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Des noms, des dates, des faits. Des hommes, des idées, des combats. L’Europe qui se construit, le monde qui s’ouvre. C’est cela l’Histoire, et c’est cela aussi l’histoire de l’industrie et du commerce des viandes. Cette saga a placé depuis soixante ans la FNICGV au centre d’un monde plein de bruit et de fureur, mais aussi de belles actions, d’innovations techniques, de progrès des connaissances, de conquêtes sociales aussi. La viande touche au corps, et à l’âme. Elle est chargée d’imaginaire, de symboles, de peurs et d’attirances. Les hommes de la viande doivent prendre en charge ces pulsions, maîtriser un produit vivant, le rendre accessible au plus grand nombre, répondre à des attentes nouvelles. Le tout sous l’œil toujours inquiet des États et des traités, des philosophies et des religions, des douanes et des impôts, des médecins et des vétérinaires, des ingénieurs et de la presse. Bah, la viande en a vu d’autres ! Elle était déjà là quand nul ne pensait encore à établir des frontières et des contrôles, des taxes et des quotas. On peut faire le pari raisonnable qu’elle leur subsistera, et que la FNICGV restera une organisation majeure pour son avenir.
Éditions Comaral
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE EN FRANCE
12/06/06
C OMMERÇANTS
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Commerçants & industriels de la viande en France
Commerรงants & industriels de la viande en France
François Landrieu Néron Richer • Gérard Marot • Marie-Pierre Chavel
FNICGV Fédération nationale de l’Industrie et des Commerces en Gros des Viandes 17 place des Vins de France, 75012 Paris Tél : 01 53 02 40 15 - Fax : 01 43 47 28 58 Site : www.fnicgc.com - Email : courrier@fnicgv.com
Commerçants & industriels de la viande en France
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© Éditions Comaral, 2006
ISBN : 2-9521097-7-X
Éditions Comaral
À la rencontre des professionnels Nord-Pas-de-Calais, Picardie, et Île-de-France Ce n’était pas gagné d’avance
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par Laurent Spanghero
Alsace, Champagne-Ardenne, Lorraine, Franche-Comté et Bourgogne 136
FNICGV, la viande en son histoire 1945-2006
Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Corse et Monaco 168
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Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Aquitaine
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Auvergne et Limousin
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Poitou-Charentes, Centre, Pays-de-la-Loire et La Réunion
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Bretagne, Basse-Normandie et Haute-Normandie
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Le site internet de la FNICGV
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Légende des photos
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Remerciements
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Ce n’était pas gagné d’avance Il m’avait dit : passez ce soir, j’aurai une ou deux heures de libre, nous pourrons parler. Attraper l’occasion au vol, vite… Dehors, sur la place des Vins de France, le soir tombe après une journée grise d’hiver. Quelques allées et venues dans les bureaux, un téléphone qui sonne parfois, mais on peut causer.
Laurent Spanghero : Oui, bien sûr. Vous avez vu quel foisonnement d’initiatives il y avait, quelle vigueur aussi dans nos affrontements sur des dossiers qui font aujourd’hui sourire les jeunes de nos métiers, comme le contrôle des prix ou la taxation. Mais il n’y a guère que 20 ans qu’on n’en parle plus, c’était hier.
François Landrieu : Laurent, vous êtes le président d’une organisation, la FNICGV, qui a traversé des circonstances historiques très diverses depuis 60 ans. Est-ce que vous sentez peser sur vous quelque chose comme le poids de l’héritage ?
François Landrieu : On ne peut pas ne pas évoquer La Villette, les Halles de Paris et leurs transferts à Rungis, l’un des plus gros dossiers affrontés pendant 20 ans par votre profession. Elle était alors divisée, parfois même en rupture interne…
Laurent Spanghero : D’une certaine façon, oui, bien sûr. Nous avons ici à assumer un passé qui compte des heures de gloire, et d’autres moins faciles. Mais enfin, si je parlais comme dans le sport, je dirais : sur l’ensemble de la saison, on est plutôt pas mal…
Laurent Spanghero: Oui, c’est vrai, mais la FNICGV a toujours su, finalement, conserver ou recréer son unité. Elle le doit largement à l’autorité de son président d’alors, Ernest Lemaire-Audoire. Sa puissante personnalité fédérait nos métiers et nos entreprises autour de lui et de la FNICGV. C’est cela qui l’a rendu incontournable dans toutes les profondes évolutions qui naissaient alors. Car il n’y a pas eu que La Villette. C’était aussi l’époque des premiers plans d’abattoirs, de la concentration des outils, de la TVA,
François Landrieu: C’est plus que la saison, c’est l’ensemble d’une carrière, non? Laurent Spanghero : D’accord, c’est presque le temps d’une vie d’homme. Et bien, ce livre va précisément montrer que nous sommes passés par toutes les étapes d’une certaine jeunesse, de l’adolescence, de la maturité. François Landrieu : La jeunesse, c’était en 1945-1950, après la Libération ?
des règlements sanitaires plus exigeants; et de la modernisation des structures de la production, avec des lois d’orientation et complémentaires très innovantes. François Landrieu : La FNICGV n’a-t-elle pas d’abord eu des rapports difficiles avec cette production, et surtout avec celle qui s’organisait ? Laurent Spanghero : Oui, bon, il y avait des excès des deux côtés. C’était le climat de l’époque, on aimait s’affronter verbalement. Les entreprises avaient d’ailleurs des raisons objectives d’être inquiètes dont l’aide abusive des Pouvoirs publics aux coopératives d’abattage. Même si toutes leurs inquiétudes ne se sont pas réalisées. François Landrieu : Par exemple ? Laurent Spanghero : Oh, je sais bien ce que notre bureau de l’époque pensait des groupements de producteurs, des SICA, ensuite d’un Office de la viande, et même plus tard de l’Interprofession. LemaireAudoire a su évoluer assez vite, et nous avons suivi. Marcel Quiblier a fait sa part de ce chemin d’ouverture aux autres maillons de la filière. Ensuite, avec Pierre Mussaud et avec moi, c’était des notions acquises. Et tous ceux qui ont au cours de ces décennies pris des responsabilités au sein de la Fédération ont contribué à cette évolution. François Landrieu : Votre profession n’a-t-elle pas été plus perméable aux idées et aux démarches innovantes dès lors qu’elle devenait une industrie, plutôt qu’un commerce de gros ? Laurent Spanghero : Je ne crois pas qu’on puisse dire cela aussi simplement. Vous savez, la FNICGV regroupe des personnalités très diverses, venues d’horizons
assez différents. Déjà, il y a la classification habituelle : les « urbains », qui sont des bouchers qui ont intégré la fonction grossistes en se développant ; et les « ruraux », qui étaient au départ des commerçants en bestiaux passant à l’abattage et à l’expédition. Aujourd’hui, cette différenciation n’a pratiquement plus de signification. En revanche la prise en charge des fonctions de transformation, allant du piéçage au plat préparé, fait la différence entre les entreprises. François Landrieu : Vous-même, dans votre entreprise, vous avez suivi le même chemin ? Laurent Spanghero : Oui, complètement. Je ne vais pas vous raconter ma vie, mes collègues de la filière la connaissent. Disons qu’après avoir quitté la ferme familiale sur un conflit de génération avec mon père, j’ai été initialement embauché en tant que chauffeur de bétaillère à la SICAVIAR (Sica Viande Ariège) à Pamiers. J’ai ensuite fait mes gammes en tant qu’acheteur de bovins en vif et ensuite au service commercial des viandes en cheville. J’ai passé trois ans dans cet établissement. Au terme de cette période, j’ai décidé de créer ma propre société et mon frère Claude m’a rapidement rejoint à l’abattoir municipal de Castelnaudary en octobre 1970. Nous y avons développé une activité d’abattage et de commercialisation de veaux d’abord, ensuite de bœufs et de porcs. Rapidement, nous sommes devenus « industriels » en investissant dans un atelier de découpe de bœuf et charcuterie, et plus tard, en 1978, dans une première unité de production de cassoulet. Nous avons aussi développé au cours des dix dernières années une activité de viandes piécées et de steak haché.
Ce n’était pas gagné d’avance François Landrieu : Jamais d’échec ? Laurent Spanghero : Si, tout le monde sait que je n’ai pas pu redresser la société Brunet, à Bordeaux. Mais nous avons assumé les pertes et payé tout le monde, je n’ai jamais voulu déposer le bilan de cette société. François Landrieu : L’histoire de cette société Spanghero, finalement c’est un condensé de celle de la viande pendant cette époque ? Laurent Spanghero : Oui, si on veut. La mienne se poursuit plutôt bien, par une succession réussie avec mes deux fils Jean-Marc et David qui ont repris les commandes il y a trois ans. Et une entreprise qui emploie tout de même 500 personnes, c’est ma fierté.
Laurent Spanghero : Je ne vais pas trancher aujourd’hui… Je sais que des évolutions se préparent, elles ne seront pas toutes très faciles à faire comprendre aux professionnels. On en a eu un avant-goût avec la taxe d’équarrissage puis la taxe d’abattage et sa répercussion. Tout cela procède de la volonté de l’État de se désengager de certaines responsabilités, et surtout de certains budgets. Sur le fond, nous sommes des adeptes de l’économie libre, avec une
François Landrieu : Vous avez désiré, vraiment voulu être président de la Fédération. Déjà avant votre élection de Reims, on vous sentait prêt… Laurent Spanghero : Je ne vais pas vous dire le contraire, mais je n’y pensais pas tous les matins en me rasant… Disons que je voulais apporter à ma profession le dynamisme dont j’étais capable, et une approche très concrète des problèmes. J’ai toujours été comme ça. Quand j’ai été élu président, c’était au printemps 1996, inutile de vous faire un dessin : nous étions en pleine crise ESB. À la présidence de la Fédération, il y avait surtout des coups à prendre. Mais je crois que nous avons bien travaillé, avec les éleveurs et l’Interprofession, pour redorer l’image de la viande et retrouver des niveaux de consommation acceptables. François Landrieu : Justement, sur cette notion d’interprofession, de filière interprofessionnelle, on sent que des évolutions se dessinent, qui leur donneront plus de responsabilités
François Landrieu : En cette année 2006, vous avec accompli dix années de mandat à la présidence. Sans préjuger de ce qui arrivera par la suite, peut-on vous demander quel bilan vous dressez de votre action ?
opérationnelles et de gestion des marchés. Vous êtes favorables à cette orientation ?
intervention de l’État modérée. Mais si ces processus ont pour premières conséquences de faire payer aux entreprises des charges qui ne leur incombent pas, évidemment, nous ne sommes pas d’accord. François Landrieu : On vous voit aussi beaucoup à Bruxelles, dans les congrès internationaux, vous exercez de multiples responsabilités. Vous pouvez tout faire ? Laurent Spanghero : Écoutez, la santé est bonne, et j’ai conservé de mes années rugby comme capitaine de Narbonne deux
bons principes : quand il faut relever les manches, on y va, mais jamais en ordre dispersé. En fait, la Fédération a besoin d’être représentée au plus haut niveau dans un certain nombre d’enceintes. Je ne suis pas élu pour les banquets d’assemblée générale, mais pour assumer la fonction. Être à Bruxelles, ça va de soi. L’UECBV est maintenant une bonne machine, très performante, qui nous permet d’avoir accès en priorité à tous les dossiers qui nous concernent. Vous n’ignorez pas que toutes les grandes décisions concernant nos métiers se prennent et s’élaborent à Bruxelles, d’où l’importance de notre organisation làbas. À Paris, c’est vrai qu’on doit courir de réunions en commissions de travail, de ministères en assemblées, de conseils de direction en conseils d’administration. Mais c’est là que s’élaborent, ou que se prennent, les décisions. Et si vous me voyez parfois sur un long courrier, c’est que la viande est aujourd’hui une denrée d’importance stratégique mondiale, on l’a bien vu lors des négociations du Doha round. C’est nécessaire et, je crois, utile. Donc je le fais.
Laurent Spanghero : Je crois que nous avons bien réussi l’énorme effort de modernisation du produit qu’ont imposé les deux crises ESB de 1996 et de 2000-2001. Nous avons en quelques semaines, ou quelques mois, su mettre en place des procédures de gestion et d’élimination des déchets dangereux, le terme « traçabilité » a été inventé et perfectionné, l’interactivité des professions de la filière a été établie. Avec Interbev et le CIV, nous avons établi la communication sur des bases élevées, performantes. Nous avons également bien réussi à gérer la modernisation de nos outils et à préserver un bon potentiel de consommation de nos produits, d’une façon générale toute une ingénierie devenue très complexe avec les nouveaux impératifs d’économie d’eau et d’énergie, et d’environnement. Sur le plan purement syndical, nous avons, malgré tout, conservé l’unité de la représentation des entreprises privées, et la Fédération continue de jouer un rôle décisif en leur faveur. Alors, évidemment, il y a des points moins positifs. Hélas, nous ne sommes pas parvenus dans la période récente à convaincre les responsables français et européens de l’erreur commise en laissant les productions animales, bovines notamment, devenir de plus en plus déficitaires. C’est une erreur stratégique à long terme que de devenir de plus en plus tributaires des importations lointaines et de ne pas préserver l’indépendance alimentaire de l’Europe.
FNICGV,
la viande en son histoire 1945-2006 14
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La modernité commence avec eux
L’Europe affirme son autorité
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Libération, taxation, pénurie
Le temps de l’UCIBEV
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30 ans de règne
La crise du siècle
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La modernisation commence
CEBV : une espérance déçue
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80
La Villette, ça durera 20 ans
Un automne meurtrier
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On regarde vers Rungis
On s’amusera plus tard ou peut-être jamais
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L’Europe, l’Office, deux nouvelles donnes
L’avenir n’est pas écrit
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Vers l’Interprofession
Les cadres de la FNICGV
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La fin et le début
La FNICGV dans les grands organismes
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Lois sociales, quotas laitiers
C’est jeune, et ça s’apprend…
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FNICGV la viande en son histoire
COMMERÇANTS
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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La modernité commence avec eux Au Moyen Âge, à Paris et dans les grandes villes, les animaux de boucherie étaient abattus sur place, par chaque boucher dans son arrière-cour ou dans la rue. Au XIVe et XVe siècle, les maîtres des étaux du Châtelet deviennent sans doute les premiers bouchers en gros, certains possédant jusqu’à vingt ou trente échaudoirs. Ils furent en tout cas les premiers à «intégrer la filière»: naisseurs et engraisseurs de bétail, abatteurs, découpeurs, détaillants et même fabricants de plats plus ou moins cuisinés, des tripes par exemple, et de co-produits, le suif pour l’éclairage public.
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La Villette
En 1810, Napoléon crée cinq abattoirs à Paris, avec le monopole de l’abattage. Les sites sont ceux de Montmartre, Ménilmontant,
du Roule sur la rive droite. De Grenelle et de Villejuif pour la rive gauche. Puis ouvrent les abattoirs des Batignolles, de La Villette et de Belleville. Le commerce de
gros se développe surtout, semble-t-il, à l’abattoir de Montmartre. La libéralisation de la boucherie par Napoléon III donne un nouvel essor aux chevillards qui ont pour débouché les quelque 500 bouchers parisiens. Le 1er janvier 1867, La Villette devient l’abattoir unique de Paris. Le syndicat du Commerce en gros de la boucherie est fondé en 1886, et le syndicat de la Boucherie en gros de Paris verra le jour en 1900. À Marseille, à Bordeaux, la boucherie suit peu ou prou la même évolution.
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À Lyon
C’est François 1er qui a fait regrouper toute l’activité d’abattage de la capitale des Gaules aux fossés de la Lanterne, dont les installations sont détruites par un incendie. Au XIXe siècle, le roi Louis XVIII ordonne la construction d’un abattoir à Perrache, qui regroupera les sites de Saint-Georges et Saint-Paul. Édouard Herriot crée les
abattoirs de La Mouche, « les plus modernes d’Europe » disait-on en 1928. Dans tous ces grands abattoirs urbains s’établit une corporation de bouchers en gros qui deviennent les fournisseurs des bouchers détaillants.
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Pionniers
La guerre 14-18, la grande crise de 1929, le Front populaire, l’Occupation auront raison des derniers liens. Les années 19601975 verront la montée, dans les zones de production, de nouveaux professionnels. Il s’agit le plus souvent de commerçants en bestiaux, que la logique économique pousse à intégrer les fonctions d’aval, à abattre les animaux pour les expédier vers les zones de consommation. Ils seront parmi les pionniers de ce qui va devenir l’industrie de la viande, et créeront la plupart des grandes sociétés privées actuellement en activité.
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FNICGV la viande en son histoire
COMMERÇANTS
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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Libération, taxation, pénurie Le 24 août 1944, à 21 heures 22, les premiers éléments de la 2e DB ont atteint l’Hôtel de Ville de Paris. L’insurrection a débuté le 19 août et, dès ce samedi matin, un petit groupe de 17 résistants FFI a fait le coup de feu dans l’enceinte des abattoirs de La Villette, dont ils se sont rendus maîtres dès 13 heures. On hisse des drapeaux, des ouvriers de l’abattoir arrivent et grossissent la troupe. En repartant vers l’Est, un train allemand mitraille la zone et tire deux ou trois coups de canon, faisant quelques blessés. Le 25, le général von Choltitz capitule, Paris est libéré. On respire d’un poumon plus léger aux Halles et à La Villette, où l’on vient de passer quatre années particulièrement dures et troubles dans les professions de la viande. Partout en France, au cours des six mois suivants, les professionnels de la viande partagent les allégresses des populations libérées, mais aussi les lourds soucis des autorités civiles et militaires chargées du ravitaillement.
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Mises en cause
Dans les mois de la Libération puis de « l’épuration », les mises en cause directes de chevillards, mandataires ou commissionnaires n’ont concerné qu’un nombre réduit de personnes. Les noms ont été prononcés à l’époque, on en trouve la trace dans certains documents. Il ne nous
appartient pas ici de remuer ces tristes souvenirs. Pour le reste, la profession peut être fière de son attitude et de son action pendant ces périodes difficiles. Bien sûr, certaines de ses positions n’étaient pas complètement comprises par la population. C’est que les « bouchers en gros » comme on disait, étaient confrontés d’une part aux rudes exigences de l’Autorité occupante, d’autre part aux règles édictées par le gouvernement de Vichy. Le tout dans le
Allons droit au but: y eut-il des cas de collaboration avérée et aggravée dans ces professions de la filière bétail et viande? Réponse: oui quelques-uns, mais finalement assez peu nombreux.
contexte d’une pénurie engendrée par les énormes prélèvements du Reich, et d’un rationnement de plus en plus sévère des populations civiles.
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Le gouvernement provisoire
Présidé en septembre 1944 par le général de Gaulle, le gouvernement provisoire comporte un ministre de l’Agriculture, le socialiste François Tanguy-Prigent, dit le « paysan ministre » en raison de ses origines et qui conservera ce poste dans plusieurs cabinets jusqu’en 1947 ; et un ministre du Ravitaillement, le radical Paul Giaccobi, auquel succédera en 1945 Christian Pineau et en 1946 un certain Henri Longchambon, spécialiste respecté de… l’eau lourde, grand résistant et que son absence d’étiquette politique rendait utile à ce poste impopulaire.
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Importations
Hélas, Libération ne voulait pas dire abondance subitement retrouvée. Les ravages de la guerre laissaient une situation agricole très déficiente, notamment pour la production de viande qui était au plus bas. La France allait devoir, dès la fin de 1944 et surtout à compter de 1945, effectuer des importations volumineuses de viande bovine en provenance d’Amérique du Sud. En 1946-1947, les introductions allaient concerner près de 320 000 tonnes de viandes, venant d’Argentine et d’Uruguay. Des viandes très grasses, dont il restait bien peu à manger quand on en avait retiré le suif. Mais on n’y regardait pas de trop près, d’autant que les livraisons étaient
régulées par un Comité interallié siégeant à Londres. Les importations se sont ensuite diversifiées, avec des viandes de Madagascar, puis du Danemark et d’Irlande. Pour donner le ton, on peut retrouver en janvier 1946, dans l’un des premiers bulletins de la Fédération nationale de la boucherie en gros et du commerce en gros des viandes un remerciement chaleureux aux « dons généreux de nos amis argentins pour ces très belles conserves de viande » et aussi à « nos amis irlandais » qui s’apprêtaient à faire livraison à la France de 4 000 têtes de gros bovins en période de soudure.
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Taxation rigide
En dépit de ces difficultés, les professionnels constataient dès la fin de 1945 que, progressivement, les livraisons de bétail et de viande reprenaient. Le gouvernement provisoire et le ministre du Ravitaillement Christian Pineau avaient donné au secteur un régime de semi-liberté
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ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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Libération, taxation, pénurie des prix. Aux abattoirs de La Villette, aux Halles de Paris, dans plusieurs grands centres on constate une forte remontée de l’offre. Mais bientôt la situation se détériore, les prix s’envolent et le gouvernement, confronté à une grève des bouchers détaillants en décembre 1945, institue de nouveau un système de taxation rigide. On peut rappeler qu’à cette époque de fin 1945-début 1946, les tickets de rationnement existaient encore pour la viande et que les buts des Pouvoirs publics étaient d’assurer entre 200 et 300 grammes de viande hebdomadaires à la population !
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Le premier Congrès de la Fédération de la Boucherie en gros
Dès l’après-guerre, un Congrès s’est tenu à Bordeaux, en mai 1946, dans une ambiance difficile. Il permit d’abord de faire du passé table rase et d’élire à la présidence Édouard Acu. Mais la taxation n’était que plus ou moins respectée, et plutôt moins que plus. L’opinion publique grognait contre l’insuffisance, contre les prix. Comme toujours en pareilles circonstances, la profession n’était pas épargnée par la calomnie, et une certaine presse vitupérait contre « les manœuvres spéculatives et anti-françaises des chevillards. » Comment sort-on d’une crise ? En nommant une commission et en préparant un plan. Au printemps 1946, la Fédération nationale est conviée par le Gouvernement à l’élaboration d’un plan quinquennal sur le marché de la viande.
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Chaque ministère, son Plan
Tous les ministères concernés vinrent bien sûr avec leur plan sous le bras. Ce n’était pas le même pour le ministère des Finances ou pour celui de l’Agriculture, ou encore pour le Ravitaillement. Les conceptions les plus proches de celles des professionnels étaient formulées par l’Agriculture. Elles prônaient notamment le maintien des deux circuits, en vif et en viande foraine. D’âpres discussions eurent également lieu sur le dossier des abattoirs, qui commençait d’être abordé sous l’angle de la propriété des outils, de la gestion, de l’exploitation. André Debessac, le prestigieux et redoutable délégué général de la Fédération, trempait sa plume dans la chaux vive pour écrire ses éditoriaux du journal Viandes, où il accusait le pouvoir en place d’appliquer des thèses anti-commerçants et pour tout dire marxistes. D’ailleurs dès ces années d’après-guerre, on voit poindre à la Fédération et dans la profession la hantise d’un Office de la viande dont il ne faisait pas de doute qu’il mènerait à la «collectivisation de nos métiers», comme le disait André Debessac. On peut sourire aujourd’hui : il n’est pas exclu que dans le bouillonnement de l’époque, certains aient effectivement eu ce projet.
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La naissance de la coopération
Autre spectre qui se lève alors devant les métiers du commerce de la viande : les coopératives agricoles ou commerciales, les mutuelles d’achat. Dès 1946, elles étaient dotées d’avantages fiscaux considérés comme exorbitants par le commerce,
notamment l’exonération complète ou à 50% sur les bénéfices, et l’exonération de patente. Ernest Lemaire-Audoire était alors, en 1946, président des mandataires aux Halles de Paris, et vice président de la Fédération. Dans le journal Viandes, on trouve trace d’un discours virulent contre « les créations récentes de coopératives de consommation, de groupements d’achat de détaillants qui ne peuvent que jeter à tout jamais le discrédit sur ces formes d’entreprises instituées pour éviter le respect de la réglementation que l’on impose aux commerces spécialisés et bénéficier d’avantages scandaleux ».
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Au congrès de Bordeaux en mai 1946
La motion finale proposée et soutenue par Ernest Lemaire-Audoire mettait l’accent sur la nécessité de laisser « jouer une concurrence normale, seul moyen de créer l’émulation indispensable au progrès et à la modernisation de nos professions ». La même motion fait une large place aux problèmes des abattoirs. La Fédération suggère qu’on commence par « améliorer ce qui existe, en attendant la réalisation des plans prévus… de ne rien faire, en ce qui concerne l’exploitation des abattoirs, qui puisse faire disparaître le caractère artisanal de la boucherie… d’associer complètement l’Interprofession à la gestion des abattoirs… de permettre la réouverture de certaines tueries particulières en attendant que les constructions d’abattoirs publics rendent possible leur fermeture ».
Le congrès de Bordeaux donne un nouveau départ. >
1946-1947
L’année 1946 est encore riche de rebondissements pour les métiers de la viande, et pour les responsables de la Fédération. Une sous-commission nommée dans le cadre de la Conférence nationale économique en juillet 1946 fut le théâtre d’affrontements très vifs entre Messieurs Acu et Lemaire-Audoire d’un côté, et (presque) tous les autres, partisans d’un dirigisme renforcé. La sous-commission accoucha finalement du Plan Farge, du nom du ministre du Ravitaillement, surtout désigné à ce poste pour lutter contre le marché noir. Ce plan du 17 juillet 1946 établissait deux secteurs, l’un complètement libre, l’autre taxé et rationné. La Fédération mobilisa en faveur du Plan Farge qui, au début, connut une complète réussite. La marchandise revenait vers les marchés, notamment à Paris où, disent les commentaires de l’époque, on retrouva à peu de choses près les approvisionnements d’avant-guerre. À La Villette par exemple, les arrivages s’élevèrent à une moyenne de 30 000 bovins, 11 000 veaux et 80 000 moutons par mois entre août et octobre. C’était trop beau pour durer.
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COMMERÇANTS
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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Libération, taxation, pénurie >
Plan Blum
La concurrence à l’achat provoqua une envolée des cours et un beau tollé dans l’opinion. Yves Farge créa des commissions départementales et nationales de la viande, où la Fédération siège. La loi du 4 octobre disposait que « les affameurs » seront passibles de la peine de mort ; un autre texte donnait à l’État un droit d’acquisition prioritaire sur les denrées alimentaires, et celui de fixer des cours « normaux ». Mais dès que ceuxci furent connus, les arrivages se tarirent sur les marchés. Dans cette ambiance survoltée, des manifestations encadrées par des partis politiques allèrent jusqu’aux grilles des abattoirs. La nomination du gouvernement Léon Blum le 16 décembre 1946 n’allait pas arranger les choses. Le président du Conseil annonce le 31 décembre qu’il décrète une baisse autoritaire de 5 % des prix agricoles et
industriels. Le résultat fut immédiat : les arrivages s’écroulent, les boucheries de détail sont vides, les files s’allongent à nouveau. Le plan Blum avait à peine eu le temps de faire la démonstration de son inanité que celui du nouveau soussecrétaire d’État au Commerce et à la Distribution, Paul Minjoz, effraie un peu plus les professions. Il s’agit d’un plan de quasi-étatisation, en tout cas de collectivisation, avec création obligatoire de mutuelles d’achat. Le président de la Fédération Édouard Acu dénonçait immédiatement ce plan, que finalement l’Assemblée nationale repoussa, au grand soulagement du métier. Mais la constitution de mutuelles fut néanmoins favorisée. Y compris chez les grossistes en viande, jusqu’à ce que, en 1948, le Conseil national de la Viande (une structure créée quelques mois plus tôt) repoussa ce projet de couvrir la France de mutuelles d’achat.
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D’un gouvernement à l’autre, on changeait de régime au gré des circonstances. André Philip, ministre de l’Économie, arrête le 5 avril 1947 un nouveau régime de taxation. Conséquence prévisible : arrivages nuls sur les marchés. Le 1er mai, on revient donc en partie sur la taxation, en adoptant ce qu’il est alors convenu d’appeler une « politique des yeux miclos ». Autrement dit : la taxation reste mais n’est pas appliquée. Nous sommes en juillet 1947. Le président Acu fait alors un acte de grand courage : il demande aux adhérents de la Fédération nationale d’acheter et de vendre ouvertement aux prix réellement pratiqués, et non plus en affichant de faux prix faussement taxés. Paul Ramadier, président du Conseil, a l’intelligence de laisser faire. Le 30 août 1947, cette détaxation de fait est entérinée par le gouvernement, avec quelques garde-fous.
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La politique des yeux mi-clos
Taxation, semi-liberté, retaxation
Fin de la taxation ?
Pas encore, celle-ci a même encore de beaux et longs jours devant elle. Un an plus tard, en 1948, la situation de l’économie française est sombre, et les mouvements sociaux s’amplifient. Le gouvernement cherche à redonner un peu de pouvoir d’achat aux salariés. Bien sûr, l’idée de taxer les prix renaît dans un cerveau gouvernemental. Ce sera celui de Yvon Coudé du Foresto qui, en 1948, est sous-secrétaire d’État à l’Agriculture, chargé du Ravitaillement. Il préconise
de rétablir une taxation générale, de rationner la population avec un système de tickets, de mettre en vente de la viande congelée dans des boucheries témoins, le troc bovins-aliment du bétail, le regroupement des professionnels, etc.
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Coopératives
Une période de forte tension entre la profession et les Pouvoirs publics allait suivre, et parfois entre professionnels eux-mêmes. Le gouvernement d’Henri Queuille prend l’initiative de faire arrêter et juger des commissionnaires en bestiaux de La Villette sous l’inculpation de coalition et entrave au jeu normal de l’offre et de la demande. Ils seront condamnés, puis acquittés en appel. C’est également l’époque où fleurissent des « coopératives » qui sont en réalité des officines des partis politiques, bénéficiant d’attribution de bétail et de viande qui scandalisent les professionnels qui n’en font pas partie. On citera ainsi la Prodeco, en prise directe avec le MRP, mais aussi la Cofei, patronnée par la SFIO, ou encore la CAV, où l’on voit la main du PC. Nées de la pénurie, ces coopératives s’éteindront d’elles-mêmes dès que l’abondance relative reviendra, non sans laisser des ardoises de plusieurs millions de francs de l’époque.
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30 ans de règne Au Congrès de Bordeaux de 1947, Ernest Lemaire-Audoire est élu président de la Fédération nationale de la boucherie en gros et du commerce en gros des viandes. Commence alors un règne qui durera trente années, une longue période qui verra s’opérer toutes les grandes transformations du métier, de la filière et de son environnement. La Fédération et son emblématique président joueront dans cette évolution un rôle déterminant, souvent aux avant-postes des grands dossiers.
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Page tournée
Ce n’est qu’en 1949 que la FNICGV fit reparaître régulièrement le journal Viandes, dont la diffusion avait cessé en 1940, après cinquante-huit ans d’existence par les soins du Syndicat de la boucherie en gros de Paris. La page était ainsi tournée. Les attributions du ministère du Ravitaillement allaient être transférées au ministère de l’Agriculture. Reste la taxation des prix. La Fédération va multiplier les appels au gouvernement, espérer une solution avec le libéral Antoine Pinay, mais être déçu avec Pfimlin. On alla jusqu’à tenir des « États généraux de la viande » en novembre 1949,
Le principe du «pain-boulot» adapté à la viande.
où l’on envisagea avec faveur l’instauration d’un système étrange, celui du « pain boulot » version viande, c’està-dire la vente à prix plafonné d’une marchandise non définie.
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Rompre le joug
En 1950, un éditorial de Viandes signé du délégué général André Debessac appelle à « la liberté et au bon sens ». Le ton est vif, c’est le moins qu’on puisse en dire : « Il n’y a plus de raison de rester sous un joug que seuls quelques fonctionnaires de l’Économie nationale tiennent à nous imposer. » La liberté revint le 3 juin 1950, avec un arrêté signé par Robert Buron, alors secrétaire d’État aux Finances du gouvernement Bidault et par Gabriel Valay, ministre de l’Agriculture où il a remplacé récemment Pierre Pfimlin, qui
Ernest Lemaire-Audoire 1906-1982 La forte personnalité du président Lemaire-Audoire n’est pas pour rien dans l’ascendant qu’il exerça si longtemps sur sa profession, mais également bien au-delà dans le milieu professionnel et patronal. Ceux qui l’ont connu se souviennent encore de sa haute et massive silhouette, de son allure « réservée et flegmatique d’un diplomate anglo-saxon » comme l’écrit Pierre Haddad qui fut trois années son secrétaire général. Flegmatique peut-être, mais l’homme savait aussi être impérieux, cassant voire brutal dans ses propos. Il était un orateur naturel, jouant à merveille d’une voix aux intonations graves. Diplômé de droit et de comptabilité, il fut vite considéré par les Pouvoirs publics comme un interlocuteur privilégié, voire exclusif. Il faut dire qu’il accumulait les fonctions et les postes, ce qui lui valait d’être brocardé par le Canard Enchaîné du surnom de « Nénesse, l’empereur de la bidoche.» Président du syndicat des mandataires en viande des Halles centrales de Paris ; membre du Conseil économique et social, vice président du CNPF au titre de l’Alimentation dont il était l’unique représentant, membre du Conseil national du commerce, de la Confédération nationale des commerces de gros, président de l’Association internationale du commerce en gros des viandes, bientôt président de l’Association européenne, occupant un siège au Forma, à la Sibev, etc. Son carnet d’adresses politiques était incomparable. Ou plutôt était très comparable à celui d’une autre forte personnalité du monde de la viande de l’époque : André Dubois, président du Syndicat des cuirs, dignitaire élevé d’une hiérarchie plus discrète et, comme tel, homme de forte influence dans son milieu. Y compris, sembla-t-il aux yeux des témoins de l’époque, auprès d’Ernest Lemaire-Audoire.
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30 ans de règne
En 1951, les préfets fixent par arrêté le prix limite de vente au détail de la viande et des salaisons reviendra à ce poste dès le 12 juillet dans le gouvernement Pleven. Liberté et bon sens font bon ménage avec les grands desseins politiques : trois semaines plus tard, le 20 juin à Paris, les six pays qui ont accepté la proposition du 9 mai de Robert Schumann se réunissent pour créer la CECA, première étape d’une construction européenne qui allait connaître le succès que l’on sait. Grande histoire, et petite histoire. C’est encore en 1950 que les grossistes demandent et obtiennent l’autorisation de couper la viande en quartier dans les abattoirs parisiens – une pratique que les abatteurs de province et bien sûr les mandataires aux Halles centrales ont déjà le droit de mettre en œuvre.
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Abattages clandestins
L’abondance retrouvée peu à peu, la boucherie en gros est confrontée à un nouveau problème : celui des abattages clandestins, ou pour dire les choses plus
crûment, au retour d’un marché noir exacerbé. Au Conseil municipal de Paris, un conseiller affirme que « près de 40 % de la viande consommée en France échappent à l’impôt, car elle provient d’abattages clandestins ou semi-clandestins». La viande échappait ainsi à toutes les taxes, mais aussi à tous les contrôles. Et aussi à tous les honnêtes professionnels, dépossédés de leur matière première commerciale.
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Envolée anarchique des prix
En 1951, le marché est saisi d’une sorte de frénésie de hausse, que la Fédération impute à la politique d’exportation menée par le gouvernement, sans doute pour donner des satisfactions au monde paysan à la veille d’importantes élections législatives. Cette envolée anarchique des cours entraînait la désorganisation des circuits commerciaux, et les grands marchés de bétail étaient devenus des foires d’empoigne, où plus personne ne respectait les règles. Le tout dans un contexte politique et mondial où l’angoisse dominait à nouveau : la guerre de Corée s’est allumée, et l’armée française en Indochine doit subir des attaques de plus en plus précises du Viêt-minh. Le gouvernement Pleven, sorti des urnes de juin 1951, place René Mayer aux Finances et Paul Antier à l’Agriculture – une personnalité complexe, grand résistant mais ancien proche de… Jacques Doriot au Parti agraire et paysan. En septembre de cette même année 1951, les députés socialistes font approuver une disposition
menant à l’échelle mobile des salaires. Presque en même temps, les préfets sont autorisés à fixer par arrêté les prix limites de vente au détail des viandes et des produits de salaisons, pour donner corps à ce qui fut nommé une Opération bifteck. Autrement dit : la liberté des prix n’aura duré qu’à peine un an, entre 1950 et 1951. La Fédération proteste vigoureusement, mais on lui répond que c’est de l’intérêt général qu’il s’agit. Et que, si les professionnels ont de meilleures propositions à formuler, qu’ils le disent. La chronique rapporte que cette période fut particulièrement difficile pour certains professionnels. En effet des chevillards ayant acheté avant ces mesures ont vu en deux jours les cours baisser fortement.
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Achats massifs
Le conflit s’est vite envenimé. La boucherie de détail parisienne s’est jointe à l’affaire et le 17 septembre, tous les magasins sont fermés. Le président Lemaire-Audoire lui-même monta alors au créneau, pour demander au gouvernement de tenir certaines promesses faites, notamment des achats massifs pour l’armée. On évite la catastrophe, mais le dossier n’est pas refermé pour autant. En janvier 1952, Edgar Faure arrive à Matignon. Son ministre de l’Agriculture est Camille Laurens, qui fait quelques déclarations apaisantes, jurant que son intention n’est pas de taxer les viandes. Mais le gouvernement est battu, ce qui vaut peut-être mieux pour les bouchers
en gros, car son secrétaire d’État aux Finances, Émile Hugues, s’apprêtait à demander la taxation.
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La modernisation commence Alors, le 6 mars 1952 Antoine Pinay arrive. Ce n’est pas la première fois qu’on voit « l’homme au petit chapeau » dans un ministère, où il a parfois déçu ceux qui espéraient des mesures libérales. Mais cette fois, il est à Matignon, et le nouveau président du Conseil va rapidement inspirer, aux opérateurs économiques et aux consommateurs, une confiance qui permettra de stabiliser l’inflation.
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La vignette
Séduits à leur tour, les bouchers en gros apporteront leur soutien à Antoine Pinay, que son célèbre emprunt, indexé sur l’or et exonéré d’impôt de transmission, rendit immédiatement populaire. Au Congrès de la FNICGV de Toulouse, en mai 1952, Ernest Lemaire-Audoire évoque « l’action courageuse d’assainissement » du nouveau gouvernement. Mieux : cette confiance dure et s’installe. Elle est renforcée par les conséquences de la loi de Finances de 1951, qui abroge toutes les taxes et impôts indirects sur la viande et les remplace par une taxe unique de circulation, matérialisée par la fameuse « vignette ». Celle-ci coûtait 50 francs le kilo pour toutes les viandes, sauf le porc à 94 francs. La vignette avait certes quelques inconvénients – il y eut quelques affaires de « fausses vignettes » – mais au total elle permit de réduire considérablement le commerce clandestin. L’année 1952, décidément fertile, ne s’achève pourtant pas sans un nouveau sursaut de la taxation, mais cette fois à l’encontre de la boucherie de détail de Paris, sur ordre du préfet de Paris et de son secrétaire général, un certain… Maurice Papon. Celle-ci réagit très vivement en organisant des meetings et des manifestations, mais la taxation fut maintenue.
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Remise en cause
C’est également à cette période qu’on commence à entendre parler de la nécessité de moderniser les abattoirs publics
La «viande sous cellophane» inquiète les circuits traditionnels. parisiens, plus spécialement les abattoirs de La Villette « qui constituent aujourd’hui un anachronisme et une entrave au fonctionnement rationnel du marché de la viande à Paris ». Toujours à cette époque, on commence à voir apparaître dans les magasins à succursales multiples les premières «viandes sous cellophane», en provenance de l’abattoir de Villefranched’Allier. Évidemment, ce nouveau mode de commercialisation émut le commerce de gros, qui s’interrogea sur les perspectives qu’il ouvrait, sur la remise en cause des circuits traditionnels de la boucherie de détail. La Fédération lança même un sondage auprès des bouchers de détail, auxquels 4 000 questionnaires furent envoyés. Au début de février 1953, le président Lemaire-Audoire donnait les résultats : 212 bouchers seulement ont répondu, et seulement 101 réponses, soit 2,5 % des envois (mais presque 50 % des réponses), répondent qu’ils pourraient être intéressés par la commercialisation de viande préemballée. On sait ce qu’il advint par la suite, et comment la modernisation des structures et des techniques allaient donner de l’élan à ces nouveaux produits.
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La Villette, ça durera 20 ans Le Congrès 1953 de la FNICGV se tint à Deauville. Les débats sur la taxation et le plafonnement des prix de la viande furent vifs. La création de la SIBEV, qui interviendra le 30 septembre 1953, n’est pas encore évoquée. Le 5 septembre de cette même année, le gouvernement institue un nouveau régime du prix des viandes, sur la base d’une sorte de barème mobile. Mais surtout, le problème de la modernisation des abattoirs de La Villette prenait chaque jour un peu plus d’importance dans l’actualité du métier. Le dossier ne sera refermé que dans vingt ans.
L’engagement de l’Etat à financer le projet de La Villette a été déterminant. Nous ne retracerons pas ici en détail cette extraordinaire aventure professionnelle, administrative, politique, immobilière qui lia deux dossiers pharaoniques : la modernisation de La Villette et le transfert des Halles centrales de Paris. Des livres entiers ont été écrits sur le sujet, notamment la
remarquable thèse de doctorat soutenue par Pierre Haddad en 1995, dont nous nous sommes aidés pour établir quelques points de repères, et pour situer l’action de la FNICGV.
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Huit projets
Évoquée par le CES dès 1952, la question de la modernisation des abattoirs parisiens est plusieurs fois reprise dans les années suivantes au Conseil municipal de Paris. En 1955, l’affaire a déjà pris une certaine densité puisque les édiles parisiens ouvrent un concours pour la reconstruction de La Villette. Huit projets sont déposés à la Direction du commerce de l’industrie et des approvisionnements le 15 octobre 1956. Les six meilleurs étant retenus,
une commission municipale est chargée d’aboutir à une proposition qui reprenne les solutions paraissant les mieux adaptées. Mais en octobre 1958 – le général de Gaulle est président du Conseil et sera élu président de la République le 21 décembre – le Commissariat général au Plan fait savoir que l’État participera au financement qu’à trois conditions : transfert à La Villette des activités viandes des Halles de Paris ; création d’un MIN ; gestion du marché par une SEM où la ville de Paris est majoritaire car propriétaire des terrains.
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En fait la polémique commence
Faut-il ou non reconstruire et agrandir des abattoirs à Paris, alors que l’évolution qui
se dessine déjà est d’abattre les animaux sur les lieux de production, et d’acheminer ensuite les viandes vers les grandes agglomérations ? L’influent syndicat de la Boucherie en gros de Paris, membre remuant de la FNICGV, exprime alors par son président M. Fournel un appui total à la modernisation des abattoirs. D’autant plus que l’État s’engage à relayer, au moins en grande partie, le financement initialement prévu par la Préfecture de la Seine. On estimait à l’époque les crédits nécessaires à 17,4 milliards de francs. Du côté de la FNICGV également, l’approbation à ce plan est sans faille. D’ailleurs le président Lemaire-Audoire siège, en tant que président du syndicat des Mandataires
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La Villette, ça durera 20 ans en viandes des Halles centrales, en compagnie du président Fournel comme administrateurs de la SEMVI chargée de la gestion du marché. Celle-ci est présidée par un homme qui jouera un rôle essentiel dans ce dossier, le conseiller municipal Ribéra.
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Le premier coup de pioche
Il est donné en mars 1959 et un crédit de 1,3 milliard de francs est débloqué pour financer les premiers travaux, le bâtiment de stabulation du côté du marché aux bestiaux. Dès cette période de début, on s’aperçoit qu’il faut porter la salle de vente à 42000 m2, contre 14000 prévus au départ. Qu’il faut pour cela des terrains supplémentaires et que l’enveloppe de 17,4 milliards devra être revue à la hausse. Les deux représentants de la FNICGV sont associés à ces décisions. Les professionnels sont d’autant plus favorables à la modernisation que les relations avec la Sarre, gros marché libre d’accès jusqu’à cette date, se tendent après le rattachement à l’Allemagne. Les lois allemandes s’appliquent alors au commerce des viandes. Les autorités d’Outre-Rhin, considérant que plusieurs abattoirs français ne sont pas aux normes, interdisent à l’importation les viandes qui y sont abattues. La Villette fait partie de cette liste noire, et n’en sortira qu’en 1962 à l’issue d’une période de dérogation provisoire.
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Suivez le bœuf
Nous devons situer ici une période particulièrement agitée pour les professionnels de la viande, liée à la nomination de François
Missoffe en 1961 au secrétariat d’État au Commerce intérieur. L’initiateur de l’opération « Suivez le bœuf » s’en prit en effet en termes très durs à la boucherie dans son ensemble, et aux trois « grands » responsables qui à ses yeux incarnaient un lobby de la viande à briser : Lemaire-Audoire, le président de la FNICGV, Drugbert, président de la Confédération de la Boucherie et Léonard, président de la Boucherie de Paris. « Ces gens-là, je ne leur serrerai pas la main, et je ne les recevrai pas » affirmait publiquement le secrétaire d’État. Qui, ne parvenant pas à obtenir une baisse significative des prix de la viande en dépit de « Suivez le bœuf », rétablit une taxation des prix de détail – non sans avoir au passage provoqué une nouvelle grève de la boucherie attisée par Pierre Poujade. Il ne s’arrête pas en si bon chemin, le ministre, et il développe ses argumentations hostiles à La Villette, un « abcès qu’il faut crever ». Il souligne de façon percutante que le IVe Plan (et le Plan était alors une « ardente obligation ») prévoit que les abattoirs seront installés sur les lieux de production « et qu’il n’y a pas de vaches à Paris ». François Missoffe ajoute une violente charge contre la conception même des abattoirs : « On construit cinq étages pour les vaches : il ne manque plus que la télévision pour que
ça coûte aussi cher qu’un HLM ! » Il prône alors la création à Paris d’un seul marché réservé à la viande foraine, et envisage la création de quatre ou cinq abattoirs et usines de transformation dans la proximité plus ou moins grande de la capitale.
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2 milliards de francs de travaux
L’idée est assez bien reçue par la FNSEA (où le secrétaire général Marcel Bruel commence à développer ses idées sur le marché de la viande) et par la FNCBV. En revanche la Confédération de l’Élevage soutient le projet d’abattoir. Chez les bouchers en gros, l’éclatement éventuel de La Villette fait scandale, bien sûr. Ils ne peuvent évidemment pas imaginer qu’ils devront à peu de choses près s’y rallier dans quelques années. Mais on a déjà dépensé à La Villette deux milliards en travaux. Et le ministre de l’Agriculture Edgar Pisani annoncera lui-même à l’Assemblée nationale que « ce problème est résolu au sein du Gouvernement». La décision est prise de poursuivre les travaux, mais de plafonner les abattages à 20 % de la consommation parisienne actuelle. En janvier 1963, en dépit d’ultimes manœuvres de retardement de François Missoffe, les travaux reprennent à La Villette. Cette fois, plus rien n’arrêtera l’engrenage fatal.
Le ministre Missoffe, hostile à La Villette: «Il n’y a pas de vaches à Paris.»
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1964, la démolition commence
En 1964, la démolition d’une partie des échaudoirs de l’abattoir de La Villette débute sous les yeux embués des professionnels qui voient s’écrouler sous les coups des grues et des bulldozers successivement les bâtiments qui abritaient leurs activités depuis 80 ans. Mais les larmes de l’émotion, si compréhensibles fussentelles, ne devaient pas obscurcir la vue. Or ce que voyait un œil sec était inquiétant. Les premiers aménagements réalisés dans les étables donnent la mesure des ambitions démesurées des concepteurs. Comme ces ascenseurs pour animaux, dont le nombre dut être doublé pour permettre de hisser le bétail jusqu’au quatrième étage, quand il apparut que les veaux et les porcs ne pouvaient pas monter la rampe d’accès par leurs propres moyens, non plus d’ailleurs que les gros taureaux, les bêtes nerveuses et dangereuses. Quant au racleur de fumier automatique, il n’était pas installé qu’il tombait en panne pour trois semaines, avec les agréables conséquences qu’on imagine.
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La SEMVI
Les chevillards apportent néanmoins toute leur collaboration aux techniciens et aux gestionnaires de la Société d’économie mixte, la SEMVI. Les inquiétudes des professionnels augmentent cependant avec l’édification des bâtiments et la conception des chaînes et des matériels. On s’aperçoit rapidement qu’il sera très difficile aux chevillards de faire tuer leurs animaux individuellement, et qu’il serait
souhaitable qu’ils se regroupent pour rationaliser le flux des animaux à l’entrée de l’abattoir. Des tensions apparurent vite entre les différentes professions qui cohabitaient à La Villette, et qui s’interrogeaient sur leur présence et leur mode de fonctionnement sur le futur Marché d’intérêt national.
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Les commissionnaires en bestiaux
Irrités de ne pas être représentés en tant que tels à la SEMVI, certes les commissionnaires et leur président M. Méchin, ne mettent pas en doute la compétence et l’honnêteté intellectuelle des présidents Lemaire-Audoire et Fournel mais ils estiment qu’ils ne peuvent pas les représenter car « leurs intérêts ne coïncident pas avec les nôtres ». Les commissionnaires resteront-ils commissionnaires, quid des chevillards, des facteurs à la criée, sans compter les mandataires dont il est maintenant prévu qu’ils viennent sur le MIN après la fermeture des Halles centrales ?
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La boucherie est taxée
L’année 1964, décidément très agitée, connaît par ailleurs une flambée des cours du bétail, qui amène le gouvernement de l’époque (Pompidou est Premier ministre, Giscard aux Finances et Pisani à l’Agriculture; quant à Missoffe, il a été nommé aux Rapatriés) à durcir la taxation des marges instaurée en 1963 pour les bouchers de détail. Ceux-ci protestent vivement et même, sous la houlette de Marcel Drugbert, leur flamboyant président confédéral,
organisent une grève des achats de 48 heures… qui va durer deux mois. Avec comme revendication non pas tant la suppression de la taxation, mais son extension au commerce de gros. Lancée le 13 avril 1964, cette grève fut au bord d’amener la taxation des marges de gros. Lemaire-Audoire mit alors, en juin, tout son poids dans la balance pour représenter à Jean-Pierre Fourcade, alors directeur du Commerce intérieur et des Prix, et à son ministre Valéry Giscard d’Estaing, que cette taxation serait sans effet, voire impossible à appliquer. Ce n’était peut-être pas tout à fait exact, mais VGE se laissa convaincre. À une condition cependant : que le président Lemaire-Audoire, au nom des grossistes commissionnaires, s’engage à ce que les marges soient volontairement plafonnées, ce qu’il fit. Pour être tout à fait exact, la profession n’accepta pas d’un cœur léger cette recommandation. Et elle introduisit un dangereux loup dans la bergerie puisque les grossistes commencèrent pendant cette grève à commercialiser des quartiers congelés d’importations – jusqu’à 600 par semaine à La Villette précise Pierre Haddad.
Locataire de la rue de Rivoli en 1964, Valéry Giscard d’Estaing demande aux professionnels de la viande en gros de plafonner leurs marges. Le président Lemaire-Audoire s’y engage en leur nom. C’était ça, ou la taxation. >
À La Villette, les surfaces augmentent, les coûts aussi
À quelque temps de là, en 1965, une péripétie singulière va venir obscurcir un peu plus le jeu déjà complexe de la modernisation de La Villette. Le conseiller municipal Ribéra, élu radical, était président de la SEMVI, et chacun se louait de sa bonne connaissance du dossier. Mais aux élections municipales de cette année 1965, surprise : il n’est même pas candidat au renouvellement de son mandat. Il bafouille qu’il a « oublié » de s’inscrire sur les listes! A-t-il subi des pressions, son départ facilite-t-il une opération venue de plus haut ? On ne saura pas. En tout cas son successeur Michel de Grailly, député de Paris UDR, doit se saisir d’un dossier où apparaît une première urgence : il faut déjà rechiffrer toute l’opération. Le directeur général de la SEMVI, M. Rondepierre, flanqué de son directeur technique M. Tardivon, ingénieur en chef du Génie rural, annonce en ce début d’année 1965 que les dépenses à prévoir pour la salle de
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vente et l’abattoir seront plus proches des 600 millions de francs que des 245 initialement prévus en 1959 – mais il faut admettre que l’inflation pendant ces sept années a représenté une perte de valeur de 37 %. Le président Lemaire-Audoire approuve ce rechiffrage, estimant que la « salle de vente est l’essentiel du futur MIN », qu’elle doit être techniquement valable et que 600 millions lui paraissent être un ordre de grandeur acceptable.
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Gigantisme
Lors d’une réunion ultérieure, le 4 juin 1966, le président de la FNICGV précise que cette salle de vente pourra traiter 2 000 à 2 500 tonnes de viande par jour (soit environ 500 000 tonnes par an !), par
Une salle des ventes grande comme la moitié de la Concorde! 600 professionnels en face de 4 à 5 000 acheteurs, avec une flotte de camions de 400 gros-porteurs et de 1 600 moyens porteurs. Au cours de la même réunion, Ernest Lemaire-Audoire plaida vigoureusement pour la création d’une Caisse centrale dans la future salle de vente. Assis un peu plus loin dans la salle Guy Eschalier, qui pose une question sur la coupe dans la salle de vente, ne sait pas encore que vient de naître l’idée qui se matérialisera plus tard sous la forme de Mécarungis, qu’il préside encore aujourd’hui.
Hélas, les retards s’accumulaient, les devis montaient, le trou commençait à se creuser. Le transfert accéléré des bouchers en gros vers la salle de vente provisoire en octobre 1967 allait se réaliser dans des conditions catastrophiques pour les professionnels. Le chantier du MIN devint vite impraticable en raison des palissades, rétrécissements d’allées, obstacles à la circulation divers. La nervosité et les récriminations montaient de toute part, et le président Fournel était poussé à la démission en mars 1968. Le président Lemaire-Audoire lui suggère d’ailleurs lui-même de faire preuve « d’esprit syndicaliste » et de se retirer. Il sera remplacé par M. Decou, avec comme président de la section bovin M. Lardereau qui lui succède après sa démission. Ce dernier fera partie du « dernier carré » des professionnels irréductibles, qui se maintinrent à La Villette jusqu’à leur expulsion par les CRS en 1974, soit plus d’un an après le transfert des activités viande à Rungis.
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Lignes de fractures
Pourtant, suggère Pierre Haddad, qui a vécu les événements rapportés, « une grande partie de la boucherie en gros (de La Villette) avait vu se profiler, derrière le président Fournel, l’ombre de M. Lemaire-Audoire, président du syndicat des Mandataires à la vente en gros des viandes aux Halles centrales, lequel représentait des intérêts qui leur paraissaient diamétralement opposés à ceux de la cheville. » Une stratégie du soupçon que nous a confirmée encore récemment
Guy Eschalier, et qui a entraîné une quasiscission entre le syndicat de La Villette et la FNICGV, pour des raisons qui seront évoquées dans quelques instants. Se trouvent ainsi bien soulignées les lignes de fracture qui parcouraient en plusieurs sens la profession parisienne. D’ailleurs si les commissionnaires sont réservés, les chevillards le sont aussi. Le bruit commence à courir dans la profession, dès les années 1967-1968, que le site de La Villette ne sera jamais mené à bien, que les mandataires des Halles ont déjà prix langue avec le MIN de Rungis (dont les travaux ont débuté en 1964 et qui sera ouvert le 3 mars 1969), et que la Fédération nationale, sous l’impulsion de son président, est favorable à cette solution. On verra même courir un peu plus tard la rumeur d’un projet d’abattoir à Rungis. Or rien de tout cela n’est exact.
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On regarde vers Rungis Le combat de Lemaire-Audoire et de la Fédération, qui a été longtemps de contester la nécessité de quitter les Halles centrales, est encore, à ce moment-là, de réussir l’opération du MIN de La Villette qui représenterait le plus grand pôle viande d’Europe et l’un des plus importants du monde.
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Évolutions en cours
Bien informé comme il l’est, avec une acuité d’analyse que personne ne lui contestait, Ernest Lemaire-Audoire n’a pas pu ne pas voir les évolutions en cours. Les lois agricoles de 1960 et 1962, la mise en place d’un plan national des abattoirs, la loi sur le marché de la viande d’une part ; la nouvelle dimension du marché de la viande créée par les premières applications des directives européennes ; les revendications des éleveurs qui montaient vers la création d’un Office des viandes ; jusques et y compris l’instauration de la TVA : tout concourrait à laisser entrevoir qu’un énorme pôle viande, inclus dans un tissu urbain qui commençait à exploser, ne serait jamais viable, ni même opérationnel.
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Libert Bou
Au Sud de Paris, sur le MIN Rungis, règne un homme de qualité, un haut fonctionnaire de classe : Libert Bou, qui fut quelques années plus tôt un proche collaborateur de Tanguy-Prigent puis de Jean Monnet. Il dirige avec l’œil du stratège
l’édification du MIN Rungis qui vient d’ouvrir ses portes après seulement cinq années de travaux et qui accueille tous les professionnels des Halles, sauf ceux de la viande. Libert Bou est aussi président de la Semmaris, la société d’exploitation du marché d’intérêt national. L’homme a l’œil trop perçant pour ne pas saisir que Rungis pourrait constituer une solution alternative à La Villette pour les professionnels de la viande, à commencer par les mandataires. Le patron de Rungis est un grand et robuste gaillard, il ne craint pas les déjeuners un peu solides. Ernest Lemaire-Audoire les affectionne aussi : il a son rond de serviette et sa table attitrée au pied de l’escalier chez Pharamond, un bistrot des Halles célèbre pour ses tripes normandes. Les deux hommes se verront à plusieurs reprises, en ce lieu et ailleurs. Libert Bou déjeunera aussi avec des gens de La Villette, par
petites tablées. Il a bien sûr une idée derrière la tête, mais son heure n’est pas encore venue.
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En 68, opération fourchette
Les troubles de 1968 passèrent sur les professions des viandes avec une relative modération. Les grèves dans les abattoirs
furent en général de courte durée, deux ou trois jours, rarement plus. Les professionnels du secteur bénéficièrent des dispositions de «l’Opération fourchette» qui permettaient aux titulaires d’un laissez-passer délivré par les organisations professionnelles (eh oui, c’était le bon temps !) d’obtenir des contingents de
Guy Eschalier Il est né en 1922, ce qui ne nous rajeunit pas. Mais lui, si. Guy Eschalier est, si l’on en croit les calendriers, un vieux de la vieille. Seulement voilà : vous avez devant vous un quasi jeune homme, on exagère à peine. Toujours en activité comme président de Mécarungis, et figure de proue du PV1 de Rungis. Tout de même, il a une longue vie derrière lui. Famille de chevillard ovin à La Villette (Cléret et Cie), mais il commence par des études de… médecine. Il revient à la viande en 1950 dans le cadre familial, monte son affaire en 1956. En 1963 il est au syndicat de la Boucherie en gros de La Villette, en 1965 Lemaire-Audoire l’appelle à la Fédération comme trésorier adjoint. Brouilles et tensions entre La Villette et la Fédération entre 1969 et 1973. Mais Guy Eschalier n’est pas têtu : l’avenir est à Rungis, il y ouvre un poste dès 1973. Et réintègre la FNICGV où il sera le délégué du secteur ovin. La Soviex devient l’un des gros opérateurs du marché ovin, tourné vers l’import des îles britanniques. Guy Eschalier est de tous les combats, préside le syndicat des Grossistes en viande du MIN. Il est surtout, en mai 1985, l’un des créateurs d’Interbev-ovins, avec les éleveurs Georges Barthe et Charles Monge, le commerçant Pierre Garreau, le boucher Michel Aimé – et l’un des participants du voyage en NouvelleZélande qui, en 1989, cimentera définitivement les «moutonniers» dans la structure que présidera bientôt Emmanuel Coste. Bientôt il prendra la présidence de Mécarungis, la société d’affacturage que les mandataires des Halles ont ramenée dans leurs bagages. Il y est encore, debout le matin aux heures de marché et ne donnant pas sa part à celle du casse-croûte. Ça, c’est des hommes…
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On regarde vers Rungis également entre en application le règlement communautaire portant organisation commune du marché dans le secteur de la viande bovine. En décembre, une structure technique est mise en place à La Villette pour la gestion de l’abattoir, la STAP – Société technique d’abattage public, dirigée par un proche de Lemaire-Audoire, M. Riehl. Enfin, le début du fonctionnement de l’abattoir de La Villette est prévu pour la fin de l’année en veaux et ovins, et en bovins pour janvier 1969. En réalité, c’est avec quelques semaines de retard que les abattages commencèrent et la chaîne bœuf démarra par un beau 17 avril 1969.
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L’abattoir de Versailles a triplé ses abattages. carburant. Les accords de Grenelle, les quelque 10 % d’augmentation des salaires mensuels, mais les +26% du salaire horaire, tout fut avalisé par le CNPF, puis par la FNICGV. Non sans quelque amertume de la part d’Ernest Lemaire-Audoire, qui commenta un jour en comité fédéral que « la participation mène automatiquement à l’autogestion». L’important est ailleurs. En juillet 1968, un nouveau gouvernement conduit par Maurice Couve de Murville a été nommé. Edgar Faure quitte l’Agriculture où il est remplacé par Robert Boulin, tandis que Xavier Ortoli arrive à Rivoli. En juillet
Las ! La chaîne tomba en panne
Ces difficultés techniques furent surmontées en quelques semaines, mais d’autres handicaps demeuraient : prix d’abattage élevés, installations sophistiquées mal utilisées par des professionnels artisanaux, organisation du travail en rupture avec les habitudes précédentes, application sourcilleuse des directives sanitaires, etc. Les chiffres d’abattage commencèrent à baisser, puis s’effondrèrent – les apports au marché vivant sont passés de 12 000 à 6 000 bovins. La perte fut de plus de -30 % en bœufs, et de près de -60 % en veaux et agneaux. Résultat : au bout d’un seul mois d’exploitation, les comptes volèrent en éclat. Au bout d’un an, on était en situation de dépôt de bilan. L’État, par la SEMVI, va sauver provisoirement la situation. Mais le vent du premier boulet a soufflé sur La Villette, qu’on croyait être une « cathédrale en béton » et qui
apparaît comme un château de cartes. Le coup mortel n’est pourtant pas encore porté, mais la balle est déjà dans le canon.
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Devis exorbitants
Le dossier de La Villette suivi par toute la profession qui observe les événements de ses habituels points d’ancrage dans les abattoirs de province, va devenir explosif en 1969. Car maintenant que les chaînes tournent plus ou moins, il faut ouvrir et équiper la salle de vente. Nous avons dit plus haut son gigantisme. Sans que personne ne sache très bien comment, on est passé de 150 000 à 400 voire 500 000 tonnes par an : l’approvisionnement, le désapprovisionnement, la manipulation, la facturation posent d’énormes problèmes de logistique. Et d’informatisation de cette gigantesque structure, pour l’ordonnancement de son fonctionnement et pour la facturation centralisée. Les premiers devis sont exorbitants, ce qui incite le président de la FNICGV à rechercher des solutions plus simples et plus raisonnables. Mais si simples et raisonnables soientelles, elles coûtent, et très cher. Pour financer ou cautionner les emprunts, tout le monde se défile, y compris les Pouvoirs publics. Ernest Lemaire-Audoire demande alors aux professionnels d’entrer dans un GIE qui pourraient porter les crédits nécessaires. Mais pour garantir la dette, le président Lemaire-Audoire demande le nantissement des fonds de commerce. Les professionnels concernés, mandataires aux Halles comme bouchers en gros, facteurs à la criée comme découpeurs de
porcs, tout le monde se raidit et rejette une solution considérée comme aventureuse. On va lanterner ainsi plusieurs mois, pratiquement jusqu’en 1970. Entre-temps, dès la fin de 1969, la presse s’est saisie de l’affaire. Le « scandale de La Villette » commence et va pendant plusieurs années faire le bonheur du Canard enchaîné et les titres en gras de France Soir.
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À Rungis
Sur ces flots démontés, Libert Bou, le patron de Rungis, fait sa réapparition dans le dossier de La Villette en août 1970. Valéry Gisgard d’Estaing, ministre des Finances, décide de ne plus mettre un sou pour La Villette et le gouvernement charge Libert Bou de construire dans un délai de 2 ans les bâtiments nécessaires pour l’installation à Rungis de la totalité des entreprises des filières des produits carnés.
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L’ardoise
Tout s’est joué, ou presque, au cours de l’année 1970. Les dépassements de budget ont soudain pris encore plus d’altitude. La SEMVI, le Conseil municipal de Paris, l’État cherchent chacun de son côté à s’exempter du coût énorme d’une opération qui est manifestement en train de tourner mal. L’ardoise, avec quelque 110 milliards de francs de déficit, a en effet de quoi donner le vertige. La presse publie des articles en rafale. Les professionnels s’accusent mutuellement de trahison, les noms d’oiseaux fusent. Le président Lemaire-Audoire ne peut éviter
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On regarde vers Rungis une véritable scission entre la Fédération de Paris-La Villette, désormais sous le contrôle de M. Lardereau et ses amis de l’Association des usagers du marché de La Villette, et la FNICGV. Il y a plus rocambolesque, et plus grave, avec l’épisode de l’enlèvement du député De Grailly par un commando de la Nouvelle gauche révolutionnaire, qui va séquestrer le président de la SEMVI pendant quelques heures. Or les mauvaises langues, et les plumes venimeuses de quelques journaux, suggèrent que cette « arrestation » ressemble fort à un « avertissement sans frais » de la part de certaines parties impliquées dans le dossier Villette. C’était odieux, jamais aucune preuve de la chose ne fut avancée, mais cela contribua à empoisonner un peu plus le climat délétère de l’époque.
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Mai 1972
Où en est le dossier ? Libert Bou a proposé une bipolarisation à Rungis et à La Villette du marché de la viande parisien. Encore faut-il solder le déficit abyssal qui s’est accumulé. On va alors proposer de réduire fortement l’implantation, et de vendre les terrains ainsi libérés à la promotion immobilière – près de 53 hectares sont en jeu. La suite, au cours des années 1971, 1972 et 1973 ne sera qu’une suite de combat des uns et des autres, de feintes et de déclarations.
En résumé le débat est de savoir si l’activité de mandataires en viande sera tout entière concentrée à Rungis, tandis que ne resteraient à La Villette qu’un marché aux bestiaux et un abattoir. Les professionnels de la Fédération, le président LemaireAudoire lui-même, n’ont pas eu des positions toujours très arrêtées dans ces affaires. Mais entre trou financier, pression du pouvoir politique, habileté de M. Libert Bou, concentration des abattoirs et européanisation des transactions, la cause était entendue. Le coup fatal, celui qui abaissa d’un coup sec le couperet sur La Villette, fut cet arrêté du 26 mai 1972. Il portait la « Révision de la liste des produits vendus sur les marchés d’intérêt national et, le cas échéant, protégés » et revenait à interdire la vente des viandes foraines à La Villette, autrement dit à supprimer la moitié de l’activité de la place. Chaban-Delmas, qui a pris lui-même la décision d’arrêter les travaux à La Villette dès son arrivée à Matignon, va démissionner quelques jours plus tard pour être remplacé par Pierre Messmer, qui nomme Jacques Chirac à l’Agriculture. L’affaire de Bruay-en-Artois est entrain de prendre de l’ampleur, le Programme commun vient d’être signé, Ceyrac est élu président du CNPF, Georges Marchais devient secrétaire général du PC, Montherlant se suicide. Le monde bouge, La Villette appartient déjà au passé.
Privée de viandes foraines, La Villette était condamnée à mort.
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Mandataires
Le 15 janvier 1973, les activités viandes et abats des Halles centrales ont été transférées à Rungis. L’arrêté de 1972, on l’a vu, condamne La Villette à mort, sans phrase. Ou plutôt si, avec de grandes phrases, celles de la campagne électorale pour les législatives de 1973, où les candidats du secteur ne ménagent pas les effets oratoires de préau. Pierre Messmer lui-même, qui aurait mieux fait de se taire le jour qu’il est venu soutenir Pierre Dabezies, candidat UNR au siège occupé par Rives-Henry, a proclamé que « Les abattoirs de La Villette ne seront pas détruits ». Mais déjà, en février 1973, la Semmaris, qui gère le marché de Rungis, a demandé aux mandataires de La Villette de venir occuper leurs emplacements à Rungis.
L’administration fait savoir que l’interdiction des viandes foraines sera effective à La Villette le 15 mars 1973. Mais soudain, un mois plus tard, stupéfaction : cette décision est rapportée, faisant renaître un pâle espoir chez les professionnels de La Villette. Espoir vite brisé. Le 23 octobre 1973, le Premier ministre sifflait la fin de la dernière récréation : le gouvernement prenait la décision de mettre fin à toutes les activités de La Villette à compter du 15 mars 1974. Ce qui fut fait, après quelques derniers soubresauts, manifestations, invectives et orions. L’exode des commerçants en bestiaux encore en activité à La Villette s’effectua notamment vers le marché de Sancoins, et les chevillards qui étaient restés sur place rejoignirent Rungis, ou se dispersèrent.
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L’Europe, l’Office, deux nouvelles donnes Le dossier La Villette-Halles centrales-Rungis se referme ainsi, dans la douleur et l’acrimonie. Il y aura d’autres épisodes, d’autres interrogations, d’autres affrontements, mais cette fois dans le seul cadre du MIN Rungis, nous y reviendrons.
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Le monde change
Pendant ce temps-là, le monde de la viande n’a pas arrêté d’évoluer, notamment depuis les années 1960-1965. La TVA
s’est appliquée au secteur des viandes le 1er janvier 1968, en dépit de l’opposition manifestée par la FNICGV et de l’attachement réitéré du président Lemaire-Audoire
à la taxe unique. En 1966, la Fédération a vu s’éloigner son directeur André Debessac, qui achève un parcours de 44 années au service de la profession. Il est remplacé par M. Lebouleux. En 1966 encore le 2e SIAL donne un coup de projecteur à un nouveau produit le Rotisteck un steak haché sous vide de deux kilos. Quatre ans plus tard, la société Chiron lèvera le voile sur Newbif, un nouveau procédé pour viande hachée, qui utilise un hachoir réfrigérant à -20 °C. La société Air Liquide invente de son côté le cryogal, un azote liquide qui, vaporisé sous pression dans une enceinte, permet d’obtenir un froid de -30 °C en quelques secondes, une technologie qui va rendre possible d’autres innovations dans l’industrie des viandes. La loi sur l’élevage est votée le 28 décembre. En 1967, l’obligation d’étourdir les animaux avant abattage est promulguée. La libre circulation des viandes porcines dans le Marché commun est effective à compter du 1er juillet 1967, il faudra attendre le 1er avril 1968 pour les viandes bovines et le 1er juillet 1968 pour les viandes ovines. En 1968, après les événements que l’on sait, Maurice Couve de Murville devient Premier ministre et c’est Robert Boulin qui est nommé à l’Agriculture, Xavier Ortoli aux Finances. On attend pour la fin de
l’année la publication du plan d’implantation des abattoirs publics, mais on ne le connaîtra que début janvier 1969. Il comporte 418 abattoirs inscrits, et 220 en dérogation. L’attention des Européens se porte alors sur le « plan Mansholt », du nom du commissaire à l’Agriculture qui souhaite une restructuration profonde des exploitations agricoles. La FNICGV déclare ce plan «inapplicable». Les éleveurs, Marcel Bruel en tête, commencent aussi à revendiquer un Office de la viande. Inapplicable, soutiendra de même le président LemaireAudoire, qui pourtant verra l’avènement de cet Office en 1972.
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L’arrivée de Jacques Chirac
En juillet 1972, le gouvernement ChabanDelmas s’en va et laisse la place au cabinet que constitue Pierre Messmer. Jacques Chirac est nommé ministre de l’Agriculture à la place de Michel Cointat. Or l’Aveyronnais Marcel Bruel trouve chez le ministre corrézien une oreille particulièrement attentive. Leur sympathie réciproque est née sous les auspices d’un presque « pays », le président Georges Pompidou, qui avait pris note du nom du jeune leader syndical quand il avait été reçu en audience par le Général lui-même. Après quelques négociations et hésitations, Jacques
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À propos de la FNICGV
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L’Europe, l’Office, deux nouvelles donnes
L’industrie de la viande commence à inventer ses produits à la fin des années soixante. Chirac prend la décision de créer un Office des viandes – il en avertira lui-même Marcel Bruel un matin chez lui, au grand étonnement de son épouse qui décroche la première le téléphone. Mais ce n’est qu’en 1973 que la structure verra le jour, non sans un dernier baroud d’Ernest Lemaire-Audoire. Le président de la FNICGV se déclare en « totale opposition » avec Jacques Chirac sur l’Office. Il le fait savoir par de multiples courriers, dont les copies sont adressées à Valéry Giscard d’Estaing, alors à Rivoli, ainsi qu’à tous les hauts fonctionnaires qui à un titre ou à un autre sont concernés : Duchène-Marulaz, Michardière, Pérol, Bord, Le Gouis, le directeur des prix Verdeil, Friedman etc. Pourtant, les points d’accord de la Fédération avec les éleveurs existent.
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Manquer de viande ?
Un rapport de l’OCDE vient de conclure que l’Europe allait manquer de viande, et la Fédération, inquiète, se déclare favorable à des primes de naissage et d’engraissement. Le président Lemaire-Audoire est même d’accord avec la CNE sur la nécessité des primes. Cette position est goûtée
à la CNE de Marcel Bruel, alors que les relations des grossistes avec les SICA et les coopératives ne cessent d’empirer. Et qu’elles ne s’arrangent ni avec les commerçants en bestiaux ni avec les bouchers après avoir formulé la demande d’une suspension des droits de douane et des prélèvements. Nous sommes encore en 1971, année qui verra la naissance de la FNEAP, la Fédération nationale des exploitants d’abattoirs publics, dont le nombre est passé de 1 519 en 1964 à 1 071 en 1971, pour seulement 407 ainsi inscrits au plan – c’est dire que cette organisation aura, en liaison avec la FNICGV, la lourde charge de gérer une concentration accélérée. D’ailleurs, au 35e Congrès qui se déroule à Metz, Marcel Quiblier présente un long rapport sur les abattoirs, sur le thème : oui, il faut privatiser, mais pour le moment les capacités d’abattage sont surdimensionnées. Au début de 1973, de nouvelles inquiétudes se font jour sur les abattoirs. Il reste en effet 110 abattoirs publics à construire, mais personne ne veut payer, et surtout pas l’État.
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Même Papon…
En cette même année 1972, on voit aussi s’institutionnaliser la « conférence annuelle » qui va donner un poids politique considérable au syndicalisme agricole. La «commission Pérol» succède à la «commission Michardière » créée par Michel Cointat et qui a en charge de réfléchir, encore et toujours, à l’organisation du
marché de la viande. Du coup, les projets fleurissent comme muguet en mai. On en doit même un à… Maurice Papon, alors député. Le 3 décembre 1972, le JO publie le décret de création de l’Onibev. Quelques jours plus tard, le CNPF élit à sa présidence François Ceyrac, en remplacement de Paul Huvelin, avec qui le président LemaireAudoire avait des liens d’amitié. La Grande Bretagne, l’Irlande et le Danemark viennent grossir les rangs des Six. L’histoire avance.
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ONIBEV, ANDA etc.
Elle avance si bien que le transfert des Halles centrales à Rungis pour la viande intervient en janvier 1973 dans une relative indifférence. La Fédération s’inquiète beaucoup plus de la «taxe ANDA» qui vient d’être créée à raison de 5 francs/tonne, et qui est destinée à financer le développement agricole. La FNICGV s’insurge et fait un recours, qu’elle perdra. Le 3 avril, quelques jours avant la mort de Picasso, le décret nommant le conseil d’administration de l’Onibev paraît. Un haut fonctionnaire, M. Heibronner, en est le président, un autre, Georges Pérol, en sera bientôt le directeur. Les élections législatives interviennent début mars dans un climat qui sera cette
Un recours contre la taxe ANDA est rejeté.
année obscurcie par de nombreux événements : guerre du Kippour, coup d’État du général Pinochet, les « plombiers » au Canard enchaîné, l’affaire du Larzac, et bientôt l’affaire Lip. La majorité gaulliste conserve néanmoins une majorité de 276 députés contre 175 à l’opposition de gauche. Le gouvernement Messmer II s’installe, Jacques Chirac reste rue de Varenne.
