Lettre du CAGI Hors Série janvier 2015

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A LLA LA BIODIVERSITÉ : E R T T E LLETTRE DU DU Penser global, agir local

AGI CCAGI HORS SÉRIE N°2 Janvier 2015 Centre d’Analyse Géopolitique et Internationale Rond-Point Miquel Cagi971@orange.fr 0-590-83-4847

UMR 8053

La biodiversité, “un produit de haute nécessité”

Toute l’équipe du CAGI vous souhaite une

bonne et heureuse année 2015

F. Reno, Professeur en Science politique - Directeur du CAGI

Ce numéro hors série porte sur une question dont on n ‘a peut être pas encore mesuré l’importance. La biodiversité a une valeur écologique et économique irremplaçable. Elle constitue une ressource dont le potentiel est encore largement inconnu. Parce qu’une de ses caractéristiques est l’extraordinaire diversité de ses composantes, et que sa finalité doit être le développement durable, nous avons le devoir de la protéger, de la valoriser et de la faire prospérer. C’est le sens des communications réunies dans cette livraison de la lettre du CAGI.

Nous ne sommes pas les seuls à prendre conscience de la place que prend déjà et que prendra au fil du temps ce qu’il est convenu d’appeler l’or vert. Le risque de voir cette richesse, échapper à ceux qui jusque là ont limiter son érosion existe. Le risque que l’éthique, le social, et le patrimoine auxquels on associe la biodiversité soient détourné du développement durable par des intérêts économiques minoritaires mais puissants, est réel.

alertés les décideurs sur les menaces contenues dans la prochaine loi cadre sur la biodiversité. Si la vigilance des parlementaires de nos territoires s’est manifestée à plusieurs reprises, on peut s’inquiéter de la faible mobilisation des populations sur ce que l’on peut sans hésiter qualifier de “produit de haute nécessité”. Le débat est ouvert mais souffre du silence assourdissant de la plupart des acteurs collectifs. La biodiversité ne sera sans doute pas un enjeu des prochaines élections et des futures C’est le sens de la mobilisation du mobilisations sociales comme CAGI, des associations, des experts si l’individu avait définitivement et autres personnalités qui ont privatisé la chose publique…


SOMMAIRE

LES DÉPUTÉS ULTRAMARINS Et le projet de loi sur la biodiversité… G. Raguel, Attaché parlementaire de Madame la députée-maire G. Louis-Carabin

02 - Les députés ultramarins et le projet de loi sur la biodiversité 04 - La conférence internationale sur la biodiversité, quel message de la Guadeloupe ? 06 - Valoriser la biodiversité et avoir le courage de se réinventer 08 - Le projet de loi sur la biodiversité : une menace pour le développement local ? 10 - La loi sur la biodiversité : une nécessité, des risques limités 11 - Le protocole de Nagoya : un accord aux multiples enjeux 12 - CANARI : Caribbean National Resources Institute 16 - Questions ) Henry Joseph, Pharmacien et Dr en pharmacognosie 18 - Le combat de l’APLAMEDAROM pour l’entrée des plantes médicinales des régions d’outre-mer à la pharmacopée française DIRECTRICE DE PUBLICATION C. Mence-Caster • RÉDACTEUR EN CHEF F. Reno • SECRÉTAIRES DE RÉDACTION A. Petit et A. Sorin

http://www.la1ere.fr/sites/regions_outremer/files/styles/top_big/public/assets/images/2014/09/17/27_deputes_outremer_1.jpg?itok=5A35wd9b

Lorsque François FILLON, Premier ministre, s’est appliqué à mettre en œuvre la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 souhaitée par le Président de la République d’alors, la circulaire du 15 avril 2009 adressée à chacun des membres de son gouvernement a sonné comme une mise en garde.

Désormais tenu au respect de délais plus long en première lecture entre le dépôt d’un projet de loi et sa discussion en séance (sauf lorsqu’il a engagé la procédure accélérée) ; nouvellement assujetti à l’obligation d’assortir tout projet de loi d’une étude d’impact destiné à mieux éclairer le parlement sur la

portée des réformes ; condamné à défendre un texte remanié par la commission parlementaire compétente saisie au fond (article 42 nouveau de la Constitution), le poids du gouvernement dans la procédure législative s’est, en droit, vu diminué au profit de celui des parlementaires.


Les députés ultramarins y ont-ils pour autant vu une opportunité de peser davantage sur le processus d’élaboration de la loi sur la biodiversité ? Au regard des propos introductifs de la rapporteuse de la Commission du Développement durable, Geneviève Gaillard, saisie au fond du projet de loi gouvernemental, la réponse serait sans doute OUI : “Un débat riche et fructueux s’est instauré sur ce sujet grâce à l’apport de nos collègues ultramarins”. Qu’elle pose, en outre, au cœur de l’équation de la gouvernance en outre-mer le cas Guyanais pour illustrer la difficulté de “redonner aux populations détentrices de ces savoirs traditionnels le juste retour de ce qu’ils apportent à nos sociétés modernes”, pourrait laisser entendre que les députés de ce DFA auraient donné une tonalité toute particulière à ce “riche et fructueux” débat ! Il est vrai qu’à regarder de plus près les noms des députés ultramarins portés sur les 748 amendements examinés par la commission à la fin juin 2014, il en est un qui ressort très régulièrement : Chantal BERTHELOT.On le retrouve souvent

sur la quarantaine d’amendements portés par les députés d’outre-mer -la plupart cosignés et un bon quart adopté-, mais également sur bien d’autres, de caractère plus général. Mais encore faut-il se souvenir que la parlementaire Guyanaise est à la fois membre de la dynamique commission saisie au fond et députée à plein temps …

permettant de réglementer l’accès et le partage des avantages, avec la Polynésie française et la NouvelleCalédonie. Mais comme elle est un DROM2 et non un PTOM3, elle a dû se résoudre à voir abrogé son dispositif d’accès et de partage existant pour le territoire du Parc amazonien. Et comment résoudre l’équation de la gouvernance ultramarine tout en traduisant Cela dit, poser la question de en droit interne du Protocole de la gouvernance en matière de Nagoya ? biodiversité loin de l’Hexagone doit nécessairement inclure un Résoudre l’équation paramètre et non des moindres : de la gouvernance l’outre-mer, notion caduque, fait ultramarine en place aux outremers ! traduisant en droit Au-delà de l’effet de style, cette interne du Protocole de réalité a trouvé au fil du temps sa Nagoya consécration juridique au cœur du dispositif institutionnel de la République. L’exercice est délicat et relève de trois blocs de compétences Et l’exemple Guyanais illustre distincts : mieux qu’aucun autre la complexité – la garantie des libertés publiques à laquelle peut se heurter tout (pour ce qui concerne la définition député qui voudrait tenter des communautés d’habitants, d’apporter une réponse uniforme ainsi que le principe du partage des à la question de la gouvernance du avantages), dispositif APA1 dans les outremers. – le droit de l’environnement (pour ce qui concerne la police de l’accès La Guyane compte parmi les trois aux ressources génétiques), collectivités ultramarines à avoir – le droit de la propriété expérimenté des dispositifs locaux intellectuelle et le droit civil (pour ce

