECI VOUS INTÉRESSE PEUT-ÊTRE ...

Depuis son ouverture, le Théâtre d’Arriaga a été considéré comme une place excellente, ce qui assura le passage par Bilbao des principaux acteurs et compagnies du monde du théâtre. Uniquement la Guerre Civile y mit un frein, mais il revint à la normale après la fin du conflit. Actuellement, le Théâtre Arriaga est géré par une société anonyme, au capital entièrement municipal et constituée le 3 octobre 1986.


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RÉCITS DE BILBAO

Le gribouillage de

Bilbao

Il n’y a pas de ville, cité ou village sans son vieux quartier ou quartier ancien. Excepté Bilbao. Il existe un Vieux Quartier. Mais nous préférons l’appeler “Sept Rues”. Ceci explique mieux nos origines. Des cercles et des lignes dessinés par le destin le jour où elle ferma les yeux et se laissa emporter. Avez-vous essayé de deviner les messages cachés dans un gribouillage ? ••••••

CECI VOUS INTÉRESSE PEUT-ÊTRE ... Certains historiens insistent pour dire que Bilbao avait conçu son quartier primitif en songeant à sept rues depuis le départ. Et que celles initialement conçues n’étaient pas au nombre de trois. Des documents affirment clairement qu’en 1442, les “Sept Rues” existaient déjà, excepté la Ronda de Arriba et la Ronda de Abajo. À cela s’ajoutent Bilbao la Vieille, de l’autre côté du fleuve, le faubourg de San Nicolás et celui d’Ibeni, qui se trouvaient à l’extérieur. En 1483, Bilbao s’agrandissait par el Arenal et le faubourg de San Nicolás. C’est ainsi que sont nées, progressivement, la rue Real, aujourd’hui de la Cruz, la rue Santiago, aujourd’hui La Poste en souvenir du bureau situé ici en 1821, ou la rue Bidebarrieta.

I

maginons une population au milieu d’une vallée, avec des fermes et des tours disséminées. La vie n’a jamais été facile et encore moins en 1300. À l’époque, le “Botxo” était entouré d’une muraille qui reliait les tours. L’intérieur comprenait trois rues : Tendería, Artekale et Somera. Elles étaient entourées d’un mur haut de dix mètres de haut et deux de large, dont la construction commença 34 ans après la fondation de Bilbao. Les disputes avec la Terre Plate, le reste de la Biscaye, furent à l’origine d’autres tours et murailles. C'est ainsi que commence le XVe siècle, avec quatre nouvelles rues : Belostikale, Carnicería, Barrenkale et Barrenkale Barrena. Et voilà comment nous arrivons au nom des “Sept Rues”. Somera, la rue d’en-haut, comptait quatre écuries, des magasins et des auberges. Artekale, la rue du milieu, était habitée par des orfèvres, des sculpteurs, des menuisiers et des “calqueros”, nom que l’on donnait au cordonnier qui installait son étal dans les portes d’entrée. Tendería accueillait le commerce textile. On dit que c’est là qu’Isabelle la Catholique jura de respecter les Fueros habillée en paysanne. Belostikale, de son côté, accueillait les poissonniers et les sardinières, en raison de sa proximité avec le marché et une plus grande aération. Carnicería (boucherie) était l’emplacement du premier abattoir. Il était si actif qu’il dut déménager pour manque d’espace, d’hygiène et pour les plaintes sur les odeurs et la saleté. Barrenkale, celle du bas, sentait toujours la morue, les graisses, les huiles, les vins et les alcools. C’était le point de départ des canots qui transportaient les personnes d’un côté de la ria à l’autre. Elle était également célèbre pour l’agitation des portefaix, des “sirgueras” et des tonneliers, chargés du travail le plus dur. Et nous arrivons ainsi à la septième, Barrenkale Barrena, celle de plus bas encore. Fréquentée par les pêcheurs de pibales et les femmes qui réparaient les filets et les gréements, elle savait mieux qu’une autre ce qu’était que de subir les “aguaduchus”. Avec le temps, d’autres viendraient, comme Pelota, del Perro, Cinturería, la Merced, Bidebarrieta, Correo, Sombrería… Mais c’est une autre histoire. Vous la découvrirez peut-être si vous entrez dans le centre du gribouillage. Dans la Plaza Nueva (Nouvelle Place). On dit que toutes les grandes places se ressemblent. C’est peut-être pour cela que la nôtre a toujours refusé le titre de “Grande”. Elle a préféré être éternellement “Neuve”. On lui donna ce nom pour la distinguer de la “Vieille”, située à côté de San Antón. À l’origine, elle s’appelait la Place de Ferdinand VII. En fait, une statue du souverain devait

la présider, mais le “Botxo” était plutôt libéral lorsque la place fut achevée et le projet de statue n’aboutit pas. Tout comme le fait de l’appeler, pendant la Dictature, la Place des Martyrs. Parce qu’elle a toujours été “Nouvelle”. Sa construction débuta le 31 décembre 1829 et termina le 31 décembre 1849. Clôturant des années et ouvrant des décennies. Jusqu’en 1900, elle accueillit des organismes comme la Députation, l’École d’Ingénieurs, la Bourse du Commerce, la Poste et les Télégraphes, la Société Bilbaienne ou la Banque d’Espagne, où se trouve actuellement la Royale Académie de la Langue Basque, Euskaltzaindia. Sa partie centrale accueillit pendant un temps la statue de son fondateur, Diego López de Haro, qui se trouve actuellement dans la Place Circulaire. Elle a également eu son propre kiosque à musique où jouaient les enfants, à défaut de maestros et d’instruments. Et une fontaine avec de magnifiques jeux d’eau à dix-huit jets, plus un au centre qui dessinait des jets dans l’air. Rien d’étonnant qu’elle ait flirté avec l’eau. Car c’était Venise. Pour cela, il fallait la faire inonder. Ce fut en 1872, à l’occasion de la visite d’Amédée Ier de Savoie. Imaginez-là remplie d’eau, comme une piscine. Non à cause d’une inondation, mais de la frime. Et ce, alors que l’eau avait souvent transformé Bilbao en Atlantide. Il suffit d’entrer dans la rue del Perro (du Chien) pour le vérifier. Sur la façade du Río Oja, à l’intérieur du Bar Xukela, sans compter bien d’autres endroits et recoins, des marques rappellent la hauteur des inondations de 83. Nous en reparlerons une autre fois car peu de choses définissent aussi bien les revendications de Bilbao et son étrange relation avec la ria. Une dame qui apporta des malheurs mais aussi des joies. Elle nous offrit même une mariée blanche et radieuse venue des mers lointaines.

Le délice de la ria “bilbaienne”

Début octobre, elle arrive, discrète. À trois ans à peine, elle est chargée de sagesse. Mille longues journées employées à aller du sud-ouest des Bermudes jusqu’à leur destination. Voilà pourquoi elle arrive la nuit, en recherchant la lumière, tel le pirate en quête d’une taverne pour calmer sa soif et d’une maison close pour combler sa solitude. Et quelque chose de plus, certainement, dans nos quais puisqu’elle les fréquente autant. Elle s’appelle “malacoptérygien apode”. Appelons-là pibale. La fiancée de Bilbao. Parce qu’elle fréquente d’autres eaux, mais elle a toujours eu une idylle particulière avec les nôtres. Certains textes du XVIIIe siècle racontent qu’elle a toujours été désirée, fuyante et chère. Surprenant lorsque l’on entend qu’à une époque, on les jetait tellement il y en avait. Car les chroniques faisant état de leur rareté et de

leur prix élevé sont nombreuses. En 1834, par exemple, sur la Plazuela del Carmen, à Madrid, les pibales de Bilbao se vendaient à 30 réaux la bouteille, récipient que l’on utilisait pour les porter. Et sans sortir du “Botxo”, en 1870, leur prix augmenta de 6 à 40 réaux. Et je ne vous dis pas les années qui suivirent. Ceci explique les fréquentes bagarres et morts d’hommes et de femmes. Elles aussi portent les lampadaires avec sagesse. Leurs noms oubliés représentent toutes les âmes qui recherchaient l’or transparent autour de “l’Île”. Un petit bout de terre situé à hauteur du rocher. À l’endroit où le Nervion prend les habits de ria. Où l’on commença à la pêcher à Bilbao. Avec le temps, on finit par dire de toutes les pibales capturées jusqu’au-delà des ponts de Bilbao qu’elles venaient “de l’île”. C’est sous ces ponts et près des évacuations qu’elle grandit le mieux. Voilà pourquoi elle a une histoire sale. Dont on ne veut se souvenir lorsqu’on l’exhibe comme un bijou. Tout comme on ne parle pas du moment où elle quitte notre monde.