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Marketing
Mais les prix du pétrole commencent à monter, et tout doucement le chômage s’installe en France: le million de chômeurs sera atteint en 1975, et ce nombre ne cessera plus d’augmenter. De son côté la Fédération, qui panse les plaies ouvertes par le fiasco de La Villette, cherche à s’intéresser à des sujets nouveaux. On note ainsi une première série d’articles dans le
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L’Europe, l’Office, deux nouvelles donnes journal Viandes sur « le marketing », une idée encore neuve à l’époque dans ce métier.
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Plan anti-inflation
Le gouvernement ne mène pas sa barque sur un fleuve tranquille, c’est le moins qu’on puisse en dire. L’année 1974 avait à peine débuté que, le 9 janvier, la France laissait flotter le franc. Des décisions importantes sont à prendre à tous les niveaux, mais le président Pompidou vit ses derniers jours. Le 1er mars, Pierre Messmer forme un 3e gouvernement, et c’est Marcellin qui s’installe à l’Agriculture. Le 2 avril, Georges Pompidou s’éteint, le 19 mai Valéry Giscard d’Estaing entre à l’Élysée avec 50,8% des suffrages. Jacques Chirac est nommé à Matignon le 27 mai, et c’est Christian Bonnet qui s’installe à l’Agriculture. Le 12 juin, en toute hâte, Jean-Pierre Fourcade, le ministre de l’Économie, présente un plan de lutte contre l’inflation comprenant des majorations d’impôts sur les sociétés et les hauts revenus, le relèvement des taux d’intérêt de l’épargne et une longue série d’économies budgétaires.
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Caution
Pour les professionnels, cette situation générale comporte des aspects particuliers. Par exemple le 30 avril l’Italie impose une caution légale à l’importation, dont les montants sont bloqués pendant six mois sans intérêt. Au Congrès des Sablesd’Olonne, où la FNICGV est accueillie par
le président régional Pierre Mussaud, on évoque ces problèmes, et ceux d’une montée rapide des prix d’orientation, +12 % sur les gros bovins, +9 % sur les veaux. Cette année-là, c’est Jacques Contré qui présente le rapport moral, comme il l’avait fait l’année précédente à Toulon après la disparition de M. Guillaume. Au Congrès des Sables de cette année 1974, il y a surtout des élections : Ernest Lemaire-Audoire est reconduit à l’unanimité dans ses fonctions.
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Le CNJA attaque
Il aura besoin de cette autorité renouvelée dans les difficultés qui s’annoncent. Car à la « conférence annuelle » d’octobre, c’est le Centre des Jeunes Agriculteurs qui sonne la charge, à l’appel de son président Louis Lauga, qui va d’ailleurs présenter l’année suivante au CES un rapport sur la viande bovine. Le CNJA multiplie alors les revendications dans le secteur des productions animales. Sur les cotations, la pesée marquage, la classification des carcasses, le paiement au kilo net, les jeunes agriculteurs présentent des demandes. Dont certaines, comme le paiement au kilo net de viande, sont
considérées à l’époque comme « des atteintes à la liberté du commerce » par les instances de la FNICGV. On sait ce qu’il advint par la suite de ces revendications paysannes. Elles furent toutes mises en application, au fil des années, sans grand dommage pour la liberté économique. Mais c’était l’esprit de l’époque, et sans doute exprimait-il une crainte de la modernité galopante qui brisait les anciennes structures dans tous les domaines.
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Montagnes de viande
C’était aussi le moment où il fallut faire face brutalement à des «montagnes» de viandes. La sécheresse qui sévissait en Australie et aux USA avait entraîné une forte décapitalisation du cheptel. De proche en proche, cet afflux de viande sur le marché mondial pesait sur les cours européens. On dut ouvrir en grand les frigos d’intervention, au point de stocker quelque 6 500 tonnes de viandes par semaine en fin d’année ! Le 25 avril 1975 paraît l’arrêté sur la pesée et sur la présentation de la carcasse. La Fédération souligne que les 3 kilos d’émoussage accordé ne sont pas un forfait mais un plafond. En mai, le Congrès de la FNICGV se tient à SaintMalo. La France vient de réintégrer le serpent
Les jeunes agriculteurs, très offensifs sur la classification, le marquage, l’émoussage. monétaire, et les MCM, les terribles montants compensatoires monétaires institués après la dévaluation de 1969, sont devenus nuls – mais ils ne disparaîtront définitivement qu’en 1984. Signe des temps, Bord Bia, l’office des exportations agricoles irlandaises, vient d’ouvrir un bureau à Paris : la concurrence intra-européenne n’est déjà plus un vague concept. À Saint-Malo, où l’on donne un nouveau mandat à M. LemaireAudoire, on est surtout impressionné par un exposé de M. Derquer, le président de l’Union régionale de Bretagne. Il révèle en effet que de 1964 à 1974 les abattages se sont développés dans la région de plus de 94 %. Un chiffre qui illustre d’une part le développement effréné des productions hors sol, de porc surtout, et d’autre part le développement sur les lieux de production de très grosses unités d’abattage, privées et coopératives.
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Vers l’Interprofession Depuis que fonctionne l’Onibev sous la houlette fermement tenue de Georges Pérol, les professionnels ont appris à mieux se comprendre. Et à distinguer parfois, au-delà de leurs affrontements, des intérêts communs à toute la filière. Entre Ernest Lemaire-Audoire et Marcel Bruel, le président des éleveurs, le courant passe, parfois en faisant des étincelles. Le premier à évoquer la création d’une interprofession semble bien avoir été Marcel Bruel, mais Lemaire-Audoire n’a pas dit non. Ils sont poussés l’un et l’autre dans cette voie par la loi qui vient d’être publiée et qui porte sur la création des organisations interprofessionnelles. L’interprofession viande n’est pas encore sur les rails, mais la première impulsion est donnée. Il lui faudra près de quatre ans pour aboutir concrètement.
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Il y a des années comme ça
Dès janvier, 1976 est un feu d’artifice. Emmanuel Leroy-Ladurie révolutionne l’histoire, la géographie, les sciences humaines avec la publication de Montaillou, village occitan. La même semaine, Elf Aquitaine est créée par la fusion Snap-Erap.
En février, le 22e congrès du PC renonce au concept de dictature du prolétariat. Quelques semaines plus tard, hélas, « la France a peur » comme dit Roger Gicquel : Patrick Henry vient d’être arrêté. Mais 1976, c’est aussi l’année de la grande sécheresse, restée dans les
mémoires en raison de «l’impôt sécheresse » levé par le gouvernement pour financer des aides aux agriculteurs. Elles vaudront à Jacques Chirac, Premier ministre, l’éternelle reconnaissance du monde rural, et à ce dernier les sourds grondements d’une opinion publique qui s’élabore désormais plus à la sortie du métro que des étables. Le 27 août, le gouvernement Barre est nommé, Christian Bonnet reste ministre de l’Agriculture, tandis que le Commerce et l’Artisanat sont dévolus à M. Brousse. En septembre, la FNICGV tient son congrès à Nice, dans la bonne ville de Jacques Médecin, encore à l’époque de sa gloire. Le président Lemaire-Audoire, qui est réélu, affirme au cours de son allocution que « les contacts avec les producteurs sont bons, notamment avec Marcel Bruel ».
Les contacts avec les éleveurs sont bons, notamment entre Lemaire-Audoire et Marcel Bruel. >
Distortions
À vrai dire, avec les «autres» producteurs, c’est-à-dire avec les groupements, coopératives et SICA, les relations sont très
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Vers l’Interprofession tendues. La Fédération publie analyses et comparatifs pour montrer les « inégalités », quand ce n’est pas les « graves distorsions de concurrence » entre le secteur coopératif et le privé. La Fédération est d’autant plus pugnace dans ses prises de position qu’elle doit faire admettre par ses adhérents une augmentation sensible de la cotisation de base, qui passe cette année-là de 600 à 1000 francs. C’est que la concentration des abattoirs est à l’œuvre, diminuant inexorablement le nombre de chevillards – tandis que, parallèlement à l’essor naissant de la grande distribution, le nombre des bouchers de détail commence aussi à fondre. On dénombre déjà 44 abattoirs de plus de 15 000 tonnes, contre 25 seulement en 1973. Sur ce total 26 sont des abattoirs publics, et 18 des privés. Les plus grands abattoirs du moment sont dans l’ordre Chambéry (32000 tonnes), Cuiseaux (31 500 tonnes), Nantes (29600 tonnes), Bressuire (28500 tonnes), Lyon (27 600 tonnes), Lille (26 800 tonnes), Strasbourg (26 300 tonnes), Quimperlé (24000 tonnes), Parthenay (22400 tonnes), Vitry-le-François (21 200 tonnes). On le voit, on n’en est encore qu’aux premières vagues de restructuration, et celle-ci va désormais accompagner la filière viande pendant les trente prochaines années.
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Prix et marges bloqués
En septembre 1976, le professeur Barre se fâche et tape sur les doigts de tout le monde. Pour contenir une inflation à deux chiffres qui résiste à tous les traitements, tous les moyens sont bons. Y compris le
blocage des prix et des marges, qui tombe sans ménagement sur la filière viande. La Fédération considère que cette mesure comporte des effets de distorsion par rapport aux autres pays membres et diagnostique : si rien n’est fait rapidement, et si la clause de sauvegarde qui est appliquée depuis 1974 n’est pas levée, la PAC va éclater ! La PAC n’éclatera pas, mais ce qui risque d’éclater, ce sont les frigos
On dénonce alors les «inégalités» voire les «graves distorsions» avec la coopération.
d’intervention, qui auront engrangé encore cette année 87 000 tonnes de viandes bovines, dont 50 % de jeunes bovins.
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Deux événements discrets
L’année s’achève sur deux événements qui ne passent pas inaperçus aux yeux des spécialistes, mais dont la portée n’est pas encore clairement établie. Le 24 novembre est publiée une loi qui interdit l’usage de
certains œstrogènes en élevage. Cela veut dire que le problème a déjà été repéré en tant que pratique dangereuse. Mais la vraie grande crise, on sait qu’elle pulvérisera en quelques jours le marché du veau dans 4 ans en septembre 1980, et que la profession mettra des années à s’en remettre (ce qui n’empêche pas quelques imbéciles de recommencer périodiquement, la dernière affaire date de décembre 2005, c’est
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Vers l’Interprofession dire…). Le deuxième texte qui paraît en cette fin d’année, c’est la grille de classement EUROP des moutons. Ce qui signifie, les professionnels commencent à le comprendre, qu’on fonce à tombeau ouvert vers le règlement communautaire mouton. À tombeau ouvert est le mot, pour la production française s’entend. Car ce règlement que Pierre Méhaignerie aura tout juste le temps de contresigner avant de laisser son poste en 1981 à Édith Cresson, ce règlement met en fait en contact direct les productions des zones humides britanniques et des zones sèches françaises. Le coup est joué d’avance, et d’ailleurs les grossistes français ont depuis longtemps compris le sens de la marche. Certains d’entre eux ont déjà pris des positions fortes sur l’importation d’agneaux britanniques et irlandais.
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Besoin d’ordre
Mais n’anticipons pas. Raymond Barre est toujours au gouvernement en cette année 1977, et c’est bientôt Pierre Méhaignerie qui va arriver rue de Varenne. Jacques Chirac, lui, conquiert de haute lutte, contre le giscardien d’Ornano, la mairie de Paris, à l’occasion d’élections municipales où la gauche engrange les succès. Roland Barthes prononce le 7 janvier au Collège de France une leçon inaugurale qui restera dans les mémoires, où il exposait déjà les idées qui allaient faire le retentissement de Fragment d’un discours amoureux. À bas bruit, la crise du choc pétrolier s’installe : des licenciements massifs vont intervenir chez Usinor. Les multiples grèves des
entreprises nationalisées (EDF, SNCF, PTT, dockers etc.) vont créer un climat difficile. D’ailleurs lors du congrès du Touquet, le 8 mai, (où l’on entendra la première intervention publique du jeune Laurent Spanghero, déjà très en verve sur la taxe d’usage et sur la concurrence avec les coopératives…) le président LemaireAudoire tempête : « Nos entreprises ont besoin d’ordre… elles sont assimilables à un service public… avec toutes ces grèves, nous sommes complètement livrés à nous-mêmes. »
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Longues et difficiles…
Le blocage des prix a certes été levé au 1er janvier pour revenir aux niveaux d’avant septembre 1976, mais cette liberté est très surveillée : les marges et les commissions restent sous contrôle. Puis une nouvelle menace de blocage des prix est brandie par Rivoli, où règne Raymond Barre qui a les deux casquettes de Premier ministre et de ministre de l’Économie et des Finances. Du coup, la boucherie de détail bloque elle-même ses prix jusqu’en juin. Mais parallèlement la FNICGV est impliquée dans des négociations « longues et difficiles » comme en attestent les documents fédéraux. Il s’agit par exemple de la pesée marquage, et plus particulièrement du taux de réfaction, dont la Fédération demande qu’il soit fixé à 3 % du poids chaud, alors que les éleveurs n’admettent que 2 %. Il y a aussi des textes sur l’hygiène, du personnel et des viandes qui sont pris « sans concertation suffisante ». On discute ferme également
sur la répartition des fonds du FNDA. Et surtout on s’inquiète de la baisse d’activité. La sécheresse de l’année précédente avait induit une décapitalisation, et les vaches vendues en avance l’année dernière font des trous dans l’approvisionnement. Les abattages reculent de près de -13 % en gros bovins, alors qu’ils ont progressé en porc de +5 %.
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La restructuration en marche
Cette fois, plus question d’intervention, l’import est difficile car les contingents sont stricts, comme les prix montent la consommation stagne, et comme les banques deviennent elles aussi nerveuses, la situation des entreprises ne s’arrange pas, bien au contraire. Un motif de satisfaction, quand même : à la fin de l’année, le comité fédéral considérera que désormais 85 % des carcasses sont marquées – mais l’accord sur la pesée n’est pas encore
entériné. Enfin, rappelant que la restructuration reste la grande affaire de la filière, les responsables élus de la Fédération iront visiter à Lyon, avant son inauguration en grande pompe en décembre, le site de Corbas et l’abattoir de Cibevial. Celui-ci a été conçu pour 18 000 tonnes alors que 25 000 tonnes y seront bientôt traitées. Tout le monde prédit à ce site un avenir d’autant plus florissant que le président Marcel Quiblier a fait venir à Corbas un directeur de très haute volée, Michel Franchet – étrange mais ô combien efficace attelage entre Marcel Quiblier dont ce n’est pas trahir la mémoire de dire qu’il n’était pas de gauche, et Michel Franchet qui, lui, n’était vraiment pas de droite… Dans le même temps, du côté des grands outils coopératifs qui commencent à se mettre en place, Les Éleveurs du Bourbonnais ouvrent le nouvel abattoir de Villefranche-d’Allier, qui va réaliser 30 000 tonnes dès la première année.
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La fin et le début En cette fin des années soixante-dix, les échéances prévues en 1981 sont encore loin, mais déjà on sent bien que des changements se préparent, dans les choses et dans les hommes. Dans l’ordre politique, certes, mais aussi sur le plan professionnel. La génération venue aux affaires après la guerre, il y a trente ans, commence à s’effacer, l’Europe balbutie encore, et cherche déjà un nouveau souffle dans une hypothétique réforme de la PAC. La situation financière de la France continue de donner des inquiétudes. Le 1er février 1978, il faut dévaluer le franc vert de -2,5 %, ce qui aggrave encore le cancer des montants compensatoires, avec la constitution dans la CEE de sept zones de MCM différents, un vrai casse-tête pour tous ceux qui travaillent sur le marché international.
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Chômage
Le 19 mars 1978, les élections législatives redonnent une bonne majorité à la coalition giscardo-gaullistes, et Raymond Barre est confirmé à Matignon, Méhaignerie à l’Agriculture, Monory est à Rivoli (avec Maurice Papon comme ministre du Budget), Barrot au Commerce et à l’Artisanat, Deniau au Commerce extérieur. Le ministre de l’Agriculture, qui assistera en personne
au conseil d’administration de l’ONIBEV le 9 novembre, est renforcé par un délégué aux IAA, Jean Wahl. Bien sûr, le monde continue de faire un bruit assourdissant : Jean-Paul II est élu pape à la surprise générale, la Légion saute sur Kolwezi, Mesrine est abattu, deux jeunes écrivains de grand talent, Patrick Modiano et Georges Perec, raflent les prix littéraires. Mais en même temps, Usinor-Sacilor annonce
20 000 licenciements, et le gouvernement doit mettre la sidérurgie pratiquement sous perfusion.
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Spécificité
Dans le secteur de la viande, on note que certains, à Bruxelles, commencent à s’interroger sur la légitimité de l’intervention permanente. Les discussions sur le règlement mouton s’éternisent, mais le prix de seuil ovin a été relevé en mars, avec une hausse du «reversement». L’accord avec l’Irlande fonctionne bien, et chacun constate que les prix français ne chutent pas. On met aussi en œuvre un 2e plan de relance porcine à grand renfort de subventions – ce qui prouve au moins que les caisses de l’État ne sont pas encore à sec. La boucherie de détail, qui reste encore dominante par rapport à la grande distribution en cette fin des années soixante-dix, voit arriver à sa présidence le Marseillais Jacques Chesnaud. À l’autre bout de l’éventail professionnel, le SNAI (Syndicat national des abattoirs industriels) du président Moulins et du colonel Caffier (ndlr : ordonnateur d’excellents déjeuners annuels au Cercle des Armées) prend le nom de SNIV sous la férule du nouveau président, Roger Cerf. Cette organisation va revendiquer «une certaine spécificité » qu’elle saura longtemps développer en collaboration loyale avec la FNICGV mais avec des méthodes et des hommes différents.
Du SNAI au SNIV « L’origine du SNAI provient du fait, selon moi, que le président Lemaire-Audoire n’a pas su infléchir suffisamment tôt les orientations de la FNICGV. En effet, pendant une quinzaine d’année, les adhérents de la Fédération étaient initialement des commerçants et ce n’est qu’au début des années soixante que débutera la véritable industrialisation des viandes. Sans doute, aurait-il fallu créer dès cette époque une mutation dans la composition des instances de la FNICGV, ce qui aurait peut-être évité la naissance du SNIV ultérieurement. » Guy Eschalier
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La fin et le début Marcel Bruel. Cette organisation est bientôt animée par Jean-Louis Bignon, un jeune homme venu des organisations syndicales agricoles où Marcel Bruel, qui sait mettre les bêtes à poids, avait repéré cet organisateur habile. Et qui s’avéra par la suite négociateur plus habile encore et peut se targuer, 25 ans plus tard, d’avoir réalisé dans la profession des équilibres introuvables et des compromis hautement improbables.
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Lemaire-Audoire s’en va
La tache d’Ernest Lemaire-Audoire va s’achever bientôt. Il se sait malade depuis quelques mois et bien qu’il fasse preuve d’un courage qui ne surprend pas chez un homme de cette trempe, la charge de la présidence de cette énorme machine qu’est la FNICGV n’est guère compatible avec la fatigue du malade. En 1979, au congrès de Toulouse, il se défait de la présidence et c’est Marcel Quiblier, devant Roger Cerf, qui est élu sans coup férir. Cette même année voit la naissance, encore discrète, de l’interprofession Interbev, née de la volonté commune d’Ernest Lemaire-Audoire et de
L’industrialisation
Le congrès de Toulouse marque aussi une évolution très sensible des positions de la FNICGV dans plusieurs domaines. D’abord dans sa conception du métier. Le mot, et la pratique, de « l’industrialisation » sont posés au premier rang, avant même celui de commerce en gros des viandes. L’accent est mis sur la nécessité d’un « examen approfondi » des frais d’exploitation et de gestion, en particulier toutes charges annexes à la commercialisation. Il y a surtout que l’industrie des viandes commence à cette époque à représenter un tonnage qui n’est plus confidentiel. En 1979, on a ainsi transformé 400 000 tonnes de viandes bovines, dont 40 000 tonnes de steaks hachés – la technique du steak haché surgelé est née il y a peu, du cerveau fertile d’un boucher-inventeur vendéen, M. Fradin, et des innovations non moins géniales de l’industriel de la viande Chiron. Et comme pour mieux souligner le virage « industriel » du secteur viande le journal Les Marchés agricoles publie dans le même numéro le
Marcel Quiblier, 1923-1985 Lyonnais, dans l’âme. Marcel Quiblier a complètement incarné la filière viande lyonnaise. En 1977, il est l’accoucheur principal, avec Louis Pradel, maire de Lyon, de la Cibevial-Corbas. Un site qui fut alors un exemple réussi, pour la viande française et même européenne. Comment ici ne pas évoquer, entre autres, Marcel Gabriel, premier président de Cibevial et père d’Henri Gabriel, aujourd’hui président ; et en remontant un peu, René Maisonneuve, haute figure de la cheville lyonnaise à La Mouche et président de la Société du Marché aux cuirs de 1982 à 1992 ; et Roger Lacassagne, personnalité marquante des abattoirs de La Mouche. Marcel Quiblier lui, est fils de boucher. Tout jeune encore, à la sortie de ses études secondaires, il fonde une maison de gros en 1946. Président de la Cibevial de 1980 à 1985, président régional, membre du conseil et du bureau, vice-président de la FNICGV, Marcel Quiblier est porté à l’unanimité à la présidence de la Fédération en 1980. Hélas, un accident de voiture très grave en 1981, puis une longue maladie ont lourdement handicapé sa présidence qu’il assuma courageusement jusqu’au bout. L’homme était volontaire, très déterminé, avec des convictions profondes sur le rôle et la responsabilité du chef d’entreprise. Mais derrière cette carapace apparemment inflexible se cachaient un esprit avide de comprendre, une vision prospective et déjà mondialisée de l’économie de la viande et un homme de cœur.
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La fin et le début
compte-rendu de Toulouse et une longue interview de Roland Lecardonnel, président du groupe coopératif Bocaviande-ChironCana.
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Rivalités éteintes
Mais le grand virage du congrès de Toulouse – du moins le croit-on à l’époque – c’est dans la volonté affichée et proclamée de faire taire les critiques à l’égard de la coopération bétail-viande. «C’est un problème dépassé » entend-on de la bouche
du président Quiblier. Le lendemain, dans les colonnes du journal Marchés Agricoles, une jeune journaliste, Nicole Justine, analyse ainsi les rapports de la Fédération : « ...fini le temps des polémiques stériles, des contestations systématiques et négatives… Si on ne peut retirer les avantages d’un secteur, il faut plutôt chercher à en obtenir une partie… peutêtre faut-il essayer de bénéficier des aides proposées récemment par M. Debatisse, secrétaire d’État aux IAA dans le gouvernement Barre. En fait, on sait que ces déclarations de bonnes intentions ne seront concrétisées que beaucoup plus tard. La rivalité coopératives-entreprises privées n’a jamais été totalement surmontée par certains, et il a fallu la crise de l’ESB pour rassembler les autres, par exemple au sein de l’action interprofessionnelle générée par Interbev.
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INTERBEV existe donc
On pourrait même dire : il était temps, grand temps. Car les professions auront à peine eu le temps de voir sécher l’encre de leurs accords qu’un typhon s’abat sur la filière: l’appel au boycott du veau, lancé en septembre 1980 par UFC-Que choisir pour stigmatiser l’usage des «hormones»
Fini le temps des polémiques stériles, des contestations systématiques avec la coopération!
dans la production de viande. Sartre vient à peine de disparaître, Roland Barthes aussi, et Romain Gary va se suicider en décembre. Dans quelques semaines, on va prononcer la liquidation de Manufrance. La filière viande, confrontée à la première grande contestation du monde des consommateurs, prend la mesure de son retard en matière de communication dans un monde qui n’est plus en pénurie et où la première qualité d’un produit comme la viande n’est pas sa quantité. Le boycott de l’UFC entraîne une baisse de consommation de 30 %. Pour faire face à la catastrophe, Interbev, qui a encore peu de moyens, n’hésite pas à emprunter de l’argent à l’État pour voler au secours de la filière, créer une communication sur le produit. La FNICGV participe pleinement à cette action, relaye les actions de l’Ofival et de l’Interprofession. Elle innove aussi,
Dernier hommage à Lemaire-Audoire Ernest Lemaire-Audoire disparaîtra le 8 octobre 1982, à 76 ans. La messe grandiose qui fût dite en l’église Saint François-Xavier à Paris rassembla tous ceux qui, dans la viande, dans la ville, dans les institutions avaient eu à côtoyer cet homme considérable qui avait marqué de son empreinte toute l’évolution de son métier depuis la Libération.
en donnant vie, à Périgueux, à la première association d’éleveurs de veau, une structure de forme originale, associant pour la première fois des éleveurs et des professionnels du commerce.
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Lois sociales, quotas laitiers Dire que le changement politique de 1981 ait été accueilli avec des cris de joie dans l’industrie de la viande serait certainement excessif. Mais enfin, les hommes de ce milieu sont divers, les problèmes terriblement concrets, et la négociation est la base de la pratique syndicale. La Fédération, qui s’est rodée aux négociations interprofessionnelles depuis la création de l’Onibev, va développer ses relations interprofessionnelles à l’Ofival et à Interbev. Certains aspects de la politique sociale l’amèneront à gérer avec habileté ces dossiers. Les décisions agricoles européennes elles-mêmes ne seront pas toutes négatives pour le commerce et l’industrie de la viande.
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Turbulences dans l’agneau
En 1983, les professions de la viande sont attentives à la crise européenne qui a commencé de façon sourde depuis deux ans, et qui éclate de nouveau. Les Sommets d’Athènes et de Bruxelles sont des échecs, dus pour une large part aux dérèglements monétaires et à la prolifération des MCM qui accablent la France, pays à monnaie faible. Les MCM ont certes été démantelés de 3 points, mais ils restent en France négatifs de -2 %. Du coup la diminution des
prix européens institutionnels de -1 % devient en France une hausse de +4,7%. La consommation de viande bovine, en baisse sensible depuis 2 ans, se stabilise, et va reprendre quelques points en 1984 (+1,8%). Mais en 1983, les importations augmentent de +10 % et les exportations baissent de -6 %. La Fédération, lors de son Congrès d’Angers, va souligner le manque de fiabilité de certaines cotations, notamment à Rungis, qui servent de références. Cette même année, il faut bien constater les
CLAW-BACK Les Britanniques avaient obtenu le droit, par le règlement ovin de 1980, de donner des primes variables à leur production ovine. À charge pour eux, quand ils exportaient, de prélever un montant égal à cette prime. Cette opération s’appelait le claw-back. Sous son apparente neutralité, le claw-back permit à la production britannique de détenir un avantage concurrentiel décisif par rapport à l’élevage français.
premières conséquences du règlement mouton en vigueur depuis 1981 : la production française commence à reculer de -5,7 %. Dans le même temps, la consommation plafonne à 222 000 tonnes et l’Ofival est mandaté pour lancer une campagne de promotion en faveur de « l’Agneau français ». C’est que les Britanniques, pour échapper au claw-back, avaient commencé d’exporter des viandes d’agneau légèrement salées et poivrées, qui étaient classées en produits transformés et qui, à ce titre, n’avaient pas à payer le fameux claw-back. À l’entrée en France, ces viandes étaient débarrassées de leur poivre, classées en viandes fraîches et vendues à des prix abusivement concurrentiels. La FNICGV, très active sur cette affaire, dénonce la pratique à Bruxelles, qui finira par lui donner raison… non sans que déjà 5 000 tonnes aient été introduites.
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Social
Depuis 1981 et l’installation du gouvernement Mauroy, les discussions sociales ont été très actives et ont changé la donne dans les entreprises, y compris celles du secteur viande. La FNICGV le reconnaît volontiers : depuis la réduction du temps de travail à 39 heures, on négocie de nouveau dans les branches. Avant, dit en 1984 Pierre Mussaud, alors vice-président, on entassait les augmentations et les avantages sociaux. Désormais, la réduction du temps de travail a pour corollaire la modulation, les heures supplémentaires libres. La désindexation progressive des salaires, la négociation qui commence sur la flexibilité de l’emploi, toute cette « nouvelle approche » est bien reçue par les entreprises. En revanche le commentaire est plus sévère pour les lois Auroux, qui commencent à être appliquées et sont perçues comme une accumulation de nouvelles contraintes.
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L’Observatoire économique
Décembre 1983 voit également la création par la Fédération d’un Observatoire économique. Une vingtaine d’entreprises en sont membres et les données transmises
Avant, on entassait les augmentations et les avantages. Maintenant, on module, on désindexe, il y a de la flexibilité.
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Lois sociales, quotas laitiers doivent permettre à la profession d’établir des ratios incontestables pour l’ensemble du secteur, mais également opérer des suivis sur les résultats de gestion : marge, valeur ajoutée, EBE etc. On note enfin dans les comptes rendus que c’est cette année-là que le vénéré Comité fédéral institué jadis par le président LemaireAudoire est remplacé par une réunion d’information générale tous les deux mois. Tous les membres de la Fédération peuvent y assister, et des experts sont parfois invités.
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Quotas laitiers
L’année 1984 est celle de l’institution des quotas laitiers européens. Michel Rocard est ministre de l’Agriculture depuis le 22 mars 1983, dans le 3e gouvernement Mauroy, et il s’affronte avec vigueur à la FNSEA de François Guillaume sur le sujet. Les quotas entraînent immédiatement un abattage massif de vaches laitières. Cette annéelà, près de 2,4 millions de vaches sont abattues, contre 2 à 2,1 millions les années précédentes, ce qui n’est pas a priori défavorable aux activités d’abattage. Les prix baissent rapidement sur un marché submergé par les arrivages en provenance d’Allemagne où les quotas ont fait chuter les cours de -15 %. Les frigos d’intervention sont ouverts, et vont empiler en France 243000 tonnes en 1984 et encore 284000 tonnes en 1985. La consommation, stimulée par des prix attractifs, va connaître un apogée : 25,2 kilos par habitant et par an en 1984, et 25,6 kilos en 1985. Le ressac des abattages consécutifs aux
quotas laitiers va être sensible jusqu’au début de 1986, puis retomber à compter du 2e semestre de cette année. Les prix bovins s’en ressentent : au début de 1986, ils étaient inférieurs à ceux de 1982. En revanche les achats d’intervention européens sont massifs : 496 000 tonnes en 1984, encore 453 000 tonnes en 1985. Avec des stocks comme ça, le marché mondial dans son ensemble se trouve déséquilibré au profit des acheteurs qui peuvent largement dicter leurs conditions. La Fédération aura à prendre en compte les préoccupations des exportateurs français, notamment en ce qui concerne les importantes cautions à déposer pour obtenir les certificats.
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Cauvia
Ces circonstances conduisent en 1984 le président Quiblier et la FNICGV à bâtir le projet d’une société de cautionnement collectif, la Cauvia. Mais le dossier sera très lourd à monter et finalement la Cauvia ne pourra délivrer ses premières cautions qu’en mai 1986. On compte alors 19 sociétés adhérentes et une quinzaine d’autres qui frappent à sa porte. La Cauvia eut jusqu’à 40 adhérents et plus. Mais petit à petit les banques, dont la lourdeur et l’impotence avaient justifié la création de Cauvia, revinrent avec des propositions concurrentielles. Et avec, évidemment, des arguments convaincants vis-à-vis de leurs clients habituels. La Cauvia s’étiola, sa liquidation fut décidée à la fin des années quatrevingt-dix. Tous les actionnaires furent remboursés rubis sur l’ongle, sauf l’un
d’entre eux, disparu entre-temps et dont on ne savait pas à qui attribuer la part, 230 millions de francs environ. Elle existe toujours, entre les mains d’un huissier, avis à ceux qui pourraient y prétendre…
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Marcel Quiblier
Le Président de la Fédération, qui a subi un grave accident de voiture en 1981, se remet lentement, et avec un courage indomptable : 18 opérations dans l’année, une rééducation qui n’en finit pas, des souffrances de chaque instant. Ernest Lemaire-Audoire accourt à la Fédération, et propose de nouveau ses services. Mais les nouvelles équipes sont déjà en place,
la présence du grand aîné historique n’est pas nécessaire. Le président Quiblier a déjà appelé à ses côtés le vice-président délégué Pierre Mussaud qui, étant lui-même libéré des préoccupations de son entreprise (il était associé avec Forget dans Vendée Loire Viande) peut s’investir à temps complet dans le travail de la FNICGV. Il va prendre rapidement les commandes opérationnelles de la Fédération, laissant cependant les dossiers sociaux, de plus en plus importants avec le changement politique de 1981, au vice-président Pierre Bonnin et à Jean-Louis Terdjmann, un cadre administratif de haut niveau qui quittera la Fédération en 1988.
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L’Europe affirme son autorité La France a été tentée de s’isoler de l’Europe en sortant du serpent monétaire, mais elle y est restée. Le jeu européen est désormais indissociable de l’avenir français, à tous les niveaux. Pour les filières agricoles, pour les filières viandes, les stratégies sont tournées vers les élargissements successifs, et vers l’ouverture du marché unique programmé pour 1993. Les entreprises françaises doivent se mettre en ligne par rapport aux directives communautaires. De plus en plus, la CEE est concrète, présente au niveau des décisions de tous les jours. À la Fédération, il faut faire face à un nouveau coup dur, à un deuil, à un changement d’équipe.
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Pierre Mussaud président
Hélas, après une maladie irréversible, sans doute hâtée dans son évolution par son accident de voiture, le président Quiblier meurt en 1985. Au printemps, lors du congrès de Deauville, Pierre Mussaud est élu président. Le bureau comprend des personnalités éminentes du monde la viande comme Messieurs Pierre Bonnin, Jean Rozé, Claude Lévy, Michel Ricœur, Pierre Declomesnil, Roger Cerf (par ailleurs président du SNIV), Guy Eschalier. Le 20 mars 1986, Jacques Chirac a été appelé par François Mitterrand pour un premier gouvernement de cohabitation.
Édouard Balladur est aux Finances et François Guillaume à l’Agriculture. L’explosion de Tchernobyl est le 25 avril, et depuis le 13 mars est ouverte la Cité des sciences à La Villette, sur l’emplacement de la future salle de vente. Les attentats de la rue de Rennes surviendront en septembre, Gorges Besse sera assassiné en novembre, les manifs anti-Devaquet vont durer un mois en novembre-décembre.
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Club
Cette même année 1986, la FNICGV crée en son sein un Club des exportateurs qui se
réunit pour la première fois le 24 janvier. Cette coordination devient nécessaire car les stocks européens se sont démesurément enflés : on détient 800 000 tonnes de viandes bovines dans les frigos à la fin de 1985. Une vaste opération de dégagement sur la Russie est organisée, mais les conditions mises par Bruxelles pour y participer sont très contraignantes. Ainsi chaque opérateur doit souscrire pour au moins 75 000 tonnes. La barre est ensuite descendue à 40 000 tonnes. Mais stocks
publics et stockage privé se télescopent un peu. Les « vieilles viandes » du stock public sont bradées à vil prix, ce qui empêche les opérateurs du stock privé de travailler. La Fédération intervient vigoureusement à Bruxelles et à Paris, avec un certain succès.
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L’emprise
En 1987, la Fédération constate dans ses rapports que « les douze derniers mois ont été marqués par le renforcement de
Pierre Mussaud Dans le monde de la viande, un Vendéen n’est jamais très loin. Pierre Mussaud vient de cette patrie bis du Charolais, de cette terre de contraste et de lutte. Son père est commerçant, abatteur et expéditeur, et lui-même crée dans les années soixante-dix une société à Pouzauges, la Savibov. Très vite il se rapproche d’Albert Forget et fonde avec lui Vendée Loire Viande. Il lie connaissance avec un homme étonnant, le boucher-inventeur Maurice Fradin. Mettant en œuvre certaines de ses idées, il lance avec la participation de la société Manurhin une technique de fabrication de steak haché en enceinte à froid négatif. Le produit est parfait, mais le succès commercial se fait attendre. Pierre Mussaud est président régional et vice-président de la FNICGV quand Marcel Quiblier prend ses fonctions. Très vite ce dernier comprendra que d’ajouter la charge de son entreprise à celle de la Fédération, c’est beaucoup pour un seul homme. Le 24 avril 1981, Pierre Mussaud arrive à la Fédération comme vice-président délégué. Au congrès de Deauville en 1986, après le décès de Marcel Quiblier, à 57 ans, Pierre Mussaud est élu président de la FNICGV, et sera réélu jusqu’en 1996. Fondateur et président d’UCIBEV, première tentative de rapprochement avec la FFCB, Pierre Mussaud montra des qualités de finesse, de vivacité intellectuelle et d’intérêt pour les évolutions du monde et des idées qui renforcèrent l’autorité de la FNICGV dans une période complexe.
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FNICGV la viande en son histoire
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L’Europe affirme son autorité
Le temps de l’UCIBEV
ble à l’état de ferraille… Convention collective, procédures de licenciements, temps de travail, grille de rémunération, accords interprofessionnels, formation continue, la Fédération va labourer en profondeur un domaine non pas inexploré, mais qui nécessite d’autres analyses, d’autres décisions. La Fédération se donne ainsi comme règle de « promouvoir le dialogue entre partenaires… de préférer les solutions paritaires… de favoriser les négociations d’entreprises ». Et même, doux langage de l’époque, de « faire de la négociation sociale un instrument de pédagogie plutôt qu’une arme de combat ».
La restructuration des filières continue de progresser et d’éclaircir le nombre des opérateurs, dans tous les secteurs. La modernisation de l’économie de la viande rapproche les métiers et leurs responsables. D’où l’idée qui naît un jour d’un rapprochement entre les fédérations représentatives de plusieurs professions. L’idée est séduisante, son fonctionnement le sera moins, mais l’expérience va laisser des traces et des points d’appui pour plus tard.
l’emprise européenne sur les filières agroalimentaires, et donc sur la filière viande». C’est effectivement à ce moment-là que se met en place la directive européenne sur l’interdiction des hormones, que les règles de l’intervention bovine sont modifiées, qu’on commence à préparer l’entrée dans le grand marché européen prévu en 1992. Or la conjoncture du moment n’est pas bonne. La consommation régresse, les marges aussi sous la pression des distributeurs, les outils industriels doivent continuer à se restructurer. La création de la taxe de protection sanitaire européenne conduit à réformer deux taxes : la taxe de protection sanitaire d’une part, la taxe d’usage d’autre part. L’administration envisage de créer deux taxes : une taxe nationale d’usage à taux uniforme; et une redevance locale d’usage dont le taux serait déterminé par chaque collectivité, dans des limites fixées par décret.
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Social
Sur tous ces sujets, sur d’autres aussi, la Fédération est de plus en plus souvent sollicitée par les adhérents. Les dossiers sociaux, on l’a vu, grossissent à vue d’œil. Le départ de Jean-Louis Terdjman, qui traite ces dossiers depuis 1969, amènera le président Mussaud à recruter en 1988 un expert en la matière, dont il fera le directeur de la Fédération. Il va le chercher dans les organisations agricoles d’élevage où ses talents de juriste et de rédacteur ont été prouvés : c’est Jean-Philippe Cochard, avec qui Pierre Mussaud partage le goût addictif des voitures anciennes, si possi-
«La fédération a toujours beaucoup fait pour les métiers de la viande. Aujourd’hui plus que jamais, elle est la référence.»
Adjudication
En 1988, François Mitterrand va être réélu à 54%, contre Jacques Chirac. Les élections législatives qui suivent portent Michel Rocard à Matignon. Pierre Bérégovoy est aux Finances, Henri Nallet à l’Agriculture. C’est aussi l’année de création du RMI, de la longue grève des infirmières, et de la sortie du film-phénomène Le Grand bleu, de Luc Besson. Pour la filière viande, c’est surtout l’année de l’affaiblissement des budgets européens de soutien, de la prime à l’extensification. L’effritement qui se prolonge de la consommation, la pression de la lutte contre les anabolisants, tout cela justifie une action interprofessionnelle renforcée pour promouvoir le produit viande. Le 26 décembre, les prix du marché français sont à des niveaux qui ferment l’intervention publique. Celle-ci ne sera
rouverte qu’en mars 1990. Pendant toute l’année 1989, la France va donc vivre sans intervention publique, qui est désormais sous le régime de l’adjudication. Évidemment, cette situation profite directement aux Allemands et aux Irlandais, qui continuent de pouvoir intervenir. La Fédération proteste avec vivacité et la Commission fait droit à ses demandes puisqu’elle baisse les niveaux de déclenchement. Du coup, plus personne ne peut stocker, du moins pendant quelques mois.
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La restructuration
Pour aider la restructuration du secteur des entreprises, on a créé un Fonds de restructuration qui a été doté par l’Office de 30 millions de francs, auxquels on ajoutera bientôt 10 millions de francs. On ne peut pas affirmer que les interventions
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de ce fonds ont été parfaites : 4 sociétés seulement ont reçu 83 % des aides. Il est vrai que les critères d’éligibilité restreignent le nombre d’entreprises pouvant prétendre à ce Fonds. Commentaire de la Fédération: dans sa version actuelle, le Fonds ne permet ni la restructuration du secteur privé, ni la réduction des inégalités de traitement avec le secteur coopératif. La réforme de la taxe d’usage intervient au 1er janvier 1990 et va s’étaler jusqu’en 1993, avec des dates plus rapprochées pour les abattoirs ayant réalisé des investissements et sollicité des emprunts avant la fin 1991. C’est « une date repère dans l’histoire des abattoirs français » commentera un rapport fédéral. La Fédération approuve l’économie générale de ces dispositions. Mais elle souligne au passage que l’engagement des usagers dans les abattoirs publics devait être équilibré par l’engagement de la collectivité vis-à-vis des usagers.
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UCIBEV
On se souvient aussi des années UCIBEV. L’Union du Commerce et de l’Industrie
du Bétail, des Viandes et des Produits carnés a réuni dès 1987, autour de l’axe FNICGV- FNCBF, les principales fédérations du secteur (CNTF, FNMBF, SNCP, FNEAP). Un premier congrès commun en 1988, au palais des Congrès de la porte Maillot, a concrétisé cette alliance. Celle-ci est renforcée en 1989 par l’emménagement de la Fédération, installée depuis 3 ans rue d’Anjou (Paris 8e), dans l’immeuble de la rue Fortuny (Paris 17e), siège historique de la FNCBF. En 1990, UCIBEV réunit, toujours porte Maillot, les Assises de la Viande. Plus de 1000 personnes y assistent et considèrent qu’il s’agit là d’une manifestation éclatante du rapprochement entre les métiers. Thème des Assises : « Les entreprises commerciales et industrielles face à la restructuration de la filière ». UCIBEV est présidée par Pierre Mussaud, qui trouve en Robert Bories, président de la FNCBF, un partenaire offensif, et en René Laporte, le directeur de la même FNCBF, un responsable profondément convaincu des nécessités de l’union – il le montrera plus tard à la direction de la CEBV.
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L’UCIBEV sur tous les fronts
En attendant, l’UCIBEV fait cliqueter ses armes toutes neuves. Elle proteste contre les conditions de l’adjudication, elle alerte les Finances sur les pratiques de la grande distribution, elle assure les contacts communs avec la haute administration. Et elle discute avec ardeur les conditions de renouvellement de la taxe Interbev et l’utilisation qui doit en
être faite. UCIBEV, on le sait, ne durera guère. Son action se perdra assez vite dans les sables de la discorde, du moins de la divergence des intérêts des professions concernées. Ucibev a été pendant deux ou trois ans une bonne répétition générale de ce que sera bientôt la CEBV – mais l’issue est la même dans les deux cas.
Yves Agenet Frais émoulu de l’École des cuirs, Yves Agenet a été recruté pour la Fédération par André Debessac en 1952 – le délégué général donnait des cours très suivis à l’École. Au cours de sa longue carrière, qui s’achèvera comme directeur de la Fédération en 1988, Yves Agenet aura été une cheville ouvrière discrète mais efficace. Venu pour sa connaissance du produit et pour ses compétences juridiques, il se fera rapidement une spécialité des problèmes européens, de plus en plus présents et importants. Il évoque encore aujourd’hui avec émotion, dans son appartement qui domine La Villette, les heures anciennes de la FNICGV, la rue Saint-Lazare, les comités fédéraux du dimanche matin au domicile de Lemaire-Audoire, les dîners de travail chez Pharamond etc. À notre connaissance Yves Agenet est aujourd’hui la plus ancienne mémoire de la Fédération. Respect.
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Le Mur est tombé en 1989
Les années quatre-vingt-dix, à la charnière de plusieurs évolutions européennes (réforme Mac Shary) et mondiales (Uruguay Round), sont agitées et parfois confuses. Comme toujours dans ces périodes, les petits malins prolifèrent. La FNICGV est appelée à l’aide par certains de ses adhérents, englués pour de grosses sommes dans l’affaire de la société suisse Secogest. Celle-ci, animée par un drôle de loustic, achetait des viandes dans les abattoirs français pour, disait-il, les revendre en Égypte. Mais les bateaux tournaient à peine le phare d’Alexandrie et repartaient à toute vapeur vers le Brésil, pour faire le miel du commissionnaire sur les différences de restitutions. Un coup classique, mais (assez) bien joué. Évidemment, les Douanes découvrent vite le pot-aux-roses, et imposent des pénalités de 220 millions de francs, une énorme somme à l’époque. La Fédération intervient, se démène comme elle peut, finit par trouver une oreille attentive chez le directeur du FEOGA, M. Jacquot. Celui-ci admet la bonne foi des opérateurs français, qui s’en tirent au moindre mal.
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Pesée-classement-marquage
C’est l’époque aussi où certains dossiers prennent une autre dimension. Celui de la pesée-classement-marquage est de ceux-là. Car les éleveurs veulent préparer l’installation des machines à classer dont les prototypes sont à l’essai. En fait, elles ne viendront que bien plus tard. On bataille surtout sur l’émoussage. Les témoins se souviennent d’une colère, sans doute
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Les Assises de la Viande de 1990 rassemblent 1000 participants à Paris habilement feinte, de deux poids lourds de la FNB, Gaby Ferré et Jean Verhaeghe, au Salon de l’agriculture de 1993. Les deux compères ont repéré dans la «cathédrale» d’exposition des carcasses une Normande outrageusement émoussée, littéralement pelée à vif. Le président Mussaud qui passait par là est pris à témoin, et ne trouve son salut que dans l’aveu que oui, émousser comme ça, c’est une erreur. Cette fois, l’affaire s’est provisoirement conclue devant une coupe de champagne, mais on va reparler de l’émoussage et de la présentation de la carcasse pour la pesée pendant encore de longues années.
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Paul Avril
La Fédération se tourne parfois vers des préoccupations à plus long terme, sous l’impulsion de Pierre Mussaud qui, dirat-il par la suite, voulait que sa profession regardât « au-dessus de l’horizon ». Dans cette perspective, il va demander à un polytechnicien de ses amis, Paul Avril, ancien patron de Pomona, de dégager les lignes d’une politique globale de la qualité dans la filière viande. La Fédération parlera alors d’un programme « de la saillie à l’assiette», dont l’intitulé n’est peut-être
pas des plus heureux, mais dont les idées (plaisir et santé, engagement des opérateurs, adaptation aux nécessités techniques etc.) donneront du grain à moudre pour plusieurs années.
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Révision de la PAC
En 1991, tandis que disparaît l’émission de télévision Apostrophes, Édith Cresson succède à Michel Rocard. Louis Mermaz s’installe rue de Varenne, où il aura pour les choses de l’agriculture un regard un peu distant, souvent ironique, mais pourtant assez juste. Le 29 septembre, la FNSEA mobilise un million d’agriculteurs dans les rues de Paris pour protester contre la révision de la PAC. Le 2 avril 1992, Édith Cresson s’en va, Pierre Bérégovoy arrive, Mermaz reste. Le 20 septembre, on vote oui au traité de Maasstricht. Le 2 octobre, Louis Mermaz, éprouvé par un deuil et las des dossiers agricoles, cède sa place à JeanPierre Soissons, qui signera bientôt les accords de Blair House. En 1993 re-cohabitation, Balladur arrive à Matignon, Puech est nommé rue de Varenne. En 1994, tandis qu’on se bat dans l’ex-Yougoslavie et que le génocide des Tutsis atteint les sommets de l’horreur, on ne pense déjà plus qu’à 1995 et à l’élection présidentielle.
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L’époque n’est pas rose
La consommation de la viande continue de baisser, moins 5 % pour la seule année 1994. Interbev-CIV redouble dans les efforts de communication, qui vont mobiliser cette année-là près de 41 millions de francs sur les 76,8 millions de francs du
budget total. Il y a d’autres sujets d’inquiétude : la congélation des carcasses atteintes de cysticercose, ça ne paraît pas, mais cela cause des pertes économiques très importantes. La Fédération obtient que la mesure ne concerne que les viandes contenant des cysticerques vivants.
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Élections
Mais, puisque c’est dans l’ambiance, on parle aussi d’élections à la Fédération. Pierre Mussaud a été élu en 1986, réélu en 1989 et 1992. Il devra s’éloigner au terme de ce 3e mandat, et l’on s’agite dans la coulisse. Pierre Mussaud ne fait pas mystère du successeur qu’il s’est choisi : c’est à Claude Lévy que va sa préférence. Mais depuis quelques années, on remarque de plus en plus les prises de paroles de Laurent Spanghero dans les assemblées régionales, les colloques et surtout les assemblées générales fédérales. Le verbe puissant, doté d’un charisme certain, incarnant la génération des jeunes chefs d’entreprises ayant pris le pouvoir dans les affaires depuis quelques années, Laurent Spanghero est en campagne permanente. À l’équipe en place, il reproche de ne pas être assez concrète et il piaffe du désir de se saisir des gros dossiers interprofessionnels, industriels, de communication.
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Spanghero
Devant tant d’allant et de décision, Claude Lévy renoncera : il n’est pas prêt, dit-il à son ami Pierre Mussaud. Pour des raisons secondaires, le mandat du président Mussaud sera néanmoins prolongé d’un an lors des élections de 1995. Mais en 1996, quelques semaines après le début de la crise ESB, le congrès de Reims porte Laurent Spanghero à la présidence de la FNICGV. Une autre page de l’histoire de la Fédération va commencer de s’écrire.
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Le temps de l’UCIBEV Laurent Spanghero Le nom, la plupart du temps, ça suffit. Spanghero, et les portes s’ouvrent. Miraculeusement, les hommes politiques deviennent disponibles, les fonctionnaires aimables, les Britanniques retrouvent l’usage du français, les Néo-Zélandais vous envoient dans le dos des tapes amicales à tuer des bœufs. Spanghero, le nom appartient à la mémoire collective – la preuve, il est actif dans les logiciels de correction Word. Laurent, c’est un Spanghero pur jus : la carrure, les battoirs, l’air de famille, l’accent. Lui, c’est un peu moins de rugby que Walter et Claude, mais une aventure industrielle de première grandeur. La SA Spanghero, il la fonde avec Claude en 1970. Elle ne cessera de se développer sur le site de Castelnaudary : production et abattage de veaux, découpe de porc, abattage bovin, plats cuisinés etc. Aujourd’hui Jean-Marc et David Spanghero sont aux commandes, et Laurent saute d’un avion à l’autre, d’un continent à l’autre. Bouillonnant vice-président de la Fédération avant que d’en devenir le président, il assume tout : la présidence de l’UECBV, son mandat à l’Office international, mille autres postes et charges. La viande, c’est lui. À ce titre, et parce que Spanghero au sommaire c’est toujours bon, la presse le sollicite en permanence. Comme il a effleuré la politique, en plus dans le fief de Lionel Jospin, il s’est fait quelques ennemis. Mais rien ne résiste longtemps à ce tempérament fougueux, cet élan vital, cette illustration vivante de l’équation e=mc2 : une énergie d’une masse impressionnante et qui s’accélère ellemême. Au demeurant, cet homme-fusée sait qu’il a besoin de bons moteurs pour stabiliser sa course. Son propulseur, c’est la Fédération et tout le travail qui s’y effectue grâce aux présidents de commissions et au directeur général Nicolas Douzain-Didier. Laurent Spanghero, dix ans de mandat en cette année 2006, fera la passe un jour à son successeur. Celui-ci doit s’attendre à la recevoir très tendue, et en pleine course.
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La crise du siècle Laurent Spanghero hérite, avec la présidence de la Fédération, de la plus grande crise connue dans le secteur de la viande depuis la Libération – même les lourdes épizooties de fièvre aphteuse n’ont pas entraîné de tels dégâts. La séquence de la « vache folle » vient de commencer, elle va durer… Elle connaîtra même une forte secousse de rappel en 2000. En tout cas, la crise met le feu au marché et aux entreprises. La baisse de consommation a atteint jusqu’à -40 % au plus fort, puis elle fait un palier long, très long à -30 % environ, avant de regagner quelques points en fin d’année 1996.
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Haut risque
Une autre catastrophe guette certaines entreprises : celles qui avaient mis en production des veaux britanniques, et celles qui possédaient des stocks importants de viandes britanniques dans leurs frigos à la date du 21 mars 1996 – certaines avaient 3 mois de chiffre d’affaires en stock ! Leur indemnisation n’allait pas de soi et la Fédération allait mener un combat qui sauva la mise des plus menacées. À peine cette question réglée qu’en juin 1996 un rapport d’experts mené par le professeur Dormont entraînait le traitement différencié des abats en abattoir, avec l’obligation d’incinérer les abats dits à hauts risques. D’où
la nécessité d’instaurer dans les abattoirs des circuits différenciés: c’était plus facile à dire qu’à faire. Conséquence seconde: la saturation des centres d’équarrissage et d’incinération. Et comme les équarrisseurs étaient en position forte, des tensions graves apparurent dans la filière, au point qu’on envisagea un instant l’arrêt des chaînes au cours de l’été 1996. Les Pouvoirs publics s’entremirent et saisirent cette opportunité pour initier une réforme fondamentale du service public d’équarrissage, dont l’idée leur était venue depuis déjà quelques années. En attendant, les entreprises vont-elles payer? On annonce que la taxe sanitaire va augmenter de 10 centimes
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La crise du siècle au kilo, et Philippe Vasseur, qui occupe la rue de Varenne depuis la constitution du gouvernement Juppé en mai 1995, se hasarde à affirmer que l’on peut « largement financer (cette taxe) en prélevant sur les marges des entreprises ». La Fédération organise alors un lobbying pressant auprès des députés, et écarte le spectre de cette hausse unilatérale.
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Un plan d’aide aux entreprises
Une première proposition des Pouvoirs publics est jugée irrecevable, d’autant plus que les entreprises de la FFCB en étaient exclues et qu’elles avaient commencé à organiser des barrages routiers. Le gouvernement revoit sa copie et Daniel Perrin, le directeur de l’Ofival qui a succédé il y a un an à Georges Dutruc-Rosset, luimême devenu directeur du cabinet de Philipe Vasseur, sort de sa poche un plan gouvernemental comportant un fonds de restructuration de 100 millions de francs, destiné aux entreprises de + 40 millions de francs de CA; et la mise en place de prêts à taux bonifié à 2,5%. C’est, reconnaît alors la Fédération, le premier plan d’aide jamais accordé aux entreprises privées du secteur.
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Petits veaux
Ce n’est pourtant pas la fin des malheurs. En septembre 1996, le pape Jean-Paul II venait de remonter dans son avion après sa 5e visite en France que le gouvernement signait à Bruxelles, contre l’avis des professionnels, un plan d’abattage massif des veaux nourrissons. Or c’est en France que s’effectueront les plus nombreux abattages,
attisés par la mise en œuvre de la prime à l’allégement des carcasses. En 6 mois, la France allait abattre 250000 veaux, l’Europe 1 million. Résultat : les Hollandais priment 60 % de leurs veaux, la France seulement 20 %. Les cours s’écroulent, les éleveurs manifestent à Rungis, les Pouvoirs publics améliorent un peu, mais un peu seulement le dispositif. La crise ESB retentit bientôt sur le marché ovin, où grâce au transfert de consommation, les prix augmentent de +16 %. Mais, du coup, c’est la consommation qui stagne et bientôt régresse. Et puis, la question de l’étiquetage commence elle aussi à dérouler sa complexité. La pression des organisations de consommateurs mène à un accord interprofessionnel qui stipule notamment l’indication de l’origine, de la catégorie et du type racial. La Fédération y est opposée, pour d’humbles raisons de faisabilité et de déstabilisation des viandes allaitantes. Mais « la reconquête de la confiance des consommateurs est à ce prix » admet-elle.
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CEBV: une espérance déçue La crise de l’ESB en 1996 a avivé les regrets de Laurent Spanghero et de ses collègues du bureau concernant l’absence d’une structure forte et unifiée de la représentation des entreprises. L’expérience d’UCIBEV a certes montré les difficultés de l’exercice, mais cela n’empêche pas d’envisager une nouvelle initiative, un nouveau rapprochement avec le commerce du bétail et le secteur porc notamment. La CEBV n’est pas loin, elle est en tout cas dans les esprits. Elle verra le jour en 1997, avec la réunion dans une même structure confédérale de la FNICGV, de la FFCB, du SNIV et du SNCP.
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Le même poids
Déjà au congrès d’Avignon, Laurent Spanghero s’était vu confier par le président Pierre Mussaud un mandat pour engager les négociations avec les autres organisations du secteur, pour former une confédération des entreprises. « Nous considérions que nous avions beaucoup de problèmes en communs, et que nous devions constituer en milieu de filière une confédération qui aurait le même poids que celui que les organisations d’élevage avaient obtenu en amont » expliquent les acteurs de cet épisode. Le 1er janvier 1997 en effet, la CEBV s’installe dans les bureaux de l’immeuble de Bercy Expo. La « Confédération des entreprises du bétail et de
la viande » est présidée par Laurent Spanghero, administrée par un bureau de 8 membres, (2 par organisations constitutives). Le personnel de toutes les fédérations est détaché auprès de la CEBV, à laquelle les fédérations versent des cotisations qui vont représenter environ 80 % de leur collecte. En année pleine, la CEBV sera ainsi dotée d’un budget de 8 à 9 millions de francs, pour un budget total consolidé des fédérations d’environ 12 millions de francs. Et c’est la CEBV
C’est Roland Ameteau qui le premier a dit: la CEBV devrait acheter ses bureaux.
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CEBV: une espérance déçue qui traite les dossiers horizontaux, de politique générale, interprofessionnels, européens.
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Bureaux
Les choses vont si bien que la CEBV cherche des bureaux bien à elle. À Bercy Expo, elle était locataire à des tarifs sans doute normaux pour l’emplacement et le (très relatif) prestige de l’installation, mais cela représentait tout de même une dépense importante. La décision est prise d’acheter un immeuble pour loger tout le monde. Est-ce Laurent Spanghero, Roland Ameteau ou Didier Huber qui a vu le panneau à vendre en premier sur l’immeuble de la Place des Vins de France? Il y a plusieurs versions et au fond, peu importe. C’est Laurent Spanghero qui est chargé de la négociation avec la société propriétaire des lieux, émanation elle-même de trois banques menées par la BNP. On passera sur les épisodes successifs, sur l’achat de l’immeuble coté « façade » par une société constituée à part égale par les 4 fédérations, et par une SCI pour l’immeuble « arrière », où les apporteurs de capitaux ont entre autre comporté les cadres des fédérations et certains cadres des entreprises adhérentes. Bref, au bout du compte, l’immeuble de deux lots qu’on connaît aujourd’hui a été acquis en 1999 pour la somme totale de 20 millions de francs, une belle affaire s’il en fut jamais une.
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Crise n°2
La CEBV vit sans le savoir ses heures de plus grande gloire. Car en novembre 2000, se
produit une terrible réplique de la crise de l’ESB, avec l’affaire dite de Villers-Bocage. On découvre sur une chaîne d’abattage, à l’occasion d’un test aléatoire, une vache infectée. Du jour au lendemain, tout s’arrête en France dans le secteur de la viande bovine. Les heures noires de 1996 paraissent presque douces à ceux qui les ont vécues. Tout ceci est d’autant plus spectaculaire que, faut-il le rappeler, on est en période de cohabitation ChiracJospin. Et le président de la République, saisissant l’opportunité de l’inauguration du SIAL, coupe l’herbe sous le pied du Premier ministre et du ministre de l’Agriculture Jean Glavany en annonçant l’interdiction des farines de viandes et d’os dans l’alimentation des animaux. Cette mesure sera bientôt suivie par le classement des colonnes en MRS, puis le test ESB obligatoire sur les bovins de +30 mois puis, en févier 2001, la démédullation des ovins, celle des bovins en avril, la collecte sélective des suifs etc. Les ris de veau avaient déjà été proscrits depuis août 2000, entraînant des pertes « abyssales » pour les entreprises, que la Fédération va s’employer à faire indemniser en obtenant une enveloppe de 100 millions de francs.
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Un acte fondateur
Devant l’effondrement du marché à la fin de cette année 2000, amplifié par la perte de la plupart des marchés extérieurs, il faut employer les grands moyens. De toute façon, la pression des professionnels atteint son maximum en ce début de
janvier 2001. Devant l’effondrement des cours, le renchérissement des coûts et des tests (environ 400 francs par test sont à la charge de l’abatteur), la montée des contraintes de toute nature, on assiste à une véritable levée en masse des abattoirs. Le lundi 8 janvier 2001 à 5 heures du matin, à l’appel de la FNICGV, les accès de Paris sont progressivement bloqués par les camions des professionnels. Les embouteillages paralysent le trafic tout autour de la capitale. Mais pas seulement. Car les mêmes scènes se déroulent aussi autour de Bordeaux, dans la Mayenne, en Ille-etVilaine, sur l’autoroute A6 au niveau de Villefranche-sur-Saône. La presse accourt, les micros se tendent. « Dans les grosses entreprises de notre secteur 10 % du personnel est au chômage technique parce que l’activité a chuté de 20 à 80 % selon les métiers, 80 % pour l’exportation, 50 %
pour la viande hachée, et 20% pour la boucherie » déclare-t-on à la FNICGV, en ajoutant que « … cette action est un ultime avertissement, si nos revendications n’aboutissent pas, nous fermerons tous les abattoirs ». À 13 heures, les barrages sont levés « pour ne pas prendre les citoyens en otages ». La mobilisation de la profession a été totale, et en partie couronnée de succès par l’ouverture de négociations avec les Pouvoirs publics. Pour nous, dit Laurent Spanghero « cette journée du 8 janvier a constitué un acte fondateur. Nous avons pris conscience de notre force syndicale ».
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Retrait
Toutes ces violentes secousses, il n’y a pas de moyens miracles pour les enrayer. D’abord et avant tout, il faut que l’Union européenne intervienne sur le marché, et
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CEBV: une espérance déçue massivement. Une opération de stockage privé est lancée fin novembre, vite relayée par un programme d’achat/destruction de bovins de +30 mois non testés, qui va concerner 650 000 animaux en France et en Irlande. Pour tout arranger, la fièvre aphteuse fait sa réapparition au début de 2001 et les bûchers de carcasses vont faire monter vers le ciel d’âcres fumées et les récriminations scandalisées des défenseurs autoproclamés des animaux. L’intervention publique est ouverte avec des règles aménagées, à la demande de la FNICGV : on va retirer 215 000 tonnes du marché par ce biais, dont 70 000 tonnes en France. Un régime d’achat spécial prendra ensuite le relais, qui va permettre de ponctionner encore 75 000 tonnes.
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Abattage des vaches ?
Or, dans cette ambiance de catastrophe où chaque profession semble jouer sa survie, le 7 novembre 2000 le président de la FNSEA Luc Guyau lance l’idée d’un abattage systématique des vaches de plus de 30 mois. Dans une première version, il ne s’agit que des vaches laitières (où les cas d’ESB sont les plus fréquents), mais la deuxième mouture inclut toutes les vaches, y compris donc les animaux allaitants. Les représentants de la filière, tout de même un peu interloqués, donnent d’abord un accord du bout des lèvres. Le ministre Glavany, chez qui les éleveurs se sont rendus dans l’heure suivant leur conférence de presse, semble bénir cette initiative, mais lui aussi avec une réticence soufflée par certains membres de la FNICGV – on peut tout
reprocher à Jean Glavany, sauf de manquer de sens politique. De fait, en quelques heures la nouvelle se répand partout en France, dans les étables, les abattoirs, sur les marchés et les étals. C’est un tollé général, une marée de protestation : le sens de la mesure envisagée n’est pas compris, et surtout pas admis.
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La fin de la CEBV
Machine arrière toute, dès le lendemain. Y compris de la part de la CEBV qui, sans avoir la moindre part à cette initiative malheureuse, ne s’en est pas détachée avec suffisamment de rapidité et a, sans rien dire, participé à la conférence de presse de Luc Guyau. L’attaque vient d’abord des commerçants en bestiaux, ou le président Xavier Charlot, n°2 de la CEBV est vivement pris à partie par une partie de ses adhérents et est amené à présenter sa démission. Jean Mazet est élu à la présidence de la FFCB le 20 janvier 2001, et chacun sait qu’il n’est pas un chaud partisan de la structure confédérale. Il va le signifier de plus en plus ostensiblement, tandis que de son côté le SNIV « nouvelle formule » semble vouloir voler de ses propres ailes. En mars 2001, tandis qu’en Afghanistan les Talibans détruisent les bouddhas géants de Bamiyan, le président Spanghero convoque un conseil d’administration de la CEBV. Il propose tout de go la dissolution de la structure. Quelques-uns se récrient mollement, mais personne ne s’oppose avec fermeté. La CEBV a vécu. Elle aura duré un peu plus de deux ans.
René Laporte Il est né à Goutrens en 1945. Donc Aveyronnais, fils d’éleveur, une enfance ancrée dans la ruralité et les rudesses de la petite exploitation familiale. Mais il est bon à l’école, et voici René Laporte à l’Institut agronomique, promotion 68. Service militaire dans l’infanterie de marine, ce qui donne le goût d’autres horizons à ce terrien de naissance. Il revient, entre à l’Institut de l’élevage, à l’époque l’ITEB. Il y travaille 5 ans avec Pierre Mazeran. En 1975, la FNCBF – devenue FFCB en 1992 – recrute à la suite du départ en retraite de son directeur, Abord de Chatillon, lui-même successeur du sulfureux de Broqua. Le président Ernest Bounaix et le vice-président Paul Bert l’engagent sur le champ. Pendant 20 ans, il va diriger cette grosse fédération en contribuant à insérer cette activité dans une économie bétail-viande française et européenne en pleine évolution. Il a été directeur général d’UCIBEV ; il sera en 1997 au côté de Laurent Spanghero comme DG de la CEBV. Quand celle -ci se dissout en 2001, il reprend sa liberté… et perd sa moustache. Il est aujourd’hui un consultant apprécié pour tous les problèmes de commerce international de bétail et de viande.
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Un automne meurtrier Le second et ravageur épisode de l’ESB semblait s’apaiser en ce milieu de l’année 2001. À cette tourmente, il avait fallu ajouter celle de la fièvre aphteuse venue de Grande Bretagne (elle aussi…), qui continuait de perturber les marchés en vif et la circulation des animaux et des viandes. Mais enfin, on pouvait recommencer à penser à autre chose, et lors de son congrès de Biarritz, la Fédération avait ouvert des pistes, notamment sur les dossiers sociaux et de formation, sur la réouverture des marchés à l’export, sur la communication aussi. Hélas, c’est l’automne qui allait être meurtrier.
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Nine-eleven
L’été s’achevait. Philippe Léotard avait bu son dernier verre le 5 juillet et ce 11 septembre, dans la chaleur écrasante de l’été new-yorkais, deux avions détournés s’encastraient dans les Twins Towers, ensevelissant Manhattan dans les ruines et la poussière. Dix jours plus tard, l’usine AZF explosait à Toulouse, 31 morts et 2 500 blessés. Georges Harrison, le Beatles auteur de Love you too, succombe bientôt à son cancer, et Gilbert Bécaud,
Le blocus des abattoirs commence.
hélas, au sien. Sur le marché de la viande, les choses vont mal, de plus en plus mal. La baisse des cours est importante, les éleveurs s’énervent, et les abatteurs dont les charges ne cessent de s’alourdir n’ont aucune marge de manœuvre à utiliser. Les manifestations de producteurs commencent à se multiplier, et les premiers blocages d’abattoirs sont signalés en Normandie. Le 19 septembre, un camion belge est bloqué sur l’autoroute.
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Jean Glavany
Le 6 septembre, le ministre est intervenu pour proposer un plan d’aide, qui n’a convaincu personne. Le 20 septembre,
après le blocus des abattoirs normands, le ministre demande aux abattoirs de suspendre leurs importations. La Fédération marque alors son désaccord et son mécontentement. Le 15 octobre, un frigo est saccagé à Fougères, entraînant des dégâts estimés à 1,5 million d’euros. La situation se dégrade de jour en jour, et le 17 octobre le gouvernement tente d’endiguer la crise en proposant un plan en 23 points, où est clairement suggéré par le ministre le souhait d’un « contrat interprofessionnel ». Nanti de ce viatique, Pierre Chevalier, président d’Interbev, a convoqué tout le monde le 24 octobre. Ce sera le jour J.
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Surprenantes déclarations
En fait, ce sera la journée des dupes. À l’Assemblée nationale ce jour-là, Jean Glavany répond à un député que les professionnels de la filière étaient en train de négocier « avec l’aide du ministre qui essaie de mettre de l’huile dans les engrenages ». Il explique qu’il souhaite obtenir des entreprises d’aval qu’elles s’engagent d’une part à cesser leurs achats à l’étranger durant quelques semaines, voire quelques mois, d’autre part à assurer un prix minimum pour l’achat des vaches du troupeau laitier. Il ajoute : « Étant donné la situation de surplus où nous sommes, ces entreprises
accompliraient un acte de civisme en cessant d’importer ». Et il conclut qu’il souhaite que « l’ensemble des mesures que nous avons décidées ensemble puisse se mettre en place le plus rapidement possible ». Quelques jours plus tard, quand ces déclarations seront connues à Bruxelles, le commissaire Fischler les qualifiera de « hautement surprenantes ». C’est le moins qu’on puisse dire.
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Un automne meurtrier
Une grille de prix d’achat, passe encore: les grands abattoirs en publient tous les jours. Mais s’entendre pour supprimer les importations, ça Bruxelles ne pouvait admettre. Même si l’accord n’a jamais été vraiment appliqué. Le droit CEE est plus sévère que le droit canon, pour qui «péché d’intention vaut vite absolution»… >
Anticoncurrentiel
On sait que l’affaire va mal tourner, mais les professionnels n’y ont encore mis que la moitié de la main. Ils y passent le corps tout entier en signant le 24 octobre 2001 dans la salle du Syndicat de Rungis, après un accord verbal rue de Varenne, et sous la pression du ministre un accord sur une grille de prix d’achat «équitable», et sur une suspension volontaire des importations. L’un et l’autre caractérisant le délit d’entrave à la concurrence et à la libre circulation. Et tout cela sans qu’à aucun moment, le ministère n’ait orienté les professionnels vers une procédure de demande d’exemption des règles communautaires
ou d’obtention d’une déclaration d’inapplicabilité. On ajoutera que, dans les jours suivants, le ministre s’est proprement lavé les mains de l’accord signé sous son toit, en estimant que sa responsabilité n’y était nullement engagée puisqu’il n’en était pas lui-même le signataire.
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Amendes
Ce qui advint ensuite n’est guère réjouissant. Pourtant et dans un premier temps, cet accord a permis de lever tous les barrages autour des abattoirs et de faire revenir la paix dans les campagnes. Ensuite, il faut bien avouer que l’accord n’a pas été appliqué, sauf peut-être
pendant trois ou quatre jours, et encore pas partout. Enfin, le plus grave : la Commission a engagé des poursuites contre les organisations signataires, FNSEA, CNJA, FNCBV et FNICGV, pour pratique anticoncurrentielle. Avec à la clef des amendes énormes, de nature à grever lourdement les budgets syndicaux. Après une phase procédurale d’environ deux ans, la FNICGV a dû pour sa part cautionner le paiement de l’amende, sans attendre que certains aspects du dossier aient été tranchés.
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Les années qui suivent 2002
Ça ne pouvait guère être pire que 2001, mais était-ce possible meilleur ? On manque un peu de recul pour juger ce qui s’est passé au cours des deux ou trois dernières années, jusqu’en 2005. Plusieurs des dispositions, règlements, événements qui sont alors advenus ne montreront leurs effets que plus tard. Certes, il y eut, il y a encore des dossiers aux conséquences rapides et immédiates. Par exemple, en 2002, l’année commence sur un succès de la Fédération. Celle-ci avait plaidé contre la démédullation des agneaux de plus de 6 mois, au lieu de 12 au plan communautaire, une mesure demandée à l’époque par l’AFSSA dans une application démesurée du principe de précaution. Une action intense, en liaison avec les Irlandais et les Britanniques, auprès du Commissaire Byrne, Irlandais lui-même, finit par convaincre ce dernier de demander au gouvernement français de reporter
cette mesure au 1 er juillet. On gagna donc 6 mois, puis la Fédération plaida à nouveau son dossier et, finalement, le ministre prit sagement la voie de l’harmonisation communautaire.
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Le ris de veau revient
On fête en fin d’année 2002 le retour des ris de veaux sur les étals des tripiers et dans les assiettes des consommateurs. Le retrait de cette pièce de grande valeur depuis le 10 novembre 2000 avait complètement obéré les marges des abatteurs de veau. La Fédération n’est pas restée passive dans cette affaire et, outre ses demandes constantes et répétées, elle a engagé, avec 50 entreprises du secteur, un recours afin d’obtenir réparation du préjudice subi. Mais si nécessaire et positive que soit cette réhabilitation des ris de veau, il faut bien dire que cette mesure surnage dans un océan de dispositions plus contraignantes les unes que les autres, françaises et communautaires. Le règlement européen sur les co-produits doit ainsi être combattu pied à pied, avec un certain succès contre le tout-incinération institué en doctrine intouchable par la Commission.
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On s’amusera plus tard, ou peut-être jamais Est-on sorti des crises ? Les exemples de la fin d’année 2005 (peste aviaire, steaks hachés) montrent que tout reste fragile, que l’opinion publique est impressionnable, prête à s’émouvoir, même sans raisons objectives. Admettons qu’après un début de siècle à l’emporte-pièce, les choses se sont ensuite un peu calmées. Oublions un instant la réforme de la PAC, le Doha round, la consternante raréfaction du cheptel français, nos exportations moribondes. Ces dernières années, il y a quand même eu des motifs de satisfaction. Dressons-en le maigre bilan.
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L’équarrissage
Le financement du service public de l’équarrissage, sa taxe, encore et toujours, envahissent le champ professionnel au cours de ces années et jusqu’en 2005. En 1996, en pleine crise de l’ESB, l’État avait pris en charge la destruction des ATM (animaux trouvés morts en ferme) et des MRS, et la taxe d’équarrissage était payée par la distribution. Mais Bruxelles avait
La taxe d’équarrissage, danger de mort pour les entreprises.
condamné cette taxe sur une requête des bouchers. Du coup, le 1er janvier 2004, les abattoirs ont dû s’acquitter d’une taxe d’abattage calculée sur le poids de viande et sur le poids de déchets. Au total des sommes extrêmement importantes, provoquant à la fois la fragilisation des entreprises et une hausse importante des coûts de la viande. La Commission a décidé en 2002 d’harmoniser les financements des MRS, co-produits, tests ESB, enlèvement des cadavres etc. qui représentent pour la France un budget de 430 millions d’euros, dont 25 % sont financés par la profession. Or à l’échéance de 2004, il était prévu que l’État ne finance plus que la collecte des
cadavres en fermes et les tests ESB. Autrement dit: le financement professionnel va grimper à 75%. Bientôt, en 2003, les aides publiques pour financer la destruction des farines vont disparaître, et le transfert de cette charge va s’effectuer sur les abatteurs et les découpeurs. La Fédération, pour aider et assister les entreprises dans leurs négociations de plus en plus directes avec les grandes sociétés de traitement des déchets, prend l’initiative de créer un « Observatoire des co-produits ». Conclusion rapide des premiers relevés: les hausses de tarifs des équarrisseurs sont supérieures à la baisse des aides pour les os et suifs.
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Pied de facture
Viendra ensuite l’affaire dite du « pied de facture ». Comme pour les abatteurs il est hors de question de prélever la taxe d’abattage sur des marges inexistantes, ceux-ci souhaitent pouvoir la répercuter à leurs clients distributeurs sur une ligne à part, en bas de la facture. Mais la Confédération de la boucherie, qui a déjà emporté un succès important sur la taxe d’équarrissage, ne l’entend pas de cette oreille. Elle souhaite, elle demande, elle exige que la taxe soit incluse dans le prix de vente des viandes au stade de gros. On voit bien où la boucherie veut en venir : à négocier un prix taxe comprise, ce qui, au gré des circonstances de marché, peut lui permettre de laisser une partie de la taxe à la charge du vendeur. Il faudra de longues et tumultueuses négociations
interprofessionnelles pour trouver une solution plus ou moins bien appliquée à compter de l’automne 2005.