qui concerne l’accès et l’utilisation des connaissances traditionnelles). Les compétences, pour ces matières, sont ainsi réparties entre l’État et les collectivités d’outremer. Au regard du droit, les 5 DROM de la République n’en disposent d’aucune, quand a contrario les PTOM disposent d’au moins les deux derniers leviers. Les travaux concertés des Assemblées régionales des 3 DFA, renforcés par les amendements cosignés des députés ultramarins (et quelques-uns de leurs collègues hexagonaux), sans doute ajoutés à une certaine complaisance gouvernementale ont permis de dessiner les contours d’une gouvernance locale de la biodiversité. Il reste encore à passer les caps de la discussion en séance publique et du vote. C’est alors que nous verrons si nos députés ultramarins sont assez habiles et persuasif pour déroger, plus encore, au cadre contraint de l’identité législative tel que défini par l’article 73 de la Constitution. Affaire à suivre…. 1 - Accès et Partage des Avantages 2 - Département-Région d’Outre-Mer 3 - Pays et Territoires d’Outre-Mer


LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LA BIODIVERSITÉ : Quel message de la Guadeloupe ? F. Reno

Du 22 au 24 octobre 2014 s’est tenue en Guadeloupe la conférence internationale sur la biodiversité et le changement climatique. La présence d’experts, de personnalités internationales, françaises et locales de renom, a donné à cet événement une dimension exceptionnelle. Les medias eux aussi y ont contribué par un suivi régulier de la manifestation et des explications claires. Reconnaissons aussi que l’engagement de la Région Guadeloupe a été à la hauteur de l’événement. Après le message de la Réunion, le message de la Guadeloupe alimente désormais le référentiel des politiques de biodiversité à l’échelle internationale. En dépit des aspects indéniablement positifs, la conférence sur la biodiversité et les discours officiels de la ministre française et du président de la Région Guadeloupe suscitent chez nous quelques interrogations. Que peut-on attendre d’une telle conférence ? A l’évidence tout sauf des décisions.

Tous les participants de cette conférence auraient adhéré aux cinq priorités stratégiques suivantes: Favoriser la résilience écologique, lutter contre la perte de biodiversité, développer l’économie verte et bleue, faire avancer la recherche, faciliter l’accès aux ressources. Le Message de la Guadeloupe encourage aussi à des actions transversales. Favoriser la coopération régionale ainsi que la coopération entre l’Union Européenne et les territoires et régions concernés. Assurer une meilleure cohérence et plus de synergies entre les différents moyens politiques et financiers, afin de faciliter un effet de levier des différents supports existant. Traduire dans les programmes européens, l’importance des Pays et Territoire d’Outre-Mer et Régions Ultrapériphériques et la biodiversité de pays voisins par des mesures appropriées. Développer des compétences et capacités transversales favorables à

une agriculture durable, y compris par le renforcement des institutions locales afin de réduire les menaces contre les écosystèmes sensibles et vulnérables.

Le forum n’a pas pour objectif ni légitimité pour prendre des décisions On pourrait continuer à énumérer les propositions contenues dans ce catalogue de bonnes intentions. Aucune action exécutoire n’a été envisagée et ne peut l’être dans ces conférences. Ce type de rencontre n’a pas pour objectif de prendre des décisions et encore moins de contraindre les autorités, d’autant que ce forum n’a pas la légitimité pour le faire. On ne peut que se féliciter néanmoins de la tenue de telles rencontres qui permettent d’évaluer l’avancée des dernières recommandations et de réunir les principaux acteurs impliqués.


Il y a toutefois un aspect qui échappe généralement aux observateurs et qui mérite d’être souligné, c’est le rapport de forces entre ces acteurs impliqués et les intérêts en jeu, lorsqu’ils sont perceptibles. Parmi les institutions présentes une Organisation Non Gouvernementale nous a particulièrement impressionné. Il s’agit de l’Union Internationale de Conservation de la Nature (UICN), machine organisatrice, fédératrice et animatrice d’une conférence qu’elle a coproduite avec le secrétariat de la CDB (convention sur la diversité biologique), la commission européenne, la Région Guadeloupe, le gouvernement des îles vierges britanniques, et l’Association des Pays et Territoires d’outre-mer.

C’est un prestataire de services qui attend de ces conférences des retombées financières Née en 1948 cette ONG française dont le siège est enSuisse se présente comme “le plus grand réseau de professionnels de la conservation

au monde, compte plus de 1.200 organisations membres dans 160 pays, dont 200 gouvernements et plus de 900 organisations non gouvernementales”. Plus de 60% de ses financements sont d’origine publique. Ce sont principalement les gouvernements qui alimentent le budget de l’UICN. C’est donc un prestataire de services qui attend de ces conférences vraisemblablement des retombées financières, juste retour d’une expertise indéniable si l’on en juge par la qualité de sa prise de parole et de ses rapports. Rencontre de haut niveau consacré à la biodiversité et au changement climatique dans les Régions Ultrapériphériques, les Pays et Territoires d’OutreMer européens, les Petits Etats Insulaires en développement et leur bassin géographique, la conférence de Guadeloupe a révélé aussi le décalage entre des acteurs comme l’UICN et les acteurs locaux et nationaux. Par exemple, dans les medias, l’élue représentant la Région commettait l’erreur, à plusieurs reprises, d’ériger la Guadeloupe au rang de petit Etat insulaire, quand l’UICN dans une démarche pragmatique faisant fi des statuts,

prônait la nécessaire coopération entre les différents territoires insulaires et avec l’Europe. L’UICN est aussi un groupe de pression dont les moyens sont décuplés par les partenariats noués avec les Etats. A titre d’illustration, l’accord cadre signé avec la France illustre l’étendue de sa capacité d’action dans la définition du référentiel de a politique française et internationale de gestion de la biodiversité. (http://www. diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/ Fiche_AC3_Gouv_cle83631e.pdf).