On dit que toutes les grandes places se ressemblent. C’est peut-être pour cela que la nôtre a toujours refusé le titre de “Grande”. Elle a préféré être éternellement “Neuve” Tel la condamnée qui demande une cigarette avant de mourir, elle passe dans un monde meilleur après avoir senti une pluie de tabac, s’être baignée dans de l’eau propre et cuire légèrement pour enlever mucosité, odeur et souvenirs. C’est là qu’elle change sa couleur brunâtre par celle d’une mariée. Mais il reste une épreuve. Se séparer du reste et tomber comme un tissu en soie entre les tridents. Un examen qu’elle réussit toujours. Pour la déguster, il faut dorer quelques plaques d’ail dans l’huile d’olive. Toujours dans un plat en terre cuite. Nous ajoutons du piment de cayenne à notre goût et nous versons les pibales. De 100 à 150 grammes par personne. Nous tournons et nous les servons grésillantes, comme si elles étaient fâchées. Il faut les manger avec une fourchette en bois. Mais surtout, avec le respect mérité par une vie si passionnante et si dévouée à la mort. Comme vous le voyez, ce gribouillage a autant de traits que d’histoires. Je vous conseille de faire comme les enfants de la Ville. Chaque week-end, ils descendent pour obtenir l’image souhaitée et la changer contre une autre. Laissez une de vos histoires et prenez une des nôtres. En somme, c’est comme les pibales. Elles naissent à un endroit et voyagent de par le monde à la recherche de quelqu’un qui mérite vraiment de les déguster.


RÉCITS DE BILBAO

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LE TERRITOIRE

DU TILLEUL Il n’est plus là. Il est parti un soir où soufflait le vent du sud. Il l’a fait sans se plaindre, mais en faisant du bruit. En rappelant qu’il avait été légendaire. Je vous parle du Tilleul de Bilbao. Vous remarquerez que je l’écris avec une majuscule. Ce n’est pas une erreur, mais un honneur. Celui que mérite cet arbre qui vécut dans l’Arenal. N’y cherchez pas non plus du sable. Il a existé. Mais le progrès a caché les graines pour que nous puissions atteindre l’avenir.

c

e qui ne nous empêche pas d’imaginer comment étaient les choses quand Bilbao commença à marcher pressée, tel un enfant qui apprend à marcher- dans le vieux Arenal. C’est ainsi qu’on appelle la rive gauche de la ria qui se trouve entre le Théâtre Arriaga et le numéro 10 de Viuda de Epalza. 29 000 mètres carrés. La partie la plus large mesure près de 125 mètres. Ce fut un spectateur privilégié du développement de Bilbao au-delà des murailles.

Ce tilleul fut témoin du premier sonnet d’amour qu’Unamuno dédicaça à sa chère Concha Lizarraga. Mais il ne fut pas le seul. Des génies de la plume, comme Ramiro de Maeztu et Ortega y Gasset, écriraient aussi sous son ombre. Imaginez ce que devaient être ces débats Nous commencerons le parcours par la Viuda de Epalza, déjà mentionnée. Nous y trouverons le Palais Gómez de la Torre, construit en 1798, considéré comme le premier bâtiment résidentiel néo-classique de la Ville. En continuant notre marche, nous passerons par l’Église de San Nicolás de Bari, la rue del Arenal et le Théâtre Arriaga. En tournant vers le pont, depuis toujours appelé de l’Arenal en raison de son emplacement, bien qu’il fut initialement baptisé comme le Pont d’Isabelle II, vous découvrirez un parking. Vous pouvez vous garer et continuer à pied la nouvelle promenade longue de 440 mètres qui se trouve dessus. C’est là que sont installées les “txosnas” de l’“Aste Nagusia”, les stands des fêtes de notre Grande Semaine, gérées par les “comparsas” (groupement de voisins). Le reste de l’année, c’est une promenade par laquelle nous pouvons marcher le long de berges. Et c’est là que se trouvait l’ancien quai où étaient déchargés les épices et les produits d’outre-mer. L’Arenal était une sorte de plage sur le paillasson de la maison. Comme vous voyez, il est bordé d’arbres magnifiques, jusqu’à 284 à une époque. Des noyers, des platanes, et surtout des tilleuls. Aujourd’hui, une centaine a résisté au temps. Certains n’y parvinrent pas. Mais, comme nous disions, cela reste dans nos mémoires. Le Tilleul de l’Arenal. Pour comprendre ce qu’un arbre peut vouloir dire, je citerai le poète “bilbaien” Blas de Otero : « S’il y a quelque chose que j’aime, c’est vivre. Voir mon corps dans la rue, parler avec toi comme avec un camarade, regarder les vitrines et, surtout, sourire aux arbres de loin. » Notre terre a toujours respecté les géants en bois. Son peuple choisit le chêne. Celui

•••••• qui est toujours présent, à Gernika, étant le symbole éternel. Mais il y en eu d’autres. Comme ce Tilleul. Pour connaître son histoire, remontons jusqu’en 1809. Il fut planté à Abando. Sept ans plus tard, il fut replanté face à San Nicolás, près du numéro 5 de la rue Arenal. Que ce soit pour son emplacement ou sa taille, les voisins décidèrent de partager avec lui les moments les plus importants et le quotidien. Comme Unamuno. Ce Tilleul fut témoin du premier sonnet d’amour qu’il dédicaça à sa chère Concha Lizarraga. On raconte que c’est là qu’il vit une partie de son mollet. Il n’était pas très audacieux. Mais il ne fut pas le seul à écrire des vers à l’ombre de son feuillage. Ramiro de Maeztu, 18 ans et journaliste dans le Bilbao industriel de l’époque, en fit autant. Tout comme Ortega y Gasset, étudiant à l’Université de Deusto, et d’autres génies de la plume. Imaginez ce que devaient être ces débats. Cependant, il n’y avait pas que la littérature. Au cours d’un des Sièges, concrètement celui qui s’étendit de 1873 à 1872, les voisins se donnaient rendez-vous pour s’informer des nouvelles et agir en conséquence. De ces réunions naquit une de nos célèbres sociétés. Celle du “Sitio”. Et puisque nous parlons des guerres, l’une d’entre elles est particulière- ment coupable de la relation de Bilbao avec la morue. Ce sont les basques qui apportèrent en Europe ce célèbre poisson de Terre-Neuve. C’est ce qu’affirment les islandais, les écossais et tous les gens sérieux, y compris les norvégiens, qui s’y connaissent le mieux. Mais on raconte, et c’est là que commence la légende, que le “Pilpil” fut le fruit du hasard. Un marin mit une tranche sur le feu, dans une casserole avec de l’huile et de l’ail. Il dut monter sur le pont et à son retour, les vagues avaient réalisé le miracle. L’huile était devenue une sauce, et le plat modeste, un délice indescriptible. En fin de comptes, nous avons toujours accueilli la morue comme si elle nous appartenait. Parfois en grande pompe.

Une “bilbainade” de plus

Comme en 1835, lorsqu’un “bilbaien” appelé Gurtubay passa une commande auprès de ses fournisseurs. Ce commerçant avait écrit « livrez 100 ou 120 pièces de morue de première qualité » et quelqu’un avait compris que le « ou » (« o » en espagnol) était un zéro. On en livra 1 000 120. Incroyable. C’était l’époque de la Première Guerre Carliste et il n’y eu pas moyen de le retourner. Ce fut une bénédiction. Ils purent se nourrir grâce à cela le temps que dura le siège. Le menu, monotone, invita à la création de toutes sortes de nouvelles recettes. Nous ne savons pas si cette histoire est vraie mais c’est ainsi qu’on la raconte depuis toujours à l’ombre de ce Tilleul.