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Rouvrir les marchés
La crise aiguë s’éloignant en 2002, l’une des taches principales est de rouvrir un à un les marchés à l’exportation qui s’étaient fermés en novembre 2000. Manque de chance : un cas de peste porcine classique est diagnostiqué en Moselle, au moment même où le Japon et la Corée s’apprêtaient à lever leurs embargos. Il faudra attendre le 1er octobre 2002 pour la Corée et le 18 décembre pour le Japon pour voir lever les
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On s’amusera plus tard, ou peut-être jamais dernières interdictions de ces deux importants marchés de viande porcine. Avec la Russie, important débouché pour la viande porcine mais aussi bovine, il ne s’agit pas à proprement parler de lever les embargos, mais de satisfaire aux demandes sans cesse plus complexes des autorités de Moscou. Il faut alors faire agréer de nouvelles installations, ou plutôt les mêmes installations doivent recevoir un agrément différent. Le fameux « vétérinaire russe » voyage… Deux autres gros « chantiers » sont ouverts cette année-là : la Chine, qui lèvera son embargo en 2004 sur les viandes porcines ; et les États-Unis qui après manœuvres et contre-manœuvres retireront leur agrément à toutes les entreprises françaises, avant d’entreprendre un relistage, cette fois soigneusement préparé par les entreprises avec l’aide de la FNICGV et de l’Ofival.
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Le Livre Blanc
Le Livre Blanc commence aussi à poindre à l’horizon du 1er janvier 2006, date prévue de son application. On sait de quoi il s’agit. La Commission a en 2000 repris l’ensemble des dispositions sanitaires et d’hygiène en un corpus unique, appelé Livre Blanc sur la sécurité alimentaire. Toute la réglementation de base applicable aux établissements alimentaires est reprise par paquets de 5 règlements CEE, liés les uns aux autres. Dès sa conception, la FNICGV a perçu l’importance de «cette révolution silencieuse qui va modifier en profondeur la responsabilité des chefs d’entreprises ». C’est que l’on attend plusieurs mesures nouvelles et importantes : chaîne d’information sanitaire entre éleveurs et abatteurs, critères microbiologiques harmonisés, redevances sanitaires révisées etc. La mise en œuvre du Livre Blanc va continuer à prendre de l’importance en 2003-2004 et 2005. Lors de son assemblée générale de Versailles en juin 2005, la Fédération peut considérer que la profession a « digéré » les principales dispositions du Livre Blanc, et qu’elle-même a obtenu certains succès de négociation dans le maquis des textes et règlements. Ainsi par exemple pour les pieds de bovins, menacés d’interdiction et qui seront réintégrés dans les produits valorisables, soit 1 à 2 € par bovin.
Le Livre Blanc, une «révolution silencieuse».
des années quatre-vingt-dix avaient eu du mal à s’imposer, puis les machines avaient été longuement expérimentées dans des abattoirs volontaires avant que Bruxelles ne donne son accord. En 2003, les trois types de machines exploitées ont passé les tests avec succès, qui leur ouvraient le droit à toucher des subventions pour leur installation. Mais cet agrément n’est pas encore celui qui permettrait de se passer des classificateurs, qui restent aux yeux de Bruxelles les seuls garants du classement.
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NORMABEV
Le 1er juillet 2003, Interbev portait sur les fonts baptismaux Normabev. Il s’agit d’une structure interprofessionnelle chargée du contrôle et de la pesée, ainsi que du classement et du marquage des gros bovins. La FNICGV, qui a la vice présidence, participe à cette structure et tient notamment à ce que Normabev ne s’écarte pas de la mission qui lui est confiée: garantir partout un classement harmonisé, avec ou sans machine à classer. Car aujourd’hui la machine à classer ne fait plus question, mais cela n’a pas toujours été le cas. Les prototypes étudiés au début
Tiers de classe
Pendant ce temps-là, la classification elle-même a changé. On est certes loin désormais des débats enflammés de jadis sur l’émoussage ou non de la carcasse, sur sa présentation « commerciale » à la pesée, ou sur sa présentation brute. Après avoir beaucoup parlé, beaucoup manifesté et tenu des propos excessifs, les protagonistes ont décidé sagement de ne rien faire, et de maintenir une présentation commerciale correcte, sans émoussage excessif. Mais la machine a rendu possible de façon courante le classement au tiers de classe. En 2005, un accord interprofessionnel est conclu au sein d’Interbev pour rendre obligatoire le classement de la conformation au tiers de classe, tandis que l’état d’engraissement reste à la classe. Interbev demande l’extension de l’accord aux Pouvoirs Publics, mais ceuxci ont estimé qu’un arrêté serait plus judicieux qu’une extension d’accord.
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L’avenir n’est pas écrit Parvenu au terme de quelque 60 ans d’histoire de la FNICGV, on est saisi par l’ampleur et la constance de l’engagement professionnel assumé par cette Fédération. De la gestion de la pénurie dans l’immédiat après-guerre à celle d’une nécessaire compétitivité européenne et internationale, les professionnels de la viande ont été confrontés en permanence aux problèmes les plus aigus de leur temps. Les présidents Lemaire-Audoire, Quiblier, Mussaud, Spanghero ont été, sont encore des figures de proues d’un navire ballotté par toutes les tempêtes, mais traçant finalement une ligne assez droite vers un destin qui n’a rien d’inéluctable.
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Intuition géniale
La Fédération, comme tout ce secteur professionnel, a été, est animée de plusieurs mouvements cohérents. La concentration en est un, bien sûr, et le plus visible. Avec pour conséquences un nombre moins élevé d’entreprises, des abattoirs de plus grande taille, des outils industriels nouveaux qui attestent du renouvellement du tissu professionnel, des échanges accrus. Cette démarche n’est pas achevée, pour autant qu’elle le soit un jour. L’autre mouvement est celui de transformer les antiques conflits entre professions de la filière en force positive, par des stratégies d’alliance.
Les Interprofessions ont joué un rôle éminent dans cette mutation, et d’abord Interbev, dont la naissance puis l’établissement ont dû beaucoup à l’intuition géniale du président Lemaire-Audoire – nous disons intuition géniale parce qu’Ernest LemaireAudoire aurait dû être en principe le dernier à pouvoir comprendre et favoriser les intuitions non moins géniales de Marcel Bruel, paysan aveyronnais un peu révolutionnaire sur les bords. Et pourtant ce fut fait.
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À la dimension de l’Europe
Laurent Spanghero a repris des mains de ses prédécesseurs un flambeau auquel il
a apporté un nouveau feu, une volonté d’action à laquelle peu de dossiers importants ont résisté. Cette influence de la FNICGV s’est constamment illustrée au niveau européen. D’abord à l’AECGV, qui devait tout ou presque à Ernest LemaireAudoire, et qui a d’ailleurs disparu avec lui. Puis à l’UECBV où Laurent Spanghero, son président, a arrimé puissamment la FNICGV, qui s’est elle-même fortement investie dans ces instances européennes. Chaque semaine, les représentants de la Fédération sont à Bruxelles, alimentant l’information et la réflexion des fonctionnaires français et communautaires, et infléchissant leurs décisions. La FNICGV reste une fédération française, mais par le champ d’action et l’envergure, elle est maintenant à la dimension de l’Europe.
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Et maintenant ?
Jamais la présence forte d’une Fédération forte ne semble avoir été à ce point nécessaire. C’est que l’histoire ne s’arrête jamais, pas plus celle des professions de la viande que l’autre, la grande Histoire à laquelle nous avons cherché à la lier dans ces pages, par petites touches. Car si la viande est un monde, elle est aussi terriblement immergée dans le monde. La mondialisation la concerne complètement, les grandes négociations commerciales vont modifier en profondeur la donne pour les opérateurs. Déjà certains s’en alarment, et personne ne leur reprochera de distinguer à l’horizon plus de craintes que d’espérances. Mais d’autres ont déjà pris positions pour jouer les bonnes cartes. Il
faut les aider un peu, ou même seulement ne pas entraver leurs initiatives.
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L’avenir avec confiance
La Fédération qui, entre mille autres dossiers et pour ne parler que du passé récent, a permis le retour du ris de veau et du Tbone de bœuf, engagé le retour à la valorisation des co-produits, obtenu des règles d’attribution correcte pour le contingent GATT, conservé au moins des lambeaux de POA, réglé (à peu près…) l’étiquetage des viandes, géré les conventions sociales au plus près, engagé la réforme des cahiers des charges des marchés publics, équipé ses abattoirs de machines à classer, souscrit au formidable effort de communication sur le produit d’Interbev et plus récemment d’Inaporc : cette Fédération, comment voulez-vous qu’elle n’ait pas confiance en l’avenir, en celui des commerçants et des industriels d’abord ? Bon, il y aura toujours des problèmes dans la viande, c’est dans sa nature. Mais il y aura toujours des professionnels unis pour les résoudre, c’est dans la leur.
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Les cadres de la FNICGV NICOLAS DOUZAIN-DIDIER
Depuis la Libération, la FNICGV a attiré des collaborateurs de valeur, dont plusieurs ont poursuivi une longue carrière à la Fédération, tandis que d’autres, après avoir bien servi ici ont connu ailleurs des postes de haute responsabilité. Parmi les directeurs et secrétaires généraux, on rappellera bien sûr les noms d’André Debessac, Pierre Lebouleux, Yves Agenet, Jean-Philippe Cochard et aujourd’hui Nicolas Douzain-Didier. Hervé des Déserts est arrivé en 1985, en même temps que Vincent Truelle, André Dies, François Hirsch (Cauvia), et alors que partait pour l’Ofival Claire Legrain, venue en 1981 pour créer l’Observatoire économique. On se souvient aussi de Marcel Szczyhel, présent entre 1977 et 1981, et de Pascale Boudot qui travailla au côté de Jean-Philippe Cochard. Plus loin dans le temps, on évoquera la mémoire de
Joseph Schilling, le bras droit du président Truffaut à la section porc. Personne n’oublie Mme Claude Pesez, secrétaire de direction entre 1962 et 1987, non plus que l’indispensable Raymond Miette (reprographie et courrier), arrivé à la Fédération en 68 et qui l’a quittée le 1er janvier 2006. Aujourd’hui autour de Nicolas Douzain, on trouve Hervé des Déserts et François Frette pour les questions de réglementation, Nathalie Marquilly pour les dossiers sociaux, Christine Costa pour la comptabilitégestion des cotisations, Sandrine Friant et Myriam Lussert au secrétariat.
Né en 1967, à Nancy. Père médecin, mère institutrice. Diplôme d’ingénieur agronome à Angers. À d’abord travaillé dans… une coopérative agricole. En 92, petite annonce, contact avec la Fédération. Entrevue avec Cochard, puis avec Mussaud et Laporte : ça marche, pour un poste à 50-50 sur la FFCB et la FNICGV. Il court les assemblées départementales et régionales, il apprend tout et tout le monde. En 1996, Laurent Spanghero le nomme directeur. Les deux hommes se comprennent, fonctionnent bien ensemble. Nicolas Douzain est râblé, carré, méthodique, prudent : ça plaît aux adhérents ; et fidèle sans une hésitation à son président. Il l’ignore sans doute, mais on le plaisante parfois pour sa foi dominicaine dans le bon droit de la FNICGV. S’il fallait poursuivre la comparaison, il ne serait pas de l’Inquisition, qui condamne, mais de l’Opus Dei, qui agit. D’ailleurs, il n’est ni de l’une ni de l’autre : la Fédé est son église, et son saint patron est tout trouvé.
HERVÉ DES DESERTS • import-export-échanges ; • gestion de marché (intervention, stockage privé, aide alimentaire…) • commission nationale des abattoirs ; • taxes ; • veille réglementaire.
NATHALIE MARQUILLY • gestion de la CCN 3179 (entreprises de l’Industrie et des Commerces en Gros des Viandes);
Les présidents de la fédération
• information sociale auprès des entreprises adhérentes;
1946-1947 Édouard Acu 1947-1979 Ernest Lemaire-Audoire
CHRISTINE COSTA, SANDRINE FRIANT ET MYRIAM LUSSERT
• assistance téléphonique auprès des entreprises adhérentes.
FRANÇOIS FRETTE
1980-1986 Marcel Quiblier
• Aides publiques hors social ;
1986-1996 Pierre Mussaud
• secteur Porc
depuis 1996 Laurent Spanghero
• site internet www.fnicgv.com • recherche et développement ; • communication ; • installations classées.
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La FNICGV dans les grands organismes Les représentants de la Fédération siègent dans un très grand nombre d’instances, allant d’une petite commission de cotation régionale à l’Office International des Viandes. On peut cependant attirer l’attention sur les responsabilités prises dans des organismes tout à fait stratégiques pour les métiers de l’industrie et du commerce en gros des viandes. Au plan national, la FNICGV est représentée dans les instances de direction de tous les organismes où ses intérêts peuvent être discutés. Citons les plus importants :
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CSO
Le Conseil supérieur d’orientation de l’agriculture, présidé par le ministre de l’Agriculture. La Fédération y siège au titre de la Confédération des commerces de gros, dont elle est adhérente. Cette instance permet d’avoir des contacts étroits avec les plus hauts niveaux du syndicalisme agricole, et avec les centres de décision de l’État concernant le secteur de la production agricole.
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OFIVAL
L’Office national interprofessionnel de l’élevage et de ses productions joue un rôle déterminant dans la filière ; son directeur général est nommé en Conseil des ministres. L’Office est gestionnaire des primes communautaires, c’est lui qui est en charge
de l’intervention et du stockage. Ofival est également responsable des cotations, des études. Il participe avec d’autres organismes à la promotion de la viande, notamment en exécution des programmes communautaires. Les dossiers peséeclassement-marquage sont sous son contrôle au regard des instances l’UE.
>
INTERBEV
L’Interprofession bovine et ovine est, depuis 1980, le lieu de concertation et d’initiatives de la filière, des producteurs aux distributeurs. Avec son extension le CIV, l’Interprofession prend les décisions et investit les budgets nécessaires pour promouvoir le produit, une action à laquelle elle consacre la moitié de ses ressources. Interbev est également habilitée à conclure des accords interprofessionnels, qui peuvent être étendus par les Pouvoirs publics. Dans le sein d’Interbev fonctionne la commission Interveaux, dont les analyses, les actions et le pouvoir de négociation sont
très importants pour ce secteur spécifique de la filière viande française. Ce secteur est très exposé à l’application de nouvelles normes en matière de bien-être animal, de bâtiments, d’alimentation, et parfois aux décisions de gestion de l’offre par l’abattage prématuré des veaux. La FNICGV participe également à l’animation des Interbev régionaux avec une présidence tournante tous les 3 ans.
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INAPORC
L’Interprofession de la filière porcine. De création plus récente que l’interprofession bovine, elle fonctionne en gros selon les mêmes principes et avec les mêmes objectifs.
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ADIV
L’Association pour le développement de l’Institut de la viande de Clermont-Ferrand constitue depuis déjà plusieurs décennies un excellent outil de recherche pour la filière viande, qu’il s’agisse de produits innovants, de matériels, de normes etc.
L’importance de l’ADIV vient d’être renforcée par sa reconnaissance comme pôle de compétitivité, ce qui lui assurera des moyens renforcés pour la recherche sur la viande et les produits carnés. Et sur le plan européen, la Fédération est très attentive aux décisions sortant du triptyque Conseil-Parlement-Commission, ainsi que des comités de gestion, dont l’application l’emporte désormais sur les dispositions nationales
>
UECBV
L’Union européenne du commerce du bétail et des viandes regroupe toutes les organisations européennes de ces deux secteurs d’activité, soit 25 pays et 42 fédérations nationales. Laurent Spanghero est président depuis 1999. Cette structure dispose d’une équipe de 6 personnes à Bruxelles dirigée par Jean-Luc Mériaux. Elle permet d’avoir accès aux grands dossiers européens et négocie en direct avec les instances communautaires.
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LE
NORDPAS-DECALAIS
COMMERCE
C’est jeune, et ça apprend…
IUP Agroalimentaire de Caen BASSE-NORMANDIE
La viande est encore une industrie de main-d’œuvre, et déjà un secteur de haute technologie. Avec quelque 40 000 emplois, le secteur doit faire face en permanence à des problèmes de formation initiale des jeunes, et de formation continue et de perfectionnement. Deux voix, deux outils sont utilisés prioritairement : le contrat d’apprentissage et le contrat de professionnalisation, l’un et l’autre s’inscrivant dans le cadre des formations en alternance. L’apprentissage de 12 à 24 mois conduit les jeunes sans qualification de 16 à 25 ans au CAPA IAA-OPTIV (ouvrier polyvalent du travail industriel des viandes) ; ensuite est ouverte la possibilité d’aller jusqu’au
BP IAA (brevet professionnel), Bac pro IAA et au BTS IAA spécialisation viande (brevet de technicien supérieur). Alternance : 75 % du temps en entreprise. La collecte de la taxe d’apprentissage s’effectue
CHAMPAGNEARDENNE
PICARDIE HAUTENORMANDIE
CFA de Pontivy
ILE-DEFRANCE
CEFIMEV
CFA Pont Sainte-Marie PAYS-DELA-LOIRE
BRETAGNE
ALSACE
CIFAM
Centres de formation partenaires de la FNICGV
CFA CFA Chalons en Bar le Duc Champagne LORRAINE
CENTRE BOURGOGNE
CFPPA de Bourg-enBresse
CFA des Deux Sèvres
POITOUCHARENTES
FRANCHECOMTE
CFPPA de Haute Vienne Enil à Lyon LIMOUSIN
Enil à La Roche sur Foron
AUVERGNE RHÔNE-ALPES
par l’intermédiaire de la CGIAQUITAINE Intergros. Le contrat de professionnalisation permet de qualifier des salariés. Il s’adresse aux jeunes de 16 à 26 ans sans qualification, et aux demandeurs d’emploi de 26 ans et plus, après inscription à l’ANPE. Ce contrat utilise des CDD de 6 à 24 mois ou des CDI. Il conduit à l’acquisition d’un diplôme, d’un titre professionnel ou d’une qualification professionnelle reconnue dans les classifications de la convention collective nationale ou une
CFA du Lot
CFA MIDIdu Tarn PYRENEES
LANGUEDOCROUSSILLON
PROVENCEALPESCÔTE D'AZUR
CORSE
qualification professionnelle enregistrée dans le cadre du RNCP. Alternance : 85 % du temps en entreprise. Dans les deux cas, l’apprenti ou l’employé en formation touche une rémunération minimale de 85 % à 100 % du SMIC.
À la rencontre des professionnels… Nord-Pas-de-Calais, Picardie et Île-de-France
ABATTOIR DU VALOIS • ACAMAS • AGRITRADE SA
LAGACHE (GUY) • LEBEL VIANDE SERVICE • LEMAIRE • LESAGE •
• AMIP Les Viandes Henri Petit • APPROVAL •
LORTHOIS JULIEN SA • LOURDEL SA • LUCAS EUROPE • LUCIEN ETS
AUROY SA • BBV • BERNIER DUPAS • BOCQUET ETS
• MACQUET SA • MAG SA • MALVOISIN ETS • MAREVILLE ETS •
• BOVIC • BUSNEL BREVIER • CADARS VIANDES
MÉCARUNGIS • MENART SAS • MONDIAL VIANDES SERVICE SA • NBA
DISTRIBUTION • CDEC • CHEVILLE DU BEAUVAISIS
• NESTLE PURINA PETCARE France SAS • OPTIMEAT SA •
• CUVILLIER HENRI VIANDES • DEBUYSER (Sté) •
OVIMPEX SA • PAEPEGAEY SA • PANNIER CHEVILLE • PCB
DELESTRES • DEPLANCHE LAUBERYE • DIAL
• POMMIER TREPIN COUSIN • PRUVOST LEROY SARL • REIGNER ETS •
IMPORT-EXPORT • DISTRICOUPE • DIVIAL •
SACAB • SANGER PARIS • SAROVI • SAUDEMONT FRÈRES
DIVRY SA • DUPUIS VIANDES • EURODIS
• SAUVAGE VIANDES • SAVINOR • SEPA • SODIPREST • SODISA
• EUROPAVIA • FOODS SA • GAZENGEL • GELOEN
• SOFRANA PARIS • SOGEVIANDES • SOVIARUNGIS • SUDIMPEX
DANY STE • GRANDE BOUCHERIE PREMIERE •
• SYND. DES GROSSISTES COMMISSIONNAIRES • TAILLANDIER ETS •
GRG • GUIRAUDOU LEMAIRE-AUDOIRE (LAG)
TIMMERMAN & Cie • VIANDE CHAUNOISE • VIANDES AUDOMAROISES
• HUBCO • IP VIANDES • IV France • JB VIANDE •
• VIANDES DE L’OISE
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En Nord-Pas-de-Calais
COMMERÇANTS
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« Aujourd’hui, nos adhérents doivent être de bons commerciaux, de bons techniciens et de bons gestionnaires. Ce n’est pas simple et, ceux qui seront encore là demain, devront apprendre à tenir tous ces rôles avec volontarisme, compétence et talent.» Laurent Macquet a pris, en 2003, la succession de son père JeanMarie à la présidence de la FNICGV du Nord-Pas-de-Calais ; il a connu la période, pas si lointaine, où les métiers de la viande se présentaient encore sous la forme d’un univers foisonnant, quelque peu folklorique mais prospère : « Je me souviens, à mes débuts, des personnages hauts en couleurs, travaillant dans les quelques abattoirs ou petites structures régionales et se rendant dans des lieux emblématiques comme les Halles de Paris ou La Villette ; des gens qui possédaient souvent un train de vie aisé et facile. Mais, il y a 30 ou 40 ans, la production des bovins pour la viande s’intensifiant sur notre région, on a assisté à la création d’une multitude d’abattoirs.
Puis, il y a eu la crise de l’ESB qui a, bien entendu, particulièrement touché nos professions. Aujourd’hui, on est entré dans une ère nouvelle, une phase de restructuration. De fait, dans le Nord-Pas-de-Calais comme ailleurs en France, nous assistons depuis quelque temps à une succession de fermetures d’abattoirs et le bilan à cette heure est plutôt noir. »
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Une saga familiale dans la filière ovine
Une usine ultra-moderne de découpe et de conditionnement est implantée au milieu d’une campagne verdoyante à Fruges (62); l’entreprise Macquet s’est imposée depuis une vingtaine d’années comme un des leaders français de l’agneau industriel avec, à sa tête, deux frères, Xavier et Laurent Macquet, héritiers d’une dynastie
de commerçants en bestiaux. Xavier, l’aîné, retrace l’histoire familiale : « C’est un de nos ancêtres Macquet qui fonda notre maison en 1813, à la fin du Premier Empire ! Depuis, plusieurs générations se sont succédées. C’est en 1969 que notre père Jean-Marie créa à Créquy la SA Macquet spécialisée dans l’agneau irlandais. À cette époque, il entretenait une relation privilégiée avec le président d’Euromarché et, lors de la création des premières grandes surfaces, le groupe recherchait un fournisseur de viande ovine; ils ont décidé ensemble de développer notre structure pour approvisionner leurs surfaces en Agneau Macquet ; Auchan et Carrefour ont suivi. Un outil correspondant aux nouvelles orientations de l’entreprise fut créé en août 1990 et nous faisons aujourd’hui 15000 tonnes d’agneaux ainsi que des porcelets, en partenariat avec JB Viandes. » Laurent Macquet s’occupe des achats et de la logistique :
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En Nord-Pas-de-Calais
États des lieux en 2005 « Depuis cinq ans, poursuit Laurent Macquet, les contraintes sanitaires sont devenues énormes et extrêmement coûteuses pour les entreprises privées comme pour les collectivités. D’autre part, les bénéfices ne sont pas à la hauteur des investissements indispensables à réaliser pour poursuivre une activité. Les marges bénéficiaires sont minimales, de l’ordre de 1 à 1,5 %, ce qui est vraiment insuffisant pour survivre. Il faut savoir également que nos clients, à 70 % des GMS, serrent les prix et imposent de lourdes charges liées à la sécurité alimentaire, indispensables certes, mais qui se sont multipliées à l’excès. Les mises aux normes, les innovations lancées il y a quelques années sont difficilement envisageables aujourd’hui et le coût humain pour les faire fonctionner est beaucoup trop élevé, assurément aggravé par la loi des 35 heures qui a particulièrement pénalisé les PME dans notre
secteur en particulier où nos activités sont saisonnières. Aujourd’hui, les entreprises doivent innover, c’est un problème de survie. Les GMS ont supprimé les bouchers dans leurs magasins ; il nous revient donc de leur livrer une viande piécée, sous vide et étiquetée ; toujours plus de travail pour une rémunération moindre car aujourd’hui, en 2005, si le consommateur est sécurisé, son souci principal est redevenu le prix de la viande. C’est illustré par le développement du hard discount et la baisse du pouvoir d’achat du consommateur, surtout dans une région ouvrière comme la nôtre avec un fort taux de chômage. » Au-delà de ces réflexions, se profile un spectre autrement effrayant : celui de la récession dans un cadre de guerre économique à l’échelle mondiale : « Aujourd’hui, dans nos professions, comme dans beaucoup d’autres, c’est la compétitivité qui fait la loi et le commerce est mondial. »
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« La production de l’agneau est un fait historique dans le Nord de la France ; mais dans les années cinquante, quand la mécanisation est arrivée, beaucoup d’agriculteurs ont vendu leurs moutons pour acheter des tracteurs et la production locale a pratiquement disparu de cette région traditionnellement consommatrice de viande d’agneau. C’est à cette période que nos pères se sont tournés vers des achats en Grande-Bretagne et en Irlande. Actuellement, notre approvisionnement provient de France, de l’UE et des pays tiers comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Les agneaux sont abattus dans les pays d’origine et nous recevons soit des carcasses, soit des catégoriels, c’est-à-dire seulement les bons morceaux achetés selon la méthode foraine. Il existe en quelque sorte aujourd’hui un label Macquet synonyme de bonne viande d’agneau, fraîche, saine et délicieuse. »
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Trois professionnels pour un commerce de proximité
L’abattoir construit en 1968, à l’Arbret (62) par le grand-père Malvoisin emploie aujourd’hui une dizaine de personnes pouvant tenir tous les postes de la chaîne d’abattage et de découpe, traitant chaque semaine bœufs, porcs et à la demande quelques agneaux, veaux ou chevaux. Philippe Malvoisin saisit sur son ordinateur les informations concernant le bœuf qu’on est en train de découper. « J’imprime des étiquettes avec codes barres qui seront appliquées sur toutes les parties de la carcasse, sur tous les abats, ainsi que sur la petite boîte qui va contenir la moelle destinée au laboratoire pour le test de l’ESB,
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« Pour notre clientèle, bouchers, chevillards et éleveurs, tous dans un rayon de 35 kilomètres, nous faisons un travail à façon : carcasses, demi-carcasses, quartiers, muscles, morceaux. » obligatoire pour les bêtes de plus de 30 mois. Les carcasses ne sortent pas de l’abattoir tant que le laboratoire n’a pas confirmé que les tests sont négatifs, par fax, dans la nuit qui suit. » Claude, depuis onze ans dans la société, reçoit sur le rail une carcasse dont il détache la peau ; sur la chair dégagée, il indique à l’aide d’un tampon le numéro de tuerie : « Le n° 1 correspondait au premier animal abattu au début de l’année ; celui-ci porte le n° 3 188. » Dans la chaîne, Christophe, une formation de boucher-charcutier-traiteur, fait de la découpe mais, tous les vendredis, il fabrique les saucisses et merguez fraîches pour la vente directe du samedi matin. « Notre problème, confie Philippe, c’est que nous avons du mal à trouver des jeunes à former, assez courageux pour ce travail. 2000 et la deuxième crise de l’ESB, ça a été très dur. Nous faisions 70 bêtes par semaine pour Rungis ; du jour au lendemain et pendant trois mois, nous sommes tombés à zéro. On ne savait plus si ça allait reprendre et dans combien de
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«Les journées sont bien chargées en ce moment. On a dû dormir vite cette nuit!»
temps. Il a fallu se réorganiser, cesser le négoce avec Rungis et se concentrer sur les clients de notre région et ce n’est pas évident d’élargir sa clientèle dans un périmètre étroit. Cette lutte pour la survie a dû passer par l’engagement syndical. Nous avons adhéré à la FNICGV en 2000, quand notre activité était à zéro et pour avoir accès aux contrats de destruction de cheptel. Depuis, nous apprécions sa disponibilité, toujours à l’écoute pour nous répondre, nous renseigner et éventuellement intervenir à un plus haut niveau lors de problèmes graves. » > « Notre viande est destinée aux bouchers traditionnels et à quelques moyennes surfaces des environs. » Paul Lemaître dirige une affaire de cheville, Viandes Audomaroises, avec son fils Philippe, située en face de l’abattoir municipal de Fruges (62). « Nous avons deux spécialités : le porcelet et le porc gras achetés
aux coopératives du coin et surtout à deux gros éleveurs. Tous les animaux sont abattus à Fruges, puis ils sont amenés dans nos locaux ; la viande est triée, découpée et livrée dans la région proche. » Cette activité n’empêche pas Paul d’engraisser une centaine de génisses, des culardes de race Bleue du Nord ou Charolaise, achetées à Siné, en Belgique, ou à la foire aux culards de Châteaubriant.
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À l’initiative de Paul Lemaître, une association fut créée en 1995 s’inscrivant dans le cadre de la Charte des Produits du Terroir du Nord-Pas-de-Calais avec pour objectif la commercialisation d’animaux nés et élevés au grain de façon traditionnelle, dans la région. Aujourd’hui la marque Porc des Hauts-Pays concerne 52 élevages du Haut-Pays, du Ternois et des Flandres, une dizaine d’abattoirs, 16 chevillards et 220 boucheries du NordPas-de-Calais et de Picardie. > Bruno Watel, la quarantaine, est le propriétaire de Taillandier SA, une entreprise de cheville installée à Outreau (62). « Je suis plutôt atypique dans la profession de la viande car, contrairement à mes confrères, je ne suis pas né dedans ! Les Taillandier, des maçons de la Creuse, étaient venus, dans les années vingt, pour la construction de la jetée du port de Boulogne. Un des fils boucher ouvrit, en 1928, une boucherie dans le quartier des marins et cette affaire s’est maintenue avec les générations suivantes, évoluant vers la boucherie en gros. Luc, le dernier de la famille, également marchand de bestiaux, m’a engagé comme comptable en 1981 ; en 1995, l’entreprise s’est installée à Wimereux. Mais, Luc est mort brutalement. Avec l’aide des cinq ou six gars de l’époque, j’ai repris l’entreprise : sacré challenge ! J’ai arrêté le commerce de bétail vif et acheté ce local permettant de développer l’activité. Mon souci personnel a toujours été de coller au métier, de devenir un bon professionnel et de ne pas me laisser dépasser par les événements. La première chose que j’ai faite en 1996, c’est d’adhérer à la
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FNICGV ; j’avais un grand besoin d’informations et de convivialité. Il a fallu travailler pour apprendre vite tout ce que j’ignorais, avec le souci constant, bien entendu, de la santé financière de l’entreprise, de sa rentabilité. » Aujourd’hui Bruno Watel achète le bétail en vif à la ferme, directement chez les éleveurs et travaille avec quatre abatteurs de la région. « Pendant quatre ans, j’ai été acheter toutes les bêtes sur place et même, au début, je suivais la bête jusqu’à la sortie de l’abattoir, je regardais comment était la carcasse, pour apprendre. Pour les porcs, 4 à 5 éleveurs livrent des bêtes, chaque semaine, selon un cahier des charges établissant le poids, l’engraissement, l’alimentation, le sexe aussi, 75 % de femelles. Les agneaux viennent d’Irlande par l’intermédiaire d’un agent commercial et, deux fois par an, je visite mes fournisseurs. »
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Du commerce du bétail au négoce de la viande
Commerçants de bétail vif par tradition familiale, Michel et Bernard Lebel, associés à Philippe Monchy dans une société de cheville créée en 1982, sont installés à Gouy-Saint-André (62). Après des études à l’École des viandes de l’université de Caen, Michel Lebel rejoint la société en 1986. «Depuis 20 ans, nous avons créé une boucherie ouverte deux jours et demi par semaine, un poste de cheville à l’abattoir de Saint-Pol-sur-Ternoise (62), un atelier de désossage agréé aux normes CE et aujourd’hui Lebel Viande Service commercialise bovins, veaux, porcs et agneaux, des volailles seulement en négoce et
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fabrique de la charcuterie. Nous avons choisi l’option de travailler la viande française, si possible régionale, sans implication dans des signes de qualités ou des marques commerciales. Ces derniers, en effet, ont une durée de vie hypothétique. Leur mise en place suppose un cahier des charges avec des règles, des barrières à tous les étages de la filière limitant l’approvisionnement et allant parfois à l’encontre de la qualité. Or, nous conservons notre clientèle grâce à la qualité et la régionalité de notre viande. Hélas, nos clients se réduisent; un artisan boucher sur deux aura disparu dans les dix années à venir. Notre problème est de maintenir la rentabilité au niveau production. Peut-être devrons-nous faire évoluer notre activité vers la saucisserie en évitant le mono-produit car on a vu ce que ça donnait pendant les crises de l’ESB ou de la tremblante. Nous faisions déjà du porc, heureusement… » > L’entreprise que Dany Geloen dirige avec Monique, son épouse, est une filière de la viande à elle seule. En effet Dany est commerçant en bestiaux et réunit ses bêtes dans leur ferme de Bailleul (59) tandis que Monique gère l’atelier de découpe établi à l’abattoir de Dunkerque (59). «Comme mon père, j’élève des bovins à la ferme et, parallèlement, je fais le commerce des bestiaux et celui de la viande. Je m’approvisionne dans les fermes, sur les marchés de Rethel, Arras ou Valenciennes et aussi hors région. Au début des années quatre-vingt-dix, nous nous sommes installés à Dunkerque avec une salle de découpe attenante à l’abattoir. Nous sommes toujours allés de l’avant et nous avons fait plusieurs choses à la fois de façon à
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«La fédération est un outil de veille, d’information, chargée de rapprocher les gens, d’instaurer du relationnel entre eux, une porte ouverte vers les administrations, une sorte de guichet qui a la clef pour entrer et pouvoir s’adresser aux bonnes personnes, une équipe qui connaît bien la législation chargée de défendre nos intérêts.»
diversifier nos activités pour faire face aux crises et aux évolutions des marchés. Nous avons choisi de faire de la viande de qualité pour les bouchers traditionnels, les petits supermarchés, les restaurateurs ou les collectivités locales. D’ailleurs, lors des crises de 1996 et surtout de 2000, les signes de qualité ont sauvé notre entreprise. On a vendu plus de porc et, là aussi, la diversification s’est avérée payante. »
Nancy, secrétaire, a débuté à l’abattoir à l’âge de 18 ans et travaille avec les Geloen depuis leur installation sur le site : « Cela fait 30 ans que je travaille ici. Il faut longtemps pour comprendre cet univers dans sa globalité, le vivre au quotidien et être à l’écoute des clients aussi bien ceux de l’amont que de l’aval. L’évolution du travail ces trente dernières années a été considérable : dans les méthodes d’abattage, avec la séparation du vivant et du mort, l’hygiène, la traçabilité. » Dany conclut : « on a parfois galéré, mais nous n’avons jamais désespéré car nous n’étions pas seuls, isolés. Nous avons adhéré à la FNICGV avant les crises. La cotisation peut paraître lourde, mais les retours pendant les crises ont été importants et depuis, la relation est permanente ; d’une manière générale, j’ai pris l’habitude de les appeler avant que les problèmes se posent ».
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Autour de l’abattoir public de Douai
« La passion de mon père, Julien Lorthois, a toujours été d’élever de belles bêtes à viande, de race Blanc Bleu ou Charolaise, des culards de préférence. La Blanc Bleu, race bovine autochtone, fournit une viande aux excellentes qualités organoleptiques et très tendre lorsque les génisses sont bien engraissées et pas trop jeunes. Ces bêtes culardes fournissent 80% des besoins de notre société de cheville, soit 40 bovins par semaine. » Michel Lorthois, la cinquantaine, éprouve la nostalgie des temps passés. « La qualité d’excellence est un créneau qui ne progresse plus avec la stagnation des bouchers traditionnels, voire leur disparition et la grande distribution échappe totalement à une entreprise comme la nôtre. Quant aux restaurateurs, c’est une clientèle difficile, qui ne veut
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«On travaille toutes les espèces, on fait du gros, du demi-gros, de la découpe piécée et du sous-vide, et l’on développera des barquettes et des produits élaborés dès qu’on aura plus de place.» que les beaux morceaux, désossés. On s’est donc tourné depuis quelques années vers la viande halal ; j’ai un client, boucher maghrébin, qui fait un bovin par jour. Notre problème, c’est que ces métiers de cheville ne font pas assez de plus-value pour pouvoir investir. Notre nombre est réduit et, même si l’on n’a pas beaucoup de concurrence, chacun mord légèrement sur le territoire des autres. » Jean-Louis Cavros, comptable de la société depuis 1968, se souvient : « J’ai commencé avec Julien Lorthois lorsqu’il était encore en tuerie particulière, à Ostricourt. Dans les années cinquante, il avait créé son propre élevage bovin, puis il était naturellement venu à l’abattage et au commerce de la viande. En 1974, après la mise en place des normes d’abattage, l’entreprise a été transférée à l’abattoir municipal de Douai. » > Les frères Pruvost sont installés à l’étroit dans l’abattoir de Douai. « Cela ne va pas durer ; en 2006, de nouveaux locaux vont être prêts à nous accueillir, construits en relation avec le CCI de Béthune. Le 20 octobre 2003, un incendie a complètement détruit nos ateliers et nos locaux à Saint-HilaireCottes (62). On aurait pu dire que l’on s’arrêtait là, en touchant la prime de l’assurance, mais on y croyait encore. Et puis, il y avait l’emploi des hommes, leur savoir-faire et nos clients aussi. On a décidé de rebondir tout de suite et de chercher un nouveau lieu d’accueil. » Dans les
ateliers, Gilbert, responsable des carcasses, présente les signes de qualité de la viande proposée chez Pruvost-Leroy: «Nous avons des Labels Rouges Charolais, Belle Bleue et du BTB pour le bœuf ; des marques régionales ou nationales pour les autres espèces : Porc du Haut-Pays et Porc Jean Régal, Veau du Haut-Pays et Label Rouge Veau sous la mère du Sud-Ouest et enfin Agneau de Bellac et Agneau d’Or. » Dans l’atelier de découpe, Franky, entré il y a 16 ans comme découpeur et livreur, est aujourd’hui agent de maîtrise responsable
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du sous vide et des abats : « Nous servons plusieurs GMS de la région. Le sous vide se fait entre 2 et 4 jours après l’abattage avec une durée de conservation d’un mois. C’est l’avenir et l’on y croit. » Pourtant les frères Pruvost n’hésitent pas à parler du malaise ressenti dans leur profession : « Il ne faut pas se voiler la face, l’avenir est sombre. Il y a 20 ans, plus de 20 ateliers étaient installés à l’abattoir de Lille ; aujourd’hui, l’abattoir est fermé et il ne reste pas plus de 5 chevillards répartis dans les abattoirs du Nord. Néanmoins, nous aimons ce métier que nous voulons faire à fond et nous avons la foi. Nous n’avons pas hésité à nous relancer, il y a deux ans, et nous nous battrons encore pour aller de l’avant. »
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Deux jeunes professionnels en relève dans le Nord
Arrivé en 2000, François Lesage est la 3e génération travaillant dans les métiers de la viande ; il a mis en place le programme de qualité ISO 2000. « Notre gamme de produits est considérable et peut satisfaire la demande de n’importe quel client: découpe de viande – bœuf, veau, porc, agneau, mouton et cheval –, gamme de
L’avenir de la profession : la taille des structures Pour Laurent Macquet, ceux qui veulent continuer dans les métiers de la viande sont aujourd’hui dans l’obligation de se spécialiser. « D’après une analyse faite sur le plan national, il y a trois niveaux d’entreprises qui s’en sortent plutôt bien aujourd’hui : les grosses structures qui travaillent avec les GMS ; elles peuvent se battre, trouver la marchandise et fournir des lots globalement de bonne qualité. Puis, les petites entreprises, moins de 20 personnes, qui arrivent à s’en sortir en travaillant avec la boucherie artisanale ou la RHD, des clients exigeants mais prêts à payer un peu plus cher à condition que la qualité soit toujours la même. Mais attention ! Le moindre écart de délai ou de qualité et le client est perdu ; les marchés ne sont pas pléthores et il y a toujours un concurrent pour les reprendre. Cette activité est purement régionale, de proximité, et le rayon d’action de ces petites entreprises est souvent faible. Enfin, les entreprises que nous appelons des niches dans notre jargon, avec une activité ciblée et bien identifiée, souvent une mono production, pour un micromarché et une clientèle nationale, voire européenne. Enfin, il y a les entreprises de taille moyenne et c’est pour ces dernières que les choses sont plus difficiles et risquées ; elles trouvent leurs clients aussi bien chez les “ gros ”, les GMS, que chez les “ petits ”, bouchers artisans et RHD. La pression est maximale pour elles, à l’image des exigences de tous ces clients; elles doivent se battre pour être performantes dans chaque secteur. La moindre difficulté les fragilise beaucoup et peut les mettre en péril. »
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«Les problèmes sont les mêmes pour chacun: approvisionnement trop cher, structures sanitaires trop lourdes, financièrement, raréfaction de la maind’œuvre avec des ouvriers bouchers qui vieillissent.» charcuterie classique avec des spécialités régionales comme le saucisson de cheval, les tripes, le potjevlesch, la terrine de
chicons au genièvre. La mise en place de nouveaux produits, de nouvelles recettes élaborées reste un souci permanent et chaque vendredi matin, une dégustation à l’aveugle de nouveaux produits est organisée ici. » Il ne faut pas croire pour autant que tout problème est absent du ciel d’une société de viande aujourd’hui. «Nous sommes à une période charnière de notre évolution. Nous avons fait d’énormes investissements en matériel, en mise aux normes et en programme de qualité. Nos ateliers sont à saturation avec 4 à 4,5 tonnes de charcuterie fabriquée chaque jour. Mais notre chiffre d’affaires est assuré essentiellement par quelques gros clients de la RHD ; ces sociétés serrent les prix et nos marges sont de plus en plus faibles ; si vous ajoutez les fluctuations des cours de l’approvisionnement et la difficulté de se procurer notre matière première, c’est-à-dire la viande, vous comprendrez que l’avenir est préoccupant. Autre souci : la main-d’œuvre devient difficile à trouver et à former car le métier de boucher semble moins attractif que d’autres. Il faut choisir entre faire du volume ou de la qualité. Le secteur ne va pas très bien en général et la diversification est indispensable pour notre survie. Une solution intéressante : développer la vente aux particuliers. » > « Tout commence très tôt le matin ; des tâcherons assurent les travaux de désossage et de grosse découpe. À partir de 9 heures, les commandes affluent et notre personnel les prépare au fur et à mesure. » Daniel Bocquet dirige cette entreprise depuis sa création en 1988 à Saint-Amand-des-Eaux (59) ; il fournit de
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la viande en portions, piécée sous film ou sous atmosphère, hachée fraîche, de la saucisserie et des préparations crues ou cuites à une clientèle composée à 80 % par la distribution locale. « À 14 ans, j’ai eu une formation de boucher ; à 25 ans, j’étais cadre dans la grande distribution. Je crois que j’ai toujours aimé les responsabilités. J’ai démarré ma propre entreprise avec 4 personnes, d’abord à Valenciennes, puis ici à Saint-Amand-des-Eaux en 1993, avec une unité de production répondant bien à la demande. » Laurent, le fils de Daniel, est depuis quelques mois le nouveau commercial de l’entreprise ; après des études de commerce, un diplôme de boucher, il a fait tous les postes de l’entreprise familiale et gère aujourd’hui les diverses enseignes : « Nous traitons en direct, sans passer par les centrales d’achat, avec toutes les grandes GMS de la région, sauf Auchan. Nous sommes très
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Quelques chiffres LE CHEPTEL DU NORD-PAS-DE-CALAIS se compose de : • 683 000 bovins (- 14 % depuis 1988) dont 202 900 vaches laitières (-27 % depuis 1988) et 70 500 vaches nourrices (+ 50 % depuis 1988) ; • 535 500 porcins dont 41 600 truies mères (- 21 % depuis 1988) ; • 63 300 ovins dont 39 900 brebis mères (- 37 % depuis 1988). 11 SITES D’ABATTAGE DONT : • Nœux-les-Mines Défial (Groupe ABC) et Avesnes-sur-Helpe Bigard (Groupe ABC), spécialisés gros bovins ; • Saint Pol sur Ternoise Défial (groupe ABC), spécialisé en porc ; • Bailleuil, spécialisé en ovins ; • 7 abattoirs multi-espèces. L’ACTIVITÉ DES ABATTOIRS, malgré une baisse significative en 2004, se maintient assez bien en viande bovine (55 000 tonnes). Dans la production porcine la baisse est plus importante. Si en gros bovins les volumes d’abattage sont proches de la production, en viande porcine le déficit est important. LA DENSITÉ DE POPULATION DE LA RÉGION permet de maintenir un nombre important de bouchers à côté de la grande distribution. C’est une opportunité pour les négociants et les PME de l’abattage et de la découpe. La présence de grands groupes permet de fournir des marchés plus importants comme la grande distribution. Source : Interviandes Nord-Pas-de-Calais.
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exigeants au niveau de nos achats ; la viande française est un choix délibéré et nos clients y sont très sensibles. Au niveau des prix, nous sommes compétitifs et, avec la souplesse d’une PME, si nos clients veulent faire une promotion sur un produit, nous savons nous adapter rapidement. »
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« Nos qualités : un produit parfait, une grande flexibilité, un travail à façon, une capacité de réaction immédiate. »
Un négoce de viande pour un client unique
« C’était une niche, j’ai sauté sur l’occasion et ça a marché ! » Éric Spriet dirige la société de négoce de viande Optimeat ; il évoque la rencontre avec Henri Renmans, patron d’un empire de distribution de viande avec aujourd’hui 270 magasins en Belgique, 62 en France et 11 au Luxembourg. Ce dernier lui proposa d’approvisionner les boucheries Henri Boucher accouplées aux magasins de discount ADLI. « Quand Henri Renmans s’est installé en France, il y a 17 ans, nous avons commencé à travailler ensemble et j’ai toute sa confiance ; je suis son fournisseur exclusif pour le bœuf, le veau, l’agneau et les abats, son partenaire pour la France. Chaque semaine, je me rends à Bruxelles pour une réunion d’achat. Aujourd’hui, nous faisons 120 à 130 taurillons par semaine, de race Blonde d’Aquitaine, fournis par trois coopératives du SudOuest. On fait aussi du veau français et les agneaux viennent des Îles Britanniques et, pour les promotions, de Nouvelle-Zélande. Mon activité principale consiste à me rendre dans le Sud-Ouest une semaine sur deux, de trier les animaux vivants dans les élevages et d’organiser les abattages; puis les carcasses arrivent à Lomme (59), elles sont déchargées, entreposées et classées.
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Chaque magasin est approvisionné 2 fois par semaine et une 3e fois si besoin est. Tout est planifié. On ne découpe pas, on livre les carcasses en état. C’est un travail simple. Il faut juste faire le moins de frais possible et être bien organisé. Pour la livraison, nos camions s’en chargent, dans un rayon de 100 kilomètres. Je fais également un suivi avec notre client puisqu’en tant que partenaire, nous recevons toutes les semaines un rapport des magasins avec des indices de satisfaction. »
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Le porcelet, les bardes : deux commerces de niche
Aujourd’hui, JB Viande reste une petite entreprise employant 10 personnes. Installée depuis le début 2005 sur le site de l’abattoir d’Hazebrouk (59), JB Viande est devenue en quelques années le leader français du porcelet de lait avec 60 % du marché national, soit 200 000 porcelets par an. Cette affaire familiale fut créée, il y a une trentaine d’années, par Jocelyn Braure, marchand de bestiaux, spécialisé dans le porcelet. Freddy, après des études
de marketing, rejoint l’entreprise familiale et décide de lui donner une dimension nationale et européenne. Pari gagné. « L’implantation à l’abattoir d’Hazebrouk a été pour nous le vrai symbole du passage d’une activité artisanale à l’industrie. Aujourd’hui, c’est toujours mon père qui gère les achats et la production ; ma mère est à la comptabilité et ma sœur travaille aussi à l’entreprise. Pour ma part, je suis chargé du commercial avec une attention particulière aux besoins spécifiques de nos clients, salaisonniers ou rôtisseurs, et de
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Le rôle de la FNICGV Tous les professionnels de l’abattage et de la transformation de la viande doivent être conscients des changements, des problèmes rencontrés mais aussi des possibilités d’avenir. Pour Laurent Macquet, c’est le rôle essentiel que doit tenir le syndicat auprès de ses adhérents, souvent dépassés par les restructurations du marché et de la filière. « Au niveau de la fédération, nous organisons tous les ans une réunion régionale où environ 60 % de nos adhérents se retrouvent. Nous faisons un point sur l’actualité de notre filière et nous sommes amenés à prendre en compte les problèmes de chacun pour les aborder lors de nos bureaux nationaux qui se tiennent tous les deux mois. Généralement, quand les adhérents ont des problèmes, ils s’adressent directement à l’équipe parisienne toujours disponible pour répondre à leurs questions, mais quand il convient d’impliquer plus fortement les administrations régionales, ils m’appellent. »
la recherche de nouveaux produits : une gamme complète de produits destinés à la GMS sous la marque Babypig. En ce moment, nous mettons tout en œuvre pour attaquer des marchés plus gros avec la mise en place de produit élaborés: ceux destinés aux rayons des rôtisseurs avec des portions de 1,5 kilo, avec du porcelet précuit à réchauffer et ceux pour la RHD, avec une valorisation des produits nobles comme les côtes ou le carré double. Au programme des festivités, dès 2006, la Fête du porcelet, en partenariat avec les grossistes et les GMS, pour ouvrir la saison du barbecue, le premier weekend de juin ; on souhaite ainsi différencier notre produit et développer les notions de convivialité et de festivité attachées à la consommation de porcelet. » > Pre Cut Barde – PCB – est une entreprise familiale : Bernard Van De Woestyne, son épouse Kitty et leurs deux fils, Michaël et Alexis gèrent ce qu’il est convenu d’appeler une niche commerciale. Le parcours de Bernard lui a permis de faire le tour de la filière viande. « Mon père était marchand de bestiaux et chevillard en bœuf, agneau et porc. Un de nos employés m’a appris le métier du porc : acheter en ferme, abattre, découper et travailler les différentes parties. Après un parcours fait de combats et de réussites, nous nous sommes installés, en 2000, dans cette usine ultramoderne à Vendin-le-Vieil (62), avec des unités de travail entièrement aux normes, très performantes. Pourquoi la barde ? En fait, c’est un produit nouveau dont la commercialisation date des années quatre-vingt. Comme chevillard, j’achetais les bardes
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à l’extérieur ; un jour, j’ai eu un problème de qualité et j’ai décidé de les fabriquer moi-même. » L’usine est organisée simplement : un lieu de réception des bardières provenant à 70 % d’Italie, une zone où la marchandise est pesée, étiquetée, tracée puis les lots sont attachés à des rails qui les entraînent vers l’atelier. Là, les ouvriers séparent les chutes et la couenne de la barde noble. Une bardière fournit 35 % de morceaux nobles qui deviennent des bardes vendues exclusivement en France, 40 % de chutes de gras vendues dans les pays de l’Est et 25 % de couenne vendue à des groupes qui fabriquent de la gélatine comme gélifiant dans la cosmétique, la pharmaceutique, l’agro alimentaire, les pellicules photos.
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En Picardie
Région au relief peu accidenté, son agriculture est essentiellement consacrée aux grandes cultures céréalières et betteravières. En 2003, la Picardie comptait plus de 15 000 exploitations agricoles dont 40 % se consacrent à l’élevage dont les deux tiers des 535 000 bovins produisent du lait et le reste de la viande. Ces élevages sont situés essentiellement dans les régions herbagères comme le Ponthieu et le Vimieu à l’Ouest, la Thiérache à l’Est. Dans un grand nombre d’exploitations dont l’activité est la grande culture, la présence d’un petit cheptel bovin viande vient compléter les revenus tout en valorisant les zones d’herbage. Les entreprises de négoce de viande sont au nombre d’une dizaine et réparties assez équitablement sur l’ensemble des départements de l’Oise, de la Somme et de l’Aisne.
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Père et fils chevillards pour un négoce de proximité
Comme tous les lundis, depuis des années, Jean-Paul Vallas arpente le marché aux bestiaux de Rethel en compagnie de son père Jean. Ils sont venus de Laon (02) en camion, 2 heures de route, pour acheter quelques belles génisses Limousines. On peut dire que depuis que Jean-Paul est né à Chauny en 1957, lui et son père ne se sont pas quittés sauf quand Jean-Paul était à l’école puis lorsqu’il préparait son BTA, à Chauny bien sûr. Pendant ce tempslà, Jean était boucher herbager puisqu’il élevait ses bêtes ; en 1961, il décide de monter à côté de sa boucherie traditionnelle, une société de gros, La Viande
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Quelques chiffres LA PRODUCTION BOVINE dépasse les 172 millions d’euros pour les gros bovins. LE CHEPTEL OVIN se situe autour de 100 000 têtes aujourd’hui dont 70 000 brebis mères. La baisse est loin d’être en chute libre et la modestie de ces chiffres est compensée par l’excellente qualité de la viande et surtout celle, très recherchée et bien valorisée, des prés-salés de la Baie de Somme. L’ACTIVITÉ D’ABATTAGE s’est spécialisée. On compte à ce jour 8 abattoirs dont : • 2 abattoirs en bovins : Amiens et Formerie, (groupe ABC). • 2 abattoirs en porcs : Nouvion (Porcinord) et Compiègne (Viandes du Valois). • 4 abattoirs multi-espèces : Laon, Hirson, Domart-en-Ponthieu et Montdidier. Les dernières années ont été marquées par un recul de l’abattage de porc et une hausse de l’abattage de gros bovins. Quand à l’abattage des ovins, il est concentré essentiellement sur l’abattoir de Laon. Source : Interbovi Picardie 2004.
Chaunoise, pour faire face à la demande du marché. « Nous étions 3 au départ, nous sommes 20 aujourd’hui. Certes, l’entreprise a prospéré, mais le travail fut acharné, les dimanches et les jours de fêtes, c’était pour les autres ! » Ces deux hommes forment une paire inséparable, même si Jean est aujourd’hui à la retraite et que Jean-Paul, après être entré dans la société paternelle en 1977, en assure la direction depuis 1993. Ils sont sur la défensive quand on veut connaître leur
« Il faut savoir donner du temps. Mon souhait, c’est que les producteurs continuent à produire des animaux de qualité pour que nous puissions satisfaire le consommateur. » métier ; en fait, ils ne veulent pas parler pour ne rien dire car ils ont des valeurs à défendre. Ils font sans relâche, leurs tournées dans les marchés, auprès des commerçants en bestiaux et dans les fermes. Ils réussissent à avoir un approvisionnement constant toute l’année en bêtes, des races à viande uniquement. « Faire du bon bétail, trier avec soin,
bichonner les bêtes, c’est cela le métier, c’est ce qui m’a toujours passionné et quand on achète un animal, on sait tout de suite à quel client il est destiné. Le bovin représente 40 % de notre activité : Limousine, Blonde, Aubrac et Parthenaise. On fait aussi du porc, un peu de veau et d’agneau. Nos clients ce sont, pour 70 %, les boucheries-charcuteries traditionnelles situées dans un périmètre de 100 kilomètres autour de Laon et quelques collectivités et restaurants qui recherchent de la viande de qualité. Dans ce métier, si on veut durer, il faut être honnête et avoir la notion de service. Si un boucher m’appelle en urgence, je suis prêt à aller le dépanner à 6 heures du matin à 80 kilomètres de chez moi. Mes bouchers doivent être bien servis pour satisfaire leur clientèle ; c’est sur le consommateur que repose notre activité quand ce n’est pas notre survie. Dans la viande, il faudrait faire ce qu’on fait les laitiers et les fromagers, interdire l’ensilage de maïs, ce
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En Picardie
n’est pas une bonne nourriture pour nos animaux ; chaque étape importe et entraîne des conséquences multiples. Prenez, par exemple, le transport. C’est très délicat le transport des bêtes, il faut du bon matériel. On a toujours choisi des camions non seulement pour la résistance de leurs matériaux mais aussi pour leur qualité sonore ; la bête monte sans problème, elle n’est pas stressée, quel confort sonore et quelle sécurité durant le transport. Tout se paie bien sûr mais c’est évident, qu’au bout du compte, on s’y retrouve ! »
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Une activité consacrée au porc dans l’Oise
Aujourd’hui, à Compiègne (60), Olivier Vancoillie tient les rênes d’une entreprise d’abord dirigée par son père Jean-Pierre. Dans cette famille, on est dans la viande depuis quatre générations. Gustave, le grand-père d’Olivier, né en 1915, a fait sa carrière aux établissements Jean Caby et Cie pendant plus de 40 ans au sein d’une société créée par Jules Vancoillie, son père, alors associé à Jean Caby. À la retraite depuis bien longtemps, Gustave ne ménage ni son temps ni son énergie pour de nombreuses causes. Il est partout et a donné à ses enfants et petits-enfants, ce sens de la responsabilité et de l’engagement. Olivier, 40 ans, se retrouve à la tête de l’Abattoir du Valois racheté par la maison mère en 1998; il assure aussi les fonctions de gérant de la société Brasselet rachetée en 1999 et de Delgutte rachetée en 2001, deux sociétés ayant une activité de découpe de porc et de négoce de bœuf, de veau et d’agneau. « Mon parcours est
En Île-de-France 117 un peu atypique. Diplômé MBE de l’Université de Toronto, j’ai travaillé pendant 10 ans dans le secteur automobile, d’abord aux USA, puis en France ; je rejoins le groupe familial en 1995 en passant par tous les postes : ouvrier, vendeur sur le carreau, embauche du personnel. Aujourd’hui l’Abattoir du Valois emploie quelque soixante personnes avec une activité d’abattage dans un cadre privé et de négoce de viande. On pratique du désossage, de la découpe de muscle, de la mise sous vide pour les GMS et les boucheries traditionnelles. Notre tonnage annuel est d’environ 18000 tonnes abattues dont 17000 de porcs, le reste se répartissant entre le bœuf, l’agneau et le veau. Aujourd’hui, le métier est très difficile. On a assisté à une concentration des outils et beaucoup de petits opérateurs ont disparu dans la région au gré des réglementations et de l’organisation du commerce moderne. Il faut continuer bien sûr à prendre des risques mais des risques mesurés et nos ambitions doivent être à la hauteur de nos moyens. Je crois pour finir, que pour durer, il faut surtout faire preuve d’une très grande humilité. »
«La roue tourne très vite et rien n’est jamais acquis.»
Avec plus de 12 millions d’habitants, la région Île-de-France se distingue par un fort potentiel de consommation de viande. Le négoce de la viande est, pour sa partie la plus importante, concentré au MiN de Rungis où le V1P accueille les viandes ; le porc a ses bâtiments propres, tout comme les produits tripiers et les volailles. Tous ces
carreaux de marché direct sont en régression, mais cependant les volumes existent toujours à Rungis ; la partie commerciale a évolué avec de nouvelles filières d’approvisionnement, de nouvelles habitudes alimentaires, notamment une importante communauté maghrébine approvisionnée en viande halal.
De Paris à Rungis Claude Thiéblemont a pris, à la suite de Guy Eschalier, la présidence de la FNICGV de l’Île-de-France. « Nos familles d’origine sont soit les Halles centrales de Paris, soit La Villette; lors du regroupement à Rungis, les fruits et légumes installés en mars 1969, ont été suivis par l’ensemble des professionnels et ceux de la viande en 1973. Dans un premier temps, il a été question de se regrouper à La Villette où l’État avait dépensé beaucoup d’argent pour la construction d’un abattoir. Ça a duré deux ans. C’était un rêve architectural, imitant les abattoirs de Chicago, une référence de gigantisme à l’époque. La ligne politique décidée fut, face à un impératif sanitaire, de reconstruire l’abattoir de La Villette. La volonté des opérations était de regrouper la totalité des activités sur un même site car les mandataires des Halles ne voulaient pas aller à Rungis et laisser à Paris leurs concurrents, les chevillards, pour des raisons évidentes de concurrence. Cela n’avait pas de praticabilité pour nos métiers, avec des erreurs techniques catastrophiques conçues par des intellectuels. La décision fut prise d’aller à Rungis, une performance! On s’est retrouvé à travailler dans les mêmes conditions et les mêmes horaires alors que les Halles travaillaient de nuit et La Villette de jour ; on a dû apprendre à se connaître, à se côtoyer. Le marché s’est naturellement réorganisé avec les années. »
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Un spécialiste de l’agneau à Rungis
Comme son nom l’indique bien, la grande affaire chez OVIMPEX, c’est l’agneau et le mouton, bien que le bœuf et le veau soient également traités par cette entreprise de négoce, de découpe et de conditionnement de viande. Claude Thiéblemont, son président, a repris l’entreprise fondée par Noël Massicard, commissionnaire à La Villette, qui importait des agneaux vivants des pays de l’Est dans les années soixante. « J’ai vécu les deux dernières années à la criée de la halle de La Villette avant l’installation à Rungis et le développement du négoce avec les Îles Britanniques, le grand réservoir d’agneaux en Europe. À cette époque, la loi Balfour interdisait l’introduction d’animaux vivants afin de protéger le cheptel français des épizooties ; on importait donc des carcasses d’agneaux d’Irlande, de Grande-Bretagne et surtout d’Écosse. Lorsque la Grande-Bretagne a rejoint le Marché Commun, force fut de constater que cette loi était anti-communautaire et, après s’être pas mal battu, la frontière a été ouverte et l’importation d’agneaux vivants britanniques organisée. Cela a duré de nombreuses années, jusqu’en 1992, puis nous avons importé uniquement des carcasses, en s’appuyant sur nos structures déjà existantes en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, nos sources d’approvisionnement sont plus diversifiées, adaptées aux rythmes saisonniers. » Le combat professionnel de Claude : la spécialisation dans l’agneau, la maîtrise de ce produit de A à Z, depuis l’agneau de Bellac, la Rolls des agneaux dont OVIMPEX commercialise environ 800 carcasses par semaine pour les
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boucheries traditionnelles et la restauration étoilée jusqu’aux agneaux de Nouvelle-Zélande importés directement, sans passer par les Anglais. «Contrairement aux autres viandes, l’agneau est un produit saisonnier. La désaisonnalisation fonctionne plutôt mal pour les ovins. Dans les bassins de production traditionnels, il y a une succession de périodes fastes, plus difficiles et de pénurie totale. Ainsi, l’approvisionnement des ovins commence au Sud de l’Europe, en Espagne et Aveyron, se poursuit avec les agneaux du Centre de la France et du Sud de l’Angleterre pour se terminer par l’Écosse, puis la NouvelleZélande et l’Australie. »
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40 ans d’expériences dans la filière viande parisienne
Déjà à La Villette, Guy Eschalier était viceprésident du Syndicat représentant la section Moutons. En 1973, lors de l’installation à Rungis, les mandataires des Halles de Paris se sont installés dans le pavillon 1 et toutes les entreprises de la périphérie des Halles et de La Villette dans le pavillon 2, avec deux syndicats, un par pavillon ; les mandataires des Halles, dont Ernest Lemaire-Audoire était président, ont désiré garder leur autonomie.« Le temps modifie les comportements et, en 1981, les deux syndicats fusionnèrent ; depuis 1989, j’en assure la Présidence. Les volumes traités restent importants malgré la diminution des opérateurs : 100 000 tonnes en 2004, 850000 factures éditées par Mécarungis pour un chiffre d’affaires total de 425 millions d’euros. J’ai plus de 80 ans et toujours président! J’ai souhaité être déchargé de cette responsabilité, mes collègues n’ont pas
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« Il faut aller partout où les agneaux sont produits pour travailler au meilleur prix, avec une qualité constante, le meilleur produit possible à chaque moment de l’année. » voulu me laisser partir! Et, croyez-moi, ces fonctions ne sont pas purement honorifiques, nous avons beaucoup de travail au quotidien. »
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Le V1P à Rungis, plate-forme de la viande française de qualité
Des 70 entreprises de viande installées au MIN de Rungis à ses débuts, les restructurations, regroupements et fermetures n’ont épargné qu’une quinzaine de sociétés de commissionnaires négociants dans
le pavillon des viandes V1P; là, ils commercialisent le bœuf, le veau et l’agneau en carcasses, cartons de muscles ou de pièces déjà découpées. 24 % du tonnage en 2004 est assuré par une partie des entreprises : elles commercialisent, pour le compte de marchands de bestiaux ou de négociants abatteurs, les carcasses des animaux achetées sur les marchés vivants ou chez des éleveurs, abattues dans des abattoirs publics ou privés, et confiées à des transporteurs spécialisés
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qui organisent une collecte quotidienne dans différents sites de leur région. 74 % du tonnage est constitué par du négoce pur : les achats sont faits directement auprès des abattoirs ou des ateliers de conditionnement dans toute l’UE. Les entreprises ont chacune leur magasin. Les marchandises arrivent chaque jour à partir de 22 heures ; dès 3 heures, les viandes sont présentées, les clients arpentent l’allée centrale et effectuent leurs achats. > Alain Latu, seulement 40 ans, est « venu à cette profession un peu par hasard avec pour décor professionnel unique, Rungis. Ma mère occupait le poste de comptable dans une société de négoce de viande Europagro ; en 1983, en sortant de l’école, j’ai été engagé comme commis de plateau: réception de marchandises en carcasses, pesée et mise en rayon. J’ai appris le métier de la coupe sur le tas. Au retour du service militaire, je suis devenu vendeur, puis directeur commercial en 1992. En 1994, la société, rachetée par Bernard Bezier, est devenue BBV ; à son départ, en 2003, j’ai pu la racheter. » L’activité d’Alain est double : négociant en viande pour son propre compte et commissionnaire pour des clients, souvent des coopératives ou des marchands en bestiaux, qui envoient les carcasses pour qu’elles soient vendues à Rungis. « Je réalise des achats fermes pour ma société, de la viande haut de gamme d’origine française ou européenne : bovins Blonde d’Aquitaine ou Limousine, Veau élevé sous la mère, Agneau du centre, mais aussi bœuf irlandais qui possède, selon moi, le meilleur rapport qualité prix en Europe, et agneaux irlandais ou
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britanniques. Notre clientèle ? Essentiellement les bouchers détaillants. » Alain est de ceux qui pensent qu’il existe un véritable art de la vente, une qualité qui est presque innée chez certains, et que la différence de réussite dans cette profession est liée à une capacité personnelle de connaître parfaitement la qualité du produit, de sentir le désir de l’acheteur, et plus encore les fluctuations du marché. « Pour la vente, il n’y a rien de défini à l’avance, surtout dans le bœuf ; cela se fait à l’appréciation, il faut sentir le marché au jour le jour. On peut vendre à 4,60 euros le kilo une semaine, 5,49 euros la semaine suivante s’il s’agit d’une bête exceptionnelle et 3,81 euros deux jours plus tard si le marché est moins porteur. Les vrais professionnels de la vente de la viande sont en voie de disparition. La raison ? Beaucoup de patrons donnent un salaire fixe à leurs vendeurs et la motivation se perd ; j’estime qu’un bon vendeur, s’il veut bien gagner sa vie, travaille à la commission. »
Mécarungis Guy Eschalier, président de Mécarungis, commente : « c’est un système bien rodé qui a fait ses preuves. Nous avons mis à la disposition de nos adhérents, les 15 entreprises implantées dans le V1P, le matériel de pesée et le matériel informatique dont elles ont besoin. Toutes les carcasses sont pesées et étiquetées à réception, le code à barres de l’étiquette portant toutes les informations de traçabilité des animaux transmises par les abattoirs. Nos clients grossistes de Province – bouchers, restaurateurs, collectivités et moyennes surfaces – se voient délivrer une carte d’acheteur après avoir signé un contrat fixant nos conditions de vente et les délais de règlement de leurs factures. Lorsque la vente est conclue, le vendeur, de son terminal, tape sur le clavier le numéro de badge du client, le prix négocié au kilo, fait lire les codes à barres des étiquettes par un lecteur optique, puis valide. Toutes ces informations sont transmises par ondes à la Caisse centrale où le client va régler ou retirer ses factures s’il est à crédit. Les relevés de factures sont édités et expédiés tous les vendredis. Si le lendemain du jour où un client aurait dû payer, il ne l’a pas fait, son badge est
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automatiquement refusé par le système informatique et la vente ne peut être validée. Mécarungis, qui fédère tous les commissionnaires négociants du V1P, s’occupe de l’ensemble des transactions, édite environ 3 200 factures par jour, les encaisse pour le compte des adhérents, établit les journaux de vente, les bordereaux de commission à destination des expéditeurs et tous les documents commerciaux qui les concernent : mouvements de caisse, crédit du jour, feuilles de lots, moyenne de vente, etc. Nous possédons un fichier de 1834 bouchers dont 1 531 en Île-de-France et 370 dans Paris. Mécarungis a aujourd’hui son propre site internet dont une partie est grand public et l’autre professionnel ; chacun de nos clients, à sa demande, peut posséder un code d’accès sécurisé. »
« Une des raisons d’être au Syndicat des grossistes commissionnaires aujourd’hui est la défense des intérêts des entreprises adhérentes auprès de la Semmaris et de l’administration. »
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> L’histoire de Naïma Rivenez est particulière dans ce pavillon; après le décès de son mari, Alain, elle reprend les rênes de GRG. «Je travaillais déjà à Rungis; j’ai conservé la comptabilité clientèle et je me suis mise au courant pour le reste: un véritable challenge pour une femme dans un monde professionnel masculin ! J’ai délégué la vente et la découpe à M. Ochoa, directeur commercial responsable du marché ou à Charles Guedjou, commercial spécialisé bovin.» Entré aux Halles de Paris à 20 ans, Charles rencontre Alain Rivenez, «un excellent vendeur, un vrai marchand, haut en couleurs, avec une force de persuasion exceptionnelle. J’ai vraiment appris à cette période à acheter une bête à la traverse, juste en la regardant, en évaluant son poids et en le vérifiant ensuite. Après divers postes de commercial, Alain m’a dit qu’il était temps que je travaille chez lui et depuis, je suis là. Cinq jours par semaine à Paris et le vendredi et le samedi, en Bourgogne, où j’engraisse des Charolais, surtout des culards ». Naïma est une inconditionnelle de Rungis, «c’est énorme, une concentration exceptionnelle de bons produits. Le marché viande est superbe. Notre principale clientèle est celle des bouchers de Paris et de la région parisienne qui, à 80 %, se servent directement ici ; les autres commandent par téléphone. Les bouchers et les restaurateurs voient la marchandise qu’ils achètent, négocient au mieux ; la barre de prix varie d’un moment à l’autre et, par exemple, à 3 heures ou à 6 heures du matin, ce n’est plus forcément le même prix ». Toutes les espèces sont travaillées par GRG qui a néanmoins une spécificité: la viande chevaline en provenance
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des États-Unis. «Les carcasses arrivent par vol à Roissy, deux soirs par semaine, pour approvisionner les boucheries chevalines de la région. »
«Un vrai professionnel de la viande!»
> Dans un métier en pleine crise et en restructuration, Denis Pellet reconnaît sa chance de pouvoir travailler un produit bien particulier, avec un créneau porteur, presque une niche: le bœuf de Bavière. «À mes débuts dans la société de salaisons Moret et fils, j’ai eu l’occasion de travailler avec l’Allemagne et plus particulièrement la RDA pour le porc, puis en RFA où, dès les années soixante-dix, on importait du bœuf. Quand j’ai pris la tête de la société, je me suis intéressé à cette viande aux merveilleuses qualités gustatives, produite par un bovin que l’on trouve en Suisse et en Bavière, la Simmental. Cette race mixte bénéficie de très belles masses musculaires, d’une viande haut de gamme qui, grâce à une renommée certaine, attire de plus en plus les artisans bouchers et les restaurateurs. » IP viandes s’est un peu institué l’ambassadeur du bœuf de Bavière. C’est la seule entreprise nationale à avoir l’agrément des services publics allemands pour la traçabilité et l’abattage. «J’en ai fait mon cheval de bataille. Toutes les semaines, j’ai des arrivages en provenance d’abattoirs bavarois, rien que des arrières, le marché allemand consommant les avants. Malheureusement, sur le V1P de Rungis, il n’y a pas de possibilité, pour l’heure, de désosser et d’élaborer des produits finis.» Par ailleurs, IP viandes commercialise de la viande de porc en provenance d’élevages bretons. «On connaît pas mal de difficultés dans ce secteur. Le porc breton a pris toute la place en France depuis les années quatre-vingt. Mais attention ! La production bretonne baisse et son prix est en hausse ; il va sans doute falloir faire à nouveau appel à l’étranger, peut-être à la Pologne?»
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« Les marchés des produits carnés évoluent en faveur de produits élaborés sur le lieu de production. » > La société LAG – Lemaire-AudoireGiraudon, grossiste et négociant en viande, fut créée en 1981 dans le V1P du MIN de Rungis grâce à l’association de Philippe Lemaire-Audoire et Jean Guiraudou, tous deux issus d’une longue lignée de mandataires aux Halles de Paris. Philippe Lemaire-Audoire, fils et petit-fils de grossistes en viande depuis la fin du XIXe siècle, est une figure emblématique de la création de Mécarungis. Il continue aujourd’hui à assurer la présidence de LAG où, Christian Guiraudou l’a rejoint au départ en retraite de Jean, son père, en 1992. «Notre société négocie les quatre espèces de viande : bœuf, veau, agneau et porc, en carcasses et désossées. Nous proposons une large gamme de produits d’origine et de qualité différentes afin de cibler au mieux notre clientèle, essentiellement de bouchers détaillants. Pour ce faire, nous bénéficions d’arrivages quotidiens en provenance directe d’abattoirs et d’ateliers de découpe agréés garantissant d’excellentes conditions d’acheminement et de livraison. L’approvisionnement est une de nos préoccupations, bien que les commandes soient programmées auprès des abattoirs. Ce n’est pas évident : par
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«Aujourd’hui le métier est plus difficile car on a pris un coup dans l’aile! Il y a moins de bouchers et certains se font livrer des muscles.» exemple en ce moment, depuis 2 mois, on connaît une véritable pénurie concernant les veaux et y compris en achetant au prix fort. Chaque produit trouve sa clientèle, l’avantage du marché étant la notion de vente de gré à gré. »
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D’un grand groupe à la petite entreprise
Le parcours de Gérard Cadars est représentatif des tendances et restructurations de la filière au cours des 25 dernières années. Responsable de la branche viande dans un groupe coopératif aveyronnais à Rodez, Centre Sud, il a participé à la création du groupe Arcadie, un rassemblement de plusieurs coopératives régionales. « Arcadie avait bien démarré jusqu’à ce qu’il décide la reprise hasardeuse d’une entreprise du Nord qui nous a considérablement fragilisés. Pour faire face, les actionnaires se sont séparés des meilleurs fleurons,
c’est-à-dire les actifs industriels, dont la presque totalité a permis la naissance du groupe Bigard. J’étais cadre chez Arcadie, mais je désirais travailler à mon compte et j’ai pu reprendre une entreprise d’import de viande ovine, appartenant au groupe et qui perdait de l’argent. La SA Cadars Viandes Distribution a donc vu le jour le 1er octobre 1994 ; en 2001, j’ai racheté les actions d’Arcadie. L’agneau est plus léger à gérer que le bœuf, le porc ou la volaille pour une petite PME indépendante. CVD commercialise l’agneau et le mouton en carcasse, en grosse coupe, frais sous film, sous vide, sous atmosphère contrôlée. En France, seulement 40 % de l’approvisionnement est d’origine française, d’où la nécessité d’importer en sachant jongler avec les saisons de production d’un pays et d’un hémisphère à l’autre. Cette année, j’ai un peu changé mon fusil d’épaule et réduis mes importations des pays tiers ; compte
tenu de la mondialisation de l’agneau, les produits en Europe sont aussi compétitifs et la qualité UE est même préférable avec des agneaux plus lourds, de 18 à 20 kilos, correspondant mieux à la demande des clients que ceux de 16 à 17 kilos de NouvelleZélande. Notre clientèle, longtemps presque exclusivement les GMS, s’est diversifiée aujourd’hui avec 50% de GMS, 30% de grossistes et distributeurs et 15 à 20 % de boucheries traditionnelles ou halal. »
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Une boucherie en gros pour une viande à façon
La Boucherie Nivernaise, enseigne parisienne bien connue, a ouvert en février 2004 une vaste structure de réception, d’ateliers de découpe et d’expédition de viande sur 1 900 m2 à proximité de Rungis. Le nom de Boucherie Nivernaise est associé à une clientèle haut de gamme à Paris, en région parisienne et en province. Quotidiennement,
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environ 250 clients sont livrés à domicile : restaurateurs réputés, beaucoup d’étoilés, brasseries parisiennes et chaînes de restaurants. Didier Le Stum, directeur du site de Rungis, commente la visite : « Tout d’abord, nous réceptionnons les carcasses d’origine France, UE ou pays tiers, fournies à 85 % par le marché de Rungis. Pour les bovins, des quartiers arrières et des muscles sous vide, et des aloyaux issus de races à viande françaises, de Simmental de Bavière ou d’Angus, dont les carcasses sont maturées sur place entre 15 et 21 jours afin d’optimiser la qualité. Les carcasses de bovin, veau et agneau sont dirigés vers une salle ; les porcs vers une autre salle, pareillement pour les volailles et les produits tripiers, afin de ne pas mélanger des produits dont les règles d’hygiène sont différentes. » La visite se poursuit dans les ateliers de désossage et de découpe avec des lignes rouges pour le bœuf, roses pour le veau et jaunes pour l’agneau. Puis, les commandes quotidiennes sont préparées : morceaux piécés soit mis sous vide (80 %), soit enveloppés dans du papier sulfurisé (style papier de boucher). « Bientôt, nous aurons le conditionnement sous gaz. Les commandes que nous allons livrer aujourd’hui par exemple, sont toutes faites à façon ; ça va d’1 à 10 ou 15 kilos. Les restaurateurs n’ont plus aujourd’hui la capacité ou l’envie de découper la viande; notre salle de piéçage comprend une dizaine de postes où les ouvriers bouchers font de la découpe prête à cuisiner : aloyau, côte de bœuf, entrecôte, carré d’agneau, etc. Tout est soigneusement pesé, conditionné, mis dans des cartons en salle de stockage et livré dans les plus brefs délais. En effet,
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«Rungis est un marché où les vendeurs attendent le client, comme on le faisait sur le carreau des Halles de Paris où les bouchers se déplaçaient pour choisir leurs carcasses. C’est notre culture d’origine qui veut ça, nous sommes plus issus du monde des chevillards que de celui des bouchers. Mais les gens ne comprennent pas qu’aujourd’hui les choses changent. Beaucoup de nouveaux jeunes bouchers n’ont plus cette culture des abattoirs et de la cheville, ils se font livrer leurs carcasses directement à domicile par des grandes entreprises, ça leur évite de se rendre à 3 heures du matin à Rungis.»