Cet accord valable de 2013 à 2016 vise à “influer non seulement sur les processus où se discutent les questions liées à la biodiversité …mais aussi sur les autres opportunités de lier biodiversité et développement, en particulier par une participation active dans le processus de définition des objectifs de développement durable…” On y apprend aussi que “l’approche de l’UICN consistera à produire des connaissances scientifiques comme soutien à la prise de décisions mais aussi à appuyer et à accompagner les pays dans la mise en œuvre du Plan stratégique 2011-2020 pour la diversité biologique adopté à


Nagoya en 2010 par les parties partage avec l’Etat selon des à la Convention sur la Diversité conditions précises. Le Message Biologique”. de Guadeloupe y consacre une phrase : “promouvoir l’accès des C’est précisément sur la référence populations des RUP et des PTOM au protocole de Nagoya que la aux ressources et au partage conférence de Guadeloupe est équitable des bénéfices”. Cette décevante. formule généreuse n’a pas été à l’ordre du jour de la conférence. Un des points centraux de ce protocole est le partage des Peu d’échanges ont été consacrés avantages tirés de l’exploitation de à cette question importante sur la biodiversité. Dans le protocole laquelle des parlementaires, des de Nagoya, les communautés universitaires, des experts, des d’habitants et les populations associations sont mobilisées en autochtones sont éligibles à ce Guadeloupe. Les populations de ces

territoires seront-elles réellement éligibles à ce partage ? La loi sur la biodiversité en discussion au parlement ne risque t-elle pas de les déposséder de leur patrimoine au motif qu’elles ne répondent pas aux définitions de communautés d’habitants et de populations autochtones.

Une nouvelle conférence aura lieu, les enjeux environnementaux et économique seront certainement évoqués, souhaitons qu’elle n’occulte pas les peuples et populations sans lesquels la Sur le plan strictement économique, protection et la valorisation de la ne risque t-elle pas, cette loi, de biodiversité seront des vœux pieux. marginaliser des petites entreprises dont les capacités financières et techniques ne pourront rivaliser avec celles des multinationales et

VALORISER LA BIODIVERSITÉ Et avoir le courage de se ré-inventer Il est de ces mots, qui semblent nouveaux ou des idées qui paraissent novatrices alors qu’en fait, ils désignent des concepts stables et constants, remis en lumière lors de crises ou d’effets de modes. Ils deviennent si souvent employés, répétés, galvaudés qu’on arrive à douter de leur signification réelle.

autres grandes entreprises dans la compétition à l’octroi de permis d’exploitation de la ressource ?

N. Minatchy, Présidente de Kap Gwadloup

Dans nos sociétés, les puissances du marché, toujours à l’affût de « bons coups » s’approprient ces mots/concepts et par le biais de campagne médiatique, les transforment en produits « tendance » pour en tirer des profits financiers substantiels. Cela provoque une totale distorsion de la signification originelle du mot au profit d’une réalité purement marchande.

Le mot qui nous intéresse aujourd’hui est : biodiversité. Biodiversité des « Outremer » qui représenterait plus 80 % de la biodiversité de la France, Or vert, loi cadre sur la biodiversité, Biodiversité entre protection et valorisation… On s’y perd…


Et pourtant, qu’est-ce donc que la biodiversité, si ce n’est la nature et la diversité de la vie des espèces (basée sur la diversité des patrimoines génétiques) qui nous entourent dans un équilibre éco-systémique que notre développement intensif menace. Notre biodiversité est très riche, parmi les plus riches du monde. Avec la raréfaction des énergies fossiles et la méfiance envers les solutions énergétiques de type nucléaire, afin de répondre aux grands défis pour nourrir la population mondiale et répondre à ses besoins vitaux, le nouvel eldorado se trouve dans les ressources génétiques.

Valoriser la biodiversité c’est avoir le courage de se réinventer Pourtant, une exploitation intensive, de la même ampleur que celle que nous connaissons avec les ressources actuelles, ne pourrait que conduire à de nouveaux drames environnementaux et sociétaux, puisque c’est le modèle de développement, basé sur la recherche d’une croissance illimitée, qui est obsolète.

Valoriser la biodiversité c’est avoir Pour nous, en Guadeloupe, il s’agit le courage de se réinventer. de reprendre conscience du rôle essentiel de notre environnement C’est réaliser que nous sommes naturel dans nos vies, de partie de cette nature et que la l’apprivoiser, de se l’approprier protéger revient à nous protéger enfin. Notre histoire peut expliquer nous-mêmes. que nous ayons jugé cette terre C’est prendre conscience que les et sa nature hostiles, cependant modèles intensifs et consuméristes nous devons absolument les faire nous conduisent droit dans le mur. nôtres, les chérir pour mieux les Ils ont certes, permis une révolution protéger et pour en faire le socle de verte qui a apporté la sécurité notre développement économique alimentaire à bien des pays. Mais et sociétal. aujourd’hui, les solutions pour nourrir les milliards d’êtres humains Développer des modèles agricoles doivent associer l’inventivité, dans lesquels le paysan est la modération et le respect des au centre de son exploitation, ressources et de l’écosystème. qu’il conduit suivant les réalités Créer de petits modèles, intégrés économiques, environnementales dans la nature mais suffisamment de son pays et non pas en fonction productifs, des modèles qui s’auto- de règles imposées par une logique entretiennent, limitant au mieux extérieure servant les intérêts l’impact anthropique, voilà les défis de grands modèles avec une pour demain. intégration verticale.

Valoriser les savoir faire paysans ancestraux, oser récupérer les pratiques adaptées au contexte (jardin créole, races spécifiques, rotations et associations de cultures pour minimiser les attaques parasitaires), respectueuses de l’environnement, et les faire évoluer, les améliorer à l’aune des connaissances scientifiques. Et enfin, puisque la biodiversité repose sur le vivant, pourquoi ne pas invoquer une dimension spirituelle dans notre questionnement sur le modèle de développement pérenne que nous souhaitons pour demain et opérer sur nous-mêmes les changements de mentalité qui s’imposent !


LE PROJET DE LOI SUR LA BIODIVERSITÉ : Une menace pour le développement local ? T. Bernadotte, Directeur de cabinet, collaborateur parlementaire

En collaboration avec le CAGI, la ville de Baie-Mahault dans le cadre de son forum Esprit Critique, à l’initiative du Député-Maire Ary Chalus, a réalisé la première conférence de sensibilisation de la population aux enjeux de la loi-cadre sur la biodiversité. Nathalie MINATCHY, Paméla OBERTAN, et Henry JOSEPH, personnalités bien connues du monde scientifique et universitaire, ont apporté un éclairage, destiné à faire réfléchir sur une des questions (essentielles) qui impactera, durablement, l’économie et l’avenir du Pays Guadeloupe et, plus largement, ceux des Outre-Mer.

aboutissants ne sont pas forcément aisés à comprendre. Aujourd’hui, il faut se réjouir d’une réelle prise de conscience, chaque jour, plus forte. Les guadeloupéens sont désormais conscients de l’opportunité que constitue notre biodiversité, si nous parvenons véritablement à nous l’approprier. Durant cette conférence, on a également pu ressentir certaines craintes, voire une menace qui pèserait sur nos ressources naturelles, et une volonté de s’approprier notre or vert.