En vérité, les arbres étaient très nombreux. Lorsque la Bourse de Bilbao en était à sa naissance, on l’appelait “le salon municipal” car les transactions se tenaient sur ses bords. Un de leurs descendants se trouve dans le parc d’Amezola Un autre fut planté en 1980 dans l’Arenal, et un de plus en 89. Son ombre dure longtemps. Sa mort est racontée dans un récit des frères Grimm. Le 1er avril 1948, à une heure dix du matin, il fut abattu par une tempête. Ses racines atteignaient la Plaza Nueva, mais cela ne servit à rien. C’était peut-être le vent. Ou le poids de ses secrets. Ce n’était peut-être pas le plus grand, ni le plus feuillu. Mais il était vraiment du “Botxo”. Et puisque nous parlons d’arbres, parlons aussi des chemins protégés par leurs branches. Les trois promenades. Celles des Curés, des Fils de bonnes familles et des Espadrilles. La première est celle des curés, en nous plaçant avec la ria à notre dos et regardant à gauche. Son nom vient du fait que les curés de San Nicolás s’y promenaient lorsqu’ils se rendaient à la messe. Au milieu marchaient les étudiants et les fils de bonnes familles, à la recherche de quelqu’un pour y faire la conversation ou des yeux dont ils pourraient tomber amoureux. La troisième, à droite, était fréquentée par des mécaniciens ou des personnes avec d’autres métiers qui se mélangeaient aux cousettes et aux filles du service domestique. Je vous recommande d’ailleurs d’y descendre le dimanche matin et de parcourir les stands de fleurs. Impossible de ne pas acheter un bouquet. Et je ne vous dis pas si vous vous laissez emporter par la musique du “Kioske”. Nous l’écrivons avec un K pour le différencier des autres. Ce n’est pas un kiosque de plus. Moderniste depuis son origine, il fut construit au milieu du XIXe siècle. Aujourd’hui, il accueille un café-bar où se rendent les étrangers et les gens d’ici. Que ce soit dans ce “kioske”, dans la Plaza Nueva ou les Arènes de Vistalegre, ne ratez pas les musiciens municipaux. 52 professeurs qui font partie d’une aventure qui commença en 1894. Il s’agit d’une “Banda”, mais ils jouent comme une orchestre philarmonique. Mais il y a d’autres musiciens. Face au “kioske”, vous découvrirez une sculpture du “bertsolari” Enbeita. Les “bertsolaris” sont les improvisateurs qui peuvent chanter quelques strophes, avec leur refrain, à partir d’un mot ou d’une idée proposée par le public ou ceux qui veulent les mettre au défi. Avant de poursuive notre parcours, cherchez l’ombre des nouveaux tilleuls. Ils sont encore jeunes mais ils poussent tous les jours. Ainsi, à votre retour, vous pourrez découvrir les nouveautés de Bilbao. Il suffira d’écouter ce que les branches racontent au vent.

À NOTER Bien que la morue à la “biscayenne” et surtout la morue au “pilpil” soient les plus connues à l’extérieur de nos terres, il existe une recette très populaire parmi les gens de Bilbao. La morue à la mode du Club Ranero. Il exista également, à gauche du “kioske”, un pigeonnier des années 20, détruit dans les années 40 et le transférant à l’étang du Parc de Madame Casilda. À ses débuts, l’Arenal fut une zone de sable et une crique où rentrait l’eau jusqu’à la Porte de Zamudio. C’était comme une cale pour l’échouage des bateaux et pour les chantiers navals.


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RÉCITS DE BILBAO

SUR LES MARCHES, LES PONTS ET

lesPASSAGES SECRETS Connaissez-vous la hauteur de Bilbao ? Et saviez-vous qu’il fut un temps ou les trains allaient jusqu’à l’intérieur des hôtels ? Oseriez-vous passer un pont invisible ? Pour répondre à ces questions, allons jusqu’à la Mairie. Placez-vous devant le perron. Et maintenant, montez jusqu’à la cinquième marche. Savez-vous ce qu’on en dit ?

L

a ria ne sera jamais apprivoisée. Elle est née libre et elle le restera, en dépit de tous les efforts pour la contrôler. C’est pourquoi le Conseil Municipal actuel a parcouru la ville à la recherche d’un lieu où s’installer. Vous vous souvenez sans doute que nous vous racontions que jusqu’au XVe siècle, le conseil se réunissait devant l’église de Santiago. En cas de pluie, il le faisait à l’intérieur. Après avoir partagé les murs avec le Consulat de Bilbao, au début du XVIIe siècle, il finit par faire construire un immeuble à côté de San Antón. Et pendant un temps, il continua à partager les murs avec le célèbre Consulat dont nous parlerons plus tard. Mais le destin lui tendit la possibilité d’occuper son emplacement actuel.

Il fut inauguré le 17 avril 1892. Et il est toujours là. Avec ses statues de la Loi et la Justice, son hall flambant neuf et son Salon Arabe. C’est dans ce dernier que se tiennent les mariages civils. Et en levant les yeux, nous voyons le balcon où les Rois Mages, l’Olentzero et les gloires sportives nous ont fait rire ou pleurer d’émotion à parts égales. Mais avant tout, il y a les marches. Notamment la cinquième. L’endroit où Bilbao regarde la mer sans la voir, pour rappeler qu’elle a toujours été plus haute. 8,804 mètres exactement. Certains diront que c’est peu. D’ailleurs, la ria l’a dépassé plus d’une fois, rappelant que certaines zones sont en-dessous. Le plus étrange, c’est que ce n’est pas la marche qui marque le niveau, mais un clou situé à l’arrière. Allons à l’angle entre Guardia Bernardino Alonso et la Place Erkoreka. Vous le voyez ? C’est celui qui se trouve au milieu d’un cercle. La plaque du Gouvernement Basque balaye tous les doutes. Vous serez peut-être surpris par le peu de hauteur par rapport au sol. C’est en raison de la dénivellation entre la zone avant et la façade du bâtiment. Voilà pourquoi la cinquième marche indique la même hauteur. La mer a toujours été notre deuxième foyer. Mais le premier est et sera toujours Bilbao. Les presque neuf mètres de hauteur sont toujours contestés. Certains parlent d’un peu plus de six. Nous ne sommes pas des experts, mais quelque chose nous dit que la réponse se trouve dans cette cinquième marche. Et ce n’est pas le seul mystère des lieux. Oseriez-vous passer un pont invisible? Avant, passons par celui qui s’y trouve aujourd’hui.

•••••• Le Pont de la Mairie. Il fut inauguré en 1934, on le fit sauter en 1937 pour être élevé une nouvelle fois en 1940. Pour sa construction, on s’inspira des ponts de Chicago. Concrètement, de celui de l’Avenue Michigan. Le va et vient des bateaux imposa qu’il fut levant. Voilà pourquoi vous y verrez une cabine de contrôle et de manœuvre, où l’on accédait pour l’ouvrir. En 1970, il fut scellé pour le laisser en position fixe et la cabine fut utilisée comme guichet pour les corridas et comme point d’information touristique. Et comme le destin est capricieux, aussi bien le pont de l’Arenal que celui-ci débouchent dans la Plaza Circular, où se trouve actuellement le nouvel office de tourisme. En passant par là, vous organiserez mieux vos journées avec nous. Et au passage, vous pouvez attendre le train fantôme.

L’Hôtel Terminus, avant-gardiste pour son époque car il disposait d’élévateurs et d’une passerelle. Celle-ci se trouvait au deuxième étage et reliait l’hôtel à la Gare du Nord. Elle traversait la rue et comme elle était très haute et couverte, le client pouvait passer d’un côté à un autre en toute discrétion

répondait à la manière de désigner les pensions proches des gares. Il comptait 102 chambres et pouvait accueillir 200 personnes. Toutes avaient du courant électrique et du chauffage. Il faut ajouter une autre nouveauté : les élévateurs. Monter sans utiliser les escaliers était magique. Imaginez l’hôtel, avec une grande réception, une salle pour les bagages, des salles de bains, cuisines, salons et salles à manger. La vaisselle et les couverts avaient été ramenés de Paris et ce fut les premiers de la Ville à être gravés avec les initiales d’un hôtel. Il disposait de cinq étages en comptant le rez-dechaussée, même s’il en occupait quatre. C’était le seul à occuper tout un bâtiment. Mais il y avait autre chose. Une passerelle. Pour la connaître, rendons-nous au deuxième étage. C’est là qu’elle se trouvait. Dans ce mur. Elle reliait l’hôtel à la Gare du Nord. Elle traversait la rue et comme elle était très haute et couverte, le client pouvait passer d’un côté à un autre en toute discrétion.

Jeudi 29 octobre 1896. Milieu d’après-midi. Quelques heures plus tôt, un train minier part d’Ollargan en direction d’Abando. Tout va bien jusqu’à ce que les freins lâchent, il percute le tramway d’Orduña, traverse les murs de la gare et s’encastre dans l’hôtel. Par chance, sans victimes. Une seule. Le Terminus.