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certains clients servent des pièces de viande à prix fixe: pour un poids de 190 grammes et ce n’est pas 185 ou 195 grammes. Ce travail très détaillé est indispensable devant la pénurie de professionnels susceptibles de bien couper la viande en cuisine. C’est, en quelque sorte, un renvoi des charges sur le vendeur. »
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La viande au pavillon de la triperie
Dans un passé encore récent, PommierTrépin-Cousin, installé dans le Pavillon de la triperie, consacrait exclusivement son activité au commerce des produits tripiers. C’est en 1991 que le puissant groupe Alliance reprend la plus importante affaire d’abats de Rungis dirigée par Michèle et Jacques Trépin. Le commerce des produits tripiers est prospère jusqu’à la première crise de l’ESB en 1996 ; la triperie est touchée plus qu’aucun autre secteur. Rien qu’à Rungis ; 160 emplois de tripiers supprimés en 4 ans ! Pourtant Pommier-Trépin fait face et reprend même les établissements Cousin, Mounissens et Cariot. Gérard Bettens, dans l’entreprise depuis 32 ans, occupe le poste de directeur. Il se souvient des temps difficiles : « Après les crises de l’ESB et bien que le Pavillon de la triperie ait été refait aux normes à grands frais, la diversification a été indispensable pour pallier l’arrêt brutal de la vente des abats; nous avons eu l’autorisation de vendre un peu de viande. Aujourd’hui, notre entreprise fait 1/3 de viande et 2/3 de produits tripiers. Et l’on se rend compte qu’un nouvel équilibre s’est mis en place, que nos clients tripiers prennent chez nous de la viande et nous avons des clients viande
qui achètent quelques produits tripiers. Notre clientèle ? Des restaurants, de la RHD, des boucheries artisanales et, bien entendu, des tripiers. Question approvisionnement, l’Irlande nous fournit les produits tripiers, que du catégoriel, en carton sous vide. Pour la viande, nous ne faisons pratiquement que du bœuf en provenance de l’UE et aussi un peu de veau, soit 20 tonnes par jour, ce qui suppose 5 personnes à temps plein pour recevoir les cartons, trier,
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dispatcher et préparer les commandes. Nous recevons des produits congelés mais aussi des produits frais, ceux qui se déprécient à la congélation comme le foie de veau par exemple. »
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Un abattoir halal en Île-de-France
À Jossigny (77), un village en pleine campagne, c’est 14 juillet tous les jours. Les moutons de la bergerie de Sarovi profitent
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chaque soir des feux d’artifice de Disneyland situés à quelques centaines de mètres. On parle bien de bergerie au sens traditionnel, avec des cases collectives sur paille et des animaux broutant le foin généreusement offert par l’abattoir Sarovi. Ici, les bêtes jusqu’à leur abattage halal, sont nourries et logées. Dominique Dupas, le patron fondateur de cet abattoir, y tient beaucoup. L’attention méticuleuse qu’il porte aux animaux, il l’a hérité de son père, commerçant en bestiaux. La visite débute par le long couloir central de la bergerie où les acheteurs, des particuliers, 17000 environ à l’année, choisissent sur pied leur agneau souvent pour une fête. Sarovi propose plusieurs qualités, toujours du haut de gamme, d’agneaux provenant pour l’essentiel de l’Est de la France. Le samedi, c’est la cohue dans la bergerie. Son choix fait, le client va attendre que son animal soit abattu, selon le rituel halal bien sûr et débité à sa demande selon sa technique personnelle. Ensuite, le client repart avec son produit ensaché, dans sa voiture. S’il désire d’autres morceaux comme un gigot supplémentaire, à côté de l’abattoir, Dominique a ouvert Sopralor, une immense boucherie où tout un chacun peut venir y
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faire ses courses en viandes de bœuf, d’agneau, de volaille et, dans la foulée, en épices, semoule et huile en tous genres. C’est pratique et très convivial. Dominique est un homme de terrain, omniprésent, attentif à tous, ayant su créer un esprit de famille dans l’entreprise. Il n’est pas imbu de lui-même mais fier de son entreprise. À 16 ans, il a fait un CAP de boucher sur l’injonction de son père qui, à l’époque, faisait commerce de porc avant de se lancer dans le mouton. Le choix de l’abattage halal en direction des particuliers est une niche gigantesque. On vient chez lui de toute l’Îlede-France. Homme de passion, Dominique possède une qualité relationnelle formidable et son obsession, c’est de toujours faire mieux.
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Les importateurs à Rungis
L’importateur n’est pas le vilain petit canard comme veulent le croire l’administration et le monde paysan. Ce sont des professionnels de la viande qui apportent à différents moments de l’année les produits de grande qualité dont le consommateur a besoin : gigots d’agneau pour Noël et Pâques, entrecôtes l’été, etc. Avec Didier Huber, vice-président de la FNICGV, président de
la Société Hubco, importation, exportation et distribution de viandes congelées, c’est un véritable parcours du combattant de plus de 40 ans. « Je crois bien avoir fait en moyenne 70 heures par semaine depuis l’âge de 16 ans ! » C’est à cet âge-là, en effet, que ce fils et petit-fils de bouchers de Romainville (93) quitte le collège pour l’École de la boucherie. Là, Didier est repéré rapidement par Georges Chaudieu, directeur de l’École de la Boucherie de Paris et de l’École supérieure des métiers de la viande qui lui présenta Louis Biret puis Alain Bailly, « boucher touche à tout » connu notamment pour avoir abattu les premiers Baby Bœuf et redressé plusieurs affaires de viandes et de salaisons. Ce dernier l’a accompagné au cours de sa vie professionnelle. «À 20 ans, il m’a fait entrer dans une maison d’alimentation animale, Croix de Lorraine, comme adjoint de l’ingénieur agronome régional en charge de l’achat des animaux à engraisser et de vente après engraissement chez les intégrateurs. Puis, M. Bailly m’a fait engager à la Société Dhumeaux, un commissionnaire des Halles de Paris. J’ai donc appris ce nouveau métier : vendre des carcasses, des quartiers et des caisses sur le carreau. Puis, j’ai
« Notre structure est une énorme boucherie, nous connaissons le problème de la main-d’œuvre : difficile à trouver, difficile à former et de coût élevé. »
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Quelques chiffres FILIÈRE BOVINE : • 650 éleveurs dont 400 allaitants ; • Cheptel : 32 000 bovins dont 6 340 vaches allaitantes et 7 640 vaches laitières ; • Abattage : 6 000 tonnes. FILIÈRE OVINE : • 100 éleveurs ; • Cheptel : 9 000 brebis déclarées ; • Abattage : 170 000 têtes, 4 500 tonnes. FILIÈRE VIANDE : • 3 abattoirs dont un public ; • 28 entreprises de transformation de viande ; • 3 200 artisans bouchers et environ 1 350 GMS. Source : Interbev Paris-Île-de-France 2004.
fait la connaissance de Gérard Bourgoin, un grand monsieur de la profession, un personnage hors normes, orienté sur la volaille avec la marque Duc; il m’a employé comme commercial pour les supermarchés. Donc, dans un premier boulot, j’ai rencontré les abattoirs, dans un deuxième les bouchers et dans celui-là les centrales d’achat des supermarchés de l’époque, dont Prisunic et Casino. Ensuite, vers 1970, je suis allé à PROMODEST, chargé de l’abattoir de VillersBocage (14), des achats volailles et du commerce de la viande. Toujours grâce à M. Bailly, je suis rentré, fin 1972, dans la branche import-export de la société lyonnaise Quiblier qui possédait des abattoirs, des entreprises de transformation et de commerce de viande, plus un bureau à Paris où je suis rentré comme vendeur de produits d’importation des pays tiers. Rien que
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chez Quiblier Import, nous faisions 400 tonnes par mois de viande d’Argentine, ce que nous ne faisons pas aujourd’hui en un an ! Je suis monté en grade, et, en 1981 Marcel Quiblier m’a nommé directeur avec carte blanche pour l’import. Après l’arrêt de la société Quiblier à Lyon dont Paris était filiale, j’ai pu racheter, en 1985, l’affaire de Paris en reprenant, à mon compte, l’activité import ; Hubco était né. » Elle était spécialisée dans l’importation des pays tiers et notamment de Nouvelle-Zélande et d’Australie pour l’agneau, d’Amérique du Sud pour le bœuf et les abats. En 1999, Didier diversifie son activité en ajoutant les produits de la mer. Il devient rapidement
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le leader pour les noix Saint-Jacques en provenance de tous les pays producteurs, principalement le Chili et le Pérou ; ses clients ? Les GMS (55 %), les distributeurs (30 %) et les industriels de plats cuisinés (15 %). Didier est aujourd’hui prêt à prendre une demi-retraite professionnelle, avec quelques activités de consultant et des responsabilités municipales; associé à MAG, il leur a cédé en partie d’Hubco. > Frédéric Mathas et Jean-Claude Gérardin ont créé leur société MAG en 1982. À l’origine, il s’agit d’un négoce de produits tripiers, acheté sur le carreau de la triperie, à un commerçant partant à la retraite. Après 10 ans de cette activité, particulièrement touchée par les crises et les restructurations, ils décident d’évoluer vers le commerce de la viande. «Dans les années quatre-vingt, les entreprises se transmettaient souvent de père en fils ; c’était un marché très fermé, une corporation à part entière. Lorsque nous sommes arrivés, ce n’était pas simple de se faire une place. Au début, disons entre 1982 et 1987, il s’agissait d’un véritable marché avec des clients dès 2 à 3 heures du matin. Puis, on s’est mis à l’import, on travaillait surtout au téléphone à partir de 6 heures du matin avec des grossistes de province et les commandes étaient expédiées. C’était déjà l’activité plate-forme et l’on s’est mis alors à tripoter un peu la viande; c’était le début du désossé sous vide, la vente de viande en cartons en provenance de nos fournisseurs de produits tripiers d’Allemagne, de GrandeBretagne et d’Irlande. On ne s’est pas fait que des amis parce que l’on touchait à un secteur hors de notre corporation. Et, comme on a toujours eu une culture du
surgelé avec les abats, on s’est mis à travailler à l’import de viandes surgelées pour la grande distribution qui occupait déjà 65 % des parts de marché. C’était l’avenir bien que cette clientèle n’était pas facile. Aujourd’hui, même activité et les GMS sont pratiquement nos clients uniques ; on se met aussi à la nouvelle tendance: la viande fraîche d’Amérique du Sud puisque la production européenne de viande bovine est en pleine déconfiture. Dans les dix prochaines années, on travaillera essentiellement avec le Brésil, l’Argentine ou l’Uruguay ; ils élèvent, abattent, découpent et envoient des cartons d’entrecôtes ou de filets de bœuf. » > C’est un peu par hasard que Daniel Lemay s’est retrouvé négociant en viande à Rungis. Originaire d’une famille de paysans de la Sarthe, il choisit de s’orienter vers l’ILVENUC. « Après mes études, je serais bien revenu dans une ferme, mais mon parcours a été autre, mon épouse ne le souhaitait pas. Et puis j’ai décidé de choisir le commerce qui est le nerf de la guerre, je préférais être du côté de ceux qui prennent les décisions que de ceux qui les subissent. Je ne regrette rien aujourd’hui » Daniel, après un stage de 6 mois à la Socopa, cherche du travail en écrivant à des entreprises de négoce en viande. Coup de chance, en 1971 il rencontre Marc Auroy, le directeur du bureau d’importation de Marcel Quiblier, qui était alors le président de la FNICGV. «Je suis arrivé dans le bureau de Marc Auroy un mois avant mon ami Didier Huber et tous deux, nous avons travaillé ensemble, d’abord 7 ans chez Quiblier, puis j’ai suivi Marc Auroy qui montait sa propre affaire, Auroy SA. 20 ans plus tard, à la
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«J’ai un tempérament de bagarreur; ça tombe bien parce qu’aujourd’hui on se bagarre avec nos clients, nos fournisseurs, les concurrents et aussi avec les Pouvoirs publics.» retraite du fondateur, je me suis associé à Didier Huber pour reprendre Auroy SA. Nous faisions surtout de l’import d’abats des États-Unis, c’était notre grande activité à cette période. La société a dû évoluer du fait de l’arrêt des importations en provenance des USA avec l’histoire des hormones de croissance et nous nous sommes réorientés vers les pays d’Amérique du Sud pour le bœuf, vers la Nouvelle-Zélande pour l’agneau. La persévérance a payé. On était très nombreux, il y a encore 25 ans à faire de l’importation et l’on est de moins en moins nombreux ». Daniel travaille un « produit phare » avec la langue de bœuf cuite, importée du Brésil, dans des containers voyageant par voie maritime jusqu’au Havre. «C’est l’idéal d’avoir un petit produit bien ciblé, une niche que les clients associent immédiatement à votre entreprise et à votre nom. Je commercialise ce produit pour 2/3 vers l’industrie française des plats cuisinés, et le dernier tiers vers des distributeurs de la restauration collective. Mon premier fournisseur au Brésil, qui est d’ailleurs le premier exportateur mondial de viande de bœuf, abat environ 113 000 têtes par jour. Nos clients veulent un approvisionnement
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quartiers crus avec os, les muscles désossés crus, frais ou surgelés et aujourd’hui la viande tranchée, calibrée, cuite et même transformée dans les abattoirs-usines d’Amérique du Sud. Avec une clientèle de RHD, je maintiens une légèreté à l’entreprise, un minimum de contraintes en conservant mon indépendance. C’est un privilège ! »
> régulier et une qualité égale toute l’année; ils s’appuient sur des fournisseurs dont ils peuvent être sûrs, toujours en phase et bien positionnés sur le marché et qui les approvisionneront quelles que soient les fluctuations du marché. Dans ces grandes sociétés, on ne marchande pour quelques centimes d’euros. On est entré dans un système industriel ». > C’est une micro-entreprise et, cette année, un joli chiffre d’affaire uniquement dans l’importation de viande, surtout du bœuf du Brésil. Gérard Cottet travaille seul avec une assistante-comptable et ses instruments de travail : téléphone, fax ou
« Internet a changé notre vie : on reçoit les offres, directement par le net, accompagnées de photos des morceaux. »
internet ; une ou deux fois dans l’année, il visite ses fournisseurs brésiliens. Cet homme, aujourd’hui dans la cinquantaine, a pourtant débuté comme apprenti boucher aux Halles de Paris: «En 1970, j’ai pu rentrer dans une société d’import-export qui cherchait un spécialiste de viande ; j’avais à peine 20 ans, ça a marché, je travaillais dans un bureau! C’était une époque faste pour l’importation. L’Europe ne produisait pas assez, les abats arrivaient des États-Unis et la viande d’Amérique du Sud : des quartiers de bœuf avec os, une viande réfrigérée, fraîche, voyageant par bateau dans des conditions sanitaires de froid et de délais incertaines; cette époque connaissait peu les restrictions et les directives européennes! J’ai travaillé au sein de cette société aux Halles, puis à Rungis; en 1980, avec mon ami Lemercier décédé depuis peu, on a créé DIAL Import-export. En 1989, les approvisionnements américains ont cessé; nous nous sommes résolument tournés vers l’Amérique du Sud et surtout le Brésil dont le commerce de viande était encore à l’état embryonnaire. Aujourd’hui, les importateurs ont retrouvé leur pleine vocation et l’avenir semble optimiste. Au cours de 35 ans d’importation de viande, j’ai connu les
Le négoce international de la viande
Avec la société Sogéviandes, on touche au négoce international, à l’importexport de viande à l’échelle mondiale. Dès 1969, Sogéviandes avait fait construire
La FNICGV et l’UECBV
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un bâtiment comprenant au rez-dechaussée un atelier de découpe et de conditionnement; au 1er étage, une énorme plate-forme de bureaux administratifs avec plus de 80 collaborateurs ; le tout associé aux abattoirs d’Égletons (19) et de Flers (61). Pourtant cette société, aujourd’hui installée non loin de Rungis, ne compte que 8 employés: 3 commerciaux et 5 administratifs. Ici, ni carcasses d’animaux de boucherie, ni cartons d’entrecôtes, ni ateliers de découpe, ni blouses blanches. La viande, grâce aux moyens de communication moderne est en quelque sorte devenue virtuelle. «Nous faisons du négoce
John Brook, directeur général de Sogéviandes illustre cette dimension de la fédération. « Adhérent à la FNICGV depuis toujours, j’ai maintenu cet engagement car, pour le négoce de la viande, c’est une implication indispensable. La fédération est à l’UECBV dont Laurent Spanghero est président ; cette instance, notre porte-parole à Bruxelles, réunit tous les représentants de la viande de la UE. Quatre fois par an, des réunions avec tous les représentants sont organisées et je représente la FNICGV ; on fait un tour de table, on aborde tous les sujets : évolution de la PAC, perspectives d’avenir et débats sur des sujets plus spécifiques ou techniques comme les réglementations vétérinaires, le système de commerce avec la Russie qui est géré par les douanes et les contraintes de mise en place de ce système. La FNICGV est très active sur les sujets de l’importation et de l’exportation ; on échange sans cesse, on fait un réel travail de lobbying. Notre représentant à Bruxelles, Jean-Luc Meriaux est excessivement compétent, très consensuel. C’est un univers bizarre celui de la viande. Il y a peu d’universitaires et souvent autour de la table, ce sont des gens du terrain qui représentent les professionnels. C’est ce qui rend ce métier attrayant. Et nos clients sont souvent, à l’inverse, les représentants des sociétés étatiques des pays importateurs. Dans les vingt prochaines années, le Brésil va sans doute devenir le premier producteur mondial en bovin, porc et volaille. Il faut être vigilant pour que le négoce ne se fasse pas sans nous. Notre marge de manœuvre : les produits transformés et plus ils sont transformés, plus ils se vendent chers. Il faut absolument devenir producteur dans ces pays en y achetant des exploitations, mais il faut se dépêcher ! »
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de viande. Un négociant en viande est différent d’un importateur, il ne voit pas et ne touche jamais la viande, contrairement à l’importateur qui la reçoit physiquement et la revend telle ou transformée. Commercial dans le négoce du sucre, je travaillais dans une société dont Sogéviandes était actionnaire ; en 1988, on m’a demandé de devenir directeur adjoint. Je ne connaissais rien à la viande, je trouvais même que c’était un univers dur. Je suis resté un an, puis deux et je me suis habitué ; on m’a proposé la direction générale en 1991. Sogéviandes appartenait alors à la société financière Charal qui fut achetée par Alliance et Bigard en 1997. Aujourd’hui, nous sommes une société sœur de Charal ; pendant longtemps, Charal fut notre principal fournisseur, aujourd’hui, la société ne fournit plus que quelques abats, rien de très suivi. À l’origine, nous étions chargés d’exporter l’excédent de la production de viande bovine de la CE vers les pays tiers. Jusqu’à la crise de l’ESB, en 1996, cela a représenté 70 % de notre volume d’affaires. Aujourd’hui, les choses sont inversées,
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nous achetons 80 % de notre volume de viande bovine en Amérique du Sud, et plus particulièrement au Brésil pour les revendre à la Russie, à l’Afrique du Nord, de l’Ouest et dans les pays de l’Est. Nous recevons la viande bovine désossée, en carton, le plus souvent congelée ; le porc en carcasse ou en carton comme la volaille. La concurrence est rude. Nos fournisseurs des pays tiers font aujourd’hui leurs offres directement à tous nos anciens clients. Il n’y a donc plus beaucoup de marges
«Nous voilà repartis dans un cycle d’import pour au moins 20 ou 30 ans. Le commerce va se faire avec l’Amérique du Sud; c’est aujourd’hui le principal marché d’achat mondial.»
possibles. Les prix proposés sont vraiment moins chers que ceux de la viande de l’UE, à savoir moins 50 % pour les bas morceaux et jusqu’à moins 35 % pour les morceaux haut de gamme. C’est un équilibre extrêmement fragile. » > Située dans un immeuble de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise (95), Agritrade donne l’impression d’une société virtuelle: des bureaux, des téléphones, des ordinateurs, des hommes et des femmes derrière ces machines et, à l’autre bout du fil, des clients solides et des fournisseurs sur lesquels Michel Goussard peut s’adosser sans crainte. Créateur de la société en 1985, ce fils de boucher, pour ne pas déplaire à la famille, passe son BEP de boucherie puis un DES d’économie. IL travaille d’abord pour une coopérative à Chaumont-en-Vexin puis chez Volagel avant d’intégrer le Groupe Dreyfus, comme directeur adjoint du département viande. Il y restera 10 ans avant de créer Agritrade s’appuyant, dans cette aventure, sur des clients connus et des fournisseurs fiables. « Au début, avec l’appui de grosses entreprises de négoce
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comme Bigard ou SVA, nous exportions le surplus de production vers les pays tiers. Avec le blocage de l’export, nous nous sommes tournés vers l’importation de viande bovine d’Amérique du Sud et d’ovins de Nouvelle-Zélande.» L’affaire est aujourd’hui florissante, un négoce annuel portant sur 5 000 tonnes de produits ovins en découpe de muscles ou en piécés sous vide ou congelés. Les importations de bovins sont encore délicates et très encadrées ; la volaille tient également une place mais n’est pas à l’abri des crises sanitaires à venir. Michel est convaincu que « les structures de négoce doivent rester petites et professionnelles car il n’y a plus les volumes d’autrefois. On est adossé à des fournisseurs et pour bien faire ce métier, il faut les fidéliser par notre professionnalisme. De toute façon, un nouveau venu sur ce secteur n’aurait guère de chance d’émerger. Mon souhait est de transmettre cette société, non pas à mes enfants, je n’ai que des filles qui ont pris des directions différentes, mais à mon équipe qui dispose d’un vrai savoir-faire.»
À la rencontre des professionnels… Alsace, Champagne-Ardenne, Lorraine, Franche-Comté et Bourgogne
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En Alsace
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Un engagement à la FNICGV Aujourd’hui David Bloch accumule
Le Bas-Rhin, au Nord, et le Haut-Rhin, au Sud constituent l’Alsace, la plus petite des régions françaises (8 280 kilomètres), limitée à l’Est par le Rhin et à l’Ouest par les Vosges. L’Alsace reste une région privilégiée avec une forte densité de population, une forte vitalité économique, un contraste marqué entre une plaine peuplée, attractive sur le plan économique et social et un massif vosgien, plus faiblement peuplé. L’agriculture, par un effort constant de modernisation et d’amélioration de ses techniques de production, de gestion et de commercialisation, s’affirme comme un partenaire décisif de l’économie régionale. L’évolution rapide de l’agriculture alsacienne, dans un contexte difficile – pression forte résultant de la PAC, diminution continue des effectifs agricoles, fragilité de l’espace rural due à l’urbanisation – a obligé les agriculteurs à prendre en compte les innovations techniques, la concurrence internationale, la demande des consommateurs en produits
de qualité et l’exigence écologique liée à la nécessité de sauvegarder l’environnement. Les entreprises de viande s’inscrivent dans ce schéma.
>
Deux frères spécialistes de la filière casher par tradition
Joël Bloch a bien essayé de s’éloigner de la cheville en faisant des études de droit, mais rien à faire, il a, selon ses propres mots, «un rapport charnel» à son métier, exercé dans la famille depuis plusieurs générations. L’arrière-grand-père, Alfred, s’était installé à Haguenau (67) à la fin du XIXe siècle, dans une boucherie qui a existé jusqu’en 1980. Laissons Joël continuer la suite de l’histoire. « Alfred a eu trois garçons et deux filles. Un fils a repris la boucherie. Les deux autres – dont mon grand-père – ont développé une activité de cheville traditionnelle. Les deux filles se sont mariées à des marchands de bestiaux. Avant la guerre, l’une d’elle est partie avec son mari au Texas, monter une usine d’abattage et de transformation de viande qui existe toujours. Mon
les responsabilités syndicales et interprofessionnelles : président régional de la FNICGV, président de la commission jeune de la FNICGV mise en place par Laurent Spanghero, vice-président de Normabev, pour les principales. « Cet engagement est venu tout naturellement en côtoyant, depuis que je suis tout petit, un ami de mon père, Claude Levy, très impliqué au sein de la FNICGV. Un jour de 1997, il m’a propulsé président régional, j’étais jeune, l’ambiance était bonne, les problèmes abordés et traités intéressants. Après un tour de chauffe, je me suis pris au jeu et je dois dire que la présence active de mon frère et de notre associé Albert Jost dans la société m’a permis d’assurer toutes les réunions. Lorsque Normabev a été créé, pour établir la normalisation du classement des carcasses sur le territoire avec deux moyens distincts et complémentaires, l’homme et la machine à classer, je me suis impliqué, comme représentant de la FNICGV, dans ce travail de régularisation et d’information qu’est le classement et le marquage des carcasses. Même implication dans la création de la Commission jeune européenne où les nombreuses rencontres avec de jeunes chefs d’entreprises suédoises, allemandes, etc., permettent d’échanger nos expériences, d’aborder nos difficultés et nos objectifs d’avenir dans l’UE et le monde de demain. Dans le cadre de l’UECBV, avec Paddy Brown, Olivier Roux, Gil Franceries, David Py et d’autres, nous avons organisé le premier meeting YEMCO – commission des jeunes européens – il y a cinq ans. Depuis, nous nous réunissons régulièrement avec mise en place de débats et de visites d’entreprises européennes. Toutes ces rencontres, tous ces échanges permettent d’intervenir au plus haut niveau pour défendre nos professionnels et les informer, eux qui, trop souvent, manquent de recul et assurent avec détermination et parfois difficultés un métier sans cesse en évolution. »
grand-père a pris sa retraite en 1973. Une dispute avec un cousin conduit à la liquidation de la société Bloch. Mon père s’est donc associé avec Marcel Muller pour fonder la Muller Marcel et Cie. Muller, alors âgé, a travaillé jusqu’à son dernier souffle en 1980 et mon père en 2000. C’est là que mon frère David et moi avons repris l’affaire. » Joël a 35 ans. Il a travaillé pour le groupe Charal où il s’occupait des marchés publics, plus spécifiquement de l’armée. Il a fait un passage dans une société de négoce allemande, ALBV, avant
«Je suis tombé dedans quand j’étais petit. Gamin, j’allais régulièrement au marché de Rouen acheter des bœufs et des génisses Normands.»
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En Alsace
de créer sa propre structure, BM viandes. À cette occasion, la FNICGV l’a aidé à mieux comprendre les mécanismes lourds et spécifiques de l’import-export. Actuellement, BM viandes est « en sommeil » ; Joël se consacre pleinement à Muller Marcel et Cie. La principale activité de l’entreprise est le désossage traditionnel pour des boucheries de détails, quelques GMS et grossistes. Les bêtes viennent de Saône-et-Loire et de l’Est de la France. Il s’agit essentiellement de Charolais, des génisses et quelques jeunes bovins. « Avant la crise de l’ESB, on travaillait avec des Montbéliardes et des Normandes ; aujourd’hui, c’est plutôt les races à viande. » Le désossage rituel – halal et surtout casher – est une autre
COMMERÇANTS
partie importante de l’activité. Depuis toujours, l’abattoir municipal de Haguenau pratique l’abattage casher, en présence d’un rabbin qui vérifie, une fois la bête égorgée, ses organes vitaux pour être sûr que l’animal n’était pas malade. Au moment de la transformation, la viande est trempée une demi-heure dans de l’eau claire puis salée à sec pendant une heure et rincée. « Mon père a élaboré une machine automatique pour la casherisation de la viande, reprend David. Nous vendons dans un circuit de distribution casher. Depuis peu, nous développons une gamme de saucisserie casher. Une niche pour nous démarquer. Nous ne sommes pas en confrontation avec les industriels, l’entreprise n’y résisterait pas. »
Quelques chiffres L’ÉLEVAGE représente 11,9 % de l’activité agricole. CHEPTEL BOVIN : 162 210 têtes dont : • 46 635 vaches laitières ; • 97 110 vaches nourrices. CHEPTEL OVIN : 46 160 dont 33 090 brebis mères. CHEPTEL PORCIN : 85 éleveurs produisent 96 % de la production régionale, soit 93 930 porcs dont 7 790 truies mères. 2 ABATTOIRS DANS LE HAUT-RHIN (67) : • un abattoir privé à Holtzheim ; • un abattoir public à Haguenau. L’ABATTAGE TOTAL ANNUEL DE BOVINS est de plus de 10 141 tonnes de gros bovins et 480 tonnes de veaux. Source : Interbovi Alsace 2004.
«On a une petite niche pour se différencier des gros industriels.»
>
Toujours calmement et avec détermination
C’est à Holtzheim (67), dans la périphérie de Strasbourg, que Guy Levy a finalement décidé d’installer son entreprise de négoce de viande. Car ce jeune quadragénaire, à l’air et au parler calmes et tranquilles, aux gestes précis et efficaces, a dû pas mal lutter et galérer pour monter son affaire. «Mon grand-père était marchand de bétail vif et mon père, marchand lui aussi, a commencé à faire de la cheville avec une
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boucherie dans laquelle il possédait une tuerie particulière, à Duppigheim. J’ai été élevé dans ce métier ; mais en 1976, j’avais 15 ans, mon père fut gravement malade et dut arrêter devant l’impossibilité d’assumer ses commandes. Alors, je suis parti travailler chez un concurrent en emmenant la clientèle. Cela a duré quelques mois, mais ça ne me convenait pas du tout, j’ai décidé de le quitter en 1978 et je me suis installé, seul, sur le site de Cronenbourg. J’étais tout jeune,
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Souvenirs d’un professionnel : Claude Lévy
« C’est vrai qu’il y a des fermetures et des regroupements dans cette profession, mais il y a toujours des miettes qui tombent et nous sommes là pour les récupérer, calmement ! » je n’avais qu’une vieille bétaillère et une camionnette frigo achetée à un fromager. » La société Levy reste une modeste entreprise, mais Guy est fier de ses locaux neufs et surtout de son chiffre d’affaires qui augmente régulièrement, + 10 à 15 % ces dernières années. Sur les quais de débarquement, des employés réceptionnent des carcasses ; elles viennent de l’abattoir de Haguenau pour la viande casher ou de celui de Strasbourg situé juste en face, pour la viande halal. Guy reçoit aussi des quartiers, demi-quartiers et des déhanchés (filet, faux-filet, côte et entrecôte avec os) des pays de l’UE. Dès
la sortie des camions, la viande est pesée, suspendue à des rails, vérifiée, enregistrée pour que la traçabilité suive le cours des différentes étapes de transformation. Puis, les carcasses sont mises en attente, « le moins longtemps possible » dans un frigo avant d’être dirigées – toujours par des rails en hauteur – vers la salle de découpe. Là, trois bouchers préparent la viande selon les commandes des clients. Après le désossage, ils pratiquent une découpe simple ou à la mise sous-vide pour les muscles des trois espèces classiques (bœuf, veau et agneau) ainsi qu’un peu de viande de cheval. Les morceaux sont pesés,
Les vaches sont toute la vie de Claude Lévy. Né en 1940 dans le Limousin, chez une famille ayant accueilli ses parents, il a passé son enfance à aider aux écuries. À 17 ans, après des études secondaires et commerciales, il faisait l’apprentissage de la cheville chez un patron 3 jours par semaine. Le reste du temps, il était marchand de bestiaux avec son père. En 1962, il termine son apprentissage au Comptoir des viandes de Strasbourg, une grosse entreprise fondée par 4 Lévy qui n’avaient aucun lien de parenté entre eux. « Mon grand plaisir, c’était l’achat du vif. J’allais à La Villette deux fois par semaine. On faisait abattre les bêtes à Strasbourg et on les revendait en quartier. Plus tard, j’allais au marché de Rouen. En 1966, Les Lévy nous ont proposés à Marcel Bickard-Mandel, un autre apprenti, et moi de nous céder des parts de la société. C’est ainsi que j’ai fait mon bonhomme de chemin. » Le temps passant, les fondateurs ont disparu. Un jour, leurs héritiers ont vendu leurs parts à la holding Sucres et Denrées. Claude et Marcel sont restés en place. « La transaction s’est faite en 1988 mais la prise de contact date de 1983, lors du congrès de Strasbourg ; les congrès permettent de confronter les façons de travailler, de s’ouvrir sur l’extérieur. J’ai commencé à être actif au sein de la Fédération en 1981 ; en 1983, je suis entré au bureau, Marcel Quiblier était président. Un peu plus tard, je suis devenu secrétaire général sous la présidence de Pierre Mussaud de 1986 à 1996. À cette époque, nous étions entre 800 et 1 000 adhérents mais quand les grandes surfaces ont commencé à s’imposer, il y a eu beaucoup de regroupement. Des grands dossiers à traiter, il y en a eu mais heureusement rien du type de la vache folle ; on a connu le début du problème de l’équarrissage. Laurent Spanghero a continué ; il marquera la FNICGV plus encore que les autres présidents car il a su gérer les crises sanitaires. Sa voix porte, au sens propre comme au figuré. La fédération a toujours beaucoup fait pour les métiers de la viande, particulièrement au niveau social, c’est devenu plus que jamais la référence. Ne plus faire les marchés est la seule chose qui me manque. Le métier va continuer d’évoluer, mais, compte tenu des prix qui seront pratiqués en France, je conseille aux chevillards de développer une branche importation tout en continuant à valoriser les viandes locales. »
à nouveau identifiés et dirigés vers le quai d’embarquement où deux chauffeurs chargent le camion pour livrer dans un rayon de 100 kilomètres, à raison de plusieurs tournées chaque jour. «Le plus loin, c’est Nancy, mais c’est normal ; je suis tous les
mardis au marché de Bayon et j’ai des clients dans ce coin.» Guy ajoute avec une pointe d’humour que « ma clientèle, ce sont ceux qui veulent bien m’acheter de la viande et qui me la payent évidemment! Je ne me plains pas, ça marche bien. »
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Quelques chiffres SAU : 1 572 945 hectares, soit 61 % du territoire. 17 500 EXPLOITATIONS AGRICOLES dont 5 700 font de l’élevage bovin, pour un total de 631 690 bovins dont 120 000 vaches laitières (Montbéliardes) et 108 000 vaches allaitantes. 8 GROUPEMENTS DE PRODUCTEURS 4 bovins et 2 ovins. 880 EXPLOITATIONS AGRICOLES font de l’élevage ovin, pour un total de 151 620 ovins dont 100 300 brebis et 20 000 agnelles. 186 000 PORCS. 10 435 CHEVAUX. 1 MARCHÉ AUX BESTIAUX : à Rethel (08). PRODUCTION DE VIANDE FINIE : • Gros bovins 150 644 têtes ; • Ovins 141 350 têtes ; • Porcs 343 700 têtes. 6 ABATTOIRS avec un total de 44 529 tonnes abattus dont : • 35 903 tonnes de gros bovins ; • 716 tonnes de veaux ; • 942 tonnes d’ovins ; • 6 921 tonnes de porcs ; • 47 tonnes de chevaux. 12 ENTREPRISES de l’industrie de la viande. *Source Agreste 2004.
La multiplicité des terroirs des 4 départements de la région ChampagneArdenne a engendré des systèmes d’élevage variés avec une progression de l’élevage allaitant. Les éleveurs de Champagne-Ardenne se sont engagés dans une filière qualité : production de viandes bovine et ovine provenant d’animaux nés, élevés et abattus en Champagne-Ardenne ; cet engagement concerne tous les maillons de la filière, soit 520 élevages, 2 abatteurs et ateliers de découpe, 12 grandes et moyennes surfaces et 8 restaurants.
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De la boucherie artisanale à l’industrie de la viande
Garçon boucher à l’âge de 16 ans dans le commerce familial de la cité bragarde, c’est en 1955, au retour de son service militaire, que Guy Lamorlette, assisté
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de son père et de ses trois frères, va entreprendre sa fulgurante ascension, une réussite professionnelle à la française dans le commerce de viandes fraîches et surgelées au plan national. En un demisiècle, cet homme entreprenant et inventif va passer du stade de la boucherie classique où l’on achetait encore
«Actuellement, nous retrouvons des volumes comparables à ceux d’avant la crise de 2000.»
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les bêtes à l’éleveur pour les abattre à l’abattoir municipal et découper les viandes à la boutique, à celui de l’industrie de la viande avec la société qu’il crée en 1965, SEB – Société Économique Bragarde. À l’origine, SEB sert les collectivités locales depuis son atelier de découpe et ses deux points de vente de Saint-Dizier (52), ainsi qu’à travers son unité de charcuterie qui prendra de l’essor grâce à la fabrication de saucisses, grâce aussi à un gros client, Miko, le géant du surgelé. Un nouveau pas est franchi en 1975 avec l’ouverture d’une usine rue Alfred de Musset, dotée d’un matériel ultramoderne pour hacher, conditionner et emballer les steaks pour les GMS. Il faut pour Guy Lamorlette importer de la viande, des quartiers avants de bovins originaires de l’UE afin d’approvisionner ses lignes de production. SEB exporte aussi vers la Belgique, la Hollande et l’Allemagne 10 % de sa production. Bien que sérieusement secouée par les deux crises de l’ESB en 1996 et 2000, Guy Lamorlette surmonte les épreuves, l’entreprise s’agrandit et le groupe SEB-CERF réunit deux entreprises spécialisées dans la RHF ; par ailleurs, SEB diffuse en GMS et CERF est spécialisée dans la fabrication de steaks, boulettes de bœuf et charcuterie congelés; un dernier-né vient d’ouvrir en Touraine sous la direction d’un des frères de Guy Lamorlette. Elle semble bien loin la petite boucherie familiale de 1950 !
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Une femme aux portes du marché aux bestiaux de Rethel
Quand on arrive à Sobevir à Rethel (08) et qu’on demande à l’accueil, Clotilde Deguelte, l’hôtesse vous indique d’un doigt
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courtois, une femme blonde, au téléphone, derrière un bureau, dans un espace ouvert où travaillent plusieurs personnes. Pull rose sur fond de jean, elle est simple et franche ce qui ne veut pas dire qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut. L’entretien n’a pas commencé que le téléphone sonne : un client se plaint de ne pas avoir été livré mais il a oublié de régler ses dernières factures ! Clotilde avoue simplement que dans ce métier, «les marges sont trop petites pour prendre des risques d’impayés ». Elle veille sur le bon fonctionnement de cette entreprise depuis 1968, date à laquelle elle est entrée dans l’entreprise que son mari Alain Deguelte venait de créer avec Christian Goury, un ami. Tous les deux, commerçants en bestiaux, avaient estimé nécessaire de monter une société pour abattre leurs bêtes. Ils avaient 30 ans. Leur société, Sobevir, abat d’abord à l’abattoir municipal de Rethel mais, dès 1973, celui-ci bat de l’aile. Sobevir achète un terrain à la sortie de la ville, à côté du foirail ouvert en 1977 et construit son propre abattoir en 1978. L’association Deguelte-Goury durera non seulement jusqu’à leur retraite mais ils transmettront la société à leurs enfants Benoît Deguelte et Yannick Goury. Et aujourd’hui Clotilde « assure la transition encore quelques années ». Depuis 37 ans, elle a vu l’évolution de la société, la création de l’atelier de découpe en 1982 qui travaille du quartier au morceau sous vide. «Ici, à 50%, on livre de la race à viande et on fait avant tout la promotion des viandes de ChampagneArdenne achetées en fermes et sur les marchés. » En dehors de la distribution dans les GMS, les collectivités locales et
«Qu’est-ce que vous désirez? Je vous livrerai demain et vous donnerez le chèque à mon chauffeur.» les grossistes, Sobevir a mis en place une niche qui représente quand même 12 % du chiffre, les boucheries casher et halal.
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Des bouchers au service des entreprises
Même quand on croit l’horizon économique bouché, il se trouve des professionnels inventifs pour imaginer de nouvelles perspectives. L’histoire de Martine Fossati et de Jean-François Robin en est la parfaite illustration. Ce couple s’est choisi un parcours commun à la ville, mais aussi dans la transformation des viandes, de porc essentiellement, sous le label de Bouchers Services. L’aventure commence en 1979 en Lorraine. À cette époque, Martine se lance avec une cinquantaine de bouchers industriels dans le façonnage de la viande
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En Champagne-Ardenne
«Nous sommes convaincus que dans toute bonne entreprise, la vraie richesse ce sont les hommes.» de bœuf. La rencontre avec Jean-François bouleverse sa vie et son activité ; il est ingénieur commercial, s’intéresse à la viande de porc et à la Bretagne. Cette région, réputée dans la production d’élevage, est quasiment vierge dans le travail à façon pour la transformation des carcasses. L’équipe de BS, tous professionnels du travail du porc, est embauchée en contrat à durée indéterminée, leur intervention suivant un cahier des charges technique rigoureux élaboré à partir d’un bon de commande libellé en kilos ou en pièces, avec un délai précis et l’obligation de résultat. Implantée dans les Ardennes, BS est aujourd’hui présente sur les marchés bretons, mais aussi en Bourgogne et en Rhône-Alpes. Peu à peu, le porc a supplanté le bœuf et en 2000, BS décide de céder son activité bœuf. Seule ombre au tableau, la difficulté de recruter du personnel compétent. « Aussi, à partir de 1993, en liaison avec
En Lorraine 149 « Lorraine, terre d’élevage ». Cette région située au Nord-Est de la France, composée de 4 départements (Meurtheet-Moselle, Meuse, Moselle et Vosges), est occupée à 50 % par des surfaces fourragères qui permettent à l’élevage de tenir une place prédominante. Alibev, l’interprofession régionale a créé en 1992 l’association Lorraine Qualité Viandes, un outil de valorisation des productions régionales. Elle implique dans sa mise en place tous les professionnels de la filière viande Lorraine depuis les éleveurs qui s’inscrivent dans le respect des procédures de qualification de leur élevage, les abatteurs, les industriels jusqu’aux 120 points de vente qui valorisent ainsi 24 000 bovins par an dans cette démarche de qualité.
l’ANPE et le centre de formation des apprentis de Charleville, nous avons mis en œuvre une politique de formation en boucherie industrielle et, en 18 mois, nos effectifs sont passés de 380 à 590 personnes. »
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Une culture européenne
C’est en 1985 à Gondreville (54), que Roger Cavé a monté ALBV, société de négoce entre la France et divers pays d’Europe, Allemagne en tête. Il a pris goût au commerce international quelques années plus tôt, lorsqu’il était directeur d’un abattoir avec une activité import-export vers l’Afrique. «L’entreprise appartenait à quatre frères. Je savais donc que mes possibilités d’évoluer étaient minimes, alors que j’avais envie d’aller de l’avant », raconte notre homme qui a démarré dans le milieu de la viande à 16 ans et demi, secteur comptabilité et économie. À 56 ans aujourd’hui, il exerce son activité en toute sérénité. « La société emploie 9 personnes, dont 8 de ma famille ; c’est dire si nous avons confiance dans les métiers de la viande et de l’agroalimentaire ! Je suis associé à mon jeune frère. Son fils de 28 ans est également avec nous ; il assurera la relève dans quelques années. » Actuellement ALBV négocie en majorité du bœuf; viennent ensuite les produits issus de la volaille, de l’agneau, du veau et enfin le porc en petite quantité. Leurs origines? L’Allemagne principalement mais aussi l’Italie, l’Autriche et la France. « Nous avons eu un partenaire allemand pendant un temps mais il est rentré dans un grand groupe, ce qui ne nous intéresse pas. Les relations sont très bonnes avec nos contacts d’Outre-Rhin ; ils ne sont pas fermés, acceptent de discuter, font de bons produits et admettent qu’on puisse être meilleur qu’eux. Souvent, lorsqu’ils veulent vendre un produit hors de leurs frontières, en l’occurrence chez nous, ils utilisent les gens sur place, estimant qu’un vendeur français connaît
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En Lorraine
mieux les attentes des consommateurs français. C’est une culture du commerce différente de la nôtre. »
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Deux priorités : le Label Rouge et le Limousin
« Notre cheval de bataille c’est surtout la vache Limousine, que des femelles abattues à Vitry-le-François (51). Et puis, en direct du Limousin et en carcasse, le veau élevé sous la mère de Corrèze et de HauteVienne, le porc du Limousin de Corrèze et l’agneau du Limousin de Haute-Vienne. Vous voyez, nous sommes très amoureux des races limousines ! » Pourtant Jean-Pierre Iung n’est pas originaire du Limousin, il vit et travaille à Bar-le-Duc (55), où, avec Maryse, sa sœur, il dirige une entreprise de négoce de viande créée par leur père parti à la retraite en 1983. «C’est en 1988 que nous avons ouvert notre propre bâtiment
« L’Union européenne est une communauté multiculturelle où les produits de consommation ne doivent pas trop afficher leurs différences. »
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construit aux normes européennes, en face à l’abattoir de Bar, mais malheureusement il a fermé aussitôt, et nous avons eu beaucoup de difficultés pour trouver où abattre : Saint-Dizier, Verdun et puis finalement Vitry-le-François l’abattoir est agréé pour labeliser les bovins. » Car, très rapidement, les Iung ont eu l’idée d’orienter leur entreprise vers la viande de qualité et les Labels Rouges. Ils ont commencé avec la Blonde d’Aquitaine puis ce fut la Charolaise, récemment abandonnée « faute d’approvisionnement régulier ». Les bovins Limousins, vaches et génisses presque exclusivement, sont achetés en ferme ou dans des groupements de la région Grand Est, dans un rayon de 150 kilomètres autour de Bar-le-Duc. Adhérents à la filière Label Rouge régionale, les Iung participent ainsi à la chaîne producteurs-éleveurs vers les bouchers et les transformateurs. «Ce qui nous convient avec la Limousine, c’est une production d’excellente qualité, un approvisionnement régulier nous ayant permis, dès la fin des années quatre-vingt, d’établir des
contrats à l’année avec une centaine de bouchers artisans de la région, et cela change tout ! Nos ventes sont en progression, on arrive même à faire de nouveaux contrats grâce à la Limousine, notamment avec des jeunes bouchers qui après la deuxième crise de la vache folle ont préféré se mettre au Label pour éviter les soucis. »
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Deux histoires lorraines valorisant l’élevage régional
En 1967, la famille Pierson crée la société de cheville Les Fermiers Réunis à Metz (57), qu’elle va diriger durant 30 ans. À partir de 1994, pour faire face à des problèmes
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économiques difficiles, elle cède progressivement son affaire à la Coopérative agricole de production de viande (CAPV). Quatre ans plus tard, la CAPV, présidée par Denis Sibille, également président d’Interbev, détient les Fermiers Réunis à 100 % et à partir de ce moment, l’entreprise a considérablement progressé. « Il y a 5 ans, les clients des Fermiers réunis étaient encore majoritairement les commerces de détail, explique Jean-François Hein, directeur de CAPV. Or, les boucheries disparaissent peu à peu, faute de repreneurs. Si dans certaines vallées de l’Est du département mosellan et de l’Alsace, la situation s’est stabilisée, ce n’est pas
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En Lorraine
le cas partout et nous allons encore assister à des fermetures de boucheries. Cependant, notre chance est notre situation dans une zone d’achalandise qui s’étend jusqu’à l’Allemagne et le Luxembourg avec un bassin de consommateurs de quatre à cinq millions. Quant à la grande distribution, elle a besoin de nous pour satisfaire la demande. C’est pourquoi nous construisons une nouvelle salle de découpe à Sarreguemines (57) ainsi qu’un nouvel abattoir. Savoir s’adapter pour apporter de nouveaux produits aux distributeurs et par conséquent aux consommateurs, voilà le challenge de ce métier ; aujourd’hui, Les Fermiers Réunis pratiquent une activité de première et deuxième transformation, mais il va falloir être plus novateur et développer le produitservice. » > «Ce métier, on le fait par amour ou par idéalisme », prévient d’emblée Frédéric Van Vaquembergue, ce grossiste arrivé dans le métier presque par hasard. Enfant, il voulait être agriculteur. Mais l’école n’a pas de place pour accueillir ce fils du bûcheron. Alors, il devient
« J’aime mon métier qui est, chaque jour, une succession de challenges. »
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apprenti chez le boucher du village qu’il connaît bien : son fils est un copain et il n’est pas rare qu’il lui donne un coup de main. En 1980, Frédéric est embauché dans une coopérative dont il sera licencié 19 ans plus tard. C’est l’occasion où jamais de créer sa propre structure Lorraine de viandes à Poussay (88). « Je l’ai montée
Quelques chiffres L’ÉLEVAGE occupe 50 % de la surface agricole utile. LE CHEPTEL BOVIN : 9 800 élevages, 1 million de têtes dont : • 400 000 d’origine allaitante ; • 600000 issues du cheptel laitier; • 3 000 élevages lait et viande qualifiés dans la démarche Lorraine Qualité Viandes. LE CHEPTEL OVIN : • 1 060 exploitations ovines ; • 182 000 brebis. 1 MARCHÉ AUX BESTIAUX : Laneuvevilledevant-Bayon. 5 SITES D’ABATTAGE : Metz, Mirecourt, Verdun, Sarrebourg et Sarreguemines pour une activité annuelle de 59 000 tonnes soit 175 000 bovins. LA PRODUCTION ANNUELLE de viande bovine, voisine de 81 500 tonnes, dépasse largement le volume abattu et les besoins de la consommation régionale estimés à 58 000 tonnes. UN RÉSEAU DENSE d’entreprises de cheville et de transformation sur les plans régional et national. + DE 1 500 POINTS DE VENTE dont 800 artisans bouchers. Source : ALIBEV 2005.
avec un associé mais maintenant, je suis majoritaire. Notre chiffre d’affaires est en constante progression mais, pour avoir une vraie bouffée d’oxygène, il nous faudrait diversifier notre clientèle constituée aujourd’hui à 90 % de RHF ; ce sont des clients fiables mais dès qu’il y a des vacances, notre activité ralentit nettement. Aussi, depuis 2 ans, nous nous dirigeons vers les GMS. J’ai mis en place une nouvelle gamme de produits régionaux. Hélas, l’été dernier, la météo n’a pas été favorable aux barbecues. Cependant les distributeurs sont contents de mes produits alors nous verrons l’été prochain. À terme, j’aimerais que les GMS représentent 15 à 20 %
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de mon chiffre d’affaires. Je suis serein, et j’espère que d’ici 10 ans, mon affaire aura de la valeur. Le représentant de l’organisme qui nous a donné la certification Lorraine qualité viande concernant des bovins nés, élevés et abattus dans la région a dit que nous étions dignes des grands. C’est agréable à entendre, d’autant que les gros, il faut se battre avec eux, pas contre eux. Dans l’avenir, pour pouvoir continuer, il faudra peut-être devenir leur partenaire. Ma sérénité, je la dois aussi à la FNICGV qui sait toujours répondre à mes questions. Les informations qu’elle nous délivre nous permettent de préparer l’avenir. C’est une sécurité. »
« Nous croyons à ce métier même si, depuis que je fréquente ce milieu, j’entends dire que ce n’est pas facile. »
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La Franche-Comté est une des plus modestes régions de France pour le négoce de viande. Il est vrai que les élevages se consacrent presque exclusivement à la Montbéliarde. À l’origine, les professionnels appréciaient la race locale essentiellement pour ses qualités laitières et fromagères; sa viande, cependant réputée, était expédiée en France et dans les pays limitrophes. Néanmoins, beaucoup se mobilisèrent pour que la Montbéliarde devienne une race mixte, appréciée aussi bien pour ses qualités laitières que pour l’excellence de sa viande. Aujourd’hui, une douzaine d’entreprises ont en charge le négoce et la découpe de la viande, la plupart de petite taille ; elles se partagent le travail local en bonne entente avec le secteur coopératif très dynamique.
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Un négoce d’importance aux portes de Besançon
Belot Frères figure parmi les entreprises de négoce de viande les plus importantes de la région Franche-Comté. En fait, elle touche toute la filière viande, depuis le négoce d’animaux vivants, l’import-export
avec l’UE, l’abattage, y compris selon les rites des religions juive et musulmane, les activités de grossiste en viande, de découpe en muscles ou en portions unitaires ; et pour satisfaire toutes les demandes de sa clientèle, elle assure le négoce en volaille et gibier. Elle emploie 116 personnes et son chiffre d’affaires est représenté à 50 % par la vente aux GMS régionales, 20 % à la RHD, 20 % aux bouchers traditionnels et le restant à des négoces divers, parfois même dans les pays limitrophes, Allemagne et Suisse. Guy Belot raconte la saga familiale. « Georges, mon grand-père, était marchand de bestiaux ; dans les années 1920-1930, il allait déjà s’approvisionner loin de chez nous, en Bretagne et jusqu’en Yougoslavie. Là-bas, il achetait 50 bœufs d’un coup, transportés par train jusqu’à Besançon. Quand mon père est entré dans l’affaire, dans les années trente, il a développé, à côté du négoce de bétail, une activité de cheville vendant aux bouchers locaux et déjà aux collectivités, en l’occurrence à l’armée. Je suis arrivé dans les années soixante; on a commencé à désosser et à découper les bêtes qu’on abattait ; c’est aussi la période où l’on
« Pour la crise de l’ESB on n’avait vraiment rien vu venir ! Quelques spécialistes du ministère de l’Agriculture nous avaient avertis de la situation anglaise. On les regardait comme des extraterrestres et on ne les prenait pas au sérieux avec cette histoire de vache folle ! »
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ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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« Dans quelques années, le marché appartiendra aux plats cuisinés avec environ 40 grammes de viande par portion. » s’est tourné vers les collectivités locales. En 1987, lors du transfert de l’abattoir municipal de Besançon à l’extérieur de la ville, notre entreprise a suivi et nous avons installé nos ateliers dans ce qui est devenu un pôle alimentaire privatif, avec quelques autres entreprises dont Arcadie. Notre affaire a pris de l’ampleur avec le développement des GMS. » Guy sait de quoi il parle dès lors qu’il s’agit du marché de la viande. Il n’est guère optimiste sur l’ave-
nir du secteur : « La consommation de viande ne cesse de baisser et cela va continuer. Les produits de bonne qualité se vendent mal et le gros des consommateurs, crise de l’emploi et endettement obligent, ne se sert plus dans les boucheries classiques, mais dans les hypermarchés où l’argument primordial est le prix unitaire de la portion et non plus la qualité. Regardez, pour les années 20042005, la seule viande en hausse de plus de
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En Franche-Comté
20% est le steak haché! De plus, la viande que certaines GMS vendent à prix discount doit être belle à regarder et bien fraîche, privilégiant l’aspect à la maturation. C’est une des raisons pour laquelle les gens aiment moins la viande. Le jour où il n’y aura plus que de la viande de jeune bovin sur le marché, je ne serai pas loin de devenir végétarien. Cette viande est tendre bien sûr, mais elle est dépourvue de saveur ! »
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Heureuse rencontre des métiers de l’élevage et de la viande
Au Valdahon (25), la coopérative La Chevillotte témoigne d’une réussite rare. Créée en 1963 avec essentiellement des éleveurs de bovins, «surtout des Montbéliardes car dans le Doubs, la race représente 95 % de
la production bovine et quelques éleveurs de porcs », elle développe, à partir de 1972-1973, une activité de cheville à Morteau (25), puis à Pontarlier (25). Guy Marchal, directeur de la Coopérative Franche-Comté Élevage depuis 1981, est également aujourd’hui directeur de la filiale viande Les Éleveurs de la Chevillotte; il a vécu toute cette période de gestation. « En 1986, la coopérative envisage de créer un outil bovin et porc sur le site de Valdahon, où il existait un abattoir municipal. L’investissement financier était très important; nous avons donc recherché des solutions, parmi lesquelles la reprise d’une affaire, la Société Baverel et Jeanneret de Pontarlier, une cheville bovin et porc, nos concurrents ; elle nous apportait un fond de commerce et une salle de découpe à
« La coopérative peut compter sur un débouché régulier et la filiale viande sur un approvisionnement régulier. »
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Pontarlier. Pour la première fois de son histoire, la coopérative avait une filiale!» La suite, entre 1987 et 1996, c’est un bon développement au sein de cette société, et en relation avec la commune de Valdahon, la décision de construire un nouvel abattoir dans les locaux des Éleveurs de la Chevillotte. Guy complète: «les porcs sont abattus à Valdahon, dans nos locaux, et les bovins à l’abattoir municipal de Besançon.»
La FNICGV aujourd’hui « L’époque Laurent Spanghero à la tête de la FNICGV a considérablement changé les choses. C’est un interlocuteur crédible auprès des Pouvoirs publics et, s’étant entouré d’une fameuse équipe de battants, il a su faire de la Fédé un outil indispensable pour tous ses adhérents, une veille permanente sur un maximum de sujets d’actualité. Avant, personne n’appelait le siège pour se renseigner, alors qu’à présent, on n’hésite pas à prendre son téléphone et la réponse est toujours au bout du fil. »
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Cette coopérative départementale devint régionale après les fusions en 1989 avec une coopérative du Jura, puis en 2000 avec une coopérative de Haute-Saône. Bernard Jacquet, responsable du secteur viande depuis 28 ans, et Julien Chenot chargé de la commercialisation de la viande de porc en GMS, organisent une visite des lignes où 130 000 porcs sont abattus et découpés chaque année. Bernard précise que «100%
Quelques chiffres 80 % DE LA SAU consacrés aux élevages bovins, ovins et porcins avec souvent une production sous label. LE CHEPTEL BOVIN : 6183 élevages dont: • 1 600 élevages de races à viande ; • 5 300 élevages de race laitière ; • 207 000 têtes. LE CHEPTEL OVIN : 83 000 têtes. LE CHEPTEL PORCIN : 123 000 têtes. 8 ABATTOIRS traitent 39 500 tonnes de viande dont ; • 18 600 tonnes de bovins ; • 19 760 tonnes de porcs. LA PRODUCTION ANNUELLE régionale de viande est de 63 150 tonnes dont : • 35 400 tonnes de gros bovins ; • 2 600 tonnes de veaux ; • 20 300 tonnes de porcs ; • 1 350 tonnes d’ovins et caprins. LA DISTRIBUTION est assurée par : • 373 artisans bouchers ; • 28 hypermarchés ; • 149 supermarchés ; • 80 magasins alimentaires discount. Source : statistiques agricoles annuelle 2004 et enquête structure 2003.
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En Franche-Comté
« Nous livrons nous-même tous les jours et certains clients 3 fois par semaine. »
des porcs achetés aux adhérents sont traités ici.» Julien confirme que «nos clients apprécient l’extrême qualité de ce produit ; bouchers traditionnels, quelques collectivités, mais le plus gros de notre production va aux GMS locales en viande fraîche et chez les salaisonniers pour la fabrication de saucisses de Morteau et de jambons du Haut-Doubs.» Guy ajoute: «La société Les Éleveurs de la Chevillotte est donc une filiale de la coopérative qui compte aujourd’hui 2 500 adhérents, la seule coopérative élevage et viande de la région. Cette organisation permet un accord entre l’amont et l’aval de la filière pour l’ensemble des relations entre les producteurs, la mise en marché, l’abattage et les clients, une harmonisation de la qualité de la production, des besoins mis en place, des contraintes commer-
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ciales. Du fait de la nature de nos activités, nous sommes adhérents à la FNCBV pour notre famille coopérative et à la FNICGV pour notre activité viande ; ces deux fédérations sont complémentaires.»
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Un point d’ancrage, l’abattoir municipal de Lons-le-Saunier
Chaque jour, les véhicules de la Comtoise des Viandes quittent l’usine établie en face de l’abattoir municipal – constitué en groupement d’intérêt économique à gestion privée, dont Jean Royer est le président – pour aller livrer les boucheries, les GMS et quelques collectivités locales dans le Jura ainsi que dans les 5 ou 6 départements limitrophes. Jean Royer dirige, à Perrigny (39) une entreprise de négoce d’animaux vivants, de cheville et de revente de viandes, de toutes espèces, en carcasses ou en muscles désossés sous vide. « Nous avons eu l’opportunité de récupérer la clientèle de la chaîne de magasins Colruyt – Coccinelle –, de petits supermarchés de proximité qui marchent très fort. Heureusement car, ces dernières années, nous avons perdu dans la région un nombre considérable de petits bouchers artisans qui n’ont pas été remplacés. Nous livrons à la chaîne Colruyt des carcasses, des muscles sous vide en PAD, prêts à découper, par leurs bouchers. » Bien que son père ait débuté l’entreprise de cheville à partir de sa propre boucherie de Lons avant d’en faire une usine, Jean a toujours été passionné pour l’achat de bétail vif pour alimenter son négoce, 98 % de Charolais, à des éleveurs locaux et à quelques marchands de bestiaux. « J’élève personnellement près d’ici des génisses et des
vaches blanches. C’est une bonne viande qui plaît à nos clients. Nous abattons aussi des veaux venant d’intégrateurs locaux, des porcs du pays. Les agneaux sont livrés en carcasses.» Le vrai souci toutefois pour cette entreprise qui marche bien, c’est la relève du personnel. «Nous aurions la possibilité de former 10 jeunes apprentis bouchers à la fois dans l’entreprise, et cette année nous n’en avons que 2, et zéro l’an passé. Bien sûr, il faut se lever un peu tôt ! Nos horaires de travail sont 5 heures12 heures et 14 heures-16 heures. Ce n’est pas excessif, mais les jeunes ne veulent pas rentrer dans ce genre de métier. L’avenir n’est pas optimiste de ce côté. » > David Py, pas encore 35 ans, est emblématique de cette nouvelle génération de jeunes commerçants-industriels de la viande. Formé dans le giron de l’entreprise familiale, ayant fait de solides études de commerce, il reprend le flambeau de cette société familiale mitoyenne de l’abattoir, à Perrigny (39). « Pas plus que mon frère Julien qui a suivi des études d’agronomie, je n’envisageais d’embrasser la profession de la viande.
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Bien sûr, nous avons été élevés dans ce milieu puisque, depuis 1929, mon grandpère, Robert, avait une boucherie traditionnelle au centre de Lons-le-Saunier (39), que ses fils, Michel et Claude ont travaillé dans la viande. En 1970, mon père, Claude, a créé sa propre entreprise de commerce en gros de viande, puis son affaire a pris de l’ampleur avec l’installation, en 1982, dans des bâtiments spacieux et modernes jouxtant les nouveaux abattoirs municipaux et en 1991 avec le rachat des Halles Mâconnaises, une société de négoce en gros, demi-gros de viande et de charcuterie avec un atelier de découpe. En vérité, mon paternel voulait
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En Franche-Comté
« Mon père, 60 ans, est un indéracinable ; il continuera à nous donner un coup de main pour l’achat et l’engraissement des gros bovins, tant qu’il pourra le faire. »
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qu’on travaille avec lui dans l’entreprise ; il nous en a parlé et reparlé, bref il nous a eus à l’usure et nous sommes venus le seconder. On ne s’en plaint pas ! » David gère aujourd’hui l’entreprise de grossiste abatteur, et Julien, la filiale découpe et préparation des viandes de Mâcon (71). Ensemble, ils ont mis au point un créneau assez porteur basé sur des viandes régionales de qualité avec la marque, Saveurs du Pays Comtois. «Ici, à Lons, nous achetons des bêtes sur pied et nous faisons un travail de chevillard de base : découpe en quartiers et expédition par camions à notre clientèle, 40 % de GMS de proximité du groupe Carrefour, Super U, 40% de grossistes, 20 % bouchers, traiteurs et autres et seulement 15 % pour l’atelier de Mâcon où Julien a d’autres sources d’approvisionnement. Nous achetons nos bovins au marché de Bourg ou à des marchands et nous engraissons aussi des Charolais pour avoir des produits de qualité optimale. Les veaux sont fournis par des intégrateurs du bassin laitier de la Montbéliarde, les agneaux achetés à la coopérative Agneau de Franche-Comté, et le porc est aussi un Label Rouge de Franche-Comté. » L’avenir d’une entreprise comme la leur, David ne le voit pas obligatoirement facile. « On a des métiers dont les marges se sont beaucoup réduites et, par ailleurs, on nous demande des mises aux normes sanitaires et des investissements coûteux. Les concentrations vont s’accélérer dans notre secteur, mais j’espère qu’on aura toujours une place à occuper avec une estampille régionale de viandes de qualité. Pas évident avec la concurrence de l’abattoir Bigard, un des outils les plus
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performants d’Europe, à 20 kilomètres seulement d’ici. On va s’efforcer de maintenir notre différence ! »
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Une petite entreprise aux confins de la région
Depuis son mariage en 1978, Marianne Grevillot partage son temps, à Brebotte (90), entre la ferme de son mari, les bêtes à l’engraissement et l’abattage, les carcasses, le commerce de viande, les livraisons et les paperasses administratives. «Je n’ai jamais pris de vacances. Quand c’est l’été, et que tout le monde se dore sur la plage, nous, on fait les foins, on sert les quelques bouchers du territoire et des départements limitrophes qui travaillent. Et le dimanche, on se couche tôt, car, le lundi, on commence à 2 heures du matin. En plus, on ne peut pas dire que ce soit un métier de femme : aller à l’abattoir ou se geler le matin dans les frigos à vérifier les carcasses… Faut en faire des heures pour gagner sa vie!» C’est la gérante de la SARL Grevillot – commerce de bestiaux et de viande en gros – qui raconte ainsi son quotidien, entre la ferme de Brebotte, dans le territoire de Belfort, où est engraissée plus d’une centaine de bovins viande, et l’abattoir de Luxeuil, distant de 70 kilomètres, où les Grevillot abattent chaque semaine une quinzaine de gros bovins et une dizaine de veaux dont ils livrent les carcasses ou les quartiers à leur clientèle, des boucheries traditionnelles, sous 48 heures. Marianne travaille aux côtés de son mari et depuis peu leur fils de 18 ans a rejoint la petite entreprise familiale. «On ne souhaite pas qu’il reprenne le commerce après nous. C’est trop difficile, le travail
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En Franche-Comté
est devenu de plus en plus dur en 25 ans. Notre structure n’est pas assez grosse pour survivre. On ne peut pas découper et servir les collectivités et les grandes surfaces. Cela demande un investissement et du personnel. Et l’on nous met de plus en plus de contraintes administratives et sanitaires sur le dos. Les artisans bouchers, notre unique clientèle, disparaissent les uns après les autres, les abattoirs aussi, et nous allons disparaître tout doucement aussi. Qu’il fasse plutôt de l’agriculture ou du commerce
« On n’a pas la même vie que tout le monde ! »
du bétail vivant. » Benoît, qui a appris les métiers d’éleveur, commerçant en bestiaux et d’abatteur dès son plus jeune âge auprès de son père confirme que « si c’était aujourd’hui qu’on devait commencer, et bien on ferait sans doute autre chose. Le métier a tellement changé. Dans les abattoirs, il n’y a plus de “ tripiers ”, qui sont de vrais professionnels, comme il y a 30 ans. » Ce qu’ici on appelle un « tripier », c’est un abatteur, prestataire non salarié en charge de la tuerie de l’animal jusqu’à la séparation en deux des carcasses. Traditionnellement, après avoir perçu les taxes d’abattage, il récupérait les produits tripiers et les vendait pour son propre compte. « Aujourd’hui, nous avons plus que jamais besoin des produits tripiers pour faire notre marge. On est les derniers du territoire de Belfort. Nous allons encore continuer pendant 10 ans peut-être, si Dieu le veut, et nous ne serons pas remplacés. »
En Bourgogne 163 Patrie de la vache à robe blanche qui fournit la viande la plus fameuse du monde, la Bourgogne est une terre aux paysages diversifiés dont 60 % de la surface est classée en surface agricole utile avec trois productions emblématiques : les bovins allaitants (32 % des
exploitations), les céréales et grandes cultures (25 %) et la viticulture (17 %). La Charolaise, première race bovine à viande française, produit une viande maigre, légèrement persillée, recherchée par les bouchers pour son absence de graisse de couverture. Cette production bovine Charolaise ne doit pas faire oublier l’excellence de la viande ovine provenant du mouton Charollais et de la viande équine fournit par des races lourdes comme l’Auxois qui trouve ici son berceau de race.
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« Dans l’entreprise, l’ambiance est toujours familiale et conviviale ; on ne travaille que le matin de 4 heures à 12 heures. On n’est pas à la tâche. On travaille, c’est tout, tant qu’il y a du boulot à faire. »
Déjà, à 31 ans, tout un parcours dans la filière viande
Effectivement, Olivier Despratx affiche déjà une belle carrière, pour ainsi dire exemplaire, pour cette nouvelle génération des métiers de la viande. « Mes grandsparents étaient agriculteurs-éleveurs; mon père, commercial dans une coopérative, travaillait déjà dans la viande et j’ai commencé tout petit à vouloir l’accompagner dans les fermes, les marchés aux bestiaux et les boucheries. J’ai le métier dans le sang, quoi! Après un BEPA élevage au lycée agricole Hector Serres et un BTA distribution et commercialisation des produits carnés au lycée agroalimentaire de Dijon, j’ai obtenu au lycée de Montbrison un BTS de technicien en produits carnés en alternance école-entreprise ; mais là, comme c’était la première crise de la vache folle, j’ai dû faire mes stages dans la volaille ! En sortant de l’école, j’ai été embauché dans la coopérative où mon père travaillait comme responsable des achats d’animaux vivants ; j’ai fait 8 mois dans la bouverie et la classification, puis 8 mois comme
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En Bourgogne
commercial et j’ai parcouru les routes pendant 4 ans. Puis j’ai été engagé à Lyon, chez Gabriel, comme responsable de file, et ensuite j’ai travaillé dans l’import mais là, ça ne m’a pas plu du tout, car on ne voyait passer que des cartons de viande et pas d’animaux, ni même de carcasses. Enfin, depuis un an et demi, j’occupe le poste de responsable chez Clavière Viandes, avec comme mission de développer cette antenne de Dijon (21). Je me laisse une paire d’années. Ensuite, je verrai, pour faire quelque chose de plus grand, cela dépendra des opportunités, je suis prêt à me déplacer partout en France. Il n’y a pas de problèmes d’embauche dans les entreprises de viande en ce moment car beaucoup de cadres ont dépassé la
COMMERÇANTS
cinquantaine et vont partir à la retraite…» Olivier Despratx travaille donc aujourd’hui dans la dernière entreprise 100 % privée, non coopérative, de cheville et de découpe de viande à Dijon. En fait Clavière Viandes possède un autre site à Dole (39) et la société fait aujourd’hui partie du groupe breton fondé par Louis Gad. « On est les seuls à abattre du bœuf et à faire du veau et de l’agneau dans le groupe Gad, surtout spécialisé dans le porc. Mais nous sommes complètement indépendants ; nos approvisionnements sont régionaux: des génisses Charolaises abattues à Beaune, ramenées en demi-carcasses sur les sites de Dole et Dijon et découpées pour nos clients bouchers charcutiers ; le porc est surtout livré en longe, épaule et gigot aux grandes
surfaces régionales d’Intermarché, client du groupe Gad. Mais nous avons conservé notre clientèle traditionnelle. M. Rativeau est directeur général de la société depuis le départ à la retraite de M. Clavière. Avec deux structures, on est très réactifs question services sur nos deux périmètres de livraison; nos clients semblent satisfaits.»
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Ils étaient une centaine pour construire un abattoir…
En 1993, l’abattoir municipal de Cosne-surLoire (58) ferme ses portes. Que faire se disent quelques bouchers et éleveurs des alentours qui venaient y abattre leurs bêtes et pour qui le maintien d’un site d’abattage de proximité était une nécessité ? Jean Coutre et Jean Faivre, deux bouchers du coin, rencontrent leurs collègues et visitent leurs amis éleveurs. Rapidement, ils sont une centaine de bouchers et d’éleveurs à suivre le projet des deux Jean. La décision est prise: tous se portent actionnaires pour constituer en société sous le nom de Cosne Abattoir. Dans le texte du projet qu’ils avaient déposé, on pouvait lire les motivations suivantes : « Favoriser le débouché pour les viandes produites localement, maintenir une dynamique rurale, développer une filière carnée du Pays Bourgogne Nivernais » Ce programme valait bien que la ville leur cède un terrain sur lequel ils construisent un site d’abattage et de découpe qui ouvre en septembre 1994. Il était plus intéressant d’édifier un abattoir neuf plutôt que de tenter de remettre aux normes une structure vétuste. Au début, ils sont 4 à y travailler, prestataires pour les bouchers des environs et les éleveurs qui reçoivent leurs
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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«Depuis la création, notre objectif et l’axe principal de notre politique commerciale c’est la relation de proximité avec les opérateurs locaux, les bouchers et les éleveurs.» bêtes en caissettes. La première année, ils produisent quelque 800 tonnes et aujourd’hui, c’est plus de 1 200 tonnes. Ils décident de construire un atelier de découpe en 1996 et font l’investissement d’une chaîne de moutons en 1998. Maurice Vayne préside Cosne Abattoir, Dominique Devilliers, qui vient de l’abattoir d’Auxerre, assure les fonctions de directeur et Laurence Beaulieu a en charge l’administratif. « On tourne bien, on n’a pas de problème d’approvisionnement mais nos soucis sont liés aux réglementations de mises aux normes permanentes au niveau de la DSV. » Aujourd’hui, Cosne Abattoir peut vivre, l’entreprise a triplé son chiffre d’affaires depuis sa création. Elle apporte un service de livraison qui est de plus en plus sollicité et, le bouche à oreille, très actif, constitue le moteur principal des nouveaux contacts et des futurs clients.
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En Bourgogne
Il fallait faire un festin !