Mais, de manière générale, tant sur le plan de l’écologie que sur celui de l’économie, c’est empreint d’un certain optimisme que le public est reparti. Si l’on en conserve la maîtrise, les retombées du dispositif appelé à encadrer la transition énergétique devraient être, extrêmement, importantes et avantageuses pour la Guadeloupe. A l’instar d’autres territoires ultramarins, notre Archipel représente 80% de la biodiversité française.

Une salle comble, une grosse participation du public, et des échanges très fructueux. En dépit de l’heure tardive, les débats passionnés se sont poursuivis aux abords de la médiathèque Paul Mado. Cela dénote (s’il en était besoin) l’intérêt de la population, pour une question dont les tenants et http://www.developpement-durable.gouv.fr/Segolene-Royal-presente-le.html


Dans cet ensemble, nous avons la particularité de disposer d’une faune et d’une flore exceptionnelles. Notre biodiversité recèle un véritable trésor et nous autorise à penser que, pour les futures générations, nous devons la protéger et l’optimiser, puisqu’elle représente l’un des leviers les plus puissants du développement et de la croissance économiques des prochaines années. Conscient de ces enjeux, le DéputéMaire de Baie-Mahault a, saisi le Gouvernement, le 29 janvier 2014, dans le cadre d’une question orale, par laquelle il soulevait les graves répercussions de la version actuelle du projet de loi ‘Biodiversité’ relative au partage des avantages (APA), en termes d’insécurité juridique et d’égalité devant la loi, pour l’accès aux ressources génétiques indigènes. L’utilisation des plantes, au titre de produits alimentaires (produits agro-transformés), des huiles essentielles, de cosmétiques ou de médicaments, avec la reconnaissance de la pharmacopée ultramarine, constitue un pilier majeur pour le développement économique des TPE et PME en Outre-Mer.

Il en est, de même, des richesses de la mer, de nos fonds marins. La modernité apportée par la croissance bleue passe par l’accueil et l’accompagnement d’entreprises innovantes intéressées par les ressources minérales sousmarines, les cultures marines, les micro-algues, entre autres, comme aux formes d’énergies produites par le milieu marin.

Des questions restent posées : - l’autorité appelée à délibérer sur l’accès à ces ressources, - la maîtrise de la gestion de la biodiversité, - la structure dédiée à l’exploitation de notre patrimoine naturel.

Il est souhaitable voire indispensable que la décision soit prise, le plus localement, possible pour une transition énergétique réussie car maîtrisée par des Il est exclu qu’un acteurs directement concernés par tel dispositif vienne l’application de la loi-cadre dans entraver le travail nos territoires et, singulièrement, amorcé par les en Guadeloupe. Ce débat, entamé entreprises innovantes à Baie-Mahault, s’est poursuivi dans les autres circonscriptions de la Guadeloupe, l’objectif fixé de Dans le contexte de fragilité de porter cette question au plus près notre tissu économique, il est exclu de la population, semble avoir été qu’un tel dispositif vienne entraver atteint. le travail amorcé par les entreprises innovantes de nos territoires ni Notre jeunesse est prête à relever contrarier l’opportunité de création le défi de l’économie du 21ème de nombreux emplois pour les siècle, fondée sur l’innovation, générations futures, grâce à une sur l’exploitation de nos richesses valorisation raisonnée et efficiente naturelles. Il faudra désormais de notre biodiversité, marine et explorer pleinement le potentiel terrestre, offert, et favoriser la croissance des entreprises œuvrant dans ces secteurs innovants, tout cela au profit de notre population, de l’emploi et de l’économie locale.


LA LOI SUR LA BIODIVERSITÉ : Une nécessité, des risques limités F. Lurel, Écologie Insulaire tropicale, Botanique Antillaise

Le projet de loi cadre sur la biodiversité et en particulier le titre IV dispositif APA* a suscité moult réactions, réserves et interrogations. Il y a lieu, tout d’abord, de saluer cette initiative de proposer ce texte de loi Cadre sur la biodiversité dans le prolongement du traité de Nagoya, compte tenu de la richesse des apports de l’Outre Mer, territoires répartis sur différents continents, océans, générant des surfaces maritimes importantes, et qui bénéficient de fonds européens pour rattraper leurs retards structurels. Dans le contexte Antillais, en particulier de la Guadeloupe qui appartient au hot spot de biodiversité de la Caraïbe insulaire, ce projet de loi parait une nécessité d’autant plus que certaines des ressources sont menacées (surexploitation, changements climatiques, espèces envahissantes…) et exploitées sans suivi.

Afin de limiter les risques, certains qui prime ou l’usage in fine ? Le points de ce projet de loi méritent projet de loi stipule que le dispositif précision, ou explication. APA* ne s’applique pas quand il existe un dispositif équivalent Il importe en effet que ce projet de qui vise les mêmes objectifs de loi cadre biodiversité: protection. Dans ce cas, quelles - Constitue un cadre d’interventions sont les espèces qui relèvent du davantage protecteurs pour les dispositif APA et celles qui relèvent territoires de l’Outre-Mer, lesquels de d’autres dispositifs ? Quelles sont reconnus exceptionnellement sont notamment les relations avec riches en biodiversité et qu’il le TIRPA** et les critères, délais, … offre l’occasion de véritables de basculement d’une espèce dans moyens pour valoriser et gérer ce un des dispositifs, la “rétroactivité” patrimoine naturel remarquable. n’étant pas de mise. Définisse les modalités d’autorisation d’accès aux Un dispositif juridique Ressources Génétiques de ce nécessaire à la réservoir qui apparaît inépuisable. biodiversité et aux - Précise clairement dans son services qu’elle rend champ d’application qui ne concerne que les activités de Recherche Développement (RD) Tous ces points une fois clarifiés (si en excluant celle de l’alimentation, besoin et en l’occurrence par des si un producteur local de amendements ou dans les décrets cosmétiques très simples utilisant d’application) dans le champ des produits péyi, sera soumis ou d’application de cette loi cadre pas au dispositif APA ? Par ailleurs sont susceptibles de favoriser dans une activité de RD, pour une la réduction des incertitudes et plante cultivée est-ce l’espèce l’amélioration de l’acceptabilité de

ce projet de loi qui d’autant plus prévoit que : - La gouvernance (également dans le cadre de l’Agence de Biodiversité) reste locale, cohérente et soit renforcée par des moyens et des ressources humaines liées à la connaissance et à la Recherche. - L’assemblée délibérante locale de Guadeloupe exerce des fonctions d’autorité administrative de gestion de ce dispositif. La Guadeloupe peut avoir ainsi la possibilité de délibérer, de délivrer des autorisations ou des refus en les motivant, en négociant les partages des avantages, et de ce fait prendre une large place ou entière maîtrise dans l’ensemble du processus décisionnel et de gestion. En outre, les instruments de pilotage, concertation, suivi, évaluation, vulgarisation prévus devraient limiter les risques de ce dispositif juridique nécessaire à la biodiversité et aux incommensurables services qu’elle rend.