Mais le Terminus épuisa son charbon monétaire et sept ans plus tard, il fermait ses portes. Le bâtiment passa par plusieurs propriétaires jusqu’au jour où il devint le siège de l’ancienne Caisse d’Épargne de Biscaye et par la suite, un des sièges du BBK. Il n’en reste pas moins étrange que de l’autre côté se soit trouvée “La Fonda de Lastra”, une pension qui serait finalement occupée par le BBVA. Si le Terminus était un hôtel de “pelotaris”, celui d’en face était la “pension des toreros”. Dans un sens, la Plaza Circular a réalisé son propre voyage. En fin de compte, quand on rate un train, il en arrive un autre. C’est pourquoi, en attendant le train fantôme, retournons un instant au pont. Mais pas à celui que l’on voit, mais à celui qui reste invisible.

Cet hôtel, inauguré en 1891, occupait l’emplacement exact où se trouve l’office de tourisme. Son nom

Après l’inauguration de l’Hôtel de Ville, un moyen d’accéder de l’autre côté de la ria s’avérait

nécessaire. Le projet était de relier le quartier de Sendeja et la Mairie avec l’Ensanche. Il fut décidé d’installer un pont à une poignée de mètres en aval de l’actuel. En fait, plus qu’un pont, c’était une passerelle piétonne à deux sections qui tournaient au moyen de machines hydrauliques. Elle s’appela Passerelle Giratoire en Fer, mais fut rebaptisée par les habitants le Pont de San Agustín, en souvenir du couvent qui s’y trouvait auparavant, et ensuite le Pont du Petit Chien (Puente del Perrochico). C’était à cause du prix. Il disposait d’un guichet où les piétons payaient cinq centimes par passage. Une pièce populairement connue comme la “perra chica”. Il continua à s’appeler Perrochico lorsque le prix pour l’emprunter doubla.

Un pont avec histoire

Mais la Guerre Civile arriva et il fut détruit. Après le conflit, il ne fut pas reconstruit. Certaines légendes assurent qu’il avait été utilisé pour la construction de l’actuel Pont de la Mairie, déplacé à Ondarroa. Mais il disparut, tout simplement. Comme la passerelle en fer de San Francisco en 1937, les deux ponts suspendus du même nom en 1851 et en 1873, celui en bois à une seule arche, celui en pierre en 1737 ou celui en bois de la Merced en 1874 et celui en pierre et en brique en 1937. On pourrait ainsi remonter jusqu’au tout premier pont de San Antón, qui a limité l’actuel à un écusson. Mais le “Perrochico” avait quelque chose de spécial. Ce fut le seul qui était privé. Selon les chroniques, une minute était nécessaire pour son ouverture ou fermeture. Si vous passez par là, cherchez-le et jouez comme les enfants de l’époque, en retenant votre respiration le temps de le traverser. Soixante secondes. Si vous y arrivez, c’est que vos poumons vont bien, et surtout que vous êtes capable de traverser des ponts invisibles.

VOUS VOULEZ EN SAVOIR PLUS ?

Bilbao eut un jour deux maires à la fois. C’était en 1435. C’était une époque de guerres de révoltés, dans lesquelles s’affrontaient deux grandes bandes regroupant les familles les plus importantes de l’époque. Les “gamboínos” étaient pour la Navarre et les “oñacinos”, pour la Castille.

Les “gamboínos” occupaient la Vallée d’Arratia et une partie des Encartaciones. Les “oñacinos” dominaient le territoire qui s’étendait de Larrabetzu à Plentzia, et de Gernika à Busturia. Et comme on n’arrivait pas à se mettre d’accord à Bilbao, il fut décidé d’avoir deux maires, un pour chaque camp.

Le pont actuel de San Francisco ou de la Ribera a eu de nombreux ancêtres. Il a été suspendu par des chaînes en fer entre 1827 et 1852. C’est de ce pont que parle la chanson populaire : « Il n’y pas dans le monde de pont suspendu plus élégant que celui de Bilbao.

Car ce sont les bilbaiens qui l’ont fait, très raffinés et drôles. » Avec le temps, ce surnom est revenu au Pont de Biscaye, connu grâce à la chanson Puente de Portugalete.


RÉCITS DE BILBAO

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PUPPY ET LE GÉANT EN

TITANE Peut-être êtes-vous venu exprès pour le voir. Mais pour comprendre quelque chose, il faut en connaître l’histoire. Et davantage lorsqu’il s’agit de quelqu’un. Comme pour le Guggenheim. Là où la plupart des gens voient un musée, nous voyons un compatriote qui changea tout. ••••••

S

i auparavant ce fut la ria, ensuite les mines et après la sidérurgie, il fallait que ce soit un géant en titane, en forme de bateau, qui change la route de Bilbao. Avant d’embarquer et de découvrir l’intérieur, je vous encourage à nous suivre par le chemin qui mène à ses origines. La première chose que nous découvrons est son étrange emplacement. Comme s’il embrassait un pont. Son entrée ressemble à une porte arrière et son dos, au côté avant. Il faut en faire le tour et l’analyser sous tous ses angles. Je vous conseille de noter quatre points pour de bonnes photos. La rue Iparraguirre face à Puppy, la Passerelle de Deusto, le quai de l’Avenue des Universités et le Pont de la Salve. Mais gardez l’œil. Bilbao a toujours été une Ville au sol particulier. Soit pour son carrelage, soit pour ses escaliers. Comme ceux du Guggenheim, connues comme « ceux du passage du boiteux ». Vous pouvez constater qu’ils nous obligent à marcher étrangement. En regardant devant, vers le bas et en mesurant bien. Les choses ne sont pas telles qu’elles sont sans raisons. C’était le souhait de l’architecte, mais le message est différent. Cette manière de marcher a caractérisé la vie de notre musée. En 1991, le Lehendakari José Antonio Ardanza, le Député Général Alberto Pradera y le Maire Josu Ortuondo signaient l’accord avec la Fondation Guggenheim à New York. Mais ce ne fut pas chose facile. Le Musée est né en avril 1991, au cours d’une campagne électorale. Pour Ortuondo et son équipe, il était clair que l’avenir de Bilbao et d’Euskaki passait par le tourisme. La question était de savoir comment le concrétiser. La Mairie était propriétaire de la Alhóndiga. C’est devenu un lieu de référence et, comme disait son Maire, Azkuna, le bâtiment qui accueillit le témoin du célèbre musée. Mais à l’époque, c’était un vieux dépôt de vin et d’huile qui languissait dans l’attente d’un projet rénovateur. Entretemps, les responsables du Guggenheim misaient sur Salzbourg, où les autorités n’arrivaient pas à un accord. C’est ainsi qu’ils contactèrent Thomas Krens, de la Fondation, et l’invitèrent à Bilbao. Après l’avoir accueilli, ils déjeunèrent dans la Plaza Nueva, se promenèrent sur la côte et visitèrent la Alhóndiga. Il n’en fallut pas plus. Bilbao serait l’élue. Mais à condition que les trois institutions s’engagent. Après bien des doutes

et des accords, ils choisirent cinq architectes et les invitèrent à parcourir la Alhóndiga, de la rue jusqu’à la terrasse.

Si vous souhaitez faire partie d’un film, placez-vous face à Puppy, et vous vous sentirez transporté dans le film “Le monde ne suffit pas”, de James Bond, où le célèbre espion atterrissait après avoir sauté du 5ème étage de l’immeuble L’un d’entre eux, Frank Gehry, observa les montagnes et voulut les découvrir. Et ils montèrent sur le Balcon de Bilbao. Là où les couples garent leur voiture et se donnent à la déesse Venus. Après avoir vu le panorama, il demanda à descendre sur le Pont de la Salve et, ensuite, sur celui de Deusto. Finalement, il se rendit à la Campa de los Ingleses. Un lieu qui n’accueille pas seulement les cirques et les spectacles, mais qui fut le cimetière britannique jusqu’en 1908, le terrain de football du Club Acero et la piste d’atterrissage de l’aviateur Manuel Zubiaga. C’est alors que la magie surgit. Gehry sortit son feutre, un carton de l’Hôtel López de Haro, et dessina quatre lignes. Le Guggenheim était né. Mais il y avait un problème. Les terrains. Ils étaient occupés par des entreprises de familles différentes, destinés à des tâches variées et parsemés de hangars et de conteneurs. Au dernier moment, lorsque tout portait à croire qu’il ne pourrait pas y être construit, ils parvinrent à un accord. Mais il y a d’autres faits surprenants. Plusieurs mois plus tard, Gehry attendait son avion dans l’ancien aéroport de Sondika. Il discutait avec les techniciens et les architectes sur la manière d’habiller le musée, lorsqu’il baissa le regard, montra le comptoir de la cafétéria et s’exclama: « Le Guggenheim sera recouvert de ce matériau ! »

