Du mal fondé de la question de l'identité nationale

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Opinions

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Tribune

Du mal fondé de la question de l'identité nationale Olivier Larizza

France-Antilles Martinique

23.12.2009

Il existe en rhétorique une figure que l'on illustre souvent, quand on est amené à l'enseigner aux étudiants de littérature, par la fameuse formule de Racine, « obscure clarté » . C'est aussi le « soleil noir de la mélancolie » de Gérard de Nerval. Cette figure est l'oxymore, qui désigne une impossibilité de sens, une contradiction dans les termes. De là qu'elle peut susciter, quand on s'attache à la démêler, des pages d'explications. « Identité nationale » est un oxymore. La nation est, par définition, collective. Elle est une donnée administrative liée à un territoire géographiquement et politiquement défini ; d'ailleurs la carte nationale d'identité (qui n'est pas, précisément, la carte d'identité nationale) informe sagement sur des éléments qui ne sont ni culturels, ni religieux, ni symboliques, comme votre date et lieu de naissance. L'identité, à l'inverse, relève de l'intime ; Voltaire y décelait « la conscience de la persistance du moi » . Et c'est une vue de l'esprit, ou une prise de position partisane, c'est-à-dire idéologique, que d'amalgamer le processus historique ayant abouti à la création de la nation (lequel est toujours susceptible de se poursuivre) avec la construction d'une identité collective. Cet amalgame est contemporain et il convoque l'irrationnel. Mais on conçoit qu'il s'accorde avec les ambitions d'un pouvoir centralisateur, jacobiniste. On nous dit par exemple que la langue participe prioritairement de la constitution de l'identité collective. Loin s'en faut. Avant d'être nationale, une langue est maternelle : c'est-à-dire qu'elle relève du lien le plus intime, un lien chargé d'affects à vie! Le fait qu'elle soit, en plus, langue officielle d'un pays, ne contribue guère au sentiment d'identité. Car le f ait qu'elle soit langue officielle est très souvent la conséquence d'un pur processus politique. Une collègue linguiste de mon université, quand on lui demande la différence entre une langue et un dialecte, a d'ailleurs coutume de répondre : « L'armée! »

« L'être national » Et ce n'est pas faux si l'on songe à la manière dont les conquistadores répandirent l'espagnol en Amérique ou à la sévérité avec laquelle l'État français réprima les parlers régionaux, en particulier sous la IIIe République, en les taxant d'arriérés. Une langue s'apprend donc, se construit avant tout dans la sphère privée en se chargeant d'affects qui n'ont rien en commun avec ceux d'une autre personne. La langue, en soi, ne rapproche pas les êtres ni ne confond leur essence ; elle est un outil de communication et d'expression. Non le creuset dans lequel se fonderaient les identités individuelles en une pâte unique (« identité » vient du latin idem). Tous ceux qui maîtrisent couramment une langue étrangère le constatent : quand ils s'expriment dans cette autre langue, ils se sentent différents. Et s'ils se sentent différents, c'est précisément parce que le vécu de l'apprentissage de cette langue, les affects dont il s'est empli, les souvenirs qu'il a produit et les tabous qu'il a pu balayer, créent une grande différence avec l'être que vous êtes quand vous vous exprimez dans votre langue maternelle. De là que les écrivains qui changent de langue (comme Beckett ou Nabokov) changent de style, de vision. La langue n'est pas seulement, comme l'ont montré les linguistes Humboldt puis Sapir et Whorf, la représentation d'une vision du monde ; c'est la représentation d'une vision de soi-même. En rien, donc, une

05/02/2010 09:28


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