* APA Accès Partage Avantage **TIRPA Traité International Ressources Phytogénétiques pour Alimentation Agriculture


Le Protocole de Nagoya Un accord aux multiples enjeux P. Obertan, Docteure en Droit et en Science politique

Pendant des décennies, les peuples du Sud ont assisté à la privatisation et à la marchandisation de leurs ressources génétiques et de leurs savoirs traditionnels par d’importantes compagnies privées. Ces dernières ont ainsi réalisé des profits élevés grâce au brevet sur ces ressources génétiques sans même en informer les populations concernées et surtout sans leur verser la moindre indemnité. L’ampleur de ce phénomène a poussé certains États ou peuples à limiter l’accès à leurs ressources génétiques. Or, celles-ci sont importantes pour de nombreuses industries qui ont besoin de la biodiversité pour mettre au point divers produits (médicaments, énergie, cosmétique, alimentation). C’est pour concilier ces différents intérêts, garantir un accès aux ressources génétiques et lutter contre la biopiraterie que le Protocole de Nagoya a été adopté le 29 octobre 2010 au Japon.

L’objectif ultime étant d’instaurer un partage plus équitable des richesses de la biodiversité et des savoirs ancestraux avec les populations ou les États qui ont préservé cette biodiversité.

L’enjeu du Protocole est de taille, il fait face à plusieurs défis Ainsi, le Protocole prévoit que toute entité privée souhaitant accéder aux ressources génétiques d’un pays devra obtenir de l’État ou des communautés autochtones et locales le consentement préalable donné en connaissance de cause. De même, cette entité aura l’obligation de prévoir un partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation et la commercialisation des ressources génétiques avec ces acteurs . Si ces deux conditions sont remplies, l’entreprise se verra accorder une sorte de permis d’accès, ce

document devant servir à une Ainsi la question qui se pose meilleure traçabilité. est de savoir si les ressources acquises avant l’entrée en vigueur L’enjeu du Protocole de Nagoya du Protocole feront l’objet d’un est de taille et il devra faire face à partage plus équitable. plusieurs défis. Enfin, un autre problème se pose Certains, notamment les peuples qui est caractéristique du droit autochtones et les communautés international, l’État partie peut locales, pointent du doigt le fait très bien signer le protocole, mais qu’il favorise les États, car ce sont n’encourt aucune sanction intereux qui sont chargés de mettre étatique en cas de non-respect en œuvre le Protocole. Or, des contrairement aux accords de Mondiale du problèmes peuvent se poser en l’Organisation cas de conflit entre l’État et ses Commerce. populations. D’autres soulèvent qu’une bonne partie des ressources On l’aura compris le Protocole génétiques prélevées dans les pays constitue juste un premier pas dans du Sud sont déjà utilisées par des la bonne direction et de nombreux entreprises occidentales qui ont aménagements devront être prévu déjà déposé plusieurs brevets et afin de satisfaire des intérêts parfois trop contradictoires. réalisé d’importants profits.


CANARI : Caribbean National Resources Institute Entretien avec Loïza Rauzduel Propos recueillis par F. Reno

Pouvez vous présenter insulaire, et nous mettons en CANARI et votre action œuvre des projets à l’échelle d’un au sein de cette ONG ? ou de plusieurs pays, en étroite collaboration avec l’ensemble de L’Institut des ressources notre réseau et de nos partenaires naturelles de la Caraïbe de la région avec lesquels nous (www.canari.org), est entretenons des relations de travail une organisation non- privilégiées, résultat de plus de 30 gouvernementale, institut années d’expérience dans le cadre technique régional dont le siège de la gestion participative des se trouve à Trinidad. Notre action ressources naturelles. s’étend toutefois à l’ensemble des Etats et territoires de la Caraïbe

CANARI a pour mission de “Promouvoir et faciliter la participation équitable et une véritable collaboration des populations dans la gestion des ressources naturelles, indispensables au développement des îles de la Caraïbe, afin de leur permettre d’avoir une qualité de vie meilleure et afin de conserver les ressources naturelles, grâce à la recherche et l’apprentissage par l’action, le renforcement des capacités, la communication et la favorisation de partenariats.”

En tant que Chargée de projet à CANARI, je contribue à la mise en œuvre de plusieurs programmes de travail, et m’intéresse en particulier aux efforts faits en vue d’élaborer un modèle de développement économique qui doit pouvoir garantir la conservation des ressources naturelles, et la distribution équitable des bénéfices dans le cadre du programme de travail Economie verte. Je participe également à la mise en œuvre du programme Communications et à divers projets pour la conservation de la biodiversité dans les iles de la L’action de CANARI se décline en Caraïbe. 11 programmes de travail, parmi lesquels Ressources côtières Comment est abordée la question et marines et Gouvernance, de la biodiversité par les autorités Changement climatique et des pays dans lesquels vous réduction des risques de intervenez ? catastrophes, Recherche, Apprentissage par l’action, Société Il n’y a certainement pas civile et gouvernance, Economie une seule et unique manière verte, entre autres. d’aborder les questions relatives à la conservation de la biodiversité et des ressources naturelles.


CANARI, dans le cadre des projets que nous mettons en œuvre, travaille en collaboration avec les organisations de la société civile (OSC), les organisations et groupes communautaires, les agences gouvernementales. Ce faisant, l’un de nos objectifs clés est de donner la parole aux acteurs les plus marginalisés, qui sont souvent ceux qui possèdent le savoir traditionnel, qui doit être valorisé, et qui est particulièrement utile pour l’élaboration des politiques en matière de conservation. Quels que soient les pays et territoires dans lesquels nous intervenons, nous nous attachons à mettre en œuvre des approches qui soient participatives, dans le cadre de la planification et de la gestion des ressources naturelles.