C’était du titane. Le choix de la couleur est également stupéfiant. Lorsqu’on lui proposa le Bleu Bilbao, il n’en croyait pas ses oreilles. Autant d’années de métier et il ne connaissait pas son existence. Il avait alors entendu parler de notre identité et il trouva que l’idée d’utiliser une couleur avec le nom de la Ville était géniale. C’est celle que portent les bureaux du musée. Vous voyez bien qu’il y a beaucoup à voir. Autrement, vous pourriez rater une bonne amitié : celle de Puppy. Dans les fermes et les maisons basques, le chien est souvent appelé “Lagun”, ce qui veut dire ami en basque. Voilà pourquoi nous ne devrions pas être surpris qu’un chien avec une peau à fleurs fasse partie de Bilbao comme s’il habitait ici depuis la nuit des temps. Puppy s’empara de notre cœur dès son arrivée. Mais, comme pour le musée, certains n’y croyaient pas. Il est toujours là, pourtant. Voulez-vous connaître ses secrets ? C’est une structure en acier recouverte de fleurs, avec un système interne d’arrosage, créé par Koons, en 1992, pour une exposition à Bad Arolsen, en Allemagne. De là, elle passa au Musée d’Art contemporain de Sydney jusqu’en 1997, année où elle est achetée par la Fondation Solomon Guggenheim et expédiée à Bilbao. Nous l’avons adoptée. Après un premier coup d’œil, nous constatons que c’est un West Highland Terrier. Il occupe un espace qui appartenait aux chiens. Les habitants avaient l’habitude de promener leur mascotte dans le parc qui se trouvait à l’emplacement du bureau d’information. Il était à côté d’une pompe à essence et les couples furtifs, les voyageurs en direction de la gare et les chiens à la recherche d’espaces verts partageaient une époque industrielle. C’est normal que Puppy s’y sente bien. Et pourtant, il ne passe pas inaperçu. 12 mètres de haut, 15 tonnes et aussi luxuriant que le 15 octobre 1997, le jour de son inauguration

devant Krens, Ghery et les autorités. Il fait partie de la série “Celebration” qui inclut des sculptures de cochons, d’ânes et d’éléphants. Cependant, souvenez-vous de ce que nous disions au départ, ce n’est pas seulement un chien. Il a participé dans des clips musicaux et des films en tout genre. Souhaitez-vous faire partie d’un film ? Placez-vous face à lui, sur le trottoir droit de la rue Iparraguirre. Juste là où elle rejoint Mazarredo et Lersundi. Le lieu exact où James Bond atterrissait après avoir sauté du 5ème étage de l’immeuble, dans la scène avec laquelle commence « Le monde ne suffit pas ».

Les multiples âmes de Puppy

Avant de poursuivre, nous allons vous raconter un secret. Il s’appelle Puppy, mais parfois, c’est Milou, Blanquito, Zuri ou Troy. Il a autant de noms qu’il y a d’étoiles dans le ciel. Ce n’est pas toujours un West Highland Terrier. Il peut être caniche, berger allemand, collie, boxer ou, simplement, un chien des rues. Ils sont tous dans Puppy, c’est pourquoi il est aussi grand. C’est un enfant qui me l’avoua il y a bien longtemps. Son chien était parti pour toujours. En treize ans, il ne l’avait déçu qu’une fois : il n’était pas éternel. Au début, il pleura. C’était avant de connaître la vérité, que les chiens de Bilbao ne restent pas sur terre et ne montent pas au Ciel. Ils ne réincarnent pas non plus après avoir été incinérés. Leur destin est tout autre : être tous un, pour faire partie d’un cimetière sans besoin d’en avoir un. Un lieu où toutes les fleurs sentent la vie et sont en mouvement. C’est ainsi que le raconta cet enfant qui revient de temps en temps pour voir son copain. Il sait qu’il ne partira jamais, et c’est pour cela qu’il n’a pas de collier. Il sera donc éternel. Il attend tous les enfants qui souhaitent savoir où et parti leur copain. Pensez-y en vous en approchant. Le chien qui faisait partie de votre vie et qui vous quitta est peut-être là. Dans le cœur de Puppy.

CECI VOUS INTÉRESSE PEUT-ÊTRE … Le musée compte 24 000 m² de superficie, dont 11 000 destinés à un espace d’expositions. La place et l’entrée principale du Musée se trouvent au départ de la rue Iparraguirre.

L’extérieur du Musée, que vous pouvez parcourir dans sa totalité, présente des configurations différentes selon les perspectives. Il accueille également des démonstrations artistiques.

En raison de la complexité mathématique des formes aux lignes courbes projetées par Ghery, il décida d’avoir recours à un logiciel utilisé dans l’industrie spatiale, CATIA, pour transférer son concept à la structure et en faciliter la construction.

Ne prenez pas la peine de les compter. 33 000 planches en titane extrêmement fines recouvrent toute sa structure. Il est également recouvert d’une pierre calcaire qui a été très difficile à trouver, d’une couleur semblable à celle qui a été utilisée pour l’Université de Deusto.


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RÉCITS DE BILBAO

LE MUS EN TEMPS DE GUERRE

Je n’ai jamais su le nom des trois autres joueurs. Ou peut-être que si, mais par respect, je ne les dévoilerai pas. Tout comme celui du quatrième. Car son histoire comprend autant de noms qu’il y eu de soldats dans toutes les guerres. Bilbao et Biscaye, comme le reste du Pays Basque et de l’État espagnol, vécut le pire des conflits. Celui qui oppose les frères entre eux. •••••• CECI VOUS INTÉRESSE PEUT-ÊTRE … Le tracé de la Ceinture de Fer traversait Zierbena, Muskiz, Galdames, Güeñes, Sodupe, Gordexola, Okondo, Llodio, Arrankudiaga, UgaoMiravalles, Arrigorriaga, Zeberio, Galdakao, Larrabetzu, Gamiz-Fika, Mungia, Loiu, Gatika, Laukiz, Urduliz, Berango, Getxo, Sopelana et Barrika. Il existe d’autres traces de la Guerre Civile qui ne se trouvent pas directement sur la Ceinture, comme à Artxanda, mais qui méritent également d’être connues. Begoña et d’autres quartiers de Bilbao, ainsi que des montagnes proches, conservent des restes des batailles livrées au cours des deux Guerres Civiles.

L

a Guerre Civile est la plus incivile de toutes. Dans notre parcours de Bilbao, nous sommes obligés de visiter des recoins sentant la poudre et le sang. Déjà avant l’arrivée de cette guerre cruelle. Nous parlerons des conflits internes et externes dans les prochaines lignes. Mais avant, parlons du mus. Car cette ville connaît la résistance et le fait de jouer sa vie dans chaque partie. Comme cette nuit de 1937. La Guerre Civile passait son premier printemps sombre. Une poignée d’hommes, retranchés dans les montagnes proches de Bilbao, attendait un Bataillon qui n’arrivait pas. Certains luttaient pour leurs idéaux, d’autres pour l’inertie. Et à ce stade, presque tous pour survivre. La compagnie comptait tellement de pertes qu’il restait à peine une section : trois pelotons mal comptés. Le leur était formé de treize hommes dotés de deux carabines, fabriquées à Gernika, et trois pistolets. Le reste, des fusils de chasse et des couteaux. Et ils étaient là, en haut d’une montagne, un œil sur les camarades, l’autre alerte et, dans les mains, quatre cartes et un destin. La pluie jouait la tromperie, habillée en “sirimiri” tandis qu’ils se protégeaient derrière les ruines d’une ferme. Certains à leur poste et vigilants, les autres à regarder, sous une toile, la partie la plus surréelle de leur vie. En guise de tapis, une vieille couverture. Et pour seule lumière, la flamme d’une lampe à huile. Seul jouaient les vétérans, ceux qui s’étaient présentés volontaires à la Mairie après l’approbation du Statut et enrôlés dans une guerre qu’ils avaient toujours crue perdue d’avance. La partie démarre. Ils passèrent deux fois face à de fausses alertes. Ce fut les deux plus longues heures de leur vie. L’équipe gagnante respira profondément. Il n’y eut pas de démonstrations d’euphorie, seul un soupir. Tous regardaient les perdants. Le plus jeune baissa la tête, conscient de son destin. Ce serait d’abord le tour de son coéquipier de mus, et lorsqu’il tomberait, il deviendrait le sergent du groupe. Une sale affaire. Dans cette montagne et cette guerre, les caporaux, les sergents et parfois même le capitaine étaient en première ligne. Même dans ceci, ils formaient une armée particulière. Deux jours plus tôt, un obus emporta le grenier à foin d’une ferme et six des hommes qui y dormaient, parmi lesquels le capitaine et deux sergents. Un autre, grièvement blessé, avait été transporté jusqu’à Bilbao, ce qui explique que ces soldats, avec plus de volonté que d’esprit militaire, jouaient le poste de chef au mus. L’homme qui m’a raconté l’histoire emporta la partie ce jour-là. Plus tard, il allait perdre, mais ce n’est que lorsque la guerre était déjà jouée. Une