Il raconte sa vie comme un roman d’aventure; en effet, le parcours de Jean Denaux est foisonnant, à l’image de sa personnalité et de sa verve. À 49 ans, il a multiplié les métiers et les expériences innovantes dans la filière viande : « Je suis la somme de trois générations d’éleveurs, de maquignons et de bouchers qui continuaient l’élevage Charolais dans l’Yonne. Ma vie a démarré à la ferme de mon grand-père, à Saligny (89), puis à Fontainebleau où mes parents avaient ouvert une boucherie. À 15 ans, je préférais l’élevage: École d’agriculture, puis un an de stage aux USA, un premier emploi au Pays-de-Galles, au
COMMERÇANTS
Herd-Book Hereford, et un second à la ferme de Saligny où ma famille s’installe. Une opportunité et, à 27 ans, je me retrouve
« Se démarquer, ne pas faire comme les autres, tel fût mon choix : commercialiser des produits que j’aimerais manger et donner à mes enfants ! »
à Rungis, chez Jean Cornelius, dans l’ambiance étonnante de ces nuits à Rungis, au cœur de l’univers du commerce avec 1 500 animaux vendus par jour. Au bout de 3 ans, il a fallu choisir, j’ai pris du recul et je suis revenu sur Sens. » C’est alors que Jean Denaux cherche à tirer parti du savoir accumulé et la Société Denaux de négoce de viande est créée en 1985. Au cours de ces 20 ans d’activité, de nombreuses péripéties, une clientèle affinée et des produits haut de gamme, « ce qui m’a permis de travailler la viande que j’aime, dont je suis fier et sur laquelle je sais m’exprimer. Je vends mes viandes à la restauration gastronomique dans un rayon de 100 kilomètres, de Saulieu à Paris, avec des livraisons quotidiennes et partout en France à des clients rencontrés par le bouche à oreille et sur les salons spécialisés. Ici, on ne vend pas de “ la viande ”, on vend “ des produits ”, des produits précis ou des familles de produits de même origine ; mes critères de choix sont la régularité de l’approvisionnement et la fiabilité du fournisseur. Ne rentrent chez nous que de l’Agneau fermier du Quercy, de l’Agneau de lait des Pyrénées, du veau fermier élevé sous la mère de la région de Brive, du porc des Cul noir du Limousin, du porc de Bigorre, du bœuf Hereford ou du bœuf Wadiou importé d’Australie et qui est un proche parent du bœuf de Kobe qu’adorent les Japonais. Et quand même, comme on est en Bourgogne, je fais aussi de la génisse Charolaise, de la bonne, avec une viande rouge et grasse, des bêtes ne dépassant pas 350 kilos. » L’histoire du porc Cul noir illustre bien la démarche de Jean Denaux : « Un jour, un client restaurateur m’a dit “ ton porc,
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Quelques chiffres 32 % DES EXPLOITATIONS pratiquent l’élevage bovins viande. LE CHEPTEL BOVIN : 1 340 400 dont 65 300 vaches laitières et 460 000 vaches allaitantes. LE CHEPTEL OVIN : 312 000 dont 207 000 brebis mères. LE CHEPTEL PORCIN : 190 600 dont 19 700 truies mères. LE CHEPTEL ÉQUIN : 18 280 dont 1 300 poulinières lourdes. 4 MARCHÉS AUX BESTIAUX : Charolles, Corbigny, Moulins-Engilbert et Saint-Christophe-en-Brionnais. 15 ABATTOIRS traitent 98 000 tonnes de viande dont : • 83 000 tonnes de gros bovins ; • 2 018 tonnes de veaux ; • 10 904 tonnes de porcins ; • 1 397 tonnes d’ovins et caprins ; • 156 tonnes d’équins. 76 ENTREPRISES DE TRANSFORMATIONS de viande et de poisson. Source AGRESTE 2003.
c’est zéro ! ” Par coïncidence, un visiteur me parle le même jour du porc Cul noir de Saint-Yrieix ; contact avec le syndicat des producteurs, découverte d’une race de cochons élevés en plein air, sauvée de la disparition par la passion de quelques éleveurs, devenue invendable à cause de son poids de 200 kilos carcasse et de ses 12 centimètres de lard de couverture mais avec ce fameux goût de noisette apporté par une nourriture sylvestre. Mes bouchers, les plus âgés, étaient ébahis : il n’avait plus vu un tel produit depuis 30 ans ! »
À la rencontre des professionnels… Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Corse et Monaco
ALAZARD ET ROUX SA • ALPES PROVENCE
DUFOUR SISTERON SA • DV • EPIC LES ABATTOIRS DE MEGÈVE •
AGNEAUX • AUDIGIER Roger SA • AZUR VIANDES
EYRAUD SA • FARJAS SA • FRANCE AGNEAU GÉNÉRALE DES
• BAILET JEAN-LOUIS SARL • BASTARD FRÈRES •
VIANDES • FRIMO • GABRIEL SA • GANDOLFI et Fils • GESLER ETS •
BOVIS ET MATHON • BSO • CARAVELLE •
HAUTE SAVOIE VIANDE • HSAD • MEJEAN ETS • MONIER SA •
CARREL J • CASTELLI Frères • CBS • CHANEAC ETS
MRJ • PASTORET ET CIE SA • PAULIAT ET CIE • PLAN FAYET
• CHARVERON Frères• CHEVILLE DAUPHINOISE
• PRES-VERTS • RIGAULT ET CIE • ROSNOBLET SA • ROYAL
DES VIANDES • CHEVILLE DE L’ISÈRE • CIBEVIAL
VIANDES • SEFA • SICA DE GRILLON • SODELY • SORHOPRAL •
• COINTA • CORBASIENNE DES VIANDES (STE)
SOVIBER • SOVIHAL • SOVISAL • TROPAL VIANDES • VIVANDA
• CROZET • DESBOIS TORINI • DEVEILLE SAS •
• ZONIENNE DES VIANDES STE NOUVELLE
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En Rhône-Alpes
Une culture de la viande très ancienne, un secteur boucher bien structuré, une forte tradition gastronomique : telles sont les facteurs, aujourd’hui, qui permettent à la Région Rhône-Alpes de demeurer une des plus importantes places en France pour les métiers de la viande avec la première fédération régionale de la FNICGV par le nombre d’adhérents.
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Cibevial, le cœur du commerce de la viande à Lyon
« Pour la petite histoire, c’est mon grandpère qui a introduit le Limousin à Lyon dans les années trente ; on n’abattait pas de
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Charolais l’hiver et il fallait approvisionner le marché de la viande. Petit à petit, le Limousin a même supplanté le Charolais sur Lyon jusqu’à devenir la viande traditionnelle du boucher lyonnais. » Henri Gabriel est, à la troisième génération, le président de la Maison, une des plus fameuses du carreau lyonnais. « Mon grand père, fils d’un marchand de bestiaux de la Loire, s’installa à Lyon (69), aux abattoirs de Vaise, en 1920 pour acheter et abattre du bétail; dans les années trente et quarante, il possédait la plus grosse affaire de cheville de Lyon. Mon père, Marcel, prend la suite après la deuxième guerre, et moi, je suis rentré dans l’entreprise au début années quatre-vingt après une école de
commerce, des séjours à l’étranger où j’ai appris le métier d’ouvrier d’abattoir. » De retour à Lyon, Henri prend la direction d’un atelier de découpe, puis c’est l’installation à Corbas, avec le rapprochement professionnel des Établissements Gabriel de France Agneau et d’Hippo Rhône-Alpes. C’est autour de ce noyau, et sous la présidence de Marcel Gabriel, que se restructurera, en 1992, le
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fonctionnement actuel de Cibevial. En 1994, Henri qui n’a pas encore 35 ans, est coopté pour succéder à son père à la tête de cette organisation. « Notre entreprise a toujours connu une progression régulière; le déménagement de La Mouche vers Corbas aurait pu être pénalisant puisque nous sommes fournisseurs de la grande boucherie lyonnaise et de restaurants
«Les bœufs naissent chez les éleveurs à la campagne, dans les prés, la viande naît à l’abattoir et le bifteck dans la poêle, à la cuisine. Ce sont trois savoir-faire bien distincts, participant tous à la qualité du produit consommé.» De La Mouche à Corbas Henri Gabriel retrace l’histoire de la cheville lyonnaise qui « a toujours eu la particularité de s’appuyer sur un lieu de concentration gigantesque, un site comparable à ce qu’aurait pu représenter La Villette pour Paris : le marché de la Mouche, au plein cœur de Lyon. Ouvert en 1925 sur le modèle de l’abattoir de Chicago, ce gigantesque complexe de 25 hectares abritait une activité foisonnante: halle aux bestiaux, abattoirs et cheville. Jusque dans les années soixante, il s’y est abattu 30000 tonnes de bovins par an. En 1977, 52 entreprises officiaient à la Mouche ; elles déménagèrent vers le nouveau site de Corbas, le Complexe International du Bétail et de la Viande, Cibevial. Les professionnels, en accord avec la municipalité, ont-ils commis une erreur en continuant dans le même esprit de partage des rôles : transporteurs,
abatteurs, commerçants ? Peu d’entreprises ont compris que les temps changeaient et que l’ère industrielle de la viande arrivait avec la construction de nouveaux outils industriels dans les départements périphériques de la région. Ces nouvelles structures, travaillant avec la GMS, ont pris en peu de temps l’ascendant sur la cheville traditionnelle qui s’appuyait sur les bouchers artisans. Lyon a gardé sa spécificité et son attractivité de grande place de la viande ; cependant, depuis une dizaine d’années, on constate une prise de conscience collective, par les professionnels, du déclin général des métiers de la viande, chute du volume d’abattage, fermetures d’entreprises de négoce de viande. Il reste 9 entreprises à Corbas aujourd’hui et il faut s’attendre à de nouvelles concentrations, à des restructurations avec de nouveaux outils industriels. »
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En Rhône-Alpes
étoilés réputés. Aujourd’hui, nous travaillons aussi avec la grande distribution et un atelier de découpe adapté à ces demandes. » Henri Gabriel aime à souligner qu’il a la fierté d’avoir emboîté les pas professionnels de son père et de son grand-père: «Je fais le même vieux métier, pourtant ce n’est pas toujours facile de s’accrocher à l’ancien système : achat de bétail vif et cheville ; c’est notre culture et j’y suis attaché. Je continue à acheter mes animaux sur les marchés de Corbas et de SaintChristophe. Nous avons aussi développé une stratégie de marques, mais à Lyon, c’est l’enseigne et la notoriété de l’entreprise qui est synonyme de qualité ; les grands bouchers et restaurateurs font confiance à leur fournisseur. La viande de bœuf est un produit complexe, il ne peut pas se standardiser. Un muscle ne ressemble pas à un
«La plus grande ressource d’une entreprise, ce sont les hommes qualifiés. Le jour où ces hommes auront disparu, ce sera fini pour nous et notre métier; quelles que soient les crises traversées, la difficulté d’approvisionnement en bêtes, s’il n’y a pas les hommes pour apprécier et travailler la viande, il n’y aura plus de bons produits.»
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autre et seul un professionnel sait voir les différentes qualités. Un bœuf labellisé et étiqueté Charolais, Limousin ou Salers ne fait pas forcément de bons muscles, de la bonne viande. C’est un malentendu, une dérive publicitaire ! » > Le directeur administratif de Cibevial de Lyon-Corbas est un homme occupé ; Joël Gaillard organise la visite de « ce site d’autant plus impressionnant qu’il est aujourd’hui unique en son genre dans l’hexagone. Cibevial qui est la continuation logique du marché de la Mouche à Lyon avec un marché aux bestiaux, flanqué d’un abattoir et prolongé par un marché de la viande et de produits tripiers. Toutes les étapes de la filière viande, depuis l’éleveur producteur jusqu’au détaillant boucher, se trouvent réunies dans le même bâtiment de 28 000 m2 ». Joël est responsable
CIBEVIAL Mis en service en 1977, les abattoirs de Corbas, dans la proche périphérie de Lyon, se sont montrés dignes de leur titre de Complexe international du Bétail et de la Viande – Cibevial. Cette implantation, décidée et soigneusement préparée par les chevillards qui travaillaient jusque-là sur le site des abattoirs de la Mouche, en activité depuis 1925 dans le centre ville, est soutenue et structurée par la COURLY – Communauté urbaine de Lyon. L’idée est simple: toutes les étapes de la filière viande, depuis le producteur de bétail jusqu’au détaillant qui doit servir le consommateur dans sa boucherie, doivent se retrouver sur un site unique, fonctionnel, adapté aux meilleures normes en matière de sécurité et d’hygiène, possédant des structures et un outil industriel d’abattage de grande envergure. Ce doit être aussi un lieu de convivialité et d’échange, possédant bâtiment administratif, infirmerie, espaces de détente et de restauration pour tous les acteurs de cette filière : éleveurs, engraisseurs, négociants de bétail, vétérinaires, abatteurs, chevillards, bouchers. Le complexe de Corbas s’étend sur une superficie de 11 hectares, dont 2,8 couverts. Le vaste bâtiment en forme de U comprend, en sa partie centrale, un vaste abattoir avec de chaînes d’abattage (800 bovins et 4 000 ovins par semaine) ; les deux branches qui le prolongent sont le marché vif accompagné des bouveries d’un côté, et le marché des viandes et des cuirs de l’autre. Cibevial, qui emploie 75 personnes, joue un rôle de prestataire de service pour la dizaine de grands opérateurs qui demeurent encore aujourd’hui sur le complexe et
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qui sont ses actionnaires : FranceAgneau, Gabriel SA, Corbasienne des Viandes, MRJ SA, Marché aux cuirs, Vienne Viande, Chapelle, SODIVIAL, VIABAT. Plus de 7000 animaux par semaine sont réceptionnés dans les bouveries et bergeries (350000 animaux en transit par an) et, chaque mardi, 1 000 bovins sont apportés par les éleveurs, commissionnaires ou marchands sur le marché vif de Corbas. L’abattoir, performant et adaptable, a une capacité de 50 gros bovins par heure, 70 veaux ou 250 ovins. Chambres froides et chambres de ressuage y font suite pour accéder, à l’autre bout, au marché des viandes qui se tient tous les matins dans les carrés appartenant à chacun des grands opérateurs-actionnaires. L’abattoir Cibevial traite aujourd’hui plus de 15000 tonnes annuelles, ce qui le place toujours parmi les premiers abattoirs bovins et ovins de France.
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En Rhône-Alpes
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Rôle de la FNICGV-RhôneAlpes aujourd’hui L’URCE – Union régionale Centre-Est – est l’instance représentant la FNICGV dans les sept départements de la région RhôneAlpes ; trente-sept entreprises y sont adhérentes. Henri Gabriel, l’actuel président, se souvient : « J’ai succédé à Jean Monnet à la tête de la fédé RhôneAlpes dans les moments difficiles de la crise de la vache folle. Il a fallu se battre. Toutefois, on a assisté à une grande solidarité entre les gens du métier, pourtant habituellement individualistes. Lors de la crise de la vache folle, je me souviens du blocage du péage autoroutier de Villefranchesur-Saône pendant une demi-journée. Nous reprochions aux Pouvoirs publics de ne pas avoir communiqué suffisamment, de n’être pas lisible dans les décisions prises, et même contradictoires. On avait l’impression d’être face à une administration aveugle et obstinée raisonnant sur des textes tatillons et complètement dépassée par les enjeux économiques et humains à gérer. Sous la direction de Laurent Spanghero, nous, à la FNICGV, nous avons communiqué avec nos adhérents, nous les avons informés au mieux pendant cette période difficile et ici en Rhône-Alpes, nous avons eu la chance de nous appuyer sur une interprofession cohérente qui fonctionne bien. »
«La baisse d’activité est liée à la production: moins d’animaux à vendre, des prix trop élevés par rapport à l’import et, peut-être aussi, un éventail moins riche en qualité et en variété de produits aujourd’hui très ciblés et de plus en plus standardisés.»
de la gestion de cet outil industriel pour les neuf actionnaires, grosses entreprises de cheville, grossistes en viande, en produits tripiers ou en cuir, qui permettent, à 90 %, le fonctionnement de ce complexe. « Cibevial n’intervient que comme
prestataire de service pour ces actionnaires. La responsabilité commence avec les animaux vivants qui nous sont confiés, de leur nourriture et de leur bien-être avant leur passage au marché de vif puis à l’abattoir et, de l’autre côté de la chaîne, nous
nous chargeons des carcasses et de leur réfrigération avant de les restituer au client. » Séverine, responsable qualité, salariée de Cibevial établit « le lien entre les services vétérinaires et les entreprises utilisatrices et veille à la mise en place des travaux qui vont être entrepris pour la mise aux normes des locaux car, aujourd’hui, les opérateurs souhaitent désosser les muscles ». Des rails en hauteur dirigent les carcasses vers les carrés des entreprises sur le marché de la viande. Chacun d’entre
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eux les expose pour la vente ou les stocke à l’arrière, dans des chambres froides. Lorsqu’on lui pose la question de l’avenir de Cibevial, Joël Gaillard, peut-être tenu par un devoir de réserve, reconnaît néanmoins que « l’activité a diminué. On a perdu 2 000 tonnes sur ces deux dernières années, sur les bovins comme sur les ovins. Il y a un problème avec les marchés de gros. La clientèle traditionnelle, des bouchers professionnels, est moins nombreuse et hésite à se déplacer tout comme les restaurateurs. Certaines grosses boucheries envoient encore quelqu’un ramasser la mise sur les fins de marché. » > Lorsque son père a pris sa retraite, Jacques Martial s’est retrouvé seul à la tête de la petite société familiale. Il décide alors de fusionner avec un autre chevillard tout aussi esseulé. C’est ainsi qu’est née, en 1993, MRJ SAS. Jacques est le directeur général. Ses clients sont à 80% des boucheries de détail, un tiers faisant de la viande halal. « Ce secteur se développe de plus en plus et nous permet de tenir. Lorsqu’elles ferment, les boucheries traditionnelles sont reprises par des Maghrébins qui nous font confiance. Ils parlent beaucoup entre eux et nous font une bonne réputation. Ils apprécient la qualité de la viande bovine que nous faisons venir sur pied du Limousin. Les Maghrébins sont des clients d’autant plus intéressants qu’ils sont les derniers à nous acheter des avants. » Les bêtes sont abattues par Cibevial, dont nous sommes actionnaires à hauteur de 15 %. La société a également des parts, avec les abattoirs de Corbas, dans une société de cuir, la Smac. « Les peaux viennent de Cibevial.
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En Rhône-Alpes
Elles sont stockées chez nous, salées puis triées par catégories. Nous en vendons 4 500 tonnes par an aux tanneurs, principalement à l’export : Italie, Japon pour le cheval, Chine… Nous savons que notre cuir est entre de bonnes mains et que nous serons payés. Ce n’est pas toujours le cas dans ce milieu. Avant, les peaux venaient toutes de Lyon. Mais avec la baisse de la production, nous les faisons venir de toute la région et même de Normandie, de Bretagne et du Sud-Ouest. En tant que chevillard, notre difficulté est justement l’approvisionnement. Pour l’instant, nous arrivons à fournir notre clientèle car la consommation de viande baisse au même rythme que la production. Mais les prix montent. Et ce n’est pas fini. La réforme de la PAC n’engage pas les éleveurs à
« Le métier change. À nous de trouver des opportunités.»
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produire. Peu à peu, les prix vont flamber, il sera de plus en plus difficile de trouver de la viande française ou européenne. »
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Deux frères dans la région lyonnaise
Laurent Charveron n’a pas écouté son père qui lui conseillait de poursuivre ses études après son BTS technico-commercial, option viande carnée. À 20 ans, pressé d’entrer dans la vie active, il intègre la Société Charveron Frères, créée par son père une dizaine d’années plus tôt. Mais au bout de quelques mois, le ciel lui est tombé sur la tête avec la crise de l’ESB. « On s’en est remis mais je n’ai connu le métier qu’en crise. Avec une formation plus poussée, j’aurai pu faire autre chose, travailler autrement. Maintenant, à 30 ans, je suis gérant de la société. Je pourrais reprendre des études mais j’aime la diversité de ce métier et je ne sais pas si je pourrais m’en passer!» Le jeune homme apprécie notamment la convivialité des marchés où il achète le vif ; il aime découper une bonne viande pour des bouchers traditionnels qui apprécient la qualité. Mais la boucherie traditionnelle disparaît peu à
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«Avant l’application de la loi des 35 heures, les gens gagnaient plus d’argent en travaillant beaucoup, sans compter les heures, et maintenant c’est devenu difficile; il faut s’adapter à un modèle peu coutumier dans nos métiers.»
État des lieux du commerce en gros des viandes en Rhône-Alpes Henri Gabriel retrace l’évolution du commerce en gros des viandes : « Indépendamment de Lyon, les grands centres urbains de la région ont possédé des abattoirs municipaux où officiait tout un monde de marchands de bestiaux, abatteurs et chevillards, traitant d’énormes volumes jusque dans les années quatrevingt. La profession de chevillard, indissociable de la capitale rhodanienne, s’est réellement structurée après la Première Guerre, dans les années vingt, complétant une activité des marchands de bestiaux ; ces deux métiers, souvent exercés par les mêmes hommes ou au sein d’une même famille, s’appuyaient sur l’important bassin d’approvisionnement qui
enserre la région de tous côtés, prolifique et diversifié en races bovine et ovine. Par ailleurs, la familleentreprise constitue une notion fondamentale de l’univers du négoce lyonnais ; en effet, de véritables dynasties de la viande se sont mises en place autour de nombreuses entreprises familiales de cheville et de boucherie avec trois ou quatre générations successives. Au niveau du commerce de la viande, Rhône-Alpes demeure une plaque tournante entre le Nord et le Midi de la France et d’ailleurs une des vocations de la région, depuis les temps les plus reculés, est d’exporter vers le Sud-Est par le Rhône. De même, grâce aux marchands de bestiaux, il a toujours existé un échange traditionnel très fort avec l’Italie du Nord, via les Alpes. »
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En Rhône-Alpes
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La FNICGV à l’écoute de ses adhérents Henri Gabriel poursuit : « Dans ce métier, il y a l’avant 28 mars 1996 et l’après. Avant la crise de l’ESB, on pouvait très bien vivre et travailler seuls, dans son coin, sans appui. Aujourd’hui, c’est impossible sans un outil comme la Fédération : il nous faut être au courant de tout, du sanitaire comme du social ou de la formation du personnel. Notre profession s’est beaucoup compliquée avec les années et la réactivité de la fédé est un atout : il y a un problème, on téléphone et on a la réponse tout de suite. On sait quoi faire. On a besoin de gens pour nous représenter au plus haut niveau car nos adhérents doivent rester sur leurs entreprises, des gens pour défendre les couleurs de notre métier, aller dans les ministères et les instances européennes pour gérer des problèmes souvent d’ordre politique. »
peu et l’entreprise doit innover: Laurent et son frère Jérôme ont développé le secteur halal et aujourd’hui, ils misent sur les produits élaborés pour attirer de nouveaux marchés. «Avant, c’était plus facile. Il n’y avait pas de problèmes de traçabilité engendrant des surcoûts énormes difficiles à répercuter. Des normes, il en faut. Mais quand on a un fonctionnaire un peu trop zélé sur le dos, c’est psychologiquement pénible. Travailler beaucoup pour un salaire qui ne suit pas, ce n’est rien. Le problème, c’est le moral. De plus, aujourd’hui, nous sommes trop nombreux. C’est difficile de faire face aux gros. Il faudrait une prime pour faciliter le regroupement
des petits ou la cession d’activité, comme dans l’agriculture. » Malgré tout, Laurent sait qu’il a deux atouts : la FNICGV qu’il trouve très à l’écoute, qui a aidé la société dans son activité export vers l’Algérie ou lors du rachat de l’abattoir. Et la famille. « Dans une entreprise familiale, on s’épaule. On est proche du personnel. C’est un plus face aux difficultés, celles d’aujourd’hui et de demain ! »
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Tous les métiers de la filière dans une entreprise de l’Isère
C’est une belle réussite que celle de la Maison Carrel ; pourtant les drames familiaux ne lui ont pas fait défaut pour
entraver sa progression exemplaire depuis 50 ans. Le grand-père de Stéphane Carrel, l’actuel président « tenait la boucherie du village d’Hières-sur-Amby (01). En 1958, il est tombé malade et mon père, qui avait fait l’école des Beaux-Arts, a dû faire un choix cornélien ; il a décidé de revenir et n’a plus quitté le métier de la viande. Avec ma mère, ils étaient entreprenants et à partir de ce commerce où ils ont débuté avec un seul employé, ils ont construit en 40 ans une entreprise possédant une dizaine de filiales dans la région: négoce de bétail vif, abattoirs, travail de grossistes, usines de découpe, de salaisons, de saucisserie… Je suis entré dans l’entreprise
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en 1983 où j’ai tout appris sur le tas. Malheureusement, en 1998, mon père est décédé brutalement, et mon frère aussi, à quelques mois d’intervalle. J’ai donc dû endosser la direction de l’entreprise. Mais comme mon père déléguait beaucoup de responsabilités à des collaborateurs, des hommes très impliqués dans l’affaire, de véritables piliers de l’entreprise sur les divers sites, la passation s’est très bien passée. » Le siège de cette entreprise est toujours situé sur son lieu d’origine, au Nord de l’Isère, au carrefour du Rhône, de L’Ain, de la Savoie et de la Drôme où sont réparties ses filiales, avec particulièrement un gros outil à l’abattoir de Bourg-enBresse (01), le plus gros en Rhône-Alpes. « Nous avons surtout développé les spécificités de notre région, en particulier le porc lourd, de grande qualité, orienté pour 85% vers la salaison. Mon père disait: “pas de viande maigre, sans gras autour parce que la chair est sèche et de mauvaise qualité, dure à cuire ; n’achetons que du porc de qualité, même si on doit le dégraisser, sinon on perdra toutes nos parts de marché ”. Et il avait raison, nos clients nous sont restés fidèles. Notre vocation première est d’approvisionner les grands salaisonniers de la région lyonnaise où le saucisson et le jambon sont une tradition de qualité, mais aussi de travailler à l’export avec l’Italie qui achète nos produits pour ses jambons de luxe. Alors, nous passons des contrats très pointus avec des éleveurs, qui s’engagent à respecter un cahier des charges qui nous est spécifique : un porc pesant 7 à 8 kilos de plus que la normale, avec 57 % environ de couverture de gras. »
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En Rhône-Alpes
Que des produits régionaux
À l’âge de 20 ans, le PDG de Tropal Viandes a appris le métier au bas de l’échelle, sur une chaîne d’abattage. Son père avait déjà une entreprise de viande et, après cette formation sur le tas, Bruno Troccon joue de l’opportunité de développer une plus grosse activité ; en 1999, lors de la mise en service de l’abattoir flambant neuf de Bourg-en-Bresse (01), il fusionne avec la société Tropal Viandes créée en 1985. « L’abattoir de Bourg est sûrement le dernier bel outil public d’abattage qui s’est construit en France. Nous ne commercialisons que la marchandise que nous abattons, assurant notre propre logistique et livrant tous nos clients avec un approvisionnement régional assuré par Bovicoop. La coopérative, qui est dans notre capital, fournit la majorité de nos
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besoins ; ses acheteurs salariés vont sur les marchés aux bestiaux de Bourg et de Saint-Christophe. Par contre, les porcs proviennent d’éleveurs indépendants ou de groupements d’éleveurs de la région. Nous tenons beaucoup à cette connotation régionale, une caractéristique de notre entreprise ; notre clientèle le sait, que ce soit les bouchers, les artisans salaisonniers, les industriels de la viande ou même la grande distribution locale. Nos produits sont désossés et conditionnés dans un atelier de découpe agréé CEE. Nous ne faisons pas de tranchage. » Comme dans beaucoup de société d’abattage aujourd’hui, Tropal viandes abat selon le rite musulman halal et, chose assez rare en France, selon le rite casher. « C’est un petit volume pour nous, mais nous sommes l’abattoir le plus au Sud de
« De nos jours, il faut savoir saisir toutes les opportunités, réagir rapidement.»
la France qui le pratique. Cette viande s’adresse à une clientèle du Midi de la France. »
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Trois entreprises dynamiques dans la Loire
La boucherie Monier, fondée par Wilfrid Monier en 1888 à Sury-le-Comtal (42), possédait déjà son propre abattoir. Son arrière-petit-fils, Frédéric Monier raconte: « Cent ans plus tard, le 8 octobre 1988 précisément, nous avons ouvert notre premier atelier de grosse découpe, désossé notre premier quartier de bœuf pour la revente hors boucherie. » Entre ces deux dates, la famille Monier a vécu une paisible et prospère évolution sur trois générations. À Wilfrid, qui déjà expédiait des veaux de lait dans le Midi de la France, succédèrent Félix en 1917, puis Jean en 1948. « Mon père, Jean Monier, après l’interdiction d’abattre en privé, a racheté l’abattoir municipal de Sury en 1971, en lui conservant une fonction d’outil public pour d’autres abatteurs. Évidemment, il a
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considérablement augmenté ses quantités d’abattage.» Dans les années quatre-vingt, Pierre et Frédéric rejoignent l’entreprise avec comme perspective les GMS : création d’un atelier de deuxième transformation en 1988, achat d’une usine au Puy-en-Velay (43) spécialisée dans la viande hachée, tranchée et surgelée et développement en 2000 de produits frais. C’est aujourd’hui un groupe de 150 personnes particulièrement bien charpenté en quatre structures : Monier SA achète des animaux vivants et vend des carcasses; Monier Viandes achète des carcasses et vend des produits sous vide ou du minerai congelé; Monier Viandes-Produits élaborés achète des muscles et du minerai frais ou congelé pour revendre des produits élaborés ; et une société propriétaire de l’immobilier est chargée de l’exploitation des abattoirs. « Notre approvisionnement est régional, sur la région Rhône-Alpes, mais aussi le Cher, l’Allier et la Saôneet-Loire pour le Charolais, plus du bœuf Limousin acheté dans son bassin d’origine.
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En Rhône-Alpes
Positionnés dans les viandes de qualité supérieure, nous sommes les premiers industriels à distribuer, devant les grandes structures concurrentes, de la viande bovine Label Rouge Charolais Terroir pour 60 % à la grande distribution, 20 % à la RHF et 15 à 20 % pour le commerce traditionnel de bouchers de Saint-Étienne et du Sud de la France. »
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> « Ma famille est originaire du HautForez, mon grand-père et mon père y faisaient de l’abattage de veaux, puis petit à petit de bovins. » C’est à la mort prématurée de leur père, en 1981, que Jean-Michel Deveille, le frère aîné de Thierry, a décidé de transplanter cette activité d’abattage bovin familial à Feurs (42). Thierry a débuté dans l’affaire en
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« Mon père me disait : écoute bien petit, la viande moins tu la touches et plus tu gagnes ! Et c’est vrai qu’on gagnait mieux notre vie en vendant des carcasses qu’en faisant des découpes, des transformations et du conditionnement de biftecks en barquettes. » Souvenirs d’un professionnel : Jean Monier «J’ai 78 ans,
« On a grandi avec les boucheries de quartier, mais on ne sait plus faire ce métier, car nous sommes trop lourds. La boucherie traditionnelle de détail a un coût humain et salarial que nous ne pouvons plus supporter, notamment du fait des 35 heures. »
retraité depuis 13 ans. Mais tous les matins, je viens faire mon tour à l’entreprise, mettre mon petit nez et y aller de ma petite critique, voir mes vieux employés dont certains ont 40 ans de maison. Ils travaillent beaucoup et je dois dire qu’ils se débrouillent bien car le métier est de plus en plus compliqué. J’avais été élevé à la dure, comme apprenti, à nettoyer les tripes, dès 3 heures du matin. Nous avions une grosse boucherie avec un abattoir attenant, à Suryle-Comtal (42). On faisait surtout l’expédition de veaux blancs en carcasses, de vrais veaux de lait issus de croisements de Charolais qu’on appelait des poupons nourris au lait et aux œufs, vers le Sud, à Monaco et toute la Côte d’Azur ; on servait aussi la marine nationale à Toulon. J’ai gardé d’excellents souvenirs de ce temps-là lorsque j’accompagnais la livraison en camion. Puis on a développé le bœuf devant l’importance grandissante du commerce de veau pour l’Italie. Aujourd’hui, je m’occupe, pour mes fils, du domaine agricole : 170 Charolaises, des nourrices qui font des veaux vendus en Italie à 7-8 mois. Il est loin le temps où l’on allait acheter des bœufs à la bloque (à la traverse) sur le marché de Saint-Christophe-en-Brionnais, qui est un peu comme mon deuxième pays. Il m’arrivait d’acheter 100 vaches par marché. J’avais le n°17 sur le Mur de l’argent. Je sortais 7 millions de francs à la banque avant d’y aller ; c’était avant les chèques… Dans les années quatre-vingt, j’ai fait des voyages en Amérique avec la Fédération pour voir leurs abattoirs, les machines à steaks hachés, prendre des idées. J’ai de grands souvenirs à la FNICGV tout au long de ma vie professionnelle. J’ai adhéré à 21 ans, vers 1948. J’allais à toutes les réunions à Paris, 2 rue Jean Goujon ; j’ai même fait partie du bureau pendant de nombreuses années, élu par les représentants régionaux. Maintenant mon fils Frédéric est vice-président régional. Je me souviens du Président Lemaire-Audoire, un des premiers élus, un homme qui avait la stature d’un ministre, d’ailleurs il avait son macaron sur sa voiture pour rouler dans Paris. Marcel Quiblier était un grand ami. Enfin, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour l’élection de mon ami Spanghero, un homme avec beaucoup d’envergure et de personnalité ; il a rendu à notre profession bien des services ! »
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1989: «je dois dire que mon frère m’a tout appris. Jean-Michel a toujours été un passionné de beau bétail, le Charolais en particulier ; il fréquentait les concours de bêtes à viande et les marchés aux bestiaux. L’abattoir, monté en association avec une quarantaine de bouchers locaux, se spécialise dans le bovin selon le désir de mon frère puis il rachète les parts des autres associés ; on faisait entre 350 et 400 bêtes abattues par semaine, rien que des carcasses et de la grosse découpe, expédiées un peu partout en France, mais surtout vers le Sud-Est. En 1988, c’est 500 bêtes, et on commence à faire du muscle désossé sous vide pour Auchan qui voulait lancer la viande Charolaise. Jusque-là nous étions des “ expéditeurs en viande ”, nous sommes entrés dans le monde industriel en créant une usine de découpe et de conditionnement à côté de l’abattoir. Pour nous aider dans les tâches administratives, en 1990, Jacques Meley entre à l’entreprise comme comptable. Il va vite prendre du galon et très vite, il gérera toute la partie administrative et le personnel. » Les frères Deveille lui proposent de rentrer dans le capital de l’affaire pour 20 % ; aujourd’hui, après le retrait de Jean-Michel, il est devenu co-directeur avec 50 % des parts. Après une expérience dans l’import d’animaux vivants, puis de carcasses, brusquement arrêtée avec la crise de 1996, l’entreprise Deveille tourne aujourd’hui à 600 bovins. « Dernièrement on a essayé d’évoluer dans le secteur du cuir : premier travail de salage, maintien en réfrigération et expédition vers des tanneries en Italie, Turquie et même en Chine. »
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> En trois générations, c’est l’histoire d’un développement atypique mais gagnant que celui de la société de boucherie Despinasse dont l’empire couvre aujourd’hui un très grand quart Sud-Est de la France. Quelques dates clés : en 1933 Louis Despinasse ouvre sa boucherie stéphanoise qu’il transmettra en 1970 à ses deux fils, Jean-Michel et André qui vont donner une nouvelle ampleur à ce commerce de détail en développant la cheville et
«Il y a deux sortes de clients : ceux pour qui la qualité prime ; ils sont environ 20 %. Les autres ont une priorité : le prix.»
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la livraison vers les collectivités, avec en point d’orgue, en 1979, la création d’une petite usine de première découpe. En 1985, c’est l’ouverture du premier Espace Fraîcheur, un nouveau concept de magasin de périphérie urbaine spécialisé dans la distribution de produits frais ; 37 points de vente sont en activité aujourd’hui dans le quart Sud-Est de la France. Nouvelle étape en 1991, les débuts d’une collaboration heureuse avec le groupe de distribution discount ED, l’ouverture et la gestion de 115 points de vente de boucherie à l’intérieur des supermarchés de Rhône-Alpes et du Sud. Jean-Michel, patriarche volontariste de 61 ans, tient bon la barre et s’apprête à passer le relais à la troisième génération, ses fils David et Laurent. «J’ai la chance que mes deux garçons s’intéressent au métier et je n’aurais pas à céder mon entreprise à un gros groupe. Pour exister demain à côté d’eux, il vaut mieux se faire une niche, un créneau particulier, plutôt que de faire un peu de tout. » En attendant, les surfaces de périphérie ou de proximité du Groupe Despi, ainsi que les rayons boucheries du groupe ED prospèrent ; une nouvelle enseigne Côté Halles, un concept commercial des produits frais
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« Nous adaptons nos livraisons et nos horaires en fonction des besoins de nos clients. Ils peuvent demander un supplément de commande la nuit sur un répondeur, nous les livrons au petit matin. C’est notre valeur ajoutée pour défendre notre territoire. »
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Quelques chiffres CHEPTEL BOVIN : 22 000 élevages dont 5 000 spécialisés en viande bovine ; 175 000 vaches allaitantes. CHEPTEL OVIN : 3 100 exploitations ovines ; 303 000 brebis. 5 MARCHÉS AUX BESTIAUX : Saint-Étienne, Saint-Laurent-de-Chamousset, Chambéry, Lyon, Bourg-en-Bresse. 29 SITES D’ABATTAGE dont 7 qui font plus de 7 000 tonnes de gros bovins par an. PRODUCTION ANNUELLE DE VIANDE : • 66 000 tonnes de gros bovins ; • 13 677 tonnes de veaux. 2300 ARTISANS BOUCHERS. 900 GMS dont 55 hypermarchés. Source : Beviralp 2002.
à prix réduit où l’étal de boucherie voisine avec celui des primeurs, du fromager ou du boulanger, a été ouvert à Beaune en 2005. Là, ne commence-t-on pas à s’éloigner de la bonne vieille boucherie ? « Non, s’exclame Jean-Michel, nous sommes des viandards et nous le resterons ! Mon père m’a inculqué le métier de boucher et je l’ai enseigné à mes fils pareillement, à part que maintenant, avec l’outil informatique, ils se posent avant tout des problèmes de gestion de notre production, d’approvisionnement, d’abattage et de fonctionnement de nos magasins. Actuellement, 92 % de notre production viande du pôle de la Talaudière, à SaintÉtienne (42) est destinée à nos propres surfaces, le reste, du porc, allant à des salaisonniers. »
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Dans l’Ain, pour un service de proximité
Ces deux-là sont le père, Marc Gesler, 68 ans, et la fille, 43 ans. Deux autres membres de la famille travaillent avec
eux, les neveux de Marc, Jean-Marc et Pierre Faure. Avec Myriam, ils constituent la sixième génération de Gesler dans le métier. Au milieu du XIXe siècle, à Hotonnes (01) déjà, un aïeul possède une boucherie de détail et un abattoir attenant. Les années passant, les abattoirs de la région disparaissent. Sauf celui d’Hotonnes qui devient prestataire pour les autres. En 1960, l’affaire de famille passe en société. Myriam vient au monde peu après. « Cette entreprise m’a élevée, ditelle. J’ai toujours vécu dedans. Je l’aime, tout comme la région. Alors, à un moment, on ne se pose plus de question, on y va. » Après 5 ans d’études de gestion et quelques stages dans d’autres entreprises, Myriam intègre la société. « Je suis rentrée comme bouche-trou ! Ici, tout le monde est polyvalent. » Et Marc rectifie aussitôt que sa fille « est bien plus qu’un bouche-trou. Elle me permet de respirer et d’avoir moins de tracas. Elle s’occupe de la trésorerie et c’est beaucoup de soucis car nous croulons sous
des investissements nécessaires sinon nous serions morts». En 1985, l’abattoir est mis aux normes européennes. Quatre ans plus tard, jugeant que « l’avenir est au piécé et au sous vide », les Gesler construisent un atelier de découpe. En 1997, enfin, ils dotent l’entreprise d’une salaison. Voilà la
famille parée pour l’avenir. Mais il faut gérer le présent. Les GMS, qui représentent près de 60 % des clients, veulent imposer de nouvelles conditions. La société se tourne vers les bouchers traditionnels. La majeure partie de la viande proposée par les Gesler provient de la région. 20 % des
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bovins sont vendus sous le Label Rouge Charolais Terroir. « Ce pourcentage varie peu, reprend Marc, car la qualité se paie cher. Il faudrait que les éleveurs aient les moyens de faire un produit de qualité pour tous. En Argentine, la viande est exceptionnelle car le bétail est élevé au pré toute l’année, pendant presque trois ans. En France, on ne laisse pas le temps au temps. » > « Nous ne sommes pas des industriels mais de gros artisans. » Marc Ferret revendique ce statut lui permettant d’offrir un service sur mesure à ses clients : restaurateurs, boucheries de détail, collectivités pour l’essentiel. Né à Reims, Marc Ferret est arrivé dans l’Ain par amour. Fils d’ingénieur, il avait caressé l’idée de faire une grande école agricole. Mais après avoir échoué à un concours et sur les conseils d’un oncle salaisonnier, il rentre à l’Institut du lait, des viandes et de la nutrition de l’université de Caen. Là, il rencontre Josette, fille de Georges Blanc, boucher de profession et fondateur, en 1964, de la SEFA, Société
« La FNICGV nous aide aussi en apportant des solutions à nos problèmes. »
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des entrepôts frigorifiques de l’Ain, entreprise de viande en demi-gros installée à Bellegarde (01). Dès sa sortie de l’école, en 1974, Marc est embauché à la SEFA. Il en deviendra le président 18 ans plus tard. Entre-temps, il épousera Josette. « Nous avons beaucoup travaillé et nous avons eu des satisfactions. Dans les années quatre-vingt, nous avions un partenariat avec un distributeur, couvrant ainsi l’Ain, la Savoie et la Haute-Savoie. Au bout de 10 ans, le distributeur a été racheté et la collaboration s’est arrêtée. Aujourd’hui, l’entreprise est saine mais en récession. Baisse de la consommation de viande, suprématie de la grande distribution, manque de personnel qualifié et motivé… les contraintes sont multiples. La société a toujours été membre de la FNICGV. Mais il faudrait à la fédération une section intermédiaire pour les petits comme nous. À 55 ans, je vais peut-être vendre mon affaire. Je ne souhaite pas que mes enfants la reprennent. Le métier est devenu beaucoup trop difficile. »
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Deux entreprises en Savoie, à la frontière suisse
Né dans l’Aisne d’un couple d’agriculteurs, Pascal Himmesoete apprend le métier chez son frère qui exploite une activité de transformation des viandes. Au bout de 3 ans, il décide de rejoindre la capitale pour mettre en application ses connaissances. Après plusieurs expériences dans diverses maisons parisiennes, il revient dans sa région natale, ouvre une première boutique et développe une clientèle de restauration. « J’ai vendu 5 ans plus tard pour créer, en association avec mon frère, une activité de produits frais (primeurs, crémerie, surgelés…) pour les particuliers, à Château-Thierry. Après ce challenge, nous avons décidé de nous séparer et je me suis orienté vers une autre région ; mon choix s’est porté sur la Haute Savoie. En 1991, j’ai repris la SA Fournier, aujourd’hui Haute Savoie Viande à Bellegarde (01). L’entreprise réalisait un chiffre d’affaires de trois millions d’euros. J’ai dû licencier 5 personnes pour faire face aux difficultés économiques. Nous avons revu
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toute l’organisation, mis en place un service commercial qui n’existait pas du tout, une procédure de qualité, démarché auprès de grands groupes. À force de persévérance, la situation s’est améliorée autour de deux activités : la transformation de bœuf, veau, agneau, porc, d’une part, le négoce de surgelé, volaille et charcuterie, d’autre part. Notre Situation géographique, au cœur une région touristique, nous a amenés à stabiliser une clientèle de restauration, grandes tables étoilées comprises, privilégiant les races locales comme l’Abondance, élevée selon le cahier des charges Viande Pays de Savoie. Le tourisme est un atout important pour notre évolution. En revanche, avec ses salaires élevés, la Suisse attire les jeunes et nous laisse dans l’embarras quand il s’agit de recruter du personnel qualifié. Pour l’instant, nous pérennisons l’affaire. Quant à notre développement futur, il se fera sur la croissance externe. À 44 ans, je dirige Haute Savoie Viande avec conviction et sérénité. »
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> Chez Rosnoblet, à Éteaux (74), on est dans la viande de père en fils. Le grandpère était marchand de bestiaux. Le père, Pierre, a créé sa société de négoce en 1972. S’il garde aujourd’hui son titre de PDG, ce sont ses fils Yvan, 43 ans, et Patrice, 44 ans, qui font tourner la maison. Le petit-fils, lui, 17 ans, travaille dans une salaison. Reprendra-t-il l’affaire ? « Bonne question, répond Pierre. Je vais la lui poser. » S’il dit non, Pierre n’en sera pas vexé. « On a beaucoup à supporter. Dans les années soixante, c’était les coopératives subventionnées par l’État alors que nous n’avions rien ; puis, il y a eu l’ESB et maintenant c’est le poulet ! Sans parler de tout ce qu’il faut payer, les agréments, les analyses…
En Provence-Alpes-Côte c’est très contraignant. Nous avons également de gros problèmes de personnel ; les apprentis préfèrent aller travailler en Suisse. Ils sont gagnants avec le change. » N’empêche, Pierre aime son métier, « acheter des vaches et les revendre ». Malgré ses « ça, c’est mes fils qui s’en occupent », il donne l’impression de ne pas vraiment vouloir passer la main ; on le soupçonnerait même d’être très fier si son petit-fils restait dans la partie. « Pour l’instant, le métier semble lui plaire. Il restera ou pas, nous verrons bien. » En 2004, Rosnoblet SA a travaillé toutes les espèces avec une progression de 6 à 7 % pour essentiellement une clientèle de bouchers de détails.
«Nous sommes dans une filière où tous les partenaires doivent sortir le meilleur du produit. Cela passe par la formation et les compétences des hommes.»
On ne peut pas être à la fois la première région touristique de France et une grande région d’élevage. Ici, la demande foncière est importante et beaucoup d’agriculteurs ont préféré vendre leurs terres plutôt que de maintenir une production difficile. Devant la baisse de productivité des éleveurs
L’élevage en PACA
Olivier Roux, président régional de la FNICGV, retrace l’évolution de l’élevage en Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Face à la spéculation foncière, trois régions ont été miraculeusement protégées : la Camargue où l’élevage de taureaux se pratique depuis cinq cents ans dans le delta du Rhône ; la steppe de Crau où l’élevage ovin est présent depuis des temps immémoriaux avec le Mérinos d’Arles produisant un agneau de très bonne qualité ; enfin, les Alpes où existe toujours un élevage extensif de bovins plus ou moins laitiers, sans spécificité de race. Le tableau était moins contrasté il y a encore un demi-siècle où toutes les espèces étaient élevées dans la région PACA, bien dotée alors en outils d’abattage et animée par de nombreux opérateurs pour la viande. Ainsi, il y a 30 ans, c’était encore la deuxième région derrière la Bretagne pour l’élevage porcin; aujourd’hui il a quasiment disparu. La raison principale du déficit croissant de l’élevage industriel tient au fait que les agriculteurs et les éleveurs sont ici très individualistes et n’ont pas su ni voulu se fédérer en développant les groupements coopératifs. Par contre, cet individualisme a favorisé des niches d’excellence. »
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et après 1976, la plupart des abattoirs, alors publics, ont fermé progressivement. Tout cela paradoxalement dans une région où la consommation de viande est très forte, sans parler d’une population saisonnière l’été et d’un fort potentiel de restaurateurs. La boucherie de détail représente encore 20 % pour les opérateurs locaux, mais peu travaillent avec la grande distribution qui s’approvisionne hors région, sauf sur des créneaux spécifiques. On assiste aussi depuis quelque temps à l’arrivée massive des gros opérateurs nationaux qui installent régionalement des antennes et des outils pour transformer des produits dont le minerai provient d’ailleurs.
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Maître d’œuvre de l’AOC Taureau de Camargue
« Notre entreprise fut à l’origine un commerce de boucherie de détail fondé en 1934 dans la petite ville de Graveson, à
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En Provence-Alpes-Côte
12 kilomètres de Tarascon (13), par mes grands-parents maternels Alazard. Mon grand-père était un passionné du commerce de bétail ; il achetait toujours un petit peu plus de bêtes que ses besoins et il en revendait aux bouchers des villages voisins; quant à ma grand-mère Marguerite, elle faisait de la charcuterie et des plats cuisinés qu’elle vendait à des confrères bouchers-charcutiers. L’activité devint peu à peu un commerce de gros. 1961 voit la création de SA Alazard et Roux après le mariage de mes parents. Mon père a continué le travail de ses beaux-parents : un approvisionnement auprès de producteurs locaux dans un créneau de produits de qualité. » Olivier Roux et son frère François ont appris le métier dans l’entreprise familiale ; Olivier raconte fièrement l’histoire de sa famille avec son bel accent chantant de Provence. Il se souvient encore qu’en 1989, la famille Roux prend la décision de créer son propre abattoir, puisque ceux d’Arles, Salon, Aix, Apt et Avignon avaient fermé les uns après les autres. Sinon, ne pouvant plus abattre les bêtes achetées à proximité, ils deviendraient des grossistes à l’approvisionnement incertain et lointain. «Nous voulions continuer notre métier et renforcer notre partenariat avec les éleveurs locaux. En 1992, on a quitté Graveson pour s’installer à Tarascon dans l’ancien abattoir public utilisé par mon grand-père de 1934 à 1976; nous l’avons réhabilité, agrandi et mis aux normes sanitaires. » Et le pari est réussi. Fidèle par conviction profonde à ses racines provençales, l’entreprise Alazard et Roux a bénéficié, dans les années 1995-1996, d’un regain d’intérêt des consommateurs,
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État des lieux de la filière viande
Olivier Roux poursuit : « Avec donc une spéculation immobilière importante, la deuxième raison à la baisse brusque du secteur viande dans la région tient sans doute au fait que 100 % des abattoirs étaient publics et, en 1976, lorsque l’État met en place le plan visant à réduire le nombre d’abattoirs, il s’est avéré qu’aucun de ceux du Sud-Est n’était véritablement rentable faute d’avoir, à proximité, de gros volumes d’élevage. Ils ont donc tous disparu en peu d’années ne laissant que 3 outils d’abattage publics et 2 privés dans la région. Le résultat est qu’en aval, beaucoup d’opérateurs de la viande ont dû cesser leur activité. Si, en 1959, il existait environ 70 entreprises de viande avec une activité d’abattage, de découpe et de transformation, seulement 7 maîtrisent encore aujourd’hui l’abattage en PACA ; et peu de place pour l’installation de nouveaux opérateurs. Ceux qui ont choisi de se spécialiser sur de petits créneaux comme la viande à griller, les spécialités carnées, les plats cuisinés, la saucisserie, avec seulement quelques employés, ont mieux résisté que les entreprises de cheville et grossistes en viande obligées d’importer d’ailleurs la totalité de leurs carcasses. »
et donc des distributeurs, pour les produits régionaux. « Nous avons alors eu la clientèle de la grande distribution, donc des volumesplus gros, en privilégiant, bien sûr toujours, notre clientèle traditionnelle, les petits bouchers artisans. Un partenariat avec 250 éleveurs régionaux a été mis en place pour le Porc du Mont Ventoux, l’Agneau des Paysans de la plaine de Crau, le Taureau de Camargue. Dans ce dernier cas, le rôle de l’entreprise fut déterminant pour fédérer et convaincre 95 éleveurs et manadiers du delta du
Rhône de commercialiser ce produit d’exception, devenu la première AOC de viande bovine en France. Nous traitons aujourd’hui 85 % de l’AOC Taureau Camarguais dans notre abattoir. Au début, les clients étaient effrayés par un produit rustique, mal conformé, avec peu de masses musculaires, mais les premiers consommateurs ont été séduits par le goût incomparable et tendre, qui ressemble à la viande qu’on avait il y a 30 ans sur les élevages extensifs. En une quinzaine d’années, cette viande a fait partie
« Nous avons une philosophie de l’entreprise qui implique un lien très fort avec nos salariés. Quand on rentre chez nous, en principe c’est pour la vie ! Chacun est polyvalent ; ici la formation est continue. »
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En Provence-Alpes-Côte
de la gastronomie touristique régionale ; les restaurateurs la mettent volontiers sur leur carte. »
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L’agneau à Sisteron
On le sait, Sisteron (04) doit une grande partie de son renom à un fameux agneau, une réputation qui remonte aux années 1930. Construit en 1984, l’abattoir municipal
Quelques chiffres 14 ABATTOIRS . BOVINS : • cheptel : 63211 bovins dont 9134 vaches laitières et 17456 vaches allaitantes ; • abattage : 3432 tonnes de gros bovins et 181 tonnes de veaux. OVINS : • cheptel : 886447 ovins dont 606157 brebis nourrices ; • abattage : 13900 tonnes. PORCINS : • cheptel : 54540 porcs ; • abattage : 5400 tonnes. ÉQUINS : • cheptel : 13146 chevaux ; • abattage : 1100 tonnes. Sources : OREAM 2003 et Agreste 2003.
d’Azur
se flatte d’être aujourd’hui le premier site national en quantité d’agneaux abattus avec quelque 500 000 têtes par an, soit 8 500 tonnes. Deux sociétés réalisent la majorité des abattages : la SA Dufour Sisteron (59 %) et Alpes Provence Agneaux (40 %). Thierry Vial, PDG de Dufour Sisteron présente les activités du groupe Dufour « avec une antenne située
«Quand on fait 6000 agneaux par semaine, il faut les trouver!»
COMMERÇANTS
à Reillanne (04) dans le Lubéron, dirigée par Jean-Maurice Dufour, avec une activité de découpe et transformation de viande d’agneau, de bœuf et de veau. » Thierry a, dans un premier temps, travaillé comme technicien à la Socahp, une grosse coopérative d’élevage, devenue le principal fournisseur de Dufour ; puis s’ensuivent les rachats de petites entreprises locales : la cheville Richaud – qui a son importance dans l’histoire de l’agneau sisteronnais –, les Comptoirs Sisteronnais et finalement, en 1999, l’association avec l’entreprise de JeanMaurice Dufour, qui lui-même a repris la Cheville Sisteronnaise et Bouchet Frères. « La SA Dufour Sisteron fait partie des 4 ou 5 grosses entreprises d’abattage
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d’ovins en France. Ici, à Sisteron, nous jouons la carte de la qualité et notre approvisionnement est à 95 % de l’agneau français. Il faut en terminer sur certaines rumeurs qui ont couru un temps sur les agneaux de Sisteron. Dufour se procure 45 % de ses agneaux dans les départements moutonniers de la région PACA, 30 % en Midi-Pyrénées, et le reste, soit 20-25% dans le Centre et l’Est de la France, majoritairement auprès de coopératives d’éleveurs liées par des contrats d’approvisionnement. Dans le Sud, nous sommes malgré tout moins touchés par la relative précarité de l’approvisionnement que dans le reste du pays. » Thierry Vial insiste particulièrement sur la démarche de qualité entreprise ces dernières années autour des marques distribuées, « l’Agneau de Sisteron Label Rouge et l’Agneau de lait du Rastéou, des produits qu’on essaie de valoriser au mieux car ils font notre réputation. L’Agneau de Sisteron Label Rouge est couvert, depuis 2003, par une IGP et un cahier des charges très strict ; cela représente seulement 10 % des agneaux abattus à Sisteron. Nos clients sont les bouchers traditionnels auxquels nous vendons directement des carcasses ; le reste de notre production est valorisé en découpe sur notre site de Reillane pour la GMS. Nous servons également quelques grosses boucheries halal sur le pourtour méditerranéen. Ce n’est tout de même pas si facile de bien tirer son épingle du jeu ; on est dans l’obligation de fournir régulièrement notre clientèle sous peine de la perdre, alors que le marché d’approvisionnement s’amenuise régulièrement en France. »
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En Provence-Alpes-Côte
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« Ici, on insiste beaucoup sur les jeunes en apprentissage ; la formation est l’avenir de notre profession et nous sommes satisfaits lorsque les apprentis intègrent l’entreprise. » >
Ce ne fut pas un long fleuve tranquille
Chez les Long, la boucherie est une affaire de famille. Didier Long, 32 ans, est « la cinquième génération d’affilée à exercer le métier de boucher.» Pourtant, l’entreprise qu’il dirige avec Henri, son père, se nomme Eyraud SA, du nom du fondateur, Robert Eyraud, qui, en 1948, crée sur l’abattoir de Toulon une société de cheville pour le porc. À la fermeture dudit abattoir, dans les années quatre-vingt, Robert s’associe avec Henri Long. « Mon père avait une formation de boucher et M. Eyraud était plutôt un chevillard. Ils ont installé les locaux à la Seyne-sur-Mer (83), le 1er janvier 1985, avec un atelier de grosse découpe de bœuf, veau, porc pour la boucherie traditionnelle et les grandes surfaces locales. Cela s’est très
bien passé jusque vers le début des années quatre-vingt-dix où, impuissants, ils assistent à la fermeture de leurs clients bouchers artisans ; ils décident alors de se réorienter, d’abandonner la cheville et la grosse découpe, de se tourner vers la boucherie industrielle et entreprennent des travaux pour passer leurs locaux aux normes CEE et obtenir
COMMERÇANTS
l’agrément sanitaire. C’était très courageux de leur part ! » Changement d’activité, changement de structure, apprentissage d’un nouveau métier avec piéçage de la viande sous vide, développement de la saucisserie pour toucher une nouvelle clientèle : restaurateurs traditionnels et restauration collective. En 1994, le jeune Didier débute dans l’affaire. Robert Eyraud prend sa retraite en 1997 et les Long père et fils, qui ont repris l’entreprise, subissent de plein fouet la première crise de l’ESB. « Notre clientèle était répartie, à part égale, entre la restauration classique et la restauration collective sous marchés publics: écoles, hôpitaux, armée, etc. On a subi un déficit énorme de l’activité bœuf et veau, avec impossibilité de renégocier le prix du porc et de l’agneau. Résultat, quatre millions de francs d’impayés et vente à perte. En 1998, dépôt de bilan. Nous avons opté pour le redressement
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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fiscal et l’assistance, pendant 2 ans, d’un administrateur judiciaire. L’entreprise s’est redressée et nos dettes furent étalées sur 10 ans. » Aujourd’hui, tout va bien et cette petite entreprise ne connaît plus la crise : 26 salariés et une moyenne d’âge de 32 ans !
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Un exportateur sur le Rocher
Parmi les 500 adhérents de la FNICGV, un seul n’est pas français. Il s’agit de Frimo, une société anonyme de droit monégasque, implantée sur le célèbre rocher. Créée en 1994, cette entreprise de négoce est issue de l’éclatement de SEDPA, très connue du milieu de l’import pour avoir développé, dès les années soixante-dix, les échanges commerciaux entre l’Amérique du Sud et l’ensemble des pays de la CEE. À sa création, Frimo pratique l’exportation vers les pays tiers et le commerce international. Mais les évolutions de la politique
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En Provence-Alpes-Côte
agricole commune incitent la société à s’adosser à un grand groupe industriel. C’est ainsi qu’au printemps 2000, l’Italien Inalca, n°1 dans l’industrie de la viande bovine en Italie, devient l’actionnaire principal et Frimo une plate-forme d’approvisionnements pour toutes les filiales du groupe. Pierre Bole-Richard, un des chargés de l’export chez Frimo explique que « la France était une base d’exportation de viande bovine et porcine importante. Mais l’UE démonte peu à peu les mécanismes de l’exportation, avec la fin de l’intervention et la baisse programmée des restitutions, ouvrant ainsi les marchés européens aux pays extérieurs à l’Union. Aujourd’hui, 90 % de l’activité de Frimo se fait au départ de l’Amérique du Sud ou de l’Océanie pour la viande ovine. Le marché de la volaille est déjà dominé par les Brésiliens et la pression est très forte sur les viandes porcine et bovine. Le Brésil a fait de gros progrès
d’Azur
génétiques, sanitaires et dans le traitement de la viande… et il n’a pas encore exploité tout son potentiel. La viande d’Amérique du Sud est d’une qualité gustative incomparable, très tendre, parfois plus que la viande française issue souvent de vaches de réforme. La boucherie traditionnelle a fortement régressé. Le consommateur à la recherche de bons produits s’y perd, confond tout en cas de crise sanitaire, ne sait pas où trouver de la qualité. »
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Une belle histoire de famille niçoise
En effet, Jean-Louis Bailet aime à raconter la saga familiale. « En 1890, mon arrièregrand-père conduisait une diligence. Parallèlement, il était marchand de chevaux. Ses fils ont créé les abattoirs de Nice dans les années 1900. Mon grand-père et mon père étaient chevillards. Moi, j’ai toujours beaucoup aimé le sport et je voulais
COMMERÇANTS
devenir footballeur professionnel, ce qui ne plaisait pas du tout à mon père. Mais, je n’ai pas réussi dans ce domaine, par manque de sérieux. J’ai également raté mon Bac. Alors, mon grand-père m’a emmené chez un boucher où j’ai fait mon apprentissage. J’ai tout de suite aimé le contact avec la clientèle. Aujourd’hui, je me sens bien dans mon métier. En 1986, j’ai repris l’entreprise familiale et j’en ai fait une SARL. Nous étions deux plus une secrétaire à mi-temps. Aujourd’hui, nous sommes quatorze. Nous n’achetons que des carcasses. Alors que mon père ne faisait que du veau, nous transformons toutes les espèces même la volaille. Après la crise de l’ESB, nous passerons bien celle de la grippe aviaire ! Le commerce, m’a appris mon grand-père, ce n’est pas le produit mais l’homme qui le vend. Il faut être à l’écoute, dialoguer, éduquer le consommateur. Les bouchers doivent parler avec la ménagère, lui apprendre
« C’est un des problèmes de la France. Sa production manque de cohérence. »
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des recettes, lui faire découvrir la viande. Elles sont demandeuses. Mes clients sont jeunes, en règle générale. Certains ont démarré avec mon père. Notre nom est connu. Ma fille de 15 ans est fière de le porter. Elle connaît bien l’histoire de la famille. Sportive de haut niveau, c’est une guerrière et il n’est pas impossible qu’elle reprenne l’affaire. Mon fils aîné n’a pas souhaité travailler avec nous, notre rythme ne lui convenait pas. J’ai des collaborateurs qui s’investissent énormément. Ils démarrent tous les matins à 2 heures. Mais pour continuer à avoir un personnel de qualité, on va devoir commencer à 4 heures. C’est difficile de trouver des gens motivés et compétents. Je suis veuf et j’aimerai passer plus de temps avec mes enfants. J’ai formé mon beau-frère pour me permettre de lever le pied. Mais ça n’a pas marché. À 59 ans, je ne peux pas encore prendre une retraite à temps plein. Et il y a beaucoup à faire : développer une clientèle dans la restauration, faire tourner l’atelier plus longtemps dans la journée… On ne manque pas de projets. »
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Une activité consacrée à la viande halal
Les quatre boucheries Slimani sont devenues une sorte d’institution incontournable à Marseille et elles valent assurément le détour. La plus importante d’entre elles est située près du port de commerce de la cité phocéenne, juste à côté du marché aux puces qui, le week-end, prend des allures de souk arabe. Accouplée avec un gigantesque magasin de vente directe, Cash du soleil, qui vend tous les produits
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« Mes clients sont des artisans bouchers et des supérettes avec un rayon de viandes traditionnelles. J’ai toujours cru aux bouchers de détail. Je suis beaucoup sur le terrain, dans les magasins et chez ceux qui ne sont pas encore clients. » du Maghreb, la boucherie Slimani est littéralement prise d’assaut chaque samedi et dimanche matin, jours de marché, par une clientèle haute en couleurs et bruyante. Le patron, Moustapha Slimani, un homme mince et alerte de 45 ans, portant la veste traditionnelle des bouchers, mène sa brigade de bouchers de main de maître. Cette impressionnante boucherie de détail est séparée, par un couloir, des abattoirs qui la prolongent et des bureaux de l’entreprise Slimani. L’abattoir, d’une propreté méticuleuse, est relativement de petite taille car on y abat moins de 200 animaux par jour, rien que des ovins. Il est prolongé par une salle de découpe et une salle de transformation, notamment pour les fameuses merguez. Toute la viande commercialisée chez Slimani est halal, c’est-à-dire que les animaux sont égorgés selon le rite islamique par un opérateur agréé par la Grande Mosquée,
la tête orientée vers La Mecque, en prononçant le verset du Coran rituel: «Je sacrifie cette bête au nom d’Allah clément et miséricordieux.» Les bovins sont réceptionnés à Marseille en carcasses. Moustapha Slimani commente : « D’autres sont mieux équipés pour le bovin et le font mieux que nous. Par contre nous abattons ici beaucoup d’agneaux et de brebis pour lesquels nous avons plusieurs sources d’approvisionnement en région PACA, dont notre propre ferme d’élevage aux PennesMirabeau, à une quinzaine de kilomètres d’ici.» On l’imagine, la grande affaire tous les ans, c’est l’Aïd-El-Kebir, la fête annuelle du mouton pour tous les musulmans. À cette occasion, dans la grande cour devant l’établissement, sont installées des barrières pour accueillir plus de 10 000 ovins. Parmi eux, chaque chef de famille musulman vient choisir son ou ses agneaux. Ces derniers sont marqués avec un crayon gras
au nom de leur acheteur. À partir de ce moment, le nouveau propriétaire ne quitte plus l’agneau des yeux, s’il le souhaite, pour s’assurer que l’abattage est fait selon le rituel halal ; il suit toutes ces opérations depuis un couloir qui longe l’abattoir et dont la paroi est en verre. Puis, le client, qui a précisé s’il veut
l’agneau entier ou découpé, va attendre l’animal dans une salle d’accueil avec thé à la menthe et pâtisseries arabes. Au-delà du folklore et du rituel, les établissements Slimani se sont taillé aujourd’hui un petit empire en exportant d’importantes quantités de viande et de charcuterie vers l’Afrique du Nord.
À la rencontre des professionnels… Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Aquitaine
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En Languedoc-Roussillon
Calé entre les Pyrénées au Sud et le Massif Central au Nord, le LanguedocRoussillon se compose de 5 départements dont 4 côtiers – Aude, Hérault, Gard et Pyrénées-Orientales – et un montagneux, la Lozère. Les 4 départements côtiers ont la particularité d’avoir leurs terres d’élevage en arrière-pays, dans les zones montagneuses utilisées souvent pour les estives, des surfaces inconvertibles dont la seule activité est l’élevage ; la Lozère est dans son intégralité une zone à vocation herbagère et forestière. Les productions de chaque exploitation sont limitées par des ressources pastorales faibles, ce qui contribue de donner à l’élevage bovin et ovin une image valorisée par des savoir-faire appropriés. De plus, la région constitue un important bassin de consommation bénéficiant d’un apport touristique aussi bien l’été que l’hiver avec les stations des Pyrénées. Malgré une dimension modeste, la filière amont et aval est bien structurée, permettant la mise en marché d’une gamme de produits identifiés.
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Le rugby, le cassoulet, les innovations et la légende est née
Depuis 2002, l’entreprise Spanghero est dirigée par les fils, Jean-Marc et David. « Les deux ont fait des études dans de grandes écoles et travaillé dans de grands groupes avant de me rejoindre. C’est une chance », dit leur père, Laurent. Lui n’a qu’un certificat d’études. Mais grâce à son esprit fonceur et son goût du défi, il a mené une vie d’homme d’affaires plutôt réussie. Il a démarré très jeune dans
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ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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Quelques chiffres LES PRODUCTIONS ANIMALES : représentent 12 % de la production agricole régionale et la moitié de la SAU, soit 518 000 hectares. CHEPTEL BOVIN : 215000 bovins dont: • 23 000 laitières ; • 80 000 vaches allaitantes. CHEPTEL OVIN : 423 000 ovins. CHEPTEL PORCIN : 44 000 porcs. CHEPTEL CAPRIN : 28 000 chèvres. 11 ABATTOIRS. VIANDE ABATTUE : 35 972 tonnes dont : • 16 157 tonnes de gros bovins ; • 3 675 tonnes de veaux ; • 10 892 tonnes de porcs ; • 4 411 tonnes d’ovins. DISTRIBUTION assurée par • 1100 artisans bouchers ; • 842 petites et moyennes surfaces ; • 445 super et hyper. Source : Alibev 2004, Agreste 2003.
la ferme familiale mais, après 28 mois de service militaire dont 20 mois en Algérie et quelques années de cohabitation difficile avec son père, il a décidé de voir ailleurs. « Je suis resté trois ans dans un abattoir où j’ai tout appris. Comme il n’était pas très performant économiquement, j’ai entrepris de créer ma propre entreprise dans l’abattoir de Castelnaudary très peu utilisé en commençant par l’abattage des veaux que je livrais ensuite à des grossistes. J’ai démarré comme ça, vite rejoint par mon frère et ma sœur. Les affaires ont rapidement bien
marché. Au début des années soixantedix, pour ne pas se laisser distancer, nous avons créé une petite unité de désossage pour vendre en sous vide, ce qui commençait à se faire. De simples grossistes, nous nous sommes retrouvés industriels, avec des investissements, des amortissements, mais pas de compétences pour ce nouveau métier. Nous avons perdu pas mal d’argent mais en persévérant, nous y sommes arrivés. L’étape suivante a été les plats cuisinés. C’était risqué. Mais nous étions dans la capitale du cassoulet, Castelnaudary. Le nom de Spanghero
était connu car nous avions fait, avec mes frères, une belle carrière dans le rugby. Deux atouts qu’il fallait exploiter. Nous avons débauché un bon cuisinier
«Mon père trouvait que j’avais des idées un peu futuristes.»
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En Languedoc-Roussillon
dans un restaurant pour faire un produit haut de gamme. Une fois le cassoulet lancé, nous sommes passés à la fabrication de saucisses type Toulouse. Ce n’était pas gagné car, à cette époque, tous les magasins en faisaient. Nous avions beaucoup de mal à équilibrer les comptes de saucisserie et mon frère a voulu arrêter. Moi pas ! Au contraire : nous avons accéléré la fabrication et aujourd’hui, cette activité reste un important axe de développement. Enfin, au moment de la
deuxième crise de l’ESB, contre l’avis de tous, j’ai fait du steak haché pour valoriser les avants. Aujourd’hui, nous sommes satisfaits de cette initiative. » Désormais, l’entreprise compte un abattoir multi-espèces, deux usines de transformation et une pour les plats cuisinés. Elle est aussi actionnaire majoritaire de la Société Roussaly, dans le Tarn, spécialisée dans la viande de porc avec un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros. Des échecs au cours des 32 années, il y en a eu, qui ont parfois coûté très cher. Laurent Spanghero les assume et continue d’aller de l’avant. Le nouveau projet : développer des produits élaborés, viandes cuisinées vendues en frais et brochettes de qualité supérieure. L’ancien rugbyman est confiant. « En trente ans, nous avons créé de toutes pièces plus de 500 emplois dans des métiers difficiles où j’ai tout appris sur le tas. J’ose espérer avoir donné quelques chances à mes fils pour leur permettre, avec les connaissances acquises, de poursuivre l’œuvre entreprise. »
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Le bon ménage du rugby à XIII et de la viande
Difficile d’imaginer, quand on n’est pas du Sud-Ouest, la complicité qu’il peut y avoir entre rugby et viande. Et pourtant ! En 1952, à 21 ans, le père de Bernard Guasch, apprenti boucher, a pu acheter, sur le marché de Perpignan (66), l’étal de sa patronne grâce à son équipe de rugby à XIII ; il lui restera fidèle toute sa vie. « De simple ouvrier, il est passé patron. En 1955, il ouvre une boucherie de détail en ville qu’il va garder jusqu’en 1962, date à laquelle il prend sa retraite du
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ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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«J’ai fait un bac économique. J’ai failli faire l’école de police, mais l’attraction de la viande a été plus forte.» rugby et commence le demi-gros. Il était distributeur de viande du Gers, la Blonde d’Aquitaine étant très prisée à Perpignan.» Devenus adultes, Bernard et son frère, également adeptes du ballon ovale, ne se voyaient pas quitter la région. Fin des années soixante-dix, ils montent une société de cheville avec leur père et leur oncle, tout près de l’abattoir municipal, qui de fil en aiguille fait de la découpe, du demi-gros, de la charcuterie pour les collectivités et la restauration. « Il y a deux ans, avec des groupements d’éleveurs ovins et bovins, nous avons créé une société d’exploitation pour racheter l’abattoir, mis en place des filières locales avec des démarches qualité sur le bœuf, l’agneau et le veau; il y a peu d’élevage dans la région (Gascogne, Aubrac, Limousine et Blonde), raison de plus qu’il soit de qualité. Nous faisons des veaux d’estive Rosée des Pyrénées, un signe de qualité fort. Depuis le 2 janvier 2006, la maison Guasch est aussi distributeur des produits Bigard, issus de l’usine de Perpignan. D’ici quelques années, nous ramènerons tout sur notre site. Nous doublerons l’usine, avec une liaison directe avec l’abattoir. Notre clientèle se trouve dans le département, dans le secteur de Narbonne, Béziers et de plus en plus en Espagne. Il y a encore beaucoup à faire là-bas mais il faut d’abord
finir de restructurer ici. Peut-être que je passerai la main à mes fils qui sont déjà dans l’entreprise ; cela me laisserait du temps pour m’intéresser plus sérieusement à la vie syndicale… »
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Pour vivre heureux, vivons cachés
Christophe Pradère, 40 ans, n’est pas du style à vouloir placarder le nom de sa société sur tous les murs de la ville. La pub, ce n’est pas pour lui. «Je gère, à Narbonne (11), une petite structure pour la petite distribution. C’est ce qui me plaît, même si, depuis que j’ai pris la gérance, nous avons évolué. L’année dernière, un journal économique nous a classés parmi les 10 entreprises de moins de 10 salariés du Languedoc-Roussillon à avoir réalisé la meilleure progression. Mais maintenant, tant que ça va, on ne va plus beaucoup grandir. » Le grand-père Pradère était boucher ; Serge, le père, a longtemps été salarié à la Cheville lagonnaise, jusqu’en 1980 où, las de ne pas avoir un salaire à la hauteur de son travail, il a décidé de monter sa structure, la SARL Pradère. Christophe, l’a rejoint dès 1987. «Pendant les vacances scolaires, j’étais toujours prêt à aider mon père. Tout petit déjà, j’adorais l’accompagner à l’abattoir. J’aimais l’ambiance mais ma mère voulait me voir aller en fac… » Éduqué à l’ancienne,
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«À terme, ne resteront que les gros et les petits avec une activité spécifique, en label ou en AOC.» comme il dit, il achète sur pied bovins, veaux, ovins et porcs qu’il fait abattre et revend en gros ou demi-gros à de bouchers de détail, en s’attachant particulièrement à la qualité. « La crise de la vache folle nous a faits du bien, les gens sont allés vers la petite distribution où ils savaient pouvoir acheter en toute confiance. Aujourd’hui, une bonne boucherie marche bien. Mais il manque le nerf de la guerre, le pouvoir d’achat des consommateurs. Le personnel compétent et motivé fait également défaut. Les bouchers disparaissent. Plus tard, je serai peut-être obligé de faire plus de kilomètres pour trouver de nouveaux clients ou faire de la publicité pour mon entreprise.» Chose qui, on l’a compris, ne plaît pas beaucoup à Christophe. En revanche, il est satisfait par la FNICGV qu’il a découverte il y a 18 mois. Son habitude à ne pas
vouloir se faire remarquer ne l’avait pas incité à adhérer plus tôt ; pourtant « j’ai découvert un outil indispensable pour comprendre la législation complexe qui régit notre activité ». Autre satisfaction : ses deux filles, et notamment celle de 8 ans, aiment aller à l’abattoir. La relève serait-elle assurée ?
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Une histoire atypique toujours en évolution
Conscient que la tendance est aux produits de plus en plus élaborés, Thierry Dupont a amorcé la mutation de son entreprise dès l’année 2001. Depuis sa création en 1963 par Jean Guiraudou à proximité de l’abattoir d’Aspiran (34), la Société des expéditeurs de viandes lodevois, SEVL, a connu diverses évolutions. Christian Arson se souvient de ses débuts en 1974, « lorsque le client unique de M. Guiraudou était Buitoni ».