Donner la parole aux acteurs les plus marginalisés

Quels sont les pays les plus actifs sur la question? quelles sont les principales initiatives prises par ces pays ?

jouent déjà, ou ont vocation à jouer, un rôle clé pour la conservation de la biodiversité au sein de leur pays ou zone spécifique d’intervention, en mettant l’accent sur la bonne Les initiatives varient en gouvernance, la planification fonction des pays et territoires, stratégique, la capacité à influencer et des ressources humaines et les politiques. financières que ceux-ci ont à leur disposition. L’initiative vient souvent des membres les plus actifs CANARI met l’accent et les plus engagés de la société sur le renforcement civile, qui peinent alors parfois à institutionnel et mobiliser ceux qui disposent du des capacités des pouvoir de décision. A Sainteorganisations Lucie, Antigue, Haïti, entre autres, plusieurs OSC jouent un rôle actif en matière de préservation des sites et Des résultats encourageant espèces endémiques, en luttant par sont visibles, comme dans le cas exemple contre la propagation des de la Caribbean Coastal Area espèces exotiques envahissantes. Management Foundation (C-CAM), en Jamaïque, qui a développé des Pour soutenir ces initiatives, plans de gestion participative pour CANARI contribue au renforcement deux zones clés pour la biodiversité des capacités des parties en Jamaïque, Hellshire Hills et prenantes, des gestionnaires des Portland Ridge, tout en incorporant aires protégées, par exemple, des approches visant à promouvoir par le biais de formations, l’adaptation au changement assistance technique, mentorat, et climatique au sein des plans de l’attribution de petites subventions. gestions pour ces aires protégées. Nous mettons aussi l’accent sur le renforcement institutionnel et des capacités des organisations qui

Y a t-il des initiatives régionales en matières de conservation de la biodiversité ? Nombreux sont les acteurs qui, au sein de la région, s’attachent à mettre en commun leurs efforts, dans le cadre de réseaux formels ou informels, ou de programmes régionaux. Depuis 2010, CANARI agit en tant qu’Equipe régionale de mise en œuvre du programme d’investissements du Fonds de partenariat pour les écosystèmes critiques (Critical Ecosystem Partnership Fund – CEPF), une initiative conjointe de l’Agence française de développement, de Conservation International, de l’Union européenne, du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), du Gouvernement japonais, de la fondation John D. et Catherine T. MacArthur, et de la Banque mondiale. Le fonds a alloué 6,9 millions de dollars US destinés à la mise en œuvre de projets pour la conservation de la biodiversité par des organisations de la société civile, et depuis 2010, le CEPF a permis à plus de 50 OSC de mettre en œuvre des projets pour la conservation de


divers sites au sein du hotspot de En 2012, à l’initiative de plusieurs biodiversité des iles de la région. OSC de la Caraïbe, le comité régional pour la Caraïbe de L’on peut par ailleurs mentionner l’Union Internationale pour la le programme BIOPAMA Conservation de la Nature (UICN), (Programme pour la biodiversité fut créé. Le comité, actuellement et la gestion des aires protégées), présidé par CANARI, représente qui vise à apporter des réponses une opportunité unique de aux menaces à la biodiversité dans renforcer les partenariats entre les pays ACP (Afrique, Caraïbe, parties prenantes, membres de la Pacifique), tout en réduisant la société civile, des gouvernements, pauvreté dans les communautés qui œuvrent pour la conservation vivant au cœur et aux alentours de la biodiversité, en dépit de ces aires protégées. BIOPAMA des différences de langues ou est un programme de quatre de systèmes politiques, pour ans (2012-2016), financé par des reprendre les termes de Nicole ressources de l’enveloppe intra- Leotaud, Directrice Exécutive de ACP du 10ème Fonds Européen de CANARI. Développement (FED).

Enfin, et l’on ne pourra malheureusement pas citer ici toutes les initiatives régionales, CANARI est l’un des membres fondateurs de Nature Caribé, un réseau d’OSC qui œuvrent toutes pour la conservation de la biodiversité, une utilisation durable des ressources naturelles au sein de la région, et une bonne gouvernance environnementale, et dont sont membres des organisations de la Jamaïque, Haïti, République dominicaine, les Bahamas, Curaçao. Quelles sont les contraintes d’une coopération entre les territoires français et le reste de la Caraïbe en matière de protection et d’exploitation de la biodiversité ? Les territoires français et leurs voisins de la Caraïbe gagneraient, bien évidemment, à élaborer, participer, et mettre en œuvre des projets et programmes communs. D’un point de vue géographique, nous évoluons tous au sein du hotspot de biodiversité que représentent les iles de la Caraïbe, et de ce fait avons tous une part de responsabilité dans le cadre de la conservation de ces précieuses ressources.

Malheureusement, dans les faits, les initiatives sont limitées, et ce sans doute pour des raisons diverses. La langue ne devrait pas être une barrière, mais le fait est qu’elle l’est sans doute quelque peu, et affecte la spontanéité des échanges possibles. Cette limitation ne s’applique pas uniquement à l’anglais, car l’on ne peut nier le potentiel d’actions de coopération en la matière avec nos voisins hispanophones en République dominicaine, par exemple. CANARI, dans le cadre du programme CEPF mentionné précédemment, a renforcé ses relations avec plusieurs OSC de ce pays, et les efforts de certaines ont pu générer des résultats tangibles en matière de conservation, comme par exemple la mise en place, récemment, de la première aire protégée privée en République dominicaine, par le Consorcio Ambiental Dominicano.

Dans les faits, les initiatives sont limitées […] la barrière de la langue


Ensuite, les différences en matière de gouvernance sont sans doute encore plus prégnantes, et c’est un élément que CANARI avait noté dans le cadre de l’analyse du contexte régional au sein duquel l’Institut évolue, lors de l’élaboration du plan stratégique pour la période 2011-2016 (voir la version en français du plan stratégique 2011-2016 de CANARI). En effet, il n’existe pas, au sein de la région, de structure de gouvernance unique, réunissant toutes les îles de la Caraïbe, ce qui nuit fortement à une véritable intégration. Les efforts d’intégration régionale ont eu des résultats mitigés. Pourtant, pour nombre de parties prenantes, la nécessité de la coopération n’est plus à démontrer, afin d’augmenter la résilience de nos petits territoires, et de permettre à l’ensemble de la région d’être moins dépendante des forces externes.