mitraille avait eu raison de son œil gauche et il ne restait plus d’hommes pour jouer. C’est alors qu’il comprit qu’il était temps de partir. D’abord en France, puis en Amérique où il gagna, perdit, et perdit de nouveau et gagna encore. Or ce n’était plus aux cartes, mais dans les choses de la vie. Car pour lui, le mus ne serait plus jamais pareil. Il ne me parla pas des cartes qu’il avait eues dans cette main. Peu importe. Avec le temps, j’ai compris que cela n’a aucune importance. Ce n’était pas une main gagnante, mais survivante. Celle d’une partie de mus en temps de guerre. Celle que vous pouvez voir aujourd’hui. Allons à Artxanda.

prendre pour monter. La machine, conçue par une entreprise suisse spécialisée dans les trains de montagne, coûta 488 407,30 ptas. En octobre 1915, elle réalisa son premier voyage. Il était d’une importance telle que ses voies et la gare supérieure furent bombardées pendant la Guerre Civile. Le service ne reprit qu’en juillet 1938. Il fut de nouveau rempli de vie. Les usagers étaient des amoureux, des familles et des curieux… mais surtout des travailleurs. Des hommes et des femmes qui descendaient chargés de marchandises et de rêves, et qui montaient avec l’argent pour toute la semaine. Il y avait de la place pour tout.

La Ceinture de Fer de Bilbao est la meilleure métaphore d’une Guerre Civile. Des bunkers et des tranchées le long de deux lignes de défense, séparées par 300 mètres. L’ingénieur qui dirigea les travaux fut Alejandro Goicoechea, l’homme qui finirait par concevoir le célèbre train Talgo. Ce Gouvernement Basque n’eut jamais des idées politiques très claires, mais on le chargea de cette mission et celui-ci, en raison de ses idées ou pour des motifs que nous ne connaissons pas, finit par fournir les informations à l’armée soulevée et Bilbao tomba plus vite que prévu. Le fait que la ceinture ne fut pas finie n’aida pas non plus. En outre, la Légion Condor et l’Aviation Légionnaire continuèrent à bombarder la Ville. Auparavant, les allemands avaient détruit Gernika. Le monde en eut connaissance grâce à George L. Steer, journaliste du “Times” qui raconta au monde le bombardement qui immortalisa Picasso. À l’époque, il logeait à l’Hôtel Torrontegui, également disparu.

“L’empreinte”, de huit mètres de haut, rappelle les plus de 40 000 “gudaris” qui luttèrent pour la démocratie et la liberté en Euskadi. Elle nous rappelle également que toute violence est absurde

Mais si vous souhaitez suivre ses pas, allez à l’Hôtel Carlton. C’est là que se trouvait le Gouvernement Basque. Il avait aménagé un bureau dans la chambre où se change aujourd’hui le personnel féminin de l’hôtel. Et si vous observez les escaliers de l’extérieur, vous trouverez des trous. Ce sont les anciennes bouches d’aération des bunkers. C’est aujourd’hui devenu un bar du même nom et il se trouve dans la cave de l’hôtel. On y trouve, pas très loin, une statue de celui qui fut Lehendakari à l’époque, José Antonio Aguirre. Allons maintenant à Artxanda.

Funiculaire aux cieux “Bilbaiens”

Depuis toujours, il a été un lieu de pèlerinage pour profiter du temps libre. Mais à la fin du XIXe siècle, l’affluence était massive. Un casino et plusieurs “txakolis” furent construits, des vignobles et des aires de pique-nique occupèrent les flancs de la montagne. Et en 1915, la Direction des Chantiers Publics approuva le projet d’un Funiculaire. C’est celui que nous allons

Des produits à vendre apportés par les paysannes jusqu’aux bêtes de somme ou les veaux en direction de l’abattoir. Une mappemonde dans une autre. Il avait de tout, jusqu’à une chronique noire. Le 25 juin 1976, date d’un accident mortel. Aucune mort à déplorer mais, le service fut une nouvelle fois annulé, jusqu’en 1983. Et, la vie est étrange, en août de cette même année, il fut également touché par les tragiques inondations. Le 4 novembre, le service reprit, sans autre interruption jusqu’à ce jour. Il esquive les difficultés et la crise, comme tout le monde. Grâce à lui, nous pouvons monter comme dans le temps et visiter “L’empreinte”, cette sculpture de huit mètres de haut et 8 000 kilos qui représente une grande empreinte digitale rappelant les plus de 40 000 “gudaris”, les soldats basques, qui luttèrent pour la démocratie et la liberté en Euskadi. Elle nous rappelle également que toute violence est absurde. À la défaite de Bilbao, les hommes qui restaient pour accueillir l’armée des vainqueurs et leur remettre le Gouvernement avaient l’ordre de tout détruire. Mais c’est les ponts qui explosèrent, par l’industrie. Il fallait continuer à vivre. Ils furent critiqués pour cela, même si le temps a prouvé qu’ils avaient raison. Admirez les vues. On peut perdre une guerre, mais pas la tête. Les générations à venir ne doivent pas payer pour l’injustice. La terre ne nous appartient pas, c’est nous qui lui appartenons. C’est ainsi que nous voyons les choses, à Bilbao. C’est pourquoi nous sommes si fiers de ce trou singulier au sud de la vielle Europe, qui s’entête à rester en vie, en renaissant tous les jours.


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La maison des

Legendes

I

l se trouve près du Palais Euskalduna et à côté du Pont du même nom. À l’endroit où se situaient les Chantiers Navals Euskalduna. Nous parlons d’une référence mondiale dans la construction de bateaux, qui dut fermer à cause de la crise et de la reconversion industrielle. Ni la Biscaye ni Bilbao, cependant, ne seraient ce qu’ils sont sans ces années de puissance navale. Voilà pourquoi le Palais Euskaduna est en forme de bateau. Il veut nous rappeler que la vie est un embarquement éternel. C’est d’ailleurs un centre de congrès et d’expositions que nous vous invitons à visiter. Ensuite, marchez un peu jusqu’au Musée. Il conserve l’histoire de notre peuple à travers les nefs qui sont nées dans ses berges. Il fut inauguré le 20 novembre 2003. Sa superficie est de 27 000 m², faciles à parcourir. Elle est partagée entre l’intérieur et une esplanade où sont conservés les docks de l’ancien chantier naval. Vous y trouverez des bateaux, des loups de mer et une femme au nom de grue, ainsi qu’une modeste embarcation qui remporta des trophées et la gloire. Les basques, aussi loin que nous puissions arriver, continuons à toucher la rive. C’est pourquoi nous ne considérons pas la mer comme de l’eau, mais comme de la terre. Ainsi, en 1282, nous participions à la conquête du Pays de Galles aux côtés de l’armée anglo-normande. Au Moyen Âge, nous étions des transporteurs pour les marchands italiens et en 1393, nous fréquentions les Canaries, le golfe de Guinée ou Terre-Neuve. Cadix a toujours eu une école de pilotes basques et entre le XIVe et le XVe siècles, nous participions dans des guerres comme celle de Cent Ans opposant les anglais et les français. Nous avons été pionniers dans les conquêtes, les explorations ou la pêche à la baleine. Et nous avons même eu des corsaires. Ceci explique peut-être qu’au XIVe siècle, nous ayons créé le Consulat de Bruges. En raison des routes ouvertes au trafic commercial après les Croisées, les marchands comprirent qu’il était nécessaire de se regrouper pour mieux défendre leurs intérêts. Ces organismes étaient généralement gérés par un ou plusieurs consuls. D’où son nom. Et celui de Bilbao apporta des normes dans les mers et les océans pendant longtemps. Plus de cinq cents ans plus tard, la Chambre de Commerce nous rappelle qu’elle en est le fruit. Vous voyez bien que nous avons marqué l’Histoire. Et les légendes L’historienne Mairin Mitchell raconte que le premier roi du Kerry, en Irlande, fut Eber. Un homme arrivé par la mer « depuis le nord de la Péninsule Ibérique ». Peu importe le lieu précis. S’il existait, un marin basque arriverait. Vous trouverez tout cela ici. Y compris une dame. Elle est dehors. Elle s’appelle Carola. 60 mètres, 224 tonnes et