Il semble, aujourd’hui, que la fin de son activité viande soit programmée. « Jean Guiraudou était boucher. Il est devenu chevillard lorsqu’il a monté SEVL, puis il s’est consacré à la viande élaborée à destination de l’industrie des plats cuisinés. J’ai racheté son affaire quand il est parti à la retraite, fin 1997. Je travaillais dans l’industrie du tabac et dans l’imprimerie en Afrique. Je ne connaissais pas la viande, cette entreprise m’a paru être une opportunité. À la fin des années quatre-vingt-dix, nous avons développé une clientèle de collectivités et nous sommes passés d’une viande congelée à une viande fraîche. Nos produits, principalement à base de mouton, étaient peu concurrencés et pour les collectivités, intéressants économiquement car moins chers que le bœuf. Mais avec les crises, il y a eu une rupture de l’approvisionnement et une
augmentation à l’achat de 40 %, hausse que nous avons dû répercuter à une clientèle qui nous a partiellement suivis. Alors, fin 2000, la décision fut prise de développer les plats cuisinés et de sortir progressivement de la viande. Le secteur me semble condamner. Qu’il s’agisse de l’OMC, de la PAC ou de législation sanitaire, il n’y a plus aucun système pour le soutenir en France comme en Europe. Aujourd’hui, l’activité viande, désossage et découpe de mouton de réforme, représente 25 % de notre chiffre d’affaires ; en 2006, nous passerons à 20%. Et même, pour notre propre production de plats cuisinés, il est parfois plus économique d’acheter les viandes à un atelier externe. Je ne regrette pas d’avoir effectué ce virage. D’ailleurs, nous travaillons sur de nouveaux développements en dehors de la viande. »
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En Languedoc-Roussillon
Quarante ans et plus de métier, toujours du plaisir
« Si je pouvais travailler jusqu’à 100 ans, je le ferai. J’adore mon métier. Je commence à 3 heures 30 tous les matins mais ça ne me dérange pas de travailler jusqu’au soir. Je pourrais prendre ma retraite maintenant, à 57 ans, car j’ai démarré très jeune dans la vie active, mais je ne suis pas pressé. Je me sens l’énergie d’un homme de 30 ans. » Fils, petit-fils, arrière-petitfils et sans soute plus encore (l’arbre généalogique ne remonte pas plus haut que 1839) de chevillards, cet infatigable jeune homme est Pierre Maraval, président de la Covim SA, société créée en 1957 par douze associés dont son père, au Crès dans les environs de Montpellier (34). Petit, il a fait « des pieds et des mains » pour rentrer dans le métier. « À 13 ans et demi, je travaillais aux abattoirs, à 15 ans dans la triperie. Il y a 30 ans, j’ai commencé à racheter dans la société les parts des uns et des autres; en dix ans, tout était à moi. En viande bovine, nous faisons du Charolais et de la Limousine, que de la bonne marchandise pour nos clients, des petits bouchers à 90 %. Le système de la grande distribution, ses bagarres, ses marges arrières ne nous intéressent pas. Les petits bouchers sont de moins en moins nombreux, c’est vrai, mais ils sont comme les arbres: coupez les racines, il y a toujours des radicelles qui repoussent. Le problème est le manque de personnel. Il faudrait refaire découvrir le métier aux jeunes, leur apprendre à aimer le travail. L’apprentissage dès 14 ans est une bonne solution. C’est ce que j’ai fait. Depuis, beaucoup de choses ont changé : la technique, la logistique… Les
contrôles de toutes sortes ont augmenté considérablement et, à l’évidence, ce n’est pas toujours un signe de progrès. La seule chose qui me plairait dans la retraite, c’est de ne plus avoir à subir tous ces contrôles faits par des gens parfois méprisants. Mais je ne la prendrai jamais totalement, même si je vends. Je garderai toujours une petite activité. Sinon, je serais trop malheureux ! »
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COMMERÇANTS
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«Il faut faire découvrir ce métier aux jeunes: quelques études de base mais surtout apprendre à aimer son travail.»
Pour la Lozère et ses races à viande
La petite ville de Langogne (48) est bien située au carrefour de trois grandes régions d’élevage: Languedoc-Roussillon, Auvergne et Rhône-Alpes. «Pourtant, déplore Patrick Fabre, nous sommes dans une zone un peu isolée des grandes voies de circulation; par ailleurs, la région se dépeuple nous obligeant à chercher l’approvisionnement et les clients assez loin. » Patrick a 45 ans dont 25, auprès de son père Claude Fabre, dans une entreprise de viande en gros dont il représente la 6e génération: «Mon arrièregrand-père était maquignon et maréchalferrant à Mende. Mon père et ses deux frères, marchands de bestiaux, se sont partagé la Lozère en trois parties pour ne pas se marcher sur les pieds ! Ils vendaient le bétail vivant aux bouchers. Mon père a aussi été pendant un temps, boucher à Mende. » Claude Fabre abat à Langogne à partir de 1966-1967 ; il fait aussi de l’intégration de porc, puis se met à l’agneau et aux bovins. Vers 1980, il installe un atelier de découpe à l’intérieur même de l’abattoir. Aujourd’hui La Lozérienne-Fabre SA est une prospère entreprise de viande en gros et demi gros qui distribue aussi bien
en direction des GMS que des salaisonniers de la zone Auvergne «et même un peu plus loin. Notre approvisionnement, assuré par des acheteurs intégrés dans la région et les départements limitrophes, provient essentiellement des fermes et un peu des marchés. L’entreprise, aujourd’hui installée dans un bâtiment construit en 1996, est reliée à l’abattoir municipal de Langogne par un couloir. » Patrick insiste sur la caractéristique familiale de l’entreprise où « chacun doit pouvoir tenir tous les postes. On cultive cette mentalité et les gens qui travaillent ici s’y plaisent ». À la Lozérienne, Claude, aujourd’hui 68 ans, s’occupe toujours des achats vifs et de
l’administratif, Patrick de la partie commerciale et de la logistique, et Jean-Marc Bonnefille, gendre et beau-frère, gère les ateliers (découpe, désossage, sous vide). Ce qui compte pour les Fabre, c’est la qualité des produits et Claude vante « la Lozère et ses races à viande : Aubrac, Salers, Charolais, Limousin, veau gras, porc de pays, Agneau du Gevaudan. Notre grande chance? La bonne réputation de la cheville langognaise dans toute la France depuis de nombreuses années. Toutes les semaines, je me réserve le plaisir d’aller au marché des veaux gras de Costaro ; c’est aussi notre manière de soutenir les éleveurs de la région ! »
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En Midi-Pyrénées
Forte de 8 départements reliant les contreforts Sud des volcans d’Auvergne à la frontière espagnole, et riche de la diversité de ses territoires et de ses produits, Midi-Pyrénées est une grande région d’élevage. Les productions animales sont constituées pour la moitié environ par les productions bovines, et pour près d’un cinquième par les productions ovines (essentiellement pour la production de lait). Les productions bovines et ovines dominent dans les départements de montagne et les Causses. Midi-Pyrénées est au 1er rang des régions françaises pour la viande ovine, les vaches nourrices et le lait de brebis, et au 3e rang des régions
COMMERÇANTS
françaises pour le veau de boucherie après la Bretagne et l’Aquitaine. Les acteurs de la filière viande, depuis l’amont jusqu’à l’aval, se mobilisent pour reconquérir un potentiel plus élevé de consommateurs régionaux en s’appuyant sur des démarches qualités mettant en valeur la régionalité des produits et en travaillant au développement des marchés de la restauration hors domicile.
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Au cœur du Quercy, une saga familiale autour de l’agneau
«Au XIXe siècle, c’est notre arrière-grandpère Sylvain Destrel, qui a commencé à faire le marchand d’ovins, de bovins et
de chevaux dans la région. Son fils, Jean, dans les années vingt, a mis lui en place un commerce d’ovins dans un petit village appelé Le Bastit, à 7 kilomètres de Gramat (46), en plein causse du Quercy. Au début, il abattait les ovins dans une grange, puis il a eu l’occasion de racheter une demeure seigneuriale où il développa son négoce et y installa une tuerie particulière ; les sous-sols du château servaient d’écuries et de bergeries pour le bétail vif et aussi de stockage pour les carcasses. La chose extraordinaire, c’est que tout le personnel de la tuerie était logé sur place dans cette bâtisse. Notre père Gaston, a pris sa suite, et nous sommes nés là où nous avons grandi, un peu comme dans un cocon. Un souvenir inoubliable ! Il y avait matin, midi et soir des tablées de 20 ou 30 personnes ; c’était, familial, vivant et très convivial. On a été élevé dans cette atmosphère “ moutonnière ” et on l’a gardé dans le sang. » C’est Philippe Destrel qui raconte ; il partage aujourd’hui avec son frère, Hervé, la direction des Établissements Destrel, établis à Gramat (46). Philippe évoque avec un luxe de détails et d’anecdotes la saga familiale et en particulier son oncle Bernard, parti à 18 ans se former aux Halles Centrales de Paris et qui a fait toute sa carrière à Paris, puis à Rungis comme vendeur d’agneaux tués et envoyés du Bastit. « Jusqu’en 1965, on a abattu au Bastit, puis Gramat a construit un abattoir municipal spécialisé dans l’ovin ; les tueries particulières s’y sont regroupées. Notre personnel continuait à habiter à la demeure du Bastit et venait travailler à
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Gramat. Puis, rapidement les choses ont évolué lorsque les agneaux d’importation en provenance du Royaume-Uni et d’Irlande sont massivement arrivés sur le marché français dans le courant des années soixante-dix. Il a fallu s’adapter. Hervé et moi sommes venus travailler avec mon père à ce moment-là. » Hervé et Philippe mettent en place un objectif de développement pour devenir plus performants dans le domaine commercial. « En 1983, on est passé à une gestion informatisée. Mon père se sentait un peu dépassé ; un samedi après-midi, après déjeuner il nous a fait venir dans son bureau, nous a donné ses cahiers, “ tenez c’est vous maintenant les patrons, à vous de gérer l’entreprise ”. Ça nous a fait un choc, mais aussi une grande fierté. Avec mon frère, nous avons fait des choix : investir en modernisant l’outil d’abattage de Gramat, diversifier notre clientèle et se tourner résolument vers les centrales d’achat de la grande distribution, collaborer étroitement avec les producteurs ovins, éleveurs et groupements de notre filière ovine régionale, mise en place du Label Rouge Agneau fermier du Quercy reconnu en France et même en Europe. Ensemble, nous avons tiré la qualité de nos produits vers le haut : cahiers des charges, prix plus élevés. » Au cœur du Quercy, le bassin de production de cet agneau haut de gamme français, les frères Destrel ont décidé, en association avec un groupement de producteurs, de faire un investissement déterminant pour leur avenir commun en montant un atelier de découpe attenant à l’abattoir de Gramat.
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En Midi-Pyrénées
«Un bon commercial doit sentir si le client est fiable ou non et s’il n’y aura pas de problème pour se faire payer.» >
Une situation privilégiée pour un commerce de proximité.
Enfant du pays, Guy Flaujac a démarré à 14 ans comme apprenti dans un abattoir. Sa formation terminée, il est devenu salarié. « Je travaillais 12 à 15 heures par jour. Mais le salaire ne suivait pas. Alors, en mai 1980, j’ai créé ma société au Montat (46) à proximité de l’abattoir de Cahors ; mais il ferme en 1990. Nous avons décidé d’investir dans une salle de découpe aux normes européennes ; il n’y en avait aucune dans la région. Cet investissement, puis la crise de l’ESB, ont changé notre façon de travailler. Avant, nous importions de l’étranger ; aujourd’hui, nous ne faisons que de la viande locale. » Cheville cadurcienne, la société de Guy, travaillait essentiellement du bœuf; aujourd’hui, presque 50% de l’activité est réalisée avec le porc. « Depuis quelques années, notre chiffre d’affaires stagne. Les charges sont de plus en plus élevées ! » Pourtant, le chevillard ne baisse pas les bras et espère bien faire partie des petits qui sauront résister face aux gros. «Nous recherchons un partenaire,
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qui aurait une clientèle mais pas d’outil de travail, ou un bon commercial. Actuellement, nous sommes 7, tous polyvalents. Ainsi, mon fils Franck, 29 ans, avec nous depuis 1998, assure la comptabilité et un peu de prospection par téléphone, mais il faut quelqu’un sur le terrain. C’est là que ça se passe. Aujourd’hui, nous faisons tout pour qu’il puisse reprendre cette entreprise bien située à proximité de l’autoroute et de l’aéroport. Nos clients ? Essentiellement des bouchers, des charcutiers et des restaurants. Nous avons laissé tomber les GMS, ce n’était pas rentable : nous faisions tout, mettre en barquette, étiqueter… ils n’avaient plus qu’à mettre en rayon et prendre leur marge ! Il faudrait pourtant que nous y retournions. Pour défendre nos propositions, nous, les petits, devons être regroupés et nous sommes encore trop individualistes. »
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Une cheville de porcs sur les terres du Jambon de Lacaune
Chez Roussaly, ce n’est pas un vain mot que de parler d’affaire de famille. Ils sont deux frères et une sœur à faire vivre l’entreprise que leur père avait installée en nom propre en 1974 à Lacaune (81) ; Pascal, actuel directeur commercial, le rejoint en 1979. « Tout petit, j’allais chercher les porcs avec mon père. L’école ne me passionnait pas. Dès que j’ai eu 18 ans et le permis de conduire, j’ai travaillé. Au départ, nous ne faisions que du transport d’animaux vivants et du négoce de produits frais congelés. Nous étions 3 dans l’entreprise. » En 1984, Jérôme, le plus jeune, vient à son tour grossir
l’équipe. Peu à peu, l’entreprise évolue avec la construction d’une structure de congélation, puis d’un atelier de découpe d’où sortent 200 porcs par semaine et, 5 ans plus tard, avec des travaux d’expansion permettant de faire 3 300 à 3 500 porcs par semaine. C’est à cette époque
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que Fabienne rejoint ses frères, chargée de l’administratif. L’affaire tourne bien mais le père décède et Pascal s’inquiète de l’avenir. « J’ai peur que, plus tard, les petites entreprises comme la nôtre disparaissent. Aussi, pour être plus forts, en 1999, nous avons vendu 66 % de nos parts
«Notre entreprise ne gagne pas beaucoup d’argent mais elle n’en a jamais perdu.»
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En Midi-Pyrénées
au groupe Spanghero et 34 % à un groupement de producteurs de porcs. Nous n’aurions peut-être pas vendu à des financiers mais, avec Spanghero, le courant est passé tout de suite. Et nous restons autonomes. Le Jambon de Lacaune est en passe de devenir une AOC ; cela va nous permettre de ne plus subir la concurrence déloyale des porcs espagnols ; l’appellation Jambon de Lacaune nécessite des porcs nés et élevés dans la région. Actuellement, nos clients sont les salaisonniers et les GMS de la région, plus le groupe Spanghero. Notre chiffre d’affaires est directement lié au cours du porc qui est bas depuis plusieurs années ; il nous faut donc sans cesse optimiser les coûts de production. Dans ce but, nous venons d’automatiser la ligne de découpe pour avoir un rendement régulier. Cela va permettre d’améliorer nos coûts. »
«Quand vous mettez un doigt dans ce métier, surtout quand c’est votre affaire, vous vous passionnez pour ce que vous faites.»
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Découpe et salaisons : une affaire de famille
Rien ne prédestinait Nadine Phalip à travailler dans la viande. Après des études de lettres, elle voulait faire carrière dans l’histoire. Mais elle a rencontré Jean, dans la salaison par tradition familiale. Alors elle a abandonné ses projets personnels, a épousé Jean et la salaison. « Au début, je nageais un peu dans ce milieu de la viande. Et puis, je me suis surprise à aimer nager ! C’est une activité avec beaucoup de diversité, intéressante. Mais fatigante aussi. » En 1997, Nadine et Jean rachètent un atelier de découpe de porc renommé, à Tarbes (65), la SA Nars, surnommée dans la région le couturier de la découpe. « M. Nars était très méticuleux, reconnu par ses pairs et les consommateurs. Il a beaucoup travaillé. Arrivé à la retraite, il était fatigué et dépassé par les évolutions du métier et du marché. Nous avons donc repris l’affaire, recherché des clients, agrandi l’atelier. L’ancien propriétaire faisait 250 porcs par semaine, nous en faisons 800, tous du Sud-Ouest. » Nadine a développé une activité de découpe pour une Sica qui fait du Porc noir de Bigorre, une race qui a failli disparaître. «C’est un produit excellent mais onéreux car seule les parties nobles sont commercialisables. En 1999, nous avons mis en place une entreprise, Salaisons de l’Adour, qui fabrique 1 700 à 2 000 jambons par semaine, 95 % en Bayonne IGP. Nos deux fils travaillent avec nous, surtout dans la salaison. L’aîné a fait des études de droit, le plus jeune de l’informatique de gestion. Mais la salaison, ils sont tombés dedans quand
ils étaient petits. Nous nous entendons très bien dans le travail, il y a parfois des désaccords sur la façon de travailler la découpe, ça crée une émulation ; nos fils reprendront certainement l’affaire. Il y a néanmoins un doute sur la découpe, car cela devient très difficile. Depuis septembre 2004, les ventes ont chuté. Elles reprennent très lentement au prix d’un énorme travail. Aujourd’hui, les marges sont de plus en plus serrées. Nous projetions de faire de la mise en barquette mais l’investissement est lourd ; nous le remettons à plus tard ! »
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« Jamais brillant, mais toujours présent. »
Telle est la devise d’Antoine Pujol qui, avec son bel accent du Gers et la diction rapide de l’homme passionné, raconte son parcours. « Sodeco a été créée à Auch (32) en 1955 par quatre marchands de bestiaux qui se sont séparés après 5 ans. Seuls deux actionnaires, le père et le fils Piguera, ont continué. Chaque semaine, ils expédiaient jusqu’à deux semi-remorques de viande en Algérie. Les Piguera, issus du monde du vif, manquaient de compétence pour l’activité de
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Quelques chiffres 31 000 ÉLEVEURS. 680 000 VACHES dont 500 000 vaches allaitantes. 1 800 000 BREBIS : lait pour Roquefort et agneaux de boucherie. 600 000 PORCS. 28 ABATTOIRS. PRODUCTION ANNUELLE DE VIANDE est de 168 000 tonnes dont : • 64 000 tonnes de gros bovins ; • 30 000 tonnes de veaux ; • 74 000 tonnes de porcins. DISTRIBUTION : • 17 % par les artisans bouchers ; • 60 % par les GMS ; • 23 % pour les RHF. Source : Intersud 2004.
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cheville. Ils ont fait appel à moi, boucher de formation ayant à cette époque un commerce de détail. Rapidement, il y a eu des problèmes avec le client algérien et le transitaire de Sète. Étaient-ils de mèche ? Toujours est-il que les Piguera ont perdu l’équivalent de 130 000 euros. Alors, en 1962, j’ai repris la société en location-gérance. De 1970 à 1980, tous les hôpitaux et l’aérospatiale de Toulouse, soit 50 000 repas hebdomadaires, étaient nos clients. Ces marchés nous ont permis de développer et con-forter notre situation. Nous avons exporté vers l’Europe de l’Est, en particulier du bœuf en Roumanie. En 1987, nous avons racheté la Cheville gersoise de Fleurance, conservé le magasin de détail sur place et ramené l’activité découpe sur notre site d’Auch. Aujourd’hui, mon fils et moi possédons toujours 90 % des parts ; nous restons dans une logique d’abatteur découpeur, réalisant nos achats en vif dans la région. Esprit d’entreprise, rigueur, motivation et savoir-faire du personnel font la force de notre structure ; ces qualités sont le fruit de notre expérience dans une filière complexe, exigeante, demandant une remise en question quotidienne. Mais actuellement, dans un environnement technique et commercial dégradé, avec d’importantes augmentations de charges générales et spécifiques, une forte concurrence, il est difficile de conserver un tel état d’esprit. La réalisation de marges est plus complexe, la préservation du projet d’entreprise plus compliquée. La notion de service et de satisfaction client nous guide plus que la recherche du volume. À 72 ans, le lundi, je me lève à 3 heures du
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matin et je travaille jusqu’à 20 heures. Maintenant, je vous laisse car je dois aller en campagne faire mes achats chez les éleveurs. »
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Valoriser l’Aubrac par des marques commerciales
« Nous faisons un métier difficile, pas aussi lucratif que d’autres, mais nous réussissons plutôt bien ! C’est un des derniers métiers où la parole donnée a un sens, l’image du commerçant et de son client qui se tapent dans la main pour valider leur engagement reste un symbole fort qui conditionne encore aujourd’hui notre façon de travailler. » À 43 ans, Philippe Cadars connaît bien le métier. Son grandpère Paul était marchand de cochons; son père Jean commence dans la cheville lorsque Rodez (12) se dote d’un nouvel abattoir, dans les années soixante ; il faisait du veau fermier pour le Sud, de la viande bovine pour la région et du Veau d’Aveyron et du Ségala, Label Rouge depuis 1997, pour l’Italie. Dans les années soixante-dix, il développe une activité de découpe pour répondre à la demande des collectivités locales. De son côté, Philippe fait des études : une maîtrise en sciences et techniques de l’alimentation à Bordeaux qu’il complète avec une année de gestion à l’Institut d’administration des entreprises de Montpellier. Puis, il travaille un an dans une conserverie locale. « Cette année a été très riche d’enseignements. Mais j’ai préféré rejoindre l’entreprise paternelle ; mon père était content, il se demandait ce que deviendrait la société pour laquelle il s’était sacrifié. Sans succession, il n’aurait sans doute plus évolué,
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d’autant qu’entre 1975 et 1997, il assure la présidence du syndicat départemental des commerçants en bestiaux. En 1992, c’est la construction d’un atelier indépendant relié par un couloir de liaison au nouvel abattoir d’Arsac, à SainteRadegonde (12), une unité réfrigérée de 1 000 m 2 pour le stockage, la désosse, l’expédition… Notre société s’est ainsi structurée. Mais les marges ont plus évolué que le chiffre d’affaires, en régression depuis quelques années ; nous avons tout de même eu de bonnes années et 2005 devrait être bonne aussi. » Aujourd’hui, Cadars Jean SARL, c’est Philippe, Corinne sa sœur et 12 salariés. « Très impliqués dans la production locale, nous avons participé au développement des marques commerciales le Ruthène, le Plateau de Mille Fleurs, La Belle Aubrac, La Fine Race Aubrac, le Bedelou et le Babissou. »
«Il faut savoir pêcher fin, bien choisir sa clientèle et ses collaborateurs. Et travailler d’arrache-pied.»
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En Midi-Pyrénées
Une société de négoce au cœur de l’Aveyron
Fils et petit fils de négociants, JeanJacques Davy a principalement appris le métier avec son cousin Jean Davy pour lequel il effectuait les achats de bœufs. Fort de cette expérience, il crée en 1989 avec un associé la Sarl Quercy Bas Rouergue, une société de négoce de bétail et de production de veaux de boucherie à Villefranche-de-Rouergue (12) et, en 1994, une structure d’abattage. Pour son gérant, l’entreprise possède encore un fort potentiel de développement. « J’ai beaucoup de projets à réaliser. La tendance est à l’élaboration du produit fini d’où l’idée de faire une salle de découpe et ainsi d’aller jusqu’au bout de la chaîne. Il y a de nouveaux marchés à créer. On peut citer comme exemple une structure espagnole qui met en place des points de vente directe aux consommateurs à des prix accessibles. C’est une idée à approfondir. » Pour atteindre ses objectifs,
«Grâce à ces outils et un service régulier auprès de nos clients, nous véhiculons un savoir-faire traditionnel, une image de qualité et de maîtrise de notre métier!» Jean-Jacques est accompagné de son fils responsable de l’abattoir et de sa fille chargée de l’administratif. Il se sent également soutenu par la FNICGV. «Dans notre métier où la législation est en constante évolution, la Fédération est un outil essentiel dans la transmission des informations. Elle assure pleinement son rôle fédérateur auprès des entreprises. »
En Aquitaine 221 L’Aquitaine est un pays de plateaux et de collines où l’élevage du bétail est fréquemment associé à la polyculture du blé, du maïs, de la vigne, du tabac et des fruits et légumes. Alain Cazaux, président d’Aquibev évoque le cheptel bovin aquitain « essentiellement composé de races ayant d’excellentes aptitudes bouchères et valorisant des espaces fourragers variés et adaptés. Le savoir-faire des hommes qui œuvrent au sein de la filière est réel : des éleveurs aux détaillants, sans oublier les opérateurs de milieu de filière, ils ont toujours su s’adapter aux contraintes de leur métier et s’investir dans le respect de la qualité. » Deux spécificités de cette région : le veau sous la mère en Dordogne et l’agneau de lait dans les Pyrénées-Atlantiques.
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À Mont-de-Marsan, un abattoir pour la Blonde d’Aquitaine
La famille Bayle est dans la viande depuis au moins trois générations. Jean-Pierre et Jean-Marie sont cousins germains ; leurs pères, Jean et Pierre, avaient créé la société Bayle Frères, devenue en 1972 Bevimo. En 1997, les cousins rachètent l’abattoir de Mont-de-Marsan (40) et aujourd’hui, 90 % de l’abattage est destiné à leur atelier de découpe. Le reste est pour des particuliers ou des petits bouchers. Bœufs et veaux représentent l’essentiel de la marchandise, complétée par un petit atelier de porc. Jean-Marie s’occupe de l’approvisionnement. «Pour les produits sous contrats régionaux avec des grandes surfaces, nous faisons les achats après des groupements d’éleveurs. En dehors de cette filière qualité, l’entreprise
«Nous travaillons la Blonde d’Aquitaine, 60% de nos abattages, pour maintenir l’élevage dans la région. Nous avons besoin d’elle comme elle a besoin de nous. Elle symbolise notre région, c’est notre devoir de la défendre.»
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En Aquitaine
se fournit chez des petits négociants qui vendent le bétail de la région. Il y a une forte demande pour la Blonde d’Aquitaine et nous espérons qu’elle se développera encore pour nous permettre de nous positionner sur un segment du marché. Mais actuellement, ce segment ne nous fait pas vivre. Les frais de l’entreprise sont importants dans la mesure où, quel que soit le volume de bêtes à abattre, nous sommes obligés d’avoir 15 personnes à l’abattoir, chacune ayant son poste et ne pouvant prendre celui d’un autre. » Aujourd’hui, Jean-Marie et Jean Pierre doivent préparer l’avenir, penser à la transmission de l’entreprise. « Personne dans la famille ne la reprendra. 65 personnes y travaillent, c’est difficile de décider de fermer. La solution pourrait être un rapprochement avec un groupement d’éleveurs ; si l’approvisionnement est garanti, nous serons plus forts. Et la société pourra continuer après nous.»
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les autres espèces. Nous maîtrisons la filière veau de l’étable à la table; les petits veaux sont achetés à des coopératives ou à des marchands de bestiaux, mis en intégration chez des éleveurs, récupérés, abattus et transformés sur les deux sites de Marzan et ici à Boulazac (24). Depuis 1989, nous produisons également toute une gamme de produits élaborés, inspirée de ce qui se fait en bœuf : haché, saucisserie, etc. Ce n’est pas toujours facile mais nos parts de marchés augmentent régulièrement ; d’ailleurs, nos paupiettes et notre steak haché tradition ont été
Le veau pour seul credo : en carcasse, sous vide, cuisinés…
Issu du milieu ouvrier, Gilles Gauthier, aujourd’hui 46 ans, a dû entrer dans la vie active à 18 ans comme chauffeur pour Michel Cargaud, boucher détaillant et marchand de bestiaux. Plus tard, il apprend à acheter les petits veaux sur les marchés. À 21 ans, il connaissait suffisamment le métier pour créer, avec Michel Cargaud, une société spécialisée dans l’élevage et la commercialisation de carcasses de bœuf, d’agneau mais surtout de veau. « Michel Cargaud, aujourd’hui décédé, avait un attachement tout particulier pour le petit bovidé. Il a eu très tôt la vision de la filière veau. En 1996, nous avons délaissé
«Il est plus facile pour une entreprise d’assurer sa pérennité en étant spécialisée plutôt que généraliste. On a d’ailleurs l’habitude de dire dans la région: 36 métiers, 36 misères!»
reconnus Saveur de l’année 2006. Actuellement, nous réfléchissons à des produits pré-cuits, conditionnés pour une préparation au micro-onde. Nous sommes peu en Europe spécialistes dans le veau. Le produit connaît aujourd’hui une belle progression mais dans l’avenir, pour continuer à nous développer, il faudra évoluer en même temps que les désirs des consommateurs. Sans doute, l’Union européenne, en imposant ses normes, a sauvé la filière. » > L’Aquitaine est peu industrialisée. Une caractéristique dont Thierry Delguel tire un avantage. « La main-d’œuvre qualifiée
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reste disponible. Nous n’avons pas de problème de personnel. » C’est un souci en moins pour le président de Veau du Périgord installé à Veyrinnes-de-Domme (24). Thierry est un homme plutôt heureux ; en 2004, il a reçu du ministre des PME, du Commerce, l’Artisanat et des Professions libérales,
La FNICGV en Aquitaine Jean-Marie Bayle partage la présidence régionale de l’Aquitaine avec Gilles Gauthier. Son tableau de la filière viande est morose. « Le cheptel a beaucoup diminué en Aquitaine depuis que les agriculteurs ont laissé tomber l’élevage au profit du maïs, une activité beaucoup moins contraignante! Devant les difficultés de l’approvisionnement, nous espérons qu’il y aura de la place pour les petites structures, mais que sera la réalité du marché? Heureusement, la FNICGV nous défend bec et ongles. Si nous n’avions pas ce syndicat dynamique, nous aurions sans doute encore plus de contraintes. » Gilles Gauthier surenchérit sur le rôle de la fédération qui «fait beaucoup. Elle est le deuxième PDG de l’entreprise. Ses informations, ses conseils, quelle que soit la taille de l’entreprise, sont indispensables pour travailler dans le respect de la législation ou pour adopter le comportement adéquat en cas de crise. »
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En Aquitaine
le prix de la première PME d’Aquitaine. « Il n’y a pas de quoi en avoir honte, dit-il avec pudeur. Mais il ne faut pas se laisser aller à penser que nous sommes les meilleurs. Être trop sûr de soi n’est jamais bon.» Pourtant, lorsqu’il a quitté l’école, il était sûr de lui. En première, à 14 ans, promis à de brillantes études, il décide de travailler avec son père, Gérard, négociant multi-espèces depuis les années cinquante. Le père apprend le métier au fils, le laisse acheter le bétail alors qu’il n’a qu’une quinzaine d’années. Thierry aime ça. Peu à peu, il fait évoluer l’activité. En 1996, Gérard se retire, l’entreprise familiale devient société et achète son abattoir en 1998. Aujourd’hui, la société élève 35 000 veaux par an et travaille avec 150 éleveurs du Sud-Ouest, tous dans une démarche de
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qualité. Philippe, le frère, gère la partie élevage ; Thierry s’occupe de l’abattoir et des expéditions des carcasses chez des bouchers de détail ou des grossistes. «J’ai aujourd’hui 300 à 400 clients ; aussi, en perdre un ne remet pas en cause l’équilibre de l’entreprise. La GMS, c’est plus délicat, une seule enseigne peut représenter 40 % du chiffre d’affaires d’une société et le jour où elle se retire, c’est dur. Ce qui explique que nous n’y sommes pas allés, mais c’est quand même difficile d’ignorer 75 ou 80% du marché.» Pour l’instant, le gros chantier, c’est la mise en place d’une salle de découpe pour plats préparés et autres prêts à consommer sous vide. Thierry ne recule pas devant les difficultés. Il sait qu’on ne peut pas les éviter quand « on a envie de faire au mieux ».
«Il faut savoir ouvrir de nouvelles portes!»
Il ne redoute pas plus l’avenir qui réserve « de la place aux personnes sérieuses. Je suis encore jeune. J’ai 47 ans, mon frère en a 32 et ma fille, qui travaille avec nous depuis 5 ans, 22. Une entreprise familiale, c’est une responsabilité, même si on se sent épaulé. C’est pourquoi dans la famille Delguel, nous faisons tout pour renforcer la position de notre entreprise. »
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Deux entreprises autour de la capitale girondine
« L’odeur du mouton, il y a longtemps que je la connais. Mon grand-père était berger, mon père a créé sa maison de cheville agneaux et moutons avant la guerre, je l’ai rejoint en 1958, c’est vous dire si je connais la chanson. » Gilles Dubernet, 66 ans, n’a pas l’intention de prendre sa retraite. « On ne quitte pas ce métier. Mon père a travaillé jusqu’à sa mort, à 72 ans.» Gilles a démarré à 18 ans. Il aurait peut-être eu envie de faire autre chose, rentrer dans l’industrie. Mais ne trouvant pas d’emploi, il a regagné l’entreprise familiale à Bordeaux (33). Jusqu’à 25 ans, il a tout fait: berger, abatteur, etc. « Au début, c’était bien. Le cheptel régional était important. On achetait les bêtes dans un rayon de 50 kilomètres autour de Bordeaux pour revendre en gros et demi-gros à des bouchers de détail. Avec l’arrivée des grandes surfaces, le développement du tourisme, l’évolution des modes de vie, tout est devenu plus contraignant. Le cheptel a fortement diminué parce qu’il y a moins de terrain, les consommateurs n’apprécient plus autant l’agneau, les familles se réunissent moins souvent autour de la table… Il y a beaucoup de facteurs qui font
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Quelques chiffres 2/5 DE LA SAU sont consacrés aux élevages bovins, ovins et porcins avec souvent une production sous labels. 4 EXPLOITATIONS sur 10 pratiquent l’élevage bovins viande. LE CHEPTEL BOVIN : 24 700 élevages pour 858 000 têtes ; 62,5 % se consacrent aux races à viande (Blonde d’Aquitaine, Bazadaise, Limousine, Bœuf de Chalosse, Vache landaise) et 27,5 % ont un élevage laitier. LE CHEPTEL OVIN : 880 000 ovins. LE CHEPTEL PORCIN : 42 500 porcs. 26 SITES D’ABATTAGE répartis dans les 5 départements. LA PRODUCTION ANNUELLE de viande : 125 554 tonnes dont : • 24 700 tonnes de gros bovins ; • 41 450 tonnes de veaux ; • 51 530 tonnes de porcs ; • 7 424 tonnes d’ovins et caprins. 28 ENTREPRISES DE TRANSFORMATION. Source : Aquibev et Agreste 2000.
qu’aujourd’hui nous achetons le vif à 350 kilomètres. Mais nous continuons d’acheter français, sans intention d’importer. La réglementation est une autre contrainte très importante. Je ne remets pas en cause son bien-fondé, mais on ne peut pas vivre sous une bulle aseptisée. Le risque zéro n’existe pas. La réglementation se substitue trop souvent à la qualité. Un animal peut avoir une mauvaise conformation mais une bonne viande. Chausser ses bottes, patauger dans la boue, voilà qui remet les idées en place. Les gens de
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aussi des informations intéressantes sur les nouvelles mesures, les alertes alimentaires, etc.
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terrain sont compétents, il faut leur faire confiance. Il n’y a pas plus de charlatans dans le milieu de la viande qu’ailleurs. Mais je fais confiance à la vie et à ses revirements inattendus. Elle a besoin des petits et des gros. Pour le moment, nous continuons à avoir des volumes stables. Trois de mes quatre filles travaillent avec moi. Ensemble, on va essayer de continuer comme on a toujours fait, en attendant de voir ce qui se passe dans l’avenir. Le bon sens finira par revenir et le troupeau sera adapté au pays et non l’inverse. »
«Il y a encore beaucoup à faire dans le domaine de la RHF.»
> Ingénieur dans un tout autre domaine, Antoine Fontquerni entre dans le métier de la viande par l’intermédiaire de son beau-frère Pierre Chausset. Ce petit-fils de maquignon était boucher, comme son père. En 1971, au début de leur association, Pierre et Antoine possédaient plusieurs boucheries de détail. Parmi leur clientèle, les collectivités devenaient de plus en plus nombreuses. Les services vétérinaires leur ont alors conseillé de créer une structure conforme à ce commerce. C’est ainsi qu’est née, en 1982, Sogivig, société spécialisée dans la RHF. « Si nous ne l’avions pas fait, on aurait pu nous interdire de servir les écoles. Nous avons gardé les boucheries de détail jusqu’en 2004. Depuis, la RHF, sous toutes ses formes, est notre activité principale.» L’usine de Tresses (33), qui avait abrité les
débuts de l’entreprise, est devenue trop petite. En outre, les associés n’étaient pas propriétaires des murs. En 1999, ils déménagent pour Floirac (33), où ils construisent un site de 1200 m2, avec l’intention, d’ici peu, de le doubler. « Nous achetons des carcasses ou du muscle. Une partie vient de l’étranger, surtout du Sud de l’Allemagne. Mais nous travaillons aussi de la Blonde d’Aquitaine, le Conseil régional menant une action de promotion auprès des collèges et lycées sur les viandes en sauce élaborées à partir des avants de la race locale. Les collectivités peuvent ainsi acheter de la viande pas chère. Nous, nous valorisons la bête entière. L’opération est également une façon de sauvegarder la race. Être adhérents à la FNICGV nous permet d’avoir un contrat transparence/ traçabilité ; nous obtenons
Un parcours professionnel fait d’amitiés et de rigueur
L’amitié tient une place prépondérante dans la vie professionnelle de Didier Hareau. Après des études dans la mécanique générale et une expérience juridique et commerciale dans les assurances, il rejoint un ami qui recherchait un directeur d’abattoir. C’était il y a une trentaine d’années. En 1992, avec quatre associés, il crée Eur’o Agr’o, à Saint-Sylvestre-duLot (47), pour venir en aide à un collègue handicapé. Il fait appel à des commerciaux au chômage qui, avec leur cinquantaine, ont toutes les difficultés à retrouver du travail. Didier Hareau est humain mais pas philanthrope. Ses commerciaux, il les a choisis pour qu’ils ne restent pas sur « le carreau » mais aussi pour leur savoir-faire éprouvé et leur carnet d’adresses. Bref, le gérant de Eur’o Agr’o ne laisse rien au hasard et se donne toutes les chances de réussir. « Dans le commerce, on a le plaisir relationnel et le plaisir de l’objectif atteint. Pour nous, société de négoce pur, intermédiaire entre les abattoirs et les ateliers de découpe d’une part et la transformation d’autre part, rien n’est jamais acquis. Aucun contrat n’engage nos clients à nous acheter telle quantité de marchandise. Tout est question de saison, de demande du consommateur. Lorsqu’il a été question de la grippe aviaire, nous avons acheté 35 % de volaille en moins… Avec la crise de l’ESB, nos produits phares, ris ou caillettes
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de veau, ont été interdits. Maintenant, nous sommes des négociants généralistes, sans préférence d’espèce, de race ou de pièce, mais notre chiffre d’affaires à l’export a beaucoup baissé lorsqu’il a fallu payer la taxe sur les co-produits. La France est devenue trop chère maintenant pour exporter ! Si la fédération n’existait pas, il faudrait l’inventer. C’est une centrale d’informations indispensable pour une profession qui évolue sans cesse. »
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Une histoire de femme par amour et détermination
Mayie Daguerre n’est pas du genre à se laisser abattre. Pour suivre son artisan de mari, au début des années quatre-vingt, elle quitte le poste de comptable qu’elle occupe depuis une dizaine d’années et profite pour donner un coup de main à une amie qui fait de l’agneau de lait. L’activité lui plaît. Elle s’investit de plus en plus et ne
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tarde pas à monter sa propre affaire. Au bout de trois ans, elle fait 10000 agneaux. Mais son revenu est faible et sa petite entreprise ne l’occupe que de décembre à mai. Aussi, en 2000, avec son associé Jean-Claude Ducombs elle rachète une société de négoce de bœuf et de veau, les Viandes du Haut-Béarn. Pas de chance : la vente se fait un jeudi ; le lundi suivant, les médias commencent à parler de vache folle! Sans perdre de temps, Mayie rapatrie ses agneaux sur le site des Viandes du Haut-Béarn, à Oloron-Sainte-Marie (64), adapte son programme de traçabilité aux bovins, abat dans la région, travaille d’arrache-pied et gagne la confiance des clients. « En reprenant les Viandes du Haut-Béarn, nous avons développé une clientèle de restaurants d’entreprise, racheté une société de porc avec une activité saucisserie et créé un atelier de steak haché pour asseoir notre situation. Il y a
«J’aime batailler. Dans ce métier, il faut être à l’écoute et toujours proposer quelque chose.»
trois ans, nous avons recruté un contrôleur qualité. Je ne pensais jamais qu’on en aurait les moyens et que cela nous servirait à quelque chose. Pourtant, c’est un poste qui nous apporte à la fois la confiance des clients et plus de rigueur dans notre façon de travailler. Depuis que j’ai démarré dans ce métier, les exigences des uns et des autres sont toujours plus grandes. Il faut être sans cesse sur le qui-vive. Une de mes filles travaille avec nous. Elle voit bien qu’il faut être partout à la fois, toujours chercher la nouveauté… Pour l’instant, à 23 ans, elle n’est pas dégoûtée. Elle aussi aime batailler. »
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Que de la Blonde d’Aquitaine aux pieds des Pyrénées
«Nous avons beaucoup de difficultés mais aucun secteur d’activité n’est épargné. C’est pourquoi je n’ai pas dissuadé mon fils, 19 ans, de travailler chez nous. »
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Gérard Massonde remonte ainsi les générations et se souvient de son père, agriculteur, qui s’est «ensuite tourné vers la boucherie et, dans les années soixante, a racheté 50 % des parts de la Société Bayonnaise des viandes créée en 1945 par plusieurs associés à Anglet (64). Je suis arrivé dans l’entreprise, en 1978, avec un bac économique et social; je voulais continuer mes études à l’ILVENUC à Caen mais l’associé de mon père est décédé. Alors, dès ma sortie du lycée, je me suis mis au travail, comme homme à tout faire. Nous étions 9 ; actuellement, nous sommes 17 dont 13 bouchers. Toutes nos viandes, dont 50% de porc, sont achetées sur pied; le reste est en agneau de lait, bovin Charolais et Blond d’Aquitaine, la race locale. Nos clients, situés dans un rayon de 100 à 120 kilomètres, sont aussi bien des GMS, des restaurants, des collectivités, des bouchers et charcutiers de détail; mais ces derniers sont de moins en moins nombreux ; en moyenne, chaque année, deux à trois disparaissent. Par conséquent, notre chiffre d’affaires est fluctuant. Notre plus grosse difficulté est de trouver de nouveaux clients. Les coopératives ont plus de moyens que nous pour faire le même métier. Résultat : elles occupent 80 % du marché. » > Au début des années 1970, Henri Vignasse et Georges Donney s’associent pour créer leur affaire de cheville et de transformation de viande autour de l’abattoir de Pau (64). Au même moment, dans le département, à Arthez-de-Béarn, 17 éleveurs forment un syndicat de producteurs qui deviendra en 1980 la CELPA, Coopérative des éleveurs des Pyrénées-Atlantiques.
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Pendant 30 ans, les deux entités évoluent en synergie: jusqu’à 50% des bovins transformés par les deux chevillards proviennent de la CELPA, des démarches qualité sont mises en place conjointement, le Label Rouge Bœuf blond d’Aquitaine notamment. En 2001, les chevillards prennent leur retraite et c’est tout naturellement que leur fournisseur principal devient actionnaire majoritaire de la société. Le projet de la CELPA est alors d’accompagner le développement des 800 élevages adhérents par la politique commerciale de Vignasse et Donney SA. L’entreprise développe une unité de fabrication de steaks hachés Label Rouge Blonde d’Aquitaine dans le but de valoriser 100 % des avants, les arrières étant commercialisés par les bouchers traditionnels. Objectif atteint en 18 mois. Pour son directeur Serge Gaillardou, la société doit continuer à porter les orientations de la filière locale et à imaginer les développements propices au maintien de l’élevage départemental. Elle travaille actuellement au développement d’une production de veaux de
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qualité, provenant d’éleveurs laitiers qualifiés et adhérents de la CELPA, élevés et engraissés selon un protocole de production qui respecte le bien-être animal
«Des petits du secteur privé, comme nous, il n’en reste presque plus. Nous avons pourtant un avantage par rapport aux grandes structures: nous proposons un contact direct, humain.»
et l’environnement. Ces veaux sont élevés « à l’ancienne » en box, sur paille et au lait certifié pour avoir un produit le plus constant et le mieux identifié possible.
«La boucherie est en pleine évolution, avec des consommateurs qui veulent des produits de plus en plus élaborés. Il faut que nous soyons capables de nous adapter et pour cela, travailler sur la praticité des produits.»
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« Ce schéma correspond aux aspirations des éleveurs, des bouchers et des consommateurs. » Cela dit, la viande est du domaine de l’ultra frais. Comme le pain. Or, il y a eu une période où les boulangeries avaient disparu. Aujourd’hui, nous assistons à une explosion de points de vente, de boulangeries traditionnelles où le pain se vend parfois très cher. Ces commerces s’installent notamment sur les trajets domicile-travail des consommateurs. En quittant les centres ville, ils ont su ne pas confondre pérennité du marché et pérennité du point de vente. Dès lors, pourquoi la boucherie ne connaîtrait-elle pas aussi son renouveau ? > Le milieu de la viande lui va comme un gant : Jean-Louis Lepers est un sanguin ! Parlez-lui des charges, aussitôt, il s’emballe. Ce charcutier de formation, un battant, se donne toutes les chances d’y arriver. « En 2004, j’ai repris la SARL Rodriguez à Orthez (64) parce que, pour s’en sortir, il faut être multicartes, offrir un service complet. Auparavant, j’étais charcutier pour les traiteurs, aujourd’hui, j’ai un abattoir,
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«S’il n’y a personne pour nous remplacer, la profession est fichue. Pourtant, des bouchers, il en faudra toujours.» peut-être le plus petit de France, un atelier de découpe, une boucherie-charcuterietraiteur. L’abattoir fonctionne 2 jours par semaine, soit pour des bouchers, des grossistes ou des éleveurs, soit pour mon entreprise qui n’achète que sur pied, chez les éleveurs dans un rayon de 15 kilomètres. À la boucherie, les clients savent exactement d’où provient le morceau qu’ils achètent. Dans le bœuf, je ne fais que de la Blonde d’Aquitaine pour la boucherie ; le client est content, il a le prix et la qualité. Ma clientèle est à 70 % des personnes du troisième âge. Mais les jeunes couples commencent à venir dans la boutique. Je participe à ce rajeunissement parce qu’à 36 ans, je bouge beaucoup, je vois du monde, j’explique mon travail. La boucherie marche bien mais elle manque encore de renommée. Alors, je vais faire un peu de publicité dans la presse locale.
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Même si je ne gagne pas encore d’argent, je suis assez fier de moi: j’ai fait un apprentissage, au grand désespoir de ma mère, parce que j’étais nul à l’école. Aujourd’hui, j’ai ma propre société, je fais travailler 10 personnes, j’ai des relations avec des banquiers, des avocats… Je ne regrette rien. Mais j’ai l’impression d’être la dernière génération dans ce métier. Lors de mon apprentissage, bouchers et charcutiers étaient séparés dans des classes de 20 élèves. Les choses sont bien différentes pour mon apprenti : ils sont 6, bouchers et charcutiers confondus ! »
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En Gascogne, une filière pour du veau de qualité
Les parents Lestorte possédaient une laiterie et imaginaient que le jeune André reprendrait l’affaire, le moment venu. Mais le hasard de la vie a organisé les choses tout autrement. «Dans les années soixantedix, la laiterie familiale s’est rapprochée du groupe Danone. J’étais destiné à l’activité laitière, j’aurai donc pu travailler pour cette multinationale. Mais j’ai rencontré un fabricant qui cherchait à commercialiser sa poudre de lait pour l’alimentation animale. Je suis passé ainsi du lait à la viande, à une époque où la demande du consommateur augmentait ; alors, en 1973, j’ai créé une entreprise spécialisée dans la viande de veau. Nous sentions que c’était un créneau porteur mais nous ne savions pas encore que ce n’était pas un long fleuve tranquille pour autant. » Gascogne Limousin Viandes, installé à Pau (64) se développe allègrement sans se poser plus de questions. Et puis, ce sont les crises liées au veau aux hormones et,
«Les crises sanitaires ont remis les pendules à l’heure. Aujourd’hui, notre priorité n’est plus le volume mais la qualité, la sécurité et le rapport qualité/prix.» un peu plus tard, celles de l’ESB, des scandales qui conduisent les professionnels à travailler différemment et, dans le cas d’André Lestorte, à retrouver le bon sens paysan: «Pendant une quinzaine d’années, nous devions tellement produire, qu’il y a eu des excès, des aberrations comme les farines animales, qui sont à l’origine des scandales. Depuis, nous avons presque changé de métier et surtout de priorité. » Aujourd’hui, l’entreprise travaille selon des
cahiers des charges très précis tant avec les producteurs que les distributeurs et commercialise essentiellement du veau certifié. Elle envisage, dans les années à venir, de développer une gamme de produits élaborés. «Nous devons nous adapter. Notre métier reste complexe. Heureusement, nous pouvons compter sur la FNICGV qui nous apporte informations, explications, conseils. Mais aussi qui nous conforte dans notre manière de travailler. »
À la rencontre des professionnels… Auvergne et Limousin
ABATTOIR
DE
MONTLUÇON
BEZANGER
LIVROZET VIANDES • MECHIN • MEYSSAC VIANDES •
BORDES • BIDAULT ETS • BUCHERAUD
MONIER VIANDES PRODUITS ÉLABORES • MONTLUÇON
SARL • CAVIA.R • CHAZALNOEL VEYSSIERE •
VIANDES • PAILLET SOUVIGNET • PALLUT (SALAISONS) •
CHEVILLE
CLERET
PLAINEMAISON SA • PUIGRENIER ETS • PV 19 SOL
BERNARD • CLERMONT VIANDES SAS •
VIANDES SA • RIVET ETS • ROUFFANCHE SARL • SOBEVIA •
CONVIVIAL
DEBLOIS
SOBEVIAL • SOLIVIA • TINEL • VIANDES DE CORRÈZE
Christian & Fils • HASSENFORDER ET
DISTRIBUTION • VIANDES DE CORRÈZE SAS • VIANDES
FILS • K R I L L • L I M O U J O U X S U R G E L E S •
DE LA VALEYNIE • VIVALIM
LUBERSACOISE
SA
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COVILIM
•
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En Auvergne
Avec quatre départements, l’Auvergne est une grande région d’élevage et plus particulièrement d’élevage bovin. L’Allier, qui appartient au bassin Charolais, concentre une partie importante des effectifs des vaches allaitantes ; les races rustiques Salers et Aubrac connaissent un regain de popularité sur le plan national pour la qualité de leur viande ; des races mixtes et des croisées se rencontrent surtout en Haute-Loire. L’essentiel du territoire étant voué à l’herbe, l’élevage traditionnel auvergnat est extensif et naturel ; il repose sur l’utilisation des prairies pour l’alimentation des bovins. L’élevage ovin, limité, se concentre sur des races rustiques locales. L’élevage porcin bénéficie d’une mobilisation de la filière pour mettre en place un Label Rouge Porc Fermier d’Auvergne permettant de retrouver une tradition auvergnate de porc élevé en plein air et destiné à la fabrication de charcuteries et du jambon d’Auvergne.
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L’abattoir public de Montluçon comme point d’ancrage
À 16 ans, Jean Puigrenier a débuté dans l’affaire familiale de Montluçon (03). « Mon père était boucher-expéditeur et marchand de bestiaux ; il achetait des animaux, en abattait certains, puis expédiait à La Villette, Lyon, Bordeaux et Marseille du bétail vif ou des carcasses. » En 1983, Jean arrive à la tête de la petite entreprise et prend la décision de travailler plus directement dans le métier de la viande, c’est-à-dire abattage et découpe dans son propre atelier. « À l’époque, 10 personnes travaillaient à Puigrenier SA, aujourd’hui nous sommes 150. L’activité s’est beaucoup diversifiée: viande piécée, surgelée et produits finis. Les bovins, principalement du Charolais puisque nous sommes dans son bassin de production, sont abattus à l’abattoir municipal de Montluçon dont nous sommes les principaux utilisateurs. Notre préoccupation est de toujours innover en fonction de la demande du consommateur et en imaginant, demain, l’acte d’achat de la ménagère : moins de
« On a eu une chance unique d’avoir un président de la stature de Laurent Spanghero lors de la crise de l’ESB. Grâce à lui et à ses prises de décisions, la FNICGV s’en est mieux sortie que d’autres structures qui n’ont pas su faire front et communiquer. Et le gros souci actuel, c’est sûrement de savoir qui va le remplacer. »
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« J’ai d’excellentes relations avec les permanents de la FNICGV, surtout quand il y a des problèmes particuliers. Ils sont très efficaces pour aider leurs adhérents dans une gestion de crise. Et l’on écoute leur avis. C’est une veille intéressante et une source d’infos permanente et importante, pour connaître la réalité de notre métier au-delà des murs de notre propre entreprise, nous informer sur les nouvelles réglementations, l’état du marché, les problèmes sociaux. »
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temps à consacrer aux achats et à la cuisine, désir de trouver directement un produit facile d’emploi. Le seul problème réside dans la trop belle conformation des Charolaises dont les morceaux nobles, entrecôtes ou faux-filets, se prêtent mal au conditionnement en barquette. Alors, nous demandons aux éleveurs de fournir des bêtes d’un poids inférieur à 400 kilos.» Aujourd’hui, c’est Hervé, le fils de Jean, qui a pris les rênes de la production viande. La société a également ouvert un site de découpe porcine à Bourges (18). Jean, pour sa part, continue à s’occuper de la gestion et de l’exportation de carcasses et de muscles vers la Grèce et l’Italie et « depuis 20 ans l’entreprise s’est développée dans les pays tiers (Moyent-Orient) et actuellement en Russie où j’expédie des muscles congelés de taureau de réforme destinés à la restauration collective de la ville de Moscou… » > « Depuis mon arrière-grand-père, ma famille est dans le commerce de bestiaux et de viande ; mon père a développé une activité de charcuterie dans un petit village du Puy-de-Dôme où l’on avait une tuerie particulière derrière la boutique, non seulement pour nos besoins mais pour l’expédition hors région, en particulier des carcasses d’agneaux et de veau de lait aux Halles de Paris et à La Villette. Mes parents m’ont incité à faire des études spécialisées, l’école de Caen, financée par la FNICGV, d’où je suis sorti en 1968. » Daniel Cherpozat, âgé aujourd’hui de 58 ans, a connu deux grandes expériences professionnelles avant de se mettre à son propre compte. Tout d’abord, pendant 23 ans, il occupe le poste de cadre administratif
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chez Madrange, à Limoges (87) ; puis, en 1993, il a l’opportunité de prendre la direction de nouveau site de Charal, à Flers (61), pendant 7 ans. « J’avais plus d’autonomie mais, c’était une époque, celle du rachat de Charal par le groupe Bigard Alliance, de restructurations et de mutations avec fermetures de sites. À Flers, nous sommes passés de l’abattagedécoupe à une activité de découpe et de fabrication de produits élaborés. » Mais Daniel a envie de regagner sa région natale ; c’est chose faite avec le rachat de Montluçon Viandes en 2000, une société appartenant à des professionnels en fin de carrière. Cette société occupe aujourd’hui 55 personnes à temps plein et des intérimaires ou prestataires de service, fait de l’abattage et de la découpe de bœuf Charolais de l’Allier et de la Creuse, et du négoce de viande d’agneau. Mais la grande spécialité, c’est le porc de réforme,
La filière viande en Auvergne Jean Puigrenier, président régional de la FNICGV, constate qu’après la fermeture de l’abattoir public de Clermont « le tonnage d’abattage ne s’est pas reporté sur les abattoirs environnants d’où une perte d’activité qui risque à terme de poser des problèmes de volume, fragilisant les professionnels traditionnels de la filière viande ; de plus c’est la période où ces derniers ont dû faire face à des choix liés aux nouvelles contraintes industrielles, sanitaires, environnementales et donc des investissements trop lourds pour eux. Ces dernières années, on a assisté à la concentration d’un gros pôle viande dans l’Allier, autour de Villefranche (30 000 tonnes d’abattage/an), de Montluçon (23000 tonnes/an) et dans une moindre mesure, de Vichy (5000 tonnes/an). Pour le reste de l’Auvergne, on assiste à une grosse disparité: fermetures d’abattoirs, concentrations, disparitions de nombreuses entreprises et, faute de débouchés, ce n’est pas fini. Il faut toutefois compter Aurillac (15) et son bovin Salers (10 000 tonnes/an). La boucherie traditionnelle est en perte de vitesse, supplantée par la grande distribution ; à certains endroits, on ne compte plus qu’un seul boucher pour 20 000 habitants. Quelques opérateurs s’en sortent assez bien avec des créneaux spécifiques dans des produits de qualité, des niches en particulier le Porc fermier d’Auvergne Label Rouge. »
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En Auvergne
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s’empare de lui quand il admet l’idée que son affaire de cheville va devoir s’arrêter faute de successeur. Son décor quotidien est celui de l’abattoir de Clermont-Ferrand qui a cessé ses activités à la fin des années quatre-vingt-dix, déserté de tous sauf de sa propre entreprise, Clermont Viandes, qui emploie encore aujourd’hui 9 personnes. « Ici, à Clermont, c’était un bel outil qui pouvait avoir un développement exceptionnel avec une bouverie pouvant contenir 500 vaches et un marché des viandes. Je me suis battu jusqu’au bout pour qu’un outil d’abattage demeure à Clermont. C’est une grande métropole urbaine, au milieu d’un grand bassin de production de bétail, mais la commune n’a pas voulu s’engager dans la création d’un nouvel outil. Mon rêve, alors, aurait été de construire un abattoir moderne privé. J’ai même acheté le terrain ; mais j’ai renoncé devant le peu de motivation de mes confrères, de mes propres enfants ou de celle d’autres jeunes qui auraient pu éventuellement être intéressés. Depuis, je fais abattre mes bovins chez Deveille, à Feurs (42).» Jean Blachon est un passionné, un inconditionnel du métier de la viande et il pourrait en parler pendant des heures. De fait, il n’a connu
Quelques chiffres 17 890 ÉLEVEURS. 1 564 000 BOVINS dont : • 265 000 vaches laitières ; • 389 100 bovins de plus d’1 an ; • 443 000 veaux et élèves de moins d’1 an ; • 682 000 bovins Charolais, Salers, Limousin, Aubrac ; • 714 750 ovins ; • 300 500 porcs. 5 MARCHÉS hebdomadaires en vif : • Saugues ; • Mauriac ; • Maurs, Saint-Flour et Valuéjols (en alternance). 13 ORGANISATIONS de producteurs, dont • 9 coopératives • 4 associations. 17 ABATTOIRS dont • 14 outils de services, • 3 privés dont 2 spécialisés (1 en gros bovins, 1 en porcs). L’ABATTAGE de bétail est de : • 55 319 tonnes pour les bovins, • 4 687 tonnes pour les veaux, • 2 055 tonnes pour les ovins, • 69 095 tonnes pour les porcs. Source : Interviande Auvergne 2005
le coche, dont la viande est destinée aux salaisonniers pour la fabrication du saucisson et de la saucisse sèche d’Auvergne. La taille et le poids de ces porcs, 2 à 3 fois plus lourds que les porcs charcutiers, ont justifié la création du nouvel abattoir municipal à Montluçon avec des outils adaptés. Une des fiertés de Daniel est de travailler avec les éleveurs de porcs et les salaisonniers auvergnats, en s’investissant « dans la démarche, actuellement
en cours de validation, d’une IGP Auvergne pour les produits charcutiers. Nous sommes déjà sur la zone d’approvisionnement de l’IGP rosette de Lyon. »
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À proximité de Clermont-Ferrand
Il atteint la soixantaine et il sait que sa vie professionnelle touche à sa fin. Jean Blachon a derrière lui une longue vie de travail, mais une certaine amertume
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que cela : acheter des bêtes, les faire abattre, et vendre la viande en carcasse ou en première découpe, en quartier ou en demi-carcasse. « Bon, je ne me suis jamais ennuyé dans ma profession et j’ai quand même réussi certaines choses, par exemple j’ai acheté, en 2004, pour ma fille aînée, une affaire de boucherie et de salaisons à Riom (63) qui fait du jambon sec, du saucisson et de la charcuterie d’Auvergne. Mais malheureusement, je n’ai pas pu intéresser mon fils et ma seconde fille à la reprise de mon affaire ; ils ont reculé devant les conditions difficiles de ce métier de viande en gros. C’est dommage, mais c’est ainsi… Qu’y faire ? » Le cas de Jean Blachon n’est hélas pas exceptionnel aujourd’hui en France. > La saga des Limoujoux, famille corrézienne renommée dans le commerce de viande et de charcuterie, débute avec Étienne, l’ancêtre, lorsqu’il ouvrit sa première échoppe de charcutier-salaisonnier en 1840 au centre d’Ussel (19) ; depuis, cinq générations de Limoujoux ont développé un véritable empire auvergnat et leurs produits charcutiers sont réputés jusqu’à Paris. En 2001, c’est Jean-François qui reprend l’ensemble des activités dont
« Le “ home service ”, livraison à domicile, touche en France plus d’un million de consommateurs. Cela ressemble un peu, dans nos régions encore très rurales, au service que rendaient, il y a 40 ou 50 ans, les épiciers ou bouchers itinérants dans les campagnes. »
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En Auvergne
Limoujoux Surgelés, une branche en pleine expansion située à Clermont-Ferrand (63). Didier Clément, jeune responsable commercial depuis 2004, reprend l’histoire de cette branche « fondée en 1986 par Léon Limoujoux, un homme d’exception, récemment décédé. Il voyait bien que le congelé augmentait ses parts de marché ; il met en place une collaboration avec un client et ami, M. Pallier, directeur d’Agrigel. Depuis Agrigel-Toupargel, première société française de produits surgelés sur catalogue, est resté notre client privilégié, commercialisant 45 % de nos volumes en porc, charcuterie, bœuf et veau ; le reste étant assuré par une distribution pour le home service, la RHF et les Freezer Centers. On fait un peu concurrence aux grands groupes!» Aujourd’hui, Limoujoux Surgelés emploie 15 personnes qui travaillent sur l’atelier boucherie, le tunnel de surgélation, les ateliers de conditionnement, de pesage et d’emballage, le stockage et l’expédition. Les camions self-service vont bientôt s’arrêter et la livraison s’effectuera uniquement sur commande avec la mise en place d’un réseau avec télé vendeuse interposée qui propose, par téléphone à la clientèle, de nouveaux produits et note la commande de chaque client livrée sous 24 heures.
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Deux entreprises pour valoriser la Charolaise
Ce n’est pas une blague : c’est le 1er avril 1989 que Jean-Luc Livrozet et sa sœur Marie-Laure ont monté leur entreprise de gros et demi gros à Creuzier-le-Vieux (03). Plus exactement, ils ont racheté celle que leur père, Étienne, avait en nom propre
COMMERÇANTS
depuis les années cinquante. Pensant que le métier était fini, il souhaitait la vendre hors du contexte familial, mais c’était oublier qu’il avait transmis la passion de la viande à son fils et le goût des chiffres à sa fille. « Nous sommes complémentaires pour diriger notre entreprise. Nous achetons sur pied, faisons abattre et revendons en carcasse. La société compte 5 personnes : 3 associés et 2 chauffeurs livreurs. Il s’agit d’une toute petite entreprise, comme il en reste peu. Mais il en faudra toujours. Car nous offrons à nos clients un service adapté que les grosses sociétés ne peuvent pas proposer. Cela leur coûterait trop cher. » Les clients sont des bouchers de détail – en Auvergne, région parisienne, Est et PACA – quelques grossistes et un seul supermarché. Le bovin représente 80 % de l’activité, soit commercialisée en Label Rouge Charolais Terroir, soit sous la marque de l’entreprise, Charolais Noblesse. «J’ai créé cette marque 6 mois avant la crise de l’ESB avec toute une PLV. C’est bien tombé : quand il a fallu rassurer les bouchers, j’avais tout le matériel nécessaire. Nous nous approvisionnons dans un rayon de 40 kilomètres autour de l’abattoir, chez des éleveurs avec qui mon père était déjà en relation.» Jean-Luc explique cependant que 2005 n’a pas été une bonne année, car si les volumes sont restés stables, l’augmentation du prix de la marchandise a érodé les marges. « Nos clients, ceux qui progressent malgré un marché morose, sont positionnés sur du haut de gamme. Je ne m’inquiète pas pour eux car si les Français mangent moins de viande, ils sont plus exigeants et vont chez les professionnels
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« Cela fait 25 ans que je suis adhérant. C’est indispensable pour une société comme la mienne. On est mis au courant, on demande conseil, et l’on est contacté par la fédé pour savoir ce que nous pensons de tel ou tel problème. Ils font un travail énorme. Je vais au congrès tous les ans. Mon fils était vice-président de la commission jeune, quand Olivier Roux de Tarascon en était président. »
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En Auvergne
qui leur apportent la meilleure qualité. L’inquiétude vient plutôt de la relève : on ne la voit pas arriver. Dans quelques années, il y aura une clientèle mais plus de bouchers. » > « Je suis issu d’une famille originaire des Combrailles qui travaille dans l’élevage, la boucherie et les métiers de la viande depuis 10 générations. Curieusement, au départ, ce métier ne me plaisait pas car je n’y voyais pas beaucoup de possibilités d’expression et d’épanouissement personnels. Puis, j’ai été à l’école supérieure des métiers de la viande et là, j’ai eu comme un déclic. J’ai compris que ce métier, encore très archaïque, devait pouvoir se moderniser par l’intermédiaire de nouvelles technologies. » Jean Meunier, aujourd’hui PDG de Convivial, a en effet investi dans la haute technologie pour le travail de la viande. À sa sortie de l’école, plusieurs expériences dont la dernière, formatrice, sur la communication et le marketing chez Charal. « En 1989, j’ai créé Convivial avec 3 ouvriers à Clermont ; puis je me suis installé à Creuzier-le-Vieux (03) où, depuis 10 ans, nous sommes 50 personnes. »
COMMERÇANTS
Convivial, qui ne travaille que le bœuf, exploite essentiellement le brevet d’un procédé mis au point par l’INRA de Clermont et inventé par M. Fradin. Il s’agit d’une découpe de viande en feuilles ultra-fines, une viande maigre, sans aucune aponévrose, pressée et remoulée à la façon d’un millefeuille, en portions unitaires congelées, identiques à un vrai steak. L’avantage: les cellules musculaires restent intactes et restituent, à la cuisson, toute la tendreté, la saveur et la jutosité du bœuf Charolais qui constitue le minerai de ce morceau de choix appelé justement le Parfait de Charolais. C’est tout dire! «J’ai développé ce produit avec la filière du surgelé et ça se passe très bien. La chaîne Buffalo Grill le propose sur sa carte, ainsi que les magasins de produits surgelés Picard. La communication a été déterminante, car développer un produit nouveau est très délicat. Les hôpitaux et les maisons de retraite sont des clients privilégiés : les personnes âgées ont besoin d’un apport régulier en protéines et elles retrouvent avec plaisir une viande tendre et goûteuse. »
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Un commerce européen au cœur de l’Allier
Alain Bidault, aujourd’hui âgé de 62 ans, a fondé une entreprise d’import-export de viande bovine il y a 26 ans à Moulins (03), après avoir travaillé plus d’une dizaine d’années dans une grosse société de négoce de viande de Vichy, aujourd’hui fermée. Pourtant, il n’est pas originaire de la région, ses parents tenaient une boucherie-charcuterie à Nantes (44). « Enfant, dès 6 ou 7 ans, je suivais mon père dans les fermes, à l’abattoir et bien sûr dans l’atelier de boucherie. Pour moi, la question ne s’est jamais posée ; je travaillerai comme mon père dans le métier de la viande! Au retour du service militaire, j’ai rejoint mes parents, puis la boucherie a été vendue devant la montée des supermarchés. » En 1980, Alain décide de voler de ses propres ailes, reprend un atelier de désossage à Moulins, l’agrandit en 1986 et double la surface en 1990. «Moulins est géographiquement bien placé pour faire du commerce dans l’Europe entière. Les abattoirs européens m’envoyaient toutes les semaines des camions de carcasses ;
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je revendais la viande en morceaux, sous vide ou congelée, sur le marché français et allemand, un peu en Grèce et aux Pays-Bas et même, à une époque, en Égypte et dans les pays de l’Est. Et puis, il y a eu les fameux chocs de la vache folle et l’arrêt des exportations au pays tiers exigé par Bruxelles. J’étais en première ligne, j’ai beaucoup souffert et la survie est passée par la vache française. » Aujourd’hui, les établissements Bidault sont à nouveau spécialisés en viande bovine d’importation pour des grossistes, des chaînes de boucheries, des négociants et des industriels, mais ni la grande distribution, ni la petite boucherie de détail. « Je n’ai qu’un seul client dans l’Allier, c’est dire si mon négoce n’est pas régional ! La viande de vache de réforme a un bon rapport qualité-prix et j’essaie de trouver la meilleure valorisation possible pour chaque morceau. Nous ne sommes pas nombreux à faire ce métier, c’est une activité à risque avec des marges bénéficiaires faibles, inférieures à 2%. Si je m’en sors, c’est que je n’ai pas besoin de gros équipements. »
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En Limousin
Si le Limousin est une des plus petites régions de France, l’élevage reste une source de richesse importante. Les qualités bouchères de la viande Limousine sont multiples : une masse musculaire importante associée à un poids d’os réduit, une extrême tendreté de goût ; elle est appréciée des distributeurs et des consommateurs. Cette production prééminente a permis un développement et une stabilisation des entreprises de viande principalement installées autour des sites d’abattage répartis sur les 3 départements : la Haute-Vienne, la Creuse et la Corrèze.
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COMMERÇANTS
« Ce qui nous fait tenir, c’est de savoir que l’on a besoin de nous, de nos produits. »
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Quelques chiffres 84 % DE LA SAU est occupée par des herbages. 18 800 EXPLOITATIONS dont 12 000 pratiquent l’élevage bovins viande. CHEPTEL BOVIN : 1 093 440 bovins dont 465 480 vaches de race à viande et 36 450 vaches laitières. CHEPTEL OVIN : 726 600 ovins. CHEPTEL PORCIN : 162 070 porcs. CHEPTEL ÉQUIN : 23 560 chevaux. CHEPTEL CAPRIN : 24 470 chèvres. 11 SITES D’ABATTAGE répartis dans les 3 départements. PRODUCTION ANNUELLE DE VIANDE 116 385 tonnes dont : • 79 520 tonnes de bovins ; • 18 570 tonnes de veaux ; • 7 860 tonnes de porcs ; • 10 435 tonnes d’ovins et caprins.
Deux frères, deux négoces autour de l’abattoir de Brive
Grossiste en viande basée à l’abattoir de Brive (19), la Société Rivet se constitua en une SA en 1974 avec le père et les deux fils. Claude Rivet est fier de ses aïeuls, quatre générations de bouchers puis de chevillards depuis 1885 : « C’est mon père qui a créé le poste de cheville près de l’ancien abattoir de Brive en 1956 ; puis en 1975, on est venu ici au nouvel abattoir qui vient tout juste d’avoir 30 ans. Nous ne faisons que du bœuf et du veau de boucherie, très peu de veau de lait fermier. Mon frère, Jean-Marc a d’abord travaillé avec nous, puis il a créé Krill, sa propre entreprise, voisine de la maison-mère. Il nous arrive de travailler ensemble, mais ce sont deux entreprises distinctes. » Avant la crise de la vache folle, la maison Rivet s’approvisionnait sur les marchés de Sancoins et de Saint-Christophe. Bien qu’étant situés dans le Limousin, ils faisaient du bœuf Charolais ; cette marchandise
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
349 ARTISANS BOUCHERS. Sources : Agreste 2004, 2005, Interbolim 2004.
correspondait bien à la demande de la grande distribution dans les années 19701975. « Aujourd’hui, la GMS représente pour nous entre 75 et 80 %, le reste étant pour la boucherie de détail. Après l’ESB, nos approvisionnements ont changé, on est revenu à la Limousine par l’intermédiaire du groupement de producteurs, BEVICOR, spécialistes de bovins et de veaux Limousins. Je leur vendrai probablement mon entreprise à la retraite. Il est vrai qu’aujourd’hui, aller sur les marchés vu le peu de produits qu’on y trouve… Pour les veaux de boucherie, nous nous fournissons auprès d’une coopérative du Lot-et-Garonne.
Maintenant, nos clients achètent rarement des carcasses, il faut les découper, les désosser et les conditionner ; c’est Krill, l’entreprise de mon frère qui s’en charge.» > « Chez les Rivet, on est bouchers de pères en fils depuis que mon arrièregrand-père a ouvert sa boucherie rue Gambetta, au centre de Brive (19), en 1885. » Bon sang ne saurait mentir, Jean-Marc Rivet est resté dans la viande bien que, après son bac, il envisageait de devenir vétérinaire. Finalement, il se décide pour l’école de boucherie de Caen et dans les années soixante-dix, il rejoint, tout comme son frère Claude, l’entreprise
paternelle qui a définitivement opté pour le négoce de viande en gros, abattant ses bêtes à l’abattoir de Brive. « Je suis vraiment né dans ce milieu. Enfants, avec mon frère, nous adorions accompagner notre père sur les marchés aux bestiaux ; on avait notre petite blouse et de petits ciseaux pour marquer les bêtes achetées. Mon père nous a appris à estimer une bête en vif, savoir ce qu’elle vaudrait en viande. J’ai pu acheter ma première vache à 14 ans. Il régnait une ambiance sur ces marchés ! Beaucoup de convivialité et de camaraderie qu’on ne trouve plus aujourd’hui dans nos métiers de commerçants,
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En Limousin
COMMERÇANTS
« Si j’avais dû faire un autre métier, je crois que j’aurais été paysan. » bouchers et chevillards, peut-être depuis le début du règne des grandes surfaces. » En 1974, Jean-Marc a 27 ans lorsque son père, Jean, décide de s’arrêter. Les deux frères reprennent les établissements Rivet, pour Jean-Marc seulement jusqu’en 1979, date à laquelle il prend la grande décision de monter sa propre affaire. « Je m’entends très bien avec mon frère, mais j’avais envie de faire quelque chose de personnel, de créer une boîte en innovant dont je puisse être fier. C’est vrai que mon père s’est porté garant auprès des banques pour me permettre de débuter, d’avoir des prêts et je le remercie encore de sa confiance. Krill, la société que j’ai fondée, ne sera pas en concurrence avec les établissements familiaux qui travaillaient surtout avec des bouchers et
des grossistes ; j’ai décidé d’aller vers une autre clientèle, la RHF. Seulement, nous sommes dans une région plutôt excentrée, pas très riche et où se commercialisent de petits volumes ; j’ai eu l’idée d’apporter un nouveau service à côté de la viande. Outre la viande fraîche, piécée, hachée ou surgelée, à 80 % d’origine française, j’ai proposé à mes clients de les approvisionner en autres produits frais, comme les produits de la mer, la charcuterie, les fruits et légumes.» À l’heure actuelle, le négoce de produits frais hors viande représente 50 % du chiffre d’affaires. « Pour nos clients, nous sommes toujours perçus comme des spécialistes de viande, mais nous apportons un plus. C’est sans doute ce qui nous a permis de nous démarquer de ces gros groupes beaucoup plus compétitifs que nous. » L’affaire a bien progressé, mais Jean-Marc, faute de successeur, a cédé Krill au groupe Even en 2004. Il a conservé
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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son poste de directeur à 58 ans, il a encore quelques bonnes années de travail devant lui !
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Des veaux de qualité, de l’éleveur au boucher
Aujourd’hui spécialisée dans le veau, la famille Sol est dans le milieu de la viande depuis 1815 où elle œuvrait dans la boucherie de détail. Dans les années vingt, le grand-père du dirigeant actuel, s’installe à Argentat (19), abat et commercialise toutes les viandes. L’entreprise s’est ensuite spécialisée dans l’abattage de viande de veau sous la mère à partir de 1965, sous l’influence de Louis, père d’Henri. « Trois ans plus tard je suis arrivé dans l’affaire et j’ai développé le secteur veau de boucherie. En 1995, mon fils Luc-Henri a redéveloppé la filière veau élevé sous la mère, comme ses aïeuls. Nous sommes passionnés par notre métier, il fait partie de nos fibres.