CANARI croit fermement en la valeur ajoutée des échanges entre pairs, du partage d’expérience, des bonnes pratiques, et des relations de partenariats, aussi bien formels qu’informels. C’est pourquoi l’Institut mise depuis plusieurs décennies sur sa capacité à travailler dans toutes les îles de la Caraïbe, en rassemblant les acteurs de tous ces pays et territoires appartenant à des groupements linguistiques et systèmes politiques différents.

prenantes concernées puissent participer à une bonne gestion des ressources naturelles dans un cadre qui soit participatif, et pour parvenir à une gouvernance de ces ressources qui intègrent le plus grand nombre possible d’acteurs, membres de la société civile, des organisations communautaires, des associations, du monde universitaire, des agences gouvernementales, et du secteur privé.

Souhaitez vous ajouter des éléments qui n’auraient pas été évoqués dans les questions précédentes ?

Dans d’autre cas, ce sont des restrictions qui relèvent des modalités de financement qui entravent la coopération, et qui de ce fait ne sont pas aisément surmontables, malgré la bonne volonté des acteurs.

L’Institut fait la part belle à l’apprentissage et à la recherche, et en participant aux échanges d’informations et d’expériences, nous continuons à nous enrichir et à renforcer nos propres capacités. Il est par ailleurs primordial qu’au sein de la région, les parties

CANARI souhaiterait également renforcer les relations avec les parties prenantes des territoires français de la région, car nous demeurons convaincus qu’une action concertée et véritablement régionale doit passer par la mise en œuvre de projets et programmes communs au-delà des contraintes et des différences d’histoires, de langues, de systèmes politiques. Les secteurs de l’agriculture, de la pêche, du tourisme, pour ne citer que ceux-là, extrêmement vulnérables, en dépendent.

CANARI a vocation à jouer un rôle important en contribuant à un meilleur partage de l’information et au renforcement des partenariats pour le développement durable au sein de la région.


Questions à Henry Joseph Pharmacien et Docteur en pharmacognosie Propos recueillis par P. Obertan

Pouvez-vous brièvement votre phytobokaz ?

présenter Il s’agit d’un concept innovant entreprise d’agroécologie, d’agroforesterie et d’agro-transformation liant le développement de notre Notre entreprise laboratoire et le maintien de la PHYTOBÔKAZ [PHYT, plantes biodiversité de façon concomitante. et ÔBOKAZ signifiant «autour Le projet était de produire des de la maison »] est née en plantes oléagineuses (galbas, 2005, de l’association entre cocotiers, calebassiers, avocatiers, Henry JOSEPH (Pharmacien Herbe à Pik, herbe charpentier) et Dr en pharmacognosie) et en comprenant le fonctionnement son ancien professeur, Paul de chacune de ces espèces, les BOURGEOIS, chimiste à la retraite. interconnexions trophiques faune Le laboratoire Phytobôkaz fabrique / flore et les adaptations humaines des compléments alimentaires à effectuer, afin d’optimiser le et des phytocosmétiques. Les développement de notre entreprise matières premières naturelles tout en préservant la biodiversité. nécessaires aux besoins de l’entreprise sont puisées au cœur Docteur Henry Joseph qu’est de la biodiversité de la Guadeloupe. ce qui vous a poussé à vendre La conception de nos produits votre pharmacie et à créer votre suit un itinéraire technique précis entreprise Phytobokaz ? de la plante au produit fini, que N’est-ce pas un pari risqué ? nous avons dû mettre en place pour assurer un développement Nous vivons, sur une île, harmonieux de la faune, de la flore l’histoire nous a montré en 1914et de l’Homme avec notre unité de 18 puis l’a rappelé en 1939 – 45 (AN production. TAN SORIN) que nous pouvons être coupé du monde en cas de

conflit international, quand on sait que nous importons 100 % de nos médicaments et 80 % de notre alimentation, nous ne sommes pas à l’abri de nouveaux conflits.

la connaissance et valorisation de notre “garde mangé” et notre “pharmacie naturelle” plus connu sur le terme de biodiversité. Je fais de la résistance pendant que nous sommes dans l’abondance, Alors que ferons-nous ? Les c’est maintenant qu’il faut le faire, professionnels de santé que nous c’est un pari sur l’avenir, un pari sommes, dire à nos malades qu’il responsable et non un pari risqué. faudra attendre la fin du conflit pour vous soigner ? Et ce avec la différence, encore plus difficile C’est un pari sur qu’hier, c’est qu’aujourd’hui nous l’avenir, un pari avons une méconnaissance totale raisonnable et non un de nos rimed razyié. pari risqué Moi je dis non, je vais plutôt rassurer ma population en leur disant que nous possédons 625 plantes médicinales pour faire face aux soins de santé primaire, que nous avons 220 espèces comestibles qui de par leurs propriétés nutritionnelles nous aidera à mieux gérer les maladies métaboliques, première cause de mortalité en Guadeloupe. Ceci est une attitude responsable, voilà pourquoi j’ai vendu ma pharmacie pour me consacrer à

Le monde de l’entreprise est souvent pointé du doigt en matière d’atteinte à l’environnement. L’entreprise phytobokaz se présente souvent comme une entreprise de valorisation et de protection de la biodiversité ? Comment est ce possible ? Au cours de ces prochaines années, les ressources carbonées


de la chimie française seront de plus en plus végétales. 80% de la biodiversité de la France se trouvent en Outre-Mer, pourtant il n’y a pratiquement pas d’exemples de valorisation au niveau industriel de cette richesse en harmonie avec la nature sur ces mêmes territoires. Dès 2005, PHYTOBÔKAZ a été une entreprise pionnière afin de répondre aux exigences de la transition énergétique et écologique. Notre caractère insulaire, avec des écosystèmes fragiles, le fort taux de chômage chez nos jeunes, nous ont poussés à aller vers d’autres modèles de développement endogènes, en passant par ce que nous avons d’original et de spécifique : notre biodiversité. Selon nous, la valorisation l’Or vert de la Guadeloupe dans le respect de son environnement, à travers ce projet permet, et permettra de penser et de produire autrement, tout en créant de véritables filières vertes, avec des retombées sociales et économiques indispensables à notre région insulaire. Ce d’autant que l’archipel de la Guadeloupe fait partie des hotspots de biodiversité,

Quel intérêt trouvez-vous à travailler avec la biodiversité locale ? Pensez-vous que ce secteur soit un secteur d’avenir, créateur d’emploi et de richesses ?

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définis comme zone de réserve mondiale de biosphère. Il est donc capital de préserver ce trésor de la forêt primaire pour les générations futures et d’élaborer des zones de reforestation « utiles » tout en se développant industriellement. C’est le pari que nous avons fait. Cette notion complexe qu’est la biodiversité qui inclut à la fois des aspects taxonomiques, fonctionnels et spatiaux de la diversité des êtres vivants dans un même lieu nous passionne. Nous pensons écologie, phytosociologie, écosystème avant de mettre en culture les plantes utilisées dans notre entreprise. Notre unité d’agroforesterie est pour nous un très bon cas d’école, car nous

oublions souvent que le fruit est le résultat de la fécondation d’une fleur. En mettant 18 ruches à proximité des champs et en bannissant tout pesticide afin de préserver les abeilles, le résultat en termes de fructification est spectaculaire et en évolution d’années en années.