Vous avez peut-être l’esprit marin sans le savoir. Le salpêtre est un lutin silencieux qui vous accompagne sans le faire savoir. Pour en avoir la preuve, nous allons devenir des capitaines intrépides. Il suffira de nous rendre au Musée Maritime Ría de Bilbao. •••••• elle soulève 30 000 kilos. Sa construction commença le 20 août 1954. Le poste de pilotage se trouve à 35 mètres du sol et les vues y sont impressionnantes. Elle n’a pas toujours été rouge, bien que d’une couleur voyante. Les hommes y montaient pour travailler, mais également pour contempler la femme qui inspira son nom. Elle s’appelait Carlota Iglesias Hidalgo, mais on l’appelait Carol. Elle devint ainsi Carola pour le peuple. On disait qu’elle était très belle. Lorsqu’elle atteignit un certain âge, on disait qu’elle n’était pas particulièrement jolie, mais qu’elle avait une poitrine généreuse. À 20 ans, elle travaillait pour le Trésor Public, dans la Plaza Elíptica. L’après-midi, elle était également employée dans un cabinet de conseil d’Indautxu. Demeurant à Deusto, il était pratique pour elle de traverser en barque. On raconte que les bateaux s’inclinaient à son passage, mais jamais elle ne vit combien elle était célèbre. Quelqu’un lui dit un jour « Nous allons devoir vous interdire de passer par ici car vous nous créez des pertes financières, mademoiselle ». Il semblerait que ce fut le Directeur, Monsieur Elisardo Bilbao, responsable de l’achat de la grue. Dans tous les cas, elle se mit à pleurer. Des années plus tard, elle apprit l’histoire de la grue et, avec le temps, elle prit sa retraite. Elle décéda le 26 octobre 2001, à l’âge de 76 ans. Mais le mythe est toujours vivant. « Elle redresse plus que la Carola ! ». C’était le cri de guerre du chantier naval. Grossier, mais très de la ria. Saviez-vous qu’elle ne se maria pas ? « Je n’ai pas trouvé l’homme de ma vie », répondait-elle. La femme qui soulevait des passions ne trouva pas celui qui soulèverait la sienne. Voilà pourquoi elle est aussi belle que solitaire, et fait tomber amoureux tous ceux qui passent par la ria. Diteslui bonjour et retournez-vous. Les embarcations que vous voyez ont parcouru des milles et referment des anecdotes. Du “Bizkaia I” de sauvetage, le remorqueur “Auntz” ou le “Nouveau Antxustegui”, qui permet de voir comment vit et travaille un bateau côtier, jusqu’au “BBK Euskadi Europa”. C’est à bord de ce voilier que José Luis de Ugarte participa à la Vendée Globe de 1993, une compétition en solitaire autour de la planète et sans escales. Si vous lui demandiez où se trouve la fin du monde, il indiquait le Cap Horn. Le lieu où lord Thomas Cochrane, le capitaine qui inspira le Jack Aubrey de “Master and Commader”, défiait le choc des océans. Lorsque vous le verrez, pensez à l’homme de 64 ans qui naviguait sur les océans comme Accab après Moby Dick. Mais il ne faut pas aller bien loin pour sentir la gloire. Demandez à la gabare. En 1960, elle reçut le nom de “Gabare n°1” dans le Chantier Naval de Celaya, sur commande du Port Autonome de Bilbao. Mais ce n’est

pas une gabare mais un pontón. Une plateforme flottante ni propulsée ni gouvernée, pour les travaux portuaires de maintenance ou comme support de grues. Son travail était modeste et le serait toujours s’il n’y avait eu trois événements. Le premier survint en 1924. L’Acero Club, le club de football d’Olabeaga, fut proclamé Champion d’Espagne dans la série B. L’équipe fut accueillie en train. Mais en arrivant à Bilbao, l’armateur Manu Sota décida de remorquer l’équipe montée sur une gabare éclairée avec des torches, de l’Arenal jusqu’au quai d’Olabeaga. Le deuxième événement fut une “bilbaïnade”, un chant typique des “txikiteros” qui disait « Une gabare descendait le fleuve Nervión, avec onze joueurs du Club d’Atxuri ». En réalité, il parlait d’une célébration qui aurait lieu plus tard à Atxuri, mais elle fut tellement célèbre qu’en 1983, elle fut de nouveau sur l’eau.

La gabare est la meilleure métaphore de notre peuple et de l’Athletic. Travailleuse, solide et courageuse. Elle nous rappelle que les rêves se réalisent grâce au travail et à la foi. Cela est arrivé deux fois, mais c’est comme si cela était arrivé des millions de fois

La réapparition de la gabare “rouge et blanche”

Aurtenetxe, à l’époque Président de l’Athletic Club, raconte que le Président de la Sociedad Coral de Bilbao, Gerrikabeitia, rappela l’évènement. Et ainsi, l’équipe navigua sur l’eau en direction de la Mairie. L’image des travailleurs des Hauts Fourneaux montés sur les grues pour saluer les champions et des ponts débordant de supporters est inoubliable. Une scène qui se répéta un an plus tard pour fêter la Liga et la Coupe. Il y eut un million de personnes. En 2009, elle fut aménagée après qu’il fut proposé que Bizkaia soit habillée de rouge et de blanc pour la finale de la Coupe à Valence. Le Musée proposa de l’accueillir et l’Autorité Portuaire la céda. Elle récupéra la couleur bleu Bilbao et s’habilla en rouge et blanc. Mais nous ne fûmes pas les vainqueurs et on la rangea une nouvelle fois. Comme en 2012, lorsque nous nous perdions en finale de l’Europe League, en Roumanie, et de la Coupe du Roi, à Madrid. En raison des demandes, et c’est le troisième événement, l’Athletic Club et l’Autorité Portuaire parvinrent à un accord : elle y resterait pour toujours. La gabare est la meilleure métaphore de notre peuple et de l’Athletic. Travailleuse, solide et courageuse. Cette nef nous rappelle que les rêves se réalisent grâce au travail et à la foi. Cela est arrivé deux fois, mais c’est comme si c’était des millions de fois. Et il faut le faire savoir, notamment aux nouvelles générations. Afin qu’elles n’oublient pas que la marée apporte des trophées. Cela dépendra de la détermination dont on fera preuve et du fait qu’on leur raconte qui nous sommes, face à une gabare, sur les berges de la ria. Peu importe qu’ils défendent un autre club ou qu’ils détestent le football. S’ils comprennent ce que cela veut dire, ils pourront comprendre notre peuple.

À NOTER Le Consulat fut la seule institution à gérer l’avenir financier de Bilbao et se constitua tribunal pour régler les différends commerciaux. Elle eut une représentation à Bruges, dont il reste aujourd’hui en souvenir, dans cette ville flamande, la Place des Biscayens. Le Pont de Deusto naquit comme projet en 1930. Les travaux commencèrent en 1932 et terminèrent le 12 décembre 1936. La Guerre Civile avait déjà commencé et il fut inauguré le lendemain. Il fut d’abord levant pour faciliter le trafic naval. Depuis 1995, il ne l’a été qu’à l’occasion de fêtes spéciales. Le Pont d’Euskalduna fut inauguré le 18 avril 1997. Sa structure est en métal et il mesure 250 mètres de long et 27 de large.


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UN GOÛT DE BILBAO

Bilbao commence par un “B” comme bouche et finit par un “O” d’admiration. Car engloutir sans déguster n’est pas manger mais avaler. Ici, nous n’utilisons pas uniquement cinq sens. Il y en a un sixième, qui est la somme de tous les précédents. C’est pourquoi, pendant le déjeuner, nous parlons de l’endroit où nous pourrions diner. Ce n’est pas un mépris de l’instant présent, mais le fait qu’une odeur nous amène à une autre et qu’un goût nous évoque des idées. Ne soyez donc pas surpris lorsqu’en dégustant un repas gastronomique, on organise pour vous ceux de toute la semaine. Laissez-vous emporter, en commençant par une journée “pintxos”.