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En Limousin
COMMERÇANTS
« C’est une profession qui s’en va. Les entreprises tendent à se regrouper. La partie négoce risque de disparaître. Pour garder une place dans le circuit, il faut prévoir les adaptations nécessaires. » C’est à nous aujourd’hui d’apporter notre savoir-faire pour conserver et développer l’entreprise avec un seul souci : faire des produits de qualité : Label Rouge Blason Prestige et Sol Veau Tradition pour le veau sous la mère, Sol Veau Prestige / Saveur / Doré / Grand cru pour le veau de boucherie destinés à une clientèle de grossistes qui servent essentiellement la boucherie de détail. Notre métier consiste à relever des défis tous les jours. Mais évoluer, c’est aussi être plus compétitif donc augmenter nos volumes dans l’abattoir construit en 1991. Il faut craindre des difficultés
d’approvisionnement pour les veaux de huit jours, puisque le troupeau allaitant est en baisse et, pour maintenir les volumes, nous devons chercher de nouveaux producteurs. Avec nos produits de niche, nous avons notre place sur le marché ; pour la défendre, nous devons sans cesse progresser. Nous allons bientôt passer aux normes ISO : la qualité de l’entreprise est aussi importante que celle des produits et les projets viendront d’eux-mêmes. »
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À l’abattoir de Limoges, deux entreprises
Le téléphone sonne: «Buon giorno, Franco, si, si va bene…» Jean-Louis Sudres, accroché au combiné, dans son bureau, une cage de verre ouverte sur la cour de l’abattoir de Limoges (87) d’où il surveille les allées et venues, parle toutes les langues des acheteurs étrangers. C’est son métier. Il se consacre entièrement à l’exportation de carcasses de jeunes bovins de race
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Limousine, Blonde d’Aquitaine et Charolaise à destination de l’Italie, l’Espagne, le Portugal et les Pays-Bas. Après avoir passé une partie de sa vie chez Arcadie, il crée sa société Covilim en 1996. « Je suis né à Cahors en 1952 et, comme beaucoup d’entre nous, mon père Marcel tenait une boucherie. » Aujourd’hui, l’affaire de Jean-Louis tourne bien. Avec ce que lui apportent les groupements, les éleveurs et les négociants, il manipule 10500 tonnes par an. Il ne se plaint pas. Il attache beaucoup d’importance au respect de la parole, il a le regard droit, la voix chaleureuse et le contact lui vient en parlant. « Je suis motivé par l’élevage et très impliqué dans la production. J’ai des animaux en place chez les éleveurs. » Cet optimisme ne le rend pas pour autant aveugle, bien au contraire, il a de la lucidité et l’œil perçant de celui qui prévoit son avenir. «La transparence des circuits est en place mais les changements à venir seront très importants dans les 10 prochaines années. Il faut que la production reste impliquée et que nos structures soient capables de s’adapter surtout qu’on ne sait pas ce que nous réserve la nouvelle PAC. C’est pour cela qu’on reste uni et la FNICGV est un rempart auquel il faut apporter sa pierre. » > Jacques Lachaud est un grand bonhomme costaud qui se demande pourquoi il est poursuivi par des mauvais sorts. Il en a subi des choses dans sa vie. Il dit de lui qu’il est un kamikaze, qu’il fonce toujours ; cela lui réussit en général et dans les affaires en particulier. Jacques naît en 1953 à Arnac (19), devenu ArnacPompadour, là où ses parents avaient une ferme, un élevage de Limousines complété
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En Limousin
par un négoce de viande. « Mon grandpère, que je n’ai pas connu, m’a toujours fasciné. On m’a dit que c’était un maniaque qui avait l’amour des belles bêtes. Moi je ne suis pas un animalier mais j’ai l’amour des belles carcasses. » À 17 ans, après un passage à l’école libre, il entre dans l’entreprise de son père qui, après avoir déménagé à Pompadour, abattait à l’abattoir municipal. La société qui s’appelait Lachaud Marcel prend le nom de Lachaud et fils. Le petit Jacques a fait ses preuves
COMMERÇANTS
dès 12-13 ans; son père lui faisait faire les panses des agneaux et vider les boyaux sans rechigner. Pour le veau, il n’avait le droit d’utiliser le couteau que pour le collier, pas question de toucher aux autres morceaux. La dépouille devait être parfaite, on faisait de l’orfèvrerie à l’époque. Avec son père, ils ont eu à faire face à bien des problèmes comme les impayés et les intimidations des mafieux italiens. Vivalim a été créé en 1994. Aujourd’hui Jacques Lachaud est seul associé avec M. Blanchon. Ils achètent des bovins de race à viande sur les marchés et en campagne ; pour les ovins, c’est selon la saison, du Français ou du Hollandais dont Jacques est spécialiste. Avec sa bonhomie, sa sincérité et son franc-parler, il estime que « la multiplication de Labels est un handicap, le consommateur n’y comprend plus rien. On nous a enlevé les valeurs de nos anciens, c’est pour cela que je recommande à mon fils de faire autre chose. »
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« Pour les 10 ans à venir, il faudra être à l’affût des opportunités : les grosses sociétés ne peuvent pas tout faire. Elles ont et auront besoin de nous. Servir un petit boucher au fin fond du Limousin, elles ne savent pas faire et nous, on comblera ce vide. » L’élevage en Limousin Avec 465 480 vaches, le Limousin détient 11 % du troupeau allaitant national. La Limousine, race locale est une des plus anciennes, son Herd-Book date de 1866. Omniprésente, elle donne une production variée de bovins de tous âges. Le département de Corrèze est particulièrement spécialisé dans l’élevage de veaux de lait destinés au marché national. Mais ce sont les broutards de 7 à 10 mois, soit 40 % de la production nationale, qui sont aujourd’hui très appréciés des engraisseurs qui les destinent, en majorité aux pays d’Europe du Sud. Avec 726 600 brebis et quelque 4 000 éleveurs, le Limousin est dans la moyenne nationale de l’élevage ovin. La région produit une partie importante de sa production viande sous CCP et sous IGP : l’Agneau du Limousin. Avec encore un effectif faible, des professionnels passionnés, éleveurs, transformateurs et restaurateurs, travaillent avec détermination pour maintenir la race porcine Cul noir du Limousin réputée pour sa chair au goût de châtaignes et de glands et son aptitude à faire un gras ferme et fondant.
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C’est affaire de famille
Le grand-père Deblois, abatteur et marchand de bestiaux installé à Bessines-surGartempe (87), avait commencé ce commerce après la guerre ; chacun de ses fils, Christian et Bernard ont monté leur affaire. > En 1975, Christian Deblois, la 3e génération, s’installe en conservant les activités de son père. Il fait les marchés de Parthenay pour les bovins, Les Hérolles, Bressuire, Mézières et Saint-Yrieix pour les ovins, et il sillonne les campagnes à la recherche de vif chez les éleveurs. En même temps, il vend de la carcasse à Rungis. Christophe son fils, naît en 1968, fait des études de commerce et de marketing à Limoges, prend son premier poste dans une banque pour un an en 1994, mais dès 1995, rejoint son père à la société Christian Deblois et Fils. Le jeune homme aime le contact, le commerce et il trouve vite sa place dans cette maison. Il développe le négoce de bovins et d’ovins sans oublier la ferme du grand-père, quelque 300 Limousines à l’engraissement qui constituent une réserve en cas de manque de marchandise; il continue aussi à envoyer des carcasses
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En Limousin
« Boucherie traditionnelle et négoce de viande, dans la famille, voilà notre plaisir mais tout dans la qualité, de la Limousine achetée en ferme ou sur les marchés. » de bovins vers Rungis sous la marque certifiée les Éleveurs Limousins. Christophe Deblois constate que chaque semaine « depuis des années, nous fournissons des bouchers fidèles ; à nous d’en fidéliser d’autres et de trouver de nouvelles niches.» > En 1975, Bernard, le 2e fils du grandpère Deblois, s’installe en conservant les mêmes activités : marchand d’animaux vivants, surtout de la bonne Limousine achetée uniquement chez les éleveurs et abatteur à Bessines avec un poste d’expédition de bœuf, de veau et d’agneau sur Rungis et Lille. SOBEVIA naît en 1980. Franck, le fils de Bernard, né en 1965, fait
COMMERÇANTS
un BTS d’agro alimentaire en Bretagne et décide de revenir au pays. « Mon père m’avait gentiment gardé une place dans l’entreprise au cas où… Mais à 23 ans, qu’est-ce que je savais faire? Emballer des têtes de veaux, oui et alors ? On est en 1989, mon père venait d’aménager un atelier de découpe, il m’en a confié la responsabilité. Alors on a commencé à faire du désossé et du muscle, à servir les restaurants, les collectivités, les supermarchés et les boucheries. En 1995, on a acheté une petite entreprise de cheville à la Souterraine (23), récupéré la clientèle et une partie du personnel a été rapatrié sur Bessines devenue ainsi une plateforme de redistribution. Aujourd’hui, mon père est toujours bien accro à l’entreprise, il se garde pour lui, les achats de vif, ramasse dans les fermes, alote et revend à des exportateurs. Moi je suis plus sur la gestion, l’abattage, le désossage et la découpe. En 2005, on a acheté une entreprise de découpe de porc sur Limoges. Entre nos trois sites, on cherche à mettre sur pied une complémentarité en partageant les outils et les moyens. » SOBEVIA est une entreprise familiale, elle accepte les pièces rapportées: Jean-Luc Chassagnaud, le beau-frère de Franck, est devenu le responsable des achats et de l’abattage des agneaux. Quand on épouse une Deblois, on attrape le virus de la viande.
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De la Limousine, que de la Limousine
Nouic (87), cela ne vous dit rien? Et Oradoursur-Glane? Et bien c’est tout près. Un petit village de 500 habitants où les beauxparents de Michèle Rouffanche ont ouvert
une boucherie en 1953 et, dans le même temps, avec un ami Jacques Bonneau, ils disposaient d’un poste de veau et d’agneau à La Villette d’abord, à Rungis ensuite. Michèle a rejoint ce clan en 1970; elle épouse Jean-Pierre, entre dans la boucherie et le négoce familial. Michèle travaillait à la chambre d’agriculture, comme laborantine aux analyses de sols et de fourrages. Le changement de secteur ne l’a pas affectée, elle s’est coulée dedans et aujourd’hui, c’est une femme polyvalente qui accueille les clients à la boucherie, qui part en tournée à la campagne, le vendredi et le samedi et le reste du temps, gère comme elle peut, « parce que je perds parfois un document », la comptabilité du négoce de Jean-Pierre qui traite à l’abattoir de Bellac (87) la viande de bovins et d’agneaux. « Jean-Pierre est au négoce ce que la main est à la pâte, indécollable et de plus maniaque. Il trie
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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toutes les carcasses, une par une, rien n’échappe à son œil. Un jour, il se retrouve avec deux agneaux tout maigres dans son camion après un passage chez un éleveur. Il téléphone et demande des explications. À l’autre bout du fil, on lui dit que “de fait, il y a eu un problème, deux beaux agneaux ont sauté du camion et deux vilains ont voulu partir à leur place ”. Vous imaginez combien Jean-Pierre a été convaincu de l’explication ! » Les Rouffanche font partie de ceux qui croient encore que la bonne viande à un avenir et ils y contribuent en livrant pratiquement tous leurs achats aux boucheries traditionnelles des grandes villes de France. Michèle Rouffanche n’a qu’un regret, que ses fils se soient engagés dans la voie du génie civil. Elle le dit avec amertume mais aussi avec une vraie bonne humeur, c’est une femme accueillante et franche qui se livre sans arrière-pensée.
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En Poitou-Charentes
Partie prenante du Grand Ouest, la région Poitou-Charentes est connue et reconnue pour ses produits issus des viandes bovines et ovines de très haute qualité bouchère valorisée par de vrais professionnels de la viande. Sachant à la fois négocier et conseiller, ses opérateurs conservent des relations privilégiées avec leurs interlocuteurs. Elle bénéficie également d’un grand savoir-faire de la part de ses éleveurs en matière de finition d’animaux nourris exclusivement de végétaux, de céréales et complétés de minéraux. Cette tradition est transmise de génération en génération. Pour répondre à la segmentation des marchés et à leur distinction entre les circuits de distribution représentés par les GMS et la boucherie artisanale, des démarches qualité collectives ont été mises en place, certifiées à partir de 2 200 élevages qualifiés en production bovine ainsi que 1 100 élevages certifiés et labellisés en production ovine.
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La recherche permanente du haut de gamme
Jean Levesques, d’une famille de bouchers reconvertis à l’abattage des bœufs, veaux et agneaux, a créé l’entreprise en 1972 à Ruffec (16). Édouard prend la relève, abat toujours les mêmes bêtes dans l’abattoir municipal ; il a ajouté un atelier de découpe. Aujourd’hui, ses clients, c’est la grande distribution, toutes les enseignes et « presque uniquement pour des races à viande. C’est du haut de gamme et la clientèle est là. On fait aussi de l’abattage familial pour les éleveurs qui pratiquent la vente directe à la ferme. Ici, rien ni personne n’est négligeable. Notre
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ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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L’Élevage en PoitouCharentes Dans cette région,
approvisionnement est assuré par des groupements de producteurs en bœuf et en veau. La baisse de la production est réelle en Europe ; il faudrait plutôt aller vers une production de qualité ; cette consommation, naturellement plus festive, trouvera un consommateur prêt à payer plus cher pour ne pas être déçu ! » > En 1994, CFV est née d’une reprise de la Compagnie française des Viandes de Thouars (79) dans laquelle Alain Puizon était cadre. Au départ du président, avec deux associés dont un excellent acheteur Michel Boret, il a repris la société en lui donnant le nom de CFV. Le chiffre d’affaires a doublé depuis la création. « Sorti de l’apprentissage de boucher-charcutier, je suis entré dans le marché de la vente de carcasses en gros. Après 18 mois dans la distribution, mon ancien patron est venu me chercher. Je ne regrette pas mon parcours. La difficulté aujourd’hui est
« De toute façon, notre métier dépend de la production. » l’approvisionnement en bétail vivant; nous travaillons encore sur les marchés de Cholet, de Parthenay et le complément est assuré par les groupements et les négociants. Les boucheries artisanales représentent 40 % de notre activité pour la découpe et la vente de carcasses; c’est une grosse niche, on y est très attentif car certaines boucheries recherchent de la viande de qualité et achètent des carcasses entières. Ce qui me plaît, c’est de voir
c’est un bœuf à la robe couleur froment, appelé Fromentin à l’origine, qui a donné naissance à la race Parthenaise, un des fleurons des races à viande de France. Avant tout animal de labour, le bœuf Parthenais était retiré du travail des champs dès l’âge de 8 ans, engraissé au chou et au navet. Sous le nom de bœufs choletais, ils approvisionnaient les marchés parisiens qui en absorbaient plus de 3 000 par mois à la veille de la Révolution. En 1856, c’est un animal de cette race qui remporte le 1er prix au Concours universel de Paris. Bien qu’à partir de 1958, la race Parthenaise perde les positions acquises au XIXe siècle, la région a su préserver sa vocation de production de viande bovine. Puis progressivement sont apparues, la Rouge des Près dans le Nord de la région, la Salers et la Limousine dans le SudEst, puis enfin, la Charolaise et maintenant, la Blonde d’Aquitaine. Toutes ces races à viande réunies au sein de la même région font la diversité de la production régionale et la fierté des éleveurs.
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de beaux animaux ici, dans le bocage, berceau de la Parthenaise. Cette race et sa viande sont devenues aujourd’hui un produit de luxe vendu dans des boucheries haut de gamme mais aussi dans certaines grandes surfaces qui développent un rayon qualité. Chez CFV, nous travaillons aussi la Charolaise, majoritaire dans la région, des culardes de préférence, quelques Limousines et des laitières de réforme en triant les plus lourdes, bien finies pour la viande, toujours dans le but de tenir nos engagements de qualité. »
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Une activité d’abattage au service de la région
Entrée dans l’entreprise en 1976 comme comptable et chargée de relations avec les bouchers, Françoise Peylet connaît l’histoire de la maison par cœur et en parle avec plaisir. « L’abattoir de Montguyon (17) a ouvert en 1971. Les murs sont la propriété de la commune et SECAM est fermier de l’abattoir ; la commune détient 55 % des parts et 45 % par des privés : bouchers et commerçants en bestiaux. La commune étant majoritaire, le maire actuel, Francis Bastère, en assure bénévolement la présidence. Nous sommes une petite structure avec 13 employés ; en 2004, nous avons abattu 3 100 tonnes dont 1 200 tonnes de bœuf, 350 tonnes de veau, 250 tonnes d’agneau et 1200 tonnes de porc.» Patrice Girard, responsable de la chaîne d’abattage à Montguyon, veille au bon fonctionnement de la production et adapte, chaque jour, la chaîne aux animaux abattus. « Comme apprenti à l’abattoir, j’ai appris à tenir un couteau et cela ne s’invente pas ; il faut beaucoup d’heures de travail pour savoir
« La fédération nous rend service au quotidien. Elle m’a bien aidé lors du rachat de la chaîne d’abattage ou de la demande de subventions européennes pour la création et l’agrandissement de l’atelier de découpe. » aiguiser son couteau et s’en servir correctement. De la tuerie à la classification des carcasses aujourd’hui, j’ai fait tous les postes. Celui que j’ai préféré ? Tous…
mais surtout le dégraissage, la finition et la présentation des carcasses. » > Surgères (17), à 30 kilomètres à l’Est de La Rochelle, en Charente-Maritime, est connue pour son beurre demi-sel. Cependant, avec Montguyon, c’est la seule ville du département à disposer encore d’un abattoir ; la société SIBCAS en assure la gestion. « Cette entreprise a une longue histoire; elle a été fondée par mon père.» En 1967, Maurice Joyet a une boucherie à Surgères. Dans l’objectif de défendre la profession, il contacte une dizaine de bouchers des alentours et crée le GIBCAS, un groupement interprofessionnel des bouchers et charcutiers abatteurs à Surgères, avec pour objectif de « grouper les achats de la carcasse à la ficelle des rôtis ». En 1970, GIBCAS prend de l’ampleur, il faut embaucher un responsable et Philippe, 21 ans, commis-boucher chez son père, accepte cette responsabilité. Il passe la
semaine à travailler pour GIBCAS et le weekend à la boucherie paternelle. « Les jours de congés étaient rares ! En 1976, le groupement approvisionne une centaine de bouchers. Aujourd’hui, nous assurons une activité d’abattage dont 70 % de bovins et un travail de découpe à façon qui va de la carcasse à la portion individuelle en barquette. Les clients : 50 % de bouchers et de collectivités, 50 % la grande distribution. Ainsi, entre l’abattage et la découpe, nous faisons vivre 80 ménages de Surgères
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et des environs.» Philippe Joyet a deux fils d’une trentaine d’années. « Je leur ai donné un an ou deux pour se décider. Nous avons un avenir dans ce secteur malgré des marges étroites et une situation difficile de la filière viande qui fragilisent nos entreprises. »
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Le Poitou-Charentes, terre de l’agneau de qualité
L’histoire des Lepoureau est attachée à l’agneau et à une activité de marchands de moutons depuis trois générations. L’arrière-grand-père de Rodolphe, un jour, au début du XXe siècle, transportait ses agneaux et s’est trouvé en panne avec son camion en rase campagne. Il a laissé les bêtes dans le pré d’un agriculteur avant de venir les reprendre, engraissées par le propriétaire du champ, quelques semaines plus tard. En échange, il lui a versé une commission. C’est comme cela qu’il a commencé à faire du négoce d’animaux vivants. La génération suivante a développé ce commerce ; Louis-Marie s’est toujours intéressé en priorité au vivant ; il achète encore aujourd’hui environ 2 000 bêtes par semaine. Enfant, il emmenait Rodolphe, son jeune fils sur les marchés et dans les fermes ; le virus du négoce a été transmis et Rodolphe raconte qu’après « avoir travaillé 2 ans dans la grande distribution, j’ai rejoint Sovileg créé par mon père en 1993 à Thouars (79). Nous travaillons l’Agneau Poitou-Charentes CQC ; il se vend quand même autour de 6,20 euros le kilo abattu, soit un euro de plus que l’agneau ordinaire. C’est une niche avec un petit volume constant toute l’année. Nous abattons également 600 agneaux par semaine pour
la filière halal avec AVS (À Votre Service), une association musulmane. Un sacrificateur assermenté est employé à plein-temps chez Sovileg pour superviser la bonne règle des opérations ». Le week-end, Rodolphe ne peut s’empêcher de faire du négoce et du tri d’animaux. « Le vivant, c’est mon origine, mon enfance et le geste de se taper dans la main pour se dire qu’on est d’accord sur le prix, c’est un geste que j’ai dans le sang. » Pour conclure, Rodolphe évoque le problème de la rentabilisation des peaux d’agneau. « La FNICGV a interpellé le gouvernement en ce sens, afin d’obtenir des aides pour ce secteur. C’est aussi à cela que sert la Fédération. » > « Pour les années à venir, il va falloir s’adapter dans notre métier, il va peutêtre même falloir dévier un peu. » Le parcours de Jean-Paul Mauve, la cinquantaine, l’illustre bien. Originaire de l’Indre, son grand-père avait un troupeau de Normandes et de Frisonnes, son père était exploitant forestier, Jean-Paul fait des études de maths et physique à Poitiers mais, à la sortie de la fac, il «se jette dans les métiers de la viande ». Embauché à la
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SICA de Bessines-sur-Gartempe (87) en 1977 comme technicien de tri des agneaux, il y apprend le métier. En 2000, après une rencontre avec Roland Ameteau, il rejoint COVIMO qu’il dirige aujourd’hui avec Gilles Ameteau et Michel Tranchant. Avec un chiffre d’affaires en progression constante, Jean-Paul est plutôt optimiste. L’activité ovine porte sur 200 000 carcasses à l’année. Les animaux sont fournis par les groupements de producteurs, les
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négociants, les marchés comme Vasles, Parthenay, Les Hérolles; certains viennent même de régions plus lointaines comme le Tarn et l’Aveyron. Le CQC Agneau du PoitouCharentes est un plus assez rentable et il permet la fidélisation des éleveurs engagés dans la filière. Cependant l’activité bovine va probablement croître. Aujourd’hui, Jean-Paul fait abattre une trentaine de bêtes par semaine et assure une prestation de service de 220 jeunes bovins pour
« Présenter une belle carcasse à la bascule a toujours été une obsession et un bonheur.»
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un autre abatteur. « Les projets d’avenir sont du côté de l’abattoir municipal de Montmorillon (86) ; il va être rénové et
Quelques chiffres 4 MARCHÉS aux bestiaux : Parthenay, Les Hérolles, Lezay et Vasles. 10 ORGANISATIONS DE PRODUCTEURS dont 5 coopératives et 5 associations. 13 ABATTOIRS dont 8 outils de services, 3 privés pour les gros bovins, veaux ou porcs et 2 privés spécialisés en ovins. LE NÉGOCE DE LA VIANDE compte 97 opérateurs, dont 65 entreprises qui exercent une activité d’abattage et 32 qui assurent des activités d’abattage, de découpe et de transformation des viandes. 60 % DES ACTIVITÉS D’ABATTAGE de gros bovins sont destinées à l’exportation et aux échanges intracommunautaires. LE SECTEUR DE LA DISTRIBUTION : 70 % en GMS, 20 % pour les boucheries artisanales et traditionnelles, 6 % pour la restauration hors domicile non commerciale et 4 % pour la restauration commerciale. Sources : Interviandes Poitou-Charentes 2004, Chambre régionale d’agriculture de Poitou-Charentes 2003.
agrandi. Nous nous sommes engagés à construire à proximité un atelier de découpe et de conditionnement qui pourra sans doute aussi traiter la triperie. Par ailleurs, comme la baisse de production ovine en France est notre souci, nous envisageons de traiter des carcasses en provenance de l’étranger sans négliger pour autant les découpes des carcasses des éleveurs pour leur consommation familiale. C’est toute une série de petits plus et nous comptons aussi sur les conseils pertinents de notre Fédération ; je ne les appelle pas tous les jours mais ils sont présents et efficaces dans les moments délicats. »
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Une niche, la viande de réforme de chèvre et de brebis
« Mon travail se fait de bouche à oreille. La clientèle change beaucoup mais tant mieux car je suis ce que l’on appelle un chercheur de marché, spécialisé dans les animaux de réforme. Peu nombreux à faire ce métier, je suis devenu incontournable. Notre tonnage à l’année est de 1 600 tonnes de chèvres et 1200 tonnes de brebis.» La société Pierrepont et fils a été créée en 1978, à La Chapelle-Montreuil (86), par le père de Jean-Louis, Guy, alors boucher à Antony (92) ; il avait décidé, à cette période, de vendre aussi sur les marchés et la société était destinée à mieux gérer l’ensemble de ses boucheries. « J’ai été attiré par le métier et j’ai débuté par le commerce de bestiaux vivants : savoir acheter des bêtes, les estimer mais sur le marché aux bestiaux, au début, ce n’était pas simple; de plus, j’étais jeune et on n’a pas manqué de me faire des croche-pieds. Cela m’a renforcé. J’ai d’abord fait du bovin
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et du mouton, puis je me suis consacré aux caprins dont la profession était désorganisée. J’ai essayé de restructurer l’offre de vente, d’avoir de la marchandise toute l’année en organisant des ramassages réguliers de chèvres sur toute la France. Dès 1985, dans la région Poitou-Charentes, la chèvre était devenue un animal de bergerie, avec des troupeaux de 300 à 500
« Aujourd’hui, nous sommes vigilants : tenir les rênes, fixer des règles commerciales et exiger des garanties bancaires. »
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têtes, renouvelés au bout de cinq ans. Nous abattons en abattoir public ; la viande est vendue fraîche. Si j’avais un vœu à formuler, ce serait qu’on arrête de changer en permanence les règles du jeu pour retrouver une certaine lisibilité du marché et deux années consécutives de tranquillité sanitaire nous feraient du bien ! »
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La base du métier : chevillard
Gilles Vuzé et son frère Thierry ont pris la relève de leur père Jean en 1985 dans l’entreprise de cheville Vuzé et fils installée à Poitiers (86). Leur grand-père faisait le commerce de bestiaux vivants, des Parthenaises et de la laitière ; Jean, leur père, crée son entreprise de cheville dans les années cinquante. Aujourd’hui, Gilles est chargé des achats et de l’abattage des animaux, Thierry gère l’atelier de découpe. « Ce qui me passionnera toujours, c’est l’esprit de ce métier, la discussion, les transactions et la sélection des belles bêtes. Chevillard est notre première activité; je vais dans les fermes, j’achète tout ce que les éleveurs ont à vendre. Ils savent qu’ils peuvent compter sur moi pour ne pas
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leur laisser de la marchandise sur les bras. Je garde ce qui m’intéresse, je revends ce qui ne me convient pas. Les préoccupations sont nombreuses aujourd’hui; l’une d’elles concerne l’évolution de notre clientèle : nos bouchers disparaissent les uns après les autres souvent sans être remplacés ; pour l’instant, on réussit à compenser ces pertes en vendant à des moyennes surfaces et à la GMS locale mais sans garantie sur l’avenir. C’est l’incertitude. Néanmoins, on continue mais devant l’accumulation des contraintes et, face à l’évolution de l’élevage, il est difficile d’imaginer la suite. L’avenir seul nous le dira. »
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Un exportateur intracommunautaire
Ingénieur agro, Gérard Peyrol se souvient des années soixante-quinze où, « chaque semaine, on ouvrait un atelier de jeunes bovins Charolais pour l’exportation de carcasses vers l’Italie. C’était l’Eldorado. Une quinzaine d’abattoirs participait à l’aventure ; il y en avait tous les 20 kilomètres. Beaucoup d’entreprises privées se sont installées sur ce créneau de jeunes taurillons. À Bressuire (79), dès les années soixante, l’entreprise Bernard Gaboreau faisait de l’export ; en 1991, elle a été vendue à SCABEV et je suis arrivé à ce moment-là dans la société. Les crises bovines successives ont entraîné des restructurations pour Socopa, Soviba et SCABEV ; JB Ouest est né à Bressuire en 1999. S’en est suivi, une deuxième vague de restructurations et seuls deux sites d’abattage ont été conservés, Bressuire et La Roche-sur-Yon (85). Notre métier est clair : l’exportation intracommunautaire
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« Ce qui compte c’est de rester unis et notre fédération, la FNICGV, remplit ce rôle. » de carcasses de taurillons de 12 à 24 mois. Le marché a évolué; au début, les taurillons partaient essentiellement pour l’Italie. Aujourd’hui, la répartition est de 45% pour l’Italie et 55 % pour la Grèce. Les Italiens achètent des taurillons Charolais et les Grecs, des Blonds d’Aquitaine et de la Parthenaise. Et peut-être que dans les années à venir, JB Ouest exportera pour la Croatie ou la Pologne ? Par ailleurs, la consommation de taurillons est en augmentation en France ; ce n’est pas un phénomène nouveau puisqu’on consommait déjà depuis longtemps cette viande dans le Nord de la France et dans la vallée du Rhône ». Gérard a toujours le “ compte clients ” sous le coude. « Il y a eu beaucoup d’impayés ; il faut être attentif à ce qu’il n’y en ait plus car, compte tenu de l’étroitesse de nos marges, la société serait vite en péril ! »
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Les peaux, les cuirs et la laine pour toute activité
En passant par Vœuil-et-Giget (16), près d’Angoulême, visitez les carrières où Robert Ameteau stocke ses peaux, sur 20 000 m2. De ces carrières, ont été extraites les pierres qui ont servi à bâtir les cathédrales ; ce fut ensuite un dépôt de munitions pendant la dernière guerre, puis des champignonnières avant de devenir le
La FNICGV en PoitouCharentes Édouard Lesveques est président régional de la FNICGV. « Vous savez, il n’y a pas beaucoup de candidat à ce poste mais il faut à tout prix se battre pour défendre la profession comme l’a fait la FNICGV pour la taxe d’équarissage. Pour une société comme la nôtre, cette taxe c’est 600 000 euros par an, c’est 11 centimes du kilo sur les carcasses de bovins. Il fallait absolument pouvoir la répercuter. Notre rôle : soutenir les PME pour qu’elles ne soient pas absorbées par les grands groupes ; si on n’est pas une fédération, on n’existe pas, il faut se battre et tous les jours. »
domaine de Robert Ameteau. En 1989, COVICO, géré par Roland, le père de Robert, rachète l’entreprise Halles aux cuirs réunis en difficulté financière après l’ouverture et l’exportation en masse de cuirs et de peaux. Robert a 22 ans, un bac B, une petite école de commerce et une vocation : kinésithérapeute. Son père
lui demande de prendre en main Halles aux cuirs réunis. Il n’y connaît rien ou presque mais se jette dans la galère entourée d’une solide équipe. Il licencie 60 personnes, écoute, observe et, avec son équipe, passe des nuits à remonter la boutique. Les résultats sont là. Aujourd’hui, en plus des cuirs et peaux, COVICO
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« Il y a 30 ans, on prédisait la fin de la cheville mais on est toujours là. Des hommes motivés, compétents qui connaissent bien la viande, constituent notre force.» collecte 800 tonnes de laine par an. «Nous exportons aujourd’hui 80 % de produits bruts dont 25 % vers la Chine. Mais la Chine est un cheval de Troie ; je n’ai aucune certitude sur l’avenir car rien ne dit qu’un de ces jours, les Chinois ne me feront pas savoir qu’ils n’ont plus besoin de moi. Je veille à protéger mes autres clients comme l’Angleterre, l’Italie, la Turquie et l’Inde aujourd’hui. » Robert ne peut s’empêcher
de terminer sur un petit coup de gueule. « Je suis un intermédiaire entre l’abatteur et le tanneur ; la peau est un produit qui a de la valeur et je suis furieux quand je vois comment, dans certains abattoirs, on stocke les peaux dans des bâtiments lamentables quand elles ne sont pas en plein soleil. J’achète de la marchandise qui est négligée et je trouve cela vraiment dommage. »
Dans le Centre 269 Grande région de production céréalière, le Centre développe un élevage très diversifié. Les vaches laitières sont présentes dans trois bassins de production de polyculture-élevage : Puisaye, Perche, Gâtines. Le bocage herbager du Sud de l’Indre et du Cher, est, par excellence, la région d’élevage des races à viande, des animaux maigres vendus pour l’engraissement, mais aussi des taurillons et des génisses, élevés à l’herbe, propices à une démarche de qualité, tout comme l’élevage des ovins. Enfin, les éleveurs de porcs et de volailles cherchent à bénéficier pleinement des productions céréalières locales. Dans le secteur agroalimentaire, la viande occupe, en masse salariale, la 2e place derrière les céréales. Les activités des entreprises sont centrées sur l’abattage et la découpe ainsi que sur la charcuterie, plus particulièrement l’élaboration de pâtés et les salaisons.
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Un parcours classique de la région Centre
Gérard Gourault a obtenu son certificat d’études le 28 juin 1960 ; le lundi 2 juillet, à 14 ans, il entrait en apprentissage chez son oncle boucher et à 16 ans, il tenait un rayon de boucherie dans les halles de Blois (41). Si l’on regarde de près le parcours de Gérard et l’état de l’entreprise qu’il dirige, on s’aperçoit que ce fut un bon choix. Il faut dire qu’il n’a pas pu échapper au milieu. À la Chaussée-Saint-Victor, près de Blois, la famille Gourault exerce le métier de boucher depuis 1920. C’est en 1958 que tel des mousquetaires, les quatre frères
Gourault, René, Raymond, Claude et André le père de Gérard, ont uni leurs efforts pour créer une société de transformation et de commerce de viandes en gros. Dès 1962, ils ont bâti un atelier de découpe et construit des frigos pour faire face à la demande croissante des collectivités, des boucheries de détail et des grandes surfaces qui font leur apparition dans la région. Très vite, les locaux sont trop exigus et l’entreprise s’installe en 1974 sur un terrain de la zone industrielle de Blois. Elle collabore avec la mairie à la conception d’un abattoir qui voit le jour en 1977. La ville propose de fournir un terrain et de prendre en charge le financement de la construction de l’abattoir ; en échange, les Gourault assurent la gérance et s’engagent sur un
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volume d’abattage de 7000 tonnes permettant de verser des annuités qui couvriront les dépenses d’investissement. Les Gourault rachètent l’abattoir en 1991. L’activité aujourd’hui se porte bien. L’approvisionnement est direct, sur les marchés et auprès des commerçants en bestiaux. Les clients sont surtout des boucheries traditionnelles, une centaine environ, essentiellement sur la région parisienne. Gérard explique sa stratégie en matière de clientèle : il prend un compas, pique la pointe sur la ville de Blois, trace un cercle de 150 kilomètres de rayon et délimite ainsi sa zone de distribution. Dans les expériences remarquables, les Gourault avec des bouchers et des éleveurs avaient mis en place une filière le Bœuf de Coutancie. Pour cela, ils se sont rendus au Japon pour voir comment le Bœuf de Kobé était produit. De retour en France, ils se sont mis à brosser leurs bœufs en logette, à les nourrir à la bière. L’aventure avait, à l’époque, suscité l’intérêt des médias.
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Trois histoires du Centre en passant par Paris
Jean-Claude Richard est né en 1946 au Pondy (18), d’un père bûcheron et d’une mère garde-barrière. Pour lui, l’école s’arrête en 4 e. Pendant les grandes vacances de 1960, il fait un stage chez son voisin, le boucher, Rémy Massonnat. Le 1 er septembre de la même année, il entame son apprentissage. Cet homme lui a donné le goût du métier, il n’y était pas préparé. À 17 ans, diplôme en poche, il est commis dans la boucherie de Mirabel à Saint-Amand-Montrond (18).
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Il sera ensuite salarié dans celle de son oncle décédé, à Châteaumeillant (18) jusqu’à ce qu’une boucherie soit à vendre à deux pas de là. En mai 1970, il achète mais il n’a pas d’argent, ses parents encore moins. Il n’oubliera jamais les trois personnes qui l’ont aidé à démarrer dans la vie en lui prêtant les deniers nécessaires : M. Mirabel, son ancien patron et formateur, un ami agriculteur, Jean Daudon et la banque Hervé. Les affaires démarrent bien et sa femme Michèle n’y est pas pour rien. Elle gardera la boucherie jusqu’en 1996, date à laquelle avec deux amis, les Richard, ils achètent une boucherie à Paris, Place Léon Blum et l’appellent Les Fermiers du Berry. Le 1er mai 1996, jour de son anniversaire, Jean-Claude s’offre un petit cadeau, il achète les Ets Galoppin à Châteauroux (36) spécialisés dans la découpe de porc. Le fils Stéphane, après une formation en robotique et l’école supérieure des ventes de Tours, intègre l’entreprise comme directeur commercial ; le chiffre d’affaires double en 5 ans. Tout réussit au trio Richard : en 2001, ils rachètent Berry Viandes et regroupent toutes les activités sur un seul site à Vierzon (18). Aujourd’hui, le négoce de viande des Richard s’équilibre entre le porc, le bœuf, le veau et l’agneau ; les 19 camions de l’entreprise servent, dans un rayon de 150 kilomètres, les 1 350 clients de Berry SAS. > L’histoire de Gérard Chauvel, né en 1948 à Saint-Nicolas-des-Bois (60) est loin d’être banale. Son père était bourrelier mais en 1955, ce métier ne nourrit pas son homme et encore moins sa famille :
« Il ne faut pas dépasser les limites du cercle de la zone de production ; le faire serait prendre un risque ! »
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départ pour la capitale où le père est embauché à la RATP comme chauffeur d’autobus. Il se loge Place Clichy, avec sa femme et le petit Gérard, dans une chambre d’hôtel où de jolies et gentilles dames font des allées et venues. Cela n’est pas pour déplaire à Gérard qui garde un très bon souvenir de ce séjour. Il a 12 ans quand enfin ses parents ont les moyens de louer un appartement dans le cinquième arrondissement grâce au salaire de maman embauchée chez Citroën. Elle se lève tôt, elle commence à 5 heures et Gérard se lève aussi. Il va ramasser les journaux périmés dans les poubelles et vend ce papier au kilo ; il a trouvé l’argent de poche pour se payer son pudding du matin comme ses petits camarades. Il voulait être professeur de maths mais la vie en décide autrement. À 14 ans ; il est embauché pour les vacances à la boucherie Bérard, comme livreur.
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Il parcourt Paris, en culotte courte sur son triporteur, pour livrer les belles dames des immeubles cossus qui lui laissent des pourboires à la hauteur de son sourire d’adolescent dégourdi. En un mois de travail, il se rend compte qu’il a plus gagné que son papa à la RATP. Donc, c’est décidé, il ne fera pas la rentrée des classes, il sera boucher, commence son apprentissage et passe avec succès un brevet professionnel à l’école de la boucherie dont il sortira deuxième de sa promo. À 21 ans, il se marie et sans un sou, le couple Chauvel achète sa première boucherie, rue de la Butte-aux-Cailles (Paris 13 e). Ils y travailleront jusqu’à la vente en 1974. Gérard met cet argent de côté et s’en va à Chartres (28), prendre en gérance la boucherie Brière qui fait du demi-gros. Installée au fond d’une cour, ses clients sont les nouveaux consommateurs qui viennent de s’équiper d’un congélateur.
Gérard fait là ses premiers pas dans le négoce de viande grâce à l’expérience de Monsieur Brière qui lui cédera son commerce en 1976. L’atelier de découpe sera construit en 1986, là où, aujourd’hui, l’entreprise est toujours installée, dans la ZA de Gellainville à Chartres. Gérard importe sa viande de l’UE, produit du muscle et du piécé surgelé pour des grossistes de la restauration. Par ailleurs, comme il n’a pas l’habitude de mettre tous ses œufs dans le même panier, il a aussi depuis 1980, un pied dans les produits surgelés comme les glaces. C’est sa bouée de sauvetage dans les crises ! > Francis Chambaud a été élevé à Auxerre (89) où Madame Chambaud, seule, s’est occupée de ses 5 enfants. Né après-guerre, Francis se souvient qu’à l’âge de 12 ans, il se plantait devant les boucheries d’Auxerre, fasciné qu’il était déjà par le travail de la viande. Aussitôt dit aussitôt
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fait, à 14 ans, il entre en apprentissage rue Michelet, dans la boucherie de Paul Savi qui voit en Francis un bon élément ; il lui confie le poste de chef d’abattoir alors qu’il n’a que 18 ans. Francis achète sa pre-
Quelques chiffres 307 000 HECTARES de surface fourragère. 611 940 BOVINS dont 72 850 vaches laitières, 196 450 vaches allaitantes. 2 MARCHÉS AUX BESTIAUX : Sancoins, le 1er marché de France et Châteaumeillant, un marché au cadran. 13 ABATTOIRS pour un tonnage de viande de 56 455 tonnes dont : • 23 070 tonnes de gros bovins ; • 1 515 tonnes de veaux ; • 840 tonnes d’ovins ; • 31 030 tonnes de porcs. 866 BOUCHERS. Sources : Agreste Centre 2003, CIRBEV 2004.
«À l’été de mes 14 ans, j’ai eu mon premier emploi; livreur de viande en triporteur dans Paris. Ce mois de vacances 1952, j’ai gagné plus que mon père à la RATP. Je n’ai plus quitté la viande après.»
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«Chez nous, l’atmosphère est familiale et on est à la campagne. C’est un avantage et un inconvénient: on a le calme et la proximité de la production mais pour les livraisons ou les dépannages, on est loin de tout, on est loin des villes.» mière boucherie à Châtillon-sur-Loire (45) avant de s’installer à Pierrefitte-les-Bois (45). Il tiendra ce commerce de détail jusqu’en 1986, puis immigre en banlieue parisienne, à Fontenay-sous-Bois (94) dans une boucherie de détail qu’il conservera jusqu’en 1999 tout en menant une petite activité de gros-demi gros qui lui tient à cœur. «J’ai acheté le fonds de Gien Viandes pour une bouchée de pain et je me suis endetté pour acquérir les bâtiments qui étaient en bon état. Nous sommes une petite entreprise, 6 personnes qui livrent de la belle marchandise dans un rayon de 80 kilomètres autour de Poilly-lez-Gien (45). Cela marche bien, on est spécialisé en porc mais on dépanne facilement pour rendre service à nos clients. J’ai 57 ans et j’ai l’impression d’avoir 20 ans. D’ailleurs, à la retraite je ne vais pas décrocher, je
voudrais que mon métier ait un avenir, j’aimerais bien former des jeunes et leur donner le goût. Je sens que j’ai besoin de transmettre ce que je sais faire. »
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Au cœur de la zone de production de races à viande
François Tricoche est né en 1968, une cuvée inoubliable, et à 23 ans, en 1991, après un bac, un diplôme de commercialisation agroalimentaire et un certificat de spécialisation commerce des viandes, il marche dans les pas du grand-père Raymond qui, après la guerre, «était venu à Vicq-surGartempe (86) pour ouvrir une boucherie avec un abattoir au fond de la cour et commencer à expédier des carcasses dans la région. » Mais les tueries personnelles sont interdites ; Raymond Tricoche et ses fils Dominique et Jean s’installent à
Tournon-Saint-Martin (36), à proximité d’un abattoir municipal. Mais, en 1980, l’abattoir, comme beaucoup d’autres, ferme. Les Tricoche construisent leur propre abattoir à la sortie du village avec une capacité de 2 500 tonnes. Cela marche. Dès 1983, c’est l’ouverture d’un tout petit atelier de découpe, puis, en 1995, d’un véritable atelier professionnel. « Ici, le personnel, une vingtaine d’hommes, est polyvalent et passe de l’abattoir à la découpe selon les besoins de l’entreprise. On achète tout près d’ici, chez les éleveurs du coin, sur les marchés et le groupement Terre Élevage nous fournit le reste de nos besoins : des bovins de race à viande Limousine, Blonde et Charolais ; des agneaux de production locale, l’Agneau de Brenne, une marque de l’Indre liée au Parc naturel régional de la Brenne ; des
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veaux pour 20 % de la région et 80 % de chez Weber.» Les Tricoche sont très attachés à une distribution locale. Dans un rayon de 150 kilomètres, ils livrent 25 boucheries traditionnelles et une vingtaine de supermarchés. François n’a pas encore pris la direction de l’entreprise mais cela ne saurait tarder. Il n’a pas le choix et de toute façon, il y va de bon cœur, car dans ce métier, on ne peut pas faire les choses à moitié. D’ailleurs, il n’a pas encore pris le temps de se marier mais cela viendra. > La société de Pierre Gillard a vu le jour le 1er octobre 1933, sous l’impulsion de Charles Bondy, boucher, abatteur, expéditeur à Mérigny (36). Charles décède en 1962; son fils Maxime et son gendre Pierre Gillard lui succèdent et s’associent avec Jacques Bailloux pour créer le 1er octobre 1967, la SOMEVIA, Société Merignoise de Viandes. Cette fusion-association s’est produite au moment où tombait l’interdiction des tueries particulières et nos trois hommes ont donc décidé et obtenu l’autorisation de construire un abattoir aux normes européennes. Ils vont travailler et prospérer ensemble jusqu’en 1995-1996 et leur départ en retraite. En 1998, seul François Gillard, le fils de Pierre, assure la pérennité de l’entreprise. Dès le début, ces bouchers abatteurs avaient fait le choix de s’approvisionner en ferme. «J’ai décidé de continuer car cette proximité est très significative tant pour les éleveurs qui peuvent avoir facilement accès à l’abattoir, au contrôle du poids de carcasses, à l’état sanitaire de leurs bêtes, que pour les consommateurs qui ont l’assurance de la provenance de la
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Dans le Centre
viande qu’ils consomment. À l’époque, SOMEVIA ramassait tous types de bêtes ; aujourd’hui nous sélectionnons les races Charolaise et Limousine avec une priorité pour l’approvisionnement en ferme. C’est très exceptionnel que nous ayons recours aux marchés et aux négociants en bestiaux. » SOMEVIA livre les génisses de 36 mois aux boucheries traditionnelles, les vaches de 4 à 8 ans aux GMS et les broutards pour l’abattage halal ; d’ailleurs, un salarié consacre entièrement son temps à l’achat d’animaux vivants et au maintien de bonnes relations régulières avec les éleveurs. François a le projet de faire du piécé en barquette pour les GMS et les collectivités. François précise encore que SOMEVIA fait partie de la FNICGV depuis la création de la Fédération et, pour être précis dit Pierre Gillard, le père de François,
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« nous sommes adhérents depuis 58 ans, cela doit vouloir dire tout de même que la FNICGV sert vraiment à quelque chose.»
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La viande chevaline pour seule spécialité
Jean-Yves Henault est un homme bien bâti, avec une santé de cheval et « c’est normal, je suis tombé dans la marmite quand j’étais petit. J’ai toujours vécu dans le milieu du cheval. Mon grand-père était marchand de chevaux ; disparu très jeune, mon père lui a succédé et je ne manquais jamais de l’accompagner. À 16 ans, je suis allé faire un stage en Normandie dans la ferme d’André Joseph, le fondateur de l’entreprise SNVC avec lequel, mon père importait des chevaux du Canada.» En 1978, Jean-Yves a 19 ans, un BTA et commence à travailler avec son
père qui dès le début des années soixante, s’est lancé dans l’importation de chevaux vivants d’Amérique du Nord. Plus tard, ce sera de la carcasse du Canada, d’Argentine et d’Uruguay. « Le monde de la viande de cheval a beaucoup changé et très vite. À la fin des années soixante-dix, nous étions une cinquantaine de négociants sur toute la France ; aujourd’hui, nous ne sommes
«La viande en général est un métier de connaisseurs.»
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pas plus de dix car beaucoup trop de bouchers chevalins ont disparu faute de repreneurs et pas seulement à cause de la baisse de consommation de viande chevaline. Nos clients ? Les GMS, essentiellement sur toute la partie Nord de la France ; on leur livre du muscle sous vide, toujours en provenance du continent américain où le cheval est bon marché.
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Dans le Centre
Cela représente 80 % de notre activité. À côté des GMS, on est sur un créneau de carcasses françaises fraîches, abattues par les ETS Gourault à Blois (41) et vendues aux boucheries traditionnelles. En ce moment, on se lance, après beaucoup de réflexion et après avoir profité de l’expérience des autres, dans la barquette sous vide. J’ai eu du mal à me décider car je ne trouvais pas le prestataire qui me convenait. Finalement celui que j’ai choisi est installé à Mulhouse. C’est du beau travail et quand on ouvre la barquette, la couleur de la viande reste très appétissante. C’est le but de la manœuvre sinon ça n’en vaudrait pas la peine. Je ne pense qu’à la qualité et qu’à travailler avec des professionnels. »
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COMMERÇANTS
« J’avais la viande en gros dans la peau et je suis revenu dans le Loiret parce que l’opportunité d’acheter un commerce de gros s’est présentée. »
pour son engagement dans la protection de l’environnement. Édith Lagnien préside à la direction de McKey Food Service ; Arnaud Rochard, en son absence, constate que « la production est déficitaire en Europe au point que nous sommes devenus importateurs. Nous avons pourtant la meilleure génétique, des outils parmi les plus performants, un savoir-faire en matière de découpe et des connaissances bouchères inégalées. Nous n’avons
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Le commerce en gros des viandes dans le Centre Gérard Gourault reste convaincu que le négoce de viande à un avenir : « Cette profession a beaucoup évolué depuis 1960 ; on a vu arriver les GMS qui ont pris de grosses parts de marché mais cela n’a pas fait disparaître toutes les boucheries traditionnelles. On a assisté à la disparition de la production locale dans le Centre, sauf dans l’Indre qui produit encore des bovins viande de races Charolaise et Limousine, mais les sources d’approvisionnement ne se sont pas taries pour autant, elles se sont diversifiées, elles sont différentes. On a également déploré la disparition d’entreprises pour des raisons diverses, notamment à Blois et à Tours, mais celles qui restent ont toutes leur place. Ce qui ne veut pas dire que les regroupements ne vont pas continuer, il faut juste veiller à ce que cela se passe de façon saine. Je suis persuadé qu’on mangera toujours de la viande malgré la tendance à la baisse de la consommation. On a donc l’avenir devant nous ! »
Au service de la restauration, du piécé sous vide au surgelé
Créée en 1987 à Fleury-les-Aubrais (45), McKey Food Service est depuis 1990, une filiale 100% de l’américain Keystone Foods après quelques années d’association avec la Coopérative Sicavyl, ce qui est quand même peu banal ! La caractéristique de McKey Food Service, c’est sa spécialisation dans la transformation des viandes bovines. Le minerai est fourni par une trentaine d’abattoirs de France, des Pays-Bas et d’Irlande pour produire la bagatelle de 500 millions de steaks hachés surgelés consommés par les clients des McDonald’s France, Belgique et Maroc. L’entreprise s’inscrit dans une démarche qualité : depuis mai 2003, elle a obtenu la certification ISO 9001 version 2000 pour son système de management de la qualité et la certification ISO 14001 version 2004
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pas en Europe, la place que nous méritons. Une production dynamique ne devrait-elle pas passer, par exemple, par de nouvelles relations entre les producteurs et les industriels sur la base d’une contractualisation ? » > Gilles Maugeais est venu de Brive (19) à la demande de Bernard Leguille pour diriger Beauvallet Restauration à Pithiviers (45) mais comme il dit, « si demain, il fallait aller s’installer en Pologne ou ailleurs
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Dans le Centre
en Europe, j’irai. Nous sommes dans un approvisionnement mondial et la viande est aussi devenue un marché mondial dans lequel l’Europe est un pays et la France, une province». Le Groupe Beauvallet, c’est 4 sociétés, 4 activités: restauration, commerce traditionnel, distribution spécialisée et LMC GOURMET. À Pithiviers, l’activité est consacrée au tranché sous vide pour des restaurants et des brasseries du quart Nord-Ouest de la France, 800 clients à la semaine. À raison de 200 grammes la part, cela fait 200000 assiettes servies aux amateurs de viande dans les restaurants. Tout a commencé après la seconde guerre mondiale, à Grenneville-en-Beauce (45), où la famille Beauvallet pratiquait une activité de boucher semi grossiste et d’abatteur fournissant les boucheries, les fermes et les collectivités. Les fils Beauvallet reprennent le flambeau dans les années soixante pratiquement au moment où la législation met fin à la tuerie particulière et où apparaît le fameux cachet sanitaire ovale. Ils viennent s’installer à Pithiviers et créent le premier atelier de découpe. Les affaires marchent bien. On fait du désossage, puis du sous vide et on met en place l’étiquetage. En 1991, les frères Beauvallet vendent leur affaire à Bernard Leguille, un professionnel installé à Brive, déjà dans le circuit de la viande à destination de la restauration; Pithiviers lui apparaît bien placé entre Brive et Paris. Le groupe ne cesse de se développer. Beauvallet Restauration emploie 70 personnes pour travailler du muscle désossé en provenance d’Europe, mais surtout d’Amérique du Sud et de la Nouvelle Zélande…
Dans les Pays-de-la-Loire 281 La douceur du climat, la richesse des bocages et des pâturages, liées à l’abondance des cours d’eau, font de la région des Pays-de-la-Loire, avec ses 5 départements, une grande terre d’élevage en particulier pour les races bovines. Cette région est la 1re de France pour la production de viande bovine, de volailles Label Rouge et la 2e pour la production de lait, de volailles et de porc. L’industrie agroalimentaire, née sur le terreau de l’agriculture régionale, est devenue un secteur primordial pour l’économie régionale. Les atouts du secteur agroalimentaire tiennent en deux mots : diversité et qualité. La région est en effet au 1er rang européen des signes officiels de qualité avec 104 Labels Rouges, 35 AOC et 9 Certifications de conformité.
«Je suis dans une niche, je pense y être durablement installé mais je ne perds pas de vue pour autant que de grosses sociétés pourraient faire du dumping pour nous bousculer.»
« C’est un combat permanent pour rassurer le consommateur et seule la qualité du produit permet de développer la clientèle. »
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Au cœur de la Vendée
Le fils d’André Forget, 1 er apprenti de France en 2004, sera la 6e génération de bouchers dans la famille. Mathurin Forget, l’ancêtre, fonde l’entreprise, en 1882. André Forget – qui dirige depuis 1993 Vendée Loire Viandes-VLV – est un homme très affable. Il a la sympathie et la chaleur des hommes de sa corpulence probablement parce que, petit, il est « tombé dans la marmite ». Il est vrai qu’à 7 ans, il découpait déjà ses petits morceaux de viande sur le coin droit du billot qui a vu travailler avant lui, ses grands-parents et arrière-grands-parents. Ce meuble, une antiquité, trône dans l’entrée de VLV. Albert, le père d’André, boucher à Legé (44), avait un petit abattoir et faisait déjà du négoce de viande en gros. Venu s’installer à Challans (85) dès 1970, il s’associe à Pierre Mussaud, futur président
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Dans les Pays-de-la-Loire
de la FNICGV ; tous deux ressentent la nécessité de se regrouper pour se développer, pratiquant ainsi la même politique que les coopératives. Ils fournissaient alors les boucheries de détail et approvisionnaient la région parisienne avec deux pôles d’abattage : Pouzauges (85) et Challans. Depuis sa création, l’entreprise a beaucoup évolué, notamment dans les produits, puisque de la carcasse, produit de première transformation, elle est passée aux muscles, deuxième transformation avec un atelier de désossage à La Rochesur-Yon (85) qui fut transféré en 1984 à Challans. Ce dernier établissement, devenu le lieu principal, a concentré ses activités sur des produits piécés sous barquette et des produits hachés frais. Responsable de l’entreprise depuis 1993, André Forget est passé par tous les postes depuis qu’il a quitté, à 16 ans, l’école des Frères de Ploërmel (56) pour entrer en apprentissage chez son père Albert. Il connaît tout du métier dans cette Vendée où « existait un syndicalisme fort, tendance chrétiens progressistes, qui a poussé au développement des coopératives. Mon père a été un artisan de la construction de l’Interprofession. La région est devenue un pays de races à viande avec l’introduction du Charolais ; on en a fait des bêtes formidables grâce au savoir-faire d’engraisseurs dans l’âme. Il ne reste plus que 4 sites d’abattage en Vendée : La Châtaigneraie, La Roche-sur-Yon, Challans et les Herbiers. Certes, les années sont difficiles mais il y aura toujours de la place pour les entreprises qui auront fait des choix judicieux et précis. La spécialisation et les contours précis de l’activité sont aujourd’hui
« La viande, en général, c’est, et cela doit rester, un métier d’artisans et de connaisseurs. »
indispensables ; pour notre part, on s’est tourné vers les Labels avec des IGP, vers les produits élaborés, de la saucisserie aux plats cuisinés ».
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En gravitant autour de Nantes
«La société a été créée, en 1966, par mon père Louis, et mes oncles Claude et Yves», raconte Louis-Nicolas Bichon. Spécialisée alors dans la commercialisation de carcasses ovines, Bichon frères était localisée à La Montagne (44). À cette époque, l’abattage avait lieu près de Nantes; la clientèle: des boucheries traditionnelles, évoluant
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La production de viande dans les Pays-de-la-Loire En 2002, la région a produit 255 000 tonnes de viande de gros bovins, soit 17,5% de la production nationale de viande finie, se classant première région de France. La production de veaux, 23 600 tonnes, représente 10 % de la production française. Dans la production ligérienne de gros bovins, les vaches de réforme représentent 42 %, les jeunes bovins mâles 39 %, les génisses 12,5 % et les bœufs 6,5%. En vaches de réforme comme en génisses et en jeunes bovins, la Vendée arrive en première position ; elle réalise 8,5 % de la production française de jeunes bovins et de taureaux, la Mayenne 5,5 %, le Maine et Loire et la Loire-Atlantique 4 % chacun, et la Sarthe 2,5 %, soit un total de plus de 25 % pour l’ensemble des Pays-de-la-Loire.
au fil des ans vers les GMS. Début 1990, à la suite de difficultés rencontrées par l’abattoir de Nantes, la Société Bichon est obligée d’abattre ses moutons sur trois sites ; les conditions de travail se compliquent. La décision est prise, en 1993, de choisir un autre site satisfaisant pour les différents enjeux : rester proche de Nantes, séduire une nouvelle clientèle et développer la production. Ce sera Challans (85). Le 1er février 1994, la société s’installe à Challans, élargissant son activité au veau et au gros bovin. « On a explosé le tonnage et le chiffre d’affaires en 10 ans.
Le nombre de salariés a triplé et ce malgré les deux crises de l’ESB qui nous ont contraints à être très réactifs, notamment en matière de traçabilité et de normes de sécurité alimentaire. » Depuis 1997, Bichon GL s’associe à l’atelier de découpe soullandais Frais viandes, spécialisé dans l’élaboration de nouveaux produits prêts à cuire. En 2002, elle consolide ses rapports avec des éleveurs de bovins de Vendée pour créer la marque Le Bocageois. Bichon GL a bien d’autres tours dans son sac et nous promet des innovations pour les années à venir !
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Dans les Pays-de-la-Loire
Une femme au Pays de Châteaubriant
Joseph, le grand-père de Véronique Viol, l’instigateur du foirail de Châteaubriant convainc en 1963 le maire de la ville de construire un abattoir. Foirail et abattoir,
dans la 1 re région de production et au centre d’un grand circuit de commerce de bestiaux, ont vite fait bon ménage. Joseph qui était au départ marchand, s’adjoint une activité de négoce de viande en créant la Société VIOL. Cela générera
« Sur dix années particulièrement riches, on est passé d’un état de PME à l’activité dite primaire, très régionalisée au niveau de sa clientèle, à celui d’une entreprise agro-industrielle diversifiée tant au niveau de ses produits que de sa clientèle. »
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le développement progressif d’une activité de cheville à l’abattoir. En 1974, les deux fils, Robert et Joseph (le prénom se transmet à chaque génération) apportent leur pierre au développement de l’affaire familiale, en construisant un grand atelier de désossage et de découpe à côté de l’abattoir. 1986 voit l’arrivée dans l’entreprise de la 3e génération, Véronique et Jeff, les enfants de Joseph fils. Véronique, après Sup de Co à Reims et l’université des viandes, vient par hasard en stage dans l’entreprise familiale ; elle réalise qu’il y a beaucoup à faire et y reste, s’adjugeant l’administratif et les finances et laissant à son frère Jeff, la technique et le commercial. Ils vont réaliser pendant 10 ans, une croissance annuelle de 10 %. Phénoménale ! Cela leur permet, en 2000, de racheter l’abattoir de Châteaubriant en y faisant des investissements conséquents. L’ouverture commerciale s’est faite en direction des GMS et de la production de découpe, orientée vers l’élaboration des produits sous vide, des piécés et des hachés, le tout intégralement en viande bovine française. Véronique Viol ne ménage pas sa peine mais avant tout, c’est une passionnée qui a envie de poursuivre l’aventure familiale.
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Deux entreprises, une gestion rigoureuse
Les Bluche géraient la plus grande épicerie en gros d’Angers. Depuis 43 ans, JacquesAntoine Bluche, né le 9 mai 1944 à Angers sous les bombes, se considère comme un urbain, un bourgeois classique. Son parcours d’adolescent l’est beaucoup moins. Durant son enfance et son adolescence,
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Quelques chiffres LES PRODUCTIONS ANIMALES représentent 59 % des productions agricoles dont : • Vaches laitières : 30 % • Gros bovins : 29 % • Porcins : 10 % • Veaux : 3 % Soit : 1er rang pour les effectifs du cheptel bovin ; 2e rang pour les effectifs du cheptel porcin. 4 MARCHÉS AUX BESTIAUX hebdomadaires : Cholet (lundi et vendredi), Laval, Châteaubriant et Château-Gontier. 16 ABATTOIRS pour un abattage de : • 255 000 tonnes de gros bovins ; • 10 3000 tonnes de taurillons ; • 8 000 tonnes de veaux ; • 231 000 tonnes de porcs ; • 3 120 tonnes d’ovins et caprins ; 400 ENTREPRISES de +10 salariés dont : • 22 % pour la viande de boucherie ; • 14 % pour la préparation industrielle de la viande. Source : Agrilia 2004.
il a écumé 18 collèges et lycées. Il en a retenu trois choses : « que les types intéressants et les salauds sont partout à égalité en petite quantité. L’école de la République m’a expliqué que les patrons n’ont pas changé depuis Zola et les Jésuites m’ont enseigné que l’être humain a une détestation sociale et qu’il faut haïr le profit et l’argent. Toujours est-il qu’à 15 ans, mes parents m’ont émancipé et foutu hors de la maison. Je pars seul sans rien, à l’aventure : manutentionnaire à Cologne, docker à Hambourg, vendeur d’aspirateurs puis de costumes, enfin embauché à 19 ans comme chauffeur routier chez Mainguet qui faisait dans le
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Dans les Pays-de-la-Loire
« L’échec est un piège auquel il ne faut pas succomber et le succès, qui n’est jamais une fin en soi, à prendre avec distanciation, humilité et prudence. » suif depuis 1899. Durant 7 ans, j’ai ramassé le suif chez 5 000 bouchers, de Rostronen à la Motte-Beuvron, et de Saint- Malo à Limoges. Dans les années soixante, j’ai épousé la fille d’André Mainguet ; à son décès, son fils et moi avons pris la direction de la société qui possédait des usines à Nantes, Rezé, Tours, Orléans et Vendôme. En 1985, le suif ne faisant plus recette, j’ai créé un groupe de diversification dans lequel l’activité Mainguet suif ne représentait plus que 50 %. Les deux
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crises de la vache folle et le développement exponentiel de la culture de palme en Asie ont mis à genoux la filière du suif. Beaucoup de grands savonniers européens sont d’ailleurs partis s’installer en Turquie.» Jacques-Antoine Bluche a côtoyé des dizaines d’acteurs de la filière viande ; il les a beaucoup appréciés. « Je les trouve honnêtes, très partenaires, impressionnants par leur sens du travail, par leur qualité d’appréciation ; ce sont de grands professionnels, de bons commerçants mais je leur fais un reproche affectueux : ils ne sont pas très gestionnaires, pas très financiers et surtout pas fiscalistes patrimoniaux; l’astuce, ce n’est pas de gagner de l’argent, c’est de le garder ! » > Les Banchereau sont de Coron (49). Pierre Banchereau, le père avait, dans les années soixante-dix, une activité florissante de commerçant en bestiaux. Son fils Jean-Pierre l’a suivi tout jeune dans
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les fermes et sur les marchés ; il s’intéressera au négoce de viande et créera Banchereau Viandes en 1982, à l’abattoir de La Fosse-de-Tigné (49) ainsi qu’un atelier de découpe, essentiellement pour du bœuf. Depuis le début, c’est une affaire strictement familiale avec Banchereau Bétail dirigé par Jean-Pierre et Banchereau Viandes dont Alain Depince est le directeur. Alain intègre le groupe en 1986, quand son père cède son affaire aux Banchereau. L’abattoir, reconstruit et réaménagé en 1997, atteint une production de 18 000 tonnes dont 50 % partent à l’export, en majorité du jeune bovin, et des femelles commercialisées sur le marché français. Alain appréhende le marché et ce métier avec une certaine sérénité ; il constate « que depuis 20 ans, les surcoûts sont exorbitants. On est mal placé au niveau de la concurrence. Tous les 5 ans, on tombe dans une crise et malgré tout, cela redémarre. La crise à venir va être la nôtre, celle des abattoirs puisqu’il y a déjà une sous-production. Il faudra recaler nos entreprises sur la production. Nous avons, en France, trop d’outils, trop d’abattoirs pour la consommation et la production actuelles. Alors il va falloir gérer le personnel autrement. Chez nous par exemple, si on doit ralentir la chaîne d’abattage, on basculera des salariés, tous polyvalents ici, vers l’atelier de découpe. Je crois sincèrement qu’il faut veiller à plusieurs choses: d’abord, ce n’est pas parce qu’on a fait deux ou trois bonnes années qu’il faut se lancer dans des investissements somptuaires. Ensuite et surtout, le chiffre d’affaires, cela ne fait pas tout et la course aux volumes est devenue ridicule ».
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« Oublier le volume, avoir en permanence un œil sur la rentabilité… » >
Les signes de qualité et l’innovation avant tout
Marc Priou, originaire de Pornic (44) face à l’île de Noirmoutier, préside à la destinée de la Nouvelle SCAVO. C’est un homme optimiste et convaincu que tous les métiers sont appelés à évoluer et que le sien n’échappe pas à la règle. «Mon grandpère achetait des bœufs, les dressait pour les travaux dans les champs, faisait des concours de reproducteurs et la façade de sa ferme était couverte de plaques et de médailles. Mon père Maurice a vu les tracteurs remplacer les bœufs alors il devenu boucher, abatteur et expéditeur. Il achetait en ferme, je l’accompagnais et comme j’étais plus courageux au travail
qu’à l’école, à 18 ans, il m’a demandé de l’épauler et il a ajouté qu’il me faudrait 10 ans pour apprendre mon métier. Il n’était pas facile, j’ai travaillé 10 ans avec lui et il a eu raison. » En 1986, Marc Priou se sent pousser des ailes ou tout au moins cherche à prendre son indépendance. L’opportunité, c’est une petite entreprise, à Nantes, la SCAVO qu’il achète. Par la suite, il investira dans d’autres petites sociétés mais quand en 1997, l’abattoir de Nantes ferme, il décide de tout revendre. Il trouve un repreneur, une coopérative, qui lui demande de bien vouloir rester à son poste. De toute façon, il n’était pas prêt à abandonner son « bébé ». Cette proposition lui
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convient d’autant plus que 2 ans plus tard la Nouvelle SCAVO ouvre une usine flambant neuve à Cholet (49). L’objectif de Marc est d’y faire de la qualité et de l’innovation avec des labels comme le Bœuf fermier de Vendée, Tendre Charolais, Bœuf Blond d’Aquitaine et Blason Prestige. L’entreprise s’est axée sur des produits nouveaux à base de bœuf comme du saucisson, du chorizo, de la saucisse ou des rillettes de bœuf. Cela se goûte mais surtout cela se vend, autant dans les grandes surfaces que dans les boucheries traditionnelles. Et Marc de conclure qu’ «on a devant nous, de moins en moins de clients et de plus en plus de centrales. Il faut être performant sur la qualité du travail tant en matière qu’en production. Rien ne sera facile, mais on n’est pas plus à plaindre que les autres et si on sait prendre les bons virages, on continuera à faire vivre ce métier ».
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S’adapter sans cesse pour rebondir
SELBA, créée dans les années quatre-vingt, est une filiale du groupe COVI, entreprise familiale, dont Emmanuel Bourigault est à l’origine. Au départ SELBA, spécialisée dans le désossage de têtes de bœuf, fournissait à sa maison mère de la matière pour la conserve de corned-beef. Elle collectait également les abats et les traitait. Avec les années deux mille et les interdictions sur les produits tripiers, SELBA a dû faire volte-face et s’adapter très rapidement. Patrice Bourigault, l’un des fils d’Emmanuel, se souvient qu’heureusement « nous avions une petite activité de découpe de produits surgelés
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qu’on a immédiatement développée. C’est l’époque aussi où l’on s’est tourné vers le porc ». Aujourd’hui SELBA est une solide entreprise que mènent Patrice Bourigault et son frère Philippe. Ils sont spécialisés dans la découpe, le calibrage, le conditionnement de viandes surgelées de bœuf, de porc, de volaille et d’agneau. En France, ils fournissent des grossistes et des industriels; ils ont également mis en place un négoce avec les Dom-Tom transportant par bateau aussi bien des côtes de porc coupées et conditionnées en sac d’un kilo que des viandes pour les navarins et les bourguignons.
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Le muscle de cheval sous vide
C’est Marceau Lottin en 1972 qui a créé la SOVICA LOTTIN dans l’enceinte de l’abattoir d’Angers (49) ; ce boucher chevalin vend ses deux boutiques d’Angers pour monter une cheville. Son fils Jean-Luc a 18 ans ; il est ouvrier boucher en région parisienne, chez Bernard Morisseau, un homme qui lui a tout appris, quand son père lui demande de le rejoindre. Ils ont été les pionniers du muscle de cheval épluché, sous vide et livré aux GMS. En 2 ans, ils multiplient les tonnages par 10 voire par 20 et construisent un atelier
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de découpe sur 2 500 m2 au MIN d’Angers. À l’époque, le marché d’importation de viande de cheval était détenu par deux grosses familles belges : les groupes VELDA et EQUINOXE. Jusqu’en 1990, l’entreprise est familiale, puis Jean-Luc, qui finit par rester seul, passe un accord avec VELDA : il a la totalité de la gestion et partira quand il le souhaitera. « Le cheval est une niche. On est trop nombreux encore. Il nous faut inventer tous les jours des nouveaux produits. Ainsi, en mai 2004, on a lancé la portion consommateur sous vide avec une DLC de 16 jours. En 2006, on va démarrer un burger haché de cheval. Nos 25 tonnes de produits finis à la semaine sont livrées aux petits magasins des GMS. Mon souhait évidement c’est que SOVICA LOTTIN continue par fierté pour mon père qui a eu cette idée géniale d’amener de la viande de cheval sous vide dans les magasins ! »
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Un spécialiste du commerce de veaux
Les Weber ont passé leur vie à acheter et vendre des veaux. En 1960, les Italiens ont été les premiers à venir sur le marché de Château-Gontier (53). C’est avec eux et son père que Jean-Paul Weber, à 14 ans, commence à apprendre son métier. Il en faut du temps pour apprécier d’un coup d’œil et d’une main experte, la qualité d’un petit veau. Belle époque des années soixante où on trouvait sur le marché de Château-Gontier au moins 7 500 veaux par semaine; aujourd’hui quand il y en a 2500, c’est exceptionnel! Les marchés ne représentent que 30 % du volume des achats de Jean-Paul qui, en complément, s’approvisionne auprès des commerçants de
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« Dans notre profession, nous sommes restés trop longtemps immobiles.» proximité, « ces personnes essentielles qui ont une bonne connaissance de la qualité des animaux parce qu’ils sont proches des éleveurs. Mon métier, c’est un métier d’artiste, de diplomate, de psychologue et de clown, il faut aussi savoir jongler. C’est un métier difficile mais celui qui est motivé, courageux, honnête, doué et connaisseur, celui-là peut y arriver. » Jean-Paul Weber fait de l’intégration de veaux de boucherie à hauteur de 65000 têtes par an et s’il est à la FNICGV c’est pour être tenu au courant des nouvelles réglementations notamment celles relatives à l’abattage, aux primes…
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La diversification, une solution ?
Henri Sidler est alsacien, fils d’un équarisseur des environs de Mulhouse (68). Entre 12 et 20 ans, il met la main à la pâte dans l’entreprise familiale. « On avait des autoclaves de 3600 litres. On ne triait rien à l’époque. On laissait cuire à 110 °C. On stérilisait et on sortait une pâte molle
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Dans les Pays-de-la-Loire
qu’on reprenait à la main dans une essoreuse qui séparait le gras de la farine de viande. Le gras était vendu pour le savon et la farine comme nourriture pour les cochons. » Henri pensait reprendre l’entreprise de son père. Il part à Angers faire une école de commerce mais en revenant, le père avait déposé le bilan. Cela va marquer le jeune homme qui va s’orienter vers la filière viande. Pendant 10 ans, il va se vendre à différentes entreprises ; un matin, il frappe même à la porte de Jean Rozé sans rendez-vous et quatre heures plus tard, il est embauché, suit une formation de chef boucher et sera moniteur dans l’école CEFIMEV. Plus tard, il rejoint Soviba, au Lion-d’Angers et développera l’export pour l’Allemagne. Nouveau départ en 1991. Cela fait 10 ans qu’il court après sa peur, créer sa propre entreprise, le dépôt de bilan paternel ayant laissé des traces. Enfin, le 1er mai 1991, jour de la fête du travail, il crée Aviande en se positionnant comme commissionnaire. En 1996, c’est la claque de la crise ; il commence à se diversifier et se tourne vers les légumes de 5e catégorie et la viennoiserie. Aujourd’hui, la boutique tourne et repose sur un équilibre des marges entre la viande (65 %) toujours vers l’Allemagne, les légumes de 5e catégorie et la viennoiserie (35 %).
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Un parcours classique
Après une expérience professionnelle de 3 ans comme technicien en maintenance industrielle, à 21 ans, Patrick Aublin se met aux études : sup de co à Bordeaux, une maîtrise de gestion à Paris et un diplôme d’expert-comptable. Il accède à
son premier poste de responsabilité en entreprise en 1973. En 1977, il prend la direction de la société ITS spécialisée dans le travail temporaire et, quelques années plus tard, reprend son indépendance pour
« Cet animal, il faut le garder encore 2 ou 3 semaines, il n’est pas fini pour la boucherie. »
COMMERÇANTS
proposer du conseil en entreprise. Il rencontre René Delaune qui a créé Euroviande Service en 1982, travaille avec lui jusqu’à ce qu’en 1993, cette société devienne une filiale du groupe EVS. Depuis, Patrick, en tandem avec Christian Coutand, un spécialiste du développement commercial, en assure la direction. «Euroviande a été créé à la suite d’un besoin issu du travail temporaire. On avait une activité de désossage en travail temporaire, on est passé de la notion de mission à celle de contrat de sous-traitance, de la notion de mission courte à celle de contrats longs, de la satisfaction ponctuelle d’un besoin à la satisfaction permanente de ce besoin. Nos techniciens bouchers travaillent chez nos clients pour une activité de désossage,
« Maintenir nos collaborateurs dans notre entreprise, au plus près de chez eux, en leur confiant un travail valorisant et bien rémunéré est un impératif de chaque jour. »
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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parage, piéçage ou conditionnement. En un mot, nous faisons de la sous-traitance à domicile, en découpe industrielle de viande. » Si Euroviande est la principale filiale du groupe EVS, les sociétés Techni Desoss à Athis-de-l’Orne (61) et Hervé Sipec à La Gacilly (56) sont des branches complémentaires et nécessaires du groupe. Avec 1 500 salariés, répartis sur 65 sites dans toutes les régions de France, le groupe EVS est en position de leader dans son secteur et véhicule les valeurs du travail en groupe, de la performance et de la formation permanente de ses techniciens. D’ailleurs, Patrick Aublin et Christian Coutand sont convaincus que d’accueillir un nouveau collaborateur, « c’est une chance qu’il faut mériter chaque jour ».