Nous pensons écologie, phytosociologie, écosystème

Avec la fin programmée du pétrole dans une quarantaine d’années et de la pétrochimie, nous devons d’ores et déjà penser à des contenants durables, comme alternatives aux sacs et aux couverts en plastique. Cela a conduit notre entreprise au niveau socio-économique et culturel, à tisser des passerelles avec le monde associatif notamment avec l’association « On Pannyé On Kwi ». Il s’agit d’une entreprise d’insertion dont l’activité consiste en la fabrication d’objets éco-conçus dans le cadre de la mise en place d’un atelier de vannerie pour la protection de l’environnement et la dépollution de nos territoires. Celle-ci se fait par la gestion des déchets à la source par l’usage des paniers et des kwis (calebasses coupées en deux). Pour ce faire l’association travaille à partir de matières premières 100% naturelles issues de notre biodiversité, comme des lianes et des bambous pour la fabrication


des paniers. Puis elle récupère les calebasses de nos plantations et les débarrasse de leur pulpe et graine et fabrique des objets éco-conçus. Notre entreprise récupère ensuite les graines pour en faire de l’huile de calebasse et des protéines avec le tourteau résiduel. Grâce à cette complémentarité de nos activités

dans des disciplines totalement différentes, nous créons des emplois tout en pérennisant la tradition et un savoir-faire ancestral toujours dans un souci de protection de notre environnement. Ceci n’est qu’un exemple, c’est ce que nous appelons de l’économie circulaire et que nous prônons, indispensable

quand on vit sur une ile : partager, Phytobôkaz accompagne et recyclé, s’entraider, dépollué et encourage de jeunes chercheurs protégé. dont les travaux, mettant en avant la flore guadeloupéenne pour la Souhaitez vous ajouter des plupart, donne un souffle d’espoir éléments qui n’auraient pas quant à l’avenir de la biodiversité. été évoqués dans les questions Ils ont tenu à partager leur vision précédentes ? de l’avenir et leur ambition pour valoriser notre biodiversité.

Le combat de l’APLAMEDAROM Pour l’entrée des plantes médicinales des régions d’outre-mer à la pharmacopée française M. Gustave, Présidente de Association des plantes médicinales et aromatiques de Guadeloupe

Le 1er Août 20013, 46 plantes de Guadeloupe, Martinique et Réunion proposées par ces régions d’outre-mer et examinées par l’ANSM, Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé, entrent à la Pharmacopée française. Parmi elles, après les 2 pionnières entrées en 2005, ce sont 15 nouvelles plantes médicinales de Guadeloupe sélectionnées par l’APLAMEDAROM qui prennent place de façon officielle dans cette pharmacopée française.

L’ordonnance d’interdiction de l’utilisation et de l’étude des plantes par les esclaves, les nègres libres, les personnes de couleur votée le 8 Mars 1799 (les colons avaient peur d’être empoisonnés) est définitivement abrogée le 8 Avril 2009, soit après plus de 200 ans d’existence.

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Belle victoire !... mais il a fallu se battre. L’entrée des plantes des DOM à la pharmacopée française donc, leur reconnaissance ne s’est pas faite facilement !


Un rappel chronologique succinct de quelques faits renseigne. et permet de comprendre l’importance du travail fait par l’APLAMEDAROM.

L’APLAMEDAROM c’est 10 ans de batailles juridiques et 4 lois portées

Au départ, le triste constat en 1989 du Docteur H ;Joseph, pharmacien: Les plantes des DOM ne peuvent L’APLAMEDAROM créée en l’an être vendues en pharmacie à 2000 organise en 2001 le 2ème l’instar de celles de la métropole. colloque international des plantes médicinales et, met en place en 2003 En 1983 le premier réseau caribéen le premier Diplôme Universitaire TRAMIL (Traditional Medecine de phytothérapie et de plantes of Island) sur la médecine médicinales de la Caraïbe pour traditionnelle dans les îles est former les professionnels de créé afin de permettre l’accès santé à l’utilisation des plantes de aux soins de santé primaire aux Guadeloupe et de sa proche région populations défavorisées de géographique. ces régions. Le Docteur Henry JOSEPH pharmacien et docteur Des démarches scientifiques en Pharmacognosie, le Professeur auprès de l’AFSSAPS (aujourd’hui Paul BOURGEOIS, phytochimiste, ANSM) sont menées : rédactions le Professeur Jacques Portécop, et présentations de monographies botaniste participent aux travaux de plantes pour acceptation et ils ne lésinent pas à la tache impliquent les membres de pour la prise en compte des plantes L’APLAMEDAROM : 2 plantes médicinales. entrent en 2005 à la pharmacopée En 1989, après 15 ans de recherches française. le premier ouvrage sur la Pharmacopée caribéenne, résultat Notons les dix ans (2001 à 2011) de du travail de 200 chercheurs de 30 bataille à la fois juridique, politique pays de la Caraïbe et d’Amérique et économique menée par le Dr est édité. Henry JOSEPH 1er président

de l’APLAMEDAROM, Maître Isabelle ROBARD, spécialiste de la législation sur les plantes et l’APLAMEDAROM.

La Validation au Journal Officiel en 2010 et la Convention ODEADOMAPLAMEDAROM en 2011 rendent possible les études monographiques réglementaires des 15 plantes 4 lois (2002 à 2009) ont été de Guadeloupe sélectionnées nécessaires : par L’APLAMEDAROM. Quinze - Février 2002, Loi GUIGOU (Droits plantes de Guadeloupe entrent des Malades) officiellement à la Pharmacopée - Mars 2003, Loi Programme pour française le 1er Août 2013 ! l’Outre-mer : collectivités, – Octobre 2008, Grenelle de Aujourd’hui associations, écoles sollicitent L’Environnement - 8 Avril 2009, LODEOM (Loi pour l’aide de l’APLAMEDAROM pour le développement économique de la diffusion des savoirs et savoirfaire traditionnels concernant ces L’Outre-mer). C’est la LODEOM et le CIOM plantes inscrites à la Pharmacopée (Conseil Interministériel des française ce qui ne peut qu’enrichir DOM) qui enfin, en 2009 après la pharmacopée locale caribéenne ! la grève générale, amènent la Merci à tous ceux qui ont œuvré reconnaissance des plantes et soutenu le combat mené pour cette reconnaissance ! médicinales.


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