E

n Euskadi, les “pinxos” (tapas) sont comme une alternative au menu conventionnel. Dans le temps, on les prenait debout, ce qui est plus conforme à notre esprit randonneur-de bistrot. Mais il est aujourd’hui courant de se voir proposer une table pour un plus grand confort. Il y a autant de variétés que de bars et de restaurants. Certains ont même été adaptés, comme la Gilda, avec son piment, son “antxoa” et son olive, né en l’honneur de Rita Hayworth dans la ville voisine de Donostia. Elle resta à Bilbao pour devenir du “botxo”. Et d’autres locaux, que l’on ne trouve pratiquement plus, comme le ”grillo” (grillon), élaboré à partir de pommes de terre cuites, feuilles de salade et ciboulette. Ils étaient autrefois servis pour animer la tournée des “txakolis”. Un “txakoli” était un local, à la différence de la taverne ou la pension, qui proposait le repas et le vin du même nom, élaboré avec du raison de leurs vignobles. Ce vin typique d’Euskal-Herria était acide et faible en alcool, mais il est aujourd’hui à la hauteur d’autres grands blancs et son goût et son odeur sont uniques. Il se marie bien avec les poissons, en particulier l’“antxoa” et avec de nombreux “pintxos”. Au fait, si l’on vous a raconté que la tradition basque veut que l’on conserve les cure-dents pour les montrer au moment de payer les “pintxos” consommés, sachez que c’est une infamie. Rien de tel n’a jamais été fait. Ici, nous vous faisons confiance, et vous nous faites confiance.

La “carolina” demande de la dextérité et du temps. Elle fut créée par un pâtissier “bilbaien”, qui lui donna ce nom en hommage à sa fille, une enfant amoureuse de la meringue Nous ne servons pas non plus le “txakoli” comme si c’était du cidre, en faisant cogner le liquide contre le verre. Celui de Biscaye, tout du moins, est servi avec la liturgie qui lui correspond. Et il n’est pas forcément blanc. Il existe une variante de rouge, même si le plus habituel est le premier. Les rogues sont un autre plat étoile. S’agissant de calamars panés dans une masse spéciale préparée avec de la farine et des œufs, la coupe du calamar et son traitement en cuisine le différencient de plats similaires. Nous pourrions parler de délices bien plus importants, comme les poissons, les viandes et d’autres produits, mais il vaut mieux que vous vous perdiez dans les rues et que vous demandiez aux gens. Nous serons ravis de vous répondre. On aime parler gastronomie, ce qui inclut les sucreries.

Pour le vérifier, voyageons jusqu’au milieu du XIXe siècle. Dans les Sept rues, les confiseries et les pâtisseries était si courante que ses trottoirs sentent encore le café élégant. Bilbao étant un port de marchandises, les produits nécessaires ne faisaient jamais défaut. Comme le lait ou les œufs locaux, à côté des farines et des épices des terres lointaines. Antonio Trueba, un illustre chroniqueur, racontait qu’au début de ce siècle, nous avions déjà des cafés célèbres. Ils appartenaient, en général, à des citoyens suisses, italiens et français qui accostaient dans la ville de Bilbao. Comme un certains Rovina, qui en ouvrit un dans la rue del Correo. C’était avec la Guerre d’Indépendance. En 1814, il céda le local à un suisse appelé Bélti qui, à son tour, le céda à deux de ses compatriotes qui le rebaptisèrent “Café Suizo” (Café Suisse). Ils ne réfléchirent pas longtemps pour trouver le nom, mais ils firent preuve d’esprit pour créer un des produits stars de la gastronomie “bilbaienne” : le petit pain au beurre.

Une sucrerie avec une histoire

Bernardo Pedro Franconi et Francesco Matossi, les suisses de cette histoire, décidèrent de faire une version “bilbaienne” des pains au lait de chez eux, réalisés avec de la farine, du jaune d’œuf, du beurre, du lait et du sucre. Non seulement il était moelleux et savoureux, mais il était recouvert d’une fine pluie de sucre. Et c’est ainsi que vous le trouverez aujourd’hui dans nos pâtisseries. Mais un beau matin, ils eurent l’idée d’ouvrir un petit pain en deux et d’ajouter une fine couche de beurre. Ce fut tout un succès. Comme nous avons déjà compris qu’ils faisaient preuve d’originalité en créant des affaires ou en élaborant des gâteaux mais pas en choisissant des noms, ils appelèrent leur invention « petit pain au beurre ». C’est ainsi que vous devez demander ce petit pain local. Car en dehors de Bilbao, il n’y en a pas et on le l’attend pas. C’est surtout étonnant car ces messieurs ouvrirent une cinquantaine de franchises dans des villes comme Madrid, Pampelune, Santander ou Burgos. Ce qui relève du mystère, c’est qu’il ait décidé d’y rester pour devenir une légende. Mais il n’est pas le seul. Demandez à gâteau de riz. Certains d’entre nous l’appellent le gâteau menteur car il ne contient pas de riz, en dépit de son nom. La raison se trouve dans son origine. On raconte qu’il était élaboré avec le riz au lait qui restait. On en faisait une crème qui était cuite avec une tartelette. Selon certains, des siècles plus tôt, la farine utilisée était fabriquée à partir du riz et la matière première changea, mais pas le nom. Il y en a même qui prétendent que c’est une recette des Philippines, apportée par les marins. Quoiqu’il en soit, il contient du beurre, du lait, du sucre, de l’œuf

et un feuilleté qui doit être cuit juste ce qu’il faut pour apporter du contraste à la crème. Ce gâteau, autant que le petit pain, sont parfaits pour accompagner un café ou une tasse de chocolat. On les mange aussi bien au petit-déjeuner qu’au goûter ou pour un diner léger. La “carolina”, en revanche, est une dame qui demande de la dextérité et du temps. Son origine est aussi connue que le nom de son créateur est méconnu. Un mystérieux pâtissier “bilbaien” qui lui donna ce nom en hommage à sa fille, une enfant amoureuse de la meringue. Nous savons déjà qu’il n’est pas facile de la manger sans se tâcher. Il imagina donc un panier en pâte feuilletée sur lequel serait posée une grande tour en meringue. Mais c’était trop simple, et il ajouta des coups de pinceau au chocolat et à l’œuf pour lui apporter du charme, du goût et de la consistance. C’est un gâteau aussi savoureux qu’attirant, raison pour laquelle il a été au centre d’affiches de fêtes et de paris scandaleux, avec un charme qui se transmet de génération en génération. Faites attention en le mangeant, quelqu’un pourrait vous en mettre sur le nez. Mais ce n’est pas le seul gâteau qui exige de l’habileté avec les mains et la bouche. Connaissez-vous notre russe ? Oui, nous savons bien que ce gâteau est connu de par le monde et que c’est grâce à l’impératrice de France, Eugénie de Montijo, née Grenade, qui, après son mariage avec l’empereur Napoléon III, emporta des cuisiniers espagnols dans sa suite. À l’occasion de l’exposition universelle de Paris, en 1855, un banquet fut organisé avec un invité d’honneur, son altesse le Tsar de toutes les Russies, Alexandre II. Pour le dessert, l’impératrice choisit ce gâteau. Après l’avoir gouté, il fut fasciné et demanda la recette. Depuis, il a été baptisé Gâteau Impérial Russe. Nous vous conseillons de gouter celui de Bilbao, le plus grand et moelleux. Et puisque vous y êtes, goutez les santiaguitos, les bilbainitos, les jésuites, les cristina et les truffes. Ou les toffees élaborés de la même manière que ceux qu’emporta un certain Arteagaveytia dans le voyage du “Titanic” et qui reposent au fond de l’océan. Profitez pour chercher les massepains et les nougats. Notamment celui que l’on appelle “sokonusko”, avec trois gouts de chocolat et qui est de ces délices d’origine incertaine qui sont arrivés pour devenir “bilbaiens”. Comme vous si vous goutez notre gastronomie. En fin de comptes, il n’y a pas mieux pour comprendre un peuple que de le porter à l’intérieur. Et ne vous inquiétez pas si votre valise n’a plus de place. La meilleure manière de conserver un bon vin ou un grand plat, c’est dans un coin de notre mémoire.


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