À la rencontre des professionnels… Bretagne, Basse-Normandie et Haute-Normandie
AIM GROUPE • ATHOR • BOUCHERS DE TINTENIAC
LAUDE SARL • LE FLOCH FERNAND • LEMARCHAND SA • LETHEUX
(LES) • BRETAGNE VIANDE DISTRIBUTION • CAP
ETS • MABILLE GÉRARD • MAXIVIANDE GROS • MONFORT •
DIANA • CHAPIN JEAN ETS • CHEVILLE 35 •
MONTHEAN GÉRARD • MORVAN VIANDES • PRESTA BREIZH
CHEVILLE ST LOISE • CHIRON ACVF • COVINAB
• QUENTIN MARCEL • QUINTIN VIANDES • RENAUD VIANDES •
• DECLOMESNIL • DIEPPE VIANDES • EVA •
SAG • SAPEC • SAVIDIS SA • SELVI SA • SEMERI • SNVC •
FANTOU ETS • GATINE VIANDES • GOAR HERVÉ SA
SOBODIS • SONORAB • SOVIGEL • SUPERHALLES • SVA JEAN
• GROSDOIT ETS • GUÉRIN VIANDES • HARDY ET
ROZÉ • TALLEC SARL • TENDRIADE COLLET • TG VIANDES •
CIE • INTERBOVI BRETAGNE • JACQUIN CLAUDE
VAPRAN • VATTIER DUVAL • VIANDES CHERBOURGEOISES (LES)
SA • KERMÉNÉ • KERVADEC SA • KERVIANDE •
• VIANDES NORMANDES (AUX) • WEBERT-RICŒUR
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En Bretagne
La diversité des climats, des sols, des reliefs et des cultures réunit les conditions nécessaires pour satisfaire les exigences des professionnels de la viande en terme de qualité et d’environnement. La Bretagne est la première région française pour la production de viande, y compris celle du veau de boucherie, et pour le tonnage d’abattage de gros bovins, de veaux de boucherie et de porcs ; elle est également parmi les premiers bassins européens à commercialiser sur le marché intérieur français et à l’exportation.
COMMERÇANTS
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Une histoire de famille dans le Finistère
Tout a commencé un jour d’hiver de 1886 à Guipavas (29) : Corentin Goar, l’arrièregrand-père d’Hervé Goar, crée sa boucherie. Elle sera transmise de père en fils jusqu’à aujourd’hui. Hervé est la 4e génération à s’investir dans la viande, la 5e travaille déjà avec lui et la 6e est en bonne voie. Cet esprit familial a permis la transmission, au fil des ans, d’un réel savoir et d’un goût pour la tradition et le métier. Après avoir usé ses fonds de culotte en pension au lycée Charles de Foucault, après avoir dû ingurgiter toutes les fins de semaine, en guise de récompense, des
petits ballons de sang récupérés sur les rosbifs de la boucherie familiale et après un bref passage à l’école de la viande, Hervé a vite senti le besoin de créer sa propre entreprise. À 20 ans, il parcourt les marchés de France, achète des bêtes, les ramasse, les fait tuer, les vend et les livre. À ce rythme, l’entreprise se développe très vite. Il fait construire son abattoir en 1987 : un outil moderne, performant et innovant qui attire de nombreux visiteurs étrangers. En pleine crise de la vache folle, Hervé prend un virage dans sa stratégie commerciale : puisque la Bretagne est la première région productrice de veaux en France, il décide de
«Rester toujours proche des vraies valeurs du métier, ne pas oublier le vivant mais aussi être à l’écoute du marché, anticiper son évolution pour avoir toujours une longueur d’avance.»
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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se spécialiser dans l’abattage, la transformation et la commercialisation de viande de veau. Sa passion pour les bonnes bêtes le conduit à commercialiser de la viande haut de gamme, 98 % issue de races à viande. Il se peut que vous le croisiez pendant des concours d’animaux de boucherie, c’est son petit plaisir du métier. Conscient de la demande croissante de produits élaborés, il s’est lancé depuis 10 ans dans une gamme de steaks hachés, un produit à forte valeur ajoutée. « Pour faire perdurer une PME, l’entreprise se doit d’être réactive, performante et flexible. C’est pourquoi, toute notre équipe est essentiellement composée de jeunes polyvalents : il faut préparer la relève ! » Pour la petite histoire, les grands-parents paternels et maternels d’Hervé étaient des négociants en viande concurrents. Pour résoudre ce problème, un jour, ils ont eu l’idée de marier l’aîné de chaque famille : mariage réussi pour eux et pour l’entreprise.
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Du vivant à la carcasse
Henri Thébault a vu le jour en 1954 à Trans, un petit village près de Pleine-Fougères (35), dans une ambiance de ferme où l’on engraissait des animaux de races à viande. Le père faisait également commerce de bestiaux. Henri va au lycée agricole des Vergers à Dol-de-Bretagne, cette institution tenue par des pères a formé beaucoup de professionnels et même, un temps, elle a ouvert une section Viande. Henri en garde un beau souvenir de rigueur et par la suite, comme bénévole, il prendra des élèves qu’il emmènera sur les marchés pour leur apprendre ce que c’est que le
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En Bretagne
bétail vivant. Puis, Henri regagne la société familiale de négoce de bestiaux jusqu’en 1998, s’approvisionnant à 80 % sur les marchés. La crise voit la fermeture des marchés. La société Thébault végète, le chiffre d’affaires s’effondre. En 2001, Henri associe ses compétences du vivant avec celles de la viande de Christian Collet. Ensemble, ils achètent une entreprise d’abattage nécessitant de grosses remises aux normes, ce sera Quintin Viandes
COMMERÇANTS
à Quintin (22). En 2 ans, ils doublent le tonnage d’abattage, choisissent le créneau de qualité avec des génisses de races à viande et répartissent leur activité vers trois cibles : prestation d’abattage pour les bouchers, pour les particuliers avec de la découpe et une activité de cheville propre avec découpe et vente aux collectivités. Ils installent aujourd’hui une ligne de sous vide et de barquettes pour les petits magasins de proximité. « Nous
avons opté pour les niches en apportant une qualité régionale tracée de la ferme à l’assiette. On est au service du particulier et de la proximité, des clients que les gros ne veulent ou ne peuvent pas servir. Par contre, on nous demande autant qu’aux grosses maisons et c’est un peu dur à avaler. Si c’était à refaire, je referai la même chose. Mon évolution est classique, passant du commerce de vif à celui de la viande. » Dernière initiative, Quintin Viandes, avec un groupement d’agriculteurs, met en place une marque régionale de bovins de races à viande. > Denis Leroy est né en 1952, dans une petite ferme de Langolin (29) près de Quimper, d’une famille d’éleveurs laitiers. Un BTA agricole à Pommerit-Jaudy (22), un premier emploi de technicien agricole au marché au cadran pour la SICAMON jusqu’en 1977, un second à la SICA Cornouailles pour la mise en place d’un commerce de porcs vivants sur la France, un troisième après l’ouverture de l’abattoir de Quimper (29) et la responsabilité de l’atelier de découpe de porcs et enfin responsable de l’abattoir pour la société BIF-ARMOR jusqu’en 1986. Denis crée alors Cornouailles Viandes. 4 ans plus tard, il reprend Bretagne Viandes, société spécialisée dans la restauration collective, et fusionne les entreprises pour devenir en 1996 Bretagne Viandes Distribution installé à Quimper. « Nous abattons, désossons et découpons pour la cheville et la RHF, essentiellement des races à viande, du haut de gamme. L’activité de transformation, c’est 10 tonnes de portions consommateurs par semaine, en frais.» Denis est passé du vif à la viande, « un chemin naturel et des opportunités
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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«Nous avons fait le choix de nous situer sur un petit créneau de qualité, en complémentarité avec les grands groupes industriels.» qu’il a fallu saisir. On est parti d’un commerce de gré à gré où il était possible de négocier les achats avec chaque point de vente ; et aujourd’hui, on traite avec des centrales d’achat. Un commerce bien plus difficile, c’est celui des cantines en sous-traitance avec les groupes de restauration ; les exigences augmentent sans cesse en matière d’hygiène, de sécurité et d’environnement. Il y a 20 ans, on était marchands de viande, maintenant on est chefs d’entreprise, on gère et la vente n’occupe plus qu’une petite partie de mon temps. Si j’avais un message à faire passer, je dirais aux éleveurs de produire, de s’adapter à ce qui se vend et je serais tenté de dire aux groupes de la grande distribution de faire attention, car bientôt, nous ne serons pas plus nombreux que vous. »
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Un modèle d’organisation
Yves Fantou a l’énergie du quadragénaire doublé d’un atavisme familial autour de la culture du bœuf. Son arrière-grand-père a ouvert sa première boucherie en 1906 à
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En Bretagne
Trans avant de venir s’installer à SaintBroladre (35). Son grand-père Mary a disposé d’un abattoir derrière la même boucherie. Son père a développé la cheville en intégrant l’abattoir municipal de Dol-de-Bretagne (35). Yves, la 4e génération, a parcouru enfant les campagnes avec son père. Après le lycée, il fait des études supérieures orientées vers la viande. Très curieux de savoir comment font les autres, il part aux USA, visite les abattoirs.« En 1985, je rentre dans l’entreprise familiale et partage mon temps entre la boucherie de détail et la cheville ; à partir de 1996, on commence à faire de la barquette. Je me sépare définitivement de la boucherie en 1999. La décision est prise de se consacrer à la barquette. » Yves développe un solide réseau de clients, essentiellement des magasins de proximité. Ils sont 110 aujourd’hui, des franchisés, avec lesquels
COMMERÇANTS
il traite en direct et qu’il approvisionne entre une et cinq fois par semaine. Dans son nouveau bâtiment ouvert en 2003, Yves produit la bagatelle de 30 à 40 000 barquettes par semaine, de la viande haut de gamme – bœuf, génisse, veau, porc et agneau – achetée presque uniquement dans la région. « J’ai conservé la pratique des fondamentaux du métier au point qu’aujourd’hui des bouchers souhaitent travailler ici. D’ailleurs, l’entreprise a reçu de la Région et de l’ANACT (Agence Nationale d’Amélioration des Conditions de Travail), une distinction pour l’organisation du travail. » Yves anime un club qui travaille aussi bien sur des questions d’organisation que de santé. « J’estime qu’il faut savoir faire des choix, développer des niveaux de compétences et mettre en place des stratégies. Et surtout aimer ce métier d’un bout à l’autre. »
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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Jean Rozé La viande, c’était lui, pour paraphraser le slogan qu’on voit dans les linéaires d’Intermarché. Jean Rozé, c’était surtout une histoire exemplaire, qui s’est achevée en décembre 2005 au terme d’une belle vie de 82 années. Celle du fils d’un petit boucher breton de Balazé (35), qui devient un grand industriel de la viande. Jean Rozé a créé la SVA-Société Vitréenne d’Abattage en 1955 avec son frère Louis. En 1974, il lui donne une nouvelle impulsion avec la création d’un abattoir doté des technologies les plus en pointe de l’époque, pour faciliter la manutention, le cheminement du produit, son hygiène et pour maîtriser ses coûts. Car Jean Rozé, derrière sa gentillesse, son humilité, sa proximité avec les gens, était un redoutable. Il avait compris avant tout le monde l’évolution inéluctable de son métier, vers plus de préparations et de transformations. Et aussi les débouchés offerts pas une grande distribution encore naissante. Jean-Pierre et Marie-Thérèse Le Roch, les fondateurs du Groupement des Mousquetaires, sont ses amis : c’est tout naturellement qu’il va se rapprocher d’Intermarché. C’est non moins naturellement que le Groupement, le moment venu, assurera la pérennité de l’entreprise de Jean Rozé. Celle-ci compte alors 3 000 employés, et outre le vaisseau amiral de Vitré, comptera sous son pavillon les sites de Liffré, Trémorel, La Guerche-de-Bretagne, Estillac, Janzé, SainteSavine, Tain-l’Hermitage, et 10 bases logistiques. En 2000, Jean Rozé avait laissé les commandes à Dominique Langlois, en restant très proche d’une entreprise qui fût sa vie et son œuvre.
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En Bretagne
SVA Jean Rozé, un grand modèle
« Je suis entré en 1983 à la SVA Jean Rozé comme responsable administratif et social. À l’époque, il n’y avait “que” 600 salariés, quand aujourd’hui il y en a 3 300 ! Étant juriste de formation, je ne connaissais absolument rien au monde de la viande ni à celui de l’agriculture et de l’élevage. La rencontre avec Jean Rozé, figure d’exception, a contribué à me familiariser avec le monde de la viande et j’ai appris, à son contact, à aimer ce nouvel univers ; c’était un homme de convictions, un amoureux de son métier qui savait transmettre sa passion aux autres.» Dominique Langlois s’est adapté très vite et avec bonheur à cette entreprise bretonne créée en 1955 par le célèbre Jean Rozé. Pendant près de 40 ans, la société s’est consacrée à l’abattage ainsi qu’à la première et deuxième transformation de viandes bovine et ovine, avant de s’orienter, dès 1995, vers le marché des viandes fraîches piécées et élaborées. Dominique Langlois poursuit: «Petit à petit, j’ai pu prendre de nouvelles responsabilités dans la SVA Jean Rozé, jusqu’à en devenir le directeur général en 1991, et président en 2000, lorsque M. Rozé a décidé de prendre du recul, mais en aucun cas sa retraite ; il a toujours travaillé jusqu’à la fin. À sa disparition, en 2004, j’ai pris les rênes, ce qui n’est pas évident dans une entreprise familiale, mais j’avais déjà 20 ans de maison, une bonne approche de l’entreprise et de sa culture en interne, des hommes qui la constituaient. Et puis surtout j’avais une bonne connaissance de notre partenaire-actionnaire devenu notre propriétaire, le Groupement des Mousquetaires.
COMMERÇANTS
Aujourd’hui, sans être un spécialiste de la viande, j’ai une vision globale de l’ensemble de notre filière et de nos ressources. » Les perspectives semblent bonnes pour l’avenir de la SVA Jean Rozé. Depuis son centre névralgique de Vitré (35), la société rayonne aujourd’hui sur une dizaine de filiales dans l’hexagone, produisant et transformant de la viande. L’entreprise s’est dotée d’outils de troisième et quatrième transformations incluant les gammes de produits cuits. « Nous sommes
en ordre de marche pour affronter les défis de demain. J’en vois trois principaux. D’abord, l’évolution en termes d’automatisation de nos outils de transformation. Ensuite, nous devons régler le problème de l’approvisionnement, c’est-à-dire se procurer la matière première alimentant nos outils afin de satisfaire nos engagements vis-à-vis de nos clients. Et enfin, poursuivre la diversification et être présent hors de France pour vendre nos produits finis. Il faudra faire également appel à
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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l’importation pour permettre à nos outils de transformation de fonctionner et même de progresser. En outre, les industries de la viande française ont un gros atout, un avantage même, qui est leur savoir-faire en matière de viande, à mon avis en avance sur beaucoup d’autres pays. »
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Au service des GMS
Jules, le père de Jack Basset, était menuisier mais il élevait pour lui quelques moutons, quelques porcs, des volailles et
Quelques chiffres 45 000 EXPLOITATIONS lait-viande. 2 MILLIONS DE BOVINS : dont 779 400 vaches laitières.
8 000 000 DE PORCS, pour une production de plus de 1 200 000 têtes, 8 300 exploitations professionnelles (soit 91 % du total) pratiquent l’élevage de porcs en Bretagne.
26 ABATTOIRS . TONNAGE D’ABATTAGE BOVIN : 1re région
«Dans le travail, les gens recherchent de la reconnaissance, un confort moral, des relations encore humaines, c’est cela une PME.»
française avec 330 000 tonnes en gros bovins et veaux de boucherie, dont 71 776 tonnes de veaux de boucherie.
TONNAGE D’ABATTAGE PORCIN : plus d’un million de têtes abattues dont 270 000 sont destinées aux salaisonniers.
LES ENTREPRISES DE NÉGOCE emploient 8 685 salariés. 800 BOUCHERIES ARTISANALES dont la moitié est engagée dans des démarches de qualité. 721 GMS. Source : Synagri 2002.
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En Bretagne
à 80 ans aujourd’hui, il prend toujours soin de ses bêtes. C’est ce petit déclic qui a conduit Jack sur la route de la viande. À 16 ans, il est en apprentissage chez M. Cros, boucher dans la Loire, puis il entre dans le groupe Casino où la formation interne lui permet de gravir rapidement des échelons : entre 1975 et 1982, Jack occupera les postes de boucher, chef boucher, directeur de magasin, directeur de l’école de boucherie puis responsable des achats viandes pour le groupe au plan national. En 1985, il prend la direction d’un site industriel d’abattage à Sablésur-Sarthe (72). En 1992, il rencontre Jean Rozé et rejoint son équipe, chargé du commercial et de la production avant de
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«Je ne me lasse pas de le dire, ce qu’il faut, c’est connaître ses limites, garder l’envie d’apprendre et savoir s’entourer.» prendre la direction de Gatine Viandes en 2001. Cette société fut créée par le Groupement des Mousquetaires et SVA, en partenariat avec le groupement de
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Le rôle de la FNICGV demain « Jean Rozé a toujours adhéré à l’action de la FNICGV et participait activement aux réunions et aux décisions. S’il en avait exprimé le désir, il aurait probablement été élu Président, tant le consensus autour de sa personne était grand. Mais c’était un homme discret qui n’aimait guère se mettre en avant. Il avait en particulier un fort sentiment de solidarité avec tous ses confrères de la filière viande, les petits comme les grands. La solidarité, c’est précisément aujourd’hui le principal problème que doit gérer notre Fédération : aider nos entreprises à passer le cap difficile des mutations dans les années à venir. Pourtant, certaines ont déjà commencé à investir dans leur transformation, mais il y a encore beaucoup à faire pour se maintenir au niveau de la concurrence mondiale. Notre rôle sera important pour les soutenir au quotidien comme dans la prospective, un rôle de soutien à la réflexion à long terme. Nous devons les aider à prévoir une évolution inéluctable de nos professions et mettre nos adhérents sur de bons rails. C’est un travail fédérateur. Toutes les entreprises, grosses et petites, sont concernées, bien qu’elles soient traditionnellement individualistes. On sait que la production, aussi bien française et qu’européenne, va baisser. L’abattage et la première transformation concernent beaucoup de nos adhérents qui souvent n’ont pas les outils pour aller plus loin ; il faut leur proposer des solutions. Je pense que l’industrie de la viande ne survivra que si elle évolue vers l’automatisation. C’est déjà vrai pour le porc et ça va le devenir pour les bovins, car les technologies ont considérablement évolué. On pourrait comparer notre situation avec celle, il y a 30 ans, de l’industrie automobile française alors moribonde avec plusieurs entreprises qui tournaient mal ; aujourd’hui deux entreprises françaises performantes s’en sont sorties, gagnent des parts de marché dans le monde entier ; elles ont su faire leur révolution dans la technologie et l’automatisation, leur savoir-faire est reconnu au-delà de nos frontières. Notre métier va également devoir passer par cette voie-là : concentration des entreprises, modernisation technologique et mondialisation ». Dominique Langlois, vice-président de la FNICGV, président de la commission de l’industrie.
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En Bretagne
COMMERÇANTS
ET INDUSTRIELS DE LA VIANDE
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«On peut vendre notre savoir-faire autant que notre viande. Il faut travailler là-dessus!»
producteurs de porcs ARCA pour maîtriser les approvisionnements des rayons de boucherie d’Intermarché et de bénéficier de la logistique de SVA. Depuis 2001, Gatine Viandes a franchi une étape importante dans le process du travail des viandes avec un équipement d’abattage conçu sur la méthode danoise assurant une qualité intrinsèque optimum du produit et une qualité bactériologique maîtrisée : les porcs sont anesthésiés au C0 2 avant la saignée ; le flambage dans des fours à 800 °C et l’éviscération sont robotisés. Tout cela diminue la pénibilité des tâches des salariés. Gatine Viandes, installé à la Guerche-de-Bretagne (35), emploie des familles entières. Le mode de recrutement est assuré par le personnel qui s’implique dans l’entreprise au point d’avoir mis en place un groupe de travail chargé de trouver les moyens de baisser les frais de
fonctionnement pour en redistribuer une partie à chacun. > Au début des années soixante, Louis Gourier, un fils de gros armateur de Lorient (56) rentre d’un voyage aux États-Unis avec dans ses bagages, une découverte, le hamburger. En 1969, à Lorient, il crée la Société Gourier et Cie et lance la viande hachée additionnée de protéines végétales. Il est alors le seul en France à proposer ce produit. Les affaires s’envolent, l’entreprise s’installe à Guidel (56), le Groupement des Mousquetaires l’approche, en fait l’acquisition en 1974. Elle est rebaptisée SAG, Société Alimentaire de Guidel. Pascal Rochard, directeur depuis janvier 2004, est un homme du sérail. « Même si le but de la SAG reste de servir les points de vente du Groupement des Mousquetaires, nous travaillons aujourd’hui sur de nouveaux marchés et l’ambition de se
positionner auprès des industriels et de la RHF. SAG est spécialiste de produits surgelés : 2/3 de viande hachée et un 3 e tiers, plus diversifié, de produits snacking comme cheese-burger, volailles panées cordon-bleu et nuggets, poissons panés. » À propos de steak haché, SAG dispose d’une ligne de fabrication totalement automatisée, de l’élaboration à l’empaquetage et la mise en palettes. L’entreprise jouit d’une image de précurseur pour les produits élaborés et innovante pour les produits volailles et poissons. « Mais rien n’est acquis et pérenniser une entreprise, c’est penser à demain. » Et Pascal cite Saint-Exupéry : « L’avenir doit se permettre. » > On pourrait dire de Kerméné que c’est un géant qui répand sa manne sur la Bretagne. Filiale des centres E. Leclerc depuis 1974, Kerméné a créé plus de 2 000
emplois sur la région. Tout ici est impressionnant : près de 1 500 000 porcs abattus par an, issus de 1 000 élevages bretons. L’approvisionnement des 52000 gros bovins s’effectue auprès de 250 apporteurs de Bretagne, Normandie, Pays-de-la-Loire et Limousin ; 200 éleveurs de veaux, principalement bretons, fournissent les 60 000 bêtes abattues chaque année. Cette production monumentale permet de livrer, plusieurs fois par semaine, 550 centres E. Leclerc. Six communes de Bretagne ont hérité de cette manne : à Saint-Jacutdu-Mené (22) les abattoirs et ateliers de découpe-désossage ; à Collinée (22) l’usine de charcuterie ; à Vildé-Guingalan (22) les salaisons-lardons ; à Saint-Léry (56) les produits élaborés de boucherie ; à Saint-Onen-la-Chapelle (35) l’unité de préparation de commandes. Et en projet à Trélivan (22), une production de charcuterie
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En Bretagne
cuite. Les abattoirs et ateliers de SaintJacut-du-Mené sont le point de départ et le poids lourd de la filière Kerméné. Leur édification a été possible grâce à la prise en charge de la réalisation foncière par les collectivités territoriales. Pour rester dans le gigantisme, le site de Saint-Jacutdu-Méné, c’est 150 000 tonnes de viande travaillées sur 105 000 m2 de plancher, 6 kilomètres de route. C’est aussi 950000 m3 d’eau potabilisée sur place, traitée dans une station d’épuration dont la capacité est celle d’une ville de 30000 habitants. Enfin le laboratoire réalise quelque 45000 analyses bactériologiques et physico-chimiques à l’année.
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Le veau pour activité
À 8 ans, Pascal Collet a déjà sa photo dans un livre, Mes paysans d’autrefois ; sur le cliché, il tient un petit veau par une corde
COMMERÇANTS
et ne compte pas le lâcher. Son grandpère, inévitablement boucher et leader du veau en France à son époque, a quatre fils ; ils créent ensemble la Société Collet. Cette belle entreprise quadri-céphale aura une longue vie puisque, née en 1960, elle fusionnera seulement en 2000 avec Tendriade pour devenir Tendriade Collet. Pascal travaille avec ses oncles dès 1980 ; en 2001, il sort du groupe Tendriade Collet, rencontre Michel Monfort et lui rachète son entreprise en 2002. Aujourd’hui, Pascal est seul maître à bord de Monfort Viandes. « J’ai été contraint de faire le deuil de l’entreprise familiale, vieille de 40 ans, et ça n’a pas été sans souffrance, mais c’est la vie ! » Monfort Viandes a une activité d’abattage à l’abattoir municipal de Quimper (29), 100 bovins de Bretagne par semaine et un atelier de désossage, de découpe et de transformation, orienté
«La réussite de l’entreprise tient aux femmes et aux hommes qui y travaillent. Il faut les encourager, leur faire partager les valeurs de la maison et qu’ils se l’approprient.»
vers la portion consommateur dont 20 % en production de viande de bœuf bio. Pascal a conscience comme tout le monde que la situation est difficile, que « nous sommes pris dans un étau, entre la baisse de la consommation, les astreintes sanitaires et les nécessités d’industrialisation. Pour s’en sortir, en dehors de la rationalisation et de la mécanisation de nos outils, il faut surtout accepter que le marché évolue. Une restructuration est inévitable. Nous devons maîtriser nos prix de revient et parvenir à augmenter nos marges afin de continuer d’investir dans la sécurité alimentaire. La culture du résultat doit progresser dans notre filière afin de financer nos investissements humain et matériel. » > Yvon Guérin, fils d’agriculteurs, est né à Fougère (35). Il suit une formation d’ingénieur agronome à l’École d’agriculture
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d’Angers, puis un master à l’ESSEC de CergyPontoise. Après une carrière internationale au Brésil et aux États-Unis, il prend en 2003 la direction de Tendriade et celle de Lactalis Industrie qui fabrique des matières premières laitières et des aliments d’allaitement pour veaux de boucherie. Cela explique l’appartenance de Tendriade au Groupe Lactalis, 1er groupe laitier européen, dirigé depuis 3 générations par la famille Besnier. Tendriade est né de la fusion de Bridel Viandes avec Collet en 2000 en devenant ainsi le leader de la filière veau. Avec près de 5 000 têtes abattues par semaine, le site de Châteaubourg (35) est le plus grand abattoir de veau de France. Cela représente 15 % du marché. La majeure partie des veaux provient de l’intégration, 400 éleveurs travaillant en partenariat avec l’entreprise. « Tendriade est un des seuls intervenants à maîtriser l’ensemble de la filière veau en France : fabrication des matières premières laitières et de l’aliment d’allaitement, élevage des veaux, transformation de la viande, fabrication et commercialisation de produits élaborés de veau. La maîtrise de la production de veau est un objectif essentiel pour réguler la rentabilité de la filière. Mais la principale force de Tendriade réside dans sa marque et sa capacité à proposer aux consommateurs des produits innovants. » Ainsi, outre les commercialisations en carcasses et en découpes de veau, Tendriade offre un large assortiment de produits prêts à cuisiner (hachés de veau, rôtis Orloff, paupiettes de veau…). Elle sert ainsi les objectifs de toute une filière: faire du veau une viande à déguster au quotidien.
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«Aujourd’hui, dans la concurrence exacerbée dans laquelle nos entreprises sont engagées, il y a des limites à ne pas franchir. Pour un produit aussi sensible que le steak haché, nous devons répondre aux attentes des consommateurs en matière de sécurité alimentaire et mettre en œuvre tous les moyens pour garantir l’innocuité de nos produits.»
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> Jean-Paul Chapin a son franc-parler, c’est pour cela qu’on l’apprécie ou qu’on le craint mais ce qui est sûr c’est qu’on ne peut pas dire qu’il parle une langue de bois. L’entreprise qu’il dirige aujourd’hui est familiale, créée par son père Jean, artisan boucher à Rennes (35), en 1948. Le négoce de viande a démarré en 1953, l’activité d’abattage en 1958 à l’abattoir municipal de Rennes. Au début des années soixante-dix, Jean-Paul rejoint l’entreprise familiale, ouvre l’atelier de découpe et, en 1987, construit son abattoir; le site est aujourd’hui imposant avec ses 10 000 m2 de plateaux utilisés pour l’abattage, la découpe et maintenant la transformation. « 2/3 de notre activité concerne le veau et 33 % de l’activité, la transformation : piécé frais ou congelé, saucisserie, charcuterie, viande cuite et
moulinée. Dès le début, notre commerce a été axé sur le veau depuis l’achat de petits veaux de 8 jours jusqu’aux produits transformés. Ce métier a beaucoup évolué, on est passé d’un marché de bouchers traditionnels à un marché structuré avec les GMS. Du coup le métier a perdu un peu de charme. C’est surtout la relation qui a changé, elle est devenue plus business et moins humaine. La base de nos PME, c’est la flexibilité et la mobilité ; le flux tendu permanent nous empêche de jouer sur ces qualités. La production demain, voilà le vrai problème ! On peut dire que depuis 1996, ce métier a fait une véritable révolution culturelle. Nous avons la volonté d’avancer, de progresser, mais les résultats ne sont pas à la mesure du risque pris et du travail fourni. Nous devons nous battre et nous débattre. »
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La restauration pour clientèle
André Cohan, boucher de formation, était directeur de la boucherie de Superhalles. Cet homme, issu d’une famille de 10 enfants, a commencé à travailler à 14 ans chez les Logeais. «La famille Logeais, dès le début du XXe siècle, faisait du commerce à Rennes (35): épicerie en gros, torréfaction, chaîne d’embouteillage de vin et même une chaîne de magasins, les supermarchés Margueritte. Certains s’en souviennent encore à Rennes, à Saint-Malo, à Dinan ou à Dol-de-Bretagne ! En 1978, ils ouvrent les Superhalles de Bretagne où se côtoient fruits et légumes, crémerie, boucherie et charcuterie. En 1990, les Logeais vendent toutes leurs affaires au Groupement des Mousquetaires sauf la boucherie. En 1999, je rachète le fonds de commerce, parfaitement situé rue Buferon, en plein centre
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«Je suis issu de ce monde de la viande. Un moment je l’ai quitté. Et je n’ai pas pu faire autrement, j’y suis revenu. À croire qu’on ne peut pas vraiment échapper à son milieu. Je ne m’en plains pas mais pour durer, nous aurons encore et toujours besoin d’évoluer.» >
de Rennes. » Les trois fils d’André, Dominique, Jean-François et Christophe, bouchers ou cuisiniers, travaillaient déjà pour Superhalles lors du rachat. Ils partagent aujourd’hui les responsabilités avec François Thouault, directeur, comptable et financier, ancien chef comptable des magasins Margueritte, qui avait rejoint les Cohan lors de la vente.«Superhalles, entreprise familiale, fait le commerce de viande en gros achetée en abattoir, à Rungis ou encore en Europe pour les collectivités, la
restauration collective et les restaurants traditionnels de l’Ille-et-Vilaine et des Côtes-d’Armor. Un petit 5% de clients sont des artisans bouchers. À côté de l’atelier de découpe-désossage, nous avons développé un important secteur de fabrication de saucisses, chipolatas et merguez. » En dehors des difficultés communes à tous, comme les charges ou les faibles marges, Superhalles « bute sur le recrutement du personnel en général et sur celui de bons bouchers en particulier. »
Vente sur catalogue pour les particuliers
Kerviande a vu le jour grâce à Olivier Hue, artisan-boucher à Pleumeleuc (35) qui, en 1984, a une idée qui dans le contexte de la prolifération des petites surfaces en campagne et la généralisation de l’utilisation des congélateurs, va s’avérer efficace : aller livrer de la viande fraîche en quartiers, en lots ou en caissettes, directement au domicile de ses clients en campagne, dans un rayon de 50 kilomètres. La recette fait fureur et Olivier ouvre un atelier de découpe adossé à sa boucherie en 1989. Jean-Luc Cadio, propriétaire de Berjac à Nantes (44), une société de distribution de viande et de produits frais pour les professionnels des métiers de bouche, rencontre Olivier en 1996, est séduit par le concept, rachète Kerviande qui devient multiproduits. « En plus du service de livraison, nous apportons une qualité constante, avec uniquement de la viande française en bœuf, veau, porc, volaille ; pour faciliter la vie de nos clients, nous leur proposons même des paiements différés. Imaginez le
catalogue de La Redoute et vous comprenez de suite le fonctionnement de la maison. Vous désirez acheter de la viande fraîche pour plusieurs semaines, vous appelez Kerviande, un vendeur se rend chez vous avec son catalogue, vous choisissez et 8 jours plus tard, vous êtes livrés. Vous serez satisfait et vous en redemanderez!». En 2003, Jean-Luc rencontre Xavier Gaudrefoy ; ils travaillent ensemble 9 mois avant de s’associer. Xavier est ravi de ce mariage. « Aujourd’hui, Kerviande, c’est 70 vendeurs qui font du porte à porte sur toute la Bretagne et même en Vendée, dans les Deux-Sèvres et en Loire-Atlantique et ce, 200 jours par an ! »
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Du surgelé sur mesure
Jean-Yves Corrignan est né dans le Morbihan d’une famille d’éleveurs de porcs et de vaches laitières. Après des études agricoles, il est en âge de travailler au moment de la mise en place des SICA et des coopératives, en 1973 ; il est naturellement recruté pour créer et diriger une coopérative ovine. En 1994, Jean-Yves reprend l’activité découpe de viande surgelée de
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matière bœuf et porc. » Didier ne cache pas qu’il a des nuits et des jours agités mais il a décidé de tout remettre à neuf dans la perspective de trouver un partenaire ou un groupe industriel qui développerait encore l’entreprise.
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Sovigel. Au début, il ne va faire que de l’agneau mais très vite, il a la volonté « d’y adjoindre la découpe de viande surgelée sur mesure, du bœuf, du porc et de la volaille pour répondre aux marchés de la collectivité en France et dans les DOM-TOM. C’est un métier particulier que de découper de la viande surgelée, sur mesure ; je n’emploie pratiquement que des personnes originaires d’Asie. Elles ont un doigté, une dextérité et un savoir-faire remarquables. Nous nous entendons parfaitement bien et il y a longtemps que, chez nous, les 35 heures et le 13e mois ont été mis en place.» Sovigel a reçu le 2e prix des Clés de la Performance, en 2003, lors de l’étude du Figaro Entreprise sur les plus belles PME de Bretagne. Cela fait plaisir.
La sagesse paysanne de Jean-Yves y est peut-être pour quelque chose. « Je n’ai jamais voulu mettre tous mes œufs dans le même panier, je cherche tout le temps à multiplier mes clients et à augmenter la productivité. Les salariés suivent, c’est pour cela qu’il faudra leur trouver un jour un successeur, ils le méritent ! »
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Valorisation des têtes de bœuf et de coche
Depuis des générations, Didier Renaud et sa famille sont installés au Grand-Fougeray (35) où son père, Alexandre, s’est lancé en 1969, dans le désossage de têtes de bœuf. Didier rejoint l’entreprise familiale en 1982 après une école supérieure de commerce et une formation de boucher,
«La maîtrise de la production de veau reste l’objectif essentiel pour réguler la rentabilité de la filière.»
prend la direction commerciale et du développement avec pour objectif de créer de la valeur ajoutée sur la noix de joue de bœuf ; il monte également une section de désossage de têtes de coche. L’entreprise se porte bien ; un nouveau bâtiment, plus grand, est construit de l’autre coté de la route, pour faire face au développement de l’activité. Tout va bien sauf que le 1er janvier 2001, le couperet tombe avec l’interdiction d’acheter des têtes de bœuf aux abattoirs français, 80 % des approvisionnements. Le désossage est réalisé directement par les abattoirs et Didier achète les têtes désossées pour satisfaire ses clients. Les abattoirs font le travail mais les ateliers de Didier sont à l’arrêt. « Il fallait réagir vite. En trois semaines, l’usine est adaptée au désossage de têtes de porc et il a fallu chercher des clients pour cette nouvelle production. Dès 2002, le pari est gagné. C’est, aussi, la période où nous avons mis en place l’élaboration de plats cuisinés pour la restauration et les collectivités avec notre
Nouvelles technologies
sans relâche
Un grand-père agriculteur, un père dans le commerce ont tracé la voie de Christophe Villalon. Après une école supérieure de commerce et un diplôme MBA, Christophe s’embarque le temps du service militaire sur le Jeanne d’Arc. « J’ai vécu la proximité des gradés alors que j’étais simple matelot, j’ai appris à vivre en groupe avec des règles strictes dans un environnement confiné et rude. Une bonne expérience en somme avant d’entrer dans la vie active.» Le fil rouge de sa vie active, c’est le commerce international et des postes à responsabilités dans plusieurs entreprises avant de créer la sienne. L’aventure dure 5 ans avant de rejoindre Cap Diana, créée en 1976 et filiale du Groupe Diana Ingrédients.« Cap Diana, c’est particulier ! Ses clients sont les industriels de la viande auxquels elle apporte des produits qui donnent de la valeur ajoutée à la matière brute, en l’occurrence la viande. Nous développons trois secteurs d’activités : d’abord, la production de bardes indispensables pour la décoration des rôtis et des tournedos ; c’est l’activité initiale. Le deuxième secteur ouvert en 1988 concerne les produits re-texturés à base de viande, utilisés pour enrober les pâtés de foie ou les terrines ; ils offrent une garantie microbiologique totale et une
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longue conservation. Ces produits sont broyés et recomposés par un process complexe et innovant. La troisième d’activité, la fabrication de sauces, a démarré en 1996 ; elles sont produites sur mesure, prêtes à l’emploi pour les industriels de la viande sous des formes diverses : fraîches ou surgelées, liquides ou tranchables, en
«La viande est un métier d’effort et non de confort mais pour cela il faut avoir la matière qui nous permet d’atteindre les résultats de notre devenir, de rester compétitif, de se démarquer, de pouvoir faire des prévisions à 2 ou 3 ans.»
En Basse-Normandie 317 galets, en pépites ou appertisées, c’est-àdire stérilisées. Cette dernière innovation a obtenu le soutien de l’ANVAR. Le marché international est très porteur pour ces produits et on travaille aujourd’hui sur la mise au point de nouvelles inventions ! » > Daniel Renoux est né en 1943 à la Ferme de Maguelonne en Vendée. Un parcours multiple avant d’être recruté, en 1980 par Boca Viandes, responsable des achats de vifs. En 1989, il s’accorde une année sabbatique mais on ne sait pas ce qu’il en a fait, c’est personnel. C’est en 1992, qu’il rejoint Vapran, une entreprise, propriété de la famille Slee d’origine hollandaise, spécialisée dans la collecte, la transformation et la valorisation des protéines de sang de bœuf et de porc. « On est le laitier des abattoirs, on collecte le sang de la saignée directement à la tuerie. Toute la technique est laitière. La collecte doit être hygiénique, quantitative et qualitative. Le sang est immédiatement traité par anti-coagulant et refroidi avant de parvenir dans notre site automatisé où nous séparons le plasma de l’hémoglobine. Le produit fini se présente sous la forme congelée ou en poudre. Le plasma est la protéine noble qui a une fonctionnalité de collage et de reconstruction pour les produits viande déstructurés. L’hémoglobine est destinée aux fabricants d’aliments pour chiens et chats mais elle est également utilisée dans le secteur des travaux publics pour alléger les bétons. Je pense pouvoir bientôt fournir de nouveaux marchés comme la pisciculture ou l’alimentation animale. L’UE a donné son autorisation ; on n’attend plus que la mise en place des directives. »
La richesse des herbages normands, si appréciée des vaches laitières est tout aussi propice à la production de viande. Les éleveurs normands produisent de nombreuses variétés de viandes, capables de garnir les plus larges étals et de répondre à toutes les exigences. Avec près de 2,3 millions de têtes en 2003, la Normandie est la seconde région française par l’importance de son troupeau total bovin (derrière les Pays-de-la-Loire). L’industrie de la viande en Normandie représente 14 % de la production nationale avec un atout majeur pour la qualité de sa productionemblématique, la race bovine Normande.
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Un Flamand au cœur de la filière viande de Basse-Normandie
Henri Demaegdt : tout a été dit sur le personnage qui préside à la destinée de EVA, à Saint-Pierre-sur-Dives (14), depuis 1987 et l’homme garde une partie de secret plus proche de la retenue que de l’énigme. Ce grand flamand par ses parents est issu d’une très imposante famille avec plus de 60 cousins et cousines germaines. Cette tribu a immigré en 1917 et, avant de quitter les lieux, la ferme de son grandpère avait été volontairement noyée sous les eaux pour retarder le passage des Allemands. Le petit Henri est né en 1936 à Tournedos-Bois-Hubert (27), cela ne s’invente pas. Le social et la viande vont sceller son destin. Et son destin commence chez les Jésuites de Saint-François-deSalles où, à 7 ans, il est interne et le soir à la cantine chacun a sa boîte à provisions.
En bon paysan qu’il est, il économise son beurre et sa confiture mais quand ses voisins de table n’ont plus rien, il ne se sent pas de déguster seul, ses friandises: il partage et toute sa vie, il va chercher à partager et faire partager, évidemment quand il y a quelque chose à partager. Il obtient un bac littéraire, il était très attiré par les lettres mais la liberté, l’indépendance financière le taraudait d’autant plus que l’autorité de son père, marchand de chevaux, s’avérait pesante. Alors, à 21 ans, il prend une patente de marchand de bestiaux, épouse Francine deux ans plus tard et l’embarque dans sa passion. Mais son plaisir à elle, c’est la décoration, Henri la laisse faire. Aujourd’hui c’est elle qui assure la gestion de leur ferme où 250 Charolaises partagent les pâturages. Et EVA dans tout cela ? EVA cela se visite. D’abord, la cantine : Henri, tous les jours, y partage son repas avec ses hommes. Le lieu est étonnant : simplicité et frugalité. Quand on a
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L’élevage en Basse-Normandie Avec un important cheptel de bovins répartis dans 25000 élevages, la région fournit 12% de la viande bovine française. La race Normande, depuis un siècle, s’est imposée comme la race laitière spécialisée et mixte fournissant un lait riche en matières grasses, ainsi qu’une viande persillée d’une saveur rare. D’autres races bovines lui font aujourd’hui concurrence: la Maine-Anjou ou la Charolaise. La Basse-Normandie, de tradition laitière, est en passe de devenir, depuis l’instauration des quotas laitiers, en 1984, une région à viande en constante progression et à haut rendement. C’est en outre, la 3e région de France pour l’abattage de gros bovins et de veaux de boucherie derrière la Bretagne et les Pays-de-la-Loire. 1984 a également relancé l’élevage ovin ; la Manche abrite un grand nombre d’éleveurs avec des petits troupeaux complétés par les bovins. Ils sont situés dans la région de La Hague, de la baie du Mont-Saint-Michel et du Pays d’Auge, avec des races locales d’herbage bien adaptées au climat océanique (Roussin, Avranchin et Cotentin), une prolifération élevée, certaines brebis faisant systématiquement deux agneaux à chaque agnelage.
«Ce que l’on fait, il faut le faire bien. Il faut aussi sans cesse, être à l’écoute, ne pas s’isoler, échanger chaque fois que l’on peut, sentir dans quel sens vont les choses et surtout, respecter les hommes.»
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vu le fonctionnement de la cantine, on a compris celui de l’entreprise. Pour Henri Demaegdt, trois dates sont importantes. 1987, avec Thierry André et les frères Ameteau, il fonde Les Éleveurs de la Vallée d’Auge qui deviendra EVA. L’abattoir municipal de Saint-Pierre-sur-Dives est au plus mal, ils engagent leur caution auprès de la ville pour réaliser des travaux de mise aux normes et sortir 5000 tonnes de viande par an. Cela marche. 1997, ils reçoivent le Trophée de l’Expansion qui récompense une entreprise solide et engagée socialement tant dans l’intéressement que dans la formation des salariés. EVA a mis en place des Certificats de qualification professionnelle, CQP, avec l’aide du Fonds Mutualisé de la Formation. Pour Henri Demaegdt cette démarche de formation est très importante, c’est sa façon de respecter et de motiver son personnel. 2007 sera la troisième date qui comptera. L’abattoir va être racheté par EVA; il sera transformé pour produire 15 000 tonnes par an et le nouvel atelier de découpe sera aussi vaste que l’ensemble des bâtiments actuels. Dans la foulée, Henri Demaegdt prépare sa sortie mais pas n’importe comment, il a constitué une équipe de solides gaillards, autour d’Éric Leroux, qui vont, à n’en pas douter, assurer la succession et la pérennité de l’entreprise.
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Parvenir à partager ses convictions
L’entreprise a été créée en 1957 par Marcel Quentin, marchand de bestiaux dès l’après-guerre dans la région de Vire (14) ; il commence à se lancer dans le métier d’abatteur expéditeur quand, en
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1960, la commune de Vire décide de construire un abattoir aux normes européennes d’une capacité de 5 000 tonnes. Jean-Marie, le fils de Marcel, arrive dans l’entreprise à 20 ans après une formation de comptabilité. En 1978, Jean-Marie occupe les fonctions de technico commercial mais son père décède brutalement; à 34 ans, il prend la tête de l’entreprise familiale. « J’ai vraiment connu mon père lorsque j’ai commencé à travailler avec lui. Je ne le voyais pas, il dormait 3 heures par nuit dans son camion avant de repartir. C’est un métier pour lequel il faut sacrifier sa vie. Les années soixante-dix et quatre-vingt ont été assez faciles, ça s’est durci en 1990 et l’apothéose, ça a été 1996. On n’avait plus le moral, on n’avait plus de ressources pour se défendre. Mon père m’a enseigné que, dans ce métier, il faut avoir toujours l’esprit ouvert, se remettre en question tous les matins. L’avenir est difficile et toutes ces crises successives nous ont affaiblis. C’est plus difficile d’avoir de la rentabilité, la législation s’est durcie et l’adaptation est devenue indispensable. Aujourd’hui, c’est l’effervescence. Je suis secrétaire de la FNICGV et la commission jeune nous permet de nous ressourcer. Il faut prendre en compte toute la vie de l’animal, connaître les éleveurs qui nous confient leurs produits avec une histoire, une santé, une alimentation et c’est à nous de transmettre ces informations au consommateur pour le rassurer. Mes origines de fils de marchand de bestiaux m’amènent chaque semaine à être au cul des vaches, c’est plus fort que moi. Ce métier demande de la simplicité, de l’humilité, de l’écoute et
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du temps ; c’est le seul moyen de se faire des amis, créer des synergies et des réseaux indispensables aujourd’hui. La faiblesse des entreprises c’est l’isolement : parler avec les autres chefs d’entreprise, partager ses savoirs et ses valeurs. Aujourd’hui, nous devons retrouver une position européenne peut-être en relançant nos produits haut de gamme et en défendant notre entité régionale. Si on n’a pas de fortes convictions pour pratiquer ce métier si rude, on ne peut pas y arriver. Il ne faut pas lâcher, ne pas démordre tout en étant ouvert et, la droiture, la parole donnée sont des biens précieux particulièrement dans ce métier. »
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Deux chefs d’entreprise dans le Calvados
Jean-Marc Perrette assure aujourd’hui les fonctions de directeur de Maxiviande Gros mais sa route jusqu’ici a été plus tortueuse que pour grand nombre de ses collègues. « Mon père, boucher, ne souhaitait pas que je sois dans la viande ; il m’a orienté vers des études de gestion et de comptabilité qui ont débouché sur 18 ans d’activité dans le secteur du matériel du bâtiment. C’est une opportunité qui m’a propulsé dans le secteur de la viande. » Jean-Marc connaissait le fondateur de Maxiviande qui lui a proposé de venir le rejoindre, ce qu’il a fait en 1985. En effet, M. Barral ouvre, en 1979, trois boucheries dans la région de Caen (14) ; en 1985, une centrale d’achat est créée ; en 1991, MM. Girault, Lemaroin et Perrette, entre autres, se portent acquéreurs de la société Maxiviande Gros qui gère aujourd’hui 75 boucheries réparties en
Normandie, dans le Centre et le Nord-Pasde-Calais. Jean-Marc commence par prendre en charge la préparation des commandes puis il est passé aux achats avant de devenir directeur général. « Il est vrai que ce métier a changé, j’aimais mieux la façon dont on travaillait il y a une dizaine d’années. Par exemple, je trouve que la relation commerciale perd un peu de son contenu: on s’adresse à des grands trusts, tout est hiérarchisé, il n’y a plus le côté je te tape dans la main, l’affaire est conclue et cela je le regrette!» Maxiviande Gros traite 3 500 tonnes de viandes et de salaisons qui vont nourrir, chaque semaine, les 40 000 clients des 75 boucheries. Ces clients attachent de l’importance au terroir et « nos efforts portent aussi sur la qualité, l’accueil, le conseil, le service plus que le prix ». > Installée à Villedieu-les-Poêles (50), AIM emploie plus de 400 personnes, abat quelque 66 000 tonnes de porc et 13 000 tonnes de bovins et de veaux à l’année et pratique une activité de cheville de proximité. Les frères Pien reprennent l’entreprise en 1976, développent l’abattage de porcs et de veaux gras et acquièrent à l’époque, l’abattoir d’Antrain (35) pour le bœuf et le veau. En 2003, l’heure de la retraite est venue et c’est un groupement d’éleveurs, CAP 50 dont le siège est à Saint-Lô (50), qui finalement s’est trouvé en situation d’acquérir majoritairement AIM avec quelques associés régionaux. CAP 50, c’est 150 éleveurs-adhérents, naisseurs engraisseurs avec des ateliers de 160 truies en moyenne et une production annuelle de 320 000 porcs. L’autre argument était que pour défendre la filière et
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« Notre métier passe par la connaissance du produit, par l’esprit d’équipe et par les hommes. Ce métier se travaille en filière. »
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« Ce qui m’intéresse dans ce métier, c’est le relationnel, le commerce et les hommes. »
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prendre le virage d’un commercial passif à un commercial actif c’est-à-dire expliquer ce que l’on fait, pourquoi on est là et quels services on peut rendre. Nous avons fait le choix de rester sur un marché de proximité et il faut qu’on le travaille. Il faut jouer la carte de la régionalisation, le gigantisme n’apportera rien et les consommateurs veulent savoir d’où vient ce qu’ils ont dans leur assiette. Si j’avais un vœu à formuler c’est qu’on arrête de jouer au pocker menteur, qu’on arrête également de se plaindre. Petit ou grand, il faut que l’on
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La filière viande Après avoir assisté, dans les années soixante et soixante-dix, à l’émergence de grandes entreprises, le marché de la viande bovine est entré dans une phase de segmentation. Pour cette raison, entreprises et producteurs recherchent des types d’animaux bien définis pour les marchés sur lesquels ils se positionnent. De plus, les éleveurs s’engagent plus résolument dans des démarches qualité garantissant aux consommateurs des méthodes d’élevage cadrées et des produits de qualité. Deux types d’entreprises abattent et transforment : des entreprises industrielles rattachées à des groupes – dont le siège social est situé hors Normandie – qui collectent des animaux sur une large zone, découpent et élaborent des produits finis sur les bases d’une politique commerciale souvent nationale ; des entreprises régionales d’abattage, de découpe et de désossage qui interviennent uniquement au stade de la deuxième et troisième transformation. mette du professionnalisme dans tous les secteurs de l’entreprise et surtout qu’on se débarrasse de l’encroûtement. »
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éviter que CAP 50 soit absorbé par un grand groupe, il fallait aller jusqu’à posséder ses propres structures d’abattage. Aujourd’hui, Jean-Pierre Vincent dirige naturellement la holding AIM après un passage à la chambre d’agriculture de la Manche et la direction de CAP 50. « Ce métier est difficile, il y a beaucoup de concurrence, il faut sans cesse se remettre en cause. On a toujours été très attachés à la qualité de la viande avec des méthodes de travail efficaces. Mais on manque de vision commerciale. Il faut
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Une histoire de cheville dans la Manche
Pascal Lecompte est né en 1964 près de Coutances (50) d’un père… boucher bien sûr. À 20 ans, il fait l’École de la viande à Bressuire (79), puis il est embauché chez Sovico à Langon (33) comme commercial. Il y restera 8 ans. C’est là, dans les bureaux, qu’il rencontre sa future femme Marie-Pierre employée chez Fleurette. En 1995, ils achètent tous les deux, pour un prix abordable, la Cheville Saint-Loise, une entreprise située sur Saint-Lô (50) avec une activité d’abattage et de découpe en gros pour les boucheries régionales. À l’époque, ils étaient 10 dans l’entreprise. Pascal et Marie-Pierre continuent d’approvisionner les boucheries de détail mais ils s’ouvrent aux GMS et aux collectivités locales. Ils ont doublé le chiffre d’affaires et les effectifs depuis leur arrivée à la Cheville Saint-Loise. Leurs choix reposent sur un
approvisionnement local et une distribution dans un rayon de 80 kilomètres autour de Saint-Lô. Pascal se déplace lui-même dans les fermes des environs, connaît bien ses éleveurs de bovin, entretient avec eux des relations de confiance. Cela lui permet de choisir les animaux, des vaches et des génisses de races à viande et des croisées de race Normande, qu’il livre en carcasse pour moitié à la cinquantaine de boucheries traditionnelles locales et pour une autre moitié, à quelques grandes surfaces et collectivités en muscles sous vide et piécés. « Il faut continuer à développer notre clientèle locale même si la concurrence est rude. Mais il faudrait que je puisse vraiment exercer mon métier; je consacre un quart de mon temps aux achats et aux livraisons et les trois quarts restants, je résous les crises, j’aplanis les soucis et je gère les contraintes. C’est vrai que parfois cela fait beaucoup, mais ce métier apporte aussi ses bons moments et particulièrement les contacts avec des hommes et des femmes, éleveurs et clients, qui le partagent avec nous ! »
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« Arrêtons de nous plaindre, il y a de bons jours ! » >
Travailler dans la viande et rien d’autre
À 14 ans, le petit Gérard Mabille quitte son village d’Essay dans l’Orne et la valise sous le bras se rend chez Roger Maunoury, boucher à Damigny (61), une distance de 25 kilomètres de la maison familiale. Chemin pas facile pour un enfant de cet âge, mais tout se passera bien d’autant plus que depuis cet été où il était allé dans la boucherie de son oncle, son souhait c’était vraiment de travailler dans la viande. « Après mon apprentissage, mon patron ne pouvant pas me garder, je suis monté à Paris chercher du travail ; deux jours d’expériences sans suite : le premier patron m’a demandé de désosser des têtes de veau toute une matinée, un autre me proposait du travail mais ne parlait pas de salaire, chez un troisième c’était sale et chez le dernier, les relations n’étaient pas nettes. Après une nuit à Paris où j’ai couché dehors comme un clochard, je suis rentré à Alençon (61). Un matin, sur recommandation d’un ami, je me suis présenté pour un poste de boucher aux Nouvelles Galeries. Un essai de quatre heures et j’y suis resté 8 ans. À 25 ans, je me suis marié et nous avons acheté une petite boucherie à Aube (61) près de L’Aigle. On a eu 5 bonnes années avant qu’un Intermarché puis un Leclerc s’installent près de
chez nous. » En 1982, la boucherie est vendue, les sous mis de côté et Gérard Mabille entre comme adhérent dans une coopérative ouvrière ; cette expérience dure un an et Gérard retourne vers le monde de la viande. Un ami, commerçant en ovins, lui propose de l’aider avant de prendre sa suite. « Je suis arrivé, il faisait 25 agneaux par semaine ; 4 ans plus tard, j’en faisais plus de 800. Et là, je me suis trouvé devant une situation aberrante : il n’y avait plus aucune possibilité à Alençon pour abattre mes agneaux, l’abattoir étant équipé seulement pour l’abattage de bovins. Alors je me suis mis à faire du bœuf, puis du porc et toujours un peu d’agneau. C’est là en 1993, avec l’aide du département que j’ai pu acheter le local de découpe où nous sommes aujourd’hui. Après ces années riches d’expériences multiples, je me sens bien, épanoui dans mon travail. »
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Quelques chiffres 71 % DES SAU couvertes par l’élevage ; LE CHEPTEL BOVIN : 25 000 élevages, plus de 1 600 000 têtes dont 489 000 vaches laitières et 156 000 vaches races à viande. 5 MARCHÉS AUX BESTIAUX : Carentan, Saint-Hilaire-du-Harcouët et les marchés au cadran de Moyon, Saint-Pierre-sur-Dives, Soligny-la-Trappe. 10 SITES D’ABATTAGE. 32 SITES DE TRANSFORMATION qui emploient au total 6 500 salariés. L’ABATTAGE TOTAL annuel de bovins est de plus de 130 000 tonnes. LA PRODUCTION ANNUELLE de viande bovine est de l’ordre de 147 000 tonnes. 640 ARTISANS BOUCHERS. 260 GMS distribuent la viande bovine. LA CONSOMMATION est de 37 000 tonnes par an, soit 16 kilos de viande, par habitant. Source : CIRVIANDE 2005.
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« J’ai beaucoup transpiré mais j’ai gagné ma vie honnêtement. Il faut vraiment faire ce qui nous plaît et avoir du flair. »
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« Il faut être attentif au recrutement, il faut être à l’écoute des jeunes. » >
En Haute-Normandie, l’élevage bovin se caractérise par une race emblématique : la Normande. Cette vache allie des qualités laitières et bouchères permettant aux éleveurs de valoriser leurs herbages ; mais la spécialisation de certains a permis l’implantation progressive des races à viande et, majoritairement, la Charolaise. Depuis 200 ans, les agriculteurs ont cherché à valoriser au mieux leurs terres et ils ont constaté que, grâce à la pousse naturelle de l’herbe, les produits laitiers et la viande étaient économiquement plus rentables que le blé. De plus, la viande et le lait avaient un débouché facilité avec la proximité de grands centres de population : Rouen, Paris, Londres… Région d’embouche, la Haute-Normandie a un autre savoir-faire reconnu : la production de bœuf.
À Rouen, toutes les activités de la filière dans une société
Né en 1948, Thierry Ricœur est entré dans l’entreprise en 1972 comme manutentionnaire. Ses résultats en classe de 1re n’avaient pas été formidables et son père, Michel, ne lui a pas vraiment laissé le choix. Alors il a travaillé en cours du soir, passé un CAP de boucher, des examens de comptabilité et de gestion pour arriver aujourd’hui à la direction du groupe Webert-Ricœur, créé en 1964 par deux amis, Pierre Webert, un boucher et Michel Ricœur, un abatteur. Ils achetaient en ferme, abattaient et livraient les bouchers. De 1964 à 1976, leur distribution a été étendue aux bouchers de la région « tout en attaquant les GMS. » Aujourd’hui, le groupe, c’est 160 personnes et 4 sociétés à Rouen (76) : Webert-Ricœur pour le négoce de bestiaux et un atelier de découpe et de la transformation ; Socavia, société d’abattage dont Thierry a pris la direction à 20 ans et « j’ai dû y faire ma place » ; Deltaa, un atelier de salaisons, triperie et produits élaborés, créé en 1983 et Weri-log, une société de transport. « Nous ramassons tous types de bêtes ; elles sont ensuite dirigées vers un centre d’allotement et de tri de maigre, puis vers tel ou tel abattoir. La distribution est assurée pour maintenir l’équilibre de l’entreprise et conserver les différents types de nos clients : un tiers de bouchers traditionnels, un tiers les GMS et un tiers les boucheries halal et casher.
Aujourd’hui, Webert-Ricœur propose toute une gamme de produits spécifiques comme le Bœuf Prestige du Boucher, le Bœuf Normand de tradition herbagère, le Veau Prince de Normandie ou encore L’Agneau de Boucherie Label Rouge et le Porc Charcutier Le Bien Élevé sur Paille. » Thierry a comme tout le monde des préoccupations et particulièrement celle de parvenir à former une équipe de professionnels. «Je recrute des jeunes sortis de 3e, souvent en échec scolaire. Je les prends comme stagiaires ; un tuteur leur est attribué, il va les former, leur apprendre le métier, leur donner l’esprit d’équipe et ça marche ! Ces jeunes très vite reprennent confiance en eux et se lancent dans le boulot. Ils ont le sentiment d’être utiles. »
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Développer les filières courtes
Depuis 1985, Marc Laude est dans ce métier ; à cette période, il a 22 ans et une formation de comptabilité. Héritant de son grand-père d’un petit fond de commerce en gros de viande qui emploie 5 personnes, il se met à la tâche et, pour ce faire, s’inscrit à l’École supérieure des métiers de la viande. «J’étais raisonnable et je me suis concentré sur le développement tranquille de l’entreprise. Nous étions initialement en plein centre ville, grâce à un accord avec la ville de Fécamp (76), puis nous nous sommes installés à la périphérie de la ville.» Aujourd’hui, sa société d’abattage et de négoce de viande emploie 20 personnes. « En tant qu’abatteur,
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En Haute-Normandie l’approvisionnement provient entièrement de ramassage en ferme ; les porcs sont abattus à Bolbec (76). En tant que négociant en viande, nous proposons du muscle et du piécé sous vide, de la charcuterie: pâtés, boudins, triperie, etc. Nos 220 clients,
Quelques chiffres LE CHEPTEL BOVIN : 700 000 têtes dont 235 000 vaches : 160 000 laitières et 75 000 allaitantes. LE CHEPTEL OVIN : 110 000 têtes dont 60 000 brebis mères pour 720 élevages. 4 MARCHÉS AUX BESTIAUX : Forges-lesEaux, Neufchâtel-en-Bray ; Rouen et un marché au cadran Lieurey. 5 ABATTOIRS. TONNAGES D’ABATTAGE BOVIN ET OVIN : • 80 000 bovins pour 32 000 tonnes • 45 000 ovins pour plus de 1 000 tonnes. UNE DIZAINE D’ENTREPRISES de négoce . Sources: Interviandes Haute-Normandie 2004, Chambre régionale d’agriculture 2003.
Une terre d’embouche La Haute-Normandie composée de l’Eure et la Seine-Maritime, est un vaste plateau crayeux qui présente des ondulations et des failles, largement entaillé par les vallées des cours d’eau, en particulier celle de la Seine. Le climat océanique se caractérise par la douceur et l’humidité : températures hivernales largement positives, étés frais, précipitations relativement abondantes. Les paysages de Haute-Normandie ne ressemblent guère à ceux de Basse Normandie : la
plaine du Neubourg et celle de SaintAndré sont de vastes étendues où se pratique la grande culture mécanisée. Le Pays de Caux, au Nord de la Seine est, tout comme le Vexin normand recouvert de limon fertile permettant là encore une grande culture mécanisée. Le Pays de Caux et le Roumois, au Sud de la Seine, associent agriculture et élevage tout comme le Pays de Bray, au Nord-Est de la région. La spécialité régionale est l’élevage bovin, en particulier pour la production laitière.
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majoritairement des artisans bouchers se situent essentiellement dans un périmètre de 50 kilomètres autour de Fécamp. Mes autres clients sont tout aussi exigeants ; ce sont les collectivités locales, les collèges, les lycées et la restauration collective. Il faut bien comprendre que pour rester dans ce milieu, il faut développer les filières courtes. C’est ce que nous faisons avec la marque Le Porc des Chaumières créée en 1999 à l’initiative des éleveurs de Haute-Normandie et l’association Les Défis Ruraux ; c’est une filière courte du terroir normand, à dimension humaine, qui souscrit au commerce équitable. Chacun des partenaires, éleveurs, abatteurs, chevillards et charcutiers, reçoit la juste part de son travail et de son savoir-faire. Le consommateur est assuré de disposer de manière pérenne d’un produit de qualité. Dans le même esprit, je commercialise également la marque Le Brigué Cotentin, un bœuf authentique de 36 mois. Par ailleurs, à l’initiative du Conseil général, je me suis engagé dans des manifestations, comme Les Repas du Terroir, en direction des collèges et des lycées : chaque semaine se déroule dans ces établissements une journée du goût.»
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Le cheval par tradition et aussi l’agneau et les produits tripiers
Didier Liebig était dans le médical avant de rencontrer la fille de Monsieur et Madame Joseph, des marchands de bestiaux qui avaient monté, en 1972, à Toutainville (27), la SNVC, Société normande de viande et de courtage. Un mariage en 1980 et le voilà préposé à la mise de muscles sous vide. Il tient tous les postes du métier
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«C’est une belle niche mais exigeante car les bouchers veulent du frais, de la qualité, du suivi et du service. C’est ce qui me plaît!» en commençant par l’achat de viande de cheval en Angleterre ; il faut dire, pour la petite histoire, qu’au début de son activité SNVC ne faisait que de la viande de cheval et qu’elle fut le premier atelier, en France, à faire du muscle de cheval sous vide pour une clientèle de boucheries chevalines. «En 1983, la société faisait même de la charcuterie de cheval. Mais en 1985, le secteur est touché par la trechynose qui entraîne les bouchers chevalins dans la tourmente. En fait c’est un ras de marée. Pendant 4 à 5 mois, SNVC perd 80 % de son chiffre d’affaires et décide de se tourner
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« Aujourd’hui, les GMS ont tendance à être plus coopératives. »
vers les produits tripiers et la viande d’agneau. Ce sera l’occasion de créer une deuxième usine à 10 kilomètres de Toutainville. » Didier prend la direction des affaires en 1986. Les deux sites vont fonctionner jusqu’en 1997 puis, « toutes les activités seront regroupées dans le site agrandi de Toutainville où nous sommes aujourd’hui 115 personnes. Le cheval représente encore 25 à 30 % de notre activité, essentiellement pour les GMS ; les produits tripiers de bœuf, de porc et d’agneau représentent 40 à 50 % en piéçage à 80 % pour les GMS et l’activité viande d’agneau fait le reste soit autour de 30 %. » Par ailleurs, et pour Didier c’est très important, la SNVC a développé l’UVCI cheval. «Nous sommes la seule entreprise à le faire aujourd’hui et les GMS attendent cette marchandise toute prête, tous les jours de la semaine. Dans le marché qui est le nôtre, les GMS ont changé la manière de nous aborder. Avant, elles saignaient facilement
tout le monde ; aujourd’hui, c’est un vrai partenariat : elles ont besoin de nous et nous avons besoin d’elles. Notre profession, au fil des années, s’est assainie. Il y a de la concurrence mais on est dans une concurrence saine. »
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Tradition bouchère
Dans les années soixante-dix, Bertrand Saillard, boucher détaillant à Évreux et le père de François Gourvenec, commerçant en bestiaux, ont créé à Dreux Savidis, une entreprise de découpe pour les collectivités, les restaurants et les boucheries traditionnelles. En 1983, François en prendra la direction. Plus tard, en 1995, un atelier de découpe aux normes européennes s’impose et Savidis fusionne ses activités à Évreux. François n’envisageait pas de travailler dans la viande ; son rêve était d’être vétérinaire. Après quelques années dans le médical, il rejoint l’entreprise familiale et se passionne pour ce
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États des lieux en 2005 Les abattoirs ont suivi le rythme de la production avec une baisse du nombre d’abattoirs et d’entreprises de négoce de viande. Thierry Ricœur a succédé à son père en 2001 à la présidence régionale de la FNICGV : « Le ménage s’est fait de lui-même. Il y a eu des départs en retraite non remplacés, des dépôts de bilan pour des raisons de conjoncture et d’évolution du marché, parfois parce qu’on a eu les yeux plus grands que le ventre. Mais les entreprises qui subsistent aujourd’hui, une dizaine, ont chacune leur place tant au niveau local que régional et national. Le métier a beaucoup évolué ; il a fallu suivre, notamment, avec la création d’ateliers de découpe, de fabrication de produits élaborés et de mise sous vide. Par ailleurs, aujourd’hui, les viandes d’importation sont là, avec des prix bas et surtout avec des DLV de 4 mois, comme par exemple pour la viande d’autruche ! À nous de trouver des solutions, de se positionner sur de nouveaux créneaux et sur des niches. Si on pouvait ne pas être en saturation de réglementations et de normes sanitaires et que l’on fasse vraiment notre métier, un beau métier, plutôt que de brûler de l’énergie à gérer du papier. »
> Bertrand Saillard l’a pris sous sa métier. coupe, lui a appris le métier en le mettant à la tâche dans l’atelier de découpe et en l’incitant, par la suite, à suivre une formation de gestion d’entreprise. « Aujourd’hui, j’achète auprès des abattoirs, essentiellement des carcasses de Normandes finies de 5 à 7 ans. Le bovin représente 50 % des 800 tonnes de produits traités à l’année; le reste se partage entre le veau, l’agneau, le porc et du négoce de charcuterie et de volaille. » Avec un nom à consonance pareille, les origines de François Gourvenec fleurent bon l’Ouest de la France ; en effet, son grand-père, un pur breton, est venu à Paris en 1900 comme boucher avant de s’installer à Dreux dans son propre commerce en 1910. Finalement, on n’échappe pas à ses origines ! François s’interroge sur l’évolution de la profession depuis 1975 et sur l’avenir du métier. « La place des produits dans l’alimentation a changé
tout comme les habitudes alimentaires, sans compter que la consommation et la production sont en baisse. Ce qui a changé également, c’est l’approvisionnement avec l’arrivée des viandes de l’UE. Mais mon plus gros souci, c’est de trouver du personnel ayant une formation de boucher et là, il y a un vrai travail de revalorisation de cette profession à mettre en place. »
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www.fnicgv.com le site internet de la fédération La FNICGV s’est dotée d’un site internet le 29 juin 2001 au congrès de Biarritz. Ce service est rapidement apparu utile aux adhérents après la deuxième crise de la vache folle. La permanence et la rapidité de la diffusion de l’information et des positions syndicales répondent à leur attente. Le site internet de la FNICGV est également une vitrine pour les adhérents et la fédération. Il modernise, tout simplement, le service rendu aux adhérents. Les versions ultérieures du site internet s’inscrivent dans ce même esprit. En janvier 2006, le site enregistrait 5 000 visites par mois. L’annuaire en ligne des adhérents est la rubrique la plus consultée.
p.12: de haut en bas: les abattoirs de La Villette dans les années soixante ; couverture du Congrès de Strasbourg les 6 et 7 mai 1983 ; André Long et sa femme, les grands-parents bouchers de Didier Long, 1943. p.13 : de haut en bas et de gauche à droite: Guy Belot ; Guy Eschalier et Claude Thiéblemont lors de la remise de la Légion d’honneur à Laurent Spanghero, 2004; Alain Rivenez, Rungis, 1986 ; couverture de Bétail et viandes, juillet 1997; logo FNICGV, 1982.
p.14 : Les Halles de Paris, Pavillon de la Boucherie et de la Triperie, 1906.
p.15: Les abattoirs de La Villette
p.34 : La grande halle du marché aux bestiaux de La Villette avant 1939.
p.57 : Passation de pouvoir entre Ernest Lemaire-Audoire et Marcel Quiblier, 1980.
p.36: Libert Bou, président-
p.58 : M. Debatisse, secrétaire
directeur général de la Semmaris de 1965 à 1976.
p.59: Discours d’adieu d’Ernest Lemaire-Audoire, 1980.
p.41 : Le bâtiment du syndi-
p.63: à gauche: Pierre Bonnin;
cat des Bouchers en gros de La Villette, après la fermeture en 1973.
à gauche et en bas: tribune du Congrès de Strasbourg, 6 et 7 mai 1983. En haut, François Guillaume ministre de l’Agriculture et Marcel Quiblier.
p.43: en haut: Pierre Lebouleux; en bas : Laurent Spanghero et Jacques Chirac, 1976. p.47 : Estampille nationale d’abattoir et estampille communautaire d’abattoir.
p.17 : Les Halles de Paris
p.48 : : Georges Pérol
abattoirs de La Villette pour le ravitaillement de Paris, juin 1944.
p.25 : Les Halles de Paris, Pavillon de la Boucherie et de la Triperie devant l’entrée de Saint-Eustache, vers 1960.
p.26: Le grand-père de Philippe et Franck Malvoisin, à droite sur la photo, aux halles de La Villette où il commercialisait les carcasses de bœuf envoyées par son abattoir de l’Arbret (62), vers 1950.
p.30 : : Annonces de la campagne Suivez le bœuf. De haut en bas: dessin de Bellus, Journal du dimanche, 27 novembre 1960; titre de l’article de France Soir, 30 novembre 1960.
d’État aux Industries agricoles et alimentaires remet les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur au Président Quiblier, octobre 1980.
p.37: Ernest Lemaire-Audoire et Guy Eschalier accueillent M. Royer, ministre du Commerce à Rungis, 1979.
vers 1900, carte postale.
p.20 : Les bovins arrivent aux
Le 1 site internet de la FNICGV a été lancé le 29 juin 2001 au congrès de la FNICGV à Biarritz ; la 2e version du site internet fut lancée le 25 juin 2004 au congrès de Strasbourg. La FNICGV prépare une nouvelle version du site, la 3e, qui sera lancée le 23 juin 2006 à Toulouse, lors du congrès de la FNICGV. Ci-dessus et ci-contre : les pages d’accueil des 1er et 2e sites de la Fédération.
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Légendes des photos
vers 1950.
er
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p.49 : en haut : Marcel Bruel. p.50 : de haut en bas : Dîner clôturant le Congrès du Touquet, 1977; Le Premier ministre Raymond Barre et le ministre de l’Agriculture Pierre Méhaignerie saluant Marcel Quiblier lors du SIAL de 1980.
p.53 : Le marché de la viande de Cibevial en 1976.
p.55 : à gauche : Roger Cerf ; à droite : Le ministre de l’Agriculture Édith Cresson s’entretenant avec Laurent Spanghero, 1983.
p.56 : Laurent Spanghero en 1981, alors président de la Commission Veaux de la FNICGV, lors du Congrès de Toulouse, 1979.
p.66 : Rencontre entre Yvon Gattaz, président du CNPF, Laurent et Claude Spanghero, 1987.
p.71 : en haut : Laurent Spanghero et Jean Rozè, avril 1994 ; en bas : Claude Lévy. p.74: Philippe Vasseur, ministre de l’Agriculture de 1995 à 1997. p.81 : à droite : Jean Glavany, ministre de l’Agriculture, et Laurent Spanghero au SIAL 2000 ; à gauche : Pierre Chevalier. p.86: Bernard Merhet, président de la Fédération de la Boucherie de la région parisienne et Laurent Spanghero, Salon de l’Agriculture à Paris, 2005.
p.87 : machine à classer mise en place à CIBEVIAL.
p.89 : Dominique Bussereau, ministre de l’Agriculture, Nicolas Forissier secrétaire d’état à l’Agriculture, à l’Alimentation, à la Pêche et à la Ruralité et Pierre Chevalier au Salon de l’Agriculture à Paris, 2005.
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Remerciements Les auteurs Les textes d’introduction, en pages 12 à 95, sont de
François Landrieu. Les textes « À la rencontre des professionnels » sont de :
Marie-Pierre Chavel, en pages 143, 149,151 à 153, 175, 176, 183, 184, 186 à 190, 198 à 200, 204 à 210, 214 à 220, 224 à 233, 242, 250.
Gérard Marot, en pages 114 à 116, 128, 135, 146, 165, 251 à 255, 258 à 293, 296 à 300, 304, 306 à 331. Néron Richer, en pages 98 à 113, 117 à 127, 129 à 134, 138 à 142, 144, 145, 146, 147, 150, 154 à 164, 166, 167, 170 à 175, 177 à 183, 184, 185, 191 à 197, 200, 201, 210, 211 à 213, 221 à 223, 236 à 242, 244 à 249, 301 à 303, 305. Indépendamment des photos prises lors des reportages, nous remercions tous les professionnels d’avoir mis à notre disposition les sources iconographiques dont ils disposent ; que leurs auteurs soient ici remerciés de leur aimable collaboration. Les photos des pages 74, 89 : Cheick Saidou/Min.Agri.Fr
La rédaction de cet ouvrage, entreprise à l’initiative et avec l’appui constant de Laurent Spanghero, a été possible grâce à l’aide, la participation, la contribution pleine et entière de la Fédération Nationale de l’Industrie et des Commerces en Gros des Viandes. La FNICGV a notamment mis à notre disposition ses très riches archives, nous l’en remercions. De même, la sollicitude d’Interbev et du CIV nous a permis de surmonter nombre d’obstacles. Nous associons à ces remerciements Pierre Haddad, dont la thèse de doctorat publiée en 1995, L’histoire de la viande en France, a été pour nous une source précieuse d’informations. Notre gratitude va au directeur de la Fédération, Nicolas Douzain-Didier, et à ses collaborateurs, qui ont pris de leur temps pour nous recevoir et nous parler. Un grand merci aussi à Pierre Mussaud, qui nous a longuement reçus ; et à Guy Eschalier, Didier Huber et André Forget qui ont relu attentivement toutes ces pages. Enfin, tous nos remerciements vont aux professionnels qui nous ont accueillis lors de nos étapes à travers la France, aux centaines de négociants, de grossistes, d’abatteurs, de transformateurs, de salaisonniers, et à tous ces hommes et ces femmes travaillant dans les ateliers, que nous avons rencontrés et qui ont partagé avec bienveillance, humour et générosité leur savoir-faire pour que ce livre existe. Que toutes et tous trouvent ici un témoignage amical pour leur accueil chaleureux, leur gentillesse, leur compétence. Et, finalement, pour le plaisir qu’ils ont manifesté à raconter leur histoire et l’évolution du métier, ses moments de gloire et de difficultés. Le commerce et l’industrie de la viande ne pourraient exister sans eux. Ils ont, chacun à leur façon, exprimé la passion qui a toujours habité ceux qui exercent ces métiers de la viande et que ce livre cherche à transmettre.
achevÊ d’imprimer